h HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRAN<;AISE, PAR M. A. THIERS, MINIS'l'IUt...
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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRAN<;AISE,


PAR M. A. THIERS,
MINIS'l'IUt n'ÉTAT ET Dil'UTÉ.


TOME HUITIEME.


·~roi6ifmt QfbitiOll.


---------~------~


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, I.IBRAlRl>, PLACE DE LA ROUIlSE.


:tU DCCC XXXII.
¡~ ~' •
!" :".,






HIST()JRE
UF.


LA .RÉVOLU-TION
FRANCAISE.


,


CHAPITRE 1.


Menées du parti royaliste dans les sections. - Ren trée des
émigrés. - Perséeution des patriotes_ - Constitution
dírectoriale, dite de l'an lII, et déerets des 5 et 13 fruc-
tidor. - Aceeptation de la eonstitution et des décrets
par les assemblées primaires de la Franee. - Révolte
des scctions de París contec les décrets de fructidor et
contre la eonvention. Journée du 13 vendémíaire; dé-
faite des sections insllrgées. - Cloture de la convention
nationale.


BATTU sur les frolltil~res, et abandonné par la
cour d'Espaglle, sur laquelle il comptait le plus,
le parti royaliste fut réduit a intriguer dans l'in-


VIII.




REVOLUTION FRAN~AJSF,.


térieur; et il faut convenir que dan s le momen t,
Paris offrait un champ vaste a ses intrigucs.
L'reuvre de la constitution avanc;;ait; le moment
ou la convention déposerait ses pouvoirs, ou
la Franee se réunirait pour élire de nouveaux
représentants, ou une assemblée toute neuve
remplacerait eeHe qui avaitrégné si long-temps,
était plus favorable qu'aucun autre aux menées
contre-révolutionnaires.


Les passions les plus vives fennentaient dans
les sections de París. 011 n'y était pas royaliste,
mais on servait le l'oyalisme sans s'en douter.
On s'était attaché a combattre les tcrroristes;
on s'était animé par la lutte, on vouJait persé-
cuter aussi, et on s'irritait contre la conven-
tion, qui ne voulait pas laísser pousser la per-
sécution trop loin. On étaít toujours pret a se
souvenir que la terreur était sortíe de son sein;
on lui demandait une constitution et des lois,
et la fin de sa longue díctature. La plupart
des hommes qui réclamaient tont cela ne son-
geaient guere aux Bourbolls. C'était le riche
tiers-état de 89; c'étaient des négociants, des
marchands, des propriétaires, des avocats, des
écrivaills, qui VOUlaiCllt enfin l'établis.sement
des lois et la jouissance de leurs droits; c'é-
taientdes jeunes gens sincerement républi-
cains, mais aveuglés par leur ardeur contre le




CONVENTION NATIONALE (1795). 3
systcme révolutionnaire; c'étaient beaucoup
d'ambitieux, écrivains de journaux ou oratenrs
de sections, qni, pour prenclre anssi lenr place,
désiraient que la convention se retirat devant
cux. Les royalistes se cachaient derriel'e cette
masse. On comptait parmi ceux-ci quelques
émigrés, quelques pretres rentrés, quelques
cl'éatures de l'ancienne cour, qlli avaient perdu
des places, et beaucoup d'indifférents et de
poltrons qni redoutaient une liberté orageuse.
Ces derniers n'allaient pas dan s les sections;
mais les premiers y étaient assidus, et em-
ployaient tous les moyens pour les agiter.
L'instruction donnée par les agents royalistes
a leurs affidés était de prendre le langage des
sectionnaires, de réclamer les memes choses,
rte demander eomme eux la punition des ter-
roristes, l'acheveuHmt de la constitution, le
proces des députés montagnards; mais a de-
mander tout cela ave e plus de violence, de
maniere a compromettre les sections ave e la
convention, et a provoquer de nOllveaux mou-
vements; eartoutmouvementétait une chance,
et pouvait du moins dégouter d'une république
si tumultueuse.


De telles mené es n' étaien t heureusemen t pos-
sibles qu'a Paris, car c'est toujours la ville de
Frallce la plus agitée; c'est ceHe oú 1'0n dis-


l.




ll.ÉVOLllTION FRAJ.\'c;;:.HSE.


eute le plus chaudement sur les intérets puhlics,
Oll l'on a le goút et ]a prétention d'inflner sur
le gouvernemellt, el ou commenee toujours
l'opposition. Exeepté Lyon, Marseille el Tou-
Ion, ou 1'0n s'égorgeait, le reste de la France
prenait a ces agitations politiques infiniment
moins de part qne les sections de Paris.


A tont ce qu'ils disaient on faisaient dire dans
les sections, les intrigants au service du roya-
lisme ajoutaient des pamphlets et des articles
de journaux. Ils mentaient ensuite selon leUf
Ilsage, se donnaient une import<lnce qu'iJs n'a-
vaient pas, et écrivaient a l'étrangcr qu'ils
avaient séduit les principaux chefs du gotlver-


e, "1 nement. est avec ces mensonges qu 1 s se pro-
curaíent de l:argent, et qu'ils venaient d'obte-
nir quelques mille livres sterling de l' Angle-
ten'e. Il est constant néanmoins que, s'ils n'a-
vaient gagné ni Tallien, ni Hoche. eomme ils
le disaient. ils avaient réussi pOllrtant allpres
de quelques conventionnels, deux ou trois,
peut - etre. On nommait Rovere et Saladin.
deux fougueux révolutionnaires, devenus main-
tenant de fougueux réaeteurs. On eroit aussi
qu'ils avaient tonché, par des moyens plus
délicats, quelques-ulls de ces députés d'opi-
nion moyenne, qui se sentaiellt quelque pen-
chant pour une monarchip représentative,




CONVENTION NATIONALE (1795). 5
c'est-a-dire pour un Bourbon, soi-disant lié
par des lois a l'anglaise. A Pichegru, on avait
offert un chatean, des canons et de l'argent;
a quelques législateurs ou membres des comi-
tés, on avait pu dire : « La Franee est trop
« grande ponr etre république; elle serait bien
« plus heureuse avee un roí, des ministres
{( responsables, des pairs héréditaires et des
« députés. JJ eeHe idée, sans etre suggérée, de-
vait uatureUement venir a plus d'un person-
nage, surtont a eellx qui étaient propres a
remplir les fonctions de députés ou de pairs
héréditaires. Ün regardait alors comme l'Oya-
listes secrets MM. Lanjuinais et Boissy - d' An-
glas, Henri Lariviere, Lesage d'Eure-et-Loir.


On voit que les moyens de l'agence n'étajent
pas tres - puissants; mais ils suffisaient pOUl'
troubler la tranquillité publique, pour inquié-
ter les esprits, pour rappeler surtout a la mé-
moire des Franc;;ais, ces BourboIls, les seuls
ennemis qu'eut encore la république, el que
ses armes n'eussent pn vaincre, caro on ne dé-
truit pas les souvenirs avec des balonnettes.


Parmi les soixante-treíze, iI y a\ait plus d'un
monarchien; mais en général ils étaíent répu-
blieains; les girondins l'étaient tous, on pres-
que tous. Cepelldant les journaux de la contre-
révolution les louaient avee affectation, et




6 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
avaient ainsi réussi a les remIre suspects aux
thermidoriens. Pour se défendre de ces éloges,
les soixante-treize et les vingt-deux protestaient
de leur attachement a la république; cal' per-
sonne alors n'eut osé parler froidement de cette
républiG¡ue. Quelle affreuse coutradietion, en
effet, si on ne l'eut pas aimée, que d'avoir sa-
crifié tant de tré50rs, tant de sang a son éta-
blissement! que d'avoil' irnmolé des milliers de
Franc:;ais soit dans la guerre eivile, soit dans la
guerre étrangere! n fallait done bien l'aimer,
ou du moins le dire! Cependant, maIgré ces
protestations, les thermidoriens étaient en dé-
fianee; ils ne eomptaient que sur M. Daunou,
dont on eonnaissait la probité et les príncipes
séveres, et sur Louvet, dont l'ame ardente étaít
restée républicaíne. Celui - ei, en effet, apres
avoir perdu tant d'illustres amÍs, eoul'U tant
de dangers, ne comprenait palO que ee put etre
en vain; il ne compreuait pas que tant de belles
vies eussent été détrnites Jiour ahoutir a la
royauté; il s'était tout-a-fait rattaché aux ther-


'midoriens. Les thermidoriens se rattachaient
eux-memes de jOllr en jour aux montagnards,
a eette masse de républieains inébranlables,
dont ils avaient saerifié un assez grand nombre.


Ils voulaient provoquerd'abord des mesures
contre la rentréc des émigrés, qui continllaient




CONVENTION NATfON ALE (1795). 7
de reparaitre en foule, les uns avec de faux
passe-ports et SOI1S des lloms supposés, les au-
tres sous le prétexte de venir demander leur
radiation. Presque tous présentaient de faux
certificats de résidence, disaient n'etre pas sor-
tis de Franee, et s' etre seulement cachés, ou
n'avoir été poursuivis qu'a l'occasion des évé-
nements du 3 J mai. SOtlS le prétexte de solli-
citer aupres du comité de sureté génél'ale, ils
remplissaient Paris, et quelques -uns contri-
huaicnt aux agitations des sections. Parmi les
personnages les plus marquants rentrés a Pa-
rís, étaít madame de StaCl, qui venait de repa-
raltre en Frauce a la suite de son mari, ambas-
sadeur de Suede. EHe avait ouvert son salon,
ou elle satisfaisait le besoin de déployer ses
facultés brillantes. Une république était loio
de déplaire a la hardiesse de son espf'it, mais
elle ne l'eut acceptée qu'a condition d'y voir
briller ses amis proscl'its, a coudition de n'y
plus voir ces révolutionnaires qui passaient
sans doute ponr des hommes énergiques, mais
grossiers et dépourvus d' esprit. On voulait bien
en effet recevoir de leurs mains la répubJiqu6
sauvée, mais en les excluant bien vite de la
tribune et du gouvernement. Des étrangers de
distinction, to,Us les ambassadeurs des puis-
sances, les gens de lettrcs les plus renommés




8 RÉVOLUTJON FRAN~AJSL
par leur esprit, se réunissaient chez madame d(>
Stael. Ce n'était plus le salon de madame Tal-
lien, c'était le sien qui maintenant attirait toute
l'attention, et on pouvait mesurer par la le
changement que la société fran~aise avait subi
depuis six mois. On disait que madame de Stael
intercédait pour des émigrés; on prétendait
qu'elle voulait faire rappeler Narbonne, Jau-
court et plusieurs autres. l .. egendre la dénon<,;a
formellement a la tribune. On se plaignit dans
les journanx, de I'influence que voulaient
exercer les coteries formées autour des am-
bassadeurs étrangers, enfin on demanda la
suspension des radiations. Les thermidoriens
firent décréter de plus, que tout émigré rentré
pour demander sa radiation, serait ten u de
retourner dans sa commuue, et d'y attendre
la décision du comité de sureté générale "". On
espérait, par ce moyen, délivrer la capitale
d'uue fonje d'intrigallts qui contl'ibl/aient a 1'a-
giter.


Les thermidoriens vouJaient en meme temps
a1'l'eter les persécutions dont les patl'iotes
étaient l'objet; ils avaient fait élargir par le co-
mité de sureté générale , Pache, Bonchotte, le
fameux Héron, et un grand nombre d'autres.


* Déc¡'et du 18 aout.




COISVENTJON N ATION ALE (1795). 9
II faut convenir qu'ils auraient pu mieux choisir
que ce dernier pour rendre justice aux pa-
triotes. Les sections avaient déja fait des péti-
tions, eomme on l'a vu, au sujet de ces élar-
gissements; elles en tirent de nouvelles. Les
comités répondirent qu'il faudrait enfin juger
les patriotes renfermés, et ne pas les déteni¡'
plus long:tem ps s'ils étaient innocents. Proposer
leur jugement, c'était proposer leur élargisse-
ment, ear leurs délits étaient pour la plupart de
ees délits politiques, insaisissables de leur na-
ture. Excepté quelques membres des comités
révolutionnaires,signalés par des exees atroces,
]a plupart ne pouvaient etre légalement con-
damnés. Plusieurs sections vinrent demander
qu'on leur aeeordat quelques jours de perma-
nence, pour motiver l'arrestation et le désar-
mement de ceux qu'elles avaient enfermés; {'Hes
clirent que dans le premier moment elles n 'a-
vaieut pu ni rechercher les preuves, ni donner
des motifs; mais {'l/es offraient de les fournir.
On Il'éconta pas ces propositions, qui cachaient
le désir de s'assembler et d'obtenir la perma-
nence; et on demanda aux comités un projet
pour mettre en jugement les patriotes détenus.


Une violente dispute s'éleva sur ce projet.
Les llIlS voulaient envoyer les patriotes par-
,levant les tl'ibllllaUx des départemeuts; les




10 ItHVOt.UTION FR AN~AIS"';.
autres, se défiant des passions locales, s'oppo-
saient a ce mode de jugement, et voulaient
qu'on cllOislt dans la convention une commis-
5ioo de douze membres, pour faire le triage
des détenus, pour élargir ceux contre lesquels
ne s'éle'VaÍent pas des charges suffisantes, et
traduite les autres elevant les tribunaux crimi-
neIs. lIs disaient que cette commissión, étrim-
gere aux haines qui fermentaient dans les dé-
partements, f-erait meilleure justice, et ne
confondrait pas les patriotes compromis par
l'ardellr de leur zele, avec les hommes coupa-
bIes qui avaient pris part aux cruautés de la
tyrannie décemvirale. Tous les ennemis opinü\-
tres des patriotes se souleverent a l'idée de cette
commission, qui a1lait agir comme le comité
de sureté générale renouvelé arres le 9 ther-
midor, e' est-a..dire élargir en masse. Hs deman-
derent eomment cette commission de douze
membres pourrait juger vingt ou vingt - cinq
mille affaires. On répondit tout simplement
qu'elle ferait comme le comité de sureté géné-
rale, qui en avalt jugé quatre - vingt ou cent
mille, lors de l' ou verture des prisons. Mais
c'était justement de cette maniere de juger
qu'on ne vOlllait paso Apres plusieurs jours de
débats, entremelés de pétitions plns hardies les
unes que les alltres, 011 décida enfill que les




CONVENTION NATlON A.LE (1795). I r
patriotes seraient jugés par les tribunaux des
départements, et on renvoya le décret aux
comités ponr en modi6er certaines dispositions


. secondaires. Il faUnt consentir anssi a la conti-
nuation du rapport sur les dépntés compromis
dans leurs missions. On décréta d'arrestation *
Lequinio, Lanot, Lefiot, Dupin, Bo, Piorry,
Maxieu, Chaudron-Rousseau, Laplanche, Fou-
ché; et on commenc;;a le proces de Lebon.
Dans cet instant, la convention avait autant de
ses membres en prison qu'au temps de la ter-
reur. Ainsi les partisans de la clémence n'a-
vaicnt rien a regretter, et avaient rendu le mal
pour le mal.


La constitution avait été présentée par la
commission des onze; elle fut discutée pendant
Les trois moís de messidor, thermidor et fruc-
tidor an IU, et fut successivement décrétée
avcc peu de changements. Ses auteurs étaient
Lesage, Daunou, Boissy - d' Anglas, Creuzé-
Latouche, BerIier, Louvet, Larévelliere -Lé-
paux, Lanjuinais, Durand-Maillane, Baudín
des Ardennes et Thibaudeau. Sieyes n'avait pas
voulu faire partie de cette commission ; car en
fait de constitution il était encore plus absolu
que sur tout le reste. Les constitutions étaient


* Décrcts des 8 et 9 aout.




12 REVOLUTlON FRAN~AISE.


l'objet des réflexions de toute sa vie, ellet.
étaient sa vocation particuliere. 11 en avait ulle
toute prete dans sa tete; et jI u'était pas
homme a en faire le sacrifice. Il vint la pro-
poser en son uom et sans l'intermédiaire de la
commission. L'assemblée, par égard pour son
génie, voulut bien l' écoutcr, mais n'adopta
pas son projet. On Ja yerra r~paraltre plus tard,
et íl sera temps alors de faire connaltre eette
eonception, remarquable dans l'histoire de
l'esprit humaÍII. CeBe qui fut adoptée était ana-
logue aux progre s qu'avaicnt faÍts les esprits.
En 91 , on était a-Ia-fois si novice et si bien-
veillant, qu'on ll'avait pas pu coneevoir l'exis-
tellce d'un corps aristoeratique contrólant les
vololltés de lareprésentation nationale ,et qu'on
avait eependant admis, conservé avee respect,
et presque avec amour, le pouvoir royal. Pour-
tant, en y réfléchissant mieux, 011 aurait Vtl
qu'un corps aristocratique est de tOU8 les pays,
et meme qu'il cOllvíent plus particulierement
aux républíques; qu'nll grand état se passe
tres-bien d'un roi, mais jamais d'un sénat. En
1795, on venait de voir a quels désordres est
exposée une assemblée unique; Oll consentit a
l'éotablissement d'ull corps législatif partagé en
deux assemblées. On était alors moills irrité
coutre )'aristocratie que contre la royauté,




CONVENTION NATIONALE (1795). d
paree qu'en effet on redoutait davantage la
derniere. Aussi mit-on plus de soin a s'en dé-
fendre dans la composition d'un pouvoir exé-
cutif. Il y avait dan s la commÍssion un partí
monarchique, composé de Lesage, Lanjuinais,
Durand-Maillane et Boissy-d' Anglas. Ce parti
proposait un président; on n'en voulut paso
« Peut-etre un jour, dit Louvet, on vous no m-
« merait un Bourbon.)l Baudín des Ardennes
et Daunou proposaient deux consuIs; d'autres
en demandaient trois. 011 préféra cillq direc-
teurs délibérant a la majorité. On ne donlla ú
ce pouvoirexécutifaucun desattributsessentiels
de la royauté, comme l'inviolabilité, la sanction
des lois, le pOllvoir judiciaire, le droit de paix
etde guerreo Il avait la simple inviolabilité des
députés, la promulgation et l'exécution des
10is, la direction , mais non le vote de la
guerre, la négociatioll , mais nOll la ratifica-
tíon des traités.


TeIles furent les bases sur lesquelles reposa
la COllstítution directQriale. En conséquence 011
décréta:


Un eonseil, dit des Cinq-Cents, composé de
cinq cents membres, agés de trente ans au
moios, ayant seul la propositíOll des ¡ois, se
renonvelant par tiers tOllS les ans;


Un conseil, dit des Anciens, composé de




RÉVOLUTION l!'RAN<';:AJSE.


dellx ceot ciuqu;lnte membres, agés de qua-
rante ans au moillS, tous OU veufs ou mariés,
ayant la sanction des lois, se renouvelallt aussi
par tiers;


Eof1n, un directoire exécutif, composé de
cinq membl'es, délibérant a la majorité, se
renouvelant. lous les anS par cinquieme, ayant
des ministres responsables, promulguant les
lois et les faisant e~~uter, ayallt la disposition
des forces de terre et de mer, les l'elaÜons ex-
térieures, la faculté de repousser les premieres
hostilités, mais ne pouvant {aire la guerre san s
le consentement du corps législatif; négociaut
les lraités el les soumeUant a la ratification
du corps législatif, sauf les articles secrets,
qu'il avait la faculté de stipuler s'ils n'étaient
pas destructifs des articles patents.


Tous ces pouvoirs étaient nommés de la
maniere suivante :


Tous les citoyens agés de vingt-un ans se
réunissaient de droit en assemblée primaire
tous les premiers du moÍs de prairial, et nom-
maient des assemblées électorales. Ces assem-
bléesélectorales se réunÍssaient tous les 20 de
prairial, et nommaient les deux conseils. Les
deux conseils nommaient le directoire. On avait
pensé que le pouvoir exécutif étant nommé
par le pouvoir législatif, en serait plus dépen-




CONVENTION NATlONALE (1795). 15
(lant; on fut déterminé aussi par une raison
tirée des circonstanees. La république n'étant
pas encore dans les habitudes de la Franee,
et étant plutot une opinion des hommes éclai-
rés ou eompromis dans la révolution qu'un
sentiment général, on ne voulut pas eonfier la
composition du pouvoir exéeutif aux masses.
011 pensait done que, dans les prernieres an-
nées surtout, les auteura de la révolution,
devant dominer natl.1rellement dans le corps
législatif, ehoisiraient des direetcurs capables
de défendre lenr ouvrage.


I,e pouvoir j IIdiciaire fut confié a des juges
électifs. On institua des juges de p.aix. On ét4-
blit un tribunal ei vil par département, j ugeant
en premiere instance les causes dij. départe-
ment, et en appel ceHes des départements voi-
$ins, On aj,outauuc COnr ,crimillell~ .compo~
de einq HH!r.o.bres el d'lln jury.


00 o'admit poiot d'assemblées eommuna-
les, maÍs desadministratiolls municipales et
départementales eomposées de trois ou cinq
membrcs et daval1tage , suivant la populatioll,
elles devaient etre formées par la voie d'élec-
tioo. L'elLpérience fit adoptcr des dispositíons
accessoires.et d'une graode imp0f'lance. Ainsi
le Gorp" législatif désignait lui-meme sa ;r-ési-
deuce, et pouvait se transporter dans la CQp:l.-




r6 lLÉVOLUl'lON FRAN¡;;AISIi.
mune qu'il luí plaisait de choisir. Aueuut' loí
ne pouvait etre discutée sans trois lectures
préalables, a moins qu'elle ne fUt qualifiée de
mesure d'urgence, et reconnue tellc par le
conseil des anciellS. C'était un moyen de pré-
venir ces résolutions si rapides et sitót rap-
portées, que la convention avait prises si SOll-
vent. Enfin, toute SO cié té se qualifiant de
populaire, tenant des séances publiques, ayant
un bureau, des tribunes, des affHiatioIls', était
interdite. La presse éiait entierement libre.
Les émigrés étaient expulsés a jamais rlu ter-
ritoire de la république; les biens nationaux
irrévocablement acquis aux acheteurs; tous les
cultes furent déclarés libres, q lIoique non re-
connus, ni salariés par l'état.


Telle fut la constitution par laquelle on es-
pérait maintellir la France en républiqlle. Il
se présentait une question importante : la
constituante, par ostentation de désintéresse-
ment, s'était exclue du corps Iégislatif qui la
remplac.a; la convention ferait-elle de meme?
Il faut en convenir, une pareille dé termina-
tion eut été une grande imprudence. Chez
un peuple mobile, qui, apres avoir vécu qua-
tone siecles S011S la monarchie, l' avait renver-
sée dans un moment d' enthousiasme, la I'épu-
hlique n'était pas tellement dans les mreurs,




CONVENTION NATIONALE (179b). 17
qll'on pí'tt en abandonner l'établisscment an
seu! conrs des choses. La révollltion ne POll-
vait étre bien défendlle que par ses antellrs.
La convention était composée en grande partie
de cOl1stituants et de membl'es de la législa-
tive; elle réunissait les hommes quí avaient
abolí l'ancíenne constilution féodale le 14 juil-
let et le 4 aout '789, qui avaient renversé le
tralle au 10 aout, qui avaient, le 21 janvier,
immoté le chef de la dynastie des Bourbons,
et qui, pendant trois aus, avaient fait contrc
I'Europe des dTorts inouls pour soutenir Icur
ouvrage; CllX sellls étaient capables de bien
défendre la révolution, consacrée aans la cons-
titution directoriale. Allssi, ne se targuant pas
d'un vain désintéressement, ils décréterent, le
5 fructidor (22 aoút), que le nouveau corps


" législatif se composerait des deux tiers de la
convention, et qu'il ne serait nommé qll'un
nouveau tiers. La q ueslioll était de sa voir si
la convention désignerait elle-nH~me les deux
tiers a COlIserver, Oll si elle laisserait ce soin
aux assemblées électorales, Apres une dispute
épollvantable, il fut convenu, le J 3 frllctidor
( 30 aout), que les assemblées électorales se-
raient chal'gées de ce choix. On décida que les
assemblées primail'es se réuniraicnt le 20 fl'uc-
tidor (6 septembre) pOllr accepter la consti-


V lIT. 2




RÉVOLUTlOlV FRANqAISl-:.
fution et les deux décrets des 5 et 13 fructi-
oor. On décréta, en outre, qu'apres avoir érnis
leur vote sur laconstitution et les décrets,
les assemhlées primaires se réuniraient de
nouveau , et feraient actuellement, c'est-a-dire
en I'an III (1795), les élections du ¡er prairial
de l'année suivante. La convention annonc;ait
par-la qu'elle allait déposer la dictature, et
mettre la constitution en activité. Elle décréta
allssi que les armées, quoique privées ordi-
najremellt du droit de délibérer, se reuni-
raient cepend.ant sur le champ de bataille
qn'elles occuperaient daos le moment, pour
voter la constitntion. Il fallait, disait-on, que
ceux qui devaient la défendre pusseot la con-
sentir. C'était intéresser les armées a la révo-
lution par leur vote meme.


A peine ces résolutions furent-elles prises,
que les ennemis si nombreux et si divers de
la convention s'en montrerent désolés. Peu
jmportait la constitution a la plupart d'entre
eux. Toute constitution leur convenait, pourvu
qu'elle donnat lieu a un renouveUement gé-
néral de tous les membres du gouvernement.
Les royalistes voulaient ce renouvellement
pouI' amener du trouble, ponr réunir le plus
grand nombre possible d'hommes de leur
choix,et pour se servir de la répnblique meme




CONVENTION N ATION /\.LE (1795). J 9
au profit de 1;, royallté ; íls le voulaíent surtout
pOllr écarter les conventionnels, si intéressés
a combattre la contre-révolution, et pour ap-
peler des hommes nouveaux, inexperimentés,
non comprornis, et plus aisés a séduire. Beau-
CóÍIP de gens de leltres, d'écrivains, d'hom-
mes inconnus, empressés de s'élancer dans la
carriere politique, lIon par esprit de contre-
révolution, mais par ambition personnelle,
désiraient aussi ce renouvcllement eomplet,
pour avoir un plus granel nombre de plaees a
occuper. J~cs 1II1S el les autres se répandirent
dans les seclions, et les exciterent eontre les
décrets. La cOllvention, disaient-ils, vOlllait
se perpétuer au pouvoir; elle parlait des droits
du peuple, et ccpemlant elle en ajournait in-
définiment l'exereice; elle luí eommandait ses
choix, elle Be lui permettait pas de préférer
les hommes qui étaient restés purs de crimes;
elle vOlllait conserver forcémellt une majorité
composée d'hommes qllí avaÍcut couvert la
France d'échafauds. Ainsi, ajolltaient-ils, la nou-
velle législature ne serait pas purgéc de tous
les terroristes ; ainsi la Franee ne scrai t pas en-
tierement rassurée sur son avenir, et n'aurait
pas la certitude de ne jamais voÍr renaitre un
régime affrellx. Ces déclamations agissaient
sur un granel nombre d'f'sprits : toute la bonr ..


2.




'lO ltÉVOLUTfON ~UAN~;jUSJ¡.
geoisie des sections, qui voulait bien les nOll-
velles institutions telles qu'on les luí donnait,
mais qui avait une peur excessive du retour de
la terreur; des hommes sinceres, mais irréflé-
chis, qui revaient une république sans tache,
et qui souhaitaient placer au pouvoir une géné-
ration nouvelle et pure; des jeunes gens, épris
de ces memes chimel'cs, beaucollp d'imagina-
tions avides de nouveauté, voyaient avec le
plus vif regret la convention se perpétuer ainsi
peudant del1x Oll trois ans. La cohue des jour-
nalistcs se sOllleva. Une fouIe d'hommes, qui
avaient rang dans la littérature, ou qui avaient
figuré dalls les anciennes assemblées, parurent
aux tribunes des sedions. MM. Suard, Morellet,
Lacretelle jeune, Fiévée, Vaublanc, Pastoret,
Dupont de Nemollrs, Quatremere de Quincy,
Delalot, le fouguellx convertí La Harpe, le.gé-
uéral Miranda, échappé des prisons ou l'avait
faít enfermer sa conduite a Nerwinde, l'Espa-
guol Marchenna, soustrait a la proscription
de ses amis les girondins, le chef de l'agence
royaliste Le Maitre, se signalerent par des
pamphlets ou des discours véhéments dans les
sections: le déchainement fut universel.


Le plan a suivrc étaÍt tout simple, c'était
d'accepter la constitution et de rejeter les dé-
crets. C'est ce qu'on proposa de faire a París,




CONVENTION NA1:l0NALE (1795). 2l
et ce qu'on engagea toute6 les sectious de la
Franee a faire aussi. Mais les illtrigants qui
agitaient les sections, et quí voulaient pousser
l'opposition jusqu'a l'illsurreetion, désiraiellt
un plan plus étendu. Ils vou]aient que les as-
semblées primaires, apres avoir aeceplé ]a
constitution et rejeté les décrets des 5 et .3
fructidor, se eonstituassent en permallence;
qu'elles déclarassent les pouvoirs de la COIl-
vention expirés, et ]es assemblées électora]es
libres de choisir leur's députés partout OÚ il
leur plairait de les prendre; enfin, qll'elles ne
consentissent a se séparer qu'apres l'installa-
tion du nouveau corps législatif. Les agellts de


. Le Maltre fi1'ent pa1'veni1' ce plan dalls les en-
virons de París; iIs ée1'ivirent en Normandie,
ou ron intriguait beaucoup pour le régime de
91; en Bretagne, dans ]a Gironde, partout ou
ils avaient des relations. L'une de leurs lettres
fut saisie, et publiée a ]a tribune. La con ven-
lion vil sans effroÍ les prépa1'atifs qn 'on faisait
contre elle, et attendit avec calme la décision
des assemblées primaires de toute la F1'allce,
certaine que la majorité se p1'ononcerait en sa
favenr. Cependant, soup<,;onnant l'intention
d'une nouvelle journée, elle fit avancer quel-
ques troupes, et les réunit oans le camp des
Sablons , sons Paris.




22 RÉVOI.lITION t'RANqAISE.


I~a section Lepelletier, autrefois -5aint-Tho-
mas, ne pouvait manquer de se distinguer ici ;
elle vint, avec ceHes OU Mail, de la Butte-des-
Moulins, des Champs-Élysées, d u Théatre-Fran-
.;ais (l'Odéon), adresser des pétitions a l'assem-
blée. Elles s'accordaient toutes a <lemander si
les Parisiens avaient démérité, si on se défiaít
d'eux, puisqu'on appelait des troupes; elles
se plaignaient de la prétendue violence faite a
]enrs choix, et se servaient de ces expressions
insolentes: ce Méritez nos choix , et ne les com-
e( mandez paso » La convenlion répondit d'une
maniere ferme a toutes ces adresses, et se
boma a dire qu'elle attendait avec respect la
manifestation de la volonté nationale, qu'elle
s'y soumettrait des qu'elle serait connue, et
qu'elle obligerait tout le monde a s'y soumettre.


Ce qu'on voulait surtout, c'était établir un
point central pour communiquer avec tOlltes
les sectiolls, paur leur dOIlIler une impnlsion
commune, et paur organiser ainsi la révolte.
On avait en assez d'exemples sons les yeux,
pour savoir que e' était la le premier besoin. La
section Lepelletier s'institna centre; elle avait
<Iroit a cet honneur, car elle avait toujours
été la plus ardente. Elle commeru;a par publicr
un acte de garantie aussi maladroit qu'inutile.
Les pOllvoirs d II corps consti tuaut, disait-elle,




CONVE:NTION NATIONALE (1795). 23
cessaient en présence du peuple sou verain; les
assemblées primaires représentaient le peuple
sOllverain; elles avaient le droit d'exprimer
une opinion quelconque sur la constitution et
sur les décrets; elles étaient sous la sauvegarde
les unes des autres; elles se devaient la garantíe
réciproque de leur illdépendance. Personne ne
niait cela, sauf une modification qu'il fallait
ajouter ~. ces maximes; e'est que le corps cons-
tituant eonservait ses pouvoirs jusqu'a ce que
la décision de la majorité fUt conuue. Du reste,
ces vaines généralités ll'étaient qu'un moyen
pour arriver a une autre mesure. La section
Lepelletier proposa aux quarante-huit seclions
de París de désígner chacune un commissaire,
pour exprimer les sentiments des citoyens de
la capitale sur la constitution eL les décr·ets.
leí eommenc.?ait l'infraction aux lois ; car il était
défendu aux assemblées primaires de commu-
niquer entre elles, de s'envoyer des commis-
saires ou des adresses. La conventioll cassa
l'arreté, et Melara qu'eJle considél'erait son.
exéeutioll comme un attelltat a la sureté pu-
blique.


Les seetions n'étant pas encore assez enhar-
dies céderent, et se mirent a recueiUir les
votes sur la constitntion et les décrets. Elles
commencerent par chasser, sanso auenne forme




.',


RÉVOLUTION FRAN<;;AJSE.


légale, les patriotes qui venaient voter dans
leur sein. Dans les unes, OIJ les mit tout sim-
plement a la porte de la salle; dans les al/tres,
on leur signifia, par des placards, qu'ils eus-
sent a rester chez eux, car s'ils paraissaient a
]a section on les en chasserait ignominieuse-
ment. Les individus privés ainsi d'exercer leurs
droits étaient fort nombreux; ils accou,rurent a
la convention pour réc1amer contre la violence
qui leur était faite. La convention désap-
prollva la conduite des sections, mais refusa
d'intervellir, pour ne point parCJitre recruter
des votes, et ponr que l'ablls meme prouvat
la liberté de la délibération. Les patriotes,
chassés de leurs sections, s'étaient réfugiés
dans les tribunes de la convenlion ; ils les oc-
cnpaient en grand nombre, et tous les jours
ils demandaient aux comités de Ieur rendre
leurs armes, assurant qll'ils étaient prets a les
cmployer a la déf~nse de la républíque.


'foutes les sections de París, excepté ceHe
des Quinze-Vingts, accepterent la constitutioll,
et rejetel'ent les décrets. Il n'en fut point de
meme dans le reste de la France. L'opposition,
comme il arrive toujours, était moins arden te
dans les provinces qne dan s la capitale. Les
royalistes, les intrigants, les amhitieux, qui
avaient intéret a presser le renollvellf'ment du




CONVENTION N ATION ALE (1795). :1 5
corps législatif et du gouvernement, n'étaient
nombreux qu'a Paris; aussi, dans les pro-
vinces, les assemblées furent - elles calmes,
quoique parfaitement libres; elles adopterent
la constitution a la presque unanimité, et les
décrets a une grande majorité. Quant aux ar-
mées, elles re¡:;urent la constitution avec en-
thousiasme dans la Bretagne et la Vendée,
allx Alpes et sur le Rhin. Les camps, changés
en assemblées primaires, retentirent d'accla-
mations. lis étaient pleins d'hommes dévoués
a la révolution, et qui lui étaient attachés par
les sacrifices memes qu'íls avaient faits pour j
elle. Ce déchainement qu'on . montrait a París
contre le gouvernement révolutionllaire était
tout-a-fait incollnu dans les arrnées. Les réqui-
sitionnaires de 1793, dont elles étaient rem-
plies, conservaient le plus grand sonvenir de
ce fameux comité, qui les avait bien mieux
conduits et nourris que le nOln-eau gouverne-
mento Arrachés a la vie privéc, habitnés a bravel'
les fatigues et I~ mort, nourris de gloire et
d'illusions, ils avaient encore cet enthou-
siasme qui , dans l'intérieur de la Franee, com-
men¡:;ait a se dissiper; ils étaient fiers de se dire
soldats d'une république défendue par eux
contre tous les rois de l'Europe, et qlli, en
ql1elgue sorte, était leur ouvrag.e. lIs juraient




26 Rl~VOLUTION }'RAN~AISE.
avec sincérité de ne pas la laisser périr. r:ar-
mée de Sambre-et-Meuse, que commandait
Jourdan, partageait les nobles sentiments de
son brave chef. C'était elle qui avait vaincu a
Watigllies et débloqué Maubeuge; c'était elle
qui avait vaíncu a Fleurus et donné la Bel-
gique a la France; c'était elle enfin, qui, par
les victoires de l'Ourthe et de la Roer, venai t
de lui assurer la ligne du Rhin. Cette armée,
qui avait le mieux mérité de la république, lui
était aussi le plus attachée. Elle venait de
passer le Rhin; elle s'arreta sur-Ie-champ de
bataille, et on vit soixante mille hommes ac-
cepter a la fois la nouvelle constitution répu-
blicaine.


Ces nouvelles, arrivant successivement a
Paris, réjouissaient la convention et attristaient
fort les sectionnaires. Chaque jour, ils venaient
présenter des adresses, on ils déclaraient le
vote de leur assemblée, et annont;aient avec
une joie insultante que la constitution était
acceptée et les décrets rejetés. Les patriotes
amassés dans les tribunes murmuraient; mais
dans le meme instant on lisait des proces-ver-
baux envoyés des départements, qui, presque
tous, annon<;aient l'acceptation et de la cons-
titution et des décrets. Alors les patriotes
éclataient en applaudissements furibonds, el




CONVENTION NATIONALE (1795). 27
narguaient de leurs éclats de joie les pétition-
naires des seetions assis a la barre. Les derniers
jours de fruetidor se passerent en seenes de ee
genre. Enfill, le I er vendémiaire de l'an IV (23
septembre J 795), le résultat général des votes
fut proclamé.


La constitution était aeeeptée a la presque
unanímité des votants, et les déerets a une im-
mense majorité. Quelques mille voix eependant
s'étaient prononcées eontre les décrets, et ~a
et la quelques-unes avaient osé demander un
roí: c'étaít une preuve suffisante que la plus
parfaite liberté avaít régné dan s les assemblées
prímaires. Ce meme jour, la eonstitution et les
déerets furent solennellement déclarés par la
eonvention loís de l'état. Cette déclaration fut
suivie d'applaudissements prolongés. La con-
vention, déeréta ensuite que les assemblées pri-
maires qui n'avaient pas eneore nommé leurs
électellrs, devraient achever cette nomination
avant le JO vendémíaíre (2 octobre); que les
assemblées électorales se formeraient le 20. et
devraient finir leurs opérations au plus tard
le 29 (21 octobre); qu'enfin le nOllveau corps
législatif se réUllirait leI 5 brllmaire (6 no-
vembre).


Cette nouvelle fut un coup de fOlldre pour
les sectionnaires. lis avaient espéré jusqu'au




28 RÉVOLUTION FRAN~AfSE.
dernier moment que la France clonnerait un
vote s~mblable a celui de Paris, et qu'ils seraient
délivrés de ce ql1'íls appelaient les deux tiers;
mais le dernier décret ne leur permettait plus
aucun espoir. Affectant de ne pas croire a une
10yale supputation des votes, ils envoyerent des
commissaires au comité des décrets, pour vé-
rifier les proces-verbaux. eette injurieuse dé-
marche ne fut point mal accueillie. On con-
sentit a leur montrer les proces-verbaux et a
Ieur laisser faire le compte des votes; ils le troll-
verent exacto Des lors ils n'eurent plus meme
eeUe malheureuse objection d'une erreur ou
d'l1n mensonge de calcul; il ne leur resta plus
que l'insurrectioll. Mais c'était un parti vio-
lent, et il n' était pas aisé de s'y résoudre. Les
ambitieux, ql1i désíraient éloigner les hommes
de la révolution, pour prendre leur place dans
le gouvernement républicain; les jeunes gens
qui voulaient étaler leur courage, et qui avaient
meme serví pour la plnpart; les royalistes enfin
qui n'avaíent d'autre ressource qu'uue attaque
de vive force, pouvaient s'exposer volontiers
a la chance d'un combat; mais cette masse
d'hommes paisibles, entrainés a figurer dans
les sections par peur des terroristes pIntot que
par conrage politiqne, n'étaient pas faciles il
décider. D'abord l'insllrrection ne convenait




CONVENTION NAl'IONAU: (1795). 29
pas a leurs principes; comment, en effet, des
enl1emis de l'anarchie pouvaient-ils attaql1er le
pou voir établi et reconnu? Les partis, iI est
vrai, craignent peu les contradictions: mais
cornment des bourgeois, qui n' étaient jamais
sortis de Ieurs comptoirs ou de leu1's maisons,
osemient-ils aUaquer des troupes de ligne, a1'-
méesde canons? Cepcndant les intrigants roya-
listes, lcsambitieux, se jeterent dans les sec-
tions, parlerent d'intéret public et d'honneur;
ils dirent qu'il n'y avait pas de súreté a etre
gouvel'llé encore par des conventionnels; qu'on
resteraít toujours exposé au terrorisme; que
dll reste ii était honteux de reculer et de se
lai·sser soumettre. On s'adressa a la vanité. Les
jeunes gens qui l'evenaient des armées firent
grand bruit, elltraillerent les timides, les em-
peeherent de manifester leurs eraintes, et tout
se prépara pour un coup d'éclat. Des groupes
de jeunes gens parcoul'aient les rues en criant:
A bas les deux tiers! Lorsquc les soldats de la
conventioll voulaient les disperse1' et les em-
pecher de proférer des c1'is séditieux, ils ri-
postaient a coups de fusil. n y eut différentes
émeutes, et plusieurs coups de feu au milicll
meme du Palais-Royal.


Le Maitre et ses collegues, voyant le sucees
de leurs pl'ojets, ayaient fait venir a París plu-




30 nÉVOLUTrON FRAN~AISE.
sieurs ehefs de chouans et un certain nombre
d'émigrés; ils les tenaient cachés, et n'atten-
dajent que le premier signal pour les faire pa-
raitre. Ils avaient réussi a provoquer des mou-
vements a Orléans, a Chartres, a Dreux, a
Verneuil et a Nonancourt. A Chartres, un repré-
sentant, Letellier, n'ayant pu empecher une
émeute, s'était brulé la cervelle. Ql10ique ces
ll10uvements eussent été réprimés, un succes
a Paris pouvait entrainer un mouvement gé-
néral. Ríen ne fut oubJié pour le fomellter, et
bientot le sueees des conspirateurs parut com-
pIel.


Le projet de l'insurreetion n'était pas encore
résol u; mais les hOlllH~tes bourgeois de Paris se
laissaient peu a peu entrainer par des jeunes
gens et des intrigants. Bientot ils allaient, de
bravades en bravades, se trouver engagés irré-
voeablement. La section Lepelletier était tou-
jours la plus agitée. Ce qu'jl fallait, avant de
songer a auenne tentative, c'était, comme nous
l'avons dit, établir une direction centrale. On
en eherchait depuis long-temps le moyen. On
pensa que l'assemblée des électeurs, nommée
par toutes les assemblées primaires de Paris,
pourrait devenir eette autorité centrale; mais,
d'apres le dernier décret, eette assemblée ne
devait pas se réunir avant le 20; et on ne von-




eONVENTlON N ATlONALE (1795). 3 J
lait pas attendre aussi long-temps. La seetion
tepelletier imagina a10rs un arreté, fondé sur
un motif assez singulier. La eonstitution, di-
sait-elle, ne mettait que vingt jonrs d'inter-
valle entre la réunion des assemblées primaires
et eeHe des assemblées éleetorales. Les assem-
blées primaires s'étaient réunics cette fois le
20 fruetidor; les assemb1ées électorales devaient
done se réunir le JO vendémiaire. La eonven-
tion n'avait fixé cette réunion que pour le 20;
mais c'était évid~mment pour retarder encore
la mise en acti vité de la cOlIstitution et le par-
tage du pouvoir avec le nOllveau tiers. En con-
séq llence, pOlIr sauvegarder les droits des
citoyens, la section Lepelletier arretait que les
électeurs déja nommés se réuniraient sur-Ie-
champ; elle eommuniqua l'arreté aux autres
sections pour le leur faire approuver. 11 le fut
par plusieurs d'entre elles. La réunion fut fixée
ponr le 1 J , an Théatre-Franc;ais (salle de 1'0-
déon).


Le 1 I vendémiaire ( 3 octobre), une partie
des électeurs se rassembla dans la salle du
théatre, son s la protection de quelqlles batail-
lons de la garde nationale. Dne multitude de
curieux accoururent sur la place de l'Odéon, et
formerent bientot un rassemblement considé-
rabie. Les comités de súreté généra1e et de salot




ltÉVOLUTION FRAN9AlSE.


public, les trois représentants qui dCPllis le
4 prairial avaient conservé la direction de la
force armée, étaient toujours réllnis dans les
occasions importantes. lIs eoururent a la con-
vention luí dénoncer cette pl'emiere démarche,
qui dénotait évidemment un projet d'insurrec-
tíon. La convention était assemblée ponr cé-
lébrer une fete funebre dans la salle de ses
séances, en l'honneur des malheureux giron-
dins. On voulaít remeltre la fete; Tanien s'y
opposa; iI dit qu'il ne serait pas digne de 1'as-
semblée de s'interrompre, et qu'elle devait va-
quer a ses soins aeeoutumés , au milieu de tous
les périls. On rendit un décret portant l'ordre
de se séparer, a toute réunion d' éIecteurs, for-
mée OH d'une maniere ilLégale, ou avant le
terme prescrit, ou pour un objet étranger a ses
fonetions électorales. Pour ouvrir une issue a
ceux qui auraient envíe de reculer, on ajouta
au déeret que tous eeux qui, entrainés a des
démarches illégales, rentreraient immédiate-
ment dans le devoir, seraient exempts de pour-
suites. Sur-Ie-champ, des officiers de poliee,
eseortés seulement de six dragons , furent en-
voyés sur la place de l'Odéon pour faire la
proclamatíon du déeret. Les comités voulaient
alllant que possible éviter l'emploi de la force.
La fonle s'était augmentée a l'Odéon, surtout




CONVENTION NA TION ALE (1795). 33
vers la nuit. L'intérieur du théatre était mal
éclairé; une lIlUltitude de sectionnaires occu-
paient les loges; ceux quí prenaient une part
active a l'événement se promenaient sur le
théatre avec agitation. On n' osait rien délibérer,
rien décider. En apprenant l'arrivée des offi-
ciers de police chargés de lire le décret, on
courut sur la place de 1'0déon. Déja la foule
les avait entourés; on se précipita sur eux, on
éteignit les torches qu'ils portaient, et 011
obligea les dragons a s'enfuir. On rentra alors
dans la salle du thé:hre, en s'applaudissant de
ce succes; on fit des discours, on se promit
avec serment de résister a la tyrannie; mais au-
cune mesure ne fut prise pour appuyer la dé-
marche décisive qu'on venait de faire. La nuít
s'avan~aít:beaucoup de curieux et de section-
naires se retiraient; la salle commen<;a a se dé-
garnír, et finit par etre ahandonnée tout-a-faít
a l'approche de la force armée, qui arriva
bientót. En effet, les comités avaient ordonné
au général Menon, nommé, depuis le 4 prai-
ríal, général de l'armée de l'intérieur, de faire
avancer une colonne du camp des Sahlons. La
colonne arriva avec deux pieces de canon, et
ne trouva plus personne ni sur la place, ni
dans la salle de 1'0déon.


Cette scime, quoique sans résultat, causa
VlII. 3




34 RJ<:VOLUTJON FRAN~AISE.
néanmoins une grande émotion. Les section.
naires venai~nt d'essayer leursforces, et avaient
prjs quelque courage" COAlme il arrive toujQUrs
apres une premiere incartade. La conventio'll
et ses parti&ans avaient vu avec effroi les évé-
nemellts de eette journoo; et, plus prompts a
Cl'oire aux résolutions de leurs adversaires,
~


que leurs adver.saires a l~s Cormer, ils n'avaient
plus douWde .1'insUJi'fectiQ,n. Les, patriotes, mé·
contents de la convention, qui les avait si ru-
dement traités , mais pleins de leur .aJ.'d~ul\~c­
coutumée, sentirent qu'il faIlait immoler leurs
r~slientimellts a leur cause; et, dans la nuit meme,
ib, accourUrent en foule aupres des (:Qmités
pour offrir leurs bras, et dePlander des arm(J5.
Les unf' éta.ient sortis la veille des prisons, les
auttes venai~nt d' etr~ exclus d~ ass,etllhl~fts p,ri-
mWv.es; ~qp.!Htlt~eut l~s pll,lf> gf¡Ul~ mQti{1l de
zele. A eux. se joignítient l,me foule d'officiel's
rayé s des roles de l'armée par le réacteur Au~
bry. Les thermidoriens ,dominant toujours dans
les, comités , et entierement revenus a la Mon-
tag~w, n'hésiterent pas a accQeiUir les offres des
paLriotes, et leur avis fut appuyé par plus d'un
gjron.din. Louvet, dans des réunions qui avaient
lieu ch~¡; un ami cornmun des girondin¡; et des
thermidoriens, avait clé,i~<pr{)posé de réarmer
lf$ faubourgs, de ronvrü'"meme les Jacohifls,




CONVENTION N ATION ALE (1795). 35
sauf a les fermer ensuite si eela devenait
encore nécessaire. On n'hésita done pas a dé-
livrer des armes a tous les citoyens qui se pré-
senterent; on Ieur donna pour officiers les
militaires qui étaient a París sans emploi. Le
vieux et brave général Berruyer fut chargé de
les commander. Cet armement se tit dans la
matínée meme du 12. Le bruit s'en répandit
sur-Ie-champ dans tous les quartiers. Ce fQt un
ex.cellent prétexte pour les agitateurs des sec-
tions, qui cherchaient a compromettre les paí.
sibles citoyens de París. La convention voulait,
disaient-ils, recommencer la terreur; elle venait
de réarmer les terroristes; elle allaít les lancer
sur les honnetes gens; les propriétés, les per-
sonnes, n'étaient plus en sureté; il fallait cou-
r.ir aux armes pour se défendre. En effet, les
sections de Lepelletier, de la Butte·des-NL.>u.1ins,
du Contrat- Social, du Théatre - Franc;ais, du
Luxembourg, de la rue Poissonniere, de Bru-
tus, du Temple, se déclarerent en rébellion ,
tirent battre lagénérale dans leurs quartiers, et
enjoignirent a tous les citoyens de la garde
nationale de se rendre a leurs hatailloDs, pour
veiller a la sureté publique, menacée par les
terroristes. La sectioll Lepelletier se constitua
aussitot en permanence, et devint le centre
de toules les intrigues contre-révolutionnaires.


3.




36 HÉVOLUTION FUAN9AISE.
Les tambours et les proclamateurs des sections
se répandirent dans Paris avec une singuliere
audace, et donnerent le signal du souIevement.
Les citoy~ns, ainsi excités par les bruits qu'on
répandait, se rendirellt en armes a lellrs sec-
tions, prets a céder a toutcs les suggestions.
d'une jeunesse imprudente et d'une faction
perfide .


. La convention se déclara aussitot en per-
manence, et somma. ses comités de veiller a la
su reté publique et a l'exécntion de ses décrets.
Elle rapporta la loí qni ordonnait le désarme-
ment des patriotes, et légalisa ainsi les mesures
prises par ses comités; mais elle tit en meme
temps úne proclamation pour calmer les habi-
tants de Paris, et pOllr les rassurer sur les in-
tentions et le patriotisme des hommes auxquels
c'lu vcnaít de rendre lellrs armes.


Les comités, voyant que lasection Lepelle-
tier devenait le foyer de tOlltes les intrigues,
et· serait peut-etre bientot le qllartier-général
des rehelles, atreterent que la sectíon serait
entonrée et désarmée le jour meme. Menon
re«;ut de nouvealll' ordre de quitter les Sablons
avec un corps de troupes et des canons. Ce
général Menon, bon ofticier, citoyen doux et
modéré, avait eu pendant la révolution l'exis-
tence la plus pénible et la plus agitée. Char'g~




CONVENTlON NATIONALE el795). 37
de combattre dans ]a Vendée, i] avait été en
butte a toutes les vexations du parti Ronsin.
Traduit a París, menacé d'ull jugement, il
n'avaít da. la vie qu'au 9 thermidor. Nommé
général de l'armée de l'intérieur au !f prairial,
et chargé de marcher sur les faubourgs, il
avait eu alors a combattre des hommes qui
étaient ses ennemis naturels, qui étaient n'ail·
leurs poursuivis par l'opinion, qui enfin, dans
leur énel'gie, ménageaient tI·op peu la vie des
autres pour qu'on se 6t scrupule de sacrifier
la leor; mais aujourd'hui c'était la brillante
population de la capitale, e'étaít la jeunesse
des meilleures familles, e'était la classe enfin
qui faisait l'opinion, qu'illui fa..llait mitrailler
si elle persistait dans son imprudence. Il était
done dans une cruelle perplexité, comme il
arrive toujours a l'homme faíble, qui ne sait
ni renoneer a sa place, ni se résoudre a une
eommission rigoureuse. n 6t marcher ses co-
lonnes fOl't tard ; jI Iaissa les sections .proclamer
tout ce qu'elles voulurent pendant la journée
du 12; il se mit ensuite a parlementer seere·
tement avec quelques-uns de leurs ehefs, au
lieu d'agir; il déclara meme aux trois représen-
tants chargés de diriger la force armée, qu'il
ne voulait pas avoir sous ses ordres le bataillon
des patriotes. Les représentants lui répondi-




38 RÉVOLUTION F1\ANc,;:AISI!:.
rent que ce bataillon était sous les ordres du
général Berruyer seul. Ilsle presserent d'agir,
sans dénoncer encore aux deux comités ses
hésitations et sa mollesse. 11s virent d'ailleurs
la meme répugnance chez plus d'un officier,
et entre autres chez les deux généraux de
brigade Despierre et Debar, qui, prétextant
une maladie, ne se trouvaient pas a leur poste.
Enfin, vers la nuit, Menou s' avanc;a avec le re-
présentant Laporte sur la section Lepelletier.
Elle siégeait au couvent des Filles·Saint·Tho-
mas, qui a été remplacé depuis par le bel édi-
fice de la Bourse. On s'y rendait par la rue
Vivienne. l\'Jenou entassa son infanteríe, sa
cavalerie, ses canons , dans cette rue, et se mit
dans une position ou il aurait combattu a'Vec
peine, enveloppé par la multitudedes section-
naires. qui fermajent toutes. les iS8ues, el qui
remplissaient les fenelres des maisons. Menon
fit ronler ses eanons jusqu'a la porte dn cou-
vent, et entra avec le représentant Laporte et
un bataillon dans la salle meme de la section.
Les membres de la sechon, au Heu d' etre for-
més en assemblée délibérante, étaient armés,
rangés en ligne, ayant Ieur président en tete:
c'était M. Delalot. Le général et le représen-
tant les Sommerent de rendre leurs armes; ¡Is
s'y refusereut. IJe président Delalot, voyant




CONVENTfON NATIONALE (1795). 3~)
l'hésitation avec laquelle on faisait cette som-
mation, y répondit avec chaleur, parla aux.
soldats de Menou avec . a-propos et préscnce
d'esprit, et déclara qu'il falldrait en venir aux.
dernieres extrémités pour arracher les armes a
la secti.on. Combattre daos cet espace étroit,
ou se retirer pour foudroyerla salle a coups
de canon, était une alternative douloureuse.
Cependant, si Menou eu.t parlé avec fermeté,
et braqué son ~rtHleríe, il est douteux que la
résolution des sectionnaÍl'es se fut maintenue
jusqu'au bout. Menon et Laporte aimerent
mieux une capitulatíon; ils promirent de faire
retirer les troupes conventionnelles, a condí-
tion que la section se séparerait sur-Ie-champ;
elle promit, ou feignit de le promettre. Une
partie du bataillon défila comme pour se re-
tirer. Menou, de sop. coté, sortit avec 53
troupe, et fit rebrousser chemitl a ses colon-
nes, quí eurent peine a traverser la foule
amassée dans les quartiers environnants. Tan-
dis qu'il avait la faiblesse de céder devant la
fermeté de la section Lepelletier, eeHe-el était
rentrée dans le lieu de ses séances, et, fiere
d'avoir résisté, s'enhardissait davantage dalls
sa rébellion. Le bruit se répandit sur-le-champ
que les décrets n' étaient pas exécutés, que l'in-
surrection restait victorieuse, que les troupes




40 IlÉVOLUTION FRAN~AlSE.
revenaient sans avoir fait triompher l'autorité
de la convention. Une foute de témoins de
cette scene cournrent aux tribunes de l'assem-
blée, qui était en permanence, avertirent les
députés, et on entendit crier de tous catés :
lYous sommes trahis! nous sommes trahis! ti
la barre le général Menou! - On somma les
comités de venir donner des explications.


Dans ce moment, les comités, avertis de ce
qui venait de se passer, étaient dan s la plus
grande agitation. On voulait arreter Menou,
et le juger sur-le-champ. Cependant cela ne
remédiaít a rien; il fallait suppléer a ce qu'il
n 'avait pas fait. Mais quarante rnernbres, dis-
cutant des mesures d'exécution, étaient peu
propres a s'entendre et a agir avec la v~gueur
et la précision nécessaires. Trois représentants,
chargés de diriger la f~rce armée, n'étaient
pas non plus une autorité assez énergique. On
songea a nommer un chef comme dans toutes
les occasions décisives; et dans cet instant,
qui rappelait tous les dangers de thermidor,
onsongea au député Barras, qui, en sa qualité
de généraI de brigade, avait rec;:u le comman- -
dernent dans cette journée farneuse, et s'en
était acquitté avec toute I'énergie désirable.
Le député Barras avait une grande taille, Ulle
,'oix forte; iI ne pouvait pas faire de .lougs




CONVJ:;NTION N A TION ALE (1795). 4 (
discours, mais iI excellait a improviser quelques
phrases énergiques et véhément~s, qui don-
naient de lui l'idée d'un homme .résolu et dé-
voué. On le nomma général de l'armée de l'in-
térieur, et on lui donna comme adjoints les
trois représentants chargés avant lui de diriger
la force armée. Une circonstance rendait ce
choix fort heureux. Barras avait aupres de lui
un officier tres-capable de commander, et il
ll'aurait pas. eu la petitesse d'esprit de vouloir
écarter un homme plus habile que lui. Tous les
députés, envoyés en mission a l'armée d'lta-
he, connaissaient le jeune officier d'artillerie
qui avait décidé la prise de Toulon, et fait
tomber Saorgio et les lignes de la Roya. Ce
jeune officier, devenu général de brigade,
avait été destitué par Aubry, et se trouvait
a París en non-activité, réduit presque a l'in-
digence. Il avait été introduit chez madame
TaUien , qui l'accueillit avec sa bonté accou-
tumée, et qui meme sollicitait pour lui. Sa
taille était grtHe et peu élevée, ses joues caves
el Jivides ; mais ses beaux traits, ses yeux fixes
et per<;ants, son langage ferme et original,
attiraient l'attention. Souvent il parlait d'un
théatre de guerre décisif, ou la république
trouverait des victoires et la paix: c'était l'lta-
líe. JI y revetlait constamment. Aussi, lorsqne




42 RÉVOLUl'lON .FRANQAISE.
les lignes de l' Apennin furent peruues sons
KeUermann, on l'appela au comité pour lui
demander SOn avis. On lni confia des ]ors ]a
rédaction des dépeches, et iI demenra attaché
a la direction des opérations militaites. Barras
songea a lui le 12 vendémiaire dans la nuit;
iI le demanda pour commandant en second,
ce qui fut accordé. Les deux choix, soumis a
la convention dans la nuit nH~me, furent ap-
prouvés sur-Ie-champ. Barras confia le soin
des dispositions militaires au jeune général,
<[ui a l'instant se chargea de tout, et se mit ir
donner des ordres avec une extreme activité.


La générale avait continué de baUre dans
tous les quartiers. Des émissaires étaient allés
de tons catés vanter la résistance et le succes
de la section LepeHetier, exagérer ses dangers,
pérsuadet' que ces dangers étaient 'communs
a toutes les sections, les piquer d'honneur,
les exciter a égaler les grenadiers du ql1artier
Saint-Thomas. On était accouru de toutes parts,
et un comité central et militaire s'était formé
enfin dans la section Lepelletier, sous la pré-
sidence du journaliste Richer-Serizy. Le ptojet
d'une insurrection était arreté: les bataillons
se formaient, tons les hommes irrésollls étaient
entralnés, et la bOllrgeoisie tout entiere de
Paris, égarée par un faux point d'honneur,




CONVENTLON N,\.TLONALE (1795). 43
aIJait jouer un role qui convenait peu a ses
habitudes et a ses intérets.


Il n'était plus temps de songer a matcher
sur la section Lepelletier pour étouffer l'insur-
rectioll dans sa naissance. La convention avait
enviran cinq mille hommes de troupes de ligne.
Si toutes les sections déployaient le meme úle,
elles pouvaient réunir quarante mille hommes,
bien armés et bien organisés; et ce n'était pas
avec cinq miUe hommes que la convention
pouvait marcher contre quarante mille, a tra-
vers les rues d'une grande capitale. On pouvait
tout au plus espérer de défendre la convention,
et el'en faire un camp bien retranché. e'est a
quoi songea le généralBonaparte. Les sectÍons
étaient sans canons; elles les avaient toutes
déposés lors du 4 prairial ; et les plus ardentes
anjourd'hui furent alors les premie res a dontiér
cet exemple, pour aS5urer le désarmement dn
faubourg Saint-Antoine. C'était un grand avan-
tage pour la convention. Le pare entier se trou-
vait au camp des Sablons. Bonaparte ordonna
sur-le-champ au chef d'escadron Murat d'aller
le chercher a la tete de trois cents chevau:x.
Ce chef d'escadron arriva au moment meme
00. un bataillon de la section Lepelletier venait
pour s'emparer du parc; il devan<,;a ce batail-
lon, fit atteler les pieces, et les amena aux




44 RÉVOLUTION FRAN<,:AISE.
Tuileries. Bonaparte s'occupa ensuite d'armer
toutes les issues. Il avait cinq mille soldats de
ligne, une troupe de patriotes qui, depuis la
veille, s'était élevée a environ quinze cents,
quelques gendarmes des tribunaux, désarmés
en prairial et réarmés dans eette oecasion,
enfin la légion de police et qnelques invalides,
le tout faisant a peu pres huit mille hommes.


, Il distribua son artillerie et ses troupes dans
les rnes cul-de-sac Dauphin, l'Échelle, Rohan,
Saint - Nicaise, an Pont-Nenf, Pont - Royal,
Pont-Louis XVI, sur les places Louis XV et
Vendome, sur tous les points enfin Ol! la con-
vention était aecessible. 11 pla~a son corps de
eavalerie et une partie.de son infanterie en ré-
serve au Carrousel et dans le jardin des Tuile-
ries. Il ordonna que tous les vivres qni étaient
dans París fussent transportés aux Tuileries ,
qu'il y fUt établi un dépot de munitions et une
ambulance pour les blessés; il envoya un déta-
chement s'emparer du dépOt de Meudoll, et en
occuper les hauteurs, pour s'y retirer avec la
convention en cas d'échec; iI 6t intercepter la
route de Saint-Germain, pour empecher qll'OIl
amenat des callons aux révoltés ; et transporter
des caisses d'armes au faubourg Saint-Antoine,
pour armer la section des QllillZC - Vingts,
qui avait sente voté pom' les dé~rcts, el dont




CONVJmTION NATIONALE (1795). 45
Fréron était allé réveiller le úle. Ces disposi-
lions étaient achevées dans la matinée du 13.
Ordre fut donné aux troupes républicaines
d'attendre l'agressioll et de ne pas la pro-
voquer.


Dans eet intervalle de temps, le comité
d'insurrection établi a la seetion Lepelletier
avait fait aussi ses dispositions. Il avait mis les
comités de gouvernement hors la loi, et créé
une espece de tribunal pour juger ceux qui
resisteraient a la souveraineté des seetions. Plu-
sieurs généraux étaient venus lui offrir ]eurs
serviees: un Vendéen, connu sous le nom de
eomte de Maulevrier, et un jeune émigré, ap-
pelé Lafond, sortirent de leur re traite pour
diriger le mouvement. Les géuéraux Duhoux
et Danican, qui avaient commandé les armées
républicaines en Vendée, s'étaient joints a
eux. Danicanétait un esprit inquiet, plus pro-
pre a dédamer dans un club qn'a commander
une armée; il avait été ami de Hoche, qui le
gourmandait souvent pour ses inconséquen-
ces. Destitué, il était a Paris, fort mécontent
du gouvernement, et pret a entrer dans les
plus mauvals projets ; i\ fut fait général en chef
des sections. Le partí étant pris de se battre)
tons les citoyens se trouvant engagés malgré
eux, on forma une espece de plan. I~es sec-




46 RÉVOLUTION FRANc:,;A1SE.
tioos du fllubourg Saint~Germain, sous les or-
dres duc;olll.te de Maulevrier, devaient partir de
l'Odéon pour attaquer les Tuileries par les
ponts; les sections de la rive droite devaien t
attaquer par la rue Saint-Honoré et par toutes
les rues transversales qui aboutissent de la rue
Saint-Honoré aux TuiJeries. Un détachement,
saus lesordres du jeune Lafond, devait s'em-
parer du Pont-Neuf, afio de mettre en commu-
nication les deux divisions de l'armée section-
naire. On pla~a en tete des eolonnes les jeunes
gens qui avaient serví dans les armées, et qui
étaient les plus eapables de braver le feu. Sur
les quarante mille hommes de la garde oatio-
na le , vingt ou vingt-sept mille hommes au
plus étaient présents sous les armes. n y avait
una· manauvre beaucoup plus sure que celle
de seprésenter en oolonoes profondes au feu
desbatteries; c'étaitdefaire des barrica des dans
les rues, d'enfermer ainsi l'assemblée et ses
troupes dans les TuiJeries, de s'emparer des
maiaons environnantes, de diriger de la un feu
meurtrier, de tuer un a un les défenseurs de
la convention, et de les réduire bientót aínsi
parla fajOl et les balles. Mais les sectionuaires
ne songeaient qu'il un coup de main, et
croyaient, par une seule eharge, arriver jus-
qu'au palais et s'en faire ouvrir les portes.




CONVJ:NTION NATIONALE (1795). 47
Daos la matinée meme, la section Poisson-


niere arreta les chevaux de l'artillería et les ar-
mes dirigées vers la section des Quinze~Vingts;
ce He du Mont -Blanc enleva les subsistances
destinées aux Tuileries; un détachement de
la section Lepelletier s'empara de la trésorerie.
I,e jeune Lafond, a la tete deplusíeurs com-
pagnies, se porta vers le Pont-Neuf, tandís
que d'autres hataillons venaient par la rue
Dauphine. Le général Carteaux était chargé de
gllrdel' ce pont avec quatre cents hommes et
quatre pieces de canon. Ne voulant pas enga-
gel' le combat, iI se retira sur le quai du Lou-
vee. I,es bataillons des sections vinrent partont
se ranger a quelques pas des postes de la con-
ven tion, et assez pres pour s' entretenir avec
les sentinelles.
J~es tl'OJ,lpes de la cOllvention anraient en un


grand avantage a pl'endre l'initiative, et proha-
blement, en faisant une atta que brnsque, elles
auraient mis le désordre parmi les assaillants;
mais jJ avait été rccommandé aux géné-
raux d'attendre l'agression. En conséquence,
malgré les actes d'hostilité déj:\ commis, mal-
gré l'eulevement des chevaux de l'artillerie,
malgré la saisie des snbsistances destinées a la·
convention, et des armes envoyées aux Quinze-
Vingts, malgré la mort d'un hussard d1ordoD-




48 nÉVOLUTION FnAN~AISF..
nance, tué dans ·la rue Saint-Honoré, on per-
sista encore a ne pas attaquer.


La matinée s'était écoulée en préparatifs
de la part des sections, en attente de la part
de l'armée conventionnelle, lorsque Danican,
avan t de commencer le combat, erut devoir
envoyer un parlementaire aux comités pour
Ieur offrir des conditions. Barras et Bonaparte
parconraient les postes, lorsque le parlemen-
taire leur fut amené les yeux bandés, comme
dan s une place de guerreo Ils le firent conduire
devantles comités. Le parlementaire s'exprima
d'une maniere fort mena<;ante, et offrit la paix,
a condition qu' on désarmerait les patrio tes , et
que les décrets des 5 et 13 fructidor seraient
rapportés. De telles conditions n'étaient pas
acceptables, et d'ailleurs il n'y en avait point
a écouter .. Cependant les comités, tont en dé-
libérant de ne pas répondre, résolurent de
nommer vingt-qnatre députés pour aller fra-
terniser avec les sections, moyen qui avait
souvent réussi, car la parole tonche beaucoup
lorsqu'on est pret a en venir anx mains, et on
se prete volontiers a un arrangement qui dis-
pense de s'~gorger. Cepelldant Danican, ne
recevant pas de réponse, ordonna, l' attaque.
On entendít des coups de fen; Bonaparte 6t
apporter huit cents fusils et gibernes dans une




CONVENTION NATIONALF. (J795). 49
des salles de la convention, pour en anDer
les représentants eux-memes, qui serviraient,
en cas de besoin, eomme un corps de réserve.
Cette précaution 6t sentir toute l'étendue du
péril. Chaque député courut prendre sa place,
et, suívant l'usage dans les moments de danger,
l'assemblée attelldit dans le plus profond si-
leuce le résultat de ce cómbat, le premier
combat en regle qu'elle eut encore livré con-
tre les factions révoltées.


Il était quatre heures et demie; Bonaparte;
accompagné de Barras, monte a cheval dallS
la cour des Tuileries, et court au poste du cul-
de-sac Dauphin, faisant face a l'église Saínt-
Roch. Les bataillons sectionnaires remplis-
saient la rue Saint-Honoré , et venaient aboutir
jusqu'a l'entrée du cul-de-sac. Un de leurs meil-
leurs bataiUons s'était posté sur les degrés de
l'église Saint·Roch, et il était placé la d'ulle
maniere avantageuse pour tirailler sur les ca:
nonniers conventionnels. Bonaparte, qui sa-
vait apprécier la puissance des premíeJ's coups,
raít sur-Ie-ehamp avancer ses pieces, et OJ'-
donne une premiere décharge. Les section-
naires répondent par un feu de mOllsqueterie
tres-vif; mais Bonaparte, les couvrant de mi-
traille, les oblige a se replie!' sur les degrés
de l'église Sl1int-Hoch; iI débouchc sur-Je~


VIII. (.




;)0 luíVOI,'UTION },'RA N9A1SE.


champ dan s la ruc Saint-HoIloré, et lance SUl'
l'église meme une troupe de patriotes qui se
battaient a ses cotés avec la plus grande va-
leur, et qui avaient de cruelles injures a venger.
Les sectionnaÍres, apt:es une vive résistance,
sont délogés. Ronaparte, Lollrnant aussitot ses
pieces a droÍte et agauche, faít tirer daos
toute la longueur de la rue Saint-Hoooré. Les
assaillants fuient aussitot de toutes parts, etse
retirent daos le plus graod désordre. Bona-
parte laisse alors a un officier le soín de
continller le feu et d'achever la défaite; iI re-
monte vers le Carrousel, et conrt aux autres
postes. Partout iI fait tirer a mÍtraille, et voit
partout fuir ces malheureux sectíonnaires im-
prudemment exposés en colonnes profondes
aux effets de l'artillerie. Les sectionnaires,
quoique ayant en tete de leurs colonnes des
hommes fort braves, fuient en toute hate vers
le quartier- général des Filies -SaÍnt -Thomas.
Danican et les chefs reconnaissent alors la fante
qu'ils ont faite en marchant sur les pieces, au
lien de se barricader et de se loger dans les
maisons voisÍnes des Tuileries. Cependant ils
ne perdent pas courage, et se décident a un
nouvel effort. Ils imaginent de se joindre aux
colonnes qui viennent du fallbonrg Saint-
Germain, ponr faire une attaqne commune




CONVENTlON NATlONAU<: (1795). 51
sur les ponts. En effet, ils rallient six a huit
mille hommes, les dirigent vers le Pont-N euE,
ou était posté Lafond avee sa troupe, et se
réunissent aux bataillons venant de la rue
Dallphine, sous le eommandement dll eomte
Maulevrier. Tous ensemble s'avancent en co-
lonne serrée, du Pont-Neuf sur le Pont-Royal,
en sui vant le qllai Voltaire. Bonaparte, pré-
sent partout ou le danger l'exige, est accouru
sur les lieux. Il place plusieurs batteries sur le
quai des Tuileries, qui est parallele au quai
Voltaiz'e; iI fait avaneer les canons placés a la
tete du Pont-Royal, et les faít pointer de ma-
niere a enfiler le quai par lequel arrivent les
assaiUants. Ces mesures prises, iI laisse ap-
proeher les sectionnaires; puis tOllt-a-coup il
ordonne le feu. La mítraille part du. pont, et
prend les sectionnaires de front; elle part en
meme tem ps du quai des Tuileries, et les pl'end
en écharpe; elle porte la terreur et la mort
dan s leurs rangs. Le jeune LaEond, plein de
bravoure, rallie autour de luí ses hommes les
plus fermes, et marche de nouveau sur le pont,
pour s'emparer des pieces. Un feu redoublé
emporte sa colon ne. Il veut en vain la rame-
ner une derniere fois, elle fuit et se dis-
perse sous les coups d'une 31'tillerie bien di ..
rigée.


I¡.




5<).' RÉVOLUTION FRAN(/ArSF.,
A six hetlres, le combat commencé a qua-


tre heures et demie, était achevé. Bonaparte
alors, qui avait mis une impitoyable énergie
daos l'action, et qui avait tiré sur la popuJa-
tion de la capitale comme sur des bataillons
autrichiens, ordonne de charger les canons a
pOUflre, pour achever ele chasser la révolte
devant lui. Quelques sectionnaires s'étaient re-
tranchés a la place Vendome, dans l'église
Saint-Roch et dans le Palais-Royal; il fait dé-
boucher ses troupes par toutes les issues de la
rue Saint-Honoré, et détache un corps qui ,
partant de la place LouÍs XV, traverse la rue
Royale et longe les boulevarts. Il balaie ainsi
la place Vendome, dégage l'église Saint-Roch,
investít le Palais - Royal, et le bloque pour
éviter un combat de nuit.


Le lendemain matin , quelques coups de fu-
sil suffirent pour faire évacuer le Palais-Royal
etlasection Lepelletier, ou les rebelles avaient
formé le proj.et de se retrdllcher. Bonaparte fit
enlever quelques barricades formées pres de la
barriere des Sergellts, et arreter un détache-
ment qui venait de Saint-Germain amener des
canons aux sectionnaires. La trallquillité fut
entierement rétablie dans la journée du 14.
Les morts fureut enlevés sur-le - champ pour
faire disparaitre tontes les traces oe ce com-




CONVENTlUN NAl'lOl'IALE (1795). 53
bato 1l y avait eu, de part et d'alltre, trois a
qllatre cents morts Oll blessés.


Cette victoire causa une grande joie a tous
les amis sinceres de la république, qui n' avaient
pu s'empecher de reconnaitre dans ce mouve-
ment l'influence du royalisme; elle rendít a la
convenlion menacée, c' est-a-dire a la révolu-
tion et a ses auteurs, l'autorité dont iIs avaient
besoin pour l'établissement des institutions
llollvelles. Cependant l'avis unanime fut de ne
point user séverement de la victoire. Un re-
proche était tout pret contre la convention;
on allait dire qu'elle n'avait combattu qu'au
profit du terrol'isme, et pour le rétablir. n im-
portait qu'on ne put pas lui imputer le projet
de verser dll sango D'ail1ellrs les sectionnaires
prouvaient qu'ils étaient de médiocres conspi-
rateurs, et qu'ils étaient loin d'avoir l'énergie
des patriotes; iIs s'étaient hatés de rentrer
dans Iellrs maisons, satisfaits d' en etre quittes
el si bon marché, et tout fiers d'avoir bravé
un instant ces canon s , qui avaient si souvent
I'ompu les lignes de Brunswick et de Cobourg.
Pourvu qu'on les laissat s'applaudir chez eux
de leur courage, iIs n'étaient plus gllere dan-
gereux. En conséquence, la convention se con-
tenta de uestitller l'état - major de la garde
natiouaIe, de dissoudre les compagnies de gre-




54 RÉVOLUTION FnAN~A.IS-":.
nadiers el de ehasseurs , qui étaient les mieux
organisées et qui renfermaient presque tous
les jeunes gens a cadenettes, de mettre a l'a-
yenir la garde nationale sous les ordres du gé-
néral commandant l'armée de l'intérieur, d'or-
donner le désarmement de la sectioll Lepelletier
el de ceHe du Théatre-Fram;ais, et de former
trois commissions pour juger les chefs de la
rébellion, qui, du reste, avaient presque tous
djsparu.


Les compagnies de grenadiers et de chas-
seurs se laisserent dissoudre ; les deux sections
Lepelletier et du Thé;hre-Fran¡;ais remirent leurs
armes san s résistance; chacun se soumit. Les
comités, entrant dans ees vues de clémence,
laisserent s'évader tous les coupables, ou souf-
frirent qu'ils restassent dans Paris, ou ils se
cachaient a peine. I~es commissions ne pro-
noncerent que des jugements par contumace.
Un senl des chefs fut arreté: e'était le jeune
Lafond. Il avait inspiré queIque intéret par son
courage; on voulait le sauver, mais il s' obstina
a déclarer sa qualité d'émigré, a avouer sa ré-
bellion, et on ne pul luí faire grace. La tolé-
rance fut telle, que l'un des membres de la
eommission formée a la seetion Lepelletier,
M. de Castellane , rencontrant la nuit une pa-
trouille yui lui eriait qui vive! répondit : Cas-




• ~ t' CONVK\'TJON NATIONALE ~ J 79)). :J;)
lel/afle, con[umace! Les suites du J 3 vendé-
mi aire ne furent done point sanglantes, et la
capitale n'en fut nullement attristée. Les cou-
pabIes se retiraient ou se promenaient libre-
mellt, et les salons n'étaient occupés que du
récit des exploits qu'ils osaient avouer. San s
punir ceux qui l'avaient attaquée, la eonven-
tion se eontentait de récompenser eeux qui
l'avaient défendue; elle déclara qu'ils avaient
bien mérité de la patrie; eHe leur vota des se-
cours, et 6t un accueil brillant a Barras et a Bo-
naparte. Barras, déja célebre depuis le 9 ther-
midor, le devint beaucoup plus encore par la
journée de vendémiaire; on lui attribua le sa-
lut de la convention. Cependant ii ne craignit
pas de faire part d'une portion de sa gloire a
son jeune lieutenant. « e'est le général Bona-
1,( parte, dit-il, dont les dispositions promptes
« et savantes ont sauvé eette enceinte.» On
applaudit ces paroles. Le commandement de
l'armée de l'jntérieur fut conlirmé a Barras,
et le eommalldement en second a Bonaparte.


Les intrigants royalistes éprouverent un sin-
gulier mécompte en voyant l'issue de l'insur-
rection d u ] 3. lIs se hateren t d' écrire a v é-
rone qu'ils avaient été trompés par tout le
monde; que l'argent avait manqué; que la OU
il f allait de 1'01" on avait a peine du vieux linge ;




56 REVOLUTION FRAN<;:AIS}:.
que les députés monarchiens, eeux desquels ils
avaient des promesses, les ayaienl "trompés, el
avaient joué un jeu infáme; que e' était une
mee jacobinaire a laquelle iI ne fallait pas se
fier; qu~ malheureusement on n'avait pas as·
sez eompromis et engagé ceux qui voulaient
servir la cause; que les royalistes de Pans ti
eollet noir, ti collet vert el ti cadellettes, qui
étalaient leurs fanfaronnades aux foyers. des
spectaeles, étaient altés, aupremier coup defu-
sil, se caehe/' sous le lit desftmmes quites souf-
fraient.


Le Maltre, leur chef, venait d'etre arre té
avec d'autres instigateurs de la section Lepel-
letier. On avait saisi chez lui une quantité de
papiers: les royalistes craignaiellt que ces pa-
piers ne trahissent le s~cret du complot, et
surtout que Le Maltre ne parlat lui-meme. Ce-
pendant iIs ne perdirent pas courage ; leurs affi-
dés continuerent el' agir aupres des sectionllaires.
L'espece d'Ímpunité dont ceux·ci jouissaient,
les avait enhardis. Puisque la convention, quoi-
que victorieuse, n'osait pas les frapper, elle
reconnaissait done que l' opinjon était pOUl'
eux; elle n'était done pas sure de la justice de
sa cause, puisqu'elle hésitait. Quoique vaill-
cus, ils étaient plus fiers et plus hauts qu'elIe,
et ils reparurent dans les aS5~mblées é]ectol'a~.




CONV}:NTlON NATION ALE (1795). 57
les, pour y faire des électiolls conformes a
leurs vreux. Les assemblées devaient se for-
mer le 20 vendémiaire, et durer jusqu'au 30;
le nouveau corps législatif devait etre réuni
le 5 brumaire. A Paris, les agents royalistes
firent nommer le conventionnel Saladin, qu'ils
avaient déjfl gagné. Dans quelques départe-
ments, ils provoquerent des rixes; on· vit des
assemblées électorales faire scission, et se par-
tager en deux.


Ces menées, ce retom' de hardiesse contri-
huerent a irriter beaucoup les patriotes qui
avaient vu, dans la journée du 13, se réaliser
tous leurs pronostics; ils étaicnt fiers a la fois
d'avoir devillé juste, el d'avoir vaincu par leur
courage le danger qu'ils avaient si bien prévu.
I1s voulaient que la victoire ne fut pas inutilc
pour eux, qu'elle amenat des sévérités contre
leurs adversaires, et des réparations pour leurs
ami s détenus dans les prisons; j[s firent des
pétitions, dans lesqueIles ils demandaient l' é-
Iargissement des détenus, la destitution des of-
ficiers nommés par Aubry, le rétablissement
dan s leurs grades de ceux qui avaient été des-
titués, le jugement des députés enfermés, et
leur réintégration sur les listes électorales, s'ils
étaient innocents. La Montagne, appuyée par
les tribuues toutes remplies de patriotes, ap..,




:)8 RÉVOI,UTION FRAN(tAlSL
plaudissait a ces demandes, et réclamait avec
énergie leur adoption. Tallien, qui s'était rap-
proché d'elle, et qui était le chef civil du parti
dominant, comme Barras en était le chef mi-
litaire, Tallien tachait de la contenir; il fit
écarter la derniere demande relative a la réin-
tégration sur les listes des députés clétenus,
comme contraire aux décrets des 5 et J 3 frue-
tidor. Ces décrets, en effet, déclaraient inéligi-
bIes les députés actuellement suspendus de
leurs fonctions. Cependant la Montagne n'était
pas pI us facile a contenir que les sectionnai-
res; et les derniers jours de cette asscmblée,
qui n'avait plus qll'une décade a siéger, sem-
blaient ne pouvoir pas se passer sans orage.


Les nOllvelles des frolltieres contribuaient
aussi a augmenter l'agitation, en excitant les
défiances des patriotes et les espérances inex-
tinguibles des royalistes. On a vu que Jourdan
avait passé le Rhin a Dusseldorf, et s'était
avancé sur la Sieg; que Pichegrn était entré
dans Manheim, et avait jeté une division au-
dela du Rhin. Des événements aussi heureux
n'avaient inspiré aucune grande pensée a ce
Pichegru tant vanté, et il avait prouvé ici ou
sa perfidie ou son incapacité. D'apres les ana-
logies ordinaires, e' est a son incapacité qu'il
faudrait attrjbuer ses fantes; car, meme avec




CONVJoNTJON N ATJON ALE (1795). 59
le désir de trahir, on ne reflise jamais l'occa-
sion de grandes victoires; elles servent tou-
jours a se mettre a plus hant prix. Cependant
des contemporains dignes de foi 'ont pensé
qu'il fallait attribuer ses fausses mana::llvres a
sa trahison; iI est ainsi le seul général connll
dans l'histoire qui se soit fait battre volontaÍ-
rement. Ce n'est pas un corps selllement qn'il
devait jeter an-dela de Manheim, mais toute
son armée, poúr s'emparer d'Heidelberg, qui
est le point esseutiel ou se croisent les routes
pOlir aIler du Hallt-Rhin dan s les vallées du
Necker et du Mein. C'était s'emparer ainsi du
point par lequel Wurmser aurait pu se joindre
a Clerfayt; c'était séparer pour jamais ces
deux généraux; e' était s'assurer la position par
laquelle on pouvait se joindre a Jourdan, et
former avec luí une masse qui aurait accablé
sllccessivement Clerfayt et Wurmser. Cler-
fayt, sentant le danger, quitta les bords dll
Mein pour courir a Heidelberg; mais son líeu-
tenallt Kwasdanovich, aidé de Wurmser, était
parvenu a déloger d'Heidelberg la division que
Pichegru y avait laissée. Pichegru était ren-
fermé dans Manheim; et Clel'fayt, ne craignant
plus pOllr ses communications avec Wurmser,
avait marché allssitot sur Jourdan. Celui-ci,
serré entre le Rhin el la ligne de neutralité,




60 RÉvOLUTION FIlAN~~A1S¡':.
ne ponvant pas y vivre comme en pays cllllemÍ ,
et n'ayant aucun service organisé pour tirer
ses ressources des Pays-Bas, se trouvait, des
qu'il ne p'ouvait ni marcher en avant, ni se
réunir a Pichegru, dans une position des plus
critiques. Clerfayt d'ailleurs, ne respectant pas
la neutralité, s' étai t placé de maniere a tour-
lIcr sa gauche et a le jeter dans le Rhin. Jour-
dan ne pouvait done pas tenir la. Il fut résolu
par les représentallts, et de l'avis de tous les
générallx, qu'il se replierait sur Mayence pour
en faire le blocus sur la rive droite. Mais cette
position ne valait pas mieux que ]a précédente;
elle le laissait dalls ]a meme pénurie; elle l'ex-
posait aux coups de Clerfayt dans une situa-
tion désavantageuse; elle le mettait dans le eas
de pcrdre sa route vers Dusseldorf; en cansé-
qllence on finit par décider qn'il battrait en
retraite pour regagner le Bas-Rhin 1 ce qu'il fit
en bon ordrc, et sans etre inquiété par Cler-
fayt, qlli, llourrissant un grand projet, revint
sur le Mein pour s'approcher de Mayence.


A cette nouvelle de la marche rétragrade
de l'armée de Sambre-et-Meuse, se joigllaient
des bruits facheux sur l'armée d'ltalie. Schérer
y était arrivé avec deux belles divisions des
Pyrénées-Orientales, devclIues disponibles par
la paix avec l'Espagne : néanmoins on disait




CONVENTION NATIONALE (1795). 6i
que ce général ne se eroyait pas sur de sa po-
sition, et qn'il demandait en maté riel et en
approvisionnements des seCOllrs qu'on ne pon-
vait lui fournir, et sans lesquels il mena~ait de
faire un mouvemellt rétrograde. Enfin on par-
lait d'llne seconde expédition anglaise qui por-
tait le eomte el' Artois et de nouvelles troupes
de débarqnement.


Ces nouvelles, qui san s doute n'avaient rien
de mena~ant pour l'existeuce de la répubIi-
que, qui était toujours maltresse dil cours du
Rhin, qui avait dellx armées de plus a envoyer,
l'une en Italie, I'autre en Vendée, qui venait
d'apprendre par l'événement de Quiberoll á
compter sur Hoche, et a ne pas craindre les
expéditions des émigrés; ces nouvelles n'en
contribuerent pas moins a réveiller les roya-
listes terrifiés par vendémiaire, et a irriter les
patriotes peu satisfaits de la maniere dont on
avait usé de la victoire. La découverte de la cor-
respondance de Le Maitre prodllisit surtout le
plus fachenx dIeto On y vit tout entier le COID-
plotque ron soup~onnait depuis long-temps;
on y acquit.1a certitud e de l' existence d'une
agence secrete établie a Paris, communiquant
avec Vérone, avec la Vendée, avec toutes les
provinces de la Franee, y excitant des mou-
vements contre-révolutionnairf's , et ayant des




RÉVOLUTION FRAN<';:AISJ':.


intelligences avec plusieurs membres de la
convention et des comités. La vanterie meme
de ces misérables agents, qui se flattaient
d'avoir gagné tantót des généraux, tantot des
députés, qui disaient avoir eu des liaisons
avec les monarchiens et les thermidoriens,
contríbua a exciter davantage les soupc;ons. et
a les faire planer sur la tete des députésdu
coté droit.


Déja on désignait Rovere et Saladin, et on
s'était procuré contre eux des preuves convain-
cantes. Ce dernier avait publié une hrochure
contre les décrets des 5 et 13 fructidor, et ve-
nait d'en etre récompensé par les suffrages des
électeurs parisiens. On signalait enCore comme
complices secrets de l'agence royaliste, Lesage
d'Eure-et-Loir, La Riviere, Boissy-d'Anglas et
Lanjuinais. Le':lr silence dans les journées des
1 1, 12. et 13 vendémiaire, les avait fort com-
promis. Les journaux contre-révolutíonnaires ,
en les louant avec affectatíon, contribuaíent
a les compromettre davantage encore. Ces me-
mes journaux , qui loua¡ent si fort les soíxante-
treize, accablaient d' outrage les thet'midoriens.
Il était dHficile qu'une rupture ne s'ensuivit
paso Les soixante - treíze et les thermidoriens
continuaient toujours de se réunir chez UIl ami
commun, mais il y avait entI'e enx de ]'humeur




CONvm"TloN N,<\TIONALE (1795). 63
d pen de coniance. Vers les derniers jüurs
delasession, on parla, dans eette réllnion, des
Ilouvelles élections, des intrigues du royalisme
pOlIr les corrompre, et dn silence de Boissy,
Lanjuinais, La Riviere et Lesage, pendant les
scenes de vendérniaire. Legendre, avec sa pé-
tulance ordinaire, reprocha ce silence aux
quatre députés qui étaient présellts. Ccux-ci
essayerent de se justifier. Lanjuiuais laissa
échapper le mot fort étrange de massacre dn
13 vendémiaire , et prouva ainsi Oil un grand
désordre d'idées, ou des sentirnents bien pen
répul,Jicains. Tallien, a ce mot, entra dans
une violente colere, el voulut sortir, en disant
qu'il ne pouvait pas res ter plus long - temps
avec des royalistes, et qu'il allait les dénoncer
a la convention. OIl l'entoura, on le calma,
e~ OIl tacha de pallier le mot de Lanjuinais.
N éanmoins on se sé para tout-a-fait brouíllé.


Cependant l'agitation allait croissant dans
París, les méfiances s'allgrnentaien t de toutes
parts, les soup<,;ons de royalisme s'étendaient
sur tout le monde. Tallien demanda que la
convention se format en comité secret, et il
dénon<,;a formellement Lesage, La Riviere,
Boissy-d'Anglas et Lanjuinais. Ses preuves n'é·
taien t pas suffisantes, elles ne reposaient que
sur des inductions plus on moins probables,




nÉVOLUTION FRAN~AJSE.
et l'accusation ne fut point al'puyée. Louvet.
quoique attaché aux thcrmidoriens, n'appuya
pas cependant l'accusation contre les quatre
députés qui étaient ses amis; mais iI accusa
Rovere et Salad in , et peignit a grands traits
leur conduite. Il retl'a<;:a leurs variations du
plus fougueux terrorisme au plus fougueux
royalisme, et fit décréter leur arrestation. On
arreta aussi Lhomond, compromis par Le
Maitre, et Aubry, auteur de la réaction mili-
ta'ire.


Les adversaires de TaIlien demancterent ('o
représaille, la publication d'une lettre du pré-
tendant au duc d'Harcourt, ou, parlant de c('
qu'on lui mandait de París, il disait : Je ne
puis c1'oíre que Ta !líen soit un royaliste de la
bonne espece. 011 doit se souvenir que les
agents de Paris se flattaient d'avoir gagné Tal-
líen et Hoche. Leurs vanteries habituelles, et
leurs calomnies a l'égard de Hoche, suffisent
pour justifier TaIlien. Cette lettre fit pell d'effet,
car Tallien, depuis Quiberon, et depuis sa
conduite en vendémiaire, loin de passer pOUl'
royaliste, était considéré comme un terroristC'
sanguinaire. Ainsi, des hommes qui auraient
dil s'entendre ponr sauver a efforts communs
une révolution qui était leur ouvrage, se dé-
fiaient les uns des antres, et se Jaissaicnt com-




CONVENTION NATIONALE ('795). 65
promettre, sinon gagner par le royalisme.
Grace aux calomnies des royalistes, les der-
niers jours de cette illustre assemblée finis-
saient comme ils avaient commencé, dans le
trouble et les orages.


Tallien demanda enfin la nomination d'nne
commission de cinq membres, chargée de pro-
poser des mesures efficaces pour sauver la
révolution pendant la transition d'un gouver-
nement a l'autre. La convention nomma Tal.
líen, Dubois-Crancé, Florent Guyot, Roux de
la Mame, et Ponsde Verdull. Le but de cette
commission était de prévenir les manreuvres
des royalistes dans les élections, et de rassurer
les républicains sur la composition du nouveau
gouven,lement. La Mon tagne, plein~ d' ardeur,
et s'ima'ginant que cette commissioIi allait réa-
liser tous ses vreux, crut un instant et ré-
pandit le bruit qu'on allait annuler toutes les
élections, et suspendre pOUl" quelque temps
encore la mise en activité de la constitution.
Elle s'était persuadée, en effet, que le moment
n'était pas ven u d'abandonner la république
a elle-meme, que les royalistes n'étaient pas
assez abattus, et qu'il fallait continuer quelque
temps encore le gouvernement révolution-
naire pour les abattre. Les contre-révolution-
naires a ffectere n t de répandre les nH~mes bruits.


VIII. 5




(J{) nÉVOLUTION FRAN~AIS1':.
Le député Thibaudeau, qui jusque-la n'avait
marché ní avec la Montagne, ni avec les ther-
midoriens, ni avec les moriarchiens, mais qui
avait paru néanmoins un républícain sincere,
et sur lequel trente - deux départements ve-
naient de fixer leur enoix, ear on avait l'avan-
tage en le nommant :de ne se déclarer pour
aucun parti, le député Thibaudeau ne devait
pas naturellement se défier de l'état des esprits
autant que les thermidoriens. Il croyait que
Tallien et son partí calomniaient la nation en
voutant prendre tant de précautions contre
elle; il supposa meme que TalJien avait des
projets personnels, qu'il voulaít se placer a la
tete de ]a Montagne, et se don'ner une dicta-
ture, sous le prétexte de préserver la républi-
que des royalistes. Il dénon<;a d'une ·maniere
virulente et amere ce prétendu projet de dieta-
ture, et fit eontre Tallien une sortie imprévue,
dont tous les républicains furent surpris, car
ils n'en comprenaient pas ]e motif. Cette sor-
tie meme compromit Thibaudeau dans l'esprit
des plus défiants, et lui tit supposer des inten-
tions qu'il n'avait paso Quoiqu'il rappehit qu'il
ét¡lÍt régicide, on savait bien par les ]ettres
saisies 'f., que la mort de Louis XVI pouvait


* Jl1OIlÍlettl' de I'an IV, page 150, lettre de d'Entraigllf'S
a I,emaltre, datí'e dll ro octobre (795,




CONVENTION NATIONALE (1795). 67
erre rachetée par de grands serviees rendus a
ses héritiers, et cette qualité ne paraissait plus
une garantie complete. Aussi:. quoique ferrne
républicain, sa sortíe contre Tallien lui nuisit
dans l'esprit des patriotes, et luí valllt de la
part des royalistes, des éloges extraordinaires.
On l'appela Barre-de-fer.


La eOllvention passa a l'ordre du jour, et
attendit le rapport de Tallien au Dom de la com-
mi~sion des cinq. Le résultat des travaux de
cette commission fut un projet de décret qui
eontenait les mesures suivantes :


Exc1usion de toutes fonctions civiles, mu-
nicipales, législatives, judiciaires et militaires,
des émigrés et parents d'émigrés, jusqu'a la
paix générale;


Permission de quitter la Franee, en empor-
tant leurs biens, a tous ceux qui ne voudraient
pas vivre sous les lois de la république;


Destitlltion de tous les officiers qui n'ávaient
pas serví pendan t le régime révolutíonnaire,
c'est·a-dire depuis le 10 aout, et qui avaient été
replacés depuis le 15 germinal, e' est-a-dire de-
puis le travail-d'Allbry.
. Ces dispositions furentadoptées .


. La convention décréta ellsuite d'une maniere
solennelle la réunion de la Belgique a la France,
el sa division en départellleJlts. Enfin, le 4 bru-


5.




G8 RÉVOLUTIONFl\AN~AISE.
mairc,au momentde se séparcr,elle voulul ler~
mincr par un grand acte de clémellce sa longue
ctorageuse carriere.Elle décréta quela peine de
mort serait abolie dans la rép"blíque franc;:aise,
a dater de la paix générale; elle changea le
llom de la place de la Révolution en cellli de
place de la Concorde; enfin elle proIlon(,;a une
amnistie pour tous les faits relatifs a la l't!VO-
lution, excepté pour la révolte du J 3 velldé~
miaire. C'était meUre en liberté les hommes de
lous les partís, excepté Le Maitl'e, qui était le
seul des conspirateurs de vendémiaire coutre
lequel iI existat des preuves suffisantes. La dé-
portatíon pl'Ononcée coutre Bil1aud-Varennes,
ColIot-d'Herbois et Barrere, qui avait été révo-
quée pour les faire juger de nouveau, e' est·a·dire
pour les faire condamner a mort , futconfirmée.
Barrere, qui s~ul n'était pas encore embarqué,
dut l'etre. Toutes les prisons durent s'ouvrir.
Il était deux helll'eset demie, 4 hrumaire aH IV
(26octobre 1795); le Iwésidellt de la cOllveu-
lion prollonc;:a ces mots : « La cOllventioll na-
« tionale déclarc que sa mission est remplie, el
« que sa session est terminée.)) Les cl'is mille
foís l'épétés, de Five la république! accompa-
gnerent ces dernieres paroles.


