HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANGAISE. TOME VI. , • TYPOGRAPHJE DE...
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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANGAISE.


TOME VI.




,




TYPOGRAPHJE DE FIRMIN DmOT FRERES,
RUE .JACOB. NO 24.


"iil'000_




I
\ .


HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION


FRAN<;AISE,


PAR M. A. THIERS,
'MINBTRE D'É'I'AT E'l' DiPUTÉ.


TOME SIXIEME.


iroisitmt C!Ebition.


_004)_


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49-
PAULIN, LIBRAIRE, PLACE UF. LA BOURSE. ,


M DCCC XXXII.




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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.


>


CHAPITRE 1.


Retour de Danton. - Divisions dans le partí de la Mon-
lagne,. dantonistes el hébertistes. - Politique de Ro-
bespierre et du comité de salut public.-Danton, accusé
aux Jacobins, se justifie; il cst défendu par.Robespierre.
- Abolition du eulte de la RaiS4Jn. - Dermers perfec-
tionnements apportés -au gouvemement di_atonal re-
volutionnaire. - Énergie du comité contre tous les
partis.-Arrestation de Ronsin, de Vincent, des quatre
députés auteurs du faux décret et des agents présumés


\ de l'étranger.


DEPUIS la chute des girondins, le partí mon-
tagnard, resté seul et victorieux, avait coro-
meneé a se fractionner. Les exces toujours plus


VI.




nEVOLlITION FRA ¡·H;AISf~.
granJs de la révolution achcverellt de le tlivi-
ser tout - a -fait, et on touchait a une rupture
prochaine. Beaucoup· de députés avaient été
émus du ~ort des girondins, de Bailly, de Bru-
net; le lÍouchard; d'au tres blainaienf les vio-
lences commises a l'égard du culte; les jugeaient
impolitiques et dangereuses. I1s disaient que
de nouvelles superstitions succédaient a ceHes
qu'on voulait détruire, que le prétendu .culte
de la raison n'était que celui de l'athéisme, que
l'athéisme ne pouvait co.nvenir. á un peuple, et
que ces extravagance~ étaietlt payées par l' é-
tranger. Au contraire, le parti qui régnait aux
cordeliers et a la commune, qui avait Hébert
pour écrivain, RonsÍn et Vincent pour chefs,
Chaumette et Clootz pour apotres, soutenait
que ses adversaires voulaient ressusciter unt>
faetion modérée, et amener une nouvelle dhri-
síon dans la république.
. Danton thait revenu de sa retraite. Il ne dis:lit
pas sa pen~~e, mai" un chef de parti, voudrait
en vain la cacher; elle se répand de proche en
proche, et devient bientot manifesté a tous les
esprits. On savait qu'il aurait voulu empecher
l'exécution des girondins, et qu'il avait été vi-
vement touché ,de Ieur fin tragique; on savait
que, partisan et inveilteur des moyens révolu-
tioTmairés, il commen..:ait a en blamer l'emploi




CONVENTlON N ATlON ALE (( 793). 3
féroce et aveugle; que la violence De lui sem-
blait pas devoir se prolonger au-dela du dan-
ger, et qu'a la fin de la campágne actuelle et
apres l'expulsion entiere des ennemiS", il vou-
lait faire rétablir le regne des lois douces et
équitables. On n'osait pas l'attaquer a la tri-
bune des clubs. Hébert n' osait pas l'insulter
dans sa feúille dll Pere Dltchesne; mais on ré-
pandait verbalement les bruits les plus insi-:
dieux; on insinuait des soup~ons sur 5a p.ro-
bité;oft mppelait av:ec;:plus de perfidieque
jamais les cdncussions de la Belgique, et on
lui en attribuait une partie; on était meme
alIé jusqu'a dire, pendant sa retraite a Arcis-
sur-Aube, qu'il avait érnigré en emportant ses
richesses. On lui;associait, cornme ne valant pas
mieux, CamilJe Desmoulins, son ami, qui avait
partagé sa pitié pour les girondins, et avait
défend~ Dillon; Philippeaux, qui revenait de
la Vendée; furieull. contre .5 désorganisateti.'rs',
et tont pret a dénoncer Rónsin et Rossignol.
On rangeait encore dans son partí tous ceux
qui, de qtielque maniere, avaient démérité des
révolutionnaires ardents, et le nombre com-
men~ait a en etre assez grand.


JuIien de Toulouse, déja fort suspect par ses
Iia.isons avec d'Espagnac et avec les fournis-
seul'S, avait achevé de se compromflttre par


l.




RÉVOLUTION FRANI./.HSE.
un rapport sur lesadministrationsfétléral;stes,
dans Jeque! il s'efforc;ait d'excuser les torts de
la plupart d'entre elles. A peine l'eut-il pro-
noneé, <fUe les eordeliers et les jaeobins soule-
'vés l'obligerent a se rétraeter. 115 firent uue
enquete surta vie privée; ils découvrirent qu'il
vivait avec des agioteurs, et qu'il avait une ci-
devant comtesse pour maltresse, et ils le décla-
rerent tout a la fois corrompu et modéré. Fabre-
d'Églantine venait tout-a-coup de changer de
situation, et déployait un luxe qu'on ne lui
connaissaitpas auparavant. Chabot, le capuc;n
Chabot, qui, en entrant dans l~ révolution,
n'avait que 5a pension ecclésiastique, venait
aussi d'étaler un beau mobilier, et d'épouser
la jeune sreur des tleux Frey ,'3vec une dot de
deux cent mille livres. Ce changement de for-
tune si prompt excita des soupc;;ons contre les
nouveaux enríchis, et bientot une proposition
qu'ils firent a la eOlU(ention acheva de les per-
tIre. Un député·, Osselin, venait d'etre arreté
pour avoir, disait-on, caché une émigrée. Fa-
bre, Chabot, Julien, Delaunay, qui n'étaient
pas tl'anquilles pou!' eux-memes; Bazire, Thu-
riot, qui n'avaient rien a se reprocher, maÍs qui
voyaient ave e effroi qu'on ne ménageat pas
meme les membl'es de la convention,' pro-
poserent un décret, portant qu'aucun député




COl'lHNTION NATIO).\'ALE (1793). tí.
ne ppurrait etre arreté, sans auparavant etre
enlenrlu a la barre. Ce décret fut adopté, mai:-
tous les clubs et les jacobins se souleverent, et
prétendirent qu'on voulait renouveler l'invio-
labiiité. lis le firent rapporter, et commence-
rent l'enquete la plus sévere sur ceux qui
l'avaient proposé, sur leur conduite et sur 1'0-
rigine de leur subite fortune. Julien, Fabre 1
Chabot, Delaunay, Bazire, Thuriot, dépopu-
larisésen quelques jours, furent rangésdans
le.puti des. hororoes. équivoques. et modérés.
Hébert les couvrit d'injures grossieres dan s sa
{euille, et les livra a la vile populace.


Quatre ou cihq aulres individus partageren~
encore le meme sort, quoique jusqu'ici reconnu!\.
excellents patriotes. C'étaient Proli, Pereyra,
Gusman, Duhuisson et Desfieux. Nés presque
tous sur le sol étranger, ils étaient' venus,
comme les denx Frey el comme Clootz, s~ j,eter
daos la révolution fran-;aise, par enth4lU5Íasme,
et probablement aussi par besoin defaire for-
tune. On ne s'inquiéta pas de ce qu'ils étaient,
tantqu'on les vit ahonder dans le sens de la
.révolution. Proli, .qui était de Bruxelles, fut
envoyé avec Pereyra et Desfieux aupresde
Dnmouriez, pour découvrir ses intentions. lIs
le firent. expliq uer, et vinren t, comme nous
ravous rapporlé, le délloncer a la convention




UÉVOLUTION FRA.N~AISE.
et aux Jacobins. C'était bien jusque-Ia; mais
ils avaient été eDlployés pv.. Lebrun, paree
qu'étant. étrangers et instruíts, ilspouvaient
rendre;des .. services . aux relations extérieu-
res. En approchant I,ebrun, ils apprirellt. a
l:~stimer, et ils le défendirentplus tardo Proli
avait connu heaucoup Dumouriez; et , malgré
ladéfection de ce général, il avait persisté a
vanter ses talents et a dire qu'oo aurait pu le
conserver a la république; en~n , presque tous
corii.aaissant mie~x lesipays:v.oisins, .avaieqt·pla..
mé l'application du systeme jacobin a la Belgi-
que et aux provinces réunies a la France. Leurs
propos Curent recueillis, el lqrsqu'une défi~nce
générale' fit .imaginer. l'intervenÜofl . secrete
d'une factmn étrangere, on commem;a a les
soup;onner, et a se raviser sur leurs discours.
00 sut que Proli était fils naturel d~ Kaunitz;
00 supposa qu'il étai t le meneur en chef, et 00
les métam.orphosa taus·en· espions de Pitt et
deCobourg. Bientot la Cureur n'eut plus de
bornes, et l' exagération meme de leur patrio-
tisme ~ qu'ils croyaieot propre a les justifier,
ne servit qu'a les compromettre davantage. 00
les confondit avec le partí des. ttuivoques , des
modéré!ii. Aiusi, des que Danton ou: ses amis
avaient qnelque opservation. a faire sur les
fautes des agents ministériels , ou sur les vio-




CONVJ::l'n'ION NATJON A.LJ' (1793). '7
lellces exerc~es contre Je ,culte, le parti Hé-
hert, Vi,ncent et R.onsip, rópondait ~n cria~~ a
la P.lodérjlt~OJl, a la corrl)pf~q., a I~ fac;;tio~
étrang,ere.
Sujv,~nt I'Jl!>age, les .modérés reuvoy¡lÍ.t:nt ~


lellrs adversaires cette aCCl,lsatioll , et leur c¡li-
saieijt: C'flst VOijS qui eles lescomplices de ,C;~~
étrangers; tout vou"s rétPPIl'oCh~, ~t la colllP.lijpe
:viplence de "otre lang~e, ~t le p¡rQj,etq~~oJlt
~\~v~s~ ~Jl P~uss~Q~ Wyt ;lJl pirt:~, yoy,;¡.,
~~i~nt.j~, ~~tm'~º~\l~~ ,q'UjÍ, 1I'~r~ ~qe
autorité'législative, et renddeslois'SPlls ~ ~j­
t;re modeste d'arretés; qui regle tout, police,
sul>~ü¡:~a,nces, culte ; qui su,\l,stitue de SQU chef
Hne re,ligioIl a une a1).tre, rempLace ~s ancie~­
,ues liuperstitions par des superstitions nou-
velles, pr~he l'athéisme, el ~e f<l~t i,ruiter par
~(H1tesle$ ~m)llicipalités de la rép,ublique; voyez
~e""bQ.J',e3#~ :d~ Jll guerre, d'oq s'échappe,nt
Hné fOR~ :d'~gent~ qll~ vopt ,Q~n& left ,pr9;vjn~es
rivaIiser avec les représentants, exercer les
.plus grandes vexations, et décrier la révolu-
tion par leur conduite; voye¡?; cett~ COUl1llu,ne
~tc,és b~rea~x !que v:eulen,t-ils, sinon uSllr-
per l'autorité l~gislatiYe ~t e~écutive, dépo~é­
der la cQllventio.n, les comités, et <;lissoudr{"
le gouvernement! Qui p.eu,t les pOUiie,' a ce
t>l~t, sinon l'étranger?




8 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
Au milieu de ces Ilgitations et de ces que-


rellés, l'autorité devait prendre un partr vigou-
reme. RóbespierJe pensait" avec tout le comité,
que ces accusations récip~oquesétaient extre-
menient dangereuses. Sa politique, comme on
l'a déja vo., avait consisté, depqís le 31 mai, a
empecher un nouveau débordement révolu-
tionnaire, a rallier l' opiníon autour de la oon-
vention; et la convention autour du comité,
afin de creer un pouvoir énergique, et íi s'é-
tait servi poul" cela des jacohins tout-puissants
alors sur l'opinion. Ces nouvelles accusations
contre des patr.iotes accrédités, comme Dan-
ton, Camille Desmoulins, luí semblaient tres-
dangereUfes. II avait peur qu'auculle réputa-
tion ne résistat aux imaginations déchalnées;
ii craigllait que les violences a l'égard du cuIte
n'jndisposassent une partie de la France, et
ne fissent passer la révoiution pour athée; il
croyait voir enfin la main de rétranger dans
cette vaste confusioll. Aussi ne manqua+il pas
l'occasion que bientot Hébert lui offrit, de s'el,l
expliquer aux Jacobins. . "


Lesdispositionsde Robespierre avaientpercé.
On répandait sourdement qu'il allait faire
sévir contl'e Pache, Hébert, Chaumette, Clootz,
auteurs du mouvement contre le culte. ~roJi.
Desfieux, Pereyra, déja compromis el mena-


,




I


COl\'VENTION N ATIONALE (1793). 9
cés, voulaient rattacher leureause a eeHe de
Pache, Chaumette, Hébert; ils virent ces der-
niers, et leur dirent qu'il y avait une conspi-
{'atÍ<:m contre les meilleurs patriotes; qu'ils
étaient tous égalemellt en dallger{et qll'il fal-
~aít se soutenir et se garder réciproquement.
Hébert se rendalors aux Jacobins, le 1 er fri~
maire (21 Iiovembre 1793), et se plaint d'Ull
plan de désunion tendant a diviser les patrio-
tes. « De toutes parts, dit-il, je rencontre des
i gens qui me ,eomplimentent de n'etre pas
« arI:eté. On répand que Robespierre doit me
« dénollcer, moi, Challmette et Pache ... Quant
j( a moi, qui me mets tous les jours en avant
j( pour les ¡ntérets de la patrie, et qlli dis tout
« ce qui me passe par la tete, cela pourrait
te avoir quelque fondement; mals Pache L.. J e
« connais toute l'estime qu'a pour lui Robes-
t( pierre, et je rejette bien loin de moi une pa.,.
( reille idée. On a dit aussi que Dantotl avait
«( émigré, qu'il était alIé en Suisse cnargé des
« dépouilles du peuple ..... Je l'ai rencontré ce
« mat~n dans les TuiJeries, et puisqu'il est a
ce Paris, il fauí qu'il vienne s'expliquer fratel'-
« nellement aux Jacobins. TOlls les patriotes
« se doivellt de démentir les bruits injurieux
I( qui courent sur leur compte. )) Hébert rap-
porte ellsuite qu'il tíent une partie (le ces




t o RHVOLUTION FRAJlj<':AISll,


hruits de Dubuisson, l'E!Ciue1a youlu lui dévoi-
ter une coRspiration contre les· .patriotes; et,
suivant l'usagede tont rejeter sur les vaincus,
il :tjoute que la cause des troublesest dans les
CGinplices de Brissot qui vivent encore , C.t dans
les Bonrbons quirestent auTemple. Robes-
pierre monte aussitot a la trjbune : « Est-il vrai,
«dit-¡l, qu~ nos plus dangereux ennemis soient
« les restes impurs de la race de DOS tyrans?
« le ,vote en mqncreur pour que·larace des
( ~rans,4isparaisR-;.:\la;.rterre;' roa" puis-}t!
l( m~aveugler sur la situation de mon pays, au
« point de croire que cet événement suffirait
({ pour éteindre le foyer des conspirations qui
1( nous déchirent?A q1.li persuadera-t-on que
~( la punition de la méprisable sreur de Capet
« en imposerait plus a nos ennemis que eeHe
« de ·Capet lui-meme et de sa eriminelle com-
« 'pagne?'


.. «Est-il ~rai eII¡'Core que la cause de nos maux
« soit le fanatisme? J..e fanatisme! jI expire. Je
« pourrajs meme dire qu'iI est mort. En dirí-
a geant depuis quelques jours toute natre at-
{( lention contre lui, De la détournc-t-onpas de
({ DOS véritables dangers? Vous avez penr des
« pretres, et ils s'empressent d'abdiquer leurs
« titres pour les échanger contre ceux .-le mu-
" llicipaux, d'administratcurs , et meme de pré-




CONVENTION NATION ALE (1793). 11
~( sidents de sociétés populaires ... ~. Ils étaient
el naguere fort attachés 3: Ieur roinistere quand
(( il leur valait soixante-dix mille livres de ren-
({ tes; ils 1'ont abdiqué des qu'il n'en a plus
re valu que six roille .... Oui, craignez non 'pas
« leur fanatisme , roais leur ambition! non pas
(e l'habit qu'ils portaient, mais la peau nouvelle
ce qu'ils ont revetue t craigllez non pas l'an-


.«( ciennesuperstition,mais la nouvelle etfausse
q: ,superstitionqu'on veut feindre .pournous
jt;. perdre,l ,»:.:~tl ':') :,., .. " ,::. ;'.
IciRobespi~~re, abordant franchement la


question des cuItes, ajoute ;
« Que des citoyens animés par un úle pur


( viennent déposer sur l'autel de la patrie les
{( monuments ¡nutiles et poropeux de la su-
« perstítion, pour les faire servir aux triom-
" phes de la liberté, la patrie et Ja raison sou-
fcnent a ~es offraudes; mais de quel droit
C( l'aristooratie etThy.pocrisie,vie~aie~t-elles
(( meler ici leur influeuce a ceHe ,du civisme?
( De que! droit des hommes incouuus jusqu'a
« ce jour dans la carriere de la révolutioll
(¡ viendraient-ils chercher, au milieu de tous
« ces é~éuements, les moyens d'usurper une
(( fausse popularité, d'entrainer les patriotes
t( meme a de fausses mesures, et de ,jeter parmi
~~ nous le trouhle et la discorde? De quel dl'oiL




, 2 IUtVOLUTION FRA.NC;;AISE.


{( viendraient-ils troubler la liberte des cuIt~
« au nom de la liberté, etattaquer le fana-
« tisme par un fanatisme nouvean? De quel
« droit feraient - ils dégénérer les hommages
« solenne]s reodus a la vérité pure en des
« farces éternelles et ridicules ?


« On a supposé qu'en accueillant des affran-
« des civiques, la converition avait proscrit le
f( culte cathalique. Non, la convention n'a
f( point faít cette démarche, et ne la fera ja-
I( mais. Son intention est de maintenir la lí-


""--


I( berté des cultes qu'elle a proclamée, el de
« réprimer en meme temps tous ceux qui en
« abuseraient pour troubler l'ordre publico Elle
" lIe permettra pas qu'oo persécute. les mi-
I( nistres paisibles des diverses religioos, et
« elle les punira avec sévérité, toutes les foís
II qu'ils oseront se prévaloir de leurs fon,ctions
« pour tromper les citoyeos, et pour armer
« les préjugés OH le royalisme contre la ré-
« publique.


« Il est des hommes qui venlent aller plus
« loin; qui, sons le prétexte de détruire la su-
« perstition, veulent faire une sorte de reli-
« gion de I'athéisme lui·meme. Tout,philoso-
« phe, tout individu peut adopter la-dessus
« l'opioion qui lui plaira : quiconque voudrait
ti lui en 'aire un crime est un insensé; mais




C0NVRNTION NATIONAU (179:1). J3
C( I'homme publie, mais le législateur serait
« cent {ois plus insensé: qui adopteeait un pa-
ce reil systeme. La eonvention nationale l'ab-
« horre. La convention n'est point un faiseur
« de livres et desystemes. Ene est un corps
« ,politique et populaire. L'athéisme est aristo-
« cratique. L'idée d'un gralld Etre, qui veille
(e sur l'innocellce opprimée et qui punit le
1( crime triomphant, est toute populaire. Le
{(peuple, les malheureux m'applaudlssent; si
« je trouvais des censeu es, ce serait parmi ·les
te riehes et parmi les eoupables. J'ai été t des
/( le collége, un assez mauvais catholiq ne; je
« n'ai jamais été ni un ami froid, ni un défen-
c( seur illfidele de l'humanité. Je n'en suis que
« plus attaclté aux idées morales el potitiques
« que je viens de vous exposer. Si Dieu n'exis-
te tait pas, il f"uudrait titwenter. »


Robespierre, apres avoir fait cette profession
-de foi, impute a l'étranger-les Fersécutionsdi-
rigées contre le eulte, et les calomnies répan'"
duescontre les meilleurs patriotes. Rohespierre,
qui étaitextremement défiant, et qui avait
supposé les girondins royalistes, croyait beau-
coupa la faetion de l'étranger, laquelle n'était
représentée, eomme nous J'avons dit, que par
quelques espions envoyés aux al'mées, et quel-
ques banquiers Íntermédiaires de l'agiotage,




14 RÉVOLUTION ),'R AN~AlS1l,
et correspondants des émigrés. « Les étrangers,
«( dit-il, Ollt deux especes d'armées; l'une sur
«( nos frontieres, est impuissahteet pres de 5a
«( ruine, grace a nos victo'Íl'es; l'autre ~ plus
« dangereuse, est au milieu de nous. C'est une
« armée d'espions, de fripons stipendiés, qui
« s'inttoduisent partout, meme au sein des
,( sociétés 'populaires. C'est cette factioll qui a
« persuadé a Hébert que je voulais faire arre ter
({ Pache, Cbaumette', Hébert, toute la com-
« mune. Moi, poursuivre'Pache', dont j'ái tou-
( jours admiré et défendu la vertu simple et
« modeste, moi qui ai combattu pOUl' luí contre
( les Bris50t et ses complices! ») Robespierre
loue Pache et se tait sur Hébel't. Il se contente
de dire qu'il n'a pas oublié les services de la
commune dans les jours Otl la liberté était en
péril. Se déchainant ensuite contre ce qu'il
appelle la faction étrangere, il fait tomber le
courroux des jácohins sur Proli, Dubuisson ,
Pereyra, Desfiellx. Il raconte leur histoire, ii
les dépeint eomme des agents de IJebrun et de
l'étranger, ehargés d'envenÍmer les haines, de
diviser les patriotes, et de les animer les uns
contre les nutres. A la maniere dont iI s'ex-
prime, on vóit que la haine qu'il éprouve contre
d'anciens amis de Lebrun se mele ponr beall-
conp a sa défiance. Enfin, iI les fait chassel'




CONVENTION NATIONALE (1793). t5
tons quatre de la société, aubrllit des plus
gr'ands applaudissements, et il propase UlI
scrntin épuratoire pour to11s les jacobin:s.


Ainsi, Robespierre 3\7ait frappé d'anatheme
le nouveau culte, avait donné t1ne le~on sévete
a tons les btouíllons, n'avait rien dit de bien
rassurant pour Hébert, ne s'était pas com-
protnis jusqu'a louer ce sale écrivain, et avait
faít retomber tout l'orage sur des étrangers
<tui eurent le malheur d'etre amis de Lebrun,
d'adm~tet Dttmouriez,· et de. blamer notre
systeme politique dan s les pays de conquete.
Ennn, il s'était arrogé la recomposition de la
société, en faisant décicler qu'il y an rait un
scrutin épuratoire.


Pendant les jours suivants, Robespierre
poursllit son systeme; il vient lire aux Jaco-
bius des leures :monymes, d'autres intercep-
toos, prouv.ant que l'étranger, s'il n'est pas
l'ánteut des exttavagances. du nouveau culte,
et des calomnies a l' égard d~s meiUeurs pa-
triotes, les approuve an moius el les désire.
Danton avait en quelque sorte re«;u d'Hébert
l'lnvitation de s'expliquer. Il ne le fait pas d'a-
bord, pour ne pas obéir a une sommation;
mais quinze jouts apres, il saisit une circons-
tance favorable pour prendre la parole. Il g'a-
gtssait de fournir a toutes les sociétés popu-




16 1t~VOLUTION FRAN~AISJ,;
laires un local aux dépens de rétat. íl présente
a ce sujet diverses observations, et en prend
occasion de dire que si la constitution doit etre
endormie pendant que le peuple frappe et
épouvante les ennemis de ses opérations révo-
lutionnaires, iI faut cependant se défier de
ceux qui veulent porter ce meme peuple au-
dela des bornes de la révolution. Coupé de"
I'Oise réplique a Danton, et dénature ses idées
en les eombattant. Danton remonte aussitót a
la tr~bune, et essuie des murmures. Il somllle
alors eeux qui out contre luí des motifs de dé-
fiance de préciser leur!> accusatiolls, afin qu'il
puisse y répondre publiquement. Il se plaint
de eette défaveur qui se manifeste en sa pré-
senee. « Ai-je done perdu, s'éerie-t-il, ces
(1 traits qui caractérisent la figure d'un homme
« libre?» Et en proférant ce!5 mots, il agitait
cette tete qu'on avait tant vue, tant rencontrée
dans les orages de la révolution " et qui avait
toujours soutenu l'audaee des républicains et
jeté la tel'reur chez les aristocrates. (Ne suis-je
« plus, ajoute-t-il, ce me me homme qui s'est
« trouvé a vos cótés dans tous les moments de
« erise? Ne suis-je plus cet homme tant per-
( sécuté, tant connu de vous; cet homme que
( vous avez si souvent embrassé comme votre
,( ami, et ave e lequel vous avez fait le serment




CONVENTION NATIONALt~ (1793). 17
« de mourir dans les memes périls?» Il rappelle
alors qu'il fut le défenseur de Marat, et il est
ainsi obligé de se couvrir de l'ombre de cet
etre, qu'il avait autrefois protégé et dédaigné.
« Vous serez étohné, dit-il, qlland je vous
l( ferai connaitre ma conduite privée, de voir
te que la fortune colossale que mes ennemis et
« les votres m' oot pretée, se réduit a ]a petite
« portion de bien que j'ai toujours eue. Je dé-
te fie les malveillantS defourrtir aueune preuve
. « contre moi. Tous leurs efforts ne pourront
« in'ébranler. Je veux rester debout en face du
« peuple; vous me jugerez en sa présence. Je
« ne déchirerai pas plus la page de mon his-
({ toire que vous ne déehirerez la votre .... »
Dant-on demande, en finissant, une eommissioll,
pour examiner les aceusations portées eontre
lni. Robespierre s'élance alors 11 la tribune
avec un empressement extreme. ( Danton,
« s'éerie-t-il, vous demande úne commission
« pout examinel' saeonduite; j'y eOllséns, s'il
( pense que eette mesure lui soit utile. 11 veut
« qu'on préeise les griefs portés eonIre lui;
« eh bien! je vais le faire. Danton, tu es accllsé
« d'avoir émigré. On a dit que tu avais passé
« en Suisse; que ta maladie était feinte pour
(( cacher au peuple ta fuite; on a dit que ton
« ambition était d't%tl'e régent sous Louis XVII;


VI. 'J.




J 8 RÉVOLUTION E'RAN~AISF:.
(( qu'a une époque déterminée tout a été pré-
(( paré pour proclamer ce rej~ton des Capet~;
« que tu étais te' chef de la conspiration; que
« niPitt, ni Cobourg, ni l'Angleterre, ni l'Au-
« triche, ni la Prusse, n'étaient nos véritables
« ennemis, mais que c'était toi seul; que la
« Montagne était composée de tes complices;
(( qu'il ne fallait pas s'occnper des agents en-
« voyés par les puissances étrangeres, que Jeurs
« conspirations étaient des· fables dignes de
« niépris; en un mot, qü'il faUait t' égorger toi,
« toí seul L ... » Des applaudissernents universels
cou vrent la voix de Robespierre. II reprend :
( N e sais-tu pas, Dan ton, que plus un homme
« ade courage et de patriotisme, plus les en-
« nemís de la chose publique s'attachent a sa
« perte? Ne sais-tu pas et ne savez-vous pas
( tons, citoyens, que cette méthode est infail-
« lible? Eh! si le défenseur de la liberté n'était
oc pas éallomnié, ce serait \lne pteuveque nous
« n'aurions plus ní nobles, ni pretres a corn-
(e battre! » Faisant alors allusion aux feuilles
d'Hébert, ou luí, Rqbespierre, était fort loué,
il ajonte : c( Les ennemis de la patrie semblent
ce m'accabler de louanges excIusivement. Mais
(e je les répudie. Croit-on qu'a coté de ces élo-
« ge~ que ron répete dans certaÍnes feuilles,
« .le ne voie pas le couteall avec lequel on a




CONVENTION NATIONALE (1793). 19
te voulu égorger la patrie? La cause des pa-
« triotes est comme ceHe des tyrans; ils sont


(( tous solidaires. Je me trompe peut-étre 'Sur
(e Danton; mais, vu dans sa familIe, il ne mé-
( rite que des éloges. Sous les rapports politi-
( ques, je l' ai observé; une différence d' opinion
(( me le faisaít étudier avec soin, souvent avec
(( colere; il ne s'est pas assez haté, je le sais,
« de soupc,;onner Dumouriez; iI n'a pas assez
« haiBrissot et sescomplices; mais s'il n'a pas
« toujours été de mOTI avis, en conclurai-je
(e qu'il trahíssait la patrie? Non, je la lui ai
(( toujours vu servir avec úIe. Danton veut
« qu'on le juge;il a raison. Qu'on me juge aussi!
«( qu'ils se présentent ces hornmes qui sont plus
u: patríotes que nous. J e paríe que ce sont des
«( nobles, des privilégiés, des pretres. Vous
« y trouverez un marquis, el vous allrez la
« juste ~esu~e du patriotisme des gens qui
( nous accusent. »


Robespierre demande ensuite que lous ceux
qui ont quelque reproche a faire a Danton,
prennent la parole. Personne ne l'ose. Momoro
lui-meme, l'un des amis d'Hébert, est le pre-
mier a s'écrier que, personne ne se presentant,
c'est une preuve qu'il n'y a rien a dire contre
Danton. Un membre demande alors que le
président IUl donne l'accolade fraternelle. On


2.




20 nÉVOLUTION J<'RAN~AISJ'.
y consent, el DanlOIl, s'approehant du bnreau,
re<,;oit l'aecolade au milieu des applaudisse-
ments universels.


La conduite de Robespierre dans eette eir-
eonstance avait été généreuse et habile. Le
danger commun a tons les' bons patriotes,
l'ingratitude qui payait les services de Dantml,
enfin une supériorité décidée, avaient arraché
Robespierre a son égolsme habituel; et, eette
fois, pleiÍl de bons sentiments, il avait été
plus éloquent qu'il n'était dOllnéa sa nature
de l'etre. Mais le service qu'jl rendit a Danton
fut plus utile a la Cause du gouvernement et
des vieux patriotes qui le composaient, qu'a
Danton lui - meme, dont la popularité était
perdue. On ne refait pas l'enthousiasme, et on
ne pouvait pas présumer eneore d'assez grands
dangers publics pour que Danton trouvat,
par son courage, le moyende regagner son
influenee. .


Robespierre, poursuivant son ouvrage, ne
manquait pas d'etre présent achaque séance
d'épuration. Le tour de Clootz arrivé, OH l'ae-
elIse de liaisons avec les banquiers étrangers
Vandeniver. n essaie de se justifier; mais Ro-
bespierre prend ]a parole. Il rappelle les liai-
son s de Clootz avec les girondins, 5a l'Upture
avec eux par un pamphlet intitulé: ni Roland




CONVENTJON N AlION ALE (1793 J. 21
ni Marat, pamphlet dans lequel il n'attaquait
pas moins la Montagne que la Gironde, ses
exagérations extravagantes, son obstination a
parJer d'une république universelle) a inspirer
la rage des conquetes, et a compromettre la
Frailee aupres de toute l'Europe. « Et comment
« M. Clootz, ajoute Robespierre, pouvait-il
« s'intéresser si fort au bonheur de la Franee,
« ]orsqu'i! s'intéressait si fort au bonheur de la
« Perse el du Monomotapa? Il est une derniere
« cl'iSe dont il pourra se vanter. Je veux parler
« du mouvement contre le cuIte, mouvement
el qui, ménagé avec raison et lenteur, aurait
(c pu devenir excellent, mais dont la violence


. « pouvait entrainer les plus grands malheurs ...
« M. Clootz eut avec l'éveque Gobel une con-
c( férence de nuit .... Gobel donna parole pour
« le lendemain, et il vint, changeant subite-'
« roent de langage et d'habit , déposer ses let-
" tres de prchrise ... M. Clootz croyait que nous
(( serions dupes de ces mascarades.N on, non;
({ les jacobins ne regarderont jamais comme
(( un ami du peuple ce prétendu sans-culotte,
(c qui est Prussien et baron, qui possede
« cent mille livres de rentes, qui dtne avec les
(c banquiers conspirateurs, et qui est, non pas
« l' orateu!' du peuple frall<;ais, mais du genre
"humain. »




~2 RÉVOI.llTION FRANI1AISE.
Clootz fut exclu sur-Ie-champ de la société;


et, surja proposition de Robespierre, on dé-
cida qu' on chasserait sans . distinetion tous
les nobles, les pretres, les banquierset les
étrangers .
. A la séanee suivante vint le tour de Camille


Desmoulins. Dn luí reproehait sa lettre a Dil-
Ion ; et un mouvement de sensibilité en faveur
des girondins. «J'avais, dit Camille ,j'avais eru
« Dil10n brave et habite, et je l'aí défendu.
« Quant aux giron<li(J~ ;}'éJ:ais áleur égard dans
« uneposition particuliere. J'ai toujours aimé
(e et serví la république, mais je me suis sou-
«vent trompé sur ceux qui la servaient; j'aí
(1 adoré Mirabeau, j'aí chériBarnave et les
ce Laroeth; j' en eouviens; mais j'ai sacl'ifié roon
« amitié et roon admiration des que j'aí su
e( qu'ils avaient cessé d'etre jaeobins. Une fata-
{( lité bien marquée a voulu que de soixante té-
c( volutionnaires qui avaient signé roon contrat
« de mariage, iI ne me restat plus que deux
« ami s , Danton et Robespierre. Tous les au-
ce tres sont émigrés 0'0 guiIIotinés. De ce nombre
ce étaient sept des. vingt-deux. Un mouvement
« de sensibilité était done bien pardonllable en
« cette occasiol1. J'ai dit, ajoute Desmoulins,
« qu'ils .mouraient en républícains; mais en
t( républieains fédéralistes; car, je vous l' assure,




CONVENTION NATIONALE (I7~3). :d
t( je ne erois pas qu'il y eut beaucoup de roya-
(( listes parmi eux. )


On aimait le caractere facile, l' esprit naif et
oráginal .de Camille Desmoulins. «( Camille a
«malchoisi ses amis, s'écrie un jacobiu; prou-
«( ~(}us-lui que nous savons mieux choisir les
({ nOtres en le recevant avec empressement.»)
Robespierre, toujours protecteur de ses vieux
coHegues, mais en gardant cependant un ton
de sl¡lpériorité, ,défend CamiUe Desmoulins.
<t111 ~t·fa¡hle~ ~91l6.a~t,dit~il, mais il a tou-
« jours ,été républÍlCaiA1. ,Ila aimé MiJ'aheau,
« Lameth, DjUon; mais iI a lui - meme hrisé
« ses idoles des qu'il a été détrompé. Qu'il
t( poursuive sa carriere et soit plus réservé a.
« l'avenir. ~) Apres ces avis, .camine est adm.is
au milieu des applaudissements. Danton est
ensuite admis sans aucune observation. Fabre-
d'Églantine l' est a son tour, mais il ess-u.ie
quelques qu~stipQS sur safortune, qU~Qny.eut
bien attrihuer a ses talents littérair-es.Cétte
épuration fut poursuivie, et devint fort longue.
Commencée en novembre 1793 ,elle dura
plusieurs mois.


La politique de Robespierre et du gouver-
nement ~tait bien connue. L'énergie a'V'ec la-
quelle cette politique avait -été manife~ée,
mumida les brouillons, promoteurs dll nou-




24 RÉVOLUTION FRANljAISE.
veau culte, et ils songerent a se rétracter, et a
revenir sur leurs premieres démarches. Chau'"
mette, qui av~it la faconde d'nn oratenr de
club OH de commune , mais qui n'avait ni l'am-
bition ni le conrage d'nn chef de parti, ne
prétendait nuUement rivaliseravec la conven-
tion et se faire le créatenr d'un nouveau cnlte;
il s'empressa donc de chercher une occasÍon
ponr réparer sa faute. Il résolut de faire in-
terpréter l'arreté qui fermait tous les temples,
et il proposa a la commune de déclarer qu'elle
ne voulait pas generla liberté religieuse, et
qu'elle n'interdisait pas aux divers partisans
de chaque religion le droit de se rénnir dans
des lieux payés et entretenus a leurs frais.
« Qu'on ne prétende pas, dit-il, que c'est la
( faiblesse ou la poli tique qui me font agir; je
« suis également incapable de l'une ou de l'au-
« treo C'est la conviction que nos ennemis vell-
« lent abuser de notre zele pour le pousser au-
« dela des bornes, et nOlls engager dans de
" fausses démarches; c"t'st la conviction que
« si llOUS empechons les catholiques d'exercer
« leur culte pnbliquement et avec raven de
« la loi, des etres biliellx iront s'exalter OH
« conspirer dan s les cavernes; e' est eette con-
« viction qui seule m'inspire el me fait parlero ))
L'arreté proposé par Chaumette, et fortement




CONVJlNTION NATIONALE (1793). 25
appuyé par le maire Pache, fut enfin adopté
arres quelques murmures bientot couverts par
de nombreux applaudissements. La con ven-
tion déc1ara de son coté qu'elle n'avait jamais
entendu par ses décrets gener la liberté reli-
gieuse, et elle défendit de toucher a l'argeu-
terie qui restait encore dan s les églises, vu
que le trésor n'avait plus besoin de ce genre
de secours. Des ce jour, les farces indécentes
que le peuple s'était permises ~sserent dan s
P"ans, etles pompes' du culte de la Raison,
dont il s'était tant divertí, furent abolies.


Le comité de salut public, au milieu de cette
grande confusion, sentait tous les jours davan-
tage la llécessité de renclre l'autorité plus forte,
plus prompte et plus obéie. Chaque jour, l'ex-
périence des obstacles le rendait plus habile,
et il ajoutait de nouvelles pieces a cette ma-
chine révolutionnaire, créée pour la durée de
la guerreo Déja il avait empeché la tranSinís-
sion du pouvoir a des main~ nouvelles et ínex-
périmentées, en prorogeant la convention, et
en déc1arant le gouvernement révolutionnaire
jusqu'a la paix. En meme temps, il avait con-
centré ce pouvoir dans ses mains en mettant
sous sa dépendance le tribunal révolution-
naire, la police , les opérations militaires, el
la distribution meme des subsistan ces. Deux




26 IUlVOLUTION }'JtAN<,;:AISE.
mois d'expérienee lui firent sentir les obstacles
que les autorités locales, soit par exces ou dé-
faut de úle, faisaient éprouver a raetion de
l'autorité supérieure. L'envoi des décrets était
souvent interrompu ou retardé, et leur promul-
gation négligée dans certains départements.
11 restait heancoup de ces administratiolls fé-
déralistes qui s'étaient insurgées, et la faculté
de se coaliser ne lenr était pas encore interdite.
Si, d'une part, les adroinistrations de départe-
roent présentaient quelque d:,mger de· fédéra-
lisroe, les communes, au ¡::ontraire, agissant en
sens opposé, exer<;aient, a l'imitation de ceHe
de París, une autorité vexatoire, rendaient des
lois, imposaient des taxes ; les comités révolu-
tionnaires déployaient contre les personnes
un pou voir arhitraire et inquisitorial; des ar-
mées révolutionnaires, instituées dans diffé-
rentes localités, complétaiepj; ces petits gOl!-
vernements pa~ticuliers, tyranniques, désunis
entre eux, et emharrassants pour le gouver-
nement supérieur. Enfin l'autorité des repré-
sentants, ajoutée a toutes les autres, augmeu-
tait la confusioIl des pouvoirs souvel'aim¡; car
les représentants levaient des impóts, rendaient
des loís pénales, comme les communes et la·
conventioll eHe-meme.


BiHaud-Varennes, dans un rapport mal écrit,




CONVENTION N ATION A.LE (1793). 27
mais habile, dévoíla ces inconvénients, et fit
rendre le décret du 14 frimaire an II ( 4 dé-
cembre), modele du gouvernement provisoire,
énergique et absolu . .L'anarchie, dit le rap-
porteur, menace les républiques a leur nais-
sanee et dans leur vieillesse. Tacholls de nous
en garantir. Ce décret instituait le Bulletin des
Lois, belIe et neuve invention dont on n'avaít
pas eocore eu 1'idée; cal' les loís envoyées par
l'assemblée aux ministres, par les ministres
aux,·aut()ritée. lOQales,. sans délai$ fi~és .. sans
proces-verbaux qui garantissent leur envoi QU
leur arrivée, étaient souvent rendues depuis
long-temps, sallS etre ni promulgllées, ni con-
nues. D'apres le nouveall décret, une commis-
sion, une impl'imerie, llll papier particulier,
étaient consacrés a I'impression et a l' envoi des
lois. La commission, formée de quatre indivi-
d\ls indépendallts de toute autorité, libres de
tout autre soin, recevaient la loi ,la faisaient
imprimer, l'envoyaient par la poste dans des
délais fixés et invariables. Les envois et les re-
mises étaiellt constatés par les moyens ordi-
naires de la poste; et ces mouvements, ainsi
régularisés, devenaient infaillibles. La conven-
tion était ensuite déclarée centre d' im¡Jl:t/sion da
goupernemcnt. Sous ces mots, on cachait la
souveraineté des comités, qui frusaient tout




28 RÉVOLUTION FRAN(;AISE.
pour la convention. Les autorités de départe-
mellt étaient enquelquc sorte abolies; 011 Ieur
elllevaÍt tolite attriblltion politique, on ne leur
abandonnait, commeau département de Paris
a l'époque du 10 aout, que la répal·tition des
contributions, l'entretien des j'outes, enfin les
soins purement économiques. Ainsi, ces inter-
médiaires trop puissants entre le peuple el
l'autorité supreme, étaient supprimés. 011 ne
laissait exister, avec toates leurs attributions,
que les administrations de district et decom-
mune. Il était'déferidu a toute administration
locale de se réu11ir a d'autres, de se déplacer,
J' en voyer des agents, de prendre des arretés
extensifs on limitatifs des décrets, de lever des
impOts ou des hommes. Toutes les armées ré-
volutionnaires établies dans les départements
étaient licenciées, et il ne devait subsister que
la seule armée rBvolntionnaire établie a París
ponr le service de toute la république. Les co-
mités révolutionnaires étaient obligés de cor-
respondre avec les districts chargés de les SOl'-
veiller, et avec le comité de sureté générale.
Ceux de París n,c ponvaiellt correspondre qu'a-
vec le comité de suretégénérale, et pointavec
la commune. Il était défendu aux représentants
de lever des taxes , a moins que la convention
fÍe les aUlorisat, et de portcl' des lois pénales.




CONVENTION NA TION Al. E (1 793). 29
Ainsi, toutes les alltorités étant ramenées


dalls leur sphere, leur conflit ou leur coalition
devcnaient impossibles. Elles rece~aient les loi5
d'une maniere illfaillible; elles ne pouvaient
ni les modifier ni en différer l'exécntion. Les
cleux comités conservaient toujours leur domi·
natiol1. Celui de sa/ut pub/ie, outre sa supré·
matie sur le comité de su reté générale, con ti-
nuait d'avoir la diplomatie, la guerre et la
surveillarice universelle de tOlltes choses. Seul
désormaiSl, il pouvait s'appeler:comité de sa/ut
publico Aucun comité dans les cornmunes ne
pouvait prendre ce titre.


Ce nouveau décrct sur l'institutíon du gouo.
vernement révolutionnaire, quoique restrictif
de l'autorité des communes, et relldll meme
contre leurs abus de pouvoir, fut re(,;u par la
commune de París ave e de grandes démons-
trations d'obéissance. Chaumette, qui affectait
la docilité comme le patriotisme, fit un long
discours en l'honneur du décret. Par son maI-
adroit empressement a entrer dans le systeme
de l'autorité supérieure, iI dOllna meme une
occasion de se faire réprimander; et il eut I'art
de désobéir en vOlllant trop obéir. Le décret
mettait les comités révolutionnaires de Paris
en communication directe et exclusive avec le
comité de sureté générale. Dans leur zeIe fOll-




30 nÉVOLUTJON FRA.N~AISE.
gueux, ils se permettaient des arrestations en
tout sens; on les accusait d'avoirfait ¡ncarcé-
rer une fonje de patriotes, et d'etre composés
d'hommes qu'on commen'.;ait a appeler ultra-
révolutionnaires. Chaumette se plaignit au con-
seil général de leur conduite, et proposa de
les convoquer a la commune, pour leur faire
une admonitioll sével'e. La propositíon de
Chaumette fut adoptée. Mais celui-ci, avec son
ostentatÍon d'obéissance, avait oubliéque,
el'apres le nouveau décret, les comités révolu-
tionnaires de Paris ne devaient correspondre
qu'avec le comité de súreté générale. Le co-
mité de salut public ne voulant pas plus d'nne
obéissance exagél'ée que de la désobéissance,
peu disposé surtout a souffrir que la commune
se permit de donner des le<;ons, meme bon-
nes, a des comités placés sous l'autorité su-
périeure, 6.t oasser l'arreté de Chaumette, et
défendre aux comités de se réUllir a la com-
mune. Chaumette re~ut cette eorrection avec
une soumission parfaite. « Tout homme, dit-
iI a la commUlle, est sujet a l'erreur. Je con-
fesse franchement que je me suís trompé. La
convention a cassé mon réquisitoíre et l'arreté
que j'avais faít prendre; elle a faíl justice de Ja
faute que j'avais commise; elle est notre mere
commune, unissons-nous a elle.» (19 frimaire.)




CONVENTION NATIONALE (1793). 3r
Ce n'est qu'au moyen de eette énel'gie que


le comité pouvait parvenil' a arreter lous les
mouvements désordonnés, soit de zele, sOlt
de résistance, et a produil'e la plus grande
précision possible dan s l'action du gouverne-
ment. Les ultra- révolutionnaires, compromis
et réprimés depuis leurs manifestations contre
le culte , essuyerent une nouvelle répression,
plus sévere que les précédentes. Ronsin était
revenu de Lyon, ou iI avait accompagné Collot-
d'Herbois aVéC'un déta:chemenl' de l'armée ré-
volutionnaire. JI était arrivé a Paris au moment
00 le bruit des sanglantes exécutions cornmi-
ses a Lyon excitait la pitié. Ronsin fit placar~
del' une affiche qui révolta la convention. Il y
disait que sur lescent quarante mille Lyonnais,
quinze centsseulement n'étaient pas complices
de la révolte, qu'avanl la fin de frimaire tous
les· coupables auraient péri, et que le Rhone
aurait roulé lel'lrséadavres jusqu'a Touloo. On
citait de lui d'autres propos atroces; on parlait
beaucoup du despotisme de Vincent dan s les
hureaux de la guerre ,de la conduite des agents
ministériels dans les provinces, et de leur ri-
va lité avec les représentants. On répétait des
mots échappés a quelques-uns d' entre eux; an-
nonc;ant encore le projet de faire organiser
constitutionnellernent le pouvoir exécutif. L'é-




32 UÉVOLUTIONFUANYAISE.
nergie que Robespierre et le comité venaient
de'déployer encourageait a se prononcer contre
ces agitateurs. Dans la séance du 27 frimaire
( 17 décembre), on commence par se plaindre
de certains comités révolutionnaires. Lecointre
dénonce l'arrestation d'un courrier d~ comité
de 8alut public par l'un des agents du niinis-
tere. Boursault dit qu'en passant a Longju-
meau, i1 a étéarreté par ia commune, qu'il a
fait connaltre sa qualité de dép!lté, et que c~tte
commune a voulu néanmoins que son passe-
port futlégalisé par J'agent du conseil exécutif
présent sur les lieux. Fabre-d'Églanline dé-
nonce Maillard, le chef des égorgeurs de sep-
tembre, qui a été envoyé en mission a Bor-
deaux par le conseil exécutif, tandis qu'il
devrait etre expulsé de partout; il dénonce
Ronsin et son affiche, dont tout le monde a
frémi; il, dénonce enfin Vincent, qui a réuni
tous les pouvoit;s dans les bureaux de la guerre,
et qui a dit qu'il ferait sauter la convention,
ou la forcerait a organiser le pOllvoir exécutif,
paree qu'iJ ne voulait pas etre le valet des
comités. La cOllvention met aussitot en état
d'arrestation Vincent , secrétaire-gélléral de la
guel're, Ronsin , général de l'armée révolution-
naire, Maillard, envoyé a Bordeaux, trois au-
tres agents du pOllvoir exécutif donl on signale




CONVENTION NATION HE (1793). 33
encore les vexations a Saínt-Girons, et un
nommé Mazuel , adjudant dans l'armée révolu·
tionnaire, qui adit que la convention conspi-
rait, et qu'il cracherait au visage des députés.
La convelltion porte ensuite peine de mort
contre les officiers des armées révolutionnai-
res, illégalement formées dans les provinces,
qui ne se sépareraient pas sur-Ie-champ. Elle
ordonne enBn que le conseil exécutif viendra
se justifier le lendemain .


. Cet acte d'énergie causa une grande douléur
aux CordeJiers, et provoqua des explications aux
Jacobíns. Ces derniers ne se prononcerent pas
encore sur le compte de Vincent et de Ron-
sin, mais ils demaO(~erent qu'il fut faÍt une
enquete pour constate!' la nature de leurs torts.
J~e conseil exécutif vint se justifier tres -hum-
blement a la convention; il assura que son
interi'tion n'avait point été de rivaliser avec la
représentation nationale, et qúe l'arrestatíon
des courriers, les difficultés essuyées par le re:
présentant Boursault, ne provenaient que d'un
ordre du comité de salut public lui-meme,
ordre qui enjoignait de vérifier tous les passe-
ports et toutes lesdépeches. .


Tandis que Vincent et Ronsin venaient d'etre
incarcérés comme ultra - révolutionnaires, le
comité sévit en meme tempscontre le partí deli


VI. '3




34 RÉVOLUTION FRA.N~AlSE.
équivoques el des agioteurs. Il mit en arres-
tation Proli, Dubuisson, Deffieux, Pereyra,
a~usés d'étre agents de L'étranger et complices
de tous les partis. Enfin, il :6t enlever, au mi-
liElu de la nuit, les quatre députés Bazire,
Chahot, Delaunay d'Angers etJulien de Tou-
Io.u.se ~ accusés d'etre modérés, et d'avoir fait
une fortune sl1hite.


On a déja vu l'histoire de l'association clan-
destine de ces représentants, el du faQ,í qui en
avait~té l~ suite. On a vu que Chabot, déja
ébranlé, se préparait a dénoncer ses colJegues,
et a rejeter tout sur eux. Les bruits qui cou-
raient sur son mariage, les dénonciations
ql,l'Héhert répétait chaq,u..e jqur, acheverent de
rintimider, et iI ~ourut. tout dévoiler a Robes-
pierll'e. n prétendit qu'il n'avaiteu d~autre pro-
j:et, en.e.ntrantdans le. complot, que. celui.dele
sui:vre et de le révélet,; il attrihua: ce complot
a l'étranger., qlli voulait, disait-il,. corrompre
les députés POUr avilir la représen.tation natio-
nale, et qui se servait ensuite d'Hébert et de ses
complices pour les diffamer apres les avoir cor-
rom pus. Il y avait ainsi, selon luí, deux bran-
ches dans la'conspiration, la branche corr.up-
trice et.la branche diffamatrice, qui toutes deux
se concertaienl pour déshonorer et dissoudre
la conventioo. La participation des banquiers




CONVENTION NATlONALE (1793). 35
étrangers a cette 'intrigtle, les propos de Julien
de Toulouse et de Delaunay, qui disaientqUJe la
convention finirait bientot par se dévorer elle-
meme, et qu'il fallait faire Eortune./ie plus, tot
possible, quelquesliaisons de la, ferome d'Hébert
avedes maltresses de Julien de Toulous.e el- de
Delaunay, servirent}t Chabot de IDQ:Y(tllS pour
étayer cette fable d'une conspir.atíon a deux
hJ!allcbes, dans laquelle les corrupteurs et les
diffamatellI'S' s'efttendaient secretemen~.pour
al'tiver aUl m~e huv., Chab:ot cut cepetlldant
un reste'de scrulmle, et justiñaB:nire. ComllJe
iI avait été le corrupteur de Fabre, et qu'il
s'exposait a une dénonciation de ceIui-ci en
l'accusant, il prétendit que ses offres, avaient
été rejetées, et que les cent mille franes en
assignats, suspendus a'VeG un¡fil dansdes lien~
d'aisance, étaient 1~S' ceot miUe fraues destin~s
iv Fablte, et refuséS' par lui-. ces. fable&.de Cha-
bottt'-avaient aucuneapparencei de l~-, cal'
il eut éré bien plus naturer, eo¡ entrant· dans
la conspil'atWn pour la décou'Vl'ir, d'en préve·
nir quelqnes membres de run ou l'autre' co-
mité, et de déposer l'argent dans leHrs mmns.
Robespierre renvoya' Chabot! au: comité de su'-
reté génél'ale, qui lit' al'I'eter daos. la nnit les
déplltés désignés. Julien de Toulouse parvint


3.




36 RÉVOLUTION FRAN~AISL
a s'évader j Bazire, Delaunay etChahot, furent
seuls arre tés ....


La découverte de cette trame hontellse causa
une grande rumeur, et confirma toutes les ca-
Jomnres que les partís dirigeaient les llIlS contre
lesautres. 00 répandit plus que jamais le bruit
d'llne faction étrangere, corrompant Jes pa~
triotes, les excitant a elltraver la marche de la
révolution, les uns par une modération interp-
pestive, et les autres par uneexagération folle,
par· des diffamations contilluelles, e~ par une
odieuse profession d'athéisme. Cependant qu'y
avait-il de réel dalls toutes ces suppositions?
D'un coté, des hommes moins fanatiques, plus
prompts a s'apHoyer sur les vaincus, et plus
susceptibles par ceUe meme raison de cédedl.
l'attrait du plaisir et de la corruptioo; d'un
autre coté, des hommes plus violents et. plus
aveugles, s'aidant de la partie basse du peuple,
poursuivant de leurs reproches ceux qui ne
partageaient pas leu~ insensibilité fanatique,
profanant les vieux objets du culle, sans ména-
.gement et sans décence; au milieu de ces deux
partis, des banquiers, profitant de toutes les
erises pour agioter j quatre députés sur sept
cent cinquante, se .laissant corrompre et deve-


• 27 brumaiJ'e (17 novembre).




CONVENTION NA.TIONALE (J 793). 37
nantles complices de cet agiotage; enfln quel-
ques révolutionnaires sinceres, mais étrangers,
suspects a ce titre, et se compromettant par
l'exagération meme, a la faveur de laquelle ils
voulaient faire oublier leur origine : voila ce
qu'il y avait de réel, et iI n'y avait la rien que
de tres-ordinaire, rien qui exigeat la supposi-
lion d'une machination profonde.


Le comité de salut public, voulant se placer
au-dessus des,partis, résolut de les frapper et
de les fl,ttrir tous, et pour cela iI chercha a
mOlltrer qu'ils étaiellt tons complices de l'é-
tranger. Robespierre avait déja :dénoncé une
faction étrangere, a laquelle son esprit défiant
lui faisaÍt ajollter foi. J"a factioQ turbulente
contrariant l'autorité supérieure, et déshono-
rant la révclution, il l'accnsa aussitót d'etre
complice de la faction étrangere; cependant iI
ne dit rien encore de pareil contre la faction
modérée, iI la ·défendit me me , comme on l'a
VU, dans la personne deDanton. S'iIla ména-
geait encore, c'est qu'elle n'avait rien fait jus-
que-la qui put contrarier la marche de la ré-
volution, c'est qll'elle ue formait pas un partí
opiniatre et nombreux comme les anciens gi-
rondins, et qu'elle se composait tout au plus
de queIques individus isolés qui désapprou-
"aient les extravagauces ultra-révolutionnaires.




38 :nÉVOLUrION FRAN~AJS.E.
Telle était la .puatiOJl des p.anf¡~" ,~ Ja ,poU-


tique Aia 'eomité de ;~~ puhlie. a 'letJl'~,
en (riaiaioo anU(décembre J'793). Tandiji ~ll'il
se servait deTautorité aNec ,tant ,de f'Qre,e" et
ach~~ de complétet- a l'intériew la ¡.nebWe
du . ~oir ré'Volution~aWe, il ,Jiéployait l\lOe
égale energieau dehQn,et assuraitle -salut de
la révolutionpar desvictoires .éclatantes .


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• . ,~ ,~
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... --


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I}.'


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CONVENTION NATJONALE (1793). :19


CHAPITRÉ 11.


~ .. -


Fin de la callfopagne dé 1793. Mailreuvré de Bo~he dans
les Vosges: Retraite des Autrichiens et des Prussiens.
Déblocus de Landau. - Opérations a l'arinée d'ltalie.
- Si~ge et prise de Toulon par l'armée répuhlieaiRe.
- Derniers combats et échecs aux Pyrénées. - Excol'-
$ion des Vendéens au-dela de la Loire. Nombreux com-
bats; ééhecs de l'arméerépublicaine. Défaite des Ven-
déens au Mans,etteut deSftucti'on complete a Savenay .


.. """ CI>UP d'reil gébéral Sur la campagne' de 17 93l.
;~ ,


L caU:pagJle de I 793 s' achevait sur mutes les
frontieres de la maniere la plus brillánte et la
plus heureu&e. Dans la Belgiql1e; on avait enfin
pris lepaI'ti d'entrer dans les> <p!lartiers d'hivel',
malgré le projoet dú comité de salut public; q~
await voulu-profiter de la: vict'oire de Wa,tignieS!
pour 6~0pper l' ennemi entre l'Esoau'll et lai
San1b:ce.~ Amsi, sor ce point, les évenements




40 nÉVOLUTlON FRA.N~.USJ::,
n'avaient pas changé, et les avantages de Wa-
tignies nous él,a¡ent restés.


Sur le Rhin; la campagnes'était beaucoup
prolollgée par la perte des ,Iignes de Wissem-
bourg, forcées le 13 octobre (22 vimdémiaire).
Le comité de salut public voulait les recouvrer
a tout prix, et débloquer Landan, comme il
avait débloqué Dunkerque et Maubeuge. L'état
de nos départements du Rhin était 'une raison
de se ha ter, et d'en éloigner l'enllemi.'Le pays
des Vosges était síngulierement empreint de
l'esprit féodal; les pretres et les nobles y avaient
conservé une grande influence; ~ langue fran-
c;aise y étant peu répandue, les nouvelles idées
révolutionuaires n'y avaient presque pas péné-
tré; dans un grand nombre de comm,unes, ~es
décrets de la convention étaient inconnusj plu-
sieurs manquaient de cOl'nités révolutionnaires,
et, dans presque toutes, lesém~rés cjrcl!laien~
impunément. Les nobles de l' Alsace avaient
suivil'armée de Wurmser en roule, et se ré-
pandaient depuis Wissembourg jusqu'aux en-
virons de Strasbourg, DallS cette clerniere ville,
on avait formé le complot de livrer la place a
Wurmser. Le comité de salut public y envDya
aussitotLebas el Saint-Just, pour y, exercer la
dictatureordinaire des commissairesd61a con-
vention. Il nomma le jeune Hoche,. qui s'était




CONVJlNTlON NATlONALE (I7S13). [I[
si fort distingué au siége de Dunkerque, gé-
néral de l'armée de la Moselle; iI détacha de
l'armée oisive des Ardennes une forte division,
qui fut partagée e.Htre les deux armées de la
Moselle et du Rhin; en fin il fit exécuter des
levées en masse dans tous les départements
environnants, et les dirigea sur Besan<;on. Ces
nouvelles levées oceuperellt les plaees fortes,
et les garnisons furent portées en ligne. Saint-
JUS! déploya a Strasbourg tout ce qu'il avait
<fénergie e4: d'intelligenee. II fit trembler les
malintentionnés, li~ra a une commission ceux
qu'on soup<;onnait d'avoir voulu livrer Stras-
bourg, et les fit conduire a I'éehafaud. Il
cornmuniqua aux généraux et aux soldats une
vigueur nouvelle, iI exigea ehaque jour des
attaques ~ur toute la ligne, afin d'exercer nos
jeunes conscrits. Aussi brave qu'impitoyable,
il allait)ui-meme au ftm, et partageait tOU5 les
dangersdela guerreo Un grand enthousiasme
s'était emparé de l'a'rmée; et Iecrides soldats,
qu'on enflammait de l'espoir de recouvrer le
terrain perdu, leut' cri était: Lanr!au ou la
mort!


La véritabIe rnanreuvre a exéeuter sur eette
partiedes frontieres, consistait toujours a ré-
unir les deux armées du Rhin et de l~ Moselle,
et d'opérer en masse sur un seul versant des




4~ RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Vosges. Pour cela, il fallaitrecouvrer les pas-
sages qui coupaient la ligne des mO!ltagnes, et
que nous avions perdus depuis que Brunswick
s'était porté aucentre des Vosges, et Wurmser
sous les murs de Strasbourg. Le projet du co-
mité était formé: il voulait s'emparer de la
chaine meme, pour séparer les Prussiens des
Autrichiens. Le jeune Hoche, plein de talent
et d'ardeur, était chargé d'exécuter ce plan, et
ses premiers mouvements a la tete de J'armée
de la Moselle fiDent espél'er les plus énergiques
déterminations ..


't' "~
Les Prussiens, pour assurer leur position,


avaient voulu enlever par une surprise le cha-
tean de Bitche, placé au mílieu meme des Vos-
ges. CeUe tentatiye fut déjouée par lavigilan~
de la garnison, qui.t~couru~ a t~Ín~ s~r les'
remparts.; et Brunswlck, SOlt qu'll fu't oocon-
certé par ce ~éfau, de succes, soit .qu'tl{edou-
tal l' activité et l' énergie: de Boche, .soit 'au5si
qu'il mt mantent de Wuimser, avec lequel iI
ne vivait pás d'accord, se retira d'ahord a Bi-
sin gen , sur la ligne de l'Erhach, puis a, !\ay-
serJautern, au centre des Vosges. 11 n'avaitpas
prévenu Wurmser .~If~ ce mouvement rétro-
gr:lde;·et.; \abdis:qn.e celui-ci se 1Irouvaitl engagé
sur le versan!; oriental, preSflue á la' ha uleur de
Strasbourg, Brunswick, snr le versant oeciden-




CONVENTION NATIO·NALE {179:1). 43
tal, se trouvaitmeme én arrier.e de Wissem-
bourg, et apeu pres Ji la hauteur de Landau.
Hoche avait suivi BrunswieK de tres-pres dans
son mouvement rétrograde; et, apres avoir
vaine~ént essayé de'l'entourer a Bisingen, et
meme de le prévenir a Kayserlautern, il forma
le projet de l'attaquer a Kayserlautern meme,
quelque grande que fut la difficúlté de~ lieux.
Hoche avait environ trente ruílle hommes; il se
battit les 2~, '29 et 30 novembre; mais les lieux
étáieDt p~u ,con1lUS et peu praticables. Le pre-Jíl~J.-jOUF, le général Am'bert ,qui commandait
la ga,uehe, se trouva éngagé, tandis que Hoche,
au centre. cherchait sa route; le jour suivant,
Hoche se trouvait seul ea présence de l'en-
nemi, tandis qu' Amhert s' égarait -ldans les
mOQtagues. Grace al1x difficultés des lieux, a
sa force et a' l;avantage de sa position, Bl'uns-
wick@Ut'un sueces completo Il ne perdit qu'en-
viran douze hommes; Boche f&t 'obligé de se
retirer 'avec "'lJ-ne perte ~i}n-vi~on ·tf-óis- mille
homrries; mais il ne fut pas découragé, et 'Vint
seraliier a Pirruasens, Hornhach el Deux-Ponts.
H~e; quoiq~ malheureuxi n'en avait pas
moius .déployé une a-adace ·et une résollltion
qui frap~eDt l~s représentants et l'arméi!. Le
comité de· salut public, qui, depuis l' entrée de
Carnot, était assez éclairé pour ette juste, et




44 RÉVOLUTlON FRAN~A.JSE.
qui n'était sévere qu'é'Qvers le défaut de zele,
lui écrivit les lettres les -plus enc'Ourageantes,
et, pour la premie~e fois, donna des éloges a
un général battu. Hoche; sans etre .ébranlé un
moment par sa défaite, forma aussitót la réso-
lutíon de se joindre a l'arméedu Rhin, pour
accabler Wurmser:Celui-ci, qui était resté en
AIsac~_ tandís' que Brunswick rétrogradait jus-
qu'a Kayscrlautetn, avait son flanc droit dé-
couvert. Hoche dirige a le général Taponnier
aVec douze mille hommes surWerdt, pour per-
eer la ligne des Vosges, et se jeter sur le danc
de Wurmser, tandis que I'armée du Rhin feraít
sur son front une attaque générale.


Grace a la présence de Saint-Just, des com-
bats continuels avaient eu lieu pendant la fin de
novembre et le commencernent de décembre,
entre l'armée du Rhin et les Autrichiens. Elle
commen<;ait a s'aguerrir en allant tOllsles jours
au feu. Pichegrll la commandait. Le corps en-
voyé dans les Vosge~ par Hoche. eut beaucoup
de difficultés a vaincre pour y péuétrer, mais
il y réussit cnfio, et inqniéta sérieusement la
droite de Wurmser. Le 22 décembre (2 nivose),
Hoche marcha lui-meme a travers les mon-
tagues, et parut a Werdt sur le sohimetdu
versant oriental. 11 accabla la droite de Wurm-
ser, lui prit beaucoll p de canons, el fir un




CONV.ENTION NATIONALE (1793). 1,5
grand nombre de prisonniers. Les Autrichiens
furent alors obligés de quitter la ligne de la
Motter, et de se porter d'abord a Suhz, puis le
24 a Wissembourg, sur les lignes meme de la
Lauter. Leur re traite s'opérait avee désordre et
cOIl~usion. Les émigrés, les nobles alsadens
aecourus a la suite de Wurmser, fuyaient ave e
la plus grande précipitation. Des familles en-
tieres couvraient la route en eherehant a s'é-
chapper. Les deux armées prussienneetautri-
chienlle étaient mécontentes l'une de l'autre,
et s'entr'aidaient peu eontre un ennemi plein
d'ardeur et d'enthousiasme.


Les deux armées du Rhin et de la Moselle
étaient réunies. Les représentants donnerent
le commandement en chef a Hoche, qui se
disposa sur-le.champ a reprendre Wissembourg.
J..A'S Prussiens et les Autrichiens, concentrés
maintenant par leur mouvement rétrograde,
se trouvaient mieux en mesure de se soutenir.
IJs résolurent done de prenore l'offensive le 26
décembre (6 nivose), le jour meme 011 le géllé-
ral franc;ais se disposait a fondre sU!' eux. Les
Prussiens étaient dans les Vosges et autour de
Wissembourg; les.Autrichiens s'étendaient en
avant de la Lauter, flepuis Wissembourg jus-
qu'au Rhin. Certainement, s'il~ n'avaient pas
été décidés a prendre l'initiative, ils n'auraient




46 RÉVOLUTION FRA.N~AlS!.
pas re~u l'attaque en avant des lignes, ayant
la Lauter a dos; mais ¡ls étaient résolus a at-
taquer ~es premiers, et les Fr:tnc;ais, en s' avan-
(,:ant &ur eux, trouverent leurs avant-gardes
en march~. Le général Desaix, commandant.la
droite de l'armée duJlhin, marcha sur Lattter·
bourg; le général Mit!haud fut dirigé sur Schlei-
thal;Je centre attaqua les A.utrichiens, rangés
sur le Geisberg, el la gauche pénétra dans .les
V osge5 pour tourñer les Prussiens. Desai.x. e ...
porta LauterbCMtrgrlliicb.aoo eccupa.Schleitbal;
et le centre repliant les • .\.utrichiens, les refoula
du Geísberg jusqu'a Wissembourg meme. L'oc-
cupation instantanée de Wissembourg pou-
vait etre désastreuse ponr les coalisés, el elle
était imminente; mais Brunswick, qui se· trOH-
vait . au Jligeonnier, accourut sur 'ce point, et
contint les.Franc;ais avec beaucoup de fermeté.
La retraite des Autrichiens se tit alors a¡vec
moinsde désordrc; mais le lendemain les Fran-
<;ais occuperent le~. lignes et Wissembourg.
Les Autrichiens se replierent sur Gemersheim,
les Prussiens sur Bergzabern. Les soldats· fran-
cais s'avancaient touJ'ours en criant: Landau , .
ou 'la mort! Les Autrichie.ns se haterent- <k
repassel' le Rhin ,sansvoúloir tenir un jour de
plus sur la rive gauche, et saos donner aux
Prussiens le temps d'arriver a Mayence. I .. an-




CONVENTION N ATION ALE (1793). 47
dau fut débloqué, et les Fran«;;ais prirent leurs
quartiers d'hiver dans le Palatinat. Aussitot
apres, les deux généraux coalisés s'altaquerent
dans des relations contradictoires, et Brunswick
donna sa démíssion a Frédéric- Guillaume.
Ainsi, sur cette partie du théatre de la guerre,
nous avions glorieusement recouvré nos fron-
tieres, malgré les forces réunies de la Prusse et
de l' Autriche.


L'armée d¡'ltalie n'avait rien entreprisd'im-
portant , et, depuls sa défaite du moís de ¡uin •
elle était restée sur la défensive. Dans le mois
de septembre, les Piémontais , voyant TouIon
attaqué par les Anglais, songerent enfio a pro-
fiter de cette circonstance, qui pouvaitamener
la perte de l'armée fran<;aise. Le roi de Sar-
da~ne se rendit Iuicmeme sur le' théatre de fa
guene" et une attaque généraledu camp fran-
~is. fut résolue pour le g, septembre. La ma-
niere la plus sine &opérer eontre: les Fran~ais
eut été d'occuper la ligne du Var, qui séparait
Nic~ de Jeur territoire. 00 aurait ainsi faít tom-
bel" toutes les positions qu'ils avaient prises
au.-dela du Var, on les aurait obligés,d'évacuer '
le comté de Nice, et peut-etre meme de mettre
has les armes. On aima mieux attaquer immé-
diatement leur campo Cette attaque ,exécutée
ave<: des cwps détoohés, et par diverses val-


- t




48 RÉVOLUTION ],'RAN~AISt:.
lées a la fois, ne réussit pas; et le roi de Sar-
daigne, peusatisfait, se retira aussitot dans
ses états. A peu pres a la meme époque, le gé-
néral autrichien Dewins résolut enfin d'opérer
sur le Var; mais iln'exécuta son mouvement
qll'avec trois ou qllatre mille hommes , ne s'a- -
van~a que jusqu'a Isola, et, arreté tout-a.coup
par un léger échec, iI remonta sur les Hautes-
Alpes, sans avoir donné suite a cette tentative.
Telles avaient été les opératións insignifiantes
de l'armée d'Italie~


Un intéret .plus grave appelait toute l'atten-
tion sur Toulon. Cette place, oceupée par les
Anglais et les Espagnols, leur assurait un pied
aterre dans le Midi, et une base pour tenter
une invasion. Il importait done a la France
de la recouvrer au plus tot. Le- comité avait
donné a cet égard les ordres les plus pressants,
mais les moyens de siége manquaient tntiere-
mento Carteaux, apres avoir soumis Marseille,
avait débouché avec sept on huit milIe hommes
par les gorges d'OUioules, s'en était emparé
apres un Iéger combat, et s'était éfabli au dé-
bouché meme de ces gorges, en vue de Toulon;
le général Lapoype, détaché de l'armée d'lta-
líe avec quatre mille hommes environ, s'était
rangé -sur. le coté opposé, vers Sollies et La-
valette. Les deux corps fram;ais ainsi placés)




CONVENTION NATlONALE (1793). !¡9
l'un au couchant, l'autre au levant, étaient si·
éloignés qu'ils s'apercevaient a peine, et ne
pouvaient se preter aucun secours. Les assié-
gés, avec un peu plus d'activité, auraÍent pu
les attaquer isolément, et les accabler run
apres l'autre. Heureusement', ils ne songerent
qu'a fortifier la place. et a la gamito de troupes.
lIs firent débarquer huit mille Espagnols, Na-
politains et Piémontais, deux régíments an-
glais venus de Gibraltar, et porterellt la garnio
sbn a 'quatorze QU quinze fuiUehommes. lis
perfectionnerent toutes les défenses, armere\1t
tous les forts , surtout cellX de la cote, qui pro-
tégeaient la rade oú leurs escadres étaient au
mouillage. lIs s'attacherent particulierement a
rendre inaccessible le fort de l'Égllillette, pIacé
a l'extrémité du promontoire qui ferme la r¡¡de
intérieure, ou petite rade. Ils en rendirent l'a-
b,ard tellement difficiIe, qu'on l'appelait dalls
l'armée, 'le petit Gibraltar. Les Marseillais et
tous les Provent;aux qui s'étaient réfugiés dans
Toulon, s'employerent eux-memes aux ou-
vrages , et montrerent le plus grand úle. Ce-
pendant l'union ne pouvait durer dans l'inté-
rieur de la place, car la réaction contre la
Montagne y avait raÍt renaitretoutes les fac-
tions. On y était républicaill ou royaliste atous
les degrés. Les coalisés eux.-memes n'étaient


VI.




50 RÉVOLUTlON FRAN~AJSE.
pas d'¡lCcord. Les Espagnols étaient offensés de
la supériorité qu'affectaient les Anglais, et se
défiaient de leurs inteutions. L'amiral Hood.
profitant de cette désunion, dit que, puisqu' on
ne pouvait s'entendre, il fallait, pour le mo-
ment, ne proclamer aucune autorité. n empecha
meme le départ d'une députation que les Tou-
Ionaís voulaient envoyer aupres du comle de
Prpvence, pour engager ce prince a se rendre
dans leurs murs en qU!llité de régeJ;lt. Pes cet
instant, on pOllvait en~r~voir la c~:mduite qes
.¡\nglais, et sentir combien avaient été aveu-
gles et coupables ceux qui avaient Iivré Ton-
Ion anx plus cru~s ennemis de la marine fran-
~arse.


Les républicains ne pouvaient pas espérer,
av~c leurs moyens actuels, de reprendre Ton-
Ion. Les représentallts conseillaient meme de
replier l'armée au-dela de la Durance, et d'at-
tendre la saison suivante. Cependant la prise
de Lyon ayant permis de disposer de nouvelles
torces, on achemina vers TonIon des tronpes
et du matériel. Le général Doppet, anquel on
attribuait la prise de Lyon, fut chargé de rem-
placer Carteanx. Bientót Doppet lui-meme fut
remplacé par Dngommier, qni était beaucoup
plus expérimenté, et fort braveo Vingt-huit ou
trente mille hommes furent réunis, et on




CONVENTION N A.TIONALE (1793). 51
donna l'ordre d'achever le siégeavant la fin
de la campagne.


On commenc;~ par s~rrer la place de pres, el
par établir des batteries contre les forts. Le
général Lapoype, détaché de l'armée,d'ltalie;,
était toujours au lev,ant, et le général en c~ef
Dugommier au couchant, en avant d'Ollio~h~s.
Ce dernier était chargé de la principaleattaque~
Le comité de salut public avait fait rédiger pa,r
l€:1~omit~ desi9rtifications 1p,l·nl;vtJ¡:l~t~q~e
rég~lier,e. I,.e, général a!l:Se~lJla qp ~~yl"d.e
guerrepour discuter le plan envoyé de l?~;rj~;
Ce plan était fprt bien conc;u, l1\ais il s'el, pré-
sentait Ull autre plus conven~~~ aux circops-
tauces, ~t qui devaitavoir'i. résllltats elus
pr.ompts.


Dans le conseil de guerre se trouvait un je~me
officier, qui commandait l'artillerie en l'abseQCe
dn,.ch.ef, ~e:c~t'e ,arme. U se ;~«:;I~ma.it.B.Qlla­
parte', et éta,t origin~re ;q~.9.or5~~~9-~1~ ~,la
Fran ce, a\l sein de laquell~ iI lly~t, été . élevé"
ii s'était battu en Corse pou~ la cause d,e la
convention contr~ Paoli et les,4ngla,~; il s'était
rendu ensuite a i'arm~~ q'~ta1ie" et, ,sefvait, ~e­
vaqt, Tou19n, Il mo~~trait :q.q~ ,gr~nde ltl~­
gence, Une extreIUe aGli'fité:1 ~~ cqm;níli,t ~ ~et~ I
d,e ses Q~9.ns. Ce jeune offi~ier, a!T;\l?P~~,,qe
la¡ place, fu~ ¡frappé d'une .idée " etla pro.pqs¡t


4.




5'.1 nÉVOLUTJON FRAN~AISE.
au conseil de guerreo Le fort 1'Éguillette, sur-
nommé le petit Gibraltar, fermait la rade ou
mouillaient les eseadreseoalisées. Ce fort oc-
cupé, les ese adres ne pouvaient plus mouiller
dans la rade, sans s'exposer á y etre brulées :
elles ne pouvaient pas non plus l'évacuer en
y laissant une garnison de quinze mille hom-
mes, saos communications, sans secours , et
tot ou tard exposée a mettre bas les armes: iI
était done infiniment présumable que le fort
l'Éguillette une fois en la 'possession des répu-
blieains, les escadres et la garnison évacue-
raient ensemble Toulon. Ainsi, la clef de la
place était au fort l'Éguillette; mais ce fort
était presque imprenable. Le jeune Bonaparte
soutint fortement son idée eomme plus appro-
priée aux circonstances, et réussit a la faire
adopter.


On commen<;;a par serrer la place. Bonaparte,
a la faveur de quelques oliviers qui eaehaient
ses artilleurs, fit placer une batterÍe tres-pres
du fort Malbosquet, l'lln des plus importants
parmi eeux qui environnaient Toulon. Un
matin, eette batterie éc1ata a l'improviste, et
surprit les assiégés, qui ne croyaient pas qu'on
put établir des feux aussi pres du fort. Le gé-
néral anglais O'Rara, qui eommandait la gar-
niwn, résolnt de faire une sortie pour détrnire




eONVENTlON NATIONALE (1793). 53
la batterie, et enclouer les canons. Le 30 no-
vembre (10 frimaire), iI sortit a la tete de six
mille hommes, pénétra soudainement a travers
lespostesrépublicains, s'empara de la batterie,
et commen~a allssit6t a enclouer les pieces.
Heureusement, le jeune Bonaparte se trouvait
non loin de la avec un bataillon. Un boyau
conduisait a la batterie. Bonaparte s'y jeta avec
son bataillon, se porta sans bruit au milicu
des Anglais, puis tout-a-coup ordonna le feu,
et les jeta, par ceue subit~ apparitiQn, dans
la plus grande surprise. Le général O'Hara,
étonné, cmt que e'étaicnt ses propres soldats
qui se trompaíeut, et faisaíent feu les uns sur
lesautl'es. II s'avan<;a alors vers les républicains
pour s' en assurer, mais il fut blessé a la main,
et pris dans le boyau meme par un sergent.
An meme instant , Dugommier, qui avait fait
battre la générale au camp, raIlIenait ses sol-
dats a l'attaque, et se portait entre la batterie
et la place. Les Anglais, menacés aldrs d'etre
coupés, se retirerent apres avoir perdu leur
général, et sans avoir pu se délivrer de cette
dangereuse batterie.


Ce succes anima singuW~rement les assié-
geants, et jeta beaucou p de découragement
parmi les assiégés. La défiance était si grande
chez ces derniers, qu'ils disaient que le géné-




54 REVOLUTION }'RANC;:A1SE.
ral O'Hara s'était fait prendre pour vendre
Toulon aux républicains. Cependant les répll-
blicains qui voulaient conquérir la place, et
qui n'avaient pas les moyens de l'acheter, se
préparaient a l'attaque si périlleuse de I'Éguil-
lette. Ils y avaient jeté déjlt un grand nombre
de hombes, et tachaient d'en raser la défense
avec des pieces de 24. Le 18 décembre (28 fri-
maire), l'assaut fut résolu pour minuit. Une
attaque simultanée devait avoir líeu du coté
du général Lapoype sur le fort Faron. A minuit,
et par un orage épouvantable, les républicains
s'ébranlent. Les soIdats quí gardaient le fort se
tenaient ordinairemellt en arriere, pour se
mettre a l'abrí des bombes et des boulets. Les
Franc;ais espéraient y arríver avant d'avoir été
aperc;usj mais au pied de la hauteur ils trou-
vent des tirailleurs ennemis. Le combat s'en-
gage. Au bruit de la mousqueterie, la garnison
du fort accourt sur les remparts et foudroie
les assaillants. Ceux-ci reculent el reviennent
tour-a-tour. Un jeune capitaine d'artillerie,
nommé Muiron, profite des inégalités du ter-
rain, et réussit a gravir la hauteur, san s avoir
perdu beaucoup de monde. Arrivé au picd du
fort, il s'élance par une embrasure j les soldats
le suivent, pénetrent dans la batterie, s'empa-
rent des canons, et bientot dll fort lui-méme.




CONVENTION NATIONALE (1793). 55
Dans eette aetion, le général Dugommier,


les représentants Salicetti et Robespierrej eune,
le commandant d'artillerie Bonaparte, avaient
été présents au feu, et avaient communiqué
aux troupes le plus grand courage. Du coté du
génél'al Lapoype l'attaque ne fut pas moins
heureuse, el une des redoutes dll fort Faron
fut emportée.


Des que le fort l'Éguillette fut occupé, les
républicains se hftterent de disposer les canons
de maniere a foudroyer la fiotte. Mais les An-
glais ne leur en donnerent pas le temps. Ils se
déciderent sur-Ie-champ a évacuer la place,
pour ne pas courir plus long-temps les chances
d'une défense difficile et périlleuse. Avant de
se retirer, ils résolurent de brúler l'arsenal, les
chantiers, et les vaisseaux qu'ils ne pourraient
pas prendre. Le 18 et le T 9, sans en prévenir
l'amiral espagnol, sans avertir meme la po-
pulation compromise qu'on allait la livrer aux
montagnards victorieux, les ordres furent
donnés pour l'évacuation. Chaque vaisseau an-
glais villt a son tour s'approvisionner 11 1'ar-
senal. Les forts furent ensuite tous évacués,
excepté le fort Lamalgue, qui devait etre le der-
nier abandonné. Cette évacuatiol1 se fit meme
si vi te , que deux mille Espagnols, prével1us
trop tard, resterent hors des murs, et ne se




56 R liVOLUTION FU AN9A.ISE.
sauverent que par miracle. Enfin on dOfina
l'ordre d'incendier l'arsenal. Vingt vaisseaux
Oll frégates parurent tout-a-coup en flammes
au mi líen de la rade, et exciterent le désespoir
chez les malheureux habitants, et ¡'indignatíon
chez les républicains, qui voyuient bruler l'es-
cadre sans pouvoir la sauver. Aussitót, plus de
vingt mille individus, hommes, femmes, vieil-
lards, enfants, portant ce qu'ils avaient de plus
précíeux, vinrent SUI' les quais, tendant les
mains vers les escadres, el implorant un asile
pour se soustraire a l'armée victorieuse. C'é-
taient toutes les famiIles proven<;ales qui, a.Aix,
Marseille, Toulon, s'étaiellt compromises dans
le mouvement sectionnail'e. Pas une seule cha-
loupe ne se montrait a la mer pour secollrir
ces imprudents Franc;ais, qui avaient mis leuT
confiance dans I'étranger, et qui lui avaient
livré le premier port de Ieur patrie. Cepen-
dant l'amiral Langara, plus humain, ordonna
de mettre les chaloupes a la mer, et de recevoir
sur l'escadre espagnole tous les réfugiés qu'elle
pourrait contenir. L'amiraI Rood n'osa pas ré-
sister a cet exemple, et aux imprécations qu'on
vomíssait contre luí. Il ordonna a son tour,
mais fort tard, de recevoír les Toulonais. Ces
malheureux se précipitaient avec furellr dans
]es chalollpes. Dans cette confusion, quclques-




CONVENl'lON NA TION ALE (J 793 J. 57
1lllS tombaient a la mer, cl'aulres étaieut sé-
parés de lem's familles. On voyait des meres
cherchant leurs enfants, des épouses, des filies,
cherchant leurs maris ou l~lIrs peres, et errant
sllr ces quais aux lueurs de l'inceudie. Dans ce
moment terrible, des brigands, profitant du
désordre pour piller, se jettent sur les malhell-
reux accumu lés le long des qnais, et font feu
en criant : Voici les républicains. La teneur
alors s'empare de cette multitude; elle se pré-
cipíte, se mele, et, pressée de fuir, elle aban-
dorme ses dépouilles aux brigands, auteurs de
ce stratagcme.


Enfin les répuhlicains entrerent, et troll-
verent la ville a moitié déserte, et une grande
partie du matériel de la marine détrnit. Heu-
reusement, les for~ats avaicnt arreté l'incendie
et empeché qll'il lIe se propage:h. De 56 vais-
seaux 011 frégates, il ne restaiJ que 7 vaisseaux
et 11 frégates; le reste avait élé pris ou brulé
par les Anglais. Bientot, aux horreurs du siége
et de l'évacuation, succéderent ceHes de la
vCllgeance révolutionnaire. Nous raconterons
plus tard la suite des désastres de cette cité
coupable et malheureuse. La prise de Toulon
causa une joie extraordinaire, et produisit au-
tanl d'impression que les victoires de Wati-
gníes, la prise de LYOll, et le cléblocus de Lan-




58 UÉVOLUTlON FRANC;AlSE.
dau. Des 10rs on n'avait plus a craindre que
les Anglais, s'appuyant sur TouIon, vinssent
apporter dans le M,idi le ravage et la révolte.


La campagne s'était terminée moins heureu-
sement aux Pyrénées. Cependant, malgré de
nombreux revers et une grande impéritie de
la part des généraux, nons n'avions perdu que
]a ligne du Tech, et eeHe de la Tet nous était
l'estée. Apres le combat malheul'eux de Truil-
las, livré le 22 septembre ( le. velldémiaire)
contre le camp espagnol, et ou Dagobert avait
montré tant de bravoure et de sang-froid, Ri-
cardos, au líeu de marcher en avant, avait
rétrogradé au contraire sur le Tech. I~a reprise
de Villefranche, el un renfort de quiuze mille
hommes arrivé aux républicains, l'avaient dé-
cidé a ce mouvement rétrograde. A pres avoir
levé le hlocus de CoHioure et de Port-V endre,
iI s'était porté au camp de BouIou, entre Cé-
ret et Ville-Longne, et veillait de la a ses COID-
munications en gardant la grande route de
Rellegarde. Lesreprésentants Yabre et Gaston,
pleins de fongue, vouIurent faire attaquer le
camp des Espagnols, afin de les rejeter au-
delil des Pyrénées; mais l'attaque fut infruc-
tueuse et n'aboutit qu'a une inutile effusion
de sango


Le représentant Fabre, impatient de tenter




COXVENTION NATlONALE (1793)- 59
une cntreprise importante, revait depuis long-
temps UIle marche au-dela des Pyrénées, pour
forcer les Espagnols a rétrograder. On lui
avait persuadé que le fort de Roses pouvait
etre enJevé par un coup de maín. D'apres son
vreu, et malgré l'avis contraire des géné-
raux, trois colonnes furent jetées au-dela des
Pyrénées, pour se réunir a Espola. Mais, trop
faibles, trap désunies, elles ne purent se
joindre, furen t battues, et ramenées sur la
grande chaine apres une perte consldérable.
Ceci s'était passé en octobre. En novembre,
des orages, peu ordillaires dans la saison, gros-
sirent les torrents, interrompirent les cornmu-
nications des divers camps espagnols entre
eux, et les mirent dans le plus grand péril.


