HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRAN<;AISE. TOME IX. . '., . ' • •...
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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRAN<;AISE.


TOME IX.




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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE. ,


CI-IAPITRE I.


,


Situatioll du gouvernement dan s )'hiver de l'an V (I797)
- Caracteres et divisions des cinq directeurs, Barras,
Carnol, Rcwbel, Letourneur et Larévelliere.Lépeaux .
.:.-. État de l'opinion publique. Club de Clichy. - In-
trigues de la faction royaliste. Complot découvert de
BroUier, Laville-Heurnois et Duverne de Presle. _
Électiolls de l'an V. - Coup d'reil sur la situation de~
puissances étranger.es a I'ouvertllre de la campagne de
1197·


LES dernieres-victoires de Rívoli et de la Favo-
rite, la prise de Mantoue, avaient rendu a la
France toute sa supériorité. Le dírcctoire, tou-


Ii(. 1




2 ltÉVOLUTION FnAN~A.ISF..
jours aussi vivement injurié, inspirait la plus
grande crainte aux puissances. La moitié de
tEurope, écrivait Mallet-Dupan*, e/lt aux ge-
noux de ce divan, et marchan de l' honneur
de devenir son tributaire. Ces quinze mois d'un
regne ferme et brillant avaient cons~lidé les
cinq directeurs au pouvoir, mais y avaient M-
veloppé aussi leurs passions et leurs caracteres.
Les hommes ne peuvent pas vivre long-temps
ensemble sans éprouver bientot du penchant
ou de la répugnance les uns pour les autres,
et sans se grouper conformément a leurs incli-
nations. Carnot, Barras, RewbeI, Larével-
liere-Lépeaux, Letour~eur, formaient~déja des
groupes différents. Carnot était systématique,
opiniatre et orgueilleux. Il manquait entiere-
ment de cette qualité qui donne a l'esprit l'é-
tendue et la justesse, au {:aractere la facilité.
n était pénétrant, approfondissait bien le sujet
qu'il examinait; mais une fois engagé dans une
erreur iI n'en revenait pas. Il était probe, COll-
rageux, tres-appliqué au travail, mais ne par-
donnait jamais ou un tort, ou une blessure
faite a son amour-propre; il était spirituel et
original, ce qui est assez ordinaire chez les


.. Corre"pondance secrete avec le gouvernemf'nt dt' Vc-
lllse.


_ToI.· _______ -.;~ _ _'__"*'_'=,~.~-~. ". '" ,.




DIRECTom..: (1797)' 3
hommes concentres en eux-memes. Autrefois
il s'était brouiHé avec les me'rnhres du comité
de salut public, car iI éta.it itn'possible que Son
orgueil sympathisat avec celui dé Róbespierre
et de Saint~Just, et que son'grand cOllrage flé-
chit uevant leur 'pcspotisme. Aujourd'hlli la
meme chose ne pouvait manquer de lui arriver
au directoire. Indépendamment des occasions
(¡u'iI avait de se heurter ave e ses coUf.gues, eh
s'occupant en commun d'une tache aussi diffi~
ciIe que eeHe du gouverrrement, ét quí provo~
que si naturellement la diversité des avis, íl
nourrissait d'anciens ressentiments, particulie-
rement contre Barras. Tous ses penchahts
d'homme sévere, probe et h\borieux, l'éloi-
gnaient de ce collegue prodigue; débauclhé et
paresseux; mais il détestait surtout en luí le
chef de ces thermidoriel1s, amis et vengeurs
de Dantol1, et persécutenrs de la viéiUe Mon-
tagne. Carnot, qui était l'un des principaux alJ~
tenrs de la mort de Danton, et qui áv:tit faiUi
plus tard devenir victime des persécntíons diri.
gées contre les montagnards, ne potÍ'vait pár-
donner aux thermidoriens: aussi nourrissait-Jl
contre Barras une haine profohde.


Barras avait servi autrefois dans les ludes; il
y avait montré le cótirage d'ttn soldat. JI éUlÍt
propre, dans les troubles, a inonter il cheval,


J.




et, camme on a vu, il avaít gagné de cette
maniere sa place au directoire. Aussi, dan s
toutes les occasions difficiles, parlait-il de mon-
ter encore a cheval et de sabrer les ennemis de
la république. Il était grand et beau de sa per-
sonne; mais son regard avait quelque chose de
sombre et de sinistre, qui était pell d'accord
avec son caractere, plus emporté que méchant.
Quoiquenourri dans un rang élevé, il n'avait
rien de distingué'dans les manieres. Elles étaient
brusques, hardies et ·communes. Il avaitune jus-
tesse et une pénétration d'esprit qui, avec 1'é-
tude et .le travail, auraíent pu de"venir des
facultés tres - distinguées; mais paressellx et
ignorant, il savait tOllt an plus ce qu'on ap-
prend dans une vie assez orageuse, et il laís-
sait percer, dans les choses qu'il était appelé
a juger tons les jours, assez de sens pour faire
regretter une éducation plus soignée. Du reste,
dissolu et cynique, violent et faux comme les
méridionaux quí savent cacher la dllplicité
sous la brusquerie; républicain par sentiment
et par position, mais homme sans foi, recevant
chez lui les plus violents révolutionnaires des
faubourgs et tous les émigrés rentrés en
France, plaisant aux ,llns par sa violence tri-
viale, convenaut aux autres -par son esprit
d'intrign~, ii était en réalité chaud patriote,


r




DIRECTOIRE (1797)'
el en secret iI donnait des espérances a tous
les partís. A lui seul iI représentait le parti
Danton tout entier, au génie pres dll chef, qui
n'avait pas passé dans ses successellrs.


RewbelI, ancienavocat a Colmar, avait con-
tracté au barreau et dans nos différentes assem-
blées une grande expérience dans le rnaniement
des affaires. A la pénétration, au discerne-
rnent les plus rares, il joignait une instrllc-
tíon étendue, une mérnoire fort vaste , une rare
opiniatreté au travail. Ces qualités en faisaient
un homme précieux a la tete de l'état. Il dis-
cutait parfaitement les affaires, qlloiqu'lln peu
argutiellx, par un reste des habitudes du bar-
reau. Il joignait él une assez belle figure 1'ha-
bitllde dll monde; mais il était rude et blessant
par la vivacité et l'apreté de sonlangage. Malgré
les calomnies des eontre -révolutiollnaires et
des fripons, il était d'une sévere probité. Mal-
heurellsernent iln'était pas sans un peu d'ava-
rice; il aimait a employer sa fortune person-
nelle d'une maniere avantageuse, ce qui lui
faisait rechercher les gens d'affaires, et ce qui
fournissait de facheux prétextes a la calomnie.
n soignait beaucoup la partie des relations ex-
térieures, et il portait aux intérets de la France
un tel attachement, qu'il eut été volontiers in-
juste a l'égard des nations étrangeres. Répn-




6 luiVOLUTlON JlllAN9A ISE.
hlicain chaud, sincere et ferme, iI appartenait
originairement a la partie modérée de la con-
vention, et iI éprouvait un égal éloignement
pourCarnot et Barras, l'un comme montagnard,
l'autre comme dantonien. Ainsi Carnot, Barras,
Rewhell, issustous trois de partis contraires,
se détestaient tous trois; ainsi les haines con-
tractées pendant une longue el cruelle lutte,
ne s'étaient pas effacées sous le régime cOlJsti-
tutionnel-; ainsi les creurs ne s'étaient pas
meré!;, comme des fleuves qui se l'éunissent
sans confondre leurs eaux. Cependant, tout en
se détestant, ces trois hornmes contenaient
leurs ressentiments, et travaillaient ave e accord
~ l'reuvre.commune.


Restaient Larévelliere - Lépeaux et Letour-
nenr, qui n'avaient de haine pour personne.
Letourneur, hon homme, vaniteux, mais d'lIne
vanité facile et peu importune, qlli se conten-
tait des marques extérieures du pouvoir, et des
hommages des sentinelles, Letourneur avait
pour Carnot une respectueuse soumission. Il
était prompt a donner son avis, mais aussi
prompt a le retirer, des qu'on luí prouvait
qu'il avait tort, ou des que Carnot parlait. Sa voix
dans touteslesoccasions appartenait a Carnot.


Larévelliere, le pius honnete et le meilleur des
hommes, joignait a une grande variété de con-


« 4 _ , .. ~ ss




lJlRIlCTOIRE (1797). " I
naissances un esprit juste et observateur. Il
était appliqué, et capable de donner de sages
avis sur tous les sujets; il en donna d'excel-
Jents dans des occasions importantes. Mais iI
étaít souvent entrainé par les iUusions, ou arreté
par les scrupules d'un creur puro Il auraít voulu
quelquefois ce qui était impossible, et iI n'osait
pas vouloir ce quí était nécessaire ; car iI faut un
grand esprit pour calculer ce qu'on doit aux
circonstances, sans blesser les principes. Par-
lant bien, et d'une fermeté rare, il était d'une
grande utilité quand il s'agissait d'appuyer les
bons avis, et il servait beaucoup le directoire
par sa considération personnelle.


Son role, au. milieu de collegues qui se dé-
testaient, était extremement utile. Entre les
quatre directeurs, sa préférence se prononc;ait
en faveur du plus honnete et du plus capable,
c'est-a-dire, de Rewbell. Cependant, il avait
évité un rapprochement intime, qui eut été de
son gout, mais qui l'eut éloigné de ses autres
collegues. Il n'était pas san s quelque pen-
chant pour Barras, et se serait rapproché de
lui, s'ill'eut trouvé moins cOITompu et moins
faux. Il avait sur ce collegue un certain as-
cendant par sa considération, sa pénétration
et sa fermeté. Les roués se moquent volontiers
de la vertu, mais ils la radoutent quand elle




8 .RÉVOLUTION FRAN~AISE.
joint a la pénétratíon qui les devine, le cou-
rage qui sait ne pas les craindre. Larévelliere
se servait de son influence sur Rewbell el
Harras, pour les maintenir en bonne harmonie<
entre eux, et ave e Carnol. Gr:ke a ce concilia-
teUr, et gFa:ce :mssi a ]eur úle commun ponr
les intérets de la répllblique, ces directeurs vi-
vaient convenablement ensemble, et poursui-
vaient leur tache, se partageant clans les ques-
tions qu'ils avaient á décider, beaucoup plus
d'apres leur opinion que d'apres leurs haines.


Excepté Barras, les directellrs vivaient dans
leurs familles, occupant chacun un apparte-
ment au Luxembourg. lIs déployaient pen de
luxe. Cependant Larévelliere, qui aimait assez
le monde, les artsetles scíences, etqui se cr@yait
obligé de dépenser ses appointements d'une ma-
niere utile a l'état, recevait chez luí des savants
et des gens de lettres r mais il les traitait avec
simplicité et cordialíté. II s'était exposé mal-
heureusement a quelque ridicule, sans y avoir
du reste contribllé en aueune maniere. 11 pro-
fessait en tout point la philosophie du dix-hui-
tieme siecle, telle qu' elle était exprimée dans
la profession de foi dll<vicaire savoyard. Il SOll~
haitait la chute de la religion catholique, et se
flattaít qu'elIe finirait bientot si les gouverne-
mellls avaientla prlldence de n'employercontre




DlRECTOlRE (1797). 9
elle que l'ind~fférence et l'oubli. Il ne voulait pas
d'es pratiq lles sllperstitiellses et des images ma-
térielles de la divinité; mais il eroyait qu'il fal-
lait aux hommes des réunions, pour s'entrete-
nir en commlln de la morale et de la grandeur
de la création. Ces sujets en effet ont besoin
d'etre traités daos des' assemblées; paree que
les hommes y sont plus prompts a s'émonvoir,
et plus accessibles allX sentiments élevés et gé-
néreux. Il avait développé ces idées dans un
écrit, et avait dit qu'il faudrait un jour faire
suceéder aux cérémonies du culte catholique
des réunions assez semblables a ceHes des pro-
testants, mais plus simples encore, et plus dé-
gagées de représentation. Cette idée, accueillie
par quelques esprits bienveillants, fut aussitot
mise a exécution U II frere du célebre physicien
Haüy forma une société qu'il intitula des Théo-
philanthropes, et dont les réunions avaient pour
but les exhol'lations morales, les leetures phi 10-
sophiques et les chants pieux .. Il s' en forma plus
d'une de ce genre. Elles s'étahlirent dans des
salles louécs aux frais des associés, et sous la
surveillance de la police. Quoique Larével-
liere crut eette institution bonne, et carable
d'arracher aux églises catholiques heaucoup
de ces ames tendres qui ont besoin d'épancher
en commun leurs sentiments religíeux, il se




1 () R EVOUJTION J.'RAN!)AISE.


garda de jamais y figurer ni lui ni sa famille ~
Jlour ne pas avoir l'air de jouer un role de chef
de secte, et ne pas rappeler le pontificat de Ro-
bespierre. Malgré la réserve de Larévelliere ~
la malveillance s'arma de ce pl'étexte pour ver-
ser quelque ridicule sur un magistrat univer-
sellemellt honoré, et qui ne laissait aueune.
prise a la ealomnie. Du reste, si la théophilan-
thropie était le sujet de quelqlles plaisanteries
fort peu spirituelles chez Barras, ou dans les
journaux royalistes, elle attirait du reste assez
peu l'attention , et ne diminuait en rien le res-
pect 40nt Lal'éveHiere-Lépeaux était entomé.


Celui des directeurs qui nuisait véritablement
a la considération du gouvernement, c'était Bar-
ras. Sa vie n'était pas simple et modeste comme
celle de ses collegues; il étalait un luxe et une
prodígalité que sa participation aux profits des
gens d"affaires pouvait seule expliquer., Les fl-
nances étaient dirigées ave e une probíté sévere
par la majorité directoriale,' et par l'excellent
ministre Ramel; mais on ne pouvait pas empe-
cher Barras de recevoir des fournisseurs OH des
banquiers qu'il appuyait de son influence, des
parts de bénéflces assez considérables. JI avait
mille moyens encore de fournir a ses dépen-
ses: la Jt'rance devenaít l'arhítre de tant d'états
grallds et petits, que beauc'oup de princes de-




DIRF,CTOJRE (1797)' JI
vaientrechercher sa faveur, et payer de som-
mes considérables la promesse d'une voix au
directoire. On yerra plus tard ce qui fut tenté
en ce genre. La représentation que déployait
Barras aurait pu .n' etre pas inutile, car des
chefs d'état doivent fréquenter beaucoup les
hommes pour les ~tudier, les connaitre el les
choisir; mais ils'entourait, outre les gens d'af-
{aires, d'intrigants de toute espece, de femmes
dissolues et de fripons. Un cynisme honteux
régnait dans ses salons. Ces liaison s clandes-
tines qu'on prend a tache, dans une société
bien ordonnée, de couvrir d'un voile, étaient
publiquement avouées. On allait a Gros-Bois
se livrer a des orgies, qui fournissaient aux
ennemis de la république de puissants argu-
ments eoutre le gouvernement. Barras du reste
ne cachait en rien sa conduite, et, suivant ]a
coutume des débauchés, aimait a publier ses
désordres. Il racontait lui-meme devant ses
collegues, qui lui en faisaient quelquefois de
graves reproches, ses hauts faits de Gros-Bois
et du Luxembourg; il racontait comment iI
avait forcé un célebre fournisseur du temps
de se cbarger d'une maitresse qui commenc;;ait
a lui etre a charge, et aux dépenses de laquelIe
il ne pouvait plus suffire; commelll il s'était
vengé sur un journaliste , l'abbé Poncelin, des




12 RÉVQLUTION FRA.N~A.ISE.
invectives dirigées contre sa personne; eom-
IDent, apres l'avoir attiré au Luxembollrg, ji
l'~lVait fait fustiger par ses domestiques. Cette
€onduite de prince mal élevé, dans une répu-
blique, nuisait singulierement au directoire '1'
et l'aurait déconsidéré entierement, si la re-
nommée des vertus de Carnotet de IJarével-
liere n'eut contre-balancé le mauvais effet des
désordres de Barras.


Le directoire, institué le lendemain du 15
vendémiaire *, formé en haine de la contre-
révolution, composé de régicides et attaqué
avec fureur par les royalistes, devait etre
chandement républicain. Maís chacun de ses
membres participait plus ou moins aux opi-
nions qui divisaiellt la France. Larévelliere et
Rewbell avaient ce républicanisme modéré ,>
mais rigide, aussi opposé aux emportements de
93 qu'aux fureurs royalistes de 95. Les gagnera,
la contre-révolution était impossible. L'instinct
si sur des partis lem apprenait qu'il n'y avait
rien a obtenir d'eux, ni par des séductions,..
ni par des flatteries de journaux. Aussi n'a-
vaient-ils ponr ces deux directeul's que le
bbime le plus amer. Quant a Barras et a Car-
not, iI en était alltrement. Barras, quoiqu'il vit;


.. An IV, 4 octobrc 1795 .


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DlRF.CTOIRE (r 797).
tont le monde, étaiten réalité nn révolution-
naire ardent. Les faubourgs l'avaient en grande
estime, et se souvenaient toujours qu'il avait
été le général devendémiaire, et les conspira-
teurs <In camp de 'GrenelJe avaient cru pou-
voir compter sur lui. Aussi les patriotes le
combJaient d'éloges, et les royalistes l'acca-
bJaient d'invectives. Quelques agents seerets du
royalisme,rapprochés de lui par un cornmlln
esprit d'intrigue, pouvaient bien, comptant
sur sa dépravation, concevoir quelques espé-
rances; mais e' était une opinion a eux parti-
euliere. La masse do parti l' abhorrait et le pour-
suivait avec furenr.


Carnot, ex-montagnard, aneien membre du
comité de salut public, et exposé apres le 9
thermidor a devenir victime de la réaction roya-
liste, devait etre certainement un républieaín
prononcé, et l'était effectivement. Aa premier
moment de son entrée au directoire, il avait
fortement appuyé tous les choix faits dans le
partí montagnard; mais peu a peu, a mesure
que les terreurs de vendémiaire s'étaient cal-
mées, ses dispositions avaient ehangé. Carnot,
meme au comité de saíut publie, n'avait ja-
maís aimé la tourbe des révolutionnaires tur-
lmlents, et a vait fortement eontríblJé a dé-




"-,


14 RltVOLlJTION FnAN~AJSE.
truire les hébertistes. En voyant Barras, qui
tenait a rester roi de la canaille, s"entourer
des restes du parti jacobin , il était devenu hos-
tile pour ce parti; il avait déployé beaucoup
d'énergie clans ¡'affaire du camp de Grenelle ,et
d'autant plus que Barras était un peu compro-
mis dans cette échauffourée. Ce n'est pas tont:
Carnot était agité par des souvenirs. Le repro-
che qu'on lui avait fait d'avoir signé les actes
les plus sanguinaires du comité de salut pu-
blic, le tourmentait. Ce n'était pas assez a ses
yeux des explications fort naturelles qu'il avait
clonnées; il aurait vonlu par tous les moyens
prouver qu'il n'était pa.s un monstre; et il était
capable de beaucoup de sacrifices pour donner
eette preuve. Les partis savent tout, devinent
tout; ils ne sont difficiles a l'égard des hommes
que lorsqu'ils sont victorieux; mais quand ils
sont vaincus, ils se recrutent de toutes les ma-
nieres, et mettent particulierement un grand
soin a flatter les chef s des armées. Les roya-
listes avaient bientot connu les dispositions de.
Carnot a l'égard de Barras et du parti patriote.
lls devinaient son besoin de seréhabiliter; ils sen-
taient son importance militaire, et ils avaient
soin de le traiter autrement que ses coIlegues,
et de parler de lui de la maniere qll'ils savaient
la plus capable de le toucher·. Aussí, tandís que




DIRECTOIRE (1797)'
la cohue de leurs journaux ne tarissait pas d'in-
j lIres grossieres pour Barras, Larévelliere et
Rewbell, elle n'avait que des éloges pour J'ex-
montagnard et régicide Carnot. D'ailleurs, en
gagnant Carnot, ils' avaient aussi Letourneur,
et c'étaient deux voix acquises par une ruse
vulgaire, mais puissante, comme toutes eeHes
qui s'adressent a l'amour-propre. Carnot avait
la faiblesse de céder a ce gen re de séductioll;
et, sans eesser d'etre fidele a ses eonvictions
intérieures, iI formait, avee son ami Letollr-
Ileur, dans le sein du directoire, une espece
d'opposition analogue a celle que le nouveau
liers formait dans les deux eonseiIs. Dans toutes
les questions soumises a la décision du direc-
toire, iI se pronon«;ait pour l'avis adopté par
l' opposition des conseils. Ainsi, dans toutes les
questions relatives a la paix et a la guerre, iI
votait pour la paix, a l' exemple de l'opposition,
qui affeetait de la demander saus cesse. Il avait
fortement insisté pour qu'on fit a l'empereur
les plus grands sacrifices, pour qu'on signat la
paix avec Naples et avec Rome, sans s'arreter
a des conditions trop rigoureuses.


De pareils dissentiments ont a peine éclaté,
qu'iIs font des progre s rapides. Le parti qui
vent en profiter IOlle a outrance ceux qu'il veut
gagner, et dé verse le bJame sur les autres.






nÚVOLUTlON FRAN~AISE.
Cette tactique avait eu son succes accontllmé.
Barras, Rewbell, déja ennemis de Carnot, luí
en voulaient encore davantage depuis les élo-
ges dont il était l'objet, et lui imputaient le
déchalnement auquel eux - memes étaient en
blltte. Larévelliere employait (le vains efforts
pour calmer de tels ressentiments; la discorde
n' en faisait pas moins de funestes progres; le
public, instruit de ce qui se passait, distin-
guait le dil'ectoire en majorité et minorité, et
rangeait Larévelliere, Rewbell et Barras d'une
part, Carnot et Letourneur de )'alltre.


On classait aussi les ministres. eomme on
s'attachait beaucoup acritiquer la direction des
finan ces , on poursuivait le ministre Ramel,
administrateur excellen t, que la situation pé-
nible du trésor obligeait a des expédlents bla-
mables en tout autre temps, mais inévitables
dans les circonstances. Les impóts ne rentraient
que oifficilement a cause du désorore effroya-
ble de la perception. Il avait fallu réduire
l'imposition fonciere; et les contributions in-
directes rendaient beaucoup moins qu'on ne
l'avait présumé. Souvent on se trouvait sans
aucuns fonds a la trésorerie j et, dan s ces cas
pressants, OH prenait sur les fanels de l'ordi-
naire ce qui était destiné a l' extraordinaire, ou
bien on :mticipait sur les recettes, et on faisait




tous les marchés bizarres et onéreux auxquels
les situations de ce genre donnent lieu. On
criait alors aux abus et aux malversations 1 tan-
dis qu'il aurait fallu au contraire venir au se-
eours du gouvernement. Ramel, qui remplissait
les devoirs de son mÍnistere avec autant d'in-
tégrité que de lumÍeres, était en butte a toutes
les attaques et traité en ennemi par tons les
journaux. Il en était ainsi du ministre de la
marine Truguet, connu comme frane l'épu-
blicain, eomme l'ami de Hoche, et eomme
l'appui de tous les offieiers patrio tes ; ainsi dn
ministre des affaires étrangeres, Delacroix , ea-
pable d'etre un ban administrateul', mais du
reste mauvais diplomate, trop pédant et trap
rude dans ses rapports ave e les ministres des
puissanees; ainsi de Merlin, qui, dan s san ad-
ministration de la justice, déployait toute la
ferveur d'un républicain montaguard. Quant
aux ministres de l'intérieur, de la guerre et de
la poliee, Benezech, Petiet et Cachan, on les ,
rangeait entierement a parto Benezech avait es-
suyé tant d'attaques de la part des jacobins,
pour avair proposé de revenir' au commerce
libre des subsistances et de ne plus nourrir
París, qu'jl en était devenu agréable au partí
contre-révolutíonnaire. Administrateur habile,
mais élevé sous J'ancien régime qu'il regrettait ,


IX, ?




nÉVOLlJTlON IIHAN~:ArSE.
il méritait en partie la faveur de ceux qui le
louajent. Petiet, ministre de la g~erre, s'ac-
quittait bien de ses fonctions; mais créature
de Carnot, il en partageait entierement le sort
aupres des partís. Quant au minist.re Cocho n •
il était recommandé allssí par ses liaisons avec
Carnot; la découverte qu'il avait faite des com-
plots des jacobins, et son úle dans les pour-
suites dirigées contre eux, luí valaient la fa-
veur du, parti contraire, quí le louait avec
affectation.


Malgré ces divergences, le gouvernement
était encore assez uni pour adrninistrcr avec
vigueur et poursuivre avec gloire ses opérations
contre les puissances de l'Europe. L'opposi-
tion était toujours contenue par la majorité
conventionnelle, restée dans le corps législatif.
Cependant les élections approchaient, et le
moment arrivait on un nouveau tiers , é!u sous
l'influence du moment, remplacerait un autre
tiers conventionnel. L'opposition se flattait
d'acquérir alors la majorité, et de sortir de l'é-
tat de soumission dans lequel elle avait vécu.
Aussi, son langage devenait plus hant dans les
deux conseils, et laissait percer ses espérances.
Les membres de cette minorité se réunissaient
a Tivoli pour s'y entretenir de Ieurs projets
et y concerter leur marche. Cette. réunion de




IlJRECTOIRE (1797)' [9
députés était devenue un club des plus violents,
connu sous le nom de club de Clich'y. Les jour-
naux participaient a ce mouvement. Une mul-
titude de jeunes gens, qui sous l'ancien régime
auraient fait de petits vers, déclamaient dans
cinquante ou soixante feuilles contre les ex-
ces de la révolution et contre la convention, a
laquel/e ils i!I1putaient ces exceso On n'en vou-
1ait pas, disaicnt-ils, a la républíque, mais a
ceux qui avaient ensanglanté son berceau. Les
réunions d'électeurs se forma¡ent par avance,
et on tachait d'y préparer les choix. C'était en
tout le langage, l'esprit, les passions de ven-
démiaire; c'était la meme bonne foi et la meme
dllperie dans la masse, la meme ambition dans
quelques individllS, la meme perfidie dans
quelques conspirateurs, travaillant secretement
pOllr la royauté.


Cette faction royaliste, toujours battue, mais
toujours crédule et intrigante, renaissait sans
cesse. Partout ou iI y a une prétention appuyée
de quelques secours d'argent, iI se trouve des
intrigants prets a la servir par demisérables pro-
jets. Qnoiq~e Lemaitre eut été condamné a
mort, que la V endée fUt soumise,et que Pichegru
eut été privé du commandement de l'armée du
Rhin, les menées de la contre-révolution n'a-


2.




20 HÉVOLUTION l'I\AN~ArSE.
vaient pascessé;ellescontinuaient au contraire
avee une extreme activité. Toutes les situations
étaicnt singulierement ehangées. Le prétendant,
qualifié tour a tour de eomte de Ulle Oll de
Louis XVIII, avait quitté V érone, eomme on
a vu, pour pass el' a l'armée du Rhin. Il s' était
arre té un moment dans le eamp du prince de
Condé, oú un aeciclent mit sa yie en péril.
Étant a une fenetre, iI re<{ut un coup de fusil,
et fut légerement effleuré par la balle. Ce fait,
dont l'auteur resta ineonnu, ne pouvait man-
quer d' etre attribué au direetoire, qui n' était
pas assez sot pour payer un crime profitable
seulement au eomte d' Artois. Le prétendant ne
resta pas long-temps aupres du prince de Condé.
Sa présence dans l'armée autriehienne ne eon-
venait pas au eabinet de Vienne, qui n'avait
pas voulu le reconnaitre, et qui sentait com-
bien elle envenimerait encare la querelle avee
la !"ranee, querelle déja trop eouteuse et trop
eruelle. On lui signifia l'ordre de partir, et, sur
son refus, on fit mareher un détaehement pour
l'y eontraindre. Il se retira alors a Blankem-
bourg, ou iI continua d'etre le centre de toutes
les correspondances. Condé demeura avee son
eorps sur le Rhin. Le eomte d'Artois, apres ses
vains projets sur la Vendée, s' était retiré en
Écosse, d'ou iI correspondait encore avee


f=t:t·~ .. ·-.:<rE'm fa -F$V---zr-r..!s'! e'·5-A--.~<"""' __ -= ________ •




21


quelques iutrigants, allant et venant de la V eu~
dée en Angleterre.


Lemaltre étallt mort, ses associés avaient pris
sa place et luí avaient succédé daos la cOllfiallce
tlu prétendant. C'étaieIlt, comme on le sait
déjil, l' abbé Brottier, ancien précepteur, La-
ville-Heurnois, ci-devant maitre des reqtH~tes,
l/U cCl'tain chevalier Despomelles, et un offi.-
cÍer de marine nommé Duverne de Presle.
L'allcíen systeme de ces agents, placés a Paris,
était de tout faire par les intrigues de la capi-
tale, tandis que les Vendéens prétendaient
tout faire par J'illsurrection armée, el le prince
de Condé tout par le moyen de Pichegru. La
Vendée étant soumise, Pichegru étant con-
damné a la retraite, et une réactioll mellac;allte
éc1atant contre la révolution, les agents de París
furent d'autant plus persuadés que l'on devait
tout attendre d'ull mouvement spolltané de
l'intéricur. S'emparer d'abord des 'élections,
puÍs s' emparer par les élections des conseils,
par les conseils du directoire et des places,
leur semblait un moyen assuré de rétablir la
royaulé, avec les moyells nH~mes que leur four-
nissait la république. Mais ponr cela il falJail
mettre un terme a cette divergcllce d'idées qui
avait tonjours régné dalls les projets de contl'e
révolutioll. Puisaye, resté secretemellt eH Urit




22 RÉVOLUTION E'RA.N~AISE.


tagne, y revait, eomme autrefois, l'iosurrec-
tion de eette provinee. M. de Frotté, en N 01'-
maodie 1 tachait d'y préparer une Veodée, mais
ni l'un ni l'antre ne voulaient s'entendre avec
les agents de París. Le prinee de Condé, dupé
sur le Rhin daos son intrigué avec Pichegru,
voulait toujours la conduire a part, sans y
meler ni les Autriehiens, ni le prétendant, et
e'est a regret qu'il les avait mis daos le secreto
Pour mettre de l>ensemble dans ces projets in-
cohérents, et surtout pour avoir de l'argent,
les agents de París firent voyager l'un d'entre
eux dans les provinces de rOnest, en Angle-
terre, en Écosse, en Allemagne et en Suisse. Ce
fut Duverne de Presle qui fut choisi. Ne pou-
vant pas réussir a priver Pnisaye de son com-
mandement, 011 essaya, par l'influence du
eomte d'Artois, de le rattacher au systeme de
l'agenee de París, et de l'obliger a s'entendre
avec elle. On obtillt des Anglais la chose la
plus importante, quelques secours d'arg.ent.
On se fit donner des pouvoirs par le préten-
dant, qui faisaient ressortir toutes les intrigues
de l' agenee de Paris. On vit le prinee de Con dé ,
qu'on ne rendit ni intelligent, ni maniable.
On vit M. de Précy, qui était toujours le pro-
motenr secret des troubles de Lyon et du Midi;
enfin on concerta un plan général quí n'avait




DIRECTOIRIl (1797). 2J
ti' ensemble et d'unité que sur le papier, el qui
n'empechait pas que chacun aglt a sa fa<;on,
tI'apres ses intérets et ses prétentiolls.


Il fut eonvenu que la Franee entiere se par-
tagerait en deux agences, l'une eomprenant
rEst et le Midi, l'autre le Nord et rOuest. M. de
Préey était a la tete de la premiere, les agents
de París dirigeaient la seconde. Ces deux agences
devaíent se eoncerter dans toutes leurs opéra-
tions, et correspondre directement avec le
prétendant qui lenr donnait ses ordres. On
imagina des associations secretes sur le plan de
eeHes de Babreuf. Elles etaient isolées entre
eHes, et iglloraient le 110m des chefs, ce qui
empechait qu'on ne saislt toute la conspiration
en saisissant l'une des parties. Ces associations
devaient etre adaptées a l'état de la France.
Comme on avait vu que la plus grande partie
de la population, san s désirer le retonr des
BourboHs, von)ait l'ordre, le repos, et impu-
tait au directoire la eontinuation du systeme
révolutionnaire, on forma une ma<;onnerie
dite des philanthropes, qui s'engageaient a user
de leurs droits éLectoraux el a les exereer en
favenr d'hommes opposés au directoire. Les
philanthropes ignoraient le but secret de ces
meuées, et OH ne devait leur avouer qu'une
senle intention, ceHe de renforcer l'oppositíon.




RÉVOLUTION FllAN~AJSE.
Une autre association, plus secrete, plus cou-
centrée, moins nombreuse, el intitulée des
fideles, devait se composer de ces hornmes
plus énergiques et plus dévoués, auxquels on
pouvait révéler le secret de la faction. Les fideIes
deyaient etre secreLement armés et prets a
tous les coups de main. Ils devaient s'enrolel'
(Ians la garde natiollale, qui n'était pas encore
organisée, et, a la faveur de ce costume, exé-
cnter plussurement les ordres qn'on leur don~
nerait. Lenr mission obligée ,indépendamment
de tout plan d'insurrection, était de veiller
aux élections; et sí oa en venait aux mains,
comme cela était arrivé en vendémiaire, de
voler au secours du parti de l'opposition. Les
fideles contribuaient en otItre a cacher les
émigrés el les pretres, a faire de faux passe-
ports, a persécuter les révolutionnaires et les
acqnéreurs de biens nationaux. Ces assoria-
tions étaient sous la direction de chefs mili-
taires, qui correspondaient avec les deux
agences principales, et recevaient leurs ordres.
Tel était le nouveau plan de la faction, plan
chimérique, que l'histoire dédaignerait de ra~
porter, s'il ne faisait connaltre les reves dont
les partís se repaissent dans lenrs défaites. Mal-
gré ce prétendu ensemble, l'association el"
Midí n'aboutissait qu'a produire des compa-




DlltECTOIRE (1797)'
gníes anonymes, agissant sans direction et sans
but, et ne suÍ van t que l'inspíration de la
vengeance et du pillage. Puísaye, Frotté, Roche-
cot, dans la Bretagne et la N ormandie, travail-
laíent a part a refaire une Vendée, et désa-
vouaient la contre-révolutíon míxte des agents
(le Paris. Puisaye fit meme un manifeste ponr
déclarer que jamais la Bretagne ne seconderaít
des projets qui ne tendraient pas a rendre par
la force ouverte une royauté absolue et entii~re
a la famille de Bourbon.


Le prince de Condé continuait de son coté
a correspondre directement avec Pichegru,
dont la conduite singulit~re et bízarre ne s'ex-
plique que par l'embarras de sa position. Ce
général, le seul connu dans l'histoíre pour s'e-
tre fait hattre volontairemellt, avait luí-meme
(lemandé sa démission. Cette conduite devra
paraltre étonnante, car c'était se priver de
tout moyen d'influence, et par conséquent se
mettre dans l'impossibilité d'accomplir ses pré-
tendus desseins. Cependant on la comprendra
en examinant la position de Pichegru : il ne
pouvait pas rester général san s mettre enfin a
exécution les projets qu'il anllonc;;ait, et pour
lesquels iI avait rec;;u des sommes considéra-
bies. Pichegru avait elevant luj. trois exemples,
tuus troi5 fort différents, celui de BouiUé, d",




REVOLUTlOl'I .I'RAl'IC;AISl'.


Lafayette et de Dumouriez, qui lui pl'ollvaienr
qu'entrainer une armée était ehose impossi-
ble. 11 voulait done se mettre dans l'ímpuis-
sanee de rien ten ter, et c'est la ee qui expli-
que la demande de sa démission, que le
direetoire, ignorant encore tout-a-fait sa tra-
hison, ne lui aceorda d'abord qn'a regret. Le
prince de Condé et ses agents furent fort sur-
pris de la eonduite de Piehegru, et eruren t
qu'il lenr avait escroqué leur argent, et qu'au
fond íl n'avait jamais voulu les servir. Mais a
peine destitué, Piehegru retonrna sur les borcls
du Rhin, sous prétexte' de vendre ses équipa-
ges, et passa ensuite dans le Jura, qui était
son pays natal. De la il continua a corres pon-
dre avec les agents du prince, et ·Ieur pré-
sentasa démission eomme une combinaisOll
tres-profonde. Ilallait, disait-il, etre eonsi-
déré comme une vietime du directoire, il al-
lait se lier ave e tous les royalistes de l'inté-
rieur et se faire un partí immense; son armée,
qui passait sous les ordres de Moreau, le re-
grettait vivement, el, au premier revers qu' elle
essuyerait, elle ne manquerait pas de réclamer
son aneien général, et de se révolter pour
qu'on le lui rend1t. 11 devait profiter de ce
moment ponr lever le masque, accourír a son
armée, se clonuer la dictature, et proclamer




DIRECTO JItE (1797).
la royauté. Ce plan ridicule, eut-jl été sincere,
aurait été déjoué par les succes de Moreau,
qui, meme pendant sa fameuse retraite, n'a-
vai t cessé~' etre victorieux. Le prince de Condé,
les gélléraux autrichiens qu'il avait été obligé
de mettre dans la confidence, le ministre an-
glais en SuÍsse, Wickam, commen<;;aient a croire
que Pichegrules avait trompés. lis ne voulaient
plus continuer cette correspondan ce ; mais sur
les instances des agents intermédiaires, quí ne
veulent jamais avoir fait une vaine tentative,
1 a correspondan ce fut continuée, pour voir si
on en tirerait quelque prpfit. Elle se faisait
par Strasbourg , au moyen de qllelques espions
qui passaient le Rhin et se rendaient aupres
du général autrichien Klinglin; et aussi par
Bale, avec le ministre anglais Wickam. Pi che-
gru resta dans le Jura san s accepter ni refuser
l'ambassade de Suede, qu'on lui proposa,
mais travaillallt a se faire nommerdéputé,
payant les agents du prince des plus misérables
promesses du monde, et recevant toujOUl'S des
sommes considérables. li faisait espérer les
plus grands résultats de sa nomination aux
cinq-cents; iI se targuait d'une influence qu'il
n'avait pas; iI pretendait donller au directoire
des avis perfides, et l'illdujre a des détermina-
tions dangereuses; il s'attribuait la longue ré,·




REVOLUTlON FRANc,;:AJSE.


sistance de Kehl, qu'il disait avoir eonseillée
pour compromettre l'armée. On comptait peu
sur ces prétendus services. l\'I. le eomte de
13ellegarde écrivait: - « N ous sommes dans la
situation du joueur qui veut regagner son ar-
gent, et qui s'expose a perdre encore pour re-
couvrer ee qu'il a perdu.}) Les généraux autri-
chiens continuaient cependant a correspondre,
paree qu'a défaut de grands desseins, ils re-
cuéillaient au moins de préeieux détails sur
l'état et les mouvements de l'armée fralH;aise.
I.es infames agents de eette eorrespondance
envoyajent au général Klinglin les états et les
plans qu'ils pouvaient se procurer. Pendant
le siége de Kehl, ils n'avaient eessé d'indi-
quer eux-memes les points sur lesqueIs le
feu ennemi pouvait se diriger avec le plus
d'effet.


TeI était done alors le Fole misérable de Pi-
chegru. A vee un esprit médiocre, iI était fin
et prudent, et avait assez de tact et d' expé-
Fienee pour croire tout projet de eontre-révo·
lution inexéeutable dans le momento Ses éter-
neIs délais, ses fables pour amuser la crédulité
des agents du prinee, prouvent sa conviction
a eet égard; et sa eonduite dans des circons-
tan ces importantes le prouvera mieux encore.
n n'en recevait pas moins le prix des projets




29
qu'il ne voulait pas exécuter, et avait l'art de
se le faire offrir sans le demander.


Du reste, c'était la la conduite de toas les
agents du royalisme. lis mentaient avec impu-
dence, s'attribuaient une influence qu'ils n'a-
vaient pas, et prétendaient disposer des hom·
mes les plus importants, san s leur avoir souvent
adressé la parole. Brottier, Duverne de Presle
et Laville- Heurnois se vantaient de disposer
d'un grand nombre de députés dans les deux
conseils, et se promettaient d'en avoir bien
plus encore apres de nouvelles élections. Il
n'en était rien cependallt; ils ne communi-
quaientqu'avecledéputé Lemereretun nommé
Mersan, qui avait été exc1u du corps législa-
tíf, en vertu de la loi dll 3 brumaire contre
les parents d'émigrés. Par Lemerer ils préten-
daient avoir tous les députés composant la
réunion de Clichy. lIs jugeaient, d'apres les
discours et la maniere de voter de ces députés,
qu'ils applaudiraient probablement a la res-
tallration de la monarchie, et ils se croyaient
alltorisés par la a offrir d'avance leur dévoue-
ment et meme leur repentir au roi de Blan-
kembourg. Ces misérables en imposaient a ce
roi, et calomniaient les membres de la réllnion
de Clichy. 11 y avait la des ambitiellx qlli
étaient ennemis des conventionnels, paree que




30 RÉVOLUTION }'RAN~AISE.
les conventiouncl,s occupaient le gouvernement
toul entier, des hommes exaspérés contre la
révolution, des dupes qui se laissaient con-
duire, mais tres-pea d'hommes assez hardis
pour songer a la royauté, et assez capables
pour travailler utilement a son rétablissement.
Ce n'en était pas moins sur de tels fondements
que les agents du royalisme batissaient leurs
projets et leurs promesses.


C'est l' Angleterre qui fournissait a tous les
frais de la contre-révolution présumée; elle en-
voyait de Londres en Bretagne les secours que
demandait Puisaye.Le ministre anglais enSuisse,
Wickam, était chargé de fournir des fonds aux
deux agences de Lyon et de Paris, et <l'en faire
parvenir directement a Pichegru, qui était, sui-
vant la correspondanee,cavé pour les grands caso


Les agents de la eontre-révolution avaient la
prétention de preñdre l'argent de l'Angleterre
et de se moquer d' elle. 11s étaient convenus
avee le prétendant de recevoir ses fonds, sans
jamais suivre aueune de ses vues, sans jamais
obéir a aueune de ses inspirations, dont il fal-
lait, disait-on, se défier. L'Angleterre n'était
point leur dupe, et avait pour eux tout le mé-
pris qu'ils méritaient. Wickam, Pitt, et tous
les ministres anglais, ne comptaient pas du
tout sur les reuvres de ces messÍeurs, et n' en




DIRF-CTOIRE (1797)'
espéraient pas la contre-révolution. Illeur fal-
Iait des brouillons qui troublassent la France,
qui rép¡mdissent l'inquiétude par leurs projets,
et qui, sans mettre le gouvernement clans un
péril réel, luí causassenl des craintes exagé-
rées. Ils consacraient volontiers un mili ion ou
deux par an a cet objet. Ainsi les agents de la
contre-révolution se trompaient, en eroyant
tromper les Anglais. A vee toute leur bonne
volonté de faire une escroquerie, ils n'y réus-
sissaient pas; et l'Angleterre ne comptait pas
sur de plus grands résultats que ceux qu'ils
étaient capables de produire.


Tels étaient alors les projets et les moyens
de la faction royaliste. Le ministre de la po-
lice, Cochon, en eonnaissait une partie; il sa-
vait qu'il existait a París des correspondants
de la cour de Blankembourg; ear dans notre
longue révolution, ou tant de complots se sont
succédé, i1 n'y a pas d'exemple d'une conspi-
ration restée inconnue. 11 suivait attentivement
leur marche, les entourait d'espions, et atten-
dait de Ieur part une tentative caraetérisée,
pour les saisÍr avee avantage. lIs luí en four-
nirent bientot l'occasion. Poursuivant leur
beau projet de s'emparer des autorités, ils
songerent a s'assurer d'abord des autorités mi-
litaires de Paris. Les principales forces de la




32 RÉVOLUTfON FRAN<;:AJSE.
capitale consistaieut dans les grenadiers dn
corps législatif, et dans le camp des Sablons.
Les grenadiers du corps légíslatif étaient une
troupe d'élite de douze cents hommes, que la
eonstitution avait plaeés aupres des deux con-
seils, comme garde de su reté et d'honueur.
Leur commandant~ l'adjuclant-général Ramel,
était connu pour ses sentiments modérés, et
aux yeux des imbéciles agents de Louis XVIII,
e' étai tune raisan suffisante pour le croire
royaliste. La force armée réunie aux Sablons
s'élevait a peu pres a douze mille hommes. Le
commandant de eette force armée était le gé-
néral Hatry, brave homme qu'ou u'espérait
pas gagner. On songea au colonel du 2 le de
dragons, le nommé Malo, qui avait ehargé si
brusquement les jaeobins 10rs de leur ridieule
tentative sur le camp des Sablons. On raisonna
pour lui eomme pour Ramel; et paree qu'j}
avait repoussé les jacobins , on supposa qu'il
aeeueillerait les royalistes. BroUier, Laville-
Heurnois et Duverne de Presle les sonderent
tous les deux, et leur tirent des propositions
qui furent écoutées, et dénoneées sur-Ie-champ
au ministre de la police. Celui-ci enjoignit a
Ramel et Malo de eontinuer a écouter les eons-
pirateurs, ponr connaitre tout leur plan. Ceux-
ei les laisserent développer longuement leurs




DIRECTOIRE (1797)' 33
projets, leurs moyens, leurs espérances; et on
s'ajourna a une prochaine entrevue, dans la-
quelle ils devaient exhiber les pouvoirs qu'ils
tenaient de Louis XVIII. C'étaít le moment
choisi pour les arre ter. Les entrevues avaient
lieu chez le chef d'escadron Malo, dans l'ap-
partement qu'il occupait a l'École - Militaire.
Des gendarmes et des témoins furent cachés,
de maniere a tout entendre, et a pouvoir se
montrer a un signal donné. Le 1I pluviose
( 30 janvier), en effet, ces misérables dupes
se rendirent chez Malo avec les pouvoirs de
Louis XVIII, et développerent de llouveau
leurs projets. Quand on les eut assez écoutés,
on feignit de les laisser partir, mais les agents
apostés les saisirent, et les conduisirent chez
le ministre de la police. Sur-le-champ on se
rendit a leurs domiciles, et on s'empara en leur
présence de tons leurs papiers. On y trouva
des lettres qui prouvaient suffisamment la
conspiration , et qui en révélaient en partie les
détails. On y vit, par exemple, que ces mes-
sieurs composaient d~ leur chef un gouverne-
ment tout entier. I1s voulaient dans le premier
moment, et 'en attendant le retour du roi de
Blankembourg, laisser exister une partie des
autorités actuelles. lIs voulaient nommément
conserver Benezech a l'intérieur, Cochon a la


IX. 3




34 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
police; et si ce dernier, cornme régicide, ef-
farouchait le(royalistes, jis projetaient de met-
tre a sa place M. Siméon OH M. Portalis. lIs
voulaient encore placer aux finan ces M. Barbé-
Marbois, qui a, disaient-ils, des talents, de l'ins-
truction, et quí passe pour honnéte. Ils n'a-
vaient point consulté certainernent ni Benezech,
ni Cochon, ni MM. Portalis, Sirnéon et Barbé-
Marbois, auxquels ils étaient totalement in-
connus; mais ils avaient disposé d'eux, comme
d'usage , a leur insu, et sur leurs opinions pré-
sumées.


La découverte de ce complot produisit une
vive sensation, et pro uva que la république
devait toujours etre en garde contre ses an-
ciens ennemis. Il causa un véritable étonne-
ment dans toute l'opposition, quí aboutissait
an royalisme sans s'en douter, et quí n'était
nullement dans le secreto Cet étonnement prou-
vait combien ces misérables se vantaient, en
annon~an~ 11 Blankernbonrg qu'ils disposaient
d'un grand nombre de membres des deux
conseils. Le directoire voulut sur-le-champ les
l¡vrer a une commission militaire. lis décline-
rent cette compétence, en soutenant qu'ils
n'avaient point été surpri.s les armes a la rnain,
ni faisant une tentative de vive force. Plusieurs
fléputés, qui s'unissaíent de sentiment a leur




UlRECTOIRE (1797). 35
cause, les appuyerent dans les conseils; mais
le directoire n'en persista pas moins a les tra-
duire devant une commission militaire, comme
ayant tenté d'embaucher des militaires.


Leur systeme de défense fut assez adroit. lis
avouerent leur qualité d'agents de Louis XVIII,
mais soutinrent qu'ils n'avaient d'antre mission
que ceHe de préparer l'opinion, et d'attenclre
el'elle seule, et non de la force, le retour aux
idées monarchiques. lIs furent condamnés a
mort, mais leur peine fut commnée en une
détention, pour pl'ix des révélations de Du-
verne de Presle". Cellli·ci fit all directoire une
10ngue déclaration, qui fut insérée au registre
secret, et dan s laquelIe iI dévoila tontes les me-
nées des foyalistes. Le directoire, instruit de
ces . dét~ils, se garda de les publier, pour ne
point apprendre aux conspirateurs qu'il con-
naissait leur plan tont entier. Dllverue de Presle
ne lui dit rien sur Pichegru, dont les intrigues,
aboutissant directement au prince de Condé,
étaient restées illcollllues aux agents de Paris;
mais iI déelara vaguement, d'apres des oUl-
<lire, que l'on avait essayé de pratiquer des
intelligences dans l'une des principales armées.


Cette arrestation de lems principaux agents


.. [9 germinal (8 aVl'il).
3.




36 JtÉVOLUTION FllANQAJSE.
aurait pu déjouer les intrigues des royalistes,
s'ils avaient eu un plan bien lié; mais chacun
agissant de son coté, et a sa maniere, l'arresta-
tíon de Brottier, Laville·Heurnois et Duverne
de Presle, n'empecha point MM. Puisaye et de
Frotté d'intríguer en N ormandie et en Breta-
gne, M. de Precy a Lyon, et le prince de Condé
dans l'armée du Rhin.


On jugea peu de temps apres Babreuf et ses
complices; ils furent tous acquittés, excepté
Babreuf et Darthé qui subirent la peine de
mort *.


L'affaire importante était ceHe des élections.
Par opposition au directoire ou par l'oyalisme,
une foule de gens s'agitaient pour les influen-
cero Dans le Jura, on travaillait a faire nommer
Pichegru; a LyoÍl M. Imbert-Colomes , run des
agents de Louis XVIII dans le Midi. A Ver-
sailles, on faisait élire un M. de Vauvilliers,
gravement compro mis dans lé complot décou-
yerto Partout enlin on préparaít des choix hos-
tiles au directoire. A Paris, les électeurs de la
Seine s'étaient réunis pour concerter leurs
nominations. Ils se proposaient d'adresserles
demandes suivantes allx candidats : AS-lit ac-
quis des biens nationaux? As-tu étéjournaliste?


,.. 6 prairial (2.5 mai).




DIRECTOIRE (1797)'
As-tu écrit, agi et fait quelque chose dans la
rél'olution? On ne devait nommer aucun de
ceux qui répondraient affirmativement sur ces
questions. De pareils préparatifs annolll;aient
cambien était violente la réaction contre tous
les hommes qui avaÍent pris part a la révolu-
tion. Cent journaux déclamaient avec véhé-
menee, et produisaient un véritable étourdisse-
ment sur les esprits. Le directoire n'avait, pour
les réprimer, que la loi qui punissait de mort
les écrivains provoquant le retour a la royauté.
Jamais des juges ne pouvaient consentir a ap-
pliquer une loi aussi cruelle. Il demanda pour
la troisieme fois aux conseils, de nouvelles dis-
positions législatíves qui lui furent encare re-
fusées. Il propasa aussi de faire preter aux
électeurs le serment de haine a la royauté;
une vive discussion s'engagea sur l'efficacité
du serment, et on modifia la proposition, en
changeant le serment en une simple déclara-
tion. Chaque électeur devait déclarer qu'il était
également opposé a l'anarchie et a la royauté.
Le directoire, sans se permettre aucun des
moyens honteux, si souvent employés dan s les
gouvernements représentatifs pour iufluer sur
les élections, se contenta de choisir pour com-
missaires aupres des assemblées, des hommes
connus par leurs sentíments républícains, et




38 RÉVOLUTlON FnAN~AISE.
ele faire écrire des circulaires par le IDlntstre
Cocho n , dan s lesquelles il recommandait aux
électeurs les candidats de son choix. On se
récria beaucoup contre ces circulaires, qui
n'étaient qu'une exhortation insignifiante, et
point du tout une injonction; car le nombre,
l'indépendance des électeurs, surtout dans un
gouvernement 011 presque toutes les places
étaient électives, les mettaient a l'abri de l'in-
fluence' du directoire.


Pendant qu'on travaiHait ainsi aux élections,
OH s'occupait beaucoup dll choix d'un nouveau
directeur. La questioll était de savoir Jequel
des cinq serait désigné par le sort, conformé-
ment a la constitution, pour sortir du direc-
toire : si o'était Barras, Rewbell ou Larével-
liere-Lépeaux, l' opposition était assurée, avec
le secours du nouveau tiers, de nommer un
directeur de son choix. Alors elle espérait avoir
la majorité dans le gouvernement; en quoi elle
se flattait beaucoup, car bientot ses folies n'au-
raient pas manqué d' éloigner d"elle Carnot et
Letourneur.


Le club de Clichy discutait bruyamment le
choix du llouveau directeur. On y proposait
Cochon et Barthélemy. Cochon avait perdu un
pell dans l'opinion des contre-révolutionnaires,
depuis qu'il avait faít arre ter Brottier et ses




DIRECTOIRE (1797)' 39
compliees, surtout depuis ses eirculaires aux
électeurs. On préférait BarthéIemy, notre em-
bassadeur en Suisse, que ron eroyait seere-
tement lié avec les émigrés et le prince de
Condé.


Les bruits les pI us absurdes étaien t répandus
:m milieu de eette agitation. On disait que le
directoire voulait faire arreter les députés nou-
veI1ement éJus, et empecher Ieur réunion; on
soutenait meme qu'il voulait les faire assassiner.
Ses amis, de leur coté, disaient qu'on prépa-
raít son aete d'accusatíon a Clíehy, et qu'on
n'attendait que le Ilouveau tiers pour le pré-
senter aux cinq-cents.


Mais tandís que les partis s'agitaient, dans
l'attente d'un événement qui devait altérer les
majorités, et changer la direction du gouver.
nement de la république, une eampagne JlOU-
velle se préparait, et tout annoIl~ait qu'elle
serait la derniere. Les puissanees étaient a peu
pres partagées eomme l'année préeédente. La
Franee, unie al' Espagne et a la HolIaude, avait
a lutter avee l'Angleterre et 1'Autriehe. Les
sentiments de la eour d'Espagne u'étaient pas
et ne pouvaient pas etre favorables aux répu-
blicaiIls franc;ais; ~ais sa politique, dirigée par
le prince de la Paix, était entieremellt pour
eux. Elle regardait leur amanee eomme le




1,0 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
moyen le plus súr d'etre protégée contre leurs
principes, et se flattait avec raison qu'ils ne
voudraient pas la révolutionner, tant qu'ils
trouveraient en elle un puissant auxiliaire ma-
ritime. D'ailleurs, ene avaít une vieille haine
contre l'Angleterre, et se flattait que l'union
de toutes les marines du continent lui fourni ..
rait un moyen de venger ses injures. Le prince
de la Paíx, voyant son existen ce attachée a cette
poli tique , et sentant qu'il périrait avec elle,
employait, a la faire triompher des sentiments
de la famille royal e , toute son influence sur la
reine; il Y réussissait parfaitement. Il résultait
toutefois de cet état de choses que les Fralll;ais
étaient individuellement maltraítés en Espagne,
tandis que leur gouvernement y obtenait la
plus grande déférence a ses voloptés. Malheu-
reusement la légation franc;aise ne sy conduisit
ni avec les égards dus a une puissance amie,
ni avec la fermeté nécessaire pour protéger les
sujets fran~ais. L'Espagne, en s'unissant a la
France, avait perdu J'importante colonie de la
Trinité. Elle espérait que si la France se déli-
vrait eette année de l' Au triche, et reportait
toutes ses forees eontre l'Angleterre, on ferait
expier a celle-ei tous ses avantages. La reine se
flattait surtout d'un agrandissement en ltalie
ponr son gendre, le duc de Parme. n était ques,




DlRECTOIRE (J 797)'
lion encore d'une entreprise contre le Portugal;
et, dans ce vaste bouleversement des états, la
cour de Madrid n'était pas sans quelque espé-
rance de réunir toute la péninsule sous la meme
domination.


Quant a la HoIJande, sa situation était assez
triste. Elle était agité e par toutes les passions
que provoque un changement de constitution.
Les gens raisonnables, qui voulaient un gou-
vernement dans Jequel on conciliat l'ancien
systeme fédératif avec l'unité nécessaire pour
donner de la force a la république batave,
avaient a combattre trois partis également dan-
gereux. D'abord les orangistes, comprenant
toutes les créatures du stathouder, les gens vi-
vant d'erop1t>is, et la populace; secondement
les fédéralistes, comprenant toutes les faroilles
riches et puissantes qui youlaient conserver
I'ancien état de choses, au stathoudérat pres,
quí blessait lenr orgueil; enfin les démocrates
prononcés, parti bruyant, audacieux, impla-
cable, composé des tetes ardentes et des aven-
tnriers. Ces trois partis se combattaient avec
acharnement et retardaient l'établissement de
la constitution du pays. Outre ces embarras,
la Hollande craignait toujours une invasion de
la Prusse, qui n'était contenne que par les
sueces de la France. Elle voyait son commerce






4~ RÉVOLUTION l<'lUNc.;AISE.
gené dan~ le Nord par les Anglais et les Rus-
ses; enfln elle perdait tontas ses colonies par
la trahison de la plupart de ses commandants.
Le cap de Bonne-EspéraIlce, Trinquemale, les
Moluques étaient déja au pouvoir des Anglais.
Les tl'oupes fran<;aises, campées en Hollande
pour la couvrir contre la Prusse, observaient
la plus louable et la plus sévere discipline;
mais les administrations et les chef s militaires
ne· s'y conduisaient ni avec ménagement, ni
avec probité. Le pays était done horriblement
surchargé. On en pourrait conclure que la Hol-
lande avait mal faít de se lier a la FraIlce, mais
ce serait raisonner légerement. La Hollande,
placée entre les deux masses belligérantes, ne
pouvait pas échapper a I'influence des vain-
queurs. Sous le stathouder , elle éúlit sujette
de l'Angleterre et sa,.crifiée a ses intérets; elle
avait de plus l'esclavage intérieur. En s'aIJiant
a la France, elle courait les chances attachées
a la nature de c~tte puissance, continentale
plutot que maritime, et compromettait ses co-
lonies; mais elle pouvait un jour, grace a I'u-
nion des trois marines du continen!, recouvrer
ce qu'elle avait perdu; elle pouvait espérer une
constitution raison nable sons la protection fran-
(,;aise. Tel est le sort des états : s'ils sont forts,
ils font eux.-memes leurs révolutions, maís iIs




lHRECTOJRE (1797).
en snbissent tons les dé~astres et ~e noient dans
leur propre sang; s'ils sont faíbles, ils voient
leurs voisillS venir les révolutionller a main
armée, et subissent lous les inconvénients de
la présence des armé es étrangeres. lIs ne s'é ..
gorgent pas, mais ils paient les soldats qui
~iennent faire la poli ce chez eux. Telle était la
destinée de la Hollande, et sa situation par
rapport a nons. Dan s cet élat, elle n'avait pas
été fort qtile au gouvernement fralH,;ais. Sa ma-
rine etson armée se réorganisaient tres-Iente-
ment; les rescriptions bataves, avec lesquelles
avait été payée l'indemnité de guerre de cent
millions, s'étaient négociées presque ponr rien,
et les avantages de l'alliance étaient devenus
presque nuls pour la France : aussi il s'en était
ensuivi de l'humeur entre les deux pays. Le
directoire reprochait an gouvernement hollan-
dais de ne pas tenir ses engagements, et le
gouvernement hollandais reprochait au direc-
toire de le mettre dans I'impossibilité de les
remplir. Malgré ces nuages, les deux puissan-
ces marchaient cependant au meme but. Une
escadre et une armée d'embarquement se pré-
paraiellt en Hollande, pour concourir aux pro-
jets du directoire.


Quant a la Prusse, une grande partie de l' AI-
lemagne, au Danemark, a la Suede et a la




44 RÉVOLUl'ION FRAN~AISE.
Suisse, la Franee était toujours avec ces états
dans les rapports d'une exaete neutralité. Des
nuages s'étaient élevés entre la Franee et l'A~
mérique. Les États-Unis se eonduisaient a notre
égard avec autant d'injustice que d'ingratitude.
Le vieux Washington s' était laissé entrainer
dans le parti de John Adams' et des Anglais,
qui voulaient ramener I'Amérique a l'état aris-
toeratique et monarchique. Les torts de quel-
ques corsaires et la eonduite des agents du
comité de salut public Ieur servaient de pré-
texte; prétexte bien peu fondé, ear les torts
des Anglais envers la marine américaine étaient
bien autrement graves; et la conduite de nos
agents s'était ressentie du temps, et devait etre
excusée. Les fauteurs du parti anglais répan-
daient que la Franee voulait se faite céder par
l'Espagne les Florides et' la Louisiane; qu'au
moyen de ces provinces et du Canada, elle
entourerait les États-Unis, y semerait les prin-
cipes démocratiques, détacherait successive-
ment tous les États de l'Union, dissoudrait
ainsi la fédération américaine, et composerait
une vaste démocratie entre le golfe du Mexi-
que et les cinq lacs. Il n'en était ríen; mais ces
mensonges servaicnt a échauffer les tetes et
a faire des ennemis a la Franee. Un traité de
commerce venait d'etre concIu par les Améri-




DIRECTOIRE (J 797). 45
caÍns avec I'Angleterre; iI renfermait des si:i-
pulations qui transportaient a eette puissance
des avantages réservés autrefois a la France
seu le , et dus aux services qu'elle avait rendus
a la cause américaine. L'avÍs d'une rupture ave e
les États-Unis avait des partisans dans le gou-
vernement fran~ais. Monroe, qui était ambas-
sadeur a Paris, donnait a cet égard les plus
sages avis au directoire. - La guerre avec la
Franee, disait-il, forcera le gouvernement amé-
ricain a se jeter dans les bras de l' Ahgleterre, et
le livrera a son influence; l'aristocratie domi-
nera aux États-Unis, et la liberté sera compro-
mise. En 50uffrant patiemment, aucontraire, les
torts du président actuel, on le laissera sans
excuse, on éclairera les Amérieains, et on dé-
cidera un ehoix contraire a la prochaine élee-
tion. Tous les torts dont la Franee peut avoir
a se plaindre seront alors réparés. - Cet avis
sage et prévoyant l'avait emporté au direc-
toire. Rewbell, Barras, Larévelliere le firent
triompher eontre l'avis du systémátique Car ..
not, qui, quoique disposé ordinairement pour
la paix, voulait qu' on se 6t donner la Loüi-
siane, et qu'on y essayat une république.


Tels étaient Jes rapports de la Franee avec
les puissances qui étaient ses alliées ou simple-
ment ses amies. L' Angleterre et l'Autriche




l¡6 RÉVOLUTlON FRANºAISE.
avaient fait, l'année précédente, un traité de
triple aIliance ave e la Russie; mais la grande
et fu urbe Catherine venait de moul'ir. Son suc-
cesseur, Paul yer, prince dont la raison était
peu solide, et s'écIairait par lueurs passageres,
comme il arrive souvent dans sa famille, avait
.montré beaucoup d'égardsaux émigrés fran~ais,
et cependant peu d'empressement a exécuter
les conditions du traité de triple alliance. Ce
prince semblait etre frappé de la pnissance co-
lossale de la révolution fran<;;aise, et on aurait
dit qu'il comprenait le danger de la rendre
plus redoutable en la combattant; du moins
ses paroles a un Fran<;;ais tres-connn par ses
lumieres et son esprit, le feraient croire. Saos
rompre le traité, il avait fait valoir l'état de
ses armées et de son trésor, et avait conseillé
a l'Angleterre et a l'Antriche la voie des né-
gociations. L' Angleterre avait essayé de décider
le roi de Prusse a se jeter dans la coalition ,
mais n'y avait pas réussÍ. Ce prinee sentait qu'il
n'avait aneun ¡ntéret a venir au seconrs de son
plus redoutable ennemi, l'empereur. La France
lui promettait une indemnité en Allemagne
pour le stathouder, qui avait épousé sa sreur;
il n'avait done ríen a désirer pour lui-meme.
Il voulait seulement empecher que I'Autriche,
battue et déponillée par la France, ne s'indem-




DlHCTOlRE (i 797).
nisat de ses pertes en Allemagnc; il aurait
meme désiré s'opposer a ce qu'elle re<;lit des
indemnités en Halie : aussi avait-il déc1aré que
jamais iI ne consentirait a ce que l'Autriche
re~ut la Baviere en échange des Pays-Bas, et
il faisait en meme temps proposer son alliance
a la républiquc de Venise, lui offrant de la
garantir, dan s le cas ou la Franee et l' Autriehe
voudrai~nt s'aecommoder a ses dépens. Son
hut était done d'empecher que l'emperenr ne
tromat des équivalents pour les pertes qu'il
faisait en luttant contre la France.