A insi s(' termina la IOIlguc elmémorable ses-
sion de 1;1 conv'entioll nal iona)c. L'assemblée




WNVENTION .\IIATlONALE (1 795)- 6~,
cOllstituante avait eu I'aneienne orgallisatioll
féodale a détruire, et une organisation nOlIvelIe
a fonder : I'asscmblée législative avait eu eette
organisation a essayer, en présenee du roi laissé
dans la constituti01l. Apres un essai de quelques
mois, elle reeonnut et (léelara l'ineompatibilité
du roi avee les institutions nouvelles, et sa com-
plieité ave e l'Ellrope conjurée; elle suspendít
le roí et la constitution, et se démit. La eon-
vention trouva done un roi détroné, une cons-
titution annulée ,la guerre déelarée a l'Europe ,
et,' pour toute ressouree, une administration
t!ntÍerement détrllite, uu papier-mounaie dis-
erédité, de vieux eadres de régiments usés ('1
vides. Aíllsi, ce n'était poinl la liberté qú'ell(~
avait a proclameren présenc"e d'un trolleaffaíbli
et méprisé, e'était la liberté qu'elle avait a dé-
fendre contre I'Europe entiere; et ceUe tache
était bien autre 1 Sans s'épouvanter un illslant,
elle proclama la républiquc a la f~lce des armées
ennemies; puÍs elle immola le roi pOllr se fer-
mel' tallte retraite; elles'empara ensl1ite de tous
les pauvoirs, et se eonstitua en dictature. Des
voix s'éleverent dans son sein, qui parlaient
d'humanité qnand elle ne vOlllait cntendre par-
ler que d'énergie; elle les étouffa. Bientot eette
dictature qn'elle s'était arrogée sur la Franee
par le besoin de la conservation commllne,




70 REVOJ,UTION .FRAN~AISE.
douze membres se l'arrogerent sur elle, par la,
meme raison et par le meme besoin. Des Alpes
a la mer, des Pyrénées au Rhin, ces douze dic-
tatenrs s'emparerent de tont, hommes et cho-
ses, et commencerent avec les nations de l'En-
rope la lutte la plus terrible et la plus grande,
dont l'histoire fasse mention. POllr rester direc-
teurs supremes de cette reuvre irnmense , ils' im-
molerent alternativement tous les partís; et ,
suivant la condition humaine, ils eurent les ex-
ces de leurs qualités. Ces qualités étaient la force·
et l'énergie, l'exces fut la cruauté. lIs verserent
des torrents de sang, jusqu'a ce que, devenus
inutiles par la victoire, et odieux par l'abus de
la force, ils succombel'ent. La conventiou' re-
prit alors pour elle la dictature, et commen<;a
peu a peu a re):kher les ressorts de son admi-
nistration terrible. Rassurée par la victoire, elle
écouta I'humanité, et se livra a son esprit de ré-
génération. Tout ce qu'il y a de han et de grand,
elle le souhaita, et l'e'ssaya pendant une année;
mais les partis, écrasés sous une autorité im-
pitoyable, renaquirent sous une autorité clé-
mente. Deux factions, dans lesquelles se con-
fondaient, sous des nnances infinies, les amis
et les ennemis de la révolution, l'attaquerent
tour-a-tour. Elle vainquit les uns en germinal
et prairial, les autres en vendémiaire, et j us.-




CONVENl'ION NAl'IONALJi (1795). 71
qll'all dernier jour se montra héroique au milieu
des dangers. Elle rédigea enfin une constitution
J'épublicaine, et, apres trois ans de lutte avec
l'Europe, avee les factions, aveeelle - meme,
sanglante et mutilée, elle se démit, et transmit
la Franee au directoire.


Son souvenir est demeuré terrible; mais pour
elle il n'y a qu'un faít a alléguer, un seul, et
tous les reproches tombent devant ce faÍt Ím-
mense : elle nous a sauvés de l'invasion étran-
gere! l .. es préeédentes assemblées luí avaient
Jégllé la Franee compromise, elle légua la France
sauvée au direetoire et a l'empire. Si en 1793
I'émigration fUt rentrée en Franee, il ne restait
pas traee des reuvres de la constituante et
des bienfaits de la révolution; au líeu de ces
admirahles instítutions civiles, de ces magnifi-
ques exploits qui signalerent la constituante,
Ja convention, le direetoire, le consnlat et
l'empire, nOlls avions l'anarchie sanglante et
basse que nous voyons aujourd'hui au-dela des
Pyrénées. En repoussant l'invasion des rois
conjurés contre notrerépublique, la convention
a assuré a la révolution une action non inter-
rompue de trente années sur le sol de la Franee,
el a donné a ses ceuvres le temps de se consoli·
der, et d'aequérir cette force qui leur fait bravel'
rimpuissante coLere des ennemis de l'hmuanité_




72 RÉVOLUTlON FRAN<,;!AISE.
Aux hommes qui s'appellent avec orgueil


patriotes de 89, la eonvention pourra toujours
dire : « Vous aviez provoqué la lutte, e' est moi
« qui l'aisoutenue el terminée.»




..


DJRECTOIRE (1795).


CHAPITRE II.


Nomination des cinq directeurs. - Installation du corps
législatif et du directoire. - Position difficile du 110U-
veau gonvernement. Détresse des finances; discrédit du
papier-monnaie. - Premiers travaux du directoire. -
Perte des lignes de Mayence. - Reprisc des hostilités
en Bretagne et en Vendée.Approche d'une nouvelle es-
cadre anglaise sur les cotes de rOllest. - Plan de
finances proposé par le directoire; nouvel emprunt
forcé. - Condamnation de quelques agents royalistes.
- La fine de Louis XVI est rendue aux Autrichiens en
échange des représentants livrés par Dumouriez. - Si-
tuation des partis 11 la fin de 1795. - Armistice conclu
sur le Rhin. - Opérations de I'armée d'Italie. Bataille
de Loano. - Expédition de l'I1e-Dieu. Départ de l'es-
cadre anglaise. Derniers efforts de Charette; mesures
du général Hoche pour opérer la pacification de la Ven·
dée. - Résultats de la campagnc de 1795.


LE 5 brumaire an IV (27 octobre 1795) était
le jour fixé pour la mise en vigueur de la cons·
titution directoriale. Ce jour-Ia, les deux tiers.




74 llÉVOLUTION l'RAN9AISE.
de la convention, conservés au corps-législatif,
devaient se réunir au tiers nouvellement élu
par les assemblées électorales, se diviser en
deux conseils, se constituer, et procéder en-
suite a la nomination des cinq directeurs char-
gés du pouvoir exécutif. Pendant ces premiers
instants consacrés a organiser le corps-Iégislatif
et le directoire, les anciens comités de gou-
vernement devaient demeurer en activité, et
conserver le dépot de toos les pouvoirs. Les
membres de la cónvention, envoyes soil aux
armées, soit dans les départcments, devaient
continuer leor mission jusqu'a ce que l'instal-
latíon du directoire ]eor fut notifiée.


Une grande agítation régnait dan s les esprits.
Les patrio tes modérés et les patriotes exaltés
montraient une meme irritation contre le partí
qui avait attaqué la convention au 13 vendé-
miaire; ils étaient remplis de craintes; ils s'en-
courageaient a s'unir, a se serrer pour résister
au royalisme; ils disaient hantement qu'il ne
fallait appeler au directoire el a toutes les pla-
ces que des hommes engagés irrévocablement
a la cause de la révolution; i1s se déflaient
beaucoup des députés du nouveau tiers, el
recherchaient avec inquiétude leurs llOroS, leur
vie passée, et leurs opinions, COllnnes OU pré~
sumées.




DIRECTOIRE (1795).
IJes sectionnaires, mitraillés le 13 velldé-


miaire, mais traités avec la plus grande cIé-
mence apres la victoire, étaient redevenus in-
solents. Fiers d'avoir un instant supporté le feu,
ils semblaient croire que la convention, en les
épargnant, avait ménagé leurs forces et :reconnu
tacitement la justice de leur cause. lls se mon-
traient partout, vantaient leurs hauts faits,
débitaient dans les salons les memes imperti.,.
nences contre la grande assemblée, qui ve-
nait d'abandonner le pouvoir, et affectaient de
compter beaucoup Sllr les députés du nouveau
tiers.


Ces députés, qUl devaient venir s'asseoir au
milieu des vétérans de la révollltion, et y re-
présenter la nOllvelle opinion qui s'était for-
mée en Franee a la suite de longs orages,
étaient loin de justifier toutes les défiances des.
républicains et toutes les espérances des con-
tre - révolutionnaires. On comptait parmi eux
quelques membres des anciennes assemblées,
tels que Vallblanc, Pastoret, Dumas, Dupont
de Nemours, et l'honnete et savant Tronchet,
qui avait rendu de si grands ser vices a notre
législation. On y voyait ensuile beaucQl{p d'hom"
mes nouveaux, non pas de ces hommes ex-
traordinaires qui brilJent au début des révolll-
tions, mais quelques-uns de ces mérites solides


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76 RÉVOLUTION FRAN~AISJ,o
qui, dans la carriere de la politique, commc daus
ceHe des arts, succedent au génie; et par exem-
pIe de~ jurisconsultes, des administrateurs,
tels que Portalis, Siméon, Barbé - Marbois,
Tron<;on -Ducoudray. En général, ces non-
veaux élus, a part quelques contre-révolution-
naires signalés, appartenaient a cette classe
d'hommes modérés qui, n'ayant pris aucune
part aux événements, et n'ayant pu par con sé-
quent ni mal faire ni se tromper, prétendaient
aimer la révolution, mais en la séparant de ce
qu'ils appelaient ses crimeso Naturellement °ils
devaient etre assez disposés a censnroer le passé ;
mais ils étaient déja un peu réconciliés avec la
convention et la république par If:'Ul' élection;
car on pardonne vo]ontiers a un ordre de choses
dans lequel on a trouvé place. Dn reste, étran-
gers a Paris et a la poli tique , timides encore
sur ce théatre nouveau, ils recherchaient, ils
visitaient les membres les plus considérés de
la convention nationaleo


Telle était la disposition des esprits le 5 brn-
maire an IV. Les membres de la convention
réélus se rapprochaient, et cherchaient a con-
certer les nominations qui restaient a faire,
afin de rester maitres du gouverneinento En
vertn des célebres décrets des 5 et J 3 fruc-
tidor, le nombre des députés dans le nou-




nmECTomE (J 795). 77
vcau corps -législatif devait elre de cinq
ccnts. Si ce nombre n'était pas complété par
les réélections, les membres présents le 5 bru-
maire clevaient se former en corps électoral
pOUI' le compléter. On arreta un projct de
liste au comité de salut public, dan s laquelle
011 6t entrer beaucoup de montagnards pro-
noncés. La liste ne fut pas approuvée en en-
tier. Cependant on n'y pla(,(a que des patriotes
connus. Le 5, tous les députés présents, réUllis
en une seule assemblée, se constituerent en
corps électoraJ. D'abord ils compléterent le~
deux tiers de conventionnels qui devaient sié-
ger dans le corps-législatif; ensuite ils forme-
rent une liste de tous les députés mariés et
agés de plus de quarante ans, et en prirent au
sort deux cent cinquante, ponr composer le
canseil des anciens.


Le lendemain, le coilseil des cillq-cents se
réunit au Manége, dans l'ancienne salle de
l'assemblée COllstitllante, choisit Daunou pour
président, Rewbell, Chénicr, Cambacéres et
Thibaudeall, pour secrétaires. Le conseil des
anciens se réunit dans l'ancienne salle de la
convention,appela Larévelliere-Lépaux au fau-
tcuil, et Baudill, Lanjuillais, Bréard, Charles
Lacroix au bureau. Ces choix étaient convena-
bies, et prouvaicnt que, clans les deux conseils,




78 RÉVOLUTION 1!RANC;:AISE.
la majorité était acquise a la cause républi-
caine. Les conseils déclarerent qu'i1s étaient
constitués, s' en donnerent avis réciproquement
par des messages, confirmerent provisoirement_
les pouvoits des députés, et en renvoyerent la
vérification apres l'organisation du gouverne-
mento


La plus importante de toules les élections
restait a fáire, c'était celle des cinq magistrats
chargés du pouvoir exécutif. De ce choix dé-
pendait a la fois le sort de la république et la
fortune des individus. Les cinq directeurs, en
effet, ayant la nomination de tous les fonetion-
naires publies, de tous les offieiers des armées,
pouvaient composer le gouvernernent a leur
gré, et le remplir d'hornmes atlaehés ou con-
traires a la république. lls étaient maitres en
outre de la destiné e des individus; ils pou-
vaient leur ouvrir ou leur fermer la carriere
des emplois publics, récompenser OH découra-
ger les talents fideles a la cause de la révolu-
tion. L'influence qu'ils devaient exercer était
done immense. Aussi les esprits étaient-ils sin·
gulierement préoccupés du choix qu'on allait.
faire.


Les conventionnels se réunirent pour se con-
certer sur ce choix. Leur avis a tous fut de
choisir des régicides, afin de se donner plus




IHRECTOIRE (1795). 79
de garanties. Les opinions, apres avoir flotté
quelque temps, se réunirent en favellr de Bar-
ras, Hewbell, Sieyes, Larévelliere-Lépaux et
Le Tourneur. Barras avait rendu de grands ser-
vices en thermidor, prairial et vendémiaire; il
avait été en quelque sorte le législateur géné-
ral opposé a toutes les factions; la derniere
bataille du 13 vendémiaire lui avait surtont
donné une grande importance, qnoiqne le mé-
rite des dispositioris militaires de cette journée
appartint an jeune Bonaparte. Hewbell, enfermé
a Mayence pendant le siége, et sOllvent appelé
dans les comités depuis le 9 thermidor, avaít
adopté I'opinion des thermidoriens, montré de
l'aptítude et de l'application aux affaires, et
une certaine viguellr de caractere. Sieyes était
regardé comme le premier géllíe spéculatif de
l'époqne. Larévelliere-Lépanx s'était volontai-
rement associé anx girondins le jour de leur
proscription, était revenu le 9 thermidor an
milieu de ses collegues, et y avait combattu de
fous ses moyens les deux factions, qui avaient
alternativement attaqué la convention. Patriote
doux et humain, il était le seul girondin que
la Montagne ne suspectih pas, et le seul pa-
triote dont les contre-révolutionnaires n'08as-
sent pas nier les vertns. Il n'avait qll'un in-
convénient, an Jire de certaines gens: c'était




So RÉVOLUTION E'RANCAISE •
.


la difformité de son corps; on prétendait qu'il
porterait mal le manteau directoria!. IJe Tour-
neur enfin, connu pour patrio te , estimé pour
son caracti~re, était un ancien officier du génie
qui avait, dans les derniers temps, remplacé
Carnot au comité de salut public, mais qui
était loin d'en avoir les talents. Quelques con-
ventionnels auraient voulu qu'on pla~at parmi
les cinq directeurs l'un des généraux qui s'é-
taient le plus distingués a la tete des armées,
comme B-léber, Marean, Pichegru ou Hache;
mais on craignait de donner trap d'influence
aux militaÍres, et on ne vOlllllt en appeler au-
cun au pouvoir supreme. Pour rendre les ehoix
certains, les conventionnels convinrent entre
eux d'employer un moyen quí, saus etre illé-
gal, ressemblait fort a une supercherie. D'apres
la constitution, le conseil des cinq-cents de-
vait, pour tous les choix, présenter une liste
décuple de candidats áu conseil des anciens.
Ce dernier, sur dix candidats, en choisissait un.
Pour les cinq directeurs, il Elllait donc présen-
ter cinquante candidats. Les cOllventionuels,
qui avaient la majorité dans les cinq - cents,
convinrent de placer Barras, Rcwbell, Sieyes,
Larévelliere-Lépaux et Le Tourneur en tete de
la liste, et d'y ajouter' ensuite quarante-cinq
noms inconnus, sur lesquels il serait impos-




VJIlECTOIRE (1795).
sible de fixer un ehoix. De eette maniere, la
préférence était forcée pour les cinq candi-
dats que les eonventionnels voulaient appeler
au directoire.


Ce plan fut fidelement suivi; seulement un
nom venallt a manquer sur les quarante-cinq ,
on ajouta Cambaeéres, qui plaisait fort au
nouveau tiers et a lous les modérés. Quand la
liste fut présentée aux anciens, ils parurent
assez méeolltents de cette maniere de forcer
Ieur choix. Dupont de Ncmours, qui avait déja
figuré dans les précédentcs assemblées, et quí
était uu adversaire déelaré , sinon de la répu-
blique, au moins de la convention, Dllpont
de Nemours demanda un ajournement. « Sans
doute, dit.il, les quarante-cinq individlls qui
completent cette liste, ne sont pas indignes
de votre choix, car, dans tecas contraire, on
conviendrait qu'on a vOlllu vous faire violence
en faveur de cinq persoIJnages. Sans dOllte ces
noms, qui arrivent pOllr la premiere fois jus-
qu'a vous, appartiennent a des hommes tl'llne
vertu modeste, et qui sont dignes aussi de
représenter une grande républiq ue; mais il
faut du temps pour parveuir a les connaltre.
Leur modestie rrH~me, qui les a laissés cachés,
nous oblige a des recherches pour appréciel'
leur mérite, et llOllS autorise a uemander UlI


VilI. 6




82 RÉVOLUl'ION FRAN~AISE.
ajournement. )) Les anciens. quoique mécon-
tents de ce procédé, partageaient les senti-
ments de la majorité des cinq-cents, el COIl-
firmerent les cillq choix qu'on avait voulu leur
imposer. Larévelliere-Lépaux, sur deux cent
tlix-huit votants, obtint ueux cent seize voix,
tant il y avait unanimité d'estime pour cet
homme de bien: Le Tourneur en obtiot cent
quatre-vingt-neuf, Rewbell ceot soixante-seize,
Sieyes ceot cioquante-six, Barras. cent vingt-
neuf. Ce dernier, qui était plus homme de parti
que les autres, devait exciter plus de disseo-
timents, et réunir moins de voix.


Ces cinq nominations causerent une grande
satisfaction aux révolutionnaires, qui sevoyaient
assurés du gouvernement. Il s'agissait de savoir
si les cinq directeurs accepteraient. Il n'yavait
pas de doule pour trois d'entre eux, mais il y
en avait deux auxquels on connaissait peu de
gout pour la puissance. Larévelliere-Lépaux,
homme simple, modeste, peu propre au ma-
niement des affaires et des hommes, ne trou-
vait et ne cherchait de plaisir qu'au Jardin des
Plantes, avec les freres Thouin; iI était dou-
teux qu'on le décid¡h él accepter les fonctions
de directeur. Sieyes, avec un esprit puissant
qui pouvait tout concevoir, une affaire comme
un principe, était cependant incapable par ca-




DUlECTOIRE (J 795). 83
ractere des soins dH gouvernement. Peut-etre
aussi, pIein d'humeur contre une république
qui u'était pas constituée a son gré, il parais-
sait peu disposé a en accepter la direction.
QuantaLarévellii~re-Lépaux, on fit valoir une
considération toute puissante sur son crellr
homlC.~te : OIl lui dit que son association aux
magistrats qui allaient gouverner larépublique,
était utile et nécessaire. Il céda. En effet, parmi
ces cinq individllS, hommes d'affaires ou d'ac-
tion, il fallait une verlu pllre et renommée;
elle s'y trouva par l'acceptation de Larével-
Iiere-I;épaux. Quant a Sieyes, on ne put vain-
ere sa pyugnance; iI refusa, en assurant qu'il
se croyait ímpl'opl'e au gouvernement.


Il fallnt pourvoil' a son remplacement. Il y
avait un homme qlli jOllissaít en Enrope d'une
considél'ation immeuse, c'était Carnot. On exa-
gérait ses services militaires, qui cependant
étaiellt réels; on lui attribuait toutes nos vic-
loires, et bien qu'íl eut été membre <iu grand
comité de salut public, collegue de Robes-
pierre, de Saínt-Just et de Couthon, on savait
qu'illes avait combattlls avec une grande éner-
gie. Ou voyait en lui l'union d'un grand génie
militaire a un caractere stoique. La relloIDmée
de Sieyes et la sienne étaient les deux plus
grandes de l'époquc. Oll ne pOllvait mieux


6.




nÉvoLUTlON FRAN<{AISE.


faire, pour la considél'ation du directoire, que
de remplacer l'une de ces deux répntations
par l'autre. Carnot fut en effet porté Slll' la
nouvelle liste, a coté d'hommes qui rendaient
sa nomination foreée. Camhaeéres fut encore
ajouté a la liste, qlli ne renferma que huit in-
connus. Les anciens eependaut n'hésiterent
ras a préférer Carnot; il ohtint eent dix-sept
voix sur deux cent treize, et devint l'un des
cinq direeteurs.


Ainsi Barras, Rewhell, Larévelliere-Lépaux,
Le Tourneur et Carnot, furent les cinq magis-
trats chargés du gouvernement de la républi-
que. Parmi ces cinq individus, il ne se,&onvait
ancnn homme de génie, ni meme auenn homme
d'une renommée imposante, excepté Carnot.
Mais commentfaire a la fin d'une révolution san-
glante, qui, en quelques années, avait dévoré
plusieurs générations d'hornmes de génie en
tout genre? Iln'yavait plusdansles assemblées
aucun oratenr extraordinaire; dans la diplo-
matic:>, iI n'y avait encore aUCllH négociatenr cé-
lebre. Barthélemy seul, par les traités avec la
Prusse et l'Espagne, s'était attiré une espece
de considération, mais il n'inspirait aueune
confiance aux patriotes. Dans les armées, il se
formait déja de grands généraux, et il s'en
préparait de plus grands encore; mais il n'y




Dll\ECTOIRE (1795). S5
avalt maintellant aueune supériorité décidée,
et on se défiait d'ailleurs des militaires. Il n'exis-
tait done, comme nous venons de le dire, que
deux grandes renommées, SÍt~yes et Carnot.
Dans l'impossibilité d'avoir l'une, on avait ac-
qllis l'antre. Barras avait de l'action, Rewbell,
Le Tourneur étaient des travailleurs, Laré-
velliere-Lépaux était un homme sage et probe.
Il eut été diffieile, dans le moment J de com-
poser autrement la magistrature supreme.


La situation dan s laquellc ces cinq magis-
trats arrivaient al! pouvoir était déplorable; et
il {al/ait aux uns beaucoup de eourage et de
vertn "aux autres beaueollp d'ambition, pour
accepter une semblable tache. On était au
lendemaill d'un combat dans lequel il avait
faHu appeler une faction pour cn combattre
une autre. Les patriotes qui venaient de verser
Jellr .sang se montraient exigeants; les section-
naires n'avaient point cessé d'etrc hardis. La
journée du 13 vClldémiaire, en un mot, n'a-
vait pas été une de ces victoires suivies de ter-
rcur, qui, tont en soumettant le gouverne-
ment au joug de la faction vietorieuse, le
délivrent au moins de la faction vaincue. Les
patriotes s'étaient relevés, les sectionnaires ne
s'étaient pas soumis. París était rempli des in-
tl'igants de tous les partis, agité par toutes




86 RÉVOLUTION FRAN~AISJ':'
les ambitiol1s, et livré a une affreuse misereo


Aujourd'hui, comme en prairial, les subsis-
tan ces manquaient dans toutes les grandes
communes; le papier-monnaie apportait le dés-
orelre dans les transactions, et laissait le gou-
vernement sans ressources. La convention
n'ayaut pas voulu céder les biens nationaux
pour trois fois Ieur valeur de ) 790, en papier,
les ventes avaient été suspendues; le papier,
qui ne pouvaít rentrer que par les ventes, était
resté en circulation, et sa dépréciation avait
faít d'effrayants progreso Vainement avait-on
imaginé l'échelle de proportion pour diminuer
la perte de ceux qui recevaient les assignats;
cette échelle ne les réduisait qu'au cinquieme,
tandis qll'ils ne conservaient pas meme le cent
ciuquantieme de leur valeur primitive.l .... état,
ue percevant que du papier par l'impot, était
ruiné comme les particuliers. Il percevait, il
est vrai, une moilié de la contribution fon-
c1ere en nature, ce qui lui procurait quelques
denrées pour nourrir les armées; mais souvent
les moyens de transport lui manquaient, et
ces denrées pourrissaient dan s les magasins.
Ponr surcrolt de dépenses, iI était obligé,
eomme on sait, de nourril' Paris. Il lívrait ]a
ration pour un prix en assignats, qui couvrait
a peine le centi(~me des frais. Ce moyen, du




DlRECTOIHE (J 795).
reste, était le seul possible, pour fournír an
moins du pain aux relltiers et aux fonction-
naires pubIies payés en assignats; mais eette
nécessité avait porté les dépenses a un taux
énorme. N'ayant que du papier pour y suffire,
l'état avait émis des assignats sans mesure, et
avait porté en quelques mois l'émission de 12
milliards a 29, Par les anciellnes rentrées et les
cncaisses, la somme en eirculation réelle s'éle-
vait a 19 milliards, ce qni dépassait tous les
chiffres connns en finances. Pour ne pas mul-
tiplier davantage les émissions, la commission
des cinq, instítuée oans les derniers jours de
la eonvention, pour proposer des moyens ex-
traordinaires de poli ce et de finan ces, avait faít
décréter en principe une contributioll extraor-
dinaire de guerre de vingt foís ]a contribution
fonciere et dix fois l'impot des patentes, ce
qui pouvait produire de 6 a 7 rnilliards en pa-
piel'. Mais cette contribution n'était décrétée
qu'en príncipe; en attendant on donnait aux
fournisseurs des inscriptions de rentes, qu'iIs
reeevaient a un taux ruineux. Cinq franes de
rente étaient ret¿us pour dix francs de capital.
On essayait en outre d'nn emprnnt volontaire
~t trois pour cent, qui était ruineux aussi et
mal rempli.


Dans ectte détresse épollvantabIe, les fonc-




88 RJtVOLUTION t'RAN(,'AISJ:.
tionnaires publics, ne pouvantpas vÍvre de leurs
appointements, donnaient lellrs démissions; les
soldats quittaient les armées, qui avaient perdu
un tiers de leur effectif, et revenaient dans les
villes, ou la faiblesse du gouvernement leur
permettait de res ter impunément. Ainsi, cinq
armées et une capitale immense a nourrir, avec
la simple faculté d'émettre des assignatssans
valellr; ces armées a recruter, le gouverne-
ment entier 11 reconstituer au milieu de denx:
factions ennemíes, telle était la tache des cinC[
magistrats qui venaient d'etre appclés a l'ad-
ministration supreme de la république.


Le besoin d'ordre est si grand dans les so-
ciétés humaines, qu'elles se pretent elles·memes
a son rétablissement, el secondent merveilleu-
sement ceux: qui se chargent du süin de les
I'éorganiser; il serait impossible de les réorga-
niser si elles ne s'y pretaient pas, mais iI n'en
faut pas moins reconllaltre le cOllrage et les
efforts de ceux qui osent se charger de pareilles
entreprises. Les cinq directeurs, en se rendant
an I,uxembourg, n'y tl'ouverent pas un seul
meuble. Le concierge lenr preta une table boÍ-
tense, une fenille de papiel' a lettre, une écri-
toire, pour écrire le premier message, qui
annoll<;ait aux dcux cOllseils que le directoire
était constitué. Il n'y avait pas un son en nu-




D/RECTOIRE (1795).
meralre a la trésorerie. Chaque nuit on im-
primait les assignats nécessaires au service du
lendemain, et ils sortaient tout humides des
presses de la république. La plus grande incer-
titude régnait sur les approvísíonnements, et
pendant plusieurs jours on n'avait pu distribuer
que quelques onces de pain OH de riz au peu-
pIe.


La premiere demande fut une demande de
fonds. D'apres ]a constitution nouvelle, iI fallait
que toute dépense fUt précédée d'une demande
de fonds, avec allocation achaque ministere.
Les deux conseils accordaient la demande, et
alors la trésorerie, qui avait été rendue in-
dépendante du directoire, comptait les fonds
accordés par le décret des deux conseils. Le
directoire demanda d'abord trois milliards en
assignats,qu'on luí accorda, et qu'ilfaUut échan-
gel' sur-Ie-champ contre du numérail'e. Était-
ce la trésorcrie ou le directoire qui devait faire
la négociation en lluméraire? c'était la une pre-
miere difficulté. La trésorerie, en faisant elle-
meme des marchés, sortait de ses attributions
de simple surveillance. On résolnt cependant
la difficulté en lui attribuant la négociation du
papier. Les tr01s milliards pouvaient produire
HlI plus vingt OlJ vingt-cinq millions écus. A1nsi
ils pOllvaient sllffire tout au plus aux prcmiers




90 nÉVOLUTION FRAN<';:AISE.
Lesoins courants. Sur-le-champ on se mit a tra-
vailler a un plan de finances, et le directoire
annonc;a aux deux conseils qu'ille lui soumet-
trait sons quelques jours. En attendant il fallait
faire vivre Paris, qui manquait de tout. Il n'y
avait plus de systeme organisé de réquisitions ;
le directoire demanda la faculté d'exiger, par
voie de sommation, dan s les départements voi-
sins de celui de la Seine, la quantité de deux
cent cinquante mille quintanx de blé, a compte
sur l'impot foncier payable en nature. Le direc-
toire songea ensuite a demander une fonJe de
Iois pour la répression des désordres de tonte
espece, et particulierement de la désertioIl,
qui diminuait chaqne jour la force des armées.
En meme temps il se mit a choisir les individus
qui devaient composer l'administration. Merlín
de Douai fut appelé au ministere de la justice;
on fit venir Aubert - Dubayet de l' armée des
coles de Cherbourg pour lui donner le porte-
feuille de la guerre; Charles Lacroix fut
placé aux affaires étrangeres; Faypoult aux
finan ces ; Benezech, administrateur éclairé, a
l'intérieur. Le directoire s'étudia ensuite a
trouver, dans la multitud e de sollicitenrs q ui
l'assíégeaient, les hommes les plus capables de
remplir les fonetions publiques. Il Il'était pas
possible que dans eette préeipitation, il ne fit




DIRECTOlRE (1795). gr
de tres-mauvais choix.11 employa surtont beau-
COllp de patriotes, trop signalés pour etre im-
partiaux et sages. Le J 3 vendémiaire les avait
rendus nécessaires, et avait fait oublier la
crainte qu'ils inspiraient. Le gouvernement en-
tier, directeurs, ministres, agents de toute
espece, fut done formé en haine du r3 ven-
démiaire, et du parti qui avait provoqué cette
journée. Les députés conventionnels eux-
memes ne furent pas encore rappelés de leurs
missions; et pour cela le directoire n'eut qu'a
ne pas leur notifier son installation; il voulait
ainsi Ieur donner le temps d'achever leur ou-
vrage. Fréron, envoyé dans le Midi pour y
réprimer les fureurs contre-révolutionnaires,
put continuer sa tournée dans ces contrées mal-
henreuses. Les cinq directeurs travaillaient san s
relache, et déployaient dans ces premiers mo-
ments le meme zele qu'on avait vu déployer
aux membres du grand comité de satut public,
dans les jours a jamais mémorables de septem-
bre et octobre 1793.


Malheureusement, les difficultés de cette tache
étaient aggravées par des défaites. La retraite
a laqueIle l'armée de Sambre-et-Meuse avait
été obligée, donnait lieu aux bruits les plus
alarmallts. Par le plus vicieux de tous les plans,
et la tra hison de Pichcgru, l'invasioll projetée




92 UÉVOLUTION FRA.N~A.ISE.
en Allemagne n'avait pas du tout réussi, comme
on 1'a vu. On avait voulu passer le Rhin sur
dellx points, et occllper la rive droite par deux
armées. Jouroan, parti de Dusseldorf apres
avoir passé le fleuve avec beaucoup de bon-
hellr, s'était trouvé sur la Lahn, s~rré entre
la ligne prussienne et le Rhin , et manquant
de tout dans un pays neutre, ou iI ne pouvait
pas vivre a discrétion. Cependant eette détresse
n'aurait duré que qnelques jours s'il avait pu
s'avancer dans le pays ennemi, et se joindre
a Pichegrll, qui avait trouvé, par I'occnpation
de Manheim, un moyen si facile et si pen at-
tendn de passer le Rhin. Jourdan allrait réparé,
par cette jOllction, le vice du plan de campa-
gne qui lui était imposé; mais Pichegru, qui
débattait encore les conditions de sa défection
avec les agents du prince de Condé, n'avait
jeté au deta du Rhin qu'un corps insuffisant.
Il s'obstinait a ne pas passer le flellve avec le
gros de son armée, et laissait Jourdan seul en
fleche au milieu de l' Allemagne. Cette position
ne pouvait pas durer. Tous eeux qui avaient
la moindre notion de la gllerre tremhlaient
}lour Jourdan. Hoche, quí, tout en comman-
dant en Bretagne, jetait un regard d'intéret
sur les opérations des autres armées, en écri-
vait a tout le monde. Jonrdan fut donc oblig(~




DlRECTOIRE (1795). 93
de se retirer et de repasser le Rhin; et il agit
en cela avec une grande sagesse, et mérita
l'estime par la maniere dont il conduisit sa
retraitc.


Les ennemis de la république triomphaient
de ce mouvement rétrograde, et répandaient
les bruits les plus alarmants. Leurs malveil-
lantes. prédictions se réaliserent au moment
meme de l'installation du directoire. Le vice
du plan adopté par le comité de salut publie
consistait a di viser nos forces, a laisser aillsi a
l'ennemi, qui occupait Mayence, l'avantagc
d'une position centrale, et a lui inspirer par la
l'idée de réunir ses troupes, et d'en porter la
masse entiere sur l'une ou l'autre de nos deux
armées. Le général Clerfayt dut a cette situa-
tíon une inspiration heureuse, et qui attestait
plus de génie qu'il n' en avait montré j usqu'ici,
el qu'il n'en montra aussi dans )'exécution.
Un corps d'environ trente millc Fran~ais blo-
quait Mayence. Maitre de eette place, Clerfayt
pouvait en déboucher, et accabler ce corps
de hlocus, avant que Jourdan et Pichegru
eussent le temps d' accourir. Il saisit, en effet ,
l'instant convenable avec beaucoup d'a.propos.
A peine Jourdau s'étaÍt-il retiré sur le Bas-
Rhiu, par D usseldorf et N eu wied, que Clerfayt,
laissant no détachement pour l'observer, se




9(' RÉVOLUTION FRAN9AISE.
rendit a Mayence, et y concentra ses {orces,
pour déboucher subitement sur le corps de
blocus. Ce corps, sons les ordres du général
Schaal • s'étendait en demi - cercle autour de
Mayence, et formait une ligue de pres de qua-
tre lieues. Qlloiqu'on eut mis beaucoup de soin
a la fortifier, son étendue ne permettait pas de
la fermer exactement. Clerfayt, qui l'avait bien
observée, avait découvert plus d'un point faci-
lement accessible. L'extrérnité de cette ligne
demi-circulaire, qui devait s'appuyer sur le
cours supérieur du Rhin, laissait entre les
derniers retranchements et le fleuve, ulle vaste
prairie. C'est sur ce point que Clerfayt résolut
de porter son principal effort. Le 7 brumaire
(29 octobre), il déboucha par Mayence avec
des forces imposantes, mais point assez consi-
dérables cependallt pour rendre l'opération
décisive. Les militaires lui ont reproché, en ef-
fet, d'avoir laissé sur la rive droite un corps
qui, employé a agir sur la rive gauche, aurait
inévitablernent amené la ruine d'une partie de
l'armée franc,;aise. Clerfayt dirigea, le long de
la prairie qui remplissait l'intervalle entre le
Rhin et la ligne de blocus, une colonne qui
s'avan<;;a l'arme au bras. En meme temps, une
ilottille de chaloupes eanonnieres remontait
le flenve ponr seconder le mOllvement de eeHe




DIRECTOIRE (1795).
coJonne. Il fit marcher le reste de son armée
sur le front des lignes, et ordonlla une attaque
prompte et vigoureuse. La division fran<,;aise
placée a l'extrémité du demi-cercle, se voyant
a la fois attaquée de front, tournée par un
corps qui filait le long du fleuve, et canon-
née par une flottille dont les boulets arrivaient
sur ses derrieres, prit l'épouvante, et s'ellfuit
en désordre. La division de Saínt.Cyr, q ui était
placée immédiatement apres celIe-cÍ, se trouva
découverte alors, et menacée d'(hrc débordée.
Heureusemellt l'aplomb et le coup d'ccil de son
général la tirerent de péril. H fit un change-
ment de front en arriere, et exécuta sa retraite
en bon ordre, en avertissant les autres divi-
sions d'en faire autant. Des cet instant, tout le
demi-cercle fut abandonné ; la division Saínt-
Cyr fit son mouvement de retraite sur l'armée
du Haut-Rhin; les divisions Mengaud et Re-
llauo , qui occupaient l'autre partie de la ligne,
se trollvant séparées, se replierent sur l'armée
de Sambre-et-Meuse, dont, par bonheur, une
colonne, commandée par Marceau, s'avan<;ait
dans le Hunds-Ruck. La retraite de ces deux
dernieres divisions fut extremement difficile,
et aurait pu devenir impossible, si Clerfayt,
comprenaut bien toute l'importance de sa belle
manccuvre, eut agi avec des masses pllls for-




96 RÉVOLUTION FRANI,;;AISE.
tes, et avee une rapidité suffisante. Il pouvait,
de l'avis des militaires , apres avoir rompu la
ligne fran~aise, tourner rapidement les divi-
sions qui descendaient vel's le Bas-Rhin, les
envelopper, et les enfermer dans le coude que
le Rhin forme de Mayence a Bingen.


La manceuvre de Clerfayt n'en fut pas moins
tres-belle, et regardée eomme la premiere de
ce genre exéeutée par les eoalisés. Tandís qn'il
enlevait ainsi les lignes de Mayence, Wurmser,
faisant une attaque simultanée sur Pichegru,
lui avajt enlevé le pont du' N ecker', et l'avait
ensuite repoussé dans les mur's de Manheim.
Ainsi, les deux armées franc;aises ramenées an
deJa du Rhin, conservant a la vérité Manheim,
Neuwied et Dusseldorf, mais séparées l'une
de l'autre par Clerfayt, qui avait chassé tont
ce qui bloquait Mayence, ponvaient comír de
grands dangers devant un général entrepre-
Ilant et audacienx. Le dernier événement les
avait fort ébraulées; des fuyal'ds avaient eoUI'U
jusque dans l'intérieur, et un dénument ab-
solu ajoutait an déeouragement de la défaite.
Clerfayt, hellrellsement, se hatait peu d'agir,
et employait beaucollp plus de temps qu'il
n'en aurait faIlu pour concentrer toutes ses
forces.


Ces tristes nouvel1es, arrivées du 11 an 12




VIRt:CTOiRt: (1795). 97
brulllaire a París, au moment meme de l'íns-
tal/ation dn directoire, contribtH~rent beau-
COllp a augmenter les difficllltés de la nOllvelle
organisation rép"blieaine. D'autres événements
moins dangerellx en réalité, mais tout aussi
graves en apparence, se passaient dalls rOllest.
Un nouveau débarquement d'émigrés, mena-
c;ait la république. Apres la fnneste deseen te
de Quiberon , qui ne fut tentée, comme on
l'a vu, qu'avec une partie des forces préparées
par le gOllvernemellt anglais, les débris de
l'expédition avaient été transportés sur la
fIoUe allglaise, et déposés ensuite dans la pe-
tite He d'Ouat. On avait débarqué la les mal-
heureuses familles du Morbihan, qui étaient
accourues au-devant de l'expédition, et le
reste des régiments émigrés. Une épidémie et
d'affreuses discordes régnaient sur ce petit
écucil. Au bout de quel(lue temps, Pnisaye,
rappelé par tons les chouans qlli avaient
rompu la pacjficatioll, et qlli n'attrihuaient
qu'aux Anglais, et non a lenr aneien chef, le
malheur de Quiberon, Puisaye était retourné
en Bretagne, ou iI avait tout préparé poul' un
redoublemeut d'hostilités. Pendant l'expédi-
tion de QuiberoIl, les chefs de la VClldée
étaient demeurés immobiles, paree que l' expé-
dition ne se dirigeait pas chez enx, paree qu'il&


VIII. J




!)H nÉVOLUTlON FU AN</,\ ISI'.
avaient défense des agellts de Paris de secoll-
der Puisaye, et enfin paree qu'ils attendaient
UIl succes avallt d'oser encore se compromet-
treo Charette seul était entré en contestation
avec les alltorités répubJicaines, au sujet de
clifférents désordres commis dans son arron-
dissement, et de quelques préparatifs militai-
res qu'on lui reprochait de faire, et il avait
presque ouvertement rompu. II venait de re-
cevoír, par l'intermédiaire de París, de nou-
ve1les faveurs de Vérone, et d'obtenir le com"
mandement en chef des pays eatholiques; ce
qui était le hut de tous ses vreux. Cette no u-
velle dignité, en refroidissant le úle de ses
rivaux, avait singulierement excité le sien. Il
espérait une nouvelle expédition dirigée sur
ses cotes; et le commodore Waren lui ayant
offert les munitions restant de l'expédition de
Qllihel'on, il n'avait plus hésité; jI avait fait sur
le rivage une attaque générale, replié les pos-
tes répuhlicaills, et recueilli quelques poudres
et quelques fusils. Les Anglais débarquerent
en meme temps sur la cote du Morbihan les
malheurellses familles qu'ils avaient trainées a
leur suite, et qui mouraient de faim et de mi-
sere dans l'ile d'Ouat. Ainsi, la pacification était
rompue et la gllerl'e recommencée.


Depnis long-temps lf>S trois généraux réplI-




1)[ft}:CTOIRE (1795). 99
blicains, Aubert-Dubayet, Hoche et Canclaux,
qui commandaient les trois armées, dites de
Cherbonrg, de Brest et de l'Onest, regardaient
la pacification comme rompue, non-seulement
dan s la Bretagne, mais aussi dans la Basse-
Vendée. Ils s'étaient réunis tous trois a Nantes,
et n'avaient rien su résoudre. lis se mettaient
néanmoins en mesure d'accourir individuel1e-
ment sur le premier point menacé. On parlait
d'un nouveau débarquement; on disait, ce qui
était vrai, que la division de Quiheron n'était
que la premiere, et qu'il en arrivait encore
une autre. Averti des nouveaux dangers qui
menac;aient les cOtes, le gouvernement franc;ais
nomma Hoche au commandement de l'armée
de l'Ouest. Le vainqueur de Wissembourg et de
Quiberon était l'homme en effet auquel, dans
ce danger pressant, était due toute la confiance
nationa]e. Il se rendit aussitot a Nantes pour
remplacer CanclatlX. Les trois armées destinées
a contenir !es provinces insurgées avaient été
successivemcnt renforcées par quelques déta-
chements venus du Nord, et par plusieurs des
divisions que la paix avec l'Espagne rendait
disponibles. Hoche se fit autoriser a tirer de
nouveaux détachements des deux armées de
Brest et de Cherhonrg, pour en augmenter
eeHe de la Vendée, qn'il porta ainsi a qua-





Ion HT:VOUTION r,·RAN~;AISI·.


¡'ante-quatre mili e hommes. Il établit des postes
fortement retranchés sur la Sevre Nantaise qui
eoule entre les deux Vendées, et qui sé'parait
le pays de Stofflet de celui de Charette. Il avait
pour hut d'isoler ainsi ces deux chefs, et de
les empecher d'agir de concert. Charette avait
~ntjerement levé le masque, et proclamé de
llouveau la guerreo Stofflet, Sapinaud, Sce-
peaux, jaloux de voir Charette nommé géné-
ralissime, intimidés aussi par les préparatir.., d~
Hoche, et incertains de l'arrivée des Anglais ,
ne bougeaient point encore. L'escadre anglaise
parnt enfin, d'ahord dans la baie de Quiheron.
et puis dans ceHe de l'I1e-Dieu, en face de la
Basse-Vendée. Elle pÓl'tait deux mille homme~
<1'infanterie :mglaise, cinq cents cavaliers tous
équipés, des cad res de régiments émigrés,
grand nombre d'officiers, des armes, des ron-
nitions, des vivres, des vetements ponr une
31'roée considérable, des fonds en especes mé-
talliques, et enfin le prince tant attendu. Des
forces plus considérables devaient sllivre si
l'expédition avait un cornmencement de succes,
et si le prince prouvait son désir sincere de se
mettre a la h~te dn parti royaliste. A peine l'ex-
pédition fut signalée sur les cotes 1 que tous le!';
chefs royalistes avaient envoyé des émissaires
a!lpres dn prince, pOllr l'assUl'er de Jeur dé-




!JIRECT01HE (17~15). fOI
voueruellt, puur réclamer l'holllleUI' de le pus-
séder, et COIlCel'ter leurs efforts. Charette,
maitre du littoral, était le mieux placé pour
concourir au débarquement, et sa réputation ,
aillsi que le vreu de tOllte l'émigration, atti-
raient l'expédilion vers luí. Il envoya aussi des
agents pour arreter un plan d'opérations.


Hoche, pendant ce temps, faisait ses pré-
paratifs, avec son activitéet sa résolution ac-
c()utumées. Il forma le projet de diriger trois
colonnes, de Challans, Clissoll et Sairtfe-Her-
mine, trois points placés a la cirCUllfel'euce
du pays, et de les porter sur Bellcyjile, <luí
était le quartier-général de Charette. Ces troi~
colonnes, fortes de vingt a villgt-deux lIIíll('
hommes, devaient, par lenr masse, impose!' a
la contrée, ruiner le principal établissemellt
l.le Charette, et le jeter, par une attaque
brusque et vigoureuse, dan s un désordre 1(-1
fJu'il ne put protéger le débarquemcllt du
prince émigré. Hoche, en effet, fit partir ces
trois colonnes, et les rénnit a Bellcville salls
y trouver d'obstacles. Charette, dont iI espé-
rait rencontrer et battre le principal rassemble-
ment, n'étaitpoint a Belleville; il avait réulli
neuf a dix mille hommes, et s'était dirigé du
coté de Lu<,;on ponr porter le théatre de la
~uel're vers le midi dll pays, et éloigner des




102 nÉVOLUTlON FRAN9AISJi.


cotes l'attention des républicains. Son plan
était bien con~u, mais il manqua par l'énergie
qui lui fut opposée. Tandis que Hoche entraít
a Belleville avec ses trois colonnes , Charette
était devant le poste de Saint-Cyr , qui couvre
la route de Lu<}on aux Sables. Il atta qua ce
poste avec toutes ses forces; deux cents répu-
blicains retranchés dan s une église y tirent
une résistance héroique, et donnerent a la
division de Lu<}on, qui entendaít la canon-
nade, le temps d'accourir a leu!' secours. Cha-
rette, pris en flanc, fut entieremcnt battu, el
obligé de se disperser avec son rassemblement
pour rentrer dans l'intérieur du Marais.


Hoche, ne trouvant pas l' ennemi devant luí;
d découvrant la véritable intention de son
mouvement, ramena ses colonnes aux points
d'ou elles étaient parties, et s'occupa d'établil'
un camp retranché a Soullans, vers la cote,
pour fondre sur le premier corps qui essaierait
de débarquer. Dans cet intervalle, le prince
émigré, entouré d'un nombreux conseil, et
des envoyés de tous les chefs bretons et ven-
déens, continuait de délíbérer sur les plans de
débarquement, et laissaít a Hoche le temps de
préparer ses moyens de résistance. Les voiles
811glaises, demeurant en vue des cotes, ne
i::es:-;aiellt de provoquer les craintes des ré-




DIRECTOllLE (1795 j. 1 U')
publicains, et les espérances des J'oyalistes.


Ainsi, des les premiers jours ue l'illstallatioll
du directoire, une défaite devant Mayence, el
un débarquement imminellt dans la Vendée,
étaient des sujets d'alarme dont les ennemis
du gouvernement se servaiellt avec une grande
perfidie, pour rendre son établissement plus
difficile. Il fit expliquer ou démentir une par-
tie des bruits qu'on répandait sur la situation
des deux frontieres, et donna des éclaircisse-
ments sur les événemcnts qui venaient de se
passer. On ne pouvait guere elissimuIer la dé-
faite essuyée elevant les lignes de Mayellcc;
mais le gOllvernement fit répondre aux dis-
cours des aIarmistes que Dusseldorf et Nell-
wied 110US restaient encore; que Manheitu
était toujours en notre pouvoir; que par con-
séquent l'armée de Sambre - et - Meuse a vait
deux tetes de pont , et l'armée du Rhin une,


. pour déboucher quand iI leur conviendl'ait al!
deJa du Rhin; que l10tre situatiol1 était done
la meme que ceHe des Autdchíens, puisque,
s'iIs étaient maitres par Mayence d'agir sur les
deux rives , nous l'étions nous aussi par Dus-
seldorf, Neuwied et Manheim. Le raisonnc-
ment était juste; mais iI s'agissait de savoir si
les Autl'ichiens, ponrsllivant Jeur SllCCeS, 1H'
IIOIIS enIevel'aient pas hientot Nellwied el




104 RÉVOLIJl'ION FRAN<;:AISE.


Manheim , et ne s'établiraient pas sur la rive
g:lllche, entre les Vosges et la Moselle. Qllan t
a la Vendée, le gouvernement lit part des dis-
positions vigoureuses de Roche, qui étaient
rassurantes pour les esprits de bonne foi, mais
qui n'empechaient pas les patriotes exaltés de
concevoir des craintes, et les contre-révolll-
tionnaires d'en répandre.


Au milieu de ces dangers, le directoire rectou-
blait d'efforts pour réorganiser le gouverne-
ment, l'aorninistration, et surtout les finances.
Troís milliards d'assigllats lui avaient étéaccor-
dés, cornme on a Vtl, et avaient prodllit tout
au plus viI1gt et quelql1es millions en écus.
L'emprunt volontaire ouvert a trois pour cent,
oans les derniers jonrs de la convention, venait
d'etre suspendu ;car ponr un capital en papier,
l'état promettait une rente réelle, et faisait un
marché ruineux. La taxe extraordillaire de
guerre proposée par la commission des cinq .
n'avait pas encore été mise a exécution, et ex-
citait des plaintes comme un dernier acte révo-
lutionnaire de la convention a l'égard des con-
trihllables. Tous les services allaient manquer.
Les particuliers, remboursés d'apres J'échelle
de proportioll, élevaient des réclamatiOIlS si
ameres, qll' on avait été obligé de suspendre les
remboursements. Les maltres de poste, payés.




OIIlECTOJRI: 1,1795!- r05
en assignats, annoru;aient qu'ils allaiellt se re-
tirer; car les secours insuffisants du gouverne-
ment ne couvraient plus leurs pertes. Le service
des postes allait manquer sous peu, c'est-a-dirc
que toutes les communications, mcme écrites,
allaient cesser dans toutes les parties du terri-
toire. Le pbn des finances annoncé SOllS quel-
ques jours devait done elre rlonné snr-Ie-ehamp.
C'était la le premier besoin de l'état et le pre-
miel' devoir du direetoire. Il fut enfin commu-
l1iqué a la commissioH des fil/ances.


1.a massc des assignats circllJants pouvait etre
évaluée a enviroll :lO millianls. Meme en Sllp-
posant les assignats encore au ecntieme de lem'
valeur, et non pas all cent clnquantieme, ils
ne formaient pas une valeur réelle de plus de
200 milliolls: il est certaín qu'ils ne figuraient
pas pour davantage dans la cil'culation, et que
cellX quí les possédaient ne pouvaient les faire
accepter ponr une valeur supérieure. On aurait
pu tout-a-collp revenir a la réalitp, ne prendre
les assignats que pOllr ce qu'ils valaient vérÍ-
tablem\'nt, ne les admettre qu'au cours, soit
dans les transactions entre particuliers, soit
dans l'acC{lIittement des impots, soit dans le
paiement des biens natiollaux. Sur-Ie-champ
aJors,cette grande et effrayante masse de papier,
eette <leUe énorme aurait dispal'lI. Il restait a,




106 RÉVOLUTION FnAN~;AlSE.
peu pres sept milliards écus de biens nationaux.
en y comprenant ceux de la Belgique, et les
forets nationales; on avait donc d'immenses
ressources pour retirer ces 20 milliards, réduits
a 200 millions, et pour faire face a de nouvelles
dépenses. Mais eette grande et hardie détermi-
nation étaít difficile a prendre; elle était re-
poussée a la foís par les esprits scrupuleux qui
la considéraient eomme une banqueroute, et
par les patriotes qui disaient qu'on voulait
ruiner les assignats.


Les uns et les autres se montraíent peu éclai-
rés. Cette banqueroute, si c'en étaít une, étaít
inévitable, et s'aecomplit plus tardo Il s'agissait
seulement d'abréger le mal, e'est-a-dire la eon-
fusion, et de rétablir l' ordre dans les valeurs,
seule justice que doive l'état a tout le monde.
Sans doute, au premier aspeet, c'était une
banqueroute que de prendre aujourd'hui pOUI'
[ frane, un assignat qui, en [790, avait été
émis ponr 100 franes, et q ni con tenai t alors
la promesse de ] 00 franes en terreo D'apres ee
príncipe, il aurait done fallu prendre les 20
milliards de papier pour 20 milliards éeus, et
les payer intégralement; mais les bíens natio-
naux auraient a peine payé le tiers de eette
somme. Dans le eas meme oú l'on aurait pu
payer la somme intégralement, il faut se de"




UIRECTUIRE (1795)- 1°7
i11ander combien l'état avait re<;u en émettant
ces 20 milliards? 4 ou 5 milliards peut-etre.
On ne les avalt pas pris pour davantage en les
recevant de ses mains, et il avait déja rem-
boursé par les ventes une valeur égale en biens
nationaux. Il y aurait done eu la plus cruelle
injustice a l'égard de l'état, c'est-a-dire de tous
les contribuables, a considérer les assignats
d'apres leur valeur primitive. Il fallait done
consentir a ne les prendre que pour une va-
leur réduite : on avait meme commencé a le
faire, en adoptant l'échelle de proportion.


Sans doute, s'il y avait encore des individus
portant les premiers assignats émis, et les
ayant gardés sans les échanger une senle fois,
ceux-Ia étaient exposés a une perte énorme;
cal' les ayant re<;us presque au pair, ils allaient
essuyer aujourd'hui toute la réduction. Mais
c'était la une fiction tout-a-fait fausse. Personne
n'avait gardé les assignats en dépot, car on ne
thésaurise pas le papier : tout le monde s'était
ha té de les transmettre, et chacun avait essuyé
Une portion de la perte. Tont le monde avait
souffert déja sa part de cette prétendue ban-
queroute, et des 101'5 ce n'en était plus nne.
La banqueroute d'un état consiste a faire sup-
porter a quelques individus, c'est-a-dire aux
créanciers, la deHe qu'on ne veut pas faire




108 REVOLUTIUN ERANC.:AISf.


supporter el tous les contribuables; 01', SI lOIl!
le monde avait du plus au moins souffert Sil
part de la dépréeiation des assignats, il n'y
avait ballqueroute pour persoIllle. On pouvait
enfin donner une raison plus forte que toules
les autres. L'assignat n'eut-il baissé que dans
quelques mains, et perdn de son prix que
pour quelques illdividus, il a"vait passé maill-
tenant dans les mains des spéculateurs sur le
papier, et c'eut été eette classe beaucoup plus
que eelle des véritables lésés, qui aurait re-
cueilli I'avantage eI'une restauratioIl insensée
de valeur. A ussi Calolllle a vait-il éerit a Landre,.;
une brochure, ou iI disait avec beaucoup de
sens, qll'on se trompait en croyant la France
aecablée par le fardeau des assignats, que ce
papier-monnaie était un moyen de faire la ban-
queroute sans la déclarer. II aurait dil dire,
pour s'exprimer avec plus de justice, qu'clle
était un moyen de la faire porter sur ton t le
monde, c'est-a-dire de la remIre nlllle.


n était donc raisonnable et juste de revenir
a la réalité, et de ne prendre l'assignat que
pour ce qu'il valait_ Les patriotes disaient que
c' était ruiner l'assignat, qui avait salivé la ró-
volution, et regardaient cette idée comme une
conception sortie du cerveau des royalistes.
Ceux qui prétendaient raisonner avec plus de




nI RECTOI RE (1 79:)).
lumieres et de connaissance de la questioll,
soutenaient qu'on allait faire tombel' tout-a-
conp le papier, et que la circulation ne pour-
rait plus se faire, faute du papier qui aurait
péri, et faute des métaux qui étaient enfouis,
ou qui avaient passé a l'étranger. L'avenir dé-
mentit ccux qui faisaient ce raisonnement;
mais un simple caleul aurait dli tout de suite
les mettre sur la voie d'nne opinion plus juste.
En réalité, les 20 milliards d'assignats repré-
sent.aient moÍns de 200 millions; or, d'apres
tOU5 les calculs, la circulation ne pouvait pas
1'e faire autrefois sans moins de 2 rnilliards, 01'
ou argento Si donc aujonrd'hui, les assignats
n'entraient que pour 200 millions dans la cir-
culatión, avec quoi se faisait lereste des trans-
actions? Il est bien évident que les métaux
devaient circuler en tres-grande quantité, el
ils circulaient en effet, mais dans les provinces
et les campagnes, 10in des yeux du gouverne-
mento D'ailleurs les métaux, comme toutes les
marchamIíses, viennent toujours la ou le be-
soin les appelle, et, en chassant le papier, ils
seraient revenus, comme ils revinrent en effet
quancl le papier périt de 11Ii-nH~me.


C'était donc une double el'reur, et tres-enra-
cinée dans les esprits, que de reganler la ré-
duction de J'assignat a sa valeur réelle , comme




[ JO RlÍVOLUllON FRAN~A[SE.
\lIle banqueroute et cornme une destruction
suhite des rnoyens de circulation. Elle n'avaít
qu'un inconvénient, mais ce n'était .pas celui
qu'on lui reprochait, cornme on va le vOlr
bientót. La commission des finances, genée
par les idées qui régnaient, ne put adopter
qu'en paÍtie les vrais príncipes de la matiere.
Apres s'etre concertée avec le directoire, elle
arreta le projet suivant.


En attendant que, par le nouveau plan, la
vente des biens et la perception des impóts
fissentrentrercles valeursnon pas fictives, mais
réelles, il fallait se servir encore des assignats.
On proposa de porter l'émission a 30 milliards,
mais en s'obligeant a ne pas la porter au dela.
Au 30 nivose, la planche devait etre solennel-
lement brisée. Ainsi on rassurait le public sur
la quantité des nouvelles émissions. On con-
sacrait aux 30 milIiards émis un milliard écus
de biens nationaux. Par conséquent, l'assignat
qui, clans la eireulation, ne valait réellement
que le cent einquantieme et beaucoup moins,
était liquidé au trentieme; ce qui était un assez
grand avantage fait aux porteurs du papier.
On consacrait eneore un milliard écus de terres
a récompenser les soldats de la république,
milliard qui leur était promis clepuis long-
temps. Il en restait done einq, sur les sept dont




nlllECTOIRE (1795). ) 1 1
on potlvait disposer. Dans ces cinq se trou-
vaient les forets nationales, le mobiJier des
émigrés et de la conronne, les maisons royales,
les biens du clergé beIge. On avait donc encore
cinq milliards écns disponibles. Mais la diffi-
eulté eonsistait a disposer de eette valenr. 1,'as-
signat; en effet, avait été le moyen de la mettre
en eireulation d'avanee, avallt que les biens
fussent vendus. Mais l'assignat étant snpprimé,
puisqll'on ne pouvait ajouter que] o milliards
aux 20 existants, somme qui, tont an plus,
représentait 100 milliolls écus, comment réa-
Jisc¡' d'avance )a valenr des biens, et s'en ser-
vÍr ponr les dépenses de la guene? C'était la
)a seule objection a faire a la liqllidation d"
papier et a sa suppression. On imagina les cé-
dnles hypothéeaires, dont il avait été parlé
l'année précédente. D'apres cet aneien plan,
on devait emprunter, et donner aux preteurs
des cédllles portant hypotheque spéciale sur
les biens désignés. Afin de trouver a emprnn-
ter, on devait recourir a des compagnies de
finan ces qui se ehargeraient de ces eédnles. En
un mot, an lieu d'un papier dont la eirclllation
était foreée, qui n' avait qu'llne hypotheque
générale sur la masse des biens nationaux, et
quichangeait tous les jours de vaJeur, OH créait
par les eédules un papier voJontaire, qui était




I 1'1 REVOLUTlON 1<'RAN~,;AJSL


hypothéqué llommémellt sur une tene Ol! sU!
une maison, et qui ne pouvait subir d'autre
changement de valeur que cellli de l'objet meme
qu'il représentait. Ce n'était pas proprement
un papier - mOllnaie. Il n'était pas ex posé a
tomber, paree qu'il n'était pas forcément intro-
dllit clans la circulatian; mais on pouvait allssi
ne pas trouver a le placer. En un mot, la dif-
nClllté consistant toujollrs, aujourd'hui com me
'au début de la révolution, a mettre en cil'cu-
lation la valeul' des biens, la question était de
savoir 5'il valait mieux forcer la circulation de
eette valem', ou la laisser valan taire. I"e pl'e-
mier moyen étant tout-a-fait épuisé, iI était


t 1 , • , l' na ure qu 011 songeat a essayer autre.
On eonvint done qu'apl'cs avoir porté le pa-


piel' a 30 milliards, qll'apres avoir désigné un
milliard éeus de biens pOllr l'absorber, et ré-
servé un milliard écus de biens aux soldats de
la patrie, 011 ferait des cédllles poul' une somme
proportionnée allX besoins publ ies, et qu' on
traiterait de ces cédules a vec des compagnies de
nnances. Les forets nationales ne devaient pas
etre cédulées; on vOlllait les conserver a l'état.
Elles formaient a peu pres 2 mílliards, sur les 5
milliards restant disponibles. On devait traiter
avec des compagnies pour aliéner seulement
leur produit pendant un certain nombre d'an-
nées.




lHRECl'OI RE (l79!»)' J d
La conséquence ele ce projet, fondé sur la


rédlIction des assigl1ats a leur vaJeur réelJe, était
de ne plus les admettre qu'au cours elans toutes
les transactions. En attendant que par la vente
e1u milliard qui leur était affecté, ils pusseot
ctre retirés, ils oe devaient plus etre re(,;us par
les particuliers et par l'état qll'it leur valeur du
jour. Ainsi, le désordre des transactions allait
cesser, et tout paiement frauduleux devenait
impossible. L'état a1lait recevoir par l'impot eles
valeurs réelles, qui cOllvriraient au moins les
dépenses ordinaires, et iI u'aurait plus a payer
avec les biens que les frais extraonlinaires de
la guerreo L'assigoat ne devait etre rec;u au pair
que daos le paiement de l'arriéré des imposi-
tioos, arriéré qui était considérable, et s 'éle-
vait a 13 milliards. On fOllrnissait ainsi ~ux
contribuables en retard un moyen aisé de se
libérer, a conrlition qu'ils le feraient tout de
suite; et la somme de 30 milliards, rembour-
sable en biens natioTlaux au tren ti eme , était
diminuée d'autant.


Ce plan, adopté par les cinq - cents, apres
une longue discussion en comité secret, fut
aussitot porté anx anciens. Pendant que les
anciens allaient le discuter, de nouvelles ql1es-
tions étaient soumises anx cinq-cents, sur la
maniere de rappeler son s les drapeaux les sol-


VIII. 8




t 14 nÉVOLUTION FRAN~AlSE.
dats qui avaient déserté a l'intérieur; sur le
mode de nomination des juges, officiers muni-
cipaux, et fOllctionnaires de toute espece, que
les assemblées électorales, agitées par les pas-
sions de vendémiaire, n'avaient pas eu le temps
ou la volonté de nornmer. Le directoire travail;..
lait ainsi sans relache, et fournissait de nou-
veaux sujets de travail aux deux eonseils.


Le plan de fiuanees déféré aux aneiens l'e-
posait sur de bons principes; il présentait des
l'essourees, ear la France en avait encore d'im.;
menses; malheul'eusemetlt j] he surmontaít pas
la véritable diffieulté, cal' iI ne rendait pas ceS
ressources assez aetuelles. Il est bien évident
que la Franee, ave e des impots qui pouvaient
5uffire a 5a dépense annuelle des que le papier
ne rendrait plus la recette illusoire, avec 7 mil..;
lia;ds écus de bíens nationallx pour rembour-
.ser les assignats et pourvoir aux dépenses ex-
traordinaires de la guerre, il est bien évident
que la France avait des ressources. La diffi-
culté consistait, en fondant un plan sur de bons
príncipes, et en l'adaptant a l'avenir, de pour-
voir surtout au présent.


Or, les aneiens ne erurent pas qu'íl faUut si-
tot renoncer aux assignats. La faculté d' en eréel'
encore 10 milliards présentait tout au plus une
ressource de 100 millions écus, et c'était peu




iHRECTOI n E (1795)0 J I ~
ponr attenclre les recette5 que devait procurer
le nouveau plan. D'ailleurs trouverait-on des
compagnies pour traiter de l'exploitation des
forets pendant vingt ou trente ans? En trouve-
raít-on pour accepter des cédules, c'est-a-dire
des assignats libres? Dans l'incertitude ou I'on
était de pouvoir se servir des bíens llationaux
par les nouveaux moyens, fallait-il renoncer a
l'ancienne maniere de les dépenser, c'est-a-
<lire aux a~ignats forcés? Le conseil des an-
ciens, qui apportait une granne sévél'ité dans
l'examen des résolutions des cinq-cents, et qui
en avait déja rejeté plus d\me, apposa son
veto sur le projet financier, et re fusa de l'ad-
mettre.


Ce rejet laissa les esprits dans une grande
anx.iété, et on retomba dans les plus grandes in-
certitudes. Les contre-révolutionnaires,joyenx
de ce conflit d'idées, prétendaient que les dif-
ficultés de la situation étaient insolubles, et que
la républiquc alIait périr par les finances. Les
hommes les plus éc1airés, qui ne sont pas ton-
jours les plus résolus, le craignaient_ Les pa-
trio tes , arrivés au plus hant <legré d'irritation,
en voyant qu'on avait en l'idée d'abolir les as-
signats, criaient qu' on voulait détruire cette der;
niere création révolutionnaire qui avaít sauvé
la France; ils demandaient que, sans tatonner


80




J.6 P,":VOLUTJON FRAN~AJSE.
:o;i long-temps, on rétablit le crédit des assi-
gnats par les moyens de 93, le maximum, les
réquisitions et la mort. C'était une violen ce et
un emportement qui rappelaient les années les
plus agitées. Pour comble de malheur, les évé-
nements sur le Rhin s'étaient aggravés: Cler-
fayt, sans profiter en gt'anrl capítaine de la
vietoire, en avait cependant retiré de nouveaux
avantages. Ayant appelé a lui le corps de La
Tour, il avait marché sur Pichegrll, l'avait at-
taqué sur la Pfrim et sur le canal de Franken-
dal, et l'avait sllccessivement repoussé jusque
sons Landau. Jourdan s'était avancé sur la N ahe
a travers un pays difficile, et mettait le plus
noble dévonement a f~üre la guerre dans des
montagnes épouvantables, pour dégager l'ar-
mée du Rhin; mais ses efforts ne pouvaient
que diminuer l'ardenr de l'ennemi, sans répa-
rer noS pertes.


Si done la ligne du Rhin nous restait dans
les Pays-Bas, elle était perdue a la hautenr des
Vosges, et l'ennemi nous avait enlevé autour
de Mayence un vaste Jemi-eercle.


Dans cet état de détresse, le directoire en-
voya une dépeche des plus pressantes au con-
seil des cinq-cents, et proposa une de ces ré-
solutions extraordinaires qui avaient été prises
dans les occasions décisives de la révolution.




DlRECTOIRE (1795). 117
C'était un emprunt forcé de six cents mi1lions
en valeur réelle, soit numéraire, soit assignats
au conrs, réparti sur les classes les plus riches.
C'était donner ouverture a une nouvelle suite
d'actes arbitraires, comme l'emprunt forcé de
Cambon sur les riches; mais, comme ce nouvel
emprunt était exigible sur-Ie-champ, qu'il pou-
vait faire rentrer tous les assignats circulants,
et fournir encore un surplus de trois on quatre
cents millions en numéraire, et qu'iI fallait enfin
trouver des ressources promptes et énergiques,
011 l'adopta.


Il fut décidé que les assignats seraient re<,;us
a cent capitaux pour un : 200 millions de l'em-
prunt suffisaient done pour absorber 20 mil-
liards de papier. Tout ee qui rentrerait uevait
etre brulé. On espérait ainsi que le papier retiré
presque entierement, se releverait, et qu'il la
rigueur on pourrait en émettre encore et se
servir de ceHe ressouree. Il devait rester a per- '
eevoir, sur les 600 millions, 400 millions en llU- '
méraire, qní snffiraient aux besoins des deux
premiers mois, car on évaluait a 1500 millions
les dépenses de eette année ( an IV - 1795,
1796 ).


Certains adversaires du directoire, qui, sans
s'inquiéter beaucoup de l'état du pays, vou-
laient seulement contrarier le nouveau gouver-




II B {lÉVOLlll'ION 1i'RAN~ArSE.
nement a tout prix, firentles objections les pJu~
effrayantes. Cet emprunt, disaient-ils, aUait en-
lever tont le numéraire de la France; elle n'en
aurait pas meme assez pour le payer! comme si
l'état, en prenant 400 millions en métal, n'al-
lait pas les reverser dans la circulation en ache-
tant des blés, des draps, descuir~, des fers, etc.
L'état 11'allait bruler que le papier.Laquestion
était de savoir si la France pouvait donner sur-
le-champ 400 millions en denrées et marchan-
dises, et bruler ~oo millions en papier, qu'on
appelaitfastueusement 20 milliards.Elle lepou-
vait certainemcot. Le seul inconvénient était
dans le mode de perception qui serait vexa-
toire, et qui par la deviendrait moios produetif;
mais on ne savait eomment faire. Arreter les
assignats a 30milJiards, c'est-a-dire ne se donner
que 100 millions réels devant BOÍ, détruire en-
suite la planche, et s'en fier du sort de l'état a
l'aliénation du revenu des forets et au place-
lJlent des cédl1les, c'est-a-dire a l'émÍssion d'l1O
papier volontaire, a\'ait parll trop bardi. Dans~
l'incertitude de ce que fcraient les volontés
l.ibres, les conseils aimerent mieux forcer les
Franc;ais a contribuer extraordinairement.


Par l'emprunt forcé, se disait-on, une partie
au moios du papicr rcntrera; il rentrera avec
un.e certaioe quantité de ollméraire; pllis enfin




D1RECTOIRE (r 795).
on aura toujours la planche, qui aura acquis
plus de valeur par l'absorption de la plus grande
partie des assignats. On He renon~a pas pour
"el a aux autres ressourees; on décida qu'une
partie des hiens serait eédulée, opération lon-
gue, car il fallait melltionner le détail de chaque
bien dans les eédules, et que ron ferait en-
s.llite marché avec des compagnies de finances.
On déc;:réta la mise en vente des maisons sises
dans les "illes, eelle des terres au-dessous de
trois cents arpents, et enfin ceHe des biens
di! clergé beige. On résolllt aussi l'aliénation
de tOllte~ les maisons ci-devant royales, ex-
cepté Fontainebleau, Versailles et Compiegne.
Le mobilier des émigrés dut etre aussi vendu
sur-le-champ. Toutes ces ventes devaient se
faire aux encheres.


On u' osa pas décréter eucore la réductiou
des assignats au eours, ce qui aurait fait cesser
le plus grand mal, celui de ruiner tous eeux
qui les reeevaient, les particuliers eomme
l'état. 011 craignait de les détruire tout-a-
eoup par eette mesure si simple. On décida
que, dans l'emprunt forcé, ils seraient rel,ius
a cent capitaux pour un; que dan s l'arriéré
des contributions ¡Is seraient re¡,;us pour toute
lellr valeur, afin d'encourager l'acquittement
de cet arriéré, qui devait faire rentrer 13 mil-




) 20 RÉVOLUTlON FRAN~A.ISt:.
liards; que les remboursements des capitaux
seraient toujours suspendus; mais que les ren-
tes el les intérels de toute espece seraient payés
a dix capitaux pour un, ee qui était encore
fort onéreux pour ceux qui recevaient leur
revenu a ce prix. Le paiemellt de I'¡mpot fon-
cier et des fermages fut maintenu sur le meme
pied, c'est-a-dire moitié en nature, moitié en
assignats. l .. es douanes durent etre payées
moitié en assignats, moitié en numéraire. On
fit cette exception pour les douanes, paree
qu'il y avait déja beaucoup de Iluméraire aux
frontieres. Il y eut aussi une exception a l'é-
gard de la Belgiqlle. Les assigflats n'y avaieol
pas péoétré; 00 décida que l'emprnnt forcé,
el les impots, y seraient per<;us en numéraire.


On revenait done timidement au numéraire,
et on n?osait pas trancher hardiment la difft-
elllté, eomme il arrive toujours dans ces cas-
la. Ainsi, l'emprunt forcé, les biens mis en
vente, l'arriéré, en amenallt de considérables
rentrées de papier, permettaient d'en émetlre
encore. On pouvait eompter en outre sur
quelques recettes en numéraire.


Les deux déterminations les plus impor-
tantes a prelldre apres les loís de finanees,
étaient relatives a la désertion. et au mode de
nomination des fonctiol1naíres non élus. L'une'




JJ1UhCTOJUJi (1795). 1 :J I
devait servir a recomposer les armées, l'autre
a achever l'organisatioll des communes et des
tribunallx.


La désertion a l'extérieur, crime fort rare,
fut punie de mort. 00 discuta vivement sur la
peine a infliger a l'embauchage. 11 fut, malgré
I'opposition, puní comme la désertion a l'exté-
rieur. Tout cOlIgé donné aux jeunes gens ele la
réquisitioll dut expirer dans dix jours. La potir-
suite des jeunes gens qlli avaient abandonné
les drapeallx, conflée aux municipalités, était
molle et sallS effet; elle fut donnée a la gen-
darmerie. La désertioIl a l'illtérieur était Plloie
de déteotion pour la premiere foís, et des fers
pour la seconde. La grande réquisition d'aout.
1793, qui était la seule mesure de recrute-
ment qu'on eut adoptée, atteignait assez
d'hommes pour remplir les armées; elle avait
suffi, depuis trois ans, pour les maintenir sur
un pied respectable, et elle pouvait suffire
encore, au moyen d'une loi· I10uvelle qui en
assurat l'exécution. Les nouvelles dispositions
furent combattlles par l'opposition, qui tendaít
llaturellement a diminuer l'action du gouver-
nement; mais elles furent adoptées par la ma-
jorité des deux conseils.


Beaucoup d'assemblées électorales, agitées
par lt>s décrets des 5 et J 3 fructidor, avaient




J:l:l REVOLUTION FRAN~AJSE.
perdu ]eur lemps, et ll'avaient point achevé ]a
nomination des individus qui devaient compo-
ser les administrations locales et les tribunaux.
CeHes qui étaient situées dans les provinces de
rOuest, ne l'avaient pas pu a cause de la guerre
civile. D'aulres y avaient mis de la négligence.
La majorité conventionnelle, pour assurer
l'homogénéité du gouvernement, et une ho-
mogénéité toute révolutionnaire, voulait que.
le directoire eut les nominations. Il est naturel
que le gouvernement hérite de tous les droits
auxquels les citoyens renoncent, e'est-a-dire
que l'action du gouvernement supplée a eeHe
des individus. AiJlsi, la ou les assemblées
avaient outre-passé les délais constitutionnels,
la. ou elles n'avaient pas voulu user de leurs.
droits, il était naturel que le directoire fUt
appelé a nommeF. Convoquer de nouvelles
assemblées, c'éta,it manquer a la constitution,
qui le défendait, c;:'était récompenser la révolte
contre les 10is, c'était enfin donner ouver-
ture a de nouveallX trouhles. Il y avait d'ail-
leurs des analogies dans la constitution qui
devaient conduire a résoudre la question en
faveur du directoire. Ainsi, il était chargé de
{aire les nominations dans les colonies, et de
remplacer les fonctionnaires morls OH démis-
sionnaires dans l'intervalle d'une élection a




lHRE(,'TOlltE (1795). l::d
rautre. L'opposition ne manqua pas de s'élever
contre cet avis. Dumolard, dans le conseil des
cillq-cents, Porta lis , Dupont de Nemollrs,
TrOIH,iOn-Ducolldray, dans le conseil des an-
ciens, sOlltinl'ent que c'était donner une préro-
gative royale au directoire. Cette minorité,
qui secretement penchait plutót pOlIr la tno-
narchie que pour la républiqlle, changea ici
de role avec la majorité répl1blicaine, et soutint
avec la derniere exagération les idées démo-
cratiques. Du reste, la discussion vive el sol en-
nelle ne fut troublée par aucun emportement.
Le directoire eut les llomillatiolls, a la sen le
conclítion de faíre ses choix parmi les hommes
qui avaient déja été honorés des suffrages du
peuple. Les principes conduisaient a cette
solution ~ mais la politiqlle devait la conseiller
encore davantage. Gn évitait pour le moment
de nouvelles élections, et on donnait a l'ad-
ministratíon tout entiere, aux tribunaux et
au gouvernement, une plus grande homo-
généité.


Le directoire avait donc les moyens de se
- '


procurer des fonds, de recrnter l'armée , d'a-
chever l'organisation de l'administratíou et de
la justice. 11 avait la majorité dans les deux
conseils. Une opposition mesurée s'élevait, ii
est vl'ai, dans les cinq-cents et aux an~ieus;




T '24 1!.iVOLUTlON FRANc,.:USE.
quelques voix du nouveau tiers lui disputaieut
ses attributions, mais cette opposition était dé-
l'ente et calme. Il semblait qu'elle respectat sa
situation extraordinaire , et ses travaux coura-
geux. Sans doute elle respectai t aussi, dans ce
gouvernement élu par les convcntionllels et
appllyé par eux, la révolution toute puissante
encore, et profondément courroucée. Les cinq
(Jirecteurs s'étaient partagé la tache générale.
Barras avait le personllel, et Caruot le mouve-
ment des armé es ; Rewbell, les relations étran-
geres; Lelourneur et Larévelliere - Lépallx ,
l'administrationiutériellre. lis n'en délibéraient
pas moins en commun sur toutes les mesures
importantes. IIs avaient eu long-temps le mo-
bilier le plus misérable; mais ellfin ils avaient
tiré du Garde-Meuble les objets nécessaires a
l'oruement du Luxembourg, et ils commen-
~aient a représenter dignement la république
fran~aise. Leurs antichambres étaient remplies
de solliciteurs, entre lesqllels il n'étaitpas tou-
jours aisé de choisir. Le directoire, fidele a son
origine et asa natllre, choisissait toujollrs les
hommes les plus prononcés. Éclairé par la ré-
volte du 13 venuémiaire, il s'était pourvu
d'une force cOllsidérable et imposanle pour
garantir Paris et le siége du gouvernement d'uu
nouveau coup de main. Le jeune Bonaparte~




DLRF.CTOIRE (1795).
qui avaLt figuré au 13 vendémiaire, fut ehargé
du eommandement de eette armée, dite ar-
mée de l'intérieur. Il l'avait réorganisée en
entier, et placée au eamp de GreneHe. Il avait
réuni en un seul eorps, sons le 110m de légion
de poliee, une partie des patrio tes qni avaient
offert leurs serviees au 13 vendémiaire. Ces
patriotes appartenaient pour la plupart a I'an-
cienne geudarmerie dissoute apres le 9 ther-
midor, laquelle n'était remplie elle-mcme que
des anciens soldats aux gardes-franc,;aises. Bo-
naparte organisa ensuíte la garcte COIlstitution-
nelle du dil'ectoire et ceHe des c0w,eils. Cette
force imposante et bien dirigée était capable
de tenir tout le monde en respect, et de main-
tenir les partís dans I'ordre.


Ferme dans sa ligne, le direetoire se pro-
nonc;a eneore davantage par .une fonle de me-
sures de détail. Il persista a ne point notifier
son instaIJation aux députés eonventionnels qui
étaient en mission dans les départements. Il
enjoignit a tous les direeteurs de spectacle de
ne plus laisser chanter qu'un seul air, celui de
la Mal'seillaise. Le Ré"eil da peaple fut pros-
crit. 00 trol1va eette mesure puérile; iI est
certain qu'il y aurait en plus de dignité a in-
terdire toute espeee de ehants; mais on vou-
lalt réveilIer l'enthousiasme républicain, mal-




r 26 RÉVOLUTION FRANQA1SE.
heureusement un.pell attiédi. Le directoire fit
poursllivre quelques jOllrnallx royalistes qui
aváiént continué a écrire avec la meme vÍolence
qu'en vendémiaire. Quoique la liberté de la
presse fUt iIlimitée, la loi de la conventioll
contre les écrivains qui provoquaient au retour
de la royauté, fournissait un moyen de répres·
sion d;ms les cas extremes. Richer-Serizy fut
poursui vi; le proces fu t fait a l"emaitre et a
Brottier, dont les correspondanccs avcc Vé-
rone, Londres et la Vcndée, prouvaient Icur
qualité d'agents royalistes, et Ieur influence
dans les troubles de vendémÍaire. Lernaitre
fut condamné a mort cornme agent principal;
Brottier fut acquitté. n fut constaté que deux
secrétaires du comité de salut public leur
avaient livré des papiers importants. Les trois
députés, Saladin, Lhomond et Rovere, mis en
arrestation a cause du 13 vendémiaire, mais
apres que leur réélection avait été prononcée
par l'assemblée électorale de París, ftIrent J'éin-
tégl'és par les deux conseils , Sur le motif qu'ils
étaient déji:t députés quand on avait procédé
contre eux, et que les formes prescrites par
la constitution a l'égard des députés, n'avaient
pas été observées. Cormatin et les chouans
saisis avec lui comme infracteul's de la pacifi-
tation. furent aussi mis en jugement. Cor-




DIRECTOlRE (1795).
Inatin fut déporté eomme ayant continué se-
cretcment de travailler a la guerre civile; les
autres furent acquittés, au grand déplaisir des
patriotes qui se plaignirent amerement de l'in-
duIgence des tribunaux.


La conduite du (Íirectoire a l'égard du mi-
nistre de la cour de Florenee, prouva plus
fortement encore la rigueur républicaine de
ses sentiments. On était en fin convenu avec
l' Autriche de lui rendre la filie de Louis XVI,
seul reste de la famil1e qui avait été enfermée
au Temple, a condition que les députés livrés
par Dumouriez seraient remis aux avant-postes
fralll;ais. La princesse partit du Temple le 28
frimaire ('9 décembre). Le ministre de l'inté-
rieur alla la ehercher lui-meme, et la conduisit
avee les plus grands égards a son hotel, d'ou
elle partit, accompagnée des personnes dont
elle avait fait choix. On pourvut largement a
son voyage, et elle fut ainsi acheminée vers
la frontiere. Les royalistes ne rnanquerent pas
de faire des vers et des allusions sur I'infor-
tunée prisonniere, rendue enfin a la liberté.
Le eomte Carletti, ce ministre dé Florence
qui avait été envoyé a Paris, a cause de son
attaehement connu pour la Franee et la révo-
Iution, demanda au directoire l'autorisation de
voir la princesse, en sa qualité de ministr~




J 28 RÉVOLUl'ION ~'IlANGA1SF.
el'une COlll' alliée. Ce ministre était devenu
suspect, sans doute a tort , a canse de l'exa-
gération meme de son républicanisme. On ne
concevait pas que le ministre d'un prince ab-
solu, et surtout d'nn prince autrichien, put
etre allssi exagéré. Le directoire, pour toute
réponse, luí signi6a sur-le-champ l'ordre de
quitter París; mais déclara en meme temps que
eette mesure étaít toute personnelle a l'en-
voyé, et non a ]a cour de Flo1'ence, avec la-
quelle la répubIique fran<,;aise demeurait en
relation d'amitié.


II y avait un mois et demi tont an plus que
le directoire était institué, et déja il commeo-
c;ait a s'asseoir; les partís s'habituaient a l'idée
d'Ull gouvernement établi, et. songeant moios
a le renverser, s'arrangeaient pOUI' le com-
baure dan s les limítes tracées par la constitu-
tion. Les patriotes, ne renonc;ant pas a leur
idée favorite de club, s'étaient réunis au Pan-
théon; ils siégeaient déja au nombre de plus
dequatre mille, et formaient une assemblée
qui ressemblait fort a celle des anciens jaco-
bins. Fideles cependant a la leUre de la con s-
titution, ils avaient évité ce qu' elle défendait
clans les réuuions de citoyens, c'est-a-dire 1'01'-
ganisation en assemblée politiqueo Aínsi, ils
n'avaient pas un bureau; ils ne s'étaient pas




DIRECTOIRE (1795).
donné des hrevets; les assistants n'étaiellt pas
distillgués en speetateurs et soeiétaires; il n' exis-
tait ni eorrespondance ni affiliation avec
d'antres sociétés du meme genre. A part cela,
le club avait tOI1S les caracteres de l'ancienne
société-mere, et ses passions, plus vieilles, n'en
étaient que plus opiniatr·es.


Les sectionnaires s'étaient composé des 50-
eiétés plus analogues a leurs gouts et a leurs
mreurs. Aujourd'bui, eomme sous la con ven-
tion, ils eomptaient quelques royalistes secrets
dans leurs rallgs, mais en petit nombre; la
plupal't d'entre cux, par crainte ou par bon ton,
étaient ellnemis des terroristes et des eonven-
tionnels,qu'ils affectaient de confondre, el qu'ils
.étaicot fachés de retrouver presqlle tous dans
le notlveau gouveruement. Il s'était. formé des
sociétés ou on lisait les journaux, ou on s'en-
tretenait de sujets politiql1es avec la politesse
et le ton des salons, et ou la danse et la mu-
sique succédaient a la lecture et aux conver-
satioos. L'hive,' commen¡;ait, et ces messieurs
se livraient au plaisir, eomme a un aete d'op-
position eODtre le systeme révolutionnaire,
systeme que personne ne voulait renouveler,
car les Saiot-J lISt, les Robespierre, les Couthon
n'étaient plus la ponr nous ramener par la ter-
reur a des mreul'S impossibles.


VIII. 9




130 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


Les deux partís avaient ]eurs journaux. Les
patriotes avaient le l'ribun du Peuple, {'Ami
du Peuple, l'Éclaireur di/. Peuple, l'Orateur
plébéien. le Joumal des Hommés libres; ces
journaux étaient tout-a-fait jacobins. La Quo-
tidienne, I'Éclair, le P éridique, le Postillon, le
Messager, la Feuille du lour, passaient pour
des journaux royalistes. Les patriotes, dans ]eur
club et ]eurs journaux, quoique le gouverne-
meot fUt certes bien attaché a ]a révolution,
se montraient fort ¡rrités. C'était, ii est vrai,
moins contre lui que contre les événements,
qu'ils étaient en courroux. Les revers sur le
Rhin, les nouveaux mouvements de la Vendée,
l'affreuse crise fioaneiere, étaieot pour eux un
motif de revenir a leurs idées favorites. Si on
était battu, si les assignats perdaient, c'est
qu'on était indulgent, e'est qu'oo ne savait pas
recourir aux grands moyeos révolutionnaires.
Le nouvean systeme financier surtont, qui dé-
ceIait le désir d'abolir les assigllats, et qui
Iaissait entrevoir leur. proehaine suppression,
les avait beaucoup indisposés.


Il ne fallait pas a leurs adversaires d'autre
sujet de plaintes que eette ¡rritatíon meme. La
terreur, suivant ceux-ci, était prete a renaitre.
Ses partisans étaient incorrigibIes; le directoire
avait beall faiJ'e tOl1t ce qu'ils désiraient, iIs




DIRECTOIRl<: (1795).
n'étaient pas contents, ils s'agitaiellt de nou-
veau, ils avaient rouvert l'ancienne caverne des
jacobins, et ils y préparaient encore tous les
crimes.


TeIs étaient les travaux dn gouvernement,
la marche des esprits, et la situation des partis
en frimaire an IV (novembre et décembre 1795).


Les opérations militaires, continuées malgré
la sáison, commen¡;aient a "promettre de meil-
leurs résnltats, et a procnrer a la nouvelle ad-
ministration quelques dédommagements pour
ses pénibles efforts. Le zeIe avec lequel Jour-
dan s'était porté dans le Hunds-Ruck a travers
un pays épouvantable, et sans aucune des res-
sources matérielles qui auraient pu adoucir les
soufIrances de son armée, avait rétabli uu peu
nos affaires sur le Rhin. Les généraux autri-
chiens, dont les troupes étaient aussi fatiguées
que les notres, se voyant exposés a une suite
de combats opiniatres, au milieu de I'hiver,
proposaient un armistice, pendant Jequel les
arrnées impériale et franc,;aise conserveraient
leurs positioIlS actuelles. L'arrnistice fut ac-
cepté, a la condition de le dénoncer dix jours
avant la reprise des hostilités. La ligne qui sé-
parait les deux armées, suivant le Rhin, depuis
Dusseldorf jusqu'au-dessus du Neuwied, aban-
donnait le t1euve a ceHe bauteur. formait un


q.




132 RÉVOJ,UTION FRAN~AISE.
uemi-cerclé de Bingen a Manheim, en passant
par le pied des Vosges, rejoigoait le Rhin au-
dessus de Manheim, et oe le quittait plus jus-
qu'a Bale. Ainsi nous avions perdn tout ce
demi-cercle sur la rive gauche. C'était du reste
une perte qu'une simple manceuvre bien con-
<;ue pouvait réparer. Le plus g,'and mal était
d'avoir perdll pour le moment l'ascendant de
la victoire. Les armées, accablées de fatigues,
entrerent en cantonnements, et Oll se mit a
faire lous les préparatifs nécessaires pour les
mettre, an printemps prochain, en état d'ou-
vrir une campagne décisive.


Sur la frolltiere d'Italie, la saison n'jllterdi-
sait pas encore tout-a-fait les opérations de la
guerreo L'armée des Pyrénées orientales avait
été transportée sur les Alpes. Il avait fallu beau-
coup de temps pour faire le trajet de Perpi-
gnan a Nice, et le défaut de vivres et de sou-
!iers avait rendll la marche encore plus lente.
Enfin, vers le mois de novembre, Augereau
vint avec une superbe division, qui s'é'tait il-
lustrée déja. dans les plailles de la Catalogne.
Kellermann, comme OIl l'a vu, avait été obligé
ele replier son aile droite et de renoncer a. la
communicatioll immédiate avec Genes. Il avait
sa gauche sur les grandes Alpes, et son centre
an col de Tende. Sa droite était pl;¡cée derriere




nUlECTUlltE (1795). J :r\
la ligne dite de Borghetto, ['une des tr'oÍs que-
Bonaparte avait reconnues et tracées l'année
précédente, pour le cas d'une retraite. Dewins,
tont fier de son faible sncces, se reposait daus
la riviere de Genes, et faisait grand étalage de
ses projets, sans en exécuter aucun. Le brave
Kellermann attendait avec impatience les ren·
forts d'Espagne, pour reprendre }'offensive el
reconvrer sa communication avec Cenes. II
voulait terminer la campagne par une action
.éclataote, qui rendit la riviere aux Fran<;;ais,
Jcur OUVrlt les portes de I'Apennin et de l'Ita-
líe, et détachat le roi de Piémont de la coali-
tion. Notre ambassadeur en Suisse, Barthé-
lemy, oe cessait de répéter qu'uIle victoire veJ'"
les Alpes maritimes nous vaudrait sur-]e-champ
la paix avec le Piémont, et la concession défi-
nitive de la ligne des Alpes. Le gouvernement
fran<,;ais, d'accord avec KellermanIl sur la né-
cessité d'attaquer, ne le fut pas sur le plan a
suivre, et lui don na ponr successeUf Schérer,
que ses succes a la bataille de I'Ourthe et en
Catalogne, avaient déjit fait conllaltre avallta-
geusement. Schérer arriva dans le milieu de.
brumaire, et résolut de tenter une action dé-o
CISlve.


On sait que la chaine des Alpes, deveulle
l' Apennin, serre la Méditerranée de tres-pres ~




134 RÉ\10LUTION E·RAN~AISF:.
d'Albenga a Genes, et De laisse entre la mer et
la crete des mODtagnes que des pentes étroítes
et rapides, qui ont a peine trois lieues d'étcn-
due. Du coté opposé, au contraire, c'est-a-dil'e
vers les plaines du Po, les pentes s'abaissent
doucement, sur un espace de vingt lienes.
L'armée fran~aise, placée sur les pentes mari-
times, était campée entre les montagnes et la
mero L'armée piémontaise, sons Colli, établie
au camp retranehé de Ceva, sur le revers des
Alpes, gardait les portes du Piémont eontre la
gauche de l'armée fraJl~ajse. L'armée antri-
chienne, partie sur la crete de J'Apenllin, a
Roeca-Barbenne, partie sur le versant mal'itime
dans le bassin de Loano, communiquait aillsi
avec Colli par sa droite, occupait par son cen-
tre le sommet des mOlltagnes, et interceptait le
littoral par sa gauche , de maniere a couper nos
communications avec Genes. Une pellsée s'of-
fraít a la vue d'un pareil état de choses. 11 [al-
lait se porter en forces sur ]a droite et le centre
de l'armée autriehienne, la chasser du sommet
de I'Apennin, et lui enlever les cretes supé-
rieures. On ]a séparait ainsi de Colli, et, mar-
chant rapidement le long de ces ere tes , on
cnfermait sa gauche dan s le bassin de ,Loano,
entre les montagnes et ]a mero Masséna, J'un
des généraux divisionnaires, avait cntrcvu ce




DJlI.ECTOJRE (1795). 135
plan, et l'avait proposé 11 Kellermann. Schércr
l'entrevít aussi, et résolut de l'exécuter.


DewÍns, apres avoir faÍt quelques tentatÍves
pendant les moÍs d'aout et de septembre, sur
notre ligne de Borghetto, avait renoncé a toute
attaque pour cette année. Il était malade, et
s'était fait remplacer par Wallis. Les officÍers
ne songeaient qu'a se livrer aux plaisirs de l'hi-
ver, a Genes et dans les environs. Schérer, apres
avoir procuré a son armée quelques vivres et
vingt-quatre mille paires de souliers, dont elle
manquait absolllment, fixa son mouvement
pour le 2 frimaire( 23 novembre). Il allait avec
trente·six mille bommes en attaquer quarante-
cinq; mais le bon choix du point d'attaquc
compensait l'illégalité des forces. Il chargea
Augereau de pousser la gauche des ennemÍ5
dans le bassin de Loano; il ordonna a Masséna
de fondre sur leur centre a Rocca-Barbenne, et
de s'emparer du sommet de l'Apennin; enfin,
iI prescrivit a Serrurier de contenir Colli, qui
formait la droite sur le revers opposé. Auge-
reau, tont en poussant la gauche autrichienne
<fans le bassin de Loano, ne devait agir que
lentement; Masséna, au contraire, devait filer
rapidement le long des cretes, et tourner le
bassin de Loano, pour y enfermer la gauche
autrichienne; Serrurier devait tromper. Colli
par de fausses attaques.




136 .nÉVOLl1TION FRAN<;AISE.
Le 2 frimaire au matin (23 novembre 1795),


le canon fran<:ais réveilla les Autrichiens, qui
s'attendaient peu a une bataille. Les officicrs
accoururent de Loano et de Finale se mettre
a la tete de leurs troupes étonnées. Augereau
attaqua avec vigueur, mais sans précipitation.
ILfutarreté par le brave Roceavina. Ce général,
placé sur un mamelon, au milieu du bassin de
Loano ,le défendit avec opiniatreté, et se laissa
entourer par la division Augereau, refusant
toujours de se rendre. Quand il fut envelop-
pé, il se précipita tete baissée sur la ligne qui
l'enfermait, et rejoignit l'armée autrichiennc,
en passant sur le eorps d'une brigade fran-
.,;aise.


Schérer, contenant l'ardeur d' Augereau ,
l'obligea a tirailler devant Loano, pour ne pas
pousser les Alltrichiens trop vite sur lem ligne
de retraite. Pendant ce temps, Masséna, chargé
de la partie brillante du plan, frallchit avec la
vigueur et l'audace qui le sigllalaient dans toutes
les occasions, les ere tes de l' A pennin, surprit
d'Argenteau qui commandait la droite des Au-
trichiens, le jeta dans un désordre extreme, le
ehassa de toutes ses positions, et vint camper
le soir sur les hauteurs de Melogno, qui for-
maient le pourtour du bassin de Loano, et en
fermaient les derrieres. Serrurier, par des at-




DIRECTOIRE (1795).
taques fermes et bien calculées, avait ten u en
échec Colli et toute la droite ennemie.


Le 2 au soi¡', 011 campa, par un temps af-
freux, sur les positions qu'on avait occupées.
Le 3 au matin ,Schérer continua son opération;
Serrurier renforcé se mit a battre Colli plus
sérieusement, afin de l'isoler tout-a-fait de ses
alliés; Masséna continua a uccuper toutes les
cretes et les issues de l' Apennin; Augereau,
cessant de se conteliir, poussa vigourellsement
les Autrichiens donl 011 avait illtercepté les
derrieres. Des cet installt, ils commencerent
leur retraite par un temps épouvantable et a
travers des routes affreuses. Leur droite et
leur centre fuyaient en désordre sur ]e 'revers
de l'Apennin; leur gauche, enfermée entre les
montagnes et la mer, se retirait péniblement
le long du littoral, par la route de ]a Corni-
che. Un orage de vent et de neige empecha de
rendre la poursuite aussi active qu'elle aurait
pu 1'etre; cependant cinq mille pl'isonniers,
plusieurs mille morls, qtlarante pieces de ca-
non, et des magasins irnmenses, furent le
fruit de cette balai Ile, qui fut une des plus
désastreuses ponr les coalisés, depnis le com-
mencernent de la guerrc, et l'une des mienx .
conduites par les :Franc;ais, au jugement des
militaires.




13~ RÉVOLUTION FUANt;;AISE.
Le Piémont fut dans l'épouvante a eette


nouvelle; l'ltalie se erut envahie, et ne fut
rassurée que par la saison, trop avaneée alors
pour que les Franc;ais donnassent suite a leurs
opératiolls. Des magasins considérables servi-
rent a adoucir les privatiolls et les souffrances
de l'armée. Il fallait une victoire aussi impor-
tante pour relever les esprits et affermir un
gouvernement naissant. Elle fut publiée et ac-
cueillie avec une grande joie par tous les vrais
patriotes.


Au meme instant, les événements prenaient
une tournure non moins favorable dan s les
provinces de l'Ouest. Hoche, ayant porté I'ar-
mée qui gardait les deux Vendées a quarante-
quatre mille hommes, ayant placé des postes
retranchés sur la Sevre Nantaise, de maniere
a isoler Stofflet de Charette, ayant dispersé
le premier rassemblement formé par ce der-
nier chef, et gardant au moyen d'UIl camp
a SouIlans toute la cOte du Marais, était en
mesure de s'opposer a un débarquement. L'es-
cadre anglaise, qni monillait a I'Ile-Dieu, était
au contraire dans une position fort triste. L'ile
sur laquelle l'expédition avait si maladroite-
ment pris terre , ne présentait qn'une surface
sans abrí, san s ressollrce , et moindre de t1'Oi5
quarts de liene. Les !>ords (le I'lle I\'offraicnt




DIRECTOIRE (1795).
aUCUll mouillage sur. Les vaisseaux y étaient
exposés a toutes les fureurs des vents, sur un
fond de roes qui eoupait les cables, et les met-
tait chaque nuit dan s le plus grand péril. La
cot~ vis-a-vis, sur laquelle on se proposait de
débarquer, ne présentait qu'une vaste plage,
sans profondeur, ou les vagues brisaient sans
cesse, et ou les canots, pris en travers par
les lames, ne pOllvaient aborder sans conrir
le danger d'échouer. Chaque jour augmentait
les péríls de I'escadre anglaise et les moyens
de Hoehe. 11 y avait déja plus d'un mois el
demi que le prince fran<{ais était a l'Ile-Dieu.
Tous les envoyés des chouans et des Velldéens
l'entouraient, et, melés a son état-major, pré-
sentaíent a la fois leurs idées, et tachaient de
les faire prévaloir. Tous voulaient posséder le
prince, mais tous étaient d'accord qu'il fallait
débarquer au plus tot, n'importe le· point qui
obtienorait la préférence.