C' était le cas de se venger sur les Espa-
gnols des revers qll'on avait essuyés. Il ne
leur restait que le pont de Céret pour re-
passer le Tech, et ils demeuraient inondés et
afÜlmés sur la rive gauche a la merci des
Fran!{ais. lVlais ríen de ce qu'il fallait faire ne
fut exécuté. Au général Dagobert avait SllC-
cédé le général Turreau, a cellli-ci le général
Doppet. L'armée était désorganisée. On se
battít mollement aux environs de Céret, on
perdit meme le camp de Saínt - :Ferréol, et
Ricardos échappa ainsi aux dangers de sa po-




60 RliVOI,lJTION FftAN~AISE.
sltlOn. Bientot iI se vengea bien plus habile-
ment dn danger ou iI s'était trouvé, eí fondit
le 7 Ilovembre ( 17 brumaire ) sur une eolonne
fran¡;;aise, qui était ellgagée a Ville-Longue sur
la rive droite du Tech, entre le fleuve, la mer
et les Pyrénées. Il défit eette eolonne , forte de
dix miUe hommes, et la jeta dans un te! dés-
ordre, qu'elle ne put se rallier qu'a Argeles.
Immédiatement apres, Rieardos 6t attaquer la
division Delatre a Collioure, s'empara de Col-
lioure, de Port Vendre et de Saint-Elroe, et
nous rejeta entierement an-clela dll Tech. La
campagne se trollva ainsi terminée vers les
derniers jours de décemore. Les Espagnols
prirent leurs quartiers d'/¡iver sur les bords
du Tech; les Fran¡;;ais camperent autonr de
Perpignan, et sur les rives de la Tet. Nous
avions perdu un peu de territoire, mais moins
qu'on lIe devait le cra.indre apres tant de dé-
sastres. C'était du reste la seule frontiere ou
la eampagne ne se fut pas terminée glorieuse-
ment pour les armes de ]a république. Du
coté des Pyrénées-Oeeidentales, on avait gardé
une défense réciproque.


C'est clans la Vendée que de nouveaux eHer-
FiLies combats avaient eu líen, avec un grand
avantage pour la république, mais avec un
grand dommage paur la Franee , qui ne voyaít




CONVEN'l'JON N A nON ALE (J 793 J. ti (
des deux catés que des Fran<;ais s'égorgeant
les uns -les autres.


Les Vendéens, battus a Chollet le 17 octobre
(26 vendémiaire), s'étaient jetés, comme on 1'a
vu, sur le bord de la Loire, au nombre de
quatre-vingt mille inclividus, hommes, femmes,
enfants, vieillards. N' osant pas rentrer dans leur
pays occupé par les républicains, ne pouvant
plus tenir la campagne en présence d'une ar-
Ti1ée victorieuse, iIs songerent a se rendre en
Bretagne, et a suivl'e les idées de Bonchamps,
lorsque ce jeune héros était mort, et ne pon-
vait plus diriger leurs tristes destinées. On a
va qu'a la veille de la hataille de Chollet, il
envoya un détachemellt ponr faire oecuper le
poste de Varade, sur la Loire. Ce poste, mal
gardé par les républieains, fut pris dans la nuít
du 16 an 17. La bataille perdue, les Vendéens
purent done impunément traverser le flenve,
a la favenr de quelques bateaux laissés sur la
rive, et a l'abri du canon républicain. Le dan-
ger ayant été jusqu'ici sur la rive gauche, le
gouvernement n'avait pas songé a défendre la
rive droite. Toutes les vil les de la B¡'etagne
étaient mal gardées; qllelques détachements de
gardes nationales, épars .;;a et la, étaient inca-
pables d'arreter les Velldéens, et ne pouvaient
que fuir a leur approche. Cellx-ci s'avancerent




RÉVOLUTION FRAN9AISF.


done sans obstacles, et traverserell t successi-
vement Candé, Chateau·Gonthier et Laval, sans
épronver aucune résistance.


Pendant ce temps, l'armée républicaine était
incertaine de leur marche, de leur nombre et
de leurs projets. Un momentmeme, elle les
avait crus détruits, et les représentants l'avaient
écrit a la convention. Kléberseul, qui comman-
dait toujours l'armée sous le nom de Léchelle,
pensait le contraire, et s'efforl,;ait de modérer
une dangereuse sécurité. Bientot, en effet, on
apprit que les Vendéens étaicnt loin d'etre ex-
terminés; que dans la coIonne fugitive, jI res-
tait encore trente ou quarante mille hommes
armés, et capables de combattre. Un conseil
de guerre fut aussitot rassemblé; et comme on
ne savait pas si les fngitifs se porteraieut sur
Angers ou sur Nantes, s'ils marcheraient sur
la Bretagne, ou iraient 'par la Basse-Loire se
réunir a Charette, 011 décida que l'armée se
diviserait; qu'une partie, sous le général Haxo,
irait tenir tete ~ Charette, et reprendre Noir-
moutiers; qu'une autre partie sous Kléber occu-
perait le camp de Saint-George pres de Nantes,
et que le reste enfin demeurerait a Angers ponr
couvrir cette ville, et observer la marche de
I'ennemi. Sans doute, si l'on eut été mieux
instruít, on aurait compris qu'il fallait rester




CONn;NTION NATIONALE (1793). 63
réunis en masse, et marcher sans rehkhe a la
poursuite des Vendéens. Dans l' état de désordre
et d'effroi ou ils se trouvaient, i.l eut été facile
de les disperser et de les détruire entierement;
mais on ne connaissait pas la direction qu'ils
avaient prise, et, dans le doute, le parti que
l' on prit était encpre le plus sagc. Bientot, ce-
pendant, on eut de meilleurs renseigncments,
et l'on apprit la marche des V cndépns sur
Candé, Chttteau- Gonthier et Laval. Des lors
on résolut de les poursuivre sur-le-champ, et
de les atteindre, avant qu'ils pussent mettre
la Bretagne en feu, et s'emparer de quelque
grande ville, ou d'un port sur l'Océan. Les gé-
néraux Vimeux et Haxo furent laissés a Nantes
et dans la Basse - Vendée; tout le reste de
l'armée s'achemina ve~s Candé et Chateau-Gon-
thier. Westermann et Beaupuy formaient l'a-
vant - garde; Chalbos, Kléber, Canuel, com-
mandaíent chacun une division, et Léchelle,
éloigné du champ de bataille, laissaít diriger
les mouvements par Kléber, qui avait la con-
fiance et l'admiration de l'armée.


Le 25 octobre au soir (4 brumaire), l'av:;!nt.
garde républicaine arriva a Chateau-Gonthier;
le gros des forces était a une journée en arriere.
Westermann, quoique ses troupes fussent tres-
fatiguées, quoiqu'il Cut presque nuit, et qu'il




RÉVOLUTION }'11 AN~AISE.
l'estat encore six lieues de chemin a faire pour
arriver a Laval, voulnt y marcher snr-le-champ.
Beaupuy, tout aussi brave, mais plus prudent
que 'Vestermann, s' effon,;a en va in de lui faire
sentir le danger d'attaqner la masse vendéenne
an milieu de la nnit, fort ea avant <lu corps
d'armée, et ave e des troupes harassées de fa-
tigue. Beaupuy fut obligé de céder au plus an-
cien en cornmandement. On se mit aussitot en
marche. Arrivé 11 Laval an miliell de la nuit,
'Vestermann envoya un officier reconnaitre
l'ennemi : celui-ci, emporté par son ardenr,
lit une charge au líen d'llne recol1naissance, et
replia rapidement les premiers postes. L'alarme
se répalldit dans Laval, le tocsin sonna, tOllte
la masse ennemie fut bientot debont, et vint
faire tete allX répllblicains. Beaupuy se com-
portant avec sa fermeté ordinaire, soutint coura-
geusement l'effort des Vendéens. Westermann
déploya toute sa bravoure, lfl combat fut des
plus opiniatres, et l'obscurité de la nuit le ren-
dit encore plus sanglant. L'avant-garde répu-
blicaine, quoiqlle tres-inférieure en nombre,
serait néanmoins parvenue a se soutenir jus-
qu'a la fin; mais la cavalerie de Westermann,
qui n'était pas to1.1jours aussi brave que son
chef, se débanda tout-a-co1.1p, et l' obligea a la
retraite. Grace a Beaupuy, elle se fit sur Cha-




CONVENT!ON N A'l'ION ALE (1793). 6S
tean-Gonthier, avec assez d'ordre. Le corps de
bataille y arriva le jour suivant. Toute l'armée
s'y trollva done réunie ]e 26, l'avant - ganle
épuisée d'un combat Ínutile et sanglant, le
corps de bataille fatigué d'!lne route longlle,
faite sans vivres, sans souliers, et a travers lt>s
boues de l'automne. vVestermann et les repré-
sentants voulaient de nouveau se reporter en
av:mt. Kléber s'y opposa ave e force, et fit dé-
cider qu'on ne s'avaneerait pas au - dela de
Villiers, moitié ehemin de Chatean - Gonthier
a Lava!.


II s'agissait de former un phn pou!' ¡'altaque
de Lava!. Cette ville est située sur la Mayenne.
Marcher directement par ]a rive gauche que
l'on oecupait, était imprudeI.t, eomme rob-
servajudicieusement un officier tres-distingué.
Savary, qui connaissait parfaitement les líeux.
II était facile aux Vendéens d'occuper le pOllt
de Laval, et de s'y maintenir contre toutes les
attaques; ils pOllvaient ensuite, tandis que I'ar-
mée répuolicaine était iuuti/ement amassée sur
la rive gauche, filer le long de la rive dmite •
passer la Mayenne sur ses derrÍeres, et l'acca-
bler a l'improviste. Il proposa done de diviser
l'attaque, et de porler une partie de l'armée
sur ]a ríve droite. De ce coté il n'y avait pas
de pont a fl'anchir, et l'oecupation de LavalllL'


VI. 5




6() lIÉVOLflTION FRAN~AISI".
préselltait point d'obstacle. Ce plan, approuvé
par les généraux, fut adopté par Léchelle. Le
lendemain, cependant, Léchelle, qui so!'tait
quelquefois de sa l1ullité pour commettre des
fautes, envoie l'orore le plus sot et le plus
contradictoire a ce qui avait été convenu la
veille. Il prescrit, suivant ses expressions ac-
coutumées, de marcher majestuellsement el en
masse sur Laval, en filant par la rive gauche.
Kléber et tous les généraux sont indignés; ce-
pendant iI fallt obéir. Beaupuy s'avance le pre-
miel'; Kléber le suít immédiatement. Toute
J'armée vendéenne était déployée sur les hall"
teu!'s d'Entrames. Beaupuy engage le combat;
Kléber se déploie a droite et a gauche de la
route, de maniere a s'étendre le plus possible.
Sentant néanmoins le désavantage de cette po-
sition, il fait dire a Léchelle de porter la di-
vision Chalbos sur le flanc de l'ennerni, mou-
"'eroent qui devait l' ébranler. Mais eette colonne,
composée de ces hataillons formés a Orléans
et a Nio!'t, qui avaient fui si souvent, se dé-
hande avant de s'etre mise en marche. L.é-
chelle s'échappe le premier a toute bride; une
grande moitié de l'armée, qui ne se battait pas,
fuit en toute hate, ayant Léchelle en tete, et
eourtjusqu'a Ch:\tean-Gonthier, et de Chateau·
r,.onthier i1JSr¡II'~ Angers. Les braves Mayen-·




r:n:VVF~TION NA TION A LE í I '1Cr3 .' 6-:
, .!. ¡


f(ais, qui n'avaient jamais !fIché pied, se déban-
dent pour la prcmiere foís. La déroute devient
alors générale; Beaupuy, Kléber, Marceau, les
représentants Merlín et Turreau font des ef.
forts ineroyables, mais inutiles, pour arreter
les fuyards. Beaupuy re<:oit une baile au miIieu
de la poitrine. Porté dans une eabane, il s'é-
crie : «Qu'on me laisse ieí, et qu'on montre ma
ehemisesanglante a mes soldats.l) Le brave Bloss,
qui eommandait les grenadiers, et qui était
connn par une intrépidíté extraordinaíre, se fait
tuer a Ieur tete. Enfin une partie de I'armée
s'arrete au Lioll.d'Angers; I'atltre fuit jllsqu'á
Angers meme. L'indignation était générale con-
tre le hkhe exernple qu'avait donné Léchelle,
en fuyant le premier. Les soIdats murmuraÍeut
hautement. Le lendemain, pendant la revue,
le petit nombre de braves qui étaient restés
sous les drapeaux, et e'étaient des Mayenl,(ais,
criaient : Abas Léehelle, vive Kléber et Du-
})ayet r qu'on nous rende Dubayet! LécheIle,
qui entcudit ces cris, en Cut encore plus mal
disposé contre l'armée de Mayence, et eOl1tre
les généraux dont la bravoure lni faisait honte.
Les représentants, voyant que les soldats ne
voulaient plus de Léehelle, se déciderent ti le
sllspendre, et proposerent le cornmandement
a Kléber. Celui-ei le refusa, paree qu'il n'aimait


5.




(iS RÉVOLUTlON FRANyAISE.
pas la sitllation rl'un général en chef, tOlljours
en bu tte aux représentants, au ministre, au
comité de salut public, et consentit seulement
a diriger I'armée sous le nom d'un autre. On
donna done le commandemel)t a Chalhos, qui
était \'un des généraux les plus agés de I'ar-
mée. Léchelle, prévenant l'arreté des repré-
sentants, demanda son congé, en disant qu'il
était malade, et se retira a Nantes, oú il mou-
rut quelque temps apreso


Kléber, vovant l'armée dans un état pitova-
" .


ble, dispersée partie a Angers, et partie au
Lion-d'Angers, proposa de la réunir tout en-
tiere a Angers meme, de luí donner ensuite
quelqlles jOllrs de repos, de la fournir de sou-
liers et de vetements, et de la réorganiser d'une
maniere complete. Cet avis fut adopté, et toutes
les troupes furent réllnies a Angers. Léchelle
n'avait pas manqué de dénoncer l'armée de
Mayence en donnant sa démission, et d'attri-
buer a de braves gens une déroute qui n'était
due qu'a sa lacheté. Dep,Jis loug-temps on se
défiait de cctte armée, de son esprit de corps,
de son attachement a ses généraux, et de son
opposition a l'état-major de Saumur. Les der-
niers cris de viCJe Dubayet! ti bas Léchellc!
acheverent de la compromettre dans l'espritdu
O'ollvernement. Bientót, en effet, le comité 00 ¡,




CONVENTION NATIO\\I.I·: \L7~)~i·. (J~)
salut public rendít UI1 arreté, pOllY' en Ol'düll-
Iler la dissolution et l'amalgame avee les autres
corps. Kléher fut ehargé de eette derníel'c
opération. Quoique eette mesure fUt prise COI1-
tre lui el contre ses compagnons d'armes, il
s'y preta volontiers, cal' il sentait le danger de
l'esprit de rivalité et de haine qui s'établissai,t
entre la garuison de Mayenee et le reste des
troupes; et il voyait surtout un grand avantage
a former de bonnes tetes de eolonnes, qui,
habilement distribuées , pouvaient communi.-
quer leur propre force a toute l'armée.


Pendant que ceci se passait a Allgers, les
Velldéens, délivrés a Laval des républicains,
et ne voyant plus rien qui s'opposat a leur
marche, ne savaient cependant quel partí
prendre, ni sur quel théatre porter la guert'e.
Il s'en présentait deux également avantageux :
ils avaient i.t choisir entre la painte de Breta-
gil e , et ceHe de Normandie. L'extreme Breta-
gne était toute fanatisée par les pretres et les
nobles; la popuJation les anrait re¡;us avec
joie; et le sol, extremement coupé et mOl1-
tneux, leur aurait fourni des moyens tres-faciles
de résistanee; enfin, ils se seraient trouvés sur
le hord de la mer, et en communicatioIl avec
les Anglais. L'extréme Norrnalldie, ou pres-
ql1'ile de Cotentin, étalt un peu plus éloignée,




~o
I F.ÉVOI.UTION FRAN~AISE.
mais bien plus facile a garder, car, en s'em-
parant de Port-Beil et Saint-Cosme, ils la fer-
maient entiérement. lis y trouvaient l'impor-


, tante place de Cherbourg , tres-accessible pOllr
eux du coté de la tene, pleine d'approvisionne-
ments de toute es pece , et surtout tres.propre
aux commnnications avec les Anglais. Ces dellx
projets présentaient done de grands av:mtages,
et leur exécution reneontrait peu d'obstacles.
La route de Bretagne n'était gardée que par
l'armée de Brest, eonfiée a Rossignol, et con-
sistant tout au plus en cinq on six mille
hommes mal organisés. La route de Norman-
die était défem]ue par l'armée de Cherbonrg,
composée de levées en masse pretes a se dis-
soudre au premier coup de fusil, et de quel-
ques mille hommes seulement de trol1pes plus
régllJieres, qui n'avaient ras encore quitté
Caen. Ainsi, aucune de ces deux armées n'était
a redonter ponr la masse vendéenne. On pon-
vait mpme facilement éviter leur rencontre avec
un peu de eélérité. Mais les Vell(Jéens ignoraient
la natllre des localités; ils n'ayaiellt pas un
seul officier qui put leur dire ee qu'étaient la
Bretagne et la N ormandie, quels en étaient les
avantages militail'es et les places fortes. lis
eroyaient, par exemple, Cherbourg fOl'tifié du
t'ó!~ de t\~rl'e. lis étaient done incapabres de




CONVl'N'fIO~ ~A.1WNA.Lh \,1793). 'jI
se hater, de s' éclairer dans leur marche, de
rien exécutee enfin avec un peu de force et
de précisioll.


Quoique 1I0mbrellse, leur armée était dan!>
un état pitoyable. 1'ous les chefs prineipaux
étaient oU: morts ou blessés. Bonehamps avait
expiré sur la rive gauehe; d'Elbée, blessé , avaít
été transporté a Noirmoutiers; Leseure, atteint
d'un baIle au front, était trainé Ulourant a la
~uite de l'armée. Laroehejacquelein, resté lieul,
avait rec;;u le commandement général. Stofflet
commandait sous luí. L'armée, obligée main-
tcnant de se Illouvoir et d'abandonner son
$01 , auraÍt dii etI'e organisée; mais elle mal'-
ehait pele-mele comme une horde, ayant au
milieu d'elle des fcmmes, des enfa-nts, des eha-
riots. Dans une armée réguliere, les braves.
les taibles, les laehes, encadrés les uns avec
les autres, restent foreément ensemble et se
soutiennent réeiproquement. 11 suffit de quel-
qnes hommes de courage pour eommuniquer
leur énel'gle a toute ]a masse. lci, au eontraire,
aucun rang n'étant gardé, aucune divisíon dt,
compagnie, de bataillan, n'étant observé e ,eha-
cun marchant avee quí luí plaisait, les bravc5
s'étaient rangés ensemble, et formaient un
corps de einq al! six mille hommes, toujours
préts a s'avancer les pl'emiers. Apres eux, ve·




72 RJiVOLlJTJUN .FftAN<,:AISE.
nai tune troupe moins sure, et propre seulement.
a déeider un sueces, en se portant sur les flanes
d'un ennemi déjit ébranlé. A la suite de ces
deux bandes, la masse, toujonrs prete a .fu ir au
premier eoup de fusil, se trainait confusément.
Ainsi, les trente ou quarante mille hommes ar-
més se réd uisaient en définiti ve a quelques
mille braves, tonjollrs disposés él se battre par
tempérament. Le défaut de subdivisions em-
peehait de former des détachements, 'de porte!'
un corps sur un point Oll sur un autre, de faire
aueuue sortede dispositions. Les uus suivaient
Laroehejaequelein, les autres StoftIet, et ne
suivaicnt qu'eux seuls. II était impossible de
donner des ordres; tont ee qu'on pon vait obte-
nir, c'était de se faire suivre en donuant un si-
gnal. Stofflet avait seulement quelques paysans
affidés qui allaient répandre ce qu'ilvonlait
parmi lenrs eamarades. A peine avait-on deux
cents mauvais cavaliers, et une trentaine de
pieces de canon, mal servies et mal eutretc-
Hues. Les bagages encombraient la marche;
les femmes, les vieillards, pour étre plus en
sUl'eté, eherehaient a se fourrer au milieu de
la troupe des in'aves, et, en remplissant leurs
rangs, embarrassaient leurs mouvements. La
méfianee eommenc;ait aussi a s'établir de la part
des soldats a l'égard des officiers. On rlisait




CONVENTlON .NATIONALE (1793). 73
qn'ils ne voulaient atteindre a l'Oeéan que pour
s'embarquer, et abandonner les malheureux
paysans arrachés de leur pays. Le conseil,'
dont l'autorité était devenue tOllt -3.- fait ilIu-
soire,était divisé; les pretres s'y montraient
mécontents des chefs militaires; rien enfin
n'eut été plus facile que de détruire une pa-
reille armée, si le plus grand désordre de com-
mandemellt n'avait régné chez les républicains.


Les Vendéens étaient done illcapables de
concevoir et d'exéeuter un plan quelconque.
Ils avaient quitté la Loire depllis vingt - six
jours; et, dans un aussi long espace de temps,
ils n'avaient ríen fail du tOIlt. Apres heaucollp
d'incertitudes, ils prircfll ellfin 1111 partí. D'lIne
part, on lenr disait que Rellnes et Saint-il1.alo
étaient gardés par des trollpes considerables;
de l'autre, que Cherbourg était fortemeut dé-
fendudu cOté de terre; ils se déciderent alors
a assiéger Granville, placée sur le bord de
l'Océau, entre la poínte de Bretagne et celle
de Normandie. Ce projet avait surtant l'avan-
tage de les rapprocher de la Normandie, qu'on
lem' dépeignait comme tres-fertile ,et tres-bien
approvisionnée. En conséquence ils marche-
rent sur Fougeres. On avait réuni sur leur
route quinze ou seize mille hommes de levée
en masse, qui se disperserellt sans coup férir.




74 RÉVOLUTION FIlANQAlSE.
Les Vendéens se porterent a Dol le 10 no-
vembre, et le 12 sur Avranches.


Le 14 novembre ( 24 brumaire ), ils se diri-
gerent vers Granville, en laissant a Avranches
une moitié de Ieur monde et tous leurs ba-
gages. La garnison ayant voulu faire une sor-
tie, ils la repousserent, et se jett~rent a sa suite
dans le faubourg qui précede le corps de la
place. La garnison eut le temps de rentrer et
de refermer ses portes; mais le faubourg resta
en Ieur possession , et ils avaient aínsi de gran-
des facilités pour l'attaque. I1s s'avancerent du
faubourg jusqu'a des palissades qu'on venait
de construire, et sans chercher a les enlever,
ils se bornerent a tirailler contre les remparts,
tandis qu'onlem répondait avec de la mitraille
et des boulets. En meme temps, i1s placerent
quelque~' pieces sur les hauteurs environnan-
tes, et tirerent inutilement sur la crete des
murs et sur les maisons de la ville. A la nnit,
ils s'éparpillerent, et abandonnerent le fau-
bourg, ou le feu de la place ne lelll' laissait
aucun re pos. lIs al/erent cbereher hors de la
portée du canon des logements, des vivres, et
surtout du feu, cal' iI commen<;;ait 11 faire un
froid tres-vif. Les chefs purent a peine retenir
quelques cents hommes dans le fauLourg t
pour y continner un fen de tirailleurs.




CONVENTION NATlONALE (1793). 75
Le lendemain, leur impuissanee de prendre


une place fermée, leur fut encore mieux dé-
montrée; ils essayerent encore de ICllrs batte·
ríes, mais sans aucun sucees. 115 lÍraillereut de
nouveau le long des palissades, et rurent bien-
tot entierement deeouragés. TOllt-a-coup ,'un
d'entre eux imagina de profiter de la marée
basse, pour traverser une plage , et prendre la
ville du coté du porto Ils se disposaient a cettt
nO\lvelle tentative , lorsqlle le feu fut mis all
faubourg par les représentants enfermés dans
Granville. Les Vendéens furent alors obligés
de J'évacuer, et songerent a la retraite. La ten-
tative du coté da port fut entierement aban-
donnée, et le lendemain ¡ls revinrent tons a
Avranches rejoindre le reste de lem monde et
les hagages. Des ce moment, le décourage-
ment fut porté uu eomble; ils se plaignirent
plus amerement que jamais des chefs qui les
avaient arrachés de leur pays, et qui voulaient
les abandonner , et ¡Is demanderent a grallds
cris a regagncl' la Loire. En vain Larochejac-
quel~il1, a la tete des pI us hraves, voulut -íi
faire une nouvclle tentative pour les entralner
dans la Normandie; en vain marcha-t-il sur
Ville - Dieu, dont ii s'empara; iI fut a peine
suivi de mille hommes. Le reste de la colonne
reprjt le chemin de la Bretagne,




sur Pontol"son, par ou elle était arrivée. Elle
s'empara du pont au Beaux qui, jeté sur la
Selune, était indispensable ponr arriver a
Pontorson.


Pemlant que ces événements se passaient a.
Granville, \'armée républicaine avait été réor-
ganisée a Angers. A peine le temps nécessaire
ponr lui dormer un peu de repos et d'ordre
fut-il écoulé, qu'on la conduisit a Rennes,
pour la réunir aux six OH sept millehommes
de l'armée de Brest, commandés par Rossignol.
La, on avait arreté, dans un conseil de guerre,
les mesures a prendre pour continuer la pour-
suite de la colonne velldéenne. Chalbos malade
avait obtenu la permission de se retirer sur les
derrieres, pour y réparer sa san té; Rossignol
avait re(,;u des représentants le commandement
en chef de l'armée de rOuest et de ceHe de
Brest, formant en tout villgt ou vingt-nn mille
hommes. n fut résolu que ces deux armées se
porteraient tont de suite a Antrain; que le gé-
néral TriLont, qui était a Dol avec trois Ol!
quatre mille hommes, se rendrait a Pontorsol1,
et que le général Sepher, qui avait six mille
soldats de l' armée de Cherbourg, suivrait par
derriere la colonne vendéenne. Ainsi placée
entre la mer, le poste de Pontorson, l'armée


.r _-:,,~:Antrain, et Sepher qni arrivait a Avranches,
~,' ,It" ....


,'. .
/' -':". !. .. .. ,~~. ,


I .'


"




CúNVENTION NATlONALJ.: (1793). 77
ceUe colonne devait etre bientót ellveloppée
et détruite.


Toutes ces dispositions s'exécutaient au mo-
ment rrH~me 011 les Vendéens quittaient Avran-
ches, et s'emparaient du pont au Beaux pour
se rendre a Pontorson. C'était le ,8 novembre
( 2.8 brumaire). Le général Tribollt, déclama~
tellr sans connaissance de la guerre, n' avait,
pour garder Pontorson, qu'a oc~uper un pas-
sage étroit, a travers un marais qui couvrait
la ville, et qu'on ne pouvait pas tourner. Avec
une posítion aussi avantageuse, il pouvait em-
pechez' les Vendéens de faire un seul pas. Mais
aussit6t qu'i1 aper«;oit l'enncmi, ¡I abaudonne
le défilé, et se porte en avant. Les Vendéens,
encouragés par la prise du pont au Beaux, le
chargent vigoureusement, l'obligent a céder,
et, profitant du désordre de sa retraite, se jet-
tent a sa suite dans le passage qui traverse le
marais, et se rendent ainsi maitres de Pontor-
son, qu'ils n'auraient jamais dli aborder.


Grace a eette fante impardonnable, une route
inattendue s' ouvrit aux Vendéens. IIs pouvaient
marcher sur Dol; mais de Dol il leur fallait
aller a Antrain, et passersur le corps de la
grande armée républicaine. Cependant ils éva-
Cl1ent Vontorson, et s'avancenl sur Dol. Wes-
termallll se jette a ieur poursuite. TOlljours




l\.ÉVOLUTION FIlANqAISF..


:'ltIssi bouillant, iI entraine Marigny avec ses
grenadiers, et ose suivre les Vendéens jusqu'it
Dol, avec une simple avant-garde. llles joint
en effet, et les pousse confusément dan s la
ville; mais bien tat ils se rassurent, sortent de
Dol, et, par ces feux meurtriers qu'ils diri-
geaicnt si bien, ils obligent l'avant-garde ré-
publicaine a se retirer a une grande distan ce.


Kléber, qui dirigeait toujours \'armée par
ses cffilseils, quoiqu'un autre en fut le chef,
propose, p.our achever la destruction de la co-
lonne vendéenne, de la bloquer, et de la faire
périr de faim, de maJadie et de misereo Les
débandades étaient si fl'équentes dan s les trou-
pes républicaines, qu'une attaque de vive force
présentait des chances dangereuses. Au con-
traire, en fortitla n t An train , Po n torso n , Dinan,
on enfermait les Vendéens entre la roer et troís
points retranchés; et en les faisant harceler
tous les jours par Westermann et Marigny , on
ne, pouvait manquer de les détruire. I.es re-
présentants approuvent ce plan, et les ardres
sont donnés en cOllséquence. Mais tout-a-coup
arrive un officier de Westermann : il dit que
sÍ! on vent seconder son général et attaquer
Dol du caté d'Antrain, tandis qu'ill'attaquera
du coté de Pontorson, c'en est fait de l'armée
catholique, et qu'dle sera entierement perdue.




CONVENTION NATIONAU (' 793). 7'J
Les représentants s'enflamment a cette propo-
sition. Prieur de la Mame, aussi bouillant que
Westermann, fait changer le plan d'abord con·
venu, et ji est décidé que Marceau, a la tete
d'une colonne, marchera sur Dol, concurrem-
ment avec Westermann.


Le2 ( an matio, Westermann s'avance sur Dol.
Daus son impatience, il ne songe pas a s'assu-
rer si la colol1ne de Marceau , qui doit arriver
d' A~train, est déja rendne sur le champ de
bataille, et il attaque en toute hateo L'cnnemi
répond a son attaque par ses fenx redoutables.
Westel'mann déploie son infanterle, el gagne
du terrain ; mais les cartouches commencel1t
a manquer; iI est alors obljgé de faire un mou-
vement rétrograde, et il vient s'établir en
arriere sur un platean. Les Vendéens en pro-
fitent, se jettent sur sa cololme, et la disper-
~ent. Pendant ce temps, Marcean arrive enfin
a la vue de Dol; les Vendéens victorieux se ré·
unissent COl1tre lni; il résiste avec une fermeté
hérolque pendant toute la journée, et réussit
a se maintenir sur le champ de bataj1Je. Mai5
sa position est tres-hasardée; iI demande Klé.
ber, pour lui apporteli' des cOlllseils et des se-
wurs. Kléber accourt , et conseiUe de prendre
une position rétrograde, il est vl'ai, mais tres-
t'oll"te aux environs de Trans. On hésite encore




80 ItÉVOLUTJON FRAN~A.ISE.
a suivre l'avis de Kléber, lorsque la présence
des tirailleurs vendéens fait reculer les trou-
pes. Elles se débandent d'ahord, mais on les
rallie bientot sur la position indiquee par Klé-
ber. Kléber reproduit alors le premier plan
qn'íl avait proposé, et qui consistait a fortifier
Alltrain. On y adhere, mais on ne veut pas
retourner a Antrain, on veut res ter a Trans, et
s'y fortifier pOUl' etre plus pres de Do1. Tout-
a-coup, avec la mobilité qui présidait a toutes
les déterminations, on change encore d'avis,
et on se résout de nouveau a l'off,ensive mal-
gré l'expériencede la vcilIc. On envoÍe un reno
fort a Westermann, en lui ordonnant d'atta-
quer de son coté, tandis que l'armée principale
attaquera du coté de Trans.


Kléber objecte en vain que' les troupes de
Westermann, démoralisées par l'événement de
la veille, ne tiendront pas; les représentants
insistent, et l'attaque est résolue pour le len-
demain. Le lendemain , en effet, le mouvement
~'exécute. W pstermann el Marigny sout préve-
nus et assaillis par renuemi. Leurs troupes,
quoique soulenues par un renfort, se déban-
dento Ils font des efforts inouls ponr les arre-
ter; ils réunissent en vain quelqlles hraves
anto11r d'eux, pt sont bientót emportés., Les
Vendéens, vainqueurs, abandonnent ce point,




CONVFNTION NATIONALE (1793). 81
et se portent a leur droite, sur l'armée qui
s'avaIH;:ait de Trans.


Tandis qu'ils venaient d'obtenir cet avan-
tage, et qu'ils se disposaient a en remporter
un second, le bruit dn canon avait répandu
l'épouvante dalls la ville de Dol, et parmi ceux
d'entre eux qui n'en étaient pas encore sortis
pour combattre. Les femmes, les vieillards,
les enfants, et les Iaches, couraien t de tous
cotés, et fuyaient vers Dinan et vers la mero
Leurs pretres, la croix a la main, faisaient de
vains efforts pour les ramener. Stofflet, La-
rochejacquelein, couraient de toutes parts
pour les reconduire au combato Enfin OI! était
parvenu a les 'rallier, et a les porter sur la
rOllte de Trans, a la suite des braves qui les
avaient devancés.


Une confusion non moins grande régnait
rlaus le camp principal des républicains. Ros-
signol, les représentants, commandant tous a
]a fois) ne pouvaient ni s'entendre ni agir.
Kléber et Marceall, dévorés de chagrins, s'é-
taient avancés pOllr recounaitre le terrain, et
soutenir l'effort des Vendéens. Arrivé devant
l'ennemi, Kléber vent déployer l'avant-garde
de \'armée de Brest, mais elle se débande a11
premier coup de feu. Alors iI fait avancer ]a
hrig:lfle Canuel, composée en grallde partie


VI. tj




HÉVOLUTION l·'!l:\i\'(.::\ISJi.


de bataillons mayent¿ais : ceux-ci, fiJeJcs ir
leur vieille bl'avoure, résistent pendant toute
la journée, el demeurent seuls sur le champ
de bataille, abandonnés du reste des troupes.
Mais la bande veudéellIle q ni avait battu Wes-
termann, les prend en flanc, el les force a la
retraitc. Les Vendéens en profitent, et les
poursuivent jusqu'it Antrain meme. Enfin jI
devient urgent de quitter Antrain, et toute
l'armée républicaine se retire a Rennes.


C'est alors qu'on put sentir la sagesse des
avis de Kléber. Rossignol, clans l'un de ces
généreux mouvements dont il était capable,
malgré son ressentiment contre les généraux
mayeul{ais, parut au conseíl de gnerre avee
un papier contenant sa démission. «Je ne s\lis
«pas faít, dit-il, pour commander une armée.
« Qu'on me donne un bataillon, je ferai mon
«devoir; mais je ne puis suffire au eommau-
( dement en chef. Voici done ma démission,
(1 et, si OIl la refnse, on est ennemi. de la répu-
« bliqlle.») -- « Pas de démissiou, s'écl'ie Priellr
{( de la Mame, tu es le fils alué du comité de
« salut publico Nous te donnerons des géné-
« rallX qui te conseillel'ont, et qui répondront
{( pour toi des événements de la guerre.)) Ce-
pendant Klébel', dé solé de voir l'armée aussi
mal conduite, proposa un plan qui pouvait




CONVENTION NAJ'JONAL.E (1793). 83
seul I'établír l'état des affaires, mais qui était
bien peu approprié aux dispositions des repré-
sentants. Il faut, leur dit-il, en laissant le gé-
néralat a Rossignol, nommer un commandant
en chef des troupes, un commandant de la
cavalel'ie, et un de l'artillerie. On adopte sa
proposition; alors il a le courage de proposer
Marcean pour commandanten chefdestroupes,
Westermann puur commandant de la cavalerie,
et Debilly pour commandant de l'artillerie,
tous trois suspects comme membres de la fac-
tjon mayew;;aíse. On dispute un moment sur
les índívidus, puis ellllll on se rend, et on
cede a l'aseendant de cet habile et généreux
militaire, q \Ji aimait la répuLlique non par
exaltation de tete, mais par tempérament, qui
servait avec une loyauté, un désintéressement
admirables, et avait la passion et le génie de
son métier a un degré rareo Kléber avait fait
nommer Marcean paree qu'il disposait de ce
jeune et vaillant homme, et qu'il comptait sur
son entier dévouement. II était assuré, si Ros-
signol restait dan s la nullité, de tont diriger
lui-meme, et de terminer heurensement la
guerreo


On réunít la division de Cherbourg, qui
était venue de Normandie, aux armées de
Sres! et de l'Ouest, et on quitta ReJlnes pot!r


(j.




RÉVOLllTION FnAN~;\ISI¡.
s'acheminer vers Angers, ou les Vendéen~
cherchaient a passer la Loire. Ceux-ci, apres
s\~tre assurés un moyen de retour, par leUT
c1oublevictoire sur la route de Pontorson et sur'
ceHe d'Antrain, songerent a rentrer dans leur
pays. Ilsrepasserent sans coup férir par Fougeres
et Laval, et projeterent de s'emparer d'Angers,
pour traverser ]a Loire au pont de Cé. La der-
niere expérjence qu'i1s avaient faite a Gran-
ville, ne les avait pas encoreassez convaincus
de leur impuissance a prendre des places fer-
mées. Le 3 décembre, ils se jeterent dans les
f:mbourgs d' Angers, et commencerellt a tirail-
Jer sur le front de ]a place. IIs continuerent ]e
lendemain; mais, quelle que fut ]ellr ardeur a
s'ouvrir un passage vers Ieur pays, dont ils
u'étaient plus séparés que par la Loire, iIs
désesperent bientot de réussir. L'avant-garde
de Westermann, arrivant dans cette journée
du 4, acheva de les décourager, et de leur faire
abandonner leur entreprise. Ils se mirent alors
en marche, remontant la LoÍre, et ne sachant
plus ou ils pourraient la passer. Les uns ima-
ginerent de remonter jusqu'a Saumur, les
autres jllsqu'il Blois; mais, dans le moment ou
lis délibéraient, Kléber, survenant avec sa di-
vision le long de la chaussée de Saumur, les
uhligea a se rejeler de nouveau en Bretagne.




CONVENTION NATIONALE (1793). 85
Voila done ces malhelll'ellX manquau~ de
vivres, de souliers, de voitures pour trainel'
leul's famille5, travaillés par une maladie épi-
démique, errant de nOl,lveau en Bretagne, sans
trouver ni un asile, ni un.e issue pour se sau-
ver. lis jonchaient les routes de leurs débris;
et au bivouac e1evant Allgers, 011 trouva des
femmes et des enfants morts de faim et de
froid. Déja ils commen<{aient a croire que la
convention n'en voulait qu'a leurs chefs, et
beallcoup jetaient leul's .armes. pour s'eofuil'
claodestioement a traversJes campagnes. Enfin,
ce qu'on leur dit du Mans, de l'abondance
qu'ils y trouveraient, des dispositions des ha-
bitants, les engagea a s'y portero Ils traver-
serent IJa Fleche, dont ils s'emparerellt, et
entrerent au Mans apres une légere escar-
mOnche,


I..'armée républicaine les suivait. De nouvelles
querelles s'y étaient élevées entre les généraux.
Kléber a vait intimidé les brouillons par sa fer-
meté, et obligé les représentallts a renvoyel'
Rossignol a Reunes, avec sa division de I'al'-
mée de Rrest. Un arre té du comité de salut
public donna alors a Marc~au le litre de gé-
néral en chef, et destitua tous les généraux
mayen~ais, en laissant néanmoillS a Marceau
la faculté de se servir provisoirementde KlébeJ·.




86 ltÉVOLUTJON FRANC,AlSf:.
Marceau déclara qu'il oe commanderait pas,
si Kléber n'était pas a ses cótés pour tout or-
donner. (( En acceptant le titre, dit Marceau a
({ Kléber, je prends les dégoúts et la respon-
« sabilité pour moi, et je te laisserai a toi le com-
t( mandement véritable, et les rrlOyens de sauver
(( l'armée.» - ,e Sois tranquille, mon ami, dit
( Kléber; nous nous battroos, et nous nous
« ferons guillotiner ensemble. »


On se mit dOQC aussitót en marche, et des ce
moment tout fut conduit avec Imité et fermeté.
L'avant-garde de Westermann arriva le ] 2. dé-
cembre au .Mans, et chargea aussitot les Ven-
déens. La confusion se mit parmi eux; mais
quelques mille braves, conduíts par Laro-
chejacquelein, vinrent se former en avant de
la ville, et forcerent Westermann a se replier
sur Marceau, qui arrivait avec une division.
Kléber était encore en arriere avec le reste
de l'armée. Westermann voulait attaquer sur-
le-champ, quoiqn'il fút nuit. Marcean, entrainé
par son tempérament bouillant, mais craignant
le bUme de Kléber', dont la force froide et
calme ne se laissait jamais em porter, hésite;
cepeodaot, emporté par Westermann, il se
décide, et auaque le Mans. Le tocsin sonne,
la désolation se répand dans la ville. Wester-
mano, Marcean, se précipitent au milieu de




CO"iVICNTW;.v NATlONALE (1793 !. fh
la Huit, eulbutcnt tout devant eux, et, malgré
un feu terrible des maisons, parviennent ú
refouler le plus grand nombre des Vendéens
sur la grande place de la' ville. Marceau fait
couper a sa droite et a sa gauche les rues
~Ibontissant a eette place, et tient ainsi les Ven-
déens bloqués. Cependant sa po sitio n était
hasardée, cal', engagé dans une ville au mítieu
de la nuít, il aurait pu etre tourné et enve-
loppé. 11 envoie done un avis a Kléber, pour
le presser d'accourir au plus vite avec sa di-
visiono Celui-ci arrive a la pointe du joul'. Le
plus grand nombre des Vendéens avait fui; il
ne restait que les plus braves ponr protéger la
retraite : 011 les charge a la balonnette, on les
enfonee, on les disperse, et un carnage horrible
commence dans toute la ville.


Jamais déroute n'avait été aussi meurtriere.
Une foule con5idérable de femmes, laisséesen
arriere, furent faítes prisonnieres. Marcean
sauva une jeune personne qui avait perdu ses
parents, et qui, dans son désespoir, demandait
qu'on luí donnat la mort. Elle était modeste
et belle; Marceau, pleiH d'égards et de déli-
catesse, la recueillit dans sa voiture, la res-
pecta, et la fit déposer dan s un lieu sur. Les
campagnes étaient couvertes au loin des dé-
bris de ce grand désastre. Westermann, illfa-




88 RÉVOLUTION FRAN<;AJSE.
tigable, harcelait les fugitifs, et jonchait les
routes de cadavres. Les infortunés, ne sachant
ou fuir, rentrerent dans Laval pour la troisieme
foís, et en ressortirent aussitót pour se re-
porter de nouveau vers la Loire. lis voulurent
la repasser a Ancenis. Larochejacquelein et
StoffIet se jeterent sur I'autre bord, pour
aller, dit-Oll, prendre des barques et les ame-
ner sur la rive droite. lis ne revinrent plus.
On assure que le re tour leur avait été impos-
sible. Le passagene put s'effectuer. La colonne
vendéenne, privée de la présence et de l'appui
de ses dellx chefs, continua de descendre la
Loire, toujours poursllivie, et toujours cher-
chant vainement un passage. Enfin, désespé-
rée, ne sachant ou se porter, elle résolut de
fuir vers la pointe de Bretagne, daus le Mor-
bihan. Elle se rendit a Blaill, ou elle rem-
porta encore un avantage d'arriere-garde; et
de Blain a Savenay, d'ou elle espérait se jeter
dans le Morbihan.


Les répllblicains l'avaient suívie sallS rela-
che, et ils arríverent a Savenay le soir meme
<lu jour oú elle y entra. Savenay avait la Loire
it gauche, des marais a droite, et un bois en
avant. Kléber sentit I'importance d'occuper le
hois le jour meme, et de se rendre maitre de
toutes les hautellrs, afin d'écrasel' le Ieuc!e-




CONVENTION NAT/ONALE. (1793). 89
main les Vendéens dalls Savenay, avant qu'ils
eussent le tempsd'en sortir. En effet, il lan<,;a
l'avant-garde sur eux; et lui-meme, saisissant
le moment ou les Vendéens débollchaient du
bois, ponr repousser cette avant-garde, s'y jeta
hardiment avec un corps d'infanterie, et les
en débusqua tout-a-fait. Alors ils s'enfuirent
daos Savenay, et s'y enfermerent, sans cesser
lléanmoins de faire un fen soutenu pendant
toute la nuit. Westermann et les représentants
proposaient d'aUaquer sur-Ie-champ, pour
tout détruire des la uuit meme. Kléber, qui
ue vou/ait pas qu'une faute lui fit perdre une
victoire assurée, décIara positivement qu'on
n'attaquerait pas; et puis 1 s' enfoll<;ant dans un
sang-froid imperturbable, il laissa dire, sans
répondre a aucune provocation. Il empecha
ainsi toute espece de mouvement.


Le lendemain, 23 décembre, avant le jour, il
était a eheval avee Marceau, et pareourait sa
ligne, lorsque les Vendéens, désespérés et ne
voulant pas survivre a celte journée, se préei-
pitent les premiers sur les répuLlicains. Mar-
ceau marche avec le centre, Canuel avec 6a
droite, Kléher avec la gauche. Tous se préei-
pitent et reploiellt les Vendéens sur eux-memes.
,\farceau et Kléber se réunissellt dans la viHe,
prenncnt tout ce qu'ils rencontrent de cava-




90 II EVOLIJ'l'lON .FR AN(.:A 1St:.
lerie, et s'élancellt a la suite des Vendéens. La
Loire et les marais interdisaient toute retraite
a ces infortunés ; un grand nombre fut immolé
á coups de baionnettes, d'autres furent faits
prisonniers, et a peine quelques-uns trouve-
rent-Hs le moyen de se sauver. Ce jour, la co-
lonne fut entierement détruite, et ]a grande
guerre de la Vendée véritab]ement finje.


Ainsi, cette malheureuse population, rejetée
hors de son pays par l'imprudence de ses chefs,
et réduite a chercher un port pour se réfugier
vers les Anglais, avait mis vainement le pied
dalls les eaux de l'Océan. N';ryalJt pu prendre
Gra~ville, elle avait été ramenée sur la Loire,
n'avait pu la repasser, avait été refoulée une
seconde foís en Bretagne, et de Bretagne sur
la Loire encore. Enfin, ne pouvant franchir
eette barriere fataJe, elle venait d'expirer tont
entiere, entre Savenay , la Loire et des marais.
Westermann fut chargé, avec sa cavalerie, de
poursuivre les restes fugitifs de la V cndée.
Kléber et Marceau retournerent a Nantes.
Rel;{us, le 24, par le peuple de eette ville, ils
<9bti*rent une espece de triomphe, et furent gra-
tifiés par le club jacobin d'nne couronne civique.


Si ron considere dans son ensemble eette
eampagne mémorable de 93, on ne ponrra
s' empecher de la reg-arder enmme le plus grawl




CONVENTION NATIONALE (1793). 91
effort qu'ait jamais htit une société menacée.
Dans l'année 1792, la coalition, qui n'était pas
complete encore, avait agi salls ensemble et
sans vigueur. Les Prussiens avaient tenté en
Champagne une invasion ridieule; les Autri-
ehiens s'étaient bornés dans les Pays-Basa bom-
barder la place de Lille. Les Fran<;ais, dans
leur premiere exaltation, repousserent les
Prussiens au - deJa du Rhin, les Autriehiens
au-dela de la Meuse, conquirent les Pays-Bas,
Mayence, la Savoie et le comté de Nice. La
grande année 93 s' ouvrit d'une maniere bien
différente. La coalition était augmentée des
trois puissances quí jusque-la étaient restées
ueutres. L'Espagne, poussée a bout par le 21
janvier, avaít en fin porté einquante mille
hommes sur les Pyrénées; la France avait obligé
Pitt a se déclarer; et l'Angleterre et la Hollande
étaient entré es a la foís rlans la coalition, quí
se trouvait ainsi doublée, et qui, mieux avertie
des moyons de l'ennemi qu'elle avait a eom-
hattre, augmentait ses forees, et se préparait a
un cffort décisif. Ainsi, comme sousLouis XIV,
la Franee avait a soutenir l'attaque de l'Europe
entiere; et eette foís elle ne s'était· pas attiré
ce coneours d'ennemis par son ambition, mais
par la juste colere que luí inspira l'intervention
des puissances <fans ses affaire s intérienres.




RÉVOLUTJON }'RAN<;:AISE.


Des le mois tIe mars, Dumouriez débuta par
une téméri.té, et voulut envahir la Hollande en
se jetantdans des bateaux. Pendant ce temps,
Cobgurg surprit les Iieutenants de Dumouriez,
les rejeta au-dela de la Meuse, et le for~a llli-
IDeme a venir se rnettre a la tete de son ar-
mée. Dumouriez fut obligé de livrer la bataille
,de Nerwinde. eette terrible bataille était ga-
gnée, lorsque l'aile gauche fléchit, et repassa
la Gette; iI fallut hattre en re traite , et nous
perdlmes la Belgique en quelques jours. Alors
! es revers aigrissant les cceurs, Dllmouriez
rompít avec son gouvernement, et passa aux
Autrichiens. Dans le rneme instant, Cllstine,
battu a Francfort, ramené sur le Rhin, et sé~
paré de Mayence, laissait les Prussiensbloquer
eette place fameuse, et en commencer le siége;
les Piémontais nous repoussaient a Saorgio,
JesEspagnols entamaient les Pyrénées ;et enfin
les provinces de rOuest, déja privées de leurs
pretres et poussées a bout par la levée des
trois ccnt mil1e hommes, venaient de s'jnsur-
ger an llom du treme et de l'autel. e'est dans
ce moment que la Montagne, exaspérée de la
désertioIl de Dumouriez , des défaites essuyées
dans les Pays-Bas, sur le Rhin, aux Alpes, et
slIrtout de l'insurrection de l'Ouest, ne garda
plus ancune mesure, arracha violemmeut les




CONVENTJOi\ ~>.¡AT10NAl.E (1793). 93
girondins du sein de la convention, et repoussa
aillsi tous ceux qui pouvaient lui parler encore
cle modération. Ce nouvel exd~s lui valut de
nouveaux ennemis. Soixante - sept départe-
ments sur quatre - villgt - trois se souIeverent
contre ce gouvernement, qui eut alors a lutter
contre l'Europe, la Vendée royaliste, et les trois
quarts de la France fédéralísée. C'est a cette
époque quenous perdimes le camp de Famars
et le brave Dampierre, que le bIocus de Va-
lenciennes fut achevé ,que Mayence fut pres-
sée vivement, que les Espagnols passerent le
l'ech, et menacerent Perpignan, que les Ven-
déens prirent Saumur et assiégerent Nantes,
que les fédéralistes se dispos.erent a fondre de
Lyon , de Marseille, de Bordeaux et de Caen,
sur Paris.


De tons les points 011 pouvait tenter une
marche hardie sur la capitale, terminer la ré-
vollltion en quelques journées , et suspendre
la civilisation européenne pour long-temps.
Heureusement on assiégea des places. On se
souvient avec quelle fermeté la convention fit
rentrer les départements dans la soumission ,
en leur montrant seulcment son autorité, et
en dispersant les imprudents qui s'étaient avan-
ds jusqu'a Vernon; avec quel bonheur les
Vendéens fllrent repoussés de Nantes, et ar-




HÉVOLlITION 1'!\c\NI,:'\JSE.


relés dalls leu!' marche victorieuse. Mais tandis
que la convention triomphait des fédéralistes,
ses autres ennemis avaient fait des progre s
alarmants. Valenciennes et Mayence furent
prises apl'es des siéges mémorables; la guerre
du fédéralisme amena deux événements désas-
tl'eux, le siége de Lyon, et la trahison de
Toulon; enfin, la Vendée elle-meme, quoique
renfermée dan s le cadre de la Loire, de la me1'
et du Poitou, par l'heurcuse résistance de
Nantes, venait de repousser les colonnes de
Westermann et de Labaroliere, qui avaient
voulu pénétl'er dans son sein. Jamais la situa-
tion n'avait été plus grave. Les coalisés n'étaient
plus arretés an Nord et au Rhin par des sié-
ges; Lyon et Tonlon offraient aux Piémontais
de solides appuis; la Vendée paraissait in-
domptable, et' offrait un pied-a-terre aux An-
glais. e'est alol's que la convention appela a
París les envoyés des assemblées primaires,
leul' donna la constitution de l'an lB a jurel' el.
a défendre, et décida avcc eux que la Francc
entiere, hommes et dlOses, était a la disposi-
tion du gouvernement. Alors fut décrétée la
levée en masse, génération par génération,
et la faculté de requél'ir tout ce qui serait né-
cessaire a la guerre; alors fut institué le grand-
livre, et l'emprunt forcé sur les riches, pOUl'




C()\Vl'IHIO~ "' ATlUNALE (1 7!¡3). 9:'
retirer de la circuIation une partie des assl-
gnats et opérer le placement forcé des biens
nationaux; alors deux grandes armées furent
dirigées sur la V endée; la garnison de Mayence
y fu L transportée en poste; iI fut résolu que
ce malheureux pays serait brúlé, et que la po-
pulation en serait transportée ailleurs. Enfin.
Carnot entra au comité de salut public, et
commenc;a a introduire l'ordre et l'ensemble
clans les opérations militaires.


Nous avionsperdu le camp de César, etKil-
maine avait, par une retraite heureuse, salivé
les restes de l'armée du Nord. Les Anglais s'l'--
taient portés a Dunkerque, et en faisaient le
siége,. tandis que les Autriehiens attaquaient
Le Quesnoy. Une masse fut rapidementdirigée
de Lille surles derrieres du duc d'York. Si Hou-
ehard, qui eommandait en eette occasion
soixante mille FI'aIH;;ais, avait compris le plan
de Carnot, et s' était porté sur Furnes, pas· un
Anglais n'était sauvé. Aa líeu de se placer entre
le corps d'observation et le eorps de siége, iI
prit une marche directe, et décida da moins
la levée du siége, en donnant l'hellrellse ba-
taille d'Hondtschoote. Cette bataille fut notre
premiere victoire, sauva Dunkerque, priva les
Anglais de tous les fruits de cette guerr-e, el
nous relldit la joie et l'espérance.




96 nÚVOUiTION FRA.Ny,\.ISE.
Bientot de lJouveaux revers changerent eette


joie en nouvelles alarmes. Le Quesnoy fut pris
par les AutI'iehiens; l'armée de Houehard fut
saisie a Menin d'une teI'rellI' panique, et se dis-
persa; les Prnssieus el les Autrichiens, que rien
n'arretait plus depuis la prise de Mayence, s'a-
vanceI'ent sur les deux versants des Vosges,
menacerent les lignes de Wissemhourg, et
1I0US battiI'ent en di verses reneontres. Les
Lyonnais résistaient ave e vigueur, les Piémon-
tais avaient recouvré la Savoie, et étaient des-
cendus vers Lyon pouI' mettre notre aI'mée
entre deux feux; Ricardos avait franchi la Tet,
et dépassé ·Perpignan; enfin la division des
troupes de l'Ouest en deux armées, ce He de
La Roehelle et eeHe de Brest, avait empeché
le sllcces du plan de campagnearreté a Sau-
mur le !l septembre. Canclaux, mal seeondé par
Rossignol, s'était trouvé seul en fleche dans le
sein de la Vendée, et s'était replié sur Nantes.
Alors nouveaux efforts: la dictature fut com-
plétée et proclamée par l'institution du gou-
veI'nement révolutionnaire; la puissance dll
comité de salut public fut proportionnée au
danger; les levé es furent exéeutées, et les ar-
mées grossies d'une multitmle ele réquisition-
naires; les nouveaux venus remplirent les gar-
nisons, et permirent de porter les troupes




CONVENTION NA TlON ALE (1793). 97
organisées en ligne; enfin la conventioll or-
donna aux armées de vaincre dans un délai
aonné.


Les moyens qu'elle avait pris produisirent
Ieurs inévitables effets. Les armées du Nord
renforcées, se concentrerent a LiBe et a Guise.
Les coalisés s'étaient portés a Maubeuge. qu'ils
voulaient prend.re avant la fin de la campagne.
Jourdan, parti de Guise, livra aux Autrichiens
la bataille de Watignies, et fit lever le siége de
Maubeuge, eomme Houchard avait fait lever
eelui de Dunkerque. Les Piémontais furent
rejetés au-deJa du Saint:Bernard par KelJer-
mann; Lyon, inondé de levé es en masse, ful
emporté d'assaut; Ricardos fut repoussé au-
cicla de la Tet; enfin les deux armé es de La Ro-
chelle et de Brest, réunies sous un seul chef,
Léchelle, qui laissait agir Kléber, écraserent
les Vendéens a ChoUet, et les obligerent 11
passer la Loire en désordre.


Un seul revers troubla la joie que devaient
eauser de teIs événements : les lignes de Wis-
sembonrg furent perdues. Mais le comité de
salut public ne voulut pas terminer la cam-
pagne avant qu'elles fussent reprises : le jeune
Hoche? général de l'armée de la Moselle, mal-
heureux, mais brave a Kayserlautern, fut en-
couragé qlloique battu. N'ayant pu entamer


VI.




98 UÉVOLUTION 1!'RAN~AISE.
Brunswick, íl se jeta sur le flanc de W urmser.
Des ce moment, les deux armées du Rhin et
de la Moselle réunics repollsserent les Autri-
chiens au-dela de Wissembourg, obligerent
Brunswick a suivre ce mouvement rétrograde,
débloquerent Landau, et camperent dans le
Palatinat. Toulon fut repris par une idée heu-
reuse et par un prodige de hardiesse; enfin,
les Vendéens, qu' on croyait détruits, mais qui,
dans leur désespoir, s' étaien t portés au nombre
de quatre-vingt mille individus au-dela de la
Loire, et cherchaient un port pour se jcter dans
les bras des Anglais, les Vendéens furent repous-
sés des bords de l'Océan, repoussés également
des bords de la Loire, et écrasés entre ces deux
barrieres qu'ils ne purent jamais franchir. Aux
Pyrénées seulement nos armes avaient été
malheureuses, mais nous n'avions perdu que
la ligne du Tech, et nous campions encore en
avant de Perpignan ..


Ainsi, cette grande et terrible année nous
montre l'Europe pressRnt la révolutÍon de tont
son poids, lui faisant expier ses premiers snc-
ces de 92, ramenant ses armées en arriere, pé-
nétrant par toutes les frontieres a la fois; et
une partie de la France s'insurgeant, et ajou-
tant ses efforts a ceux des puissances enne-
mies. Alors la r{>vollltion s'irrite : elle faÍt écla-




CONVENTION N ATION ALE ('793). 99
tel' sa eolere au 31 maí, se el'ée, par cette
journée, de nouveaux ennemís, et semble prete
a succomber contre l'Europe et les trois quarts
de ses provinees révoltées, Mais bientot elle fait
rentrer ses ennemis intérieurs dans le devoir,
souleve un million d'hommes a la fois , bat les
Anglais a Hondtsehoote, est battue de nou-
veau, mais redouble aussitot d'efforts, gagne
une bataille a Watignies, recouvre les lignes de
Wissembourg, rejette les Piémontais au-dela
des Alpes, prend Lyon, Toulon, et éerase denx
fois les Vendéens, une premiere foís dans la
Vendée, et une seeonde et derniere fois en
Bretagne. Jamais speetacle ne fut plus grand
et plus digne d't~tre proposé a l'admiratíon et
a l'imitation des peuples. La Franee avait re-
eouvré tont ce qu'elle avait perdu, excepté
Condé, Valeneiennes et quelques forts dans le
Roussillon ; les puissances de l'Enrope, an con-
traire, qui avaient toutes ensemble luué contre
une seule, n'avaient rien obtenu, s'aecusaient
les unes les autres, et se rejetaient la honte de
la campagne. La FraIlee aehevait d'organiser
ses moyens, et devait paraitre bien plus for-
midable l'année suivante.




'j '.




CONVENTION NA'l'JONALJ.: (1793). JO 1


CHAPITRE 111.


SuiM de la lutte des hébertistes el des dalltonistes. - Ca·
. mille Desmoulins publie le rieux Corde/ier. - Le co-


mité se place entre les deux partis, et s'attache d'abOl'd
a réprimer les hébertistes. - Disette dans Paris. -
Rapports importants de Robespierre et de Saint-Jllst.
- Mouvement tenté par les hébertistes. - Arrestation
et mort de Ronsin, Vincellt, Hébert, Chaumette, Mo-
moro, etc. - Le comité de salllt public fait subir le
meme 50rt aux dantonistes. ~ Arrestation, ploce5 et
snpplice de Danton, Camille Desmoulins, Philipeanx,
I,acroix, Hérault-SécheJles, Fabre- d'Églantine, Cha-
bot, etc.


LA convention avait commencé d' exercer quel-
ques sévérités envers la faction turbulente des
cordeliers et des agents ministériels. ROQsin et
Vincent étaient en prison. Leurs partisans s'a-
gitaient au dehors. MomOl'o, ame Cordeliers,




102 RÉVOLUTIOl'I }'RAN~AISE.
Hébert, aux Jacobins, S' efforl,!aient d' exciter en
favenr de leurs amis l'intéret des chauds révolu-
tionnaires. Les cordeliers firent une pétition,
et, d'un ton assez pen respectuenx , demande-
rent si on voulait punir Vincent et Ronsin
d'avoir courageusement ponrs~ivi Dumouriez, .
Custine et Brissot; ils déclarerent qu'ils regar-
daient ces deux citoyens comme d'excellents
patriotes, et qu'ils les conserveraient toujours
comme membres de leur société. Les jacobins
présenterent une pétition plus mesurée, et se
bornerent a demander qu'on accélérat le rap-
port sur Vincent et Ronsin, afin de les punir
s'ils étaient coupables, ou de les rendre a.la
liberté s'ils étaient innocents.


Le comité de salut publi'c gardait encore le
silen;:e. Collot·d'Herbois seul, quoique mem-
bre·du comité et partisan obligé du gouverne-
ment, inontra le plus granel tele -ponr Ronsin.
Le motíf en était naturel: Íá cause de Vincent
lni était presqne étrangere , mais ceHe de Ron·
sin, envoyé a Lyon avec lui, et de plus
exécutenr de ses sanglantes ordonnances, le
touchait de tres - pr,i~s.; Collot - cl.'IIerhois avait
soutenn avec Ronsin qn'i\n'yavait qu'un cen-
tiem~ des. Lyonuais qui fussent patriotes; qu'il
fallait déporter 011 immoler le reste, charger
le Rhone de cadavres, effrayer tout le Midi de




C01'lVliNTJON lHTJOi'iAÚ (J793). \03
ce spectacle, et frapper de terreur la rebelle
cité de 1'ou10n. Ronsin était en prison pour
avoir répété ces horribles 'expressions dan s
une affiche. Collot - d'Herbois, rappelé pOUI'
rendre compte de sa missioll, avait le plus
grand intéret a justifier la conduite de Ronsin,
afin de faire approuver la sienne. Dans ce mo-
ment, iI arrivaitune pétition signée de que1qlles
citoyens lyonnais, qui faisaient la peinture la
plusdéchirantedes maux de leurville. lIs mon-
traient les mítraiUades succédant aux exécu-
tions de la guillotine, une population elltiere
menacée d'extermination, et une cité riche el
manufacturiere démolie, non plus avec le mar-
lea u , mais avec la mine. Cette pétition, que
quatre citoyens avaient eu le courage de si-
gner, produisit une impression douloureuse
sur. la convention. Collot.d'Herbois se hatade
faireson' rapport ,et, dans son ivresse r.évo-
lutionnaire, il présentaces tercibles.exécutions
comme elles s'offraient :'t sa propre imagina-
tion, c'est-a-díre comme in'dispensabIes et tOlltes
naturelles. - c( Les Lyonnais, dit- iI en subs-
tance, étaient vaincus, mais ils disaient haute-
ment qu'ils 'prendraient bientot Ieur revanche.
Il fallait frapper de terreur ces rebelles encore
insollmis; et avec eux, tous ccux qui VOIl-
draient les imiter; iI fal1ait un exemple prompt




104 ntvOI.UTlON FRAN<;:AlSE.
et terrible. L'instrument ordillaire de mort n'a-
gissait point assez vite; le marteau ne démo-
lissait que lentement. La mi traille a détruit les
hommes, la mine a détruit les édifices. Ceux
qui sont morts avaienttous trempéleurs mains
dans le sang des patriotes. Une commission po-
pulai .. e les choisissaitd'un coup d'reil prompt et
sur dans la foule des prisollniers; et on n'a lieu
de regretter aUCUIl de ceux quí ont été frappés. »
- Collot·d'Herbois obligea la convention éton-
llée a approuver ce quí lui semblait a luí-meme
si llaturel; il se rendit. ensuite aux Jacobins
pour se plaim]re a eux de la peine qu'il avait
eue a justifier sa conduite, et de la compas-
sion qu'avaient inspirée les Lyonnais. (( Ce ma-
(( tin , j'ai eu besoin, dit - ii, de me servil' de
( circonlocutions pour faire approuver la mort
«( des traitres. On pleuraít ,on demandait .r'ils
« étaient morts du premiercoup! ... Du premier
( coup, les· cOlltre-révolutionnaires 1 et Chalier
« est-il mort du premier coup * l. .... Vous vous
(( informez, disais-je a la convention, comment
( sont morts ces hornmes qui étaient couverts du
( sang de nos freresl S'ils n'étaient pas morts,


* Ce rnontagnard, condarnlli: par les fédéralistes lyon-
uais, avait été mal exéclIté par le bOllrreau , qui avait été
obligé de revenir jus'lu'it tl'ois foís pour faire tomber sa
tete.




CONVENTION NATIONALE (1793). J05
(e VOllS ne délibéreriez pas ici ! ... Eh hien! a peine
« entendait - OH ce langage! Ils ne pouvaient
« entelldre parler des morts; ils ne savaient pas
« se défendre des ombres ! )) Passant ensuite a
Ronsin, Collot - d'Herbois dit que ce général
avait partagé tous les dangers des patrio tes dan s
le Midi, qu'il y avait bravé avec lui les poignards
des aristocrates, et déployé la plus grande fer-
meté pour y faire respecter l'autorité de la répu·
blique; que dan s ce moment tous les aristoerates
se réjouissaient de son arrestation, et y voyaient
ponr enx-memes un sujet d'espoir.-«Qu'a done
fait Ronsin pour etre arre té ? ajoutait ColIot. Je
l'ai demandé a tout le monde; personne n'a
pu mele dire.)) -Le lendemain de eette séance,
dans ceHe du 3 nivose, Collot, revenant a la
charge, vint annoncer la mort du patriote
Gaillard , lequel, voyant que la eonvention
semblait désapprouver l'énergie déployée a
Lyon, s'était dOIlné lamort.-« Vousai-je trom-
pés, s'éeria Collot, quand je vous ai dit que les
patriotes al/aient etre réduits au désespoir, sí
l'esprit public venait a baisser ici ? »


Ainsi, tandis que deux chefs des ultra-révo-
lutionnaires étaient enfermés, leurs partisans
s'agitaient pour eux. Les clubs, la eonvention
étaient troublés de réclamations en leur faveur,
et un membre meme du comité de salut ¡m-




106 nÉvoLuTION FllANqAlsI"
blic, compromis dans leur systeme sanguinaire,
les défendait pour se défendre lui-meme. Leurs
ad versaires" commew;;aient, de leur coté, a
meÚre la plus grande énergie dans leurs atta-
queso Philipeaux, revenu de la Vendée, et plein
d'indignation contre l'état- major de Saumnr,
voulait que le comité de salut public, parta-
geant sa colere, poursuivit RossignoI, Ronsin
et autres, et vit une trahison dans la non-
réussite du plan de campagne du 2 septembre.
On a déja vu combien iI y avait d'e torts réci-
proques, de rnalentendus, et d'incompatibilités
de caractere, dans la conduite de cette guerreo
Rossignol et l'état-major de Saumur avaient en
de l'humeur, mais n'avaient point trahi; le co-
mité!, en les désapprouvant, ne pouvait lem
faire essuyer une condamnation qui n'aurait été
ni juste ni politiqueo Robespierre aurait voulu
qu'on s'expliquat a l'amiable; mais Philipeaux,
impatient, écrivit un pamphlet virulent ou j[
raconta toute la guerre, et ou il mela beaucoup
d'erreurs a beaucoilp de vérités. Cet écrit de-
vait produire la plus vive sensation, car iI at-
taquait les révolutionnaires les plus prononcés,
et les accusait des plus affreuses trahisons,
« Qu'afait Ronsin? disait Philipeaux; beau-
« COllp intrigué, beaucoup volé, beaucoup
« menti ~ Sa sente expédition c'est ecHe do I t{




CONVENTION NATIONAI.E ([793). 107
« septernbre, ou iI fit accabler quarante-einq
« milIe patriotes par trois mille brigands; e'est
ce eette journée fataJe de Coron, ou, apres avoir
« disposé notre artillerie dans une gorge, a la
« tete d'une colonne de six lieues de flane, iI
ce se tint caché dans une étable eomme un la-
ce che eoquin, a deux lieues du ehamp de ba-
({ taille, ou nos infortunés eamarades étaient
(e foudroyés par leurs propres eanons. » Les
expressic)l1s n'étaient pas ménagées, comme on
le voit, daris l'écrit de Philipeaux. Malheureu-
sement, le comité de salut public, qu'il aurait
du mettre dans ses intérets, n'étáit pas traité
avec beaucoup d'égards. Philípeaux, mécon-
tent de ne pas voir son indignatíon assez par-
tagée, semblait imputer au comité une partie
des tort5 qu'il reprochait a Ronsín, et employait
meme cette expre5sion offensante : Si vous
n' avez été que trompés.


L' écrit, comme nous venons de le dire, pro-
duisit llne grande sensation. CamilIe DesmOll-
lins ne eonnaissait point Philipeaux; mais,
satisfait de voir que dans la Vendée les ultra-ré-
volutionnaires avaient autant de torts qu'a Pa-
ris, et n'imaginant pas que la colere eut aveu-
glé Philipeaux jusqu'a lui faire changer des
fautes en trahison, illut son pamphlet avee em-
pressement , admira son coura ge, et, dans sa




J 08 RÉVOLUTION FUANyAISE.
naiveté, iJ disait a tout le monde: A vez-vous lu
Philipeaux ? .. Lisez Philipeaux ... - Tou't le
monde, suivantlui, devait lirecetécrit,qui pro u-
vajt les dangers qu'avait courus la république,
par la faute des exagérés révolutionnaires.


CamilJe aimait beaucoup Danton , et en était
a.imé. Tous deux pensaient que la république
étant sauvée par ses dernieres victoires, il étail
temps de mettre fin a des cruautés désormais
inutiles; que ces. cruautés prolongées plus long-
temps ne seraient propres qu'a compromettre
la révolution, et que l'étranger pouvait seul en
désirer et en inspircr la contilluation. Camille
imagina d'écrire un nouveau journal qu'il in-
titula Le Vieux Cordelier, car Danton et lui
étaient les doyens de ce club célebre. Il dirigea
sa feuille contre tous les révolutionnaíres nou-
veaux, ql1i voulaíent renverser et dépasser les
révolutioIlnaires les plus anciens et les plus
éprouvés. Jamais cet écrivain, le plus remar-
quable de la révolution , et l'un des plus nalfs
et des plus spiritllels de notre langlle, ll'avait
déployé autant de grace, d'originalité et meme
d'éloquence. II commen~ait ainsi son premier
nurnéro (15 frimaire): « O Pitt! je rends horn-
«( mage a ton génie! Quels nouveaux débarqués
« de France en Angleterre t'ont donné de si
,( bons conseiJs , et des moyens si surs de plT>




CONVENTION NATIONALF. (1793). 109
« dre ma patrie? Tu as vu que tu échouerais
« étcrnellement contre elle, si tu ne t'attachais
« a perdre dan s l'opinion publique ceux qui,
« dcpuis cinq ans, ont déjoué tous tes projets.
« Tu as compris que ce sont ceux qui t'ont
« toujours vaincu qu'il falIait vaincre; qu'il
« fallait faire accuser de corruption, précisé-
(e ment ceux. que tu n'avais pu corrompre, et
t( d'attiédissement ceux que tu n'avais pu at-
« tiédirl J'ai ouvert les yeux, ajoutait Des-
« moulins, j'ai vule nombre de nos ennemis :
« lellr multitude m'arrache de l'hotel des ln-
« valides, et me ramene au combato 11 faut
« écrire, il faut qui tter le crayon lent de l'his-
l( toire de la révolutÍon, que je tra~ais au COÍll
« du feu, pour reprendre la plume rapide et
(( haletante du journaliste, et suivre, a bride
« abattue, le torrent révolutionnaire. Député
le consultant que personne ne consultait plus
« depuis le 3 juin, je sors de mon cabinet et
« de ma chaise abras, ou j'aí eu tout le loisir
« de suivre, par le menu, le nouveau systeme
(( de Jios ennemis. »


Camille élevait Robespierre jusqn'aux cieux,
pour sa conduite aux Jacobins, pour les servi-
ces généreux qu'il avait rendus aux vÍeux pa-
triotes, et il s'exprimait de la maniere suivante
a l'égard da culte et des proscriptions.




I 10 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« II faut, disait-il, a l' esprit humain malade


(l le lit plein de songes de la superstition : et a
« voir les fetes , les processions qu' on institue,
« les autels et les saints sépulcres qui s' élevent,
« iI me semble qu'on ne fait que changer le lit
« du malade; seulement on lui retire l'oreiller
« de l'espéranee d'une autre vic ..... Pour moí,
« je l'ai dit ainsi, le jour meme ou je vis Go-
« bel venir a la barre, avee sa double eroix
« qu'on portait en triomphe devant le phi\o-
« sophe Anaxagoras *. Si ce n'était pas un
« crime de lese-Montagne, de soup<;onner ,un
« président des jaeobíns et un procureur de la
« commune, tels que Clootz et Chaumette, je
« serais tenté de croire qu'it eette nouvelle de
(( Barrere, la Vendée n'existe plus, le roí de
« Prusse s'est écrié douloureusement: Tous
« nos efforts échoueront done contre la répu-
«( blique, puisque le noyau de la Vendée est dé-
({ truit; et que l'adroit Luchesilli, pour le eon-
« soler, lui auradít: Héros invincible,j'imagine
« une ressource; laissez-moi foire. Je paierai
« qllelques pretres pOlir se dire charlatans, j' en-
«( jlammerai le patriotisme des autres pour faire
{( une pareille déclaration. Il y a a París deux
« fameux patrio tes qué sel'ont tres-propres par


* Nom qu'avait pris Challmette.




CONVENTION NATIONALE ({ 793). 111
« lears talenls, leal' exagération, et leul', -9"s-
« {eme religieux" bien connu, a llOUS seconder
le el a recelloir nos impressions. lln'est qaes-
ee tion que defaire agir nos amis en France,
:( aupres des deux grands philosop hes A nachar-
« sis et Anaxagoras; de mettre en moullement
ti leur bile, et d' éblouir leur civisme, par la ri-
e( che conquéte des sacristies. (J'espere que
« Chaumette ne se plaindra pas de ce nurnéro ;
« le marquis de Luchesini ne peut pas parler
« de lni en termes plus honorables). Anachar-
« sis et Anaxagoras croiront pousser la roue
ce de la raison, tandis que ce sera celle de la
« contre-révolution; et bientót, au lieu de lais-
(e ser, mourir en France de vieillesse et d' inani-
le tion, le papisme prét ti y rendre le dernier
« soupir, je vous promets, par la perséclLtion
« et l'intolérance contre ceux qui voudraient
c( mes ser et élre messés, de faire passel' force
e( recrues a Lescare et a Larochejacquelein. »


Carnille, racontant ensuite ce qui se faisait
sous les empereurs romains, et prétendant ne
donner qu.'une traduction de Tacite, fit une
effrayante allusion a la loi des suspects. ( An-
e( ciennement, dit-il, il Y avait aRome, selon
c( Tacite, une 10i qui spécifiait les crimes d'é-
« tat et de lese- majesté, et portait peine ca-
« pitaJe. Ces crirnes de lese-majesté; sons la




11:.>. ln:VOL(JTION FIlANI:AISE.


«( république, se réduisaient a quatre sortes :
(( si une armée avait été abandonnée en pays
« ennemí; si l'on avait excité des séditions; si
( les membres des corps cOllstitués avaien't mal
«( administré les affaires ou les deniers publics;
«( si la majesté du peuple romain avait été avÍ-
«( lie. Les empereurs n'eurellt besoin que de
«( quelques articles additionnels a cette loi,
C( pour envelopper les citoyens et les cités eu-
« tieres dans la proscription. Auguste fut le


• « premier a étendre cette loi de lese-majesté,
«( en y comprenant les écrits qu'il appelait con-
« tre-révolutionnaires. Rientót les extensio~s
,( n'eurent plus de bornes. Des que les propos
« furent devenus des crimes d'état, il n'yeut
« plus qu'un pas a faiI'e pour changer en crÍ-
« mes les simples regards, la tristesse, la com-
« passion, les sou pirs, le silence meme.


«( Rientot ce fut un crime de lese-majesté ou
( de contre - révolution a la ville de Nursia
«( d'avoir élevé un monument a ses habitatits
« morts au siége de Modene; crime de contre-
« révolution a Libon Drusus d'avoir demandé
« atix diseurs de bonne aventure s'il ne possé-
« derait pas un jour de grandes richesses;
« crime de contre -révolntion au journalÍste
« Cremuntius Cordus d'avoir appelé Brutus et
(( Cassius les derniers des Romains; crime de




CONYECliTION NATIONALE (1793). 113
«( contre-révolutiou a un des descendants de
t( Cassius d'avoir chez lui un portraít de son
ce bisaleul; crime de contre-révolutioll a Mar-
(( cus SCallrllS d'avoir fait une tragédie ou il y
« avait tel vers auqllcl on pouvait donner deux
t( sens; crime de coutre-révollltion a Torqua-
«( tus Silanus de faire de la dépense; crime de
« co'ntre-révoll1tion a Pétréius d'avoir eu un
« songe sur Claude; crime de contre - révolll-
« tíon a Pomponius de ce qu'lln ami de Sé-
« jan était venu chercher un asile dans UIle de
{( ses maisons de campagne; crime de contre-
«( révolution de se plaindre des malheurs du
c( temps, car c'était faire le prod~s du gouver-
« nement; crime de contre-révolution de ne
ce pas invoquer le génie divin de Caligula. Ponr
« y avoir manqué, grand nombre de citoyens
« furent déchírés de coups, condamnés aux
« mines ou aüx betes, quelqlles-uns meme sciés
« par le milieu du corps. Crime enfin de con-
« tre-révolution a la mere du consul FusillS
« Germinus d'avoir pleuré la mQrt fuueste de
« son fils.


« Il fallait montrer de la joie de la mort de
« son ami, de sonparent, si ron ne voulait
{( s'exposer a périr soi-meme.


c( Tout dOllnait de l'ombrage au tyran. Un
(( citoyen avait-il de la popnlarité? c'était un


VI. 8




J 1 (~ RÉVOLUTION FRAN~AISI.:.
« rival du prince, qui pouvait susciter une
« guerre civile. Studia cil'ium in se vel'teret,
(e et si multí ídem audeant, bellum esse. SUSPECT.


« Fuyait-on au contraire la popularité, et se
« tenait-on au coin de son feu? cette vie retirée
« vous avait faít remarquer; vous avait donné
« de la consídération. Quanto metu bccultior,
« tanto plus fama adeptus. SUSPECT.


« Étiez-vous riche? il Y avait un péril immi-
« nent que le peuple ne fut corrompupal' vos
« largesses. Auri vim atque opes Plauti, prin-
« cipi inftnsas. SUSPECT.


« Étiez·vous pauvre ? Comment done! invin-
« cible empereur! iI faut surveiller de plus pres
« cet homme. Il n'y a personne d'entreprenant
« comme celui qui n'a rien. Syllam inopem,
« unde prtecipuam audaciam. SUSPECT.


« Étiez·vous d'un caractere sombre, mélan-
« colíque, ou mis en négligé? Ce qui vous af-
« fligeait, e' est que les affaire s publiques al-
( laient bien. Hominempublicis bonis meestUln.
c( SUSPECT. »


CamiUe Desmoulins poursuivait ainsi cette
grande énumération des suspects, et trac;ait
un horrible tableau de ce qui se faisait a Paris,
par ce qui s'était fait a Rome. Si la lettre de
Philipeaux avait excité une vive sensation, le
journal de Camille Desmoulins en produisit




CONVENTION N ATION ALE (1793). 115
une bien plus grande encore. Cinquante mille
exemplaires de chacun de ses numéros furent
vendus en qllelques jours. Les provinces en
demandaient en quantité; les prisonniers se
les transmettaient a la dérobée, et ils lisaient
avec déIices, et avec un peu d'espoir, ce révo-
llltionnaire qui leur était autrefois si odieux.
Camille, sans vouloir qu'on ouvrit les prisons,
ni qu'on nt rétrograder la révolution, deman-
dait l'institution d'un comité, dit de clémence,
qui ferait la revue des prisonniers, élargirait
les citoyens enfermés sans cause suffisante,
et arreterait le sang la ou iI avait déja trop
coulé.


Les écritsde Philipeaux et de Desmoulins ir-
riterent au plus haut degré les révolutionnaires
zélés, et furent improuvés auxJacobills. Hébert
les y dénon~a avec fureur; il proposa meiIle
de radier les auteurs de la liste de la société.
Il signala en outre, comme complices de Cl\-
miJIe Desmoulins et de Philipeaux, Bourdon
de I'Oise et Fabre-d'Églantine. On a vu que
Bourdon de l'Oise avait voulu, de concert
avec GoupiUeau, destituer Rossignol; il s'était
brouillé depuis avec l'état-major de Saumur,
et n'avait cessé dans la convention de s'élever
contre le parti Ronsin. C'est ce qui le faisait
associer a Philipeaux. Fabre était accusé d'a-


8.




1 16 llÉVOLUTION FRAN~AISf.:.
voir pris part a l'affaire duJaux décret, et on
était disposé a le croire, quoiqu'H eUt été jus-
tifié parChabot. Sentallt sa position périlleuse,
et ayant tout a craindre d'un systemede sévé-
rité trop grande, il avait deux ou trois fois
parlé pour le systeme de l'indulgence, s'était
enlierement brouillé avec les ultra-révolution-
naires, et avait été traité d'intrigant par le
Pere Duchesne. Les jacobins, sans adopter les
violentes propositions d'Hébert, déciderent
que Plülipeaux ,Camille Desmoulins, Bourdon
de l'Oise et Fabre-d'Églantine, viendraient a
la barre de la société, donner des explications
sur leurs écrits, et sur leurs discours dans la
convention.


La séance ou ils devaient comparaitre avait
excité une affluence extraordinaire. On se dis-
putait les pIaces avec Cureur, on en vendit
quelques-unes jusqu'a 25 francs. C'était, en ef-
fet, ]e proces des deux nouvelles classes de pa-
triotes, qui allait se juger devant l'autorité
toute puissante des jacobins. Philipeaux, quoi-
qu'il ne fut pas membre de la société, ne re-
fusa pas de comparaitre a sa barre, et répéta
les accusations qu'il avait déjit consignées, soit
dans sa correspondance avec le comité de sa-
lut public, ~Qit dans sa brochure. 11 ne ména-
~~a pas plus les individus qu'il ne l'avait fait




CO.N"VENTlON NATIONALE (1793). J17
précédemment, et donna a Hébert deux ou
trois démentis formels et insultants. Ces per-
sonnalités si hardies de Philipeaux cornmen-
~aient él agiter la société, et la séance de-
vena!t orageuse, lorsque Danton, prenant la
parole, observa que, pour j llger une question
aussi ~grave, il fallait la plus grande attention
et le plus grand calme; qu'iI n'avait aueune opi-
nion faite sur PhiJipeaux et sur la vérité de ses
accusations; qu'illui avait déja dit a lui-meme:
( 11 faut que tu prouves tes accusations OH que
« tu portes ta tete sur l'échafaud ;»que peut.etre
jl n'y avait ¡cÍ de coupables que les événe-
ments; mais qne, dans tous les eas, il fallait
que tont le monde fút entendu, et surtout
écouté.


Robespierre, parlant apres Danton, dit qu'il
n'avait pas Iu la brochure de PhiIipeaux, qu'il
savait seulernent que, dans cette brochure, on
rendait le comité responsable de la perte de
trente mille hommes; que le comité n'avait
pas le temps de répondre a des libelles et de
faire une guerre de plume; que cependant il
ne croyait pas Philipeaux coupable d'intentions
mauvaises, mais entrainé par des passions.
« Je ne prétends pas, dit Robespierre, impo-
« ser silcnce a la conscience de mon collegue;
« mais qll'il s'examine, et juge s'ji n'y él en l11i-




118 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


(( rnerne ni vanité, ni petites passions. Je le
(e crois entrainé par le patriotisrne non moÍns
« que par la colere; mais qu'il réfléchisse! qu'il
(e considere la lutte qUÍ s'engage! il yerra que
« les rnodérés prendront sa défense, que les
(( aristocrates se rangeront de son coté, que la
C( convention elle-rneme se partagera, qu'il s'y
« élevera peut-etre un partí de l'opposition,
(( ce qui serait désastreux, et ce qui renouveI-
C( lerait le combat dont on est sorti, et les
c( conspirations qu'on a eu tant de peine a dé-
« jouer!» Il invite done Philipeaux a exarniner
ses motifs seerets, et les jaeobins a l'éeouter
sileneieusernent.


Rien n'était plus sage et plus convenable
que les observations de Robespierre, au ton
pres, qui était toujours emphatique et docto-
ral, surtout depuis qu'il dorniriait aux Jaco-
bins. Phílipeaux reprend la parole, se rejette
dans les memes personnalités, et provoque le
me me trouble. Dan ton irnpatienté s'écrie, qn'il
faut abréger de telles querelles, et nornrner
une comrnission qui examine les pieces du
proceso Couthon dit qu'avant merne de recou-
rÍr a cette mesure, iI faut s'assurer si la ques-
tíon en vaut la peine, sí ce ne seraÍt pas sirn-
plernent une question d'hornrne a hornme, et
il pro pose de demander a Philipeaux si, en




CONVEN'fION NATIONALE (1793). 119
son ame et conscience, il croit qu'il y ait eu
trahison.Alors il s'adresse a Philipeaux.-Crois-
tu, lui dit-il, en ton ame et conscience, qu'il y
ait eu trahison?- Oui, répond imprudemment
Philipeaux. - En ce cas, reprend Couthon, il
n'y a point d'autre moyen; il faut nommer une
commission qui écoute les accusés et les ac-
cusateurs , et en fasse son rapport a la société.
- La proposition est adoptée, et la commis-
sion est chargée d'examiner, outre les accusa-
tions de Philipeaux, la conduÍte de Bourdon
de l'Oise, de Fabre-d'ÉgIantine et de Camille
Desmoulins.


C'était le 3 nivose (2.8 décembre). Daos l'in-
tervalle de temps employé par la commission
a faire son rapport, la guerre de plume et les
récriminations continuerent sans interruption.
Les cordeliers exclurent Camille Desmoulins
de Ieur société. I1s firent de nouvelles péti-
tions pour Ronsin et "incent , et vinrent les
communiquer aux jacobins, pour engager ceux-
ci a les appuyer aupres de la convention. Cette
foule d'aventuriers, de mauvais sujets, dont on
avait rempli l'armée révolutionnaire, se mon-
traient partout, dans les promenades, les ta-
vernes, les cafés, les spectacles, en épaulettes
de laine et en moustaches, faisaient grand
bruit pour Ronsin leur général, et Vincent




120 RÉVOLUTlON j<'RA N~ArSE.
leur ministre. Ils étaient surnommés les épau-
letiers, et fort redoutés dans' París. Depuis la
101 qui interdísait aux sections de se réunir plus
de deux fois par semaille, elles s'étaient chan-
gées en sociétés populaires fort turbulentes. II
y avait jusqu'a c1eux de ces sociétés par sec-
tion, et c'était la que tons les partís intéressés
a produire un mouvement, dirigeaient leurs
agents. Les épauletiers ne manquaient pas de
s'y rendre, et, grace a eux, le tUInulte régnait
dans presqúe toutes.