La Russie n'intervenant pas encare dans la
lutte, et la Prusse persistant dans la neutralité,
l'Angleterre et I'Antriehe restaient seu]es en
ligne. L'Angleterre était dans une situation fort
triste; elle ne redoutait plus, pour le moment
<In moins, une expédition en Ir]ande, mais sa
banque était menacée plus sérieusement que
jamaís; elle ne comptait pas du tout sur I'Au-
triche, qu' elle voyait hors d'haleine, et elle
s'attendait a voir la France, apres avoir vaincu
le continent, l'accabler elle-meme de ses for-
ces réunies. L'Autriche, malgré l'occupatioIl
de Kehl et d'Huningue, sentait qn'elle s'était
perdue en s'opiniatrant eontre deux tetes de
pont, et en ne portant pas toutes ses forces en
Halie. Les désastres de Rivoli et de la Favorite,




48 RÉVOLUTJON FRA.N~AISE.
la prise de Mantoue, la mettaient dans un pé-
ril éminent. Elle était obligée de dégarnir le
Rhin, et de se réduire, sur cette frontiere, a
une véritable infériorité, pour por ter ses for-
ces et son prince Charles du coté de l'Ital¡e.
Mais pendant l'intervalle que ses troupes met-
traient a faire le trajet du Haut-Rhin a la Píave
et a l'Izonzo, elle était exposée sans défense
aux coups' d'un adversaire quí savait saisir ad-
mirablement les avantages du temps.


Toutes ses craintes étaient fondées; la France
lui préparaít, en effet, des coups terribles que
la campagne que nous allol1s voir s'ouvrir oe
tarda pas a réaliser.




DlRECTOIRE (J 797)' 49


CHAPITRE II.


fhat de nos armées a I'ouverture de la campagne de 1797.
-Marche de Boilaparte contre les états romaíns. Traité
deTolentino avec le pape.-Nouvelle eampagne contre
les A.utrichiens. Passage du Tagliamento. Combat de
Tarwis. - B.évolution dans les villes de Bergame,
Bresc;'a et autres villes des états de Venise. - Passage
desAIres Juliennes par Bonaparte. Marche sur Vienne.
Préliminaires de paix avec I'Autriche signés a Léoben.
- Passage du Rhin a Neuwied et a Dirsheim. - Per-
lidie des Vénitiens. Massaere de Vérone. Chute de la
république de Venise.


L' ARMÉE de Sambre-et-Meuse, renforcée d'une
grande partie de l'armée de I'Océan, avait été
portée a quatre-vingt mille hommes. Hoche,
qui en était devenu général, s'était arreté peu
de temps a Paris, a son retour de l'expédition


IX. 4




:50 RÉVOLllTION FItANQAISE.


d'Irlande, et s'était hMé de se rendre a son
quartier-général. Il avalt employé l'hiver a or-
ganiser ses troupes et a les pourvoir de ce qui
leur était nécessaire. Tirant de la Hollande et
des provinces d'entre Meuse ét Rbin, qu'on
traitait en pays conquis, des ressources assez
grandes, iI avait mis ses soldats a l'abrí des
besoins qui affligeaient l'armée du Rhin. Ima-
ginant une autre répartition des différentes ar-
mes, il avait perfectionné son ensemble, et
luí avait donné la plus belle organisation. n
hrulait de marcher a la tete de ses quatre-vingt
mine hommes, et ne voyait aucun obstac1e
qui put l'empecher de s'avancer jusqu'au cceur
de l' AUernagne. Jaloux de signaler ses vues po-
litiques, il voulait ¡miter l' exemple du général
d'Italíe et créet a son tour une république.
Les provinces d'entre Meuse et Rhin, qui n'a-
vaient point été, comme la Belgique, déclarées
territoire constitutionnel, étaient provisoire-
ment sous l'autorité militaire. Si, a la paix avec
l'empire, on les refusalt a la France, pOUl' ne
pas luí donner ]a ligne du Rhin, on pouvait
du moins consentir a ce qu'elles ftlssent cons-
tituées en une république indépendante, alliée
et arnie de la natre. CeHe république, sous le
nom de république cisrhénane, aurait pu etre
indissoluhlement attachée a la France, et lui




DIRI!:CTOIRE (J 797). SI
etre aussi utile qu'une de ses provinces. Boche
prontait du moment pour lui donner une or-
ganisation provisoire, et la préparer a I'état ré-
publicain. Il avait formé a Bonn une cornmis-
sion ,chargée de la double tache de l'organiser
et. d' en tirer les ressources nécessaires a nos
troupes.


L'armée du Baut-Rhin, sous Moreau, était
loin de se trouver dans un état aussi satisfai-
santo Elle ne la1ssait rien a désirer quant a la
valeur et a la discipline des soldats, mais elle
manquait du nécessaire; et le défaut d'argent,
ne permettant pas meme l'acquisition d'uD:
éqllipage de pont, retardait son entrée en
campagne. Moreau faisait de vives instances
pour obtenir quelques centaines de rnille fraues,
que la trésorene était dans l'impossibilité de
lui fournir. Il s'était adressé, pour les obtenir,
au général Bonaparie; mais iI fallait attendre
que celui-ci eut achevé son excursion dans les
états du pape. Cette circonstance devait retar-
der les opérations sur le Rhin.


Les plus grands coups, et les plus prompts,
allaient se porter en Italie. Bonaparte, pret it
détruire a Rivoli la derniere armée autrichienne,
avaít annoncé qu'il ferait ensuite une excor-
sion de quelques joors dans les états du pape,
pour le soumettre a la république, et y pren-


. 4·




RÉVOL1ITION FIlAN9AISE.


dre l'argent nécessaÍre aux besoins de l'armée;
il avait ajouté que si on luí envoyait un ren-
lort de trente mille hommes, il franchirait les
Alpes J uliennes, et marcherait hardiment sur
Yienne. Ce plan, si vaste, était chimériqlle
l'allnée précédente, mais aujourd'húi il était
devenu possible. J"a politique seule du direc-
toire aurait pu y mettre obstacle; i1 aurait pu
ne pas you!.oir remettre toutes lesopérations
de la guerre dans les mains de ce jeune homme
si absolu dans ses volontés. Cepehdant, le
bienveillaut Larévelliére insista fortement pour
qu'on lui foumlt le moyen d'exécuter un pro-
jet si beau, et qui terminait la guerre si vite.
11 fut décidé que trente mille hommes lui se-
raient envoyés du Rhin. La division Bernadotte
fut tirée de l'armée de Sambre-et-Meuse; la
division Delmas de ceHe du Haut-Rhin, pour
t'tre acheminées toutes deux a travers les Al-
pes au milieu de l'hiver. Moreau fit les plus
grands efforts pour mettre la division Delmas
en état de représenter convenablement l'ar-
mée du Rhin en Italie; il ehoísit ses meilIeures
troupes, et épuisa ses magasins pour les équi-
pero Ou ne pouvait etre mú par un sentiment
plus honorable et plus délicat. Ces deux divi-
SiOIlS, formant vingt etquelques míl1e hom-
mes, passerellt les Alpes en janvier, dans un




DIlIECTOIR}; (J 797)· 53
moment ou personne ne se doutait de leut'
marche. Sur le point de franchir les Alpes, une
tempete les arreta. Les guides conseillaient de
faire halte; on sonna la charge, et on brava
la tempete, tambour battant, enseignes dé-
ployées. Déja ces deux divisions descendaient
«anse le Piémont, qu'on iguorait encore leur
départ du Rhin.


Bonaparte avai! a peine signé la capitulation
de Mantoue, qu'il était parti, sans attendre
que le maréchal Wl1rmser eut défilé devant
lui, et s'était rendu a Bologne pour aller faire
la loi au pape. Le directoire aurait désiré qu'il
détruisit enfin la puissance temporelle du Saint-
Siége; mais il ne lui en faisai t pas une ohliga-
tion, et le laissait libre d'agir el'apres les cir-
constances et sa volonté. Bonaparte ne songeait
point du tout a s'engager dan s une pareille
en treprise. Tandis que tout se préparait dans
la Haute·ltalie pour une marche au-deIa des
Alpes J uliennes, il voulait arracher encore une
OH deux provinces .an pape, et le soumettre a
une contribution qui sumt aux frais de la
nOHvelle campagne. Aspirer a faire davantage,
c'était compromettre le plan généralcontre
1'Autriche. Il faHait meme que Bonaparte se
hatat beallcoup, ponr etre en mesure de reve-
nir promptement vers la Haute-Italie; il falIait




5[. RÉVOLUTION FRAN~AISE.
surtout qu'il se conduisit de maniere a s'évi ..
ter une guerre de religion, et qu'il imposat a
la cour de Naples, laquelle avait signé la paix,
mais ne se regardait nullement eomme liée
par son traité. Cette puissance avait envie
d'in tervenil' dans la querelle, soit pour s' em-
parer d'une partie des dépouilles du pape, soit
pour empecher qu'on n'étabHt une république
á Rome, et qu'on ne pla<;at ainsi la révolution
a ses portes. Bonaparte réunit a Bologne la di-
vision Víctor, les nouvelles ttoupes italiennes
levées en Lombardie et dans la Cispadane, et
s'aehemina a leur t{he, pour exécuter lui·meme
une entreprise qui , pour ctre conduite a bien,
exigeait tout ee qu'il avait de taet et de promp-
títude.


Le pape était dans la plus cruelle anxiété 1
l'empereur ne lui avait promis son allianee
qu'aux· plus dures conditions, e' est-a-dire au
prix de Ferrare et de Commaehio; mais eette
alliance meme ne pouvait plus ctre effieaee,
depuis que l'armée d'Alvinzi n'existait plus. Le
Saint-Siége s'était done eompromis inutilement.
J~a eorrespondanee du cardinal Busca, secré-
taire d'état, et ennemi juré de la Franee, avait
été interceptée. Les projets eontre l'armée fran-
~aise,qu'on avait voulu prendre par derriere,
étaient dévoilés; iI ne restait plus aucune ex-




DlltECTOIltE (1797). 55
nlse pour invoquer la clémence du vainqueur,
dont on refusait depuis un an d'écouter les
propositions. Lorsque le ministre Cacault pu-
blia le manifeste du général fran<;ais et qu'il
demanda a se retirer, on n'05a pas le reten ir
par un reate d'orgueil, mais on fut dans une
cruellB inquiétude. Bientot 00 n'écouta plus
que les conseils du désespoir. I.e général au-
trichien Colli, arrivé aRome avec que)ques
officiers, fut mis a la tete des troupes papales;
on nt des prédications fanatíques dans t()utes
les provinces romaines; on promit le cie! a
tous ceux quj se dévoueraient pour le Saint-
Siége, et on tacha d'exciter une Vendée autour
de Bonaparte. Des prieres instantes furent
adressées a )a cour de N aples, pour réveiUer
tout ce qu'elle avait d'ambitionet de rete re-
ligieux.


Bonaparte s'avanc;;a rapidernent pour ne pas
donner a l'incendie le temps de se propager.
Le 16 pluvióse an V (4 février), iI marcha sur
le Senio. L'armée papale s'y était retranchée;
elle se cornposait de sept a huit mille hommes
de troupes régulieres, et de grand nombre de
paysans armés a la hate et précédés de leurs
moines. Cette armée présentait raspeet le plus
burlesque. Un parlementaire vint déclarer que
si l'armée de Bonaparte persistait a s'avaneer,




56 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
on tirerait sur elleo Elle s'avan<;:a néanmoins
vers le pont du Senio qui était assez bien re-
tranché. Lannes remonta son cours avec queI-
ques cents hommes, le passa agué, et vint se
ranger en bataille sur les derrieres de l'armée
papale. Alors le général Lahoz ,avee les troupes
lombardes, marcha sur le pont, et l'eut hientot
enle'Vé. Les nouvelles troupes italiennes sup-
porterent bien le fen, qui fut un instant assez
vif. On 6t quatre a cinq cents prisonniers, et
on sabra quelques paysans. L'armée papale se
retira en désordre. On la poursuivit sur Faenza;
on enfonc;;a les portes de la ville, et on y entra
au bruit du tocsin et aux cris d'un peuple fu-
rieux. Les soldats en demandaient le pillage;
Bonaparte le leur refusa. n assembla les prison-
niers faits dans la journée aux bords du Senio,
et leur parla en italien. Ces malheureux s'ima-
ginaient qu'on aIlait les égorger. Bonaparte les
rassura, et lenr annonc;;a, a leur grand étonne-
ment, qll'illes laissait libres, a condition qu'ils
¡raient éclairer leurs compatriotes sur les inten-
tions des Franc;;ais, qui ne venaient détruire ni
la religion ni le Saint-Siége, mais qui voulaient
écarter seulement les mauvais conseillers dont
le pape était entouré. I1lcur 6t ensuite donner
a manger et les renvoya. Bonaparte s'avanc;;a ra-
pidemcut de Faenza a Forli, Césenc, Riminj"




DIRECTOIRE (( 797)'
Pesaro et Sinigaglia. Colli, auquel il ne restait
plus que trois mille hommes de tl'Oupes régu-
lieres, les retrancha en avant d' Ancone dans une
honne position. Bonaparte les fil envelopper,
et enlever en grande partie. Illeur donna en-
core la liberté aux memes conditions. Colli se
retira avec ses officiers aRome. Il ne restait plus
qu'a marcher sur ceUe capitale. Bonaparte se
dirigeaimmédiatement sur Lorette, dont le tré-
sor était évacué et ou 1'0n trouva a peine un
milIion. La vierge en vieux bois fut envoyée a
Paris, comme objet de curiosité. De Lorette, il
quitta les bords de la mer, et marcha par Ma-
cerata sur I'Apennin, pour le traverser et dé-
boucher sur Rome, si cela devenait nécessaire.
Ilarriva a Tolentino le 25 plllvióse( 13 février), et
s'y arreta pour attendre l'effet que produiraient
sa marche rapide et le renvoi des prisonniers.
Il avait mandé le général des Camaldules, reli-
gieux en qui Pie VI avait une grande confiance,
et rava;! chargé d'aller porter a Rome des pa-
roles de paix. Bonaparte souhaitait avant tout
que le pape se soumlt et acceptat les coneli-
tions qu'il voulait lui faire subir. Il ne voulait
pas pcrdre du temps a faire a Rome une révo-
lutioll, qui pourrait le retenir plus qu'il ne lui
cOllvenait, qlli provoquerait pellt-etre la cour
de N aples a prendre les armes, et qui, ellfin,




~8c ' " _ REVOLUTIO.N FRANyAISf:.
en renversant le gouvernement établi, ruinerait
ponr le moment les finances romaines, et em-
pecherait de tirer dtt pays les 2Ó ou 30 millions
dont on avait besoin. Il pensait que le Saint-
Siége, privé de ~es plus belles provinces au
profit de la Cispadane, et exposé au voisinage
de la nouvelle république, serait bientot at-
teint par la contagion révolutionnaire, et suc-
comberait sous peu de temps. Cette poli tique
était habile, et l'avenir en prouva la justesse.
11 attendit done a Tolentino les effets de la clé-
menee et de la peur.


Les prisonniers renvoyés étaÍent aIlés, en
effet, dans toutes les parties de l'état ro'main,
et surtont aRome, répandre les bruits les plus
favorables a l'armée franc;aise, et calmer les
ressentiments excités contre elle. Le général
des Camaldules arriva au Vatican, an moment
ou le pape allait monter en voiture pour quit-
ter Rome. Ce prince, rassuré par ce que lui
dit ce religieux, renon<;a a quitter sa capitale,
congédia le secrétaire d'état Busca, et dépecha
a Tolentino, pour traiter avec le général fran-
(,iais, le cardinal Mattei, le prélat Galeppi, le
marquis Massimi, et son neven le duc de Bras-
chi. 115 a vaient pleiu ponvoir de traiter, pourvu
que le général n'exigeat aucnn sacrifice relatif
a la foi. Le traité devenait des lors tres-facHe,




DIRECTOIRE (1797)' 59
car sur les articles de foi, le général frall~ais
n'était nullement exigeant. Le traité fut arreté
en quelques jours, et signé a Tolentino le 1 er
ventose (19 février). Voici quelles en étaient les
conditions. Le pape révoquait tout traité {)'al-
liance contre la France , reconnaíssait la répu-
blique, et se déclarait en paix et en bonne
intelligence avec elle. Il lui cédait tous ses
droits sur le Comtat Venaissin, il abandonnait
définitivement a la république cispadane les
légations de Bologne et de Ferrare, et en outre
la belle province de la Romagne. La ville et
l'importante citadelle d'Ancone restaient au
pouvoir de la France 'jusqu'a la paix générale.
Les deux provinces du duché d'Urbin et de
Macerata, que l'armée fran~aise avait envahies,
étaientrestituéesau pape, lDoyennant la sornme
de 15 millions. Pareille somme devait etre payée
conformément a l'armistice de Bologne, non
encore exécuté. Ces 30 millions étaient paya-
bIes deux tiers en argent et un tiers en dia-
mants , OU pierres précieuses. Le pape devait
fournir en outre hnit cents chevaux de cava-
lerie, huit cents chevaux de trait, des humes
et autres produits du territo~re de I'Église. II
devait désavoner l'assassinat de Basseville, et
faire payer 300,000 francs, tant a ses héritiers
qu'a ceux qui avaient souffert par suite du




60 nÉVOLUTION FRAN~AISJ;;.
meme événement. Tous les objets d'arts et ma-
nuscrits, cédés a la France par l'armistice de
Bo]ogne, devaient etre snr-Ie-champ dirigés
sur Paris.


Tel fut le traité de Tolentino, qui valait a la
république cispadane, on tre les légations de Bo-
logne et de Ferrare, la belle province de la Ro-
magne, el qui procurait a l'armée un subside
de 30 millions, plus que suffisant pour la cam-
pagne qu'on allait faire. Quinze jours avaient
suffi a cette expédition. Pendant qu'on négo-
ciait ce traité, Bonaparte sut imposer a la cour
de Naples, et se débarrasser d'elle. Avant de
quitterTolentino, il fit un acte assez remarqua-
ble, et qui déja prouvait sa politique person-
nelle. L'Italie et particulierement les états du
pape regorgeaient de pretres fran-;ais hannis.
Ces malheureux, retirés dans les convents, n'y
étaient pas toujours re~us avec beaucoup de
charité. Les arretés du directoire leur interdi-
sajent les pays occupés par nos armées, et les
moines italiens n'étaient pas fachés d'en etre
délivrés par 1'approche de nos troupes. Ces in-
fortunés étaient réduits au désespoir. Éloigués
depuis long-temps de leuf patrie, exposés a
tous les dédains de l' étranger, ils pleuraient en
voyant nos soldats; ils en reconnurent llleme
quelqnes-uns dont ils avaient été curés clans les




l>IRECTOIRJ<: (J 797 j. tir
villages de France. Bonaparte était facile a émou-
",oír; d'aillenrs il tenaÍt a se rnontrer exempt
de toute espece de préjugés révolutionnaires
ou religieux: il ordonna par un arn~té a tous
les couvents du Saint-Siége de recevoir les pre-
tres fran«;ais, de les nourrir, et de leur donner
une paie. II améliora ainsi leur état, loin de
les mettre en fuite. Il écdvit audirectoire les
motifs qu'il avait eus en commettant cette in~
fraction a ses arretés. « En faisant, dit-il, des
battues continuelles de ces :malheureux, on les
oblige a rentrer ehez eux. Il vaut mieux qu'ils
soieot enItalie qu'en Franee; ils nous y seront
uliles. lis sont moins fallatiques que les pretres
italiens, iIs éclaireront le peuple qu' on excite
contre nous. D'ailleurs, ajoutait-il, ils plcurent
en n~usyoyant; comm~IÍt o'.avoir pas pitié de
lenr infortune?)) Le. directoire approuva 5a
conduite. Cet acte et sa leUre publiés produi-
sirent une sensation tres-grande.


Il revint sur-Ie-champ .vers l'Adige, pom
exécuter la marche militaire la plus hardie
dont l'histoire fa-sse mentíon. Apres avoir fran-
chi une foís les Alpes pour en~rer en Italie, il
allait les franchir une seeonde fois, pourse jeter
au-dela de la Drave et de la Muer, dans la
vallée du Danube, et s'avancer sur Vienne. Ja~
mais armée franf,(aisc n'avait paru en vue de




f)'A tÜ;VOLUTION Fl\AN~A[SF..
cette capitale. POUt· exécuter ce vaste plan, ii
falIait braver bien des périls. 11 laissait toute
l'Italie sur ses derrieres, l'Italie saisie de tfrreur
et d'admiration, mais imbue toujours de l'idée
que les Fram;ais ne pouvaient la posséder
long-temps. .


La derniere campagne de Rivoli et la prise
de Mantoue avaient paru terminer ces doutes;
mais une marche enAUemagrle allait les réveiller
tous. Lesgouvernements.de Genes, de Toscane,
de Naples, Rome, Tttl'Ín, Venise, indigné s
de voir le foyer de la Févolution placé a leurs
cótés, dans la Cispadane et la Lombardie, pou-
"aient saisirle premier revers pour se soulever.
Dans l'incertitude du résultat, les patriotes
italiens s' observaient, pour ne pas se compro-
mettre. L'armée de Bonaparte était de heau-
coupinférieure a ce qu'elle aurait dti etre ~
pour parer a tous les dangers de son plan. Les
divisions Delmas et Bernadotte, arrivées du
Rhin, ne comptaient pas au-dela de víngt mille
hornmes; l'ancieIltle armée d'ltalie en comp-
tait au-dela de quarante, ce qui, avec les troupes
lomhardes, pouvait faire environ soixante el
dix mille. Mais il fallait laisser vingt mille
hommes au moins en Italie, garder le Tyrol
avec quim:e ou dix-huit mille, et il n'en restait
que trente environ pour marcher sur Vienlle;




UIRECTOIRE e T 797)' 63
témérité san s exemple. Bonaparte, pour parer
a ces difficultés, tacha de négocier avec le Pié-
mont une alliance offensive et défensive, a
Jaquelle il aspirait depuis long-tcmps. Cette a1-
liance devait luí valoir dix mille hommes de
honnes troupes. Le rol, qui d'abord ne s'était
pas contenté de la garantie de ses états pour
prix des services qu'il alIait rendre1 s'en con-
tenta, maíntenant qu'il voyait la révolution
gagner toutes les tetes. Il signa le traité, qui
fut envoyé a Paris. l\lais ce traité contrariait les
vues du gouvernement fram,;ais. Le directoire,
approuvant la poli tique de Bonaparte en Ita-
lie, qui consistait a attendre la chute tres-pro-
chaine des gouvernements, et a ne point la
pl'ovoqner, pour n'avoir ni la peine ni la res-
ponsabilité des revolutions, le directoire ne
voulait ni attaquer ni garantir aucun prince.
J~a ratification du traité était done fort dúo-
teuse, et d'ailleurs elle exigeait quinze ou vingt
jours. Il fallait ensuite que le contingent sarde
se mit en mouvement, et alors Bonaparte de-
valt déja se trouver au-dela des Alpes. Bona-
parte aura.t voulu surtont conclure un pareil
traité d'alliance avec Venise. Le gÚllvernement
de cette république faisait des armements con~
sidérables, dont le but ne pouvait etre dou-
teux. Les lagunes étaient remplies de régiments




64 RÉVOLUTION FRAN!.;AISE.
esclavons. Le podestat de Bergame, Ottolini,
instrument aveugle des inquisiteurs d'état,
avait répandu de l'argent et des armes parmi
les montagnards du Bergamasque, et les tenait
prets pour une bonne occasion. Ce gouverne-
ment, aussi faible que pedide, ne voulait ce-
pendant pas se compromettr.e, et persi'stait
dans sa prétendue neutralité. Il avait refusé
l'alliance de l' Autriche et de la Prussc, mais
il était en armes; et si les Fran<,;ais entrant
en Autriche, essuyaient des revers, alors ii
était décidé a se prononcer, en les égorgeant
pendant leur retraite. Bonaparte qllí était aussi
I'Usé que l'aristocratie vénitienne, sentait ce
danger, et tenait a son alliance plutót pour se
garantir de ses mauvais desseins que pour
avoir ses secours. En passant l'Adige , il vou-
lut voir le procurateur Pezar.o, celui qu'il avait.
tant effrayé l'année précédente a Peschiera; jI
lui fit les ouvertures les plus franches et les
plus amicales. - Toute la terre - ferme, lui
dit-il, était imbue des idées révolntionnaires;
ii suffisait d'un seul mot des Fran<,;ais ponr in-
surger toutes les provinces contre Venise;
mais les Fran<,;ais, si Venise s'alliait a eux, se


. garderaient de pousser a la révolte; ils tache-
raient de calmer les esprits; iIs garantiraient la
répuLlique contre !'ambition de l'Alltriche, et,




D1RECTOInR ('797). 65
sans lui demandcr le sacrifice de sa constitu-
tion, ils se contenteraient de lui conseilJer dans
son proprc intéret, qllelqnes modifications in-
dispensables. - Rien n'était plus sage ni plus
sincere que ces avis. Il n'est point vrai qu'a
l'instant ou ils étaient donnés, le directoire et
Bonaparte sOJlgeassent· a livrer Venise a l'Au-
triche. Lc directoire n'avait aucunc idée a cet
égard; en aUendant les événements, s'il 50 n-
geait a ql1clql1e cbose, c'était plutót a affranchir
l'Italie, qu'a en eédel' une partie a l' Alltriche.
Qnant a Bonaparte, il voulait sincerement se
faire un allié; et si Venise l'eut écouté, si elle
se'fút rattachée a luí, et qll'elle eut modifié sa
constitution, elle aurait sauvé son territoire et
ses antiques 10is. Pezaro ne répondit que d'une
maniere évasive. Bonaparte voyant qu'il n'y
avait rien a espérer, songea a prenclre ses pré-
cautions, et a pourvoir a tout ce qui lui man-
quait, par son moyen ordinaire, la rapidité et
la viva cité des coups.


Il avait soixante et qnclques mille hommes
de troupes, telles que l'Europe n'en avait ja-
mais vn. n voulait en laisser dix mille en Ita-
lie, qui, réllnis aux bataillonslombards et cis-
padans, formeraient une masse de quinze OH
dix-huit mille hommes, capable d'imposer aux
Vénitiens. TI Iui restait dnqnante et quelques


IX. 5




66 luíVOLlITION FRAN<';:AIsr:.
mille combattants, dont il allait disposer de la
maniere suivante. Trois routes conduisaient a
tl'avers les Alpes Rhétiennes, Noriques et Ju-
liennes a Vienne: la premiere agauche, traver-
sant le Tyrol au col du Brenner ; la seconde au
centre, traversant la Carinthie au col de Tarwis;
la troisieme a clroite, passant le Tagliamento
et l'izonzo, et conduisant en Carníole. L'ar-
chiduc Charles avait le gros de ses forces SUJ'
I'Izonzo, gardant la Carniole, et couvrant
Trieste. Deux corps , l'un a Feltre et BeHune,
l'autre <fans le Tyrol, occupaient les deux an-
tres chaussées. Par la faute qu'avait commise
l'Autriche de ne por ter que fort tard ses forces
en Italie, six belles divisions détachées du Rhin
n'étaient point encore arrivées. Cette [ante
aurait pu etre réparée en partié, si l'archiduc
Charles, plac;ant son quartier - général dans
le Tyrol, avait voulu opérer sur notre gauche.
Il aurait ret,{ll quinze jours plus tot les six di-
visions du Rhin; et certainement alors, Bona-
parte, loin de filer sur la <froite par ]a Cat'in-
tbie on la Carnio]e, aurait été obligé de le'
combattre, et d'en finir avec luí avant de se
hasarder au-deHt des Alpes. Il l'aurait trouvé
alors avec ses plus belles troupes, et JI'en au-
rait pas eu aussi bon marché. Mais l'archiduc
avait ordre de cOllvl'ir Trieste, seul port rnari-




DIR ECTOIRf. ~ 1797).
time de la monarchic. II s'établit done au dé-
bouché de la Carniole, et ne pla~a que des
corps aceessoires sur les chaussées de la Ca-
rinthie et dn Tyrol. Denx des divisions, parties
du Rhin, devaient venir renforcer le général
Kerpen dans le Tyrol; les quatre autres de-
vaient filer par derriere les Alpes, a travers la
Carinthie et la Carniole, et rejoindre le quar-
tier-général dans le Friou!. On était en ventose
(mars). Les Alpes étaient couvertes de neiges
et de glace : eomment imaginer que Bonaparte
songeat a gravir dans ce moment la en;te des
Alpes?


Bonaparte pensa qu'en se jetant sur l'archi-
due, avant l'arrivée des principales forces uu
Rhin, iI enleverait plus facilernent les débou-
chés des Alpes, les franchirait a sa suite, battrait
successivement, comme iI avait toujours faít,
les Autrichiens ¡solés, et, s'il était appuyé par
un mouvement des armé es du Rhin, s'avance-
rait jusqu'a Vienlle.


En conséquence, iI renfor~a J oubert, qui
depuis Rivoli avait mérité toute sa confiance,
des divisions Baraguai d'Hilliers et Delmas, et
lui composa un eorps de dix-huit mille hommes.
Ille chargea de monter dans le Tyrol, de hattre
a outrance les généraux Lauclon et Kerpen, de
les rejeter au-dela dn Brenner, de l'autre cOté




68 IU~VOLUTION FRAN~ArSF.
des Alpes, et ensuite de filer par la droitea
travers le Putersthal, pour venir joindre la
grande arméc dans la Carinthie. Lauoon et
Kerpen pouvaient sans dOllte revenir clalls le
Tyrol, apres que Joubert aurait rejoint l'armée
principale; mais il leur fallait d11 temps pOlI!"
se remettre d'une défaite, pULIr se renforcer et
regagner le Tyrol, et pendant ce temps, Bona-
parte serait aux portes de Vienne. Pour calmer
les Tyroliens, il recommancla a JOllbert de ca-
resser les pretres, de dire du bien de l'empe-
l'ellr et du mal de ses ministres, de ne toucher
qu'aux caisses impériales, et de ne ríen changer
a l'administration du pays. 11 chargea l'intré-
pide Masséna, avec sa belle division forte . de
clix mille hommes, de marcher sur le corps qni
¡'~tait an centre vers }<'eltre et ReHune , de courir
anx gorgcs de la Ponteba qui précedent le granel
col de Tarwis, de s' emparer des gorges et du
col, et de s'assurer ainsi du débollché de la Ca-
rinthie. Il vonlait de sa pel'sonne marcher avec
frois divisiollS, fOl'tes de vingt-cinq mille hom-
mes,· sur la Piave et le Tagliamento, pousser
<Ievant lui l'archidllc clans la Carniole, se ra-
battre ensuite vers la chaussée de la Carinthie,
joindre Masséna au col de Tarwis, franchír les
Alpes a ce col, clescendre dans la vallée de la
Drave et de la Muer, recllcillír JOllbert, et mar~




DllmCTO!RE (1 7~n).
cher sur Vienne. 11 comptait sur l'impetuosité
et l'auoace de ses attaques, et sur l'impression
que laissaient ordinairemellt ses coups prompts
et tel'ribles.


A vant de se mettre en marche, iI donna au
général Kilmaille le commandement de la
Haute -ltalie. 1,a division Victor, échelonnée
dans les états du pape, en attendant le paie-
ment des 30 millions, devait revenir sous peu
de jours sur l' Adige, et y former avec les Lom"
barus le corps d'observation. Une fermentation
extraordinaire régnait dans lesprovinces vé-
nitiennes. Les paysans et les montagnards dé-
voués aux pretres et a l'aristocratie, les villes
agité es par l' esprit révolutionnaire, étaient pres
d'en venir aux mains. Bonaparte commanda
au genéral Kilmaine d'observer la plus exacte
neutra lité , et se mit en marche pour exécuter
ses vas tes projets. Il publia , suivant son usage,
une procIamation énergique et capable d'aug-
menter encore l'exaltation de ses soldats, si
elle avait pu l' etre. Le 20 ventóse an V ( 10
mars 1797), par un froid rigoureux et plusieUl's
pieds de neige sur' les montagnes, iI mil tOllte
sa ligne en mouvemellt. Masséna commen<,;a
son opération sur le corps du centre, le poussa
sur f'eltre, Rellnne, Cadore, lui fit un millier
de prisouniers, a II nombre desquels était encore




70 nÉVOLUTION }'ltAN~AISE.
le général Lusignan, se rebattit sur Spilimbergo,
et s'ellgagea dans les gorges de la Ponteha, qui
précedent le col de Tarwis. Bonaparte s'avan<;a
avec trois divisiollS sur la Piave : la division
Serrurier qlli s'était illustrée devant Ñlantoue,
]a division Augereau, actuellement confiée au
général Guyeux, en l'absence d'Augereau qui
était alié porter des drapeaux a París, et la
division Bernadotte arrivée du Bhin. eette der-
niere contr'astait, par sa simplicité et sa tenue
sévere, avec la vieille arrnée d'Itali"e, enrichie
dans les belles plaínes qu'elle avait conquises,
et composée de méridionaux Lraves, fOllgueux
et iutempérants. Les soldats d'lt~ie, fiers de
l~urs victoires, se moquaicnt des soldats venus
du Rhin, et les appelaient le contingent, par
allusion aux contingents des cerdes, qui dans
les armé es de l'empereur faisaient mollcment
leur devoir. Les soldats du Rhin, vieillis son s
les armes, étaient impatients de pronvcr Jenr
valeur a leurs rivaux de gloire. Déja quelques
coups de sabre avaient été échangés a cause de
ces railleries, et on était impatient de faire ses
preuves devant l'ennemi.


Le 23 (13 mars) , les trois divisions passerent
la Piave saIlS accident, et faillirent seulement
perclre un homme, qui allait se noyer, 10rs-
qu'une cantiniere le sauva en se jetant a la




DIRECTOIRE (IJ~)7)· 7 1
nage. Banaparte donna a cette femme un collier
<1'01'. Les avant-gardes ennemies se replierent,
et vinrent chercher un refuge derriere le Ta-
gliamento. Toutes les troupes du prince Charles
répandues dans le Frioul, y étaient rénnies pour
en disputer le passage. Les dellx jeunes adver-
saires allaient se trouver en présenee. L'UIl, en
sauvant I'AlIemagne par une pensée heureuse,
s'était aeqllis l'année précédente une grande ré-
putation. Il était brave, point ellgagé dans les
routines allemandes, rnais fort incertain dn suc-
ces, et tres-alarmé ponr sa glaire. L'autre avait
étonné I'Europe par la fécondité et l'audace de
ses combinaisons; il ne craignait rien au monde.
Modeste jllsqu'a Lodi, iI ne eroyait maintenant
~uclln génie égal au sien, et aucun soldat égal
au soldat franc¡:ais. Le 2.6 ventose (16 mars ) au
matin, Bonaparte dirigea ses trois divisions par
Valvasone, sur les bords du Tagliamento. Ce
fleuve, dont le lit est mal tracé, ronle des Alpes
sur des graviers, et se divise en une multitude
de bras, tous guéables. L'armée autrichienne
était déployée sur l'autre rive, eouvrant les gre-
ves du fleuve de ses boulets, et tenant sa belle
eavalerie déplQyée sur ses ailes, pour en pro-
fiter sur ees plaines si favorables anx évolutions.


Bonaparte laissa la division Serrllriel'en ré-
serve a Valvasone, et porta les deux divisions




ltÉVOLUTJON };'RANQAlSE.


Guyeux et Bernauotte, la premiere agauche,
faisant face au village de Gradisea ou était logé
l' ennemi; la seeonde a droite, en faee de Go-
droipo. La eanonnade commen<;a, et il y eut
quelques esearmouehes de eavalerie sur les
graviers. Bonaparte trouvant l'ennemi trap
préparé, feignit de oonner du re pos a ses
troupes, fit eesser le feu, et ordonna de eom-
meneer la soupe. L'ennemi trompé erut (lue les
divisions ayant marché toute la nuit allaient
faire une halte et prenore du reposo Mais a
midi, Bonaparte fait tout-a-coup reprendre les
armes. La division Guyeux se déploie a gau-
che, la division Bernadotte a dl'oile. On forme
les bataillons de grelladiers. En tt~te de chaque
division, se place l'infanterie légere, prete a se
disperser en tirailleurs, puis les grenadiers qui
doivent chargcr, et les dragons qui doivent les.
appuyer. J. .. es deux divisions sont déployées en
arriere de ces deux avant-gardes. Chaque dCllli-
brigade a son premier bataillon déployé en li-
gne, et les deux autres ployés en colanne serrée
sur les ailes du premier. La eavalerie est des-
tinée a 'voltiger sur les ailes. L'armée s'avance
ainsi vers les Dords dn fleuve, et marche au
combat avec le meme ordre et la meme tran-
quillíté que dan s une parade.


Le gélléral Dammarliu a gauche, le géné",




),3l Lespinasse a droitc, fout approcher leur ar-
tillerie. L'illfanterie légere se disperse, et cou-
"re les bords du Tagliamento d'une Ilnée de
tirailleur5. Alors Bonaparte donne le signal.
Les grenadiers des deux divisions entrent dans
l'eau, appuyés par des escadrons de cav:ilerie,
et s'avancent sur I'autrerive. -«SoldatsduRhin,
s'écrie Rernadotte, l'armée d'ltalie vous re-
garde !)) - Des deux catés on s'élance avec la
meme bravoure. 00 fond sur l'arm~e ennemie,
et on la repousse de toutes parts. Cependant le
prince Charles avait placé un gros d'infanterie
a Gradisca, vers notre gauche, et tenait sa ca·
valerie vers notre aile droite, pour nous dé-
bordel' et nons charger a la faveur de la plaine.
Le général Guyeux a la tete de sa division
attaque Gradisca avec fnrie, et l'enleve. Bona-
parte dispose sa réserve de cavalerie ver s no-
tre aile menacée, et la lance, sons les ordres
du général Dllglla et de l'adjndant-général Kel-
lel'mann, sur la cavalerie autrichienne. N os
cscadrons chargcnt avec adresse et impétuosité,
font prisonnier le général de la cavalerie en-
ncmie, et la mettent en dél'oute. Sur toute la
ligne le Tagliamento est franchi, l'ennemi est
en fuite. Nous avons quatre a cinq cents pri-
sOlllliers; le terrain tout ouvert ne permeltaÍt
pas d'en preud,'e davautage.




74 RÉVOLUTION FR.~N~AISJ':.
Telle fut la journée dU26 ventóse (J6 mars) ,


dite bataille du Tagliamento. Pendant qu'elle
avait líen, Masséna, sur la chaussée du centre,
attaql1ait Osopo, s'emparait des gorges de la
Ponteba, et poussait sur Tarwis les débris des
divisious Lusignan et Orkscay.


L'archiduc Charles sentait que, pour garder
la ehaussée de la Carniole et cOllvrir Trieste,
iI allait perdre la ehaussée de la Carinthie, qui
était la plus directe et la plus courte, et eeHe
que Bonapartc voulait suivre pour mareher sur
Vienue. La chaussée de la Carniole communi-
que avec ceHe de la Carinthie et le col de Tar-
wis par une route transversale quí suit la
vallée de l'Izonzo. l,'archiduc Charles dirige la
division Bayalitsch par cette communicati,m
sur le col de Tarwis, pour prévenir Masséna,
s'il est possible. Il se retire ensuite. avec le
reste de ses forces sur le Frioul, afin de 'dis-
puter le passage du Ras-Izonzo.


Bonaparte le suit et s'empare de Palma-Nova,
place vénitienne, que l'archiduc avait occupée,
et qui renfermait des magasins immenses. Il
marche ensuite sur Gradisca, ville situé e en
avant de l'Izonzo. Il y arrive le 29 ventóse (19
mars). La division Bernadotte s'avance de Gra-
dísea , qui était faiblement retranchée, mais
gardée par trois mille hommes. Pendant q;




DIlmCTOIRF. (I7~17)' 7~)
temps, Bonaparte dirige la division Serrurier
un peu au-dessous de Gradisca, pour y passer
l'!zonzo et couper la retraite a la garnisoll.
Bernadotte, sallS attelldre le résultat de cette
manccuvre, sommé la place de se rendre. Le
commandant s'y refuse. Les soldats du Rhin
demandent l'assaut, pour entre!' dans la place
avant les sáldats d'Italie. lis fondent sur les
retranchements, mais une grele de baIles et de
mitraille en abat plus de cinq cents. Heureu-
sement la manccuvre de Serrurier fait cesser
le combato Les trois mille hommes de Gradisca
mettellt has les armes, et livrent des drapeaux
et du canon.


Pendant ee temps, Massena était enfin arrivé
au col de Tarwis, et, apres un combat assez
vif, s'était emparé de ce passage des Alpes. La
division Bayalitsch, acheminée a travers les
sOllrces de I'Izonzo pour prévenir Masséna a
Tarwis, allait done trouver l'issue fermée. L'ar-
chiduc Charles, prévoyant ce résultat, laisse
le reste de son al'mée sur la route du Frioul
et de la Carniole, avec ordre de venir le re-
joindre derriere les Alpes a Clagenfurth; il
vole ensuite de sa personne a Villach , oú arri-
vaient de nombreux détachements du Rhin,
pour réattaqner Tarwis, en chasser Masséna,
et rouvrir la route a la division Bayalitsch, Bo-


,', .. ;:.
,




IU:\'OLUTION FRAN<;A ISE.


naparte de son cOté laisse la division Berna-
aotte a la poursuite des corps qui se retiraient
dans la Cal'lliole, et avec les divisions Guyeux
et Serruriei, se met a harceler par derriere
la Jivision Bayalitsch a travers la valléed'Izonzo.


Le prince Charles, apres avoÍr l'alIié der-
riere les Alpes les débris de Lusignan et d'Ork-
scay, qui avaient perdu le col de Tarwis, les
renforce de six mille grenadiers, les plus beaux
et les plus braves soldats de l' empereur, et
réattaque le col de Tarwis, ON. Masséna avait
a peine Iaissé un détachement. Il parvient a
le recouvrer, et s'y établit avec les corps de
Lusignan , d'Orkscay et les six mille grenadiers.
Masséna réunit toute sa division. pour l'em-
porter de nou~eau. Les deux généraux sen-
taient tons deux l'importance de ce point.
Tarwis enlevé, l'armée fran<;aise était maltresse
des Alpes, et prenait la division Bayalitsch
taut entiere. Masséna fond tete baissée avec
sa brave infanterie, et, suivant son usage, paie
de sa personne. Le prince Charles ne se pro-
digue pas moios que le géoéral républicain,
et s'expose plusieurs fois a etre pris par les ti-
railleurs fran<;ais. Le col de Tarwis est le plus
élevé des Alpes Noriques, il domine l'Allema-
gne. On se battait au-dessu~ des nuages, au
milieu de la lleige el su l' des plaines de glace,




OIRECTOIRE (1797)' 77
Des lignes entieres de cavalerie étaient ren-
versées et brisées sur cet affreux champ de
bataille. Enfin, apres avoir fait donner jusqu'a
son dernier bataill~m, l'archiduc Charles aban-
donne Tarwis a son opiniatre adversaire, et se
voit obligé de sacrÍfier ]a division Bayalitsch.
Masséna, resté maitre de Tarwis, se rabat sur
la division Bayalitsch qui arrivait, et l'attaque
en tete, tandis qu'elle est pressée en queue
par les divisions Guyeux et Serrurier réunies
SOllS les ordres de Bonaparte. eette division
lI'a d'autre ressource que de se renclre prison-
niere. Une fouIe de soldats, natifs de la Car-
uiole et de la Croatie, se sauvent a travers les
montagnes en jetant bas leurs armes; mais il
-en reste cinq mille au pouvoÍl' des Franc;ais ,
avec tous les hagages, avee les administrations
et les pares de l'armée autrichienne, quiavaient
suivi eette route. AillSi Bonaparte était arrivé
en quiuze jours au sommet des Alpes, et sur
le point ou iI commandait, iI avait entierement
réalisé son but.


Dans le Tyrol, Joubert justifiait sa confiance
en livrant des combats de géants. Les deux gé-
néraux Laudon et Kerpen occupaient les deux
rives de l' Adige. Joubert les avait attaqUés eL
battus a Saint-Michel, leur avait tué deux mille
hommes ct pris tmis mille. Les poursnivant




H ~VOLUTION FRANt;:,\ TS1':.
sans relaehe sur Neumark et Tramin, et leur
enlevant encore deux mille hommes, il avait
rejeté Laudon a la gauche de l' Adige, dan s la
vallée de la Meran, et Kerpen ~ droite, au pied
du Brenner. Kerpen, renforeé a Clausen de
l'llne des dellx divisions vellant du Rhin, s'é-
tait faít battre encore. Il s' était renforeé de nou-
veau, a Mittenwald, de la seconde division
du Rhin, avait été battu une derniere fois, et
s'était reti.ré enfin au-dela du Brenner. Jou-
bert, apres avoir ainsi déblayé le Tyrol, avait
faít un a -droite, et il marchait a travers le
Puterstbal pour rejoindre son général en chef.
On était au 12 germinal (1 er avril), et déja Bo-
naparte était maitre dn sommet des Alpes; iI
avait pres de vingt mille prisonniers; iI allait
réunir Joubert et Masséna a son corps prin-
cipal, et marcher avec cinquante mílle hom-
mes sur Vienne. Son adver'saire rompu faisait
effort pour rallier ses débris , et les réunir aux
troupes qui arrivaient du Rhin. Tel était le ré~
suItat de cette marche prompte et audacieuse.


Mais tandis que Bonaparte obtenait ces ré-
sultats si rapides, tont ce qu'il avait prévu et
appréhendé sur ses derrieres, se réalisait. Les
provinces vénitiennes, travaillées par l'esprít ré-
Volutíonnaire, s'étaient soulevées. Elles avaient
ainsi fonrni an €!'Ouvernement vénitien un pré-




nlUCTOll\l': (1797)· 79
texte pour déployer des forces considérables,
et pOllr se mettre en mesure d'accabler l'ar-
mée f"an~aise, en cas de reverso Les provinces
de la I'ive droite du Mincio étaient les plus
atteintes de l'esprit révolutionnaire, par l'effet
du voisinage de la Lombardie. Dans les villes
de Bergame, llreseia, Salo, Creme, se trou-
"aient une muItitude de grandes familles, aux-
quelles le joug de la noblesse du livre d'or
était insupportable, et qui, appuyées par une
bourgeoisie nombreuse, formaient des partis
puissants. En suivant les conseils de Bonaparte,
en ouvrant les pages du livre d'or, en appor-
tant quelques modifieations a l'aneienne eons-
titution, le gOllvernement de Venise aurait
désarmé le partí redoutable qni s'était formé
dans toutes les provinces de la terre-ferme;
mais l'aveuglement ordinaire a toutes les aris-
tocraties avait empt)ché eette transaction, et
rendu une révolution inévitable. La part que
prirent les Fran~ais dan s eette révolution est
facile a déterminer, malgré toutes les absur-
dités invelltées par la haine et répétées par
la sottise. L'armée d'Italie était composée de
révolntionnaires. méridionallx, c'es.t-a-dire de
révolutionnaires ardents. Dans tons leurs rap-
ports avec les sujets vénitiens, il n'était pa~
possibJe qu'ils ne communiquassent leuI' eq




80 RÉVOLUTION FRAN~ArSE.
prit, et qu'ils n'excitassent la révoltc COTltre
la plus ooieuse des aristocraties ellropéennes;
mais cela était inévitable, et il n'était au pou-
voir ni du gouvernel11ent ni des généraux fran-
~ais de I'empecher. Quant aux intentions du
dircctoire et de Bonaparte ,elles étaient claires.
Le dírectoire souhaitait la chute naturelle de
tous les gouvernements italiens, l11ais jI étaít
décidé a n'y prendre aucune part active, et du
reste iI s'en reposait entierement sur Bona-
parte oela conduite des opérations politiques
et militaíres en Italie. Quant a Bonaparte luí-
l11eme, il avait trop besoin d'union, de repos
et d'amis sur ses derrieres pour vOllloir révo-
lution ner V cnise. Une transaction entre les
deux partis luí convenait bien davantage. Cette
transaction et notre alliance étant refusées, iI
se proposait d'exiger a son retollr ce qu'il n'a-
vait pu obtenir par la voie de la douceur; mais
pour le moment iI ne voulait ríen essayer, ses
intentions a cet égard étaient positivement ex-
primées a son gouvernement, et il avait donné
an général Kilmaine l'ordre le plus formel de
ne prendre aucnne part aux événements poli-
tiq ues, et de maintenir le calme le plus qu'il
pourrait.


Les villes de Bergame el de Brescia , les plus
ngitées de la terre-ferme, étaient fort en com·




DIRECTOIIlE (1797)'
municatíon avec Milan. Partout se formaient
des comités révoIutionnaires secrels pOllr cor-
respondre avec les patriotes milanais. On leur
demandait du seeours pour secouer le joug de
Venise. Les vietoires des Fral1l;;ais ne laissaient
plus aueun doute sur l'expulsion définitive des
Autriehiens. Les patrons de l'aristocratie étaient
done vaineus; et quoiq \le les Fran<;ais affectas-
sent la neutralité, iI était clair qu'ils n' emploie-
raient pas leurs armes a faire rentrer sous le
joug les peuples qui l'auraient secoué. Tous
ceux done qni s'insurgeaient, paraissaient de-
voir rester libres. Telle était la maniere de
raisonner des Italiens. Les habitants de Ber-
game, plus rapprochés de Milan, tirent deman-
der seeretement aux ehefs milanais s'ils pou-
vaient eompter sur Ieur appui, et sur le seeours
de la légion 10mb arde commandée par Lahoz.
Le podestat de Bergame, Ottolini, eelui qui,
fidele agent des inquisiteurs d'état, donnait
de l'argent et des armes aux paysans et aux
montagnards , avait des espions parmi les pa-
triotes milanais; il connut le projet qui se
tramait, et obtint le nom des principaux habi-
tants de Bergame, agents de la révolte. Il se
hata de dépecher un eourrier a Venise, pour
porter leurs nqms aux inquisiteurs d'état, et
provoquer Jeur .arrestatÍon. Les habitants de


IX. 6




82 nÉvoLU1'lON ,1!'JtANYA.ISE.
Bergame, averlis du péril, fil'ent courir apres
le porteur de la dépeche, le firent arreter, et
pubJierent les noms de ceux d'entre eux qui
étaient compromiso Cet événement décida l'ex-
plosion. Le 1 1 mars, au moment meme on
Bouaparte marchait sur la Pi ave , le tumulte
commen<;a dans Bergame. Le podestat Otto-
Hni ~t des menaces qui ne furent pas écoutées.
Le commandant fran(!ais que Bonaparte avait
placé dans le chateau avec une garnison, pour
veiller aux mOllvements des mOIltagnards du
Bergamasqlle, redollbla de vigilance et ren-
forc,;a tous ses postes. De part et d'autre on in-
voqua son apPlli; il répondit qu'il ne pouvait
elltrer dans les démelés des sujets vénitiens
avec leur gouvernement, et il dit que le dou-
blement de ses postes n'était qu'une précau-
tion pour la sureté de la place qui lui était
confiée. En exécutant ses ordres, et en restant
neutre, il faisait bien assez pOtll' les Bergamas-
queso Cel1x-ci s'assemblerent le lendemain 12
mars, formetellt une municipalité provisoire,
déclarerent la ville de Bergame libre, et chas-
serent le podestat OUolini, ql1i ·se retira avec
les troupes vénitiennes. Sur-le-champ ils en-
voyerent une adresse a Milan, pour obtenir
l'appui des Lombards. L'incendie devait se com-
muniquer rapidement a Brescia, et a toutes les




DlRECTOlRE (1797). 83
vilIes voisÍnes. I~es habitants de Bergame a
peine affranchis, envoyerent une députation a
Brescia. La présence des Bergamasques sou-
leva les Brescians. C'était Bataglia, ce V éni-
tien qui avait soutenu de si sages avis dans les
délibérations dn sénat ,qni était podestat a
BrescÍa. Il ne crut pas ponvoir résister, et iI
se retira. La révolntion de cette ville s'opéra
le 15 marso L'incendie continua de se répandre,
en longeant le pied des montagnes. 11 se com-
muniqua a Salo, 00. la révolution se 6t de
me me par l'arrivée des Bergamasques et des
Rrescians, par la retraite des autorités véni-
tiennes, et en présence des garnisons fran~ai­
ses, qui restaient neutres, mais dont raspeet,
quoique sileneieux, remplissait les révoltés
d'espéranee. Ce soulevement dn partí patriote
dan s les villes devait naturellement détermi-
ner le soulevement du partí contraire, qui
était dans les montagnes et les eampagnes. Les
montagnards et les paysans, armés delongue
main par Ottolini , re~urent le signaldes capu-
cins et des moines qui vinrent preeher dans
les hameanx : iIs se préparerent a venir sacca-
ger les villes insurgées, et, s'ils le ponvaient,
a assassiner les Franc,;ais. Des cet instant, les
généranx fran<;ais ne pOllvaient plus demellrer
inactifs, tout en voulant rester neutres. lis


G.




HÉVOLUTroN FHAN~A[Sll.
connaissaient trap bien les intentiolIs des mOH-
tagnards et des paysans, pour souffrir qu'ils
prissent les armes; et sans vouloír donner de
l'appui a ancnn partí, ils se voyaient ohligés
d'intervenir, et de comprimercelui qui avait
et qni annon<;;ait contre eux des intentions
hostiles. Knmaine ordonna sur-Ie-champ au
général Lahoz, commandant la légion lom-
barde, de marcher vers les mOlltagnes pour
s'opposer a leur armement. Il ne voulait ni ne
devait mettre ohstacle aux opérations des trou-
pes vénitiennes réglllieres, si elles venaient
agil' contre les villes Íllsurgées, mais iI ne vau-
lait pas souffrir un soulevement dont le réSllI-
tat était incalculable, dans le cas d'une défaite
en Autriche. Il envoya snr-le-champ des cour-
riers a Bonaparte, et fit hater la marche de la
division Victor, qui revenait des états du pape.


Le gouvernement de Venise, comme il ar-
rive toujours aux gouvernements aveuglés, qui
ne veulent pas prévenir le danger en accordallt
ce qui est indispensable, fut épouvanté de ces
événements, comme s'ils avaient été imprévus.
Il fit marcher sur-Ie-champ les tI'Oupes qu'il
réunissait depuis long-temps, et les achemina
sur les villes de la rive droite du Mincio. En
meme temps, persuadé que les Fram;ais étaient
l'intluence secrete qu'il {allait conjurer, iI s'a-




DIRECTOIRE (J 797). ~5
dressa au ministre de l~rance Lallemant, pour
savoir si, dans ce péril extreme, ]a république
de Venise ponvait compter sur I'amitié GU di-
}'eetoire. La réponse du ministre Lallemant fut
simple, et dictée par sa position. Il déclara
qu'il n'avait auenne instruetion de son gouver-
uement pOllr ee eas, ee qui était vrai; mais il
ajouta que si le gouvernement vénitien voulait
apporter a sa eonstitut-ion les modifieations
rédamées par le oesoin du temps, il pensait
que la Franee l'appuierait volontiers. Lallemant
ne pouvait pas faire d'autre réponse; ear si la
Franee avait olfert son alliance a Venise con-
tre les alltres puissanees, elle ne la lui offrit
jamais eontre ses propres sujets; et elle ne
pouvait la luí offrir contre eux , qu'a condition
que le gouvernementadopterait des príncipes
sages et raisonnables. J~e grand-conseil de Ve-
nise délibéra sur la réponse de Lallemant. 11
y aVilit plusieurs siecles que la proposition
d'un changement de eonstitution n'avait été
faite publiquement. Sur deux eents voix, eHe
n'en obtint que cinq. Une cinquantaine de
voix se déclarerent pour l'adoption d'un parti
énergique; mais cent quatre-vingts se pronon-
cerent ponr une réforme lente, successive,
renvoyée a des temps plus calmes, c'est-a-
dire, pOUI' une détermination évasive. On ré-




86 nÉVOLlJTJON FRANCAISE. ,
solut d'envoyer sur-le-champ deux députés a
Bonaparte, pour sonder ses intentions, et in-
voquer son appui. On choisit l'un des sages
de terre-ferme, J.-B. eornaro, et le fameux
proeurateur Pezaro, qu'on a déja vu si souvent
en présenee du général.


Les courriers de Kilrnaine et les envoyés vé-
nitiens atteignirent Bonaparte, au moment ou
ses manreuvres hardies lui avaient assuré la
ligne des Alpes et ouvert les États héréditaires.
Il était a Goriee, oceupé a régler la capitula-
tion de Trieste. Il apprit avec une véritable
peine les événements qui se passaient sur ses
derrieres, et OH le cl'oira facilement si on ré-,
fléchit combien il y avait,d'audace et de dan-
ger dans sa marche sur Vienne. Du reste, ses
dépeches au directoire font foi - de la peine
qu'il éprouvait; et ceux qui ont dit qu'il u'ex-
primait pas sa véritable pensée dans ces dépe-
ches out montré peu de jugement, cal' iI ne
faít aucune difficulté d'y avouer ses ruses les
moins franches contre les goúvernements ita-
liens. Cependant que pouvait-il faire au milieu
de pareilles circonstances? n n'était pas géné-
reux a lui de comprimer par la force le partí
qui proclamait nos principes, qui caressait,
accueillait nos armées, et d'assurer le triomphe
a celui qui était pret, en cas de rever:; , a anéan-




UlUECTOlRE (1797).
tir nos príncipes et nos armées. Il résolut de
profiter encore de cette circonstance , pour ob-
tenir des envoyés de Venise les concessions et
les secours qu'il n'avait pu Ieur arracher. Il re-
~ut les deux envoyés poliment, el leur donna
audience le 5 germinal (25 mars ). - Que je
m'arme, Ieur dit-il, contre mes amis ~ contre
ceux qui nous acc.neillent et velllent nons dé-
fendre, en faveur de mes ennemis, en faveur
de cel1x qui nous détestent et ventent nons
égorger, c'est la une chose impossible. Cette
Iache politiqlle est aussi loin de mon creur
que de mes intérets. Jamais je ne preterai mon
secours c6ntre des principes pour lesquels la
France a fait sa révolution, et auxquels je dois
en partie le succes de mes armes. Mais je vous
offre encore une foís mon amitié et mes con-
seils. Alliez-vous franchement a la France , rap-
prochez-vous de ses príncipes, faites des mo-
difications indispensables a votre constitution;
alors je réponds de tont, et sans employer une
violence qui est impossible de roa part, j'oh-
tiendrai par mon influence sur le peuple ita-
líen, et par l'assurance d'un régime plus rai-
sonnable, le retour a l'ordre et a la paix. Ce
résultat vous convíent a vous antant qu'a moi.
- Ce langage, qui était sincere, et dont la sa-
gesse n'a pas besoin d'etre démontrée, ne con-




88 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
venait point aux envoyés vénitiens, surtout a
'pezaro. Ce n'était point la ce qu'ils voulaient;
iIs désiraient que Bonaparte Ieur restituat les
forteresses qu'il avait occllpées par précaution ~
dans Bergame, Brescia, V érone; qu'il souffrit
l'armement du parti Eanatiqllecontre le partí:
patrio te , et qn'il perm!t qu'on lui prépara.t
ainsi une Vendée sur ses derrieres. Ce n'était
pas la un moyen de s'entendre. Bonaparte,
dont l'humeur était prompte, traita fort mal
les deux envoyés, et leur rappelant les procé-
dés des V énitiens envers Yarmée fran<;aise,.
leur déclara qu'il connaissait leurs dispositions
secretes et leurs projets; mais qll'il était en
mesure, et qll'il y avait une armée en Lom-
bardie pour veiller sU}" eux. La conférence de-
vint aigre. On passa de ces questi.ons a ceHes
des approvisionnements. Jusqu'ici Venise avai,
fourni des vivres a l'armée francaise, et elle


. ,


avait autorisé Bonaparte a les exiger d' elle, en.
nourrissant l'armée autrichienne. Les V énitiens
voulaient que Bonaparte, transporté dans les
États héréditaires, cessat de se. nourrir a leurs
dépens. Ce ll'était pas du tout son intention,
car il voulait ne rien demander aux habitants
de l' Autriche, afin de se les concilier. Lesfour-
nisseurs secretement chargés par le gouverne-
ment vénitien de nourrir l'armée avaient cessé




DIRECTOIRE (1797). 89
ces fournitures. On avait été réduit a faire des
réquisitions dans les états vénitiens. - Ce
moyen est "iciel1x, dit Bonaparte; il vexe l'ha-
bitant, il darme líeu a d'affrellses dilapidatíons;
donnez-moi un million par mois pendant que
aurera encore cette campagnc qui ne peut pas
ctre longue; la république fran<;aise complera
ensuite avec vous, el vous saura plus de gré
de ce millian que de tous les rnaux que vous
endiÍrez par les réquisitions. D'ailleurs vous
avez nourrí tous mes ennemis, vous leHr avez
donné asile, vous me devez la réciprocité. -
Les deux envoyés répondirent en disant que
le tl'ésor était ruiné. - S'il est ruiné, répliqua
Bonaparte, prenez de l'argent dans le trésor
du duc de Modtme, que vous avez recélé au
détriment de mes alliés les Modénois; prenez-
en dans les prapriétés des Anglais , des Russes,
des Autrichiens, de tous mes ennemis, que
vous gardez en dépot. - On se sépara avec
humeur. Dne entreVl1e nouvelle eut lieu le
lendernaini; Bonaparte, calmé, renouvela tou-
tes ses propositions; mais Pezaro ne fit ríen
pour le satisfaire, et promit seulement d'in-
former le sénat de toutes ses demandes. Alors
Bonaparte, dont l'irritation commen<;ait a ne
plus se cont¡nir, saisit Pezaro par le bras et
luí dit : - Au reste, je vous observe, je vous




90 RÉVOLUTION FRA.N~AJSE.
devine; je sais ee que vous me préparez; mais
prenez-y garde! si, pendant que je serai engagé
dans une entreprise lointaine, vous assassiniez
mes mala des , vous attaquiez mes dépots, vous
menaciez ma retraite, vous auriez décidé vo-
tre ruine. Ce que je pourrais pardonner pen-
dant que je suis en Italie, serait un crime :1'-
rémissible pendant que je serai engagé en
Autriehe. Si vous prenez les armes, vous dé-
cidez ou ma perte ou la votre. Songez-y done,
et n'exposez pas le lion valétudinaire de Saint-
Mare contre la fortune d'une armée qui trou-
verait dans ses dépots et ses hopitaux de quoi
franchir vos lagunes et vous détruire. - Ce
langage énergique effraya, sans les eonvaincre,
les envoyés vénitiens, qui éerivirent sur-le-
ehamp le résultat de eeUe eonférenee. Bona-
parte éerivit aussitot a Kilmaine pour lui or-
donner de redoubler de vigilanee , de punir les
eommandants fran~ais s'ils sortaieut des limi-
tes de la neutralité, et de désarmer tous les
montagnards et les paysans. "'i' ...


Les événements étaient tellement 'avancés,
qu'il était impossible qu'ils s'.arretassent. L'in-
surreetion de Bergame avait eu lieu le 22 veu-
tose (12 mars); celIe de Brescia le 27 (17 ·mars);
celle de Salo le 4 germinal (24.mars). Le 8
germinal (28 mars), la ville de Creme fit sa ré-




DlRECTOIRE (1797)'
volutioll l et les troupes fran«;aises s'y trouve-
rent forcément engagées. Un détachement qui
précédait la division Victor, de retour en
Lombardie , se présenta aux portes de Creme.
C'était dans un moment de fermentation. La
vue des troupes fran<;aises ne pouvait qu'ac-
croitre les espérances et la hardiesse des pa-
triotes. Le podestat vénitien, qui était dans
l'dIroi, refusa d'abord l'entrée aux Fran~ais;
puis il en introduisit quarante ,lesquels s'em-
parerent des portes de la ville, et les ouvrireflt
aux troupes franf,;aises qui suivaient. Les habi·
tants profiterent de l'occasion, s'insurgerent,
et renvoyerent le podestat vénitien. Les Fran-
~ais n'avaient pris ce parti que pour s'ouvrir
passage; les patriotes en profiterent pour se
soulever. Quand il existe de pareilles disposi.
tions, tout devient cause, et les événements les
plus involontaires ont des résultats qui font
supro,ser la complicité, la OU il n'en existe
point. Telle fut la situation des Fran~ais, qni ,.
sans aucun doute, souhaitaient individuelle-
ment la révolution, mais qui officiellement
observaient la neutralité.