Il faut convenir que, grace a ce séjour d'lln
mois et demí a l'Ile-Dieu, en face des cotes,
le débarquement était devenu difficile. Un dé-
barquement, pas plus que le passage d'un
fleuve, ne doitetre précédé de longues hési-
tations, qui mettent l' ennemi en éveil, et lui
font connaltre le point menacé. Il aurait faUn
que le parti d'aborder a la cote une fois pris,




U40 IlÉVOLUTION f'JlAJ'H.:AISE.


et tous les chefs prévenus,la desccnte s'opérat
a l'improviste, sur un point qui permit de res-
ter en communication avec les escadres anglai-
ses, et sur lequelles Vendéens et les chouans
pussent porter des forces considérables. Cer-
tainement, si on était deseendu a la cote sans
la menacer si loug-temps, quarante mille roya-
listes de la Bretagne et de la Vendée auraien t
pu etre réunis avant que Hoche eut le temps
de remuer ses régiments. Quand on se souvient
de ce qlli se passa a Quiberon, de la facilité
avec laquelle s'opéra le débarquement, et du
temps qu'iI fallut pour réunir les tl'oupes ré-
publicaines, on comprend combien la nouvelle
deseen te eutété facile si elle n'avait pas été pré-
cédée d'une longue croisiere devant les cotes.
Tandís que, dans la précédente expédition, le
nom de Puísaye paralysa tousles chefs,celui du
prince les aurait, dans ceHe-ci, ralliés tons, et
allrait soulevé vingt départements. II est vrai q ue
lesdébarqués auraient eu ensuite de rndescom-
bats a livrer; qll'il leur aurait faUn conrir les
chances que Stofflet, Charette,couraientdepuis
pres de trois ans, se disper'ser pellt-etre devaut
l'ennemi, fuir comme des partisans, se cacher
dans les bois, reparaitre, se cachel' encore,
s'exposer enfin a etre prjs et fusillés. Les tro-
nes sont a ce peix. JI u'y avait rien d'indíguc




DlRECTOIRE (r 795).
a chouanner dans les bois de la Bretagne ou
dans les marais et les bruyeres de la Yendée.
Un prince, sorti de ces retraites pour remOll-
ter sur le trone de ses peres, n'eut pas été
moins glorieux que Gustave Wasa, sorti des
mines de la Dalécarlie. Du reste, iI est probable
que la présence du prince eut réveillé assez
de úle clans les pays royalistes, pour qu'une
armée nombrellse, toujours présente a ses
cotés, lui permit de ten ter la grande guerreo
Il est probable aussi que personne autour de
lui n'aurait en assez de génie pour battre le
jeune plébéien qui commalldait l'armée répu-
blicaine; mais d u moins on se serait fait vain-
ere. JI y a souvent bien des consolations dans
une défaite; Fran({ois I er en trouvait de gran-
des dans celle de Pavie.


Si donc. le débarquement était possible a
l'instant ou l'escadre arriva, il ne l'était plus
apres avoir passé un moís et demi a l'I1e-Dieu.
Les marins anglais déclaraient que la mer n'é-
tait Lientot plus tenable, et qll'il fallait pren-
dre un parti; toute la cote du pays de Charette
était couverte de troupes; il n'y avait quelque
possibilité de débarquement qu'au-dela de la
Loire, vers l'emhollchure de la Vilaine, ou
dans le pays de Scepeaux, 011 bien encore en
Bretagne, chez Puisaye. Mais les émigrés et le




j 42 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
prince ne voulaient descendre que chez Cha-
rette, et n'avaient confiance qu'en lui. 01', la
chose était impossible sur la cote de Charette.
Le prince, suivant l'assertion de M. de Vauban,
demanda au ministere anglais de le rappeler.
Le ministere s'y refusait d'abord, ne voulant
pas que les frais . de son expédition fussent
inutiles. Cependant illaissa au prince la liberté
de prendre le parti qu'il voudrait.


Des cet instant, tous les préparatifs du dé-
part furent faits. On rédigea de longues et in-
ntiles instructions pour les chefs royalistes. On
leur disaít que des ordres supérieurs empe-
chaient pour le moment l'exécutíOIl d'lIne des-
cente; qu'il fallait que MM. Charette, Stofflet,
Sapinaud, Scepeaux, s'enteudissent pour ré-
unir une force de vingt-cinq ou trente mille
hommes au-delit de la Lojre, laquelle, réunie
aux Bretons, pourrait former un corps d'élíte
de quarante ou cinquantc mille hommes, suf-
fisant pour protéger le débarquement du
prince; que le point de débarquement serait
désigné des que ces mesures préliminaires au-
raient été prises , el que toutes les ressources
de la monarchie anglaise seraient employées a
seconder les efforts des pays royalistes. A ces
instructions on jOigllit quelques mille livres
sterling ponr chaque chef, qllelqnes fusils et




D1RECTOIRE (J 795).
un peu de poudre. Ces objets furent MJlarqués
la uuit a la cote de Bretague. Les approvision-
nements que les Anglaís avaient amassés sur
leurs escadres ayant été avariés, furent jetés a
la mero Il fallut y jeter aussi les 500 chevaux
appartenant a la cavalerie et a l'artillerie an-
glaise. lis étaienl presque tons malades d'une
longue navigation.


L' ese adre anglaise mit a la voile le 15 no-
vembre ( 2.6 brumail'e ), et laíssa, en partant,
les royalistes dans la consternation. On leur dit
que c'étaiellt les Anglais qui avaient obligé le
prince a repartir; ils furent illdignés, et se
livrerent de nouveau a toute leur haine contre
la perfidie de l'Angleterre. Le plus irrité fut
Charette, el il aovait quelque raison de l' etre,
cal' il était le plus compromiso Charette avait
repris les armes dans l'espoír d'une grande ex-
pédition, dans l'espoir de moyens immenses
qui rétablissent l'inégalité des forces entre lui
et les républieaills; eette attente trompée, il
devait ne plus entrevoir qu'une destruetion in-
faillihle et tres- prochaine. La menace d'une
descente avait attil'é sur luí toules les forces.
des républicainsj et, cette Joís, il devait renon-
cer a tout espoir d'une transactíon; íI ne lui
restait plus qu'a etre impitoyahlement fu sill é ,
san s pouvoir meme se plaindre d'nn ennemi




144 RÉVOLUTION FltA N<;:A ISF..
qui lui avait déja si généreusernent pardonné.


Il résolut de vendre cherernent sa vÍe, et
d'employer ses derniers rnoments a lutter avec
désespoir. I1 livra plusieurs combats pom pas-
ser sur les derrieres de Hoche , percer la" ligne
dé la Sevre Nantaise, se jeter dans le pays de
Stofflet, et forcer ce collegue a reprendre les
armes. Il ne put y réussir, et fut ramené dans
le Marais par les coIonnes de Hoche. Sapinaud,
qu'il avait engagé a reprendre les armes, sur-
prit la ville de Montaigu, et voulut percer jus-
qll'a Ch:hillon; mais il fut arreté devant cette
ville, bauu et obligé de disperser son corps.
La ligne de la Sevre ne put pas etre emportée.
Stofflet, derriere cette ligne fortifiée, fut obligé
de demeurer en re pos ,et dll "este iI n'était pas
tenté de reprendre les armes. Il voyait avec un
secret plaisir la destruction d'un rival qu'on
avait chargé de titres, et qui avait voulu le
livrer aux républicains. Scepeaux, entre la Loire
et la Vilaine, n' osait encore remuer. La Bre-
tagne était désorganisée par la discorde. La
divisioll duMorbihall, commandée par George
Cadoudal, s'était révoltée contre Puisaye, a
I'instigation des émigrés qui entouraient le
prince fran<;ais, et qui avaient conservé contre
lui les memesressentiments. Ils auraient vonlu
lni enlever le commandement de la Bret;¡gne.




DIRECTOlRE (1795). I/I~
Cependant iI n'y avait que la division du Mor-
bihan qui méconnút l'autoríté du généralissime.


Cest dans cet état de chosesque Hoche com-
mcnl,ia le grand ol~vrage de la pacification. Ce
jeune génél'al, militaire et politique habile, vit
bien que ce n'était plus par les armes qu'il
faltait chercher a vaincre un ehnemi insaisi5-
sable, et qu' on ne pou vait atteindre nulle part..
n avait déjil lancé plusieurs colonnes mobiles
a la suite de Charette; mais des soldats pesam-
ment armés, obligés de porter tout avec eux,
et qui ne connaissaient pas le pays, ne pou-
vaient égaler la rapídité des paysans qui ne
portaient ríen que leur fusil; qui étaient assurés
de trouver des vivres partont, et qui con-
naissaient les moindres ravins et la derniere
bruyere. En conséquence, il ordonna sur-le'"
champ de cesser les poursuites, et il forma un
plan qui, suivi avec constance et fermeté, de-
vait ramener la paix dans ces contrées désolées.


l/habitant de la Vendée était paysan et sol-
dat tout a la fois. Au milieu des horreurs de
la güerre civil e , il u'avait pas cessé de cultiver
ses champs et de soiguer ses bestiaux. Son fu-
sil était a ses catés, caché sous la terre ou sous
la paille. Au premier signal de ses chefs, il ac-
courait, attaquait les républicains, puis dispa-
raissait a travers les hois, rctollrnait a ses


VIII. JO




r 46 nÉVOLfTTION l'IlANyA ISE.
ehamps, cachait de nouveau son fusil; et les
républicains De trouvaient qu'un paysan saos
armes, dan s lequel iIs ne pouvaient nullement
reconnaitre un soldat ennemi. De eette maniere,
les Vendéens se battaient, senourrissaient, et
restaient presque insaisissables. Tandis qu'ils
avaient toujours les moyens de nuire et de se
recruter, les armées républicaines, qu'une ad-
ministration ruiné e ne pouvait plus nourrir,
manquaient de tout, et se tronvaient dans le
plus horrible dénúment.


On ne ponvait faire sentir la guerre aux Ven-
déens que par des dévastations; moyen qu'on
avait essayé pendant la terreur, mais qui n'a-
vait excité que des haines furieuses sans faire
cesser la guerre civile.


Hoche, sans détruire le pays, imagina un
moyen ingénieux de le réduire, en lui enlevant
ses armes, et en prenant une partie de ses sub-
sistances pour l'usage de l'armée républicaíne.
D'abord il persista daos I'établissement de
quelques camps retranchés, dont les uns, si-
tués sur la Sevre , séparaient Charette de Stof-
fIet, tandis que les autres couvraienfN antes, la
cOte et les Sables. Il forma ensuite une ligne
circulaire qui s'appuyait a la Sevre et a Ja
Loire, et qui tend~it a envelopper progressi-
vement tont le pays. Cette ligne était compo-




DlRECTOIUE (J 795).
sée de postes assez forts, liés entre eux par des
patrouilles, de maniere qu'il ne restait pas un
intervalle libre, a travers lequel put passer un en.
nemi un peunombreux. Ces postes étaient char-
gés d'oeeuper ehaque bourg et chaque village,
et de désarmer les habitants. Pour y parvenir,
ils devaiellt s' emparer des bestiaux, qui ordí-
nairement paissaient en cornmUll , et des grains
entassés dans les granges ; ils devaient aussi ar-
reter les habitants les plus notables, et ne res-
tituer les bestiaux, les grains, ni élargir les
habitants pris en otage, que lorsque les pay-
sans auraient volontairement dé posé leurs ar-
mes. Or, comme les Vendéens tenaient a leurs
bestiaux et a leurs grains beaucoup plus qu'aux
Bourbons et a Charette, iI était eertain qu'íls
rendraient leurs armes. Pour ne pas etre induít
en erreur par les paysans, qui pouvaient bien
donner quelques mauvais fusils et garder les
autres, les offieiers chargés du désarmement
devaient se faire livrer les registres d'enróle-
ment tenus dans chaque paroisse, et exiger au·
tant de fusil s que d'enrólés. A défaut de ces
registres, il lenr était recornmandé de faire le
caleul de la population, et d'exiger un nombre
de fusils égal an quart de la population maleo
Apres avoir re~u les armes, on devait rendre fi-
delement les bestiaux et les grains, sauf une


ro.




148 UÉVOUJTIOI\ FRAN~AJSlé.
partie prélevée a titre d'impót, el déposée dalls
des magasins formés sur les derrieres de cette
ligne. Hoche avait ordonné de traiter les habi-
tants avec une extreme douceur , de mettre une
scrupuleuse exactitllde a leur remire et lellrs
bestiaux elleurs grains, et surtout leUl's otages.
n avait particulierement recommandé aux of-
ficiers de s'entretenir avec ellX, de les bien
traiter, de les envoyer meme quelquefois a son
quartier .. général, de leur faire quelques pré-
sents en grains ou en différents objets. Il avait
prescrit aussi les plus grands égards pour les
curés. Les Vendéens, disaient·ils, n'ont qU'UIl
sentiment véritable, c'est I'attachement pour
Jeurs pretres. Ces derniers ne veulent que pro-
tection et repos; qu'on leur assure ces deux
choses, qn'oIl y ajoute meme quelques bien-
fait5, et les affections du pays nous seront
rendues.


Cette ligne, qu'il appelait de désarmement,
devait envelopper la Basse-Vcndée circulaire-
ment, s'avancer pell a pen, et flnir par l'em-
brassertoufentiere. En s'avanc;¡ant, elle 1aissait
clcrriere elle le pays clésarmé, ramcué, récon-
eilié meme avec la répllblique, De plus, elle le
protégeait contre un retour des chefs insurgés,
qui, ordinairemcnt, punissaient par des dévas-
tations la sOllmission ~l la répnhliquf' et la l'e~




D!m:CTOIRE (1795)-
mise des armes. Deux eolonnes mobiles la pré-
cédaient pour combattre ces chefs, et les saisir
s'il était possible; et bientOt, en les resserrant
toujonrs davantage, elle devait les enfermer et
les prendre inévitablement. La plus grande sur-
veillance était reeommandée a tons les eom-
mandants de poste, pour se lier toujours par
des patrouilles, el empckher que les bandes
armées ne pussent percer la ligne, et revenir
porter la guerre sur ses derrieres. Quelque
grande que fUt la surveillance, iI pouvait arri-
ver cependant que Charette et quelques - UllS
des sicns trompasseut la vigilance des postes
et franchissellt la ligne de désarmement; mais,
dans ce cas meme, qui était possible, ils ne
ponvaíent passer qu'avec quelqucs individus,
et ils allaient se retrouver dans des campagnes
désarmées, rendues au repos et a la sécurité,
calmées par de hons traitements, et intimidées
d'ailleurs par ce vaste réseau de troupes qui
emLrassait le papo Le cas d'une révolte sur
les derrieres était pr{>vu. Hoche avait .ordonné
qu'lIne des colonnes mobiles se reporterait aus-
sitOt dans la commune insurgée, et que, pOlIl'
la punir de n'avoir pas rcndu tOlltes ses armes
et d'en avoir encare fait usage, OIl lui enleve-
r'lit S(~S bestiaux et ses grains, et qu'nn saisi-
rait les principallx de ses habitants, L'effet de




J 50 RÉVOLUTION FRAN«,;:,uSE.
ces chatiments était assuré; et dispensés avec
justice, ils devaient inspirer, non 'pas la haine"
mais une salutaire crainte.


J..,e projet de Hoche fut aussitot mis a exéeu-
tion dans les mois de brumaire et frimaire (no-
vembre-décembre). La ligne de désarmement,
passant par Saint-GiHes, Légé, Montaigu, Chan-
tonnay, formait un demi-cercle dont l'extré-
mité droite s'appuyait a, la mer, l'extrémité
gauche a la rivÍl~re du Lay, et devait progres-
sivement enfermer Charette dans des marais
impraticables. C'était surtout par la sagesse de
l'exécution qu'un plan de cette nature pouvait
réussir. Hoche dirigeait ses offieiers par des
instructions pleines de sen s et de clarté, et se
multipliait pour suffire a tous les détails. Ce
n'était plus seulement une guerre, c'était une
grande opération politique, qui exi geait autant
de prudence que de vigueur. Bientot les habi-
tants cornmencerent a rendre Jenrs armes, et
a se réeoncilier avec les troupes répubJicaines.
Hoehe puisait dans les magasins de l'armée
pouraccorderquelques secours anx indigents;
il voyait lui-meme les habitants retenus comme
otages, les faisait garder quelques jours, et les
renvoyait satisfaits. Aux UIlS iI donnait des co-
cardes, a d'autres des bonnets de poliee, quel-
quefois meme des grains a eeux qui en man-




llJRECTOlR}; (1795).
quaient pour ensemencer leurs champs. 11 était
en correspondance a vec les curés, qui avaient
une grande confiance en lui, et qui l'avertis-
saicnt de lous les secrets du pays. Il commeu-
~ail ainsi a s'acquérir une grande influence 010-
rafe, véritable puissance avec laquelle il fallait
termiller une guerre pareille. Pendant ce temps,
les magasins formés sur les derrieres de la ligne
de désarmement, se remplissaient de grains;
de grands troupeaux de bestiaux se formaient,
et l'armée commenc,;ait a vivre dans l'abon-
dance, par le moyen si simple de l'impot et des
amendes en natllre.


Charette s'était caché dans les bois avec cent
ou cent cinqllante hommes aussi désespél'és
que lui. Sapinalld, qui a son instigation avait
repris les armes, demandait a les déposer une
seconde fois, a la simple condition d'obtenir la
vie sallve. Stofflet, epfermé dans l'Anjou avec
son ministre Bernier, y recueillait tons Jes offi-
ciers qui abandonnaient Charette el Sapinaud,
et tachait de s'enrichir de lcurs dépouilles. Il
avait a son quartier du Lavoir une espece de
cour composée d'émigrés el d'officiers. Il en-
rolait des hommes el levait des contributions,
son s prétexte d'organiser les gardes territo-
riales. Hoche l'observait avec une grande atten-
tioll, le resserrait tOlljours davantage par des




152 lIÉVOLUTlON FHAN«Alsr.


camps retranchés, et le menac;ait d'un désar-
mement prochain, au premier sujet de mé-
contentement. Une expédition que Hoche 01'-
donna dans le Loroux, pays qui avait une sorte
d'existence inrlépendante, sans obéir nia la
république ni a aucun chef, frappa Stofflet
d'épouvante. Hoche fit faire cette expédition
pOlir se proCUrer les vins, les blés dont le I,o-
~o~x abondait, et dontIa viII e de Nantes étaiteu-
tierement dépourvue. Stofflet s'effraya, et de-
manda une entrevue a Hoche. Il voulait pro-
tester de sa fidélité au traité, intercéder pour
Sapinaud et pour les chouans, se faire en quel-
que sorte l'intermédiaire d'une nouvelle paci-
ficatíon, et s'assurer par ce moyen ulle con ti-
nuation d'influence. II voulait aussi deviner les
~ntentions de Hoche a son égard. Hoche lui
exprima les griefs de la république; iI lui si-
gnifia que, s'iI donnait asile a tous les brigands,
que s'il ~ontinuait a lever de i'argent et des
hommes, que s'il voulait elre autre chose que
le chef temporaire de la police de I'Anjou, et
jouer le role de prince, il allait l'enlever sur-
le ~ champ, et désarmer ensuite sa province.
Stofflet promit la plus grande soumission, et
se retira fort effrayé sur son avenir. .


Hoche avait, dans le moment, des difficultés
bien plus grandes a surmonter. n avait attiré a




DIRECTOIRE (1795). 153
son armée une partie des deux armé es de Brest
et de Cherbourg. Le danger imminent d'un
débarquement lui avait valu ces reuforts, qui
avaient porté a quarante-quatre mille hommes
les troupes réunies daus la Vendée. Les géné-
raux commandant les armées de Brest et de
Cherbourg réclamaient maintenant les troupes
qu'ils avaient pretées, et le directoire parais-
sait approuver leurs réclamations. Hoche écri-
vait que l'opération qu'il venait de commencer
étaít des plus importantes; que si on lui enle-
vait les troupes qu'il avait disposées en réseau
autour du Marais, la soumission du pays de
Charette el la destruction de ce chef, qui étaient
fort prochaines, allaient etre ajournées indéfi-
niment; qu'il valait bien mieux finir ce qui était
si avancé, avant de passer ailleurs; qu'il s' em-
presserait ensuite de rendre les troupes qu'íl
avait empl'untées, et fournirait meme les siennes
:m général commandant en Bretague, pour y
appliquer les procédés dont on sentait déja
l'heureux effet dans la Vendée. Le gouverne-
ment, qui était frappé des raisons de Hoche,
et qui avajt une grande confiance en lui, l'ap-
pela a Paris, avec l'intention d'approuver ton s
ses plans, et de luí donner le commandement
des trois arrnées de la Vendée, de Brest et de
Cherbourg. Il y fut appelé a la fin de frimaire




154 RÉVOLUTJON 1!'RAN9AISE.
pour venir concerter avec le directoire les opé-
rationsqui devaient mettre fin a la plus calami-
teuse de toutes les guerres.


Ainsi s'acheva la campagne de 1795. La prise
de Luxembourg, le passage du Rhín, les vic-
toÍl'es aux Pyrénées, suivies de la paix avec
l'Espagne, la destruction de l'armée émigrée a
Quiberon, en signalerent le commencement et
lemilieu. La fin fut moins heureuse. Le retour
des armées sur' le Rhín, la perte des lignes de
Mayence et d'une partie de territoire au pied
des Vosges, vinrent obscurcir un moment l'é-
dat de nos triomphes. Mais la victoire de J __ oano,
en nous onvrant les portes de I'Italie, rétablit
la supériorité de nos armes; et les travaux de
Hoche dans l'Onest commencerent la vér:itable
pacification de la Vendée, si souvent et si val-
nement annoncée.


La coalition , réduite a l'Angleterre et a I'Au-
triche, a quelques princes d'Allemagne et d'Ita-
lie, était au terme de ses efforts, et aurait de-
mandé la paix sans les dernieres victoires sur
le Rhin. On fit a Clerfayt une réputation im-
rncnse, et on sembla cI'oire que la prochaine
campagne s'ouvrirait au sein de nos provinces
du Rhin.


Pitt, qui avait besoin de subsides, convogua
\1,11 second parlement en automne pour exiger




IHRECTOIRE (1 795).
de nouveaux sacrifices. Le peuple de Londres
invoquait toujours la paix ave e la meme obs-
tination. La société dite de correspondance
s'était assemblée en plein air, et avait voté les
adresses les plus hardies et les plus mena<;antes
contre le systeme de la gnerre, et pour la ré-
forme parlementaire. Quand le roi se rendít
¡lU parlement, sa voiture fut assaillie de coups
de pierres, les glaces en furent brisées, on
crut meme qu'un coup de fusil a vent avait
été tiré. Pitt, traversant Londres a cheval, fut
reconnu par le peuple, poursuivi jusqu'a son
hOtel, et couvert de bOlle. Fox, Shéridan, pllls
éloquents qu'ils n'avaient jamais été, avaient
des comptes rigoureux a demander. La Hol-
lande conquise, les Pays- Bas incorporés a la
république fran<;aise, leur conqueLe rendue
définitive en quelque sorte par la prise de
Luxembourg, des sommes énormes dépensées
dans la Vendée, et de malhenreux Fran<;ais
exposés inutilement a etre fusillés, étaient de
graves sujets d'accusation contre l'habileté
et la politique dn ministere. L'expédition de
Quiberon surtout excita une indignation gé-
nérale. Pitt voulllt s'excnser en disant que le
sang anglais n'avait pas coulé : -«Ouí, repartít
Shéridan avec une énergie qn'il est difficile de
~radllíre, oui, le saug anglais n'a pas coulé,




] 56 RÉVOLlJTION FRAN9AlSE.
mais l'honneur anglais a coulé par tous les po ..
res. » - Pitt, aussi ímpassible qu'a l'ordinaire,
appela tous les événements de l'année des mal-
heurs, auxquels on doit etre préparé quand
on court la chance des armes; mais il fit va-
loir beaucoup les dernieres victoires de l'Au-
triche sur le Rhin; il exagéra beaucoup leur
importance, et les facilités qu'elles venaient de
procurer pour traiter avec la France. Comme
d'usage, il soutint que notre république tou-
chait au terme de sa puissance, qu'une ban-
qlleroute inévitable aHait la j eter dans une
confusion et une impuissance completes, qu'on
avait gagné, en soutenant la gllerre pendant
une année de plus, de réduire l'ennemí com-
mun a l'extrémité. Il promit solennellement
que, si le nouveau gouvernemcnt fran~ais pa-
raissait s'établir et prendre une forme régll-
liere, on saisirait la premie re ouverture ponr
négocier. Il demanda ensuite un IlOUVel cm-
prnnt de 3 millions sterling, et des loís répres-
sives contre la presse et contre les 50ciétés
politiques, auxquelles il attribuait les outrages
faits au roí et a lui-meme. L'oppositíon luí ré-
pondit que les prétendues victoires sur le Rhin
élaient de quelques jours; que des défaites en
Italie venaient de détruirc l'effet des avantages
obtenus en Allemagne; que eette république,




D1RECTOIRE l J 795). J 57
toujours r{~duite aux abois, renaissait plus
{OI'te a l' ouverture de chaque campagne; que
les asslgnats étaient depuis long-temps perdus,
qu'ils avalent achevé leur service, que les res-
sources de la France étaient ailleurs, et que si
du reste elle s'épuisait, la Grande - Bretagne
s'épuisait bien plus vite qu'elle ; que la dette,
tous les jours accrue, était accablante, et me·
na<,;ait d'écraser bientot les trois royaumes.
Quant aux lois sur la presse et sur les sociétés
politiques, Fox, dans un transport d'indigna-
tíon, déclara que, si elles étaient adoptées , il
ne restait plus d'autre ressource an peuple an-
glais que la résistance, et qu'il regardait la ré-
sistance, non plus eomme une question de
droit, mais de prudence. Cette proclamation
du droit d'insurrection excita un grand t~­
multe, qui se termina par l'adoption des de'"
mandes de Pitt;" il obtint le nouvel emÍmmt,
les mesures répressives, et promit d'ouvrir au
plus tot une négociation. La session du parle-
ment fut prorogée au 2 février 1796 ( 13 plu-
viose an IV).


Piu ne songeaít point du tout a la paix. n
ne voulait faire que des démonstrations, pom'
satisfaire l'opinion, et hater le succes de son
emprunt. La possession des Pays-Bas par la
France lui rendait toute idée de paix insup-




158 nÉVOLUTrON FRAN9AISE.
portable. Il se promit, en effet, de saisir un
moment pour ouvrir une négociation simulée,
et offrir des conditions inadmissibles.


L' Autriche, pour satísfaire l'Empire, qui ré-
clamait la,paix, avait faít faire des ouvertures
par le Danemark. Cette puissance avait de-
mandé, de la part de l'Autriche, au gouverne-
ment fran~ais, la formation d'un congres eu-
ropéen; a quoi le gouvernement fran~ais avait
répondu avec raison, qu'un COIlgres rendrait
toute négociation impossible, parce qu'il fau-
drait concilier trop d'intérets; que si l'Autri-
che voulait la paix, elle n'avait qu'a en faire
la proposition directe; que la France voulait
traiter individuellement avec tous ses ennemis,
et s'entendre avec eux sans intermédiaire. Cette
réponse était juste; car un con gres compliquait
la paix avec l'Autriche de la p.aix avec l'Angle-
terre et l'Empire, et la rendait impossible. Du
reste, l'Autriche ne désirait pas d'autre ré-
ponse; car elle ne voulait pas négocier. Elle
avait trop perdu, et ses derniers succes lui fai-
saient trop espérer, pour qu'elle consentit a
déposer les armes. Elle tacha de rendre le cou-
rage au roi de Piémont, épouvanté de la vic-
toire de Loáno, et lui promit, ponr la campa-
gné suivante, une armée nombreuse et un
autre général. Les honneurs du triomphe fu-




DIRECTOIRE (J 795).
rent décernés a Clerfayt a son entrée a Vienlle;
sa voiture fut tralnée par le peuple, et les fa-
veurs de la cour vinrent se joindre aux dé-
monstrations de l'enthousiasme populaire.


Ainsi s'acheva, pour toute rEurope, la qua-
trieme campagne de cette guerre mémorahle~


_ 000 _______ ~--.-






IHRECTOIRE (J 796).


CHAPITRE 111.


Continuation des travaux. administratifs du directoirc. -
Les partis se prononcent dans le sein dll corps-Iégisla-
tif.- Institution d'nne fete al1niversaire du 2.J jan vier.
- Retollr dc I'ex·ministl'e de la guerrc Beurnonville et
des représenlants Quinctte, Camus, Bancal, Lamarque
et Drouet, livrés a l'ennemi par Dumouricz. - Mé-
contentement des jacobins. Journal de Babreuf. -
Instilution du mil1istere de la police. - Nouvelles
mreurs. - Embarras lll1anciers; création des mal1dnts.
- Conspiration de Babreuf. - Sítuation militaire.
Plans du directoire. - Pacification de la Vendé e ; mort
de Stofflet et de Charette.


LE gouvernement républicain était rassuré et
affermi par les événements quí venaient de
terminer la campagne. La convention, en ré-
unissantla Belgique a ]a Franee, et en la como
prenantdans le territoire constitutionnel, avait
imposé a ses successeurs l'obligation de ne
pactiser avec l'ennemi qu'a la condition de la
ligne du Rhin. I1 fallait de nouveaux efforts,
iI fallait une nouvelle campagne, plus décisive


VIII. 11




,6'>. RÉVOUlTlON FII ANC;:AISIl.
que les précédentes, pour contraindre la lnai-
son d'Autriche et l'Angleterre a consentir a
notre agrandissement. Pour parvenir a ce but,
le directoire travaillait avec énergie a complé-
ter les armé es , a rétablir les finan ces , et a ré-
primer les factions.


Il mettait le plus grand soin a l'exécution
des lois relatives aux jel1nes réquisitionnaires,
et les obligeait a rejoindre les armées, avec la
derniere rigllcllr. n avait fait annuler tous les
genres d'exceptions, et avait formé dans cha-
que canton des eommissions de médeeins, pOOl'
juger les eas d'infirmité. Une fonle de jeunes
gens s'étaient fourrés dans les administrations,
ou ils pillaient la république, et montraient le
plus mallvais esprit. Les ordres les plus séve-
res furent donnés pour ne souffrir dans les bll-
reaux que des hommes qui n'appartinssent
pas a la réquisition. Les finances attiraient sur-
tout I'attention du directoire : j[ faisait perce-
voir l'emprunt forcé de 600 millions avec une
extreme aetivité. Mais il fallait attendre les
rentrées de cet emprunt, l'aliénatioq. du pro-
duit des forets nationales, la vente des biens
de trois cents arpents , la pereeption des contri-
nutionsarriérées: et en attendant, il fallait poul'·
tant snffire aux dépenses, qui malheureusement
~e présentaient toutes a la fois, paree que




llIRECTOIRE (1796). 163
l'installation du gouvernement nouveau était
J'époque a laquelle on avait ajourné toutes les
liquidations, et paree que 1'hiver était le mo-
ment destiné aux préparatifs de campagne.
Pour devancer l' époque de toutes ces rentrées,
le direetoire avait été obligé d'user de la res-
source qu'on avait tenn a lui laisser, eelle des
assignats. Mais il en avait déja érnis en un mois
pres de 12 ou J 5 milliards, pour se pl'ocurer
quelques millions en numéraire ; et il était déja
arrivé au point de ne pouvoir les faire accepter
nulle parto Il imagina d'émettre un papier cou-
rant et a proehaine échéance, qui représentat
les rentrées de l'année, eomme on fait en An-
gleterre avee les bons de l'éehiquier, et eomme
nous faisons aujourd'hui avec les bons royaux.
11 émit en conséquence, son s le titre de res-
criptions, des bons au porteur, payables a la
trésorerie, avec le numéraire qui allait rentrer
incessamment, soit par l'emprunt forcé, qui,
dans la Belgique, était exigible en nnméraire,
soit par les douanes, soit par suite des pre-
miers traités conelus avec les compagnies qui
se chargeraient de l'exploitation des forets. n
émit d'abord pour 30 millions de ces reserip-
tions, et les porta bientót a 60, en se servant
du seeours des banquiers.


Les eompagnies financieres n'étaient plu!S
11.




164 RÉVOLUTION FR/\NC::A ISlC.
prohibées. Il songéa él les employer pour la
créationd'une ballque qui manquait an crédit,
surtout dans un moment ou ron se figurait
que le lluméraire était sorti tout entier de
France. Il forma une compagnie, et pro posa
de lui abandonner une certaine qualltité de
biens nationaux qui servirait de capital a une
banque. Cette banque devait émeUre des bil-
lets, qui auraient des terres pour gage, et qui
seraient payables a vue, comme tous les billets
de banque. Elle devait en preter a l'état pour
une somme proportionnée a la quantité des
biens donnés en gage. C'était, comme 011 le
~oit, une autre maniere de tirer sur la valenr
des biens nationaux; au lien d'elllployer le
moyen des assignats, on employait celui des
billets de banque.


Le succes était peu probable; mais dans sa
situation malheureuse, le gouvernement usait
de tont, et avait raison de le faire. Son opéra-
tion la plus méritoire fut de supprimer les ra-
tions, el de rendre les subsistances au com-
merce libre. On a vu quels efforts il en coutait
au gouvernement, ponr se charger lui-meme
de faire arriver les grains á Paris, et quelle dé-
pense il en résultait ponr le trésor, qui payait
les graills en ~aleur réelle, et qui les donnait
au peuple de la capitule ponr des valeurs no-




HJRECTOlRE (1796).
minales. JI rentrait a peine la deux eentieme
pal'tie de la dépense, et ainsi, a tres-peu de
chase pres, la république nourrissait la popu-
latian de París.


Le nouveau ministre de l'intérieur, Bene-
zech, qui avait senti l'inconvénient de ce sys-
teme, et qui eroyait que les circonstances per-
mettaient d'y renoneer, eonseilla au diieetoire.
d'en avoir le courage. Le ,eommerce eommen-
~ait a se rétablir; les grains reparaissaient dans
la eirculation; le peuple se faisait payer ses sa-
laires en numéraire, et il pouvait des-lors at-
teindre au prix du pain, qui, en numéraire,
était modique. En conséquence, le ministre
Benezech proposa au directoire de supprimer
les distributions de rations, qui ne se payaient
qu'en assignats, de ne les conserver qu'aux
indigents, ou aux rentiers et aux fonctionnai-
res publics dont le revenu annuel ne s' élevait
pas au-dessus de mille écus. Excepté ces trois
dasses, toutes les autres devaient se pourvoir
chez les boulangers par la voie du eommerce
libre.


eette mesure était hardie, et exigeait un vé-
ritable courage. Le directoire la mit sur -le-
champ a exécution, sans craindre les fllreurs
qu'elle pouvait exciter chez le peuple, et les
moyens de tl'üuble qu'cJ[e pouvait fonrnir aux




1 t?6 RÉVOLUTJO~ -"'ltANr,:A.JSF..
deux factions conjurées contre le repos de la
république.


Outre ces mesures, iI en imagina d'autres
qui ne devaient pas moins blesser les intérets,
mais qui étaient aussi nécessaires. Ce qui man-
quait surtout aux armées, ce qui Ieur manque
toujours apres de longues guerres, ce sont les
chevaux. Le directoire demanda aux deux con-
seils l'autorisatíon de lever tous les chevaux de
luxe, et de prendre, en le payant, le trentieme
cheval de labour et de roulage. Le récépissé
du cheval devait etre pris en paiement des
impots. Cette mesure, quoique dure, était in-
dispensable, et fut adoptée.


Les deux conseils secolldaient le directoire,
et montraient le meme esprit, sauf l'opposi-
tion toujours mesurée de la millorité. Quelques
discussions s'y étaient élevées sur la vérifica-
tion des pouvoirs, sur la loi du 3 brumaire,
sur les successiOllS des émigrés, sur les pre-
tres, sur les événements du Midi, et les partis
avaient commencé a se prononcer.


La vérification des pouvoirs ayant été ren-
voyée a une commissioll qui avait de nom-
breux renseignements a prendre, relativement
aux membres dont l'éligibilité pouvait etre
contestée, son rapport ne put etre faÍt que
fort tard, et apres plus de denx mois de légis-




DlRECTOIRE (J 796).
lature. 1l danna lieu a beaucoup de contesta-
lioos sur l'application de la loi du 3 brumaire.
eette loi, comme on sait, amnistiait tous les
délíts commis pendant la révolution, excepté
les délits relatifs au 13 vendémiaire; elle ex-
duait des fonctions publiques les parents d' é-
migrés. et les individus qui, dans les assem-
blées électorales, s'étaient mis en réhellion
contre les décrets des 5 et 13 fructidor. Elle
avait été le dernier acte d'énergie du partí
eonventionnel, et elle blessait singulierement
les esprits niodérés, et les contre-révolution-
naires qui se cachaient derriere eux. Il {allait
I'appliquer él plusieurs députés, et notamment
a un nommé Job Aymé, député de la Drome,
qui avait soulevé l'assemblée électorale de son
département, et qu'on accusait d'appartenir
aux: eompagnies de Jésus. Un membre des einq·
cents osa demander l'abrogation de la loi
meme. Cette proposition fit sortir tous les par-
tís de la réserve qu'ils avaient observée jusque-
la. Une dispute semblable a eeHes qui divÍ-
serent si souvent la convention, s'éleva daos
les cinq - cents. 1..ouvet, toujours fidele a la
cause révolutíonnaire, s'élanc;a a la tribune
pour défendre la loi. Tallien, qui jouait un
role si grand depuis le 9 thermidor, et que le
défaut de eonsídération persormcIle avait em-




168 RÉVOLUTION .FRAN~AJSj<:.
peché u'arriver au directoire, Tallien se mon-
tra ici le constant défenseur de la révolution,
et pronon~a un discours qui 6t une grande
sensation. On avait rappelé les circonstances
dans lesquelles la Ioi de brumaire fut rendue;
on avait paro insinuer qu'elle était un abus
de la victóire de vendémiaire a l'égard des vain-
cus; on avait beaucoup parlé des jacobins et
de Ieur nouvelle audace. « Qu'on cesse de nous
«. effrayer, s'écria Tallien, en parlant de ter-
(, reur, en rappelant des époques toutes dif-
« férentes de celles d'aujourd'hui, en Ilons fai-
« sant craindre Ieur retour. Certes, les temps
« sont bien changés : aux époques dont OH
« affecte de nous entretenir, les royalistes ne
« )evaient pas une tete audacíeuse; les pretres
(e fanatiques, les émigrés rentrés n' étaient pas
« protégés; les chefs de chouans n'étaient point
« acquittés. Pourquoi done' comparer des cir-
« constances qui n'ont rien de commun? Il est
« trop évident q ll' on veut faire le proces au
« 1 3 vendémiaire, aux mesures qui ont suivi
« cette journée mémorable, aux hommes qui,
« dan s ces grands périls, ont sauvé la répuLli-
« que. Eh Lien! que nos ennemis montent a
« cette tl'ibune ; les amis de la république HOUS
e( y défenuront. Ceux merne qui, dans ces dé-
« sastreuses circonstances, out pOllssé elevant




IJIR);CTOIRE (1796). T69
« les eanons une multitude égarée, voudraieut
« nous rcprocher les efforts qu'il nous a fallu
« faire pour la repousser; ils voudraient faire
« révoquer les mesures que le danger le plus
« pressant vous a forcés de prendre; mais non,
« ils ne réussiront pas ! La loí du 3 brumaíre,
« la plus importante de ces mesures, sera main-
« tenue par vous, car elle est nécessaire a la
« constitutíon, et certainement vous voulez
« maíntellir la constitutíon. » - Oui, ouí, llOUS
le voulons, s'écrierent une foule de voix.-Tal-
lien proposa ensuÍte l'exclusion de Job Aymé.
Plusieurs membres du nouveau tiers voulu-
rent combattre eette exclusion. La discussion
devint des plus vives; la loí du 3 brumaire fut
de nouveau sanctionnée; Job Aymé fut exclu,
et on continua de rechercher ceux des mem-
bres du nouveau tiers auxquels les memes
dispositions étaient applicables.


n fut ensuite question des émigrés, et de
leurs droits a des successiolls non encore ou-
vertes. Une loi de la convention, pour empe-
cher que les émigrés ne re<{ussent des secours,
saisissait leurs patrimoines, et déc1arait les
successions auxquelles ils avaient droit, ou-
vertes par avance, et acquises a la république.
En cOllséquenee le séqucstre avait été mis S\l1'
les biens des parellts dl's l'wigrés. Une réso-




170 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
lution fut proposée aux cinq-cents pour auto-
riser le partage, et le prélevement de la part
acquise aux émigrés, afin de lever le séques-
treo Dne oppositio~ assez vive s'éleva dalls le
nouveall tiers. On voulut combattre eette me-
sure, qui était toute révolutionnaire, par des
raisons tiré es du droit ordinaire; on pré-
tendít qu'il y avait violation de propriété.
Cependant eelte résolution fut adoptée. Aux
anciens, il n'en fut pas de meme. Ce eonseil,
par l'age de ses membres, par son role d'exa-
minateur supreme, avait plus de mesure que
celui des einq-cents. 11 en partageait moins les
passions opposées; il était moins révolution-
naire que la majorité, et beaucoup plus que
la minorité. Comme tout corps intermédiaire,
il avait un esprit moyen, et il rejeta la mesure,
paree qu'elle entrainait l'exécution d'une loi
qu'il regardait comme injuste. Les conseils dé-
créterent ensuite que le directoire serait juge
supreme des demandes en radiatian de la liste
des émigrés. Ils renouvelerent tautes les loís
contre les pr~tres qui n'avaient pas preté le
serment, ou qui l'avaient rétracté, et contre
ceux que les admínistratiolls des départements
avaient condamnés a la déportation. Ils décré-
terent que ces pretres seraient traités comme
'~migrés rentrés s"ils reparaissaicnt sur le lnri-




toire. lIs consentirent seulement a mettre en
récIusion ceux qui étaient infirmes et qui ne
pouvaient s'expatrier.


Un sujet agita heaueoup les conseils, et y
provoqua une explosiono Fréron eontinuait sa
mission dans le Midi, et y eomposait les admi-
nistrations etles trihunaux, de révolutionnaires
ardents. Les memhres des eompagnies de Jé-
sus, les eontre-révolutionnaires de toute espece
qui avaient assassiné depuis le 9 thermidor, se
voyaient a leur tour exposés a de nouvelles re-
présailles, et jetaient les hauts eris. Le député
Sjméon avait déja élevé des réclamations me-
surées. Le député Jourdan d'Aubagne, homme
ardent, l'ex-girondin Isnard, éleverent, aux
cim¡-eents, des réclamations violentes, et rem-
plirent plusieurs séanees de leurs déclamations.
Les deux partís en vinrent aux mains. Jourdan
et Talot se prirent de querelle dans la séanee
meme, et se permirent presque des voies de
fait. Leurs coIlegues intervinrent et les sépa-
rerent. On nomma une commission pour faire
un rapport sur l'état du Midi.


Ces différentes scimes porterent les partís
a se prononeer davantage. La majorité était
grande dans les conseils, et toute acquise au
direetoire. La minorité, quoique annulée, de-
venait chaque jOllr plus hardie, et montrait HU-




172. RÉVOLUTION FItAN9AISE.
vertement son esprit de réaction. C'était la
continuation du: meme esprit qui s'était mani-
festé depuis le 9 thermidor, el qui d'abord
avait attaftrJé justement les e~ces de la terreur,
mais. qui, de jour en j~r plus séveré et plus
passionné, finissait par faire le proces a la ré-
volution tout entiere. Quelques membres des
deux tiers conveptionnels votaient ave e la mi-
llorité, et quelques membres du nouveau tiers
avec la majorité.


Les conventiollnels saisirentl'occasion qu'al-
lait leur fournir l'anniversaíre du 2. 1 janvier,
pour mettre leurs coIlegues suspects de roya-
lisme, ,a une pénible épreuve., lIs proposerent
une fete, pour célébrer, tous les 2.1 de janvier,
la mort du dernier roi, et ils firent décider
que, ce jour , chaque membre des deux conseils
et du directoire preterait serment de haine
él la royauté'. eette formalité du serment, si
souvent_employée par les partís, n'a jamais pu
etre regardée COrnme une garantie; elle n'a ja-
mais été qu'une vexation des vainqueurs, qui
ont voulu se donner le plaisir de forcer les
vaincus an parjure. Le projet fut adopté par
les deux conseils. Les conventionnels atten-
daient avec impatiellce la séance du 1 er plu-
viose an IV ( 2. r janvier), pour voir défiler a la
tribune leurs collegnes dUllollveall 1iers, eha,




DI RECTOIRE (1796).
que conseil siégea ee jour-la avee un grand ap-
pareil. Une fete était préparée dans Paris; le
directoire et toutes les autorités devaient y as-
sister. Quand il fallllt prononeer le serment,
quelqlles-1ll1s des nouveaux élus parurent em-
barrassés. L' ex-constitnant Dupont de N emours,
qui était membre des anciens, qui conservait
dans un age avall~é u"l1e grande vivaci~é d'hu-
menr, et montrait l'oppositiop. la plus hardie
au gouvernement actuel, Dupont de Nemours
laissa voir quelque dépit, et, en prononc;ant les
mots ,je jure haine ti la rOfauté, ajouta eeux-
ei, et a toute espixe de tyrannie. C'était une
maniere de se venger, et de jurer haine au di-
reetoire sous lles mots détournés. Une grande
rurtleur s'éleva, et on obligea Dupont de Ne-
mours a s'en ten ir a la formule officielle. Aux
cinq-eents, un nommé André voulut recourir
aux memes expressions que Dupont de Ne-
mours; mais on le rappela de meme a la formule.
Le président dudireetoire prononc;a un diseours
énergique, et le gouvernement entier fit ainsi
la profession de foi la plus révolutionnaire.


A eette époque arriverent les députés qui
avaientété échangés eontre la filie de Louis XVI.
C'étaient Quinette, Bancal, Camus, Lamarque,
Drouet et l'ex-ministre de la gllerre Belll'IlOn-
ville. lis firent le rapporl de lem eaptivité;




17!¡ RÉVOLUTION FJtAN~:AISE.
ún l'écouta avec une vive indignation, on leu!'
donna de justes marques d'intéret, et ¡ls pri-
rent, au milieu de la satisfaction générale, la
place que la convention leur avait assurée dans
les conseils. n avait été décrété, en effet, qu'ils
seraient de droit membres,du corps législatif.


Ainsi marchaient legouvernementet les par-
tís, pendant l'hiver de l'an nr (1795 a 1796)-


La France, qui souhaitait un gouvernement
et le rétablissement des lois, commen~ait a goti-
ter le nouvel état de choses, el l'aurait meme
approuvé tout·a-fait, sans les efforts qu'on exi-
geait d'elle, pour le salut de la république.
L'exécution rigoureuse des lois sur la réqui-
sition, l'emprunt forcé, la levée du trentieme
cheval, l' état misérable des rentiers payés' en
assignats, étaient de graves sujets de plaintes;
sans tous ces motifs, elle aurait trouvé le nou-
veau gouvernement excellent. Il n'y a que l' é-
lite d'une nation qui soít sensible a la gloire,
a la liberté, aux idées nobles et généreuses, et
quiconsente a leur fairedes sacrifices. IJa masse
veut du repos, et demande a faire le moins de
sacrifices possible. Il est des moments ou cette
masse entü~re se réveille, mue de passions
grandes et profondes : on le vit, en 1789,
quand il avait fallu conquérir la liberté, et,
I:'n 1793, quand il avait falln la (léfenore. Mais,




OIRECTOIRE (1796). 175
~puisée par ees efforts, la grande majorité de
la Fra~lee n'en voulait plus faire. n f::lllait un
gouvernement habile et vigoure~x pour obte-
!lir d'elle les ressources nécessaires au salut de
la république. Heureusement la jeunesse, tou-
jours prete a une vie aventuriere, présentaít
de grandes l'essourees poul' l'eeruter les armées.
Elle montl'ait d'abord beaucoup de répugnance
á quitter ses foyers; maís elle cédait apres quel-
que .résístance. Transportée dans les eamps,
elle prenait un gout déeidé pour la guerre, et
y faisait des prodiges de valeul'. Les contdbua-
bIes, dont on exigeait des sacl'ifices d'argent,
aaient bien plus difficiles a soumettre et a
concilier au gouvernement.


Les ennemis de la révolution prenaient texte
des sacrifices nouveaux imposés a la France,
et déclamaient dan s leurs journaux eontre la
réquisition, l'emprunt forcé, la levée fol'cée
des ehevaux, l' état des finan ces , le malheur des
rentiers, et la sével'e exéeution des lois a l' é-
gard des émigrés et des pretl'es. Ils affeetaient
de considérer le gouvernement eomme étant
encore un gouvernement révolutionnaire, et
en ayant l'arbitraire et la violence. Suivant eux,
on ne pouvait pas se fier encore a luí, et se
livrer avec séeurité a l'avenir. Ils s'élevaient
surtout contre le projet d'¡lOf' nouvelle cam-




.76 luíVOLUTION FRAN<,:AISE.
pagne; ils prétendaient qu'on sacrifiait le re-
pos, la fortnne, la vie des citoyens, a la folie
des conque tes , et semblaient fachés que la ré-
volution eUt l'honneur de donner la Belgique
a la France. Du reste, il n'était point étonnant,
disaient-ils, que le gouvernement eut un pa-
.reil esprit et de tels projets, puisque le direc-
toire etles conseils étaient remplis des membres
d'une assemblée qui s'était souillée de tous les
~m~. ~


Les patriotes, qui, en fait de reproches et de
récriminations, n'étaient jamais en demeure,
trouvaient au contraire le gouvernement trop
faible, et se montraient déja tout prets a I'ac-
euser de condescendance pour les contre-révo-
lutionnaires. Suivant eux, on laissait rentrer
les émigrés et les pretres; on acquittait chaque
jonr les conspirateurs de vendémiaire; les
jeunes gens de la réquisition n'étaient pas assez
séverement ramenés allX armées; l' emprun t
forcé était per<;n avec mollesse. lIs désapprou-
vaient surtout le systeme financier qu'on sem-'
blait disposé a adopter. Déja on a vu que l'idée
de sllpprimer les assignats les avait irrités, et
qu'ils avaient demandé sur - le - champ les
moyens révolutionnaires qui, en 1793, rame-
nerent le papier au pairo Le projet de recomí.'
aux compagnies financieres pt d'établir une




DIRF:CTOlRE ('796). 177
banque réveilla tous leurs préjugés. Le gOll-
vernement allait, disaient-ils, se remettre dans
les mains des agioteurs; il allait, en établissant
une banque, ruiner les assignat5, et détruire
le papier-mollnaie de la république, pour y
substituer un papier privé de la eréation des
agioteurs. La suppressioll des rations les indi-
gna. Rendre les subsistances au eommeree li-
bre, ne plus nourrir la ville de París, était une
attaque a la révolution : c'était vouloir affamer
le peuple et le pousser au désespoir. Sur ce
point, les journaux du royalisme scmbIerellt
d'accord avec eeux du jacobinisme, et le mI-
nistre Benezeeh. fut accablé d'invectives par
lous les partís.


Une mesure mit le combIe a la colere des
patriotes contre le nouveau gouvernement. La
loi du 3 brumaire, en amnistiant tous les faits
relatifs a la révolution , exceptait cependant les
crÍmes particuliers, comme vols et assassinats ,
lesquels étaient tOlljours passibles de l'applica-
tiou des loís. Aiusi les poursllites eommeneées
pendant les derniers temps de la convention
eontre les autcnrs des massacres de septembre ,
furent continuées eomme poursnites ordinaires
contre l'assassinat. On jugeait en meme temps
les conspirateurs de vendémiaire, et ils étaient
presque tous acquittés. L'instruction contI'e les


VIII. 12




178 nÉvoLUl'ION FllANYAJSt;.
auteurs de septembre était au contraire extre-
mement rigoureuse. Les patrio tes furent révol-
tés. Le nommé Babreuf, jacobin forcené, déja
enfermé en prairial, et qui se trouvait libre
maintenantpar l'effet'dela loi d'amnistíe, avait
commencé un journal, a l'imitation de Marat ,
sous le titre duTribun duPeuple. OIl comprend
ce que pouvait etre l'imitation d'un modele
pareil. Plus violent que celui de Marat, le
journal de Babreuf n'était pas cynique, mais
plat. Ce que des circonstances extraordinaires
avaient provoqué, était réduit ici en systeme,
et soutenu avec une sottise et une frénésie
encore inconnues. Quand des idées qui ont
préoccupé les esprits touchent a lenr fin, elles
restent dans quelques tetes, et s'y changent en
rnanie et en imbécillité. Babreuf était le chef
d'une secte de malades qui soutenaient que le
massacre de septembre avait été incomplet,
qu'il faudrait le renouveler en le rendant gé-
néral, ponr qu'il füt définitif. lis prechaient
publiquement la loi agraire, ce que les héber-
tistes eux-memes n'avaient pas osé, et se ser-
vaientd'un nouveau mot, le bonheurcommun,
pour exprimer le but de leor systeme. L'ex-
pression senle caractérisait en enx le dernier
terme de l'ahsollltisme démagogique. On frémit
en lisant les pages de Babreuf. Les t'sprits de




( ,(~ " DIREC'fOIHE l1790 )' 179
houne foi en eurent pitié; les ahrmistes fei-
gllirent de croire a l'approche d'une nonvelle
terreur, et il est vrai de di re que les séances
de la société du Panthéon fourníssaient un
prétexte spécieux a lenrs cmintes. C'est dans
le vaste local de Sainte-Genevieve que les ja-
cobins avaient recommencé lenr club, comme
nous avons dit. Plus nombreux que jamais, ils
étaient pres t.l~ quatre mille, voeíférant a ]a
fois, bien avant dans la uuít. lnsensiblement
ils avaient outrepassé la constitutioll, et s'é-
taient donné tOllt ce qu'elle défendait, c'est-
a-dire un bureau, un président et des brevets;
en un mot, ils avaient repris le caractere d'une
assemblée poli tique. La ,ils déclaml\Íent contre
lesémígrés et les pretres, les agioteurs, les sang-
sues du peuple, les projets de banque, la sup-
pression des ratioilS, l'abolition des assignats,
et les procédures instruites contre les patriotes.


Le directoiré, qui de j Qur en j our se sentait
mieux établi, et redoutait moins la contre-ré~
volution" commen.,;ait a rechercher I'appl'o-
bation des espl'its modérés et raisonnables. II
crut devoir sévir contre ce déchalnement de
la faction jacobinc. U en avait les moyensdam.
la constltution et dans les lois existantes; 11
résolllt de les employer. D'abord, ii 6t st\isir
plusieurs numéro~ dll journal de Babamf,


I 2. •




180 RÉVOLUTlON J;nAN~AISJ!.
coinme provaquant au I'enversement de la
constitution; ensuíte il 6t fermer la société du
Panthéon, et plusieurs autres formées par la
jeunesse dorée, dans lesquelles on dansait et
ou on lisait les journaux ~ ces dernieres étaient
situées au Palais - Royal et au boulevart des
Italiens, sous le titre de Société des É checs ,
Salon des Princes, Salon des Arts. Elles
étaient peu redoutables, et ne furent compri-
ses dans .la mesure que pour montrer de l'im-
partialité. L'arreté fut publié et exécuté le 8
ventase (27 février 1 796). Une résolution de-
mandée aux cinq-cents ajouta une condition
a toutes ce Hes que la con5títution imposait
déja aux sociétés populaires: elles ne purent
etre composées de plus de soixante membres.


Le ministre Bellezech, accusé par les deux
partís, voulut demander sa démission. Le di-
rectoire refusa de l'accepter, et lui écrivit une
IcUre pour le féliciter de ses services. 1.a lettre
fut publiée. Le nouveau systeme des subsis-
tances fut maintenu; les indigents, les relltíers
et les fOllctionnaires publics qui ll'avaiellt pas
mille écus de revellU, obtinrent seuls des ra-
tions. On songea aussi aux malheureux ren-
tiers qui étaient toujours payés en papier. Les
deux conseils décréterent qu'ils recevraient
dix capítaux pomo un en assignats; allgmen-




[)IlIJ,CTOlHE ('7~li). I H I
tatÍon bien insuffisante, car les assignats n'a-
vaient plus que la deux-centieme partie de
Ieur vaIeur.


Le rnrectoire ajouta aux mesures qu'il venait
de prendre, ceBe de rappeler en6n les députés
eonventionnels en mission. Illes remplac;;a par
des commissaires du gouvernement. Ces com-
missaires, aupres des armées ou des adminis-
trations, représentaient le direetoire, et sur-
veillaient l'exéeution des lois. lis n'avaient plus
eomme autrefois des ponvoirs illimités aupres
des armées; mais, dans un eas pressant, ou le
pOllvoir du général était insuffisant, eomme
une réquisition de vivres ou de troupes, ils
pOllvaient prendre une déeision d~urgenee,
qui était provisoirement exéeutée, et soumise
ensl~ite a l'approbation du directoire. Des
plaintes s'étant élevées eontre beaucoup de
fonctionnaires choisis par le directoire dans le
premier moment de son installation, il enjoi-
gnít a ses cornmissaires civils de les surveiller,
de recueillirles pI aintes q ui s' él everaien t con tre
eux, et de lui désigner eeux dont le rempla-
cernent serait convenable.


Pour surveiller les factions, quí, obligées
maintenant de se eacher, allaient agir dans
l'ombre, le direetoire imagina la eréation d'un
ministere spécial de la políce.




rfh nr¡"OLUTION l'HAN~A[SF:.
La police est u~ objet important daus les


temps de troubles. Les trois assemblées pré-
cédentes lui avaient consacré un comité nom-
breux; le directoire ne erut pas devoir la
laisser parmi les attributions accessoires du
ministere de l'íntérieur, et proposa aux deux
cOllseils d'ériger un ministere spécial. l..'oppo-
sition prétendit que c'était une institution in-
quisitoriale, ce qui était vrai , et ce qui mal-
hellreusement était inhérent a un temps de
factions, et surtout de factions obstinées et
obligées de comploter secretement. Le projet
fut approuvé. On appela le député Cochon
aux fonctioIls de ce nouvean ministere. I .. e di-
rectoire aurait voulu encore des lois sur la li-
berté de la presse. La cOllstitution la déclarait
illimítée , sanf les dispositions qui pourraient
devenir nécessaires pour en réprimer les écarts.
Les deux conseils, apres une discussion so-
lennelle, rejeterent tout projet de loi répres-
sive. Les roles furent encore intervertis dans
cette discussion. I .. es partisans de la révolu-
tion, qui devalent etre partisans de la liberté
illimitée, demandaient des moyens de répres-
sion; et l'opposition, dont la pensée secretlt
inc1inait piutot a la monarchie qu'a la répu-
blique, vota pour la liberté illimitée; tant les
parlis sont gOllvernés par leur intéret! Du




OlRECTOlRE (1796). 1~3
reste, la décision était sage. La presse peut
etre iIlimitée sans danger: illl'y a que la vé-
rité de redoutable; le faux est impuissant;
plus il s'exagere, plus il s'use. Il n'y a pas de
gouvernement qui ait péri par- le mensonge.
Qu'importe qu'un Baboouf célébrat la loi agraire,
qu'une Quotidienne rabaissat la grandeur de
la révolution, calomniat ses héros et cherchat
a releverdes princes bannis! Le gouvernement
n'avait qu'a laisser déclamer: huit jours d'exa-
gération et de mensonge usent toutes les plu-
mes des pamphlétaires et des libellistes. Mais
il faut bien du temps et de la philosophie a un
gouvernement ponr qll'il admette ces vérités.
II n'était peut-etre pas temps pour la conven-
tion de les entendre. Le directoire, qui était
plus tranquille et plus assis, aurait dit com-
mencer a les comprendre et a les pratiquer.


Les dernieres mesures du directoire, telles
que la cloture de la société dll Panthéon, le
refus d'accepter la démission du ministre Be-
nezech, le rappel des conventionnels en mis-
sion, le changement de certains fonctionnaires,
prodllisirent le meilleur effet; elles rassurerent
ceux qui craignaient véritablement la tcrreur, '.
condamuerent au silellce ceux qui affectaient
de la' craindre, et satisfirent les esprits sages
qui voulaient que le gouvernement se pla(1flt




t 84 n~:VOLUTJON FllAN~AJSJ\.
au-dessus de tous les partís. La suite, l'activité
des travaux du directoire, lle contI'ibuerent
pas moins que tOllt le reste él luí concilier l'es-
time. On cornrnenc;;ait él espérer du repos el a
supposer de 18. durée au régirne actuel. Les
cinq directeurs s'étaient entourés d'un certain
appareil. Barras, homme de plaisir, faisait les
honneurs du Luxembourg. C'est lui, en quel-
que sorte, qui représentait poer ses collegues.
La sociétéavait a peu pres le rnerne aspect que
l'année précédente; elle présentait un rnélange
singulier de conditions, une grande liberté de
rnCeurs, un goiít efft'éné pour les plaisirs, un
luxe extraordinail'e. Les salons du directeur
étaient pleins de généraux dont l'éducation et
la fortune s'étaient faites en deux ans, de four-
uisseurs et de gens d'affaires qui s'étaient en-
richis parles spéculations et les rapines, d'exi-
lés quí rentl'aient et cherchaient él se rattacher
au gouvernement, d'homrnes él grands talents,
qui , cornmelll;;ant a croire a la république, dé-
siraient y prendre place, d'intrigants enfin qui
couraient apres la faveur. Des femmes de toute
origiue venaient déployer leurs charmes dans
.ces salo115, et user dp. leur influence, daos un
moment on tout était a demander et a obtenir.
Si quelquefois les manieres manquaient de
cette décence et de eette dignité dont on fait




IllltECTOlHE (1796).
tant de eas en Franee, et qui sont le fruit
d'une société polie, t.l'anquille et exclusive, i L
Y l'égnait une extreme liberté d' esprit., et eette
grande abondance d'idées positives que sugge-
rent la vue et la pratique des grandes choses.
Les hommes qui composaient eette société
étaient affranehis de toute espeee de routine;
ils ne répétaient pas d'insignifiantes traditions;
ce qu'ils savaient ils l'avaient appris par leur
propre expérience. IIs avaient vu les plus
grands événements de l'histoire, ils y avaient
pris, ils yprenaient part encore; et il est aisé de
se figurer ce qu'un tel spectacle devait réveiller
d'idées chez des esprits jeunes, ambitieux et
pleins d'espérance. La, bl'illait au premier rang
le jeune Hoche, qui, de simple soldat aux gardes-
fran<,;aises, était devenu en une campaglle gé-
néral en chef, et s'était donné en deux allS l'é-
ducation la plus soignée. Beau, plein de poli-
tesse, renommé eomme un des premiers
capitaines de son temps, et agé a peine de vingt-
sept ans, il était l'espoir des républicains, et
l'idole de ces femmes éprises de la beauté, du
talent et de la gloire. A cOté de lui on remar-
quait déja le jeune Bonaparte, qui n'avait
point encore de renommée, mais dont les
services a Toulon et au 13 vendémiaire étaient
connus, dont le caractere et la persoIllle éton-




I H(; l\ÉVOI.UTION FRAN(,:AISF:.
lIaient par leur singularité, et dont l'esprit était
frappant d'originalité et de vigueur. Dans eette
soeiété, ou madame Tallien étalait sa beauté,
madame Beauharnais sa grace, madame de
Staeldéployait tout l'éclat desonesprit, ~grandi
par les eirconstances el la liberté.


Ces jeunes bommes appelés a dominer dans
l' état, ehoisissaient leurs épouses, quelquefois
parmi des femmes d'ancienne eOllditioll, qui
se trouvaient bonorées de Ieur choix, quel-
quefois dans les familles des enriehis du temps,
qui voulaient ennoblir la fortune par la réputa-
tion. Bonaparte venait d'époHser la veuve de
l'infortuné gélléral Beauharnais. Chaeun son-
geait a faire sa destinée, et la prévoyait grande.
Une foule de carrieres étaient ouvertes. La
guerre sur le eontinent, la guerre sur la mer,
la tribune, les magistratures, une grande ré-
publique en un mot a défendre et a gouverner,
e' étaient la de grands buts, dignes d'enflammer
les esprits! Le gouvernement avait fait récem-
ment une acquisition précieuse, celle d'un
écrivain ingénieux et profond, qui consacrait
son jeune talent a concilier les esprits a la nou-
velle république. M. Benjamín-ColIstant venait
de publier une broehure intitulée De la Force
du gouvernement, qui avait produit une grande
sellsation. Il y démontrait la néeessité de se




DI grCTOIJ\Jl ([ 796).
rattacher a un gouvernement qui était le seul
espoir de la Franee et de tous les partís.


C'était toujonrs le soin des finanees qui oe-
eupait le plus le gouvernement. l,es derllieres
mesures n'étaient qu'un ajournement de la
diffieulté. On avaít donné au gouvernement
une eertaine quantité de biens a vendre, la
faculté d'engager les grandes forets, l'emprunt
forcé, et on lui avait laissé la planche aux as-
signats eomme ressource extreme. Pour de-
vancer le produit de ces différentes ressources,
íl avait, comme on a vu, créé 60 millions de
rcscriptions, especcs de bons de l' échiquier,
OH de bons royaux , acqnittables avec le premier
numéraire qui rentrerait dans les caisses. Mais
ces rescriptions n'avaient obtenu COllI'S que
tres-difficilement. Les banquíers réunis pour
concerter un projet de banque territoriale,
fondée sur les biens nationaux, s' étaient retirés
en elltelHJant les cris poussés par les patriotes
contre les agioteurs et les traítants. L'emprunt
forcé se percevait beaucoup plus lentement
qn'on ne l'avait cru. La répartition portait sur
des bases extremement arbitraires, puisque
l'emprunt devait etr'e frappé sur les classes les-
plus aisées; chacun réclamait, et chaque part
de l'emprunt a percevoir occasionait une con-
testation aux percepteurs. A peine un tiers était




188 nÉVOLUTlON FRAN<;:A.ISE.
rentré en deux mois. Quelques millions en nu-
méraire et quelques miUiards en papier avaient
été perc;us. Dans l'insuffisance de cette res-
sonrce, on avait en encor~ recolirs au moyen
extreme, laissé a1.1 gouvernement po1.1r suppléer
a tous les autres, la planche aux assignats. Les
émissions avaient été portées depuis les deux
derniers mois, a la somme inouie de 45 mil-
liards. 20 milliards avaient a peine fourni lOO
millions, car les assignats ne valaient plus que
le deux -: centieme de leur titre. Décidément
le public n'en voulait plus du tatlt, car ils n'é-
ta¡ent plus bons a rien_ lis ne pouvaient servir
au remboursement des créances, qui étaient
suspendues; ils ne pouvaient solder que la moi-
tié des fermages et de l'ímpot, car l'autre moi-
tié se payait en nature ; ils étaient refusés dans
les marchés ou re~us d'apres le1.1r valeur ré-
duite; enfin, on ne les prenait dans ]a vente
des biens qu'au taux meme oes marehés, les
encheres faisant taujollrs monter l'offre a pro-
portion de l'avilissement du papier. On n'en
po1.1vait done faire aucun emploi capable de
leur donner q1.1elque valeur. Une émission
dont on ne cOllnaissait pas le terme, faisait
prévoir encore des chiffres extraordinaires qlli
rendraient les sommes les plus modiques. Les
milliards signifiaient tont an plus des millions.




IlIREC1'OlRE (1796).
Cette chute, dont nOllS avons parlé'" ]orsqu'on
l'efusa d'interdire les encheres clans la vente
des bien s , était réalisée.


Les esprits dans lesquels la révolution avait
laissé ses préjugés, car tous les systemes el
toutes les puissanees en laissent, voulaient
qu'on relevat les assignats, en affeetant une
grande quantité de biens a leut: hypotheque,
et en employant des mesures violentes pour les
faire circuler. Mais il n'y a ríen au monde de
plus impossible a rétablir que la réputation
d'une monnaie: il fallait done renoneer aux
assignats.


On se demande pourquoi on n'abolissait pas
tout de suite le papier.monnaie, en le l'éduisant
a sa valeur réelle, qui était de 200 millions au
plus, et en exigeant le paiement des impots el
des bien s nationaux, soit en numéraire, soit
eu assignats au eours? Le numéraire en effet
reparaissait, et avec auelque abondanee, sur-
tou t dans les provinees; ainsi, c' étai tune vé-
ritable erreur que de craindre sa rareté; ear le
papier eomptait pour 200 millions dans la cir-
eulation : mais une autre raison emptkha de
renoneer au papier - monnaie. La seule ri-
chesse, il faut le dire toujours, consistait dans


* Voyez tome VII) page 387 et suiv.




190 R ÉVOLUTION FRAN<;A IS:E.


les biens nationaux. Leur vente ne pal'aissait
ni assurée ni prochaine. Ne pouvant done at-
tendre que leur valeur vint spontanément au
trésor par les ventes, iI fallait la représenter
d'avance en papier, et l'émettre pour la reti-
rer ensuite; en un mot, il fallait 'dépenser le
prix avant de l'avoir re~u. Cette nécessité de
dépenser ava~t d'avoir vendu, fit songer a la
création d'un Ilouveau papier.


Les cédules, qui étaient une hypotheque
spéciale sur chaque bien, entrainaient de longs
délais, cal' il fallait qu' eHes portassent l' énon-
ciation de chaque domaille; d'ailleurs elles dé-
pendaient de la volonté du preneur, et ne le-
vaient pas la véritable difficulté. On imagina
un papier qui, sous le nom de mandats, repré-
sentait une valeur fixe de bien. Tout domaine
devait etre délivré sans enchere et sur simple
proces-verbal, pour un prix en mandats, égal
a celui de 1790 (vingt-deux fois le revenu).
On devait créer ~ milliards 400 mil1ions de ces
mandats, et leur affecter sur-Ie-champ 2 mil-
liards 400 millions de bien s, estimation de J 790.
Ainsi, ces mandats ne pouvaieut subir d'alltre
variation que ce He des biens eux-memes, puis-
qu'ils en représentaient une qualltité fixe. lis
ne pouvaiellt pas a la vérité se trouver au pair
de l'argent, cal' les biells ne valaiellt pas ce




DlRl<:CTOIRJ.: (1 7~;G)< 191
qu'ils valaient en 1790; mais ils devaient avoil'
la valellr meme des biens.


On résolut d'employer une partie de ces
mandats a retirer les assignats. La planche des
assignats fut brisée le 30 plnvíose an IV (19
février). 45 milliards 500 millions avaient été
émis. Par les différentes rentrécs, soit de l'em-
prunt, soit de l'arriéré, la qnantité ci¡'cnlante
avait été réduite a 36 milliards, et devait retre
bientot a 24. Ces 24 milliards, en les réduisant
au trentieme, représentaient 800 millions : on
décréta qu'ils seraient échangés contre 800 mil-
¡ions de malldats, ce qui était une liquidation
de l'assignat, au trentíeme de sa valeur Domí-
nale. 600 millions de mandats devaient etre
émis en outre pour le service public, et les
1200 restants enfermés dans la caisse a trois
clefs, ponr en sortír par décret, au fUf et a
mesure des besoins.


Cette création des mandats était une réim-
pression des assignats, avec un chiffre moin-
dre, une autre dénomination, et une valenr
déterminée parrapportaux biens. C' étaitcomme
si on eut créé, outre les 24 milliards devant
res ter en circulation, 48 autres millial'ds, ce
qui aurait fait 72; c'était comme si on eút dé-
cidé que ces 72 milliards seraíent rec;us en
paiement des biens, pOllr trente foís la valclIl'




192 JU;VOLrJTION FRAN~AISE.
de 1790, ce qui supposait :1 milliards 400 mil-
lions de biens affectés en hypotheque. Ainsi,
le chiffre était réduit, le rapport aux biens
fixé, et le nom changé.


Les mandats furent créés le 26 ventóse (.6
mars). Les biens durent etre mis sur-Ie-champ
en vente, et délivrés au portenr de mandat sur
simple prod~s-verbal. La moitié du prix devait
etre payée dan s la premiere décade, le reste
dans trois mois. Les forets nationales étaicnt
mises a parl; et les 2. miUiareIs 400 millions de
biens étaient pris sur les biens de moins de
trois cents arpents. Sur-Ie-champ on prit les
mesures que nécessite l'adoption d'un papier-
monnaie. Le mandat étant la monnaie de la ré-
publique, tout devait etre payé en mandats.
I.Jes créances stipulées en numéraire , les baux,
les fermages, les intérets des capitaux, les im_
póts, excepté l'ímpot arriéré, les rentes sur
l'état, les pensions, les appointements des
fonctionnaires publics, durent etre payés en
mandats. Il y eut de grandes diseussions sur
]a contl'ibution fonciere. Ceux quí prévoyaient
que les mandats pourraient tomber eomme
l'assignat, voulaient que, pour assurer a l'état
une rentrée certaine, on continuat de payer
la contribution fonciere el) natUl'e. On Ieur
oLjecta les difficultés de la pcreeption, et on




DIRECTOIRE (1796).
décida qll'elle aurait lieu en mandats, ainsi que
ceHe des douanes, des droitsd'en registrement,
de timbre, des postes, etc. On ne s'en tint
pas Hl.; on crut devoir accompagner la eréation
<iu nOllveau papier des sévérités ordinaires qui
accompagnent l'emploi des valeurs foreées; on
déclara que l'or et l'argent ne seraient plus
considé,'és comme marchandises, et qll'on ne
pourrait plus vendre le papier eontre l'or, ni
1'01' contre le papier. Apres les expériences
qu'on avait faites, cette mesure était misérabJe.
On venait d'en prendre en meme temps une
autre qui ne I'était pas moins, et qui nnisit
dans l'opinion au directoire: ce fut la clóture
de la Bourse. Il aurait dli savoir que la clóture
d'un marché public n'empechait pas qu'il s'en
établit des milliers ailJeur3.


En faisant des mandats la monnaie nouvelle,
et en les mettant partout a la place du numé-
raire, le gouvernement commettait une errenr
grave. Meme en se soutenant, le mandat ne
pouvait jamais égaler le taux de l'argent. Le
mandat valait, si l'on veut, autant que la terre,
mais il ne pOl1vait valoir davantage. Or, la terre
ne valait pas la moitié du pl'ix de 1790; nn
bien, meme patrimonial, de 100 mille francs,
ne se serait pas payé 50 mille en argento Com-'
ment 100 mille franc5 en mandats en auraient-


VlII.




194 RÉVOLUTJON FRAN9AJSE.
ils valu 100 mille en numéraire? 1l aurait done
faUu admettre au moins eette différence. Le
gouvernement devait done, indépendamment
de toutes les autres causes de dépréciation,
trouver un premier mécompte provenant de
la dépréeiation des biens.


On était si pressé, qu'on 6t circulerdes
promesses de mandats, en attendant que les
mandats eux-memes fussent prets a etre émis.
Sur-Ie-ehamp ces promesses eirculerenta une
valeur tres-inférieure a leur valeur llominale.
On fut extremement alarmé, et on se dit que
le nouveau papier, duquel on cspérait tant,
allait tomber comme les assignats, et laisser Ja
république sans aucune ressource. Cependant
il y avait une cause de cette ehute anticipée,
et OH pouvait bientot la lever. Il fallait rédiger
des instructions a l'usage des administrations
locales, pOllr régler les eas extremement com-
pliqués que ferait naltre la vente des biens
sur simple proees-verbal; et ce travail exigeait
beaueoup de temps et retardait l'ouverture des
ventes. Pendant cet intervalle, le mandat tom-
bait, et on disait que sa valeur baisserait si
rapidemellt, que l'état ne voudrait pas ouvrir
les ventes el abandonner les biens pour une
valenr nulle; qu'il allait arriver, aux mandats
ce qm était arrivé aux assignats; qu'ils se ré-




DIRECTOLRE (J 796).
duiraient successívement a ríen, et qu'alors
on les l'ecevI'aít en paiement des biens, non a
leur valeur d'émission, mais a Ieur valeur ré-
duite. Les malveillants faisaient entendre ainsi
que le nouveau papier était un leurre, que
jamais les bíens ne seraient :tliénés, et que la
république voulait se les réserver eomme un
gage apparent et éternel de totites les espeees
de papier qu'il lui plairait d'émettre. Cepen-
dant les ventes s'ouvrirent. Les souscriptions
furent nombl'euses. Le mandat de 100 franes
était tombé a r 5 franes. Il remonta successi-
vement a 30, 40, et en quelques lieux a 88
franes. On espéra done un instant le succes de
la nouvelle opération.


C'était au milieu des faetions seeretement
conjurées contre lui que le direetoire se li-
vrait a ces travaux. Les agents de la royauté
continuaient leurs secretes menées. La mort
de Lemaltre ne lesavait pas dispersés. Brottier,
acquitté, était devenu le chef de l'agence. Du-
verne de Presle, Laville-Heurnois, Despomelles,
s 'étaient l'éunis a lui, et formaient secrete-
ment le comité royal. Ces misérables brouillons
n'avaient ras plus d'influenee que par le passé;
ils intriguaient, demandaient de l'argent a
grands cris, écri vaient de nombreuses eorres-
pondances, et promettaient merveilles. lIs


J 3.




196 1t1~VOLUTION FIlAN~A!SE.
étaient tOlljours les intel'm~diaires entre le pré-
tendant et ]a Vendée, 011 ils avaient de llOm-
brel1x agents. lIs persistaient dans leurs idées,
et voyant l'insllrt'ection comprimée par Hoche,
et prete a expirer S01lS ses eoups, ils se eon-
firmaient toujours davantage dans le systeme
de tout faire a París, meme par un mouvement
de l'intériellr. IIs se vantaient, eomme du temps
de la convention, d'etre en rapport avec plu-
sieurs députés du nouveau tiers, et ils pré-
tendaient qu'il fallait temporiser, travailler
l'opinion par des journal1x, déconsidérer le
gouvernement , et tout préparer pour que les
élections de l'année slIivante amenassent un
nouveau tiers de députés entierement contre-
révolutionnaires. lIs se flattaient ainsi de
détruire la constitlltion républicaine par les
moyens de la constitution meme. Ce plan était
certainement le moins chimérique, et c'est celui
qui donne l'iMe la plus favorable de lenr in-
telligence.


Les patriotes de leur cOté préparaient des
complots, mais autrement dangereux par les
moyens qu'ils avaient a lenr disposition. Chas-
sés du ParlthéoIl, condamnés tout-a-fait par
le gouvernement qui s'était séparé d'eux, et
qui len .. retirait leurs emplois, ils s'étaient
déclarés contre tni , f't ét:lient devenns ses en-




IJUUiCTOlRE (1790)' J ~n
nelTIis irréconciliables. Se voyaut poursuivis
et übservés ave e un grand süin, ils n'avaient
plus trouvé d'autre ressource que de conspirer
tres-secretement, et de maniere a ce que les
chefs de la cOllspiration I'estassent tout-a-fait
inconnlls. lIs s'étaient choisis quatl'e pour for-
mer un directoire secret de salut public; Ba-
breuf et Drouet étaient du nombre. Le direc-
toire secret devait communiquer avec douze
agellts principaux qui nc se connaissaient
pas les uns les autres, ct chargés d'orga"niser
des sociétés de patriotes dans tous les quartiers
de París. Ces douze agents, agissant ainsi cha-
cun de leur coté, avaient défense de noinmer
les quatl'e membres dn directoire secret; ils
devaient parler et se faire obéir au Hom d'une
autorité mystérieuse et supreme, qui était
instituée pour diriger les efforts des patriotes
vers ce qu'ils appelaient le bonheur commun.
De eette maniere les fils de la cOl1spiration
étaient presque insaisissabJes, cal' en supposant
qu'on en saislt un, les autres restaient toujours
inconnus. Cette organisation s'établit, en ef'fet,
eomme l'avait projeté Babreuf; des sociétés de
patrio tes existaiellt dans tout París, et, par
l'íutermédiaire des douze agcnts principaux, re-
cevaient l'impulsion d'uue autorité inconnue.


Babreuf et ses collegues cherchaient quel




198 RÉVOLUTION FRANc;AISI¡.
serait le mode employé pour opérer ce qu'ils
appela¡ent la délillrance, et a qui OH remettrait
1'autorité, quand on aurait égorgé le direc-
toire, dispersé les conseils, et mis le peuple
en possession de sa sOllveraineté. lIs se défiaient
déja beaucoup trop des provinces et de l'opi-
nion pOllf courir la chance d'une élection, et
appeler une assemblée nouvelle. lis voulaient
tout simplement en nommer une composée de
jacobins d'élite, pris dans chaque dép.artement.
lIs devaient faire ce choix eux-memes, et com-
pIé ter cette assemblée en y ajoutant tous les
montagnardsde l'ancienne convention qui n'a-
vaient pas été réélus. Encore ces montagnards
ne leur semblaient pas donner de suffisantes
garanties, car beaucoup avaient adhéré, dans
les derniers temps de la conv.ention, a ce qu'ils
appela¡ent les mesures liberticides, et avaient
meme accepté des fonctions du directoire. Ce-
pendant ils avaient fini par tomber d'accord
sur l'admission dans la nouvelle assemblée de
soixante-huit d'entre eux, qui passaient pour
les plus purs. Cette assemblée devait s'empa-
rer de tous les pouvoirs, jusqu'a ce que le
bonheur commun fUt assuré.


Il fallait s'entendre ave e les conventionnels
non réélus, dont la plupart étaient a Paris. Ba-
breuf et Drouet entrerent en communicatioll




VIRECTOlRE (1796).
avec eux. n y eut de grandes diseussiollS sur
le choix des moyells. lJes conventiolluels trou-
vaient trop extraordinaires eeux que proposait
le direetoire insurrecteur. Ils voulaient le réta-
blissement de l' ancienne convention, avec l' or-
ganisation prescrite par la constitutíon de J 793.
Enfin on s'entendít, et l'insurrection fut pré-
parée puur le mois de floré al (avril-mai). Les
moyens dont le directoire secret se proposait
d'user, étaient vraiment effrayants. D'abord iI
s'était mis en correspondan ce avee les princi-
pales villes de FraIlee, ponr que la révolutjon
[lit simultanée et semblable partont. J-<es pa-
trio tes devaient partir de leurs quartiers en
portant des guidons sur lesquels seraient écrits
ees mots: Liberté, Égalité, Constitution de 1793,
Bonheur commun. Quieonque résisteraÍt au
peupIe souverain serait mis a mort. On devait
égorger les cinq directeurs, certains membres
des cinq-cents, le général de l'armée de l'in-,
térieur; on devait s'emparer du Luxembourg,
de la Trésorerie, du télégraphe, des arse-
llaux et du dépot d'artillerie de Meudon. Pour
engager le peuple a se soulever et ne plus le
payer de vaines promesses, on devait obliger
tous les habitants aisés de loger, héberger et
nourrir chaque homme qui aurait pris part a
l'insurrection. Les boulangers, les marchands




200 UÉVOLUTlON l"RANVAlSE.


oe vin seraiellt tenus oe fournir <lu pain et
des boissons au peuple, rnoyennant une in-
demnité que leur payerait la république, et
sous peine d'etre pendus a la lanterne en cas
de refus. Tout soldat qui passerait du coté de
l'insurrection aurait son équipement en pro-
priété, recevrait ulle somrne d'argent, et au-
rait la faculté de retourner dans ses foyers.
On espérait gagner ainsi tous ceuxquiservaient
a regret. Quant aux soldats dernétier qui avaient
pris gout a la guerre, on leur donnait a piller
les rnaisons des royalistes. Pour tenir les ar-
mées au complet, et remplacer ceux qui ren-
treraient dans leurs foyers, 011 se proposait
d'accorderaux soldats des avantages tels, qu'on
ferait lever spontanérnent une multitude de
nouveaux volontaires.


On voit quelles combinaisons terribles et in-
sensées avaient con<{ues ces esprits désespérés.
Ils désignereut Rossignol, l'ex·général de la
Vendée, pour commander l'armée parisienne
d'insurrecti.on, lIs avaient pratiqué des intelli-
gences dans cette légion de police qui faisait
partie de l'armée de l'intérieur, et toute com-
posée de patriotes, de gendarmes des tribu-
naux, d'anciens gardes-franc;aises. Elle se mu-
tina en eííet, mais trop tot, el fut dissoute par
le direetojr.e. Le ministre de la poliee Cochon ,




DlRIlCTO!HE (1796). 'lO!
q ui suivait les progres tle la conspiration, qui
luí fnt dénoncée par un officier de l'armée de
l'intérieur qu'on avait vonlu enroler, ]a laissa
se continuer pour en saisir tous les fils. Le 20
floréal (9 mai), Baha::uf, Drouet, et les autres
chefs et agents devaient se réunir rue Bleue,
chez un menuisier. Des officiers de police,
apostés dans les environs, saisirent les cons-
pirateul's, et les conduisirent sur-Ie-champ en
prison. On arreta en OlItre les ex-convention-
neIs Laignelot, V adier, Amar, Ricord, Chou-
<lien, le Piémontais Buonarotti, l'ex-membre
de l'assemblée législati ve A ntonelle, Pelletier
de Saint-Fargeau, frere de celui qui avait été
assassiné. On demanda aussitót aux deux con-
seils la mise en accusation de Drouet, qui
était membre des cinq-cents, et on les envoya
tons devant la haute cOllr natiollale, qui n'é-
tait pas encore organi&ée, et qu'on se mit a
organiser sur-le-champ. Babreuf, dont la mor-
gue égalait le fanatisme, écrivit au directoire
une lettre singuliere , et qui peignait le délire
de son esprit.-cc Je suis une puissance, écrivait-
il anx cinq directellrs; ne craignez done pas
de traiter ave e moi d'égal a égal. Je suis le chef
d'une secte formidable que vous ne détru~rez
pas en m'envoyant a la mort, et qui, a.pres
mOIl supplice, n'en sera que plus irritée et




202 RÉVOLUTION FR,\.Nc;AlSE.
plus dangereuse. Vous n'avez qu'un seul fil de
la conspiration; ce l1'est rien d'avoir arre té
quelques individus; les chefs renaitront sans
cesse. Épargnez-vous de verser un sang inutile;
vous n'avez pas encore fail beauconp d'éclat,
n'en faites pas davantage, traitez ave e les pa-
triotes; ils se souviennent que vous filtes au-
trefois des républieains sinceres; ils vous par-
donneront, si vous voulez eoncourir avee eux
au salut de la république. )¡


Le directoire ne fit auenn cas de eette lettre
extravagante, et ordonna l'instruction du pro-
ces. Cette instruetion devait etre longue, cal'
on voulait procéder dans toutes les formes. Ce
dernier acte de vigueur acheva de eonsolider
le directoire dans l'opinion générale. La fin de
l'hiver approehait; les faetions étaient surveil-
lées et contenues; l'administraÜon était dirigée
avee úle et avec soin; le papier-monnaie re-
nouvelé donnait seul des inquiétudes; iI avait
fourni cependant des ressources momentanées
pour faire les premiers préparatifs de la cam-
pagne qui allait s'ouvrir. En effet, la saison
des opérations militaires était arrivée. Le mi-
nistere anglais, toujours astllcieux dans sa pa-
litique, avait tenté au pres du gauvernement
fran~ais la démarche dont l'apinían publique
lui faisait un devoir. 11 avait ehargé son agent




DIRECTOIRE (1 796).
en Suisse, Wickam, d'adresser des questions
insignifiantes au ministre de France Barthélemy.
Cette ouverture, faite le I7 ventose(7 mars 1796),
avait pour but de demander si la France était
disposée a la paix, si elle consentirait a un
congres pour en discuter les conditions, si elle
voulait faire connaItre a l'avance les bases
principales sur lesquelles elle était résolue a
traiter. Une pareille démarchc n'était qu'une
vaine satisfaction douuée par Piu a 5a nation,
afin d'etre autol'isé par un refus de la France
a demander de nouveaux sacrifices. Si en ef-
fet Pitt avait été sincere, iI n'aurait pas chargé
de cette ouverture un agent sans pOllvoirs; iI
n'aurait pas demandé un congres européen,
qui, par la complication des questions, nt pon-
vait rien terminer, et que la France d'ailleurs
avait déja refusé a l' Autriche par l'intermédiaire
du Danemark; enfin iI n'aurait pas demandé
sur quelles bases la négociation devait s' ouvrir,
puisqu'il savait que, d'apres la constitution,
les Pays-Bas étaient devenus partie du terri-
toire fralll,;ais, et que le gouvernement actuel
ne pouvait consentir a les en détacher. Le di-
rectoire, qui ne voulait· pas etre pris pour dupe,
fit répondre a Wickam que ni la forme ni l'ob·
jet de ceUe démal'che u'étaient de nature a
faire cl'oire asa sincérité; que, da reste, ponr




-:w4 nÉVOLUTlON }'IlAN9AISJ.:.
démontrer ses Íntentions pacifiques, iI COlJseu-
tait a faire une réponse a des questions qui
n'en méritaient pas, et qu'il déclarait vouloir
traiter sur les bases seules fixées par la cons-
titution. C'était annoneer d'une maniere défi-
nitive que la France nc renoncerait jamais a
la Belgique. La lettre du directoire, écrite avcc
convenanee et fermeté,fulaussitót publiéeavec
ceHe de Wickam. e'était le premier exemple
el'une diplomatie franche et ferme san s jaetance.


Chacun approu va le direetoire, et de part
et d'autre on se pl'épara en Europe a recom-
meneer les hostilités. PÍtt demanda au parfe-
mellt un nouvel emprunt de 7 millions sterling,
et il s'effort;a d'en négocier un autre de 3 mil-
lions pour l'empereur. Il avaít beaucoup tra-
vaillé aupres du roi de Prllsse pour le tirer de
sa neutra lité et le faire rentrer dans la lutte;
il lui offrit des fonds, et lui représenta qu'al'-
rivant a la fin de la guerre, lorsque tous les
partis étaient épuisés, iI auraít une supério-
rité assurée. Le roí de Prusse ne voulant pas
retomber dans ses premieres fautes, ne se laissa
pas abuser, et persista dans sa lleutralité. Une
partie de son armée, statíonnée en Pologne,
veillait 11. l'incorporation des nouvelles eon-
qllt~tes; l'autre, rangée le long du Rhin, était
prete a défenclre la ligue de neulraJité cOlltrc




~.w5
celle des puissances qui la violerait, et a pren-
tire sons 5a protection ceux des états de l'em-
pire qui réclameraient la médiation prussienne.
La Rus5ie, toujours féconde en promesses,
n'envoyait pas encore de troupes, et s'occu-
pait a organiser la part de territoire qlli lui
était échue en Pologlle.


L' Autriche, enflée de ses succes a la fin de
la campagoe précédente, se préparait a la
guerre avec ardeur, et se livrait aux espél'an-
ces les plus présomptueuses. I,e général auqllel
elle oevait ce léger re tour de fartune, avait
cependant été destilué, malgré tout l'éclat de
sa gloire. Clerfayt ayant oéplu au comeil au-
liqne, fut remplacé dan s le commanoement
de l'armée dll Bas-Rhio par le jeune archiduc
Charles, oont on espérait beaucoup, sans ce-
pendant prévoir eueore ses talents. Il avait
montré clans les campagnes précéoentes les
qualités d'un bon officier. Wurmser comman-
dait toujours l'armée ou Haut-Rhin. Pour dé-
cider le roí deSardaigne acontinuer la guerre,
on avait envoyé un renfort considérable a
l'armée impériale qni se battait en Piémont;
et on lui avait donné le général Beaulieu, qni
s'était acquis beaucoup de réputation dans les
Pays-Bas. L'Espaglle, commen~ant a jouir oe
la paix, était attcntiye a la nOllvelle lIltte qni




206 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
allait s'ouvrir, et, maintenant mieux éclairée
sur ses véritables intérets, faisait des vreux
pour la Franee.


Le direetoire, zélé eotorne un gouvernement
nouveau, et jaloux d'illustrer son administra-
tion, méditait de grands projets. Il avait mis
ses armées dans un état de force respeetable;
mais il n'avait pu que leur envoyer des hom-
mes, sans leur fournir les approvisionnements
nécessaires. TOllte la Belgique avait été mise a
contribution pour nourrir' l'armée de Sarnbre-
et-Meuse; des efforts extraordinaires avaient
été faits pour faire vivre ce He du Rhin au mi-
lieu des Vosges. Cependant on n'avait pu ni
leur procurer des moyens de transport, ni re-
monter leur cavalerie. L'armée des Alpes avait
vécu des magasins pris aux Autriehiens apres
la bataille de Loano ; mais elle n' était ni vetue,
ni chaussée; et le pret était arriéré. La vietoire
de Loano était ainsi demeurée sans résultat.
Les armées des provinces de rOuest se trou-
vaient, grace aux SOillS de Hoche, dans un
meilleur état que toutes les atItres, san s etre ce-
pendant pourvues de tout ce dont elles avaient
beso in. Mais malgré cette pénurie, nos armées,
habituées a souffrir, a vivre d'expédients, et
(l'ailleurs aguerries par leuI's belles campagnes,
etaient disposées a de grandes choses.




Le directoire méditait, disons-nous, de vas-
tes projets. Il voulait finir des le printemps
la guerre de la Veudée, et prendre ensuite
l'offensive sur tous les points. Son but était
de porter les armées du Rhin en Allemagne
pour bloquer et assiéger Mayence, achever la
sournission des princes de l'Empire, isoler
l'Autriche, transporter le théatre de la guerre
au se in des états héréditaires, et faire vi vre ses
troupes aux dépens de l'ennemi nans les riches
vallées du Mein et dll N ecker. Quant a l'Italie~
il 110urrissait de plus vas.tes pensées encore,
suggérées par le général Banaparte. Camme
on n'avait pas profité de la victoire de Loano, il
fallait, suivant ce jeulle officier, en remporter
une seconde, décider le roí de Piémont a la
paix, ou lui enlever ses états, franchir ensuite
le Po, et venir enlever a l' Autríche le plus
beau fleuron de sa couronne; la Lombardíe.
La était le théatre des opératíons décísives; la
011 aIlait porter les coups les plus sensibles a
I'Autriche, conquél'ir des équivalents pour
payer les Pays-Bas, décider la paix, et peut-
thre affranchir la belle Italie. D'ailleurs on
allait nourrir et restaurer la plus pauvre de
nos armées, au milieu de la contrée la plus
fertile de la terreo


Le directoü;e, s'arr~tant a ces idées, 6t quel-




208 R1¡VOLUTIONFJ\,\N~A¡SE.
ques changements dans le commandemeflt de
ses armées. Jourelan conserva le commandemen t
qu'il avait si bien mérité a la tete de l'arrnée
de Sambre-et-Meuse. Pichegru, quí avait trahí
sa patrie, et dont le crime était déja soup-
~onné, fut remplacé par Moreau, qui COlll-
mandait en Hollande. On offrit a Pichegrll
l'ambassade en Suede, qu'il refusa. Beurnon-
ville, venu récernrnellt de captivité. relllpla~a
Morean dan s le commandernent de l'armée
fran~aise en Bol/ande. Schérer, dont on était
mécontent poul' n'avoir pas su profitel' el e la
victoire de Loano, fut remplacé. 0/1 vouJait
un jeune homme ent¡'epl'enant, pour essayer
une campagne hardie. Bonaparte, qui s'était
déja distingué a l'armée d'ltalie, qui d'aílleurs
paraissait si pénétré des avantages d'une
marche an·oela des Alpes, parut l'hornme le
plus propre a remplace .. Schérer. 11 fut promn
du commandement de l'armée de l'intérieur a
celui de l'armée d'ltalie. Il partit sur.le-champ
pour se rendre a Nice. Plein d'ardeur et de joie,
jI dit en partant, que dans un mois iI serait a
Milan Ol! a P.!ris. Cette ardenr paraissait té-
méraire; mais chez un jeune homme, et dans
une entreprise hasarcleuse, elle était de han
augure.


Des changements pareils furclltopérés clans




IHll.ECTOIHE (1796). ?09
les trois armées qui garuaient les provinces
insurgées. Hoche, mandé a París pour con-
certer avec le directoire un plan qui mlt fin a
la guerre civile, y avait obtenn la plus justt'
faveur, et re<{u les plus grands témoignages
d'estime. Le directoire, reconnaissant la sagesse
de ses plans, les avait tous approuvés; et ponr
que personne n'en put contrarier l'exécution,
il avait réuni le.s lrois armées des cotes de
Cherbourg, des 'cotes de Brest et de l'Ouest,
en une seule, sous le litre d'armée des cotes
de l'Océan, et lui en avait donné le comman-
dernent supérieUl'. C'était la plus grande a1'-
mée de la république, cal' eHe s'élevait a cent
mille hornmes, s'étendait sur plusieurs pro-
vinces, et exigeait dans le chef une réunion
de potlvoirs civils et militaires tOllt-a-fait ex-
traordinaires. Un commandement aussi vaste
était la plus grande preuve de confiance qu'on
put dOIlller a un général. Hoche la méritaít
certainernent. Possédant a vingt-sept ans une
réunion de qualités rnilitaires et civiles, qui
deviennent souvent dangereuses a. la liberté,
nourrissant merne une grande ambitioll ,'il
n'avait pas cette coupable audace d'esprit qui
pent porter un capita,ine illustre a ambitíonner
plus que la qualíté de citoyen; ii étaít répubr-
caín sinc(~re, et égalait Jourdan en patriotisme


VIII. u.




'). ro HÉVOLTlTION },'n ¡\NQAIS E.
et en probité. La liberté pouvait applalHlir
SallS crainte a ses succes, et luí souhaiter el!:'"-
victoires.


Hoche n'avait guere passé qu'un mois a Pa-
riso Il était re tourné sur-Ie-champ dans l'Ouest,
afin d'avoir achevé la pacification de la Vendée
a la fin de l'hiver ou au commencement dI!
printemps. Son plan de désarmement et de pa-
cification fut rédigé en articles, et convertí en
arreté par le directoire. Il était convenu, d'a-
pres ce plan, qll'un cordon de désarmement
envelopperait toutes les provinces insurgées,
et les parcourrait successivement. En attendant
leur complete pacification, elles étaient SOll-
mises au régime militaire. Toutes les villcs
étaient déclarées en état de siége. n était re-
COllIlU en príncipe que l'armée devait vivre
aux dépens du pays insurgé; par conséquenl
Hoche était autorisé a percevoir l'impot et l'em-
prunt forcé sOlt en nature, soit en especes,
comme il lui conviendraít, et a former des
magasins et des caisses pour l' entretien de
l'armée. Les villes auxquelles les campagnes
faísaient la guerre des subsistances, en cher-
chant a les affamer, devaient etre approvision-
nées militairement par des colonnes aUachées
aux principales d'entre elles. Le pardon était
accordé a tous les rehelles qui déposeraient




DlRECTOIRE (1796). 2 I I
¡ellrs armes. Quant aux chefs, ceux qui St'-
raient pris les armes a la main devaient etre
fusillés; ceux qui se soumettraient seraient on
détenus ou en surveillance dans des villes dé-
signées, ou conduits hors de France. Le di-
rectoire, approuvant le projet de Hoche, qui
consistait a pacifier d'abord la Vendée avant
de songer a la Bretagne, 1'autorisait a terminer
ses opérations sur la rive ganche de la Loire, .
avant de ramener ses troupes sur la rive droite.
Des que la Vendée serait entÍerement son-
mise, une ligne de désarmement devait em-
brasser toute la Bretagne, depuis Granville
jusqu'a la Loire, et s'avancer ainst, en parcou-
rant la péninsule bretonne, jusqu'a l'extrémité
du Finistere. C'était a Hoche a fixer le moment
ou ees provinces, lui paraissant soumises, se-
raient affranehies dll régime militaire et ren-
cInes an systeme eonstitutionnel.


