HISTOIRE PARLEMENTAIRE e, ~ ~ ..,?, ~. ", DE FRANCE CHEZ LES MEMES...
}

HISTOIRE


PARLEMENTAIRE e, ~ ~ ..,?, ~. ",
DE FRANCE




CHEZ LES MEMES ÉDITEURS:


MEMOIRES pour servir a l'histoire de mon temps, par M. GlIizol.-
2' édition. Tomes 1 a V.5 vol.


L'EGLISE ET LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNES en 1861, llar M. Guizot.
3. édition. 1 vol.


TROIS ROIS, TROlS PEUPLES ET TROIS Snl:CLES, par M. Gnizot.
(sous presse). 1 vol.


WILLIAM l'ITT ET SON TEMPS, par lord Stanhope, traduction pré-
cédée d'nne .introdnction par M: Guizot. 4 vol.


HISTOlRE DE LA FONDATJON ~ LA RÉPUBLIQUE DES PRO-
VINCES-UNIES, par J. Lothrop Motley, traduotion nonvelle, précédée
d'une grande introduction, -1'Espagne. et les Pays-Bas anx XVI" el
XIX' siecles, par M. Guizot.- 4 vol.


LA CRINE ET LE JAPON: mission du comte d'Elgin pendant les années
1857, 1858 et 1859; racontée par Laurence Oliphant. Traduction non-
velle, précédée d'nne introduction par M. Guízot. 2 vol .


.. ~


PARIS. -IMPRIMÉ CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOlS,
55, QUAI DES AUGUSTINS.




Gomplémenl des Mémoires pour servir a l'Hisloire de mon Temps


HISTOIRE


PARLEMENl~AIRE
DE FRANCE


RECUEIL COMPLET


DES DISCüUHS PRONO;-'¡Cl:;S DANS LES CHAMBRES DE 1819 A 1848


PAR


M. G U 1 ZO T


TOME PREMIER


• -i:~),: fJE -:(- )
..,:;- ~.


PARIS


MICHEL LÉVY FRERES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIllNNE, 2 BIS, ],1' DOULEVARD DES I1'ALIEN~, 15


A LA UBRAIRIE NOUVELLE


1863
Tous droits réservés






IN1'RODua TION


TROIS GÉNÉRATIONS


1789-1814-1848.


Les amis de la liberté poli tique sont tristes,
et les raisons ne manquent pas a leur tristesse.
Peut-étt'e m' est-il permis de dire que j' aurais ,
plus que personne, quelque droit de m'y aban-
donner. Je suis tombé avec les institutions et
le régime que nous regardions comme le térnoi-
gnage et le gag e de la liberté poli tique. Mais
en trouvan t la tristesse Jégi time, je la trouve
excessive et injuste envers notre temps el notre
patrie. Je ne erois pas que la Franee ait renoneé
a aucune de ses généreuses ambitions, ni qu'elle


a




1 ~Ti{Ol)tJCTlü".


ait perdu tout moyen de les satÍsfaire. J'ai con-
fiance clan s l'avenir de mon pays el de la liberté
politique dans mon pays.


Je ne me fais point d'illusion. Parmi les amis
de la liberté politique, beaucoup sont découragés,
et ne recommenceraient pas volontiers des efforts
eL des luLtes dont ils n'espr¡'cnt plus la victoire.
D'autres ont reporté sur le réglme impérial
leurs espérullces, et s'en. promettent, clans l'a-
venir, les satisfactions libérales q~'ils croient
nécessail'cs OH possibles. Le puhlic assisle, avec
une indifférence sceptique, aux regrets languis-
sants de~ uns et aux lointaines espérances des
aulres, uniqllemenL préoccl1pé des intéréls de
la \'ie civile et de son repos apres tant J'ol'ages.


A cet état des partis el des esprits se joigne-nt
deux idées qlli lIe sont pas llouvelles, mais qu' OIl
travaille plus activement que jarnais a accréditer.
00 dit qu'apres tont, e'es! la Révolution fratl-
¡¡aise, ce sont ses príncipes et ses intérCts généraux
qui triomphent aujourd'hui, et que ce triomphe im-
porte bien plus a la France que eelui de la liberté
politiqueo On ajoute que, si la liberté soutTre]
l'égalilé tiC souffl'c point, et qll'enlre les conquétes




nI


de la HévolutiOll, la Franee tient bien plus a
l'égalité qu'a la liberté.


Se crois ces deux idées radicalement fausses el
fuuestes. le crois l'inditférence publique, en faít
de liberté, plus apparente que réelle et essen-
tiellement transitoire. Je, croís les amis de la
liberté politique appelés a reprendre, daos lepays
el dans S011 gouvernement, leur influence, el par
consé-quent tcnus de ne pas se livrer a un décbura-
gement naturel_, mais non légitime.


Ni les considérations morales, ni les exemples
histol'iques ne me manqueraient pour les ras-
surer el les ranimer. Quelle est, dans la vie des
pel1ples, la grande cause qui n'a pas éprouvé de
cruels revers, passé par de tristes alternatives et
mis des siecles a triompher? Dieu vend cher ame
hornmes le progl't:~s et le sucees. L' Angleten'e et
]es États-Unis d' Amél'iquc sont, dans les temps
model'nes et chrétieml, les dellx nations qui out le
plus fortemenl conqllis et possédé la liberté politi-
que. Que n' en' a-t-il pas coulé a l' Angleterre?
Que de ré\'olllllotls et de réactions! Que de lemps,
de sang et de travaill Quelles phases tle lassi-
hule el de corruption! Et oll en est alljomd'hui,




IV INTRODUCTIOl\' .


Ol! en sera demain la grande République améri-
caine? Qui sait quel jour et aquel prix elle
recouvrera sa paix etsa prospéríté? Qui.sait si elle
revivra? L' Ang\eterre aurait-e\le dti, pour s' épar-
gner tant d' efforts et d' épreuves, renoncer a la
liberté poli tique ? Et l' Awérique de Washington
et de Franklin doit-elle désespérer d'elle-méme
paree que son gouverllement se trouve trop mal
constítué et trop raíble pour les questiolls qti.'il a
a résoud,'e? A coup sur, ni l'un ni l'autre de ces
grands pellples 11' est disposé a croire la liberté
politique trop cherement achetée par les souf-
frances et les sacrifices qu'elIe leur a imposés'oll
qu'elle pourra Ieur imposer. Mais je laisse la l'An-
gleterre et l' Amérique; je sais le peu d' empire
qu' ont, en pareille affaire, des corisidérations .gé-
nérales el des exemples étrangers; c' esl dans
notre France méme, dans notre propre hisloire el
dans notre histoire contemporaine, que je veux
chercher et que je trouvemes raisons de. fidélité
active a la liberté politique et de' confiance dans
son avenir parmi nous.


Depuis trois quarts de siecle, trois générations,
1789, 1814 el 1848, ont possédé politiquement la




TROIS GÉNÉRATIO~S. v


France el rail ses destinécs. Les deux premieres
ont terminé leur course; la lroísieme commence
la sienne. Je veux les interroger tontes trois; je
veux savoir aveC préGision ce qu'elles ont pensé,
ce qu'elles ont désiré, ce qu'elles ont raít, et cher-
cher, dan s leur ame et dans leur histoire, le sens
des événements contemporains et l'avenir polití-
que de la France.




1


1789-1814.


Le caractere dominant, le grand caractere de
1789, c'est l'llnanimité dans l'élan national: non
pas certes l'llnanimité des opinions, mais celle
des désirs et des espérances a travers la diver-
gence des opinions. 00 ne pOllt parcourir les
cahiers des tl'ois Ordres convoqués aux États
Généraux qui devinrent l' Assemblée constitnante
sans étre frappé de l'unité de sentimcnt et -de
mouvement qui anime ces clusses si diverses el si
'pn'_'s d' entrer en llltte. PUl' lcurs situations, leurs
habitudes, lellrs préjugés, lellrs gOllts, elles diffe-
rent essentiellement; mais le méme feu les
échaufie-, le méme ven t les emporle; l' esprit de
réforme et de progres possede la France tout
enliere.




'l'lWIS GI:;NERATIONS. vu


Quelle était, a ecUe époqne, }'ambition supréme
de ceUe France encore si varié e et si incohérente,
malgré son travail, depuis bien des siécles, pour
atteindre a l'unité nationale? Aquel but définilif
et commun aspiraient ceUe nobJesse, ce clergé,
ce tiers-état, tout ce peuple encore si peu accou-
turné a márcber ensemble? L' éq uité dans l' ord1'6
social el la liberté dan s l'ordre politique, le re8~
pect des droils personnels de tout hornme et l'ac-
tion efficace de la nation dans ses affaires, une
sociétA juste et un gouvcrnement libre, c'est Ulle
vreu quí se trouve au fond de ions les vrnux, quí
s'éleve au-dessus de toutes les diversités de situa-
tion et d'opinion. C'était la le besoin passionné de
cette génération ardente et forte qui se précipita
dans son dessein comme un torrent longtemps
contenu et anlassé se précipite sur la pente de son
eours.


Ce n'était pas selllernent dans de¡¡¡ éerits, des
diseollrs, des instruetions, dans des manifestations
fugitives de la pellsée qu' éclataient ce rnouvement
général, eette tendance commune des esprits en
France avant la réunion des États G~néraux de
1. 789. Les actes venaient ayec les paroles; de




VIll ürTRODUCTION.


grands pas étaient déjit. faits vers la réforme sociale
et la liberté politiqueo Et ce n'étaient pas sellle-
ment quelques hommes supérieurs un moment
investis du pouvoir, Machault, Turgot, Males~
herbes, Necker, qui poussaient la France dans
cette voie; la nation elle-méme, toutes les classes
de la nation, le clergé et la noblesse comme le
tiers-état, les propriétaires des campagnes comrne
les habitaots des villes s'y engageaient activement
et ensemble. Qu'on lise l'excellent travail de
M. Léooce de Lavergne sur les Assemblées pro-
vinciales instituées par Louis XVI, de 1778 a
1787, daos les vingt-six provinces appelées pays
d'élection 1. Avec autant de sagacité libérale que
d'impartialité historique, ii a retracé, .le pourrais
dire ressusci~é ces assemblées aujo~rd'hui si ou-
bliées, leurs membres el leurs actes, les résultats
accomplis et les pl'ojets annoncés, les idées gé-
nérales el les mesures locales. On assiste la,
non-seulement 11 un grand travail de réforme
administl'ative, mais a l'empil'c efficace des prin-


i Ce travail a été inséré en 1861, 1862 et 1863 dans la Revue
des Deux-Mondes. Il sera bientilt complété et publié séparé-
mento




TROIS nÉNÉRATlOXS. IX


cipes de la justice sociale et de la libel'té politique,
le -respect de l' homme, l'élection, la discussiolJ, la
publicité, la responsabilité du pouvoir. Et ce n'esl
pas le tiers-état seul qui proclame ces principes
et réclame leurs conséquences; la noblesse et le
clergé, les grands seigneurs el les gentilshommes
de province les acceptent el les appliquenl comme
les. hourgeois. Saos doute 011 pressent, on ren-
contre déja les dissentiments, les appréhensions,
les hésitations, les lulles; mais le fail qui domine,
e' est évidemment, dans tous les rangs et a tous
les degrés de la société fran~aise, un désil' et
un effort communs pour faire pénétrer et pré-
valoir l'équité dans l'état social, la liberté dan s
le gouvernement.


La grande Assemblée nationale, l' Assemblée
Constituante, une fois réunie, offre un ~peclacle
bien moins unanime, bien plus agité que ces mo-
destes assemblées provinciales, et pourtant au fond
le méme. L'esprit de réforme et de liberté politi-
que, dom'inant dans le tiers-état, est la aussi, pré-
sent el puissant, dans la noblesse et le clergé.
La lulte s' engage entre l' ancien régime en déca-
den ce el le régime nouveau en espérance; mais,




x l\THOLJUUTlON.


au sein de cette lutte, le tiers-étal trollve, dans
la noblesse et le clergé fran9ais, des alliés éUli-
nents et sinceres. Des ecclésiastiques, des grands
seigneurs, des gentilshommes de vieille race pré-
tent a la bourgeoisie fran'iaise un généreux con-
cours, et assurent, des les premiers pas, sa victoire.
e'est une minorité de lavieille :France qui vient
en aide a la ·France nouvelle; mais c'est une
rninorité dont rappui moral et nurnérique est
décisif.


eeHe rninorité lihéralé de la noblesse et du
clergé fran9ais, en 1789, n'a pas seulernent
droit, par la générosité de ses sentiments et de ses
sacrifices, a toute l'estime et a loute la reconnais-
sanee de la' France lihérale; elle a donné, dana
le plus grand moment de notre hístoire~ le plus
grand f\xemple politique que puisse recevoir un
peuple qui veut étre libre, l'exemple du désinté-
ressement éclai~é et du dérouement au hien
publico


Nous avons eu, pendant des siécles, cé mau vais
sort que la noblesse fran9aise n'a pas compris ses
vrais intéréts, ni joué, dans l'État, son vrai rojeo
Soit influence de son origine, soit v<luité, soit Jéfaut




de lumieres el tI'espI'it politique, elle s'esl isolée
pour gurder SOll rang; 0He a mieux uimé res ter
une classe privilégiée que devenir la tNe d'une
natíon. Elle est tombée, envers la royauté, dans
une faute lout uussi grave; eHe a préféré, tantót
l'indépendance, tantOt la vie de cour, au partage
du pouvoir; les grands seigneurs ont aspiré a étre,
non les conseillers, mais tantót les rivaux, tuntOt
les servitcurs du roí; ei les gentilshommes, voués
uu service militaire, ont regardé le service poli-
tique comme une sorte Ile dérogeance; lieutenunls
ou comelles, ils se croyaient au-uesslls des COI1-
seillers d'Étal et des intcndanls. Ce mal u cnlrainé
un autre mal: la royauté entravée, harcelée, dé-
pouillée par la haute llohlesse, a recherché, contre
elle, l'appui de la bourgeoisie et du peuple; la
hourgeoisie et le peuple, pour s'affranchir du jOllg
arrogant de la l1oLlesse, ont recherché, a toul
prix, l'appui de la royauté. L'aristocratie n'a su
preodre sa place ni dans le gouvernement de
I'État, ni daos la cause des libertés Pllbliques; la
démocratie n'a grandi que dans l'alliance et au
service du pouvoir absolu.


Ce rait n'a pas été particulier a la France; iI




Xl! IXTHODUCTION.


s'est prodllit dans la plupart des gl'ands États de
l'Europe continentale; ptesque partout,\a nob\esse,
ne sachant étre ni politique, ni libérale, est restée
étrangére et au gouvernement et au peuple; la
démocratie, mallqnant d'alliés et d'appui pourses
libertés, n'a pu s'élever qu'a l'aide du pouvoir
royal; el le pouvoir royal, profitant de l'alliance
dérnocratique, a pu quelque temps étre a la foís
populaire et absoln.


Encore aujourd'hui el sous 'IlOS yeux, e'est
dan s ceUe voie que marche plus d'uo grand
État, au grand péril de son avenir.


Que tel ait été, en France, le COUt'S naturel el,
comme on dit, falal de la civilisation, je ne le nie
poinl; mais, pour étre fatal, un fait n'en reste pas
moins justiciable de l' expérience et du hon sens ;
si les fautes des hornmes, princes ou peuplcs,
sont fatales, leurs conséquences le sont ausf;i, el
le jour arrive Ol! elles se révelelll si clairement
qu'il y aurait folie a les méconnatlre. Je tiens
pour frappé de cécité poli tique quiconque aujoul'-
d'hui ne \'oit pas que le pouvoir absolu ne suffit
point a la solidité des gouvernements, ni la dé·
mocratie a la fondation de la liberté. Le pOllvoir




TROI~ GÉXÉRATIOKS. XIII
a besoin a la fois d'étre soutenu et d'étre contenu:
illui faut, d'une parl, l'influence et l'appui des
hornmes que leur situation place natut:ellernent
au niveau des grandes affaires de l'État, d'autre
part, la surveillance el le contróle de tous les
citoyens. La liberté, a son tOUl', a besoin d'étre
défendue el par ceux dont elle fail la sécurité et
la force dal1s leur vie laboriellsc et ascendante,
et par ceux a qui leur siluation déjit faite rend
faciles el nalurelles l'indépendance et l'influence
en face du pouvoir. Le but de la société n'est pas
simple; elle aspire en rnéme temps el néeessaire-
rnenl a J'ordre el a la liberté, a la duréeo el au
progreso Ce n'esl pas par la domination d'une
force unique, ou prépondérante au point d'étre
unique, que eeUe rnuvre double et difficile peut
étre aecomplie; il Y faut le 'coneours des forces
diverses qui se développent naturellemeut et sont
diversemenl placées dans le corps social. Dans
les sociétés européennes, la liberté eomrne le
pouvoir a beaucollp sOlltrerl des priviléges ex-
clusifs et immobiles de l'aristocratie; l'aversion
inintelligente de la démocratie pour tout príncipe
el tout élél11ent d'organisation sociaJe autre




IYfHODUCTION.


(lll'elle-méme pÜlll'mit bien 1em étt'c nússi
funeste.


Pas plus les peuples que les rois, pas plus la
démocl'atie que l'aristocratie ne méconnaissent
el ne violent impunément les loís naturelles et
intimes des faíts. Plus la sociélé devient grande et
libre: plus le h011 gOllvernement y devient a la roís
nécessaire et difficile. Pour que le pouvoir soit
81evé et mainlenu ¡l la hauteur de sa tache, pour
(¡u'íl résiste efficacemenl, tantót a ses périls, tantót
II ses penchants, il fuut que les classes naturelle-
ment influentes dan s l'État par leur fartune, leurs
lumiercs, leurs relations, lcurs travaux, agissent
ensemble el de conce1'l, tantól pour la défensc de
l'alltorité, tantót pour la protection de la liberté.
Il y a d8sordl'c et danger social qllalld, uu liell
d'étre politiquement unies, ces classes sont divi-
sé es entre elles, el (l11'en présence de l'ardeur as-
cenJante des musses populaires, elles se combat-
tent au 1icu oe s'elltr'aider il sOlltenir el a diriger
le pouvoir. Ce sonl la, méme quand elles n'écla-
tent pas en luites matérielles, les pires gllerres
civiles, celIes qui lroublent el compromettent le
plus gl'iwement les f:tats. Les discordes des patri-




TlWIS (~ENI~HATIO~S" xv
clens et dos plébéiens 011t perdu la liberté de
Rome; l"action commune des nobles et des bour-
geois a rondé celle de l' Angleterre.


C'était, eu 1789, une bonne forlune nouveIle
pour la France que l'em"pressement d'une portion
notable de la noblesse el du clergé a s'u~ir au
gros de la nation pour la réforrne de l' état social
et la conquete ele la liberté politique. A aucune
autre époque de notre hisloire, pareille chance
ne -s'était renconlrée; dans lesdiverses réunioIls
des États Générallx, y compris la derni~re, en
1614, la noblesse et le c1ergé fran9ais a vaiellt
tenu leut' cause sépaéée de la cause populaire,
oUllwl,ui avaient preté queIque appui que mo-
mentacémellt el da.ns d.es vues intéressées, queJ-
e¡ uefois meme facticuses. En 1789, la minorité
de la noblesse et dn clergé était parfaiternent
sincereet active dans Sil résolutionde faire cause
cornmune avee le pays tout entier; et, bien que
ce fat, dans tes deux Ordres, une minorité, elle
était si cOtlsidérable el si honorable íl, u' elle pou-
vait devenir, pOUl' le tiers-état cornme pour la
couronne, un puissant allié. Que flit-jl arrivé
si eeUe challceeut élé sRisie, si la couronne,




XV! lNTlWvUCJIU!,; .


le tiers-élat et la minorité de la noblesse el
du clergé se fussent intimement unis pour ae-
complír de eoncert les réformes nécessaires el
fonder ensemble un gouvernement libre? Je n'o-
serais affirmer qu'ils auraient réussi; les conjee-
tures . sur ce qu'aurait pu étre le passé sont pres-
que aussi ineertaines que les prédictions sur l'a-
venir; mais, 11 coup súr, Ol! eót marché ainsi dans
la bonne voie j on eOl mis a profit ce qu'il y avait
d'unanimité et d'harmonie dans l'élan national.


Pourquoi cela n' est-il pas arrivé? Comment
,cette grande génération de 1789~ qui voulait si
ardemmenl el si sincerement la réforme sociale
'el la liberté poli tique, s' est-elle laneée ou a-l-elle
~té enlrainée dans les ténebres et les tempétes de
la Révolutioll?


A cette question, j' écarte en ce momen tune
partie de la répol1se. Les fautes de la royaulé el
de ses entours ont été pou!' beaucoup dans les re-
vers de la liberté el les emportements de la Révo-
lulion. La tache du pouvoir est si rude, surtout en
de ielles crises, que ni la bonté, ni la vertu ne le
dispensent de l'habileté el de la fermeté. Mais il y
a u:w.1ntenant peu d'ulilité, el pour mon compte




TROIS GÉN.ÉHATlOXS. XI'II


je o'ai oul gout 11 élaler la part de Louis XVI et
de sa famille dans les causes des malheurs de la
France et des leurs propres; ils ont payé si cher
et si douloureurement expié leurs raules qu'il y a
une barbarie grossiére el subalterne a en accabJer
incessamment leur mémoire. On essaye trop d'ail-
leurs de décharger ainsi, de la responsabilité qui
leur I'evient, les partis et les hommes qui, a cette
époque, sont sllccessivement devenus les maUres
de la France. La France elle-méme asa part dans
cette responsabilité, cal' une natioll qui aspire a
étre libre ne peut alléguer avec honnellr qu' elle
a subi, comme un trollpeau, les volontés per-
verses ou folles de ses conductellrs. Ce sont donc
les erreurs générales, les fautes communes de la
grande génération de 1789 que j' ai a coour de 1'e-
chercher. 11 m'est arrivé de dire un jour a la lri-
bune que « sans doute, clans leur séjour inconnu,
ces nobles ames., qui ont voulu tant de bien a I'hu-
manité, se réjouissent de nOllS voir éviter les
écueils ou sont venues se briser tan 1 de leurs belles
espérallces. )) Notre cause est encore la leu1', el
je crois leur rendl'e hommage en signalallt aux
fils ces écueils qu'ont aper9us trop tard les peres.


b




XYlIl I:\TlWDUCTlON.


Trois idées politiques étaient, en 1789, pro-
fessées el répandues : idées confuses et obscures
datis la plupart des esprits, mais au fond domi-
nantes. Je les reproduis telles qu'elles ont été ex-
primées, SOllS lellr forme la plus simple el la plus
franche: (1 Nul n'est tenu d'obéir aux lois qll'il n'a
pas consenties ; -- le pouvoir légitime réside dans
le nombre; - tous les hommes sont égaux. »
Beaucoup de cellX qlli pensaieut et agissaient d'a-
pres ces maxillles auraienl été fort étonllés si
quelqlle puissance supérieure les avait contraints
de s'eri rcndre bien compte et d'accepter leurs
conséquences obligées; mais ils n'y regardaient
pas de si pres el n'y voyaient pas si c\air. Les plus
puissailles itlées sont celles qui, contenanl en-
semble el conrusément une lal'ge part de vérité et
une lurge part d'erreur, flaUcllt a la fois les bons
et les Ill<luvais instincts des hornIlles, et ouvrent en
méme tClllpS la carriere aux nobles espérances el


. .


aux mauvalses passlOns.
La premÍt~re de ees trois idées: (( N ul n' est tenu


d'ouóir aux lois qu'il n'a pas consenties, JI esl des-
truclive de l'autol'ité; e'esl l'anarchie. HOllsseau,
en posant le príncipe, en él entl'evn les cOllsé-




XIX


quences, el s'esl consumé en efforls poul' y échap-
p~r ; M. Proudhon les a acceptées, el a fait, de ce
qu'il appelle hardiment l'anarchie, le but définitíf
el l'état normal des sociétés humaines.


La secünde idée : « Le pouvoir légitime résidc
dans le nombre )) est destructive de la liberté;
e'es! le despotisme de la majorité numérique. Le
monde a vu ce principe posé el mis en pratique,
tanlÓt sous la forme républicaine, tantót sous la
forme monarchiqu.e, el iI a toujours amené l'op'-
pression lantót violente, tantÓt sounle, de la mino-
rité. Qui ne sait qu'aux Étals-Unis d' Amérique
I'empire du nombre a, depuis un demi-sit~cle,
tenu de plus en plus éluignés du pouvoir les
hommes les plus capables et les plus dignes de
l'exercer?


La troisiéme idée: H Tous les hommes sont
égaux, »est destructive de j'élévation politique
dans le gouvernement et du progres réguJ ier dan s
la socidé. Cest le ni\'cllement, au lieu de la jus-
tice; c' esl la décapitation permanente du COl'{lS
social, au lieu du libre dévcloppcment de LOllS ses
rnembres.


JI n'es! pail vrai que nul !le soittellu d'obéir




xx INTRODUCTION.


aux ¡ois qu'il n'a pas consenties. Il suffit a tout
homme de regarder en lui-méme el autour de luí




pour reconnattre la fausseté de ceHe maxime. Que
de lois al1xquelles nous obéissons et nous sornmes
tenus d'obéir saos les avoir jamais consenties, ni
méme connues d'avance! Les lois qui fondent dans
la famille l'aulorité et l'obéissance ont-elles jamais
été consentiespar leurs snjets? Et dans la société,
n 'obéissons-nous pas, ne sornmes-nOl1S pas, a
chaque instant, tenus d'obéir a "des lois qui régis-
sentnatUl'ellement les homrnes dans leurs rapports
muluels sans que, mérne au sein des institutions
les plus libres, elles aient jamais été un objet de
délibération et de consentement? n s' en faut bien
que les hornmes n'obéissenl et ne soicnt tenus
d'oMir qu'a des lois qu'ils se sont faites eux-mémes
ou que d'autres hommes leur ont raites; la plupart
de celles qui les gouvernent leur viennent de plus
haut; et méme quand elles leur déplaisent, quand
leur volonté les repousse, ils se sentent, dans leur
ame, tenus de leut' obéir. Ce n'est pas la volonlé
des hornmes, e'est la justiee el la sagesse intrÍn-
seques des lois et du pOllvoir qlli rail. leur droit a
l'ohéissance. Ce qlli est vrai, e'est que les hommes




TROIS GÉNÉRATIONS. XXI


, Ollt droit a des [ois justes, a un régime juste, et
par conséquent a des institutions qui les leur ga-
rantissent. C'est lit le but et la loi supréme de la
so~iété.


Il n'est pas vrai que le pouvoir légitime réside
dans le nombre; ear la justice et la sagesse ne se
rencontrenl pas toujours dans lel'l v0lontés de la
majorité numérique, et elle ne saurait eonférer
essentiellement au pouvoir une légitimité qu'elle
ne possede pas essentiellement elle-méme. Ce qui
est vrai, e'est que la majorité nllmérique, qui peut
étre, dans certains cas el clans rerlains temps, le
signe extérieur de la raison et de la justiee, est
tenue, dans tous les temps et dalls tous les cas,
de se cooduire selon la raison el la justice, et de
respecter les droits de la minorité.


Il n' est pas vrai que tous les hommes soient
égaux : ¡ls soot inégaux, au contraire, par la nu-
ture eamme par la situalion, par l'esprit comme
par le eorps ; el leur inégalité est l'une des plus
puissantes causes qui les alti.'ent les uns vers les
atItres, les rendent nécessaires les uos aux autres
el formenl entre eux la sociélt'~. Ce qui est vrai,
e'est que les hommes sOll1 tous sel1lblables et de




XXII lC\lTlWDUCTIUN.


méme nature, sinon de méme mesure, et que la
similitude de leur nature leur dorme, a lous, des
droits qui sont les mémes pOllr tous, et sacrés
entre tous les droits.


Ainsi rappelées a· leur vrai sens et dans leurs
justes limites, ces idées sont allssi salutaire,s que
belles : mais quand les hommes n'ont pas été
obligés par leur situalion ou amenés par I'expé-
rience a leur faire subir celte épul'ation, quand
les vérités qu'elles contiennent sont obscurcies,
altérées, corrompues par les erreurs auxquelles
elles se prétent, alors, et dans le premier empor-
tement des esprits, la puissance de la vérité elle-
méme tourne au profit de l'erreur; les nobles
instincts tombent au service des mauvaises pas-
sions; l'aliment vital devient un poison fatal.


La génémtion de i 789 a échouó sur cel écueil.
Elle y a été poussée, non-seulernenl par ses er-
reurs politiqu8s, mais par des erreurs morales
qui étaient, 11. vrai dire, le principe el la source
des erreurs pulitiques que je viens de signaler.


C'était la cOllviction dl! XVIII" siecle el de la
génération formée a son école que l'homme est
essentiellement bon, et que, dans les sociétés hu-




TROIS G É:-,¡}:RATlONS. XXll¡


rnaines, le mal provient, non de la nature humai ne,
mais de la mauvaise organisation sociale et du
mauvais régime politiqueo La conflance dans la
bont.é natul'elle de l'homme était, en 1789, J'une
des colonnes de l'orglleil hUlIlain.


II en avait une seconde, la con6ance dans la
toute-:puissance de l'homme. e' était aussi, en 1789,
la convictiol1 génél'ale que l'homme es! maUre de
la suciété comme de lui-meme. Si la société u'a
pas été et n'est pas ce qu'elle doil elre, ce sont
les lumieres, pensait-on, qui ont manqué et !.luí
manquent encore aux homllles. Le progres indé-
flui, qui est la loi de l'humanité, les leur donne et
les leur donnera de plus en plus. Fort de sn I,onté
native, de ses lurniéres progressives et de sa puis-
sanee souveraine, l'homme réformera, réorgani-
sera, créera it. nou veau la sociélé.


Quand jo qualifie d'erreurs ces cl'Oyances su-
perbes, c'est que la question supremo a laquello
elles se raltacheul est, pour moi, résoluc. Je !le
erois ni a la bonté csseutielle de l'ho[\][Jjc, ni a sa
so~vel'ainelé ici-has. 1\ est a la fois cupable uu
bien et eoclin an mal, a la fois libre et sujet :


« S'il se· vante, le \'ar)alsse; s'i\ s'aba,\sse, le \e




XXIV üiTlWDUCTWN,


vallte~» dit admiraulement Pascal. La condition
de l'homme esl haute el su nature plus haule en-
core que su condition; mais il y a de la dépen-
dance dan s sa conditíon el .de la révoIte dans sa
nature. L'observation philosophique reeonnalt en
lui ees contrastes, comme les affirme le dogme
chrétien. Quand l'homme les méeonnait, e' est
qu'il se méprend sur lui-meme et sur sa place
dan s l'uní vers; c' esl qu'il oublie Dieu el se croít
Dicu. Dans son orgueilleux élan vers son généreux
dessei n, la génération de 1789 a vécu el agí sous
l'ernpire de ceUe immense errenr. e'esl la le
venin qui a si promplement altéré les sources de
la Révolntion fran9aise, el melé tant de mal a
tant d'intentiolls et d'espéranees excellentes. On
a coutume d'imputer tout ce mal 11 la lntte des
intérets opposés et des mauvaises passions mu-
luelles, aristocraliques ou démocraliques, absolu-
tistes ou radicales. II est vrai; ce sonl la les ac-
teurs quí occnpent le devant Je la seene et la
remplissent de leur bruit; mais ils n'y sont pas
seuls, el ils n'ont garde de s'y proJuire sous le~lr
vl'ai nom el leur propre figure; aux intéréts
égoi"stes el aux mauvaises passions, il faut des




TROJS GÉNÉRATIONS. xxv


voiles qu i les cOllvren t, et e' est toujours dans des
idées fausses et spécieuses qu 'ils les cherchenl et
les trouvent. Cet honneur reste a l'homme dans
ses égarements qu'íl a besoin, non-seulement de
les cacher, mais de les justifier aux yeux de ses
semblables et aux siens prúpres. Plus le trouble
social est grand, plus on pent tenir pour certain
qu'un grand lrouble intellectuel l'accompagne
et l'accompagnera obstinément.


Lorsque aujourd'hlli, an sein de la tranquillité
el de la froideur publiques, on considere d'un
esprit libre ces idées que je signale cornme des
erI'ellrs graves et puissantes, on ne peut se dé-
fendre d'un profond étonnement. Comment de
telles idées ont-elles jamais pu s'accréditer et
dominer a ce {loint ~ N'est-ll {las évident, aux
yeux du simple hon sens, que les hommes ue sont
pas lous égaux, et que la prétention d'établir entre
eux l'égalilé sociale, en dépit des inégalités natu-
relles, aboutit, comme 1'ont reconnu les logiciens
conséquents de l'école, ala folle tentative d'abolir,
achaque génération, l'hérédité des biens et des
lIoms, c'est-a-dire la propriété el la famille, c'esl-
a-dire la société elle-méme ~ Le bon sens ne COl1-




XXVI INTlW]) lCTI ON.


damne-t-il pas égalemenl la pl'étentiou de la ma-
jorité numérique a la possession exdusive du
pouvoir légitime, et ceUe de chaque i ndividu
a n'obéir qu'a des lois qu'il ait consenties? Dans
les sociétés les plus démocratiques et les plus
libres, républicaines aussi bien que monarchi-
ques, ces prétendus principes ne rer:oivent.-ils
pas, achaque instanl, des faits et de la raison pu-
hlique, les plus éclatants démclltis? Et pourtant
ces grossieres erreurs ont été, sont et seront tou-
jours puissantes et redolltables. Tant l'esprit hu-
main se laisse aisément dupe!' par ce qui plait
aux passiom; humaines! Tanl les passions hu-
[naines sont arden tes a se saisir des idées qui les
aident a se légitimer en se satisfaisant!


Jamais ces idées n'onl donné une plus terrible
démonstration de leur puissance qlle dans la Ré-
volution franr,aise; jamais leur impérieuse 10-
gique n'a plus rapidement entl'ainé des cOllsé-
quences plus énol'lnes el plus imprévues. L'histoil'c
du monde n'offre aucun exemple d'un contraste
parcil entre les prcmiers pas el le développement
soudain d'un grand événement, entre les per-
spectives de la veille et les spectacles du lende-




TlWIS (;¡':\fÉ]{ATIO~S. :XXVII


main. Qlle)s espaces, que)s abímes de 1789
a 1793! Et iI a falln a peine quatre années pOllr
que la grande_ société frangaise parcourót ces es-
paces et tombAt dans ces abhnes, quand elle se
croyait a la porte d'un paradis créé de ses pro-
pres mains!


Comment se faíl-il que ceHe catastrophe, in-
croyable si elle n'était réelle, n'ait pas laissé uni~
quement el uniyersellement une - impression
d'effroi el d'horrolll'? Comment tant de crimes
atraces, de folies ahsurdes et de dOllleUfS inoules,
tant el de si révoltants Oll trages a la conscience
humaine, au cmur humain, au hon sons humain,
ont-ils pu étre si étrangemént palliés et presque
excusés, que dis-je? si magnitiqllement enveloppés
dans des récits et nes tableaux quí frappent et sé-
duisent l'imagillation au point d'étouffer le juge-
ment et le sens moral? Et qu'on ne dise pas qu'on
a condamné ces faits tont en les colorant de la
sorte : les paroles ne sont rien en elles-mómes;
leur valeur réside dans la signification qu'y atta-
chent ceux qui les entcndcnl ou les lisent, dans
l'effet qu'elles produisent sur les ames et la dispo-
sition ou elles les laissent. Que sert la condamna-




XXV1l1 INTRODUCTION.


tion des actes si elle se perd dans la glorification
des aeleurs? Les personnages ainsi célébrés ne SA
prétaient guere a de telles apotbéoses; la pI u part
n'étaient, a vrai dire, que des hommes médiocres
et vulgaires, d'une violence brutale ou d'une lé-
gereté frivole, cyniques grossiers ou badauds fa-
natiques, déclarnateurs enivrés de leurs propres .
paroles Ol! conspirateurs envieux, hainellx et im-
prévoyants. 11 n'était certes pas aisé d'en faire ue
grands hornmes. Pourquoi l'a-t-on entrepris?
Pourquoi y a-t-on réussi, pour un temps du
moins el aupres d'un nombreux publie? Est-ce
uniquement le besoin de faire du bruit, un bruit
populaire, qui a poussé des esprits éminents dans
eette voie d'idolAtrie révolutionnaire 1 Est-ce uni-
quement le gout du mélodrame sous le norn de
l'histoire qui a valu a de lelles CBuvres un tel
sueees?


Ces faiblesses personnelles y ont eu leur parl;
rnais ce sont de trop petites ex plications pour un
fait rnoralement si étrange; il a des causes plus
générales et plus graves.


A cóté de ces hymnes en l'honneur des acteurs
révolutionnaires éc1at~nt, non-seulerncnt contre




TROIS CÚ;,,¡tRATIOKS. XXIX


eux, mais contre la Révolutíon fran4iaise en géné-
ral, des imprécations ardentes et inccssantes.
Dominés soit par les passions de parti, soit par un
profond sentiment des erreurs et des crimes de
eeUe époque, des espríls élevés et moraux ne
voient que sa faee folle et hideuse. Bien plus,
toute révolution porte, aupres d'eux, la peine de
ee1le-la; le mot révolution est devenu, pour eUI ,
synonyme de crime, folie, désastre; ils n'accor-
dent, a ces secousses volcaniques des sociétés
humaines, aucun bon principe, aueLln hon ré-
sultat.


Je voudrais qu'une expérience rétrospeetive
füt possible, et que, pOllr un moment, la France
se trouvat tout a eoup replacée dans l'état ou elle
était avant 1789. Ce pays, qui supporte tant, ne
Sllpporterait pas un moment ce retour; morale-
ment comme matériellement, illui serait odieux et
intolérable.llle serait a ceux-lll méme qui pensent
el parlent le plus mal de la Révolution ; Jeurs idées,
leurssentiments, leurs intéréts les plus légitimes el
les plus intimes seraient, achaque instant, contra-
riés, entravés, froissés. Personne ne persuadera a
la France qll'elle n'est pas aujourd'hui mieux




~xx l:-1TROllUCTlON.


réglée el mieux gouvernée qu'elle ne l'était avant
1789; elle se sent, elle se croit, elle i1 raison de se
sentir et de se croire en possession de beaucoup
plus de justice envers tous et de bien-elre pour
tous. La génération qui a possédé la France de
17S!} a 1798 n'a pas travaillé et souffert san s
fruit; ce sonl les vérités mélées 11 ses erreurs, les
conquétes qu'elle a failes au milieu de ses dé-
sastres, les édiflces qu'elle a élevés sur ses
ruines qui donnent a ses apologistes et a ses
chantres tant de faveur aupres des musses, quand
¡ls célébrent ses persollouges et enivrent de ses
souvenirs ses tlescendants. Que les udversaires de
la Révolution fran(;uise ne s'y trompent pas:
quand ¡Is l'attaquent indistinctement, ¡ls ne font
que la rendre indistinctement plus chére a la
France, et transformer en culte aveugle une re-
connaissance légitíme. Et ils changeraient bíentOt
eux-memes de sentiment et de langage, s'ils
étaicnt condamnés a subir tout ce que la Révo-
lution a détruit et a perdre tont ce qu'elle a con-
quiso


En présenee de ces erises de l'humanité, le
jugement et la conscience sont lIlis a une dure




TIWl" UÉ:"¡Él~ATlUN". XXX!
épreuve. Pour les bien comprendre, pour profiler
a la fois de leu1's muvres el de leurs le9011s, il ne
faut s'en laisser ni épouvanter ni séduil'e; il
faul largel1lenl admetlre leurs complícatíons,
leurs contradictíons, leurs abenations, leurs au~
daces lantót sublimes, tantót insrnsées ou per-
verses; il faut se dire et se redire sans cesse que
les révolutions sont profondément impal'faites et
impures, méme les plus salutail'es , cal' elles met~
tent a nu et en bl'llllle tout I'hoIllmc et tous les
hommes, toujours imparfaits et impurs, méme
les meillellrs.l\Iais s'il faut se résígnera l'impureté
naturelIe de ces gmods fails historiques, il ne
faut pas jeter, sU!' leurs erreurs el leurs vices, le
mantean de leurs vérités et de leurs vertus. Nous
somrnes cOlldarnnés, en les contemplant, au pé-
nible elful'l rJ'Clre a la fois indulgents et séveres,
de voir incessal1lment le mal SOllS le bien, le bien
sous le mal, el d'accepter, dans notre propre
esprit, le continuel mélange de l'espéranee et du
mécompte, de la syl1lpathie et de l'indignation.
le reprends et j'applique a la Révolulion fran-
!;aise les paroles de Pascal:« Si elle se van te,
je }'abaisse;.si elle s'abaisse, je la van te. » Mais




XXXII r:-¡l'RODUCTION.


en méme temps qu'elle a a subir eette poigllante
alternative, la Révolution frall!;aise porte el
conserve deux grands caracteres. Elle a été,
Don pas une erise isolée et étrange, le réve el
l'aeces d'une génération saisie d'une fievre ar-
dente, mais la suite naturelle des événements,
des idées, des travaux qui ont rempli notre his-
toirc, le développement précipité de ce que la
France, depuis lrois sieeles el bien plus de trois
sieeles, a eonstamment considéré eomme son pro-
gres dans la earriere de la eivilisation. Et aujour-
d'hui eomme en 1.789, apres ses égarements et
ses revers comme aux jours de sa jeunesse, la
Révolution fran9aise pOUl'suit sa course el rail
partout des conquétes; elle reste pleine d'espé-
rance et de puissance. Elle est la filIe du passé et
la mere de l'avenir. Signes certains d'une loi
providentielle a reconnaitre el d'une nécessité
soeiale a acconíplir.


Quand les premieres et unanimes espérances
de 1789 eurent élé dé9ues; quand, an lien du pro-
gres harmonieux de la société fran\(aise au sein de
la liberté politique, la guerre social e eut éclaté
en France et mis ses tyranllies successives a la




TROIS GENÉRATIOXS. XXXIII


place de la liberté, quaod les diverses elasses el
les divers partis de eette généralioo aveuglémeot
puissante furentJas de délruire et de s'entre-dé-
truire, il y eut un temps d'hésitatioo et d'agitation
stérile; la Révolution victorieuse se seotait épuisée
el hors d'état de poursuivre comme de rétro-
grader; les vainqueurs erraieot en chancelant au
milieu des ruines qu'ils avaient faites; 00 voulait
s'arréler el on oe pouvait se fixer. L'aocieo ré-
gime o' existait plus; la société nouyelle o' existait
paso L'indépeodance naliooale, héroi"quement
défendue, retombait sans cesse en péril. C' était a
la fois l'anarchie et la tyrannie, et pas plus de
force efficace dans le pouvoir que de liberté sure
pour les citoyells. Booaparte reviot pour de-
venir rapidement Napoléoll; el par lui s'aecom-
plit l'rouvre que la France invoquait vainemeot
depuis la fin de la Terl'eul', la réaction de la Ré-'
volutioll par elle-méme contre elle-méme, c'est-
a-dire la consolidation de ses principales con-
quétes avec l'abandon de quelques-unes de ses
plus légitimes pl'omesses el de ses plus belles
espérances.


e' est leí, pou r la génération de 1789, la se-




XXXIV, J NTIWD lJ()TlO:'i,


conde granrle pbasc de sa vie et de son histoil'e.
Dans ceUe phase, la premiere place, la place
unique appartient a Napoléon. C'est Iui qui, dans
l'ooilvre de construction de la Révolutioll fran~aise,
n élé le chef des travallleurs et l'auteur des évé-
netílents. C' est lui qui a reCOnhu et marqué la
roule, imprimé et dirigé le mouvement. Dans les
mOIÍlents critiques de leur destinée, les peuplps
ne pellvent se passcr d'un grand homme. S'il leur
ínanque, Oll bien ils s'égarent folleIÍlent; Oll bien
ils s'arrélent et tatonnent en atiendant qil'il
viem:le. Quand Bonaparte vint en 1798, la France
reconnut en luí l'homme qu'elle attendait: iI mar-
cha, elle le suivit.


Cependant on aUribue trop tl NapolélJn seul
le tra\'ail et le mérite de celte grande époqtle ;
011 ne fait pas a ses compagnons, civils aussi
bien que militaires, la part h laquelle iIs ont
drolt. Quand il se mit a la téte de la' génération
qui, de 1789 a 1798, avait possédé la France,
cette génération hardie et forle avait acquis
l'intell igence de ses erreurs et de ses fautes.
Par son retour vers la juslice et la vérité, elle
servait ses propres intérNs comme ceux de la




XXX\'


France; mais e'est beallcoup de comprendre el
d'accepter la nécessité de l'ordre morallongtemps
méconnu et violé. Constitllanls, Conventionnels,
Fellillantsj Girondins, Jacobins, Motlérés, Monta-
gnards; tons les partis de la Révolution et, dans
teus les partís, presque tous les hornmes notables
el capables se rallierent autonr de Napoléon; et
Ibi apporterent, dans son reuvre de réparation el
de teconstruction sociaIe, un concours habile,
courageux, dévoué, efficace. lIs déployerent au
service de cette reuvre, non-seulemenl de grandes
facultés el de grandes lumieres, mais une hono-
rable ardeur a faire cesser les ioiquités .. 11 guérir
les maux, a relever les ruines. 00 oubliait, dans
un effort cornmun vers le bien public, les dis-
cordes; les inimitiés, les injnres de la veille. El
cet honnéte aecord, ce puissant concours, Napo-
léoo l'a obtenu et en a recueilli les fruits dans ses
conseils comme dans ses armées, daos l'adminis-
tration clvile de l'État comme sur les ehamps de
bataille, pour son pouvoir en Franee comme pour
sa gloire en Europe.


Je v,oudraÍs résumer et exprime!', sans phrases,
les grancls résnltats {le ce travail el'un grand




• \.XXvI INTRODUCTION .


hornme el de ses compagnons au service d'une
grande cause.


Napoléon a reconstruit en France la charpente
sociale. Ce n'est point par une vaine figure qu'on
appella la société un édifice: elle a ses fonde-
ments, ses gros rnurs, ses divers étages, ses yoies
de circulation, sa toíture, conditions de sa sécurité
et de sa commodité intérieures. Tout ce matériel
de l'état social avait élé bouleversé el détruit dans
les emportements de la Révolution. NapoIéon et
ses conseillers, tantót reprenant les pIans et les
travaux de I~Assemblée constituante, tantót les
dégageant de ce qu'ils avaient d'imprévoyant el
de peu pratique, releverent, sur ces ruines, un
édifice nOllveau, fortement construit, bien entre-
tenu, bien dMendu,. et rétablirent, sur nofre sol,
cet ordre général et continu et ces inslruments
de l'ordre général et conlinll sans lesquels la so-
ciété ne pourrait vivre ni prospérer. L'adminis-
tration fran9aise, ceUe grande reuvre de l'Empire,
a de grands vices politiques; mais a travers nos
violentes secousses répétées, elle a, plus d'une
foís déja, fail, parmi nous, la sl'Ireté intériellre el le
prompt rélablissement de la société.




TROIS GÉNÉRATIO!'>S. XXXV,I


A pres l' ordre matériel, la premiere condition
du bon état so~ial, e' est que les divers éléments
de la société, les classes, les p,'ofessions, les per-
sonnes naturellement diverses soient a leur place
naturelle et vraie. NapoIéon I:appela el remit en
haut ce qui est naturellement en haut. Pim moral
luioméme, iI avait le goüt des honnétes gens, des'
vies régulieres et dignes ;'jl savai,t que la société en
a besoin pour sa force comme pour son honneur, et
que le désordre morall'abaisse et ladissout. PelI faít
aux délicatesses du monde et capahIe d'un laísser-
aller famílíer ou d'un emportement brutal, jI se
plajsait allX mceurs élégantes, aux manieres
nobles, aux formes cxquises, pensant avec raison
que l' éclat extérieur des vies, l' élévation des ha-
hitudes et des goóts sont des faits naturels dans
une société depuis longtemps civilisée, et qui con-
tribuenL asa grandeur. Cet homme' nouveau, ce
fils et ce chef d'une révolution démocratique avait
l'esprit assez haut, assez libre, assez juste, pour
raire cas des eh oses anciennes, et pOUl' comprendre
ce que le temps apporte de beauté a ce qu'il ne
fléLrit pas et de force a ce qu'il ne détruit paso On
lui a reproché son empressement a élever en




¡ :\TjWDUCTIO~.


grands sj:ligueurs les compagnons de sa fortune
révolutionnaire, et a rappeler autour de lui, paur
fundre ensemble ces deux noblesses, les grands
seigneurs de l'ancienne Franctl, J'incline ~ croire
qu'íl attacha,it a ~ette reuvre plus d'importance
qu'elle Il'en Qevait avoir dan s le cours des temps,
et qu'il y pl'enait plus de plai3ir qu'elle ne valait.
Mais il n'en est pas moins certain que, de son
vivant, elle a grandement contribué a la pacifica-
tion de la société fran9aise, a la force comme a
réclat de son pouvoir, et que, méme apres lui,
elle reste bien moins vaine que ne le prétcndent
d'ininlelligents ohservateurs. Qu'ils regardent co
qui se passe aujourd'hui et sous leurs yeux.


Napoléon fit une chose plus grande et plus dif- .
ficile encore, et cetle-ci, condition premicre de
ton tes les autres, fut son reuvrc exc1usivement
personnelle. Il réhabilita en France le ponvoir
méconnn,abattu, humilié, dégradé, tour a tour et
quelquefois tout ensemble odieux et ridícule dans
le cours de la Révolution. Dans le petit grou pe his-
torique des hommes de son ordre, nul peut-étre n'a
possédé aussi naturellement et déployé aussi hardi-
TT1f'nt qUft lui l'instillct et le don du pouvoir: le




'J'JWIS GÉNÉRATlOl\~. xxxu:


pouvOJr reparaissait et tie relevait a l'hurizon, a
mesure que Napoléon lui-meme s'élevait; ii était
le pouvoir personnifié. De loin comrne de pres,
les hommes reconnaissent, avec une soumission
empressée, cette primatie de l'esprit el du
oq,raotére, quand elle IfJur vient en aide dans leurs
jours de trouble el de détresse. Napoléon en
donna une preuve plus écJatante que la fondation
meme de son propre empire : il reconnut un em~
pire qui n'était pas le sien; il tendit la main a la
Papauté pou!' que, de cOllcert avec lui, elle re-
levat l'Église au sein de l'Étal. Quelles qu'aient
été les imperfections et les }.acunes du Concordat,
cette intelligence de la nécessité et des droits na-
turels du pouvoir religieux a cóté du pOllvoir po-
litique est le plus bel éclair de génie moral et de
bon sen s pratique qui ail: brillé dans la vie de
Napoléon. Hcurcux s'il fUt toujolll'S resté fidelt~ a
sa grande pensée, el si, dans les ernporterncnts
d'une ambitioll sans limite et d'lJll despotisnw
sans frein, il l1'eut pas prétendu trollver un ill-
slrument servile dans l'allié moral auquel il avait
rendu en France sa place et son action !


Que dirai-je de ce qu'il a faíl pour l'indépell-




XL INTRODUCTION.


dance et la grandeur nationales? 11 a re(,iu, sons ce
rapporl, le prix de ses reuvres; ríen ne lui a man-
qué des hommages auxquels il avait droit, et nous
avons payé sa gloire trop cher pour en rien con-
testero


Je hens a reconnaitre pleinement et a mettre
en lumiere les mérites et les services de celte
seconde phase dans la vie de la génération de 1789.
Les amis de la liberté politique méconnaissenl
trop souvent ce qu'elle a fail alors, non-scule-
ment de glorieux, mais d'excellent el de néces-
saire pour la France; et je lui trouve moi-méme
trop de torts et des torts trop graves pOllr que la
justicé la plus large ne me soit pas, envers elle,
un impérieux devoir.


Emportée dans une réaction naturelle contre
l'anarchie, adonnée a rétablir labol'ieusement la
sécurité matérielle du corps social et le jeu régu-
liel' de ses membres, la géllératíon de 1789 a mé-
conllU, délaissé, opprimé, dans celte période de
sa destinée, ce qui est l' ame et la vie morale de la
société, la liberté et le droít : au dedans, la liberté
politique, unique garantie efficace de la su reté des
intéréls prívés comme de la bonne geslion des af-




TROIS GÉNÉRATlO~S. XLI


faires publiques; an dehors, le droit des gens,
unique garantie efficace des bons rapports des na-
lions et de leur civilisalion rnutuelle. L'oubli ou
le rnépris du droit, a l'intérieur, dans la vie pu-
blique des citoyens, a l'extérieur, dans les rela-
tions internationales; la volonté el l'ambition
arbitraires et illimitées du souverain devenant
partóut la loi supréme; les institutions lihérales
destinées ou rédui tes a n' étre que de vains simu-
lacres et les corps poli tiques que des Ombres, ce
fut la le vice radical de cette grande époque et la
cause directe ou indil'ecte de ses désastres. Pour
l'Empire cornme pour la République, pour la
réaclion despotique comme pour l'emportement
anarchiql1e, les fautes ont l'apidement enfanté les
rnaux.


Pas plus que les mérites, ce n' est pas a Napoléon
seul que les fautes doivent elre impulées. Il les a
failes, mais on les lui a bien complaisarnment
laissé faire. La France s'est livrée a lui ave e 1'a-
veuglernent passionné 'de la peur, de la joie el de
l'orgueil. Peur de l'affreux régime qu'elle venait
de subir, joie de sortir de l'abime, orgueil de la
glbire qui entourait le salut. C' est le long usage




XLII L\'TIWDUCTION.


de la liberté politique el le sentimenl de la res pon-
sabilité qu'elle impose qui enseignent aux peuples
la mesure et la prévoyance; quand ¡ls n'ool pas
longtemps vécu libres et répondant eux-mémes
de leur 80rt, ils se précipitent d~un exlréme a l'au-
tre, uoiquement préoccupés d'écbapper ao mal
ou au péril qui les presse. Heureux encore, dans
ces exces altematifs, ceux qui sont doués, comme
la France, d'une élasticité infatigable, et qui re-
viennent bardiment sur leurs pas, quelque loin
qu'ils se soient égal'és. La France se laisse prendre
au se donne trap aisément el trop vite, mais elle
ne s'abandonne jamais sans retour. Quand, au dé-
bu! de ce siecle, la Révolution frauQqise rencontra
dans ses prupres rallgs le chef glorieux de :¡a propre
réaction contre elle-llléme, elle abdiqna entre ses
mains1 ne luí demandant que de la sallver des éga-
rements Oll elle était tombée el des ennemis qui la.
mena{)aient. Loin d'avertir et de retenir la France
sur la pente oÍ! tllle courait, les compagnons des
travaux et de la fortune de Napoléoll s'y lancerellt
eux-mémes aussi aveuglément que les plus obscurs
citoyens. Quelles étranges palinodies de la plllpart
des hommes qui avaient joué un role daos le COLirs




:l.LIU


de la Rúvolulion! Quels contrastes choquallts entre
leurs idées et leu1's langages a des dates si 1'appro-
ehées! Quels emp1'esscmenls a étaler leu1'S nOlj-
velles maximes et a joui1' de leurs :¡ituations nOI1-
velles! Ceux qui conservaient quelque sollicitude
prudenta, et qui ~'inquiétaient tout el} trioIQ.phan~,
n'avaient pas le courage de résister a leur rpaitro ;
et ceux qui auraiellt eu cecourage, s'ijs eu avaient
espéré quelque succes, car ces honorables exeep-
tions ne manquaient pas dans le cortége impérial,
ceux-Hl étaient si convaincus de la vanité de toute
résistance contre la force uu courant el la volonlé
du pilote, qu'ils 8'en abstenaient avec tristesse, se
contentant de garder l'indépendance de leurpensée
et de sauver leur propre honneur.


L'abdieation élait telle que Jorsque, a la fin de
i8l3, quelqlles voix essayerent, ualls le Corps
légisJatif, d'exprimer les inquiétuues et les vreu~
de la France, la stupéfaction fut générale : soit
qu' 00 approuvat ou qu'on s'indignat, on s'étonJlait,
on doutait, on avait peine a. croire a tant d'au-
dace. J'ai eonnu les cinq hommes qui consenti-
rent a élre les organes de cette patriotiqlle tenta-
tive, M. Laisné, M. Raynouard, M. ijaine-Bir¡m,




XLIV nTRODL'CTIüN.


M. Gallois, ~1. Flaugergucs; c'étaient des esprits
essentiellement modérés, étrangers 1t totit empor-
tement de passion, 11 tout dessein de faetion, hon-
néles jl1squ'au scrupule, el bien plulót timides que
téméraires. Leur acte méme et leur langage,
dans la circonstance qui les mit en lumif~re, fu-
rent tres-réservés et modestes, fort au-clessous
de ce que permettaít, méme alors, le droít con-
stitutionncl du corps politiql1e au nom duquel ils
parlaient el de ce que provoquait. la situation de
la France. Mais cette lueur de vérité, ce légel'
frisson de liberté frapperent le public comme un
grand coup d'opposition el le mondé impérial
commc le début d'l1ne trahison. Tout ne devait-il
pas étre oublié, tous ne devaient-ils pas se taire
devant le péril de l'Empire? L'Empil'e n'était-il pas
la Révolution fran9aise triomphante? L'égalité, ce
premier principe de la Révolution, ne régnait-elle
pas au se in de l'Empir'e? L'intérét supréme de la
France n' était-il pas de défendre ensemble, el a
tout prix, l'Empire el la Révolulion?
. e'est l'íllusion commtlne des hommes qui ont


longtemps et fortement possédé le pouvoir d'en
venir a le regardet' comme leur droít el leur bien




TROlS GI~NÉRATlUl\S.


propre, oubliant dans quel 1mt public el dans
quelles limites ils l'ont acquis ou re9u. lIs ou-
blient aussi que, dans les grands drames de l'his-
toire, les acteurs, méme les plus grands, ont leur
rOle et leur temps marqués, et que, s'ils les dé-
passent, s'ils s'obstinent a occuper la scene contre
·le sens et le cours général du drame, ils sont
bientót et justement écartés du tbéAtre. La mis-
sion évidente de Napoléon avait été de réagir, au
nom et au profit de la Révolution fran9aise, con·
tre ses erreurs et ses exces, d' établir l'ordre HU
sein de la Ilouvelle société fran9aise, et de luí
faire prendre, au dedans sa [orme réguliere, au
dehors sa place acceptée de l' Europe. 11 aceomplit
cette reuvre avec génie el succes; el quoique-,
méme dans son meilleur lemps, des esprits clair-
voyants et exigeants pussent cntrevoir sa pente a
pousser sa force bien au deHI. de sa mission, la
France luí porta longtemps une admiration con-
fiante, el l'Europe une l'econnaissance résignée a
payer cher le ser vice qu'illui avait rendu en con-
tenant la Révolution. Mais le jour vint ou, loin de
répondre encore, en France et en Europe, au
besoin public qui l'avait appelé, Napoléol1 n'agít




XLVI DITRODUCTlON.


plus que selon la fantaisie de sa pensée el de su,
passion personrlelle: au líeu de régler la Révolu"
tion fran<;-aise, íl la jeta dans un houveau gente
d' ex ces et de périls; aUx égarements de l' esprit
révolutionnaire et de l'anarchie, iI substitua cellx
de l'ambition gllerriere et du pouvoir absolU.
Sorti alors de son role ét de son temps, il tomba,
natutellemerit qlloiqlle violemment. Et soit en.
tralnement, soit faiblesse, la génération de 1789,
qui avait pris, a ses travl\ux et a ses mérites de
reconstrllctiou sociale, une parl glorieuse, ne
sut pas le contenir dans ses etl1portements am-
bitieux et despotiques, pas plus qu'elIe n'avait
su nagllere prévoir et réprimer les emportements
anarchiques. Elle apprit, par eette double et
douloureuse expérience, que ni l'égalité, ni la
gloire ne suffisent a satisfaire aux V(EUX et aux
principes de 1789, et qll'apres vingt-cinq aus em-
ployés a faire triompher, péle-méle et a toüt prix,
la Révolution et l'Empire, la liberté politique et le
droit des gens réclamaient a leur tour respect et
satisfaction.




11


1 8 1 4 -184 R.


Les dellx grands corps politiques de I'Empire,
le Sénat et le Corps législatif, offrent, en 18:14, un
étran~e spectaele.


I)ans le Sénal, c'est une infiniment petite mi~
norité, qllelques hommes, naguere opposants im-
perceptibles au régime im périal, MM. de Tracy,
Lanjuinais, Lambl'echts, Garat, qui apparaissent
tout a coup, prononcent sur le sort de l'Empire et
de l'Empereur, pr0posent SR déchéance, posent
les bases du nouveau gOllvernement,


On a beaucoup attaqué ces hommes el lems
aetes a eette époque; on s'est beallcollp moqué




XLVIII INTRODUCTION.


des prétentions politiques et pel'sonnelles du corps
, dont ils inspirerent on exprimerent les résolutions.


JI y eut, en efl'et, dans l'attitude du Sénat a ce
grand moment, ample matiere a la moquerie
et ~ l'attaque; les préoccupations égolstes et les
apparences présomptueuses sont mal venues au
milieu d'une erise nationale et apres une longue
nullité. Reste toujollrs ce grand fail que, dans
une assemblée jllsqlle-la profondément soumise
et impuissante, un petit groupe d'hommes, a peine
remarqués et éeoulés la veiUe, ont pu repal'altre
souuainement sur la scene, marcher en téte de
leur eOl'ps et exereer une influenee réelle. Ces
hommes étaient .. estés, SOllS le pouvoir absolll,
les amis fidéles de la liberté politiqueo Ce fut en
son nom qll'ils prirent et d'el\(, qu'ils re911l"lmt
lellr autorité d'un momento L'Empire tombait par
la gllerre ; sa chute fut aeceplée et proelamée par
les libéraux imperturbables de la Révollltion.


La transformatioIl dll Corps législatif, des que
la Restallration fut aceomplie et la Charte mise
en pratique, n'est pas moins frappante. Cette as-
semblée, si longtemps muette et inerte, devient
fOllt a COllp hruyante el active. Elle parle, elle




TROIS GÉNÉRATIONS. XLIX


discute. elle résiste, elle décide. Les lois qui lui
sont proposées, les mesures et les personnes du
gouvernement, les principes généraux et les inci-
deñts de chaque jour, tout y est sérieusement
examiné et vivement débattu. Une opposition s'y
forme. Toutes les tbéories, toutes les espérances,
toutes les exigences libérales s'y manifestent. Ce
n'es! point un corps nOllveau; tous ses membres
sont restés les mémes; mais rame y es! rentrée:
c' est un étre resslIscité.


C'est la Jiberté politiqlle qui fail cette résurrec-
tion. Elle est si conforme allx besoins et aux
tendances de la nouvelle société frun<;aise, qu'elle
! rentre comme dans son domaine nature). A vant
1814, elle en était exi\ée. Des qu'elle reparait, on
s'empresse, on l'accueille, comme si 00 ne l'avait
jamais ollbliée. 00 dirait un réveil qui ramene,
saos effort, les habitudes de la veille. Et ce sont
les mémes bommes, a qui l'absence de la liberté
politique avait paru si iodifférente, qui acceptent
et féteot, sans embarras, son retour. Uo sentiment
plus ou moins dé veloppé, mais général et puissant,
les domine et anime le pays tout entier: en retrou-
vant la liberté politique, on croit reprendre des


d




I~TRODUCl'roN •


droits, el, en raprunan! ses droits, on acquiert des
garanties eillcaces contreles maux el les périls dont
on a tant souffert. Par elle-méme, par la lumiere
el la chaleur qu'elle répand, la liberté politique a
de quoi pIaire grandement aux hornmes; mais
elle rait mieux encore que de Ieur plaire, elle les
défend du mauvais gouvernement; elle leur ap-
porte~ autant que le permet l'imperfection des
choses humaines et des homrnes eux-Du~mes, les
deux plus grands biens de ce monde, la sécurité
et l' espérance.


Ce rut la le bienfait immédiat et le prestige de
laRestauration. Elle s'accomplissait au milieu d'Ull
grand désaslre national; elle blessait des C(Burs
fiers et dévoués; elle -inquiétait des intéréts puis-
sauts et susceptibles, Mais elle ramenait le respect
et l'empire du droit; au dedaos, du droit des ci-
toyeos; RU dehors, du droit des gens; elle rouvrait
les perspectives de la liberté politique el de la
palI.


El ce n' était pas s~ulemel)~ les acteurs fatigués
de la RévolutiQn et de l'J;;mpire, les l:it1rviv~nts de
la génération de i 789 qui faisaient accueil a ces
perspectives comme a uu retour vers leurs pre-




TROIS GÉNÉRAT~ONS. Ll
miers désirs apres tanl de mécomptes, comme a
un port de refuge apres tant d'orages. La Jjberté
politique avait des amis plus jaunes et plus ar·
dents 11 la conquérir et a en jouir .. Une génération
nouvelle conimen~ait a paraUre, étrangera a la.
Révolution comme h. l' anejen régime el qui avait
surtou! connu l'Empire par les exces du pouvoir
absolu et de la guerreo Dans le monde inteUec-
tuel co~me dans le monde matériel, il ya de~
gel'mes puissants qui vivent el cl'oissenL cachés et
sous terre, échappant aux regards des maUres qui
n' en aiment pas les t'ruits et qui voudraiant les
étouffer. Décriés par les fautes, les crimes et les
revers qui avaient accompagné leur explosion, les
principes et les sentimerÍts de la liberté poHtique
n'avaieot pourtant point péri en Franca; ¡ls se con ..
~ervaient et se ranimaient sans bruit daos des es·
prits solitaires et daos de petíts groupes adonnés
au goot de l'activité intellectuelle et au cuIta indép
pendant de la vérité. L'une des principales in&titu.
tions de I'Empire devint, pour celte renaissllnce
presque inaperllue des idées el des espérances
libérales, un foyer naturel, J'avais l'honneur, iI y
a six ans, de recevoír dans le seín de I'A(tadémie




LII INTRODUCTION.


fran9aise et comme son directeur, un savant illus-
tre, l'une des gloires et aujourd'hui l'un des regrets
de l'Institut tout entier, M. Biot; je me perrnis, ce
jour-la, de dire : « e'est quelquefois la condition
des despotes, quand ils sont de grands hornmes,
de créer des institutions qui leur échappeot, et
de voir rentrer peu a peu daos ]eurs reuvres une
liberté qui n' enlrait pas dan s Ieurs plans. Dorninés
par l'instinct et le goót du grand, ils évoqnent des
puissallces qu'il ne Ieur sera pas donné, a eux-
mémes, de tenir longtemps asservies. Le cardinal
de Richelieu, en fondant l' Académie fran9aise,
ne se doulait pas qu'il la trouverait bienlót pen
dociIe a sa mauyaise humeur envers Corneille el a
son mauvais got\t au sujei du Cid. L' empereur Na-
poléon n'avait pas institué l'Université pourqu'elle
fournH, 'aux principes et aux sentirnents libéraux,
tant d'intelJigents el persévérants défenseurs.
Heureuse imprévoyance de ces redoutables domi-
naleurs du monde, a qui la grandeur de Ieur
génie fait quelquefois oublier l'égolsrne de leurs
passions, el qui, dans l'élan de leur pensée, font
plus el mieux qu'ils n'avaient prémédité! »)


Grace a ce mérite imprévu de I'Ernpire, et dans




TROIS GÉNÉRATIONS. LIIl


les années qui précéderent la Restauration, les
études pbilosophiques, historiques el Iittéraires flo-
rissaienl modestement au seín de l'Université, el
préparaíenl a la liberté politique, dans la généra-
tion qui louchai"t a l'age viril, des amis chau~s,
vaillants el éclairés.


D'autres hommes, bien différents par Ieurs
dispositions morales comme par Ieur situation
sociaIe,.les anciens amis de la maison de Bourbon,
les survivants de rancien régíme rentraient en
méme temps dans la vie publique. La Restaura-
tion les y rappelait .. soít qu'ils eussent constam-
ment partagé, hors de Frallce, l' exil de leurs
princes, soíl que, rentrés en France apres la tour-
mente révolutionnaire, ils y eussent vécu étran-
gers aux aflaires el RU gouvernement du pays.
La liberté politique rétablie par la Charte était
pOUl' eux comme pOUl' 10us; et qneIs que fussent
leurs désirs et leurs espérances, soit qn'ils accep-
tassent les principes fondamentanx de la nouvelle
société fran9aise et les grands résultats de la Ré-
volution, soit qu'ilsse flattassent de ramener la
France vers son ancien état et de faire sortir de la
Restauration une contre-révolution plus ou moins




Uy INTRODUCTION.


étendue, c'élait, en tout cas, par la liberté poli ti-
que, par les élections, la discussion, la liberté de
la tribune i la liberté de la presse qu'ils étaient
tenus de se manifester et de reprendre place dans
les alfaires du pays. Ils avaient les institutions
libres, celte gl'ande ambition el cette gra.nde
conqu~te de 1789, pour instruments obligés de
leurs desseins et de leur aetion.


Au début du régime nouveau, en présence
d' éléments si divers, si étrangers les miS aux
autl'es, si soudainement rapprochés et appelés a
agir ensemble, la confusion et l' ligitation furent
grandes. Des premiers jours de la Restauration a
l'explosion des Cent-Jours, ni le gouvernement, ni
les partis, ni le public ne prirent une altitude el
ne tinrent une conduite claire, décidée, efficace.
Royaliste~ triomphants, Constitutionnels espérants,
Bonapartistes mécontents, tout le monde tMonnait,
tout le monde attendait; nuI ne démélait e,neore
ce que serait l'avenir'et ce que chaeun pouvait
avoir a. s' en promeUre Oll a en craindre. Cepen-
dant, RU milieu de eette incertitude générale, les
institutions nOllvelles suivaient Ieur cours, la
liberté poli tique prenait sou vol. Dans les Cham-




TROIS GÉNÉRATIONS. LV


bres, la liberté de la tribune, hors des Chambres,
la liberté de la presse se déployaient : la premiéte,
méfianteet quelqnefois vive, mais, au fond, modé~
rée et loyale; la seconde, déja violente, agressive,
destruetive entre les mains des ennemis de la dy-
nasUe rest3.orée, imprévoyante el précipitée dans
les maios des amis sinceres et rigides du régime
constitutionIle1. Personne ne songeait alors a éle-
ver les questions et a réclamer les conditions de
ce qu'on a appelé depuis le gouvernement parle-
mentaire; les plus libéraux étaient plus múdestes;
mais personnenon plus ne mesurait la portée des
exigences qu'il formait et des armes dont il se
servait: « A. peine entrée dans son nouveau re-
gime, une impression soudaioe d'alarme et de
méfiance avait saisi la France el s'aggravait de
jour en jour. Ce régime, c' était la liberté aveo
ses ¡ncertitudes, ses luttes et ses périJ¡;. Personoe
n'était accoutumé a la liberté el elle ne conlen-
tait personne. De la Restauration, les hommes de
l'ancienne France s'étaient promis la victoire; de
la Charte, la France nouvelle aUcndait la sécu-
rité; ni les uns, ni lesautres n'obtenaient satis-
faetion; ils se retrouvaient, au contraire, en pré-




LVI INTRODUCTIúN.


senee, avec leurs prélentions et leurs pa~sions
mutueIles. Triste mécompte, pour les royalistes,
de voir le roí vainqueur sans l' étre eux-mémes.
Dure nécessité. pour les hommes de la Révolution,
d'avoir a se dMendre, eux qui dominaient depuis
si longtemps. Les uns et les autres étaient étonnés
et irrités de ce He situation comme d'une offense a
leur dignité et d'une aUeinte a leurs droits. Dans
leur irritation, les uns et les autres se livraient,
en projet et en paroles, a toutes les fantaisies, a
tous les emportements de leurs désirs ou de leurs
alarmes. Parmi les puissants et les riches de ran-
cien régime, beaucoup ne se refusaient, ellvers
les riches et les puissants nouveau!, ni imperti-
nences, ni menaces. A la cour, dans les salons de
París, et, bien plus encore au fond des départe-
ments, par les journaux, par les pamphlets, par
les conversations, par les incidents journaliers de
la vie privée, les nobles et les bourgeois, les
ecclésiastiques et les lalques, les émigrés et les
acquéreurs de biens nationaux laissaient percer
ou éclater leurs rivalités, leurs humeurs, leurs
réves d' espérance et de crainte. Ce n' était la que
la conséquence nalurelle et inévitable de l'état




TROIS GENÉRATIONS. LVII


tres-nouveau que la Charte mise en pratique ¡nau-
gurait brusquement en France : pendant la Révo-
lutjon, on se battait; sous l'Empire, on se taisait;
la Restauration avait jelé la liberté an sein de la
paix. Dans l'inexpérience et la susceptibilité géné-
rales, le mouvement et le bruit de la liberté,
e'était la guerre civile pres de reeommencer.


« Pour suffire a une telle situation, pour main-
tenir a la fois la paix et la liberté, pour guérir les
blessures sans supprimer les coups, nol gouver-
nement n'eót été trop fort ni trop habile.
Loois XVIII el ses conseillers n'y réussissaient
paso Ils n'étaient pas, en fait de régime libre, plus
expérimentés ni plus aguerris que la France elle-
méOle. Par leurs actes, ils ne donnaient a ses
inquiétudes aUClln motif sérieux; ils avaient eru
que la Charte empécherait les inquiétudes de
naitre; des qu'el1es se manirestaient un pen vive-
ment, ils s'efforQaient de les calme: en abandon-
nant ou en atténuant les mesures qui les avaient
suscitées. Au fond, les intéréts qui se croyaient
menacés ne couraient aucun vrai péril; en pré-
seDce des alarmes de la France nouvel1e, le roi et
ses conseillers étaient bien plus disposés a céder




LVIII INTRODUCTION.


qu'il engager la lutte; mais apres I1voir raÍl acte de
sagesse constitutionnelle, ¡Is se croyaient quittes
de tout souci et rentraíent dans leurs habitudes et
leurs gOllts d'ancien régime, voulant aussi vivre
en paix avec leurs vieu'! et familiers amis. C' était
un pouvoir modéré, qui faisait cas de ses ser-
ments el ne formait, contre les intél'éts et les
droits nouveaux du pays, point de redoutables
desseins, mais sans initiative et sans viguaur, dé-
paysé et ¡solé dans son royaume, divisé et entravé
daos sOn intérieur, faíble avec ses eonemis, raible
avee ses amis, n'aspirant pour Jui-méme qu'a la
sécurité dans le repos, et appelé a traiter chaque
jour avec un peuple remnant el hardi qui passait
soudainement des rudes secousses de la Révolu-
tion el dé la guerre aUl difficiles travaux de la
liberté.


11 Sous }'influeneede eette liberté, un tel gou-
vernemenl, sans passions obstinées el docile án
vam pnb~io qnand l'expression en devenait claire,
el1t pu se redresser en s'affermissanl et suffire
mieux a sa tache. Mais i11ui faBait du temps el le
concours du pays. Le pays, mécontent et inquiet,
ne sut ni attendre ni aider. De tontes les sagesses




TROIS GÉNÉRATIONS. LIX


nécessalrell aux peuples libres, la plus difficile est
de savoir supporter ce qui leur déplait ponr
conser,ver les biens qu'ils possedent et acquérir
ceux qu'ils désirent.


(( On a beaucollp agité la question de savoir
quels complots et quets conspirateurs avaient, le
20 mars 1815, renversé les Bourbons et ramené
Napoléon. Débat subalterne et qlli n'a qU'lln in-
térét de curiosité historique. A coup sl1r, il y eut,
de 1814 11 1815, dans l'armée et d~ns la Révolu-
tion, parmi les généraux et parmi les convention-
neIs, bien des plans et bien des rnenées con [re la
Reslauration et pourun autre gouvernement, l'Em-
pire, la Régence, le duc d'Orléans, la République.
Mais si Napoléon mt resté immobile a l'i1e d'Elbe,
tous ces projets de révolution auraiellt probable-
ment avorté ou échoué bien des rois. IJa fatnité
des faiseurs de conspirations est inflnie, et qlland
l'événement semble leur avoir donné raison, iIs
s'aUribuent a eux-mémes ce qui a été le résultat
de causes bien plus grandes et plus complexes que
leurs machinations. Ce fut Napoléon seul qui reD-
versa, en 1815, les BourbollS, en évoquant, de sa
personne, le dévouement fanatique de l'armée et




LX rNTRODUCTION.


les instincts révolutionnaires des masses popu-
laires. Quelque chancelante que mt la monarchie
naguere restaurée, il' fallait ce grand homme et
ces grandes forces sociales pour l'abaUre. Stupé-
faite. la France laissa, sans confiance comme sans
résistance, l'événement s'accomplir. Napoléon en
jugealui-méme ainsi avec un bon sens admirable:


u lis m'ont Iaissé arriver, dit-il au cornteMoHien,
comme il les ont laissé partir t. »


Je ne m'arréte pas sur ce retour de Napoléon.
J'ai dit ailleurs ce que j'en ai vu el pensé au mo-
ment méme, ce que j'en pense eneore aujour-
d'hui i. Ce fut }'aete d'un égolsme immense,
héroiquement con!(u et exécuté. Égoi"sme plus
fatal a la France que tous les exces antérieurs de
l'ambition et du despotisme de Napoléon. Les


. Cenl-Joursfirent bien plus qu'attirer, au dehors,
sur la France, des revers et des fardeaux jusque-
la sans pareils ; ils la rejeterent, au dedans, dans
ceUe arene des sanglantes discordes civiles que


I Je reproduis ici quelques traits du tableau que j'ai tracé
ailleuTs de cette époque et de ses caracteres. (Mémoires pour


"ervtr a t'histoire de mon temps, t. r, p. 53-57.) J e ne saurais dire
. plus clairement ce qu'lI. ce sujet je erais toujouTa vrai et équi-
tableo


, Mimotr8S pom- servir a ¡'histoire de mon temp&, t. r, p. 59-98.




TROIS GÉNÉRA'fIONS. LXI


l'Empire avait fermée. Napoléon détruisit de ses
propres mains, en 1815, l'reuvre de pacification
intérieure comme de puissance extérieure qu'il
avait naguere aeeomplie pour la 'France. Mais, de
cette crise funeste, je ne veux iei relever et meUre
en lumiére qu'un grand fail, l'aceeptation, par
Napoléon lui-méme, de la liberté publique, de ses
institutions et de ses garantiese L' Acte additionnel
les contenait presque toutes, loyalement et sage-
ment combinées. S'il mt sorti vainqueur de sa
lutte européenne, Napoléon les et1t-il respectées?
Et1t-il subi, sur le tróne, ce régime de contradic-
tions, de résistances el de transactions continues
que la liberté politique impose au pouvoir, et qu'il
avait aecepté en y remontant? Je ne le crois paso
Je ne veux pas passer sous silenee des symptómes
qui semblent favorables a une autre conjecture.
On dit que, le 11 juin 1815, la veille de son dé-
part pour l' armée, apres avoir solennellement re{)u
la Chambre des pairs el la Chambre des représen-
tants et répondu a leurs adresses, Napoléon dit a
ses ministres en leur faisant ses adieux : « Je ne
sais comment vous ferez pour conduire les Cham-
bres en mon absence. M. Fouché croit qu'en




IN'I'JWPUCTION.


gagnant quelqu6s viaux eorrompus, en flattant
quelques jeunes enthousiastes, on domine les as-
semblées; mais il se trompe. C'est 1fi de l'in-
trigue, et l'intrigue ne mime pas loio. En Aogle-
tCl'r6, sans néglíger absolumeot ces moyeos, on
en a de plus grands et de plus sérieux. Rappelez-
vousH. PiU,et voyez aujonrd'hui lord Castlereagh!
Les Chambres, en Angleterre, sont aneienoes et
expérimentées; elles oot raít depuis longtemps
connaissanee avee les hommas destinés a devenir
leUfii chefs; eHes ont pris de la confiance ou dn
goót pour eux, soít 11 cause de leurs talents, soíl a.
cause de lenr caroactere ; elles les oot en quelque
sorte imposés au choix de la couronne, et apres
les avoir faits ministres, il faudrait qu' elles fus-
sent bien inconséquentes, bien ennemies d'elles-
mémes et de lem' pays pour ne pas suívra leur
direction. C'est ainsi qu'avec un signe de son
sourcil, M. Pitt les dirigeait, et que les dirige en-
core aujourd'hui lord Castlereagh. Ah! si j' avais
de tels instl'uments, je ne cl'aindrais pas les Cham-
bres. Mais ai-je rien de pareíl i? »


t Hi.~toi1e du Consu!at et de l'Empire, par ~L Thiers, t o XIX,
p.619.