Les montagnards et les paysans , excités. par
les agents de Venise, et par les prédicatiolls
des capucins, inondaient les campagnes. Les
régiments csclavons, débarqués des lagunes sur




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
la terre-ferme, s'avan({aient vers les viHes Ín-
surgées. Kilmaine avait donné ses ordres, et
mis en mouvement la légion lombarde ponr
désarmer les paysans. Déjil plusieurs escar-
mouches avaient eu lieu; des villages avaient
été incendiés, des paysans saisis et désarmés.
l'tIais ceux-ci, de leur coté, commen~aient de
saccager les villes, et d'égorger les Frau({ais,
qu'ils désignaicnt sous le nom de jacobins.
Déja me me ils assassinaient d'une maniere
horrible tous ceux qu'ils trouvaient isolés. lis
firent d'abord la contre-révolution il Salo; aus-
sitot une troupe des habitants de Bergame et
de Brescia, appnyée par un détachement des
Polonais de la légion lombarde, marcha sur
Salo, pour en chasser les montagnards. Quel-
ques individus envoyés ponr parlementd,.
furent attirés dans la ville et égorgés; le dé-
tachement fut enveloppé et battu; deux cents
Polonais furent faits prisonniers, et envoyés a
Venise. On saisit a Salo, a Vérone, dans
toutes les villes vénitiennes, les partisans con-
nus des Frau({ais; on les envoya sous les
plombs, et les inquisiteurs d' état , encouragés
par ce misérable succes, se montrerent dispo-
sés a de cruelles vellgeances. On prétend qu'il
fut défendu de llettoycr le canal OrfaIlo, qui
était destiné, comme OH sait, a l'horrible usage




nIRECTOIRE (1797). 93
de noycr les prisonniers d'état. Cependant 1('
gouvernement de Venise, tandís qu'il se pré-
parait a <léployer les plus grandes rigueurs,
cherchait a tromper Bonaparte par des actes
de condescendance apparente, et il accorda le
million par mois qni avait été demandé. L'as-
sassinat des Fran~ais ne continua pas moins
partout ou ils furent rencontrés. La situation
devenait extremement grave, et Kilmaine en-
voya pe nonveaux courriers a Bonaparte. Celui-
ci, en apprenant les combats livrés par les
montagnards, l'événement de Salo, ou deux
eents Polonais avaient été faits prisonniers, l'em-
prisonnement de tous les partisans de la France,
et les assassinats commis sur les Fralll;;ais, fut
saisi de eolere. Sur-Ie-champ il envoya une
lettre foudroyaote an sénat, daos laquelle ii
récapitulait tous ses griefs, et demandait le
désarmement des montagnards, l' élargissement
des prisonniers polonais, et des sujets vénitiens
jetés sons les plombs. Il chargea Junot de
porter cette Iettre, de la lire an sénat, et or-
donna an ministre Lallemant de sortir sur-Ie-
champ de Venise, en déclarant la guerre, si
toutes les satisfaetions exigées n'étaient pas
accordées.


Pendant ce temps, iI descendait a pas de
géant du haut des Alpes Noriques, .dans la




94 RÉVOLUTION FRANC:;:AISF..
valIée de la Mer. Sa principale espérance dans
eette marche témeraire, était la prompte en-
tl'ée en campagne des armées du Rhin, et leur
prochaine arrivée sur le Danube. Mais il rec;ut
une dépeche dll directoire qui luí Ó1a tout
espoir a cet égard. La détressede la trésorerie
était si grande, qu' elle ne pouvait fournir au
général Moreau les quelques cent mille franes
indispensables pour se procurer un équipage
de pont, etpasser le Rhin. L'armée de Hoche,
qui occupait deux ponts et qui était toute
prete, demandait a marcher, mais on n'osait
pas la hasarder seule atI-deJa du Rhin, tandis
que Moreau resterait en-dec;a. Carnot exagérait
encore dan s 5a dépeche les retards que devait
subir.l'entrée en campagne des armées d'Alle·
magne, et ne Jaissait a Bonaparte aucuri espoir
d'etre appuyé. Celui·ei fut tres-déconcerté par
cette Iettre; iI avait l'imagination vive, et il
passait de l'extreme confiance a l'extreme dé-
fiance. Il s'imagina oü. que le directoire voulait
perdre l'armée d'ltalie et son général, ou que
les autres généraux ne voulaient pas le secon-
der. Il écrivit une lettre amere sur la conduite
des armées du Rhin. _. Il. dit qu'une ligne
d'eau n'était jamais un obstacle, et que sa con.
duite en était la preuvej que lorsqu'on voulait
franchir un fleuve, on le pouvait toujours;




DIRECTOIRJ! (1797).
qu'enne voulant jamais exposer 5a gloire, on
la perdait quelquefois; qu'il avait franchi les
Alpes sur trois pieds de neige et de glace, et
que s'il avait calculé comme <ses collegues, il
ne l'aurait jamais osé; que si les soldats du
Rhin laissaient l'armée d'ltalie seule exposée
en AlIemagne, il fallait qu'ils n'eussent pas de
sang dans les veines; que du reste cette < brave
armée, si on l'abandollnait, se replierait, et
que I'Europe serait juge entre elle et les autres
années de )a république. - Comme tous les
hommes passionnés et orgueilleux, Bonaparte
aimaít 11 se plaíndre, el 11 exagérer le sujet de
ses plaintes. Quoi qu'íl dit, il ne songeait ni 11
se retirer, ni meme a s'arreter, mais a frapper
l'Autriche d'épouvante par une marche rapide,
et a lui itnposel' lapaix. Beaucoup de circons-
tances favorisaient ce projet. La terreur était
dans Vienne; la cour était portée a transiger;
le prince Charles le conseillait fortement; le
ministere seul, dévoué a l' Angleterre, ré~istait
encore. Les conditions fixées -a Clarke, avant
les victoires d' Árcole et de Rivoli 1 étaient si
modérées, qu'on pouvait. facilement obtenir
l'adhésion de l'Autriche a ces conditiollS, H
meme a beaucoup rt'lieux. Réuni a Joubert et
a Masséna, Bonaparte allait avoir quarante.cinq
ou cinquante mille hommes sous la maín; et




6 9 RÉVOLUTION l·RAN~AISE.
avec une masse aussiforte, iI ne craignait point
une bataille générale, q uelle que flit la puis-
sance de l'ennemi. Par toutes ces raisons, iI ré-
soIut de [aire une ouverture au prince Charles,
et s'il n'y répondait pas, de fondre sur lui avec
impétuosité, et de frapper UIlCOUp si prompt
et si fort, qu'on ne résistat plus a ses offres.
QlIelle gloire pour luí, si, seul, san s appui,
transporté en Autriche par une route si ex-
traordinaire, il imposait la paix a l'empereur!


Il étai t a Klagenfurth, capita\e de la Cari·n-
thie, le 1 1 germinal ( 31 mars). Joubert a sa
gauche achevait son mou~ement et alIait le
rejoindre. Bernadotte, qu'il avait détaché pour
traverser la chaussée de la Carniole, s'était
emparé de Trieste, des riches mines d'Idria,
des magasins autrichiens~ et allait arriver par
Laybach et Klagenfurth. Il écrivit au prillce
Charles, le meme jour 11 (31), une lettre mé-
morable. « Monsieur le général en chef, lui
« dit':'il, les braves militaires font la guene et
«désirent la paix. Cette guerre ne dure-t-elle
« pas depuis six ans? avons-nous assez tué de
« monde, et causé assez de maux a la triste
« humanité? Elle réclame de tous catés. L'Eu-
te rope qui avait pris les armes contre la répu-
({ blique fran<;aise, les a posées. Votre nation
« reste seule, et cependant le sang va conlel'




DfHECTOInE (1797)' 97
« plus que jamais. Cette sixieme campagne s'an ..
(e non ce par des présages sinistres. Quelle qu'en
« soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre
« quelques milliers d'hommes, et iI faudra bien
« que l'on finisse par s'entemlre, puisque tont
« a uu terme, meme les passions haineuses.


« Le directoire exécutif de la république
c( fran<;aise avait fiút connaitre a sa majcsté l' em-
(C pereur le désir de mettre fin a la gnerre qui
« désole les deux penples. L'intervention de la
« eour de Londres ~:y est opposée. N'y a-t-il
« done auenn espoir de HOUS entendre, et fant-
c( il, pour les intérets et les passions d'nne na-
(C tion étrangere aux maux de la guerre, que
ce nous continuions a n~us entr'égorger? Vous,
« monsieur le général en c~ef, qui par votre
« naissance approchez si pres du treme, et efes
c( au-dessus de toutes les petites passÍoHs qui
« animent souvent les ministres et les gouver-
(c nements, etes-vous décidé a mériter le titre
« de bienfaiteur de l'humanité entiere, et de
« vrai sauveur de l'Allemagne? Ne croyez pas,
« monsieur le général en chef, que j'entende
« par la qu'il n'est pas possible de la sauver par
« la force des armes; mais dans la supposition
« que les chances de la guerre vous deviennent
« favorables, l' Allemagne n 'en sera pas moins
« ravagée. Quant a moi, monsieúl' le gt'néral


IX. í




98 nÉVOLIfT/ON J.'IIANc;AJSL
c( en chef, si l'ollvertllre que j'ai l'honncllr de
c( vous [aire peut sauver la vie a un seul homme,
c( je rn'estimerai plus fiel' de la couronne civi-
« que que je me tl'ouverai avoir mél'itée, que
« de la triste gloire qui peut revenir des suc-
(( ces militaires. »


L'archiduc Charles ne pouvait accueillir ceHe
ollverture, cal' la détermination du conseil au-
Jique n'était pas encore prise. On embarquait
a Vienne les meubles de la couronne et les
papiers précieux sur le Danube, et on en-
voyait les jeunes archiducs et archiduchesses
en HOllgl'ie. La cour se préparait, dans un cas
extreme, a évacner la capitale. L'archiduc ré-
pondit au général Bonaparte qu'il désirait la
paix autant que lui, mais qu'il n'avait aueun
ponvoir pour en traiter, et qu'il rallait s'adres-
ser directement a Vienne. Bonaparte s'avant:;a
rapidement a travers les montagnes de la Ca-
rinthie, et, le 12 germinal 'au matin ( 1 er avril),
poursuivit l'arriere-garde ennemie sur Saint-
Weith et Freisach, et la culbuta. Dans l'apr~s­
midi du meme jour, il rencontra l'arehiduc, qui
avait pris position en avant des gorges étroites
de Neumark, avec les restes de son armée du
Frioul, et avec quatre divisions vellues du
&hi11 , celle de Kaim, de Mercantin, dll prince
d'Orange, et la résel'v~ des grenadiers. Un com·




nIRECTÚIR}~ (1797)' 99
hat furiellX s'engagea dan s ces gorges. Masséna
en eut encore tout l'honneur-. Les soldats du
Rhin défierent les "ieux soldats de l'armée d'I-
talie. C'était a qui s'avancerait plus vite et plus
loin. Apres une acLÍon acharnée, dans laquelle
l'archiduc perdit trois mille hommes sur le
champ de bataille et douze cents prisonniers,
tout fut enlevé a la balonnette, et les gorges
emportées. Bonaparte marcha San s n'lache le
lendemain, de Neumark sur Unzmark. C'était
entre ces deux points qu'aboutissait la route
transversale, qui unissait la grande chaussée
du Tyrol a la grande chaussée de la Carinthie.
C'était par cette mute qu'arrivait Kerpen poul'-
suivi par JOllbert. L'archiduc voulant avolr le
terrrps de raUier Kerpen a lui, proposa une
suspension d' armes pour prendre, disait-il, en
considél'ation la lettre' dn 11 (31 mars). Bo-
naparte répondit qu'on pouvait négocier et se
hattre, et continua sa marche. Le lendemain
14 germinal ( 3 avri! ), il livra encore un vio-
lent combat a Unzmark, ou il fit quinze cents
prisonniers, entra a Knitelfeld, et ne trouva
plus d'ohstacle jusqu'a Léohen. L'avant-garde
y en tra le ,8 germinal ( 7 avril ). Kerpen avait
faít un grand détour pour rejoindre l'archid uc,
et Jourdan avait donné la main a l'armée prill-
cipale.





J 00 H ÉVOU1TIOl\' FRAN<;:AIS":.


Le jour meme oú Bonaparte entrait a Léo-
ben, le lieuteriant - général Bellegarde, chef
d'état-major du prince Charles, et le général
major Merfeld, arriverent au quartier-général
au nom de l'empereur, que la marche rapide
des Fran~ais avait intimidé, et qui voulait une
suspension d'armes. 11s la demandaient de dix
jours. Bonaparte sentait qu'une suspension d'ar-
mes de dixjours donnait a l'archiduc le temp!l
de recevoirses derniers renfortsdu Rhin, de
remettre ensemble toutes les parties de son
armée, et de reprendre haleine. Mais iui-meme
en avait grand besoin, et ii gagnait de son
coté l'avantage de rallier Bernadotte et Jou-
bert; d'ailleurs il croyait au désir sincere de
traiter, et il accorda cinq jours de suspensioIl
d'armes, pour donller a des plénipotelltiaires
le temps d'arriver, et· de signer des prélimi-
naires. La convelltÍon fut signée le 18 (7 avril) ,
et dut se prolonger seulement jusqu'au :.!3
( 12 avril ). Il établit son quartier-génétal a
Léoben, et porta l'avant-garde de Masséna
sur le Simmering, derniere hauteur des Alpes
Noriques, qui est a vingt-cinq lieues de Vienne,
et d'ou l'on peut voir les clochers de cette ca-
pitale. Il employa ces cinq jours a reposer et
a rallier ses colollues. Il tit une proclamation
aux habitant!'. ponr les rassnrpr sllr ses inten-




DIRECTOlRE (1797). 101
tions, et iI joignit les effets aux paroles, car
rien ne fut yris sans etre payé par l'armée.


Bonaparte attendit l'expiration des cinq
jours, pret a frapper un nOllveau coup pOUl'
ajollter a la terreur de la cour jmpériale, si elle
n'était pas encore assez épouvantée. Mais tout
se disposait a Vienne pour mettre fin a eette
longlle et crnelle llltte, qui durait depuis six
années, et qui a vait fait répandre des torrents
de sango Le parti anglais dans le ministere
était entierement discrédité ; Thugut était pret
a tomber en disgrace. Les Viennois deman-
daiellt la paix:'t grands cris; l'archiduc Charles
lui-meme" le héros de l' Antriche, la conseil-
lait, et déclarait que l'empire ne pouvait plus
etre sauvé par les armes. L'empereur peuchait
ponr cet avis. On se décida enfin, et O'n 6t
partir sur-Ie-champ pour Léoben le comte de
Merfeld, el le marquis de Gallo, ambassadeur
de Naples :'t Vienne. Ce dernier fut choisi par'
l'inflllence de I'impé¡'atrice, qui était filIe de la
reine de Naples, et qui se melait beaucoup
des affaires. Leurs instructions étaient de si-
gner des préliminaires qui serviraient de base
pour traiter plus tard de la paix définitive. lIs
arriverent le 2(l germinal ( 13 avril au matin), :'t
l'instant oú la treve étant achevée, Bonaparte
allait faire attaquer les avant-postes. lis décla-




102 HÉVOLUTION FRAN9AISE.


rerent qu'ils avaient des pleins pouvoirs pOUF
arreter les bases de la paix. On neutralisa un
jardin dans les environs de Léoben, et on
traita an milieu des bivouacs de l'armée fran-
~aise. Le.jeulle général, devenu tont-a-coup
négociatellr, u'avait jamais fait d'app.rentissage
diplomatique; mais depuis une année il avait
eu a traiter les plns grandes affaires qui se puis-
sent traiter sur la terre; il avait une gloire qui
en faisait l'homme le plus imposant de son
siecle, et iI avait un langage aussi -imposant
que sa personne. Il représentait done glorien.
sement la république frall~aise. IIp'avait pas
miss ion ponr négocier; e' est Clarke qui était
revetu de tons les pOllvoirs a eet égard, et
Clarke, qu'il avait mandé, I1'était point encore
arrivé an quartier-général. Mais il ponvait con-
sidérer les préliminaires de la paix eomme un
armistiee, ce qui était dans les attributions des
géIléraux; d'ailleurs il était cel'taill que Clarke
signerait tont ce qu'il aurait fait, et il entra
sur-Ie-champ en pourparler. Le plus granel
souci de l'empereur et de ses envoyés était le
réglement de l' étiquette. D'apres un aIlcien
usage, l'empereur avait sur les rois, de F,'ance
I'honneur de l'initiative; il ét:;¡it toujolll's lIom-
mé le premier dans le protocole des traités, et
ses ambassadeu.rs avaiellt le pas sur les am-




DIRECTOIRE (1797)' 103
bassadeul's fl'an~ais. C'était le seul souverain
auquel cet honneur fut concédé par la France.
Les deux envoyés de l'empereur consentaient
a reconnaltre sur-Ie-champ la république frall-
-;aise, si l'ancienne étiquette était conservée.
~ La répnblique fraTH;aise, répondit fierement
Bonaparte, n'a ras besoill d'etre reCOl1nue; elle
est en Enrope comme le soleil su'r l'horizon;
tant pis pour les aveugles qlli ne savent ni le
voir ni en profiter. - Il refusa l'article de la
reconnaissanee. Quant a l'étiqllette, il déclara
que ces questions etaient f01't indiffé.r;entes a
la république franl{aise, qll'on pOllrrait¡~'en­
tendre a eet égard avcc le directoire, et qu'il
He serait prob~blement pas éloigné de saerifier
de semblables intéreLs a des avantages réels;
que, pour le momellt, on traiterait sur le pied
de l'égalité, et que la Franee et l'emperellr au-
l'aient alternativernent l'initiative.


On aborda ensuite les questions essentielJes.
Le premier et le plus important article était la
eession des provinees belgiques a la FraIlee. Il
ne pouvait plus eutrer dans l'intention de l'Au-
triche de les refuser. Il fut eonvenu d'abord
que l'empereur abandonnerait a la Franee
toutes ses provinees belgiques, qu'en outre il
consentirait, comme membre de l'empire ger-
mallique, a ee que la FraIlee éteudlt sa limite




104 nÉVOLUTION FRAN~AIS.E.
jusqu'uu Rhin. Il s'agissait de trouver des in-
demnités, et l'empereur avait exigé qu'on luí
en procurat de suffisantes, soit en AlIemagne,
soit en Italie. Il y avait deux moyens de lui en
procurer en Allemagne, lui donner la Bavíere,
ou séculariser divers états ecclésiastiques de
l'empire. La premie re idée avait plus d'une fois
oecupé la diplomatíe européenne. La seconde
était due a Rewbell, qui avait imaginé ce
moyen comme le plus convenable et le plus
conforme a I'esprit de la révolution. Ce n'était
plus le temps, en eiTet, ou des éveques devaient
etre souverains temporels, et il était ingénieux
de faire payer a la puissance ecclésiastique les
agrandissements que recevait la république
fran<;;aise. Mais les agrandissements de l'empe-
reur en Allemagne ne pouvaient que diffici-
lement obtenir l'assentiment de la Prusse.
D'aillems, sí on donnait la Baviere, il fallait I
trouver des indemnités pour le priríce qui la
possédait. Enfin les états d' AJIemagne étant
sous l'influence immédiate de l'empereur, iI ne
gagnait pas beaucoup a le's acquérir, et il ai- ~
maít beaucoup míeux des agrandissements en
ltalie, qui ajQutaient véritablement de nou-
veaux territoires a sa puissance. 11 fallait done
songer ü chercher des indemnités en Italie.


Si OIl avait conseuti a rendrc sur-Ie-champ




HIRECTOnU; (1797). J05
a l'empereur la Lombardie; si OIl avait pris
J'engagement de COllserver dans son état actuel
la république de Venise, et de ne pas fairé
arriver la démocratie jusqu'aux frontieres des
Alpes, il aurait consenti sur le champ a la paix,
et aurait reconnu la république cispadane,
composée du duché de Modime, des deux lé-
gations et de la Romagne. Mais replacer la
Lombardie sous le joug de I'Autriche, la I~om­
bardie qui nous avait montré tant d'attache-
ment, qui avait fait pour nous tant d' efIorts et
de sacrifices, et dont les principaux habitants
s' étaient si fort compromis, était un acte odieux
et une faiblesse; cal' notre situation nous permet-
tait d'exiger davantage. Il fallait done assurer
l'indépendance de la l.ombardie, et cher-
cher en Italíe des indemnités qui dédomma-
geassent l'Autriehe de la double perte de la
Relgique et de la Lombardie. 11 y avait un ar-
rangement tont simple, qui s'était présenté
plus el'une [ois a l'esprit des diplomates euro-
péens, qui plus d'une fois avait été un sujet
el'espérancc pour }'Autriche et de crainte ponr
Venise, c'était d'indemniser l'Autriche avec les
états vénitiens. Les provinces illyriennes, 1'1s-
trie et tontc la Hante-Italie, dermis '¡'!zonzo
jus<JlI'a I'Oglio, formaient de riches posses~
SiOIlS, et pOllvaient fournir d'amples dédorn-




106 nÉVOLUTION FRAN<¡AISE.


magements a l'Autriche. La maniere dout 1'a-
rístocratíe vénitíenne s'était conduite avee la
France, ses refus constants de s'allier avec elle,
ses armements secrets dont le but évident était
de tomber 'sur les Fran«;;ais en cas de revers, le
soulevement récent des montagnards et des
paysans, l'assassinat des FranE:;ais , avaient re m-
pli Bonaparted'indignation. D'ailleurs, si l'em-
pereur, pour qui Venise s'était secretement
armée, acceptait ses dépouilles, Bonaparte,
contre qui elle avait fait ces armements, ne
pouvait avoir aucun scrupule a les céder. Du
reste, iI Y avait des dédornmagements a offrir
a Venise. On avait la Lombardie, le duché de
Modene, les iégations de Bologne et de Fer-
rare, la Romagne, provinces riches et considé-
rabies, dont une partie formait la république
cispadane. On pouvait indemniser Venise avec
queiques-llnes de ces provinces. Cet arrange-
ment parut le plus con venable, et la, }Jour la
premiere foís, fut arreté le príncipe de dédom-
mager l' Autriche avee les provinces de la terre-
ferme de Venise, sauf a dédommager eeHe-ci
avec d'autres provinces italiennes.


On en référa a Vienne, dont on était a peine
éloigné "de vingt-cinq lieues. Ce genre d'indem-
Ilité fut agréé; les préliminaires de la paix fu-
reut aussitót fixés, et rédig(~s en articles, qui




DIRECTOIRE (1797).
durent servir de base a une négoeiation défi-
nitive. L'empereur abandonnait a la Franee
tqutes ses possessions des Pays-Bas, et eonsen-
tait, eomme membre de l'empire, a ce que la


, république aequit la limite du Rhin. Il renon-
<;ait en outre a la Lombardie. En dédommage-
ment de tons ces saerifices, il reeevait les états
vénitiens de la terre ferme, I'Illyrie, l'Istrie et
la Haute-Italie jusqu'a l'OgIio. Venise restait
indépendante, conservait· les Iles Ioniennes,
et de~ait reeevoir. des dédommagements pris
sur les provinces qui étaient a la disposition
de la France. L'empereur reconnaissait les ré-
publiques qui allaient etre fondées en Italie.
L'armée franc;aise devait se relir~r des états
autriehiens, et eantonner sur la froutiere de
ces états, e' est-a-dire, évaeu,er la Carinthie et
la Carniole, et se placer Sur l'Izonzo, et aux
débouehés dn Tyrol. Tous les arrangements
relatifs aux provinces et au gouvernement de
Venise, devaient etre faits d'un commun aceoru
ave e l'Autriche. DellX eongres devaient s'ou-
vrir, l'un a Berne pour la paix particnliere
avee l'empereur, l'autre dans une ville d'AlIe-
magne pour la paix avec l'empire. La paix avec
l' empereur devait etre conclue dans trois mois,
SOtIS peine de la nullité des pl'éliminaires. L'Au-
triehe avait de plus une raisoll puissante de




108 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


hater la conclusion du traité définitif, c'était
d'entrer au plus tot en possession des provinces
vénitiennes, afin que les Franc;ais n'eussent pas
le temps d'y répandre les idées révolutionnaires.


Le projet de Bonaparte était de démembrer
la république cispadane, composée du duché
de Modene, des deux légations et de la Ro-
magne j de rénnir le duché de Modene a la
Lombardie, et d'en composer une seule répu-
blique, dont la capitale serait Milan, et dont
le nom serait Cisalpine, a cause de sa sit}lation
par rapport aux Alpes. II vou]ait ensuite don-
nel" les deux légations et la Romagne a Venise,
en ayant soin de soumettre son aristocratie et
de modifier sa constitution. De eeUe maniere,
il existerait en ltalie deux l'épubliques, alliées
de la Franee, lui devant leur existen ce , et dis-
posé es a concourir a tous ses plans. La Cisal-
pille aurait ponr frolltiere I'Oglio, qu'il serait
facile de retrancher. Elle n'avait pas Mantoue,
qui restait avec le Mantouall a l'empereur; mais
on pouvait faire de Pizzighitolle sur l'Adda,
une plac.e de premier ordre j on pouvait rele-
ver les InllrS de Bergame et de Creme. La ré-
publique de Venise avec ses Hes, avee le Do-
gado et la Polesine qu'on tacherait de luí
conserver , avec les deux légations et la Roma-
gnc, .qu'on lui dOllnerait, ave e la provillce de




DIRECTOIRF. (1797)' 109
Massa-Carrara, et le golfe °de la Spezia, qu'on
y ajouterait dans la Méditerranée, serait une
puissance maritime touchant a la fois aux deux
mers.


On se demande pourquoi Bonaparte ne pro-
fitait pas de sa position ponr rejeter tout-a-
fait les Autrichiens hors de l'Italie; pourquoi
surtont il les inuemnisait aux dépens d'une
puissance neutre, et par un attentat semblable
a celnÍ du partage de la PoIogne. D'abord, était-
iI possible d'affranchir' entierement l'Italie? Ne
fallait-il pas bouleverser encore I'Ellrope, pOllY"
]a faire consentir au renversement du pape,
du roi de Piémont, du grand-duc de Toscane,
des Bourbons de Naples, et du prince de Parme?
La république fran«;;aise était-elle capable des
efforts qu'une telle entreprise aurait encore exi-
gés? N'était-ce pas beallcoup de jeter dans eette
campagne, les germes de la liberté, en insti-
tuant deux républiques, d'ou elle ne manque-
rait pas de s'étendre bientot jusqu'au fond de
la péninsule? Le partage des états vénitiens
n'avait rien qui ressemblat a l'attentat célebre
qu'on a si SOlivent reproché a l'Europe. La
Pologne fut partagée par les puissances memes
qui l'avaient soúlevée, et qui lui avaient pro-
mIS solennellement leurs secours. Venise, á
qui les Fran<;:ais avaient sincerement ofTert




'110 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
leur amitié, l'avait refusée, et se préparait a
les trahir, et a les surprendre dans un mo-
ment de péril. Si elle avait a se plaindre
de quelqu'un, e' était des Alltrichiens , au profit
de qui elle voulait trahir les Franc;ais. La Po-
logne était un état dont les limites étaient clai-
rement tracées sur la carte de l'Europe, dont
l'indépendance était, pour ainsi dire, comman-
dée par la natnre, et importait an repos de
l'Occident; dont ]a constitution, quoique vi-
cieuse, était généreuse; dont les citoyens, in-
dignement trahis, a"aient déployé un beau
courage, et mérité l'intéret des natiollS civili-
sées. Venise, au contraire, n'avait de territoire
naturel que ses lagunes, car sa puissance n'a-
vait jamai~résidé dans ses possessions de terre-
ferme ; elle n' était pas détruite, paree que cer-
taines de ses provinces étaient échangées contre
d'alltres; sa COllstitlltion était la plus inique de
l'Europe; son gouvernement était abhorré de
ses sujets; sa perfidie et sa lacheté ne lui don-
naient aucun droit ni a l'intéret, ni a l' exis-
tence. Rien donc dans le partage des états
vénitiens ne pouvait etre comparé au partage
de ]a Pologne, si ce n'est le procédé particu-
lier de l'Autriche.


D'ailleurs, paur se dispenser de donner de
pareilles indcll1uités aux Autrichiens, il fallait




DIRECTOlRE (1797). 1 1 I
les chasser de l'Italie, et on ne le pouvait qu'en
traitant dans Vienne meme. Mais il aurait fallu
pour cela le concours des armées du Rhin, et
on avait écrit a Bonaparte qu'elIes ne pour-
raient entrer en campagne avallt un mois. n
ne lui restait, dans cette situation, qu'a rétro-
grader, pour attendre leur entrée en campa-
gne, ce qui exposait a bien des inconvénients;
car iI eút donné par la a l'archiduc le temps
de préparer une armée formidable contre lui,
et a la Hongrie de se lever en masse ponr se
jeter sur ses flanes. De plus, il fallait rétra-
grader, et presque a voner la témérité de sa
marche. En acceptant les préliminaircs, iI avait
!'honneur d'arracher seulla paix ; il recueillait
le fruit de sa marche si hardie; il obtellait des
canditions qui, dans la situation de l'Europe,
étaient fort brillantes, et qui étaient surtant
beaucoup plus avantageuses que ecHes qui
avaient été fixées a Clarke, puisqn'elles stipu-
laient la ligne du Rhin et des Alpes, et une
république en Italie. Ainsi, moitié par des rai-
sons politiques et militaires, moitié par des
considérations personnelles, il se décida a
signer les préliminaires. Clarke n'était pas en-
core arrivé au quartier-généraI. Avec sa har-
diesse accoutumée et l'assurance que luí don-
naient sa gloire, son nom, et le vreu génl'ral




) 12 RÉVOLUTION FRANQA (SE.


ponr la paix. Bonaparte passa outre, et signa
les préliminaíres, comme s'il eut été question
d'nn simple armistíce. La signature fnt dounée
a LéoLen le 29 germinal an V ( 18 a vril 1797).


Si dans le moment il eut connu ce qui se
passait sur le Rhin, iI ne se serait pas tant haté
de signer les préliminaires de Léoben; mais il
ne savait que ce qu'on lui avait .t.nandé, et on lui
avait mandé que l'inaction serait Jongue. 11 lit
partir sur-Ie-champ Masséna pour porter a Pa-
ris le traité des préliminaires. Ce brave géné-
ral était le seul qui n'eut pas été député, pour
porter des drapcaux , et recevoir a son tour les
honneurs du triomphe. Bonaparte jugea que
l'occasion de l'envoyer était belle, et digne des
grands services qu'il avait rendns. Il expérlia
des courriers }laur les armées .du RhiIl et de
Sambre-et-Meuse, qui passerent par I'AlIema-
gne, afin d'arriver beaucoup plus vi te , et de
faire cesser toutes les hostilités, si elles étaient
commencées.


Elles l'étaient, en effet, a rinsta nt meme de In
signature des préliminaires. Hoche, impatient
depuis long-temps d'entrer en action, ne ces-
sait de demander les hostilités. Moreau était
accouru a París pour solliciter les fonds néees-
saires a l'achat d'un équipage de ponto Enfin
l'ordre fut do(]ué. Hoche, á la tete de sa bene




DlRECTOIRE (J 797)' 03
armée, déboucha par Neuwied, tandis que
Championnet, avec raíle droite, débouchait par
Dusseldorf, et marchait sur Uckerath et AI-
tenkirchen. Hoche attaqua les Autrichiens a
Heddersdoff, ou ils avaient élevé des retran-
chements considérables, leur tua beaucoup de
monde, et lcur fit ci nq mille prisonniers. Apres
eette beIle .action, il s'avanc;a rapidement sur
Francfort, battant toujours Kray, el cherchant
a lui couper la retraíte. n allaít l'envelopper
par une manceuvre habíle, et l'enlever peut-
{'tre, lorsqu'arriva le courrier de Bonaparte,
qui annonc;ait la signature des préliminaires.
Cette circonstance arreta Hoche au milieu de
sa marche victorieuse, et lui causa un vif cha-
grín, cal' il se voyait encore une foís arreté
dans sa carriere. Si du moins on eút fait passer
les courriers par París, il aurait eH le ternps
d'enlever Kray tuut entier, ce qui aurait ajouté
un bean fait d'arrnes a sa vie, et aurait en I'in-
fluence la plus grande Sl1l' la suite ·des négo-
ciations. Tamlis que Hoche se portait si rapi-
(lernent sur la Nidda, Desaix, qui avait re<¡H
tic Moreau l'autorisation de franchir le Rhin,
tentait une des actions les plus hardics dont
l'histoire de la guerre fasse mentíon. 11 avait
choisi pour passer le Rhin un point fOl't au-
dessous de Strasbourg. A pres avoir échol1é avec


IX. ti




1 14 nÉvoLuTION FU ,\NI,tAISf:.
ses troupes sur une He de gravíer, il a vait en-
fin abordé la rive opposée; íl était resté la
pendant vingt~quatre heures, exposé él etre
jeté dans le Rhin, et obligé de lutter contre
toute l'armée autrichienne pour se maintenír
dans des taillis, des marécages, en attendant
que le pont fút jeté sur le flel1ve. Enfin le pas-
sage s' était opéré; on avait poursuiví les A u-
trichiens dans les Montagnes N oires, et on
s'était emparé d'une partie de leurs admini-
strations. lci encore l'armée fut arretée au
mílieu de ses succes par le courrier partí de
Léoben, el on dut regretter que les l::¡ux aVIs
donnés a Bonaparte l'eussent engagé a signer
si tot.


Les courriers arriverent ensuite a París, ou
ils causerent une grande joie a ceux qui sou-
haitaien t la paix, mais non au directoire, qui
jugeant notre situation formidable, voyait avec
peine qu'on n'en eút pas tiré un partí plus
avantageux. Larévelliere et Rewbell désiraient
en philosophes l'affranchissement entier de l'I-
taJie ~ Barras souhaitait en fougueux révolu-
tionnaire, que la république humiliat les puis-
sances; Carnot, qui affectait la modération
depuis quelque temps, qui appuyait assez gé-
néralement les vreux de l'opposition, approu-
vait la paix, et prétclldait que, pour l' obtenir




DlRECTOlRE (1797). 115
durable, il ne fallait pas trop humilier l'empe-
reur. n y eut de vives discussions au directoire
sur les préliminaires; cependant, pour ne pas
trop indisposer l'opinion, et ne point paraitre
désirer une guerre éternelle ,iI fut décidé qu'on
approuverait les bases posées a Léoben.


Tandis que ces choses se passaient sur le
Rhin et en France, des événements importants
éclataient en ltalie. On a vu que Bonaparte,
averti des troubles qui agitaient les états vé-
nitiens, du soulevement des montagnards con-
tre les villes, de l'échec des Brescians devant
Salo, de la capture de deux cellts Polonais, de
l'assassinat d'une grande quantité d~ Fran~ais,
de l'emprisonnemellt de tous leurs partisans ,
avait écrit de Léobell une lettre foudroyante
au sénat de Venise. Il avait chargé son aide-de-
camp J unot de la lire lui-meme an sénat, de
demallder ensuite l'élargissement de tous les
prisonniers, la recherche et l'extradition des
assassins, et il luí avait prescrit de sortir de
suite de Venise, en faisant afficher une déc1a-
ration de guerre, si une pleine satisfaction n'é-
taít accordée. Junot fut présenté au sénat le
26 germinal ([ 5 aHil). Il lut la lettre mena-
~ante de son général, et se comporta avec toute
la rl1desse d'un soldat, et d'un soldat victorieux.
On lui répollclit que les armements qui avaient


8.




116 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
été bits, n'avaient pour but que de maintenir
la subordination dans les états de la républi-
que; que, si des assassillats avaient été com-
mis, c'était un malheur invololltaire qui serait
réparé. J llnot ne voulait pas se payer de vai-
nes paroles, et menac;ait de faire afficher la
cléclaratioll de guerre si OH n'élargissait pas
les prisonniers d'état et les Polonais, si on ne
donnait pas l'ordre de désarmer les monta-
gnards et de poursuivre les auteurs ue tous les
assassinats. Cependallt on parvint a le calmer,
et il fut arreté avec lui et le ministre fran({ais
Lallemant qu'on allait écrirc au général Bona-
parte, et luí envoyer deux députés pour con-
venir des satisfactions qu'il avait a exiger. Les
deux députés choisis furent Fran({ois Donat
et Léonard Justiniani.


Mais, pendant ce temps, l'agitation con ti-
nuait (lans les états vénitiens. Les villes étaient
toujours en hostilité avec la po¡mlation des
campagnes et des montagnes. Les agents dn
parti aristocratique et monacal répandaient les
hrnits les plus faux sur le sort de l'armée fran-
<;;aise en Autriche. lls prétendaient qu'ellc avait
été enveloppée et détruite, et ils s'appuyaient
sur deux faits ponr alltol'iser leurs Ülllsses nOll-
velles. Bonaparte en attirant a luí les deux
corps de Joubert pt de R(~rnadotte, qu'il avait




IlIRF.CTOIRE (1797)' l' 7
fait passer, l'un par le Tyrol, l'autre par la
Carniole, avait découvert ses ailes. Joubert
avait battll et rejeté Kerpen au-dela des Alpes,
mais ii avait laissé Laudon dans une partie du
Tyrol, d'ou celui-ci avait bientot reparu, sou-
levant toute la population fidele de ces lllon-
tugues, et descendant I'Adige pour se porter
sur V érone. I,e général Servier, laissé avec
dOllze cents hommes a la garde du Tyrol, se
retirait pied a pied sur V érone, pour venir se
réfugier aupres des troupes fran~aises laissées
dan& la Haute·ltalie. En llleme temps un eorps
de meme force, laissé dans la Carniole, se re-
tÍl'ait elevant les Croates, insurgés eomme les
Tyl'oliellS, et se l;epliait sur Palma-Nova, C'é-
taient la des faits insignifiants, et le ministre
de Franee, Lallemant, s'effor.,;ait de démontl'er
au gouvernement de Venise leur pen d'impor-
t:mce, pour lui épargller de nouvelles impru-
denees; mais tous ses raisonnements étaient
inutiles; et tandís que Bonaparte obligeait les
plénipotentiaires autriehiens a venir traiter au
milieu de son quartier-gél1t!ral, 011 répandait
dalls les états de Venise qu'il était hattu, dé-
bordé, et qu'il allait périr dans sa folle entI'c-
prise. Le partí ennemi des Fran.,;ais el de ti
l'évolution, a la tete duquel étaient la plupart
des membres du gouvcrnement v¡"nitiell, sall~




1 J8 RÉVOLUTJON FUANC;:AlSJ.;.
que le gOllvernement parut y etre lui-meme,
~e montrait plus exalté que jamais. C'est a Vé-
rone surtout que l'agitation étaít grande. Cette
ville, la plus importante des états vénitiens,
était la premiere exposée a la contagion révo-
lutionnaire, car elle venait immédiatement
apres Salo sur la ligne des villes insurgées. Les
V énitiens tenaient a la sauver et a en chasser
les Franc,;ais. Tout les y encourageait, tant les
disposítions des habitants, que l'affluence des
montagnards et l'approche du général Laudon.
Déja il s'y trouvait des troupes italiennes et
esclavonnes, an service de Venise. On en fit
approcher de nonveIles, el bientot toutes les
commuoications furent interceptées avec les
villes voisines. Le général Balland, qui com-
mandait a v érone la garnison franc,;aise, se vit
sépa~é des autres commandants placés daos les
environs. Plus de villgt mille montagnards
inondaient la campagne~ Les détachements
franc,;ais étaient attaqués sur les routes, des ca-
pucins prechaíent la populace dans les rues,
el on vit paraitre nn faux manifeste du podes-
tat de V érone, qui encourageait an massacre
des Franc,;ais. Ce manifeste érait supposé, et le
110m de Battaglia, dont OH l'avait signé, suffi-
sait potlr en prouver la fausseté; mais il n'en
devait pas moius cOlltribucr a t'~chauffeI' les




DIRECTOIRE (1797)' Jl9
tetes. En6n un avis émané des chefs du parti
dans V érone, annow;ait au général Laudon
qu'il pouvait s'avancer, et qu'on allait lui li-
vrer la place. C'était dans les journées des 26
et 27 germinal (15 et 16 avril) que tout ceci
se passait. On n'avait aucune nouvelle de Léo-
ben, et le moment paraissait en effet des mieux
choisis pour une explosiono .


Le général Balland se tenalt sur ses ga,.rdes.
11 avait donné a toutes ses troupes l'ordre de
se retirer dans les forts au premier signal. Il
réclama aupres des autorités vénitiennes con-
tre les traitements exercés a l'égard des Fran-
~ais, et surtout contre les préparatifs qu'il voyait
faire. Mais il n'ohtint que des paroles évasives
et point de satisfaction réelle. n écrivit a Man-
toue, a Milan, pOUl' demander des secours, et
il se tint pret a s'enfermer dam. les forts. Le
28 germinal (J 7 avril) , jour de la seconde fete
de Paques, une agitatioll extraordinaire se ma-
nifesta dans V érone; des handes de paysans y
entrerent en criant : Mort aux jacobins! Bal-
¡and 6t retirer ses trollpes dans les forts, ne
laissa que des détachements aux portes, et si-
gnifia qu'au premier acte de violence, il fou-
Jrojerai t la ville. Mais vers le milieu dll jOllr,
des COl1pS de sifflet furent entendlls dans les
mes; on se précipita sur les Fran~ais, des han-




120 nÉVOLUTION FRAN<;;AISE.
des armées assaillirent les détachements lais-
sés a la garde des portes, et massacreren t ceux
qui n'eurent pas le temps de rejoindre les forts.
De féroces assassins couraient sur les FraIH;;ais
désarmés que leurs fonctions reteuaient dans
V érone, les poignardaient et les jetaient dans
I'Adige. Ils ne respectaient pas meme les ho-
pitaux, et se souiW~rent du sang d'une partie
des malades. Cependant tous ceux qui pou-
vaient s'échapper, et qui n'avaient pas le temps
(le courir vers les forts, se jetaient dans l'ho-
tel du gouvernement, ou les autorités véni-
tiennes leur donnerent asile, ponr que le
massacre ne parilt pas leur ouvrage. Déja plus
de quatl'e cents malheurenx avaient péri, et la
garnison fran<{aise frémissait de rage en voyant
les :Fran<{ais égorgés et leurs ciJ.davr~s flottant
au loin sur l'Adige. Le général Dalland or-
don na aussitot le feu, et couvrit la viHe de
bonlets. n pouvait la mettre en cendres. Mais
si les montagnards qui avaient déLordé s'en
inquiétaient peu, les habitants et les rnagis-
trats vénitiens effrayés voulurent parlementer
pour sauver leur ville. I1s euvoyerent un par-
lementaire au général Balland pour s'entendre
avec lui et arreter le désastre. Le général Bal-
land cOIlsentit a critendre les pourparlers, afin
de sallver les malheureux (lui s'étaieut réfllgiés




DIRECTOIRE (1797). 121
au palais du gouvernement, et sur lesquels
on mena<;ait de venger tont le mal faít a la
ville. 11 yavait la des femmes, des enfants ap-
partenant anx employés des admínistrations,
des malades échappés aux hópitaux, et il im-
portait de les tirer du péril. Balland deman-
dait qu'on les lui lívrat sur-Ie-champ, qu'on
flt sortir les montagnards et les régiments es-
clavons, qu'on désarmat la populace, et qu'on
lui donmtt des otages pris dans les magistrats
vénitiens, pour garants de la soumissíon de la
ville. Les parlementaires demandaicnt qn'un
officier vlnt traiter au palais du gouvernement.
Le brave chef de brigade Beaupoíl eut le cou-
rage d'accepter ceite mission. Il traversa les
flots d'une populace furieuse, quí voulait le
mettre en pieces, et parvint en fin aupres des
autorités vénitiennes. Toute la IHlit se passa
en vaines discllssions, avec le provéditeur et
le podestat, sans pouvoir s'entendre. On ne
vonIait pas désarmer, on ne voulait pas don-
ner d'otages, on voulait des garanties contre
les vengeances que le général Bonaparte lle
manquerait pas de tirer de la "iHe rebelle.
Mais pendant ces pourparlers, la conventioll
de ne pas tirerdans l'intervalIe des conféren-
ces, n'était ras exécutée par les hordes fl1-
rieuses qui avaient euvahi Vérone; OIl se fusil.




122 rlÉVOLUTION FRAN<;AISE.


lait avec les forts, et nos troupes faisaient
des sorties. Le lendemain matin, 29 germinal
( 18 avriJ), le chef de brigade Beaupoil rentra
dans les forts, au milieu des plus grands pé-
rils, sans avoir rien obtenu. On ~pprit que les
magistrats vénitiens, ne pouvant gouverner
cette multitude furieuse, avaient disparu. Les
coups de fusil recommencerent contre le fort.
Alors le general Balland fit de nouveau mettre
le feu a ses pieces, el tira sur la ville a toute
outrance. Le feu éclata dans plusíeurs quar-
tiers. Quelques-uns des principaux habitants
se réunirent an palais du gouverIlement ponr
prendre la direction de la ville en !'ab~ence
des autorités. OIl parlementa de nouveau, on
cOllvint de ne plus tirer; mais la conventioll
n'en fut pas mieux exécutée par les insurgés,
qui ne cesserent de tirer sur les forts. Les fé-
roces paysans quí couvraient la campagne, se
jeterellt sur la garnison du fort de la Chiusa,
placé sur l' Adige, et l' égorgerent. lis en firent
de meme a l'égard des FraIl(;ais répandlls
dans les villages alltollr de Vel'one.


Mais l'instant de la vengeance approchait.
Des courriers partís de lous cotés étaient alles
prévenir le général Kilmaine. Des troupes ac-
conraient de toutes parts. Le géuéral Kilmaine
<lvait ordolmé au général Chabl'3u de marchel'




sur-le-champ avec douze cents hommes; au
~hef de la légion lombarde, Lahoz, de s'avan-
cer ave e huit cents; aux généraux Victor et
Baraguay-d'Hilliers, de marcher avec leurs di-
visions. Pendant que ces monvements de trou-
pes s'exécutaient, le général Laudon venait de
recevoÍr la nouvelle de la signature des préli-
minaires, et s' était arreté sur l' Adige. A pres
un combat sanglant que le général Chabran
eut a livrer aux troupes vénitiennes, la ville
de V érone fut entourée de toutes parts; et
alors les furieux, qui avaÍent massacré les Fran-
(fais, passerent de la plus alroce violence au
plus grand abattement. On n'avait cessé de
parlementer, et de tirer pendant les journées
du I er au 5 floréal (du 20 au 24 avril). Les ma-
gistrats vénitiens avaient reparu; ils voulaient
encore des garanties contre les vengeances qui
les mena<;aÍent; on lenr avait donné vingt-
quatre hcures pour se décider; ils disparurent
de nouveall. Une mllnicipalité provisoire les
remplac;a; et, en voyant les troupes franc;aises
maltresses de la ville et pretes a la réduire en
cendres, elle se rendit sans conditions. Le gé-
néral Kilmaine 6t ce qu'il put pour empecher
le pillage; mais iI ne pul sauver le Mont-de-
Pié té, qui fut en partie dépouillé. Il tit fusil-
ler quelq~les-ulls des chefs connus de l'ÍIlsur-




J 24 lt}:VOLUTlON FRANc;,AISE.
rection, pris les armes a la main ; il im posa
pour la solde de l'armée une eontribution de
onze cent mille franes a la ville, et lan<;:a sa
cavalerie sur les routes pour désarmer les pay-
sans, et sabrer eeux qui résÍsteraicnt. Il s'ef-
for¡;;a ensuite de rétablir l'ordre, et fit sur-Ie-
champ un rapport an général en chef, pour
attendre sa déeision a l'égard de la villé rebelle.
Tels furent les massaeres eonnus sous le nom
de Páques véronaises.


Pendant que cet événement se passait a v é-
rone; il se commettait a Venise meme un
acte plus odieux encore, s'il est possible. Un
réglement défeildait aux vaisseaux armés des
puissances belligérantes d'entrer dans le port
de Lido. Un lougre commandé par le capitaine
Laugier, faisant partie de la flottiHe fram;aise
dans l'Adriatiqlle, chassé par des frégates au-
triehiennes, s'était sauvé SOllS les batterics de
Lido, et les avait saluées de nenf COllpS de ca-
non. Oll lui signifia ele s'éloigner malgré le
temps et malgré les vaisseallx ellnemis qui le
poursnivaient. U allait obéir, lorsque, sans lui
donner le temps de prendre le large, les bat-
teries font fcn sur le malheureux vaisseau, et
le criblent sans pitié. Le capitaine Laugier, se
comportant avec un généreux dévouement,
raít descendre son équipage a f011(1 de cale, et




DIRECTOTRJ, (1797)' 12.5
monte sur le pont avec un porte-voix pour se
faire entenore, et répéter qu'il se retire. Mais
il tombe mort sur le pont avec deux hommes
de son équipage. Dans le meme moment, des
chaloupes vénitiennes montées par des Escla-
vons, abordent le Jougre, fondent sur le pont
et massacrent l'équipage, a l'exceptíoll de deux
ou trois malheureux qui sont conduits a Ve-
nise. Ce déplorable événement eut lien le 4
fIoréal ( 23 avril).


Dans ce moment, on apprenait avec les mas-
sacres de V érone, la prise de cette ville, et la
signature des prélimillaires. Le gouvernement
se voyait tout-a-fait compromis, et ne pouvait
plus compter sur la ruine ou général Bona-
parte, qui, loin d'etre enveloppé et Lattu , était
au contraire victorielJx, et venait d'imposer la
paix al' Autriche. Il allait se trouver maintenant
en présence de ce général tout-puissant dont
il avait refusé l'alliance, et dont iI venait de
massacrer· les soIoats. Il était plongé dans la
terreur. Qu'il eut ordonné officiellement, et
les massacres de Vérone, et les cruautés com-
mises au port de Lido, ce n'était pas vraisem-
blable; et on ne connaltrait pas la marche oes
gouvernements dominés par les factions, si 011
le supposait. Les gouvernements qui sont dans
eette situatian, n'ont pas besoin de donner




126 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
les ordres dont ils souhaitent I'exécution; ils
n,'ont qu'a laisser agir la faction dont ilspar-
tagent les vreux. Ils lui livrent leurs moyens,
et font par elle tout ce qu'ils n'oseraient pas
faire eux - memes. Les insurgés de V érone
avaient des canons ; ils étaient appuyés par les
régiments réguliers vénitiens; le podestat de
Bergame, Ottolini, avait re(,!u de longue main
tout ce qui était nécessaire pour aflTIer les pay-
sans; ainsi, apres avoir fourlli les moyens, le
gouvernement n'avait qu'a laisser faire; et c'est
ainsi qu'il se conduisit. Dans le premier ins-
tant cependant, il commit une imprudence :
ce fut de décerner une récompense au com-
mandant de Lido, pour avoir fait respecter,
dit-iI, les Iois vénitiennes. Il ne pouvait done
se flatter d'offrir des excuses valables au gé-
néral Bonaparte. n envoya de nouvelles in s-
tructions aux deux députés Danat et Justi-
niani, qui n'étaient chargés d'abard que de
répondre aux sommations faítes par Junot le
26 germinal ( 15 avril). Alars les événements
de Vérone et de Lido n'étaient pas connus;
mais maintenant les deux députés avaient une
bien autre tache a remplir, et bien d'autres
événements a expliquer. IIs s'avalicerent au
milieu des eris d'allégresse excités par la nOll-
velle de la paix, et ils comprirent bipntót




DIRECTOIRE (1797)'
qu'eux seuls auraient sujet d'etre tristes, au
milieu de ces grands événements. I1s appri-
rent en route que Bonaparte, pour les punir
du refus de son alliance, de leurs rigueurs con-
tre ses partisans, et de quelques assassinats
isolés commis sur les Franc,;ais, avait cédé une
partie de leurs provinces a l'Autriche. Que se~
raÍt-ce quand il connaltrait les odieux événe-
ments qui avaient suivi!


Bonaparte revenait déja de Léoben, et sui-
vant la teneur des préliminaires, repliait son
armée sur les Alpes et l'lzonzo. lIs le trouve-
rent a Gratz, et lui [urent présentés le 6 flo-
réal (25 avril). II ne connajs~mit encore dans ce
moment que les massacres de Vérone, qui
avaient cornmencé le 28 germinal (17 avril), et
point encore celui de Lido, qui avait eu lieu
le [~ floré al (23 avril). lIs s'étaient munis d'une
lettre d'un frere du général, pour etre plus
gracieusement accueillis. lIs aborderent en
tremblant cet hornme vraiment extraordinaire,
dir~nt~ils, par la vivacité de son imagination,
la promptitude de son esprit, el la force in-
vincible de ses sentiments*. 11 les accueillit avec
politesse, et, contenant son courroux, leur


.. Veramente originale, rna forse non piu che per viva~
cita d'imagillazione, robustezza invincibile di scntimento,
ed agilita nel ravvisarlo esternamente,




128 nÉvOLut'IOIIf FRAN~AISE.
permit de s'expliquer longnement; puis, rom-
pant le silellce : -Mes prisonniers, leur dit-il,
sont-ils délivrés? Les assassins sont-ils ponr-
suivis? Les paysans sont-ils désarmés? Je ne
veux plus de vaines paroles ; mes soldats ont
été massacrés, iI faut une vengeance éclatante !
- Les deux envoyés voulurent revenir sur les
circonstances qui les avaient obligés de se pré-
munir contre l'insurrection , sur les désordres
inséparables de pareils événements , sur la dif-
ficnlté de saisir les vrais assassins. - Un gou-
vernement, reprit vivement Bonaparte, aussi
bien servi par ses espions que le vótre, devrait
connaitre les vrais instigateurs de ces assassi-
nats. Au reste, je sais bien qu'il est aussi mé-
prisé que méprisable", qu'il ne peut plus désar-
mer ceuX qu'il a armés; mais je les désarmerai
ponr lni. J'ai fait la paix, j'ai quatre-vingt mil/e
hommes; j'irai briser vos plombs, je serai un
second Attila pour Venise. Je He veux plus ni
inquisition, ni livre d'or; ce sont des institu-
tions des siecles de barbarie. Votre gonverne-
ment est trop vieux, il faut qu'il s'écroule.
Quand j'étais a Coriee, j'offris a M. Pezaro
mon alliance et des eonseils raisonnables. JI
me refusa. Vous m'attendiez a roon retour
pour me couper la retraite; eh bien! me voici.
Je ne veux plus traiter., je veux faire la loi. Si




vous n'avez pas autre chose a me-dire, je vous
déclare que vous pouvez voüs retirer.»


Ces paroles, prononeécs avec coutroux, at-
térerent les envoyés vénüieos. lis .solliciterent
une seeonde entrevue, mais ils ne purent pas
obtenir d'autres paroles du général, qui per-
sista toujonrs cluns les memes intentions, et
dont la volonté évidente était de faire la loi a
Venise, et de déttuire par la force une aris-
toeratie qu'il n'avait pu engager a s'amender
par ses eonseils. Mais bientót ils eurent de bien
autres sujetsde erainte, en apprenant avec
détail les massactes de V érone, et surtout 1'0-
dieuse cr'uauté commise au port du Lido. N'o-
sant se présenter a Bonaparte, ils hasarderent
de"lui écrire une lettre des plus soumises, pour
lui offrir toules les explicat~ns qu'il pourrait
désirer. - Je ne ptiis, leur répondit-il, vous
reeevoir tont eouverts du sang fran¡;;ais ; je vous
éeouterai quand vous m'aurez livré les trois
inquisiteurs d'état, le commandant du Lido et
l'officier chargé de la police de Venise. - Ce~
pendant, eomme iIs avaient re~u un dernier
courrier relatif a l'événement du Lido, iI con ..
sentit a les voír, mais il refusa d'éeouter au-
cune proposition, avant qu'on lui eut livré les
tetes qu'il avait demandées. Les deux V éni-
tiens chcrchant alors a user d'une puissance


IX. 9




130 RÉVOLTJTION FRAN<;AISE.
dont la république avait souvent tiré un utile
parti, essayerent de lui proposer une répara ..
tion d'un autre genre. ee Non, non, répliqua le
(e général irrité, quand vous couvririez eette
« plage d'or, tous vos trésors, tous ceux du
(( Pérou, ue pourraient payer le sang d'un seul
« de mes soldats. »


Bonaparte les eongédia. C'était le 13 floréal
(!1 mai); iI publia sUl'-Ie-ehamp un manifeste
de guerre contre Venise. ~La constitution fran-
«;aise ne permettait ni au direetoire, ni aux
généraux, de déclarer la guerre, mais elle les
autorisait a repousser les hostilités eommeu-
cées. Bonaparte s'étayant sur eette disposition1
et sur les événements de V érone et du Lido ,
déclara les hostilités commeneées, somma le
ministre Lallem_nt de sortir de Venise, 6t
abattre le lion de SaÍnt -Mare dan s toutes les
provinces de la terre-ferme, municipaliser les
villes, proclamer parlout le renversement du
gouvernement vénitien, et, en attendant la
marche de ses troupes qui revenaient de l'Au·
triche, ordonna au général Kilmaine d~ porter
les divisions Baraguay-d'Hilliers et Victor sur
le bord des lagunes. Ses déterminations , aussi
promptes que son courroux, s' exécuterent sur-
le-champ. En un din d'reil on vit disparaitre
l'antique lion de Saint-Marc des bords de




btRECTOlRE (1797).
l'Izonzo, jnsqu'a ceux du Mincio, et partout il
fut remplacé par l'arbre de la liberté. Des trou-
pes s.'avancerent de toutes parts, et le canon
fraw;aís rctentit sur ces rivages, qui uepuis si
long-temps n'avaient pas enteudu le canon
enneml.


L'antique ville de Venise, placée au miJieu de
ses lagllnes , pouvélit présenter encore des dif-
nCllltés presque invincibles, meme au général
quí venait d'humilier l' Autriche. Toutes les la-
gmies étaient armées. Elle avait trente~sept
galeres, cent soixante-huit barques canonnie-
res, portant sept cent cinquante bouches a feu,
et huit mille cinq cents matelots ou canon"
niers. Elle avait pour garnison trois mille cinq
cents Italiens, et ollze mille Esclavons; des
vivres pour huit mois, de l'eau douce pour
deux, et les moyens de renouveler ces provi-
sions. Nous n'étiolls pas maltres de la mer;
n011S n'avions point de barques callonnieres,
pour traverser les lagunes; il fallait s'avancer
la sonde a la main, le long de ces canaux in-


, connus pour nous, et sous le feu d'innombra-
bIes batteries. Quelque braves et audacieux
que fussent les va~nqueurs de l'Italie, ils pou-
vaÍent etre arretés par de pareils obstacles, et
condamnés a un siége de plusieurs mois. Et
que d'événements aurait pu amener un délai





132 nÉvOLtlTJON J,'RA.N~AISE.
de plusieurs mois! J:Autriche repoussée pou-
vait rejeter les préliminaires, rentrer dans la
lice, ou faire naltre de llouvelles chances.


Mais si la situation militaire de Venise pré.
sentait des ressources, son état intérieur ne
permettait pas qU'Oll en fitun usage énergi-
que. eomme tous les corps usés, eette aristo-
cratie était divisée ; elle n'avait ni les memes
intérets, ni les memes passions. La haute aris-
tocratie, maitresse des plaees, des honneurs,
et disposant de grandes richesses, avait moins
d'ignorance, de préjugés, et de passions, que
la noblesse illférieure; elle avait surtout l'am-
bition du pouvoir. La masse de la !wblesse,
exclue des emplois, vivant de secours, igno-
r~nte et furieuse, avait les véritables préjugés
aristoeratiques. Unie aux pretres, elle exeitait le
peuple qui luí appartenait, eomme il arrive
dans tons les états ou la classe moyenne n'est
pas encore assez puissante pour I'attirer a eUe.
Ce peuple, composé de marins et d'artisans,
dnr, superstitieux, et a demi sauvage, était
pret a se livrer a toutes les fureurs. La classe
moyenne, composée de bourgeois, de com·
mer<{ants, de gens de 10i, de rnédecins, etc.,
souhaitait cornme partout l'établissement de
l'égalité civile; se réjouissait de l'approche des
Fran<,:ais, mais n'osait pas laisser éclater sa




1HRECTOIRE (1797 J. 133
joie, en voyant un pellple qu'on pouvait pous-
ser aux plus grands exces, aVRnt qu'une révo-
lution fut opérée. Enfin, a tous ces éléments
de division, se joignait une circonstance non
moins dangereuse. Le gouvernement vénitien
était serví par des Esclavons. Cette solda tes-
que barbare, étrangere au peuple vénitien, et
souvent en hostilité avec lui, n'attendait qu'une
occasion pour se li vrer au pillage, sans le pro,.
jet de servir aucun partí.


Telle était la situation intérieure de Venise. Ce
corpsusé était pret a sedisloquer. Les grands,
en possession du gouvernement, étaient ef-
frayés de lutter eontre un guerrier eomme Bo-
naparte; malgré que Venise put tres~bien résister
a une attaque, iIs n'envisageaient qu'avec épou-
vante les horreurs d'un siége, les fureurs aux-
quelles deux partis irrités ne manqueraient
pas de se livrer, les exees de la soldatesque
esclavonne, les dangers auxquels serait expo-
sée Venise, avec ses' établissements maritimes
et commerciaux; ils redotltaient surtout de
voir Ieurs propriétés, toutes situées sur la terre-
ferme, séquestrées par Bonaparte ,et mena-
cées de confiscation. lis craignaient meme pour
les pensions dont vivaitla petite noblesse, et
qui seraient perdues si; en poussant la lutte a
l'extrémité, on s'exposait a une révolution. Jl~




134 RÉVOLUl'ION FRA.N~AISE.
pensaient qu'en traitant ils pourraient sauver
les anciennes institutions de Venise par des
modifications; con ser ver le pouvoir qui est
toujours assuré aux hommes habitués a le ma-
nier; sauver leurs terres, les pensions de la
petite noblesse, et éviter ~ la ville les horreurs
du sac et du pillage. En conséquence, ces
hommes qui n'avaient ni l'énergie de leurs
aucetres, ni les passions de )a masse nobiliaire,
sOllgerent a traiter. Les principaux membres
du gouvernement se réunirent chelo le doge.
e' étaient les síx conseillers du doge, les troi5
présidents de la garantie ~riminelle, les six
sages-grands, les cinq sages de terre-ferme,
les cinq sages des ordres, les on:¡:e sages sortis
du .conseil, les trois chefs du conseil des dix,
les trois avogadors, Cette assetnblée extraor ...
di naire , et contraire mame aux usages, avait
pour but de pourvoir au salut de Venise. L'é-
pouvante y régnait. Le doge, vieillard affaihli
par l'age, avait les yeux remplis de larmes. Il
dit qu'on n'était pas assuré cette nuit meme
de dormir tranquillement dans son lit. Chacun
lit différentes propositions. Un membre pro-
posait de se servir du banquier Haller pour
gagner Bonaparte. On trouva la propositioll
ridicule et vaine. D'ailleurs l'ambassadeur Quí-
riní avait ordre de faire a París tout ce qu'il




DlRECTOIRE (1797)' 135
pourrait, et d'acheter meme des voix au di-
rectoire, s'il était possible. D'autres propose-
ren,t de se défendre. On trouva la proposition
imprudente, et digne de tetes folles et jeunes.
Enfin on s'arreta a l'idée de proposer au grand
cOllseil une modification a la cODstitution, afin
d'apaiser Bonaparte par ce moyen. Le grand
conseil, composé ordinairement de toute la
noblesse, et représentant, la nation vénitien-
ne, fut convoqué. Six cent dix-neuf membres,
c'est - a - dire un peu plus de la moitié,
furent présents. La proposition fut faite au mi-
lieu d'un mome silence. Déja cette question
avait été agitée, sur une cornmunication du
ministre Lallemant au sénat; et on avait décidé
alors de renvoyer les modifications a d'autres
temps. Mais cette foís on sentit qu'il n'était
plus possible de recourir a des rnoyens dila-
toires. La proposition du doge fut adoptée par
cinq cent quatre-vingt-dix-huit voix. Elle por-
tait que deux commissaires envoyés par le sé-
nat, seraient autorisés a négocier avec le gé-
nél-al Bonaparte, et a traiter merne des objets
qui étaient de la compétence du grand conseil,
c'est-a-dire des objets constitutionnels, sauf
ratification.