Hoche, arrivé a Angers vers la fin de nivose
(mi-janvier), trouva ses opérations fort déran-
gées par son absence. Le succes de son plan
dépendant surtout de la maniere dont iI serait
exécuté, exigeait indispensablement sa pré-
senee. Le général Willot l'avait mal suppléé.
La ligne de désarmement faisait peu de pro-
gres. Charette l'avait franchie, ~ avait repassé
sur les derrieres. Le systeme régulíer d'appro-


14,




1, I '). IIÉVOLUTrON· FU AN()AISE.


\"isionnement étanl mal sllivi, el l'armée ayant
souvent manqué du nécessaire, elle s'était Ji.
vrée de n~uveau a l'indiscipline, el avait
commis des actes capa bies d'aliéner les habi-
tants. Sapinand, apres avoir fait, comme on
l'a vu, une tentative hostile sur Monlaigu.
avait obtenu dn général Willot une paix rjdi-
enle, a laquelle Hoche ne pouvait pas con-
sentir. Enfin Stofflet, jouant toujonrs le prince,
et Bernier le premier ministre, se renfor<:;aient
des désertenrs qui abandonnaicnt Charette, et"
faisaient des préparatifs secrets. Les villes de
Nantes et d'Angers manquaicllt de vivl'es. Les
patriotes rMugiés des pays environnan ts s'y
étaient amassés, et se livraient, dans des
clubs, a des déclamations fu·ribondes et dignes
des jaeobins. Enfin 011 répandait que Hoche
n'avait été rappelé a Pal'is que pour perdre
son commandement. Les uns le disaient des-
titué eomme royaliste, les autres comme "ja-
cobin.


Son re tour dissipa tons les bruits, et répara
les maux causés par son absenee. Il fit reeom-
meneer le désarmement , remplir les magasins,
approvisionner les villes; iI les déelara toutes
en état de siége; et, autorisé des-Iors a y exer-
cer la dictatuJ;e militail'c, iI f"rma les clubs
jacobills formés par les réfllgiés, et SlIl'tout




nJUECTOlHE (1796).
llllf' société COllImc a Nantes sous le titre de
('hambre al'dente. Il refusa de ratifier la paix
accordéc a Sapinaud; il fit occuper son pays,
et lui laissa a lui la faculté de sortÍr de Franee,
Oll de courir les bois, sous peine d'etl'e fusillé
s'il était pris. 11 í-it resserrer Stofflet plus étroi-
tement que jamais, et recommencer les ponr-
sllites contre Charette. 11 confia a l'aqjudant-
général Travot, qui joignait a une grande in-
trépidité toute l'activité d'un partisan, le soill
de poursuivre Charette avec plusieurs colonucs
d'infallterie Jégere et de cavalerie, de maniere
a ne luí Iaisser ni repos, ni espoir.


Charette, en effet, poursuivi jour et uuít,
n'avait plus aucun moyen d'.échapper. Les ha-
bitallts du Marais, désarmés, surveillés, ne
pouvaient plus lui etre d'aucun secours. lis
avaient livré déja plus de sept mille fusils,
quelques pieces de canon, quarante barils de
pouclre, et ils étaient clans l'impossibilité de
reprendre les armes. L'auraient - ils pu' d'ail-
leurs, iIs ne l'auraient pas voulu, parc6 qu'ils
se sentaient heureux du repos dont ils jouis-
saient, et qu'ils craignaient de s'exposer a de
nouvelles dévastations, Les paysans venaient
dénoncer aux officiers répubIicains les che-
mins ou Charette passait, les retraites ou iI
allait reposer un instant sa téte; et quand iIs




214 RÉVOLUTION FllAN9AISE.


pouvaient s'emparer de quelques-uns de ceux
qui l'accompagllaient, iIs les livraient a l'armée.
Charette, a peine escorté d'une centaine de
serviteurs dévoués, et suivi de quelques fem-
mes qui servaieI1t a ses pl,!isirs, ne songeait
pas cependant a se rendre. Piein de dé6ance,
iI faisait quelquefois massacrer ses hotes, quand
il craignait d' en etre trahi. Il 6t, dit-on, met-
tre a mort un curé qu'il soup~onnait de l'avoir
dénoncé aux répubIicains. Travot le rencontra
pIusieurs fois, lui tua une soixantaine d'hom-
mes, plusieurs de ses officiers, et entre atItres
son frere. Il ne lui resta plus que quarante ou
cinquante hommes.


Pendant que Hoche le faisait harceIer sans
relache, et pou,rsuivait son projet de désar-
mement, Stofflet se voyait avec effroi entouré
de toutes parts, et sentait bien que Charette,
Sapinaud, détruits, et tous les chouans soumis,
on ne souffrirait pas long-temps l'espece de
principauté qu'il s'était armgée dans le Haut-
Anjou. Il pensa qu'iI ne falJait pas attendre,
pour agir, que tous les royalistes fussent ex-
terminés; alléguant pour prétexte un réglement
de Hoche, illeva de nouveau l'étendard de la
révolte, et reprit les armes. Hoche était en ce
moment sur les bords de Ja Loire, et il alIrát
se !endre dans le Calvados pour juger de sc~




lHHUCTOIRE (1796).
yeux J'état de la NOl'mandie et de la Bl'etagne.
U ajourna aussitot son départ, et fit ses prépa-
ratifs pour enlever Stofflet, avant que sa ré-
volte put acquérir quelque importallce. Hoche,
du reste, était eharmé que Stofflet luí fournit
lui-meme l'occasion de rompre la pacification.
Cette guerre l'embarrassait peu, et lui permet-
tait de traiter l' Anjoll comme le Marais et la
Bretagne. 11 fit partir ses colonnes de plusieurs
points a la fois, de la Loire, du Layon et de la
Sch'l'e Nantaise. Stofflet, assailli de tous les
cotés, ne. put tenir nulle parto Les ]:>aysans de
l'Anjou étaient encore plus sensibles aux dou-
ccurs de la paix que eeux ou Marais; iis n'a-
vaient point répondu a l'appel de leur aneien
chef, et l'avaient laissé commeneer la guerrf'
avec'les mauvais sujets du pays et les émigrés
dont son camp était rempli. Deux rassemhle-
ments qu'íl avait formés furent dispersés, el
lui-meme se vit ohligé de courír, comme eha-
l'ette, a travers les bois. Mais iI n'avait ni 1'0-
piniatreté, ni la dextérité oe ce ch~f, et SOll
pays n'était pas anssi heureusement disposé
ponr cacher une troupe de maraudeurs. Il fnt
livré par ses propres affidés. Attiré dans une
ferme, sous prétexte d'une conférence, iI fut
saisi, garrotté et abandonné aux républicains.
OH assure que SOll fidele ministre, l'ahhé Ber-




:.1. .6 RÉVOJJUTION FRAN(jAISE.
lIier, prit part a ceUe trahison. La prise de ce
chef était d'une grande importance par l'effet
moral qu'elle devait produire sur ces contrées.
Il fut conduít a Angers; et apres avoir subi un
interrogatoire, il fut fusillé le 7 ventase (26 fé-
vrier), en présence d'un peuple immense.


Cette nouvelle causa une joie des plus vives,
et 6t présager que bientot la guerre civile 6-
nirait dans ces malheureuses contrées. Hoche,
au mílieu des soins si pénibles de ce genre de
guerre, était abreuvé de dégou.ts de toute es-
pece. Les toyalistes l'appelaient naturellement
un scélérat, un buveur de sang, quoiqu'il s'ap-
plíquat a· les détruire par les voies les plus
loyales; mais les patriotes eux-memes le tour-
mentaiellt de leurs calomnies. Les réfugiés de
la Yendée et de la Bretagne, dont il réprimait
les fo.reurs, et dont iI cOlltrariait la paresse,
en ce~sant de les nourrir des qu'il y avait sú-
reté pour eux sur leurs terres, le dénonc;aient
au directoire. Les administratiolls des villes
qll'il meUait en état de siége, réclamaiellt COll-
tre l'établissement du systeme militaire, et le
déuonc;aient aussi. Des commUlles soumises a
des amelldes, ou a la perception militaire de
l'impót, se plaignaient a leur tour. C'était UlI
concert continuel de plaintes el de réclallla-
tions. Hoche, dont le caraeterc élait irritable :'




DII\ECTOIIIE (1796). . 2 J 7
fllt plusieurs foís poussé au désespoil', et de-
manda formellement sa démission. Mais le di-
rectoire la refusa, et le consola par de nou-
veaux témoignages d'estÍme et de confiance.
Tl lui fit un don national de deux beaux che-
vaux, don qui n'était pas seulement une ré-
compense, mais un secours indispensable. Ce
jeune général, qui aimait les plaisirs, qui était
a la tete d'une armée de cent mille hommes,
et qui disposait du revenu de plusieurs pro-
vinces, manquait cependant quelquefois dn
nécessaire. Ses appointements payés en papier
se réduisaient a rien. Il manquait de chevaux,
de selles, de brides, et il demandait l'autori-
sation de prendre, en les payant,. six selles,
six brides, des fers de cheval, qnelques bou-
teilles de rhum, et qn~lques pains de sucre,
dans les magasins laissés par les Anglais a Qui-
beron : exemple admirable de délicatesse, que
nos généraux républicains donnerenl souvent,
et qui alJait devenir ton s les jours plusrare, a me-
sure que 110S invasions allaient s' étendre, et que
nos mrenrs guerrieres allaient se corrompre
par l' effet des conquetes et des mreurs de cour !


Encouragé par le gouvernement, Hoche con-
tinua ses efforts pour flnir son ouvrage dans la
Vendée. La pacification complete ne dépendait
plus que de la prise de Chal'ctte. Ce chef, réduit


.),




218 RÉVOLUTION .FRAN~AJSE.
anx abois, lit demander a Hoche la permissiolJ
de passer en Angleterre. Hoehe y consentit,
d'apres l'autorisation qu'il en· trouvait dans
l' arrelé du directoire, relatif aux chefs qui fe-
raíent lenr soumíssion. Maís Charette n'avait
faít cette demande que pour obtenir un pea
de répit, et il n'en voulait pas proliter. De son
coté, le direetoire ne voulait pas faire gd.ce a
Charette, paree qu'il pensait que ce chef fa-
meux serait toujours un épouvantail pour 1ft
contrée. Il éerivit a Hoche de ne lui accorder
aueune transadion. Mais lorsque Hoche re<{ut
ces nouveaux ordres, Charette avait déja dé-
ciaré que sa demande n'étaít qn'une feinte poUl'
obtenir qu.elques moments de repos, et qu'il
ne voulait pas du pardon des républícaills.
Il s'étaitmis de nouveau a courír les bois.


Charette ne pouvait pas échapper plus long-
tempsaux républieains. Poursuivi a la fois pa¡-
Jes eolonnes d'infanterie et de eavalerie, ob-
servé par des troupes de soldats déguisés, dé-
noneé par les habitants, qui voulaient sauvet'
leur pays de la dévastation, traqué dans les
bois eomme une bete fauve , iI tomba le 2 ger-
minal (:12 mars) dans une embuscade qui lui
fut tendue par Travot. Armé jusqu'aux dents,
et entouré de quelques bravcs qni s'effon:;aienl
de le eouvrir de leurs corps, il se défendil




DIllECTOIRE (1796). 219
comme un lion, et tomba enfin frappé de pIu-
sieurs coups desabre. Il ne voulut rcmettre
son épée qu'au brave Travot, qui le traita avec
tous les égards dus a un si grand courage. II
fut conduít au quartier républicain, et admis
atable aupres du chef de l'état-major Hédou-
ville. Il s'entretint avec une grande sérénité,
et ne montra nuUe affliction du sort qui 1'at-
tendait. Traduit d'abord a Angers, iI fut ensuite
transporté a Nantes, pour y terminer sa vie
aux memes Iieux qui avaient été témoins de son
triomphe. JI subit un interrogatoire auquel il
répondit avec beaucoup de calme et de conve-
nance. On le questionna sur les prétendus ar-
tieles secrets du traité de La J aunaye, et il
avoua qu'il n'en existait point. Il ne chercha
ni a paUier sa conduite, ni a excuser ses mo-
tifs; iI avoua qu'il était serviteur de la ~oyau­
té, et qu'il avait travaillé de toutes ses forces.
a renverser la république. Il montra de la di-
gnité et une grande impassibilité. Conduit a~
supplice au míIieu d'un peuple irnmense, qui
ll'était point assez généreux pour lui pardon-
ller les maux de la guerre civile, il conserva
toute son assurance. Il était tout sanglant; iI
avait perdu trois doígts dans son dernier co~­
bat, et portait le bras en écharpe. Sa tete était
ellveloppée d'un mOllchoil'. 11 ne vou!ut ni Sl}




2.20 RÉVOLUTION FRANyAISI':'


laisser bander les yeux, ni se mettre a geuolJx.
Resté debout, il détacha son bras de son
écharpe, et donna le signal. Il tamba mort SUJ"-
le-champ. C'était le 9 germinal (29 mars ).
¡\insi finit cet homme célebre, dont l'indomp-
table courage causa tant de maux a son pays,
et méritait de s'illustl'er dans une autre car-
riere. Compromis par la derniere tentative de
débarquement qui avait été faite sur ses cotes,
iI ne voulut plus reculer , et finit en désespéré:
H exhala, dit-on, un vif ressentiment contr~
les princes qu'il avait servís, et dOJlt iI se re·
gardait comme abandonné.


La mort de Charette causa ~utallt de joie
que la plus belle victoire sur les Autrichicns.
Sa mort décidait la fin de la guerre civile.
Hoche, croyant n'avoir plus ríen a faire dans
la Vendée, en retira le gros de ses troupes,
pour les porter au-dda de la Loire, et désarmel'
la Bretagne. Il y laissa néanmoins des torces
suffisantes pour réprimer les brigandages isa-
lés, qui sllivent d'ordinaire les guerres civiles,
et pourachever ledésarmement du pays. Avant
de passer en Bretagne, il eut a comprimer un
mouvement de révolte qui éclata dans le voisi-
llage de l'Anjou, vers le Berry. Ce filt l'occupa-
tion de quelques jours; il se porta ensuite avec
vingt mille hommes eu Rretagne, et, fidele a son




IlIRECTOIln: e I 79G). 221
plan, I'embrassa d'un vaste cOl'don de la Loire ~
Cranville. Les malheureux chouans ne POIl-
vaient pas tenir contl'e un effort aussi grand et
aussi bien concerté; Seépeaux, entre la Villaille
et la Loire, demanda le premier a se sou-
mettre. Il remit un nombre eonsidérable d'ar-
mes. A mesure qu'ils étaient refoulés vers
I'Océan, les ehouans devenaient plus opinia-·
tres. Privés de munitions, ils se battaient eorps
a eorps, a coups de poignards et de balo n-
nettes. Enfin on les aeeula tout-a-fait a la mel'.
Le Morbihan, qui depuis long-temps s'étail
séparé de PUlsaye, rendit ses armes. Les autres
divisions suivirent cet exemple les unes apres
les antres. Bientot tonte la Bretagne fut sou-
mise a son tour, et Hache n'eut plus qu'il
distribuer ses cept mille hommes en une mul-
titude de cantonnements ponr surveiller le
pays, et les faire vivre plus aisément.. Le travail
qlli lui restait a faire ne consistait plus qu'en
des soins d'administration et de police; iI lui
fal/ait quelques mois encore d'un gouverne-
ment doux et habile pour calmer les haines, eL
rétablir la paix. Malgré les cris furieux de
tons les partis, Hache était craint, chéri, res-
pecté dans la contrée, et les royalistes com-
men~aient a pardonner a une républiqlle si
dignement représentée. Le clergé surtout, dont




222 Ilb:VOLUTION FRANQAISE.


il avait SU capter la confiance, lui était entit~­
rement dévoué, et le tenait exactement instruit
de ca qu'il avait intéret a connaitre. Tont pré-
sageait la paix et la fin d'horribles calamités.
L'Angleterre ne pouvait plus compter sur les
provinces de l'Ouest pour attaquer la répnhli-
que dan s son propre sein. Elle voyait , au con-
traire, dans ces pays cent mille hommes, dont
cinquante mille devenaient disponibles, et pon-
vaient etre employés a quelque entreprise
fatale pour elle. Hoche, en effet, nourrissait
un grand pro.iet, qu'il réservait pour le milieu
de la belle saison. Le gOllvernement, charmé
des services qu'il venait de rendre, et voulanl
le dédommager de la tache dégoutante qu'il
avait su remplir, fit déclarer pour lui, comme
pOllf les armées qui remportaient de grandes
victoires, que l'armée de l'Océan et son chef
avaient bien mérité de la patrie.


Ainsi la Vendée était pacifiée des le mois de
germinal, avant qu'aucllne des armées mt
entrée en campagne. Le diréctoire pouvait se
livrer sans illquiétude a ses grandes opéra-
tions, et tirer meme des cotes de l'Océan
d'utiles renforts.




??,3


CHAPITRE IV.


-==-


Campagne de 1796. Conque te du Piémont et de la Lom·
bardie par le général Bonaparte. Bataillcs de Monte-
notte, Millesimo. Passagc du pont de Lodi. - Établis~
sement et politique des Franr;ais en ltalie.-Opérations
militaires dans le Nord. Passage du Rhin par les géllP-
l'aux Jourdan et Moreau. Eatailles de Radstadt et
d'Ett.lingen. - L'armée d'Italie prend ses positions sur
I'Adige et sur le Danube.


LA cinquieme campagne de la liberté allai.t
commencer; elle devait s'ouvrir sur les plus
beaux tbéatres militaires de I'Europe, sur les
plus variés en obstacles, en accidents, en li-
gnes de défense ou d'attaque. C'étaient, d'Ullf~
part, la grande vallée du Rhin et les deux val-
]ées transversales du Mein et du N ecker; de
l'autre, les Alpes, le Po, la Lombardie. Les




? 2{~ RlÍVOLUTION FR A N~AJSE.
armées qui allajent entrer en ligne étaient les
plus aguerries que jamais on eut vues sous les
armes; elles étaient assez nombre uses. ponr
remplir le terrain sur lequel elles devaient
agjr, mais pas assez pour rendre les combinai-
sons inutiles, et réduire la guerre a une sim-
ple invasion. Elles étaient eommandées par de
jeunes généraux, libres de toute routine, af-
franehis de toute tradition, mais instruits ce-
pendant, et e~altés par de grands événements.
Tont se réunissait done pour rendrc la lutte
opiniatre, variée, féeonde en eombinaisons, et
digne de l'attention des hommes.


Le projet du gouvernement fran<;ais, eomme
on l'a vu, était d'envahir l' Allemagne pour faire
vi.vre ses armées en pays ennemi, pour déta-
eher les prinees de l'Empil'e, investir Mayenee,
et menaeer les États hél'éditail'es. Il voulait en
rrll~me temps essayer une tentative hardic en
Halie pour y nourrir ses armé es et arracher
eette riche eontrée a l' Autriche.


Deux belles armées, de soixante - dix a
quatre-vingt miile hommes' ehacune, étaient
données sur'le Rhin a deux généraux célebres.
Une trentaine de mille soldats affamés étaÍent
eonfiés a un jeune homme inconnu, mais au-
dacieux, ponr tenter la {ortnn e :w- del a des
Alpes.




DIRECTOIRE (1796).
Bonaparte arriva an qllartier-général a Nice


le 6 germinal an IV (26 mars). Tont s'y trou-
vait dans un état déplorable. Les tronpes y
étaient réduites a la derniere misereo Sans ha-
bits, sans sOllliers, sans pale, quelquefois sans
vivres'; elles supportaient cependant leurs pri-
vations avec un rare courage. Grace a cet esprit
industriellx qui caractérise le soldat fran<;;ais,
elles avaient organisé la maraude, et descen-
daient alternativement et par han des dans les
campagnes de Piémont pour s'y procurer des
vivres. Les chevaux manquaiellt absolument a
l'artillerie. Pour nourrír la cavalerie, on l'avait
transportée en aniere sur les hords du Rhóne.
Le trenlÍeme cheval et l'emprunt forcé n'étaient
pas encore levés dan s le Midi, a cause des
troubles. Bonaparte avait re<;;u pour toute res-
sOllrce deux mille louís en argenf, et un mil-
líon en traites, dont une partie fut protestée.
Pour su ppléer a tout ce qui manquait, on né-
gociait avec le gouvernement génois, afin d'en
obtenir quelques ressources. On n'avait pas
encore rec;u de satisfaction pour l'attentat com-
mis sur la frégate la Modeste, et en réparation
de cette violatioll de neutralité, on demandait
au sénat de Genes de consentir un emprunt
ct de livrer aux Fran<;;ais la forteresse de Gavi,
qni commande la route de Genes a Milan. On


VIII. 15




226 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


exigeait aussi le tappel des familles génoises,
expulsées pour leur attachement a la France.
Telle était la situation de l'armée lorsque Bo-
naparte y arriva.


Elle présentait un tout autte aspect, soos le
rapport dés hommes. C'étaiellt pour la plupart
des soIdats accourus aux armées a l'époque de
la:le~ée en masse, instruits, jeunes, habitués
aux privations, et aguerris par des combats de
géants, au milieu des Pyrénées et des Alpes.
Les généraux avaient les qualités des' soldats.
Les principaux étaient Masséna,jeune Nissard,
d'un esprit ineulte, mais précis et lumineux au
milieu cles dangers, et d'une ténaeité indomp-
tabIe; Augereau, ancien maitre d'armes, qu'une
grande braVOllre et l'art d'entrainer les soldats
avaient porté aUx premiers grades; Laharpe,
Suisse expatrié, réunissant· l'instruction au
courage; Serruriet, ancien major, méthodique
et brave; enfin Berthier, que son activité, son
exactitude a soiguer les 'détails, son savoir géo-
graphique, sa facilité a mesurer de l'reill'éten-
due d'un terrain; ou la force numérique d'une
colonne, rendaient éminemment propre a etre
un chef d'état-major utile et cornmotle.


Cette armée avait ses dépots en Provence;
elle était rangée le long de la chalne des Alpes;
se líant par sa gauche a vec ceHe de Kellermann,




IHHCTOIRE (1796).
gardant le col de Tende, et se prolougeant vers
l'Apennin. L'armée active s'élevait all plus a
tl'ente-six mille hommes. La division Serrurier
était a Garession, all-dela de l'Apennin, pour
surveillel· les Piémontais dans leur camp re-
tranché de Ceva. Les divisions Augereau, Mas-
séna, Laharpe, formant une masse d'envi-
ron trente mili e hommes, étaient en-de<,¡a de
l'Apennin.


I .. es ~iémolltais, an nombre de vingt ou
vingt-deux mille hommes, et sons les ordres
de CoIli, campaient a Ce va , sur les revers des
monts. Les Autrichiens, au nombre de trente-
six ou trente-huit mille, s'avanc;aient par les
routes de la Lombardie vers Genes. Beaulieu,
qui les eommandait, s'était fait remarquer dans
les Pays-Bas. C'était un vieillard que distín-
gllait une ardeur de jeune homme. L'ennemi
pOllvait done opposer environ. soixante mille
soldats aux trente mille que Bonaparte avait a
mettre en ligue; mais les Autrichiens et les
Piémolltais étaient pell d'accord. Suivant l'an-
cien plan, Colli vOlllaít couvrir le Piémont;
Beaulieu voulait se maintenir en commnníea-
tion avec Genes et les Anglais.


Telle était la force respective des deux partís.
Qlloique Bonaparte se fut déja fait connaitre a
l'ilrmée d'ltalie, on le trollvaÍt bien jeune ponr


15.






2. 2. 8 1\ÉVotUTION FRANC;:AJSE.
]a commander. Petit, maigre, salls autre appa-
rence que des traits romains, et nn regard fixe
et vif, iln'avait dan s sa personne et sa vie pas-
sée rien qui put imposer aux esprits. On le re-
~ut sans beallcoup d'empressement. Masséna
lui en voulait déja pour s'etre emparé de l'es-
prit de Dumerbion en ] 794. Bonaparte tint a
l'armée un langage énergique. « Soldats, dit-il,
vous etes mal nonrris et presque nns. Le gon-
vernernent vous doit beancoup, mais ne peut
rien ponr vous. V otre patience, votre conrage
vous honorent, maÍs ne vous procurent ni
avantage ni gloire. Je vais vous conduire daus
les plus fertiles plaines du monde; vous y
trouverez de grandes villes, de riches provin-
ces; vous y trouverez honneur, gloire et ri-
chesses. Soldats d'ltalie, manqueriez-vous de
courage?» L'arrnée accueillit ce langage avec
plaisir: de jet\J}es généraux qui avaient tous
Ienr fartune a faire, des soldats aventu reux et
pauvres, ne demandaient pas mieux que de
voir les beBes contrées qu'on leur annoIl(,;ait.
Bonaparte fit un arrangemellt avec un fournis-
seur, et procura a ses soldats une partie du
pret qui était arriéré. Il distribua a chacun de
ses généraux quatre louis en or, ce qui montre
quel était alors l'état des fortunes. II trans-
porta ensnite son qllartier général a Alhenga,




UIHECTOIRE (1 79G). ~29
et lit marcher toutes les administrations le
long du littoral, sous le feu des canonnieres
angIaises.


Le plan a suivre était le meme qui s'était of-
fert l'année précédente a la bataille de Loano.
Pénétrer par le col le plus bas de l' Apennin ,
séparer les Piémontais des Autriehiens en ap-
puyant fortement sur leur centre, telle fut
l'idée fort simp~e que Bonaparte eon~ut a la
vue des lieux. JI eommen~ait les opérations de
si bonne heure, qu'il avait l'espoir de surpl·en-
dre les ennemis et de les jeter dans le désordre.
Cependant il ne put les prévenir. A vant qu'íl
arrivat, on avait poussé le général Cervoni sur
Voltri, tout pres de Genes, pour intimider le
sénat de eette ville, et l'obliger a consentir aux
demandes du directoire. Beaulieu, craignant le
résultat de eette démarche, se hata d'entrer en
action, et porta son armée sur Genes, partie
sur un versant de l' Apennin, partie sur l'autre.
I,e plan de Bonaparte restait done exéclltable,
al'intentioll pres de surprendre les Autriehiens.
Plusieurs routes conduisaient du revers de l'A-
pennin sur son versant maritime : d'abord eeHe
qui aboutit par la Bocchetta a Genes, puis
ceHe d'Acqui, et Dego, qui travcrse l'Apennin
au col de Montenotte, et débouche dans le
bassiu de Savone. Beaulieu laissa son aile droite




230 IU:VOLUTJON FI\AN9AISE.


a Dego, porta son centre sous d'Argenteau, au
col de Montenotte, et se dirigea lui-meme avec
sa gauche, par la Bocchetta el Genes, sur Vol-
tri, le long de la mer. Ainsi, sa position était
ceHe de Dewins a Loano. Une partie de l'ar-
mée autrichienlle était entre l'Apennin et la
mer; le centre, sons d'Argenteau, était sur le
sommet meme de l'Apennin au col de Monte-
notte, et se liait avec les Piémontais campés
a Ceva, de l'autre coté des monts.


Les deux armées, s'ébranlant en meme
temps, se rencontrerent en route le 22 ger-
minal ( 1 I avril). Le long de la mer, Beaulieu
donna contre l'avant-garde de la division La-
harpe, qui avait été portée sur Voltri, pour
inquiéter Genes, et la repoussa. D' Argenteau ,
avec le centre, traversa le col de Montenotte,
pour venir tomber a Savone sur le centre de
l'armée fran~aise, pendant sa marche supposée
vers Genes. Il ne trouva a Montenotte que le
colonel Rampon, a la tete de douze cents
hommes, el l'obligea a se replier dans }'an-
cienne redoute de Montelegillo, qui fermait la
route de Montenotte. Le brave colone}, sentant
l'importance de cette position , s'ellferma dans
la redoute, et résista avec opiniatreté a tous
les efforts des Autrichiens. Trois fois iI fut at-
taqué par toute l'infanteric ennemie, trois fois




il ]a repoussa. Au milieu du fen le plus meur-
trier, jI 6t jurer a ses soldats de mourir dans
la redoute, plutót que de l'abandonner. Les
soldats le jureren1, et demeurerent toute la
nuit soüs les armes. Cet acte de courage sauva
les plans du général Bonaparte, et peut-etre
l'avenir de la campagne.


Bonaparte, en ce moment, était a Savone. Il
n'avait pas fait retrancher le col de Montenotte,
paree qu'on ne se retranche pas quand on est
décidé a prendre l'offensive. Il apprít ce qui
s'était passé dans la journée a Montelegino et
a Vol tri. Sur-Ie-champ il sentit que le moment
était venu de mettre son plan a exécution, et
il manreuvra en conséquence. Dans la nuít
me me il repIia sa droite, formé e par la divi-
sion Laharpe" en cet instant aux prises le long
de la mer avec Beaulieu, et la porta, par la
route de Montenotte, au-devant d'Argenteau.
Il dirigea sur le meme point la division Auge-
reau, pour soutenir la divisioJl Laharpe. Enfin,
il 6t marcher la division Masséna par un che-
min détourné, au-dela de l' Apennin, de ma-
niere a la placer sur les derrieres memes du
corps de d'Argenteau. Le 23 (J:2 avril) au
matin, toutes ses colonnes étaiellt en mOllve-
ment; placé lui-meme sur un tertre élevé, il
voyait Laharpe el: AlIgereall marchant SUI' Ar-




:1.32 llÉVOLUTION FRAN~A.ISE.
geuteau, et Masséna qui, par un eircuit, che-
minait sur ses derrieres. L'infanterie autri-
ehienne résista avec bravoure; mais, en velop pée
de tout coté par des forces supérieures, elle
fut mise en déroute, et laissa deux mille pri-
sonniers et plusieurs centaines de morts. Elle
s'enfuit en désordre sur Dego, ou étaít le reste
de l'armée.


Ainsi Bonaparte, auquel Beaulieu supposait
l'intention de fi1er le long de la mer sur Genes,
s'était dérobé tout a coup, et, se portant sur
la route qui traverse l'Apennin, avait enfoncé
le centre ennemi, et avait débouché victorjeuse-
ment au-dela des monts.


Ce n'était rien a ses yeux que d'avoir accablé
le centre, si les Autrichiens n'étaient a jamais
séparés des Piémontais. Il se porta le jour meme
(23) a Careare, pour rendre sa position plus
central e , entre les deux armées coalisées. Il
était dans la vaUée de la Bormida, qui coule en
Italie. Plus bas, devant luí, et au f(Hld de la
vaHée, se trouvaient les Autrichiens, quí s'é-
taient ralliés a Dego, gardant la route d' Acqui
en Lombardíe. A sa gauche, il avait les gorges
de Millesimo, qui joignent la vallée de la Bor-
mida, et dans lesquelles se trollvaient les Pié-
montais, gardant la route de Ceva et du Pié-
lUont. Il faUait doue tout a lafois, qll'a sa gauehe




lJfRECTOIRE (J 790). ~d3
il fort;:at les gorges de Millesimo, pour etre
maitre de la route OU Piémont, et qu'en face
i1 enIevat Dego, pour s'ouvrir la route d'Acqui
el oe la Lombardie. AIors maltre des deux
routes, il séparait ponr jamais les coalisés, et
pouvait a VOlOllté se jeter sur les uns ou sur
les autres. Le lendemain 24 (13 avril), au ma-
tin, il porte son armée en avant; Augereau,
vers la gauche, attaque Millesimo, el les divi-
sions Masséna et Laharpe s'avancent dans la
vallée sur Dego. L'impétueux Auge,'eau aborde
si vivement les gorges de Millesimo, qu'il y
pénetre, s'y engage, et en atteint le fond,
avant que le général Provera, qui était placé
sur une hauteur, ait le temps de se replier.
Celui-ci était posté dan s les ruines du vieux
chateau de Cossaria. Se voyant enveloppé, il
veut s'y défendre; Augereau l'entoure et le
somme de se rendre prisonnier. Provera par-
lemente, et veut transiger. Il était important
de o'etre pas arreté par eet obstade, el sur-
]e-champ 00 monte a l'assant de la position.
Les Piémontais font pleuvoir un déluge de
pi erres, roulent d'énormes rochers, et éerasent
des lignes entieres. Néanmoins, le brave Jou-
hert soutient ses soldats, et gravit la hauteur
a Ieur tete. Arrivé a une certaine distan ce , il
tombe pereé d'une baIle. A ecUe vue, les sol-




234 RÉVOLUTION FRAN9AJSJ.:.
dats se replient. On est forcé de camper le
soir au pied de la hauteur; on se protége par
quelques abattis, et on vdlle pendant toute la
nuit, pour erupecher Provera de s'enfuir. De
leur coté, les divisions chargées d'agir dans
le fond de la vallée de la Bormida, ont marché
sur Dego, et en ont enlevé les approches. Le
lendemain doit etre la journée décisive.


En effet, le 2.5 (14 avril), l'attaque redevient
générale sur tous les points. A la gauche, Au-
gereau dans la gorge de Millesimo, repousse
tous les efforts que fait Colli pour dégager Pl'O-
vera, le hat toute la journée, et réduit Pro-
vera au désespoir. Celui-ci finít par déposer les
armesa la tete de quinze cents hommes. Laharpe
et Masséna, de leur coté, fondent sur Dego, ou
l'armée autrichiellne s'était renforcée, le 22 et
le 23, des corps ramenés de Genes. L'attaque
est terrible; apres plusieurs assauts, Dego est
enlevé; les Autrichiens perdent une partie de
leur artillerie, et laissent quatre mille prison-
niers, dont vingt-quatre officiers.


Pendant eette aetion, Bonaparte avait remar-
qué un jeunc offieier nommé Lannes, qui
chargeait avec une grande bravoure; il le fit
colonel sur le champ de bataiUe.


On se battait depuis quatl'e jours, et on
av:út besoin de repos; les soldats se reposaient




IHRECTOJRE (J 796).
a peine des fatigues de la bataille, que le brllit
des armes se fait de uouveau entendre. Six
mille grenadiers ennemis entrent dans Dego ,
et nous enlevent eeHe position qui avait coúté
tant d'efIorts. C'était un des corps autrichiens
qui étaient restés engagés sur le versant ma-
ritime de l' Apennin, et qui repassaien1;. les
monts. Le désordre était si grand que ce corps
avait donné sans s'en douter an milieu de
l'armée fran<;aise. Le brave Wnkassovich, qui
commandait ces six mille grenadiers, croyant
devoir se sauvcr par un eoup d'audace, avait
enlevé Dego. Il faut done reeommeneer la ha-
tailIe, et renouveler les efforts de la veiUe.
Bonaparte s'y porte au galop, rallie ses eo-
lonnes et les lance sur Dego. Elles sont arre-
tées par les grcnadiers antriehiens; mais elles
reviennent a la charge, et, entrainées enfin
par l'adjudant-général I .. anusse, qui met son
chapeau au hout de son épée, elles rentrent
clans Dego, et reeouvrent leur eonqlH~te en
faisant quelques centaines de prisonniers.


Ainsi Bonaparte était maltre de la vallée de
la Bormida : les Autrichiens fuyaient vers Ac-
qui sur la route de Milan; les Piémontais, apres
avoir perdu les gorges de MilIesimo, se reti-
raient sur Ceva et Mondovi. Il était maitre de
toutes les routes; il avait neuf mille prison-




:.1.36 R~VOLUTIUN J<'RA:Nt,;AlSJ-:.
niers, et jetait l'épouvante devant luí. Mauiallt
habilement la masse de ses forces, et la por-
tant tantot a MOlltenotte, tantot a Millesimo
et a Dego, iI avait écrasé partout l'ennemi,
en se rendallt supérieur a lui sur chaque point.
C'était le moment de prendre une grande dé-
terlllillation. Le plan de Carnot lui enjoignait
de négliger les Piémontais, pour courir sur les
Autrichiens. Bonaparte faisait cas de l'armée
piémontaise, et ne voulait pas la laisser sur
ses derrieres; iI sentait d'ailleurs qu'il suffisait
d'un Ilouveau coup de son épée pour la dé-
truire, et il trouva plus prudent d'achever la
ruine des Piémontais. Il ne s'engagea pas dans
la vallée de la Bormida pour descendre vers
le Po, a la suite des Autrichiens; iI prit agauche,
s'enfoll<;a dans les gorges de Millesimo, et sni-
vit la route du Piémont. La division Laharpe
resta seule au camp de San-Benedetto, domi-
nant le cours dll Belbo et de la Bormida, et
observant les AutrichiéIlS. Les soldats étaient
accablés de fatigues; ils s'étaient battus le 22
et le 23 a Montenotte, le 24 et le 25 a Mille-
simo et Dego, avaient perdu et l'epris Dego le
26, s'étaient reposés seulement le 27, et mar-
chaient encore le 28 sur Mondovi. Au milieu
de ces marches rapides, on n'avait pas le temps
de leur faire des distributions régulieres; ils




DIRECTOIRE (1796).
manqllaient de tout, et ils se livrerent a quel-
qnes pillages. Bonaparte indigné sévit contre
les pillards avec une grande rignellr. et mon-
tra autant d'énergie a rétablir l'ardre qu':'t
poursuivreTennemi. Bonaparteavait acqnis en
quelqlles jours tonte la confiance des soldats.
Les généraux divisionnaires ét:lient subjugués.
On écoutait avec attentioll, déj1t .avec admira-
tion, le langage précis et figuré du jeune capi-
taine. Sur les hallteurs de Monte-Zemoto, qu'il
fant franchir pour arriver a Ceva, l'armée aper-
c;ut les belles plaines du Piémollt et de l'ltalie.
Elle voyait couler le Tanaro, la Stura, le Pó, et
tousces fleuves qui vont se rendre dans l' Adria-
tique; elle voyait dans le fond les grandes Al pes
couvertes de neiges; elle fut saisie en contem"
plant ces belles plaines de la terre promise ".
Bonaparte était a la tt~te de ses soldats; iI fut
émn. -«Annibal, s'écria-t-il, avait franchi les
Alpes; nons, nOns les avons tournées. ) Ce mot
expliquait la campagne pour toutes les ¡nteIlí-
gences. Quelles destinées s'ouvraient alors de-
vant nous~


Colli' ne défendit le camp retranché de Ceva
que le temps nécessaire pour ralentir un peu
notre marche. Cet excellent officier avait SU


* F.xprt'ssion dp. Ronaparte.




238 llÉVOLUTION FIlANc;,;AISE.
raffermir ses soldats, et soutenir leur courage.
Il n'avait plus l'espoir de battre son redou-
table ennemi; mais iI voulait faire sa retraite
pied a pied, et donner anx Autrichiens le
temps de venir a son secours par une marche
détournée, comme on lui en faisait la pro-
messe. Il s'arreta derriere la Cursaglia, en avant
de Mondovi .. Serrurier. qui, au début de la
campagne, avait été laissé a Garessio pom oh-
server Colli, venait de rejoindre l'armée. Ainsi
elle avait une division de plus. CoIli était cou-
vert par la Cursaglia, riviere rapide et pro-
fonde, qui se jette dans le Tanaro. Sur la droite,
Joubert essaya de la passer; mais il faillit se
noyer sans y réllssir. Sur le front, Serruri~r
vou~ut franchir le pont de Saint-Michel. 11 y
réussit; mais Colli le laissant engager, fondit
sur lui a l'improviste avec ses meilleures trou-
pes, le refoula sur le pont, et l' obligea a re-
passer la riviere en désordre. La position de
l'armée était difficile. On avait sur les derrieres
Beaulieu, qui se réorganisait; iI importait de
venir a bout de Colli au plus tot. P¡mrtant la
position ne semhlait pas pouvoir etre ehlevée,
si elle était bien défendue. Bonaparte ordonna
une nouvelIe aUaque ponr le lendemain. Le 2
floré al (2 t avril) on marchait sur la Cursaglia,
lorsque ron tronva les ponts abandoJlnés. Colli




DIRECTOIRE ([ 796).
n'avait fait la résistance de la veille que pour
ralentir la retraite. On le surprit en ligne a
Mondovi. Serrurier décida la victoire par la
prise de la redoute principale, celle de la Bi-
coque. Colli laissa trois mille morts ou pri-
sonniers, et continua a se retirer. Bonaparte
arriva a Che rasco , place mal défendue, mais
importante par sa position au confluent de la
Stura et du Tanaro, et facile a armer avec
l'artillerie prise a l'ennemi. Dans cette position,
Bonaparte était a vingt lieues de Savone, son
point de départ, a dix lieues de Turin, a qllinze
cI'Alexandrie.


La confusion régnait dans la cour de Turin.
Le roi, qui était fort opiniatre. ne voulait pas
céder. Les ministres d' Angleterre et d' Autriche
l'obsédaient. de leurs remontrances, l'enga-
geaient a s',enfermer dans Turin, a envoyer
son armée au-dela du Po, et a imiter ainsi les
grallds exemples de ses aleux. lIs l'effrayaiellt
de l'illfluence révolutionnaire que les Franf,;aís
allaient exercer dallS le Piémont; ils deman-
{Jaient pour Beaulieu' les trois places de Tor-
tone, Alexandrie et Valence; afin qu'il put
s'enfermer et se défendre dans le triangle
qu'elles forment au bord du Po. C'était la ce
qui répugnait le plus au roí de Piémont. Don-
Del' ses trois premieres places a son ambitieux




2!¡O RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
voisin de la Lombardie lui était iusl1pporta-
LIe. Le cardinal Costa le décida a se jeter dans
les bras des Fran<;ais. Il lui fit sentir l'impos-
sibilité de résister a un vainqueur si rapide,
le danger de l'irriter par une longne résistance,
et de le pousser ainsi a révolutionner le Pié-
mont; tout cela pour servir une ambition étran-
gere et nH~me ennemie, ceHe de I'Autriche.Le
roi céda, et 6t faire des ouvertures par Colli a
Bonaparte. Elles arriverent a Che rasco le 4
floréal (23 avril). Bonaparte n'avait pas de pou-
voir pour signer la paix; mais il était maitre
de signer un armistice, et il s'y décida. JI avait
négligé le plan du directoire, pour achever de
rédllire les Piémontais; iI n'avait pas en cepen-
dant puur but de conquérir le Piémont, mais
seulement d'assurer ses derriere~. Ponr con-
quérir le Piémont; il fa1lait prendr~Tllrin, et iI
n'avait ni le matériel nécessaire, ni des forces
sllffisantes pour fournir un corps de hlocus et
se réserver une armée active. D'aillel1rs la cam-
pagne se hornait des-Iors a un siége. En s'en-
tendant avec le Piémont, avec des garanties
nécessaires, il ponvait fondre en sureté sur
les Autr'ichiens et les chasser de l'Halie. On
dis<rit autour de lui qu'il fallait ne pas accorder
de condition, qu'il fallait détroner un roi, le
parent des Rourbons, et répandre dans le Pié-




DIIlECTOIln; (,1796;. 2.Lil
mont la révolution fran(,;aise. C'était dans l'ar-
mée l'opinion de heaucoup de soldats, d'offi·
ciers et de générallx, et surtout d' Augereau,
qui était né au faubourg Saint-Antoine, et qui
en avait les opinions. Le jeulle BOllaparte n'é-
tait point de cet avis; iI sentait la difficulté de
révolutionner une monarchie, qui était la seule
militaire en Italie, et on les anciennes mreurs
s'étaient parfaitement conservées; iI ne devait
pas se créer des embarras sur sa route; iI VOll-
lait marcher rapidement a la conquete de l'Ita-
lie, qui dépendait de la destrnction des An-
trichiens et de leur expulsion au-dela des
Alpes. Il ne voulait done rien faire qui put
compliquer sa situation et ralentir sa mar-
che.


En conséquence iI consentit a un armistice;
mais iI ajouta en l'accordant, que, dans l'état
respectif des armées, un armistice lui serait
funeste, si on ne lui donnait des garanties eer-
taiues pour ses derrieres; en cOl1séquenee, iI
demanda qu'on lui livrat les trois places de
Coni, Tortont; et Alexandrie, avec tous les
magasius qu'elles renfermaient, lesquels servi-
raient a l'armée, sanf a compter ensuite avec
la république; que les routes dn Piémont fus-
sent ouvertes aux Fran(,;ais, ce qui abrégeait
considérablement le chemin de la Franee au


VITT.




242 nÉv"OLuTION FHAÑ9AISJ,.
hord du PO; qu'un service d'étape fUt préparé
sur ces roules pour les troupes qui les traver-
seraient; et qu' enfin l'armée sarde flit disper-
sée dan s les pIaces, de maniere que l'armée
franc;aise n'eut ríen a en craindre. Ces condi-
tions furentacceptées, et l'armistice fut signé
a Cherasco, le 9 floréal (28 avril), avec le co~
lonel Lacoste et le eomte Latour.


Il fut convenu que des plénipotentiaires par"
tiraient sur-Ie-champ pour París, afin de trai-
ter de la paix définitive. Les trois places de-
mandées furent livrées, avec des magasins
immenses. Des ce moment l'armée avait sa li-
gue cl'opération couverte par les trois plus
fortes places du Piémont; elle avait des routes
sures, commodes, beaucoup plus courtes que
ceHes qui passaient par la riviere de Genes,
et des vivres en abondance; elle se renforc;ait
d'uue quantité de soldats qui, au bruit de la
victoire, quittaient les hopitaux; elle possé-
daít une artíllerie l10mbreuse prise a Cherasco
et dans les différentes pIaces, et grand nombre
de chevaux; elle était enfin pourvue de tOllt,
et les promesses du général étaient aceom-
plies. Dans les premiers jours de son entrée
en Piémont, elle avait pillé, paree qu'elle n'a-
vait, dans ces marches rapides, rec;n aucune
distribntion. La faim apaisée, l'ordre fuI. réta-




DIRECTOIIW (1796). 243
hli. Le comte de Saint-Marsan, ministre de
Piémont, visita Bonaparte et sut lui pI aire ; le
fi/s nH~me du roí voulut voir le jeune vain-
queur, et lui prodiglla des témoignages d'es-
time qui le toucherent. Bonaparte leur rendit
adroitement les flatteries qu'il avait rec;;ues; iI
les rassura BUI' les intentions du directoire, et
sur le danger des révolutions. 11 était sincere
dans ses protestations, cal' il nourrissait déja
une pensée qu'illaissa percer adroitement daus
sesdifférents entretiens.Le,Piémont avaitman-
qué a tous ses intérets en s'alliant a l'Autriche:
c'est a la France qu'il devait. s's.lIíer; c'est la
:France qui était son amie naturelle, cal' la
France, séparée du Piémont par les Alpes, ne
pouvait songer a s'en emparer; elle pouvait au
contraire le défendre contre l' amhition de
l'Autriehe, et peut-etre meme lui procurer des
agrandissements.Bonaparte tie pouvait pas sup-
posel' que le dil'ectoire consentit a dormer au-
cune partie de la Lomhardie au Piémont; car
elle n'était pas conqllise encore, et on ne vou-
lait d'ailleurs la conquérir que pour en faire
un équivalellt des Pays-Bas; mais un vague es-
poir d'agrandissement pOllvait disposer le Pié-
mont a s'allier a la France, ce qui nous aurait
valu uu renfort de vingt mille hommes de
troupes excellentes. Il ne promit rien, mais iL


rG.




244 RÉVOLll'I'lON FRANVAISIi.
sut excit~r par quelques mots la convoitise et
les espérances du cabinet de Turin.


Bonaparte, qui joignait a un esprit positif
une imagination forte et grande, et qui aimait
a émouvoir, voulut annoncer ses succes d'une
maniere imposante et nouvellc : il envoya son
aide-de-camp Murat pour présenter solennel-
lement au directoire vingt et UD drapeaux pris
sur l'ennemi. Ensuite il adressa a ses soldats la
proclamation suivante :


« Soldats , vous avez remporté en qulnze
{( jours six víctoires, pris vingt et un drapeaux,
C( cinquante-~jnq pieces de canon, plusieurs
« place s fortes, et conqllis la partie la plus ri-
« che du Piémont; vous avez faít quinze rnille
« prisonniers *, tué ou blessé plus de dix: mille
R homllles; vous vous étiez jusqu'ici battus
c( pour des rocbers stériles, illustrés par votre
c( courage, mais inntiles a la patrie; vous éga-
« lez aujourd'hui, par vos services, l'armée de
« Hollande et du Rhio. DéllUés de tout, vous
(c avez suppléé a tout. Vous avez gagné des
« batailles sans canons, passé des rivieres sans
« ponts, faít des marches forcées sans souliers,
« bivouaqué saos eau-de-vie et SOllvent sans
« pain. Les phalanges républicaines, les soldats


.. Ce n'est ~u¡'l"f~ que c1ix a ollze miUe.




DrRECTOlRE (1796).
(( de la liberté, étaient seu(s capables de souf-
«( frir ce que vous avez souffert : graces vous
« en soíent rendues, soldats! La patrie recon-
« naissante vous devra sa prospérité; et si, vain-
(e qneurs de Toulon, vous présageatcs l'immor-
«( telle campagne de 1793, vos victoires actuelles
(( en présagent une plus belle encore. Les deule
«( armées qui naguere vous attaquaient ave e
«( audace, fujent épouvantées dcvant vous; les
e( hommes pervers qui rjaient de votre misere,
c( et se rejouissaient dans leur pensée des
«( triomphes de vos cIlIwmis, sont confondus
« et trcmblants. Mais, soldats, vous n'avez rien
(e fait, puisqu'il vous reste a faire. Ni Turin,
« ni Milan ne sont a vous : les cendres des
« vainqueurs de Tarqujn sont encore foulées
(e par les assassins de Basseville! On dit qu'il
« en est parmi vous dont le conrage mollit,
«( q ui préféreraient retourner sur les sommets
« de l'Apennin et des Alpes? Non, je ne puis
e( le croire. Les vainqueurs de Montenotte, de
« Millesimo , de Dego, de Mondovi, brulent
« de porter au loin la gloire du peuple fran-
« <,;ais.»)


Quand ces nouvelles, ces drapeaux, ces
proclamations, arriverent coup sur coup a Pa-
ris, la joie fut extreme. Le premier jour, e' é-
tait une victoire qlli ouvrait l'Apennin P.t don-




246 1\ÉVOLUTlON FllAN~AISE.
nait deux mille prisonniers; le second jour,
c'était une victoire plus décisive qlli séparait
les Piémontais des Autrichiens, ot donnait six
mille prisonniers. Les jours suivants appor-
faient de nouveaux succes : la destruction de
l'armée piémontaise a Mondovi , la soumissioD
du Piémont a Cherasco, et la certitud e d'une
paix prochaine qui en présageait d'antres. La
rapidité des sucd~s, le nombre des prisonniers,
dépassaient tout ce qu'on avait encore vu. Le
langage de ces proctamations rappelait l'anti-
quité, et étonnait les esprits. On se demandail
de tOlltes parts quel était ce jeulJe général dont
le nom, connu de quelques appréciateurs, et
inconnu de la France, éclatait pour la pre-
miere fois. On ne le pronolH;;ait pas bien en-
core, et on se disait avec joie que la républi-
que voyait ¡¡'élever tous les jours de n'ouveallX
talents ponr l'iHustrer et la défendre. Les COll-
seils déciderent par trois fois que l'arméc cl'Ita-
lie avait bien mérité de la patrie, et décréterellt
une fete a la Victoire ponr célébrer l'heureux
début de la campagne. L'aide-de-camp envoyé
par Bonaparte présenta les drapeaux au direc-
toire. La cérémonie fut imposante. On re~llt
ce jOllr-la plnsieul's ambassadeurs étrangers,
et le gouvernement parllt entoUl'é d'I.IIle con-
sidération toute notlveHe.




Le I)iémont soumis, le général Bonaparte
n'avait plus qu'a marcher a la poursuite des
Autrichiens, et a courir a la conqlH:~te de l'Ita-
líe. La nouvelle des victoires des Franc;ais avait
profondément agité tous les peuples de cette
contrée. Il fallait que celui qui allait y entrer
fUt aussi profond politique que grand capi-
taine, pour s'y conduire avec prudence. On
sait eomment l'Italie se préselltea qui débou-
che de l' Apennin. Les Alpes, les plus grandes
montagnes de notre Europe, apres avoir dé-
crit un vaste demi-cercle au couchant, dans
lequel eHes rellferment la Haute-Italie, retour-
nent sur elles-memes, et s'enfoncent tOllt-a-
coup en ligne oblique vers le midi, formant
ainsi une longue péninsule baignée par l' Adria-
tique et la Méditerranée. Bonaparte, arrivant
du couehant, et ayant franehi la ehaine au
point ou elle s'abaisse, et va, sous le Hom d'A-
pennin, former la pénillsule, avait en faee le
beau demi-cercle de la Haute-Italie, et a sa
droite, eette péninsule étroite et profonde qui
forme I'Italie illférieure. Ulle foule de petits
états divisaient cette eontrée qni soupira tou-
jours apres l'unité, sans laquelle iI n'y a pas
de grande existenee nationale.


Bonaparte vellaitde traversel' l'étatde Genes,
qui est placé de ce coté-ei de l' Apennin , et le




2.4S l1.ÉVOLUTlOl't l:'ltA1.'i<;A [SI:.
Piémont qui est au-dela. Genes, 3ntique répu-
blique, constÍluée par Doria, avait seule con-
servé une ~'éritable énergie entre tous les
gouvernements italiens. Placée entre les (leux
armées helligérantes depuis (¡natre ans, elle
avait su maintenir sa neutralité, et s'étáit mé-
nagé ainsi tous les profits dn commerce. En-
tre sa capitale et le Uuoral, elle cOlnptait a peu
pres cent mille habitants; elle entl'etenait ordi-
nairement trois a ql1atre mille homri1es de trou-
pes; elle ponvait al1 besoin armcr tous les pay-
sans de l'Apcnnín, et en former une milice
excellente; elle était riche en revenus. Deux
partis la divisaiellt : le partí contraire a la
France avait en l'avantage, et avait expulsé
plusieurs familles. Le directoire dut demander
le rappel de ces familles, et 1me indemnité
pour l'attentat commis sur la frégate la lJlodeste.


En quittant Genes, et en s'enfon<;ant a droite
dans la péninsule, le long dn revers méridio-
na} de l' A pennin, se présentait d'aborrl l'heu-
reuse Toscane, placée sur les deux bords de
l' Arno, sóus le soleil le plus doux, et dans
I'uhe des parties les inieux abl'itées de l'Italíe.
Une portion de cette contrée formait la pétite
république de I"ucques, penplée de cent qua-
rante mille habitants; le reste formait le grand
duché de Toscanc, gouverné récemment par




J'archiduc Léopold, et maintenant par l'archi-
due Ferdinand. Dans ce pays, le plus éclairé
et le plus poli de I'Italie, la philosophie du dix-
huitieme siecle avait dOllcement germé. Léo-
poId y avait accompli ses belles réformes
législatives, et avait tenté avec succes les ex-
périences les plus honorables pour l'humanité.
Véveque de Pistoie y avait meme commencé
une espece de réforme religieuse, en y propa- .
geant les doctrines jansénistes. Qlloique la ré-
volution eut effrayé les esprits dOllx et timides
de la Toscane, cepeudant c'était la que la
France avait le plus d'appréciateurs et d'amis.
L'archidllc, quoique Autrichien, avait été l'un
des premiers princes de l'Enrope a reconnalh'e
notre république. Il avait un million de sujets,
six mille hommes de troupes, el un revellu de
quinzé millions. Malheureusement la Toscane
était de tOlltes les principautés italiennes la plus
incapahle de se défendre.


Apres ]a Toscane venait I'État de l'ÉgIise.
Les provinces soumises au pape, s'étendant
sur les deux versants de l'Apennin, du coté
de l'Adr'iatique et de la Méditerranée, étaient
les plus mal administrées de l'Europe. Elles
n'avaient que leur belle agricultllre, ancienne
lradition des ages teculés, qui est commune
a tOlltc "ltalie, el quí supplée aux richesses




250 UÉVOLlJTION FRAN~AISE.
de I'indnstrie bannie depuis long-temps de son
sein. Excepté dans les légatiolls de Bologne et
de Ferrare , ou régnait un mépris profond pOUl'
le gouvernement des pretres, et aRome, an-
tique dépót dn savoir et des arts , ou quclques
seigneurs avaient partagé la philosophie de
tons les grands de l'Enrope, les esprits étaient
restés dans la plus hontense barbarie. Un peuo.
pIe superstitieux et sanvage, des moines pares-
seux et ignorants, formaient cette popnlation
de denx millions et demi de sujets. L'armée
était de qllatre a cinq mille soldats, on sait de
quelle qualité. Le pape, prince vaniteux, ma~
gnifique, jalonx de son autorité et de ceHe du
Saint-Siége, avait une haine profonde pour la
philosophie du dix-huitieme siecle; il croyait
rendre a la chaire de saint Pi erre une partie
de son influence, en déployant une grande
pompe, et il faisait exécuter des travaux utiJes
aux arts. Comptant sur la majesté de S3 per-
sonne, et le charme de ses paroles qui était
granel, il avait essayé jadis un voyage aupres
de Joseph JI, pour le ramener auxdoctrines de
l'Église, et pour conjurer la phiIosophie qui
semblait s'emparer de l'esprit de ce prince. Ce
voyage n'avait point été heureux. Le pontife,
plein d'horreur pour la révolution fralll;;aise,
avait lancé I'anatheme contre elle, et preché




une croisade; il avait merne souffert aRome
l'assassinat de l'agent fran<,;ais Basseville. Exci-
tés par les moines, ses sujets partageaient sa
haine pOllr la France, et furent saisis de fu-
reurs fanatiques en apprenant le succes de
nos armes.


L'extrémité de la péninsllle et la Sicile com-
posent le royaume de Naples, le plus puissant
de l'Italie, le plus analogue par l'ignorance
et la barbarie a l'état de Rome, et plus mal
gouverné encore, s'il est possible. La, régnait
un Bourhon, prince doux , imbécille, voué a
lIIle scule es pece de so in , la peche. Elle absor-
hait tous ses moments; et pendant qu'il s'y
livrait, le gouvernement de son royaume était
abandonné a sa femme, princesse autrichienne,
sceur de la reine de France, Marie-Antoinette.
Cette prihcesse d'un esprit capl'icieux, de pas-
sions désordonnée~, ayant un favori vendll aux
Anglais, le ministre Acton, conduisait les af-
faires d'une maniere insensée. Les Anglais, dont
la poli tique fut toujours ue prcndre pied sur
le continent, en dominant les petits états qui
en bordent le littoral, avaient essayé de s'im-
patroniser á N aples comme en Portugal et en
Hollande. lIs excitaient la haine de la reine
cúntre la l'rance, et lui souftlaient avec cette
hailJc I'alllbition dt' dominer l'Italie. La popq-




latÍon du royaume de Naples était de six mil-
lions d'habilants; l'armée de soixallte mille
hommes; mais bien différents de ces soldats
dociles et braves du Piémont, les solJats lIapo-
litains, vrais lazaronis, sans tenue, sans disci-
pline, avaient la lacheté ordinaire des armées
privées d'organisation. Naples avait toujours
promis de réunir trente mille hommes a l'ar-
mée de Dewins, et n'avait envoyé que deux
mille quatre cents hommes de cavalerie, bien
montée et assez bonne.


Tels étaient les principaux états situés dans
la péninsule, a la oroite de Bonaparte. En {ace
de lui, dans le demi-cercle de la Haute-ltalíe,
iI trouvait d'abord, sur le penchant de l'A pen-
nin, le duché de Parme, PIaisance et Guastalla,
comprenant cinq cent mille hahitallts, entre-
tenant trois mille hommes dp troupes, four-
nissant quatre millions de revenu, et gouverné
par un pl'ince espagnol qui était aneien éleve
de Condillac, et qui, malgré une saine éduca-
tion, était tombé sous le joug des rnoines et
des pretres_ Un peu plus a droite encore, tou-
jours sur le penchant de l'Apellnin, se trouvait
le duché de l\lodene, Reggio, la Mirandole,
penplé de quatre cent rnille habitants, ayant
six mille hommes sous les armes, et placé sous
l'antorité dn dernier descendant de l'iJlustre




flJRF.CTOIRI' (1796. 253
maison d'Est. Ce prince défiant avait conc,;u
une telle Cl'ainte de l'espril du siecle, qu'il
était devenu prophete a force de peur, et avait
prévu la révoltltion. On citait ses prédíctions.
Dans ses terreurs, iI avaít songé a se prérnu-
nír contre les coups du sort, et avait amassé
d'ímmcnses richesses en pressurant ses états.
A vare et timide, il étaít méprisé de ses sujets,
quí sont les plus éveillés, les plus malicieux
de l'ltalie, el les plus disposés a embrasser les
idées nouvelles. Plus loin, an-dela du Po, ve-
nait la Lombardie, gonvernée ponr l' Autriche
par un archiduc. Cette beIle et fertile plaine,
placée entre les eaux des Alpes qui la fécon-
dent, et ceHes de l' Adriatique qui luí élppor-
tent les richesses de 1'0rient, couverte de blés,
de riz, de paturages, de troupeaux, et riche
entre toutes les provinces du monde, était mé-
contente de ses maitres étrangers. Elle était
guelfe encore, malgré son long esc1avage. Elle
contenait dOl1ze cent mille habitants. Milan,
la capitale, fut toujours l'une des villes les plus
éclairées de 1'Italie: moins favorísée sous le
rapport des arts que Floreuce ou Rome, elle
était plus voisille cepelldant des lumiercs du
Nord, et elle renfermait grand nombre d'hom·
mes qui sOllhaitaient la régénération civiIe et
politiqlle des pellples.




25f. RJiVOLUTION ¡"RAN~.\ IS}:.
Enfill le dernier état de la Haute-Italie élait


l'antique république de VcnÍse. eette répu-
blique, avec sa vieille aristqeratie inscrite au
livre d'or, son inquisition d'état, son silence,
sa politique défiante et eauteleuse, n'était plus
pour ses snjets ni ses voisins une pniss3nee
redoutable. A vee ses provinces de terre-ferme
sitnées au pied du Tyrol, et ceHes d'I1Iyrie,
elle comptait :\ peu pres trois millions de su-
jets. Elle pouvait lever jusqu':\ einquante mille
Esclavons, bons soldats, paree qu'ils étaient
bien disciplinés, bien entretenus et bien payés.
Elle était riche d'une antique richesse; mais on
sait que depuis deux siecles son commerce avait
passé dans I'Océan, et porté ses trésors chez
les insulaires de l' Atlantique. Elle conservait
a peine quelqués vaisseaux; et les passages
des lagunes étaient presque comblés. Cepen-
dant elle était puissante encore en revenllS.
5a politique consistait a amuser ses peuples,
a les assoupir par le plaisir et le repos, et a
observer la plus grande neutralité a l'égard des
puissances. Cependant les nobles de terre-
ferme étaient jaloux du livre d'or, et suppor-
taient impatiemment le joug de la noblesse
retranchée dans les lagunes. A Venise meme,
une bourgeoisie assez rjche commeIll;ait a ré-
fléchir. En 1793, la coalition avait forcé le sp-




DIRECTOIll}: (1796).
llat á se prolloncer contre la France; ii avait
cédé, mais iI revint a sa politíque neutre, des
qu'on commen~:l á tl'aiter avec la république
franc;aise. Comme on I'a vu précédemment, iI
s'était pressé autant que la Prusse et la Toscal1e
pour envoyer un ambassadeur a París. Main-
tenant encore, eédant aux instanees du diree-
toire, ii venait de signifier au chef de la mai-
son de Bourbon, alors LOllis XVIII, de quitter
Vérone. Ce prince partit, mais en déclarant
'qu'il exigeait la restitution d'llne armure don-
née par son aleul Henri IV au sénat, et la
suppression du nom de sa famille des pages
du livre d'or.


TelIe était alors l'Italie. L'esprit généraI du
siecle y avait pénétré, et enflammé beaucoup
de tetes. Les habitants n'y souhaitaient pas
tous une révolution, surtout ceux qui se sou-
venaient des épouvantables scimes qui avaient
ensanglanté la natre; mais tous, quoique a des
degrés différents, désiraient une réforme; et iI
n'y avait pas un ereur qui ne battit a l'idée de
l'indépendance et de l'unité de la patrie ita-
lienne. Ce peuple d'agriculteurs, de bourgeois,
d'artistes, de nobles, les pretres exceptés quí
ne connaissaient que l'Église pom patrie, s'en-
flammait a l'espoir de voir toutes les parties
<In pays réunÍt>s en une seule, saus un meme




25G RÉVOLlJTION FR,\N~:AISE.
gouvernement, républicain ou rnouarchique,
rnais italien. Certes, une population de Villgt
millions d'ames, des cOtes et un sol admira-
bles, de grands pOl'ts, de magnifiques villes,
pouvaient composer un état glorieux et puis-
santl IL ue manquait qu'llne armée. Le Piémont
seul, toujours eugagé dans les guerres clu con-
tinent, avait des troupes braves et disciplinées.
Sans doute la natUl'e était loin d'avoir refusé
le courage naturel aux autres parties de 1'1talie;
mais le eourage naturel n'est rien san s une
forte organisation militaire. L'Italie n'avait pas
un régiment qui put supporter la vuc des balo n-
neUes fran<;aises ou autrichiennes.


A l'approche des FraIll;ais, les ennemis de la
réforme politique furent frappés d'épouvante;
ses partisans transportés de joie. La masse en-
tiere était dana l'anxiété; elle avait des pres-
sentiments vagues, incertains; elle ne savait
s'íl fallait craindre ou espérer.


Bonaparte, en entrant en Italie, avait le
projet et l'onll'tl d'eu chassel' les Autrichiells.
Son gouvernement voulant, eomme on 1'a dit,
se procurer la paix, ne songeait a eonquérir
la l,ombardie que pour la rendre a l' Autriche,
et forcer eeIle-ei a céder les Pays-Bas. Bona-
parte ne pouvait done guere songer a am-an-
ehir !'Halie; d'ailleurs av('c trente et quelques




.". 'i!'


DIRJlCTOiRF. (J 796).
11ülle hommes pouvait·il afficher un but poli-
tique? Ccpendant les Autrichiens une fois re-
jetés au-deJa des Alpes, et sa puissance bien
assurée, il pouvait exercer une grande in ..
fluenee, et, suivant les événements, tentér dé
grandes choses. Si, par exem¡Jle, les Autri-
ehiens battus partout, sur le Po, sur le Rhin
et le Danube, étaient obligés de eéder meme
la Lombardie; si les peuples vraimént enflam-
més pour la liberté se pro.non~aient pour elle
a l'approehe des armées fran<;aises, alors de
grandes destinées s'ou vraient pOtlr I'Italie! Mais
en attC'ndant, Bonaparte clevait n'afficher au-
eun hut ponr ne pas irriter tous les prinees qu'il
laissait sur sesderrieres. Son intelltiou était done
de ne montrer aucun projet révolutionnaire,
mais de ne point contrarier non plus l' essor
des imagi.nations, et d'attendre les effets de la
présence des Fran~ais Sllr le peuple italien.


C'est ain5i qu'il avait évité d'eneonrager les
méeontents du Piémont, paree qu'il y voyait un
pays diffieile a révolutionller, nn gouverne-
ment fort, et une armée dont l'allianee pon-
vait etre utile.


L'armistiee de Cherasco était a peine signé
qu'i! se mit en route. Beaucoup de gens dans
l'armée désapprouvaient une marche en a\;ant.
Quoi! disaicnt-ils, Hons ne sornmes que trente


VIII. 17




258 nÉvoLuTION FnAN<jAIsE.
et quelques mille, notls n'avons révolutionné
ni le Piémont ni Genes; noas laissons 'derriere
nous ces gouvernements, nos ennemis secrets,
et nouS allons essayer le passage el'un grand
fleuve eomme le Po! nous lancer a travers la
Lombardie, et décider, peut-etre, par llotre
présence, la république de Venise a jeter cin-
quante mille hommes dans la balance! - Bona-
parte avait l'ordre d'avancer, et iI n'était pas
homme a res ter en arriere d'un ordre auda-
cieux; mais il l'exécutait paree qu'il l'approu-
vait, et ill'approuvait par des raisons profondes.
Le Piémont et Genes nons embarrasseraient
bien plus, disait-il, s'ils étaient en révollltion ;
grace h l'armistiee, nous avons une route as-
surée par trois places fortes; tous les gouver-
nements de l'ltalie seront sOllmis, si nous sa-
vous rej eter les Autrichiens au-dela des Alpes;
Veuise trembIera si nous sommes victorieux
a ses cotés; le bruit de notre canon la déci-
dera meme a s'allier a nous; iI faut donc s'a-
vaneer non pas seulement au-deJa du Po, mais
de l' Adda, du Mincio, jusqu'a la belle ligue de
l' Adige; la nous assiégerons Mantoue, et nons
ferons trembler toute l'Italie sur nos derrieres.
- La tete du jeune général, enflammée par sa
mar.che, concevait meme des projets plus gi-
gantesqnes cncore que ceux qu'il avouait a
son armée. Il vOlllait , aprés avoir anéanti Beau-




DIRECTOIRE (1796). ~59
lieu, s'enfoncer dans le Tyrol, repasser les Al-
pes une seconde fois, et se jeter dans la vallée du
Danube, pOllr s'y réunir aux armées parties des
hords du Rhin. Ce projet colossal et imprudent
était un tribut qu'un esprit vas te et précis ne
pouvait manquerde payer a ladoubleprésomp-
tion de la jeunesse et d u succes. 11 écrivit a son
gouvernement pour etre autorisé a l'exécuter.


Il était entré en campagne le 2.0 germinal
(9 avril); la soutníssion clu Piémont était ter-
minée le 9 floréaI (2.8 avril) par l'armistice de
Cherasco; il Y avait employé dix-huit jours. JI
partit sur-le - champ afin de poursuivre Beau-"
lieu. JI avaít stipulé avec le Piémont qu'on luí
livl'erait Valence pour y pass el' le Po; mais cetle
condition était une feinte, cal' ce n'est pas a
Valence qu'il voulait passer ce fleuve. Beaulieu,
en apprenant l'armistice, avait songé a s'empa-
rer, par surprise, des trois places de Tortone,
Valence et Alexandrie. Il ne réussit a sur-
prendre que Valence, dans laquelle il jeta les
Napolitains; voyant ensuite Bonaparte s'avan-
cer rapidement, iI se hata de repasser le Po,
pour mettre ce fleuve entre lui et l'armée
fraul,;aise. Il alla campera Valeggío,au confInent
du Po et du Tésin, vers le sommet de l'angle
formé par ces deux fleuves. Il y éleva quelques
retranchements pour consolider sa posítion,


17·




260 REVOIJUTION FRAN~AISE.
et s'opposer au passage de l'armée fran<:ai5e.


Bonaparte, en quittant les états du roí de
Piémont, et en entrant dans les états du dnc
de Parme, re(,;ut des envoyés de ce prince, ql1 i
venaient intercéder la clémence du vainqueur.
Le due de Parme était parent de l'Espagne; il
rallait done avoir a son égard des ménagements t
qui, du reste, entraient dans les pl'ojets du gé-
néral. Mais on pouvait exercer sur lui quelques-
uns des droits de la guerreo Bonaparte rec;ut
ses envoyés au passage de ]a Trebbia; iI affecta
quelque courroux de ce que le duc de Parme
n'avait pas saisi , pour faire sa paix, le moment
ou l'Espagne, sa parente, traitait avec la répu-
blique franc;aise. Ensuite il aecorda un armis-
tice, en exigeant un tribut de 2 millions en ar-
gent, dont la caisse de l'armée avait un grand
hesoin; seize eents chevaux, nécessaires a 1'ar-
tillerie et aux bagages; une grande quantité de
blé et d'avoine; la faculté de traverser ]cduché,
et l'établissement d'h6pitaux pour ses malades,
aux frais dll prince. Le général ne se borna pas
la: il aimait et sentait les arts comme un Ita-
lien; iI savait tout ce qu'ils ajoutent a ]a splen-
deur d'un empire, et reffet moral qu'ils pro-
duisent sur l'imagination des hommes: il exigea
vingt tableaux, au choix des commissaires fran-
~ais, pour elre transportés a París. Les envoyés




DlRECTOIIlE (J 796). 261
du cluc, trop heureux de désarmer, a ceprix,
le courroux du général, consentirent a tout,
et se h.1terent d'exécuter les conditions de 1'ar-
mistice. Cependant ils offraient un million
pour sauver le tablean de saínt Jérome. Bo-
llaparte dit a l'armée : « Ce million, IlOUS
II l'aurions bientot dépensé; et nous en trouve-
(( rons bien d'antres a conquérir. Un chef-
\( d'ceuvre est éternel, il parera notre patrie. »
Le million fut refusé.


Bonaparle, apres s'thre c10nné les avantages
de la conquete sans ses embarras, continua sa
marche. La coudition coutenue dans l'armistice
de Cherasco, relativement au passage du Po a
Valence, la direction des principales coloones
fran<;aises. vers cette vine, tunt faisait croire
que Bunaparte allait tenter le passage du fleuve
dans ses environs. Tandis que le gros de son
armée était déja réuni sur le point ou Beaulieu
s'attendait an passage, le 17 floréal (6 mai), il
prend, avec un corps de trois mille cinq cents
grenadiers, sa cavalerie et vingt-quatre pieces
de canon, descend le long du Po, et arrive
le 18 au matin a Plaisance, apres une marche
de seize lieues et de trente-six heures. La cava-
lerie avait saisi en route tous les hateaux qui
se trouvaient sur les bords du fleuve, et les
avait amen(~s a Plaisance. Elle avait pris beau-




262 RÉVOLUTION .liRA NQAISE.


coup de fourrages, et la pharmacÍe de rarmée
autrichienne. Un bac transporte l'avant-garde
commandée par le colonel Lannes. Cet offieier,
a peine arrivé a l'autre bord, fond avec ses
greuadiers sur quelqnes détachements autri-
chiens, qui couraient sur la rive gauche du PÓ,
et les disperse. Le reste des grenadiers franchit
successívement le fleuye, et on coromence a
construire un pont pour le passage de l'armée,
qui avait re<;;u l' ordre de descendre a son tour
sur Plaisance. Ainsi, par une feinte et une
marche hardie, Bonaparte se trouvait au-dela
du Po, et avec l'avantage d'avoir tourné le
Tésin. Si, en effet, iI eut passé plus haut,
outre la diffieulté de le faire en présence de
Beaulieu, il aurait donné contre le. Tésin, et
aurait eu encore un passagc a effectuer. Mais,
a PlaÍsanee, cet inconyénient n'existait plus,
car le Tésin est déja. réuni au Po.


Le 18 mai, la division Liptai, avertie la pre-
miere, s'était portée a Fombio, a une petite
distance du Po, sur la mute <le Pizzighitone.
Bonaparte, ne voulant pas la laisser s'établir
dans une position ou toute l'armée autrichienne
allait se rallier, et ou iI pouvait etre ensuite
obligé de recevoir bataille avec le Po a dos, se
hate de combattre avec ce qu'il avait de forces
sons la maín. Il fonrl sur eette division qui




DI RECTOIHE (1796).
s'était retranchée, la déloge apres une action
sanglante, et lui fait deux mille prisonniers.
I,e reste de la divísion, gagnant la route de Piz-
zighitonc, va s'cufermer dans cette place.


Le soir du meme jour, Beaulieu, averti du
passage du Pó a PlaisaRce, arrivait au secours
de la divisionLiptai. Il ignorait le désastre de
eette division; ii donna clans les avant-postes
fran<;ais, fut accueilli chaudement el obligé de
se replier en toute hateo Maiheureusernent le
brave général Laharpe, si utile a l'armée par
son intelligence et sa bravoure, fut tué par
ses propres soIdats, au milieu de I'ohscurité de
la nuit. Toute l'armée regretta ce hrave Suisse,
que la tyranniedeBerneavait conduit enFrance.


Le PÓ frauchi, le Tésin tourné, Beaulieu
hattu et hors d' état de tenir la campagne , la
route de Milan était ouvertc. Il était naturel a
un vainqueur de vingt-six ans d'etre impatient
d'y entrer. Mais avant tout, Bonaparte désirait
achever de détl'llire Beaulieu. Pour cela, il ne
voulait pas se con ten ter de le hattre, il voulait
encore le tourner, lui couper sa retraite, el
l'ohiiger, s'il était possible, a mettre bas les
armes. II fallait, pour arriver a ce hut, le pré-
venir au passage des fleuves. Une multitud e de
fleuves descendent les Alpes, et traversent fa
Lombardie pour se rendl'e daus le l'ó ou dans




2.64 RÉVOLUTION FJlAN~AlSE.
l' Adriatique. Apres le Po et le Tésin, viennent
l'Adda, 1'0g1io, le Mincio, l'Adige et quantité
d'autres encore. Bonaparte avait maintenant
devant lui l'Adda, qu'il n'avait pas pu tourner
comme le Tésin, paree qu'il aurait fallu ne tra-
ver ser le Po qu'a Crémone. On passe l'Adda ;\
Pizzighitone; mais les débris de la division
Liptai venaíent de se jeter dans cette place.Bo-
naparte se hata de remonter l' Adda, pour ar""
river au pont de Lodi. Beaulieu y était bien
avant lui. On ne pouvait done pas le prévenir
au passage de ce fIeuve. Mais Beaulieu n'avait
a Lodi que douze mille hommes et quatre mille
eavaliers_. Deux autres divisions, sOus Colli el
Vukassovich, avaient faít un détour sur Milan,
pour jeter garnison dans le chatean, et devaient
revenir ensuite sur I'Adda pour le passer a Ca s-
sano, fort au-dessus de Lpdi. En essayant done
de franchir l' Adda a Lodi, malgré la présence
de Beaulieu, on pouvait arriver sur l'autre
rive avant que les deux divisions, qui devaient
passer a Cassano, eussent achevé lenr mouve-
mento Alors, il y avait espoir de les couper.


Bonaparte se trouve devant Lodi le 20- flo-
réal (9 mai). Cette ville est placée sur la rive
meme par laquelle arrivait l'armée fran~aise.
Bonaparte la fait attaquer a l'improviste, et y
pénetxe lllalgré les Autrichiells. Ceux-ei, quit-




DJ RECTOIl\E (1796).
tant alors la ,'ille, se retirent par le pont, et
vont se réunir sur l'autre rive au gros de Jeur
armée. C'est sur ce pont qu'il fallait passer, en
sortant de Lodi, pour franchir l'Adda. Douze
mille hommes d'infanterie et quatre mille ca-
valiers étaient rangés sur le bord opposé ; vingt
pieces d'artillerie entilaient le pont ; une nuée
de tirailleurs étaient placés sur les rives. 11
n'était pas d'usage a la guerre de braver de
pareilles difficultés : un pont défendu par seize
mille hommes et vingt pieces d'artillerie était
un obstacle qu'on ne cherehait pas a surmonter.
Toute l'armée fraw;aise s'était mise a l'abri dll
feu derriere les murs de Lodi, attendant ce
qu'ordonnerait le général. Bonaparte sort de la
ville, parcourt tous les bords du fleuve au mi-
lieu d'une grele de balles et de mitraille, et,
apres avoir arreté son plan, rentre dans Lodi,
pour le faire exécuter. Il ordonne a sa cava-
lerie de remonter l'Adda pour aner essayer de
le passer agué au-dessus du pont; puis il fait
former une eülüllue de six mil/e grenadiers; iI
pareourt leurs rangs, les encüurage, et leur
commnnique, par sa présence et par ses pa-
roles, un courage extraordinaire. Alors iI 01'-
donne de déboucher par la porte qui donnait
sur le pont, et de marcher au pas de COUl'se .


. 1l avait calculé que, par la rapidité du mouve-




2(j6 R.ÉVOI.UTION FRAN~AISE.
ment, la colonue n'aurait pas le temps de
souffrir beaucoup. Cette colonn~ redoutable
serre ses rangs, et débouche en COllrant sur le
ponto Un feu épollvalltable est vomi sur elle;
la tete elltiere est renversée. N éanmoins elle
avance; arrivée au milieu du pont, elle hésite;
mais les gélléraux la soutiennent de la voix et
de leur exemple. Elle se raffermit, marche en
avapt, arrive sur les pieces et tue les canon-
niers qui veulent les défendre. Dans cet instant,
l'infanterie autrichienne s'approche a son tour
pour soutenir son artillerie; mais apres ce
qu'elle venait de faire, la terrible colonne ne
craignait plus les balonnettes ; elle fond sur les
Al1trichiens au moment ou notre cavalerie, qui
avait trouvé un gué, menac,;ait leurs flanes; elle
les renverse, les disperse, et leur faít deux
mille prisonniers.


Ce COl1p d'audace extraordinaire avait frappé
les Autrichiens d'étonnement; mais malheu-
rellsement il devenait inutile. Colli et Vukas-
sovich étaient parvenus a gagner la chaussée
de Brescia, et ne pouvaient plus etI"e coupés.
Si le résultat était manqué, du moins ]a ligne
de l' Adda se tronvait emportée, ]e courage des
soldats était au plus hant point d'exaltation,
leur dévouement pour leur général, au comble.


Daos leur gaité ils imagioerent un usage




DIRECTOlllE (1796).
singulier qui peint le caractere national. Les
plus ~ieux soldats s'assemblerent un jour, et,
trouvant Ieur général bien jeune, imaginerent
de le faire passer par tous les grades: a Lodi,
ils le nommerent caporal, et le saluerent,
quand iI parut au camp, du titre, si fameux
depuís, de petit caporal. On les yerra plus tard
luí en conférer d'autres,' a mesure qu'il les
avait mérités.


L'arméeautrichienne était assurée de sa re-
traite sur le Tyrol; il n'y avait plus aucnne uti-
lité a la suivre. Ronaparte songea alors a se
rabattre sur la Lombardie, pour en prendre
possession, et pOUl" l'organiser. Les débris de
la division Liptai s'étaient retranchés a Pízzi-
ghitone, et pouvaient en faire une place forte.
n s'y porta pour les en chasser. n se fit ensuite
précéder par Masséna a Milan; Augereau ré-
trograda pour oecuper Pavie. Il voulait impo-
ser a eette granrle ville, célebre par son uni-
versité, et luí faire voir rune des plus belles
divisíons de l'armée. Les divisions Serrurier et
Laharpe furent laíssées a Pizzighitone, Lodí,
Crémone et Cassano, pour garder I'Adda.


Ronaparte songea en fin a se rendre a Milan.
A l'approche de farmée fralJ(;aise, les parti-
sans de l'Autriche, et tous ceux qu'épouvan-
tait la renommée de nos soldats, qu'on disait




",l~8 '
... u REVOLUTlON FRAN<;;AISJ.:.


all~si barbares que eourageux. avaient fui, et
couvraient les routes de Breseia et du Tyrol.
L'arehiduc était parti, et on l'avait vu verser
des larmes en quittant sa belle capitale. La
plus grande partie des Milanais se livraient a
l'espéranee et attendaient notre armée dans
les plus favorables dispositions. Quand ils eu-
rent re<;u la premiere division eommandée par
Masséna, et qll'ils virent ces soldats dont la
renommée était si effrayante, respeeter les
pl'opriétés, ménager les personnes, et mani-
fester la bienveillance naturelle a h~ul' carac-
tere, ils furent pleins d' enthousiasme, et les
comblerent des meilleurs traitements. Les pa-
triotes aceourus de toutes les parties d'Italie,
atteÍ1daient ce jeune vainquenr dont les ex-
ploits étaient si rapides, et dont le nom italien
lenr était si doux a prononeer. Sur-Ie-ehamp
on envoya le eomte de Melzi au- devallt de
Bonaparte pour lui promettrc obéissance. On
forma une garde nationale, et on l'habilla aux
trois couleurs, vert, rouge et blanc; le duc de
Serbelloni fut ehargé de la eommander. On
éleva un are de triomphe pour y recevoir le
général franc;ais. Le 26 floréal ( J 5 mai) , un
mois apres l'ouverture de la eampagne, Bona-
parte fit son entrée a Milan. Le peuple entier
de eette eapitale était accouru a S3 rencontre.




DIRECTOIRE (1 79G).
La garde nationale était SOllS les armes. La mu-
nicipalité vint lui remettre les defs de la ville.
Les acclamations le sllivirent pendant tonte sa
marche, jusqu'all palais Serbelloni, ou était
préparé son logement. Maintenant l'imagina-
tion des Italiens lui était acqnise comme celle
des soldats, et il pouvait agir par la force mo-
rale, autant que par la force physique.


Son but n'était pas de s'arreter a Milan plus
qu'il n'avait fait a Cherasco, apres la soumis-
sion du Piémollt. Il voulait y séjourner assez
pour organiser provisoirernent la province,
pour en tirer les reSSOUl'ces nécessaires a son
armée, et pour régler toutes choses sur ses
derrieres. Son projet ensuite était toujours de
courir a l' Adige et a Mantoue, et, s'il était
possible, jusqne dans le Tyrol et au-dela des
Alpes.


Les Autrlchiensavaient laissé dcux mille hom-
mes dans le chateau de Milan. Bonaparte le fit
investir sur-le-champ. On convillt avec le com-
mandant du chatea u , qu'il ne tirerait pas sur
la ville, cal' elle était une propriété autri-
chienne qu'il n'avait pas intéret a détruire.Les
t,'avaux du siége furent commencés sUI'-le-
champ.


Bonapal'te , sans se trop engager avec les
Milanais; et sans lellr promettre une indépen-




270 nÉvoLuTION FRANºAISE.
danee qu'il ne pouvait pas Ieur assurer, leur
donna cependant assez d'espéranees pour ex-
citer leur patriotisme. II ]eur tint un langage
énergique, et leur dit, que pour avoir la li-
berté, il fallait ]a mériter, en l'aidant a sous-
traire pour jamais l'Italie a l'Autriche. Il insti-
tua provisoirement une adrninistration muni-
cipale. Il 6t former des gardes nationales
partaut, a6Ii de donnei' un cornmencement
d;organisation militaire a la Lombardie. n s'oc·
cupa ensuite des besoins de son armée, et fut
obligé de frapper une contribution de 20 mil·
lions sur le Milanais. Cette mesure lui semblait
facheuse, paree qn' elle devait retarder la mm'-
che de l'espri.t puhlie; mais elle ne fut eepell-
dant pas trop mal accueillie; d'ailleurs elle
était indispensable. Grace aux magasins trou-
vés dans le Piémont, aux blés fournis par le
duc de Parme, l'armée était dan s une grande
abondance de vivres. Les soldats engraissaient,
ils mangeaient du bon pain, de ]a bonne viande,
et buvaient de l'ex.cellent vino lIs étaient con-
tents; et eommen<,:aient a observer une exade
discipline. II ne rcstait plus qu'a les habiller.
Couverts de leurs vieux habits des Alpes, ils
étaient déguenillés, el n'étaient imposants que
par leur renommée, lellf tenue martiale, et
leur belle discipline. Bonaparte trollva bientot




DIRECTOIRE (1796).
de nouvelles ressources. Le duc de Modene,
dOllt les états longeaient le Po, au-dessous de
cellX du duc tic Parmc; lui dépecha des en-
voyés pour obtenir les memes conditions que
le duc de Parme. Ce vieux prince avare, voyant
toutes ses prédíctions réalisées, s' étaít sauvé a
v cnise, avec ses tré&ors, abandonnant le gOll-
vernement de ses états a une régence. Ne vou-
lant pas cependant les perdre, il demandait a
traiter. Bonaparte ne pouvait pas accorder la
paix, mais il pouvait accorder des armistices,
qui équi valaient a une paix, et quí le rendaient
maltre de toutes les existences en Halie. II exi-
gea 10 millions, des subsistances de toute es-
pece, des chevaux, et des tableaux.


Avec ces ressources obtenues dans le pays-,
il établit, sur les bords du Po, de grands ma-
gasins, des hópitaux . fournis d' effets pour
quinze mille malades; et remplit toutes les
caisses de l'armée. Se jugeant meme assez ri-
che, il achemina sur Genes quelques millions
pour le directoÍre. Comme iI savait en outre
que l'armée du Rhin manquait de fOllds, et
que cette pénurie arretait son entrée en cam-
pagne, il fit envoyer par la Suisse un million
a Moreau. C'était un acle de hon camarade,
qui lui était honorable et utile; cal' il imp0l'tait
que Morcan entl'3.t en campagne pour empe-





272 IthVOLUTION FnAN~AJSE.
cher les Autrichiens de porter leurs prineípale~
forces en Italie.


A la vue de toutes ces dIoses, Bonaparte se
confirmait davantage dans ses projets. Il n'é-
laít pas nécessaire; selon lui, de marcher con-
tre les princes d'Italie; il ne fallait agir que
conlre les Autrichiens; tant qu'on résisteraít a
ceux-ci, et qu' on pourrait leur interdire le re-
tour en Lombardie, tous les états italiens;
tremblant sous l'ascendant de l'armée fran-
«¿aise, se soumeUraient l'un apres l'autre. Les
dnes de Parme et de Modene s'étaiellt soumis.
llome, Naples, en feraient autant, si l'on res-
ta'it maltre des portes de l'ltalie. I1 fallait de
meme garder l'expeetative a l'égard des pe u-
pies; et, sans renverser les gouvernements, al-
tendre que les sl1jets se soulevassenl eux-
memes.


Mais, au milieu de ces pensées si justes, de
ces travaux si vastes, une contrariété des plus
facheuses vint l'arreter. Le directoire était en-
chanté de ses serviees; mais Carnot, en lisant
ses dépéches, écrites avec énergie el précisioll,
et aussi avec une imagination extreme, fut
épouvanté de ses plans gigautesqnes.Il trou-
vait avec raison, que vouloir traverser le Ty-
rol; eL franchir les Alpes une secollde foís,
était un projet trap extraordillaire, et méme





mllH:TOlirE (1796).
ill1possiblc; mais a SOI1 tour, pour corriger le
projet Ju jeune capitaine, iI en concevait un
antre bien pillO; dallgereux. La Lombardie con-
quise, il fallait se replier, suivant Carnot, dans
la péninsule, aIler punir le pape et les Bour-
bons de Naples, et chasser les Anglais de 1..i-
vourne, oll le duc de Toscane les laissait do-
minero Ponr cela Carnot Ü'l'donnait, au nom du
directoire, de partager l'armée d'Italie en deux,
d'en laisser une partie en Lombardie, sous les
ordres de K.ellermann, et de faire marcher
l'autre sllr Rome et sur Naples, sous les 01'-
dres de Bonaparte. Ce projet désastreux re-
nouvelait la faute que les Fran~ais ont toujours
faite, de s'enfoncer dans la péninsnle, avant
d'etremaItres de la Haute-Italie. Ce n'est pas au
pape, au roi de Naples, qu'il faut disputer
l'ltalie, c'est aux Autrichiens. 01', la ligne d'o-
pération n'est pas alors sur le Tibre , mais sur
l'Adige. L'impatience de posséder nous porta
toujours a Rome, a Naples, et pendant que
nous courions dans la péninsule, nous vimes
toujonrs la route se fermer sur nous. Il était
naturel a des républicains de vouJoir sévir
contre un pape et un Bourbon; mais ils COIll-
mettaient la faute des anciens I'ois de Franee.


Bonaparte, dans son projet de se jeter dans
la vallée du Danlll~, n'avaít Vll que les Autri-


VIII.




27/1 nÉvOU¡TION' ],-nAN~AJS":'
chiens; c'était en lui l'exagération de la vérité
chez un esprit juste, mais jeune; il ne pou-
vait donc, apres une pareille cOllvietion, con-
sentir a marcher dans la péninsule; d'aillelll's,
sentant l'importance de l'unité de direction
dans une conquele qui exigeait autant de gé-
nie politique que de génie rnilitaire, il ne po u-
vait supporter I'idée-de partager le comman-
rlement ave e un vieux général, brave, mais
médiocre, et plein d'amour-propre. C'était en
lni l'égolsme si légitime du géllie, qui veut.
faire seu! sa tache, paree qu'il se sent seul
capable de la remplir. Il se conduisit ¡cí comme
sur le champ de bataille; iI hasarda son ave-
nir, et offrit sa démission dans une lcure aussi
respectueuse que hardie. Il sentait bien qn'on
n'oserait pas l'aceepter; mais il est certaiu qu'il
aimait encore mieux se démettrc qu'obéir,
cal' il ne pouvait consentir a laisser perdrc
sa gloire et l'armée, en exécutant un mallvais
plan.


Opposant la raison la plus lumineuse aux
erreurs fiu directeur Carnot, il dit qu'il fallait
tonjours faire faee aux Autrichiens, et s'occu-
per d'eux seuls; qu'nne simple division, s'é-
chelonnant en arriere sur le Po et sur Aneoue,
suffirait puur épouvanter la pénillsule , et obli-
gel' Home et Naples á demander c¡ual'tier. II se




tlisposa sur-le-champ a partir de Milan, pour
courir a l' Adige. et faire le siége de Man tou€'.
11 se pl'oposait d'atlendre la les nouveaux 01'-
dres du directoire, et la réponse a ses dépeches.


Il publia une nouvelle proclamation a ses
soldats, qui devait frapper vivement leut' ima-
giuation, et qui était faite aussi pOtlr agir for-
tement sur ceHe <In pape et du roí de Naples.


« Soldats, vous vous eles précipítés eomme
« un torrent du haut de l' Apennin; vous avez
« culbuté, dispersé tout ce qui s'opposaít él vo-
« trc marche. I,e Piémout, déli vré de la tyran-
« nie autrichienne, s'est livré a ses sentiments
« naturels de paix et d'amitié pour la France
f( Milan est a vous, et le pavillon républicain
{( flotte clans toute la Lombardie. Les ducs de
«Parme et de Modene ne doivent leur exis-
« tence poli tique qu'a votre générosité. L'ar-
«( mée quí vous menac;ait avec orgueil ne trouve
( plus de barriere qui la rassurc contre votre
c( courage; le Po, le Tésin, l' Adda, n' out pu
(( vous arreter un seul jour; ces houlevards
c( tant vantés de l'Italie out ~té illsuffisants;
{( vous les avez franchis aussi rapiclement que
I( l' Apennin. Tant de sucd~s ont porté la jOle
{( dan s le sein de la patrie; vos représentants
« Ollt ordoru~é une rete dédiée a vos victoires,
« cé[ébrées dans tOIl!f>S les communes de la ré-


18.




276 nÉvoLllTION FHAN0AISF.
« publique. La, vos p¿~res, vos mt>,'es, vos
« épouses, vos sreurs, vos amantes, se réjollis-
« sent de vos sUCct~S, et se vantent avec orguei 1
« de vous appartenir. Oui, soldats, vous avez
« beaucoup faít.. .. mais ne vous reste-t-il done
« plus rien a bire ? .... Dir'a-t-ún de nons que
( 110llS avons su vainere, mais que nOllS IJ'a-
« vons pas su pl'Ofiter de la victoire? La pos-
« térité vous reprochera-t-elle d'avoir trou vé
( Capoue dans la Lomhardic? Mais je vous vois
(( déja cOllrir aux armes .... Eh bien 1 partons1
«( Nous avons eneore des marches forcées a
( faire, des ennemis a soumettre, des lauriers
« a coeillir, des injures a vcnger. Que cellX qui
(C ont aignisé les poignards de la guerre civile
« en France, qui out l:khemellt assassiné nos
« ministres, incendié nos vaisseaux a Toulon ,
« tremblent 1 L'heure de la vellgeanee a sonllé;
« mais que les peuples soient sans inqlliétudc;
« nons sommes amis de tous les peuples) et plus
« particlllierement des descendants de Brllt 11 S ,
(( des Scipion, et des grands hommes que nous
« avons pris ponr modeles. Rétablit'le Capitule,
({ y placer avec honneur les statues des héros
« qlli le rendirent célebre; réveilJer le peuplc
« romain, engourdi par plusieurs siecles d'escla-
« vagp, tel sera le fmit de nos victoires. Elles
{( feront t~poqlle dans la postéI'ité : V(j[J~ ilUl'f'Z




D/HECTOIH1: ('79{j)· 2.7.7
« la gloire immortelle de changer la facede la
« plus belle partie de l'Europe. Le peuple frau-
« ~~ais, libre, respecté du monde entier, donnera
« a l'Europe une paix gloricuse, qui l'indemni-
" sera des sacrifices de toute espe-ce qu'il a faits
« depuis six ans. Vous rentrerez alors dans yos
« foyel's, et vos concitoyens diront en vous
« mont.rant : Il était de farmée d'ltalie. »


Il n'étáit resté que huit jours a Milan; il eH
partit le 2. prairial (2. 1 mai), pour se rendre a
Lodi, et s'avancer vers I'Adige.