TRO.IS GÉNÉRAl'IONS. LXIII


Napoléoll n'avait. a eoup stlr, rien de pareil;
mais, s'il eut eu M. Pitti.t la tete de sOlí conseil.
iI ne l'eut pas supporté. Quels que fussent, pour le
roí George 111, le respeet affectueux et les égards de
M. PiU, quelquo aecord mema qtti régmlt, entre
le roi et son ministre, quant a leur polítique géné~
rale, eétait M. Pilt, el non pa.'I George 111,. qui
gouvernait; c'étaiellt, en définitive, les idées, les
desseins, les amis de M. Pitt qui prévalaient, el ii
avait, tant qu'il restait ministre, l'honneur comme
la charge du gonvernement. De teIs hommes ne
sont pas, pour un roí, des instrumenta, comIDe
les appelait Napoléon an moment méme 0\1 il re-
grettait de De pas les avoir aupres de lui ; ce sont
des aUiés obligés, et qui portent, dans le !iervice
royal, une forte, bien que respectueuse, indépen ..
dance. Ce n'es! pas avec la passion et apres une
longue habitude du pouvoir absolu qu'on se ré-
signe a ee partage, quelquefois tres ... inégal, du
pouvoir et de la gloire. Dans les épanchements
de sagesse qu'aOlenent les grands périls, le grand
esprit de Napoléon compre~ait les e~n~itio~s et la !:
marche du gouvernement hbrc; mals Je SOIS COll. !~.


. '-,


VaillCl1 que, si la fortune lui fl\t redevenue pro~ :~ ..




LXIV INTRODUCTION.


pere, sa nature el son passé auraient repris, en lui
comme autour de lui, leur empire, et que l' Acte
additionnel aurait plié devant l' Empereur.


Mais pen importe aujourd'hui ce probleme
moral a propOs d'un grand homme : que la
transformation constitutionnclle de Napoléon,
en 1815, fOl, ou non, sérieuse et durable, ce
qu'eUe prouve évidemment, e'est le rapide
progres de la liberté politique renaissante. Ce
grand vreu de t 789, si 10n~teIIlps oublié ou eom-
primé, reparut tout a eoup avee l'empire d'un
besoin national. Louis XVIII l'avait eonsacré par
la Charle; Napoléon en fit autant par l' Acte addi-
tionnel. L'aneienne royauté et la royauté de la
Révolution reeonnurenl el aeeeplerent également,
et eoup sur cuup, le gouvernement. libre, pour la
France comme un droit, pour ses chefs comme une
néeessité.


Des le Jendemain de eeUe double victoire, la
liberté politique en remporta une autre, peut-
étre encore plus difficile et plus significative.
Sous l'impulsion de la réaction bien naturelle
contre les Cent-Jours, les éleetions amenerent sur
la scene une Chambre des députés ardente a




TIWIS t~I;:NÉHATIO~S. LXV


poursuiVI'e, conlre la Révollltion et I'Empire,
ce He réaction dont elle était elle-meme le fruit.
11 y avait, dans eeHe Chambre, plus de passions
vindicatives que de plaos politiques, et le besoin
de jouir de la victoire apres tant de défaites y
t.enait plus de place que \'esprit syslématique-
ment rétrograde. Mais elle fut, des son avéne-
ment, et non saos cause, qualifiée et redou-
tée, par le pays, cornme la Chambre de l'ancien
régime et de la contre-révolution. Elle n' en fit
pas moins ce que venaient de faire Louis XVIII en
iSil¡. et Napoléon en 1815: quels que fussent ses
regrels et ses tendances, elle accepta la liberté
politique commellne néeessité de situation et de
gouvernement. Elle fit plus que l'accepter; elle
la mit en pratique avec une hardiesse depuis long-
temps étrangére a nos assemblées législatíves;
elle.opposa ses idées, ses projets, sa politique
aux idées, aux projets, a la polilique de la
Royauté qu'elle venait souteni,'. Loin de se
renfermer dans les limites des droit:; el des pou-
voirs que lui attribuait la Charte, elle s'efforQ3 de
les étendre; elle aspira a toutes les prérogatives
que possédaient ailleurs d'autres assemblées de-




LXI·¡ ¡"T1W])IICT!< 1:\.


puis longtemps puissantes el iutirnement associées
au gouvernement. Les ambitions constilutionnelles
des plus liLéraux publicistes devinrent celles de la
ClJambre de 181.0. Elle réprouva, elle dénon!;a, elle
áttaqua les conseillers de la couronne. Elle éleva
enUn la prétention fondamentale du régime parle-
mentaire; elle réclama,commeson droit, le pOllvoir
dirigeant et définitif pOUl' la majorité qui se for-
mait dans son sein. A la tribune et dans la presse,
ses orateurs et ses écrivains les plus illustres sou-
tinrent que le ministere du roi devait étre pris
dans celte majorité et gouverner selon son in-
fluenee, que telle était la loi flu régime repré-
senlatif.


Mais en meme temps qu'all nom du régime
représentutif el parlementaire, la Chambre de
18H) exer9ait et étendait tieremenl ses propres
draits, elle l'estreignait ou suspendait les droits
des citoyens, la liberté individllelle, la liberté de
la presse, les garanties judiciaires. A.u sommet de
l'État, les principes de la liberté poli tique, adoptés
et praliqués par les ~eprésentants de l'queien
régime lui-méme, étaient en progres; mais, dan s
le pays, les libertés privées et persounelles avaient




LXYlI


grandement a sOllflril' de l' empire dI! par ti domi-
nant. Dans le présent el en fait, la liberté politique
tournait aiusi contre son but essentiel, et ses instí-
tutions fondamentales devenaient des instruments
de régime arbitmire el de réaction.


En préspnce de cet étrange amalgame de pas-
sions conlre-révoJutiollIlaires et d'iclées libérales,
des eSfll'its élevés, libres et moraux, des hommes
a qui le spectacle de la Ré\'olution avait appris 11
détesler surtout l'arbitraire et l'oppression in-
fligés aux peuples sous de heaux noms et dans de
belles espérances, des hommes qlli vOlllaient sur·
tOllt l'exercice el le respeet pratiqlle ues droits el
des libertés individuelles, ces hOlllmes, venus de
lous les poínts de l' horizon politique, entrepri-
rent courageusement de défendl'e, dans le gou-
vemement el dans les Chambres, la j ustice el la
sociélé fralH¡aisl's gra vement menacées. C! Ce
partí se forma brusqllement, sponlanément, SUIlS
bul prémédité, sans cOlllbinaisons antérieures et
personneHes, SOllS le seul cmpire de la nécessité
du mament, puur l'ésistel' it un mal pressant, non
pour faire pl'évaloir tel ou tel s)'steme politique,
te1 OIJ teI ensemble d'idées, de résolutíons et de




LX VIII I:--<TRODUCTION.


desseins. Soulenir la Restauration en combattant
la réaction, ce fut d'abord toule sa politique 1. »
Pour pratiquer celte politique ave e quelque au-
lorité, pour rendre emeace sa résistance á la
réaction contre-révolutionnaire, il faHait, a ce
partí naissant, un point d'appui : iIle prit dans la
royauté restallrée, dans les droits el les forees
que luí reconnaissait la Charle constüutionnelle.
Gontre I'ambition dominante de la Chambre de
1815, il maintint, en principe, la royauté a la
téte du gouvernement, se souciant pen des con-
séquences qu'on voulait tirer de la nature du
régime représentatif, les J'epoussant méme pé-
remptoirement au nom de la monarehie: «QueHe
est done, disait-il, celte nature mystérieuse qlli
commande de tels sacrifices? Qui estoce qui l'adé-
finie?Qui est-ce qui a autorité pour imposera ceUe
nation une autre définítion que celle de la:Charte?
Le jour 011 le gouvernement sera a la discrétion de
la majorité de la Chambre, le jour 011 il sera établi
en fail que la Chambre peut repousser les mi-
nistres du roi, ellui en imposer d'aulres qui se-
ront ses pl'opl'es ministres el non les ministres du


t Mémoires pO/ir ser-vil' a l'hiftoire de mon temp$, t. r, p. 115.




TROIS GÚ~ÚRATIOJ\S. LXIX


roi, ce jour-Ia, c'en est fait, non pas seulement
de la Charle, mais de notre royauté, de ceUe
royauté indépendante qui a protégé nos peres, et
de laquelle seule la France a re9u tout ce qu'elle
a jamais eu de liberté et de bonheur. Ce jour-la,
nous sommes en républiqlle t. »


Je ne siégeais alors ni dans la Chambre des
députés, ni dans le conseil des ministres; j'ap-
prouvais pleinement la résislance de mes amis
politiques a la domination vindicative de la
Chambre de 1815 et ¡eut' empressement a dé-
fendre de son ambition la royauté qui les aidait 11
défendre la France contre ses réaetions. Dans les
jours de grand péril, e'esl le premier devoir des
hommes publics de courir, comme on dit, au
plus pressé, et la société n'a rien de plus pressé
que la protection de la justiee et du droit envers
tous les citoyen~. Jo pl'étai, autant qu'il était en
moi, au parti de la résistance d'alors, mon plus
zélé concours; mais la théorie qu'il meltait en
avant sur les rapports des grands pouvoirs de
I'Etat ne me salisfaisait point; eette proclama-


I La vie politique de M. R0!lel'.C'oLlard, ,;r" discours el ses ,Jcrits,
par ~L de Darante, t. I, p. ~17.




LXX I"il'lWDUCTWi\.


tíon ue « la royauté indépendante, » ceUe décla-
ratíon que (1 sí la Chambre des députés pouvait
repoussel' les ministres du roi el luí en impuser
d'autres, e'en était fait de la monarehie el nous
étions en république¡» blessaient mes sentiments
en fait de liberté poli tique ot mes instincts, en-
core un peu confus, sur la nature et les contlí-
lions du gouvernement libre. FOllder un gou-
vernement libre, e'était précisément l'reuvre a
laquelle nous étions appelés. Quoi de plus impor-
tant, pour le sucees d'une telle reuvre, que de
bien comprcndre et de bien ménager les situa-
tions respectives et les rapports nécessaires des
grands pouvoirs de l'Étal? CeUe intelligence el
ce ménagement avaient manqué aux auteurs de
la Constitution de 1791 lorsque, en mainlenant
la royauté, ils en avaient fait le serviteur impuis-
sant d'une assemblée souveraine. Étions-nous pres
de tomber, en sen s eonlraire, clans une erreur ana-
logue, et de contester, en principe, a la Chambra
des députés, l'influence définitive qu'en fait elle
ne pouvait manquer d'exercer dans le gOllverne-
ment? Ceux-Ul avaient lort qui, au nom de la
sOllverainelé du peuple l déc1araient souveraine




TlW!S GENEHATIONS. LXXI


une Chambre obligél:J¡ pOllr faire ptévaloir ses
lues; de les faire agréer par la royaulé et que la
royauté pouvait dissoudre; mais cotnment qua-
lifier d'itidépetidante une royaulé qui ne pouvait
recevoir que des Chambres ses plus nécessaires
móyens degouverhemenU En droit comme en
fait, dane le régime eonstitutionnel, aueun des
grands pouvoirs n'est indépendant ni souverain j
e'es! préeisément pour qu'aucun d'eux no le soit
qu'ils sont sé paré s et investis ue droits spéciaux,
indépendants seulement dan s leurs limites et 11
certaines conditions. Comrnent peuvent vivre et se
déployer cote a cote des droils distincts? Com-
ment s'élablira l'harmonie entre des pouvoirs sé-
parés? C'est la le probleme foudamental du gOll-
veruement libre. A mon avis, les rnaximes que
proelamaient, ell181 o, quelques- uns de mes
plus influent.s amis ne le résolvaient point, et je
eroyais sa solution d'une imporlance plus pm-
tique et plus prochaine qu'ils ne le pensaient.


Vers la fin de I'année 1816, an momellt ou la
dissolution de la Chambre de 1810, prononcée
par l'ordonnance du o septembre, faisait de eette
question le point culminant de la luUe des partis,




LXXII ¡",TIWDUCTION.


je résolus d'en dire ma pensée, et je pllbliai sous
ce ti 1re : Du gouvernement représcntati{ et de l' état
actucl de la France, un conrt écrit ou, apres avoir
pleinement adhéré a la politique générale dll mi-
nistere, j'essayai d'indiquer par quels moyeos 00
pouvait, sous le régime représentatif, aUeindre
le double but de toute socíété bien constituée, un
gouvernement for1 et un peuple libre. On o'appe.
laít pas encore cctte question « la qllestion dll
gOllVCrliement parlementaire; » mais e' était bien
Hl, en réalité, le fOlld dll débat et le sens du tra-
vail des esprits.


« Comme la sociélé est une, disais-je, de méme
le gouvernement doit étre un. L'unité dans le
gouvernement est une nécessité si impérieuse
que tontes les constitutions, quels qüe soient lenrs
éléments, tendent constamment a y arriver. L~s
ohstacles qu' oppose ü cette tendance nécessaire
une mauvaise organisation des pouvoirs sont
parmi les principales causes des désordres inté-
rieurs qui agitent et sonvent boulcversent les


. États. Les sociétés brillent et prosperent quel-
quefois malgré l'influence de eeUe cause; mais
elle finit par étouffer les germes de prospérité les




TROIS GI~NÉRATIONS. LXXIII


plus féconds; et les natíons n'obtiennenl une
existence en méme temps paisihle et glo-
ríellse que lorsque l'unité est parvenuc a s'éta-
blír dans les pouvoirs qui président a leurs desti-
nées.


(. Qu'on parcoure l'histoire de la Grece, celle
de Rome, l'histoire des républiques italiennes,
de l' Allemagne, de l' Angleterre, on reconnaitra
que le défaut d'unité dans le gouvernement a
été partout un príncipe de révolutions et de maux
insu·pportables. La, les États on t fini par périr au
milieu de la 1 uUe des pouvoirs; ici elle les a
réduits a subir le joug d'un despolisme aussi fu-
neste el plus honteux; ailleurs, mais bien plus
rarement, la luUe s'est terminée par une heu-
reuse fusion des pouvoirs. Rés~ltats divers selon
les temps et les circonstances, mais qui prouvent
tous que l'unité dans le gouvernement est l'une
des conditions nécessaires de l'ordre, de la vraie
liberté et de la durée.


(( 11 Y a unité dans le gouvernement, lorsque le
pouvoir chargé de diriger les affaires générales de .
la süciété peut rernplir celtc tache dans tüule son
étendue sans étl'c arrété ou troublé dans son




LXXIV I:-.iTRODUCTION.


aetion par des obstacles qui compromettent son
existenct'.


ee .... .11 n'y avait páS ullité dans le gouverne-
ment anglais avaht la révolution de 1688¡ car le
pouvoir royal et le pouvoir de la Chambre des
cdtnmunes etaient si profondément séparés el
étrallgers l'un a l'autre, qu'ils con~iraient
saUs cesse leur ruine muttielle. Depuis 1688 j
l'unité s' est progressivement établie dans la con-
stitution britannique, paree que le pouvoir royal
et le pouvoir des Chambtes sont parvenus, en se
pénétrant réciproquement et en se rondant l'un
dan s l'autre, a ne plus former, en fait, qu'un
seul pouvoir, le pouvoir du Parlement qui, a la
vérité, a en lui-méme ses limites, mais qui, tant
qu'il ne les dépa~se point; s'exerce pleinement
el librement; san s aUCllIl danger pour }'État, ni
pour lui-méme.


« Partout ou divers pouvoirs égaux, séparés el
indépendants sont appelés a coneourir au gOlÍ-
vernement, ce concours est un combat tant que
ces pouvoirs demenrenl dans leur séparation el
leur indépendance réciproque. Et qu'on ne pré-
lende pas donner 11 I'un d'eux~ considéré ísolé-




'[1\o1S GÉ:-'¡ERATIO~S. LXXV


mellt, une prépondérance telle que les aull'es
devíennent des agents secondaires; eette préten-
tion enfanterail une Jutte d'un autre genre et non
moins funeste .... Ce n'est pas seulement la situa-
tion relative des lrois pouvoirs et le défaul d'unité
dans le gouvernernent qui ont amené en Angle-
terre la révollllioll de 1640 et de 1688; c'e!\t
surtout l'imprudente amIJition des Stu!J.rts qui
voulaient donner, a l'ulllorité royale seule; une
supériorité inconciliable avec les priviléges et les
fonctions des deux Chambres. La maison de
Hanovre a accepté la rusion intime de l'alltorité
royale avec celle des deux Chambres: des lors
toute rivalité a disparu, toute luUe dangereuse a
cessé; l'llnité a été établie dans le gouvernement
anglais, el il est devenu fort, en mema temps que
la nation devenait libre.


!! ..... A la lllmiere de cel exemple, le méca-
nisme des gouvernements mixtes devient simple
et facile a expliquer. Qlland les gouvernements
de ce genre onl atteínt a leur maturité, l'unité de
pouvoir et d'aetion s'élablit entre leurs divers
élémenls ; selllement le pouvoir sllpréme et défi-
nitif, un an fond quoique extérieurement divisé,




LXXVI INTHODUCTIO.'f.


est soumis, par son organisation intéríeul'c, a. cer-
taínes condilíons qui luí posent, dans son propre
sein, des limites qu'il ne peul dépasser sans perdre
les forces memes par lesqllelles il agit ..... Dans la
monarchie constitlltionnelle, a ne considérer que
les apparences, la royauté est le gouver'nement,
la Chambre des députés l'opposition~ et la Cham-
bre des pairs le médiateur. Dans la réalité bien
comprise, au contraire, le roi, la Chambre des
pairs et la Chambre des déplltés forment un seul
et meme pouvoir supreme qui gouverne avec les
forces de ces trois éléments réunis; l'opposition
qlli existe dans les deux Chambres est un surveil-
Janl et un rival intérieur, plaeé au sein du gou-
vernement lui-meme; elle n' est point un pouvoir
distinct; son droít est d'observer et de critiquer;
sa mission est de marquer la limite que, dan s la
politíque qu'il a adoptée, le gouvernement ne
doit pas dépasser, et d'avertir I~ pays des qu'en
effet eeUe limite de la polilique en vigueur est
dépassée. L' opposition est 11\ comme une puis-
sanee comminatoire et expectante dont la pré-
sence oblige le gouvernement tI Nre prudent el
habiJe, dans son propre systcme, wus peine de




TROIS Gl~.'\Él{ATIONS. LXXVII


voir les forces qlli le sllivellt se séparer de lui et
passer sous un autre drapeau.


a C'est a ce point qu'esl parvenu, en Angle-
terre, le gouvernement représentatif; e' est la sa
vraie théorie ct sa pratique bien eomprise. L'au-
torité royal e n'y a point été, eomme on le dit
vulgairement, envahie et remplaeée par eeUe des
Chambres; seulement la royauté, éclairée par
l'expérience sur le danger de derneurer placée en
dehors des Chambres, et d'avoir aiusi a diriger ou
a combaUre des pOllvoirs élrangers aux afl'aires,
ennemis s'ils ne sont serViles, obstacle terrible
en cas d'inimitié, appui sans force en cas de ser-
vitude, la royauté, dis-je, s' est fort sagement
décidée a placer le siége du gouvernement dans
les Charnbl'es mémes, et a gouverner de concert
avec elle~ el par leurs chefs. Ainsi s' est opérée
ceUe fusion des pouvoirs divers, scul point de
repos des gouvernements mixtes, el par laquelle
les pouvoirs, loin de s'entraver ou de s'annuler
les uns les aulres, se soutiennent et se fortifient
mutuellement 1. »


t j)" GO"1Jern~11Iellt rpl'téulltati{ el de )! état a,clnel, de la Franee,
p. 25-B1. Paris, lRlf..




J,XXVUI I:\l'HODUCTlON.


Si j'avais nujolll'CJ'hlli 11 présenter pOllr la pre-
miel'e foís ces idées, jo les exprimerais d'une fa¡¡on
moins abstraite, plus pratique, ét en les éclairant
de plus pres par le flambeau des faits. Mais telles
que je les concevais el que je les ai puhliées
en tR16, elles contenaienl, je erois, en germe,
Jes vrais principes du gouvernement mixte, qui
est le gouvemement lihre, et elles meUaient en
lumiere les procédés par lesquels l'unité, condition
néces:iaire de la force du gouvernement, se réta-
blit entre des pouvoirs séparés el divers, condition
nécessaíre de la liberté.


Mais c'étaient la, en 1.81.6, des méditations et
des pressentimenls solitaires; dans l'al'ene poli-
tique et au milieu de ses tulles, nous étions loin
de nous rendre ainsi compte de la nature et des
lois intimes du gouvernement que nous avíon!! a
pratiquer. Heureusemcnt il n'est pas indispensable
que les homrnes, pour bien faire, sachenl nette-
ment ce qu'ils font, et Dieu permet souvent qu'ils
marchent dans la bonne voie sans en bien counaHre
I'étendue et les sinuosités. Nous ne démélions pas
avec précision quel mocle d'exercice la liberté poli-
tique imposait au pouvoir; mais nous l'Ol1líOlJS Sill-




cerement, énergiqucment, la liberté elle-meme, et
nons en usions sans hésitation en défendant la
nouvelle société fraIl<¡aise cOBtre la I'éaclion qui
la mena~ait. La royalllé restaQrée ne m¡tnqua
poiot, dans eeUe erise, asa missiou el a son rep.vr~ :
contr~ l\,}s passious de son <\llcien partí, ell~ pro-
tégea. la t"'rance avec les armes de lí\. Charte.·
Gnicc a ce conCO~ll>S de la royauté sensée el
de la libl:)rté franche, le gOllvernemcnt libre se
réalisa el s'organisa rapidcrncllt, plus rapidemcnt
dans le fail que clans la pensée de ses acteurs. Une
majorité se forma dans les Churpbres, décidée a.
sou.teqir 11\ polilique loyalement libérule, Plusieurs
des chefs de calle majorité, éloquünts et cour~­
geux interpretes de ses scntiments, eutreretIt dans
le cabioet. Le ministere ainsi constitllé eut en fílce
de lui UIle oppositioll ardente, hardia, héritiere
de la majorité qui avait dominé dans la Chambra
de 181¡), el persistant avec plus de prudence dans
sa politique, lllais léga.le et dévouée an gOllverQe-
meQ\ rOYíl1, tOQt en combattant ses conseillers .
.t\jnsi apparaissaient et agissaient déj4 les grands
partis, instruments néeessaires un régime repré-
sentatif dans sa maturité, défendant hmrs aCles el




LXXX INTRODUCTION.


- exposant lcurs vues devant la couronnc et le
pays, et se disputant le pouvoir avec le~ armes de
la liberté.


Les résultats de eeUe forte et harmonique or-
ganisation des grands pouvoirs publies ne tarde-
rent pas a se manifester:En méme temps que la
liberté politique s'élablíssait au centre du gouver-
nement, les liber-tés des citoyens recevaient Ieurs
développements et leurs garanties. Laborieuse-
ment préparées et diseutées, des lois sur la liberté
de la presse, sur le jury, sm' la formation et les
droits de l'armée, sur l'administration municí-
pale .. aUeslaient l'efficaeité du bon régime parle-
mentaire pour le progres des libertés communes a
tous et pour le bon gouvernement général de
rEtat.


Mais en meme temps aussi éclata le mal dont le
parti libéral, alors l'allié et l'appui du cabinet,
était travaillé. Hor-s des Chambres et me me' dans
leu\' sein, ee partí eomptait dans ses rangs des
hommes plus attachés a la Révolution qu'a la li-
berté, et obstinés a défendre la Révolution tout
entiére, indistinctement, pele-méle, meme dans
ceux de ses actes qu'au rond ils désapprouvaient.




TROIS GÉNÉRATIONS. LXXXI


Les uns se faisaient un point d'honneur de soute-
nír en tous cas, contre ses ennemis, le g!'and évé-
nement auquel, dan s des mesures tres-inégales,
ils avaient eux-mémes pris parto Les autres ne
pouvaient se résigner a croire que la liberté poli-
tique rentrat en France avec les aneiens adver~
saires de la Révolution et au milieu de nos reverso
D'autres n'osaient pas combattre ou sculement
désavouer les passions populaires que les violences
de 1810 avaient soulevées. Aux uns, e'étaient
l'étendue et la sérénité d'esprit, aux autres,
c'étaient l'équité et la fermeté de ereur qui man-
quaient pour jllger sainement du nOllvel état de la
France, et reconnaitre la nécessité des grandes
transactions pour fonder la liberté apres les grandes
crises. Et sous l'empire de ces sentiments divers,
tous prétaient leur coneours ou n' opposaient nuBe
résistance uu travail des factions ennemies qui
poursuivaient le re~versement de la mo-narehie
restaurée, el tournaient ave e ardeur, contre elle,
les armes de la liberté restaurée avec elle.


L'explosion de eette situation chargée d'orages
ne se fit pas lougtemps attenclre. L'un des con-
ventionnels qlli avaiellt voté la mort de Louis XVI,




LXXXII IN'fRODUCTION.


M. Grégoire, fut élu député. Le duo de Berry fut
assassíné. Ces deux faits amenerent, en deux ans,
la ruine complete du partí libéral dans le gouver-
nement, et firent passer le pouvoir aux mains du
cóté droit dans les Chambres, du parti que le sen-
timent public regardait comme le représentant de
l'ancien régime el l'instrument de la contre-révo-
lution.


Alors commen!;a une triple lutte dont les con-
séquences pour la liberté poli tique méritent d'étre
mises en pleine lumiere. Au sein du parti vain-
queur, investi du gouvernement, s'établit un con-
flit sourd, mais continu, entre les intelligents et
les fanatiques, les modérés et les emportés, entre
les cbefs devenus responsables et prudents en
devenant mi~istres el les rangs extrémes de
l'armée, ardents a poursu ivre en tous sen s et a
tout risque leur victoire. De son ctlté, a la tribune
et dans la presse, le parti libéral tombé du pou-
voir institua, contre ses nouveaux possesseurs,
une opposition permanente, diverse dans ses
maximes et son langage selon les diverses nuances
de ses membres, mais active de la part de tous et
soutenue au dehors par le sentiment pllblil).




'J'HOIS HRNÉRATIONS. LUXll!


En6n, hors du théatre constitutioone1., fantót
daos une ombre profonde, . tantót sous des tlégui-
s~ments incomplets, les sociétés secretes se mi-
rent al' oouvre, diverses aussi dans leurs éléments,
les UDS dévoués aux souvenÍrs de l'Empire, les
antres nourrissant l'espoir de la RépubIique, tous


- acharnés au renversement de la monarchie res-
tanrée. Les dissensions intestines du parti en
pouvoir .. les luHes parlementaires et les conspi-
rations révolutionnaires suivaient ainsi parallele-
ment leur cours, mais avec des résultats bien
différents pour la cause de la liberté poli tique.


Les ministres de cett~ époque, surtout M. de
Villéle, vrai chef du cabinet, méme avant qu'il en
portat le litre, ont encouru le reproche de n'avoir
pas suffisamment résisté aux passions vindicatives
ou aux fantaisies rétrogrades de leur parti el
d'avoir ainsi compromis lcnr cause générale


. comme Ieur propre pouvoir. Je crois le reproche
a la fois fondé et sévere : jI y a de la légereté dans
les plus sages, de la faiblesse dans les plus fermes,
et soil qu'il s'agisse de la vie publique ou de la vie
privée, les meilleurs ne font jamais, non-seule-
ment tout ce qu'ils devraient, mais loul ce qu'ils




LXXXIV üTTRODUCTION.


pourraient faire. M. de Villele, a coup sór, céda
plus d'une fois trop complaisamment el au roi
qu'il servait At au partí qu'il dirígeait. Il est diffi-
cile de bien mesurer les obstacles contre lesquels
iI avait 11 hltler, et de savoir s'il possédait, soit
dans les Chambres, soit 11 la cour, assez de force
pour les affronler et les vaincre. Mais, quelles
qu'aient été en ce genre ses fautes, « il fit deux
choses difficiles et qu'on pourrait appeler grandes
si elles avaient duré plus longlemps : il disciplina
rancien parti royaliste, et d'un partí de cour et de
classe qui, jusque-l11, n'avait été vraiment actif que
dans les luttes réllolutionnaires, il flt, pendant six
ans, un partí de gouvernement. 11 contint ce parti
et son pouvoir dans les limites de la Charte, et
pratíqua, pendant six ans, le gouvernement con-
stitutionnel sous un prince et avec des amis qui
passaient pour le eornprendre assez peu et ne l'ac-
cepter qu'a regret '.» Ce fut la, pour la liberté po-
litique, et par des mains de quí on ne l'aUendait
guere, une grande conquete et un important
progreso


On a aussi reproché, a une portion de l'oppo-
t !lfémnires pou)' .'"1'1,;.,. Ii I'hisfoire de mon temps, t. r, p. :l86.




I'H01S GÉNERATIO!\S. LXXXV


sition libérale dans les Chambres a. eette époque,
sa complaisance pour les conspirations et les insur-
rections qui, de 1820 a i827, poursuivirent avec
passion la ruine de la monarchie restaurée. Je
n'ai nul gonta renouveler aujourd'huí ce reproche,
et je ne veux pas non plus excuser les faiblesses
embarrassées . et les con ni vences ti mides quí en
furent ou la cause légitime ou le spécieux pré-
texte. e'est de la liberté politique sellle, de ses
progres ou de ses revers pendant ce temps que je
me préoccupe. Sous ce rapport et pOlll' cette
grande cause, les tOl'ts de quelques-uns des mem-
bres libéraux des Chambres d'alors, quelle que fut
leur gravité aux yeux de la morale et du bon sens,
eurent peu d'importance; dans sa difficile situa-
tion, }' opposition parlementaire, de 1820 a 1827,
fit son devoir et s'acqllitta bien de sa mission; elle
usa fermement de ses propres libertés et défendit
avec persévérance celIes du pays. Malgré ses mé-
nagements pour les tentatives révolutionnaires du
dehors, elle ne se li\Ta point elle-méme a l'esprit
révolutionnaire, et ce ne fut point ce fatal esprit
qui grandit daos les Chambres par les lnites qu'elle
y. sOlltint; l'esprit de légalité et de prévoyance,




LXXXV! INTRODUCTIO~.


le respect de l'ordre constitutionllel et du gouver-
nement régulier y furent, au eontraire. en rapide
progreso Si bien qu'en moins de sept années l'op-
position libérale vit sa bonne conduite récompensée
et ses etrorts couronllés par le succes. Les vices el
les périls de la politique qui dominait depuis 1822
furenl reeonnus; le parti de l'ancien régime per-
dit le pouvoir; et dans la personne de M. de
Martignac el de ses collegues, une simple évolu-
tion parlementaire ramena, en 1827, le gouver-
nement dan s les voies libérales dont, en 1820,
l'élection de M. Grégoire et J'assassinat du due de
Berry l'avaient fail sortir. Grand triomphe, Reoup
sur, pour la liberté politique naissante, el preuve
éclatante de son efficacité.


Mais pendant qu'au centre du gouvernement, et
par sa propre vertu, le régime parlementaire pré-
valaii ainsi el portait ses fruits, quelque divers
qu'en fussent les acteurs, les conspirations el les
insurrectioDs révolutionnaires troublaient sans
cesse ses progres, et meUaient les coups de la vio-
lence et du hasard R la place des développements
nalurels de la liberté. « Aujourd'hui, a plus de
trente ans de distance, aprM tant el de bien plus




TROIS GENÉRATIONS. LXXXVII


grands événemenls, quand un honnéte homm6
sensé se d~mande quels motifs suscitaient des co"
leres si arden tes et des entreprises si té~éraires;
il n'en trouve point de suffisants ni de légitimes.
Ni les actes du pouvoir, ni les probabilités de l'a-
venir ne bIessaient ou ne mena~aient assez les
droits et les intéréts du pays pour autoriser un tel
travail de renversement. Le systeme électoraI avait
été artifieieusement ehangé ; le pouvoir avait passé ...
aux mains d'un parti irritant et suspect; mais les
grandes institutions étaient debout; les libertés
publiques, bien que combattues, se déployaient
avee vigueur; le pays prospérait et grandissait ré-
gulierément. Inquiete, la soeiété nouvelle n'était
point désarmée; elle était en mesure d'aUendre
el de se défendre. II y avait de justes motifs pour
une opposition publique et vive, point de justes
causes de eonspiration ni de révolution. Les peu'"
pIes qui aspirent a la liberté courent un gralld
danger, le danger de se tromper en fail de ty-
rannie. Ils donnent aisément ce nom a tout régime
qui leur déplatt ou les inquiete, ou qui ne leur ac-
corde pas tout ce qu 'ils désirent. Frívoles humeurs
qui ne demeurent pas impunies. Il faut que le




LXSXVIII INl'RODUCl'lON.


pouvoir ait intligé au pays bien des violatiolls de
droit, des iniquités el des souffrances bien ameres
et hien prolongées pour que les révolutions soient
fondées en raison, et réussisseut malgt'é leurs
propres fautes. Quand de telles causes manquent
aux tenlatives révolutionnaires, ou bien eHes
échouent misérablement, ou bien elles amenent
promptement les réactions quí les chatient '. )


, Les conspirations révolutionnaires de 1820
a 1823 n'étaient pas seulement dénuées oe mo-
tifs sensés et légitimes : ourdies presque toutes
pal' des sociétés secretes d'origine et de déno-
minations diverses~ elles jetaientleurs auteurs et
leurs adhérents dans des voies essentiellement
contraíres aux intéréts comme aux principes de
la liberté politiqueo Quoi de moins libéral que les
sociétés secretes, les sentiments qu' elles fomen-
tent, les fa<,{ons d'agir qu' elles imposent? La li-
berté vit de lumiere, de publicité, de contradic-
tion, de discussion; elle veut que les systémes, les
desseins, les partís, les hommes contraires se
mauifestent et se combattent hautement, sous les
yeux du public qui apprend ainsi ¡t les connaítre


I Jiémvi're, pO'Ul" sel"vir á I!lvistoü'e de mon temps, t. 1, p. 2;)4.




TIWIS GÉNÉRATIONS. LXXXIX


el a les j uger. Les sociétés secretes, au contraire,
vouent leurs membres a l'isolement, au silence,
aux menées obscures, aux passions déguisées, a
l' obéissance passi ve. Le public ne les connait pas;
ils ne connaissent pas leurs adversaires; 11 peine
se connaissent-ils entre eux. Toutes les habitudes,
toutes les pratiques de la liberté leur sont étran-
geres; ce sont des ese laves volontaires, au service
de coteries toujours pres de devenir tragiques. Si-
tuation d'autant plusdéplorable qu'elle ne manque
point d'attrait; les hommes se complaisellt dan s le
mystere, les desseins cachés, les périls vagues, les
unioos tres-limitées el intimes, et dans l' impor-
tance que leur emprunte chacun des associés.
Que de telles associations se forment sous une
tyrannie a vél'ée, pesall te, permanente, qui coo-
damne au silence et a l'inaclion ceux qui vivent
sous sa ¡oi, cela s'explique el se justifie naturelle-
ment; mais des sociétés secretes au milieu d'un
régime de liberté, de puhlicité, d~ discussion,
quand tous les citoyens, avec des efforls et des
risques tl'es-modestes, peuvent parler et agir au
grand jour pour soutenir leur cause; e'est la un
contre-sens absurde el funeste, qui ne s'explique




Xc INTHODUOTlüN.


que par des passions q~'on n'ose avouer, et qui
fausse le jugement el le caractere des adeptes
engagés dans ces ténebres, autant qu'il inquiete
et trouble la sociélé qu'ils pourraient servir en
usant hardiment de ses libertés.


11 n'y a point de contradiction , si étrange
qu' elle soíl, qui ne se I'encontre dan s rame et la
conduite des bommes. En méme temps que les
sociétés secretes éloignaient, des pratiques et des
habitudes de la liberté politiquet la jeune géné-
ration qui s'y laissait attírer, le parti républicaill
naissait dans leur sein; et les mémes hommes
qui préféraient les engagements et les concilia-
bules secrets au ferme usage des institutions
libres qu'ils avaient sous la main, aspiraient avec
passion a la République comme a l'idéal de la


. liberté.
Je m'en suis expliqué plus d'une fois : j'honore


le gouvernement tépublicain; il a tenu, dan s
l'hisloire du monde, une place glorieuse; la na-
ture bumaine s'y est développée grandement et
avec éclat; iI a convenu, il peul convenir: a cer-
taines époques, a. certains états des sociétés hu-
maínes; et si j'avais vécu 11, Rome apres la chute




T1WIS GÉNÉRATIONS. XCI


de la RépuLlique et sous les cmpereurs, j'aurais
dit volontiers avec le vieux Galba: « Si l'im-
mense corps de l'Empire pouvait se tenir debout
et en équilibre sans un mnitre, nous étions dignes
que la République commen~at par nous 1,» Mais je
suis profondément convaincu, d'una part, que la
République n'est point, en principe, le plus ration-
nel et le plus naturel des gOllvernements, d'autre
part, qu'elle est de tous lesgouvernements le plus
difficile a pratiquer, el en outre que, par une mul-
titude de causes sociales, morales, historiques,
géographiques, elle ne convient nullemcnt a la
France. Ce fut done, je pen~e, de 1820 a 1830,
un grand malheur que la renaissance du parti ré-
publicain; il n'existait pas en :1814, au momeot
ou la Hestauration s'accomplit; il ne parut pas
dans les Cent-Jours, quand l'Empire tenta de Se
'rétablir. Plus tard, ce ne fot point apres de sé-
rieuses épreuves et de gra\'cs débats publics, ni
sous la pression de quelque forte nécessité ou d'une
opinion puissante que le partí r~publicain se re-


, Si immensum Imperii oorpus 8~are ac librari $iM rtctor, posg",
dignus eram a qtlO Respnblicaine'lJet"et. (Tacite, Hist., ¡iv. 1,
c. XV].)




11'-11


forma; ce ful au seín des sociétés secretes, au ser-
vice de leUl'S passions et de leurs co~plots, loin
desregards et, pour ainsi dire, a l'insu de la France
que la République reprit la prétention de devenir
le gouvernement fran~ais.


Au vice de cette origine se joignit un autre
mal peut-élre encore plus grave. Le parti répu-
blicaill ainsi renaissant élait un groupe pen nom-
breux, formé de quelques hommes considérables,
vieillis avec plus de dignité que de clairvoyance
au service de la cause libérale, et de jeunes gens
sincerement passionnés pour l'idée républicaine.
Ce petit état-major n'avait, dans le pays méme,
point d'armée et point de crédit pOUl' en rccrutel'
une. Pourtant il lui en faHait une; illui falla,it des
forces bruyantes et actives, prétes a le seconder
en toute occasion et a le suivre jusqu'au hout dans
son dessein. Elles s'offrirent a lui, impures et com-
promettantes, mais hardies. La République révo-
lutionnaire de 1792 a 1798, malgré les revers et
les démentis éclatants qu'elle avait su bis, avait
conservé presque partout des adhérents obscurs,
fanatiques subalternes ou brouillons décriés, ellne-
mis inlraitables de la monarchie, de la Restaura-




TROIS GÉNÉRATIONS. XCIII


tion, de la maison de Bourbon, de tout pouvoir
qui ne donnait pas satisfaction a ]eurs haines ou a
leurs révcs, el habiles a fomenter, dans les masses
populaires, ces espérances vagues, ces passions
anarchiques qui y sommeillent toujours, prétes a
s' éveiller au moinure bruit. C' étaient la, pour les
chefs républicains, une armée éparse mais toute
disposée a leur venir en aide. Par imprévoyance,
par faiblesse, par entrainement, fante d'autres ap-
puis daos les régions sereines de la société, ils
recherchérent ou accepterent celui-la, se flattant
d"employer au triomphe de la République ces
restes des plus mauvais temps de la Révolution, et
ne prévoyant pas que les révolutionnaires devien-
draient leurs maitres au lieu d' étre, entre leurs
mains, des inslruments de liberté.


Apres le succes de la guerre d'Espagne, dalls
les derni{~res années du ministere de M. de Villele
et sous celui de M. de Martignac, les socíétés se-
cn~tes et les républicains firent peu de bruit ; ce:
ne furent plus les conspirations, les insurrections
el leurs proces qui remplirent la scene et passion-
nerent le publico La llltte parlementaire rempla-
9ait et éteignai t la guerre révol u lion naire. C' es! le:




XCIV INTRODUCTION.


but et le triomphe de la liberté politiqueo Mais si
la guerre révolutionnaire ne retentissait plus, dans
les Chamhres et dans le pays, avr,c la méme puis-
sanee, ene n'en continuait pas moins, sourde et
acharnée; áu Heu d'éc1ater dans la spbere de la
publicité el de la discussion, parlementaire ou
judieiaire, l'hostilité se poursuivait dans l'ombre,
el par toute sorte de voies caehées ou les alarmes,
la surveillance et les rapports de la police la pour-
suivaienl incessamment a leur tour. Et les agents
de l'administralion, les conseillers de la couronne,
n'étaient pas les seuls donl ces rapports exeitassent
la sollicitude; le roi Charles X lui-mérne en était
constamment el vivement préoccupé. e'est l'iné-
vitable condition de la police el de sa lutle secrete
contre les ennemis secrets avec qui ene est aux
prises que tantót elle ignore, tantót elle grossit
oulre mesure les périls qu'elle est chargée de
prévenir; ce qui jette et entrelient ses maUres
dans un état d'agitation continue, comrne il arri-
verait a des hornrnes dont les regards, salls cesse
tendus, apercevraient ~a et Ul. des lueurs dans des
ténebres pleines d'ennemis. 11 faut, a ceux qui font
la poliee Oll qui la suivent dans son travail, une




TRors GENÉIUTIONS. XCT


pare fermeté d'esprit pour voir les choses telles
qu'elles sontréellement, a leur place, a Ieur taille,
el POUY neo pas tomber, tantót dans une sécurité
aveugle, tantó! dans des craintes tres-exagérées.
Nul n'était moins propre que le. roi Charles X a.
bien supporter une telle épreuve : esprit 11 la foís
remuant el raíble, imprévoyanl et obstiné, il avait
goót aux recherches, aux découvertes, aux com-
muoications "de la police, et des qu'il les trou-
vait d'accord avec ses impressions el ses pré-
ventions anciennes el générales, il leur portait
une confiance crédule. La Révolution el la Répu-
blique lui apparaissaient, 11 chaque instant,
comme deux fant6mes menayants. Ces fantómes
avaient assez de réalité, et l'hostilité des révoJu-
tionnaires el des républicains était assez active
pour l'entretenir incessamment daos une irritation
pleine d'alarmes; il voyait son trone el sa maison
toujours en proie 11 un pressant péril ; et les grands
faits publics, l'apaisement visible des esprits, les
incontestables progl't~s du gouvernement légal et
régulier daos les Chambres ne suffisaient nulle-
menl El le rassurer.


Ce fut bien pis quand les Chambres elles-mémes




XCVi lNTRODUCTION.


el les embarras de son gouvernement dans leur
sein lui devínrent un sujet de lrouble et de coJere.
Le partí libéral commít, en 1829, une faute
énorme : il était rentré, par le ministére Marti-
gnac, en posses~ion de la prépondérance; la li-
berté polilique venait d'acquérír, par les nouvelles
lois sur la presse el sur les élections, d'efficaces
garantíes. Au líeu de soutenir avec persévérance
le cabinet auquel il devait de tels progres, le partí
libéral le harcela par des e~igences inopportunes,
ne s'entendít paso avec lui dan s la discussion des
lois sur l'administratíon municipale et départe-
mentale, et fournit ainsi au roi Charles X l'oc-
casion de satisfaire, en appelant d'autres mi-
nistres, sa passion et son inquiétude. Moins
choquante que l'offense agressíve qu'avait com-
mise, en 1819, le partí révolutionnaire en élisant
un régicide, la faute du parti libéral, en 1829,
fut, en résultat, aussi grave; l'une avait, par
degrés, amené au pouvoir le coté droit et M. de
Villele; l'autre y fit monter tout a coup M. de
Polignac.


En formant le cabinet du 8 aoo.t 1829, ni le roi
Charles X, ni le prince de Polignac !le méditaient,




T1WlS GÉ:-;l~RATlONS. XCVII


a coup sur, la violation do la Charle el les ordon-
nances de J uillet 1830. l' llll cl'oyait défendre sa
couronne et son droit royal; l'autre se promet-
tait de pratiqucl' en France le gouvernement
représentatif tel qu'il l'avait vu el admiré en
Angleterre. 11 y a presque tOlljours, dans les réso-
lutiollS des hommes médiocres, plus d' idées fausses
que de mauvais dcsseins, eL c'esl leur erreur radi-
cale de IIe pas seulement soup90nner la gravité
des questions qll'ils sOHle\'eIlt et l'issue des voies
ou ils s'engagent. C'était, depuis 1814, l'etrort des
libéruux loyaux et sensés de séparer la cause de
la royallté restauré e de celle de l'ancien l'égime
et la cause de la liberté politique de cclle des
théories et des passions révolutionnaires. Quand
il fit le prinee de Polignae son premim' ministre,
Charles X confondit ces causes si diversos, jeta le
gant au parti parlementaire comme au parti révo-
lutionnaire, et remit du méme coup la liherté
politique en question et Puncien régime en pré-


..


sence de la Révolution.
A eeUe provocation inintelligente et téméraire,


l'adressc des 22 t fut la répollse. Répol1se directe ,
el franche, Sl\llS hésitatioll el san s "oile, mais aussi


g




xcnlI I:\TROllUCTIOX.


modél'ée que fmncho, el ullssi monarchiqlle que
libérale : « La Charle, disait-,-elle, que nous de-
vons a la sagesse de votre auguste pl'édécesseur,
et dont Votre Majesté a la ferme volonté de conO.
solider le hienfait, consacre comme un dl'Oit l'in-.
tervention du puys duns la délibération des intérets
publics. CeHe intervention devait étre, elle est en
effet indirecte, sagement mesurée, circonscritc
cluns des limites exactement lracées, et que \lOUS ne
souffril'ons jamais que l' on ose tenter de franchil';
mais elle est positive dans son l'ésultat, cal' ello
fait, du concours perrnanonl des vues polítíques
de votro gouvernement avec les HElIX de votre


,-


pouple, la condition indispensable de la marche
régllliél'e des alTaíres publiques. Siro, 110tro
loyauté, noLre déYOllerncI.lt, !lOUS condarnnent a
vous dil'c qne ce conCOllrs n'existe paso » La li-
herLé poliliqllc était ainsi proclarnée en prin-
cipe el appliquée aux circonstances du moment,
comme un droit national. Mais 11 coté de ces
fcrmcs paroles se playaient celles·ci : « Qllinze
ans oe paix el de liherté, que ce peuple doit a
vtttre auguste frere el a vous, ont profondément
enraciné dans son CCDur la rrconnaissancc quí




1'[W18 GÚXÉIL,TW;\CS. XCIX


l'attacho 11 ,"otro royale ramillo; sa raison, rntirie
par l'expérience et par la liberté des disellssions,
lui Jit que e'est surtout cn maliere d'autorilé que
l'autiquité de la possessioll ost le plus saint de tous
les titres, el que e'est pOUl' son bonheur anlant
que pom' votl'C gloire quc les sieelos ont plaeé
votre trollc dans une région inaceessiblc aux
ol'ages. Sa cOllvictíotl s'aecorde dOlle avoc son de-
voir pOlll' lui présenter les droits saerés de \,O{W
couronne comme la plus slIró garantie de ses li-
bertés, et l'intégrité de vos prérogativcs comme
nécessaire a la eonservatiol1 de ces droits. ») 11 était
impossible de rnéconnaltre la pal'faite et sérieusc
sincérité de ¡'un et de I'nutre langage; el par un
progre s bien inaltendu dont la liberté politique
en vigu8m' depuis quinze ans avait l'honncUl'
comme le fruit, c'était M. Royer-Collard qui par-
lait ainsi au nom de la Chambre des députés, et
toutes les nual1ees du parti libéral, l'oppositioll
tout entiere, acceptaient les paroles de 1\L Royer-
Collard comme l'expression de leurs sentimenls et
de leurs desseins.


n y avait la lIne de ces fortuncs rares, un de
ees moments décisifs <lui, bien compl'is et hien




INTRODUCTION.


salSIS, fondent pour un long temps la force des
gouvernements el la paix intérieure des États.
Le roí Charles X ne comprit point. Au lieu d'ac-
cepter l'harmonie et l'union intime des gt'ands
pouvoirs, loyalement demandées et offertes, il
pronon!ta leur séparation. La Chambre des dé~
putés fut dissoute.


Elle n'avait certainément pas dépassé les limites
de son droit. Avaít-elle dépassé celles de la pru-
dence? Au líeu d;affirmer sur-le-champ, en prin-
cipe la nécessité el en fail l'absence de l'harmo-
nie entre la Chambre et un ministere qui n'avait
encore rien faít, et n'était suspect qu'a cause des
noms el des antécédents de ses membres, n'eut-il
pas miellX valll attendre ses actes, el lui faire op-
position dans la pratique de la législation el des
affaires, sans lui signifier d'avance un refus géné-
ral de concours? J'aumets ce doute, quoique,
méme aujollrd'hui et apres les clartés de l'expé-
rience, je ne le partage pas. A l'appui de ma pel'-
sistance, je pourraís alléguer l'état des esprits en
1830; je pourrais dire que, pour conserver dans
le pays l'aulorité qu'elle avaitacquise, pour main-
tenir toutes les nuances du parti libéral dans la




el


modération et rharmonie qu'e![es avaient, non
sans peine, acceptées, la Chambre des députés
avait besoin, 11 ceHe époquc, de raire acle de ceUe
fermeté franche el hardie qui satisfait el domine
I'ímagination des peuples. En ruveur de l'adresse
des 221, eette considération est puissante; pour-
tant ce n'esl pas ceHe qui me décide ; les corps
poli tiques doivent savoir, méme au prix de quelque
déclin dans la faveur populaire, lcnir une cOllduite
patiente et lente, si c'est la plus sage eL si elle fJeul
les mener au but avec un moindre péril. .Mais je
demeul'e convaincu que la cécité politique dn roi
Charles X était incurable, que la Chambre des
dépulés de 1830 n'elH pas minux réussi, par l\)p-
position patiente que par sa résolution netle el
prompte, a lui faire accepter les conséquences dn
dl'Oilnational consacré par la Charle, et que, entre
la couronne et la Chambre, la méme silualion qui
amena l'adresse des 221 se fUt reproduite plus
tard, peut-étre plus pressante encore el plus grave.
Si j' ai raison dans ma conjectllre, la Chambre
eut raison dans sa conduilc, el l'adresse des 221
était, pOllr elle, le seul moyen d'exercer, sur les
élections qne tous pl'évoyaient, l'influencc qui




L\'flWlJlJCllU:\ .


pomait seu1e y faire pl'évaloir la politiLlue tl la
fois conservatrice el libérale dunt nOllS poursui-
yions le triomphe.


Les éleclion5 répondirellt au "ceu de la Chambre.
Elles confinnerellt el fortifierellt, san s la rcndre
plus ardcnle, la majorilé par1ementaire qui
avait volé l'aul'esse : la 1l011velle Chambre élait
aussi étrangcrc Ljlle celle qui l'avait précédée ü
tout dessein, it tout désir révolutiollnaire, aussi
résolue a mainlenir la politique conservatrice et
libérale el a no paint la dépa&ser. Encore une
forlune inattend ue pour la mOllarchic restaurée;
encore un moment dóciúf el facile i.t saisir.
Charles X ne comprit pas davantage. En dissol-
vanl la Chambre, iI avait, se10n son droit, fait
appel a la France. La France luí avait fermement,
mais luyalemcn 1 répond u. Les ordon llilnces du
2J juilJet 1830 rurent la réplique du roi a la
répollse de la France.


J'ai dit ailleurs ma pensé.e sur la Révolution
de 1830, ce que j'cn pensais au moment ou elle
s'accomplil et ou j'y pris part., el ce q,l1e j'en
pense aujoul'd'hui 1. le persiste dans ce que j'en


1 Mémoires pour ser'vi,. a rhistoire de mon temps, t. II, p. 1·34,




TlWlS (; E\ E1L\T!O:-;S. C111


ai dit. ( e 'Ctl t été cerlainemelll un gralld bien
Jlour la France, el de su part un grana acle d'in-
telligence comllle de yerLu poli tique, que sa résis-
tance se renfermat duns les limites du droit mo-
narchique, el qu' elle ressaisít ses libertés SfillS
renversel' son gouvernement. On ne garantit
jamais mieux le respect de ses pl'opres droits
qu'en respectant soi-mémc les droits qui les ba-
lallccnt, el, quand on a besoill de la monarchie.
il est plus sur de la maintenir que tI'avoir a la
fonder. l\Iais il y a des sagesses di/ficiles, qu' OH
n'impose pas, a joU!' fixe, aux nations, et que la
pesante main de Dieu, qui dispose des événements
el des années, peut seule leur inculquer. Partie
du trtme, une grande violation dll dl'Oit avai t


. réveillé et déchalllé tous les instincts ardellts du
peuple. Parmi les insurgós en armes, la méfiance
et l'alltipathie pour la maison de Bourbon étaient
profondes. Les négociations tentécs pal'le uue de
J\:1ortemart ne furent que des apparenees vaines;
malgré l'estime mutuelle des hornllles et la cour-
toisie des paroJes, la question d'un raccommode-
ment avee la ~ral1che llillée de la ramille royal e
ne fut pas un Il10ment sél'iell~emcllt considérée ni




~IV I~T1WDUCTION.


débattue. L'abdicatiotl du Roi et un dauphin villt
trop tardo La royauté Je M. le duc de Bordeaux
avec lU. le due d'Orléans pOtlr régent, qui eut été
non-seulement la solution constitutionnelle, mais
la plus politique, paraissait, aux plus modérés,
encore plus impossible que le raccommodement
avec le Roi lui-méme. A ceUe époque, ni le parti li-
béral, ni le parti royaliste n' eussent été assez sages,
ni le régent assez fort. pour conduire et soutenir un
gouvernement a ce point compliqué, divisé el
agité. La résistance, d'ailleurs, se sentait légale
dan s son origine, et se croyait assurée du succcs
si elle poussait jl1sqn'a une révolntion. I~es masses
se livraient aux vieilles passions révolntionnaires,
el les chefs cédaient a I'impulsion des masses. lis
tenaient pour certain qu'il n'y avait pas moyen de
traiter surement ave e Charles X, et que, ponr
occnper son tr~tllle, ils avaicnt sous la main un
antre rojo Dans l'état des faits et des esprits, on
n'avait a. choisir qn'entre une monarchie nouvelle
et la république, enfre M. le duo d'Ol'léans et
M. de Lafayette : « Général, dit 11 c.e derniel' son
petit gendre, M. de Rémusat, qui était alié le voir
a I'H6tel de villc, si I'on fait uno monarchie, le




cy


due d'Orléans sera roi; si 1'011 fait une république,
vous serez pl'ésident. Prenez-vous sur vous la
responsabilité de la républiqlle? )) __ . .• Une
méme conviction dominait ce jour-la tous les
hommes sérieux : par la monal'chie seu le, la France


. pouvait échapper a 1'abime entr'ouvert, et une
seule monarchie était possible. Son établissement
fut, pour fout le monde, une délivrance: « Moi
aussi, je suis des vietorieux, j) me dit M. Royer-
Collard,« triste parmi les viclorÍeux. »


Ceux-Ilt merne qui n'étaient pas tristes ne pou-
vaient pas ne pas étre inquiets, et ils l'auraient été
bien davantage s'ils s'étaient des 10rs rendu
compte des difficultés contre lesquelles, pour le
succes de l' oouvre qu'ils avaient a creul', i1s allaient
avoir 11 lutter.


Quel plus nalurel et plus puissant enivrernent
que celuÍ d'un granel événernent, el'un grand aete
national entrepris par de nobles rnotifs el généreu-
sement aceompli? La génération qui occupait la
sc{me depuis 1814. avait pour sentiment dominant
la passion et pOlll' but définitif la cOllquete de la
liberté politiqueo C'était l'instinct général dll pays
qui sentait le besoin de garanties permanentes




CYl 1 :'-TllU lllJC' TJ ():\ ,


pour les biells et les dl'oits sociaux, si longtemps
compromis par l'anarchie ou par la guerreo C'élait
l'élan des esprit s jeunos et aetifs qui cherchaient,
a l'intériem et dans le développement libéral
des principes de 1789, la satisfaetion de leurs
forees et l'emploi de leur vie. Quel plus grand
acte de liberté politíque que la l'ésistanee supreme
aux tentatives du pOllvoir absolu, et le pays dis-
posant luí-memo de son gouvernement pour dé-
fendre ses loís violées el revendiquer ses droits
méeonnus? Les nations prenllcnt, commc les rois,
un plaisir superbe a l'exercice de la souveraineté,
el les révolutions sont leur falfon de dire a leur
tour : (1 L' État, e' est moí! »


Mais, eomme toutes les eonquetes, celle de la
liberté politique n'esi qu'un vain et ruineux plai-
sil', si elle ne se ehange en une possession solide,
el la fondatioll d'un gouYcl'llement libre eslle seul
gage comme le digne prix de la conquete Jc la
liberté. Il faut qu'une révolution libérale eufanle
un gouvernement libre, régulíer el ulIrable; sans
quoí, elle n'est qu'un douloureux el slérile avo1'-
tement. Pour la Révolution de 1830, ce grand
probleme était plus irnpl~\'ieusenlent posé' et




T1WIS (;(.;¡..;É]{Xf!(I:\S.


plus ditf1cile 11 1'6soudre qu'jl ne l'avait jamais
été.


tes révolutions ont, en général, une impulsion
simple el unlmt unique: elles se ront tantót C011tre
la tyrannie, tantót cOlltre l'anarchie, pour accom-
plir de .grandes réformes sociales ou pour rétablir
l'ordre et le pouvoir dont la société ne peut se
passer. Dans l'HU el dans l'autre cas, les chefs et
les adhércnts des ré\'olutions marchent dans lIne
voie clairement lracée d sur lIne forte pente; ils
y rcncontren t des difficll Jt(~s el des périls, rnais
point d'obscul'ités ni de lentcuI's: inhabiles ou
raibles, ils tombent; mais, s'j[s ne tombent pas,
ils avancent rapidement.


La Révolutio11 de 1830 a eu un tout autre ca-
ractere; son illlpulsion el son but élaient tres-
complexes; entreprise au norn des lois violées et
pour leur défense, elle était tenue, par ses pro-
pres maximes et ses premiel's actes, de rétablil'
promptement l'ol'dre légal qui pOUl'tallt recevait,
daos la personne de la royauté, une grave aUeinte.
Mais la Révolution venait de bien plus loin que de
la cause Ímmédiate de son explosion, et elle pOl'tait
dans ses flanes de Líen autres ambitions que le




CVIll INTHODUCTION.


rétablissement des lois. Au méme momcnt et
sans délai, on lui demandait d'accomptir un grand
pl'ognls libéral et de mettre sur pied un pouvoit'
régulier el rassurant. Elle avait a la fois les liber-
tés publiques a étendl'e et le gouvernement a.
fonder. Décidée a ne pas subir les ordonnances de
Juillet, la France voulait une révolution qui ne
fUt pas révolutionnaire el qui lui donnat, du meme
coup, l'ordre avec la liberté. C'était si bien son
vreu que ce fut la devise de son drapeau.


Pour le pl'ince appelé au treme et pour ses con-
seillers, cette double tache éiait prodigieusement
difficile. La Révolution n'avait pas été faite par les
pouvoirs légaux : les Chambres s'étaient empres-
sé es d'y prendl'e lem place et de la sanctiollner
pour la rép;ler; mais c'était l'insurrection popu-
laire qui I'avait commencée et accomplie; cl les
meneul's de l'insurreclion populaire, c'étaient les
membres des sociétés secretes, les anciens con-
spirateurs, les chefs républicains. lis avaient com-
battu de l'aveu el avec l'appui du sentiment nu-
lional; mais le combat avaít été leur faít et la
victoire leur reuvre. L'élément révolutionllaire
était ainsi rentré avec puissance dans ¡'arene




TIWIS GENERATIONS. CIX


politique ou, depuis quelque temps, l'élément
parlementaire avait dominé.


Je dis l'élément révolutionnaire, car, a ces
vainqueurs de Juillet, la révolution de Jnil-
Jet, te1le qu'elle se eoncluait, ne sufHsait point.
Les uns voulaient nettement la République, ou ne


• conselltaient a en abandonner le llom que si on
• leur en donnait, sous une apparence monar-


chique, la réalité mal déguisée et mal organisée ;
ce qui est; pour toutes les sortes de gou vernemen t,
la pire des combinaisons. Les autres, moins précis
dans leurs vroux et plus désordonnés dans leurs
instincts, faisaient, des traditioIlS de la Convention
el de eeHes de l'Empire, un eonfus mélange qui
aboutissait a. réclamer, plus ou moins explicite-
ment, au dedans une etTerveseenee populaire
indéfinie, au dehors une guerre de propagan de et
de conquéle. La étaient, disaient-ils, pour la
Franee la grandeur el la liberté ..


Ainsi se préparait, pour le gouvernement nais-
sant, des ses premiers pas el dans son propre
camp, une opposition formidable; il allait se re-
trollver en face des mémes passions, des mémes
ambitions, des mémes inimitiés, des mémes périls




ex mnWDUCTION.


qui avaient assailli la Restauration. Et 11 coló de
ceUe opposition inteslino s'en formail, contrc luí,
une autre, celle des amis de la Heslanration qui,
une fois sauvés de leurs grandes alarmes, repre-
naien\. \eurs l'eg\'cts e\. \eurs c~\er\.''S. A Pl?e\é en
m~me temps a relever le pouvoir et 11 étendl'e la
liberté, le gouvernement Je Jl1illet avail 1\ 111t1er
a la fois contre les représentants obstinés de I'an- .
cienno société fran9aise ellos téoléraires enrants
de la nOtlvelle, contre la Reslauratiol1 et la Révo-
lution.


Ce sera su gloire d'avoir accepté et pOl'té ,sans
~ésiter, pendant dix-hllit a11S, ce pesant fardeau.
n a franchement entrepl'is d'accomplir a la fois
les deux taches qu'on lui imposait. Ponr rétablir
l'ordre et fonder un gouvernement digne de ce
nom, il a résolóment adopté, au dehors corame
an dedans, la politique de résistancc an désordre,
aux désirs chimériques, aux entreprises révoln-
tionnaires; et iI a pratiqné la poI i tique de la résis-
tance avec les seules armes de la liberté, sans
recourir 11 aucune loi d'exception, 11 aucnlle "io-
lence, a aucun silence, vivilnt snns cesse en race
de la publicité, de la disrussioll, de la rcspollsa-




eXI


hilité, et I'especfant, au rnilieu du combal, lous
les droits, toules les libertés de tous ses ennemis.


e'est I1l vraiment la liberté poli tique ; a ces
condiliol1s selllement on a droit de dire qll'clle
existe el d'appeler le gouvel'l1cment un gOllver-
nement libre. On peut, alljourd'hui comme il y a
vingt ans, aUaquer la politique du gouvernement
de Jllillet; on peut trouver qu'il a trop résisté,
qu'il l1'a pas assez tellté~ assez innové, qu'il n'a
pas donné aux penchants dll tcmps et du pays
assez de satisfactiol1. Je n'adrnets point~ mais je
ne discute pas, en ce momenl, ces griefs. En tout
cas, on ne saumit contester an gouvcrnement de
Jllillet l'hollllcur d'avoir été un gouvernement
libre, d'avoir gouverné uniquement par les ¡ois
et sous le contróle de toutes les libertés écritcs
dans les lois.


Le régime de 1a liberté politique u. ses défauts
comme ses mérites, et Oll ne reclleille pas ses
bienfaits sans en payer le prix. Il est vrai : sous
ce régime, le bien est souvent lent et difficile,
quelquefois méme impossible a faire au moment
ou iI apparaH it la pensée ambi tieuse et h,aruie ; les
rivalités des partis ou des pCl'sonnes, la discussion




CXII INl'RODUCTION.


préalable Ol! presscntie, la timidité en face de la
responsabilité retardent quelquefois des résolu-
tions et entravent des entreprises grandes et utiles.
Mais, en revanche, que de fautes et de maux épar-
gne, au pouvoir et au paJs, la liberté politique!
Que d'iJées fausses elle dévoiJe el écarte! Que de
résolutions égoi'stes, que d' enlreprises étourdies
elle étouffe dans leur germe, avant que le pouvoir
el le pays s'y soient compromis san s relour! Ce
régime orageux et bruyant est, au fond et dans la
pratique définitive des affaires, un régime de pa-
tience et de prudence ; il oppose au mal bien plus
d'obstacles qu'il n'impose· au bien de délais ou
d'épreuves; el ses deux liberté s fondamentales,
la liberté de la tribune et la liberté de la presse,
qui font dire et croire dans le public tant de sot-
tises, en préviennent bien plus encore, el de hien
plus graves, dans le gouvernement.


De tout temps, et aujourd'hui plus que jamais,
les grandes questions abondent, au dedans et au
dehors, sur les pas des grands peuples et de leurs
chefs. Rien n' est plus tentant que l' espoir de les
résoudre. Rien u'est plus faciJe que d'en com-
mencer l' entreprise. Mais ce qu' on a commellcé,




TROIS GÉl\I~RATIO:\S. CXIU


il faut le finir; les questions qU'OIl a remuées, il
faut les réglel': S3ns quoi ¡'embarras el peut-étre
le péril seronl bien plus graves que si l'on n'y eót
pas touché. Ce fut le mérite du gouvernement



de Juillet de ne jamais oublier qu'il était un gou-
vernement libre, et de ne tenter que ce qu'il pou-
vait faire avec les armes el dans les conditions
de la liberté.


Mais la liberté politique a aussi ce mérite, qu'en
méme temps qu'elle impose des freins au pouvoir
et lui enseigne la prudence, elle développe au-
tour de lui, dans ses conseillers et dans ses adver-
saires, tout ce que la nature leur a donné de talent
et d'énergie. e'est un régime qui anime et con-
tient 11. la fois les hommes engagés dans les affaires
publiques, et qui les oblige a déployer tout ce
qu'ils sonl et tout ce qu'ils valent, dans les li-
mites de ce qu'ils doivent et peuvent réellement
exécuter. Le pays ne gagne pas moins a ce résultat
que le gouvernement, cal' les oouvres mesurées,
aceoniplies par des hommes éminents, servent et
honorent plus les nations que les grandes choses
tentées et mal faites par des hommes médiocres.


L'ardeur et la valeur pe'rsonnelle des hornmes,
h




rXIV J :\TROD lJCTlUN.


grandement proyoquées el dé\'eloppées, ne se-
raient, pOllr la société, qu'un bien incomplct el
peut-étre périlleux, si le régime parlementaire n'a-
vait en n:éme temps un autre effet. 11 oblige et
amene les hommes politiques a se groupel', a se
discipliner, a reconnaitre des chefs; aadoptcr des
principes hautement déclarés, a soulenir constam-
ment une méme cause. Ainsi se forment ces
gl'ands et persévérants partís qui se vouent'a tel
ou tel des intél'llts génémux et essentiels de la
société, font régner dan s la vie publique eles
mamrs viriles, la franchise, la fidélité, le respect
de soi-méme, l'espl'it de suite, et deviennent de
puíssants et réguliers moyens de gou \'ernement
au mitieu des agitations de la liberté.


C'esl la le gouvernell1ellt libre. C'es! lit le ré-
gime qu'a désiré, poursuivi et plus ou moins bien
pratíqllé, tl travers les erisos du temps el ses
propres discordes, la géllération qui, de 1814 a
1848, a occupé en Franee la scfme politique.


J'entends le cri qui s'éleve el se répéte sans
relache : « La France a cherché ce régime par
toutes sor tes de voies, sous les drapeallx les plus
divers; elle 1'a entrevu, elle y a touché, elle a cru




TlWIS GÉ:'i'ÉRATlOl\S.


le possédel'. l\ est tombé. Peut-il jamais, apres
tant d' éprmÍ ves, se relever de ce tort et tIe ce
malheur? »


Je pourrais me homer a ceUe simple ré-
pon se déj1l. souvent faite : (. Quel es!, tIepuis


, soixante-dix UlIS, le i'égime qui n'esl pas lomhé?
Le pouvoir absolu a échollt'~ comme la liberté; lt's
conquétes de la guerre ont Jisparu comme celles
de la paix; lesrégimes divers auraiellt mauvaise
grace a se traiter mlltuellerncnt avec hauteur; ils
Ollt tous subi les memes l~evers; ils O[lt tous
été tour a tour enveloppés el: emportés dans
cel orage qui, depuis soixante·dix ans, souIDe
sur ¡'Europe. Cherchez, contre le régime par-
lemenlaire, d'autres armes que su chule; il
vous rendrait avee u·sure les ·coups dont vous le
frapperiez, De lous nos régimes, e'est encare
celuí-Ia qui a le plus duré. ») Mais je ne veux pas
m'en tenir ~b ecHe réeriminalioIl évasive. Je ..-eux
encore moins remettl'e ici en préscncc les événe-
ments el les lloms propres, el ranimcr d'aneiennes
discordes en recherchant comment doit Mre dis-
tribuée, entre les amis sillecres de la liberté pClli-
tique, hommes Oll pal'lis, la responsabilité de ses




CXYI IKTRonUCTIOX.


reverso Ce que j'ai a creur, c'est de signaler', dans
la fortune chancelante du gonvernement libre de
:1814 a 1848, ces causes intrinseques et, pour
ainsi dire, organiques qui ne sont le fait particn-
lier de personne, hornme ou parti, et que chacun
peut reconnattre sallS se démelltir ou s'accuser
soi-mérne. Que les libéraux, tous les libéraux sa-
chent bien pourquoi la liberté poli tique leur a si
souvent échappé, quand ils croyaient l' avoir con-
quise; a ceUe lumiere, ils apprendront comment
OH garde ce qu'on a conquis.


J'y reviens sans cesse, tant ma conviction est
profonde: e'est a la {ondation du gouvcrnement
libre qu' est aLtachée la solide possession de la
liberté politiqueo Tant que le pouvoir qui gou-
verne ne puise pas sa force, aussi bien que sa
limite, dans les institutions rnémes qui servent
d'instruments el de garanties a la liberté, tant
que la société n'a pas la conscienee et la con-
nance que les institutions qui la font' libre lui
assurent aussi un pouvoir capable de la gouverner,
on h'a qu' un régime troublé et précairé; la liberté
politique est a l' état de conquéte pénihle et incer-
taine, non de possessioll réguliere et définitive,




TlWI~ l+ENEHATWNS. CXV!l


Le gouvernement libre veut deux choses :
l'intervention efficace du pays dans la conduite
des affaires publiques et le controle efficace du
pays sur la conduite des affaires publiques. Que
le pays infIue d'une fa~on décisive sur le systeme
et sur les acteurs de la politique qui le gou verne;
que ceUe politique ait constamment a soutenir la
critique des spectateurs qui y assistent: quand 'Ces·
deux faits coexistent, quand un ministere, accepté
et soutenú par les divers représentants du pays,
gouverne en présence d'une opposition arméc
des droits de la liberté, alors le pays possede UH
gouvemement libre; la liberté politíque est
fondée.


Nous avons eu, de 1.814 a 184-8, les essais de ce
régime. Pourql1oi ces essais n'ont-ils pas suffi it
Sl1rmonter les épreuvcs qu'ils ont eu 11 subir?
Pourquoi, en marchant dans la bonne voie, n'est-
OIl pas arrivé et ne s'e8t-on pas flxé au but? POllr-
quoí, ni de 1814 a 1830, ni de J 830 a 1848, la
monarchie constitutionnelle, qui touchait de si
pres au gouvemement libre, n'en a-t-elle pas
acquis la force el assuré la dllrée?


Je viens de parler des partís politiques, de ces




CXVlll IN l'lWD!!CTIUN.


grands et persé\'(~rants partís qui se VOUClIt ü td
ou tel des intéréLs généraux et vitaux de la société,
celui-ci a l'ordre, oelui-Ia a la liberté, l'un a la
conservatión, l'áutre au progres, el au sein des ..
quels les hornmes apprennent a se grouper, a se
discipliner, a soutenir une cause, a reconnattre
des chefs, a pratiqueR cette franchise, eette fidé-
lité, ee respect de soi-méme, cet esprit' de suite
qui sont les Dlrnurs viriles de la vie publique. De
tels partis sont lAs élémcnts nalurels el nécessaires
du gouvernement libre: seuls íls mettenl le pou-
voír, el aussi l'opposition, en état de sOlllenir les
longnes lultes, de surmonter les mauvaises appa-
rences, de résister an vent qui souflle, aux échecs
décourageants, et de poursuivre, en combaUant
toujours, des rnuvres lentes et difficiles .. Les
grands partis politiques sont les armées de l'ordre
civil, au sein de la liberté .


. Ces élémenls du gouvernement libre ne man-
quent point a la France. On a beauconp trop dit
qu'une grande aristocratie pouvait seule former et
soulenir de grands pUl'lis politiques; il est vrai
qu'ils y naissent et s'y perpétuent plus aísément
qu'ailleurs; mais cette condition du gouvernement




CXIX


libre'n'esl poillt le privilége exelusif d'ntl seul état
de soeiété ni d'U1lC sellle forme d'instilutioll. Ce
ne sont pas les partís politíqlles qui ont manqué a.
la républiql1e démocratique des États-Unis améri-
cains; ils s'y sont établís, étendm<, maintenus avec
une opinialt>eté indomptable, el e'esl de leur ty-
ranníe, non de leur absenee, qu'elle a en a souf-
frir. 1\ y a dans la société frall'iaise, telle qu'elle
es! faite aujolll'd'hlli, tous les élérnents d'ull parti
de l'ordre el d'lln parli de la liberté, d'lln parti
conSCl'vateur et d'Ull parti novateur, d'un parti dll
maínticn el d'llll partí du progreso Ces disposi-
tions díverses se rencontrellt cluns lous les rangs
de notre soeiété; l' cspl'i 1 de conservation n' est


. point étranger, en Franee, aux masses populaires,
ni I'esprit d'innovation aux classes élevées; el eeUe
c1assification spontanée des íutéréts, des idées,
des ínstinets, des passiol1s, pellt se tran~forf!1er
en organisalion des partís politiques. De 1814
a 1848, a travers toutes nos erises, nous aVOllS VII
cornmencCl' ce travail d'organisatiol1; et malgré
ce qui leur a mamlué de consistan ce et de pré-
voyance, c'est a la formalion et á l'action des
grands partís politiqucs, dans les Chambres ct




LXX J.'JTlWDUCTW;\,.


clans le pays, (~ue le gouvernerncllt libre a clú
parmí nous, de 1814 a 1848, ce qu'íl neu de force
régultere et de succes.


Mais pour que 'les partís politiques suffisent
pleinement a lenr tache, il faut qu'ils possédent
toutes leurs forees naturelles, qu'ils soient com-
plets el compactes. Si les amis de l'ordre sont
divisés et se combatlent au lieu de se soutenir, si
les partisans du mouvement et du progres sont
en proie a des illtentions radicalement diverses,
ni le parti conservateur, ni le parti novateur ne
seront efficaces; ui ¡'un ,ni I'Ulltre ne sera en
état de porter jusqu'au bout son fardenu, et le
gouvernernellt libre sera compromis faute d'ac-
teurs assez forls pour leurs róles. Tel a été, de
1814 a 1848, le malheur de la liberté politique
en France : soit sous la Restauration, soit sous
le gouvernement de JuiJlet, les deux partis appe-
lés a mettre les illstitlltions libres en pratiqlle ont
été profondérnent incornplets et discordants. Sous
la Restauration, une portion considérable de la
société fran9aise, UII graml nombre d'hornrnes
naturellement. conservateurs et disposés a soutenir
le pouvoir, out élé rnéfiantg, malveillants et se




CXXl


sont rangés dan s l'opposition. SOus le gouverne-
ment de Juillet, d'autres hornmes, considérables
aussí, conservateurs aussi par nature et par situa-
tion, ont été rejetés, par leurs idées et leurs
sentiments, dans l'abstention et l'hostilité. Le partí
du gouvernement s'est ainsi trouvé, aux deux
époques, plus petit et plus étroit qu'il n'aurait dó.
el pu I'etre, trop petit et trop étroit pour sa tache.
L'oPPQsition, de son cóté .. a été, non pas mutilée,
mais faussée; les adversaires légaux de la poli tique
dominante, les partisans de la Restauration dé-
chue, les républicains systérnatiques et les révo-
lutionnaires ardents s'y sont melés et mutuel-
lement en través ou entratnés tour a tour. Le
gouvernernent n'a pas eu tous ses appuis naturels.
L' opposition a eu des alliés qui l' ont dénaturée.
Tont le régillle de la liberté politiqlle a été ainsi
frappé tantót de faiblcssc, tantót de désordre,
et tantót iI n'a pas été au nivcall, tantót il a été
jeté en dehors de sa missioll.
. Je ne réveille aucun souvenir qui puisse diviser


. 'ou irriter; je n'impute rien a personne; je ne
pronoIlce aUClIIl nom propre; j'évite jusqu'aux
mots qui expriml'raient nos anciennes querelles;




CXXIl INTHODUCTTON.


je ne parle ni de démocratie et d'aristocratie~ ni
de bourgeoisie el de noblesse, ni de propriétaires
et de prolétaires; je retrace seulement un fuit
capital et ses conséquences. La génération qui,
de 1814 a 1848, a voulu, sous la monarchie cons-
titulionnelle, ronder la liberté politique, a pour-
suivi, avec les plus honorables sentiments. le plus
!lalutaire dessein. Elle a bien compris les principes
de 1789 et les besoins définitifs de la France;
rnais elle a cru la liberté poli tique trop t61 et trop
aisément conquise. C'est un régíme difficile et
laborieux, qui impose á ses amis de longs efforls
et d!, pénibles sacrifices. Il faut que les hornrnes
qui veulent sérieusement le mettre en pratique
apprennent ir se faire mutuellement des sacrifices,
a s'entendre , a s'unir, 11 se discipliner, et qu'ils
s'organisenten partis préoccupés, avant tout,
du succes de Jeur reuvre. Ir faut que ces partis
soient grands, qu'ils aient tonte la taille et
toute la force que peut leur donner la société.
La liberté politique est une maitressé fiere etja-
lollse, qui sail ce qu'elle vaut el ne se donne
qu'11- ceux quí, a leur tour, se donnent 11 elle
tous el tout cntiers, Tant que !lOUS resleruns sous




'j'HOIS GÉ:"<ÉHATW-,,"S. CXXlll


I'empil'e de nos vieilles rivalités de classes et de
nos vieilles guert'es de réyolution, nous ne eon-
querrons pas définitiverncnt la liberté poli tique ;
nous ne fonderons pas solidement un gouverne-
ment libre. II faut que tous les eonservateurs
soient ensemble, et que les opposants soient des
rivRllx, non des destrucleurs. Qu'on donne 11 eette
nécessité le nOIll qu'ol1 voudra, qu'on l'appelle
transaction, éonciliation} fusion, peu importe;
c'est le rait meme qui est indispensable pour que
la France atteigne enfin le but vers lequel elle


. s'est él~ncée en 1789, et pour qu'au sein de la
liberté, elle se re}éve et se repose de la Révolution.




III


1848.


Je ne ruconte point, je ne discute point; j'es-
saye de comprendre et d'expliquer les faits. Je
viens de dire pourquoi, a mon sens, la géné¡'atioll
de i 789 et 'ceUe de 1814 on t tour a tour réussi et
échoué, l'une dan s l'reuvre de la Révolution,
l'autrc dans ceHe du gouvernement libre. J'arrive
a la génération de 18lJ.8, ou'plutót a la portion de
cette génération qui, en 18lJ.8, a envahi la scime
et tenté I'reuvre de la République. Pourquoi a-t-
elle, lloll-seulemenl échoué dans son dessein,
mais rupidement disparu, comme un éclair si-
nístre, dan s la tempéte qu'elle avait soulevée?