Robespierre, toujours fernie aux Jacobins 1
6t repousser la pétition des cordeliers, et de
plus, 6t retirer l'affiliation a ton tes les sociétés
populaires formées depuis le 31. mai. C'étaient
la des actes d'une prudente et louable énergie.
Cependant le comité, tout en faisant les plus
grands efforts pOl1r comprimer la faction tl1r-
bulente, devait s'attacher aussi a ne pas se don-
ner les apparences de la mollesse et de la mo-
dératiou. Il fallait, ponr qu'il pUt conserver sa
popularité et sa force, qu.'il déployat la meme
rigueur coutre la factiou opposée. C'est pour-
qlloi, le 5 nivose (25 décembre), Robespierre
fut chargé de faire vu nouveau rapport Sll,r les
principes du gouvernement révolutiounaire, et
de proposer des mesures de sévérité contre
quelques prisonniers illnstres. S'attachant tOl.1·




,


CONVENTION NATIONALE (J793). 121
jours, par poli tique et aussi par erreur, a reje-
ter tous les désol'dres sur la prétendue faclion
étrangere, iI lui imputa a la fois les torts des
modérés et des exagérés .. ( Les .. conrs étran-
t( geres ont vomi, dit-il, sur la Franee, les seé-
« lérats habiles qu'elles tiennent a leur solde.
« lis déliberent daus nos administrations, s'in-
« troduisent dans nos assemblées sectionnaires
«( et daus nos clubs; ils Ol1t siégé jusque dans
11. la repl'ésentation nationale; ils dirigent et di-
« rigeront éternellement la cOlltre-révolution
t( sur le meme plan. lis rod~llt autonr de nous;
oc ils surprennent nos seerets, earessent nos
« passions, et cherchellt a nous inspirer jus-
c( qu'a nos opinions.)) Robespierre, poursni-
vant ce tableau, les montre poussant tour-a-
tour a l' exagération ou a la faiblesse, excitant
a París la persécution des euItes, et dans la
Vendée la résistance du fanatisme; immolant
Lepelletier et Marat, et puis se metant clans les
groupes pour leur décerner les honneurs di-
vins, afill de les rendre TidicuIes et odienx;
donnant ou retirant le pain an peuple, faÍsant
pal'aitre ou disparaitre l'argent, profitant enfin
de tous les aecidents pour les tourner contre
la révolution et la France. Apres avoir fait ainsi
la somme générale de tous nos maux, Robes-
pierre, ne voulant pus voir (lU'ils t~tai{'nt iné-




122 Il.ÉVOLUTlON FRAN(tAISE.


vitables, les imputait a l'étranger, qui, san s
doute, pouvait s'en applaudir, mais qui, pour
les produire, S'Cll reposait sur les vices de la
nature humaine, et n'aurait pas eu le moyen
d'y suppléer par des complots. Robespierre,
regardant comme complices de la coalition tous
les prisonniers íllustres qu'on détenait encore,
proposa de les envoyer de suite au tribunal
révoIutionnaire. Ainsi Dietrich, maire de Stras·
bourg, Custine fils, Biron, el tous les officiers
amis de Dumouriez, de Custine et de Hou-
chard, durent etre incessamment jugés. San s
doute, iI n'était pas besoin d'un décret de la
convention pour que ces victimes fussent ¡m-
molées par le tribunal révoIutionnaire; mais
ce soin de hater leur supplice était une preuve
que le gouvernement ne faiblissait pas. Robes-
pierre proposa en outre d'augmenter d'un tiers
les récompenses territoriales promises aux dé-
fenseurs de la patrie.


Apres ce rapport, Barrere fut chargé d'en
faire un autre sur lps arrestations qu'on disait
chaque jour plus nombreuses, et de proposer
les moyens de vérifier les motif s de ces arresta-
tions. Le but de ce rapport était de répondre,
sans qu'il y parut, au Vieux Cordelier, de Ca--
mille Desmoulins, et a sa proposition d'un co-
mité de clémence. Barrere traita avec sévérité




CONVENTION NATIONALE (1793). J23
les Traductions des orateurs anciens, et pro-
posa néallmoillS de nommer une commission
pour vérifier les arrestations; ce qlli ressem-
blait fort au c.omité de clémence imaginé par
Camille. Cependant, sur les observations de
quelques-uns de ses membres, la convention
crut devoir s'en tenir a ses décrets précédents,
qui obligeaíent les comités révolutionnaires a
adresser au comité de sureté générale les mo-
tífs des arrestations, et permettaient aux déte-
nus de récIamer aupres de ce dernier comité.


Le gouvernement poursuivait ainsi sa marche
entre les deux partís qui se formaient, incli-
Ilant secretement pour le partí modéré, maís
craignant toujours de le laisser trop apercevoir.
Pendant ce temps, Camille pl:lblia un numéro
plus fort encore que les précédents, et qui
était adressé auxjacobins. Il l'intitula: Ma Dé-
fense'; et c'était la plus hardie et la plus ter-
rible récrimination contre ses adversaires.


A propos de sa radiation des Cordeliers, il di-
sait : ( Pardon, freres et amis, si j' ose prendre
( encore le titre de vienx cordelier, apres l'ar-
{( reté du club qui me défend de me parer de
« ce nomo Mais, en vérité, c'est une insolence
« si inonte que ceHe de petits-fils se révoltant
« contre leur grand-pere, et luí défendant de
« porter son noro, que je veux plaider eette




J 24 RÉVOLOTION FltA.Nf.;AJSE.
« cause contre ces fils ingrats. Je vel1X savoÍr
ce a qui le nom doit res ter ou a\1 grand-papa
" 011 a des enfants qu'on lui a faits, dont il n'a
ce jamais ni reconnu ni meme connu la dixieme
(e partie, et qui prétendent le chasser ·du pa-


. e( ternellogis! »
Ensuite il explique ses opinions. ( Le vaisseau


({ de la république vogue entre deux écueils,
e( le rocher de l'exagération et le banc de sable
(( du modérantisme. V oyant que le Pere Du-
« chesneet presque tQutes les sentillelles pa-
« triotes se tenaient sur le tillac, avec leur lu-
ce nette, occupés uniquement a crier: Gare!
e( vous touchez au modérantisme, jI a bien
e( fallu qúe moi, vieux cordelier et doyen des
e( jacobins, je me chargeasse de faire la faction
« difficile, et dont aucun des jetines gens ne
« voulait, crainte de se dépopulariser, ceHe de
(,( crier : Gare! vous allez toncher a l'exagéra-
« tion. Et voila l'obligation que doivent m'a-
« voir tous mes collegl1es de la convention,
!l ceHe d'avoir exposé ma popularité meme,
le pour sauver le navire ou ma cargaison n'était
(e pas plus forte que la leur. 1)


11 se justifie ensuite de ce propos qui lui
avait été si reproché: Pincenl Pitt gouverne
George Bouchotte. ce J'ai bien, dit - il, appelé
<t Louis XVI mon gros benet ·de roi, en 1787,




CONVIlNTJON NATIONAU (1793). ,~5
« sans etre embastillé pour cela. Bouchotte se-
(e rait-il un plus grand seigneur? ))


Il passe ensuite ses ad versaires en revue; il
dit a Collot-d'Herbois que si, lui Desmonlins, a
son Dillon, lui Collot a son Brunet, son Proli ,
qu'il a défendus tous les denx. Il dit a Barrere: .
e( On ne se reconnait plus a la Montagne; si
«( c'était un vieux cordelier comme moi, un pa-
« triote recti li{flle, Billaud-Varennes par exem-
(t ple, qui m'eut gourmandé si durement, sus-
(e tinuissem utique; j'aurais dit : e'est le soufflet
e( du bouillant saint Paul an bon saint Pierre
« qui a péché 1 Mais toi, mon cher Barrere, toi
(e l'heurellX tllteur de Paméla "'! toi le prési-
« dent des feuil1ants, qui as proposé le comité
« des douze! toi, qui, le :1 juin, mettais en dé-
(( libération dans le comité de salut public si
(( on n'arreterait pas Danton! toi dont je pour-
l( rais relever bien d'autres fautes, si je voulais
« fouiller le vieux sac *"', que tu deviennes
« tout-a-coup un passe-Robespierrc, et que je
« sois par toi apostrophé si sec! )¡


« Tout ceJa n'est qu'une querelle deménage,
( ajoute Camille, avec mes amis les patrio tes


• AHusion ¡',la l)iecc de Parnéla, dont la représentation
avait été défendue .


• * Barrere s'appelait de T'ieu.r-sac, qnand il était noble.




J 26 RÉVOLUTION FRAN<';AISE.
« Collot et Barrere; mais je vais etre a mon
ce tour bougrement en colere 'f. contre le Pere
ce Duchesne, qui m'appeUe un misérable intri-
ce gailleur, un viédase ti mener ti la guillotine,
« Un conspirateur qui veut qu'on ouvre les pri-
ce sons pour en ¡aire une nouvelle Vendée, un
« endormeur payé par Pitt, un bourriquet ti
e( longues oreilles. ATTENDS-MOJ, HÉBERT, JE sms
« A. TOI DANS UN MOMENT. leí, ee n'est pas avee
(e des injures grossieres et des mots que je vais
ce t'attaquer, c'est avec des faits. »


Alors Camille, qui avait été accusé par Hé-
hert d'avoir épousé une femme riche, et de
diner avec des aristocrates, fait l'histoire de
son maríage, quí lui avait valu quatre mille
Jivres de rentes, et il trace le tableau de sa
vie simple, modeste et paresseuse. Passant en-
suite a Hébert, iI rappelle l'ancien métier de
ce distributeur de contre-marqu.es, ses vols qui
l'avaient rait chasser du théatre, sa fortune su-
hite et connne, et il le convre de la plus juste
infamie. Il raconte et prouve que BOllchotte
avait donné a Hébert, sur les fonds de la guerre,
d'abord cent vingt mille francs, puis dix, puis
soixante, pour les exemplaires du Pere Du-


* Expression des colporteurs qui, eu vendant les fp.uille
un Púe Duchesne, criaient dalJs les rues: Il cst bOllgre-
ment en eotere le Pere Dllchesne.




CONVENTION NATIONALE (1794). 127
chesne distribués aux armées; que ces exem-
plaires ne valaient que seize mille franes, et
que par conséquent le surplus avait été volé a
la nation.


« Deux eent mille francs, s'éerie Camille, a
:( ce pauvre sans-eulotte Hébert, pour soute-
« nir les motions de Proli, de Clootz! deux
« eent mille franes pour ealomnier Danton,
« Lindet, Cambon, Thuriot, Laeroix, Phili-
« peaux, Bourdon de l'Oise, Barras, Fréron ,
« d'ÉgIantine, Legendre, Camille Desmoulins,
« et presque tous les eommissaires de la eon-
(e vention! Pour inonder JaFranee de ses écrits,
« si propres a former l'esprit et le creur, deux
« cent mille franes de Bouehotte ! ... S'étonnera-
«t-on apres cela de cette exclamation filial e
« d'Hébert a la séanee des Jaeobins: Oser at-
« taquer Bouchotte! BOllchotte qui a mis ti la
« téte des armées des généraux sans-culottes!
« Bouchotte, un patriote si pur! Je suis étonné
« que, dans le transport de sa reconnaissance ,
« le Pere Duehesne ne se soit pas écrié: Bou~
« chotte qui m'a donné deux cent mille livres
« depuis le mois de juin !


« Tu me parles, ajoute Camille, de mes so~
« ciétés : mais ne sait-on pas que e'est avec
(e l'intime de Dumouriez, le banquier Kock ,
(e avec la femme Rochechouart, agente des




12.8 UÉVOLUTJON FRANfAISll.


« émigrés, que le grand patriote Hébert, apres
« avoir ealomnié dans sa feuille les hommes
« les plus purs de la république, va, dalls sa
« grande joie, lui et sa Jacqueline, passer les
« beaux jours de l'été a la eampagoe, boire le
t( vio de Pitt, et porter des toasts a la ruine
(( des réputations des fondateurs de la liberté!)J


Camille reproche ens uite 11 Hébert le style
de son journal : « N e sais-tu pas, Héhert, que
« lorsque les tyraus d'Europe veutent faire
« eroire a leurs esclaves que la Franee est eou-
« verte des ténebres de la barbarie, que Paris,
« cette viHe si vantée par: son attieisme et son


, « gout, est peuplée de vandales; ue sais-tu pas,
« malheureux, que ee sont des lambeaux de
« tes feuilles qu'ils inserent dans leurs gazettes?
« comme si le peuple était aussi ignorant que
« tu voudrais le faire croíre a M. Pitt; comme
« si on ne pouvait lui parler qu'lln langage
« aussi grossier; comme si e' était la le langage
« de la eonvention et du eomité de salut pu-
« hIic; comme si tes saletés étaiellt eeHes de la
« natiol1; eomme si un égout de I1aris était la
« Seine! »


Camille l'aeeuse ensuite d'avoir ajouté par ses
numéros aux scandales du eulte de la raison,
puis il s'éerie : « Ainsi, e'est ee vil flagorneur
« aux gages de deux eent mille livres, qui me




CONVENTION NATIONAU (1794)· 129
(( i'cprochcl'a les quatrc mille livres de rentes
( de ma femme! e'est eet ami intime des Koek,
(( des Roeheehouart, et el'une multitude d'es-
(( croes, qui me reproehera mes sociétés ! e' est
( eet éel'ivain insensé ou perfide qui me re-
c( proehera mes éerits aristoeratiques, lui, dont
« je démontrel'ai que les feuilles sont les dé-
( liees de Coblentz, et le seul espoir de Pitt!
( eet homme 'rayé de la liste des garc;ons de
« théatre, pOLlr vols, fera rayer de la liste des
( jaeobins, pour le nI' opinion, des députés
l( fondateurs immortels de la république! cet
c( écrivain des charniers sera le réglllateur de
(e l'opinion, le mentor du peuple franc;ais!


« Qu'on désespere, ajoute Camille Desmou-
(( lins, de m'intimider par les terreurs et les
( bruits de mon arrestation, qu'on seme all-
«( tour de mojo Nous saVOIlS que les scélérats
( méditent un 3 J mai contre les hommes les
( plus énergiques de la Montagne 1... .. O mes
( collegues! je vous dirai comme Brutus et Cicé-
(( ron: .Nous craignons trap la mort, et l' exil,
« el la pau",reté! iVimium timemus Illortem el
« exilium el paupertatem .... Eh quoi! lorsque,
« tous les j ours, douze cent mili e FrarH;ais affron-
« tent les redoutes hérissées des batteries les
« plus meurtrieres, et volent de victoires en
( victoires, nous, députésa la eonveution, IlOUS


VI.




., '
1 JO REVOLlJTION FRANyAISE.


« qui ne pouvons jamais tomber comme le 501-"
« dat, dans l'obscurité de la nuit, fusillé dans
« les télle.bres, et san s témoins de sa valeur;
« nous, dont la mort soufferte pour la liberté
« ne peut etre que glorieuse, solennelle et
C( re<,;ue en présence de la nation entiere, de
(e rEurope et de la postérité; serions-nous plus
« laches que nos soldats? craindrions-nous de
« nous exposer a regarder Bouchotte en face?
« n'oserons-nous pas braver la grande eotere
« du Pere Duchesne, pour remporter aussi la
« victoire que le peuple attend de nous, la vic-
« toire sur les ultra- révolutionnaires, comme
« sur les contre -révolutionnaires; la victoire
« sur tous les intrigallts, sur tous les fr'ipons,
« sur tous les ambitieux, sur tous les ennemis
« du bien public?


« Croit-on que me me sur l'échafaud, soutenu
« de ce selltiment intime que j'ai aimé avec
« passioll ma patrie et la république, couronné
c( de l'estime et des regrets de tous les vrais
« républicains, je voulusse changer mon sup-
« pliee contre la fortune de ce misérahle Hé-
« hert, qui, dans sa feuille, pousse an dé~es­
« poir et a la révolte vingt classes de citoyens;
« qui, pour s'étourdir sur ses remords et ses
« calomnies, a besoin de se procurer une ivresse
« plus forte que celle du vin, et de lécher sans




CONVENTION N A.TIONALE (1 79Q). 131
ic cesse le sang au pied de la guillotine? Qu'est-
«( ce done que l'échafaud pour un patrio te ,
(( sinon le piédestal des Sidney et des Jean de
(c With? Qu'est-ce, dans un moment de guerre
le oa j'aí eu mes deux freres hachés pour la li-
« berté, qu' est-ce que la guillotine, sinon un
{( coup de sabre, etle plus glorieux de tous,
c( pour un député victime de son courage et
« de son républicanisme?»


Ces pages donneront une idéc des mreurs de
l'époque. L'apreté, le cynisme, l'éloquence de
Rome et d'Athimes, avaienl ~eparu parmi nous,
avec la liberté démocratique.


Ce llouveau numéro de Camille Desmoulins
causa encore plus d'agitation que les précé-
dents. Hébert ne cessa de le dénoncer aux ja-
cobins, et de demander le rapport de la com-
mission. Le 16 nivose, enfin, Collot-d'Herbois
prit la parole pour faire ce rapport. L'affiuence
était aussi considérable que le jour ou la dis-
cussion avait été entamée, et les places se ven-
daient aussi cher. ColIot montra plus d'impar-
tialité qu'on n'aurait dil l'attendre d'un ami de
Ronsin. Il reprocha a Philipeaux d'impliquer
le comité de salut Pilblic dans ses accusations,
de montrer les dispositions les plus favorables
pour des hommes suspect¡¡, de parler de Biron
avec éloge, tandis qu'il couvrait Rossignol





1 :h ILÉVOUITlON FRAN~AISt:.
d'oulrages, et enfin d'exprimer exactement les
memes préférences que les aristocrates. Il luí
fit aussi un reproche quí, uans les circonstan-
ces, avait quelque gravité: c'était d'avoir retiri~
dans son dernier écrit les accusations portées
contre le général Fabre-Fond, frere de Fabre-
rl'Églantine. Philipeaux, en effet, qui ne con-
naissait ui Fabre, ni Camille, avait dénoncé le
frere dll premier, qu'il croyait avoir trouvé en
faute dans la Vendée. Une foís rapproché de
Fabre par sa position, et accusé avec lui, il
avait retranché, par un ménagement totit na-
tllrel, les allégatíons relátives a son frere. Cela
selll prouvait qu'ils avaient été conduits. iso-
lément, et salls se connaitre, a agir comme ils
l'avaient fait, et qll'ils ne formaient point ulle
faction véritable. Mais l'esprit de parti en jllgea
autrcment, et Collot insinua qu'il existait une
intrigue sOUl'de , et un concert"'entre les préve-
llUS de modératlon. Il fouilla dans le passé , et
reprocha a Philipeaux ses votes sur Louis XVI
et sur Marat. Quant a Camille, jI le traita bien
plus favorablement ; iIle représenta comme un
bon patriote, égaré par de mauvaises sociétés,
et auquel il fallait pardonner, en I'engageant
toutefois a ne plus commettre de pareílles dé-
bauches d'esprit. il demanda done l'exclllsioll
de Pbilipeullx, et la censure pure et simple de
Camille,




CONVENTION N ATlON ALE (J 794). ,33
na/lS ce moment, Camille, présent a la


st'ance, hit passer Hile lettre an présideul,
pour déclarer que sa défense est consignée dalls
SOIl dernier lIuméro, et pour demander que la
société \t'uille bien en écouter le content!o A
cette proposition, Hébert, qui redoutait la lec-
ture de ce lluméro, ou les turpitudes ele S3
vie étaient révélées, prend la parole , et s' écrie
qu'oll a vOl/In compliquer la discussion en le
calomniant, et que, pour détourner l'atteu-
tion, on lui a imputé d'avoÍr volé la trésore-
rie, ce qlli est tlne fausseté atroce ..... - J'ai
les pieces en main! s'écrie Camille. - Ces mots
causent une grallde rumeur. Robespierre le
jeune dit alors qu'il faut écarter les discussioJls
personnelles; que la société n'est pas réUllie
pour l'iutéret des réputations, et que, si Hé-
hert a volé, peu lui importe a elle; que ceux
qui out des reproches a se faire ne doivent pas
interrompre la discussion générale ... - A ces
expressions peu satisfaisantes, Héhert s'écrie :
Je n'aí l"ien a me reprocher. - Les trou-
bIes des départements, reprend Rohespierre le
jeune, sont ton ollvrage; c'est toi qui as con-
tribué a les provoquer en attaquant la liberté
des cultes. -.,- Hébert se tait a ceUe in terpella-
tíon. Robespierre ainé prend la paroJe, et,
gardant plus ele mesure que son f"rére, mais




J 34 RÉVOLUTION FRANc;.;AISE.
sans etre plus favorable a Hébert, dit que Col-
lot a présenté la question sous son véritable
point de vue, qu'un incident facheux avait
troublé la dignité de la discussion, que tout
le monde avait eu tort, Hébert, ainsi que ceux
qui lui avaient répondu. « Ce que je vais dire , .
« ajoute-t-il, n'a trait a aucun individuo On a
« mauvaise grace a se plaindre de la calomnie
I( quand on a calomnié soi-meme. On ne doit
I( pas se plaindre des injustices quand Qn a
le jugé les. autres avec légereté, précipitation
e( etfureur. Que chacun interroge sa conscience, .
« et s'applique ces réflexions. J'avais voulu pré-
(e venir la discussion actuelle; je voulais que
ee dans des entretiens particuliers, dans des
ee conférences amicales, chacun s'expliqllat et
(e convlnt de ses torts. Alors on aurait pu s'en-
« tendre et s'épargner du scandale. Mais point
« du tout,. les pampalets ont été répandus le
« lendemain, et on s' est empressé de produire
(1 un éclat. Maintenant, ce qui nous importe
« dans toutes ces querelles personneIles, ce
« n'est pas de savoir si on a mis de tous catés
« des passions et de l'injustice, mais si les ac-
« cusationsdirigées par Philipeaux contre les
« hommes chargés de la plus importante de
{( nos guerres sont fondées. Voila ce qu'il faut
« éclaircir dan s l'intéret non des individus,
« mais de la république. »




CONVENTION NATIONALE (J794). 135
Robespierre pensait, en effet, que les attaques


de Camille eontre Hébert étaient inutiles a dis-
cuter, car tout le monde savait eombien elles
étaient fondées; que d'ailleurs elles ne renfer-
maient rien que la république eut intéret a
constater, et qu'au contraire iI importait beau-
COllp d'éclaircir la conduite des généraux dans
la Vendéc. On poursllit, en effet, la disclIssion
relative a Philipeaux. La séance entiere est
eonsacrée a écouter une foule de témoins ocu-
laires; mais, au milieu de ces affirmations
contradictoires, Danton, Robespierre décla-
rent qu'ils ne discernent ríen, et qu'ils ne sa-
vent plus a quoi s'en tenir. La discussioIl,
déja trop longue, est renvoyée a la séance
sllivante.


Le 18, la séance est reprise; Philipeaux était
absent. On se sentait déja fatigué de la dis-
cussion dont il était le sujet, et qui n'amenait
aucun éclaircissement. Do s'étend alors sur Ca-
mille Desmoulins. On le somme de s'exp:liquer
sur les éloges qu'il a donnés a Philipeaux, et
sur ses relations avec lui. Camille ne le con-
nah pas, a ce qu'il assure; des faits affirmés
par Goupilleau, par Bourdon, lui avaient d'a-
bord persuadé quePhilipeaux disait vrai, et
l'avaient rempli d'indignation; mais aujour-
d'hui qu'il s'apcr<;;oít, d'apres la discussion,




136 RÉVOLUTION FnAN~AISE.
que Philipeaux aaltéré]a vérité (ce qui com-
men~ait en effet a percer de toutes parts), il
rétracte ses éloges, et déclare n'avoir plus au-
cune opinion a cet égard.


Robespierre prenant encore une fois la pa-
role sur Camille, répete ce qu'il avait déja dit
a son égard : que son caractere esl excellent,
mais que ce caractere connu ne luí doune pas
le droit d'écrire contre les patriotes; que ses
écrits, dévorés par les aristocrates, font leors
tlélices, et sont répandns dans toos les dépar-
tements; qu'il a tradnit Tacite sans l'entendre;
qu'il fant le traiter comme un enfant étourdi
qui a touché a des armes dangereuses el en a
fait un usage funeste, l'engager a quitter les
aristocrates et les mauvaises sociétés qui le
corrompent; et qu'en luí pardonnant a luí, il
faut bruler ses numéros. -Camille, alors, ou-
bliant les ménagements qu'il fallait garder en-
vers l'orgueilleux Robespierre, s' écrie de sa
place: Bruler n' est pas répondre. - « Eh bien!
« reprend Robespierre irrité, gll'on ne brille
« pas, mais qu'on réponde; qn'on lise sur-Ie-
« champ les numéros de Camille. Pnisqu'il le
« veut, qu'il soít couvprt d'ignomillie; que la
« súciété ne retienne pas son indignation, puis-
« qu'il s'obstine a soutenir ses diatribes et ses
« príncipes dangereux. L'homrne qui tientaussi




CONVENTlOllf NATlONAU; (1794). 137
« forternent a des écrits perfides est pel1t-etre
« plus qu'égaré; s'il eut été de bonne foi , s'il
({ eut écrit dans la simplicité de son creur, iI
(( n'aurait pas osé soutenir plus long-temps des
(C ouvrages proscr~ts par les patriotes, et re-
(c cherchés par les cOlltre-révolutionnaires. Son
c( courage n'est qu'emprunté; il décele les hom-
( mes cachés sons la dictée desquels il a écrit
( son jonrnal; il déceJe que Desmoulins cst
«( l'organe d'une faction scélérate qui a em-
( prnnté sa plume pour distiller son poi son
«( avec plus d'audace et de súreté. ') Camille
veut en vain demander la parole et calmer Ro-
bespierrc; on refuse de l'écouter, et on passe
sur-le-champ á la lecture de ses feuilles. Qllel-
que ménagement que les individus veuillent
garder les UDS pour les autres dan s des que-
relles de parti, il est difficile que bientot les
amours-propres ne se trouvent pas engagés.
Avec la susceptibilité de Robespierre et la nalve
étourderie de Camille, la division d'opinions
c1evait bientot se changer en une division d'a-
mour-propre et en haine. Robespierre mépri-
salt trop Hébert et les siens pour se brouiller
avec eux; mais il pouvait se brouiller avec un
écrivain aussi célebre dans la révolution que
Camille Desmolllins; et celui-ci ne mit pas as:-
sez d'adresse a éviter une I"upture,




138 RÉVOJ_UTION FRAN~AISE.
La lecture des numéros de Camille occup~


deux séances tout entieres. On passe ensuite
a Fabre. On l'interroge, on veut l'obliger a
Jire quelle part il a eue aux écrits nouvelle-
ment répalldus. Il répood qu'il n'y est pas
pour une virgule, et que, relativement a Phi-
lipeaux et Bourdoo de 1'0ise, iI peut assurer
ne pas les connaltre. On veut enlio prendre
un partí sur les quatre indivídus dénoncés.
Robespierre, quoique ll'étant plus disposé a
ménager Camille, propose de laisser la cette
discussion, et de passer a un autre sujet plus
grave, plus digne de la société, plus utile a
l' esprit public, savoir les vices et les crimes
du gouvernement anglais. « Ce gouvernement
« atroce cache, dit-il, sous quelques apparen~
« ces de liberté, un príncipe de despotisme et
« de machiavélisme atroce ; il faut le dénoncer
« a son propre peuple, et répondre a ses ca-
« lomuies, en prouvant ses vices d'organisa-
« tíon et ses forfaits. » Les jacobins voulaieot
bien de ce sujet qui fourníssait une si vaste
~arriere a Ieur imagination accusatrice, mais
quelques-uos d'eotre eux désiraient aupara-
vant radier Philipeaux , Camille, Bourdon et
Fabre. Une voix meme accuse Robespierre de
s'arroger lUle espece de dictature. « Ma dicta-
« ture, s' écrie-t.-ii, est ceHe de Marat et de


- é




CONVENTlON NATlONALE (1794). 139
C( Lepelletier; elle consiste a etre exposée tous
(1 les jours aux poignards des tyrans. Mais je
« suis las des disputes qui s'élevent chaque
« jour dans le sein de la société, et qui n'a-
« boutissent a aucun résultat utile. Nos véri-
( tables enuemis SOllt les étrangers; ce sont
(e eux qu'il faut poursuivre et dont il faut dé-
e( voiler les trames. Il Robespierre renouvelle
en conséquence sa proposition, et fait déci-
der, au miIieu des applaudissements, que la
société, mettant de coté les disputes élevées
entre les individus, s'occupera, dans les séan-
ces qui vont suivre, de discuter, sans inter-
ruption, les vices du gou vernement anglais.


C'était détourner a propos l'inquiete ima-
gination des jacobins, et ]a díriger sur une
proie qui pouvait les occuper long - temps.
Phílipeaux s'était déja retiré sans attendre une
décision. Camille et Bourdon ne furent ni re-
jetés ni confirmés; onn'en parla plus, et ils se
contenterent de ne plus paraitre devant la so-
ciété. Pour Fabre-d'Églantine, bien que Chabot
l'eut entierement justifié, les faits qui arrivaient
chaque jour a la connaissance du comité de
sureté générale, ne permirent plus de douter
de sa complicíté ; iI fallut lancer contre lui un
mandat d'arret, et le réunir a Chabot, Baúre,
pelaunay et Julien de Toulouse.




J 40 RÉVOI,UTION FRAN~AJS}'.
II restait de toutes ces disclIssians IIne Hn~


p¡,ession f:kheusc pour les llouvcaux modérés.
JI lI'y avajt aucune espece de cancert entre
l'ux. Philipeal1x, presque girondin alltrcfois,
lIe connaissait ni Camille, ni Fabre, ni Bour-
tlon; Camille seul était assez lié avec Fabre;
quanta Bourdon, il était entierf>m'ent étran-
ger aux trois autres. Mais on s'imagina des-Iors
qu'il y avait une faction secrete dont ils étaient
011 complices ou dupes. La facilité de carac'-
tere, les gouts épicuriens de Camille, et deux
ou trois diBers qu'il avait faits ávec les riches
financiers de l'époque, la complicité démon-
trée de Fabre avec les agioteurs, sa récente
apulence, firent suppaser qu'ils étaient liés a
la prétendue faction corruptrice. On n'osait
pas encare désigner Danton comme en étant le
chef; mais, si on ne l'acctisait pas d'une ma-
niere publique, si Hébert dans S3 feuille, si
les cordeliers a leur tribune ménagcaient ce
pllissant révolutionnaire, ils se disaient entre
('ux ce qu'ils n'osaient publier.


L'homme le plus nuisible au parti était La-
cJ,'oix" dont les concussiolls en Belgique étnient
si démontrées, qu'on pouvait tres-bien les luí
imputer sans etre accl1sé de calonmie, et sans
qu'il osat répondre. On I'associait aux modér{>s
a cause de son ancienne liaison avec Danton,
d il leur faisait partagcl' sa houte .


...


• <"




CONV.ENTION NATlON ALE (179/1)' I!¡ 1
I,es corJeliers, mécontents de ce que les ja-


cohins avaiellt passé a l'ordre du jour sur les
dénoncés, déc1arerent: LO que Philipeaux était
Ull calornniateur; 2 0 que Bourdon, aCCllsatellr
acharné de Ronsin, de Villcent et des bllreaux
de la guene,avait perdu leur confiance, et
n'était a leurs yeux que le cornplice de fhili-
peaux; 3° que Fabre, partageant les senti-
ments de Bourdon et de Philipeaux, n'était
qu'un intrigant plus adro~t; 4° que CarnilJe,
déjil. excIu de leurs rangs, avait aussi perdu
leur confiallce, quoique auparavant il eut rendn
de grands services a la révolution.


Apres avoir détenu quelque temps Honsin
el Vincent, on les fit élargir, car on ne pOLlvait
les mettre en jugement pour aUCLlne cause. II
n'était pas possible de poursuivre Ronsill pour
sa conduite clans la Velldée, car les événe-
ments de eette guerre étaÍent couverts d'un
voile épais; ni pour ce qu'il avait fait a Lyon,
car c'était soulever une question dangereuse,
el accuser ell Uleme temps Collot-d'Herbois et
tOllt le systerne acttIel du gOLlvernement. IL
était tont aussi impossiblc de poursuivre Vin-
cent ponr C[uelques actes de despotisme dan&
les bnreaux de la guerreo On n'aurait pu faire
it I'UII d a l'autre qU'UIl proces politique, et le
nW/llCllt lJ'était pas vellH de ¡eur en illtentE'l'




142 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
un pareil. Ils furent done élargis ., a la grande
joie des cordeliers et de tous les épauletiers de
l'al'mée révolutionnaire.


Vineent était un jeune homme de vingt et
quelques années, espece de frénétique dont le
fanatisme allait jusqu'a la maladie, et chez le-
queI iI y avait encore plus d'aliénation d'es-
prit que d'ambition personnelle. Un jour que
sa femme, qui allait le voir dans sa prison, lui
rapportait ce qui se passait, indigné du récit
qu'elle lui fit, il s'élan<;a sur un morceau de
viande crue, et dit en le dévorant: « Je voudrais
dévorer ainsi tous ces scélérats. » Ronsin, tour
a tour médiocre pamphletaire, fournisseur, gé-
néral, joignait a beaucoup d'intelligence un
courage remarquable et une grande activité.
Naturellement exagéré, mais ambitieux, il était
le plus distingué de ces aventuriers qui s'é-
taient offerts a etre les instruments du gou-
vernement nouveau. Chef de l'armée révolu-
tionnaire, iI songeait a tirel' partí de 5a position,
soit pour lui, soít pour ses amis, soit pour le
triomphe de son systeme. Dans la prison du
Luxembourg, Vincent et lui, enfermés ensem-
ble, avaient toujours parlé en maltres; ils n'a-
vaient cessé de dire qu'ils triompheraient de


.. Le 14 pluviose (2 février).




CONVENTION NATIONALE ('794). 143
l'infrigue, qll'ils sortiraient par le seeours de
leurs partisans, qu'ils reviendraient alors pour
élargir les patrio tes enfermés, et envoyer tous
les autres prisonniers a la guillotine. Ils avaieilt
fait le tourment des malhellreux détenus avec
eux, et les laisserent pleins d'effroi.


A peine sortis, iIs dirent hautement qu'ils se
vengeraient, et que bientot ils sauraient se faire
raison de leurs ennemis. Le comité de salut
public ne pouvait guere se dispenser de les
élargir; mais il ne tarda pas a s'apercevoir qu'il
avait déchainé des furieux, et qu'il faudrait
bientot les réduire a l'impossibiIité de nuire. Il
restait :'t París quatre mille hommes de l'armée
révolutiollnaire. La, se trouvaÍent des aventu-
riers, des voleurs, des septembriseurs, qui
prenaient le masque du patriotisme, et qui
aimaient mieux butiner a l'intérieurque d'aller
sur les frontieres mener une vie pauvre, dure
et périUeuse. Ces petits tyrans, avec leurs
moustaches et leurs grands sabres, exen;aient
dans tous les lieux publics le plus dur despo-
tisme. Ayant de l'artilIerie, des munitions et un
chef entreprenant, iIs pouvaient devenir dan-
gereux. A eux se joignaient les brouillons, qui
remplissaient lesbureaux de Vincent. Celui-ci
était leur chef civil, eomme Ronsin Jellr chef
militaire. I1s avaient des ]iaisons ave e la COill-




I f¡4 Rl~VOI,UTroN FRAN~AISIl.
mune par Hébert, substitut de Chaumette, el
par le maire Pache, toujours pret a recevoir
chez lui tous les partis, et a caresser tous les
hommes redoutables. Momoro, l'un des prési-
c1ents des cordeliers, était leur fidele partisan
et leur avocat aux Jacobins. Ainsi on rangeait
ensemble Ronsin, Vincent, Hébert, Chaumette,
Momoro; et on ajoutait a la liste Pache el
BOllchotte, comme des complaisants qui leur
laissaient usurper deux grandes autorités.


Déja ces hommes ne se contenaient plus
dans leurs discours contre ces représent:wts
qui voulaient, disaiellt-ils, s'éterniser a1l pO u-
voir et faire grace aux aristocrates. Un jOllr,
étant a diner chez Pache, ils y rencontrerent
Legendre, }'ami de Danton, alltrefois l'imita-
teur de sa véhémence, aujourd'hui de sa ré-
serve, et la vietime de eette imitation, cal' il
essuya~t les attaques qu'oll n'osait pas diriger
contre Danton lui-meme. Ronsin et Vincent
lui adresserent de mauvais propaso Vincent,
qui avait été son obligé, I'embrassa en lui di·
sallt qu'il embrassait l'ancien, et non le nouveall
Legendre; que le nOllveau Legendre était de-
venu un madéré et ne méritait allcune estime.
Vineent lui demanda ensuite avec ironie s'il
avait porté oans ses missions le costume de
dpp"té. Legendre lui ayant répondll qu'il le




CONHNl'ION N A TlONALE (1 79!~)' 145
portait aux armées, Vincent ajouta que ce cos-
turne était fort pampenx, mais indigue de
vrais républicains; qu'il habillerait un man-
nequin de ce costume, qu'il rassemblerait le
penple, et lui dirait: « Voila les représentallts
que vous vous etes donnés! ils vous prechent
l'égalité, et se couvrent d'or et de plumes! >J Il
dit ensllite qu'il mettrait le fen an mannequin.
Legendre alors le traita de fon et de séditienx.
On fut pret d'eu venir aux mains, au grand
effroi de Pache. Legendre ayant voulu s'adres-
ser a Ronsin, qui paraissait plus calme, et
I'ayant engagé a modérer Vincent, Ronsin ré-
pondit qu'a la vérité Vincent était vif, mais que
son caractere convenait anx circonstances, et
qu'il falIait de pareils hommes pour le temps
ou l'on vivait.-« Vous avez, ajonta Ronsin, une
factton dans le sein de l'assembléc; si vous ne
l'en chassez pas, vous nous en ferez raison.»-
Legendre sortit indigné, et répéta tontee qu'il
ayait vu et entendu pendant ce repaso La con-
versation fllt COlllJlle, et <lonna une nOllvelle
idée de l'andace et de la frénésie des deux hom-
mes qu'on vcnait d'élargir.


I1s témoignaient un grand respect pour Pache
et pour ses vertus, eomme avaient fait jadis
les jaeobins, quand Pache était au ministere.
Le sort eJe Pache était de cbarmer par sa com-


VI. 10




1t.6 Hf\'ou:T/()X }l'HAJ'IrAr~t:.
plaisance et par sa doncenr tous les hommes
violents. Ils étaient enchantés de voÍr jeur~
passions approuvées par un homme qui avait
toutes les apparencesde la sagesse. Les nou-
veaux révolutionnaires en vOlllaiellt faire, di-
saient-ils, un grand personnage dans leur gon-
vernement; cal' sans avoir un bu! précis, san!'>


. avoir meme encore le projet et le courage
d'une insurrection, ils parlaient beaucoup, a
l'exemple de tous les eomploteurs qui com-
meneent par s'essayer et s'échauffer en parole~.
lis disaient partont qu'il fallait d'autres insti-
tutions. Tont ce qui leur plaisait dan s l'orga-
nisation actneHe dH gouvernement, c'étaient
le tribunal et l'armée révoIlltiollnaire. lIs ima-
ginaient done une constitution consistant en
un tribunal supreme présidé par un grand-
juge, et un conseil militaire dirigé par un gé-
néralissime. Dans ee gouvernement OH devait
juger et administrer militaircment. Le généra-
lissime et le grand-juge étaient les deux prin-
cipaux personnages. II dcvait y avoir aupres du
tribunal un gl'alld-accusateur sous le titre de
eenseur, qui serait· chargé de provoquer les
poursuites. Ainsi dans ce projet, formé dam. un
moment de fermentation révolutionnaire, Ie~
deux fonctions, essentielles, uniques, consis-
t<lient a conrhmner et a se hattre. On !le sait




CONVENTlON NATlONALE (1794} 147
si ce projet était celui d'un reveur en délire,
011 de plllsieurs d'entre eux; s'il n'avait d'autre
existence que des pro pos , ou s'il fut rédigé ~
mais il est certain qu'il avait son modele dan~
les cornmissions révolutionnaires établies a
Lyon, Marseille, Tonlon, Bordeaux , Nantes, et
que l'imagination pleine de ce qu'ils avaient
fait dans ces grandes cités, ces terribles exé-
cutenrs voulaient gouverner snr le meme plan
la France tont entiere, et faire de la violence
d'un jour le type d'un gouvernement perma-
nent. lis ne désignaient encore qn'un seul des
grands personnages destinés a occuper ces
hautes dignités. Pache eonvenait a merveille
a la place de grand-juge; les eonjurés disaient
done qn'il devait l'etre, el qu'ille serait. San~
savoir ce que c'était que ce projet et cette di-
gnité de grand-juge, beaucollp de gens répé-
taient commeune nOllvelle: Pache doit etre
fait grand-jllge. Ce brllit circulait sans etre ni
expliqué ni compris. Qllant a la dignité de gé-
néralissime, ROllsin, qlloiqlle général de l'armée
révolutionnaire, n'osait y prétendre ~ et ses par-
tisans n'osaient pas le proposer, ear il fallait. un
plus grand nom pour une telle dignité. Chau-
meUe était désigné aussi par quelques bOliches
camme censeur, mais son uom <lvait été rare-
ment pronoueé. Parmi ces brllits il n'y en ayait


10.




lí8 RÉ\'OLTlTfON FRAN9AISF.


qll'un oe bien répanou, e'est que Pache st>raú
grrmd-juge.


Pendant tOllte la révolution, )orsqlle les
passions d'un parti, long-temps excitées, étaien t
pretes a faire explosion, c'était toujours 1Ine
défaite, une trahison, une disette, une cala-
roité enfin ,qui leur servait de prétexte pour
¡'clater. Il en arriva de meme ici. La seconde
loí dll maximum qui, remontant au-dela des
boutiques, fixait la valeur des objets sur le
lieu de fabrication, déterminait le prix dn
transport, réglait le profit du marchand en
gros, cellli du marchand en détail, avait été
renrlue; mais le eommerce échappait encorp
de mille manieres au despotisme de ]a loi, et
il y échappait surtout par le moyen le plus
désastreux, ens'arretant. Le resserrementde la
marchandise n'était pas moins grand qu'aupa-
ravant; et si elle ne J'efusait plus de se donner
au prix de l'assignat, elle se cachait, ou ces-
sait de se mouvoir, et de se transporter slIr
les liellx de consommation. La disette était
donc tres-grande par la stagnation générale dll
commerce. Cependant les efforts extraordi-
naires dn gouvernement, les SOlns de la com-
mission des subsistan ces , avalent réussi en
partie a ne pas trop laisser manquer les blés,
et surtout a diminuer la crainte de la disette,




CON"t::\TJON :'\.\l'lU.\.U.E 'I79¡;' 149
aussi l'edoutable que la disette meme, a caWie'
du désordre et du trouble qu'elle apporte dans
les relatiolls commercÍales. Mais ulle Ilouvelle
calamité venait de se faire sentir, c'était le dé-
faut de viande. Les Ilombreux bestiaux que
la Vendée envoyait jadis aux provinces voi-
sines, n'arrivaient plus depuis l'insUlTcction.
Les départements un Rhill avalent cessé aussi
d'en fourllir depuis que la guerre s'y était
fixée; il Y avait done une diminution réelle
dan~ la quantité. En outre, les bouchers, ache-
tant les bestiaux a hant prix, et obligés de les
vendre au prix do maximum, cherchaient a
échapper a la Jol. La bonne viande était réser-
vée ponr le riche on pOlIr le citoyen aisé <tui
la payait bieu. Il s'établissait une foule de
marchés clandestins, surtout aux environs de
París el dans les campagnes; et il ne restait
que les rebuts pour le peuple ou l'acheteur
qui se présentait dan s les boutiques, et trai-
tait au prix du maximum. Les bouchers se
dédomrnageaient ainsi par la mauvaise qmdité
dela marchandise, du bas prix auquel ils étaient
forcés de veudre. Le peuple se plaignait avec
furellr dn poids, de la qua lité , des réjouis-
sanees, et des marchés clandestins établis au-
tour de Paris. Les hestiaux manquant, on avait
été rédtlit á tuer des vaches pleines. Le peuple




150 RÉVOLUTlON :f'ItAN9AI:n;.


avait dit aussitót que les bouchers aristocrates
voulaient détruire l'espece, et avait demandé
la peine de mort contre ceux qui tuaient des
vaches et des brebis pleines. Mais ce n'était
pas tout : les légumes, les fruits, les reufs, le
beurre, le poisson, n'anivaient plus dans les
marchés. Un chou coutait jusqu'a vingt souS.
On devanc;ait les charrettes sur les routes, on
les entollrait, et on achetait a tont prix leur
chargement; ~u arrivaient a París ou le peuple
les altendait en vaill. Des qu'il y a une
chose a faire, il se trollve bientót des gens
qui s'en ehargent. Il s'agissait de parcollrir les
campagnes pour devaneer sur la route les
fermiers apportant des lógumes : une foule
(l'hommes et de femmes s'étaient chargés de
ce süin, et achetaient les denrées pour ]e
compte des gens aisés, en les payant au-dessus
du maximum. Y avait-il un marché mieux ap-
provisionné que d'autres, ces especes d'entre-
metteurs y couraient, et enlevaient les den-
rées a un flrix supérieur a la taxe. I"e peuple
se déehainait vio]emment eontre ceux qui fai-
!laient ce métier; on disait qu'il se trouvait
dans ]e nombre beaucoup de malheurellses
filles publiques, que les réquisitoires de Chau-
mette avaient privées de lem déplorable in-
dustrie. t't qUt, pour vivre, avaient embrassé
cette profession nouvf'lIe.




COC'íVllNTION NÁTlOi'ULE (1794). L)t
Pour pared! tous ces inconvénients, la como


mllDe avait al'reté, sur les pétitions réitérée!>
des sections, que les bouchers ne pourraient
plus devancer les bestiaux et aller au-dela de~
marchés ordinaires; qll'jls ne pourraient tuer
yue dans les abattoirs autorisés; que lá viande
nc pourrait ctre achetée que dans les étaux;
qu'il ne serait plus pefmís d'aller sur les route.
au-devant des fermiers; que ceux qui arrive-
raient seraient dirigés par la police et distri-
hu~s également entre les différents marchés,
qu'on ne pourrait pas aller faire queue a la
porte des bOl1chers avant six heures, cal' il arri-
vait SOllvent qu 'on se Jevait a trois pour cela.


Ces réglements multipliés ne pouvaient épar.
gner au peuplc les maux qu'il endurait. Lc~
ultra-ré\'olutionnaires se torturaient l' esprit
pour imaginer des moyens. Une derniere idée
leur était venue , e' est que les jardins de luxe
dont aboIldaiént les faubourgs de Paris, et
surtout le faubourg Saint·Germa¡'n , pourraient
erre mis eH culture. AllSSltót la commnne, qUl
De leur refllsaÍt rien, avait ordonné le re-
eensement de ces jardins, et 011 décida que, le
recen semen t fait, on y cl1lti verait des pommes
de terre eL des plantes potageFes. En outre..,
ils avaient supposé que les légllmes, le laitage,
!a voJaille u'arüvant plus a la ville, la cause en




'" r;)2 RÉVOLUTION FRAN~AJSt:.
devait etre imputée aux aristocrates relirés
dans leurs maisons antour de París. En elTet,
beauconp de gens effrayés s'étaient cachés dans
leurs maisons de campagne. Des sections vin-
r'ent pr.pposer a la commune de remIre un
arreté ou de demander une loi pour les faire
rentrer. Cependant Chaumette, sentant que
ce serait une violation trop odie use de la li-
berté illdividuelle, se contenta de prononcer
un discours menac:;ant contre les aristocrates
retirés autour de París. Il leur adressa seule-
ment l'invilation de rentrer en ville, et fit
donner aux municipalilés des vilIages l'avis de
les surveiller.


Cepen,dant l'impatience du mal était au
comble. Le désordre augmentait dans les mar-
chés. Achaque instant il s'y élevait des tu-
multes. On faisait queue a la porte des bou-
chers, et malgré la défense d'y aller avant une
certaine heure, on meltait toujours le meme
empressement a s'y devancer. On avait trans-
porté la un usage ql1i avait pris llaissance a la
porte des boulangers, c'était d'altacher a la
boutique une corde que chacun saisissait et
tenait de maniere a pouvoir garder son rango
Mais H arrivait id, comme chez les boulan-
gers, que des malveillants ou des gens mal pla-
~és coupaient la corde; alors les rangs se con~




CONVENTION NATJONUE (I794). .53
fondaient, le désordre s'introduisait dans la
fOtlle qlli était en attente, et 011 était pret a


. .


en vemr aux malns.
On ne savait plu~ désormais a qni s'en


prendre. On ne pouvait pas, eomme avant
le 3, mai, se plaindre que la convention re-
fusat une loi de maximum, objet de ton tes
les espérances, car elle accordait tOllt. Dans
l'impuissance d'imaginer quelque chose, on ne
lui demandait plus rien.Cepenuant il fallait se
plaindre; les épauletiers, les commis de Bou-
chotte, les cordeliers, disaient que la cause de
la disette était dans la faction modérée de la
convention; que Camille DesmouJins, Phili-
peanx, Bourdon de l'Oise, et leurs amis, étaient
les auteurs des maux qu'on essuyait; qu'on ne
pouvait plus exister de la sorte, qu'il fallait
recourir a des moyens extraordinaires; et ils
ajoutaient le vieux pro pos de toutes les insur-
rectioTls : 11 faut un clu:f Alors ils se disaient
mystérieusement a l'oreille: Pache sera fait
grand-juge.


Cependant, bien que le nouveau partí dispo-
sat de moyens assez consídérables, bien qu'il
eut pour lui l'armée révolutionnaire et une
disette, il n'avaít cependant ni le gouverlle-
ment, ni l'opinion, car les jacobius ll1i étaient
opposés. Ronsin, Vi ncent, Hébert, étaient




15/í rtÉVOLt;TION FJlAN9AISE.
oblígés de professer pour les autorités étahlitts
un respect apparent, de cacher leurs projets,
de les tramer dans l'ombr·e. A l'époqlle du
10 aout et du 31 mai, les conspirateurs, mal-
tres de la commune, des Cordeliers, des Jaco-
bins, de tous les clubs, aJant daos l'assemblée
nationale et les comités de nombreux et éner-
giques partisalls, osant conspirer a découvert,
pouvaient entrainer pub1iquernent le peupJe a
leur sllite, et se servir des masses pour l' ex\:!-
cution de leurs complots; mais iI n'en était pas
de meme pour le parti des ultra-réf;Jolution-
naires.


I..,'alltorité actuelle ne refusait aucun de:.
nloyells extraordinaires de défense, ni meme
de vengeance; des trahisons n'accusaient plus
sa vigilance; des victoires sur tOlltes les fron-
tieres attestaient au contr~ire sa force, son ha-
bileté et son :rele. Par conséquent, ceux qui
attaquaient cette autorité et promettaient ou
une habileté ou une énergie sllpérieures a la
sienne, étaient des intrigants qui agissaient
évidemment dans un but de désordre ou d'am-
bitioIl. Telle était la cünviction publique, et les
conjurés ne pOllvaient se flatter d'entrainer
le peuple a leur suite. Ainsi, qtIoiqlle redou-
tables si on tes laissait agir, ils l'étaient peu lil
on It?s arttetait a temps.




CONVl:NTION N>\TIONAU (1794). 15$
Le comité les observait, et iI continuait, par


une suite de rapports, a déconsidérer les deux
partis opposés. Dans les ultra·révolutionnaires,
il voyaitde v~ritables conspirateurs a détruire;
au contraire , il n'apercevait dans les modérés
que d'anciens amis, qui partageaient ses opi-
nions, et dont le patriotisme lle pouvait lui
ctre snspect. Mais pour lle point paraitre fai-
blir en frappant les llltra-révolutionnaires, il
était obligé (le conoamner les modérés, etd'en
appeler sans cesse a la terreur. Ces derniers
voulaient répondre. Camille écrivait de nou-
veaux numéros; Danton et ses amis combat-
taient dans leurs entretiens les raisons dn co-
mité, et des-lors une lutte d'écrits et de propas
s'était engagée. L'aigreur s'en était suivie, et
Saillt-J Ilst, Robespierre, Barrere, Billaud, qui
d'ahord n'avaient repoussé les modérés que par
poli tique , et 'pour etre plus forts contre les
ultra - révolutionnaires, commen<;aient a les
poursuivre par humeur personnelle el par
haine. Camille avait déja attaqué, comme on
l'a vu, Collot ct Barrere. Dans sa lettre a Dll-
Ion, il avait adressé au fanatisme dogmatique
deSaint-Just, et a la dnreté monacale de Bil-
laud, des plaisante¡'ies qui les blesserent pro-
fondément. n avait enfio irríté Robespierre
~mx Jacobins, et, tont en le \ouant beaucoup,




156 RÉVOLUTION FRAN!;AlSJ:.
il finit par se l'aliéner toul-a-fait. Dauton leur
était peu agréable a tous par sa renommée;
et aujourd'hui, qu'étranger a la conduite des
affaires, iI restait a l'écal't, censurant le gou-
vernement, et paraissant exciter la plume causo
tique et babillarde" de Camille, íI clevait leur
<Ievenir chaqlle jour plus odienx; et ii n'était
pas supposable que Robespierre s'exposat en~
<:ore a le défendre.


Robespierre et SaÍnt-J ust, habitués a faire
au llom du comité les exposés de principes,
et chal'gés en quelque sorte de la partie mOl'ale
du gouvel'nement, tandis que Barrere, Carnot,
Billaud et autl'es, s'acquittaient de la pal'tie ma-
térielIe et administrative, Robespierre et Sajnt-
Just firent deux I'apports, l'un sur les princllJes
de morale q~ti devaient diriger- le gouveme-
mentrévolutionnaire, l'autre sur les déten·
tions dont Camille s'était plaint daos le ViellX
Cordelier. Il fant voir oomment ces' deux es-
prits sombres concevaient le gouvernement
révolutionnaire, et les moyens de régénérel'
un état.


«( Le príncipe du gouvernement démoc~ati­
ce que,c'est la v~rtu, disait Robespierre "", et son


* Expression de Camille lui-meme.
** Sé=\nce dn 17 pluviose, an n (5 févricl'j.




m.'iVEHION NATIONAI,E (1794). 157
j( moyen pendant qu'il s'établit, c'est la terreul'.
« Nous voulons substituer, dans notre pays,
(( la morale a l' égolsme, la probité a l'honneur,
" les pril1cipes aux llsages, les devoirs aux bien-
,( séanees, l' empire de la raison a la tyrannie
e de la mode, le mépris du vice au mépris du
( malbeur, la fierté a l'insolence, la gl'andeur
,( d'ame a la vanité, l'amaur de la gloire a 1'a-
é< mour de l'argent, les Lonnes gens a la bOllne
« compagnie, le mérite a l'intrigue, le génie
" au bel esprit, la vérité a l'éclat, le charme
,( du bonheur aux· ennuís de la volupté, la
« graIHleur de l'hornme a la petitesse des
({ grands, un peuple magnanirne, puissallt,
" heureux, a un peuple aimable, frivole et mi-
,( sérablc, e' est-~I-dirc toutes les vertus et tous
(( les miracles de la répnbliqne a tous les vi-
I( ces et a tous les ridienles de la monarehíe.»


Ponr atteindre 11 ee but, il fallait un gouver-
nement :tnstere, énergique, qui surmontat les
résistanees de toute espece. Il y avait, d'une
part, l'ignorancebrutale, avide, qlli ne voulait
dans la république que des bouleversements;
de l'autre, la eorruption Iaehe et vile quí vou-
bit tous les délices de raneien luxe, et q ui
ne pouvait pas se résoudre allX vertus énergí-
ques de la démocratíe. De la, deux factions :
l'llne qui voulait outrel' tOllte chose, qui pous·




I 5~ HIÍVOLVTrON FRA.N<:AISF.
~ait tout au-dela des bornes. qui, pOllr atta-
quer la superstition, cherchait a détrllire Dieu
mérne, et a verser des torrents de sang sons
prétexte de venger la république; I'alltre qui,
faible et vicie use , ne se sentait pas assez vel'-
tueuse pour étre si terrible, et s'apitoyait Ia-
chernent sur tous les sacrifices nécessaires
qu'exigeait I'établissernent de la vertu. L'une
de ces factions, disait Saint-J ust ", voulait CRAN-
G.ER LA LIBERTÉ EN BACCRANTE, L' AUTRE EN PROS-
TITUÉE.


Robespierre et Saint-Just énurnéraient les
folies de qllelques agents dll gouvernernent
révolutionnaire, de deux ou trois procureurs
de communes, qni avaient prétendu renouve-
ler l'énergie de Marat, et iIs faisaient ainsi al-
lusion a toutes les folies d'Hébert et des siens.
lls signalaient ensuite les tOl'ts de faiblesse,
de complaisance, de sensibilité, irnputés aux
nOllveaux modérés; iIs leur reprochaient de
~'apitoyer sur des veuves de généraux, sur des
intrigantes de l'ancienne noblesse, sur des aris-
tocrates, de parler enfin saIlS cesse des sévé-
rités de la république, bien inférieures aux
cruautés des monarchies. « Vous avez, disait
f( Saint-Just, cent rnílle détenus, et le tribunal


• RJppol't du 1\ vento~e (2.6 févl'iel').




CONVl'NTlON N A'rJON AU, ". J 794). 1 5~1
{( révolutionnaire a condamné déja trois Cl'ots
« coupahles. Mais sous la monarchie vous aviez
ce quatre cent mille prisonniers; on pelldait
« par an qllinze mille contreuandiers; on rouait
« trois mille hommes, et aujourd'hni meme il
« y a en Europe quatre millions de prisonniers
« dont vous n'entenclez pas les cris , tandis que
,( votre modération parricide laisse triompher
" tous les ennemis de votre gOllvernement!
« Nons non s accablons de reproches, et les
« rois, mille fois plus cruels que nous , dor-
« ment dans le crime. "


Robespierre et Saint-Just, conformément au
systeme convenu, ajoutaient que ces deux fac-
tions, en apparence opposées, avaient un point
d'appui commun, l'étranger, qui les faisait agir
pour perdre la république.


00 vOlt ce qu'il entrait a la fois (le fana-
tisme, de potitique et de haine , daos lesys-
teme du comité. Camille, par des allusioBs,
et meme par des ex pressions directes, se trou-
vait attaqué lui et ses amis. II répondait, dans
son Pieux Cordelier, au systeme de la V€l'tu
pnr celui du bonheur. 11 disait qu'il airnait la
république parce qu'elle devait ajoutel' a la
félicité générale, paree que le cornmeree, l'in-
dustrie, la civilisation s' étaient développés avec
pllls d'p,dat a I\thenes, a Venise, a Florence,




160 nliVOLlJTION FKAN«,:AIS}':.


que dallS tOl/tes les mOllarchies; paree que la
répllblique pouvait seu le réaliser le vreu men-
teur de la monarehie, la poute au poto (( Qu'im-
« porterait a Pitt, s' éeriait Camille, que la
I( France fUt libre, si la liberté ne servait qu'a
(( nous ramener a l'ignoraneedes vieux Gau-
(( lois, a leurs sayes, a leurs brayes, a leur guy
«( de chene, et a leurs maisons, qui n'étaient
c( que des échoppes en terre glaise ? Loin d' en
« gémir, iI m.e semble que Piu donnerait bien
({ des guinéespour qu'une telle liberté s'établ1t
/( chez nons. Mais ee qui rendrait furieux le
«gollvernement anglais, c'est si on disait de
(( la France ce que disait Dicéarque de l'Atti-
1( que: Nulle part au monde on ne peul vi¡lre
/( plus agréablement qu'a Athimes, soit qu'on
" ait de l'argent, soit qu'on n'en ait point.
« Ceux qui se sont mis ti l'aise, par le com-
e< merce ou leur industrie, peuvenl s'y procurer
" Golis les agrérnents imaginables; el quant ti
f( ceux quí cherchent ti le devenir, il Y a tan!
« d' ateliers ou ils gagnent de quoi se divertir
If aux ANTHESTÉRIES , et metlre encore quelque
« chose de cóté, qu'il n'y a pas moyen de se
« plailldre de sa pau"reté, sans se faire ti soi-
l{ méme un reproche de sa paresse.


« le erois done que la liberté n'existe pas
f( dan S ulle égalité de privatioIlS, et que le




r:()~VléNTIOX N.\ TION.\:' lo: (1794). ,61
tt plus bel éloge de la convention serait, si
t( elle pouvait se renore ce témoignage : j'ai
« trouvé la nation sans culottes , et je la laisse
« culottée.


« Charmante démoeratie, ajontait Camille,
« que eeHe d'Athenes! Solon n'y passa point
« pour un muscaoin, iI n'en fut pas moillS re-
i( gardé comme le modele des législateurs, et
« proclamé par l'oracle le premier des sept
« sages, quoiqu'il ne fit aueune diffieulté de
« eonfesser son penehaot pour le vin, les
« femmes et la musique; et il a une possession
« de sagesse si bien établie, qu'aujourd'huí en-
« core on ne prononce son nom dans la con-
« vention et aux Jacobins que comme eelui du
'í plus graml législateur. Combien cepenoant
« oot parmi nous une réputation d'aristocrates
« et de Sardanapales, qui n'ont pas publié une
« semblable profession de foi!


« Et ce divin Socrate, un jour reneontrant
« Alcihiade sombre et reveur, apparemment


<t par'ce qu'il était piqué d'une leftre d'Aspasie:
« -Qu'avez-vons? luí dit le plus grave des Men-
« tor; auriez-vous perdu votre bouclier a ]a
« bataille? avez-vous été vaincu dans le camp ,
« a la eourse ou a la salle d'armes? que]qu'ún
« a-t-il mieux chanté ou mieux joué de la lyre
« qUf' ,'OllS a la table dn génél'al? - Ce trait


Yl. 1I




162 REVOl.(lTION FRAN~:AISlc.
« peint les mcellrs. Ql1els républicaills alma-
«( bIes! »


Camille se plaignait ensuite de ce qll'aux
mreurs d'Athenes, on ne voullit pas ajollter
la liberté de langage qlli régnait dans ce He
république. Aristophane y représentait sur la
sdme les généraux, les orateurs, les philoso-
phes et le peuple llli-meme; et le peupte d'A-
thenes\ tantot joué sons les traits d'un viei]-
lard, et tantot 'sous ceux d'un jeune homme,
loin de s'il'ritt.'I', proclamait Aristophane vain-
queur <les jeux, et l'encourageait par des bra-
vos et des couronnes.Beaucoup de ces co-
médies étaient dirigées contre les ultra-révo-
lutionnaires de ce temps-Ia; les raiHeries en
étaient crueUes. « Et si auj'Ourd'hui, ajontait
1( CamiUe, on troduisait quel<Ju'une de ces
f( pieces jouées 430 ans avant Jésus-Christ, sous
(( l'archollte Sthéllocles, Hébert soutioodrait
( aux Cordeliers que la piece ne peut etre que
« d'hier, de l'inventioll de Fabre-d'Églantil1e,
({ contre lui el ROllsin, el que c'est le traduc-·
({ teu~ qui est la cause de la disette.


({ Gependant, reprenait Camille avec tris-
« tes!re, je m'aoose qllanu je dis que les
« hammessont rchangés; ils out touj·ours élé
« les memes; la liberté de parler n'a pas été
" plns impnnie dans les républiques 3uciennes




,


CONVEl'fl'WN N ATlON.\.LE (1794)- 163
« que aans les modernes. Socrate, accusé d'a-
«( voir mal parlé des dieux, but la cigue; Cicé-
« rOIl, pour avoir attaqué Antoine ~ fut livré
« aux proscriptions. »


Ainsi ce malheureux jeune homme semblait
préJire que la liberté ne lui serait pas plus
pardonnée qu'a tant d'autres. Ces plaisanteries,
cette éloquence irritaicnt le comité. Tandis
qu'il suivait de l'reil Ronsin, HéLert, Vincent
el tous les agitateurs, il cOBcevait une. haille
funeste contre l'aimable écrivaill qni se riait
de ses systt~mes; contre Danton, qui' passait
pour inspil'er cet éCl'Ívain, contre ton s les
hommes enfin supposés amis on partisans de
ces deux chefs.


Pour ne pas dévier de sa ligne, le comité
présenta deux décrets a la suite des rapports
ue Robespierre et de Saint-Just, tendant, di-
sait-il, a rendre le peuple heureux aux dépens
de ses ennemis. Par ces décrets, le comité de
sUl'eté générale était selll investi de la faculté
d'exallliner les réclamations des dét~n!ls, et de
les élargir s'ils étaient reconllllS patriotes. TOlls
ceux, au contraire, qni seraient reconnus enne-
mis de la révolution, resteraient enfel'mésjus-
qu'il la paix, et bannis ensuite a perpétuité.
Leurs bieus, provisoirement séquestrés, de-
vaiellt étre partagés aux patriotes indigenti,


1 lo




I 64 H~:\'ur.l;TIOLY ~'lUN~Alsr,.
dont la lisIe seraÜ dressée par les communes',
C'était,comme OIl le voit, la loi agraireappliqllée
contre les suspects au profit des patriotes. Ces
décrets, imaginés par Saint-Just, étaient desti-
nés a répondre a llX ultra-n!volutionnaires, et
a conserver a11 comité sa réputation d'énergie.


Pendant ce temps, les conjurés s'agitaient
avec plus de violenc~ que jamais. Rien )le prouve
que leurs projets fussent bien arretés, ni qu'ils
eussent mis Pache et la commune dans lenr
complot. Mais ils s'y prcnaient comme avant
le 31 mai; ils soulevaielll les sociétés populai-
res, les cordeliers, les sectiolls; i [s répandaient
des bruÍls menac,;ants, et cherchaiellt a pl'ofit{'I'
des troubles qu'excitait la disette, chaque joUl'
plus g,'ande et plus sentie.


Tout.a-coup on vit paraitre, dans les halles
et les marchés, des affiches, des pamphlets,
annol1<;ant que la conventioIl était la cause de
t011S les maHX du peuple, et qu'il fallait eJl al'-
racher la factioll dangel'ellse, qui vOlllait 1'('-
nouveler les brissotins et lenr f!lJleste sJsréme.
Quelques-uns meme de ces éCl'its portaient que
la convenlion tOllt entiel'e devait etre renou-
velée, qu'on devait choisir un chef, et ol'ga-
niser le pouvoir exécutif, elc .... Toutes les


• Décreh de, 8 el )'3 \'entose an 11,




CONVENTlON ~ ATIONALh \ I 794 J. 165
jdées en un mot qu'avaient roulées dansleul'
tete, Vincent, Ronsin, Hébert, remplissaient
ces écrits, et semblaient trahir leur origine. En
meme temps, OH vit les épauletiers, plus turbll-
lents et plus fiers que jamais, menacer han te-
ment d'aller égorger dans les prisons. les eune-
mis que la convention corrompue s'obstinait a
épargner. lis disaient que beaucoup de pa-
triotes se tl'úllvaient injustement confondus
dans les prisons avec les al'istocrales ,mais
qu'ún allait faire le triage de ces patrio tes , el
flu'on leul' donnerait a la fois la liberté el des
armes. Ronsin, en granel costume de général
de I'armée ré\'olutionnaire, avec une echarpe
tricolore, une houppc rOllge, et entolll'é de
q uelques-uns de ses officiers, parcourait les
prisons, se faisaít montrer Jes écrous, et for-
mait des listes.


On était au 15 ventoseo La sectioll de Marat:,
présidée par MOInoro, s'assemble, et, indignée,
dit-elle, des machinations des ennemis d 11
peuple, elle déclare en masse qll'elle est de-
bout, qu'elle va voiler le tablean de la décla,.
ration des droits, et qu'elle restera dans cet
état.jusqu'a ce que: les subsistances et la liberté
soient assurées ah peuple, et que ses eune-
mis soient punís. Dan s la me me soirée, les
t;ordeliers s'assemblent eH tUIlluhe; OH fait




di6 RÉVOLUTION FRAN9AfSI':.
chez eux le tableau des souffrances publiques;
on raconte les persécutionsqu'ont récemment
essuyées les deux grands patriotes, Vincent et
Ronsin. Jesqnels, dit-on, étaient maJades an
Luxembourg, sans pouv()ir obtenir un mé-
decin qui le.s saignat. En conséquence on dé-
ciare la patrie en c1anger, et on voile la déela-
ration des droits de l'homme. C'est ainsi que
tontes les insurrections avaient commencé, par
la déclaration que les lois etaient suspendues,
et que le peuple rentrait dans l'exercice de sa
souveraineté.


Le Iendemain 16, la section de l\farat et les
cordeliers se présentent a Ja commune ponr
luí signifier leurs arretés, et pour l'entrainer
aux memes démarches. Pache avait eu soin de
De pas s'y rendre. Le nommé Lubin Pl'ésidait
le conseil général. Il répond a la députation
avec un embarras visible; il dit que dans le
moment ou la convention prend des mesures
si énergiques contre les ennemis de la révolu-
tion, et ponr secourjr les patrjotes indigents,
il est étonnant qu'on donne un signal de dé-
tresse, et qu'on voile la déclaration des droits.
Feignant eDsuite de justifier le conseil général,
comme s'i! était accusé, Lubin ajoute que le
conseil a fait tous ses efforts pOllr aSSllrer les
subsistances et en régler la distribution. Chau-




CONVENl'ION NATIONALl; (1794). 167
mette líent des discours tout aussi vagues. Il
l'ecommande la paix, requiert le rapport sur
la culture des jardins de luxe, et sur l'appro-
visionnement de la capitale, qui , d'apres les
décrets, devait etre approvisionnée eornme une
place de guerreo


Ainsi les chefs de la. commune hésitaient, el
le mouvement, quoique turnultueux, n' était
pus assez fort pour les entrainer, et leur ins-
pi.rcJ? le courage de trahir le comité ~t la ~on­
vention. Le désordre néanmo\~s éta.it g.'and.
L'insurrection commen~ait comme toutes ceHes
qui avaient jadis:réussi, et ne elevait pas ins-
pirer de moindres craintes. Par une rencontre
facheuse, le comité de salut public était privé,
dans le moment, de ses membres les plus in-
fll~euts: Billaud-Varennes, Jean-Bon-Saint-An-
dré, étaient absents pour ~ffaü'e d'admi.nistra-
tion; Couthon et R(')bespit:lrre ~taie~t m,a.1ades,
et celui-ci ne pouvait pas venir gQ\\verner ses
fideles jacobins. Il ne restait q¡uli} S:lint-Just et
Collot-d'Herbois pour déjouer ~ette tentative.
11s se rendent tous les deu~ a la couvention,
ou l'on s'assemblait en tllmulte, ~t ~U l'on
tremblait d'effroi. Sur leur proposition, OIl
mande ausiitot Fouquier-Tinville; on le Gharge
de rechercher sur-le-champ les distrihutenrs
.les écrits incelldiaires répandus dans les mar·




j{58 lttVOLUTION j'o'llAN(jAtSE.
chés, les agitateurs qui troublent les sociétés
poplllaires, tous les conspirateurs enfin qui
mellacent la trauquillité publique. On lui en-
joint par décret de les arreter sur-Ie-champ,
et d'en faire sous trois jours son rapport a la
convention.


C'était peu d'avoir un décret de la conven-
tÍon, car elle ne les avait jamais refusés contre
les perturbateurs; et elle n'en avait pas laissé
manquer les girondins contre la commune in-
surgée; mais il fallait assurer l' exécution de
ces décrets en se rendant maitres de l'opinion.
Collot, qLli avait une grande popularité aux
Jacobins et aux Cordeliers par son éloquence
de club, et surtout par une· énergie de senti·
ments rtivolutionnaires bien connue, est chargé
de cette journée, et se rend en h,lte aux Jaco-
bins. A peine sont·ils assemblés qu'il leur fait
le tablea u des factions qui rnenacent la liberté,
et des complots qu'elles préparent : « Une nou·
« velle campagne va s'ouvrir, dit-il, les soins
« du comité qui ont si heureusement terminé
« la campagne derniere, allaient assurer a .la
« république des victoires nouvelles. Comptant
« sur votre confiance et votre approbation,
« qu'il a toujours eu en vue de mériter, iI se
« livrait a ses travaux; mais tout-a-coup nos
« ennemis ont voulu l'entraver dans sa mar-




CUNn;NTIO.\' J'<A1'WNALli \ '7~)4), )6~)
(e che; ils ont soulevé antour de lui les patriotes,
« pour les lui opposer et les ' faire égorger en-
(e tre eux. On veut faire de nous des soldats de
« Cadmus; on vent nous irnmoler par la maill
« les uns des autres. Mais lIon, nous ne serons
« point les soldats de Cadmus! graces a votre
e( bon esprit, llOUS resterons amis, et nous ne
~e serons que les soldats de la liberté! Appuyé
« sur vous, le comité saura résister avec éner-
« gie, comprimer les agitateurs, les rejeter hors
(( des rangs des patriotes, et, apres ce sacrifice
ce indispensable, poursuivre ses travanx et vos
« victoires. I~e poste ou vous nous avez placés
« est périlleux, ajonte Collot; mais aucun de
« Hons ne tremble devant le danger. Le co-
«( mité de sureté généralc accepte S3 pénible
« mission de surveiller et de poursuivre tous
« les ennemis qui trament en secret contre la
({ liberté; le comité de f.alut public ne néglige
« rienpour suffire a son immense tache; mais
ce tous deux ont besoin el'etre soutenus par
« vous. Daos ces jours de danger, nous sommes
» peu nombrellx. Billaud, Jean-Boll, sont ab-
({ sents; nos amis Couthon et Robespierre sont
« malades. Nousrestons donc en petil nomb,'e
( pOllr combattre les ennemis clu bien public;
(( jI faut que vous nous souteniez ou que n01l5
\1 1I0US retirions. » - Non, non, s'écl'ient le;;




170 RÉVOLUTION FHAN<,:AJSE.


jacobills. Ne vous retirez. pas; nous vous 50U-
tiendrons. - Des applaudissements nombreux
aeeompagnent ces paroles eucourageantes. Col-
lot poursuit et raeonte ators ce qui s'est passé
aux. Cordeliers. r( Il est, dit-il, des hommes qui
« n'ont jamais eu le courage de souffrir pen~
I( dant quelques jours de détention, des hom-
« mes qui n'ont ríen essuyé pendant la révo.
(1 lution, des hommes dont nous avions pris la
« défense quand nous les avons erus opprim€s,
({ et qui ont voulu amener ooe insurreetion
e( dans Paris, paree qu'íls avaient été détenus
« quelques instants. Une illsurrection, paree
« que deux hommes ont sOllffert, paree qu'un
II médeein ne les a pas saignés pendant qu'ils
« étaient malades!... Anatheme a ceux qui de-
« mandent une insllrreetion l. .... »-Ouí, ouí,
anatheme! 5' écrient tous les jaeobi ns en masse.
~. « Marat était eordelier, reprend Collot, Ma-
« rat était jaeobin; eh bienl lui aussi fut per-
le sécuté, beaueoup plus san s dOllte que ces
« hommes d'un jour; On le traina devant le
« tribunal, ou ne devaient comparaitre que
« des aristocrates : provoqua-t.il une insurrec-
(( lÍon ? ... Non. L'insurrection sacrée, l'insur-
« reetion qui do~t délivrer l'humanité de tOllS
f( ceux qni l'opprirnent, prend naissance dans
« des sentiments plus généreux que le pctit




CONVI-:NTlON l'iATJONALE (I7~)4)· 17)
f( sentiment ou ron veut nous entrainer; mais
« nOl1S n'y tomberons paso Le comité de salnt
(( public ne cédera pas anx intrigants; iI prend
« des mesures fortes et vigoureuses; et, dut-il
« périr, il ne reculera pas devant une tache
I( aussi glorieuse. ))


A peine Collot a-t-il achevé que Momoro
veut prendre la parole ponr jllstifier la section
de Marat et les cordeliers. Il convient qu'un
voile a été jeté sur la déclaration des droits,
mais il désavone les autres faits; il nie le pro-
jet d'insurrec1ion, et soutient que la section
Marat et les cordeliers son1 animés des meil-
Ieurs sentiments. Des conspirateurs qui se j l1S-
tifient sont perdus. Des qu'ils ne peuvent pas
avouer l'insurrection, et que le seul énoncé dll
but ne fait pas éclater uu élan de l'opinion en
leur faveur, ils ne peuvent plus rien. Momoro
est écouté avec une désapprobation marquée ;
et CoUot est chargé d'aller, au nom des jaco-
bins, fraterniser avec les cordeliers, et rame-
ner ces freces égarés par de pedides sugges-
tions.


La nuit était fort avancée, Collot ne pouvait
se rendre aux Cordeliecs que le lendemain 17;
mais le danger, quoique d'abord effrayant,
n'était déjil pillS redoutable. Il devenait évident
que l'opinion n'était pas favorablement dispo-




17'J. RÉVOLUTION FRAN~AlSI-:.
séc pour les conjurés, si OH peut leu!' donller
ce llom. La commune avait reculé, les jacobins
élaieut restésau comité et a Robespierre, quoi-
qu'il fut absent et malade. Les cordeliers im-
pétuenx, mais faiblement dirigés, et surtout
délaissés par la commllne et les jacobins, ne
pouvaient manquer de céder a la faconde de
Collot-d'Herbois, et a l'hollneur de voir dan s
Ieur sein un membre aussi fameux du gouver-
uement. Vincent avec sa frénésie, Hébert avec
son sale journal dont il mnltipliait les numéros,
Momoro avec ses arre tés de la section de Marat,
ne pouvaienl déterminer un mouvement déci-
sif. Ronsin seul, avec ses épauIetiers et des
munitions assez considérables, aurait pu tenter
un coup de main. 11 en aurait eu l'aullace,
mais soit qu'il ne trouvat pas la meme andace
clans ses amis, soit qu'iI ne comptat point assez
sur sa troupe, iI n'agit pas, et du 16 an 17
tont se borna en agit~tions et en menaces. Les
épauletiersrépalldus dans les sociétés populaires
y causerent un granel tumulte, mais n'oserent
pas reCOUrIr aux armes.


Le J7 au soir, ColIot se rendít anx Copde-
liers, ou il fui accueillí par de grands applau-
díssements. IlIeur dit que des ennemis secrets
de la révolution cherchaient a égarer leur pa-
triotisme; qu'on avait VOUlll déclarcr la répll-




CONV EN'fION NA TION A Ll-~ (1794). 173
bliquc en état de détresse, tandis que dans le
mament la royauté et l'aristocratie étaient seules
aux abois; qu'on avait cherché a diviser les
cordcliers et les jacobins, mais qu'ils devaient
composer au contraire une seule fa mili e , nnie
ele principes et d'intentions; que ce projet d'il1-
surrection, ce voile jeté sur la déclaration des
droits, réjonissaient les aristocrates, et que la
veille ils avaient tous imité cet exemple, et
voilé dans-leurssalons la dédarat¡on des droits;
et qu'ainsi, pour ne pas combler de satisfaetion
l'ennemi commun, ilsoevaient se hater de dé-
voiler le code sacré oe la Ilature. Les cordelicrs
fureIlt entr,llnés, qUOiqll'íl y cut pal'mi eux un
grand nombre de commis' de BOllchotte; iIs se
haterent de faire acte de repentil'; ils arrache-
rent le ere pe jeté sur la déclaration des droits,
et le remirent a Collot, en le chargeant d'as-
surer ame. jacobins qu'ils marcheraient toujours
clans la meme voie.


Collot-d'Herbois courut annoncer aux jaco-
bins leur victoire sur les cordeliers et sur les
ultra-réCJolutionnuires. Les conj urés étaient done
abandounés de toutes 'parts; il ne leor restait
que la ressource d'un COllp de main, ql1i,
a VOI1S - nOlls dit ,était presque im possible. Le
comité de salut public résolnt de prévenir tout
mOIl"t'tncnt de leur part, en faisallt arre ter




l74 RÉVOLUTION FRA1·H¡A1S}~.
les principaux chefs , et en les envoyant sur-Ie-
champ au tribunal révolutionnaire. 11 enjoi-
gnit a Fouquier de rechercher les faits donl
un pourrait composer une conspiration; et de
préparer tout de suite un acte d'accusalion.
Saint-Just fut chargé en meme temps de faire
un rapport a la convention, contre les fac-
tions réunies qui menac;aient la tranquillité de
l'état.


Le 23 ventose Cl3 mars), Saint-Just pré-
sente son rapport. Suivant le systeme adopté,
il;Dontre toujours l'étranger faisant agir deux
factions; l'une composée d'hommes séditieux,
incendiaires, pillards, diffamateurs, athées,
qui vonlaient amener le bouleversement de la
république par l'exagération; l':mtre, compo-
sée de corrompus ,d' agioteurs , de concussion-
naires, qui, s' étant laissé séduire par l'appat
des jouissances, voulaient énerver la républi-
que et la déshonorer. Il dit que l'une de ces
deux factions avait pris l'initiative, qu' elle avait
essayé de lever l'étendard de la révolte, mais
(jU'elle allait etre arretée, et qu'il venait en
consequence demander un décret de mort
contre tous ceux ~ en genéral, qui avaient mé-
dité la subversioll des pouvoirs, machiné la
corruption de l'esprit public et des mceurs ré-
pllblicaines, entravé l'arrivage des subsislances,




tO:\'VENTlON N ATION AI.E (1794). 17;
et contl'ibué de q uelque maniere au plan ourdi
par l'étrangeI'. Saint-Just ajoute ensuife que.
des cet instant , il fallait 11ETTRE A L'ORDRE DIJ
.tOUR, LA JUSTJCE, LA PROBITÉ, ET TOUTJ<:S LFS
VER TUS RÉPUBLIC ¡\INES.


Daos ce rapport, écrit avec une violence
fanatique, toutes les factions étaient égale-
ment mena~es: mais iI n'y avait de clairement
dévoués auxcoups du tribunal révolotionnaire
que les conspirateurs ultra-revolutionnaires,
tels que ROIlsin~ Vincent, Hébert, etc., et les
corrompus Chabot, Bazire, Fabre, Julien, fa-
bricateurs du fal1x décret. lJne sinistre réti-
cence était gardée envers ceux que Saint-Just
appeIait les indulgents et les modérés.


Dans la soirée du meme jour, Robespierre
se rend anx Jacobins avec Couthon, et ils sont
tous les deux couverts d'applaudissements. 00
les entoure, on les félicite du rétablissement
de leur saaté, et on promet a Robespierre un
clévonement sans bornes. Il -demande ponr le
lendemaill une séance extraordinaire, aSn d'é~
dail'cir le mysterede la conspiration décou-
verte. La séance est résolue. L'cmpressement
de la commune n'est pas moins grand. Sur la
proposition de Chaumette lui ~ meme, on fa.Ít
demander le rapport que Saínt ~ Justavait
prononcé a la convention, et on envoie a l'jm~






[76 RÉVOLlITION FHAN(:A'S.~.
primerie de la république en chercher un
exemplaire ponr en faire lecture. Tout se so u-
met avec docilité a l'autorité triomphante du
comité de salut publico Dans cette nuit du 23
an 24, Fouquier- Tinville fait arreter Hébert,
Vincent, Ronsin, Momoro, Mazuel, I'un des of-
ficiers de Ronsin, enfin, le banquier étranger
Kock, agioteur et ultra-révolntionnaire, chez
lequel Hébert, Ronsin et Vincent mangeaient
fréquemment, et formaÍent tons leurs projets.
De cette maniere, le comité avait deux ban-
quiers étrangers, pOllr persuader a tout le
monde que les deux factions étaient mues par
la coalition. Le baron de Batz devait servir' a
prouver ce fait contre Chabot, Julien, Fabre,
contre tous les corrompns et les modérés; Kock
devait servir a prouver la memechose contre
Vincent, Ronsin, Hébert et les ultra-révolu-
tionnaires.


Les dénoncés se lalsserent arreter sans ré-
sistance, et furent envoyés le lendemain an
Lnxembourg. Les prisonniers accourllrentavec
jaie ponr vair arriver ces furieux qui les avaient
tant effl'ayés, en les mena<,;ant d'un nouveau
septembre. Ronsin montra heaucoup de fer-
meté et d'insouciance; le lache Hébert était
défait et abáttu, Momoro consterné. Vincent
3\'ait des convulsiolls. Le hruit d(> ces arresta-




CONVENTlON NATlONALE (1794). 177
tions se répandit aussitót dans París, et y pro-
duisit une joie universelle. Malheureusem~nt,
on ajoutait que ce n'était point fini, et qu'on
aIlait frapper les hommes de toutes les factions.
La meme chose fut répétée dans la séance ex-
traordinaire des jacobins. Apres que chacun
ent rapporté ce qu'il savait de la conspiration,
de ses antenrs, de leurs projets, on ajouta que,
du reste, toutes les trames seraient connues, et
qu'un rapport serait fait sur des hommes au-
tres que ceux qui étaient actuellement pour-
SUlVIS.


Les bnreaux de la guerre, l'armée révolu-
tionnaire, les cordeliers vcnaient d'etre frappés
dans la pcrsonne de Vincent, Ronsin, Hébert,
Mazuel, Momoro et consorts. On vonlaitsévir
aussi contre la commune. Il ll'était bruit que
de la dignitéde grand-juge réservée aPache;
mais on le savait incapable de s' engager d:ms
mle . conspiration, docile a l'autorité sl:lpé-
rieure, respecté du peuple, et on ne voulnt
ras frapper un trop grand coup en l'adjoignant
aux autres. On préféra faire arre ter Chaumette,
qui n'~tait ni plus hardi, ni plus dangereux
que Pache, mais qui était, par vanité et en-


.... , gouement, l'auteur des plus imprudentes dé-
terminations de la commune, et l'un des apó-
tres les plus zélés dn culte de la Raisan. On


VI. 12




178 R~:VOLUTION FRAN<;:AJSJ':'
arrtlta done le malheureux Chaumette; on l'en-
vaya au Luxemhourg avec l'éveque Gohel,
auteur de la grande scimed'abjuration, et avec
Anacharsis Clootz, déja exclu des Jaeohins et
de la convention pour son origine étrangere,
sa nohlesse, sa fortune, sa répuhlique univer-
selle et son athéisme. ~


Lorsque Chaumette arriva au Luxembourg,
les 'Suspects aeCOUl'urent au-devant de lui, et
l'accablere'nt de 'Í'ailleries. Le malheureux,
avec un grand p'enchant a la dédamation ,n's.-
vait rien de l'audace de Ronsin, ni de la fureur
de Villcent. Ses cheveux plats, ses regards
tremblants lui donnaient les apparences d'un
míssionnaire; et iI avait été véritablement ce-
lui du 'nouveau culte. Ceux-ci lui rappelaiel~t
s€Wréquisitoires cantre les fiUes de j oie, contte
le-s 'aristocrates , 'COntre la fa:rnine, cmitre les
su'Speets. Un prisonníe-r 'luí dit en s'indinatlt:
«pihilosophe AnaxagOl'áS; je suis suspeet, tu
essaspect, ndus sammes saspee!s.)) Chaumette
s'excusa avec un ton soutmiset tl'emblant. Mais
des cemoment il n'osa plus sOl'til' de sa ceUule.
hÍ se renclre dans la cour des prisonniers.