Les deux cornrnissaires partirent sur-Ie-
champ, et trouverent Bonaparte sur le bord




136 nÉvoLuTION FllAN9A1SE.
d.es lagulles, au pont de lVíarghera. Il disposait
ses troupes, el les artilleurs fran<;ais échau-
geaient déja des boulets avec les canonnieres
vénitiennes. Les deux commissaires lui remi-
rent la délibération du grand conseil. Un ins-
tant il parut .frappé de cette détermination;
puis reprenant un ton brusque, iI leur dit :
- Et les trois inquisiteurs d'état, et le com ...
mandant du Lido, sont-ils arretés? Il me fant
leurs tetes. Point de traité jusqu'a ce que le
sang frallf,;ais soit vengé. Vos.lagunes ne m'ef.
fraient pas; je les trouve tellesque je l'avais
prévu. Dans quinze jours je serai a Venise. Vos
llobles ne se déroLeront a la mort qu'en alIant
cOmme les émigrés fran~ais trainer leur misere
par toute la terreo - Les deux commissaires
firellt taus leurs efforts pour obtenir un délai
de quelques joftrs, afin de convenir des satis-
factions qu'il désirait. Il ne voulait accorder
que vingt-quatre heures. Cependant il con sen.
tit a accorder six jours de suspellsion d'armes,
pour donner aux commissaires vénitiens le
temps de venir le rejoindre a Mantoue, avec
l'adhésion du grand eonseil a toutes les con-
ditiollS imposées.


Bonaparte, satisfait d'avoir jeté l'épouvante
chez les V énitiens, ne voulait pas en venir a
des hostilités réelles, paree qu'íl appréciait la




I.llRECTOIRE (1797)'
difficulté d'emporter les lagunes, e.t qu'il pré-
vOJait une intervention de I'Autl'iche. Unar-
ticle des ·préliminaíres portait qlle toul ce qlli
était relatjf a Venise serait réglé d'accord ave e
la France et l'Autriche. S'il y entrait de vive
force, on se plaindrait a Vienne de la viola-
tion des préliminaires, et de toutes manieres
il lui convenait mieux de les amener a se
soumettre. Satisfait de les avoir effrayés, iI
partit pour Mantoue et Milan, ne do.utant pas
qu'ils ne vinssent bientot faire leur soumis-
sion pleine et entiere.


L'assemblée de tous les membres du gou-
vernement, qui s'était déja formée chez le
doge, se réunit de nouveau ponr entendre
le rapport (les commissaires. n n'y avait plus
moyen de résister aux exigences du. général ;
il fallait consentir a tout, car le péril devellait
chaque jour plus imminent. On disait que la
bourgeoisie conspirait et voulait égorger la
noLlesse, que les Esclavons allaient profh~r
de l'occasion pOUi' piller la ville. On convint
de faire une nonvelle proposition· au grand
cOllseil, tendante a accorder toutee que de-
mandait le général Bonaparte. Le 15 floréal
(4 mai), le gránd conseiI fut assemblé de nOll-
veau. A la majorité de sept cent quatre voix
cOlltre dix, iI décida que les commissaires




138 RÉVOLUTION ¡"RAN9AISE.
seraient autorisés a traiter a toutes condi~
lions avec le général Bonaparte, et qu'une
procédure serait commencée sur-Ie-champ
contre les trois inquisiteurs d'état et le com-
mandant du Lido.


Les commissaires, munis de ces nouveaux;
pouvoirs, suivirent Bonaparte a Milan pour'
aller mettre l'orgueilleuse constitution véni-
tienne a ses pieds. Mais six jours ne suffisaient
pas, et la treve devait expirer avant qu'ils
eussent pu s'entendre avec le général. Pen-
dant ce temps la terreur allait croissant dans
Venise. Un instant OH fut tellement épouvanté,
qu'on autorisa le commandant des lagunes a
capituler avec les généraux fran<,;ais, chargés
du commandement en l'absence de Bonaparte.
On luí recommanda seulement l'índépendance
de la république, la religion, la su reté des
personnes et des am~assadeurs étrangers, les
propriétés publiques et particulieres, la mon-
naÍe, la banque, l'arsenal, les archives. Ce-
pendant on obtint des généraux fran<,;ais une
prolongation de la treve, pour donner aux
envoyés vénitiens le temps de négocier avec
Bonaparte.


L'arrestation des trois inquisiteurs d'état
avait désorganisé la poliee de Venise. Les plus
influents personnages de la bourgeoisie s'ólgi-




lHRECT01RE (1797). ,39
taient, ~t manifestaient ouvertement l'illten-
lion d'agir, pour hater la chute de l'aristocra-
tie. Ils entouraicnt le chargé d'affaires de
France, Villetard, qui était resté a Venise
apres le départ du ministre Lallemant, et qui
était un ardent patriote. I1s cherchaient et
espéraient en luí un soutien pour leurs pro-
jets. En meme temps les Esclavons se livraient
a l'indiscjpline et faisaÍent craindre les plus
hon-ibles exceso lIs avaient en des rixes avec
le peuple de Venise, et la bourgeoisie sem-
blait elle-meme exciter ces rixes, qui ame-
najent la divÍsion dans les forces du parti
aristocratique. Le 20 floréaI (9 m~i), la terrCllr
fut portée a son combIe. Deux membres tres-
influents du parti révolutionnaire, les nommés
Spad.a et Zorzi, eJltrere~t en communicatíon
avec quelques-uns d~s personnages qlli com-
posaient la réunion extraordinaíre formée chez
le doge. Ils ínsínuerent qu'íl fallait s'adresser
au chargé d'affaíres de France, et s'entelldre
avec lui pour préserver Veníse des malheurs
qui la mella~aient. Donat et Battaglia, deux
patriciens qu'on a déjil. vus figurer, s'adresse-
rent a Villetard le 9 maí. I1s lui demanderent
quels seraient, d;;¡ns le péril actllel, les moyens
les plus propres a sauver Venise. CelllÍ-ci ré-
pondit qu'il ll'était nullement autorisé a trai-




140 llÉVOLUTJON FRAN~AJSE.
ter par le général en chef, mais que ~i OIl lui
demandait son avis personnel, iI conseillait
les mesures suivantes: l'embarquement et le
renvoi des Esclavons; l'institution d'nne garde
bourgeoise; l'introduction de quatre mille
Frant,;ais dans Venise, et l'or.cupation par eux
de tous les :points fortifiés; l'abolitiOJl de ran-
cien gouvernement; son remplacement par
une. muuicipalité de trente-si x membres choi-
sis dans tOUÚ$ les clásses et ayant le doge
actuel pour maire; l' élatgissement de tous
les prisolluiers pour cause d'opinion. Ville-
tard ajouta que sans doute a ce prix le géné-
ral Bonaparte accorderait la grace des trois
inquisiteurs d'étilt et du commandant du Lido.


Ces propositions furent portées au conseil
réuni chez le doge. Elles ét:úeut bien graves,
puisqu' elles entrainaient une entiere révolu-
tion dan s Venise. Mais les chefs du gouverne-
ment craignaient une révofution ensanglantée
par les projets du p~rti réformateur, par les
fureurs populaires et par la cupidité des Es-
c1avons. Deux d'entre eux firent une vive ré':'
sistance. Pezaro dit qu'ilsdevaient se retirer
en Suisse avant de consommer eux-memes la
ruine de 1'antique gouvernement vénitien. Ce-
pendant les résistances furent écartées, et il
fut résolu que ces propositions seraient pré--




DlRECTOIRt: ('797).
sel1tées au gralld cOl1seil. La convocatíon fut
flxée au 23 floréal ( J 2 mai ). En attel1dant,
OH paya aux Esclavons la solde arriérée, et on
les embarqua pour les renvoyer en Dalmatie.
Mais le vent contraire les retínt dans le port,
et lenr présence dan s les eaux de Venise ne flt
qu'entretenir le trouble et la terreur.


Le 23 floréal ( 12 mai ), le grand conseil fut
réuni avec appareil pour voter l'abolition de
eette antique aristoeratie. Un peuple immense
était réuni. D'une part, on apereevaít la bour-
geoisie joyeuse enfill de voir le pouvoir de ses
maitre.s renversé; et d'autre part, le peuple ex-
cité par la noblesse, pret a se précípiter sur
cellX qu'il regardait comme les instigateurs de
eette révolution. Le doge prit la parole en ver-
sant des larmes, et proposa au grand conseil
d'abdiqller sa souveraineté. Tandis qu'on allait
délibérer,on entendít tirer des coups de fusiL
La noblesse se crut menacée d'un massacre.
« Aux voix t aux voix! » s'écria-t-on de tontes
parts. Cinq cent douze suffrages voterent I'a-
bolition de l'ancien gouvernement. D'apres les
statuts, il en auraít fallu six cents. 11 y eut douze
suffrages contraires, et cinq nuls. Le grand con-
seil rendít la sOllveraineté a la natíon vénitienl1e
tout elltiere; il vota l'il1stitution d'une muni-
cipalité, el l'établissement d'un gouvernement




J 42 RÉVOLUTJON FR AN¡;;: AISll.
provisoire, composé de députés de tous les
états vénitiens; il consolida la dette publique,
les pensions accordées aux nobles pauvres, et
décréta l'introduction des troupes fraIH;aises
dans Venise. A peine cette délibération fut-elle
prise, qu'un pavillon fut hissé a une fenetre
du palais. A cette vue, la bourgeoisie fut dans
la joie; mais le peuple furieux, portant l'image
de Salnt-Mare, parcoürut les rues de Venise,
attaqua les maisons. des habitants acctlsés d'a-
voir arraché cette détermination a la noblesse
vénitienne. Les maisons de Spada et de Zorzi
fl1rent pillées et saccagées; le désordre fut
porté au comble, et on craignit un horrible
bouleversement. Cependant un certain nom-
bre d'habitants intéressés a la tranquillité pu-
blique se réunirent, rnitent a leur tete un vieux
général maltais nornmé Salembeni, qui avait
(~té long-temps persécnté par l'inquisítion d'é-
tat, et fondirent sur les perturbateurs. Apres
un combat au pont de Rialto, ils les disper-
serent, et rétablirent l' ordre et la tranquil-
lité.


Les Esclavons furent enSn embarqués et ren-
voyés apres de grands exces commis dans les
villages du Lido et de Malamocco. La nouvelle
municipalité fut institnée; et, le 27 floré al
(16 mai) , la flottille alJa ehercher une division




DJRECTOIRE (1797)'
de quatre mille Franc;ais, qui s'établit paísi-
blement dans Venise.


Tandis que ces ehoses se passaient a Venise,
Bonaparte signait a Milan, et le meme jour,
avee les plénipotentiaires vénitiens, un traité
conforme en tont a la révoIntion qui venait
de s'opérer. n stipulaitl'abdieation de l'aris-
toeratie, l'institution d'un gouvernement pro-
visoire, l'introduetion d'une division frall(;aise
a titre de proteetion, la punidon des trois in-
quisiteurs d'état et du eommandant du Lido.
Des artides seerets stipulaient en outre des
échanges de territoire, une contribution de 3
millions en argent, de 3 millions en munitioIlS
navales, et l'abandoIl a la FraIlee de trois vais-
seaux de guerre et de deux frégates. Ce traité
devait etre ratifié par le gouvernement de Ve-
nise; mais la ralifieation devenait impossible,
puisque l'abdieation avait déja eu líeu, et elle
étai t inutile, puisque tous les al'fieles du traité
étaient déja exécutés. La munieipalité provi-
soire n' en erut pas moins devoir ratifier le
traité.


Bonaparte, sans se eompromettre avee I'Au·
triehe, sans se donner les horribles embarras
d'un siége, en était done venu a ses 6ns. Il
avait renversé l'aristoeratie absurde qui l'avait
trahi, iI avait plaeé Venise dans la merne si-




144 RtÍVOLUTION FRAN¡;;AISi':.
tuation que la Lombardie, le Modellois, le
Bolonais, le l"errarais; maintenant il pouvait,
sans aucun embarras, faire tous les arrange-
ments de territoil'e qui lui paraltraieilt conve-
nables. En cédallt a l'empereur toute la terre-
ferrne qui s'étend de I'Izonzo a l'Oglio, il avait
le moyen d'indemniser Venise, en luí <1on-
nant Bologne, Ferrare et la Romagne, qui fai-
saient actuellement partie de la Cispadane. Ce
n'était pas repla'cer ces provinces sous le joug
que de les donner a Venise révolutionnée.
Restaient ensuite le duché de Modene et la
Lornbardie, dont il était facile de composer
une seconde républíque, alliée de la premiere.
Il y avait encare mieux a faire, c'était, si on
pouvait faire cesser les' rivalités locales, de
réunir tontes les provinces affranchies par les
armes fraw;aises, et de composer avec la Lom-
bardie, le Modenois, le Bolonais, le Ferrarais,
la Romagne, ]a Polésine, Venise et les Hes de
la Grece, une puissante république, qui do-
minerait a la fois le continent et les mers de
l'Italie.


Les articles secrets relatifs aux 3 millions
en munitions navales, et aux trois vaisseaux
et deux fl'égates, étaient un moyen de mettre
la main sur toute la marine vénitienne. Le
vaste esprit de Bonapartc, dont la prévoyance




DIRECTOIRl, (1797)- 145
se portait sur tous les objets á la fois, ne vOU-
lait pas qu'il IlOUS arrivM avec les V énitiens
ce qui n01l5 était arrivé ave. les Hol1alldais,
c'est-a-dire que les officiers de la marine, Oll
les commandants des lIes, mécontents de la
révolution, livrassent aux Anglais les vaisseaux
et les lles qui étaient sous leur commande-
mento II teuait surtoutbeaucoup aux impor-
tantes iles vénitiennes de la Grece, Corfou,
Zante, Céphalonie, Sainte-Maure, Cérigo. Sur-
le-champ il donna des ordre5 pour les faire
occnper. Il écrivit a TonIon ponr qu'on lui
envoyat par terre un certain nombre de ma-
rins, promettant de les défrayer et de les
éql1iper a leur arrivée a Venise. Il demanda au
directoire des ordres pour que l'amiral Brueys
appal'eillat sUl'-le-champ avec six vaisseanx,
afin de venir rallier tonte la marine vénitienne,
et d'aller s'emparer des Hes de la Grece. Il fit
partir de son chef deux millions pour Toulon,
afin que l'ordonnateur de la marine ne fUt
pas arrcté par le défaut de fonds. Il passa en~ .
core ici par-dessns les réglements de la tréso-
rcrie, poul' ne pas subir de délai. Cependant,
craignant que Brueys n'al'rivat trop tal'd, il
réunit la petite flottílle qu'il avait dans J'Adriati-
que aux vaisseaux trouvés dans V cuise, mel;¡
les éqllipages vénitiens aux équipages fran-


l.\.. 10




r 46 R J~VO['UTION I'RA N0A ISI>.
~ais, pla~a a bord deux mille hommes de trou,
pe:=; , et les fit partir sur-Ie-champ pour s' cm-
parer des lIes. Il s'assurait ainsi la possession
des postes les plus importants dans le Levant
et l'Adriatique, et prenait une position qui,
devenant tous les jours plus imposante, de-
vait influer singulierement sur les négocia-
tions définitives avec l'Autriche.


La révolution faisait tous les jours de nOll-
veaux progres, depuis que la signature des
préliminaires de Léoben avait fixé le sort de
l'Italic, et y avait assuré l'influence franc;;aise.
n était certain maintenant que la plus grande
partie de la Haute-Italie serait constituée en
république démocratique. C'était un exemple
séduisant, et qui agita~t le Piémont, ]e duché
de Parme, ]a Toscane, les Étals du pape. Le
général franc;;ais n' excitait personne, mais sem-
hlait pret a accueillir ceux qui se jetteraient
dans ses bras. A Genes, les tetes étaient fort
exalfées contre l'aristocratie, moins absurde
et moins affaiblie que celle de Venise, mais
plus obstinée encore s'il était possible. La
France, comme on a vu, avait traité avec elle
pour assurer ses derrieres, et s'était bornée a
exiger 2 millions d'indemnités, 2 millions
en pret, et le rappel des familles exilées
pour leur attachement a la France. Mais le




DIRECTOIRE (1797).
partí patriote ne garda plus de mesure des
que Bonaparte eut imposé la paix a l' Autriche.
Il se réunissait chez un nommé Mor>andí, et
y avait formé un club extremement violento
Une pétition y fut rédigée et présentée au
doge, pOllr demander des modifications a la
constitlltion. Le doge fit former une commis-
sion pour examiner eette proposition. Dans


'I'íntervaIle, on s'agita. Les bourgeois de Ge-
nes el les jellnes gens a tete ardente se con-
certerent, et se tinrent prets a une prise d'ar-
mes. De leur coié, les nobles, aidés par les
pretres, exciterent le menu peuple, et arme-
rent les charbonniers et les porte-faix. Le mi-
nistre de France, homme doux et modéré,
contenait plutot qu'il n'excitait le parti pa-
triote. Mais le 2.2. mai, quand les évéoements
de Venise, furent connus, les Morandistes ,
eornme 00 les appelait, se montrerent en ar-
mes, et voulurent s'emparer des postes prin-
cipaux de la ville. Un eombat des plus violents
s' engagea. Les patriotes, qui avaient affaire a
tout le peuple, furent battus et souffrirent de
eruelles violenees. Le peuple vietorieux se
porta a beaueoup d'exees, etne ménagea pas
les familles fran<,¡aises, dont beaucoup furent
maltraitées. Le ministre de Franee ne fut lui-
meme respecté (Iue paree que le doge ent


ro.




1 [,8 ltÉVOLTTTION FRAN~;AISE.
soin de tui envoyer une garJe. lh~s que Bo~
¡¡aparte a pprit ces événements, il vit q u'j 1 Jlt'
pouvait plus différer d'intcrvenir. II envoya
son aidc-de-carnp Lavalette pour réc\amer les
Fran<;ais détenus, ponr demande .. des répara-
tiOllS a leur égard, et surtont pour exiger
i'arrestation des trois inquisiteurs d'état, ac-
cusés d'avoir mis les armes aux mains du peu-
pIe. Le partí patriote, soutenu par ectte in-
fluenee puissante, se raUia, reprit le dessus,
et obligea l'aristocratie génoise a abdiqu¡r,
comme avait f:lÍt eeHe de Venise. Un gouver-
lIement provisoire fut installé, et une com-
mission envoyée a Ronaparte, pour s' entendre
avec lui sur la constitution qu'il eonvenait de
donner a la république de Genes.


Ainsi, apres avoir en deux mois soumis le
pape, passé les Alpes J ulíen nes, imposé la paíx
:d'Autriehe, repassé les Alpes et puni Venise,
Bonaparte étaít a MUan, exerl,{ant une auto-
rité supreme sur toute l'Italie; attendant, sans
la presser, la marche de la révolution, faisant
travailler a laconstitutíon des provinces af-
franchies, se créant une marine dans l' Adria-
tique, et rendant sa situation toujours plus
imposante pour l' Autriche. Les pr~limiIlaires
de Léoben avaient été approuvés a Paris et a
Vienne; l'échange des ratifications avait été




DIRECl'OIR¡'; ('797)'
fait cuLre BOtlapal'Le et M. de Gallo, et on at-
tendait incessamment l' ouverture des confé-
rellces pour la paix définitive. Bonaparte a Mi-
¡an, simple général de la république, était
plus influent que tous les potentats de l'Europe.
Des courriers al'rivant et partant sans cesse,
annotl(;aient que c'était la que les destinées du
monde venaient abonlir. Les Italiens enthou-
siastes attendaient des heures entieres pour
vOlr le généraL so1'tir du palais SerbeLloni. De
jeunes et belles femmes entouraient madame
Bonaparte, et luí composaient une conr bril-
lante. Déja commeII<;ait cette existence cx-
traordinaire, qui a ébloui et dominé le monde.






UIRECTOlRE (1797)'


CHAPITRE IJI.


Situation embarl'assante de I'Angleterl'c apres les pl'cli-
minaires de paix avec I'Autriche; nOllvclles proposi-
tions de. paix; conférences de Lille. - Élections de
l'an V.-Pr'gres de la réactioIl contre-révolutionnaire.
Lutte des conseils avec le directoire. - Élection de
Barthélemy au directoire, en remplacement de Letour·
neur, directeur sortant. - Nouveaux détails sur les
finan ces de l'an V. Modifications dans leur administra-
tion proposées par I'opposition. - Rentrée des pretrcs
et des émigrés. Intrigues et complot de la faction roya-
liste. - Dívision et forces des partís. Dispositions poli-
'tiques des armées.


LA conduite de Bonaparte a l'égard de Ve-
nise était hardie, mais renfermée néanmoins
dans la limite des lois. Il avait motivé le ma-
uifeste de Palma-Nova sur la nécessité de re-




1 ~h RÉVOLUTJON FRANt;;AISE.
pousser les hostilités commencées; et avaIlt
que les hostilités se ch;:mgeassent en une guerre
déclarée, il avait condu un trait{~ qui dispen-
sait le directoire de soumettre la dédaration
de guerre aux deux conseils. Dé eette ma-
niere, la république de Venise avait été atta-
quée, détruite et effacée de l'Enrope, sans que
le général eUt presque consulté le directoire,
et le directoire les conseils. Il ne restait plus
qu'a notifier le traité. Gimes avait de memc
été révolutionnée, sans que le gouvernement
parut consulté; et tous ces faits, qu'on attri-
buait au général Bonaparte, beaucoup plus
qu'ils ne lui appartenaient réellcment, don-
naient de sa puissance en ltalie, et du pouvoir
qu'il s'arrogeait, une idée extraordinaire: Le
directoire jugeait en effet que le général Bo-
naparte avait tranché beaucoup de qucstions;
cependant il ne pOllvait lui reprocher d'avoir
outre-passé matériellemellt ses pouvoirs; il était
obligé de recol111aitre l'utilité et l'a-propos de
toutes ses opérations, et il n'aurait pas o~é d~s­
approuver un général victorieux, et revetn
d'nne si grande autorité sur les esprits. L'am·
bassadeur de Venise a Paris, M. Qllirini, avait
employé tous les moyens possibles anpres dll
directoire, pour gagner des vnix en faveur de
sa patrie. Il se servit d'un Dalmaíe, intrigant




DlHECTOlRE (1797)'
adroit, qui s'était lié avec Barras, pour gagner
ce directeur. Il parait qu'une somme de 600
mille franes en billets fut donnée, a la con di-,
líon de défendre Venise dans le directoil'e.
Mais Bonaparte, instruit de I'intrigue, la dé-
non-;;a. Venise ne fut pas sauvée, et le paie-
ment des billets fut refusé. Ces faits, connus
du dírectoire, y amenerent des explications,
et illeme un commencement d'instructíon; mais
on fluit par les étouffer. La conduite de Bo-
naparte en ltalie fut approuvée, et les pre-
miers jours qui suivirent la Ilouvelle des pré-
liminaires de Léoben furent consacrés a la joic~
la plus vive. Les ennemis de la révolution et
du directoire, qui avaient tant invoqué la paix,
pour avoir un prétexte d'accuser le gouverne--
ment, furent tres-fachés au fond d'en voir si-
gner les préliminaires. Les républicains furent
au combIe de Ieur joie. Ils auraient désiré sans
doute l'entier affranchissement de l'ltalie ; mais
ils étaient charmés de voir la république re·
connue par l'empereur, et en quelque sorte
consacrée par lui. La grande masse de la po-
pulation se réjouissait de voir flnir les horreurs
de la guerre, et s'atte'ndait a une réduction dalls
les charges publiques. La séance ou les COll-
seils re-;;urent la notiflcation des préliminaires
fut Ulle scene d'cuthousiasme. On déclara qm'




154 llhVOLUTION FRANc,;AlSE.
les armées d'ltaIie, du Rhin et de Sambre-et-
Meuse, avaÍent bien mérité de la patrie et de
l'humanité, en conquérant la paix par leurs
vietoires. Tous les partis prodiguerent au gé-
néraI Bonaparte les expressions du plus vii'
enthousiasme, et on proposa de lui donner le
surnom d'llf.zliqlle, eomme aRome on avait
donné a Seipion celui d'.Africain.


A vec l' Autriehe, le continent était soumis.
Il ne restait plus que l'Angleterre a combattrc;
et~ réduite a elle-meme, elle courait de vérita-
bIes périls. Hoche, arrt'hé a Francfort au mo-
ment des plus beaux triomphes, était impatient
de s'ouvrir une nouvelle earriere. L'Irlande
l'oceupait toujours, et iI n'avait nuUement re-
Roncé a SOn projet de l'.année précédente. Il
avait pres de quatre-vingt mille hommes entre
le Rhin et la Nidda; il enavait laissé environ
quarante mille dans les .. environs de Brest;
l'escadre armée dans ce port était encore toute
prete a mettre a la voile. Une fIotte espagno.le
réunie a Cadix n'attendait qu'un coup de vent,
qui obligeat l'amir.al anglais Jewis a s'éloigner,
pour sortir de la rade, et venir dans la Manche
combiner ses efforts avec ceux .de la marine
frant;;aise. Les Hollandais étaient enfin parve-
nus auosi a réunir une escadre, et a réorganiser
une partie de leur al'mée. Hoche pouvait clouc




UIRECTOIRE (1797).
Jisposer de moyens immenses pour soulever
l'IrlanJe. Il se proposait dedétacher vingt mili e
hornmes de l'armée de Sambre-et-Meuse, et de
les acheminer vets Brest, pour y etre embar-
qués de llOU-Veau •. Il avait choisi ses meilleures
troupes pOUI' cette grande opération t but de
tontes ses pensées. Il se ren#,lit aussi en Hol-
lande en gardant le. plus grand incognito, et
en faisant répandre le bruit qu'il était alIé pas-
ser quelques jours dans S:i faroille. La, ilveilla
de ses yeux a lous les préparatifs. Dix·sept
mille HoHandais d' excellentes troupes furent
embarqüés sur une flotte, et ll'attendaient qU'UIl
signal, pour venir se réunir a l' expédition pré-
parée a Brest. Si a ces moyel:ls venai>ent se
joindre ceux des EspagJlOls, l'Allgleterrn é.taü
meJ;lacée, <lQmme·,on le voit, <l~ .datlgers in-
c:ilculables.


Pitt é~itdans Ja .plus graudeépouvante. La
défection de l'Autr.iche, les préparatifs faits au
Texel et a Brest, l'escadre réuni.e ,a Cadix, et
qu'un coup de vent pouvait Q.ébl~úer, lontes
cescirconstances étaient alarm;}pte$. L'Esp.aglle
et la FralilCe travaillaient aupres· du Portugal,
pour le coutraindre a la paix, et on avait eu-
core a craindre la défection de cet ancien aUié.
Cesévénements avaient sensiblement affecté
le crédít, et ameué une cl'ise long-temps pI"é-




15t; HÉVOLUTION F1HNC:,\ISl-:.
vue, et souvent prédite. Le gOllverncment all-
glais avait toujours eu recours a la banque, et en
avait tiré des avances énormes, soit en lui faisant
acheter des rentes, soit en lui faisant escomptcr
les bons de l'échiquier. Elle n'avait 'pu fournir
a ces avances que par d'abondantes émissions
de billets. L'ép~vante s'emparant des esprits,
et le bruit s'étant répandu que la banqllc avait
fait au gOllvernemellt des prets considérables,
tout le monde courut pour'convertir ses billets
en argento Aussi, des le moís de mars', au mo-
ment ou Bonaparte s'avan<{ait sur Vienne, la
banque se vit-cHe obligée de demander la fa-
culté de suspendre ses paiements. Cette faculté
lui fut accordée, et elle fut dispensée de rem-
plir une obligation devenue inexécutahle~ filais
son crédit et 'Son existelice n'étaient 'pas sau-
vés pour cela. Sur -le - champ OH publia le
compte de son actif et de son passif. L'aetif
était de 17,597,280 livres sterling; le passif de
13,770,39° livres sterling. Il y avait done un
surplus dans stm aetif de 3,826,890 livresster-
ling. Mais On ne disait pas combien dans cet
actif iI entrait de créances sur l'état. Tout ee
qui consistait ou en lingots ou en lettres de
change de eommerce était fort sur; rnais les
rentes, les bons de l'échiquier, q~i faisaient la
plus grande partie de I'actif, avaient perdu




DIIl!'CTOIHE ('7~)7)'
¡",¡·dit aver la ]1olitiqne Illl gonverncmcnt. Les
hillAs perdircllt sur-le-cll3mp plus de quinze
pOIlI' ccut. Les banquiers demanderent á ICHI'
tonr la faculté de payer en billets, sons peine
d'etre obligés de suspendre leurs paiements. Il
était llatnreI qu' OH lenI' accordat la meme fa-
veur qu'á la ballque, et jI y avait meme justice
á le faire, car e' était la banqne qui, en refu-
sant de remplir ses engagements en argent,
les mettait dans l'impossibilité d'acquitter les
leurs de eette maniere. Mais des lors on don-
nait aux billets cours forcé de mormaie. POli!'
éviter cet inconvénient, les principaux com-
mer¡;:ants de Londres se réunirent, et donne-
rent une preuve remarquable d'esprit pnblic
et d'illtelligence. Comprenant que le refus
d'admettte en paiement les billets de la ban-
que amenerait une eatastrophe inévitable, dans
Iaquelle toutes les fortunes auraient également
a souffrir, ils résolurent de la prévenir, et ils
convinrent d'un commun accord de recevoir
les billets en paiement. Des cet instant, l'An-
gleterre entra dans la voie du papier-monnaie.
Il est vrai que ce papier-monnaie, au líen d'e-
tre forcé, était volontaire; mais il n'avait que
la solidité du papier, et il dépendait éminem-
ment de la conduite politique du cabillet. Ponr
le renore plus propre au service oe monnaie,




158 REVOLUTION FRAN~AISE.
on le divisa en petites sommes. On autorisa la
banque, aont les móindres billets étaient de
5 livres sterling ( 98 ou 100 franes ), a en émet-
tre de 20 et 40 schellings ( 24 et 48 francs).
C'était un moyen de les faire servir au paie-
ment des ouvriers.


Quoique le bon esprit du commerce anglais
eut rendu cette catastrophe moins fnneste
qu'elle aurait pu l'etre, cependant la situation
n' en était pas moins tres-périlleuse; et, pour
qu'elle ne dev!nt pas tout-a-fait désastreuse, il
fallait désarmer la France, et empecher que
les escadres espagnole, fran<;aise et hollan-
daise, ne vinssent alJumer un incendie en Ir-
lande. La famille royaie étaÜ toujours aussi
ennemie de la révolution et de la paíx; maís
.Pitt, qui n'avait d'autre vue que l'intéret de
l'Angleterre, regardait, dans le moment, un
répit eomme indispensable. Que la paix fut Oil
non définitive, iI fallait un instant de reposo
Entierement d'accord sur ce point avec lord
Grenville, il décida le cabinet a entamer une
négociation sincere, qui procur3t deux ou trois
ans de relache aux ressorts trop tendlls de la
puissance anglaise. Il ne pouvait plus etre ques-
tion dB disputer les Pays-Bas, aujourd'hui eé-
dés par l'Autriche; il ne s'agissait plus que de
disputer sur les eoionies, et des 101'5 ii Y avait




mnF.CTOIRE (1797)' 159
moyen et espoir de s'entend~. Non-seulement
la sitllation indiquait l'intention de traiter,
mais le choix dn négociateur la prouvait aussi.
Lord Malmesbury était encore désigné eette
fois, et, a son age, on ne l'aurait pas employé
deux foÍs de suite dans une vaine représenta-
tion. Lord Malmesbury, célebre par sa lon-
gne earriere diploma tique , et par sa dextérité
comme négoeiateur, était fatigué des affaires,
et voulait s'en retirer, maÍs apres une négo-
eiation heureuse et brillante. Aueune ne pon-
vait etre plus beBe que la paeification avee la
Franee apres eette horrible lutte; et, s'il n'a-
vait eu la eertitude que son cabinet voulait la
paix, il n'aurait pas consenti a jouer un role
de parade, qui devenait ridicule en se répétant.
11 avait rec;u , en effet, des instructions secretes
qui ne lui laissaient aucun doute. Le cabinet
anglais fit demander des passe-ports pour son
négociateur; et, d'un commun aeeord, le líeu
des conférences fut fixé non a Paris, mais a
Lille. Le directoire aimait mieux recevoir le mi-
nistre anglais dans une ville de provinee, paree
qu'il eraignait moins ses intrigues. Le ministre
anglais, de son coté, désÍrait n'etre pas en
présence d'un gouvernement dont les formes
avaient quelque rudesse, et préférait traiter
par l'intermédiaire de ses négoeiateurs. LiUe




lOO IlllVOLUTION FHANVAISE.


fut done le líen choisi, et ~¡e part et d'alltre
OH prépara une légatioll solennelle. Hoche
n'en dut pas moins continuer ses préparatifs
:lVCC vigueur, pour donner plus d'autorité aux:
négociateurs fra Il(;:ai s.


Ainsi la France, victorieuse de toutes parts,
était en négociation avec les deux grandes
puissances européennes, et touchait a la paix
générale. Des évenements aussi heureux et
aussi brillants auraient dli ne laisser place
qu'a la joie dan s tous les cceurs; mais les
élections de l'an V venaient de donner a l'op-
position des forces dangerenses. On a vu com-
bien les adversaires du directoire s'agitaient a
l'approche des élections. La faction royaliste
avait beaucoup influé sur leur résultat. Elle
avait perdu troi5 de ses agents principaux, par
l'arrestation de Brottier, Laville-Heurnois et
Duverne de Presle; mais c'était un petit dom-
mage, cal' la confllsion était si grande chez
elle, que la perte de ses chefs n'y pouvait
guere ajouter. Ii exi~tait toujours deux asso··
ciations, l'une composée des hommes dévoués
et capables de prendre les armes, l'autre des
hommes douteux, propres seulement a voter
dans les élections. L'agence de Lyon était res-
tée intacte. Pichegru, conspirant a part, COl'-
respondait toujoul's avec le ministre anglais




IJlRECTOIHF. (17~.)7). 161
Wickam et le prince de Condé. Les élections,
infIuencées par ces intrigants de toute espece,
et surtout par l'esprit de réactioIl, curent le
résultat qu'on avait prévu. La prcsque totalité
du second tiers fut formée, comme le premier,
d'hommes qui étaient ennemis du directoire,
ou par dévouement a la royauté, ou par haiue
de la terrenr. Les partisans de la royauté
étaient, il est vrai, fort peu nombreux; mais
iIs allaient se servir, suivant l'usage ~ des pas-
sions des autres. Pichegru fut nommé député
dans le Jura. A Colmar on choisit le Hommé
Chemblé, employé a la correspondance avec
Wic1mm; a Lyon, Imbert-Colomes, l'un des
membres de l'agence royaliste dans le Midi, et
Camille Jordan, jeune homme qui avait de
bons sentiments, une imagination vive, et
une ridicule colere eontre le directoire; a Mar-
seille. le général Willot, qui avait été tiré de
,'armée de l'Océan pour aller commander dans
le département des Bonches - du - Rhóne, et
qui, loin de contenir les partís, s'était laissé
gagner, peut-etre a son ins<,(u, par la faction
royaliste; a Versailles, le nommé Vauvilliers,
compromis dans la conspil'ation de Brottier,
et destiné par ¡;agence a devenir administra-
teurdcs subsistances; aBrest, l'amiral ViUaret-
Joyeuse, brouillé avec Hoche, el par suite avev


IX. 11




,6·). 11 ~:VOLUTTO'" FRAN«;:AISF.
le gOllvernement, a l'occasion de l'expédition
d'Irlande. On fit encore ulle foule d'autres
choix, tout autant significatifs que ceux-Ia. Ce-
pendant tous n'étaient ras aussi alarmants pour
le directoire et pour la république. Le géné-
ral Jourdan, qui avait Cjllitté le commandement
de l'armée de Sambre-et-Meuse, apres les mal-
heurs de la campagne précédente, fut nommé
député par son département. Il était digne de
l'eprésenter l'armée au corps législatif, et de
la venger du déshonneur qu'allait luí ímprimer
la trahison de PÍchegru. Par une singularité
assez remarqnable , Barrere fut élu par le dé-
partement des Hautes-Pyrénées.


Les nouveaux élus se haterent d'arriver a
París. En attcndant le I er prairial, époque de
leur installation , on les entralnait a la réunion
de Clichy, qui tous les jours devenait plus
violente. Les conseils eux-memes ne gardaient
plus leur ancienne mesure. En voyant appro-
cher le moment on ils allaient etre renforcés,
les membres du premier tiers commenc;aient a
sortir de la réserve dans laquelle ils s'étaient
renfermés pendant quinze mois. Ils avaient
marché jusqu'ici a la suite des constitutionnels,
c'est-a-dire des députés qui prétendaient n't~tre
ni amis ni eonemis du directoire, et qui affec-
taient de ne tenir flu'a la constitution senle,




DIRECTO!l'.E (1797)' 163
et rle ne combattre le gouvernement que lors-
qu'il s'en écartait. Cette direction avait surtout
dominé dans le conseil des anciens. Mais a
mesure que le jour de lajonction s'approchait,
l' opposition dans les cinq - cents commenl{ait a
prendreun langage plus menal{ant. On entendait
dire que les anciens avaient trop long - temps
mené les cínq-cents, et que ceux-ci devaient
sortir de tutelIe. Ainsi, rlans le club de Clichy
comme dans le corps législatif, le parti qui
allait acquérir la majorité laissait éclater sa joie
et son audace.


Les constitutionnels abusés, comme tous les
hommes qui depuis la révolution s'étaient laissé
engager dans l' opposition, croyaient qu'ils al-
laient devenir les maltres du mouvement, et
que les nouveaux arrivés ne seraient qu'un
renfort pour eux. Carnotétait a leur tete. Tou-
jours entrainé davantage dans la fausse direc-
tion qu'il avait prise, il n'avait cessé d'appuyer
au directoire l'avis de la majorité législative.
Particulierement dans la discussion des préli-
minaires de Léoben, iI avait laissé éclater
une animosité contenue jusque-la dans les
bornes des convenances, et appuyé avec UIl
zele qll'on ne devait pas attendre de sa vie
passée, les concessions faites a l'Autriche.
Carnot, aveuglé par son amour-propre, croyaít


11.




164 nÉVOLUTION FRA N9A.ISE.
mener a son gré le parti cOllstitutionnel, soit
dans les cinq-cents, soit dans les aneiens, et
ne voyait dan s les nouveaux élus que des par-
tisans de plus. Dans son úle a rapprocher les
élémcnts d'un parti dont il espérait etre le
chef, il cherchait a se Iier avec les plus mar-
quants des nouveaux députés. Il avait meme
devaneé Pichegru, qui n'avait pour tous les
membres du directoire que des procédés mal-
honnetes, et ét:üt aUé le voir. Pichegru, ré-
pOlldant assez mal a ses prévenances, ue lui
avait montré que de l'éloignement et presque
du dédain. Carnot s'était lié avec beancoup
d'aulres députés du premier et du secolld tiers.
Son logcment au Luxembourg était devenu le
rendez-vous de tous les membres de la llOU-
vell~ 0pP9sition ; et ses eollegues- voyaient eh a-
que jour arriver chez lui leurs plus irréconci-
hables el1nemis.


La grande question était eeHe du choix d"tm
nouvean directeur. C'était le sort qui devait
désiguer le membrc sortant. Si le sort désignait
Larévelliere-Lépeallx, Rewhell ou Barras, la
marche du gouve.rnement était cha11gée; cal' le
direeteur, nommé par la nouvelle majorité,
ne pOllvait manquer de voter avec Carnot et
Letoul'neur.


On disait que 16 cínq directeurs s'étaient




entendus pour désigner celui d'entre eux qui
sortirait; que Letourneur avait consenti a ré-
signer ses fonctions , et que le scrlltin ne devait
etre que simulé. C'était la une supposition ab-
sllroe, comme toutes celles que fout ordinai-
rement les partis. Les cinq directeurs, Larével-
liere seul excepté, tenaient beaucoup a Ieur
place. D'aillellrs Carnot et Letourneur, espé-
rant devenir les maltres du gouvernement, si
le sort faisait sortir l'un de leurs trois coW~­
gues, ne poltvaient consentir a abandonner
volontairement la partie. Une circonstance
avait pu autoriser ce bruit. Les cinq directeurs
avaieut st i pulé entre eux, que le membre sor-
tant recevrait de chacun de ses collegues une
indemnité de 10,000 fr., ce qui ferait 40,000,
et ce qlli ernpecherait que les directeurs pau-
vres ne passassent tout-a-coup de la pompe
<lu pouvoir a l'indigence. Cet arrangement fit
croire que, ponr décioer Letourncur, ses col-
legues étaient convenus de lui abandonner une
partie de leurs appointements. Il n'en était
rien cependant. On oisait encore que l'on était
convenu de lui faire donner sa dérnission avant
le r er prairial, pour que la nomination du
nouveau directeur se fit avant l'entrée dll se-
cond tiers dans les conseils; combinaison im-
possible encore avec la pr~s{mce de Caruot.




166 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
La société de Clichy s'agitait beaucoup pour


prévenir les arrangements dont on parlait.
Elle imagina de faire présenter une proposi-
tion aux cinq-cents, tendant a obliger les di-
recteurs a faire publiquement le tirage au sort.
Cette proposition était inconstitutionnelle, car
la constitution ne réglait pas le mode du ti-
rage, et s'en reposait, quant a sa régularité,
sur I'intéret de chacun des directeurs; cepen-
dant elle passa dans les conseils. Le directeur
Larévelliere-Lépeaux. peu ambitieux, mais
ferme, représenta a ses collegues que cette
mesure était un empiétement sur Ieurs attri-
butions, et les engagea a n'en pas reconnaltre
la légalité. Le directoire répondit, en effet, qu'il
ne l'exécuterait pas, vu qu'elle était inconsti-
tutionnelle. Les conseils luí répllquerent qu'il
n'avait pas a juger une décision du corps lé-
gislatif. Le directoire alIait insister, et répon-
dre que la constitution était mise par un articIe
fondamental SOtlS la sauvegarde de chacun des
pouvoirs, et que le pouvoir exécutif avait 1'0-
bligation de ne pas exécuter une mesure
inconstitlltionnelle; mais Carnot et Letour-
neur abandonneren t leurs collegues. Barras,
qui était violent, mais peu ferme, engagea
Rewbell et Larévelliere a céder, et on ue disputa
plus sur le mode dn tirage.




DIRECTOIRE (1797).
La turlmlente réunion de Clichy lmagma


de nouvelles propositions a faire aux conseils
avant le 1 er prairial. La plus importante a ses
yeux était le rapport de la fameuse loi du 3
brumaire, qui excluait les parents d'émigrés
des fonctions publiques, et qui fermait l'entrée
dll corps législatif a plusieurs membres du pre-
mier et du secand tiers. La proposition fut
faite, en effet, aux cinq-cents, quelques jours
avant le 1 er prairial, et adoptée au milieu d'une
orageuse discussion. Ce succes inespéré, meme
avant la jonction du second tiers, prouvait
l'.entrainement que commenc;ait a exercer l'op-
position sur le eorps législatif, quoique com-
pasé encare de deux tiers conventionn61s. Ce-
pendant, le partí qui se disait constitutionllel
était plus fort allX anciens. Il était blessé de
la fougue des députés, qui jusque-la avaient
paru recevoir sa directioll, et ilrefusa de rap-
porter la loi du 3 brumaire.


Le 1 er prairial arrivé, les deux cent cillquante
llouveaux élus se rendirent au corps législatif,
et remplacercnt deux cent cinquante con ven-
tionnels. Sur les sept cent cinquante membres
des deux conseils, il n'en resta dOlle plus que
(leux ceut cinqüante appartenant a la grande
assemblée qui avait cOllsommé et défendu la
révolution. Quand Pichegru parut aux cinq-




168 nJÍvoLuTfON FftAN~AISE.
cents, la plus grande partie de l'assemblée,
qui ne savait pas qu'elle avait un traitre dans
son sein, et qui ne voyait en lui qu'un géné-
ral illustre, disgracié par le gouvernement, se
leva par un mouvement de curiosíté. Sur quatre
cent quarante-qllatre voix, il en obtint trois
cent quatre-vingt-sept pour la présidence. I~e
partí modéré et constitutionnel aurait vOlllu
appeler au hureau le général Jourdan, afin de
luí préparer les voies au fauteuil, et de l'y PQr-
ter apres Pichegru; mais la nouvelle majq.-
rité, fiere de' sa force, el ollbliant déja toute
espece de méllagement, repoussa JOUI'dan. Les
membres du bureau nommés furent MM. Si-
méon, Vaublanc, Henri La Riviere, Parisot.
L'exdusion de Jourdan était maladroite, et ne
pouvait que blesser profondément les armées.
Séance tenante, on abolitl'élection des Hautes-
Pyrénées, qlli avait porté Barrere au corps
législatif. On apprit le résllltat du tirage au
sort fait an directoire. Par une singularité du
hasard, le sort était tombé sur Letourneur, ce
qlli confirma davantage l'opiuion qui s'était ré·
pandue el'un accord vololltaire entre les direc-
teurs ". Sur-le.champ on songea a le rempla-


* Un lit dans LllIe foule d'histoires, que Letourncur
<urtit pUl' uu anangcrnclIl voloutaire, Le directelll' Laré-




DIRECTOIRE (1797)' 169
cero Le choix qu'on allait faire avait beaucoup
moins d'importatiee depuis qu'il ne pouvait plus
ehanger la majorité directoriale; mais e'était
toujours l'appui d'une voix a donner a Carnot;
et d'ailleurs, eomme ou ne connaissait pas bien
la pensée de Larévelliere-Lépeaux, comme on
le savait modéré, et qu'íl était un des pros-
crits de 1793, on se flattait qu'il pourrait, dans
certains cas, se rattacher a Carnot, et chan-
gel' la majorité. Les constitutionnels, qui avaient
le désir et l'espoir de modifier la marche du
gouvernement sans le détruire , auraient voulu
llommer un homme attaché au régime actuel,
mais pronoueé contre le directoire, et pret a
se rallier a Camot. Ils proposaient Cochon, le
ministre de la police, et l'ami de Carnot. lis
songeaient aussi a Beumonville; mais, dan s le
club de Clichy, on était mal disposé pour Co-
chon, b~n qu'on lui eut aecordé d'abord beau-
velliere-Lépeaux, dans des mémoires précieux et inédits,
assul'e le contl'aire. Pour qui a connu ce vertueux ei.
toyen, ineapable de mentir, son '3ssertion est une preuve
suffisante. Mais on n'a plus auenn doute en lisant le mé-
moire de Carnot, écrit apres le 18 fmctidor. Dans ce mé-
moire plein de fiel, ei: qui est a déplorer pour la gloire de
Carnot, il assurc que tous ces arrangements ne sontqu'une
vaine sllpposition. II n'avait eertes aucnn intér(~t ajllstiflcl'
ses collt'gues, eontre lesquels il était plein de ressenti~
mento




170 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
coup de faveur, a cause de son énergie contre
les jacobins, On luí en voulaít maintenant de
l'arrestation de Brouier, Duverne de Presle et
Laville-Heurnois, mais surtont de ses circulai-
res aux électeurs. On repoussa Cochon et meme
BeurnonvilIe. On proposa Barthélemy, notre
ambassadeur en Suisse, et le négociateur des
traités de paix avec la Prusse et l'Espagne. Ce
n'était certainement pas le diplomate pacifi-
cateur qu'on voulait honorer en luí, mais le
complice supposé du prétendant et des émi-
grés. Cependant les royalistes, qui espéraient,
et les républicains, qui craignaicnt trouver en
luí un traitre, se trompaient également. Bar-
thélemy n'était qu'un homme faible, médiocre,
fideIe au pouvoir régnant, et n'ayant pas. me me
la hardiesse nécessaire pour le trahir. Pour dé-
cider son élection, qui rencontrait des obsta-
eles, on répandít qu'il n'accepterait pas, et que
sa nomination serait un hommage a I'homme
qui avait cornmPlleé ]a réeoneiliation de la
Franee avec rEurope. Cette fable contribua
an succes. n obtint aux einq-cents trois cent
neuf suffrages, et Cochon deux cent trente.
Ou vit fIgurer sur ]a liste des candidats pré-
sentés aux anejens, Masséna, porté par cent
quatre-vingt-sept suffrages; Kléber, pal' cent.
soixante- treize; Augereau, par cent trente-




17 1
neuf. Un nombre de députés vouJaient appe-
ler au gouvernement l'un des généraux divi-
sionnaires les plus distingués dans les armées.


Barthélemy fut élu par les anciens; et, malgré
la fable inventée pour luí gagner des voix, il
répondit de suite qu'il acceptait les fonctions
de directeur. Son introduction au directoire a
la place de Letourneur n'y changeait nullement
les illflu.epces. Barthélemy n'était pas plus ca-
pable d'agir sur ses collegues que Letourneur;
il allait voter de la me me maniere, et faire par
position ce que Letourneur faisait par dévoue-
meut a la personne de Carnot.


Les membres de la société de Clichy, les cli-
chyens, comme on les appelait, se mirent a
l' ceuvre des le 1 er prairial, et annoncerent les
intentions les plus violentes. Peu d'entre eux
étaiellt dans la confidence des agents royalistes.
Lemerer, Mersan, Imbert-Colomes, Pichegrll,
et pCllt-etl'e Willot, étaient sellls dans le se-
cret. Pichegru, d'abord en correspondan ce
avec Condé et Wickam, venait d'etre mis en
reJation directe avec le prétendant. Il re<;ut de
grands encouragements, de super bes pro-
rnesscs, et de nouveaux fonds, qu'il accepta
encore, san s etre plus certain qu'auparavant
oe l'usage qu'il en pourrait faire. 11 promit
heaucoup, et dit qu'iI faIlait, avant de prendre





17':1. HévOLUTION FRANf}AISt:.


un parti, observer la nouvelle marche des
choses. Froid et taciturne, il affectait avec ses
complices, et avec tout le monde, le mysh~re
d'un esprit profond et le recueillement d'un
grand caractere. Moins il parlait, plus on luí
sl1pposait de ~ombinaisons el de moyens. Le
plus grand nombre eles clichyéns ignoraient sa
mission secrete. Le gouvernement l \Ji - meme
l'ignorait, car DuV'erne de Presle n'en avait ras
le secret, et n'avait pu le lui communiquer.


Parmi les clichyens, les uns étaient mus par
I'ambition, les autres par un penchant naturel
pOlJr l' état monarchique, le plus grand lHimbre
par les souvenirs de la terreur et par la crainte
de la voir renaltre. Réllnis par des molifs di-
ven, ils étaient entrainés, comme il arl'ive
toujours aux hommes assemblés, par les plus
ardents d'entre eux. Des le I er prairial, ils
fOI'merent les pl'ojcts les plus fous. Le prcmier
était de mettre les conseils en permanence. lIs
voulaient ensuite demander l'éloignemeIlt des
troupes qui étaient a París; ils voulaient s'ar-
roger la poli ce de la capitale, en interprétant
l'article de la constitution qui donnait au corps
législatif la police du líeu de ses séances, efen
tradllisant le mot lieu par le mot ville; ils vou-
laient mettre les directeurs en accusation, en
nommer d'autres, abroger en masse les loÍs




lllRECT01H (1797)· 173
dites révollltionnaires, c'est-a-dire, abroger, it
la fa,veur de ce mot, la révolution tout entiere.
Ainsi, París soumis a leur pouvoir, les chefs
du gouvernement reoversés, l'autorÍté remise
entre lellrs maios pour en disposer a leur gré,
ils pouvaient tout hasarder, meme la royauté.
Cependant ces propositions de quelques esprits
emportés furent écartées. Des hommes plus
mesurés, voyant qu'elles équivalaient a une
a!taque de vive force contre le directoire, les
cornbattirent, et en tirent prévaloir d'autres.
II fut convenu qu'on se servirait d'abord de la
majorité, pour changer tOLJtes les commissíons,
pour réformer certaines 10Ís, et pour contra-
rier la marche a-ctuelle du directoire. La tac-
tique législative fut done préférée, pom le
mQment, aux attaques de vive force.


Ce plan arreté, on le mit sur-le-champ a
exécution. Apres avoir annulé l'élection de
Barrere, OH rclppela einq membres du premier
tiers, qui avaicnt été exdus l'armée précédente
en verlu de la loi du 3 brumaire. Le refus fait
par les anciens de rapporter cette loi ne fut
pas un obstacle. Les députés, repoussés du
corps législatif, furent rappelés comme incons-
titutionnellement excluso C'étaient les nommés
Ferrand-Vaillant, Gault, Polissart, Job Aymé
de la Drome, et MersaJl, I'UIt des agent'i dn




174 RÉVOLUTfON FRANt,;AlSF:.
royalisme. On imagina ensuite une nouvellc
maniere de rapporter la loi du 3 brumaire.
Le rapport de eette loi ayant été proposé quel-
ques jours au paravant, et rejeté par les anciens,
ne pouvait plus etre proposé avant une année.
On employa une nouvelle forme, et on décida
que la loi du 3 brumaire était rapportée, dans
ce qui était relatif a l'exclusion des fonction~
publiques. C'était presque toute la loi. Les an-
eiens adopterent la résolution sous eette forme.
Les membres du nouveau tiers, exclus eorome
parents d'émigrés, ou eomme amnistiés pour
délits révolutionnaires, purent etre introduits.
M. Imbert-Colomes de Lyon dut a eette réso-
lution l'avantage d'entrer au corps législatif.
Elle profita aussi a Salicetti, qui avait été eom-
pro mis dans les événements de prairial, et am-
nistié avec plusieurs membres de la eonvention.
Nornmé en Corse, son élection fut confirmée.
Par une apparenee' d'impartialité, les mencurs
des cinq-cents firent rapporter une loi du 21
floréal, qui éloignait de París les convention-
neIs non revetus de fonctions publiques. C'é-
tait afill de parai.tre abroger toutes les lois r¿-
volutionllaires. lis s'occuperent immédiatement
de la vérification des élections; et, eomme il
était naturel de s'y attendre, íls annulaient
toutes les élections dontel/ses quand il s'agis-




DJJ\J\CTOlItli (1797)' 17 5
sait d'url député républicain, et les confirmaient
quand iI s'agissait d'un ennemi de la révoIution.
lIs firent renouveler toutes les commissions; et,
prétendantque tout devait dater dujour de leur
introduction aucorps législatif, ils demanderent
des comptes de finances jusqu'au 1 e, prairial. Ils
établirent ensuite des commissions spéciales,
pour examiner les lois relatives anx émigrés,
aux pretres, an culte, a l'instl'llction publique,
aux colonies, etc. L'intention de porter la maio
sur toutes choses était assez évidente.


Deux exceptions avaient été faite s aux lois
qui bannissaient les émigrés a perpétuité : I'une
en favenr des ouvriers et cultivateurs que Saint-
J ust et Lebas avaient fait fuir du Haut-Rhin,
pendant leur mission en l793; l'autre en fa-
veur des individus con:tpromis, et obligés de
fuir par suite des événements du 31 mai. Les
réfugiés de TOlllon, qui avaient livré cette
place, el qui s' étaien t sauvés sur les escadres
anglaises, étaient seu]s privés d u bénéfice de
eette scconde exception. A la faveur de ces
deux dispositions, une multitud e d'émigrés
étaient déja rentrés. Les uns se faisaient pas-
ser pour ouvriers ou cultivatenrs du Haut-
Rhin, les autres ponr prosCl'its du 31 maí. Les
clichyens firent adopter nne prorogatioll du
délai accorué aux fugitif<; dli Haut-}{hin, et




J 76 llÉVOI,UTIOl'i FRAN~AISf;.
prolonger ce délai de six mois. lIs firent dé-
cider en outre que les fugitifs toulonnais pro-
6teraient de l'exception accordée aux proscrits
du 31 mai. Qnoique eette faveur fút méritée
pour beaúcoup de méridionaux, qui ne s'é-
taient réfugiés a Toulon , et de Toulon sur les
€scadres anglaises, que pour se soustraire a la
proscription encourue par les fédéralistes,
néanmoins elle rappelait, et semblait amnistier
l'attentat le plus criminel de la factíon contre-
révolutiouuaire , et devait iudigner les patriotes.
La discussíon sur les colouies, et sur la con-
duite des agents du directoire a Saínt-Domin-
gue, amena un éclat violent. La commission
chargée de cet objet, et composée de Tarbé,
Víllaret-Joyeuse , Vaublanc, Bourdon de l'Oise,
6t un rapport ou la convention était traitée
avec la plus grande amertnme. Le conveution-
nel Maree y était accusé de n'avoir pas résisté
ti la tyrannie avee l' énergie de la vertu. A ces
mots, qui annon¡;;aient l'intention souvent ma-
nifestée d'outrager ·les membres de la conven-
tion , tons eeux qui siégeaient encore dan s les
cinq-cents, s'élancerent a la tribllne, et de-
mallderent un rapport rédigé d'une maniere
plus digne dll corps législatif. La scene fut des
plus violentes. Les convcJltionnels, appuyés
<les dépntés mocIérés, obtinrf'nt que le rap-




DIR F.CTOIRE (r 797).
port fUt renvoyé a la commission. Carnot in-
flua sur la commission par le moyen de Bour-
don de l'Oise, et les dispositions d II décret
projetéfurent moditiées. D'abord OIl avait pro-
posé d'interdire an directoire la faculté d'en-
voyer des agents dans les colonies; OIl luí laissa
cette faculté, en limitant le nombre des agents
a trois, et la durée de leur mission a dix-huit
mois. Santhonax fut rappelé. I .. es constitution-
neIs, voyant qu'ils avaient pu, en se réunis-
sant aux conventionnels, arreter la fougue des
clichyens, crurent qu'ils al1aient devenir les
modérateurs du corps Iégislatif. Mais les séan-
ces suivantes allaient bientot les détromper.


Au hombre des objets les plus importants
dont les nouveaux élus se proposaient de s'oc-
cuper, étaient le culte et les lois sur les pre-
tres. La commission chargée de cette grave
matiere. nomma pour son rapporteur le jeune
Camille Jordan, dont l'imagination s'était exal·
tée aux horreurs du siége de Lyon, et dont
la sensibilité, quoiqne sincere, n' était pas sans
prétentions. Le rapporteur tit une dissertation
fort longue et fort ampoulée sur la liberté des
cultes. n ne suftisait pas, disait-il, de permet-
tre a chacun l'exercice de son culte, mais i1
fallait, pour que la liberté fUt réelIe, ne riel!
exigerqui fút en contradiction avec les cl'Oyan-


IX. 1),




178 RÉVOLlITIOJ\' FRANI(AISJc.
ces. Ainsi, par exemple, le serment cxigé des
pretrcs, quoique neblessant en rien les croyan-
ces, ayant été néanmoins mal interprété par
eux, et regardé comme contraire aux doctrines
de l'église catholique, ne devait pas leur etre
imposé. C'était une tyrannie dont le résultat
était de créer une cIasse de proscrits, et de
proscrits dangereux, paree qu'ils avaient une
grande influence sur les esprits, et que, dé-
robés avec empressement aux recherches de
l'autorité par le úle pieux des peuples, ils tra-
vaillaient dans l'omure a exciter la révolte.
Quant aux cérémonies du culte, iI ne suffisait
pas de les permettre dans des temples fermés,
il fa11ait, tout en défendant les pompes exté-
rieures qui pouvaient devenir un sujet dE'
trouble, permettre certaines pratiques indis-
pensables. Ainsi les cIoches étaient indispen-
sables pour réunir les catholiqllcs a certaines
heures; elles étaient partie néccssaire du cuhc;
les défendre, c'était en gener la liberté. D'ail-
lellrs le peuple étaít accoutumé a ces sons, il
les aimait, il n'avait pas encore consentí a s'eu
passer; et, daos les campagnes, la loi contre
les cIoches n'avait jamais été exécutée. Les
permettre, c'était donc satisfaire a un besoíu
innocent, et faire cesser le scandaJe d'IJIle loi
inexécntée. Il en ptail de I;}(~nw ponr les ci-




OIRECTOTRE (J 797)' 179
metieres. Tont en intcrdisant les pompes pu-
bliques a tous les cultes, il fallait cependant
permettre a chacun d'avoir des lieux fermés,
consacrés aux sépllltnres, et dans l'enceinte
desquels on pourrait placer les signes propres
achaque religion. En vertu de ces principes,
Camille Jordan proposait l'abolition des ser-
ments, l'annulation des 10Ís répressives qui en
avaient été]a conséquenee, ]a permission d'em-
ployer les cloehes, et d'avoir des cimetieres,
dans l'enceinte desquels ehaque culte pourrait
placer a volonté ses signes religieux sur les
tombeaux. Les principes de ce ,rapport, quoi-
que exposés avee une ernphase dangereuse,
étaient justes. Il est vrai qu'il n'exÍste qu'un
moyen de détruire les vieilles superstitions,
c'est l'indifférenee et la disette. En souffrant
tous les eultes, et n' en salariant aueun, les gou-
vernements hateraicnt singulierement leur fin.
La convention avait déja rendu aux catholi-
ques les temples qui leur servaient d'églises;
le directoÍre aurait bien fait de lcur permettre
les cloches, les croix dan s les cimetieres, et
d'abolir l'u~age du serment et les lois contre
les pretres qui le refu~aient. Mais employait-
OH les véritables formes, choísissaít-on le vé-
ritahlGrllomcnt, pour présenter de semblables
réClama liolls? Si au liell d' en fáire 1'" n des


J',lo




180 RÉVOLUTION :FRAN~AISE.
griefs du grand proces intenté au directoil'c,
011 eút attendu un moment plus convenahle,
donné aux passions le temps de se calmer, an
gouvernement celui de se rassurer, on aurait
infailliblement obten u les concessions dési-
rées. Mais par ceja seul que les contre-révo-
lutionnaires en faisaient une condition, les
patrio tes s'y opposaient; car on veut toujours
le contraire de ce que veut un ennemi. En en-
tendant le bruit des cloches, ils auraient cru
entendre le tocsin de la contre-révolution.
Chaque partí veut que l'on compren:ne et sa-
tisfasse ses passions, et ne veut nj compren-
dre ni admettre celles du partí contraire. IJes
patriotes avaient leur¡; passions composées
d'erreurs, de craintes, de haines, qu'il fallait
aussi comprendre et ménager. Ce rapport fit
une sensation extraordinaire, car il touchait
aux ressentiments les plus vifs et les plus pro-
fonds. Il fut l'acte le plus frappant et le pllls
dangereux des clichyens, quoique au fond le
plus fondé. Les patriotes y répondirent mal, en
disant qu'on proposait de récompenser la vio-
lation des 10is, par l'abrogation des'lois violées.
Il faut en effet abroger les loís inexécutables.


A toutes ces exigences, les clichyens ajou-
terent des vexations de toute espece contre le
directoiJ'e, au Sllj(~t des fillallces. C't~tait la l'ob- .