TROIS GI~NÉRATroNS,


I~e faít est si éclutant que personne, pas meme
les plus intéressés, ne saurait le méconnaltre.
L'année 1848 n 'avait pas encore atteint son terme
que déja les vainqueurs des premiers jours étaient
des vaincus. En décembre 1848, de nom, la Ré-
publique était encore debout; de fait, elle courait
déj11 11 su ruine, car elle avait déj1l. re{::u, des mains
dll suffrage universel tant vanté par elle, le chef
,qlli devait bienlót devenir son maitre. Pourtant
les cironstances avaient été bien favorables a la
République; elle n'avait rencontré, a ses premiers
pas, point de résistance; elle avait été immédiate-
ment acceptée par ceux-la meme a qlli elle déplai-
sait le plus : iI. Rallions-nous a la Hépublique,
avaient dit les hommes les plus éminents, puisque
c'est le gOllvernement qui nous divise le moins.»
Malgré leurs orages intérieurs, les deux Assem-
blées républicaines, de 1848 11 1851, n'ont man-
qué ni de modération ni d'honnete patriotisme;
elles avaient l'anarchie dans leur sein, mais au
dehors elles la comhattaient. Elles ne savaient pas
faire le bien dont la France avait hesoin; mais
elles écartaient, elles ajollrnaient le mal dont elle
était menacée, Pas plus que les hommes de bien,




CXXVI INTlWDUCTION.


les homrnes de talent \le lcut' Ollt rait défaul; la
République de J 848 a eu de brillants apótres,
lalques, pretres, gentilshommes, boul'geois, pu-
blicistes, poetes. "L'Europe l'a prolllptement re-
connue, pllis tranquillement observée. lUais ni la
faveur des circonstances, ni l'honnéteté des inten-
tiQns, ni le mérite des hommes, ni le maintíen de
la paix européenne n' ont servi de ríen, en 18ú8,
a la République; elle a été radicalemellt impllis-
santa pour donner a la France précisément ce
qu'elle luí promettait avee le plus de fracas, un
gouvernement libre.


e'est que, dans l'état de la société fran9aise,
avec son hisloire aneienno el contemporaine,
apres ses quillze siecles demonarchie et ses
soixante allS de révolution, la République ne con-
lient, pOllr la France, les conditiolls ni du gou-
vernement ni de la liberté. Elle offense, elle
alarme, elle éloigne des affaires publiques les
classes en qui domine l' esprit d' orelre el de gou-
vernement~ Elle fomente, dans les masses popu-
laires, des passiolls, des ambitions, des espérances
que ni l'ordre, ni la liberté réguliere ne peuvent
satisfaire, et qui aspirent indéfiniment a des révoln-




tiol1s nou velles. "On répele lous les jours, el
tout le nlollde croit ou semble eroire que la Franee
est maintenanl UIle natíon exclusivcment démo-
cralique, une gr'ande démocratie, comme on dit,
vouée a l'égalité el au sutll'age universe\. Étrange
empire d'uu mot une fois adopté eo~me symbole
et comme drapeau! Le mot démocratie contient
aujoUl'rl'hui, parmi nous, ulle large part de men-
sOl1ge, et le fait' social qu'il exprime n'est pas
plus complet que ne sont vraies les maximes
radicales que naguere j'ai cssayé de ramener a
leur légitime sens et dans leurs justes límites. Ce
qui est vrai, e' est que les anciens priviléges, les
anciennes exclusions et dominations aristocra-
tiques n'existent plus: toules les carrieres sont
Ollvertes 1\ tous; les charges pub1itlues pesent sur
tous; les mémes lilJerlés individuelles sont garan-
ties 11 tous. C'est la l'équilé, mais non l'égalité so-
ciale; c'est la liberté politique, non l'empire ex-
clusif dela démoeratie. Les di\"ersités, les inéga-
htés de tout genre, matérielIes et morales, natu-
rell~s et historiques, persislent el persisteront
parrni nous. II y a en Franee de grands, de rnoyens
et de petits propriétaires, de grallrls, de rnoyens,




CXXVlll lNTRODUCTION.


et de petits ÍlldustrÍels, de grands noms, anciens
et nouveaux, et des noms obscurs, admis a devenir
grands s'ils le méritent, mais qui, tant qu'ils n'ont
pas fait lenrs preuves, ne sont pas les égaux des
grands noms. 11 y a des situations aristocratiques,
de fait sinon de droit, el des situations bour-
geoises ou démocratiques, en pIeine possession
du droit et des moyens de s'élever allssi haut que
pourront les porter le mérito ou la fortuna, mais
qui ont en effetbesoin de s'élever. Et ce ne sont
pas la' des résultats de la vioIence des événe-
ments ou de l' iniquité des lois; ce sont les con-
séquences spontanées des diversités naturelIes el
des développements libres de l'homme et de la
société.


C' est, parmi nons, l' erreur radícale d u parti ré-
pnblicain de méconnaítre ces grands faits so-
cianx, et de se dire et d' étre en eITet exclllsive-
ment démocratique. La démoc,ratie a de grands
droits et joue un granel róle en ce monde, plus
grand de nos jours qu'a allcune autre époque,
du moins dans les granos États. Mais quelles que
soient, dans la société moderne, su place et su
part, elle n'y est pas seule, elle n'y esi pas tout.




THors GENERATIONS. CXXIX
Elle est la séve qui par! des racines et circule dan s
toutes les branches de J'arbre; elle n'esl pas l'ar-
bre méme, avec ses fleurs et ses fruits. Ello est
le vent qui souffie et pousse en avant le navire ;
elle n'cst pas l:astre qui éclaire sa route ni la bous-
sole qlli le dirige. La démocratie a l'esprit de fé-
condité et de progres ; elle n'a pas l'esprit de con-
servation et de prévoyance. Elle s'anime el se
dresse générellsemen t aux paroles et aux peyspec-
tives de la liberté; mais, dans son ivresse, elle se
¡ivre aveuglément aux ~harlatalls qlli la flattent,
et s'irrito tyranniquement cont1'e les libe1'tés qui
lui déplaisent. Elle se révolto trop aisément et ré-
sisle trop pello Elle éleve ou ronvorse les gOllverne-
ments, elle ne sait ni les conserver ni les contenir.
Aussi Cel1X-lil méme qu'elle a élevés n'ont-iIs
garde, des qu'ils ont acqllis un peu de consistan ce,
de prendre dalls la démocratie seule leur point
d'appui. lis s'appliquent a satisfaire et a rullier les
divers éléments sociaux autres que les démocra-
tiques; ils l'echerchen t les cIasses el les personnes
en qui domine l'esprit d'ordre et de conservation;
ils Ollt hcsoitl que des situations déja faites ot éle-
,'éos vicnnent reconnaitre leur propre élévation ;


i




cxxx INTlWlJUCTIUN _


ils demandent des gag-es de durée a ce qui a déjil. la
sanction du temps. Et ce n'est point la une simple
fanlaisie personnelle, un puéril plaisir de vanité et
d' éclat; e' est un instinct sur, un sel1timent juste
de la variété des forces sociales et de la lIécessité
de leut' concours pour l'autorité et la solidilé du
pouvoir.


Le parti répuhlic.::ain, plusieul's du moins de ses
chefs el d-e ses adeptes, tombent, de nos jours,
dans une au!re erreur, plus grave encore peut-
étre que celIe de voir, dans la démocratie seule,
la société tout entiere. Devant ceUe démocratie
qu'ils ont faite 50uveraille, ils ouvrent des per-
specti ves infinies, ils prodiguent d' immenses pro-
messes de satisfaction el de bopheur ; promesses
qu'aucuIl gOllvernement, pas plus la République
que tout autl'e, ne peut acquittel'; pOl'speCÜYes en
contradiction flagrante avec les lois et le cours na-
turel du monde. On invente une science, on con-
struit une société pour I'avenir qll'on prometo
Mais ce n'est ni la vérité des faits, ni la liberté
des hommes qui servenl de base a cctte science
el a celto société; elles reposl'n!, ¡'uno, sur des
systemes chimériques, l'aulre, sur des combi-




TlWIS GÉ)¡ERATlO~S C1XXI


naisons tour 11 tour anarchiques ou tyranniques.
Tantót on abolít les liens sociaux, on isole les
individus, 011 les livre h la licence el a la faiblesse
de lenf seule volonté; tantót on les remet entre
les mains de l'État qu'on charge de leur sort. Les
uns traitent les hommes comme des animaux
solitaires, sans autres ressources que leur force
personnelle, sans autre regle que leur fantaisie;
les autres les rassemblent et les parquent, comme
des troupeaux dans un bercail, sous la respon-
sabilité d'un berger. Et dans l'une ou l'autre
hypothese, on leur pl'omet égalernent la pleine
satisfaction de leurs besoins el de Ieurs désirs.


Je ne remonte pas 11 la sOUl'ce de ces réves jetés
comme autanl de démentis el de défis a l'encontre
des grandes vérités religieuses el morales qui sont
le divin apanage du genre humain et les lois pro-
videntielles du monde; je me borne a signaler
des faits. Tant et de telles erreurs coótent chef
a la société qui les subit; elles plongent les esprits
dans une confusion inextricable el une fermenla-
tion stérile; elles susci ten t des ambitions et des
espérances que les mécomptes transforment bien-
tot en irritation amere ou en abattement déplo-




CXXXIl INTRODt:CTION


rabIe. Elles rendent ainsi encore plus difficile la
tache des hommes qui gardent, a la cause de la
liberté politique, leur foi et ]eur dévouement.
Apres les luUes qu'a eues a soutenir, pour eette
cause, la génération a laquelle j'appartiens, je ne
prévois pas sans une émotion mélancolique ceHes
qui attendent nos successems.


Pourtant j'ai confiance, eL j' engage la génération
qui monte a avoir confiance. La liberté politique
gagnera sa cause. Elle triomphera du mauvais vau-
10lr de ses adversaires, de la froideur des specta-
teurs, et méme des fautes de ses amis. On a dit
que le seul fruit de l' expérience était de nous
apprendre que l'experience ne sert a rien. Je n'ac-
cepte pas, malgré SR spécieuse apparence, cette
maxime des pessimistes. Ils parlent de l'expé-.
rience comme les malades parlent de la rnédecine ;
paree qu' elle ne peut pas tout, ¡ls disent qu' elle ne
peut rien, et, la trouvant insuffisante, ¡ls l'aecusent
d'étre vaine. En nulle oceasion, el c'est la supé-
riorité de leur nuture, les hommes ne se resignent
a ce qll'il ya d'incomplet et d'imparfait dan s leur
eondition et en ell x-mémes, et ils méconnaisscnt
avec hurnellr lellrs propres progres, quand leur




TROIS GÉNÉRATIO~S. CXXXIlI


ambition et leur destinée n' en son! pas pleine-
ment satisfaites. Mais que l'on compare, pour les
idées et pour les faits, l'élatdc lalilJcl'té po1itique,
de 1789 id.8U, 1\ ce qu'elle a été de 1814 a 1848,
et la République de 1.792 a eelle de 1848. Devant
ce rapproehement, les plus seeptiques et les
plus pessimistes ne diront pas que l'expérienee n'a
servi a rien.


L'avenir de notrc société, et de la liberté po-
litique dans notre soeiété, a d'ailleurs des garan-
ti es plus hautes que celle de l'expérience el'une
ou deux générations dans leur eourt passage. 11 y
a deux puissanees que je suis loin de tcnir pOlll'
infaillibles, mais qui méritenl SOtlvent qu'on les
eroie et toujours qu'on les écoute, les musses el les
esprits d'élite, le sentiment inslinclif de la société
el la pensée réfléchie de ses ehefs naturels. Qu'on
les interroge aujourd' hui l' une et l' au treo Les
masses sont bien i ndifféreutes, bien silellcicllses;
elles out biell aisémenl abdiqué leurs prétentions
et leurs habitudes; elles sentaient l'abus de la
liberté et le besoin du repos; mais elles sont, au
fond, bien moius changées qu'elles ne paraissent:
les classes müyennes n'ont pas cessé d'avoir en




CXXX1V INTRODUCTION.


estime et en goút les garanlies du régime consti-
tutionnel ; et dans ces multitudes si soumises, si
contenues, les mémes passions, les mérnes réves
fermentent toujours. Laissez Ht les masses; recher-
chez ce que pensent, je ne dis pas les hommes
engagés depuis longtemps sons un drapeau que'
l'honneur leur commande de garder, mais les
esprits jeunes et distingués qui entrent dans le
monde; croyez-vous qu'ils aient renoneé a ces
espérances d'activité et de liberté politique qui ont
rempli la vie de lellrs peres? Entrez dans leurs
rangs; écolltez-Ies. lIs viennent de tous les points
de l'horizon; ils sont divers d'origine, de profes-
sion, de condition sociale, de croyances, de ten-
dances; tous les anciens partís ont., parmi eux, des
deseendants et des représentants; vous retrouve-
rez la des conservateurs, des líbéraux, des légiti-
mistes, des démocrates, des républicains; vous y
entendrez discuter les vices comme les mérites du
régime constitutionnel tel qu'il a été compris et
pratiqué parrni nous; les uns lui reprochent
d'avoir été trop impatient, les autres trop timide;
d'autres lui en veulent de n'avoir pas entouré la
monarchie d'institutions républicaines; d'autres


#




TIWIS GItNÉRATIO~S exxxy


l'accusent de s'etrc transformé dans un réO'ime L'
parlementaire peu conforme a nos traditions el a
nos míBlIrs nationales., On cberche, pour la liberté
politiqlle el le gouvemement représentatif, des
conditions et des formes l1uuvelles. Qllestions sé-
rieuses, dissidences réelles et qui pourraient de-
venir importantes: mais au-dessus de toutes ces
questions, de tou tes ces dissidences s' éleve et
plane un sentiment commun, le hesoin de la
liberté politique el de ses garanties, le désil' de
marcher et d'avaneer dans ces mémes yoies de
civilisation libérale ou, tlepuis tant de siécles, les
générations fran9aises ont rait tour a tour tant
d'essais, d'écarts, de tatonnernents, de haltes, de
retollrs, de chutes) el, tout compensé, tant de
conquetcs et de progreso


Dans cet état des fails et des csprits, désespérer
de notre temps et de notre cause, ce semit dé ses-
pérer de tonto notre hisloire, de toute l'activilé,
(le tOllte la destinée de la France, que dis-je? de
l'Eu rope chrél ienne depuis q ui me siécles.


Notre temps n'est point une déviatiol1 de notre
passé, un accident imprévu, une étrange incon-
séquence, IIne maladie qui soit venue troubler le




ex XXVI I~TRODUCTIO" .


cours d'nne santé forte et prospere. Nous mar-
chons, depuis quinze siecles, dans les voies ou
nous avons fait, de nos jours~ de si grands pas el
de si grandes chutes.


Un principe, une idée~ un senliment, comme
on voudra l'appeler, plane, depuis fJuinze siécles,
sur toutes les sociétés européenncs, sur la société
frao9aise en particulier~ et préside il leur uévelop·
pement : le senliment de la dignité et des droits
de tout homllle, a ce titre seul qu'it est homn1e,
el le besoin instinctif d' élendre de plus en plus,
a tous les hommes, les bienfaits de la justico, de
la sympathie, de la liberté.


La juslice, la sympalhie, la liberté ne sont pas
des faits nouveaux dans le monde; elles n'ollt pas
été invent~es il y a quiuze siecles. Dieu en a, des
le premier jOUI', dé posé dans l'homme le besoin et
le germe; elles ont tenu Ieur place el exercé leur
empire daos tous les pays, clans tous les temps,
au sein de toules les sociétés humaines. l\l:lis jus-
qu'a notre Europe chréticune, des limites fhes el
a. peu pres insurmontables avaienl marqué el 1'es-
serré étroitement Ja sphél'e de la justice, de la
sympathie, de la liberté. Ici la nationalilé, ailleurs




THOIS (;(,:NÉRATIONS, CXXXYll


la race, la caste, l'oriKinc servile, la rcligion, la
couleul' interdisaicnt, a un nombre ¡mmense
d'hommes, tout acces a ces premiers biens de la
vie sociale. Chez les plus glorieuses nations, la
justice, la sympatilie, la liberté étaient refusées
sallS scrupule aux trois c¡uarts de la population; .
les plus grands esprils ne voyaient, dans celte spo-
liation, qu'un fail nalul'el et nécessaire, une con-
dition inhérellle a I'état sucial.


Cest le principe et le fail chrétien par excel-
lence d'avoi¡' chassé de la pensée humaine celte
iniquité, el d'avoir étendu a l'humanité tout en-
liere ce droit a la juslice, a la sympathie, a la li-
berté, borné jusque -la a un petit nombre et
subordonné 11 ,l'iuexorables conditions. On a dit
d'un grand publiciste que le genre humain avait


.


pel'du ses litres el qu'il les luí avait rendus. Flat-
terie Jémesmée el presque idolatre: ce n'esl pas
Moutesquiell, e' esl Jésus-Chrisl q lli a rend u au
genre humain ses litres, Jéslls-Christ est venu re-
lever l'homme sur la terre en mérne temps que
le racheter pour l'éternité. L'unilé de Dieu main-
tenue Chéz les Juifs, l'ullité de l'homme rétablie
chez les chrétiens, ce sont la des tmits éelatanls




CXXXVlll I:'-ITROIHTCTroX.


ou se révéle l'action di vine dans la vie de l'hll-
manité.


Ce rétablissement. de l' unité humaine dans le
monde chrétien n'a pas été une muvre facile, ni
prompte, ni pure, et bien s'e'n faut qu'elle soit
partout accomplie. Des intéréls matéríels, des pas,
sions brutales, l'égoi'sme, l'orgueil, l'indifférence,
l' emportement ¡ les nécessités du moment, les
combinaisons de la politique ont entravé, ralenti,
souillé le développement de l'idée chrétienne;
mais elle n'ajamais abdiqué, jamais disparu. Tou-
jours présente et lultant toujours, elle a pris a son
service les instruments les plus di vers : e' est tantOt
l'Église, tantót la royauté, ici les nobles, la les
bourgeois, ailleurs la multitude, aujourd'hui le
gouvernement, demain l'opposition qui sesont faits
les champions de l' expansion de la juslice et de la
sympathie au profit de toutes les créatures hu-
maines. De gré ou de force, par devoir ou par
calcul, tout le monde a mis tour a tour la main a
cette grande reuvre; savants ou iguorants, piellx
ou incrédules, tous les siecles lui ont fait faire des
pas plus ou moins laborieux, plus ou moins rapides.
Elle a rempli toute notre histoire; et a toutes les




TROIS GÉN};RATIONS. rxxxlx


époques, elle a été considérée comme le plus écla-
tant symptóme du pro~res de la civilisation,
comme la civilisation méme.


Le sentimeut public ne s'est point trompé en
lui donnant ce nom, et les faits le confirment avec
éclat. Dans les pays ou l'idée chrétienne s'esl lar-
gement développée, a mesure que ce droitcommun
de l'humanité s'est répandu et appliqllé a un plus
grand nombre d'hommes, la société a grandi en
puissance, en activité, en fécondité, en prospérité
et en gloire. De tres-mallvais pas, des abtmes se
sont rencontrés dans eette carriere de notre Eu-
rope, et plus d'une fois, lo in de les.éviter, elle s'y
est précipitée; elle a cornmis beaucoup d'erreurs,
de fautes, de crimes; le bien et le mal se sont mélés
dan s une confusion déplorable; on peul adresser
a notre civilisation d'amers et légitimes repro-
proches; les idées qui y ont régné, les actes qu'ont
entrainés ces idées ont souvent mérité d'étre qua-
lifiés de funestes égarem(lnts: gouvernements et
peuples, dévots el philosophes, aristoerates el
démocrales, conservateurs et libéraux de tous les
pays et de tous les siecles ont, devant Dieu, de
redoutables eomptes a rendre , et e' est le droit de




CXL I;-..'"TRODUCTION,


l'hisloire de les leur demander i('i-bas, et de dire
la vél'ilé sur les O1orls pour l'instrllction el le
salnt des vivants. Auclln'e époquc, aucun événe-
nemenl, aUCUll systeme, <lucun parti n'a droit
de se plaindt'e d'etre ainsi séverement intet'l'ogé;
el que fais-je moi-meme aujourd'hui, quand je
sonde sans pilié les mécomples de nos peros el
les notres? l\'Iais ces rigueurs ·une fois exercéps
sur notre histoit'e ancienne el contemporaine, nos
erreurs et nos torts une fois reconnns et signalés,
voici les vérités qui demeurent. L'EUl'opeenliét'e,
et llolamment la France, marchent, depuis quinze


. siécles, dans les mémes voies d'afft'anchissement
el de progrés général. Ces voies ont conduít les
peupies qui s'y sont le plus fermemcnt engagés u
ce hallt degt'é de puissance, de prospérilé el de
grandeur que nous appelons et que nous avons
droit d'appeJer la civilisation moderne. Cette civi-
lisation est surtout le fruit de ceUe grande idée
que tout homme, a ce titre seul qu'il est homme, a
droit a la justice, a la sympathie el a la liberté.
C'est Jésus-Christ qui a fait entrer celte idée dans
l'ame humaine d'ou elle travaille a passer dan s la
société.




TIWIS lab; Im.\.TlU.\'S. CXLl


Dieu ne trompe pas le genre humain. Les peu-
pIes ne se trompent pas constamment dans le
cciurs J'unc longue destinée. L'ablme n'esl pas au
bout de quinze siecles de mouvement ascendant.
Certes, les déviations, les tcmps d'arrét, les ajour-
nements, les méeomples lI'ont pas manqué a la
eivilisation fran~aise; elle n'en a pas moins c~m­
tinué de se développer et de poursuivre, tantót
sous terre, lan tót au grand jour, ses progrcs et
ses conquétes. El plus elle a grandi, plus la liberté
politiquc lui est devenue nécessaire. L'épreuve
de notre propl'c temps est, en ceci, plciocrnclll
d'accord avec celle des siecles. La liberté poli-
tiq ue a subi, de nos jours, bien des éclipses; elle
a toujours reparu et repris sa place, comme un
droit froissé se releve, comme un besoin méconnu
I'ecommence a se faire sentir. En 1814, elle était
proscrite; on la eroyait morte. Je l' ai vue renaltre
el prospérer. En 1848, un violent acces de fiévre
l'a saisie. En en sortant, elle a langui et dépérí.
Je ne sais quelles lraverses ou quelles attclltes lui
sont encore l'éservées; mais je répele ce que j'ai
t1it en commen~ant : j'ai confiance dans l'avenir
de mon pays el de la liberté politiquc dans Illon




CXLlI IN nWDUCTIUN.


pays, car, a coup sur, 1789 n'a pas ouvert, pour
la Fmnce, l' ere de la décadence, et e' est dans le
gOllvernement libre seul que résident les garantíes
efficaces des intéréts' généraux de la société, des
droils personnels de tout homme, et du droit COffi-
mun de l'humauité.




HISTOIRE


P ARLEMENT AIRE


DE FRANCE






HISTOIRE


PARLEMENT AIRE
DE FRANCE


DISCOURS DE M. GUIZOT


1
DisCllssion du projet de loi présenté le 22 mars 1819


sur les J ournaux et Écriis périodiques.


-Chnmbre des députés. - Séance du 3 mai 1819,-


Le gouvernement présenta, le 22 mars :l.8J9, trois
pl'ojets de loi sur la liberté de la presse: le premier,
intitulé Des crimes et délits commis par la voie de la,
presse ou tout autre moyen de publication, était une loi
pénale qui définissait ce genre de crimes ct de ctélits e.t
déterminait les peines qui devaient y etre aHacl'iées;
le second, relatifj a la poursuite et au jugemenl des
crimes el délits commis par la voie de la presse ou tout
autre moyen de publication, était une loi d'instruction
et de procédure; le troisieme, relatif aux journaux et
écrits périodiques, établissait certaines conditiollS et
regles spéciales pour ce genre de publication. Ces 1i'ois
projets de loi aVüient été, d'abord uans une commis2ion
préparaloirc, cnsuite dans le conseil d'État, l'objet
d'une longue, profonde, tres-lihre et parfaitement sin-


'r, l, 1




2 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA2'<CE.
cere discussion, a laquelle j'avais pris part, de concert
avec MM. de Serre, euvier, Decazes, Royer-Collard,
Barante, Mounier, Allent, Portalis, Siméon, etc. Lors-
qu'ils farent présentés a la Chambre des députés, je
n'étais point membre de eeHe Chambre, n'ayant pas en-
e,?re rage de quarante ans, exigé a cette époque pour y
siéger; mais je fus ehargé, eomme eonseiller d'État et
eommissaire du Roi, de coneourir a la présentation des
trois projets et d'en soutenir le débat publico C'était
une situation difficile et ingrate; un commissaire du
Roi avait rair de défendre officiellement une cause et
non d'exprimer son opinion propre; il ne pouvait s'en-
gager personnellement dans la discussion et traiter avec
ses adversaires comme se traitent entre eux des colle-
gues. J'eus, des le premier moment, un vif sentiment
des ínconvénients de cette situation, et je ne pris part
aux débats que rarement et pour exposer des príncipes
plutót que pour engager ou soutenir des luttes. J'inter-
vins quelquefois, en quelques paroles, pour donner des
explications sur quelques dispositions des loís propo-
sées; mais la loi sur les journaux et écrits périodiques
fut la seule sur laquelle feus l'occasion de parler avec
étendue et efficacité. Le principe du cautionnement
exigé pour la fondation des joarnaux était vivement
contesté par l'opposition; je répondis, dans la séance
du 3 mui i819, a ses diverses objectiom, spécialement
a celles qu'avaíent élevécs, dans les séances da i er et
dn 3 maí, MM. Daunou et Benjamín Constant.


1\1. GUIZDT, commissaire rfu Roí. - leR principes qu'on




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-3 MAl 1819. :3
appelle absolus ne le Ront souvent qu'en ce sen s qu'ils
sont despotiques et exigent ql.le leur volonté soit faite sans
souffrir qu'on examine s'ils ont raison. On s'en est servi
plus d'une fois, comme Alexandre de son épée, pour tran-
cher des nreuds qu'on ne voulait pas se donner la peine ou
prendre le temps de délier. Et comme les réalités, qui ne
sont ni flexibles ni complaisantes, n'ont pas toujours sup-
porté patiemment l'application de ces prétendues vérités
universelles, une lutte s'en est suivie qui, presque toujours~
a flni par démontrer combien étaient étroits, incomplets et
bornés ces principes si fiers qui avaient la prétention de do-
miner tous les faits comme s'ils les eussent tous prévus et
embrassés.


N'est-ce pas sur un principe de ce genre qu'on se fonde
pour vous inviter a repousser la garantie que le gouverne-
ment vous propose d'exiger de tout entrepreneur d'un jour-
nan On établit que, soit que l'on considere un journal
comme l'exercice d'une industrie ou comme un mode de ma-
nifestation de la pensée, sous ces deux rapports, sa publica-
tion doit etre aussi libre que celle de tout autre écrit, et que
vous n'avez pas le droit d'imposer au journaliste aucune
autre obligation que celIe de répondre de ses actes, selon les
lois pénaJes ordinaires. Toute autre garantie, dit-on, est en
soi une mesure préventive, injustement restrictive de la li-
berté.


Avant de répondre directement a ceUe assertion, qu'il me
soit permis, messieurs, de vom présenter une hypothese. Je
suppose que la Charte se fUt bornée a di re qu'il y aurait des


, députés et des électeurs de députés, sans régler en rien les
conditions a remplir pour &tre l'un ou l'autre. Vous occupant
ensuite d'une loi sur les élections, auriez-vous conclu du
silence de la Charte qu'il fallait n'exiger des électeurs au-
cune garantic et admettre le 5uffrage universel? Non, sans
doute; vous auriez pensé que le droit d'élire les députés
confere 11. ceux qui l'excrcent trop de puissance, une trop
grande pui~~ance, une trop grande inllnence mr les destinées




.t HISTOIRE PARLEMEYl'AIRE DE FRA:\'CK


de la société, pour que la société ne soit pas autorisée a exiger
d'enx préalablement des garanties de capacité, de lumieres,
d'indépendance. Vous auriez, de maniel'e ou d'autre, réglé
ces garanties, et vous l'auriez fait, non parce qu'il se serait
agi d'un droit politique plutót que d'un droit civil, car ces
classifications scienLifiques ne déterminent et ne changent en
rien la nalure des ch03es; vous l'auriez fait uniquement a
cause de la puissance que confere ce droit et des résultats
que peut entrainer, pour le bien ou le mal public, la ma-
niere dont il est exercé.


Ce que la Charle a fail, messieurs, ce que vous auriez fait,
si elle eCit gardé le sil en ce, pour l'élection des députés, les
lois 1'0nl fait, dans tous les pays et dans tous les temps, pom
un certain llombre de eas analogues. Partgut OU elles ont
I'econnu le fait d'une puissance extraOl'dinaire, d'une puis-
sance capablede eauser 11. la société de grands dommages,
contre lesquels les menaces el les eh:l.timents des lois pénales
n'étaient pas de force ou de nature a lutter avee sueces, elles
ont exigé de ceux qui prenaient en maill cetle puissance des
garanties partlculieres. Je ne fatiguerai point la Chambre de
l'énumération des exemples; ils sont présents asa pensée:-
les médecills, les pharmaciens, les avoeats, lcs nOlaires, les
ministres dc la religion, les conditions exigécs pour remplir
certaines fonctions publiques, etc ... Mais je prie la Chambre
de me permettre d'al'retcr un moment son aUention sur la
nature de ce genre de garanties el sur les motifs qui les légi-
timcnt aux yen~ de la mison la plus sévere.


Toutes les garanties que la société croit devoir exigc\' pom
ussurer sa conservation ont, au fond, pour principal et véri-
table Lut, de prévenir les dangers que la société redoute. Les
lois pénales elles-memes, bien qu'elles ne frappent particu-
liel'ernent que lorsque raction nuisible est commise, se pro-
po~ent surtout d'ernpecher qu'elle ne se comrnette; et elles
sont plus ou rnoins bonncs sclon que Ieurs définitions, Ieurs
procédurcs et leu\'s peines réussissent plus ou moins bien h
('el ép:arrl. Le, puhliciste,; ,out llllauimcs mI' ee poillt; ,i le;;




CHA~lB1{E DES lJÉPUTJ<:S.-3 i\IA1 ltll!J. 5
lois péllale~ n'avaient d'auire effel que de pHnir les coupa-
bl es, la société ne pourrai t subsiste¡·.


Appelée donc surlout, en derniere analyse, a pl'évenir les
délits et leurs dangers, la législation avai t a choisir entre deu:\:
manieres d'alteindre a ce but : la prévention directe, qlli
consiste dans un examen pl'éalable de l'action qui se prépal'c
afin de g'assurer de son innocence; la prévclltioll illdirecte,
qui résulte de la peine inlligée a l'auteur de l'action coupable.
On a bientót reconnu que le premier mode était destl'uctif
de toute liberté, par conséquent de toute sociélé vél'itabl,',
et que le second, habilement combiné, avait, dans la plupart
des cas, des effets pl'éventifs sufflsants pom mettl'e la so<.:iélé
a l'abri.


Les progres de la óvilisation, c'est-a-dil'e de la liberté,
c'est-a-dire de la justiee, Ol1t done eonstammcnt tendu ¡t
bannir des lois la prévention díreete pour lui substitucr la
pl'évention indirecte qui l'ésulte du chatiment. Mais dans le
cours de ees memes progres, on a reconnu (et on n'a pas pu
ne pas le reconnaitre, duo les faits s'inquietent peu de com-
plaire a de prétendues théories ou de les offenscr), 011 a
l'econnu, dis-je, qu'il était un eertain nombre de cas aux.-
quels le mode de prévention qu'emploicnt les lois pénales ne
pouvait suffire ou meme s'appliquer, et dans lesqueJ;; cepen-
dant la sureté sociale était grandement intéressée.-Aucune
pénalité, par exemple, n'eut été applicable a I'ineptie ou a
l'imprudence des médeeins, a l'incapacité de tel OH tel Ol'dre
de fonetionnaíres, a l'ignoranee ou aux intentions facticuses
des électelll's de députés.-Le fait constaté, fallait-il recomir,
pOUl' les cas de ce genre, a la prévention di recte pure et
simple? Fallail-il laisser la société sans garanties? L'un et
I'autre systeme auraient été également impraticables, ou
également funesles.


La nécessité, c'est-11.-dire la raison des faits, a fait inventer
des garanlies d'une autl'e sorte, pl'éventiyes jusqu'a un cer-
tain point, il est vrai, conimc elles le sont lonles dans leur
tlernier hul, mais non dc~tructives de la liberté. Ces garan-




6 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
ties ont consÍsté a s'assurer préalablement, non plus de
l'Ínnoeence de chaque action particuliere, mais de la capa-
cité générale des agents. La société n'a interdit formellement
a personne l'usage de la pui~sance qu'elle redoutait; elle
n'en a pas non plus soumis l'exercice a une inspection an-
térieure et habituelle, mais elle a imposé, a quiconque vou-
drait s'en servir, l'obligation de remplir certaines conditions
qu'elle a jugéespropres a compenser l'insuffisance ou l'inap.
plicabilité de la législation pénale. Ces conditions une fois
remplies, elle a laissé aux citoyens toute leur liherté.


Le port d'armes et tous les exemples que je viens de citer,
et heaucoup d'autres encore, ne sont que des garanties de
ce genre.


Cela posé, messieurs, ou il faut niel" absolument la néces-
~íté de cette sorte de garanties dans tous les ca s, pour les
médecins comme pour les journalistes et pour les électeurs
comme paur les médecins, ou il faut convenir que, si elles
sont nécessaires dans certains cas, il est du devoir du législa-
teur, quand l'occasion se présente, d'examiner si en efTet
elles le sont.


Je ne pense pas, mcssieurs, que la premiere opinion soit
possihle a soutenir; et peut-etre serait-il aisé de prouver, a
ceux-Ia me me quí s'en croient et s'en disent les 'défenseurs,
qu'il est plus d'une occasion OU ils l'abandonnent, et qu'ils
n'oseraient en suivre jusqu'au bout les rigoureuses consé-
qucnces. Or, la question, quant au principe, est la meme
dans tous les cas, el le principe une fois admis, elle se réduit
toujours a une question de fait, de prudence. Il s'agit tou-
jours uniquement d'examiner si, uans l'intérCt public, la
garantic est nécessaire.


Apres avoir ainsi repoussé un prétendu principe et l'avoir
repoussé précisément paree qu'íl n'est pas vrai d'une vérité
absúlue et universelle, nous retomboIls dans la seule ques-
tion qui existe réellement, dans la question de savoir si les
journaux sont aujourd'lmi une puissance assez grande, assez
redoutable pour que la société soit en droit d'exig'er, de ceux




CHAMBRE DES DÉPUTES.-3MAI 1819. 7
qui prélclldent U l' cxcl'cer, une garantie analogue a eeUe
don! nous venons de parle!'.


\\emm:qu\':L, mellllleurs, que ~e lÍai iel ni \e ne\\o\n ni \'in·
tention de médil'e des journaux, moins encore de les ealom.
niel'. Pel'sonne n'es! plus eonvaincu que moi de leul' utilité,
de leur nécessité dans un gouvernement repl'ésentatif. e'est
le mode de communication le plus rJlpide, le plus étendu, le
plus sur. Ils proclament et forment tour a tour l'opinion
pubJjque. lIs font assister la France entiere a vos débats.
Tous ces avantages prouvent précisément ce que je veux
prouvcl', leur puissance. Et eommc toutes les puissances,
quelles qu'elIes soient, se pcuvent appliquer au mal comme
au bien, je n'ai hcsoin, pom justifier mon point de dépal't, que
de l'imp0l'tance 'qu'atlachcllt aux journaux ceux qui re-
poussen! comme ceux qui souticnncnt la mesmc proposée.


Prenant dune la puissance des journaux comme un fait, et
comme un fai! utile, nécessaire meme au sucees de nos
instilutions, qu'il nous soit permis d'examiner quels sont les
offets possibles de cette puissance non eontestée. De la gra-
vité et de la prohabilité de ces effets dépend la nécessité de
la garantie qu'on vous demande.


Trois causes se réunissent pour attribuer, parmi nous, a la
puissance des journaux une rapidité el une énergie plus
grandes encoro que eelles qui l'ésultent nécessairemcnt de la
natUl'e memo de ce mode de publication.


Ces causes sont les cil'constances passées, l'état acluel et
pal'ticlllicr de }'oru1'e social en France, la nature de nos in~
stitutions considérécs non-seulement dans Icurs fondements
cs,cntiels, mais dal1s lem ensemble el leurs détails.


J'insisterai peu :mr les circonstances passées; elles son!
pl'ésentes 11 tOU5 les csprils, el il est évidellt qu'cllcs foul'-
nisscnt iJ. lit fois aux jOllrnaux et plus de moyens pour agir
vivemollt sur les lectcun;, et des lecteurs plus disposés it
subir ceite aelion clans toutc m vivacité. Les révolutions,
messieurs, emploicnt prcsque aulant d'années a se terminer
qu'a se préparer; el de meme que long!emps avant le jour




8 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
al! elles ont écIaté, la 50ciété se sentait travaillée d'une lulte
sourde et douloureusé, de meme, longtemps apres qu'elles
paraissent accomplies, elles agitent et tourmentent les gou-
vernements et les peuples. II est mille fois plus comt et plus
aisé de relever les cités d'un paJ's l'avagé par un vaste trem-
blemenl de terre que de 1'asseoi1' une société bouleversée
dans sa constitution moral e ; et quand on étudie l'histoire
des peuple~ devenus libres, on acquiert bientOt la cOl1Yiction
que l'époque OU ils out réellement joui de la liberté a été
hien élóignée de ceHe qu'ils assigneut eux-mcmes comme le
terme détinitif de sa conquete.


Nous sommes done fel'mell1ellt convaincus qne la raison
puisée dans le passé pour demande!', dans l'inté!'Ct de lous,
une garantie conlre la puissanee des journaux, n'est ni aussi
indifférente, ni aussi frivole que quelques personnes peuvent
le penser.


Mais il en est d'autres plus graves encore peut-etre, quoi-
(Iue moins aper!<ues.


La Révolution nous a légué, messieurs, non-seulement un
gouvernement nouveau, mais une société toute nouveIle qui
ne ressemble en rien ni a celle qui l'a précédée, ni peut-etre
a aueune autre société passée ou présente. Ce changement
intime et radical est p1'ovenu de I'introduction du principe
de l' égalité dans toutes les parties, je dirais volontiers dans
les replis les plus secrets de l'ordre civil. 11 en est résulté ee
fait qu'il n'y a plus aujourd'hui en Franee que le g"ouver-
nement et des citoyens ou des indiviJus, La puissance "pu-
blique est la senle qui soit réeIle et forto. Il n'existe pre8que
plus aueuno de ces puissances intermédiaires ou locales que
eréent ailleurs, soit le patronage aristocratique, soit les liens
des eorporations, ~oit les priviléges particuliers, et qui, exer-
\(ant, dans leur re850rt, des droits avoués et une force po si-
tive, dispensent le pouvoir central d'une partie des soins
nécessaires pour que l'ordre soit maintenu pa1'tout. Jo ne
déplore point, commo quelques persollnes, cette constitutioll
nouvelle de l'ordre social; je suis convaincu qn'eJle esi des-




CHAlI1DRE DES DÉPUTES.-3 MAl 1819. 9
tillée a pl'oduire les plus heaux, les plus salutaires dévelop-
pcments. l\lais il importe beaucoup de la bien connaitre et
d'en tenil' compte dans les lois. Elle a eette conséquence
inévitable que toute action, toute iníluence exel'cée sur la
société, soit par le gouvernement, soit par d'autres que lui,
s'r propage el s'y fait sentir d'une maniere plus promptc,
plus univcrselle et plus vive, cal' elle ne rencontre aucun de
ces obstacles, aucune de ces mas ses difficiles a percer, qui
ai.\kur:; l'anHentml la ll\\)diflent. Le<¡, op\n\ol\S, le<¡, im¡we<¡,-
sions, les cl'aintes, les espérances qui autrefoís ne seraíent
parvenues jusqu'aux individus qu'apres avoir traversé toutes
les agrég'ations diverses dans lcsquelles ils étaicnt fortement
engagés, el apres avoir subi Feffet de toutes les iníluences
pal'ticulÍercs auxqueIles ils étaient soumis,' les atteignent
aujonrd'hui directement et cxel'cent librement sur eux toute
leU!' puissance. II esl évideut qu'en un tel état de choses, au
Bcin de ceUe susceptihilité sociale, s'il est permis de le dire,
dans eeUe dispersion morale d'une population d'ailleurs si
pl'essée, l'action rapide et l1abitllelle des jOllrnaux a plus
d'éncrgic et peut produil'e plus de hien ou plus de mal que
partout ailleUl's. Nous avons été témoins du succes avec
Jeque] UlI gouvernement qui n 'es! plus sen es! sel'vj pOUJ'
répandre et povu\ari~el' en quehlue ílorte les principes de sa
tyrannie; ils pOUl'l'aient aussi servir a pl'Oduil'e d'autres effets
non moins fUllestes; et cette circonstance a laquelle on ne
saurait échapper, ecUe nature particuliere et nouvelle de
notre ordl'e social suffil'aient peut-etre pou!' faire exiger, de
cenx: qui aspirent iL exercer une influence si faeile et si éten-
dne, la garantie que le gouvernement vous propose.


Une seconde cil'eons(ance plus passagere, mais non moins
évidente, nous pal'alt ég'alement digne d'attcntion.


La Révolutiotl a changé la' situation sociale d'ulle multi-
tude il'individus; elle a appelé dans les c1asses supérieures
de la soeiété, dans la c1asse des citoyens actifs et influents,
heaucoup d'hommes qui n'y appartenaient pas, qui n'avaient
pas été élevés comllle devant yappartenir. e'est un bien el




10 HISTOIRE PARLE.\IENTAIHE DE FRAlSC.E.
un bien immense, car le véritable progres ue la civilil'ation
consiste a étenure les limites de la cité, a accroitre le
nombre des citoyens. Mais quand ce progres s'operc par une
secousse violente, il ne se fait pas d'une maniere complete et
ayec ensemble. La situation de beaucoup d'hommes change
san s que ces hommes changent eux-memes autant qu'il le
faudrait pour se trouver tout a fait en harmonie ave e leut'
situation nouvelle. Le développement intelIectu,e1 et moral
ues individus ne marche pas aussi vite que le développement
de leur existence matérielle, et la Révolution n'a pas réparti
les lumieres avec autan! de rapidité et d'égalité que les for-
tunes. Il en est résulté ce fait qu'un assez grand nombre de
citoyens estimables, utiles, importants par leurs propriétés,
par leur indush'je, par l'influcnce que Icur situation Ics appelle
it exercer dans les affaires publiques, n'ont cependant pas
et ne peuvent avoir encore cctte étendue d'idées, cette indé-
pendance et eette tranquillité d'esprit que le cours naturel
des choses doit faire acquérir a lcurs enfants. Leur sagacité
est admirable en ce qui touche les intérels de leur situation
nouveIle; mais c'est une situation craintivc qui fournit a
quiconque sait la manier mille moycns d'agir sur eux avec
une extreme facilité. On peut leur inspirer des méfiances,
leur communiquer des ilIUSiODS injustes) chimériqucsJ ab-
surdes meme) et j'en pourmis ci!cr de bizarres exemples.


Si une garantie n'était cxigée des journaux, il serait tres~
facile de s'en servir pour entretenir et pour répandre, dans
une classe nombreuse de bons citoyens, des préventions et
des crreurs dangereuscs non-seulemcnt pour l'intéret public,
mais pour les intéI"t:ts de cellx-lil memes qui seraicnt le plus
enclins it les adopter aveu¡:;l~ment,


Que si, de la considération de notre ordre social, Hons
pa,sons a eelle de nos inslitutions, nous y trouverons de
Iluuvelles causes de la puissance des journaux et de l'éucrgic
toute partieuliere (Iu'clle ne peut manquer d'avoir parmi
llOUS. II est des pays, mcssieurs, Olt le gouverncment de la
wciété 11e sc rencontre pour ainsi di re qu'au centre, e'est-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-3 MAl 1819. 11
a-dire au lieu ou iI possede natul'eIl'ement le plus de force,
de sagesse et de lumieres; dans le reste du tel'l'itoire, l'ad-
ministl'ation est dirigée par des influences, par des autorités
locales et presque indépendantes, dans la condui te desquelles.
le gouvernement proprement dit n'est point engagé. Chez
nous, au contraire, le gouvernement el l'administration
tout entiere sont étroitement unis, ou plutót e'est une seule
el meme ehose. Je n'examine point les ineonvénients ou les
avantages de telles institutions; si eette question était un
jour élevée, il serait faeile, je cr01s, de démontrer que la so-
ciété abeaucoup gagné aleur établissement. Quoi qu'il en soit,
elles ont ceUe conséquence que le gouvernement, an lieu de
ncpouvoir presque etre atteintqu'au centre et dans les fone-
tionnaires d 'un ordre supérieur, est partout présent et partout
vulnérable dan s une multitude d'agents dont on ne saurait
raisonnablement espérer que la conduitc ne donnera lieu a
aucun reproche légitime. Aussi, tandis qu'en d'autres pays
c'est aux aetes généraux des pouvoirs supérieurs que s'atta-
quent surtout les journaux de l'opposition, vous les verrez
iei, messieur8, livrer a l'administration ceUe petite guerre
eontinuelle dan8 laquelle l'offensive a tant d'avantages et
qu'il est si malaisé de repousser avec succes. Et comme les
esprits d'un grand nombre de lecteurs ne seront gucre moins
frappés d'un abus particulier el local que d'une faute de
politique générale, ]'cffe1 du reproche sera a peu pres ]e
meme, quoique la matiere en Boíl beaucoup moins grave.
Certes, dans une sítuation pareille, ]e gouvernement aura
besoin et de plus d'cfl'orts, et de plus de vigilance, et de plus
de mérite pour prévenir le combat ou pour remportel' la
victoire.


On ne saurait done le nier, messieurs, la puissance, ou, si
1'on yeut, l'ínfluence des journaux sera grande, forte, re-
doutable; (andís qu'aiIleur~ elle peut ne dériver que de la
nature meme de ce genre de publications, chez nous, une
multitude de causes, et de causes tres-actives, conCOUl'l'ont
ayec cclle-la pour la souienir et pour l'accroitre. Et ce ne




12 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
sont la ni des suppositions ni de vaines craintes; ce sont des
fatts dont il ne faut point avoir pcur, mais qu'il faut bien
reconnaitre, cal' les lois, qui peuvent les oublier, ne pement
pas les détruire.


La conséquence nalul'elle et irrésistible de ces faits, e'est
la nécessité de la garantie que le goU\'ernement vous propose.
C'est par la, messieurs, et par la seulement qu'en eette oc-
casion, comme en. plusieurs autres, elle s'explique et se
légitime. Cal' nous ne saurions partager l'opinion de I'hono-
rabIe rapporteul' de votre commission, qui n'a cherché le
principe de cautionnements des journalistes que dans la
nécessité d'assurer le payement d'amendes éventuelles. Si en
elfet il en était ainsi, l'un des pl'éopinants aurait eu raison
de s'étonne¡' qu'on ne leur demandat pas aussi des otages.
Mais le vél'itable principe, le principe légitime du caution-
nement est ailIeurs; il réside dans cet ensemble de faits que
nous avons essayé de retracer et dont le résultat est d'aHri-
buer aux: jou~naux une puissance telle qu'on ne saurait, sal1S
une grave imprudence, la livrer indistil1ctement a quiconque
voudrait s'en saisir. L'objet du cautlonnement est done,
non-seulement de pourvoir au payement des amendes, mais
surtout de ne placer I'influence des journau,x qu'entre les
mains d'hommes qui donnent a la société quelqlles gages de
leur existence sociale et lui puissent inspirer quelque con-
fiance. On ne saurait le méconnaitre, cal' cela est évident;
les journaux ne sont point l'expression pure et simple de
quelques opinions individuelJes; ils sont les organes des
partis, 011 si ron veut, des divel'ses opinions, des divers in-
térets auxquels se I'allient des masses plus ou moins nom-
breuses de citoyens. Eh bien! il n'est pas hon, il ne convient
ni a la société, ni aux partis eux-memes, que ces organes
publics soient pris et placés daos la région inférieure des
opinions et des intérets qll'ils expriment. Il est utile, il
est sage de les contraindre a partir d'une sphere plus élexée,
ou se rencontrent a la fois et plus de lumieres et plus de vé-
ritable indépendance, et des intérets individuels plus étroi·




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-3 MAl 1819. lB
tement unis a l'intérCt général. e'est l'habileté des lois
d'amener tous les éléments de la société 11 s'élever et a s'é-
purer sallS cesse. Par la elles assurent en meme temps le
maiJllien de l'ordre el les progres comme les droits de la
liberté.


Cest pour atteindre cehut, seul véritahle et seullégitime
objet dll cautionnement que la quotité assignée par le projet
de loi vous a été proposée; et la Chambre a déjlt pressenti
sans doute qu'on ne pouvait s'armer, pour combattre cette
quotité, du taux possible des amendes, puisqlle ce n'est point
sur la nécessité de pourvoir aux amendes qu'est rondé le
principe du cautionnement lui-meme. Pour prouver qu'i]
convient d'abaisser la limite proposée, il faudrait prouve,'
qu'elle mettra quelque opinion généra!e, quelque intéret
commun a un assez grand nombre de citoyens, dan s l'impos-
sibilité d'avoir des journaux pour organes. Or, c'est, je crois,
ce qu'il semit difficile d'établir. Nous persistons done ii. de-
mander a cet égard, et saur en ce qui concerne les journaux
de départe~ents, l'adoption pure et simple du projet, nom
réservant d'examiner, dans la discussioIl des articles, les
divers amendements qui vous 0nt été proposés.




JI


Discussion de l'Auresse dite des 221.


- Chambré des députés. - Séance du .16 mars 1830.-


te 23 janvier -1830, je rus élu membre de la Chambre
des députés, dans les arrondissements de Lisieux et de
Pont -l'Éveque réunis, et par toutes les nuances de
l'opposition 1. La session s'ouvrit le 2 marso Le projet
d'Adresse en réponse au discours du Treme fut pré-
senté a la Chambre des députés le 1 [$ marso Il avait été
préparé par une commission composée de MM. le comto
de Preissac, Étienne, Kératry, Dupont de l'Eure, Gau-
thier, le comte Sébastiani, le baron Le Pelletier d' Aul-
nay, le eomte de Sade, Dupin ainé, et présídée par
M. Royer-Collard, président de la Chambre. La discus·
sion s'ouvrit irnmédiatement, en comité secret, selon
la regle a eette époque. Elle dura deux jours, el quoi-


t Mémoi1'es p01M' sel'l,ir a I'HistoÍore de mon temp,~, t. 1", p. 342.




CHA:\fRRE DES D};PUTÉS.-16 MARS 1830. 15
que tres-franche de la part des adversaires comme des
amis du cabinet, elle fut modérée et contenue presque
jusqu'il la froideur. Les uns et les autres avaíent un
profond sentiment de la gravité de la situation et de la
responsabilité quí s'attachait a toutes les paroles. La
discussion générale et celle des quatre premiers para-
graphes du projet d' Adresse remplirent la séance du
15 marso C'était dans les cinq derniers paragraphes que
résidaient la pensé e et l'énergie de I'Adresse. lIs étaient
ainsi con!(us :


« Cependant, Sire, au mílieu des sentiments unanimes
de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure,
il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui
trouble la sécurité dont la France avait commencé á
jouir, altere les sources de sa prospérité, et pourrait,
si elle se prolongeait, devenir funeste a son reposo
Notre conscience, notre honneur, la fidélíté que nous
vous avons jurée et que nous vous garderons tou-
jours, nous imposent le devoir de vous en dévoiler la
cause.


« Sire, la Charte que nous devons a la sagesse de
votre augustc prédécesseur, et dont Votre l\Iajesté a la
ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme
un droit l'intervention du pays dans la délibération des
lntérets publics. Cette intcrvention devait etre, elle est
en eH'et, indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans
des limites exactement tracées, et que nous ne souffri-
rons jamais que l'on ose tenter de franchir; mais elle
est positive dans son résultat, car elle fait, du concours




16 mSTOIRE PARLEIIIENTAIRE DE FRA~CE.
permanent des vues poli tiques de votre gouvernement
avec les vmux de votre peu pie, la condition indispen-
sable de la marche réguliere des affaires publiques.
Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condam-
nent a vous dire que ce concours n'existe pas.


« Une c\éfiance injuste des sentiments et de la raison
de la France est aujourd'hui la pensée fondamentale de
l'Administration. Votre peuple s'en afflige, paree qu'elle
est injurieuse pour lui; il s'en inquiete, paree qu'elIe est
menaltante pour ses líbertés.


« Cette défiance ne saurait approcher de votre noble
cmur. Non, Sire, la France ne veut pas plus de l'anar-
chie que vous ne voulez du despotisme; elle est digne
que vous ayez foi dans sa loyauté, comme elle a foí dans
vos promesses.


« Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme,
si fidele, et nous qui, avec une conviclion si profonde,
venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un
peuple jaloux de l'estime et de la confiance de son Roi,
que la haute sagesse de Votre lUajesté prononce! ses
royales prérogatives ont pIacé dans ses mains les moyens
d'assurer, entre les pouvoirs Ile l'État, cette harmonie
constitutionnelle, premiere et nécessaire condition de
la force du Trone et de la grandeur de la France. J)


A ces cinq paragraphes l\I. de Lorgeril, député dn
département d'Ille-et-Vilaine, proposa de substituer un
amendement ainsi con!(u :


« Cependant, Sire, notre honneur, notre conscience.
la fidélité que nous vous avons jnrée et que n01l8 VOllS




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-16 MARS 1830. 17
garderons toujours, nous imposent le devoir de faire
eonnaitre a Votre Majesté qu'au milieu des sentiments
unanimes de respeet et d'affedion dont votre peuple
vous entoure, de vives inquiétudes se sont manifestées
a la suite de ehangements survenus depuis la derniere
session. e'est a la haute sagesse de Votre Majesté qu'il
appartient de les apprécier et d'y apporter le remede
qu'elle croira convenable. Les prérogatives de la cou-
ronne placent dans ses mains augustes les moyens d'as-
surer eette harmonie constitutionnelle aussi nécessaire
a la force du Tróne qu'au bonheur de la France. »


Je pris le premier la parole pour combattre cet amen-
dement et soutenir le projet d' Adresse présenté par la
eommission. Mon intention et la pensée dominante de
mon G.iscours furen(d'établir, par le tableau des faits
comme par l'exposé des principes, que l'harmonie des
pouvoirs constitutionnels était aussi nécessaire a la
force du Gouvernement lui-meme qu'a la grandeur et
au bonheur de la France. Tout en faisant ade d'oppo-
sition, j'avais a cceur de me montrer pénétré des néces-
sités et des droits du pouvoir dans un régime libre, et
de rester étranger a toute hostilité contre le gou-
vernement fondé en 1814.


M. GUlZOT, répondant ti 11'/. de Lorgeril. -Messieul's, je
viens repousser l'amendement qui vous est proposé et ue-
mander I'adoption pure et simple du paragraphe de votre
commissiou.


Parmi les motifs quime déterminent, qucIques-uns out déjil
été présentés dans la discussion, soit hier, soit aujourd'hui;


T. l. 2




18 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA~CE.
je n'y reviendrai poinl. D'autres, a ce qu'il me semble, n'oul
pas encore été allégués ; je demande a la Chambre la permis-
sion de les mettre sous ses yeux.


On a beaucoup parlé de I'état d'inquiétude et de trouble
ou l'avénement du ministere a jeté la France; les ministres
s'en sont défendus en disant tantó! que ce trouble n'était
point naturel ni général, qu'au fond le pays était tranquille;
tantót que si le mal existait, on ne pouvait le leur imputer,
car ils n'avaient rien fait; et on n'alléguait, on ne pouvai t
alléguer contre eux aucune série d'actes, aucun acte qui püf
vraisemblahlement !ltre considéró comme la cause d'une tell(!
agitation.


Je n'ai rien a dire, messieurs, contre rinaction en géné-
ral; elle peut etre un utile moyen du gouvernement; le
tamps seul dissipe hien des préventions, surmonte bien des
obstades, et je comprends que souvent le pouvoir dameurc
immohile et s'en remette au temps du soin de guéril' cel'-
tains maux de l' état social.


Mais, messieurs, le temps n'a point manqué au ministcrc;
il existe depuis plus de sept mois; que nous a valu son inac-
tion? Les esprits se sont-ils calmés? Les préventions se sont-
elles évanouies? Sommes-nous hors de la crise oil son avé-
nement nous avait plongés?


Évidemment non : I'anxiété puhlique, au contraíre: a
toujours été croissant: aujourd'hui encore la crise continue
et s'aggrave; le minislere peut parler de son inaction, mais
iI n'a aucun hon résultat a en produil'e; elle n'a point suffi
i.t guéril' le mal que HOUS a faít son e:istence.


C' est que ce mal, je le craíns, meSSlCurs, est pl~s prof?nd,
plus généralque ne le supposent ceux-la meme qm y crOle~t:
Ce n'esl pas dans les esprits. seulement qne le trouble .a ete
porté; la sécuríté publique n'a pas eu, s~ule a. so~ffnr de
l'infiuence du ministere; ailleurs aUSSl 11 a Jete la plus
déplorable perturbation. " .


Sous quels auspices, messieurs, au nom de quels pnnClpes,
de quels intérets le ministere s'est-il formé1 Au nom du




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 MARS 1830. 19
pouvoir menacé, de la prérogative royale compromise, des
intérlits de la couronne mal compris et mal soutenus par ses
prédécesseurs. C' est la la bauniere sous laquelle il est entré
en Jice, la cause qu'il a promis de faire triompher.


On a du s'attendre des lors a voir l'autorité exercée avee
vigueur et ensemble, la prérogative royal e tres-active, los
priJ"cipes du pouvoír non-seulement proclamés, mais pratí-
qué s, aux dépens peut-litre des libertés publiques, mais du
moins au profit du pouvoir lui-meme.


Est-ee la ce quí est arrivé, messieurs? le pouvoir 3'est-il
atIermí depuis sept mois? A-t-il été exercé énergiquement,
activement, avec confiance et efficacité?


Je ne le penso pas.
Et ne croyez pas, mcssieurs, qu'en adressant au ministerc


ectte question, je veuille lui demander s'il a exercé le pou-
voir a l'exemple de ces gouvernements infatigables, insatia-
bIes, dont la dévorante activité a longtemps pesé sur la
France. Une telle activité n'est point nécessaire pour que le
pouvoir se déploie et s'afformisse; il ne pero ríen a savoir se
reposer, laisser la société a elle-meme et ne paraitre ou
n'agir que lorsqu'on a vraiment besoln de luí. Cependant~
pour se fortifier, pour se maintenir seulement, il faut que le
pcuvoir agisse; l'exel'cice luí est salutaíre; pour qu'on croie
en lui, il faut qn'il sache fairo sentir sa présence, meme
q1,land il n'use pas de sa force. n fant surtout qu'il n'ait pas
l'ail' embarrassé, incel'tain, qu'il se confie en lui-meme,
n'élude point le8occasions d'agir et se montrc toujOUI'S prCt.
A ces conditions, mais a celles-Ia sculcment, le pouvoir se
rjlleve et s'aífermit.


Ces conditions, mcssieurs, le ministere nc les a point
relDplíes : jamais, 11 mon avis, le pouvoir ne s'est montré
plus faible, plus chancelant, plus empressé de reculer doyant
les dífflcultés, plus agité de doutes sur luí-meme, sur ses
moyens, sur son avenir. En voulez-vous la preuve la plus
évidellte? lnterl'ogez le public; il ne porle pas aujourd'hui
au ministere plus de confiance que dau$ les premiers jours




20 HISTOIRE PARLEJlIENTAIHE DE FRASC:E:.
de son avénement, mais iI ne lui porte plus aucune crainte.
On se méfie de ses intentions et on se rit de son impuis-
sanee. Est-ce la ce qu'il devait faire de la prérogative
rOjale? Est-ce la ce retour aux maximes et aux pratiques
eflicaces du pouvoir qu'il avait promis El ses amis?


Ou je m'abuse fort, messieurs, ou depuis sept mois le
pouvoir a perdu en confiance et en énergie tout autant que
le public en sécurité.


Il a perdll autre chose encore. Il ne consiste pas unique-
ment dans les actes positifs et matériels par lesquels ils se
manifeste; il n'ahoutit pas toujours El des ordonnances et El
des circulaires. L'autorité sur les esprits, l'ascendant moral,
cet ascendant qui convient si bien dans les pays libres, cal' il
dé termine les volontés sans leur rien commander, c'est la
une importante partie du pouvoir, la premiere peut-etre en
efficacité comme en dignité. e'est aussi ceBe, a coup sur,
dont le rétablissement est aujourd'hui le plus désirable pour
notre patrie. Nous avons connu des pouvoirs trcs-actifs,
tres-forts, capahles de choses grandes et difficiles; mais soit
par le vice de leur nature, soit par le malheur de leur situa-
tion, l'ascendant moral, cet empire facile, régulier, inaper<;u,
leur a presque toujours manqué.


Le gouvernement du roi est, plus que tout autre, appelé it
le posséder et a l'exercer. Il ne tire point son droit de la force;
nous ne l'avons point vu naltre; nous n'avons point contracté
avee lui ces familiarités dont il reste toujours quelque chose
envers des pouvoirs qui n'étaient pas hier et El l'enfance des-
quels ont assisté ceux qui lem ohéissent. Le respect s'aUache
a l'antique possession, a l'antiq~e gloire, et le respect est la
base de I'autorité morale. Qu'a fait le minisiere de celle qui
appartient naturellement, sans préméditation, sans travail,
au gouvernement dll roi? L'a-t.-il habilement employée et
agrandie en l'employant? Ne l'a-t-il pas au contraire grave-
ment hasardée en la mettant aux prises avec les craintes c¡u'il
a fait naltre et le~ passions qu'il a suscitées?


Est-ce lit, messieurs, ce qne le ministerc apprlle prrndl'(,




CHAMBI{E DES DEl'UT}~S.--·16 MAHS 1830. . 2L
en majn la canse du pouvojr, faire prévaloir ses principes,
l'élever au-dessus des aUeintes de ses ennemis?


Ce n'est pas encore la tout le mal; il ne s'est point ren-
fermé dans I'intérieur du gouvernement proprement dit, et
la couronne n'est pas seule a en souffrir. L'existence du mi-
nistere actuel a également porté le trouble dans tous les
grands corps de l'Etat, dans tous les pouvoirs qui concourent
au maniement des affaires publiques; tous ont été, ou plutot
sont aujourd'hui, par la meme cause, jetés hors de leur
situation naturelle, réguliere, et frappés d'un pénible em-
!larras.


Permettez, messieurs, que yen appelle a. la Chambre elle-
me me ; elle est, je crois, le plus éclatant exemple du fait que
je signale en ce momento Mais j'aborde avec quelque illquié-
tude un tel sujet; s'il m'arrivait de m'écal'ler des conve-
nances parlementaires, s'il m'échappait quelque mot con~
traire aux usages de la Chambre, je le désavoue d'avance,
je prie la Chambre de vouloir bien m'excuser et m'avertir.


Ce n'est point, mcssieurs, votre unique mission de con-
troler, ou du moins de contredire le pouvoir; vous ne venez
pas ici uniquement pour étudiCl', relever ses erreurs, ses
tort5 et en instruire le pays; vous y venez aussi, el d'abord
peut-etre, pOUI' entourel' le gouvernement du roi, poul' l'é-
clail'er en l'entourant, pour le soutenir en I'éclairant. Ce
n'081 point le gout de la critique, le désir d'une popularité
visible, extél'ieure, qui prévalent dans ce He Chambl'e; elle
souhaite surtout que l'administration EoiL bonne, utile au
pays, qu'une grande, une imposanle majorilé se pujsse ral-
lier autour d'elle et lui pl'eter de laforce en retoul' des hiens
qu'elle assurerait a la l'rance.


Eh hien, messieurs, quelle est aujomd'hui, dans la
Chambre, la situation des homrnes les plus disposés a. former
une majorité scmblable, les plus étrangers a tout esprit
d'opposition, atonte habitude d'opposition? lIs sont réduits
a faire de l'opposition; ¡Is en font malgré eux, par conscience;
ils voudraient rester toujours unis au gouvernement du roi




22 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
et íl faut qu'ils s'en séparent; ils voudraientle soutenir et il
faut qu'ils l'attaquent. Les memes sentimenls les animent
toujours; ils poursuivent toujours le meme but; mais ee n'est
plus par les memes voies qu'ils peuvent l'aUeindre; ils ont
été poussés hors de leurs propres voies. La perplexité qui
les agite, e'est le ministere qui la leur a faite; elle durera,
elle redoublera tant que nous aurons affaire ii lu1.


Et eette autre portion de la Chambre, messieurs, qui,
plus ombrageuse, plus arden te, se voue spéeialement a la
recherehe des fautes du pouvoir et a la défense des libertés
publiques, eroyez-vous qu'elle n'ait pas été aussi troublée
dans sa situation, que la perturbation générale ne l'ait pas
aUeinte? Son role, le role de l'opposition, ne se borne point,
dans le gouvernement représentatif IJien réglé, 11 épier la
eonduite du pouvoir, ii déeouvrir et ii proclamer s,es fautes;
cHe aussi a peut-etre pour principale mission d'indiquer, de
sollieiter les améliorattons, les réformes que peut reeevoir
la société.


Libre du poids des affaires, exempte de la responsabilité
immédiate et positive qui s'y attaehe, I'opposition s'avanee
en généralla premiere et hardiment dan s la earriere de la
cÍvilisation; elle en signale d'avance les bienfaits, les eon-
quete~ possibles; elle presse, elle somme le pouvoir de s'en
saisir au profit du pays. Elle vit d'avenir enfin et d'espé-
ranees souvent lontaines, mais glorieuses. Comment pourrait-
elle se lívrel' aujoul'd'hui 11 de telles pCllsées? Dans l'état des
csprits, dan s lcs relations aetuelles de la société et de ceux
qui la régissent, qui peut songer a demander des améliora-
tions, des réformes? La lutte aetuelle nous préoeeupe tous;
qui peut travailler pour un long avenir quand le présent est
a ce point trouLlé et compromis?


Comme les partisans de l'o'rdre et du repos, les amis du
mouvement el du progres sont done enlevés a leurs pratiques
habituelles et favorites; les uns et les autres éprouvent le
meme trouble, le meme désappointement.


Porlez vos regards hors ¡fe eette Chambre, messieurs,




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 MARS 1830. 23
interrogez sur lem situation tous les grands pouvoirs publics,
vous les trouverez tous atteints du meme mal. Je n'en citerai
qu'un exemple de plus, mais il me scmble frappant, e'est
celuí des tribunaux. QuelIe est leur mission ordinaire? De
protéger I'ordre public, de réprimer les exces qui le mena-
cent, les éearts des libertés individuelles. Sans doute ¡Is ont
aussi pour mi8sion de protéger les libertés individuelIes et
publiques, de les défendre contre les exces du pouvoir, et
c'est leur devoir, leur gloire de la remplir. Mais quand e'est
la le caraetere dominant de leul' activité, quand les tribunaux
lJaraissent surtont inquiets des tentatives du pouvoir, quand
e'es! le pouyoir qui se plaint d'eux, n'ya-t-il pas évidemment
perturbation? Les eol'ps judieiaires ne sont-ils pas enlevés a
lcur éta! naturel ?


Messieurs, voila qllelle est aujourd'hui la situation de
de !ous les pOllvoirs puhlies; la voila telle que le mini-
stere la leur a faite. Une seule force peut-ctre, une seule
puissanee se sent aujourd'hui 11 l'aise en Franee et se
déploie avec la eonfianee qu'elle est dan~ sa voie propre et
naturelIe; e'est la presse. JaTTIais, a mon avis, son action ne
nous fut plus nécessaire et plus salutaire; e'es! elle qui,
depuis sept mois, a déjoué tous les desseins, tous les essais,
tous les efforls; mais eette prépondéranee presque exclusive
de la presse est redoulable et aUestc toujours un facheux
état dl! gouvernement et de la soeiété.


eeUe perturbation générale des pouvoirs publies, ectte
altération de leur état naturcl, de Icmrs habitudes régulieres,
e'est la, messieurs, le mal qu'il fan! aller chercher au dela
de I'agitation des esprits el auc¡net jI est urgent de porter
remede. On vous a dit que la Franee était tranquille, que
I'ol'dre n'élait nullernent tl'onlJlé. Il est vrai; l'ordre matériel
n'est point trouhlé; lons circulent lihl'cmcnt, paisiblement;
aucun l)ruit ne dérangc les affaires. Le mal que jc viens ¡fe
signaler en existe-t-il moins? E5t-il moins grave? Ne frappe-
t-il pas, n'agite-t-il pas la pensée de tous les hommes sensés
el c1airv0J'ants? Il est plus grave que bien des émeutes, plus




24 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
grave que les désordres, les tumultes matéricIs qui ont, il
n'y a pas longtemps, agité l' Angleterre.


De tels désordres sont d'ailleurs un avertissement que le
pouvoir ne saurait ignorer; il faut bien, a leur explosion,
qu'il s'aper¡;oive du mal et se décide au remede. Pour nous,
messieurs, nous n'avons aucun avertissement de ce genre; la
surface de la société est tranquille, si tranquille que le gou-
vernement peut fort bien etre tenté d'en croire le fond
parfaitement assuré et de se croire lui-meme a l'abri de
tout péril. Nos paroles, messieurs, la franchise de nos pa-
roles, voillt le seul ayertissement que le pouvoir ait a rece-
voir parmi nous, la seule voix qui se puisse élever jusqu'a
lui et dissiper ses illusions. Gal'dons-nous d'en atténuer
la force; gardons-nous d' énerver nos expressions; qu' elles
soient respectueuses, qu'elles soient tendres, c'est notre
devoir et personne n'accuse votre commission d'y avoÍl' man-
qué; mais qu'elles ne soient point timides et douteuses. La
vérité a déjlt assez de peine a pénétrer jusqu'au cabinet des
rois; ne l'y envoyons point faible et pale; qu'il ne soit pas
plus possible de la méconnaltre que de se méprendre sur la
loyauté de nos sentiments. Je vote contre tout amendement
el pour le projet de la commission.




111


• Préscntation ct discussion du projet de loi relatif a la publi-
cation de la liste des Électcurs et du Jury dans chaque dépar-
tement, pour I'année 1831.


- Cbambre des députés.-Séances des 14 et 25 aout 1830.-


Comme ministre de l'intérieur, j'étais appelé a prcn-
dre soin que le cours régulier et légal de l'administra-
tion fUt aussi peu troublé ou suspendu que cela était
possible par la révolution qui venait de s'accomplír. Ce
fut a ce titre et dans cet esprit que je présentai, le
14 aout, le })rojet de loi suivant, et que je répondis le
25 aoÍlt aux objedions élevées dans le débat. Ce projet,
adopté par les deux Chambres, fut promulgué comme
loi, le 11 septembre 1830.


M. GUIzOT, ministre de l'intérieur.-Messieurs, d'apres la
loi du 2juillet 1828, la liste électorale et du jury doit ctre
publiée chaque année, dans chaque département, le 15 aout,
et révisée selon les formes et dans les délais énoncés au
titre ler de cette loi.


L'impression de eette liste était déjiJ. asscz avaneée dans




~5 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAXCE.
plusieurs départements et pres de commencer dans les
autres lorsque la publication des ordonnances du 25 juil-
let est venue arreter ce travail. Les glorieux événements
qui retentissent autour de nous ont momentanément sus-
pendu le cours régulier de l'administratlon. Beaucoup de
fonctionnaires sont révoqués ou ont abandonné lenr rési-
dence; leurs successeurS arrivent a peine et sont pressés
de pourvoir avant tout a la sureté du pays. Il est maté-
rielIement impossible que la loi du 2 juillet 18~8 soit
exécutée, c'est-a-dire que les listes électorales soient par-
tout publiées le 15 aout, débattues, révisées et définilive-
ment rectifiées du 15 aoUt au 20 octobre, comme ceUe
loi le pl'escl'it.


Quelques personnes pourraient penser que le pacte con-
stitutionnel qui vient d' etre promulgué annon!;ant d'impor-
tantes modifications a notre législation électorale, il convien-
drait d'attendre ces modifications pour rédiger et publier de
nouvelles listes, afin qu'elles y fussent conformes. Mais,
messíeurs, cette publication n'a pas les listes électorales
senle§ paur objet ; elle s'applique, en meme temps, et pen-
dant une année, au serviee du jury. 11 ya done ici une im-
périeuse néeessité, un grand intéret public qui ne saurait
attendre. La liste générale des citoyens aptes a elre jurés
doit etre révisée et arretée aussi promptement qu'il se
pourra faire, en 1830, afin que la liste destinée au serviee
des assises pour l'année prochaine soit dressée et publiée
légalement le 1 er janvíer 1831.


Un moyen simple se présente. e'est du 15 aout au 20 oc-
tobre que, d'apres la loi du 2 juillet 1828, doivent s'ac-
complir toutes les opérations de la révision des I~stes; il
sumt de retarder d'un mois l'ensemble de ces opérations,
c'est-a-dire de les reporter du 15 septembre au 20 novembre,
pOUl" satisfaire a la nécessité.


Tel es!, messieurs, l'unique but du projet de loi que le
Roí nous a ordonné de vous proposer. JI rend a l'administra-
fion le temps de publier les listes, aUl: citoyens celui de les




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-14 ET 25 AOVT 1830 27
examiner et de les débattre, sans rien préjuger sur les chan-
gements qui pourront y etre apportés plus tard par une no u-
veIle législation électorale, sans altérer aueune des forma-
lités, aueune des garanties que la loi du 2 juillet 1828 á
voulu donner. Cctte loi sera pleinement exéeutée; elle le
sera seulement du 13 septembre au 20 novembre, au lieu
de nitre du 15 aout au 20 octobre.


Une seule disposition y est ajoutée. L'article 83 de notre
Charte constitutionneIle admet, des 1'8ge de vingt-cinq ans,
11 I'exercice des droits électoraux, les citoyens qui réiutissent
d'aillcurs les eonditions déterrninées par les lois. II n'ya
point iei d'ajournement, point de question subordonnée a
une nouvelIe législalion électorale; c' est un droit aequis,
eomplet, et dont les citoycns doivent immédiatement jouir.
L'article 2 du projet de loi leur en assure sans retard I'exer-
cice : la disposition de la Charte est formelle et n'a pas
besoin de eonfirmation légale; mais il a paru utile d'en pro-
c1amer l'exécution.


J'ai I'honneur de donner a la Chambre Jeeture du projet
de loi.


Al't. 1 cr. Les opérations rclatives a la révision des listes
éleclorales et du jury quí, en '\'ertu des ariicles 7,10: 11,12
et i6 de la loi du 2 juilIet 1828, doivent avoir líeu du
1 ñ aout au 20 octobrc de chaque année, seront, a raison
des éirconstanees et seulernent pour la présente année j 830,
retardées d'un mois.


En conséquence, la liste électorale du jury sera publiée
dans ehaque département le 1.5 septembre; le registre des
réclamations sera dos le 3{ octobre; la clOture de la
liste aura lieu le 16 novembre, et le derniel' tableau de
rectifications sera publié le 20 du meme mois de no-
vembre.


Art. 2. Sel'out compri~ dal1s lesdi~es listes aU1 termes d~




28 HISTOIRE PARLEME~TAlRE DE FRANCE.
l'artic\e 33 de la Charte constitutionnelle, les électeUl's qui,
jusqu'au 1.6 novembre inclusivement, auront atteint l'age de
vingt-einq aus, et réuniront les eonditions détcrminées par
les lois.


M. de Podenas, député de rAude, ayant fait quel-
que s objections sans proposer aucun amendement, je
lui répondis :


M. GUlZOT, ministre de l'intérieur. - L'honorable préopi-
nant reeonnait la néeessité de pourvoir a la publication im-
médiate des listes du jury. Il eonvient que, sous ce rapport,
le serviee public ne peut pas attendre. Il me parall avoir
oublié qu'aux termes de la loi merne sur le jury, ces listes
se composent de deux parties : la premiere, la liste des élee-
teurs; la seeonde, la liste additionnelle qui comprend cer-
taines professions libérales. Pour faire la liste du jury,il faut
done néeessairement faire aussi la liste des électeurs. On ne
¡¡eut pas publier une liste spéeiale du jury indépendante de
ceHe des éleeteurs.


Quant a la composition de la liste des électeurs) je ferai
remarquer que les lois subsistent tant qu'eHes ne sont pas
formellement abrogées; La Charte eo~tient des dispositions
de nature différente. Les unes sont définitives et impératives,
et déterminent l'agc des éleeteurs, et e'est en veriu de ees
dispositions que nous avons pu vous propose!' d'abaisser l'uge
des électeurs 11 vingt-einq ans. Les autres dispositions con-
eernant le cens ne sont pas encore déterminées. La Charte
dit qu'elles le seront par une loi. Tant que eeHe loi ne sera
pas rendue, il n'est pas possible de compl'endre dans la liste
des électeurs les eitoyens dont le cens n'es! pas encore fixé.
Nous nous trouvons done dans eette double nécessité : d'unc
part, de faire une liste des électeurs, comme pl'emierc partie
de la liste du jury, et de l'autre, de ne pouvoir eomprendrc
dans eette liste les citoyens dont le ecns n'est pas dé terminé
par la loi.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS-U ET 25 AOUT 1830. 29
Vinlention du gouvernement est de proposer, aussitÜl


qu'il le pourra, la loi des élections; et alors le cens des élec-
tcurs sera définitivement réglé. Mais, quant it préscnt, dans
l'obligation ou nous sommes de publier immédiatement la
liste du jury et d'y comprendre ecHe des électeurs, nous
n'avons pu que nous en tenir, pour les électeurs, aux condi-
tions légales existantes.




IV


Présentation et discussion du projet de loi re1atif an mode de
pourvoir aux {,Iections vacantes dans la Chnmbre des dé-
putés.


-Chambre des députés.-Séances des 14 et 30 aolit lHHO.-


Par suite soit des démissions, soit des changements
dans les diverses branches de l'administration qu'avait
amenés la révolution de Juillet, cent quatorze siéges
étaient vacants dans la Chambre des députés. Il était
indispensable de les faire remplir par des élections nou-
velles, sans aUendre que les modifications annoncées
dans la législation électorale fussent accomplies. Diver-
ses questions provisoires, mais importantes et délicates,
s'élevaient a ce sujet. Le projet de loÍ suivant, destiné
a les résoudre, fut adopté par les deux Chambres avec
quelques amendements, et promulgué comme loi le
12 septembre 1830.


M. GUlZOT, ministre de l'intérieur. - Messieurs, plusieurs
siéges sont vacants dans cette Chambre; iI importe d'y ponr-




CHAIlIBRE DES DÉPUTÉS.-14 ET 30 AOUT 1630. 31
voir saos retardo Il importe qu'une assemblée qui a déja si
bien mérité de la patrie en consacrant et consommant en un
jour, avec une fermeté rapide et prudente, l'reuvre glorieuse
de la résistance nationale, ne voie point de vide dans ses
rangs.


Pour la compléter, une question grave se présente. D'im-
portantes modifications a notra législation électorale sont
annoncées. Elles ne sauraient etre aS5ez promptement ac-
complies pour que les élections aujourd'hui vacantes aient
lieu sous leur empire. Ces élections se trollvent nécellSairí\-
ment placées sous l' empire des lois actuellement subsi.tantes,
ear les lois subsistent tant qu'elIes nc sont pas formellement
abrogées ou changées; et e'est un des plus impérieux hesoins
de la soeiété que, partout OU ne vient pas frapper une néces-
sité absolue, irrésistible, sa vie légala continue sans inter-
ruption. Mais les lois électorales encore en vigueur contien-
nent un principe si fortement réprouvé par la conscience
publique, et aont la prochaine abolition a été si hautement
proclamé e qu'il y aurait une sorle d'inconséquence cho-
quante a en autoriser plus longtemps l'application.