Le comité, apt'es a vQir 'fa'Ít ~rreteT ces mal-
heureux, fit l'édiger par le comité de sureté
générale Pacte d1 aCC111iation eontre Chabot, Ba-
zire, Delaunay, Julien de Toulouse et Fabre,




CONVENTION NATlONALE (1794). ! 79
Tous einq furent mis en accusation ,et déférés
au tribunal révolutionnaire. Dans le meme mo~
ment, on apprit qu'une -émigrée, poursuivie
par un comité révolutionnaire, avait trouvé
asile chez Hérault-Séchelles. Déja ce député si
connu, qui joignait a une grande fortune, une
grande naissance, une belle figure, un esprit
plein de politesse el de grace, qui était l'am!
de- Danton, de Camille Desmoulins, de Proli ,
el qul'Souvent s'effrayait de se voir'dans les
rllllgs de- :ces révolutionnaires terribles; était
devenil suspect, et on avait oublié qu'il était
fauteur principal de la constitutíon. Le comité
se hata de le faire arreter, d'abord paree qu'íl
ne l'aimait pas, ensuite pour prouver qu'H frap-
peraitsans aueun ménagement les modérés
surpris en faute, et q-q;il ne serait pas plus in-
dlll.geht'· pOB!' eux que pour les autres cott-'
pablM> Airt-si, les COllps do i'edoutábleéoiiIité
I!cnriooiem:a la fois.- Sllr les hoinmes ·det~us
les rangs, de t{)utes les opinions, de tous les
mérites.


Le 1 er germinal (2.0 mai'5), commen«¡a le pito.:.
ces d'uue partie des conspirateurs. Ou réunit
dans la merne accusation Ronsin, Vincent,
Hébert, MomofO', Mazuel, le banquier Kóck,
le jeuneLyonnais- Leclerc, devenu chef de di-
vision dans les bureaux de Bouchotte, les nom-


J 2.




180 ltÉVOLUTION FRAN9AISE.


més Ancar, Ducroquet, commissionnaires aux
subsistances, et quelques autres membres de
l'armée révolutiounail'e et des bureaux de la
guerreo Pour cooti~uer la sllpposition de com-
plicité entre la faction ultra-révolutionnaire et
l~ faction de l'étranger, 00 confon<lit eocore
daos la meme accusation Proli, Dubuisson , Pe-
reyra, pesfieux, qui n'avaient jamais eu aucun
rapport 'a vec le~~u tres accusés. Challm~t~e fut
réservé, poqr- qgurer. ,plus·tatd aveq. (;-obel et
les autres auteur~ des scenes du culte de la
Raison; enfiu, si Clootz, qui aurait dú etre as-
socié a ces derniers, fut adjoint a Proli, c'est
en su qua lité d'étranger. Les accusés étaient au
nombre d~ dix-oeuf. Ronsin et Clootz étaieot les
plus hardiset les plus fermes.-(( Ceci,ditRoo-
sin a ses coaccusés,; es t un procespolitique;, a
qUQi bon tOU5 v,os pa,p,iers et vos pI:épa~tifs:de
justification? Vous se~ez coodamnés.'Lorsqu'il
fallai t agir, vous avez parlé; sachez nlOurir. Pour
moi, je jure que vous ne me verrez pas bron-
cher, tachez d'en faire autant. )) - Les misé-
ra1;lles Hébert et Momoro se Iamentaient, en
qisant que la liberté était perdue! . ....,..« La li-
berté perdue, s'écria Ronsin, paree que quel-
ques misérables ¡ndi vidus von ~ périr! J Ja liberté
est immortelle; nos ennemis succomberont
apres nous, et la liberté leur survivra a tOtls.»




CONVENTION NATlONALE (J794). 18.-
- eomme ils s'accusaient entre eux, Clootz
les exhorta a ne pas aggraver leurs maux par
des invectives mutuelles, et il leur cita cet
apologue fameux :


.Te rcvais cene nuit que de mal consumé,
Cótc a cote d'un glleux on m'avait inhumé.


La citation eut son effet, .et ils cesserent de
se reprocher leurs malheurs; Clootz ; plein en-
core de sesopinionsphilosophiques jusqll'a
l'échafaud, poursnivit les deruiers restes de
déisme qlli pOllvaient demeul'er en eux, et lle
cessa de leur precher jusqu'all bout la nature
et la raison, avec un úle ardent et un ineon-
cevable mépris de la mort. lis furent amenés
an tribunal, au milieu d'llnconcours immense
de spectateurs. On a vu, par le récit de leur
conduite, a quoi se réduisait leür cOIlspif'ation.
Clubistes du dernier rtmg, intrigants' de bu-
reaux, coupe-jarrets enrégimentés 'dans l'armée
révolutionnaire, ils avaient l'exagération des
infé'rieurs, des porteurs d'ordres, qui outrent
toujours leur mandato Ainsi, ils avaient voulu
pousser le gouvernement révolutionnaire jus-
qu'a en faire une simple commission militaire,
l'abolition des superstitions jusqu'a lapersé-
clltion des caltes, les mreurs répnblicaines jus-
qll'a la grossiereté, la liberté de langage jnsqu'a




) 8~ RÉVOLUTION FRAN~AISE.
]a bassesse la plus dégoutante, en fin la dé-
llanee et la sévérité démoeratiques a l'égard
des homlP.e~ jusqu'a la diffamation la plus
atroee. De mauvais propos contre la conven-
tion et le comité, des projets de gouvernement
en paroles, des motions aux Cordeliers et dans
les seetions, de sales pamphlets, une visite de
Ronsin dans les prisons, pour y rechercher
s'iln'y avaitpas pespatriotes renfermés, comme
lni, veQait de l' etre, enfin quelques menaces, et
l' essai d'un mouvementsous le prétexte de la
disette, tels étaient leurs complots. n n'y avait
la que sottises et ordures de mauvais sujets.
Mais une conspiration profondément ourdie
et correspoudant avec l'étranger était fort au-
dessus de ces misérables. e' était une perfide
supposition du comité, que l'infame FouqQier-
Tinvilkfut ch~rgé de d~molltrer jm tribunal,
et .que le tribunal eut ordre ~'adopter.


Les mauvais pro pos que Vincent et Ronsin
s'étaient permis contre Legendre, en dinant
avec lui chezPache, leurs proposítions réité-
rées d'organiser le pouvoir exéeutif,furent al-
légués comme attestant le projet d'anéantir la
représentation nationale et le comité de salut
publico Leurs repas ch~.z le banquier Rock fu-
rent donnés comme la preuve de leur corres-
pondance avec l'étranger. A eeHe preuve, OIl eH




COlYVENTION NATIONALE (1794). 183
ajouta une autre. Des lettres écrites de París a
Londres, et insérées dans les journaux al1glais ,
annon~aient que, d'apres l'agitation qui régnait,
des mouvements étaient présumables. Ces let-
tres, dit-on auxaccusés, démontrent que l' é-
tranger était dans votre confidence, puisqu'il
prédisait d'avance vos complots. La disette,
qu'ils avaient reprochée:m gouvernement pour
soulever le peuple, leur fut imputée a eux
seuls; et Fouquier, re.ndant calomnie pour ca-
lomnie, leur wutint qu'ils étaient cause de
cette dísette, en faisant piller sur les routes
les charrettes de légnmes et de fruits. Les mu-
nitions rassemblées a París pour l'armée révo-
lutionnaire lenr furent reprochées comme des
préparatifs de conspiration. La visite de Ron-
sin dans les prisons fut donnée eorome preuve
du projet d'armer les suspects, et de lesdé-.
chainer dans Paris. EnSn, les écrits. répandus
dans les halles; et le voile jeté sur la déclara-
tÍon des droits, furent considérés comme un
commencement d'exécution. Héhert fut cou-
vert d'infarnie. A peine lui reprocha-t .. on se_s
actes politiques et son journal; on se contenta
de lui prouver des vols de chemises et de mou-
choirs.


Mais laissons la ces honteuses discussions
entre ces has accusés et le has accusateur dCímt




184 RIÍVOLUTION FRA.N~AJSJ':.
se servait un gouvernement terrible pour con-
sommer les saerifiees qu'il avait ordonnés. Re-
tiré dan s sa sphere élevée, ce gouvernement
désignait les malheureux qui lui faisaient obs-
tacle, et laissait a son procureur-général Fou-
quier le soin de satisfaire aux formes avee des
mensonges. Si, dans eette vile tourbe de vieti-
mes, saerifiées au hesoin de la tranquillité pu-
.bIique, quelques-unes méritent d'etre mises a
part, ce sont ces malheureux étrangers, Proli,
Anacharsis Clootz, condamnés eomme agents
de la eoalition. Pl'oli, comme nous avons dit,
connaissant la BeIgique, sa patrie, avait hIamé
la violen ce ignorante des jacobins dans ce pays;
iI avait admiré les talents de Dumouriez, et iI
en convint au tribunal. Sa connaissanee des
cours étrangeres l'avait deux ou trois foís rendu
utile a Lebrun, et iI l'avoua encore. - Tu as
blamé, lui dit-on, le systeme révolutionnaire
en Belgique, tu as admiré Dumouriez, tu as
été l'ami de Lebrun, tu es done l'agent de l'é-
tranger.-Il n'y eut pas un autrc faÍt alIégué.
Quant a Clootz, sa république universelle, son
dogme de la raison, ses cent mille livres de
rente, et quelques efforts tentés par lui pour
sauver une émigrée, suffirent pour le convain-
creo A peine le troisieme jour des débats éti;lit-il
commencé, que le jury se déclara suffisamnient




CONVENTfON NATfONALE (J 79{l). 185
éclairé, et condamna pele-mele ces intrigants,
ces brouillons et ces malheureux étrangers a


<la peine de mort. Un seul fut absous; ce fut
le nommé Laboureau, qui, dans eette affaire,
avait serví d'espion au comité de salut publico
Le 4 germinal (24 mars), a quatre heures de
l'apres-midi, les condamnés furent conduits a11
lien du supplice. La foule était aussi grande
qu'aaucune des exécutions précédentes. On
louaitdes places sur des eharrettes, sur des ta-
bIes disposées autour de l'échafaud. Ni Ron-
sill, ni Clootz ne bronch'erent, ponr nous ser-
"ir de le nI' terrible expression. Hébert, accablé
de honte, découragé par le mépris, ne pre-
llait aucun soin ele surmonter sa lacheté; il
tombait achaque instant en défaillance, et la
populace, aussi vil e que lui, suivait la fatale
charrette, en répétant le eri des petits colpor-
teuIlS : Jl est bougrement en colere le Pere Du-
chesne.


AinsÍ [urent sacrifiés ces misérables a l'in-
dispensable nécessité d'établir un gouverne-
ment ferme et vigourenx: et ici, le besoin
d'ordre et d'obéissance n'était pas un de ces
sophismes a l'aide. desquels les gouvernements
immolent leurs victimes. Toute I'Europe me-
na<;ait la France, tous les brouillons voulaiellt
s'emparer de l'autorité, el compromettaient le




186 IIÉVOLUl'lON }'ftANyA ISI!:.
salut commun par leurs ]uttes. Il était indis-
pensable que quelques hommes plus éoergi-
ques s'emparassent de cette autorité disputée,
l' occupassent a l' exclusion de tous, etpussen t
ainsi s'en servir pour résister a l'Europe. Si OH
éprouveun regret, c'est de voir employer le
mensonge contre ces misérables, c'est de voír
parmi eux un homme d'nn ferme courage,
Ronsin; un fou inoffensif, Clootz; un étran-
ger, intrigant peut:-etre, mais point conspira-
teur et plein de mérite, le malheureux Proli.


A peine les hébertistes avaient-ils subí leur
suppliee, que les indulgents montrerent une
grande joie, et dirent qu'ils n'avaient done pas
tort de dénoncer Hébcrt, Ronsin, Vincent;
puisque le comité de salut public et le tribu-
nal révolutionnaire venaientde les envQyer a
la mort.-« De quoi done llOUS accuse·t-on? di-
saient-ils. Nous n'avons en d~autre tort que de
reprocher a ces factieux de vouloir houlever-
ser la république, détruire la eonvention na-
tionale, supplanter le comité de salut publie,
joindre ]e dangcr des guerres reJigieuses a ce-
luides guerres civiles, et amener une confusion
générale. C'est la justement ce que le.n! out re-
prochéSaint-Just et Fouquier-Tinville en les en·
voyant a I'échafaud. En quoi pouvons-nolls etre
desconspirateurs,dcscnnemis de la répnb]ique;l"




CONHNTION NATIONALE (1794). 187
Rien n'était plus juste que ces réflexioIlS, el


le comité pensaitexactement comme Danton,
Camille Desmoulins, Philireaux ,Fabre, sur
le danger de cette tllrbuJence anarchique. La
preuve, c'estqueRobespierre, depuisle 31 mai,
n'avait cessé de défendre Danton et Camille,
et d'accuser les anarchistes. Mais, nous l'avons
dit, en frappant ces derniers, le comité s'ex-
posait a passer pour modéré, et jl fallait qu'il
dépk>yat d'autre part la plus grande .rigueur,
pour ne pas compromettre sa réputatioIJ ré-
volutionnaire. Il faHait, tout en pensant comme
Danton et Camille, qu'íl censurat leurs opi-
nions, qu'il les immolat dans ses discours, et
partit ne pas les favoriser plus que les héber-
tistes eux-memes. Dans le rapport contre les
deux factions, Saínt ·Just avait autant accusé
l'une que l'autre, et avait gardéun silence me-
na~ant a l'égard des indztlgents; Aux JaQQhins,
Collot avait dit que cen'ét;üt pas Hui, etquion
préparait un rapport contre d'autres individus
que ceux qui étaient arretés. A ces menaces
s'était jointe l'arrestation d'Hérault-Séchelles,
ami de Danton, et l'un des hommes les plus
estimé s de ce temps-la. De tels faits n'aollon:..
<,;aient pas l'intention de faihlir, el; néanmoins
on disait encore de toutes parts que le comité
allait revenir sur ses pas, qu'lI allait adoucir 1(·




188 RÉVOLUTION ]<'1\ AN(~AISE.
systeme révolutionnaire, et sévir contre les
égorgeurs de toute espece. Ceux qui désiraient
ce retour a une politique plus clémente, les
détenus, leurs familles, tous les citoyens paisi-
bIes en un mot, poursuivis sous le nom d'indif-
férents, se livrerent 11 des espérances indiscre-
tes, et dirent hautement qn'enfin le régime des
lois de sangallait finir. Ce fnt bientot l'opinion
générale ;' elle se répandit dans les départe-
ments, et surtont dansceluidu Rhone, 011 de-
puis quelques Illois s'exerc;aient de si affreuscs
vengeances, et ou Ronsin avait causé un si
grand effroi. On respira un moment a I,yon ,
on osa regarder en fa ce les oppresseurs, et on
sembla leur prédire que leurs cruautés anaient
avoir un terme. A ces bruÍts, a ces espérances
de la classe moyenne et paisible, les patriotes
s'indignerent. Les jacobins de Lyon écrivirent
a ceux de' Paris. que l'aristocratie relevait la
tete, qüe bientot ils n'y pourraient plus tenir,
et que si on ne leur donnait des forces et des
encouragements, ils seraient réduits a se don-
ner la mort comme le patrio te Gaillard, qui
s'était poignardé 10rs de la premiere arrestation
de Romin.


« J'ai Vll, .ditRobespierre aux Jacobins, des
« Iettres de quelques-uns d'entreles patriotes
« lyonnais; ils expriment tous le meme dé-




CONV:ENTlON NATlONALE (J 794). 1139
(( sespoir, et si l'on n'apporte le remede le plus
(( prompt a lellrs maux, ils ne tronveront de
{( soulagement que dans la recette de Caton et
«( de Gaillard. La factioll perfide, qui, affectant
(( un patriotisme extra vagant, voulait immoler
« les patriotes, a été exterminéc; mais peu im-
(( porte a l'étranger, illui en reste une autre. Si
(( Hébert eut triomphé, la convention était ren-
(( versée, la république tombait clalls lechaos,
« et. la tyr,al1ni~. ¡éta~t satisfa~te;. maís avec les
l( modérés i la conventlon .. perd, son énergie,
( les crimes de l'aristocratie restent, impunis,
l( et les tyrans triomphellt. L'étranger.a donc


t t 1" 1" l' (( au an l esperauce avec tlue qu avec autre
(( de ces factions, et il doit les soudoyer toutes,
«( sans s'attacher a !¡illCune. Que lui importe
( qll'Hébert .expire sur j'échafaud, s'illui reste
( des traitres d'un,e al1tr~ e~p.ec.e,.pourveni\'a
« bout,<le ses· projets?Vous u'avez don~ rien
(l fait s'il vous reste, une facÜon. adétrtúf;e¡,e~
«( la convelltion est résoh,l~ aJes immoler tOtItes
(e jllsqu'A la dcrniere. »


Ainsi le comité avait senti la nécessité de se
laver du reproche de la mooération par un
nonveau sacrifice. Robespierre avait défendu
Danton, quand une factioll audacieuse venait
ainsi. frapper a ses cotés UIt des patriotes les
plus renommps. Alors la politique, IIll daugf'r




190 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
commun, tout l'engag.eait a défendre son vieux
colIegoe; mais auj'ourd'hui cette faction har-
die n'était plus. En défendant plus loug-temps
ce collegne dépopularisé, il se compromettait
Jui-meme. D'ailleurs, la conduitede Diluton
devait réveiller bien des réflexions dans son
ame jalouse. Que faisait Danton loiD du co:"
mité?Entonré de Philipeaux, de CamiHe Des-
moulins, iI semhlait l'instigateul' et te chef de
c~té l100velle oppüSition qui 'pót1Í'Suivait' le
gouvernementde censures et de railleries ame-
res. Depuis quelque temps, assis vis-a-vis de
cette trjbune ou venaient figurer les membres
du comité, Danton avait quelque chose de me-
na(!ant et de méprisant a la fois. Son aUituele,
s~s pro pos répétés de bOlIche eh bouche, ses
lihisons, tout'proavait qu'apres 's.'etre 'isolé du
gO!1vetnement~'ill sIen' était,fa'i-t:le.censeur, et
qu'il se úmait en dehors, conune'poul' lui faire
obstacle nvec sa vaste renommée. Ce n'est pas
tout: quoique dépopularisé, Danton avait néan-
moins une répl1tation d'audace et de génie po-
litique extraordinaire. Danton immolé, il ne
restait plus un grand nom hors du comité; et,
dans le comité. it n'y avait plus que des ré-
putations secondaires, Saint - J ust, Couthon,
Collot-d'Herbois. En consentant a ce sacrifice,
Robespierre du meme coup détrnisait un ri-




r.ONHNTION NATiONALE (179!.). 191
val, rendait au gouvernement 5a réputatíon
d'éllcrgíe, et augmentait surtout son renom de
vertu en frappant un homme accusé d'avoir
recherché 1'argent et les plaisirs. Il était en
outre engagé a ce sacrifiee p,ar tous ses colle-
glles, encore plus jaloux de Danton qu'il ne l'é-
tait lni - meme. Couthon .et Collot - d'Herboí5
n'ígnoraient pas qu'íls étaient méprisés par ce
célebre tribuno Billaud, froid, has et sangui-
naire, trouvait chez luí quelque ehose ·de grand
et d'écrasant. :Saint-Just~ dogmatique ,austere
et orgueilleux, était antipathique avec un ré-
volutÍonnaire agissant, généreux et facHe, et
il voyait que, Danton mort, il devenait le se-
cond personnage de la république. Tous ellfin
savaient que Danton, dans son projet de faire
renonveler le comité, croyaít ne devoir eon-
server que Robespiocre. Ils entourerent done
celui<i,etn' éurent pas de grands efforts a. fiü.,c
pour lui arraeher une dóterminatión siagréa-
ble a son org-ueil. On ne sait quelles explica-
tions amerH~rent cette résolution, quel jour
elle fut prise; mais tout-a-coup ils devinrent
tous mena<,;ants et mystérieux. Il ne fut plUs
question de leurs projets. A la convention,aux
Jacobins, ils garderent un silence absolu. Mais
des bruits sinistres se répandirent sourdement.
On dit que Danton, Camille, Philipeaux, La-




]92. RÉVOLUTION FRAN~AISE,
crOlX, allaient etre immolés a l'autorité de
leurs collegues. Des amis commuIls de Danton
et de Robespierre, effrayés de ces bruits, et
voyant qu'apres un tel acte, il n'y avalt plus
une seule tete qui dut etre en sécurité, que
Robespierre lui-meme ne devait pas etre tran-
quille, voulureut ,'approcher Robespierre et
Danton, et les engagerent a s'expliquer', Ro-
bespierre, se renfermant d::ms un silence obs-
tiné, refusa de 'fépondre a ces ouvertures, el.
garda une réserve farouche, Cornme on lui par-
tait de l'ancienne amitié qu'il avait témoignée
a Danton, il répondÜ hypocritement qu'il ne
pouvait ríen, ni pour ni contr'e son collegue,
que la justice était la pour défendre l'inno-
cence; que ponr lui, sa vie elltiere avait été IIn
sacriflce continuel de ses affections a la patrie;
et que si son ami était coupable, ille sacri.fie-
rait a regret, maisil le sacrifierait comme tous
les autres a la république,


On vit bien que c'en était faít, que cet hy-
pocrite rival ne voulait prendre allcun enga-
gement envers Dantan, et qu'il se réservait la
liberté de le livrer a ses collegues. En effet, le
brllít des prochaines arrestatiolls acquit plus
de consístance, Les amis de Danto'n l'entou-
raient, le pl'eSSalent de sortir de s,on espece de
"Sommeil, de seCOller sa paresse, et de Illon-




CONVENTION N ATION ALR (1794). 193
trer euBn ce front révollltionnaire qui ne s'é-
tait jamais montré en vain dans l'orage. - Je
le sais, disait Danton, iIs veulent m'arreter ! ...
Mais non, ajolltait-il, iIs n'oseron t pas ... -
D'ailleurs, que pouvait-il faire? Fuir était im-
possible. Quel pays voudrait donner asile a ce
révolutionnaire formidable? Devait-il autoriser
par sa fuite toutes les calomnies d~ ses ellue-
mis? Et pllis, il aimait son pa)'s.-Emporte·t-on,
s'écriait-il, sa patrie ti la semelle de ses sou-
lierol' ?-D'autre part, demeurant en France, iI
lui restait peu de moyens a empIoyer. Les cor-
deliers appartenaient aux ultra-rérolutionnai-
res, les jacohius a RoLespierre. La convention
était tremblallte. Sur quelle force s'appuyer ? ..
Voila ce que n'ont pas assez considéré ceux
qui, ayant VII cet homme si puissallt foudroyer
le treme au 10 aout, soulever le peuple contre
les étrangers, n' ont pu concevoir qu'il soit
tombé sans résistance. Le génie révoIutionnaire
ne consiste point a refaire nne popularité pel'-
due, a créer des forces qui n'existent pas, mais
a diriger hardiment les affections d'un peuple
quand on les possede. La générosité de Dan-
ton, son éloignement des affaires, lui avaient
presque aliéné la favenr popnlaire, oudu moins
ne lui en avaient pas laissé assez pour renver-
ser i'autorité régnallte. Dans cette eonvi.ction


VI. 11




194 RivoLUTION FRAN¡;;AISE.
de son impuissance. il attelldait et se répétait :
lis n'oseront paso Il était permis, en effet, de
croire que devant un si grana nom, de si grands
services, ses adversaires hésiteraient. Puis iI
retombait dans sa paressc et dans eette insou-
ci:.nce des etres fOlts qui attendent le danger,
sans se trop agiter pour s'y soustraire.


Le com.ité gardait toujollrs le plus grand
silence, et des bruits sinistres continuaient de
se répandre. Six jours s'étaient écoulés depuis
la mort tl'Hébel't; e'était le 9 germinal. Tout-a-
COllp les hommes paisibles, qlli avaient com;;u
des espérances indiscretes en voyant succom·
ber le partí des forcenés, disent que bientot
on ser .. délivré des deux saints, Marat eL Cha-
loor, et que l'on liI. trouvé dans leur vie de quoi
les transformer, aussi vite qu'Hébert, de grands
patriotes en scélérats. Ce bruit, qui tenait a
l'idée d'un mouvement rétrograde, se propage
avec une singuliere rapidité, et on entend ré-
péter de tous cotés que les bustes de Marat et
de Chalier vont etre brisés. Le maladroit Le-
gendre dénonce ces propos a la convention
et aux Jacobins, eomme pour protester, an
noro de ses amis les modérés, contre un pro-
jet parei 1.-. «ooyez tranq uilles, s' écrie Collot
(( aux Jaeobins, de tels propos seront démen-
« tis. Nous avons fait tOluber la foudre sur les




CONVENTlON N ATJON ALE (1794). 19b
«hommes infames qui trompaient le peuple;
eCllOUS leur ayons arraché le masque, mais ils
cene sont pas les seulsL. Nous arracherons tous
«les masques possibles. Que les indulgents ne
«s'imaginent pas que c'est pour eux que nous
Clavons combattu, que c'est pour euxque nous
(eavons ten u ici des séances gloríeuses. Bien-
ce tot nous saurons les détromper ... )1


Lelendemain ,en effet, JOgerminal(31 mus),
le comité de salut public appella dans son sain
le comité de sureté générale, et, pour donner
plus d'autorité a ses mesures, le comité de
légíslation luí-meme. Des que tous les mem-
bres sont réunis, Saint·J ust prend la paro le ,
et, dans un de ces rapports violents et per6.des
qu'il sayait si bien rédiger, il dénonce Dan-
ton, Desmoulins, Philipeaux, I,acroix , et pro.
pose leur arrestation. Les men'lbres des deux
autres comités, consternés mais tremblants,
n' osen! pas résister., et eroient éloigner le dan·
ger de Ieur personne en donnant leur adhé-
sion. Le plus grand silence est eommandé,
et, dans la nuil du 10 au 1 J germiual, Dan ..
ton, Lacroix, Philipeaux, Camille DesmouliQ.s,
sont arretés a l'improviste, et condllíts lU
Luxembourg.


Des le matin, le bruit en était répandu dans
Paris, et y avait cansé une es pece de stupeul'.


,1.




J 96 RÉVOLUTION FllANYAISJc.
Les membres de la convention se réunissent, !'t
gardent un silence melé d'effroi. Le comité, quí
toujours se faisait attendre, et avait déja "oute
l'insolence du pouvoir, n'était point encore
arrivé. Legendre , qui n'était pas assez impor-
tant pour avoir été arreté avec ses amis, s'em-
presse de prendre la paroJe : (( Citoyens, dit-il,
(( quatre membres de eette assemblée sont ar-
«( retés de eette nuit; je sais que Danton en
C( est un, j'ignore le nom des autres; mais,
«( quels qu'íls soient, je demande qu'ils puis-
( sent etre entendus a la barre. Citoyens, je
C( le déclare, je erois Danton aussi pur q Uf'
(( moi-meme, et je ne crois ras que per-
( sonne ait rien a me reprocher; je n'attaque-
(( raí aucan membre des comités de salut pu-
(( bljc et de sureté générale, máis j'ai le droit
(1 de craindre que des haines particulieres et
«( des passions individuelles n'arrachent a la
(( liberté des hommes qui lui ont rendu les plus
« grands et plus utiles services. L'homme qui,
c( en septembre 92, saliva la France par son
( énergie, mérite d't~tre enteuda, et doit avoir
( la faculté de s'expliquer lorsqu'on l'accuse
« d'avoir trahi la patrie. »


Procurer a Danton la faculté de parler a la
cOllvention était le meilleur moyen de le sau-
ver, f't de démasqner ses adversaires. Beancoup




CONVENTION NATlONALJ, \1794)· 197
de membres, en effet, opiuaient pOllf qu'il fut
entendu; mais, dans ce moment, Robespierre.
devan<;ant le comité, arrive au milieu de ]a dis-
cussion, monte a la tribune, et, avec un ton
col ere et mena<,;ant, parle en ces termes: « Au
« trouble depllis /ong-temps inconnu qui regne
« clans cette assemblée, h l'agitation qu'a pro-
« duite le préopinant, on voit bien qu'il est
« question ieí t\;un grand intéret, qu'il s'agit de
« savoir si qu~lques hommes l'emporteront au-
« jourd'hui sur la patrie. Mais eomment pOllvez-
« vous oublier vos principes, jusqu'a vOllloir
« accorder aujollrd'hui a certains individus ce
(e que vous avez naguere refllsé a Chabot, De-
« launay et Fabre-d'Églantille? Pourquoi cette
« différence en faveur de quelques hommes?
« Que m'importent a moi les éloges qu'on se
« donne a 501 et a ses amis ? .. Une trop grande
« expérience nous a appris a nous défier de
« ces éloges. 11 ne s'agit plus de savoir si un
«( homme a commis tel 011 tel acte patriotique,
« mais quelIe a été toute sa carriere.


« Legendre paralt ignorer le nom de eellX qui
« sont arretés. Toute la convention les connait.
« Son ami Laeroixest du nombre des détenus ;
« pourquoiLegendre feint-il de l'igllorer?'Parce
«( qll'il sait bien qu'oll ne peut, sans impu-
« clcul', dt:'felldre Lacroix. 1I a parlé de Dallton.




Ig8 ltÉVOLUTlON FRANC;:AISE.
(e paree qu'il croit qu'it ce nom sans doute est
«( attaché un privilége ... Non, nous ne voulons
« pas de priviléges; nous ne voulons point
t( d'idoles L. »


A ces derniers mots, des applaudissements
éclatent, et les laches, tremblant en ce moment
devant une idole, applaudissent néanmoins au
renversement de ceHe qui n' est plus a craindre.
Robespierre continue : «( En qpoi Danton est-il
( supérieur a J..afayeüe ,a Dum~uriez, a Bris-
« sot, a Fabre, a Chabot, a Hébert? Que ne dit-
« on de lui qu'on ne puisse dire d'eux? Cepen-
f( dant les avez-vous ménagés? On vous parle
« du despotisme des comités, comme si la
C( confiallce que le peuple vous a donnée, et
« que vous avez transmise a ces comités, n' é-
« tait pas un sur garant de leur patriotisme.
(( On affecte des craintes; mais, je le dis , qui-
« conque tremble en ce moment est coupable,
« car jamais l'innocence ne redoute la surveil-
« lance publique. »


Ici,nouveaux applaudissements deces memes
laches qui tremblent, et veulent prouver qu'ils
n'ont pas penr. «( Et moi aussi, ajoute Robes-
f( pierre , on a voulu m'inspirer des terreurs.
« On a voulu me faire croire qu'en approchant
« de Danton, le dangerpouvait arriver jusqu'a
.( moÍ. On m'a écrit. Les amis de Danton m'ont




CON"-ENTlON N ATION ALE l' 794). 199
ce faít parvenir des leures, m' ont obsédé de
ce leurs discours; ils out cru que le souvellír
(t d'une vieille liaison, qu'ulle foi ancienne
,e dans de fausses vertus, me détermineraient
« a ralentir roon zele et ma passion pour la
e( liberté. Eh bien! je déclare que si les dangers
« de Danton devaient devenir les miens, cette
1( considération ne m'arreterait pas un instant.
« C'est ici qu'il nous faut a tous qnelque cou~
1/. rage et quelque gralldeur d'ftme. Les ames
« vulgaires ou les hommes coupables craignent
(e toujours de voir tomber leurs semblables,
« paree que, n'ayant plus devant eux une bar-
( riere de eoupables, ils restent exposés an
ce jour de la vérité; mais s'il existe des ames
« vulgaires. iI en est d'hérolques dans eette
ce assemblée, et elles sauront braver toutes les
« fausses terreurs. D'ailleurs le nombre des
(l coupables n'est pas grand; le crime n'a
« lrouvé que peu de partisans parmi nous, et
ce en frappant quelques tetes la patrie será dé-
( livrée. )1


Robespierre avait acquís de l'assurance, de
l'habileté pour dire ce qu'il voulait, et jamais
il n'avait su etre aussi habile et aussi pedide.
Parler du sacrifice qu'il faisait en abandonnant
Danton. s'en faire un mérite, entrer en partage
du dangel' s'il y en avait, et rassurer les laches




':100 RÉVOLUTION FRAN¡;:AISE.


en parlant du petit nombre des coupables, était
le comble de l'hypocrisie et de l'adresse. Aussi,
tous ses collegues décident a l'unanimité, que
les quatre députés arretés dans la nuit ne se-
ront pas entendus par la convention. Dan s ce
moment, Saint-Just arrive, et lit son rapport.
C'est lui qu'on déchainait contre les víctimes,
paree qu'a la subtilité nécessaire pour faire
mentir les faits et leur donner une signification
qu'ils n'avaient pas, il joignait une violence et
une vigueur de style rares. Jamais il n'avait été
ni plus horriblemellt éloquent, ni plus faux,
car, quelque grande que flit sa haine, elle ne
pouvait lui persuader tout ce qu'i! avan<;ait.
Apres avair longuement calomnié Philipeaux,
Camille Desmoulins, Hérault-Séchelles, et ac-
cusé Lacroix , iI arrive enfin a Danton, et ima-
gine les faits les plus faux, ou dénature d'une
maniere atroce les faits connus. Selon lui, Dan-
ton, avide, paresseux, mentenr, et memc lache,
s'est vendu a Mirabeal1, pllis aux Lamcth, et a
rédigé avec Brissot la pétitioll gilí amena la fu-
sillade du Champ-de-Mars, non pas pour abolir
la royauté, mais pour fai re fusiller les meit-
leurs citoyens : pllis il est allé impunémeni se
délasser, et dévorer a Arcis-sur-Auhe le fruit
de ses perfidies. Il s'est caché au ] o aout, et
n'a reparu que pour se faire ministre; alors




CONVENTION NATION ALE P 794). 201
il s'est lié au partí d'Orléans, et a fa it nommer
Orléans et Fabre a la députation. Ligué avec
Dumouríez, n'ayant pour les girolldills qu'une
haine affectée, et sachant tOlljours s' entenore
avec eux, il était entierement opposé au 31
mai, et avait voulu faire al'reter Her:riot. Lors-
que Dumollriez, d'Orléans, les gir(;mdillS, ont
été punís, il a traité avec le partí quí voulaít
rétablir Louis XVII. Prenant de l'argent de
tonte main , de d'Orléans, des Bourbons, de
l'étranger, dinant avec les banquiers et les
aristocrates, melé dans toutes les intrigues,
prodigue d'espérances envers tous les partís,
vrai Catilina enfin, cupide, débauché, pares-
seux, corrupteur des mreurs publiques, il est
alié s'ensevelir une d~rniere foís a Arcis-sur-
Aube, ponr jouir de ses rapines. Il en est enfin
revenu, et s'est entendll récemment avec tous
les ennemís de l' état, avec Hébert et consorts,
par le líen commun de l'étranger, pourattaquer
le comité et les hommes que la convention
avait investis de sa confiance.


A la suite de ce rapport iníque, la conventioll
décréta d'accusation Dahton, Camille Desmou-
lins, Philipeaux, Hérault-Séchelles et Lacroix.


Ces infortunés avaient été conduits auLuxem-
bourg. Lacroix disait a Danton : Nous arreter!
110 LIS ! ... Je ne m'en serais jamais douté! - Tu




20~ RlivOLUTION l'llAN<;:AISE.
ne t'eu serais jamais douté? reprit Danton; je
le savais moi, on m'en avait averti. - Tu le
savais, s'écria Lacroix, et tu n'as pas agí! voila
l'effet de ta paresse accoutumée; elle nous a
perdus. - Je ne croyais pas, répondit Danton.
qu'ils osassent jamais exécutel' leur projet.


TOlls les prisonniers étaient accourus en foule
au guichet, pour voir ce célebre Danton, et cet
intéressant Camille, qui avait fait reluire un
peu d'espérance dallS les cachots. Danton était,
selon son usage, calme, fier et assez jovial;
CamilIe, étonné et triste; Philipeaux, ému et
élevé par le danger. Hérault-SécheHes, qui les
avait devancés au Luxembourg de qllelques
jours, acconrut au-devant de ses amis, et les
embrassa gaiment. -« Qúand les hommes, dit
Danton, font des sottises, il faut savoir en
rire. »- Puis apercevant Thomas Payne, iIluÍ
dit : « Ce que tu as faít ponr le bonheur et la
liberté de ton pays, j'ai en va in essayé de le
faire pour le míen; j'aí été moins heurellx,
mais non pas plps coupabJe ... On m'envoie a
l'échafaud, eh bien! mes amis, iI faut y aller
gaiment .... »)


Le lendemain 12, l'acte d'accusation fut en-
voyé au Luxembourg, et les accusés furent
transférés a la Conciergerie, pour aller de la
au tribunal révolutionllaire. Camille oevint




CONVENTION NATJONAU (1794). :w3
furieux en lisant cet acte plein de mensonges
odieux. Bientot iI se calma et dit a"ec affliction:
« Je vais a l'échafand pOllr avoÍr versé quelques
larmes sur le sort de tant de malheureux. Mon
seul regret, en mOllrant, est de n'avoir pu les
servir. »-Tous les détenus, queI que fut leur
rang et leur opinion , luí portaient l'intéret le
plus vif, et faisaient pour lui des vreux ar-
dents. PhiIipeaux dit queIques mots de sa
femme, et resta calme et serein. Hérault-Sé-
ebelles conserva eette graee d'esprit et de ma-
nieres qlli le distingllait meme entre les hommes
de son rélng; il embrassa son fidele domes-
tique, qui J'avait suivi al! Luxembourg, et qui
ne pouvait le suivre a la Conciergerie; il le
consola et lui rendit le courage. On transféra,
en meme temps, Fabre, Chabot, Bazire, De-
launay, qu'on voulait juger eonjointement
avee Danton, pour souiller son proces par une
apparence de eomplicité avee des faussaires.
Fahre était malade et presque mourant. Cha-
bOl, qlli du fond de sa prison n'avait cessé
d'écrire a Robéspierre, de l'implorer, de luí
prodiguer les plus basses flatteries sans parvenir
a le toucher, voyait sa mort assurée, et la
honte non moins certaine pour lui que l'écha-
faud: iI vouIut alors s'empoisonner. Il avala
011 sublimé corrosif; mais la douleur luí ayant




204 R~VOLUTION FnAN~;AlSE.
arraché des cris, ii avoua sa tentatí've, accepta
des soins, et fut transporté aussi maiade que
Fabre a la Conciergerie. Un sentiment un peu
plus noble parut l'anímer au mílieu de ses
tourments, ce fut un vif regret el'avoir com-
promis son ami Bazire, ql1i n'avait pris aucune
part au crime. - « Bazire, s'écriait-il, mon
pauvre Bazire, qu'as-tu fait? »


A la Conciergerie, les acc!Jsés inspirerent la
meme curiosité qu'au Luxembourg. I1s occu-
paient le cachot des girondins. Danton parla
avec la meme énergie. « C' est a pareil jour,
dit-il, que j'ai fait illstituer le tribunal révo-
Iutionnaire. J'ell demande pardon a Dieu et
aux hommes. lVIon but était de prévenir un
llouveau septembre et non de déchainer un
fléall sur l'humanité. » - Puis revenant a son
mépris ponr se's collegties qui l'assassinaient:
« Ces freres Cain, dit-il, n'enteudent rien au
gouvernement. Je laisse tout dans un désordre
épouvantable ... »)-11 employa alors) ponr ca-
ractériser l'impuissance <In paralytique Cou-
thon et d u tache Robespierre, des expressions
obscenes, mais originales, qui annon<,¡aient
encore une singuliere gaité d'esprit. Un seul
instant íI montra un léger regret d'avoir pris
part a la révoiution :-«11 vaudrait mieux, dit-
il, etre un pauvre pechenr que de gouverner




CONVENTION N ATION ALE (1794). 20S
les hommes. )) Ce fut le seul mot de ce genre
qll'il pronoJl(:;a.


Lacroix parllt étonné en voyant dans les ca-
chots lc nombre et le malheurenx état des
prisonniers. « Quoi! lui dit-Oll, des charrettes
chargées de victimes ne vous avaiellt ras ap-
pris ce qui se passait dans París!)} L'étonne-
ment de LacroÍx était sincere, et c'est tille le-
<,{on pour les hommes qui, poursuivant un but
politique ,ne se figurent pas assez les souf-
frauces individuelles des vietimes, et semblcllt
ne pas y croire paree qu'ils ne les voient paso


I,e lcndemain J 3 germinal, les aceusés furent
conduits au tribunal au nombre de quinze. On
avait réuni ensemble les dnq chefs modérés,
Danton, Héralllt - Séchelles, Camille, Phili-
peaux, Lacroix; les quatre accusés de faux;
Chabot, Bazire, Delaunay, Fabre-d'Églantine;
les deux beaux-freres de Chabot, Junius et
Emmanuel Frey; le fournisseur d'Espagnae, le
malheurcux Westermann, accusé d'a voir par-
tagé la corruption et les complots de Danton;
en fin deux étrangers, amis des accusés, l'Es-
pagnol Gusman, et le Danois Diederichs. Le
but du comité, en faisant eet amalgame, était
de cOllfondre les modérés avec les eorrompus
et avee les étrangers, ponr prouver toujollrs
fIlie la modération provenait a ]a fois dn dé-




::106 RÉVOLUTION FRAN~AIS¡':.
faut de vertu républicaine et de la sécaction
de l'or de I'étranger. 1.a foule accourue pOUl'
voir les accusés était immense. Un reste de
l'intéret qu'avait inspiré Danton s'était réveillé
en sa présence. Fouquier-Tinville, les juges et
les jurés, tous révolutionnaires subalternes
tirés du néant par sa main puissante, étaient
embarrassés en sa présenee : son assurance, sa
fierté leur imposaient, et il semblait plutot
l'accusateur que l'aecusé. Le président ller-
man et Fouquier-Tinville, au lieu de tirer les
jurés au sort, eomme le voulait la loi, firent
un ehoix, et prirent ce qu'ils appelaient les so-
lides. Ou interrogea ensuite les accusés. Quand
on adressa a Danton les questions d'usage sur
son age et son domieile, il répondit fierement
qu'il avait trente-quatre ans, et que bientot
son nom serait au Panthéon ~ et lui dans le
Iléant. Camille répondit qu'il avait trente-trois
ans. l'age du saTis-elttotte Jésus-Christ lorsqu 'il
mourut. Bazire en avait vingt-neuf. Hérault-
Séchelles, Philipeaux en avaient trente-quatre.
Ainsi les talents, le courage, le patriotisrne,
la jeunesse, tont se trouvait eneore réuni dans
ce nouvel holocauste, eomme dans eelui des
girondins.


Danton, Camille, Hérault-Séchelles et le5
autres, se plaignirent de voir leur cause con-




CONVENTION NATJONALE (1794). ':).07
fonuue avec ceHe de plusieurs faussaires. Ce-
pendant on passa outre. On examina d'abord
l'accusation dirigée contre Chabot, Bazire,
Delaunay et Fabre - d'Églantine. Chabot per-
sista dans son sysb~me, et soutint qu'il n'avait
pris part a la conspiration des agioteurs que
pour la dévoiler. Ilne persuada personne, car
il était étrange qu'en y entrant, il n'eut pas
secretement prévenu quelque membre des co-
mités; qu'il l' eut dévoilée si tard. et qu'íl eut
gardé les fonds dalls ses mains. De]aunay fut
convaincu; Fabre, ma]gré son adroite défense,
consistant a dire qu'en surchargeant de ratures
la copie dn décret, il avait cru ne raturer
qu'un projet, fut convaincu par Cambon, dont
la déposition franche et désintéressée était ac-
cablante. Il prouva, en effet, él Fabre que les
projets de décrets n'étaient jamais signés, que
la copie qu'il avait raturée l'était par tous les
membres de la commissjon des cinq, et que
par cOllséquent il n'avait pu croü'e ne raturer
qu'un simple projet. Bazire, dont la complicité
consistait dans la non-révélation, fut a peine
écouté dans sa défense, et fut assimilé aux a u tres
par le tribunal. On passa ensuite a d'Espagnac,
que l'on accusait d'avoir corrompu Julien de
Toulouse, pour faire appuyer ses marchés, et
d'avoir pris part a l'intrigue de la compagnie




20~ RÉVOLUTlON FRAN~AISJ'.
des lndes. lei, des lettres prouvaient les faits ~
et tout l'esprit de d'Espagllae ne put rien con-
tre cette preuve. On interrogea ensuite Hérault-
Séchelles. Bazire était rléclaré coupable comme
aíni de Chabot; Hérault le fut pour avoir été
ami de Bazire, pour avoir eu quelque connais-
sanee par lui de l'intrigue des agioteurs, pour
avoir favorisé une émigrée, pour avoir été
ami des modérés, et pour avoir filit supposer,
par sa douceur, sa grace, sa fortune et ses re-
grets mal déguisés, qu'il était modéré lui-meme.
Apres Hérault vint le tour de Danton. Un si-
lence profond régna dans I'assemblée quand il
se leva pour prendre la parole. - (( Danton,
lui dit le président, la convention vous accuse
d'avoir conspiré avec Mirabeau, avec Dumou-
riez', avec d'Orléans, avec les girondins, avec
l'étranger, et avec la faction qui veut rétablir
Louis X VII. » - (( Ma voix, répondit Danton
avec son organe puissant, 'ma voix qui tant de
fois s'est fait entendre pour la cause du peuple,
n'aura pas de peine a repousser la calomnie.
Que les Jaches qlli m'acclIsent paraissent, et je
les couvrirai d'ígnominie .... Que les comités se
rendent ici, je ne répondrai que devant.eux;
il m€ les faut pour accnsatenrs et pour té-
moins .... Qu'ils paraissent ... Au reste, peu J1J'im-
porte, vous et votre jllgemf'nt.. .. Je vous l'ai




CONVENTJON NATlONALE (, 794). 20~)
dit : le néant sera bientot mon asile. La vie
m'est a charge, qu'on me l'arrache .... Il me
tarde d'en etre délivré. » - En achevant ces pa-
roles, Danton était indigné, son ereur était
soulevé d'avoir a répondre a de pareils hom-
mes. Sa demande de faire comparahre les co-
mités, et sa volonté prononeée de ne répomlre
que devant eux, avait intimidé le tribunal, et
causé une grande agitation. Une telle eonfron-
tation, en effet, eut été cruelle pour eux; 'ils
auraientété couverts de confusion / et la con-
damnation fut peut-etre devenue impossible.
- (( Danton, dit le président, l'audace est le
propre du crirne; le calme est celui de J'inno-
cenee. » - A ce mot, Danton s'éerie : (e L'au-
<lace individuelle est réprimable sans doute;
mais cette audaee nationale dont j'ai tant de
fois donné r exemple, dont j'ai tant de fuis
servi la liberté ~ est la 'Plus méritoire de toutes
les vertus. ,eeHe audaceest.la mienne; c'est
eelle dont je fais ici usage pou!' la république
cont~e les l:lches qui m'accusent. J.Jorsque je
me voissi bassement calomnié, puis -je me
eentenir? Ce n'est pas d'un J'évolutionnaire
comme. moi qu'il faut attendre une· défense
froide .... les hommes, de ma trempe son! iBap-
préciables dans les révolutions ... c'est sur leur
front qu'est empreint le génie de la liberté. »


VI. l!f




2 I O nÉVOLUTION F1tAN~AISJ';'
- En disant ces mots, Danton agitait 5a tet~
et bravait le tribunal. Ses ft'aits si redoutés
produisaient une impression profonde. Le peu-


,


pIe, que la force touche, laissait échapper nn
murmure approbateur. - « Moi, continuait
Danton, moi accusé d'avoir conspiré avec
Mirabeau , avec Dumouriez, avee d'Orléans,
d'avoir rampé aux pjeds de vils despotes ~ e'est
mOl que ron somme (le répondl'e a la justice
inévitable, inflexible'" ! ... Et toi,lfiche Saint-J llst,
tu répondras a la postérité de ton accusation
contre le meilleur soutien de la liberté .... En
parcourant eette liste d'hol'reurs, ajouta Dan-
ton en montrant I'aete d'accusatÍon, je sens
tout mon etre frémir.» - Le président luí re-
commande de nouveau d'etre ealme, et lui cite
l'exemple de Marat, qui répondit avec respect
au tribunal. - Danton reprend et dit que, puis-
qu'an le veut, il va raconter sa vie. Alors il rap-
pelle la peine qu'il eut a parvenir aux fone-
tions municipales, les efforts que firent les
constituants pour l'en empecher, la résistance
qu'il apposa aux projets de Mirabeau, et sur-
tout ce qu'il 6t daus eette journée fameuse
00., entouralltla voiture royale d'un peuple im-
mellse, il empecha le voyage a Saint-Cloud .


.. Expressions de ¡'acte d'accusation.




CONVENTJON "!.\'ATIONALE (1794). 21 r
Puis il rapporte sa eoncluite lorsqu'il amena le'
peuple an Champ-de-Mars , pour signer une
pétition eontre la royauté, et le motjf de eeHe
pétition fameuse; l'alldace a vec laquelle il pro -
posa le premier le renversement c1u trone en
92.; le courage avee lequel il proclama l'insur-
rection le 9 aout au soir; la [ermeté qu'il dé-
ploya pendant les douze henres de l'insnrrec-
tion. Suffoqué ici d'indignation, en songeant
au reproche qu'on lui fait de s'etre caché au
moment du 10 aout : ce Ou sont, s'écrie-t-il, les
hommes qui eurent besoin de presser Danton
pour l'engager a se montrer dans eette jour-
née? Oil sont les ctres privilégiés dont il a em-
prllnté l'énergie? Qu'on les fasse paraitre mes
accusateurs!... j'ai toute la plénitude de ma tete
lorsque je les demande ... je dévoilerai les trois
plats coquins qui ont entouré et perdu Robes"
pierre ... qu'ils se produisent ici, el je les plOh:"
gerai dans le néant, dont ils n'áuraient jamais
du sorlir ... )) - Le présidentveutjnt~rrompr('
de nouveau Danton , el ~lgite sa sóbneUe. Dan'·
ton en eouvre le bruit avec sa voi", 'terÍ'jbl~~
-(e Est-ee que vous ne m'entendt:tz Fas? lai
dit leprésident. - La voix d'un .hdinme, tipo
prend Danton, qui défend ·soiíhOffne.u'riet'sa
vie, doit vaincre le bruit de ta ¡S6l'1n~tt'e;:)) , .........
Cependant iI était fatigué d"ina;~:mbn ~sa


J 4.




212 RÉVOLUTION FRANqAISE.


voix était altérée; ators l,e président I'engage
avec égard a prendre quelque repos. pour re-
commencer 5a défense avec plus de calme et
de tranquillité. . '


Danton se tait. On passe a Carnille, dont on
lit le Yieux Cordelier, et qui se révolte en vain
conll'e l'intel'prétation donnée a ses écrits. On
s'occupe ensuitc de Lacroix dont on rappelle
amerement la conduite en Belgique, et qui, a
l'exemple de Danton, demande la comparution
de plusieurs membres de la convention, et in-
siste formellement pour l'obtenir. ,


Cette premiere séance causa une scnsation
générale. La foule qui entourait le Palais de
Justice; et s' étendait jusque sur les ponts , pa-
rut singulieretnent émue. Les juges étaient épou.
van tés ; Vadier, V ouland ,Amar, les-membres
Jes ¡plus- ~bants du comité de su reté géné-
ralé, av:lient assisté aux débats ,cachés dans
l'imprimerie attenant a la salle du tribunal, el
com¡rnuoiqua:nt avec cette salle par une petite
lucarne. De la ils avaien t vu avec effroi l'audace
de,Danton ,et les dispositions du pubJi~. I1s
Cfi)rnme.llc;aj~nt a douter queJa condamnntion
fut poStliblfl. t Hcrmimn el: -.Fouquier "wétaient
rendus;;immediatiement apres l'audíence, au
comité: del salut public" et luiavaient fait part
de la d6tnand.e des accusés qui voulaient faire




COl'lVJlNTION NATIONALI, (1794). :2 J:1
paraitre plusieurs membres de la con\'ention.
Le comité cornmenc;ait a hésitel'; Robespierre
s'était retiréchezlui; BillaqdetSaint-Just étaient
seuls présents. Ils défendenta Fouquier de ré-
pondre, lui enjoignent de prolonger les dé-
hats, d'arriver a la fin des troís jonrs sans s'etre
expliqué, et de faire déclarer alors par les ju-
rés qu'ils sont suffisamment instruits.


Pendant que ces choses se passaient au tri-
bunal , au comité, et dans París, l' émotiol1 n' é-
tait pas moindre dans les prisons, OU l' 011 por-
tait un vif intéret aux accllsés, et OU I'on ne
voyait plus d'espérance pour personne, si de
tels révolutionuaires étaient il1lmolés. Il y avait
au Luxembourg le malheureux DillolJ, ami de
Desmoulins el défendu par lui; il avait appris
par Chaumette, qui, ex posé au meme danger,
faisait cause commune avec les modérés,ce
qui s'était passé au tribunal. Chaumette le te-
nait de sa femme. Dillon, dont la tete était
vive, et qui, en vieux milítaire, cherchait que!-
quefois dans le vin des distractions a ses pei-
nes, parla incollsidérément a un nommé La-
fIotte, enfermé dans la meme prison; iIlui dit
qu'il était temps que les bons républicains le~
vassent la tete cOntl'e de vils oppl'esseurs, que
le peuple avait para se réveiller, que Danton
dernalldaiL a répondre ctevant les comités, que




2. 14 RÉVOLUTION FRAN(,:,\.ISj<~.
sa condamnation était loin d'etre assurée, que
la femme de Camille Desmoulins, en répan-
dant des assignats t pourrait soulever le peu-
pIe, et que si luí parvenait a s'échapper, il réu-
nirait assez d'hommes résolus pour sauver les
républicains pres d'etre sacrifiés par le tribu-
nal. Ce n'étaient la que de vains propos pro-
noncés dans l'ivresse et la douleur. Cependant
jI paralt qu'il fut question aussi de faire pas-
ser mille écus et une lettre a la femme de Ca-
milIe. Le lache Laflotte, croyant obtenir la vie
et la liberté en dénon<;ant un complot, courut
faire an concierge du Luxembourg une décla-
ration, dans laquelle íl supposa une conspira-
tío n pres d'éc1ater an dedans ct au dehors des
prisons, pour enIever les accusés, et assassi-
ner les. membres des deux comités. On yerra
hientot quel usage on fit de eette fatale dépo-
sition.


Le lendemain l'affluence était la meme au
tribunal. Danton et ses collegues, aussi fermes
et aussi opiniatres, demandent eucore la com-
parution de plusieurs membres de la con ven-
tion et des deux comités. Fouquier, pressé de
répondre, dít qu'il ne s'oppose pas a ce qu'on
appelle les témoins nécessaires. Mais il ne suf-
fit pas, ajoutent les accusés, qn'íl n 'y mette
aucun obstacle, iI faut de plus qu'illes appelle




CONVENTrON N A TlON A LE (1 7~4). 215
llli-meme. A cela FOllquier réplique qu'il ap-
pellera tous ceux qu'on désignera, excepté les
membres de la conventioll, parce que c'est a
l'assemblée qu'il appartient de décider si ses
membres peuvent etre cités. Les accllsés se ré-
Cl"jent de nouveau qu'on leurrefuse les moyens
de se défendre. Le tumulte est a son comble.
Le président interroge encore quelques accUo<
sés, Weslermann , les deux Frey, Gusman, et
se hate de lever la séance.


Fouquier écrivit sur-Ie-champ une lettre au
comité pour lui faire part de ce qui s'était
passé, et pour obtenir un moyen de répondre
aux demandes des accusés. La situation était
difficile , et tout le monde commen~ait a hési-
ter. Robespierre affectait de ne pas donner son
avis. Saínt- Just seul, plus opiniatre et plus
hardi, pensait qu'on ne devait pas reculer,
qll'il fallait fermer la bOlIche aux accusés, el
les envoyer a la mort. Dans ce moment, iI ve-
naít de recevoir la déposition du prisonnier
Laflotte, adressée a la police par le guichetier
dll Luxembourg. Saint -Just y voit le germe
d'une conspiration tramée par les accusés, et
le prétexte d'lln décret qui terminera la lutte
du tribunal avec eux. Le lendemain matin, en
dIet, il se présente a la convention, luí dit
qu'un granel danger menace la patrie, maís que




2. 1 6 nÉVOLUTION j,'HAN~~AISE.
e'est le dernier, et qu'en le bravant ave e eou·
rage elle raura bientot snrmonté. « Les accu-
( sés, dit.il, présents au, tribunal révolution-
«naire', sont en pleine révolte ; ils' menacent le
( tribunal; ils poussent l'insolence jusqu'a je-
~( ter au nez des jllges des búnles de mie de
ti: pain; ils excitent le peuple, et peuvent meme
.« l'égarer. Ce n'est d'ailleurs pas tout; ¡ls ont
« préparé une conspiration dans les prisons; la
« femme de Camille a ,re'5u de l'argent pom
« provoquer une insurreetion; le général Dil-
« Ion doit sortir du Luxembourg, se mettre a
« la tete de quelques conspirateurs, égorger
« les del1x comités, et élargir les coupables. »
A ce récit hypocrite et faux, les complaisants
"Se réerient que c'est horrible, et la eonventíon
vote a l'unanimité le déeret proposé par Saint-
Just. En vertu de ce décret, le tribunal doít
continuer, sans désemparer? le pro ces de Dan-
ton et de sés tompliees; et il est autorisé a
mettre hors des débats les accusés qui man-
queraient de respect a la justice, ou qui vou-
draient provoquer dn trouble. Une copie du
déeret est expédiée sur-le.champ. Vouland el
Vadier viennent l'apporter au tribunal, ou la
troisieme séanee était eommencée, et ou l'au-
clace redoublée des aecusés jetait Fouquier
dans le plus grand embarras.




CONVENTJON N ATlON ,Uf: (I794). 21 7
I,e troisieme joUl', en effet, les aeeusés avaien t


résolu de renouveler leurs sommations. Tous a
la fois se levent, et pressent Fouquier de faire
comparaitre les témoins qu'ils ont demandés.
lis exigent plus encore; ils veulent que la eon-
vention nomme une commission pour recevoir
les dénonciations qu'ils ont .a faire, contre le
projet de dictature qui se mauifeste chez les
emnités. Fouquier, embarrassé, ,ne sait plus
quelle réponse leur faire. Dans le moment, 1.o1n
huissier vient l'appeler. Il passe dans la salle
voisine, ettrouve Amar etVouland, qui, tont
essoufflés encore, lui disent: (( Nous tenons les
scélérats, voila de qUO! vous tirer d' embarras: l>
et ils lui remettent le décret que Saint-Just
venait de faire rendre. Fouquier s'en saisit avec
joíe, rentre a l'audience, demande la parole,
et lit le décret affreux.-Danton, indigné,se leve
alors: Je prends, dit-¡I, l'auditoire a témoin
que nous n'avons pas insulté le tribunal. -
e'est vrai! elisent plusienrs voix dans la salle.
Le public entier est étonné, indigllé meme du
déni de justice commis cnvers les aceusés. L'é-
motíon est générale; le tribunal est intimidé.


Un jour, ajoute Danton, la vérité sera con-
Hue ... Je vois de grands malheurs fondre sur
la Franee ... Voila la dictature; elle se montre
11 déeollvert et san s voile ... - Camille, en en-




21 S RÉVaI,UTION FRANC::AISE.
tendant parler du Luxembollrg, de Dillon, de
sa femme, s'écrie avec désespoir: Les scélérats!
!lon contents de m'égarger, moí, ils veulent
égorger ma femme! - Danton aperc;oit daTls
le fond de la salle et dans le corridor, Amar
et Vouland, qui se cachaient pour juger de
l'effet du décret. Illes montre du poing: Voyez,
s'éerie-t.il, ces laches assassins; ils naus pour-
suivent, ils ne nous quitteront pas jusqu'a la
mort! - Vadier et Vouland, effrayés, dispa-
raissent. Le tribunal, pour toute réponse, leve
la séanee.


Le le~demain était le qllatrieme jour, et le
jury avait la faculté de c10turer les débats, eH
se déclarant suffisamment instruit. En eonsé-
quence, sans donner aux accusés le temps de
sedéfendre, lejurydemande la cloture des dé-
bats. Camille entre en fllreur, déclare aux ju-
rés qu'ils sont des assassins, et prend le peuple
a témoin de eette iniquité. On l'entraloe alors
avecses compagnoos d'infortunehors de la salle.
n résiste ,et on l'emparte de force. Pendant ce
temps, Vadier, Vouland parlent vivement aux
jurés, qui , du reste, n'avaient pas besoin d't~tre
excités. Le président Hermann et FOLlquier les
suivent daos leur salle. Hermano a 1'audace de
leur Jire qu'on a intercepté t~ne lettre écrite
a l'étranger, qni prouve la complicíté de Dan-




CONVJ.:NTiON NATIONALE (1,79['), ~ 10
ton avec la coalition. Trois uu quatre jurés
seulement osent appuyer les accusés, mais la
majorité l'emporte. Le président du jury, le
nommé Trinchara, rentre plein d'une joie fé-
roce, et prononee de l'air d'nn fllrieux la eon-
damnation ¡nique.


On ne voulut pas s'exposer a une nouvelle
explosion des condamnés, en les faisant remon-
ter de la prison a la salle du tribunal pour en-
tendre leur sentence; un greffier descendít la
Jenr lire. Ils le renvoyerent sans vouloir le lais-
ser achever, et en s'écriant qu'on pouvait les
eonduire a la mort. Une fois la condamnation
prononeée, Danton, quí avait été soulevé d'in-
dignation, redevint calme et fut rendu a tout
son rnépris pOllr ses adversaires. Carnille, bien-
tótapaisé, versa qllelques larmes sur son épouse;
et, grace a son heureuse irnprévoyance, n'ima-
gina pas qu'elle fut menacée de la mort, ee quí
al1rait rendu ses derniers moments insuppor-
tables. Hérault futgai eommea l'ordinaire. Tous
les accllsés furent fermes, et Westermann se
montra digne de S3 bravoure si célebre.


lIs furent exéclltés le 16 germinal ( 5 avril ).
La troupe infame, payée pour outrager les vic-
times, suivait les eharrettes. Camille, a cette
vue, éprouvant un monvement d'indignation ,
voulnt parler a la mnltitnde, et il vomit contre




220 RÉVOLUTION _FRAN~AISE.
le hkhe el hypocrite Robespierre les plus véhé"
rnent€s imprécations.· Les misérables envoyés
pour l'outrager lui I'épondirent par des ¡njures.
Dans son ~etion violente, il avait déehiré sa
ehemise et avait les épaules nue~.Danton, pro-
menant sur eeHe troupe un regard calme. et
plein de mépris, dit él Camille : Reste done
tranquille, et laisse la cette "ile eanaille. - Ar-
rivé au pied de l'éehafaud, Danton allait em-
brasser Hérault.,.Séehelles'1 qui luí tendait les
1>ras : l' exéeuteur s'y opposant, il lui adressa,
avec un sourire, ces expressions terri bIes: « Tu
peux done etre plus cruel que la mort! Va, tu
n'empecheras pas que dans un moment nos
tetes s'embrassent daos le fond du pauier.)}


Tell.e fut la fin de ce Dantan qui avaÍt jeté
un si granel éclat dans la révolution, el qtli
lui avait été si titile. Audacieux, -ardent, avide


. -d'émotions et de pIaisirs, il s'était précipité
clans la carriere des troubIes, et 11 dut briller
surtaul les jours de lerreur. Prompt et posi-
tif, n'étaut étonné ni par la diHicurté ni par Ja
nOllveauté d'une situatíon extraordinaire, iI
savait juger les moyens llécessaires, el n'avait
peur ni scrupule d'aucun. II peusa qu'il deve-
nait urgent derterminer les luttes de la monar-
chie et de la révolution, et il tit le 10 aout. En
présence des Prussiens, il pensa qu'il fallait




CONVENTION NATJON ALE (1794). 22 r
contenir la France et l'engager dans le systeme
de la révolution, il ordonna~ dit-on~ les jonr-
nées horribles de septembre, et, tout en les
ordonnant,il sauva une foule de victimes, Au
commencement de la grande année 1793, la
convention était étonnée a la vue de rEurope
armée; il pronont;a, en les comprenant dans
toute leur profondeur, ces paroles remarqua-
bIes: « U~e nation en révolution est, plus pres
de conquérir ses voisins que d' en etre con-
quise.» Il jugea que vingt-cinq miUions d'hom-
mes qu'on oserait mouvoir n'auraient rien a
craindre de quelques centaines de milI e hom-
mes armés par les trones. Il pro posa de soulever
le peuple; de faire payer les riches; iI imagina
enfin toutes les mesures révolutionnaires qlli
out'laissé un si terrible souvenir, mais qui ont
sauvé·la France., Cet homme , si puissant da ns
l'attion, retombait pendant l'interva:lle des
dangers dans l'indolence et les plaisirs qu'il
avait toujoursaimés •. Il recherchait meme les
jouissances les plus innocentes, ceHes que pro-
curentles champs, une épouse adorée et des
amis. Alors il oubliait les vaincus, ne 'P0u~ait
plus les hall', savait meme leur rendre justice,
le.s plaindre et les défendre. Mais pendant ces
intervalles de repos , nécessaires a son ame ar-
dente ,ses rivaux gagnaient peu a peu, par Jelll'




222 HÉVOLllTJON FRAN9AlSF:.


persévérance, la renommée et l'influence qu'il
avait acquises en un seul jour de ,péril. Les fa-
natiques lui reprochaient son amoUissemellt
et sa bonté, et oubliaient qu'en fait de cruau-
tés politiques il les avait égalés tous dan s les
journées de septembre. Tandís qu'il se confiait
en sa renommée, tandis qu'il différait par pa-
resse, et qu'il roulait dans sa tete de nobles
projets, pour ramener les loís douces, pour
borner le regne de la violence aux jours de
danger, pour séparer les exterminateurs irré-
vocablement engagés dans le sang, des hommes
qui n'avaient cédé qu'aux circonstances, pour
organiser enfin la France et la réconcilier avec
l'Europe, iI fut surpris par ses coIlegues aux-
quels il avait abandonné le gouvernement.
Ceux-ci, en frappant un coup sur les ultra'-
révolutionnaires, devaient, pour ~e point pa-
raitre rétrograder, frapper un coup sur les
modérés. La politique demandait des victimes;
l'envie les choisit, et immola l'homme le plus
célebre et le plus redouté du temps. Danton
succomba avec sil renommée et ses services,
devant le gouvernement formidable qu'il avait
contribué a organiser; mais du moins, par
son audace, il rendit un moment sa chute
dOllteuse.


Danton avait un esprit inculte, mais grand •




CONVENTION N ATIONALE (1794). 223
profond, et surtout simple et solide. Il oe savuit
s' en servir que pour ses besoins, et jamais pour
briller; aussi parlait-il peu, et dédaignait d'é-
crire. Suivant un contemporain , il n'avait au-
cune prétention, pas me me celle de deviller
ce qu'il ignorait, prétention si commune aux
hommes de sa trempe. Il écoutait Fabre-d'É-
glantine, et faisait parler sans cesse son jeu ne
et intéressant ami, Camille Desmoulins, dont
l'esprit faisait ses délices, et q u'il eut la douleur
d' entrainer dans sa chute. Il mourut ave e sa force
ordinaire, et la communiqua a son jeune ami.
Comrne Mirabean, il expira fier de lui-meme,
et croyant ses fautes el sa vie assez couvertes
par ses grands services el ses derniers projets.


Les chefs des deux partis venaient d'¿tre
irnmolés. On Ieur adjoignit bientot les restes
de ces partis, et OH mela et jugea ensemble
les hommes les plus opposés, pour accréditer
davantage l'opillioll qu'ils étaient complices
d'un meme complot. Chaumette et Gobel com-
parurent a coté d' Arthur DiHon et de Simon.
Les Grammont pere et fils, les Lapallu et au-
tres membres de l'armée révolutionnaire, fi:-
gllrerent a coté du général Beysser; en fin la
femme d'Hébert ,ancienne religieuse, compa-
rut a coté de la jeune épouse de Camille Des-
moulins, agée a peine de vingt - trois ans,




224 nÉvoLuTION },'IlANl1AISE.
éclatante de beauté, de 'graee et de jeunesse.
Chaumette, qu'on. a vu si soumis et si docile,
fut accllsé d'avoir conspiré a la commulle
contre le gouvernement, d'avoir affamé le peu-
pIe, et eherché a le soulever par ses réquisi-


,toires extravagants. Gobel fut regardé'comme
ctlmplice de Clootz et de Chaumette. Arthur
Dillon avait vouIu, dit-on, ouvrir les prisons de
Paris, puis égorger Ul.' convention et le tribunal
pour saflvers~s amis. Les membres de 1'ar-
l11ée révolu:tionnail'e furent condamnés comme
agents de Ronsin. Le général Beysser, qui avait
si pu:issamment eontribué a sauver -Nantes, a
coté de Canclaux, et qui était suspeet de fé-
déralisI'ne, fut eonsidéré eorome complice des
ultra-révolntiónnaires. On sait quelrapproche-
ment il 'pouV'aÍt exister entre l'état- major' de
Nantes: et ceini de Sautnur. La femme Hébert
fut condamnée, eotnme eompliee de son mari.
Assise sur le meme bane que la femme de Ca-
mille, elle lui disait:' ( Vous etes heureuse,
vous; aUCllne eharge ne s' éleve contre vous.
Vous serez sallvée.)) En effet, tout ce qll'on
pouvait reproeher a eette jellne femme, c'éta.it
d'avoir aimé son époux avec passion', d'a-voir
san s ,cesse erré avec ses enfants autour de la
prison pour voir leur pere et le leur montrer.
Néanmoins, toutesdeux fm'ent condamnées, et




CONVJ<:NTION NATIONALE (I794). 225
les épouses d'Hébert et de Camille périrent
comme coupables d'une me me conjuration.
L'infortunée Desmoulins mourut avec un cou-
rage digne de son mari et de sa vertu.Depuis
Charlotte Corday et madame Roland, aucune
victime n'avait inspiré un intéret plus tendre
et des regrets plus douloureux.


íIiIi 000 __


VI. I~


...






CONVENTION NATlONALE ,,1794). 227


=


CHAPITRE IV .


..... -


Résllltats des dernieres exécutions contre les partis enne-
mÍs du gOllvernement. - Décret contre les ex-nobles.
- Les ministercs sont abo lis et remplacés par des como
missions. - EfTor·ts dll comité de salut pubJic pum
concentrer tous les pouvoin dans sa maín. - Abolitíon
des sociétés populaires, excepté celle des jacobíns. -
Distribution du pOllvoir et dc-I'admínistration entre
les membres du comité. - La convcntÍon, d"apres le
rapport de Robespierre, déclare, au nom du peuple
fram;óJis, la reconnaissance de \'Etre supreincet de l'im-
mortalité de l'ame.


LE gouvernement venait d'immoler deux par-
tís a la fois. Le premier, celni des ultra-révo-
lutionnaires, était véritablement redoutable ~
OH pouvait le devenir; le second, celui des
nouveaux modérés, ne l'était paso Sa destruc-
tion n'était done pas nécessaire, mais pouvait


15.




228 HÉVOLtl'fION FRAN~AISE.
etre utile. pour écarter toute apparence de mo-
dération. Le comité le frappa san s eonvictioIl,
par hypoerisie et par envíe. Ce dernier eoup
était difficile a porter; on vit tout le comité
hésiter, et Robespierre i'enlrer dans sa de-
meure, eomme aux jours de danger. Mais
Saint-Just, soutenu par son courage et sa haine
jalouse , resta fermeau poste, ranima Hermann
ct Fouquier, effraya la conventiolJ, lui arra-
cha le déeret de mort, et fit consommer le
saGr·ifice. Le dernier effort que doit faire une
autorité pour devenir absolue est toujours le
plus difficile; il luí faut toute sa fOl'ce pour
vaincre la derlliere résistance; mais eette ré-
sistance vaineue, tout cede, tout se prosterne,
elle n'a plus qu'il régner sans obstacle. e'est
alors qu'elle se déploie,qu'elle-déborde, etse
perd. Tandis que toutes les bouches sont fer-
mées , que la soumission est sur tous les vi-
sages, la haine se renferme dans les cceurs, et
l'acte d'aceusation des vainqueurs se prépar<;
au milieu de leur triomphe.


Le comité de salut publie, apres avoir heu-
reusement immolé les deux classes d'hommes
si différentes ~ qui avaient voulu contrarier ou
seulement criliquer son pouvoir, était devenu
irrésistible. L'hiver avait finjo La campagne de
J 79tJ (germinal an II) allait s'Ollvrir av('c le




CONVENTION NATIO~''L\U; (t794)· 229
printemps. Des armées formidables devaient se
déployer sur toutes les frontieres, et faire sentir
au dehors la terrible- puissance si cruellernent
sentie au dedans. Quiconque avait paru résister,
ou portel' quelque intéret a ceux qui venaient
de mourir, devait se hater de faire sa soumis~
5ion. Legendre, qui avait fait un effort le-jom
ou Danton, Lacroix et Camille Desmoulins fu-
rent arretés, et qui avait taché de remuer la
convention en leur faveur, Legendre crut de-
voir se hater de réparer. son imprudellce, et
de se laver de son amitié pour les dernit~res.
victimes. On lui avait écrit pl1l5ieurs lettres
3110nymes dalls lesquelles.on l'engageait a frap-
per les tyrans, qui, disait-on, venaient de levcr
le masque. Legendre serendit aux Jacobins le
2 J. germinal (10 avra), dénon<,;a les leUres
anonymes qu'il recevait, et se plaignit d'etre
pris pour un. Séide qu'on pouvait armer du
poignard. « Eh bien! dit - il, puisqu'on m'y
« force, je le déclare au peuple, qui m'a ton-
« jOllrs cntendu parler avec bonne [oi, je re-
C(. garde maintenant eomme démontré que la
« conspiration dont les chefs ont cessé d'etre
« existait réellement, et que j'étais le jouet des
«( traltl'es. Yen ai trouvé· la prellvc dans diffé-
« rentes pieces déposées au comité de salu\
'(( publie, surtont dans la conduite criminelle




230 nÉvoLuTION FRAIH)AISK
« des accusés devant la justice nat1onale, el
« dans les machinations de leurs complices qui
{( veulent armer un homme probe du poignard
( homicide. J'étais, avantladécouverte ducom-
« plot, l'intime ami de Danton; j'aurais ré-
« pondu de ses principes et de sa conduite sur
« ma tete; mais aujourd'hui je suis convaincll
« de son crime; je suis persuadé qu'il voulait
« plonger le peuple dan s une erreur profonde_
« Peut-etre y serais-je tombé moi-meme, si je
« n'avais été éelairé a temps. Je déelare aux
« écrivailleurs anonymes qui voudraient me
« porter a poignarder Robespierre, et me
« rendre l'instrument de leurs machinations,
« que je suis né dans le sein du peuple, que
« je me fais une gloire d'y rester, et que je
« mourrai pIutót que d'abanclonner ses droits_
« Ils ne m'écriront pas une leUre que je ne
« la porte au comité de salut public.»


La soumission de Legendre devint bientot
générale. De toutes les parties de la France,
arriverent une foule d'adresses ou l'on felici-
tail la convention et le comité de salut public
de leur énergie. Le nombre de ces adresses
est incalculable. Dans tous les styles, avec les
formes les pl~s burlesques, chacun s'empres-
sait d'adhérer aux actes du gouvernement, et
d' en recoIlnaitre la justice. Rhodez envoya




CONVENTJON NATJONALE (1794;. 231
l'adresse suivante: ( Dignes représentants d'un
(( peuple libre, e'est done en vaill que les en-
( fants des Titans ont levé leur tete altiere, la
( {oudre les a tous renver.sés 1... Quoi, citoyens !
( pour de viles ríchesses vendre sa liberté!...
le La constitution que vous nous avez dOIluée
« a ébranlé tous les tremes, épouvanté tous les
« rois. La liberté avan~ant a pas de géant, le
ee clespotisme écrasé, la superstition anéantie,
ce la république reprenant son unité, les cons-
(e pirateurs dévoilés et punis, des mandataires
(( infideles, des fonctionnaires publics laches
« et perfides tombant sous la hache de la loi ,
" les fers des esclaves du Nouveau-Monde bri-
« sés : voila vos tropbées l. .. S'il existe encore
« des intrigants, qu'ils tremblent! que la mur!:
({ des conjurés atteste votre triomphe l. .. POUI'
« vous, représentants , vivez henreux des sages
l( lois que vous avez faítes pour le bonheur de
( tous les peuples , et recevez le tribut de notre
« amour *!»


Ce n' était point par horreur pOlll' les moyens
sallguinaires que le comité avait frappé les
ultra - révolutionnaires, mais pour raffermil'
l'autorité, et pour écarter les résistances ql1i
arnHaient son actlon. Aussi le vit· on depuis


" Séance dll 2.6 gemninal ; numéro 20S dn MOl/Íleu" (l:..
l'~1l 11 (aHíl 1794).




::d2 RJÍVOLUTJON FRAN(,:AISE.


tendre constamment a'im 90uble but: se ren-
dre toujours plus formidable, et concentrer de
plus en plus le pouvoir dans ses mains. Collot,
quí était devenu l'orateur du gouvernement
aux Jacobins, exprima de la maniere la plus
énergique la politique du comité. Dans un dis-
cours violent, ou iI trac;ait a toutes les auto-
rités la route nouvelle qu'elles devaient sllivre,
et le úle qtúlles devaient déployer dans leurs
fonctíons, iI dit : « Les tyrans ont perdu leurs
« forces; leurs armées tremblent en présence
« des natres; déja quelques despotes cherchent
« 11 se retirer de la coalition. Dans cet état, il
« ne leur reste qu'un espoir , ce sont les cons-
« pirations intérieures. n ne faut donc pas ces ser
« d'avoir l'reíl ouvert sur les traltres.Comme nos
(r freres, vainqueurs sur les froutieres, ayons
t< tons nos armes en joue, et faisons feu tous
« a la fois. Pendant que les ennemis extérieurs
« tomberont sous les coups de nos soldats, que
« les ennemis intérieurs tombent SOllS les coups
« GU penple. Notre cause, défendlle par la
« jllstice et I'énergie, sera triomphante. La na-
(f ture faít tout cette année pour les répu-
« blicains; elle leur promet une abondance
« double. Les feuilles qui poussent annOIJcent
« la chute des tyrans. Je vou~ le répete, cj-
« loyens, veillons, au dedans, tandis que nus




CONVENTION NATfONALll (1794). 233
« guerriers combattent au dehors; que les
c( fonctionnaires chargés de la surveillance pu-
e( blique redoublent de soins et de úle, qu'ils
I( se pénetrent bien de cette idée, qu'il n'y a
(( peut-etre pas une rue, pas un carrefour Oll
f( il ne se trouve un traitre qui médite un der-
(e nier complot. Que ce traltre trollve la mort
e( et la mort la plus prompte [ Si les adminis-
( trateurs, si les fonctionnaires publics veulent
« trouver une place dans l'histoire, voici le
« moment favorable pour y songer. Le tribu-
ce nal révolntionnaire s'y est assuré déja une
ce place marquée. Que toutes les administrations
ce sachent imiter son úle et son inexorable
« énergie; que les comités révolutionnaires
( surtout redoublent de vigilan ce et d'activité,
(( et qu'ils sachent se soustraire aux sollicitations
« dont on les assiége, et qui les portent a une
(e indulgence funeste. a la liberté. »


Saint-Just tit a la convention un rapport for-
midable sur la police générale de la républi-
que ". II Y répéta l'histoire fabulense de toutes
les conspirations, ¡lles montra comme le sou-
levement de tous les vices contre le régime
austere de la républiqlle; iI dit que le gou-
vernement, loin de se ralentir, devait frapper


• 26 germinal <In II (15 avril).




234 n'¡VOLUTION FRAN9AISE.
sans cesse, jusqu'a ce qu'il eut immolé tous
[es etres dont la eorruption était un obstacle a
l'établissement de la vertu. n fit l'éloge aeeou-
turné de la sévérité, et ehereha, eomme on le
faisait alors, par des figures de toute espeee,
a prouver que l'origine des grandes institutions
devait etre terrible. (( Que serait devenue, dit-
( il., une république indulgente ? .. Nous avons
« opposé le glaive au glaive, et la république
« est fondée. Elle est sortie du sein des orages:
{( eette origine lui est eommune avee le monde
« sorti du ehaos, et avee l'homme qui pleure en
« naissaut. » En eOllséquence de ces maximes,
Saint-J ust proposa une mesure géllérale contre
les ex-nobles. C'était la premiere de ce geure
qu' 011 eut rendue. Danton, l'ann.ée préeédente,
avait, dans un moment de fougue, faít mettre
tous les aristocrates hors la loi. Ce décret étant
inexécutable par son étendue , on en rendit un
autre, qui condamnait tons les suspects a la
détention provisoire. Mais aucune loi direete
contre les ex -nobles n'avait encore été portée.
Saint-J llst les montra comme des eunemis ir-
réconeiliables de la révolution : (( Quoi que vous
« fassiez, dit-il, vous ne pourrez jamais con-
« tenter les ennemis du peuple, a moins que
« vous ne rétablissiez la tyrannie. Il faut done
« qu'ils aillent ehereher aílleurs l'esclavage et




C.ONVMTION NATION UE (1794). :!35
f( les rois. lis ne peuvent faire de paix avec
« vous; vous ne parlez point la meme langue,
« vous ne vous entendrez jamais. Chassez-les
« done! L'univers n'est point inhospitalier, et
« le salut public est parmi nous la supreme 101. J)
Saint-Just propasa un décret qui bannissait tous
les ex-nobles, tous les étrangers, de París, des
places fortes, des ports maritimes, et qui met-
tait hors la loí ceux qUÍ n'auraient pas ob,éi au
décret dans l'intervalle de dix jours. D'autres
dispositions de ce projet faisaient uu devoir a
toutes les autorités de I'edoubler d'activité et
de úle. La convention applaudit a la proposi-
tion, eomme elle faisait toujours, et la vota
par acclamation. Collot-d'Herbois, le rappor-
teur du décret aux Jacobins, ajouta ses figures
a ceHes de SaÍnt-J ust. «( Il fant, dit-il, faire éprou-
« ver au corps potitique la sueur immonde de
«( l'aristocratie; plus il aura transpiré, mieux
« il se portera. »)


On vient de voir ce que fit le comité pOllr
manifester l'énergie de sa politique; voicÍ ce
qu'il ajouta pour la concentratíon toujours plus
grande du pouvoir. D'abord il pronom,;a le li-
cencÍement de l'armée révolutionnaíre. Cette
armée, imaginée par Danton, avait d'a bord été
utile pour faire exécuter les volontés de la
convention, lorsqu'il existait encore des restes




236 RÉVOLUTION FRAN~AlSEo
de fédéralisme; mais étant ctevenue le centrt.'
de ralliement de tous les perturbateurs et de
tous les aventuriers,ayant servi de point c!'ap-
pui aux clerniers démagogues, il était néces-
saire de la dispersero Le gouvernemeot, d'ail-
leurs, étant aveuglément obéi, n'avait plus
hesoio de ces satellites pour faire exécllter ses
ordres. En conséquence elle fut licenciée par
décr~t. Le comité pro posa ensuite l'abolition
des différents ministereso Des ministres étaient
des puissaoces qui avaient encore trop d'impor-
tan ce , a coté des membres du comité de sal ut
publico Ou ils laissaient tout faire au comité,
et alors ils étaiellt inutiles; ou bien ils voulaient
agir, el alors ils étaient des concurrents im-
portunso L'exemple de Bouchotte, qui, dirigé
par Vincent, avaitsuscité tant d'embarras au
comité, était un exemple assez instructif. En
conséquence les ministeres furent abolis. A leur
place, on institua les donze commissions sui-
valltes :


lo Commissioll des administrations civiles,
police et tribunaux;


2. Commission de l'instruction publique;
3. Commission de l'agricultllre et des arts;
4. Commission du commerce et des appro-


visionnements ;
50 Commission des travaux publies;




CONVENTION NATIONALF. (1794).
6. CommissioIl des secours publics;
7. Commission des transports, postes et mes-


sagerles;
8. Commission des finances;
9. Commissioll de l'orgallisation et du mou-


vement des armé es de terre;
10. Commissiofl de la marine et des colo ni es ;
I I. Commission des armes, poudres et ex-


ploitations des mines;
1').. Commission des relations extérieures.
Ces cornmissions, dépendantes du comité


de salut public, n'étaient autre chose que les
douze bureaux entre lesquels on avait partagé
le matériel de l'administration. Hermann, qui
présidait le tribunal révollltionnaire, pendant
le proces de Dantoll, fut récompensé de son
úle par la qualité de chef de l'UIlC de ces com~
missions. On lui donna la plus importante,
ceHe des administrations civiles, poliee el tribu-
naux.


D'autres mesures furent prises pour augmen-
ter encore la centralisation du pouvoir. D'apres
fiustitution des comités révolutionnaires , il de-
vait y en avoir un par chaque commune ou
section de commune. Les communes rurales
étant tres-nombre uses et pello populeuses,le
Hombre de comités étaít trop grand, et lellrs
fOllctions presque nulles. Leur composition




~d8 RÉVOLUTfON f'RANC;:AJSE.
el'ailleurs présentait un granel ineon vénient.
Les paysaps étant fort révolutionnaires pour la


-.


plupart, mais illettrés, les fonctions municipales
étaÍent en général échues aux propriétaires re-
tirés dans leurs terres, et fort peu disposés a
exereer Ieur pouvoir elans le sens du gouver-
nement; de eette maniere, la surveillance des
eampagnes, et surtout des chateaux, se faisait
fort mal. Pour remédier a ce faeheux état des
choses, on supprima les comités révolution-
naires des eommunes, et on ne maintint que
eeux de distriet. Par ee moyen, la poliee en se
concentrant devint plus active, et pass a dans
les mains des bourgeois des districts, presque
tous fort jacobins, et fort jaJoux de l'ancienne
noblesse.


Les jaeobins étaient la société principale, et
la seule avouée par le gouvernenient. Elle en


-avait constamment .suivi les principes et les in-
térets, et s' était comme lui prononcée égale-
ment contre les hébertistes et les dantonistes.
Le comité de salut public aurait voulu qu'elle
absorbat presque toutes les autres dans son
sein, et qu' elle concentrat en elle-meme toute
la puissance de l'opinion, eomme il avait con-
centré en .luí toute la puissance du gouverne-
ment. Ce yreu flattait singulíerement l'ambi-
tion des jacobins, et ils firenL les plus grallds




CONV.ENTION NATIONAU: (I79Q). !dg
efforts pour l'aecomplir. Depuisque les assem-
blées de sectíons avaient été réduites a deux
par semaine, afin que le peuple put y assis-
ter et y faire triompher les motions révolu-
tionnaires, les seetions s'étaient formées en
soeiétés populaires. Le nombre de ces sociétés
était tres - grand a París; il Y en avait jusqu'a
deux et trois par seetion. Nous avons rapport':'
déja les plaintes dont elles étaient devenues
l'objet. On disait que les aristocrates, c'est - a-
dire les commis, les clercs de procureurs, mé-
contents de la réquisition, les anciens servi-
teurs de la noblesse, tous ceux enfin qui avaient
quelque motif de résister au systeme révolu-
tionnaire, se réunissaient dans ces sociétés, et
y montraient l'opposition qu'ils n'osaient ma-
nifester aux Jacobins ou clans les sections. Le
grand nombre de ces sociétés secondaires en
empechait la surveillance, et on émettait la
quelquefoisdes opinions qui IJ'auraient pas
osé se produire ailleurs.Déja on 'avait proposé
de les abolir. Les jacobins n'avaient pas let
droit de 5'en oecuper; et le gouvernement ne
l'aurait pas pu sans paraitre gener la liberté de
s'assembler el de délibérer en commun, liberté
si préeonisée a eeUe époque, et réputée devoir
etre sans limites. Sur la proposition de CoJlot,
les jaeobins déeiderent qu'ils ne reeevraient




2fto RÉVOLUTION FRAN~AISE.
plus de députations de la part des sociétés
formées a París depuis le 10 aout, et que la
correspondance ne leur serait plus cOlitinuée.
Quant a celles qui avaient été formées a París
avant le 10 aout, et qui jouíssaient de la cor-
respondance, il fut décidé qU'OIl ferait un rap-
port sur chacune d' elles, pour ,examiner si
elles devaient conserver cet avantage. Cette
mesure concernait particulierement les corde-
liers, déja frappés dan s leurs chefs, Ronsin,
Vincent, Hébert, et regardés depuis cornme
suspects. AillSi, toutes les sociétés sectionnaires
étaient flétries par cette déclaration, et les cor-
deliers allaient subir un rapport.