DIRECTO lIlE (, 1797 J. 1 f) 1
jet important, au moyen duquel ils se propo-
saient de le tourmenter et de le paralyser. Nous
avons exposé déja (tome VIII), en donnant
l'aperl{u des ressources financieres pour l'an V
( 1797), quelles étaient les recettes et les dé-
penses présumées de eette année. On avait. a
suffire a 450 millions de dépenses ordinaires
au moyen des 250 millions de la eontribution
foneiere, des 50 millions de la cOlltribntion
personnelle, et des 150 millions du timbre, de
l'enregistrement, des patentes, des postes et
des douanes. On devait pourvoir aux 550 mil-
lions de la dépense extraordinaire, avec le der-
nier quart du prix des biens llatiollaux sou-
missionnés l'aIluée précédeute, s'élevant a 100
millions, et exigé en billets de la part des ae-·
quéreurs, avec le produit des bois et du fer-
mage des biens nationaux, l'al'riéré des con-
tributions, les rescriptions bataves, la vente
du mohilier national, différents produits ac-
cessoires, eufin avec l'éteruelle ressource des
biens restant a vendre. Mais tou.s ces moyeus
étaient insuffisauts, et tres-au-dessotls de leur
valenr présumée. Les recettes et dépenses de
l'année n'étant réglées que provisoirement, on
avait ordonné la perceptioIl sur les roles pro-
visoires, de trois cinquiemes de la contribution
fonciere et personnelle. Mais les roles, eorome




I.8Q HEVOLUTION t'RANC;:AJSJ':,


Oll.}'a déja dít, mal faits par les administra~
tions locales, a cause de la variatíon contínuelle
des lois fiscales, et surchargés d'émargements ,
donnaient lien a des difficllltés continuelles.
La manvaise volonté des contribllables ajoutait
encore a ces difficultés, et la recette était lente.
Outre l'inconvénient d'arri ver tard, elle était
fort au-dessous de ce qu'on l'avait imaginé. La
contribution fonciere faisait prévoir tout au
plus 200 millions de produit, au líeu de 250.
Les différents revenus, tels que timbre, en-
registrement, patentes, douanes et postes, ne
faisaient espérer que lOO millions au lieu de
150. Tel était le déficit dans les revenus ordi-
naires, destinés a faire face a la dépense ordí-
naire. Il n'était pas moindre dans l'extraordi-
naire. On avait négocié les hons des acquéreurs
nationaux pour le prix du dernier quart, avec
grand désavantage. Pour ne pas faire les me-
mes pertes sur les rescriptions bataves, OH les
avait engagées pour une somme tres-inférieure
a leur valeur. Les biens se vendaíent tres-Ien-
tement, aussi la détresse était-elle extreme.
L'armée d'Italie avait vécu avec les contribu-
tions qu' elle levait; mais les armées du Rhin,
de Sambre-et-Mellse, de l'intérieur, les trou-
pes de la marine avaient horriblement souf-
fert. Plusieurs fois les troupes s'étaient mon-




1I1RECl'OJRE (1797)' ¡ 83
lrées pretes a se révolter. Les établissements
publics et les hopitaux étaient dans une hor-
rible pénurie. Les fonctionnaíres publics ne
touehaient paso


Il avait fallu recourir a des expédients de
toute espece. Ainsi, eomme nous l'avons rap-
porté (tome VIII), on recomut a des délais,
pour l'aceomplissement de certaines ohliga-
tions. On ne payait les rentiers qu'un quart
en numéraire, et trois quarts en bons aequit-
'tables en biens nationaux, appelés bqnsdes
trois quarts. Le serviee de la dette eonsolidée,
de la dette viagere et des pensiolls, s'élcvait a
248 millions; par conséquent ce 11' était guere
que 62. millions a payer, et la dépense ordi-
naire se trouvait ainsi réduite de ] ~6 millions.
Mais, malgré eette réduction, la dépense :p'en
était pas moins au-dessus des recettes. Malgré
qu'on cut établi une distinction entre la dé-
pense ordinaire et extraordinaire, on ne l'oh-
servait pas dans les paiements de la trésorerie.
On fournissait a la dépeuse extraordi~aire av.ec
les ressources destinées a la dép,enseordinaire;
c'est-a-dire, qu'a défaut d'argent pour paye!'
les troupes, ou les fournisseurs qui lesnollr-
rissaient, on prenait sur lessommes destinées
at1x appointements des fonctiollnaires publics,
juges, aJministJ'at(~nrs de toute espCCt\ NOlJ'




184 RÉVOLUTlON FRANt;:AiSE.
seulement on confondait ces deux sor tes de
fonds, mais OH anticipait sur les rentrées, et
on délivrait des assignations sur tel ou tel re-
ceveur, acquittables avec les premiers fonds
qui devaient lui arriver. On donuait aux four-
nisseurs des ordonnances sur la trésorerie, dont
le ministre réglait l'ordre d'acquittement, sui-
vant l'urgence des besoins; ce qui donnait
quelquefois lieu a des abus, mais ce qui pro-
curait le moyen de pourvoir au plus pressé,
et d' empckher souvent tel entrepreneur de se
décourager et d'abandonner son service. Enfin,
a défaut de toute autre ressource ,ondélivrait
des bons sur les biens nationaux, papier qu'on
négociait aux acheteurs. C'était la le moyen
employé, depuis la destruction du papier-mon-
naie, pour anticiper sur les ventes. De cet état
des finances, iI résultait que les -fournisseurs
de la plus mauvaise espece, c'est·a-dire les
fournisseurs aventureux, entouraient seuls le
gouvernement, et luí faisaient subir les mar-
chés les plus onéreux. Ils n'acceptaient qu'a
un taux fort bas les papiers qu'on leur don-
nait, et ils élevaient le prix des denrées a pro-
portion des chances ou des délais du paiement.
On était souvent obligé de faire les arrange-
ments les plus singuliers, pour suffire a cer-
tains besoins. Ainsi le ministre de ]a marine.




DlRECTOIRE (1797)'
avait aeheté des farines pour les escadres, a
eondition que le fournisseur, en livrant les
farines él Brest, en donnerait une partie en aro
gent, pour payer la solde aux maríns prets a
se révolter. Le dédommagement de eette avance
de numéraire se trouvait naturellement dans
le haut prix des farines. Toutes ces pertes
étaient inévitables et résultaient de la situation.
Les imputer au gouvernement était une in-
jostiee. lVIalheureusement la eonduite seanda-
leuse de l'un des directeurs, qui avait une
part secrete dans les profits extraordinaÍres
des fournisseurs, et qui ne cachait ni ses pro-
digalités, ni les progres de sa fortulle, four-
nissáit un prétexte él toutes les calomnies. Ce
n'étaient pas certainement les bénéfices hon-
teux d'un individu qui mettaient l'état dans
la détresse, mais on en prenait occasion pour
aCCllser le directoire de ruiner les finan ces.


Il y avait la, pOllr une opposition violente
et de mallvaise foi, une ample matiere a dé-
clamations et a mauvais projets. Elle en forma
en effet de tres-dangerellx. Elle avait composé
la commission des finances d'hommes de son
choix, et fort mal dispo~és püllr le gouverne-
mento Le premier süin de eette commission
fut de présenter aux cinq-eents, par l' organe
du rapporteur Gilbcl't-DeSlllolieres, Un état




186 RÉVOLUTlON FHANyAISE.
inexact de la recette et de la dépense. Elle exa-
géra rUlle, et diminua fortement l'autre. Obli-
gée de reconnaltre l'insuffisance des ressonrces
ordinaires, telles que la contribution fonciere,
l'enregistrement, le timbre, les patentes, les
postes, les donanes, elle re fusa cependant
tous les impots imaginés pour y suppléer. De-
puis le commencement de la révolntion, on
n'avait pas pu rétablir encore les impots. in-
directs. On proposait un impot sur le sel et
le tabac, la cornmission prétendít qu'il effrayait
le peuple; on proposait une loterie, elle la
repoussa comme irnmorale; on proposait un
droit de passe sur les routes, elle le trouva
sujet a de grandes difficultés. Tont cela était
plus ou moins juste, mais il fallait chercher el
trouver des ressóurces. Ponr toute res so urce ,
la commIssion annon<;;a qu'elle allait s'occuPér
de discuter un droit de greffe. Quant- au défi-
cit des recettes extraordinaires, loin d'y pour-
voir, elle chercha a l'aggraver ,en interdisant
au directoire les expédicnts, au moyen desquels
il était parvenu a vivre au jonr le jom. y oici
comment elle s'y prit.


La constitution avait détaché la trésorel1ie
du directoire, et en avait faít un établissem@H
a part, qui était dirigé par des commissaires
illdépendants, llOllln!('·~; par les cOIlseils, el




01llECTOlllE (1797)'
u'ayaut d'autre soin que celui de recevoir le
revenu, et de payer la dépense. De cette ma-
niere le directoire n'avait pas le maniement
des fonds de l'état; il délivrait des ordonnances
sur la trésorerie, qll'elle acquittait jusqu'a
concurrence des crédits ouverts par les con-
seils. Ríen n'é::ait plus funeste que ceUe insti-
tution, caro le maniement des fonds est une
affaire d'exécution, qui doit appartenir au
gouvernement, comme la direction des opé-
rations militaires, et dans laquelle les corps
délibérants ne peuvent pas plus intervenir que
dans l'ordonnance d'une campagne. e'est meme
souvent par un maniement adroit et habile
qu'un ministre parvient a créer des ressources
temporaires, dans un cas pressant. Aussi les
deux conseils avaient-ils, l'année précédente,
autorisé la trésorerie a faire toutes les négo-
ciations commandées par le directoire. La nou-
velle commission résolut de couper court aux
expédients qui faisaient vivre le directoire, en
lui enlevant tout pou voir sur la trésorerie.
D'abord elle voulait qu'il n'eut plus la faculté
d'ordonner les négociations de valellrs. Quand
iI y aurait des vaIeurs non circulantes a réali-
ser, les commissilires de la trésorerie devaien t
les négocier eux-memes, sous lenr responsa-
bilité persolllwlle. Elle illlagilla ensuite d'eu-




188 IlÉVOLUTlON FRANyAISE.
lever au directoire le droit de régler l'ordl'e
dans lequel devaient etre acquittées les ordon-
nances de paíement. Elle proposa aussi de luí
interdire les anticipations sur les fonds qui
devaient ren trer dan s les eaisses des départe-
ments. Elle voulait meme que toutes les assi-
gnations déja délivrées sur les fonds non
rentrés, fussent rapportées a la trésorerie, vé-
rifiées, et payées a leur tour; ce qui Ínterrom-
pait et annulait toutes les opératiolls déja
faites. Elle proposa en mItre de rendre obliga-
toire la distinctioll établie entre les deux na-
tures de dépenses et de recettes, el d'exige,'
que la dépense ordinaire fut soldée sur la re-
eette ordinaire, et la dépense extraordinaire
sur la recette extraordinaire; mesure funeste,
dans un moment ou iI fallait foutnir achaque
beso in pressant par les premiers fonds dispo-
nibles. A toutes ces propositions , elle en ajouta
une derniere, plus dangereuse encore que les
précédentes. Nous venons de dire que les biens
se vendant lentement, on anticipait sur leur
vente, en délivrant des bons qui étaient re-
cevables en paiement de leur valeur. Les foul"-
nisseurs se contentaient de cesbons qu'í1s
négociaient ensuite aux acquéreurs. Ce papier
rivalisait, iI est vrai, avec les bons des t/'Ols
quarts délivr'és aux ren tiers, et en c1iminuait




DIRECTOlRE (1797). 189
la valcnr par la concurrence. Sous prétexte de
protéger les malheureux rentiers eontre l'avi-
dité des fournisseurs, la eommission proposa
de ne plus permettre que les biens nationaux
pussent etre payés ave e les bons délivrés aux
fournisseurs.


Toutes ces propositions furent adoptée~ par
les cinq-cents, dont la majorité aveuglément
entrainée n'observait plus aueune mesure. Elles
étaient désastreuses, et mena<;aient d'interrup-
tion tous les services. Le directoire, en effet, ne
pouvant plus négocier a son gré les va]eurs qu'il
avait dans les mains, 11e pouvantplus fixer l'or-
dre des paiements suivant I'urgence des servi-
ces, anticiper dans un cas pressant sur les fonds
non rentrés, prendre sur l'ordinaire pour l'ex-
traordinaire, et enfin émettre un papier volon-
taire acquittable en biens nationaux, était privé
de tous les moyens qui l'avaient fait vivre jus-


_ qu'ici, et lui avaient permis, dans l'impossibi-
lité de satisfaire a tous les besoins, de pourvoir
an moins aux plus pressants. Les mesures adop-
tées, fort bonnes pour établir l'ordre dans un
temps calme, étaient effrayantes dans la situa-
tíon ou ron se trouvait. Les constitutionnels
firent devains efforts,dans les cinq-cents, pour
les combattre. Elles passerent; et il ne resta
plus d'espoir que dans le conseil des anciens.




190 RJ<:VOLUTION FU AN';:AISF..


Les cOllstitutionnels, ennemis modérés du
directoire, voyaient avec la plus grande peine
la marche imprimee au conseil des cinq-cents.
lIs avaient espéré que l'adjonction d'un nouveau
tiers Ieur serait pIutot utile quenuisible, qu'elle
aurait pour unique effet de changer la majo-
rité, et qu'ils deviendraient les maitres du
corps législatif. Leur chef, Carnot, avait
conc;:u les memes illusions; mais les uns et les
autres se voyaient entrainés bien au-dela du
but, et pouvaient s'apercevoir dahs cette oc-
casio n ,comme dans toutes les autres, que
derriere chaque opposition se cachait la con-
tre-révolution avec ses mauvaises pensées. IIs
avaient beaucoup plus d'influence chez les an-
ciens que chez les cinq-cents, et ils s'efforce-
rent de provoquer le rejet des resolutions
relatives aux finan ces. Carnot y avait un ami
dévoué daos le député Lacvée; íI avait aussi
des liaisons avec Dumas, ancien membre de
la légíslatíve. Il póuvait compter sur l'in-
fluence de Porta lis , Trom;:on - Ducoudray, Le-
brun, Barbé-Marboís, tous adversaires modérés
du directoire, et blamant les emportements
du partí clichyen. Grace aux efforts réunis de
ces députés, et aux dispositions du conseil des
anciens, les premieres propositions de Gil-
herl-Desmolieres, ql1i interdisaient au direc-




IlIRJiCTOIRE (1797).
toire de diriger les négociations de la trésoreric,
de fixer l'ordre des paiements, et de confondre
l'ordinaire avec l'extraordinaire, furent reje-
tées. Ce rejet causa une grande satisfaction
aux constitutionnels, et en général a tous les
hommes modérés, qui rcdoutaient une luUe.
Carnot en fut extremement joyeux. Il espéra
de nouveau qu'on· pourrait contenir les cli-
chyens par le conseil des anciens, et que la
direction des affaires resterait a ses amis et
a lui.


Mais ce n'était la qu'un médiocre palliatif.
Le club de Clichy retentit des plus violentes
déclamations contre les anciens, et de no u-
veaux projets d'accusation contre le directoire.
Gilbert-Desmolieres reprit ses premieres pro-
positions rejetées par les anciens ,dans l' espoir
de les faire agréer a une seconde délibération,
en les présentant sous une autre forme. Les
résolutions de toute espece contre le gouver-
nement se succéderent dans les cinq - cents.
On interdit aux députés de recevoir des places
un au avant lenr sortie dn corps législatif.
Imbert-Colomes, qui correspondait avec la
cour de Blankemhourg, proposa d'oter au di-
rectoire la faculté qu'il tenait d'une loí, d' exa-
miner les leUres venant de l'étranger. Aubry,
le meme qllÍ, apús le 9 thermidor, opéra 1111('




192 RÉVOLtJTION FRAN(jAISE.
réaetion dan s l'armée, qui, en 1795, destitua
Bonaparte, A ubry pro posa d' enlever au direc-
toire le droit de destituer les officiers, ee qui
le privait de l'une de ses plus importantes
prérogatives constitutionnelles. Il proposa aussi
d'ajouter aux dOllze cents grenadiers compo-
sant la garde du corps législatif, une eom-
pagnie d'artillerie et un escadron de dragons,
et de donner le commandement de toute eette
garde aux inspecteurs de la salle du corps
législatif; proposition ridieule et qui semblait
annoncer des préparatifs de guerreo On dé-
non<;;a l'envoi d'un ruillion a l'ordonnateur de
la marine de Toulon, envoi que Bonaparte
avait fait direetement, sans prendre l'intermé-
diaire de la trésorerie, pour hater le départ
de l' escadre dont iI avait besoin dans l' Adria-
tique. Ce million fut saisi par la trésorerie, et
transporté a París. On parla de semblables
envois, faits de la me me maniere, de l'armée
d'Italie aux armées des Alpes, du Rhin et de
Sambre-et-Meuse. On fit un long rapport sur
nos relations avee les États-U nis; et, quelque
raison qu' eut le directoire dans les différends
élevés avec eette puissanee , on le eens~ra avec
amertume. Enfin la fureur de dénoneer et
d'aeeuser toutes les opératiolls du gouverne-
ment, entraina les dichvens h lIne derniere




DIRECTOIUE (1797)' 193
démarche, qui fut de Ieur part une funeste
irnprudence.


Les événements de Ve ni se avaient retenti
{Ians toute l'Europe. Depuis le manifeste de
Palma-NQva, eette république avait été anéan-
tie, et eeHe de Gt'mes révolutionllée, san s que
le ditectoire eUt douné un seul mot d'avis aux
conseils. La raison de ce silenee était, comme
OH J'a vu, dans la rapidité des opérations, ra-


. pidité telle, que Venise n'était plus, avant
qu'on put mettre la guerre en délibération au
corps législatif. Le traité intervenu depuis
n'avait pas encore été soumis a la diseussion,
el devait J'etre sous quelques jours. Au reste,
c'était moins du silence du directoire qu'on
était faché, que de la chute des g.ouverne-
ments aristocratiques, et des progres de la ré-
volution en Italie. Dumolard, cet oratenr dif-
{us, qui depuis pres de deux ans ne cessait
de combattre le directoire dans les cinq-cents,


. résolut de {aire une motíon, relativement aux
événemellts de Venise et de Genes. La tenta-
live était hardie; car on ne pouvait attaquer le
directoire san s attaquer le général Bonaparte.
Il {allait braver pour cela l'admiratioll univer-
selle. et une influence devenue colossale, de-
pUlS que le général avait oblígé l' Aulriche a
la palx, et que, négociateur et guerrier, it


IX. 13




19[' RÉVOLUTION FRAN<::AJ!\E.
semblait régler a MiIan les destinées de l'Eu-
rope. Tous les c1icbyens qui avaient conservé
quelque raison, lirent leurs efforts pour dis-
suacler DumoIard de son projet; mais iI per-
sista, et dans la séance du 5 messidor (23 juin),
iI fit une motíon d'ordre sur les événements
de Veníse. « La renommée, dit-il, dont o"n ne
« peut comprimer l'essor, a semé partout le
e( hruit de nos conquetp.s sur les V éni ticns , et
« de la révolution étonnante quiles a couron-
ce nées. Nos troupes sont dans leur capitale;
cc leur marine nous est livrée; le plus aneien
e( gouvernement de l'Enrope est anéanti; iI re-
« parait en un clin d'reil sous des formes dé-
« mocratiques ; nos soldats enfin bravent les
« flots de la mer Adriatique ,et sont tl'anspor-
« tés a Corfou pour aehever la révolutíon nou-
te velle .... Admettez ces événements pourcer-
{e tains, il suit que le direetoire a faít en termes
«( déguisés la guerre, -Ia paix, et, sous· quel-
« ques rapports, un traité d'alliance avee Ve-
ce níse, et tout cela sans votre concours .... N e
«sommes-nous done plus ce peuple qui a pro-
« clamé en príncipe, et soutenu par la force
(e des armes, qu'il n'appartient, sousaucun
( prétexte, a des puissances étrangeres de s'ím:
« miscer dans la forme du gouvernement d'un
e( mItre état? Olltragés par les V énitiens, était-




DIRECTOlRE (1797 J.
« ce a leurs institutions poIitiques que nous
« avioIls le droit de déclarer la guerre? Vain-
« q lleurs el conquérants, nous appartenait-il
« de prendre une part active a leur révolution,
« en apparence inopinée? Je ne rechercherai
« point id quel est le sort qU,e l'on réserve a
« Venise, et surtont a ses provinces de terTe-
« ferme. Je n'examinerai point si leur envahis-
,( sement, médité peut-etre avant les attentats
« qui lui servirent de motifs, n'est 'pas destiné
I( a figurer dans l'histoire; comme un digne
{( pendant du partage de lá POIOgllC. Je VClIX
« bien arre ter ces réflexions, et je deman9,e,
« l'acte cOllstitutionl1el a ]a main ,eomment le
« directoire peut justifier l'ignorance absolue
{( dans laquelle il ,cherche a laisser le corps
" législatif sur eeUe fouIe d'événements ex-
« traordinaires.» Apres s't~lre occupé des évé-
llcments de Venise, DlImolard parla ensuite
de ceux de Genes, qui présentaient, disait-il,
le meme caractere, et faisaient snpposer l'in-
tervention de l'armée fran~aise et ,de ses chefs.
II parla aussi de la Suisse, ,a:veC laquelIe on
était, disait-il, encontestahonpour un df(j)Íl
de navigation, et il demanda si on voulai~ dé-
mocratiser tous les états alliésde la Fracwe.
Lonant SOllvent les héros d'ltalie, il ne parla
pas une seule foís du gélléral en chef, qu'alors


13.




JqG RÉVOLUTlON J.'RANYAISE.
aUCUlle bonche ne négligeait l'occasion de pro-
noncer, en l'accompagnant d'éloges extraonli-
naires. Dnmolard finit par proposer un mes-
sage an directoire, pour luí demander des
explicationssur les événements de Venise et
de Genes, et sur les rapports de la Franee
avec la Suisse.


Cette motíon cansa un étonnement général,
etprouva l'audace des clichyens. ElJe devait
bientot leur couter cher.En attendant qu'ils
en essuyassent les tristes conséquences, íls se
montraient pleins d'arrogance, affichaient hau-
tement les plus grandes espérances, et seU)-
blaient devoir etre souspen les maitres du
gouvernement. C'était partout la meme con-
fiance et la meme imprudence qu'en. vendé-
miaire. Les émigrés rentraient -en fouIe. On
envoyait de Paris une quantité de faux passe-
ports et de faux certificats de résidence, dans
toutes les parties de l'Europe. On en faisait
commerce a Hambourg. Les émigrés s'intro-
duisaient sur le territoire par la Hollande,
par l' AIsace, la Snisse et le Piémont. Ramenés
par le gout qu'ont les Fran<;;ais pour Ieur beBe
patrie, et par les souffrances et les dégoUts
essuyés a l' étranger, n'ayant d'ailIeUl's plus
rien a espérer de la guerre, depuis les négo-
ciations entamées avec l'Autriche, ayant meme




DlRliCTOIRE (1797).
a craindre le licenciement des corpsde Condé,
ils venaient essayer, par la paix et par les in-
trigu~s de l'intérieur, la contre -révolutioll
qu'ils n'avaient pu opérer par le concours des
puissances européennes. ])u reste, a défaut
d'une contre-révolution, ils voulaient revoir
au rnoins leur patrie, et recouvrer une paJ·tie
de leurs biens. Gr:ke en effet a l'intéret qu'ils
rencolltraient partout, ils avaient mille faci-
lités. pour les racheter. l..'agiotage sur les dif-
férents papiers admis en paiement des biens
nationaux, et la facilité de se procurer ees
papiers a vil prix, la faveur des administrahons
locales pour les anciennes farnilles proscrites,
la complaisance des enchérisseurs, qui se reti-
raient des, qu'un ancien propriétaire faisait
acheter ses terres sous des noms supposés,
perrnettaient aux émigl'és de rentrer dans lelll'
patrin¡oine avec de tres - faibles sommes. Les
pretres surtout revenaient en fouJe. lIs étaient
recueillis par toutes les dévoles de Franee,
qui les logeaient, les nourrissaient, leur él e-
vaient des chapelles dans leurs ,maisons, et les
elltretellaient d'argellt au moyen des qnetes.
L'aneienne hiérarchie ecclésiastique était clan-
destinement rétabIie. Auenne des nouvell~
circonscriptions de la constitution civile du
clergé ll'était reconnue. Les anciens dioceSefi




Ig8 RÉ"OLUTION FRAN<:';!lISE.
existaient cncore; des éveques et des archev(L
ques les administl'aient secretement, et cor-
respondaient avec Rome. C'était par eux et pUJ'
leur ministere <lue s'exer<{aient toutes les pra-
tiques du cuIte catholique; its eonfessaient,
baptisaient ,mariaiellt les personnes restées
fidetes a l'ancienne religion. Tous les ehollans
oisifs accouraient a Paris, et s'y réunissaient
aux émigrés, qui s'y trouvaient, disait-on, au
nombre de plus de cinq mille. En voyant la
conduite des einq,.cents et les périls du diree-
toire, ils croyaient qu'il suffisait de quelques
jours poul' amener la catastrophe depuis si
long-temps désirée. lIs remplissaient Ieur COI'-
respondance avec l'étranger de leurs espéran-
ces. Aupres du prince de Condé, dont le eorps
se retirait en Pologne, aupresdu prétendant
qui était a Blankembourg, aupres dn eomte
d' A.rlois qui était en Écosse, on montrait la
plus grande joie. A.vec eette meme ivressequ'oll
avait eue a Coblentz, lorsqu'on croyait rentrer
dans quinze jonrs a la suite du roí de Prusse,
on faisait de nouveau aujourd'hui des prqjets
de retour; on en parlait, on en plaisantait
~omme d'un évéllement tres-proehain. Les vil-
les voisines des frontieres se rempliss;üellt de
gens qui attendaient avec impatience le roo-
ment de revoir la France. A tous ces illdíce~




DIIIECTOfRE (1797)'
il faut joindre enfin le langage forcené des
journaux royalistes, dont la fureur augmentait
avee la témérité et les espérances du par ti.


Le directoire étaít instruít par sa poliee oe
tous ces mouvements. La conduite des émi-
grés, la marche des cínq-cents, s'accordaient
avec la déclaration de Duverlle de Presle pour
démontrer l'existence d'un vérítable complot.
Duverne de Preste avait dénoncé, san s les
llommer, cellt quatre-vingts députés comme
complices. Il n'avait désigné nominativement
que Lemerer et Mersall, et avait dit gue les
autres étaient tous les socíétaires de Clichy.
En cela, il s' était trompé, comme on a vu. La
plupart des clíchyens, sauf cinq ou six peut-
etre, agissaient par entralnemellt d'opinion,
et non par complicité. Mais le directoire, trompé
par les a pparenees et la déclaration de Duverne
de Presle, les eroyait sciemment engagés dans
le complot, et ne voyait en eux que des con-
jurés. Une découverte faite par Bonaparte en
Italie vint luí révéler un secret important, et
ajouter encore a ses craintes. Le comte d'En-
traigues, agent du prétendant, son intermé-
rliaire avee les intrigants de Franee, et le con-
fident de tous les secrets de l' émigration, s'était
réfugié a Venise. Quand les Fraw;ais y entre-
l'eut, il fut saisi et 1 ivré a ROllaparte. Celu -ici




200 nliVOLUTION FltAN(: . .uSF..


pouvait l'envoyer en France pour y etre fu-
sillé comme émigré et comme conspirateur;
cependant il se laissa toucher, et préféra se
servit· de lui et de ses indiscrétions, an líen
de le dévouer a la mort. 11 lui assigna la ville
de Milan pour prison , Ini donna quelques se-
cours d'argent, et se lit raconter tous les se-
crets du prétendant. 11 connut alors l'histoire
entiere de la trahison de Pichegru, qui était
restée cachée au gouvernement, et dont Rew-
bell seul avait en quelques soup<,;ons, mal ac-
clleilli~ de ses colleglles. D'Entraigues raconta
a Rooaparte tout ce qu'il savait, et le mil au
fait de tmItes les intrjgues de J'émigration.Ou-
tre ces révélatiolls verbales, on obtiot des ren-
seignements curieux, par la saisie des papiers
trouvés a v ellise, dans le porte-feume de d'En~
traigues. Entre autres pieces, il en était une
fort importante, contenant une longue con-
versation de d'Entraiglles avec le comte de
Montgaillard, dans Jaquelle ceJui·ci racontait
la premiere négociation eIltamée avec Piche-
gru, et restée infrllctuellse par l'obstination
du prince de Condé. D'Entraigues avait écrit
eette conversation *, qui fut trouvée dans ses


" M. de Montgaillard , dan 5 son ouvrage plcin de calom-
Ilies et d'crreul's, a sOlltenu (IlIe cett-e pit\~e contenait de'_




DIRECTOlnE ([ 797)' 201
papiers. Sur-Ie-champ Berthie¡', Clarke et Bo-
I1aparte la signerent pour en aUester l'authen-
tieité, et l'envoyerent a Paris.


Le directoire la tint secrete, eomme la dé-
claratioll de Duverne de Presle, attendant
l'oeeasion de s'en servir utilement. Maisil n'eut
plus de doute alors sur le role de Pichegru
dan s le conseil des einq-cents ; il s'expliqua ses
(léfaites, sa conduite bizarre, ses mauvais pro-
cédés, son refus d'alier a Stoekholm, et son
Ínfluence sur les clichyens. Il supposa qu'a la
tete de cent quatre-vingts députés, ses com-
plices, il préparait la contre-révolutioI).


Les cinq directeurs étaient divisés depuis la
nouvelle direction que Carnot av~it prise, et
iaits veais, mais qll'elle était fausse. et avait été fabriqlléc
par Bunaparte, Berthier et Clarke. Le contraire est cons-
tant, et on con«(oit I'intéret que M. de Montg~illard avait
á justifier son frere de la convcrsation qll'on lui attribllc
daos cette piece. Mais il est difficile d'abord de supposer
que trois personnages aussi importants osassent faire un
faux. Ces actes-lit 50nt aussi rares de nos jOllrs flue les
empoisollnements. Clarke a été destitué a la suite de fruc-
tidor, et il était dans le parti Carnot. Il est pen probable
qll'il se pretat a fabriquer des píeces pour appllyer fruc-
tidor. Ensuite la piece étaít fort insuffisante ponr l'nsage
auquel on la destinait, et a faire un faux, on l'auraít fait
suffisant. Tont prouve done le mensonge de M. de Mont-
gaillard.




202 RÉVOLUTIO:N FRA"N<';:AISE •


. qui était suivie par Barthélemy. Il ne restait
de dévoués au systeme du gouvernement qlle
Barras, Rewbell et Larévelliere-Lépeaux. Ces
trois direeteurs n'étaient point eux-memes fort
unís, . car Rewbell, conventionnel modéré,
halssait dans Barras un partisan de Danton, et
avait en outre )a plus grande aversion pour ses
mreurs et son earactere. Larévelliere avait
quelques liaisons avec Rewbell, rnais peu de
rapports avee Barras. Les trois directeurs n'é-
taient rapproehés que par la conformíté haLi-
tuelle de leur vote. Tous trois étaient fort ir-
rités et fort prononcés contre la faetíon de
Cliehy. Bar:ras, quoiqu'il re<,;ut chez lui les
émigrés par suite de sa facilité de mreurs, ne
cessait de dire qu'il monterait a cheval, qu'il
mettrait le sabre a la main, et, a la tete des
faubourgs, iraít sabrer tous les eontrc-rév~­
Iutionnaires des cinq-cents. Rewbell ne s'ex-
prímait pas de la sorte; iI voyait tout perdll;
et, quoique résolu a faire son devoir, iJ croyait
que ses collegues et lui n'auraiellt bientot plus
d'antre ressource que la fuite. Larévelliere-


_Lépeaux, doué d'autant de courage que de
probité, pensait qu'il fallait faire tete a l'orage,
et tont ten ter pour san ver la répnblique. Le
erenr exempt de haine, iI pouvait servir de
lien entre Barras et Rewbell, et iI avait résolu




DlRECTOIRE (1797 l.
de devenir leur intermédiaire. Il s'adressa d'a-
bord a Rewhell, dont il estimait profondément
la probité et les lumieres, et lui expliquant
ses intentions, lui demandas'il voulait coucpu-
rir a sauver la révolution. Rewbell accueillit
chaudement ses ouvertures, et luí promit le
plus eutier dévouement. Il s'agissait de s'assu-
rer de Harras, dont le Iangage énergíque ne
suffisait pas pour rassurer ses collegues. N e
luí supposant ~i probité, ni principes, le voyant
entouré de tous les partís, ils le croyaieut aussi
capable de se vendre a l'émigration, que de se
mettre un jour a la tthe des fa Ilbourgs , et de
faire un honible coup de main. lls craignaient
l'unede ces choses autant que 1'autre: lIs VOll-
laient sauver la 'république par un acle d'é-
nergie, mais ne pas la compromettre par de
nouveaux menrtr.es. Effarouchés par les mamrs
de Barras, ils se défiaient trop de lui. Laré-
velliere se chargea de l' entretenir. Barras,
charmé de se coaliser avec ses deux collegues,
el de s'assurer leur appui, flatté surtout de leur
alliance, adhéra entierement a leurs projets,
et parut se preter a toutes leurs vues. Des cet
instant, ils furent assurés de former une majo-
rité compacte, et d'anuuler entierement, palo
leurs trois votes réunis, l'influence de Camot
et de Barthélemy. Il s'agissait de savoi,' quels.




~.w4 REVOLlfTJON J:"IlANyA1SE.
moyens ils emploieraient pOllr déjouer la COllS-
piration, a laqueHe ils supposaient de si gran"
des rami6cations dans les deux conseils. Ern-
ployer les voies judiciaires, dénoncer Pichegru
et ses complices, demander lenr acte d'accu-
satÍon aux cinq-cents, et les faire juger en-
suite, était tout-a-fait impossible. D'abord 011
n'avait que le nOID de Pichegru, de Lemerer et
de Mersan; on croyait bien reconnaitre les au-
tres a leurs liaisons, a leurs intrigues, a leurs
violentes propositions dans le club de Clichy
et dans les cinq-ccnts, mais ¡ls n'étaient nom-
més nulle parto Faire condamner Pichegru, et
deux ou trois députés, ce ll'était pas détruire
la conspiration. D'ailleurs, on n'avait pas meme
les moyens de faire condamner Pichegru, Le-
merer et Mersan, cal' les preuves existant
contre eux, quoique emportant la conviction
morale, ne suffisaient pas pour que des juges
prononc;assent une condamnation. Les décla-
rations de Duverne de Presle, ceHe de d'En-
traigues, étaient jnsuf6santes san s le secours
des dépositions orales. Mais ce n'était pus la
encore la difficulté la plus grande: aUFait-on
possédé contre Pichegru et ses complices tOtl-
tt~S les pieces qu'on n'avait pas, il fallait arra-
chel'¡'acte d'accusation aux cinq-cents; et, les
preuves eusscnt-elles été plus claires que le




!HRECTOIRE (I 797)· 2.05
¡our, la majorité actuelle n'y eut jamais adhéré;
car c'était déférer le coupable a ses propres
complices. Ces raisons étaient si évirlentes,
que, malgré leur gout pour la légalité, Laré-
vclliere et RewbeIl furent obligés de renoncer
a toute idée d'un jugement régulier, et durent
se résoudre a un coup d'état; triste et déplo-
rabie ressource, mais qlli, dans leur situation
et avec Jeurs alarmes, était la seule possible.
Décidés ades moyens extremes, iIs ne voulaient
cependant pas de moyens sanglants, et cher-
chaient a contenir les gouts révolutionnaires
de Barras. Sans etre d'accord encore sur le mode
et le moment de l'exécution, ils s'arreterent a
l'idée de faire arre ter Pichegru et ses cent
quatre-vingts complices supposés, de les dé-
noncer au corps législatif épuré, et de lui de-
mander une loi extraordinaire, qui décrét¡h
lellr bannissement , san s jugement. Dans leur
extreme défiance, iJs se méprenaient sur Gar-
not; ils oubliaient sa vie passée, ses principes
rigides, son ent(~tement, et le croyaient pres-
que un traitre. lIs craignaient que, réuni a
llarthélemy, iI ne fut dan s le complot de Pi-
chegru. Ses soins pour grouper l'opposition
3utour de lui, et s'en faire le chef, étaient a
leurs yeux prévenus comme autant de preuves
d'une complicité criminelle. Cependant ils n'<',-




'.w6 RÉVOLUTION FRAN~A.lSE.
taient pas convaincus encore; mais décidés a
un coup hardi, ¡.Js ne voulaient pas agir a demi;
et ils étaiellt prets a frapper les coupables,
meme a leurs catés, et dans le sein du directoire.


I1s cOIlvinrent de tout préparer pour l'exé-
cution de leur projet, et d'épier soigneusement
leurs ennemis , afin de saisir le moment ou iI
deviendrait urgent de les atteindre. Résolus a
un acte aussi hardi, ils avaient besoin d'appui.
J.e parti patrio te , qui pouvait seuIleur en four-
nir, se divisaitcomme autrefois en deux clas-
ses; les uns, toujours furieux depllis le 9
thermidor, n'avaient pas décoléré depuis frois
ans, ne comprenaient allCllnemcnt la marche
forcée de la révolutioll , considéraient le régime
légal commeune concession faite aux coI1tre-
révolutionnaires, et ne voulaient que ven-
geance et proscríptions. Quoique le directoire
les eut frappés dans la personne de Babccuf,
ils étaient prets, ave e leur dévouement lordi-
naire, a voler a son secours. Mais ils étaient
trop dangerellx a employer, et OH ponvait tOllt
au plus, un jour de péril extreme, les enré-
gimenter, comme on avait fait au 13 veildé-
miaire, et compter sur le sacrifice de leur vico
Ils avaient assez prouvé a coté de Bonaparte,
et sur les degrés de l'église Saint-Roch, de quoi
ils étaient capahles un jour de danger. Olltre




D1RI,CTOlllE (1797)'
ceS ardents patriotes, presque tous compromis
par leur úle ou leur participation active a la
révolution, il Y avait les patriotes modérés,
d'une classe supérieure, qui, approuvant plus
ou moins la marche du directoire, voulaient
néamnoins la république appuyée sur leslois,
et voyaient le péril imminent auquel elle était
cxposée par la réaction. Ceux-Ia répoudaiellt
parfaitement aux intentions de Rewbell et Laré-
velliere, et pouvaient donner un s.ecours, sinon
de force, au moins d'opinion audircctoire. On
les voyait alternativementdans les salons de
Barras, qui représen tai t pour ses coIlcgues, ou
dans ccux de madame de Stael, qui n'avait
point quitté París, et qui, par le charme de son
esprit, réunissait tOt~ours autour d'eUe cequ'il
y avait de plus brillant en France. Benjamin
Constant y occupait le premier rang par son
esprit, et par les écrits qu'il avait publiés en
faveur du directoire. On y voyait aussi M. de
TaIleyrand, qui, rayé de la liste des émigrés ,
vers les derniers temps de la convention, était
a Paris avec le désir de l'entrer dans la carriere
(les grandsemploisdiplomatiques. Ces hommes
distingués, composant la société du gouverne-
ment, avaient résolu de former une réunion
qlli contl'e-balanc;;at 1'influence de Clichy, ("t
qui discut,{t <fans un sens contraire les ques-




'208 nÉVOLUTlON FRAN9AISEo


tions politiques. Elle fut appelée cerele cons-
titutionnel. Elle réunit bientot tous les hommes
que nous venons de désigner, et les membres
des conseils qui votaient avec le directoire,
c'est-a-dire presque tout le dernier tiers con-
ventionnel. Les membres du corps législatif,
qui s'intitulaient constitutionnels, auraient du
se rendre aussi dans le nouveau cerele, car lenr
opiuion était la meme; mais brouillés d'amour-
propre avec le directoire, par leurs discussions
daos le corps législatif, ils persistaient a rester
a part, entre le cerele constitutionnel et Clichy
a la suite des directeurs Carnot et BarthéJemy,


o des députés Tron<;on-Ducouoray, Portalis, La-
cuée, Dumas, Doulcet.Pontécoulant, Siméon,
Thibaudeau. Benjamin Constant parla plusieurs
fois dans le cercle constitutionnel. On y en-
tendit aussi M. de Talleyrand. Cet exemple fut
imité; et des cereles du meme gellre, compo-'
sés, il est vrai, d'hommes moins élevés et de
patrio tes moins mesurés, se formerent de
toutes parts. Le cercle constitutionnel s'était
ouvert le ¡er messidor an V, un mois apres le
1 er prairial. En tres-peu de temps il yen eut
de pareils dans toute la France; les patriotes
les plus chauds s'y réunirent, et, par une réac-
I.ion toute naturelle, on vit presque se reCOIll-
poser le partí jacobino




DIRECTOlRE (1797).
Mais c'était la un moyen usé, et peu utile.


Les clubs étaient déconsidérés en France, et
privés par la constitution des moyens de re-
devenir efficaces. Le directoire avait heureuse-
ment un autre appui; c'était celui des armées,
chez lesquelles semblaieut s'etre réfugiés les
principes répllblicains, depllis que les souf-
frances de la révolution avaient amené dans
l'intérieur une réaction si violente €t si géné-
raleo Toute armée est attachée au gouverne-
ment qui l' organise, l' entretient, la récompen-
se; mais les soldats républicaills voyaient dans
le directoire, non-seulement les chefs du gou-
vernement, mais les chefs d'nne cause potlr
laquelle ils s'étaient levés en masse en 93,
pour laquelle ils avaient combattu et vaincu
pendant six années. N tille part l'attachement
Ji la réyollltion n'était plus grand qu'a l'armée
d'Italie. Elle était composée de ces révollltion-
naires du Midi, aussi impétueux dans leurs
opillions que dans leur br-avoure. Générallx,
officiers et soldats, étaient comblés d'hon-
neurs, gorgés d'argent, repus de plaisirs. lIs
avaient con«;1l de leurs victoires un orgueil ex-
t,"aordinaire. lis étaient illstruits de ce qlli se
passait dans l'intérieur, par les journaux qu'on
lellr faisait Jire, et ils ne parlaient que de re-
passer les Alpes, pO!l1' aller sabrer les aristo-


IX. 14




210 UÉVOLUTION .FRAN9AISE.


erates de Paris. Le repos dont ils jonissaient
depuís la signature des préliminaires, eonlrÍ-
bllait a angmenter leur effervescence par l'oi-
siveté. Masséna, roubert, et Augereau surtout,
lem' donnaÍent l'exemple du répnLlicanisme le
plus ardent. Les troupes venÍles dn Rhin, sans
etre moins républicaines, étaient cependant
plus froides, plus mesurées, et avaient eon-
traeté sous Morean plus de sobriété et de dis-
cipline. C'était Bernadotte qUÍ les commandait;
il affectait une éducation soignée, et cherchait
a se distinguer de ses collegues par des ma-
nieres plus polies. Dans sa division J Oll fai-
sait nsage de la qualifieation de monsieur, tandis
que daos toute l'ancienne armée d'ltalie, on
ne voulait souffrir que le titre de citoyen. Les
vieux soldats d'ltalie, libertins ,insolents, que-
relleurs comme des méridionaux, et des en-
fants gihés par la victoire, étaieut déja en ri-
va lité de bravoure avec les solJats du Rhin;-
et maintenant ils commen~aient a etre en riva-
lité, non pas d' opiuion, mais d'habitudes et
d'usages. Ils ne vouIaient pas des qualifications
de monsieur, et pour ce motif iIs échangeaient
souvent des coups de sabre avec leurs cama-
racles du Rhin. La division Augereau surtout,
qui se distinguait comme son général par son
exaltatíon révolutioIlnaire, était la plus agitée.




DlRECTOIRE (1797)' 2\ 1
Il fallut une proclamation énergique de son
chef pour la contenir, et pour fair'e treve aux
duels. La qualifieation de citoyen fut seute an-
torisée.


Le général Bonaparte voyait avee plaisir
l' espri t de l' armée, et en fa vorisai t l' essor. Ses
premiers sucees avaient tous été r~mportés
eontre la faetion royaliste, soit devant Toulon,
soit an 13 vendémiaire. Il était done brouiUé
d'origine ave e elle. Depuis, elle s'était attachée
a l'abaisser ses tríomphes, paree que l'éclat en
rejaillissait sur la révolution. Ses dernieres at-
taques surtout remplirent le général de eolere.
n ne se eontenait plus en lisant ]a motion de
Dumolard, et en apprenant que la trésorerie
avait arre té le million envoyé a Toulon. Mais
outre ees raisons particulieres de détester la
faetion royaliste, il en avait encore une plus
générale et plus profonde; elle était dans sa
gloire et dans la grandeur de son role. Que
pouvait faire un roi p~ur sa desti[Jé~? Si haut
qu'il put I'élever, ee roi eut été toujours au-
dessus de lui. SOUS la république, an eontraire,
aucune tete ne dominait la siennp.. Qu'il ne
revat pas eneore sa destinée inouJe, du moins
il prévoyait dans la république une audaee et
une immensité d'entreprises, qui convenaient
a l'audaee et a l'immensité de son génie; tandís


14·




212 RÉVOLUTION FRANyAISE.


qn'avec un roí,]a Franee eút été ramenéea une
existenee obscllre et bornée. Quoi qu'il flt done
de cette république, qu'illa servit ou l'oppri-
mat, Bonaparte ne ponvait etre grand qu'avee
elle, et par elle, et devait la chérir comme son
propre avenir. Qu'un Pichegru se laissat allécher
par un chatean, un titre et qnelques millions,
on le conc;oit; a l'ardente imagination du con-
quél'ant de l'Italie, il fallait une autre pers-
pective; il fallait ceHe d'un monde nouveall,
révolutionné par ses mains.


Il écrivit donc au directoire qu'il était pret,
lui et l'armée, a voler a son seCOllrs, potlr faire
rentrer les eOlltre - révollltioIlllaires dans le
néant. Il ne craignit pas de donner des con-
seils, et engagea hautement le directoire a sa-
cl'ifier quelqlles traltres et a briser quelques
presses.


Dans l'armée du Rhin, les dispositions étaient
plus calmes. Il y avait quelques mauvais of6-
ciers, placés dans les rangs par Piehegru. Ce-
pendant la masse de l'armée était républieaine,
mais tranqnille, disciplinée, panvre, et moins
enivrée de sucees que ceHe d'ltalie. Une armée
est toujours faite a l'image dn général. Son'es-
prit pass e a ses officiers, et de ses officiers se
communiqlJe a ses soldats. L'armée du Rhin
était modelée sur Moreau. }Iorean, flatté par




lllRECTOIRE (1797 j.
]a factíon royaliste, qui voulait mettre sa sage
ret¡'aite au - dessus des merveilleux exploits
d'Italie, avait moins de haine contre elle que
Bonaparte. II était d'ailleurs insouciallt, mo-
déré, froid, et Il'avait pomo la poJitique qu'un
goUt égal a sa capacité; aussi se tenait-il en
arrjere, ne cherchant point a se prononcer.
Cependant iI était républícain, et point traitre
comme OH l'a dit. Il avait dans ce moment la
preuve de la trahison de Pichegru, et aurait
pu rendre a son gouvernemcnt un immense
ser vice. Nous avons d~ja dit qu'il venait de sal-
sir un fourgon du général Kinglin, renfermant
beaucoup de papicrs. Ces papiers contenaient
toute la correspondance chiffi'ée de Pichegru
avec Wiekam, le prillce de Condé, etc. Moreau
ponvait done fournir la preuve de la trahison,
et rendre plus praticables les moyens judiciai-
res. Mais Pichegru avait été son généraI en chef
et son ami, iI ne voulait pas le trahir, et iI faj-
sait travailler au déchiffrement de cette corres-
pondance, sans la déclarer au gouverncment.
Dn reste, elle renfermait la preuve de la fidélité
de Morean lui-meme a la république. Piche-
gru , apres avoir donné sa démission, n'avait
qu'un moyen de se conserver de l'importance,
c'était de dire qu'il disposait de Morean, et
que, se reposant sur lui de la direction de I'ar-




~H4 RÉVOLUTION .I'RAN~AISE.
mée, iI allait eonduire les intrigues de l'jnté-
rieur. Eh bien! Piehegru ne cessa de dire qu'il
ne fallait pas s'adresser a Moreau, paree qu'il
n'aeeueillerait aucune ouverture~. Moreau était
done froid, mais fidele. Son armée était une
des plus beBes et des plus btaves que jamais
la république eut possédées.


Tout était différent a l'armée de Sambre-et-
Meuse : e'était, eorome nous 'l'avons dit ail-
leurs, l'armée de Fleurus; de l'Olll,the et de
la Roer, armée brave et républicaine, eomme
son aneien général. Son ardeur s'était encore
augmentée lorsque le jeune Hoche, appelé a
la commander, était venu y répandre tont le
feu de son ame. Ce jeune homme, devenu en
une campagne, de sergent aux gardes fran-
c,aises, général eli chef, aimait ]a répnblique
eomme sa bienfaitrice et sa mere. Dans les ca-
ehots du comité de salut public, ses sentiments
ne s'étaient point attiédis; dans la Vendée, ils
s'étaient renforcés en Inttant avee les royalis-
tes. En vendémiaire, il était tout pret a voler
au secours de la eonvention, et iI avait déja
mis vingt mille hommes en mouvemcut, lors-


,. Si M. de Montgaillartl avait In la correspondallet' de
Kinglin, il n'aurait pas avancé, sur la roi tI'une pal'()lc!lu
roi Louis XVIII, que Moreau trahj~,ait la Frailee des l'a1l-
ll~e 1797.




DIRECTOIRE (1797). 215
que Ja vigueur de Bonaparte, dans la journée
du 13, le dispensa de marcher plus avant.
Ayant dans sa capacité poli tique une raison de
se meler des affaire s que Moreau n'avait pas,
ne jalousant pas Bonaparte, mais impatient
de l'atteindre daos la carriere de la gloire, il
était dévoué de creur a la république, et pret
a la servir de toutes les manieres, sur le champ
de bataille ou au milieu des orages politiques.
Déja nous avons eu occasion de di re qu'a une
prudence consommée, il joignait une ardeur
et une impatience de earaetere extraordinaires.
Prompt a se jeter dans les événements, il of-
frit son bras et sa vie au direetoire. A insi la
force matérielle ne manquait pas au gouverne-
ment; mais il fallait l'employer.avec prudence,
et surtout avec a-propos.


De tous les généraux, Hoche était celui qu'il
convenait le plus au directoire d'employer. Si
la gloire et le caraetere de Bonaparte pouvaient
inspirer quelque ombrage, il n'en était pas de
meme de Huche. Ses victoires de Wissembourg
en 1793, 5a beBe pacificatioll de la Vendée,
5a récente victoire a Neuwied, lui donnaient
une belle gloire, et une gloire varié e , ou l' es-
time ponr l'homme d'état se melait a l'estime
pour le guerrier; mais eette gloire n'avait ricn
qui pút e/Trayer la liberté. A faire intervenir




216 RJh'OLUTION FRAN~AISE.
un gélléral dans Jes troubles de l'état, il valait
mieux s'adresser a lui qu'au géant qui domi-
nait en Italie. C'était le général chéri des ré-
publicains, celui sur Jequel ils reposaicnt leur
pensée sans aucune crainte. D'ailleurs, son ar-
mée était la plus rapprochée de Paris. Vingt
mille hommes pOli vaient, au besoin, se trou-
ver, en quelqnes marches, dalls la capitale, et
y seconder de leur présellce le coup de vigueur
que le directoire avait résolu de frapper.


C' est a Hoche que songerent les trois diree-
teurs Barras, Rewbell et Larévelliere. Cepen-
dant Barras, qui était fort agissant, fort habile
a l'intrigue, et qui vouJait, dalls ceUe nou-
velle erise, se eharger de J'honneur de l'exé-
eution, Barras écrivit, a l'ins(,;u de ses eollegues,
a Hoche, avee lequeJ iI était en relation, et lui
demanda son intervention dan s Jes événe-
ments qui se prépal'aient. Hoche ll'hésita paso
L'oeeasion la plus commode s'offrait de diri-
gel' des tl'oupes sur París. Il travailJait en ce
moment avec la plus grande ardenr a prépa-
rer sa nouvelle expédition d'IrIande; iI était
alIé en Hollande pour surveiller les prépara-
tifs qui se faisaient au Texel. JI avait résolu de
détacher vingt mille hommes de l'armée de
Sambre-et-Meuse, et de les diriger sur Brest.
Dans leur rout(' , it travers l'intérienr, il était fa~




DlRECTOlRE (1797).
cile de les arreter a la hauteur de París, et de les
employer au service du direc'toire. Il offrit plus
encore : il fallait de l'argent, soit pour la colonnü
en route, soit pour un coup de main; il s'en as-
sura par un moyen fort adroit. On a vu que les
provinces entre Meuse et Rhin 11'avaient qu'une
existence incertaine jusqu'a la paix avec l'em-
pire. Elles n'avaient pas été, comme la Belgique,
divisées en départements et réunies a la France;
elles étaient administrées militairement et avec
beaucoup de prudence par Hoche, qui voulait
les républicaniser, et, dans le cas ou on ne
pourrait pas obten ir leur réunion expresse a la
France, en faire une république eis-rhénane,
qui serait attachée a la répllbliq1'le comme une
fille a sa mere. Il avait établi une commission
a Bonn, chal'gée d'administrer le pays, et de
recevoir les contributions frappées tant en-de-;a
qu'au-clela clu Rhin. Deux millions et quelques
cent mille fmBcs se trouvaient clans la cilisse
de eette commission. Hoche lui défendit de les
verser dan s la caisse du payeur de l'armée,
paree qu'ils seraient tombés SOllS l'alltol'ité de
la trésorerie, et distraits peut-etre pour des ob-
jets meme étrangers a l'armée. Il fit payer la
solde de la colonne qu'il allait mettl'e en mon-
vement, et garder en réserve pres de deuxmil-
lions, soit pour les offrir an directoire, sOlt




2 I 8 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
pour les employer a l'expédition d'Irlande. C'é-
tait par úle politique qu'il commettait cette
infraction aux regles de la comptabilité, car
ce jeune général, qui, plus qu'aucun autre,
avait pu s'enrichir, était fort pauvre. En faisant
tout cela, Hoche croyait exécuter les ordres,
non-seulernent de Barras, mais de Larével-
liere-Lépeaux et de Rewbell.


Deux mois s' étaient écoulés depuis le 1 er prai-
rial, c'est-a-dire depuis l'ouverture de la nou-
velle session : on était a la fin de messidor (mi-
juillet). Les propositions arretées a Clichy, et
portées aux cinq-cents, n'avaient pas cessé de
se succéder. Il s'en préparait une nouvellc, a
laquelle la fackon royaliste attachait beaucoup
de prix. L'organisatioll des gardes nationales
n'était pas encore décrétée; le principe n'en
était que posé dans la constitution. Les cli-
ehycns voulaient savoir ménager une force a
opposer aux armées, et remettre sous les ar-
mes ectte jeunesse qu'on avait soulevée en
vendérniaire contre la convention. lis venaient
de faire nornrner une cornrnission dans les
cinq-cents pour présenter un projet d'organi-
satÍon; Pichegru en était président et rappor-
teur. Outre cette importante mesure, la com-
mission des finances avait repris en sous-ceuvrc
les propositions rejetées par les anciens, et




DIHECTOIRE (1797)'
cherchait a les présenter d'une autre maniere,
pour les faire adopter sous une nOllvelle forme.
Ces propositions des cinq-cents, toutes redou-
'tables qu'elles étaient, effrayaient moins ce-
pendant les trois directeurs coalisés, que la
conspiration a la tete de laqllelle ils voyaient
un général célebre, et a laquelle ils supposaient
dans lesconseils des ramifications fort étendues.
Décidés a agir, ils voulaient d'abord opérer
dans le ministere certains changements qu'ils
croyaient nécessaires, pour donner plus d'ho-
mogénéité a l'administration de l'état, et pour
prononcer d'nne maniere ferme et décidée la
marche du gOllvernement.


Le ministre de la police, Cochon, quoique
un peu disgracié aupres des royalistes, depuis
la ponrsuite des trois ageilts du prétendant et
les circulaires relatives aux élections, n'en était
pas moins tout dévoué a Carnot. Le directoire,
avec les projets qu'il nOllrrissait, ne pouvait
pas laisser la poli ce clans les mains de Cochon.
Le ministre de la gucrre , Pétiet, était en renom
chez les roya listes ; il était la créature dévouée
de Carnot. 11 fallait encore l'exclure, 'pour
qu'il n'y eut pas, entre les armé es et la majorité
directoria le, un' ennemi pour intermédiaire.
Le minist¡'e de l'íntérieur, Bénézech, adminis-
trateur excelIent, courtisan docHe, n'était a




:!20 UÉVOLUTION }'RAN~AISE.
craindre pour aucun parti; mais 011 le suspec-
tait a cause de ses gouts connus et de l'indul~
gence des journaux royalistes a son égard.On
vonlait le changer aussi, ne fUt-ce que pour
avoir un homme plus sur.On avait une entiere
confiance dans Truguet ,ministre de la marine,
et Charles Delacroix, ministre des relations
extériellres; mais des raisons, pllisées dans
l'intéret du service, portaient les dírecteurs a
désirer leur changement. Truguet était en
butte a toutes les attaqlles de la faction roy aliste ,
et il en méritait une parlie par son caractere
halltain et violento C'était nn homme loyal et a
grands moyens, mais n'ayant pas pour les per-
sonnes les ménagements nécessaires a la tete
d'une grande administration. D'ailleurs on
pOllvait l'employer avec avantage dans la car-
riere diplomatiqlle;. lui-meme désirait aIler
remplacer en Espagne le général Pérignon,
pour faire concourir cette puissance a ses
grands desseins sur les Indes. Quant a Dela-
croix, il a prouvé depllis qll'il pouvait bien
administrer un département; mais iI n'avait ni
la dignité, ni l'instruction nécessaires pour re-
présenter la républiqlle aupres des puissances
de l'Europe. D'ailleurs les directeurs avaient
un vif désir de voír al'river aux affaires étrau-
geres un autre personnage : c'était M. de Tal·


,




DIRECTOIRE (1797). 221
leyrand. L'esprit enthousiaste de madame de
Stael s'était enflammé pour l'esprit froid, pi-
quant et profond de M. de Talleyrand. Elle
l'avait mis en communícation avec Benjamín-
Constant, et Benjamin - Constant avait été
chargé de le mettre en rapport avec Barras.
M. de Talleyrand sut gagner Barras et en aurait
gagné de plus fins. Apres s'etre fait présenter
par madame de Stael a Benjamín - Constant,
par Benjamín-Constant a Barras, iI se fit
présenter par Barras a Larévelliere, et ii sut
gagner l'honnete homme comme iI avait gagné
le mauvais sujeto Illeur parut 11. tous un homme
{ort 11. plaindre, odieux a l'émigration comme
partisan de la révolution , méconnu par les pa-
triotes a cause de sa qualité de grand seigneur,
et victime a la fois de ses opillions et de sa
naissance. Il fut convenll qu'on en ferait un
ministre des affaires extérieures. La vanité des
directeurs était flattée de se rattacher un si
grand personnage; et ils étaient assurés d'ail-
lenrs de confler les affaires étrangeres a un
homme instruit, habiIe et personnellement lié
avec toute la diplomatie européenne.


Restaient Ramel , ministre des finan ces , et
Merlín de Douai, ministre de la justice, qlli
étaient odieux allX roya listes , plus que tOllS
les autres ensemble, mais qui remplissaient,




222 UÉVOLUTION }'R A.N~41S:E.
avec autant de úle que d'aptitude, les devoirs
de leur ministere. Les lrois directeurs ne VOll-
laient les remplacer a aucun prix. Ainsi les
trois directeurs devaient, sur les sept minis-
tres, changer Cochon, Pétiet et Bénézech,
pour cause d'opinion; Truguet et Delacroix,
pour l'intéret dll service; et garder ~erlin et
Ramel.


Dans tout état dont les institutions sont re-
présentatives, monarchie 01.1 république, c'est
par le choix des ministres que le gouvernement
prononce son esprit et sa marche. C'est allssi
ponr le choix des ministres que les partís
s'agitent, et ils veulent illfluer sur le chojx ,
autant dans l'interet de leur opinion que dans
ceh~i de leur ambition. Mais si, dan s les partís,
il en est un qui souhaite plus qu'une simple
modification dans la marche du gouvernement
et qui aspire a renverser le régime existant,
celui-la, redoutant les réconciliations, vent
autre chose qu'un changement de ministere,
ne s'en mele pas, OH s'en mele pour l'empe-
cher. Pichegru, et les clichyens qui étaient
dans la confidence du complot, mettaient peu
d'intéret au changement du ministere. Cepen-
dant ils s'étaient appl'ochés de Caruot pour
s'en entretenir ave e lui; mais c'était plutót un
prétexte ponr le soncler et découvrir ses inten-




DIRECTOIRE (J 797).
tions secretes, que pour arriver a un résultat
qui était fort insignifiant a leurs yeux. Carnot
s'était prononcé avec eux franchement et par
écrit, en répondant aux membres quí luí
avaient fait des ouvertures. II avait déclaré
qu'il perirait plulót que de laisser entamer la
constitution ou déslwnorer les pouvoirs qu' elle
avait institués (expressiolls textueIles de l'une
de ses lettres). Il avait ainsi réduit ceux qui
venaient le sonder a ue parler que de projets
constitutionnels, tels qu'un changement de
ministere. Quant aux constitutionnels et a
ceux des clichyens qui étaient moins engagés
dan s la faction, ils voulaient sincerement ob-
tenir une révolutioll ministérielle et s'en tellir
la. Ceux-ci se grouperent donc antonr de Car-
noto Les membrcs des anciens et des cinc¡-
cents, qu'on a déja désignés, Porta lis , Tron-
<;;on-Ducoudray, Lacuée, Dumas, Thibaudeau,
Doulcet-Pontécoulant, Siméon, Émery et au-
tres, s'entretinrent avec Carnot et Barthélemy,
et discuterent les changements a faire dans le
ministere. Les deux ministres, dont ils cIeman-
daient surtout le remplacement, étaient Mer-
lin, ministre de la justice, et Ramel, ministre
des finances. Ayant attaqué particulierement
le systeme financier, ils étaient plus animés
contre le ministre des finances que contre anCllll




2~4 RÉVOLUTION FnAN~AISE.
autre. Ils demandaient aussi le renvoi de Tru-
guet et de Charles Delacroix. Naturellement
ils voulaient garder Cochon, Pétiet et Béné-
zeeh. Les deux directeurs Barthélemy et Car-
not n'étaient pas difticiles a persuader. Le
faible Barthélemy n'avait pasd'avis personnel;
Carnot voyait tous ses amis dans les ministres
conservés, tous ses ennemis dans les ministres
rejetés_ Mais le projet, commode a former dans
les coteries des constitutionnels, n'était pas fa-
cile a faire agréer aux trois autres directeurs,
quí, ayant mf parti pris, voulaient justement
renvoyer ceux que les constitutionnels tenaient
a conserver.


Carnot, qui ne connaissait pas l'union for-
mée entre ses trois collegnes, Rewbell, La-
révelliere et Barras, et qui ne savait pas que
Larévelliere était le líen des deux autres, es-
péra qu'il serait plus facile a détacher. Il con-
seilla done aux eonstitutionnels de s'adresser a
lui, pour tacher de l'amener a leurs vues. lls
se rendirent chez Larévelliere, et trouverent
sous sa modératioll une fermeté invincible. La-
révelliere, peu habitué, comme tous les hom-
mes de ce temps, a la tactique des gouverne-
ments représentatifs, ne pensait pas qu'on put
négocier pour des choix de f\linistres. - Faites
votre role, {lisait-il aux députós, e' est-a-dire




DIRECTOIRE (J 797)'
faite~ des Iois; laissez-nous le nótre, celui de
choisir les fonctionnaires publics. Nous devons
diriger notre chóix d'apres notre conscience
et l'opinion que nous avons du Illérite des in-
dividus, non d'apres l'exigence des partís.-
Il ne savai.t· pas encore, et personne ne savait
alors, qu'il faut composer un ministere d'in-
fluences, et que ces influences il faut les pren-
dre dans les partís existants; que le choixde tel
ou tel ministré, étant une garantie de la di-
rection qu'on va suivre, peut devenir un ob-
jet de ·negociation. Larévelliere avait encore
d'autres raisons de repousser une transactjon;
il avait la conscicnce que lui et son ami Rew-
bell n'avaient jamais vonlu etvoté que le"bien;
iI était assuré que la majorité directoriaJe,
qnelles que fnssent les vnes personnelles des
directeurs, n'avait jamaisvoté autrement;
qu'en finan ces ,sans pouvoirempecher toutes
les malversations suhalternes, elle avait <In
moins administréloyalement, et le moios mal
possible dans les circonstances; qu'en potiti-
que elle n'avait jamais eu d'ambitioÍl person-
nelle, et n'avait rien faitpour étendre ses pré-
rogatives; que, dans la direction de la guerre,
elle n'avait aspiré qu'a une paix prompte, mais
honorable et glorieuse. -Larévelliere ne pou-
vait done comprendre et admettre les repro-


IX. 15




2~6 niVOLUTION Fll.A.N~AISE.
ches adressés au directoíre. Sa bonue con~
science les luí reudaít inintelligibles. Il ne
voyait plus dans les clichyens que des .conspi-
rateurs perfides, et dans les constitutionncls
que des amours-propres froissés. Avec tout le
monde encore, il ignorait qu'il faut admettre
l'humeur bien ou mal fondée des partís comme
un fait, et compter avec toutes les prétentions,
m,e~e, celles de l'amour-propre blessé. D'ail-
leurs, ee qu'offraieot les constitutionnels n'a-
vait rien de tres-engageant. Les troi5 directeurs
coalisés voulaient se donner un ministere ho-
mogene , afin de frapper la faction royaliste;
le~ constitutionnels, au contraire, exigeaiellt un
mi..nistere tout opposé a celui don t les direc-
teurs croyaient avoir besoin dans le danger
.actuel, et ils n'avaient a offriren re tour que
leurs voix, qui étaient peu nombre uses, et que
du reste ils n'engageaient 'sur aueune question.
Leur aUiance n'avait done rien d'assez rassu-
rant pour décider le directoire a les écouter, et
a. se désister de ses projets. Larévelliere ne
Ieur donna aueune satisfaction. lIs se servirent
aupres de lui du géologue Faujas de Saint-
Fonds, avec lequel il était lié par la conformité
des gouts et des études; tout fut inutile. Il
finit par répondre : - Le jour ou vous nous
attaquerez, vous nous trouverez prets. Nous




DlRECTOIRE (J 797).
vous tuerons, mais politiquement. Vous vou-
lez notre sang, mais le votre ne coulera paso
Vous serez réduits seulement a l'impossibilité
de nuire.