C'est le príncipe du double vote. Quoique IImr prompta
solutiou soit désirable, les autres questions peuvent et doivent
etre ajournées a la discussion générale el approfondie dató
lois annoncées. Le dOllble vote n'est plus une question. Aboli
en príncipe par la Charte~ nOllS pensons qu'en fait ii doit
disparaitre.


Il faut done llrendre une mesure qui, sans rien cClmpro-
mettre, S¡l.m reconstitller précipitamment et au hasard notJ;e
ltígislation électorale, el1 expulse immédiatement le double
yote et affranchisse les élections qui vont avoir lieu de la
nécessité de le subir.


pour at~eindre ce but, íl nous a paru que le moyen le
plus ~imple était d' ordonner que les colléges d' arrondissement
pourvoieraient seuls allX élections vacantes, y compris celles
qui auraíent été faítes par des colléges de département. Dans
ce 41lfniel' cas, un tirage a,u sort, fait dil-JlS ~Q Chambre




32 RISTOIRE PARLElIIRN'l'AIRE DE FRANCE.
en séance publique, déterminera lequel des arrondissements
électoraux du département devra procéder au remplacement
du député élu naguere par le collége départemental.


Le tirage au sort en pareille matiere n'est point un pro-
cédé nouveau et inusité dans ceHe Chambre ; elle en a usé
plusieurs fois, par exemple pour détermln~r le cIassement
des départements en séries et l'ordre des séries, quand le
renouvellement par cinquieme était en vigueur.


<;:"'C'Ú,'C ~IlellUTe purement transitoire satisfait au besoin
du moment, a la conscience publique, et laisse aux déli-
hérations futures des Chambres, sur notre législation élec-
torale, toute la liberté, toute la maturité qui leur doivent
appartenir.


J'ai I'honneur de donner a la Chambre lecture du projet
de ¡oi.


PROJET DE LOI.


Art. i er. Il sera pourvu par les colléges d'arrondissement
aux vacances occasionnées dans la Chambre des députés par
suite de démission ou par toute autre cause, soit que les
députés a remplacer aÍent été élus par un collége d'arrondis-
sement ou par un collége de département.


Art. 2. Dans ce dernier cas, il sera procédé dans la
Chambre des déplltés, et en séance publique, a un tirage an
sort entre les divers arrondissements électoraux du dépar-
tement ou aura lieu la vacance, pour déterminer quel ou
quels arrondissements devront procéder au remplacement
du ou des députés élus par le collége de département, de
telle sorle que nul arrondissement n'ait plus d'un de ces
députés a nommer.


Art. 3. Les dispositions de la présente loi sont purcment
transitoires, et valables uniquement jusqu'a ce qu'il ai~ été
légalement pourvu aux modifications a apporter a la léglsla-
tion électorale maintenant en vigueur.


M. GmzoT, ministre de l' intérieur.- J e ne vien~ ¡ci appuyer




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-14 ET 30 AOUT 1830. 33
ni combattre au fond et en lui-meme l'amendement qui
vous esl proposé 1. Je viens seulement faire remarquer a la
Chambre l'inconvénienl qu'il y aurait a déeider ectte ques-
lion a propos d'une loi transitoire, au lieu de la renvoyer a
la loi définitive.


Le plus grand inconvénicnt qui se soit fait sentir dans les
lois d'élections dont on s'est occupé, e'esl qu'elles n'onl pas
été fondées sur le eonnaissance (les faits; e'est qu'on a pro-
cédé d'une maniere abstraite, a priori, sans savoir sur quoi
on agissait, el sans pouvoir indiquer quels seraient les ré-
sultats de la loi en délibération.


Ainsi, on vous propose d'abaisser a 200 fr. le cens- électo-
fal, et on ne peut pas prévoir quel nombre d'élecleurs arri-
vera par cel abaissement; on nc peut pas dire s'il sera néces-
saire, 11 raison de ce nombre, de fractionner les colléges
autrement qu'ils ne le sont. C'est la un inconvénient im-
mense. Vous avez, dans la loi des éleetions actuelle, des faits
connus pour le eens de 300 fr. Vous savez quel résuItat vous
en pouvez atlendre. Ces résultats non-seulement n'ont rien
de dangereux en eux.-memes, mais ils ont amené des Cham-
bres qui ont vaillamment soutenu la cause des libertés pu-
bliques, el qui ont aidé le pays a triompher définitivement.
Vous n'avez done rien a eraindre; vous les connaissez; mais
ce qui arrivera de l'abaissement du cens 11. 200 fr., vous ne
pouvez en aucune fa~,()n le prévoir.


Je ne dis pas que le résultat soit mauvais, qu'il ne faille
pas l'admettre, mais je dis qu'il ne faut rien préjuger, el
qu'avant tout iI faut eonstater les faits résultanl de l'abaisse-
ment du censo


On peut, par des renseignemcnts administratifs, savoir le
nombre des cotes entre 300 fr. el 200 fr. On peut au moins
en approeher et prévoir quelles combinaisons seront néces-


I L'amendement proposé par le général Demar9ay, député de
la Yienne, avait pour objet de réduire immédiatement a 200 fr.
le cens de 300 fr. exigé jusque-la des électeurs.


T. l. 3




34 HIstdíRE PARLEMEXTAIRE DE FRANC:t:.
sanes V(jur amener lé ceIis de 200 fr. dan s la. loi électoraie.
Mais des aujourd'hui, dans l'abselice complete des l'ensei-
gnemerits et des faits, voUs agiriez en aveugles en abaissant le
cens, et c'est un des plus grands ínconvénients 'lui se soient
fait sentir dans toutes les lois d'élection.


J;ajouterai une remarque des plus importantes: c'ést que
tes élections que vous avez a faire doivent etre faites en
véftrl des listes actuellement existántes, sur nn tablean de
rectiflcatlon, dans le délai d'un mais. Vous avez un gtái1¡J
íiitéi-H a ce que vos harres se remplissent. Si vous abaissez le
cens, l'introduction d'un gi'and nombre d'électeurs rendra
plus roligue et plus difficile la confection des listes, el il
noüs Íii:JpoHe lieáucoup que le dlilai d'un rnoís ne soit pa;:
Jépassé.


_ Je rie l'enlÍ'erai pas dans la discussion générale. Voil,
n'avez en ce mornentqu'urie 10i provisoire it faire.tl y aurnit
uné sótté He éfintradíctldri a faire uIie loi provisoire, et a
itécÍdér aañs cette tOl une déS plus graiídes qriesticins 'luí
appartierínerit a tálOi definitive, el que VOUR ne ponvcz décider
qu'ávec coniiálssance de cause. Je demande, en consé'luencC',
qué la: qíiestio~ dé l'a:hcüssemént du cens soit renvoyéc ¡i la
diidíSsion dé fa 101 définitive.




v


Présontalion et discussion du projet de loi relatjf a la réélec-
fion des Députés pro mus a des fonctions publiques salariées.


- Chambre d0S députés.- S"ances des 17 et f!1 íloát i830.-


L'obligation, pour les députés promus a des fonctions
publiques salariées, de se soumettre a la réélection etait
l'une des réformes promises par la disposition finále de
la Charte de 1830. Le projet de loi suh-ant, destiné a
aceomplir ectte réforme, fut adopté par les deux Cham-
bres, avec quelques amendements) et promulgué cotnme
loi le 12 septembre 1R30.


M. GUlzor, ministre de I'intérieur.-Messieurs; la Charte iI.
ai'donné qu'une loi fUt rédigée pour obliger a la rééleclioti
les membres de la Chambre des députés appelés a des fonc-
tións publiques .


. Avant que la Chal'te Ctlt posé ce principe, la conscienc~
publique l'avait reconnu. La Charte, telle qu'une heurense
révo\ution \'a développée, n'a en qli'1t consacÍ'er des vérités
auxquelles qil.inze ahs d'expérience et de discussión avaieni




-36 HISTOIRE PARLE'.\fENTAIRE DE FRAKCE.
donné le seeau de l'~videncc; elle a fait passer la raison com-
mune dans le droit écrit.


Tel est le car¡¡.ctere du projet de loi que le Roi nous a
ordonné de vous présenter, et Clui asll'eint a la réélection les
députés promus a de nouveaux emplois. Les motifs en sont
si connus, si généralement sentis, qu'il semble superflu de
les exposer de nouveau. Le raisonnement el les faits ont
d'avance convaincu le législatem.


La proposition n'est pas nouvelle dans cette Chambre;
elle y a pris naissance. Présentée sons des administra-
tions bien diverses, elle y a conru diverses fortunes. Plus
d'une fois ajournée ou rejetée, elle y fut admise iI y a
trois ans pour la premiere fois, et quoique alors elle échoilat
dans une autre enceinte, il fut aisé de prévoir que son
temps approchait et qu'elle triompherait de la prochaine
éprcuve. A travers toutes ces vicissitudes, le príncipe a
gagné de jour en jour plus de crédit et d'autorité.


Une seule objection inquiete encore quelques esprits sages;
ils eraignent que cctte garantie nouvelle ne soit un affaiblis-
sement pour le pouvoir, et qu'il n'ait peine a marcher chargé
de eette nOllvelle entrave.


Mais, messieurs, ici eomme en beaucoup d'au1.res ques-
tions, ne méconnait-on pas la nature et la destinée du pou-
voir dans un État eonstitutionnel? N'oublie-t-on pas qu'il
s'y fortifie ou s'y alraiblit par des eanses tontes différen tes
de celles qui produisenl de tels effets dans un gouvernement
absoln? Cette nécessité d'ohtenir constamment I'af'sentiment
public, qui est aujourd'hui la condition du gouvernement,
De doit pas etre regardée seulement comme une limite,
eomme une garantie préventive; c'est aussi un principe
fécond de force, un puissant moyen d'action. San s doute elle
empeche, elle retarde f'ouvent; mais elle donne, aux hommes
et aux mesures qu'ellc appuie, une irrésistible autorité. Sans
doute le pouvoir aujourd'hui doit possédel' des moyens
d'imposer aussi a l'opinion publique des délais et des épl'eu-
ves, et e'est la sa garantie contrI' J'entl'alnf'ment et la pl'é-




CHAl\lBR.E DES D};PUTÉS.-17 ET 27 AOUT 1830. 37
cípitatíun; maí, [outes les épreuves accomplies, tous les
délaís épuisés, le pouvoir doit accepter le voeu du pays, se
l'approprier, s'en armer pour ainsi dire; et il est tres-fort
alol's, beaucoup plus fort par l' élection, par la discussion,
par la publicité, qu'il ne I'a jamais été par I'indépendance et
le secl'et.


Ne cl'aignons done pas de multiplier les liens qui l'appl'O-
chent la 50ciété et son gouyernement, d'instituer de nou-
veaux moyens de constater, de resserrer leur union. Nous TIe
sommes plus, grace au ciel, dans une situatioTI politique OlI
la société doive faire peur au pouvoil' ; tout a l'heure encore
il en était autrement. Peut-Ctre meme est-ce la position ou se
trouvait le dernier gouvernement qui fait encore illusion a
quelques esprits. Ce qui pour lui était l'edoutable leur
semlJle encore a craindl'e aujourd'hui; tant le passé est lent
a sortir complétement de la pensée! tant I'hahitude nous
fait voir longtemps ce qui n'est plus! Le demier gouverne-
ment portait en lui-meme un príncipe de faíblesse qui ne
lui permettait ni d'accepter pleinement les conditions légales
de son existence, ni meme d'user- de toutes les ressources
que lui offrait son organisation politique. II ne pouvait, il
n'osait ni respecter toutes ses limites, ni profitel' de lous ses
droits. La regle et I'activité constitutionnelles lui étaient éga-
lemenl importunes. Il y avait en lui quelque eh ose d'antipa-
thiqne a l'élection, a la I'esponsabilité, a la publicité. C'étaient
autal)t d'épreuves qu'il ne savait pas supporter et dont il ne
pouvait s'affl'anchir. Elles étaient done pOUl' lui une vraie
cause d'affcüblissement; elles meUaient de plus en plus en
lumiere le vice essenliel de sa nalure. Elles divulguaient ce
seeret d'ineomptahilité {¡ue le 26 juillet a fait éclaler. Mais
ce n'est point sur un tel précédent qu'il faut juger le gomer-
nement nouveau. Sa situation est toute différente. JI n'a rien
a cacher, rien h palliel'; et, comrne il est essentiellemelll
national, 11 ne recule pas devant la nation. Illa cherche au
COlltraire, puise de la force oi! le précédent ne trouvait que
faihlcssc, el sort plus affenni des ~p]'ellves dont le nom seul




SR HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
éhranlait l'autre. II n'y a, dans l'éleelion, uans l'aelion eon~
tim¡elle de la soeiété, rien qui répugne a la nalure du gou-
vernement aeluel. La liberté polilique ne le eompromet pas;
elle fait son salut eomme sa gloire; e'est pour elle qu'il es!
venu au monde.


Le projet de loi que nous vous pl'ésentons crée un lien de
plus entre Je pouvoir et le publico Il tend 11 multiplier les
éleetions partielles, 11 ouvrir en quelque sorte une perpétuelle
enquete sur les sentiments du pays 11 l'égard de l'aqmini-
slration. II ne fail done que développer les conditions et,
j'ose dire les moren s d'existenee du gouvernement. Aux
yeux des hommes memes qui sont surtout préoceupés du
désir que le pouvoir soít stahle et fort, il n'a maintenant
aucun des ineonvénients qu'il aurait pu préscnter naguere.
11 ne fera eourir au pouvoi¡' aueun des risques dont s'alar-
mait en d'aulres temps leur prudence inquiete. Il e.st con-
forfllc aux principes fondame.ntaux de l'ordre étapli, au ca-
r¡¡.ctere propre du gouvernement.


Aussi, n'avons-nous pas balancé, messieurs, a reeonnaitre
franchement le principe de la réélection, el a l'appliquer
dans toute sa latitude. Jusqu'ici) lorsqu'on avait essayé de
l'introduire, beaucoup d'exceptions et de limitations yavaient
été apportées. On avait excepté de la cOndition commune
tous les juges el meme les ministres. ~lais dans un pays oi.!
la hiél'archie jndiciaire compte des degrés si nombreux,
l'avancement des magistrats pent Ctre anssi bien l'ruuvre de
la faveur ou le calenl de la politiqne, qu'nne simple Pl'omo-
lion administrative; et quant aux ministres, e'est P?Uf f;UX
({u'il faudrait encore réserver la réélection quand meme elle
ne serait pas la condition de tous. Quel plus granu changc-
ment en effet dans la gituation dn député que le changement
qui, de conseiI1m'lihre uu pouvoir, ren l'end le déposilaire!
Mais aussi quelle force el quel appui le ministre réeemmenl
ehoisi par le prince doit-il trouver daus le nouveau suffrage
de ses eoncitoyens !


Le projet de loi u'admel dalle aUCUlle cxception, aneune




CHAMBRE DES DtPUTÉS,-17 ET 27 AOUT 1830, 3~
l'estl'iction, 1101's une seule, en faveur des rpilitail'~s: * sopt
exf>mptés de la réélection jusql1.'all grade de lieutenant-co-
lonel inclusivement. Qn comprend d'avance les motif~ de
eette exeeption. Le choix de la earriel'e des ~rméS n'est Pll-s
toujours volontaire; aussi l'avancement y a-t-il été assuré ~t
réglé par une loi, du moins poul' les pl'emiers grades. Il est
don¡; naturel qu'une promotion fondée sur I'an~ienneté, C'))st-
a-dire sur la loi, ne puisse etre enlravée par la condition
genante d'une rééleetiqn, et devenir, contre toute raison,
l'occasion ¡}'un sacrifice pIutOt que d'un 'l-v,antage. Les mi-
litaires memes qui doivent leur avaneement au choix uu
prince ne peuvent monter en grade que suivant c~rLaines
regles déterminécs d'avance, el que les électems connais~ent.
En fixant lcm choix sm l¡n militaire, ils ont pu savoir
quelle était sa condition, et prévoir l'époque oi! le lJénéfice
des regles de l'avancemC'nt lui serait applicable. Sa position
d'aiIJeurs ne peut etre gravement modifj.ée, pendan! la duréc
d.'J1.ne législalltre, par 50]1 avancemeqt méthodicllle dans un~
profession toutll spéciale. Ce n'est ql1.C de grade en grade, et
apres des intervalleo assez longs, qu'un militaire pellt
s'élevel' du rang de sous-lieuLenant a celui de lieu!ellaI}t~
colone!.
Apr~s aVüir ainsi admi51~ príncipe duns topte son étlllldue,


le projl.lt en regle l'appjic~tioll. 1I établit que les députés,
qmsidérés commc uémissionnail'cs par le seul !ait de l'ac-
ceptution de fOllctions publiques salal'iées, poul'l'ont etre
l'éélus; lléccssité évidente, puisque c'est a décidel' s'ils se-
ront l'éélus llue consiste l'épreuye, C'est la soluLion authen-
tique de celte question qui peut seule écIail'er le député, la
Chambre, le gouvernement. l\Iais en meme temps le projet
ordonne que les dépUlés prolllus continueront a siégel' cluns
la Chambre jusqu'au moment OU l'élection sera consommée.
CeUe' précautioll éLait indispeusahle llOur cmpecher que la
Chambre fut privée de memhl'es importants, et les colléges
électol'aux de lcurs députés; elle était naturelle, cal' tal)t
que l'élection n'est point tel'lllinéc, le pl'obleme qu'eUe düit




40 HlSTOIRE PARLEl\fENTAIRE DE FRAXCE.
résoudre reste incertain, et la solution doit etre présumée en
faveur de celui qui a la possession.


Enfin un dernier article dicté par les circonstances donne
un effet rétroactif au projet de loi et en fait remonter l'appli-
cation a I'ouverture de la session actuelle. Ce sera un hom-
mage rendu immédiatement au principe, par la Chambre
meme qui l'aura la premicre écrit dans la loi. Jamais peut-
Ctre l'applieation n'en aura été plus politique qu'a la nais-
sanee d'un gouvernement dont leS choix nOlllbreux doivent
recevoi¡' de l'assentiment public leur plus ferme autorité.


Messieurs, tout est Lien neuf aujourd'hui; il ne manque
a l'amvre que nous entreprenons en commun ni légitirnité
ni gloire ; mais illui manque encore ce que le temps donne
11 ses ouvrages. A défaut de cette longue possession qui
affermit les gouvernements, la nature du notre permet
d'obtenir cet assentiment publie et formel qui donne la
dignité et la force meme aux créations récentes de la néces-
sité. (Mouvement d' adhésion.) Gardons-nous donc de 1'e-
pousser aucun moyen prompt et facile de constater le VillU
national; reeherchons-Ie au contraire, demandons au pays
eette force précieuse que lui seul peut nous assurer. (Voix
Hombreuses : Tres-bien! tres-bien!) Le projet de loi que le
Roi nous a ordonné de vous proposer, bon et juste, a nos
yeux, dans tous les temps, nous parait emprunter, des cir-
constances ou nous sommes, un caractcre particulier d'im-
portance et d'utilité. Il rattache par un lien de plus le
gouvernement a la nation.


PROJET DE LOI •


.'\rt. f er. Tout député qui acceptera des fonctions publi-
ques salariées sera consídéré comme donnant, par ce seul
faít, sa démission de membre de la Chambre Jes députés.


Art. 2. Néanmoins, il continuerade siéger dans la Chambre
jusqu'au jour OU sera consommée l'élection it laquelIe son
acceptation de fonctions publiques salariées aura donné lieu.




CHAl\1BRE DES DÉPUTÉS.-17 ET 27 AOUT 1830. 41
Art. 3. Sont exceptés de la disposition c.ontenue dans


l'article '1 er les militaires jusqu'au grade de lieutenant-
colonel inclusivement.


Art. 4. Les députés qui, 11 raison de I'acceptation de fone-
tions publiques salariées, auront cessé de faire partie de
la Chambre des députés, pourront etre réélus.


1\1. GUIZOT, ministre de l'intérieur. - Dans l'état de la
législation et de I'administration jusqu'iL ce jour, I'amen-
dement qui vous est proposé par I'avant-dernier préopinant
était naturel, et pouvait meme paraitre Iégitime 1; aUaché
au projet de loí que nOU8 avons présenté, il a quelque ehose
d'étrange.


Que] est I'effet du projet de loi, quel est son but avoué?
C'est d'empeeher qu'aucun député ne puisse de~enir fone-
tíonnaire, sans I'aveu du pays, eontre le gré du pays, dans
un intéret personnel ou dans l'intéret exclusif du pou-
vOlr.


Quel est au contraire l'effet de l'amendement qui vous
est proposé? e'est d'empeeher qu'un député ne puisse de-
venir fonctionnaire de I'aveu du pays aussi bien que de
l'aveu du Roi, quand l'un et l'autre s'entendent sur ee point,
quand ils croient que la nomination a lieu dans les intérets
eommuns du pays et du pouvoir.


Voila l'effet de I'amendement, mis en regard de I'effet du
projet de loi.


Il s'agít done évídemment ieí d'une restríetion apportée
au ehoix des éleeteurs. On restreint leur liberté dans une
sphere plus étroite, et on la restl'eint pl'éeisément au moment
ou leur choix. s'accorde avec celui du prince.


Cette l'cstriction, a ce qu'il me semble, n'a en soi-meme
rien d'utíle. Toule restriction apportée a la liberté des élec-


I L'amendement proposé par M. Hector Le Pelletier d'Aunay,
député de la Nievre, portait: « Tout député qui acceptera des
fonctionssalariées, autres que celles de ministre du Roi siégeant
au canseil, sera considéré cornme donnant, par ce seul fait, sa
démission de membre de la Chambra des députés. »




42 HISTOtRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
teurs me para!t peu favorable, a moins qu'eIle ne soit
commandée par la nécessité, a moins que des convenances
ne la réclament; et ce n'est pa8 au moment peut-etre oil le
but d'oter, de diminuer les restrictions qui genent eette
liberté préoccllpe les esprits, qu'il convient d'en introduire
de nouvelJes.


l,íl restriction qont il s'agit est-elle commandée par de
grandes considérations politiques, par quelque nécessité
d'intérel public1 J'avoue que je pe le croi~ p~s.


Remarquez qll'il ne s'agít pas ici de prévenir la nomi-
nation de députés, eomme fonetionnaires, dans un départe-
ment oil ils exereent une influenee personnelle, oil eeUe
illfluence pOllrrait agir au profit de leur éleetion. JI est écrit
dans une loi que nul ne peut etre élu député dans le déNr-
tement ou il exerce d~s fon~tions publiques.


Une voix. -.L'exc111sion n'a point lill].1 pour la charge de
procureur général; elle ne porte que sur celle de préfet.


.M. k .il1inistre.-Qui, celle delrréfet splllement. Elle a lieu
pour les fonetiolls de préfet, et e11 meme temps pour celles
de sous-préfet, les sous-préfets n'étant que des fonetionnaires
subíllternes dans la meme administration.


Cette limitation est done éerite dans la loi. et il ne s'agit
que de l'influence que pourrait exercer un député ailleurs
que dans le département 00. il est fonctionnaire; il s'agit de
son élection dans des lieux Ol! il n'est pas présumé exercer
Une influenee extraordinaire et ilIégitime. Eh bien! eette
e+eeption est-elle eommandée par un grand inféret puWe~
Je ne le pense paso


II est, si je ne me trompe, dans la nature et dans le hut dn
g·ouvernement représentatif de pr~tendre, non pas seulement
a ee que I'autorité so¡t surveillée, et fortcment eOntrolée
par une opposition éelairée et nationale, mais aussi que l'ad-
ministration elle-meme soit bonne. C'est meme, selon moi,
le premier but de tout systeme eonstitutionnel de former une
Lonne adminietration, de donner (!u pays llll bon gouvel'lle-
ment, de faire pénétrer ee gouvernement dans tOlls les




CIIAMBRE DES DÉPUTÉS.-J7 ET 21 AOUT 1830. 43
replis, dans toutes les parties de I'administration. C'est, si je
ne me trompe, le bul fondamental, I'état légitime du gOIl-
vernement représentatif, du gouvernement de la majorité,
d'etresans cesse soumis au controle et au libre déploiement
de la minorité. C'est lit, si je puis me servir de ceUe
expressIOu, c'est lit l'état normal du régime constitu-
tionnel.


Eh bien, c'est a cet état que votre amendement apporte
ohstade.


11 ne s'agit pas seulement ici de former l'administratiop, de
donner It l'État des ministres pris dans la rnajorité; il ll'agit
de faire pénétrer le meme esprit, le meme earaetere, les
memes principes dans I'État t.mt entier, de les faire entrer,
de les faire pénétrer dans toules les parties de l"adminis-
tration.


Votre amendement enleve au gouvernement toute pos si-
bilité de le faire; votre amendement sépare le gouvemement
de l'administration et semble fait pour l'empecher, lorsqu'il
a la majorité dans la Chambra, de faire pénétrer les hornmes
de ceUe majorité dans l'administration. Je ne erois pas que ce
~oit la le but, le meilleur résultat du gouvernement repré-
sentatif.


Remarquez, messieurs, quel est l'efIet de la rééleetioll
({ui vous est proposée : c'est de faire pénétrer, indirectemellt
a la vérité, le principe de l'électioll dans une multitude de
fonctions importantes OU il serait impossible de le faire
pénélrer directemenL Yous eles oceupés, dam ce moment,
de la question de savoir comIllent vous introduirez le prin-
cipe de l'éleetion dans les administrations locales, et je n'ai
garde de pl'étendre que ce projet ne soit pas bon et louable.
Mais la réélection, telle que vous la pl'OpOS€;Z, doit avoir
pour effet de faire pénétrer le principe de l'élection dans
la haute administration, de le faire pénétrer indireetement,
il est vrai, mais cependant de l'y faire pénétrer de maniere
qu'il y exerce un véritable empire.


Vous ne pomez, rnessieurs, admettl'e en priucipe que




44 HISTOIRE PARLEME:-iTAIRE DE FRAXCE.
l'administration tout entiere soit élective. Vous ne voulez
san s doute pas qu'il en soit ainsi.


Mais remarquez que, dans le systeme du projet de loi,
l'élection exercera sur la haute administration, sur les
fonctionnaires supérieurs, une grande influence. Elle y pé-
nétrera indirectement, et, si cela se peut, sans porter
atteinte a la prérogative royale, sans compromettre rordre
public, selon la marche réguliere de l'administration. II y a
avantage, il y a profit, dans l'intéret des libertés publiques,
a ce que le principe de l'éleetion ne soit pas directement in-
troduit dan s toutes les parties de l'administration, dan s la
sphere supérieure eomme dans la sphere inférieure, dans ce He
de l'action comme dan s eelIe du conseil.


On a dit, si je ne me trompe, qu'il yaurait défaut de
temps pOUl' les députés préfets ou proCUl'elll'S généraux ,
qu'illeur semit impo~sible de remplir 11 la fois leurs fone-
tions d'administrateurs et de dépulés. J'avoue que je ne suis
pas louché de eeUe eonsidération, quoiqu'elle semble
fondée. Je ne dirai pas qu'il ne puisse y avoir quelquc
inconvénient dans certains caso Cependant il esto je erois,
infiniment plus important que les principaux fonetion-
naires de l'administration viennent se pénétrer dans eeHe
Chambre de l'esprit général du gouvernement, des prin-
cipes de la majorité, et qu'ils les reportent ensuite dans leul's
départemenls. Ce n'est pas du temps perdu, messieurs, que
le temps passé iL s'instruire dans eette Chambre, a se bien
pénétl'el' de ses principes, et les exemplcs ne me manque-
raient pas, s'il était possible de citm', pour montrer que le
séjour dans cette Chambre, la parlicipation 11 ses travaux:
a plus d'une fois utilement influé sur les fonctionnaires
administrateurs, qu'ils y ont puisé un nouve! esprit, des
vues plus libérales, et que par la les pl'ogrcs qui s'étaient
faits dans la Chambre ont pénétré dans l'administration,


On a parlé d'un article de la Charle qui disait que les
fonctlons de député devaient etre gratuites. Je ne vois pas
d'articlc pareil dans la Charte. La Charle ne dit ríen a ce




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-D ET 27 AOUT 1830. -15
sujeto le ne suis pas de ceux qui prétendraient qu'il en Mlt
elre aulrement. l\lais je dois dire que la Charle ne spécifie
rien a cet égard, qu'il n'y a a ee sujet aueune exclusion pro-
noncée par la Charle.


Une voix. - C'est par une loi.
Autre voix agauche. - Et par une bonne loi.
211. le Ministre. - 11 est done également dans l'esprit du


gouvernement de la majorité et comme garantie de la liberté,
il esl, dis-je, dans ce double inléret que le projet de loi soil
adopté dans toute son étendue. Par le principe de laréélection,
il assurepleinemcnt lagarantie de la liberté; etnon-seulcment
il aS5lll'C la garantie de la liberté, mais il donne aux choix des
eitoyens, sur la haute administration, toute l'influenee qu'ils
peuvent avoir, et, en memc temps, íI assure au pouvoir
l'approbation pl1bfique en faveur de ses fonctionnaires.


J'ahorde le seconde partie des objections qui ont été faites.
On a craint que la prérogative royale ne re!(ut quelque


atteinte, que le pouvoir ne fUt énervé. le crois, messieurs,
qu'en fait de forces du pouvoir, i1 ne {aut pas en juger par
l'apparcnce; qu'il y a tel fait qui, extél'ieurement, au pre-
miel' coup d'rnil, somble alfaiblir le pouvoir, et qui au eon-
trail'e ne fait que le fortifler. Le príncipe en vel'tu duquel
vous siégez dans eeUe Chambre a été atta qué aussi pendan1.
longtemps eomme aITaiblissanl le pouvoir. On a dit qu'il y
aurait aussi affaiblissement du pouvoir dans la rééleetÍon des
députés fonetionnaires et dans la libre diseussion. C'est un
argument qui a été populaire parmi des hommes' partisans
du pouvoir. Il est oublíé aujourJ.'hui.


C'est le ffieme argument qu'on reproduit aujourd'hui,
dans une applieation particuliere. En fait, je ne erois pas
que le pouvoir ait été affaibli par l'intervention du pays
dans les afIaires publiques. le parlais d'exemples tout a
l'heure : il n'y a jamais eu de pays OU le pouvoir ait
été plus fort que celui de Piu. Le pouvoir de PÍU, en
Angleterre, a été plus fott que celuÍ de Napoléon, le plus
grand des despotes. 11 a été plus fort, paree qu'il s'est serví




46 HISTOIRE PARLEl'tfENTAIRE DE FRANCE.
de moyen~ de gouvernement qui faisaient intervenir le peu-
pIe dans lles affaires. Ces moyens étaient tolit autres que
ceux qll'employait Napoléon; mais la force de l'État n'en
était que plus grande;


n ne faut pas juger de l'état du pouvoir par lá diversité
des moyens qu'il emploie. La liherté, la diseussion publique
sónt, dans un eertain éhit de société, les véritablcs moycns de
pouvoir. Que le pouvoir s'eIi sérte franehmIlent etla force ne
lui manquera paso La force ne manquera jamais auxpouvoirs
nationaux, aux pouvoirs qui ,enlent la prospérité publique
et qui la veulent franehement, aux pouvoirs flui cherehent
la force la ou elle est réellement.


Je ferai remarquer, pOUl' descendre a des considérationR
el'un autre ol'dl'c, que ledanger de la rééleetion: en pal'eille
matiere, n'est pas aussi grand en fail qu'on se le figure.
Il est probable que l'homme qui est appelé par le prinee
aux grandes fonetions publiques, aux fonetions de minisb'e
par exemple, il est prflbable, dis-je, qu'il est appelé eomme
un des hommes eonsidérables de la majorité : c'est an moin~
une présomption en sa faveur que le ehoix du souverain;
c'est une présomption pour sa l'ééleetioll. Son éleetion est la
preuve du triomphe dC', l'opillion lt laquelle il appartient.


Je'ne dis pas que eette prohabilité soit aussi grande dans
toutes les eireonstances. Il est possible que l' état des ehoses
ehange. Mais e'est au moment meme de son avénement au
pouvoir, que vous le soumettez a une rééleetion; e' est au
moment ou l'opinion a laquelle il est attaché triomphe. La
réélection est done extremement probable, Il serait possible
qu'elle le Ílit moins au bout d'un eertain temps. Les mi-
nistres les plus populaires ont vu qllelquefois toute lcur
popularité s'évanouir au bout d'un certain temps. Mais, dans
le cas dont je parle, e'est pour ainsi dire lorsqu'ils sont
dans la joie du triomphe que les députés se présentent a la
rééleetion. La réélection est done alors tres-prubable, ou du
moins, il y a beaucoup de ehanees en faveur du député qui
s'y trouve soumis.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-17 ET Z7 AOtJT 1830. 47
e'est un spectaclc frappant que celui que nous oftte I'An-


gleterre. En Angletcrre, une élection manque, une autl'e
se préscnte; quoique notre pays ne soít pas électorale-
ment constitué de la meme maniere que I'Angleterre; on
peut voir cependaJ1t de t'analogie Jans les deux comti-
tutions.


Un député élu par un arrondissement est prom u a une
fonclion; il n'est pas pOUl' cela, en faít, déchu du rang de
député; je erois au conlraire qu'en fait les ehances de sa
réélection sont tres-grandes: s'il est populairc, il gagnerá
infiniment par l'établisscmcnt du principe de sa réélectíon,
el l'on con(;oit ai¿ément quelle force sa réélection domiera
a la majorité de la Chambre. Peut-on metlre en balance
Ir risque qu'il pourrait courir de n'etre pas réélu?


On a dit, si je ne me trompe, que les dl'olts de la Chambre
aussi seraient restreints; que dans ce moment-ei la Chambre,
juge des prineipaux dépositaircs du pOUl'oir, exeree sur
J'exislence politilJue de ses membres une grande influence.
J'avoue que je ne erois pas que la Chamhre caure auenue
chance de voir ses droits restreints; elle en court moins
enCOl'e que la prérogalive royale, s'il esl possible qu'il y en
ait de dangereuse pour la prérogative. Par la réélection, on
ménage la minorité, el c'est ce qu'il fau! faire pour donDe!'
plus de force a la Chambre. Dans un bon gouvernemenl oi!
l'on reconnait la nécessité d'une majorité, l'influence de la
Chamhre sera toujours infiniment supérieure a ceHe des
élec!eurs.


Je ne veux pas relenir plus longtemps l'aUention de la
Chambre sur ceHe déliLération. JI me semble qu'en principe
général, la réélection est une garantie de ce qui fail le
double but du gouvernement I'eprésentatif: d'une part, du
hon gouvernement, ou gouvernement de la rnajol"ité, qui
fait que la majorité es! réguliercment constituéc, et qu'elle
exerce dans les diverses parlies de l'État, cornme présente,
toutes les influences qui lui appartiennent; J'une autre part,
de la liberté des élections, de la nationalité du gouverne-




4.8 HISTOIRE PARLEME~TAIRE DE FRANCE.
mento Si vou~ supprimez ,'un ou ,'autl'e de ces deux élé-
ments, le gouvernement représentatif ne I'ecevl'a pas son
plein dé\'eloppement.


Je vous en conjure, messieurs; ne tl'availlez pilS a affaihlir
le gouvernement, san s poul' cela fortifier la liberté. Consti-
tuez le pouvoir fortement d'une part, et la liberté plus
fOl'ternent de l'autre. Que les deux grallds éléments de notl'c
gouvel'nemcnt se trouvenL en pl'ésence, libres et capables de
se dire l'un a l'autre la vérité et de lutter sans crainle. Ce
n'esl pas en se préoccupant seulement de ses adversaires
qu'on sert les intérets du pays. (Marques yénémles d'adhésion.)


Je I'epollsse I'amendement qui a été proposé.




VI


Présentation d'un projet de loí portant demande d'un crédit
extraordina;re de cinq millions, applicable, sur l'exercice de
1830, a divers travaux publícs, soít a Paris, soíl dans les dé-
partements.


- Chambre des députés.-Séance du 17 aoüt 1830.-


Ce projet de loi, adopté presque sans diseussion par
les deux Chambres, fut promulgué eomme loi le
8 septembre 1.830. Sur les cinq millions ainsi alloués,
3,465,000 franes étaient aitribués, soit eomme pret, soit
Comnie Subvention de l'État, a divers travaux publies
dans la vilIe de Paris qui, en juillet 1830, avait agi et
souffert plus qu'aucune autre partie du territoire,
el 1,535,000 franes furent affectés a des travaux dans
les départements.


M. GUIZOT, ministre de l'intérieur.·- Messieurs, le Roí
Mus a ordonné de demander a la Chambre un crédit
extraordinaire de cinq millions applicable, SUl' )'exercice
i830, a des dépcnses urgentes.


En déposant les armes, le peuple de Paris est l'evenu a
ses travaux; mais tous ne les ont pas retrouvés, et une


T. lo 4




50 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
interruption de travail de quinze jours laisse apres elle bien
des besoins. La nécessité de diriger vers des emplois utiles
une activité qui pourrait compromettre de grands intérets,
si elle manquail d'aliment, s'applique a toute la France;
elle est plus pressante qu'ailleurs a Paris, OU la eommotion
a été si forte, la lulte si terrible et si glorieuse.


L'énergique élan des journées de juillet s'arrete aujour-
d'hui sur les débris des obstacles qu'il a renversés, el ce
n'est pas la moindre gloire de la population de Paris.
Mais l'ébranlement ne peut eesser en un jour, el la ru-
meur. est forte encore apres le péril. Le bon sen s du peuple
le reeonnalt el demande au travail un refuge contre de
nouvelles agilations .. Témoin de ce qu'a pu faire le eourage
de ee peuple, messieurs, vous en croirez son bon sens, el
vous lui ouvrirez les aleliers qu'il réc\ame.


Déja les travaux du gouvernement el de la ville onl repris
dans Paris toute l'activilé que comportenl les allocations
des budgets. Mais au ter juillel dernier, il ne restait a la
direction des travauí de Paris, sur les fonds alloués pOUl'
:1.830, que 497,026 franes; eeUe somme est aujourd'hui
réduite a moins de 31>0,000 francs. Les ressources ordi-
naires ne suftisent done point pour alteindre le but qui
vient d'etre indiqué, el nous devons nous mettre au niveau
des circonslances sous l'empil'e desquelles s'est lrouvée la
capilale.


Pour subvenir a ce besoin de travail, nous avoIlS, mes-
sieurs, recherché les ouvrages qui réunissent la double con-
ditiun d'etre d'une utilité incontesla~le el de pouvoir etre
immédiatemenl repris el vivemen! poussés. Nous nous som-
mes aussi souvenus que ¡'honorable et ¡'utile, en pareille
matiere, n'es! pas de commencer, mais de flnir. Dans tout
ce qui n'es! pas primes d'alignemen!s el tel'l'assements, nous
nous sommes exclusivement attachés 11 continuer et a termi-
ner des entreprises donll'achevement était ajourné. Voulant
occuper un aussi grand nombre de bras qu'il se penl faire,
nous avons préféré les travaux les plus grossiers a eeux dont




CHAMBRE DES DF::PUTÉS.-I7 AOUT 1830. 51
.


l'exéeution se ramifie entre plusieurs professions. Je joins iei
un état qui vous appl'endl'a mieux que nos paroles si notre
ehoix a été bien dil'igé.


n est possible, messieurs, il es! utile, il est indispensable
d'employer immédiatement en tres-grande partie dans Paris,
a ces lravaux et lJ. quelques autres dépenses urgentes, environ
cinq millions de franes; et, avant d'aller plus loin, nous
devons déclarer qu'appréciant d'impérieuses néeessités et
nous eonfiant au palriotisme de la Chambre, nous n'avons
pas eraint de faire eommencer immédiatement les travau:t
pour lesquels nous vous demandons des fonds. Les besoins
auxquels il faut subvenir s'accommoderaient mal de l'inévi-
table lenteur des délihél'ations des Chambres, et les exigences
de notre devoil' nous ont pal'U supérieures a toute autre
eonsidération. Une ol'donnanee royale, datée d'hier, a provi-
soirement accordé le cl'édit de cinq millions sur lequel nous
vous demandons de délibél'er. L'al'ticle 2 de eette meme
ordonnance prescrit la présentation immédiate du projet de
10Í que nous avons I'honneur de vous proposer.


Parmi les travaux auxqucls est destinée cette somme, les
uns sont imputables sur les fonds de I'État, les autres sur
ceux de la ville de París. Pour les premiers, vous n'hésiterez
pas, s'il doit en résuIter une garantie de repos et de consoli-
dation, a faire aujourd'hui des dépenses qu'il faudrait faire
plus lardo


Quant aux travaux imputables sur les fonds de la ville de
Paris, le budget de celIe-ci est épuisé. Ses eharges sont
grandes pour I'avenir; la pereeption de l'octroi a été arretée
pendant plusieurs jours; des besoins extraordinaires se
déclarent ; la réserve veut Ctre promptement reformée.
Pénétré des senlimenls qui nOlls amenent devant vous, le
conseil municipal de Paris demande, messieurs, que le
trésol' lui fasse, a quatre puur cent; un pret de deux millions,
remboursables en quatre années, par quart. Ces conditions
vous paraitront d'autant plus aceeptables qu'une partie des
travaux extraol'dinaires que doit faire la ville est nécessitée




fi2 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
par les dégats commis dans let! combats de juilJet. Telles
sont les réparations des barrieres et des corps de garde brtilés
ou renversés, des pavés démontés, des édifices mutilés. Le
VffiU a élé émis que toutes ces dépenses, causé es par les
journées de juillet, fussent supportées par la France, au
profit de laquelle a combattu la population de la capitale.
Je ne rappelle en ce momen! ce VffiU émis par des habitants
des départements que pour faire remarque!' la convenance
des propositions du conseil municipal de Paris.


Ainsi, messieurs, nous ne vous demandons réellement
qu'un cl'édit de trois millions, puisqu'il en sera remboursé
deux par la ville; et encore, ponr les travaux d-e I'État,
comme pour ceux de la vilJe, iJ s'agit d'une avance et non
poinl d'un sacrilice : vous ne ferez qu'acr.élércr des tl'avaúx
en cours d'exécution; la convenance poli tique de la mesure
n'a pas besoin d'etre plus longuement développée.


PROJET DE LOI.


{( Art. fer. Un crédit extraordinail'c de cinq millions est
ouvert, sur l'exercice f830, au ministré secrétaire d'État au
département de l'intérieUl', qui eu fera emploi ponr les tra-
vaux publies et autres besoins urg'ents, auxquels il est
indispensable de poul'voil'.


« Art. 2. n sera reudn compte de l'emploi de ce crédit
dans les formes légales el accoutnmées. D




VII


Discussion d'une proposition relative a la formule du serment
exigé de tous les fonctionnairea publics.


-Chambre des députés. - Séance du 19 aout 1830.-


Le 11 aoüt 1830, le baron Merciel', député de 1'Orne,
fit a la Chambre des députés cette proposition :


ART.1..


«Tous les fonctionnaires, dans l' ordre administratif et
judiciaire, seront tenus de preter le serment de fidélité
au roi des Francais, et d'obéissance a la Charte consti-
tutionnelle et. aux lois du rO~Taume.


ART. 2.


( Toute autre formule est abrogée.
ART.3.


( Tous les fonctionnaires mentionnés dans l'art. 1
preteront immédiatement le serment ci-dessus; faute
de qlloi, ils seront considérés cornme démissionnaire5.




54 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.


La eommission nommée pour examiner cette pro-
position fit son rapport a ]a Chambre ]e 17 aoUt, et
proposa divers amendements destinés surtout a étendre
aux officiers des armées de terre et de mer l'obligation
du serment, et a fixer, pour l'aecomplissement de eette
obligation, un délai de quinze jours, a partir de la
promu]gation de la loi.


Dans le débat, il fut proposé, par voie d'amendement,
d'imposer aussi, dans un délai déterminé, l'obligation
du serment aux membres des deux Chambres qui ne
l'aul'aient pas encore preté, et de considérer eomme
démissionnaires ]es pairs et les députés qui n'auraient
pas satisfait a eette obligation. Ce fut a l'occasion de cet
amendement que je fi5, comme député, non comme
ministre, les observations et la proposition suivantes :


M. GUIZOT. - 11 Y a évidemmclll iei dcux questions di s-
lineles, sur lesquelles au fond tout le monde est d'accOI'd.
La premiere, c'est la nécessité, pour les membl'cs des deux
Chambl'es eomme pOli\' les fonctionnaires de l'ordre admi-
nistratif ou judieiaire, de preter le oerment. Personne dans
la Chámbre ne conteste la nécessité de ce sermen!. La se-
conde, c'esl que les pairs se trouH~nt iJ. cet égard dans une
situation diffél'ente de ceHe des députés. II eonvient d'iu-
tl'Oduire dans la loi une disposition qui n'annule pas 11
tout jamais la pairie, quand le possesseur actuel l'efuse de
preter le serment. J'aÍ cn conséquence I'honneur de pro-
]Jose1' un amendement qui me parait devoir résoudre la
diffieuIté.


" Tout pajI' qui n'aura pas preté le serment dans le délai
de • " . sera eonsidéré comme personnellement déchu de son
siége, lec¡uel passel'a immédiatemcnt a son hél'itiet'. »




CHAI\1BRE DES DÉPUTÉS.-19 AOU'f 1830. 55
Quelques voix. - e'est préjuger la question de l'hérédité


de la pairie.
M. GUIZOT. - J'entends dire que l'amendement préjuge


la question de l'hérédité de la pairie. Je ferai remarquer que
l'hérédité de la pairie est l'élat légal el constitutionnel dans
lequel nous sommes. II es! vrai que cet arlicle de la Charle
doit etre mis en discussion a la session prochaine; mais en
attelldant, la pairie est complétemenl héréditaire; et en fai-
sant une loi eomme celle-ci, vous ne de vez raisonner que dans
l'hypothese de l'hérédité; vous ne pouvez pas admettre un
amendement qui s'en écal'terait.


M. DE CORCELLES. - Alors il faut ajouter par souR-amen-
dement: « Saos rien préjuger. »


M. GUIzor. - Je répondrai d'avance au sous-amendement,
qu'il ne s'agit pas d'insérer dan s la loi eette disposition :
« Sans rien préjuger sur ce qui sera fait, puisqu'il est décidé
que I'article de la Charle sur la pairie sera mis en question
dans la session proehaine. Cel al'liele ne peut etre abrogé par
la ¡oi que nous faisons en ce moment, il est done inutile
d'ajouter : Sans rien préjuger.


M. DE CORCELLES. -Je retire mon amendement.
M. GIROD DE L' AIN. - Pour laisser tout entiere la question


de l'hérédité de la pairie, on pourrait se contenter de dil'e
que le pai)' qui refusera de preter le serment sera personnel-
lement déchu de son titre de la pairie.


l\f. GUIZOT. - Je ne m'oppose point au retranchemenl du
derniel' memLre; ce que je demande, c'est que la déchéancc
de la pairie soít pel'sonneIle.


M. le Président. - J'imite M. le minislre de I'intél'ieur a
rédiger )'amendement.


M. GUlZOT. - C'est comme député que je le propose.
M. DE BERBIS. - Nous sommes si peu préparés a la ques-


lion qui vient d'etre soulevée qu'jI paraitra utile d'en de-
mander l'ajournement. Quant a moi, je déclare que je ne
Euís pas suftisamment écJail'é.


Une telle question peut-ellc etre tl'aitéc aussi brusquement




56 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
par des amendements contradictoires? JI faut bien se garder
de prendre une résolulion ql!i pourl'ait par la suite enchainer
notre vote.


Je confiois que, pour la Chambre des dépufés, on assigne un
délai; il faut sOl'til' de cet état; ceux qui ne veulcnl pas enlrer
dan s le gouvernementdoivent se retit'er. Mais il n'en est pas
de meme de la Cham bl'e des pairs; pou vons-nous assigner
un délai apres lequella déchéance serait prononcée1 11 serait
peut-etre possible, en y réfléchissant murement, de trouvel"
une rédaction qui laisse inlact le principe de I'hérédité.
Défions-nous de trop de précipitation. En allanl si vite, nous
pourrions tomlJer dans de graves inconvenienls dont nous
aurions plus tard a nons repenlir. Par ces considérations, je
demande I'ajournement.


M. MADJER DE MONTJAu.-Il est vrai que c'est par amende-
ment que cette immense queslion a été soulevée; mais il y a
un intéret plus grand el plus puissant 11 ne pas laisser flolter
plus longtemps l'opinion publique sur la quesfion du ser-
mento Un homme dont je ne voudrais pas aggraver la crueHe
position, mais dont je suis forcé de rappeler le souvenir, se
erut obligé, je ne sais par quel serupule de conscience, a
refuser pendanl d~ux ans le serment. L'instinct puhlic ne s'y
trompa paso On considéra cet homme eomme un ennemi
irréconciliable des libertés publiques. D'horribles événements
ont proUYé que l'instínct public ne s'était pas trompé. Vou-
lez-vous que des pairs se placent dans cette position lorsqu'un
seul a suffi pour mettre la Franee en pél'il? Je demande que
les pairs soient astreinls sur-Ie-champ a preter le serment
que nous avons tous preté. (Sensation prolongée.)


M. GurZOT. - Voici la rédaetion que je propose eomme
député :


« Nul ne pOUl'ra ~iéger dans l'une ou l'autre Chambl'e s'il
ne prete le serment exigé par la présente loi.


a Tout député qui n'aura pas preté le serment dans le
délai de quinze jours sera eonsidéré eomme démissionnaire.


a Tout pair qui n'aura pas preté le serment dans le délai




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-19 AOUT 1830. 57
de trois mois sera considéré comme personnellement déchu


. du droit de siéger dans la Chambre des pairs. D
Voix diverses agauche. - Pourquoi trois mois? •. Le


me me délai •.. quinze jours.
M. GUlZOT. - Ma raison pour introduire dans l'amende-


menl un délai pour mcssieurs les pairs, c'est que le résultat
de la décision qui les concerne es! plus grave. Le député dé-
missiormaire, pcut etre réélu et renvoyé a la Chambre par
le collége électoral, tandis que le pail' est .pet·sonnellement
déehu du droit de siéger a la Chambre. JI fant done lui laisser
le temps de délibérer sur une résolntion qui doi! avoir de si
graves conséquences.


M. EUSEBE SALVERTE. - J'ai demandé que le délai fUt le
meme pour les députés et pour les pail's. A eeUe demande,
M. le ministre de l'inlérieur a répondu que les conséquences
du refus de serment étaient plus graves pour les pairs que
pour les députés. D'abol'd je ferai remarquer qu'un député,
démissionnaire pour avoir refusé de preter le serment, ne
serait certainement pas réélu; car le premier acte qu'il de-
vrait faire sel'ait de preter serment comme électeur. Mais peu
importe la gravité des conséquences. Un délai de quinze
jours doit suffire. Quelle confiance puis-je avoir dans un
homme qui balance longtt'mps entre la perte de son titre de
pair et les avantages altachés asa consel'vation ~ le mainlíens
le délai de quinze jours.


M. PETou.-Je demande le délai d'un mois pour les pairs.
M. DE~1AR~AY. - Une explication est ici nécessaire. En-


tend-on seulement parler des pail's et des députés présents?
Je demande que le délai soíl porté 11 un mois pOUI' les mem-
bres des deux Chambres qui sont en France. (Appuyé, appuyé!)


M. MESTADIER. - Je demande la dívision. M. Guizot a
proposé trois moís pour les pairs; d'autres membres ont de-
mandé un mois.


JI. le Président. -Je vais mettre aux voi}( les paragraphes
séparément, ce qui établit la divi.ion demandée par M. Mes-
tadier.




58 HISTOIRE PA}{LEMENTAIRÉ DE FRANCE.
« Nul ne pourra siégc¡' dans l'une ou l'autre Chambre, s'il


ne prete le sermentexigé par la présente loi. »
(Adopté a I'unanimité.)
« Tout député qui n'aura pas preté le serment dans le délai


de quinze jours sera eonsidéré eomme démissionnaire. »
On demande que le délai soit pOrté a un mois.
Voix agauche. - La priori té pour le délai de quinzejours.
M. le Président. - le dois eommeneer par le plus long


délai.
" (Le délai d'un mois est mis aux voix et rejeté.)


La Chambre adopte le paragraphe avec le délai de quinze
jours.


Paragraphe 3 :
( Tont pair qui n'aura pas preté le meme serment, dans le


délai de trois mois, sera eonsidéré eomme personneIlement
déchu du droit de siéger dans la Chambre des pairs. )}


Le délai de trois moís est rejeté a une grande majorité.
M. SA~VERTE. - J'abandonne le délai de quinze jours pour


me réunir au délai d'un mois.
M. ODIER. -11 ne faul pas oublier qu'il ne s'agit que des


pairs qui sont en Franee.
M. JACQUEMINOT. - 11 est bien entendu que les pairs qui


ont des missions a I'étranger, eomme M. I'amiral Duperl'é,
ne sont pas eompris dans ce délai.


M. GUIZOT. - 11 ya des délais légaux établis dans le Code
civil pour les personnes qui sont hors de Franee. Ces délais
s'appliqueront anx pairs qui sont hors de Franee eomme a
lous les in di vidus.




VIII


Renseignements donnés par le ministre de l'intérieur sur les
changements opérés dans le personnel de l'administration
apres la révolution de 1830.


- Chambre des députéa.-Séance du '17 aout 1830.-


A plusieurs repriscs, et notamment dans la séance du
27 aout i 830, on avait reproché au gouvernement de
pe pas procéder assez fermement ni assez vite dans
les changements quí devaíent etre apportés dans le
personnel de l'adminístration, et ce reproche semblait
particulierement udressé uu ministre de l'intérieur. J'y
répondis, en donnant a ce sujet, les renseignements de
fait ~t les explications quí suívent:


M. GUlZOT, ministre de l'intérieur. - le remercíe l'hono-
rabIe préopínant 1 de m'avoir fourni l'oeeasion d'expliquer
a cette tríbune des faits que depuis longtemps je désire y
faire connaitre.


le ne erois pas qu'il convienne au gouvernement du Roí


1M. Énouf, député de la i\lanúhe.




60 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
de répondre a toutes les questions qui peuvenl de toutes
parts ctre élevées sur sa marche; mais je pense que jamais
jI ne doit perdre une occasion pour faire connaltre la vérité
sur ses actes et meUre le pays a meme d'en juger ave e pleine
connaissance. (Adhésion.) On a reproché a l'administration
de l'jntérieur de ne pas meUre assez de promptilude dans les
changements qu'il doit opérer; je n' ai a cela qu'une senle
réponse; jI ya en France quatre-vingt-six préfels ; a l'heure
qu'il est soixante-seize ont été changés, complétement chan-
gés, non pas transportés d'nn lien a un autre, mais effecti-
vement changés; il Y a denx cent soixante-dix-sept sous-pré-
fets; ji yen a soixanle-un de changtls; il ya quatre-vingt-six
secrétaires généraux; il Y en a trente-huit de changés. Je
ne dis pas cela pour entrel' en discussion sur le mél'ite des
choix; je ne crois pas que cela puisse etre porté a la tribune,
mais uniquement pour laver l'administration du reproche
de lenteur.


M. DEMAR~AY.-J'ai dit le contraire.
1\1. GUlZOT. - Ce n'est pas a J'honorable préopinant seul


que je réponds; je saisis I'occasion de répondl'e a des repro-
ches qui s'élevenl de plus d'un lieu, el je le remercie de m'en
avoir fourni l'occasion.


Je n'ai parlé et je ne puis parler que de ce qui s'esi passé
dans mon déparlement; mais je sais que, dans les départe-
lements de mes collegues, le meme empressement a été ap-
porté. Je me hate de dire qu'il est impossible que dans un
travail aussi étendu, allssi pl'ompt, on n'ait pas eommis des
erreul'S qui ont la précipitalíon meme pour rause; je le re-
connais el j'ajoute que ces erreurs, des que le temps nOlls
les aura signalées, seront aussitüt réparées.


Quant au fond des choses, je erois que, me me apres les
plus grandes sccousses, lorsquc l'état général du pays est
changé, aueun esprit I'adicalement exclusif et hostile ne doit
etre apporté dans le choix des personnes. La maxime de
César qui dit: Quiconque n'est pas contre moi est pour moi,
eette belle maxime doit lltre prise pour regle d'une bonne




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-27 AOUT 1830. J 61
adminislralion. (Bravos.) Un gouvernement n'est pas appelé
a faire (riompher tel ou td ordre de personnes, mais a faire
prévaloir certains principes, certains intérets généraux, et
e'est pour lui une honne fortune quand il peut attirer a
ces intérets des défenseurs pl'is dans tous les rangs de la
société. (Nouvelle et vive adhés'Íon.)


Quallt a un autre reproche qlli a été adressé a l'admini-
stration, le reproche de n'avoir pas considéré soudainement
toules les lois comme abrogées, de n'avoir pas appelé, par
exemplc, la population 11 élire partou!. un cerlain ordre de
magistrats, je ne crois pas que ce reproche non plus soit
fondé. e'est le pl'cmicl' principe d'úl'dre social et de gouver-
nement que les lois, tant qu'clles ne sont pas formeJlement
abrugées, subsist~nt et doil'ent etre exécutées. Pour moi,
dépositaire de la eonJiance dll Hoi dans mon département, je
ne me croirai pas permis d'agir autrement que ne me 1'01'-
donnent les lois du pays. Je suis le premier a penser que de
grands changements doivenl etre apportés a ces lois en ce
qui concerne les magistrats municipaux, qu'il faut que le
principp, de l'éleetion se [asse une grande part et influe sur
la cOllduite de l'administration : je scrai le premier a provo-
quer l'interventíon de ce príncipe et 11 le présenter aux
Chambres; mais dans l'é:at de la léoi~lation, il n'e~t pas per-
mis au gouvernement de meltre en aelion un principe qui
n'est pas dans la lui.


J'ajoutemi que partont Olt spontanément, librement, par
le cours des cllOses, dans un moment de crise, l'éleetion est
intervenue, partout par exemple Ol! la garde nationale s'est
organisée ell~-meme, ou les citoyens ont nommé leurs offi-
eiers, ou meme ils out dé~igné lems maires, leurs adjoínts,
l'administration s'est empressée de eonfiJ mer ces choix; elle
les a regardés comme I'expression naturelle et légitime du
vmu public; loiu de le repoussel', elle l'a accueilli ; c'est la,
je crois, tout ce qu'clle pomait faire. (Bravo! bravo!)


Je n'ai plus <{u'un mot 11 Jire sur l'amendement en lui-
meme.I1 a pour objet de restreindre seulement anotre session




62 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
le droit des députés devenus fonctíonnaires a continuer de
siégel' dans la Chambre jusqu'lIla réélection. Je réponds que
ceci n' est pas seulemen t une mesure de circonstance; ce n' est
pas parce qu'il ya eu un plus ou moins grana nombre de dé-
putés appelés a des fonctions publiques, que la mesure doit
eLre adoplée; elle est bonne en soi et en tout état de choses.
Il nous a p3.ru qu'on ne pouvait poser en principe que le
choix du gouvernement équivalut a une deslilution du dé-
puté. Tant que la réélection n'a pas eu líeu, la prérogative
est en faveur de celuí qui possede le titre. Excepté dans la
circonstance extraordinaire OU nous nous trouvons, il n'arri-
verajamais que le nombre des députés appelés 11 des fonctions
publiques, duran! une session, soil fort considérahle; jamais
il n'y aura une imasion des places par la Chambre, et des
lors il n'y a pas d'jnconvénient 11 ce que nous avons pl'oposé.


C'est sur ces raisons fondamentales el non pas sur des
molifs de circonslance que ¡'article a été intl'Oduit. Je príe
done la Chambre de repousser l'amendement.




IX


Présentation, par le ministre de l'intérieur d:un rappor! gén('-
ral sur l'é!at de la France et les actes du gouvernement de-
puis la révolution de 1830.


- Chambre des députés.-Séance du 11 septcmbre 1830.-


M. GUlzor, ministre de l'intérieur. -.Messieurs, le Roí
nous a ordGnné de mettre sous vos ycux le tableau de l'état
de la France et des actes du gouvernement depuis la glo-
rieuse révolution qui a fondé son trone en sauvant notre
pay""


Fier de son origine, ·Ie gouvernement éprouve le besoin
de dire hautement comment il comprend sa mission et se
propose de la remplil'.


Il est le résultat d'un hérolque elfort soudainement tenté
ponr mettre 11 I'abri dn dcgpotisme, de la supel'stitíon el du
privilége, les libcrtés et les intérets nationaux.


En quelqncs jours, l'entreprise a été aceomplie avec un
respect el un ménagement, jusque-la sans exemple, pour les
droits pl'ivés el l'ordre public.


Saisie d'un juste orgueil, la Franee s'esl promis qu'un si
beau tl'Íomphe ne semit point stérile. Elle s'est regardée
comme délivrée de ce sysleme de déceplion, d'incertilude el
d'impuissance qui ¡'a fatiguée el irritée si longtemps. Elle




/14 HISTOIRE P ARLEMENTAIRE DE FRANCE.
a compté sur une politique conséquente el vraie qui ouvrirait
devanl elle une large carriere d'activité el de libe1'lé. Elle y
veul marcher d'un pas ferme el régulier.


e'est dans ce caractere de l'événement au sein duquel il
est né, el des espérances dont la France est animée, que le
gouvernement trouve la regle de sa conduile.


Il se sent appelé a puiser sa force dans les institutions qui
garantissent les liberlés du pays, a maintenir l'ordre légal
en améliorant progressivement les lois, 11 seconder sans
crainte, au sein de la paix publique, fortement protégée, le
développement de toules les facullés, l'exercice de tous les
droits.


Telle es!, a ses yeux, la poli tique qui doil faire porter a
notre révolution tous ses fruils.


Pour la réaliser, une premiere tache lui était imposée.
Il fallail prendre partoul possession du pouvoir, et le remettre
a des hommes capables d'affermir le triomphe de la cause
nalionale. Grace aux conquetes de 1789, l'étal social de la
France a été régénéré; gnlce 11 la victoire de 1830, ses
institutions politiques ont re~u en un jour les prin<:ipales
réformes dont elles avaienl hesoin. Une administration par-
tou1 en harmonie ave(~ l'état social et la Charte, une constante
applicalion des príncipes consacrés sans retour, te! est
aUJourd'hui le besoin prc:;sanl, lc weu unanime du pays. De
nombleux changements dan s le pel'sonnel étaient done la
premiere néccssité du gouvc1'llement; par la, il devait faire
sentir en tous lieux sa pl'ésence, el proclamer lui-meme son
avénement. L'reuvre avance vel's son terme. Le temps pro-
noncera sur le mérite des choix. Mais on peut, des aujour-
d'hui, se former une juste idée de l'étendue et de la célérité


. du travail; nous vous en présentons rapidement les princi-
paux résultats.


A peine en fonctions, le ministre de la guerre a pourvu
au commandement des dívisions et subdivisÍons mílilaires.
75 officíers généraux en élaielll investis ; 6;) ont élé l'em-
placés; 10 sont demeurés a leur poste; ils l'out mé-




CHAlfBRE DES DJ::PTJTI~S.-l1 SEPTE:\rBRE 1830. 65
rité par la p!'omptituue el la franchisc de leu!' concours.


En me me temps, et des le 8 aout, les officiel's généraux
qui se trouvaient chargés de l'inspection ordinaire des
trOtlpe8 ont été rappelés ; et dix lieutenants génél'aux ou
maréchaux de camp ont été envoyés aupres des corps, avee
ordre de proclame!' l'avénement du Roi, de prévenir toute
scission, et de proposer, parmi les officiers, les remplacements
nécessaires.


Trente-neuf régimenls d'infanlerie el víngt-six régiments
de cayalerie ont re\iu des colonels nouveaux. Beauconp de
remplaeements ont eu lieu dan s les grades inférieurs.


Des commanuants nouveaux ont été envoyés dan s trente-
une places importantes.


Une commission d'ofliciel's généraux, en fonctions depuis
le 16 aoul, examine les litres des officiel'ti qui demandent du
service. Son travail esl f01'1 avancé.


Des mesures ont l;lé pri~e;;, des les premiers joul's !lu mois
d'aoul, pOllr le \ieen::iel1lenl des régimenls suisses de l'an-
cienne garde royale el de la ligne.' Elles sont en pleine
exécnlion. Le licenciement des régiments frau\iais de l'ex-
garue el des corps de la maison militaire du roi Charles X
esl accompli.


Pour compenser les perles qu'entralne ce licenciement,
l'elfeclif des régiments d'jllfantm:ie de ligne sera porté a
1,500 hommes, celui des régimenls de cavalerie a 700
hommes, celui ues régiments d'artillerie et du génie a 1,200
el 1,450 hommcs.


Trois régimenls nOllveaux, un de cavalcrie son s le nom
de lanciers d'Orléans, denx d'infallterie son s les nOS 65 el 66,
et six ba.taillons d'infanterie légere s'organisent en ce mo-
ment.


Denx bataillons de gendal'merie a pied out élé spécialemenl
créés pour faire le service dan s les départements de l'Ouest.


Une garde munici pale a été inslituée pour la ville de
París. Plus de la moiÜé des hommes qui doivenl la composer
sont prels a entrer en aclivité de ser vice.


T. t. 5




66 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Le général commandant l'année d' Afrique a été changé.


Le drapeau national floUe dans les rangs de eette armée
qui s'est n.ontl'ée aus;;i empressée de l'aecueillir que digne
de le suivre, et qui reeeua les réeompenses qu'eUe a si vail-
lamment eonquises.


Ainsi, au bout de cinq semaines, le personnel de l'al'mée
est renouvelé ou pres du terme de son renouvellement.


La marine n'appelait pas des réformes si étendues. Par
sa nature meme, ce eorps exige la réunion de connaissanccs
spéeiales el. d'une cxpérience longue et continue. Aussi
l'ancien gouvemement ayait-il été forcé d'y conscrver ou d'y
admettl'e des oflieiers qui pr€lfessaicnt hautement des opi-
nions dont il poursllivait la ruine: ils se sont hités d'ac-
cueillir notre n5vol ution ; elle accom plissait Icurs vmux. Lil
pen de changcments étaient done nécessaircs. Ccpendant les
ahus qui avaicnt pénéll'é ont été aholis. Trois contre-
amiraux, douze capitaines de vaios('au', cinq capitaines de
fl'égatc, qualre lieulenants de v:.1isscan et un enscigne ont
été admis a la relrailc. Une commissioll pl'ésidée par le
doyen de I'armée navale examine al'cc soin les l'éclamations
des of(icicrs que l'ancien gOlll'Cl'llerncllt a\'uit éeal'té5. Lne
cl'éation nom-ellc, ceHe des al11irau'{ ue France, a assuré ala
marine des récompenses proportionnécs a ses scrvices, et l'a
fait sortir de cette cspece d'infériorité 01.1 elle était placée
cOl11parativement a l'armée de lerre, qui possédait senle la
dignité de maréchal de France. En/in I'illustre chef de
I'armée na-vale en Afl'ique a re~u du Rui, par son élévation
a ce grade, le juste pl'ix de ses travaux; et ses cOl11pagnoIls
trouveront a leur arl'ivée en France I'avancement et les
dislinctions qu'ils ont si hien mérilés.


Nulle par! la réforme n'était plus nécessaire et plus vive-
ment soIlicitée que dan s l'administration intérieure. La
plupart de ses foncLionnaires, ins!rul11ents cmpressés ou
dociles d'un systeme de fraude et de violcllCC, avaient
encouru la juste animadversion du paIs. Ceus.-1ill11ernes dont
les efforls avaien! tcndn 11 alténucr le mal s'étaient usés dans




eHAMDRE DES D1~PUTÉS,-l1 SEI'TElIIBRE 1830. 67
celte lutte ingrate, et manquaient, auprcs de la population,
de cet ascendanl moral, de cette conliance prompte et faeile,
premiere force uu pouvoir, surtout quand il vil en présence
de la liberté, 76 préfets sur 86, Hl6 sous-préfets sur 277,
53 secrétaires généraux sur 86, 127 cons.eillers de préfec-
tUl'e sur 315, ont été thangés, En allendant la loi qui doit
régénérer l'auminislration municipale, 393 changements ont
déja été prononcés; el une circulaire a ordonné aux préfets
de fail'e, sans l'eterd, tOll5 ceux qu'ils jugeraienl nécessaires,
saur a en demander la conlirmalion délinitive uu ministre de
I'intérielll' ,


Le ministre Mla juslice a porté toute son atlention sur
la coml'0bilion des pal'quels, tant des cours souI'erailles que
des tribullaux de premiere instance. Dans les IIl>emicres,
74 procureurs gélléraux, al'ocats généraux et substituts,
dans les seconds, 254 procureurs du Roí el suhstituts ont
été renouvelés, Dans la magistralure inamovible, le ministere
s'est empressé de pourvoir aux siéges vacants, soit par
démí~síon, soil par toule nutre cause. A ce litre ont déjll. eu
lieu 103 nominalions de présidents, conseillers el juges.
A mesure que les occasions s'en présenlent, les changements
continuenl. L.es justices de paix commencent aetre l'ohjet
d'un sCl'llpuleux examen.


Dans le conseil d'ltlat, el en attendant la l'éforrne fonda-
mcntale qui sc pl'éparc, le nombre des membres en activité
de ser vice a élé provisoil'ement réduit de cinquante-cinq 11
trente-huit. Sur ces trtnte-huit, vingt onl été (;hangés. Le
conseil de I'instruction publiquc était composé de neuf
memhres; cinq ont été écal'tés, La memc mesure a été prise
11 I'égard de cinq inspecleurs généraux el de quatorze recteurs
d'acadél11ie sur vingt-cinq. Un travail se prépare pour apporlcr
dans les co\léges, pendant les vacances, les changements
dont la convenance sera reconnue. Une commission est
chargée de faire un prompt rapporl sllr l'École de médecine,.
et d'en préparer la l'éorganisation.


DallS le départemcnt des affaircs étrang¡~rcs, la plupart




68 HISTOIRE PARLEMENTATRE DE FRANCE.
de nos ambassadeurs et ministres au dehors ont été révo-
qués.


La ,itualion du ministre des finances, quant au per-
sonnel, était partieulierement délicate. Il n'en est pas des
principaux agentsfinaneiers eomme des autres fonction-
naires. Leurs affaires sont melées, enlacées dans eelles de
I'État, el veulent du temps pour s'en séparel'. 11 faut plu-
sieurs mois pour qu'un reeeveUl' général en remplace eom-
plétement un autre; celui qui se retire a une liquidalion
a faire; eeluí qui arrive a la eonfiance a ohtenir. Au milieu
d'une erise donl l'ébranlemenl ne pouvait manquer de se
faire sentir dans les finances publif!ues, il y eut eu péril a
éca¡'ter brusquement des hommes d'un erédit bien établi, et
qui s'empressaient de le mettre au service du trésor. Dans les
nutres pal'ties de l'administratiol1, une eonfusion de quelques
jours est un mal; dam l'administration finaneere, un
emharras de quelques instants serait une calamité. La
l'éserve est done ici commandée par la nature des choses et
l'intéret général. Le ministre des finanees a dú s'y confor-
mer. II a eommencé, du reste, dans son administration, une
réforme qu'il poul'sui\'ra, de département en département,
ave e une scrupuleuse atlention.


Vous le vOjez, messieurs, nous nous sommes bornés au
plus simple expdsé des faits; il en résulte clairemcnt que le
personnel de l'administration de la France a Jéjil subí un
renouvellement tres-étendu, et que si, dans l'UIl des serviees
publies, le renouvellement n'a pas été aussi rapide qu'ail-
Jeurs, ce ménagement étail dit 11 l'un des plus pl'essants
inlérets tle I'État.


En écnrtant les anciens fonctionnaires, nous avons cher-
ché, pour les remplacer, des hommes engagés daas la cause
nationale et preís a s'y dévouer; mais la cause· nationale
n'est point élroile ni exclusive; elle admet diverses nuances
d'opinion, elle accepte quiconque veut el pellt la bien


·servir. A travers taní de vicissitudes qui depuis quaranle
ans ont agité notre Framc, bcalll~oup d'hommes se sont




CHAMBRE DES m~PUTÉS.-ll SEPTEMBRE 1830. 69
montrés, dan s des situations différentes, de hons et utiles
citoyens; il n'est aucune époque de notre hisloire contem-
poraine qui n'ait a fournir d'habiles administl'ateurs, des
magistrats integres, de courageux amis de la patrie. Nous les
avons cherchés partout; nous les avons pris partout 011 nous
les avons trouvés. Ainsi, sur les 76 préfels que le Roi a
choisis, 47 n'ont occupé aucune fonction administrative
depuis '.814; 29 en ont été re\·etus. Parmi ces derniers,
18 avaient été successiyement destilués depuis 1820. Par mi
les premiers, 23 avaienl oceupé des fonctions administratives
avant 1814; 24 sont des hommes tout a fail nouveaux et
porté s aux affaires par les derniers é\'énements. Le moment
est venu, pour la France, de se servir de toutes les capacilés,
de se parer de toutes les gloires qui se sont formées dans son
SCIn.


Malgré son importan ce prédominante en des jours de
crisc, le pcrsonnol n'a pas seul occupé I'altention du g(Ju~
vernement; il a pris aussi des mewrcs pour rendre prompte-
ment ill'administration des chosl's la régularité el I'ensemble
dont elle a hcsoin.


Des le 6 aoM, le ministrc de la gllcrrc a uonné des ordres
pour anetcr la Uésertion el faire rejoiudre les hornmes qui
avaient qllilté leurs corps. Il a pOlll'YU al! retrail des armes el
des chemux ah:mdonnés pUl' les désertcurs.


De nomhrcux mOl! I'cments de trOUplS ont élé opérés, soit
dans le hut de la réorganisalion des corps, soit pour porler
des forces Sil!' les points OU leu]' pnisence élaitjllgée ulile.


Des désordl'es se SOllt mani restés dans quelques régimcnt~
de ca\'alerie ct d'artillL'l'ie, eL dans un seul régiment ¡\'infan-
tcrie. Muis de promptes mesures out été prises pour rélablir
I'ordre, ressel'l'cr les liells de la discipline, el rendre justice 11
chacull.


Tous les senices de I'armée ont été assurés. Les COl'pS de
l'ancienne garde l'oyale et les régiments suisses ont re~u reli-
gieusement, en solde, mas ses, ele., tout ce qu'ils pouvaient
prétendre. Les approvisionnemenls pour l'urmée d'Afl'ique




70 HlSTOIRE l'AlU.EMENTAIRE DE FRANCE.
ont élé complétés jusqu'au 1 er novembre, en se servan!.
forcément et a cause de l'urgence, du marché précédemment
conclu. Les rappor.ts du nouvel intendant en chef de ceHe
armée amimeronl 11 de meilleurs morens pour r~gler cet
important service.


L'armemenl des gard~s nationales esl ¡'un des objets qui
aUirent spécialement les soins du ministre. Des ordres sont
donnés pour rassembler et fournir promplement tous les
fusils dont on pourra disposer; un grand nombre est déja.
livré.


L'activité la plus régulicre se déploie dans I'adminish'a-
tion de la marine. Des vaisseaux de I'État sillonnent en ce
momen! toutes les mers pour porte!', slIr lous les poinls du
globe, nos grandes nouvclIes. lis [eronl respecte/' partollt les
couleurs nationales; partout ils protégeronl le cornmerce et
I'assureront les navigaleul's fl'an!(ais. Des cl'Oisicl'es sont
étaLlies dans ce but, a l'enll'ée du détroit de Gibraltar et
5ur toutes nos cótes.


Notre escadre conlinuera a seconder les opératiollS de
notre armée de lerre en Afrique; elle assurera nos commu-
nications avec Algeret la France, el aucun approvisionnemcnt
ne sera comprolms.


Le conseil d'amiraulé s'occupe de réllnir les matériaux
d'une législalion compli.~!e slIr les colonies : Ulle cOlllmissiOll
sera chargée de meltre le gouvernerncnl en mesure de la
présenter bientól aux Chamhres.


Des travaux llouveaux son! entrepris a Dunkerquc el dans
d'autres port5. Parton! l'egne la plus exactt~ discipline; l'ordre
est partout maintenu, SUI" les misseaux eomme SUI' lerre,
dan s les arsenaux el dans les atclicrs.


L'irrégularité des commuuicaliolls, le l'enollvcllement des
fonctionnaires, le nombre el la gravilé de~ aITaires générales,
a\aient, pendant trois semaines, un ]len ralenti les travaux
ordinaircs du ministcre de I'intériem. Non-seulemcnt ils ont
repris lenr ceurs, mais aucunc trace de cct ulTiéré rnomen-
tané n'existe plus. Une organisation plus simple Je l'adrni-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-ll SEPTEMBRE 1830. 71
nistration centrale a permis de porter dans la correspondance
une activité vraiment efficace. Des instructions ont été par-
tout données slIr les affaires ele I'intéret le plus général el le
plus pressallt, sur l'organisation des gardes nationales, SUl'
la prestation de serment des fonctionnaires, sur la publica-
tion des listes électorales I:)t du jUl'y, sur ies prisons, etc.
Tous les préfels sont maintenant a Icur poste; l'aulol'ité est
partout reconnue et en vigueUl'. Sans doute, elle rencontre
encore des obstacles; queliJue agitation suhsiste sur un cer-
tain nombre de points. Elle a éclaté 11 Nlmcs, on la redoule
dans deux on tmis départemcnts dn Midi. Ceux de 1'Ouest,
si longtemps le théfttre des discordes civiles, en contiennent
encore quelques vi('ux fermento. e'est le devoir du gouver-
nemenl de ne pas perdre de vue ces causes possibles de
désordre, et il n'y manquera point; déjil il est partout en
mesure; des troupes ont marché "el's le Midi, d'autres
sont déja cantonnées dans l'Ouest. Une surveillance active et
inoffensive a la foís est partout exercée, Elle suffira pOtll'
prévenir un mal que revent 11 peine les esprits les plus aveu-
gles. La promptituJe avec laquelle les troubles de Nimes ont
été réprimés est bien plus rassnrante que ces tl'oubles memes
ne peuvent paraitre inqlliétants.


Une alltre inquiétllde se fait sentir. On craint que nolre
révolution et ses résultats ne rencontrent, dans une par ti e
du cJergé fl'an!;ais, des senliments qui ne soient pas en har-
monie avec cellX dllpays. Le gouvernement du Uoi n'ignol'r,
messieul's, ni les imprudentes déc1amatioTls de quelqllcs
hornmes, ni les mcnées ollrdies a I'aidc d'associations ou de
congrégations que repoussent nos lois. 11 les sUl'Veille sans
les reJouter. 1I porle a la religion el a la liherté des con-


. sciences un respecl sincere; mais il sait allssi jusqU'OlI s'éten-
dent les droits de la puissance plIllliqlle, el ne souITrira pas
qu'ils re\;oivent la moindre alteinte, La séparation de I'ordre
civil et de l'orare spirituel sera strictemcnt maintenue. Touto
infraction aux lois da pays, lonte perturbatian de l'ord1'e
5el'Ont fortcment l'éprimées, quels qu'en soient les auteul's.