L'effet qu'on espéraít de cette mesure ne fut
pas long -temps a se faire attendre. Toutes les
sociétés sectionnaires, intimidées ou averties,
viurent l'une apres l'autre a. la convention et
aux Jacobins, déclarer leur dissolution volon-
taire. Toutes félicitaient égalemellt la conven-
tion et les jacobins, et déclaraient que, réunies
dans l'intéret public, elles se séparaient volon-
tairement, puiSqU'OIl avait jugé que leurs ré-
unions nuísaient a la cause qu'elIes voulaient·
servir. Des cet instant, iI ne resta plus a Paris
que la société-mere des jacobins, et, dans les
provinces, que les sociétés affiliées: A la vérité,
celle des cordeliers subsistait encore a coté de




CONVF.NTION NATIONALE (1794). 241
sa rivale. Créée jadis par Danton, ingrate en-
vers son fondateur, et toute dévouée depuis
a Hébert, Ronsin et Vincent, elle avait inquiété
un moment le gouvernement, et rivalisé avec
les jacobins. 11 s'y réunissait encore les débris
des bureaux de Vincent et de l'armée révolu-
tionnaire. On ne pouvait pas la dissoudre; on
fit le rapport qui la concernait. Il fut reconnu
que depuis quelque temps elle ne correspon-
dait que tres-rarement et tres-négligemment
avec les jacobins, et que par conséquent iI était
ponr ainsi dire inutile de lui conserver la cor-
respondan ce. On proposa, a eette occasion,
d'examinet· s'il fallait a París plus d'une société
populaire. On osa me me dire qu'il faudrait
établir un seul centre d'opinion, et le placer
auxJacobins. La société passa a l'ordre du jour
sur toutes ces propositions ~ et ne décida meme
pas si la correspondance serait accordée aux
cordeliers. Mais ce club jadis célebre avait ter-
miné son existen ce : entierement abandonné,
iI ne comptai t plus pour ríen, et les jacobins
restt~rent, ave~ le cortége de leurs sociétés affi-
liées, seuls maitres et régulateurs de l'opinion.


Apres avoir centralisé, si on peut le dire,
l'opinion, on songea a en régulariser l'expres-
sion, a la rcndre moins bruyante et moins in-
commode pou~ le gOllvernement. La censure


VI. 16




'l4~ RJÍVOLUTION FRAN~AISE.
continuelle et la dénonciation des fonction-
naires publícs, magistrats, députés, gélléraux,
administrateurs, avait fait jusqu'alors la prin-
cipale occupation des jacobins. Cette fureur de
poursuivre et d'attaquer sans cesse les agents
de l'alltorité avait eu ses inconvénients, mais
aussi ses avantages tant qu'on avait pu douter
de lem úle et de Jeurs opillions. Mais au-
jourd'hui que le comité s'était vigoureusement
emparé du pouvoir, qu'il surveillait ses agents
avec un grand soin, et les choisissait dans le
sens le plus révolutionnaire, il ne pouvait plus
long-temps permettre aux jacobills de se lill.l'er
a lellrs SOUpC;OllS accoutumés, et d'illquiéter
des fonctionnaires pour la plupart bien sur-
veillés et bien choisis. C'eut été meme un dan-
ger pour rétat. C'est a l'occasion des généraux
Charbonnier et Dagobert, calomniés tous les
deux, tandis que l'un remportait des avantages
sur les Autrichiens, et que l'autre expirait\dans
la Cerdagne, ehargé d'ans et de blessures, que
Collot-d'Herbois se plaignit aux jacobins de
eette maniere indiscrete de poursuivre les gé-
néraux et les fonctionnaires de toute espece.
Suivant l'usage de tout rejeter sur les morts, iI
imputa cette fureur de dénoncíation aux restes
de la faction Hébert, et engagea les jacobins
a ne plus tolérer ces dénonciations publiques,




CONVENTION NATIONALE (179!¡)' 243
qui faisaient perdre, disait-il, un temps pré-
cieux a la société, et qui déconsidéraient les
agellts choisis par le gouvernement. En COll-
séqllence, il proposa et tit institoer dans le
sein de la société un comité chargé de rece-
voir les dénonciations, et de les transmettre
secretement au comité de salut public. De ceUe
maniere, les dénonciations devenaient moins
incornmodes et moins bruyantes, et au désor-
dre démagogique commenc;ait a succéder la
régularifé des formes administratives.


Ainsi done, se prononcer d'une maniere
toujours plus énergique eontre les ennemis de
la ré.volution, centraliser l'administration, la
police et l'opinion, furent les premiers soins
du comité, et les premiers fruits de la victoire
remportée sur les partis. San s doute, l'ambi-
tion commenc;ait maintenanta avoir part a ses
déterminations, beaucoup plus' que daos le'
premier moment de son existence, mais pas
aotant que le [erait supposer la grande masse
de' pouvoir qu'il s'était acquise. Institué au
commencement de la campagne de 1793,' et
anmilieu de périls urgents, iI avait re~1l son
existence de la nécessité' seule. Une fois étá':'
bli, iI av:lit pris successivement'tme plus grande
part de pouvoir, suivant' qué l'exigeait']e ser-
vice' de l'état, él' il,était ain'si arrtV'é'a la, dícta-


lO.




244 RÉVOLUTION FRANt;AJSIl.
ture meme. Sa position au milieu de eette dis-
soIution universelle de tOlltes les autorités
était telle,qu'il ne pouvait pas réorganiser san s
gagner du pouvoir, et faire bien sans y mettre
de l'ambition. Ses dernieres mesures luí étaient
profitables sans doute, mais elles étaient en
elles- memes prudentes et utiles. La plllpart
meme lui avaient été suggérées, car, dans une
société qui se réorganise, tout vient s'offrir el
se soumettre a l'autorité créatrice. Mais ii tou-
chait au moment ou l'ambition allait régner
seule, et ou l'intéret de sa propre puissance
allait remplacer celui de l'état. Tel est l'homme;
il ne pellt pas rester désintéressé long-temps,
et iI s'ajoute bientot luí - meme au hut qu'il
poursuit.


Il restait au comité de salut public un der-
nier soin aprendre, celui qui préoccupe ton-
jonrs les instituteurs d'une société llouveIJe,
e'est la religion. Déja il s'était occupé des idées
morales en meUant la probité, la ¡astice, el
toutes les verlus, ti: l'ordre dajour; illui restait
a s'occuper des idées religieuses.


Remarquons ieí chez ces sectaires le síngu-
lier progres de leurs systemes. Quand iI fallut
détruire les gil'Ondins, ils virent en eux des
modérés, des républicains faíbles, parIerent
d' énergie patriotique et de salut pubú"c, et les




CONVENTJON NATJO.NALE (I79!~)' 245
immolt~rent a ces idées. Quand il se forma deux
nouveaux partis, I'un bn1taJ, extravagant,
voulant tout renverser, tout profaner; l'autre
indulgent, faciJe, ami des mreurs douces et
ues plaisirs, ils passerent des idées d'énergie pa-
triotique a ceHes d'ordre et de vertu; ils ne vi-
rent plus qu'une fatal e modération énervant les
forces de la révolution; ils virent tous les vices
soulevés a la fois contre la sévérité du régime
républicairt ; ils virent d'une part l'anarchie
rejetant toute idée d'ordre, la mollesse et la
eorruption rejetant toute idée de mreurs, le
délire de l'esprit rejetanl toute idée de Dieu;
alors ils crurent voir la république attaquée,
eomme la vertu, par toutes les mauvaises pas-
sions a la fois. Le mot de vertu fut partout;
ils mirent la justice, la probité, Ji l' ordre du
jour. Il leur restait a proclamer Dieu, I'im-
mortalité de l'ame, toutes les croyances mo-
rales; il leur restait a faire une profession de
foi solennelle, a déclarer en un mot la religion
de l'état. lis résolurent done de rendre un dé-
cret a ce sujeto De eette maniere, ils oppo-
saient aux anarchistes l' ordre, aux athées Dieu,
aux corrompus les mreurs. Leur systeme de la
vertu était completo IIs mettaient surtout un
grand prix a laver la république des reproches
d'impiété dont elle était poursuivie dans toutc




246 RÉVOLUTlON FRAN<';:AISl:.
l'Europe; ils voulaient dire ce qu'on dit tou-
jours aux pretres qui vous aceusent d'etre im-
píes paree qu'on ne croit pas a leurs dogmes :
NOUS CROYONS EN D1EU.


Ils avaient encore d'autres rnotifs de pren-
dre une grande mesure a l'égard du culte. On
avait abolí les cér'émouies de la raison; iI fal-
lait des fetes pour les jours de décade; et iI
importait, en songeant aux besoins moraux et
religieux du peuple, de songer aussi a ses be"
soins d'imaginatiou, et de lui donner des su-
jets de réuuions publiques. D'ailleurs, le rno~
ment était des plus favorables: la république,
victorieuse a la fin de la campagne précédente,
commenc;ait a l'etre encore au début de celle-
ci. Au líeu du dénument de moyens dans le-
quel elle se trouvait l'année derniere, elle était,
par les soips de son gouvel'nement, pourvue
des plus puissantes ressources militaires. De la
craipte d'etre eonquise, elle passait a l'espoir
de conquérir; au lieu d'insurreetions effrayan-
tes, la soumission régnait partout. .Enfin si, a
cause des assignats et du maximum, iI Y avait
encore de la gene dans la distríbutÍon inté-
rieure des produits, la nature semblait s'etre


¡plu a combIer la Franee de tous les biens, en
luí aecordant les plus belles réeoltes. De toutes
les provinces on annon~ait que la moisson se-




CONVIl~nlJN NATIONALE \. J 794). 247
raít double, et mure un mois avant l'époque
accoutumée. C'était done le moment de pros-
terner cette république sauvée, vietorieuse et
comblée Je tous les dOIlS, aux pieds de l'Ét;ernel.
L'occasion était grande et touchante pour eeux
de ees hommes qui eroyaient; elle était op-
portune pour eeux qui n'obéissaient qu'a des
idées poli tiques.


Remarquons une ehose bien singuliere. Des
seetaires pour lesquels il n'existait plus au-
cune convention humaine qui fut respeetable,
qui, grace a leur mépris extraordinaire pour
tons les alltres pellples, et a l'estime dont ils
étaient remplis ponr ellx-memes, ne redoll-
taient anenne opinion, et ne eraignaient pas
de blesser ecHe dll monde; qui, en fait de gon-
vernement, avaient tont réduit a l'absoln né-
cessaire, qui n'avaient admis d'antre antorité
que ceHe de quelqnes eitoyens temporairement
élus, qui avaient rejeté toute hiérarehie de
classes, qni n'avaient pas craint d'abolir le plus
aneien et le mienx enraeiné de tons les eultes,
de teIs sectaires s'arretaient devant deux idées,
la moral e et Dieu. Apres avoir rejeté toute5
eeHes dont ils croyaient pouvoir dégager
l'homme, ils restaient dominés par l'empire de
ces deux dernieres; et immolaient un parti a
ehaeune. Si lons ne eroyaient pas, tous cepen-




248 1tÉVOLUTION FRANI,tAISE.
dant sentaient le beso in de l' ordre entre les
hommes, et, pour appuyer cet ordre humain ~
ils comprenaient la nécessité de reconnaitre
dans l'univers un ordre général et intelligent.
C'est la premiere fois, dan s l'histoire du monde,
que la dissolution de toutes les autorités lais-
sait la société en proie au gouvernement des
esprits purement systématiques( car les Anglais
croyaient a des traditions chrétiennes), et ces
esprits, qui avaient dépassé toutes les idées
ret;ues, adoptaient, conservaient les idées de
la morale et de Dieu. Cet exemple est nnique
dans les annales da monde; iI est singulier.
iI est grand et beau; l'histoíre doít s'arreter
pour en faire la remarque.


Robespierre fut rapportcur dans cette occa~
sion solennelle, et lui seul devait l'etre d'apres
la distribution des roles qui s'était faite entre
les membres du comité. Prieur, Robert-Lindet,
Carnot, s'occupaient silencieusement de l'ad-
ministration et de la guerreo Barrere faisait la
plupart des rapports, particulierement ceux
qui étaient relatifs aux opérations des armées,
et en général tous ceux qu'Ü fallait improviser.
Le déclamateur Collot-d'Herbois était dépeché
dan s les clubs et les réunions populaires, pour
y porter les paroles du comité. Coutbon, quoi.
que paralytique, allait aussi partont, parlait




CONVENTION N ATJON ALE (] 79[~). 249
a la convention, aux Jacobins, au peuple, el
avait ]'art d'intéresser par ses infirmités, et
par le ton paternel qu'il prenait en disant les
choses les plus violentes. Billaud, moins mo-
bile, s'occupait de la correspondance, et trai-
t.ait quelquefois les questions de politique gé-
nérale. Saint-Just, jeune, audacieux et actif,
allait et venait des champs de bataille au co-
mité; quand il avait imprimé la terreur et l'é-
nergie aux armées, il revenait faire des rap-
ports meurtriers contre les partis qu'il fallait
envoyer a la mort. Robespierre enSn, leur
chef a t.ous, consulté sur toutes les matieres,
lJe prenait la paroJe que dans les grandes oc-
casions. Il traitait Jes hautes questions morales
et poli tiques ; on lui réservait ces beaux sujets,
eomme plus dignes de son talent et de sa vertu.
Le role de rapporteur lui appartenait de droít
dans la question qu'on allait traiter. Auelln
ue s'était pronoueé plus fortement eontre l'a-
théisme, aueun n'était aussi vénéré, aucun
n'avait une aussi grande réputation de pureté
et de vertu, aucun enfln, par son ascendant
et son dogmatisme, n'était plus propre a eette
espeee de pontificat.


Jamais occasión n'avait été plus belle pour
imiter ce Rousseau , dont il professait les opi-
nioIls, et du style duquel il faisait une étude




,


250 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
continuelle. Le talent de Robespierre s'était
singulierement développé dan s les longues lut-
tes de la révollltion. Cet etre froid et pesant
commel1<;ait a bien improviser; et quand iI
écrivait, c'était avec pureté, éclat et force. On
retrouvait dans son style quelque chose de
l'humeur apre et sombre de Rousseau , mais
il n'avait pu se donner ni les grandes pensées,
ni l'ame généreuse et passionnée de l'auteur
d'Émile.


Il parut a la tribune le 18 floréal (7 mai 1794),
avee un disconrs soigneusement travaillé. Une
attention profonde lui fut accordée. « Citoyens,
« dit-iI en débutant, c'est dans la prospérité
(e que les peuples, ainsi que les particuliers,
« doi vent pour ainsi dire se recneillir, ponr
« écouter dans le silence des passions la voix
« de la sagesse.» Alors il développe longuemcnt
le systeme adopté. La république, suivant lui,
e' es t la vertu; et tous les adversaires qn' elle
avait rCllcontrés ne sont que les vices de tons
genres soulevés contre elle, et soudoyés par
les rois. Les anarchistes, lcs corrompus, les
athées n'ont été que les agents de Pitt. « Les
(e tyrans, ajouta-t-il, satisfaits de l'andace de
« leurs émissaires, s'étaient empressés d'étaler
,( aux yenx de leurs sujets les extravaganccs
« qu'ils avaient achetées; et, feignant de croire




CONVENTION NATJONAU; (1794). 25.
c( que c'était la le peuple fraIH,;ais, ils semblaient
«( leur dire : Que gagnerez-vous a secouer no-
« tre joug? Fous le voyez, les républicains ne
« valent pas mieux que nous!» Brissot, Danton,
Hébert, figurent alternativement dans le dis-
cours de Robespierre; et, pendant qu'il se li-
vre contre ces prétendus ennemis de la vertu,
aux déclamations de la haille, déclamations
déja fort usées, il excite peu d'enthousiasme.
Mais bientot il abandonne cette partie du sujet,
et s'éleve a des idées vraiment grandes et mo-
rales, exprimées avec talento Il obtient alors
des acclamations universelles. Il observe avec
raison que ce n'est pas comme auteurs de sys-
temes que les représentants de la nation doi-
vent poursuivre l'athéisme et proclamer le
déisme, mais comme des législateurs, cher-
chant quels sont les principes le~ plus conve-
nables a l'homme réuni en société. ( Que vous
«( importe a vous, législateurs, s'écrie-t.il, que
«( vous importe les hypotheses diverses par les-
«( qlleUes certains philosophes expliquent les
« phénomtmes de la nature ? VOllS pouvez aban-
(( donner tOllS ces objets a lellrs disputes éter-
« neUes; ce n'est ni comme métaphysiciens,
ce ni comme théologiens que vous devez les en-
ce visager ; aux yeux du législateur. tout ce quí
c( est utile au monde et bon dans la pratiquc,




252 ltÉVOLUTION FRAN~AISE.
« est la vérité. L'idée de l'Etre supreme et (le
« l'immortalité de l'ame est un rappel conti-
« nuel a la justiee; elle est done sociable et
« républieaine .... Qui done 1'a donné, s'éerie
« encore Robespierre, la mission d'annoneer
({ au peuple que la divinité n'existe pas? O toi
« qui te passionnes pour eette ande doctrine,
( et qui ne te passionnas jamais pour la pa-
«( trÍe! quel avantage trouves-tu a persuader a
« l'homme qu'une force aveugle préside a ses
«( destinées et frappe au hasard le crime et la
« vertu? que son ame n'est qu'nn souffle léger
« qui s'éteint aux portes dll tombeau? L'idée
« de son néant lui inspirera-t-elle des senti-
« ments plus purs et plus élevés que eeHe de
f( son immortalité? Luí inspirera-t-elle plus de
« respect pour ses semblables et pour lui-meme,
« plus de dévonement ponr la patrie, plus
« d'audaee a braver la tyrannie, plus de mé-
« pris ponr la mort ou pour la VOlllpté? Vous,
« qui regrettez un ami vertueux, vous aimez
« a penser que la plus belle partie de lui-
" nH~me a échappé au trépas ! Vous, qui pleu-
« rez sur le eercueil d'un fils ou d'une épouse,
« etes-vous consolé par celui qui vous dit qu'il
(c ne reste plus d'eux qu'nne vile poussiere?
(1 Malheureux qui expirez sons les coups d'un
« assassin, votre dernier soopir est un appel




CONVF.NTrON NATIONALE (1794). 253
ti a la justice éternelle 1 L'innocenee sur l'é-
« chafaud fait patir le tyran sur son ehar de
(e triomphe. Aurait-elle cet ascendant si le tom-
« beau égalait l'oppresseur et l'opprimé ? .. »


Robespierre, s'attaehant toujours a saisir le
coté politique de la question, ajoute ces ob-
servations remarquables : « Prenons iei, dit-il,
ce les lec;ons de l'histoire. Remarquez, je vous
« prie, eomment les hommes qui ont influé sur
«la destinée des états furent déterminés vers
« l'un ou l'autre des deux systemes opposés,
e( par leur caractere personnel, et par la na-
« tu re meme de leurs vues politiques. Voyez-
« vous avec quel art profond César, plaidant
( dan s le sénat romain en favellr des compli-
e( ces de Catilina, s'égare dans une digression
« cOlltre le dogme de l'immortalité de l'ame,
« tant ces idées lui paraissent propres a étein-
«( dre dans le ereur des juges l'énergie de la
« vertu, tant la cause du crime lui parait liée
c( a eeHe de l'athéismel Cicéron, au contraire,
{( invoquait eontre les traitres et le glaive des
« 10is et la foudre des dieux. Socrate monrant
« entretient ses amis de l'immortalité de l'ame.
« Léonidas, aux Thermopyles, soupant avec


d' t d' , ce ses compagnons armes au momen exe-
« cuter le dessein le plus héroique que la vertu
« humaine ait jamais conc;u, les invite pour le




254. RÉVOLUTION FRAN«:;:ATSE.
« lendemain a un autt'e banquet pour une vie
« nOllvelle.. . . . Caton ne balanc;a point entre
« Épicure et Zénon. Brntus et les illustres con-
(e jllrés qui partagerent ses périls el' sa gloire
« appartenaient aussi a cette secle sublime des
« stolciens, qlli eut des idées si hautes de la di-
c( gnité de l'homme, qlli ponssa si Ioin l' en-
f{ thousiasme de la vertu, et qui n'outra que
« l'héroisme. Le stolcisme enfanta des émules
« de Brutus et de Caton jusque dans les siecles
« affrellx qui suivirent la perte de la liberté
« romaine; le stoicisme sauva l'honneur de la
« nature humaine, dégradée par les vices des
« successeurs de César, et surtoutpar la patience
« des peuples. »)


Au sujet de l'athéisme, Robespierre s'expli-
que d'une maniere singuliere sur les encyclo-
pé<listes. « Cette secte • dit-il, en matiere de po-
{( litique, resta toujours au-dessous des droits
ee du peuple; en matiere de moral e elle alla
(( beaucoup au-dela de la destruction des pré-
« jugés religieux: ses coryphées déclamaient
c{ quelquefois contre le despotisme, et ils étaient
el pensionnés par les despotes; ils faisaientUllÍ"
«( tot des livres contre la cour, et tantot des
«( dédicaces aux rois, des discours pouI' les
«(COllrtisans, el des madrigamc. ponr les cour-
« tisanes; ils étaientfiers oans leurs éCl'its et




CONVENTION NATIONALE (1 í94). 255
« rampants dans les antichambres. eette secte
cc propageaavec beaucoup de úle l'opinion du
« matérialisme, qui prévalut parmi les grands
« et parmi les beaux esprits; on lui doit en par-
/( tie eette espeee de philosophie pratique qui,
« rédulsallt l'égolsme en systeme, regarde la
c( socíété humaine eomme une guerre de rus e ,
« le succes comme la regle du juste et de I'ín-
« juste, la probité eomme une affaire de gout
« ou de bienséance, le monde comme le pa-
e< trimoine des fripons adroits .....


e< Parmi ceux qui an temps dont je parle se
« signalerellt dans la carriere des lettres et de
« la philosophie, un homme, par !'élévation de
c( son ame et la grandeur de son caractere, se
e( montra digne dn ministere de précepteur du
« genre humain: il attaqua la tyrannie ave e
« franchise; il parla avec enthotlsiasme de la
« Divinité; son éloqueuce mate et prohe peí-
ee gnit en traits de fen les. charmes de la vertu;
« elle défendit ces dogmes consolateurs que la
« raison donne pour appui au creur humain.
« La pureté de sa doctrine, puisée dans la na~
« ture et dans la haine profonde du vice, au ..
« tant que son mépris invincible' pour les so-
« phistes intrigants qui usurpaient le llom de
c( philosophes, lui attira la haine el la persécu-
« tion de ses rivaux et de ses faux am'is. Ah!




256 R~VOLUTION FRAN~AJSE.
« s'il avait été témoin de cette révolution dont
(e il fut le précurseur, qui peut douter que son
c( ame généreuse eut embrassé avee transport
« la cause de la justice et de l'égalité! »


Robespierre s'attache ensuite a écarter eette
idée que le gouvernement, en proclamant le
dogme de l'Etre supreme, travaille pour les
pretres. Il s'exprimc ainsi qu'il suít : ce Qu'y
C( a-t-il de commun entre les pretres et Dieu ?
« Les pretres sont a la morale ce que les char-
I( latan s sont a la médecine. Combien le Dieu
« de la nature est différent du Dieu des pre-
el tres 1 Je ne reconnais ríen de si ressemblant
« a l'athéisme que le& religions qu'ils ont fai-
« tes. A force de défigurer I'.Etre su preme, ils
C( 1'0nt anéanti autant qu'il était en eux : ils en
I( ont fait tantót un globe de feu, tantót un
« breuf, tantót un arbre, tantot un homme,
« tantót un roi. Les pretres ont créé un Diell
« a leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux,
I( avide, cruel, implacable; ils l'onttraitécomme
( jadis les maires du palais traiterent les des-
le cendants de Clovis pour régner en son nom
({ et se meUre a sa place; ils I'ont relégué dans
I( le cíel comme dans un palais, et nc I'ont ap-
le pelé sur la terre que pour demander, a leur
« profit, des dImes, des richesses, des hon-
« neurs, des plaisirs et de la puissance. Le vé-




CONVI<:NTroN NATroNALE (179/.)· 257
« ritable temple de l'Etre supreme c'est l'uni-
« vers; son culte, la vertu; ses fetes, la joie
«( el'uo grand peuple rassemblé sous sesyeux
,( ponr resserrer les nreuds de la fraternité ulli-
(( verselle, et pour lui présenter l'hommage des
,( creurs sensibles et purs. »


Hobespierre dit ensuite qu'il faut des fetes
a un peuplc. « L'homme, dit - il, est le plus
«( grand objet qui soit dans la nature; et le plus
« rnagn.jfiq ue de tous les spectacles, e' est celui
« d'un grand peuple assemblé.» En conséquenc~
il propose des plan s de réunion poul' ton s les
jours de décadis. Son rapport s'acht'we au mi-
líen des plus vífs applaudissements. Il propose
le décret, qui est adopté par acclamation.


Art. Je<. Le peuple fraOl;a1s recollnalt l'exis-
tence de l':Etre supreme et l'i mmortalité de
l'ame.


Art. 2.. n reconnait que le culte le plus di-
gne de l'Etre supreme ~st la pratique des de-
voirs de l'homme.
D'autre.~ articles portent q u'il sera institué


des fetes pour rappeler l'homme a la pellsée
de la Divinité et a la dignité de son ctre. Elles
emprunteront lellrs noms des événements de
la révolutioll, Oll des vertus les plus utiles a
I'homme. Outre les fe tes du '4 juillet, dll
JO :wut,dll 2J .ianvit'r~t.dll 31 mai, larépll-


n. ,-




258 RÉVOr.UTION FRAN«<AISE.
bliqlle célébrera tous les jours de décadis les
fetes suivantes: -a I'Etre supreme ,-all geure
humain, - au peuple frao<,;ais, - aux bieo-
faitetlvs de l'humanité, - aux martyrs de la
liherté, -" -" a la liberté et a I'égalité, - a la ré-
publique, - a ]a liberté du monde, - a 1'a-
fioar de la patrie, - a ]a haine des tyrans et
des traitres, - a la vérité, - a la j usti ce, -
a la pudeu]!', -' -' a la gloire, - a l' amitié, -
a la frugalité , - au courage, - a la bonne foi,
- a l'héroisme, - au désintéressement, -
au stolcisme, - a l'amour, - a la foi conju-
gate, - a l'amour paternel, - a la tendresse
paternelle, - a la piété filiale, ~ a l' enfance,
- a la jeunesse, - a l'age viril, - a la vieil-
Je~se, - au malheur, - a l'agriculture, - a
l'indu&trie , ~ a nos aieux, - a la p05térité,
- au bonheur.


Une fete solennelle est ordonnée pour le
20 prairial, et le plan en est confié a David. n
faut ajouter que, daos ce décret, la liberté des
cultes est proclamée de nouveau.


A peine ce rapport est·il achevé, qu'il est li-
vré a l'impression. Dans la meme journée, la
commune, les jacQbins en demandent la lec-
ture, le couvrent d'applaudissements, et déli-
berent d'aller en corps témoigner a la conven-
tioo leurs remerciements, pOllr lesublimedécret




CONVENTfON NAT/ONALE (1794). ·l59
qu'eIle vient de rendre. On avait observé que
les jacobins n'avaient pas pris la parole apr~s
l'immolation des deux partis, et n'étaient pas
allés félieiter le comité et la convention. Un
membre leur en fait la remarque, et dit que
l'occasion se présente de prouver l'union des
jacohinsavecun gouvernement qlli déploie une
si belle conduite. Une adresse est en effet ré-
digée, et présentée a la convention par une dé.
putation des jacobins. Cette adresse finit en
ces termes: {( Les jacobins viennent aujourd'hui
« vous remerciel' du déeret solenneI que vous
« a"'ez rendll; ils viendront s'unir a vous clans
ce la célébration de ce grand jour ou la fete a
(e l'Etre supreme réunira de toutes les parties
ee de la France les citoyens vertueux, pour chan-
(( ter l'hymne de la vertu. » Le président fait a
la députation une réponse pompeuse.« n est
« digne, lui dit-il, d'une société qui remplit le
c( monde de sa renommée, qui jouit d'une si
« grande influence sur l'opinion publique, qui
e( s'associa dans tous les temps a tont ce qu'il y
(e eut de plus courageux parmi les défenseurs
c( des droits de l'homme, de venir dans le tem-
({ pIe des lois rendre hornmage a l'Etre su-
" preme.»


Le président poursuit, et apres un discours
assez long-sur le merne sujet, transmet la parole


17·




:>.()o n ¡lHJUiTION 1<'H ANCA Isf:.
;'t Couthon. Celui - ci fait un discours véhé-
ment contre les athées, les corrompus, et
1m pompeux éloge de la société; il propose 7
en ce jour solennel de joie et de reconnais-
sanee, de rendre aux jacobins une justice qui
leur est due depuis long - temps, c'est que,
des l'ouverture de la révolution, ils n'ollt
pas cessé de bien mériter de la patrie~ Cette
proposition est adoptée au milieu des plus
bruyants applaudissements. On se sépare dans
des transports de joie, et dans une espece
d'ivresse.


Si la convention avait re<;u de nombrcuses
:nlresses apres la mort des hébertistes et des
dantonistes, elle en re<;ut bien davantage en-
care, apres le décret qui proclamait la croyance
a l':Etre supr.:hne. La contagion des idées et des
mots est chez les Franc,;ais d'une rapidité ex-
traordinail'e. Chez un peuple prompt et com-
municatif, l'idéequi occllpe quelques esprits
est bientot l'idée qui les occupe tous: le mot
(lui est dans quelques bOliches est bientot dans
toutes. Les adresses arriverent encore de toutes
parts, félicitant la convention de ses décrets
sublimes, la remel'ciant d'avoir établi la vertu,
proclamé l'Etre supreme, et rendu l'espérance
á l'hornme. Tontes les sections vinrent I'IIlH'
apres l'autre exprímer les memes scntimellts.




CO;,\VEI'ITIO.N NATlONALI; (179[~)' 201
La section de Marat se présentant a la barre et
s'adressant a la Montagne, lui dit: (c Montagne
(( bienfaisante! Sina'í protecteur! I'et;:ois aussi
« nos expressions de reconnaissance et de f.éli·
« citation pour tous les décrets sublimes que tu
« lances chaque jour pour le honheur du gen re
( humain. De ton sein bouillonnant est sortie la
« foudre salutaire qui, en écrasant l'athéisrne,
« donne a tous les vrais républicains l'idée bien
« consolante de vivre libres, sous les yeux de
cc l'Etre supreme, et dans l'attente de l'immor-
« talité de l'ame. PilJe la convention! vive la
« république! vive la Montagne!)) Toutes les
aclresses engageaient de nouveau la convention
a cOllserver le pouvoir. Il en est une qui l'enga.,
geait me me a siéger, jusqu'a ce que le regne
de la vertu fút établi dans la république, sur
des bases impérissables.


Des ce jour, les mots de vertu et d' Étre su-
préme furent dans toutes les bOllches. Sur le
frontispice des temples, ou ron avait écrit: ti
la Raisoll, on écrivit : ti l' Etre .wpréme. Les
restes de Rousseau furent transportés au Pan-
théon. 5a veuve fut présentée a la convention
et gratifiée d'une pensiono


Ainsi, le comité de salut public, triomphant
de tous les partis, saisi de tous les pouvoirs,
placé a la tete d'uue nation enthousiaste (~t




2G2 UÉVOLUTION }'RAN~A1S.E.
victol'íeuse, proclamant le regne de la vertu


. et le dogme de l'Etre supreme, était au som-
met de sa puissance et au dernier termc de
ses 5ystt.~mes.


_000_




CONVJ.:J.HlO.N NATIONALE (1 79{¡). 263


CHAPITRE V.


ata_


État de l'Europe au commencement deTannée 1794 (an U).
- Préparatifs universels de guerreo Poli tique de Pitt.
PJans des coalisés el des FraDl;ais. - État de nos ar-
mées de terre et de mer; activité et énergie du gouver-
nement pour trouver et utiliser les ressources. - Ou-
verture de la campagne; occupatíon des Pyrénées et
des Alpes. - Opérations dans les Pays-Bas. Combats
sur la Sambre et sur la Lys. Victoire de Turcoing. ""
Fin de la guerre de la Vendée. Commeneement de la
guerre des chouans. ~ Événements dans les eolonies.
Désastres de Saint-Domingue. Perte de la Martinique.
- Bataille navale.


L'HlVER avait été employé en Europe et en
Franee a faire les préparatifs d'une nouvelle
eampagne. L' Angleterre était tOlljours l'ame de
la coalition, et poussait les puissances du con-
tinent a venir détruire, sur les bordsde la




~64 RÉVOLUTIONFUAN(,:A ISE.
Seine, lIne révoIution qui l'effrayait et une ri-
vale qui lui était odieuse. L'implacable fils de
Chatam avaít faít eette année des efforts im-
menses pour écraser la Fraoee. Toutefois, ce
n'était pas saos obstacle qu'iI avait obtenu du
parJemeot des moyéns proportionnés ~l ses
vastes projets. Lord Stanhope, dans la chambrc
haute, Fox, Shéridan, dans la chambre basse,
étaient toujours opposés au systeme de la
guerreo lIs refusaient tous les sacl'ifices de-
mandés par les ministres; ils ne voulaient ac-
cordel' que ce qui était nécessaire a l'<lrmement
des cotes, et surtout iIs ne pouvaient pas souf-
frir que ron qualifi:h cette gnerre de juste el
nécessaire; elle était, disaient-ils, iníque, rui-
neuse, et punie de justes reverso Les rnotifs
tirés de l'ouveI'tuI'e de l'Escaut, des dangers
de la Hollande, de la nécessité de défendre
la constitution britannique, étaient faux. La
Hollande n'avait pas été mise en péril par l'ou-
verture de l'Escaut, et la constitution bl'Ítan-
nique n'était ,point menacée. Le but des mi-
nistres était, seIon eux, de détrllire un peuple
qni avait vouIn devenir libre, et d'augmenter
san s cesse Ieur influence el lenr autorité per-
sonnelle, sous pl'étexte de résister aux machi-
natioos des jacobins frarH,;ais. Cette lutte avait
été souteuue par des moyeus iIJiques. Ou avaít




CONvmUION .N ATJON ALE (1 79Q). 265
fomenté la guerre civile et le massacre; mais un
peuple brave et généreux avait déjoué les ten-
tatives de ses adversaires par un courage et des
efforts san s exemple. Stanhope, Fox, Shéridan,
conéIuaiellt qn'une Iutte pareille déshonorait et
ruinait rAngleterre. 1Is se trompaient son5 un
rappol·t. L'Opp05ition anglaise peut souvent re·
procher a son ministere de faire des guerres in-
justes, mais jamais désavantageuses. Si la guerre
faite a la France n'avait aucun motif de justice,
elle avait des motifs de poli tique excellents,
comme on va le voir, et l'opposition, trompée
par des sentimcllts généreux, oubliait les avan-
tages qui allaicnt en résulter pour l'AngIe-
terreo


Pitt feignait d'etre effrayé des menaces de
descente faítes a la tribune de la convelltion ;
iIprétendait que des paysans de Kent avaient
dit: Voici les Fran<;ais qui vont nous apporter
les droits de l'homme. Il s'autorisait de ces
propos (payés, dit-oH, par lui - meme) pour
prétendre que la constitution était menacée; iL
avait dénoncé les sociétés constitutionnelles de
L' Angleterre, devenlles un peu plus actives par
l'exemple des clubs de France, et iI souten:út
qu'elles vonlaient établir une convention sons
prétexte d'ulle réforme parlementaire. En COll-
¡;équence, il demanda la suspension de l'haúeas




266 RÉVOLUTION .FltANyAISf:.
corpus, la saísíe des papiers de ces sociétés, et
la mise en accusation de quelques-uns de leurs
membres. Il demanda en out re la faculté o'en-
róler des volontaires, et de les eutretenir
au moyen des bénéyolences ou souscriptions,
d'augmenter l'armée de terre et la marine, de
solder un corps de quarante mille étrangers,
Fran~ais émigrés ou autres. L'opposition fit
une vive résistance ; elle soutínt que rien ne
motivait la suspension de la plus précieuse
des lihertés anglaises ; que les iOciétés accusées
délibéraient en public, que leurs vreux haute-
ment exprimés ne pouvaient etre des conspira-
tions, que ces vreux étaient ceux de toute l'An-
gleterre, puisqu'ils se bornaient a la réforme
parlemcntaire; que l'augmentation démesurée
de l'armée de terre était un danger pour le
peuple anglais; que si les volontaires pouvaient
etre armés par souscription , il deviendrait toi-
sible au ministre de lever des armées sans l'au-
torisation du parlement; que la solde d'nn
aussi grand nombre d' étrangers était ruineuse,
et qu'elle n'avait d'autre but que de payer les
Fran~ais traitres a Icur patrie. Malgré les re-
nlOntrances de l'opposition, qui n'avait jamais
été ni pluséloquente, ni moins nombreuse,
car elle ne comptait pas plus de trente ou
quarante voix, Pitt ohtint tout ce qu'il vonlut.




CONVEl'n'ION NATWNALl( (1794). 267
et tit sanctionner tous les bills qu'il avait pré-
sentés.


A ussitót que ses demandes furent accordées,
il tit doubler les miliees; il porta l'armée de
terre a soixante mille hommes, eeHe de mer él
quatre-vingt mille; iI organisa de nouveaux
corps d'émigrés, et tit mettre en accusatioIl plu-
sieurs membres des sociétés constitutionnelles.
Le jury anglais, garantie plus solide que le par-
lement, acquitta les prévenus; mais peu impor-
taita Pitt, qui avait maintenant dans les mains
tous les moyens de réprimer le moilldre mou-
vemcnt politique, et de déployer une puissance
colossale en Europe.


C'était le moment de profiter de cette guerre
lIuiverselle pour accahler la France, ¡pour rui-
ller a jamais sa marine, et lui enlever ses co-
lonies; résultat beaucoup plus sur eiplus dé-
si rabIe aux yeux <le Pitt que la répression de
quelques doctrines politiques et religieuses. Il
:Ivait réussi l'allnée précédente a armer contre
la France les deux puissances maritimes qui au-
raient toujours du luí rester al1iées, l'Espagne
ella Hollancle; iI s'attachaít a les maintenir dans
leur erreur politique, et a en tirer le plus grand
parti contre la marine fran<,;aise. L'Allgleterre
pouvait faire sortir de ses ports au mojns cent
vaisscaux de ligne, I'Espague quarante, la Hol-




'é!b8 ILÉVOLllTION FHANyAISE.


laude vingt, sans compter encore une rnulú-
tude de fréga.tes. Comment la FraIlce, avec les
ctnquante OH soixante vaisseaux qui lui res-
taient depuis l'incendie de Toulon, pouvait-
elle resister a de lelles forces? Aussi, quoiqu'on
u'cut pas livré encore un seulcombat naval, le
pavillon anglais dominait sur la Méditerranée,
sur I'Océan atIantique et la mer des Indes. Dans
la Méditerranée, les escadres anglaises mena-
«;aient les puissances italiellnes. qui voulaient
rest~r neutres, bloquaient la Corse pour nous
l'enlever, et attendaient le moment de débar-
quer des troupes et des Inunitions dans la
Vendée. En Amérique, elles entouraient IIOS
Antilles, et cherchaient a profiter des afft'euses
discordes quí régnaient entre les blancs, les
mulatres. et les noirl), pour s'en emparer. Dans
lamer '(les lndes, elles achevaient l'établisse-
ment de la puissance' britannique, et la ruine
de Pondichéri. Avec une campagne encoJ'e,
notre commerce était détruit, quel que fUt le
sort de nos armes sur le coutinent. Ainsi rien
n'était plus politique que la guerre faite par
Pitt a la Franee, et I'opposition avait tort de
la critiquer sous le rapport de l'utilité. Elle
n'aurait eu raisol1 que dans un cas, et ce cas ne
;s' est pas réalisé eucore; si la dette anglaise,
contiuueHemenL ;tC'Cl'lIt:', et devculIc aujour~




r.O;V\'ENT(():'-l NATIOCiALE ('7~}'1). 2G9
(¡'hui éocwme, est réellement au-dcssus de la
ricbesse du pays et,doit s'ah'imer un jour, I'An-
gleterre aura excédé ses moyells, et aura en
tOft de luiter ponr un empire qui luí aura couté
ses forces. Mais c'est la un mystere de l'avenir.


Piu ne se refusait aUCllne vÍolence pour aug-
menter ses moyens et aggraver les maux de la
France. LesAméricains, heureux S011S Washing-
ton, parcouraient lihrement les mers, et com-
men~ai.ent a faire ce vaste commerce de trans-
port qui les a enrichis pendant les longues
gllerres d u continent. Les escadres anglaises
arrctaient les navires américains , et enlevaient
les matelots de leuI's équipages. Plus de cinq
cents vaisseaux avaient déja subi cette violence,
et c'était l'ohjet de vives el jusqu'alors inutiles
réclamations de la part dn gouvernement amé-
ricain. Ce n\~st pas tout encore : a la faveur de
la lleufralité, les Américains, les Danois, les
Suédois, fréquentaient nos ports, yapportaient
des secours en grains que la disette rendait
extn~mement précieux, beaucoup d'objets né-
cessaires a la marine, et emportaient en re tour
les vins et les autres produits qtle le sol de la
France fournÍt an monde. Gr.ke a cet intermé-
diaire des neutres, le commerce n'était pas en-
tierement interrompu, et on avait pourvu aux
besoins les plus inuispensables de la consom--




270 nÉvoLuTlON FRAN(?AISE.


mation. L' Angleterre, considérant la France
comme UIle place assiégée qu'il fallait affamer
et réduire au désespoir, voulait porter atteinte
a ces droits des neutres, et venait d'adresser
aux cours du N ord des notes pleines de 80-
phismes, pour obtenir une dérogation au droit
des gens.


Pendant que l'Angleterre employait ces
moyens de toute es pece , elle avait toujours
quarante miUe hommes dans les Pays-Bas, 80US
les ordres dll due d'York; lord Moira, qui n'a-
vait pu arrivel' a temps vers Gl'anville, mouillait
a Jersey avec son escadre et dix mille hommes
(le débal'quement; enfin la trésorerie anglaise
tenait des fonds a la disposition de toutes les
puissances helligérantes.


Sur le continent, le úle n'él:ait pas aussi
grand. Les puissances qui n'avaient pas a la
guerre le meme intéret que l' Angleterre, et qui
ne la faisaient que pour de prétendus princi-
pes, n'y mettaient ni la meme ardeur, ni la
meme aetivité. L'Angleterre s'efforc;;ait de les
ranimer tontes. Elle tenait toujours la Hollande
sous son joug au moyen du prince d'Orange,
et l' obligeait a fournir son contingent dan s
J'armée coalisée du Nord. Ainsi eette malheu-
reuse nation avait ses vaisseaux et ses régi-
ments au service de sa plus redoutable enne-




CONVENTrON N ATION ALE (1794). 27 r
míe, et contre sa plus sure alliée. La Prusse,
malgré le mysticisme de son roí, était fort dés-
abusée des illusions dont on l'avait nourrie
depuis deux ans. La retraite de Champagne en
1792, et celle des Vosges en 1793, n'avaient
ríen eu d'encourageant pour elle. Frédéric-
(;'uillaume, qui venait d'épuiser son trésor,
d'affajblir son armée pour une guerre qui
ne pouvait avoir aucun résultat favorable a
:son royaume, et qui pouvait servir tout au
plus la maison d'Autriche, aurait voulu y re-
noncer. Un objet d'ailleurs beaucoup plus in-
téressant pomo luí l'appelait au Nord : c'était
la Pologne qlli se mettait en mouvement, et
dont les membres épars telldaient a se rejoin-
dre. L' Angleterre, le surprenant au milieu de
ces incertitudes, l' engagea a continuer la guerre
par le moyen tout puissant de son 01'. Elle con-
clut a La Raye, en son noro et en celui de la
HoUande, un traité par lequel la Prusse s'o-
bligeait a fournir soixante - deux mille quatre
cents hommes a la coalition. Cette armée de-
vaitavoír pOUl' chef un Prussien, et ses conque-
tes futures devaientappartenir en communaux
deux puissances maritimes, l'Angleterr-e et la
Hollanue. En retonr, ces deux puissances pro-
mettaient de fournir cinquante mille livres ster-
Jing par mois a la Prusse poul' l'entretien oe




'J.7'J. R'::\'OLliTION FnAN(.:.\JSJ,~.
ses tronpcs, et de lui payer de plus le pain et
le fourrage; outre cctte somme, elles accor-
daient encore trois cent mille livres sterling,
pour les premieres dépenses d'entrée en cam-
pagne, et cent mille pOllr le retonr dans les
états prussiens. A ce prix , la Prusse continua la
guerre impolítique qu'elle avait commencée.


La maison d'Autriche n'avait plus ri'tm a
emptkher en Francc, puisque la reine, épouse
de Louis XVI, avait expiré sUr l'échafaud. Elle
devait, "moins qu'aucun autrt!pays, redouter la
contagion de la révolution, puisque trente ans
de c1iscussions politiq (les n' ont pas encore éveillé
les esprits chez eHe. Elle ne nons faisait donc
]a gnerre que par vengeallce, engagement pris,
et désir de gagner quelques places dan s les
Pays-Bas; peuN~tre aussi par le fol et vague
espoir d'avoir une partie de nos provinces. Elle
y mettait plus d'ardeur que la Prusse, mais
pas beaucoup plus d'aetivité réelle, car elle ne
fit que eompléter et réorganiser ses régiments,
sans en augmenter le nombre. Une grande
partie de ses trollpes était en Pologne, car elle
avait, eomme la Prusse, un puissant motif de
regarder en arriere et de songer a la Vistule
autantqu'auRhin. Les Gallicies ne l'occupaient
pas moins que la Belgique et l'AIsace.


La Sl1ed~ et le Danemarck gardaient Ilne




CONVENT/ON NATIONALE (1794). 273
sage neutraJité, et répondaient aux sophismes
de I'Allgleterre, que le droit publie était im-
muable, qu'il n'y avait auenne raison d'y man-
quer envers la France, et d'étendre a tout un
pays les lois du blocus, lois applicables seu-
lement a une place assiégée; que les vaisseaux
danois et suédois étaient bien re<;;us en France,
qu'ils n'y trouvaient pas des Barbares, comme
on le disait, mais un gouvernement qui faisait
droit anx demandes des étrangers commer-
c;;ants, et qui avait ponr eux tous les égards
dus aux nations avce lesquelles il était en paix;
qu'il n'y avait done aucune raison d'interrom-
pre des relations avantageuses.En eouséquenee,
bien que Catherine, toute disposée en faveur'
des projets des Anglais, sembl:h se pronoueer
contre les droits des nations neutres, la Suede
et le Danemarek persist.erellt dalls leurs réso-
llltions, garderent une neutralité prudente et
ferme, et firent un traité par lequcl les deux
pays s'ellgageaient a maintenir les droits des
lleutres, et a faire observer la clause du traité
de 1780, laquelle fermait la mer Baltiqueaux
vaisseaux armés des puissanees qui n'avaieut
aueua port daus eette mero La :Franee pouvait
done espérer de reeevoir eueore les grains du
N ord, et les bois et ehanvres néeessaires a sa
marine.




:.>7;' 1l1:;\'OUJTION FHA1H,:,\ISf:.
La Russie, arfectant tonjours beaucoup d'in-


dignation contre la révolution fran¡;aise, et
donnant de grandes espéranccs aux émigrés,
ne songeait qll'il la Pologne, et n'abondait si
fort dans la politiqne des Anglais que pour ob-
teuir leur adhésion a la sienne. C'est la ce quí
explique le silence de I'Angleterre sur un évé-
nement aussi grand que la disparition eI'(1)
royaume de la scene poli tique. Dans ce mo-
mellt de spoli.ation générale, ou l' Angleterre
recueillait une si grande part d'avantages <fans
le midi de l'Europe el clans toutes les mers, il
lui convenait pen de parler le langage ele la
jl~stice aux eopartageants de la Pologne. Ainsi
la coalition, qui accusait la France d'etre tom-
hée dans la barbarie, comrnettait au Nonl le
brigandage le plus audaeieux que se soit ja-
mais permis la politique, en méditait un pa-
reíl sur la Franee, et eontribuait a détruirp
pom jamais la liberté des mers.


Les princes allemands suivaient I'impul&ioll
de la maison eI'AlItriche. La Sllisse, pl'Otégée
par ses montagnes, et dispensée par ses insti-
tutions de se croisel' ponr la ea use des monar-
ehies, persistait a ne prendre aueun partí, et
eouvrait de sa neutralité nos provinces de
l'Est, les moins défelldues de toutes. Elle fai-
sa it &ur le continen t ce que les Améric:lins..


"




CONVENTION NATlONALE (1794)· 275
les Suédois et les Dapois, faisaiellt sur mer; elle
rendait au cornrnerce frall(;;ais les memes ser-
vices, et en recueillait la nH~me récompense.
Elle nons donnait des chevaux dont nos armées
avaient besoin, des bestiaux qui nons man-
qnaient depuis que la guerre avait ravagé les
Vosges et la Vendée; elle exportait les produits
de nos manufactures, 'et devenait ainsi l'inter-
médiaire du commerce le plus avalltageux. Le
Piémont continuait lá guerre, sans doute avec
regret, mais iI ne pouvait -consentir a mettre
has les armes, apres avoir perdu deux provin-
ces, la Savoie et Nice, a ce jeu sanglant et
maladroit. Les puissances italiennes voulaient
etre neutres, mais elles étaient fort inquiétées
dans ce projet. La république de Genes avait
vu les Anglais commettre dans son port un
acte indigne, un véritable attentat au droit des
gens. lls s' étaient emparés d'une frégate fran-
<;aise qui mouillait a l'ahrí de la neutralité gé-
noise, et en avaient massacré l'équipage. La
Toscane avait été obligée de renvoyer le rési-
dent franc;ais. Naples, qui avait reconnu la
république lorsque les escadres franc;aises me-
na~aient ses rivages, faisait de grandes dé-
monstl"ations contre elle depuis que le pavil-
Ion anglais s'était déployé dans la Méditerranée,
et promettait dix-huit mille hommes de secours


18.




~\76 HEVOLliTION FHAW;AISE.
;m Piémont. Rome, heureusement impuissan!f:",
nous maudissait, et laissait égorger dans ses
murs l'agent fran.,;ais Basseville. Venise enfin ,
quoique peu flattée du langage démagogique
de la Franee, ne vOlllait nullement s'engager
(lans une guene, et, a la faveur de sa position
éloignée, espérait garder la neutraJité. La Corse
était prete a nous éehapper depuis que Paolí
s'était déclaré pour les AI~glais; íl ne 1I0US res-
tait plus, dans eette ile; que Hastía et Calvi.


L'Espagne, la moins coupable de tous nos
elmemis, eontinuait ulle guerre impolitique,
et persistait a eommettre la meme f¡mte que
la Hollande. Les prétendus devoirs des tremes,
les victoires de Rieardos et l'inflllellce 3nglaise
la déciderent a essayer encore d'une campa-
gne, qlloiqu'elle fUt fort épuisée, qu'"eUe man-
quat de sohlats, et Sllrtout t\'argent. Le céle-
bre Alcudia fit disgracier d' Arauda ponr avoir
eonseillé la paix.


La politique avait done pell chalJg(~ dcpuis
J'année précédente. Illtérets, erreul'S, 611tes et
erimcs,étaient, en '794, les memesqu'ell 1793.·
L' Anglel ene seute avait augmenté se$ rarees.
Les coa l:isés possédai.t'llt touj'OUI'S dans lps
IJays-l[Ias cell t ciuquante mille hommes, Au-
tl'ichiells, AJlemands, HoUambis et Anglais.
Vingl.cinci OH trel1te mille Alltl~ichiells étaient




CONHNl'lON NATIONALE (1794). 277
a Luxembourg; soixaute-cinq milI e Prussiens
et Saxons aux environs de Mayence. Cinquante
mille Autrichiens, melés de quelques émigrés,
hordaientlc Rhin, de ManheindtBale. L'armée
piémontaise était tOlljours de quarantc mille
hommes et de sept ou huit mille Autrichiens
auxiliaires. L'Espagne' avait fait quelqucs re-
Crllf'S pour recomposer ses bataillons, et avait
demandé des seconrs pécuniaires un oletgé;
milis son armée n'était pas plus considérable
que l'année précédente, et se bornait tou-
jours a une soixantaine de mille hommes, ré-
partis entre les Pyrénées occidentales et ori~n­
tales.


C'est an Nord que ron se proposait de nons
porter les coups les plus décisifs, en s'appuyant
sur Condé, Valellciennes et Le Qnesnoy. Le
célebre Mack avait rédigé a Londres urt plan
duquel on espérait de grands tésultats. Céttc
fois, le tacticien aUemand, Se tnontratlt un pell
plus hardi, avait fait entrer dans son projet
une marche sur Paris, Malheltret15éIii.~nt, il était
trap tard pour déployer de la hal'diesse, car
les Fran<¿ais ne pOl1vaient plus etre surpris, et
Ieurs forces étaient irnmenses. Le plan consis-
tait a prendre encore une place, celle de Lan-
drecies, de se gl'Ouper en force sur ce point ".
d'aUH'lIer If'S PrllssiclIS d('<, Vosges veJ's la 5am·




:J. 78 IIÉVOI.LJTION FII AN<;AJSE.
bre, et de marcher en avant en laissant deux
corps sur les ailes, l'un en Flandre, l'autre
sur la Sambre. En meme temps, lord Moira de-
vait débarquer des troupes dans la Vendée, et
aggraver nos dangers par une dOllble marche
sur París.


Prendre Landrecies quand 011 avait Valen-
ciennes, Condé et Le Quesnoy, était un soin
puéril; cou "rir ses communications vers la Sam-
bre était fort sage; mais placer un corps pour
garder la Flandre était fort inutile, quand iI
s'agissait de former une masse puissante d'in-
vasion; amener les Prussiens sur la ~ambre
était fort douteux, cornme nous le verrons; en-
fin, la diversion dans la Vendée était depnis un
an devenue impossibIe, car la grande Vendée
avait péri. On va voir, par la cómparaison du
projet avec l'événement, la vanité de ces plans
écrits a Londres".


La coalition n'avait pas, disons-nous, dé-
ployé de grandes ressources. Il n'y avait dans ce
moment que trois puissances vraiment actives
en Europe, l' Angleterre , la Russie et la Frallce.


,. Ceux qui voudront lire la meilleure discussion poli-
tique et militaire sur ce sujet, n'ont qu'a chercher le mé-
moire cl'itique écrit par le général Jomini sur cette cam-
pagnc, et joint a sa gramle Histoire des guerres de la
révolution.




CO~VENTION NATlONALE 1 .. 1794). 2'79
La raison en esl simple; I'Angleterre voulait en-
vahir les mers, la Russie s'assurer la PoJogne,
et la France sauver son existence et sa liberté.
11 ll'y avait d'énergiques que ces trois grands
intérets; iI n'y avait de noble que ceIni de la
France; et elle déploya pOllr cet intéret les
plus grands efforts dont l'histoirefasse mention.


La réquisition permanente, décrétée au mois
d'aout de l'année précédente, avait déja pro-
curé des renforts aux al'mées, el contr'ibué
aux sncces qui terminerent la campagne; mais
cette grande mesure ne devait produit'e tous
ses effets que dans la campagne suivante. Grace
a ce mouvement extraordinaire, douze cent
mille hommes avaient quitté lenrs foyers, el
cOllvraient les frontieres, ou remplissaient les
dépóts de l'intérieur. On avait commeucé J'em-
brigadement de ces nonvelles troupes. On ré-
unissait un bataillon de ligne avec deux batail-
lous de la nouvelle levée, et on formait ainsi
d'excellents régiments. On avait déja organisé
sur ce plan sept cent mille hommes, envoyés
aussitót sur les frontieres et dans les places. U
y en avait, les garnisons comprises, deux cent.
cinquante mille an Nord, quarante dans les Ar-
dennes, deux cents sur le Rhin et la Moselle ,
cent aux Alpes, cent vingt aux Pyrénées, et
quatre-vingts depuis Cherbourg jllsqu'a La Ro~




2Ho ln:\'OLUTJON FRANc:,;AISF.


chelle. Les moyens pour les équiper n'avaient
été ni moins prompts, ni moins extraordinaires
que pour les réunir. Les manufactures d'armes
établies a París et rtans les provinces, eurent
bientot atteint le rtegré d'activité qu'on voulait
leur donner, et produit des quantités éton-
n.antes de canons, de fusils et de sabres. Le
comité de salut public, profitant habilement du
caracterefral1(;:ais, avait su mettre a la mode la
fabrication du sal petre. Déja, l'année précéden.
te, iI avait ordonné la visite des caves pour en
extraire la terre salpetrée. Bientot iI 6.t mieux : ii
rédigea une inslruclioIl, modele de simplicité
et de clarté, pour apprendre a tous les citoyens
a lessiver eux-memes la terre des caves. Il paya
en outre quelques ouvriers chimistes pour leur
enseigner la IlJanip.ulation. Bientot ce gout s'in-
troduisit; on se transmit les instructions qu' 00
avait re c;:u es , et chaque maison fournit quelques
livres dece sel précieux. Des quartiers de Paris
se réunissaient pour apporter en pompe a la
convention et aux Jacobins le salpetre qu'ils
avaient fabriqué. On imagina une rete dans la-
quelle chacun venait déposer ses offrandes sur
l'autel de la patrie. On donnait a ce sel des for-
1.lles emblématiques; on lui prodiguaít toutes
sortes d'épithetes : on l'appelait sel vengeur,
sellibérateur. Le peuple s'en amusait, mais iL




CONVEIHION NATIONALJC (179.'1). 281
en produisait des' quantités considérables, et
le gouvernement avait atteint son hut. Un peu
de désordre se melait naturellement a tont cela.
J.Jes caves étaicnt creusées, et la terre, apres
avoir été lessivée, gisait dans les rues qu'elle
embarrassait et dégradait. U 11 arreté du comité
de salut public mil un terme a cet abus, et
les terres lessivées furent r.eplacées dans les
caves. Les salins manquaient; le comité or-
donna que toutes les herbes qui n'étaient em-
ployées ni a la nourriture des animaux, ni
aux lIsages domestiques 011 ruraux, seraient
de suite brúlées, pour servir á ]' exploitation
du salpetre ou etre converties en salins.


Le gouvernement eut l'art d'introduire en-
core une autre mode non moins avantageuse.
n était plus facile de lever des hommes et de
fabriqueF des armes que de trQuver des che-
vaux : l'artillerie et la cavalerie ~n manquaient.
La guerre les avait rendlls rares; le besoin, et
le renchérís~ement général de tOlltes choses,
en augmentaient beaucoup le prix. Il fallllt
recourir an grandmoyen desréqllisitions, e' est-
a-clire, prendre de force ce qu'un hesoin in ...
dispensable exigeait. On leva dans chaque can,
ton un chevalsurvingt-cinq, en le payant neuf
cents francs. Cependant, quelque puissante
que soit la force, la honne volonté est plus




:.l~h lUiVOLCTION !<'HAN<;tUS1':.
efficace encore. Le comité· imagina de se f;lire
offrir un cavalier' tout équipé par les jacobins.
L'exemple fut alors suivi partout. Communes,
clubs, sections, s'empresserentd'offrir a la ré-
publique ce qu'on appela des cavaliers jaco-
bins, tous parfaitement montés et équipés.


On a vait des soldats, il fallait des officiers. Le
comité agit ici avec sa promptitude ordinaire.
«( La révolution, dit Barrere, doit tOllt hater
« pour ses besoins. La révolutíon est a l'esprit
«( humain ce que le soleil de l'Afrique est a la
« végétation. )} On rétablit l'école de Mars; des
jeunes gens, choisis dans toutes les provinces,
se rendirent a pied et militaircment, a Paris.
Campés sous des tentes, au.milieu de la pIaine
des Sablons, ils devaiellt s'y instruire rapide-
ment dans loutes les parties de l'art de la
guerre, et se ré~andre ensulte dans les armées.


Des efforts non moins grands étaient faits
pour recomposer notre marine. Elle était,
en 1789, de cinqnante vaisseaux et d'autant
de frégates. Les désord.'es de la révoIution, et
les malheurs de Tonlon, l'avaient réduite a
une cinquan taiue de batiments, dont trente
au plus pouvaient etre mis en mero Ce qui
manquait surtont, c'étaient les équipages el les
officiers. La marine exigeait des hommes ex-
périmentés; et tous les hommes expérimentés




CONV~ENTION N ,\TIONALl': (1794). 283
étaient incompatibles avec la révolution. La
réfol'me opérée dans les états-majors de l'ar-
mée de tene, était done plus inévitable eneore
dalls les états-majors de l'armée de mer, et
devait y eauser ulle bien plus grande désorga-
nisation. Les deux ministres, Monge et d'AI-
barade, avaient succombé a ces difficultés, et
avaient été renvoyés. Le comité l'ésolut eneore
iei l'emploi des moyens extraordinaires. Jean-
Bon·Saint-André et Prieur-de-Ia-Marne furent
envoyés a Brest avee les pouvoirs accoutumés
eles commissail'es de la convention. L'escadre
de TIrest , apres avoir péniblement eroisé, pen-
dant qnalre mois, le long des cotes de l'Ouest~
po nI' empeeher les eommunications des Ven-
déeus avee les Anglais, s'était révoltée, par
suite de ses longues souffrances. A peine fut-
elle rentrée, que l'amiral Morard de Gales fut
arreté par les représentants, et rendu respon-
sable des désordres de l'escadre. Les équipages
furent entierement décomposés', et réorganisés
a la maniere prompte et violente des jacobins..
Des paysans, qui n'avaient jamais navigué,
furent plaeés a bord des vaisseaux de la répu-
blique, ponr manamvrer contre les. vieux ma-
telots anglais ;on éleva de simples officiers
allx plus hauts grades, et le capitaine de vais-
seau, Villaret-Joyeuse, fut promu au eomman-




284 nÉVOLUTfON FllANVAISF:.
dement de l'escadre. En un mois de temps, une
flotte de trente vaisseaux se trouva prete a ap-
pareiller; elle sortit pleine d'enthousiasme, et
aux acclamations <Iu peuple de Brest, non
pas, il est vrai, pOl1r aller braver les formida-
bles escadres de l'Angleterre, de la Hollande
et de l'Espagne, mais pour protéger un convoi
de deux cents voiles, apportant d'Amérique
une quantité considérable de grains, et pour
se battre a outrance si le 5alut du con\foi l'exi-
geait. Pendant ce temps, Toulon était le théatre
de créatlons non moios rapides. On réparait
les yaiS5eaux échappés a I'incendie, on en
construisait de nouyeaux. Les frais étaient pris
sur les propriétés des Toulonnais qui avaient
coutribué a livrcr leur port aux ennemis. A dé-
faut déS grandes flottes qui étaient en répa-
ration, une multitud e de corstl.ires couvraient
la mer, et faisaieot des prises considérables.
Une nation hardie et courageuse, a qui les
moyens de> faire la gllerre d' énsem ble man-
quent, peut tOlljours recourir a la guerre de
détail, et y déployer son intelligence et sa
\faleurj elle fait sur terre la guerre des parti-
sans, sur:tner ceBe des corsaires. Au rapport
de lordStanhope, Hatls avions, de 1793 a J 794,
pris quatre cent dix batitneIlts , tandis que les
Anglais né nons en avaient pt'is que ttois cellt




COlVVENTION N ATION AU (179ft). 285
seize. Le gouvernement ne renom;ait donc pas
a rétablir nos forces, meme sur mero


De si prodigieux travaux devaient porter
leurs fruits, et nous aUions recueillir en 1794
le prix des efforts de 1793.


La campagne s'ouvrit d'abord sur les Pyré-
nées et les Alpes. Peu active aux Pyrénées oc-
cidentales, elle devait l' etre davantage sur les
Pyrénées orientales, on les Espagnols avaient
conquis la Ugne du Tech, et occupaient encore
le fameux camp du Boulou. Ric~rdos était
mort, et cet habile général avait été remplacé
par UIl de ses Iicutenants, lc comte de La Uníon,
excellent soldat, mais chef médiocl·e. N'ayant
pas re¡;u encore les nou'\'eaux renforts qll'il
aUendait, La Union songeait tont an plus a
garder le Bonlon. Les Fran~ais étaient com-
mandés par le brave Dugomroier, le vainqueur
de TOl1hm. Une partie du matériel et des tron-
pes qui l ui servirellt a prendre cette place,
avaient été transportés devant Perpignan, tan-
<lis que les nOllvelles recrues s' organisaient
sur les derrieres. Dugqmmier pouvait mettre
trente-cinq mil/e hommes en ligue, et profiter
du mauvais état oú se trouvaient actuellement
les Espagnols. Dagobert J toujours ardent mal-
gré son age, proposait nu plan d'invasion par
la Ceroagnc. qui, portant les Fran<,;uis ;lU-dda




286 RÉvaLuTION ¡"IlANQAJS,.:.
des Pyrénées, et sur les derrieres de l'armée
espagnole, aurait abligé cene-ci a rétrogradf'r.
On préféra d'essayer d'abord l'attaque du
eamp du Boulau, et Dagobert, qui était avee
5a di vision dans la Cerdagne, dut attendre le
résultat de eette attaque. Le camp duBoulou,
placé sur les bords du Tech, et adossé aux
Pyrénées, avait pour issue la chaussée de BelIe-
ganle, qui forme la grande route de Franee
en Espagne. Dugommier, au lieu d'aborder de
front les positions ennemies , qui étaient tres-
bien fortifiées, songea a pénétrer par quel-
que moyen entre le Boulou et la ehaussée de
Bellegarde, de maniere a [aire tomber le eamp
espagnol. Tout lui réussit a merveille. La Uníon
avait porté le gros de ses [orces a Céret, et
avait laissé les hauteurs de Saint-Christophe,
qui dominent le Boulou, mal gardées. Dugom-
mier passa le Tech, jeta une partie de ses for-
ces vers Saint-Christ~phe , attaqua avec le reste
le front des positions espagnoles, et, apres un
eombat assez vif, resta maltre des hauteurs.
Des ce mament, le camp n'était plus tenable.
iI fallait se retirer par la ehaussée de Belle-
garde; mais Dugornmier s'en empara, et ne
laissa plus aux Espagnols qu'une route étroite
et diffieile a travers le col de Porteil. Leur re-
traite se changea bientot en déroute. Chargés




C.ONVEN'fION N ATIONALE (1794)· 287
avec ~-pI'OpÜs et vivacité, ils s'enfuirent eH
désordre, et nous laisserent quinze cents pri-
sonniers, cent quarante pieces de canon, hui!
cents mulets chargés de leurs bagages, et des
effets de campement ponr vingt mille hom-
mes. Cette victoire, rem portée au milieu de
floréal (commencement de mai), nons rendit
le Tech, et nons porta au-deJa des Pyrénées.
Dugommier bloqua aussitot Collionre, Port-
Vendre et Saint-Elme, pour les reprendre aux
Espagnols. Pendant eette importante vietoire,
le brave Dagobert, aUeint d'une fievre, ache-
vait sa longue et glorieuse carriere. Ce noble
vieillard, agé de 76 ans, emporta les ,'egrets
et l'admira tion de l'armée.


Rien n'était plus brillant que notre début
aux Pyrénées orientales; du coté des Pyrénées
occidentales, nons enl~vames la vallée de Bas-
tan, et ces triomphes sur les Espagnols que
nous n'avions pas encore vaincus jusqu'alors,
excit<~rent une joie universelle.


Du coté des Alpes, iI nous restait toujours
a établir notre ligne de défense sur la grande
chaine. Vers la Savoie, nous avions, l'année
précédente, rejeté les Piémontais dans les val-
Mes dll Piémont, mais il nous restait a prendre
les postes du petit Saint-Bernard et du Mont-
Cenis. Du coté de Nice, l'armée d'Italie cam-




288 ItÉyOLUTION }'RAN(;A ISJ,:.
pait toujours en présellce de Saorgio, sans
pouvoir forcer ce formidable camp des Four-
ches. Le général Dugommier avait été rem-
placé par le vieux Dumerbion, brave, mais
presque toujours malade de la goutte. Heu-
reusement, il se Iaissait entierement diriger par
le jellne Bonaparte, qui, comme on l'a vu,
avait décidé la prise de Toulon , en cOllseillant
l'attaque du Petit-Gibraltar. Ce service avait
valu a Bonaparte le grade de général de bri-
gade, et une grande considération dans l'ar-
mée. Apres avoir observé les positions enne-
mies, et reconnu l'impossibilité d'enlever le
camp des Fourches, il fut frappé d'une idée
aussi heureuse que ceHe qui rendit Toulon a
la république. Saorgio est pIacé dans la valIée
de la Roya. Parallelement a eette vallée se
trouve eeHe d'Oneille, dans laquelle coule la
Taggia. Bonaparte imagina de jeter une dívi-
sion de quinze mille hommes dans la vallé e
d'Oneille, de [aire remonter cette division jus-
qll'aux sources du Tanaro, de la por ter en-
suite jusqu'au mont Tanarello, qui borde la
Roya supérieure, et d'intercepter ainsi la ehaus-
sée de Saorgio, eutre le camp des Fourches
et le col de Tende. Par ce moyen, le camp des
Fourches, isolé des grandes Alpes, tombait
Ilécpssairemcnt. 11 lI'y avait qn'une objection




CONHNTION NATION AI,E ('794). 289
a faire a ce plan, e'est qu'il obligeait l'armée
a emprullter le territoirede Genes. Mais la ré-
publique ne devait pas s'en faire un serüpule,
ear l'année précédente deux mille Piémontais
avaient traversé le territoire génois, et était>l1 t
venus s'embarquera OneilleponrToulon; d'ail-
leurs,l'attentat commis par les Anglais sur la
frégate la Modeste, dans le port meme de Ge-
nes ,était la plus éclatante vlolation du pays
neutre. Il y avait en autre un gran.d avtmtage
a étendre la droite de l'armée d'ltálié'jusqu'a
Oneille; on pouvaít par la éonvrir une partie
de la riviere de Genes, ehasser les eOI'saires
du petit port d'Oneille ou ils se réfugiaient ha-
bituellement, et assurer ainsi le eommeree de
Genes avec le midi de la "Franee. Ce commeree,
qui se faisait par le cabotage, était fort trou-
blé par les. eorsaires et les escadres anglaisés,
et iI importait de le protéger paree qu'il con-
tribuait a alimenter le Mid. en grains. On ne
devait done pas hésiter a adopter le plan de
Bonaparte. Les représentants demanderentau
comité de salut public l'autorisation néeessaire,
el l'exécution de ce plan fut aussitot ordonnée.


Le 17 germinal (6 avtil') , Hne divisionde
quatorze mille hommes, partagés en cinq bri-
gades, passa la Roya. Le générai NIasséna se
porta sur le lnont Tanardo, et Bon'aparte':ave~


VI. 19




290 RÉVOLUTION FRANyAISE.
trois hrigades se dirigea sur Oneille, en ehassa
une division autrichienne, et y fit son entrée.
Il trouva dans Oneille douze pieces de canon,
et purgea le port de tous les corsaires qui in-
festaient ces parages. Tandis que Masséna re-
montait du Tanardo jusqu'il Tanarello, Bona-
parte continua son mouvement, et marcha
d'Oneille jusqu'a Ormea dans la vallée du Ta-
naro. Il y entra le 15 avril ( 28 germinal), et
y trouva quelq1.Jes fusils, vingt pieces de ca-
non, et des magasins pleins de draps poul'
l'habillement des troupes. Des que les brigades
franc;;aises furent réunies dans la vallée du Ta-
naro, elles se porterent vérs la haute Roya,
pour exécuter le mouvement prescrit sur la
gauche des Piémontais. Le général Dumerbion
attaqua de front les positions des Piémontais,
pendant que Masséna arrivait sur leurs flanes
et sur leurs derrieres. Apres plusieurs aetions
assez vives, les Piémontais ahandon nerent Saor-
gio, et se replierent sur le col de Tende, et en- ;
fin abandonnerent le col de Tende meme pour
se réfugier aLimone, au-delil de la grande
cha'ine. Tandis que ces choses se passaient dans
la vallée de la Roya, les vallées de la Tinca et
de la Vesubia étaient balayées par la gauche
de l'armée d'Italie; et bientot apres, l'armée
des grandes Alpes, piquée d'émulation, prit




CONVFNTION NATIONALlc (1794)· 29T
de vive force le Saint-Bernard et le Mont-Cenis.
Ainsi, des le mílieu de floré al ( commencement
de maÍ) nous étions victoríeux sur toute la
chaine des Alpes, et nous l'occupions depuis
les premiers mamelons de l'Apennin jusqu'au
l\{ont - Blanc. N otre droite appuyée a Ormea
s'étendait presque jusqu'aux portes de Genes,
couvrait une grande partie de la ríviere du
Ponant, et mettait ainsi le commerce a l'abri
des pirateries. Nons avions pris trois on qnatre
mille prisonniers, cinqnante on soÍxante pie-
ces de canon, beaucoup d'effets d'équipement,
et deux. places fortes. Notre début était donc
aussi heureux aux Alpes qu'aux Pyrénées, puis-
que sur les oellx points iI nons donnait une
frontiere, et une partie des ressources de l' en-
nemi.


La campagne s' était ouverte un peu plus tard
sur le grand théatre de la guerre, c'est-a-dire
aH Nord. La, cinq cent mille hommes allaient
se heurter depuis les Vosges jusqu'a lamer. Les
FraTH,;ais avaient toujours Ieurs principales for-
ces vers Lille, Guise et Maubeuge. Pichegru
était devenu leur général. Chef de l'armée dll
Rhin, l'année précédente, iI était parvenu a se
donner l'honneur da déblocus de Landau, qni
appartenait au jeune Hoche; iI avait capté la
confiance de Saint-Just, tandis que Hoche était


19·




29? nÉVOr.UTION FRAN«;;AISE.
jeté en prison, et avait obtenn le eommande-
ment de l'armée dn Nord. Jourdan, estimé
eomme général sage, ne fut pas jugé assez
énergique pour conserver le grand comman-
dement du Nord, et il rempla~a Hoche a l'ar-
mée de la Moselle. Michaud rempla<,;ait Piche-
gru a ecHe du Rhin. Carnot présidait toujours
aux opérations militaires, et les dirigeait de
ses bureaux.Saint-Justet Lebas avaient été en-
voyés a Guise pour ranimer l' énergie de l'armée.


La nature des lieux commandait un plan d'o-
pérations fort simple, et qui pouvait avoir des
résultats tres-prompts et tres-vastes: c'était de
porter la plus grande masse des forces fran-
~aises sur la Meuse, vers Namur, et de mena-
cer ainsi les communications des Autrichiens.
e'est la qu'était la clef du théatre de la guerre,
et qu'elle sera toujours, tant que la guerre se
fera dans les Pays-Bas contre des Autrichiens
venus du Rhin. Toute diversion en Flandre
était une imprudence; car si l'aile jetée en
Flandre se trouvait assez forte pour tenir tete
aux coalisés, elle ne contribuait qu'!:t les re-
pousser de front, sans compromettre leur re-
traite; et si elle n'était pas assez considérable
pour obtenir des résultats décisifs, les coalisés
n'avaient qu'a la laisser s'avancer dans la West-
Flandre, et pouvaient ensuite l' enfermer et I'ac-




CONVENTfON NATfONALE (1794). 293
culer a la mero Píchegru, avec des connais-
sanees, de l'esprit et assez de résolution, mais
un géllie militaire assez médiocre, jugea mal
la position, et Carnot, préoccllpé de son plan
de l'année précédente, persista a attaquer di-
rectement le centre de rennemi, et a le faire
inqlliéter sur ses deux ailes. En conséquence,
la masse principale dut agir de Guise sur le
centre des coalisés, tandis que deux fortes di-
visions, opérant l'une sur la Lys, l'autre sur la
Sambre, devaient faire une double diversion.
Tel fut le plan opposé au plan offensif de Mack.


Cobourg commamlait toujours en chef les
coalisés. Vempereur d' Allemagne 5' était rendu
eu personne dans les Pays-Bas pour exciter Son
armée, et surtout pour terminer par 5a pré-
sence, les divisions qui s' élevaient achaque
instant entre les généraux alliés. Cobourg ré-
unít une masse d'enviroIl cent mille hornmes,
dans les plaines du Cateau, pour bloquer Lan-
drecies. C'était la le prcmier acte par lequelles
t.:oalisés voulaient débuter, en attendant qu'ils
pllsseut obtenir des Prussieus la marche de la
Moselle sur la Sambre.


Les mouvements commencerent vers les der.
niers jours de germinal (mars). La masse en-
nemie, apres avoir repoussé les divisions fran-
c;aises dissémillées devant elle, s' établit autour




2a!~ IulvOLUTION FRAN<;AISE.
de Landrecies; le duc d'York fut placé en ob-
servation vers Cambray; Cobourg vers Guise.
Par le mouvement que venaient de faire les
coalisés, les,divisions fralH,;aises du centre, ra-
menées en arriere, se trouvaient séparées des
divisions de Maubeuge., qui formaient l'aile
droite. Le 2 floréal ( 2 I avril), un effort fut
tenté pour se rattacher a ces divisÍons de Mau-
bcuge. Un combal meurtrier fut livré sur la
Helpe. Nos colonnes, toujours trop divisées,
furent repoussées sur tous les points, et ra-
menées dans les positions d'ou elles étaient
parties.


On résolut alors une nouvelIe attaque, mais
g~nérale, au centre et sur les deux ailes. La
division Desjardins, qui était vers Maubeuge,
devait faire un mouvement pour se réunir a la
division Charbonnier, qui venait des Ardennes.
Au centre, sept co~onnes devaiellt agir a la fois
et concentriquement, sur toute la mas se en-
nemie groupée autour de Landrecies.Enfin,
a la gauche, Souham et Moreau, partant de
J"ille avec deux divisions, formant en tout cin-
quante mille hommes, avaient ordre de s'a-


I vancer en Flandre, et d'enlever sous les yeux
de Clerfayt, Menin et Courtray.


La gauche de l'armée franc;aise opéra san s
ohstacles, car le prince de Kaunitz, avec la




CONVENTION NATIONA.LE (J794). 295
divisÍon qu'il avait sur la Sambre, ne pouvait
empecher la jonction de Charbonnier et de Des-
jardín,s. Les colonnes du centre s'ébranlerent
le 7 floréal ( 26 avril ), et marcherent de sept
points différents sur l'armée autrichienne. Ce
syst<~me d'attaques simultanées et décousues,
qui nous avait si mal réussi l'année précé-
dente, ne nous réussit pas mieux cette fois. Ces
cülollnes, trop séparées les' unes des: autres, ne
purent se .. soutenir, et ll'obtinrent' StlP aueun
point un avantage :déeisif. L'nne d'ellés" celle
dn général Chappuis, fut meme entierement
Jéfaite. Ce général, parti de:Cambray, se trouva
opposé au duc d'York, qui, avons - nous dit,
couvrait Landrecies de ee coté. Il éparpilla ses
troupes sur divers points, et se trouva devant
les positions retranchées de Trois-ViUes avee
des forces insnffisantes: Acc~blé ,par le fen des
Anglais, chargé en flane par la eavlllerie', .iI .fut
mis en déroute, et sa division dispersée reI'ltra
pele - mele dan s Cambray. Ces échecs prove-
naient moins de nos troupes que de la mau-
vaise condnite des opérations. Nos jeunes sol-
dats, étonnés quelquefois d'uñ fen nouveau
pour eux, étaient cependant faciles á conduire
et a ramener a l'attaque, et ils déployaient sou-
vent une ardeur et un ellthousiasme extraor-
dillaires.




296 nliVOLUl'lONFRAN<;:AJSE.
Pendant qu'on faisaiteette infructueuse ten-


tative sur le ceDtre~la'diversion opérée en Flall-
tire contre:Clerfayt, réussissaitpleinement. Sou-
ham et:Mnl'eau'étaient partis de Lille et s'étaü;nt
portésaMeninetCourtray, le 7 floréal(2.6 avril).
Ou sait que ces deux places sont situées ala
süite l'une'de l'autre sur la Lys. Moteau inves-
tit la pri:hniere, SOl.ihams'~mpára de ia seconde.
CIerfayt',: ·trompé sur la marche ~es Fran~ais;
les oherdtaitou ils n'étaient pas,'Bientor, ce-
penaaut; :il appiit l'investissement: de Menin
et la :prise de COUl:tray, et vc;mhitessayer de
nous faire rétrograder en menar;ant nos com-
muuications avec Lille. Le 9 floréal (28 avril) ,
en effé~'; il se porta a Mouctoen avec dix-hllit
miHe :~hommes, et vints'exposer iniPl·udem:.:
ment :atik .c-oups de'Ó'nquante mil\e<Fran~ais,
qui an'rai~nt(pu'nécra.s·er :én's~ repliant. Mo-
reali :et : So,!lham , ramenallt aussitbt une partje
(fe leurs' troupes vers leurs commUllÍcations
menacées, marcherent sur Moncroen et réso-
Jurent de livrcr bataille a Clerfayt. n était
retranché 'sur une position a laqnelle oil ric
ponvait parvellir que par cinq défilés étrolts,
défendus' par une formidable artiUerie. Le JO
floreal (29 ,avril), l'attaque fut ordonnée. Nos
j cunes soldats, dont la plupart voyaient le feu
puur la premiere fois, n'y l'ésisterent pas d'a-




CONVENTION N ~TIONALE (I79l¡)· 297
hord; mais les généraux et les officíers brave-
rent tous les dangers pour les rállier; ils y
réussirent, et les positions furent enlevées. Cler-
fayt perdít douze cents prisonniers, dont qua-
tre-vingt-quatre officiers, trente-trois pie ces
de canon, quatre drapeaux et cinq cents fusils.
C'était notre premiere victoire au Nord, et e])e
releva singulierement le courage de l'armée.
Menin fut pris irnmédiatement apreso Une di-
vision d'émigrés, qui s'y -trouvait renfermée,
se sauva bravemimt, en se faisant jour le fer a
la maín.


Le succes de la gauche et les revers du centre
décidercnt Pichegru et Carnot a abandonner
tout-a-fait le centre ponr agir cxclusivement
sur les ailes. Pichegru ellvoya le général Bon-
naudavec vingt mille hommes a Sanghien, pres
Lille, afin d'assurer les communications de
Moreau et de Souham. Il ne laissa a Guise que
vingt mille hommes sous les ordres du géné-
ral }<'errand ,et détacha le reste vers Maubeuge,
pou!' le réunir aux divisions Desjardins et
Charbonnier. Ces forces réunies porterent a
cinquante-six mille hommes l'aile droite desti-
née a agir sur la Sambre. Carnot, j llgeant encore
miellx que Pichegru la situation des choses,
dorma un ordre qui décida le destin de la
campagne. Commen<{ant a sentir que le poillt




298 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
~ur lequel il fallait frapper les eoalisés était
la _Sambre 1!t la Meuse, que battus sur cette
ligne, ils étaient séparés de leur base, il or-
donna a Jourdan d'amener a lui qliinze mille
hommes de l'armée du Rhin, de laisser sur le
versant occidental des Vosges les troupes in-
dispensables pour cOllvrir eette frontiere, de
quitter ensuite la Moselle, avec quarante-cinq
mille hommes, et de se porter sur la Sambre a
marches forcées. L'armée de Jourdan,réunie
a celIe de Maubeuge, devait former une masse
de quatre-vingt-dix ou cent mille hommes, et
entralner la défaite des coalisés sur le point dé.
cisif. Cet ordre, le plus beau de la campagne,
celui auquel iI faut en attribuer tous les ré-
sultats, partit le JI floréal (30 avril) des bu-
reaux dn comité de salut publico


Pendant ce temps, Cobourg avait 'pris Lan-
drecies. N'attachant pas une assez grande iTri-
portance a la dé faite de Clerfayt, iI se contenta
de détacher le duc d'York vers Lamain, entn'
Tournay et Lille.


Clerfayt s'était porté dans la West-Flandre,
entre la gauche avancée des Fram;ais et la mer;
de cette maniere, il était encore plus éloigné
qu'auparavant de la grande armée, et du se-
cours que lui apportait le duc d'York. l,cs
Frau<;ais échelollués a Lille, Menin et Conrtray,




CONVENTION NATIONALE (1794). 299
formaient une colonne avancée en Flandre;
Clerfayt, transporté a Thielt, se trouvait entre
]a mer et cette colonne; le duc d'York, posté
a Lamain, devant Tournay, était entre cette
colonne et la grande masse coalisée. Clerfayt
"ouIut faire une tentative sur Courtray, et vint
l' attaquer le 2. T floréal (10 mai). Souham se
trouvait dans ce moment en arriere de Cour-
tray; il fit promptement ses dispositions, revint
dan s la place au secours de Vandamme, et,
tandis qu'il préparait une sortie, il détacha
Macdonald et Malbranck sur Menin, pour y
passer la Lys, et venir tourner Clerfayt. Le
combat se livra le 2.2. (11 mai). Clerfayt avait
fitit sur la chaussée de Bruges et dans les fau-
bourgs, les meilleures dispositions; mais nos
jeunes réquisitionnaires braverent hardiment
le feu des maisons et des batteries, el apres un
ehoe violent,. obligerent Clea:fayt a. se retirer.
Quatre mil~e hommes des deux partis cou-
vrirent le champ de bataille; et si, au lieu de
tourner l'ennemi du coté de Menin, on l'avait
tourné du coté opposé, on aurait pu lui cou-
per sa retraite sur la Flandre.


C' était la seconde fois que Clerfayt étaít
battu par notre aile gauche victorieuse. Notre
aile droite, sur la Sambre, n'était pas aussi
Íleureuse. Commandée par plllsiellrs géllél'aux,




300 RÉVOI,UTION Fll.AN<.-:AISK


(pd déIibéraient en conseil de guerre avec les
représentants Saint-Just et Lebas, eHe ne fut
pas aussi bien dirigée que les deux divisions
commandées par Souham et Moreau. Kléber
et Marceau, qu'on y avait transportés de la
Vendée, auraient pu la conduire a la victoire,
mais leurs avis étaient peu écoutés. Le mouve-
ment prescrit a cette aile droite, consistait a
passer la Sambre pour se diriger sur Mons. Un
premier passage fut tenté le 2.0 floré al (9 mai);
mais les dispositions nécessaires n'ayant pas
été faites sur l'autre rive, l'armée ne put s'y
maintenir, et fut obligée de repasser la Sambre
en désordre. Le 22, Saint-Just voulut tenter
un nouveau passage, malgré le mauvais sueces
du premier. Il eut bien mieux valu attendre
l'arrivée de Jourdan, qui, ávec ses quarante-
cinq miUe hommes, devait rendre les succes
de I'aile droite infaillibles. Mais Saint-Just ne
voulait ni hésitation ni retard; et il faUut obéir
a ce proconsul terrible. Le nouveau passage He
fut pas plus helll'eux. L'arméc franchit une
seconde fois la Sambre; mais, attaquée encore
sur l'autre rive, avant de s'y etre solidement
établie, elle eut été perdue, sans la bravoure
de Marceau et la fermeté de Kléber.