Tandis que Bonaparte poursuivait sa marche,
un événement inattendu le rappela tout·a-coup
a Milan. Les nobles, les moines, le's domestiques
des familles fugitives, une foulede: ct:éatures
tlll gouvernement autrichien, y ;prépa~aiení .
une révolte contre l'armée fran({aise. lis r,épan-
dirent que Beaulieu, renforcé, arrivait avec
soixante mille hommes; que te prince de Condé
débollchait par la Suisse, sur les derrieres des
républicains, et qu'ils allaient etre perdus. Les
pretres, us:wt de lcur iníluence sur quelques
paysans qui avaient souffert du passage de
l'armée, les exciterent a prendre les armes.
Bonaparte, n'étant plus a MUan, on crllt que
le moment était favorable pour opérer la ré-
voltc, et faire soulever toute la Lombardie
sur ses derricres. La garllison du chatean de




278 nÉvoLuTlON FIlANI,;AISE.
MiJan donna le signal par une sortie. Aussitot
le tocsin Son na dans toutes les campagnes en-
vil'onnantes; des paysans armés se transporte-
rent a Milal~ pour s'en emparer. Mais la divi-
sion que Bo1l:fparte avait laissée pouI' bloquer
le chatean, ramena vivement la gal'nison dans
ses murs, et chassa les paysans qni se présen-
taient. Dans les environs de Pavie, les révoltés
eurent plus de sucees. Ils entrerent dans eeUe
ville', et s'en emparerent malgré trois eents
hommes que Bonaparte y avait laissés en gaI'-
nison. Ces trois cents hommes, fatigués ou
maladas, se renfermerent dans un fort, pOllr
~~~.s,~ré$~Les insurgés entourerent
lf;'fDtt/~;I~s~~reflt de se relldre. Un
,.; ,. ~ ~ . ~ " -i~ ""v. .'<I)~. 1 _ -". lJj~~i~'R,ta:jS',~"passait daos ce moment
ilPa~re,..rut etltouré; on l'obligea, le poigllard
sur la gorge, el signer un ordre pOtll' engagel'
la garnison a euvrir ses portes.L'ordre fut si-
gné et exécuté.


Ceue révolte pouvait avoir des eonséquences
désastreuses; elle pouvait provoquer une insur-
rection générale, et amener la perte de l'armée
franc;aise. L'esprit public d'une nalian est tou-
jours plus avancé dans les vil/es que dans les
campagnes. Tandis que la population des villes
d'Italie se déclarait pour nous, les paysans,
excités pal' les moines, et foulés par le pas-




llJlUCCTOlI1E (1796). 279
sage des armées, étaient fort mal disposés.
Honaparte se trouvait a Lodi, lorsqu'il apprit,
le t, pl'airial (23 mai), les événements de Milan
el de Pavie; sur-Ie-champ il rebroussa chelllin
avec trois cents chevaux, un bataillon de gre-
nadiers, et six pieces d'artillerie. L'ordre était
déja rétabli dalls Milan. Il continua sa route
sur Pavie , en se faisant préeéder par l'arche-
V{~que de Milan. Les insurgés avaient poussé
une avant-garde jusqu'au bourg de Binasco.
Lannes la dispersa. Bonaparte, pensant qu'il
{allait agir avec promptitude et vigueur, pOllr
arre ter le mal dans sa naÍssancc, 6t mettre le
fen a ce honrg, afin d' efIrayer Pavie par la Vlle
des flammes. Arrivé devant eette ville, iI s'ar-
reta. Elle renfermait trente mille habitants, elle
était entourée d'un vieux mur, et occupée par
sept ou huit mille paysans révoltés. Ils avaient
fermé les portes, et couronnaient les murailles.
Premlre eette ville avec trois cents chevaux el
uu bataillon, n'était pas chose aisée; et cepen-
dant il ne falIait pas perdre de temps, cal'
l'armée était déja sur l'Oglio, et avait besoin
de la présence de son général. Dans la nuit,
Bonaparle fit afficher aux portes de Pavie une
proclamation mena<;ante, dans laquelle ji di-
sait, qu'uue multitnde égarée et sallS moyens
I'éels de I'ésistancc, Lravait une armée triom-




280 nl(VOLUTION }'fiANqAISE.


phante des rois, et voulait perdre le peuple
italien; que, persistant dans son intentioIl de
ne pas faire la guerre aux peuples, il voulait
bien pardonner a ce délire, et laisser une
porte ouverte au repelltir; mais que ceux qui
De poseraient pas les armes a l'instant seraient
traités comme rehelles, et que leurs villages
seraient brulés. Les flammes de Binaseo, ajoll-
tait-il, devaient leur servir de lec;on. Le matin,
les paysans qui dominaient dans la ville, re-
fusaient de la rendre. Bonaparte fit balayer les
mlírai1/es par de la mitrailJe et des obus, en-
snite il fit approeher ses grenadiers, qui enfon-
cerent les portes á coups de hache. lIs péné-
trerent dans la ville,rt eurent un combat ¡t
soutenir dans les rues. Cependant on ne leur
résista pas long-temps. Les paysans s'enfuirent,
et livrerent la malheureuse Pa'vie au eonrroux
du vainqueur. Les soldats demandaient le pil-
lage a grands cris. BOllaparte, pour donner uu
exemple sévere, leur aceorda trois heures de
pillage. lis étaient a peine un millier d'hommes,
et ils ne pouvaient pas causer de grands désas-
tres dans une yille·aussi eonsidérable que Pavie.
lIs fandirent sur les boutiques c!'orfevrcrie, et
s'emparerent de beaucoup de bijoux. L'aete le
plus eondamnable fut le pillage du Mont-de-
Piété; mais heur.cusement, en Italic COI11nH'




DllU,CTOIllE (1796). 28 r
par'tont oú il Y a des gr:mds, pauvres et vani-
teux, les monts-de-piété étaient remplis d'ob-
jets appartenant aux plus hautes classes du
pays. Les maisons de Spallanzani et de Volta
furent préservées par les officiers, qui garde-
rent eux-memes les demeures de ces iIlustres
savants. Exemple doublement honorable et
ponr la Franee et pour l'Italie!


Bonaparte lan«;;a ensuite dans la campagne
6es trois cents chevaux, et fit sabrer une grande
quantité de révoltés. Cette prompte répression
ramena la soumission partont, et imposa au
parti qui en Italie était opposé a la liberté et a
la France. Il est triste d'etre réduit a employer
des moyens pareils; mais Bonaparte le devait
sous peine de sacrifier son armée et les des-
tinées de l'Italie. Le parti des moines trembla;
les malhenrs de Pavie, racontés de bouche en
botlche, furent exagérés; et l'armée fralll;aise
recouvra sa renommée formidable.


Cette expédition terminée, Bonaparte re-
broussa chemin sur-Ie-ehamp pOl1r rejoindre
l'armée qui était sur l'Oglio, et qui a1lait pas-
ser sur le territoire vénitien.


A l'approche de ['armée fran«;;aise, la qnes-
tion, tant agitée a Veníse, au parti a prendre
entre )' Autriche et la FraIlee, fut diselltée de
nOllve::m par le sénat. QuellJlles vieux oligar-




2~b ll.ÉVOLUTION FnAN9AISE.
ques, qui avaient conservé de I'éne"gie, au-
raient voulu qu'on s'aniat sur-le-champ a rAu-
triche, patronne natl1relle de tous les vieux
despotismes; mais on eraignait puur l'avenir
l'ambition autriehienne, et dans le mument les
foudres fran~aises. D'ailleurs il faIlait prendl'e
les armes, résolution qui eoutait beaueoup á
un gouvernement énervé. Quelques jeunes oli-
garques aussi énergiques, mais moins entl~tés
que les vieux, voulaient al1ssi une détermi-
nation eourageuse; ils proposaient de faire
un armement formidable, mais de garder )a
lleutralité, et de menaeer de cinquante mille
hommes eeHe des deux puissanees qui violc-
raÍt le territoire vénitien. Cette résolution était
forte, mais trop forte pour etre adoptée. Quel-
ques esprit s sages, au eontraire, proposaient
un troÍsieme partí, c'était l'allianee avec la
Franee. Le sénateur Battaglia, esprit fin, pé-
nétrant et modéré, présenta des raisonllements
que la suite des temps a reml11s pour aillsi dire
prophétiques. Selon lui, )a neutralité, meme
armée, était la plus mauvaise de toutes les dé-
termÍnations. On ne pourrait pas se faire res-
pecter, quelque force qu' on déployat; et n'ayanl
attuehé aueun des detix partís a sa cause, 011
serait t6t on tard sacrifié par tous les dellx. 11
fallait done se décider pour l'Autrichc 011 pOUl'




l>lIlECTOIHE (1796 J. ú,3
la France. L'Autriche était pour le moment
expulsée de l'Italic; et memc en lui supposant
les moyens d'y rentrer, elle ne le pourrait
pas avant deux mois, temps pendant lequel la
république pourrait etre détruite par l'armée
fraJl(;aise; d'ailleurs, l'ambition de l'Autriche
était toujours la plus redoutable pour Venise.
Elle lui avait toujours envié ses provinces de
1'1lIyrie et de la Haute-ltalie, et saisirait la pre-
miere oecasion de les lui enlever. La seule ga-
rantie eontre eette ambition était la puissance
de la Franee, qui n'avait rien a envÍer a Venise,
et qui serait toujours intéressée a la déftmdre.
La France, il est vrai, avait des príncipes qui
répugnaient a la noblesse vénitienne; mais iI
était temps enfin de se résigner a quelques sa-
crifices indispensables a l' esprit du siecle, et
de faire aux nobles de la terre-ferme les con-
cessions qui pouvaient seu les les rattacher a
la répuhlique et au Livre d'or. Avec quelques
modifications Jégeres a l'ancienne constitu-
tion, on pouvait satisfaire l'ambition de toutes
les classes de sujets vénitiens, et s'attacher la
France; si de plus on prenait les armes pom'
eeHe-cÍ, 011 ponvait espérer, peut-etre en réCOlll-
pense des services qu' on lui allrait rendus, les
dépollilles de l' AutrÍche en Lombardie. Dans
tOllS les cas, répétait le sénateur Battaglia, la




284 lU~VOLUTf()N FH AN(,:tlls F..
neutralité était le plus mauvais de tous 'les
partis.


Cet avis, dont le temps a démontré la S3-
gesse, blessait trop profondément l'orgueil el
les haines de la vieille aristocratie vénitienne
pour chre adopté. Il faut dire allssi qU'OIl ne
comptait point assez sur la durée de la puis-
sanee franc;;aise en ltalie, pour s'allier a elle.
n y avait un ancien axiome italien qui disait
que l'¡talíe était le tombeau des Franr¡ais, el
on craignait de se trouver exposé ensuite, sans
aucune défense, au courroux de l' A ntriche.


A ces trois partis, on préféra le plus com-
mode, le plus conforme aux routines et á la
molIesse de ce vieux gouvernement, la neutra-
lité désarmée. On décida qu'il serait envoyé
des provéditeurs au-devant de Bonaparte pour
protester de la neutralité de la république, et
réclamer le respect dli au territoire et aux 511-
jets vénitiens. On avait une grande terreur des
Franc;;ais, mais on les sa\'ait faciles et sensibles
aux bons traitements. Ordrc fut donné a tous
les agents du gouvernement de les traiter et
de les recevoir a merveille, de s'emparer des
ofíiciers et des généraux afin de capter leur
bienveillance.


Bonaparte, en arrivant sur le territoire de
Veuise, avait tout autant Lesoin de pl'udeucc




DJRLCTOIRF: e J 796).
que Venise elle-meme. Cette puissance, quoi-
que aux mains d'un gouvernement affaiLli,
était grande encore; iI fallait ne pas l'imlispo-
ser au pOillt de la forcer ;\ s'armer; cal' alors
la Haute-ltalie n'aurait plus été tenable pour
les FraIH;ais; mais iI fallait cependant , tout en
observant la neutralité, ohliger Venise a nous
souffrir sur son territoire, a HOUS y laisser
battre, a nous y nourrir meme s'il était pos-
sible. Elle avait donné passage aux Autrichiens;
c'était la raison dont iI fal1ait se servil' pour
tout se perrnetlre et tout exiger, en restant
dans les limites de la neutralité.
l~ollaparte, en entrant a Brescia, publia une


proclamation dans laquelle il disait, qll'en tra·
versant le territoire vénitien afin de poursuivre
l'armée impériale, qui avait eu la permission
de le franchir, iI respecterait le territoire et
les habitants de la république de Venise, qu'il
ferait observer la plus grande discipline a son
armée, que tout ce qu'elle prendrait serait
payé, et qu'il n'ollblierait point les antiques
liens qlli unissaient les (leux répubJiqucs. 11 fut
tres-bien re<{u par le provéditeur vénitien de
Rrescia, et poursuivit sa marche. Il avait frall-
chi l'Oglio, quí coule apres l'Adda; il arríva de-
vant le Mincío, qlli sort dulac de Garda, circule
dans la plaine <IlL Mantouan, puis forme, apres




?8G JLÉVOLUTION J.'IlANC;;;AISF..
(luelques licues, un nouveau lac, au milieu du-
quel est placé Mantoue, et va enfin se jeter dans
le Po. Beaulieu, renforcé de dix mille hom-
mes, s'était placé sur la ligne du Mincio, pour
la défendre. * Une avant-garde de quatre mille
fantassills et de deux mille cavaliers était
rangée en avant du fleuve, au village de Bor-
ghetto. Le gros de l'armée était placé au-deIa
du Mincio , sur la position de Valeggio; la ré-
serve était un peu plus en arriere a Villa-
Franca; des corps clétachés gardaient le cours
du Mincio, au-dessus et au-dessous de Valeg-
gio. La ville vénitienne de Peschiera est situé e
sur le MillCío, a sa sortíe dll lac de Garda. Beau-
lieu, qui voulait avoir cette place ponr appuyer
plus solidement la droite de sa ligne, trompa les
V énitiens; et, sous prétexte d' obtenir passage
pour cinquante hommes, surprit la ville, et y
plac;a une fortegarnison. Elle avait une enceinte
bastionnée et quatre-vingts pieces. de canon.


Bonaparte, en avanl;ant sur eette ligne, né-
gligea tout-a-fait Mantoue, qui était a sa droite,
et qu'il n'était pas temps de bloquer encore,
et appuya sur sa gauche vers Peschiera. Son
projet étaít de passer le Míncio a Borghetto et
Valleggio. Pour cela, illuí fallait tromper Reau·


• Voyez la carte á la Hn du volulIle.




mime: 1'00ilI: (! 79G). 287
líen sur son intention. JI fit iei eomme au
passage dll Po; iI dirigea un corps sur Pes-
chiel'a et un autre sur Lonato, de maniere a
inquiéter Deaulieu sur le Haut-Mincio , el a luí
faire supposer qu'il voulait ou passer a Pes-
chiera. ou tourncr I~ lac de Garda. En meme
temps, il dirigea son attaque la plus sérieuse
sur Borghetto. Ce village, plaeé en avant du
Mincio, était, comme on vient de dire. gard(~
par quatre mille fantassins et deux mille ea-
valiers. Le 9 prairial (28 mai), Bonaparte en-
gagea l'aetion. JI avait toujours eu de la peine
a {aire battre sa eavalerie. Elle était pen habi-
tuée a charger, paree qu'on n'en faisait pas au-
trefois un grand usage, et qu' elle était d'ailleurs
intimidée par la grande réputation de la cava-
lerie allemande. Bonaparte voulait a tont p['ix
la faire battre, paree qu'il attachait uúe grande
importance aux services qn'elle pouvait ren-
dre. En avan(;ant sur Borghetto, il distribua ses
grenadiers et ses carabiniers a droite el agauche
de sa cavalerie, iI pla(;a I'artillerie par derriere,
et apres l'avoir ainsi enfermée , illa poussa sur
l'ennemi. Soutenue de tous cotés, et entrainée
par le bouil1ant Murat, elle fit des prodiges,
et mit en fuite les escadrons autrichiens. L'in-
fanterie aborda ensuite le village de Borghetto,
dont elle s'empara. Les Autrichiens, en se l'e-




:J.B8 HÉVOLUl'lON "FJ(AN~AlSE.
tirant par le pOllt qni conduit de Borghetto a
Valeggio, voulurent le rompre. Ils parvinrent
en effet á détruire une arche. Mais quelques
grenadiers, conduits par le général Gardanne,
entrerent dans les fJots du Mincio, quí était
guéable en quelques endroits, el le franchirent
en tenant leurs armes sur leurs tetes, et en
bravant le fen des hauteurs opposées. LesAu-
trichíens crurent voír la colonne de Lodí, et
se retirerent sans détruire le ponto L'arche
rompue fut rétablie ,et l'armée put passer. Bo-
naparte se mit sur-Ie-champ a remonter le
Mincio avec la division Augereau, afin de don-
ner la chasse aux Autrichiens; mais íIs refuse-
rent le combat toute la journée. 11 laíssa la
division Augereau continuer la pOllrsllite, et il
rcvint "a Valeggio, ou se trouvait la divisioIl
Masséna, qui commen~ait a faire la soupe.
Tout-a-coup la charge souna, les hussards au-
trichiens fondirent au milieu du bourg; Bona-
parte eut a peine le temps de se sauver. Il
monta a cheval, el reconnut Lientot que c'était
un des corps ennemis laissés a la garde du Bas-
Mincio, qui remontait le fleuve ponr joindre
Bealllieu, dans sa retraite vers les mOlltagnes.
La division Masséna courut aux armes, et
donna la chasse a cette di vision, qui parvint
cependant a l'cjoindre R('aH] ¡ell.




DIHléCTOIIlE (J 7~)6).
¡,e Mincio était done franchi. Bonaparte


nvait décidé une seconde foís la retraite des
Impériaux, qui se rejetaient définitivement
dans le Tyrol. Il avait obten u un avantage im-
portant, celui de faire battre sa eavalerie, qui
maintenant ne craignait plus eeHe des Autri-
chiens. 11 attachait a cela un grand prix. On se
sel'vait peu de la cavalerie avant lui, et il avait
jugé qu'on pouvait en tirer un grand parti, en
l'employant a cou vrir l'artillerie. Il avait cal-
culé que l'artillerie légere et la cavaleri~ , em-
ployées a propos, pouvaient produire l'effet
d'une masse d'infanterie dix fois plus forte. Il
affectionnait déja beaucoup le jeune Mural, qui
savait faire battre ses eseadrons; mérite qu'il
regardait alors comrne fort rare chez les offi-
ciers de cette arme. La surprise qui avart mis sa
personne en dangel', lui inspira une autre iclée:
ce fut de fOl'mer un eorps d'hommes d'élite,
qui, sous le norn de guides , devalent l'accom-
pagner partout. Sa sureté personnelle n'était
qu'un objet seeondaire a ses yeux; il voyait
l'avantage d'avoir toujours SOtlS sa main un
eorps dévoué et capable des actions les plus
hardies. On le yerra en effet décider de grandes
choses, en lan<;;ant villgt - cinq de ces braves
gens. Il en donna le commandement a un
offieier de cavalet'i~, intrf.pide et calme,


VlIl.




290 IllíVOLUTION FnAN~AlsE.
fort connu depuis son s le nom de Bessieres.


Beaulieu avait évaéué Peschiera, pom re-
monter dans le Tyrol. Un combat s'était engag{~
avec l'arriere-garde autrichienne, et l'armée
fran~aise n'était entrée dans Ja ville qu'aprt>s
une actioli assez vive. Les V énitiells n'ayant pas
pu la soustraire a Beanlieu, elle avait cessé
d'etre neutre; et les Fran~ais étaient autorist's
a s'y établir. Bonaparte savait bien que les V~­
nitiens avaient été trompés par Beaulieu, mais
il résolut de se servir de cet évéuement pOllr
obtenir d'eux tont ce qu'il désirait. Il vonlait
la ligne de l'Adige, et particulierement l'im-
portante ville de V érone qui commande le
fleuve ;.il voutait surtout se faire nourrir.


Le provéditeur Foscarelli, vieil oligarque
vénitieQ, tres-enteté dans ses préjugés, et pleill
de haine contre la France, était chargé de se
rendre au quartier -général de Bonaparte. O Il
lui avait dit que le général était extremement
courroucé de ce qui était arrivé a Peschiera,
et la renommée répandait que son courroux
était redoutable. Binaseo, Pavie, faisaient foi
de sa sévérité: deux armées détrnites, et 1'1-
talie conquise, faisaient foi de sa puissance. Le
provéditeur vint a Peschiera , plein .de terreur,
et en partant il écrivit a son gouvernement :
Dieu veuille me recef.Joir en lzolocaustl'! JI avait




IHRECTOIR1, (1796).
]'ill1r mission spéciale d'empecher les Fram;ais
<rcntrer a v érone. eette ville, qui avait donné
asile an prétendant, était dans la plus crue He
anxiété. Le jeune Bonaparte , qui avait des co-
Jeres violentes, et qui en avait aussi de feinte~,
n'oublia rien pour augmenter l'effroi du prové-
diteur. Il s'emporta vivement contre le gouver-
llement véoitien, qui prétendait etre oeutre,
el ne savait pas faire respecter sa neutralité;
<lui, en laissant les Autrichienss'empal'er de
Peschiera, avait exposé l'armée frarH;aise a
perdre un grand nombre de braves devant cette
place. II dit que le sang de ses compagnons
eI'armes demandait vengeance, et qu'illa fallait
(~clatante. Le provéditeur excusa beaucoup les
:mtorités vénitienrÍes, et parla ensuite de l' objet
essentiel, qui était Vérone. Il prétendit qu'il
avait ordre d'en interdire l'entrée aux dehx
puissances belligérantes. Bonaparte lüi l'épon-
dit qu'il n'était plus temps; que déja :(\'Iasséna
s'y était rendu; que peut-etre, en cet instaut ,iI
y avait mis le fen pour punir cetteville qni avait
en l'insolence de se regarderun moment COtlll11C
la capital e oe l'empire fran<;ais. Lt; provédi-
teursupplia de nouveau; et Bonaparte ,feignant
de s'adoucir un peu, répondit qu'il. pourrait
tout an plus, si Masséna n'y était pas déja en-
tré de vive force, donncr 1m délai de vingt-


'9,




292 nÉvOI.OTION FRANC;;AISE.


quatre heures, apres lequel il emploiel·ait la
bombe et le canon.


Le provéditeur se retira consterné. 11 re-
tourna a Vérone, ou il annont;a qu'íl fallait
recevoir les Fran<;:ais. A leur approche, les ha-
bitants les plus riches, croyant qu'on ne Jeur
pardonnerait pas le séjour du prétendant dans
leur ville, s'enfuirent en foule dans le Tyrol,
emportant ce qu'ils avaient de plus précieux.
Cependant les V éronais se rassurerent bientot
en voyant les Frant;ais, et en se persuadant,
de leurs propres yeux, que ces républicains
n'étaient pas aussi barbares que le publiait la
renommée.


Deux autres envoyés vénitiens arriverent a
Vérone pourvoir Bonaparte. On avaitfaitchoix
des sénateurs Erizzo et Battaglia. Ce uernier
était celu;' .dont nous avons parlé, qui penchait
pour l'allianee avee la Franee, et on espérait a
Venise que ces deux nouveaux ambassadeurs
réussiraient mieux que Foscarelli a calmer le
général. Il les rec;ut en effet beaueoup mieux
que Foscarelli; et, maintellant qu'il avait at-
teint l'objet de ses vreux, iI feignit de s'apai-
ser, et de consentir a entendre raison. Ce qu'il
voulait pour l'avenir, e'étaient des vivres, et
meme, s'il était possible, une allianee de Ve-
nise avec la France. Il fallait tOllr-a-tollr im-




DlJlJiCTOLRE (179.6).
poser et séduire: iI- fit l'un et l'autre. ~. La
fJremiere loí, dit-il, pour les hommes est de
vivre. Je voudrais épargner a la république. de
Venise le soin de nous nourrir; mais puisque
le deslin de la guerre nous a obligés de venir
jusqu'ici, nous sommes contraiuts de vivre oú
nons nous lrouvons. Que la république de Ve-
nise fournisse a mes soldats ce dont ils ont be-
soin; elle co¡nptera ensuite avec la république
fcanl1ais~. - n fut convenu qu'un fouraisseur
juif procurerait al'armée lout ce qui lui serait
nécessaire, el que Venise paierait en secret ce
fournisseur, pour qu'elIe ne parut pas.· violer
la neutralité en nourrissant les Franc;ais. Bo-
llaparte aborda. ensuite la question d'une al-
Iiance. - Je viens, dít-il, d'occuper l'Adige;
je l'aí fait paree qu'il me faut un~ ligne, paree
que celle-cí est la meilleure, et que v,otre gou-
vernement est incapable de la défendre. Qu'il
arme cinquante mille hommes, qu'il les place
sur l'Adige, el je lui rends ses places de V é-
rone et de Porto-Legnago. Du reste, ajouta-
t-il, vous devez nous voír ici avec plaisir. Ce
que la France m'envoie faire dans ces conlrées,
est tout dans l'intéret de Venise. Je viens chas-
ser les Autrichiens au-dela des Alpes; peut-
etre constituer la J"ombardie en état indépell-
dant : peut-on ríen faire de plus avantageux ~t




2g(J llÉVOLUTlON j'RANQAlSE.
votre répubIique? Si elle vouIait s'unir a nous ~
peut - etre recevrait - elle un granel prix. de ce
service.Nous ne faisons la guerre a aucun
gouvernement : nons sommes les amis de tous
ceux qui nous aideront a renfermer la puis-
sanee autrichienne dans ses limites.


Les deux V énitiens sortirent frappés du gé-
nie de ce jeune homme, qui, tour-a-toer me-
na<,;arlt ou caressant, impérienx 011 soupIe, el
parlant de tous les objets militaires e'\ politi-
ques avec autant de profondeur que d'élo-
qoence, annon<,;ait que l'homme d'état était
aussi précoce en lui que le guerrier. Cetl20mme,
dirent,;"ils en écri vant a Venise, aura un ¡our
une grande influefjce sur sa patrie"'.


Bonaparte était maitte entln de la ligne de
l' Adige, a laquelle iI attachait tant d'importance.
Il attribuait toutes les {autes commisesdans les
anciennes campagnes des Frant;ais en Italie,
au mauvais choix de la ligue défensive. I,es li-
gnes sont nombreuses dalls la Haute-ltalie, car-
une multitude de fleuves la parcourent des AI~
pes a la mero La plus grande et la plus céle-
bre, la ligne du Po, qui traverse toute la Lom-
bardie, lui paraissait mauvaise eomme trop-
étendue. Une armée, suÍvallt hli r ne pouvaü


• Celle prétlictioll es!. dI! 5 jl1in 1796.




DIIlECTOIRE (1796). 295
pas garder cinqllante lieues de cours. Une feinte
pouvait toujours ouvrir le passage d'un grand
fIellve. Lui-meme avait franchí le PÓ a quel-
ques lieues de Beaulíeu. Les autres fleuves,
tels que le Tésin, l'Adda, l'Oglio, tombant
dans le Pó, se confoudaient avec lui, et avaien!
les memes inconvénients. Le Mincio était guéa-


. ble, et d'ailleurs tombait aussi dalls le Po. L' A-
dige seul, sortant du Tyrol et allant se jeter
dans la mer, couvrait toute l'ltalie. Il était
profond, n'avait qu'un COllrs tres-peu étendu
des montagnes a la mero I1 étaít couvert par
deux places, Vérone et Porto-Legnago, tres-
voisines i'une de l'autre, et q ni, sans etre for-
tes, pouvaiellt résister a une premiere attaque.
Enfill il parcollrait, a partir (le Lt'gnago, des
marais impraticables, qllÍ couvraiellt la par-
tie inférit'ure de SOll cours. Les fleuves plus
avancés daos la Haute-Italie, tels que la Brenta,
la Piave, le Tagliamcnto, étaient guéables, et
lournés d'ailIeul's par la grallde ronte clu Ty-
rol, qni dóbouchait sllr I(mrs derriercs. L' A-
dige, au contraire, avait l'avalltage d'ctre pincé
all débollChé ele ectte rOllte, qui pal'court sa
propre vallé(~.


Tellcs élaj(~llt les raisolls qllí déeí.del't~Jlt Bo-
lIap.lI·te pour eetle liglle, et lIlle imm(wtelle
eampaguc a prouvé la juslesse de son Juge-




gG llbvOLUTION FllAN<;AISE.
mento Celte ligne occupée, il fallait songer
maintenant a commencer le ,siége de Mantoue.
CcUe place, située sur le Mincio, était en ar-
riere de l' Adige, et se trouvait couverle par ce
fleuve. On la regardait comme le Loulevard de
l'ltalie. Assise au milieu d'un lac formé par les
eaux du Mincio, elle communiquait avec la
terre-ferme par cinq digues. Malgré sa répu-
tation, cette place avait des inconvénients qui
t'fl diminuaient la force réelle. Placée au milieu
d'exhalaisons marécageuses, elle était exposée
aux fievres; ensuite, les tetes de chaussées en-
levées,l'assiégé se trouvait rejeté dans la place,
et pouvait etre. bloqué par un corps tres-in-
fériellr a la garnison. Bouaparte comptaitla
prendre avant qu'une uonvelle armée pút ar-
river au secours de I'Italie. Le 15 prairial
(3 juin), il 6t attaquer les tetes de chaussées,
dont une était formée par le faubourg de Saint-
George, et les enleva. Des cet instant, Ser-
rurier put bloquer, avec huit mille homrnes,
une garllisoo qui se composait de quatorze,
dont dix mille étaient sous les armes, et qua-
tre mille daos les hópitaux. Bonaparte fit com-
meneer les travaux du siége, et mettre tOllte
la ligue de l' Adige en état de défense. Ainsi,
dans m?ills de deux moÍs, iI avait conquis l'I-
lalie. Il s'agissait de la ganIel'. Mais c'úlait la ce




mHECTOIltE (1 79G). 297
(lollt OH doutait, el c'était l'épreuvc sur la-
quelle OH voulait juger le jeune général.


Le directoire venait de répondre aux obser-
vations faÍles par Bonaparle sur le projet de
diviser l'armée, et de marcher dans la pénin-
sule. Les idées de Bonaparte étaient trop jus-
tes pour ne pas frapper l'esprit de Carnot, et
ses services trop éclatants pour que sa démis-
sion fUt acceptée. I .. e direetoire se hata de luí
écrire pOUl' approuver ses projets, pour luí
eonfirmer le commandement de toutes les for-
ces agissant en ltalie, et l'assurer de toute la
confiance du gouvernement. Si les magistrats
de la république avaient eu le don de prophé-
tie, íls auraient bien faít d'accepter la démis-
sion de ce jeune homme, quoiqu'íl eut raisoll
dans l'avis qu'il soutenait, quoiq ue sa retraite
fit perdre a la république 1'Italie et un granel
capitaine; mais dans le moment on ne voyait
en luí que la jeuuesse, le génie, la victoire, et
OH éprouvait l'intéret, on avait les égards que
tOlltes ces choses inspirent.


Le directoire n'imposait a Bonaparte qu'une
seule condition, c'était de faire sentir aRome
et a Naples la puissance de la république. Tout
ce qn'il y avait de patriotes sinceres en France
le désirait. Le pape, qUÍ avait auathématisé
la Frallce, pnkhé une cI'oisade cOlltre elle, et




298 R:ÉVOLUTION FUAN~,\ISE.
laissé assassiner dans 5a capital e notre ambas-
sadeur, méritait certes un ehatiment. Bona-
paÑe, libre d'agir maintenant eomme il l'en-
tendait, prétendait obtenir tous ees résultats
sans quitter sa ligne de l'Adige. Tandis qu'une
partie de l'armée gardait eette ligne, qu'une
autre assiégeait Mantoue et le chateau de Mi-
lan , il voulait, avec une simple division éche-
lonnée en arriere sur le PÓ, faire trembler
tonte la péninsllle ,et amener le pontife et la
reine de Naples a implorer la clémence répu-
blicaine.On annon/{ait l'approche d'lIne grande
armée, détachée du Rhin pour venir disputer
l 'ltalie a ses vaillqueurs. Cette armée, qui de-
vait traverser la Foret-N oire , le Voralberg, le
Tyrol, ne pouvait arriver avant un moiso Bo-
naparte avait done le temps de tont terminer
sur ses derrieres, sans trop s'éloigner de I'A-
dige, et de maniere a pouvoir, par une simple
marche rétrogradc, se retrouver en face de
I'ennemi.


Il était temps en effet qu'il songeat an resle
de I'Italie. La présellce de l'armée franc:aise y
développait les opinions avec IIne sing!lli(~re
rapidité. Les pl'ovinces vénitielllles lJe POII-
vaient plus souffrir le jOllg aristocratique. La
ville de Rrescia mauifestait l/U grand pcncltant
a la révolte. Dalls totlte la Lomuardie, el sur-




DlurC10lllE (l796).
tOllt á Milan, l'esprit public faisait des progres
rapides. Les duchés de Modene et Reggio, les
Jégations de Bologue et Ferrare, ne vouJaient
plus ni de leur vieux duc, ni du pape. En re-
vanche, le parti contraire devenait plus hostile.
l.'aristocratie génoise était fort indisposée, et
méditait de mauvais projets sur nos d,errieres.
Le ministre aútrichien Gérola était l'instiga-
teur secret de tous ces projets.L'éUit de Genes
était rempli de petits fiefs relevant de l'Empíre.
Les seigneurs génois revetus de ces fiefs réunis-
saÍent les déserteurs, les bandits, les prison-
lliers autrichiens qui avaient réussi a s'échap-
per, les soldats piémontais qu'on avait licenciés,
et formaient des bandes de partisans connus
sous le llom de Barbets. Ils infestaient rApen·
nillpar ou l'armée fran~aise était entrée; ils
arretaient les courriers,. pillaient nos convois,
massael'aiellt les détachements franc;ais quand
ils lI'étaient pllS assez nombreux pour se dé-
fendre, et répandaient l'inq lliétude sur la rOllte
de France. En Toscane, les Anglais s'étaient
rendus mUltres du port de Livourne, gI'élce a
la protection <lu gOllverneur, et le commerce-
fral1c;ais était traité en ennemi. Enfin Rorne fai-
sait des préparatifs hostiles; I'Angleterre lni
promettait quelque mille hommes; et Naples,..
toujollrs agitée palo les caprices d'une reine vio-




300 RÉVOLUTJON Ii'RANc;AISE.
lente, annonc;ait un armement formidable. Le
faíble roi, quittant un instant le soin de la pe-
che, avait publiquement imploré l'assistance
du ciel; iI avait, dans utle cérémonie so1en-
nelle, déposé ses ornements royaux, et les avait
consacrés au pie(l des auteIs. Toute la popu-
lace napolitaine avait applaudi et poussé d'af·
freuses vociférations; une multitude de misé-
rabIes, iDcapables de manier UD fusil et d'ell-
visager une baionnette fralll;;aise, demandaient
des armes et voulaient marcher contre notre
armée.


Quoique ces mOllvements n'eussent rien {It."
bien alarmant pour Bonaparte, tant qu'il pou-
vait disposer de· six mille hommes, il devait se
hate ... de les réprimer; avant l'arrivée de la
llouvelle armée autrichienne qui exigeait la
présence de toutes nos forces sur l' Adige. Bo-
llapar te commenc;ait a recevoir de l'armée des
Alpes quelques renforts, ce qui lui permettait
d'employel' quinze milI e hommes au blocus de
Mantoue et du chateau de Milan, vingt miile
a la garde de l' Adige, et de porter une divisioll
sur le Po pour exécuter ses projcts sur le midi
de l'Italie.


Il se rendít sur-Ie-champ a Milan ponr faire
ouvrir la tranchée autour du cluiteau, el hatel'
sa redditiou. Il o1'(loolla a Augereall, qui étai.L




301


sur le Mincio, tres-pres dn Po, de passer ce
fleuve él Borgo-Forte, et de se diriger sur Bo-
logne. Il enjoignit a Vaubois de s'acheminer
de Tortone a Modene, avec quatre ou cillq
mille hommes arrivant des Alpes. De eette
maniere iI pOllvait diriger huit a neuf mille
hommes dans les légations de Bologne et de
Ferrare , et menacer de la tonte la péninsule.


11 attendit pendant quelques jours la fin des
inondations sur le Bas-Po, avant de mettre sa
colonne en mouvement. Mais la cour de Na-
pies, faible antant qu'elle était violente, avait
passé de la fureur a l'abattement. En appre-
nant nos dernieres victoires dans la Haute-Ita-
lie , elle avait fait partir le prinee de Belmonte-
PignateIli pour se soumettre au vainqueur.
Bonaparte renvoya pour la paix au dircctoire,
mais erut devoir aeeorder un armistiee. Il ne
lui eonvenait pas de s'enfoneer jusqu'a Naples
avee quelques mille hommes, et surtout dans
l'attente de l'arrivée des Autriehiens. Illui suf-
fisait pour le moment de désarmer eetle puis-
sanee, d'oter son appui aRome, et de la brouil-
ler avee la eoaIition. On ne pouvait pas, eomme
aux autres petits prinees qu'on avait sons la
main, lui imposer des eontributions, mais elle
s'engageait a ouvrir tous ses ports aux Fran-
c;ais, a retirer a l'Angleterre cinq vaisseaux et




30~ RÉVOLUTION FItANltA ISE.
beuncoup ele frégates qn'elle lui fournissait,
enfin a priver l'armée alltrichienne des denx
millc quatre eents eavaliers qui servaient dans
ses rangs, Ce corps de eavalerie devait res ter
séquestré sous la main de Bonaparte, qlli était
maitre de le faire prisonnier a la premiere vio-
lation de l'armistiee. Bonaparte savait tres-bien
que de pareilles conditions ne plairaient ras
:tu gouvernement, mais dans le moment illuí
importait d'avoir du re pos sur ses derrieres,
et il n'exigeait que e,e qll'il eroyait pouvoir ob-
tenír. Le roi de Naples sOllmis, le pape ne
pouvait pas résister; alors I'expédition sur Ja
droite du Po se réduisait, eomme il le vonlait,
á une expédition de quelques jours, et il re-
venait a l'Adige.


Il signa eet armistíce, et partit ensuite pour
passer le Po et se mettre a la tete· des del1x
eolonnes qu'il dirigeait sur l'État de l'Église,
eeHe de Vauboís qui arrivait des Alpes pom'
le renforeer, et eeHe d'Augereau qui I'étrogra-
dait du Mineio sur le Po. 11 attaehait beaueoup
d'importanee a la situation de Genes~ paree
qu'elle était plaeée sur l'une des deux routes
qui eonduisaient en Frauee, et paree que son
sénat avait toujours montré de l'énergie. II
senlait qu'il aurait fallll demander l'exclllsion
tic vingt familles felldataires d(' l' A ntriche et




303
de Naples, pOllr y assurer la domination de la
France; mais il n'avait pas d'ordre a cet égard,
et cJ'ailleurs il craignait de révolutionner. Il se
contenta done d'écrire une lettre au sénat, clans
laquelle il demandait que le gouverneur de
Novi, qui avait protégé les brigands, füt pnní
cl'une maniere exemplaire, et que le ministre
autriehien fut ehassé de Genes; il vonlai t
cnsuite une explication eatégorique. « POli vez-
« vous, disait-il, ou ne pouvez-vous pas déli-
« vrer votre territoire des assassins qui l'infes-
« tent? Si vous ne pouvez pas prendre des
« mesures, j'en prendrai pour vous; jé ferai
« hruler les villes et les villages ou se eommet-
« tra un assassinat; jc ferai hruler les maisons
,e qui donneront asile aux assassins, et punir
« exemplairement les magistrats qui les sonf-
« friront. Il faut que le meurtre d'un Fr'anl,(ais
« porte malheur aux communes entieres qui
« ne l'auraient pas empeehé. » Comme jI con-
naissait les lentenrs diplomatiqucs, il envoya
son aide-de-camp Mural, pour porter sa lettre,
et la lire llli-meme au sénat. «( Il faut, écrivait-
iI au ministre Faypoult, un genre de eommu-
llication qui éleetrisc ees messieurs.» Il fit par-
tir en roeme temps Lannes avec douze cents
llOmmes, pour a11er eh:1tiel' les fiefs impériaux.
Le ebat<'all d' A ugllstin Spinola, le principal




304 IuíVOLUTlON FRAN(?A rSE.
instigatellr de la révolte, fut brulé. Les Rarbets
saisis les armes a Ja main furent impitoyable-
ment fllSillés. Le séllat de Genes épouvanté
destitua le gouverueur de Novi, congédia
le ministre Gérola, et promit de faire garder
les routespar ses propres troupes. Il euvoya
a París M. Vineent Spinola, pour s'entendre
avee le direetoire sur tous les objets en litige,
sur l'indemnité due pour la frégate la Modeste,
sur l' expulsion des familles feudataires, et sur
te rappel des familles exilées.


Bonaparte s'aehemina ensuite sur Mod~ne,
00 il arriva le (ermessidor (19 juin), tandis
qu'Augereau entrait a Bologne le meme jou!'.


L'enthousiasme des Modénois fut extreme.
Ils vinrent a sa rencontre, et lui envoyerent
une députation pour le complimenter. Les
prineipaux d'en~re eux l'entourerent de solli-
citations, et ]e sbpplierent de les affranchir du
joug de leur due, qui a vait em porté leurs dé-
pouilles a Venise. Comme ]a régence ]aissée
par le due s'étaít montrée fidele aux conditions
de l'armístiee ,et que Bonaparte n'avait anCllne
raison pour exercer les droits de conqlH~te sur
le duché, il ne ponvait satisfaire les Modénois;
c'était d'ailleurs une question que la politique
conseillait d'ajournel'. 11 se contenta de donner
eles espér:mces, et conseilla le calmc>. TI p;1J'lit




/


DIltECTOIRf: (1 79G). 305
pour Bologne. Le fort d'Urbin était sur sa.
route, et c'était la premiere place appartcnClnt
an pape. Illa fit sommer; le chateau se rendit.
Il renfermait soixante pie~es de canon de gros
calibre, et quelques cents hommes. Bonaparte
lit acheminer cette grosse artillerie sur Man-
tone, pour y etre employée au siége. Il arriva
a Rologne, ou l'avait précédé la division Au-
gereau.La joie des habitants fut des plus vives.
Bologne est une ville de cinquante mille ames,
magnifiquement batie, célebre par ses artistes,
ses savants et son université. L'amour ponr la
France et la haíne ponr le Saillt-Siége y étaient
extremes. lei Bonaparte ne eraignait pas de
laisser éclater les senlÍrnents de liberté, cal' il
était dans les possessions d'nn ennemi déclaré,
le pape, et illui était permis d'exercer le dr01t
de conquete. Les denx légations de Ferrare
et de Rologne l'entourerent de leurs députés;
iI leul' accorda une indépendance provisoiL'e ,
en promettant de la faire reconnaltre a la paix.


Le Vatican était dans l'alarme, et il enVOva
.;


sur-Ie-champ un négociateur ponr intercéder
en sa faveul'. L'ambassad,eur d'Espagnc, d'A.
zara, conn u par son esprit et par son gout pour
la France, et ministre d'une puissance amie,
fut choisi. Il avait déjá négocié pour le due de
Parme. Il arl'iva a Bologne, et vint mettre la


VIU. 2U




30G IU::VOLllTION FIlAN(.'\ISF.
¡ial'e al1X pi(·ds dt' la r(~pnhlique victoricu';\'
Fidde ü son plan, Ilonaparte, qni ne vou]:lit
rien abattre ni rien édifier encure, exigea d'a-
bord que les légations de BoJogrw et de Fer-
rare restassent indéperHlantes, que la ville
d'Aneone re<;tIt garnison fran<;aisc, que le pape
donmlt 2.1 millions, des blés, des bestiaux, e i
cent tableanx on statues : ces conditions fUI'f:1I1
acceptées, Bonaparte s'cntretint heaucoup avc('
le ministre d'Azara, ct le laissa plein d'entholl-
siasme. JI t'~crivit une !cUre :m célebre astro-
Ilome Oriani , an IlOrl1 de la rt'~pu blique, et de-
manda á le voir. Ce savant mudest(~ fuI interdil
en présence dn jeune vainqllClll', et ne lui 1't'1l-
<lit hommage que par son embarras, J30naparlC'
ne négligeait rien ponr honorel' l'ItaLie, pOlll'
l'éveiller son orgueil et son patriotisme. Ce 11\'-
lait point un cOllqllérant harbare qui venail
la ravagel', c'était un héros de la liberté venalll
ranimer le flambeau dn génie dans l'antiqllt'
patrie de la civilisatjon, Jl laissa Monge? nel'-
tholet et les freres Thollin, (Ille le directoirf'
lui avait envoyés, ponr choisir les objets des-
tiués aux musées de París.


I"e 8 messidor (26 jllin), il passa l'Apennin
avec la division Vaubois, et entra en Toscane.
Le dnc, épouvauté, luí envoya son ministre
Manfredini. Bonaparte le rassura Sllr ses in ten~




Illl\ ECTOIRIZ (1 796).
tions, qu'illaissa secretes. Pendant ce temps,
sa calonne se porta a marches forcées sur Li-
vourne, oú elle entra a l'ímproviste, et s'empara
de la factorerie anglaise. Le gouverneur Spall-
Ilochi fut saisi, enfermé dans une chaise de
poste, et envoyé au grand-duc avec une leUre,
clans laquelle on expliqllait les motifs de cet
acte d'hostilité eommis chez une puissanee amie.
On disait au grand - due que son gouverneur
avait manqué a toutes les loís de la neutralíté,
en opprimant le commerce franc;ais, en don-
nant asile aux émigrés et a tous les ennemis
de la république; et on ajoutait que, par res-
pect pour son autorité, 011 lui laissait a lu ¡-
meme le soin de punir un ministre infidele.
Cet acte de vigueur prouvait a tous les états
neutres que le général franc;ais feraít la police
chez eux, s'ils ne savaient l'y faire. On n'avaít
pas pu saisir tous les vaisseaux des Anglais.~
mais lenr commerce fit de grandes pertes. Bo- .
naparte laissa garnison a Livourne, ét désigna .
des cornmissaires pour se faire livrcr tout ce
qui appartenait aux Anglais ,aux Autrichiens
et anx Russcs. Il se rendít ensuite de sa per-
sonne a Florence, oú le grand-duc luí fit une
réception magnifique. Apr'es y avoir séjollrné
qllelques jonrs, iI repassa le Po pour revenir
a son qllartlC'r - généra 1 de Roverbella, pn's


20.




308 nÉVOLUTION FRANqAISE.
Mantoue. Ainsi, une vingtaine de jours, et ulle
division échelonllée sur la droite du Po, In i
avaient suffi pour imposer a'llX puissances dc' .
l'Itali.e, et pour s'assurer du calme pendant les
nouvelles luttes qu'il avaít encore a sontenir
contre la puissance autrichienne.


Tandis que l'armée d'Italie remplissait avcc
tant de gloire la tache q ui lui était imposée dall.'i
le plan général de campagne, les armées d'Al-
lemagne ll'avaient pas pu encore se mettl'e en
mouvement. La difficulté d'organiser leurs
magasins et de se procurer des chevaux les
avait j llsqu'ici retenues dans l'inaction. De
son coté, l'Autriche, qui aurait eu le plus
grand intéret a prendre brusquement l'initia-
tive, avait mis une inconcevable lenteur a faire
ses préparatifs, et ne s'était mise en mesure
de commencer les hostilités que pour le milieu
de prairial ( commencement de .iuin). Ses ar-
mées étaient sur un pied formidable, et de beau-
coup supéi'icures allX nutres. Mais nos succes
en ltalie l'avaient obligée a détacher Wurmser
avec trente mille hommes de ses meilleures
troupes dn Rhin, pour aIler recueillir et réor-
ganiser les débris de Beaulieu. Ainsi, OlItre
ses conquetes, l'armée d'Italie rendait l'impor-
tant service de dégager les armé es d'Allema-
gne. Le conseil aulique, qui avait résolll de




UIJn:CTOIRE (1796). 309
prcndre l'offeusive, et de porter le théatre de
]a guerre au sein de nos provinces, ne songea
plus des-Iors qu'a garder la défensive et a s'op-
poser a notre invasíon. Il aurait meme vOlllu
laisser subsister l'armistice; mais il était dé-
lloneé, et les hostilítés devaient commencer
lc 12 prairial ( 31 maí ).


Déja nous avons donné une idée du théatre
de la guerreo Le Rhin et le Danube sortis,
l'un des grandes Alpes, l'autre des Alpes de
Souabe, apres s'etre rapprochés dans les envi-
rons du lac de Constance, se séparent pour
aller, le premier vers le llord, le second vers
!'orient de 1'1~urope. Deux vallées transversales
et presque paralleles, ceHes du Mein et du
Necker, forment en quelque sorte deux dé-
bouchés, ponr aller,a travers le massif des Alpes
de Souabe ,dans la vallée du Danube, ou pour
venir de la vallée du Danube dans ceHe du Rhin.


Ce théatre de guerre, et le pl~n d'opératíons
qu'il comporte, n'étaient point connus alors
COlllme ils le sont aujourd'hui, grace a de
grauds exemples. Carnot, qui dirigeait nos
plans, s'était Ülít Ilne théorie d'apres la célebre
call1pagne de J 794, qui lui avait valu tant de
gloire en Europe. A ectte époql1c, le centre de
l'CllllCllli, retranchl~ dans la foret de MormaJe,
ne puuvallt (~tl'e elltalllé, 011 avait filé sur ses




3JO RÉVOLUTlUN FRAN~:AISJ'.
aiJes, et en les débol'dant, on l'avait obligé ¿l
la I'etl'aite. Cet exemple s' était gravé dans la
mémoire de Carnot. Doué d'un esprit nova-
teur mais systématique, il avait imaginé une
théorie d'apres eette eampagne, et i.J était
pel'suadé qu'il fallait toujours agir a la fois sur
les deux aiJes d'une armée, et ehereher cons-
tamment a les déborder. l.es militaires ont
regardé eette idée eomme un progres véritablc
et comme déja bien préférable au systcme des
cordons, tendant a attaquer l' ennemi sur tons
les points; mais elle s'était changée dans l'es-
prit de Carnot en un systeme arreté et dange-
reux. Les cireonstanees qui s'offraient ici l'en-
gageaient encore davantage a suivre ce systemc.
L'armée de Sambre-et-Meuse et ceUe de Rhill-
et-Moselle étaient plaeées toutes deux sur le
Rhin, a deux points tres-distants l'un. de l' au-
tre : deux vallées partaient de ces poilltS pom
déboueher sur le Danube. C'étaient la des
motifs bien suffisants puur Carnot de fórmel'
les Franc;ais en deux colonnes, dont l'une re-
montant par le Mein, l'autre par le Necker,
tenclraient ainsi a déborder les ailes des armécs
impériales, et a les obliger de rétrogradcr sur
le Danube. Il preserivit done aux gétll:I'allX
Jourdan et Morean de partÍI', le prelllie/' dc
Dusseldol'f, Je sccolHI dc Strmibuul'g, pUlir




V1HECTOIR}<~ ([ 796). 31 I
S'aV3IlCel· isolément en Al1emagne. Comme
1'()JJt remarqué un grand capitaine el un grand
critique, et comme les faits l'ont prouvé de-
Imis, se former en deux corps, e' était sur-le-
champ dOllner a l'ennemi la faculté et l'idéc
de se concentrer, et d'aeeabler avee la massc
t'lltíere de ses forces l'un ou l'autre de ces
oeux corps. Clerfayt avait fait a peu pres cette
manceuvre dans la campagne précédente, en
.·epoussant d'abord Jourdan sur le Bas-Rhin,
et en venallt ensuite se jeter sur les lignes de
Mayenee. Le général ennemi IIe fút-il pas Ull
1wmme supérieur, OH le fon;ait par la a suivr<~
ce plan, et OH luí suggérait la pensée que le
génie aurait dú lui inspirer.


L'invasion fut donc concertée sur ce plan
vicieux. Les moyens d'exécution étaient aussi
mal con<;us que le plan lui-meme. La lígne
qui séparait les armées, remonlait le Rhin de
Dusseldorf jusqu'a Bingen, puis décrívait un
are de níngen a Mallheim, par le pied des
Vosges, et rejoignait le Rhin jusqu'a Bale.
Carnot voulait que l'armée de Jourdan, dé-
bOllchant p:lr Dusseldorf et la tete du pont
de Neuwied, se portat au nombre de quarante
mille hommes sur la ríve droite, pour y attÍ-
rt:r I'ennemi; que le reste de ectte armée,
fort de villgt-cinq mille hommes, partant de


'.






3 r 2 ItÉVOLUTION .FRAN«::AISf~.
Mayence sons les ordres de Marcean, remontat
le Rhin , et, filant par les derrieres de Morean,
allat passer clandestinement le flenve anx en-
viruns de Strasbourg. Les généraux Jourdan
et Moreau se réunirent pour faire sentir au
directoire les inconvénients de ce projet.
Jol1rdan, réduit a quarante mille hommes sur
le Bas-Rhin, pouvait etre accablé et détruit,
pendant que le reste de son armée perdrait un
temps incalculable a remonter Mayence jus-
qu'a Strasbourg. Il était bien plus naturel de
faire exécuter le passage vers Strasbourg, par
l'extreme droite de Moreau. Cctte maniere de
procéder permettait tout autant de secret que
l'antre, et ne faisait pas perdre un temps pré-
cieux aux armées. eette modificatíon fut ad-
mise. Jourdan, profitant des deux tetes de
pont qu'il avait a Dusseldorf et a Neuwied,
dut passer le premier pour attirer l'ennemi :'t
lui, et détourner ainsi l'attentiun du Haut-
Rhin, ou Morean avait un passage de vive
force a e:x;écuter.


Le plan étant ainsi arreté, on se prépara a
le mettre a exécution. Les armées des denx
nations étaient a peu pres égales en forces.
Depuis le départ de Wurmser, les Autrichiew;
avaient sur toute la ligne du Rbin cent cin-
qnante et quelques l1lill(~ hommes, c:mtonnps




DJRECTOIHE (1796). 313
depuis Bale jusqu'aux environs de Dusseldorf.
Les Fram;ais en avaient antant, sans compter
quarante mi.lle hommes consacrés a la garde
de la Hollande, et entretenus a ses frais. Il y
avait cependant une différence entre les deux
armées.Les Autrichiens, dans ces cent cinquante
mille hommes, comptaient a peu pres trente-
huit mille chevaux, et cent qninze mille fa n-
tassins; les Frant;ais avaient plus de cent trente
mille fantassins, mais quinze ou dix-huit mille
chevaux tont an plus. Cette supériorité en ca-
valerie donnait aux A utrichiens un grand avan-
tage, surtout pour les retraites. Les A utri-
chieos avaient un autre avantage, celui d'obéir
a un seul général. Depuis le départ de Wurm-
ser, les deux armées impériales avalent ét<~
placées sous les ordres supremes du jeune ar-
chiduc Charles, qui s' était déja distiogué a
Turcoing, et des talents duquel on augurait
beaucoup. Les Fran~ais avaient deux excel-
lents généraux, mais agissant séparément, a
une grande distance l'un de l'autre , et sous la
direction d'un cabinet placé a deux cents
lieues du théatre de ta guerreo .


L'armistice expirait le 11 prairial (30 maí).
Les hostilités commencerent par une recon-
lIaissance générale sur les avant-postes. Var-
rnée dp Jourdall s'étendail, comme on sait,. de ...




314 nÚVOI,UTION FRAN0AISE.
euvirons de Mayence jusqu'a Dusseldorf. rl
avait a Dllsseldorf une tete de pont pomo dé-
boucher sur la rive droite; il pouvait cnsnite
reqlOnter entre la ligue de la lleutralité prus-
sienne et le Rhin, jusqu'aux bords de la Lahn,
pour se porter de la Lahn sur le Mein. Les
Autrichiens avaient quinze ou vingt mille hom-
mes disséminés sous le prince de Wurtem-
berg, de Mayence a Dusseldorf. J ourdau fit
déboucher Kléber par Dusseldorf avec vingt-
ciuq mille hommes. Ce général replia les Au-
trichiens, les battit le 16 prairial (4 juiu) ~I
Altenkirchen, et remonta la rive uroite entre
la ligne de neutralité et le Mein. QuawI il [lit
parvenu a la hauteur de Neuwied, et qu'il
eut couvert ce débouché, Jourdan, profitant
du pont qu'il avait sur ce point, passa le fleuve
avec une partie de ses troupes, et vint rc-
joindre Kléber sur la rive dro'Íte. Il se trouva
ainsi ave e quarante.cinq mille hommes a peu
pres,sur la Lahn, le 17 (5 juin). Il avait laissél\Iar-
ceau avec trente mílle hommes devant Mayence.
L'archíduc Charles, quí était vers Mayence,
en . apprenant que les Fran({ais recommen-
(;aient l'excursion de l'année précédente, et
débouchaient encare par Dusseldorf et Neu-
wied, se reporta avec UIle part¡e de ses forC(~s
slIr lá rive droite pOli!' s'opposcr it lclll' mar




mItECTOmE (J 796).
che. Jourdan se proposait d'attaquer le corps
du prince de Wurtemberg avallt qu'il fUt ren-
forcé; mais obligé de différer d'un jour, il
perdít l'occasíon, et fut attaqué lui-meme Ü
Wetzlar, le 19 (7 j uin). Il bordait la Lahn ,
ayant sa droite au Rhin, et sa gauehe a 'Vetzlar.
L'arehidue, donnant avec la masse de ses for-
ces sur Wetzlar, battit son extreme gauehe,
formée par la division Lefevre, et l'obligea a
se replier. Jourdan, battu sur la gauche, était
obligé d'appuyer sur sa droite, qui touchait
au Hhín, et se trouvait ainsi poussé vers ce
tleuve. Afin de n'y etre pas jeté, il devait atta-
quer l'arehidue. Pour cela il fallait livrer ba-
taille, le Rhin a dos. Il pouvait s' exposer ainsi,
dans le cas d'llne défaite, a regagner díffieilc-
ment ses ponts de Neuwied et Dusseldorf, et
peut-etre a essuyer une déroute désastreuse.
Une bataille était done dangereuse, et meme
inutíIe, puisqu'il avait rempli son but, en at-
tirant l'ennemi a lui, et en amenant une dé-
rivation des forces autrichiennes du Haut sur
le Bas-Rhin. n pensa done qu'il fallait se re-
plíer, et ordonna la I'etraite, qui se 6t a vec
calme el fermcté. H repassa a N euwied et preso
Cl'ivit a Kléber de redescendrc jusqu'a Dussel-
dorf , pOUI' y revenir sur la rive gauche. II
hu avait \'eCOlllluandé dp marcher Icntemeut.




31 ti nÉvoLuTION }'RAN~A rSE.
malS de n'engager aucune action seneuse.
Kléber, se sentant trop pressé a Ukerath, et
emporté par son illstinct guerrier, fit volte-face
un instant, et frappa sur -l'ennemi un coup
vigoureux, mais inutile; apres quoí il regagna
son camp retranché de Dusseldorf. Jourdan,
en avall<;ant pour reculer ensuite, avait exé-
cuté une tache íngrate, dans l'intéret de l'ar-
mée du Rhin. Les gens mal instruits pou-
vaient en effet regarder cette manceuvre
comme une défaite; mais le dévouement de ce
brave général Be cOllnaissait aucune considé-
ration, et íI attelldit, pour reprendrc l'offeu-
sive, que l'armée dll nhin eut profité de la
diversion qu'il venait d'opérer.


Moreau, qui avait montré une prudence,
une fermeté, un sang-froid rares, dans les
opérations -auxquelles il avait été précédem-
ment employé vers le N ord, disposait tout
pour rempIir dignement sa tache. 11 avait ré-
soIu de passer le Rhin a Strasbourg. Cette
grande place était un excellent paint de départ.
1l pouvait y réunir une grande quantité de
bateaux, et beaucoup de vivres et de troupes.
Les Hes boisées, qui coupent le cours du Rhill
sur ce point, en favarisaient le passage. Le
fort de Kehl, placé sur la rive droite, ét;¡it
facile a surprendre; tille foís occupé , 011 pou-




1JI1\ECTOIllE l'79G). 3'7
vait le répar~l', et s'en servir pour protéger le
pont qui serait jeté devant Strasbourg.


Tout étallt disposé pour cet objct, et l'at-
tention des ennemis étant dírigée sur le Bas-
Rhin, Moreau ordonna le 26 prairial (14 jllin)
une attaque générale sur le camp retranché de
Mallheim. Cette attaque avaít pour hut de
f¡xcr sur Manheím l'attention du général La-
tour, qui commandait les troupes du Haut-
Rhin sous l'archiduc Charles, et ~e resserrer
les Autrichieus daus leur ligue. eette attaquc
dirigée avec habileté et vigueur réussít parfai-
tement. Immédiatemeut apres, Moreau dirigea
une partie de ses troupes sur Strasbourg; 011
répandit le bruit qu'ellcs allaient en Italie,
pour en renforcer l'armée, et on leur fit pré-
parer des vivres a travers la Franche-Comté,
afin d'aceréditer eette opiuion. D'autres trou-
pes partirent des environs de Huniugue, pour
deseendre a Strasboufg; et, quant a eelles-ei,
OIl prétendit qu'elles allaient en garnison a
Worms. Ces mouvements furent coneertés de
maniere que toutes les troupes fussent arri-
vées au point désigné le 5 messidor (23 juin).
Ce jour-la, en effet, vingt-huit miHe hommes se
trouverent réunis, soit daus le polygolle de
Strasbourg, soit dans les environs, s<ffls 'le
commandement dn général Desaix. Dix mille




:) r 8 nÉVOUITION rllAN~AlSE.
IlOltlmes devaient essayer de passer au-dessous
de Strasbourg, dans les environs de Camb·
sheim; quinze mille hommes dcvaient passer
de Strasbourg a Kehl. Le 5 an soir (23 juiu)
on ferma les portes de Strasbourg, pour que
I'avis du passage ne pUt pas etre donné a l'ell-
nemi. Dans la nuít les troupes s'acheminerent
en silence vers le fleuve. Les bateaux furent
eonduits dans le hras Mabile, et du hras Ma-
hile dan s le Rhin. La grande He d'Ehden Rhin
présentait un illtermédiaire favorable an pas-
sage. Les bateaux y jeterent deux mille six
eents hommes. Ces braves gens ne voulant
pas donner l'éveil par l'explosion des armes a
feu, fondirent a la balonnette sur les troupes
répandues dans l'ile, les poursuivirent, et ne
Ieur donnerent pas le temps de couper les pe-
tits ponts qui aboutissaient de eette He sur la
rive droite. Ils passerent ces ponts a leur suite;
et quoique l'artillerie ni la cavalerie ne pnsseut
les suivre, ils oserent déboucher seuls dans la
grande plaiue qui borde le llcuve, et s'appro-
cherent de Kehl. Le contingent des Souabes
était campé a quelque distance de la, a Wils-
tett. Les détachements qui en arrivaient, sur-
tout en cavalerie, rendaient périlleuse la
situation de l'infanterie franl{aise qui avait osé
déboucher sur la rive droite. On n'hésita pas ;1




lllRl<:CTOlHE ('7!JG).
l't'lIvoyCI' les baLeaux qui l'avaient tl'ansportéc ,
el. á compl'omettl'e ainsi sa retraite, pour aller
lllí chcl'cltcl' du secours. D'autres troupes ar-
I'ivért'llt; OH s'avan<,'a sur Kehl ,on aborda les
I't~trallchcments a la ba'ionnette, et on les en-
leva. L'artillc1'ie trouvée dans le fo1't fut toUl'-
lIéc aussitot sur les troupes ennemies, arl'ivallt
de Wilstett, et elles furent repoussées. Alors
un pont fut jeté eutre Strasbonrg et Kehl, et
achevé le lendemain 7 (25 juin). J..'armée ~.
passa tont entiere. Les dix mille hommes en-
voyés a Gambsheim n'avaient pu tenter Ir'
passage, a cause de la crue eles eau~. lis I'(~­
montérent a Strasbourg, et franchirent If'
Ucuve sur le pont qu'ón venait d'y jeter.


Cette opération avait été exécutée avec se-
cret, précision et hareliesse. Cependant le dis-
séminement des tl'Onpes autrichiennes depuis
tUle jusqu'a Manheim, en diminuait beau-
coup la difficulté et le mérite. Le prince de
COJl(!é se trouvait avec trois milJe huit cents
hommes vers le JTaut-Rhill, a Brissac; le con-
tillgcnt de Souabe, au nombre de sept mille
cinq cents, était vers Wilstett, a la hauteur
de Strasbourg; et huit mille hornmes, a peu
pres, S011S Starrai, campaient depuis Strasbourg
j usqu'a Manheim. Les forces ennemies étaiellt
done peu redoutables sur ce point; mais cet




32.0 nÉVOLUTION FnAN~AlsE.
avantage lui-meme était dti au secret <In pas-
sage, et le secret a la prudence avec laquelle il
avait été préparé.


eette situation présentait l'occasion des plus
beaux triomphes. Si Moreau avait agi avec la
rapidité du vainqueur de Montenotte, il pon-
vait fondre sur les corps disséminés le long da
fleuve, les détruire l'un apres l'autre, et venir
meme accabler Latou)', qui repassait de Man-
heim sur la rive droite, et qui,dans le moment,
comptait tout au plus trente-si x mille hommes.
Il aurait pu mettre ainsi hors de combat toute
l'armée gu Haut - Rhin, avant que l'archiduc
-Charles put revenir des bords de Ja Lahll.
L'histoire fait voir que la rapidité est loute
puissante a la guerre, comme dans toules les
situations de la vie. Prévenant l'ennemi, elle
détruit en détail ; frappant coup sur coup, elle
ne lui donne pas le temps de se remettre, le
démoralise, lui ote la pensée et le cOUl'age.
Mais eette rapidité, dont on vient de voir de si
beaux exemples sur les Alpes et le Po, suppose
plus que la simple activité; elle suppose un
grand but, un grand esprit pour le concevoir,
de grandes passions pour oser y prétendre. On
ne fait rien de grand au monde sans les pas-
sions, sans l'ardeur et l'audace qu'elles com-
muniquent a la pensée et aa courage. Moreau ,




DIR ECTOInE (1796 J.
espritlnmineux et ferme, n'avait pas cette cha-
lenr entrainante, qlli, a la tribune , a la gucrre ,
dans toutes les situatiolls, en leve les hommes,
et les concluit malgré eux a de vastés firis.


Moreau employa l'intervalle dll 7 au 10 mes-
sidor (25, 28 juin) a réunir ses divisions sur
la rive droite du Rhin. CeHe de Saint-Cyr, qu'il
avait Jaissée a Manheim, arrivait a marches
forcées. En attendant eette division: il avait
sous sa main einquante-trois mille hommes, et
il en voyait une vingtaiue de mille disséminés
autoLlr de lui. Le 10 (28jllin)'.il fit attaquer
dix mille Alltrichiens retranchés sur le Ren-
chen, les bauit, et lellr fit huit cents prison-
niers. Les débris de ce corps se replierent sur
Latour, qui remo¡'-¡tait la rive droite. Le 12 (30
juin), Saint-Cyr étant arrivé, toute l'armée se
trouva au-dela du fleuve. Elle comptait soixante-
trois mille hommes d'infanterie, et six mille
chevaux, en tout soixante-onze mille hommes.
Moreau donna la droite á Férino, le centre á
Saint-Cyr, la gauche á Desaix. Il se trouvait au
pied des Montagnes Noires.


Les Alpes de Souabe forment un massif qui
rejette, eomme OH sait,"le Danube a 1'01'ieut,
le Rhin au no1'd : e'est a travers ce massif que
serpentent le Neeker et le Mein pour se jeter
dans le Rhin. Ce sont des montagnes de mé-


VIII. 21




3?? HJ':VOLUTION FR AN~AIS}:.
diocre hauteur, couvertes de bois, et travel'-
sées de défilés étroits. I~a vallée du Rhin est
séparée de ceHe du Necker par une chaine qu'OJl
appelle les Montagnes Noires. Morean, trans-
porté sur la rive droite, était a lellr pied. Il
devait les franchir pour débo~lcher dans la val-
lée du Necker. Le contingent des Sonabes, et
le corps de Condé, I'emontaient vers la Suisse
pour garder les passages supérieurs des Mon-
tagnes N oires. Latour, avec le corps principal,
revenait de Manheim, pour garder les passages
i nférieurs par Rastadt, Ettlingen et pforzheim.
Moreau pouvait sans illCOl1vénient négliger les
détachements qui se retiraient du coté de la
Suisse, et se porter, avec la masse entiere de
ses forces, sur Latour; il 1'aurait infaillible-
ment accablé. Alors il aurait débouché en vain-
qllenr dans la vallée du N ecker, avantl'archidllc
Charles. Mais, en général prudent, il confia a
Férino le soin de suivre avec sa droite les
corps détachés des Sonabes et de Condé ; il di-
rigea Saínt - Cyr avec le centre, directement
vers les montagnes, pOllr occuper certaines
hauteurs, et illongea lui-meme lenr pied pOllr
descendrc';'t Rastadt :m-devantdeLatour. Cette
marche était le double résultat de sa circons-
pection et du plan de Carnot. 11 voulait se
couvrir partout, et en meme temps étendre




DlRECTOTIlE (1796).
sa ligne vers la 5uisse, pour (~tre pret a sou-
ten ir par les Alpes l'armée d'Italie. Moreau se
mit en mouvement le J2 (30 juin). Ilmarchait
entre le Rhin et les montagnes, dans un pays
inégal, coupé de hois, et ere usé par des tor-
rents. Il s'avan<;ait avec circonspection, et n'ar-
riva que le.5 a Rastadt (3juillet). 11 était
temps encore d'accabler Latour, qui n'avait
pas été rejoint par l'archiduc Charles. Ce pri~ce,
en apprenant le passage, arrivait a marches
forcé es avec vingt-cinq mille hommes de ren-
fort. Il en laissait trente-sixmille sur la Lahn,
et vingt-sept milIe elevant Mayence, pOUI' te-
nir tete a J ourdall, le tout sous les ordres du
général Wartensleben. Il se hatait le plus qu'il
pouvait; mais ses tetes de colonnes étaient en-
core fort éloignées. Latour, apres avoÍr laissé
garnison dans Manheim, comptait au plus
trente-sÍx mille hommes. Il était rangé sur la
Mlll'g, qni va se jeter dan s le Rhin, ayant sa
gauche a Gernsbach, dans les montagnes; son
centre, a lellr pied, vers Kuppenheim , un peu
en avant dela Mllrg; sa droite, dan s la plaine,
le long des bois de Njederbulh, qui s'étendent
au bord du Rhin; sa réserve a Rastadt. Il était
imprudent a Latour de s'engager avant l'arri-
véc de l'archiduc. Mais sa position le rassu-
rant, il voulait résister pour couvrir la grande


21.




:h4 RÉVaLLTTlON' F~.~N-;;:AISli.
mute qui de Rastadt va déboucher sur le N ecker.


Mareau n'avait avee luí que sa gauche; son
centre, sous Saint-Cyr, était resté en arriere,
pour s'emparer de quelques postes dans les
Montagnes Naires. Cette circonstance rétablis-
sait l'inégalité des forces. Le 17 (5 juillet), iI
attaqua Latanr. Ses troupes se conduisirent
avec une grande valeur, enleverent la posi-
tian de Gernsbach, sur le Hallt-Murg, et péné-
trerent a Kuppenheim, vers le centre de la posi-
tian ennelÚie. Mais, dans la plaine,ses divisions
eurent de la peine' a déboucher sous le feu de
l' artillerie, et en présence de la nornbr'euse ca-
valerie antrichienne. Néanmoins, on aborda
Niederbulh et Rastadt , et on parvint a se ren-
dre maitre de la Murg sur tous les points. On
fit un millier de prisonniers.


Moreaus'arreta sur le champ de bataille, sans
vouloir poursuivre l'ennemi. L'archiduc n'était
point arrivé, et il aurait encore pu accabler J~a­
tour; mais il trouvait ses troupes iatigllées, iI
sentait la nécessité d'arnener Saint-Cyl' a lui,
pour agir avec une plus grande masse de for-
ces, et il attendit jusqu'au 2 [ (9 juillet), avaut
de livrer une llouvelle attaque. Cet intervalle de
quatre jours permít a l'archiduc d'arriver avec
un renfort de vingt-cinq mille hornrnes, et a
l'ennemi de cornbattre a chance égale.




DIJlECTOIRE (1796). 3:.l5
La position respective des deux armées était


a peu pres la mcme. Elles étaient toutes deux
('n ligne perpendiculairc anRhin, une aile dan s
1es mOlltagnes, le centre au pied, la gauche
dans la plaine boisée et marécageuse qui longe
le fleuve. Moreau, qui s'éclairait lentement, mais
toujours a temps, paree qu'il conservait le
calme nécessaire pour rectifier ses fautes, avait
senti, en combaUant a Rastaclt, l'importance
de porter son effort principal dans les mon-
tagnes. En effet, celui qui en était maitre,
avait les clébouchés efe la valIée du Necker,
objet principal qu'on se disputaít; il pouvait
en outre déborder son adversaire, et le pons-
ser clans le Rhin. Moreau avait nne raisan de
plus de combattre dan s les montagnes: c'était
sa supériorité en infanterie, et son infériorité
en cavalerie. l.,'archiduc sentait comme ¡ni
l'impol'tance de s'y établir, mais' il avait, dans
ses nombl'CUx cscadrons, une raison de tenil'
aussi la plaine. Il rectifia la position prise par
Latollr; il jeta les Saxons dans les montagnes
pour débol'der Moreau ; il fit I'enforcer le pla-
teau de Rothensol, ou s'appuyait sa gauche; il
déploya son centre au pied des montagnes en
avant de Malsch, et sa cavalerie dans la plaine.
Il voulait attaquer le 22 (10 juillet): Moreau le
prévint, et l'attaqua le 2. J (9 juillet),




326 R.ÉVOI,UTION FHAN9AISE.
Le général Saint-Cyr, que Moreau avait ra-


mené a lui, et qui formait la droite, attaqua le
plateau de Rothensol. Il déploya la eette pré-
cision, eette habileté de mallreuvres, qui )' ont
distingué pendant sa beBe carriere. N'ayant pu
déloger l'ennemi d'une position formidable, iI
l'entoura de tirailleurs, puis iI 6t essayer une
charge, et feindre une fui te , pour engager les
Autrichiens a quiUer leur position, el a se jeter
a la poursuite des Fran<;ais. Cette manreuvre
réussit : les Al1trichiens, voyant les Fran<;ais
s'avan~er, puís s'enfiIir en désordre, se jeterent
apres eux. Le général Saint-Cyr, qui avait des
troupes préparées, les lanc;a alors :;ur les Autri-
chiens, qui avaient qllitté leur position, et se
rendit maitre du platean. Des ce moment, il
s'avan¡;;a, intimida les Saxons destinés a débor-
der notre droite, et les obligea a se replier. A
Malsch, au centre, Desaix s'engagea vivement
avee les A utrichiens, prit et perdít ce village,
et finit la journée en se portant sur les dernieres
hauteurs, qui longent le pied des montagnes.
Dans la pIaine, nolre cavalerie ne s'était point
engagée, et Morean l'avait tenne a la lisie re
des hois.


La bataille était done indécise, excepté clans
les montagnes. J\tIais c'était le point important,
car, en poursuivant son succes, Morcan pou-




VlHl':CTOIl\ Ji (1796).
vait étendre son aile droite autonr de l'arehi-
due, lUÍ enlever les débouchés de la vallée du
Necker, et le pousser dans le Rhin. II est vrai
qu'a son tour, I'archidllc, s'ii perdait les mon-
tagnes, qui étaient sa base, pouvait faire perdre
a Morean le Rhin, qui était la notre; il pou-
vait renou veler son effort daos la plaine, battre
Desaix, et, s'avanc;ant le long du Rhin, mettre
Moreau en l'air. Dans ces oecasions, c'est le
moins hardi qui est compromis : e'est celui qui
se croit coupé, qui l'est en effet. L'archidue
crut devoir se retirer pour ne pas eompro-
mettre, par un mouvement hasardé, la mo-
narchie autrichienne, qui n'avait plus que son
armée pour appui. On a blamé eette résolution,
qui entrainait la re traite des armées impériales,
et exposait l' AlIemagne a une invasion. On
peut admirer ces belles et sublimes hardiesses
du génie, qui obtiennent de grands résultats
au prix de grands périls; mais on ne saurait
en faire une loi. La prudence est seule un de-
voír, dans une sÍtuation eomme ceHe de 1'ar-
ehiduc, et on ne peut le bIamer d'avoir battu
en retrai te, pour devaneer Moreau dans la
vallée <Iu N eeker, et pour protéger ainsi les
états héréditaíres. Sur -le - champ ~ en effet, il
forma la.résolution d'abandonner l'Allemagne,
qu'aucune ligue !le pouvait couvrir, et de se




328 nÉvoLuTION }"RAN<;AISE.
porter, en remontant k Mein et le Necker, a
la gran dé ligne des états héréditaires, celle du
Danube. Ce fleuve , couvert par les denx places
de Ulm et Ratisbonlle, était le plus sur rempart
de I'Autriche. En y concentrant ses forces,
l'archiduc était la chez lUÍ, a cheval sur un
grand fleuve, avec des forees égaIes a ceHes de
l'ennemi, ave e la faculté de manreuvrer sur les
deux rives, et d'accabIer l'une des deux armées
envahissantes. L' ennemi , au contraire, se trou-
vait fort loin de ehez lui, a une distance im-
mense de sa base, sans cette supériorité de
forces qui compense le dauger de l'éloigne-
ment, avec le désavantage d'nn pays affreux
a traverser pour envahir et ponr s' en retour-
ner, et enfln ~vec l'incollvénient d'etre. divisé
en deux corps, et d'etre cornmandé par deux
généraux. Ainsi les Impériaux gagnaient, en se
rapprochant du Danube, tont ce que perdaient
les Frall(;ais. Mais, pour s'assurer tons ces avan-
tages, l'archiduc devait arriver saus défaite a11
Danube; et, des-Iors, il devait se retirer avec
fermeté, mais sans s'exposer a aucun engage-
mento


Apres avoir laissé garnison a Mayence, a
Ehrenbreitstein, a Cassel, a Manheim, iI 01"
donna a Wartensleben de se retirer pied a pied
par la vallé e du Mcin, et de gagner le Danube,




DIRECl'OIRE ('796).
en s'engageant tous les jours assez poor soute-
1]ir le moral de ses trollpes, mais pas assez
pour les compromettre dans une action géné-
raleo Lui-meme en fit autant avee son armée;
illa porta de Pforzheim dansla vallée dnNeeker,
et ne s'y arreta que le temps néeessaire pour
réunir ses pares, et Ieur donner le temps de se
retirer. Wartensleben se repliait aveé trente
mille fantassins et quinze mille ehevaux; l'ar-
chiduc avec quarante mille hommes d'jnfante-
rie et dix-huit de cavalerie; ce qui faisait cent
trois mille hommes en tout. Le reste était dans
les plaees, ou avalt filé par le Hallt-Rhin en
Suisse, devant le général Férino, qni comman-
dait la droite de Moreau.


Des que Moreau eut décidé la retraite des
Autrichiens, l'armée de Jourdan passa de nou-
veau le Rhin a Dusseldorf et Neuwied, en ma-
nrellvrant, comme elle l'avait toujours filÍt, et
se porta sur la Lahn, pOllr déboucher ensuite
dans la vallée du Mein. Les armées fran~aises
s'avancerent done en deux colonnes, le long du
Mein et dll Necker, suivant les deux armées im-
périales, qui faisaient une tres-beBe retraite.
Les nombreux escadrons des Autrichiens, vol-
tigeant a l'arriere-garde, imposaient par leur
masse, couvraicnt leur infanterie de nos in-
sultes, et rendaient inutiles tous nos efforts




330 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
pour l'entamer. Moreau, qui n'avait point eu
de place a masquer en se détachant du Rhill,
marchait avec soixante - onze mille hommes.
Jourdan, ayant dli bloquer Mayence, Cassel,
Ehrenbreitstein, et consacrer vingt-sept mille
hommes a ces opérations, ne marchait qu'avec
quarante-six mille, et n'était guere supérieur a
Wartensleben.


D'apres le plan vicieux de Carnot, il fallait
toujours déborder les ailes de l'ennemi, c'est-a-
dire, s'éloigner du but essentiel, la réunion des
deux armées. Cette réunion aurait permis de
porter sur le Danube une masse de cent quinze
ou cent vingt mille hommes, masse écrasante,
énorme, qui aurait trompé tous les calculs de
l'archiduc, déjoué tous ses efforts pour se con-
centrer, passé le Danube sous ses yeux, enlevé
VIm, et, de cette base, eut menacé Vienne et
ébran lé le trane impérial (1).


Conformément au plan de Carnot, Morean
devait appuyer sur le Hant-Rhin et le TIaut-
Danube, et J ourdan vers la Boheme. On dOllllait
a Moreau une raison de plus d'appuyer sur ce
point, e' était la possibilité de communiquer
avec l'armée d'ltalie pal' le Tyrol, ce qui sup-


,. 11 ral1t lire a cet égard les l'aisonnements qu'a faits Na-
poléon, et qn'il a appuyés de si gl'auds cxcllIples.




DIRECTOIRE (1796). 331
posait l'exécution du plan gigantesque de Bona-
parte, justement désapprouvé par le directoire.
Comme Moreau voulait en meme temps ne pas
ctre tl'Op dé taché de J mudan, et luí donner la
main gauche tandis qu'il tendait la droite a
l'armée d'Italie, 011 le vit sur les bords du
Necker, occuper une ligne de cinquante lieues.
Jourdan, de son coté, chargé ·de déborder
Wartensleben, était forcé de s'éloigner de Mo-
reau; et ·comme Wartensleben, général routi-
nier, ne comprenant en rien la pensé e de I'ar-
chiduc, au lieu de se rapprocher du Danube,
se portait veJ's]a Boheme ponr la couvrir, Jour-
dan, pour le déborder, était forcé de s'étendre
toujours davantage. On voyait ainsi les armées
ennemies faire, chacune de leur coté, le con-
traire de ce qu'elles auraient duo Il y avait
cependant cette différence entre Wartensleben
et Jourdan, que le premier manquait a un
ordre excelIent, et que le second était obligé
d'en suivre un mauvais. La faute de Wartens-
leben était a lui, ceHe de J ourdan au directeur
Carnot.


Marean livra un combat a Canstadt ponr le
passage du N ecker, et s' enfon~a ensuite dans les
défilés de l' A lb, chaine de montagnes qni sépare
le Necker du Danube, comme les Montagnes
Noires le séparent du Rhin. 11 franchit ces dé-




332 RJivOLUTION FUAN';:AISE.
filés, et déboucha dans la vallée du Danube,
vers le milieu de thermidor (fin de juillet),
apres un mois de marche. Jourdan, apres avoir
passé des bords de la Lahn sur cenx du Mein,
et avoir livré un· combat a :Friedberg, s'arreta
devant la ville de Francfort, qu'il m~nac:a de
bombarder si 011 ne la luí livrait sur-Ie-champ.
I.es Autrichiens n'y consenlirent qu'a la con-
dition d'une suspension d'armes de deux jours.
Cette suspension leur permettait de franchir
le Mein, et de se donner une avance considé-
rabIe; mais elle sauvait une ville intéressante,
et dont les ressources pouvaient etre utiles a
l'armée: Jourdan y consentit. La place fut re-
mise le 28 messidor (16 juillet). Jourdan frappa
des eontributions sur eette ville, mais y mit
une grande modération, et déplut meme arar-
mée par les ménagements qu'il montra ponr le
pays ennemi. Le bruit de l'opnlence au milieu
de laquelle vivait l'armée d'Italie, avaÍt excité
les imaginations, et 00 voulait vivre de meme
en Allemagne. Jourdan remonta ensuite le Mein,
s'empara de WllI'tzbourg le 7 thermidor (25 juil.
let), puis déboucha au-dela des montagues de
Souabe, sur les bords de la Naab, qui tombe
dans le Dauube. Il était a peu pres SUI' la hau-
teur de Morean, et a la meme époque, e' est-a-
dire vers le milieu de thermidor (commence-




[)IRECrOlln~ (1 7~}G). 333
ment d'aout). La Souabe et la Saxe avaiellt ac-
cédé a la neutralité, envoyé des agents a París
pOllr traiter de la paix, et coo!?enti a des con-
tril.mtions. Les troupes saxonnes et souahes
se retirerent, et affaíblirent ainsi l'armée autri-
chienne d'une douzaine de milIe hommes, a
la vérité pen utiles, et se battant san s úle.


AillSi, vers le milieu de l' été, nos armées,
maitresses de l'Italie, qu'elles dominaient tout
entiere, maltresses d'une moitié de l' AlIemagne,
qu'elles avaient envahie jusqu'au Danube, me-
napíent I'Europe. Depuis deux moís la Vendée
étaít soumise. Des cent mille hommes répandus
dans I'Ouest, 011 pOLI vait en détacher cinquante
mille pour les porter oú ron voudrait. Les pro-
messes du gouvernement directorial ne pou-
vaient etre plus glorieusement accemplies.







335


CHAPITRE V.


État intérieur de la France ver s le milicu de I'année 1796
an IV. - Embarras fiuanciers du gouvernement. Chute
des mandats et du papier-monnaie.-Attaque du eamp
de Grenelle par les jacobins. - Renouvellement du
pacte de famille avec l'Espagne, et projet de quadruple
allianee. - Projet d'une expédition en Irlande. - Né-
gociations en Italie. - Continuation des hostilités; ar-
rivée de Wurmser sur I'Adige; vietoires de Lonato et
de Castíglione. - Opérations sur le Danube; bataille
de Ncresheim; marche de l'archiduc Charles contre
Jourdan. - Marche de Bonaparte sur la Brenta; ba-
tailles de Roveredo, Bassano et Saint-George; retraite
de Wurmser dans Mantoue. - Retour de Jourdan sur
le Mein; bataillc de Wurtzbourg; retraite de Moreau.


LA France n'avait jamais para plus grande
au dehors que pendant cet été de 1796; mais
sa sitnation intérieure était loin de répondre a




336 RÉVOLUTION .t'ltAN~AJSE.
son éclat extéríeur. París offrait un spectack
singulier: les patriotes, furieux depuis l'arres-
tatíon de Babreuf, de Drouet et de leurs autres
chefs, exécraient le gouverllement, et ne so u-
haitaient plus les victoires de la république,
depuis qu'elles profitaient au directoire. Les
ennemis déclarés de la révolution les niaient
obstinément; les hommes fatigués d'elle n'a-
vaient pas l'ail' d'y croire. Quelques nouveaux
riches, quí devaient leurs trésors a l'agiotage
ou aux fournitures, étalaient un luxe effréné,
et montraient la plus ingl'ate indífférence pour
cette révolution qui avait fait leur fortune. Cet
état moral était le résultat inévitable d'une fa-
tigue générale dans la natíon, de passions in-
vétérées chez les partis, et de la cup!díté ex-
citée par une crise financiere. Mais jI y avait
encore beaucoup de Fran(iais républicains et
enthousiastes, dont les sentiments étaient con-
servés, dont nos victoires réjouissaiellt l'ame ,
qui, loin de les nier, en accueillaient un Con-
traire la nouvelle avec transport, et qllí pro-
non<{aient avec affection et adrniration les noms
de Hoche , J ourdan , Moreau et Bonaparte. Ceux-
la voulaient qu'on 6t de nouveaux efforts,
qu'on obligeat les malveillants el les indifférents
a contribuer de tOllS leurs moyens a la gloire
et a la grancleur de la républjquc.




lJlllECTOIHE (179G). 337
POllr obscurcir l'éc1at de nos triomphes, les


partís s'attachaient a décrier les généraux. lis
s'étaient surtout acharnés contre le plus jeune
et le plus brillant, contre Bonaparte, aont le
nom , en deux mois, était de ven u si glorieux.
Il avait fait au 13 vendémiaire une grande
peur aux royalistes, et ils le traitaient pen fa-
vorablement dans lenrs jonrnaux. On savait
qu'iL avait déployé un caractere assez impé-
rieux en Italie; on était frappé de la maniere
dont il en agissait avec les états de cette con-
trée, accordant on refusant a son gré des ar-
mistices, qui décidaient de la paix OH de la
guerre; on savait que, sans prendre l'inter-
médiaire de la trésorerie, iI avait envoyé des
fonds a l'armée dn Rhin. On se plaisait done
a dire malicieusement qu'il était indocile, et
qu'il allait. etre destitué. e' était un grand gé-
néral perdu ponr la république', et une gloire
importune arretée tout-a-coup. Anssi les mal-
veillants s'empresserent - ils de répanare les
bruits les plus absurdes; ils al/erent jnsqu':i
prétendre que Hoche, qui était alors a París;
allait partir ponr arreter Bonaparte an milien
de son armée. Le gonvernement écrivit :i Bo-
naparte une lettre qui démentait tous ces
bruíts, et dans laquelle iI lui renouvelait le
témoignage de toute sa confiance. Il 6t pu-


VIII. 22




338 H ~:VOUTTI()N FnAN~:AIS1'.
blier la lettre dans tous les journaux. Le bravt':
Hoche, incapable d'aucune basse jalousie con-
tre un 'rival qui, en deux moís, s'était placé
au-dessus des premiers généraux de la répu-
blique, éerivit de son coté pour démentir le
role qu'on luí pretait. Il faut citer eette leure
si honorable pour ces deux jeunes héros; elle
était adressée au ministre de la poliee, et fut
rendue publique.


{{ Citoyen ministre" , des hommes qui, cachés
« OH ignorés pendant les premieres années de
({ la fondation de la république, n'y pensent
« aujourd'hui que pour chercher les moyells
« de la détruire, et n'en parlent que pour ca-
« lomnier ses plus fermes appuis, répandent
« depuis quelques jours les bruits les plus in-
1( jUl'ieux aux armées, et a l'un des officiers-
« généraux quí les commandent. Ne lellr est-il
« donc:plus suffisant, pour parvellil' a leur but,
(e de correspondre ouvertement avec la hOI·de
« eonspiratriee résidante a Hambourg? Faut-il
« que, pour obtenir la proteetion des maltres
« qu'ils veulent donner a la Franee, ils avilis-
« sent les ehefs des armé es ? -Pellsent-ils que
« eeux-ci, aussi faibles qu'au temps passé, se
« laisseront injurier sans oser répondre, et ac-
(e enser sans se défendre? Pourquoi Bonaparte
'(se tronve-t-il oone l'objet des fureurs de ce~




lHRf:CTOIRE (17~)6). 339
( messieurs? est-ee paree qu'il a hattu leurs
« amis et eux-memes en vendérniaire? est-ce
l( paree qn'il dissout les armé es des rois, et qu'il
« fournit a la république les moyeos de termi-
« ner glorieusement cette honorable guel're;>
f( Ah! brave ,j eune homme, quel est le militaire
( républicain qni ne brule du désir de t'imiter)
« Courage, Honaparte! concluís a Naples, a
« Vienne , nos armées victorieuses; réponds a
'( tes ennemis personnels en humiliant les rois,
(e en donnaot a nos armes un lustre nouveau ;
« et laisse-nolls le soin de ta gloire!


« J'ai ri de pitié en voyant un homme, quí
« d'ailleurs a beaucoup el' esprit, annoncer des
« inquiétudes qn'il n'a pas sur les pouvoirs
c( accordés aux générauxfram,;ais. Vous les con-
« naissez a peu pres tous, citoyen ministre.
c( Quel est celui qui, en lui supposant meme
« assez de pouvoir sur son arrnée pour la faire
« marcher sur le gouvernement, quel est celni.
« dis-je, qui jamais entrepr.endrait de le faire ;
« sans etre sur-le-champ accablé par ses com-
« pagnons? A peine les généraux se connais-
« sent-ils, a peine correspondent-ils ensemble!
« leur nombre doit rassurer sur les desseins
c( que ron prete gratuitement a l'un d'eux.
( Ignore-t-oIl ce que peuvent sur les hommes,
f( l'envíe, l'ambition, la haiue, je puis ajouter;


27..




:14" nÚVOT.llTION FII.\N9ArSE.
" je pense, l'amour de la patrie et l'honnellr?
« Rassurez-vous done, républicains modernes.


« Quelques journalistes ont poussé l'absnr-
« dité au point de me faire aller en Italie pour
« arreter un homme qu~ j'estime, et dont le
« gouvernement a le plus ase louer. On pent
« aSSllrer qu'au temps oú nous vivons, pea
« d'officiers-généraux se chargeraient de rem-
ee plir les fonctions de gendarmes, bien que
(( beaucoup soient disposés a combattre les
f{ factions et les factiel1x.


«( Depuis mon séjollr a Paris, j'ai VII des
«( hommes de t011tes les opinions; j'ai pu en
( apprécier quelques-nns a lenr juste valeur.
« n en est qui pensent qne le gonvernement
«( ne peut marcher sans eux : ils crient pour
« avoir des places. D'autres, qlloique personne
« ne s'occupe d'eux, croient qu'on a juré lenr
« perte : ils crient pour se remire intéressants.
( J'avais vu des émigrés, plus Franc;ais que roya-
« listes, pleurer de joie au récit de nos vic-
« toires; fai vu des Parisiens les révoquer en
«( doute. n m'a semblé qu'un parti audacieux,
« mais san s moyens, voulait renverser le gon-
« vernement actueI, ponr y substitner l'anar-
( chie; qn'ull second, plus dangerenx, plus
( adroit, et qui compte des arnis partout , ten-
(e dait an houleversement de la république.




lHIUiCTOllll': (1 79G). 341
« pour rendre a la France la constitutíon boi-
« teuse de 1791 , et une guerre civile de trente
« années; qu'un troisieme enfin, s'il sait mé-
'{ priser les deux autres, et prendre sur eux
« l'empire que lui donnent les lois, les vaincra,
({ parce qu'il est composé de républicains vrais,
« laborieux et probes, dont les moyens sont
c( les talents et les vertus, parce qu'il compte
t< au nombre de ses partisans tous les bons
(( citoyens , et les armées, qui n'auront sans
(( doute pas vaincu depuis cinq ans pour laisser
({ asservir la patrie. »


Ces deux lettres firent taire tous les bruits,
et ímposerent silence aux malveíllants.


Au mílieu de sa gloire, le gouvernement
faisait pitié par son indigence. Le nouveau
papier-monnaie s' était sontenu peu de temps,
et sa chute privait le directoíre d'une impor-
tante ressonrce. On se souvient que le 26 ven-
tose ( 16 mars), 2 millíards 400 milliollS de
manuats avaient été créés, et hypothéqués SUl
une valeur correspondante.de biens. Une par-
tie de ces manuats avait été consacrée a retirel'
les 24 milliards d'assignats restant en circula-
tio'O., et le reste a pOllrvoir a, de nouveaux
besoins. C'était en quelque sorte, comme nous
t'avoIls dit, une réimpression de l'ancien pa-
piel', avec un nouveau titre et uu llouveau




342 lU':VOLUTION FftAN~;AIS.E.
chiffre. Les 24 milliards d'assignats étaient remo
placés par 800 milIions de malldats; et au lieu
de créer encore 48 autres milliards d'assignats,
on créait 1600 millions de mandats. La diffé-
rence était dOlle dans le litre et le ehiffre. Elle
était aussi dans l'hypotheque; car les assignats,
par l'effet des encheres, ne représentaient
pas une valeur déterminée de biens; les man-
dats, au eontraire, devant proeurer les biens
sur l'offre simple du prix de J 790, en repré-
sentaient bien exactement la somme de 2 mil-
liards 400 millions. Tout cela n'empecha ras
leur chute, qui fut le résultat de différentes
causes. La France ne voulait plus de parier, et
était décidée a n'y plus eroire. Or, quelque
grandes que soient les garanties, quand on n'y
veut plus regarder, elles sont eomme si elles
n' étaient paso Ensuite le ehiffre du papier, quoi-
que réduit, ne l'était pas assez. On convertis-
sait 24 milliards d'assignats en 800 millions de
mandats; on réduisait done l'ancien papier au
trentieme, et il aurait fallu le réduire au deux-
centieme pOUI' etre dans la vérité; cal' 24 mil-
Iiards valaient tont au plus J 20 millions. Les
reproduire dan:; la circulatioIl pour 800 mil-
lions, en les convertissant en mandats, c'était
une erreu!'. Il est vrai qu'on leur affectait une
pareille valeur de hiens; mais une tcrre qui en




('\ 34~ lllRECTOlUJ': ,,1 79b j. J
~ 790 valait 100 miHe francs, ne se vendait au-
jourd'hui que 30 ou 2.5 mille franes; par con sé-
quent le papier portant ce nouveau titre et ce
nouveau chiffre, eut-iI meme représenté exac-
tement les bien s , ne pouvait valoir comme
eux que le tiers de l'argent. Or, vouloÍr le faire
circuler au pair, e' était eneore soutenir un
mensonge. Ainsi, quand meme iI y aurait eu
possibilité de rendre la eonfiance au papier,
la supposition exagérée de sa valeur devait
toujours le faire tomber. Aussi, bien que sa
circuIation fUt forcée partout, OH ne l'accepta
qu'un instant. Les mesures violentes qui avaient
pu imposer en 1793, étaient impaissantes au-
jourd'hui. Personne ne traitait plus qu'en ar-
gent. Ce numéraire, qu'on avait eru enfoui. ou
exporté a l'.étranger, remplissait la eireulation.
Celui qui était caché se montrait, eelui qui
était sorti de France y rentrait. Les provinces
méridionales étaient remplies de piastres, qui
vellaient d'Espagne, appelées ehez nous par le
besoin. L'or et l'argent vont, eomme toutes
les marchandises, la ou la demande les attÍre;
seulement leur prix est plus élevé, et se majn-
tient jusqu'a ce que la quantité soit suffisante,
et que le besoin soit satisfait. Ilse commettait
bien encore queIqucs friponneries, par les rero·
boursemcnts en mandats, parce que les lois




344 lLÉVOLUTlO.N J<'ltAN~AlSJ::.
donnant eours foreé de monnaie au papier,
permettaient de l'employer a l'aequittement
des engagements écrits; mais on ne l'osait
gllere, et, quaut a tOlltes les stipulations, eHes
se faisaient en numéraire. Dans tous les mar-
ehés on ne voyait que l'argent ou l'or; les sa-
laires du peuple ne se payaient pas autrement.
On aurait dit qu'il n'existait point de papier
en France. Les mandats ne se trouvaient plus
que dan s les mains des spéculateurs, qui les
reeevaient uu gouvernemcnt, et les revendaient
aux aequéreurs de biens nationaux.


De eette maniere, la erise finaneierc, quoi-
que existant encore pOllr l'état , avait presque
cessé pour les partieuliers. Le eommerce et I'in-
dustrie, profitant d'un premier moment de
repos, et de quelques' communications rou-
vertes avec le continent, par l'effet de nos
victoires, commeIH;aient a reprendre quelque
activité.


Il ne faut point, eomme les gouvernements
out la vanité de le dire, eneourager la pro-
duction ponr qn'elle prospere; il faut seule-
ment ne pas la contrarie!'. Elle profite du pre-
miel' mament pour se developper avec une
activité merveilleuse. Mais si les' particuliers
recouvraient un peu c!'aisance, le gouverlle-
ment, e' est - a -dire, ses chef s , ses agents de




toute es pece , militaires, administrateurs ou
magistra~s, ses c/"éancÍers, étaient réduits a
une affreuse détresse. Les mandats qu'on leur
donnait étaient inutiles dans leurs mains; ils
n'en pouvaient faire qu'un seul usage, e'était
de les passer aux spéeulateurs sur le papier,
qui prenaient 100 franes pour einq ou six, et
qui revendaient ensuite ces mandats aux ae·
quél'eurs de biens nationaux. Anssi les rentiers
mouraient de faim; les fonctionnaires don-
naient lenr démission; et, contre l'usage, au
líen de oemander des emplois, 011 les l'ésignait.
Les armées el' AIlemagne et d'ltalíc vivant chez
l'ennemi, étaieut a l'abri de la misere com-
mnne; mais les armées de l'illtérieur étaient
dans une détresse affreuse. Hoche ne faisait
vivre ses soldats que de denrées per¡;;ues dans
les provinces de rOuest, et iI était obligé d'y
maintenir le régime militaire, pour avoir le
droit de lever en nature les subsistances. Quant
aux officiers et a lui-meme, ils n'avaient pas
de quoi se vetir. Le service des étapes établi