72 HISTOIRE PARLEMENTAlRE DE FRANCE.
Le gouyernement compte SUl' le concours des bons citoyens


pour porter remede a un mal d'une autre nature, dont la
gravité ne saurait etre méconnuej il s'oeeupe avec assiduité
de la pl'éparation d~.budget, el ne tardera pas a le présenter
aux Chambrcs. l\lais'la pereeption de certains impóts a ren-
contré depuis six semaines d'assez grands oLstacles : ils out
disparu en ce qui coneeme les douanes; leur service, un
moment inlerrompu sur deux points de la fronliere, dans
les départements des Pyrénécs-Oricntalcs et du Haut-Rhin,
a été promptement rétabli. L'impOt direet est parlout payé
avec une exaetitude, di son s mieux, áye¡; UI1 em¡oresscment
admirable. Mais des ÍJoubles Ol1t eu lieu dan s quelques
départements a l'occasion de I'impo!. sur les hoissol1s, el
en ont momentanément suspendu la perccption. Aussi, su!'
quinze millions de produits qu'on devait altendre des contri-
butions indirectes, pendant le seul mois d'aout, y aura-t-il
perle de deux millions. Décidé ti. apporter dans eet impol
les réductions el les modifications qui seront jugées néces-
saires, le gouvcrnement proposel'a ineessamment aux Cham-
bres un projet de loi concerté avec la commission qu'i[ a
uommée a cet eITet. La l'l'ance peut complet' aussi que, dans
les divers services du budget, il poussera I'économie allssi
loin que le perrnettra l'intél'ct pllhlic, et qu'il ne négligera
aucun moyen d'allégcr Jes charges des conll'ihuaLles. Mais
il est de son deyoir le plus impérieux, il est de I'intérel ¡mblic
le plus pressant, que rien ne "ienne jeter I'incertitude el. le
Irouble dan s le revenu de rÉtat. C'es! sU!' la pel'ception
l'éguliel'e et sure de I'impot qlle repose le crédit; c'esl sm
I'élendue el la solidité du crédil (lile repose le développe-
ment [acije, rapide, des J'essources de 1'1~(al et de la prospé-
rilé nationale. Cedes, le cródit du tl'ésor est grand et assuré;
il ne restera poinl all-des50us de ses cbargcs; iI Ya sufflre
aisément daos le cours de ce mois au payemcllt de plus de
cent millions qu'exigcnt Jes hesoins du senice, Mais pOUI'
qu'il subsiste et se déploie de plus en plus, il importe
essentieJlement que ses hase s He sojcnt pas ébranlécs.




CHAMnRE DES DÉPUTÉS.-ll SEPTEMBRE 1830. 73
Elles ne le seront point, messieurs, pas plus que nolre


ordre social ne sera compromis par la fermcntation momen-
tanée qui s'esl manife~tée sur quelques pojnts, et que 1'e-
pouEse de loules parts la sagesse de la France. S311S doute,
dans son gouvernemenl comme en loules chose!', la France
désire I'amélioration, le progres, mais une améliol'ation
tranquille, un progre s régulier. Satisfaite du régime qll'clle
vienl de conquéril', elle aspire avant tout a le conserver, a le
consolider. Elle veut jouir de sa victúirc et non cntreprendre
de nouvelles luttcs. Elle saUJ'a bien meltrc elle-meme le
temps a prolit pour perfectionner ses instillltions, et elle
rf'gardcrait toute tentative désol'donnéc comme une alleinle
a ses droits aussi bien qu'it son reposo


Ce repos, messieur~, le gouvernemenl, fort de ses droits
el du concours des Chambres, sauril le maintenil', et il sait
qu'en le mainlenant il fera pl'évaloil' le Y<l'U national. Déjil,
it la premiere apparence de troubles, lcs hons citorens se
sont empl'essés au-devant de l'autorité pom l'aider a les
l'éprimcl') el le sllcces a été aussi facile que décisif, Partout
éclaterait le meme l'ésullat. Les lois ne manquent poinl illa
justice ; la force ne manquera poin t aux lois. Que les amis
des progres, de la civilisation el de la liherté n'aient allcune
crainle; lellr cause nc sera poinl compromisc dans ces ugita-
lions passageres. Le pCl'fectionnemcnl social et moral est le
l'ésultal naturel dc nos institutions; il se dévcloppcra libre-
ment, el le gouvcmement s'cmpressel'a de le seconder.
Chaque jour, de nouvelles aSSUl'ances amicales lui arriyenl
ue toutes parts; chaque jOl\l', I'Eul'ope reconnait el proclame
qu'il esl pOUl' tous un gage de séeul'ité el de paix. La paix
est aussi son vceu. Au dedans comme au dchol's, il est ferme-
ment résolu a consel've!' le meme cal'acti're, a s'acquitter de
la meme missiún.




Discus,ioIl uu projet de loi relaÍlf au vote aUIluel, par les
Challlbres, du cOlltillgent nécess~ire pour le recrutement de
l'arnlée.


- Chambre des députés.-Séance du 15 septembre 1830.-


La Charle de 1830, dans son arUcle final, avait mis le
vote anuuel, par les Chambres, du contingent de rar-
mée au nombre des réformes légales qui devaient etre
promptement aeeomplies. Le gouvernement fit présen-
ter le '2 sepfembre i 830, a la Chambrc des députés, un
projet de loi destiné a acquitter cet engagement. Le
rapport en fut fait le 13 septcmbre par le général La-
marque. Dans le débat qui eut lieu le H5 septembre,
plusieurs membres demanderent la révision et la re-
fonte de toutes les lois qui avaient réglé l'organisation
de notre armée, spéeialement de la loi fondamentale
!lu 'lO mars -1818, présentée par le maréehal Gomion
Saint-Cyr. La commission elle-rneme ayait onvert eeHe
voie en proposant d'amender l'al'ticle :] du projet de loi
((ni portait: « Sont maintenues toutes les dispositions




CHA~mHE DES Dl~PUTES.-15 SEPTKlIlDRE 1830. 75
deslois du 10 mars 1818 et du 9 juin 1824 qui nc SOl1t
pas contraires a la présente loi, }) en ajontant le mot
provisoirement an mot maintenues. Le gouvernement
repoussa cet muenderncnt, et je pris deux fois la parole
pour le combattl'e. n fut rejeté, et le pl'ojet de loi,
adopté tel que le gouvernement l'avait présenté, fut
promulgué comme loi le H octúbre :1830.


Le 28octobre 1831, dans la discussion du projet de
loi présenté le 17 aout précédent sur le recrutement de
l'armée, et qui devint la loi du 21 mars 1832, le général
Lamarque proposa, par amendement, l'abolition du
vote annuel du contingent. Je combattis son amen de-
ment et iI finit par le retirer.


M. GOIzor, ministre de l'intér·ieur.- Messieul's, la loi donl.
la Chambre s'occupe en ce moment p'est pas une loi <l'orga-
nisalion militaire; e'est une loi pllrement polilique, qui a
pour objet d'introJuire dans nos inslitutions un principe qui
en avait élé repoussé jllsqu'ici. Que! que fUt notre sysleme
rnilitait'e, quelle que flit Yorganisalion de' nolre armée, ce
principe devrait également y etre inll'odllit.


Lors done qu'on veut, a I'oecasion de cette loi, traiter des
(¡uestions d'organisalion militaire el examiner si la con-
scription est utile, on s'écarle, ce me 5cmble, de la natUl'e
et uu hut de la loi. La ¡oi, je le répde, est purement politi-
que; elle a pour unique hut de faire cn!l'Cl' un principe uans
nos institutions, que! que soit le mode de recrntement,


• quellc que soit l'orgallisation de \'arméc. Les ql,lCstions mili-
taires son! résolul.'s par nolre législation acluclle. Sont-elles
bien ou mal résolncs? Y a-t-il des madi fications a faire ? Ccs
derniercs queslions demeurent entieres; elles ue sont :oulle-
menl impliquées dans le pl'Ojet qni vous est soumis.


Pourquoi done, a l'occasion de cc pl'ojet, venir frapper




76 HISTOIRE PARLEME~TAIRE DE FRA~CE.
d'improhation les loís cxistanles? Quel avantage peut-il y
avoir, pOUI' l'État, 11 alfuiblil', 11 énerve¡' aimi une législa-
tion tout enliúre? El si quelques parties de celle législa-
tion sont vicieuses, la Chambre n'a-t-cl1o pas le moyen de les
réformel'? L'initiative ne lui apparlient-elle pas? Ne peut-
elle proposer des changcmenls dans toute notl'c ol'ganit;ation
militairE', ou dans telle ou telle partie de celte organisation,
si elle le juge convenable '!


II Y a, ce me semhle, de graves inconyénients a vouloil'
faire ces changements sans les a'.'oir discutés a foncl, Ce
que vous disculcz aujuuJ'll'hui, ce u'csl pas l'organisation
militail'e, e'est le rapport de votre commission sur une (]ues-
tion toute spéciale et pUl'cmrnt poJili(]ue, Notrc rrgime mi-
litaire a été réglé par des luis, apl'es de rmil'cs délihéraliom
san s doule. Je ne dis pas qu'il n'y a point de changerncnts
a y appol'tel'; mais jo erois que ces challgements doivent elre
l'ohjet d'une proposition spéciale, d'une délibération appro-
fondie, el non pas iodiqués et réclamés en passant, uu mo-
ment ou vous discutez une propositioo d'ul1c tout autre
nalure.


Le débat se prolongea; le général Demar~ay el ~I. de
Traq' persislerent a soutenir l'amendementqui frappait
d'un caractere provisoire toute notre organisalion mili-
taire. Je repris la parolc en ces termes;


Je n'ai eu garde de dirc 11 la Ch:lml¡¡,c que les loís qui
reglent aujourd'hui nolre organí~ation mililaire devaient
elre reganlées comme il'rérocahJes, (¡Il'UIlCUnc modiJicution
n'y serait app0l'lée. J'ai an contraire parlé des l1I(l(lificutions
qu'elles poumient exiger et des diycrs moycns pal' !esllllcls
ces modilicalions pourraicnt elre inll'orluites, J'ai parl~ de
]'iuiliative que puuvait exercel', a cet égal'd> la Cltalllhrc
elle-mc\l1e. J'ai done étJ loio de penser (lu'aucul1c modifica-
[ion ne pút ctre projlot5ér.




CIIAMBRF. DES DÉPUTÉS.-15 SRPTEl\fBRE I830. 77
Ce qlle j'ai combaltu, c'esl J'ébranlement donné par occa-


sion, et commc en se jouant, a la légi~lation tout entieJ'e. Ne
vient-on }las de dire a la tribune et d'une maniere générale,
absoluc, que ces lois étaient mauvaises, mauvaises pour les
citoyens, pour I'armée, et cela en termes vagues, sans dis-
cussion, sans dislinction? Cependanl, messieurs, les lois qui
rcglent l'organisation de I'armée contiennent les regles de
l'avancement el une multitude de dispositions différentes,
dont les unes sont généralemcnt regardées eomme bonnes,
tandis que d'aulres sont susceptibles de modification. N'y
a-l-il pas un inconvénient immense 11 qualifier ainsi sans
examen toute une législation de mauvaise, de réprouvée par
l'opinion?


Pour Jégilimer les reproches indistinclement adressés aux
Jois militaires, on vous a parlé de I'état de l'administration,
de désordl'es qui existent, dit-on, dans des comrnunes ru-
rajes. II es! vl'ai ; il Y a des désordres, quoiqu'ils soient inti-
nimenl moins nombreux el moins graves qu'on ne les a
repl'ésentés. A quoi tiennent-ils? a l'état de transition dans
Jequel nous sommes, a la diffieulté de passel' du l'égime qui
vien l de tombel' au l'égi me qui se fonde. Vous renouvelez
pat'loul les autol'ités, vous mettez en mouvement un public
immense. Vous avez raison de le faire; mais comment s'éton-
nel' qu'au milieu d'une (elle transfol'mation quelque désordl'e
se manifeste?


Est-ce en ébranlant les loís qu'on espere rétablil' l'ol'dre
dans les faits? Quoi ! vous choisissez pl'éeisément le moment
Ol! la société esl agitée, poul' "cnir la remuer jusquc dans ses
fondements! Messieurs, ou je m'ahuse étl'angernent, ou la
mission du gouvernement cl de la Chambl'e est aujourd'hui
de calmel' la société (Otd, oui! (;'est cela! Tres-bien!), de
la calmel', non-seulement matériellement el dans les fails,
mais moralement et dans les esprits, cal' les -esprits sont
aujourd'hui bien plus ébranJés que les faits.


La société subsiste et marche avec régularité, el meme avec
un degl'é de liberté merveilleux, apres la révolution qui




78 mSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
vient de s'accomplir. A-t-on 'jamais vu, au milien d'un
changement de dynastie, d'une constitution renouvelée,
aucunc liberté suspendue, tous, amis et adversaires, vain-
queurs et vaincus, jouissant également de la liberté indivi-
dueHe, de la liberté de la presse, de tous les droits constilu-
tionnels? 1'0ules les liberLés écriles dans nos rllstitutions
existent aussi en fait. Puint qe 10is d' exceplion, \)oinl d'actes
de persécution. Qu'au milieu de ce développement général
de toules les liberlés, il y ait eu quelques troubles dans quel-
ques communes, quoi d'élrange? Que vos paroles les calmení,
messieul's, cal' les paroles dcscendues de celle tl'ibune onl
action et autorité. El celte intluence a¡iparticnl a la Chamhre,
non- sculement en veltu de son droit, mais eucore par la
maniere dont elle a exercé sa mission, par le patrioLisme, el
permeltez-moi de le dire, par le bon scns qu'clle a déployés
daos les circonstances difliciles au milieu desquelles elle
s'est tronvée. La Chambre a élé appelée en vingt-quatre
heul'es a changer le gouvernement du pays, les per80nnes el
les ínslitutions. Eh'bien, en vingt-qualre heul'es, la Chamhre
a faíl les changemenls que récIamait la raison publique, ni
plus ni moíns. Elle a su agir et elle a su s'arl'eter. Elle n'a
point méconnu la grandeur de sa tache; elle ne s'esl point
laissée emporler par l'entrainement de sa situation. Dans
l'un et l'autre sens, elle a prouvé son palriotismc.


Vavenir ne s'en étonnera point, messieurs; il dira que la
Chamhl'e a élé fidele a son origine. Jamais as,emblée n'a été
élue avec un rnouvement plus national, plus laborieux. C'est
la victoire des éle,ctions qui a fait la Chambre, el e'est la
Chambre qui a précédé , je dirais volontiers qui a amené la
victoire nationate. Ce sont les éleclions faítes quelques jours
avant les événemenls de juilJet qui out décidé les derniers
coups du despotisme. Le gouvernement déehu n'a pas osé se
trouver en présenee de la Chamhre. II a sentí que le despo-
tisme qu'il méditait ne pouvait s'excrccr dcyant ene, qu'il y
avait incompatibilité entre elle et lui, el il s'csl porté aux
derniers exceso




CHAMBRE DES DEPUTÉS.-15 SEPTEMBRE 1830. 79
Sans doule, ce n'est pas la Chambre qui ren a puni : ce


ne sont pas des Chambres quí font des révolutions pareilles.
11 faut, pOUI' les accomplir, toute la puissance publique,
loute l'ardenr, toute l'unanimité d'une nation. Félicitons-
nous de ce que noll'e révolntion a eu ce caraclere, de ce
qu'elle a été une reuvre popnlaire; c'est 11 cause de cela
qu'elle a été exemple d'intrigues et d'oscillations, décidée en
quelques heures, pleine de simplicité et de grandeul'. Mais
maintenant le fail esl accompli, une aulre tache nous est
imposée. Ce n'esl plus une révolution que nous avons iJ.
faire; e'est un gouvcl'nement el des lois qu'il s'agit de
fonder. Sans doule ces lois doivcnt ctre raites sous I'influence
des intél'ets el des opiniülls de la nation, et en lIéfinitive, elles
doivent et¡'e l'exprcssion fidele de son vam; mais quanl aux
moyens d'ex.écution, quant aux. époqucs OU ces ¡ois 1I0ivent
etl'e discutées, c'estanx pouvoirs légauxseuls qll'il appartient
d'en déciller.


Nous sommes rcnll'és, messieurs, sons l'empirc des pou·
yoirs légaux : le gouYtJl'llement est changé, les inslilutions
sonl modifiées; mais nous ,ivons dans un ordre régulier,
nous agissons pal' des moyens réguliers, nous prQcéJons
par délihérations, par élcclions, par to.utes les voies consti-
tutionnelIes. Si done il y a des l'éformes iJ. introduire dans
notre organisation militaire, elles seront inlrodnites avec
le temps; elles scront l'objet de délibél'ations expresses;
elles pourront émaner soil des Chambres, soit dll gouverne·
ment. Mais, jnsqu'il. ce que nous ayons occasion d'en délibérer
avec maturité, et d'arrive¡' 11 des résultals conformes uux
¡nlérels du pays, ne nous abandonnons pas au mouvement
désordonné des esprits : travaillons a reme tIre le calme dans
les idées cowme dans les faits j réglons el dirigeons le mou·
,-ement; la France nous en saura gré. (Vi! mouvement
d' adhésion.)




80 HISTOIRE PARLE:\IENTAIRE DE FRANC[i~,


- Séance du 28 octobre 1831.-


1\1. GUiZOT.-Messieurs, iI s'agit ici d'une des plus impor-
tantes prérogatives de la Chambre, d'une prél'Ogative ardem-
ment et laborieusemenl réclamée pendant quinze années, et
conquise pour la premiere fois en 1830, Voici non pas les
termes de la Charte, cal' ce n' est pas la charle qui a déterminé .
cette prérogative, mais d'une loi rendue dans la derniere
session, le H odobre '1830, en exécution d'une promesse de
la Chartc.


eeUe loi porle: (! La forr,c du contingent a appelcr chaque
année, conformément a la ¡oi du 10 mars HH8, pour le
recrutement des troupes de terre el de mer, sera déterminée
par les Chambres achaque session. l)


Arl. 2, ( L'article D de la loi du lO mars 1818 et 1'a1'-
tiele lel' de ce He du 9 juia 182"- sont abrogés. ))


"oici quels étaient les deux articles aujourd'hui abrogés :
Art. D de la loi du 1. ° mars 1818. « Le complet de paíx


de I'armée, y compris les sous-officiers et officiers, es! fixé a
240,000 hommes; les appels fails en vel'tu de l'al't. 1er nc
pOIlITOnt dépasser ce complet Je 240,000 hommes, ni cxcé-
del' annllellement 40,000 ,hommes. En cas de besoins plus
grands, il y sC'rait pourvu par une loi. ))


Art. 1. er de la loi de i824, ( Les appels faits chaque année
conformément a la loi du 10 mars 18i8, pour le recrute-
ment des troupes de lerre el de mer, scront de 60 mille
hommes. ))


V oila les deux artieles abrogés par la loi de 1830, c'est-a-
Jire que ce qui est aboli, e'est la fixation du complet de
I'armée ct des appels annuels. La loi de 1830 dil qu'il n'y
aura pas de eomplet fixe, ni d'appels annuels fixes : voilil ce
que vous avcz décidé en 1830 par une loi rendue en verlu
d'une promesse de la Charte; voila ce que le général Lamarque
vous propose d'abolir.


Le ministre de la guerre, dans le pl'ojet de )01 qui fut




CH.~,\IBIU: D¡';:': lH';PI_ fl':i'.-~K ,-,,"!'('íHu: I,~:il. ~'\
prop()~é a la "~rniÍ)l'I' "1:'5"ioll, 'iI',lÍt. ill",;ré tlll l'UltJ~.lei .Jt'
r arwtie de :;00,000 1t(I/OII1,"; Hllli:,. pUl' ,,/lile d"s t~,'l)I¡catj¡lli~
<{U; t'ureut lil'!! a la t:ommi,~io,l. Ii' miHj~tt'e 11 reC01l1i1l
que ce cumpld u'était pas nécessaire; t!t il ne l'a pas l'epro-
duit dans le projet qu'il nous a présenté a ceHe session. M.le
géné/'aILamarque vieul done vous proposer de faire ce que
le ministre n'a pas cru nécessaire.


11 pro pose de fixer, une fois pour toules, l'appel annuel;
le complet de \'armée est fixé a 500,000 hommes, le nombre
des années de serviee éLant fi:xé a sept uns, e'est-a-dire qu'il
faudra lever de 70 a 80,000 hommes par année ponr que le
complet soíl mainleuu it 500,000 hommes.


Ainsi l'appel annuel sera désormais fixé a 70 ou 75,000
hommes. C'esl ce que ne pcrmet pas la loi du mois d'oc-
lobre 1830.


Qllelles sont les raisons eonlraires? On vous dit, d'une
part, qu'il ne s'agit pas dn conlingent annuel, mais de la
fixité de I'armée a 500,000 hommes. On prétend, d'nne
autre part, que vous n'abandonnez pas volre droit, parce que
vous avez le droitde voter l'elfeclif sous les drapeaux, tie sorte
que si vous voulez réduire cet efIeclif de 40 a 50,000 hom-
mes, vous ferez une réduction propol'tionnée sur le budget.


Ainsi, ajoute-t-on, quoique vous appeliez réelIement 70 a
80,000 hommes par an, vous ne retiendl'ez sons les drapeaux
que le nombre d'hommes que vous ,'oudrez.


le vous ferai d'abord remarquer que la loi d'oetobre 1830
parle du eonlingent appelé cbaque année pour le reerutement
des lroupes de terre el de mero CeUe loi ne parle pas de
l'elfeclif tenu sous les drapeaux, mais elle parle du conlingent
annuel. C'est donc bien réellement I'ahrogation de la loi
d'octobre qu'on vous propose.


Rernarquez d'ailleurs qn'avant eette loi, avant l'atlribution
dll vote annue! du recrutemenl it la Chambre, vous aviez ce
que 1\1. le génél'al Lamarque vous pro pose comme suffisant;
vous aviez, dans la loi des finances, la faculté de votel' l'elfee-
tif len u sous les dl'apeaux.


T. l. ti




8t HrsT01RE PAHLK\IENTATnE DE FRANCF..
C'est eeUe faculté qu'avee raison vous n'avez pas regardée


eomme suffisante. Vous avez pensé que eeHe fixation inuirecte
par les finances, par la limitation qu nombre d'hommes tcnus
sons les drapeaux, nc conslitnait pas Ic véritable droit de la
Chambre de voter annueIlement l'impOt le~é en hommes.


Cal' l'impOt, ce n'est pas le nomhre qu'on a effectivcment
8011S les drapcaux; e'esl 'le nombre d'hommes qU'on appelle
chaque année au service milítaire, soít qu'on les tienne im-
médíatement et aetivement s'ousles drapeaux, soit qu'ori leur
impose l'óhIigatíon de s'y rendre des qu'ils en seront requiso


VoiliJ. le vél'itahle impot, I!ímpot levé en hommes, et
vous ne devez pas ahanuonncr le uroit de le voter annuel-
lement.
Perm~ttez-moi une comparaison. Si I'on vous proposait


de voter une certaine somme, 500 millions, pal' exemple,
par an, volés une fois pour toutes, en vous disant que le
gouverncment n'en demanuera que 200, mais qu'il pourra
prendre le tout en cas de besoin, vous regarderiez ave e raison
une pal'eille propbsition comme une tres-gl'ande l'estriction
de vos droits. De 'm'eme vous avez le droit de voler annuel-
lement l'inipOt 'eh hommes, el eet implÜ, eomme je le uisais,
ne consiste' pas seulement dans le nombre d' hommes tenus
sous les drápeaux, il consiste encore dans le nombre ues hom-
IJIes qui sont appelés. Ces hommes sonL soumís tt un l'égiffie
exceptiounel et paHiculicl'; ils peuvent ctre appelés sous les
drapcaux d'un rnomr,llt iI I'autrc; ils ne peuvent pus se ma-
riel' sans ]á pCl'misslOn JlI rriiúistl'c de la guerreo


Je dis dOllequc vous nc pouvrz pas ahandonner le droíL ue
voter annuellemcnt le nombre d'hommes appelés. On uUllne
POUl' raison (lllC e'est lous les ¡uis I'Clllcttre en qúestion la
fOl'ce de' l'imllée; 'rnais tous les aIJI;' I'existenee me me de
l'I~lat n'est-cllc pas I'emise en question par le vote du Dudgel,
qui inléressc ¡'existcncc memc de la eOUI't'nne, de la l11ilgis-
tralure, enfin de tOtlle l'a(lminislrillilH¡'!
, I.e gouvel;nClIlcnt représentatif repose :iur la cUllllancc
qu'on a dans ]e hon séns des hOllltllCS, des électcurs, des




CH.DIBRE DES nh'UTÚS.-2S OCTOnRE 1831. tl3
Chambres et du goUYel'llement; sans ccUe confiance, le
gouvcl'llement représentatif est impossible. Remarquez que
l'armée esl meme d,ms une situation plus f,lYorable que les
autres inslitutions. Quel semít le príncipe rigollreux duvote
annuel de j'armée? Cc serait de faire voler lons les ans aux
Cham}¡res l'armée tout entíere.


C'est ce qui se pralíque en AnglelelTe par le bill de T/wti-
nerie. L'Anglelerre votc llnnuellement I'armée tout enliere,
et vous, "ous n'en votez qu'lln seplícme ; 'il Y a six septiemes
qui ne sonl pas en question.


On ne peut [las dire (IU'il y ai t du danger pOUl' I'État dans
le vole annuel dn septícmc de I'armée, dansl'examen de Ía
qllestion tic savoil' si elle sera plus ou moins considérable.
J] ya él'idemment une mu][itude de cil'conslances qui doivc'll L
faire yariel', clan s Une année, la contríblltion de la sociélé il
la formation de I'al'mée.


Je tlis qll'il n'est pas moins "rai qu'il y a une multitud e
de cil'constances qui pemen! et doi\'!;nt ¡aire va riel' le vote
annuel de la Chambre a ce sujeto


Je le répcte, il s'agit iei d'une prérogati\'~ constitlltionnelle
de la Cham~I'e,~ue yom ~vez ~'écla;~l~e ,constam~eIll depuis
HH 7 et qué vous avez lllscnte danS la Charle de J R30
commeun des d¡;óits riatioilunx.


Tout impot d'hbmmes tloiLBtre chaque année voté par la
Chambre, comme les impOts d'argenl.
~'est eette prél'ogatil'e qui empeche ~e vole!' un impot de


70 a 80,000 hommes, une fois pou!' lou(es~ .
Vous n'auriez 11 voter chaque lannée que le nombre de


troupes qui pOUI'rait elre mis satis les drapeaux. Ce semit la
destruction de la Charte, de la loi de 1830, de la principale
prérogative de la Chambre; le gouvernement ne vous le
demánde en aúcúne far;on.
, le l'epousse I'amendcment.




XI


Présentation et discussion d'un projet de loi sur l'exportation
et l'importation des eéréales.


- Chambre des dépUlé3 el Ghambre des pair.~-
18 septembre.-H octobre 1830.


La législation sur les eéréales, en vigueur au moment
de la révolution de 1830, était tres-peu favorable a
l'importation des grains étrangers. L'élat des réeoltes,
surtout dans les déparlements du l\lidi, inspirait de
sérieuses inquiétudes. Le gouvernement ne voulut pas,
dans un tel momen~, aborder la question générale de
la liberté du eommeree en eette matiere; mais, sam:
changer les bases de la législation exislante, iI proposa
les mesures néeessaires pour en écarter, dans le pré-
sent, les ineonvénients. J'exposai avee détail, d'abord
devant la Chambre des députés, puis devant la Cham-
bre des pairs, les motifs du projet de loi qui fut adopté,
avee quelques amendements, et promulgué eomme loi
le 20 oetobre 1830.


1\1. GUlZOT, ministre de l' intérieur. - Messieurs, l' état des




CHAMBRE DES DEPUTÉS.-l8 SEPTEMBRE 18iJO. 85
subsistances peut appeler, a des litres fort divers, l'atlentioll
du gouvernement. Tantót des l'écoltes surabondanles sur-
chargent et découragent l'agriculturej tantót, quand les pro-
duits pour l'écoulement desquels On a multiplié les mesures
de protection sont épuisés, ces mesures deviennent un obsta-
ele, grevent la condition des consommateurs, et excitent la
sollicitude publique.


C'est alors que les Jifficultés de la législation se font sen-
til', et que l'expél'ience invite 11 la soumettre 11 une discussion
nouvelle. Jl es! raisonnable que des lois faítes 11 l'occasion
d'une longue surabondance soient l'evues apres I'épreuve de
quelques années de médiocre produit.


El comme une telle révision ne saurait elre méditée avee
trop de réserve, comme un grand nombre d'intérets doivenl
etre entendus, el veulent du temps pour se concilier, on con-
cevra sans peine qu'une mesure transitoire puisse ctre né-
cessaíre pour remédier 11 un incünvénient présent ou immi-
nent. .


Tout indique que nous sommes aujourd'hui dans ce He
situation.


Les années fertiles se son! succédé; nos lois s'y sonl
assorties. Depuis deux ans I'abondance a faíl place 11 la mé-
diocrité. Aussi, déj1l l'andernier, quelques modifications a
la législMion pal'urent convenahles, el le gouvernement prit
sur lui de les ordonner. La réeolle de ceHe année ne peu!
compter parmi les abondantes ni parmi les mauvaises. Ce
qui pourrait tromper quelque temps sur sa valem réelle,
c'est l'inégalité avec laquelle ses ~roduits sont répartis sur le
lerritoire. Le Midi, I'Est, quelques déparlemcnts du centre,
ont élé maltraités. La Bl'etagne esl fiche au contraire; le
haut Languedoc également. Les départements qui environ-
nent Paris ont peu souffert en général. II fant meme qu'il
soit resté de 1.829 un pen plus de gl'ains que 1.829 n'en al'ait
re((u de 1.828; car, au mois de juin 1829, les blés étaient,
antour de París, 11 29 fr. 34, el ceHe année, 11 la meme épo-
que, ils élaient a '22 fr. 20. En 1829, an ruois d'aout, le pain




86 HISTOIRE,PARLE.ME~TAmE DE FHANCE.
était dans Pa/'i~ a 18 sous el demi (92c~ntirp.e~ el demi) el a
17 SOIlS el demi,(87 centimes eldemi) lesqellxkilog¡;ammt:s:;
jI n'a élé al! moisd'aoutdel'nier qu'it 16 sou~ el demi(l>.2
centimes el demi), et poursept~wbre itJ6 sous (80 eeutirpes).


Les mereu/'iales nous présentent, SUI,' un assez grantl nolll,-
bre de points, une baisse successi ve" mC\lle SUl' lc~ mal'cJ¡qs
ou la tl'anquillilé a été un momenl t/'uuhlée.On ,~a¡t ,d'ail-
leurs que eeHe saison est constamment ceIlq ouJos cultiva-
leul's, occupésdes tra vaux de l'automne, fréqu{mtent le moins
les marchés; ils ne ballent de blé que ce qui leur est absolu-
ment nécessaire Four le momen!; et c' est malgré Ces circon-
stances qu'en plus d'un lieula baisse des pl'ix se fait sentir.


Mais un sait aussi ayec quelle rapide contagion la crainle de
manquer de subsistarices se propilgc, el aycc quclle facilité
elle peut entrainer a des préventions aveugles el a des pl'é-
cautions mal entendues, qui gencul la circulation, détournenL
le commel'ce, el aggl'a\'ent le mal qu'clles s'efforcent de
guérir.


Le désordre, ¡¡'ji se manife¡;tait, serait fermement réprim~.
La propriété el la libre eircllIation ,seraient défendlles cl pro-
tégées eontl'e toute atteinte. Le gourernement ne négligera
rien pom éclairer sur les fausses mesuyes que poul'l'ait con-
seiller fignor~nce. :Mais en faisant abstraction de ces mépl'i-
ses, il y a lieu de penser que le secours des grains étl'angers
sera désirable eelle année. Déji.t personne n'en conteste I'up-
portunité. Les propl'iétaires de grains indigcnes n 'cn serout
point jaloux, cal' les prix auxquels ils peuvenl ycndl'e et ceux
aux(]ue!s reviendl'ont les gr1!ins étrangel's leu/' assurent, pour
leurs réeoltes, un débouché lres-salisfaisant. lis ont droit de
profitel' des circonstances, ils ne prélendent point en abuser.
el une concurrence qu'appellenl anjourd'hui les besoins el
les vceux du pa}"s, n'excitera nuUcment leurs rédamations.


Pour amener ceHe concurrence, il faut rendre l'arri\ée
des grains étrangers possible el mcme faciJe. 01', la législa-
tion en vigueu!' avait élé faite poqr c~peeher riIllPOl'~il:lio~ i
elle e~t done a JUodiflcl'. ' , '
l.. " , •• " •. _ . ,




CHAMBHE DES D};PUT):;S.-18 SEPl'EMBRE 1830. 87
, ,Cette Jégislation es! compliquée: elle ·se compose des lois
du f6juilIet 18Hl e~ du ,4 juilIet l821, donlles dispositions
se combinent, se pl~difient el renchérissent l'une sur I'autre.
C'esl sous le poin~ de vue seul de l'importalion que nous
avons 11 la considércl'.


Dans le derniel' état, les départements de la fl'ontiere son!
répartis en guatre, cla~ses : I'i~pol'lalipn de~ grains étrangers
y est défendue jusqu'au moment, ou le prix .des hlés, nalio-
naux; déduit de certaines mercuriales, esi monté. 11 I,me,limite
fixée, Cetle limite es1 J" a 18 fr. I'heclolilre dansJes d~par­
tements de l'ancienne Bretagne (la Loil'c·lnflhieure exceplée)
eL aussi dans les départcmenls¡ de la 1\1oselle, de la Meuse,
des Ardennes et de l' Aisne j 20 11 20 fr. sur les coLes de
]'Océan depuis le départemenL du Nord jusflu'a la BreLagne,
el dans la Loil'e-Inférieure, l¡t Vendée el la Ch?-rente-Infé-
rieure. C'esl a~ssi le prix assigné aux déparlements du lIau~
et Bas-Rhin; ?o a 22 fr. sur la mer, d~ns les départements
de la Gironde et des ,Lar¡des, et sur les frontieres de ten'e, le
long de~ .ÍIautes eL B~sses .. Pyr¿nées d'une pUI;t, de I'autl'e
des Basses-Alpes uu Doubs; 40 epfin a 24 fr.p!m!" les dé~
parlemenls riverains de la mel" Méditerranée deimis le Val'
jusqu'aux pyrénées-Orienlales. La Corse est comprise clans
eette c1asse.


Des que I'imp0l'tation es! autol'isée, elle esl soumise a un
dl'oil d'entl'ée de :.l fr. 2tí par hectolitre. Si le prix de la limite
s'élcve d'un frane ou de deux francs, le dl'oit baisse d'une
meme quanlité. Apres une hausse ultérieure, c'est-a-dire si
les prix dépassenl 26, 24, ~2 ou 20 fr. dans les classes l'es-
pectives, le droií est réduil ~ 25 cenlimes.


Ces ménagemenls pOul' la production llationale sont grands
et efficaces, mais on ne s'en esL pas contenté.


Le tal'if de dl'oits que je viens de rappeler n'esl applicahle
qu'aux hlés provenant de cel'tains pays dits pays de produc-
tion. Sans s'apercevoil' que, quand les sec.ours antérieurs son!
désirahles, c'est aux lieux les plus rapprochés qu'il faut l'C-
~ºurir, on a iUlpos~ une ~urtil4e & tout ce qui serait pris dam




88 HI;STUIRE l'ARLEMENl'AIRE DE FRANCE.
les entrepots de l'extérieur. On a prétendu que des pays Olt
il peut arriver des blés étrangers, quoiqu'ils en produisent
d'indigimes, ne sauraient etre considérés comme pays de
production. Les seuls pays qui aienl été déclarés pays de pro-
duction sont les bords de la mer, I'Égypte, la mer BaItique,
la mer Blanchc et les États-Unis' d' Amé1'ique. Ainsi I'Angle-
terre, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, la Sicile, l' Afrique
meme sont censés ne rien produire. Les graíns que le com-
merce y va chercher ne sont admis que moyennant une sur-
taxe. Au lieu -de 3 fr. 2~ l'hectolitre pour plus fort droit, ils
payent 4 fr. 25, et quand la ChCI'lé a fait l'édui1'e le dl'oil 01'-
dinail'e u 25 centimes, les gl'ains des pays de non-production
doivent cinq fois davantage (1 fr. 25),


A cette surtaxe vient, dans ccrtains cas, s'en ajouter une
aulre. Les grains qui arrivent pal' navire~ étrangers payent
5 fr. 50 a'l:l fort d1'oit, au líeu de 3 fr. 25, et toujours 1 fr. 25
au mmlmum.


Ce n'est pas tout. On a laxé l'ent1'ée par terre aussi chere-
ment que par navires élrangers. Ainsi les premiers secours
que re~oivent nos départements de l'Esl ou des Pyrénées,
1eur coutent 5 fr. 50 l'hectolitre, au lieu de 3 fr. 2;) qu'on
paye ailleurs; el dans la plus grande cherté, ce qu'on tI'ans-
porte iI. grands frais par les routes de tel'l'e paye 1 fr. ~5 de
droil, tandis qu'on ne demande que 25 centimes u ce qui
arnve par mero


Une autre disposition tient le Midi, SUI'tout Lyon et nos
dépa1'tements du Slld-Est, dans une condition vraiment tl'es-
dUl'e.


Pour écarter les gr~ins de Crimée et rendre leur importa-
lion pal' Marseille iI. peu pres impossible, les chosea ont élé
combinées de telle sOl'le qu'en fait le prix légal n'aUeignit
jalllais la limite a laquelle, aux termes memes de la loi, elle
eut élé permise. Le pl'ix réel des grains a Marseille, par
cxemple, était, le 15 aout, de 30 fr. ig el cependant le prix
régulateur léga! n'a été qúe de 23 fr. !~3, c'est-a-dil'e de
;)0 ccnlimes au-dcssous de la limite qui ouvrirait le port.




CHAMJ.lkE DES DÉPUTÉS.-18 SEPTEMBRE 1830. 89
J)'üu provient eeHe énorme différence? l)e ce que le cl)urs
de Mal'seille ne compte que pour une pelite fraction dans le
Jll'ix légal de la c1asse a laquelle cette ville appartient. On ne
s'est Jlas contenté de combiner ce cours avec celui des mar-
ehés de Gray el de Toulouse, villes qui fournissent des grains
an midi par le RhOne el par le canal du Languedoe; quelque
espoir serait encore resté a l'importation; aujourd'hui, par
exemple, le prix régulateur légal serait a Marseille de 25 fr.
et les blés étl'angers eotreraient avec le droit de 2 fr. 21),
3 fr. 250u 4, fr. 50 suivant la provenance ou le pavillon.
Mais un quatrieme élément a élé illtroduit dalls la mercu-
riale qui regle le prix des grains a Marseille; c'est le prix de
Fleurance, marché peu connu du département du Gers, qui
suit constamment les hus prix de Toulouse, en sorte que
Toulouse compte I'éellemellt pou!' moilié daos le prix cou-
rant qui ferme le porl de Mal'seille.


Voici ce qui en l'ésulte.
Les grains de l'entrepót de Marseille repartent pour aller


chereher un port de l'Oeéan dalls une classe dont le prix
légal les admetle a entrer en payant 3 fr. 25 e. de droits.
Nationalisés par ce payement et par cette admisssion, ils sont
I'echugés pour Marseille, et les énormes faux frais, ce droit,
ce double voyage, ce retard, ces risc!ues, sont encore couverts
par le prix factice, excessif, auquel ces comhinaisons législa-
tives tiennent les hlés 11 Marseille. C'est ainsi qu'une loi trop
dure est légalement éludée, au pl'éjudice toutefois des con;-
sommateul's.


Il est enfin un effet génél'al de la loi qu'il imporle de re-
marquer. Les mercuriales se publient le premier de chaque
mois, et font suhitement la regle du commerce. L'importation
était libre le 30 septembre, elle peut etre prohibée le l er oc-
tobre. Ce qui est en mer, ce qu'un simple aecident retarde
de quelques heures n'entre plus; c'est une spéculation ruinée.
Comment compter sur l'active coopération du commerce
sous l'empire d'une législation qui ne luí laisse qu'un pareil
hasard a COUl'il' ,quand il se livl'e a l' appl'ovisionnement du pa ys'!




90 HISTOmE l'AHLÉ:'IIEN'LI.lRE DE FlUNCE,
\1 est IJel'mis de croirc, messicnl's~ que ectte législalion


Ilevrait ctre l'objct d'uuc révi,ion générale, et (Iue des ¡Jisposi-
(ious plus sagement cümbinées J)rotégeraient eflieacelllent
l'agriculLUre en raisant. coUl'ir 1Ilüins de elta'n'ces aux suLsis-
tances publiques, en amcnJ.ut moins d'alterllalil"c,sde mévenle
el de eÍlerté. l\Iais il faut, IlOus en so'mmes aússl cOI1\'~lincus
que personne, procétler en parcille maliel'e ave e une p'ande
prudence; il faut laisserau lemps le soin de melll'C tous les
droits en lumiere el tous les intércts en aeeonl. NOlIs ne vous
pl'uposons done Lujourd'hui que des mesures parliclles el
tl'ansitoircs qui, prellaut la législalion actucHe pOllr base, se
hument a en rctl'anchcr ce qui nous priv('rait de la coo-
llération du cúrnmerce, el it nous garantir les l'essourccs
d'une importation que l'intérct publie nOllS eOlllmanJe de
faei Ji tel'.


Le projet de loi se compose de qualre al'ticles.
L'art. 1 cr abolillcs smtax,es élablies soit sur les 11és pro-


venant des pays dits de non-prodllction, soil sur ceux qui
arrivent par la fronliel'e de ter1'l0, et ahaisse Je 2:-; c. {¡ár
heetolitre, non-seulcm'enlla Slll'taxe imposée aux hlés appu/'-
tés par navires élrangers, mais les droits variables étahJis sur
l'impol'tation, quand elle es! permise, depuis le maximum
jusqu'uu minimum.


L'art. 2 écarte le marché de Fleurance du nombre des
éléments qlli scrvenl a fixer le prix légal de la frontiere du
Midi, et y substilue le marché de Lyoll, substitulion qui
ama pour l'ésultat de [aire plus promptemcnt alteindre la
limite a laquelIe I'impodaiion est permise, el de tenil' les
porls de celte classe plus longtemps ouverts, Aujourd'hui,
par exemple, par l'intervenlion du marché de Flcul'ance, le
prix légal des grains est, a Mal'seille, de 23 fr. 43 e. el I'im-
pOl'tation est enCOl'e interJite, tandis que par l'inlel'vention
du marché de Lyon il serait de 25 fl'. Gg c. et I'importation
scrait depuis longtemps autol'isée.


L'art. 3 assure, cn exigcant les l]l'euves nécessaires, l'ad-
mis~ion qe l'l- carQuisou qui, expéd¡~e a. lCmps pt de ponll~




CHA~IBHE lJES DÚ)t:1·I~S.-18 SEPTE:'vInHE 1830. 91
foi, mais l'clal'dée par les accidellts de fa négociation" alTive
apres la clOture fortuite de ),imp0l'tation. .


Enfin l'art. 4 ne donne d'elfet a ces dispositions que j'uo-
qll'au 30 juin 1831.


Ce sont lit"messieurs, les rnoindl'es changcments qu'a"
notre avis conseille aujourd'hni la prévoyanee. Nous sommes
l'ondés it espérer ({u'ils suffi¡'ont, (ille le commerce pl'ofiterá
des facilités qu'il réclame de toutes parts, et dont il ne peut
l'Uisonnablement se passer.


Les secours <Iu'it amenera sans perturbation mettront un
terme aux souffránces du Midi, el alimenlcl'ont les Lyonnais
et leul's voisins. Sur les autres points, les grains étrangcl's, a
mesure qu'ils pénétreront, rendront disponibles des quanlités
correspondantes dc grains indigcnes qui 1l11proyisionneront
les marchés de I'intérieur. Des craintes, fort exagérées en
elles-memes, se dissiperont; et la sécurité permettant it la
liberté de se déployer sans obslacle, les siíbsistances el la
paix publique seront également garanties.


PROJET DE 101.


LOUIS-PHILlPPE, roi ues Fl'alll.;ais,
A tous présents et a venir, salut.
Nous aVOllS ol'donné et ordonnons que le projet de lui


dont la leneur suíl sera présenté en notre nom a la Chambre
des déflutés par notre ministre secrétaire d'État au départe-
ment de l'inlél'ieur, et par M. Vincent, maltl'e des requetes,
que nous chargcons d'en eXPosel' les motifs el d'cn soutenil' la
discussi on.


Art. i· r • Sur la frontiere de terre comme sur eeHe de mer,
le maximum du droit variable a I'impol'talion des gl'alns sera
de 3 fr. \' hectolitrc, et le mínimum de 21> c. Ces droits elles
dl'Oils ínlcl'médiail'e, de 2 ft'. el de i fr. continuei'ont d'cll'C
appliqués suivant le prix légal des grains, conforméUlent
ªI\~ ¡ojs qcs 16 juill()t Hl1~ et 4 juíU()t ~8~! I




92 HISTOlRE PARLEMENTAIRE DE FnANCE.
Ce droit sera augmcnté d'un frane pour les grains qui


al'fiveront par mer sous pavillon étranger.
11 sera per!(u sans autre surtaxe et sans distineLion de pro-


venances.


Art. 2. Le prix légal régulateur des grains pour la pre-
mi ere classe (frontiere du Midi, depuís le dépal'tement du
Var jusqu'il celuí des Pyrénées-Orientales inclusivement),
sera formé du prix moyen des mercuríales des marchés de
MarseilIe, Toulouse, Gray et Lyon.


Art. 3. Quanrl, par l'erret du prix légal, I'importation
devra cesser dan s un port de mer, les cargaisons qui, fortui-
tement, n'auraient pu parl'enir a temps, mais dont l'expédi-
tion faite de Lonne foi ~era réguliel'ement prouvée par la
présentation des eonnaissemenls, seront admises, ,el néan-
moins payeront le droit d'importation le plus élevé.


Art. 4. Les dispositioIlS ci-dessus n'auront efIet que jus-
qu'au 30 juin 1831.


Paris, le 17 septembre 1830.


LOUlS-PHILlPPE.
Par le Roí:


Le: minÍ6tr, secrl!taire d' État de l' ifltáieuf,


-Chambre des pairs. -Séance du 12 octobre 18:30.-


M. GUIZOT, ministre de l'intérieur.-Messieurs, léS lois
des 16 juillet 1819 et 4 juiUet 1821, sur l'importation des
eéréales, furent inspírées par le désir de pl'oléger la consom-
malion de nos propl'es gl'ains.


l\lais, l'édigécs au milicu d'une tiul'abondance (lui décou-




¡'ilA.IIBHI-: PI':SI'Aj/l,',·--]1 O'TOHKI,: 18;10. :1,:
rageilit It!!' a¡n'iclllteul''' Je¡Jllís plllsjeul'~ i!Ullée'J elles ,;t'
l'l~~SPllliI'PIIt ¡/~ rette l'il'eol1~tallce, L'rsp¡'il de ces loi8 fui
éridemment de l'epOUi'St'l' 1,,;; g'l'ains pll'ungf'l's ,EISS; Join el
aussi Iongternps qu'il serait possible, Non-seulemenl 011 éle\'1t
les limites que le prix devalt franchir avant qu'ils fussent
admissibles; mais alors meme, et de peur qu'on ne profital
trop lot de la faculté d'importer, un tarif gradué frappa les
hlés provenlls des pays voisins d'un droit d'entrée sensihle-
ment plus fort que les blés qu'il faut aUendre des mers éloi-
gnées. On y ajouta une autre surtaxe sur ce qui nous serail
appol'té par navire élranger, dislinction communément recue
pour favoriser nolre pavillon, mais dont la proportion Bupé-
l'ieure, toute ~péciale, était calculée pour opposer un obstacle
de plus aux versements de grains que l'étranger voudrait
faire dans nos porls. Lorsqu'on prenait ces précautions mul-
tipliées contre l'invasion des hlés exotiques, il est évident
que l'on se croyait dispensé de prévoir le temps ou les arri-
vages élrangers cesseraient d'étl'e a charge , car aussitot qu'ils
sont désirables, il ne sel'ait pas conséquent de les rendre
difficiles et couteux. Les prix élevés, condition nécessaire de
leur admission temporaire, devant désintéresser le produe-
teur national, quand ce point est atteint, c'est le eonsom-
mateur qu'il faut ménager en ne ehargeant pas l'entrée de
droits fiscaux et de faux frais.


Aux années d'abondance ont succédé trois récoltes médio-
eres; eeHe qui vient d'etre rentrée dans les greniers est
inférieure dans plusieurs départements, et l'inégale réparti-
tion de ses produits sur le territoire rend encore plus
cODvenable de faciliter les seeoIll's extérieurs Ia OU le con-
sommateur les réclame, et ou le commerce peut les apporler.


Les subsistances ne manqueront pas. 11 n'y a nulle inquié-
tude 11. conceyoír; mais il n'est personne qui ne désirat
que les classes industrieuses et peu aisées obtinssent en ce
moment leur pain a des prix modérés. Enfin, on ne peut
nier que le temps ne soít venu de se débarrassel', tempo-
rairement du moins, des exigenees ajoutéeg eornme de suré-




94 HISTOIRE PARLEMENTAUU;; DE FRAKCr..
rogation a la condilion fondamentale des limites de l'impor.
tation.


C'es! ce que le gouvernement du Roi a voulu et ce que la
Chambre des députés a adopté dan s le prójet de Ioi.


Les prix des gralns nalionaux au~dessous desquels les
gl'ains étrangers ne peuvent Ctre intl'óduits ne siibissent
aucun changement.


l-e minimumdu droít principal, quand le tarif gradué
s'arrcte a cause de l'élévation ultérieure' du COUI'S, es! tou-
,jours de 2,;> 'centimes I'heetolitre, el s'applique comine par
le passé.
~fais suivant l'article 1 er du projet, les degrés variables du
dro'j~ qui sont de 3 fr. 2;:; C., 2 fr. 25 c., T fr. ~5 c., sim-
plifiés par une petite réduction, seront Jixés a 3 fr., '2 fr.
et 1 franco .


Qn conserve la surtaxe d'un franc pour les arrivages par
pavillon éh·anger. .
~Jajs on supprime celIe qui se rapportait a la distinction


des pays ,deproduction et de non·production, dislinction
te}lement arbitraire, ou pluto! si peu d'aceord avee les déno-
minalions, que JesPays-Bas, )' Angleterre, I'Es-pagne; l'ltatie,
l'Afrique, étaient censés ne pas produire de grains.


Dans le tarif des douanes, les arrivages par teác sont assi-
milés en général a ceux qui viennent sous pavillon étranger .
dans nos ports. Oil avait appliqué cette regle am transports
de.grains; mais a cause de t'élévatiori spéciale de sa surtaxe,
cet article, a l',entl'ée par lerre, payait 1 fr. '2;' c. ¡'hecto-
litre dans le cas ou dans les ports on ne devait que 25 cent.
JI a été d'autant plus juste de rétablir des conditions égales
que nos dépal'tements de la frontiere de terre subissent :cette
année les prix les plus élevés.


Le projet fait participer aux memes adoucissements l'en-
lrée des farines, en consel'l'ant les proj:lOrtions tixées par les
anciennes lois. JI met" en harmonie a"ec les droits' propres
aux froments ceux qui s'appliquent aux .seigles et mals. Pat'
une lnadvertance, la loi de 1821 avait négligé de le faire: il




CftAJIBRB DES PArttS,-i2 OCTOBRE 1830. 9S
.


y avait un degré de plus daus les droits propres a ces der-
niers grains. Les seigles payaient a I'entl'ée 4 fr. 25 e. dans
la circonstance ou le froment ne devait que 3 fr. 25 c.


Les f'ronticres du royaumc étant ilivisées en quatre classe5
pour l'applicatio~ iles regles sur I'importation des grains,
dans chacune les mercuriales de certains marchés compo-
sent le prix commlln légal quí, publié le derniel" jour de
chaqile mois, permet ou prohibe j'enlrée suivant que ce
prix est supérieul' ou inférieur a la limite adoptée par la loi.


Ainsi, S\Il' toute la frontier'e de la Méditerranée (premiere·
c1asse), la limite qu'il faut que le cours dépasse pour qu'il y
ait liberté d'importer est de 24 fr. l'hectolitre.


01', depuis t82J, une seuIe f'ois, pour un seulmois, les
grajns ont pu entrcr de ce culé.


Et cependant, depuis la récolte de 1827, la denrée a sensi-
blement renchéri; toutes les autres frontlel'es ont eH de fl'é-
quentes époques d'importation permises. Il y a plus; il est
noloire qu'a Marseille, dans le reste de la Pro ven ce, a Lyon,
les gl'ains se payenl :30 fr. l'hectolitre, et cependant le prix
légal n'a pn jamais atteindre a 24 francs.


D'o1l vient eeUe singularité si fácheuse a ces pays, ou la
récolte esl particulierement mauvai,e? De ce que le prix
légal est le taux moyen de qllatre mercmiales. 011 a d'abord
combiné ave e celle de Mal'seille les prix de Gray el de Tou-
lome, march0s qui, par la Saone et le RhOne d'un coté, par
le canal du Midi de I'aulrc, alimentent le has Langnedoc et
la Provencc·; mais on a voulu y ajouter pour quatricme élé-
ment le marché de Fleurance, marché obscUl' du dé parte-
ment du GCI'S, fluí ne cOI1COUl't poínt a la consommation de
l\larscille, et quí n'a été choisi que ponl' redoubler l'eITet du
bas prix de Tonlonse dans le prix moyen.


Le rel1Ghérisscm~nt qui en provient, le pl'ix exccssif du
grain a MarseilIc, celuí qui en résulte pour le cours du pain
a Lyon, la clamen)" lwi\'crselle enfin ne permcttenl pas de
laisser subsister cet état de cllOses. I1 a paru jusle et consé-
quent il'opposC'1' a deux pays de produclion, Gray el Toulouse,




!l6 H 1::;'I")ll{ J': P." ~LE:\1 1':" L~ IHI-: [) Et-' K.\;-';' '1-:.
~eu \. de deu.\. gl'llllds lIHu'd,és de ':011 <l'llllllat.ioll. LWIl ,,'
~I¡jr~ejllp, e'est le ~ll.if'l de l'al'tjcl,~ :! ti" prujet.


L'<ll'tirlt' :J a~slll't' rt'nII'Pt' dI'" ell\llj" de gTaim t~.\pédil;"
,le bonne roi par me!' ou pal' les t1euves pendanl que l'admi~­
sion était permise, et qui, fortuitement retardés, rencontre-
raient la prohibition 11 leur arrivée. La Chambl'e des députés
a insisté sur les précautions qui empecheront de tourner en
abus cetle mesure d'équité. Si elle n'était accordée au com-
merce, comment pourrait-il s'exposer a des chances si rui·
neuses qui peuvent dépendre d'un centime de val'iation dans
la mercuriale, ou d'un jour de retard a la mer?


L'article 4 provient d'un amendement intl'oduit par' la
Chambre des députés. Les grains étrangcrs, autrefois laissés
11 la disposition et aux soins du commer~ant, 50US les pré-
cautions requises qui constituent le régime de l'entrepOt
fictif, étaient soumis par la loi du 15 juin i8~5 11. l'entrepot
réel, c'est-a-dire renfermés dans des magasins que la douane
seule peut ouvrir, OU, par conséquent, les précautions jour-
naIieres nécessaires a la conservation de la denrée ne peuvent
etre prises a propos; l'administl'ation a reconnu que ces
mesures genantes et cm1teuses étaient sans le moindre avan-
tage, et n'ajoutaient rien a la garanlie de l'entl'epOt fictif.
L'article, en conséquence, abroge cclte formalité.


Mais cette disposition m~me, et toules les autres mesures,
ne sont que temporaires. En vertu de l'article 5, la loi n'aura
d'effet que jusqu'1I. l'apparilion des produits de la future
récolte, c'est-a-dire jusqu'au 30 juin pl'ochain pour la pre-
miere classe (le Midi), et au 3i juilleL pOUI' le reste. du
royaume.


La Chambre des députés I'a ainsi voté. Quant au gouver-
nement, iI n'avait voulu proposel' en effet qu'une loi tran-
sitoire.


CeHes qui existent, faites pour une longue époque d'abon-
dance, naturellement ne pouvaient convenir a des temps de
cherté.


On aurait craint, en faisant une loi au milien de ces cir-




CHAMmm DES PAmS.-l~ OCTOBHE .1830. 97
constances I!ul!\'elJes, el en la faisant permanente, de ne pas
assez ménagcr les intérets agrícoles, que le gouvernement
respecte et protége.


Un syslcmc qui convicndrait a lous les temps, qui main-
tienJrait le plus possible des pl'ix plus égaux, qui cOl1cilierait
les droits et les besoins du productcur el uu consommateur,
c'est ce qui est désirable, c'esl ce qu'il faut chercher avec
maturilé.


(M. le ministre donne lccLure du projet de loi.)




XTT


Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal.


- Chambre des députés.-Sésnces des 25 Reptembre et 4octobre 1830.-


J'ai raconté dan s mes Mémoires 1 les incidents et les
débats qui s'éleverent, peu apres la révolution de i830
et pendant mon ministere de l'intérieur, a l'occasion
des clubs et de l'application de l'article 291 du Code
pénal. Ce fut a propos d'une pétition des commissaires-
priseurs de Valenciennes, et par une vive attaque de
1'fI. Benjamin Morel, député de Dunkerque, contre les
clubs, que s'engagea, pour la premiere fois, cette dis-
cussion. ~f. de Traer, au nom des idées générales de
liberté, répondit a M. Benjamín Morel, et je pris, apres
lui, la pal'ole en ees termes:


M. GUlZOT, ministre de l'intlirieur. - Mcssicul's, le
silencc ayec lequel vous avez accll('illi les paroles da pre-


1 Tome Il, pages lOfl-1l6.




CHA~IBRE DES m:;puTi:s.-25 SEPTEMBRE 1830. !)!Í
miel' orateur, la promptitude avee laqueIle l'honorable
préopinanl s'est empl'essé d'y répondre, ne pl'ouvent, ce me
sembJe, que la gravité et l'opportunité de la question. Elle
préoceupe tous les espl'its; elle agite la France entiere; il
était impossible qn'elle n'alTivut pas promptement, et par
toutes les portes, dans eclte eneeinle.


le suis porté a el'oire que dans les eraintes qu'exeitent les
sociétés qu'on appelle populaires, il y a un pen d'exagération.
Elles ne me paraissent pas jusqu'iei avoir fait un grand mal,
ni déployé une grande puissanee. le erois qu'il y a du sou_
venir dans la terreur qll'clles inspirent, et que le passé exeree
peut-clre iei autanl d'influenee que le présent. t VQix diverse,~:
C' est vrai.)


Cependant I'agitation est réellc; le publie tou! entier est
préoccupé. Ce seul fait de l'agitation générale et de tQus les
sympturnes qlli la manifestent est un grand mal, un mal
auquel il importe de porler remede. Vous voyez partout le~
capilaux ,e retirer, l'induslrie se resserrer; l'alarme est gé-


• nérale, surlout dans les professions Jahorieuses, dans celles
qui font la force et le fonu de notre société.


Quelque exagél'ées que soient ces craintes, elles ont un
fondement solide. Le caractel'e, la conséquence des soeiéttls
populaires et de leul's acles, e'est qu'clles enlretiennent,
qu'clles fomentent, qu'elles exaltent de jonr en jour parmi
nous J'élat révolutionnail'e.


Messieurs, nous avons rait une révolution, une heureuse,
une glorieuse l'é\'olution; mais nous n'avons pas pl'étendll
mettre la France en élat l'üolutionnail'e. ("'largues d'adhé-
sion.) NOlIs n'ayons pas prétcndu la tenil' dans I'agitalion,
dans le lrouhle, dans l'anxiété qui aceompagnenl de tels
événemenls.


Quels sont les caracteres de l'état révolutionnaire'! Voici
les plus saillanls: e'est que toutes choses soient mises en
question; c'est que les prétentions soient indéfinies; c'est que
des appels continuels soient faits a la force, a la violence.
Eh bien! ces caracteres existent tous dans les sociétés popu-




100 HISTOlRE PARLEME?\TAIRE DE FRANCE.


laires,dans I'actionqu'elles exercent, dans l'impulsioll qu'elles
s'efforcenl d'imprimer ala France.


Je dis que toutes eh oses y sont mises en qllestion. El re-
marquez, messieurs, qu'il ne s'agit point, dans ces sociélés, de
discussions purement philosuphiqlles; ce n'esl pas telle ou
telle ductrine qu'on veut faire prévaloir; ce sont les choses
memes, les faits constitutifs de la société qu'on aUaque; e'est
notre gouvernemellt; e'es! la distribution des forlunes el des
propriétés; ce sont enfin toutes les bases de l' ordre social, qui
sont mises en question et ébranlées tous les jours dans les
sociétés populaires. De lit eette fermentation universelIe quí
se répand au dehors et qui trouble tous les esprits.


En meme temps que toutes choses sont mises en question,
des prétentions indéfinies, indéfinissabJes, éclatent. Et, dans
ces pr!tentions, il ne s'agit pas de teIle ou lelle réforme, de
tel ou tel but particulier a atteindre; il s'agit de p1'ojets,
d'espérances quí seraient ho1's d'état de se limiter eux-
memes. 11 y a la une ambiLion quí ne connait pas son p1'o-
pre objet, qui se déploie sans but, quí n'esl pas un état de
véritable travail, de véritable réforme polilique, mais une
maladie de l'esprit. (Mouvement d'adhésion.)


Enfin, messieurs, qu'est-ce qui caractérise encore I'état
révolutionnaíre? e'est l'appel continuel a la force, a la vio-
lence; c'est le recours aux moyens hrutaux; e'est la menace
sans cesse auressée a tous les pouvoirs de la société, a toutes
les existences, a toutes les iuées quí ne s'aecordent pas avec
ce Hes auxquelles on veut donner l'empire. C'est lil peut-etre
le caractere fondamental de l'état et des passions révolution-
naires.


Eh bien, messieurs, ce caractere se déploie tous les jours
dans les sociétés populaires. Ce ne sont pas,je le répete, des
écoles philosophiques, OU I'on discute. te! ou tel principe;
e'est une véritahle arene dans laquelle on provoque toutes les
passions, dans laquelle on souleve toutes les menaces.


le vous le demande, n'esl-ce pas la vouloir tenir la France
dans un état ré"oluti(lnnaire? n'est-ce pas vOl\lnil' proJolJger,




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-25 SEPTEMBRE 1830. 101
fai lort de dire vouloir, cal' je n 'inculpe les intentions de
personne, mais enfin n'est-ee pas prolonger en elfet cel état
de trouble et d'anxiété qui aceompagne nécessairement une
rél'olulion, quelque heureuse, quelqlle gloriellse qll'elle ait
été '?


Ce n'es! pas lit, messieurs, le mouvemen!, ce n'est pas la
le progreso On nous provoque sans eesse au mouvement; on
nOlls demande toutes les eonséquences de la rél'olution qui
vient de s'accomplir. l\fessieurs, nOlls voulons autan! que per-
sonne le. mOllvement et le progreso II n'y a personne a qui
les progres de la sl)ciété soien! plus ehers qu'il nous. }lais le
désordre n'est pas le mouvement; le trouble n 'es! pas le pro-
gres; I'état rél'olutiollnairc n'est pas l'état vraiment progres-
sif de la société. Je le r~pctc, l'état ou les sociétés populaires
prétcndl'nt rncttre la France n'es! pas le rnouvement vérita-
11e, milis le mouverncnt désordonné; Ce n'est pas le progres,
mais la fermentation sans but. Messieurs, ce n'est pas lit le
désir de la Franee. La France n'a pas cntendu se meltre dans
un état l'évolutionnaire perrnanent. (De toutes parts : Non,
non !) La France a lutté quinze ans, avant de se décider a se
mettre tout enliere en mouvement pour faire une révolll-
tion. II y a bien eu, pendant quinze ans, diverses sorte~
d'agilations, des conspiratioll5, des inslIuectionspartielJes;
illl'y a pas eu de véritable tentative nationale. Notre révolu-
tion est la seule dans lu({uelle la France entiere se soíl mon-
1rée, Il a fallu' que la tyrilnnie vint en personne et le frol! 1
décolH'ert, qu'clle attaqllat nos liberté, al! CCBur, qu'elle com-
promil toul natre orure social; il a fallu que son présent fu!
troublé el son avenir menacé cruellcment, pour que la Franee
fit une rérolution : elle l'a faite en tl'ois jours, paree qu'clle
s'esL leVlie en ma~se. Happelez-vou5 que jusque-lll. il n'y amit
eu que des mouvernents particJs, que je ne veux pas blamer,
mais que personne n'a alljourd'hui le droit d'appelel' des
mouvemellts nationaux. (T?'cs-bien, trés-bien!)


Aillsi I'élat uaus lequelles sociétés populaires entl'etiennen l
la France esl un état contrairc, non-seulement a ses besoim




102 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA~CE.
et a ses intérets, mais encore a ses vreux. Quand on essa)'e
de la meltre en cet état, non-seulement on lui fait tOl't, mais
on lui fait violence. Tel est le mal que produisent les sociétés
populail'es; elles font "iolence it la France; elles font fermen-
ter toutes choses au milieu de la France, tandis que la Fl'aDCe
veut l'ol'dre. Elle en a le goul autant que le besoin; elle ré-
siste par sa nature comme par son intél'et a cet état l'évolu-
tionnaire dan s lequel OIl veut la tenir.


Si je les considere dans leurs rappol'ts avec notre siluatioIl
extérieure~ les sociétés populaires ne s'offl'ent pas sous un
aspect plus favorable. Messieurs, il ne faut pas se tromper
sur le jugement que porte l'Europe de notre révolution. Je
n'hésile pas 11 le di re ; dan s le fond de sa pemée énergique el
sérieuse, l'Europe l'approuve. L'Europe tlouve que nous
avons eu raison, que ce qui &'est.passé en France a élé bien
motivé, que la France a bien fail de changer son gouverne-
mento


Ainsi, bien loiIl de désavoucl' nolre ré\'olution, bien loin
de désertet' aucun des principes et des füils S1l1' lcsquels elle
repose, je dis que nous ne sommes pas les sculs a aVOller ces
principes, a reconnaitre la légilimité de ces faits; que ¡'Eu-
rope tout entiere, soit qll'elle le dise, soil qu'elle le taise [et
par I'Europe j'cntends le fond des cabincts commc les places
publiques),I'Europc entiere pense!qlle nous aVOIlS eu raisoll.
El c'esl paree que I'Europe porte un tel jugerncnt sur ces
événements qu'on peut les regarder ca 111 me consoml11és.


Mais en meme temps que I'Europc ilppl'OUVe nutre révolu-
tion, elle I'observe avec crainte, avec Ulle sorte de méliünce.
L'Europe aussi se souvient du passé; elle n'a pas plus que
nous perdu le souvenil' des sociétés populaires et des clubs.
L'Eul'ope attend po u!' sayoi!' si, uu miJieu Je celte révolu-
tion, ne naltra pas unc nomelle pl'opagallde révolulionnail'e,
arden le a exciter les memes passions, les memes ImuLles
dan s toules les sociétés européennes. Il n'y a pas moyen de
se le dissimulel', celte crainte s'associe encore au jugement
que parle l'Eul'Ope sur notre révolution.




CHAMBRE DES DEPUTÉS.-25 SEPTEMBRE 1830. 103
Eh bien, e'est a nous de faire, sous les yeux de l'Europe, la


part de ces événements; e'est a nous de lui prouver qu'eUe
8. raison dans son jugement eL qu'eJIe se trompe dans ses
crainles.


Au dehors done comme au dedans, pour rEurope comme
pour la France, ces sociétés, ou pour mieux dire l'état qu'elles
entretiennent, bien loin de servir la cause de nolre révolu-
tion, bien ¡oin de seconder son mouvement, l'alterent el le
compromettent.


Quand nous nous adressons a not1'e législation pour lui
demander un remede a ce mal, que trouvons-nous? L'art. 291
du Code pénal. le me lHite de dire, el du fond Je ma pensée,
que cet article est mauvais, qu'il ne doit pas figurer éternel-
lement, longtemps si vous voulez, dans la législation d'un
peuple libre. Sans Joute, les citoyens unt le droit de se réu-
nir pour causer entre eux des alraires publiques. Il est bon
qu'ils le fassent, et jamais je ne eontesterai ce droil; jamais
je n'essayerai d'attaqller les sentimenls généreux qui pous-
sent les ciloyens a se réunir, 11 se cowmuniquer leurs sym-
pathiques opinions.


Mais I'art. 29t n'en est pas moios aujourd'hui l'état I~gal
de la France, il n'en est pas moins écrit dans nos lois, quel-
que vicieux qu'il soil. Ce n'est pas une de ces lois qui sonl
implicitemenl abrogées par les principes généraux éCl'its dans
les Chartes. Il faut une abrogation expresse. Tant que eelle
réforme législative n'a pas eu líeu, vous restez sous I'empirc
des lois existantes.


Je dis plus; les circonstance~ et les dangers ne sont )las
toujours les memes. Ce n'est pas toujours sur le meme Jloint
que doivent se diriger les crailltes et les efforts. Aujourd'hlli
le dan gel' ne provient pas de l'application de l'art. 29t. Ce
n'est pas la liberté qui est rnenacée. Vous )JOulTez réfonncr
cel a¡:tiele aussilót que cela convienura a I'état social, el je
souhaite que ce soit le plus tól possible; mais évidemment il
n'y a pas urgence. Le gouvernement n'a aucune intenlion
contraire 11 la liberlé. Je puís le dire hautement, cal' ses




104 HISTOIRE PARLEsIE:\:TAIRE m: FRA:;CE.


actes sont d'accord avec son langage. Son in!ention n'est
pas d'interdire des sociétés légitimes, quclqllc nombreuses
qu'elles soient. Ce n'est pas a la limite du nomhre que le
pouvoir s'arrCtcra; il ira au fait, et la OU il trolivera un
danger véritable, il appliquera l'art. 291;' il conjUl'el'a ce
danger, ill'a déja fait. (Adhésion.) L'arret de la cour rOIale


_ qui a ordonné des poursuites re~oit des aujourd'hui son
exécution. Des citations sont données a deux personnes dési.
gnées pour comparaitre devant le trihunal de poliee corree-
tionncHe. Un projet de loi est soumis um Chambres pou!'
ces sorte8 de délits. J'espere qu'il sera )lruclJainement adopté,
que la cause dont il s'agit sera jugée pal' le jury, et que ce
sera par le jugement natioual que la l'épl'ession aura lieu.
(Adhésion générale.)


Mcssieurs, c'est dans les quinzc dernicrcs années qui vien-
nent de s'éeoule¡' que nous aVOllS l'éellement conquis nQs
libertés. Pourquoi '( paree que la réformc a été lente, labo-
fieuse, paree que c'est au milieu des ohstacles, des dangrrs,
en présenee d'un poul'oir ennemi que nous avons ,écu. De-
puis quinze ans, nous avons été oLligés 11 la prudence, il la
patienee, a la pel'sévéranee, a la mesure dans nutre action;
et aussi nous avons, en quinze ans, conrplis plus de liberté
qu'aucun pays n'en a conquis en un siecle.


JI s'en faut done hien que ces quinze uCJ'JIiel'cs annécs
aient été perdnes pour la Franee. Elles ont lai:::sé ü la Frunce
le plus heureux, le plus précieux héritage , des rna:nrs libres
qui commencent a se forIller, l'intelligcncc de la vie poli-
tique et de ses travan:\. Ne sortons pas de cettc yoie; ne pré-
tendolls pas emporter tout en un jOll!', et youloir, le lcnde-
main d'une révolution miraculcuse, I'éaliscr tont ce qn'elle
nous vaudra.


Le temps yiendra, et j'espere qu'il ne sera pas IOllg, Olt
l'art. 2!H, n'étanl plus motivé pat' l'état réel de la SOCiL;té,
disparaitra de notre Code. Il existe aujollrd'hui; c'es! I'état
légal de la France; on en doit faire une application rai:;ulI-
mble, légitime. QlIiconque cn ferait une mauvaise applica-




CHA~lllJ{E DES DÉPU'Ü:S.-4 OCTOBHE 1830. 105
tíon en seraíl responsable, bien que l'artic1e wit éerít dalls
les Coues, cal' le pouvoir l'épond de tous se:; aetes, et il est
obligé d'avoir raison, queHe que soit son adion. (Marques
d'adhésion.)


Je dis que, dans les cÍrconstances présentcs, les sociétés
populaircs pCllvent etl'C dangerellscs. Je erois qu'or!s'exagere
leur dan~'er, qu'cllcs n'ont pas faille mal lJu'on Icm altli-
buc, maí5 qu'clles pourraicnt le faire; et, puisque le pouyoir
est armé d'un moyen légal, Ilon-selllemeut il ne doit pas
l'aLamlonncr, mais ji doit s'ell servir. Je répete qu'ill'a déja
faíl, et qu'il est Jétidé a Ic fairc tant que l'exigeronll'inléret
du pays et le pl'ogres de ses libertés.


Dans la séance du 4 octobre 1830, la question se
renouvela dans la discussion du projct de loi relatif a
l'applicalion du jury aux délits Polititlues et de. la
presse. 1\1. de Sade, dépllté de l' Aisne, attaqua l'article
291 du eode pénal, et me fournit l'occasion d'exprimer
pleinement, a ce sujet, ma pensée.


M. GlJIZOT.- Quandj'ai eu occasion de parler de I'arlo 291
uu Code pénal,je n'ai point dissimulé ce que j'en pensais. J'ai
dil que je le rcgardais eomme vicicux au fOIlJ, et devant elre
réfol'mé un jour. Ce que fai dit alors, je le répcte aujour-
d'hui. Mais j'ai dit en meme temps que je ¡le eroyais pas la
réforllle opporlullc ; que si elle éLait faite aujourd'hui, elle
aurait pou!' l'ésullat de donner force eIlcore plus que regle au
mou vement des sociélés populaires; que, dans les circon-
slances actuelles, nous élions appelés a réprimer ces sociétés,
non a les fonder; que le moment d'assurer l'exercice pleiD
et régulier de ce uroit viendrait, et que je serais un des pre-
miers alors a proposer le changelllcnt du Cade pénal; mais




106 HISTOIRE P_~HLE.'IENTAIíU~ DE FHA.\CE.
qu'a mon avis, ji Jl'élait poiut \'CllU, et qu'il yaurait péril a
le uevaneer.


Je persiste dans l'opinion que j'ai limise ueyant la Chambre •
.le reconnais en principe général le droit des citoyens de se
l'éllnir et de s'entretenir ensemble des alTaires puhliques. Je
dis que, ml\me aujol1l'd'hui, sous l'empire de l'art. 291,
toutes les [ois que ce <1roit sera exercé paisiblcment, sans
porler attcintei:t 1'ordl'c public, I'adminisll'ation n'en pt'enara
nuIombrage. C'est ce qui a lieu dans plusieurs réunions que
le public ignore, qui ne font poin L de bruit, n'ont aucun
caractcre réyolutionnaire, et discutent cepenuant sérieuse-
mcnt el sincercl11cnt de grandes (¡uestions politiques. Elles
subsistent, elles discuten! librement, tranquillemcnt, et le
goU\'ernel11ent ne s'enlJuierl pas avec une puérilc l'igidilé uu
nombre de leurs membres. 11 lui suffit qu'elles n'alarment
point le pays, qu'elles ne troublent point rorare publico II
n'enlend point appliquer absolul11ent et sans di~cernement
l'art. 291; mais il pense que, dans l' état actuel des alfaires
et des esprits, e'est un devoir pour luí de retl'nil' cel arlicle
qu'il trouve écrit dans les lois, el fYen faire, si le besoin s'en
manifeste, l'application aux réunions par lesfJlIelles la pai:\:
publique et la marche réglllierc de nos institlltions seraiclIt
menacées.


Ce que je pensais el disais il ya fJuelques jOUI'S, messieut's,
je le peme done el le l'edis aujolll'd'hui. Je crois l'al't. 291
peu conforme aux maximcs et aux habi ludes d'un pays libre;
je désire que la réfOl'llle en soil prochainc. Mais partont oil
l'orare publie sera eompromis, partout OU I'on eherchera 11
I'ébranler, partont Ol! la po¡mlatinn lranquille, lahorieusc,
s'alarmera et redoutera I'esprit l'évplutionnaire, les réunions
qui se fOl'meraient contrc les di"positiolls ¡égales, el qlli pl'ü-
dlliraient de tels effets, sel'Ont répril11ées; e'est en rnaintcnanl
1'0rdre que nous réussil'ons naiment a fondel' la liberté.




XIII


Diseussion du projet de loí relatif it l'application du jury
aux délits de la presse et aux délits politiques.


- Chambre des députés.-Séance du 4. Dctobre 1830.-


L'article final de la Charte de 1830 avait classé I'ap-
plieation du jury aux délits de la presse et aux délits
politiques parmi les réformes néeessaires et promises.
Le eomle Siméon en prit l'initiative dans la Chambre
des pairs et développa, le 6 septembre 1830, les motifs
d'un projet de Ioi destiné a aeeomplir eette promesse.
Adopté par la Cllambre des pairs et transmis le 20 sep-
temb1'e a la Cham bre des députés, ce projet 'Y fut adopté,
le4 odobre, avec quelquesamendements que la Cham-
b1'e des pairs adopta a son tour. Un amendement proposé
par M. de Schonen, et qui ne fut point adopté, portait:
« Laloi du 21:\ mars J822 est abrogée. En eonséquel1ce,
lesdispositions des lois du 17 et du 26 mai, et dll 9 juin
:1.819, ab1'ogées par elle, reprendront force et vigueur.»
Je pris la parole pour le eombattre :




108 llISTOIRE PAj{LE~IEY['AIRE DE FRA~CE.


M. GVIzor, ministre de l'intéricur.-Ce \le sera pas moi (lui
désal'ouel'ui la loi ou 17 mui 181 ti, el qui craindrai de yoil'
la législation de la presse retourner vers cctte origine. J'ai eu
l'honneur oc participer it la loi de 181!), la plus sincere, je
n'hésile pas it le dire, qui ait élé l'Cndlle dans aucun pays sur
la liberté de la pre>se, et en meme tcmps la plus eflicaee, la
plus conforme au régime consti lutionnel.


Cependunt je ne erois pas qu'il :;oit pos~ible de yen ir, par
un simple amendement, supprimer une loi tout cntiere (luí
a ]'égl~ la liberté de .la presse dt'puis que la loi de ·1819 a
cessé ¡J'Ctre en Yi3'ueur, Dalls le Ill'Pjd gui You~ est soumis
aujounl'llui, il 11e s'agit Fas J'llrw ]0gislation générale en
matiel'e de ]lrC5:;C, iI s'agit scrdemcnt tI'un changcment de
jUl'idict.ion. Le l'apporteur (It> yotre commissioll YOllo I'a déjil
faitremarquel',on ne f~lit ici que tr¡.\ll,;portel', de la police COI'-
rectio[ll!elle au jury, h connaissancc des délits de la pl'esse.
C'est une loi d'attl'ihulion, une lui dé juridict.iol1; rien de
móins, mais ricn de plus.


Or, l'amendemellt gui \'ous est pro posé tend 11 changer
tonte la légi~latiün de la ¡nú"e, it ahoiir lout ce qui o'e,! [aít
sur eette maticre oepuis 'ISIO, .le lll' di;; 11"'; gU'i]lle faillc
pas le faire; jo ne dis )1,1S <1'1e les luis postéricul'es it ce!le de
-JSiü nl' dilill'nt ras Nn~ Ch:liíg:;e~; púlil' 111011 ]ll'opre cOlllpll',
je le pense, et pcut-etre suis-jc i,ilére,;sl; it le pCI"er; mais
jI' ne croi, pas que ce changpnlC~~lt ¡misse se fai!'c imnltl(!i;;le-
mf~nl et sans de ¡n(¡res délih,;ratj'!lJs,'


PuuJ' ]JI'ouve!' la nécessilé de S/lll a:lICJliJl'Illent., l'honorable
préopinant vous a cité, dans la loi dll ::l~i lJl(lJ'sI8:l:2, I'arl. ~,
qui punit toute altaque contre la dislIittl l'oy¡de, I'"rdre oe la
successihilité an trolle, les dl'Oits <¡ue le Boi tient de su nais-
sance, el ceux en 'el tu ue:;l]uels il a donné la Charle. IJ esl
évident que cet artiele esl incompatible a"ec notre llouve!
ordre de choscs, avec ce qui sc passe en Frallcc dcpui,; deux
mois, et gu'il doit ctre extirpé de notre h;gislation. Un prujet
de luí esl déjit pl'épal'é a cet cIfet, et sera porté demain pro-
hablcllwnt á la Chamhrc des pail's.




t'HAMBRE DES DJ<:PUTÉS.-4 OCTOB}{E 1830. 109
II aurait lllcmc été déji:t prrsenté sans drs circonslances


accidcntelles qui ont enlmlné quclque retardo Mais ce projet
prouvcra qu'il est impossiblc d'abolir purementet simplement
l'arl. 2 de la lui de 1822, el qu'il faul y substiluer des dispo-
sitions nouvelles. De grands événements se ~ont accomplis,
il y a deux mois; il ¡aut qu'ils soient consacrés dans la loi,
et que le príncipe de notre révolution de J uillet soit substitué
au principe de la loi de 1822. 11 faut que la nouveIle loi
déelare que toute attaque contr~ le Boi, contre les droits qu'il
lienl d u voeu de la France, voeu formellement exprimé par la
déclaration des Chambres et de la Charte conslitutionnelle
par lui aeceptée et jurée le 9 aoUt1830, sera punie. 11 faut
que le principe de notre révolution, qui afondé l'ordre de
choses actuel tout cnticr sm' le consentement el des Cham-
bres et du pays, devienl1e le principe de la législation de la
presse. 11 ne suflit done pas de retourner puremenl el sim-
plement a la législation de 1819, et d'abulir toutes les lois
postérieures. II ya des disposilions nouvelles a prescrire, et
elles ne sauraient Ctre improvisées.