CeUe fermeté fit désespérer de Larével-
liere. Carnot conseilla alors de s'adresser a Bar-
ra&, en doutant toutefois du succes, cal' il con·
naissait sa haine. L'amiral Villaret-Joyeuse, un
des membres ardents de l'opposition, et que
son gout pour les plaisirs avait souvent rap-
proché de Barras, fllt chargé de lui parlero Le
facile Barras, qui promettait a tout le monde,
quoique ses sentiments fussent a~ fond assez
décidés, fut en apparence moins désespérant
que Larévelliere. Sur les quatre ministres
dont les constitutionnels demandaient le chan~
gement, Merlin, Ramel, Truguet et Delacroix,
il consentit a en changer deux, Truguet et De-
lacroix. C'était ainsi convenu avec RewbelI et
Larévelliere. Il pouvait done s'engager pour
ces deux-la, et ii promit leur renvoi. Cepeo-
dant, soít qll'avec sa facilité ordinaire, il pro-,
mit plus qu'il ne voulait tenir, .soit qu'il vouhit
tromper Carnot et l'engager a demander llli~
meme le changement des ministres, soít qu'oll
interprétat trop favorablement son langage
ordiuairement ambigu, les constitutionnels
vinrent annollcer a Carnot que Barras consen-


J 5.




'1 'lB RÉVOL1JTION FRAN~AISE.
tait a ton t. et voterait avec lui sur chacull des
ministres. Les constitutiollnels demandaient
que le changement se fit sur-Ie-champ. Carnot
et Barthélemy, doutant de Banas, hésitaient
a prendre l'initiative. On pres!)ait Barras de la
preudre, et il répondait que les journaux étant
fort déchainés dans ce moment, le directoire
paraitrait céder a leUl' violence. On essaya de
fair,e taire les journaux; mais pendant ce temps,
Rewbell et Larévelliere, étrangers a ces in-
triglles, prirent eux - memes J.'initiative. Le
28 messidor, Rewbell déclara dans la séance
du directoire, qll'il étaít temps d'ell finir, qú'il
fallait faire cesser les flllctuations du gouvel'-
nement, et s'occuper du changement des mi-
nistres. Il demanda qu' on procédflt sur-le-champ
au scrutin. Le scrutin fut secreto Truguet et De-
lacroix, que t.out le monde était d'accord de
remplacer, furent exclus a l'unanimit.é. Quant
a Ramel et a Merlín, que les constitutionnels
seuls voulaient remplacer, ils n'eurent contre
eux que les deux voix de Carnot et de Barthé-
lemy, et ils furent maintenus par ceHes de Rew-
bell, Larévelliere et Barras. Cochon, Pétiet et
Bénézech furent destitués parles trois voix qui
avaient soutenu Merlín et Ramel. Ainsi le plan
de réforme, adopté par la majorité directo-
riale , était accompli. Carnot se voyant joué,




DIRECTOIRE (1797)· 229
voulait différerau moins la nomination (les suc-
cesseurs, en disant qu'il n'était pas pret a faire
un choix. On lui répondit durement qu'un di-
recteur devait toujours etre préparé, et qu'il
ne devait pas destituer un fonctionnaire san s
avoir déja fixé ses idées sur le rempla<;;ant. On
l'obligea a voter ·sur-Ie-champ. Les cinq succes-
seurs furent nommés par la grande majorité.
On avait conservé Ramel aux fillances, Merlin
a la justice; on nomma aux affaíres étrangeres
M. de Talleyrand; a la marine un vieux et brave
marin, administrateur excellent, Pléville Le
Peley; a l'intérieur un homme de leures assez
distingué, mais plus disert que capable, Fran-
f,;ois de Neufchateau; a la police Lenóir-Laro-
che, homme sage el éclairé, qui écrivait dans
le 1I1oniteur de' bons articles potitiques; enfin
a la guerre le jeúne' et brillant général sur le-
quel on avait résolu de s'appuyer, Hoche. Ce-
] ui-ci n'avait pas l'age requis par la constitution,
e' est-a-dire trente ans .. On le savait,' mais Laré-
velliere avait proposé a ses dellx collegues,
Rewbell el Barras, de le nommer, sauf a le
remplacer dans deux jours, afin de se Fatta-
cher, et de donner un témoignage flatteur aux
armées. Aillsi tOllt le monde concourut a ce
changement, qui devint décisif, comme on va
le voir. Il est assez ordinaire de voit· tes pal·tis




:¡3o RÉVOLUTION liRAN<;AISE.
contribuera un meme événement,qu'i1scroient
devoir Ieur profiter. Ils concourent tous a le
produire; mais le plus fort décide le résultat
en sa faveur.


N'aurait-il pas eu l'orgueille plus irritable,
Carnot devait etre indigné, et se croire joué
par Barras. Les membres du corps législatif
qui s'étaient entremis dans la négociation cou-
rurent chez lui, recueillirent tous les détails
de la séance qui avait eu lieu au directoire, se
déchainerent contre Barras, l'appelerent un
fourbe, et firent éclater la plus grande indi-
gnation. Mais un événement vint augmenter
l'effervescence, et la porter au comble. Hoche,
sur l'avis de Barras, avait mis ses troupes en
mouvement, dans l'intention de les diriger
effectivement sur Brest, maisde les arreter
queJques jours dans les environs de la capi-
taje. Il avait choisi la légion des Francs, com-
mandée par Rumbert; la division d'infanterÍe
Lemoigne; la divisioll des chasseurs a cheval,
commandée par Richepanse; un régiment d'ar-
tilleríe; en tout quatorze a quinze mille hom-
mes. La division des chasseurs de Richepanse
était déja arrivée a La Ferté-Alais, a onze lieues
de París. C'était une imprudence, car le rayon
constitutionnel était de donze lieues, et, en
attendant le moment d'agir, iI ne fallait pas




DIRECTOIll.E (1797)'
franchir la límite légale. Cette imprudence était
due a l'erreur d'un commissaire des guerres,
qui avait transgressé la loi, sans la connaitre.
A cette circonstance facheuse s'en joignaient
d'autres. Les troupes, en voyant la direction
qu'on leur faisait prendre, et sachant ce qui
se passait dans l'intérieur, ne doutaient pas
qu'on ne les nt marcher sur les conseils. Les
officiers et les soldats disaient en route qu'ils
allaient meUre a la raison les aristocrates de
Paris. Hoche s'était contenté d'avertir le mi-
nistre de la guerre d'un mouvement général
de troupes sur Brest, pour l'expédition d'lr-
lande.


Toutes ces circonstances indiquaient aux di-
vers partis qu'on touchait a quelque événe-
ment décisif. L'opposition et les ennemis du
gouvernement redoublerent d'activité pour pa-
rer le coup qui les mena<;ait; et le directoire,
(le son coté, ne négligea plus rien pour hater
Pexécution de ses projets et s'assurer la vic-
toirc; et on yerra ci-apres qu'il y réussit plei~
nement.


-iIiU¡¡'"






DIRECTOIRE (1 797)' 2.33


CHAPITRE IV.


COllcentration de tl'ollpes autour de Paris. Changements
dans le ministere. - Préparatifs de l'opposition et des
c1iehyens contre le direetoire. - Luttc des conseils
avec le direetoire. Projet de loi sur la garde nationale.
Loi contre les sociétés politiques. _ Féte a l'armée
d'Italie. Manifestations politiques. - Augereau est mis
a la tete de5 forces de Paris. - Négociations pour la
paix avec l'empereur. Conférences de Lille avec I'An-
gleterre. - Plaintes des conseils sur la marche des
tl'oupes. Message énergique du directoire a,ce sujeto -
I>ivisions dans le parti de I'opposition. - Influence de
Mmc de Stael; tentative infructueuse de réconciliation.
- Réponse des conseils au message du directoire. -
Plan définitif du directoire contre la majorité des con-
seils.- Coup d'état du 18 fructidor. Envahissement des
deux conseils par la force armée. Déportation de 53
députes et de deux directeurs, et autres citoyens. -
Diverses lois révolutionnaires sont remises en vigucur.
Conséquences de ecHe révolutÍon.


LA nouvelie de I'arri\'ée des crasseurs de




234 RÉVOLUTlON FRA.l'r~AISE.
Richepanse, les détails de leur marche et de
leurs propos, parvinrent au ministre Pétiet le
28 messidor, jour meme ou le changement de
ministere avait lieu. Pétiet en instruisit Carnot;
et, a l'instant ou les députés étaient accourus
en foule pour exhaler leurs ressentiments con-
tre la majorité directoriale, et exprimer leurs
regrets aux ministres disgraciés, ils apprirent
en meme temps la marche des troupes. Car-
not dit que le directoire n'avait, a sa eonnais-
sanee, donné aueun ordre; que peut-etre les
trois autres direeteurs avaient pris une déli-
bération particuliere, mais qu'alors elle devait
etre sur le registre secret, qu'il allait s'en as-
surer, et (¡u'il ne fallait pas dévoiler l'événe-
ment, avant qu'il eut vérifié s'il existait des
ordres. Mais on était trop irrité pour garder
aucune mesure.


Le renvoi des ministres, la marche des trou-
pes, la nomination de Hoche a la place de Pé-
tiet, ne laisserent plus de doute sur les inlen-
tions du directoire. On déclara qu'évidemment
le directoire voulait auenter a l'inviolabilité
des conseils, faire un nouveau 31 mai, et pros-
crire les députés fideles a la constitution. On
se réunit chez Tron<;on-Ducoudray, qui était,
daus les anciens, l'un des i)erSollllagcs les plus
influents. Les clichycns, suivant la couturne




D1RECTOJRE (1797)' ~35
ordinaire des partís extremes, avaient vu avec
plaisir les modérés, c'est-a-dire les constitu-
tionnels, dé~us dans leurs espérances, el trom-
pés dans leur projet de composer un ministere
a lenr gré. Ils les considéraient comme dupés
par Barras, et se réjouissaient de la duperie.
Mais le danger cependant leur parut grave,
qualld ils virent s'avancer des troupes. Leurs
deux généraux, Pichegru et Willot, sachant
que ron courait chez Tronc;on-Ducoudray,
pour conférer sur les événemeuts, s'y rendirent,
quoique la réunion fUt composée d'hommes
qui ne suivaient pas la meme direction. Piche-
gru n'avait encore sous la main aucun moyen
réel; 5a seule ressource était dans les passions
des partis, et iI fallait courír la ou elles écla ..
taient, soit pOOl' observer, soit ponr agir. Il
y avait dans Celte réunion Portalis, Tron<,¡on-
Docoodray, Lacuée, Dumas, Siméon, Doulcet-
Pontécoolant, Thibaudeau, Villaret-Joyeuse,
WillotetPichegru.On s'animaheaucoup, comme
iI était naturel; on parla des projets du direc-
toire; on cita des propos de Rewbell, de La-
révelliere, de Banas, qui annoIl~aient un partí
pris, et on conclut du changement de minis-
tere et de la marche des troupes, que ce par ti
était un coup d'état contre le corps législatif.
On proposa les résolutions les plus violentes,




236 RÉVOr.UTION FRAN~AISE.
eomme de suspendre le direetoire, et de le
mettre en accusation, ou llH~me de le mettre
hors la loi. Mais pour exécuter toutes ces ré-
soIutiollS, iI fallait une force, et Thibaudeau,
ne partageant pas l'entrainement général, de-
mandait OU on la prendrait. ·On répondait a
cela qu'on avait les douze eents grenadiers du
corps législatif, une partie du 21 e régiment
de chasseurs, commandé par Malo, et la garde
natiollaIe de Paris; . qu'enattendant la réor-
ganisation de cette garde, on pourrait envoyer
dans chaque arl'ondissement de la capital e des
pelotons de grenadiers, pour rallier autour
d'eux les citoyens qui s'étaient armés en ven-
démiaire. On parla beaueoup sans parvenir a
s' entendre, eomme iI arrive toujours quand les
moycns ne sont pas réels. Piehegru,· froid et
concentré eomme a son ordinaire, fit sur l'iu-
suffisallee et le danger des moyens proposés,
quelques observations, dont le calme contras-
taít avec l'emportement général. On se sépara,
on retourna chez Carnot, chez les ministres
disgraeiés. Carnol désapprouva tous les pro-
jets proposés contre le directoire. On se réunit
une seconde foís chez Tron~on-Ducoudray;
mais Pichegru et Willot n'y étaient plus. On
divagua eneore, et, n' osant recourir aux moyens
violents, on finit par se retrancher dans les




· DIRECTOIRE (1797)'
moyensconstitutionnels.On se promitdedeman-
oer la loi sur la responsabilité des ministres, et
la pr0f!1pte organisation de la garde nationale.


A Clichy, on déclamait comme ailleurs, et
on ne faisait pas mieux; car si les passions
étaicnt plus violentes, les moyens n' étaient pas
plus grands. On regrettait surtout la police,
qui venait d'etre enlevée a Cochon, et on re-
venaít a I'U11 oes projets favoris de la. faction,
celui d'üter la police de Paris au direetoire, et
de la donner au corps législatif, en for~ant
le sens d'un article de la constitution. On se
proposait en meme temps oe eonfier la diree-
tion de cette police a Cochon; mais la propo-
sition était si hardie a faire, qu'on u'osa pas 1;1
mettre en projet. On s'arreta a l'idée de chi-
caner sur l'ligc de Barras, qui, disait-on, n'a-
vait pas quarante ans, lors de sa nomination
au directoire, et de demander l'organisation
instantanée de la garde nationale.


Le 30 messidor (18 jnillet) en eftet, il Y
eut grand tumuIte aux cinq-cents. Le député
Delahaye dénon~a la marche des troupes, et
demanda que le rapport sur la garde nationale
fut faít sur-Ie-champ. On s'emporta contre la
conduite du directoire; on peignit avec effroi
l'état de París, l'arrivée d'une multitude de ré-
volutionnaires connus, la nouvelle formatioll




238 RÉVOLUTIOlf FRAN~AISE.
des clubs, et on demanda qu'une discussion
s'ouvrit sur les sociétés politiques. On décida
que le rapport sur la garde natÍonale seraít fait le
surlendemain, et qu'immédiatement apres s' ou-
vrirait la discussion sur les clubs. Le surlende-
main, 2 thermidor (20 juillet), on avaitde nou-
veaux détails sur la marche des troupes, sur
leur nombre, et on savait qu'a la Ferté-Alais,
ilse trouvait déjaquatre régimentsde cavalerie.


Pichegru fit le rapport sur l'organisation de
la garde nationale. Son projet était conc;u de
la maniere la plus perfide. Tous les Fran~ais
jouissant de la qua lité de citayen devaient
etre Ínscrits sur les roles de la garde nationale;
mais tous ne devaient pas eomposer l'effeetif
de eette garde. Les gardes nationaux faisant
le serviee devaient etre ehoisis par les autres,
c'est-a-dire élus par la masse. De cette manie~e
la garde nationale était formée, eomme les con-
seils, par les assemblées électorales;, et le ré-
sultat des élections indiquait assez queIle es-
pece de garde on obtienclrait par ce moyen.
Elle devait se composer d'Ull bataillon par can-
ton; dans chaque batailloll il devait y avoir
une compagnie de grenadiers et de chasseurs,
ce qui rétablissait ces compagnies d'élite, ou
se groupaient toujours les homOles les plús
prononcés, et dant les partis se servaient or-




DIRECTOIRE (1797)'
dinairement pour l' exécution de leurs vues.
On voulait voter le projet sur-le-champ. Le
fougueux: Henri Lariviere prétendit que tout
annon~ait un 3 I mai. - AlIons done, alIons
donc,lui crierent en l'interrompant, quelques
yoix de la gauche.-Oui, reprit-il, mais je me
rassure en songeant que nous sommes au ~
thermidor, et que nous approchons du 9, jour
fatal aux ty'rans. - Il voulait qu' on votat le
projet a l'instant, et qu'on envoyat un message
&m¿ aneiens,. pour les engager a rester en
séance, afin qu'ils pussent aussi voter sans dé-
semparer. On combattit ceUe proposition.
Thibaudeau, chef du parti constitutionnel, 6t
remarquer avee raison que, quelque diligence
qu'on déployat, la garde nationale ne serait
paS organisée avant un moís; que la précipi-
tation a voter un projet important serait done
inutiJe pour garantir le eorps Jégislatif des dan-
gers dont on le mena~ait; que la représenta-
tion nationale devait se renfermer dans ses
droits et sa dignité, et ne pas che:reher sa force
dans des moyans actuellement impuissants.Il
proposa uue discussion réflé<;hie. On adopta
l'ajournementa vingt-quatl'e heures, pour l'exa-
men du projet,endécrétant cependant tO\lt de
suite le principe de la réorganisation. Dans le
moment, arriva un message du directoire, qui




~4o RÉVOLUTION FRAN«;AISE.
donnait des explications sur la marche des
troupes. Ce message disait que, dirigées vers
une destination éloignée, les troupes avaient
dti passer pres de Paris, que par l'inadvertance
d'un commissaire des guerres elles avaient
franchi la limite constitutionnelle, que l'er-
reur de ce commissaire était la seule cáuse de
cette infraetion aux lois, que du reste les trou-
pes avaient re~u l'ordre de rétrograder sur-le-
ehamp. On ne se contenta pas de eette ex-
plieation; on déclama denouveau avec une
extreme véhémence, et on nomma une eom-
mission pour examiner ce message, et faire un
rapport sur I'état de Paris et la marche des
troupes. Le lendemain on commen~a a dis-
euter le projet de Pichegru, et on en vota
quatre articles. On s'occupa ensuite des clubs,
qui se renouvelaient de tontes parts, et sem-
blaient annoncer un ralliement du parti jaco-
bino On voulait les interdire absolurnent, paree
queles lois qui les limitaient étaient toujours
éliIdées. On décréta qu'aucune assemblée po-
litique ue serait permise a l'avenir. Ainsi, la
société de Clichy commit sur elle-meme' une
espece de suicide, et consentít a ne plus exis-
ter, a eondition de détl'uire le cercle constitu-
tionnel, et les autres clubs subalternes qui se
formaient de toutes parts. Les chefs de Clichy




DIRECTOIllE (1797).
n'avaient pas besoin, en effet, de cette turoul-
tuense réuniou pour s'entendre, et ils pouvaient
la saerifier, sans se priver d'une grande res-
souree. Willot dénonc:a ensuite Barras, eorome
n'ayaut pas l'age requis par la constitution,
a I'époque ou il avait été noromé direeteur.
Mais les registres de la gu~rre compulsés,
prouverent que c'était une vaine chicaneo Pen-
dant ce temps, d'autres trollpes étaient arri-
vées a Reims; OIl s'alarma de nouveau. Le
directoire ayant répété les mellles explications.
011 les déclara encore illsuffisantes, et la com-
mission déja nOllllllée resta chargée d'une en-
quete et d'un rapport.


Hoche était arrivé a Paris, car il devait y
passer, soit qu'il dul aller a Brest, soit qu'il
eut a exéeuter un eoup d'état. II se préserita
sans crainte au direetoire, certain qu' en faisant
mareher ses divisions, il avait obéi a la majo-
rité direetoriale. Mais Carnot, qui était dan s
ce moment présidell t d u direetoire, chercha a
l'intilllider; ¡l· lui dem.mda en vertu de que!
ordre il avait agi, et le menac;a d'uné accusa-
tion, pour avoir franehi les límites eonstitu-
tionnelles. Malheureusement RewheH et Laré-
velliere,qui n'avaient pasété informésde l'ordre
donllé aHoebe, ne pouvaientpas venir a son se-
eours. Barras, qui avait donné cet ordre, n'a-


IX. IR




242 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
vait pas osé prendre la parole, et Hoche restait
exposé aux pressantes questions de Carnot.
n répondait qu'il ne ponvait aller a Brest sans
troupes; a quoi Carnot répliquait qu'il y avait
encore quarante-trois mille hommes en Bre-
tagllc, nombre suffisant pour l'expédition.
Cependant Larévelliere voyant l'embarras de
Hoche, viut enfin a son secours, lui exprima
au nom de la majorité du directoire l'estime et
la confiance qu'avaient méritées ses services,
l'assura qu'il n'était pas question d'accusation
contre lui, et tit le ver la séance. Hoche courut
chez Larévelliere pour le remercier; il apprit
la que Barras n'avait informé ni Rewbell ni La-
révelliere du mouvement des troupes, qu'il
avait donné les ordres a leur ins~u; et il fut
indigné contre Barras, 'qui, apres l'avoir com-
promis, n'avait pas le cOllrage de le défendre.
Il était évident que Barras, en agissaot a part,
sans en prévenir ses deux collegues, avait
voulu avoir seul dans sa main les moyeos
d'exéclltioll. Hoche indigné traita Barras avec
sa hauteur ordinaire, et vona a Rewbell et a
Larévelliere toute son estime. Ríen n' était
encore pret ponr l'exécution du projet que
méditaient les trois directeurs, et Barras, en
appelant Hoche, l'avait inutilement compro-
mis. Hoche retonrna sur-Ie-champ a son quar-




DIRECTOIRE (1797)'
tier-général, qui était a Wetzlar, et fit can-
tonner les troupes qu'il avait amenées dans
les environs de Reims et de Sedan, 011 elles
étaient a porté e encore de marcher sur París.
Il était fort dégouté par la conduite de Barras
a son égard, mais il était pret a se dévouer
encore , si Larévelliere et Rcwbell lui en don-
naient le signa!. Il était tres-compromis; on
parlait de l'accn.ser; mais il attcndait avec fer-
meté au milieu de son quartier-général ce que
la majorité des cinq-cents déchainée contre
lui pourraít entreprendre. Son age ne lui ayant
pas permis d'accepter le ministere de ]a guerre,
Schérer y fut appelé a sa place.


L'éclat qui venait d'avoir lieu, ne permettait
plus d'employer Hoche a l'exécution des pro-
jets du directoire. D'ailleursl'importance qu'llne
telle participation allait luí donner, pouvait
excÍter la jalollsüi des autres générallx. 11 n'é-
tait pas impossibl~ que Bonaparte trouvat mau-
vais qu'on s'adressat a d'autres qu'a lui. On
pensa qu'il val1drait mieux ne pas se servir
de l'un des généraux en chef, et prendre l'un
des divisi.onnaires les plus dis1ingués. On ima-
gina de demander a Bonaparte un de ces gé-
néraux devenus si célebres sous ses ordres;
ce qlli aurait l'avantage de le satisfaire per-
sonne]Jement, et de ne blcsser en meme tem ps


[o.




~44 RÉVOLUTION FRAN!,?AISE.
aucun des généraux en chef. Mais tandis qu'on
songeait a s'adresser a lui, iI intervenait dans
la querelle, d'une maniere foudroyante pour
les contre-révolutionnaires, et au moíns em-
barrassante pour le directoire. Il choisit I'an-
niversaire du 14 juiJlet, répondant au 26 mes-
sidor, ponr donner une fete al/X armées, et
faire rédiger des aoresses sur les événements
qui se préparaient. Il fit élever a Milan une
pyramide portant des trophées, et le nom de
tous les soldats et officiers morts, pendant la
campagne d'Italie. e'est autour de cette pyra-
mide que fut céIébrée la fete; elle fut magni-
fique. Bonaparte y assista de sa personnc, et
adressa a ses soldats une proclamation mena-
~ante. c( SoIdats, dit-il, e'est aujourd'hui l'an-
« niversaire du 14 juillet. Vous voyez devant
«( vous les noms de nos compagnons d'armes
(l morts au champ d'honneur, pour la liberté
« de la patrie. lIs vous ont donné l'exemple.
« Vous vous devez tout entiers a la républi-
« que; vous vous devez tOl1t entiers au bon-
(e hcur de trente millions de Fran<,;~is; vous
« vous devez tout entiers a la gloire de ce nom
« qui a re<,;u un nouvel éclat par vos victoires.


« Soldats! je sais que vous etes profondé-
« ment affectés des malheurs qui l~enacent la
« patrip" Mais la patrie ne peut cOllrir de dan-




DIRECTOIRE (1797)'
(( gers réels. Les memes hommes qui I'ont faít
cc triompher de l'Europe coalisée, sont la. Des
«( montagnes nous séparent de la France; vous
«( les franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'ille
« fallait, pour maintenir la cOllstitution, défen·
« dl'e la liberté, et protéger les républicains.


« Soldats! le gouvernement veille sur le dé-
« pot des lois qui lui est confié. Les royalistes,
ec des I'instant qu'ils se montreront, auront
« vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par
« les manes des héros qui sont morts a coté de
(e nous pour la liberté, jurons sur nos dra-
e( peanx, guerre implacable aux ennemis de la
ce république et de la constitution de l'an 31 »


n y eut ensuite un ballquet ou les toast5 les
plus énergiqlles furent portés par les gélléraux
et les ofiiciers. Le général en chef porta un
premier toast aux hraves Stengel, Laharpe,
Dllbois, morts au champ d'honneur. e( Puis-
sent leurs manes, dit-il, veiller autour de nous,
et nous garantir des embuches de nos enne-
mis! » Des toasts furent ensuite portés a la
constitution de l'an ,3, au directoire, au con-
seil des anciens, aux Fran~ais assassinés daus
V érone, a la réémigration des émigrés, a I'u-
Ilion des répnhlicains fran~ais, a la destruction
du club de Clichy. On sonna le pas de charge
a ce dernier toast. Des fetes semblables eurent




246 RÉVOLUTION fORAN<;:AISE.
líen dans toutes les villes ou se trouvaient les
divisioIls de l'armée, et elles furent céIébrées
avec le meme appareil. Ensuite on rédigea dans
chagnc division, des adresses, encore plus si-
gnificatives que ne l'était la proclamation du
général en chef. Il avait observé dan s son lan-
gage une certainc dignité; mais tout le style
jacohin de 93 fut étalé dans les adresses des
différentes divisions de l'armée. Les divisions
Masséna, Joubert ,Augereau se signalerent.
CeHe d'Augereau surtout dépassa toutes lesbor- o
nes: O conspirateurs, disait-elle, tremblez! de
l'Adige el du Rhin ti la Seine, iln'y a qu'un
paso Tremblez! vos iniquités sonl comptées, el
le pl'ix en est au bout de nos bai"onnettes.


Ces aoresses furent couvertes de milliers de
signatures, et envoyées au général en chef. n
les réunit, et les envoya au directoire, avec sa
prodamation, pour qu'elIes fussent imprimées
et publiées dans les journaux. Dne pareille dé-
marche signifiait assez claírement gu'il était
pret a marcher pomo combattre la faction for-
mée dans les conseíls, et preter son secours a
l'exécution d'nn conp d'état. En meme temps,
comme il savait le directoire divisé, gu'il voyait
la scene se com pliquer, et q n'il vouIait etre
instruít de tout, il choisit un de ses aides-de-
camp, M. de Lavalette, qui jOllissait de toute




ll1RECTOIRE (1797)'
sa confiance, et qui avait la pénétration né-
cessaire pour bien juger les événements; ji le
6t partir pOOl' París avec ordre de tOllt observer
et de toot recueilJir; iI fol.t en meme temps offrir
des foneIs au directoire, en cas qu'il en eut be-
soin , s'il avait quelque acte de vigueur a tenter.


Quand le directuire re<,;ut ces adresses, il
fut extremement embarl'assé. Elles étaient en
quelque sorte illégales, car les armées ne pon-
vaÍent pas délibél'er. Les accueillir, les pu-
blier, c'était autoriser les armées a intervenir
dans le gouvernement de l'état, et livrer la ré-
publique a la puissance militaire. Mais pou-
vait-un se sauver de ce péril? En s'adressant a
Hoche, en lui demandant des troupes, en de-
mandant un général a. Bonaparte, le gouver-
nement n'avait-il pas llli-meme provoqué cette
intervention? Obligé de recourir a la force,
de viuler la légalité, pouvait - il s'adresser a
d'autres sOlltiens que les armées? Recevoir ces
adresses, u'était que la conséquence de ce
qu'on avait fait, de ce qu'ou avait été obIigé
de faire. Telle était la destínée de notre mal-
heureuse république, que pon!' se soustraire a
ses ennemis, elle était obligée de se livrer aux
armées. e'est la crainte de la contre-révolution
qui, en 1793, avaÍt jeté la république dans les
exces et les furellrs dont on a vu la triste his-




248 RÉVOLUTJON FRAN!.;AISI':.
toire; c'est la crainte de la contre-révolution
qni, aujourd'hui, l'obligeait a se jeter dans les
bras des militaires; en un mot, c'était toujours
pour f(Jir le meme danger, que tantót elle avait
recours aux passions, tantót aux baionnettes.


Le dlrectoire eut bien voulu cacher ces adres-
ses, et ne pas les publier a cause du mauvais
exemple; mais il aurait horriblement blessé le
gélléral, et J'eut peut-etre rejeté vers les enne-
mis de la république. Il fut donc contraint de
les imprimer, et de les répanore. Elles jeterent
l'effroi d~llS le partí clichyen, et lui firent sen-
tir cambien avaÍt été grande son- impruoence,
quand il avait attaqllé, par la motÍon de Du-
molard, la conduite du général Bonaparte a
Venise. Elles donIH3rent lien a de nouvelles
plaintes dan s les conseils : on s'éleva conlre
cette intervention des armées, on dit qu'elles
ne devaient pas délibérer, et OJl vit la une nou-
velle prenve des projets implltés an directoire.


Bonaparte causa un nouvel embarra .. au gOIl-
vernement, par le général divisionnaire qu'il
lui envoya. Augereau excitait dans l'armée tine
espece de trouble, par la violen ce de ses opi-
nions, tout-a-fait dignes du faubourg SaiJ.lt-
Antoine. Il était toujours pret a entrer en que-
relle avec quiconque n'était pas aussi vioJent
que Jui; et Bonaparte craignait UIle rixe entre




DI RECTOIRE (1797).
les généraux. Pour s'en débarrasser, iI l'en-
vaya a11 directoire, pensant qu'iI serait tres-
han pour l'usage auquel on le destinait, et qu'il
serait mieux a Paris qu'au quartier-général, ou
l'oisiveté le rendait dangereux. Augereau ne
demandait pas mieux; car il aimait autant les
agitations des clubs que les champs de bataiJIe,
et iI n'était pas insensible a I'attrait du pOllvoir.
Il parrit sllr-Ie-champ, et arriva a Paris dans le
milieu de thermídor. Bonaparte écrivit a son
aide-de-camp, Lavalette, qu'il envoyait Al1ge-
reau paree qu'il ne pouvait plus le garder en
ltalie; il'uí recommanda de s'en défier, el de
continuer ses ohservations, en se tenant tOll-
jOllrs a parto Il lui recommanda aussi d'avoir
les meilLeurs procédés envers Carnot; ear en
se pronon<,;allt hautement pOllr le direetoire,
eontre la faetion contre-révollltionn'aire, iI ne
voulait entrer ponr rien dans la querelle per-
sonnelle des directeurs.


Le directoire fut tres-peu satisfait de voir
arriver Angereau. Ce généraI eonvenait bien a
Barras, qui s'entoürait volontiers des jacobins
et des patrio tes des faubourgs, et qui parIait
toujours de monter a cheval; mais iI convenait
peu a Rewhell, a Larévelliere, qui auraient
voulll un généraI sage, mesuré, et qui put, au
besoin. f~lire cause commune avec eux eontre




250 RÉVOLUTlON FRANC;;AISE.


les projets de Barras. Augereau étaÜ on Be peut
pas plus satisfait de se voir a París, pour une
missioll pareille. C' était un brave homme, ex-
eeHent soldat, et ereur généreux, mais tres-
vantard, et tres-mauvaise tete. Il allait dans
Paris, reeevant des f~tes, jouissant de la célé-
brité que lui valaient ses beaux faits d'armes,
mais s'attribuant une partie des opérations de
l'armée d'ltalie, laissant croire volonliers qu'il
avait inspiré au général en chef ses plus beBes
résolutions, et répétant a tout propos qu'il
venait mettr'e les aristocrates a la raison. La-
révelliere et Rewhell , tres-taehés de eette eon-
duite, résolurent de l'entourer, et, en s'adres-
sant a sa vanité, de le ramener a un peu plus
de mesure. Larévelliere le earessa beaueoup,
et réussit a le subj uguer, moitié par des flat-
teries adroites, moitié par le respeet qu'il sut
luí inspirer. Il lui fit sentir qu'il ne fallait pas
se déshonorer par une journée sanglante; mais
acquérir le titre de sauveur de la république,
par un acle énergique et sage, qui désarmat
les factieux sans répandre de sango Il calma
Augereau, et parvínt a le rendre plus raísonna-
ble. On lui don na sur-Ie-champ le commallde·
ment de la dix-septieme division militail'e, qui
comprenait París. Ce nouveau fait indiquait
assez. les intentions du directoire. Elles étaient




llJRECTOIRE i,(797)' 251
arretées. Les troupes de Hoche se trouvaient
a quelques marches; on n'avait qu'un signa! a
e/onner pour les faire arriver. On attendaít les
fonds que Bonaparte avait promis, et qu'on ne
voulait pas prendre dans les caisses, pour ne
pas compromettre le ministre Ramel, si exac-
tement surveillé par la commission des finan ces.
Ces fonds étaient en partie destinés a gagner
les grenadiers duo corps législatif, alors au
nombre de douze cents, et qui, san s etre
redoutables, pouvaient, s'ils résistaient, amener
un combat; ce que l' on tenait par-dessus tout
a éviter. Barras, toujours fecond en intrigues,
s'était chargé de ce soin, et c'étaít le motif quí
faisait différer le coup d'état.


Les événements de l'intérieur avaient la plus
funeste influence sur les négociations si impor-
tantes, entamées entre la république et les
puissances de l'Europe. L'implacable faction,
conjurée contre la liberté et le repos de la
France, allait ajouter a tous ses torls, celui de
compromettre la paix, depuis si long-temps
attendue.I"ord Malmesbury était arrivé a Lille,
et les ministres autrichiens s'étaient abouchés
a Montebello avec Bonaparte et Clarke, quí
étaient les deux plénipotentiaires chargés de
représenter la France. Les préliminaires de
Léobell, signés le 29 germinal ( 18 avril) ,




25~ RÉVOLUTION FHAN9AISE.
portaient que deux con gres seraient ouverts,
l'un général a Berne, pour la paix avec l'empe-
reur et ses alliés , l'autre particulier a Rastadt ,
pour la paix avec l' em pire; que la paix avec
l'empereur serait conclue avant trois mois, sous
peine de nullité des préli minaires; que rien ne
serait faít dans les états vénitiens que de
concert avec l'Autriche, mais que les provillees
vénitiennes ne seraient occupées par l'empe-·
reur qu'apres la conclusion de la paix. Les
événements de Venise semblaient déroger un
peu a ces conditions, et l'Autriche s'était hMée
d'y déroger plus formellement de son cOté, en
faisant occuper les provinces vénitiennes de
l'Istrie et de la Dalmatie. Bonaparte ferma les
yeux sur eette ínfraction aux préliminaires,
pour s' épargner les récriminations a l' égard de
ce qu'il avait fait a Venise, et de ce qu'il allait
faire dans les Hes du Levant. L'échange des
ratifieations cut líen a Montebello, pres de
Milan, le 5 praihal ( 24 mai). Le marquis de
Gallo, ministre de Naples a Vienne, était
l'envoyé de l'emperel1r. Apres l'échange des
ratifications, Bonaparte conféra avee M. dé
Gallo, dans l'illtention de le faire renoneer a
l'idée d'nn congres a Berne, et de l'engager a
traiter isolémcnt en Italie, sans appeler les
alltres puissances. Les raísons qn'i! avait a




DIRECTOIRE (J 797)'
donner, dans l'intéret meme de l' Autriche ,
étaient excellentes. eomment la Russie et l' An-
gleterre, si elles étaient appelées a ce congres,
pourraient-elles consentir a ce que l' Autriche
s'indemllisat aux dépens <le Venise, dont elles-
memes convoitaient les possessions? C' était
impossible, et l'intéret meme de l'Autriche,
autant que celui d'une prompte conclusion,
exigeait qup ron conférat sur-Ie-champ, et en
ltalie. M. de Gallo, homme spirituel et sage,
sentait la force de ces raisons. POllr le décider,
et entratner le cabinet autrichien, Bonaparte'
tit ulle concession d'étiquette, a laquelle le
cabinet ele Vieune attachait une grande impor-
tance. L'empereur· craignait toujours que la
république ne voulut rejeter l'ancien cérémonial
des rois de France, et n'exigeat l'alternative
dans le protocole des traités. L'empereur voulait
toujours etre nommé le premier, et conserver
a ses amoassadenrs le pas sur les amba5sadeurs
de la France. Bonaparte 1 qui s' était faí l autoríser
par le directoire a céder sur ces miseres, ac-
corda ce que demandait M. de Gallo. La joie
fut si grande, que sur-Ie-champ M. de GaHo
adopta le principe d'une négociation séparée a
MontebelIo, et écrivit a Vienne po u!' obtenir
des pOllvoirs en conséquence. Mais le viellx
Thugut, fatigué, humoriste, tout attaché au




254 RÉVOLUTION FRANt:,:AISE.
systeme anglais, et offrant achaque instant 5a
démission, depuis que la cour, influencée par
l'archiduc Charles, sembl;lit abonder dans un
systeme cOlltraire, Thugllt a"ait d'autres vues.
II voyait la paix avec peine; les troubles inté-
rieurs de la France luí donnaicnt des espéran-
ces auxql1elles il aimait encore a se livrer,
quoiqu'elles eussent été si souvent trompeuses.
Bien qu'il en eut couté arA utriche beaucoup
d'argent, beaucoup de fausses démarches, et
une guerre désastreuse, pour en avoir crll les
émigrés, la llonvelle conspiration de Pichegru
fit eoneevoir a Thugut l'irlée de differer la
cOllclusion de la paix. II résolnt d'opposer des
lenteurs calculées aux illstanees des plénipo-
tentiaires fran«;;ais. Il fit désavouer le marquis
de Gallo, et fit partir un nouveau négociatellr,
le général"-major eomte de Meeweldt, pour
Montebello. Ce IIégociateur arriva le 1 er mes-
sidor (19 juin), et demanda l'exécution des


• préliminaires, e' est-a-dire, la réuuion du con gres
de Berne. Bonaparte, indigné de ce changement
de systeme, fit une réplique des plus vives. Il
répéta tont ce qu'il avait déja dit sur l'impos-
sibilité d'obtenir de la Russie et de l' Angleterre
l'adhésion aux arrangements dont on avait posé
les bases a Léoben; iI ajouta qu'un eorlgres
entrainerait de nOllvelles lellteurs, que deux




D1RECTOIRE (1797). 255
mois s'étaient déja éconlés depuis les prélimi-
naires de Léoben, que d'apres ces préliminai-
res, la paix devait etre conclue en trois mois,
et qu'il serait impossible de la conclure dans
ce délai, si on appelait toutes les puissances.
Ces raisons laisserent encore les plénipotentiai-
res autrichiens sans répoRse. La conr de Vienne
pamt céder. et fixa les conférences a Udille,
dans les provinces vériitiennes, afin que le lieu
de la négociation fut plus rapproché de Vienne.
Elles durentrecommencer le 13 messidor ( I er
juillet). Bonaparte, que des soins d'une haute
importallce retenaient a Milan, an milieu des
nouveIles républiques qu'o'n allait fonder, et
qni d'ailleurs tenait a veiller de plus pres aux
événements de Paris, ne voulait pas se laisser
attirer inutilement a Urline, pour y etre joué
par Thugut. II y envoya Clarke, et (léelara
qu'il ne s'y rendrait de sa personne que lors-
qu'il serait convaincu par la nature des pou-
voirs donnés aux deux négociateurs, et par
leur cOllduite dans la négociation, de la bonne
foi de la cour de Vienne. En effet, iI ne se
trompait paso Le cabinet de Vienne, plus abusé
que jamais par les misérables agents de la faction
roya liste , se flattait qu'iI allait etre dispensé par
une révolution, de traiter avec le directoire,
et iI 6t remeUre des Ilotes étranges dans I'état




256 RÉVOLUTION FRAN~AlSJ~.
de la négociation. Ces notes, a la date du 30
messidor (18 juillet), portaient que la cour de
Vienne voulait s'en tenir rigoureusement aux
préliminaires, et par conséquent traiter de la
paix générale a Berne; que le délai de trois
mois, fixé par les préliminaíres, pour la con-
clusion de la paix, ne pouvait s'entendre qu'a
partir de la réunion du eongres, car autrement
il aurait été trop illsuffisaut pour thre stipulé;
qu'en eonséquence, la eour de Vienne pérsis-
tant. a se renfermer dans la teneur des préli-
minaires, demandaít un eongres général de
tOlltes les puissanees. Ces notes renfermaient
en outre des plaintes ameres sur les évéllements
de Veníse et de Genes; elles soutenaient que
cp-s événements étaient une infraetíon grave
aux prélíminaíres de Léoben, et que la Franee
devait en donner satísfaction.


En reeevant ces Ilotes si étranges, BOlla-
parte fut rempli de eolere, Sa premiere idée
fut de réunir sur'-le-ehamp tOl1t~s les divisions
de l'armee, de ¡'eprendre l'offensive, et de s'a-
vaneer eneore sur Vienne, ponr exiger eette
fois des conditions moins modérées qu'a Léo-
ben. Maís l'état intérieur de la Fr'anee, les
eouférences a Lille, l'arreterent. et il pensa
qu'il faHaít, dans ces graves conjonctures, lais-
ser an directoire, qui était placé au centre de




DiRECTO/HE (1797).
loutes les opérations, le soin de décider la
conduite a tenir. Il se contenta de faire rédiger
par Clarke une note vigoureuse. Cette note
portait en substance qu'il n'était plus temps de
demander 1m congres, dont les plénipoten-
tiaires autrichiens avaient reconnu l'impossi-
bilité, et auquella conr de Vienne avait rrH~me
renoncé, en fixant les conférences a Udine ~
que ce congres était aujourd'hui san s motif,
puisque les alliés de l'Autriche se séparaient
d'elle, et montraient l'intention de traiter iso-
lément, ce qlliétait prouvé par les conférences
de LilIe; que le délai de trois mois ne pouvait
s'entenJre qll'it partir du jOUl' de la signature
de Léoben, cal' autrement, en différant l' ou-
verture du congres, les lenteurs pourraient
devenir éternelles, ce que la Franee avait voulu
emptkher en fixant un terme positif; qu'enfin
les préliminaires n'avaient point été violés dans
la eonduite tenue a l'égard de Venise et de
Genes; que ces Jeux pays a vaient pu changer
leur gouvernement sans que' personne eut a le
trouver mauvais, et 'que, du reste, en enva-
hissant l'Istrie et la Dalmatie contre toutes les
conventlons écrites, l' Autriche avait bien au·
trement violé lespréliminaires. ti pres avoir
ainsi répondu d'une maniere ferme et digne,
BOllaparte réfél'a du tout au directoire, et at-


lX. 17




258 ll.ÉVOLUTION FRANC;:AISE.
tendit ses ordres, lu i recommandant de se dé-
cider au plus tOl, parce qu'il importait de ne
pas attendre la mauvaise saison pour reprendre
les hostilítés, si cette détcrmínation devenait
nécessaire.


A Lille, la négociation ouverte se condlli-
sait avec plus de bonne foí; ce qui doit pa-
raitre singulier, puisque e'était avec Pitt que
les négociateurs fran<;ais avaient a s'entendre.
Mais Pítt était véritablement effrayé de ]a si ..
tuation de l' Angleterre, ne comptait plus <lu
tout sur l' Autriche, n'avait aUCllne eonfiance
dans les menteries des agents royalistes, et
voulait traiter avec la France, avant que ]a paix
avec l'empereur la rendit plus forte et plus exi-
geante. Si done, l'année derniere, il n'avaít
voulu qu'éluder, pour satisfaire l'opinion et
pour prévenir un arrangement a l'égard des
Pays - Bas, cette année il voulait sincerement
traiter, sauf a ne faire de eette paix qu'un re-
pos de deux OH trois ans. Ce pUl' AngIais ne
pouvait, en effet, consentir a laisser définitivc-
ment les Pays-Bas a la France.


Tont prouvait sa sincérité, eornme nOtJs
l'avons dit, et le choix de lord Malmesbury, et
la natnre des instructions secretes données a
ce négoeiateur. Suivant l'llsage de la diplomatie
anglaise, tout était arrangé ponr qu'il yeut a




la foís deux négociations, l'une officielle et ap-
parente, l'autre secrete et réelle. M. ElIis avait
été donné a lord Malmesbury, pour conduÍre
avec son assentiment la négociation secrete, et
correspondre directement avec Piu. Cet usage
de la diplomatie anglaise est forcé dans un
gouvernemenfrepréseritatif. Dans la négocia-
tía n officielle, on dit ce qui pent etre répété
dans les chamhres, et on réserve pour la né-
gociation secrete ce qui ne peut etre publié.
Dans le cas surtout ou le ministere est divisé
sur la question de la paix, on communique
les confél'ences secretes a ]a partie du minis-
tere qui autorise et dirige la négociatian. La
légation anglaise arriva avec une nombreuse
suite el un grand appareil a Lille le 16 messi-
dor (4 juillet).


Les négociateurs .chargés de représenter la
France, étaient Letourneur, sortÍ récernment
tlll directoil'e, Pléville Le Peley, qui ne resta
a Lille que peu de jours , a cause de sa nomi~
nation au mÍnistere de la marine, et Hugues
Maret, depuis duc de Bassano. De ces trois mi-
nistres, le dernier était le seul capable de
remplir un role utile dans la négociation. Jeune,
versé de honne heure dans le monde diploma-
tique, il réunissait a heancoup d'esprit des
formes qui étaient devenues rares en France


17 .




~6o nÉVOLUTrON FRANC;:,\ISE.
depuis la révolution. 1l devait son entré e dans
les affaires a M. de Talleyrand; et maintenant
encore il s'était concerté avec lui, pour que
l'un des deux eut le ministel'e des affaires étrall-
geres, et l'autre la mission a Lille. M. Maret
avait été envoyé deux fois a Londres dan s les
premiers temps de la révolution; iI avait été bien
re<{u par Piu, et avait acquis une grande COIl-
naissance du cabinet anglais.ll était done tres-
propre a représenter la France a Liile. Il s'y ren-
dit avec ses deux collegues, et ils y arrivereht
en meme temps que la légation anglaise. Ce
n'est pas ordinairemE'llt dans les conférenees
publiques que se fout réellement les affaires
diplomatiques. Les négociateurs angláis, pleins
de dextérité et de tact, auraient voulu voir
familierement les négociateurs franc;ais, et
avaient trop d'esprit pour éprouver aucun éloi-
gnement. Au contraire, Letourneur et Pléville
Le Peley, honnetes gens, mais peu habitués a
la diplomatie, avaient la sauvagerie révolu-
tionnaire : ils considéraient les deux Anglais
comme des hommes dangereux , toujours prets
á intl'iguer et a trompe!', et contre lesquels il
fallait etre en défiance. I1s ne voulaient les
voir qu'officiellement, et craignaient de se
compromettre par toute autre espece de com-
munication. Ce n'était pas ainsi qu'on pouvait
s'entendrc.




DIRECTOIRJ\ (1797).
Lord Malmesbury signifia ses pouvoirs, ou


les conditions du traité étaient laissées en blanc,
et demanda quelles étaient les conditiollS de la
France. Les trois négociateurs fran~ais exhibe-
rent les conditions, qui étaient, comme on pense
bien, un maximum fort élevé. lis demandaient
que le roi d' Angleterre renon~at au titre de roi
de France, qll'il continuait de prendre par UlI
de ces ridicules usages conservés en Angleterre;
qu'i[ rendit tons les vaisseanx pris a Toulon ;
qu'il restituat a la France, a l'Espagne et a la
Hollande, toutes les colonies qui leur avaient été
eulevées. En échange de tont cela, la France,
l'Espagne et la Hollande n'offraient que la
paix, car elles n'avaient rien pris a l'AngIe-
terreo n est vrai que la France était assez im-
posante pour exiger beaucoup; mais tont de-
mander pour elle et ses alliés, et ne rien
donner, c'était renoncer as'entendre. Lord
Malmesbury, qui voulait arriver a des réslll-
tats réels, vit bien que la llPgociation officielle
n'aboutirait a ríen, et chercha a amener des
rapprochements plus intimes. M. Maret , plus
habitué que ses collegues aux usages diplo-
matiques, s'y preta volontiers; mais iI fallllt
négocier allpres de Letourneur et de Pléville
Le PeJey, pour amener des rencontres au spec-
tacle. Les jeunes geus des deux ambassades se




262 ItÉVOLUTION FRANc,;AISE.


rapprocherent les premiers, et bientot les com-
munications furent plus amicales. La France
avait tellement rompu avec le passé depuis la
révolution, qu'il fal1ait beaucoup de peine pour
la replacer dans ses anciens rapports avec les
autres puissances. On n'avait rien eu de pa-
reil a faire l'année précédente, paree qu'alors
la négociation u' étant pas sincere, on n'avait
guere qu'a éluder; mais cette année il fallait
en venir a des cornmunications efficaces et bien-
veillantes. Lord Malmesbury tit sonder M. Ma-
ret pour l'engager a une négociation particu-
liere. Avant d'y consentir, M. Maret écrivit a
Paris pour y etre autorisé par le ministt~re
franc;ais. Il le fut sans difficulté, et sur-Ie-
champ il entra en pourparlers avec les négo-
ciateurs anglais.


II n'était plus question de contester les Pays-
nas, ni de discuter sur la nouvelle position
dans laquelle la Hollande se trouvait par rap-
port a la France; mais I'Angleterre voulaít gar-
der quelques-unes des principales colonies
qu' elle avait conquises, pour s'indemniser, soit
des frais de la guerre, soit des concessions
qu'elle nous faisait. Elle consentait a noas
remire toutes nos colonies, elle consentait
meme a renoncer a toute prétention sur Saint-
Domingue, et a Hons aíder a y établir nutre




DlRECTOIRE (1797)' :163
dominatiou, mais elle prétendait s'indemniser
aux dépens de la Hollande et de l'Espagne.
Ainsi elle ne voulait pas rendre a l'Espagne l'ile
de la Trinité, dont elle s' était emparée, et qOl
était une colonie fort importante par sa posi o
tion a l'enlrée de la mcr des Antilles; elle
vonlait, parmi les possessions enlevées aux
Hollandaís, garder le cap de Bonne-Espérance,
qui commande la navigation des deux Océans,
et Trinquemale, principal port de l'He de
Ceylan; elle voulait échanger la ville de Ne-
gapatnam sur la cote de Coromandel, contre
la ville et le fort de Cochin sur la cote de Ma-
labar, établissement précieux pour elle. Quant
a ]a renonciation au titre de roí de l~ranee,
les négociateurs anglaís résistaient a cause de
la famille royal e , quí étaít peu disposée a la
paix, et dont il fallaít ménager la vaníté. Re-
lativement aux. vaisseaux enlevés a Toulon, et
quí déja avaient été équipés et armés a J'an-
glaise, ils trouvaient trop ignominieux de les
l'endre, et offraient une indemnité en argent de
12. millions. Malmesbury donnait pour raison
a M. Maret , qu'il ne pouvait reutrer a Londres
apres avoir tout rendu, et n'avoir conservé
au peuple anglais aueune des conqlH~tes payées
de son sang et de ses tI'ésors. Pour prouvcl'
d'ailleurs sa sincérité, iI montra toutes les ills-




264 RÉVOLUTION }'ltANt,:AlS1i.
tructions secretes remises a 1\1. Ellis, et qui
cOlltenaient la preuve du désir que Pitt avait
d'obtenir la paix. Ces conditions méritaient
d\~tre débattues.


Une eireonstanee survenue tout - a -coup
donna beaueoup d'avantageaux négociateurs
franc;:ais. Outre la réunion des flottes espa-
gnole, hollandaise et frall<;aise a Brest, réu-
nion qui dépendail du premier coup de vent
qui éloignerait l'amiral Jervis de Cadix, l'An-
gleterre avait a redouter un autre danger. Le
Portugal, effrayé par l'Espagne et la· Franee,
venait d'aballdonner son antique allié, et de
traiter avec la Franee. La eondítion príncipale
du traité luí interdisait de recevoir a la fois
plus de six vaisseaux armés, appartenant aux
puissances belligérantes. L' Angleterre perdait
done ainsi sa préeieuse station dans le Tage.
Ce traité íuattendu livra un peu les négoeia-
teurs anglais a M. Maret. On se mil a débattre
les cOl1ditions définitives. On ue put pas arra-
cher la Triuité; quaut au eap de Ronne Espé-
rance, qui était l'objet le plus important, iI
fut enfin convenu qu'il se,·ait restitué a la Bol- .
¡ande, mais a une condition expresse, e'est
que jamais la Frailee, ne profiterait de son as-
eendallt sur la Hollande pour s'en emparer.
C'esl la ce que ]'Angleterre rcdoutait le plus.




l>IRECTOIRE (1797)'
Elle voulait moins l'avoir que nous I'enlever;
et la restitution en fut décidée, a la condition
que nous ne I'aurions jamais nous-memes.
Qllant a Trinquemale, qui entrainait la pos-
session du Ceylan, il devait etre gardé par les
Anglais, toutefois ¡),vec l'apparence de l'alter-
native. Une garnison holJandaise devait alter-
ner avec une garnison anglaise; mais il était
COllvenu que ce serait la une formalité pure-
ment illusoire , et que ce port resterait effecti-
vement aux Anglais. Quant a l'échange de Co-
chin contreNegapatnam, les Anglais y tenaient
encore, sans en faire pourtant une condition
sine qud non. Les 12 millions étaient acceptés
pour les vai~seaux pris a Toulon. Quant au
titre de roi de France, il était convenu que
san s l'abdiquer formellement, le roi d' Angle-
terre cesserait de le prendre.


Tel était le point ou s' étaient arre té es les pré-
tentions réciproqucs des négociateurs. Le-
tourneul', qui était resté se nI avec M. Maret
depuis le départ de Pléville Le Peley, appeIé
au millistere de la marine, était dans une com-
plete ignorance de la négociation secrete.
M. Maret le dédommageait de sa nullité, en
luí cédant tons les honneurs extérieurs, toutes
les choscs de représentation, auxquels cet
homrne hOllnetc et facilc tenait beauconp.




2.66 REVOLUTION FRAN~AJSE.
M. Maret avait fait part de tous les détails de
la négociation au directoire, et attendait ses
décisions. Jamais la France et I'Angleterre n'a·
·vaient été plus pres de se concilier. Il étaít
évident que la négociation de Lille était entie-
rement détachée de ceHe d'Odine, et que l'An-
gleterre agissait de son coté sans chercher a
s'entendre avec }'Autriche.


La décision a prendre sur ces négociations
{Ievaít agiter le directoire plus que toute autre
question. La faction royaliste demandait la
paix avec fureur sans la désirer; les constitu-
tionnels la voulaient sincerement, meme au
prix de quelques sacrifices; les républicains la
voulaient sans sacrifices, et souhaitaient par-
dessns tout la gloire de la république. Ils au-
raient voulu l'affranchissement entier de 1'1-
talie, et la restitution des colonies de nos alliés,
meme au prix d'une nouvelle campagne. Les.
opinions des cinq directeurs étaient dictées
par leur position. Caruot et Barthélemy vo-
taient ponr qu'on acceptat les conditions de
l'Au triche et de l' Angleterre; les trois autres
directeurs soutenaient l'opinion contraire. Ces
qucstions acheverent de brouiller les deux
parties dll directoire. Barras reprocha amere-
ment a Camot les préliminaires de Léobcn,
dont cellli-ci avait fortement appuyé la ratifi-




\


DJRECTOlllE (1797).
cation , et employa a son égard les expressions
les moins mesurées. Carnot, de son coté, dit,
a propos de ces expre~sions, qu'il ne fallait
pas opprimer l' Autriche; ce qui signifiait que,
pour que la paix fut durable, les conditions
devaient en etre modérées. Mais ses collegues
prirent fort mal ces expressions, et Rewbell
lui demanda s'i1 était ministre de l' Autriche, nu
magistrat de la république franc;aise. Les trois
directeurs, en recevanlles dépeches de Bona-
parte, voulaient qu'on romplt sur·le-champ,
et ql1'on repr'lt les hostilités. Cependant, l'état
de Ja république, la crainte de donner de nou-
vel1es armes aux ennemis du gouverllement,
et de leur fournir le prétexte de dire que ja-
mais le directoire ne ferait La paix, déciderent
les directeurs a temporiser encore. lis écrivi-
rent a Bonaparte qu'il fallait combler la me-
sure de la patience, et attendre encore jusqn'a
ce que la mauvaise foí de l'Autrichc fut prou-
vée d'une maniere évidente, et que la reprise
des hostilités put etre imputée a elle seule.


Relativement aux conférences de Lille, la
question n'était pas moins embarrassante. Pour
la France, la décision était facile, puisqu'ou
lui rendait tont; mais pour l'Espagne , qui res·
tait privée de la Trinité, pour la HolIande,
quí perdait Trinquemale, la question était dif-




2.68 RÉVOLUTION t'RANc,;AISE.
ficile a résoudre. Carnot, que sa nouvelJe po-
sition obligeait a opiner toujours pom la paix,
votait pour l'adoption de ces conditions, quoi-
que peu généreuses a l'égard de nos alliés.
Cornme on était tres-rnécontent de la Hollande
et des partís qui la divisaient, iI conseillait de
l'abandonner a elle-meme, et de ne plus se
meler de son sort; conseil tout aussi peu gé-
lléreux que cellli de sacrifier ses colonies.
Rewbell s'emporta fart sur cette question.
Passionné pour les intérets de la France, merne
jusqu'aTinjustice, il voulait que, loin d'aban-
donner la Hollandc, on se remlit tOllt-puis-
sant chez elle, qu'on en fit une province de
la république; et surtout iL s'opposait de tOllo
tes ses force s a l'adoption de l'article par \e-
quel la France renon(,;ait a posséder jamais le
cap de Bonne-Espérance. Il soutenait', au COll-
traire, que cette colonie et plusieurs aulres
devaient nous revenir un jour, pour prix de
nos services. Il défendait, comme on voit, les
intérets des alliés, pOllr nOtlS, beaucoup plus
eucore que pour eux. Larévelliel'e, qui par
équité prenait lellrs intérets en grande consi-
dération, repoussait les cOlHlitions proposées
par des raisons toutes différentes. Il regardait
cornme honteux de sacrifier I'Espagne, qu'on
avait entraluée dans uile lutte qui luí était pour




ainsi dire étrangere, el qu'on obligeait, poor
prix de son alliance, a sacrifier une importante
colonie. Il regardait comme tout aussi hon-
teux de sacrifier la Hollande, qu'on avait eu-
trainée dans la carriere des révolutions, du
sort de laquelle OH s'était chargé, et qu'on aI-
lait a la fois priver de ses plus riches posses-
sions, et livrer a Hne affreuse allarchie. Si la
Franee, en effet, lui retirait sa main, elle allait
tomber dans les plus fnnestes désordres. La-
révelliere disait qu'on serait responsable de
tout le sang qui coulerait. eette politique était
généreuse; peut-etre n'était-elIe pas assez cal-
culée. Nos alliés faisaient des pertes; la ques':'
tion était de savoir s'ils n'en feraient pas de
plus grandes en continuant la guerreo L'ave-
Jlir l'a prouvé. Mais les triomphes de la France
sur le continen't faisaient espérer alors que, dé-
livrée de l'Autriche, elle en obtiendrait d'aussi
grands sur les mers. L'abandon de nos alliés
parut honteux ; on prit un autre parti. On ré-
soInt de s'adressel' a l'Espagne et a la Hol-
lande, pour s'enquérir de lenrs intentions.
Elles devaient déclarer si elles voulaient la
paix, au prix des sacrifices exigés par l'An-
glcterre; et dans le cas ou elles préféreraient
la continuatioll de la guerre, elles devaient
déclarer en outre quelles forces elles se pro-




270 nÉvoLuTION FRANt;'AISE.
posaient de réunil' pour la défense des inté-
rets communs. On éCl'ivit a Lille que la réponse
aux propositions de l' Angleterre ne pouvait pas
etre donnée avant d'avoir consulté les alliés.


Ces discussions acheverent de brouiller com-
plétement les directeurs. Lemoment de la ca-
tastrophe approehait; les deux partís poursui-
vaicnt leur marche, et s'irritaient tous les jours
davantage. La commission des finances dans les
cinq-cents avait retouché ses mesures, poul'
les faire agréer aux anciens avec quelques mo-
difications. Les dispositions relatives a la tré·
sorerie avaient été légerement ehangées. Le
direetoire devait toujours res ter étrangel' aux
négociations de valeul's; et sans confirmer ni
abroger la distinction de l'ordinaire et de l'ex-
traordinaire, il était décidé que les dépenses
relatives a la solde des armées auraient tou"
jours la préférence. Les anticipations étaient
défend'ues pour l'avenir, mais les anticipations
déja faítes n'étaient pas révoquées. Enfin, les
nouvelles dispositions sur la vente des biens
nationaux étaient reproduites. mais avec une
modification importante; c'est que les ordoIl-
nances des ministres et les bons des fournis-
seurs devaient etre pris en paiement des bíens,
eomme les bons de trois-quarts. Ces mesures,
ainsi modifiées, a vaient été adoptées; elles




DIRECTOIRE (1797).
étaient moins subversives des moyens du tré-
sor, mais tres-dangereuses encore. Toutes les
lois pénales contre les pretres étaient abolies;
le serment était changé en une simple décla-
ratio n , par laquelle les pretres déc1araient se
soumettre aux lois de la république. Il n'avait
pas encore été question des formes du culte,
ni des cIoches. Les successions des émigrés
n'étaient plus ouvertes en faveur de l'état, rnais
en faveur des parents. Les familles qui déja
avaient été obligées de compter él la république
la part patrimoniale d'un fils ou d'un parent
émigré, allaient recevoir une indemnité en
biells nationaux. La vente des presbyteres était
suspendue. Enfin la plus importante de toutes
les mesures, l'institution de la garde nationale,
avait été votée en quelques jours, sur les bases
exposées plus haut. La composition de cette
garde devait se faire par voie d'élection. C'é-
tait sur cette mesure que Pichegru et les siens
comptaient le plus pour l'exécution de leurs
projets. Aussj avaient·ils fait ajouter un article,
par lequel le travail de cette organisation de-
vait commencer dix jours apres la publication
de la loi. Ils étaient ainsi assurés d'avoir bien-
lot réuni la gardeparisienne, et avec elle tons
les insurgés de vendémiail'e.


Le directoire, de son coté, convainCII ele




27'). R ÉVOLUTroN FRAN<;AISE.