Ainsi, depnis un mois, OH se battait de Mall-
bcugc jusqu'a la mer, avec un acharnement in-




CONVENTION NATIONALE (1794). 301
croyable, et sans SUCct~s décisifs. Reureux a la
gauche, nous étions malheureux a la droite ;
mais nos troupes se formaient, et le mouve-
ment habile et hardi prescrit a Jourdan, pré-
parait des résultats immenses.


Le plan de Mack était devenu illexécutabIf'.
Le général prussien Moellendorf refnsait de se
remIre sur ]a Sambre, et disait n'avoir pas
d'ordre de sa cour. Les négociateurs anglais
étaient allés faire expliquer le cabinet prussien
surle traité de La Raye, et, en attendant, Co-
bourg, menacé sur l'une de ses ailes, avait été
obligé de dissoudre son centre a l'exemple de
Pichegru. Il avait renforeé Kaunitz sur la Sam-
bre, et porté le gros de son arméc vers la
Flandre, aux environs de Tournay. Une action
décisive se préparait done a la gauche, cal' le
moment approchaít oU de grandes masses al-
laíent s'aborder et se combattre.


On conc;;ut alors dans l' état-major autriehien,
un plan qui fut appelé de destruction, et qui
avait pour but de couper l'armée fran<{aise de
Lille, de I'envelopper et de l'anéantir. Une pa-
l'eille opération était possible, cal' les coalisés
pouvaient faire agir pres de eellt mille hommes
conlre soixantecdix, mais íls firent des dispo-
sitions singulieres pour arriver a eebut. Les
Fran<{ais étaient toujours distribués eornme il




:So? RÉVOLUTION FIlAN~A ISE.
suit: Souham et Marean a Menin et COllrtray,
avec cinquante mille hommes, et Ronnaud
aux environs de Lille avec vingt. Les coalisés
étaient tonjours répartis sur les deux flanes
de cette ligne avancée; la dívísíon de Clerfayt
agauche dans la West-Flandre, la masse des
coalisés a droite du coté de Tournay. Les coa-
lisés résolurent de faire un effort eoncentrique
sur Turcoing, qui sépare Menin et Courtray
de Lille. Clerfayt dut y marcher de la West-
Flandre, en passant par Werwiek et Lineelles.
Les généraux de BlIsch, Otto, et le duc d'York
eurent ordre d'y marcher du eoté opposé,
c'est-a-dire de Tournay. De Buseh devait se
rendre a Moucroen, Otto a Turcoing meme,
et le due d'York, en s'avan<;ant a Roubaix et
Monvaux, donner la main a Clerfayt. Par cette.
derniere jonction, Souham et Morean se trou-
vaient eOllpés de Lille. Le général Kinsky et
l'archidue Charles étaient ehargés, avec dellx
fortes eolonnes, de replier Bonnand dans Lille.
ees dispositions, pour réussir, exigeaient un
ensemble de mouvements impossibles a obíe-
nir. La plllpart de ces eorps, en effet, par-
taient de points extremement éloignés, et Cler-
fayt avait a marcher au travers de l'armée
frall(;aise.


Ces monvements devaient s'exécuter le 28




CONVlcNl'JON NATlONAJ"E (1794). 303
floréal (] 7 mai). Pichegru s'était porté dans ce
moment a l'aile droite de la Sambre, pour r
réparer les échecs que ceUe aile venait d'es-
suyer. Souham et Moreau dirigeaient l'armée
en l'absence de Pichegru. Le premier signe
des projets des coalisés leuI' fllt donné par la
marche de Clerfayt sur Werwick; iIs se por-
terent aussitot de ce coté; mais, en apprenant
que la masse de l'ennemi arrivait du coté op-
posé, et mena¡;;ait leurs cornmunications, iIs
prirent une résolution prompte et habile: ce
fut de diriger un effort sur Turcoing pour s' em-
parer de ceUe position décisive entre Menin et
Lille. Moreau resta avec la division Vandamme
devant Clerfayt, afin de ralentir sa marche, et
Souham marcha sur Turcoing avec quarante-
cinq miUe hornmes. Les communications avec
LiLle n'étant pas encore interrompues, on put
ordonner t.t Bonnaud de se porter de son coté
sur Turcoing, et de faire un effort puissant
pour conserver la communication de cette po-
sition avec Lille. Les dispositions des généraux
fraIH;ais curent un plein succes. Clerfayt n'a-
vait pu s'avancer que lentement; retardé a
Werwick, íI n'arriva pas a Lincelles au jour
convenu. Le généraI de Busch s'était d'abord
emparé de Moucroen; rnais iI avait éprouvé
ensuite un léger échec, et Otto s'étant morcelé




304 nÉVOLUTWN FUAN<;:AISE.
pour le secourír, n'était pas resté assez en
forces a Turcoing; enfin le due d'York s' était
a vancé a Roubaix et a Mouvaux, saus vOlr
venir Clerfayt, et sans pouvoir se lier a luí;
Kinsky et l'archiduc Charles n'arriverent vers
Lille que fort tard dans la journée du 28 (17
mai). Le lendemain matin 29 (18 maí), Souham
marcha vivement sur Turcoing, culbuta tout
ce qui se rencontra devant lui, et s'empará de
cette position importante. De son coté, Bon-
Baud, marchant de Lille sur le duc d'y ork , quí
devait s'interposer entre cctte place et Tur-
coing, le trouva morcelé sur une ligne éten-
dne. Les Anglais, quoique surpris, voulurent
résister, mais nos jeunes réquisitionnaires,
marchant avec ardeur, les obligerent a céder,
et a fuir en jetant leurs armes. La déroute fut
telle, que le duc d'York,courant a toute bride,
ne dut son salut qu'a la vitesse de son cheval.
Des ce moment la confusion devint générale
chez les coalisés, et l'empereur d' Autriche, des
hallteurs de Templeuve, vit toute son armée
en fuite. Pendant ce temps, I'archidllc Charles,
mal a vertí, mal placé, demeurait inacti,f au-
dessous de Lille, et CIerfayt, arreté vers la
Lys, était rédllit a se retirer. Telle fut l'iSSllC
de ce plan de des/metlan. Il nous valut plu-
sieurs milliers de prisonniers, beaucollp de




CONVENTION NATION ALE (1 79!l)' 305
matériel, et le prestige d'une grande victoire
remportée avec soixante-dix mille hommes sur
pres de cent mílle.


Pichegru arriva lorsque la bataille était ga-
gnée. TOllS les corps coalisés se replierent sur
Tournay, et Clerfayt, regagnant la Flandre,
reprit sa POSitiOll de Thielt. Pichegru profita
mal de eette importante victoirc. Les coalisés
s'étaiellt groupés pres de Tournay, ayant leur
droite appuyée a l'Escaut. Le général fralH;ais
voulut faire enlever quelques fourrages qui
r~montaient I'Escant, et fit combattre toute
l'armée pour ce but puéril. S'approchant du
f]ellve, iI resserra les coalisés dans leur posi-
tíon demi-circnlaire de Tournay. Bientot tons
ses corps se tronverent successivement engagés
sur ce demi-cercle. Le combat le plu~ vif fut
livré a Pont-a-Chin, le long de l'Escaut. Il y
eut pendant douze heures un carnage affreux,
et sans aneun résultat possible. Il périt des
dellx cotés sept a huit mille hommes. L'armée
fran«;;aise se replia apres avoir brulé quelques
bateaux, et en perdant une partie de l'ascen-
dant que la bataille de Tllrcoillg lui avait valu.


Cependant nous pOllvions Hons considérer
eomme victoriellx en Flandre, et la nécessité
oú se trouvait Cobourg de porter des renforts
ailleurs, allait y remire notre supériorité plus


VI. 20




306 RÉVOLUTlON FRAN~AJSf:.
décidée. Sur la Sambre, Saint-Just avait voulu
opérer un troisieme passage, el investir Char-
leroi; mais Kaunitz, renforcé, avait fait lever le
siége au moment meme ou, par bonheur, JOllr-
dan arrivait avec toute l'armée de la Moselle.
Des ce moment quatre-vingt-dix mille hornmes
aBaient agir sur la ligne véritable d'opérations,
et terminer les hésitations de la victoire. Au
Rhin, il ne s'était rien passé d'important. Seu-
lement, le général Moellendorff, profitant de la
diminution de nos forces sur ce point, nous
avait enlevé le poste de Kayserlautern, mais il
était rentré dans l'inaction aussitót apres cet
avantage. Ainsi, des le mois de prairial (fin de
mai), et sur tonte la ligne du Nord, nous avions
nOll-seulement résisté a la coalition, mais trio m-
phé d'elle en plusieurs rencontres; nous avions
remporté une grande victoire, et nous HOUS
avancions sur deux ailes dans la Flandre et
sur la Sambre. La perte de Landrecies u'était
rien aupres de ces avantages, et de ceux que
la situation présente nous assurait.


La guerre de la Vendée n'avaitpas entiere-
ment fini apres la déroute de Savenay. Trois
chefs s'étaient sauvés, Larochejacquelein, Stof-
fIet et MarigllY. On tre ces trois chefs, Cha-
rette, qui, au lieu de passer la Loire, avait
pris l'ile de Noil'moutiers, restait dans la Basse-




'CONVENTION NATIONAU: ('794)· 307
Vendée. Mais cette guerre se bornait mainte-
nant a de simples escarmouches, et n'avait
plus ríen d'inquiétant pour la république. Le
généraI Turrean avait re~u le commandement
de l'Ouest. Il avait partagé l'armée disponible
en colonnes mobiles qui parcouraient le pays,
en se dirigeant concentriquement sur un rrH~me
point; elles battaient les bandes fugitives, et,
quand elles ll'avaient pas a se battre ,elles
exécutaiellt le décret de la convention, c'est-
a-dire, brulaient les forets et les vilIages, et
en]evaient la population pour la transporter
ailleurs. Plusieurs engagements avaiellt eu lieu,
mais sans grands résultats. Haxo. apres avoir
repris sur Charette les iles de Noirmoutiers et
de Bouin, avait espéré plusieurs fois se saisir
de lui; mais ce par ti san hardi lui échappait
toujours et reparaissait bientót sur le champ
de bataille, avec une constance non moins
admirable que son adresse. Cette. malheureuse
guerre n'était plus désormais qu'une guerre de
dévastation. Le général Turreau fut contraint
de prendre une mesure cruelle, c'était d'or-
donner aux habitants des bourgs d'abandon-
ner le pays, souspeine d' etre traités en enlle-
mis s'ils y restaient. Cette mesure les réduisait
ou a quitter le sol sur lequel ils avaient tous
leurs moyens d'existence, 011 a se soumettre


2 ;J.




308 RÉVOLUT10;'; FRAN0ArSF.
aux exécutions militaires. Tels sont les inévi·
tables maux des guerres civiles.


I.a Bretagne était devenue le théAtre d'un
nouveau genre de guerre, la gucrre des
Chouans. Déja cette provillce avait montré
quelqlles dispositions a imiter la V cndée; cc-
pendant le penchant a s'insurger n'étant pas
aussi général, quelques individus seulement,
profitant de la nature des lieux, s'étaient li-
vrés a des brigandages isolés. BientOt les dé-
bris de la colonne vendéenne qui avait passé
en Bretagne accrurent le nombre de ces par-
tisans. Leur principal établissement était dans
la faret du Perche, et ils parcouraient le pays
en troupes de quarante ou cinquante, attaquant
quelquefois la gendarmerie, faisant contribuer
les petites cornmunes, et commettant ces dés-
ordres au nom de la cause royale et catholi-
que. Mais la véritable guerre était finie, et il ne
l'estait plus qu'a déplorer les calamités parti-
culieres qui afflígeaient ces malheureuses pro-
vmces.


Aux colonies et sur mer, la gllerre n'était
pas moins active que sur le continent. Le riche
établissement de Saint -Domingue avait été le
théatre des plus grandes horreurs dont l'his-
toire fasse mention. Lesblancsavaientembrassé
avec enthousiasme la cause de la révolution,




CONVENTION NAl'IONAI.E (~794)· 309
qui, selon el/X, devait amener leur indépen-
dance de la métropole; les muIatres ne l'avaient
pas embrassée avee moins de chaleur, mais ils
en espéraient autre ehose que l'indépendance
politique de la colonie, et ils aspiraient aux
droits de bourgeoisie qu'on leur avait toujours
refllsés. L'assemblée constitllante avait reconnu
les droits des mulatres; mais les blanes, qui ne
voulaient de la révolution que pou!' eux., s'é-
taientalors révoltés, etla guerre civíleavait eom-
meneé entre l'aneienne rae e des hommes libres
et les affranchis. Profitant de eette guerre, les
negres avaient paru a leur tour sur la seene , et
s'y étaient annoneés par le feu et le sango lIs
avaient égorgé leurs maitres et incendié leurs
propriétés. Des ee moment, la eolonie se trouva
livrée a la plus horrible eonfusioo; chaque
partí reprochait a l'autre le nouvel ennemí qui
venait de se présenter, et l'accusait de luí avoír
donné des armes. Les negres, sans se ranger
eneore pour aueune cause, ravageaiellt le pays.
BientOt cependant, excités par les envoyés de
la partie espagnole, ils prétendirent servir la
cause royale. Pour ajouter encore a la confu-
siDn, les Anglais étaient intervenus. Une partie
des blancs les avaient appelés dans un moment
de danger, et leur avaient cédé le fort impor-
tallt de Saint-Nicolas. Le cornmissaire Santho-




310 ltÉVOLUTION FRA NI.;: A ISE.
nax, aídé surtout des mulatres et d'une partie
des blancs, résista a l'invasion des Anglais, et
ne trouva enfin qu\m moyen de la repousser:
ce fut de reconnaltre la liberté des negres qui
se déclareraíent pour la république. La con-
ventionavait eonfirmé eette mesure et proclamé
par un décret tous les IH~gres libres. Des cet
instant, une portion d'entre eux, qui seI'vaient
la cause royale, passerent du coté des répu-
blicains; et les Allglais, retranchés dans le iort
de Saint- Nieolas, n'eUI'ellt plus aucun espoir
d' envahir cette riche possession, qui,. long-
temps ravagée, devaít enfin n'appartenir qu'a
elle - meme. La Guadeloupe, apres avoir été
prise et reprise, nous était en fin restée; mais
la Martinique était définitivement perdue.


Tels étaient les désordres des colonies. Sur
l'Océan se passait un événement important;
e' était l' arrivée de ce convoi d' A mérique si im-
patiemment attendu dans nos ports. L'escadre
de Brest, an nombre de trente vaisseaux, était
sOI·tie, eomme on l'a vu, avec l' ordre de el"Oi-
ser, et de ne combattre q~ dans le cas ou le
salut du eonvoi l'exigerait impérieusement.
Nous avons déja dit que Jean-Bon·Saint·André
était a bord du vaisseau amiral; que Villaret-
Joyeuse avait été fait de simple capitaine, chef
d'escadre; que des paysalls n'ayant jamais vu




CONVIlNTION NATlONALt: (1794). 31 I
la mer, uvaieut été placés dans les équipages;
et que ces matelots, ces officiers, ces amiraux
d'lln jour, étaient chargés de hltter contre la
vieille marine anglaise. L'amiral Villaret-Joyeuse
appareilla le 1 er prairial ( 20 mai), et fit voile
vers les Hes Coves et Flores pour attendre le
C'onvoi. Il prit en route beaucoup de vaisseaux
de commerce anglais, et les capitaines lui di-
saÍent: Vous nous prenez en détail, mais l'a-
miral Howe va vous prendreen gros. En effet,
cet amiral croisait sur les cotes de la Bretagne
et de la N ormandie, avec trente-trois vaisseaux
et douze frégates. I .. e 9 prairial (28 mai), l'es-
cadre fran<;aise aper<;ut une fIoUe. Les équi-
pages ímpatients regardaient grossir a l'horizon
ces points noirs ; et, lorsqu'ils reconnurent les
Anglais, ils pousserent des cris d'enthousiasme,
et demanderent le combat avec cette chaleur
de patriotisme qui a toujours distingué nos ha-
bitants des cotes. Quoique les instructions don-
nées au général ne lui permissent de se battre
que pour sauver le convoi, cependant Jean-
Bon-Saint-Audré, entrainé lui-meme par l'en-
th0usiasme universel, consentit au combat, et
flt donnel' l'ordrede s'y préparer. Vers le soir,
un vaisseau de l'alTiere-garde, le Ré'r'olution-
naire, qui avait diminué de voiles, se trouva
engagé cOlllre les Anglais, fit une résistance




31:1 lIÉVOLUTION l-'RAN<';:AISE.


opiniatre, perdit son capitaine, et fut obligé
de se faire remorquer a Rochefort. La nuit
empecha Paction de devenir généraie.


Le lendemain 10 (29 mai), les deux escadres
se trouverent en présence. L'amiral anglais
manreuvra contre notre arriere-garde. Le mou-
vement que nous fimes pour la protéger, amena
l'engagement général. Les Frall¡;;ais ne mallreu-
vrant pas aussi bien, deux de leuI's vaisseaux,
l' Indomptable et le Tyrannicide, se trouverent
en présence de forces supérieures, et se batti-
rent avec un courage opiniatre. Villaret-Joyeuse
<lonna l'ordre de secourir les vaisseaux enga-
gés; mais ses ordres n'étant ni bien compl'Ís,
ni bien exécutés, il se porta seul en avant, au
risque de n'etl'e pas suivi. Cependant ii le fut
bientot apres : toute notre escadre s'avanc;;a sur
l'escadre Emnemíe, et l'obligea de reculer. Mal-
hellreusement nous avions perdu l'avantage du
vent; nons fimes un fen terrible sur les An-
glais, mais nous ne pumes pas les poursuivre.
Il nous resta cepelldant les deux vaisseaux et
le champ de bataille.


Le JI et le 12 (30 et 31 mai) , une brume
épaisse enveloppa les deux armées navales. Les
Fran¡;;ais tacherent d'entrainer les Anglais au
nord et a l'onest de la route que devait suivl'e
le con voL Le 13, la brume se dissipa; un soleil




CONVlil'lTION NATIONALE (1794). 313
éclatant éclaira les deux fIoUes. Les Fran¡;;ais
n'avaient plus que vingt-six vaÍsseaux, tandis
que leurs ennemis en avaient trente-six; ils
demandaient de nouveau le combat, et il con ..
venait de céder a leur ar{leur pour occuper
les Anglais, et les éloigner de ]a route, du
convoi, qui devait pass el' sur le champ de ba-
taille d u 10.


Ce combat, l'un des plus mémorables dont
l'Océan ait été le témoin, commen¡;;a a neuf
heures du matin. L'amiral Howe s'avan¡;;a pour
couper llotre ligne. Une fausse manceuvre du
vaisseau fa Montagne lui permit d'y pénétrer,
d'isoler notre aile gauche, et de l'accabler de
toutes ses forces. N otre droite et notre avant-
garde resterent isolées. L'amiral voulait les ral-
líer a lui pour se reporte!' sur l'escadre an-
glaise, mais il avait perdu l'avantage du vent,
et resta cinq henres sans pouvoir se rapprocher
du champ de bataille. Pendant ce temps, les
vaisseaux engagés se battaient avec un héroisme
extraordinaire. J~es Anglais, supéri,eurs dans la
manceuvre, perdaient leurs avantages dan s les
luttes de vaisseall a vaisseall, trouvaient des
feux terribles et des abordages formidables.
C'est au mílieu de cette action acharnée, que le
vaisseau le Fengeur, dématé, a moitié détruit,
et pret a conler, re fusa d'amener son pavillon,




314 RÉVOLUTION }'RAN9AISF..
au risque de s'abimer sous les eaux. Les An-
glaís cesserent les premiers le feu, et se retire-
rentétonnés d'une pareille résistance. Ils avaient
six de nos vaisseaux. Le lendemain, Viltaret-
Joyeuse, ayant réuni son avant - garde et sa
droite, voulait fonore sur eux et leur elllever
Ieur proie. Les Anglais, fort endommagés, nous
auraient peut.thre cédé la victoire. Jean· Bon-
Saint- André s' opposa a un nouveau combat
malgré l'enthousiasme des équipages. Les An-
glais pllrent done regagner paisiblement lellrs
ports; ils y rentrerent éponvantés de leur vic-
toire, et pleins d'admiration pour la bravoure
de nos jeunes marins. Mais le but essentiel de
ce terrible combat était rempli. L'amiral Vens-
tabel avait traversé, pendant eette journée
du 13, le ehamp de bataille du 10, l'avait
trouvé eouvert de débris, et était entré heu-
reusement dans les ports de Franee.


Ainsi, vietorieux aux Pyrénées et aux Al pes,
menaf,iants dans les Pays-Bas, héroiques SIlr
mel', et assez forts pour disputer cherement
une vietoire naval e aux Anglais, nous eom-
meneions l'année 94 de la maniere la plus
brillante et la plus glorieuse.




CONVMTJON NATIONAL.E (1794). 315


CHAPITRE VI.


Sitllation intérieure au commencement de l'année 1794.
- Travallx admillistratífs dll comité. - Lois de finan-
ces. Capitalisation des rentes viageres. - État des pri-
sonso Perséclltions politiqlles. Nombrellses exécutions.
- Tentative d'assassinat sur Robespierre et Collot-
d'ilerbois. - Domination de Robespierre. - La secte
de la mere de Dieu. - Des divisions se manifestent
entre les comités. - Fete a l'ttre supreme. - Loi dU
2.2. prairial réorganisant le tribunal révolutioDIIaire.-
Terreur extreme. Grandes exécutions a Paris. Missions
de LeLoIl, Carrier et Maignet; cruautés atroces com-
mises par ellx. Noyades dan s la Loire. - Rupture entre
les chefs dll comité de salut public; retraite de Robes-
piert'e.


TANDIS qu'au dehors la républiqlle était vic-
toriellse, son état intérieur n'avait pas cessé
d'etre violento Ses maux étaient toujours les




316 RÉVOLnTIOLY FIlANºAISF..
memes : c'étaient les assignats , le ma.ximum,
la rareté des subsistances, la loi des suspects,
les tribunaux révolutionnaires.


Les embarras résultant de la nécessité de ré-
gler tous les mouvements du commerce n'a-
vaient fait que s'accroí'tre. On était obligé de
modifier sans cesse la loi du maximum; íl
fallait en excepter tantot les fils retors et leur
accorder dix pour cent au-dessus du tarif; tan-
tót les épingles, les ha tistes , les linons, les
mousselines, les gazes, les dentelles de fil et
de soie, les soies et les soieries. Mais tandis
qu'il fallait excepter du maximum une fonle
d'objets, il en était d'autres qu'iJ devenait ur-
gent d'y soumettre. Ainsi, le prix des chevaux
étant devenu excessif, on n'avait pu s'empecher
d'en déterminer la valeur suivant la taille et la
qualité. De ces moyens rés.ultait toujours le
meme inconvénient. Le commerce s'arretait
et fermait ses marehés, ou bien s' en ou vrait de
c1andestins; et iei l'autorité devenait impuis-
sallte. Si par les assignats elle a vait pu réaliser
la valeur des biens nationanx, si par le maxi-
mum elle avait pu mettre les assignats eH rap-
port avec les marchandises, il n'y avait ancun
moyen d'emptkher les marchandises de se sup-
primer ou de se cacher aux acheteurs. Aussi
les plaintes ne cessaient de s'élever contre les




CONVENTJON NATIONALl: (1794). 317
marchands qni se retiraient, ou qui fermaiellt
leurs magasins.


Cependant l'état des sllbsistances callsait
moius d'inquiétude ceHe année. Les convois
arrivés du nord de l' Amérique, et une récolte
abondante, avaient fourni une quantité suffi-
~ante de graios pour la consornmation de la
France. Le comité, administrant toutes dIoses
avec la meme vigueur, avait ordonné que le
recensement de la récolte serait fait par la
commission des subsistan ces , et qu'une partie
des grains serait battue sur-Ie-champ pour
suffire aux approvisionnements des marchés.
On avait eu quelque crainte de voir les mois-
sonneurs errants qui se déplacent pour se
remIre dans les provinces a grain, exiger des
salair~s extraordinaires; le comité déclara que
tous les citoyens et citoyennes connus pour
s'employer aux travaux des récoltes étaient
en réquisition forcée, et que leurs salaires se-
raient déterminés par les autorités locales.
Bientot des gar({ons bouchers et boulangers
s'étant mutinés, le comité prit une mesure plus
géllérale, et mit en réquisition les ouvrÍers de
toute espece, qui s'employaient a la manipu-
lation, au transport et an débit des marchan-
dises de premiere nécessité. .


Les approvisionnements en viande étaient




:).8 RÉVOLlJTION FRANt;?AISE.
beaucoup plus difficiles et plus ínquiétants.
On en manquait surtout a Paris; et, depuis le
moment ou les hébertistes avaient voulu se
servir de cette disette pour exciter un monve-
ment, le mal n'avait fait que s'accroltre. On
fut obligé de mettre la ville de Paris a la ra-
tion de viande. La commission des subsistances
fixa la consommation journaliere a soixante-
quinze breufs, cent cinquallte quintaux de
veau et de monton, et denx cents cochons.
Elle se procurait les bestiaux nécessaires, et
les envoyait a l'hospice de l'Humanité , qui était
désigné eomme l'abattoir commun, et eomme
le seul autorisé. Les bouchers llommés par
ehaque seetion venaient y ehercher la viaude
qui lenr était destinée, et en recevaient une
quantité proportionnée a la population qu'ils
avaient a servir. Tous les cinqjouFs, ils devaient
clistribuer achaque famille une oemi-livre de
víande par tete. On employait encore icí la res-
so urce des cartes, délivrées par les comités ré-
volutionnaires, pour la distribution du pain,
et portant le nombre d'individus dont se com-
posait chaque famille. Pour éviter les tu multes
et les longues veilles, défense était faite de se
rendre avallt six heures du matin a la porte des
bouchers.


L'insnffisance de ces réglements se fit bientot




CONVENTlON NA'I'IONALE (1794). 319
sentir; déja il s'était établi, eomme nous I'avons
dit ailleurs, des boueheries clandestines. Le
Hombre en devint tous les jours plus grand. Les
bestiallx n'avaient pas le temps d'arriver aux
rnarchés de Neubourg, Poissy et Sceallx; les
houchers des campagnes les devan({aient, et
venaient les acheter dans les herbages mt'hne.
Profitant de la négligence des comrnllnes ru-
rales dans l'exéeution de la loi, ces bouchers
vendaient au-dessus du maximum, et fournis-
saient tous les habitants des grandes commu-
/les, et particlllierement cenx de París, qni ne
se coutelltaient pas de la demi-lívre distribuée
tous les cinq jours. De eette maniere, les bon-
chers de campagne absorbaient le commerce
de ceux des villes , qui n'avaient presque plus
rien a faire depuis qu'ils étaient bornés a dis-
tribuer les rations. Plusieurs d'entre eux de-
manderent merne une loí qui les autorisat a
résilier les baux de leurs boutiques. Il fallut
alors porler de nouveaux réglernents pour em-
pecher que les bestiaux fussent détournés des
marchés; et on obligea les propriétaires d'her-
bages a des déclarations et él des formalités
extremement genantes. On fut forcé de des-
cendre a des détails bien plus minutieux encore;
le boÍs et le charbon n'arrivant plus, a cause
du maximum , ce qUÍ donnait lieu a des soup-




320 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


<;ons d'accaparement, on défendit d'avoir chez
soi plus de quatre voies de bois, et plus de
deux voies de charbon.


Le nonveau gouvernement suffisait avec une
activité singuliere a toutes les difficultés de la
carriere ou iI se tl'ouvaít engagé. Tandis qu'il
rendaít ces réglements si multipliés, iI s'occu-
paít de réformer l'agriculture, de changer la
législation du fermage, pour divíser l'exploíta-
tion des terres; d'íntroduire les nouveaux asso-
Jements, les prairíes artíficielles et l'éducation
des bestiaux; iI décrétait l'institution de jar-
dins botaniques, dan s tuus les chefs-lieux de
département, ponr naturaliser les plantes exo·
tiques, former des pépinieres d'arbres de toute
espece. et ouvrir des cours d'agricultnre a
l'usage et a la porté e des cultivateurs; il Ol'-
donnait le desséchement général des m~rais,
d'apres un plan vaste et bien con~u ~ il décidait
que l'état ferait les avances de cette grande
entreprise, et que les propriétaires dont les
terres seraient desséchées et assainies paieraient
un droit, ou céderaient leurs terres moyennant
un prix déterminé; enfin, il engageait tous les
architectes a présenter des plans pour rebatir
les village[; en démolissant les chateaux; il 01'-
donnait des embellissements pour rendre le
jardín des Tulleries plus cornmorle au pnblic;




CONVENTION NATIONALE (1 79(1). 3~.H
il demandait a tous les artistes un projet pour
changer la salle d'Opéra en une arene couverte,
oú le peuple s'assemblerait en hiver.


Ainsí done, il exécutait ou du moins essayait
presque tout a la fois; tant il est vraí que e'est
lorsqu'on a le plus a faire, qu'on est le plus
capable de beaucoup faire! Le soin des finan ces
n'était pas le moins difficile et le moins in-
quiétallt de tous. On a vu quelles ressources
furent imaginées, au mois d'aout 1793, pour
remettre les assignats en valeur, en les reti-
rant en partie de la circulation. Le milliard
retiré par l'emprunt forcé, et les victoires qui
terminerent la campagne de 1793, les releve-
rent, et, cornme nous J'avons dit ailleurs, ils
remonterent presque au pair, grace aux lois
terribles qui rendaient la possession du nu-
méraire si dangereuse. Cependant eette appa-
rente prospérité dura peu; les assignats reto m-
berent bientot, et la quantité des émissions
les déprécia rapidement. Il en rentrait bien
une partie par les ventes des biens nationaux,
mais cette rentrée était insuffisante. Les biens
se velldaient au-dessus de l'estimation, ce quí
n'avait rien d'étonnant, car l'estimation avait
été faite en argent, et le paiement se faisait ell
assignats. De ceUe maniere, le prix était réel-
lement fort au-dessous de l' estimation quoi-


VI. 21




322 nÉvoLUTlON FRANI,jAISF:.


qu'il parut etre au - dessus. D'ailleurs, cette
absorption des assignats ne pouvait etre que
lente, tandis que l'émission était nécessaire-
ment immense et rapide. Douze cent mille
hommes a solder et a armer, un matériel a
créer, une marine a construire, avec un papier
déprécié, exigeaient des quantités énormes
de ce papier. Cette ressource étant devenue la
seule, et le capital des assignats, d'ailleurs,
s'augmentant chaque jourpar les confiscations,
on se résigna a en user autant que le besoin
le réc1amerait. 00 abolit la distinction entre la
caisse de l'ordinaire etde l'extraordioaire, l'une
réservée au produit des impots, I'autre a la
création des assignats. On confondit les deux
natures de ressources, et chaque fois que le
besoin l'exigeait, on suppléait au revenu par
des émissions nouvelles. Au commencement
de 1794 (an 11), la somme totale des émissions
s'était accrue du double. Pres de quatre mil-
liards avaient été ajoutés a la somme qui existait
déja, et l'avaient portée a environ huit mil-
liards. En retranchant les sommes rentrées et
brulées, et ce Hes qui n'avaient pas encore été
dépensées, il restait en circulation réelle cinq
milliards cinq cent trente-six millions. On dé-
créta, en messidor an II (juin 1794), la créa-
tion d'un nonveau milliard ü'assignats de toute




CONVENTION NATIONALF. (1794). 323
valeur, depuis 1,000 francs jusqu'a 15 souS.
Le comité des finances eut encare recours a
l'emprnnt forcé sur les riches". On se servit des
roles de ~'allnée précédente, et on imposa a
eeux qui étaient portés sur ces roles une con-
tribution extraordinaire de guerre, du dixieme
de l'emprunt forcé, c'est·a-dire de cent millions.
Cette somme ne leur fut pas imposée a titre
d'emprunt remboursable, mais a titre d'impot
qui devait etre payé par ellX sans retour.


Pour compléter l'établissement du grand-
livre, et le projet d'uniformiser la dette publi-
que, il restait a capitaliser les rentes viageres,
et a les convertir en une inscription. Ces rentes
de toute espece et de toute forme étaient I'ob-
jet de l'agiotage "le plus compliqué; comme
lesanciens contrats sur l'état, elles avaient l'in-
convénient de reposer sur un titre royal, et
d'obtenir une préférence marqllée sur les va-
lellrs républicaines; cal' on se disait toujours
que si la république consentait a payer les
dettes de la monarchie, la monarchie ne con-
sentirait pas a payer celles de la république.
Cambo n acheva done son grand ouyrage de
la régénération de la dette, en proposant et
en faisant rendre la 10i qui capitalisait les rentes
viageres; les titres devaient etre remis par les
notaires, et brulés ensuite, eomme l'avaient été


21.




324 RÉVOLUTION FH ANgA rSll.
les contrats. Le capital fourni autrefois par le
rentier était converti~n une inscription, et por-
tait un intéret pel'pétuel de cinq pour cent, an
líen d'un revenn viager. Cependant, par égard
pour les vieillards et les rentiers peu fortunés,
qui avaient vouln douhler leurs ressources en
les rendant víageres, on conserva les rentes
modiques, en les proportionnant a l'age des
individus. De quarante a einquante ans, on
laissa exister toute rente de quinze cents a deux
mille franes; de cinquante a soixante, toute
rente de trois mille a quatre mille; et ainsi de
suite jusqn'a l'age de eent ans, et jusqu'a la
súmme de 10,500 franes. Si le rentier eomprís
dans les eas ei-dessus, avaít une rente supé-
rieure au taux désigné, le sl~rplus était capi-
talisé. Certes, on ne pouvait garder plus de
ménagements pour les fortunes médiocres et
la vieillesse;, cependant aueune loi ne donna
lieu a plus de réclamations et de plaintes, et
la convention es suya , pour une mesure sage
et ménagée avec humanité, plus de hIame que
pour les mesures terribles qui sígnalaient cha-
que jour sa dictature. Les agíoteurs étaient fort
contrariés, paree que la loi exigeait, pour re-
connaitre les créanees, les certifieats de vie.
Les porteurs de titres d'émigrés ne pouvaient
pas se procurer aisément ces eertificats; aussi




CONVENTION N A.TIONAH (J 794). 325
les agioteurs, qui étaient lésés par eette eon-
dition, firent de grandes déclamations au nom
des vieillards et des infirmes; ils disaient qU'Oll
ne respeetait ni l'age ni l'indigence ; ils persua-
daient aux rentiers qu'ils ne seraient pas payés,
paree que l'opération et les formalités qu'elle
exigeait entraineraient des délais intermina-
bies; cependant iI n'en fut rien. Cambon fit
modifier quelques clauses du décret, et, veiI-
lant sans cesse a la trésorerie, y fit exéeuter
le travail avec la plus grande promptitude. Les
rentiers qui n'agiotaient pas sur les titres d'au-
trui, et qui vivaient de leur propre revenu,
furent payés promptement;et, comme dit Bar-
re re , au líeu d'attendre leur tour de paiement,
dans des cours décou vertes, et exposés a l' in-
tempérie des saisons, ils l'attendaient dans les
salles chaudes et couvertes de la trésorerie.


A coté de ces réformes utiles, les eruautés
continuaient d'avoir leur cours. La loi qui ex-
pulsait les ex-nobles de Paris, des pIaces fortes
et maritimes, donnait lieu a une foule de vexa-
tiOllS. Distinguer les vrais nobles, aujourd'hui
que la noblesse était une calamité, n'était pas
plus facile qu'a l'époque ou elle avait été une
prétention. Les roturieres mariées a des no-
bIes, et devenues veuves, les acheteurs de
charges qui avaient pris le titre d'écuyers, ré.




326 RÉVOLUTION FltAN~AIS};.
clamaient pour etre exemptés d'une distinctioIl
qu'ils avaient autrefois avidement recherchée.
Cette loi ouvrait donc une nouvelle carriere a
l'arbitraire et aux vexations les plus tyranniques.


Les représentants en mission exerc;aient leur
autori té avec la derniere -rigueur , et quelques-
uns se livraient a des cruautés extravagantes
et monstrueuses. A Paris, les prisons se rem-
plissaient tous les jours davantage. Le comité
de sureté générale avait institué une police qui
répandait la terreur en tous lieux. Le chef était
un nommé Héron, qui avait sous sa direction
une nuée d'agents, tous dignes de lui. Ils étaient
ce qu'on appelait les porleurs d'ordre des co-
mités. Les nns faisaiellt l'espionnage; 1es an-
tres, mnnis d'ordres secrets, souvent meme
d'ordres en blanc, allaient faire des arresta-
tions soit dans Paris, soit dans les provinces.
On Ieur allouait des sommes pour chacunc de
leurs expéditions; ils en exigeaient en outre
des prisonlliers, et ils aj outaient ainsi la rapine
a la cruauté. Tous les aventuriers licenciés avec
l'armée révolutionnaire, ou renvoyés des bu-
reaux de Bouchotte, avaient passé dan s ces
nouveaux emplois, et en étaiellt devenus bien
plus redoutahles. Ils s'introduisaient partont,
dans les promenades, les cafés, les spectacles;
achaque instant on se croyaít poursuivi OH




CONVENTION N ATlONALE (1794). 327
écouté par l'un de ces inquisiteurs. Grace a
leurs soins, le nombre des suspects avait été
porté a sept ou huit mille dans París seulement.
Les prisons n'offraient plus le meme specta-
ele qu'autrefois; on n'y voyait plus les riches
contribuant pour les pauvres, et des hommes
de toute opinion , de tout rang , menant a frais
communs une vie assez douce, et se consolant,
par les plaisirs des arts, des rigueurs de la
captivité. Ce régime avait paru trap supporta-
ble pour ce qu'on appelait des aristocrates; OIl
avait prétendu que le luxe et l'abondance ré-
gnaient chez les suspects, tandis qu'au dehors
le peuple était réduit a la ration; que les riches
détenus se plaisaiellt a gaspiller des subsis-
tances qui auraient pu servir a alimeo,ter les
citoyens indigents, et il avait été décidé que le
régime des prisons serait changé. En con sé-
quence il avait été établi des réfectoires et des
tables éommunes; on donnait aux prisonniers,
a des heures fixéei et dans de grandes salles,
une nourrÍture détestable et malsaine, qu'on
leur faisait payer tres-cher. Il ne leur était plus
permis d'acheter des aliments pour suppléer a
ceux qu'íls ne pouvaient pas manger. On fai-
sait des visites, Oil leur enlevait leurs assignats,
et 00 leur otait aiosi tout moyen de se pro-
curer des soulagements. 00 ne leur donnait




328 RÉVOLUTION FRAN~AISF.
plus la meme liberté de se voir et de vivre
en commun; et aux tourments de l'isolement
venaient s'ajouter les terreurs de la mort, qui
devenait chaque jour plus active et plus
prompte. Le tribunal révolutionnaire commen-
~ait, depuis le pro ces des hébertistes et des
dantonistes, a immoler les victimes par trou-
pes de vingt a la fois. 11 avait condamné la fa-
mille des Malesherbes, et leur paren té , au
nombre de quiuze ou vingtpersonues. Le res-
pectable chef de eette maisou était allé a la
mort avee la séréuité et la gaité d'uu' sage. Fai-
sant un faux pas tandis qu'il marchait a l'écha-
faud, it avait dit : « Ce faux pas est d'un mauvais
augure; un Romain serait rentré chez lui. »
Aux Malesherbes avaient été joints vingt-deux
membres du parlemellt. Le parlement de Tou-
louse fut immolé presque tout entier. Enfin
les fermiers - généraux venaient d'etre mis en
jugemeut a cause de leurs anciens marchés
avec le fisco On leur prouva que ces maJ'chés
I'ellfermaient des couditions onéreuses a l'état,
et le tribunal révolutionnaire les envoya a l'é-
chafaud, pour des exactions sur le tabac, le
sel, etc. Dans le nombre était un savant iUus-
tre, le chimiste Lavoisier, qui demanda en
vain quelques jours de sursís pour écrire une
découvcl'te.




CONVENTION NATIONALE (1 794). 32~
L'impuIsion était donnée; on administrait,


on combattait, on égorgeait avec un ensemble
effrayant. Les comités, pIacés au centI'e, gou-
vernaient avec la meme vigueur. La conven-
tion, toujours siIencieuse, décernait des pen-
sions aux veuves et aux enfants des soldats
morts pour la patrie, réformait des jugements
de tribunaux, interprétait des décrets, réglait
l'échange de certaines propriétés du domaine,
s'occupait en un mot des soinsles plus in si-
gnifiallts et les plus accessoires. Barrere venait
tous les jours luí lire les rapports des victoires.
11 appelait ces rapports des carmagnoles. A la
fin de chaque mois, iI annon~ait, pour la
forme, 'que les pouvoirs des comités étaient
expirés', et qu'il fallait les reuouveler. Alors OH
lui répondait avec des applaudissements que
les comités n'avaient qu'a poursuivre Ieurs tra-
vaux. Quelquefois meme i1 oubliaít cette for-
malité, et les comités n'en restaient pas moins
en fonctions.


e'est dans ces moments d'une soumission
absolue que les ames exaspérées éc1atent, et
que les coups de poignard sont a redouter
pour les autorités despotiques. Il s.e trouvait
alors a París un homme , employé comme gar-
<;on de bnreau a la lotcrie nationale, qui avait
été autrefois au service de plusieurs grandes




330 nÉVOLUTION FllANQA.ISE.
famiJIes, et qui éprouvait une violente hainc
contre le régime actuel. Il était agé de cin-
quante ans, et se nommait Ladmiral. Il avait
formé le projet d'assassiner run des membres
les plus influents du comité de salut public,
Robespierre ou Collot-d'Herbois. Depuis quel-
que temps il s'était logé dans la meme maison
que Collot-d'Herbois, rue Favart, et il hésitait
entre ColIot et Robespierre. Le 3 prairial
(22 mai), résolu de frapper Robespierre, il
se rendit au comité de salut public, et l'atten-
dit toute la journée dans ]a gaIerie qui abou-
tissait a la salle du comité. N'ayant pu l'y ren-
contrer, il était revenu chez lui, et s'était placé
dans l'escalier afin de frapper Collot-d'Herbois.
Vers minuit, Collot rentrait et mpntait son
escalier, lorsque Ladmirallui tire un coup de
pistolet a hout portant. Le pistolet fait faux
feu. Ladmiral tire un second coup, ~t l'arme
se refuse encore a son dessein. Il tire une troi-
sieme fois; cette fois le coup part, mais il
n'atteint que les murailles. Alors une Iutte
s'engage. ColIot-d'Herbois crie a l'assassin. Heu-
reusement pour ]ui une patrouille passait dans
la rue ; elle accourt a ce bruit; Ladmiral prend
la fuite alors, remonte dan s sa chamhre , et
s'y enferme. On le suit et on veut enfoncer la
porte. JI déelare qu'il est armé, et qu'il va




CONVENTION NATroNALE (1794). 33l
faire feu sur ceux qui se présenteront pour
le saisir. Cette menace n'intimide pas la pa-
trouille. On force la porte; un serrurier, nommé
Geffroy, s'avance le premier, et re<;oit un coup
de fusil qui le blesse presque mortellement.
Ladmiral est aussitot arreté et conduit en pri-
son. Interrogé par Fouquier-Tinville, il raconte
sa vie, ses projets, et les tentatives qu'il a faÍtes
pour frapper Robespierre avant de songer a
Collot-d'Herbois. On lui demande qui l'a porté
a commettre ce crime. Il répond avec fermeté
que ce n'est point un crime; que e'est un ser-
vice qu'il a voulu rendre a son pays; que lui
seul a con<;u ce projet sans aucune suggestíon
étrangere, et que son unique regret est de
n'avoir pas réussi.


Le bruit de cette tentative se répand avec
rapidité, et, suivant l'usage, elle augmente la
puissance de ceux contre lesquels elle était di-
rigée. Barrere s'empresse le lendemain, 4 prai-
ríal, de venir a la convention faire le récit de
cette nouvelle machination de Pitt. ce Les fa c-
« tions intérieures, d¡t-il, ne cessent de cor-
« respondre avec ce gouvernement marchand
« de coalitions, acheteur d'assassinats, qui
(e poursuit la liberté comme sa plus grande
e( ennemie. Tandis que nous mettons a l'ordre
ce du jour la justice et la vertu, les tyrans coa-




332 R.KVOLUTJON }'RAN~AISE.
« lisés mettent a l'ordre du jour le crime el
« l'assassinat. Partout vous trouverez le fatal
« génie de l' Anglaís : dans nos marchés, dans
« nos achats, sur les mers, dans le continent,
« chez les roitelets de l'Europe comme dans
« nos cités. C' est la meme tete qui dirige les
« mains qui assassinent Basseville aRome, les
« marins fran<{ais dans le port de Genes, les
« Fran(,;ais fideles en Corse; e' est la meme tete
« qui dirige le fer contre Lepelletier et Marat,
« la guillotine sur Chalier, et les armes a feu
« sur Collot - d'Herbois. » Barrere produít en-
suíte des lettres de Londres et de Hollallde
qui ont été interceptées, et qui annoncent que
les complots de Pitt sont dirigés contre les co-
mités, et particulierement contre Robespierre.
Une de ces Iettres dit en substance : « Nous
( craignons beaucoup l'influence de Robes-
« pi erre. Plus le gouyernement fran(,;ais répu-
« blicain sera cOIlcentré, plus il aura de force,
tC et plus il sera difficile de le reo versel'. »


Une pareille maniere de présentel' les faits
était bien propre a exciter le plus vif intéret
en faveur des comités, et surtout de Robes-
pierre, et a identifier Ieor existen ce avec ceHe
de la l'épublique. Barrcre raconte ensuite le
faít avec toutes ses circonstances, parle de
l' empressement attendrissant que les autorités




CONVENTTON NATTONALE (1794). 333
constituées ont montré pour protéger la re-
présentation nationale, et raconte en termes
magnifiques la conduite du citoyen Geffroy,
quí a re<;u une blessure grave en saisissant
l'assassin. La convention couvre d'applaudis-
sements le rapport de Barrere; elle ordonne
des recherches pour s'assurer si Ladmiral n'an-
raít pas des complices; elle décrete des remer-
ciements ponr le citoyen Geffroy, et décide,
pour le récompenser, qne le bulletin de ses
blessures sera lu tons les jours a la tribune.
Couthon fait ensuite un discours fulminant,
pour demander que le rapport de Barrere soit
traduit en toutes les langues , et répalldu dans
tous les pays. « Pitt, Cobourg, s'écrie-t-il, et
c( vous tous, taches et petits tyrans., qui regar-
« dez le monde comme votre héritage, et qui,
I( dans les derniers instants de votre agonie,
{( vous débattez avec tant de fureur, aigllisez,
« aiguisez vos poignards; 1l0US vous méprisons
« trop pour vous craindre, et vous savez bien
(c que nons sommes trop grands ponr vous
« imiter! » La salle retentit d'applaudissements.
Couthon ajoute : ( Mais la loi dont le regne
« vous épouvante a son glaive levé sur vous:
« elle vous frappera tous. Le genre humain a
c( besoin de cet exemple, et le cíel, que vous
r( outragez, l'a ordonné! »




334 nÉVOLUTION FnAN<';AlSE.
Collot-d'Herbois arrive aIors eomme pour


reeevoir les marques d'intéret de l'assemblée;
iI est aeeueilli par des aec1amations red ou-
blées, et iI a peine a se faire entendre. Robes-
pierre, beaueoup plus adroit, ne parait pas,
et sembIe se soustraire aux hommages qui l'at-
tendent.


Dans eette merrte journée du J 4, une j eune
filie, nommée Céeile Renault, se présente a la
porte de Robespierre, ave e un paquet sous le
bras; elle demande a le voir, et insiste ave e
force pour etre introduite aupres de lui. Elle
dit qu'un fonetionnaire public doit toujours
etre pret a reeevoir eeux qui ont a l'entrete-
nir, et finit mem~ par injurier les hotes de
Robespierre, les Duplaix, qui ne voulaient
pas la reeevoir. Aux instanees de eette jeune
fille, et a son air étrange, OH con~oit des soup-
<;ons; on se saisit d'elle, el on la livre a la po-
liee. On ouvre son paquet, et on y trouve des
hardes et deux eouteaux. Aussitot on prétend
qu'elle a vonlu assassiner Robespierre; on I'in-
terroge, elle s'explique avec autant d'assu-
rance que Ladmiral. On lui demande ce qu'elle
voulait de Robespierre, elle dit que c'était
pour voir eoroment était fa"it un tyran. On la
presse, on veut savoir pourquoi ce paquet,
pourquoi ces hardes et ces couteaux; elle ré-


..




CONVENTION NATION.UE (1794). 335
pond qu'elle n'a voulu faire aueun usage des
couteaux; que quant aux hardes, elle s'en
était munie paree qll'elle s'attendait a etre eon-
duite en prison, et de la prison a la guillotine.
Elle ajoute qu'elle est royaliste, paree qll'elle
aime mieux un' roi que cinquante mille. On
insiste davantage, on lui fajt de nOllvelles
questions, mais elle refuse de répondre, et de-
mande a etre conduite a. l'échafaud.


n suffisait de ces Índices pour en conclure
que la jeune Renault était un des assassins ar-
més contre Robespierre. A ce dernier faít vint
s'en ajouter un autre. Le lendemain, a Choisy-
sur-Seine, un citoyen raeontait dans un café
la tentative d'assassinat commise sur Collot-
d'Herbois, et se réjouissait de ce qu'elle n'avait
pas réussi. Un nornmé Saintanax, moine, qui
écoutait ce récit, répond qu'il est malheureux
que ces scélérats du comité aient échappé,
mais qu'il espere que tot ou tard ils seront
atteints. On s'empare' snr-le-champ du mal.
heureux, et on le traduit dans la nuit meme
a Paris. C'était plus qu'il n'en fallait pour sup ..
poser de vastes ramifications; on prétendit
qu'il y avait unebande d'assassins préparée;
on s'empressa d'a:ccourir autour des membres
du comité, on les engagea a se garder, et a veil-
ler sur leurs jours si précieux a la patrie. Les




336 R~VOLUTJON FRANyAISJ:.
sections s'assemblerent, et envoyerent de nou-
veau des députations et des adresses a la con-
vention. Elles disaieht que parmi lesmiracles
que la Providence avait faits en favear de la
république, la maniere dont Robespierre et
Collot - d'Herbois venaient d'échapper aux
coups des assassins n'était pas le moindre.
L'une d'elles proposa rnéme de fournir une
garde de vingt-cinq h::nnmes pour veiller sur
les jours des membres du comité.


Le surlendemain était le jour ou s'assem-
blaient les jacobins. Robespierre etCollot-d'Her-
bois s'y rendirellt, et furent re<,¡us avec un en-
thousiasme extreme. Quand le pouvoir a su
s'assurer une soumission généraIe, iI n'a qu'a
laisser faire les ames basses, elles viennent ache-
ver elles-rnemes l'ceuvl'e de sa domination, et
y ajouter un calle et des honneurs divins. On
regardait Robespierre et Collot-d'Herbois avec
une avide curiosité. - ce Voyez, disait-on, ces
hommes précieux, le Die'u des hornmes libres les
a sauvés; illes a couverts de son égide, et les a
conservés a la républiquel Il faut leur faire
partager les honneurs que la France a décer-
nés aux martyrs de la liberté; elle aura ainsi
la satisfaction de. les honorer, sans avoir a pIeu-
rer sur lenr nrne funebre·.)) Collot prend le


,. Voyez la séance des jacobins du 6 prairial.




CONVT:~T!ON N A TION ALE (1794). 337
premier la parole avec 5a véhémence ordinaire,
et dit que l'émotion qu'il éprouve dans le mo-
ment lui pro uve combien il est doux de servir
la patrie, meme au prix des plus grands pé-
rils. ( Il recueille, dit-iI, cette vérité que ceIui
( qui a couru quelque danger ponr son pays
«( rec;:oit de nouvelles forces du fraternel inté-
l( ret qu'il inspire. Ces applaudissements bien-
( veillants sont un nouveau pacte d'union en-
« tre toutes les ames fortes. Les tyrans réduits
II aux abois, et sentant leur fin approcher, veu-
(( lent en vain recourir aux poignards, au poi-
( son, au guet-apens, les républicains ne s'in-
( timicleront pas. Les tyrans ne savent-ils pas
(( que lorsqu'unpatriote expiresousleurscoups,
(( c'est sur sa tombe que les patriotes qui lllí
(( survivent jurent la vengeance cln crime et
«( l' éternité de la liberté? ))


Collot acheve au milieu des applaudisse-
ments. Bentabolle demande que le président
donne a Collot et a Robespierre ]'accolade fra-
ternel1e, au Dom de toute la société. Legen-
dre, avec l' empressement d'uD homme qui avait
été l'ami de Danton , et qUl était obligé a plus
de bassesse pour faire oublier cette amitié, dit
que la main du crÍme s'est levée pour frapper
la vcrtu, mais que le Dieu de la nature a em-
peché que le forfait mt consommé. Il engage


VI. 22




3:18 n¡';VOLlJTION FRANQAISF..
tOU5 les citoyens a former une garde autour
des membres du comité, et s'offre a veiller le
premier sur leurs jours précieux. Dans ce mo-
ment, des sections demandent a etre introdui-
tes dans la salle; l'empressement est extreme,
mais la foule est si grande qu'on est obligé de
les laisser a la porte~


On offrait au comité les insignes du pouvoir
souverain, et c'était le moment de les repolls-
ser. 11 sufflt a des chefs adroits de se les faire
offrir, et ils doivent se donner le mérite du re-
fus. Les membres présents du comité combat-
tent ave e une indignation affectéc la proposi-
tion de se donner des gardes. Couthon prend
aussitót la paroJe. f( Il s'étonGe, dit-il, de la
({ proposition qui vient d'etre faite aux Jaco-
« bins, et qui I'a déja été a la convention. n
« yeut bien l'attribuer a des intentionspures ,
« mais il n'ya que des despotes qui s'entourent
«( de gardes, et les membres du comité ne
«( veulent point etre assimílés a des despotes.
« lIs n'ont pas besoin de gardes pOllr les dé-
( fendre. C'est la vertu, c'est]a conflance du
({ peuple et la Providence qui veillent sur leurs
({ jOllrs; il ne lenr faut pas d'autres garanties
({ pour leur sureté. D'ailleurs ils sauront mou-
'( rir a leur poste et pour la liberté. »


L(:'gendre se hMe de jllstifiel' sa propositiolJ,




CONVI'NTJON NATIONAU: lJ794). 339
II dit qu'il n'a pas voulu précisément donner
une garde organisée aux membres du comité,
maís engager seulement les bons citoyens a
veíller sur leurs jOllrs; que si du reste ÍI s' est
trompé, iI se rétracte, et que son Íntention a
été pureo Robespierre lui succede a la trÍbune.
C'est pour la premiere foÍs qu'il prend la pa·
role. Des applaudissements éclatent, et se pro-
longent long-temps; enfin on faÍt silence, et
on lui permet de se faire entendre. « Je suis,
« dit-iI, un de ceux que les événements qui se
« sont passés doivent le moins intéresser, ce-
«( pendant je ne puis me défendre de quelques
« l'éflexions. Que les défenseurs de la liberté
« soÍent en butte aux poignards de la tyrannie ,
{( iI fallait s'y attendre. Je l'avais déja dit: si
« nous battons les ennemis, si nous déjollons
( les factions, nous serons assassinés. Ce que
« j'avais prévu est arrivé : les soldats des tyrans
« ont mordu la poussiere, les traitres ont péri
« sur l'échafaud, et les poignards ont été ai-
(! guisés con tre nous. J e ne sais quelle impres-
« sion doivent vous faire éprouver ces événe-
«( ments, mais voici ceHe qu'ils ont produite
« sur moi. J'ai sentí qu'il était plus facile de
re nous assassiner "que de vaincre nos príncipes
« et de subjuguel' nos armées. Je me suis dit
« que plus la vie des défellseurs du peup]e est


:>-2.




:140 n ÉVOLUTlON FR ANt;:AISE.
« incertainc et précaire, plus ils doivent se lüi··
« ter de remplir leurs derniers jours d'aetions
« utiles a la liberté. Moi, qui ne erais pas a la
(e nécessité de vivrc, mais seulement a la vertn
( et a la Providence, je me trouve pIaeé dans
« un état oú sans doute les assassins n'ont pas
( vouln me mettre; je me sens plus indépen-
(( dant que jamaís de la méchanc~té des hom-
« mes. Les erimes des tyrans, et le fer des as-
« sassins, m'ont rcndu plus libre et plus
cr redoutable pour tons les ennemis du pen-
\Í pIe; mon ame est plus disposée que jamais
re a dévoiler les traitres, et a leul' 3nacher le
c( masque dont ils osent se eOllvrir. Franrais,
«( amis de l' égalité, reposez - vous sur IlOUS dI!
{( soin d'employer le peu de vie que la Provi-
( dence nons accorde, a eombattre les enne-
« mis qui nous environnent!» - Les acclama-
tions redoublent apres ce discours, et des
transports éclatent dans toutes lesparties de
la salle. Robespierre, apres avoir jouí quelqncs
lnstants de cet enthousiasme, prend encore une
foís la paroIe contre un membre de la société,
qui avait demandé qu'on rendit des honneurs
civiques a Geffroy. 1l rapproche cette motíon
de ceHe qui tendait a donner des gardes aux
membres des comités, et soutient que ces mo-
tiOllS ont pOllr hnt fI'exciter 1'f'llYie ~t la ca-




CON VENTION N ATION H J: el 794':. 34 [
lomuie contre le gouvernement, en l'accablallt
d'honneurs superflus. En conséquence il pro-
pose, etfait prononcer l'exclllsion contrc cclui
qui avait demandé pour Geffroy les honllcurs
clvlques.


Au degré de puissance auquel il était par-
venu, le comité devai t tendre a écarter les ap-
parences de la souveraineté. U exerc;ait une
dictature absolue, mais il ne fallait pas qn'on
s' en aper¡;ut trop; et tous les dehors, toutes
les pompes du pouvoir, ne pouvaient que le
compromettreínutilement. Un soldatambitieux
quí est maltre par son épée, et qui veut un
treme, se hate de caractériser son autorité le
plus tút qu'il peut, et d'ajouter les insignes de
la puissance a la puissance meme; mais les
chefs d'un par~ qui ne gouverncnt ce partí
que par lenr influence, et qui venlent en res-
ter maitres, doivent le flatter toujours, rap-
porter sans cesse a lui le pouvoir dont iIs jouis-
sent, et, tout en le gouvernant, paraltre luí
obéir.


Les membres du comité de salut public,
chefs de la Montagne , ne devaient pas s'isoler
d'elle et de la convention, et devaient repous-
sel" an contraire tout ce qui paraitrait les éle-
ver trop au-desslls de lenrs collegues. Déja 011
s'était ravisé, et l'étendue de leur puissance




342 lLLVOLUTJON ~FHANt;:AISL
frappait les esprits, meme dans leul' propre
partí. Déja on voyait en eux des dictateurs)
et c'était Robespierre surtout dont la haute ín-
fluenee commen<;ait a offusquer les yeux. On
s'habituait a dire, non plus, le comité le veut,
mais Robespierre le veut. Fouquier-Tinville di-
sait a un índividu qu'il mena<;ait du tribunal
révolutionnaire : Si Robespierre L~e veut, tu y
passeras. Les agents du pouvoir nommaient sans
cesse Robespierre dans leurs opérati.ons, et
semblaient rapporter tout a lui, comme a la
cause de laqllelle tout émanait. Les victimes ne
manquaient pas de lui imputer leurs mallX, et
dans les prisons on ne voyait qu'un oppres-
seur, Robespierre. Les élrangers ellX - memes
dans leurs procIamations appelajent les soldats
fran<;ais soldats de Robespierre. Cette expres-
sion se trouvait dans une proclamation du due
d'York. Sentant combien était dangereux l'u-
sage qu'on faisait de son nom, Robespierre
s'empressa de prononcer a la convention un
discours, pour repousser ce qu'il appelait des
insinuations perfides, dont le but était de le
perdre; iI le répéta aux Jaeobins, et s'y attira
les applaudissements qui aeeueillaient toutes
ses paroles. Le Journal de la Montagne et le
¡Woniteur, ayantle lendemaín répété ce discours,
et ayant dit que c'était un chef-d'reuvre dont




COJ''iVE.'<'l'JON NATlUNALE ~i79~)' 343
l'anaiyse était impossible, parce que chaque
mol valait une phrase, el chaque phl'ase une
page, ii s' emporta vivement, et vint ie lende-
main se plaindl'e aux Jacobins des joumaux
qui flagornaient avec affectation les memLre~
du comité, afin de les perdre, en Ieur donnant
les apparences de la toute-puissance. Les deux
journaux furent obligés de se rétracter, et de
s'excuser d'avoir toué Robespierre, en assurallt
que leurs intentions étaient pures.


Robespierre avait de la vanité; mais il n' était
pas assez granel pOUI' etre ambitieux. A vide de
flatteries et de respects, iI s'en llourrissait, et
se justifiait de les recevoir en assurant qu'il ne
voulait pas de la toute-puissance. Il avait au-
tour de lui une espece de conr composée de
quelques hommes, mais surtont de heaucoup
de femmes, qui lui prodiguaient les soins les
plus délicats. Toujours empressées a sa porte,
elles témoignaient pour sa personne la sollici-
tude la plus constante; elles ne cessaient de cé-
lébrer entre elles 5a vertu, son éloquence, SOll
génie; elles l'appelaient un homme divin et au-
dessus de l'humanité. Une vieilIc marquise était
la principal e de ces femmes, qui soigllaient en
véritables dévotes ce pontife sanglant et 01'-
gueillcux. L'empressement des femmes est tou-
jours le symptómc le plus surde l'ellgouernelll




344 RÉVOLUTlON FRAN<;AlSE.
publico C'est elles qui, par leurs soins actifs,
leurs discours, leurs sollicitudes, se chargent
d'y ajouter le ridicule.


Aux fe mm es qui adoraient Robespierre s'é-
tait jointe une seete ridíeule et bizarre, formée
depuis peu. C'est au moment de l'abolition des
eultes que les sectes abondent, paree que le
besoin impérieux de croire cherehe a se re-
paitre d'autres illusions, a défaut de eeHes qui
sont détruites. Une vieille femme dont le cer-
veau s' était enflammé dans les prisons de la Bas-
tille, et qui se nommait Catherine Théot, se
disait mere de Dieu, et annonl{ait la prochaine
apparition d'un nouveau Messie. 11 devait, suÍ-
vant elle, apparaitre au milieu des bouleverse-
rnents, et, au moment ou iI paraitrait, com-
mencerait une vie éternelle pour les élus. Ces
élus devaient propager leur croyance par tous
les moyens, et exterminer les ennemis du vrai
Dieu. Le chartreux dom Gerle, qui figura sous
la constitllante, et dont l'imagination faíble avait
été égarée par des reyeS mystiqlles, était l'un
des deux prophetes; Robespierre était l'autre.
Son déisme lui avait sans doute valu cet hon-
nenr. Catherine Théot l'appelait son fils chéri;
les inítiés le eonsidéraient avec respeet, et
voyaicnt en 1l1i un etre surnaturel, appeté a
des destinées mystérieuses et sublimes. Proba-




CONVENTlON NAT/ONAI.E (1794). 345
blement il était instruít de leurs folies, et sans
etre leur complice, ii jouissait de leur erreur.
Il est certain qu'il avait protégé dom Gerle,
qu'il en recevait des visites fréquentes, et qu'il
lui avait donné un certificat de civisme signé
de sa maín, pour le soustraire aux poursuites
d'un comité révolutionnaire. Cette sccte s'était
fort répanduc; elle avait son culte et ses pra-
tiques, ce qui ne contribuait pas peu asa propa-
gation; elle se réunissait chez Catherine Théot,
dans un quartier reculé de Paris, pres du Pan-
théon. C'étaient la que se faisaient les initia-
tíons,en présence dela mere de Dieu, de dom
Gerle et des principaux élus. Cette secte com-
mell~ait a etre connue, et on savait vaguement
que Robespierre était pour elle un prophete.
Ainsi tout contribuait a le grandir et a le com-
promettre.


C'était surtout parmi ses collegues que les
ombrages commen~aient a naltre. Des divisions
se prononQaient déja, et c'était uaturel, car la
puissance du comité étant établie, le temps des
rivalités était venu. Le comité s'était partagé
en plusieurs groupes distincts. La mort de Hé-
rault-Séchellesavait réduit a onze les douze
membres qui le composaíent. Jean-Bon-Saint-
André et Prieur de la Marne n'avaient pas cessé
d't~tl'e en mission. Carnot était entierement oc-


/




/'


346 l\ÉVOLUTION FllAl\'<,:AlSE.
cupé de la guerre, Prieur de la Cúte-d'ül' des
appl'ovisionnements, Robert Lindet des sub-
sÍstances. On appelait ceux-ci les gens d'exa-
meno Ils ne prenaient aucune part ni a la poJi-
tique ni aux rivalités. Robespierre, Saint-Just,
Couthon, s'étaient rapprochés.Une espece de
supériorité d' esprit et de manieres, le grand
cas qu'ils semblaient faire d'eux-mcmes, et le
mépris qu'ils semblaient avoir pour leurs au-
tres collegues, les avaient portés a se ranger a
part; on les nommait les gens de la haute
main. Barrere n'était a leurs yeux qu'un etrc
faible et pusillanime, ayant de la facilité au ser-
vice de tout le monde, ColIot-d'Herbois qll'Ull
déclamateur de club, Billalld-Varelmes qU'Ull
esprit médiocre, sombre et enviellx. Ces trois
derniers ue leur pardonnaient pas leurs dé-
daius secrets. Barrere n'osait se prononcer;
mais Collot-d'Herbois, et surtout BilIaud, dont
le caractere était ílldomptable, ne pouvaient
dissimuler la haine dont ils commem;aien~ a
s'enflarnmer. Ils cherchaient a s'appuyer sur
leurs collegues appelés gens d' examen, et a
les mettre de Ieur coté. Ils pouvaient espérer
un appui de la part du comité de sureté gé-
nérale, qui commem;ait a etre importuné de
la suprématie du comité de salut publico Spé-
cialement borné a la police, et sonven t sur-




CONVEIHION NATlO.NALE (1794)· 347
veillé ou controlé dans ses opérations par le
comité de salut pllblic, te comité de súreté gé-
nél'ale supportait impatiemment cette dépen-
dance. Amar, Vadier, Vouland, Jagot, Louis
du Ras - Rhin, ses membres les pI us crueIs,
étaient en meme temps les plus disposés a se-
couer le joug. Deux de leul's collegues, qu' 011
appeIait les écouteurs, les observaient pour le
compte de Robespierre, et cet espionnage leur
était devenu insupportable. Les mécontents de
l'un et l'autre comité pouvaient donc se réunir
et devenir dangerellx pour Robespierre, COll-
thon et Saint-J ust. Il faut bien le remarquer:
c'étaient les rivalités d'orgueit et de pouvoir
qui comment;aient la division, et non une dif-
férence d'opinion potitique, cal' Billa ud - Va-
rennes, Collot - d'Herbois, Vadier, Vonland,
Amar, J agot et Louis, étaient des révolution-
naires non moins redoutables que les trois ad-
versaires qn'ils voulaient renverser.


Une circonstance indisposa encore davan-
tage le comité de sureté générale contre les
dominatellrs du comité de salut public. On se
plaignait beaucQ";;p des arrestations qui deve-
naient toujoursplus nombreuses, et qui étaient
SOllvent inj ustes, car elles portaient contre une
fonle d'individns connlls pour excellents pa-
triotes; on se plaignait des rapines et des vexa-




34B UJiVOLUTION FRANyAISE.
tions des agents nombreux auxquels le comité
de slll'eté générale avait délégué son inquisi-
tion. Robespierre, Saint-Just et Couthon n'o-
sant ni faire abolir, ni faire renouveler ce comité,
imaginerent d'établir un bureau de police dans
le seill du comité de salut publico C'était, sans
détruÍre le comité de sureté généra le, envahir
ses fonctions et l'en dépouiller. Saint-Just de-
vait avoir la direction de ce bureau; maÍs ap-
pelé a l'armée, iI n'avait pu remplir ce soin,
et Robespierre s'en était chargé a 5a place. Le
bureau de police élargissait ceux que faisait
arreter le comité de 5ureté générale, et 1!B del'-
njer comité rendait la pareille a l'autre. Cet en-
vahissemellt de fonctjons amena une brouiHe
ouverte, Le bruit s'en répandit, et malgré le se-
cret qui enveloppait le gouvernement, on sul
bientot que ses membres n'étaient pas d'accorrl.


D'autres mécontentements, non moins gra-
ves, éclataient dans la convention. Elle était
toujours fort soumise? mais quelques-uns de
ses membres, qui avaient con<;u des craintes
pour eux-memes, recevaient du danger un peu
plus de hardiesse. C'étaient d'aneiens ami s de
Danton, compromis par leurs liaisons avee luí,
et menacés quelquefois eomme restes du partí
des cor"ompus et des indulgents. Les uns avaielll
malversé dans lellrs fonctions, et craigllaielll




CONVENTION NATIONALE (lJ94)· 349
l'application du systeme de la verla; les autres
avaient paru opposés aun déploiement de ri-
gueurs tons les jours croissant. Le plus com-
promis d'entre eux était Tallien. On disait qu'il
avait malversé a la communc lorsqu'il en était
membre, et a Bordeaux lorsqu'il y était en mis-
sion. On ajoutait que clans cette dcrniere ville
il s'était laissé amollii et séduire par une jeune
et belle femme qui l'avait accompagné a París,
et quí venaít d'etre jetée en prison. Apres Tal-
líen on citaít Bourdon de l'Oise, compromis
par sa lutte avec le partí de Saumur, et ex-
pulsé des Jacobins, conjointement avec Fabre,
Camille\ et Philipeaux; on citait encore Thu-
ríot, exclu aussi des Jacobins; Legendre, qui,
malgré ses sOllmissions journali¿;res, ne pou-
vaít se faire pardonne," ses anciennes liaisons
avec Danton; enfm Fréron, Barras, Lecointre,
Rovere, Monestier, PanÍs, etc., tous, OH amis
de Danton, ou désapprobatellrsdu systeme suivi
par le gouvernement. Ces inquiétudes person-
nelles se propageaient, le nombre des mécon-
tents al1gmentait chaque jour, et ils étaicnt
prets a s'unir aux membres de l'un ou l'autre
comité qui voudraient leul' tendre la main.


Le 20 prairial (8 juin) approchait; c'était le
¡Ollr fixé pour la fete a l'Etl'c supreme. Le 16,
ji fallait nommer un pl'ésident; la eonvention




350 REVOLUTION FRANfAISL
nomma a l'unanimité Robespierre pour occu~
per le fauteuil. C'était luí assurer le premier
role dans la journée du 20. Ses collegues,
comme on le voit, cherchaient encore a le
flatter et a l'apaiser a force d'honneurs. De
vastes préparatifs avaient été faits conformé-
ment au plan con~u par David. La fete devait
ctre magnifique. Le 20, au matio, le soleil
brillait de tout son éclat. La foule, toujours
prete -3. assister aux représentations que lui
donne le pouvoir, était accourue. Robespierre
se fit attendl'e ]ong-temps. 11 parut enfin au
milieu de la convention. Il était soigneuse-
ment paré; ji a vai t la tete couverte de plumes,
et tenait a la main, comme tous les représen-
tants, un bouquet de fleurs, de fruits et d' épis
de LIé, Sur son visage, ordinairement si som-
bre, éclatait une joie qui ne lui était pas ordi-
naire. Un amphithé:hre était placé au milieu du
jardin des Tuileries. La convention l'occupait;
a droite et a gauche, se trouvaient plusieurs
groupes d' enfants, d'hommes, de vieillards et
de femmes. Les enfants étaient couronnés de
violette, les adolescents de m,rte, les hommes
de chene, les vieillards de pampre et d'úlivier.
Les femmes tenaient lellI'S fines par la main,
et portaient des corbeilles de fleurs. Vis-a-vis
I'amphithétttre, se trouvaient des figures re-




CON\"ENTION NATIONALE ('79LI)' 3S1
présentant l'Athéisme, la Discorde, l'f:go'isme.
Elles étaient destinées a etre brulées. Des que
la convention eut pris sa place, une musiqlle
ouvrit la cérémonie. Le président fit ensuite
un premier discours sur l'objet de la fete. i( :Fran-
« ~ais républicains, dit-il, ii est enfin arrivé le
« jour a jamais fortullé que le peuple fran~ais
« con sacre a l'Etre supreme! JamaÍs le monde
'( qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne
« de ses regards. Il a vu régner sur la terre la
« tyrannie, le crime et l'imposture: il voit dans
« ce moment une natÍon entÍere, aux prises
({ avec tous les oppresseurs du genre humain,
( suspendre le cours de ses travaux héro'iqnes,
« pour éIever sa pensée et ses vreux vers le
« grand :Etre qui lui donna la mission de les
« entreprendre, et le courage de les exécuter!)l


Apres avoir parlé qllelques minutes, le pré-
sident descend de l'amphithé:\tre, et, se saisis-
sant d'une torche, met le feu aux monstres de
l'Athéisme, de la Discorde et de l'Égo'isme. Du
milicu de leurs cendres para!t la statue de la
Sagesse; mais on remarque qu'elle est enfumée
par les flammes au milien desqllelles eHe vient
ele paraitre. Robespierre retollrne a sa place, el
prononce un second discours sur l'extirpation
des vices ligllés contre la républiqne. Apres
éette premiere cérémonie, OIl se met en ma/'-




352. RÉVOLUTION FllA~~AISE.
che pour se rendre au Champ-ele-Mar·s. L'or-
gneil ele Robespierre semble reeloubler, et il
affecte de marcher tres en avant de ses colle-
gues. Mais qllelques-uns, indignés, se rappro-
chent de sa personne, et lui prodiguent les
sarcasmes les plus amers. Les uns se moquent
du nOllveau pontife, et luí dísent, en faisant
allusion a la statue ele la Sagesse, qui avait
parll enfumée, que sa sagesse est obscurcie.
D'autres font entendre le mot de tyran, et s'é-
críent qu'il es! encare des Brutus. Bonrdon de
l'Oise lui dít ces mots : La roche Tarpéienne
est pres du Cap ita le.


Le cortége arrive enfin all Champ -de-Marso
La se trouvait? au lieu de rancien aute! de la
patrie, une vaste montagne. Au sommet de
cette montagne étaÍt un arbre : la convention
s'assied sons ses rameaux. De chaque coté de
la montagne se placent les différents groupes
des ellfants, des vieillards et des fcmmes. Une
symphonie commence; les groupes chantent
ensuite des strophes en se répondant alterna-
tivement; enfin, a un signal donné, les ado-
lescents tirent lcurs épées et jurent, dans les
mains des vieíllards, de défendre la patrie; les
meres élevent leurs enfants dan s leurs bras;
tous les assistants levent leurs mains vers le
eiel, et les serments de vaincre se melent aux




CONV'F.NTfON N ATI01H LE (] 794). 353
hommages rendus a l'Etre supreme. On re-
!tourne ensuiteau jardín des Tuileries, et la
féte se termine par des jeux puMies.


Telle fut la fameuse fete célébrée en l'hon-
neur de l'Etre supreme. Robespierte, en ce
jour, était parvenu au cambie des honneurs;


. mais il n'était arrivé au faite que poul' én etre
précipité. Son orgueil avait blessé tOllt le
monde. Les sarcasmes étaient parvenus jusqu'a
son oreille, et il avait vu chez quelques-unsde
ses collegues une hardiesse qui ne leur était
pas ordinaire. Le lendemain il se rend au co-
mité de salut publie, et exprime sa coiere
contre les députés qui I'ont outragé la veille.
Il se plaint de ces ami s de Danton, de ces
restes impurs du partí indu/gent el corrompu,
et en demande le sacrifice. Billaud-Varennes et
Collot-d'Herbois, qui n'étaient pas moins bles-
sés que leurs eollegues du role que Robespierre
avait joué la veille, se montrent tres-froids et
peu empressés a le venger. lis ne défendent
pas les députés dont se plaint Robespierre,
mais ils reviennent sur la derniere fete, ils
expriment des craintes sur ses ('ffets. Elle a
indisposé, disent-i ls, beaucou p d' espri ts. D'ail-
leurs ces idées d'Etre supreme, d'immortalité
de l'ame, ces pompes semblent un re tour vers
les Sil pl::rstitions d'alltrefois, et peuvent {aire


VI. l3




rétrograder.la révolution. Robespierre s'irrit<:"
aloes de ces ,remarques; il soutient qu'il n'a
jamais v()ulQ. faire rétrograder la révolution,
qu'il a tout f¡üt au contraire pOllr accélérer sa
marche. En preuve, il cite un projet de loi qu'il
vient de rédiger avec Couthon, et qui lend a
renJI"E~ le tribunall"évolutionnaire encore plus
meurtrier.Voici quel était ce projet.


. Depuis dellX moisil avait été question d'ap-
portee quelques modifications a l'organisation
du tribunal révolntiollnaire. La défense de
Danton, CamiIJe, Fabre, Lacroix, avait faÍt
sentir l'inconvénient des restes de formalités
qu'on avaitlaissé exister. Tous les jours encore
.il fallait entendre des témoins et des avocals,
et qucJque hritweque fút l'audition des té-
moins" quelque restreinte que flit. la défense
des .. avocats.,' néanmoins ~lle emportait une
grande p.erte de temps, et amellaiL toujours un
cerrain éclat. Les. chefs de ce gouvernement 1
qui voulaient que tout se fit promptement et
sans bruit, désiraient supprimer ces formalités
incommodes. S'étant habitnés a penser que la
révolution avait le droit de détruire tons ses
ennemis, et qu'a la simple illspection on devait
les distinguer, ils croyaíent q"1'on ne pOllvait
rendre la procédure révolntionnaire trop ex-
péditive. Robespicrre, particulierement ch;¡rgt-




CO'l¡-VENTION NA TION AU (1794). 355
-~Ju tribunal, avait préparé la loi avec Couthon
seut, car Saint-Just était absent. Il u'avait pas
Jaigné consulte!' ses autres coltegues du co-
mité de salut public, et il venait seulement
leur lire le projet avant de le présenter. Quoi-
que Barrere, CoIlot-d'Herbois fussent tont aussi
disposés que lni a en admettre les dispositious
sanguinaires, ils devaient l'accueitlir froide'-
ment, puisqu'il était con~u et arreté sans Ieur
participation. Cepe~dant il fut convenu qu'il
serait proposé le lendemain, et que Couthon
en ferait le rapport. Mais aucune satisfaction
ne fut accordée a Robespierre pour les ou-
trages qu'il avait rel,;us la veiUe.


Le comité de sureté générale ne fut pas plus
consulté sur la loi que ne l'avait été le comité
de salut publico Il sut qu'une loi se préparait;
mais iI ne fut point appelé a y prendre parto
n voulut dll moins, sur cinquante jurés qui
-devaient etre désignés, en faire nommer vingt;
mais Robespierre les rej ela tous, et ne choisit
-que ses créatures. La proposition fut faite le
2'2 prairial; Couthon fut le rapporteur. Apres
les déclamations habituelles sur l'inflexibilité
et la promptitude qui devaient faire les carac-
teres de la justice révolutionnaire, -il lut le
projet, qlli était rédigé dans un style effrayant.
IJe :trilmnal devait se diviser en quatre sec-


23.




356 ItÉVOLlJTION FnAN~AJsÉ.
tions, composées d'un président, trois juges
et neuf jurés. Il était nommé douze j uges, et
cinquante jm'és qui devaient se succéder dans
l'exercice de leurs fonctions, de maniere que
le\lribunal pul siéger tous les jours. La senle
peine était la mort. Le tribunal, disait la 10Í,
était institué pour punir les ennemis du peu-
pIe, suivant la définition la pI us vague el la
plus étendue des ennemis du peuple. Dans le
nombre étaient compris les fournisseurs infi-
deles, et les alarmistes qui déhitaient de man-
vaises nouvelles. La faculté de traduire les
citoyens au tribunal révolutionnaire, était at-
tribuée aux deux comités, a la conventiol1,
aux représentants en mission, et a l'acclIsaleur
public, Fouqllier - Tinville. S'il existait des
preuves, soit matérielles, soit morales, il ne
devait pas etre entendu de témoins. Enfin, un
article portait ces 1U0ts : La loi donne }J0ur
dijenseurs au.x patrioles calomniés des jurés
patriotes; elle n' en accorde point au.x conspi-
rateul's.


U He loi qui supp.·imait totltes les garanties,
qlli bornait l'instruction a un simple appel no-
minal, et qlli, en attribuant aux deux comités
la faculté de traduire les citoyens au- tribunal
révolutionnaire, Ieur donnait ainsi droítde vie
et de mort; une pareille loí dut canst'r un vé-




CONVENTIUN NATlONALE (1794). 357
ritahle effroi, snrtout chez les membres de la
convention, déja inquiets pour eux-memes. n
n'était pas dit dans le projet si les comités au-
raient la faculté de traduire les représentants
au tribunal, saos demander un décret préalable
d'accusation; des lors les comités pouvaient
envoyer leurs collegues a la mort, sans autre
peine que eeHe de les désigner a I:ouquier-
Tinville. Aussi les restes de la prétendue fae-
tiol) des indulgents se souleverent, et, pour la
premiere fois depllis long-temps, OH vit une
opposition se manifester dans le seil) de l'as-
semblée. Rllamps demanda l'impression et l'a-
jOllrnement du projet, disant que si eette loi
était adoptée sans ajournement, iI ne restait
qu'a se br41er la eervelle. Lecointre de Ver-
saine~ appuJa l'ajournement. Robespierre se
présenta, allssito,t pour eomba,ltre eette résis-
tance inattendue. «Il y a,. dit-il, deux opinions.
(( aussi anciennes que notre révolution ; l'une,
(( qui tend a punir el'une maniere prompte et
« inévitable les eonspirateurs; l'autre, qui ten(l
« el absoudre les coupables; eette derniere n'a
el cessé de se reproduire dan s toutes les occa-
« sions. Elle se manifeste de nOllveau aujour-
(1 d'hui, et je viens la repousser. Depuis deux
(( mois le tribunal se plaint des entraves qui
,( embarrassent sa marche; il se plaint de lUan-




358 nJivoLuTIOll Fl\.AN~AISE.
« quer de jurés; iI faut done une loi. A u milieu
l( des vietoires de la républíque, les eonspira-
(( teurs sont plus actifs et plus ardeuts que
«( jamais; il faut les frapper. CeHe opposition
« inattendue qui se manifeste n)est pas natu-
« relle. On vent diviser la convention, on veut
({ l'éponvanter.-Non, non, s'écrient plnsieurs
{( voix, on ne nous divisera pas. - C'est nous,
( ajonte Robespierre, qui avons toujours dé-
« fendu la convention, ce n'est pas nons qu'elle
ce a a craindre. Du reste, nOllS ensommes ar-
« rivés au point ou 1'0n ponrra nous tu el', mais
I( ~u l'on ne nous empechera pas de sallver la
Cl patrie.»


Robespierre ne manquait plus une seule {oís
de parler de poignards et d'assassins, comme
~'il avaittoujours:été menacé .. Bourdon de l'Oise
luí répond, et dit· que si le. tribunal· a besoin
de jurés, on n'a qu'fi adopter sur-Ie-champ la
liste proposée, cal' personne ne vent arreter la
marche de la justice, mais qu'il faut ajourner le
reste dll projet. Robespierre remonte a la tri-
bUlle, et répond que la loi n'est ni plus com-
pIiquée ni plus obscuFe qu'llne fouIe d'autres
qui ont été adoptées sans discussion, el que,
dalls un moment OH .les défenseurs de la li-
berté soht inenacés <lu poignard, onne devrait
pas chercher 'fi ralentir la répression des cons-




CONV};NTlON NATIO.NALE (J 7~l[~). 359
pirateurs. Enfin il propose de discuter toute la
loi, article par article, et de siéger jusqn'au
milieu de la nuit, s'il le faut, pOllr la décréter
le jonr meme. I.Ja domination de Robespierre
l'emporte encore; la loi est Jue, et arloptée en
quelques instants.


Cependant Bourdon , Tallien, tous les mem-
bres qui avaient des craintes personnelles,
étaient effrayés d'une loi pareille. Les comités
pouvant traduire tons les,citoyensan tribunal
révohitionmi.ire, et les membres de .la repré-
sentation nationale n'en étant pas exceptés,
ils tremblaient d'etre enlevés tons en unennit,
et livrés a Fouquier sans queja :convention
meme fUt prévenue. Le lendemain 23 prairial,
Bourclon demanda la parole. « En donnant,
ccdit-il, aux comités de satut public et de siweté
« générale le droitde traduire les citóyens au
l( tribunal révolutioIluaire, la convention ll'a
« pas entendu sans doute que lepouvoir des
ce comités s'étendrait sur tous' ses niembres,
« sans un déeret préalablé¡ ··~'Non, non, s'é-
e( críe-t-on de toutes parts. - Je' m'attendais,
( re'prend Bourdoll, a ces' mu:r:mures; jls me
« prouvent que la liberté es~' impérissable.»))-r--
Cette réflexion causa une sensation profonde.
Bourdon proposa de déclarer que les membres
de la conventioh ne ·pourraíent étre ·livrés .all




360 RÉVOLlTTION FR,\N~AISE.
tribunal révolutioIluaire sans un décret d'accu-
satian. Les comités étaient absents; la proposi-
tian de Bourdon fut accueillie. Merlin demanda
la question préalable; on murmura contre lui;
mais il s'expliqua et demanda la question préa-
JabJe avec un consídérant, c'est que la conven-
tion n'avait pu se dessaisir du drai! de décréter
seu le ses propres membres. Le considérant fut
adopté a la satisfaction générale.