D'autres motifs eneore s'opposenl a l'amendement. La loi
de i822 conlient des dispositions qui, si elles étaient abolies,
no se retrouveraient pas dans eelle de i819 et son! pourtant
nécessaires; par exemple, ceHe qui punit l'infidélité dans le
compte rendu des séanees des Chambres et des tribunaux.
Il n'y a dans la législation de -1819 absolument rien il ce
sujet. Supprimerez-vous eelle disposition sans pourvoir ii.
son remplacernent?


Quant il eelle qui di! que la Chambre offensée pourra, sur
la réclamatiun d'un de ses rnern1res, punir elle·meme I'au-
teur de l'outrage, je n'entends pas entrer d'avanee dans la
discussion qui aura lieu saIlS doule i:t ce sujet quand viendra
l'art. ;l du projet qui vous est soumis. Mais j'ai bcsoin de
dire tont de suitc, qu'i:t mon avis, ce systemc est bon; jo
crois qu'un pouvoir souverain duit etre éhargé dn soin de sa
propre dignité el eH ólat de la Jéfendre; il s'emparera de ce
uroit si la législation ne le lui reconnait paso H vautinfini-




110 HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
ment mieux le lui reconnaltl'e légalement. On Hera bien plus
sur de la modération et de la réserve qu'il mettra dans sa
propre défense, s'il es! légalement"armé du droit d'y pour-
voir, que si vous l'obligez a l'envahir violemment, et a dé-
huler par un acle de tyrannie.


Ce droit es! accordé dans natre législation, messieurs,
non-seulement aux C,hambres, mais aussi aux pouvoirs judi-
ciaires. Les tribunaux aussi ont le droit de protéger leur
dignité; et ce n'est pas seulement un droit, c'est un devoir:
toutes les fois que les tribunaux se laisseront insulter, qu'ils
se laisseront insulter publiquement, ils méconnallront non-
seulement leur droit, mais eneore leur devoir. Personne n'a
le droit d'insulter les tribunaux uu pars. On peul hlamer, a
telle ou telle époque, la conduite de la magislJ'ature; on
peut critiquer tel jugement prononeé par tel tribunal; mais
quel hon citoyen se cl'oira permis d'injurier les pouvoirs
publics dans l'exercice de leul's fonctians? (Vif mouvemcnt
d' adhésion.)


Il Y a deux choses distinctes dans un pouvoir public : les
personues el le pomoir lui-meme. 01' l'injure s'étend au
caractere public dont la personne est revetue. Ce cal'actere,
messieurs, doit toujours etre respecté, cal' il est respeetable
en lui-meme. 1I est done du devoir des tribunaux de se pro-
téger eontre ],insulte, et e'es! alors la société tout entiere
qu'ils protégent. (Bravo! bravo!)


Ce n'est done pas sans une mure discussion, el sans en
bien pewr les conséqucnccs, que vous devez rayei' de votre
Jegislation l'artiele qui donne aux COl'pS souverains le droit
de protéger leul' dignité. On a parlé de I'abus possible. Sans
doute l'abus es! possible; mais certes, il n'a pas été grand en.
Franee depuis quinze ans. Il n'y a qu'uu seul exemple d'une
poursuite pareille. e'est la un pouvoir dont les grands eorps
ne doivent faire que rarement usage i mais il importe qu'ils
n'en soient pas dépouillés.


le le répete, messieurs, l'amendement qui vous est pro-
posé a pour objet de refaire la législation de la pl'esse tout




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-4 OCTOBRE 1830. In
entiere, la législalion pénale, la pl'océdure, la juridiction.
Je pense, comme son auleur, que la ¡oi de 1822 contient des
dispositions tres-vicicuses, qu'elIe est bien moins bonne que
ceHe de 1819. Je viens d'entretenir la Chambl'e des disposi-
tions dont le gouvernement sent la nécessité el qu'il se pro-
pose de sllbstituer a eelles qui sont mainlenant en vigueur.
Mais je ne erois pas qll'une semblable réforme puisse etre
introduite dans nos lois, par voie d'amendement a un projet
<tui n'a pour but que de transférer au jury }'attribution des
tribunaux eorrectionnels.


Par un autre amendement, M. Villemain proposa le
meme jour que l'article 12 de la loi du 25 mars 1822,
qui portait que toute publication, vente ou mise en
vente, exposition, distribution, sans autorisation préa-
labIe du gouvcrncmcnt, de dcssins gravé s ou lithogra-
phiés serait, par ce seul fait, punie d'un emprisonne-
ment, etc., fUt abrogé. J'appuyai ceUe proposition, qui
fut adoptée, et la nonvelle loi fut promuIguée le 8 oc-
tobre 1830.


M. GUlZOT, ministre de l'intérieur. - Quand les réformes
offrent des difficulLés réelles, quand elles ont besoin d'ctre
coordonnées avec une législation existante, je ne erois pas
qu'il faille en improviser. e'esl la doctrine que je professerai
constamment ¡¡ cette tl'ibune. Mais quanrl elles sont simples,
faciles, quand elles ont au contraire pour résultat de mettre
la loi spéciale dont on s'occupe en harmonie avec la loi géné-
rale, je ne connais aucune bonne rai,son pour les retarder.


La censUI'e a disparu com plétement de la Jégislation. C' est
uniquement dans le cas dont il s'agit qn'il en reste une trace.




lB HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FHA ,CE,.


JI n'y a pas de motit qui empeche oc Fe/Yaccr, il importe
que le mot censure ne se lrouvc plus uans aueune de nos lois;
elle TIC uoit pas s'exereer sur les gravures et les lilhogra-
phies, pas plus que sur les écrits; je ne vois done rien qui
s'oppose a l'adoption de l'amendement.




XIV


Présentation dn projet de loi relatif allX rr\compenses nationales
" accorder aux vidim83 ele la révoJution de Juillet 1830.


-- Chambre des dépl1tés. - Séance du 9 octobre 1830.-


Ce projet, adopté par les deux Chambres avec quel-
que s amendements, fut promulgué comme loi le
13 décembre 1830.


1\1. GUlzOT, ministre de l'intérieur.-Mcssicurs, il fardaít
au Roi comme a vous de sanctionner, par une mesure
législative, le grand acle de l'econnaissance nalionale que la
patrie doil aux yictimcs de notre révolulion. J'ai I'honneur
de vous la p¡'ésenter.


La commíssion des l'écompenses l1ationales, instituée en
yel'tu de la loi du ;) aoClt demier, el animée d'un patrio-
tisme infatigable, a l'éuni les nombl'eux éléme.nls qui nous
permeltront enfin de l'endl'e ii I'héro'isme désintél'essé cette
éclalante juslice. e'es! en parcollrant le relevé fUllcbre qui
constate tan! de malbrlll' et de dé\ouement qu'on appl'end
a connaltl'e le príx d'une liberté qu'il a falJu payer si chel'.


Messieurs, d'apl'cs ks l'cml'ignements I'ccueiJlis avec soin
'f. I. f{




]14 HISTOIRE PARLElIfENTAIRE DE FRA:'{CE.
dan s les divers arrondissemenls de Paris, nos trois grandes
journées ont coüté 11 plus de 500 orphelins leurs peres, 11
plus de 300 ve uves leurs maris, a plus de 300 vieillards
l'affection et l'appui de leurs enfants ; 311 citoyens resteront
mutilés et incapables de reprendre leurs travaux; 3,564
blessés amont eu a supporter une incapacité temporaire.
e'est a la France libre et reconnaissante qu'il apparlient,
autant du moins qu'il est en son pouvoir, de réparer ces
désastres.


L'article 1 er du projet de loi vous propose d'accorder une
pension annueUe et viagere de 500 franes aux ve uves des
citoyens morts dans les trois journées des 27, 28 et 29
j uillet, ou par suite des blessures qll'ils on t re!(ues a ecttc
époque.


La France devait a ces généreuses victimes d'adopter leurs
enfants orphelins. Jusqu'il l'age de sept ans, ils recevront
une somme de 250 francs par année, et resteron! eonfiés
aux soins de leurs meres, ou, au hesoin, a ceux d'un parent
ou d'un ami qui sera désigné par un conseil de famille.
Depuis sept ans jnsqu'a dix-huit, ils auront droít a un nou-
veau bienfait, eelui d'une éducation utile et gratuit~, qui
assure leur existence a venir.


Les peres et meres agés de plus de soixante ans, ou eeux
a qui leurs infirmités ne laissaient d'autres moyens d'existenee
que les seeours de la pitié flliale, ont droit aussi a votre
sollicitude. Leurs enfants qui ont saerifié leur vie pour la
liberté ont assez rilit pour que la Frunce se charge d'acquitter
la detle qu'ils lui ont léguée en mouran!. Leurs pUl'ents reee-
vront une pension annuelIe et viagere de 300 franes.


Depuis longtemps la Frunce est dotée d'un établiss~ment
ou elle reeueille les soldats mutilé s sur le champ de bataille.
:Messieurs, les braves qui ont rc!(u, uans les rues de París, des
blessures entrainant la perle ou l'incapacité d'un membre
oot gagné les Invalides sur le plus beilu champ de bataille.
Les vieux guerriel's qui habitent cet asile de la gloire les
aecueilleronl avec traosport dans leurs rangs. S'il est des




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-9 OCTOBRE 1830. 115
citoyens que des atfeetions de ramille retiennent dans leurs
foyers, il est juste de leur accorder une pension qui soit l'é-
quivalent des frais que leurs frel'es cOlitcront a I'État.


Quant a eeux que leurs blessures n'ont pas mis dans
I'impossibilité de travailIer, iI a paru convenable de leur
accorder une indemnité une fois payée, dont la commission
des récompenses nationales sera chargée de fixer le montant.


La me me mesure devrait elre prise en faveur des familles
qui ont été privées de leur travail pendant les journées de
juillet. La commission a meme senti la nécessité de prévenir
votre intention bien connue, en distribuant des secours pro-
"isoires a ceux qui n'auraient pu atlendre la sanction de
eette loi.


C'est pour ~ubvenir a ces diverses dépenses que le Roi
nous a chargé de vous demander d'ouvrir au ministere de
l'intérieur un erp.dit de sept millions, sur lesquels quatre
millions six. cent mille franes seront convertis en rentes
annuelles et viageres, sauf a réduire, s'il y a lieu, ceue
somme d'aprcs l'.état qui sera dressé par la commission des
récompenses nationales. Le surplu? des sept millions sera
employé a acquitter le montant des Índemnités et des se-
cours une rois payés.


Messieurs, en adoptant les mesures que j'aí I'honneur de
vous proposel', vous assurerez des existences qui sont deve-
nueS saerées pour le peuple fran!;ais. Il y a un autre moyen
de donner aux défenseurs de Paris un nouveau témoignage
de la reconnaissance publique. Parmi les citoycns qui ont
survécu 11 leurs efforts, la France es! sure de trouver de
braves guerriers. La commission des récompenses sera
chargée de désigner ceux que le ministre de la glle~re
pourra proposer au Roi pour le grade de 50us-lieutenant. La
campagne des trois joul's sera leur titre d'ancienneté.


La loÍ du 30 aout a ordonné de fl'apper une médaille
destinée a consacrer le souvenir de notre l'évolution. eeHe
médaille sera distribuée 11 lous les citoxens désignés par la
commlssloD.




116 HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAseE.
Enfin, íl a paru eonvenable d'accorder, a ceux qui se sont


spécialement distingués dans le mouvement de notre déli-
Vl'ance, une décoration spéciale, glorieu&e marque de leurs
services personnels, et it laqueIle les honneurs militaires
seront rendus eomme a la Légion d'holllleur.


Messieurs, la loi qni vous est proposée, pour etre digne
de la Franee et des généreux eiloyens qui en sont ¡'objet,
devait beauconp faire pOUl' I'honneur el ríen de plus que le
nécessaire pour une pauvreté qui a l'orgueil de l'héroisme.
11 n'eut pas été possihle de faire aceepter un don; il était
juste de payer une delte sacrée. La 'postérité dira que la
Franee libre a réeompensé une populalion de héros en don-
nant aux morts une tombe, aux hlesséti un asile, aux orphe-
lins I'éducation qll'anraient sOllhaitée ponr eux leurs
parents.


PI\OJET nE LO!.


LOUlS-PIIlLIPPE, roi des Fran!{ais,
A tous présents et a venir, salut:
Nous avons ordonné et Ol'donnons que le projet de loi


dont la teneur suit sera présenté a la Chambre des députés
par nolre ministre secrélaire d'État an département de j'in-
térienr, que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en
soutenir la discussiol1.


Art. 1. cr. Les veuves des eitoyens morls dans le~ jomnées
des 27,28 el 29 jllillet, ou par suile des blessures qu'ils ont
re!{ues dans ces rnemes journées, recevront de l'État une
pension annuelle et viagcre de 500 francs, qui eommencera
a eonrír du 'lor janviel' 1831.


Art. 2. La France adopte les orphelins, Hls des citoyens
morts pendant les trois journées, ou par suite des troÍs jour-
nées de juillet. Une somme de 250 francs par année est
affectée pOUl' duque enrant au-dessous de sept ans, lequel
sera confié aux soins de sa mere, OU, au hesoin, a ceux (I'un
parent ou d'un ami ehoisi par le conseil de familte.


Depuis sert alls jUSf!U','t dix·hllit, lPi cnLlTlt:; ~Pl'Ont élevl:s




CHAMllRE DES DEPUTÓ';,-9 OCTOBRE 1830. 117
dans des élablissemenls spéciaux, OU ils recevront une édu-
cation convenable a. leu!' sexe, el propre a assurer leur
existence a venir.


Art. 3. Les peres et meres agés de plus de soixante ans,
oU,infit'mes, el dont l'élat malheureux sera constaté, el qui
aur.ont perdu leurs enfants dans les journées des 27, 28 et
29 juillet, recevront de l'Etat une pension annuelIe viagere
de 300 francs, reversible sur le sUl'vivant.


Art. 4. Les l¡'ran~ais qui, dan s les journées de juillet,
onl re-:;u des hlessul'es entl'ainanl la perte ou l'incapacité
d'un memhre, sefont admis a J'hütel des Invalides, ou tou-
chel'ont, a leur choix, dans leurs foycrs, la pension qui leur
sera aceordée.


Toules les disposilions rclulivcs il la quotité de la pension
des invalides ¡eUl' seront applícables.


Art. 5. Les citoyens que IeuI's blcssures n'ont point mis
hors d'état de lravailler recen'ont nne indemnité une fois
payée dont le montant sera, pour chacun d'eux, déterminé
par la commission des récompenscs nationales.


Art. 6. II sera égalemenl accordé une indemnité aux
citoyens non blessés, don t les rami lIes ont été pri vées du
produit de leut' travail pendant les journées de juillet. Celtc
indemnité sera, pour chaque citoyen, détel'minée par la
eommission des récompenses nationales.


AI'l. 7. En conséqllcnce des dispositions qui précl!dent, el
pour acquitter en meme tpmps le montant des seeours pro-
"isoires délivrés aux })lessés ou aux famillcs des viclimes des
joul'nées de juillet, un crtlJit de 7 millions csl ouyert au
ministre de l'intérieur.


Sur ce crédit, 4 milliolls UOO,OOO [ranes servnl convertis
en rentes annuelles et \iagerc5, sauf a l'éJuire, s'il ya lieu,
eetle allocation d'apl'es l'état qui sera dressé pat' la eommis-
sion des l'écompcnses nationales.


Le surplus de cette Eomme sera eonsacl'é a acquitler le
montant des indcmnités el des secoul'S une foís payé, d'apl'es
les étals drl'ssés par la cllrnmi~sioll.




118 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Art. 8. Pourront etre nommés sous-lieutellaots daos }'ar-


mée ceux qui, s'étant particulierement distingués dans les
journées de juillet, seront, d'apres le rapport de la commis-
sion, jugés dignes de cet bonneur.


Art. 9. La médaille ordonnée par la loi d.u 30 aout sera
distribuée a tous les citoyens désignés par la commission.


Art. 10. Une décoration spéciale sera accordée 11 tous les
ciloyens qui se sont distingués dans les journées de juillet;
la liste de ceux qui doivenlla porter sera dressée par la com-
mission, et soumise a l'approbation du Roj.


Les honneurs mílitaires leur seront rendus comme a la
décoration de la Légion d'honneur.


París, le 9 octobre 1830.


LOUIS-PHILIPPE.
Par le roí:


Le ministre seerétaire d' État au
département de l'intérieur,


GUIZOT.




xv


Présentation de deux projets de loi relatifs a l'organisation
de la garde nationale sédentaire et de la garde nationale
mobile.


- Chambre des députés.-Seance du 9 octobre 1830.-


Ces deux projets, longuement discutés et amendés
dans les deux Chambres, aboutirent a une loi générale
promulguée le 22 mars 1831, sous le ministere de
M. Casimir Périer.


M. GUIZOT, ministre de l'intérieur.-Messieurs, le Roi nous
a ordonné de vous pl'ésenter deux projels de loi relatifs a
J'organisation de la garde nationale sédentaire et de la garue
llationale mobile.


L'importance de ces deux pl'ojets n'a pas besoin d'etre dé-
montrée; ils sont éviucmmenl appeJés par les plus pressants
inlérets et les vreux unanimes de la France, Hs uonueront,
pOlir garantie a I'indépendance extériellre el 11 I'ordre inté-
riem, les forces de tonte la nation. Ils fonderont sur les IJlus
larges bases la dignilé el le repos uu papo


Nous regreltons que l'ajourncment si prol;hain de la Cham-
bre ne liOUS permette pas de lui expuse¡' aujourd'hui ayec




UU HlSIUlllJ,; .PAHLJ,;¡\lENTAlRE DE FIC\:\CE.


détail les molifs qui ont présidé a la I'édaction de ces deux
projels de loi. Ces motifs) qui se présenteront, du reste,
natUl'el1ement 11 vos espl'its, seront expliqués dans les rappol'ts
soumisau Roi a ce sujel, el qui seront incessamment publiés.


Le Roi a voulu qu'avant de se séparer, la Chamhre re~IH
]a présentalion des dispositions essentielles qui nous parais-
sent devoir régler désormais eette grande inslitution natio-
nale. Les mesures législatives nécessaires pour compléter le
systeme seront successivement proposées aux Chambres, et
rien ne manquera plus bientOt 11 l'organisation a la fois mili-
taire el pacifique de notre pays.


I'ROJET DE LOI.


Lons-PHIL1PPE, I'oi des Fl'an~ais,
A tous vrésen\s et a venir, salut.
Nous avons ordonné el ordonnons que le projet de loi dont


la teneur suit sera présenté en no\re nom hla Chamhre des
députés par notre Ministre secrétaire d'Etat au déparlement
de I'intérieur, que nous ehal'geons d'en exposel' les motifs
et d'en soutenir la discussion.


SECTION Ir ••


Art. 1 er. La gal'de nationale mobile est l'auxiliaire de
I'armée pOUl' la défense du territoire et la garde des fron-
tieres, ponr repousser I'invasion et maintcnir l'ordrc pnhlic
dans l'intérienr.


Art. 2. La garde nationale mohile esl eomposée de ei-
toyens détachés de la gal'de nationale sédentaire el répal'tis
dans des corps organisés, confol'mément a la présenle loi.


Art. 3. La mise en acti"ité de la garde nationalc mobile
ne pourra avoir lien qu'en vertu d'une loi, et, pendant I'ab-
senee des Chambres, qu'en vertu d'une ol'donnance du
noi, qui sera con Vt~l'tie en loi [1 la plus prochaine session.


ArL. 4. Seront susceptibles d'Nre appelés a faire partie de
Ja,gardc nationale lIlobile tous les Fran~ais ¡)gés de vingt ans




CHAMBl{E J)1!:S lli;l'l;TÚ;.-~¡ OCTOBKE 18~O. 121
accomplis a trente ans révolus, inseriLs auregistre matricule
de la garde nationale sédentaire, quels que soient leurs grades
dans ladite garde.


Art. 5. Les gardes nationaux seront désignés dans ¡'ordre
suivant:


Les moins agés;
Les eélibataires ;
Les veufs sans enfants;
Les mariés sans enfants ;
Les mariés avec enfants:
Les veufs ave e enfants.
Le nombre des enfants, la nécessité pour les gardes na-


tionaux de rester a la tete d'une grande exploitation agrieole
et industrielle, seront appréeiés ainsi qu'il sera expliqué
ci-apres.


A 1'1. 6. La désignation des gardes nationaux appelés sera
faite par le conseil de l'ecensement, En eas de réclamation,
il sera slatué par le jUl'y d'équité.


Art. 7. L'aptitude au service sera jugée pal' un conseil
de révision qui se 1'éunira dan s le lieu ou devra se former le
bataillon.


Ce conseil se composera de sept membres, savoit, :
Le préfet, président, et, a son défaut] le conseillel' de pré-


feclure qu'il aura désigné;
Trois membres du conseil de l'eeensement, désignés par le


préfet;
Le chef de bataillon ;
Et deux des capitaines dudit bataillon, nommés par le


général commandant la subdivision militaire ou le départe-
ment.


SECTION U.


RXE)U'TlONS ET RElIPLACEMIlNTS.


Art. 8. Seront excmptés du sCl'viee de la gardc nationale
moLile:




122 HISTOIRE PARLEMEXTAIRE DE FRANCE.
10 Ccux qui n'onl pas la taille d'un metrc cinquante-


sept centimetres.
2° Ceux que des infil'mités constatées rendent impropres


au serVlce.
Le conseil de recensement, et, en cas de contestation, le


jury d'équité prononcera sur ces exemptioDs et ~ur toutes
celles qui seraient demandées pour quelque cause que ce
soil.


Art. 9. Les gardes nationaux qui se sont fait remplacer
dans l'armée ne sont pas dispensés du service de la garde
nationale mobile.


Arl. 10. Les remplacements dans la garde nationale mo-
hile ne seront admis que pour les causes soumises au juge-
ment du conseil de recensement, el, en cas de contestation,
a celui du jury d'équité.


Le rempla(;ant devra etre agréé par le conseilde recense-
ment et par le conseil de révision.


Le remplacé sera tenu d'habiller le rempla~ant, de l'armer
et de l'équiper a ses frais.


Art. 11. Les rempla~ants seront pl'is pal'mi les hommes
de vingt a trente-cinq ans, et meme de trente-cinq a qua-
rante, s'ils ont été militaires.


Art. 12. Si le rempla(;Rnt qui a moins de trente ans est
appelé a servir pour son compte dans la garde nationale mo-
hile, le remplacé sera tenu d'en fournir un autre, ou de
marcher lui-meme.


Art. 13. Le rempla~ant ne pourra etre pris que dans l'al'-
rondissement ou le remplacé est domicilié.


Art. 14. Le remplacé sera, pour le cas de désertion, res-
ponsable de son rempla~ant.


SECTlON IlI.


FORMATION DES BATAILLONS.


Art. 15. La garde nationale mobile sera organisée par
bataillonli,




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-!l OCTOBRE lesO. 113
Le gouvernement pourra les réunir en légions.
Art 16. Les caporaux et sous-officiers, les sous-lieutenants


el lieutenants seront élus par les gardes nationaux.
Les aulres officiers seront 11 la nomination du Roí.
Art.1. 7. Tous les officiers 11 la nomination du Roi pourront
~tre pris indistinctement dans la garde nationale, dans
l'armée ou parmi les militaires en retraite.


Art. 1.8. Il pourra elre formé des compagníes de grenadiers
el de voltigeurs lorsque le Roi le jugera convenable.


Art. 1.9. Il Y a aura un drapeau par batailIon de cinq cents
hommes.


Le drapeau portera le nom du département qui aura fourni
le bataillon.


SECTION IV.


DE LA DISCIPLINE.


Art. 20. Lorsque les corps de la garde nationale mobile
seront organisés, ils seront soumis 11 la discipline mililaire.


Art. 21. Toutefois, dans le cas OU les gardes nationaux
refuseraient d'obtempérer 11 la réquisition, el dans celui ou
¡Is quitteraient leurs corps sans autorisation, ils ne seront
punís que d'un emprisonnement qui ne pourra excéder cinq
ans.


SEcnON V.


lJE L' ADMINISTRATION.


Art. 22. La gardc nationale mobile est assimiléc, pour la
solde et les prestations en naturc, 11 la troupe de ligne.


Une ordonnance du Roi déterminera les mas ses et les ac-
cessoires de la solde.


Les officiers, sous-officiers et soldats jouissant d'une pen-
sion de relraite la cumuleront temporairement avec la
solde d'activité des grades qu'íls "aul'onl obtenus dans la
¡arde nationale mohile.




124 HISTOIRE PAHLE~IE¡'¡TAIRE DE FHANCE.
Art. ~3. L'uniforme el les marques distinclives de la


garde nationale mobile sont les me mes que ccux de la garde
nationale sédentaire.


Le gouvernement fOllrnira l'armement et l'éqllipement
aux gardes nationaux qui n'en seraient pas pourvus, ou qui
n'auraient pas les moyens de s'équiper et de s'armer a leurs
frais.


Art. 24. tes gardes nationales mobiles auront les memes
droits que les troupes de ligne aux honneurs et récompenses
militaires.


Art. 25. Des ordonnances du Roi détermineront l'organi-
sation des bataillons et compagnies, le nombre et le grade
des officiers, la composition el l'installalion des conseils
d'administration.


LOUlS-PHILlPPE.
Par le roí:


Le ministre secrétaire d' Etat de l' illtérieur,


GUlZOT.




XVI


DlScussion du projet de loi relatif ,t l'ouverture d'un ert'dit
de trente rnillions pour pTllts et avances au cornrnerce.


- ehambre des pairs.-Séance Ju IG octobre 1830.-


Le f8 septembre 1830, le baron Louis, ministre des
finances, proposa a la Chambre des députés un projet
de loi destiné a donner an gouvernement les moyens
de venir en aide, par des pf(~ts et des avances, au com-
merce et a l'industrie gravement ébranlés par la révo-
lution. Ce projet, adopté avec divers amcndementspar
la Chambre des députés, le 8 octobrc -1830, fut porté a
la Chambrc des pairs ou il renconÍl'a des objeclions que
réfuterent 1\1. de Harante et 1\1. Lainé. Je pris la parole
apres eux, pour le soutenir au nom du gouvernement.
Il fut adopté et promulgué, eomme loi, le 17 octobre
1830.


M. GU1ZOT, ministre de l'illt,'riml'. - Apl'cS ce que vous
venez d'entendl'c, ji me rc,ie peu de citose a. dire, el je ne




126 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA~CE.
prendl'ais pas la parole si quelques explications n'étaient
devenues indispensables. e'est au nom des principes qu'on
repousse le pl'ojet : c'est comme exception qu'on le défend.
le crois, Messieurs, que les principes sont moins intéressés
dans eette cause qu'on ne sernhle le croire. Les prineipes ne
sont pas toujours si absolus qu'ils embrassent tous les faits
qui se présentent. Si on considere la loi qui nous oecupe sous
le point de vue purement économique, sans doule les prin-
cipes d'économie politique devraient seuls lui etre applicables.
Mais il me semble que la question n'est pas purement une
queslion d'économie politiqueo


Quel est le fait qui se développe en ce moment? e'est une
crise industrielle el commerciale au milieu d'une crise poli-
tique. La erise industrielIe el eommereiale peut remonter a
une époqlle forl éloignée ; elle pellt se ratlaeher et se raUache
en eITet a des causes tout il fail iudépendantes de la politique,
el sur lesquelles le pouvoir n'a aueune aetion; l'exces de la
prodllction sur la consommalion, les morens de rétablir
I'équilibre sont des faits élrangers 11 l'acliou du gouverne-
ment, qui ne proviennent pas de lui, et auxquels il ne peut
porter aucun remede.


l\tais ce n'est pas de ces faits-la qu'il s'agit. La crise eorn-
merciale et industrielle a éclaté au milieu d'llne crise poli-'
tique survenue tout récemment : si la erise poli tique u'a fail
que développer plus prornptemeut les effets de la erise in-
dustrielJe et commerciale, peu importe. lI n'en es! pas moins
certain que la erise politique intervient dans la qnes-
tion, que e'es! un fait dont il est impossible de ne pas tenir
compte. Le proje! de loi sur lequeI vous délibérez ne vous
aurait pas été préseuté s'il u'y avait pas eu une crise politique
qui mt venue complique!" la question. Ce n'est pas daos
I'état cornmereial et industrieI qu'on doit chereher la solution
de la question, e'est daus l'influence de la erise politique sur
l'état du eommerce et de l'indu8trie. Eh bien! quelle a été
cette influeuee? Elle a eu pOllr résultat de répandre la dé-
Hauce, d'altérer la sécurité dans I'avenir ; la sécurité, élément




CHAMBRE DES PAIRíl.-16 OCTOBRE le30. 127
indispensahle des opérations industrielles et eommereiales. Il
ne suffit pas que ¡'industrie trouve l'emploi des eapitaux,
que la consommation vienne ahsorber ce que I'industrie pro_
duit, il faut que les capitaux aient confiance dans les emplois
que I'industrie leur ofIre; il faut que les capilaux répondent
aux offres que leur fait l'industrie. 01', on con¡;oit qu'il y ait
des eaa oil, bien que les capitaux trouvassent un emploi avan-
tagenx, Ol! la consommation allat au-devant de la production,
le défaut de sécurité soil cependant lel et I'inquiétude sur
I'avenir si réelle que les capitaux se refusent 11 la provocation
qui leur est faite.


Eh bien! cet élat de défiance, ce déCaut de sécurilé dans
I'avenir existent : ils sont le l'ésultat, non pas de la crise éco-
nomique, mais uniquement de la crise poli tique ; et c'est
uniquement a eelle nouvelle cause de perturbation dans les
transaclíons industrielIes et commerciales que le gouvcrne-
ment peut eLre appelé iJ. porter sccours.


De quoi s'agit-il en effet? I! s'agit de rétabJir la balance
de I'ordre, la sécurité de l'avenir, de donner au moins aux
transactions industrielles el commerciales le temps d'aHendre
que la sécurilé l'eparaisse, que la confiance se rétablisse. Le
gouvernement a bien des manieres de rélablir la sécurité, de
rendre la confiance; sa eonduite tout entiere et toutes ses
mesures politiques tendent a ce but; mais on eonviendra, ce
me semble, que la premiere condition de la renaissance de la
séeurité, c'est Pordre publie, c'üst la paix matérielle dans la
sociélé. Au milieu de loules les mesures el de lous les moyens
que le gouvernement peut employcr pour ramcner la eon-
fiance~ si I'ordre publie était matériellement ll'oublé par des
émeutes populaires ou par tout autre événemenl de ce genre,
il est clair que les mesures que le gouvernement prendrait
seraient déjouées, et qu'elles ne til'eraient pas la société de
l'état de erise momentané dans lequel elle se tl'ouve.


Le premier résultat que le gouvernement doit chereher a
atteindre, c'esl le maintien conslant, permanent, de l'ordre
matériel, de la tranquillité matérielle dans la société. L' ordre




1'28 HISTOIRg PARLEMENTAlRE DE FHANCE.
matériel peut etre troulllé par le défaut d'emploi de la popu-
lalion laborieuse. Si la classe labol'ieuse commettail des dés-
ordres, le gouvernement a des moyens de les réprimer, el ne
manquerait pas de s'en servir. Mais le malheUl' serait im-
rnense; il faul tout faire pour I'éviter. Et sans parler de
désol'dl'es, si la classe laborieuse tombait dans la délresse, il
faudrall bien que la chaJ;ité publique vlnl a son secours. 01'
il Y a des moyens d'empecher qu'elle ne tombe dans la dé-
tl'essé; c'est d'entretenir le travail, en altendant que l'état
ordinaire des choses se rétablisse, que les transactions com-
merciales et industrielles aient repris leur coms.


C'est la l'unique objet du projct de loi. 11 ne propose pas
de rétablir la prospérité du commerce, de vivifier l'industrie,
de lui assmer des débouchés; le gouvernemcnt sait bien que
de tels résultats sont au-dessus de son action, el que les
éléments de prospérité sont si variés qu'il n'est pas en son
pouvoir d'agir avec efticacité. C'est uniquement un résultat
spécial el momentané qu'il se propose.


Le projet de loi a pour but, soit qu'il s'adresse a l'industrie
ou au commeree, de prévenit, des malheurs momentanés,
d'assurer du lravail pendant un temps dont il est impossible
de fixer la durée, non a tous les ouvriers qui en manquent,
mais a un ee1'tain nombre d'ouvriers et sur quelques points
ou des désordres entraincl'aicnl les plus grayes eonséquenees.


Ce n'est pas un seconrs adl'essé au eommerce en général,
a l'industrie tout entiere; e'est une force mise a la disposition
du gouvernement pour yenir, pendant un certain temps, au
seeours de ¡'industrie el du commerce, dont la cessation im-
rnédiate causerait de gl'ands malheurs.


C'est la, messieurs, je crois, le véritable caractere, les
étroites limites 80US lesquclles le pl'ojet de loi se présente. Le
gouvernement est appelé 11 avoir dans ¡'avenir plus de con-
liance que lelle ou telJe partie de la population; il sait mieux
que qui que ee soit que les causes de t1'onble auront dispal'lI
dans un certaiu temps. Le gouvemement vient done ieí
uonnel' l'exemple de la confiance, Síir de ~on avení¡, el de




,CHAMBRE DES PAIRS.-16 OCTOBRE 1830. 129
I'avenir de la société, jI vient au secours d'un certain nomhre
d'industries particulicl'cs, d'une certaine cIasse qui n'a pas
les moyens d'avoir la meme confiance.


C'esl un cxcmple de confiance dans l'avenir que donne le
gouvel'llernent, pOUI' laisser par lit 11 la confiance de tous le
temps de renailrc. Le hut du projet de loj, je le dis encorc
une {ois, est rcstl'cint, mamentané; iI n'a paint des préten-
tions aussi génél'ales et aussi longues qu "ou l'avait cru; il a été
déterminé par une nécessité particulicre : jI ne se propose
pas de l'evivifier le commerce lout enlier, mais d'empccher
de grands malheurs particuliers, qui, en faisant explosion,
pourraient amener des circonstances graves, quoique momen-
tanées.


C'est dans ce seul hut que le projet de loi a été eon~u j
c'est dans cc sens que uaus le défendons el qlle nons en
proposons l'adoption immédiate.


T. l.




XVII


Discussion d'une proposition reJative au cautionnement et aux
droits de timbre et de poste imposés aux jonrnaux et {-('rits
périodiques.


- Chambre des députés.-Séances des 8 el \) novembre 1830.-


Le 17 septembre 1830, M. Bavoux, député de laSeine,
fit a la Chambre des députés une proposition tenclant a
apporler une réduction considérable dans le montant
du cautionnement et des droits de timbre el de poste
imposés aux journaux et écrits périodiques. CeHe pro-
position fut, dans les deux Chambres, l'objet de longues
discussions et de nombreux amendements. Je la com-
hattis en ce qui touchait la réduction des cautionne-
ments, tout en l'approuvant quant a la réduction des
frais de timbre et de poste. Le déhat devint si grave que
le caractere, le sens et la portée ele la révolution de
.Juillet y fllrent cngagés. Jc n'étais plns alol's mcmbre
du cabinet; mais je mainlins, a cet égard, corrmle sim-
ple elépulé, les ielées el les intcntions que j'avais plus
d'une fois manifestées comme ministre de l'intéricnr.




CHAMRRE DES DÉPUTItS.-8 NOVEMBRE 1830. 131
M. CUlO'!', député da Calvados.-On a déji.t dit, el je rap-


pellel'ui qu'j\ y a ici deux questions: la question fillllnciere el
la question politique. Ce n'est pas que je regarde la question
financiere, ecHe de ],impOt, comme indjlférente. Je me pro-
pose d'y revenir. !\Iais éviJemment, la question du caution-
nement est eeHe quío pl'éoccupe tous les esprits. C'est la
quesiion poli tique. Ce seul fait prouve que le cautionnement
n'estpas, comme on I'a dit, une mesure purement fiscale, qu'il
n'a pas pour unique o}¡jet d'assul'er le payemenl des amen des
auxquelles les éditeul's de journaux peuvent etre condamnés.
Le cautionnement garantit que les éJiteul's des joul'llaux:
sont des hommes qui appartiermellt a une classe un peu
élevée dall8la société, el ji prome l'impol'tance de l'opinion
qu'un journall'epl'éscnte, le prix que cetle opinion allache a
illl'C repl'éscntée. Le caulÍonncmenl a pour objet de placcr la
direction el la responsabililé de la presse périodique dans
une sphel'e élcvée, d'e:n pecher que la rédaction ne púisse
lombel' dalls les mains du premier venu. C'est la le vél'itable
caractere du cautionnement.


Ce n'est pas quelqlle chose d'étl'ange qu'une semblable
gal'antie; elle est analogue a beaucoup d'autl'es qui existent
dans la société, non-seulement a des garantics péeuniaires,
mais 11 des garanlies restrictives. AinbiJ le nombre des avoués,
des nolail'cs, d'une foule de pel'sonnes de ce geure est limité,
quoiqu'dles ne soient pas assujetties a un cautionnclllent.
(Voia; a droite: Les notaires fotll'l1issent un cautionnemenl.)
e'est un fait de plus qui vient ill'appui de mon raisonnement.
Pourquoi Ic nombre en est-illimité? C'est qu'ils sont chal'gés
d'intérets tellement importanls qu'on n'a pas voulu qu'ils
fussenl pour ainsi dire sm' la place publique 11 la disposition
du premier venu.


La garantie du caulionnemellt est de meme nature. Ce
n'est pas une gal'antie pl'évenlive, mais une gal'antie l'estrlc-
tive, une garantie qui cmpeche que le pouvoir cxcrcé par la
presse périodíque ne tombe aUI mains des premiers venus.
Cette garalltie n'est pas pal'ticuliere a la presse ni aux comp-




13'2 HISTOIRE PARLEMENTAlRE DE FHA!\Ct.
tables; elle s'applique 11 une multituue ue pl'ofessions ou il ne
s'agit pas de deniers puhlics, mais seulement d'jntérets jm-
portants remis entre les mains de cel'tains hommes, d'l1ne
grande puissance exel'cée par eux, puissance pOUl' laquelle
on exige des garanlies de capacité el des conditions préalahles.


En étudiant le dévcloppcmenl progl'essif des sociélés, yous
pourrez remarquer que le syslellle des condilions préalablcs
et des garantics a parlout succédé au syslcme des mesures
prévenlives el des pl'iviléges. Cela n'est pas relatif seulemenl
11 la liberté de la presse, a telle ou telle profession; cela se
Irouve partoul la ou les priviléges et les mesures prévenlives
ont existé. On n'a pas passé a un élat de liberlé sans restric-
tion. Les conditions pl'éalables onl succédé aux mesures
prévenlives; les garanties onl sl1ceédé aux priviléges. Que
les garanties el les condiliolls préalables doiveut etre éter-
nelles, que ee soít I'état immuahle des sociétés, je ne \'oudrais
pas l'aflirmer. Il es: prohable d'aftil'mer que [elle ou telle de
ces garanties tombera successivemellt, que tolle oa telle
condilion cessera d'etre exigée. C'est la le cours naturc\ des
choses, le progres de la société. Mais illl'csl au pouvoir de
personne de devaúcer le temps : il faut qu'une époquc en
précede une autre, sans risqucs gmves pour la sociélé.


Les faits de eette élendue ne sout pas au pouyoir des ¡oís
humaines; il ya la des conditions qui tieunent au fonu, a la
l'aeine des conditions providenlielles, qui pcuvent di,pal'altre
un moment, mais qui repreIltlent le ponvoir que les hommes
lenr refusent, et qui le l'epl'cnuent par des réactions qui sont
des perlurbations plus graves que eeUes qu'on a voulu éviter.


La légilimité acluelle des cautiotluemeuts ainsi établie, la
vraie question est celle de l'opporlutlité de leut' abolition ou
de leUl' réductiou. J'ai hesoin de rappeler ici qu'il y a trois
ans le eaulionnement était de dix mille livres de rente, et
qu'il est acluellement réduít 11 six mille ¡ivres. Est.il'utile a
la société de le reduire de nouveau ou de I'abolir tout a fait?
1 e ne le pense paso


Pour l'épondl'e a eclte qlleslion, il est índispcmahle d'exa-




CHA!lIBHE DE~ ])];:l'UT~:S.--8 )iOVE:llBRE 1830. 133
minel' l'état acluel de la presse périorlique dans son rapport
arce l'état de la société. C'est cneore IIne qlles/ion de fait qui
ne pent ras e!l'e l'ésolue d'une maniere généralc, indépendam-
ment des circonstanees sous l'empíre desqnelIes nous vivons.


En fait, la presse périodique a véen pendan! plusieurs
années en présenee d'nne législalion h'cs-dure e! qui, ee-
pendant, ne luiótait pas toute liberté, en pl'ésenee d'ull
pomoir ennemi , mais qu'elle avaiL la faculté de eombattre :
elle a été libre, elle a lutté; el la preuve, e'est qu'elTe a
vaincu. l\Iais en meme temps qu'eJle luttait, elle avait un
senliment de réserve, el, jo le dirai franchement, de erainte.
Sous l'empire de celle législation dure, en pl'ésence de ce
pOll\'oil' enncmi, la presse périodiqne, lout en jouissant d'une
grande liberté, ne se croyait pas tout permis, ni tout pos-
sible; elle sentait ¡:oment ses limites. C'est la eondition sons
laquelle elle a vécu pendant dix ans.


Eh bien, je erois que eclte eondition lui a été salutail'e; je
cmis qu'elle y a pris de la prudenee, du lravail, de la pa-
tienee, qu'elle a beancoup plus gagné a soutenir eette lutle
qu'elle n'aurait gagné a une liberté illimitée, a ne l'esscutil'
jamais ectte déHanee d'eIle-meme, eetle tirnidilé que lui
nspirait un ponvoir ennemi.


Telle étaitla eondition de la liberté de la presse. C'était la
eondition de la France tout cntiere; elle s'est tromée dans
eette si tuation pendan t la Restauration; elle a véeu en pré·
scnce d'un pouvoil' enl1emi donl elle se méfiait avee raison,
mais qni était trop faíble pOlll' I'opprimer efticacemcnt; elle
a été enlravée, contrariée, mais toujours elle a été en état de
se défendre, el elle s'est défendue si hien qu'au hout de
quinze ans ce pouvoir, ave e tout son attirail de doctrines et
de force étrangeres, a élé vaineu el obligé de s'en aIle!' au
milíeu de la réprobatíon générale.


Aujourd'hui, eelte situalion a cessé. Il ne faut pas se le
dii\simulCl', la presse actllelle a le sentimcnt d'un ímmense
pouyoir; elle n'a plus de crainte; elle sait qu'elle a brisé un
pouvoi¡' enl1emi; elle a IIi confiance qu'eIle aurait bon marché




134 HISTOIHE PARLEMJ<;I\TAWE DE Fl{ANCE.
d'un pouvoir ami. CherclJez les traces de ecUc situation qui,
bien qu' elleait changé, exerce encore une grande influence. Les
ancicns journaux ont soutenu la lutte, il yen a d'autres qui
sont nés du sein de la révolution de Juillct. Remarquez la
différenee qu'il y a entre ces deux classes de journaux. Je ne
pense pas que les anciens journaux repl'ésentent aujourd'hui,
~omme ils l'ont représentée jI ya six mois, I'opiuion una-
nime de la France. Je nc crois pas qu'íls ajen!, avee le pays
tout entjer, cette parfaite sympathie , eelte jntimité qui les
unissait, et qui leur a donné tant de force. Je pense qu'iIs
n'expriment qu~ des opinions partiellcs, qu'on appeBera
faclion, catégorie, majs des opinions qui ne sonl pas I'expres-
sion de l'opiníon nationale complete. Je pense allssi que les
anciens journaux se trompent souvent, qu'il y a beaueoup
d'erreurs, non-seulement dan s leurs assertions, mais dans
leur poli tique, que leurs conseils sont souvent mauvais, qu'il
y a de l'inconvenance dans leur Iangage, de l'exagération
dans leurs idées, du danger dans leur impulsion. Cependant,
quand on les accuse d'etre l'évolulionnaires, on a lort. Les
anciens journaux, qui onl soutenu la lulte pendant quinze
ans, n'ont point aujourd'hui un caracterc révolutionnaire.
l\Ialgré les erreurs que j'y I'enconlre, les 101'ts, les asserlions


, que je leur reproche, je n'y trouve aucune trace d'anarchie;
leurs doctrines ne sont pas anarchiques : je ne trouve pas
qu'ils tendent au renversement de la 5Ociété, qu'ils tandent
a inlroduire de grands désordres publics ; je les trome dans
les limites naLurelles el légales de la lihprté de la jll'esse. Dile
des preuves que j'en pourrais donner, c'es! la dil'ersilé de
IcUl's nuances. lis appartiennent évidemmenl a des opinions
différentes; ils ne sont pas soumis au mt'mc joug, ¡etés dalls
le meme moule.


Rcmarquez ce qui s'est passé naguel'e. Quand il y a eu
des émeules d'ouYl'iers, quand nous· avons eu a combattre des
tentati ves d'insurreclion, pl'esque tous les anciens journaux
se sonl élevés contre ces désordres, pre'que 10lls ont embrnssé
la cause del'ordre contl'c les érneutcs d'ulIVl'il'l's. Lellr IUII-




CIIAMBRE DES DÉPUTÉS, -8 NOVEMBRE 1830, 135
gagc, Ijuoiquc illjusle dans une foule d'occilsions, n'arien de
provoquant; ils ne font pas d'appel it la force, ils ne cherchent
pas a exciter des séditions, lis peuvent souvent se tromper,
mais je ne vois pas qu'ils aient un caraclere l'évolutionnaire;
je les trouve dans les limites de la liberté de la presse.


Et pourquoi? paree qu'ils ont encore l'empreinte de la
lutte qu'ils ont soutenue peurlant dix: ans, parce qu'ils sont
eux-memes sOlltenus par les habitudes qll'ils ont prises, pal'
les vertu, qu'ils ont acquises, parce qu'ils sont contenus dans
les justes limites de la liberté constitutionnelle, quí est rude,
mais jamais anal'chique.


11 en est autrement d'un certain nombre de journaux nou-
veaux, Nés du sein de la révolution, de l'ivresse de la vi c-
toire, ceux-lil, je les trouve pleins de doctrines anarchiques,
pleins d'appels 11 la force, de menaces adressées it toutes les
existences établies, a tous les droits reconnus, 11 l'ordre légi-
time tout entier. lis ont il mes yeux, et je crois aussi aux
yeux du puhlic, un caractere différent de celui des aneiens
Journaux.


Je ne dis pas ceei par une sorte d'artitice, pour opérer une
division parmi les organes de la liherté de la presse : je le dis
parce que c'est lil un fait grave, qui caractérise la presse pé-
riodique, et qui montre a quels principes se l'attachenl ses
diffél'ents OI'ganes.


Mainlcnant, qu'allez-yous faire par la suppression du cau-
tionnement? Elle n'inLél'csse en aucune fafion les anciens
journaux; ils sont 1101'S de la question. Vou:; allez ac.col'del'
une faveu!' uniquement aux journaux nouveaux, aux jour-
naux qui sont empreinls d'un mauvais caractere, aux jour-
I1aux qui lI'ont pas soutellu la gnUlde luHe dont nOlÚ¡ sommes
sortis üetol'ieux, aux joul'llaux qui 50nt nés du premier
cnivrement el des prernicrs désordrcs de la victoire.


Non-seulement cela est mauvais en soi dans les circon-
stances ou nOlls somrncs, mais cela est contraire au principe
fondamental, it I'eoprit ,érilahle de ,"otre gouyerncmcnt; el
¡;c principe, c'esl la Jluhlicilé, e'est la lulle engagée entre le




136 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
bien et le mal, entre la vél'ité el l'erreur. Toutes les forces
sont appelées a se produire; elles sont aux prises sur la place
publique, devant la mison publique qui les juge. Le caractere
de eette luHe, e'est la liberté pou!' le mal comme pour le
hien. La lutte effraye beaueoup de gens, quand ils la voient;
ils voudraienL empccher le mal de se produire, ils voudraient
lui retirer sa liberté j ils se trompent. Il n'y a pas de liherté
pour la vél'ité, 8'il n'y en-a pas poul' l'erreur; il n'y en a pas
pour le hien, 8'il n'y en a pas pour le mal. 11 faut que toutes
les force s paraissent; e'esl la le caractere de notre gouverne-
mento Mais il n'est pas dans la nature de ce gouvernement
de prendre des mesures qui tournent au pl'ofit de la mau-
vaise portion. On ne doit pas de faveur spéciale an mal. JI
n'est pas vrai que le gouverncment soit neutre dans cette
grande luHe de la vérité et de l'errem qui se passe devant
lui. 11 n'est pas vrai qu'il n'ait aucun role ajouel'. Il a un
role a jouer en faveur du bien. Il doit protection au bien et
non pas au mal; il ne doit a eelui-ci que la liberté.


Voulez-vous faire justiee et non pas faveur? suppl'imez les
droits sur le timhre et les frais de poste. eclle suppression
tournera véritablement au profit de tous; ce sera une me-
sure efficace; je n'ai poul' mon compte aueunc objection a
opposer. Je suis porté 11 cl'oire que, dans l'état actuel de la
presse périodique , il Y a quelque exagéralion dans les dl'oits
de timbre et les frais de poste. JI sCl'ait i.t Msil'cr, autant que
cela peut se concilier avec les intérets du trésor, que ces
fmis fussent rédllits; il Y aurait proat pOUl' la presse pério-
dique. Mais, je le l'épete, l'ahaissement dn cautionnemcnt ne
tournerait qu'au profit dcs journaux quí cherchenl i1 répandre
de mauvaises doctrines. Je n'hésite pas a les attaquer dans le
for de ma conscience, ces journaux nés au seín d'une révo-
lution qui, jusqll'a présent, n'a pas connu le mal, mais ou il
peut s'inlroduíre, cal' il n'est pas impossihle que celle l'évo-
1 ution si pure, ['i nationale, Boit souillée. 11 cst de votrc
devoir de la présel'\'cr, de veiller a écarler tout désonlrc qui
tendrait a la cOI'rompl'c, i.t y fairc pénétrcl' le mal. Gardcz 11 la




CHAMllHE DES Dl::PUTÉS.-O NOVK\IBRE 1830. 137
Fl'ance l'innocence, la puret6, I'houneteté de sa révolution de
1830. Ce n'est pas seulement un aete moral, c'est un aete sa-
Jutaire. Vous prendrez une mesure de salu! pllblic; car,
c!'oycz-moi, son existence tranquille, réguliere; I]eureuse, est
iutéressée a la consel'l'ation de Fon caraetere primitif, tout
aussi bien que son honneu!'. JI ne s'agit pas seuIement de
maintenil' I'honneur de notre yietoire, mais la tranquillité, la
régularilé de I'état social; le bonheur public est altaehé a son
honneur.


Je yote contre tout alJaissement el toute suppression des
cautionnements, el pour la réduction, s'iI y a lieu, des frais
de timbre e! de poste, en me rallian! a l'amendement de
M. Barthe.


- Séance du 9 novembre 1830.-


M. GUlZOT. - le regrelte d'avoir 11. l'amener l'aUention de
la Chambre sur la discussion qui s'est élevée hiel'. Je n'ai
aueun désir de venir réclamer a celte tribune des rigueurs
ínutiles. Ce n'est pas l'amendement du préopinant que je
"iens repoussel'; si la Chambre juge convenable de donner
aux journaux nouveaux un délai de deux ou trois mois pour
faire IcU! cautionnement, je ne m'y oppose en aucune falion.
Ce n'esl pas pour l'eslreindre telle OH telle liberté que j'ai
pris hiel' la parole. e'es! pom signaler un fait, un danger
grave dans l'état actuel de la presse, et pOUl' fonder sur ce
fait, sur ce dangcJ', la nécessité de maintenir 18 llcsure géné-
rale dll cautionnement. Je ne monle alljourd'hui it la tribune
que pOU!' l'epousserdes allégations qlli s'adl'cssent a l'ensemble
de nolre situation,et ala conduite qucj'ai tenue pendanl que
j'avaisl'honnelll'de siégel' dans les conseils du Roi.(Sensation.)


Ce n'esl point d'exagération que j'ai aecusé quelques-uns
des journaux l1ouveaux: e'est d'eITcur radical e, c'esl d'une
mauvaise influence. L'exagéralioll semble n'indiqllel' que
I'exces du bien. le tl'ouve ces joul'Ilaux radicalement mauvais;




138 HIST01HE PAHLUfEYfAIRE DE FHAKCE.
leut· langage serait modél'é qu'ils n'en seraient pas moins
dangereux; leul's doctrines me paraitraient aussi mlU1'aises,
les passions qu'ils fomentent aussi fune~tes, quand bien
meme leur langage serait exempt de toute exagération.


11 y a ici une question fondamentale, el qui n'a pas encore
été posée dans loule son étendue. La révolution qui vient de
s'accomplir est considérée sous deux points de vue tout a fail
différents. On l'enlend de part et d'aulre de deux manieres
diverses. On nous a plus d'une fois accusés, mes ami s el
moi, de ne pas comprendl'e la révolution de JuilIet, de ne
pas etre ce qu' on appelle dan s le mouvement. de ne pas la
continuer telle qu'eIle a été eommeneée. La est la question.
Qui comprend vél'itablement la révolution de JuiIJet? Qui
est dans son mouvement? Qui I'a continuée comme elle
a cummencé? J'acceple pleinement eeHe question; je la
pose moi- meme entre nos adversaires et nous (écoutez!
écoutez!) , et je dis que ce sont eux qui ne compren-
nent pas la révolution de JuiUet; que ce sont eux qui,
au lieu de la continuer, la dénatUl'eraient, la pervel'tiraient.
(Mouvements ensens divers.) Je suis obligé de parl~r avee une
extreme franchise. (Oui, oui, c'est tres-bien; parlez, pal'lez.)
Je dis que e'est nous qni sommes dans le mouvement de
notre belle révolulion, que c'est nous qui avons travaillé 11.
lui conserver son vél'itable earactere, et que nos advel'saires,
au contrail'e, tl'availlent ale dénaturer, et ponr dire tonte ma
pensée, a le pervertir. Je n'ai pas besoin d'ajouter que je
n'aeCllse l'intenlion de pel'sonne.


Le grand fail qui a fl'üppé la France et l'Europe quand la
la révolulion de 1830 s'cst aceomplie, e'est j'unanimité du
pays; c'est l'élan, l'üssentiment généraI de la France. Mais
cl'oyez-vous, messielll's, que cctte unanimité fUt complete?
Est-ce fJu'il n'y avait pas, au milieu de cet élan qui a em-
porté la France entiel'e dan s le moul'ement, des diversités
d'opinions el d'intenlions? Cl'oyez-vous que le fait accompli
a réellement sati~füjt, au momenl de son accomplisscment,
lous les désil's, lous les intérct~? lléellernent non. Aueun de




CHAMIlRE DES DEPUTÉS.-9 NUVE-MDRE 18iJO. 139
nous n'a oublié ce qui s'est pas~é dan s les pl'cmiers joul's.
Que] a été le caractere de eette I'évolutíon '1 Elle a changé
une dynastie, mais en resseran t ce changement dans les
plus étroites limites. Elle a cherché le I'empla{:ant de la
dynastie changée aussi pres d'elle qu'elle le pouvait. El ce
n'est pas sans intention; je ne parle pas de desseins prémé-
dités; je dis qu'en fait l'instinct public, l'instinet de l'íntéret
national a poussé le pays a restreindre ce changement dan s
dans les plus étroites limites possib!es. (Sensation.)


Ce qui s'est fait quant a la dynastie, quant aux personnes,
s'est fait également quant aux institutions: aueun de nous ne
peut avoir ouhlié ce qu 'on demandait dans les journées de
la révolutíon. Certaines personnes réclamaienl une constitu-
tion toute nouvelle, ne voulaient tenir aucun eompte de la
Charte au nom de laquelle on s'élai t ballu, invoquaient,
dis-je, une eonstitution fondée sur des principes différents,
rédigée, adoptée dan s une autre forme. 11 y avait dOIlC,


\ quant aux institutions et aux principes qui devalent prési-
del' a la révolution de Juillet, un dissentiment réel.


JI y avait des hommes qui n'étaient p'as d'avis de ce qui
s'est fait, qui désiraient qu'on a1l&t plus loin, dan s une autre
direction. Eh bien, leur opiuion n'a pas prévalu. Le fait a
déposé contre elle. Je n'en fa.is honneur a la sagcsse de per-
sonne. Ce sont la des événements supérieurs a la sagesse in-
dividuelle, des événements qui se font par eux-memes, des
événements qlli sont l'oellvre de la nécessité généralc, de cette
raison universelle qui rernplit l'atmosphel'e, et qui dirige la
conduite des hommes, mcme a leur insu. (Mouvement
d' adhésion.)


11 étai¡ dans ]'intél'et génél'al de la Franee que nolre révo-
Illtion se fit eomme elle s'est faite, c'est-a-dire qu'elle aecep-
tat le passé, qu'elle le ménageat, qu'elIe ne se jetat pas en
aveugle dansdes carrieres ineolllllles, qu'elle respectat tous
les faits, qu'elle tl'ansigcat avec tous les ¡ntérets, qu'elle se
pl'ésenlat a l'Europe sous les formes le plus raisonnables, les
plus douces, qu'elle se módérat elle-memo, qu'elle se contint




140 HISTOIRE PAl{LEMENTAIRE DE FRANCE.
au moment me me Ol! elle s'accomplissait. "oilil quel a été
son caractere a son origi~e; voila ce qu'on a faít pat' la
seule impulsion de la nécessilé, de la raison générale.


Au bont d'un certain temps, l'empire de eelte nécessité,qui
avait d'abord pesé sur tou! le monde, ne s'es! pas fait sentir
avee la meme force. Les divel'si tés naturelles ont pam;
cbacun est retourné 1:1 sa pente, el nOUE nous sommes retrou-
vés en proie aux memes dissidences 011 nous étions aupara-
"ant, et qui avaient élé élouffées, contenues, par la force
des événemenls.


Cest aJors que s'es! posée la question de savoit, qui como
prenait véritablement la révolution, qui élait ou n'était pas
dans son vérilable mouvement.


Les uns, je n'hésite pas ilJe dire, ont voulu la faire dévier
da caraclere qu'elle avait revetu a son origine; ils ont voulu
qu'elle continuat autrement qu'elle ne ~'était faite; ils ont
imoqué, pour la suile de la révolulion, les memes principes
d'aprcs lesquels, si on les avait adoptés dans son origine, on
aurait fait autro c~ose que ce qui s'es! fait. Ils ont invoqué
I.es memes principes en vertn desquels on anraít fail une
constitntion toute nouvelle, on se serait jeté dans des voies
bcaucoup plus basardeuses. e'esl an nom de ces memes doc-
trines, de ces senlimenls qui amient élé batlus, passez-moi
l'expression, dans le bereeau di' la ré\'ollltioll, el n;lIi n'étaient
pas parvenus a la dominer, qu'on est venu demander de la
continuer.


Eh bien, messieurs, mes amis et moí, nOU8 nous sommes
refusés a la conlinner de la sorteo (Vive sensalion.) Nous
avons demandé a la continuer telle qu'elle s'élait faite, a
rester fideles a son berceau, fidcles a cet esprit de conci-
liation el de modération, ¡. ce ménngement de tous les
intérets, a ce balancemenl impartial entre le passé el le pré-
sent qui avaíent présidé a nos premiers actes.


Nous croyons avoir été fidclcs en cela, non-seulcment au
caractere primilif de la rél'olution, a sa vérilable nature,
mais a I'opinion réelle el sincere el aux véritables inlérels




cIIA~mnE DES DÉPUTÉS.-9 NOVE:MBRE: 1830. 141
de la France. (Vi! mouvement d'adhésion.) Je vous demande
la pennission d'al'ri)tel' encore un moment votre pensée sur
ce point. (Oui, oui, continuez, continuez.)


Je prie la Chambl'c, et en particulier ceux de ses honora-
bles memJJl'es qui pOUJ'raienl ne pas penser comme moi, dc
m'accordel' une extremc indulgence quanL a mes paroles. Il
ne serait pas impossible qu'elles allassent quelquefois au
dela de ma pensée, el qu'il m'arrivat d'inculper plus sévere-
ment que je n'ai l'inlenlion de le faire des opinions, des
doctrines, des conduites qui difIerent de la mienne, que par
conséquent j'ai blil.mées, et que je Llilme encore, mais que je
n'accuse point. (Sensation.)


Derriere l'opinion diffél'ellte de la notre sur la maniere
d'envisager la l'évolution de Juillet et de la conduire, je


.trouve trois choses, trois forces. Je trouve des idées républi-
caines, des passions et des prétentions exclusil'es.


Je dis, messieurs, que la France n'a ni des idées républi-
caines, ni des passions al'dentes, ni des pl'étentions exclusives.
(Marques tTes-vives d'adhésion.) Quiconque se présente poussé
par ces trois forces, marche au reboUl's de la France et n'est
pas nalional. (Tres-bien, tres-bien! ... Bravo 1) •


J'bonore la l'épublique, messieurs ; e'est une forme de
gouvemement qui repose sur de nobles principes, qui éleve
dans l'ame de nobles sentiments, des pensées généreuses. El
s'il m'était permis de le dire, je répéterais ici les paroles que
Tacite mel dans la bouche du vieux Galha: «( Si la répu-
« blique pouvait etrc rétablie, nous étions dignes qu'eIle
el eommencat par nous. » Mais la France n' est pas répu-
blicaine. En fail, sa situation géugrapbique, sociale, politique,
tous ses intél'eLs matériels son1 contraires iJ. celte forme de
gouvernement qui la mettl'ait en querelle avee l'Europe, el
,en trouble dans son pwpre sein. Nos opinions 8'1' opposent
également: la pensée de la France n'cst pas républicaine.
(Meme moitvement.)


Jl y a de la répuhlique dan s les IllffiUl'S de la France, dans
les relations des ciloyens entre cux; mai,; l'intcntion de la




14t HISTOIRE PAHLE~[E\TAIRE DE FHAXCE.
France n'est pas répuhlieaine: il faudrait faire violenee aux
convietions, aussi bien qu'aux inlén:ls de la Franee, pour y
introduire ecHe forme de gouvernernenl. Partout done oil
eette pensée se rnanifeste, ou elle exel'ce son inflnence, par-
toul oil l'on travaille a pausser la nation dans ce sens, on la
pousse contre son propre désir, contre son inléret. La pensée
de la France, je lé répete, n'est pas républicaine, et elle a,
dans mon opinion, raison de ne pas l'etrc.


La France n'est pas non plus passionnée; ce qui domine
aujourd'hui dans le pays, ce n'est point un désir ardent de ~e
porler yers tel ou tel but lointain; e' esl la modératlon, le
bon sens. Tout le monde le répele : le bon sens, la modéra-
lion es! aujourd'hui le cal'uctere général.


On a rappelé tout a ¡'heure ce que nous avions fait a
l'égard des sociétés populaires : je ne veux le désavouer en
aucnne fac;:on; mais le pays, la Franee l'avait fail avant
nous. Le mouvement qui s'est manifesté contre les soeiétés
populail'es, ce n'es! pas du gouvernement qu'il est émallé j
c'était un mouvement spontané, naLional, populaire, qui
s'esl fait, non-seulement a Paris, mais dans toute la France.
11 y a tel honorable memhre de cette Chambre, élu par les
élecleurs les plus libéraux de son pays, qui a cru devoir
prendre l'engagement, non pas écrit, mais moral, de
réprouver les soeiétés poplllaires, tant elles sont contraires
au sentiment du pays, tant le souvenir de l'influence déplo-
rabIe qu'elles ont exercée préoccupe encore, peut-etre trop,
les imaginations! (Vive sensation.)


Quieonqlle aujourd'hui paraitra agir en Franee par des
passions ardentes, prcssées d'arri ver a leur hut, ne tenant nul
comJlte des obslacles, sera contl'aire a l'esprit de la France,
el n'aura pas le droit de se prétendre nalional ; car, encore
une fois, e'est le bon sens, la modération, la paticnce, qui
sont aujourd'hui le caraetere de l'esprit franc;:ais. II n'y a pas
lieu de s'en élonncr; apres une révolution telle que eelle que
nous avons subie, les peuples, non-seulement sont détrompés
de heaucoup d'errems, mais ils sont fatigués, ils ont besoin




CHAMBRF. DES DÉPUTÉS.-D :\"OYEMBHE 1830. 14.i!
de reposo JI n'y a done rien d'étnnnallt que la France soiL
aujourd'hui rnodél'ée. 11 serait rncncijjcllx qu'elle !le le fUt
point.


Les prétentions exclusives ne sonL pas plus dans le gout de
la France que les passions arden tes et les lhéories républi-
eaincs. Voyez le jugcrncnt que chacun de nous porte sur ses
voisins, sur les homrnes qlli ne partagent pas ses opinions.
Est-ce un jllgement violent, rigoureux"? Non; nous avons
appris 11 nous comprendre les uns et les autres, a nous
rendre mutuellement juslice, 11 savoir qu'il ne faut pas,
parce que nous différons d'opinion S\ll' tel ou tel point,
DOUS eonsidérer nécessail'ement comrne ennemis. n ya de la
justice et de l'irnpartialilé en Franee. II est dans le vreu du
pays qu'on rende jusliee a tout(lS les qualités. Par exemple,
en matiel'e d'adminisll'ation, il est Ilans l'instillct du pays de
ne (las juger du mérite d'un administrateur uniquernent par
t.elle ou telle opinion poli tique, en raison de tel ou tel anté-
eédent parliculier. On veut Icnir eompte de sa situation
soeiale, de son cara etc re moral, et on subordonne souvent
les antécédents politiques a des considératiolls d'une autre
natUl'e.


PourlJuoi un el'i s'esl-il éleyé si souvent en France contl'e .
les réactions, eri par ti du fond de foules les consciences?
Paree que les prétentions exclusives, I'intolérance de l'esprit
de pal·ti, I'habilllde de classcl' exclusivcment les hornmes
selon telle ou telle opinion, ne sont plus aujourd'hui dans
l'espl'il de la France; paree que ce n'est pas une disposition
nationale. Et quiconque s'y ¡ivrcrait serait en contradiction
avec nos mecul'S, avec l'espl it fl'an!;ais. (Vi! mouvement
d'adhésion.)


Ainsi, si nous regardons la révolution dans son origine,
dans son cametere polilique, e'est nous qui lui sornmes
fidilles; e'est nous qui somrnes dans son mOllvernent, et ce
sonl nos atlversail'es qui voudl'aienl !'en tlétolll'ller.


Je vais plus loin. Quel esl le grand role auquel la France
est aujourd'hui appelée? e'est évidcmment a fonder un gou-




144 HISTOlRE PARLEMÉNTAIRE DE FRANCE.
'Vernement libre, un gouvernement constitutionnel, sans
doute, mais un vrai gouvernement, un pouvoir qui en possede
l'autorité morale aussi bien que l'autorité de fait. Eh bien,
ce n'esl pas avec des théories, ce n'est pas avec des passions,
ce n'est pas avec des prétentions exclusives qu'on arrive a un
tel résultat.


le respecte les théories; je sais qu'elles sont le travail de
la raison humaine, son plus noble effort pour alteindre a la
connaissance générale de la vérité. Mais la raison humaine
s'égare si souvent, et l'amvre est si difficile que, lorsqu'il
s'agit de la pratique de la vie, les hommes ont grandement
raison de se défier des théories, Si elles étaient vraies, elles
set'aient bonnes; mais il est exlremement rare qu'elles soient
vraies; elles sont presque toujours incompletes, et par con-
séquent fausses. Tant qu'on ne fait que i'aisonncr, le danger
n'est pas grand ; on se trompe et voilil. tout; mais quand iI
fant que les théories deviennent des aetions, quand iI faut
que les idées passent dans les bras des hommes, el remuent
la soeiété, c'est alors que le dangel' de s'y livrer avec une
confianee présomptueuse frappe les esprits. Ce n'est point
avec des théories qu'on fonde les gouvernemenls; c'es1 avec
le bon sens pratique, avec ceUe raison prudente qui consulte
les faits, qui se contente chaque jour de la sagesse possible,
qui mesure sa conduite sur ce qui e8t, el non pas sur un but
lointain, douteux, qu'elle ne peut ni bien apprécier ni
promptement saisir,


Ce n'est pas non plus avec des passions qu'on fonde des
gouvernements, Les passions, je les honore; elles jouent un
grand et beau role dans l'humanité, dans la société ; mais ce
role, ce n'est 11as celui de fondel' les gouvernements ; ce n'est
pas celui de s'adapter aux nécessités des peuples, de bien
connaitrc Jeurs inlérets, de transiger aree tous les droits,
avec toules les existences. C'est par la qu'on fonde des gou-
vernements, et non pas en se laissant a1ler, soit iI. l'incer-
tilude des théories, soit a I'orage des passions. (Vifrnouvement
d' approbation,)




cnAMBRE DES DÉPUTÉS.-9 NOVEMBRE 1830. 1.15
J'en dis autant des prétentions exclusives. L'esprit de partí


joue un grand role dans le monde, mais ce n'est pas quand
il s'agit de donner de la stabilité aux lois et a lous les fails
fondamentaux sur lesquels la société repose; ce n'est pas
avec les habitudes et les forces de l'esprit de parti qu'on ré-
sout un pareil probleme: c'esl avec le respect des lois, le gout
de l'ordre, le ménagement de tous les inlerets; en un mot,
e'est avee les memes forces, les memes moyens qui font la
sagesse individuelIe de ehaeun de nous dans sa vie privée. Il
n'est aueun de nous qui ne sache que, quand iI s'est livré
aveuglément a I'empire decerlaines idées générales, quand íl
s'est abandonné a ses passions, quand iI n'a écouté que ses
prétenlions pel'sonnelles, il a été entrainé a une foule d'erreurs
et de fautes. Il en est de meme dans la vie publique. Nous
sommes ohligés, dan s le maniement des afIaires publiques, a
ctre prudents et réservés comme dans notre eonduite privée.


La, messieurs, réside la difIérence réelle entre nos adver-
sail'es et nous. Il s'agit de savoit'lesquels ont bien compris la
révolution de 1830, lesquels ont été fideles a son cal'actere
primilif, a l'espoir que la ¡<rance en a eon9u, a l'ffiuvre que
eeHe révolution est appelée a fonder. Ce que je "iens de
dire établit eomment, mes honorables amis el moi, nous
l'avons comprise, et pourquoi nous n'avons pas "oulu nous
écarter de ceHe route, et nous avons cru devoir sortir des
conseils du prince, lprsqu'il nous a paru que' nous ne pouvions ,
y faire prévaloir nos opinions et nos désirs. (Sensation
prolongée. )


le ne pense cependant pas, messieul's, que nos successeurs
veuillent se conduire autrement. La force des choses pese sur
eux comme sur nous. lis sont hommes éclairés ; ils sont bons
citoyens comme nous. La dilférence qui a pu exister entre
nous, pendant que nous siégions ensemble dan, les conseils
du prince, je n'hésite pas 11 le di re, est déjl1 bcaucoup moins
sensible. (Écoutez, écoutez.) Déjil. ils tiennent, avec des ménas
gements plus ou moins étendus, la conduite que nOllS aurion-
tenue. Quiconque sera appelé 11 diriger la révolution dans les


T. L ro




H6 HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAXCE.
voies du gouvernement sera ohligé de la compl'endre comme
nous l'avons comprise. fons les parlis peuvent y etre sueces-
sivement appelés. Les opinions les plus diverses, les passions
les plus al'dentes, les prétentions les plus exclusives peuvent
etre obligées d'enll'el' dans eeUe carnere du gouvernement;
elles y seront soumises aux me mes necessités; elles porteront
le meme joug; ce qu'elles ont de faux sera vaincu par la
torce des choses. Elles seront obligées de eonsidérel' el de
continuer la l'évolution de 1830, non pas comme Ol! la
demande dan s quelques journaux, .inais comme nons l'avons
nous-memes comprise. Quiconque voudra lui faire poi'ler
d'autres fruits la détournera de ~on caraetcre primitif, de la
pensée naliona:le, de son ,'él'ilahle bul, la pervel'tira an lieu
de la continuer. (jlouvement trp,s - prunoncé ¡/'adh¡5sion.
Sensation prolongée.)


Le débat s'etant prolongé el animé, .ie rus amené ;'\
reprendre, dans la mcme ~éance, la paro[e, en réponse
it 1\1. Odilon B"rrot.


1\1. GurZOT. - J'avais évité toul ce qui pouvait amene!' les
personnes dalls 1i1 discussion, ,!'aurais désil'é qn'clle put per-
sévél'er daos cette ,"oie; je J'cgrctte qll'elle en ait été détour-
lJ(;C; mais puisqu'il en a été ainsi, il m'est impo~sihle de ne
pas ahorde!' moi-mcrne la trihulll' pOli!' dOllllCl' qllel<Jllcs
explicaliolls i¡ la ClJambre.


II doit elle évident qu'i] ne s'¡lgit, entre les orateul'S qui
lO'Ol1t Jllécédé 11 cctte trihune et muí, d'aucune queslion pel'-
sonl1clle : ii ne s'eot pasEé cntre llOUS aucun fait qlli puissc
allérer ¡'eslime récipl'oque que oC doivcnt des hommcs de
eUIlscience el de conviction, 1l ne s'agit réellement. (¡ue de
deux sy:ótcmes de gOllvcl'Ilcmcnt, de deux manieres de cOllSí-
dél'l'l' nnlre n;rollllion, el les cOllséqul'nces qui en doivent
sortil'.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-9 NOVEMBRE 1830. 147
Je n'ai ,jamais regal'dé la révolution de 1830 comme une


continuation de la Restauration; je n'ai jamais CI'U que le
principe de la Restauration cUt survécu an mois de Juillet:
je rai tOlijours pensé, el je le répete : la révolution de juillel
esl une véIitable révolution; au principe de la légitimité
héréditaire a élé substitué momentanément, du moins je
I'espere, le príncipe du choix du peuple. Mais ce principe ne
préside pas a notre gouvernement, cal' nous sommes revenus
an principe de I'hérédité qui sera maintenu, je n'en doute
pas, 'au profit de la dynaslie actuellemenl régnante. A mon
avis, cette légitimité toute rationnclle, qui n'a rien de sem-
hlahle a I'ancienne légitimité, peut seule sauyer l'État. En
meme lemps que je proclame le droit éternel d'un peuple
de se séparer de son gouvernement des que ce goul'erne-
ment lui devíent hostile, je maintiens au~si que ce prin-
cipe ne peul présider uu gouvernement nouveau que l'on
suhslitue a l'ancien, cal' c'est le príncipe des révolulions. JI
faut qu'il reste dan s le crelll' des peuples, qu'il y vive a
jamais; mais ils ne doivent pas croire que ce droít repose
sur leur seule volonté; il ne repose que sur la nécessité,
l'inévitable nécessité, et c'est par la que notre r¿volution e~t
légitime, car elle était nécessaire. Non, messíeurs, ce prin-
cipe qui a présidé a notre révolution ne doit pas présíder a
notre gouvernement : cclui qui y préside Hujonrd'hlli, qui
doit 'Y présider longtemps, c'est le principe de la légitímité
héréditairc.


Je suis rentré presque in \'olontairement dans ccHe discns-
sion générale que la Chamhl'c pnuvait croil'c fermée; je rc-
viens acelle des personnes, 'lui en ce moment e~t la 'iérit"hlc.


La dissidence qui s'est manifestée entre ....... Je
regrette de nommer les personnes, mais j'y suis contraint;
la dissidenee qui s'cst manifeslée entre M. le préfet de la
Seine et moi, comme ministre de l'intérieur, était anlérieure
it la proclamation dont on vient de parler, el M. OJilon
Barrot peut ici l'afflrmcr lui-meme; seulement elle a éclalé
a l'oceasion de eelte proclamation. Elle s'était déjit montréc




148 iIl:,;'l\ouü~ l'ARtEMENl'AíRE bE FRANCÍ<:.
dans nos eonversalions, dans nos rapports journaliers. Nous
nous étions franehemenl expliqués, eomme nous devions le
faire; nous savions forl hien l'un et l'aulre que nous sui-
vions des lignes diverses. Il a agi dans sa voie, j'ai agi dans
la mienne. Ainsi, pour citer un fail ou notre dissidence s'était
déjil prononeée bien netlement, dans eette procession solen-
nelle qui ayait pour hut de transporter au Panthéon les
lJUstcs de deux défenseurs de la liberté, les choses se sont
passées, de la part de .M. le préfct, tout aulrement que je
l'eusse voulu. Je ne pense pas qu'il dlit intervenir eomme
magistral, ni meme moralemcn.t dan s eetle affaire; je ne pense
pas qu'il dlit recel'oir Ieshusles a rUülel de ville. Notre dissi-
denee n'a eependanL éclaté qu'au sujet de la proelamation.


Je dois le Jire, je regrette qu'on ait ici abordé de nouveau
ceHe question ; j'aurais voulu qu'on n'en parlat pas devant
la Chambre, paree qu'il me semble qu'une portion eonsidé-
rabIe de la Chambre pense a cel égard autrement que moi.
Cependantje dois ici dévoiler ma pensée tout entiere.


J'ai participé a l'adresse de la Chambre par mon "ote, el a
la réponse du Roi par mes avis dans le conseil, paree que j'ai
cru avoir raison d'en agir ainsi a la Chamore el dans le eOll-
seil. le I'al'oue, je ne porte aucun intérCt au ministere
tombé; je n'ai jamais eu la Inoindre relation avec \'un de
ses memhres. le les crois coupables ..... le suis désolé
d'avoir a en parler, mais je aois le dire ..... Je les erois
coupaLles du plns granrl crime que Jes hommes au pouvoir
puissent jamais commettre : je croiti qu'jl ne peut y avoir de
doule sur le ehatiment qui les atlend. Mais j'ai la convietion
profonde qu'il est de l'honneur de la nalion, de sun honneur
hisloriqlle, de ne point verser lem sango (Sensation.) J'ai la
comiction qu'apres a"oir challgtl un gou\'ernemenl, reno u-
velé la face du pays,e'est une eh ose misérable, et par eonsé-
quent inutile, de venir poursuivre ulIe justiee mesquine iI.
coté de cette justice immense qui a fmppé, non pas quatre
hommes, mais un gou\'ernement tout eutier, une dy-
nastie (out enticl'l', tout IIn orclrt~ de prillcipes. Qlland la




CIIAMBRE DES DÉPUTÉS.-9 NOVEMBRE 1830. 149
France s'est fait justiee, venir demander un sang qu'il est
inutile de verser, cela me parait mauvais, et je le blame
comme tel. Tout ce dont nous n'avons pas besoin, et un be-
soin absolu, nous ne devons pas le faire. Je le répcte, notre
révolution était appelée ii. donner un exemple immense, et
elle I'a fait, paree qu'elle avait beso in de le faire; mais ce
besoin aecompli, que la nation consulte ses sentiments de
eompassion, d'humanité, eeUe foule de sentiments, en un
mot, qui peuvent bien s' éteindre un moment daos le coour des
peuples, mais qui ne manquent jamais d'y renaitre. Toutes
les révolutions ont versé le sang, mais trois mois, six mois
apres, ce sang meme a tourné contre elles. 11 ne faut pas ren-
trer dans eette orniere sanglante dont nous sommes sortis,
me me pendant le combat.