dans la France , pour les troupes qui la parcoll-
raient, avait manqué sóuvent, paree que les
fournisseurs Be voulaient plus rien avancer.
Les détachelllents partis des cotes de l'Océan
pour renforcer l'armée d'Italie, étaient arretés
en route. On avait vu meme des hopitaux fer-




346 ltEVOLUTJON l"RAN(,;AISl';.
més, et les malheureux soJdats qui les rem-
plissaient, expulsés de l'asile que la république
devait a leurs infirmités, paree qu'on ne pou-
vait plus leur fournir ni remedes ni aliments.
La gendarmerie était entierement désorganisée.
N' étant ni vetue, ni équipée, elle ne faisait
presque plus son service. Les gendarmes, vou-
lant ménager leurs chevaux qU'OIl ne rempla-
~ait pas, ne protégeaiellt plQS les routes; les
brigands qui abondent a la suite des guerres
civiles, les infestaicnt. lIs pénétraient dans les
campagnes, et souvent duns les villes, et y
commettaient le vol et l'assassinat avec une
audaee inouie.


Tel était done l'état intérieur de la France.
Le earaetere partieulier de eeUe nouveUe erise,
e'était la misere du gouvernement au milieu,
d'un retour d'aisanee ehez les particuliers. Le
directoire ne vivait que des débris du papier,
et de quelques millions que ses armées lui en-
voyaient de l'étranger. Le général Bonaparte
lui avait déja envoyé 30 millions, et cent beaux
chevallx de voiture pour contribuer un peu a
ses pompes.


Il s'agissait de détruire maintenant tont l'é-
chafaudage du papier-monnaie. Il falIait pour
cela que le eOllrs n'en fut plus forcé, et que
l'impot fút rec;:u en valeur réelle. On Melara




UIRJ::CTOlltE : 1 '"'jO;;)¡. \ .. 1.,
done le 28 messidor ( 16 juillet) que tout le
monde pourrait traiter comme il luí plairait,
et stipuler en monnaie de son ehoix, que les
mandats ne seraient plus re<¡us qu'au cours
réel, et que ce cours serait tous les jours cons-
taté et publié par la trésorerie. On osa enfin
déclarer que les impóts seraient per'tus en nu-
méraire ou en mandats au cours; on ne fit
d'exception que pour la contribution fonciere.
Depuis la création des mandats on avait voulu
la percevoir en papier, et non plus en nature.
On sentit qu'il aurait mieux valu la percevoír
toujours en nature, paree qu'au milieu des va-
riations du papiel', OH aurait au moins I'ecueilli
des denrées. On cécida done, apres de lon-
gues discussions, et plusieurs projets succes-
sivement rejetés chez les anciens, que, dans
les départements frontÍeres ou voisins des ar-
mées, lapereeption pourrait etre exigée en
nature; que dans les autres elle aurait lieu en
mandats au cours des grains. Ainsi, on évaluait
le blé en 1790 a JI? fr. le quintal; on l'évaluait
aujourd'lmi a 80 fr. en mandats. Chaque dix
fraIles de cotisation, représentant un quintal
de blé, devait se payer aujourd'hui 80 fr. en
mandats. Il eut óté bien plus simple d'exiger
le paiement en numéraire ou mandats au cours;
mais on ne rosa pas encore; on commen<;ait




3'¡8 REVOLUTION FRAN~;AISE.
doue a revenir a la réalité, mais en hésitant.


L'emprunt forcé n'était point encore recou-
vré. L'autorité n'avait plus l'énergie d'arbi-·
traire, qui aurait pu assurer la prompte exé-
cution d'une pareille mesure. 11 restait pres de
300 millions a percevoir. On décida qu'en ac-
qllittement de l'emprunt et de l'impót, les
mandats seraíent rec;us au pair, et les assi-
gnats a cent capitaux pour un, mais pendant
quinze jours seulement; et qu'apres ce terme,
le papier ne serait plus re~ll qu'au cours. C'é-
tait une maniere d'encourager les retardataires
a s'acquitter.


La chute des manclats étant déclarée, íI n'é-
tait plus possible de les recevoir en paiement
intégral des biens nationaux qui lenr étaient
affeetés; et la banqueroute qu'on leur avait
prédite eomme aux assignats, devenait inévi-
tableo Gllavait annoncé, en effet, que les mau-
dats émis pOlIr 2 miHiards 400 millions, tom-
bant fort au-dessous de eette valeur, el ne valant
plus que 2 a 3 eenls mil1ions, l'état ne voudrait
plus donner la valcUl' promise des biells , e' est-
a-dire 2 milliards [~oo millions. On avait sou-
tellu le c011traire ualls l' espoir que les mandats
se maintiendraient a une eertaiue valeur; mais
roo franes tomLaut a 5 ou 6 fr., l'état ne pou-
vait plus donner tille terre de 100 franes, ell




D1R1,CTOlRE (1796). 349
'790, et de 30 a 40 franes aujourd'hui, pour
5 011 6 franes. C'était la l'espece de banque-
mute qu'avaient subie les assignats, et dont
nous avons expliqué plus haut la natnrc. L'é-
tat faisait la ee que fait anjourd'hui une eaisse
d'amortissement, qui rachete an cours de la
plaee, et qui, dans le cas d'nne baisse extraor-
dinaire, racheterait peut-etre a 50 ce 'qui au-
rait été émis a Bo OH 90. En conséqnence. il
fut décidé le 8 therrnidor ( 26 juillet) que le
dernier quart des domaines nationaux soumis-
sionnés depuis la loi du 26 ventase ( ceHe qui
créait les mandats), serait acquitté en mandats
an cours, et en six paiements égaux. Comme
il avait été soumissionné pour 800 millions de
biens, ce quart était de 200 millions.


On touchait done a la fin dn papier-monnaie.
On se demandera ponrqnoi OH 6t ce secohd
essni des mandats, qni eurent si peu de durée
et de ~mcces. En général on juge trop les me-
sllres de ce genre indépendamment des cir-
COHstances qui les ont comma'ndées. La crainte
de manquer de uuméraire avait sans doute
contribué a la création des mandats;- et, si on
n'avait pas en d'autre raison, OH aurait en grand
tort, car le numéraire ne peut pas manquer;
mais on avait été poussé surtout par la néces-
sité impérieuse de "ivre :lyec les biens, et d'an-




350 IlliVOI.TJTION FHAN<;;ATSF.
ticiper sur leur vente. Il fallait mettre leur prix
en circulation avant de l'avoír retiré, et ponr
cela l'emettre en forme de papier. San s doute
la ressource u'avaít pas été grande, puisque
les mandats étaient si vit'e tombés, mais enfin
on avait ,·¿cu encore quatre ou cinq mois. Et
n'est-ce ríen que cela? II faut considérer les
mandats comme un llouvel escompte de la va-
Ieur des biens nationaux, cornme un expédient,
en attendant que ces biens pussent etre ven-
dus. On va voir que de moments de détresse
le gouvernement eut encore a traverser, avant
de pouvoir en réaliser la vente en numéraire.


Le trésor ne manquait pas de ressources
prochainement exigibles; mais iI en était de
ces ressources eornme des biens nationaux : iI
fallait les renclr'e actllelles. Il avait encore a
recevoir 300 millions de l'emprunt forcé;
300 millions de la contribution fonciere de
l'année, c'est-a-dire toute la valeur de cettt'
contribution; 25 millions de la contribution
mobiliere; tout le fermage des biens nationaux,
et l'arriéré de ce fermage s'élevant en tont a
60 millions; différentes contributions militai.:.
res; le prix du mobilier des érnigrés; divers
arriérés; enfin 80 millions de papier sur l' é-
tranger. Toutes ces resSources jointes aux !)OO
millions dn dernier qnart dn prix des biens.




DIRF.CTOIRE (1796). 351
s'élevaient al, 100 millions, somnie énorme,
mais difficile a réaliser. Il ne lui fallait, pou!'
achever son année, c'est-a-dire pour aller jus-
qu' au I er vendémiaire, que 400 millions; il
était sauvé s'íl pouvait les réaliser immédia-
tement sur les 1,100. Pour l'année suivante,
iI avait les contributions ordinaires qu'on es-
pérait percevoir toutes en numéraire, et quí,
s'élevant a 500 et quelques millions, cou-
vraient ce qu'on appelait la dépense ordinaire.
Ponr les dépenses de la guerre, dans le cas
d'une nouvelle campagne, iI avait le reste des
1,100 millions, dont il ne devait absorber cette
année que 400 millions; iI avait enfin les nou-
velles soumissions des biens llationaux. Mais
le diffiéile était toujOUl'S la rentrée de ces so m-
mes. Le comptant ne se compose jamais que
des produits de l'année; or, il était difficile de
tout prendre a la fois par l'emprunt forcé, par
la contribution fonciere et mobiliere, par la
vente des biens. On se mit de nouveau a tra-
vailler a la perception des contributions, et
011 donna au directoire la faculté extraordi-
naire d'engager des hiens belges pour 100 mil-
lions de lluméraire. Les rescriptions, especes
de bons royaux, ayant pour hut d'escompter
les rentrées de l'année, avaient partagé le sort
de tout le papier. Nepouvaut pas faire llsage




352 núvoLlITION FIl.ANC:;AISI'.
de cette ressource, le ministre payait les four-
nisseurs en ordonnances de liquldation, qui
devaient etre acquittées sur les premieres re-
cettes.


Telles' étaient les miseres de ce gouverne-
ment si glorieux au dehors. Les partís n'avaient
pas cessé de s'agiter intériellrement. La sou-
mission" de la Vendée avait beaucoup réduít
les espérances de la faetion royaliste; mais les
agents de Paris n'en étaient que plus convain-
cus du mérite oe leur aneien plan, qui eon-
sistait a ne pas employer la guerre civile, mais
:l eorrompre les opinions, a s'emparer peu a
peu des conseils et des autorités. IIs y travail-
laient par leul's journaux. Quant aux patriotes,
ils étaient arrivés an plus haut point d'indigna.
tion. lis avaient favorisé l'évasion de Drouet,
qui était parvenu a s'échapper de prison, et
ils méditaient de nouveaux complots, malgré
la découverte de celui de Babreuf. Beaucoup
d'anciens conventionnels et de thermidoriens,
líés naguere au gouvernement qu'ils avaient
formé eux-memes le lendemain du 13 'vendé-
miaire, commen~aient a etre mécontents. Une
loi oroonnait, comme on a vu, aux ex-con-
ventionnels non réélus, et a Ious les fonction-
naires destitués, de sortir de Paris. La police,
par erreur, envoya des mandats d'amener a




353
quatre conventiollnels, membres du corps lé-
gislatif. Ces mandats furent déuoncés avec muer-
turne aux cinq cellts. Tallien, qui •. lors oe la
découverte dll complot de Babreuf, avait hau-
tement exprimé son adhésion au systeme du
gouvernement, s'éleva avec aigreur contre la
police du directoire, et eontre les défiallces
dont les patriotes étaient l'objet. Son adver-
saire habituel, Thibaudeau, lui répondit, et~
apres une discussioll assez vive et quelques
récriminations , chacun se renferma dans son
humeur. Le ministre Cochon, ses agents, ses
1ll0uchards, étaient surtout l'objet de la haiDe
des patriotes, qui avaient été les premiers al-
teillts par sa surveillallce. La marche du gou-
vernement était du reste parfaitement tracée;
et s'il était tout-a-fait prononcé eontre les
I'oyalistes, il était tout aussi séparé des pa-
triotes, e'est-a-dire de eette portion du parti
révolutionnaire qui voulait revenir a une ré-
publique plus démoera~ique, et qui trouvait
le régime actuel trop doux pour les anstocra-
tes. Mais, sauf l'état des finan ces , cettesitua-
tion du direetoire ,. détaehé de tous les partis,
les contenant d'une main forte, et s'appuyant
sur d'admirables armées, était assez rassurante
et assez belle.


Les patriotes avaicllt déjiJ. fait deux tenta-
VIII. 23




354 IIÉVOLUTION FRANC;;AISE.
tives, et subi deux répressions, depuis l'ins-
talIation du directoire. Ils avaient voulu recom-
meneer le club des jacobins au Panthéon, el
l'avaient vu fermer par le gouvernement. lIs
avaient ensuite essayé un complot mystérieux
sous la direction de Babreuf; ils avaient été
découverts par la police, et privés de leurs
nouveaux chefs. Ils s'agitaient cependant en-
core, et songeaient a faire une derniere ten-
tative. L'opposition, en attaquant encore une
fois la loi du 3 brumaire, excita chez eux un
redoublement de colere, et les poussa a un
dernier écIat. lIs cherchaient a corrompre la
légion de police. CeUe légion avait été dissoute,
et changée en un régiment qui était le 2¡e de
dragons. Ils voulaient tenter la 6délité de ce
régiment, et ils espéraient, en l' entrainant,
entrainer toute l'armée de l'intérieur, campée
dans la plaille de Grenelle. Ils se proposaient
en meme temps d'exciter un mouvement, en
tirant des coups de fusil dans París, en jetant
des cocardes blanches dans les rues, en criant
Vive le Roí! et en faisant croire ainsi que les
royalistes s'armaient pour détruire la républi-
que. lIs auraient alors profité de ce prétexte,
peur accourir en armes, s'emparer dn gou-
vernement, et faire déc1arer en leur favcllr lp,
camp de Grenelle.




D1RECTOIRE (1796). 3:;5
Le 12. frllctidor (2.9 aout), ils exécuterent


une partie de leur projet, tirel'ent des pétards.,
et jeterellt quelques cocardes blanches dans les
rues. Mais la poliee avertie avait pris de tel1es
précautions, qu'ils furent réduits a l'impossi-
bilité de faire aueun mouvement. Ils ne se dé-
couragerellt . pas, et, queIques. jours apres,
le 22 (9 septembre ), iIs déciderent de con-
sommer leur complot. Trente desprincipaux
se réllnirent au Gros-CaiUou, et résolurent de
former la nuit meme un rassemblement dans
le quartier de Vaugirard. Ce quartier, voisin
du camp de GreneUe, était plein de jardins, et
coupé de murailles; iI présentait des Iignes
derriere Iesquelles iIs pourraient se réunir, et
faire résistance, dans le cas ou ils seraient at-
taqués. Le soir, en effet, iIs se trouverent ré-
unis au nombre de sept ou huit cents, .armés
de fusils, de pistolets, de sabres, de canlles a
épée. C'était tout ce que le parti renfermait de
plus déterminé. Il y avait parmi eux quelques
officiers destitués, qui se trouvaient a la tete
du rassemblement avec l.eurs uniformes et Jeurs
épauIettes. Il s'y trouvait aussi quelques ex-
conventiouneIs en costume de représentants,
et meme, dit-on, Drouet, qui était resté caché
dans Paris depuis son évasion. Un officier de
la garde du directoire, a la tete de dix cava.


23.




:556 llÉVOLUTWN Fll AN<;:AlSE.
Iiers, faisait patronille dans París, lorsqu'il fut
averti du rassemhlement formé a Vaugi~ard.
II y accourut a la tete de ce faible détache-
ment; mais a peine arrivé, iI fut accueilli par
une décharge de coups de fusil, et assailli par
deux cents hommes armé s , qni l'obligerent a
se retirer a toute bride. II alla 'sur-Ie-champ
faire mettre S011S les armes la garde du direc-
toire, et envoya un officier au camp de Gre-
neHe pour y donner l' éveil. Les patriotes I1f'
perdirent pas de temps, et, l'éveil donné, se
rendirent en toute ha te a la plaine de Gre-
nelle, au nombre de queIques cents. lIs se di-
rigerent vers le quartier du vingt-et-unieme de
dragons, ci-devant légion de police, et essaye-
rent dele gagner, en disant qu'ils venaiellt
fraterniser avec lui. Le chef d' escadron Malo.
quí commandait ce régiment, sortít aussitot
de sa tente, se lanc;a a che val , moitié habillé,
réunit autour de lui quelques officiers et les
premiers dragons qu'il rencontra, et chargea
a coups de sabre ceux qui lui proposaient de
fraterniser. Cet exemple décida les soldats; ils
coururent a leurs chevaux, fondirent sur le
rassemblement, et l'eurent bientot dispersé.
lIs, tuerent OH blesserent un grand nombre
d'individus, et en arreterent cent trente-dellx.
Le bruit de ce combat éveilla tOllt le camp,




D1RFCTOIRE (1796).
qui se mil aussitot sous les armes, et jeta l'a-
larme dans París. Mais on fut bientot rassuré
en apprenant le résultat et ]a folie de la ten-
tative. Le directoire fit aussitot enfermer les
prisonniers, et demanda aux deux conseils 1'au-
torisation de faire des visites domiciliaires pOlIr
saisir, dans certains quartiers, beaucoup de
séditieux que leurs blessures avaient empechés
de quitter Paris. Ayant fait partie d'un rassem-
blement armé, ils étaient justiciables des tri-
bunau.x militaires, et furent Jivrés a une com-
mission, qui commen~a a en faire fusiller un
certain nombre. L'organisation de la haute-conr
nationale n'était point encore achevée; on en
pressa de nouveau l'installation, pour com-
mencer le pro ces de Babreuf.


Cette écr.anffourée fut.pris~ poor ce qu'elle
valait, c'est·a-dire pour une de ces imprudences
qui caractérisent un parti expirant. Les en-
nemis seuls de la révolution affecterent d'y
attacher une grande importance, poul' aVOlr
une nouvelle occasion de cl'ier a la terreur,
et de répandre des alarmes. On fut peu épou-
vanté en général , et cette vaine attaque prouva
mieux encore que tous les autres succes du
directoire, que son établissement était défini-
tif, et que les partis devaient renoneer a le
détruire.




358- nÉVOLUTfON FnAN~AISY.:.
Tels étaient les événements qui se passaiellt


a l'intérieur.
Pendant qu'au dehors on allait livrer de nou-


veaux combats, d'importantes négoeiations se
préparaient en Europe. La république franc;aise
était en paix avec plusienrs pnissances, mais
n'avaít d'alliance avec alleune. Les détracteurs
qui avaient dit qu'elle ne serait jamais reeon-
nne, disaient maintenant qu'elle serait a jamais
sans aJliés. Pour répondre a ees insinuations
malveillantes, le directoire songeait a renou-
veler le pacte de {amille avee I'Espagne, et pro-
jetait une quadruple allianee entre la Franee,
l' Espagne, Venise et la Porte. Par ee moyen,
la quadruple allianee, composée de toutes les
pl1issanees du Midi, contre cclles dl1 N~rd,
dominerait la Médit~rranée et l'Orient, don-
nerait des inquiétudes a la Russie, menaeerait
les derrieres de l'Autriehe, et suseiterait une
nouvelle ennemie maritime a l'Angleterre. De
plus, elle proeurerait de gran.ds avantages a
l'armée d'ltalie, en lui assurant l'appui des
escaclres vénitiennes et trente mille Esclavons.


L'Espagne était parmi les puissauces la plus
faciJe a déeider. Elle avait eontre I'Angleterre
des griefs qui dataient du commencement de
la guerreo l .. es prineipaux étaient la conduite
des Anglais a Toulon, et le seeret gardé a I'a-




DIRECTOIIlE (r 796). 359
miral espagnol lors de l'expédition en Corseo
Elle avait des griefs plus grands encore, de-
puis la paix avec la France; les Anglais avaient
insulté ses vaisseaux, arreté des munitions qui
lui étaient destillées, violé son territoire, pris
des postes mena~ants pour elle en Amérique,
violé les loís de douanes dans ses colo ni es , et
cherché ouvertement a les soulever. Ces mé-
contentements joints aux offres brillantes du
directoire, qui lui faisait espérer des posses-
sions en Italie, et aux victoires qui permet-
taient de croire a l'accompli~sement de ses
offres, déciderent enfin l'Espagne a signer, le
2 fructidor ( 19 aout), un traité d'alliance of-
fensive et défensive avec la France, sur les
bases du pacte de famille. D'apres ce traité,
ces deux puissances se garantissaient mutuel-
lement toutes leurs possessions en Europe et
dans les Indes; elles se promettaient récipro-
quement un secours de dix-huit :r;nille hommes
d'infanterie, et de six mille chevaux, de quinze
vaisseaux de haut bord, de quinze vaisseaux
de 74 canons, de six frégates et quatre cor-
vettes. Ce secours devait etre fourni a la pre-
miere réquisition de ceHe des deux puissaJ}ces
qui était en guerreo


Des instructioIlS furent envoyées a nos am-
hassadeurs, pour faire sentir a la Porte et a




36u l\ÉVOLUTION FRAi\'<';.HSI'.
Venise les avantages qu'il y aUl'ait pour enes ¡,
concomÍr a une pareille alliallce.


La république fl'alU,;aise ll'était done plus
isolée, et elle avait suscité a l'Angleterre une
Ilouvelle ennemie. Tout anllOn<;ait que la dé-
clarationde guerre de I'Espagne a l'Angleterre
allait bientot suivl'e le traité d'allianee avec la
France.


Le directoire préparait en meme temps a Piu
des embarras d'une autre natnre. Hoche était
a la tete de cent mille hommes, répandus sur
les cotes de l'Océan. La Vendée et la Bretagne
étant soumises, il brulait d'employer ces forces
<I'une maniere plus digne de lui, el d'ajoutel'
de nouveaux exploits a ceux de Weissemboul'g
et de Landau. Il suggéra au gouvernement un
projet qu'il méditait depuis long-temps, celui
d'une expédition en Irlande. Maintenant, disait-
iI, qu'on avait repoussé la guel're civile des
cotes de France, il fallait reporter ce fléau
sur les cOtes de I'Angleterre, et lui rendre, en
soulevant les catholiques d'Irlande, les maux
qu'elle nous avait faits en soulevant les Poite·
vins et les Bretons. Le moment était favora-
ble: les IrIandais étaient plus indisposés que
jamais contre l'<Jppression du gouvernement
anglais; le peuple des trois royaumes souffrait
horriblement de la guerre, pt une invasion.




IHRECTOI1\E (1796). 3(, I
s'ajoutant aux autres maux qu'il endurait déjil,
pOllvait le porter au dernier degré d'exaspé-
ration. Les finances de Pitt étaient chancelan-
tes; et l'entreprise dirigée par Hoche pouvait
avoir les plus grandes conséquences. I..oe projet
fut aussitOt accueilli. Le ministre de la marine
Truguet, républicain excellent, et ministre
capable, le seconda de toutes ses forces. ] 1
rassembla une escadre dans le port de Brest,
et fit pour l'armer convenablement tons les
efforts que permettait l'état des finances. Hache
réunit tout ce qu'il avait de meilleures troupes
dans son armée, et les rapprocha de Brest,
pour les embarquer. On cut soin· de répandre
différents bruits, tantot d'une expédition a
Saint-Domingue, tantot d'une descente a Lis-
honne, paur chasser les Anglais du Portugal,
de cancert avec l'Espagne.


L' Angleterre, qui se doutait du but de ces
préparatifs, était dans de sérieuses alarmes. Le
traité d'alliance offensive et défensive entre
l'Espagne et la Franee lní présageait de nou-
veaux dangers; et les défaites de l'Autriche lui
faisaient craindre la perte de son puissant et
dernier allié. Ses finances étaient sllrtout dans
un grand état de détresse; la Banque avait res-
serré ses escomptes; les capitaux commen(,;aient
i.t Ulanquer) et 011 avait arl'(~té !'emprunt ouvert




36'2 RÉVOLUTION FR A.NQA.ISE.
]lour l'empereur, afin de ne pas faire sortir de
nouveaux fonds de Londres. Les ports d'Italie
étaient fermés aux vaisseaux anglais; ceux
(I'Espagne allaient l'etre; ceux de l'Océan l'é-
taient jusqu'au Texel. Ainsi le commerce de la
Grande-Bretagne se trouvait singulierement
menacé. A toutes ces difficultés se joignaient
cellesd'une élection générale;car le parlement,
touchant a sa septieme année, était a réélire
tont entier. Les élections se faisaient au milieu
eles cris de malédiction contre Pitt et contre
la guerreo


L'Empire avait abandonné presque en entier
la cause de la coalition. I.Jes États de Bade et
de Wurtemberg venaient de signer ]a paix défi-
nitive, en permettant aux armées belligérantes
le passage sur leur territoire. L' Autriche était
dans les alarmes, en voyant deux armées fran-
c;aises sur le Danube, et une troisieme sur


. l'Adige, qlii semblait fermer l'Italie. Elle avait
envoyé Wurmser, avec trente mille hommes,
pour recueillir plusieurs réserves dans le Ty-
rol, rallier et réorganiser les débris de l'armée
de Beaulieu, et descendre en Lombardie avec
soixante mille soldats. De.ce coté, elle se croyait
moins en danger, et était rassurée; mais elle
était fort effrayée pour le Danube, et y portait
toute son altention. Pour empecher les bruits




DJRECfOlRE (J 796). 363
alarmants, le conseil auliqne avait défendu. a
Vienne de parler des événements politiques;
il avait organisé une levée de volontaires, et
travailIait avec une actívíté remarquable a équi-
per et armer de nouveHes troupes. Catherine,
qui promettait toujours et ne tenait jamais,
rendit un seul servi(~e ~ elle garantit les Galli-
cies a l'Autriche; ce qui permit d'en retirer les
troupes qui s'y trouvaient, pour les acheminer
vers les Alpes e't le Danube.


Ainsi, la France effrayait partout ses enne-
mis, et on attendaít avec impatience ce qu'al-
lait décider le sort des armes le long du Danuhe
et de l'Adige. Sur la ligne immense qui s'étend
de la Boheme a l'Adriatique, trois armées al-
laient se choquer contre trois autres, et déci-
der du sort de l'Europe.


En Italie, on avait négocié en attendaQt la
reprise des hostilités. On avait fait la paix
avec le Piément, et depuis deux mois, un
traité avait succédé a l'armistice. Ce tl'aité stí-
pulait la cession définitive (lu duché de Sa-
voie et du comté de Nice a la France; la
destruction des forts de Suse el de la Brunette,
placés an débouché des Alpes; l'occupation,
pendant la guerre, des places de Coní, Tor-
tone el Alexandrie; le libre passage, pour les
trollpes fran«:aÍses, dans les étafs du Piémont,




364 l\:ÉVOLVTION FnANyAISJ'.
et la fOl1rnit~re de ce qui était nécessaire a
ces troupes pendant le trajet. Le directoire,
a l'instigatian de Bonaparte, aurait voulu de
plus une allianee offensive et défensive avec le
roi de Piémont, pOl1r avoir dix ou quinze
mille hommes de son armée. Mais ce prince,
en retour, demandait la Lombardie, dont la
Franee ne pouvait pas disposer encore, et
dont elle songea~t toujours a se servir commc
éqllival-ent des Pays-Bas. Cette concession étant
refusée, le roi' ne voulut pas consentir a une
allianee.


Le directoire n'avait encore rien terminé
avec Genes; on disputait toujours sur le rap-
pel des familJes exilées, sur l'expulsion des
familles feudataires de rAutriche et de Naples,
et sur l'indemnité pour la frégate la Mo-
deste.


Avec la Toscane, les relations étaient amiea-
les; cependant, les moyens qli'on avait em-
ployés a l'égard des llégociants livournais,
poul' obtenir la déclaration des marchandises
appartenant aux ennemis de la France, sc-
maient des germes de mécontentement. Naples
et Rome avaient envoyé des agents a Paris,
conformément aux termes de l'armistiee; mais
la négociation de la paix sOllffrait de grand~
retards. Il était évident que les pllissallces at-




DIRECTOlllE (1 7~i»). 3G5
tendaiellt, pon!' conclure, la suite eles événe-
ments de la gu rre. Le peuples de Bologne et
de Ferrare étaíent toujours aussi exaltés pour
la liberté, qu'its avaient re~ue provisoirement.
La régeuce de Modene et le duc de Parme
éta ient immobiles. La Lomhardie attendait avec
anxiété le résultat de la campagne. On avait
faíl de vives instances aupres du sénat de Ve-
nise, dalls le double but de le faire concourir
au projet de quadruple alliauce, et de procu-
rer un utile anxiliaire a l'armée d'ltalie. Outre
les ouvertures directes, nos ambassadeurs a
Constantino pIe et a Madrid en avaient fait d'in-
directes, et avaient fortement insisté aupres des
légations de Venise, ponr leur démontrer les
avantages <iu projet; mais toutes ces déruar-
ches avaient été inutiles. Venise détestait les
Fran~ais, depuis qu'elle les voyait sur son ter-
ritoire, et que leurs idées se répandaient clans
les populations. Elle ne s'en tenait plus a ]a
ueutralité désarmée; eHe armait au contraire
avec activité. Elle avait dOIlIlé ordre aux com-
rnandants des Hes d'eIlvoyer dans les ]agunes
les vaisseaux et les tronpes disponibles; elle
faisait venir des régiments esclavons de 1'1lIyrie.
Le provéditeur de Bergame armait secrete-
ment les paysa,Ils superstitieux et braves dn
Rprgamasque. Des fonds étaient recueillis par




366 luivOLUTlON FRANt;alsE.
la double voie des contributions et des dons
volontaires.


Bonaparte pensa que, dans le moment, iI
faHait dissimuler avec tout le monde, trainer
les négociations en longueur, ne rien cher-
cher 11 conclure, paraitre ignorer toutes les
démarcaes hostiles, jusqu'a ce que de nou-
veaux combats eussent décidé en Italie, ou
notre établissement ou notre expulsion. Il fal-
lait ne plus agiter les questions qu'on avait a
traiter avec Genes, et lui persuader qu'on
était content des satisfactions obtenues, afin
de la retrouver amie en cas de retraite. 11 faI-
lait ne pas mécontenter le duc de Toscane, par
la conduite qu'on tellait a Livourne. Bonaparte
ne croyait pas sans doute qu'il convint de lais-
ser un frere de l'empereur dan s ce duché,
mais il ne voulait point l'alarmer encore.
Les commissaires du directoire, Garrean et
Salicetti, ayant rendu un arreté pour faire
partir les émigrés fran<;ais des environs de
Livourne, Bonaparte leur écrivit une lettre,
ou, sallS égard pour leur qualité, ¡Iles répri-
mandait séverement d'avoir enfreint leurs pou-
voirs, et d'avoir mécontenté le duc de Tos-
cane en usurpant dans ses· états l'autorité
~ouveraine. A l'égard de Venise, il voulait
aussi garder le statu quo. Seulement iI se plai-




I)IHECTOI RE (1796).
gnait tres-hautement de quelques assassiuats
commis sur les routes, et des préparatifs qu'il
voyait faire autour de lui. Son but, en entre-
tenant querelle ouverte, était de continuer a
se faire nourrir, et de se ménager un motif
de mettre la république a l'amende de quel-
ques millions, s'il triomphait des AUlrichiens.
« Si je suis vainqueur, écrivait-il, il suffi¡'a
d'une simple estafette pour terminer toutes
les difficultés qu' on me suscite. )


Le chateau de Milan était tombé en son
pouvoir. La garnison s'était rendue prison-
niere; toute l'artillerie avait été transportée
devant Mantoue, ou il avait réuni un maté-
riel considérable. Il aurait voulu achever le
siége de cette place, avant que la nouvelle
armée autrichienne arrivat pour la secourir;
mais il avait peu d'espoir d'y réussir. Il n'em-
ployait au blocus que le nombre de troupes
indispensablement nécessaire, a cause des fie-
vres qui désolaient les environs. Cependant iI
serrait la pJace de tres-pres, et il al/ait es-
sayer une de ces surprises qui, suivant ses
expressions, dépendent d'une oie ou d'un
Cluf1n" mais la baisse des eaux du lac empecha
le passage des bateaux qui devaient porter
des troupes déguisées. Des 101'8, il renon<,;a
pour le moment a s.e rendre malt1'e de Mau-




36S 1\I(VOJ,lllION FRAN~;.\(SE.
toue; d'ailleurs Wurmser arrivait, et il fallait
courir au plus pressant.


L'armée, entrée en ltalie avec trente et
quelques mille hommes environ, n'avaít re~u
que de faíbles renforts pour réparer ses per-
tes. Nenf mille hommes lui étaient arrivés des
Alpes. Les divisions tírées de l'armée de Hoche
n'avaient point encore pu travel'sel' la France,
Grace a ce renfort de nenf mille hommes, et
aux malades quí étaiellt sortis des dépots de
la Pl'Ovence et du Var, l'arrnée avait réparé
les effets du feu, et s'était meme renforcée.
Elle comptait a peu pres quaraute-cinq mille
hommes, l'épandus sur I'Adigc et autOllr de
Mantoue, au moment ou Ronaparte revint de
sa marche dans lapéninsuLe. Les maladies que
gagnerent les soldats devant Mantoue la ré-
duisirent a qual'ante ou quarante-deux mille
hommes environ. C'était la sa force au milieu
de thermidor (fin de juillet). Bonaparte n'a-
vait laissé que des dépots a Milan, Tortone,
Livourne. Il avait déja mis hors de combat
deux armées, une de Piémontais et une d'Au-
trichiens; et maintenant il avait a en combattre
une troisieme, plus formidable que les précé-
dentes.


Wurmser arrivait a la tete de soixante mille
hommes. Trente mille étaient tirés du Rhin,




nJln~CTO IH E (1 7 ~)() : 1(i0
et se composaient de troupes exce!lentes. Le
reste était formé des débris de Rcaulicu, et
de bataillons venus de l'intériellr de I'Autri-
che. Plus de dix mille hommcs étaient enfer-
més d:ms Malltoue, sans compter les malades.
Ainsi l'armée cntiere se composait de plus de
soixante-dix mille hommes.Bonaparte en avait
pres de dix mille autour de Mantoue, et n'en
pouvait opposer qu'environ trente mille aux
so ix ante qui allaient déboucher du Tyrol. A vec
une pareille inégalité de forces, il faIlait une
grande bravoure dans les soldats, et un géni e
bien féconcl dans le général, pOllr l'établir la
halance.


La ligne de I'Adige, a laquelle Bonaparte
attachait tant de prix, alIait devenir le théatrc
de la lutte. NOlls avons déj:\ donné les raisons
pour lesquelles Bonaparte la pl'éférait a toute
autre. L' Adige n'avait pas la longueur du Po,
ou eles fleuves qui, se renelant dans le Po,
confondent lcur ligne avec la sienne; il des-
cendaít directement dans la mer, apres un
cours de peu d'étendue; illl'était pas glléable,
et ne pouvait etre tourné par le Tyrol, comme
la Brenta, la Piave, et les fleaves plus avancés
vers l'extrémité ele la Haute-ItaJie. Ce fleuve a
été le thé-ltre de si magnifiques événements,


VIII.




370 RÉVOLUTION FRA NyAISE.
qu'il fallt en dpcrire le cours avec quelque


. "-


SOlll .


Les eaux du Tyrolforment deux Jignes,ccIle
du Mincioet celle de l'Adige, presque paral-
leIes, et s'appuyant l'une l'autre. Une pal'tie
de ces eallX forme dans les montagnes un lae
vaste et allongé, gU'OH appelle le lac de Garua:
elles en sortent a Peschiera pour traverser la
plaine du Mantouan, deviennent le Mineio,
forment ensuite un nouvean lae autonr de
Mantoue, et vont se jeter enfill dans le Ras-Po.
r: Adige, formé des eaux des hautes valIées du
Tyrol, conle au-dela de la ligne précédente;
il deseend a travers les montagnes parallele-
ment au lae de Garda, débouche dans la plaine
aux environs de V érone, court alors paralle-
lement au Mincio, se creuse un lit large et
profond jusqu'a Legnago, et , a quelques lieues
de eette vil le , eesse d' etre encaissé, et peut se
changer en inondations impraticables, qui in-
tercepterH tout l'espace compris entre Legnago
et l' Adriatique. Trois routes s'offraient a l'en-
nemi : l'une, franehissant l'Adige a la hauteur
de Roveredo, avant la naissance du lae de
Garda, tournait autonr de ce lac, et venait
aboutir sur ses derrieres a Salo, Gavardo et


* Voyez la carte jointe a ce voluille.




IllllECTOlflE (1796). 37 l
Drescia. Dcux autres routes partallt de Rove-
reJo, suivaient les dellx rives de l'Adige, dan s
son cours le long du lac de Garda. L'une, lon-
geant la rive droite, circulait entre ce fleuve
et le lac, passai t a tra vers des montagnes, et
venait déboucher dans la plaine entre le Mincio
et l'Adige. L'autre, suivant la rive gauehe, dé-
bouchait dans la plaine vers V érone, et abou-
tissait ainsi sur le front de la ligne défensive.
La premiere des trois, ceHe qui franchit l'Adige
avant la naissance du ¡ae de Garda, présentait
l'avantage de tourner a la fois les deux lignes
du MinCÍo et de l'Adige, et de conduire sur les
derrieres de l'armée qui les gardait. Mais elle
n'était pas tres- praticable; elle n'était acc~s­
sible qu'a l'artillerie de montagne, et des-l,ors
pouvait servir a une diversion, mais non a
une opération principale. La seeonde, descen-
clant des montagnes entre le lac et l'Adige,
passait le fleuve a Rivalta ou a Dolce, points
ou il était peu défendu; mais elle circulait d:ms
les montagnes, a travers des positions faciles
a défendre, telles que ceHes de la Corona el
de Rivoli. La troisieme enfin, circulant au-dela
du fleuve jusqu'au milieu de la plainc, débol1-
chait extérieurement, et venait tomber vers la
partie la mieux défendue de son cours, de V é-
ron e a Legnago. Ainsi les trois routes présen-


2{¡.




'7:>' H ÉVULlITION F R A N(,:A ISE.
tai~~¡lt des diffjcu1t{~s fort grandes. La premii're
ne pouvait etre occllpée que par un dótac(¡c-
mentí la seconde., passant elltre le lac et h~
fleuve, rencontrait les positions de la Corolla
et de Rivoli; la troisieme venait dpnnel' contrt'
l'Adige, qui, de Vérone a Legnago, a un li!
large et profond, et est défendll pal' dell"\.
places, a huit lieues l'ulle de l'autre.
T~onaparte avait placé le général Sauret avec


trois mille hommes a Salo, pour garder la route
qui débouche sur les derrieres du bc de Garda.
Masséna, avec douzc mille, interceptait la ronte
qui pass e entre le lac de Garda et l'Adige, et
occupait les positions de la Corona et de Ri-
voli;, Despinois, avec cinq mille , était dans I/:'s
environs de Vérone; Augereau, aveo huit mille,
a Legnago; Kilmaine, avec deltlx mille chevaux
et l'artillerie légere, était en réserve dans tul('
position centrale, a Castel-Novo. C'est lá que
Bonaparte avait placé son quartier - généraJ ,
pou!' etre a égale distan ce de Salo, Rivoli et
Vérone. Comme iI tenait beaucol1p a Vértllle,
qui renfermait trois ponts sur l'Adige, et (lll'il
5e défiait des intcntions de Venise, il songea
a en faire sorti!' les régiments esclavons. n
prétendit qu'ils étaient en hostilité avec les
troupes fran(,?aises; et, sous prétexte de pré-
venir les rixes, il les fit sortir de la place. Le




IllHFCTOIHF. (/79f.il. 37 3
provéditcul' obéit, et ji ne resta dans Véronc
<¡lIe la garnisoll fraIl<.;aise.


Wurmser avait porté son quartier-gériél'al
;! Trente el Rovercdo. Il détacha vingt mille
hommes souo; Quasdanovich, pour prendre la
mute qui tourne le Iae de Garda, et vint
dd)()llcher sur Salo. Il en prit quarante mille
avec lui, et les distribua sur les deux routes
qui lougent L'Adige. Les UTlS devaient attaquer
la Corona et Rivoli, les autres déhoucher sllr
V érone. Il croyait envelopper ainsi I'armée
fran({aise, quí, étant attaquée a la fois sur
l' Adige, el par derriere le lae de Garda, se
trollvait exposée a etre forcé e sur son front, et
a etre coupée de sa ligue de retraite.


La renommée avait devaneé l'arrivée de
Wurmser. Dans toute l'Italie on attendait sa
venue, et le partí ennemi de l'indépendanee
italienne se montrait plein de joie et de har-
dicsse. Les Vénitiens laisserent écIater une sa-
tisf;lction qu'ils ne pouvaient plus contenir.
Les soldats esclavons couraient les places jJU-
bliqnes, et, tendant la main aux passants, de-
mandaient le prix d u sang fraJl(;;ais qu'ils allaicnt
répandre. ARome, les agentsde la Franee furent
j llsnltés; le pape, en hardi par l' espoír d'une
délivrance prochaine, 6t rétrogradcr les voi-
/-ures portant le premier :'t-compte de la contri-




374 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
bution qui lui était imposée; il renvoya meme
son légat aFerrare et Bologne. EnfIn, la eour
de N aples, toujours aussi insensée, foulant
aux pieds les conditions de l'armistice, 6t mar-
cher des troupes sur les frontieres des États
romains. La plus cruelle anxiété régnait au
contraire dans les villes dévouées a la Franee
et a la liberté. On attendait avec impatienee
les nouvelles de l'Adige. L'imagination italienne
qui grossit tout , avait exagéré la disproportion
des forces. On disait que Wurmser arri vait avec
deux armées, l'une de soixante, et l'autre de
quatre-vingt mille hommes. On se demandait
comment ferait cette poignée de Franc;ais pour
r"ésister a, une si grande masse d'ennemis; on
se répétait le fameux proverbe, que l' Italie
était le tombeau des Franr¡ais.


Le J I rhermidor an IV ( 29 j uillet ), les Au-
trichiens se trouverent en présence de nos
postes, et les surprirent tOI1S. Le corps qui


. avait tourné le lac de Garda arriva sur Salo,
d'ou il repoussa le général Sauret. Le général
Guyeux y resta seul ave e quelques cents hom-
mes, et s'enferma dans un vieux batiment,
d'ou il refusa de sortir, quoiqu'il n'eut ni pain
ni eau, et a peine quelques munitions. Sur
les denx rontes qui longent l'Adige, les Autri-
chiens s'avancerent avee le nu~me avautage;




11lJ\ ECTOIH l': (179(;).
ils forcerellt ¡'importante rositíon de la eOrOlla,
entre l'Adige et le lac de Garda; ils franchírellL
l'galement la troisieme route, et vinrent débou-
cher devant V érone. Bonaparte, a son quar-
tier-général de CasteI-Novo, recevait toutes ces
nouvelles. Les courriers se succédaient sans
reluche, et dans la journée du Iendemain,
12 thermidor (30 juillet), iI apprít que les
Autrichiens s' étaient portés de Salo sur Brescia,
et qu'ainsi sa retraite sur Milan était fermée,
que la position de Rivoli était forcée comme
ceHe de la Corona, et que les Autrichiens a1-
laieut passer l'Adige partout. Dal1S cette situa-
tion alarmante, ayant perclu sa ligne défensive
et sa ligne de retraite, il était difficilequ'if ne
füt pas ébranlé. C'était la premiere épreuve
du malheur. Soit qu'il fut saisi par l'énormité
du péril, soit que, pret a prendre une déter-
minatiol1 téméraire, il voulut partager la res-
pOl1sabilité avec ses généraux, iileur demanda
leur avis pour la premie re foís, et assembla un
conseil de guerreo Tous opinerent pour la re-
traite. Sans point d'appui devant eux, ayant
perdu l'une des deux routes de France, iI n'en
était aucun qui crut prudent de tenir. Auge-
reau seul, dont ces journées furent les plus
be1les de sa vie, insista fortement pour ten ter
la fortune des armes. 11 était jeune, ardent; il




376 luíVOLUTION :FllAN9AISL
avait appris dan s les faubourgs a bien parler le
langage des camps, et il déclara qu'íl avait de
bons grenadiers qui ne se retireraient pas sans
combattre. Peu capable de juger les res!>ources
qu'offraient encore la situation des armées et
la nature <Iu terrain, il n'écoutait que son cou-
rage, et il échauffa de son ardeur guerriere
le génie de Bonaparte. Celui-ci congédia ses
généraux san s exprimer son avis, mais son
plan était arreté. Quoique la ligne de l' Adige
fUt forcé e , et que celle du Millcio et du lae de
Garda fut tournée, le terrain était si heureux,
qu'il présentait encore des res!>ources a un
homme de génie résolu.


Les Autrichiens, partagés en deux corps,
descelldaient le long des deux rives du lac de
Garda : lem jOllction s'opérait a la pointe du
lac, et, arrivés la, ils avaient soixante mille
hommes pour en accabler trente. Mais, en se
concentrant a la pointe du lac, on empechait
leur jOllCtiOll. En formanl assez I'apidement
une masse principal e , on pouvait aecabler les
vingt mille qui avaient tourné le lac, et reve-
nir aussitót apres vers les quarante mille qui
avaient filé entre le lac et l'Adige. Mais pour
occuper la pointe du lac, il fallait y ramener
foutes les troupes du Bas-Adige et du Bas-Miu-
cio; il fallait retirer Augereau de Legllago, el




DlllECTOIHt: (J 79(;).
Serruricr de Mall toue, ca¡ on ne pouvait plu,;
teuír une ligne aussi étendue. C'était un grand
sacrifice, car on assiégeait Mantoue depuis dellX
mois, on y avait transporté un grand matériel,
la place allait se rendre, et en la laissant ravi-
tailler, on perdait le" fruit de longs lravaux, et
une proie presque assurée. Bonaparte cepen-
dant n'hésita pas, et, entre deux buts impor-
tants, sut saisir le plus important et y sacrifier
l'autre : résolutioll simple, et qui décele non
pas le grand capitaine, mais le granel homme.
Ce n'est pas a la guerre seulement, c'cst aussi
en politique, et dan s toutes les situatiolls de
la vie qu'on trouve deux buts, qu'on vent les
teuír l'un et l'autre, et qu'on les manque tous
les deux. Bonaparte eut cette force si grande
et si rare du choix et du sacrifice. En voulan!
garder tout le cours du Mincio, depuis la poínte
du lac de Garda jusqu'a Mantoue, il eut été
percé; en se concentrant sur Mantoue pour
la couvrir, ji aurait eu soixante·dix mille hommes
a combattrc a la fois, dont soixante mille de
front, et dix mille a dos. Il sacrífia Mantoue,
et se concentra a la pointe du lac de Garda.
Ordre fut donné sur-le-champ a Augereau de
quitter Legnago, a Serrurier de quitter Man-
toue ~ ponr se concentrer vers Valleggio el
Peschiera, sur le Haut-Miucio. Daus la lluit <Iu




378 RÉVOLUTION FRAN~;A.ISE.
d thermidor (31 juillet), Serrurier hrula ses
aftüts, endoua ses canons, enterra ses pro-
jectiles, et jeta ses poudres a l'eau, pour aller
joindre l'armée active.


Bonaparte, sans perdre un seul instant, vou-
lut marcher d'abord sur le ~orps ennemi le plus
engagé, et le plus dangerenx par la positíOIl
qu'il avait prise. C'étaient lesvingt mille hom-
mes de Quasdanovich, qui avaient débouché
par Salo, Gavárdo el Brescia, sur les derrieres
du lac de Garda, et qui men1¡;aient la cornrnu-
nication avec Milan. Le jour meme ou Serru-
rier abandonnait Mantoue, le 13 ( 3 [ jllil1ct ),
Bonaparte rétrograda pour aller tomber sur
Quasdanovich, et repassa le Mincio, a Pes-
chiera, avec la plus grande partie de son ar-
mée. Augereau le repassa a Borghetto, a ce
meme pont, témoin d'nne action glorieuse au
moment de la premie re conquete. On laissa des
arriere - gardes poúr surveiller la marche de
l'ennemi, qui avait passé l' Adige. Bonaparte
ordonna au général Sauret d'aller dégager le
général Guyeux, qui était enfermé dans un
vieux batiment avec dix-sept cents homrnes,
san s avoir ni pain ni eau, et qui se battait hé-
ro'iquement depuis deux jours. n résolut de
marcher lui-merne sur Lonato, 011 Quasdallo-
vich venait déja de pOllsser une division, el ii




lHH:ECTOIRE ('796).
ordonna a Augereau de se porter sur Brescia,
pour rouvrir la communication avec Milan.
Sauret . réussit en effet a dégager le général
Guyeux, repoussa les Autrichiens dans les mono
tagnes, et leur fit quelques cents prisonniers.
Bonaparte, ave e la brigade d'Ailemagne, n'eut
pas le temps d'attaquer les Autrichiens a Lo-
nato; il fut prévenu. A.pres un combat des plus
vifs, il repoussa l' ennemi, entra a Lonato, et
fit six cents prisonniers. Augereau, pendant ce
temps, marchait sur Brescia; il Y entra le len-
demain J 4 ( 1 er aout), sans coup férir, déli-
vra quelques prisonniers qU'OH HOUS y avait
faits, et for<;a les Autrichiens a rebrousser vers
les montagnes. Quasdanovich, qui croyait ar-
river sur les derrieres de l'armée franc;aise, et
la surprendre, fut· étonné de trouver partout
des masses imposantes, et faisant front avec
tant de viguellr. Ji avait perdu peu de monde,
tant a Salo qu'a Lonato; mais iI crut devoir
faire halte, et ne pas s'engager davantage,
avant de savoir ce que devenait Wurmser avec
la principal e masse autrichienne. Il s'arreta.


Bonaparte s'arreta aussi de son coté. Le temps
était précieux : sur ce point il ne fallait pas
pousser un succes plus qu'il ne convenait. C'é-
tait asscz. d'avo'ir imposé a Quasdanovich; iI
faJlait reveuir maintenant pour faire face a




380 HÉ\'OLUTION FIL\N l.; ¡\ ISE.
\Vllrmser. Il rétrograda avec les divisiolls Mas-
séna et Augereaü. Le I5 ( 2 aoút ), il plal;a
la division Masséna a Pont-San-Marco', et la
divisioll Augereau a Monte-Chiaro. Les arricre-
gardes qu'il avait laissées sur le Mincio devill-
rent ses avant-gardes. II était temps d'arriver ;
cal' les quarante mille hommes de vYurmscr
avaient franchi non-seulemellt l'Adige, mais le
Millcio. La division Bayalitsch ayant masqué
P.eschiera par un détachement, et passé le
JV[incio, s'avaIH;:ait sur la routc de LOBato. La
divisioll Liptai avait franchi le Mincio a Bor-
ghetto, et repollssé de Castiglionc le gélléJ'al
Valette. Wurmser était alIé, ave e deux divi-
sions d'infantcrie et une de cavalerie, déblo-
quer Mantoue. En voyant nos affuts en cen-
dres, nos canons endonés, et les traces d'UllC
extreme précipitation, il n'y vit point le cal-
cul du génie, mais un effet de l'épouvante; ji
fut plein de joie, et entra en triomphe dalls
la place qu'il venait délivrer : c'était le 15 ther-
midor ( 2 aoút).


Bonaparte, revenu a Pont-San-Marco et ú
Monte-Chiaro , ne s'aneta pas un instant. Ses
troupes n'avaient cessé de marcher; lui-l1leme
avait toujonrs été a cheval; il résolut de les
fiÍre battre des le lendemain matin. 11 avait
devant lui Bayalitsch a Louato, Liptai a Cas-




D1I1ECTOlHE (179til. 38.
tigliollc, présclltallt a eu x denx un fron t dI·
vingt-cinq milJe hommes. lL fallait lps aUaquel"
avallt (jlle Wurmspr revlllt de Mantoue. Saurpt
venait une seconde foís d'abandonner Salo;
Bonaparte y envoya de nouveau Guyeux, pour
reprclldre la position et contenir toujours Qllas-
danovich.Apres ces précalltiolls sllr sa gauche
et ses derriéres, íl résolut de marcher devallt
lui a Lonato, avec Masséna, et de jeter Auge-
reau sur les hautellrs de Castiglione, abandon-
nées la veille par le général Valette. Il destitu:!
ce général devant l'armée, ponr faire a tan s
ses lieutenants 1m devoir de la fermeté. Le kn-
demain 16 ( 3 aOllt), toute l'armée s'6branla;
Guyellx rentra a Salo, ce qui rendit encore
plus impossible toute commmücation de Quas-
danovich avec l'armée autrichienne. Bonaparte
S'aValH;¡a sur Lonato; mais son avant-garde fut
culbutée, qnelques pieces furent prises " et le
général Pigeon resta prisonnier. Bayalitsch,
fiel' de ce succes, s'avan({a avec confiance, et
étendit ses ailes alltour ele la divisÍon franc.:aise.
Il avait deux buts en faisan t cette manreuvre,
d'abord d'envclopper Bonaparte, et puis de
s'étendre par sa droite, pour entrer en com-
munication avec Quasdanovich, elont iI enten-
dait le canon a Salo. Bonaparte, ue s' effraya.nt
point pour ses derrieres, se Iaisse envelopper




382 nÉvoLuTION FRANC;:AlSE.
avec un imperturbable sang-froid; il jette quel-
qnes tiraillenrs sur ses ailes menaeées, puis
ii saisit les dix-huitieme et trente-deuxieme de-
mi-brigades d'infanterie, les range en eolollne
serrée, les faít appuyer par un régiment de
dragons, et fond, tete baissée, sur le centre
de l'ennemi, quí s'était affaibli pour s'étendre.
II renverse tont avec ectte brave infanterie,
et perce ainsi la ligne des Autriehiens. Ceux-
ci, coupés en deux eorps, perdent aussitot
la tete; une partie de eette division Bayalitseh
se replie en toute hate vers le Mincio; mais
l'autre, qui s'était étendue pour communiquer
avec Quasdanovieh, se trouve rejetée vers Sa-
lo, oa Guyeux se trouvait daus le momento Bo-
Imparte la faíl.poursuivl'e sans relache, pOUI'
la mettre entredeux feux. Il lance Juliot a 5a
poursuite avec un régiment de cavalerie. Ju-
not se précipite au galop, tue six cavaliers de
sa main, et tombe blessé de plusieurs coups
de sabre. La division fugitive, prise entre le
corps qui était a Salo et celui qui la poursui-
vait de Lonato, s'éparpille, se met en dé-
route, et laisse a ehaque pas des milliers de
prisonniers. Pendant qu'on achevait la pour-
suite, Bonaparte se porte sur sa droite, a Cas-
tiglione, ou Augereau combattait depuis le
matin ave e une admirable bravoure. Il IlIí fal-




IHIlECTOlBE (J 790). 383
lait enlever des hanteurs ou la division Liptai
s'était placée. Apres un combat opiniatre plu-
sicurs fois recommencé, il en était enfin venu
it bout, el Bonaparte, en arrivant, tro11va
l'ennemi qui se retirait de toutes parts. Telle
fut la bataille dite de Lonato, livrée le 16 ther-
midor ( 3 aout).


Les résultats en étaient considérables. On
avait pris vingt pieces de canon, fait trois mille
prisonlliers a la division coupée et rejetée sur
Salo, et l'on poursuivait les restes épars dans
les montagnes. On avait [ait milJe ou qllinze
cents prisollniers a Castiglione; on avait tué
ou blessé trois miIle hommes; donné l'épou-
vante a Qllasdanovich, qui, trouvant l'ar~lée
fran~aise devant lui a Salo, et l'entendant au
lo in a Lonato, la croyait partout. On avait
ainsi presque désorganisé les divisions Baya-
litsch et Liptai, qui se repliaient sur Wurmser.
Ce général arrivait en ce moment avec quinze
mille hornmes, pour rallier a lui les deux di-
visions battues, el commew;ait a s' étendre dans
les plaines de Castiglione. Bonaparte le vit, le
lendemain matin 17 (4 aout ), se mettre en
ligne pour recevoir le combato Il résolut de
l'aborder de nouveau, et de lui livrer une der-
niere bataille, qui devait décider du sort de
l'ltalie. Mais ponr cela il fallait réunir a Casti-




384 IIÉVOI.unON FHAN(.:AISF.
glione toutes les t1'oupes disponibles. Il remit
done au lendemain 18 ( 5 aout) eette bataille
décisive. Il repartit au galop pour Lonato , afin
d'activer lui-meme le mOllvement de ses t1'ou-
pes. Il avait en quelqnes jonrs crevé cinq ehe-
vaux. Il ne s'en fiait a personne de l'exécutioll
de ses ordres; iI vouIait tout voir, tout véri-
fiel' de ses yeux, tout animer de sa présence.
e'est aillsi qu'une grande ame se eommunique
a une vaste masse, et la remplit de son feu.
n arriva a Lonato au mili en dl1 jour. Déjil ses
ordl'es s'exéeutaient; une partie des troupes
était en marche sur Castiglione; les autres se
portaient vers Salo et Gavardo. Il restait tout
au plus tnille hommes a Lonato. A peine llo-
naparte y est-il entré, qu'un parlementaire au-
triehien se présente, et vient le sommer de se
rendre. Le général surpris ne eomprend ras
d'abord eomment il est possible qu'il soit en
présenee des Autrichiens. Cependant il se l' ex-
plique bientOt. La dívision coupée la veille a
la bataille de Lonato, et rejetée sur Salo, avait
été prise en partie; mais un corps de quatre
mille hommes a pen pres avait erré tOllte la
nuit dans les montagnes, et voyant Lonato
presque abandonné, cherchait a y rentrer potlr
s'ouvrir ulIe issue sur le Mincio. Bonaparte n'a-
vait qu'un millier d'hommes a lui opposef, el




DIRECTOlllE (1796). 385
surtout n'avait pas le temps de livrer un com-
bato Sur-Ie-champ iI faít monter a cheval tout
ce qu'il avait d'officiers autour de lui. Il or-
donne qu'on amene le parlementaire, et qu'on
lui débande les yeux. Celui-ci est saisi d'éton-
nement en voyant ce nombreux état-major.
C( Malheureux, lui dit Bonaparte, vous ne sa-
« vez donc pas que vous etes en présence du
« général en chef, et qu'il est ici avec toute
« son armée,: Allez' dire a ceux qui vous en-
« voient, que je leur donne cinq minutes pour
« se rendre, ou que je les ferai passer au fil
« de l'épée, pour les punir de l'outrage qu'iis
« osent me faire. » Sur-Ie-champ il faít appro-
cher son artillerie, mena(,;ant de faire feu sur
les colonoes qui s'avallcent. Le parlementaire
va rapporter cette réponse ,et les quatre mille
hommes mettent has les armes devant milleo\<.
Bonaparte, sauvé par cet acte de présence d'es-
prit, dOllna ses ordres pour la lutte qui allait
se livrer. Il joignit de nouvelles troupes a ceBes
qui étaient déja dirigées sur Salo. La division
Despinois fut réunie a la division Sauret, et


• Ce fajt a été révoqué en doute pal' un historien ,
]H. Botta; mais il est confirmé par toutes les relations; et
j'ai rec;;u l'attestation de son authenticité, de l'ordonnateur
.,n chef de l'al'mée active, M. Aubernon, ql1i a passé les
quatl'c mille prisonniers en rcvnc.


VIII. :1.5




386 RÉVOLU'rJON FR A N<;.\lSP:.
toutes deux, profitant de l'ascendant de la vic-
toire, durent attaquer Quasdanovich, et le
rejeter définitivement dan s les montagnes. Il
ramena tout le reste a Castiglione. 11 y revint
dans la nuít, ne prit pas un instant de repos,
et apres avoir changé de cheval ,courut sur le
champ de bataille, afin de faire ses disposi-
tions. Cette journée allait décider du destin de
l'Italie.


C'était dans la plaine de Castiglione qu'on al-
lait combattre. Une suite de hauteurs, formées
par les derniers bancs des Alpes, se pro]ongent
de la Chiesa au Mincio, par Lonato, Castiglione,
Solferino. Au pied de ces hauteurs s'étend la
plaine qui allait servir de champ de bataille. Les
deux armé es y étaient en présence, perpendi-
culairement a la ligne des hauteurs, a laquelle
toutes deux appuyaient une aile. Rouaparte y
appuyait sa gauche, Wurmser sa droite. Bo-
naparte avait vingt-deux mille hommes an plus;
Wurmser en comptait trente milIe. Ce dernier
avait encore un autre avantage : son aile qui
était dans la plaine, était couverte par une re-
doute placée sur' le mamelon de MedoIano. AillSi
íl était appuyé des deux catés. POUI' balancer les
avantages du nombre et de la positioll, Bona-
parte comptait sur l'ascendant de la victoire,
et sur ses manrenvres. Wurmst'l' devait tendre




DlRECTOIRE (1796).
a se proIonger par sa droite, qui s'appuyait a
la ligne des hauteurs, pour s'ouvrir une com-
munication vers Lonato et Salo. C'est ainsi
qu'avait fait Bayalitsch l'avant-veille, et c'est
ainsi que devait faire Wurmser, dont tous les
vreux devaíent avoír pour but la réunion avec
son grand détachement. Bonaparte résolut de
favoriser ce mouvement dont iI espérait tirer
un grand partí. Il avait maintenant sous sa
main la dívision Serrurier, qui, poursuivie par
Wurmser depuis qu'elle avait quitté lVIantoue,
n'avait pu jusqu'ici entrer en ligne. Elle arri-
vait par GuidizzoJo. Bonaparte lui ordonna de
déboucher vers Cauriana, sur les derrieres de
Wurmser. Il attendait son fen pour commencer
le combato


Des la poínte du jour, les deux armées en-
trerent en action. Wurmser, impatient d'atta-
quer, ébranla sa droite le long des hauteurs;
Bonaparte, pour favoriser ce mouvement, re-
pIia sa gauche, qui était formée par la division
Masséna; il maintint son centre immobiIe dans
la plaine. Bientot il entendít le feude Serrurier.
Alors, tandis qu'il continuait a replier sa gau-
che, et que Wurmser continuait a prolonger
5a droite, il lit attaquer la redoute de Medo-
Jano. Il dirigea d'abord vingt picces d'artil-
lerie légere snr cette redoute, et, apres l'avoir


25.




388- HI~VOLUTION FRANr;;AISE.
vivement canonnée, iI détaeha le général Ver-
dier, avec trois bataillons de grenadiers, pour
I'emportet. Ce brave général s'avanc;a, appuyé
par un régiment de eavalerie, et enleva ]a re-
doute. ,Le flane gauche des Autrichiens fut
alors découvert, a l'instant meme ou Serrurier,
árrivé a Cauriana, répandait l'alarme sur leurs
derriei'es. Wurmser jeta aussitot une partie de
sa se conde ligne a sa gauehe, privée d'appui,
et la plac;a en poten ce pour faire. face aux
Fran({ais qui débouchaient de Medolano. Il
porta le reste de sa seconde ligne en arriere,
pour eouvrir Cauriana, et continua ainsi a faire
teteal'ennemi. Mais Bonaparte,saisissant le
moment avec sa promptitude accoutumée,
cesse aussitot de refuser sa gauche et son cen-
tre; il donne a Masséna et Augereau le signal
qu'ils attendaient impatiemment. Masséna, avec
la ganche, Augereau, avec le centre, fondent
sur la ligne affaiblie des Autrichiens, et la
ehargent avee impétuosité. Attaquée si brus-
quement 511r tout son front, menacée sur sa
ganche et ses derrieres, elle eommenee a céder
le terrain. L'ardeur des Fran({ais redouble.
Wllrmser, voyant son armée compromise,
donne alors le signal de la retraite. On le
poursnit en lui faisant (les prisonniers. Pour le
mettre dans une <U-ro u te complétc, iJ fallait




DIflECTOlll1l (1796). 389
redoublcr de célérité, et le pousser en dés-
ordre sur le Mincio. Mais, depuis six jours, les
troupes lllarchaient et se battaient sans relache;
elles n,e pouvaient plus avancer, et coucherent
sur le champ de bataille. Wurmser n'avait perdn
que deux mille hOlllmes ce jour-Ia, mais iI n'en
avait pas moins perdu l'Italie.


Le lendemain Augereau se porta au pont de
Borghetto, et Masséna devant Peschiera. Ange-
reau engagea une canon nade qui fut suivie de
la retraite des Autrichiens; et Masséna livra un
combat d'arriere-garde a la division qui avait
masqué Peschiera. Le Mincio fut abandonné
par Wurmser; iI repl'it Jaroute de Rivoli, entre
l'Adige et le lac de Garda, poul' rentrerdans
le Tyrol. Masséna le suivit a Rivoli, a la Co-
ronna ,et reprit ses anciennes positions. Au-
gereau se présenta devallt V érone. Le pl'ovédi-
teur vénitien, pour donner aux Autrichiens le
temps d'évacuer la ville et de sauver lenrs ba-
gages, demandait deux heures de temps avant
d'ouvrir les portes; Bonapal·te les fit ellfon-
cer a coups de canon. Les V éronais, qui étaÍent
dévoués a la cause de l'Autriche, et qni avaient
manifesté hautement leurs sentilllellts an mo-
ment de la l'etraite des Fran<;ais, craignaient
le cdurroux du vainq~Hml'; maís il fit obser-
ver a Ieur égard les plus grands ménagemen.ts.




390 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
Du cOté de Salo et de la Chiesa, Quasoano-'


vich faisait une re traite péllible par derriere le
lac de Garda. Il vou}ut s'arreter et défendre le
défilé, dit la Rocca-d'Anfo; mais iI fut battu ,
et perdit douze cents hommes. Bientot les
Fran¡;ais eurent repris toutes leurs anciennes
positions.


Cette campagne avait daré six joUl'S; et dans
ce court espace de temps, trente et quelques
mille hommes en avaient mis soixante mille
hors de combato Wurmser avait perdu vingt
mille hommes, dont sept a huit milIe tués ou
blessés, et douze ou treize mille prisonniers.
Il était rejeté dans les montagnes, et réduit a
l'impossibilité de tenir la campagne. Ainsi s'é-
tait évanouie .cette formidable expédition, de-
vant . une poignée de braves. Ces résultats
extraordinaires et inouls dans l'histoire étaient
dus a la promptitude et a la vigueur de réso-
Iution du jeune chef. 1'andis que dellx armées
redoutables eouvraient les deux rives du lac
de Garda, et que tous les conrages étaient
ébranlés, il avait su réduire toute la campaglle
a une seule question, la jonetíon de ces deux
armées a la pointe du lac de Garda; il avait
su faire un grand sacrifice, celui dn blocus de
Mantoue, pour se concentrer an point décisif;
et, frappant alternativement des coups terribles




-------~-


flIRECl'OJRE (1796). 3gi
sur chacune des masses ennemies, a Salo, a
Lonato, a Castiglione, il les avait successive-
ment désorganisées et rejetées dans les mon-
tagnes d'ou elles étaient sorties.


Les Autrichiens étaient saisis d'effroi; les
FraIH;ais transportés d'admiration pour leur
jeune chef. La confiance et le dévouement en
lui étaient au combIe. Un bataillon pouvait en
faire fuir trois. Les vieux soldats qui l'avaient
nommé caporal a Lodi, le firent sergent a Cas-
tiglione. En Italie la sensation fut profonde.
Mitan, Bologne, Ferrare, les villes du duché
de Modene, et tous les amis de la liberté, fu-
rent transportés de joie. La douleur se répandit
dans les couvents et chez toutes les vicilles
aristocraties. Les gouvernements qui avaient
faít des imprudences, Venise, Rome, Naples,
étaient épouvantés.


Bonaparte, j ugeant sainement sa position,
ne crut pas la lutte terminée, quoiqu'il eút en-
levé el Wurmser vingt mille hommes. Le vieux
maréchalse retiraitdans les Alpes avecquarante
milIe. n a11ait les reposer, les rallier, les recru-
ter, et iI étaít a présumer qu'il fondrait encare
une fois sur l'Italie. Bonaparte avait perdu
quelques mille hommes, prisonniers, tués ou
blessés; il en avait beaucoup dans les hopi-
taux : il jugea qu'il fallait temporiser encore,




392 RÉVOLUTION FHANyAISE.
avoir toujours les yenx sur le Tyrol, et les pieds
sur l'Adige,etse contenter d'imposer aux puis-
sanees italiennes, en attendant qu'il eut le
temps de les chatier. Il se contenta d'apprendre
aux V énitiens qu'il était instruit de leurs arme-
ments, et continua a se faire nourrir a leurs
frais, ajournant encore les négociations pOUl'
une allianee. Il avait appris l'arrivée aFerrare
d'nn légat du pape, qui étaitvenu pour re-
prendre possession des légations; iI le manda
a son quartier-général. Ce légat, qui était le
cardinal Mattei, tomba a ses pieds en disant :
peccafJi. Bonaparte le mit aux arrets dans un
séminaire:n écrivit a M. d'Azara, qui était son
intermédiaire aupres des cours de Rome et de
Naples; iI se plaignit a lui de l'imbéeillité et de
la mauvaise foi du gouvernement papal, et lni
annonc;a son intention de revenir bientot sur
ses derrieres, si on l'y obligeait. Quant a la
conr de NapIes, iI prit le langage le plus me-
nac;ant. " Les Anglais, dit-il a M. d' Azara, ont
persuadé au roí de Naples qu'il étaít quelque
ehose; moi, je lui prouverai qu'il n'est ríen.
S'il persiste, au mépris de l'armistice, a se
mettre sur les rangs, j e prends l' engagemen t 1
a la fa ce de l'Europe, de mareher eontre ses
prétendus soixante-dix mille hommes avec six
mille grenadiers, quatI'e mille ehevanx, et ein-
({nante pieees de canOIl, »




DlIn:CTOIRE ([ 796). 3c¡3
11 écrivit une leUre polie, mais ferme, au


duc de Toscane, qui avait laissé oceuper ame
Anglais Porto-Ferajo, et lui dit que la Franee
pourrait bien le punir de eette négligence en
occupant ses états, mais qu'elle voulait bien
n'en rien faire, en eonsidération d'une aneienne
amitié. n changea la garnison de Livourne,
afin d'imposer a la Toscane par un mouvement
de troupes. Il se tut avec Genes. 11 écrivit une
lettre vigoureuse au roí de Piémont, qui so uf-
frait les Barbets dans ses états, el fit partir une
colonne de douze cents hornmes ave e une com-
mission militaire ambulante, pour saisir et fu-
siller les Barbets trouvés sur les rautes. Le
peuple de Milan avait montré les dispositions
les plus amicales aux Fran(,?ais. Il lui adressa
une lettre délicate et noble, pour le remercier.
Ses dernieres víctoires lui donnant des 'espé-
rances plus fondées de eonserver l'Italie, il
crut pouvoir s'engager davantage avec les Lom-
bards; illellr aecorda des armes, et leur permit
de lever une légion a leur solde, dans laquelle
s' enrolerent en foule les Italiens attachés a la
liberté, et les Polonais errants en Europe de-
puis le dernier partage. Bonaparte témoigna
sa satisfaction aux pellples de Bologne et de
Ferrare. Ceux de Modime demandaient a etre
affranchis de la régence établie par leur duc ;.




394 RJÍVOLUTlON FRAN~;A.lSE.
Bonaparte avaít déja qllelques motifs oe 1'O1ll-
prc l'armistice, car la régence avait faít passer
des vivres a la garnison de Mantoue. Il voulut
attendre encore. Il demanda des secours au
directoire pOllr réparer ses pertes, et se tint
a l'entrée des gorges du Tyrol, pr,h a fondre
sur Wurmser, et a détruire les restes de son
armée, des qu'il apprendrait que Moreau avait
passé le Danube.


Pendant que ces grands événements se pas-
saient en Italie, il s'en préparait d'autres sur le
Danube. Moreau avaít poussé I'archíduc pied a
pied, et était arrivé dans le milieu de thermi-
dor ( premiers jours d'aout) sur le Danube.
Jouruan se trouvait sur la Naab, qui tombe
dans ce fleuve. La chaine de l' Alb ,ql1i sé pare
le Necker du Daullbe, se compose de monta-
gnes de . moyenne hauteur, terminées en pI a-
teaux, traversées par des défilés ,étroits comme
des fissures de rochers. C'est par ces défilés
que Moreau avait débouché sur le Danuhe,
dans un pays ioégal, coupé de ravins et cou-
vert de boís. L'archiduc, quí nourrissait le des-
seiu oe se concentrer sur le Danube, et de
reprendre force sur cette ligne puissallte, for-
ma tout-a-coup une résolution qui faillit com-
promettre ses sages projets. Il apprenait que
Wartenslebell, an líen de se replier sur lui, le




I)fRECTOIRE (1796). 395
plus pres possibIe de Donnaverth, se repliait
vers la Boheme, dans la soUe pensée de la
couvrir; iI craignait que, profitant de ce faux
mouvement, qui découvrait le Danube, l'armée
de Sambre - et - Mense ne voulut en tenter le
passage. n voulait done le passer lui-meme,
pour filer rapidement sur l'autre rive, et aller
faire tete a Jourdan. Mais le fleuve était en-
combré de ses magasins, et il lui fallait encore
du temps pour les faire évacuer; il ne voulait
pas d'ailleurs exécuter le passage sous les yeux
de Moreau et trop pres de ses coups, et iI
songea a l'éIoigner, en lui Iivrant bataillc avec
le Danube a dos: mauvaise pensée dont il s'est
bIamé séverement depuis, car elle l'exposait a
etre jeté dans le fleuve, on dn moins a ne pas
yarriver entier, condition indispensable pour
le sucd~s de ses projets ultérienrs.1


Le 24 thermidor ( 11 aout), il s'arreta de-
vant les positions de Morean, pour lni livrer
une aUaque générale. Morean était a Neres-
heim, tenant les positions de DllIlsteIkingen
et de Dischingen par sa droite et son centre,
el ceHe de Nordlingen par sa gauche. L'archi-
duc, voulant d'abord l'écarter du Danube,
puis le couper, s'il était possible, des monta-
glles par lesquelles iI avait débouché, et enfin
l'empecher de communiquer avec Jourdan,




396 RÉVOLUTION FRAN<1AlSE.
l'attaqua, pour arriver a toutes ses fins, sur
tous les points a la fois. Il parvint a tourner
la droite de Moreau, en dispersant ses flan-
queurs; il s'avanc;a jusqu'it Heidenheim, pres-
que sur sesderrieres, et y jeta une lelle alarme,
que tous les pares rétrograderent. Au centre,
il tenta une altaque vigoureuse, mais qui ue
fut pas assez décisive. A la gauche, vers Nord-
lingen, iI fit des démonstrations mena~antes.
Moreau ne s'intimida ni des démonstrations
faite s a sa gauche, ni de l'excursion derriere
sa droite; et, jugeant avec raison que le point
essentiel était un centre, 6t le contraire de ce
que font les généraux ordinaires, toujours
alármés lorsqu'on menace de les déborder; il
affaiblit ses ailes an profit dn centre. Sa pré-
vision était juste; cal' l'archiduc, redoublant
d'efforts an centre vers Dunstelkingen, fut re-
ponssé avec perte. On coucha de part el d'all-
tre sur le champ de bataille.


Le lendemain, Morean se trouva fort embar-
rassé par le mouvement rétrograde de ses pares,
qni le laissait sans munitions. Cependant il
pensaqu'il fallait payer d'audace, et faire mine
de vouloir attaquer. Maís l'archiduc, pressé de
repasser le Danube, n'avait Ilulle envie de re-
commencer le combat : il fit sa re traite avee
beaucoup de fermeté sur le flellve, le rcpassa




lllnECTOI R1<: (1796).
sans etre inqniété par Moreau, et en coupa les
ponts jusqu'it Donawerth. Lit, iI apprit ce qui
s'était passó entre les deux armées qui avaient
opéré par le Mein. Wartensleben ne s'était pas
jeté en Boheme eomme ille eraignait, iI était
resté sur la Naab en présenee de Jourdan. Le
jellne prinee autrichien forma une résolution
tres·beIle, qui était la eonséquenee de sa 10n-
gue retraite, et qui était propre a déeider la
campagne. Son but, en se repliant sur le Da-
nube, avait été de s'y eoncentrer, pour etre
en mesure d'agir sur l'une ou sur l'autre des
deux armées fran<;aises, ave e une masse su-
périeure de forees. La bataille de Neresheim
anrait pu compromettre ce plan, si, au lieu
d' etre ineertaine, elle avait été tout-a-fait mal-
heureuse. Mais s'étant retiré entier sur le Da-
llube, il pouvait maintenant profiterde l'iso-
lernent des armées fran<;aises, et tomber sur
l'une des deux. En conséquenee, iI réso]ut de
laisser le général Latour avee trente-six mille
hommes pour occuper Moreau, et de se porter
de sa personne avee vingt-cinq mille vers
Wartensleben, afin d'aceabler Jourdan par
cette réunión de forces. L'armée ue Jourdan
était la plus faible des deux. A une aussi grande
distance de sa base, elle ne eomptait guere
plus de quarallte-cil1q milIe hommes. Il était




398 nÉVOLUTION FRANQAI5E.
évident qu'elle ne pourrait pas résister, et
qu'elle allait meme se trouver exposée a de
grands désastres. Jourdan étant battu et ra-
mené sur le Rhin, Moreau, de son coté, ne
pou~ait rester en Baviere, et l'arehiduc pouvait
meme se porter sur le Neeker et le prévenir
sur sa ligne de retraite. Cette conception si juste
a été regardée eomme la plus belle dont puis-
sent s'honorer les généraux autrichiens pen-
dant ces longues guerres; comme ceHes qui
dans le moment signalaient le génie de Bona-
parte en ltalie, elle appartenait a un jeune
homme.


L'archiduc partit d'Ingolstadt le 29 thermí-
dor ( .6 aoUt), cinq jours apres la bataille de
N eresheim. J ourdan, placé sur la ]S aab , entre
Naabourg et Schwandorff, ne s'attendait pas a
l'orage qui se préparait sur sa tete. Il avaít dé-
taché le général Bernadotte a Neumark, sur sa
droite, de maniere a se mettre en communi-
cation avec Moreau; objet impossible a rem-
plir, el' pour lequel un corps détaché était
inutilement compromiso Ce fut contre ce dé-
tachement que l'archiduc, arrivant du Danube,
devait donner nécessairement. Le général Ber-
nadotte, attaqué par des forces supérieures,
6t une résistance honorable, mais fut obligé
de repasser rapidcmell t les montagnes par les-




nIRIlCTOJRE (1796).
quelles I'armée avait débouché de la vallée du
Mein dans ce He du Danube. 11 se retira aNu-
remberg. r.:archiouc, apres avoir jeté un corps
a sa poursllíte, se porta avec le reste de ses
forces sur Jourdan. Celui-cÍ, prévenu de I'ar-
rivée d'un renfort, averti du danger qu'avaít
couru Bernadotte, et de sa retraite sur Nu-
remberg, se disposa a repasse:r aussi les mon-
tagnes. Au moment ou iI se mettait en marche,
iI fut attaqué a la foís par l'archidllc et par
Wartensleben; il eut un eombat diffieile a
soutenir a Amberg, et perdít sa route di recte
\'ers Nuremberg. Jeté avec ses pares, sa cava-
lerie et son infanterie , dans des routes de tra-
verse, il courut de grands dangers, et 6.t,
pendant huit jours, une re traite des plus dif-
ficites et des plus honorables pour les troupes
et pour lui. Il se retrouva· sur le Meín, a
Schweinfurt, le ] 2 fruetidor (29 aout), se
proposant de se diriger sur Wurtzbourg, pour
y faire halte, y rallíer ses corps, et tenter de
nouveau le sort des armes.


Pendant que l'arehiduc exécutait ce Leau
mouvement sur l'armée de Sambre-et-Meuse,
íl fournissait a Moreau l'occasion d'en exécuter
un pareil, aussi beau et aussi décisif. L'ennemi
ne tente jamais une hardiesse sans se décoll-
vrir, et sans ollvrir de belles chances a son


¡f




400 nÉVOLUTION FRAN~¡\ISF..
adversaíre .. Moreau, n'ayallt plus que trente-
huit mille hommes devant lui, pouvait facile-
ment les accabler, en agissant avec un peu de
vígueur. Il pouvait mieux (an jugement de Na-
poléon et de l'archiduc Charles), iI pouvait
tenter uu mouvement dont les résultats au-
raient été immenses. Il devait lui-meme suivre
la marche de l'el1nemi , se rabat'tre sur l'arehi-
clllC, comme ce prince se rabattait sür Jour-
dan, et arriver él l'improviste sur ses derrieres.
L'archiduc, pris entre Jourdan et Moreau, ent
couru des dangers incalculables. Mais, pour
cela, iI {aUait exécuter un mouvement tres-
étendu, changer. tout-a-coup sa ligne d'opéra-
tion, se jeter ehl- Necker sur le Mein; il fallait
surtout manquer aux instructions du direc-
toire, qui prescrivaiel1t de s'appuyer au Tyrol,
afin de déborder les flanes de l'ennemi, et de
communiquer avec l'armée d'Italie. Le jerine
vainqueur de Castiglione n'aurait pas hésité a
faire cette marche hardie, et a commettre une
désobéissance, qui aurait décidé la campagl1e
d'nne maniere victorieuse; mais Moreau était
incapable d'une pareille détermination. Il resta
plusieurs jours sUr les boros du Danube , igno-
rant le départ de l'archiduc, et explorant len-
tement un terrain qui était alors peu connu.
Ayant appris enfill le mOl! vement qui venait df'




DIRECTOIRt: (J 796). !~o I
s'opérer, il conQllt des inquiétudes pour Jour-
dan; mais, n'osant prendre aucune détermi-
llatioll vigollreuse, iI se rlécida a franchir le
Dallllue, et a s'avaucer en Baviere, pOllr es-
sayer par-la de ramener l'archiduc a lui, tout
en restant fidele au plan du directoire. Il était
cependant aisé de jnger que I'archiduc ne
quitterait pas Jourdan avant de l'avoil' mis ho}'s
de combat, et ne se laisserait pas détourner
de l'exécution d'Ull vaste plan, par une excur-
sion en Baviere. Morean n'en passa pas moins
le Danube, a la suite de Lato 11 l' , et s'approcha
<lu Lech. Latour 6t mine de disputer le pas-
sage du Lech; mais, trop étendu pour s'y SQU-
tenir, il fut obligé de l'abandonner, apres
avoir essuyé un combat lnalheureux a Fried-
berg. Moreau s'approcha ensuite de Munich;
il se trollvait le 15 fructidor ( 1 er septembre )
a Dachau, Pfaffenhofen et Geisenfeld.


Ainsi la fortUne commenc;ait a nous etre
moillS favorable en AlIemagne, par l'effet d'un
plan vicieux qui, séparant nos armées, les
exposait a et~e battues isolément. D'autres ré-
Bultats se prépal'aient encore en Italie.


On a vu que BOllaparte, apres avoir "ejeté
les Autrichiells dans le Tyrol, et repris ses a.n-
deuues positions sur l'Adige, méditait de nou-
veaux pmjets coutre Wurmsel', auquel il u'é-


Vl!I. 2.6




1102 RÉVOLUTION FRAN<;AJSF:.


tait pas content d'avoir détruit vingt mille
hommes, et dont il voulait ruiner entierement
J'a,·mée. CeUe opération était indispensable
pour l'exécution de tons ses desseins en ltalit'.
Wurmser détruit, il pourrait faire une poíllte
jtIsqu'a> Trieste, ruiner ce port si important
pour -1' Auti'iche, revenir ensuite sur l'Adige,
fáirelá loi aVenise, aRome et a Naples, dont
la ·tnalveillance était toujours aussi manifeste,
et donner eafin le signal de la liberté en Italie,
en constitmtnt la Lombardie, les légátions de
Bologne et de Ferrare, petit-etre memé le du-
ché de Modtme, en république indépendante.
RrésQlutdonc, pour accomplir tous ces pro-
jets, de m(!)rit~r dans' le Tyrol , certain an-
.lourd'hui d'etre.· secondé par la présence de
Morean sur l'autre versant des Alpes.


Pendant que les troupes fran¡;:aises em-
ployaient une vingtaine de jours a se reposer,
WUl'mser réorganisait et renfon;ait les sien-
nes. De 1I011veaux détachementsvenus de
l' Autriche, et les milices tyroliennes, lui per-
mirent de porter son armée a pres de cin-
qllante mille hommes., Le conseil aulique lui
envoya IIn autre chef d'état-major, le gélléral
do génie Laiier, avec de Ilouvelles instructiollS
sUr le plan ,¡¡ suivre pour enlever la ligne de
l' A.dige. Wl1rmser devait Jaisser dix - huit ou




DIRECTOIRE (1796).
vingt mille hornmes sons Davidovich, ponr
garder le Tyrol, et descendre avec le reste,
par la vallée de la Brenta,. dans les plaines du
Vicentin et dll Paclouan. La Brenta prend nais-
sallce non loin de Trente, s'éloigne de l'Adige
en forme de courhe, redevient patallele a ce
tlellve dans la plaine, et va finir dans l'Adria-
tique. Une chaussée, partant de Trente, con-
duít dans la vallée de la Brenta, et vient
abolltir, par Bassano, dans les plaines du Vi-
ceotin et du Padouan. Wurmser devait par-
courir ce He vallée pour déboucber dans la
plaine, et venir ten ter le passage de I'Adige,
entre Vérone et Legnago. Ce plan n'était pas
mieux con~u que le précédent, cal' iI avait
toujours l'illconvénient de diviser les forces
en deux corps, et de mettre Bonaparte au
milieu.


Wllrmser entrait en action, dans le meme
moment que Bonaparte. Celui-ci ignorant les
projets de Wurmser, mais prévoJant avec une
sagacité rare, que, pendant son excursion au
fond du TJrol, iI serait possible que l'ennemi
Vlut tater la l,gne de l' Adige, de V érone a
Legnago, laissa le général Kilmaine a v érone
avec une réserve de pres de trois mille bom-
mes, et avec tons les moyens de résister pen-
dant dCl1x jours an moins. Le général Sahu-


2.6.




404 RÉVOLUTION FRANC:;:AISF.
guet resta avec une division de huit mille
hommes devant Mantoue. BOllaparte partit
avec vingt-huit miUe, el remonta par les trois
routes du Tyrol, eeHe qui circule dprriere le
lae de Garda, et les deux qui longent l'Adige.
Le 17 fructidor (3 septembre') la division Sau-
ret, devenue division Vaubois, apres avoir
circulé par derriere le lac de Garaa, et livré
plusieurs combats, arriva a Torbole, la
pointe supél'ieure du lac. Le meme jour, les
divisions Masséna et Augereau, qui longeaient
d'abord les deux ríves de l'Adige, et qllí s'é-
taient ensuite réunies sur' la meme ri ve par le
pont de Golo, arl'iverent devant Sera valle.
Elles livrerent un combat d'avant-garde, f't
fi .. ent quelques prisonniers a l'ennetni.


Les Fran~ais avaient a remonter maintenant
Ulle vallée étroite et profonde : a leur gallche
était l' Adige, a lenr droitc des montagnes élp·
vées. SOllvent le flenve, serrant le picd c!('s
montagnes, ne laissait qlle la largeur de la
ehaussée, et formait ainsi d'affreux défilés a
franehir. Il y en avait plus d'llll de ce genre,
pour péllétrer dans le Tyrol. Mais les Fran-
c;ais, audacieux et agi les, étaient allssi propres
a eette gucrre qu'a celle qu'ils venaient de
faire dalls les vas tes plaines du Mantouan.


Davidovieh avait plaeé del1x divisiollS, /'une




lHRECTOU\E (J 796). 403
j-IU c~mp de Mori, sur la rive dl'oite de l'Adige,
pour faire tete a la divisioll de Vaubois qui
remontait la chausséc de Salo a Rovereuo, par
derriere le lac de Garda; l'autl'e a San-Marco,
sur la rive gauche, pour garder le défilé con-
tre Masséna et Augereau. Le 18 fructidor
(4 septembre), on se trouva en présence. C'é-
tait la division W ukassovich qui défendait le
défilé de San-Marco. BOllaparle , saisissant sur-
le-champ le genre de tactique convenable aux
lieux, forme deux corps d'infanterie légere,
et les distriblle a droite el agauche, sur les
hauteurs en vironnantes; puis, quand il a fati-
gué queIque temps les Autrichiens, il forme
la dix-huitieme demi-brigade en colonne ser-
l'ée par bataillons, et ordonlle au général Vico
tor de percer avec elle le défilé. Un combat
violent s'engage; les Autrichiens résistent d'a-
bord; mais Bonaparte décide l'action, en 01'-
donnaut an général Dubois de charger a la
tf~te des hussards. Ce brave général foncl SU/'
l'infauterie autrichienne, la rompt, et tombe
percé de trois bailes. On l'emporte expirant.
(( Avant que je meure, <lit-il a BOllapar·te, fai-
(( tes-moi savoir si nous sommes vaillqueurs. ,)
De toutes parts les Autrichiens fllient et se re-
tirent a Roveredo , situé a une lieue de Marco;
QIl les poursujt au pas de cOllrse. Roveredü




406 RÉVOI,UTlON }'RA.N~A]SE.
est a une certaine distallce de l'Adige; Bona-
parte dirige Rampan, avec la trente-deuxieme,
vers l'espacequi sépare le fleuve de la ville; il
porte Victor, avec la dix-huitieme, sur la ville
meme. Celui-ci entre 3.U pas de charge dans la
grande rue de Roveredo, balaie les Autl'i-
chiens devant lui, et arrive a l'autre extrémité
de la viHe,la l'instant ou Rampon ell3.chevail
le circuit extérieur. Pendant que l'armée prin.
cipale emportait ainsi San-Marco et Roveredo,
la division Vaubois arrivait a Roveredo pal'
l'autre rive de l'Adige. La division autrichienne
de Reuss lui avait disputé le camp de Mori,
mais Vaubois venait de I'emporter a l'il1staut
meme,et tOlltes les <livisions se trouvaient
réunies maintenant aumilieu du jou!' a la
hauteur de Roveredo, sur les deux rives du
fleuve. Mais le plus difficile restait afaire.


Davidovich avait rallié ses deux divisiollS
sur sa réserve, dans le défilé de Calliano, dé-
filé redoutable, et bien autrement dangercux
que celui de Marco. Sur ce point, l'Adige ser-
rant les montagnes, ne laissait, entre son lit
et leur pied, que la largeur de la chaussée.
L' entrée dn défilé était fermée par le chatean
de la Pietra, qui joignait la mOllta-gne au
fleuve, et qui était couronné d'artilJerie.


Bonaparte, persistant dans 5a tactiq ue, dis-




DIUECTOJlIE (1796).
t I'ibue son infanterie légere a <imite ~ sur les
escarpements de la montagne, et agauche,
sur les hords du fleuve. Ses sold;¡ts, nés sur
les hords du Rhone, de la Seine ou de la
Loire, égalent l'agilité et la, hardíesse des. ehas-
seurs des Alpes. Les :uns gravissent de rochers
en rochers, atteignept le sommet de la mon-
tagne, et font un' feu plongeant sur l' el~r;temi ;
les autres, non moios iotrépides~ se glisseot
le long du flenve, appuient le pied partol.lt Oll
ils peuvent se soutenir, et tournellt le chiheau
de la Pietra. I.e général Dammal'tin place avec
bonheur une batterie d'artillerie légere qui
{aÍt le meilleur efEet; le chatean esteplevé.
Alors l'infanterje le travel'se, et {ond~m;, ~o­
lonne serrée sur l'armée a4trí~hieime ama,ssée
dans le défilé. Artillerie, cavalerie, infanterie,
se confondent, et fuient dans un désorqre
épouvalltable. Le jeune Lemarois; aide-de-
camp du général en chef, veut prévenir la
Euite des Autrichiens; il se précipite au galop
a la tete de cinquante hussards, traverse dans
toute sa IOllgueur la maSSe autriehienr;te,
et, toul'nant bride sur-Ie-champ, Eait eEEo.rt
pour en al'l'eter la tete. Il est renversé de che-
val, mais il répalld la terreur clans les rangs
autrichiens, et donue le temps a la cavalerie,
qui accourait, de recl1eillir plusieurs mille




408 RÉVOLUTJ.ON FRAN9A.ISJ<:.
prisonniers. La flnit eette suite ue combats".
qui valurent a I'armée fran({aise les défilés dll.
Tyrol, la viHe de Roveredo, toute ]'artillerie,
autrichienne, quatre mine prisonniers, san s
compter les morts et les. blessés. Bonaparte
appela eette journée bataille de Roveredo.


Le lendemain 19 fructidor(5 septembre), les
Fran~ais entrerent a Trente, capitale du Tyrol
¡talien. L'éveque avait fui. Bonaparte, poul'
calmer les Tyroliens, qni étaient fort attachés
a la maison d' Autriche, leur adrcssa une pro-
c1amation, dans Jaquelle il les invitait a posel'
les armes, et a ne point commettl'e d'hostili-
tés contre son armée, leur promettant qu'a ce
prix' leurs propriétés et leurs établissemcnts
Imblics seraient respectés. Wurmser n'était
plus a Trente. Bonaparte l'avait surpris a l'il15-
t::mt ou il se mettait en marche ponr exécu-
ter son plan. En voyant les Frall(;ais s'engager
dan s le Tyrol ponr commnniquer pput-etr('
avec I'AlIemagne, Wurmsel' n'en fut que plns
disposé a descendre par la Brenta, pOllr elll-
porter 1'Adige pendant leur absence. 11 espé-
rait meme, par ce circlIit rapicle, C¡lIi allait
l'amencr' a Vérone, enfermer ks Franr,;ais dans
la haute vallée de l'Adige, et, tont a la fois, It~S
envelopper et les conper de Mantoue. 11 était
parti l'avant-veille, el devait etre déja rcndu a




Bassano; Bonaparte forme sur-Ie-champ une
I'ésolution des plus hardies: il va laisser Van-
bois a la gal'de du Tyrol, et se jeter a traven;
les gorges de ]a Brenta, a la suite de Wurm-
ser. Il ne peut emmener avec lui que vingt
mille hommes, et Wurmser en a trente; ii
peut ~tre enfermé dans ces gorges épouvunta-
bIes, si Wurmser luí tient tete; il peut aussi
arrivel' trop tard pour tomber sur les derrieres
de Wnrmser, et celui-ci reut avoir eu le temps
de forcer l' Adige : tont cela est possihle. Mais
ses vingt mille hommes en valent trente; mais
si WUI'lllser vcut lui tenir tete et l'enfermer
dan~ les gorges, il lui passera sur le corps ~
mais s'il a vingt lieues a faire, iI les fera en
deux ,jours, et arrivera dan s la pIaine aussitot
que W urmser.AIOJ's itle rej ett era ou surTrieste,
ou sur l' Adige. S'il le rejette sur Trieste, il le
poursuivra, et ir;l bruler ce port sous ses
yeux; s'i1 le rejette sur I'Adige, il l'enfermera
entre SOlI armée et ce fleuve, et enveloppera
ainsi l'ennemi, qui croyait le prenare cluns les
gqrges du Tyrol.


Ce jeune homme, dont la pensé e et la vo-
IOllté sont aussi promptes que la foudre. 01'-
tlonne a Vauhois, le jour meme de son anÍ-
vée a Trente, de se porter sur le Lavis, pOli!'
elllever cettt~ positioll a J'arrierc-garde de Da-




410 RÉVOLUTIO.N .FllAN<,:AISE.


vidovich. Il fait exécuter cette opératioll 501lS
ses yeux, indique a Vaubois la poSitioIl qu'il
doit garder avec ses dixmille hornmes , et parl
ensuite avec les vingt autres, pour se jeter a
travers les gorges de .la Br~nta.,


11 p~rt le 20 au matin (6 septembre); il cou-
che le, soir a Levico. Le lendemaill 21 (7) il se
remeten marche le matin, et arrive devant un
nouveau défilé, dit de Primolano, on Wurmser
avait pJacé une division. Bonaparte emploie
les rnemes manc.euvres, jette des tirailleurs
sur les hauteurs et sur le bord de la Brenta,
puis fait charger en eolonne sllr ]a route. On
enleve le défilé. Un petit fort se trouvait au-
dela, pn l'entoure et on s'en rend maitre.
Quelques soldats intrépides coural)t sU,r la
route, y devancent les fugitifs, les arretent,
et donnent a l'armée le temps d'arriver pOllr
les prendre. On fait trois mille prisonniers. 011
arrive le soir a Cismone, apres avoir fait vingt
lieues en deux jours. Bonaparte voudrait avan-
cer encore, rnais les soldats ll'en peuvent plus;
luí-meme est aeeablé de fatigue. Il a devaneé
son quartier-général, il n'a ni suite ni vivres;
il partage le pain de munition d'un soldat, el
se couche, en attendant avec impatience 1('
lendemain.


CeUe marche foudroyantc el inattcudue




DlRECTOIRE (1796). /, [ 1
frappe Wurmser d'étonncment. I1 ne cOfH;oil
pas que son ennemi se soit jeté dans ces gor-
ges, au risque d'y etre enfermé; il se propose
de profiter de la position de Bassano qui les
ferme, et d'en barrer le passage avec toute son
armée. S'jl réllssit a y tenir, Bonaparte est
pris dans la courbe de la Brenta. Déja il avait
envoyé la division De Mezaros pour tater Vé-
rone, mais iI la rappelle pour lutter ici avec
toutes ses forces; cependant iI n'est pas pro-
bable que l'ordre arrive a temps. La ville de
BassallO est située sur la rive gauche de la
Brenta. Elle commlluiql1e avec la rive droite
par un pout. Wl1rmser place les deux divisions
Sebottendorff et Quasdanovich sur les deux
rives de la Brenta, en avant de la ville. Il dis-
pose six bataillons en avant-garde, dans les
défilés qui précedellt Bassano, et qui ferment
la vallée_


Le 22 (8 septembre) aú matin, Bonaparte
part de Cismone, et s'avance sur Bassano. Mas-
séna marche sur la rive droite, Augereau SUI'
la gauche. On emporte les défilés, et on dé-
bouche en présence de l'armée ennemie, rall-
gée sur les deux rives de la Brenta. Les soldats
de W llrmser, Jéconcerlés par J'audace des
Fran«;ais, ne résistel1t pas avec le courage qu'iIs
out monlré eH tanl d'occasions; iIs s'ébranlent,




412 nÉvoLUTWN FRAN<';A1SE.
se rompent, et entrent <lalls Bassano. Augereau
se présente a l'entrée de la ville. Masséna, qui
est sur la rive opposée, veQt pénétrer par le
pont; ill'enleve en colonne serrée, eomme eelui
de Lodi, etentre en meme temps qu'Augereau.
Wllrmser, dont le quartier-général était encorp
dans ]a ville, n'a que le temps de se sauver,
en nous laissant quatre mille prisonniers et un
matériel immense. Le plan de Bonaparte était
done réalisé; iI avait débouché dans la plaine
aussitot que W urmser, et il tui restait mainte-
nant a l'envelopper, en I'acculant sur I'Adige.


Wurmser, dans le désordre d'une action si
précipitée, se trouve séparé des restes de la
division Quasdanovi\:h. Cette division se re··
tire vers le Frioul , et lui, se voyant pressé par
les divisions Masséna et AlIgereau, quí luí fer-
ment la route du Frioul et le replient vers
I'Adige, forme la résolutioll de passer l'Adige
de vive force, et d'alter se jeter dans Man-
toue. Il avait rallié a lui la division De Meza-
ros, qui venait de faire de vains efforts pOUI'
emporter V éroue. Il ne comptait plus que qua-
torze mille hOll1rnes, dOllt huit d'infantel'ie et
six de eavalerie excellente. Il longe l' Adige,
et fait chercher partout IllI passage. Heul'eu-
sement pour 11Ii , le poste (lui gardait Legnago
avait été transporté a v érolle, et un détache-




l>IHECTOIRE (1796).