J'immÍneuce du péril, et supposant toujours
une conspiration prete a éc1ater, avait pris l'at-
titude la plus mena(,;ante. Augereau n'était pas
seul a Paris. Les armées étant dans l'inaction,
une foule de généraux étaient accourus. On y
voyait le chef d'état-major de Hoche, Cherin,
les généraux Lemoine, Humbert, qui corn-
malldaient les divisions qui avaient marché sur
Paris; Kléber et Lefebvre, qui étaient en con-
gé; enfin Bernadotte, que Bonaparte avait en-
·voyé pour porter les drapeaux quí restaient
a présenter an directoire. Outre ces officiers
sllpBriellrs, des officiers de tout grade, réfor-
més depllis la rédllction des cad res , et aspirant
a etre placés, se répandaient en fouJe dans
París, tenant les propas les plus mena(,;ants
eontre les conseils. Quantité oe révolution-
naires étaient accourus des provinces, eomme
ils faisaient toujours des qu'ils espéraient un
mOllvement. Outre tous ces symptomes, la di-
rection et la destination des troupes ne pou-
vaient plus guere laisser de doute. Elles étaient
toujours cantol1nées aux environs de ReÍms.
On se disait que si elles avaient été destinées
uniqllement pour I'expédition d'Irlande, elles
auraient continué leur marche sur Brest, et
n'auraient pas séjourné dans les départements
voisins de Paris; que Hoche ne serait pas re-




DIRECTOIRE (1797).
tourné a son quartier - général; qu' enfin on
n'aurait point réuni autant de cavalerie pour
une expéclition maritime. Une commission était
restée chargée, comme on a vu , d'une enquete
et d'nn rapport sur tous ces faits. Le di,'ectoire
n'avait donné a cette commission que des ex-
plications tres-vagues. Les troupes avaient été
acheminées, disait-il, vers une destination éloÍ-
gnée, par un ordre du général Hoche, qui te-


"" nait cet ordre du directoire, et elles n'avaient
franchi le rayon const.itutionnel que par l' er-
reur d'un commissaire des guerres. Mais les
conseils avaient répondu, par l' orgalle de Pi-
chegru, que les troupes ne pouvaient pas elre
transportées d'une armée a une autre, sur un
simple ordre d'un général en chef; que le gé-
néral devait tenir ses ordres de plus huut; qu'il
ne pouvait les recevoir un directoire que par
l'intermédiaire du ministre de la gnerre; que
le ministre de ]a guerre Petiet n'avait point
contre-signé cet ordre; que, par conséquent,
le général Hoche a"ait agi sans une autorisa-
tion en forme; qu'enfin, si les troupes avaient
re<{u une destination éloignée, elles uevaient
poursuivre leur marche, et ne pas s'agglomé-
rer antonr de Paris. Ces observations étaient
fondées, et le directoire avait de bonnes rai-
sons pOllr n'y pus réponrlre. Les conseils dé-


IX. J8




27 tJ RÉVOLlJTlON FRAN~AISF..
créterent, a la suite de ces observations, qu'un
cercle serait tracé autour de Paris, en prenant
un rayon de douze lieues, que des colonnes
indiqueraient sur toutes les routes la circon-
férence de ce cercle, et que les officiers des
troupes qui le franchiraient seraientconsidé-
rés comme coupables de haute trahison.


Mais bientot de nouveaux faits vÍnrent aug-
menter les alarmes. Hoche avait réuni ses trou-
pes flans les départements du Nord, autour de
Sedan et de ReÍms, a quelques marches de
París, et il en avait acheminé de nonvelles
dans la meme direction. Ces mouvements, les
propos que tenaient les soldats, l'agitatÍon qui
régrtait dans Patis, les rixes des officiers ré-
formés avec les jeunes gens qui portaient les
costumes de la jeunesse dorée, fournil'ent a
Willot le sujet d'une seconde dénonciation. Il
monta a la tribune, parla d'une marche de tron-
pes, de l'esprit qui édatait dans leurs rangs,
de la fureur dont on les animait contre les
conseils, et; a ce sujet, il s'éleva contre les
adtesses des armées d'Italie, et contre la pu-
blicité que lcur avait donnée le directoire. En
conséquence, iI demandait qu' on chargeat les
inspecteurs de la salle de prendre de nouvelles
informations, et de faire un nOllveau rapport.
J_.es députés, dits inspecteurs d~ la salle, étai(mt




DIRECTOIRE (1797 J.
chargés de la poliee des eonseils, et par eon-
séquent tenus de veiller a lcur sureté. La pro-
position de Willot fut adoptée, et sur la pro-
position de la eommission des inspeeteurs, on
adressa le 17 thermidor (!~ aout) an directoire
plusieurs questions embarrassantes. On reve-
nait sur la natllre des ordres en vertu desquels
avait agi le général Hoehe. Pouvait-on enlin
expliquer la nature de ees ordres? Avait - on
pris des moyens de faire exécuter l'artícle
constitutionnel qui défendait aux troupes de
délibérer?


Le directoil'e l'ésolut de répliquer par un
message énergique aux nouvelles questions
qui luí étaient adressées, sans accorder cepen-
dant les explications qu'il ne lui convenait pas
de donner. Lal'évelliere en fut le rédacteur;
Carnot et Barthélemy refuserent de le signer.
Ce message fut présenté le 23 thermidor (10
aout). Il ne contenait rien de nouveau sur le
mouv@ment des troupes. Les divisionnairesqui
avaient marché sur París, disait le directoire ,
avaient rt>,c;;u les ordl'es du général Hoehe, et
le général Hoche ceux du directoire. L'inter-
médiaire qui les avait transmis n'était pas dé-
signé. Quant aux adresses, le directoire disait
- que le sens du mot délibérer était trop va-
gue pOtll' qH'on pllt déterminer si les armées


,8.




276 nÉvoLuTION FRANyAISF..
s'étaient mises en fante en les présentant; qu'il
reconnaissait le danger de faire exprimer un
avis aux armées, et qu'il allait arreter les nou-
velles publicati(;ms de ceUe llature; mais que,
du reste, avant d'incriminer la démal'che que
s'étaient permise les soldatsde la république,
iI fallait remonter aux causes qui l'avaient
provoquée; que eette cause était dans l'inquié-
tude générale, qui depuis quelques mois s'était
emparée de tous les esprits; dans l'illsuffisance
des revenus publics, qui laissait toutes les
parties de l'administration daus la sitllation la
plus déplorable, et privait souvent de ¡cm
solde des hommes qui depuis des années avaient
versé leur sang et ruiné leurs [orces pour ser-
vir la répllblique; clans les persécutions et les
assassinats exercés sur les acquéreurs de biens
nationaux, sur les fOl1ctionnaires publics, sur
les défenseurs de la patrie; dans l'impunité du
crime et la partialité de certains tribunaux;
dans l'insolence des émigrés et des pretl'es ré-
fractaires, qui, rappelés et favorisés ouverte-
ment, débordaiellt de toutes parts, soufflaient
le [eu de la discorde, inspiraient le mépris des
lois; clan s ceUe foule de jOllrnaux qui inon-
daient les armées et l'intérieur, et n'y pre-
chaient que la royauté et le renversement de
la répn blique; dan" l'intéret tOlljours mal clis-




DIRECTOIRE (J797}
simulé et SOllvent manifesté hautement pour
la gloire de l' Autriche et de l' Angleterre; dans
les efforts qu'on faisait pour atténuer la juste
renommée de nos guerriers; dans les calom-
lúes répandues contre deux illustres généraux,
qui avaient, run dans rOnest, l'autre en ltalie,
joint a leurs exploits l'immortel honneur de
la plus belle cOllduite poli tique ; enfin, dans
les sinistres projets qu'annon9aient des hom-
mes plus OH moins intluents sur le sort de l'état.
Le directoire ajoutait que, du reste, il avait ]a
résolution ferme, et l'espérance fondée, de
sauver la France des nouveaux bouleverse-
ments dont on la mena9ait. - Ainsi, loin d'ex-
pliquer sa conduite et de l'excuser, le direc-
toire récriminait au coutraire, et manifestait
hautement le projet de poursuivre la lutte, et
J'espérance d'en sortir victorieux. Ce message
fut pris ponr un vrai manifeste, et causa une
extreme sensation. Sur-Ie-champ les cinq-cents
nommerent lIne commissioll pOIlr examiner le
messagc et y répondre.


Les cOIIstitutionnels commenc;aient a etre
éponvantés de la situation des choses. lIs
voyaient, d'une part, le directoire pret a s'ap-
puyer sur les armé es ; de l'autre, les clichyens
prets a réunir la miHce de vendémiaire, SOllS
prétexte d'organiser la geH'de nationale. Ceux:




'.17b RÉVOLUTlON FRAN~AJSE.
qui étaient sincerement républicains, aimaiellt
mieux la victoire du directoire, mais ils au-
raient tons préféré qu'il n'y eut pas de com-
bat; et iIs pouvaient s'apercevoir maintenant
combien leur opposition, en effrayant le direc-
toire, et en encourageant les réaeteurs, avait
été funeste. lIs ne s'avouaient pas leurs torts,
mais ils déploraient la situatÍon, en l'imputant
eomme d'usage a leurs adversaÍres. Ceux des
clichyens qui n'étaient pas dans le secret de la
contre-révolution, qui ne la souhaitaient meme
pas, qui n' étaient mus que par une impru-
dente haine eontre les exces de la révolution,
commen~aien t a etre eflrayés, et craignaient,
par leur contradiction, d'avoir réveillé tous les
penchallts révolutionnaires dll directoire. Leur
ardeur était ralentie. Les clichyens tout-Mait
royalistes étaient fort pressés d'agir, et crai-
gnaient d'etre prévenus. lis entouraient Piche-
gru, et le poussaient vivement. Celui-ci, avcc
son flegme accoutumé, promettait aux agellts
du prétendant, et temporisait toujours. Il n'a-
vait du reste encore aucuns moyens réels; car
quelques émigrés, quelques chouans dans Pa-
rÍs, ne constituaient pas une force suffisante;
et jusqu'a ce qu'il eut dans sa main la gardc
llationale, il ne pouvait faire aucune tentative
sérieuse. Froid et prudent, il voyait eette si~




llLRECTOlRE (J 797). 279
tuation avec assez de justesse, et réponrlait a
toutes les instances qu'il fallait attendre. On
lui disait que le direetoire allait frapper; iI ré-
pondait que le direetoire ne l'oserait pas. Du
reste, !le eroyant pas a l'audace du directoire,
trouvant ses moyens encore insuffisants, jouis-
sant d'un grand role, et disposant de beau-
coup d'argent, il était naturel qu'il ne flit pas
pressé d'agir.


, Dans cette situatlon, les esprits sages dési-
raient sincerement qu'on évitat une lutte. lIs
auraient souhaité un rapprochement, qui, en
ramenant les constitutionnels et les clichyells
modérés au directoire, luí put rendre une ma-
jorité qu'il avait perdue, et le dispenser. de
recourir a de violents JIloyens de salu~. Ma-
dame de Stael était ert POSitiOll de désirer et
d'essayer un pareil rappl'Ochement. Elle était
le centre de eette soeiété éclairée et brillante,
qui, tont en trouvant le gouvernement et ses
ehefs un peu vulgaires, aimaít la république
.et y tenait. Madame de StaeJ aimait cette forme
de gouvernement, eomme la plus beBe lice
pour l'esprit hnmain; elle avait déja plaeé daos
un poste élevé }'un de ses amis, elle espérait
les placer ton s , et devenir leur Égépie. Elle
voyait les pél'ils auxquels était exposé cet or-
dre de choses, qui lui était devenu cher; elle




280 R.~VOLUl'ION FRAN9AlSl..
recevait les hommes de tous les partís, eHe
les entelldait, et pouvaít prévoir un choc pro-
chain. Elle était généreuse, active; elle ne pon-
vait rester étrangere aux événements, et il était
naturel qll'elle cherchat a user de son influence
pour réllnir des hommes qu'aucun dissenti-
ment profond n'éloignait. Elle réunissait dans
son salon les républicains, les constitutionnels,
les clichyens; elle tachait d'adollcir la vio-
lence des discussions, en s'interposant entre les
amours-propres, avec le tact d'llue femme
bonne et supérieure. Mais elle n'était pas plus
heureusc qu'on ne l'est ordinairement a opé-
rer oes réconciliations de partís, et les hommes
les.plus opposés commen<{aient a s'éJoigner de
sa maison. Elle chercha avoir les membres
des deux commissions nommées pour répon-'
ore au dernier message du directoire. Quel-
ques - uns étaient constitutiollnels, tels que
Thibaudeau, Émery, Siméon, Tron<{on -Du-
coudray, Porta lis ; Oll pouvait par eux inflller
sur la rédactÍon des d~ux rapports; et ces rap-
ports avaient une grande importan ce , cal' ils
étaient la réponse au cartel du directoire. Ma-
dame de Sta el se donna beaucoup de mouve-
ment par elle et ses amis. Les constitutionnels
désiraient un rapprochement, cal' 'iIs sentaient
le danger; mais ce rapprochement exigeait o~


,




DIRECTOlRE (1797). 28 (
leur part des sacrifices qu'il était difficile de
leur arrachcr: Si le directoire avaÍt eu des torts
réets , avait pl'is des mesures coupables , 011 au-
raít pu négocier la révocation de certaines me-
sures, et faire U11 traité avec des sacrifices ré-
ciproques; mais sauf la mauvaÍse conduite
prívée de Barras, le directoire s'était conduít
en majorité, avec autant de zele, d'attache-
ment a la constitution, qu'il était possible de le
dés·irer. Ou ne pouvait lui imputer aucun acte
arbitraire, aucune usurpation de pouvoir. L'ad-
ministration des finances, tant incriminée,
était le résultat forcé des circonstallces. Le
ch~ngement des ministres, le mouvement des
troupes, les adresses des armées, la nomina-
tÍon d' Augereau, étaient les seuls faits qu' on


. put citer, comme annonl{ant des intentions
redoutables. Mais c'étaient des précautions de-
venues indispensables par le danger; et il fal-
Jait faire disparaitre entierement le danger, en
rendant la majorité an directoire, ponr avoir
droit d'exigcl' qll'il renofl(;at a ces précautions.
Les constítntionnels, an contraire, avaient ap-
puyé les nouveaux élus, danstoutes leurs at-
taques ou injustes, ou indiscl'etes, et avaient
seuls a revenir. On ne pouvaitdonc ríen exiger
du directoire, et beaucoup des constítutiou-
neis; ce qui rendait l'échange des sacrifices im-




:l8l RÉVOLIJ'l'ION FRAN~,USE.
possible, et les amours-propres inconciliables.


Madame de Staet chercha, par elle et ses
amis, a faire entendre que le directoire était
pret a touL oser, que les constituÜonnels .se-
raient victimes de leur obstination, et que la
l'épublique serait perdue avec eux. Mais ceux-
ci ne voulaient pas revenir, refusaient toute
espece de concessions, et demandaient que le
directoire allAt a eu~(. On parla a Rewbell et a
Larévelliere. Celui.ci, ne repoussant pas la dis-
cussion, tit une longue énumération des acte!)
du directoire, demandant toujours, a chacun
de ces actes, lequel était reprochable? l,es in-
terlocuteurs étaient sans réponse. Quaut au
renvoi d' Augereau, et a la revocation de toutes
les mesures qui annon<;:aient une résolution
prochaine, Larévelliere et Rewhell furent in-
ébranlables, ne vou1llreut rien accorder, et
prouverent par leur fermeté froíde, qu'il y
avait une grande détermination prise.


Madame de StaeI et ceux qui la secondaient
dans sa louable, mais inutile entreprise, in-
sisterent beaucoup aupres des mem'bres des
deux commissions, pour obtenir qu'ils ne pro-
posassent pas de mesures législatives trap vio-
lentes, mais surtout qu' en répondant aux griefs
énoncés dans le message du directoire, iIs ne.
~e livrassent pas a des récriminations dange-




DlRECTOJRE (1797). ~83
reuses et irritantes. Tous ces soins étaient in-
utiles, car il n'y a pas d'exemple qu'un partí
ait jamais suivi des conseils. Daus les deux com-
missíons, il Y avait des clichyens qui sOllhai-
taient, comme de raison, les mesures les plus
violentes. lis voulaient d'abord attribuer spé-
cialement au jury criminel de Paris la connais-
sance des attentats commis contre la sureté du
corps législatif, et eX'iger la sortie de toutes
les troupes du cercle constitutionnel; ils de-
mandaient surtout que le cercle constitutiou-
nel ne tit partie d'aucune division militaire.
CeUe derniere mesure avait pour but d'enlever
le commandement de París a Augereau, et de
faire par décret ce qll'on n'avait pu obtenír
par voie de négociation. Ces mesures furent
adoptées par les deux commissions. Mais Thi-
baudeau eL Tron.,;on-Ducoudray, chargés de
faire le rapport, l'un aux cinq-eents, l'autre aux
aneiens, refllserent, avee autant de sagesse que
de fermeté, de présenter la derniere proposi-
tIon. On y rellon({a alors, et on se contenta des
deux premieres_ Tronf,!on-Ducoudray fit son
rapport le ~ fructidor (20 aout), Thibaudeau
le 4. lis répondirent iudirectement aux repro-
ches du directoire, et Trow;on-Ducoudray,s'a-
dressant aux anciens, les invita a interposer
leul' sagesse et leur dignité entre la vivacité




HEVOLUTJON FR.\NC.HSE. ,


des jeunes législateurs des cinq-cents et la
susceptibilité des chefs du pouvoir exécutif.
Thibaudeau s'attacha a justifier les conseils, a
prouver qu'ils n'avaient VOUlll ni attaquer le
gouvernement, ni ealomnier les armées: Il re-
vint sur la motion de Dumolard a l'égard de
Venise. Il assUI'a qu'on n'avait point vouln at-
taqner les héros d'Italie, mais il sOlllint que
leurs créations ne seraient dlll'ables qu'autant
qu'elles auraient la sanetíon des deux conseils.
Les cteux mesures insignifiantes quí étaient
proposées, furent adoptées, et ces deux rap-
ports, tant attendus " ne tirent aucun effet. lis
exprimaient bien l'impuissallce a Iaquelle s'é-
taient réduits les eonstitutiorlllels, par lcur si-
tuatÍon ambigue entre la faetíon royaliste et
le direetoire, ne vonlant pas conspirer avee
l'une, ni faire des concessions a l' autre ..


Les clichyens se plaignirent beaueoup de
l'insignifiance de ces rapports, et déclamercnt
contre la faiblesse des constitutionnels. Les
plus ardellts voulaient le eombat, et surtont les
moyens de le livrer, et demandaient ce que
faisait le directoire pour organiser la garde na-
tionale, C'était justement ce que le dircctoire
ne voulait pas faire, et il était bien résolll a ne
pas s'en occuper.


Carnot était dalls une position encore plus




singuliere que le parti constitutionnel. Il s'é-
tait fl'anchement brouillé avec les clichyens en
vayant leur marche; iL était inutile aux consti-
tutionneLs, et n'avait pris aucune part a leurs
tentatives de rapprochement, car il était trop
irritable pour se réconcilier avec ses collegues.
Il était seul, sans appui, al! milieu du vide,
ll'ayallt plus aucun but, car le but d'amour-
propre qu'il avait d'abord eu, était manqué, et
la nuuvelle majorité qu'il avait revée, était im-
possible. Cependant, par une ridicule persé-
vérance a soutenir les vreux de l'opposition
dans le dírectoire? il demanda formellement
l'orgallisation de la garde llationale. Sa prési-
dellce au directoire allait finir, et il profita du
temps qui lui restait pour mettre eette matiere
en discussion. Larévelliere se leva alors avec
fermeté, et n'ayant jamais eu aucune querelle
personneHe ave e luí, voulut l'illterpeller une
dernierc fois, pour le ramener, s'il était possi-
ble, a ses collegues; lui parlant avec aSSllrance
et douceur, iI luí adressa quelques questiollS;
- Carnot, lui dit-il, nous as-tu jamais enten-
dllS faire une proposition qui tendit a diminuer
les attributions des conseils, a augmenter les
natres, a compromettre la constitutioIl de la
répllblíque?- Non, répondit Carnot avec em-
barras. - Noos ns·tu, reprit Larévellii>re" ja-




286 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
mais entendus, en matiere de finances,de guerre,
de diplomatie , proposer une mesure qui ne fUt
conforme a l'intéret public? Quant a ce quí
t'est personnel, nOl1S as-tu jamais entendus ou
diminuer ton mérite, ou nier tes services? De-
puis que tu t' es séparé de nous, as-tu pu nous
accuser de manquer d'égards pour ta personne?
Ton avis en a-t-íl été moins écouté, quand ii
nous a paru utile, et sincerement proposé?
Pour moi, ajouta Larévelliere , quoique tu aies
appartenu a une faction qui m'a persécuté, moi
et ma famille, t'ai-je jamais montré la moindre
haine? - Non, non, répondit Carnot a toutes
ces questions. - Eh bien! ajouta Larévelliere,
comment penx-tu te détacher de nous, pour
te rattacher a une faction qui t'ahuse, qui veut
se servir de toi pour perdre la répuhlique, qui
veut te perdre apres s'etre servíe de toi , et qui
te déshollorera en te perdant? - Larévelliere
employa les expressioIls les plus amicales et
les plus pressalltes, pour démontrer a Camot
l'erl'eur et le danger de sa conduite. Rewhell
et Barras meme firent violellce a leur haine.
Rewbell, par devoir, Barras, par facilité, lui
parlerent presque en amis. Mais les démonstra-
tions amicales ne font qu'irriter certains or-
gueils: Carnot resta froid, et, apres tous les
discollrs dE" ses collegues, renol1"c1a sechement




DIRECTOTRE (r797)· 287
sa proposition de mettre en délibération 1'0r-
ganisation de la garde nationale. Les directeurs
leverent alors la séance, et se retirerent con-
vaincus, eorome on rest si facilement daos ceS
oc casio os, que leur collegue les trahissait,etétait
d'accord avec les ennemis du gouvernement.


Il fut arre té que le eoup d'état porterait
sur lui et sur Rarthélemy, eomme sur les prin-
cipaux membres des conseils. Voici le plan
auquel on s'arreta définitivemellt. Les trois di-
recteurs croyaient toujours que les députés de
Clichy avaient le secret de la conspiration. lIs
n'avaient acquis ni contre eux, ni contre Pi-
chegru, aueune preuve nouvelle qui permit
les voies judiciaires. Il fallait done employer la
voie d'un coup d'état. Ils avaietlt dans les deux
eonseils une minorité décidée, a laquelle se
rattacheraient tous les hommes incertains, que
la demi-énergie irrite et éloigne, que la grande
énergie sOllmet et ramene. Ils se proposaient
de faire fermer les salles dans lesquelles se ré-
unissaient les anciens et les cinq-cents, de fixer
aiUeurs le lieu des séances, d'y appeler tous les
députés sur lesquels on pouvait compter, de
composer Une liste portant les deux directeurs
et. cent quatre-vingts députés choisis parmi les
plus suspects, et de proposer leur déportation
Sans discussion judiciaire, et par yoie légis-




~88 HÉVOLUTION FRANQAJSE.
Jative extraordinaire. Ils ne voulaient la mOI't
de personne, mais l'éloignement forcé de tous
les hommes dangereux. Beaucoup de gens ont
pensé que ce coup d'état était devenu inutile,
paree que les eonseils intimidés par la résolu-
tion évidente du directoire, paraissaient se ra-
lentir. Mais cette impression était passagere.
Pour quí eonnait la marche des partis, et leur
vive imagination, il est évident que les cli-
ehyens, en voyant le directoire ne pas agir, se
seraient ranimés. S'ils ét.aient eontenus jusqll'il
une nOllvelle élection, ils auraient redollblé
d'ardeur a l'arrivée du troisierne tiers', el: au-
raient alors déployé une fougue irrésistible.
Le directoire n'aurait pas meme trouvé alors
la minorité conventionnelle qui restait dans
les eonseils, pour l'appuyer, et pour donnel'
une espece de légalité aux mesures extraordi-
naires qu'il voulait employer. Enfin ,sans meme
prendre en eonsidération ce résultat inévita-
ble d'une nouveIle élection, le directoire, en
n'agissant pas, était obJigé d'exécuter les lois,
el de réorganiser la garde nationale, e'est-a-
dire de donner a la contre-révolution l'armée
de vendémiaire, ce quí auraít amené une gil erre
civile épouvantable entre les gardes nariouales
et les tronpes de ligne. Et en effet, tant que
Pichcgru ('t quelques in trigants 11 ';¡vaient ponr




IlIRECTOIRE (J 797)' 2H~)
moyens que des molions aux cinq-cents, et
quelques émigrés ou chouans dan s Paris~ leurs
projets étaient peu a redouter; mais, appuyés
de la garde nationale, ¡Is pouvaient Jivrer com-
bat, et commencer la guerre civile.


En conséquence Rewbell et Larévelliere ar-
reterent qu'il {allait agir san s délai, et ne pas
prolonger plus long-temps l'ineertítude. Bar-
ras senl dífférait encore, et donnait de l'inquié~
tude a ses deux collegues. Ils eraignaient tou-
jours qu'il ne s'entendlt soit avee la: faetion
royaliste, soit avee le partí- jacohin, pour faire
une journée. lIs le surveillaient attelltivement,
et s'effort;aient toujours de capter A ugereau ,
en s'adressant a sa vanité, et en tachant de le
rendre sensible a l'estime des honnetes gens.
Cependant il fallait encore quelques prépara-
tífs, soít pour gagller les grenadiers du corps
législatif, soit pour dísposer les troupes, soit
pour se procurer des fonds. On différa done de
quelques jours. On ne voulait pas demander
de l'argent au ministre Ramel, pour ne pas le
compromettre; et on attendait eelui que Bo-
naparte avait offert, et qui n'arrivaitpas.


Bonaparte, eomme on 1'a VlI, avait envoyé
son aide-de-camp Lavalette a Paris, po.uretre
tenu au courant de tQutes les irltrigu(:Is. Le
spectacle de París avait assez malfli¡¡pq,é J\:T.df~


IX. 19




,


290 RItVOLUTION FJ\ AN~A1SE.
Lavalette, et il avait communiqué ses impres-
sions a Bonaparte. Tant de ressentiments per-
sonnels se melent aux haines politiques, qu'a
voir de pres le spectacle des partis, iI en de-
vient repoussant. SOllvent meme, si on se laisse
préoccuper par ce qu'il y a de personnel dans
les discordes poli tiques , on peut etre tenté de
croire qu'il n'y a rien de généreux, de sincere,
de patriotique, dans les motifs qui divisent les
hommes. C'était assez l'effet que pouvaient
produire les luttes des trois directem:s Barras,
Larévelliere, Rewbell, contre Barthélemy et
Carnot, des conventionnels contre les cli-
chyens; c'était une melée épouvantable ou l'a-
mour-propre et l'intéret blessé pouvaient pa-
raitre, au premier aspect, jouer le plus grand
role. Les militaires présents a Paris ajoutaient
leurs prétentions a toutes celles qui étaient
déja en lutte. Quoique irrités contre la factión
de Clichy, ils n'étaient pas tres-portés pour le
directoire. 11 est d'usage de devenir exigeant
et susceptible, quand on se croit nécessaire.
Groupés autour du ministre Schérer, les mi-
litaires étaient disposés a se plaindre, comme
si le gouvernement n'avait pas assez fait ponr
eux. Kléber, le plus noble, mais le plus in-
traitable des caracteres, et qu'on a peínt tres-
hien en disant qu'il nf' vonlait etre ni le pre-




BlII FCTOIllIl (1 797)' '1.9 [
mier ni le second, Kléber avait dit aD directoir~
dans son langage original: le tirerai sur vos en·
Ilemis s'ils vous attaquent; mais en leur faisant
lace ti eux, je vous tournerai le dos ti vous.
Lefebvre, Bernadotte et tous les autres s' expri-
maient de m eme. Frappé de ce chaos, M. de
Lavalette écrivit a Bonaparte de maniere a l' en-
gager a rester indépendant. Des-lors celui-ci,
satisfait d'avoir dOll;Ué l'impulsíon, ne 'Voulut
pas s'engager davantage, et résolutd:attendre
le résultat. Il n'écrivit plus. Le directoire s'a~
dressa alor8 au brave Hoche, qui, ayant seul
le droit d'etre mécontent, envoya 50,000 fr.,
formant la plus grande partie de la dot de sa
femme.


On était dans les premiers jours defructidor;
Larévelliere venait de remplacer Carnot a la
présidence du directoire; il était chargé de re-
cevoir l'envoyé de la république cisalpine, Vis-
con ti , _et le généraI Bernadotte, porteur de
quelques drapeaux que l'armée d'Italie n'avait
pas encore envoyés au directoire. Urésblut·de
se.prononcerde la maniere la phis'hardie, (!t
de forcer ainsi Barras .ase décider. IHit deu'X
discours véhéments ,dans lesquels ilrépon-
dait, sans les désigner, auxdeux rappOl"ts -de
Thibaudeau et de Tron«on-Ducoudray. En 'par-
lantde Venise ~t des peuples italiebS récem-


19-




292 RÉVOLUTION 'f'BANC;:AlSE.


ment affranchis, Thibaudeau avait dit 'que leur
sort ne serait pas fixé, tant que le corps lé-
gislatif de France n'aurait pas été consulté.
Faisant allusion a ces paroles, Larévelliere dit
a Viseonti, que les peuples italiens avaient
voulu la liberté, avaient eu le droit de se la don-
ner, et n'avaient eu besoin pour cela d'aucun
consentement au monde. - « Cette liberté,
disait-il, qu'on voudrait vous oter, a vous et a
nous, núus la défendrons tous ensemble, et
nous sanrons la conserver.)) Le ton mena~ant
des deux discours ue laissait aueun doute sur
les dispositions du directoire : des hommes qui
parlaient de la sorte devaient avoir leurs for-
ces toutes préparées. C' était le JO fructidor;
les clichyens furent dans les 'plus grandes alar-
mes. Daos leurs fureurs, ils revinrent a leur
projet de mettre en aeeusation le direetoire.
Les co'ustitutionnels craignaient un tel projet,
paree qu'ils sentaient que ce serait pour le di-
rectoire un motif d'éclater, et ils dédarerent
qu'a leul' tour ils allaient se procurer la
preuve de la trahison de certains députés, et
demander leur accusation. Cette menace ar-
reta les clichyens ,et empecha la rédaction
d'un acte d'accusation contre les cinq directeurs.


Depuis long - temps les clichyens avaient
vonlu faire adJoindre a la commissíon des illS-




D/RECTO/RE (I7~)7).
pecteurs, Pichegru et Willot, qui étaÍent re-
gardés comme les deux généraux du parti.
Mais ceUe adjonction de deux nouveaux mern-
bres, portant le nombt'e a sept, était contraire
au réglement. On attendit le renouvellement
de la commission, qui avait lieu au commen-
cernent de chaque mois, et on y porta Piche-
gru, Vaublanc, Delame, Thibaudeau el Émery.
La commission des inspecteurs était chargée
de la police de la salle; elle donnait des ordres
aux grenadiers du corps législatif, et elle était
en quelque sorte le pouvoir exécutif des con-
seils. Les anciens avaient une semblable COlll-
mission; elle s'était réunie a celle des cinq-
cents, et toutes deux veillaient ensemble a la
surété commune. Une foule de députés s'y ren-
daient, sans avoir le droit d'y siéger; ce qui
en avait fait un nouveau club de Clichy, on
ron faisait les motions les plus violentes et les
plus inutiles. D'abord on propasa d'y organi-
ser une police, pour se tenir au courant des
projets du directoire. On la confia a un nommé
Dossonville. Comme on n'avait point de fonds,
chacun contribua pour sa part; mais on He
réunit qu'une médiocre somme. Pourvu comme
il I'avait été, Pichegru aurait pu contribuer
pour une forte part; mais il ne parait pas qu'il
employat dans cette circonstance les fonds re-




29!~ nÉVOLUTION FR¡\N<,:A.ISF..
<{US de Wickam. Ces agents de police allaienl
recueillir partout de faux bruits, et venaient
alarmer ensuite les commissions.


Chaque jour ils disaient: - C'est aujour-
d'hui, c'esL cette nuit meme, que le directoire
doit faire arreter deux cents députés, et les
faire égorger par les faubourgs. - Ces bruits
jetaien~ l'alarme dans les commissions, et ceHe
alarme faisait naitre les propositions les plus
indiscretes. Le directoire recevait par ses es-
pioos le rapport exagéré de toutes ces propa-
sitions, et concevait a son tour les plus grandes
crailltes. On disait alors dans les salons du di-
rectoire, qu'il était temps de fl'apper, si 00 ne
voulait pas etre prévenu; on faisait des mena·
ces ,qui, I'épétées a leur tour, aUaient rendre
effroi poureffroí aux clichyens.


Isolés au milieu des deux partis, les consti·
tutionnels sentaient chaque jour davantage
leurs fautes et leurs périls. Ils étaient livrés aux
plus grandes terreurs. Carnot, encore plus
isoléqu'eux, brouillé avecles clichyens, odieux
aux patriotes, suspect meme aux républicains
modérés, calomnié, méconnu1 recevait chaque
jour les plus slnistres avis. On lui disait qu'i1
aliad etre égorgé par ordre de ses collegues.
Barthélemy, mellacé et averti comme· lui, étai1i
dans l'épouvante,




DlI\ECTOIRF. (1797).
Du reste, les memes avis étaient donnés a


tont le monde. Larévelliere avait été informé.
de maniere a ne pas lui laisser de doute, que
des chouallS étaicnt payés pour l'assassiner. Le
trouvant le plus ferme des trois membres de
la majorité, c'était lui qu'on voulait frapper
pour la dissoudre. Il est certain que sa mort
aurait tout changé, car le nouveau directeur
nommé par les conseils eut voté certainement
avec Carnot et Barthélemy. L'utilité du crime,
et les détails donnés a Larévelliere , devaient
l'engager a se tenir en garde. Cependant iI ne
s'émut pas, et continua ses promenades dl!
soir au Jardin des Plantes. On le lit insulter par
Malo, le chef d' escadron du 21 e de dragons,
qui avait sabré les jacobins au camp de &re-
neHe, et qui avait ensuite dénoncé Brottier et
ses complices. Ce Malo était la créature de Car-
not et de Cochon, et il avait, sans le vouloir, ins-
piré aux clichyens des espérances qui le ren-
dirent suspect. Destitué par le directoire, il
attribua sa destitution a Larévelliere, et vint
le menacer an Luxembourg. L'intrépide ma-
gistrat fut peu effrayé de la présence d'un of-
licier de cavalerie, et le poussa par les épaules
hors de chez lui.


RewbeH, quoique tres-attaché a la cause
comrnuue, était plus violent, mais mojos






?g6 HEVOLUTION FRANY'US:E.
ferme.Oo vint lui dire que Barras traitait avec
un envoyé du prétendant, et était pret a tra-
hir la république. Les liaisons de Barras avec
tous les partís pOllvaieot inspirer tous les gen-
res de craintes. - Nous sommes pérdus, dit
Rewhell; Barras nous livre, nOllS allofls etre
égorgés; il ne nous reste qu'a fuir, cal' nous ne
pouvons plus sauver la répuhlique. - Laré-
velliere ,plus calme, répondit a Rewbell que,
loin de céder, il fallait aller chez Barras, lui
parler avec vigueur, l'obliger a s'expliquer, et
lui imposer par une grande fermelé. lis alle-
reot tous deux chez Barras, l'interrogerent
avec autorité, et lui demanderent pourquoi il
différait encore. Barras, occupé a tout prépa-
rer avec Augereau, demanda encore trois on
quatre jours, et promit de ne plus différer.
C'était le 13 ou le 14 fruclidor. Rewhell fut
rassuré, et consentit a attendre.


Barras et Augereau, en effet, avaient tout
préparé pour l'exécution du COllp d'état médité
depuis si long-temps. Les troupes de Hoche
étaient disposées autour de la limite constitu-
tionnelle, pretes a la franchir, et a se rendre
dans quelques heures a Paris. On avait gagné
une grande partie des grenadiers du corps
législatif, en se servant du commandant en
second, Blanchard, et de plusieurs autres offi-




IJIRECTOIRE (1797)' 297
· . Clers, qm étaient dévoués au directoire. On


s'était ainsi assuré d'un assez grand nombre de
défections dan s les rangs des grenadiers, pour
prévenir un combato Le commandant en chef
Ramel était resté fidele aux cOIlseils, él cause
de ses liaison s avec Cochon et Carnot; mais
son inflnence était peu redoutable.· On avait,
par précaution, ordonné de grands exercices
a fen aux troupes de la garnison de París, et
meme aux grenadiers du corps législatif. Ces
mouvements de troupe~, ce fracas d'armes,
étaient un moyen de tromper sur le véritable
jour de l'exécution.


Chaque jour on s'attendait él voir l'évéllC-
ment éclater; on croyait que ce serait pour le
J 5 fruetidor, puis\ pour le 16; mais le 16 ré-
pondait au 2 septembre, et le directoire n'au-
raít pas choisi ce jour de terrible mémoire.
Cependant l'épouvante des c1ichyens fut ex-
treme. La police des inspecteurs, trompée par
de faux indices, leur avait persuadé que l'évé-
nement était fixé pour la nuit meme du 15 au
16. Ils se réunirent le soir en tumulte, dans
la salle des deux commissions. Rovere, le fou-
gllellx réacteur, l'"un des membres de la com-
mission des auciéns, lut un rapport de police,
d'apres lequel deux cents députés allaient etre
arretés dans la nuit. D'autres. courant él perte




2g8 REVOLUTION .FRANyAISE.
rl'haleine, vinrent annoncer que les barrieres
étaient fermées, que quatre co]onnes de trou-
pes entraient dans París, et que le comité di-
rigeant était réuni un directoire. lls disaient
aussi que l'hotel du ministre de la police était
tout éclairé. Le tumulte fut au comble. Les
membres des deux commissions, qui auraient
dli n'etre que dix, et quí étaient une cinquan-
taíne, se plaignaient de ne pouvoir pas déli-
bérer. Enfin on envoya vérifier, soit aux bar-
rieres, soit a l'hotel de la políce, les rapport!'.
des agents, et íl fut reconnu que le plus grand
calme régnait partout. 00 déelara que les
agents de la políce ne pourraient pas etre
payés le lendemain, faute de fonds; chacun
vida ses poches pour fournír la somIlle néces-
saire. On se retira. Les elichyens enlOUrerellt
Pichegru pour le décider a agir; íls voulaient
d'abord mettre les conseils en permanence,
puis réunir les émigrés et le!'. chouans qu'ils
avaient dans París, y adjoindre quelques jeu-
nes gens, marcher avec eux sur le directoire,
et enlever les troís directeurs. Pichegru dé-
clara tous ces projets ridicules et inexécuta-
bies, et répéta encore qu'il n'y avait ríen a
faire. Les tetes folles du partí n'ell réso)ureIlt
pas moins de commencer le lendemain par
faire déclarer la permanence.




DIRf:CTOIRE (1797 J. 2~)9
Le directoire fut averti par sa police du


trouble des clichyens, et de leurs projets dés-
espérés. Barras, qui avait dans sa main tous les
mayens d'exécution, résolut d'en faire usage
dans la nuit meme. Tout était disposé pour
que les troupes pnssent franchir en quelques
heures le ccrcle constitutionnel. La garnisoIl
de París devait suffire en attendant. Un grand
exercice a feu fut commandé ponr le lende-
main, afin de se ménager un prétexte. Per-
sonne ne fut averti du moment, ni les minis-
tres, ni les deux directeurs Rewbell et La-
I'évelliere, de maniere que tout le monde
¡gnorait que l'événement al/ait avoir lieu. Cette
journée du 17 (3 septembre) se passa avec as-
sez de calme; aucune propositioÍl ne fut faite
aux. conseils. Beaucoup de députés s'absen-
taient, afin de se soustraire a la catastrophe
qn'ils avaient si imprudemment provoquée.
La séance du directoire eut líen comme a }'or-
dinaire. Les cinq directeurs étaient présents.
A quatre heures de l'apres-midi, au moment
ou la séance était finie, Barras, .prit RewhelL
et Larévelliere a part, et Ieur dit qu'il {allaít
frapper la uuÍt meme, pour prévenir l'enne-
mi. lllenr avaitdeniandé quatre jours encore,
mais iI devan<;ait ce terme pourn'etre pas sur-
pris. Les trois directeurs se rendirent alors




300 llÉVOLUTION f'ltAN<]A ISE.


chez RewbeIl, ou ils s'étabIÍrent. nfut convenu
d'appeler tous les ministres chez Rewhell, de
s'enfermer la, jusqu'a ce que l'événement fút
consommé, et de ne permettre a personne d' en
sortir. On ne devait communiquer avec le de-
hors que- par Augereau et ses aides-de-camp.
ee projet arre té , les ministres furent convo-
qués pour la soirée. Réunis tous ensemble avec
les trois dÍrecteurs, ils se mirent a rédiger les
ordres et les proclamations nécessaires. Le pro-
jet était d'entourer le palais du corps législa-
tif, d'enlever au", grenadiers les postes qu'ils
occupaient, de dissoudre les commissions des
inspecteurs, de fermer les salles des deux con-
seils, de Hxer un autre lieu de réunion, d'y
appeler les députés sur lesquels on pouvait
compter, et de leur faire rendre une loi contre
les déplJtés dont on voulait se défaire. On
comptait bien que ceux qui étaÍent ennemis
du directoire n'oseraient pas se rendre au non'
veau lien de réunion. En conséquence, on ré-
digea des proclamations annonc;ant qu'un grand
complot avait été formé contre la république,
que les principaux auteurs étaÍent membres
des del1x commissions des illspecteurs, que
c'était de ces deux commissions que devaÍent
partir les conjurés; que, pour prévenir leur
attentat, le directoire faisait fermer les salles




301


tlll corps législatíf, et indiquait un autre lo-
cal, pour y réunir les députés fideles a la ré-
publique. Les cinq-cents devaient se réunir au


. théatre de l'Ocléon, et les anciens a l'amphi-
rthéatre de l'École de Médecine. Un réeit de la
eonspiration, appuyé de la déclaration de Du-
verne de Presle, et de la pieee trouvée dans
le porte.feuille de d'Entraigues, était ajouté a
ces proclamations. Le totH fut imprimé sur-le-
champ, et dut etre affiehé dans la nuit sur les
murs de Paris. Les ministres et les trois diree-
teurs resterent renfermés ehez Rewbell , et A u-
gereall partit av,ec ses aides-de-camp pour faire
exéclIter le projet convenu.


Carnot et Barthélemy, retirés dans Ieur Jo-
gemenl du I .. uxembourg, ignoraient ce qui se
pl'éparait. Les cliehyens, toujours fOl't agités,
encombraient la salle des cornmissions. Mais
Barthélemy trompé lit dire que ce ne serait pas
pourcette nnit. Pichegru, de son coté, venait de
q uitter Schérer, et iI assuraqlle ríen n'était
encore préparé. Quelques mouvements de trou-
pes avaient été aper<;us, mais c'était, disait-on,
a cause d'un exercice a feu, et on n'en con<;ut
aueune alarme. Chacun rassuré se retira chez
soi. Rovere seul resta daos la salle des iospec-
teurs, et se coucha dans nn lit quío était destiné
pour celui des membres qui devait veilIer.




302 1l1:VOLllTfON FIlANyAISI;.


Vers minuit, Augercau disposa toutes les
troupes de la garQison autour du palais, et fit
approchel' une nombreuse artillerie. Le plus
grand calme régnait dans Paris, ou l'on n'en-
tendait que le pas des soldals et le roulement
des canons. Il fallait, sans coup férir, enlever
aux grenadiers du corps législatif les postes
qu'íls occupaient. Ordre fut signifié au com-
mandant Ramel, vets une heure du matin, de
se remIre chez le ministre de la guerreo Il refusa,
devinant de quoi il s'agissait, courut réveiUer
I'inspecteur Rovere, qui ne voulut pas croire
cncore au danger, et se hata ensuite d'aller
dans la caserne de ses grenadiers pour faire
prendl'e les armes a la réserve. Quatre cents
hommes a peu pres occupaient les différents
postes des Tuileries, la réserveétait de huit
cents. Elle fut sur-Ie-champ mise sous les ar-
mes, et rangée en bataille dans le jardin des
Tuileries. Le plus grand ordre et le plus grand
silence régnaient dans les rangs.


Dix mille hommes a peu pres de troupes de
ligne occupaient les environs du chateau, et
se disposaient a l'envahir. Un coup de canon
a poudre , tiré vers trois heures du matin, servit
<le signa!. Les commandants des colonnes se
présenterent ;aux différents postes. Un officier
vint de ]a part d'Augereau ordonncr a Ramel




DII\.ECTOIllE (l797)' 303
1le livrer le poste du Pont-Tournant, qui com-
muniqu'ait entre le jardín et la place Louís XV;
mais Ramel refusa. Quinzc cents hommes s'é-
tant présentés a ce poste, les grenadiers, dont
la plupart étaient gagnés, le livrerent. La meme
chose se passa aux autres postes. Toutes les
issues du jardin et du Carrousel furent livrées,
et de toutes parts le palais se trouva envahi
par des troupes nombreuses d'infanterie et de
cavalerie. Douze pie ces de canon tout attelées
furent braquées sur le chateau. Il ne restait
plus que la réserve des grenadiers, forte de
huit cents hommes, rangée en bataille, et
ayant son commandant RameI en tete. Une
partie des grelladiers étaient disposés a faire
leur devoir; les autres, travaillés par les agents
de Barras, étaient disposés au contraire a se
réunir aux troupes du directoire. Des murmures
s'éleverent dans les rangs. - NOllS ne sommes
pas des Suisses, s'écrierent quelques voix. -
J'ai été blessé au J 3 vendémiaire par les roya-
listes, dit un officier, je ne veux pas me battre
pour eux le 18 fructidor. - La défection s'in-
troduisit alors dans cette troupe. Le comman-
dant en second, Blanchard, l'excitait de ses
paroles el de sa présence. ·Cependant le coro-
mandant Ramel voulait encare faire son devoir,
lorsqll'il l'€/{ut un orore, parti de la salle des




~1o!i luíVOUJTION .FIlAN()AIS1:.
inspecteurs, défendant de faire Eell. Au meme
instant, Augereau arriva a la tete d'un nombreux
état-major. - Commandant Ramel, dit-jl, me
reconnaissez-vous pour chef de la 17"" divi-
sion militaire? - Oui, répondit Ramel. - Eh
bien! en qualité de votre supérieur, je vous
ordonne de vous remIre aux arrets. - Ramel
obéit; mais il reC;llt de mauvais traitements de
quelques jacobins fllrieux, meIés dans I'état-
major d'Augereau. Celui-ci le dégagea, et le fit
conduire au Temple. Le bruit du canon, et l'in-
vestissement du cbateau avaient donné l'éveil
a tout le monde. Il était cinq heures du matin.
Les membres des commissions étajent aCCOllrus
a leur poste, et s' étaient rendus dalls leur
salle. lls étaient entourés, et ne pouvaient plus
douter du péril. Une compagnie de soldats
placée a leur porte avait ordre de laisser entrer
tous ceux qui se présenteraient avec la médaille
de députés, et de n'en laisser sortir aueun. Ils
virent arriver leur collegue Dumas, qui arri-
vait a son poste; mais ils lui jeterent un billet
par la fenetre, pour l'avertir du pél'il et l' en-
gager a s~ sauver. Augereau se fit remettre l'é-
pée de Pichegru et de Willot, et les envoya
tous deux au Temple, ainsi que· plusieul's au-
tres députés, saisis dans la salle des inspec-
tellrs.




DIRECTOIRF. (1797)' 30:)
Tandis que eette opération s'exécutait eontré


les conseils, le direetoire avait ehargé un offi~
cier de se mettre a la tete d'un détachement,
etd'aller s'emparerdeCarnotet de Barthélemy.
Carnot, averti a temps, s'était sauvé de son
appartement, et il était parvenu a s'évader par
une petite porte du jardin dll Luxembourg
dont il avait la clef. Quant a Barthélemy, OH
I'avait trouvé ehez lui, et on l'avait arreté.
Cette arrestation était embarrassante pour le
direetoire. Barras excepté, les directeurs étaient
charmés de la fuite de Carnot; .Is désiraÍent
vivement que Barthélemy en fit autant.Ils lui
tirent proposer de s'enfuir. Barthélem; répon~
dit qu'il y consentait, si on le faisait transpor-
ter ostensíblement " et sous son nom, a Ham-
hourg. Les direeteurs ne pouvaient s'engager
a une démarche pareille. Se proposant de dé-
porter plusieurs membres du eorps législatif,
ils ne pouvaient pas traiter avec tant de faveur
1'lIn de lenrs collegues. Barthélemy fut conduit
aH Temple; il y arriva en meme temps que
Pichegru, Willot, et les autres députés, pt:i~
dans la commission des inspecteurs.


II était huit heures du matin : beaucoup de
députés, avertis, voulurent courageusement se
rendre a leur poste. Le président des cinq-
cents, Siméol1, ~t celni des anciens, Lafond-


rx. 20




306 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
Ladebat, parvinrent jusqu'a leurs salles res-
pectives, qui n'étaient pas encore fermées, et
purent occuper le fauteuil en présence de
quelques députés. Mais des officiers vinrent lem
intimer l'ordre de se retirer. lis n'eurent que le
temps de déclarer que la représentation natio-
nale étaít dissoute. lis se retirerent chez run
d'eux, 00. les plus comageux méditerent une
nouvelle tentative. lis résolurent de se réunÍr
une seconde foís , de traverser Paris a pied, et
de se présenter, ayant leurs présidents en tete,
aux portes du Palais Législatif. n était pres de
onze heures du matin. Tont París était :¡verti
de l'événement; le calme de cette grande cité
n'en était pas troublé. Ce n'étaient plus les
passionsqui produisaiellt un soulevement;
c'était un acte méthodiqtle de l'autorÍté contre
quelques repl'ésentants. Une foule de curieux
encombraient les rues et les places publiques,
sans motdire. Seulementdes groupes détachés
des faubonrgs, et composés de jacobins, par-
couraient ,les rues en criant: Yive la: républi-
que! ti has les aristocrates! lis ne trouvaient ni
écho, ni résistance dans la masse de la popu-
lation. C'était surtont autour du Luxembaurg
que leurs groupes s'étaient amassés. La, ils
criaient : Plve le directoire! et quelques-lills,
'Vil)~ /Jarras!




DIRECTOlRE (1 797)~
Le groupe des députés traversa en silence la


fou[e amassée sur le Carrousel, et se présenta
aux portes des Tuileries. On leur en refusa
l'entrée; ¡ls insisterent; alors un détachement
les repoussa, et les poursuivit jusqu'a ce qu'ils
fussent dispersés: triste et déplorable speeta-
ele, qui présageait la proehaine et inévitabIe
domination des prétoriensl Pourquoi fallait-il
qu'une faction perfide eutobligé la révolutíon
a invoquer l'appui des balonnettes? Les dé-
putés ainsi poursuivis se retirer.ent, les nns
ehez le présidellt Lafond-Ladebat, les autres
dans une maison voisÍne. IIs y délibéraient en
tumulte, et s'oceupaient a faire une protesta-
tion ,lorsqu'un officier vint leur signifierl~or­
d,re de se séparer. Un eertain nombred'entl'e
eux furent arretés: c'étaient Lafond-Ladebat,
Barbé-Marbois, TrOlH;on-Ducoudray, Bourdon
de l'Oise ,Goupil de Préfeln, et quelqnes au-
tres. lIs fureuteonduits au Temple, ou déja
les avaient précédés les membres des denx
COmml'8S1ons.


Pendantce temps, les députés direcloriaux
s'étaient rendus au nouveau líen assigné pOllr
la réunionducorps législatif. lLes cinq-cents
allaient a l'Odéon, lesanciens a 1'ÉcoIe de Mé-
deeine. Il était midi a pell pres ,et iIs étai~nt
encor~ pen nomhrellx; mais ,le nombre s'en


9,0.




308 RFVOLUTION FRANc;tA.lSE.
augmentait él chaque instant, soit paree que
l'avis oe cette convocation extraordinaire se
communiquait de proche en proche, soit
parce que tous les incertains, craignant de se
déclarer en dissidence, s'empressaient de se
rendre au nouveau corps législatif. De mo-
ments en moments, on cümptait les membres
présents; et enfin, lorsque les anciens furent au
nombre de cent vingt-six , et les cinq-cents an
nombre de deux cent cinquante-un, moitié
plus un pour les deux conseils, ils commen-
cerent a délibérer. Il y avait quelque embar-
ras clans les deux assemblées, cal' l'acte qu'il
s'agissait de légaliser était un coup d'état ma-
nifeste. Le premier süin des deux conseils fut
de se déclarer en permanence, et ue s'avertir
réciproquement qu'ils étaient constitués. Le
uéputé POlllain-GI'anopré, membre ues cinq-
cents, prit le premier la parole.« -Les mesures
« qui out été prises, dit-il, le local que nüus
« occupons, tOllt annonce que la patrie a cou-
« ru de grands dangers, et qn'elle en court
r( encOI'e. Reudous grace au direcloire : c'est a
« lui que nous devons le salut de la patrie.
« Mais ce u' est pas asscz que le directoire veille;
« il est aussi de notre devoir de prendre des
« meSUl'es capables d'assurer le salllt publie,
1( et la cOl1stitution de I'an 111. A cet effet, je




DlRECTOIRE (1797). 309
« demande la formation d'une commission de
(( ónq membres. ))


Cette proposition fut adoptée, et la commis-
sion composée de députés dévoués au systeme
du directoire. C'étaient Sieyes, Poulain-Grand-
pré, Villers, Chazal et Boulay de la Meurthe.
On annon~a pour six heures du soir un mes-
sage d u directoire aux deux conseils. Ce mes-
sage contenait le récit de la conspiration, telle
qu'elle était connue du directoire, les denx
pie ces famellses dont nons avons déja parlé,
et des fragments de lettres trouvées dans les
papiersdes agents royalistes. Ces pieces ne con-
tenaient que les prenves acquises; elles prou-
vaient que Pichegru était en négociation avec
le prétendant, qu'lmbert-Colomes correspon-
dait avec Blanckembourg, que Mersan et Le-
merer étaient les aboutissants de ]a conspira-
tion aupres des députés de Clichy, et qu'une
vaste association de royalistes s'étendait sur
toute la France. Il n'y avait pas d'autres noms
que ceux qui ont déja été cités. Ces pie ces fi-
rent néanmoins un grand effet. En apportant
la conviction morale, elles prouvaient l'im-
possibilité d'employer les voies judkiaires,
par l'insuffisance des témoignages directs et
positifs. La commission des cinq eut aussitot
la parole sur ce message. Le directoire n'ayant




310 nÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
pas l'initiative ues propositiollS, e'était a la
eommission des cinq a la prendre ; mais eette
(:ommission avait le secret du directoire, et al-
lait proposer la législation du coup d'état con-
venu d'avance. Boulay de la Meurthe , ehargé
de prendre la parole au nom de la commis-
sion, donna les raisons dont on aeeompagne
habituellemellt les mesures extraordinaires,
raisons qui, dan s la circonstance, étaie'nt mal-
heureusement trap fondées. Apres avoir dit
qu'on se trouvait placé sur un champ de ba-
taille, qu'il fallait prendre ane mesure prompte
et déeisive, et sans verser une goutte de sang,
réduire les conspirateurs a l'impossibilité de
nuire, il lit les propositions projetées. Les
principales cOllsistaient a annuler les opéra-
tions électaralesde quarante-huit départements,
a délivrer ainsi le eorps législatif de députés
voués a une faction, et a choisir dan s le nom-
bre les plus dangereux pour les déporter. Le
conseil n'avait presque pas le choix a l'égard
des mesures a prendre; la circonstance n'en
admettait pas d'autres que eeHes qu'on lui
proposait, el le directoire d'ailleurs avait pris
une telle attitude, qu'on n'aurait pas asé les
lui refuser. La partie flattante et iIlcertair~e
d'une assembléc, que l'énergie soumet tou-
jours, était rangée du cót& des directoriaux,


..




DlRECTOIRE (J 797)' 31l
et prete a voter tout ce qu'ils voudraient. Le
député Chollet demandait cependant un délai
de douze heures pour examiner ces proposi-
tions; le cri aux ¡JO ix ! lui imposa silence. On
se horna a retrancher quelques illdividus de
la liste de déportation, tels que Thibaudeau,
Doulcet de Pontécoulant, Tarhé, Crecy, De-
torcy, Normand, Dupont de Nemours, Remu-
sat, Bail1y, les UllS comme bons patriotes, mal-
gré Ieur opposition, les autres comme trop
insignifiants pour etre dangereux.Apres ces re-
tranchements, on vota sur-Ie-champ les réso-
lutions proposées. Les opérations électorales
de qnarante-huit départements furent cassées.
Ces départements étaient les suivants; Ain, Ar-
deche, Arriége, " Aube, Aveyron, Bouches-du-
Rhóne, Calvados, Charente, Cher, Cóte-d'Or,
COtes-du-Nord, Dordogne, Eure, Ellre-et-Loir,
Gironde, Hérault, Ille-et-Vilaine, Indre-et-
Loire, Loiret, Manche, Marne, Mayenne, Mont-
Blanc, Morhihan,"Moselle, Deux-Nethes,Nord,
Oise, Orne, Pas-de-Calais, Puy-de-Dóme, Bas-
Rhin, Haut-Rhin, Rhóne, Haute-Saone, Saóne-
et-Loire, Sarthe, Seine, Seine-inférieure, Seine-
et-Marne, Seine-et-Oise, Somme, Tarn, Var,
Vaucluse, Yonne. Les députés nommés par
ces départements étaient exclus du corps lé-
gislatif. Tous les fonctionnaires, tels que juges




J f 2 RÉVOLUTlON FRAN~ArSE.
OU administrateurs municipaux, élus par ces
départernents, étaient exclus aussi de leurs
fonctious. Etaient condamllés a la déportation ,
dans un lieu choisi par le directoire, les indi-
vidllS suivants: dans le conseil des cinq-cents,
Aubry, Job Airné, Bayard, Blain, Boissy-d'An-
glas, Borne, Bourdon de l'Oise, Cadroi, Cou-
chery, Delahaye, Delarue, Dournere, Dumo·
lard, Dllplantier, Dllprat, Gilbert-DesmoJieres,
Henri Lariviere, Imbert-Colomes, CamiUe Jor-
dan, Jourdan des Bouches-du-Rhone, Gau,
Lacarriere, Lemarchant-Gomicourt, Lemerer,
Mersan, Madier, Maillard, Noailles, André,
Mac-Curtain, Pavée, Pastoret, Pichegru, Po-
lissart, Praire-Montaud, Quatremere-Quincy,
Saladin, Siméon, Vauvilliers, Vaublanc, Vil-
Jaret-Joyense, Willot : dans le conseil des an-
ciens, Barbé-Marbois, Dumas, Ferraut-Vail-
lant, Lafond-Ladebat, Laumont, Muraire,
Murinais, Paradis, Portalis, Rovere, Tronc;on-
Ducoudray.


Les deux directeurs Carnot et Bal'thélemy,
l'ex-ministre de la poli ce Cochon, son employé
Dossonville, le commandant de la garde du
corps législatif Ramel, les trois agents roya-
listes Brottier, Laville-Heurnois, Duverne de
Presle, étaient condamnés aussi aJa déporta-
tion. On ne s'en tint pas la : les journalistes




DIREC'l'OIRE (r 797). 313
u'avaient pas été moins dangereux que les dé-
putés, et on n'avaitpas plus de moyens de les
frapper jlldieiairement. On résolut d'agir ré-
volutionnairement a leur ég.ard, eomme a l'é-
gard des membres dll corps législatif. On con-
damna a la déportation les propriétaires, édi-
teurs et rédacteurs de quarante-deux jonrnaux;
car aucunes conditions n'étant alors imposées
aux journaux politiqllcs, le nombre en était
immensr. Dans les quarante -deux figllrait la
Quotidienne. A ces dispositions contre les in-
dividus, on en ajouta d'autres, ponr renforcer
l'autorité du dírectoire, et rétablir les lois ré-
volutÍonnaires que les cillq-cents avaient abo-
líes ou modifiées. Ainsi le directoire avait la
nominatioIl de tous les juges et magistrats
municipaux, dont l'élection était annulé~ dans
quarante-huit départements. Qllant aux places
de députés, elles restaient vacantes. Les arti-
eles de la fameuse loi du 3 brumaire, qui
avaient été rapportés, étaient remis en vigueur,
et rrH~me étendus. Les parents d'émigrés, exclus
par eette loi des fonetions publiques jusqu'a
]a paix, en étaient exc1us par la 10i nouveIle.
jnsqu'au terme de quatFe ans apres la paix; ils
étaient privés en outre des fODctions électo-
raIes. Les émigrés, rentrés sous prétexte de
demander leur radiation, devaient sortir sons.




314 RÉVOLUTION FRAN9AlSE.
vingt-quatre heuresdes communes danslesquel-
les ils se trouvaient, et sous quinze jours du ter-
ritoire. Ceux d'entre eux qui seraient saisis en
contravention devaient subir l'applieation des
lois sous vingt-quatre heures. Les lois qui rap-
pelaient les pretres déportés, qui les dispen-
saient du serment et les obligeaient a une
simple déclaration, étaient rapportées. Toutes
les lois sur la police des euItes étaient rétablies.
Le directoire avait la faculté de déporter, sur
un simple arreté, les pretres qu'il saurait se
mal conduire. Quant aux journaux, iI avait a
l'avenir la faculté de supprimer ceux gui lui
paraitraient dangerel1x. Les sociétés poli tiques ,
c'est-a-dire les clubs étaient rétablis; mais le
directoire était armé contre eux de la meme
puissance qn'on lui donnait contre les jour-
naux; il pouvait les fermer a volOllté. Enfin,
ce qui n'était pas moins important que tout
le reste, l'organisation de la garde llationale
était suspendue, et rellvoyée a d'autres temps.


Aucune de ces dispositions n'était saugui-
naire, ear le temps de l'effusion du sang était
passé; mais elles rendaient au direeloire une
puissance toute révolutionnaire. Elles fureut
votées le 18 fl'uctidor an V (4 septembre) au
soir, dans les cinq-cents. AUCUlle voix ne s'é-
leva contre leur adoption; qnelques députés




DlRECTOlltE (1797).
applaudirent, la majorité fut silellcieuse et
soumise. La résolution qui les contenait fut
portée de suite aux anciens, qui étaiellt en
permanence comme les cinq-cents, et qui at-
tendaient qu'on leur fourn.t un sujet de déli-
bération. La simple lecture de la résolution et
du rapport les occupa jusqu'au matin du '9.
Fatigués d'une séance trop longue, ils s'ajour-
nerent pour quelques heures. Le directoire,
qui était impatient d'obtenir la sanction des
anciens, et de pouvoir appuyer d'une loi le
coup d'etat qu'il avait frappé, envoya un mes-
sage au corps législatif. - « Le directoire, di-
saÍt ce message, s'est dévoué pour sauver la
liberté, mais il compte sur vous pour l'appuyer.
C'est aujourd'hui le 19, el vous n'avez encore
rien faít pour le seconder. »-La résolution fut
aussitót approuvée en loi, et envoyée· au di-
rectoire.


A peine fut-il muni de cette loi, qu'il se
hata d'en user, voulallt exécuter son plan avec
promptitude, et allssitót apres faire rentrer
toutes choses dans l'ordre. Un grand nombre
de condamnés a la déportation s'étaient en-
{uis. Carrtot s'était secretement dirigé vers la
Suisse. Le directoire aurait vouJu faire évader
Barthélemy, qlli s'obstina par les raisons qui
ont été rapportées plus haut. Il choisit sur la




316 RÉVOLUTlON FRANQAISL
liste des déportés quinze indívidus, jugés ou
plus dangereux OH plus coupables, et les des-
tina a une déportation, quí pour quelques-
uns fut aussi funeste que la mort. On les 6t
partir le jour meme, dans des chariots grillés,
pour Rochefort, d'ou ils durent etre transpor-
tés sur une frégate a la Guyane. C'étaient Bar-
thélemy, Pichegru, Willot, ainsi traités a cause
uu de leur importance uu de leur culpabilité;
B.overe, a cause de ses intelligences connues
avec la faction roya liste; Aubry, a cause de
son role dans la réaction; Bourdon de l'Oise,
MurinaÍs, Delarue, a cause de Ieur conduite
dans les cinq-cents; Ramel, a cause de sa con-
duite a la tete des grenadiers; Dossonville, a
cause des fonctions qu'il avait remplies aupres
de la commission des illspecteurs; Tron({on-
Ducoudray, Barbé-Marbois, Lafond-Ladebat,
a cause, non de leur clllpabilité, cal' ils étaient
sincerement attachés a la république, mais de
leur influence dans le conseil des anciens;
en6n BroUier et Laville-Heurnois, a cause de
lenr conspiratioIl. Leur complice Duverne de
Presle hit ménagé en considération de ses ré-
vélations. La haine eut sans doute sa part 01'-
dinaire oans le choix des victimes, cal' il n'y
avait que Pichegru de réellement dange,'eux
parmi ces quinze individus. Le nombre en fut




DIRECTOIRE (J 797 j.
porté a seize, par le dévouement du nommé
Letellier, domestique de Barthélemy, quí de-o
manda a suivre son maltre. On les fit partir
sans délai, et ils furent exposés, comme il ar-
rive toujours, a la bl"Utalité des subalternes.
Cependant le dírectoire ayant appris que le
général Dutertre, chef de l' escorte, se condui-
sait mal envers les prisonniers, le remplac;;a
sllr.le-champ. Ces déportés pour cause de roya-
lisme allaient se retrouver a Sinamari, a coté
de Billaud - Varennes et de Collot - d'Herbois.
Les autres déportés furent destinés a l'He d'O-
leron .