C'est avec celte conviction que j'ai voté l'adresse au Roi;
non pas dans I'intention d'obtenir l'abolition générale de la
peine de mort, car, selon moi, elle ne peut etre abolie. Ce
n'est pas en six semaines qu'on peut bouleverser tout notrc
Code pénal; el je suis bien aise de saisir ici cette oecasion de
faire ma profession de foi. Je ne pense pas que la société soit
aujourd'hui assez avancée pour pouvoir établir dans son sein
l'abolition de la peine de mort. Pour arriver la, illui faudra
peuhetrc encore bien des siecles. l\fais je reconnais que, pour
les crimes politiqlles, la peine de mort n'est plus bonne a rieo.
Je I'ai dit en 1820, et j'ai le droit de le répéter ici, on ne
doit point prononcer la peine de mort en matiere poli tique.
J'ai défendu ce prlncipe en faveur du général Berton, jc l'ai
défclldu pour les accusés dans la conspiration de Béfort.
(Sensation.) J'ai réclamé l'abolition de la peine de mor! pour
eux, je puis encore le faire ici pOUI' d'autl'es. Je persiste dans
mon opinion. C'est parce que l'adresse de la Chambre m'a
paru propre a batel' ce résultat que je l'aí appuyée, el non
assurément pour l'abolition générale de la peine de mor! qui
me parait une chimere. (Sensatlon.)


Je viens a l'article du Moniteur que M. le préfet de la Seine
a cité. Je regrelte d'avoir il entretenir la Chambre de fails qui




150 HlSTOlRE PARLEMENTAIRE DE FRA.:'<CE.
me sont tout personnels; mais cette discussion m'y oblige.
Je l'avoue : dans mon ministere, je n'ai pas fait tout ce que
j'aurais voulu faire; j'ai fait des choses que je voudrais au-
jourd'hui n'avoit· point faites; mais parmi elles, il n'en est
qu'une seule qui, a mes yeux, soit réellement grave: c'est le
consentement que j'ai donné a cet article inséré au Moniteur.
11 était contre mon opinion, contre mes principes; de plus,
je ne trouvais point qu'il fUt convenable, apres la réponse du
Roi qu'i! contredisait formeUement. Je ne peuse pas que le
gouvernement, le comeil put blamer la réponse faite 11
l'adresse de la Chambre. Cet article du Moniteur, c'était une
maniere de dil'e qu'on n'avait jamais songé a présenter la loi
demamlée par l'adresse. On détournait le résultat vers lequel
on avait d'abord tendu. Je le répete, j'ai eu tort de consentir
a cet article du Moniteur; c'est la seule faute grave que je me
reproche, et je devais le déclal'er a la Chamhre.


La proclamation de M. le préfet de la Reine était encore
heaucoup plus explicite que l'article du llfoniteur. Celte
proclamation ne eonlenait aueune phrase que put désavouer
un magistrat pro be, éclairé; elle faisait rougir quelques
hommes égarés de leur ivresse: elle n'avait Jlour but que de
réprimer de coupables exces; elle était bonne en soi; mais,
sur la question de la peine de mort, elle était compléte-
ment contraire a mes opinions. J'ai Cl'u que c'était la un
symptóme évident de nolre dissidence sur la dil'ection géné-
rale du gouvernement, le symplóme définitif apres lequel il
ne nous était plus possible de marcher d'accord ; aussi ai-je
empeché I'insertion de la proclamation au Moniteur, coml!le
la Chambre a pu le remarquer. S'il ne s'était agi que de la
deslilution de M. le préfet de la Seine, j'aurais pu accepter
sa démission; mais il ne s'agissait la ni de lui ni de moi; il
s'agissait de deux systemes : la question ne dépendait pas .
meme de lui sen\. Son sysleme avait des rcpl'ésenLanls dans
le conseil. 11 fallait donc nécessairement qU'un de ces deux
systemes se retinlt. La question ne pouvait ctl'e PM¡(C ilUtl'é-
ment : c'était la sa véritahlc expression.




CHAMBRl': Dl~S D¡;;PUTES,-9 NOVEIlfBRE 1830, 151
J'ajoute : il était nécess:Jire que mon systeme et celui de


mes honorables ami s se retirat devant l'autre systeme.
Tout le monde sait que le ministcre dont j'ai fait partie a


été nommé un ministere:de coalition; ce n'élaitpas, en effef,
autre chose : c'est-a-dire qu'il était composé de nuances fort
di verses de l'opinion nationale et constitutionnelle. Car, j'ai
IJcsoin de le dire, toutes ces nuances entrenl dans l'opinion
nationale, et, en elfet, au moment meme ou nous nous sépa-
I'Ons de nos anciens collcgues, rrous sentons tous profondé-
ment que nous sommes les enfants d'un meme pays, Mes amis
et moi devions Jlons retirer, et le Roi a accepté nos dérnis-
sions; rnais notre ministcre de coalition a été utile pour
rallier autour dn nouyeau gouvernernent toutes les nuances de
J'opinion nationale. Nous arons été utiles 11 prouver que la
révolution de 1830 les pent rallil'r toutes; que cet(e révo-
IlItion était légitirne, nécessaire; nous avons servi, s'il rn'est
permis de le dire, a autre chose encore: a pronver a l'Eu-
rope que, dans eette révolution, il n'y avait point de principes
anarchir¡ues, et qu'elle pouvait la voir sans crainte, puisque
des hornrnes cornme nous, des hornrnes écIairés, des hornmes
connus par leur amou!' de I'ordre, s'y étaient sur-le-charnp
ratlachés, Je puis done di re, non pas pOUl' moi, mais pOUl'
mes honorables amis, que nous avons un pen contribué
a eelte prornpte recollnaissance dont l'Europe a saIné
notro jeune royuuté. C'est un service rendu a la France
et a l'Europe par un ministere de coali lion, comrne était le
nOtre.


Qualld il a fallu marcher, il est devenll évident que le
conseil avait besoin de plus d'hornogénéité et d'accord qu'il
u'en pOllvait avoil'aYl'c nOlls; il est devcnut'vidcnt qu'rm préfet
¡le pomait dilférel' avce son minislre, el qll'il l'allait qn'une
partie dn rninistcre se retirát, devan! I'antrl', Je le répe(e : les
ministercs de c()alitioll ne SOllt {la, des ministere3 de gOIll'er-
mentí ii faut avant lout, duns un cons,~i\ 'lui "ellt agil', de
l'homogl;néitl\; e'est it el: prix selllcmout qlle lo gUll\'el'lle-
ment pent s'alfcnnil' el rImel'. J'ai ~enti le premier le "ice




152 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
d'nn rninistere de coalition : je l'ai profondément senti, et
yoiliL la véritable cause de dissidence entre deux hommes
qui s'estiment et s'honorent, j'ose le dire, mais qui n'ont
pu, qui n'on1 pas dü marcher ensemble. - (Sensation pro-
longée.)j




XVIII


Discussion d'un projet de ¡oi relatif lt la répression de. délit.
de la presse.


-¡Chambre des députés.-Séanee du 25 novembre 1830.-


Le gouvernement avait proposé, le 5 octobre 1830, a
la Chambre des pairs un projet de loi pour modifier
l'article 2 de la loi du 25 mars 1822, relatifaux attaques
« contre les droits que le Roi tient de sa naissance et
ceux en vertu desquels il a donné la Charte.o Ce projet,
adopté le 14 octobre par la Chambre des pairs, fut pré-
senté le 13 llovembre, par le nouveau cabinetformé le
3 novembre, a la Chambre des députés; il devint, le
25 novembre, l'objet d'une discussion dans laquelle je
pris la parole pour maintenir le vrai caractere de la
révolution de ¡uillet et la politique que j'avais exposée


. et pratiquée comme membre du cabinet précédent.


M. GUlzoT.-Le projet sur lequella Chambre va délibérer
rencontrera probablement peu d'objections; peut-etre meme,




154 HISTOlRE PARLE~JE:\TArhE DE FHAXCE.
si je n'avais uemandé la parole, il eut passé sans débats. Il
est cependant d'une haute importan ce ; il fait une grande
chose; il efface de nos lois pénales lout un systeme de prin-
cipes et lui en sllbstitué un aulre. II écrit dans nos lois les
principes fondamenlaux de nolre derniere révollltion, et en
fait la base de nolre droit publico Son adoption immédiale,
non contestée, est a coup sur le meilleur témoignage de
l'unanimité de sentiments qui regne dans celte Chambre, et
de sa ferme adhésion iJ. notre révolution.


Mais au dehors, des ohjections s'élevent, des attaques sont
dirigées contre le pl'incipe fondamental de ce grand événe-
ment. On l'accuse de n'etre qu'une usurpation, un acte de
violence, un simple f<lit dépourv!l de droit; on lui conteste
la légitimité qu'on revendique exclusivement au pl'otlt d'un
systcme el d'un gomernement différents.


En fait, messieurs, de telles ohjections, de teIles attaques
sont san s puissancc, sans efficacité; mais elles ne sontjamais
sans importance : il est nécessaire de les repousser. C'est
Fhonneur des peuples de ne pas accepler le régime de la
forca pure, de ne pas vOl1loir' ohéir a un simple faít, a un
acte de violence, d'avoil' besoin de croire que le pOllyoir
auquel ils ohéissent a droit sU!' eux, d'avoil' besoin d'elre
convaincus de sa légitimité.


11 est done indispensable, dans l'intéret du pouvoil' lui-
meme comme du repos des esprils, que les atlaques dirigées
contre l¡¡.légiti¡nit~ dp notre l'évolution et dll gOllvernement
qu'elle a fonqé sojen! halltemcnt repoussées. Nous ne pou-
vons aceepter et laisser passer inapcq;us aueune des asser-
tions, aucun des J aisonnements sur lesquels on prétend se
fonderpoUl' conteste!' la légitimité de ce que nous avons fail.


C'esl sous ce point de vue que je viens sOlltenir le pl'ojet,
c'est-a-dire affirmer la légitimité du gouvernement aetuel et
de l'insertion de ,es prineipes dans nos lois.


11 ya, messicurs, dans notre révolution, un caractere que
plus d'une fois déjil on a remarqué, el qu'il importe de ne
j::tmais oubliel': e'est <¡n'eHe a été imprévue, imprévllc pour




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-25 NOVEMBRE lasO. 155
tout le monde, du moins dana le mode de son exécution,
Jlour ceux qui I'ont faite commo pour ceux qni I'ont suhie.
El do meme qu'elle a été imprévue, elle a été universelle;
elle s'est accomplie presque au meme moment, non-seule-
ment dans Paris 00 la batajlle s'est Ijvrée, mais dans la
France entiere. Nous sammes absol'hés par Jes événements
de Paris, et nous oublions trop qu'au meme instant, sponta-
ment, san s altendre les nouvelles de Paris, sans les 8avoir,
dans une foule do villes de pravince, a Réthel eomme a
Nantes, sur la simple arrivée des fatale~ ordonnanees, le dra-
peau trieolore fut arbaré ot la révoluLion commencée. Et
pendant que le mouvement en faveur de la révolution était
ainsi spontané, nulle part un bras, une voix ne se sont
éJevés pour le comhaltre. Ce que prouve ce fait, messieurs,
c'est qu'il n'y a en) dans la révolution de Juillet, aucune
préméditation, aucun complot, aucune conspiration. Plus
d'une fois, depuis quinze ans, nons avons vu des complots,
des séditions: rien de pareil dans le mouvement de Juillet;
aucun caraclerc, je le répele, ni de préméditation, ni de
conspiration; aucune trace d'nne volonté particuliere, d'un
plan renfermé dans une certaine c1asse d'hommes : c'est un
mouvement national, national dans sa spontanéité, dans son
universalité; la maniere dont il a été accompli ne peut laisser
aucun doute 11. cel égard.


Ce mouvement nationa\ n'a-t-íl été qu'un moment
d'emp0l'tement, un aeces qui s'est tout a coup emparé du
peuple entier? Non, messieurs, cette révolutíon si soudaine,
si spontanée dans son explosion et dans son mode d'exécu-
tion, elle se préparait depuís longtemps; elle a mliri lente-
mento Depuis quinze ans, depuis dix ans surtout, nous y
marchions, de ¡'aveu de tout le monde: e'est le singulier
caractere de cet événement qu'en ml!me temps que, dans son
mode d'exécution, il a été imprévu pour tous, il élait
au fond, depuis quelque temps, pl'évu de tous comme
inévitable, et aecepté presque de Lous comme néces-
saire. Meme avant d'etl'e aocompli au dehors, ill'était dans




156 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
les esprils; il a été inaUendu et prévu en meme temps.


Messieurs, je ne voudrais faire aucun appel aulo passions,
ni réveiller aucun souvenir révolutionnaire ; mais pour bien
faire comprendre le véritable caractere de nolre révolution
el sa légitimité, je suis obligé de remonler un peu haut
et de reprendre l'histoire de la Restauration. Je n'ai aucun
dessein de meUre la Reslauration aux prises avec la révo-
Iution, ni de relever ce pro ces tant débaltu; je me ren-
fermerai dans l'intérieur de la Restaúration meme, dans
son développement particulier, et vous verrez la révolution
de Juillet en sortir nécessairement, comme une conséquence
naturelle, légitime, des fautes de la Reslauration, du dé ve-
loppement de ce qu'il y avait de radicalement vicieux dans
son selU.


Des son origine, quiconque a observé aUentivement la
Restauration, a pu voir qu'elle était en proie a deux prin-
cipes, a deux influences contraires : l'une bonne, l'autre
mauvaise; l'une favorable aux intérets du paJs, conforme a
ses sentiments; l'autre hostile aux memes sentiments, aux
memes intérets.


Ce qui a fait la force de la RestaUl'ation, car elle a eu de
la force, elle a duré quinze ans au milieu des attaques de
ses adversaires et des conspirations; ce qui a fait sa force,
dis-je, c'est d'abord qu'elIe s'est présentéea l'Europe comme
une garantie de paíx, de stabílité, dont la France ávait
un si grand besoin, apres tant de triomphes et de fatigues.


De plus, la Restauration, en établissant un gouverncment
qui n'était pas j'ceuvre de sa propre force, ni le résultat
récent de la volonté de quelques hommes, un gouvernement
qui se fondait sur un droit antérieur el anc¡en, la Restaura-
tion a ramené en France, sous un certain rapport, le respect
dudroit, I'empire de ceUe idée salutaíre sur laquelle la société
repose, l'idée qu'il y a des droits acquis, des droits anciens
qui ne doivent pas etre sans cesse remis en queslion, qui
subsislent par eux-memes el sont la base de l' édifice social.
Ce principe, la Restauration le portait en elIe-merne; iI était




llltAltiBRE bES bEPUTÉS.-25 NoVEM:BRE 1830. 1M'
son meilIeur litre, celui qui faisait sa force, non-seulement
en France, mais en Europe.


En meme temps, messieurs, et par-dessus tout, ce qui
faisaít la force de la Restauration, c'était la Charte, c'est-a-
dire I'adoptíon des principes les plus essenliels et des princi-
paux résultals de nolre révolution.


Gage de paix, respect du dl'oit, adoption par la Charte
des grands résultats et des'grands príncipes de notre révolu-
tion, voila le bon coté, la bonne influence et ce que j'appelerai
volontiers le hon génie de la Restauration.


Mais, en meme temps, elle était évidemment en proie w
d'autres [O/'ces , a d'aulres illfluences. Avant tout, elle'
portait dans son sein la prétention a une souveraineté illi-
mitée, supérieure a toutes les lois, invariable, éternelle,.
c'est-a-dil'e la prétentíon au pouvoil' absolu.


A cOté de la prétention au pouvoir absolu, la Reslauratiou.
portait une disposition conslante a favoriser lous les abuf
de l'ancien ordre de choses qui avait péri avec l'ancienne
royaulé; c'est-a-dire toulle l'égime aristocratique el tout Je
régime ecclésiastique qui tenaient dans l'ancienne société
une si grande place.


La pl'étention au pouvoir absolu et la tendance a rétablir
l'aneien état social, ~ans s'inquiéter de sa"oir s'il conve-
nait aux générations nou\'elles, c'était la le mauvais cóté, la
mauvaise influence, le mauvais génie de la Restauratlon.


Heprenez, messieurs, ce qui s'est passé en France depuis
18U jusqu'a nos jOUI'S, et vous verrez que l'hísfoire de la
Restauration n'est autre chose que la lulte de ces deulli prín-
cipes, de ces deux génics qui se la disputaient constamment ..
Elle a cédé tantOt 11 I'un, lanlot 11 l'autre. Les vicissi.t~des de
cette lulle font loule sa vie. El au milieu de ces viássitudes,
toutes les fois que le mauvais génie I'a emp{);lté ou a paru
l'emporter, toules les fuis que la Restauration a cédé" soit a
la prétention du pOllvoir absolu, soit au re tour de I'ancíen
état social, la prévoyance de ses revers pl'ochains s'esl a
l'instant l'épandlle; des pl'édictions sinislres o¡'lt retcnti,




1M HISTOlRE PARLEMENTAInE DE FRANCE.
non-seulement de la part de ses adversaires, de la part des
hommes qui faisaient, depuis son origine, profession de la
combaltrc, mais de la part de ses anciens amis, de ses parti-
sans, de ses meilleurs eonseillers.


Plus d'une (ois, messieurs, vous le savez, des paroles de
ce genre onl retentl dans cette cnceinte: le mot de répu-
gnance a élé dit a ecUe lribune par un courageux adversaire
de ia Restauration. Un mot plus sévilre, plus concluant, le
mot d'incompatibilité a été prononeé a eette tribune par
une bouche amie, qui n;avait jamais donné que d'utiles
eonseils. (Sensation.)


Toutes les fois done qu'entre les deux influences qui se
disputaient la RestalJration, ce He tu pouvoir absolu et de
l'ancien régime semblait prévaloir, la prédiclion de l'événe-
ment qui s'est aceompli SOllS nos yeux était dans tOllS les
esprits, dans toutes les bouches, et retentissait au milieu de
vous.


Et cette opinion n'élait pas parliculiere aux speclateurs
de ce qui se passait au milieu de nOllS, aux anciens et sages
ami s de la Restauralion; c'était eelle de l'Europe. Toules
lés fóis que la mauvaise influence pal'aissait l'emporter,
l'Europe s'en inquiétait; l'Europe prévoyait des troubles,
des désastres.


Depuis i820, e'est eette influence, e'est le mauvais génie
de la Restauration qui s'est emparé d'elle. Un moment son
aetion a été suspendue sous une administration qui avait de
bonnes intentions, et a laquelle nous devons nos lois les plus
efficaees, les lois avec lesqucllcs nous nous sommes défendus
contre le pouvoir absolll, avec. IesquelIes nous avons re con-
quis la liberté et fait la l'évolulion nouvelle. Mais eeUe SI1S-
pension a été courte : le mauvais génie de la Reslauration a
bienlot reptis possession d'elle; au mois d'aoUt 1829, sa
victoire a été définitive; au mois d'aout 1829, le mauvais
génie de la Restauration l'a saisie sans retour.


Voús avez entendu professer aussitót eeHe doctrine d'une
souveraincté illimitée, invariable, qui était, je le répete, de-




CIIA~fBnE DES m:;pun>s.-- 2[, .\()VEMBRE 1830. 1;,\1
¡mis quatorze ans, l'écueil le plus uangereux, celui contre
lequella Restauration devait un jour se briser. YOl!S avez vu
ecHe doctrine devenir la doctrine fondamentaie du pouvoir;
vous l'avez entendll l'opposer comtammenl a tous ses adver-
saires. El ehose singuliere, all moment meme oil les préten-
tions du pouvoir devenaient exorbitantes, OU il aspimit !t
celte souveraineté absoll1o, illimilée, qlli n'appartient 11 per-
sonne, il montrait en meme temps la faiblesse et l'lncapacité
la plus entihe; plus ses prétentions croissaient, mojns sa
force était grande. 11 était d'une Incapacité non-seuiement
nuisible aux intérets uu pays, mais de celte incapacité qui
offense, qui humilie la dignité des peuples qui la voient
régner su. eux. Le pays était })Iessé en meme temps dans
son honneur par les préLentions du pouvoir absofu, et dans sa
dignité actuelle par le spectacle de l'impéritie 11 Iaquelle il
était en proie. (Marques d'adhésion.)


Dans ceUe triste année, íivrée a un pouvoir qui professait .
des opinions s-j antipathiques a ses sentiments, qui se mon-
lrait ineapable d'aucune grande chose, qu'a fail la ¡·'rance?
Elle ne s;est point agiLée; elle n'a pas dit un mol ni fail une
démarche hors de la ligne t.racée par la légafité; elle a par-
faitement compris sa situation ella force qu'elle pouvail tiret
des droits déjll acquis. Elle s'est hornée a exercer ¡es lihertés
qu'on ne pouvait lui arraeher, el a invoque/" les príncipes de
la Charle. Jamais, je le répcle, la France ne s'es! ínolns
agitée; jamais elle ne s'est plus striclement renfermée dan s
les limites de ses droits constitlltionnels qu'au moment OU le
pouvoir les franchissait de loutes pal'ls el manifestait des
prét~nlions illimilées. Point de comploL, point d'émeute
pendanl cette année. Cepenuant la France n'avaít pas
perdu conrage, elle réclamail ses droits, elle les réclamait
ayec une énergie de plus en plus cl'oissanle; elle avait con-
fiance dan s son avenir constitutionncl, dáns cet avenir qui
s'esl accompli sous nos yeux.


Cet avenir, messieul's, depuis le 8 aoUt, préoccupaít
tous les esprits; il étail dans tOllles íes bouches, rlans les




160 iils'toIlm PARU:MEN'l'AIRE bE FRANCE,
bouches qui professaient les opinions les plus contraires.


Je n'ai rien a dire de I'adresse qui est Borlie de celte
Chambre, adresse con~ue dans le langage le plus respectueux,
le plus affectueux que jamais pays ait parlé au pouvoir. Je
ne dirai rien non plus des élections de 1,830 et de leur ca-
ractere. Vous vous rappelez comment tous les citoyens
userent de leurs droits san s jamais les dépasser.


L'Europe sait quelle sagesse présida a l'adresse et aux
élections. Eh bien, messieurs, toute la sagesse du pays a été
inutile, inutile pour enlever la Restauration au mauvais
génie qui s'était emparé d'elle. Le pays a été vainement
légal, prudent, réservé; toute sa prudence n'a pu empecher
que la Restauration ne se soit précipitée vers sa ruine.


Qu'est-il done arrivé, messieurs, quand }'événement s'est
accompli, quand la l'évolution a éclaté avec ceUe spontanéité,
eeUe universalité dontje parlais tout al'heure '? Est-il arrivé
une usurpation, un acte de vielence du pays contre son
gouvernement? Non, messieurs; il est arrivé le dénoument
de la lutle qui existait en France depuis quinze ans, et parti-
culierement depuis dix ans. Il est arrivé que le mauvais
principe de la Restauration ayant prévalu dans son sein,
s'étanl emparé d'elle, il a porté ses fruits, fruits désirés par
les UDS, redoutés par les autres, également prévus par tous,
quoique dans des termes el avec des sentiments différents.


Il n'est done pas vrai, messieurs, que naIre révolution
puisse etre taxée d'usurpation, de violence, qu'elle puisse etre
traitée comme un simple fait accompli dans un brusque acces
de colere qui a'est emparé tout a coup d'un peuple. Elle eSI,
je le répele, le résultat naturel, atlendu, du cours des choses;
elle est un de ces événements qui sont conformes aux lois de
la Providence, qui sont évidemment amenés par elle; un de
ces événements qui satisfont, pour ainsi dire, l'intelligence
humaine, paree qu'ils lui'apparaissent comme la manifesta-
tion de la sagesse divine, La Restauration a été frappée
de mort par ses propres fautes, et tout le monde s'est
rangé pour laissel' passer la justicc du pays, qui la re n-




CHAlIfBRE DES DÉPUTÉS.-Z5 NOVEMBRE 1830. 161
voyait hol's du territoire. (Vifs mouvements d'adhésion.)


Je n'hésile pas a le Jire: Ilolre révolution a ét.é parfaite-
ment légitime dans son principe; elle n'a point été faite au
profit de telle ou telle théol'ie douteuse, de tel ou tel partí,
de telle ou telle passion l'évolutionnaire; elle a été faite pour
repousser la prétcntion au pouvoir absolu, eelte prélention
éternellement illégitime.


On parle d'ordre public; notre rérolution a été faite pour
rétablir ¡'ordre public achaque instant menacé IJar les pré-
tentions et les faiblesses dupouvoir. On parle de serments :
notrc révolution a éLé faitc eontre le parjurc, elle a été faite


. pOUI' rétablir le respect du serment outl'ageusement violé.
(Trés-bien, tres-bien 1) On parlc d'actes arhitrail'cs, de eaprices
d'irnagination : notre révolution a été nécessaire; elle n'a
été faite par la I'olonté de personne, mais par le mouvement
spontané de tous; pel'sonne ne peul s'en van ter , personne
n'en a le mérilc; elleaéLé I'reuvre universelle de la néeessité
et du pays.


Si, apres avoir démontré sa légitimité morale et sa né-
cessité polilique, je parlais de sa conduite; sí je faisais voir 11
quel point elle a éLé sagc, prudente, réservée, et quant au
choix de soll souvel'ain, et quant aux modificatíons qu'elle a
appol'Lées Jans la Chartc et Jans tout notre gouvernement,
el dans ses acles cmcrs ses adversaires; si j'insistais, dis-je,
sur tous ces points, on verrait que la aussi, comme dans son
principc, elle a été plcinement légitime, plus légitime qu'il
n'a jamais élé donné it aucun sernblable événement de l' ctre.


Et e'est précisérnent, mcssieurs, la sagesse, la beauté, la
1l10dération, la légitirnité de notl'C révolution, qui fant au-
jourd'hui une des principáles diflicultés du gouwrnement.
Paree que la révolution a élé tres-douee, tres-modérée, le
pouvoir est obligé d'ctre doux, modéré; paree qu'elle a été
juste, ímpartiale, paree qu'elle n'a pam animée d'aucune
rnauvaíse passion, le pouvoir est oLligé de les eornbattre
toutes; il ne peut se Iivrcr iJ. un partí; il ne peul pas etre
moins impartial, moins raisonnable que ne I'a été la révolu-


T. 1. 11




162 HISTOIRE PARLEMENTAlRE DE FRANCF..
tion au momen! 011 elle s'accomplissait. CependanL les pas-
sions, res partis slIl'gissent de toules pal'Ls; le pouvoir esl anx
prises avec eux; le caractere me me de la révolution qui I'a
enfanté lui impose des lois que les partis, qui s'agitent autour
de lui, travaillenl a lui faire méeonnaltre. 11 doit accepte!'
eette destinée, messieurs; il est de son honneur de ne pas
valoir moins que la révolution meme. 11 ne le pourrait pas
sans démenlir so. mission, son origine. l\lais, mcssieurs, paree
que la modération, la sagesse, l'impal'tialité sont imposées au
pouvoir, ce n'esl pas qu'il doive laissel' prendre le ton haut
aux adversaires de notre l'évolntion, ni Jo. laisser calomnier et
injurier, comme nous I'avons vu souvent. Non, il n'y a aucun
des reproches adressés a notre révoluLion qui ne puisse ctre
victoriel~sement repoussé. L'usurpation, Jo. vioJence, le ca-
price oul été le fait de ses auvel'saires, el non le sien. Ses
principes out été aussi légitimes que ses aetes ont été beaux,
el nous avons pleinement le dl'Oit de les écrire dans nos loís,
pllisque ce sera nolre honneur de les avoir écrits ¡Ians naIre
histoire.


Je vote ponr le projet. (Sensation 1J1'o!tmgep.)




XIX


Discussion reJidive aux inquiéiud<>s et aux troubles proY0'lués
j¡ l'approche du proces des ministres da roi Charles X.


- Chambre des députés.-Séance du ~O décembre 1830.-


Le président du cabinet du 3 novembre t830, M. Laf-
fitte, apnt dmmé, dans cette séance, a laChambre des
députés, l'assurance que le gouvernement prenait toutes
les précautions nécessaires pour garantir l'ordre public
etlajuslice pendant le procks des ministrei de Charles X,
nous primes succcssiveme'nt la paro le , M. Dupin,
M. Odilon Barrot et moi, pour promettre au cabinet que
le ferme appui de la Chambre ne lui manquerait paso


M. GUIZOT. - C'est un rare et immense honheur que de
monlel' a eelle tl'ihune pour "1 exprimer tous les memes seu-
timents, pour y former tous les memes vceux. Nous sommes
¡ei. en ~énéral, no\\ \\o\u mm':> comba\\\'e, mal;; \lour discu\er,
pour exprimer des opinions, souvent des inlentions diffé-
rentes. AujoUl'd'hui, une seule opinion, un seul senliment,
une seule intenlion éclatent a ceHe tribune. le n'y serais done




164 HISTOIRE PARLEME~TAIRE DE FRANCE.
pas monté, si je n'avais hesoin de remereier tous les membres
qui viennent de parler d't3tre enlrés, au milieu de circon-
slances si graves, dans la voie de la publieité la plus complete,
el d'avoir livré acette tribune les faits qu'elle attendait dermis
quelques jours et les questions qui agitent tous les e~prits.


L'honorable préopinant vous disait tout a l'heure : une
multitud e de fantómes se melent a des peurs réelles ; tous les
objets assiégent achaque instant toutes les imaginations. La
puhlicité seule, la publicité la plus complete peut remédiel'
a cette déplorable crise momentanée. C'est avee la publieité,
avee la Jiscussion, c'est en abordant toutes les questiom a
eeUe tribune, en apportant tous les faits sur la place publique
que nous ayons vaincu le gOLlVel'llernent de Charles X. C'eEt
avec la publieité, avee la plus entiere liberté de la trilmne,
en ne craignant jamais de tout dire ni les uns aux aIItres, ni
au pays, que nous viendrons a hout de lous les adversaires,
de tous les dangcrs. Nous avons confiance au gouvernement,
confiance entiere, et c'est en répondant comme il I'a f¡út au-
jourd'hui, aussi promptement, aussi natmellement, a I'appel
qui lui a été fait, qu'il s'est montré plus que jamais digne de
ceUe confiance. Je l'emercie les ministres du Roi d'a voi1' sur-
le-champ répondu a l'interpelJation qui lcur a été faite. Celte
interpellation, elle ne leur a vait pas été adressée .et elle
ne lem sera jamais adressée dans un sentiment de mal-
veillance.


Qu'il me soit permis de le dire, la responsahililé des mi-
nistres du Roi ne serait pas la sculc engagée Jans ce qui se
passe aujourd'hui en France. L'évéllement qui fait la gloire
de notre patrie, HOLlS y avons lous pris part. La révolution de
Juillet est I'muvre de celte Cllambre comme des ministres du
Roí. Notre responsahilité a tous y e~t engagée.


J usqu'iéí, nous avons eu ce honhcur que, rnalgré la díver-
síté d'opinions, aucun de n01l3 n'01 répudié sa par! dans ce
gmnd événement.,Depuis quatre moio, notre révolulion, a tra-
vers la diversité des opinions, s'est maintenue pure, exelI.Jple
de tout exces; elle n'a porté atteinte il allcune liberté, elle a




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-20 DÉCEMBRE 1830. 165
pl'omisd'assurer au pays un :l,vcnir illimité de développcments
et de bonheur.


Eh bien! e'est au nom de notre responsahilité eommune
que noas avons droit, 11 ehaque événement, ehaque jour, de
demander des explieations pour nous assurer que notre révo-
lulion reslera tellc que nous l'avons faite, qu'elIe ne tombera
pas en des ~ains qui la détourneraient de cette voie, qui lui
feraient perdre son caracterc.


Il s'agit non-seulement du gouvernement, non-seulement
des ministres, il s'agit de nous tous : nous répondons tous a
la Franee, et de la liberté de la Franee et de la paix publique,
et de l'ordre et de son avenir tout entier. e'est done dans les
inlérets de notre respomabilité eommune que nous avons
droit d'appeler ici toutes les qucstions, tous les faits, de pro-
voquer la puhlicité la plus entiere, de demander que rien ne
soit ignoré, ni de nous ni du pars.


La pubIit:ité : celte arme suftira eontre les dangers, contre
les brouillons de' tout genre. Quels qu'ils soient, de quelques
conlrée~ qu'ils viennent, ils en sont réduits aux memes
llloyens, aux associations secretes, aux coups d'État; n'im-
porte le nom des faclieux, n'importe le uom des coteries, ils
n'ont jamais que les memes at'mes, el c'est avec l'arme de la
liberté, de la pubIicité, que nous dissiperons IDUS les com-
plots, toutes les associations secretes, tous les dangers, de
qnclque nature qu'ils soient.




xx


Déba! relaiif aux troubles et aux incidenls surVenUi< pendant
el ape". le proces <les millistres de Charle's X,


- Chambre des députés, - Séance du 29 décembre 18:10.-


Dansles séances des 2~ et 29 décembre, le comte de
Rambuteau, député de Saone-et-Loire, ayant demandé
au gouverncment des explications sur la situation
du pays, au dedans et au dehofs, M. LaffiUe, président
du conseil, et apres luí MM. Odilon Barrot, Charles de
Lameth, Bignon et Salverte prirent successivement la
parole. Je la pris a mon tour pour rappeler et maintenir
mes idées générales sur la révolution de Juillet, la poli-
tique que j'avais pratiquée dans le pouvoir, et les yraies
causes des troubles et des alarmes auxquels la France
était en proie.


M. GUIZOT. - le ne viens, et j'espere que la Chamhre me
faitl'honneur de le croire d'avance, je ne viens contester au-
cune dl!s explications qu'elle a entendues hier el aujourd'hui,
50it du président du conseil, soil de plusieurs des honorables




CHAMlll,E DES Dj:;PU'Ú:'>,-:l9 lÜ:CEMBRE 1830. 167
pl'éopinanls. Elles me pal'aissenl toules fondées et pleinement
satioraisanles. Mais, dans I'élat acluel de la société, des l'xpli-
cations personnclles, quelquc considérahles que sOlent les
pel'sonnes, ne sauraient suflil'e. Les choses son! si grandes
aujourd'hui qu'aucun homme, quelle que soit la place qu'il y
occupe, n'a pu devenü' le centre de tuut. Les questions se
I'étrécissent et se rapetissent (luaild elle.s dmiennent person-
nelles. L'un dcs'préopinants, je dirai voloniiers tous les préo-
pinants, et M. le préfeL de la Seine entre autres, I'a si bien
senti ({u'il g'est écarté de ce qni le toucllait {lcr;onnellement
pour appeler I'allention de la Chambre sur des considéralions
plus générales, et lous les orateurs qui ont parlé depuis l'ont
suivi dans celte voie. La Chamhre me permeltra d'ul\e!' un
pen plus loin.


Je demande aussi la pel'mission de ne pas revenir sur ces
altaques de quelques journaux, sur ces proclamations pleines
d'jnconvenance de quelques jeunes gens, qui ont préoccupé
les esprits. J'ai voulu me rendre comp!e en chiffl'es de I'im-
plll'lance que pouvaient avoir les faits; je me Buis assuré que,
bur cinq 11 six mille jeunes gens qui formen! les grandes écoles
de Paxis, a. ve.iue ttois a <\uatre. ce.nt\'. a,a\e.nt &l'l'0sé leur
signalure 11 ces proclamations. Rédui,ts en chiffl'cs, les faits
n'ont done pas une grande valeut'. Nous ne dc\"ons jamais ou-
blier que nous ,jvons et que nous devons vivre SOllS un régime
de liberté, c'esl-a-dire de lilJerté pou!' le faux comme pour le
Hai, pOli!' le mal comme pour le bien, pour un langagc in-
convenant, violent, gl'ossier, comme poar un Jangage vrai et
mesuré. II semi! vain de prétendre étouifer toules les el'l'eurs,
reJerer lous les mensúnges, toutes les inconrenances, toates
les mauvaiscs paro les ; dans le régime ou nous vi,"ons,
je le répete, les corps politiques COlllIlle les indiüdus ont he-
süin de se munil' d'une large provision de facilité et qaelque-
fois me me de dédain. (Sensation.)


Ce n'es! done pas sur ces {'ails, c'esl sur les causes géné-
rales de la situation aetuelle, c'est sur le caraetere général du
malaisc, qlli é,idemment nOlls travaille et don! toulle lllonde




168 HISTOIRE PARLKMENTAIRE DE FRANCE.
convient, que je veux appeler I'attention de la Chambre.


Quand la Charte parut en 1814, que fit le pouvoir qui en
semblait l'auteur (cal' il avait faIlu vingt-cinq ans de lutte el
de victoire pour la réclamel')?Le pouvoir qui en semblait I'au-
teur eut ~oin de déposer dans le préamhule le mot octroyé,
et dan s le texte, l'art. 14, qui lui donnail le pouvoil' de faire
des.ol'donnanees pou!' la surelé de l'État; e'est-a-dire qu'il
s'aUribuait avant la Charte et se réservait apres la Charte
un pouvoir anlérieul', supérieur, extérieul' a la Charte,
c'est-a-dire le pouvoir eonslituant, sOUl'crain, absolu. e'esí
ce pouvoil' ouplutót eelte prétention qui a fait pend:mt
quinze ans l'inquiétude et le tourmcnt de la France; elle
¡'a toujours vu suspendu sur sa tCte; il a été eomme un
poison qui venait se meler a lous les hiens, a toutes les espé-
ranees; et la Franee avait hien raison de le eraillllre, cal' les
publicistes de parti n'ont jamais eessé de pl'Ofesser eelte doc-
trine, et quand le jou!' de la possibililé est venu, ses ministres
en ont fait l'application.


e'est contre ce pouvoir extraeonstitutionnel qu'au mois de
ffial:S dernler la Chambre a rédigé son aJl'csse a la Couronne;
é'est contre ce pouvoir qu'au mois de juillet la France a fait
Sa révolulion. Au mois de juillet, la France a voulu, a cm
abolir tout pouvoir extraconsliLulionnel, tout pouvoir extl'a-
légal. La pensée nationalc, le senlimcnt duminant et de la
population de Paris et de la Fmnce entiere a été d'enfcrmer
désormais le pouvoir dans le cerdo de la constitutionnalité
et de la légalité. C'est sous l'empire de ecHe idée qne la ré-
volution de Juillet a commencé et qu'elle s'esl aecomplie duns
tonte la France avec la rapidité dc I'éclair.


Eh bien! messieurs, dans son espérance de vouloir abolir
tout pOllvoÍr extracoustitutionuelJ la France s'est tl'ompée.
Maintenant e'est ce meme pouvoir, celle meme prétenlion
que depuis quelques mois on essare de ressusciter au milieu
de nous, portant un autre nom, dé posé en d'aulres mains,
mais de meme nature et destiné a produire des conséquences
également funestes. C'est d'un gouvernement octroyé el d'un




CHAMBRE DF.S J)ÉPUT}~S.-29 DÉCEMBRE 1830. 169
arl. 14 que nous sommes menacés aUJourd'hui. (Mouvement
en sens divers.)


l\fessieurs, le gotivernement que nous avons le honheur de
posséder est né au miJieu de l'insurrection. C'est pendant
que I'insurl'ection éclataitet triomphait, que le Roi a été pro-
clamé, la Charte modifiée, íout l' ordl'e actuel établi. Eh
bien! ir y a des gens qui réclament, au nom de l'insurrec-
tion, un pouvoir extérieur et supérieur a notre royauté, a
notre Charte, a tout l'ordre actuellement étahli, et qui me-
nace san s cesse de ses prétentions tous les pouvoirs légaux
constitutionncls.


Eeoutez ce qui se dit, lisez ce qui s'impl'ime! N'est-ce pas
eonstamment au nom de ce pouvoir extél'ieur, supérieul' a
tous les pouvoirs constitutiollllels, qui l'éside on ne sait ou,
qu'on ne peut saisil' nulle part; n'est-ce pas, dis-je, au nom
de ce pouvoir qu'on demande, qu'on mellaee, qu'on pade?
N'est-ce pas lui qu'on prend poul' point d'appui? Ne dit-on
pas, non pas d'une maniere aussi cJaire, aussi précise, mais
au fono, e'est la meme chose, que e'est ce pouvoir qui nous
a octl'oyé le gouyernement que nous possédons et qui ponr-
rai! bien, s'il le voulait, le retirer ou le modifier a son gré?
(Sensation, )


Je ne suis pas si étranger au cours des ehoses de ce monde
que j'ignore que les pouvoirs éerits, les constitutions légales
ne suffiscnt pas toujours a toutes les chances de la vie des
sociétés; je sais qu'il y a des nécessités qui font éclaler des
forces, des pouvoil's que les lois ne contiennent pas; que ces
pouvoirs extraordinaires, indéfinissables, sont saisis tantOl
par les gouvernements, tantót par les masses populaires;
qu'ils s'exercent dans les deux cas au nom de la nécessité, et
que lorsqu'ils rémsissent, c' est pl'esque toujours pour le salut
du pays, au 18 brumaire comme au 30 juillet.


l\iais dans ces deux cas le dl'oit provient d'une nécessité
momentanée d'accomplir un fait immense que les pou-
voirs légaux et eonstitutionnels n'accompliraient paso Je
dis plus, au moment meme ou ils écIatent, ou ils s'ae-




líO IIISTOlHE I)AHLEME:\'TAIllE DE FRANCE.
complissent, les faits dont je parle n'appartiennent a per-
sonne; personne n'a le droit de s'en prétendre le possesseul':
ils sont la manifestation d'une volonté générale; el ceux-lit
meme qui semblenl les tenir en main, qlli en semhlent des
dépositaires, ne sont que les instruments d'un pOllvoir ré-
pandu partout, el íJui n(serait pas ce qu'il esl, s'il n'avait pas
pour lui le pays tout entier.


Dans la situation oi! nous sommes, je dis que le pomoir,
an nom duquel on réclame sans cesse, ne saul'ait etfe de eelle
nature. 11 ne s'agit pas d'accomplil' aujourd'hui quelques-uns
de ce5 faits exlraordinaires qui exigent l'intervention d'un
semhlable moyen.


PouJ'quoi l'éclame·t-on un pouvoir antérieur et suphieul'
a 1.1 Charte '? Pour faire des lois, pour placer ou déplacer les
perSOllues, pour disculer des jugemenls, rendre des arrCts.
Eh! messieurs, r;'est Ii! ce que les pouyoirs légaux et consti-
tutionnels sont appelés a faire; c'est la le eours régulier des
choses. Ce pouvoir supérieur, que j'entends sans cesse invo-
quer, n'a rien a "oir en pal'eille occasion; jI n'est pas appelé,
ce n'est pas lui que cela I'egarde. C't'sIJa ]'cl'rcul' qui a perdu
le gOIlYernement de Charles X. Qu'avait-il a [aire? Une loi
d'éleclion; etil est allé la demander a ce pOllvoir supéricur, con-
stiluant, dont ji se croyait revelu. Eh bien! quand on nous
parle, dans les qucslions qui nous occupent, d'un pouvoir
'cxtracollstitutjonnel, on fail précisément ce que faisaienlles
publicistes de Charles X el ce qu'ont fait ses ministres. (Vive
sensation. )


Je vous le demande, qui im·oque le pouvoir extraconsti-
tLllionnel, qui s'cn prétcnd possesseUl', déposilaire, qui a le
droit de parler en son nom? Est-ce la France enticl'e, est-ce
ceHe natíon qui a concouru a la révolution de Juillet, soít
activement, soit par sa prompte et générale approbalionY
Est-ce toute la populalion de Paris qui s'est armée pour ae-
complir cette révolulion? Non. Je ne vOlldrais pas me servir
de termes offensants, et je n'attache a ceux que j'emploie
aucune expl'cssion dont on puisse etre blessé; je di~ que cpux




CILDIHRE 1.lJ<;S DJ.:I'Un;;::i.-29 DI~CEMllHE 1830. 171
!fUi invoquent Ul! }Jouvoir cxtraconstilulionnel sont hien loín
de forme¡' la population de Paris, que c'est un parti isolé,
((ue je crois peu nombl'eux dans la nation, qui n'a pas
rait la révolutioll de Jui\Jct, qni nc l'aurait pas faite seu!, el
((ui n'a nul dl'oit de parler en son nomo (JIa¡'ques ¡j'adhésion
aux centres.)


Déjit plus d'une fois a celte trihllne, on a parlé des élé-
ments du pal'li auqnel je fais allusion. Qu'il me soit permis
de le décomposel'. J'y rencontre d'abord des espl'its spécula-
tifs, amis sinceres de la vérité, pleins du sentimcnt de la di-
gnilé humaine, dévoués a ses progres, qui lui ont rendu et
lui rendl'ont encol'e de' grands services, mais habituellement
dominés par cerlaincs idées générales, par certaines lhéories
que, pour mon comp!e, je erois, non pas inapplicables, non
pas exagél'ées, melis fausses, radicalemenl fau5ses, aussi
fausses aux yeux de la raison du philosophe que de l'expé-
rienee du pI'aticiell. Eh bien! je dis que e'esl I'empire de
~ette tbéorie qui altere conlinuellement la raison el les dé-
Illarches de personnes que j'honore infinimenl. A cOlé d'elles,
delTit'H'e elles "iennent les fanaliqlles, qui croient aussi aux
théories et qui de plus y ajoutent des passions personnelJes
dont ils ne se rendent pas un comple bien rigoureux, mais
qui, par ¡'eifet de la passion et d'une conviction sincere, con-
stituent ce qu'on appelJe le fanatisme. Les fanatiques, jI y
en a de vieux, il y en a de jeunes; il Y en a qui se désabllse-
ron1 dans le eours de la vi e, quj deviendront plus raisonna-
bies, plus éclairés, et d'autres qui persisteront dans leur
fanatisme. Le mtll1de a tOlljollrs ofIe!'t ce spectacle. Dans
mon opinion, voila le hon grain du parti. (Rire prolongé.)
L'ivraie, ce sonl d'abord les ambitieux, les mécontenls; les
révolutions en font, elles suscitent des espérances immodé-
rées. Les amhitieux, ji y en a de gl'ands, de petit5; il yen a
de capables et d'incapables; il Y en a qu' un gouvernement
raisonnahle fera tres-bien de satisfaire, auxquels il fallt peu-
sel', qni ont des droits, par cela seul qu'ils ont de la capacité
el de I'action sur le pays. II y en a d'autres qu'il faul laisser




172 HISTOIRE PARLEMENTAlRE DE FRANCE.
aller, paree qu'il n'y a rien d'C bon 11 en tirer, pas meme leur
appui. (On rit.) Aprcs les ambitieux et derriere eux, une pe-
tite portion de la multitude, quí veut tl'ouver dans le désor-
dre, non-seulement son parti, mais son plaisir; cal' les
hommes ont encore plus besoind'émotions, de mouvements,
que de toute autre chose j et e'est le besoin d'émolions, de
plaisirs, de speetaeles, quí met en mouvement la multitude,
bien plus que son intéret. (Sensation.)


A mes yeux, voil11 le parti qui prétcnd parler an nom de
la révolution de 1830, qui prétend en ctre le propriétaire
exelusif (Sensation), quí prétenu que la foudre, quí a éclaté
sur le gouvernement de Charles X, gronde encore et doit
gronder toujOUI'S sur le gouyernemenl de Louis-I'hilippe.
Je ne erois pas que ecHe foudre soit l'estée entre les mains
du parti j cependant, je crois qu'il exerce une grande in-
fluence sur nos affaires, qu'il esl ponr beaucoup, el pour beau-
coup trop, dans la situation OU nous nous trouvons.


Quelle autre cause attl'ibuer a ces hrnits conlinuels de
concessions sollicitées par les émeutes; bl'nits auxquels je
n'ajoute aucune importance grave, mais qui ne peuvent venir
d'une autre canse que de cette réclamation continuelle an
nom de l'insurrection, qui carad~rise le parti ?


JI Y a quelques jOUl'S, si j'avais étli appclé a dire 11 cette
tribune ce que j'y dis aujourd"hui, j'aurais suivi de plus prcs
sa trace, et cherché dans des fails plus spéciaux la preuve de
son influence. Aujourd'hui, je crois que les fails génél'aux
suffisent et qu'il n'est point néccssairc d'entrer plus avant
pour caractériser le principe du parti, le principe au nom
duquel iI agit, la force qu'il récJ3mc, el veut sans cesse faire
intenenir dans les affaires. Ce dont je vous demande la per-
mission de vous entretenir un momenl, e' est le pl'étcxtc qu'i¡
fait valoir el les reproches qn'il adresse continuellement am:
pouvoirs légaux ct constitutionnels avec lesqnels il est en
lutte. (Écoutez, écoutez.)


le ne reviendrai pas, et la Chambre me le pardonncra,
sur toutes les allégations de détail.




CHAYIBJitE DES DÉPUTI~S.-29 DÉCEMBRE lSSO. 173
Les reproches particulicrs qui ont été adressés aux diffé-


l'ents pouvoirs eonsfitulionnels me pal'aissenl se réduire 11
deux faits gélléraux. On dil que les pouvoirs eonstilution-
neis ont manqué depuis quelques mois de confiance envers le
pays, et qlJ.'ils Il'onl pas servi assez largement la cause de la
liberté. Ces deux opinions viennenl d'elre émises a eette tri-
bune par un homme qui a droit d'etre enlendu avee aUenlion,
et par la sincérité de ses opinions el par leur mérite.


Messieurs, si je ne me trompe, ce n'est pas manquer de
confiance envers une partie quelconque de.la société que
de discuter libremenl sa capacité, ses droits el le role qu'il
convienl de lui assigner dans les alTaires de l'État. Depuis
quinze ans, on a dil que c'était manquer de eonfiance envers
le Roi que de débattre ses prérogatives. Les constitutionnels
ont constamment l'epoussé ces arguments sans ceBse re pro-
duits. lis ont déclaré qu'ils respectaient les pl'érogatives du
Roi au moment Ol! ils les diseutaient; ils ont dit qu'ils avaient
confiance, et dans le Roi et dans son gouvernement, au mo-
ment meme Ol! ils assignaient des limites 11 son pouvoir.


Eh I messieurs, manquer de confiance paree qu'on differe
d'opinion, paree qu'on discute! Je vous le demande, ne se-
raíl-ce pas de la servilité? Tous les pouvoirs, toutes les por-
tions de la société, toutes les existences, toutes les illslitutions
son! livrés a la libre discussion. Dans cette assemblée etlhors
de eette assemblée, 'nous avons tous le droit et de plus la
mission de dil'c ce quc nous pensons, de mesurer les droits,
de l'égler les pouvoir~, de compler, depeser les capacités,


. d'assigner des limites a telle insLitution; nous ne manquons
de confiance enycró pCl'sonne, naus accomplissons notre mis-
sion, nous usons dc naIre droit, !I0US faisons acle de raison
et de libcrté. Nous n'avons certainemcnt pas renversé un
absolulisme pour l'échanger contre un aulre; nous n'avons
pas renversé les pl'érogatives de la maison de Bourbon pour
baisser la tete devant d'autres prérogatives. (Adhésion.)


Nous ne manquons pas de confiance en la garde nationale,
quand nous examinons si elle doit Ctre organisée par com-




174 HISTOIRF. PARLEMENTAIRE Dl~ FRANCE.
munes ou par cantons. Non-seulement nous avons cette li-
berté, mais je dis que nous ne manquerons jamais de con-
fiance dans eette force publique, quand nOllS déciderons que
son organisation aura lieu d'une maniere plutot que d'une
autre. Qu'est-ce qui a le plus de confianee en la garde natio-
nale, (lU de ceux qui craignaient les événements a travers les-
quels nous venons de passer, qui craignaient qu'il n'! eM de
la tiédeur, de l'indifférence dans la répression des désordres,
()U de ceux qui, des le premier jour, ont dil que la garde
nationale était animée d'un tmp grand sentiment de l'ordre,
d'un trop vif respect de la jusiíce poul' ne pas réprimer les
désordres, pour ne pas protéger la justice partout OU ce
hesoin se rencontrerait? Ceux qui ont toujours pl'ofessé ces
sentiments, ce sont ceux-lli qui ont donné Ii la garde natio-
nale les plus grandes marques de confiance, et certes, elle
a montré qu'elle les méritait. (Tres-vive adhésion.)


Une autre loi nouS est anaoncée, la loi des élections. Man-
querons-nous de confiance envers les éleclellrs actuels, paree


. que nous élargitxms les droits éIectoraux, parce que nOlls
cürons qu'il eonvient qu'un plus grand nombre de citoyens
soít appelé a l'élection? Je ne le pense paso Manquerons-nous
de eonfiance envers telle autre c1asse en digant qu'elle De
parait pas apte au droit éIectoral, qu'elle n'affre pas les ga~
ranties nécessaires pour Ctre déposi laire de ceUe portio n de
la puissance publique? Non certainement. Nous sommes
lihres, parfaítement libres; nous usons de notre droit, de
notre liberté; nOU5 ne sommes tenus que d'avoir raison, que
de ne pas nous tromper : nous sommes tenus de bien discer-
ner la limite a laquelle doit s'arriHer tel ou tel droit, quelle
t:ondition doit etre atlachée a l'exercice de telle ou telle fOllC-
tion puhlique. Nous n'avons donné a pcrsonne de marques
de défianee; personne ne peut dire que nous nous sommes
défiésde lui. Naus avons décidé une question qui nous était
soumise, nous avons peut-etre pu n0118 tromper, mais pOUl'
le droit, nuI n'a le droit de nous le conteste\'. (Voix nom-
breuses : Tres-bien 1 tre~-bien 1)




CHAMBltE DES m;PUTl-:S,-29 DÉCEMBRE 1830,
A cette occasion, le mol de dissolution a élé prononcé,


comme il l'avait été déjiJ. plusíeurs rois. Je suis bien aise de
dire la-dessus loute ma pensée. Je fais profession ue ne pas
savoir ce qu'on peut penser d'une question de dissolution.
'route question de dissolution me pal'ait etre une question de
eirconslance qui uoít etre déeidée selon le besoin du moment,
l'intérel du pays, l'étal général des affaires au dedans el au
dehors. Je n'ai pOUi' mon compte, quant a présent, aueune
opinion a cet égard, et je ne crois pas qu'il soít raisonnable-
ment possible d'en avoil' une,


le príe qu'on veuílle bien se rappeler qu'un grand nombre
des memhres ql1i siégent dans cette Chambre sont les memes
qui, au moís de mars, ont provoqué la dissolution de la
Chambre 11. laquelle ils appartenaient. lis ne redoutaient uu!-
lement l'ép!'cU\'c de la n;élection; ils nc la !'edoutent pas plus
aujourd'húi qu'ils ne la l'edoutaient alors. (Tres-bien! tres-
bien !)


Mais il n'y a dans leul' position actuelle aueune raison de
provoque!' aujourd'hui la dissolution q:u'ils réclamaient au
moís de marso Le jou!' ou le gouvernement du Roí le jugel'a
utile, nécessaire, lous les memhres de ceUe Chambre 6e re-
présenteront devant leurs concitoyens, avec ieurs opinions,
Jeurs actes, et je ne erains pas de le répéter, la dissolution
qui serait pronon'cée ne serait pas pour eux plus redoutable
que celle qu'ils ont provoquée il n'y a pas longtemps.


Voilit ce que j'avais a di re, ce qui s'est pl'ésenté a mon
esprit sur le premier reproche allégué habituellement contre
les pouvoirs constitutionncls, le manque de confiance.J'alTive
au second : on n'a p:lS seni asscz tot la cause de la liherté.
JI est tres-vrai, la révolution de 1830 n'a pas fail encore, pOUl'
la libe¡'lé et pour l'ordre public, tout ce qu'ellc peut faire,
tout ce qu'~lle doit faire, tout cc qu'elIe fera. II est tres-
vrai qu'un avenir immense est ouverl devant notre révolution
de '1830, el qu'elle y marchera longtemps sans atteindre le
bul. Cepenuant, jo suis bien aise de rappeler a la Chambre
et au public ce qui a déjil été fail.




176 HISTOIRE PARLEII1ENTAIRE DE FRANCE.
A la fin de la Charte constitutionnelle, nous avons, vous


le savez, inséré l'indication des lois qu'iI nous paraissait im-
portant de rédiger le plus tot possible; iI Y en a neur. Sur
ces neuf projets de Iois promis au mois d'aotit a la France,
il y a qualre lois déja faites: l'application du jury aux délits
de la pl'esse et aux délits politiques, la réélection des députés
promus 11 des fonctions publiques salariées, le vote annuel
du contingent de l'armée, les dispositions qui assurent d'une
maniere légale l'état des officiers de tout grad.e de terre et
de mer. Vous discutez la loi sur la garde nationale, vous
avez déja voté l'abolition du double vote dans une loi transi-
toire d'élections. Ainsi, messieurs, quatre lois sonl faites,
dellx sont en discussion el trois restent 11 faire. El ici, je de-
mande 11. la Chambre la permission de lui dire en passant,
comme un fait qui m'est puremenl personnel, qu'en sortant
des conseils du Roi j'avais fail préparer une loi municipale el
départementalc, une loi éleclorale et une loi sur l'imprime-
rie. Ces lois étaient pretes. Que le conseil acluel ait cru de-
voir les remanier, le~ refondre, je le comprends; mais enfin
a. aucune époque on n'a procédé aussi vite pour les conquetes
a. faire au profit de la nation.


J'ajoute¡'ai que ce pouvoir extraconstitutionnel, extra-
légal, auquel on fail sans cesse appel, n'est pas celui qui fera
faire le plus de pl'ogres a la liberté. La liberté est née quel-
quefois apres les révolutions, el jo ne doule pas gu'elle ne
vienne apres la nótre, de meme que l'ordl'c est venu quel-
quefois apri~s le despotisme. Mais l'esprit de révolution, l'es-
prit d'insurrection est un esprit radicalement t:Ontraire a la
liberté. C'est un pouvoir exclusif, un pouvoir inique et pas.
sionné que ce pouvoir qui se prétend supél'ieur et extérieur
au pouvoir constitutionnel; il ya dans la nature meme de ce
pouvoir, dans sa prétenlion, un príncipe radícalemenl incor-,
rigible de tyrannie. La liberté a pour résultat le partage des
pouvoirs elle respcct qu'ils se portent les uns aux autres. La
liberté est au sein des pouyoirs constitutionncls, par suite de
leur empire régulier, du respect des lois.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-29 DÉCEMBRE 1830. 11'7
Les pouvoirs insurrectionnels sont tres-propres a aeeom-


plir les révolutiollS, 11 rcnverser par la forcc des gouverne-
ments établis, 11 dompler par la force des sociétés barbares.
Mais ne Icur demandez pas la liberté, ils ne la portent pas
dans leu1' sein. C'est aux pouvoirs constitutionnels, e'est 11 la
Cbartr, aux lois, 11 un systiúne fondé que vous pomez deman-
der la liberté comme I'ordre; dll sein de ce pOllvoir exlraor-
dinaire, supérieur 11 tous les pouvoirs, dont on se prévaut au-
iourd'hui, il ne peut jamais sortir que le désordre el la tyran-
ni e, au moins momentanément. (Tres-bien! tres-bien!)


Voila, a ruon avis, le mal véritable, le mal profond qui
nous travaille. 11 réside dans ces tentatives de rétablir~
au profit de l'insllrrcclion, I'art. 14 de la Charte, de faire
san s ces se appel, directement ou indirectement, 11 un pouvoir
extérieur el supériellr aux pOlll'Oirs eonstilutionnels. C'es
la, sclon moi, ce qui fait que, depuis quelquetemps, la société
semble a\'oi1' perdu son assielte; elle cherche, pour ainsi dire,
son centre de gravité. Le gouvernement voit roder con ti-
nucllement alltour de lui un pouvoir étranger qui veut ou
le dominer ou le renverser. C'est la, je le répete, le mal
dont nous sommes attaqués, et ce mal, je le signale d'autant
plus Iihrement que je 5uis ¡o in de croire qu'il soít sans re-
mede. Je suis convaincu, au contraire, que nous ayons sous
la main des moyens BUI'S de UOU8 en guérir. Le gouverne-
ment, j'ose le dire, ne s'est jamais écarté de la "oie qu'il
devait suivre; jI n'a peut - etl'e pas fait, meme quand
j'avais l'honnclIl' d'ctre au minislere, tout ce qui était dési-
rabIe; mais il a toujours marché dans la voie de l'ordre, il a
tOlljours lulté contre le pouvoir exlérieur dont je vous parle.
S'il continue iJ. résister ainsi, l'avantage luí est assuré; les
Chamhl'cs, les pouvoirs constitutionnels ne lui refuseront
jamais leur concours : ils iront meme au-devant de ses he-
soins; et si les Chambl'es, si le gouvernement se man-
quaient a eux - memes, j'ai confiance dans la société
dans la société franc;aise acluclle; j'ai la confiance qu'elle
se sauverait elle -mcme. du désordre comme elle s'est


T. 1. 12




178 HISTOIRE PARLEMEI\TAIRE DE FHANCE.
sauvée de la tyrannie. (Tres-vif mouvement d'adhésitm.)


On cite des mots qui rappeUent un étllt de cllOses
qui, a IDon avis, n'existe plus. Nous entendons relentir sans
ct'sse les mots arisrocratie, démocratie, clabse moyenne. Je
vous avoue que pour ruoi, aujourd'bui, ces moís n'ont guere
plul! de ~n6. La démoCl'atíe nóus apparait pal'tout dans
l'hinoil'e eomme une c1asse nombreuse, réduite 11 une condi-
tiun diJfémnte de ceUe des autres citoyeos el qui lutte contre
une al'istocratie ou contre une tyrannie, {lour conquérir les
droits ql.li lui manquent. e'est la le sens qui a été partout
attaehé au mot démocratie. 11 n'y a alljourd'hui ríen de sem-
blable en France. Qlland je regarde la société fran9aisc, j'y
voií! lUle démocl'atie, si vous voulez, mais une démocralie
qui apeu ou point d'aristocratie au-desslls d'elle, et peu ou
point de populaee au-degsous.


I.a soóété f'ran91lise ressemble iJ. une grande nation OU les
hOfllIOOS wnt a peu pres dans une meme condition légale,
tres-di verse sans doute en bonheur, en lumieres; mais la
coodition légale est la meme. La dasúGcation des anciennes
socjétes a disparu, et, je le répcle, chez nous le mot démo-
cratie opposé -au mol arislocratie n'a plus de sens. Une
gl'ande société de propriétail'es lahorieux, iJ. des degrés lres-
difféI-ents de fortune el de lumiel'cs, voiliJ. le sens actucl da
mot démocratie; eh bien! jI n'y a la ni éléments de désol'drr,
ni éIémenlsde lyrannie. Celte société se défendra, au besoin,
contre ceUl: qui voudraient abuser Il'anciem mol, et d'anciens
faits, pOUl' I'égarer un ml)ment. JI ne s'agit pas de s'ap-
puyer sur la classe moyenne, par opposition it telle ou teUe
autre cla~~C) il s'agit de s'apIllIyer sU!' la nat.ion tout cntiere,
SUl' celle natioo l11JmogeHe, compacte, sans di,tilH.:lion de
classes. e'est par la qu'ou assurcra et ce retour a la pl'o>pé-
rité, et ce progl es vers la liberté qui sonl les YiEUX de
tous, et dont l'esprit que j'ai signalé, tet c"prit J'(lvolu-
tiMlllail'e, ce! esprit d'appel a un pouvoir,étranp;cr aux po u-
voirs constitutionnels, nous éloignerait uu líeu de IlOllS y I'a-
mener. (1lfouveifl'.ent d' adhésion au ce.ntre. Selisation pl'olon{jée,)




XXI


Discussion dll projet de loi sur la composition des cours
d'a;;sises et les conditions de la décision dn jury.


- eh,mbre eles dépUlés.-Séance Ul! 8 janvier 1831.-


Le 1 cr déccmbre 1830, le gouvernement proposa a la
Chambre des députés un projet de loi pour réduire de
cinq a trois le nombre des magistrats appelés a former
les cours d'assises, et pour décréter que la décision du
jury ne se formerait, contre l'accusé, qu'a la majorité
de huit voix contre quatre. Ce projet fut vivement com-
battu par plusieurs anciens el honorables magistrats,
entre autres par M. de Vatimesnil. Ce fut apres lui que
je pris la parole pour le défendre. Adopté par les deux
Chambres avec quelques amendements, le projet fut
promulgué comme loi le 4 mars18:3I.


M. GUIZOT. - Je ne suis 131S étonné des objections nom-
brcuscs el vives que renconlre le projet de loi qui \'Ous est
soumis. Elles out lcur source dans nos habitudes judiciail'es




ISO HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
et dans le systeme d'institutions sur JequeJ ces habitudes
sonl fondées.


Quel est en effet le caractere, je ne dirai pas unique, mais
fondamental de ce systeme'l C'est la confusion des questions
de droit el des questions de fait, ella soJution de ces denx
gen res de queslions différentes par les memes juges. 01',
dans celle hypothese, les objections qll'on adresse au projet
sont non-seulemenl nalurelles, mais légjlimes. Lorsque les
questions de droit el de rait sont rénnies el décidees pat· les
me mes juges, il est légilime de chercher la garantie de la
honté des jugements dans le nombre des juges et dans la
discussion préalable a Jaquelle ils se livrenl. Mais en est-il de
meme, lorsque les questions de droit et 11'8 questions de faít
sont séparées el déeidées par des juges difIél'ents? La réside,
a mon avis, toute la question.


Pour mon compte, messieurs, je peuse que, lorsque les
questions de droit et les questions de fait sont sépal'ées et
déeidées par desjuges rlifférents, il n'y a pas lieu de chercher
dans le nombre des juges el dans la diseussion préalahle la
garantie de la bonté des jugements, dll moins quant aux
questions de droiL


Pour s'en convaincre, il suflit, ce me semble, de se rendre
un compte un peu exact de la vraie différence qui existe
entre les questions de raít et les questions de droit, et aussi
de la diffél'ence des procédés par lesquels ]'e~pl'il hunwin
résout les unes et les autl'es. Si je pouvais établil' devant la
Chambre que les proeédés par lesquels ¡'esprit humain résout
les qlleslions de droít sont essentielJemenl diffél'rnts de ceux
par lesqucls il résoul les questions de fait, j'aurais, je erois,
fajl un grand pas vel'S la démonstration de mon opinjon.


Les faits, messieurs, sont extl'emement eompliqués; ils se
présentent aecompagné~ ti'un grand nombre de circonstunces;
ils ont hesoin d'ctre considél'és sous ulle mullilllde de fuces;
ils sonl de plus prodigieusement divers; il n'esl pas pussihle
a la législation de les renfermer d'avance et eomplétement
dans une disposílion commune, de les rameller a une for-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-8 JANlIER lBS!. 181
mule et a une phrase. Quel est done le procédé naturel et
nécessaire de I'esprit quand il veut connaltre des faits? C'est
le procédé de l' observation; ilJes observe, les considere sous
toutes leurs faces, et rapproche ensuile toules les circon-
gtances, tous les élémenls qui les constituent. 11 résulte de
la que les faits ont besoin d'etre examinés par un assez
grand nombre d'observateurs, et qu'il faut que ces observa-
teurs, ces juges du fait se communiquent, pour ainsi dire, les
divers points de vue sous lesquels ils l'ont considéré, et les
discutent entre eux pour arriver a la connaissance complete
et exacte lIu fail tout entier.


Les faits ne sont pas une matlere de méditation pure, de
raisonnement a priori; on n'arrive point a les connaitre en
dédui,ant les conséquences d'un principe; I'observation,
l'observation variée, débattue, e'esl la le moyen naturel, le
seul moyen de bien résoudre les quesLions de fait.


ElJ est-il de meme des queslions de droit '? Non, ccrtaine-
mento Quellc est la siluation ou se trome l'esprit en présence
d'une queslion de droit ? Un principe est posé, écrit dans la
loi ; il s'agit de reconnaltre les eonséquences de ce principe;
il faut le bien délcl'miner, le suivre d'un oeil ferme dans
loules ses applications. Le procédé de l'esprithumain en pa-
reille matiere, e'est le raisonnement, la déduction logique;
ee n'esl pas du toull'observalion. Le principe une fois posé,
Ulle fois écrit, soit dans la loi, soit dans les précédents, I'es-
pl'iL humain, po u!' l'appliquer a un cas donné, opere tout
aUll'Cmellt que lorsqu'il sc trome en préscnce d'un fail a
eonnaiLre; et de memc qu'en présence d'un faít, le grand
nombre des obscl'Vateul'S el la discussion entre eux sont in-
dispensables, de memc, lorsqu'il s'agit oe bien saisir un prin-
cipe et de le <léveloppel' rigoureusemcnt de conséqucnce en
conséqucnce, il faut un tl'avail individuel, un long exereice;
c'est une oeuvre de science, de méditation, de raisonnement
solilairc, non d'obsel'vation et de discussion entre plusieul's.


Cela esl si vrai, messieurs, que les faits généraux, les faits
hi,lo!'iqucs 5011t d'aecord avec l'anal-yse philosophique des




HH HISTOIHE PAHLE:l-IE:\TAIRE DE FRANCE.
pl'océdés intcllcctllels. J'ai une grande conflance nllx faits
bl'squ'ils sc sont dévcloppés sur une grande échellc, et se
plúcnlenl apres avoir suhi l'épreul'c du tempo. Eh hien,
(jll'est-il arrivé dans les pnyg, dans les législations Ol! I'on a
sél':lIé les qucstions de fait des questions de droit, pour les
~oumcLtre u des juges <1í1férenls '1 Est-il jamais cnlré dans
J'espril ¡J'aucune législation de soumeltl'c I'examen du fail a
un seul homme 1 Non, cm'Ies; le fait séparé du droil a tou-
;ioUl's élé rcnvoyé a l'examen et a la discussion <1'un assez
grand nomhre d'hommr.s. En a-t-il été de meme pour les
qllestions de droil? l\ ullement. Dans tous les pays ou les
questions de droil et les questiop.s de fait out été séparées, on
a été naturellemcnt conduit a soumeltre les questions de droit
au j Ilgement d'lln petil nombre d'hommes, et prcsque partout
d'lln seul llOllIme.


Nous avons ici deux grands exemples, Rome et l\Angle-
terre. Dans le droit romain, la décision du point de droit é!éLit
confiée a un seul homme, soit magistrat, soil jUl'isconsulte
savant auquel on s'adressait pour avoir une réponse. La
jurisprndence romaine est en ceci complétement d'accord
avec la jurisprudence anglaise. El ni l'une ni l'autre n'a été
une invention de la théorie, une hahílclé de la science; tel a
été le résultat naturel auquel les peuplcs el lcs législateurs
ont été conduits par la force meme des choses ; ils ont natu-
relIement reconnu, comme jo lG disais en commen~ant, que
les queslions de fait avaient besúin d'elre examinécs par Ull
assez grand nombre d'J¡ommes, et discutécs entre cux sous
toutes leurs faces, qu'cllcs n'étaicnt pas matiere de science,
de raisonnemcnl pur, mais malierc d'observation et de di s-
cussion; landis que les questions de dl'oit pUl' doivenl etre
cxaminées par la scicnce, par le raisonnemenl, par la médi-
tation, et sont remises ayec ayantage 11 la décision d'un petit
nombre d'hommes, d'un juge unique meme, cal' c'est la, au
fond, mon opinion.


Ainsi, par I'expérience du monde, aussi bien que par
l'examen philosophíque des choses, on est conduít 11 recon-




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-8 JANVIER 1I13l. 183
naitl'c que les questions de dl'oit elles questions de fail ne lB
jugent pas de la meme maniere, par les memes procédés,
I]u'il y faut appliquer des moyens différenls.


01', que faites-vous en ce moment, messíellrs? Que faH la
loi sur laquelle vous délibél'ez? Elle réa\i~e, elle oonsomme
chez nous la séparalion des queslions de droit et des questions
dd'ait. J usqu'ici ces questions n'avaienl pas été complétement
disfinetes; les juges du droít intcrvenaienl sauvent dans le
jugemenl du fait. La loi qui vous est proposée fait cesse!' cet
état de ehoses. Elle veut rcmettre aux jllrés la pleine décision
du fait et aux jugos eelle du dl'oit. Est-ce au moment oi! vous
accomplissez la sép[\]'[\tion de ces deux SOl'tl'8 de questions que
vous vous refusel'cz a I'éduil'e le nomhre des juóes du droit,
10l'sqlle I'expérience pl'Ollve que ecHe réduclion est la consé,
qUBnee nalure/le ct Jégilime de eette séparation?


Ell'emarqllcz-Ie, messieul's, il ne s'ügit pojnt de ¡}iminucr
les garanties ni de la soeiélé, ni de l'aecusé; il s'agit de sa\'oil'
(juelles sout, daos chaque genre de quc~líons, les garanties
yérítahles. Si les m,;ditalions savantes d'un seul homme sont
lIne rncillcure garantie de la honne solulion des questions de
dl'oit, il n'y a {las a hésiter, il fant ado.pler ce moyen. Si
l'examen de plusicul's est une meillemc garantie de la solu-
tion des questions de fait, il fant y avoil' recours. Nous vou-
10US lous également dcs garantíes effieaccs; la question est
de savoil' lesqllellcs conviennent le miellx anl qnestions da
fait et aux qucslions de dl'Oil.


Jc fe mi remarque)' en passant un fait singnlier. La légis-
lation anglaise a élé si loin dans eeHe roule qu'elle a exigé,
pOUl' la solution des (juestions de fuit, l'llnanimité des jlll'és,
et pour eelle des questions dc droit l'unité du jnge. Cest le
systeme dans toute sa rjgueur.


On a opposé 11 ce systeme le nombre el l'importance des
questions que décident, ehez nOU8, les juges d'assises. Mes~
sieurs, 011 ces qllestions l'oulent sur des points de droit, et
alol's elles seront mieux décidées, a mon avis, par un petit
nombre de j1lges que par un grand nombre; ou ce son1 des




184 HISTOIRE P ARLEMENTAIRE DE FRANCE.
questions de fait, el alors il faut les renvoyer aux jurés qu
les jugeront roieux également. Tel serait le cas pour les ques~
tions de dommages-intérets.


Plusieurs voix: C'est conl.raire a la législation existantc;
alors il faut propose!' de la changer.


M. GUlZOT: - Aussi sera-ce un jour roon avis, el des
aujourd'hui je n'hésite pas a dire que j'airoerais mieux que
ces queslions fussent décidées par le jUl'y. Quant aux ques-
tions préjudicielles, qui son! de vraies questions de droit, je
pense qu'elles seraient mieux jugées par un juge que par
cinq.


le sais, roessieurs, que les questions de fai! el les questions
de droit ne se séparent pas toujours parfailemenL; je sais
qu'il y a des cas OU les jurés, juges du fait, sont ohligés de
prendre le droit enconsidéraLion, et J'ériproquemellt; je sais,
par exerople, que qllillld le jury déclare un fait Cl'ime ou
délit, il pense forcément a la peine qui y esl attachée. De
roeme, quand le juge applique la peine au fait déclaré con-
slan!, il tien! compte des cil'constances du fait. Tout cela esl
inévitable. Mais a l'objection qu'on en tire coutre la réduc-
tion du nombre des juges d'assises, il ya, je erois, deux ré-
ponses, l'lIne particuliere, I'autre générale.


Pel'sonlle ~'igllore d'ou vient la latituJe laissée uu jugc
dans I'applicatioll de la peine. Comme le législatem s'est vu
dans l'impossibilité d'atleindre avec préci"ion tous ks faits
et de les défillir d'avallce pour appliguer a chacull la peine
exacte qui lui convien!, c'es! le juge (ju'il a chargé de eeHe
appréciation. Ainsi, qlland lejul'Y livre au juge un fail qua-
lifié, le juge fait, en présence de ce eas pal'liculier, ce que le
législateu[' n'a pu faire en son absence/ le juge, dan s les
limites fixées par la loi générale, [ait pour uinsi dire ulIe loi
pOUI' chaque cas en particulier. De lit résulte un~ séric de
décisions judiciaires, de précédents quí comhlen! en quelque
sorle l'intervalle laissé entre le maximum et le rninimum des
peines, et completent, spécialisent, si. je puís ainsi parler, la
législation par la jurisprudence. Une grande parlie de la




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-8 JANVIER 1831. 185
Iégislation criminelIe de l' Angleterre, el aussi de la notre,
consiste dans une jurisprudence criminelle ainsi formée.


01', messieurs, la fixité el l'harmonie des précédents 80nt
bien plus facilement alteínles lorsque ces précédents émanent
d'un petit nombre de juges que Jorsqu'ils sont J'ceuvre d'un
grand nombre de tribunaux; les tribunaux nombreux ofIrent
des chances infiníes de variation et d'incohérence dans les
précédents; landis qu'un pelit nombre de juges introduisent
et maintiennent, dans eette jurisprudcnce criminelle qui
esl le supplément nécessaíre de la législation, la permanence
et I'ensemble.


Vous en avcz un grand exemple dans la légíslation romaine.
La plus grande par tic de cette législation consiste en précé-
dents, en décisions renducs par un petil nombre de savants
hornmes. La collection des réponses des jurisconsultes n' est
autrc chose qu'unc sél'ic de précédents. Croyez-vous que
celte jurisprudence romaine, qui a survécu it I'empire romain
poul' devenir la législation de presque toute l'Europe, croyez-
vous, dis-je, qu'eHe cut eu tanl d'éclal, tant de poU\'oil',
une si grande et si longue destinée si, au lieu d'un pelit
nombre de j 1I1'isconsultes illustres donl les noms out traversé
les sieclcs, l'Empirc romain cut été couvert de tribunaux
nombl'eux? Croycz-yOUS que si a la place des UI pien, des
Papinien, il y eut Cll des centaine" des milliers de juges du
droit, il vous scrait resté un tel ensemble de décisions forte-
ment cnchainécs'! [;'est au pelit nombre de jurisconsultes qui
décidaienl les qucstions de uroit, c'est a leur science, a lcm
élé\'ation, consé'Iucnce nalurclle de leur pctit nombre, que
la jurispruuence romaine a d11 son haJ'lnonie el sa grandeur.


Ainsi, en ce qui conccrne les précédents it introduire dans
la législation criminellc pOUl' comhler r intervaHe entre le
maximurn et le minimum que laisse la loi pénale, le sys-
terne J'un polil nomhre de juges esl intiniment préférable.


Je sais qu'il restera toujOUI'S (Plelque incel'titude dans les
limites (les points de rait el des poinls de droíl. Mais cela est
ínévitable j il n'en fant pas moins se décider d'aprcs le ca-




IR; IHSTOlRE p~\nLE}U::\TAmE DE FHA\TE.
raclere csscnl:el d uumillant de c1wquc inslituliun. Aux jurés
app:uticnnenl en général les qUl'sliuns de [ait; les'jul'és
doivenl ell'c nomhrellX: aux .iuges, les questions de dl'oit;
que les juges soient peu nomhreux, la raison el ¡'cxpériencc
le conseil/ent égalemcnt.


J'ajouterai une dernicre consicltlration, plult.t politiquc quc
j udiciairc, milis <]ui ne me parait pas étrangcl'e a la <]Ilcstion.
Vous voulez rendre an .i1lry, non-selllement toule son indé-
pendance, mais toule son importance, toute son alltol'ilé,
tout son éclat; c'est le hut de votre loi. Eh hien, tant que
vous rcstercz dans le systcme aetucl, dans le sysleme qlli
étahlit, non pas un j1lg(', mais lout 1In ll'ilJUnal it cOté dI!
jury, vuus laisscz k jury (hns un élat t!'itJcerlitnde, el je dirai
volonliers ¡J'infél'iorité. Pal'tout oil I'un V¡~l'l'a un tribunal de
cinq jugcs sírgean t a coté du jnry, la srparatioll ('11tre les
qllcstions de fait et les qllestions de Jroit ne para1tra pas
complélement opérée; on eroira toujoUJ's voir all-Jessus un
jllry un tribunal complct, capahle Je suff¡re a tout, de juger
le faít cornme le ¡)roit. Les denx systcmes 50nt la cote a cOte;
réuui3ez l'aneien a sa plus petite dimension j c'est le senl
moyen de donner au nouveau toute sa force, toute sa yérité.