inent qui devait venir occuper eette place,
(I'était point encore arrivé. Wurmser, profi-
tant de ce hasard, s'empare de Legnago. Cer-
tain maintenant de pouvoir regagner Malltoue,
iI accorde quelque repos a ses troupes, qui
étaient abimées de fatigue.


Bonaparte le suivait sans relache: il fut
crnellement déc;:u en apprenant la négligence
qui sauvait Wurmser; cependant il ne déses-
péra pas encore de le prévenir a Mantoue. Il
porta la division Masséna sur I'autre rive de
l'Adige par le bac de Ronco, et la dírigea sur
Sangllinetto, pOli!' barrer le chemin de Man-
tOIlC. II dirigea Allgereau vers Legnago meme.
L'avant-garde de Masséna, devan~ant sa divi ...
sion, entra dans Céréa le 25 ( I I septembre),
an moment ou Wurmser y arrivait de Legna-
go, avec tont son corps d'armée. Cette avaut-
garc!c de cavalerie et d'infanterie légere, com-
mandée par les généraux Murat et Pigeon , tit
une résistalJce des plus héroiques, mais fnt
clIllmtée : Wurmser lui passa sur le corps, et
cnntínua sa marche. Bonaparte arrÍvait seul au
galop au moment de cette action ; il manqna
elre pris, eL se sauva en toute hateo


Wllrmser passa a Sanguínetto, puis appre-
nallt que tous les ponts de la Molinella étaient
romplls, excepté cel ni de Villimpenta, il des"




'" 14 RÉVOLUTION FRAN~AIS¡';.
cendit jusqu'a ce pont, y franchit la riviel'e,
et marcha sur Mantoue. Le général Charton
voulut lui résister ,avec trois cents hommes
formés en cané; ces braves gens furent sabrés
ou pris. Wurmser arriva ainsi a Mantoue le 27
(J 3). Ces légers avantages étaient un adoucis-
sement aux malheurs du vieux: et brave ma-
réchaI. n se répandit dans les environs de
Mantoue, et tint un moment la campagne,
griice a sa nombreuse et beBe cavalerie.


Bonaparte arrivait a perte d'haleine, furieux
contre les officiers négligellts qui lui avaient
fait manquer une si belle proie. Augerean était
rentré dans Legnago, et avait fait prisonniere
la garnison autrichienne, forte de seize cents
hommes. Bonapart:e ordonna a Augereau de se
porter a Governolo, sur le Bas-Mincio. Illivra
ensuite de petits combats a Wurmser, pour
I'attirer hors de la place; et, dans la nuit du
2B au 29 ( 14- 15 septembre), il prit une po-
sition en arriere, pour engager Wurmser a se
montrer en plaine. Le vieux général, alléché
par ses petits succes, se déploya en effet hors
de Mantoue , entre la citadelle et le fauhourg
de Saint - George. Bonaparte l'attaqua le troi-
sieme jour complémentaire an IV (19 septem-
bre). Augereau, venant de Governolo, formait
la gauche; Masséna, partant de Dne-Castelli.




DfRECTOlllE (J 796).
formait le centre, et Sahuguet, avec le corps
de blocus, formait la droite. "Vurmser avait
encore vingt-un mille hommes en ligne. Il fut
enfoncé partout, et rejeté dans la place avec
perte de deux mille hommes: Quelqnes jours
apres, il fut entierement renfermé dans Man-
toue. La nombreuse cavaJerie qu'il avait ra-
menée ne lui servait a rien, et ne faisait
qu'augmenter le nombre des bouches ¡nutiles;
il fit tuer et saler tous les ehevaux.Il avait vingt
et quelques mille hommes de garnison, dont
plusieurs mille aux hopitaux.


Ainsi, quoique Bonaparte eM pel'du en partie
le fruit de 5a ~arche audacieuse sur la Brenta,
et qu'il n' eut pas fait mettre bas les'aTmes au
maréchal; ilavait entierement ruiné et dispersé
son armée. Quelques mille hommes étaient re-
jetés dans le Tyroi sous Davidovich; quelques
mille fuyaient en Frioulsous Quasdanovich.
W urmser, ávec douze ou quatorze mille, s' était
enfel'mé dans Mantoue. Treize ou qnatorze
milI e étaientprisonniers, six ou sept mille tués
ou blessés. Ainsi cette armée venait de perdre
encore une vingtaine de mille hummes en dix
jours, Olltre un matérie.l considérable. Bona-
parte en avait perdu sept ou huit mille, dont
qllillze cents prisonniers, et le reste tué, bIes-
sé, on malade. Ainsi,aux armées de Colli et de




416 RÉVOLUTION FRANc:?AISE.
Reaulieu, détruites en entrant en Italie, il fal..:.
lait ajouter eeHe de Wurmser; détruite en
deux foís, d'abord dans les plaines de Casti-
glione, et ensuite sur les rives de la Brenta.
Aux trophées de Montenotte, de Lodi, de
Borghetto, de Lonato, de Castiglione , iI fallaít
done joindre ceux de Roveredo, de Bassano et
de Saint-George. A qlleUe époqlle de l'histoire
avait-on vu de si grands résultats, tant d'en-
nemis tués, tant de prisonniers, de drapeaux,
de canons enlevés! Ces nonvelles répandirent
de nouveau la joie dans la Lombardie, et la
terreur dans le fond de la péninsule. La France
fut transportée d'admiration ponr le gélléral
de l'armée d'ltalie.


Nos armes étaient moins heureuses sur les
autres thé:ltres de la guerreo Morcan s'était
avancé sur le Lech, eomme 00 l'a vu, dans
l'espoir que ses progres en Baviere ram ene-
raient l'archiduc, et dégageraient Jourdan.
Cet espoir était pen fondé, et l'archidllc allrait
mal jugé de l'importance de son mouvement,
g'iL se fut détourné de son exécution, pour
revenir vers Morean. Toute la campagne dé-
pendait de ce qui allait se passer sur le Mein.
Jourdan battu, et ramené sur le Rhin, les
progres de Morean ue faisaient que le eom-
promettre davantage, et l' exposer ~ perdre sa




DI HECTO/HE (1796).
ligne de retraite. L'archiduc se contenta done
de renvoyer le général Nauendorff, avec deux
régiments de cavalerie et quelques bataillons ,
pour renforcer Latollr, et continua sa pour-
suite de I'armée de Sambre-et-Meuse.


Cette brave armée se retirait avec le plus vif
regret, et en conservant tout le sentirnent de ses
fo~ces. C'est elle qui avait faÍt les plus grandes
et les plus belles ehoses, pendant les premieres
années de la révolution; c'est elle qui avait
vaincu a Watignies, a Fleurtls, aux bords de
l'Ourthe el de la Roer. Elle avait beaucoup d'es-
time pour son général, et une grande confiance
en elle - meme. Cette retraite ne l'avait point
découragée, et elle était persuadée qo.'elle ne
cédait qu'a des combinaisons supérieures, et
a la masse des forces ennemies. Elle désirait
ardemment une occasion de se mesurer avec
les Autrlchiens, et de rétablir l'honneur de
son drapean. Jourdan le désirait aussi. Le di-
rectoire lui écrivait qu'il faIlait a tont prix se
maintenir en Francollie, sur le Hallt -Mein ,
pour prelldre ses quartiers d'hiver en Allema-
gne, et surtont pour ne pas décollvrir Mo-
rean, qni s'était avancé jusql1'aux portes de
Munich. Morean, de son· cOté, venait d'ap-
prendre a Jourdan, a la date du 8 frnctidor
(25 aout), sa marche au - clela du Lech, les


VITI.




(~I 8 RÉVOLllnON FRANyAlSE.
aV<lntages qu'il yavait remportés, et le projet
q u'il avait de s'avaneertouj ours davantage ponr
ramener l'arehídue. Toutes ces raisons déeide-
rent Jourdan a tenter le sort des armes, quoi-
qu'il eut devant lui des forees tres-supérjeures.
Il aurait cru manquer a l'honneur, s'il eut
quitté la Franeonie sans eombattre, et s'iI eut
Iaissé son eollegue en Baviere. Trompé d'ail-
leurs par le mouvement du général Nauendorff,
Jourdan croyait que l'arehidue venait de partir
pour regagner les bords du Danube. Il s'arreta
done a Wurtzbourg, place dont il jugeait la
conservation importante, mais dont les Fran-
<;ais n'avaient conservé que la citadelle. Il y
donna quelque repos a ses troupcs, fit quel-
ques changements dans la distribution et le
commandement de ses divisions, et annon<.;a
l'intention de combattre. L'armée montra la
plus grande ardenr a cnlever toutes les posi-
tions que Jourdan croyait utile d'oeellper avant
d'engager la bataille. Il avait sa droite appuyée
a. Wurtzbourg, et le reste de sa ligne sur une
suite de positioIls qui s'étendent le long du
Mein jusqu'a Schveinfurt. Le Mein le séparait
de l'ennemi. Une partie seulement de l'armée
autrichienne avait franehi ce fleuve, ce qui le
confirmait dans l'idée que l'archidue avait re-
joint le Danuhe. Il laissa a l'extrémité de sa




--------


DInECTOIHI, (1796). 419
ligne la division Lefcbvre, a Schveinfurt, pOUI'
a5surer 5a retraile sur la Saale et la FuMe, clans
le cas ou la bataille luí ferait perdre la ronte
de Francfort. Il se privaít ainsi d'une secoüde
ligne et d'un corps de réserve; mais il crut de-
voir ce sacrifice a la nécessité d'assurer 5a re-
traite. Il se décida a atlaquer, le 17 fructidor
(3 septembre), au matin.


Dans la nuít du 16:m 17, I'archiduc, averti
du projet de son adversaire, 6t rapidement pas-
ser le reste de son armée au-oela du l\1ein, et
déploya aux yenx de Jourdan des force s tres-
supérieures. I~a bataille s'engagea d'abord avec
succes pour nOllS; mais notre cavalerie, assail-
lie dans les plaines qni s'étendent le longdu
Mein par une cavaJerie formidable, fut rom ...
pue, se rallia, fut rompne de nouveau, et 'ne
trauva d'abri que derriere les lignes et les feux
biennaurris de natre infanterie. Jourdall , si sa
réserve n'avait pas été si éloignée de lui, aurait
pu remporter la victoire; il ellvoya a Lefebvre
des officiers, qui ne purent percer a travers
les nombreux escadrons ennemis. Il espérait
cependant que Lefebvre, vayant que Schvein-
furt n'était pas menacé, marcherait an líeu du
péril; mais iI attendit vainement, et replia son
armée ponr la dérober a la redautable cava-
lerie ele ]'pnnemi. La re traite !le fit en bon


27·




420 RÉVOLUTION }'n ¡\ NC;A ISE.


ordre sur Arnstein. Jourdan, victime dll mau-
vais plan du directoire, et de son dévouement
a son collegue, dut des Iors se replier sur la
Lahn. Il continua sa marche sallS aucun re-
J.ache, donna ordre a Marceau de se retire!' de
devant Mayence, et arriva derriere la Lahn
le 24 fructidor ( 10 septembre). Son armée,
dans cette marche pénible jusqu'aux frontiel'es
de la Boheme, n'avait guere perdu que cinq a
six mille hommes. Elle fit une perte sensible
par la mort du jeune Marceau, qui fut frappé
d'une baile par un chasseur tyrolien, et qu'on
ne put emporter du champ de bataille. L'ar-
chiduc Charles le fit entourer de soins; mais
il expira bientot. Ce jeune héros, regretté des
deux armées, fut enseveli au bruit de leur
double artillerie. .


Pendant que ces choses se passaient sur le
Mein, Moreau, toujours au-dela du Danube
et du Lech, attendait impatiemment des nou-
velles de Jourdan. Aucun des officiers détachés
pour lui en donller n'était arrivé. Il tatonnait
sans oser prendre un parti. Dans l'intervalle,
sa gauche, sous les ordres de Desaix, eut un
combat des plus rudes a soutenir contre la
cavalerie de Latour, qui, réunie a ceHe de
Nauendorff, déboucha a l'improviste par Lan-
genbruck. Desaix fit des dispositions si justes




llIRECTOIRJ.<: (1796).
et si promptes, qu'il repoussa les nombreux
escadrons ennemis, et les dispersa dans la pIainc
apres Ieur avoÍr faÍt subir une perte considé-
rabIe. Moreau, toujours dans l'incertitude, se
décida enfin, apres une vingtaine de jours, a
tenter un mouvement pour aller a la décou-
verte. Il résolut de s'approcher du Danube,
pour étendre son aile gauche jusqu'a Nurem-
berg, et avoir des nouvelles de Jourdan, ou luí
apporter des secours. Le 24 fructidor ( 10 sep-
tembre ), il fit repasser le Danube a sa gauche
et a son centre, et Iaissa sa droite seule au-dela
de ce fleuve, vers Zel!. La gauche, sous Desaix,
s'avanc;a jusqu'a Aichstett. Dans cette situation
singuliere, il étendait sa gauche vers Jourdan ,
qui dans le moment était a soixante lieues de
lui; il avait son centre sur le Danube, et sa
droite au-deIa, exposant l'un de ces trois corps
a etre détruit, si Latour avait su profiter de
leur ¡solement. Tous les militaires ont repro-
ché a Moreau ce mouvement, comme un de
ces demi-moyens qui ont tous les dangers des
grands moyens, sal1S en avoir les avantages.
Moreaun'ayant pas, en effet, saisi l'occasion de
se rabattre vÍvement Sur l'archiduc, 10rsque
ce]ui·ci se rabattait sur Jourdan, ne pouvait
plus que se compromettre en se pla({ant ainsi
a cheval sur le Daullbe.




42.2. RÉVOLUTION }'HAN<jAISE.


Enfin, apres quatre jours d'attente dans cette
position singuliere, il en sentit le danger, se
reporta au-dela du Danube, et songea a le re-
monter pour se rapprocher de sa base d'opéra-
tiQn; Il apprit alors la retraite forcée de Jourdan
sur la J .. alui, et ne douta plus qu'apres avoir
rawené l'armée de Sambre·et-:Meuse, l'archi-
due J)e vo]¡h sur le Necker" pour fermer le
retour a l'armée du Rhin. Il apprit aussi une
tentative faite par la garnison de Manheim sur
Kehl, pour détruire le pont par lequell'armée
fran({aise avait débouché en Allemagoe. Daos
cet état de choses, iI n'hésita plus a se mettre
~ll warche pour regagller la FraIlee. Sa posi-
tion était périlleuse. Engagé au milieu de la
Baviere, obligé de repasser les Montagnes Nai-
res pour revenir' sur le Rhin, ayant en tete
Latour avec quarante mille hommes, et exposé
a trouver l'archiduc Charles avec trente mille
sur ses derrieres, il pouvait prévoir des dan-
gers extremes. Mais s'il était dépourvu du vaste
et ardent géllie que son émule déployait en Ita-
líe, il avait une ame ferme et illaccessible a ce
trouble dont les ames vives sont quelquefois
saisies. Il commandait une superbe armée,
forte de soixante et quelq ues mille hommes,
dont le moral n'avait été ébranlé par ancune
défaite, et qui avait dans son chef une extreme




DlRECTO/llJ<; (1796).
confiance. Appréciant une pareille ressource,
iI ne s' effraya pas de,sa position, et résolut
de reprendre tranquillement sa route. Pensant
que l'archiduc, apres avoir replié Jourdan, re-
viendrait prohablement sur le Necker, il craj-
gnit de trouver ce fleuve déjit occllpé; iI re-
monta done la vallée du Danube, pour aller
joindre direetement eeHe du Rhin, par la route
des villes forestieres. Ces passages étant les
plus éloignés du point ou se trouvait actuel-
lement l'arehidue, lui parureut les plus surs.


Il resta au-dela du Danube, et le remonta
trallquillement, en appuyant une de ses ailes
au fleuve. Ses pares, ses bagages marehaient
devant lui, sans confusion, et tous les jours
ses arriere-gardes repoussaientbravement les
avant-gardes ennemies. Latour, an líeu de pas-
ser le Danube, et de tacher de prévenir Mo-
reau a l'entrée des défilés, se contentait: de le
suivre pas a pas, sans oser l'entamer. Arrivé
aupres du lac de Fédersée, Moreau erut devoir
s'arreter. Latour s'était partagé en trois eorps :
iI en avait donné un a Nauendorff, et l'avait
envoyé a Tnbingen, sur le Hallt-Neeker, par
on Morcan ne vOllIait pas passer; il était lui-
meme avec le seeond a Biberach ; et le troisieme
se trouvait fort loin, a Schussenried. Moreau,
qui a ppl'Ochait du Val·d'Enfer, par ou il V.OIl·




424 RÉVOLUTION FRAN<;AISJ-:.
lait se retirer, qui ne voulait pas etre trop
pressé au passage de Ci défilé, qui voyait de-
vant lui Latonr ¡solé, et qui sentait ce qu'une
victoire devait donner de fermeté a ses troupes
pour le reste de la retraite, s'arreta le 11
vendémiaire an V ( 2 octobre ) aux environs
du lac de Fédel'sée, non loin de Riberach. I .. e
pays était montueux ,boisé et coupé de vallées.
I .. atour était rangé sur différentes hauteurs,
qu'on pouvait isoler et tourner, et qui, deplus,
avaient a dos un ravin profond, cerui de la
Riss. Morean I'attaqua sur tous les points, el,
sachant pénétl'er avec art a travers ses posi-
tions, abordant les unes de front, tournant les
autres, l'accula sur ]a Riss J le jeta dedans, et
luí fit quatre mille prisonniers. Cette victoire
importante, dite de Biberach, rejeta Latour
fort loin, et raffermit singulierement le moral
de l'armée franc;aise. Moreau reprit sa marche,
et s'approcha des défilés. n avait déjft dépassé
les rontes qui traversent la vallée du Necker
pour déboucher dans ceHe du Rhin; í'I lui
restait ce He qui, passantparTuttlingen et Rott-
weil, vers les sources memes du N ecker, suít
la vaHée de la Kintzig, et vient aboutir a Kehl;
mais Nauendorff l'avait déja occupée. Les dé-
tachements sOl'tis de Manheim s'étaient joints
a ce dernier, et l'archiduc s'en approchait.




DlRECTOIRE (1796).
Moreau aima mieux remonter un peu plus
haut, et passer par le Val- d' Enfer, qui, tra-
versant la Foret-Noire, forrnait un coude plus
long, rnais ahoutissait a Brissach, heaucoup
plus' Ioin de l'archiduc. En conséquence, il
plac;;a Desaix et Ferino avec la gauche et la
droite vers Tuttlingen et Rottweil, pour se
couvrir du coté des déhouchés, oú se trouvaient
les principales forees autrichiennes, et iI. en-
voya le centre, sous Saint-Cyr, pour forcer le
Val-d'Enfer. En meme temps, il fit filer ses
grands pares sur Huníngue, par la route des
vHIes forestieres. Les Autrichiens l'avaient en-
touré d'une nuée de petits corps, comme s'ils
avaient espéré l'envelopper, et ne s'étaient mis
llulle part en mesure de lui résister. Saint-Cyr
trouva a peine un détachement au Val-d'En-
fer, passa sans peine a Neustadt, et ardva a
Fribourg. Les deux ailes le suivirent ¡mrné-
diatement, et déboucherent a t¡avers cet af-
freux défiJé, dans la val1ée du Rhín, plutot
avec J'attitude d'une armée victol"ieuse qu'avec
ce He d'une armée en retraite. Moreau étaÍt
rendu dans la vallée du Rhin le 21 vendémiaire
( 12 octobre). Au líeu de repó'.sser le Rhin au
pont de Brissach, et de remonter, en suivant
la rive franc;;aise, jusqu'a Strasbourg, il vou-
lut remonter la rive draite jusqu'a Kehl, en




426 nlÍvoLuTION FRANC;AISE.
présence de toute l'armée enllemie. Soít qu'il
voulut f¡üre un re tour plus imposant, soit qu'il
espérat se maintenir sur la rive droite, el
couvrir Kehl en s'y portant directement , ces
raisons ont paru insuffisalltes pour hasarder
une bataille. JI pouvait, en repassant le Rhin
a Brissach, remonter librement a Strasbourg,
et déboucher de nouvean par Kehl. Cette tete
de pont pouvait résister assez long-temps pour
luí donner le temps d'arriver. Vonloir marcher
an contraireen face de l'armée ennemie, qui
venait de se réunir tont entiere sons l'archi-
duc, et s'exposer ainsi a une bataille générale,
avec le Rhin a dos, était une imprudence inex-
cusable, maint~nantqu'on n'avait plus le motif~
ni de l'offensivea prendre, ni d'une re traite a
protéger. Le 2.8 vendémi:lire ( 19 octobre ), les
deux armées se trouverent en présence sur les
bords de l'Elz, de Valdkirch a Emmendingen.
Apres un combat sanglant et varié, Moreau
sentit l'impossibilité de percer jusqu'a Kehl ,
en suivant la rive droite, et résolut de passer
sur le pont de Brissaeh. Ne eroyant pas néan-
moins pouvoir faire passer toute son arméc sur
ce pont, de peur d'cllcombrement, et voulant
imvoyer au plus tot des forces a Kehl, iI fit
repasser Desaix avec la gauche par Brissach, et
retourna vers Huningne avee le centre et la




o lRECTO IR E \. 17 96).
droite. Cette détermination a été jugée non
moins imprudente que ceBe de combattre a
Emmendingen; cal' Moreau, affaibli d'un tiers
de son armée, pouvait etre tres-compromiso Il
comptait, il est vrai, sur une tres-belle posi-
tíon, ceHe de Schliengen, qui couvre le débou-
ché d'Huníngue, et sur laquelle iI pouvait
s'arreter et combattre, pour rendre son pas-
sage plus tt'anquille et plus sur. Il s'y replia en
effet, s'y arreta le 3 brumaire (24 octobre), et
livra un combat opiniatre et balancé. Apres
avoir, par cette journée de combat, donné a
ses bagages le temps de passer, iI évaClla la
posítion pendant la nuit, repassa sur la rive
gauche, et s'achemina vers Strasbourg.


Ainsi finit cette campagne célebre, et cette
retraite plus célebre encore. Le resultat indi-
que assez le vice du plan. Si, cornme l'ont dé-
montré Napoléon, l'archiduc Charles et le
général Jomini, si au lieu de former deux ar-
mées, s'avan«;;ant en colonnes ísolées, sous deux
généraux différents, dans l'intentíon mesquíne
de déborder les flanes de l' ennemi , le directoire
eut formé une seule armée de cent soixante
mille hommes, dont un détachement de cin-
quante mille aurait assiégé Mayence, et dont
cent dix mille, réunis en un seul corps, au-
raient envahí I'Allemagne, par la vallée dn




428 RÉVOLUTlON FRAN~AfSE.
Rhin, le Val-d'Enfer et la Haute-Baviere, les
armées impériales auraient été réduites a se
retirer toujours, sans pouvoir se concentrer
avec avantage contre une masse trop supé-
rieure. Le beau plan du jeune archiduc serait
devenu impossible, et le drapeau républicain
auraít été porté jusqu'a Vielllle. Avec le plan
donné, Jourdan était une victime forcée. Aussi
5a campagne, toujours malheureuse, fut toute
de dévouement, soit lorsqu'iI franchit le Rhin
la premiere fois, pour attirer a lui les forces
de l'archiduc, soit lorsqu'il s'avanc;a jusqu'en
Boheme et qu'il combattit a Wurtzbourg. Mo-
reau seul, avec sa belle armée, pouvait répa-
rer en partie les vices du plan, soit en se hatant
d' écraser tout ce qui était devant lui, au mo-
ment ou il déboucha par Kehl, soit en se ra-
battant sur l'archiduc Charles, lorsque ceIui·ci
se porta sur Jourdan. Il n'osa ou ne sut ríen
faire de tout cela; mais s'iI ne montra pas une
étincelle de génie, si a une manreuvre décisive
et victorieuse iI préféra une retraite, du moins
il déploya dans cette retraite un grand carac-
tere et une rare fermeté. Sans doute elle n'é-
tait pas aussi difficile qu'on l'a dit, mais elle
fut. conduÍte néanmoins de la maniere la plus
imposante.


Le jeune archiduc <lut au vice du pIau fran-




nrHt~CTOIRl<: (J 7~)6). 429
f,{ais une belle pensée, qu'il exécuta avec pru-
denee; mais, eomme Moreau, il manqua de
eette ardeur, de cette audace qui pouvaient
rendre la fante on gouvernement fran.,;ais mor-
tel1e pour ses armées. Con.,;oit-on ce qui serait
arrivé, si d'un coté ou de l'antre s'était trouvé
le génie impétueux qui venait de détruire trois
armées au-deIa des Alpes! Si les soixante-dix
mille hommes de Morean, a l'instant ou ils
déboucherent de Kehl, si les Impériaux, a
l'instant ou ils quith~rent le Danube pour se
rabattre sur Jourdan, avaient été conduits avec
I'impétuosité déployée en Italie, certaillement
la guerre eUt été terminée sur-Ie-champ, d'une
maniere désastreuse pour l'une des deux puis-
sances.


Cette campagne valllt en Europe une grande
réplltation au jeune archidllc. En France, on
sut un gré inflni a Moreau d'avoir ramené saine
et sauve l'armée compromise en Baviere. On
avait eu sur cette armée des inquiétudes ex-
tremes, surtout depuis le moment ou Jourdan
s'étaut replié, ou le pont de Kehl ayant été
menacé, ou une nuée de petits corps ayant
intercepté les communications par la Souabe',
on ignorait ce qu'elle était devenue et ce qu'elle
allait devenir. Mais quand, apres de vives ill-
quiétudes, on la vit déboucher dans la vallée




430 RÉVOI,UTION }'RAN<.;AISE.
du Rhin, avec une si belle attitude, on fut
enchanté du général qui l'avait si heureuse-
ment ramenée. Sa retraite fut exaltée eomme un
ehef-rl'reuvre de l'art, et comparée sur-Ie-champ
a ceHe des Dix mine. On n'osaít rien mettre
san s doute a coté des triomphes si brillants de
l'armée d'Italie; mais comme il ya toujours une
foule d'hommes que le génie supérieur, que la
grande fortune offusquent, et que le mérite
moins éclatant rassure davantage, ceux-Ia se
rangeaient tous ponr Moreau, vantaient sa
prudence, son habileté consommée, et la pré-
féraient au génie ardent dll jeune Bomtparte.
Des ce jour-Ia, Morean cut pour lui tout ce
qui préfere les facultés secondaires aux facultés
supérieures; et, il faut l'avouer, dans une ré-
publique on pardonne presque a ces ennemis
du génie, quand on voit de quoi le génie peut
se rendre coupable envers la liberté qui l'a en-
fanté, nourri, et porté au comble de la gloire.




DlRECTOIRE (1796).


CHAPITRE VI.


Situution intérip.ure et extérieure de la France aprt!s la re-
traite des :Irmées d'AIIemagne an commencement de
I'an V. - Comoinaisons de Pitt; ouverture d'une né-
gociation avec le directoire; arrivée de lord Malmes-
bury a Paris. - Paix avec Naples et avec Genes; négo-
ciations infructueuses avec le pape; déchéance dll duc
de Modene; fondation de la république cispadane. _
Mission de Clarke a Vienne. - Nouveaux efforls de
I'Autriche en Italie; arrivée d'Alvinsy; extremes dan-
gers de J'armée fran~aise; bataille d'Arcole.


L'ISSUE que venait d'avoir la campagne d'Alle-
magne était facheuse pour la république. Ses
ennemis, qui s'obstinaient a nier ses victoires,
ou a lui prédire de cruels retours de fortune,
voyaient leurs pronostics réalisés, et iLs en
triomphaient ouvertemeut. Ces rapides cou-
quetes en Allemagne, disaient - ils, n'avaient




432 RÉVOLUTIO.N FRAN~AISE.
done aucune solidité. Le Danube et le génie
d'un jeune prince y avaient hientot mis un
terme. Sans doute la téméraire armée d'Italie,
qui semblait si fortement établie sur l' Adige ,
en serait arrachée a son tour, et rejetée sur les
Alpes, comme les armé es d' Allemagne sur le
Rhin. Il est vrai, les conquetes du général Bo-
naparte semblaient reposer sur une base un
peu plus solide. Il ne s'i>tait pas borné a pousser
Colli et Beaulicu devant lui ; il les avait détruits :
il ne s'était pas borné a repollsser la nouvelle
armée de Wllrmser; il l'avait d'abord désorga-
nisée a Castiglione, et anéantie enfin sur la
Brenta. JI y avait done un peu plus d'espoil'
de rester en Italie que de rester en AlIemagne;
mais on se plaisait a répandre des brnits alar-
mants. Des force s nombreuses arrivaient, di-
sait-on, de la Pologne et de la Turquie pour se
porter vers les Alpes; les armées impériales du
Rhill pourraient faire maintenant de nOtlveaux
détachemen ts; et, avec tont son génic, le géné-
ral Bonaparte, ayant toujours de nouveaux
ennemis a combattre, trouverait enfin le terme
de ses succes, ne fut-ce que dans l'épuisement
de son armée. Il était naturel que, dans l'état
des choses, on format de pareilles conjectures;
car les imaginations, apres avoir exagéré les
ímcces, devaient aussi exagérer les reverso




DIRECTOIRJ.: (1796). 433
Les armées d'Al1emagne s'étaient retirées


sans de grandes pertes, et tenaient la ligne du
Rhin. Il n'y avait en cela rien de trop malheu-
reux; mais l'armée d'Italie se trouvait sans ap-
pui, et c'était un inconvénient grave. De plus,
nos deux principales armées, rentrées sur le
territoire fran<,{ais, alIaient etre a la charge de
nos finances, qui étaient toujours dans un état
;(\~lorable : et c'était la le plus grand mal. Les
'üHhdats ayant cessé d'avoir COllrs forcé de mon-
naie, étaient tornhés entierement; d'ailleurs
iIs étaient dépensés, et il n' en restait presque
plus a la disposition du gouvernement. lis se
trouvaient a Paris, dal1s les mains de quelques
spéculateurs, qui les vendaient aux acquérEmrs
de biens nationaux. I..'arriéré des créances de
l'état était toujours considérable, mais ne ren-
trait pas; les impots, l' emprunt forcé, se per-
cevaient lentement; les biens nationaux sou-
missionnés n'étaient payés qll'en partie; les
paiements qui restaient a faire n'étaient pas
encore exigibles d'apres la loi; et les soumis-
siolls qui se faisaient encore n'étaient pas assez
nombreuses pour alimenter le trésor. Du reste,
on vivait de ces soumissions, ainsi que des
denrées provenant de l'emprunt, et des pro-
messes de paiement faites par les ministres. 00
venait de faire le budget ponr }'an V, divisé en


VITl.




434 RJÍVOLUTIO."i FRAN~AISE.
dépenses ordinaires et en dépenses extraordj ..
naires. Les dépenses ordinaires montaient a
450 millions; les autres el 550. La contribution
fonciere, les douanes, le timbre et tous les
produits annuels, devaient assurer la dépense
ordillaire. Les 550 millians de l'extraordinaire
étaient suffisamment couverts par l'arriéré des
impots de 1'an IV et de l'emprunt forcé, et par
les paiements' qui restaient el faire sur les bif'l1~
vendus. On avait en outre la ressource des bi~ns
que la république possédait encare; mais iI i~l­
lait réaliser tout cela, et c' était toujours la
meme diffieulté. Les fOllrnisseurs non payés
refusaient de continuer leurs avances, et tOIlS
les services manquaient a la fois. Les fonetíon-
naires publies, les rentiers n' étaient pas payés,
et mouraient de faim.


Ainsi l'isolement de l'armée d'Italie, et nos
finances, pouvaient donner de grandes espé-
rances a nos ennemis. Du projet de quadruple
allianee, formé par le directoire, entre laFrance,
I'Espagne, la Porte et Venise, illl'était résulté
encore que l' alliance avec l'Espagne. CeIle-ci,
entrainée par nos offres et notre brillante for-
tune au milieu de l'été, s'était décidée, eomme
on l'a vu, a renouveler avec la république le
pacte de famille, et elle venait de faire sa dé-
daratíon de guerre a la Grande-Bretagne. Ve-




UIIIECTOIRJ<: (1796). 435
nise, malgré les instances de l'Espagne et les
invitations de la Porte, malgré les victoires de
Bonaparte en ltalie, avait refusé de s'unir a la
république. On lui avait vainement représenté
que la Russie en voulait a ses colo ni es de la
Gnke, et l' A utriche a ses provinces d'IlIyrie;
que son union avec la France et la Porte, qui
n' avaient rien a 1 ui envier, la garantirait de
ces deux ambitions ennemies; que les victoi-
res réitérées des Franc;ais sur I'Adige devaient
la rassurer contre un retour des armées autri-
chiennes et contre la vengeance de l'empereur;
que le concours de ses forces et de sa marine
renclrait ce retour encore plus impossible; que
la neutralité au contraire ne lui ferait aucun
ami, la laisseraít sans protectellr, et l'expose-
rait peut-etre a servir de moyens d'accom-
modement entre les puissances belJigérantes.
Venise, pleine de haine contre les Fran<;ais,
faisant des armements évidemment destinés
contre eux, puisqu'elle consultait le ministere
autrichien sur le choix d'un général, re fusa
pour la seconde foís l'alliance qu'on 'luí propo-
sait. ElIe voyait bien le danger de l'ambition
autrichienne; mais le danger des príncipes
frall/;ais était le plus pressant, le plus grana a
ses yeux, et elle répondit qu'elle persistait dans
la neutralité désarmée, ce qui était faux, car


28.




436 lIÉVOLUTIO.N FRAN9AISF.
elle armait detous cotés. La Porte, ébranlée
par le refus de Venise, par les suggestions de
Vieone et de l'Angleterre; n'avait point accédé
au projet d'alliance. Il oe restait done que la
France et l'Espagne, dont l'union pouvait con-
trihuer a faire perdre la Méditerranée aux An-
glais, mais pouvilit aussi compromettre les
colonies espagnoles. Pitt, en effet, songeait a
les faire insurger eontre la métropole, et il
avait déja noué des intrigues dans le Mexique.
Les négociations avec Genes n'étaient point
terminées; ear il s'agissait de convenir avec elle
a la foís d'une somme d'argent, de l'expulsíon
de quelques familles, et du rappel de quelques
autres. Elles ne l'étaient pas davantage avec
Naples, paree que le direetoire aurait vDulo
une contribution, et que la reine de N apIes,
qui traitait avec désespoir, refusaít d'y consen-
tir. La paix avee Rome n'était pas faite, a cause
d'un article exigé par le directoire; il voulait
que le Saint-Siége révoqwlt t011S les brefs ren-
dus contre la France depuis le commencement
de la révolution, ce qui blessait cruellement
l'orgueil du vieux pontife. 11 convoqua un
concile de cardinaux, quí déciderent que la
révocation ne pouvait ras avoir lieu. Les négo-
ciations furent rompues. Elles recommencerent
a Florence; un con gres s'ollvrit. Les envoyés




DJRECTUIHJ.o: (1796). 437
~ du pape ayant répété que les orefs rendus ne


pouvaient pas etre révoqués, les commissaires
fraIH;;ais ayant répondu de leur coté que la ré-
vocation était la condition sine quá non, on
se sépara apres quelques minutes. L'espoil'
d'un secours du roi de Naples et de l'Angle-
terre soutenait le pontife dans ses refus. Il
venait d' envoyer le cardinal Albani a Vienne,
pour implorer le seeours de l'Autriche, et se
concerter avee elle dans sa résistance.


Tels étaient les rapports de la Franee avec
I'Europe. Ses ennemis, de leur coté, étaient
fOl't épuisés. L' Antriche se sentait rassurée, iI
est vrai, par la retraite de nos armées qui
avaient poussé jusqu'au Danube; mais elle
était fort inquiete pour l'ltalie, et faisait de
nouveaux préparatifs puur la recouvrer. L'An-
gleterre était réduite a une situation fort triste:
son établissement en Corse était précaire, et
elle se voyait exposée a perdre bientot eette
He. On voulait lui fermer tons les ports d'Ita-
líe, et il suffisait d'une nouvelle victoire du
général Bonaparte pour décider son entiere
expulsion de eette eontrée. La guerre avee
I'Espagne a1lait lui interdire ]a Méditerranée,
et menacer le Portugal. Tout le littoral de
I'Océan lui était fermé jusqu'au Texel. L'expé-
dition que Hoche préparait en Bretagne l'ef-




I'lEVULUTJON I"RANCAISE.
\ '


frayait potIr l'Irlande; ses fiuanees étaient en
péríl, sabanque était ébranlée, et le peuple
voulait la paix; l'opposition étaít devenne plus
forte par les élections nouvellcs. C'étaient la
des raisons assez pressantes de songer a la
paix, et de profiter des derniers revers de la
France pour la lui faire accepter. Mais la fa-
roille royale et l'aristocratie avaient une grande
répugnance a traiter avec la France , paree que
c'était a leurs yeux traiter ave e ]a révolution.
Pitt, beallcoup moins attaché aux principes
aristocratiques, et uniquement préoccupé des
intérets de la pllissance anglaise, aurait bien
voulu la paix, mais a une condition, indis-
pensable pour lui et inadmissihle pour la ré-
publique, la restitution des Pays-Bas a l'Au-
tri che. Pitt, eorome nous l'avonsdéja remarqué,
était tOllt Anglais par l'orgneil, l'amhitioll et
les préjugés. Le plus grand erime de la révo-
lution était moins a ses yeux l'enfantement
d'une république colossale, que la réunioIl des
Pays-Bas a la France.


Les Pays-Bas étaient en effet une aequisl~
tion importante ponr notre patrie. Cette ac-
quisition luí procurait d'abord la possession
des provinces les plus fertiles et les' plus riches
du continent, et surtont de provinces manu-
facturieres; elle Ini donnait l'embouchnre des




lHRECTOIRE (1796). 439
tleuves les plus importants au commerce du
Nord, I'Escaut, )a Meuse et le Rhin; une aug-
mentation considérahle de cÓtes, et par con-
séquent de marine; des ports d'une haute
Ímportance, celui d'Anvers surtout; enhn un
proIongement de notre frontiere maritime ,
dans la partie la plus dangereu!Se pour la fron-
tiere anglaise, vis-a-vis les rivages sans défense
d'Essex, de Suffolk, de Norfolk, d'Yorkshire.
Outre cette acquisition positive, les Pays-Bas
avaient pour nous un autre a.vantage: la Hol-
lande tombait sons l'influence immédiate de la
France, des qu'elle n'en était plus séparée par
des provinces autrichiennes. Alors la ligne
fran<;aise s'étendait, non pas seulement jus-
qu'a Anvers, mais jusqu'au Texel, et les riva-
ges de l' Angleterre étaient enveloppés par une
ceinture de rivages ennemis. Si a cela on ajoute
un pacte de famille avec l'Espagne, alors puis-
sante et bien organisée, on comprendra que
Pitt etlt des jnquiétudes pour la puissance
maritime de l'Angleterre. Il est de principe, en
effet, pour tont Anglais bien nourri de ses
idées nationales, que l'Angleterre doit domi-
ner a Naples, a Lisbonne, a Amsterdam, pour
avoir pied 'sur le continent, et pour rompre la
longue ligne des cotes qui lui pourraient etre
opposées. Ce príncipe était aussi enra<;:in4




4[10 llLvOLlJTION FRANYAISt:.
en 1796, que celui qui faisait considérer tout
dommage causé a la France comme un bien
fait a I'Angleterre'. Et. conséquencc, Pitt, pour
procurer un moment de répit a ses finances,
aurait bien consentí a une paix passagere,
mais a condition que les Pays-Bas seraient res.,.
titués a l'Autriche. Il songea done a ouvrir
une négociation sur cette base. Il ne pouvait
guere espérer que la France admit une pareille
condition, car les Pays-Bas étaient l'acquisi-
tion principale de la révolution, et la consti-
tution ne permettait meme pas au directoire
de traiter de leur aliénation. Mais Pitt con-
naissait peu le continent; iI croyait sincere-
ment la France ruinée, et il était de honne foi
quand iI venait, tous les ans, annoncer l'épui-
sement et la chute de notre république. Il
pensait que si jamais la France avait été dis-
posée a la paix, c' était dans le moment actuel,
soit a cause de la chute des mandats, soit a
cause de la retraite des armées d' Allemagne.
Du reste, soit qu'il crut la condition admissi.
ble ou non, il avait une raison majeure d'ou-
vrir une négociation. C'était la nécessité üe
satisfaire l'opinion publique, qui demandait
hautement la paix. Pour obtenir en effet la
levée de soixante mille hommes de milice, et
{le quinze millc marins, iI lui fallaiL prouver,




DJHECTOlRE (1796).
par une démarche éclatante, qu'il avait faít
son possiLle ponr traiter. Il avait encore un
autre motif non moins important; en prenant
l'inítiative, et en ouvrant a Paris une négocia-
tion soIennelle, iI avaít l'avantage d'y ramener
)a discnssion de tous les íntérets européens, et
d'empecher l'ouverture d'une négociation par.,
ticuliere avee l'Autriehe. Cette derniere puis-
sanee en effet tenait beaueoup moins a recou-
vrer les Pays-Bas, que l'Angleterre ne tenaít a
les lui rendre. Les Pays-Bas étaient pour elle
une provínce loíntaine ~ qui était détachée du
centre de son empire, ex posé e a de contiIluel~
les invasiolls de ]a Franee, et profondément
imbue des idées révolutíonnaires; une pro-
vince que plusieurs fois elle avait songé a
éehanger eontre d'autres possessions en Alle-
magne OH en Halie, et qu' elle n'avait gardée
que paree que la Prusse s'était toujours oppo-
sée a son agrandíssement en Allemagne, et
qu'il ne s'était pas présenté de eombinaisons
qui permissent son agrandissement en Halie.
Pitt pensait qu'une négociation solennelle ,
ouverte a París pour le compte de tous les
alliés, empecherait les combinaisons partíeu-
lieres, et préviendrait tout arrangement relatif
aux Pays-Bas. U voulait enfin avoir un agent
en France, quí put la juger de pres, et avoi~




442 RÉVOLUl'JON .FllANyAISE.
des renseignements certains sur l'expédition
qui se préparait a Brest. Telles etaient les rai-
sons qui, meme sans l'espoir d'obtenir la paix,
décidaient Pilt a faire une démarche aupres du
directoire. Il ne se boma pas, comme l'année
précédente, a une communication insignifiante
de Wickam a Barthélemy; iI tit demander des
passe-ports pour un envoyé revetu des pou-
voirs de la Grande-Bretagne. eette éclatallte
démarche dll plus implacable ennemi de no-
tre république, avait quelque chose de glo-
rieux pour elle. L'aristocratie anglaise était
ainsi réduite a demander la paix a la républi-
que régicide. Les passe-ports furent aussitot
accordés. Pitt tit choix de lord Malmesbury,
antrefois sir Harris, et tils de l'anteur d'Her-
mes. Ce personnage n'était pas connu pour ami
des républiques; iI avait contribué a l'oppres-
sion de la Hollande en 1787. 11 arriva a París
avec une nombreuse suite, le 2 brumaire
(23 octobre 1796).


Le directoire se fit représenter par le minis-
tre Delacroix. Les deux négociateurs se virent
a l'hótel des Affaires Étrangeres, le 3 bru-
maire an V (24 octobre 1 79G). Le ministre de
France exhiba ses pouvoirs. Lord Malmesbury
s'annonca comme envové de la Grande-Bre-


, .


tague et de ses alliés, afin de traiter de la paix




UHtECTOIRE (1796). 443
gén éra le. 11 exhiba ensuite ses pOtlvoirs, qtli
n'étaient signés que par I'Angletcrre. Le mi-
nistre fran~ais luí demanda alors s'íl avait mis-
sion des alliés de la Grande-Bretagne, pour
traiter en leur nomo Lord Malmesbury répon-
dit qu'aussitot la négociation ouverte, et le
príncipe sur lequel elle pouvait etre basée, ad-
mis, le roi de la Grande-Bretagne était assuré
d'obtenir le concours et les pouvoirs de ses
alliés. Le lord remit ensuite a Delacroix une
note de sa cour, dans laquelIe iI annon<;ait
le príncipe sur lequel devait etre basée la né-
gociation. Ce principe était celui des compen-
sations de conquetes entre les puissances.
L' Angleterre avait faít, disait cette note, des
conquetes dans les colonies; la France en avait
fait sur le continent aux alliés de l' Angleterre;
il Y avait done matiere a restitutions de part
et d'autre. Mais iI fallait convenir d'abord du
príncipe des compensations, avant de s'expli-
quer sur les objets qui seraient compensés. On
voit que le cabinet anglais évitait de s'expli-
quer positivement sur la restitution des Pays-
Bas, et énon«;;ait un principe général pour ne
pas faire rompre la négociation des son ouver-
ture. Le ministre Delacroix répondit qu'il al-
lait en référer au directoire.


I,e directoire ne pouvait pas abandonner les




'444 lLl~VOLUTlON FRAN~:AIS};.
Pays-Bas; ce ll'était pas dan s ses pouvoirs, et
l'aurait-il pu, il ne le devait paso La France
avait envers ces provinces des engagements
d'honneur, et ne ponvait pas-Ies exposer aux
vengeances de l'Autriche en les lui restituant.
D'ailleurs, elle avait droit a des indemnités
pour la guerre inique qu'on lui faisait depuis
si long-temps; elle avait droit a des compensa-
tions pour les agrandissements de l'Autriche,
la Prusse et la Russie en Pologne, par les suites
d'un attentat; elle devait enfin tendre toujours
a se donner sa limite naturelle, et, par toutes
ces raisons, elle devait ne jamais se départir
des Pays-Bas, et maintenir les dispositions de
la eonstitution. Le directoire, bien résolu a
remplir son devoir a cet égard, pouvait rom-
pre sur-le-champ une négociation, dont le but
évidcnt était de nous proposer l'abandon des
Pays-Bas, et de prévenir un arrangemellt avec
l'Autriche; mais il aurait ainsi donné líen de
Jire qu'il ne voulait pas la paix, il aurait rem-
pli l'une des principales illtentions de Pitt, et
lui aurait fourui d'excellentes raisons pour
demander au peuple anglais de nouveaux sa-
crifices. Il répondit le lendemain meme. - La
Franee, dit-il, avait déja traité isolément avec
la plupart des puissallces de la coalition, sans
qu'elles invoquassent le concours de tous les




D1RECTOIHE (I79G). /jl¡:;
al1iés; rendre la négociation générale, c'était
la rendre interminable, c'était donner lien de
croire que la négociation actuelle n'était pas
plus sincere que l'ouverture faite l'année pré-
cédente, par l'intermédiaire du ministre Wic-
kam. Dn reste, le ministre anglais n 'avait pas
de pouvoirs des alliés, au nom desquels il
parlait. Enfin, le principe des compensations
était énoncé d'une maniere trop générale et
trop vague, pOUl' qu'on pu.t l'admettre ou le
rejeter.L'application de ce principe dépendait
toujours de la nature des conquetes, et de la
force qui restait aux puissances belligérantes
pOllr les conservero Ainsi, ajoutait le direc-
toire, le gouvernement franc,;ais pourrait se
dispenser de répondre; mais pour prouver son
désir de la paix, íl déclare qu'il sera pret· a
écouter tmItes les propositions, des que le
lord Malmesbury sera muní des pouvoirs de
toutes les puissances, aunom desquelles iI
prétend traiter.


Le directoire qui, dans cette négociation,
n'avait rien a cacher, et qui pouvait agir avec
la plus grande franchise, résolut de rendre la
négociation publique, et de faire imprimer
dans les journaux les notes du ministre allglais
et les réponses du ministre franc,;ais. n fit ¡m-'
primer en effet snr-Je-champ le mémoire d~




/14G ltÉVOLUTION Fll.AN~AIS}:.
lord Malmesbury, et la réponse qu'il y avait
faite. Cette maniere d'agir élaÍt de nature a
déconcerter un peu la politique tortueuse du
cabinet anglais, mais elle ne dérogeait nuUe-
ment aux convenances, en dérogeant aux usa-
ges. Lord Mafmesbury répondit qu'il allait en
référer a son gouvernement. C'était un singu-
líer plénipotentiaire que celui qui n'avaitque
des pouvoirs aussi insuffisants, et qui, a cha-
que difficulté, était obligé d'en référer a sa
cour. Le directoire aurait pu voir la un leurre,
et l'intelltion de trainer en longueur pour se
donner l'air de négocier; il aurait pu surtont
ne pas voir avec plaisir le séjour d'un étranger
dont les intrigues pouvaiellt etre dangereuses,
et qni venait pour découvrir le secret de nos
arrnements; iI ne rnanifesta néanrnoins aucun
rnécontentement; iI permit a lord Malrnesbury
d'attendre les réponses de sa cour, et, en at-
tendant, d'observer París, les partis, leur force
et ceHe du gouvernement. Le directoire n'a-
vait du reste qu'a y gaguero


Pendant ce temps, notre sitllation devenait
périlleuse en Italie, malgré les réceuts triom-
phes de Roveredo, de Rassano et de Saínt-
George. L'Autriche redoublait d'efforts pour
recouvrer la Lombardie. Graces aux garauties
données par Catherine a l'empereur, ponr




IlIRECTOIRE (1796).
la conservation des Gallicies, les troupes qlli
étaient en Pologne avaient été transporté es vers
les Alpes. Graces encore a l'espérauce de con-
server la paix avec la Porte, les frontieres de
la Turquie avaient été dégarnies, et toutes les
réserves de la monarehie autrichienne dirigées
ver s l'Italie. Dne poplllation nombreuse et dé-
vouée fournissait en 011tre de puissants moyens
de reer'utement. L'administration autrichienne
déployait un úle et une aetivité extraordinai-
res pOllr enroler de nouveaux soldats, les en-
cadrer dans les vieilles troupes, les armer et
les équiper. Une belle armée se préparait ainsi
dans le Frioul, avec les débris de Wurmser,
avec les troupes venues de Pologne et de Tur-
quie, avee les détaehements du Rhin, et les
reerues. l.e maréehal Alvinzy était chargé d'en
prendre le commandement. On espérait que
eeUe troisieme armée serait plus heureuse que
les deux précédentes, et qu'elle finirait par ar-
racher l'Italie a son jeune conquérant.


Dans cet intervalle, Bonaparte ne eessait de
demaooer des seeours, et de conseiller des né-
gociatioIls avee les puissances italienucs qui
étaient sur ses derrieres. Il pressait le direc-
toire de traiter avec Naples, de rellouer les
négociations avee Rome, de conclure avec Ge-
nes, et de négoeier une aIlianee offensive et




448 H};VOLUTION FRAN¡;;:AISE.
défensive avec le roi de Piémont. pour luí pro-
curer des secours en Italie, si on ne pouvait
pas lui en envoyer de France. Il voulait qu'on
lui permit de proclamer l'indépendance de la
Lombardie, et ceBe des états du duc de Mo-
dene, ponr se faire des partisans et des auxi-
liaires fortement attachés a sa canse. Ses vues
étaient justes, et la détresse de son armée lé-
gitimait ses vives instances. La rupture des né-
gociations avec le pape avait fait rétrograder
une seconde fois la contribution imposée par
l'armistice de Bologne. Il n'y avait en qu'uu
paiement d'exécuté. IJes contributions frap-
pées sur Parme, Modene, Milan, étaient épui-
sées, soit par les dépenses de l'armée, soit
par les envois faits au gouvernement. Venise
fournissait bien des vivres; mais le pret était
arriéré. Les valeurs a prendre sur le commerce
étranger a Livourne étaient encore en contes-
tation. Au milieu des plus riches pays de la
terre, l'armée commenc;ait a éprouver des pri-
vations. Mais son plus grand malheur était le
vide de ses rangs, éclaircis par le canon autri-
chien. Ce n'était pas sans de grandes pertes
qu'elle avait détruit tant d'ennemis. On l'avait
renforcée de nenE a dix mille hommes depuis
l'ouverture de la campagne, ce qui avait porté
a cinquante miBe a peu pres le nombre des




IHR¡;:CTOIRI, 1>796). 449
FI'ancais clltrés en ltalie; mais eHe en avait
tout au plus trente et quelques mille dans le
moment; le feu et les maladies l'avaient ré-
duite a ce petit nombre. Une douzaine de ba-
taillons de la Vendée venaient d'arriver, mais
singulierement diminués par les désertions; les
alltres détachements promis n'arrivaient p'as.
Le général Willot, qui commandait dan s le Mi-
di, et qui était chargé de diriger sur les Alpes
plusieurs régiments, les retenait poUr apaise'r
les troubles que sa maladresse et son mauvais
esprit provoquaient dans les provinces de son
commandement. Kellermann ne pouvait guere
dégarnir sa Iigne, cal' iI devait toujours etre
pret a contenir Lyon et les environs, ou les
compagnies de Jésus commettaie'nt des assas-
sinats. Bonaparte demandait la quatre-vingt-
troisieme et la quarantieme brigade, formant
a peu pres six mille hommes de honnes trou-
pes, et répondaít de tout si elles artivaient a
temps.


Il se plaignaitqu'on ne reut pas chargé de
négocier avec Rome, paree qu'il aurait atten-
du, pom signifier l'nltimatum, le paiement de
la contrihntion. (e Tant que votre généraI, disait·
ce iI, ne sera pas le centre de tout en Italie,
ce tont ira mal. Il serait facile de m'accuset
" cl'ambition; mals je n'ai que trop d'honneuq


\'In. !l.!)




450 lllíVOLUTlON FR A Nt;;A (SE.
C( je suis malade, je puis a peine me tenir a
(( cheval; iI ne me reste que dll couragc, ce
C( qui est insuffisant pOllr le poste que j'occupe.
(C· On nous compte, ajoutait-il; le prestige de
« nos forces disparait. Des troupes, ou l'ltalie
cc est perdue. »


Le directoire, sentant la nécessité de priver
Róme de l'appui de Naples, et d'assurer les
derrieres de Bonaparte, conclut enfin son tJ'aité
avec la cour des Deux-Siciles. Il se désista de
toute demande particuliere, et de son coté,
cette cour, que nos dernieres victoires sur la
Brenta avaient intimidée, qui voyait l'Espagne
faire cause commune avec la France, et qui
craignait de voir les Anglais chassés de la lVIé-
diterranée, accéda au traité. La paix fut signée
le 19 vendérníaire ( JO octobre). Il fut convenu
que le roí de Naples retirerait toute espece de
secours aux ennemis de la F'rance, et qu'il
fermerait ses ports aux vaisseaux armés des
puissances belligérantes. Le directoire conclut
ensuite son traité avec Genes. Une circonstance
particuliere en hata la conclusion : N clsol) en-
leva un vaisseau fran<;ais a la vue des batteries
génoises; cette violatíon de la neutra lité com-
promit singulierement la république de Genes;
le parti fraIH;ais qui était chez elle se montra plus
hardi, le parti de la coalition plus timide; il fut




DIRFCTOIRE (1 7~)6).
arreté qu'on s'allierait a la Franee. Les ports de
Genes furent fermés aux Anglais. Deux millions
nous furent payés en indemnité pour la fré-
gate la Modeste, et deux autres millions fournis
en pret. Les familles feudataires ne furent pas
exilées, mais tous les partisans de la Franee
expulsés du territoire et du sénat furent rap'-
pelés et réintégrés. Le Piémont fut deilouveau
soIIieité de concIure une aHiance offensive et
défensive. Le roi actuel venait de mourir; son
jeune sueeesseur CharJes·Emmanuel montrait
d'assez bonnes dispositions pour la Franee,
rnais il ne se eontentait pas des avantages qu'eJIe
luí offrait pour prix de son allianee. Le direc-
toire lui offrait de garantir ses états, que ríen
ne Iui garanlissait dans ceHe conflagration
générale, et au rnilieu de toutes les républi-
ques qui se préparaient. Mais le nouveau roi ~
com~e le préeédent, voulait qú'on lui donnat
la Lombardie, ee que le direetoire ne pouvait
pas promettre, ayant á se ménager des équi-
valents pour traiter avec l' Autriehe. Le direc-
toire permitensllite a Bonapartede renouer les
négociations avec Bome, et luí donna ses pleios
pouvoirs a cet égard.


Borne avait envoyé le cardinal Albani a
Vienne; elle avait compté sur Naples, et dans
son emportement elle avait offensé la légation


29·


..




[¡52 RÉVOUrTTON FU A N<,:¡\/SE.
espagnole. Naples ltií roanquant, l'Espagne luí
manifestant son mécontentement, elle était
dan s l'alarme, et le moment était convenable
pour renOller avec elle. Bonaparte vou]ait d'a-
bord son argent; ensuite, quoiqu'il ne craignit
pas sa puissance temporelle, iI redolltait son
influence inorale sur les peuples. Les deux
partís italiens , enfantés par la révolution fran-
({aise, et développés par la présence de nos ar-
mées, s'exaspéraient chaque jour davantage.
Si Milan, Modene, Reggio, Hologne, }<'errare,
étaient le siége du partí patrio te , Rome était
celuí du partí monacal el aristocrate. Elle pon-
vait exciter les fureurs fanatiques, et non s
nuire beaucoup, dans un moment surtout ou
la question n'était pas résolue avec les armées
autrichiennes. Bonaparte pensa qu'il fallait tem-
poriser encore. Esprit libre et indépendant, il
meprisait tons les fanatísmes qui restreignent
l'intelligence humaille; mais, homme d'exécu-
tion, iI redoutait les puissances qui échappent
a la force, et il aimait mieux élnder que lutter
avec elles. D'aillenrs, quoique élevé en Fran-
ce, iI était né an ruiIien de la snperstition ita-
lienne; ii ne partageait pas ce dégoút oe la
religion catholique, si profond et si commün
chez nous a la suite du dix-hllitieme siecle; et
il n'avait pas, pOllr traÍler avec le Saint-Siége •




DIR.ECTOJHE (J 790). 453
1Q meme répugnance qu'on avait a Paris. Il
songea donc a gagner du temps, pour s'éviter
une marche rétrograde sur la péninsule , pour
s'épargner des prédications fanatiqnes, et, s'il
était possible, pour regagner les J 6 millions
ramCllés aRome. Il chargea le ministre Cacanlt
de désavouer les exigences du directoire en
matiere de foi, et de n'insister que sur les
conditions purement matérielles. Il choisit le
cardinal Mattei, qu'il avait enfermé dans un
couvent , ponr l' envoyer aRome; ille délivra,
et le chargea d'aller parler au pape. « La conr
({ de Rome, lui écrivit-iI, veut la guerre, eHe
« raura; mais avant, je dois a ma nation et a
,( l'humanité de faire un dernier effort pour
« ramener le pape a la raison. Vous connais-
« sez, monsieur le cardinal, les forces de I'ar-
« mée que je commande : pour détruire la
(( puissance temporelle du pape, iI ne me fau-
« drait que le vouloir. Allez aRome, voyez le
,( Saint-Pere, édairez-Ie sur ses vrais ¡ntérets;
« arrachez-Ie aux intrigants qui l'environnent,
( qui yeulent sa perte et ceHe de la cour de
c( Rome. Le gouvernement franc;ais permet que
« j' écoute encore des paroles de paix. Tout peut
« s'arranger. La guerre, si crneHe poor les
({ peuples, a des résuItats terribles pOtll' les
(i vainclls. Évitez ele gl'allds malheurs au pape.




454 RÉVOLUTION .FJtAN<;)AJSJ.:.
« Vous savez combien je désire finir par la paix
« une lutte que la guerre terminerait pour moi
« san s gloire comme san s péril. »


Pendant qu'il employait ces moyens pour
tromper, disait-il, le vieux renard, et se garan-
tir des fureurs du fanatisme, iI songeait a ex-
citer l' esprit de liberté dans la Haute -ltalie ,
afin d'opposer le patriotisme a la superstition.
Toute la Haute-Italie était fort exaltée : le Mi-
lanais, arraché a l'Autriche, les provinces de
Modime et de Reggio, impatientes du joug que
faisait peser sur elles leur vieux due' absent ,
les légations de Bologne et Ferrare, soustraites
au Pape, demandaient a gl'ands cris lcnr in-
dépendance, et leur Qrganisation en républi-
qQes. Bonaparte ne pouvait pas déclarer l'in-
dépendance de la Lorpbardie, cal' la victoire
n'avait pas encore assez positivement déeidé de
son sort; mais il lui donnait toujours des es-
pérances et des eneouragements. Quant allX
provinees de Modelle et de Reggio, elles tou-
chaient immédiatement les derrieres de son
armée, et confinaient avec Mantoue. Il avait á
se plaindre de la régenee, qui avait faÍl passer
des vivres a la garnison; iI avait reeommandé
au dü:ectoire de ne pas donner la paix au due
de Modene, et de s' en tenil' a l'armistice, afin
de pouvoir le punir au besoin. Les cireons~




DIRECTOJRJ<: (1796). 455
tauces devenant chaque jour plus difficiles, il
se décida, sans en prévenir le directoire, a un
coup de vigueur. Il était constant que la ré·
gence venait récemment encore de se mettre
en faute, et de manquer a l'armistice en four-
nÍssant des vivres a Wurmser, et en donnant
asile a un de ses détachements: sur-Ie-champ
jI déclara l'armistice violé; et en vertu du droit
de eonquete, il chassa la régence,· déclara le
due de Modene déchu, et les provinces de
Reggio et de Mod¿me libres. L'enthousiasme
ues Reggiens et des Modénois fut extraordi-·
naire. Bonaparte organisa un gouvernement
municipal pour administrer provisojrement le
pays, en attendant qu'il fut constitué. Bologne
et Ferrare s'étaient déja constituées en républi-
que, et commeIU;aient a lever des troupes. Bo-
naparte voulait réunir ces deux légations aux
états du duc de Mod¿me, pour en [aire une
seule république, qui, située tout entiere en-
del,(a du Po, s'appellerait Républiq'fe cispa-
dane. Il pensait que si, a la paix, on était
obligé de rendre la Lombardie a l'Autriche, on
pourrait éviter de rendre, au duc de Modene
et au pape, le Modénois et les légations; qu'on
pourrait ériger ainsi une république, filIe et
ami e de la l'épublique fran~aise, qui serait au-
deja des Alpes le foyer des príncipes franr,;ais,




450 nÉVOLlJTI0N J:t'UAN<jAJSE ..
l'asile des patrio tes eompromis, et d'ou la ii~
bel·té pourrait s'étendre un jour sur toute
l'ltalie. Il ne eroyait pas que l'affranehisse-
ment de l'Italie put se faire d'un seul eoup; iI
croyait le gouverllement fran<,;ais trop épuisé
pour l'opérer maintenant, et il pensait qu'il
fallait au moins déposer les germes de la li-
berté dans eette premiere eampagne. Pour cela
il fallait réunir Bologne et Ferrare a Modtme
et Reggio. L'esprit de loeaIité s'y opposait,
mais iI espérait vainere ee<tte opposition par
son influenee toute-puissante. Il se rendit dans
ces villes, y fut re<;u ave e enthousiasme, et les
déeida a envoyer a Modcue cent déplltés de
toutes les parties de leur territoire, pour y
-former une assemblée na1Íopale, qui serait
chargée de constituer la république cispadane.
eette réunion eut licll le 25 vendémiaire ( 16
octobre) a Modene. Elle se eomposait d'avo-
eats, de propriétaires, de eommerc;ants. Con-
tenue par la présence de Bonaparte, dirigée
par ses conseils, elle montra Ja plus gt·ande
!>agesse. Elle vota la réunion en une seule ré-
publique des deux légations et du duché de
Modene; elle abolit la féodaJité, et décréta l'é-
gaIité civile; elle nomma 1m commissaire chargé
d'organiser une légioll de quatre mille hom-
mes, et arreta la formation d'tllle secolldc as-




IlJJ\ECTOlHE \179 lÍ ). 4:)7
semblée, qui devait se réullir le 5 nivóse (25 dé-
cembre ), pOllr délibérer une constitution. Les
Reggiens monlrerentleplusgrand dévouement.
Un détachement autrichien étant sorti de Man-
toue, ils coururent aux armes,l' entourerent,le 6-
ren t prisonnier, etl'amenerentilBonaparte.Deux
Rf'ggiens furent tués dansl'action, et furent les
pl'erniers martyrs de l'indépen~anee italienne.


La Lombardie était jalo use et alarmée des
faveurs accordées a la Cispadane, et erut y
voir pour elle un sinistre présage. Elle se dit
que puisque les Fran<;;ais constituaiellt les lé-
gations et le duché sans la constitner elle-
meme, ils avaicnt le projet de la rendl'e a
I'Autriche. Bonaparte rassura de nonveau les
Lombards, leur 6t sentir les difficnltés de sa
position, et lellr répéta qu'il fallait gagner l'iri-
dépenclanee en le secondant clans eette terrible
lntte. Ils déciderent de porter a douze mi!le hom-
mes les deux légions italienne et polollaise,
dont ils avaient déjit eommencé l'organisation.


Bonaparte s'était ménagé aillsi antol1r de lui
des gouvernements amis, qui allaient faire t011S
leurs efforts ponr l'appuyer. Leurs troupes
sans doute ne pouvaient pas grand'chosc; mais
elles étaient capables de faire la police (hl pays
conquis, et de cette maniere elles relldaient
disponibles les détachemen ts qu'il y employait.




458 RÉVOLUTION .FHAN<;AISE.
Elles pouvaient, appuyées de quelques cen-
taines de Franc;ais, résister a une premiere
tentative du pape, s'il avait la folie d'cn faire
une. Bonaparte s'effor¡;a en meme temps de
rassurer le duc de Parme, dont les états COll-
finaient a la nouvelle république; son alllitié
pouvait etre utile, et sa parenté avec I'Espa~
gne commandait des ménagements. Illui laissa
entrevoir la possibilité de gagner quelques
villes, au milíeu de ces démembrements de
territoÍres. Il usait ainsi de toutes les ressour-
ces de la politique, pour suppléer aux forces
que son gouvernement ne pouvaít ras lui four-
nir; et, en cela, il faisait son devoir envers la
:France et l'Italie, et le faisait avec toute I'l1a-
bileté d'un vieux diplomate.


La Corse venait d'etre affranchie par ses
soins. Il avait réuni les principaux réfugiés a
Livourne, leur avait donné des armes et eles
officiers, et les avait jetés hardiment dans 1'ile


. pour seconder la rébellíon des habitants con-
tre les Anglais. L'expédition réussit; 5a patrie
était délivrée du joug anglais, et la Méditer-
ranée allait bientot l'etre. On pouvait espérer
qu'a l'avenir les escadres espagnoles, réunies
aux escadres fran~aises, fermeraient le détroit
de Gibraltar aux floUes de l' Angletene, et do-
mineraient dans toute la Méditerranée.




llI1U:C'l'Onu, (1 79ti). 459
Il avait done employé le tem?s écoulé de-


puis les événements de la Brentl a améliorer
sa position en Italíe; mais s'il avaitun pell moins
a craindre les princes de cette cmtrée , le dan-
ger dll coté de l'Autriche ne fasait que s'ac-
croltre, et ses forces pour y parer étaient tou-
joms aussi insuffisantes. La qmtre-vingt-troi-
sieme demi-brigade et la quarantieme étaient
toujours retenues dans le Midi. Il avait douze
mi lle hommes dans le Tyrol sous Vaubois, rangés
en avant de Trente sur le bord du Lavis; seize
Oll dix-sept milIe a peu pres SOIlS Masséna et
Augel'ean, sur la Brenta et l'Adige; huít ou
nenf mille enfill devant Mantoue; ce qui por-
taít son armée a trente-six GU trente-huit mille
hommes environ. D~vidovich, qui étaít resté
dans le Tyrol apres le désastre de Wurmser,
avec quelqllés mille hommes, en avait maÍn-
tcnant dix-huit mille. Alvinzy s'avan<;ait du
Frioul sur la Pia-ve avec environ quarallte mille.
llonaparte était done fort eompromis; car, ponr
i'ésister a soixaute mille hommes, ¡lu'en avait
que trente-six mille, fatigués par une triple
campagne, et diminués tous les jours par les
fievres qu'ils gagnaient daos les rizieres de la
Lombardie. Ill'écrivait avee chagrin au direc-
toire, et lui disait qu'il al1ait perdre I'Italie.


Le directoire, voyant le péril de Bonaparte, •




460 m:YOLU'1'lON }'RAN\;.\ISE.
el ne pouvaLt pas arriver assez tot a son sc-
cours, songta a suspendre sur-le-champ les
hostilités parle moyen d'une négociatioll. Mal-
mesbury étai: a París, comme on vient de le
voir. Il attenlait la réponse de son gouver-
nement aux communications du dil'ectoire,
qui avait exig€ qu'il cut des pouvoirs de toutes
les puissances, et qu'il s'exprimat plus claire-
ment sur le principe des compensations de
conquetes. Le ministere anglais, apres dix-
neuf jours, venait enfin de répondre le 24 bru-
maire (14 novembre) que les prétentions d~ la
France étaicnt inusitées, qu'il était permis a
un alIié de demander a traiter au llom de ses
alliés, avallt d'a'l'oir leur autorisation en forme;
que l'Angleterre était assurée de 1'obtenir, mais
qu'auparavant il fallait qu.e la France s'expli-
qua! nettement sur le príncipe oes compen-
sations, principe qui était la seule base sur
laquelle la négociation plit s'ouvrir. Le cabinet
anglais ajoutait que la réponse du directoire
était pleine d'insinuations peu décentes sur les
intentions de sa majesté britannique, qu'jl était
au-dessous d'eHe d'y répondre, et qu'elle vou-
]ait ne pas s'y arreter, ponr ue pas entraver
la négociation. Le joU!' meme, le directoire,
qui voulait etre prompt et catégorique, répoll-
dit a lord Malmesbury qu'il admettait le- prill-




IlIHF:CTOlRE (/796).
cipe des eompensations, mais qu'ileut a désÍ-
gnersur - le - champ les objets su' lesguels
porterait ce principe,


Le directoire pouvait faire eett4 répollse
sans se trop engager, puísqu'en rtfnsant de
céder' la Belgique et le Luxembourg, il avaÍt a
sa disposition la Lombardíe et plusieJrs autres
petits territoires. Du reste, eette n~óciation
était évidemment illnsoíre; le dinctoire ne
pouvait ríen en attendre, et iI résout de dé-
jouer les finesses de l'Angleterre, er envoyant
directemellt un négociateur a Vierue, chargé
de eonclllre IIn arrangement partiGllier avee
l'cmperellr. La premiere propositim que le
négociatenr devait faire était ceHe clun arrnis-
tice en Allemagne et en Italie, qti durerait
six mois au moins. Le Rhiu et I'Adge sépal'e-
raient les armées des deux puissanas. Les sié-
ges de Kehl et de Mantoue seraientuspendus.
On feraitentrer ehaque jour dan Mantoue
les vivres nécessaires ponr remp!alCr la con-
somtnation journaljere , de manierea replacer
les deux partís dans leur état actueIa la fin de
l'armistice. La Franee gagnait ainsíla conser-
vatÍon de Kehl, et l' A utriche ceHe d, Mantoue.
Une négociation devait s'ouvrir inmédiate-
ment pour traiter de la paix. Les ~onditions
Mfertes par la Franee étaient les mivantes :




!¡(b nÉVOLUTION FRANQA [Sl~.
l'Autrichecédait la Belgique et le Luxembourg
a la Franc~; la Franee restituait la Lombardie
a l' Autricie, et le Palatinat a I'empire; elle
renon«;;aitlinsi, sur ce dernier point, a la ligne
du Rhin ; elle consentait en outre, pour dé-
dommage~ l' Autt'iche de la perte des Pays-Bas,
11 la sécrlarisation de plusieurs évechés de
l'empíre. L'empereur ne devait nullement se
meler des affaires de la France avec le pape,
et devait weter son entremise en Allemagne
pour proc.lrer des indemnités au stathouder.
C'était um condition indispensable pour assu-
rer le repGs de la Hollande, et potIr satisfaire
le roí de lrusse, dont ]a samr était épollse ou
stathouder. Ces conditions étaient fort modé-
rées, et pIDuvaient le désir qu'avait le direc-
toire de fare cesser les horreurs de la guerre,
et ses inqúétudes pour l'armée d'halie.


Le diredoire ehoisit pour porter ces pro-
positions 1, général Clarke, qui était employé
dans les blreaux de la guerre aupres de Car-
noto Ses in;tructions furent signées le 26 bru-
maire (J 6 lOvembre). Mais il fallait du temps
pour qu'il le mil en route, qu'il arrivat, qu'iI
fUt re«;;u el écoutéi et, pendant ce temps, les
événement se succédaient en Italie avec une
sillguliere 'apidité.


Le TI b'umaire (] er novembre) le maréchal




DIR ECTOIfiE (1796). 463
Alvinzy ayant jeté des ponts sur la Piave, s'é-
tait avancé sur la Brenta. Le plan des Aulri-
chiens, cette fois, était d'attaquer a la foÍs par
les montagnes du Tyrol et par la plaine. Davi-
dovich devait chasser Vaubois de ses positions,
et descendre le long des deux rives de I'Adige
jusqu'a Vérone. Alvinzy, de son coté, devait
passer la Piave et la Brenta, s'avancer sur l'A-
dige, entrer a Vérone avec le gros de l'armée,
et s'y réunir a Davidovich. Les deux armées
autrichiennes devaient partir de ce point, pour
marcher de concert au déblocus de Mantoue
et a la délivrance de Wurmser.


Alvinzy apres avoir passé la Piave s'avanc;a
sur la Brenta, ou Masséna était posté avec sa
division; celui-ci ayantreconnu la force de l' en·
nemi se replia. Bonaparte marcha a son appui
avec la division Augereau. Il prescrivit en meme
temps a Vanbois de contenir Davidovich dans
la vallée du Haut-Adige, et de lui enlever s'il
'e pouvait sa position du Lavis. Il marcha lui-
meme su!" Alvinzy, résolll, malgré la dispro-
portion des forces, de l'attaquer impétueuse-
ment, et de le rompre des l'ouverture meme
de eette nouveIle campagne. Ilarriva le 16 bru-
maire au rnatin (6 novembre) ála vue de l'en-
nemi. Les Autrichiens avaient pris posítion en
avant de la Brenta, depuis Carmignano jusqu':'t




f¡64 . H ÉVOLTJTION FnANC;A [~t:.
13assa11o; Ieurs réserves étaient restées en ar'-
riere, au-deHt de la Brenta. Bonaparte porta sur
eux tontes ses forces. Masséna attaqlla Liptai
et Pro vera elevant Carmignano; Allgereaü atta-
qua Quasclanovieh elevant Bassano. L'affai"e fut
chancle el sanglante; les tronpes déployerent
une grande bravoure. Liptai et Provera furent
rejetés au-dela de la Brenta par Masséna; Quas-
danovieh fut repoussé sur Bassano par Auge-
rean. Bonaparte aurait voulu eutrer le jour
meme dans Bassano, mais l'arrivée des réserves
autriehiennes l'en emptkha. II fallut remettre
l'attaque an Iendemain. Malheureusement il
apprit clans la nuit que Vaubois venait d'es-
suyer un revers sur le Haut-Adige. Ce général
avait bravement attaqué les positions de Davi-
dovieh, et avait obtenu un commencement de
sueces; mais une terreur panique s'était empa-
l'ée de ses troupes malgré leur bravoure éprou-
vée, et elles avaient fui en désordre. Illes avait
enfin ralliées dans ce fameux défilé de Calliano,
ou I'armée avait déployé tant d'audace dans l'in-
vasion du Tyrol ; il espérait s'y maintenir, 10rs-
que Davidovich, dirigeant un corps sur l'aLltre
rive de l' Adige, avait débordé Calliano, et tourné
la position. Vaubois anlloll(,;ait qu'il se retirait
pour n'etre pas eoupé, et exprimait la craintf'
que Davidovich ne I'f'tlt devaneé allX impor-




l>IRF.CTOIRI' (179G). (¡6&
tantes positions de la Corona et de Rivoli, q ui
couvrent la rOtlte du Tyrol, entre l'Adige et
le lac de Garda.


Bonaparte sentit des-Iors le danger de s' enga-
ger davantage contre Alvinzy, lorsque Vauhois,
qui était avec sa gauche dans le Tyrol, pouvait
perdre la Corona, Ri volí, et meme V érone, et
etre rejeté dans la plaine, Bonaparte eút alors
été conpé de son aile principale, et placé avec
quiuze Oll seize mille hommes entre Davidovich
et Alvinzy. En conséql1ence il résolut de se
replier snr-Ie-champ, Il ordonna a un officier
de confiance de voler a Vérone, d'y réunir tout
ce qu'il pourl'ait trouver de troupes, de les
porter a Rivoli et a. la Corona, afin d'y préve.
nir Davidovieh, et de donner a Vauhois le
temps de s'y retirer,


Le lendernain 17 hrumaire (7 novembre), iI
rebroussa ehemin, et traversa la ville de Vieence,
quí fut étoIluée de voir l'armée fran~aise se re-
tirer apres le sueces de la veiUe. Il se rendít a.
V érone ,ou iIlaissa toute son al'mée. Il remonta
seul a Rívoli et a la Corona, ou tres-heureuse-
ment il trouva les troupes de Vaubois ralliées,
el en mesure de tenir tete a une nouveUe at-
taque de Davidovich. Il voulut donner une le-
(;on aux trellte-neuvieme et quatre-vingt-cin-
quieme demi-hrigades, qui avaiellt cédé a une


VIII. 30




46G nJ~VOLUTWN FRAN(;AlSl'.
terreur panique. Il fit assembler toute la divi·
sion, et, s'adressant a ces deux demi-brigades,
il leur reprocha leur indiscipline et leur fuite.
Il dit ensuite au chef d'état-major : « Faites
('( écrire sur les drapeaux que la trente· nen vÍeme
« et la quatre-vingt.cinquieme ne font plus pa ,'-
« tie de I'armée d'Italie.» Ces expressions cause-
rent aux soldats de ces dellx demi-brigades le
plus violent chagrin; ils entourerent BOllaparte,
lui dirent qu'ils s'étaient battus un contre trois,
et lui demandertmt a etre envoyés a son avant-
garde, pour faire voír s'ils n'étaient plus de l'ar-
mée d'ltalie. Bonaparte les dédommagea de sa
sévérité par quelques paroles bienveillalltes,
qui les transporterent, et les laissa disposés a
venger leur honneur par une bravonre déses-
pérée.


H ne restait plus a Vaubois que huit mille
hommes, sur les douze mille qu'il avait avant
cette échauffourée. Bonaparte les distribna le
mieux qu'il put dans les positions de la Corona
et de Rivoli, et, apres s't')tre assuré que Vaubois
pourrait tenir la quelques jours, et eOllvrir
notre gallche et nos derrieres, ji reto urna a
Vérone pour opérer eontre Alvinzy. La chaus·
sée qui conduít de la Brenta a v érone , en sui-
vant le pied des montagnes , passe par Vicence,
Montebello, Villa-Nova et Caldiero. Alvinzy,




!HRECT01HV (17D6 j.
étonné de voir Bonaparte se replier le lende-
maÍo d'un succes, l'avait suivi de 10Ín en loín.
se doutant que les progres de Davidovich
avaient pu seuls le ramener en arriere. Il es-
pérait que son plan de j onction a v érone allait
se réaliser. Il s'arreta a trois lieues a peu pres
de V érone, sur les hauteurs de Caldiero, qui
en dominent la route. Ces hauteurs présen-
taient une excellente position pour tenÍr tete
,\ l'armée qui sortirajt de Vérone. Alvinzy s'y
établit, y pla~a des batteries, et n' oublia ríen
puur s'y rendre inexpugnable. Bonaparte en 6t
la reconnaissance, et résolut de les attaquer
sur-le-champ; car fa situation de Vaubois a Ri-
voli était tres-précaire, et ne lui laissait' pas
beaucoup de temps pour agir sur Alvinzy. Il
marcha contre lui le 2. 1 an soil' (1 1 llovembre),
repollssa son avant-garde, et bivouaqua avee
les divisions Masséna et Augereall au pied de
Caldiero. A la pointe du jour, iI s'aperl,{ut qu'Al-
\'illZY, fOl'tement retranché, acceptait la ba-
taille. La positioll était abordable d'un coté,
ce1uÍ qui appuyait anx montagnes, et qui.
n'avait pas été assez soíglleusement défendu
par Alvinzy. BOlJaparte y dirigea l\fasséna, et
ehargea Augereall d'attaquer le reste de la
ligne. L'action fut vive. Mais la pluie tombait
var torrents, ce qni donnait un gl'and aVlm-


30.




468 nÉVOLUTlON FHAN~;AI~E.
tage a l'ennemi, dont l'artillerie était placée
d'avance sur de bonnes posiLions, tandis que
la notre, obligée de se mouvoir dans des che-
mins devenus impraticables, ne pouvait pas
etre portée sur les points convenables, et man-
quait tout son effet. NéanmoillS Masséna par-
vÍnt a gravir la hauteur négligée par Alvinzy.
Mais tout-a-coup la pluie se changea en une
grelasse froide ,qu'un vent violent portait dans
le visage de 110S soldats. Au meme instant, Al·
vinzy fit marcher sa réserve sur la position
que Masséna luí avait enlevée, et reprit tous
ses avantages. Bonaparte vou/ut en vain re-
nouveler ses efforts, iI ne put réussir. Les deux
armées passerent la nuít en présence. La pluie
ne cessa pas de tomber, et de mettre nos sol-
dats dans l'état le plus pénible. Le lendemain
23 brumair'e (13 novembre), Bonaparte rentra
dans V érone.


La situatíon de !'armée devenuit désespé-
rante. Apres avoir inlltilement poussé l'ellnemi
all-dela de la Brenta, et sacrifié sans fruit une
foule de braves; apres avoir perdu a la gauche
le Tyrol et qllatre mille hommes; apres avoir
livré une bataille malheureuse a Caldiero, pour
éloigner Alvinzy de Vérone, et s'etre encore
affaibli sans succes. toute ressource semblait
perdue. La gallche. qui n'était plus que de




DIR:ECTOIl\E (1796). 469
huit mille hommes, pouvait achaque instant
etre eulbutée de la Corona et de Rivoli, et
alors Bonaparte se trouvait enveloppé a, v é-
rone. Les deux divisions Masséna et Augereau,
qni formaient l'armée active opposée a Alvinzy,
étaient réduites, par deux batailles, a quatorze
ou quinze mille hommes. Que pouvaient qua-
torze ou quinze mille soldats eontre pres de
quarante mille? L'artillerie, qui nous avait tou-
jours servi a eontre-balancer la supériorité de
l'ennemi, ne pouvait plus se mouvoir au milieu
des boues; iI n'y avait done aueun espoir de
lutter avee quelque ehanee de succes. L'armée
était dans la consternatíon. Ces braves soldats,
éprouvés par tant de fatigues et de dangers,
commen<;aient a murmurer. Comme tous les
soldats intelligents, ils étaient sujets a de l'hu-
meur, paree q ll'ils étaient capables de juger.
-Apres avoir détruit, disaient-ils, deux armées
dirigées eontl'e nous, iI nous a fallu détruire en-
core ce Hes qui étaient opposées aux troupes
dll Rhin. A Beaulieu a succédé Wurmser; a
Wurmser succede Alvinzy : la lutte se renOl!-
velle chaqlle jour. NOl1s ne pouvons pas faire
la tache de tous. Ce n'est pas a nous a eom-
battre Alvinzy, ce n'était pas a nous a com-
battrc W urmser. Si chaeun avait fait sa tache
comme Hons, la guerl'e serait finie. Encore,




470 nÉVOLUTION FRAN(/ArSl'.
ajoútaient-ils, si Oll nous donnait des secours
pr'oportionnés a nos périls ! maís on nous aban-
donne au fond de l'ltalie, Oll nous laisse seuls
aux prises a-vee deux armées inllombrables. Et
quand, apres a-voir -versé natre saIlg dans des
milliers de eombats, nous serons ramenés sur
les Alpes, nous reviendrons sans honneur et
sans gloire, eomme des fugitif'5 qui n'auraient
pas fait leur devoir. - C'étaÍent la les discours
des soldats dans leurs bivouacs. Bonaparte, qui
partageait leur humeur et leur mécontente-
ment, écrivait au directoire le meme jonr '!4
brumaite (14 novembre): ce Tous nos officiers
« supérieurs, tous nos généraux d'élíte sont
« hors de combat; l'armée d'Italie, réduite a
« une poignée de monde, est épuisée. Les hé-
« ros de Millesimo, de Lodi, de Castiglione,
« de Bassano, sont morts pour leu!' patrie, ou
/( sont a l'hopital. IL ne reste plus aux corps
« que leur réputation et Ieur orgueil. Joubert,
c( Lannes, Lamare, Victor, Murat, Charlot,
(( Dupuís, Rampon, Pigeon, Ménard, Cha-
(( brand, sont blessés. Nous sommes abandon-
( nés au fond de I'Italie : ce qui me reste de
(( braves voit la mort infaillible, au milieu de
«( chanees si continueJ/es, et avec des forces si
« inférieures. PCllt-elre l'heure du brave Au-
,¡ gereau, de l'intrépio(> Mass(~n(J, (~!'t pl'és de




DlRECTOJRE (1796).
(t sonner ..... Alors! alors que deviendront ces
« braves gens? Cette idée me reud réservé; je
« n'ose plus affronter la mort, qui serait un
(( sujet de découragement pour qui est l'objet
'E. de mes sollicitudes. Si j'avais ret;u la quatre-
( viugt-troisieme, forte de trois mille cinq cents
« hommes connus a l'armée, j'aurais répondu
« de tout! Peut-etre, sous peu de jours, ne
« sera-ce pas assez de quarallte mille hommes'!
t( - Aujourd'hui, ajoutaít Bonaparte, repos
(,( aux troupes; demain, selon les mouvements
el. de l'enllcmi, nous agirons. )1


Cependant, tandis qu'il adressait ces plaintes
ameres au gouvernement, iI affectait la plus
grande sécurité aux yeux de ses soldats; illeur
faisait répéter, par ses officiers, qu'il fanait
faire un effort) et que cet eff~rt serait le der-
llier; qu'Alvinzy détruit, les moyens de l'Au-
triche seraient épuisés pour jamais, l'halie
conquise, la paix assurée ~ et la gloíreo de l'ur-
mée immortelle. Sa présence, ses paroles re~
levaient les courages. Les malades, dévorés
par la fievre, en apprenant que l'armée était
en péril, sortaient en foule des hopitaux, et
accouraÍellt prendre ¡eur place dans les rangs.
La plus vive et la plus profonde émotion était
dans tous les creurs. Les Autrichiens s' étaient
appl'Ochés le jour meme de V érone, et mon-




472 REVOLUTIOn- FItANyAl"SE.
traient les échelles qu'ils avaicnt préparées
pour escalader les murs. Les V éronais laissaient
éclater leur joie en croyant voir, SOtIS quelques
heures, Alvinzy réuni dan s leur ville a Davi-
dovich, et les Franc;;ais détruits. Quelques-uns
d'entre eux, compromis pour leur attachement
a notre cause, se promenaient tristement en
comptant le petit nombre de nos braves.


L'armée attendait avec anxiété les ordres du
général, et espérait achaque instant qu'il
commanderaÍt un mouvement. Cependant la
journée du 24 s'était écoulée, et, contre l'usage,
l'ordre du jour n'avait rien annoncé. Mais Bo-
llaparte n'avait point perdu de temps; et, apres
avoir médité sur le champ de bataille, iI ve-
nait de prendre une de ces résolutions que le
désespoir inspire au génie. Vers la nuit ¡l'ordre
est donné a toute l'armée de prendre les armes;
le plus grand silenee est recommandé; on se
met en marche; mais au lieu de se porter en
avant, on rétrograde, on repasse l' Adige sur
les ponts de V érone, et on sort de la ville par
la porte qui conduit a Milan. L'armée croit
qu'on bat en re traite , et qu'on renouee a gar-
del" l'Italie : la tristesse regne dans les rangs.
Cependant, a quelque distance de V érone, OH
tút un a-gauchc; au lieu de continuer a s'éloi-
gller de l' Aflig,p, on se met a lt, longe!', l't




a descendre son cours. On le suít pendant
quatre lieues. Enfin, apres quelques heures de
marche, on arrive a Ronco, ou un pon t de
bateaux avait été jeté par les soins du général;
on repasse le fleuve; et, a la pointe du jour,
OH se trouve de nouveau au-cIela de l' Adige,
qu'on croyait avoir abandonné pour toujollrs.
Le plan du général était extraordinaire; il anait
étonn.cr les deux armées. L'Adige, en sortant
de Vérone, cesse un instant de couler perpen-
diculairement des montagnes a la mer, et iI
oblique vers le levant: dans ce lllouvement
oblique, il se rapproche de la route de V érOlle
a la Brenta, sur laquelle était ~ampé Alvinzy.
Bonaparte, arrivé á Ronco, se trouvait done
ramené sur les flanes, et presque sur les der-
rieres des Autrichiens. Au moyen de ce pont,
il se trouvait -placé au milieu de vastes marais.
Ces marais étaient traversés par deux chaus-
sées, dont l'une agauche, remontant l'Adige
par Poreil et Gombione, allait rejoindre Vé-
roue; dont l'autre, a droite, passait sur une
petite riviere, qu'on appelle l'Alpon, an village
d'Arco)c, et allaü rejoindre la route de V c'rone
vers Villa-Nova sur les dcrrieres de Caldiero.


BOllaparte tcnait done ~ Ronco deux ehaus-
s(~es, qui toutes deux allaient rcjoindre la grande
rOllte oecllpée par les Autrichiens" l'une entre




474 RÉVOLUTION FRANc,;AISE.
Caldiero et Vérone, l'autre entre Caldiero et
Villa-Nova. Voici queI avaít été son calcuI : an
milieu de ces marais, l'avantage du nombre
était tout-a-fait annulé; on ne pouvait se dé-
ployer que sur les chaussées, et sur les chaus-
sées le courage des tetes de eolonnes devait
lIécider de tout. Par la chaussée de gauche,
qui allait rejoíndre la route entre V érone et
CaIdiero, íl pouvait tomber sur les A utrichiens,
s'ils tentaient d' escalader V érone. Par eelle de
tlroite, qui passe l' Alpon au pont d' AreoIe, et
aboutit a Villa-Nova, il débollchait sur les del'-
rieres d' Alvillzy, iI pouvait enlever ses pares et
ses bagages, e~ intercepter sa retraite. Il était
done inattaquable a Ronco, et iI étendait ses
deux bras autour de l'el1nemi. Il avait fait fer-
mer les portes de V érone, et y avait laissé
Kilmaine ave e quinze cents hommes, pom' ré-
sister a un premier assaut. Cette combinaison
si audacieuse et si profol1de f .. appa l'armée, qui
sur-Ie-champ en devina l'intention, et en fut
remplie d'espérance.


Bonaparte plac;a Masséna sur la digue de gall-
che pOUl' remonter sur Gombiolle et Porcíl, et
prendre l'enllemi en qucue, s'iI marchait sur
Vérone. Il dirigea Augereau a droite pour dé-
boucher sur Villa-Nova. On était a la pointe
du jour. Masséna se mit en observation sur la




DIRECTO!HE (1796 J.
digue de gauehe; A ugerea u, pour pareoul'ir
eeHe de droite, avait a franehír l'Alpon sur
le pont d'Arcole. Quelques hataillons croates
s'y trollvaient détachés ponr surveiller le pays.
lis bardaient la riviere, et avaient lenr canon
braqué sur le ponto lIs aeeueillirent l'avant-
garde d' Augereau par Une vive fnsillade, et la
foreerent a se replier. Augereau accourut et
ramena ses troupes en avant; maís le feu du
pant et de la rive opposée les arreta de nou-
veau. 1I fut ohligé de céder elevant cet obsta-
ele, et de faire halte.


Pendant ce temps, Alvinzy, qUÍ avaít les
yClIx fixés 51]1' V érone, et qUÍ eroyait que l'ar-
mée franpise s'y trouvait encore, était surpris
d'ent.endre un fen tres-vif au milieu des ma-
rais. Il ne supposait pas que le général Bona-
parte put choisir un pareil terrain, et iI eroyait
que c'était un corps détaehé de troupes lé-
g(\res. Mais hientat sa cavalerie revient l'in-
former que l'engagemeut est grave, et que
des eoups de fusil sont partis de tous les ca-
lés. Sans etre éclaircí encore, iI envoie deux
divisions; l'une sOus Provera suít la digue de
gauche, l'autre sous Mitrouski suit la digue de
droite, et s'avance sur Arcole. Masséna voyant
approcher les Autrichiens, les laísse avancer
~lIr eette digue étl'oite, et qualld il les juge




476 Il.ÉVOLUTJON· FRAN<;:AIS1<:.
assez engagés, il fond sur eux au pas de
course, les refoule, les rejette dans les marais,.
en tue, en noie uu grand nombre. La division
Mitrcuski arrive a Arcole, débouche par le
pont, et suit la digue comme ceHe de Provera.
Augereau fond sur elle, l'enfonce et en jette
une partie dans les marais. 11 la poursuit, et
veut passer le pont apres elle; mais le pont
était eucore mieux gard é que le matin; une
nombrense artillerie en défendait l'approche,
et tont le reste de la ligne autrichienne était
déployé sur la rive de l'Alpon, fusillant sur
la digne, et la prenant en travers. Angereau
saisit un drapean et le porte sur le pont; ses
soldats le suivent, mais un feu épouvantable les
ramene en arriere. Les généraux Lannes, Verne,
Bon, Verdier, sont gravement blessés. La co-.
lonne se replie,. et les soldats descendent a coté
(le la digne, puur se mettre a couvert <lu fen.


Bonaparte voyait de Ronco s'ébranler tonte
l'armée ermemie, qui, avertie enfin dll danger,
se hatait de quitter Caldiero pour n'etre pas
prise par derriere a Villa-Nova. IL voyait avec
dOllleur de grands résultats lui échapper. 11
avait bien envoyé Guyeux ave e une brigade,
pour essayer de passer l'Alpon au-dessous
d' Arcole ; mais il fallait plusieurs heures pour
l'exécntion de cctte tentative; et cependant il




J)IRÉCTOIHE (1796). 477
était de la derníere importance de franchir
A reole sur-Ie-champ, afin d'arriver a temps sur
les derrieres d'Alvinzy, et d'obtenir un triom-
phe complet : le sort de l'ltalie en dépendait.
n n'hésÍte pas, ii s'élance au galop, arrive
pres du pont, se jette a has de cheval, s'ap-
proche des soldats qui s'étaient tapis sur le
bord de la digue, leur demande s'ils sont en-
core les vainqueurs de Lodi, les ranime par
ses paroles, et, saisissant un drapeau, leur
crie : - Suivez votre général! A sa voix, un
certain nombre de soldats remontent sur la
chaussée, et le suivent; malheureusement le
mOllvement ne peut pas se communiquer a
toute la colonne, dont le reste demeure der-
riere la digne. Bonaparte s'avance, le drapeau
;\ la main. au milieu d'une grele de baIles et
de mitraille. Tous ses généraux l'entourent.
Lannes, blessé déja de deux coups de fen dans
la journée, est atteint d'un troisieme. Le jeune
}111iron, aide-de-camp dll général, veut le
convrir de son corps, et tombe mort a ses
pieds. Cependant la colonne est pres de fran-
chir le pont, lorsqll'une derniere décharge
l'arrete, et la rejette en arriere. La qneue
abandonne la tete. Alors les soIdats restés au-
pres du général, le saisissent, J'emportent au
milien on fen et oe la fllmée, et veulent le faire




[178 RÉVOLUTION FRAN0ATSE.
remonter a cheval. Une colonne alltrichienne,
qui débouche sur eux, les pousse en désordre
dans le marais. Bonaparte y tombe, et y en-
fonce jusqu'au milieu dll corps. A ussitOt. les
soIdats s'aper<;oivent de son danger: En avant!
s'écrient-ils, ponr sauver le général. Ils cou-
rent a la suite de Béliard et Vignolles, pour
le délivrer. On l'arrache du milieu de la fange,
on le remet a eheval, et iI revient a ROllCO.


Dans ce moment, Guyeux était parvenu a
passer au-dessous d'Areole, et a enlever le
village par l'autre rive. Mais it était trop tan1.
Alvinzy avait déja fait liler ses pares et ses
Lagages; il était déployé .duns la plaine, et eH
mesure de prévenir les desseins de Bonaparte.
Tant d'hérolsme et de génie étaient done de-
venus inutiles. Bonaparte aurait Lien pu s'é-
viter l' obstacle d' Arcole, en jetant son pont
sur l'Adige un peu au-dessous de Ronco, c'est-
a-dire a Albaredo, point oú l' Alpon est réllni
a l'Adige. Mais alol's iI débouchait en pIaine,
ce qu'il importait d'éviter; et iI n'était pas en
mesure de voler par la digue gauche an se-
cours de V érone -v.. Il avait done eu raison de
faíre ce qu'il avait fait; et, quoique le sucd~s


.. Je rapporte ¡ci une critique souvent adressée a Bona-
parte sur cette célebre hataille, et la réponse qu'il ya
faite lt\i~méme dans ses Mémoircs.




DIIlF.CTOIRF. (1796). 479
ne fut pas complet, d'importants résultats
Maient obtenus. Alvinzy avait quitté sa redou-
table position de Caldiero; il était redescendu
dans la plaine; il ne menac;ait plus Vérone;
iI avait pcrdu beaucoup de monde dans les
marais. Les deux digues étaient devenues le
seul champ de bataille intermédiaire entre les
denx armées, ce qui assurait l'avantage a la
bravoure et l'enlevait au nombre. Enfin les
soldats franc;ais, animés par la lutte, avaient
recouvré toute lenr confiance.


Bonaparte, qui avait a songer a tous les
périls a la fois, devait s'occupcr de sa gauche,
laissée a la Corona et a Rivoli. Comme a cha-
que instant elle pouvait etre culbutée, il vou-
lait etre en mesure de voler a son secours. Il
pensa done qu'il fallait se replier de Gombione
et d'Arcole, repasser l'Adige a Ronco, et bi-
vouaquer en de~a du fleuve, pour etre a por-
tée de secourir Vaubois, si, dans la nuit, on
apprenait sa défaite. Telle fut cette premiere
journée du 25 brumaire (r 5 llovembre).


Lanuit se passa sans mauvaise nouvelle. On
sut que Vaubois tenait encore a Rivoli, Les
exploits de Castiglione couvraientBonaparte
de ce coté. Davidovich, qui commandait un
corps dans l'affaire de Castiglione, avait rec;u
une telle impression de cet événement, qu'il




.'ISo míVOLUTrON FR A NyA (SE.
n'osait avancer avant d'avoir des nouvelles cer-
taines d'Alvinzy. Aínsi le prestige du génie de
Bonaparte était la ou iI n'était pas luí-meme.
Lajournée du 26 (16 novembre) cornmence;
on se rencontre sur les deux digues. Les Fran-
((ais chargent a la baionnette, enfoncent les
Autrichiens, en jettent un grand nombre dans
les marais, et font beallcoup de prisonniers.
Ils prennent des drapeanx et du canon. Bona-
parte faít tirailler encore sur la l·ive de rAl-
pon, mais ne tente aucun effort décisif pOUl'
le passer. La nuít arrivée, il replie encore ses
colonnes, les ramene de dessus les digues, et
tes rallie sur l'autre rive de l'Adige, content