. Pendant ces deux jours, París demeura par-
falternent calme. Les patriotes des faubourgs
trouvaient la peine de la déportation trop
douce; ils étaient habitués a des mesures ré-
volutionnaires d'une autre espece. Se confiant
dans Barras et Augereau, ils s'attendaient a
rnieux. Ils [ormerent des groupes, et villrent
sons les fenetres du directoire erier: Five la
République! vive le Direcloire! vive Barras!
lis attribuaient la mesure a Barras, et dési-
raientqu'ons'en remlt a luí, pendantquelques
jours, de la répression des aristoerates. Ce-
pendant ces gr9upes 'peu nombreux ne troll-
hIerent aueunement le repos de Paris. Les
sectionnaires de vendémiaire, qu'on allrait vus




31 S I\ ÉVOLUTION FRAWr;AISJ':'
bientot, sans la loi du 19, réorganisés en garde
nationale, n'avaient plus assez d'énergie pOllr
prendre spontanément les armes. !ls laisserent
exécuter le coup d'état sans opposition. Du
reste, l'opinion restait incertalne. Les républi-
cains sinceres voyaient bien que la factlon
royaliste avait rendu inévitable une mesure
énergique ,mais ils déploraient la violation des
lois et l'intervention du pOllvoir militaire. lIs
doutaient presque de la culpabilité des con s-
pirateurs., en 'voyant un homme comme Car-
not, confondu dans leurs rangs. lis craignaietlt
que la haine n'eUt trop ¡nflné sur la déter01i·
nationdu dj,rectoire. Enfin, me me en jugeant
sesdéterminations commenécessaires, ils
étaient tris:tes, et ils avaient raison; ,c~r ,il de-
venaitévident que eette constitution, dans
laquelle ils avalent mis tont lellr espoir, n'é-
tait pas le terme de nos troubles et de nos di.s-
cordes. La masse de la population se sou01it,
et sedétacha beaucoup en ce jonr des événe-
ments politiques. On l'avaitvue, le 9 thermidor,
passer de la haine contre rancien régime a la
haine contre la terreur. Depuis, ellen'avait
v0111u intervenir dans les affaires que pour
réagir contre le directoi'rc, qu'elle confondait
avec la convention et le comité de salnt pllblic.
Effrayée aujollno'hni de I'lmergi,f' de ce direc-




DIRECTOTRE (T 797)'
toire, elle vit dans le 18 fructidor l'avis de
demeurer étrangere aux événements. Allssi vit-
on, depuis ce jour, s'attiédir le úle politiqueo


Telles devaient etre les conséqueneesdu
eoup d'état da [8 fructidor. On a dit qu'il
était devenu inutile a l'instant Otl iI fut exé-
cuté, que le directoire en effrayant la faction
royaliste avait déja réussi a lui imposer, qu'en
s'obstinant a [aire le coup d'état, iI avait pré-
paré l'usurpation militaire, par l'exempIe de
la violation des lois. Mais, eomme nous l'avons
déja dit, la faction royaliste n'était intimidée
que pónr un moment ; a I'arrivée du prochain
tiers elle allrait infailliblement tont renversé,
et emporté le directoire. La gl1erre eivile eút
alors été établie. entre eHe et les armées. Le
directoire, en prévenant ce moment et en le
réprimant a propos, empecha la guerre civile;
et, s'il se mit par la sous l'f~gide de la puis-
sanee militaÍre, il subit une triste mais inévi-
table np.cessité. La légalité était une ilIusion a
la suite d\me révolution comme la notre. Ce
n'est pas a l'abri de la puissance légale que
tous les partís pouvaient venir se soumettre et
se reposer; iI fallait une puissance plus forte,
pOlir les réprimer , les rapprocher, les fondre,
et ponr les protéger tous contre l'Enrope en
armes: et cette pnissancf>, c'était la pllissance




320 RÉVOLUTION FRAN~AIS]';.
militaire. Le directoire, par le 18 fructidor,
prévint done la guerre civile, et lui substitua
un coup d'état, exécuté avec force, mais ave e
tout le calme et la modération possibles dans
les temps de révolution.




lHRECTOIRE (1797)' 321


CHAPITRE V.


COlIséquellces du IR frllctidor. - Nomination de Merlin
, de Douai et de Franc;ois de Neufchateau en remplace·


ment des deux directeurs déportés. - Révélations tar-
dives et disgr~ce de Moreau.-Mort de Hoche.- Rem-
boursement des deux tiers de la dette. - Loi contre les
ci-devant nobles. - Rupturc des conférences de Lille
avec I'Angleterre. - Conférences d'Udine. - Travaux
de Bonaparte en Italie; fondation de la républiqlle ci-
salpine; arbitrage entre la Valteline et les Grisons;
constitution Jigurienne; établissements dans la Médi-
terranée. - Traité de Campo-Formio.- Retour de Bo-
naparte a París; fete triomphale.


LE J 8 fructidor jeta la terreur dans les rangs
des royalistes. Les pretres et les émigrés, déja
rentrés en grand nombre, quitterent París et
les grandes villes, pour regagner les frontieres.


IX. 2I




322 RlÍVOLUTION FRAN~AIS)<:.
Ceux qui étaient prets a rentrer. s'enfoncerent
de non vean en AIlemagne et en SlIisse. Le diree-
toire venait d'etre réarmé de toute la puissance
révolutionnaire par la loi du 19. et personlle
ne voulait plus le braver. Il commen<{a par ré-
former les administrations, ainsi qu'il arrive
toujours achaque changement de systeme, et
appela des patrio tes prononeés a la plupart des
places. Il avait a nommer a tOlltes les fOllctions
électives, clans quarante-huit départements, et
il pouvait ainsi ételldre beaucoup son influen-
ce, et multiplicr ses partisans. Son premier
soin devait etre de remplacer les denx diree-
teurs, Carnot et Barthélcmy. RewheIl et La-
révelliere, dont le dernier événement avait sin-
gulierement augmenté l'influence, ne voulaient
pas qu'on pul les accuser d'avoir exclll deux
de lenrs collegues, pour rester mal tres du
gouvernement. lIs exigerent done que l'on
demandat sur-Ie-champ au eorps législatif la
nominatian de deux nouveaux direeteurs. Ce
n' était point l' avis de Barras, et encore mains
d'Augereau. Ce général était enchanté de ]a
journée dn ] 8 'fructidor, el tout fier de l'avoir
si bien eondllite. En se nH~lant allx événements,
iI avait pris go('¡t· a la patitiqne et au pauvoir,
et avait com':ll l'alnhitioJl de siéger au diree-
toire. Il voulait que les trois direeteurs , saos




DlRECTOIRE (1797).
demander des collegues au corps législatif,
l'appelassent a siéger aupres d'eux. On ne sa-
tis6t point a eette prétention, et il ne lui resta
d'autre moyen pour devenir directeur, que
d'obtenir la majorité dans les conseils. Mais il
fut encore dé(;u dans cet espoir. Merlin de
Douai, ministre de la justice, et Franl,iois de
Neufchateau, ministre de l'intérieur, l'empor-
terent d'un assez grand nombre de voix sur
leurs concurrents. Masséna et Augereau furent,
apres eux, les deux candidats qui réunirent le
plus de suffrages. Masséna en eut quelques-uns
de plus qu'Augereau. Les deux nouveaux di-
recteurs furent installés avec l'appareil accou-
turné. Ils étaient républicains, plutot a la ma-
niere de Rewbell et de Larévelliere, qu'a la
maniere de Barras; ils avaient d'ailleurs d'autres
habitudes et d'autres mreurs. Merlín était un
jurisconsulte; Franl,iois de Neufchateau un
homme de lettres. Tous deux -avaient une
maniere de vívre analogue a leur profession, et
étaient faits pour s'entendre avec Rewbell et
Larévelliere. Peut-etre eut-il été a désirer, pour
l'influence et la considération du directoire
aupres de nos armées, que l'11n de nos géné-
raux célebres y fUt appelé.


Le directoire rempla~a les deux ministres
appelé5 au directoire, par deux administrateurs


21.




324 RÉVOL(JTION FRANyAISJ.:.
excellents pris dans la provincc. Il espérait ainsi
composer le gouvernement d'hommes plus
étrangers aux intrigues de Paris, et moins ac-
cessiLles a la faveur. Il appela a la jllstice
Lambrechts, qui était commissaire pres l'admi-
nistration centrale du département de la Dyle ,
e' est-a-dire préfet; c' était un magistrat integre.
Il pla<,;a a l'intérienr Letourneur, commissaire
pres l'administration centrale de la Loire-Infé-
rieure, administrateur capable, actif et probe,
rnais trop étranger a la capitale et a ses usages,
pour n'etre pas quelqllefois ridicule a la tete
tI'une grande administration.


Le directoire avait líe u de s'applaudir de la
maniere dont les événements s'étaient passés.
Il était seulement inquiet du silence du général
Bonaparte, qui n'avait plus écrit depuis long-
temps, et qui n'avait point envoyé les foneIs
promis. L'aide-de-camp LavaleUe n'avait point
paru au Luxembolll'g pendant l'événement, et
on soupc;onna qu'il avait indisposé son général
contre le directoire, et luí avait donné de faux


-renseignemellts sur l'étal des choses. M. de
Lavalette, en cffet, n'avait cessé de conseiller
a Bonaparte de se tenil' a part, de rester
étranger an conp d'état, et de se borner au
secours qu'il avait donné au directoire par ses
proclamations. Barras et A llgereau manderent




Dl m:C'I'OI m; (1797)'
M. de Lavalette, luí tirent des menaces, en luí
disant qu'il avaÍt sans doute trompé Bonaparte,
el ils lui déclarerent qu'ils l'auraient fait arre-
ter, sans les égards dns a son général. M. de
Lavalette partít sur.le·champ ponr l'ltalie. An-
gereau se hata d'écrire au général Bonaparte et
a ses ami s de l'armée, pour peindre l' événe-
ment sous les couleurs les plus favorables.


Le directoire, mécontent de Morean, avait
résolu de le rappeler, mais iI re<{ut de lui une
lettre qui fit la plus grande sensatioll. Morean
avait saisÍ lors dH passage du Rhill les papiers
<lu gélléral Klinglin, et y avait trouvé tOllte la
correspondan ce de Pichegru avec le prince de
Condé. Il avait tenu cette· correspondan ce se-
crete; mais il se décida- a la faire connaitre au
gouvernement au moment du 18 fructirlol'. 11
prétendit s'etre décidé avant la cOl1llaissance
des évéllemellts du 18,. et afin de fournir·an <lí-
rectoire la preuve dont il avait besoin ponr
confondre des ennemis redolltables. Mais on
assure que Moreall avait re<{u par le télégraphe
la nonvelle des événements dans la journée
meme du 18, qu'alors il s'était haté d'écrire,
pour faire une dénonciation qui ne compro-
mettait pas Pichegrn plus qu'il ne l'était, et (luí
le déchargeait lui-meme d'nne grande res pon-
sabilité. Quoi qu'il eH soit de ces différentes




.326 nÉvoLUTION }·UANc,;AlSE.
suppositions, il est clair que Moreau avait
gardé Iong-temps un secret important, et ne
s'était décidé a le révéler qu'au moment meme
de la catastrophe. Tout le monde dit que, n'é-
tant pas assez républicaín poul' dénoncel' son
ami, il n'a vait pas été cependant ami assez
fidele pour gal'del' le secret jusqu'au bout. Son
caractere politique parut la ce qu'il était, c' est-
a-dil'e faíble, vacillant et incertain. Le direc-
toire l'appela a Paris pour rendre compte de
sa conduite. En examinant cette col'l'espon-
dance, il Y trouva la confirmation de tout ce
qu'il avait appris sur Pichegl'u, et dut regretter
de n'en avoir pas eu connaissance plus tot. Il
trouva aussi dans ces papiers la preuve de la
fidélité de Moreau a la république; mais iIle
punít de sa tiédeur et de son silence en lui
otant son commandement, et en le laissant
sans emploi a Paris.


Hoche, toujours a la tete de son armée de
Sambre·et-Meuse, venait de passer un mois en-
tier dans les plus cruelles angoisses. Il étaít a
son quartier - général de Wetzlar, ayant une
voiture toute prete pour s'enfuir en Al1emagne
avec.sa jeune femme, si le partí des cinq-cents
l'emportait. C'est cette circonstance seule qui,
pour la premiere fois, le fit songer a ses ¡nté-
rets, et a réunir une somme d'argent pour




DIRECTOI Rl( (1797)'
suffire a ses besoins pendant son éloignement;
on a vu déj:'t qn'il avait preté au directoire la
plus grande partie de la dot de sa femme. La
nouvelle du 18 frnctidor le combIa de joie, et
le délivra de tonte crainte ponr lui-meme. Le
directoire, pour récompenser son dévouement,
réunit les deux grandes armées de Sambre~ct­
Mense et du Rhin ~n une seule, sous le 110m
cJ'armée d'AlIemagne, et lui en donna le com-
mandement. C'était le plus vaste commande.,.
ment de la république. Malheureusement la
santé du jeune géllérallle lui permit guere de
jouir dn triomphe des patriotes, et des témoi-
gnages de confiance du gouvernement. Depuis
quelque tcmps une toux. seche et fréqllente,
des convulsions nerveuses, alarmaient ses amis
et ses médecins. Un mal inconnu consumait ce
jeune homme, llaguere plein,de santé, et qui
joignait a ses talents I'avantage de la beauté et
de la viguenr la plus male. Malgré son état, il
s' occupait d'organiser en une seule 106 dem~, ar-
mées dont il venait de recevoir le comman¡:le-
ment, et il songeait toujours a son expédition
d'Irlande, dont le directoire voulait {aire- un
moyen d'épouvante contre l'Angletene.Mais
sa toux devint plus violente vers les derni,ers
jours de fructidor, et il commeD~a a souffrir'
des doulcurs iusupp0I'lables. Ou souhailait




328 RÉVOLUl'ION FRANC;;:AISE.
qu'il suspendit ses' travaux, mais il ne le voulut
pas. Il appela son médecin et lui dit : Donnez-
moi un remede pour la fatigue, mais que ce
remede ne soit pas le reposo Vaincu par le
mal, il se mit au lit le premier jour complé-
mentaire de l'an V (17 septembre), et expira
le lendemain, au milieu des douleurs les plus
vives. L'armée fut dans la consternation, car
elle adorait son jeune général. eette nou-
velle se répandit avec rapidité, et vint af-
fliger tous les répllblicains, qui comptaient
sur les talents et sur le patriotisme de Hoche.
Le bruit d'empoisonnement se répandit sur-
le-champ; on ne pouvait pas croire que tant
de jeunesse, de force, de santé, succombas-
sent par un accident naturel. L'autopsie fut
faite; l' estomac et les intestins furent exa-
minés par la Faculté, qui les trouva remplis
de taches noires, et qni, sans déclarer les
traces du poi son , parut da moins y croire. On
attribua l'empoisollnement au directoire, ce
qui était absurde, car personne au directoire
n'était capable de ce crime, étranger a nos
mreurs, et personne surtout n'avait intéret a
le commettre. Hoche, en effet, était l'appui le
plus solide dll directoire, soít contre les raya-
listes, soÍt contre l'ambitieux vainqlleur de
l'Italie. On suppasa avec plus de vraisemblance




DlRECTOIRE (I7~!7)'
qu'il avait été empoisonné dans l'Ouest. Son
médecin crut se sOllvenir que l'altération de sa
santé datait de son dernier séjour en Bretagne,
lorsqu'il alla s'y embarquer ponr qr1ande. On
imagina, du reste san s preuve, que le jeune gé-
néral avait été empoisonné daos un repas qll'il
avait donné a des personnes de tons les partís,
pour les rapprocher.


Le directoire fit préparer des obseques ma-
gnifiques; elles eurent líeu au Champ·de-Mars,
en présence de tous les corps de l' état, et au
milieu d'un concours immeose de peuple. Une
armée considérable suivait le convoi; le vieux
pere du général conduisait le deuil. Cette
pompe fit une impression profonde, et fut
une des plus belles de nos temps hérolques.


Ainsi finit l'une des plus beBes et des plus
intéressantes vies de la révolution. eette fois
du moins ce ne fut pas par l'échafaud. Hoche
avait vingt-neuf ans. Soldat aux gardes fran-
~aises, il avait fait son éducation en quelques
mois. Au cOllrage physique du soldat il joignait
un caractere énergique, une intelligence supé-
rieure, une grande connaissance des hommes,
l'entente des événements politiques, et en fin
le mobile tout-puissant des passions. Les sien-
nes étaient arden tes , et furent peut-etre la
seule cause de sa. mort. Une circonstance




330 RÉVOLUTION FllAN«;;AISE.
particuliere ajoutait a l'intéret qu'inspiraiellt
toutes ses qualités : toujours iI avait vu sa for-
tune interrompue par des accidents imprévus;
vainqueur a Wissembourg ,etpretaentrerdans
la plus belle carriere, ii fut tout-a-coup jeté dans
les cachots : sorti des cachots pour aller se consu-
mer en Vendée, il Y remplit le plus beau role
politique, et, a l'instant uu il allait exécuter un
grand projet sur l'Irlande, une tempete et des
mésintelligences l'arreterent encore : trans-
porté a l'armée de Sambre-et-Meuse, il y rem-
porta une belle victoire, et vit sa marche sus-
pendue par les préliminaires de Léoben : enfin,
tandis qu'a la tete de l'armée d'Allemaglle et
avec les dispositions de l'Europe., il avait en-
core un avenir immense, iI fut frappé tout-a-
coup au milieu de sa carriere, et enlevé par,
une maladie de quarante-huit hellres. Dll reste,
si un heau souvenir dédommage de la perte
de la vie, il ne pouvait etre mieux dédom-
rnagé de perdre si tot la sien ne. Des victoires,
une grande pacification, I'universalité des ta-
lents, une probité sans tache, l'idée répandue
chez tou~ les républicains qu'il aurait lutté
senl contre le vainqueur de Rivoli et des Py-
rarnides, que sQn ambition serait reslée répu-
blicaine et eut été un obstacle illvincihle pour
la grande arnbition qui prétendait au trone, en




DIRECTOIRE (1797). 331
un mot, des hauts faits, de nobles conjectures,
et vingt-neuf ans, voila de quoi se compose
sa mémoire. Certes, elle est assez belle! ne le
plaignons pas d'etre mort jeune : il vaudra
toujours mieux pour la gloire de Hoche, K.lé-
ber, Desaix, de n'etre pas devenus des maré-
chaux. Ils out eu l'honneur de mourir ci-
toyens et libres, sans etre réduits comme


, Moreau a chercher un asile daos les armées
éfrangeres.


Le gouvernement donna l'armée d'Allema-
gne a Augereau, et se débarrassa ainsi de sa
turbulence, qui commen<;ait a devenir incom-
mode a París.
L~ directoire avait fait en quelques jours


tous les arrangements qu'exigeaint les circons-
tances; mais iI lui restait a s'occuper des fi-
nances. La loi du 19 ~ructidor, en le délivrant
de ses adversaires les plus redoutables, en ré-
tablissant la loi du 3 brumaire, en Ini donnant
de nouveaux moyens de sévérité contre les
émigrés et les pretres, en l'armant de la faculté
de supprimer les journaux, et de fermer les
sociétés politiques dont l'esprit ne lui convien-
draít pas, en lui permettant de remplír toutes
les pIaces vacantes apres l'annulatjon des élec-
tions, en ajournant indé611iment la réorgalli-
sation des gardes nationales, la loi du 19 fruc-




332 RÉVOI.UTION FRAN~AISJ<:.
lidor lui avaít rendu tout ce qu'avaient VOUI~l
lui ravir les deux conseils, et y avait meme
ajouté une espece de toute-puissance révolu-
tionnaire. Mais le directoire avait des avantages
tout aussi importallts a recouvrer en matiere
de finances; car on n'avait pas moins voulu le
rédnire sous ce rapport que sous tous les au-
tres. Un vaste projet fut présenté pour les
dépenses et les recettes de l'an VI. Le premier
soin devait etre de rendre an directoire les
attributions qu' on avait voulu lui oter, relati-
vement aux négociations de la trésorerie, a
l'ordre des paiements, en un mot, a la mani-
pulation des fonds. Tous les artides adoptés
a cet égard par les conseils , avant le 18 fruc-
tidor, furent rapportés. Il fallalt songer ensuite
a la création de nouveaux impots, pour soula-
ger la propriété fonciere trap chargée, et por-
ter la recette au niveau de la dépense. L'éta-
blissement d'une loterie (ut autorisée; il fut
établi un droit sur les chemins et un autre sur
les hypotheques. I .. es droits de l'enr'egistrement
furent régularisés de maniere a en accroitrc
considérablerncnt le produit; les droits sur les
tabacs étrangers furent augmentés. 9race a
ces nouveaux moyens de recette, on put ré-
duire la contribution fonciere a 228 mil/ious,
et la contribution pcrsonnelle a 50, et porter





DIRECTOIRE ([ 797). 333
cepenJant la somme totalc des revenus pour
fan VI a 6J 6 millions. Dans cette somrne , les
"'entes supposées de biens nationaux n'étaient
évaIuées que pour 20 millions.


La recette se trouvant éIevée a 616 millions
par ces différents moyens, il fallait réduil'e la
dépense a la meme somme. La guerre n'était
supposée dcvoir couter eette auuée, meme clans
le cas d'une Ilouvelle campagne, que 283 mil-
lions. Les autres services généraux étaient éva-


. Iués a 2.47 millions, ce qui faisait en tout 530
millions. Le serviee de la dette s'élevait a luí
seu! :'t 258 millions; el si on I'eut fait intégra-
lement, la dépense se fUt élevée a un taux
fort supérieur aux moyens de la république.
On proposa de n'en payer que le tiers, c'est-
a-dire 86 millions. De cette maniere, la guerre,
les ser vices généraux et la deUe ne portaient
la dépense qu'a 616 millions, montant de la
recette. Mais pour se renfermer dans ces bor-
nes, il fallait prendre un partí décisif a l'égard
de la dette. Depuis l'abolitioIl du papier-mon-
naie et le retour dll numéraire, le service des
intérets n'avait pu se faire exactement. On avait
payé un quart en numéraire, et trois quarts
en bons sur les biens nationaux , appelés bons
des trois-qual'ts.C'était, en quelque sorte, eomme
si on eut payé un quart en argent et trois




334 RÉVOLUTION FllAN(}t\ISE.
quarts en assignats.La deue n'avait done guere
été servie jusqu'ici qu'avec les ressources pro-
venant des biens nationaux, et iI devenait ur- '
gent de prendre un parti a cet égard, dans
l'intéret de l'état et des créallciers. Une dette
dont la charge annuelle montait a 258 millions,
était véritablement énorme pour ceUe époque.
On ne connaissait point encore les ressources
<Iu crédit et la puissance de l'amortissemeIlt.
J-"es revenus étaient bien moins considérables
qu'ils ne le sont devenus, car on n'avait pas eu
le temps de recueillir encore les bienfaits de
la révolution; et la FraIlce, qui a pu produil'e
depuis un milliard de contributions générales,
pouvait a peine alo1's donne1' 616 millions.
Ainsi la dette était accablante, et l'état se trou-
vait dans la situation d'un particulier en fail-
lite. On résolut done de continuer a servir
une partie de la dette en numéraire, et, an •
líeu de servir le reste en bons sur les biens
nationaux, d'en rembourser le capital meme
avec ces biens. On voulait en conserver un
tiers seulement; le tiers conservé devait s'ap-
peler tiers consolidé, et" demeurer sur le grand-
livre avec qualité de .. rente perpétuelle. Les
deux autres tiers devaient etre remboursés au
capital de vingt fois la rente, et en bons rece- •
vaLles en paiement des biens nationaux. Il est




DIRliCTOIRE (1797)' 335
vrai que ces bons tombaiellt dans le commerce
a moins du sixieme de leur valeur, et que
pour cellX qlli ne voulaient pas acheter des
terres, c' était une véritable banqueroute.


Malgré le calme et la docilité des conseils
depllis le T 8 fructidor, cette mesure excita une
vive opposition. Les adversaires du rembourse-
ment soutenaient que c'était ulle vraie banque-
route; que la dette, a l' origine de la révolution,


• avait été mise sous la sauvegarde de l'honneur
national, et que c'était déshonorer la républi-
que, que de rembourser les deux tiers; que les
créancÍers qui n'acheteraient pas des hiens
perdraient les neuf dixiemes en négociant leurs
bons, car l'émission d'une aussi grande quan-
tité de papier en avilirait cOllsidérahlement la
valeur; que meme, sans avoir des préjugés
contre l'origine des hiens, les créanciers de
l'état étaient pour la plupart trop pauvres pour
acheter des terres; que les associations pour
acquérir en commun étaient impossibles; que,
par conséqnent , la perte des nenf díxiemes dll
capi tal était réelle pour la plupart; que le tiers
prétendu consolidé, et a l'abri de réduction
'pour l'avenir, n'était que promis; qu'un tiers
promis valait moins que trois tiers promis;
qu'ellfin si la répllblique ne pOllvait pas, dans
le moment, sl1fíire a tont le servicc de la dette,




336 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
il valait mieux pour les créanciers attendre,
comme its avaient fait jusqu'ici, mais attendre
avec l' espoir de voir leur sort amélioré, q u' etre
dépouillés sur-Ie-champ de Ieur créance. Il y
avait meme beaucoup de gens qui auraient
voulu qu'on distillguat entre les différentes es-
peces de rentes inscrites au grand-livre, et qU'OIl
ne soumit an remboursement que ceHes. qui
avaient été acquises a vil prix. Il s'en était
vend u en effet a 10 et 15 franes, et cenx qui
les avaient achetées gagnaient encore beau-
coup malgré la réduction an tiers.


Les partisans dn projet du directoire répon-
daient, qu'un état avait le droit, comme tont
particulier, d'abandonner son avoir a ses créan-
ciers, quand il ne pouvait plus les payer; que
la dette surpassait de beaucoup les moyens de
la république, et que dans cet état, elle avait
le droit de leur abandonner le gage meme de
cette dette, c'est-a-dire les biens; qu'en ache-
tant des terres ils perdraient fort peu; que
ces tcrres s'éleveraient rapidement dans leurs
mains, pour remonter a lenr ancienne valeur,
et qu'ils retrouveraient ainsi ce qu'ils avaient
perdu; qu'il restait J ,300 millions de bien s
(le milliard promis allX armées étallt trans-
l'0"té aux créanciers de l'état), que ]a paix.
t;tait prochaine, qu'a ]a paix les bons de rem-




DIRECTOTRE (1797).
boursement devaient seuls etre re<;ns en paie-
ment des biens nationaux; que, par con sé-
quent, la partie du capital remboursée, s'éle-
vant a enviro n 3 milliards, trouverait a acqué-
rir J ,300 malions de biens, et perdrait fOllt
au plus les deux tiers an lieu des nenf dixie-
mes; que du reste les créanciers n'avaient pas
été traités autrement jusqu'ici; que toujours
OH les avait payés en biens, soit qu'on leur
donnat des assignats, ou des bons de trois-quarts;
que la république était obligée de leur donner
ce qu'elle avait; qn'ils ne gagneraient rien a
attendre, cal' jamais eHe ne pOllrrait servir
toute la dette; qu'en les liquidant, leur sort
était fixé; que le paiement du tiers consolidé
commen<;ait sur-Ie-champ, cal' les moyens de
faire le sel'vice existaient, et que la républi-
que de son coté était délivrée d'lln fardean
énorme; qu'elle entrait par-la dans des voies
régulieres, qll'elle se présentait a I'Europe
avec une elette devenue légeJ"e, et qu'elle al-
lait en devenir plus imposante et plus forte
pour obtenir la paix; qu'enfin OH ne pouvait
pas distinguer entre les différentes rentes sui-
vant le prix d'acquisition, et qu'il fallait les
traiter toutes également.


Cette mesure était inévitable. La république
faisait iel cornme elle avait toujours fait : tOlls


IX. 2~




338 RÉVOLUTION FRA.N<;AISE.
les ellgagements au-dessus de ses forees, eHe les
avait remplis avec des terres, au prix ou elles
étaient tombées. e'est en assignats qu'elle avait
aequitté les aneienlles charges, aínsi que toutes
les dépenses de la révolution, el e'est avee des
terres qu'elle avait aequitté les assignats. C'est
en assignats, e'est-a-dire encore avec des terres,
qn'elle avait servi les intérets de la lIette, el
e'est avec des terres qu'elle finissait par en ae-
quitter le capital lui-memc. En un mol, elle
donnait ce qu'elle possédait. On n'avait pas
autrement liquidé la dette aux États-Unis. IJes
créanciers avaient rC<;ll pour tout paiement les
rives du Mississipi. Les mesures de cette na-
ture causent, comme les révolutions, beau-
coup de froissements partieuliers; mais ii faut
savoir les subir, quand elles sont devenues
inévitables.


La mesure fut adoptée. Ainsi, au moyen des
nouveaux impots, qui portaient la recette a
616 millions, et gnice a la réduetion de la
dette, qui permettait de rcstreindre la dépense
a cette somme, la balance se trouva rétablie
dans nos finances, et on put espérer un pen
moins d'embarras pour l'all VI ( de septembre
r 797 a seplembre 1798).


A toutes ces mesures, résultats de la victoire,
le parti"républicain en voulait ajollter une der-




DlRECTOIRE (1797)' • 339
niere. Il disait que la république serait tonjoul's
en péril, tant qu'une caste ennemie, ceHe des
cí- devant nobles, serait soufferte dans son
sein; il vonlait qn' on exilat de France toutes
les familles qui autrefois avaient été nobles,
ou s'étaient fait passer pour nobles; qu'on
leur donnat la valeur de leurs blens en mar-
chandises fran({aises, el qu'on les obligeat a
porter ailleurs leurs préj ugés, leurs passions
et leur existence. Ce projet' était fort appuyé
par Sieyes, Boulay de la Meurthe, Chasal, tous
républicains prononcés, mais tres - combattu
par Tallien et les amis de Barras. Barras était
noble; le général de l'armée d'ltalie était né
gentilhomme; beaucoup des amis qui parta-
geaient les plaisirs de Barras, et qui remplis-
saíent ses salons, étaient d'anciens nobles aussi;
et quoiqu'une exception fut faite en faveur
de ceux qui avaíent servi utilement la répu-
blique, les salons du directeur étaient fort
irrités contre la loi proposée. Meme, sans toufes
ces raisons personneHes, il était aisé de dé-
montrer le danger et la riguenr de cette loí.
Elle fut présentée cependant aux deux con-
seíls, et excita une espece de soulevement,
qui oblígea a la retirer, pour luí faire subir de
grandes. modifications. On la reproduisit sous
une autre forme. Les ci-devant nobles n'é-




340 nÉVOLlJTION FRAN<;AISF..
taient plus conclamnés a l'exil; mais íls éta,ient
considérés comme étrangers, et obligés, pour
recouvrer la qualité de citoyens, de remplir
les formal,ítés, et de subir les épreuves de la
naturalisation. Une exceptíon fut faite en fa-
veur des hommes qui avaient serví utilement
la république, ou dans les armées ou dans les
assemblées. Barras, ses amis, et le vainqueur
d'!talie, dont on affectait de rappeler toujours
la naissance, furent ainsi affranchis des COIl-
séquences de cette mesure.


Le gouvernement avait repris une énergie
toute révolutionnaire. L'oppositiou qui, dans
le directoire et les conseils, affectait de de-
mander la paix, étant écartée, le gouvernement
se montra plus ferme el plus exigeant dans les
négociations de LiBe et d'Udine. Il or90nna
sur-Ie-champ a tous les soldats qui avaient ob-
tenu des congés ~ de rentrer dans les rangs; il
remit toul sur le pied de guerre, et il envoya
de nouvelles instructions a ses négociateurs.
Marel a LiBe était parvenu a concilier, comme
on l'a vu, les prétentions des puissances mari-
times. La paix étaít convenue, pourvu que
I'Espagne sacrifiat la Trinité, et la Hollande
Trinquemale, et que la France promit de ne
jamais prendre le cap de Bonne-Espérance
pour elle-:-meme. Il ne s'agi'Ssajt done plus que




D1RECTOlRE ('797).
d'avoir le consentement de l'Espagne et de la
Hollande. Le directoire trouva Maret trop fa-
cile, et résolllt de le rappeler : il envoya Bon-
nier et Treilhard a Lille, avec de nOllvelles
instrllctions. D'apres ces instructions, la Franee
exigeait la restitution pu!'e et simple, non-seu-
tement de ses colonies, mais encore de eelles
de ses aJliés. Quant alJx négociations d'Udine,
le dircctoire ne se montra pas moins tranchant
et moins positif. Il ne consentait plus a s'en
tenir allX préliminaircs de Léoben, qui don-
naient a l'Alltriche la limite de l'Oglio en Ita-
lie; iI vOlllait maintenant que 1'Italie fut af-
f!':tllchie tout entiere jus,qu'a l'Izonzo, et que
l' Autriche se contentat pour indemnité de la
séclllarisation de divers états ecclésiastiqlles en
Allemagne. Il rappela Clarke, qui avait été
choisi et envoyé par Carnot, et qui avm.t, dans
sa correspondan ce , fo!'t peu ménagé les gé-
uéraux de I'armée d'ltalie réputés les plus ré-
p"blicains. Bonaparte demeura chargé des
pOllvoirs de la république pour traiter avec
l'Autriche.


L'uItimatllm: que le directoire faisait signifier
a Li He par les nouveaux négociateurs, Bonnier
et Treilhard, vintrompre une négociation pres,
quP achevée. Lord Malmesbury en fut ~ingll­
lierement déconcerté, cal' il désirait la paix,




342. RÉVOLUTION FRAN~-AISE.
soit pour flnir glorieusement sa carriere, Boít
pourprocurer a son gouvernement un moment
de répit. Il témoigna les plus vifs regrets; mais
il était impossible que l' Angleterre renonc;:h
a toules ses conquc~tes mari times , et ne rec;ut
rien en échange. Lord Malmesbury était si sin-
cere dans son désir de traiter, qu'il engagea
M. Maret a ehereher a París, si on ne pourrait
pas ínfluer sur la détermination do directoire,
et offrit meme plusieurs millíons pour ache-
ter la voix de l'un des directeurs. M. Maret
refusa de se eharger d'aucune négociation de
cette espece, et quitta Lille. Lord Malmesbury
et M. ElIis partirent sur-le-cbamp, el ne re-
vinrent pas. Quoiqu'on plitreprocher dans eette
circonstance au directoire d'avoir repoussé une
paix eertaine et avantageuse pour la France ,
son motif était cependant honorable. Il eut
été peu loyal a nous d'abandonner nos alliés,
et de lem imposer des sacrifices pour prix de
leur dévouement a notre cause. Le directoire,
se flattant d'avoir sons peu la paix avec l'Au-
triche, ou du moins de la luí imposer par un
mouvement de nos armées, avait l'espoir d'etre
bientot délivré de ses ennemis du continent,
et de pouvoir tourner toutes ses forces contre
l' Angleterre.


L'ultimatum signifié iJ BonapaI'te llli déplut




DIRECTOIRE (1797)' 343
singulierement, car íl n'espérait pas pouvoir
le faíre accepter. IL était difficile, en effet, de
forcer l' Autriche a renoneer tout·a-fait a l'Ita-
líe,' et a se contenter de la séeularisatÍoll de
quelques états ecclésíastiques en Allemagne,
a moins de marcher sur Vienne. Or, Bonaparte
He pouvait plus prétendre a cet honneur, car
iI avait toutes les forces de la monarchie an-
trichienne sur les bras, et c'étaít l'armée d' Al-
lemagne qui devait avoir l'avantage de percer
la premiere, et de pénétrer dans les états hé-
réditaires. A ce sujet de mécontenternent s'en
joignit un autre, lorsqu'il apprit les défiances
qu'on avait cont;ues contre lui a París. AlIge-
reau avait envoyé un de ses aides-de-camp avec
des leUres pour beaucoup d'officiers et de gé-
néraux de l'armée d'ltalie. Cet aide-de-camp
paraíssait remplír une espece de mission, et
el:re chargé de redresser l'opinion de l'armée
sur le 18 fructidor. Bonaparte vit bien qu'on
se défiait de lui. IL se hata de jouer I'offensé,
de se plaindre avec la vivacité et l'amertume
ti'un ho~me qui se sent indispensable; il dit
que le gouverllement le traitait avec une hor-
rible ingratitude, qu'il se conduisait envers
lui comme envers Pichegru apres vendémiaire,
et iI demanda sa démission. Cet homme,. d'un
esprit si grand et si ferme, qui sa.vait se don-




344 RÉVOLUTION }'RAN~AISE.
ner une si noble attitude, se li vra ici a l'hu-
meur o'un enfant impétueux et mutin. Le di-
rectoire ne répondit pas a la demande de sa
démission, et se contenta d'assurer qu'il n'était
pour rien dans ces lettres et dans l'envoi d'un
aide-de-camp. Bonaparte se calma, mais de-
manda encore a etre remplacé dans les fonc-
tions de négociateur, et dans ceHes d'orga-
nisateur des républiques italiennes. Il répétait
sans cesse qu'il était malade, qu'il ne pouvait
plus supporter la fatigue dn cheval, et qu'il
lui était impossible de faire une nouvelle cam-
pagne. Cependant, quoique a )a vérité il fut
malade, et accablé des travaux énormes aux-
quelsil g'était livré depuis deux aus, iI ne vou-
lait etre remplacé. dans aucun de ses emplois,
et an besoin iI étaitassuré de trouver dans son
ame les forces qui sembIaient manquer a son
corps.


Il résolut, en effet, de poursuivre la négo-
ciation, et d'ajouter a la gloire de premier
capitaine du siecle, celle de pacificateur. L'ul-
timatum du directoire le genait; mais il n'était
pas plus décidé dans cette circonst~nce que
dan s Ulle foule d'antres, a obéir aveuglément a
son gouvernement. Ses travaux, dans ce mo-
ment, étaient immenses. Il organisait les répu-
bliques italienlles, iI se créait une marine dans




Dlll.ECTOIRE (1797). 345
I'Adriatique, il formait de grands projets sur
la Méditerranée, et il traitait avec les plénipo-
tentiaires de l' Autriche.


n avait commencé a organiser en deux états
séparés les provinces qu'il avait affranchies
dans ]a Haute-Italie. n avait érigé depuis long-
temps en république cispadane le duché de
Modime, les ]égations de Rologne et de Fer-
rareo Son projet. était de réunil' ce petit état a
Venise révoluúonnée, et de la dédommagel'
ainsi de la perte de ses provinces de terre-
ferme. Il vOlllait organiser a part la Lombar-
die, sous le titre de république transpadane.
Mais bientot ses idées avaient changé; et il
pl'éférait former un seul état des provinces af-
franchies. L' esprit de localité, qui s' opposait
d'abord a la réunion de la Lombardie avcc les
autres provinces, conseillait maintenant au
contraire de les réunir. La Romagne, par
exemple, ne voulait pas se réunir aux légations
et au duché de Modime, mais consentait a dé-
pendre d'un gouvernement central établi a
Milan. Ronaparte vit bientot que chacun dé-
testant son voisin, il serait plus facile de sou-
mettre tout le monde a une autorité unique.
Enfin, la difficulté de décider la supl'ématie
entre Venise et Milan, et de préférer l'une (les
deux pour en faire le siége du gouvernement,




346 RÉvor,UTION FRAN~A.ISE.
cette difficulté n'en était plus une pour Iul. Il
avait résolu de sacrifier Venise. Il n'aimait pas
les V énitiens; il voyait que le ehangement de
gouvernement n'avait pas amené.chez eux un
changement dan s les esprits. La grande lloblesse,
la petite, le peuple étaiellt ennemis des Fran-
c;ais et de la révolution, et faisaient toujours
des vreux pour les Autrichiens. A peine un petit
nombre de bourgeois aisés approuvaiellt-ils le
nouvel é tat de ehoses. La municlpalité démocra-
tique rnontrait la plus mauvaise volonté a l'é-
gard des Fran«;ais. Presque tout le monde a
Venise semblait désirer qU'Ull retour de for-
tune permit a l' Autriehe de rétablir I'aneien
gouvernement. De plus, les V éllitiells n'inspi-
raíent atleune estime a Bonaparte sous un rapo
port important a ses yeux, la puissance. Lenrs
canaux et leurs ports étaient presque comblés;
lenr marine était dans le plus triste état; ils
étaient eux-memes abatardis par les plaisirs, et
ineapables d'énergie. l( C'esl un peuple mou,
efféminé el láche, éerivait-il, sans (erre ni eau,
el nous n'en avons que faire.» Il songeait done
a Iivrer Venise a l' Autriehe, a cOlldition que
l' A utriche, renonc:;ant a la limite de rOglio,
stipulée pat' les préliminalres de Léobell, ré-
trograderait j usqu'a l'Adige. Ce fleuve, qui est
une excellente limite, séparait alors I'Autriche




DlRECTOIRE (1797).
de la république nouvelle. L'importante place
de Manloue, qui, d'apres les prélirninaires,
devait etre rendue a l'Autriche, resterait a la
république italienne, et Milan deviendrait ca-
pitale sans aucnne contestation. Bonaparte ai-
maít donc beaucoup mieux former un seul
état, dont Milan serait la capitale, et donner
a cet état la frontiere de'l'Adige et Mantoue,
que de garder Venise; et en cela iI avait rai-
son, dans l'intérét meme de la liberté italienne.
A ne pas affranchir toute l'ltalie jusqu'a l'I-
zonzo, mieux valait sacrifier Veníse que la
frontiere de I'Adige et Mantoue. Bonaparte avait
vu, en s' entretenant avec les négocíateurs au-
trichiens, que le nouvel arrangement pourrait
etre accepté. En conséquence, il forma de la
Lombardie, des duchés de Modene el de Reg-
gio, des légations de Bologne et de Ferrare,
de la Romagne, du Bergamasque, du Brescian
et du Mantouan, un état qui s'étendaitjusqu'a
l'Adige, qui avait d'excellentes pIaces, telles
que Pizzighitone et Mantoue, une population
de trois millions six cent milI e habitants, un
sol admirable, des fleuves, des canaux et des
ports.


Sur-Ie-champ il se mit a l'organiser en ré-
publique. 11 aurait voulu une autre constitution
que ceHe donnée a la :France. Il trouvait dans




348 RÉVOLUTION l'I1AN«;.HSJ<:.
eette eonstitution le pouvoír exéeutif trop fai-
ble; et, merne san s avoir encore aucun pen-
ehant décidé pour telle ou telle forme de gOll-
vernement, rnu par le senl besoin de eomposer
un état fort et eapable de lutter avee les aris-
tocl'aties voisines, il aurait souhaité une orga-
nisatiou plus concentrée et plus énergique. Il
demandait qu'on luí envoyat Sieyes, pour s'en-
telldre avec lui a cet égard; mais le directoire
n'adopta point ses idées, et insista pour qu'on
donnat a la nouvelle république la constitu-
tíon fran<;aise. Il fut obéi , et sur-le-champ no-
tre eonstitution fut adaptée a l'Italie. La nOll-
velle république fut appeIée Cisalpille. On
voulait a Paris l'appeler Transalpine; mais e'é-
tait placer en quelque sorte le centre a Paris,
et les Italiens le voulaient a Borne, parce que
tous leurs vreux tendaient a l'affranchissement
de Ieur patrie, a son unité, et au rétablisse-
roent de l'antique métropole. Le mot Cisalpine
était done celui qui lui convenait le mieux. On,
erut prudent de ne pas abandonner au ehoix
des Italiens la premie re eomposition du gou-
vcrnernent. Pour eeUe premiere foÍs, Bonaparte
lIomma lui-meme les einq direeteurs et les
membres des deux conseils. Il s'attacha a faire
les meÍlleurs choix, autant du moins que sa
position le permettait. Il llomma dírcclcllr Ser-




DIRECTOfRE (1797).
belloni, l'un des plus grands seigneurs de 1'1-
talie; il 6t partout organiser des gardes natio-
nales, et en réunit trente mille a Milan pour
la fédération du 14 juillet. I,a présenee de I'ar-
mée fran<;ai~e en Italie, ses hauts faits, sa gloire,
avaient eommencé a répandre l'enthousiasme
militaire .dans ce pays, trop peu habitué al1x
armes. Bonaparte tacha oe l'y excÍter de toutes
les manieres. Il ne se dissimulait pas combien
la nouveHe république était faible sous le rap-
port militaire; il n'estimait en Italie que l'ar-
mée piémontaise, paree que la eourde Píémont
avait seule faít la guerre pendaIlt le cours du
siede. 11 éerivait a Paris qu'un senl régiment
du roi de Sardaigne reIlverserait la république
eisalpine; qu'il fallait donller par conséquent
a eeUe république des mreurs guerrieres;
qu'elle serait alors une puissanee importante
en Italie, mais que pour cela il fallait du temps,
et que de pareilles révolntions ne se faisaient
pas en quelques jours. Cependant il eommen-
«;ait a y réussir, ear il avait au plus hant degré
l'art de eommuniquer aux autres le plus vif
de ses gouts , eelui des armes. Personne ne sa-
vait mieux se servir de sa gloire, pour faire des
succes militaires une mode, ponr y dirigertoutes
les vanités et tontes les ambilions. Des ce jour,
les mreurs eornmencerent a changer en lIalie.




350 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« La soutane, qui était l'habit a la mode pour les
«( jeunes gens, fut remplacée par l'uniforme. Au
C( lieude passer leur vie aux pieds des femmes,
« les jellnes Italiens fréquentaient les manéges,
ce les salles d'armes, les champs d'exercice. Les
" enfants ne jouaient pIusa la chapelle; ils
( avaientdes régiments de fer-blanc, et imitaient
« dans leurs jeux les événements de la guerreo
« Dalls les comédies, dan s les farces des rues,
" on avait toujours représenté un Italien bien
« l,khe, quoique spirituel, et une especede gros
" capitan, quelquefois fralH;;ais, et plus souvent
« allemand, bien fort, bien brave, bien brutal,
« finissant par administrer quelques coups de
« baton a l'!talien, aux grands applaudissements
« des spectateurs. Le peuple ne souffrit plus de
« pareilles allusions; les auteurs mirent sur la
" scene, a la satisfaction du public, des Italiens
« braves, faisant fuir des étrangers pour soute-
« nir lenr honneur et leurs droits. L'esprit na-
« tional se formait. L'Italie avait ses chansons
« a la foís patriotiques et guerrieres. Les femmes
« repoussaient avec mépris les hommages des
({ hornmes qui, pour leur plaire, affectaient des
« mreurs efféminées "'. »


, Memoires de Napoléon, publiés par le comte de Mon-
tholon, tome IV, p. 196.




DlRECTOIllE (I797)' 35f
Cependant cette révolution commen«;;ait a


peine; la Cisalpine ne pouvait etre forle eu-
core que des secours de la France. Le projet
était d'y laisser, comllle en Hollancle, Ulle par-


. tie de l'armée, qui se reposerait la de ses fati-
gues, jouirait paisiblement de sa gloire, et :mi-
merait de son feu guerrier toute la contrée.
Bonaparte, avec cette prévoyance qui s'éten-
dait a tout, avait formé pom la Cisalpine un
vaste et magnifique plan. Cette républiqueétait
pour la France un avant-poste; il fallait que
nos armées pussent y arriver rapidement. Bo-
lJaparte avait formé le projet d'une route, qui
de Frallce arriverait a Geneve, de Geneve
travcrserait le Valais, percerait le Simplon, et
descendrait en Lombardie. Il traitait déja avec
la Suisse pour cet objeto Il avait envoyé des
ingénieurs pour faire le devis de la dépense,
et iI arretait tous les détails d' exécution ,a vec
cette précision qll'iI mettait dalls les projets
me me les plus vastes, et les plus chimériques
en apparence. 11 voulait que ceUe grande
route, la pl'emiere qui percerait directement
les Alpes, fut large, sÍlre et magnifique, qu'elle
devlnt un chef·d' reuvre de la liberté et un mo-
nument de la puissance fran<,;aise.


Tandis qu'il s'occupait ainsi d'ul1e républi-
que qui luí devait l'existence, iI rendait la jus-




352 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
tice aussi, et était pris pOUl' arbitre entre deux
peuples. La Valteline s'était révoltée contre
la souveraineté des ligues grises. La Valteline
se compose de trois vallées, qui appartienncnt
a l'Halie, car elles versellt leurs eaux dans
l' Adda. Elles étaient soumises au joug des Gri-
sons, joug insupportable, car iI n'y en a pas
de plus pesant que celui qu'un peuple ¡m pose
a un autre peuple. Il yavait plus d'une tyran-
nie de ce gen re en Snisse. CeHe de Berne sur
le pays de Vaud était célebre. Les Valtelins
se souleverent, el demanderen't a faire partie
de la république cisaIpine, lIs invoquerent la
protection de llonaparte, el se fonderent, pour
l'obtenir, sur d'anciens traités., qui mettaieut
la Valteline sous la protection des souverains
de Milan. Les Grisolls et les Valtelins con-
vinrent de s'en référer au tribunal de Bona-
parte. 11 accepta la médiation avec la permis-
sion du directoire. II fit eonseiller aux Grisons
de reconnaitre les droits des Valtelius, et de
se les associer eornme une nouvelle ligue griseo
Ils s'y refllserent, et vouIurent plaider la cause
de leur tyrannie. Bonaparte leur fixa une épo-
que pour comparaitre. Le terme venu, les
Grisons, a l'instigation de l'Autriche, refllse-
rent de se présenter. Ronaparte alors se fOIl-
dant sur l'acceptatiol1 de l'arbitrage et sur le!.




DIRECTOIRR (J 797)' 353
:lnCiellS traités 1 condamna les Grisons par dé-
faut, déclara les Valtelins libres, et leur per-
mit de se réunir a la Cisalpine. Cette sentence,
fondée en droit et en équité, 6t une vive sen-
-sation en Europe. Elle épollvanta l'aristocra-
tie de Berne, réjouit les Vaudois, et ajouta a
la Cisalpine une popalation riche, brave et
nomureuse.


Genes le prenait en meme temps pour son
cOflseiller dans le choix d'llne constitution.
Genes n'étant point conquise, pouvait se choi-
sir ses lois, et ne dépeudait pas du directoire
SOIlS ce rapport. Les deux partis aristocratique
et démoc,'atique étaient la aux prises. Une
premiere révolte avait éclaté, comme on l'a
Vll, au mois de mai; il Y en eut une seconde
plus générale dalls la vallée de la Polcevera,
qui faillit devenir fafale a Genes. Elle était ex-
citée par les pretres contre la constitutioll
llouvelIe. Le général fran<;ais Dllphot, qui se
trouvait la avec qllclques troupes, rétablit
l'orc]re. Les Génois s'adresserent a Bonaparte,
qui lenr répondit une lettre sévere, pleine de
cOllseils fort sages, et dans laqllelle il réprimait
1eur fongue démocratique. 11 6t des change-
ments dans leur constitution; au Iieu de cinq
magistrats chargés du pOllvoir exéclltif, il n'en
laissa que trois; les membres des conseils fll-


IX. 23




354 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
rent moÍns nombreux; le gouvernement fut
organisé d'une maniere moins populaire, mais
plus forte. Bonaparte fit aecorder plus d'a-
vantages aux nobles et aux pretrcs, pour les
réconeilier avee le nouvel ordre de ehoses; ·et
eOffime on avait voulu les exclure des fone-
tions publiques, il blama ectte pensée. Vous
feriez, éerivit-il aux Génois, ce qu'ils ont Jait
eux-mémes. Il publia ave e jntentioTl la leUre
ou était renfermée eette phrase. C'était un
blame dirigé contre ce qui se faisait a Paris a
l'égard des nobles. 11 était eharmé d'intervenir
ainsi d'une maniere inclireete clans la politiqlle,
de donner un avis, de le donller eontraire au
direetoire, et surtout de se détacher sur-Ie-
champ du partí victorieux; cal' il affeetait de
rester indépendant, de n'approuver, de ne
servir aucune faetion, de les mépriser, de les
dominer toutes.


Tandis qu'il était ainsi législateur, arbitre,
conseiller des peuples italiens, iI s'ocellpait
d'autres soins nOll moins vastes, et qui déee-
laient une prévoyanee bien autrement pro-
fondeo n s'était emparé de la marine de Venise, ,
et avait mandé l'amiral Brueys dans l'Adriati-
que, pour prelldre possession des iles véni-
tiennes de la Greee. Il avait été amené ainsi a
réfléehir sur la Méditerranée, sur son impor-




DlltECTOIRE (1797 J. 35:':í
tance et sur le role que nous pouvions y jouer.
II avait conclu que si, dans l'Océan, 1I0US
devions rencontrer des maltres, nOllS u'en de-
vions pas avoir dans la Méditerranée. Qué l'I-
talie fUt affranchie en entier ou ne le fUt pas,
que Venise fUt ou non cédée a l' Autriehe, iI
voulait que la Franee gardat les lles Ioniennes,
Corfou, Zante, Sainte-Maure, Cérigo, Cépha-
lonie. Les peuples de ees iles demaudaieut a
devenir nos sujets. Malte, le poste le plus im-
portant de la Méditerranée, appartenait a un
ordre usé, et qui devait disparaitre devallt
l'influence de la révolution fraIH;aise; Malte,
d'ailleurs, devait tomber hientot au pouvoir
des Anglais, si la France ne s'en emparait paso
Bonaparte avait fait saisir les propriétés des
chevaliers en Italie, pour achever de les rui-
ner. Il avait pratiqué des intrigues 11 Malte
meme, qui n'était gardée que par quelques
chevaliers et une faible garnison; et jI se pro-
posait d'y envoyer sa petite marine et de s'en
emparer.- De ces différents postes, écrivait-il
au directoire, nOl1s dominerol1s la Méditerra-
née, nous veillerons sur l'empire ottoman, qui
croule de toutes parts, et nOHS serons en me-
sure OH de le soutenir, ou d'en prendre notr-e
parto Nous pourrons davantage, ajoutait Bo-
naparte, nons pOllr"rons rendt'c presqne 1Il-


?3.




356 RÉVOLUTION FRAN~J\l8E.
utile aux Anglais la domination de l'Océan. Il
nous ont contesté a Lille le cap de BOllne-Es-
pérance; nous pouvons nous en passer. Oc-
CUpOllS l'Égypte; 110US aurons la route directe
de l'Inde, et il 1l0US sera faci le d'y établir une
des plus belles eolonies du globe.


C'est done en Italie, et en promenant sa
pensée sur le Levant, qu'il con¡;nt la premiere
idée de l'expédition célebre qui futtentée
l'année suivanle. (( C'est en Égypte , écrivait-il,
qu'il faut attaquer l' Angleterre. » (Lettre du 16
aout 1797. - 29 thermidor an V.)


Pour arriver a ces fins, il avait fait venir
l'amiral Brueys dan s I'Adriatique avec six vais-
seaux, quelques frégates et quelques corvet-
tes. 11 s'était ménagé en outre un moyen de
s'emparer de la marine vénitienne. D'apres le
traité condu, OH devait lui payer trois millions
en matériel de marine. Il prit sous ce pré-
texte tous les ehanvres, fers, etc., qui foro.
maient du reste la seule richesse de l'arsenal
vénitien. Apres s'etre emparé du matériel, sous
le prétexte des trois millions, Bonaparte s'em-
para des vaisseaux, sous prétexte d'aller occu-
per les Hes pour le compte de Venise démo-
cratique. Il fit achever ceux qui étaient en
construction, et parvint ainsi a armer six vais-
seaux de guerre, six frégates et plusieurs cor-




JHR}:CTOIRE (1797). 357
vettes, qu'il réunit a l' escadre que Brueys avait
amenée de Toulon. Il rempla~a le million qóe
la trésorerie avait arreté, donna a Brueys des
fonds pour enroler el' excellents matelots en
Albanie et sur les cotes de la Grece, et lui
créa ainsi une marine capable d'imposer a toute
la Méditerranée. Il en fixa le principal établis-
sement a Corfou, par des raisons excellentes,
et qui furent approuvées du gouvernement.
De Corfou, cette escadre pouvait se porter'
dans l' Adriatiqlle, et se concerter avec l'armée
d'Italie en cas de nouvelles hostilités; elle pou-
vait aller a Malte, elle imposait a la cour de
Naples, et il lui était facile, si on la désirait
dans l'Océan, pour la faire concourir a quelque
projet, de voler vers le détroit plus prompte-
ment que si elle eut été a Toulon. Enfin a Cor-
fou, l' escadre apprenait a devenir manceuvriere,
et se formait mieux qu'a Toulon, 00 elle était or-
dinaircment immobile. « Vous n'aurez jamais
de marins, écrivait Bonaparte, en les laissant
dans vos ports. ))


Telle était la maniere dont Bonaparte occu-
pait son temps pendant les lenteurs calculées
que luí faisait essuyer l' Autriche. JI songeait
allssi a sa position militaire a l'égard de cette
PUiss3l1ce. Elle avait fait des préparatif., ¡m-
menses, depuis la siguature des préliminaires




358 RIlvOLUTION FRANYAISJ'.
de Léoben. Elle avait transporté la plus grande
partie de ses forces dans la Carinthie, pour
protéger Víenne et se mettre a couvert contre
la fougue de Bonaparte. Elle avait fait lever la
Hongrie en masse. Dix-huit mille cavaliers
hongrois s'exerc,;aient depuis trois mois sur les
bords du Danube. Elle avait done les moyens
d'appuyer les négociatiolls d'Udine. Bonaparte
n'avait guere plus de soixante·dix milJe hom-
mes de troupes, dont une tres-petite partie
en cavalerie. Il demandait des renforts an di-
rectoire pour faire face a l'ennemi, et il pres-
sait surtont la ratificatíon du traíté d'alliallce
avec le Piémont, pour obtcnir dix mille de
ces soldats piémontais dont il faisait si grand
caso Mais le directoire ne voulait pas luí en-
voyer de renforts, paree que le déplacement
des troupes aurait amené de nombreuses dé-
sertions; iI aimait mieux, en aeeélérant la mar-
che de l'armée d' Allemagne, dégager l'armée
d'Italie, que la renforeer; iI hésitait eneore a
signer une alliance avec le Piémont, paree
qu'il ne voulait pas garantir un trone dont il
espérait el souhaitait la chute natnrelle. 11 avait
envoyé seulement qllelqllcs cavaliers a pied.
On avait en Italle de quai les mantel' et les
équiper.


Privf- des ressolll'ces Slll' lesCjuelles il avait




IJIRECTOIRE (1797). 359
compté, Bonaparte se voyait done exposé a
un orage du coté des Alpes J uliennes. Il avait
taché de sllppléer de toutes les manieres aux
moyens qu'on lui refusait. Il avait armé et foro
ti fié Palma·Nova, avec uue activité extraordi-
naire, et en avait fait une place dll premier
ordre, qui, a elle seule , devait exiger un long
siége. Cette circonstance seule changeait sin-
gulíerement sa position. Il avait faít jeter des
pants sur l'IZOIlZO , et construire des tetes de
pont, pour etre pret a déboucher avec sa
promptitude accoutumée. Si la rupture avait
lien avant la chute des neiges, il espérait sur-
prelld,·e les Autrichiens, les jeter dans le dés-
ordre,. et malgré la supériorité de leurs forces,
se trouver bientot aux portes de Vienne. Mais
si la rupture n'avait lieu qu'apres les neiges,
il ne pouvait plus prévenir les Autrichiens, il
était obligé de les recevoir dans les plaincs de
I'Italie, ou la saison leur permettait de débou-
cher en tout temps, et alors le désavantage
du nombre u'était plus balancé par celui de
l'offensive. Dans ce cas, iL se considérait comme
en danger.


Bonaparte désiraít done que les négociations
se terminassent promptement. Apres la ridi-
cule note du 18 j uillet, ou les plénipotentiaires
avaient insisté de nOllvcau puur le con gres de




360 l\ÉVOLUTJON FnAN~AISE .
.Berne, et réclamé contre ce qui s'élait faít a
Venise, BOllaparte avait fait répondre d'une
maniere vigoureuse, et qui prollvait a l'Au-
triche qu'il élait pret a fondre de nouveau SUl'
Vienne. MM. de Gallo, de Meerweldt et un
tl'Oisieme négociateur, M. Degelmann, étaienl
arrivés le 31 aout (J 4 fructidor), et les confé-
rences avaient commencé sllr-Ie-champ. Mais
évidemment le but était de fI'ainer encore les
choses en longueur, car, tout en acceptant une
négociation séparée a Udine, ils se réservaient
toujours de revenir a un con gres général a
Berne. lIs annonc;aient que le congres de Ra-
stadt, pOllr la paix de l'empire, allait s'ollvrir
sur-le-champ, que les négociations en seraient
conduites en meme temps que celles d'Udine,
ce qui devait compliquer singulíerement les
intérets, et faire naltre autant de difficultés
qu'un congres général a Reme. Bonaparte fit
observer que la paix de l'empire ne devait se
traiter qu'apres la paix avec l'emperellr; iI dé-
clara que si le congres s'ouvrait, ]a Frallce
n'y enverrait pas; iI ajuuta qlle, si au 1 er oc-
tobre la paix avec l'empereur n'était pas
conclue , les préliminaires de Léoben seraient
regardés comme nuls. Les choses en étaient a
ce point, lorsque le J 8 fructidor (4 septembre)
déjoua toutes les fallsses espérances dI' "Au-




DIRECTOIRE (J 797)' 361
friche. Sur·le-champ M. de Cobentzel accourut
de Vienne a Deline. Bonaparte se rendit a Pas-
sf'riano, fort belle maison de campagne, á
quelque distance d'Ddine, et tout annon~a que
cetle fois le désir de traiter était sincere. Les
conférences avaient líeu ahernativernent a
Udine, chez M. de Cohentzel, et a Passeriano,
chez Bonaparte. M. de Cohentzel était un es-
prit suhtil, ahondant, mais peu logique: il
était hautain et amero Les trois autres négo-
ciatenrs gardaient le silence. Bonaparte repré-
scntait seul potIr la France, depuis la destitu-
tion de Clarke. JI avait assez d'arrogance, la
paroJe assez prompte et assez tranehante ponr
répondre au négociateur autriehien. Quoiqu'il
fUt visible que M. de Cobentzel avait .l'inlen-
tion reelle de traiter, il n' en affieha pas moins
les prétentions les plus extravagantes. C'était
tout an plus si l'Autriehe cédait les Pays-Bas,
mais elle ne se chargeait pas de nous :lssurer
la limite du Rhin, disant que e' était a l' em-
pire a nous faire ectte eoneession. En dédom-
magement des riches et populeuses provinces
de la Belgique, l' Autriche voulait des posses-
sions, non pas en Allemagne, maís en Italie.
Les préliminaires de Léoben luí avaient assigné
les états vénitiens jusqu'a I'Oglio, c'est-a-dire
1,\ Dalmal.ie, )'Istrie, le Frioul , le Brescian, le




362 ltÉVOLUTION t'ltANI,?AlSt:.
Bergamasque et le Mantouan, avec la place de
Mantoue; mais ces provinces ne la dédomma-
geaient pas de la moitié de ce qu'elle perdait
en cédant la Belgique et la Lombardie. Ce
11' était pas trop, disait M. de Cobentzel, de
lui laisser non-seulement la Lombardie, mais
de luí donncr encore Vcnise et les légations,
et de rétablir le duc de Modenedans son
duché.


A toute la faconde de M. de Cobentzel,
Bonaparte ne répondait que par un impertur-
bable silence; et a ses prétentlons folles, que
par des prétentions aussi excessives, énoncées
d'ull ton ferme et tranchant. 11 demaudait la
ligne du Rhin pom la FraIlce, Mayeuce com-
prise , et la ligne de l'Izonzo pour l'Italie. En-
tre ces prétentions opposées il fallait preudre
un milieu. Bonaparte, comme nous l'avons
déja dit, avait cru entrevo!r qu'en cédant Ve-
nise a l'Autrichc ( concession qui n'était pas
comprise dans les préliminaires de Léoben ,
paree qu'on ne songeait pas alors a détruire
cette république), il pourrait obtenir que l'em-
pereur reculat sa limite de l'Oglio a l'Adige,
que le Mantouan, le Bergamasque et le Bres-
cian fussent donnés a la Cisalpine, qui aurait
ainsi la frontiere de l'Adige et Mantoue, que
de plus l'empereur rccollnút a la Frauce la li-