Une scene qui se pass a dans la soirée dOllna
encare plus d'éclat a cette opposition si nou-
velle. TaUien et Bourdon se promenaient dans
les Tuileries; des espions du comité de salut
public les suivaient de tres-preso TalIjen fati-
gué se retourne, les provoque, les appelJe de
vils espions du comité, el leur dit d'aller rap-
porter a leurs maitl'es ce qu'ils out vu et en-
tendu. Cette scene causa une grande sensation.
COllthon et Robespierre étaient indignés. Le
lendemain íls se présentent a la convention,
décidés a se plaindre vivement de la résislance
qu'ils essuyaient. Delacroix et Mallarmé leur
en fournissent l'occasion. Delacroix demande
qu'on caractérise d'une maniere plus précise
ceux que la loi a qualifiés de déprapateurs des
mceurs. Mallarmé demande ce qu'elle a voulu
dire par ces mots: la loi ne donne pour dé-
fénseur aux patriotes calomniés que la cons-




CONVF:NTION NATtONALE (1794). 361
cien ce des jurés patr¡otes. Couthon monte alors
a la tribune, se plaint des amendements pro-
posés aujol1rd'hui. « On a calomnié, flit-il, te
(e comité de salut public, en paraissant suppo-
« ser qu'il voulait avoir la faculté d'envoyer les
« membres de la convention a l'échafaud. Que
(1 les tyrans calomnient le comité, c'est natu-
« rel; mais que la convention elle-meme semble
(e écouter la calomnie, une pareille injustice
« est insupportable, et ii ne peut s'empecher
« de s'en plaindre. On s~est applaudi hier d'une
« heureuse clameur qui prouvait que la liberté
« était impérissable, comme si la liberté avait
« été menacée. On a choisi, pour porter ceUe
« attaque, le moment ou lesmembres du comité
« élaient absents. Une lelle. conduite est dé.:..
I( Ioyale, et je propose tIe rapporter les amen~
« dements adoptés hier, et ceux qu'on vient
« de proposer aujourd'hui.» - Bourdon ré~
pond que demander des explications sur une
loí n'est pas U~l crime; que s'il s'est applaudi
d'une clameur, c' est. qu'H a, été satisfait de se
trouver c!'accord avec la cOllvention; que si de
part el d'autre on montrait la meme aigreur,
iI serait impossible de discuter. « On m'accuse,
« dit-il, de parler comme Pitt et Cobourg; si
« je répandais ,de meme, on en serions-nous?
ce J'estíme Couthan, j'estime les có,mités, j'es~




362 n¡';YUL[l'l'IUN .FIL\Nc,:AISE.
le time la Montagne qui a sauvé la liberté. » -
On applaudit ces explications de Bourdoll;
mais ces explications étaient des excuses, el
l'alltorité des dictateurs était trop forte encore
pour etre bravée sans égards. Robespierre
prend la parole, et fait mi discours diffus, plein
d'orgueil et d'amertume. ce Montagnards , dit-il,


(e vous serez toujours le boulevart de la liberté
" publique, mais vous n'avez rien de commun
Icavec les intrigants et les pervers quels qu'íls
« soient. S'ils s'efforcent de se r:.'lnger parmi
C( vous, ils n'en sont pas moins étrangers a
I( VQS príncipes. Ne souffrez pas que quelques
( intrigants, plus méprisables que les autres,
« parce qu'ils sont plus hypocrites, s'efforcent
c( d'entrainer une partie d'entrevous, et de se
(e faire les chefs d~un parti ... » - Bourdon de
l'Oise interrompt Robespierre en disant qu'il
lI'a jamais voulu se faire le chef d'un partí. -
Robespierre ne répond pas, et reprend : c( Ce
e( serait,dit-il, le comble de l'opprobre, sí des
c( calomniateurs, égarant nos col/egues ..... »
- Bourdon l'interrompt de nouveau. c( Je
« demande, s'écríe - t - iI, qu'on prouvece
« qu'on avance; .on vient de dire assez. daire-
(e ment que j'étais un scélérat..- Je Il'ai ras
« Hommé Bourdon, répond Robespierre ; mal-
//. heur a qui se Homme lui-meme! Ülli, la




CONVENTWN NATIONALE (1794). 363
« Montagne est }Jure, elle est sublime; les in-
({ trigants ne 'Sont pas de la Montagne. » Hobes-
pi erre s'étend ensuite longuement sur les ef: ..
forts qu'on faít pOlIr effrayer les memLres de
la convention, et pOllr leur persuader qu'ils
sont en danger; ji dit qu'il n'y a que des cou-
pables qui soient ajnsi effrayés, et qui vellillent
cffrayer les autres. n raconte alors ce qui s'est
passé la veille entre Tallien el les espions,
qu'il appelle des courriers du comité. Ce récit
amene des explications tres-vives de la part de
Tallien, et vaut a ce deruier beaucoup d'ill-
jures. Enfin on termine t~utes ces discussions
par l'adoption des demandes faites par Couthon
et Robespierrc. Les amendements de la veille
sont rapportés, ceux du jour sont repoussés,
et l'affreuse loi dun reste telle qu'elle avait
été proposée.


Les meneurs dl~ comité triomphaient done,
encore une fois; leurs a(h!ersaires tremblaiellt~
Tallien, Rourdon, Ruamps, Delacroix, Mal...,
Jarmé, tous ceux qui avaient fait des objections
a la loi, se croyaient perdus, et craignaicnta
chaque instant d'etre afl'etés. Bien que le dé-
cret préalable de la convention fUt nécessaire
pour la mise enaccusation, elle était encore
tellement intimidée qu'elle pouvait accorder
toul ce qu'on lui demandcrait. Elle avaít rendn




364 RÉVOI.l),);iON ~'RAN<';:AISI~.
le décret contre Danton; elle pouvait bien le
rendre encore contre ceux de ses amis qui luí
survivaient. Le bruit se répandit que la liste
était faite; on portait le nombre des victimes
a douze, puis a dix - huit. On les nommait.
Bientot l'effroi se répandit, et plus de soixante
membres de la convention ne couchaient plus
chez eux.


Cependant un obstacle s'Opposait a ce qu'oll
aispos:h de leur vie aussi aisément qu'ils le
craignaient. Les chefs du gouvernement étaient
divisés. On a déja vu que Billaud- Varennes,
Collot, Barrere, avaient froidement répondu
aux premieres plaintes de Robespierre contl'e
ses collegues. Les. membres du comité de su-
reté générale lui étaient pIHs opposés que ja-
mais, car iIs venaient d'elre éloignés de toute
coopération a la loi du 22, et il parait meme
que quelques-uns d'entre eux étaient menacés.
Robespierre et Couthon poussaient l'exigence
fort 10iH; iIs auraient voulu sacrifier un grand
nombre de députés; ¡Is parlaient de Tallien,
Bourdon de l'Oise, Thuriot, Rovere, tecointre,
Panis, Monestier, Legendre., Fréron, Barras;
ils demandaient meme Cambon, dont.la re-
nommée financiere les genait, et qui avait
paru opposé a leurs cruautés; enfin ils auraien t
v'oulu porter leurs coups jusq~lc sur plusiems




CONVENTION NA.TIONALE ([794). 365
membres de la Montaglle les plus prononcés,
tels que Duval, Audouin, Léonard Bourdon *.
Les membr'es ducomité de satut public, Bil-
laud, Collot, Barrere, et tous ceux du comité
(le sureté générale) refusaient d'y consentir. Le
danger, en s'étendant sur un aussi grand nomo
bre de tetes, pouvait flnir bientot par les me-
nacer ellX-memes.


lis étaient dans ces dispositions hostiles, et
peu portés a s'entendre sur un nouveau sacri-
fiee, lorsqu'une derníere circonstanee amena
une rllptllre définitive. Le comité de. sureté
generale avait fait la déeouverte des assem-
blées qlli se tenaieIlt chez Catherine Théot. Il
avaitappris que cette secte extravagante fai-
sait de Robespierre un prophete, et que celuÍ-
ei avait (~onné un certificat de civisme a dom
Gerle. Aussitot Vadier, Vouland, J agot, A mar,
resolurent de se ven gel' • en présentant ectte
secte comme une reuníon de conspirateurs
dangereux, en la dénon~ant a la convention,
et en faisant parta gel' ainsi a Robespierre le
ridicnle et l'odienx qui s'attaeherait a elle. On
envoya un agent , Sénart, qui, sous prétexte
de se faire initier, s'introduisit dans ¡'une des
relluions. Au milieu de la cérémonie, il s'ap-


• Voyez b liste fonrnie par Vlllate dans ses lll(.nJoir{'!>.




:16G TI É\'OLlJTIOi\' FR A N~;A ISF:.
procha d'une fenetre, donna le signal a la fOl'ce
armée, et ,fit saisir la secte presque entiere.
Dom Gerle, Catherine Théot, furent arretés.
Un trouva le certificat de civisme donné par
Robespierre a dom Gerlc; 011 découvrit meme
dan s le lit de la mere de Dieu une leUre qu'elle
écrivait a son fils chéri, au premier prophete,
a Robespierre enfin. Quand Robespierre ap-
prit qu'on allait poursuivre la secte, ii voulut
s'y opposer, et provoqua une discussion sur
ce sujet dans le comité de salut public. On a
déjil vu que Billaud et Collot n'étaient pas déja
tres-portés ponr le déisme, et qu'ils voyaient
avec ombrage l'usage politique que Robes-
pierre voulait faire de cette croyance. lIs opi-
naient pour les poursuites. Robespierre insis-
tant pour les empecher, la discussion devint
extremement vive; il essuya les expressions
les plus injurieuses, ne réussit pas, et se retira
en pleurant de rage. La querelle avait été si
forte, que pour éviter d'etre entendus-de ceux
quí traversaient les galeries, les membres du
comité résolureut de transporter le lieu de
leurs séanees a l'étage supérieur. Le rapport
contre la secte de Catherine Théot fut fait a la
convention. Barrere , pour se venger de Robes-
pierre a sa maniere, avait rédigé seeretement
le rapport (pie Vouland devait prononeer. La




( (,\ 36'" CONVENTION Nn'IONALJ-~ 179'4.1. ¡
secle y était représentée comme aussi ridiculf'
qll'atroce. La convention, tantot révoltée, tan-
tot égayée par le tableau tracé par Barrerf',
décréta <Páccusation les principaux chefs de la
secte, et les envoya au tribunal révolutionnaire.


Robespierre, indigné et de la résistance qu'il
rencontrait, et des propos injurieux qll'il avait
essuyés, reuon<;:a a paraitre au comité, et ré-
solllt de ne plus prendre part a ses délibéra-
tlons. II se retira dans les derniers jours de
prairial (milieu de jllin ). Cette retraite prouve
de quelle natllre était son ambition. Unambi-
tieux n'a jamais c1'humeur; iI s'irrite par les
obstacles, s'empare du pouvoír, et en écrase
ceux qui 1'0l1t outragé. Un rhéleur faíble et
vaniteux se dépite, et cede quand il ne trouve
plus ni flatteries ni respects. Danton s'était re-
tiré par paresse et dégoút; Robespierre par
vanité blessée. Cette retraite luí fut aussi fn-
neste qll'a Danton. Couthon restait seul contre
Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Barrere,
et ces derniers allaient s'emparer de toutes les
aft:1ires.


Ces divisions n'étaient pas encore ébruitées;
on savait seulement que les comités de salut
public et de súreté générale n'étaient pas d'ac-
curel ; OH était enchanté de eette mésintelli-
gence, OH espérait qu'elle empecherait de nOll-


t




3G8 III(VOLUTlON FR AN~,\.ISE.
velIes proscriptions. 'Ceux qui élaient menacés
se rapprochaient du comité de sureté générale,
le f1attaient, l'imploraient, etavaient meme
re<;u de quelques membres les promesses les
plus rassurantes. Élie Lacoste, Moyse Bayle "
Lavicomterie, Dubarran, les meilleurs des
membres du comité de sureté générale, avaient
promis de refuser leul' sígnature a toute non·
velle liste de proscription.


Au milieu de ces luUes, les jacobins etaient
toujours dévoués a Robespierre; iIs n'établis-
saient pas encore de dístinction entre les di-
vers membres du comité, entre Couthon,
Robespierre, Saint-J ust d'nn coté, et Billaud-
Varennes, Collot, Barrere de l'autre. lIs ne
voyaient que le gouvernement révolutionnaire
d'une part, et de l'autre quelques restes de la
faction des indulgents, quelques amis de Dan-
ton, qlli, a propos de la loi du 2'.1 prairial,
venaient de s'élever contre ce gouvernement
salutaire. Robespierre, qui avait défendll ce
gouvernement en défendant la Joí, était tou-
jours pour eux le premier et le plus grand cl-:-
toyen de la république; tous les autres n'é-
taient que des intrigants qu'il faHaít achever de
détruire. Aussí ne manquerent-ils pas d' exclure
Tallitm de leur comité de correspondance,
parce qn'il n'avai t pas rt'pond 11 a lIX accllsations




CONVENTION N ATlO1\' ALE ([ 794). 369
~lirigées 'contre luí dans la séance du 24. Des
ce jonr, Collot et Billaud- Varennes, sentant
l'influencc de Robespíel're, s'abstinrent de pa-
raitre aux Jacobins. Qu'auraient-ils pn dire?
Ils n'auraient pu exposer leurs griefs tont per-
sonnels, et faire le public juge entre leur 01'-
gneil et celui de Robespierre. Il ne leur restait
qu'a se taire et a attendre. Robespierre et Con-
thon avaient donc le champ libre. Le bruit
d'nne nonveUe proscription ayant produit un
effet dangereux, Couthon se hata de démentir
devant la société les projets qu'on leur sup-
posait contre vingt-quatre et meme soixante
membres de la convention. ({ Les ombres de
« Danton, d'Hébert, de Chaumette, se pro-
({ menent, dít-il, encore parmi nous; elles cher-
« chent a perpétuer le trouble el la division.
« Ce qui s'est passé dan s la séance du 24 en
({ est un exemple frappant; on veut diviser le
« gouvernement, discréditer ses membres, en
« les peignant comme des SyUa et des Néron;
« on délibere cn secret , on se réunit, on forme
« de prétendues listes de proscription, on ef-
« fraie les citoyens pour en faire des ennemis
« de l'autorité publique. On répandait, iI Y a
« peu de jours, le bruit que les comités devaient
« faire arreter dix-huit membres de la con ven-
« lion; déja meme on les nommait. Défiez-


VI.




370 JlÉVOLUTlON FIlANc.;;AJSJi.
« vous de ces insinuations pedides; ceux quí
« répandaient ces bruits sont des complices
f( d'Hébert et de Danton; iLs craignent la pu-
({ nition de leur conduite criminelle; ¡ls cher-
« chellt a s'accoler des gens purs, dans l'espoir
« que, cachés derriere eux, ils pourront aisé-
I( ment échapper a l'ceil de la justice. Mais ras-
I( surez-vous, le nombre des cOllpables est bell-
« reusement tres-petit; illl'est que de quatre,
« de six peut-etre; et ils seront frappés, cal'
« le temps est venu de délivrer la république
K des derniers ennemis qui conspirent cOlltre
« elle. Reposez-vous de son salut sur l'énergip
t{ et la justice des comités. »


Il était adroit de réduire a un petit nombre
les proscrits que Robespierre vOlllait frapper.
Les jacobins applaudirent, suivant l'usage, le
discours de Couthon; mais ce disconrs ne ras-
sura aucune des victimes menacées, et ceux
qlli se croyaient en péril ll'en continuerent
pas moins de coucher hors de beurs maisons.
Jamais la terreur n'avait été plus grande, non
seulement dan s la convelltion, mais dans les
prisons, et par toute la France.


Les cruels agents de Robespierre, l'accusa-
tenr Fouquier-TinvilLe, le président Dumas,
s'étaient emparés de la loi du 22 prairial, et
altaient s'en servir pour ravager les prisons.




CONV1iN'l'fON N ATJON ALE (1794). 371
Bientot, disait Fouquier, on mettra sur leurs
portes cet écriteau : Maison a lOller. Le projet
était de se délivrer de la plus grande partie
des suspects. On s'était accoutumé a les con-
sidérer comme des ennemis irréconciliables,
qu'il fallait détruire pour le salut de la républi-
que. Immoler des milliers d'indívidus n'ayant
d'aufre tort que de penser d'une certaine ma-
niere, et souvent meme ne pensant pas autre-
ment que leurs persécuteurs, semblait une
chose toute naturelIe, par 1'habitude qll'on
avait prise de se détruire les uns les autres.
La facilité a faire mourir et a mourir soi-meme
était devenue extraordinaire. Sur les champs
de bataille, sur l'échafaud, des milliers d'hom-
mes périssaien t chaque jour, et on n' en était
plus étonné. Les premiers meurtres commis
en 93 provenaient d'une irritation réelle et
motivée par le danger. Aujourd'hui les périls
avaient cessé, la république était victorieuse,
on n'égorgeait plus par indignation, mais par
l'habitude Enneste qu'on en avait contractée.
Cette machirre formidable qu'on fut obligé de
construire pour résister a des ennemis de
toute es pece commen<;ait a n'etre plus néces-
saire; m<lis une foís mise en action, on ne sa-
vait plus l'arreter. Tont gouvernement doit
aVOlr son exces, et ne périt que lorsqu'il a at-


'lIJ·




372 RÉVOLUTION FRt\N<;:Arsl~.
teint cet exceso Le gouvernement révollltion-
naire ne devait pas finir le jour meme ou les
ennemis de la république seraient assez terri-
fiés; il devait aller au-dela, iI devait s'exercel'
jusqu'a ce qu'il eut révolté tous les cceurs par
son atrocité meme. Les choses humaines ne
vont pas antrement. Pourquoi d'affreuses cir-
constances avaient-elles obligé de créer UlI
gonvernement de mort, qui ne régnerait et
ne vaincrait que par la mort?


Ce qui est plus effrayant encore , c'est que
lorsque le signal est donné, lorsque l'idée est
établie qu'il fant sacrifier des vies, et qu'en les
sacrifiant Otl sauvera l'état, tout se dispose
pour ce bu t affreux avec II ne singuliere faci-
lité. ChacllIl agit san s I'emords, sans répu-
gnance; on s'habitue a cela comme le jnge a
envoyer descoupables au supplice, le méde-
cin a voir des etres souffrants sous son ins-
trument, le général a ordonner le sacrifice de
vingt milte soldats. On se fait UJI affreux lan-
gage sllivant ses nouvelles ceuvres; on sait
mt~me le rendre gai, on trouve des mots pi-
quants ponr exprimer des idées sanguinaires.
Chacun marche, entrainé, étourdi avec l'en-
s,~mble; et on voit des hommes qui la veille
S'occl1paient doucement des arts et dn com-
lIlerce, s'occupel> avec la meme facilité de
mort el de destruction.




CONVENTHll\ NATJONAU~ ('794). 373
Le comité avait donné le signal par la loi


du 22; Dumas et Fouquier l'avaient trop bien
compris.ll fallait cependant des prétextes pour
immoler tant de malheureux. Quel crime pou~
vait-on leur supposer, lorsqlle la plupart el'en-
tre eux étaient des citoyens paisibles , incon-
nus, qui ll'avaient jamais donné a l'état aUClln
signe de vie? On imagina que plOllgés dans
les prisons ils devaient songer a en sortir, que
leur nombre devait leur inspirer le sentiment
de leurs forces, et leur donuer l'idée de s'en
servir pour se sauver. La prétendue cOllspira-
tion de Dillon fut le germe de eette idée, qu'on
développa d'une maniere atroce. On se servit
de quelques misérables qui étaient détenlls,
et qui consentirent a jouer le role infame de
délateurs. lIs désignerent au Luxembourg
cent soixante pl'isollniers qui, disaient - ils,
avaiellt pris part au complot de Dillon. On se
procura quelques-uns de ces faiscllrs de listes
dans toutes les autres maisons d'arret, et ils
dénoncerent dans chaeune cent ou dellx eents
individus comme complices de la conspiration
des prisons. Une telltalive d'év.asion faite a la
Force ne servit qu'a alltoriser ceHe fable in-
digne, et sur-le-cLamp ",011 commen<.;a a en-
voyer des centaines de malheureux au tribunal
révolutíonnaire. On les achemillait des divel'se~




374 RÉVOLIlTION FRAN<,;AISE.
prisons a la Coneiergerie, pour al1er de la an
tribunal et a l'éehafaud. Dans la nuit du 18 au
19 messidor (6 juin ), 'on traduisit les eent
soixante désignés au Luxembourg. lIs trem-
blaient en entenclant eet arpe]; ils ne savaient
ce qu'on leur imputait, et ce qu'ils voyaient
de plus probable, e' était la mort qu' OH leur
réservait. L'affreux Fouquier, depuis qu'il était
nanti de la loi du 22, avait opéré de grands
changements dans la salle du tribunal. Au líeu
des siéges des avoeats, et du bane des aecusés
qui ne eontenaient que r 8 ou 20 pIaces, il avait
fait construire un amphithéatre qui pouvait
con ten ir cent ou eent cinquallte accusés a la
fois. Il appelait cela ses petüs gradins. Pous-
sant son ardeur jusqu'a une espece d'extrava-
gance, iI avait fait éIever l'échafaud dans la
salle me me du tribunal, et il se proposait de
faire juger en une meme séanee les eent
soixante aeeusés du Luxembourg.


Le comité de salut public, en apprenant
l'espece de délire de son accusateur pub1ic,
l'envoya ehercher, lui ordonna de faire enlever
l' échafaud de la salle üu il était dressé, et lui dé-
fendít de tradllire plus de soixante individus a
la fois. Tu veux done, lui dit Collot-d'Herbois
dans un transport de coIere, dhno1'Olúcr le
suppliee? 11 faut cependant remarquer que Fou-




CONVENTJON NATIONALE (17!/1)' :)75
<luier a prétendu le conlraire, et soutenu que
c'était lui qui avait demandé le jugement des
cent soixante en trois foís. Cependant tout
pronve que e'est le comité qui fut moins ex-
travagant que son ministre, et qui réprima
SOlJ délire. Il falIut renouveler une secondc foís
a Fouquier-Tinville J'ordre d'enlever la guillo-
tine de la salle du tribunal.


Les eent soixantc furent partagés en trois
troupes, jugés et exécutés en trois jours. La
procédure était devenue aussi expéditive el
aussi affreuse que ceBe qui s'employait dans
le guichet de I'Abbaye dans les nuits des '2 el
3 septembre. J,es charrettes, commandées pOUl'
tous les jours, attendaient ues le matin dans la
COUl' du Palaís-de-Justice, et les accusés pou-
vaient les voir en montant au tribunal. Le pré-
sident Dumas, siégeant comme un furieux,
avait deux pistolets sur la tableo Il demandait
aux accusés leur nom seulement, et y ajoutait
a peine une question fort générale. Dans l'in-
terrogatoire des cent soixante, le président dit
a run d'eux, DOl'ival : Connaissez-vous la cons-
piration? - Non. - Je m'attendais que vous
feriez eette répouse, mais elle ue réussira pas.
A un autre. - n s'adresse au nOffimé Cham-
pigny: N'etes-vous pas ex-noble? - OUl. --'
A .un autre. A Guedreville : Etes-vous pretre?




376 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
- OUÍ, mais j'ai preté le serment. -- Vous
n'avez plus la parole. A un autre. A u nommé
Ménil ; N'étiez-vous pas domestique de l'ex-
constituant Menou? - OuÍ.-A un autre. AH
nommé "\"ely ; N'étiez-volls pas architecte de
Madame?-Oui, maisj'ai été disgracié en 17!;S.
- A un autre. A Gondrecourt : N'avez - vous
pas votre beau-pere au Luxembourg? -- Ouí.
- A un autre. A Durfort: N'étiez-vous pas
garde du corps? - Oui, mais j'ai été licencié
en 1789. - A un autre.


e'est ainsi que s'instruisait le proces de ces
rnalheureux: La loi portait qu'on ne seraít dis-
pensé de faire entendre des témoins que lors-
qu'il y aurait des preuves matérÍelles ou mo-
rales; néanmoins on n'en faisait jamais appeler,
prétendant toujours qu'il existait des preuves
de cette espece. Les jurés ne se donnaíent pas
meme la peine de rentrer dans la salle du con-
seil. lIs opinaient a l'audience meme, et le ju-
gement était aussitót prononeé. Les accusés
avaient eu a peine le temps de se lever et fI'é-
noncer leurs noms. - Un jour, il y en eut un
dont le nom n'était pas sur la liste des accu-
sés, et qui dit au tribunal: Je ne suis pas ac-
cusé, mon nom n'est pas dans votre liste ... -
Eh qu'importe! lui dit Fouquiel'; donne-Ie vite.
- IIle donna, et fut envoyé a la mort commt'




CONVENTION NATIONA.LJ<: (1794)· 377
les alltres. La plus grande négligence régnait
tlans eette es pece d'administration barbare.
SOlivent on omettait, par l'effet de la grande
préeipitation, de signifier les actes d'accusatiolJ,
et on lesdonnait auxaccusés a l'audience meme.
On commettait les plus étranges erreurs. Un
digne vieiIJara, Loizerolles, entend prononcer
a coté de son llom les prénoms de son fils; jI
se garde de réclamer, et il est envoyé a la
mort. Quelque tempsapres, le fils est jugé a
son tour; et il se ·trouve qu'il aurait dú ne
plus exister, cal' un individll ayant tous ses
noms avait été exécuté : c'était son pere. II
n'en pérjt pas moills. Plus d'une fois on appela
des déteuus qui avaient déja été exécutés de-
puis long-temps. Il y avait des centaines d'ac-
tes d'accusation tout prets, auxquels on ne
faisait qu'ajouter la désígnation des individus.
On faisait de meme pour les jugements. Vim-
primerie était a coté de la- salle meme du tri-
bunal; les planches étaient toutes pretes, le ti-
lre, les motifs étaient tout composés; jI n'y
avait que les 1I0Il1S a y ajouter; OH les trans-
mettait par une petite lucarne au prote. SUl'-
le-champ des milliers d'exemplaires étaient ti-
rés, et allaient répandre la douleur dans les
familles et l'effroi dans les prisons. Les petil~
coJporteurs venaient vendre le blllletin dll tri"




378 n.ÉVOLVTlON l'RAN<;:AISE.
bunal sous les fenetres des prisonniers, el!
criant : Poiel ceux qui vnt gagné ti la loterie
de la sainte guillotine! Les accusés étaient exé-
cutés au sortir de l'audience, OH tout au plus
le lendel,Pain, si la j ournée était trop avancée.


Les tetes tombaient, depuis la loi du 22 prai-
ríal, par cinquante et soixante chaque jour.
(:a va bien, disait Fouquier, les tetes tombent
comme des ardoises, et il ajoutait : llfaut que
fa aille mie!!x encore la décade pl'ochaine; il
m'en faut quatre cen! cinquante au moitu *.
Pour cela, on faisait ce qu'ils appelaient des
commandes aux mOlltons qui se chargeaient
d'espiouner les suspects. Ces infames étaient
devenus la terreurdes prisons. Enfermés comme
suspects, on ne savait pas an j lIste quels étaient
ceux d'entre eux quí se chargeaiellt de dési-
gner les victimes; mais on s'en doutait a len!"
insolence, aux préférences qu'ils obtenaient des
ge6liers, aux orgies qu'ils faisaient dans les
guichets avec les agents de la police. Souvent
ils laissaient connaitre leur importance ponr
en trafiquer. lis étaient caressés ~ implorés par
les prisonniers trembJan ts; ils recevaient roeme
des sommes ponr ne pas mettre un llOro sur


* Voyt'z pour tons ces détails le long proces de FOll-
(JlIier-Tin ville.




CONVRNTION NATIONAI.E (1794)· 379
leur liste. Ils faisaient leurs choix au hasard;
ils disaÍent de celui-ci qu'il avait tenu un pro-
pos aristocrate; de celui-Ia, qu'il avait hu un
jour ou l'on annon<;ait une défaite des armées,
et leur seule désignation équivalait a un arret
de mort. On portait les noms fournis par eux
sur autant d'actes d'accusation, et 011 venait le
soir significr ces actes aux prisonniers, et les
traduire a la Conciergerie. Cela s'appelait dans
la langue des geóliers le joumal du soir. Quand
ces infortunés entendaient le roulement des
tornbereaux qui venaient.1es chercher, íls étaient
dans une anxiété aussi cruelle que la mort; ils
accouraient aux guichets, se collaient cOlltre
les grilles pour écouter la liste, et tremblaÍent
d'entendre leur nom dan s la bOlIche des huis ..
siers. Quand ils avaient été nommés, ils em-
brassaient leurs compagnons d'infortune, et
recevaient lesadieux de mort. SOlIvent 011 voyait
les séparations les plus douloureuses: c'était
un pere qui se détachait de ses enfants, un
époux de son épouse. Ceux qui survivaient
étaien~ussj malheureux que ceux que 1'on
conduisait a la caveme de Fouquier-Tinville;
ils rentraie,nt en attendant d'etre promptement
réunis a leurs proches. Qllaud ce funeste appel
était achevé, les prisons respiraient, maÍs jus-
qu'au lemlemain seulemcnt. Alors les angoisses




380 RÉVOLUTION FHAN~':AISE.
recommenc;;aient de nouveau, et le fuueste
roulement des charrettes ramenait la terreur.


Cependant la pitié publique commen<;ait a
éclater d'llne maniere inquiétante pour les ex-
terminateurs. Les marchandsde la rue Saint-
Honoré, ou passaient tous les jours les char-
rettes , fermaient leurs boutiques. Pour priver
les victimes de ces témoigoages de clollleur, OH
transpOl'ta l'échafaud a la barriere du Treme,
et 00 ne rencontra pas moins de pitié dalls ce
quartier desouvriers que dans les rues le mieux
habitées de Paris. Le peuple, dans un moment
d'enivrement, peut devenir impitoyable pom
des victimcs qll'il égorge lui-méme; mais voir
expirer chaque jour cinquante et soixante mal-
heurellx, con tre lesqllels íl n' est pas entrainé
par la fureur, est un spectacle qui finít bien-
tot par l'émouvoir. Cependant cette pitié était
silencieuse"et timide encore. Tout ce que les
prisons renfermaient de plus distingué avait
succombé; la malheureuse sreur de Louis XVI
avait été immolée a son tour; des raugs éle-
vés on descelldait c1éja aux derniers raogs de
la société. Nous voyons sur la liste du tribu-
nal révolutioonaire a cette époque, des tail-
leurs, des cordonniers, des perruquiers, des
bouchers, des cultivateurs, des limonadicl's,
des ollvriers meme, condamnés ponr senti-




CONVF.NTroN NATIONALE ([794). 3S[
ments el propos réputés contre - révolution-
naires. Ponr dooner eolin une idée du nombre
des exécutions de cette époque, iI suffira de
c!ire que du mois de mars 1793, époque ou le
tribunal entra en exercice, jusqll'au mois de
juin 1794 (22 prairial an 2), iI avait condamné
cinq ceot soixaute-dix-sept personnes; et que
du 10 juin (22 prairial) au 9 thermidor
(27 juillet), iI en condamna mille deux cent
quatre-viogt-cinq; ce qui porte en tont le nom-
bre des victimes jusqu'au 9 thermidor, a mille
huit cent soixante-deux.


Cependant les exécnteurs n'élaient pas tran-
quilles. Dumas était troublé, etFouquicrn'osait
sortir la nuit; il voyait les parents de ses vic-
times toujours pnhs a le frapper. Traversant
un jour les guichets du Louvre avec Sénart,
iI s'effraie d'un bruit léger; c'était un individu
qni passait tout pres de luí.-( Sí j'avaís été seuI,
s'écria-t-il, iI me serait arrivé quelque chose.ll


Dans les principales villes de France la ter-
reur n' était pas moíns grande qu'a Paris. Carrier
avait été envoyé a Nantes pour y punir la Ven-
dée. Carrier, jcunc encore, était un de ces etres
médiocres et vioIents quí, dans l'entrainement
des guerres civiles, deviennent des monstres
de cruauté et d'extravagallce. Il débnta par
dirf', f'n arrívant a Nantes, qu'il fallait tout




382 RIhrOLUTION }'I1,\Nc;?AISE.
égorger, et que, malgré la promesse de grace
faite aux: Vendéens qui mettraient has les ar-
mes, iI ne fallait accorder quartier a aucun
d'entre ellx. Les autorités constituées ayant
parlé de tenir la paroJe donnée aux rehelles,
- (( Vous etes des j ... f ..... , leur dit Carrier,
vous ne savez pas votre métier, je vous ferai
tons guillotiner; » - et il commenc;a par faire
fusiller et mitrailler par troupes de cent et
deux cents fes malheureux qui se renda¡ent. Il
se présentait a la so cié té popuJaire le sabre a
la main, l'injure a la houche, mena<,;ant tou-
jours de la guillotine. Bientot eette société ne
lui convenant plus, il la 6t dissoudre. Il inti-
mida les autorités a un tel point, qu'elIes n'o-
saient plus paraitre devant lui. Un jour elles vou-
laient lui parler des subsistances, ii répondit
aux officiers municipaux que ce n'était pas son
affaire, que le premier b ..... qui lui parlerait
de suhsistances, il lui ferait mettre la tt~te a
has, et qu'il n'avait pas le temps de s'oceuper
de leurs sottises. - Cet insensé ne croyait avolr
d'autre mission que ceHe d'égorger.


Il voulait punir a la fois et les Vendéens re-
heBes, et les Nantais fédéralistes, qui avaient
essayé un mouvement en faveur des girondins,
apres le siége de leur ville. Chaque jour, les
malheureux qui avaient échappé au massacre


\




, (. 38',:'» CONVFNTION N ATION A LE (179'4),
da Mans et de Savenay arrivaient en fonJe,
chassés par les armées qui les pressaient de
tOIlS cotés. Carrier les faisait enfermer dans les
prisons de Nantes, et en avait accumulé la
pres de dix mille. Il avait ensuite formé une
compagnie d'assassins, qui se répandaiellt dan s
les campagnes des environs, arretaient les fa-
milI es nantaises, et joignaient Jes rapines a la
cruauté. Carrier avait d'abord institué une
commission révolutiollnaire devant laquelle ii
faisait passer les Vendéens et les Nantais. Jl fai-
sait fusiller les Vendéens, et guillotiuer les
Nantais suspects de fédéralisme ou de roya-
lisme. Bientot il trouva la formalité trop lon-
gue, et le supplice de la fusillade sujet a des
inconvénients. Ce supplice était lent; il était
difficile d'enterrer les cadavres. Souvent ils
restaient sur-le-champ du carnage, et infec-
taient l'air a tel point, qu'une épidémie régnait
dan s la ville. La Loire. qui traverse Nantes,
suggéra une affreuse idée a Carrier: ce fut de
se débarrasser des prisonniers en les plongeant
dans le fleuve. Il fit un premier essai, chargea
une gabarre de quatre-vingt.dix pretres, sous
prétexte de les déporter, et la fit échouer a
quelque distancede la ville. Ce moyen trouvé,
il se décida a en user plus largement. Il n'em-
ploya plus la formalité dérisoire de faire passer




384 RÉVOLUTION FIIAN9AfSF..
les condamnés devant une commission : il le.;
faisait prendre la nuit dans les prisons, par
bandes de cent et deux eents, et conduire sur
des bateaux. De ces bateaux 011 les transpor-
tait sur de petits b:himents préparés pour eette
horrible fin. On jetait les malheureux a fond
de cale; on clouait les sabords, on fermait
)'entrée des ponts avec des planches; puis les
eX6cuteurs se retiraient dans des chaloupes,
et des charpentiers placés dans des batelets
ouvraient les flanes des batiments a coups de
hache, et les faisaient couler baso Qllatre ou
cinq mille individus périrent de cette maniere
affreuse. Carrier se réjouissait d'av¿ir trouvé
ce moyen plus expéditif et plus salubre de dé·
livrer la république de ses ennemis. Il noya
non-seulement des hommes, mais un grand
nombr·e de femmes et d' enfants. Lorsque les
familles vendéennes s'étaient dispersées apres
la déroute de Savcnay, une foule de Nantais
avaient reeueilli des enfants ponr les élever.
« Ce sont des louveteaux,)) dit Carrier; el il
ordonna qu'ils fussent restitués a la républiqllC.
Ces malheureux enfimts furent noyés ponr la
plnpart.


La Loire était chargée de eadavres; les vais-
seaux, en jetant l'ancre, soulevaien t quelquefois
des bateaux remplis de noyés. Les oiseal1x d('




( 4 38 t. CONVJ,NTION NATIONALE 179). ""
proie couvraiellt les rivages du fleuve, et se
nourrissaient de débris humains .... Les pois-
sons étaient repus d'une nourriture qui en ren-
dait l'usage dallgereux, et la mUllicipalité avait
défendu d' en pecher. A ces horreurs se joignaient
une maladie contagieuse et la disette. Au mi-
lieu de ce désastre, Carrier, toujours bouillant
de colere, défendait le moindre mouvement de
pitié, saisissait au collet, menac;;ait de son sabre
ceux qui ven;lient lni parler, et avait fait affi-
cher que quiconque viendrait solliciter pour
un détenu serait jeté en prison. Heureusement
le comité de sa]ut public venait de le rem-
placer, car il vonlait bien I'extermination , mais
sans extravagallce. On évalue a quatre ou cinq
mille les victimes de Carrier. La plu part étaient
des Vendécns.


Bordeaux, Marseille, Toulon, expiaient leur
fédéralisme. A 1'oulon, les représelltallts FrérOll
et Barras avaient fait mitrailler deux cents ha-
hitants, et avaient puni sur eux un crime 'dont
les véritables auteurs s'étaient sauvés sur les
escadres étrangeres. Maignet exer«;ait dans le
département de VaucIuse une dictature aussi
redoutable que les autres envoyés de la COll-


.. Déposition d'un capitaine de vaissean dan s le proces
de Carrier.


VI.




186 UÉVOLUT/ON j<'HAN~AISE.
vention. Il avaít faít incendier le bourg de Bé-
douin, pour caüse de révolte, et, a sa requete,
le comité de salut publíc avait institué a Orange
un tribunal révolutioonaire, doot le ressort
comprenait tout le Midí. Ce tribunal était 01'-
ganisé sur le modele n1t~me du tribunal révo-
lutionnaire de París, avec eette différence,
qll'il n'y avait poiot de jurés, et que cinq ju-
ges condamnaient, sur ce qu'ils appelaient des
preufJes morales, les malheureux que Maignet
recueillait dans ses tournées. A Lyon, les san-
glantes exécutions ordonnées par Collot-d'Her-
boís avaient cessé. La commission révolution-
naire venait de rendre compte de ses travaux, et
avait fourni le nombre des acquittés et des con-
damnés. Mili e six cen t quatre-vingt-quatre indivi-
dus avaientété guillotínés, Ensilles on mitraillés.
MiBe six cent qUátre-vingt-deux avaient été
mis en liberté, par.lajustice de la commission.


Le Nord avait aussi son proconsul. C'était
Joseph Lebon. II avait été pretre, et avouait
lui-meme que dans sa jeunesse iI aurait pOl1ssé
le fanatisme religieux jusqu'a tuer son pere et
sa mere, si OH le lui avait ordonné. C'était un
véritable aliéné, moins féroce peut- etre que
Carrier, mais encore plus frappé de folie. A ses
paroles, a sa condllite, on ·voyait que sa tete
~tait égarée. TI avait fixé sa principale d~si-




CONVENTION N A'l'ION A.LE (1794). 387
dence a Arras. Il avait institué un tribunal avec
l'autorisation du comité de salut public, et par-
courait les départements du Nord , suivi de ses
juges et d'llne guillotine. Il avait visité Saint-Pol,
Saint-Omer, Béthune, Bapaume, Aire, etc.,
et avait laissé partout des traces sanglantes.
Les Alltrichiens s'étant approchés de Cambray ,
et Saint-Just ayant era apercevoir que les aris-
tocrates de eette ville entretenaient des liaison s
cachées avec l'enllemi, iI Y appela Lebon, qui
en quelques jours envoya a l'échafaud une
multitude de malheureux, et prétendit avoir
sauvé Cambray par sa fermeté. Quand Lebon
avait fini ses tournées, c'est a Arras qll'il re-
venait. La, il se livrait aux plus dégoútantes
orgies, avec ses juges et divers membres des
clubs. Ije bourreau était admis a sa table, et y
était traité avec la plus grande cOllsidération.
Lebon assistait aux exécutions, placé sur un
balcon; de la iI parlait au peuple, et faisait jouer
le r¡a lÍ'a pendant que le sang coulait. Un jOllf,
ii venait de reeevoir la nonvelle d'llne vietoire,
iI courllt a son baleon, et fit snspendre l'exé-
cution, afin que les malheureux qlli allaient
recevoir la mort eussent connaissance des suc-
ces de la république.


Lebon avait mis tant de folie dans sa con-
dllite, qu'il était accusable, me me devant le


'25.




3H8 I\t:VOLUTION FRANQAISE.
comité de salut publico Des habitants d'Arras
s' étaient réfllgiés a Paris, et faisaient tous leurs
efforts pOllr parvenir aupres de leur conótoyen
Robespierre, et lui faire entendre lenrs plain-
tes. Quelques - uns l'avaient connu, et meme
obligé dans sa jeunesse; mais ils ne ponvaient
parvenir a le voir. Le député Guffroy, qui
était d' Arras, et qui avait un grand courage,
se donna beaucoup de mouvement aupres des
comités pour appeler leur attention sur la con-
duitede Lebon. Il eut me me la noble audace
de faire a la convention une dénonciation ex-
presse. Le comité de salut publicen prit COll-
naissance, et ne put s'empecher de mander
Lebon. Cependant, comme le comité ne vou-
lait pas désavouer ses agents, ni avoir l'aír de
convenir qu'on put etre trop sévere envers les
aristocrates , il renvoya Lebon a Arras, et em-
ploya en luí écrivant les expressions sllivantes::
« Continue de faire le biC1l, et fais-Ie avec la
« sagesse et avec la dignité qui ne laissent point
« prise aux calomnies de l'aristocratie. » Les
réclamations élevées contre Lehon par Guf-
froy, dans la cOllvention, exigeaient un rap-
port du comité. Barrere en fut cbargé. lcToutes
(C les réclamations contre les représentants,
({ dit-il, doivent etre jugées par le comité, pour
« évitf'r des débats qui trollbleraient le gon-




CONVU'ITlON NATIONALE (1794). 389
( veruement et la convention. Gestee que nous
« avons fait ici, a l'égard de Lebon; nous avons
(i recherché les motifs de sa conduite. Ces mo-
,( tifs sont-i1s purs? le résultat cst.il utile a la ré-
({ volution? profite-t-il a la liberté? les plaintes
« ne sont-elles que récri.minatoires, ou ne sont-
({ elles que les cris vindicatifs de l'aristocratie?
« c'est ce que le comité a vu dans cette affaire.
« Des formes un peu acerbes ont été employées;
({ mais ces formes out détruit les piéges de I'a-
« ristocl'atie. Le comité a pu san s doute les
(i improuver; mais Lebon a complétement
« battu les aristocrates et sauvé Cambray; d'aíl-
«( leurs que n'est-il pas permis a la haiue d'ull
« républicain contre l'aristocratie! de combien
« de sentiments gélléreux un patriote ne trouve-
.(( t-il pas a couvrir ce qu'il peut y avoir d'acri-
« moniellX dans la poursuite des ennemis du
« peuple? 11 ne faut parler de la révolution
« qu'avec respect, des mesuresrévolutionnaires
« qu'avec égard. La libérlé est une vier{Je dont
{( il est coupable de soulever le voile. >)


De tout cela, il résulta que Lebon fut auto..,
risé a continuer, et que Guffroy fut rangé paPJIü
les censeurs impol'tuns du gouvernement révo-
lutionnaire, et exposé a partager leurs périls_ Il
était évideut que le comité tout entier voulait]e
régime de ]a terreur. Robespierre, Couthon,




390 RÉVOLUTION FRANyAISE.
Hillaud, Collot - d'Herbois, Vadíer, Vouland,
Amar, pouvaÍeut etre divisés entre eux sur
leurs prérogatíves, sur le nombre et le choix
de leurs collegues 11 sacrifier; mais ils étaient
d'accord sur le systeme d'exlermiller tous ceux
qui faisaient obstacle a la révolution. lis ne
voulaient pas que ce systeme fUt appliqué avec
extravagance par les Lebon, les Carrier; mais
ils voulaient qu'a l'exemple de ce quí se faisait
a Paris, on se délivrat d'une maniere prompte,
sUre et la moins bruyante potisible, des enne-
mis qu'ils croyaient conjurés contre la répu-
blique. Tout en blamant certaines cruautés fol-
les, ils avaient l'amour-propre du pouvoir, qui
ne veut jamaís désavouer ses agents; ils con-
damnaient ce quí se faisait a Arras, a Nantes,
maisils l'approuvaient en apparence, pourne
pasreconnaitre un·tort á leur gouvernemellt.
Entrainés dans cette affreuse carriere, ils avan-
«;aient aveuglément, et ne sachant ou. íls al-
laient aboutir. Telle estJa triste condition de
l'homme engagé dan s le mal, qu'il ne peut plus
s'y arreter. Des qu'i! commence a concevoir
UIli doute sur la nature de ses actions, des qu'il
peut entr.evoirqu'il s' égare, au lieude rétro,
grader, iI se précipite en avant, comme pour
s' étollrdir, eomme pourécarter les lueurs qui
l'assiégent. Pour s'arreter, il falldrait qu'il se




CUNVENTiON NATION ALE (1794). 391
calmat, qu'il s'examinat, et qu'il POI-tat sur
lui-meme un jugement effrayant dont aucun
hum me n'a le courage.


Il n'y avait qu'un soulevement généraI qui
put arreter les auteurs de cet affreux systeme.
Dans ce soulevement devaient entrer, et les
membres des comités, jaJoux du ponvoir SH-
preme, eL les montagnards menacés, et la con·
vention indignée, et too!'> les creurs révoltés de
cette horrible effusion de sango Mais, pour ar-
river a cette aLlianee de lajalousie, dela erainte,
de l'indignation, il faUait que la jalousíe fit des
progres dans les comités, que la crainte devint
extreme a la Montagne, que l'índignation ren-
dit le eourage a la eonvention et an pub lic. Il
faUait qu'une oeeasion fh éclater tous ces sen-
timents a la foís; il filllait que les oppresseurs
portassent les premiers coups, pourqu'on osat
les leur remire.


L'opinion était disposée, eHe moment arri-
vait ou un mouvement au nom de l'humanité
eontre la violence révolutionnaire était possi-
bIe. La république étant victorieuse, et ses en-
nemis terrifiés, on al!ait passer de la craiute
et de la fureur a la eonfiance et a la pitié. C'é-
tai t la premiere fois, dans la. révolution, qU'Ull
te! événement devenait possible. Quand les gi-
rondills, qlland les dantonÍ5tes périrent, il n'é-




3~)'l míVOLUTION J.'RANQ,AISE.
tait pas temps encore d'invoquer I'humanité
Le gouvernement révolutionnaire n'avait en-
core perdu alors ni son utilité ni son crédit.


En attendant le moment, on s'observait, et
lesressentiments s'accumulaient dans les creurs.
Robespierre avait entierement cessé de paraitre
au comité de salut publico Il espérait discrédi.
ter le gouvernement de ses collegues, en n'y
prenant plus aucune part; íl ne se montrait
qu'aux Jacobins, ou Billaud et Collot n'osaient
plus paraitre, et ou il était tous les jours plus
adoré. Il commenc;ait a y faire des Ollvertures
sur les divisiollS intestines des comités. «Autre-
( fois, disait-il (13 messidor), la faction so urde
« qui s'est formée des restes de Danton et de
« Camille Desmoulins, attaquait les comités en
ce masse; aujollrd'h,ui, elle aime mieux attaquer
c( quelques membres en particulier, pour par-
« venir a briserle faisceau. Autrefois, elle n' 0-
c( sait pas attaquer la justice nationale; aujour-
« d'hni, elle se croit assez forte pourcalomnier
« le tribunal révolutiollllaire, et le décret con-
« cernant son organisation; elle attribue ce qui
( appartient a tout le gouvernement a un seul
e( individu; elle ose dire que le tribunal révo-
« lutionnaire a été institué pour égorger la
« convention nationale, et malheureusement
« elle n'a obtenu que trop de confiance. On a




CONVENTION N ATlON A U: (1 79'1)' 393
« cru a ses calomnies, on les a répandues avec
«( affectation; on a parlé de dictateur, Oll 1'a
( nommé; c'est moi qu'on a désigné, et vous
r( frémiriez sije vous disais en que/lieu. La vé-
(( rité est ruon seul asile contre le crime. Ces ca-
(( lomnies ne me décourageront pas sans doute,
(( mais elles me laissent indécis sur la conduite
(( que j'ai a tenir. En attendant que j'en puisse
Ir dire davantage, j'invoque pow' le salllt de
« la république les vertus de la convention,
tf les verttls des comités, les vertus des bons ci-
« toyens, et les votres enfin, qui ont été si sou-
« vent utiles a la patrie. »


On voit parqueIles insinuations perfides Ro-
bespierre commew;;ait a dénol1cer les comités,
et a rattacher exclusivement a lui les jacobins.
On le payait de ces marques de confiance par
une adulation sans bornes. Le systeme révolu-
tionnaire lui étant imputé a lui seul, il était
naturel que toutes les autorités révolutionnai-
res lui fussent attachées, et embrassassent sa
cause avec chaleur. Aux jacobius devaient se
joindre la commune, toujours unie de principes
et de conduite avec les jacobins, et tous les
juges et jurés du tribunal révolutionnaire, Cette
réunion formait· tine force assez considérable,
et, avec plus de résolution et d'énergie, Ro-
bcspierre aurait pu devenir tres - redoutable.




3~)f1 miVOLUTION FRAN(¡:,\lSE.
Par les jacobins, iI possédait une masse turbu-
len te, qni jusqu'ici avait représenté et dominé
l'opinion; 'par la commune,' il dominait I'au-
torité locale, qui avait pris l'initiative de toutes
les insurrections, et surtout la force armée de
Paris. Le maire Pache, et le commandant Hen-
riot, sauvés par lui lor'squ'on allait les adjoin-
<ire a Chaumette, lui étaient dévoués eutiere-
mento Billaud et Collot avaient profité, iI est
vrai, de son absence du comité pour enfermer
Pache; mais le nouveau maire Fleuriot, l'agent
national Payan, lui étaient tont aussi attachés;
et on n'osa pas luí enlever Henriot. Ajoutez a
ces personnages le président dn tribunal Du-
mas, le vice - président Coffinhal, et tous les
autres juges et jurés, et on aura une idé~ .d~s
moyellsque Robesp~erre avait dansParis. Si
les comités .et la convention ne lui obéissaiellt
pas, il n'avait qu'a se plaindre anxJacobins, y
exciter un mouvement, communiquer ce mou-
vement 11 la commune, faire déclare~ par Tau-
torité municipale que le peuple rentrait dan s
ses pouvoirs souverains, mettre les sections sur
pied, et ellvoyer Henriot demallder a la ton-
velltion cinquante ou soixante députés. Dumas
et Coffinhal, et tont le tribunal, étaient en-
suite a ses ordres, pour égorger les députés
qu'Henriot aurait obtellus a main armée. Tous




CONVENTION N ATlONALll (1794). 395
les mayens enfin d'un 31 mai, plus prompt,
plus sur que le premier, étaient dans ses mains.
Aussi ses partisans, ses sicaires l' entouraient
et le pressaient d'en donner le signal. Henriot
offrait encore le déploiement de ses colonnes,
et promettait d'etre plus énergique qu'au 2 juin~
Robespierre, qui aimait mieux tout faire par
la parole, et qui croyait encore pouvoir beau.-
coup par elle, voulait attendre. 11 espérait dé-
populariser les comités par sa retrai-te et par
ses discours aux Jacobins, et il se proposait
ensuite de saisir un moment favorable pour
Les attaquer ouvertement a la convention. n
continuait, malgré son espece d'abdication, de
diriger le tribunal, et d'exercer une poliee ac-
tive au moyen du bureau qu'il avait institué.
n su,rveillait par la ses ad versaires, et s'~~s­
truisait de toutes leursdémarches. Il se donnait
maintenantun peu plus de distractions qu'au-
trefois. On le voyait se rendre daos une fort
belle maison de campagne, chez une famille
qui luí était dévouée, a Maisons-Alfort, a trois
lieues de París. La, tous ses partisans l'accom-
pagnaient; la, se rendaient Dumas, Coffinhal,
Payirn ~ Fleuriot. Hellriot y venait souventavec
tons ses aides-de-camp; ils traversai~nt les rou-
tes sur cinq de fro.nt, et au galop, renversant
les pcrsonnes qui étaient devant' eux, et ré-




396 IdvOLUTJON FII !\N<;A [SE.
pandant par leur présence la terreur dans le
pays. Les hotes, les amis de Robespierre fai-
saiCllL soup<:;onner par leur indiscrétion bean-
cou p plus de proj ets qu'il n' en méditait, et
qu'il n'avait le courage d'en préparer. A París,
jl était toujours entonré des mcmes personna-
ges; il était suivi de loin en loin par quelques
jacobins ou jurés du tribunal, gens dévoués,
portant des batons et des armes secretes, et
prets a courir a son secours au premier dan-
gel'. On les Ilommait ses gardes-du-corps.


De leur coté, Billaud-Yarennes, Collot-d'Her-
boís, Rarrere, s'emparaient du malliement de
toutes les affaires, et, en l'absence de leul' ri-
val, s'attachaient Carnot, Robert Lindet et
Prieur de la Cote-d'Or. Un intéret comumIl
rapprochait. d'eux .le comité de sureté, géné-
Filie; du reste, ils gardaieut lous le plus grand
silencc. lis cherchaient a diminuer peu a. peu
la puíssance ~e leur adversaíre, en réduisallt
la force al'mée de París. Il existait quarante-
huit compagnies de canonniers, appartenant
aux quarante-huit sections, parfaítemen t Ol'-
ganisées, et ayant fait preuve dalls túutes les
circonstances de l'esprit le plus révolution-
naire. Toujours elles s'étaient rangées pour le
parti de l'insurrection, depuis le 10 aout jus-
qu'au 31 mai. Un décret ordounait d'eu laisser




~ONVEiVTION NA'ITONA.U: (1794). 3~n
la moitié au moins dan s Paris, mais permettait
de déplacer ]e reste. Billaud et Collot ordon-
nerent au chef de la cornmission dll mouvement
des armées, de les acheminer sllccessivement
vers la frontiere. Dans toutes ]eurs opérations,
ils se cachaient beaueoup de Couthon, qui, ne
s'étant pas retiré eomme Robespierre, les ob-
servait soigneusement, et leur était incom-
mode. Pendant que ces choses se passaient,
Billaud, sombre, atrabilaire, quittait rarement
Paris; mais ]e spirituel et voluptueux Barrere
allait a Passy avec les principaux membres du
comité de sureté générale, avec le vieux Va-
dier, avec Vouland et Amar. Ils se réunissaíent
chez Dupin, ancien fermier-général, fameux
dans l'ancien régime par sa cnisine, et dans la
révolution par le rapport qui envoya les fer-
miers-généraux a la mort. La, ils se lívraient a
tous les pIaisirs avec de belles femmes, et Bar-
rere exer<;ait son esprit contre le pontife de
l'Etre-Supreme, le premierprophete, le fils chéri
de la mere de Dieu. Apres s'etre égayés, iIs sor-
tajent des bras de leurs courtisanes, pour re-
venir a París, au milíeu du sang et eles rivalités.


De lenr coté, les vieux membres de la Mon-
tagne qui se sentaient menacés se voyaient se-
cretement, et tachaient de s'entendre. La femme
généreuse qui, a Bordeaux, s'était attachée a




'3 8 9 H~VOLUTION FRANI;:AISF.
Tallien, el luí avait arraché une foule de vic-
times, l'exeitait du fond de sa prison a frapper le
tyran. A Tallien, Leeoin tre, Bourdon de I'Oise,
Thuriot, Panis, Barras, Fréron, Monestier,
s'étaient joints Guffroy, l'antagoníste de Lebon;
Dabois-Craneé, eompromis au siége de Lyon et
détesté par Couthon; Fouehé de Nantes, qui
était brouillé avec Robespíerre, et auquel on
reprochait de ne s'etre pas eoncluít a Lyon
d'une maniere assez patriotique. Tallien et Le-
eoinlre étaient les plus audacieux et les plus
impatients. Fouché était surtont fort redouté
par son habileté a nouer et a eonduire une
intrigue, et e'est sur luí que se déchalnerent
le plus violemment les triumvirs.


A propos d'une pétition des jaeobins de
Lyon , dans laquélle ils se plaignaíent aux ja-
cobins de París de leur situation actnel1e, on
revint sur toute l'histoire de eette malhen-
reuse cité. Couthon dénon<;a Dubois-Craneé,
eomme il l'avait déja faít quelques mois aupa-
ravant, l'accusa d'avoir laissé écbapper Précy,
et le fit rayer de la liste des jacobins. Robes-
pierre accusa Fouché, et luí imputa les in-
trigues qui avaient conduít le patriote Gaillard
a se donner la mort. Il St décider que Fouché
serait appelé devant ]a société pour y justifier
sa condnite. C'étaient moins les menées de




C()~VFNTrO'l/ NATlONALE ('7~)4). :)99
Fouché a J,yon, que ses mellées a Paris, que
Robespierre redoutait et voulait punir. Fou-
ché, qui sentait le péril, adressa une leUre
évasive aux jacobins, et les pria de suspendre
leur jugement, jusqu'a ce que le comité auguel
il venait de soumettre sa conduite et de four-
nir toutes les pieces a l'appui, eut prononcé
une sentence. « Il est étonnant, s' écria Robes-
« pierre, que Fouché implore aujourd'hui le
[( secours de la qmvention contre les jacobins.
« Craint-il les yeux et les oreilles du peuple?
« craint-il que sa triste figure ne révele le crime?
« craint-il que six mille regards fixés sur lui ne
« découvrent son ame dans ses yeux, et qu'en
« dépi~ de la natllre qllí les a cachés, on n'y
«( lise ses pensées? La conduite de Fouché est
«( cene d'un coupable; vous ne pouvez le gar-
« der plus long-temps dans votre seiri; il faut
( l'en exclure.» Fouché fut aussit6t exclu,
eomme venait de l'etre Dubois-Crancé. Ainsi
tous les jours l'orage grondait plus fortement
contre les montagnards menacés, et de tous
catés l'horizon se chargeait de nuages.


Au milieu de cette tourmente, les membres
des comités qui craigllaient Robespierre, au-
raient mieux aimé s' expliquer, et concilier leur
ambition, que se livrer un combat dangereux.
Robespierre avait mandé sonjeupe collegue




qoo nÉVOLUTION l'RANyA [SE.


Saint-Just, et celui-ci était revenu aussitot de
l'armée. On proposa de se réunir, pour essayer
de s' entendre. Robespierre se fit beaucoup
prier avant de consentir a une entl'evue; il Y
consentit enfin, et les deux comités s'assem-
hlerent. On se plaignit réciproquement ave e
beaucoup d'amertllme. Robespierre s'exprima
sur lui-meme avec son orgueil accoutumé, dé-
non~a des conciliahules secrets, parla de dé-
putés conspirateurs a punir, hUma toutes les
opérations du gOllvernement, et tronva tout
rnauvais 1 admínistration, guerre et finances.
Saint-Just appuya Rohespierre, en fit un éloge
magnifique, et dit ensuite que le dernier espoir
de l'étranger était de diviser le gouvernement.
11 raconta ce qu'avait dit un officier faít príson-
nier devant Maubeuge. On attendait, suivant
cet officier, qu'un partí plus modéré ahattit le
gouvernement révollltionnaire, et fit prévaloir
d'autres príncipes. Saint-Just s'appuya sur ce
fait, pour faire sentir davantage la nécessité
de se concilier et de marcher d'accord. I.Jes au-
tagonistes de Rohespierre étaient hien de cet
avis, et ils consentaient a s'entendre pour res-
ter maltres de l'état; mais pour s'entenore il
faIlait consentir' a tont ce que vonlait Robes-
pierre, et oe pareilles conditions ne pouvaient
leur convenir. Les rnembres dn comité de sú-




CONVENTION NATIONALli (1794). 401
reté générale se plaigllirent heaucoup de ce
qu'on Ieur avait enlevé leurs fonctions; Élie
Lacoste poussa la hardiesse jusqu'a dire que
Couthon, Saint·Just etRohespierre formaient
un comité dans les comités, et osa meme pro-
noncer le mol de triurnvirat. Cependant on
convint de quelques concessiOllS réciproques.
Rohespierre consentit a borner son bureau de
police générale a la surveillance des agents du
-comité de salut public; et en retoLlr,ses adver-
saires consentirent a charger Saint-Just de faire
un rapport a la convention, sur I'entrevue qui
venait d'avoir lieu. Daos ce rapport, comme
on le pense bien, on ne devait pas convenir
des divisions qlli avaient régné entre les co-
mités, mais on devait parler des commotions
que l'opinion publique venait de ressentir dans
les derniers temps, et fixer la marche que le
gouvernement se proposait de suivr.e. Billaud
et Collot insinnerent qu'il ne fallait pas trop y
parler de l'Etre-Supreme, car ils avaient tou-
jours le pontificat de Robespierre elevant les
yeux. Cepeudant Billaud, ave e son air sombre
et peu rasSllrant, dit a Rohespierre qll'il n'avait
jamais été son ennemi, et OH se sépara sans
s'etre véritablement l'éconciliés, mais en pa-
raissant un pell moins divisés qu'auparavant.
Une pareille réconciliation ne pouvait l'Ien


VL 26




402 nÉvoLuTION FRAN9AISE.
avoir de réel, car les ambitions l'estaient les
memes; elle ressemblait a ces essais de trans-
action que: font tous les partís avant d'en ve-
nir aux mains; elle était un vra~ baiser Lamou-
rette; elle ressemblait a toutes les réconciliations
proposées entre les constituants et les giron-
dins, entre les girolldins et les jacobins, entre
Danton et Robespierre.


Cependant sí elle ne mit pas d'accord les
divers membres des comités, elle effraya beau-
coup les montagnards; ils crurent que leur
perte serait le gage de la paix, et ils s'effor-
cerent de savoir quelles étaient les conditions
du traité. Les membres du comité de sureté
générale s'empresserent de dissiper leurs crain-
tes. Élie Lacoste, Dubarran, Moyse Bayle, les
membres les meilleurs du comité, les tran-
quiHiseJ'ent, etleur ditent qu'aucun sacrifice
n' avait été convenu. Le faít était vrai, et e' était
une des raisons qui empechaient la réconcilia-
tion de pouvoir etre en ti ere. Néanmoins Bar-
rere, qui tenaitbeaucoup á ce qu'on fut d'accord,
ne manqua pas de répéter dans ses rapports
jaurnaliers qlle les lllembl'es du gouvernement
étaient parfaitement más, qu'ils avaient été
injustement accusés de oe pas l'etre, el qu'ils
tendaíent, par des effol'ts communs, a rendre
la république partaut victorjeuse. Il feignit




eONVENTlON N ATION ALE (J 79{~). 403
(J'assumer sur tous les reproches élevés contre
les triumvirs, et il repoussa ces reproches
commc des calomnies coupables et dirigées
également contre les deux comités. «Au milieu
c( des cris de la victoire, dit-il, des bruits sourds
cc se font entendre, des calomnies obscures cir-
cc clllent, des poisons subtils sont infusés dans
(e les journaux, des complots funestes s' our-
ee dissent, des mécontentements factices se
ce préparent, et le gouvernement est sans cesse
« vexé, entravé dans ses opérations, tourmenté
C( dans ses mouvements, calomnié dans ses
« pensées, et menaeé dans ceux qui le com-
lC posent. Cependant qu'a-t-il fait?)) Ici Barrere
ajoutait l'énumération accoutumée des travaux
et des services du gouvernement.






CONVENTION NATlONA.LE (1794). 405


CI-IAPITRE VII.


QC;


Opérations de l'armée du Nord vers le miliell de 1794.
PrÍse d'Ypres. -Formatioll de l'armée de Sambre-et-
Meu~e. Bataille de Fleurus. Occupation de BruxclIes. -
Derniers jours de la terreur; lutte de Robespierre et
des triumvirs contre les autres membres des comités.
Journees des 8 et 9 thermidor; arrestation et supplice
de Robespierre, Saint-Just. - Marche de l¡¡. révolu-
tion depllis 119 jusqll'au 9 thermidor ..


PENDANT que Barrere faisait tous ses efforts
pour cacher la discorde des comités, Saint-Just,
malgré le rapport qu'il avait a faire, était re-
tourné a l'armée, OU s,e passaient de grands évé.
nements. Les mouvements cornmencés sur les
deux ailes s' étaient continués. Picbegru avait
poursuivi ses opérations sur la Lys et I'Es-
cant, Jourd:m avait cornmencé les siennes sur




406 RÉVOLUTION"FnANC;;;AISl-:.
la Sambre. Profitant de l'attitude défensive que
Cobourg avait pt'ise a Tournay, depllis les ha-
tailles de Tureoing et de Pont-a-Chin, Pichegru
projetait de battre Clerfayt isolément. Cepen-
dant il n'osait s'avaneer jusqu'a Thielt, et iI
résolut de commencer le siége d'Ypres, dalls
le double but d'attirer Clerfayt a luí, et de
prendre eette place, qui eonsoliderait l' éta-
blissement des Fran~ais dans la West-Flandre.
Clerfayt attendait des r~nforts, et il ne fit all-
eun mouvement. Pichegru alors poussa le siége
d'Ypres si vivement, que Cobourg et Clerfayt
crurent devoir quitter leurs positions respec-
tives pour aller au secours de la place me-
nacée. Pichegru, pour empecher Cobollrg de
poursui vre ce mou vement, 6t sortir des troupes
de Lille, et exéeuter une démonstration si vive
sur Orehies, queCobonrg fut retenll a Tour-
nay; en meme temps il se porta en avant, et
courut a Clerfayt, qui s'avaIH;ait vers Rousse-
laer et Hooglede. Ses mouvements prompts et
bien conc.;us lui fournissaient encore l'occasion
de battre Clerfayt isolément. Par malheur, une
ruvisiun s' était trompée de route, Clerfayt eut
le temps Je se reporter a son camp de Thielt,
apres Wle p!,!rte légere. Mais trois jours apres,
le 26 prairial (13 juin), renforeé par le déta-
ehement qu'il attendait, il se déploya a I'ím-




CONVI-:NTJON NATJONALI-: (J 794)· 407
proviste en face de nos colonnes avec trente
mille hommes. Nos soldats coururent rapide-
ment aux armes, mais la division de droite,
attaquée avec une grande impétuosité, se dé-
banda, et laissa la division de gauche décou-
verte sur le platea u d'Hooglede. Macdonald
commandait cette division de gauche; il sut la
mailltenir contre les attaques réitérées de Eront
et de flanc auxquelles elle fut long-temps ex-
posée ; par cette courageuse résistance, il donlla
a la brigade Devinthier le temps de le rejoin-
dre, et il obligea alors Clerfayt a se retirer
avec une perte cOllsidérablc. C'était la cin-
quieme fois que Clerfayt, mal secondé, était
battu par notre armée du Nord. Cette action,
si honorable pour la di'Vision Macdonald, dé-
cida la reddition de la place assiégée. Quatre
jours apres, le 2g"prairial (I7 juin) , Ypres ou-
vrit ses portes, et une garnison de sept mille
hOl11l11es mit bas les armes. Cobourg allait se
porter au secours d'Ypres et de Clerfayt, lors-
qu'il apprit qu'il n'était plus temps. Les évé-
uel11ents qui se passaient sur la Sambre, l'obli-
gerent alors a se diriger vers le coté opposé du
théatre de la guerreo Illaissa le duc d'York sur
I'Escallt, Clerfayt a Thielt, et marcha avec
toutes les trollpes autrichiennes vers Charle-
roi. C'i~tait une véritable séparation entre les




/~o8 RÉVOLUTION FllAN<;AISE.
I'uissances principales, l' Angleterre et l' Au-
triche, qui vivaient assez mal d'accord, et dont
les intérets tres-différents éclataíent ¡ci d'une
maniere tres-visible. Les Anglais restaient en
Flalldre vers les provinces maritimes, ,et les
Autrichiens couraient vers leurs communica-
tions menacées. eette séparation n'augmenta
pas peu leur mésintelligence. L'empereur d'Au-
triche s' était retiré a Vienne, dégouté de cette
guerre sans succes; et Mac1i, voyant ses plans
renversés, avait de nouveau quitté l'état-major
autrichieu.


NOllS avons vu Jourdan arrivant de la Mo-
selle a Charleroi, au moment Ollles Fralll;ais,
repollssés ponr la troisieme foís, repassaíent la
Sambre en désordre. Apres avoir dOIlUé quel.,
ques jours de répit aux troupes, dont les·unes
étaient abattnes de leurs défaites, et les autres
de lenr marche rapide, on fit qnelque chan-
gement a leur organisation. On composa des
divisions Desjardins et Charbonnier, et des
divisions arrivées de la Moselle, une seule ar-
mée, qui s'appela armée de Sambre-et-Meuse;
elle s'élevait a soixante·síx mille hommes en-
vil"On, et fut mise sous les ordres de Jourdan.
Une division de quinze mille hommes, com-
mandée par Schérer, fut laissée pour gardel' la
Sambl'e, de Thuin a Maubeugp.




CONVENTION NATlONALE (1794). 409
Jourdan résolut aussitót de repasser la Sam-


bre et d'investir Charlel'Oi. La division Hatry
fllt chargée d'attaquer la place, et le gros de
l' armée fut disposé tout a utour , pour protéger
le siége. Charleroi est sur la Sambre. Au - dela
de son enceinte, se trouvent une suite de po-
si tions formant un demi-cercIe, dont les extré-
mités s'appuient a la Sambre. Ces positions
sont peu avantageuses, paree que le demi-
cerde qn'elles décrivent est de dix lieues d'é-
tendue, paree qu'elles sont peu liées entre
elles, et qu'elles ont une riviere a dos. Kléber
avee la gauehe s'étendait depuis la Sambre
j usqu'a Orchies et Traségnies, et faisait garder
le ruisseau du Piéton, qui traversait le champ
de bataille, etvenait tomber dans la Sambre.
Au centre, Morlot gardait Gosselies; Champion-
net s'avan~ait entre Hépignies et Wagné; Le-
fevre tenait Wagné, FJeurus et Lambusart. A
la droite, enfin, Marceau s' étendait en avant du
bois de Campinaire, et rattachait notre Iigne
a la Sambre. Jourdan. sentant le désavantage
de ces positions, ne voulait pas y rester, et se
proposait, pour en sortir, de prendre I'initia-
tive de l'attaque le 28 prairial (16 juin) au
matin. Dans ce moment, Cobonrg ne s'était
point encore porté sur ce point; iI étaÍt a
Toumay, assistant a la défaite de Clerfayt et á




í JO RÉVOLIlTION FRAN~~AISE.
la prise d'Ypres. Le prince d'Orange, envoyé
vers Charleroi, commandait l'armée des coa-
Jisés. 11 résolut de son coté de prévenir l'atta-
que dont il était menacé, et des le 28 au matin,
ses troupes déployées obligerent les Frant;ais
a recevoir le combat sur le terrain qu'ils oc-
enpaient. Quatre colonnes, disposées contre
notre droite et notre centre, avaient déja pé-
nétré dans le bois de Campinaire, OU était
Marceau, avaient enlevé Fleurus a Lefevre,
Hépignies a Championnet, et allaient replier
Morlot de Pont-a-Migneloup sur Gosselies,
lorsque Jourdan? accourant a propos avec une
réserve de cavalcrie, arreta la quatrÍeme co-
]onne par une charge heureusf', ramena les
troupes de Moriot dan s leurs positions, et ré~
tablit le combat au centre. A la gauche, War-
tensleben avait fait les memes progres ver!.'
Traségnies. Mais Kléber, par les dispositions
les plus heureuses et les plus promptes, fit
reprendre Traségnies, puis, saisissant le mo-
ment favorable, 6t tourner Wartenslebeu, le
rejeta au-deJa du Piéton, et se mit a le pOllr-
suivre sU!' deux colollnes. Le combat s'était
soutenn jusque -la avec avantage, la victoire
allait meme se déclarer pour les Fran<;ais, lors-
que le prince d'Orange, réunissant ses deux
premiel'es colonnes vers Lambusal'l, SUl' le




CONVENTION NATIONALE (179{~)' 41 [
point qui unissait l'extreme droite des Frall-
-;ais a la Samhre, menal{a leurs cornmuníca-
tiOllS. Alors la droite et le centre durent se
retirer. Kléber, renonl{ant a sa marche victo-
rieuse, protégea la retraite avec ses troupes ;
elle se 6t en bon ordre. Telle fut la premiere
affaire du 28 ( 16 j llin ). C' était la quatrierne fois
que les Franc,;aÍs étaient obligés de repasser la
Sambre; inaís eette fois c'étaít d'une maniere
bien plus honorable pour leurs armes. Jourdan
ne se déeouragea pas. Il fl'auehít eneore la Sam-
bre quelques jours apres, reprit ses positioIlS
du 16, investít de nouveau Charleroi, et en tit
pousser le bombardement avec une extreme
vIgueur.


Cobourg, averti des nouvelles opérations de
Jourdan, s'approchait enfin de la Sambre. 11
importait auxFrarH:;ais d'avoir pris Charlel"Oi
avant que les renforts attendus par l'armée au-
trichienne fllssent arrivés. L'ingénieur Mares-
cot pOllssa si vivement les travaux, qu'cn huit
jours les feux de la place furent éteints, et que
tout fut préparé pour l'assant. Le 7 messidor
(~6rjuin), le commandant envoya un offieier
avec UIle leUre pour parlementer. Saínt·J ust,
qui dominait·W\ljours dans notre camp, refusa
d'ouvrir la lettre, et renvoya l'officier en lui
disant: Ce n'est pas un chiJ)on de papier, e'est




412 nÉvoLuTION f'RAN<;:AISE.
la place qu'il nous faut. La garnison sortit de
Ja place le soir meme, au moment ou Cobourg
arrivait en vue des lignes fran<¡aises. La red di-
tion de Charleroi resta ignorée des ennemís.
La possession de la place assura mieux notre
positíon, et rendit moins dangereuse la bataille
qui allait se livrer, avec une riviere a dos. La
division Hatry, devenue libre, fut portée a
Ransart pour renforcer le centre, et tout se
prépara pour une action décisive, le lendemain
8 messidor (26 juin).


Nos posítíons étaient les memes que le
28 prairial (16 juin). Kléber commandait a la
gauche, a partir de la Sambre jusqu'a Trasé-
gníes. MorIot, Championnet, Lefevre et Mar-
ceau, formaient ]e centre et ]a droite, et s'é.
tendaient depuis Gosselies jusqu'a la Sambre.
Des retranchements avaient été faits a Hépi-
gníes, pour assurer notre centre. Cobourg HOUS
fit attaquer sur tout ce demi - cercle, au lieu
de diriger un effort concelltrique sur l'une de
nos extrér.nités, sur nofre droite, par exemple,
et de nous enlever tous les passages de la
Sambre.


L'attaque commen«:;a le 8 messidor au matin.
Le prince d'Orange et le géllér!!l Latour, qui
étaient en face de Kléber, a la gauche, replie-
rent nos coJonnes, les pousserent a travers le




CONVENTJON NATIONALE (1794). 413
hois de Monceaux, jnsquc' sur les bords de la
Sambre, a Marchienne - an -Ponto Kléber, qui
heureusement était placé a la gauche pour y
diriger toutes les divísions, accourt aussitút sur
le point menacé, porte des batteries sur les
hauteurs, enveloppe les Autrichíens dans le
bois de Monceallx, et les faít attaqner en tous
sens. Ceux-ci, ayant reconnu, en s'approchant
de laSambre, Clue Charleroi était aux Fran~ais,
commenc;;aient a montrer de l'hésitation; Klé-
ber en proflte, les fai t charger a vec vigueur,
et les oblige a s'éloígner de Marchienne·au-
Ponto Tandís que Kléher sauvait l'une de nos ex-
trémités, Jom·dan ne faísait pas moins pour le
salut du centre et de la droite. MorIot, qui se
trouvait, en avant de Gosselies, s'était long-


, temps mesuré avec le gélléral K wasdanovich ,
et avait essayé plusieurs man~uvres pour le
tourner, flnít par l'etre lui-meme. Il se replia
sur Gosselies, apres les efforts les plus honora-
bles. Championnet résistait avec la meme vi-
gueur, appuyé sur la redoute d'Hépignies;
mais le corps de Kaunitz s'était avancé pour
tourner la redoute, au mament meme ou un
faux avis annon¡;ait la retraíte de Lefevre, a
droite; Championnet, trompé par cet avis, se
retirait. et avait déja ahandonné la redoute,
Jorsque Jom'dan, comprenant le danger, porte




4 14 11 Évor.UTION FRANf,<AISJo:.
sur ce point une partie de la division Hatry,
placée en réserve , fai.t reprendre Hépignies, et
lance sa cavalerie dans la plaine sur les troupes
de Kaunitz. Tandis qu'on se charge de part et
d'autre avec un grand acharnement, un combat
plus violent encore se livre pres de la Sambre,
a Wagné et Lambusart. Beaulieu, remontant
a la foÍs les deux rives de la Sambre pour faire
effort sur notre extreme droite, a repoussé la
division Marceau. Cette division s' enfuit en
toute hate a travers les bois qui longent la
Sambre, et passe meme la riviere en désordre.
l\Iarceau alors réunit a 1 ui quelques bataillons,
et ne songeunt plus an reste de sa division fu-
gitive, se jette dans Lambusart, pour y mou-
rir, plutot que d'abandonner ce poste contigu
a laSambre; et appui indispensable de notre
extreme droite. Lefevre, qui était placé a Wa-
gné, Hépignies et Lambusart, replie ses avant-
postes de :Fleurus sur Wagné, et jctte des
troupes a Lambusart, pour soutenir l'effort
de Marceau. Ce point devient alors le point
décisif de la bataille. Beaulieu s'en aperc;oit, et
y dirige une troisieme colonne. Jourdan, at-
tentif au danger, y porte le reste de sa ré-
serve. On se heurte autour de ce viUage dc
Lambusart avec un acharnement singulier. Les
fellx sont si rapides qu'on ne distingue plus




CONVENTION NATlONALE (1794). 415
les eoups. Les blés et les baráques du eamp
s'enflamment, et bielltot on se bat au milieu
d'un incendie. Enfin les républicains restent
maitresde Lambusart.


Dans ce moment, les Fran<;ais, d'abord re-
poussés, étaient parvenus a rétablir le eombat
sur tous les points : Kléber avait eouvert la
Sambre a la gauche; Morlot, rcplié a Gosselies,
s'y maintenait; Championnet avait repris Hé-
pignies, et un combat furieúx a Lambusart
nous avait assuré eette positiQn. La fin du jour
approchait. Beaulieu venait d'apprendre, sur
la Sambre, ce que le prineed'Orange y avait
appris déja, e'est que Charleroi appartenait
aux. FI·an~ais. Cobourg alors, n'osant pas in-
sister davantage, ordonna la retraite générale.


Telle fut cette bataille déeisive, qui fut une
des plus acharllées de la campagne, et.qui se
livra sur un demi-cercle de dix lieues, entre
deux armées d'environ quatre-vingt mille hom-
mes ehaeune. Elle s'appela batailledé.Fleurus,
quoique ce village y jouat un role fort secon-
daire, paree que le dile de Luxembourg avaIt
déji.t illustré ce nom sous Louis XIV. Quoique
ses résultats sur le terrrain fussent peu con si-
dérables, et qu'elle se bornat a une attaque
repoussée, elle déeidait la retraite des Autri-
ehiens, et amenait par la des résultats immen-




4.6 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
ses ". Les Autrichíens ne ponvaient pas livrer
une seconde bataille. Il lcur aurait fallu se
joindre on au dnc d'York ou a Clel{ayt, et ces
deux généraux étaient occupés au Nord par
Pichegrll. D'ailleurs, menacés sur la Mellse, il
devenait important pour eux c.e rétrograder,
pour ne pas compromettre leurs communica-
tions. Des ce moment, la retraite des eoalisés
devint générale, et ils résolurent de se con-
centrer vers Bruxelles, pour couvrir eette ville.


La campagne était évidemment décidée;
mais une faute du comité de salnt public em-
pecha d'obtenir d~s résultats aussi prompts et
allssi décisifs que ceux qu'on avait Jieu d'es-
pérer. Pichegru avait formé un plan qui était
la meilIellre de toules ses idées militaires. Le
duc d'York était sur l'Escaut a la hauteur de
Tournay; C\erfayt, tres-loin de la, a Thielt,
daos la Flandre. Pichegru, persistant dans son
projet de détruire Clerfayt isolérnent, voulait
passer l'Escaut a Oudenarde, couper ainsi Cler-


.. e'est a tort qu'on attribue a ['intéret d'nne factíon le
grand effet que la bataille de Fleurus produisit Silr l'opi-
nion publique. La faction Robespierre avait au contraire
le plus grand inléret a diminuer dans le moment I'erfet
des victoires, comme on va le voir biellt8t. La hataille de
Fleurns nons ouvrit BruxeUes et la Bclgiql1c, et c'est la ce
'lui lit alol's sa réputation.




CONVENTION N ATIONALE (1794). 417
fayt du duc d'York, et le battre encore une
fois séparément. Il voulait ensuite, lorsque le
uuc d'York resté seul songerait a se réunir a
Cobourg, le battre a son tour, puis enfin ve-
nir prendre Cobourg par derriere, ou se ré-
unir a· Jourdan. Ce plan qui, outre l'avantage
d'attaquer isolément Clerfayt et le duc d'York,
avait celui de rapprocher toutes nos forces de
la Meuse, fut contrarié par une fort sotte jdée
du comité de salut publico On avait persuadé
a Carnot de por ter l'amiral Venstabel avec des
troupes de débarquement dans nle de WaI.
cheren, pour soulever la Hollande. Afin de fa-
voriser ce projet, Carnot prescrivit a l'armée
de Pichegru de filer le long de 1'0céan, et de
s'emparer de tous les ports de la West.Flandre;
ji ordonna de plus a Jourdan de détacher seize
mille hommes de son armée pour les porter
vers la mero Ce dernier ordre surtout était des
plus mal con~us et des plus dangereux. Les
généraux en démontrerent l'absurdité a Sajnt-
Just, et iI ne fut pas exécuté; mais Pichegru
n'en fut pas moins obligé de se porter vers
la mer, pour s'emparer de Bruges et d'Ostende,
tandis que Moreau occupait Nieuport.


Les mouvements se continuerent sur les
deux ailes. Pichegru laissa Moreau, avec ulle
partie de l'armée, faireles siéges de Nieuport


VI. 27




418 nÉVOI.UTJON FRAN<; .\JSll.
et de I'Écluse, et s'empara avec l'autre ele Bru-
ges, Ostende et Gand. Il s'avanc;a ensuite vers
Bruxelles. Jourdan y marchait· de son coté.
N ous n'eumes plus a lívrer que descombats
d'arriere-garde, et enfin, le 22 messidor( 10 juil-
let), nos avant-gardes entrerent dans la capí-
tale des Pays - Bas. Peu de jours apres, les
deux armées du Nord et de Sambre-et-Meuse
y firent leur jonction. Rien n'était plus impor-
tant que cet événement; cent cinquante mille
Franc;ais, réunis dans la capitale des Pays-Bas,
pouvaient fondre de ce point sur les 3rmées
de l'Europe, qui, battues de toutes parts,
cherchaient a regagner les unes la mer, les
autres le Rhin. On investít aussitot les places
de Condé, Landrecies, Valenciennes et IJC
Quesnoy, quejes coalisés nous avaient prises;
et la convention, pretendant que la délivrance
du territoire donnait tOllS les dro.its, décréta
qué si les garl1isons ne se rendaient pas de
suíte, elles seraicl1t passées au fil de l'épée.
Elle avait déja rel1du un autre décret portant
qu'on ne ferait plus de prisonniers allglaís,
p~>ur punir tous les forfaits de Pitt envers la
France. Nos soldats n'ex-écuterent pas ce de-
cret. Un sergent ayant pria quelques Anglais,
les amena a un officier. -ti: Pourquoi les as-tu
pris? luí dit.l'officiel'. -Paree que ce sont au-




CONVENTION N,\TJONALE (1794). 419
tant de coups de fusil de moins a recevoir, ré-
pondit le sergent. - Oui, répliqua l' officier;
mais les représentants vont nons obliger de
les fusiller. - Ce ne sera pas nons, ajonta le
sergent, qni les fusillerons; envoyez-les aux
représentants, et puis, s'ils sont des barba-
res, qn'ils les tuent et les mangent, si c;a leur
plalt. )


Ainsi nos armées agissant d'ahord sur le
centre ennemi, et le trouvant trop fort, s' é-
taient partagées en deux ailes, et avaient filé,
l'une sur la Lys, et l'autre sur la Samhre. Piche-
gru avait d'abord battu Clerfayt a Moucroen
et a Courtray, puis Cobourg et le duc d'York
a Turcoing, et enfin Clerfayt encore a Roo-
gIMe. Apres plusieurs passages de la Sambre
toujours infruetueux, Jourdan, amené par une
heureuse idée de Carnot su!' la Sambre, avait
décidé le sueces de notre aile droite a Fleurus.
Des cet instant, débordés sur les deux ailes,
les coalisés nous avaient abandonné les Pays-
Bas. TelIe était la campagne. De toutes parts
on célébrait 110S étonnants StlCCes. La victoire
de Fleurus, l'occupation de Charleroi, Ypres,
Tournay, Oudenarde, Ostende, Bruges, Gand
et Bruxelles, la réunion enfÍn de nos armées
dans eette capitale, étaient vantées eomme des
prodiges. Ces sueces ne réjouissaient pas Ro-


27,




4~w RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
bespierre, qui voyait grandir la réputation du
comité, et surtout ceHe de Carnot, auquel, il
faut le dire, on attribuait beaucoup trop les
avantages de la eampagne. Tout ee que les co-
mités faisaient de bien ou gagnaient de gloire
en l'absence de Robespierre devait s'élever
contre lui, et faire sa propre condamnation.
Une défaite au contraire eut ranimé a son pro-
fit les fureurs révolutionnaires, lui aurait per-
mis d'accuser les comités d'inertie 011 de tra-
hison, aurait justifié sa retraite depuis quatre
déeades, aurait donné une haute idée de sa
prévoyanee, et porté sa puissanee au comble.
n s'était done mis dans la plus triste des p05i-
tions, ceHe de désirer des défaites; et tont
prouve qu'il les désirait. 11 ne luí convenait
ni de le dire, ni de le laisser apercevoir; mals
malgré lui, On l'entrevoyait dans ses discours;
il s' effor<;ait, en parlant aux jacobills, de dimi-
nuer l'enthousiasrne qu'inspiraient les succes
de la république; il insinuait que les coalisés
se retiraient devant nous eornrne ils l'avaieut
fait devallt Dumouriez , mais pour revenir bien-
tot; qu'en s'éloÍgnant rnornentanérnent de nos
frontieres, ils voulaient nous livrer aux pas-
sions que développe la prospérité. 11 ajoutait
uu reste « que la vÍctoire sur les armées en-
«( nemies n'était pas ceHe apres laquelle on de-




CONV};NTION NATIONALE (1794). 421
(e vait le plus aspirer. La véritable victoire,
« disait-il, est eeHe que les amis de la liberté
« remportent sur les faetions ; e'est cette vie-
« toire qui rappelle chez les peuples la paix,
« la justiee et le bonheur. Une nation n'est
« pas illustrée pour avoir abattu des tyrans
« ou enchalllé des peuples. Ce fut le sort des
« Romains et de quelques autres nations:
« notre destinée, beaucoup plus sublime, est
(e de fonder sur la ter re l'empire de la sagesse,
« de la justiee et de la vertu.)) (Séance des
J acobins du 21 messiclor. - 9 j uillet. )


Robespierre était absent du comité depuis
les dcrniers jours de prairial. On était aux pre-
miers de thermidor. Ily avait pres de quarantc
jours qu'il s'était séparé de ses -coIlegues; iI
était temps de prendre une résolution. Ses af-
fidés disaient hautement qu'il fallait un 31 mai:
les 'Dumas, les Henriot, les Payan, le pressaien t
d'en donner le signal. n n'avait pas, pour les
moyens violents, le meme gout qu'eux, et iI
ne devait pas partager leur impatíence brutaIe.
Habitué a tout faire par la paroJe , et respec-
tant davantage les lois, il aÍmait mieux essayer
d'un discours dans lequeI iI dénoncerait les
comités, et demanderait leur renouvellement.
S'il réussissait par cette voie de douceur, iI étaít
maltre absolu, sans danger, et sans souIeve-




422 ltÉVOLUTlON FRAN«AlSE.
mento S'il ne réussissait pas, cemoyen pacifique
n'excluaít pas les moyens violents; iI devait an
contraire les devancer. Le 31 mai avait eté
précédé de dísconrs réitérés, de sommations
respectueuses, et ce n' était qu'apres avoir de-
mandé, san s obtenir, qu'on ávaitfini parexiger.
Il réso]ut donc d' employer les memes moyens
qu'au 31 mai, de faire d'abord présenter une
pétition par les jacobins, de prononcer apres
un grand discours, et enfin, de faire avancer
Saint-Just avec un rapport. Si tous ces moyens
ne suffisaient pas, il avaít les jacobins, la com-
mune et la force armée de Paris. Mais il espé-
raít du reste n'etre pas réduit a renouveler la
scene du '2 juin. Il n'avait ras assez d'audace,
et encore trop de respect envers la convention,
pour le désirer.