d'avoir épuisé l'ennemi toute la journée, en
attendant des nouvelles pLus certaines de Vall-
bois. La seconde uuit se passe encore de
meme : les nouvelles de Vaubois sont rassu-
rantes. On peut consacrer une troísieme jOUl'-
née a lutter définitivement contre Alvinzy.
Enfln le soleil se leve pour la troisieme foís
sur cet épouvantable théatre de carnage. C'é-
tait le 27 (17 novembre 1796). Bonaparte cal.
cule que l' ennemi, en morts, blessés, noyés
ou prisonniers, doit avoir perdu pres d'un
tiers de son armée. Il le juge harassé, décou-
ragé, et il voit ses soldats pleins d'enthou-
siasme; il se décitle alors a quitter ces digues,




DlRF.CTOIHF. (J 796\ 1¡81
et a porler le champ de bataille clans la plaine,
au-dela de I'Alpon. Comme les jours prpcé-
dellts, les Fl'alH:;ais débouchant de Honco,
rencontrcn t les Autl'ichiens sur les digues.
Masséna ocel/pe toujours la <ligue gauche; sur
ceHe de dl'oite, c'est le général Robert qui est
chargé d'attaquer, tandis qu' Augereau va pas-
ser l' AIpon pres de son embouchure dans
l'Adige. Masséna éprouve d'abord une vive
résistance, mais il met son chapeau a la pointe
de son épée, et marche ainsí a la tete des sol-
dats, Comme les jours précédents, beaucoup
d'ennemis sont tués, noyés OH pris. Sur la di-
glle de droite, le généraI Robert s'avance d'a-
bord avec sncces; mais 11 est tué, sa colonne
est repoussée presque jusque sur le pont de
Honeo.


Bonaparte qui voit le danger, place]a trente-
deuxieme dans un bois de sanIes, qui Ionge la
dígue. Tandis que ]a colonne ennemie, victo-
riellse de Hobert, s'avance, la trente-deuxieme
sort tout-a-coup de son embuscade, la prend
en flanc, et la jette dans un désordre épouvan-
tableo C'étaient t1'ois mille Croates; ]e plus
grand- nombre sont tués ou prisonniers. Les
dignes ainsi balayées, llonaparte se décide a
franchir l'Alpon : Augcreau ravait passé a l'ex-
treme droite. Bonaparte ramene Masséna· de


VIII. 11




ft~h III~VUl.ljTlON FJIAN(~AISE.
la digue g:H1che sur la <ligue droite, te dirige
sur Arcole, qui était évacué, el porte aiusi toutt'
son armée en plaine devant ceHe d'Alvinzy.
Bonaparte, avant d'ordonner la charge, vellt
semer l'épouvante au moyen d'un stratageme
Un marais, plein de roseaux, couvrait I':tilf'
gauche de l'ennemi : il ordonne au chef di'
bataillon Hercule de prendre avec lui vingt-cinq
de ses gllides, de filer a travers les roseaux el
de charger a l'improviste avec un grano brllit
de trompettes. Ces vingt-cinq braves s':lppre-
tent a exécuter l'ordre. Bonaparte donne alors
le signal a Masséna et :l Augereau. Ceux -cí
chargent vigoureusement la ligne autrichiennc.
qui résiste; mais tout-a-coup on entend HIl
grand bruit de trompettes; les Autrichiens,
croyant etre chargés par toute une division <1(.
cavalerie, cedent le terrain. Au meme instan t.
la garnison de Legnago, que Bonaparte avait
faíl: sortir pour circuler sur leurs derrieres, s('
montre au ¡oin , et ajoute a Iellrs inql1iétlldcs.
Alors ils se retirent; et, apres soixante-douzl'
heures de cet épouvantable combat, découra-
gés, accablés de fatigue, ils cedent la victoire
a l'héro'isme de qnelqnes miIJe braves, et :m
génie d'un gralld capitaine.


Les deux armées, épuisées de leurs efforts,
passerenl: la uuit d<lus la plaine. Des le lcnde-




DIHF:CTOlRE (1796\ ljR3
main matin, Bonaparte fit recommellcer la
poursuite sur Vicence. Arrivé a ]a hauteur de
la chaussée qui mene de la Brenta a v érone ,
en passant par Villa-Nova, iI laissa a la cava-
lerie seulc le soin de poursuivre l'ennemi, et
songea a rentrer a Vérone par la route de Villa-
Nova et de Caldíero, afin de venir au secours
de Vaubois. Bonaparte apprit en route que
Vaubois avait été obligé d'abandonner la Co-
~ona et Rivoli, et de se replier a Castel-N ovo.
n redonbla de célérité, et arriva le soir meme
a v érone, en passant sur le champ de bataille
qu'avait occupé Alvinzy. Il entra dans ]a ville,
par la porte opposée a ceHe par laquelle il en
était sorti. Quand les V éronais virent cette. poi-
gnée d'hommes, qui étaient sortis en fugitifs
par la porte de Milan, rentrer én vainqueurs
par la porte de Venise, ils furent saisis de sur-
prise. Amis et ennemis ne pUI:ent contenir leur
admiration pour le général et les. soldats qui
venaient de changer si glorieusement le destin
de la guerreo Des ce moment, il n'entra plus
dans les craintes ni dans les espérancf's de per-
sonne, qu'on put chasser les Franc;ais de I'Ita-
líe. Bonaparte fit ~archer sur-le-champ Mas;,
séna a Castel-Novo, et Augereau sur Dolce, par
la rive gauche de I'Ádige. Davidovich, atta qué
de ton tes parts, fut pl'omptcmcnt ramené dans
:~ 1.




.~8!~ H.iH)LUTION FIlA.N~AISE.
If' Tyrol, ave e perle d(~ beaucoup de pris(m~
niers. Bonaparte se contenta de f~tire réoccu-
per les positions de la Corona et de Rivoli, s;¡ m;
vouloir remonter jusqu'a Trente, et rentrer
en possession du Tyrol. L'armée fran(;aise était
singulierement affaiblie parcette derniere lutte.
L'armée autrichienne avait perdu cinq millc
prisonniers, huit OH dix mille rnorts et bles-
sés, et se trouvait encore forte de plus de qua-
rante mille hommes, compris le corps de Da-
vidovieh. Elle se retirait dans le Tyrol et sllr
la Brenta pour s'y reposer; elle était loin d'a-
voir souffcrt comme lcs armpcs de 'Vurmser
et de Beaulieu. Les Fran<;ais, épuisés, n'avaienl
pu que la repousser sans la détruire. Il l'allaír
done renoncer a la poursuivre, tant que les
renforts promis ne seraient pas arrivés. Bona-
parte se contenta d'occuper l'Adige de Dolce
a la mero


Cette nouvelle victoire causa, en Italie et en
Franee, une joie extreme. On ndmirait de tou-
tes parts ce génie opiniatre qui, avec qualorze
ou quinze mille hommes, devant quarante
milIe, n'avait pas songé a se retirel'; ee géllie
inventif et profond, qui avait su décou vrir dans
les digues de Ronco Ull ehamp de bataille tout
nOllveau, qui anuulait le nombre, et dOl1naÍt
dans les flanes de l'el1uemi. On céJébrait sur-




nIHH~TOIllE ([ 79G). 485
tout l'hél"olsme déployé au pont d'Arcole, el.
partout on représcntait le jeune général, un
drapeau a la main, au mílieu du fen et de la
fumée. Les deux conseils, en déclarant, suivant
l'usage, que l'armée d'Italie avait encore biell
méríté de la patrie, décíderent de plus que les
tlrapeaux, pris par les généraux Bonaparte et
Augereau sur le pont d'Arcole, leur seraient
donnés pour étre conservés dans leurs familles:
belle et noble récompense, digne d'un age hé-
TOlque, et bien plus gloríeuse que le diadcme
décerné plus tard par la faiblesse au géníe tout--
puissant r


-_ ....... ~e~ _______ - .. -




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DJRECTOIRE (1796).


CHAPITRE VII.


Clarke au quartíel'-geIlCral de l'anuée J' Italie. - Rupture
des négocialions avec le cabinet anglais. Départ de Mal-
mesbury. - Expétlition d'Irlande. - Travaux admi-
llistratifs du direetoire dans l'hiver de I'an V. État des
finanees. Reeettes et dépenses. -CapitlllatioIl de Kehl.
- Derniere tentative de l'Autriehe sur l'ltalie. Vic-
toires de Rivoli et de la Favorite; prise de Mantoue.-
Fin de la mémorable campagne de 1796.


LE général Clarke venait d'arriver au quartier-
général de l'armée d'Italie, d'ou il devait partir
pour se rendre a Vienne. Sa mission avait perdu
son objet essentiel, car la bataille d'Arcole ren-
dáit l'armistice inutile. Bonaparte, que le gé-
uéral Clarke avait ordre de consulter, désap-
prollvait tout-a-faít l'armistice et ses conditions.




488 ItÉVOLUTION FItAN<;AISJ<:.
Les raisons qu'il donnait étaient exeellentes.
l..'armistice oe pouvait plus avoir qu'un objet,
eelui de sauver le fort de Kehl sur le Rhin,
que l'arehiduc ·Charles assiégeait avec une
grande viguenr; et pour cet objet tres - ac-
cessoire, iI sacrifiaít Mantoue. Kehl n'offrait
qu'une tete de pont qui n'était point indispen-
sable pour déboucher en Allemagne. La prise
de Mantoue au eontraire entrainait la cooquete
définitive de l'Italie, et permettait d' exiger en
retour Mayenee et toute la ligne du Rhin.
L'armistiee eompromettait évidemment eette
conque te ; cal' Mantoue, remplie de malades,
et réduite a la demi-ration, ne pouvait pas
différer plus d'un mois d'ouvrir ses portes. Les
vivres qu'on y ferait entrer rendraient a la
garnison la san té et les forees. La quantité
n'en pourrait pas etre exaetement fixée; et
W llrmser, en faisant des éeonomies, se ména-
~erait des approvisionnements ponr recom-
meneer sa résistanee, en eas d'une reprise
d'hostilités. La suite de batailles livrées pour
couvrir le blocus de Mantoue, deviendraient
done iHutiles, et il fandrait reeommencer sur
nouveuux frais. Ce n'était pas tOllí. Le pape
ne pouvait manquer d't~tre eompris dans 1'ar-
misticc par l'Autriehe, et alors on perdait le
moyen de le punir, et de Ini arracher villgt on




DIRF.CTOIHE (1796).
trente millions, dont on avait besoin pOUl'
l'armée, et qui serviraient a faire une nouvelle
campagne. Bonaparte enfin, per¡;ant dan s 1'a-
venir, conseillait, au lieu de suspendre les
hostilítés, de les continuer au contrairc avcc
vigueur, mais de porter la guerre sur son vé··
ritable théatre, et d'envoyel' en Italie un ren-
fort de trente mille hommes. Il promettait a ce
pl'ix de marcher sur Vienne, et d'avoir en deux
moís la paix, la ligne du Rhin, et une répu-
Llique en ltalie. Sans doute, cette combinai-
son pla¡;ait dans ses mains toutes les opérations
militaires et politiques de la guerre; mais,
qu'elle fUt intél'essée OU non, elle efait juste
et profonde, et l'avenir en prouva la sagesse.


Cependant, par obéissance pour le dircc-
toire, on écrivit aux générallx autrichiens sllr
le Rhin et l'Adige, pour leur proposer l'ar-
mistice, el pour obtenir a Clarke des passe-
ports. L'archiduc Charles répondit a Morean
qu'il ne pouvait entendre auenne proposition
d'armistice, que ses pouvoirs ne le lui per-
mettaiellt pas, et qu'il fallait en référer au
comeil aulique. Alvinzy répondit de meme, el
fit partir un courrier pour Vienne. Le minis-
tere autrichien, secretement dévoué a I'Angle-
terre, était peu dísposé a écollter les proposi-
!ions de la France. Le cabinet de Londres luí




~9U I1ÉVOLlITION FRAN(/<,,"ISF.
avait útit part de la missioll de lord Malmes-
bury; il s'était efforcé de lui persuader que
l'empereur obtiendrait bien plus d'avantages
en prenant part a la négociatiou ouverte a Pa-
rÍs, qu'eu faisant des couquetes séparées, puis-
que les conquetes anglaises dans les deux lndes
étaient sacrifiées pour lui procurer la restitu-
tion des Pays-Bas. Outre les insinuations de
l'Angleterre, le cabinet de Vienue avait d'au-
tres raisons de repousser les propositions du
directoire. Il se flatLait de s'emparer du fori
de Kehl sous tres-pe u de temps; les Fran<;ais,
contenus le long du Rhin, ne pOllrraient plus
alors le franehir; on pourrait done S3IlS danger
en retirer de nouveaux détaehements, pon ..
les porter sur l' Adige. Ces détachements, joints
a de nouvelles levées qui se faisaient dans
toute l'Autriche avec une merveilleuse activité,
permettraient encore un effort sur l'ItaIie; el
peut-etre eette terrible armée, qui avait tant
anéanti de bataillons autrichiens, finirait par
succomber sous des efforts réitérés.


Laeonstance allemande ne se démentait dOlle
pas iCl, et, malgré tant de revers, elle ne re-
nOll«;{ait pas encore a la belle Italie. En consé-
quence, iI fut résolu de refuser l'entrée de
Vienne a Clarke. On craignait d'ailleurs un
observateur au mjlieu de la eapitale de I'cm-




JHHECTOIllE (1 7!y(i. 49'
pire, et un ne voulait pas de néguciation di-
recte. Quant a l'armistice, on aurait consentl
a l'admettre sur l'Adige, mais non sur le Rhin.
On répondit a Clarke, que, s'il voulait se ren-
dre a Vicence, il y trouverait le baron de Vin-
cent, et qu'il pourrait y conférer avec lui. La
réunion eut lieu en effet á Vicence. Le mi-
nistre autrichien prétendit que l' empereur ne
pouvait reeevoir un envoyé de la république,
paree que c'était la reeonnaitre; et, quant a
l'armistice , il déclara qu'on ne pouvait l'ad-
mettre qu' en Italie. Cette proposition était ri·
dicule, et on ne con~oit pas que le ministere
autz:.ichien put la faire, car elle sauvait Mantoue
san s sauver Kehl, et il fallait supposer les Fran-
~ais bien sots pour l'accepter. Cependant le
ministere autrichien, qui voulait au besoin se
rnénager le moyen d'une négociation séparée,
6t déclarer par son envoyé que si le commis-
saire fran~ais avait des propositions a faire re-
lativement a la paix, il n'avait qu'a se rendre
a Turin, et les communiquer a l'ambassadeur
autrichien aupres du Piémont. Ainsi, grace
aux suggestions de l' Angleterre, et aux folles
espérances de la conr de Vienne, ce dangerenx
projet d'armistice fut écarté. Clarke s'en alla a
Turin, ponr pro6ter au besoin de l'intermé-
diaire qni lui était offert aupres de la cour de




4~.)2 I!~VOLU'1'ION FHAN<)i\ ISE.
Sardaigne. Il avait ellcore une antre missioll;
c'élait ceHe d'observer le général Bonaparte.
Le génie de ce jeune homme avait paru si ex-
traordinaire, son caraetere si absolu, si éner-
gique, que san s aucun motif précis, OH lui
supposa de l'ambition. Il avait voulu eonduire
la guerre a son gré, et avait offert sa démission
quand on luí tra¡;;a un plan qui n'était pas le
sien; iI avait agi souverainement en Italie, ae-
cordan t aux princes la paix ou la guerre, sous
prétexte des armistices; il s'était plaint ave e
hauteur de ce que les négoeiations avec le pape
n'avaient pas été conduites par lui seul, et iI
avait exigé qu'on lui en remlt le soin; il trai-
tait fort durement les eommissaires Garau et
Salieetti, quand ils se permettaient des mesu-
res qui lui déplaisaient, et il les avait obligés
de quitter le quartier-général; il s'était permis
d'envoyer des fonds allX différentes armées
sans se faire autoriser par le gouvernement,
et sans l'intermédiaire indispensable de la tré-
sorcrie. Tous ces faits annon¡;;aient un homme
qui aimait a faire seul ce qu'il croyait etre seul
capable de bien faire. Ce n' était encore que
l'impatience du génie, qui n'aime pas a etre
contrarié dans ses reuvres; mais e'est par eette
impatienee que eommence a se manifester U1W
volonté despotique. En le voyant soulevcr la




nrn ECTOIRIl (1796). 493
Haute-Italie contre ses 3nciel1s maitres, et créer
OH détruire des états, OH disait qu'il voulait se
faire duc de Milan. On pres.ntait son ambi-
tion, et iI en pressentait lui-meme le repro-
che. n,se plaignait d'etre accusé, puis se jus-
tifiait lui - meme, sans qu'un seul mot dn
dircctoire luí en eut fourni l'occasion.


Clarke avait donc, O\ltre la mission de né-
gocicr, ceHe de l'observer. Bonaparte en fllt
averti, et, agissant ici avec la hauteur et 1'a-
dresse 'qui lui étaient ordinaires, il lui Iaissa
voir qu'il connaissait l'objet de sa mission, le
subjugua bientot par son ascendant et sa grace,
aussi puissante, dit-on, que son génie, et en fit
un homme dévoué. Clarke avait de l'esprit>
trop de vanité pour etre un espion adroit et
souple. Il resta en ltalie, tantot a Turin, tan-
tót au quartier-général, et bientOt il appartint
plus a Bonaparte qu'au directoire.


A Paris, le cabinet anglais faisait, autant qu'il
le pouvait, tralner en longueur la négociation;
mais le cabinet fr'an<;ais, par des réponses
promptes et claires, obligea enfin lord 1\1al-
mesbury a s'expliquer. Ce ministre, comme on
l'a vu, avait posé d'abord le principe d'une né-
gociation géllérale, et de la compensatioIl des
conquetes; de son coté, le clirectoire avait
exigé des pouvoirs dp tous les alliés, et une




.~94 RÉVOLIJTION FUAN~AlSE.
cxplication plus claire du príncipe des com-
pensations. Le ministre anglais avait mis dix-
neuf jours a réptmdre; iI avait répondu enfin
que les pouvoirs étaient demandés, mais qu'a-
vant de les obtenir, il fallait que le gouver-
nement franc;ais admlt positivement le prín-
cipe des compensations. Le directoire avait
alors demandé qu'on lui énom;at sur-le.champ
les objets sur lesquels porteraient les compen-
sations. Tel est le point ou la négociation en
était restée. Lord Malmesbury écrivit de nou-
vean a Londres, et apres douze jours, répon·
dit le 6 frimaire (26 novembre) que S3 cour
n'avait rien a ajonter ~ ce qll'eHe avait dit, et
qu'elle ne pouvait pas s'expliquer davantage,
tant que le gouvernement frant;;ais n'admettrait
pas formel1ement le principe proposé. C'était
la une subtilité; car, en demandant l'énoncia-
tion des objets qui seraient compcnsés, la
France admettait évidemment le principe des
compensations. Écrire á Londres, et employer
encore douze jours pom cctte subtílité, c'était
se jouer du directoire. Il répondit, comme iI
faisait tOlljours, le lendemaül meme, et par
une note de qnatrc lignes il dit que sa précé.
dente note impliquait nécessairement l'admis-
sion du princípc des compensations, mais que
!lu reste ill'admettait formellement, et c1el1lan-




nlRECTOIHE l (796). (195
dait snr-le-champ la désignation des objets sur
lesquels ce príncipe devait portero Le direc-:
toire s'informait en outre si" chaque question,
loro Malmesbury serait obligé d'écrire a Lon-
dres. Lord Malmesbury répondit vaguement
lJu'il serait obligé d'écrire tontes les fois que
la 'question exigerait des instructions nouvelles.
n écrivit encere, et resta vingt jours avant de
répondre. 11 était évident cette fois qu'il fallait
sortir du vague ou l' on s' était enfermé, et abor-
del' enfin la redoutable question des Pays-Bas.
S'expliquer sur cet objet, c'était rompre la né-
gociation, el on con<;oit que le cabinet. auglais
mit les plus IOllgS délais possibles a la rompre.
Enfln, le 28 frimaire ( l8 décembre), lord Mal-
mesbury eut une enlrevue avec le ministre De-
lacroix, et lui remit une note dans laquelle les
prétentions du cabinet anglais étaient exposées.
Il voulait que la Franee restituilt aux puissances
dn continent tout ce qu'elle avait conquis;
qu'elle renrlit a l'Autriche la Belgique et le
Luxembourg, a l'ernpire les états allemands de
la rive gauche; qu'clle évacuat toute l'ltalie, et
la repla<;at daus le statu quo ante bellum; qu' elle
restituat a la Hollande certaÍnes portíons de ter-
ritoire, telles que la FIandre maritime, par
exemple, afin de la rendre indépendante; et
€nfin. que des chang~mellts fusscnt faits a 8ft




496 lU~VOLUTJON FHAN(,3AISE.
constitution actueHe. Le cabinet anglais ne
promettait de rendre les colonies de la Hol-
lande que dans l~ cas du rétablissement du
stathoudérat; encore ne les rendrait-il jamaís
toutes: il devait en garder qnelques.nnes comme
indemnité de guerre; le Cap était du nQmbre.
Pour tous ces sacrifices, il offrait de rendre
deux ou trois lles que la guerre BOUS avait fait
perdre dans les Antilles, la Martinique, Sainte-
Lucie, Tabago, et a condition encore que Saint-
Dominguene nous resterait pas en entier. Ainsi
la France, apres une guerre inique, ou elle avait
eu toute justice de son coté, ou elle avait dé-
pensé des sommes énormes, et dont elle était
sortie victorieuse, la Franee n'aurait pas gagné
une seule province, tandis que les puissanees
du Nord venaient de se partager un royaume,
et que l' Angleterre venait de faire dans l'Inde
des acquisitions immenses! La Franee, qui oc-
cupait encore la ligne du Rhin, et qui était
maitresse de l'Italie, aurait évacué le Rhin et
l'Italie sur la simple sommation de l' Angleterre!
De pareilles eonditions étaientabsurdes et inad-
missibles; la seule proposition en était offen-
sante, et elles ne devaien t pas etre écou tées.
Le ministre Delacroix les écouta cependant
avec une politesse qui frappa le ministre anglais.




DlRECTOIRE (1796).
et qui lui tit meme espérer qu'on pourrait pour-
suivre la négociatíon.


Delaeroíx douna une raison qui était mau-
vaise, e'est que les Pays-Bas étaient déclarés
territoire national par la constitution; et le mi-
nistre anglais lui répondit par une raison qui ne
valait pas mieux, e' est que le traité d'Utrecht les
attribuait a l'Autriche. La constitntion pouvait
etre obligatoire pour la nation franc;aise, mais
elle ne eoneernait ni n'obligeait les nations
étrangeres. Le traité d'Utreeht était, eomme
tous les traités du monde, un arrangement de
la force, que la force pouvait ehanger. La senle
raison que le ministre franc;ais devait donuer,
c'est que la réunion des Pays-Bas a la France
était juste, fondée sur tontes les convenances
naturelles et poli tiques , et légitimée par la vic-
toire. Apres une longue discussion sur tous les
points accessoires de la négociation, les deux
ministres se séparerent. Le ministre Delacroix
vint en référer au dil'ectoire, qui, s'irritant a
bon droit, résolut de répondre au ministre an-
gIais comme ille méritait. La note du ministre
ang"lais n'était pas signée, elle était seulement
contenue dans une lettre signée. Le directoire
exigea, le jour meme, qu' elle fUt revetue des for-
mes nécessaires, et lui demanda son ultimatum
sous vingt-quatre heures. J~ord Malmesbury,


VIII. 32.




498 R ~VOLUTJON j,'RAN~AISE. •
embarrassé, répondit que la note était suffi-
samment authentique, puisqu'elle était con te-
uue dans une Iettresignée, et que qu:,tnt a un
ultimatum, iI était contre tous les usages de
l'exiger aussi brusquement. Le Iendemain,
29 frimaire (J 9 décembre), le directoire lui
6t déc;:larer qu'il n'écouterait jamais aucune
proposition contraire aux lois el aux traités qui
Iiaient la république; iI 6t ajouter que lord
Malmesbury ayant besoin de recourir achaque
instant a son gouvernement, et remplissant un
role purement passif clans la négociation, sa
présence aParis étaitirmtile; qu'en conséquence
il avait ordre de se retirer, lui et toute sa suite,
souoS q1Jarante-hui~ heures; que d'ailleurs des
courriers suffiraient pOul' négocier, si le gon-
vernement anglais adoptait les bases posées
par la t'épublique fran~aise.


Ainsi flnit cette négociation, dans laquelle le
directoire, loin de manquer aux formes, comme
OIl l'a dit, donna un véritable exemple de fran-
chise dans ses rapports avec les puissances en-
nemies. n n'y eut point ici d'usage violé. Les
cornmuuicationsdes puissances portent, comme
toutes les relatiolls entre les hommes, le ca-
ractere du temps, de la situatioll, des indivi-
dus qui gouvernent. Un gouvernement fort et
victorieux parle autremeut qu'uu gouverllc-




UIRECTOIRE (1796). 499
ment {aible et vaincu; et il convenait a une
république, appuyée sur la justice et la vic-
toire, de rendre son langage prompt, net, et
publico


Pendant cet intervalle, le grand projet de
Hoche sur l'Irlande s'effectuait. C'était la ce
que redoutait l' Angleterre, et ce qui pouvalt,
en effet, la mettre dans un grand péril. Malgré
les bruits adroitement semés d'une expéoition
en Portugal ou en. Amérique, l' Angleterre avait
bien compris l' objet des préparatifs qui se fai-
saient a Bl'est. Pitt avait fait le ver les mili ces ,
armer les cOtes, et donné l'ordre de tout éva-
cuer dans l'intérieur, si les Fran~ais débar-
quaient.


I}lrlande, a laquelle on destinait l' expédi-
tion, était dans une situation propre a inspi-
rer de graves inquiétudes. Les partisans de la
réforme parlementaire et les catholíques pré-
sentaient dans ceUe He une masse suffisante
pOUI' opérer un soulevement. lIs auraient vo.-
lontiers adopté un gouvernement républicain,
sous la garantíe de la France , et ils avaient en-
voyé des agents secrets a París po.ur s' entendre
avec le directo.ire. Ainsi tont présageait qu'une
expédition po.urrait causer de cruels embarras
a l'Angleterre, et la réduire a accepter une
tout autre paix que celle qU'f'lle venait d'offrir.


32.




500 nJ:VOLUTION FRAN~AISE.
lIoche, qui avait consumé les deux plus bclles
années de sa vie dans la Vendée, et qui voyait
les grands théatres de la guerre oc~upés par
Bonaparte, Moreau et JOllrdan, brulait de s'en
ouvrir un en Irlande. L'Angleterre était un
aussi noble adversaire que l'Autriche, et iI n'y
avait pas moins d'honneur a la combatlre et a
la vaincre. Une république nouvelle s'élevait
en ItaMe, et allait y devenir le foyer de la li-
berté.Hoche croyait beall et possible d'en éJe-
ver une pareille en Irlande, a coté de l'arista-
cratie anglaise. Il s'était lié beaucoup avec
l'amiral Trugllet, ministre de la marine, et
ministre a grandes vues. Ils s'étaien t promis
tous deux de donner une haute importance
a la marine, et de faire de grandes choses ;car
alors toutes les tetes étaient en travail, toutes
méditaient des prodiges pouÍ' la gloire et la
félicité de leur patrie. L'alliance offensive et
défensive conclue avec l'Espagne a Saint-Ilde-
fonse, offrait de grandes ressources, et per-
mettait de vastes projets. En réunissant la flotte
de Toulon aux floues de l'Espagne, en les con-
centrant dans la Manche avec ceHes que la
France avait dans l'Océan, on pouvait rassem-
hler des force s formidables, et ten ter de déIi-
vrer les mers par une bataille tlécisive; 011
ponvait du moins jeter un incendie en Ir-




lHRECTOIRE (J 796). .-JOI
laode, et aller ioterrorupre les :mcces de I'Ao-
gleterre dans l'Inde. L'amiral Truguet, qui
sentait l'importance de porter de rapides se-
cours dan s I'lnde, vonlait que l'escadre de
Brest, saos attendre la réunion des fIottes fran-
<;aise et espagnole dans la Manche, mit a la
voile sur-le·champ, jetat l'armée de Hoche en
lrlande, gardat quelques mille hommes a
bord, fit voile ensuite pour 1'Ile-de-France,
allM y prendre les bataillons de noirs qu'on y
organisait, et transportat ces secoUl's dan s
l'Inde ponr sonteuir Tippo-Salb. eeHe grande
expédition avait I'illconvéuient de ne porter en
Irlande qu'ulle partie de l'armée d'expédition,
et de la laisser exposée a de grandes chances,
en attendant la réunion tres-éventuelle de
l'escadre de l'amiral Villeneuve qui devait par-
tir de Tonloo, de l'escadre espagnole qui était
dispersée dans les ports d'Espagne, et de 1'es-
cadre de Richery qui revenait d'Amérique.
Cétte expédition ne fut pas exécutée. On at-
tendit l'arrivée d'Amérique de Richery, et on
fit, malgré l'état des finan ces , des efforts ex-
traordinaires pour achever l' armement de l' e s.-
cadre de Brest. Elle se trouva en frimaire (dé-
cembre) en état de mettre a la voile. Elle se
composait de qninze vaisseaux de haut bord,
de vingt frégates, de six gabares, et cinquante




502 RÉVOLUTION .FRA.L'V<;AISE.


b:híments de transporto ElJe pouvait porter
vingt-deux mílle hommes. Roche, ne pouvant
s'entendre avec l'amiral Villaret-Joyeuse, on
rempla~ ce dernier par Morard-de-Galles. L' ex-
pédítion dut débarquer dans la baie de Bantry.
On assigna achaque capitaine de vaisseau,
daos un ordre cacheté, la direction qn'il de-
vait suivre, et le mouillage qu'il devait choisir
en cas d'accident.


L'expédition mit a la voile le ~6 frimaire
( 1 6 décembre). Roche et Morard-de-Galles
étaient montés sur une frégate. L'escadre fran-
~aise, grace a une brume épaisse, échappa aux
croisieres anglaises, et traversa la mer sans
etre aperc;;ue. Maís, dans la nnít du 26 au 27,
une tempete affreuse la dispersa. Un vaisseau
iut englouti. Cependant, le contre·amiral Bou-
vet manreuvra pour rallier l'escadre, et apres
deux jours, parvint a la réunir tont entiere,
a l'exception d'un vaisseau et de trois frégates.
Malheureusement la frégate qui portait Hoche
et Morard- de-Galles était du nombre de ces
dernieres. L'escadre cingla vérs le cap eleal',
et manreuvra la plusieurs jours poul' attendre
les deux chefs. Enfin, le 4 nivose (24 décem-
bl'e), elle entra dans la baie de Bantry. Un con-
tleil de guerre décida le débarquement; maÍs
ii devint impossible par l'cfTet flu mauvais




DIRECTOIRE (1 796). 503
temps; l'escadre fut de nouveau éloígnée des
cotes d'Irlande. Le contre-amiral Bouvet, ef-
frayé par tant d'obstacles, craignant de man-
quer de vivres, et séparé de ses ehefs, erut de-
voir regagner les cotes de France. Hoche et
Morard-de-GaUes arriverent enfin dans la baie
de Bantry , et apprirent la le retour de l'escadre
franc;aise. lis revinrent a travers des périls
inouls. BaUus par la roer, poursuivis par les
Anglais, ils ne furent rendus aux rivages de
France que par une espece de miracIe. Le vais-
seau les Droits de l'Homme, capitaine La
Crosse, se tronva séparé de l' escadre, et 6t des
prodiges : attaqué par denx vaisseaux anglais,
iI en détruisit un, échappa a l'autre; mais, tont
mutilé, privé de mats et de voiles, iI succomba
a la violence de la mero Une partie de I'équi-
page fnt engloutie, l'autre fut sauvée a grand'-
peme.


Ainsi flnit cette expédition, qui jeta une
grande alarme en Angleterre, et qui révéla
son point vulnérable. Le directoire ne renonc;a
pas a revenir plu~ tard a ce proj et, et tourna
dans le mament tontes ses idées dn coté du
continent, paur se h:iter de faire déposer les
armes al' Autriche. Les troupes de l' expédition
avaient pen sonffert; elles furent débarquées.
On laissa sur les cOtes les forces nécessaires




504 nÉVOLUTIOl'i FlI.A.N9A.ISE.
pour faire la police du pays, et on achemina
vers le Rhin la majeure partie de l'armée qui
avait porté le titre d'Armée de l'Océan. Les
deux Vcndées et la Bretagne étaient, du reste,
tout·a-fait soumises, par les soins et la présence
continuelle de Hoche. On préparait a ce géné-
ral un grand commandement, pour le récom-
penser de ses ingrats et pénibles travaux. La
démission de Jourdan, que la mauvaise issue
de la campagne avait dégouté, et qu'01;l avait
provisoirement remplacé par Beurnonville,
permettait d'offrir a Hoche un dédommage-
ment qui, depuis long.temps, était du a son
patriotisme et a ses talents.


L'hiver, déjit fort avancé (on était en ni vose,
- janvier 1797), n'avait point interrompu cette
campagne mémorable. Sur le Rhin, l'archiduc
Charles assiégeait Kehl et la tete de pont d'Hu-
Ilingue; sur l' Adige, Al vinzy préparait un nou-
vel et dernier effort contre Bonaparte. L'inté-
rieur de la république était assez calme: les
partis avaiellt les yeux fixés sur les différents
théatres de la guerreo La considération et la
force du gouvernement augmentaient ou di-
minuaient selon les chances de la campagne.
La derniere victoire d'Arcole avait répandu un
grand éclat el réparé le mauvais effet prodllit
par la retraite eles armées dn Rhin. Mais cepen-




DIRECTOIRE (1796-97). 505
dant cet effort d'lIne bravoure désespérée ne
rassurait pas entierement sur la possession de


. l'Italie. On savait qu' Alvinzy se renfon,;ait. et
que le pape faisait des armemellts; les malveil-
lants disaient que l'armée d'Italie était épuisée;
que son général, accablé par les travaux d'une
campagne sans exemple, et consumé par une
maladie extraordinaire, ne pouvait plus tenir
a cheval. Mantoue n'était pas encore prise, et
on pouvait concevoir des inquiétudes pour le
moís de nivose (janvier).


Les journaux des deux partís, profitant sans
mesure de la liberté de ]a presse, continuaient
á se déchainer. Ceux de la contre-révolution,
voyant approcher le printemps, époque des
élections, tachaient de remuel' l'opinion, et de
la disposer en leur favenr. Depuis les désastres
des royalistes de la V endée, iI devenait c1air
que leur derníere ressource était de se servir
de la liberté elle-meme pour la détruire, et
d'envahir la répubIique en s'emparant des
élections. Le directoire, en voyant Ieur déchal-
nement, était saisi de ces mouvements d'impa-
tience dont le pouvoir meme le plus éclairé ne
peut pas toujours se défelldre. Quoique fort
habitué a la liberté, iI s'effrayait du langage
qu'elle prenait dans certains journaux; il ne
comprenait pas encore assez qn'il fant laisser




506 RÉVOLUTION F 1tAN~AJSJ\.
tout dire, que le mensonge n'est jamais a re-
douter, quelque publicité qu'il acquiere, qu'il
s'use par sa violence, et qu'lln gouvernement,
périt par la vérité seu le , et surtout par la vé-
rité comprimée. Il demanda aux deux conseils
des 10is sur les abus de la presse. On se récria;
on prétendit· que, les élections approchapt, iI
voulait en gener la liberté; on lui refusales
lois qu'il demandait. On accorda seule!J1ent
deux dispositions: l'une, relati ve a la répression
de la calomnie privée; l'autre, a ux crieursde
jOllrnaux, qlli, dan s les rues, au lieu de les an-
noncer par leur titre, les annoIH;aient par des
phrases détachées, el souvent forl inconve-
nantes. Ainsi on vendáit un pamphlet, en criant
dans les rues: Rendez-nous hos mytiagrámmes ,
etf. .... -nous le camp, si vous ne poupezfaire
le bonhellr dlt peuple. Il fut décidé, pour éviter
ce scandale, qu'on ne pourrait plus crier les
journaux et les éerits que par un simple titre.
Le directoire aurait voulu l'établissement d'un
journal offieiel dn gouvernement. Les cinq-
cents y consentirent; les anciens s'y oppose-
rento La loi du 3 brumaire, mise une seconde
fOÍs en discussion en vendémiaire, et devenue
le prétexte de la ridicu)e attaque des patriotes
sur le camp de Grenelle, avait été maintenue
apres une diseussion solennelle. Elle était p,n




DIRECTOlRE (1796-97)' 507
quelque sorte le poste autour duquel ne ces-
saient de se rencontrer les deux partis. C'était
surtout la disposition qui excluaít les parents
des émigrés des fonctions publiques, que le
coté droit voulait détruire, et que les républi-
cains voulaient conserv~. Apres une troisieme
attaque, ii fut décidé que cette disposition se-
rait maintenue. On ne fit qu'un seul change-
ment a cette loi. Elle excluait de l'amnistíe
générale, accordée aux délits révolutionnaires,
les délits qui se rattachaient au r 3 vendé-
miaire; cet événement était déja trop loin pOlir
ne pas amnistíer les individus qui avaient
pu y prendre part, et qui, d'ailleurs, étaient
tous impunis de faít : l'amnistie fut done ap-
pliquée aux délits de vendémiaire, eomIDe a
tous les autres faits purement révolutionnaires.


Ainsi le directoire, et tous ceux qui voulaient
la république directoriale, conservaient la ma-
jorité dans les conseils, maIgré les cris dé quel-
ques patriotes follement emportés , et de queI-
ques intrigants vendus a la contre-révolutioll.


L'état des finances avait l'effet ordinaire de
]a misere dans les familles " il troub]ait 1'union
domestique du directoire avec le corps législa-
tifo Le directoire se plaignait de ne pas voir ses
mesures toujours accueillies par les conseils; il
Ieur adressa uu message alarmant, et ille pu-




508 RtVOLUTION FHANQAISE.
blia, comme pour faire retomber sur eux les
malheurs publies, s'ils ne s'empressaient d'a-
dopter ses propositions. Ce message du 2.5 fri-
maire (15 décembre) était com;u en ces termes:
« 'foutes les parties du service sont en souf-
« franee. La solde d~ troupes est arriérée; les
« défenseurs de la patrie sont livrés aux hor-
« reurs de la nlldité; leur courage est énervé
c( par le sentiment douloureux de leurs be-
cc soins; le dégout, qui en est la suite, entraille
e( la désertioll. Les hópitaux manquent de
« fournitures, de feu, de médicaments. Les
ce établissements de bienfaisance, en proie au
« meme dénument, repoussent l'indigent et
« l'infirme dont ils étaient la seule ressource.
« Les créanciers de l'état, les entrepreneurs
ce qui, chaque joU!', eontribuent a fournir aux
e( besoins des armées, n'arrachent que de faibles
« pareelles des sommes qni lenr sont dues;
« leur détresse écarte des hommes gui pour-
e( raient faire les mernes serviees avec plus
« d'exactitude, on a de moindres bénéfiees. Les
e( routes sont bouleversées, les cQmmunications
« interromplles. Les fonctiol1naires pubIics sont
« sans salaires; d'un bout a l'autre de la répu-
« blique, on voit les jugcs, les administra-
« teurs, réduits a l'horrible alternative, on de
{( trainer dans la misere leur existellce et ceHe




nlnECTOIRE (1796-97)' 509
{cde lenr famille, OH de se déshonorer en se
l( vendant a l'intrigue. Partout la malveillanee
« s'agite; dans bien des lieux l'assassinat s'or-
c( ganise, et la poliee sans activité, sans force,
« paree qu'elle est dénuée de moyens 'pécu-
« niaires, ne peut arreter ce désordre. »


Les cOll5eils furent irrités de la publication
de ce message, qui semblait faire retombel'
sur ellX les malheurs de l' état, et censnrerent
vivement l'indiscrétion du directoire. Cepen-
dant ils se mirent a examiner snr-le-ehamp ses
propositions. Le numéraire abondait partont,
excepté aans les eoffres de l'état. L'impót ac-
tuellement percevable en numéraire ou en
papier au cours, ne rentrait que lentement.
Les biens nationaux soumissionnés étaient
payés en partie; les paiements restant a faire
n'étaient pas éehus. On vivait d'expédients, on
donnait aux fournisseurs des ordonnances de
ministres, des bordereanx de liquidation, es-
peces de valellrs d'attente, qui n'étaient re<;ues
que pOllr une valeur inférieure, et qui faisaient
monter considérablement le prix des marchés.
C'était done toujours la meme sitnation que
n.\ls avons déjit exposée si SOlIvent.


De grandes améliorations furent apportées
allX finances pour l'an V. On divisa le budget
en del1x parties, eomme on a déja VIl.: la dé-




5 [O·. RÉVOLUTION FRANC;:AISE.
penseordinaire de 450 millions, et la dépense
extraordinaire de 550. La contribution fonciere,
portée a 250 niillions, la contribution somp-
tuaíre et personnelle a 50, les douanes, le tim-
bre, l'enregistrement a 150, durent fournir
les 450 millions de la dépense ordinaire. J...'ex-
traordinaire dut etre couvert par l'arriéré de
I'impot et par le produit des biens nationaux.
L'impot était désormais entieremen t exigil>le en
numéraire. Il restait encore quelques mandats
et quelques assignats, qui furent annulés sur-
le·champ , et re~us au cours pour le paiement
de l'arriéré. De eette maniere on 6t cesser totale-
ment les désordres du papier-monnaie. L'em-
prunt forcé fut définitivement fermé. Il avait
produita peine 400 millions valeur effective.Les
impositions arriérées durent etre entierement
acquittées avant le 1 5 frimaíre de l' année actuelle
(5 décembre). Les garnisaires furent institués
pour hater la perception. On ordonna la con-
fection des rOles, pour percevoir sur-Ie-champ
le quartdes impOts de l'an V. Restait a savoir
comment on userait de la valeur des biens na-
tionaux, n'ayant plus le papier-monna~e, pour
la mettre d'avance en eireulation. On avait ~­
eore a toueher le dernier sixieme sur les biens
soumissionnés. On déeida que, pour devaneer
ce dernier paiement, OH exigerait des acqué.-




DIRECTOIRE (1796-97). 5J I
reurs des obligations payables en numéraire,
échéant a l'époqlle meme a laquelle la loi les
ohligeait de s'acquitter, et entrainant, en cas
de prott~t, l'expropriation du bien vendu. Cette
mesure púuvait faire rentrer quatre - vingt et
quelques millionsd' obligations, dont les four-
nisseurs annom;aient qu'ils se paieraient vo-
lontiers. On n'avait plus de confiance dans
l'état, mais on en avait dans les particuliers;
et les 80 milliQns de ce papier personnel avaient
une valeur que n'aurait pas eueun papier émis
et garanti par la république. On décida que les
biens vendus a l'avenir se paieraient comme il
suit: un dixieme comptant en numéraire, cinq
dixiemes comptant, en ordonnances des mi-
nistres , on en bordereaux de liquidation déli-
vrés aux fournisseurs ; quatre dixiemes enfin,
en quatre obligations, payables une par ano


Ainsi, n'ayant plus de crédit public, on se
servait du créditprivé; ne pouvarit plus émettre
du papier-monnaie hypothéqué sur les bien s ,
on exigeait des acquéreurs de ces biens une
espece de papier qui, portant Ieur signature,
avait. une valeur individuelle; enfin on per-
mettait aux fournisseurs de se payer de leurs
services sur les biens eux-memes.


Ces dispositions faisaient done espérer un
pe~l d'ordre et quelques relltrées. Pour suffire




512 nÉvoLuTION FRANC;;:AISE.
aux besoins pressants du ministere de la guerre,
on lui adjugea sur-le-champ, pour les mois de
nivose, pluviase, ventase et germinal, mois
consacrés aux préparatifs de la nouvelle cam-
pagne, la somme de 120 millions, dont 33 mil-
lions devaient etre pris sur l'ordinairc, et 87
sur l'extraordinaire. L'enregistrement, les pos-
tes, les douanes, les patentes, la contribution
fonciere allaient fournir ces 33 millions : les
87 de l'extraordinaire devaient se composer
du produit des bois, de l'arriéré des contribu-
tions militaires, et des obligations des acqué-
rellrs de biens nationaux. Ces valeurs étai.ent
assurées, et allaient rcntrer sur-Ie-champ. On
paya tous les fonctioIlnaires publics en numé-
raire. On décida de payer les rentiers de la
meme maniere; mais ne pouvant encore lcur
donner de l'argent, on leur donna des billets
au porteur, recevables en paiement des biens
nationallx, comme les ordonnances des minis-
tres et les bordereaux de liquidation délivrés
aux fOllrnisseurs.


Tels fllrent les travaux administratifs du di-
rectoire pendant l'hiver de l'an V (1796 a 1797),
et les moyens qll'il se prépara pour suffire a
la campagne suivante. La campagne actueUe
n'était pas terminée, et tont annon«;;ait que
malgré dix mois de combats acharnés, malgré




nmEC'totRt (1797)' 513
les glaces et les neiges, OH allait voir encore
de nOl1velles batailles. Varchidllc Charles 5'0-
piniatrait a enlever les tetes de pont ,de Kehl
et d'Hllt'lingue, comme si, en les enlevant, iI
cut a jamais interdit aux Fran(,;ais le retour sur
la rive droite. Le direcloire avait une ex'cel ...
lente raisonde l'y o'Ccuper ~ c'était de l'empe-
cher de se portel' en ltalie. 11 passa pres de
trois mois devant le fo!'t de KehI. De part et
d'alltre, les troupes s'illustrerellt par un cou-
rage héro'ique, et les généraux divisionnaires
déployerent un grand talent d'exécution. De-
saix surtout s'immortalisa par sa br3voure, son
sang-froid, et ses savantes dispositions autemr
de ce fort misérablement retranché. La con-
duite des deux généraux en chef fut loin d'etre
aussi approllvée que ceHe de leurs lieute-
nants. On reprocha a MO,reau de n'avoir pas
su protiter de la force de sonarmée, et de n'a-
voir pas débollehé sur la rive droite ponr tom-
ber sur l'armée de siége. On blama l'arehiduc
d'avolr dépensé tant d'efforts eonlre une tete
de pont. Morean rendit Kehl le 20 nivose an V
(9 janvier 1797 ); e' était une légere perle.
Notre longue résistance prouvait la solidité de
la ligne dn Rhin. Les troupes avaient pell sout:'
fert; Morean avait employé le temps a perfec-
ti.onner leur organisation ; son armée présentait


'VIII, 33




514 RÉVOLIJTION FIlAN(:AlSF..
lín aspect superbe. CeHe de Sambre-et-Meuse;
passée sous les ordres de Beurnonville, n'avait
pas été employée utilement pendant ces der-
niers mois, mais elle s'était reposée, et ren-
forcée de détachements nombreux venus de la
Vendée; elle avait rec;;u un chef illustre, Hoche,
qui était. enfin appelé a une guerre digne tle
ses talents. Ainsi, quoiqu'il ne possédat pas
encore Mayenee, et qu'il fUt privé de Kehl, le
direetoire pouvait se regarder eomme puissant
sur le Rhin. Les A utrichiens, de leur cOté ~
étaient fiers d'avoir prjs Kehl, et i1s dirigeaient
maintenant tous 1eurs efforts sur la tete de
~llt d'Huningue. Mais tous les vreux de l'cm-
pereur etde ses ministres se portaient sur 1'1-
talie; Lestravaux de l'administration potir ren-
forcer l'armée d'Alvinzy, et pour essayer une
derniere luue, étaient extraordinaires. On avait
fait partir les troupes en poste. Toute la gar-
nison de Vienne avait été acheminée sur le
Tyrol Les habitants de la capitale, pleins de
dévouement pour la maison impériale, avaient
fourni quatre mille volontaires, qui fllrent en-
régimentés, sous le nom de volonfaires de
Vienne. L'impératrice leur donna des drapeaux
blJoclés; de ses mains. On avait fait une nou-
vel.leltjvée en Hongrie, et on avait tiré du Rhin
<Juelques mille hommes des meillellres troupes




PIRECTOíRE ('79'~
de l'empire. Gracc a cette activité, digne des
plus grands éloges, l'armee d'Alviuzy s~ trouva.
renforcée d'une vingtaille· de mille hommes,
et portée a plus de soixante mílIe. Elle était
reposée et réorganisée; et qlloique renférmant
quelques recrues, elle se composait en majeure
partie de troupes aguerries. Le bataillon des
volontaires de Vienne était formé de jeunes
gens, étrangers, il est vrai, a la guerre, maj·s
appartenant a de bonnes familles, animés de
sentiments élevés, tres-dévoués a la maison
impériale, et prcts a déployer la plus grande
bravoure.


Les ministres autrichiens s'étaient entendus
~vecle pape, et l'avaient e~gagé á l'~sister aux
menaces de Bonaparte. lls lui avaient envoyé
Colli et quelques officíers pour commander
son armée, erl luí recommandant de la porter
le plus pres possjble de Bologne et de Man-
toue. lis avaient annoncé a Wurmserup pl'O-
chain secours, avec ordre de ne pas se rendre,
et, s'il était rédl1it a l'extrémité, desortir de
Manloue avec toüt ce qu'il aurait de troupes,
et surtont d'officiers, de se-jeter a travers lo
Bolonais et le Ferrarais dans les états romains,
pour s~ réunir a l'armée papale, qu'il orgaw.~
serait et porterait sur les derrieres de Bob~
parte. Ce plan, fort bien COI1\,U, pOllvait réussit'


33.




516 1U~VOLt¡TION PRÁN<:AtSE.
avec un général aussi brave que Wurlllser.Ce
vieux lllaréchal ten'ait toujours dans Mántoue
avec une grande fermeté, quoÍque sa ga'rnison
n'eut plus a manger que de la viande de clle-
val salé et de la poulenta.


Bonaparte s'attendait a cette derniere lutte;
qui allait décider pour jatnaísdu sort de 1'lta-
He, et il s'y préparait. Cornme le répandaient
a París les malveillants qui sotihúitaíent l'hu-
miliatíon de nos armes, il était malade d'urie
gale mal traitée, et prise devant Toulon, en
'chargeant un canon de ses propres mains. Cette
maladie, malconnue, jointe aux {¡¡tigues inoulcs
.de cette campagne, l'avait singulierement af-
faibli. n pouvait a peine se tetiír a cheval; ses
joues ét:üent caves et lívides, sa p6l'SOIlUC pa-
raissait chétive; ses yenx seuls, toujours aussi
vifs et aussi per¡;;ants, annonl,¡aient que le fen
de son ame n'était pas éteint. Ses proportions
physiques formaíent tneme avec son génie et
sa renommée un contraste singulier et piquant
pour des soldats a la foís gais et eilthousias-
tes. Malgré le délabrement de ses forces, ses
passions extraordínaÍres le soutenaient, et lui
comrnuniquaient une activité qui se portait sur
tous les objets a la fois. Il avait comméncé ce
qu'il ,appelait la guerre aux voleurs. Les in ....
ti'igantsde toute espece étaient accollfus en




l>1RJiCTOIRJ.: (1797)'
ltalie, pour s'introduire dans l'administration
des armées, et y profiter de la richesse de cette
uelle contrée. Tandis que la &implicité et fin-
digence régnaient dans les armées du Rain,
le luxe s'était introduit dans cell; d'Italie; iI Y
était aussi grand que la gIoire. 'Les soIdats,
bien vetus, bien nour.ris, bien accueiUis par
les belles ItaIiennes, y vivaient dans les plai-
sirs et l'abondance. Les officiers, les généraux
participaient a l'opulence générale, et com·
men~aient leur fortune. Quant aux fournis-
seurs, ils déployaient un faste scanpaleux, et
ils achetaient avec le prix de Ieurs exactions
les faveurs des plus beBes actrices de l'Italie.
Bonaparle, qui avait en lui toutes le& passions,
mais qui, dans le moment, était livré a une
seule, la gloire, vivait d'une maniere simple et
sévere, ne cherchait de déIassement qu'aupres
de sa femme, qn'il aimait avec tendresse, et
qll'il avait fait venir a son quartier- général.
Indigné des désordres de l'administration, iI
portait un regard sévere sur les' moind·res dé-
tails, vérífiaít lui-meme la gestion des compa-
gnies, faisait poursuívre les administrateurs
ínfideles, et les dénon~ait impitoyablement. n
leur reprochait surtout de manquer de cou-
rage, et d'abandollner l'armée les jOllrs de p~~
ril. JI recommaudait au direCloil'e de choisit:




518 nf:VOI,U'l'JON FHANQ,USI'.
des hommes d'une éner'gie éprouvée; jI vou-
lait l'inst~t\ltioll d'un syndicat, qui, jugeant
eomme un ju.t'y ,:put, sur sa simple convictioIJ ,
punir, des délits qui n' étaient jamais prouva-
bIes matérie~eme~t. 11 pardonnait voIontiers
a ses soldats et a ses généraux des jouissances
qui n'étaient pas pOllr ellx. les délices de Ca-
poue; mais iI avait UBe haine im placable }lour
tous' ceux qui s'enrichissaient aux dépens de
l'armée, sans la servir de leurs exploits ou de
leurs soios.


Il avait apporté la meme attention et la meme
activité dans ses relations avec les puissances
itaIiennes. Dissimulant toujOIH'S avec Vcuise,
dQP~ iI voyait les armements dans les lagunes
et les montngnes d u Bergamasc, il différa toute
explication jusqu'apres la reddítion de Man-
toue. ~rovisoirement iI lit occuper par ses
troupes le chatean de Bergame, qui avaít gar-
~isón vénitiel1ue, et donna pOVl' raison qu'iL
ne le croyait pas assez bien gardé, pour résis-
ter a un COUI) de main des Autrichiens. 11 se
mit ainsi a l'abri d'une perfidie, et imposa aux
llombreux ennemis qu'il avait dans Bel'game.
Dans la Lombardie et la Cispadallc , il continua
~ favoriser l'esp~it de liberté, reprimant le
partí autrichien et papal, et modérant le partí
démocratique, qui, claus tons les pays, a besoill




OIRHCTomE (1797)'
d'elre eOlltenu. 11 se maintint en amitié avec
le roi de Piémont et le due de Parme. Il se
transporta de sa personne a Bologne, pour
terminer une négoeiation avee le due de Tos-
eane, et imposer a la eour de Rome. Le due
de Toscane était illcommodé par la présenee
des Fran<;ais a Li vourne; de vives discussions
s'étaient élevées avec le commerce livournais sur
les marchandises appartenant aux négociants
ennelUís de la France. Ces contestations produi-
saient beaucoup d'animosité; d'ailleurs les mar-
chandises, qu'on an:achait avee peine, étaient
ensuite mal vendues, et par une eompagnie
qui venait de voler cinq a six millions a l'armée.
Bonaparte aima mieux transiger avee le grand-
due. Il fut eonvenu que, moyennant deux mil-
lions, il évacuerait Livourne. Il y trouva de plus
l'avantage de rendre disponible la garnison de
cette ville. Son projet étqit de prend,re les deux
Jégions formées par la Cispadane, de les réunir
a la garnison de Livourne, d'y ajouter trois
mille hommes de ses troupes, et d'acheminer
eette petite armée vers la Romagne et la Marche
d'Ancone. Il voulait s'emparer encore de deux
provinces de l'état romain, y mettre la main
sur les propriétés du pape, y arreter les im-
pots, se payer par ce moyen de la contributiorl
qui n'avait pas été acqnittée, prendre des otages




520 llEVOLUTION .FRANyA~S"~.
choisis dans le partí ennemi de la France, et
établir ainsi une barriere entre les éta.ts de
l'Église et Mantoue. Par la, il rendait impossible
le projet de jonctioll entre Wurmser et l'armée
papale; iI pouvait imposerau pape, et l'obliger
enfill a se soumettre aux conditions de la l'é-
publique. Dans son humeur cont:r~ le SaÍnt-
Siége, iI nr, songeait meme plus a lui pal'don-
ner, et voulait faire une division toute nouyeUe
de l'Italie. On aurait rendu la Lombardie a l'Al,l-
triche; On aurait composé une républiqlle puis.-
saute, en ajoutant au Modéuois, au Bolonais et
au Ferrarais, la Romagne, la Marche d'Allcone,
le duché de Parme, et Oll aurait donné Rome
au due de Parme, ce qui aurait fait grand plaí-
sir a l'Espagne, et a,urait eomp.'qmis la plus
catholique de toutes les puissances. D~ja il avait
commencé a exécuter son proje~; il s'était porté
a Eologne avec trQis núlle hommes de trQupes,
et de la il menapit le Saint-Siége, qlli avait
déja formé Uf) noyau d'armée. Mais l~ pape,
certain maintenant d'llne nouvelle expéditioll
autrichíenne, espé~an t communiquer par le
Bas-Po avec Wurmser, bravait les menaces du,
général fran(,;ais, et témoignait meme le désir
de le voir s'avancer en.core davautage dans ses
provinces. Le saint pere, disait-on au, Vatican ~
quittera Rome, s'íl le faut, pour se réfugier ~




D1RECTOIRE ~ 1797 l.
l'extrémité de ses états. Plus Ronaparte s'avan-
cera, et s'éloignera de l' Adige, plus ji se mettra
en danger, et plus les chances devicudront fa-
vorables a la cause sainte. Bonaparte , qui était
tout aussi prévoyant que le Vatican) n'avait
garde de marcher su.r Rome; il ne voulait que
menacer, et il avait toujours l' reil sur l' Adige,
s,'attendant achaque instant a une nouvelle at-
taqu.e. Le 19 nivose (8 janvier 1797), en effet,
il apprit qu'un engagement avait en lieu sur
tOllS ses avant-postes; il repassa le Po snr-Ie-
champ avec deux miIle hommes, et courut de
sa personlle a v érone.


Son armée avait re~ll depuis Arcole les ren-
forts qu'elle aurait <lit recevoir avant cette ba~
ta.Ue. Ses malades étaient sortis des hopitaux,
avec l'hiver; il avait environ quarante-cinq ~l1ille
hommes présents sous les armes. Leur distriblh
tíon était toujours la n}(~me. Dix mille hOlQmes
a peu pres bloquaient Mantoue sous Serrurier;
trente. miIJe étaient en observation sur l'Adige.
A ugel'eall gardait Legnago, Masséna V érone ;
JOllbert, qui avait sllccédé a Vaubois. gardait
Rivoli et la Corona. Rey, avec une dívision de
réserve, était a Dezenzano, au bord du lac de
Garda. Les qnatre a cinq miIle hommes restants
étaicnt, soit dans les chateaux de Bergame et
de Milan, soit dans la Cispadane . .Les Autri-




52'.J. lLÉVOLUl'ION .FItAN~;A IS.~.
chiens s'avapt¡aientavec soixante et quelques
mille hommes, et en avaient vingt dans Man-
toue, dont douze mille au moins sous les armes.
Ainsi, dans cette lutte, eorome dans les précé-
dentes, la proportion de l'ennemi était du
donhle. Les Autrichiens avaient cette fois uu
nOllveau projct. lIs avaient essayé de toutes les
routes, pOlir attaquer la double ligue dll Mincio
et de l'Adige. Lors de Castiglione, ils étaient
deseendus le long des deux rives dn lac eJe
Garda, par les deux vallées de la Chiesa et de
l'Adige. Plus tard, ils avaient débonché par la
vattée de l' Adige et par ceHe de la Brenta, at-
taql1aut par Rivoli et Vúone. Maintenant ils
avaient modifié leur plan conforméroent a leul"s
projets avec le pape. L'attaque principale d~vait
se faire par le Hallt-Adige, avec quarante-cinq
mille hommes sous les ordres d'Alvinzy. Une
attaque accessoire, et indépendante de la pre-
miere, devait se faire avec vingt mille hommes
a peu pres, soos les ordres de Provel'a, par
le Bas-Adige, dan s le but de communiquer
avec Mantoue, avec la Romagne, avec 1'armée
du pape.


L'attaque d'Alvinzy était la principale; elle
était assez forte pour fajre espérer un succes
sur ce point, et elle devait etre poussée san s
ancune considératioll de ce quí arrívcrait á




mnECTUIRE (1797).
Provera. NOlls avons décrit ailleurs les trois
routes qui sortent des montagnes du TyroI.
CeHe qlli tournait derriere le lac de Garda avait
été négligée depuis l'affaire de Castiglione; on
snivait maÍntenant les deux autres. L'une, cir-
culant entre l' Adige et le lac de Garda, passait
a travers les montagnes qui séparent le lae du
fleuve, et y rencontrait la position de Rivoli;
l'autre longeait extérieurement le tleuve, et
al/ni! déboucher dans la plaine de V érone, en
dehors de la ligne franc;aise. Alvinzy choisit
celle qni passait entre le tleuve et le lac, et
qui pénétrait daos la ligne fran«,;aise. C'est done
sur Rivoli que devaient se diriger ses conps.
Voiei quelle est eette position a jamais célebre.
La chaine du Monte - Baldo sépare le lac de
Garda et l'Adige. La grande route circule entre
l' Adige et le piecl des montagnes, dans l' éten-
tille de quelques lieues. A Incanale, l'Adige
vient baigner le pied meme des montagnes. et
ne laisse plus dc place pour longer sa rive. La
ronte alors abandonne les bords du tleu ve,
s'éleve par unc espece d'escalier tournant dans
les flanes de la montagne, et débouche sur un
vaste platean, qui est celui de Rívoli. Il do-
mine l'Adigc d'un coté, et de l'aulre il est en·
tomé par l'amphithéatre do Monte - Baldo.
L'armée, q 11 i est en positiou sur ce plateau,




524 REVOLUTlO~ t·RA~<';AlS}:.
menace le chemin tournant par lequel on y
monte, et balaie au loin de son fen les deux
rives de I'Adige. Ce plateau est diffieile a em-
porter de front, pnisqu'il fant gravir un esea-,
líer étroit pour y arriver. Aussi ne eherehe-
t-Otl pas a l'attaquer par eette seule voie. Avallt
de parvenir a Ineanalc, d'antres routes con-
duisent sur le Mon te-Baldo, et gravissant ses
eroupes esearpées, viennent aboutir au plateau
de Rivoli. Elles ne sont praticables ni a la ca-
valerie ni él l'artillerie, mais elles donnent un.
faeile acces aux troupes él pied, et peuvent
servir a porter des (orces considérables d'ill-
fanterie sur les flanes et les del'rieres du corps
qui défelld le plateau. Le plan d' Alvinzy étaít
d'attaquer la position par toutes les issues a
la fois.


Le 23 nivose (12 janvierJ, il attaqua Joubert,
qui tenait toutes les positions avaneées, et le
resserra sur Rivoli. Le me me jour, Provera
poussait deux avant-gardes, l'une sur V érone,
l'autre sur Legnago , par Caldiero et Bevilaqua.
Masséna, qni était él V érone, en sortit, culbuta
l'avant-garde qui s'était présentée él lui, et 6t
neuf eents prisonniers. Bonaparte y arrivait ele
Bologne dans le mament meme. Il fit repliel'
toute la division dan s Vérone, pour la tenir
prete a marcher. Daus la Huit, il appl'it que




Joubert était attaqué et forcé a Rivoli, qu'Au-
gereau avait vu, devant Legnago, des forces
considérables. U ne pouvait pas jugerencore
le point sur lequell'ennemi dirigeait sa princi-
pale masse. Il tint toujours la division Masséna
ptete a marcher, et otdonna a la division Rey,
qui était a Dezenzano, et qui n'avait vu débou-
cher aUClln ennemi par derriere le lac de Garda,
de se porter a Castel-Novo, point le plus central,
entre le Haut et le Bas-Adige. Le lendemain
24 ( 13 janviel'), les courriers se succéderent
avec rapidité. Bonapar·te apprit que Joubert,
attaqué par des forces immenses, aIlait etre
enveJoppé, et qu'il devait, a l'opiniatreté et au
honheur de sa résistance, de conserver encol'e
le plateall de Rivoli. Augerean lui mandait du
Bas-Adige qu'on se fllsillait le long des deux
rives, sans qu'il se pass:h aucun événement
important. Bouaparte n'avait guere devant lui
a v él'One que deux mille Alltrichiens. Des cet
instant, iI devina le projet de l'ennemi, et vit
bien que l'attaque principale se dirigeait sur
Rivoli. II pensait qu' Augereau suffisait pom
défendre le Bas-Adige; itle renfor'ta d'lln corps
de cava/erie, détaché de la division Masséna.
Il ordcmna a Serrurier, qui bloquait Mantoue,
ele porter sa réserve a Villa-Franca, pour qu'elle
{ut placée intermédiairement a tous les points.




52G nÉVotlJTJON 1<IlANC,,:AISF..
JI laissa a v érone un régiment d'illfanterie et.
un de cavalerie; et il partit, dans la nuit du
2.4 au 25 (13 a 1 4,janvier), avec les dix-huitieme,
trente -deuxi'eme, soixante-quinzieme demi-
brigades de la division Masséna, et dellx esca-
drons de cavalerie. Il manda a Rey. de ne pas
s'arreter a Castel-Novo, et de monter tout de
suite sur Rivoli. Il devan~a ses divisiollS, et
arriva de sa personne a Rivoli a deux .heures
dumatin. Le temps, qui était pluvienx lesjours
précédents, s'était éclaírci. Le cicl était pur,
le clair de Iune éclatant, le froid vif. En arri-
vant, Bonaparte vit l'horizon embrasé des feux
de l'ennemi. Illui supposa quarante-cinq mille
hommes; Joubert ~n avait dix mille au plus:
iI était temps qu\m secours arrivat. L'ennemi
s'était partagé en plusieurs corps. Le principal,
composé d'une grosse colonne de grenadiers,
de toute la cavalerie, de toute l'artillerie, des
bagages, suivait sons Quasdanovich la grande
ronte, entre le fleuve et le Monte-Baldo, et
devait déboucher par l' escalier d'Incanale. Trois
autres corps, sous les ordres d'Ocskay, de Ko-.
blos et de Liptay, composés d'infanterie seu-
lement, avaient gravi les croupes des monta-
gn.es, et devaÍent arriver SUl' le champ de
ba.taille, en descendant les degrés de l'amphi-
théatre que le Monte-Baldo forme autour du




lHRECTOInE (1 7fJ7).
platean de Rivoli. Un quatrieme corps, sous
les ordres de Lllsignan, circulant sur le coté
dll plateau, devait venir sª placer sur les der-
rieres de l'armée fran~aise, pour la couper de
la mute de V érone. Alvinzy avait enfin déta-
ché un sixieme corps, qui, par sa position,
était tout-a-fait en dehors de l'opération. Il
mar<;hait de l'autre coté de l'Adige, et suivait
la route qui, par Roveredo, Dolce et V érone ,
longe le fleuve extérieurement. Ce corps, com-
mandé par Vukassovich, pouvait tout au plus
envoyer quelques bOlilets sur le champ de ba-
taille, en tirant d'une rive a l'autre.


Bonaparte sentit sur-Je-champ .qn'il fallait
garder le plateau a tout prix. Il ayait en face
l'infanterie autrichienne, descendant I'amphi-
théatre, san s une seule piece de canon; il avait
a sa droite les grenadiers, l'artillerie, la cava-
lerie, longeant la route dufleuve, et venant
déboucher par l'escalier d'Incanale sur son
aanc droit. A S3 gauche, Lusignan tournait
Rivoli. Les boulets de V ukassovich, lancés de
l'autre rive. de l' Adige, arrivaient sur sa tete.
Placé sur le plateau, il empechait la jonction
des différentes armes; ii foudroyait l'infanterie
privée de ses canons; il refoulait la cavalerie
et l'artillerie, engagées dans un chemín #roit
d tournant. Pen lui inlportait alors qlleLusl-'




528 nÉvoLuTlON FRAN~AISF..
gnau fit effort pOllr le tonrner, et que Yul,as"-
sovich lui lan<;;at quelques boulets.


Son plan arreté avec sa promptill1de accou-
tllmée, ii commen<;;a l'opération avant le jour.
Joubert avaít été obiigé de se résserrer potlr
n'occuper qu'une étendue proportionnée a ses
fbrces; et il était a craindre que l'infanterie des-
cendant les degrés du . Monte-Baldo , ne vint
faite sa jonction avec la tete de la colonne gra-
vissant par Incanale. Bonaparte, bíen avant le
jOlll', <lonna l'éveil auxtroupes de Joubert,
qui, apres quarante-huit heures de combat,
prenaient un peu de reposo n fit attaquer les
postes avancé s de l'infanterie autrichienne,
les replia, et s'étendit plus largement sur le
plateau. .


L'actÍon devint extremement vive. I..'infante-
ríe autrichienne, sans canon s , plia ctevant la
nótl'e, qui était armée de sa formidable artil-
lerie, et recula en demi - cercle vers l'amphi-
théatre dn Monte-Baldo. Mais un événement
f:icheux arrive dans l'instant a notre gauche.
Le corps de Liptay, qui tenait I'extrémité dl1
demi-cercle ennemi, dOlllle sur la gauche de
Joubert, composée des quatre-vingt-neuvieme
el vingt-cinquieme demi-brigades, les surprend,
les rompt, et les oblige a se retirer en désor-
dre. La quatorzieme, venant immédiatemellt




DIRECTOIRE (. 797).
apres ces dcux demi-brjgades, se forme en
crochet pour couvrir le reste de la ligne, et
résiste avec un admirable courage. Les Autri-
chieos se réunissent contre elle, et sont pres
de l'accabler. lis veulent surtout luí enlever ses
canoos, dont les chevaux ont été tués. Déja
ils arrivent sur les pieces, lorsqu'un officier
s'écrie : « Grenadiers de la quatorzieme, lais-
serez-vous enlever vos pieces?» Sur-Ie-champ
cinquante hommes s'élancent a la suite du
brave offióer, repoussent les AutrÍchiens, s'at-
tellent aux pieces, et les ramenent.


Bonaparte, voyant le danger, laisse Berthier
sur le point menacé, et part au galop pour
Rivoli, afin d'aIler chercher dll secours. Les
preuüeres troupes de Masséna arrivaient a
peine, apres avoir marché toufe la nuit. Bo-
na parte se saisít de la trente-deuxieme, deve-
uue fameuse par ses exploíts durant la campa-
gne, et la porte a la gauche, pour rallíer les
deux demi-brigades qui avaient plié. L'intré-
pide Masséna s'avance a sa tele, rallie derriere
luí les troupes rompues, et renverse tout ce
qui se présente a sa rencontrc. 11 repousse les
Antrichiens, et vicnt se placer a coté de la qua-
torzÍeme, qui n'avait cessé de faire des prodiges
de valeur. Le combat se trouve ainsi rétabli sur
ce point, et l'armée occupe le demÍ-cercle du


VIII, 34




530 JI ÉVOLliTION },'ltAN~AlSJ'.
plateau. Mais l'échec momelltané de la gauche
avaít oblígé J,Ouhert a se replier avec la droíte;
il cédait du terrain, et déja l'infanterie autri-
chienne se rapprochait une seconde fois du
point que Bonaparte avait mis tant d'intéret
a lui faire ahandonner; elle a11ait joindre le
débouché par lequel le chemi.n tournant d'ln-
canale ahoutissait sur le plateau. D:ms ce meme
instant, la colonne composee d'artillerie et de
cavalerie, et précédée de plusieurs hataillons
de grenadiers, gr·avissait le chemin tournant,
et, avec des efforts Íncroyables de bravoure,
en repoussait ]a trente-neuvieme. Vukasso-
vich, de l'autre rive de l' Adige, bo<;ait une
grele de boulets pour protéger cette espece
d'escalade. Déja les grenadiers avaient gravi le
sommet du défilé, et la cavalerie débonchait a
leur suite sur le plateau. Ce n'était pas tont:
la colonne de Lusignan, dont on avait vo au
loin les fellx, et qu'on avait aperl,;ue a la gau-
che toumant la position des Fraol,;ais, venait
se mettre sur leurs derrieres, intercepter la
route de V érone, et harrer le chemín a Rey,
qui arrivait de Castel-Novo avec la division de
réserve. Déja les soldats de Lllsignan, se voyant
sur les derrieres de l'armée fran<;:aise, hattaient
des mains, et la croyaient prise. Ainsi sur ce
plateau, serré de front par un demi-cercle d'in.




DJRl<:CTOJRE (J 797). 531
fanterÍe, tourné a gauche par une forte co-
lonne, escaladé a droite par le gros de l'armée
autrichienlle, et lahouré par les boulets quí
partaient de la rÍve opposée de l' Adige sur ce
platean, Bonaparte était ¡solé avec les seules
divisions Joubert et Masséna, au milieu d'une
nuée d'ennemis. Il étaít avec seize mille hom-
mes, enveloppé par quurante au mojns.


Dans ce moment si redoutable, iI n'est pas
ébranlé. Il conserve toute la chaleur et toute
la promptitude de l'inspiratíon. En voyant les
Alltrichiens de Lusígnan, il dit : Ceux-la sont
ti /lOUS, et il les laisse s'engager sans s'inquié.
ter de lcur mouvement. Les soldats, devinant
¡eur général, partagent sa confiance, et se di-
sent aussi : lis sont ti nous.


Dans cet instant, Bonaparte ne s'occupe que
de ce qui se passe clevant lui. Sa gauche est
couverte par l'hérolsme de la quatorzieme et
de la trente-deuxieme; sa droite est menacée
a la fois par l'infanteríe qui a repris l'offen-
sive, et par la coloIlue qui escalade le plateau.
Il ordonne sur-Ie-champ des mouvements dé·
cisifs. Une batterie d'artillerie légere, deux es-
cadrons, sons deux braves ofliciers, I~eclerc et
Lasalle, sont dirigés sur le déhouché envahi.
Joubert, qui, avec l' extreme <Imite, avait ce
débollché a dos, fait volte-filce ave e un corps


34·




532 llEVOLllTJON FRAN~AlSE.
d'infanterie légere. Tous chargent a la fois.
L'artiJ1erie mitraille d'aborcl tout ce qui a dé-
bouché; la cavalerie et l'infanterie légere char-
gent ensuite avec vigueur. Joubert a son che-
val tué; il se releve plus terrible, et s' élance
sur l'ennemi un fusil a la maín. Tout ce qui a
débouehé, grenadiers, ca valerie , artillerie,
tout est précipité pele-mele dan s l'escalier tour-
nant d'Incanale. Un clésordre horrible s'y ré-
pand; quelques pieces, plongeallt dans le dé-
filé , Y augmentent l'épouvante et la confu-
sion. Achaque pas on tue, on fait des pri-
sonniers. Apres avoir déJivré le plateau des
assaillants qui l'avaient escala dé , Bonaparte
reporte ses eoups sur l'infanterie, qui était
rangée en demi-cercle devant lui, et jette sur
elle Joubert avec l'infanteric légere, Lasalle
avec deux eents hussards. A eette nouvelle at-
taque, l'épouvante se répand dans eette in-
fanterie, privée maintenant de tout espoir de
jonetion; elle fuit en désordre. Alors toute
notre ligne demi-cireulaire s'ébranle de la
droite a la gauche, jette les Autrichiens con-
tre l'amphithéatre du Monte-Baldo, et les pour-
suít a outrance dans les montagnes. Bonaparte
se ·reporte ensuite sur ses derrieres, et vient
réaliser sa prédiction sur le eorps de I.usignan.
Ce corps, en voyant les clésastres de I'armée




DIREGTOIRE (1797). 533
autríchíenne, s'aper~oit bientot de son sort.
Bonaparte, apres l'avoir milraillé, ordonné a
la dix-huitieme et a la soixante-quillZieme de-
mi-brigades de le charger. Ces braves demi-
brigades s'ébranlent en entonnant le chane du
départ, et poussent Lusignan sur la route de
V érone, par laquelle arrivait Rey avec la divi-
sion de réserve. Le corps autrichien résiste
d'abord, puis se retire, et vient donner con-
tre la tete de la division Rey. Épouvanté a
eette vue, il invoque la clémence du vain-
queur, et met bas les armes, au nombre de
quatre mille soldats. On en avait pris déja deux
mille dans le défilé de l'Adige.


Il était cinq heures, et on peut di re que
l'armée autrichienne était anéantie. Lusignan
était pris; l'infanterie, qui était venue par les
montagnes, fuyait a travers des roehers af-
freux; la eolonne prineipale était engouffrée
sur le bord du fleuve; le eorps accessoire de
Vukassovich assistait inutilement a ce désastre,
séparé par l'Adíge du champ de bataille. Cette
admjrable victoire n'étourdit point la pensée
de BOl1<lparte; il songe au Bas - Adige qu'il a
laissé menacé; il juge que JOllbert, avec sa
brave division, et Rey avec la divisiou de ré-
serve, sufIiront pour por ter les derniers coups
a l' ennemi, et ponr lui enlever des milliers de




534 llÉVOLUTION FJlANyAlSE.
prisonniers. n" rallie la division Masséna, qui
s'était battue le jour précédent a v érone, qui
avait ensuite marché toute la nuit, s'était battue
tout lejourdu '25(r4),et il part avec elle pour
marcherencore toute la uuit qui vasuivre, et yO'
ler a de nouveaux combats. Ces braves soldats, le
visage joyeux, et comptant sur de nouvelles vic-
toires, semblent ne pas sentir les fatigues. Ils vo-
lent plutot qu'ils ne marchent pour aller couvrir
Mantoue, dont quatorze lieues les séparent.


Bonaparte apprend en route ce qui s'est
passé sur le Bas-Adige. Provera, se dérobant a
Augereau, a jeté un pont a Anghuiari, un pel1
au-dessus de Legnago; il a laissé HoenzoJern
au-deHt de l'Adige, et a marché sur Mantoue
avec neuf ou dix mille hommes. Augereau,
averti trop tard, s'est jeté cependant a sa suite,
I'a pris en queue, et lui a fait deux mili e pri-
sonniers. Mais avec sept a huit mille soldats,
Provera marche sur l\lantoue pour se joindre
a la garnison. BOllaparte apprcnd ces détails
a Castel-Novo. Il craint que la garnison avertie
ne sorte pour donner la maill uu corps quí
arrive, et ne prenne le corps de blocus entre
deux feux. Il a marché toute la Huit du '25
an '26 (14-15) avec la divisioll Masséna, il la
fait marcher encore tout le jour du '26 ( 15),
pour qu'elle arrive le SOll' !levant Mantoue, Il




DIRECTOIHE (J 797)' 535
y dirige en outre les réserves qu'jl avait lais-
sées intermédiairement a Villa-Franca, et y vol e
de sa personne pour y faire ses dispositions.


Ce jOllr meme dll 26 (15), Provera était
arrivé devant Mantoue. Il se présente au fall-
hourg de Saint-George, dans lequel était placé
MioUis avec tout au plus quinze cents hommes.
Pro'Vera le somme de se rendre. Le brave Miol·
lis lui répond a coups de canon. Pro vera , re~
poussé, se porte du coté de la citadelle, espé-
rant une sortie de Wurmser; mais iI trouv\':
Serrurier devant luí. Il s'arrete au palais de la
F'avorite, entre Saint-Georgc et la citadelle, el
lance une barque a travers le lac, pour faire
dire a Wurmser de déboucher de la place le
lendemain matin. Bonaparte arrive dans la soi-
rée, dispose A ugereau sur les derrieres de
Provera, Victor et Masséna sur ses flanes, de
maniere a le séparer de la citadelle par laquelle
Wurmser doit essayer de déboucher. Il oppose
Serrurier a Wurmser. Le lendemain 27 ni-
vose (16 janvier) a la pointe du jour, la bataille
s'engage. Wurmser débouche de la place, et
attaque Serrurier avec fnrie; ce]ui·ci lui résiste
avec une bravoure égale , et le contient le long
des lignes de circonvallation. Víctor, a la tet<~
de la cinquante - septieme, quí dan s ce jom:
re({ut le IlO!IJ de la 'l'arihle, s'élance SUl"'Pro-




536 .aÉ'OLUl'JON J:Jl.AN9AI5E.
vera, et renverse tout ce qui se présente de-
vant lui. Apres un combat opiniatre, Wurmser
est rejeté dans Mantoue. Pmvera, traqué
comme un eerf, enveloppé par Victor, Mas-
séna, Augereau, inquiété par une sortie de
Miollis, met has les armes avec six mili e bom-
mes. Les jeunes volontaires de Vienne en font
partie. Apres une défense honorable, ils ren-
dent leurs armes, et le drapeau brodé par les
mains de l'impératrice.


Tel fut le dernier acte de eette immortelle
opération, jugée par les mjlitaires une des plus
belIeset des plus extraordillaires dont l'histoire
fasse mention. On apprit que Joubert, pO<Jrsui-
vant Alvinzy, lui avait enlevé encore sept mille
prisonniers. On en avait pris six, le jour meme
de la bataille de Rivoli, ce qui faisait treize;
Augereau en avait fait deux mille; Provera en
livrait six mille; on en avait recueilli mille de·
vant Vérone, et encore quelques celltaines
ailleurs; ce qui portait le nombre, en tmis
jours, a vingt-deux ou vingt-trois mille. La di-
visjon Masséna avait marché et combattn sans
reltlche, depuis quatre journées, marchant la
nuit, combattant le jour. Aussi Bonaparte écri-
valt-il avec orgucil que ses soldats avaient sur-
passé la rapidité tant vantée des légions de
César. On cornprend pourquoi il attacha plus




)JlRECTOIRI, (1797)'
tard au nom de Masséna celui de Rivoli. L'ac-
tion dU25 (14 janvier) s'appela bataille de Ri-
voli, ce He du 27 (16), devant Mantoue, s'ap-
pela de ]a Favorite.


Ainsi, en trois jours encore, Bonaparte avait
pris ou tué une moitié de l'armée ennemie, et
l'avait comme fl'appée d'lln coup de foudre.
L' Autriche avait fait son dernier efIort, et maín-
tenant I'Italie était a nons. Wurmser, rejeté dans
l\fantolle, étaít sans espoir; il avait mangé tous
ses chevaux, et les maladies se joignaient a la
famine pour détruire sa garnison. Une plus
longue résistance eút été inutile et contraire a
l'humanité. Le vieux maréchal avait fait preuve
d'un noble courage et d'llne rare opiniatreté,
il pouvait songer a se rendre. n envoya un de
ses officiers a Serrurier pour parlementer; c'é-
tait Klenau. Serrurier en référa au général en
chef, qui se rendít a la conférence. Bonaparte,
enveloppé daus son mantean 1 etne se faisant
pas connaitre, écouta les pourparlers entre
Klenau et Serrurier. L'officier autrichien dis-
sertait longuement sur les ressources quí res-
taient a son géuéral. et assurait qn'il avait en-
core pour trois mois de vivres. Bonaparte,
toujours enveloppé, s'approche de ]a taLle au-
pres de Iaquelle avait líeu cette conférence,
saisit le papier sur lequel étaient écrites les




538 RÉVOLUTION FnAN~AISE.
propositions de Wurmser, et se met a tI'acel'
quelques lignes sur les ntarges, sans mot dire,
eL au grand étonnement de Klenau, qui ne
comprenait pas l'action de l'inconnu. Puis se
levant et se déeouvrant,Bonaparte s'approche
de Klenau : « Tenez, lui dit-il, voila les COIl-
(( ditions que j'accorde a votre maréchal. S'il
( avait seulement pOUl' quinzc jours de vivres,
« et qu'il parlat de se reudre, iI ne mériterait
« aueune capituIation honorahle. Pllisqu'iI vous
« envoie, c'est qll'il est réduit a l'extrémité. Je
«( respecte son age, sa bravoure et ses mal-
« heurs. Portez-Iui les conditions que je lni
« accordc; qu'iI sorte de la place demain, daus
( un mois ou dans si~, il n'aura des conditiolls
(( ni meilleures, ni pires. n peut rester tant
( qu'il conviendra a son honneur. »


A ce langage, a ce ton, Klenau reconnul
l'illustre capitaine, et courut porter a Wurm-
ser les conditions qu'illui avait faítes.· Le viéux
maréehal fut pleín de reconnaissance, en voyanl
la générosité dont usait envers lui son jeune
adversaire. Il lui accordait la permission de
sortit, librement de la place avec tout son état-
major; il lui accordait meme deux cents cava-
liel's, cinq cents hommes a son choix, et six
pieces de canon, ponr que sa sortie flit lllOillS
humiliante. La garnison dut etre cOlHluite ~j




DJRECTOIllE (1797)' 539
Tries te , pOllr y etre échangée contre des pri-
sonniers fran«;;ais. W urmser se bata d'accepter
ces conditions; et pour témoigner sa gratitude
au général fran«;;ais, iI l'instruisit d'un projet
d'empoisonnement tramé contre lui dans les
États du pape. Il dut sortir de Mantoue le 14
pluvióse (~ février). Sa cOIlsolation, en quit-
tant Mantoue, était de remettre son épée an
vainqueur lui-meme; mais il ne trouva que le
brave Serrurier, devant lequel il fut obligé de
défiler avec tout son état-major; Bonaparte
était déja parti pour la Romagne, pour aller
chatier le pape et punir le Vaticano Sa vanité,
aussi profollde que son génie, avait calculé
autrement que les vanités vulgaires : il aimait
mieux etre absent que présent sur le lieu du
triomphe.


Muntoue renaue, l'Italie était définitivement
conquise, et cette campagne terminée.


Quand on en considere l'ensemble, l'imagi-
nation est saisie par la multitude des batail-
les, la fécondité des conceptioilS et l'immen·
sité des résultats. Entré en halie avec trente
et quelq lles mille hommes, Bonaparte sépare
d'abord les Piémontais des Autrichiens a Mon-
tenote el Mil/esimo, acheve de détruire les
premicrs a MOllc1ovi, ¡mis COllrt apres les se-
conds, passe dcvant j'UX le Pó a Plaisance,




540 lLÉVULUTJON FRAN~AISL
l'Adda a Lodi, s'empare de la Lombardie, s'y
arrete un instant, se remet bientot en marche,
trouve les Autrichiens renforcés sur le Mincio,
et acheve de les détruire 11 la bataille de Bor-
ghetto. La, iI saisit d'un eoup d'reil le plan de
ses opérations futures : c'est sur l' Adige qu'il
doit s'établir, pour faire front aux Autrichiens;
quant aux princes quí sont sur ses derrieres,
il se contentera de les contenir par des uégo-
ciations et des menaces. On lui envoie une
seconde armée sous Wurmser; il ne peut la
haUre qu'en se concentrant rapidement, et en
frappant alternativement chacune de ses mas-
ses isolées; en homme résolu, iI saerifie le blo-
eus de Mantoue, écrase Wurmser a Lonato,
Castiglione, et le rejette dans le Tyrol. Wurm-
ser est renforcé de nouveau, eomme l'avait été
Beaulieu; Bonaparte le prévient dans le Tyrol,
remonte l'Adíge, culbute tout devant lui a Ro-
ve red o ,se jette a travers la vallée de la Brenta ,
coupe Wurmserqui eroyaitle couper luí-meme,
le terrasse a Bassano, et l'enferme daos Man~
toue. e'est la seconde armée autrichienne dé-
truite apres avoir été renforcée.


Bonaparte, toujours négociant, menac;;ant
des bords de I'Adige, attend la troisieme ar-
mée. Elle est formidable; elle arrive avant
qu'il ait re ({U des renforts, iI est forcé de cé-




DlRECTOIRE (J797)'
der devant elle, il est réduit au désespoir, iI
va succomber, Jorsqu'il trouve, au milieu d'un
marais impraticable, deux lignes débouchallt
dans les flanes de l' ennemi, et s'y jette avec
une incroyable audace. II est vainqueur encore
a Arcole. Mais l'ennemi est arreté, et n'est pas
détruit; il revient une derniere foís, et plus
puissant que les premieres. D'une part, il des-
cend des montagnes; de l'autre, ii longe le
Bas-Adige. Bonaparte découvre le seul point
ou les colonnes autrichiennes, circulant dans
un pays montagneux, peuvent se réunir, s'é-
lance sur le célebre plateau de Rivoli, et, de
ce plateau, foudroie la principale armée d' Al-
vinzy; puis, reprenant son vol vers le Bas-
Adige, enveloppe tout entiere la colonne qui
l'avait franchi. Sa oerniere opération est la plus
belle, car iei, le bonheur est uní au génie.
Ainsi, en díx moís, outre l'armée piémontaise,
trois armées formidables, trois foís renforcées,
avaient été détruites par une armée qui, forte
de trente et queiques mille hommes a l'en-
trée de la campagne, n'en avaít guere rec;u
que vingt pour réparer ses pertes. Ainsi, cin-
quante-cinq mille Franc;ais avaient battu plus
de deux eent miIle Autrichiens, en avaient
pris plus de quatre-víngt mille, tué ou blessé
plns de vingt mille; ils avaient livré douze ha-




542 nÉVOLUTION FRANC;;AISll.
taíIles rangées, plus de soixante combats, passé
plusieurs fleuves, en bravant les flots et les
feux ennemis. Quand la guerre est une routine
purement mécanique, consistant a pousser et
a tuer l'ennemi qu'on a devant soí, elle est
peu digne de l'histoire; mais quand une de
ces rencontres se présente, ou l'on voit une
masse d'hommes mue par une seule et vaste
pensé e , qui se développe an milieu des éclats
de la foudre avec autant de netteté que ceHe
d'un N ewton ou d'nn Descartes dans le silencc
du cabinet, alors le spectacle est digne du
philosophe, autan!: que de l'homme d'état et
<Iu militaire : et, si ceUe identification de la
multitude avec un seul individu, <fui produit
la force a son plns haut degré, sert a proté-
ger, a défendre une noble cause, ceHe de la
liberté, alors la scene devient anssi mOl'ale
qn'elle est grande.


Bonaparte conrait maintenant a de nouveaux
projets; iI se dirigeait vers Rome, pour termi-
ner les tracasseries de cette cour de pretres,
et pour revenir, non plus sur l' Adige, mais
sur Vienne. Il avait, par ses succes, ramené la
guerre sur son véritable théatre, ceIui de l'I-
talie, d'ou l'on pouvait fondre sur les états
héréditaires de l'empereur. Le gouvernement,
pclairé par ses f'xp]oits Ini envoyait des ren-




543
JiJrts, avcc lcsquels il pouvaít aller a Vienne
dicter une paix glorieuse , an nom de la répu-
hliqne fran~aise. La fin de la campagne avaít
relevé toutes les. espérances que son commen-
cernent avait fait naltre.


Les triomphes de Rivoli mirent le comble a
la joie des patriotes. On parlait de tous cotés
de ces vingt-deux mille prísonniers, et on c.ltaiL
le témoignage des autorités de Milan, quí les
avaient passés en revue, et qui en avaient cer-
tifié le nombre, pour répondre a tous les doutes
de la malveíllance. La reddition de Mantoue
vint mettre le comble a la satisfaction. Des cet
instant, on crut la conquetc de I'Italie défi-
nitive. Le cOllrrier qui portait ces nouvelles
arriva le soir a Paris. On assembla sur-Ie-
champ la garnison, et on les publia a la
lueur des torches, an son des fanfares, au
milieu des cris de joie de tous les Fran<,;ais at-
taché s a leur pays. Jours a jamais célebres
et a jamais regrettables pour nous! A quelle
époqne notre patrie fut - elle plus belle et
plus grande! Les orages de la révoJution pa-
raissaient calmés; les murmures des partís
retentissaient comme les derniers bruits de la
tempete. On regardaít ces restes d'agitation
eomme la vie d'un état libre. Le commerce et
les finances sortaient d'l1ne el'ise épouvantable;




5!¡4 H~VaLUTJON FRAN~AJSE.
le sol entier, restÍtué a des mains industrien-
ses, allait etre fécondé. Un gouvernement
compasé de bonrgeois, nos égaux, régissait la
république avec modération; les meilleurs
étaient appelés a lenr succéder. TOlltes les voix
étaient libres. La France, au combIe de la
puissance, était maitresse de tout le sol qui
s'étend du Rhin aux Pyrénées , de la mer aux
Alpes. La Hollande, I'Espagne aIlaient unir
leurs vaisseaux aux siens, et attaquer de eon-
cert le despotisme maritime. Elle était resplen-
dissante d'une gIoire immorteJle. D'admirables
armées faisaient flotter ses trois cOllleurs a la
face des roís q ui avaíent voulu l'anéalltir. Vingt
héros, divers de caractere et de talent, pareils
seulement par l'age et le courage, condui-
saient ses soldats a la victoire. Hoche, K.léber,
Desaix, Moreau, Joubert, Masséna, Bonaparte,
et une foule d'au tres encore , s'avan<;aient en-
semble. On pesait leurs mérites divers; mais
aueun reíl encore, si per<;ant qu'il put etre, ne
voyait dans eette génération de héros les mal-
heureux ou les eoupables; aucun reil ne
voyaitcellli qui allait expirer a la fIeur de l'age,
atteint d'un mal inconnu, eelui qui mOllrrait
sous le poignard musulman, ou sous le fen
ennemi, celllí qlli opprimerait la liberté, eelui
qui trahirait sa patrie: tons paraissaient grands,




nIRECTOIRE (1797). 545
¡mrs, heureux, plcins d'avenir! Ce !le fut la
qu'un moment; mais iI n'y a que des moments
dans la vie des peuplcs, eomme dans eeHe des
individus. Nous allions retrouver l'opulence
avee le repos; quant a la liberté et a la gloire,
nous les avions 1. .•. « Il faut, a dit un aneien ,
« que la patrie soit llon-seulcment heureuse,
« mais suffisamment gIorieuse. » Ce vreu était
aceompli. Fran<;ais, qui avons vu depuis notre
liberté étouffée, notre patrie envahie, nos hé-
ros fusillés ou infideles a leur gloire , n'oublions
jamais ces jours immortels de liberté, de gran-
deur, et d'espérance!


FIN DU TOME HUITIEME.


VIII. 35






_________ .JP;;,~~.tJ'.


TABl.E
J) ES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME HUITIEME.


CHAPITRE l.
Menées du partí royaliste dalls les sections. - Rentrée des


émigrés. - Persécution des patriotes. - Constitutioll
directoriale, dite de l'an IlI,et.décrets des 5 et 13 fruc-
tidol'. - Acceptatiol1 de la constitutÍon el des décl'ets
par les assemblées primaires d~ la France, - Révolte
des sections de París contre les décrets de fr.uctidor et
contre la convention. Journée du 13 vendémiaire; dé-
faite des sections insUl'gécs. -Clóture de la convention
nationale.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1


CHAPITRE 11.
Nomination des cinq directeurs. - Installation du corps


législatif el du dil'ectoire. - Position difficile du.nou-
veau gonvernemellt. Détresse des. finances; discrédit du
p:lpier-monnaie. _ Premiers travaux du direcl9.ire. -
Perte des lignes de Mayence. - Reprise des hostilités
~ll Bretagne et en Vendée.Approche d'une nouvelle es-




TABLE DES CHAPITRES.


cadrc auglaise sur les cotes de rOnest. - Plan de
finan ces pro posé par le directoire; nouvel emprllnt
forcé. - Condamnatión dt qUe!<}lIes agcnts royalistes.
- La filie de Louis XVI est rendne aux AutrichicllS, en
échange des représelltants livrés par DUIIIOllriez. - Si-
tllation des partís a la fin d~ 1795.""- Armistice conclu
sur le Rhin. - Opérations de J'armée d'Italie. Bataillc
de Loano. - Expéditioll de l'Ile-Dieu. Départ de l'es-
cadre a~glaise. Derniel's efforts de Charetle; 'mesures
du gélléral Hoche ponI' op¡(reI' la paei!ication de la Ven·
dée. - Résultats de la campagne de 1795....... 73


CHAPITRE 111.
Continnatíon des travaux administratifs du dírectoíre.-


Les partís se pl'Ononcent dans le seín du eorps-législa-
tifo _ Institution d'une [éte annive¡'saire du 21 jilll vier.
--l\etdir-dC"l'ex4litristl'e de la guerre Beurnonville et
des' repiéseDtants Qoinctte ,cai.rt~; :&Ineal, Lá'ft'larque
et Drouet, livrés a l'enneini opa'!' D\1.motlI'iez. -'--- Mé-
coritcntemeut des jacobins. J oUrDal de fiabreuf. --
InsfÍllution, du ministere de la pmice. - NouveUes
mreurs. - EUlbarras iinanciers; création des m:mdats.
- Conspiration de Babreuf. _ Situation milit.¡ire.
Plans du diI'ectoire. - Pacificarion de la Vendée; 1110rt
de StoffIet ef de Charette ..... , ..........•.. 161


CHAPltl\E IV.
'Campagne 'de 1796. Confluctc dll Piémout et de la Lom-


bardie palo le gérléral Bonaparte. Bat:¡illes de Montc-
no'tte, Millesi·mo. Passage du pont de Lodi. - Établis-
,setnen't et politique des franc;ais en ltalie.-Opéraliolls
'~ihii.l'es' d'ñns le Nord. Passage du Rhin par l~'s géll('~-




'l'ABLE DES CHAPITlU::S. 5,í9
l'aux Jourdan eLJVlº!~au. Bataillcs de Radstadt et
d'Ettlingcn. - L'al'mée d'Italie pl'end ses positions Slll'
l'Adige et sur le Danube .•.....•...•.••..•... :123


CHAPITRE V.
Etat intérieul' de la France vers le milieu de l'année 1796


an IV. - Embarras financiers du gouvernement. Chute
des maÍldats et du papier-monnaie.-Attaque du camp
de Grenellc par les jacobins. - Renouvellement du
pacte de famille avec l'Espagne, et projet de quadruple
alliance. - Projet d'une expédition en Irlande. - Né-
gociations en Italie. - Continuation des hostilités; 31'-
rivée de WlIrmser sur l'Adige; vietoires de Lonato et
de Castiglione. - Opérations sur le Danube; bataille
de Neresheim; marche de l'archiduc Charles contre
Jourdan. - Marche de Bonaparte Sl1l' la Brenta; ha-
tailles de Roveredo, Bassano et Saint-George; retraite
de Wurmser dans Mantouj¡.p~etour de Jourdan sur
le Mein; bataille dI< '~ti}1m61~; retraitc de Mo-


• • " .• "., ¡. , • t:
real! ...... , , ... " ....... 1:; .. "1, .. :.'_ .•••••.•••• 33:1


..


CRAPITRE'h~.
Sitllation intérieure'tlt e~térieure~l:e la France apres la re-


traite des armées· ,d'AlIemagnc aú commencement de
I'an V. - COIllbin~'isoIls de Pitt; ouverture d'une né-
gociation avec le direetoire; arr:vée de lord Malmes-
hury 1\ París. - Paix avec Naples et avec Genes; négo-
ciations in(rllctueuses avec le pape; déchéance dll duc
de Modene; fondation de la républiqlle cispadane. -
Mission de Clarke it Vienne. - NOllveaux efforts de
I'AlItriche en Italie; arrivée d'Alvinzy; extremes dau-
gcrs ele l'armée fran~aise; bataille d'Arcolc .... " 431


-----




1)50 TABLE DES CHAI'ITRES.


(:HAPITRE VII.
Clarke au quartier-général de l'armée d'Italie. -Ruptllre


des négociations avec le cahinet anglais. Départ de Mal-
mesbury. - Expédition d'Irlande. - Travaux admi-
lIistratifs du directoire dans l'hiver de ¡'1m V. État des
tinances. Recettes et dépenses. -Capitulatioll de Kehl.
- Derniere tentative de I'Autriche sur l'ltalie. Vic-
toires de Rivoli et de la Favorite; prise de Mantoue.-
Fin de la mémorable campagne de 1796.. . • . . . .. 487


FIN DE LA. TABLE.