Depuís quelque temps il travaíllait a un dis-
cours volumineux, ou iI s'attacliait a dévoiler
les abus du gouvernement, et a rejeter tous les
maux qu'on lui imputait sur ses collegues. Il
écrivit a Saint-Just de revenir de l'armée; il re-
tínt son frere qni auraít dli partir ponr la fron-
tiere d'Itali.e; il parut chaque jour auxJacohins,
et disposa tout pour l'attaque. eorome il arrive
toujours dan s les situations extremes, divers
illcidents vinrent augmenter l'agitation géné-
raleo Un nommé Magenthies fit une pétition




CONVENTION NATIONALE (1794). 4'23
ridicule, pour demander ]a peine de mort
conlre ceux qui se permettraient des jUl'ements,
daos lesqllels le Rom de Dieu serait prononeé.
Enfin, un comité révolutionnaire tit enfermer
cornme suspect$ quelques ouvriers qui s'étaient
enivrés. Ces deux faits donnaient lieu 11 beau-
coup de propos conlre Robespierre; on disait
que son Etre-Supreme allait devenir plus op-
presseur que le Christ, et qu' on verrait bientot
L'inquisition rétablie ]lOur le déisme. Sentant
le danger de pal"CiHes accusations, il se bata
de dénoneer Magenthies aux jacobins, comme
un aristocrate payé par I'étranger pour décon-
sidérer les croyances adoptées par la conven-
tíon; iI le fit meme livrer au tribunál révo-
lutionnaire. Usant enfin de son bureau de
police, il tit arreter tous les membres du co-
mité révolutionnaire de l'Indivisibitité.


L'événement approchait, et il parait que les
membres du comité de salut public, Barrere
surtont, auraient voulu faire la paix avec Jeur
redoutable col1egue; mais il était devenu si
exigeant qu'on ne pouvait plus s'entendre ave e
luí. Barre!'e, rentral1t un soir avec l'un de ses
confidel1ts, luí dit en se jetant sur un siége :-
« Ce Robespierre est insatiable. Qu'il demande
TaUien, Bourdon de l'Oise, Thuriot, Guffroy,
Hovere, Lecointre, Fanis, Barras, Frérol1 ~ Le-




424 lt~VOLUTION FltANc,;AISF:.
gendre, Monestíer, Dubois-Crancé, Fouché,
Cambon , et toute la séquelle dantoniste, a la
bonne heure; mais Duval, Audouin , mais Léo-
nard-Bourdon, Vadier, VouIand, iI est impos-
sible d'y consentir.})-ün voit que Robespierre
exigeait meme le sacrifice de quelques membres
du comité de sureté générale, et des-lors, iI
n'y avait plus de pai.x. possible; iI fallait rom-
pre, et courir les chances de la lntte. Cepen-
dant aucun des adversaires de Robespierre
n'anrait osé prendre l'initiative; les membres
des comités attendaient d' etre dénoncés; les
montagnards proscrits attendaient qU'OIl leUl·
demandat leur tete; tous voulaient se laisser
attaquer avant de se défendre; et iIs avaient
raison. Il valait bien mieux laisser Robespierre
commencer l'engagement, et se compromettre
aux yeux de. la convention par la demande de
nouvelles proscriptions. Alors on avait la pu-
sition de gens défendant et leur vie, et meme
ceBe des autres; cal' on ne pouvait plus pré-
voir de terme aux immolations, si on en souf-
frait encore une seule.


Tout était préparé, et les premiers mou-
vements commencerent le 3 thermidor aux
Jacobins. Parmi les affidés de Robespierre se
trouvait un nommé Sijas, adjoint a la com-
mission du mouvement des armées. On en




CONVENTION NATIONALE (1794). 425
voulait a cette commission pour avoir ordonué
la sortie successive d'un grand nombre de com-
pagnies de canonniers, et pour avoir diminué
ainsi la force armée de Paris. Cependant on
n'osait pas luí en faire un reproche direct; le
nommé Sijas commenf,!a par se plaindre du
secret dont s'enveloppait le chef de la commis-
sion, Pyle, et tous les reproches qu'on n'osait
adresser ni a Carnot ni au comité de salut pu-
blic, furent adressés a ce chef de la commission.
Sijas prétenditqu'il ne restait qu'un moyen ,
c'était dE! s'adresser a la conventÍon, et de lui
dénoncer Pyle. Un autre jacobin dénon<;a un
des agents da comité de sureté générale. Cou-
thon prit alors la parole, et dit qu'il fallait
remonter plus haut, et faire a la conventioll
llationale une adresse sur toutes les machina-
tions qui mena<;aient de nouveau la liberté.
I( Je vous invite, dit-il, a lui présenter vos ré-
( flexions. Elle est pore; elle ne se laissera pas
ce subjuguer par quatre a cinq scélérats. Quant
ce a moi, je déclare qu'íls ne me subjugueront
(C paso » La proposition de Couthon fut aussitót
adoptée. On rédigea la pétition, elle fut ap-
prouvée le 5 et présentée le 7 thermidor a la
convention.


Le style de cette pétition était, comme tou-
jours, respectueux dans la forme, mais im q




4~6 RlÍVOLUTION FRAN~AlSE.
perIeUX au fondo Elle disait que les jacobins
venaient déposer ,dans le sein de la conlJention
les sollicitudes du peuple; elle répétait les dé-
c1amations accoutumées contre l'étranger et
ses complices, contre le systeme d'indulgence,
contre les craintes répandues a dessein de di-
viser la représentation nationale, con tre les ef-
forts qu'on faisait pourrendre le cuIte de Dieu
ridicúle, etc. Elle ne portait pas de conclusions
précises, mais elle disait d'une maniere géné-
rale : ( Vous ferez trembler les traltres, les
frípons, les intrigants; vous rassurerez l'homme
de hien; vous maintiendrez cette union qui
faít votre force; vous conserverez dans toute
sa pureté ce culte sublime dont tout citoyen
est le ministre, dont la vertu est la seule pra-
tique; et le peuple, confiant en vous, placera
son devoir et sa gloire a respecter et a défendre
ses représentants jusqu'a ]a mort. » C'était dire
assez clairement : Vous ferez ce que vous dic-
lera Robespierre, ou vous ne serez ni respectés
ni défendus. La lecture de eette pétition fut
écoutée avec un morne silence. On n'y fit au-
cune réponse. A peine était-elle achevée, que
Dubois-Crancé monta a la tribune, et san s
parler de la pétition ni des jacohins, se plaignit
des amertumes dont on l'abreuvait depuis six
mois, de l'injustice dont on avait payé ses ser-




CONVENTION NATIONA.LE (179[1)' 427
vices, et demanda que le comité de salut pu-
blie fUt chargé de faire un rapport sur son
compte, quoique dans ce comité, dit-il, se
trouvassent deux de ses accu'sateurs. Il demanda
le rapport sous trois jours. On accorda ee qu'il
demandait, sans. ajouter une seule réflexion,
et toujours au miJieu du meme silence. Barrere
lui succéda a la tribune; il vint faire un grand
rapport sur l'état comparatif de la France en
juillet 93 et en juillet 94. Il est certain que la
dífférence était irnmense, et que si on compa-
raít la Franee déchirée a la foís par le roya-
lisme, le fédéralisme et l'étranger, a la Franee
victoríeuse sur toutes les frontieres etmaitresse
des Pays - Ras, on ue pouvait s'empeeher de
rendre desactions de graces au gouvernement
qui avait opéréce ehangement en une année.
Ces éloges donnés au comité étaient la seule
maniere dont Barrere osat indireetement at-
taquer Robespierre; ille louait meme expres-
sément dans son rapport. A propos des agita-
tions sourdes qu'on voyait régner et des cris
imprudents de quelques perturbateurs qui de-
mandaient un 3. mai, iI dísait ce qu'un représen-
« tant qui jouissait d'nne réputation patriotique
t( mérítée par cinq années de travaux, par ses
« príncipes imperturbables d'indépendance et
« de liberté, avait réfuté avec chaleur ces pro-




423 RÉVOLUTION ¡"RAN<;:A.TSE.
« pos contre-révolutionnaires. ») La convention
écouta ce rapport, el chacun se sépara ensuite
dans l'attente de quelque événement impor-
tanto On se regardait en silence, et on n'osait
ni s'interroger, ni s'expliquer. Le lendemain 8 thermidor, Robespierre se
décida a prononcer son fameux discours. Tous
ses agents étaient disposés, et Saint-Just arri-
vait dans la journée. La convention, en le
voyant paraitre 11 cette tribune ou il ne se mon-
trait que rarement, s'attendait a une scene dé-
cisive. On l'écouta avec un morne silence.
« Citoyens, dit-il, que d'autres vous tracent
{( des tableaux flatteurs, je viens vous dire des
t( vérités utiles. Je ne viens point réaliser des
« terreurs ridicules, répandues par la perfidie;
le mais je veux étouffer, s'il est possible, les
l' flambeaux de la discorde par la seule force
(e de la vérité. Je vais défendre devant vous
« votre autorité outragée et la liberté violée. Je
« me défendrai moi-meme : vous n'en serez pas
« surpris; vous ne ressembl ez point aux tyrans
« que vous combattez. Les cris de l'innocence
" outragée n'importunent point votre oreille,
« et vous n'ignorez pas que cette cause ne vous
« est point étrangere.» Robespierre fait ensuite
le tableau des agitations qui ont"régné depuis
quelque temps, des craintes qui ont été répall-




CONVENTION NATIONALE (1794)· 42 9
dues, des pl'ojets qu'on a supposés au comité
et a luí contre la convention. (1 Nous, dit-il,
ee attaquer la convention! et que sommes-nous
ee sans elle! Qui I'a défelldue au péril de sa
e( vie? Qui s'est dévoué pour l'arracher aux
(e mains des factions?» Robespierre répolld
que c'est lui; et iI appelle avoir défelldu la
convention contl'e les factions, avoir arraché
de son sein Brissot, Vergniaud, Gensonné,
Pétion, Barbaroux, Danton, Camine Desmou-
lins, etc. Apres les preuves de dévouement
qu'il a données, il s'étonne que des bruits sl-
nistres aient été répandus. « Est-ilvrai, dit-il,
(e qu'on ait colporté des listes odieuses ou ron
ce désignait pOUI' victimes un certain nombre
({ de rnembres de la convention, et qu'on pré-
« tendait etre l'ouvrage du comité .de salut pu-
ce blic, et ensuite le mien? Est-il vrai qu'ollait
« osé suppos~r des séallces du comité, des ar-
« retés rigoureux qui n'ont jamais existé, des
(e arrestations non moins chimériques? Est- il
«( vrai qu'on ait cherché a persuader a un cer-
« tain nombre de représentants irréprochables
le que leur perte était résolue? a tous ceux quí,
,( par quelque erreur, avaient payé un tribut
ec inévítable a la fatalité des circonstances et a
« la faiblesse humaíne, qu'ils étaient voués au
ce sort des conjurés? Est-il vrai que l'imposture




¡J:~o RÉVOLUTION FRANQAISE.
« ait été répandue avec tant d'art et d'audace,
« qu'une foule de membres ne couchaient plus
« chez eux? Ouí, les faits sont constants et
« les preuves en sont au comité de salut
« puMic! »


Il se plaint ensuite de ce que I'accusation,
portée en masse contre les comités, a flní par
se diriger sur luí seul. Il expose qu'on a donné
son llom á tout ce qui s'est faít de mal daos le
gouvernement; que si Oll enfermait des pa-
triotes au lieu d'enfermer des aristocrates, on
disait! Cest Robespierre qui le veut; que si
quelques patriotes avaient succombé, on disait :
C'est Robespierre qui l'a ordonné; que si des
ageots nombreux du comité de sureté générale
étendaient partont leurs vexations et leurs ra-
pines, 00 disait: C'est Robesp{erre qlli les en-
poie; que si une loi nouvelle tourmentait les
rentiers, ondisait: C'est Robespierre qui les
ruine. Il dit enfin qu'on I'a présenté eomme
l'auteur de tous les maux pour le perdre, qu'on
1'a appelé un tyran, et que le jour de la tete
a l'Etre-Supreme, ce jour Ol!. la convention a
frappé d'un meme coup l'athéisme et le des-
potisme sacerdotal, Ol! elle a rattaché a la ré-
volution tous les creurs généreux, ce jour enfio
de félicité et de pure ivresse, le président de
la convention nationale, parlant au peuple




CONVENTION NATIONALE (1794). 431
assemblé, a été insulté par des hommes cou-
pabIes, et que ces hommes étaient des repré-
sentants. On l'a appelé un tyran! et pourquoi?
JXlrce qu'il a acquis quelque influence en par-
lant le langage de la vérité. « Et que prétendez-
I( vous, s'écrie-t-il, vous qui voulez que la vérité
( soit sans force dans la bouche des représen-
« tants du peuple fran<;ais? La vérité san s doute
« a sa puissance, elle a sa cole.re, son despo-
« tisme; elle a ses acoents· touchants , terribles,
« qui retentissent avec force daos les creurs
« purs comUle dans les consciences coupables ,
( et qu'il n'est pas plus donné au mensonge
« d'imiter, qu'a Salmonée d'imiter les foudres
« du cíe1. Mais accusez-cn la nation, accusez-
« en le peuple qui la sent et quí l'aíme? -Qui
((suis-je, moí qu'on accuse? un esclave de la
c( liberté, un martyr vivant de .la l'épublique ,
« la victime autant que rennemi du crime. TOllS
« les fripons m'outragent; les actions les plus
« indiffél'entes, les plus légitimes de la part
c( des autres, sont des crimes pour moí. Un
(e homme est calomnié des qu'il me connait;
« on pardonne a d'autres leurs forfaits; 011 me
« fait a moí un ctime de mon úle. Otez-moi ma
« conscience, je suis le plus malheureux des
« hommes; je ne jouis pas meme des droits de
« citoyen, que dis-je, il ne m'est pas nH~me




432 nÉVOLUTJON FRAN';:ATSE.
« permis de remplir les devoirs d'nn représen-
« tant du peuple. »


Robespierre se défenrl ainsi par des décla-
mations subtiles et diffuses, et, pour la pre-
miere fois, il trouve la convention morne, si-
leneieuse, et eomme ennuyée de la longueur
de ce diseours. Il arrive enfin au plus vif de la
question : iI accuse. Parcourant toutes les par-
ties du gouvernement, il critique d'abord avee
une méchanceté inique le systemefinaneier.
Auteur de la loi du 22 prairial, iI s'étend avee
une pitié profonde sur la loi des rentes viageres;
iI n'y a pas jusqu'au maximum, eontre lequel
il semble s'élever, en disant que les intrigants
ont entrainé la convention dans des mesures
violentes. « Dans les mains de qui sont vos fi-
« nances? dan s les mains, s'éc~e-t-il, de feuil-
(e lants, de fripons eomius, des Cambon, des
« Mallarmé, des Ramel. " Il pass e ensuite a la
guerre, iI parle avee dédain de ces victoires,
« qu'on vient déerire avee une légereté acadé-
« mique, eomme si elles n'avaient conté ni sang
« ni travaux. Surveillez, s'écrie-t-il, surveillez
ce la victoire; surveillez la Belgique. Vos enne-
« mis se retirent et vous laissent a vos divisíons
« intestines; songez a la fin de la campagne.
« On a semé la division parmi les généraux;
« l'aristocratie militaire est protégée; les géné-




CONVENTlON NATIONALE (1794). 433
« Tal/X fideles 500t persécutés; l'admillistratíon
« militaire s'enveloppe d'uoe autorité suspecte.
( Ces vérités valent bien des épigrarnmes. »
Il n'en disait pas davantage sur Carnot et Bar-
rere; iI laissait a Saint-Just le soin d'accuser les
plans de Carnot. On voit que ce misérable
répandait sur toutes choses le fiel dont iI était
dévoré. Ensuite il s'étend sur le comité de su-
reté générale, sur la foule de ses agents, sur
leurs cruautés, sur leurs rapines; iI dénonce
Amar et Jagot comme s'éUmt emparés de la
police, et faisant tout pour décrier le gouver-
nement révoIutionnaire. n se plaint de ces
railleries qu'on a débitées a la tribune a propos
de Catherine Théot, et prétend qu'on a voulu
supposer de feintes conjurations pour, en ca-
cher de réelles. 1l montre les deux comités
eornme livrés a des intrigues, et engagés en
quelque sorte dans les projets de la faction
antÍnationale. Dans tout ce qui existe, il ne
trouve de bien que le gou"ernement révolution-
naire, maÍs seulement encore le príncipe, el
non l'exécution. Le principe est a lUÍ, e'est lui
qui a faít illstiluer ce gouvernement , mais ce
sont ses adversaires qui le dépravent.


Tel est le sensdes volumineuses déclamations
oe Robespíerre. Enfin i1 termine par ee résumé :
~{ Disons qu'il existe une conspiration eonfre


VI. 28




!¡ 31, R t;\ OLLTIO N F H,\ N~:,\ ISE.
« la liberté publique, qu'elle doit sa force a UlH'
({ coalition criminelle qui intrigue au sein meme
« de la convention; que cette coalition a des
« complices au sein du comité de surelé géné-
« rale, et dans les bureaux de ce comité qu'ils
« dominent; que les ennemis de la république
« ont opposé ce comité au comité de salut pu-
« bIic, et constitué ainsi deux gouvernements;
« que des membres du comité de salut public
« entrent dans ce complot; que la coalition
« ainsi formée cherche a perdre les patriotes et
« la patrie. Quel est le remede a ce mal? Punir
c( les traitres, renouveler les bureaux du comité
,( de sureté générale, épurer ce comité luÍ-
« meme et le subordonner au comité de saIut
« public, épurer le comité de salut public lui-
,( me me , constituer le gouvernement sous l'an-
« torité supreme de la convention llatíonale,
« qui est le centre et le juge, et écraser ainsÍ
« toutes les factions du poíds de l'autorité na-
« tíonale, pour élever sur lellrs ruines la puis-
{{ sanee de la justíce et de la liberté. Tels sont
{( les príncipes. S'íl est impossible de les récla-
« mer sans pélsser pour un ambitieux, j' en con-
« clurai que les principes sont proscrits, et que
« la tyrannie regne parmi nous , mais non que'
( je doive le taire; car que peut-on oLjecter a
« un homme qui a raison, et qui sait 1IIourÍr




CON H:NTlUN N t\. TlON A L E \ 1794). 435
« pour son pays? J e suis fait pOUl' combattre le
« crime, non poul' le gouverner. Le temps n'est
« point encore arrivé ou les hommes de bien
« pourront servir impunément la patrie. )j


Robespierre avait commencé son discours
(lans le silence , ill'acheve dans le silence. Dans
toutes les parties de la salle on reste .muet en
le regardant. Ces députés, autrefois si empres-
sés, sont devenus de glace; ils n'expl'iment
plus rien, et semblent avoir le courage de res-
ter froids depuis que les tyrans, divisés entre
eux, les prennent pour juges. Tous les visages
sont devenus impénétrables. Une espece de
rumeur soul'de s'éleve peu a peu dans l'assem-
blée; mais personne n'ose -encore prendre la¡
parole. Lecointre de Versailles, l'un des enne-
mis les plus énergiques de Robespierre, se
présente le premíer, mais c'est poul' demand~r'
l'impression du discours, tant les plus hardis
hésitent encore a livrel' l'attaque. Boul'don de
l'Oise ose s'opposel' a l'impression, en disant
que ce discours renferme des questions trop
graves, et iI demande le reuvoi aux deux co-
mités. Barrere, tOlljours prudent, appuie la
demande de l'impression, en disant que uans
un pays libre il faut tout imprimer. Couthon
s' élance a la tribulle, indigné de voir une con-
testq.tioll au líeu d'un élan d'enthousiasme, et


2.8.




·1,3L~ ,
'. u HEVOLlITJON FH'L'VVA1Si':.


réclame non-seulement l'impression, mais I'en ..
voi a toutes les communes et a toutes les ar-
mées. Il a besoill, dit-il, d'épancher son creur
ulcéré; car depuis qnelque temps on abreuve
de dégout les déplltés les plus fideles a la cause
dll peuple; on les accuse ·de verser le sang,
d'en vouloir verser encore; et cependant, s'il
croyait avoir contribué a la perte d'lln seul
innocent, il s'immolerait de douleur. Les pa-
roles de Couthon réveillerent tout ce qni res-
tait de soumission dans l'assemblée; elle vota
l'impression et l' envoi tlu disconrs a toutes les
municipalités.


Les adversaires de Robespierre allaient avoir
le désavantage; mais Vadier, Cambon , Billaud-
Varennes, Panis, Amar, demandent )a parole
ponr répondre aux accusations de Robespierre.
Les courages sont ranimés par le danger, et )a
luUe commence. Tons veulent pader a la fois.
On fixe le tour.de chacun. Vadier est admis )e
premier a s'expliquer. Il justifie le comité de
sureté générale, et sontíent que le rapport de
Catherine Théot avait pour objet de révéler
une conspiration réelle, profonde, ~t iI ajoute
d'un ton significatif, qll'ila des pie ces pour en
prouver l'importance et le danger. Camuon
jnstifie ses lois de finan ces , et sa probité, ql1i
étalt llniversellement connne et 'admiré.e dans




CONVENT/ON NAT/ONALE (1794). 437
Ull poste 011 les tentations étaient si grandes.
Il parle avec son impétuosité ordinaire; il
prouve que les agioteurs ont seuls pu etre lé-
sés par ses lois de finances, et rompant enfin
la mesure observée jusque-la. (( II est temps,
« s'éerie-t-il , de dire la verité tout entiere.
(( Est--ce moi qu'il fallt accuser de m'etre rendu
(( mait1'e en quelque ehose? l'homme qui s'é-
« tait rendu maitre de tont, l'homme qui pa-
« ralysait votre volonté, e'est eelui qui vient
(( de parler, e'est Robespierre.» Cette véhé-
menee déeoncerte Robespierre : eomme s'il
avait été aeeusé d'avoir fait le tyran en matiere
de finan ces , il dit qu'il ne s'est jamais melé
de finances, qu'iJ n'a done jamais pu gener la
convcntion en eette matiere, et que du reste,
en attaquant les plans de Cambon, il n'a pas
entendu attaquet' ses intentio.ns. Ill'avait pour-
tant qualifié de fripon. Billaud-Varennes, non
moins redoutable , dit qu'il est temps de met-
tre toutes les vérités en évidence; il parle de
la retraite de Robespierre des comités, du dé-
placement des compagnies de canonniers, dont
on n'a faÍt sortir que quinze, quoique la 10i
pe1'm\t d'en faire sorti1' vingt-quatre; il ajoute
qu'il va arracher tous les masques, et qu'il
aime mieux que son eadavre serve de. marehe-
pied a un ambitieux, que d'auto.J1is,er ses at-




438 IufVOLUTlOL\' :FJtAl'i~,:,USj,.
tentats par son silence. Il demande le rapport
du décret quí ordonne l'impression. Panís se
plaint des calomnies eontinuelles de Robes-
pierre, qni a vouln le faire passer pour allteur


. des journées de septembre; iI veut que Ro-
bespierre et Couthan s'expliquent sur les cinq
OH six députés, dont ils ne cessent depliis un
mois de demander le sacrifice aux jacobins.
Aussitot la meme chose est réclamée de ton tes
parts. Rabespierre répond avec hésitation qn'il
est venu dévoiler des abus, et qu'il ne s'est pas
chargé de justil1er ou d'accuser tel OH tel. -
Nommez, nommez les individus! s'écl'ie-t-on.
- Robespierre divague cncore, et dit que
lorsqu'il a en le courage de dépaser dan s le
sein de l:t convcntion des avis qu'il croyait
utiles, iI né pensait pas .... : - On l'inter-
rompt encore. Charlier lui crie : « Vous qui
« prétendez avoir le courage de la vertn, ayez
« celui de la vérité. Nommez, nommez les in-
« dividus!» La confnsion augmente. 011 re-
vient a la question de l'impression. Amar in-
siste pour le renvoi du discours aux comités.
Barrere, voyant l'avantage se prononeer pour
ceux qui ventent le renvoi aux comités J vicnt
s'excuser en quelque sorte d'avoir demandé le
contraire. Enl1n la eonvention révoque sa dé-
cision , et déclare que le discours de Robes-




CONVJ,NTION N ATIO"" ALJé (r 794). 439
pierre, au líeu d'etre imprimé, sera renvoyé a
J'examen des deux comités.


Cette séance était un événement vraiment
extraordinaire. Tous les dépUlés, habituelle-
Illent si soumis, avaient repris courage. Robes-
pierre, qui n'avait jamais en que de la morgue
et point d'audace, élait surpris , dépité, abattn.
Il avait besoin de se remettre; il conrt chez ses
fideles jacobins ponr retrouver des amis, et
lenr emprunter du courage. On y était déja
instruit de l'événement, et on l'attenclait avec
impatience. A peine parait-il qu'on le couvre
d'applaudissements. Couthon le SUlt, et par-
tage les memes acclamations. On demande la
Iecture du discours. Robespierre empIoie en-
eore deux grandes heul'es a le leur répéter.
Achaque instant il est interrompu par des
cris et des applaudissements frénétiques. A
peine a-t-il achevé, ql1'il ajoute quelqnes paro-
les d'épanchlilment etde doulenr. (( Ce discours
(( que vons venez d'entendre, lenr dit-il, est
«( mon testament de mort. Je l'ai vu aujour-
l( d'hui; la ligue des méchants est tcllement forte
( que je ne puis pas espérer de luí échapper.
({ Je succombe san s regret; je vous laisse ma
«( mémoire; elle vous sera chere, et vous la
«( défenclrez. » A ces paroles, on s'écrie qn'il
u'est pas temps de craÍndre el de désespérer,




440 nÉVOLUTWN ]'RA.NQAlSE.
qu'au eontraÍre on vengera le pere de la patrie
de tous les méchants réunis. Henriot, Dumas,
Cofinhal, Payan, l'entourent, et se déclarent
tont prets a agir. Henriot dit qu'il connalt en-
eore le ehemin de la convention. « Séparez,
<\ lenr dit Robespíerre, les méchants des hom-
« mes faíbles; délivrez la convelltion des scé-
« lérats qui l'oppriment; rendez-luí le service
« qu'elle attend de vous, comme au 31 mai et
« au 2 juin. Marchez, sauvez encore la liberté!
« Si maIgré tous ces efforts il faut succomber,
« eh bien! mes amis, vous me verrez boire la
(1 cigue avec calme. - Robespierre , s'écrie un
« député, je la boirai avec toi!)} - Couthon
propose a la société un nouveau serutill épu-
ratoire, et veut qu' on expulse a l'instant meme
les députés qui ont voté eontte Robespierre;
il en avait sur· lui la liste, et la fournit sur-Ie-
champ. Sa proposition est adopté e au miliell
d'un tumulte épouvantable. Collot-d'Herbois
essaie de présenter quelques réflexions , on
l'accable de huées; iI parle de ses services, de
ses dangers, des deux coups de feu de Ladmi-
ral : on le raille, on l'injuríe, on le ehasse de


. la tribune. Tous les députés présents et dési-
gnés par Couthon sont ehassés, quelques-uIls
meme sont battus. Collot se sauve au milieu
des conteaux dirigés contre lui. La société se




CONHNTION NATIONALE (179~)' 441
trouvait augmentée ce jour-la de tous les gens
d'action qui, dan s les moments de trouble , pé-
nétraient sans avoir de cartes ou avec une
carte fausse. I1s joignaient aux paroles la vioo.
leuce, et ils étaient meme tout prets a y ajou-
ter l'assassinat. L'agent national Payan, qui
était homme d' exécution, proposait un projet
hardi. Il voulaít qu'on aUat sur-Ie-champ en-
lever tous les conspirateurs, et on le pouvait ,
cal' ils étaient en ce moment meme réunis en-
semble dan s les comités dont ils étaient mem-
bres. On aurait ainsi terminé la lutte sans com-
bat et par un 'Coup de main. Robespíerre s'y
opposa; il ri'aimait pas les actions si promp-
tes; i1 pensait qu'il fa!lait suivre tous les pro·
cédés du 31 mai. On avait déja fait une péti-
líon solennelle; il avait fait un discours;
Saínt-J ust, qui venait d'arriver de l'armée, fe-
rail un rapport le lendemain matin; luí Ro-
hespierre paderait de nou vea u , et, si on ne
réussissait pas, les magistrats du peuple, ré-
unís pendant ce temps a la commune, el ap-
puyés par la force armée des sectíons, décla-
reraient que le peuple était rentré dans sa
souveraineté, et viendraient délivrer la con-
vention des scélérats qui l'égaraient. Le plan
se trouvait ainsi tracé par les précédents. On
se sépara en se promettallt pour le lendemain,




442 nÉVOLUTlON FRAN0A1SJ"
Robespierre d'etre a la cOllvention, les jaco-
biu5 dans leur salle, les magistrats munici-
paux a la eommune, et I-Ienriot a la tete de5
sections. On eomptait de plus sur les jeuncs
gens de l'école de Mars, dont le commandant,
Labreteche, était dévoué a la cause de la eom-
mune.


Telle fut eette journée du 8 thermidor, la
derniere de la tyrannie sanglante qui s'était
appesantie sur la Franee. Cependant, ce jour
encore, l'horrible machine révolutionnaire ne
cessa pas d'agir. Le tribunal siégea, des victi-
mes furent conduites a l' échafaud. Dans le
nombre étaiellt deux poetes célebres, ROl/cher,
l'auteur des lYIois, et le jeune André CheIlier,
qui laissa d'apmirables éballches, et que la
France regrettera autant que tous ces jeunes
hommes de génie, orateurs, écrivains, géné-
raux, dévorés par l' échafaud et par la guerreo
Ces dellx enfants des Muses se consolaient sur
la fatale charrette, en répétant des vers de
Raeine. Le jeune André, en montant a l'écha-
faud, poussa le eri du génie arrthé dans sa car-
riere: Mourir si jeune! s'écria-t-il en se frap-
pant le front; ily avait qllelque chose la'!


Pendant la nuit qui suivit, on s'a'gita de
toutes parts, et chacun songea a reclleillir ses
forces. Les d~·ux. ~omités étaient réunis, et dé-




COl'1VE:\'TION NATION ALE (17~i¡). 443
Jibéraiellt sur les grallds événements de la jour-
llée et sur ceux du lendemain. Ce qui venait
de se passer aux Jacobins prouvait que le maire
et Henriot soutiendraient les triumvirs, et que
le Iendemain on aurait a lutter contre toutes
les forces de la commulle. Faire arreter ces
deux principaux chefs eut été le plus prudent,
mais les comités hésitaient encore; ils VOll-
laient, ne voulaient pas; ils se sentaient comme
une espece de regret d'avoir commencé la luUe.
Ils voyaient que si la convention était assez
forte pour vaincre Robespierre, elle relltre-
raít dans tous ses pouvoirs, et qu'ils seraient
arrachés aux coups de leur rival, mais dé-
possédés de la dictature. S'entendre avec luí
eut bien mieux val u sans doute; mais iI n'était
plus temps. Robespierre s'était bien gardé de
se rendre au milieu d'eux, apres la séance
des jacobins. Saint-Just, arrivé de l'arméc de~
puis quelques heures, les observait. Il était si-
lencieux. On luí demanda le rapport dont OH
l'avait chargé dan s la derniere entrevue, et on
vouluten entendre la lecture; il répondit qu'il
ne pouvait le communiquer, l'ayant donné a
Iire a run de ses collegues. On lui demanda
d'en faire au moillS connaltre la cOllclusion;
il s'y refusa encore. Dans ce mornent, Collot
entre tout irrité de la scene qu'il venait d'es-




444 RÉVOUJl'lON FRAN~AISE.
sUyel' aux Jacobins.-«Quesepasse-t-ilauxJa-
(( cobills? lui dit Saint-Just. -Tu le demandes?
ce réplique Collot avec colere; n'es-tu pas le
c( complice de Robespierre? n'avez - vous pas
te combiné ensemble tous vos projets? Je le
« vois, vous a vez formé un infame triumvirat,
«vous vOlllez nous assassiner; mais si nous
« succombolls, vous ne jouirez pas long-temps
(e du fruit de vos crimes. )J Alors s'appFochant
de SaÍnt-J ust avec véhémence : « Tu veux, lui
« dit-iI, nous dénoncer demain matin; tu as
e( ta poche pleine de notes contre nous, mon-
« tre-Ies .... » - Saínt-J ust vide ses poches, et
assure qu'il n'en a aUCUlle. On apaise CoIlot,
et on exige de Saint-Just qu'il vienne a onze
henres dll matin communiquer son rapport,
avant de le lire a l'assemblée:Les comités,
avant de se séparer, conviennent de demallder
a la conventioll la destitulÍon d'Henriot, et
l'appel a la barre du maire et de l'agent na-
tional.


Saint-Just courut a la hate écrire son rap-
port qui n'était pas encore rédigé; et dénon<,;a
avec plus de brieveté et de force que ne l'avait
fait Robespierre, la conduite des comités en-
vers leurs collegues, l'ellvahissement de toutes
les affaires, l'orgueil de Billaud-Varennes, et
les fausses manceuvres de Carnot, qui ayalt




CONVIlNTIO'" N ATJON AU: (J 794). MI:')
transporté l'armée de Pichegru sur les cotes
de Flandre, et avait voulu arracher seize mille
hommes a Jourdan. Ce rapport était aussi pcr-
fide, mais bien autrement habile que eelui de
Robespierre. Saint-Just résúlut de le lire a la
convention sans le montrer aux comités.


Tandis que les conjurés se eoneertaient en-
tre eux, les montagnards, qui jusqu'ici s'étaient
bornés a se communiquer leurs craintes, mais
qui n'avaient pas formé de complot, couraient
les llns chez les autres, et se promettaicnt
pour le lendemain d'attaquer Robespierre d'une
maniere plus formelle, et de le faire décréter
s'il était possible. Il leur fallait pour cela le Con-
cours des députés de la Plaine, qu'ils avaient
souvent menacés, et que Robespierre, affec-
tan! le role de modérateur, avait autre{ois dé-
fendus. lIs avaient done peu de titres a leur
faveur. Ils allerent cependant trouver Boissy-
<1' Anglas, Durand - Maillane, Palasne - Cham-
peaux, tous trois constituants, dont l'exem-
pIe devait décider les autres. Ils leur dirent
qu'ils seraient ,'esponsables de tOllt le sang que
verserait encore Robespierre, s'ils ne eonsen-
taient a voter eontre lui. Repoussés d'abord,
ils revinrent a la charge jusqu'á trois fois, et
obtinrent enfin la promesse désirée. On cou-
lut encore toute la matinée du 9; Tallien pro-




1¡1¡6 !dVOLUTION 1'l\ANyA lSE.
mit de livrer· la premiereattaque, et demanda
seulement qu'on osat le suivre.


Chacun courait a son poste; le maire Flcu-
riot, l'agent national Payan, étaient a la com-
mune. Henriot était a cheval avec ses aides-de-
camp, et parcourait les rues de Paris. Les
jacobins avaient commencé une séance perma-
nente. Les députés, debout des le matin, s'é-
taient rendus a la convention avant I'heure
accoutumée. Ils parcouraient les couloirs en
tumulte, et les montagnards les entretenaient
avec vivacité, pour les décider en leur faveur.
Jl était onze heures et dcmie. Tallien, a l'une
des portes de la salle, parlait a quelques-uns
de ses collegues, lorsqu'il voií entrer Saínt-
Just, qui monte a la tribune : (( C'cst le mo-
ment, s'écrie-t-il, entrons. » On le suit, les
hancs se garnissent, et 011 attend en silcnce
l' ouvertllre de cette sdme, l'une des plus gran-
(~es de notre oragense république.


Saint-Just, qui a manqué a la parole donnée
a ses COllegllCS, et qui n'est pas alié leur lire
son rapport, est a la tribllne. Les dellx Robes-
pierl'e, Lebas, Couthon, sont assis a coté les
lIns des autres. Collot-d'Hcrbois est an fautcuil.
Saint-Just se dit chargé par les comités de faire
un rapport, et obtient la parole. U débute en
disant qu'il n'est dJaucune faction, et qu'il n'ap-




COl'iVENTION NATIONALE ',[ 794). 447
partíant qu'a la vérité; que la tribune pOllITa
etre, pour lui comme pour beaucoup d'au-
tres, la rocheTarpéienne, mais qu'il n'en dira
pas moins son opinion tout entil~re sur les di-
visions qui ont éclaté. Tallien lui laisse a peine
achever ces premieres phrases, et demande la
parole pour une motion d'ordre. Il l'obtient.
« J~a république, dit-jl, est dans l'état le pI llS
« malheureux, et aucun bon citoyen ne peut
« s'empecher de verser des larmes sur elle.
« Hier un membre du gouvernement s' est ¡solé,
«( et a dénoncé ses collegues; un antre vient
«( en faire de memo aujourd'hui. C'est assez
« aggraver nos maux; je demande qu'enfin le
« voile soit entÍcrement déchiré. JJ A peine ces
paroles sont-elles prononcées, que les applau-
dissements éclatent, se prolongent, recommen-
cent encore, et retentissent une troÍsieme fois.
C'était le signal avant-coureur de la chute des
triumvirs. BilJaud-Varennes, qui s'est emparé
de la tribune apres Tallien, dit que les jaco-
lJin5 ont tenu la veille une séance séditieuse,
Otl se trouvaient des assassins apostés, qui ont
annoncé le projet d'égorger la convention.
Une indignation générale se manifeste. « Je
« vois, ajollte Billaud-Varennes, je voís dans
« les tribunes un des hommes qui mena~aient
f( hiel' les députés fHIeles. Qu'on le saisisse!»)




41,8 R ÉVOLUTION FH AN~AISJ'.
- On s'en empare aussitót, et on le livre aux
gendarmes. BiIlaud soutient ensuite que Saint-
Just n'a pas le droit de parler au nom des co-
mités, parce qu'il ne leur a pas communiqué
son rapport; que c'est le moment pour 1'a5-
semhlée de ne pas mollir, car elle périra si elle
est faible. - Non, non, s'écrient les députés
en agitant leurs chapeaux, elle ne sera pas fai-


. hIe, et ne périra pas! - Lebas réclame la pa-
role, que BilIaud n'a pas cédée encore; il s'a-
gite, et fait dn bruit poar l'ohtenir. Sur la
demande de tous les députés, iI est rappelé a
l'ordre. JI veutinsister de nouveau.-Al'Abbaye
le séditieux! s'écrient plusieurs voix de la
Montagne. - BiIlaud continue, et, ne gardant
plus auclln ménagement, dit que Robespierre
a toujours cherché a dominer les comités;
qu'íl s'est retiré lorsqu'on a résisté a sa loi du
22 praírial, et a l'nsage qn'il se proposait d'en
faire; qu'il a vouln conserver le noble Lava-
lette, conspirateur a LiIle dan s la garde natio-
nale; qu'il a empeché l'arrestatíon d'Henriot,
complice d'Hébert, pour s'en faire une créa-
ture; qu'il s'est opposé en outre a l'arrestation
d'nn secrétaire dn comité, qui avait volé cent
quatorze mille francs; qu'il a fait enfermer,
an moyen de son bureau de poIice, le meil-
Jellr comité révolntionnaire de Paris; qu'il a




f:ONVIlNTION N HION ALE (r 794)· 449
toujours fait en tOl1t sa volonté, et qu'íl :l
voulu se remIre maitre absolu. Billand ajoute
qu'il pourrait citer encore beaucoup (I'autre5
faits, mais qu'il sllffira de dire qll'hier les
agents de Robespierre anx J acobins, les Duma~"
les Coffinhal se sont promis de décilUf~r la
convention nationale. Tandis que Billal1d pnu-
mérait ces griefs, l'assemblée laissait échap!)('r
par intervalle des mouvements d'indignatioll.
Robespierre, livide de eolere, avait quitté son
siége et gravi l'escalier' de la tribnne. Piad'
¡)erriere Billaud, il demandail la parole au pré-
sident avee une extreme violence. Il saisit le mo-
ment ou Billaud vient d'achever, pour la rede-
mander cncore plusvivement.-A bas le tyl'an!
a bas le tyran r s'écrie-t-oll dans toutes les parties
de la salle. Deux fois ce cri accusateur s'éleve, et
annonce que l'assemblée ose enfin lui donner
le nom qu'il méritait. Tandis qu'il insiste, Tal-
líen, qui s' est élancé a la tríbune, réclame la
parole, et l'obtíent avant luí. (( Tout a l'heme,
(( dit-il, je demandais que le voile Cut entiere-
c( mellt déchiré; je m'aperc,;ois qu'il vient de
( l'etre. Les conspirateurs sont démasqués. Je
tC savais que ma tete était menacée, et jus-
« qll'ici j'avais gal'dé le silence; mais hiel' j'aí
« assisté a la séance des jacobins, j'ai vu se
(( former l'armée dn nouvean Cromwell, j'ai


VI. 29




!~!)o HÉVOLlITION FRAN~,:AISF.
({ frémi pour la patrie, et je me suis armé
« d'ull poignard pour lui perccl' le sein, si la
( convention n'avait pas le courage de le dé-
« créter d'accusation. )} - En achevant ces mols,
Tallien montre son poignard, et l'assemblée
le couvre d'applaud.issements. Il propose alors
l'arrestatioll du chef des eonspiratellrs, Hen-
riot. Billaud propose d'y ajouter eelle da pré-
sident Dumas, et du nommé Boulanger, qui,
la veille, a été l'un des agitateurs les plus ar-
dents aux Jacobins. On décrete sur-Je-champ
l'al'restation de ces trois coupables.


Barrere entre dans ce moment, pour faire a
J'assemblée les propositions que le comité a
délibérées dans la nuit, avant de se séparer.
Robespierre, qui n'avait pas quitté la trihune,
profite de cet intervalle pour demander encore
la parole, Ses artversaires étaieut décidés a la luí
['efuser, de peur qu'un reste de craillte et de
servilité ne se réveillat asa yoix. Placés tous au
sommet de la MOlltagne, ils poussent de nou-
velles clamellrs, et, tandis que Rohespierre se
tourne tantot vers le président, tantot vers
l'assemblée. - A has! a has le tyran! s' écrient-
ils avec des voix de tonnerre. Barrere obtient
encore la parole avant Robespierre. On dit
que cet homme, qui,' par vanité, avait voulll
jouer un role, et ql1i, par faihlesse, trembJai¡




CONVENTJON NATlONALE (J 794). 451
maintenant de s'en etre donné un, avait deux
discours dans sa poche, 1'un pour Rohes-
pierre, l'autre pour les comités. n développe
la proposition convenue la nuít : c'est d'a-
holir le grade de commandant - général, de
rétahlir l'ancienlle loi de la légíslative, par la-
quelle duque chef de légion commandait a
son tour la force armée de París, et enfin d'ap-
peJer le maire et l'agent national a la harre,
ponr y répondre de la tranquillité de la capitale.
Ce décret est adopté sur-Ie-champ, et un huís-
sier va le communiquer a la commune au mi-
lieu des plus grands périIs.


Lorsque le décret pro posé par Barrere a été
adopté, on reprend l'énumération des torts de
Robespierre; chacun vient a son tour luí faire
un reproche. Vadier, guí voulait avoír décou-
vert une conspiration importante en saisissant
Catherine Théot , rapporte, ce qu'il n'avait pas
dit la veille, que dom Gerle possédaít un cer-
tificat de cívisme signé par Robespierre, et
que, dans un matelas de Catherine, se trouvait
une lettre dans laquelle elleappelaitRobespierre
son fils chérí. Il s' étend ensuite sur l' espionnage
dont les comités étaient entourés, avec la dif-
fllsion d'un vieiUard et une lenteur qui ne con-
venait pas a l'agitation du mOIl)(mt. Tallien,
ímpatient, remonte a la tribune et prend en-




452 nÉvoLuTION FI\AN~:AISlc,
I'o/'e la parole, en disant qu'il faut ramener la
question a son véritable point. En effet, on
avait décrété Henriot, Dumas, Boulangel', 011
avait appelé Robespierre un tyran, mais OH
n'avait pris aUCllne résolutiondécisive. Tallicll
observe que ce ne sont pas a quelques détails
ele la vie de cet honime, a ppelé !In tyran,
qu'il faut s'attacher, m~lÍs qu'il fallt en mOlltrer
l'ensemble.Alors, il cornmence un tablf':1U éner
gique de la conduitc de ce rhéteur Itu";he, or-
gueilleux et sangninaire ..... Robespierre, suf-
foqué de coler'c, l'interrompt par des cris de
fllreur.-Louchet dit: Il faut en flni.·; l'arres-
tation contre Robespierre! - Loseau ajollte :
L'acclJsation contre cc dénonciatcllrl-.L'accll·
sation 1 l'accusation! crient llne [ouJe de dépu-
tés.- Louchet se leve) et regardant autour de
Illi., demande si on l'appuie.-Oui ,0Hi ,répon-
dent cent voix. - Robespierre le jellne dit dc
5a place: « Je partage les crimes de mon [re re ,
« unissez-moi a luí. » On fait a peine atlention
á ce dévouement.-L'arrestation! l'arrestatíon!
crie-t-on encare. - Dans ce momel1t, Robes-
pierre, qlli n'avait pas cessé d'al1er de sa place
:m bllreau, et du bureau a sa place, s'approch~
ele nouveau du président et lui demande la
parole, Mais Thuriot, qui rempla(;ait Collol-
tl'Herhois au fauteuil, ne lui répond qu'C'lI




2


CONHNT/ON NATIONAU: \17\/1)· 45)
agitant sa sonnette. Alors Robespierre se tournc
vers la Montagne et n'y trouve que des amis
glacés ou des ennemis furieux; il dirige ensuite
ses yeux vers la Plaine.-c( C'est a vous, dít-¡I,
« hommes purs, hommes vertueux, c'est a
(( vous que je m'adresse el IlOIl aux hrigands. »
On détourue la tt~te , OH on le menace. Enfin , il
se reporte encore vers le président, et s'écríe:
« Pour la derniere foís, président des assas-
« sills, je te demande la paroJe.» Il prononce
ces derniers mots d'une voix étouffée et pres-
que éteinte. - Le sang de Danton t'étouffe,
lui dit Garniel' de I'Aube. - Duval, impatient


de cette futte, se leve et dii : « Président, est-
« ce que cet homme sera encore long-temps le
« maltre de la convention?- Ah! qu'un lyrall
« est dura abattrel ajoute Fréron.-Aux voix!
« auX voix!» s'écrie l.Joseau. I..'arrestationtant
proposée est enfin mise aux voix et décrétée
au miliell d'un tumulte épouvantable. A peine
le décrct cst-il rendll, que de tous les cotés de
la salle Gil se leve en criant : Vive la liberté!
vive la I'épublique! les tyrans ne sont plus!


Une foule de membres se levent et disellt
qu'ils ont entendll voter pour l'arrestation des
complices de Robespierre, Saint-Just et Cou-
rhon. Aussitot on les ajoute au décret. Lebas
~lf'In;lIIdp :. v etrp adjoint; on tui accorde sa


. .


a




454 nÚOLUTION FftAN~AISf:.
demallde ainsi qu'a Robespierre jeune. Ces
hommes inspiraient encore une telle appré-
hension, que les huissiers de la salle n'avaient
pas osé se présenter pour les traduire a la
barre. En voyant qu'ils étaient restes sur leurs
siéges, on demande pourqlioi ils ne descendent
pas a la place des accusés; le président répond
que les huissiers n'ont pas pu faire exécuter
l'ordre. Le cri : A la barre! a la barre! devient
aussitót géneral. Les cinq accusés y descendent,
Robespierre furieux, Saint-Just calme et mé-
prisant, les autres consternés de eette humi-
liation si nouvelle pour eux. Ils étaient enfin
a eette place ou ils avaÍent envoyé Vergnialld,
Brissot, PétioIl, Camille Desmolllins, Danton,
et tant d'autres de leurs collegues, pleills OU de
vertu, 011 de génie; ou de courage.


Il était cinq heures. Vassemblee avait déclare
la séance permanente; maÍs en ce moment, ac-
cablée de fatigue, elle pfoend la résolution dan-
gereuse de suspendre la séallce jusqu'a sept
pour se donner un peu de re pos. Les députés
se séparent alors, et laissent ainsi a la com-
mune, si elle a quelque audace , la faculté de
fermer le lien de leurs séances et de s'em-
parer de la domination dans París. Les cinq
accusés sont conduits an comité de sureté
genérale et interrogés par leurs collegues




CONVlm'rION ,,/ ATION ALE (1 7!J4). 455
en attendaul d'ctre traduits dans les prisons.


Pendant que ces événements si lmportants
se passaieut dans la eonvention, la commune
était resté e dan s l'attente. L'huissier Courvol
était alié lui signifier le Meret qui mettait
Henriot en alTestation, et mandait le maire et
l'agent national a la barre. II avait été [ort mal
accueilli. Ayant demandé un re<{u , le mail'p
lui avait répondu : Un jour camme aujourd' hui
on ne donne pas de rer¡u. Va ti la conl'ention,
va luí tlire que nOlls saurons le maintenir, el
dis ti Robespiel'/'e qu 'il n' ait pas pellr, ca,. lWUS
sommes ieí. Le maire s'était exprimé ensulle
lIevant le conseil général de la maniere la plus
mystérieuse sur le motif de la réunion; iI )1('
parla que du décret qui ordonnaít a la com-
mune de veíller a la tranquillité de Paris; il
rappela les époques ou cette commune avait
déployé uu granel courage, désignant assez
clairemeut le 31 maí. L'agent national Vayan,
parlant apresle maire, avaitproposé d'envoyer
deux membres du cooseil sur la place de la
commUllC, oú se trouvait' une foule immense ,
pom haranguer le peuple et l'inviter a se ré-
unir ti ses magistrats pour Salll'el' la patrie.
Ensuite on avait rédigé une adresse daos la-
quelle OH disait que des seélérats opprimaienl
RobeJpierl'c, ce citoyen vertlleux qui fit déCl'é~




456 RÉVOLUTION ~'II.AN~A ISE.
tel' le dogrne consolateur de l' Etre-Suprérne et
de l'imrnortalité de L' ame; Saint-Just, cel ap6-
tre de laverlu, qui jit cesser la trahisoll au
Rhin etau Nord; COUlllon, ceciloyenvertueux
qui n'a que le corps et la téte de vivants,mais
qui les a brúlanls de patriotisme. Aussitot
arres, on avait arreté que les sections seraient
convoquées, que les présidents et les com-
mandants de la force armée seraient mandés a
la commune pOlll' y recevoil' ses ordres. Une
députation avait été envoyée aux jacobins
pOllr qu'ils vinssent fraterniser avec la com-
mlme, et qu'ils envoyassent uu conseiI général
]eurs membres les plus énergiques et un bon
nombre de citoyens el cttoyennes des tribunes.
Sans énoncer encore l'insurrection, la com-
mune en prenait tous les moyens et marchait
ouvertement a ce but. Elle ignorait l'arrestation
des cinq députés, et c'est pourquoi elle gar-
dait encore quelque réserve.


Pendant ce temps, Henriot était monté a
cheval et courait les rues de Paris. Chemin
faisant, ji apprend qu' on a arreté cinq l'epré-
sentants; alors iI se lIIet ~l exciter le peupIe,
en criant que des scélérats oppriment les dé-
rutés fideles, qu'ils ont arre té Couthon, Saint-
.Tust et Robespierl'e. Ce misérable était a moitié
¡\Te; il s'agitait sur son cheval et bl'andissait




CONVENTfON NATIONALE (J 794). 457
son sabre comme un frénétique. Il se rend d'a-
bord au faubourg Saint·Antoine pour soulever
les ouvriers, qui comprenaient a peine ce qu'il
voulait dire, et qui d'ailleurs commelH;aienl a
s'apitoyer en voyant passer tous les jours de
nouvelles victimes. Par un hasard fatal, Hen-
riot rencontre les charrettes. En apprenant
l'arrestation de Robespierre, on les avait en-
tourées; et comme Robespierre était sllpposé
l'auteur de tous .les meurtres, on s'imaginait
que, lui arreté, les exécutions devaient finir.
On voulait, en conséquence, faire rebrousser
chemin aux condamnés. Henriot, survenant
en cet instant, s'y oppase et fait consommer
encare cette derl1iere exécution. n revient en-
suite, taujours au galop, jusqu'au Luxembourg,
et ordonne a la gendarmerie de se réunir a la
pl;¡ce de la maison commune. Il prend un dé-
tachement a sa suite, descend le long des quais
pour se rendre a la place du Carrousel et aller
délivrer les prisonuiers qui se trouvaient aH
comité de sureté générale. En courant sur les
quais avec ses aides-de-camp, il renverse plu-
sieurs personnes. Un homme qui avait sa
femme sous son btas, se tourne vers les gen-
darmes, et s'écrie: (( Gendarmes, arretez ce
hrigand, il n'est plus votre généraJ.J; Un aide-
dc- camp lui réponcl par un COll p de sabre.,




458 RÉVOI.UTlO.N j,'RAN~AJSF.
Henriot cOll1Ínue sa route, et se jette dallS la·
rue Saint-Honoré; arrivé sur la place d 11 Pa-
lais-Égalité (Palais-Royal), il aper~oit Merlin
de Thionville, et pousse a lui en criant: « Ar-
« retez ce coquin! c' est un de ceux qui persé-
(e cutent les représentants fideles!~On s'empare
aussitót de Merlin, on le maltraite et on le COll-
<luit au premier corps-de-garde. Dans les cours
du Palais-National, Henriot faít mettre pied a
terrc a ceux qui l'accompagnent, et veut pé-
nétrel' dans le palais. Les grenadiers luí en re-
fusent l'entrée et cI'oisent la baionnette. Dans
ce moment, un'huissier s'avance et dit ;-«Gen-
fe darmes, arretez ce l'ebclle; un décret de la
(e convention vous J'ordonne. »-AussÍtót OH en-
lonre Henriot~ OH le désarme, lui et plusieurs
de ses aides-de-camp, on les garrotte et OIJ
les conduít dans la salle du comité de sureté
générale, aupres de Robespierre, Couthou,
Saint-J nst et Lebas.


Jusqu'ici tout allait bien pour la conveu-
tion; ses décrets, hardiment rendlls, élaieut
heureusement exécutés; mais la commune et
les jacobins, qui n'avaient ras encore proclamé
ouvertementl'insllrrection,allaientéclatermain-
tenant,etréaliser leur projetd'un 2 juin. Par bOll-
heur, tandis que la convcntion suspelldait illl-
prudemmeut sa séance, la commune J:üsaít de




COl'<VENTION N,HIONALE ('794). 459
meme,et letemps était perdu pour toutle monde.


Le eonseil ne se rassemble de nouveau qu'a
six heures. A cette reprise de la séance, l'ar-
restation des cinq députés et d'Henriot étaít
connue. Le conseil, a eette nouvelle, ne se
contíent plus, et déclare qu'ils'insurge contre
les oppresseurs du peuple, qui veulent faire
périr ses défenseurs. n ordonne de somler le
tocsin a l'Hotel-de-V iHe et dans toutes les sec-
tions.n députe un de ses membres dans chacune
d'eHes, pour les pousser a l'insurrection, et les
décider a envoyer leurs bataillons a la com-
mune. Il envoie des gendarmes fermer les bar-
rieres, et enjoint a tous les concierges des pri-
sons de refuser les prisonniers qui leur seraient
présentés. Enfin ji nomme une commission
exécutive de douze membl'és, dans laquelle
se trouvent Payan et Coffinhal, pour diriger
l'insurrection , et user de tous les pouvoirs sou-
verains d u peuple. Dans ce moment, on avait
déja réuni sur la place de la commune quel-


, ques bataillons des' sections, "plusieurs com-
pagnies de canonniers, et une grande partie de
la gendarmerie. On COlllmence a faire preter le
serment aux commandants des bataillons actuel-
lement réunis. Ensuite on ordonnc a Coffinhal
de se rendre avec quelques cents hommes a la
conveution, pour délivT'er les prisonniers.




460 RÉVOLUTlON }O'RAN~AJSf:.
Déja Robespierre ainé avait été conduit au


Luxembourg, Robespierre jeune a la maiSOll
Lazare, Conthon a Port-Libre, Saint-Just allX
Écossais, I.ebas a la maison de justice du dé-
partement. Vordre donné par la commune aux
concierges fut exécuté, et OIl refusa les pri-
sonniers. Les administrateurs de police s'en
emparerent, et les conduisirent en voíture a
la mairíe. Quand Robespierre parut, on l'em-
brassa, on le combla de témoignages de dé-
youement, et on jura de monrír pour le dé-
fendre lui et tous les députés fielides. Pendant
ce temps, Henriot était seul resté au comitct de
sureté générale. Coffiuhal, vice-président des
jacobins, y arriva le sahre it la main, avec quel-
ques compagnies des sections, envahit les sanes
du comité, en chassa les membres, et délivra
Henriot et ses aides-de-camp. Helll'iot, délivré,
courut sur la place du Carrousel, retrouva en-
core ses chevallx, s'élan¡;;a sur l'un d'eux, et,
avec assez de présence d'esprit, dit aux COITl-
pagnies des sections et aux canonniers qlli se
trollvaient autour de luí, que le comité venait
de le déclarer innocent, et de luí restitucr le
commandement. Alors on l'entoura, i I se fit
suivre par une foule assez nombrcllse, se mit
a donuer des ordres contre la col1venliol1, el
a lJl'éparer le siége de la salle.




CONnNTION NATIONAU: (1794). 461
11 était sept hem'es du soir. La convention


rentrait a peine en séance, et dans l'intervaUe
la commune avait acquis de grands avantages.
Elle avait, eomme on vient de le voir, pro-
clamé l'insurrection, envoyé des comrnissaires
aux seetions, réuni déja autour d'elle beau-
coup de eompagnies de canonniers et de gen-
darmes, el délivré les prisonniers. Elle pou-
vait ,avec de l'audace, marcher promptemcnt
sur la convention, et luí faire révoquer ses dé-
crets, Elle comptaÜ en outre sur l'école de
Mars, dont le commandant Labreteche luí était
entierement dévoué.


J.es députés s'assemblent en tllmulte, et se
communiqueut avee effroi les nouvelles de ]a
soirée. Les membres des comités, íncertains,
effrayés, sont réunis dans une petite salle, a
coté du bureau du président. La, ils déliberent
saos 5a voir aquel parti s'arretel'. Plusieurs dé-
putés se ",uccedent a la tribllIle, et racolltent
ce qui se passe dans Paris. On rapporte que les
prisonniers sont élargis, que la eommune s'est
réunie al/X jacobins, qu' elle dispose déja d'une
force con5idérable, et que la convention va
bientot etre assiégée.Bourc1on propose de 50r-
tir en corps et de se montrer au peuple, pOlI!'
le ramener. Legendre ¿'efforce de rassurer l'as-
.'iembJée, en lui disant qu'elle ne trollvera par-




4G2 I1ÉVOLUTION FRAN9AISE.
tout que de purs et fideles montagnards prets
;\ la défendre, et il montre dans ce moment
de péril un courage qu'il n'avait pas eu contre
Robespierre. Billaud monte a la tribune, et
allllonce qu'Henriot est sur la place du Car-
rousel, qu'il a égaré les canonniers, qu'il a
fait tourner les canon s contre la salle de la
convention, et qu'il va commencer l'attaque.
Collot - d'Herbois se place alors au f:wteui!,
qui, par la disposition de la salle, devait re-
cevoir les premiers boulets, et dit en s'asseyant:
« Représentan ts, voici le moment de mourir a
« notre poste. Des scéIérats ont envahi le Pa-
« lais-National. lJ-A ces mots, tous les députés,
dont les uns étaient debout, dont les autres
erraient dans la salle, prenuent leurs place~,
et demeurent assis dans un silence majestueux.
Tous les citoyens des tribunes s'enfuient avec
un bruit épollvantable, et ne laissent apres
eux qu'un nuage de poussiere. La convention
reste abandonnée, et convaincue qu' elle va
etre égorgée, mais résolue a périr pIutót que
de souffrir un Cromwell. Admirons ¡eí l'em-
pire de l'occasion sur les conrages! Ces memes
hommes si long-temps soumis au rhéteur qui
les haranguait, bravent aujourd'hui les canon s
qu'íl a fait diriger con'tre eux, avec une su-
blime résignation. Des membres de l'assemhlt'~e




CONVENTION N ATION A u; (1 79!¡)' !,63
entrent et sortent, et apportent des nouvelles
de ce quí se passe au Carrousel. Henriot y
donne toujours des ordres. - Hors la loi, hors
la loi le brigand 1 s' écrie-t-on dans la salle. -
On rend aussitót le décret de mise hors la loi ,
et des députés vont le publier devant le Palais-
National.


Dans ee moment, Henriot, qui avait égaré
les eanonniers, et avait fait tourner les pie ces
contre la salle, voulait les engager a tirer. Il
ordoIlne le fen, mais eel/x-ei hésitent. Des dé-
putés s'écrient : « Callonníers, vous déshono-
« rerez-vous? ce brigand est hors la loi. »-Les
canonlliers alors refusent positivement d'obéir
a Henriot. Abandonné des siens, il n'a que le
temps de tourner hride, et de s'ellfuir a Ja com-
mune.


Ce premier danger passé, la convention met
hors la loÍ les députés qui se sont soustraits á
ses décrets, et tous les membres de la com-
mune qni sont en révolte. Cependant, ce n'é-
tait pas tout. Si Henriot n'était plus a la place
uu CarrolLsel, les révoltésétaientencore a la
commune avee toutes leurs forces, et avaient
encore la ressource d'un coup de maín. Il fal-
laít obvier a ce grand péril. On délibérait san s
agir. Dans la petite salle située derriere le bu-
reall, ou se trouvaient les comités et beaucou p




464 nÉvoLuTION PitA N~.A ISE.
de représentants, on proposa de nommer un
commandant de la force armée, pris dans le
sein de l'assemblée. - Qui? demande-t-on. --
Barras, répond une voix, et il aura le courage
d'accepter. - Aussit6t V úiIland court a la tri-
bune, et propose de nommer le représentant
Barras' pour diriger la force arméc. La conven-
tíon accepte la proposition, nomme Barras, et
luí adjoint six autres députés, pour commander
sous ses ordres, Fréron, Ferrand, Rovere,
Delmas, Bolleti, Léonard Bourdon, et Bour-
don de l'Oise. A cette pl'oposition, un membre
de l'assemblée en ajoute une aulre, qui n'est
pas moins importante, c'est de choisir des re-
présentants pOUl' allel' éc1airer les sections, et
leur demander le secours de leurs bataillons.
Gette derniere mesure était la plus nécessaire,
cal' il était urgent de décider les sections in-
certaines ou trompées.


Barras court vers les bataillons déja réunis,
pour leur signifier ses pouvoirs, et les distri-
buer autour de la cOllvention. Les députés
envoyés aux sections s'y rendent pour les ha-
ranguer. Dans ce moment, la plupart étaient
incertailles; tres-peu lenaient pour la commune
et pour Robespierre. Chacun avait horreur de
ce systeme atroce qu'on imputait a Robcspierre,
el désirait un événement qlli en délivrat la




CONVENTION NATION AU: (1794). Li65
Franee. Cependant la erainte paralysait encore
tous les citoyens. On n'osait pas se décider. La
commune, a laquelle les sections étaient habi-
tuées a obéir, les avait mandées, et quelques-
unes n'osant résister, avaient envoyé des com-
missaires, non pas pour adhércr au projet de
l'insurrection, mais pour s'instruire des événe-
ments. Paris était dans l'incertitude et l'anxiété.
Les parents des prisonniers, lellrs amis, tous
ceux qui souffraiellt de ce régime cruel, sor-
taient de leurs maisons, s'approchaient de rue
en rue vers les lieux ou régnait le bl'lút, et
tachaient de recueillir quelques nouvelles. Les
malheureux détenus ayant aper<{u de leurs fe-
netres grillées beaucoup de mouvement, et eu-
tendu beaucoup de rumenr, se dautaient de
quelque chose, mais ils tremblaient encare que
ce nouvel événement ll'aggravat leur sort. Ce-
pendant la tristesse des geoliers, des lPots dits
a l'oreille des faiseurs de listes, la consterna-
tion qui s'en était suivie, avaient un pell dis-
sipé les doutes. Bientot on avait su par des
mots échappés que Robespierre était en péril;
des parents étaient venus se placer sous les
fenetres des prisons, et indiquer par des signes
ce qui se passait ;aJors les prisonniers se ré-
unissant avaient laissé éclater l'allégresse la plus
vive. Les infames délateurs tremblants avaient


Vi 30




466 nÉVOLUTJON .FRANC;;:AISE.
pris quelques-uns des suspects a part, s'étaient
efforcés de se j ustifier, et de persuader qu'ils
n'étaient pas les auteurs des listes de proscrip-
tion. Quelques -uns s'avouant coupables, di-
saient cependant avolr retranché des noms;
l'un n'en avalt donné que quarante, sur deux
cents qu' on luí demandait; un autre avait
détruit des listes entieres. Dans leur effroi:, ces
misérables s'accusaient réciproquement, et se
renvoyaient l'infamie les uns aux autres.


Les députés, répandlls dans les secti.ons, n'a.
vaient pas eu de peine a l'emporter sur les obs-
curs envoyés de la commune. Les sections qui
avaient acheminé leurs bataillons él l'Hotel-de-
Ville les rappelaient, les autres dirigeaient les
leurs vers le Palais-National. Déja ce palais
était suffisamment entouré. Barras .vint ran-
noncer él l'assemblée, et courut ensuite él la
plaine des SabIons, pour remplacer Labrete-


..che, qui était destitué, et amener l'école de
Mars au secours de la convelltÍon.


La représentatlon nationale se trouvait maín-
tenant él l'abrÍ d'un coup de main. En effet,
c'était le cas de marcher sur la commune, et
de prendre l'initiative qu'elle ne prenait pas
elle-meme. On se décide a marcher sur l'Botel-
de-Vílle. Léonard Bourdon, qui était él la tete
d'ull grand nombre de bataillons, se met en




CONVENTfON NATIONALE (1794). 467
marche. Au moment ou il allllonce qu'il va
s' acheminer sur les rebelles, c( Pars, lui dit
« Tallien, qui occupait le fauteuil, et que le so-
« leí! en se levant ne trouve plus les conspira-
« teurs vivants.» Léonard Bourdon débouche
par les quais, et arrive sur la place de l'Hótel-
de-VilIe. Un grand n'mbre de gendarmes, de
eanonniers, et de citoyens armés des sections,
s'y trouvaient encore. Un ageIit du comité de
salut public, nommé Dulac, a le courage de se
glisser dans leurs rangs ,et de leur lire le dé-
eret de la convention qui mettait la commune
hors la loi. Le respect qu'on avait cOlltracté
pour cette assemblée, au nom de qui tout se
faisait depuis deux ans, le respect pour les
mots de loi et de république, l' emportent. Les
bataillonsse séparent: les UDS retourneot chez
eux, les autres se réunissent a Léonard Bour-
don, et la place de la commune reste déserte.
Ceux qui la gardaient, et ceux qui ,viennent
d'arriver pour l'attaquer, se rangent dans les
rues environnantes pour occuper toutes les
avenues.


00 avait une telle idée de la résolution des
conspirateurs, et on était si étonné de les voir
presque immobiles dans l'Hótel-de-Ville, qu'on
hésitait a approcher. Léonard Bourdon cl'ai-
gnait qu'ils n' eussent miné l'Hótel-de-Ville.


30.




468 RÉVOLUTION FRANfAISE.
Cependant il n'en étaít ríen; ils délíbéraient
en tumulte, proposaient d'écrire aux armées
et aux provinces, ne savaient pas au hom de
qui ils devaient écrire, el n'osaient pas pren-
dre un partí décisif. Si Robespierre eut osé,


_ en homme d'action, se montrer et marcher sur
la convention, elle eut été mise en péril. Mais
iI n'était qu'un rhéteur, et d'ailleurs il sentaít,
et tous ses partisans sentaient avec luí, que
l'opinion les abandonnait. La fin de cet affreux
régime était arrivée; la conventÍon était partont
obéie, et les mises hors la loi produisaient un
effet magique. Eut - il été doné d'une plus
grande énergie , il aurait été découragé par ces
circonstances, supérieures a toute force índi-
vidllelle. Le décret de mise hors la loi frappa
tout le monde de stupeur , lorsque de la place
de la cornmune iI parvint a l'Hotel-de-Ville.
Payan, qui le re<;ut, le lnt a haute voix, et,
ave e une grande présence d'esprit, ajouta a la
liste des personnes mises hors la loi le peuple
des tribunes, ce qui n'était pas dans le décret.
Contre son attente, le peuple des tribunes
s'échappa avec effroi, ne voulant pas partager
l'anatheme lancé par lUfconvention. Alors le
plus grand découragement s'empara des conju-
l'és. Henriot descendit sur la place pour ha-
r:mg'~ler les canonniers , mais il ne trouva plus




CONVENTION NA1'IONAL¡'~ (]79{~)· [~69
un seul homme. Il s'écria en jurant: « Com-
« ment! ces scélérats de canonniers qui m'out
t( sauvé il ya quelques heures, m'abandonnent
« maintenant! » Alors il remonte furietix pour
annoncer cette nouvel1e au conseil. Les conju-
rés sont plongés dans le désespoir ~ ils se voient
abandonnés par leurs troupes, et cernés de
tous cotés par celles de la convention; ils s'ac-
cusent et se reprochent .Ieur malheur. Coffin-
hal, homme énergique, et qui avait été mal
secondé, s'indigne contr'e Henriot, et lui dit :
« Scélérat, c'est ta hlcheté qui nOllS a perdus. »
Il se précipite sur lui, et, le saisissant an mi-
lien du corps, le jette par une fenetre. Le
misérable Henriot tombe sur un tas d'ordures,
qui amortissent la chute, et empeehent qu'elle
ne soit morteHe. JJebas se tire un COllp de pis-
tolet; Robespierre jenne se jette par une fene-
tre; Saint - Just reste calme et immobile, une
arme a la main, et san s vouloir se frapper;
Robespierre se déeide en fin a terminer sa car-
riere ~ et trouve dans eette extrémité le courage
de se donner la mort. Il se tire un coup de
pistolet qui, portant au-dessous de la levre, luí
peree seulement la joue, et ne lui fait qu'une
blessure peu dangereuse.


Dans ce moment, quelques hommes hardis,
le nommé Dulac, le gendarme Méda, et plu-




470 RÉVOLUTION FIlAN<';A.ISE.
sieurs autres ~ laissant Bourdon ave e ses 1a-
taillons s6r la plate de la cornmune, montent
armés de sabres et de pistolets, et entrent
dan s la salle du conseil, a l'instant meme ou
lé :bruit des deux coups de feu venait de se
faire'entenclre. Les officiersmunicipaux allaient
oter leur écharpe, mais Dulac menace de sabrer
le premier <¡ni songera él s'en dépouiller. Tont
le monde reste immobile; on s'empare de tons
les ófficiers mimicipanx, des Payan; des Flen-
riot, des Dumas, des Coffinhal, etc.; on em-
porte les blesséssnr des brancards, et on se
rend triomphalement a la 'convention ... JI était
trois heur'es dn matin. Les cris de victojre re-
tentÍssent autour de la salle, et pélH~trent jus-
qne sons ses voutes. Alo'rs les cris de -vive- la
liherté! 'vive la c()nVentioll! a, has les tyrans!
s'élevent de tomes parts. I-le président dit ces
paroles: (( Représentants, Robespierre et ses
{{ complices sont él la porte de votre salle; voulez·
« vous qu'on les transporte devant vous?» -
Non, non, s'écrie-t-on de ton s cotés; au sup-
plice les conspirateurs!


Robespierre est transporté avec les siens dans
la salle du comité de salut publico OIl l'ételld
sur une table , et on lui met quelqnes cartolls
sous la tete. Il conservait sa présence d'esprit,
et paraissait impassible. Il avait un haLit bIen,




CONVENTION N ATION ALE (1794). 471
le meme qu'il portait a la fe te de rE tre.Supreme,
des culottes de nankin, et des bas blancs,
qu'au mílieu de ce tnmulte il.,avait laissé re-
tomber sur ses son}iers. Le sahg jaillissait de
sa blessute,ill'essuyáit avec un fonrreau de
pistolet. On luí présentait de temps en temps
des mOFceallX de papier, qu'il prenait pour s'es-
suyer le visage. Il demeura ainsi plusieurs heures
ex posé a la curiosité et aux outrages d'une
fonle de gens. Quand le chirurgien arriva pour
le panser, il se leva luí - meme, descendít de
dessus la table, et alla se placer sur un fauteuil.
Il subít un pansement douloureux, sans faire
entendre aUCUDe plainte. n avait l'insensibilité
et ]a sécheresse de l'orgueiI hmnilié. Il ne ré-
pondait a aucune parole. On le transporta en-
suite avec Saint-Just" Couthon et les autres, a
la Conciergerie. Son frere et Henriot avaient,
été recueilIis a moitié morts, dans les mes qlli
avoisinent l'Hotel-de-VilIe.


La mise hors la loi dispensait d'un jugement;
il suffisait de constater l'identité. Le lendemain
matin, 10 thermidor (28 juillet), les coupa-
hles comparaissent au nombre de vingt et un
devant le tribunal Otl ils avaíent envoyé tant
de victimes. Fouquíer-Tinville faít constater
I'identité, et aquatre heures de l'apres-midi illes
fajt conduire au supplice. La foule, qui depuis


-




472 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
long-temps avait déserté le spectacle des exé-
cutions, était accourue ce jour-Ia avec un em-
pressement extreme. L'échafaud avaít été élevé
a la place de la Révolution. Un peuple immense
encombrait la rue Saint-Honoré, les TuilerÍes ,
et la grande place. De nombreux parents des
victimes suivaient les charrettes en vomíssant
des imprécations; beancoup s'approchaient en
demandant a voir Robespierre : les gendarmes
le leur désignaient avec la poínte de lenr sabre.
Quand les coupables furent arrÍvés a l'écha-
fand, les bourreaux montrerent Robespierre
a tont le peuple; ils détacherent la bande qui
entouraít sa joue, et lui arracherent le pre-
mier cri qu'il eút poussé jusque-la. Il expira
avec l'impassibilité qu'il montrait depuis vingt-
quatre heures. Saint-Just mourut avec le cou-
rage dont il avait toujours faít preuve. Cou-
thon était abattu; Henriot et Robespierre le
jeune étaient presque morts de leurs bIes sures.
Des applaudissements accompagnaient chaque
COllp de la hache fatal e , et la fonle faisait écla·
ter une .loie extraordinaire. L'alJégresse était
générale dans París. Dans les prisons on en ten·
dait retentir des cantiques; on s'embrassait
avec une espece d'ivresse, et on payait jusqu'li
:$0 fr. les feuilles qui rapportaient les dcmiers
événements. Quoique la convention n'eút. pa~




• <


CONVENTION NATION HE (J 794)· 473
déclaré qu'elle aholissait le systeme de la ter-
reur, quoique les vaínqueurs eux-memes fus-
sent 00 les auteurs ou les apotres de ce sys-
teme, on le croyait flní avee Robespierre,
tant il en avait assumé sur lui toute l'horreur.


Telle fut eette heureuse catastrophe, qui
termina la marche ascendante de la révolutíon,
pour eommencer sa marche rétrograde. La ré-
volutíon avait, au J 4 juillet 1789, renversé
l'ancienne cOIistitutioI1 féodale ~ eHe avait, au
5 et au 6 octobre, arraehé le roi a sa cour,
pour s'assurer de lui; elle s'était faít ensuite
une constitution, et l'avait conflée au monar-
que en 1791 comme a l'essai. Regrettant bien·
tot d'avoir [aÍt cet essai malheureux, déses-
pérant de coneilier la cour ave e la líbel,té, elle
avait envahi les Tuileriesau.lo aout, et plongé
Louis XVI dansles fers. L'Autriche et la Prusse
s'avaJl(,;ant pour la détruire, elle jeta, pour
HOUS servir de son langage terrible, elle jeta,
eomme gant du combat, la tete d'un roí et de
six mille prisonníers; elle s' engagea d'une ma-
niere irrévocahle dans ceUe lutte, et repoussa
les coalisés par un premier effort. Sa col ere
doubla le nombre de ses ennemis; l'accroisse-
ment de ses ennemis et dn danger redoubla
sa eolere, et la changea en furenr. Elle arra-
cha víolemment do temple des lois des répn.




474 RÉVOLUTION FRAN~ÁI5F:.
blicains sinceres, mais quí, ne comprenant
pas ses extrémités, voulaient la modérer. Alors
elle eut a combattre une moitié de la France,
la Vendée et l'Europe. Par l'effet de cette ac-
tion et de cette réaction continuelles des
obstades sur sa VOIOllté, et de sa volonté sur
les obstades, elle arriva au dernier degré de
péril el d'empórtement, elle éleva des écha-
fauds; et envoya un million d'hommes sur les
frontieres. Alors sublime et atroce a la foís,
on la vit détruire avec une fureur aveugle,
administrer avec une promptitude surprenante
et une prudente profonde. Changée par le be-
soin d'une action forte, de démocratie turbu-
lente en dictature absolue, eIJe devint réglée ,
silencieuse et formidable. Pendant toute·la fin
de 93 jusqu?au, 69mmencement de 94, elle
marcfta unie pár l'imminence du péril. Mais
quand la victoire eut couronné ses efforts, a
la fin de 93, un dissentiment put naitre alol's,
cal' des creurs généreux et forts, calmés par le
sucd~s; criaient : « Miséricorde aux vaincus! »
Mais tous les creurs n'étaient pas calmés en-
core; le salnt de la révolution n'était pas évi-
dent a tous les esprits; la pitié des uns excita
la ,fureur des autres, et il y ent des extra va-
gants qui voulurent pour tont gouvernement
un tribunal de mort. La dictature frappa les




4


CONVENTION NAl'IONAU: (1794)· 47 5
deux nouveaux partís qui embarrassaient sa
marche. Hébert; Ronsin, Vincent, pérircnt avec
Danton, Camille Desmoulins. La révolution
continua ainsi 'sa carriere, se couvrit de gloire
des le commencement de J 794, vainquit toute
l'Europe, et la couvrit de confusion. C'étaitle
moment ou la pitié devait enfin l'emporter sur
Ja coh~re. Mais iI arriva ce qui 3rrive touj ours: de
l'incident d'un jour, on voulut faire un Sys-
teme; Les chefs dugouvernement avaient sys-
tématisé la vioIence et la cruauté, et, lotsque
les dangers et les fureurs étáient passes, vou-
laient égorger et égorger encore; maisl'hor-
l'eur publique s'élevait de totites parts. A l'op-
position, iJs voulaient répondre par le moyen
accoutumé : la mort! Alors un meme cri par-
lit a la fois delenrs rivauide pouvOir,deileurs
colIegues menacés, et ce cri fut le signal du
soulevement gériéral. Il fallut quelques instants
pour secouer l'engourdissement de la crainte;
mais on y réussit bientot, et le systeme de la
terreur fut renversé.


On se demande ce qui serait arrivé si Robes-
pierre l'eut emporté. L'abandon ou il se trouva
prouve que c'était impossible. Mais eut-il été
vaiuqueur, il aurait faUn on qu'il céd:lt au sen-
timent général, ou qu'il succombat plus tardo
eomme tous les usurpateurs, iI aurait été forcé




476 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
de faire succéder aux horrenrs des factions,
un régime calme et doux. Mais d'ailIeurs ce
n'est pas a lui qu'il appartenait d'etre cet usur-
pateur. Notre révolution était trop vaste pour
que lememe homme, députéa la constituante
en 1789, fut proclamé empereur ou protec-
teur en 1804, dans l'église Notre-Dame. Dans
un pays moins avancé et moins étendu, comme
l'était l'Angleterre, ou le meme homme pou-
vait encore etre tribu n et général, et réunir
ces deux fonctions, un Cromwell a pu . etre a
la fois homme de partí au commencement,
soldat usurpateur a la fin. Mais dans une ré-
volutiou aussi étendue que la notre, et ou la
guerre a été si terrible et si dominante, ou le
meme individu ne pouvait occuper en meme
temps la ti'ibune et les camps, les hommes de
parti se sont d'abord dévorés entre eux; apres
eux sont venus les hommes de guerre, et un
soldat est resté le dernier maitre.


Robespierre ne pouvait done remplir chez
nous le role d'usurpateur. Pourquoi lui fut-il
donné de survivre a tous ces révolutionllaires
fameux, qui lui étaient si supérieurs en génie
et en puissance, a un Danton, par exem-
pie ? ... Robespierre était integre, et il faut une
bonne réputation ponr captiver les masses. JI
était sans pitié, et eIlt' perd ce ux qui en Oll t




a


CONVENTION NATIONt\LE (1794). 477
daos les révoIutions. n avait un orgueil opi-
Iliatre et persévérant, et c'est le seul moyen
de se rendrc toujours présent aux esprits. A vec
cela, iI dut survivre a tous ses rivaux. Mais il
fut de la pire es pece des hommes. Un dévot
sans passions, sallS les vices auxquels elles ex-
posent, mais san s le courage, la grandeur et
la sensibilité qui les accompagnent ordinaire-
ment, un dévot nc vivant que de son orgueil
et de sa cl'oyance, ~e cachant au jour du dan-
ger, revenant se faire adorer apres la victoire
remportée par d'autres, est un des etres les
plus odieux qui aiellt dominé les hommes, et
on dirait les plus vils, s'il n'avait eu une con-
viction forte et une i ntégrité reconnue.


FIN DU TOME SIXIf.:ME.






DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME SIXJEMK


CHAPITRE l.
Retour de Danton. - Divisions dans le parti de la Mon-


tagne, dantonistes.et hébertistes. _ Politique de Ro-
bespicrrc ct du comité de salut public.-Danton, accusé
aux Jacobins, sejustifie; il cst défendu par Robcspierre.
- A.bolition du culte de la Raison. - Derniers perfec-
tionnements apportés au gouvernement dictatorial ré-
volutionnaire. _ Énergie du comité contre tO\1S les
partis.-Arrestation de Ronsin, de Vincent, des quatre
députés auteurs dn faux décret el des agents présumés
de l'étranger ............•..... " ......... '.' 1


CHAPITRE 11.
Fin de la campagne de 1793. Manreuvre de Hoche dans


les Vosges. Retl'aite des Al1tl'Íchiens et des Prussiens.
Déblocus de Landau. - Opérations il l'armée d'Italie.
- Siége et prise ele Toulon par l'armée répnblicaine.
- Derniers combats et éehecs aux Pyrénées. - EXCllr-
sion des Vendéens au-delil de la Loire. Nombreux com-




4l:lo TABUI DES CHAPITRES.
bats; echecs de l'armée républicaine. Défaite dcs Ven-
déens au Mans, et lcur destructioll eompletc a Savcnay.
- Coup d'reil général sur la campagne de 1793.. 39


CHAPITRE 111.
Suite de la lutte des héberti~tes et des dantonistes. - Ca-


mille Desmoulins Pllblie le Vieux Carde/ier. - Le co-
mité se place entre les deux partis, et s'attache d'abord
il rep¡'imcr les hébertistes. - Disette dans Paris. -
Rapports importants de Robespicrre et de Saint-Just.
- Mouvement tente par les hébertistes. - Arrestation
et mort de Ronsin, Vincem, Héberl, Chaumette, Mo-
moro, etc. - Le comité de salut Pllblic fait subir le
m(~me sort aux dantonistes. ~ Arrestation, proces el
suppliee de Danton, Camille Desmoulins, Pbilipeallx,
Lacroix, Héralllt-Séchelles, Fabre- d'Églantine, Cha-
bot, etc ..•...•...•...........•........... 101


CHAPITRE IV.
Résultats des dernieres exécutions contre les partis enne-


mis du gouvernement. - Décret contre les ex-nobles.
- Les ministeres sont abolis et remplacés par des com-
missions. - Efforts dn comité de salul pubJic ponr
eoncentrer tous les pouvoirs dans sa main.-Abolitioll
des sociétés popnlaires, excepté celle des jacobins. -
Distriblltion du pouvoir et de l'admínistration entre
les membres du comité. - La convention, d'aprés le
rapport de Robespierre, déclare, au nom du peuple
fran~ais, la reconnaissance de I'Etre-Supréme et de l'im-
mortalite de l'ame.. . . . . . . . . . . . • . . . • • . • . . • •. 227


CHAPITRE V.
Étatde I'Europe an commencement de l'annee 1794 (an 11).


- Prépar.1tifs universels de guerreo Polítiqlle de Pitt.




T AnI.F. DES CHANTRES. 48r
Plali~ des eoalisés el des Fran~ais. - État de nos ar-
mées de terre et de mer; aetivité el énergie du gouver-
nement pour trouver et utiliser les reSSOllrees. - Ou-
vertllre de la eampagne; oecupation des Pyrénées et
des Alpes. - Opérations dans les Pays-Bas. Combats
sur la Sambre et sur la Lys. Victoire de Turcoing. -
Fin de la guerre de la Vendée. Commencement de la
gllerre des chouans .. - Événements dans les colonies.
Désastres de Saint-Domingue. Perte de la Martiniqlle.
- Bataille naval e.. . . . . . • . . . • . . . . . . . . . . . . .. 263


CHAPITRE VI.
Sitllation intériem'c au commencement de l'allnée 1794.


- Travaux admillistratifs du comité. - Lois de finan-
ces. Capitalisation des rentes viageres. - Élat des pri-
sonso Persécutions politiques. Nombreuses exécntions.
- Tentative d'assassinat sur Robespierre et Collot-
d'Ilerbois. - Domínatiop. pe Robespierre. - La secte
de la mere de Diell. 7:',1)e5 divisions se manifestent
entre les comités. -. p~ a l'Btre supreme. - Loi du
22 P1·airial réorgani'9t ,le tribunal revolutionnaire.-
Terrenr extreme. G~MIes exécutions a Paris. Missions
de Lebon, carrier~.,.M~ignet; cruautés atroces com-
mises par eux. Noy e:; dans la Loire. - Rupture entre
les chefs du comité -:salnt pubÍ1c; retraite de Robes-
pierre .......... ,., •. :: .....•............. 315


CIIAPITRE VII.
Opérations de l'armée dn Nord vers le milieu de 1794.


Pl,isc d'Ypres. - Formation de l'armée de Sambre-et-
Meusc. Bataillc de Fleurus. Occupation de Bruxclles. -
Ilcrniers jours de la terrenr; Jutte de Robespierrc el


VI. 31




TABLE DES CHAl'lTRES.


des triumvirs contre les autl'es membres des comité,.
JOl1rnócs des 8 et 9 thermidor; arrestatioll et supplice
de Robespierre, Saint-Just. ~ Marche de la rt'~Volll"
tian dcplIis Hg jusqu':\lI 9 thermi.lor, .•........ {",t;


FB DE LA TABLE.