Je sais, messieurs, que la I'éful'lue que vous discutez, la ré-
duction dn nomhre des jugcs d'assises de cinq it trois, n'est
pas tres-importante en elle-meme, et si nous devions en rester
la, je m'en soueiel'ais assoz pen. Mais ecHe réforme en ame-
nera d'autres; c'est ici un premier pas d¡ms celle carriere
ou nons ayons de granus ]las a faire. Je ne llllis clre suspect
d'hostilité cmcJ's nos institntions judiciaires el notre magis.
trature; je leur erois de rares mérites et elles nous ont rendu
d'immenses Benices. Mais il y a évidemment heaucoup a
réformer, et nous ne saUJ'ions trop l!it mettl'e la main iJ.
I'amvre, cal' les I'éformes de ce genre 50nt po1itiqucment
salutaires, calmantes.


le pl'ie la Chamhre de ne jamais perJre de vne que le
gouvernement a toujours affaire a deux sortcs d'esprits
novateurs : d'une par!, it des esprits amis du perfectionne-




CIfAmWE IJES JJEl'UTES.-8 JANYIER 1831. 1tli


mcnt, du progres, impaticnts, téméraircs pcul-l~trc, mais
sinceres el' édairés; d'autrc parl, a des esprits brouillons,
'désordonnés, vraiment anarchiques. C'es! l'intéret, c'es! la
sagesse du pouvoir dl~ séparcr pl'ofondémenl ces denx c1asses
d'hommes, d'élerer entre les nns e! les autres une haute
barriere; il doit altirer de son colé les esprits progressifs, e!
sans obéir a leurimpatience ~Ua lems erreurs, marcher dans
lenr direclion. C'es! pour lui le meilleUI' moyen de repousser
séverement, efficacemenl, les esprits désordonnés, anarchi-
que s, avee qui un bon gouvernemen! ne saurait avoir rien
de commun. Tenons grand comple de eeHe dislinclion,
messieurs, el marchons hardimenl dans la carricre des ré-
formes qui ~ali,feronlles esprits ami s t\u Fcrfectionnement.
(Au;l' vaix! Qua; voi:.r:!)




XXII


Discussion sur la politique extérieure du ministere
du 11 aout 1830.


- Chambre des députés.-Séance du 15 janvier 1831.-


Le Hi janvier 1.831., la eommission des pétitions fit a
la Chambre des députés le rapport de la pétition d'un
avocat beIge (de Mons), qui provoquait la réunion de la
Belgique a la France. Elle proposa l'ordre du jour. l\fais
le général Lamarque, député des Landes, saisit eeHe
nouvelle occasion d'attaquer vivement la politiqne
pacifique et le respect des traités qu'avait soutenus le
cabinet du 11 aout 1830. Le général Sébasfiani repollssa
en qu~lques 'paroles eette aUnque. J\I. Casimir Périer,
alors président de la Chambre des députés, quitta le
fauteuil et monta ú la tribune pour sommer le général
Lamarque d'expliquer ses accusations. Le gél1éral
Lamarque répol1dit: « Personne n'a, plus que ,moi,
d'estime, de considération, j'oserai dire d'attachement
pour les membres de l'ancien minisfere; je rends a




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-15 JANVIER 18S1. 189
leurs intentions le meme témoignage qu'it celles du
ministere a'ctuel ; mais je erois qu'ils ont erré dans leur
ro~te. D le pris alors la paroJe pour diseuter le fon.d
meme de la politique qui venait d'etre attaquée.


M. GUIZOT. - Messieurs, les explications que vient de
donner I'honorable général sont pleinement satisfaisantes
quan! aux inlentions el au caractere personnel des membres
du dcrnier ministere; elles ne le sonl pas et ne peuvent l'etre
quant a leur pulitique. Allssi, n'est-ce pas lems inlentions,
mais la poli tique qu'ils ont suivie que je demande a la
Chambre la pcrmission de justilicr en peu de molso


Messieurs, l'honorahle général vous a rappelé ce qui aurait
pu etre dit dans ce He enceinle par les ministres de Charles X
avant la révollltion d'aoíH, a I'occasion de la Belgique et de
la Polognej apres cela, il vous a demandé s'jl ú'élait pas
vrai que rien n'était changé aujollrd'hui, si ce n'élajt pas le
mcme lungage que vousentendiez acette tribune, si cen'était
pas la meme conduite que tenait le ministere. Ce qu'il y a
de changé, messielll's, il est facile de le découvrir; c'est
l'état de la France, de la Belgiqlle, de la Suisse, l'état de la
Polognej voila ce qui est changé, voilil les faits qui se sont
aeeomplis depuis la révolution d'aout. Elle a, comme on le
lui demande de toutes parts, porté des fl'Uits hors du terri-
toire de la Franee comme en Fl'ance; e'est la révollltion du
mois d'aout quí a imprimé a l'Europe ce mouvemenl auquel
l'Europe est pres de se laisser emporler; e'est la révolution
diI moís d'aout qlli a fait ce que vous voyez en Suisse, en
Belgiqlle, en Pologne.


Cel'tes, mcssieurs, il ya la, ce me semhle, quelque chose
de changé, quelque chose de tr€s-eonsiJérable, et qui prouve
que tout n'est pas alljoul'd'hui eomme sous les ministres de
Charles X. La révolulion du mois d'aout, une fois accomplie,
n'a pu ignorer qu'elle se trouverait hientol en présence de
fels faits,en présence de cet ébranlemenl généralde l'Europe,




190 HlSTOIRE PAHLE~fEl'!TAIRE DE FRAKCE.
et qu'eUe aurait une conduite difficile a [enit'. Elle s'est tro11-
vée dans l'obligation d'avouer, de proclamel', de défendre
partont son propre principe, l'exemple qu'ellc avait donné,
et en meme temps dans la nécessité de ne ras porter dans
toute l'Europe le tlésordre, la guerre, la révolution. 11 falIait
d'une part, ql~e la France, qui yenait de s'affranchir, et qui
voyait partout son exemple suivi ou prcs d'etre slIivi, il
fallait, dis-je, que la France fUt HIICle it ce qu'c11e avait faít,
ne reniat ni sa conduite, ni son exemple, et qll'en meme
temps elle ne se laissat pas accuser J'etre possédée de ce
démon révolutionnaire qui avait tant rait reculer ¡a révolu-
jion fran~aisc apres l'avoir poussée si l?in 1101'S de son terri-
toire.


Le gouyernement f1'ant;ais, sorti de la ré,'olution de Juil-
let, s'est done tl'Ouvé entre aeux systemes; d'une part le
maintien de ses principes, le ferme et fiel' maintien de la
révolution qui lui avait donné .naissance, par les voies régu-
lieres, par l'infh,¡ence constitutionnelle, par !'infiuence du
spectacJe de la liberté et des excmples a'un gouvernement
conslitutionnel; d'autre part, le systeme de la propagande
révolutionnaire, d'une propagande par les armes, par la
force, pal' les conquetes. e'est entre ces deux systemes,
messieurs, queje dcrnierministere s'est vu ohligé de choisir,
Il a eu a décider la question de savoir s'il entreraiL daos les
voies d'un salutaire exemple donné a ¡'Europe, ou 8'il entre-
raít dan s cclles de la conquete révolutionnairc. C'est clItre
ces deux systernes qu'il a chojsi. 11 s'est prononcé pour le
premier; e'est le meme systerne qui esl continué aujourd'hui
par ses successeul's. e'c;;! Jonc sur ce systeme que je
vous demande d'arre!er un moment votre attention.


Quand on a accusé le ministere pl'écédent de ne s'ctre pas
livré a ce mouvement qui .portait tant de peuples a ¡miler
l'exemple de la F.rancc, de ne l'avoir pas partout alimenté,
de ne s'en etre pas emparé a finstant meme pour le pousser
a ses dernieres limites, sur quel principe s'est-on fondé? Sur
ccci, qu'un peuple qui a adopté 1IU principe doit s'appliquer




CHA,\IBRE lJE~ DÚ>UTÉS. -15 J Al'; V IER 1831. 1 (¡l
a le fai-I'e prevaloir dans I'Europe entiere, qUé la tendance it
l'lmité politique, 11 une prépondérance prumpte et générale
de tel ou tel systeme eot la loi des é\'énemcnts, le Im,hilc de
la.politique europl'enne. Le príncipe de la suu\craincté du
peuple avait triomphé chez I10US; done nous devions poussel'
partout a son triompbc, et tra\ailler it lui soumctlre l'Europe
entiel'c.


Messieul's, ectte falllaisie de soumelll'e I'Europe 11 I'unité,
de la I'angel' a un seul systeme, sous la loi d'une seule idée,
ecHe fantaisie n'est pas Iloul"cllc; elle a passé plus d'une fois
par la lele des gou\·el'llcmenls. JI ne fuul pas en aller chcrchcl'
de~ exemplcs lJicn luin. Louis XI\', dans les temps modl'rne~,
a eti la fantaisie de f¡tire pré\'aloil' la rnonarchie fral1!,'aise
dallS I'Emupe; la COll rentíon a \Oulu faire pré\aloir la Bépu-
hliquc; llonaparte a \oulu porler I'Empirc daDs [oule l'Eu-
rope. La Saintc-A!liill:ce a f'rltl'ndu la oOI,rcfttre ahsolumcnt
au príncipc llonal'chi'lue. Qu'€st .. iI aniré it toutes ces épo-


. quesO! Une l'l-action v:(¡'ent", non-sl~lllement des gouvcl'lle-
rncnls, mais dcs J>cllplcs; unc réaclioll nalionaIe contre la
tcnta1.í\"e d'illlposel' ainsi il I'Eul'ope une unité violente el
fadice. Cellc ¡úlciion, lIoll-scul"IllC¡¡( gouvernemenlale, je le
rrpetl', mais nationall', a éclalé contl'C Louis XIV, eonlre la
COl1\'cnlion, conllC BOllupal"le. (Une voix: Elle n'état pas
nationale.) QuanJ elle s'estfaile contre Lonis XIV, qui a été
it la tete de la coalilion eutrcprise au nom de la liberté des
fl3.líotls cunlre ¡'unité du gt\wd roí'! Guillaume lIf, mi d'An-
gldcrrc, le tJI~me IIOIllme 'lui aITranchissait l' Angleterre de
la tyral1nie des Sluarts. Sous la Comelltíon, quand elle a
tentl; de porter la républiquc dans toute l'Enrope, Cl'oycz-.
vous que ce soít les gouvernemcllts seuls qui s'en soient
lassés? ~on, un premie!' mouverncnt, une premicreespérance
a\"aít fait trou\"er a la COllvenlion des alliés chez tous les
peuples: mais hientM la tyrannie inévilahlement altachée a.
de tcIles lelltaliycs, les "iolel1res dont elles ne peuvent
se Jéfcndre, onl tourné eonll'e elle l'csprit J'une grande
partic des pl'uplcs, el jeté l'Europe daus une réaction allti.




1<:1'1 R1.S'tOUl .. Y. 1.' !..."B.LY.~Y.'I'i.'tb..l"B.Y. Ult YR!...'l'i.c'lt,
républicaine, contre le sysleme de l'unité comentionnelle.
Cette me me réaction s'est manifestée contre Bonaparte;
personne n'ignore que le mouvement sous lequel nous
avons succombé en 1814 n'élait pas seulement une coali-
lion des eabinets, el que l'esprit général des peuples de
l'Allemagne, avides de s'affranchir de ecUe unilé factice, a
été la vérilahle cause du succes de celte coalition, qui
aurait succombé comme toules les autres, si elle avait été
seulcment une coalition de I'ois.


Eh bien! messiellrs, pourquoi ces tcntativcs d'unité euro-
péenne ont-elles toujom's amené une I'éaction contre le sys-
teme qui avait tenté de préraloi l'? Pourquoi? c'était la liberté
des nations qui était attaquée, c'élait la liberté des nations
qui se défendai t contre cetle unité violente qll'on vOlllait lui
impober. Les nations ont revendiqué le dt'oit de se gouver-
nel' comme elles en avaient besoin. Fanlaisie, si vous voulez;
c'est le princi pe de la li herté des nations qui a résislé a ces
essais d'unité factice et violente. Et quel nom porte aujour-
d'hui ce príncipe? (Une voix, Celui de la Sainte-A\liance !)
Celui de la non-intervention. MessieUfs, c'est le principe de
la non-ínterventíon qui représente aujourd'huí la liberté des
nalions dans leurs rapports entre elles. C'esl ce príncipe quí
a élé invoqué contre la monarchie de Louis XIV, contre la
République convenlionnelle,contre l'Empire, que nous avons
invoqué nous-memes conLre la Sail1Le-Alliance.


Le príncipe ,le la non -inLenenlion est le meme que le
principe de la liberté des peuples; c'est a ce príncipe que
toules les tentatives que je viens de ~ignaler, celle de la
Sainte-Alliance comme lesautres, porlaienL atleinte, Eh bien!
il s'agit aujourd'hui de savoir si ce príncipe sera maiutenu
par notre gouvernement, si nous respeclerons la liberté des
nations, 011 si nous rccommencerons ces tentatíves d'unité
violente que je viens d\ndiqllcr. Peu importe le mode de
l'interventiun, le titre auqucl \'intcrvention se fait : on peut
intervenir de plus d'une maniere; on peut intervenir par
des relations diplomatiques ou par des conspiralions;. on peut




CHAlIiBRE DES DÉPUTÉS.-15 JANVIER 1831. 193
intervenir, par des congres 00 par des sociétés secretes; on
peut intervenir au nom du príncipe de la Iégitimité ou au


nom du príncípe de la souveraineté du peuple. QueIle que
soit l'origine de l'intervention, quels que soient les moyens
par Jesquels elle s'exerce, des qu'elIe est armée, violente,
elle porte atteinte a la liberté des natious; elle e,tit une '{i(}-
lation de ce principe salutaire d'e non-inlervenlion qui est la
hase du droít des gens, le príncipe en vertu duquelles goo-
yernements et les peup1es vivent en paix les uns aree les
autres. '


11 Y a, je le répete, messieurs, mille manieres de vioJer ce
príncipe; je ne erois pas que rune soit meilleure que l'autre •
je n'ai pas plus de respect ponr les émissaires d'une soeiét¿
secrete que pour les courtisans de la Sainte-AlJianee (Bravos
au centre gauehe); je ne crois pas que les violences ou les
conquetes, quel que soit le systeme au profit duquel elles
s'exercent, toument davantage au profit des nations.


C'est entre ces deux systemes, je le répete, le respecl de la
liberté des peuples, le principe de non-intervention, d'une
part, et, d'autre,pal't, de nouvélles tentatives de soumeltre
l'Europe a une unité factice, violente, c'est entre ces deux
systemes, dis-je, que les ministeres qui se sont succédé
depuis le mois d'aoul ont été appelés a choisir. L'un et
l'autre ont fait le meme choix; ils ont pensé que la liberté
fondée el l'égnant en France, la monarchie constitutionnelle
étahlie a la suite d'une insurrection nalionalc, c'était la ce
qu'il y avait de plus puissant pour propagcr en Europe les
principes de la liberté et du gouvcrnement conslitulionnel.


Le spectacle de la liberté est infiniment plus contagieux
que le mouvement d'une l'évolution; c'est la craintc de l'es-
prit révolutlonnaire qui ferait a vos principes, a votre gou-
vernement, de nouvcaux, de dangereux enncmis. Sommes-
nous de tels enfants ou de te1s vieillards que nous oubliions
si tót ce qui s'est passé sous nos yeux ~ Comment! nous
avons vu le plus hardi des gouvernemcnts, la Convention,
porter partout ses pl'incipes, ses al'mées, dans la me me voie


T. 1. 13




194 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
qui vous est indiquée aujourd'hui; la Convention se saisissait
des moindres prétextes, de la moindre apparence d'insurrec-
tion, pour s'écrier que les peupl~s voulaieut le meme gou-
vernement que la France, pour se lancer en armes sur leur
teniloire, pour se faire, je demande pardon de l'expression
dans une queslion aussi grave, le Don Quichotte de l'in-
surreclion en Europe .... (Marques d'adhésion au centre; mur-
mures ti l' extreme gauche.)


}l. ENOUF.-Dites de la liberté.
Ce n'était pas de la liherté qu'il s'agissait alors; la Con-


vention, partout OU elle a vu la moindre insurrection, s'en
est saisie pour s'y porler en armes; e'est le meme systeme
qu'on recommande aujourd'hlli. Je ie demande encore, mes-
sieul's, avons-nOllS done oublié quel en a été le résuItal ~
Avons-nous oublié eeUe eoalition, non-seulement des sou-
verains, mais aussi des peuples1


MM. DE BRIQUEVILLE, ÉNOUF el RÉMoND.-La Sainte-Al-
liance n'était pas l'alliance des peuples.


M. GUlzoT.-Je ne parle pas de la Sainte-AlIiance, mes-
sieurs; je parle de la coalition formée contre Bonapal'te, etjc
dis que, celle-la, les peuples aussi en étaient. (A l'extreme
gauche. Non. Au centre. Si, des peuples. - Agitation.)


I\fessieurs, je n'interromps jamais personne; le droit
de toul orateur est de développer ses iJées, de les pré-
senter dans leur simplicité, dans leur crudité, si vous
voulez, saur a les expliquer pleinement j je reconnais 11 tou!
le monde le meme droit; je demande 11 la Chambre la per-
mission de n'ctre pas obligé d'atténuer, d'énerver ma pensée,
la permission de la lui communiquer toul entiere, libre, na-
turelle, eomme elle me viento


1\1. RÉMOND. - Tant pis pour vous.
Quelquesvoix.-A l'ordl'e, a I'ordre, e'esl une personnalité.
M. GUIZOT. - Je trouve l'interpellation tres-simple; j'ac-


cepte la pel'sonnalité, et je la renvoie 11 tous eeux de quí elle
peut venir: tant pis pour vous, dis-je a nlon tour 11 quiconque
differe de mon opinion; car, apparemment, je crois avoil'




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-15 JANVIER 1831. 1&5
raison. (Bravos au centre.) Tant pis pour qui se trompe.
Nous verrons qui se trompe; c'est a la Chambre elA l'avenir
a enjuger.


Je reviens a la Convention et a l'Empire I el je remercie
les interrupteurs de m'avoir fourni celte occasion de dévelop-
per ma pensée. Je di s, el je crois l'avoir déjlt dit, qu'un pre-
mier mouvement, trcs-légitime, de sympathie et d'entbou-
si,asme avait éveillé lous les peuples 11. l'aspect de la Révolution
fran~aise; mais j'ajoute en meme temps que, peu aprcs, les
violences, les guenes de la Révolution fran~aise, el particu-
licrement cet abus de la force qu'elle a porté dans toute
l'Europe pour imposer ses principes, ses institutions et ses
lois a des peuples qui, dan s un vif élan d'enthousiasme, el!
avaient tant espéré, je dis que cette cause a puissamment con-
tribué a aliéner ces memes peuples, que ceUe canse nous a
fait perdre en Allemagne,en Italie, en Belgique, une foule de
partisans. Je dis qu'apl'es les guerres de la Révolulion fran-
~aise poul' imposer son systcme a rEmope, il s'est fail en
Europe une réaclion, non-seulement des souverains, mais
des pe.uples, ou, si l'on veut, d'une grande parlie de~ peuples
contre la Révolution fl'an~aise; je dis que telle 11 été la princi-
palc cause des rever s de la Révolution fran~ajse, que e'est
ccUe cause qui se fit sentir en {8U. Cerles, messieuu, il y
a la une grande le~on, et, je demande la permission de le
dire a la Chambre, nous ne serions pas excusables d'oublier
si vile ce qui a en lieu sous nos yeux, des événements dont
IIOUS avons été les acteul's et les victimes; nous ne serions
pas pardonnables de les oublier et de rentrer dans des vóies
dont nous sommes 50rtis si péniblement, et avec tant de
sueur el de sango


Non, le ministcl'e dont j'ai eu l'honneur de faire partíe et
cclui qui lui a succédé ne se sont pas trompés, quand ils ont
choisi entre le syslcmc de I'influence pacifique, constitution-
nelle, libératrice, et le systcme de la propagande armée, vio-
lente el révolulionnail'e. Ce sonl ces deux systcmes qui,
sous une forme plus ou moins prononcée, plus ou moins mc-




196 IIISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
na~ante, se sont trouvés en présence. Ce sera dans I'avenir,
sinon de demain, du moins de I'histoire, I'honneur de la
révoJution de Juillet, d'avoir été pacifique en Europe, aussi
bien que modérée et libél'ale en France; ce sera son honneur
de s'etre confiée dans la puissance de son exemple, dans la
puissance du spectacJe de ses institutions, de sa liberté, pour
soutenir et propager en Europe des principes qui ne nous
sont pas moinschers qu'a aucun autre, pour lesquels, au-
tant qu'aucun autre, nous avons combaltu. (Tres-bien! tres-
bien!) Cal', remarquez, messieurs, nous voulons propager la
liberté, mais non Jes révolutious. Les révolutions, l'insur-
rection, sont un mauvais état pour un pays : il faut :souvent
passer par la pour arriver a la liberté; mais ce n'est point la
liberté elle-meme. Rien ne se ressemble moins que le spec-
tacle d'un pays en révolution el cclui d'un pays libre.


Eh bien! ce que nous n'avons pas voulu offrir a l'Europe,
e'est la vue d'un état l'évolutionnaire en France. Nous
eraignons l'effet que ce speclacle produirait, non-seulement
sur les souverains, mais sur les peuples. Nous craignons de
les voir une seconde fois effrayés, désabusés, dégoutés, en
grande partie du moins, comme ils l'ont déjil été. Nous vou-
lons aujourd'hui que les peuples ne connaissent de la révo-
lution franGaise que ses vertus et ses biellfaits; nous vou-
lons que les peuples voient régner en France, non la
révolution, mais la liberté; non le désordre, mais l'ordre in-
térieur. Nous voulons, en un mot, que la révolution de Juillct
se présenlea l'Europe, l'affranchissement, la liberté et la paix
a la main, au licu d'y porter l'insurrection ella guenc; tout
comme nous avons voulu, dan s l'intérieur de la FraIlce,
qu'elle offl'it la liberté ct la paix a tous les partis, qu'elle ne
menaGat personnc. C'cst dan s ce systeme qu'a agi le précé-
dent ministere, qu'agit encore le ministere actuel, el certes,
il vaut bien la prédicalion continuelle de l'insul'l'ection et
des révolutions. (Tres-bien/ tres-bien! Mouvement général.)




XXIII


Discussion sur la poli tique extérieure adoptée et pratiqufÍ6
par le cabinet du 11 aoút 1830.


- Chambre des députés.-Séance du 'itI janvier 1831.-


A l'occasion du débat sur le projet de loi relatif a,-
l'organisation municipale, la politique extérieure du
gouvernement, notamment envers la Belgique et la
Pologne, fut de nouveau attaquée par MM. Mauguin,
Lamarque, Eusebe Salverte, de Lafayette, etc.; MM. Du-
pin, Cunin-Gridaine, Barthe défendirent la politique
pacifique. Le débat se prolongea pendant deux séances.
J'y pris part en ces termes:


M. GUlZOT. - Messieurs, en abordant une question si dé-
licate, je demande a la Chambre la permission de faire re-
marquer qn'elle est délieate pour tout le monde, pour ceux
qui attaquent le ministere comme pour le ministere qui se
défend. Le gouvernement que nous avóns choisi, que nous
avons formé, n'est pas tellement aneien, tellement fOl't, que
nous puíssions en user avec lui eomme si ríen n'était plus




'198 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
en question. Nous avons tous, tous ceux qui siégent dans
ceUe Chambre, quelles que soient nos opinions poli tiques,
quelles que soient nos relations avee le ministcre, nous avons
tous un certain degré de solidarité dans sa cause. Il s'agit
pou.r DOUS tous de fortifier, de fonder définitivement le gou-
vernement que DOUS avons choisi. Lorsque des circonstanccs
difficiles ,s'élevent, lorsque nous élevons nous-memes des
questions délicates, et, je le répHe, elles sont délieates pour
tout le monde, nous avons tous besoin d'y toucher avec ré-
serve, je dirai presque avec crainte.


En ce quí touehe la Belgique, messieurs, et j'aborde iei,
je le sens, la question fOllllamentale; en ce quí louche la
Belgique, ceUe espeee de solidarité ave e Je gouverncment
du Roi, donl je viens de parler, n'a rien, je crois, quí doive
nOUE inquiéter, ni nous embarrasser.


Le ministre des affaires étrangeres vous a dit tout a
l'heure, et j'ai lJesoin de le répéter : si la Belgique délihcre
en liberté aujourd'hui sur ses destinées, e'est a la France
qu'elle le doit. Le gouvernement du Roi était a peine fondé,
l'insurreetion de la Belgique éclate, et le premier acte du
gouvernement du Roí es! de déclarer a toutes les puissanees
de l'Europe que, lui n'intel'venant pas, il ne souffrira pas
que personne intervienne, et que le jour ou un soldat
prussien franchira la frontiere de la Belgique, les Fran~ai6
la passeront immédiatement.


Celte décIaration, messieurs, an moment Ol! elJe a été
faite, a excité dans plus d'nn cabinet européen une vi\'e ru-
rneur; elle a fort é!onné ceux a qui elle s'adressait. Nous
ne pouvons en etre surpris; c'était une déclaratíon de mort
a la Sainte-Alliance, c'élait l'abolition définitive de eeUe
unité rnystérieuse et violente qu'elle voulait faire peser sur
l'Europe. Le jour oh la France a dit: tant qu'un peuple se
renfermera dans ses affaires intérieurcs, qu'il changc ou
non la forme de son gouvcrnement, personne ne pent inter-
venir : ce jour-Ia, la France a bl'isé la Sainte-Alliance,
la France a proclamé la liberté des nations, 11 n'y a, cCI'tes,




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-27 JANVIER 1831. 199
dan s la solidarité de tcls actes, rien que nous devions
repousser.


Mais, je le demande, si la Belgique aujourd'hui délibere,
grace a. ¡lOUS, en liberté sur ses destinéeg, avons-nous perdu
le droit de délibérer en liberté sur la conduite que nous
dcvons tenir a son égard? Est-ce qu'au moment ou nous
avons affranchi la Belgique a. l'égard de tous les peuples de
rEurope, nous nous sommes liés irrévocablement a trouver
bon ,a. soutenir tout ce qu' elle pourrait faire elle-meme pour
sa destinée! Cerlainement non. La liberté que nous avons
garantíe a la Belgique, nous l'avons conservée pour nous-
memes toul enticre. Je demande la permission de vous
arreter un moment sur ceUe question. A cOté de ceUe poli-
tique généreuse, élevée, qui prend ponr guide les droits gé-
néraux de l'humanité et des nations, il y a une politique,
non pas contraire, mais dj[érente, une politique spéciale,
nationale, qui consulte avant tout les intérets nationaux,
qui les voit, les considere dans tous les événements, qui
approuve ou n'approuve pas les événements, les combal ou
les soutient en raison de l'intérCt national uniquement.


Il ya, messieurs, je n'hésite pas a. le dire, iI y a un cer-
tain degré d'égoisme national qui est la loi de la poli tique
des peuples, et a. laquelle il esl impossible d'échapper. Eh
bien! nous sommes a l'égard de la Belgique dan s cette situa-
tion. Apres avoirgaranti sa liberté en Enrope, apres l'avoir
protégée contre toute inlervention violente, nous ganlons
pour nons memes une liherté tont entiere; nons n'avons a.
consulter, dans ce qui la conceme el dans notre conduite a
son égard, que la justice d'abord et nos intérets nationaux,
les convenances de notre gouvernement et de notre pays.
Nous conservons le droit ue nous décider pleinement d'apres
toutes ces considérations. Ainsi ce n'est plus qu'une question
de conduile el de prudence. 11 s'agit de savoir de quelle ma-
niere le gouverncll1cnt de lJ. Franee, dans I'intél'ct de la
France, doil se conduire vis-a-vis de la Belgique ; nous en
avons pleinemclllle uroil. II s'agit de savoil' si, en conser-




200 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
vant la Belgique eomme Etat européen, íl a épuisé tout ce
qu'illui devait. La question est donc purement une question
de poli tique et d'intéret national. C'est sous ce point de vue
désormais que je demande idaconsidérel'.


Dansles documents parvenus de Belgique, trois faits ont
attiré l'attention du publie et des Chambres. Je ne dirai rien
du refus de mettre M. le due de Nemours a la disposition des
Belges, tout le monde est d'accord. Je m'arreterai peu sur le
refus de reeonnailre le due de Leuehtenberg eomme roí des
Belges; eependant j'ai besoin d'en dire un moto Je n'attache
pas aux complots et aux intrigues poli tiques plus d'jmpor-
tance qu'elles n'en méritent. Je sajs qu'on peut avoiraeolé de
soi, chez ses voísins, un foyer d'jntrigues et de conspira-
tions, et n'en clre pas moins un gouvernement solide et
fort. Je suis done loin de croire que les destinées du gouver-
nement de la France dépendent de la question de savoir si la
Belgique aura ou non pour roí le duc de Leuchtenberg. Ce-
pendant, iI est vrai de dire que, s'il n'y a pas danger, il peut
y avoir des ineonvénients graves pour un pays a avoir a cOté
de soi des complots qui s'ourdissent. le ne dis pas qu'il faille
tout risquer pour empeeher un tel fait, mais je dis qu'il faut
le p¡'endre en grande eonsidération.


Si le due de Leuchtenherg élait élu roi des BeIge" el
qu'il s'agit, apres plusieurs années d'existence, de savoir si
on le reconnaitra, il est possiblc qu'il faHut se décidcr a le
reconnaltre. Mais il n'cst pas encore élu, et il est certain que
son élection serail un incident facheux pour le gouvemement
fran~ais. Il est donc tout simple que le cabinet ait employé
toute son influence pour repousser ce résultat: jI en avait le
droit et le devoir; et, quand jI a annoncé qu'il ne reconnal-
trait pas, il ne peut pas avoir dit qu'il ne reconnaitrait
jamajs; jI n'ypas de jamais en politique: on se conduitaujour
le jour, selon la prudence et la nécessité. Le gouvernement
fran~ais a employé son influence et les déc\arations de sa poli.
tique a repousser un fail qui évidemment n'est pas favorahle
a la France, qui llourrait lui etre nuisible, Iui causer des




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-27 JANVIER 1831. 201
troubles ou au moíns des eraíntes. Il était, je le répete, dans
son droít; et, dans mon opiníon, il a bien fait d'en user.


J'arrive 11. la véritable queslion, 11 eelle qui préoeeupe tous
les esprits, 11 la question de la réunioll proposée, offerte,
dit-on, de la Belgique ala Franee • .le n'éleverai pas la ques-
tion de savoir si la réunion est effeetivement proposée, et
par qui : je le suppose, et j'entre dans le fond de la question.
J'en eonviens, il y a iei des sympathies nationales; il peut
y avoir aussi avantage réeiproque. Je respecte les sympa-
thies naturelles des peuples; je.erois qu'elles sont un tres-
bon príncipe d'uníon. Je ne méprise pas les frontieres natu-
relles, jc erois que e'est une des considérations qui doivent
entrer dans la poli tique. Je ne suis pas non plus étranger,
je le déclare, au désir de l'éclat et de l'agrandissement de
mon pays. Je ne crois pas que les peuples soient destinés a
jouir paisiblement et oisivement de leur honheur: les peuples
sont destinés a vivre lahorieusement, 11 courir des dangers, 11
s'imposer de lourds fardeaux, dan s I'intéret de leur prospérité
matérielle et de leur gloire. II y a des cas OU il faut savoi ..
meme saerifier sa prospérité inlérieure, pour son éclat et
son agrandissement. Je ne repousse pas d'une maniere géné-
rale la gloire et l'agrandissement de mon pays ; j'examine la
question dans la situation présente, et je partage pleincment
l'avis du mínistere.


On a parlé plusieurs fois, a cette tribune, de la nécessité
a'une poli tique largc, élevée, étenduc. Il est vrai quejusqu'ici
ron ne s'était guere écarté de ce que je me permettrai
d'appeler l'ancienne routine européenne. Les eonsidérations
dont j'ai parlé, les fronlieres naturelles, les alliances, les
relatíons par lesqueIles se tiennent les peuples, ont été les
guides de la politique extérieure: elle s'cst généralement
déterminée d'apres ces considératíon3 seules; e'est lit que la
politique a puisé son étehdue et son élévation. Je le eOlll-
prends: iI y a plaisir, en effet, pour les esprits élevés, 11 se
déployer et 11. se jouer dans des combinaisons de ce genre, a
changer ainsi, soit par la gucrre, soit par les négociations,




~~ HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FHANCE.
le sort et la distrilmtion des peuples. C'est la, je le répele,
que la poli tique extérieure a puisé jusqu'11 présent son éten-
due et sa grandeur. 11 faut convenir aussi que ces considé-
rations sont souvent arbitrai1'es, que, si elles ont fait faire
de grandes choses, elles ont jeté aussi les politiques dans
de grandes erreurs. Elles ont produit un germe de tyran-
nie, d'oppression, de guerres et de conquetes inutiles, dé-
sastreuse8 meme. Cette politique étendue et élevée, en un
mot, n'a pas été toujours fondée en raison, ni salutaire aux
nation8. Notre révolution, qui a fait entrer dans la politique
intérieure des peuples tan! d'idées et de sentiments qui lui
étaient étrangcrs jusque-la, notre l'évolution a rendu 11 la poli-
tique extérieure le meme service; elle a banni ou bannira,
je l'espere, j usqu'a un certain poinl ces combinaisons arbi-
traires qui reposent uniquement sur l'idée de tel ou tel
homme, d'un grand homme si l'on veut, ces combinaisons
plus ou moins factices qui ont été jusqu'a ce momenl le
caractere de la politique en général. Notre révolution nous
impose la loi de tenir compte de bien d'autrcs faits, de faire
entrer beaucoup d'autres éléments en considération. Ce ne
sont plus aujourd'hui les frontieres naturelles, les sympa-
thies historiques qui doivent décidcr uniquement, je dirai
préférablement, dan s toute question; il Y a des motifs qui se
líent de plus pres au sort des nations, qui intéressent plus
vivement la conscience des peuples. Ce sont eeux-I11, non
pas les eombinaisons de ce qu'on est accoutumé d'appeler la
grande diplomatie, ce sont ces motifs qu'il faut examiner
dans eeUe question.


Eh bien! je me demande ayant tout, car e'est la ce qui me
parait devoir décider la question, je me demande si la dignité
de la Franee d'une part, sa su reté extérieure de l'autre, et
enfin son étal intérieul', exigent ou comeillent cette réunion
qu'on nous propose. La dignité de la France, messieurs, je
erois qu'il faut en tenir grana compte ; je ne pense pas qu'il
soil inaifférent de laissel' échappel' une circonstance dans
laquelle la dignilé du peuple peut se Cl'oire inlél'cssée. Ilne




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-27 JANVIER 1831. 203
faut pas qu'un sentiment douloureux ... je cherche un mol
moins dur ... qu'un scnlimcnl d'humiliation s'étahlisse parmi
les peuples a l'égard de leur gouvernement. C'est par le
sentiment de sa dignité qu'un peuple es! vraiment un
peuple; e'est par la qu'il vit, qu'il se sent. Eh hien! loin
de conlrarier ce sentiment, il faut le respecter, le dévelop-
per en lui, toules les fois que l'occasion s'en présente. Je
dimi meme que nous y sommes ohligés aujourd'hui plus
partieulierement que jamais. Un sentiment de dignité publi-
que, et permetlez-moi de le dil'e, de dignité populaire, a
joué un grand role dans notre révolution de 1830. C'est
parce que le peuple, en partie a lort, en partie a raison,
s'est sen ti olrensé, humilié, qu'il s'est si promplemenl levé,
ou résigné, pOUl' la chute du gouvernement d'alor" Les
offenses a nos Iibertés, la violalion de nos droits, qui ont
justemcnt ému les classes élevées de la société, n'auraient
peul-etre pas suffi sans ce senliment d'offense populaire
qui a soulevé les masses el qui les a données a la cause de
nos libertés publiques.


Nous avons donc, dans ce moment-ci particulierement,
une plus grande obligation a ce sentiment de dignité popu-
laire, a ce besoin de s'élever, de s'honorer soi-meme, a ce
besoin qui a joué un si grand role; mais je trouve que notJs
nous faisons une Lien mince ¡Me de la dignité de la France
quand nous la croyons intéressée a résoudre de la sOl'te, et
immédiafement, la queslion dont il s'agit. J'ai une plus
haute opinion de la dignité nationale; je crois que depuis
quarante ans, depuis la révolution de Juillet et les événe-
ments de décembre dernicr, la France a conquis de la
dignité, de I'honneur, de la considératiün en Europe, assez
pour aUendre un an, deux ans, s'illui plalt, avant de se dé-
cider dan s une question de poli tique extérieure. Elle n'a
pas Lesoin, pour mainlenir sa dignité, de se compromettl'e,
de se jeter a I'aventure dans les événements qUl viendront
s'olfrir 11 elle. La France a le sentiment profond de ce qu'elle
peut et de ce qu'elle sait faire; son llonneur n'est pas en-




204 IIISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
gagé dans le parti qu'on voudrait lui faire prendre immé-
diatement, et dont on voudrait lui faire une nécessité d'hon-
neur, Nous sommes libres 11. cet égard comme a beaucoup
d'autres; nous pouvons attendre, juger, faire ce qui nous
conviendra, refuser si cela nous convíent; nolre dignité
n'esL pas compl'omise par ce refus.


Voiei unautre moLif de sureté intérieure, une seconde eon-
sidération qu' OH allegue pour décider la France a accepter ce
qui, dit-on, est offert; on dit : vous vous faites iUusion,
l'Europe entiere vous en veu!, elle est votre morteHe enne-
mie; ne vous laissez pas surprendre; atlaquez pour ne pas
etre attaqué.


Je ne me faís aucune illusion quant au point de vue sous
lequel notre révolution de 1789 et celle de 1830 peurent etre
jugées par les gouvcrnements cUI'opéens. le ne doute pas
qu'elIes ne soient vues avec chagrín et avec malveiHance;
mais je dis que ce ne sont pas des raisons déterminanlcs, des
raísons suffisantes pour adopter le systeme qu'on propose.


Je vous príe de remarquer un faíl : c'est que la révolution
de 1830, en admettant qu'elle ait été vue de maUl'ais
reil par toutes les puissances de l'Europe, a cependant été
recue el jugée diversement par elles. Il y a telle puissance
qui a manifesté un grand éloignement, un vrai chagrin; il y
a telle autre qui s'est tenue dan s une réseI've convenable;
telle autre OU le mouvement national a été tel que le gou-
vernement a été emporté dans ce mouvement, et obligé, si-
non de s'y soumettre, du moins de s'y accommoder. Il ya
done, dans les dispositíons volontaires ou obligées de l'Eu-
rope, a l'égard de notre révolution, de grandes différences.
Pourquoi n' en tiendriez-vous pas compte? Pourquoi jetteriez-
vous toutes ces puissances dans la meme inÍmitié contra
vous? Pourquoi ne travailleriez-vous pas a. vous faire des
allianees? Pourquoi nc profiteriez-vous de la bonne volonté
que vous témoigne telle ou telle puissance, au líe u de les
confondre toutes dans un lieu commun déclamatoire, qui a
bien quelquefois sa part de vérité, mais qui ne peut etre




CHAMBRE DES DÉPUTES.-27 JANVIER 1831. 205
admis comme le moblle déterminant de la conduite
d'hommes sensés ?


Je vais plus loin: indépendamment de ces divcrsités qui
ont éclaté dans les dispositions des puissances européennes,
et du parti que vous pouvez en tirer, je dis que l'expérienee
d-e ce qui s'est passé en 1789, des guerres de la Révolution, du
régime impérial, de la Restauration, n'a pas été perdue pOUl'
l'Europe, pas plus que pour nous. Je ne suis pas porté it
croire qu'elle ait changé le fond des cCBurs; le fond des
CCBurs change rarement.i mais la nécessité se fail recon.-
naltre par tout le monde, l'expérience flnit par éclairer les
plus aveugles.


Comparez la conduite des puissances européennes aux
différentes époques, depuis 1789 jusqu'a ce jour, et voyez si
eette conduite a été la meme. Elle a changé selon les temps;
elle a subí les variations que l'expérience et la nécessité de-
vaient lui imprimer. L'Eul'ope a traité avec la Convention
et Bonaparte. Bonaparte aussi metlait les dynasties en dan-
gel'; il en a changé plus d'une; il voulail que la sienne mt
la plus ancienne de l'Europe. Cependant on a traité avec lui
a diverses reprises, on a cessé de le combattre, on s'est pré-
cipité dans son alliance.


En 1811" les puissances de l'Europe ont été généralement
convaincues qu'il raHait a la France le régime constitu-
tionnel. La Charte lui a été donnée de l'avis de l'Europe.
Ces memes puissanees, qui n'ont pas donné de eh arte chez
elles, qui probablement combaltraient longtemps avant d'en
accepter une, ont pensé, en 1814, que le gouvernement con-
stitutionnel était nécessaire it la Franee; que, dans la poI i tique
européenne, la France, ponr n'Nre plus une cause de
troubles, un sujet d'alarmes, avait besoin de ceUe charle;
el ces memes puissances qui, en 1794, s'opposaienl a une
constitution en France, n'onl pas cru, en 18'i.4, qu'elle put
s'en passer.


Qu'cst-ce que cela prouve? Que la conduite des puis-
sanees n'est pus toujours la meme, qu'une roule de considé-




206 HISTOIRE PARLEME","TAIRE DE FHANCE.


rations et de nécessités pesent sur elles comme sur nous.
Aujourd'hui} rEurope a appris a connaItre la nécessité du
régime constitutionnel en Franee, et la révolution de -1.830
l'a confirmée <ians eette conviction. Quels que soient les
sentiments des hommes, quelques regrets, quelque mal-
veillance qu'ils portent au fond du CUllir, je n'hésite pas a le
dire : en fait, ee que l'Europe désire aujourd'hui, c'est que
la France vive sous un gouvernement régulier, que nos
institutions se développent régulierement, que la France ne
soit pas un nouveau foyer révolutionnaire, qu'elle ne soit
pas jetée hors de ses institutions et hors de ses fronticres.
Cest la le sentiment dominant de l'Europe; sentiment qui
n'exclut ni la méllance, ni la malreillance, ni le chagrín,
mais qui n'en est pas moins réel, paree que trente ans de
combats, de défaites et de malheurs font pénélrer la raison
dans les tetes qui y résistent le plus.


Je ne crois done pas que la guene soit une néeessité de la
sureté extérieure de la France. Si la France se renferme ré-
gulierement dans ses institutions et dans ses frontieres, si
elle vit constitutionnellement comme la république des
Étals-Unis vit en Amérique} la France n'a rien iI. craindre de
l'Emope. Je ne erois pas que l'Europe vienne l'altaquer.
Elle lui voudra du mal, elle cherchera. peut-etre 11 luí nuire,
elle redoutera nos institutions, tout en les supportant. Il dé-
pend de notre sagesse et de notre hon état inlérieur, de nous
faire supporter de l'Europe entierc et meme des puissanccs
les plus mah-eillanles. La question réside done véritable-
ment dans notre état intérieur. Consuhez la dignité natio-
nale el la surelé extérieure de la France, vous u'y trouverez
point la uécessité de la guerreo C'est du dedans de la Franee,
du sein de son gouvernement, et peut-etre du sein de eette.
Chambre} que tlous viendra la paix ou la guerre; elle ne
nous viendra pas d'ailleurs.


Eh bien 1 messieurs, nolre état intérieur exige-t-il la
guene, eonscille .. t-il la guerre, s'y prete-t-il meme dans
ee moment et convenablemeul1 Je ne le pense pas. 11 n'es!




CHAMBRE DES ll};PlJTI~S.-27 JANVIER 1831. 207
personnc, je croi, pouroir dire personne, qui trouve que
notre état intérieur soi! te! que nous le désirons tous, tel
qu'il doi! définitivement res le!', rpersonne qui tronve que
l'état actuel de la France soi! aujounl'hui l'éta! régllliel' de
notre pays e! de nos institulions. Évidemment il y manque
beaucoup; évídemment il ya dans le pOllvoir un affaiblisse-
ment, dans les esprits une défiance, une incertitude, une
anarchie qui ne constituent pas un bon élat intél'ieur.
Pourquoi ce He faiblesse progressive du pOllvoÍr? Pourquoi
eeUe anarehie croissante de la soeiété et des esprits? On a
parlé souvent, et j'ai moi-meme eu occasion de parler a
ceUe tribune de partí républicain, d'idées républicaines,
comme étant la cause de celte faiblesse du pouvoir, de ce
trou1le, de celte anarchie qui font des progres partout. Je me
repens, messieurs ; je . suÍs porté a croire que j'ai fait trop
d'honneur aux causes de l'anarchie et de la faiblesse du
gou vernemen t.


Apres tout, un gouvernemen! républicain régulíer peu!
fort bien ressembler a tous les autres gouvernemcn!s dans
lesqueJs les moyens d'action son! forts, el ou les lois peu-
vent ctre ohéies; il peut n'y avoir pas d'anarchie; I'anar-
chie n'est pas inhérente a la forme du gouvernement. Il y a
done ¡cí une autre cause, et, quand on veut etre dans le
"rai, quoique les mots république, idées républicaines soient
a la surface, ce n'cst pas la le fond des choses, ce ne 80nt
pas de ces mots qu'il faul se servir.


11 y a dans no[re société des restes d'idées anarchíques,
mais non pas républicaines, des restes de passions anarchi-
que;;, d'habitudes anarchiques, restes qu i nous vicnnent des
temps d'anarchie ré\'oJutionnail'e que nous avons traversés,
et des tentatives continuelles de complots, de conspirations,
de la lutle continuellc et anarchique contrc le dernier gou-
vcrnement'


MessicUl's, je eomprends qu'il puisse y avoir, comme il y
a eu a cer!aines époques, de la sincérité, de la générosité,
de la vertu dans des conspil'ateurs. Mais, messieurs, il y a




20B HISTOIRE PARLEMENTAlRE DE FRANCE.
touj~urs, et nécessairement, dans lems tentatives, de l'anar-
chie; cal' c'est 11 l'existence rneme du pouvoir qu'elles s'atta-
quent; c'est leur condition, je ne leul' en fais pas un
reproche; je sais qu'il y a eu dans le monde des complots
légitimes, des conspirateurs que je respecte, que j'aime.
Je ne parle de personne, je ne désigne ici personne;
mais je dis que meme les meilleurs complots, les conspi-
rateurs les plus honorable~, sont nécessairement jetés
dans les idées, dans les passions, dans les habiludes anar-
chiques; je dis qu'il suffit de voir la vie de Sidney, de
suivl'e l'interl'ogaloil'e de Sidney, lorsqu'il fut accusé, pour
voir que l'anarchie était dans son esprit, qu'elIe y était
entrée par la porte de la lulte continuelle contre l'autorité,
qu'il est impossible it la raison la plus ferme de ne pas trou-
ver bonnes toutes les raisons, de ne pas employer toutes
les armes poul' servir une cause malheureuse que l'on juge
sainte.


De la révolution fran(;aise et de la lutte continuclle d'une
portion du pays contre le gouvel'nement déchu, il est resté
dans nos espl'its, dans notre conduite, non pas de la répu-
blique, mais de l'anal'chie, des idées, des passions, des habi-
tudes anal'chiques, aussi contraires a la constitution des
États-Unis qu'il. la :notre, el qui seraient repousséesa. Wash-
ington comme it Paris.


Je dis que c'est la véritable cause du mal qui nous tra-
vaille. Je dis que c'est contrc ce reste d'anarchie que nous
avons maintenant il. lutter. Et reJ.llarquez, messieurs, notre
condition singuliere ; des esprits élevés, des hommes géné-
reux se jettent encore aujourd'hui dans ces débris de l:anar-
chierévolutionaire et conspiratrice. Croyez-vous que ce reste
d'anarchie soit tres-fort? Pas du tout.


Vous me permettrez de dire a ce sujet toute ma pensée. Il
est vrai que ces restes de sentiments, d'idées, d'habitudes,
d'actes anarchiques, que nous voyons autour de nous, n'ont
pas derriere eux les iniérels des "masses, qu'ils n'ont plus
la force qu'ils ont eue pendant longtemps; iI est vl'ai que




ClIAMBRE DEs Dl~PUTÉS.-27 JANVIER 1831. 209
si leurs autcurs élaient jctés clans des cntreprises difficiles,
comme J'a été la Révolution frall~aise, s'ils étaient obligés de
lutler contre l'Europe entiere, ils seraient a I'instant aban-
donnés; au lieu de ceLte gloire, de celle puissance que la
France a tirées de sa grande lutte, vous ne verriez sOl'tir de
cclle-ci que désordre el faiblesse. Ce n"est pas une raison
pour que la société n'en soit pas fort troublée. II n'est pas
nécessaire d'avoir la puissance el la gloire des armées répu:-
blicaines pour mettre la. société fort mal a l'aise, pour
tourmenter et eompromettre le gouvernement et la société.


e'est précisément ce qui nous arrive. Nous avons affaire
a un parti qui n'a pas de puissance réelle, pas de puissance
nationale, et qui conserve cepenclant asscz de mouvement,
assez de force pour traubler, pou!' mettre en question ce qui
nous est le plus che!' iJ. tous. Quels sont nos moyens de ré-
sistance contl'e ce padi? quels son! nos remedes? C'est le
maintien de rordre, e'est la prospérité publique, c'esl la
liberlé de lous, ceHe liberté qui fail que toules les opinions se
contiennent en se manifestant el en se controlant sans cesse


, l'une l'autre, ceUe liherté qui lulte seule eftlcacemellt contrc
I'anarchie, et qui peut seule nous en tirer par la prospérité
publique. Le pays oe prend aucun intérCt aux idées de dé-
sordl'e; par la liberté, elles sont sans cesse combattues et
réprimées. La prospérilé nalionale, la liberté universeIle,
voiliJ. les moyens de lultcr efficacemen! contre le mal dont
je parle. Mais la guel're, si elle éclate, vous Jaissera-t-elle
ces moyens? La guerre affermira-t-elle l'ordre puhlic? Déve-
loppera-t-clle la prospérité? Permettl'a-t-elJe de consene!',
d'aosurcr 11 tous eeUe liberté égale, dont tous ont besoin,
a laquelle tOllS ont droit, avec laquclle non8 nOU5 corrigeons
mutuellcmenl? Non, par la guerrc, inévilablerncllt el malgré
vous, et malgré le gouvernemcnt, l'ordrc public, la jll'Ogpé-
rité nationaJe, la liberté de tous, le jeu l'éguliel' de nos insti-
tutions, seront,.jene dirai pas détruits, mais mis en qucstiolJ,
menacés, affaiblis du moins. En sorte que les seuls moyens
par lcscluels vous puissiez luller conlre I'anul'chic, la guerre


T. r. 14




210 HISTOIRE PARLEMEKTAIRE DE FRANCE.
vous les enleve; la gneJ'J'e vous fait COlltil' le risque d'ctre
livrés a ce partí a la fois inquiétant el faible, a la fois cause
de. troubte.s e.l impuissaut a le.s l'~\wime.t·, a. ce l'axti qui e.5t le
vél'itable mal el le seul mal que vous ayez sérÍeusement a
cJ'aindl'e aujoul'd'hUÍ. (Al! centre. Tres-bien! tres-bien 1)


Je me borne a constater ce fait; je n'en tire qu'une con sé-
quence, c'esl qu'il ne faut faire la guene que devant une
nécessité absolue, qu'il ne faul pas aller au-devant, qu'il ne
fau! courir aucune aventure, que les avenlures scraÍent au-
jourd'hui, je ne veux pas dire funestes, cal' je veux cl'Oire
que ríen ne'pont Clre funeste, mo.Ís dangcl'euses et nuÍsÍbles.
De quoi s'agit-il donc'? d'attendre, de gagnt'r du temps, de
ne pas provoquer une d~cÍsion prompte et imm~diate, d'em-
ploye/' tout ce que nous pouvons avoir d'habilet~ et d'in-
fluence a n'etre pas obligés de résowlJ'c imméJiatement el
par la focre laquestion extérieure. e'es! sous ce point de vue,
el dans ces limites seulement, que je combats les argu-
ments qui ont été présentés.




XXIV


Discussion du projet de loi 8ur l'organisation municipale.


- Chambra des députés. - Séance du :J février 1831. -


Quand la discussion commen!;a sur les articles du
projet de loi relatif a l'organisation municipale, M.l\lar-
cbal, député de la Mcurthe, proposa, a titre d'amende-
ment, un projet complet et entierement différcnt, dont
l'articlc premier déterminait, d'une fa!(on générale,
l'état de citoyen fl'Un!(ais. Cette proposition, longuement
débattue, fut enfin repoussée par la question préalable.
Je ne pris part au débat que pour mcttre en lumj(~re la
différente situation ou se trouvait la Chambre depuis
que la Charte de 1830 lui avait donné le droit d'initia-
tive formelle et directe.


M. GUlzoT.-Je demande a la Chamhre la permission de
retenir un moment son aUention sur eeUe question, dont
la solution peut avoir de graves conséquences.




2n HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE,
Si la discussion quí nous occupe s'était élevéc, il y a un


an, sous l'empirc de l'ancienne Charte, je comprcndrais
qu'on y insistflt; le droit d'amendement était alors un
moyen indirect d'exercer l'initiative. On faisait des objections
contre ce droit; elles étaient repoussées par le heóoin qu'a- '
vait la France d'exercer l'initiative et le désir d'étendre
cette prérogative.


Aujourd'lmi la Chamhre est investie du droit d'initialive,
et cependant elle a cru devoir l'entourer de certaines con-
ditions, de cel'taines garanties qui ont poul' objet d'assurer la
maturité de ses délíbél'atíons.


Il faut savoil' si vous traiterez l'initiative de la Chamhre
comme jadis celle du gouvernement, si vous travaillerez a
étendl'e l'initiative de chacun des membres par voie d'amen-
dement. Lorsqne le gouvernement seul était investi de l'ini-
tiative, la Chambre pouvait avoil' raison d'essarer de se saisil'
de ce droit, meme avec les inconvénients que le droít d'amen-
dement présente et qu'on n'a jamais puéviter complétemenl;
il n'en est plus de meme aujourd'hui.


Si donc ya líeu 11 une propo8ítion sur l'état el les droits
de citoren, qu'elle soit l'objet d'une propositíon particu-
líere. Si vous ne procédez pas ainsi, vous rencontl'erez, dans
l'exercÍce de l'inítiative parlementaíre, les mernes diftiwltés,!
les memes embarras qui s'élevaient aulrefois SUl' l'iniliative
du gouvernement.




xxv


Discu~sioll du projet de loí sur l'organísatíon rnunicipale.


- Chambre des députés.-Séance du 8 février 1831.-


En proposant, sur l'article pr de ce projet de loi,
un amendement qui repoussait l'adoption d'un cens
quelconque comme base du droit électoral dans les
communes, soit urbaines, soit rurales,le général Lamar-
que cita, a l'appui de sa proposition, un passage de 1'on-
"ruge que j'uvuis publié en 182t son s ce titre : Des
moyens de gout'ernement el d'opposition datls l'état
actuel de la France . .Te pris la parole pour rétablir le
vrai sen s de ma pensée et repousser l'amendement pro-
posé.


M. GUlZOT. - Je n'ai pas changé d'opinion depuis I'épo-
que ou j'écrivais ce que I'honorable préopinant a bien voulu
me rappeler aujourd'hui. Aujourd'hui comme alors, je
pense que la machine administl'alive la plus forLe, la mieux
constituéc, nc sufHtpas pour gouverner. Aujourd'hui commc




214 HISTOlRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
alors, je pense que c'esl dans les intérets, dansles croyances,
dans les idées des masses qu'il faut aller chercher la force.
Aujourd'hui comme alors, je suis convaincu qu'il faut as-
seoir l'autorité sur la baSp. la plus large qui se puisse trou-
ver, et que ceUe hase ne peut se trouver que dans les
masses; cependant je viens combattre l'amendement pro-
posé par le préopinant, et appuyer le systeme de la commis-
slOn.


J'ai remarqué que presque tous les ol'ateUl'S qui se sont
succédé aujourd'hui a cette tribune, je pOUl'rais meme dire
tous, y comprís l'honorahle préopinant, M. le préfet de la
Seíne, ont rendu hommage au pl'íncipe de la capacité comme
base des droits politiques. II ont tous reconnu que, pou!" P08-
séder le droit, il fallait avoir l'indépendance et les lumieres,
c'est-a-dire les conditions de la capacité politique.


Le principe de la capacité politique, intl'oduit dans notre
législation comme sOUl'cedes droits poli tiques, est peut- etre la
plus beBe, la plus utile conquete que nous ayons faite depuis
quinze ans. e'est de ce príncipe qu'on doil dire ce qu'on a
dit une fois de Napoléon, qu'il n'avail délroné que l'anar-
chie. Le príncipe de la capacité politique a effectivement
détroné l'anarchie. Je prends done acte de l'hommage qlli
a été rendu par tout le monde a ce principe, et c'est de cet
hommage que je pars pORr combattre I'amendement pro-
posé.


Quelle esL la conséquence de la capacité poli tique? e'est
qu'elle varie suivant les lieux, suivant les temps, suivant les
affaires. Telle capacité existe dans teUe commune pour
traiter ses affaires, qui n'est plus la meme dans telle autre
commune, dans telle autre situation. La capacité est donc
sans ce8se variable, subol'donnée a une foule de circonstances,
au nombre des citoyens, a leur situation sociale, a l'étendue
et 11 la difficulté des affaires.


Que fait·on dans les amendements qu'on vous propose,
dans celui que la Chambre a rejeté au commencemenl de
eette séance, el dans celui tlue propose lIluinlenant le géné-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-8 FÉVRIER 1831. 2lii
ral Lamarque? On ne tíent aucun comple de ces varia-
tions; on pose en fait que le droit est le mcme dans une
petite commune que dans une grande vílle. Le premiel'
amendement, que vous avez rrjeté au commencement de la
séance, aUribuait partout le droit électoral a lous les eitoyens
payant une cote de eontribution personnelle quelconque. n
donnait le droit électoral, dan s un village comme a Paris, a
tout eitoyen payant une eontribution personnelle quelconque.
Il est évident que, dans un village, quiconque possMe doit
avoir des droits éleetoraux; mais dans Paris. jI ne peut en
etre ainsi. Une eontribution personnelIe a Paris ne l'essemble
en rien a ce qll'elle est dans une petile ville, dans une petite
eommune. De sorte qu'apl'cs a\'oir rendu hommage a la ca~
pacité, on ne tíent aucun comple de la mesure de ceHe capa-
cité; on ne fait pas atlention qu'eIle varie forcément, qu'elle
est subordonnée a la nature des lieux, a l'impol'tanL:e des
aflaires, el on adopte la meme base dans des sítuations tres-
différentes. Pourquoi? Paree qu'on n'est pas fidcle an prin-
ei pe de la capacité et qu' on retombe dans le principe du
suffrage uni versel qu' on eS5aye de réintroduire dans nGtre
législation. C'est pour faire rentrer, pl'esque a son insu, le
suffrage universel dan, nos lGlis qu'on abandonne le principe
de la capacité qu'on avait d'ahord accepté. Je ne erois pas
que ce soit le mOjen de réformer notre constitution muni-
cipale.


On se prévaut de l'idée que. dans les commnnes, l'intél'et
local est le seul dont on s'occupe. Ne pensez pas, messieurs,
qu'on puísse sépareJ' ainsi parfaitement les inlérets locaux des
intérets généraux; cette di vision n 'esl jamais aussi réelIe qu' on
se l'imagine. Comment concevoir, par exemple, que dans une
grande ville, dans Paris, dan s Lyon, les intérets locaux ne
touchent pas de plus pres aux intérets généraux, n'aient pas
un caractere plus politique que dans une petite viUe? Vous
aurez beau écrire dans vos lois la séparation des intérets
locaux et des intérets généraux; ils sel'ont plus 011 moins
rapprochés et unis selon la di\"ersité des lieux; il résultera




216 HISTOIRE PARLElIIE'lTAIRE DE FRANCE.
de la nature des choses que, dans les grandes villes, les con-
seils municipaux auront un caractere politique, que les idées
politiques exerceront sur leur composition une grande in-
fluence, et que les affaires don! ils s'occuperonl, quoique
locales en apparence, auront toujours des points de contact
avec ]a politiqueo


On s'est prévalu de ce 'lui se passait autrefois en France,
el de ce quí se passe aujourd'hui aílIeurs. On a dit que jadis
les droits électoraux commuuaux appartenaient a la pres'lue
totalité des habitants, qu'il était étonnanl qu'aujourd'hui on
nous contestat ces droits. Il ya erreur : autrefois en France
la variété était prodigieuse dans nos communes; il Y en
avait hien plus oil le droit était concentré dans un petit nomhre
d'hahitants que de celIes oil le droit était plus étendu. Si vous


. comultiez les anciennes charles, vous "erriez que le droit
était généralement concentré dans des corporations assez
étroites. Si vous alJez en Angleterre chercher "os comparai-
sons, vous verrez que, si dans quelques communes le droit
appartient a lous les habitanls, dans la plupart defl viII es
une corporation assez étroite est seule admise a en jouir.
De sorte que, hors de France ou dans notre ancienne histoire,
le droit appartenait it un moins grand nomhre d'électeurs
qu'il n'arriverait dan8 le systcme de votrc eommission.


Si vous lll·cnez l' AIlemagne ou le droit communal est
assez large, vous trouverez qu'il yest plus restreint qu'il ne
le sera en Franee, d'apres le projet de votre commission. Ou
je m'abuse fort, ou nous nous faisons un peu illusion a nous-
memes sur les mots; nous invoquons les souvenirs dc l'anti-
quité; nous parlons d'ilotes, de grandes aristoeraties, de
tyrannies: j'avoue que je ne comprcnds pas eomment, avec
une loí d'éleetion qui vous donne dcux millions d'électcurs
complétement indépendants, lesquels nommeront des eon-
seils dans lesquels seuls le pouvoir central sera obligé de
choisir ses agents, il serait possíhle de voir la dcs ilotes, une
aristocratie, une tyrannie. le eomprends qu'on puisse invo-
quer ees souvenir"; mai~ f'n faí!, dans la pratique, je voi&




CHAMBRE DES DÉPUTl~S.-8 FÉVRIER 1831. 21i
l'autorité locale remise presque partout entre les mains des
citoyens capables de l'exercer.


Je le répcte; les lumicres et I'indépendance, et j'ajoute
l'esprit d'ordre, de conservation de la société, la défense de
1'ol'ore contre les attaques auxquelles il pourrail etre en
butte, ce sont lit les conditions de la capacité politique dans
les petites comme dans les grandes villes. Quand il s'agit
de l'éleetion communale, comme quand il s'agit de J'élec-
tion d'un député, les limites peuvent etre plus ou moins
larges, mais le princjpe est le me me ; e'est toujours la capa-
cité qui esl la source ou droit, et les conditions de la capa-
cité sont presque partout les mcmes, les lurnieres, ]'indé-
dépendance, l'esprit d'ordre et de conservation. Il me
semble que ce n'est pas apres avoir, pendant quinze ans,
recueilli les fruits de l'introduction du principe de la capa-
cité Jans nos lois, qu'on peut y renoncer.C'est a ce principe
que nous avons dli la conquete de I'élection directe, que nous
avons du la réalité de I'éleclion et I'énergie avec laquelle
les éleeteurs ont lutté, et contre les influenees supérieures,
et eontre les vices de la législation. e'est sans aucun doute a
I'introduction du principe de la capacité politique, asa sub-
stilution au principe faux et menteur du suffrage universel,
que nous avons d11 l'énergie qu'a déployée I'élection parmi
nous. Ce n'esl pas le moment d'abandonner ce principe,
quand il nous a fourni les moyens de nous défendre el de
nous sauver, ni de rentrer dans le principe du suffrage uni-
versel, qui ne nous a valu que mensonge et tyrannie au nom
du peuple. (Tres-bien! Tres-bien!)




XXVI


Di~('ussion sur la ('onrluite et la situation du ministere du
3 no ... embre 18:,0, a l'occasian des traubles survenus dans
París, les 14 et 15 févricr 1831.


- Chambra des députés. - Séance du 19 février 1831.-


Dans la séance du 17 février 1831, M. Benjamin
Delessert, député de ~IaiI1e·et·Loire, demanda au minis-
tere des explications sur les désordres graves qui avaient
éclaté dans París, les 14 et 15 février, a l'occasion du
service funebre célébré le 13 dans l'église .de Saint-
Germain-l' Auxerrois, pour l'anniversaire de l'a~sassinat
de M. le duc de Berri. Le président du conseil, 1\1. Laf-
fitte, répondit a eette interpellation, et un long débat
s'engagea a la suite de son diseou"rs. 1\11\1. llaude, Sal-
vandy, Persil, Odilon Barrot, Dupin, Mauguin, etc., s'y
engagerent successivement. Je pris la paroJe les 19,
20 février et le 9 mars, d'abord apres 1\1. Eusebe S,al-
verte, puis en réponse HI. Laffittequi m'avait répondu;
et mes discours furentconsidérés comme l'une des cau-




CIIAMBRE DES DÉPUTÉS.-19 FÉVRIER 1831. 2]9
ses déterminantes de la chute du cabinet présidé par
M. Laffitte, qui tomba en effet quelques jours apres et
fit place au cabinet de M. Casimir Périer.


M.-GUIZOT. - Messieurs, j'ai peu de gout pour les pré-
eaulions oratoires; eependant, au milieu de ce déluge d'at-
taques, de calomnies et d' erreurs volontaires ou in volon taires,
dont nous sommes inondés, j'ai besoin de rappeler deu:$:
ehoses, et j'en demande la permission 11. la Chambre.


J'ai pris parta la révolution de Juillet; il n'y a pas eu
une des réunions de députés, grandes ou petites, nombreuses
ou peu nombreuses, 11. laquelJe je n'aie assisté. J'ai eu l'):¡.on-
neur de rédigcr la premicre protestation des députés, la
proclamation par laquelfe la Chamhre a appelé :Mgr le due
d'Orléans 11 la lieutenance générale du royaume. La commis-
sion munieipale qui siégeait a l'Hotel de Tille m'a fait l'hon-
neur, le 30 juillet, si ma mémoire ne me trompe, de me
confier le ministcre de l'instruetion publique, SOllS le titre
de eommissaire provisoire. J'ai accepté. Je suis done aussi
engagé, aussi eompromis que personne dans la révolulion
de Juillet; sa cause est la mienne, et personne, quand j'en
parle, personne n'a le droit d'avoir le moindre doule sur ma
fidélité 11 sa cause.


Le second fait, que j'aí encore besoin de rappeler, e'est
que, depuis trois mois, je n'aijamais cherehé, j'ai soigneuse-
ment évité toute occasion de me trouveren opposition avec le
ministcre, de lui susciter le moindre embarras. Autant qu'il
a été en moi, je lui ai preté mon appui; j'ai done également
le droit de n'ctre pas suspect aux ministres; j'ai le droit
de dire qu'aucune ambition personnelJe, aucun sentiment
personnel ne m'ajamais animé dan s ma eonduiLe politiqueo
A ce titre eneore, j'ai droit a la confiance.


Je regrette que, dans la discussion qui s'est élevée, le mi-
nislere se trouve impliqué; je regrette qu'il me soit impos-
sible d'y IH'endre part sans faire acte d'opposition. Je le




no HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE,
regrelte si hien que fai hésité 11 parler, Cependant comment
se taire quand la révolution de Juillet tout enticre, le gou-
vernement qu'elle afondé et la société qu'elIe a voulu sau-
ve!' sont attaqllés a la fois, et que l'un et ¡'autre ne sont point
défcndus? Les ministres vous ont exposé hiel' les mesures
qu'ils avalent prises dans eeHe eirconstanee; vous avez
cntendu les plus honorables et les plus éloquentes pro tes-
tations partir de tous cOtés de cette Chambre en faveur de
I'ordre public et de la liherté de tous eonlre les exces qui
ont désolé ces derniers jours.


Je ne veux pas entre!' dans l'examen des mesures du mi-
nistere ; je I1e yeux, 11 plus forte raison, contester allcune
des protestations, des déclarations que vous avez entendues;
je prends les mesures pou\' honnes, les décIarations pour par-
failement sinceres; mais je n'en dis pas moins qu'il n'ya
dans toul ecci, 11 mon avis, ni dans les actes du ministere, ni
dan s les protestations el les déclarations que vous avez en-
tendues, rien qui révele, qui promette un gouvernement
capable de défendre la société et de se défendre lui-meme
dans la erise ou nous somrnes jetés. (Bien! bien!)


Pour qu'il existe un gouvernement capable de suffire 11.
eette douhle tache, il faut d'autres el de plus difficiles condi-
tions; il faul autre chose que des leUres, des inslructiolls
par les télégraphes, et des protestations d'amoU\' pour l'ordre
public. La premiere condition d'nn pouvoir, d'un gouverne-
ment capable de défendre la société el lui-merne, messieurs,
e'est qu'il gouverne seul, que personne ne s'cn meJe que lui,
qu'aucune inte!'vention extérieul'e, aucune force extralégale
ne vienne prendre part au pouvoir, que les ponvoirs consti-
tutionnels soient pleinement lihres, en pleine sécurité dans
leur action; je le répete, que le gouvernement gouverne
seu!.


JI ya une autre eondition : c'esl l'harmonie des pouvoirs
constitulionnels, leur aclion commune, leur concert chacun
iJ sa place; ce n' est pas trop de eette harrnonie de tous les
pouvoirs el de toutes leurs forces réunies pour suffire 11. des




CHAlIiBRE DES DEPUTÉS.-19 FÉVRlER 1831. :m
cil'constances comme ceHes ou nous nous trouvons. Si l'Ila\'-
monie n'existe pas, si le [aisceau n'esl pas ferme, si chaque
pouvoir agit JJou!' son compte el dans une direction diffé-
rente, il n'y a pas de gouvernement possible.


Encore une condítion, el peut-etre la plus indispensable,
c'est que le pouvoir, le gouvernement soil 11 sa place, dans la
situation qui lui appa!'tient, c'est-a-dire a la tete de la société,
el non a la queue, comme on l'a dit; que cela soíl en effet,
que le pouvoir en ait le sentiment, qu'íl le professe, qu'ille
proclame lui-meme, et soil reconnu de tous comme te\.


Depuis longtemps, messieurs, on proclame des idées quí
tendent a [aire descendre le pouvoir de sa haute position
social e, a le subordonner, ale placer au-dessous, je ne dirai
pas de la société elle-meme, mais de presque toutes les forces
qui prétendent l'envahir et parler au nom de la so-
cié té, au nom du peupIe, comme on le dit. JI y aje ne sais
combien de peuples quí viennenl se dire supérieurs an pou-
voir; tant que cela e5t, iI n'y a pas de gouvernement pas-
sible.


Ce sont la, je le répete, les conditions fonda mentales d'un
gouvernement capable de défendre la société, de se défendre
lui-meme contre tous les périls. L'aveuglement des hommes
a quelquefois méconnu la nécessité de ces conditions; mais
l'expérienee, quí est le suffrage des siecles, l'expérience a
toujours rétabli ces conditions dans leur droit, el a toujoul's
proclamé que lit OU elles manquaient, il n'y avail pas de gou-
\'ernemenl.


Ces conditions, toujours nécessail'es, le sont encore plus
aujourd'hui, el pour la tache particulicre que notre époque
cst chargée d'al"complir. Chaque époque a la sienne; la
Révolution était chilrgée de détruil'e I'ancien l'égime; elle l'a
fait av ce des principes et des torces qui lui ont pleinement
suffi; mais quand elle a voulu appliqucl' ces principes el ces
forces a autre chose, quand elle a voulu eonstl'uire son pro-
pre gouvernement avec les principes et les torces qui avaient
détruit l'ancien régime, elle De nous a donné que la tymnnie




2~2 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
dans l'anarehie. Nous I'avons eue sous deux formes, forte
sous la Convention, faible sous le Direetoire.


La Révolution avait détruit \' aneien régime, elle n'était pas
eapable d'autreehose. L'Empire est venu qui a rétabli l'ordre,
I'ordre extérieur, matériel, qui a eonstitué la société eiviJe
telle que la Révolution l'avait faite. Ill'a fait l'eeonnaitre de
l'Europe enticre; telle était sa mission; il a réussi. 11 a été
ineapable de eonstituer une société poli tique durable; il
n'avait pas pour cela les eonditions nécessail'cs. L'Empire est
tombé a son tour. La Rcstauration lui a suecédé.


Qu'a promis la RestaUl'ation? Ellc a promis de résoudre le
probleme, de concilier I'orure et la liberté. e'est sous celte
banniere que la Charte a été dOllllée. La Restauration por-
tait en elle-meme un pr'incipe. Elle avait accepté dalls la
Charle des principes de liberté; elle avait promis de les
constituer; mais elle faisait ceHe prúmesse sous le drapeau
de l'ancien régime, sur lequel avait été écrit pendant tant de
siecles: Droit divino Elle n'a pu résoudre le probleme. Elle
est morte it la peine, accablée par le fardeau.


C'est it nous, ala révolution de Juillet que eette tache a
été imposée; c'est notre devoir et notre sltualion d'établir
délinilivement, non pas l'ordre seul, non pas la liberté
seu le, mais I'ordre el la liberté en meme temps. II n'ya
aucun moyen d'é¡;happer il celte double mission. Oui, mes-
sieurs, notre mission est double. Nous sommes chargés de
fonder a la fois le principe el les instilutions de 1'01'(11'e, le
pl'incipe el les institutions de la liberté: c'est la la promesse
de la révolution de Juillet, le vél'itable pl'ogramme de
I'HOtel de ville. Il se peut que des espérances, des pensées
d'une autre nature soient" entrées dans quelques tetes; il se
peut que les mots : un trúne populaire entouré d'institutions
républicaines, aient séduit des esprits géllél'eux; mais la
pensée génél'ale, !'espérance de la Franee, a é,lé I'ordre el la
liberté se réunissant sous la monarchie eonstitutionnelle.
C'est la la vraie promesse de la l'évolution de Juillet, c'est la
le véritable programme de I'Hótel de ville; el quand nous




CHAl\fBRE DES DÉPUTÉS.-19 FÉVRrER 1831. 223
les réclamnT\s, 1I01lS rédamons la promesse de J uillet : e'est
nous qui sommes fideles au earaetere el au but de notre révo-
lulion.


Elle a beaucoup de moyens pour accomplir ceLte tache,
celle double mission; mais dans sa propre nature, dans la
nature des événements qui l'ont faite, elle rencontre de grands
obstacles. C'est la plus nécessaire, la plus légitime, a coup
sur, des révolution~ qui se soient aceomplies dans le monde;
mais-enfin, e'esl une révolution, e'est-a-dire un grand bouJe-
versement du gouvemement et de la société par l'intervention
de la force matérielle. Eh bien! ce sont ces faits primitifs de
notre révolution qui font d'une part sa gloirc, de fautl'e son
péril. La plus grande difficulté, peut-etre, qu'clle ait 11 sur-
monter, la source de pl'esque toules les difticultés qui pesent
aujourd'hui sur elle, c'esl qu'elle a été I'reuvre de la force
matérielle; non pa; l'reuvi'e d'un pouvoil' eonstiLUé, d'une
force légale, mais une reuvre populaire, glorieuse a ce titre,
et en me me temps eontraíre 11 l'dat régulier de la soclété.
Toute révolution opérée de celte maniere est de sa nature un
fuit antisocial dont on a beaucoup de peine a sortir.


Sans doute, messieurs, l'reuvre est difficile, tres-difficile,
j'en eOIlviens, et eertes, je suis loin de demander eompte au
ministere des embarras qu'il y trouve. Cependant, iI est
impossible que nous ne luí demandions pas, que nous ne
nous demandions pas 11 nous-memes si nous sommes dalls la
bonne voie, sí nous marchons hol's de l'abime, si nous nous
guérissons peu a peu du mal eontre Jequel nous luttons, si
nous avan!(ons vers la conciliation de l'ordre et de la liberté,
qui est le probleme de notre temps.


Messieurs) je vous le demande, regardez a l'état acluel
de l'ordre, el a l' état aetuel de la liberte.


Quanl a l'ordre, messieurs, je ne parle pas de eelui des
rues, il est évident pour tout le monde qu'il n'est pas en
pl\Jgrcs ... (On rit.) Nous pouvion~ espérer, apres les dé-
~ordres de déeembre, qu'on en avait fini. La ,ictoire avait
été complete, diflicile, remportée dans l'oceasion la plus




224 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
favorable au désordre. La garde nationale, notre force a
tous aujourd'hui, s'étaít glorieusement compromise. Si"
semaines apres, les désordres recommencent ; je parlerai tout
a l'heure du prétexte. La garde nationale, eeUe fois, les
réprima, mais avecmoins de décision, avec un peu plus
d'inquiétude qu'elle ne l'avaít faíl en décembre. (Mouve-
ment!) Pourquoi? Esl-ce que les sentimenls de la garde na-
tionale seraient changés? Est-ce qu'eJle n'aurait pas le. meme
gout pour l'ordre, et le désir de h) concilier ave e la liberté?


Les senliments de la garde natíonale ne sont pas changésj
sa silualion dans la société, ses intérets, ses habitudes, ne le
permettent paso La garde nationale .... mais, messieurs, elle
est eomme nous, elle est embarrassée; elle ne sait pas bien a
quí s'adresser, elle cherche, elle demande une direction, des
ordres; elle demande 11 elre commandée) je ne dis pas mili-
tairement, elle est commandée par un des hommes qui hono-
rent la France et l'armée, maís politiquement commandée.
(Bravo! bravo!) Elle demande ce que demandent la France et
les Chambres, a etre gouvernée; elle sent qu'elle ne l'est paso


Comment la garde nationale, je le demande, se croirail-
elle gouvemée? elle assíste au meme spectacle que nous; ce
que IlOllS voyons, elle le voít; ce que nous entendúns, elle
l'entend; elle voit comme nous qu'il n'y a pas d'harmonie
entre les pouvoirs, que cet ordre qui n'exisle pas dans les
rues, dans la société, n' existe pas non pI us dans le sein du
gouvemement. Elle voit, par exemple, que dans la Chamhrc
des députés, OU il existe une majol'ilé comme dan s toule
assemblée, c.ute majorilé ne marche pas fermement, con-
stamment d'accol'd avec le ministere; elle s'étollnc de nous
voir ainsi en dehors du gOll\'emement parlementaire. Voilil.
quinze ans que Boas demandons un gouvernemcnt parlemen-
taire; il est le bul de lous nos efforts, de tOllS nos Jiscours.
Eh bien! nous ne paraissons pas dans ce momenl amucer
beaucou p vers ce buL.


le ne voudrais pas répéler des mots dont je ne suis pas
StH', que je n'ai pas entendus; mais on a dit: il n'y a de




CHAMBUE DES DEPUTÉS-19 FÉVRIER 1831. 225
majorilé que dans les houles, il ne fau! tenir compte que des
houles, el hors de la, Íl n'y a ríen. Je l'épcte que je n'ai pas
entcndu cela; mais je fus Jésolé dans celte Chamhl'e, en
mars -1830, JOl'sque, passant il coté du hane ou 1\1. de Poli-
gnac étaÍt assis, je l'entendis dirc iJ. des députés quí se trou-
,'aient aupres de lui: c( Nous verrons aux houles si la
Chambre I'ejettera le hudget; apres tout, e'esl de boules uni-
quement qu'il s'agit! )) Il s'agit, dans un gouvcmement par-
lernentaire, de tout autre chose que de boules; e'est la
sans doute que lout viellt aboUlil'; mais il faul aussi le eon-
cert, l'inteIligence des pouyoirs, Icur aecord, leurs cfforts
eommuns \ers le meme but; il faut l'harmonie de leurs
sentiments, de lcurs paroles; il faut ecHe unanimité, eelte
forte cohésion quí les lie, et I'énergie qni en résulte pour
les uns et les autres. Voila le gou\ernement parlementaire.
Ce n'est pas a ¡'ume sculement qu'il aboutit; il précede
l'urne; il consiste dans tous les I'apports des assemblées
poli tiques avec le ministere. II est a ce pl'ix, el c'est a ce
prix seulement qu'il portera ses fruits poli tiques (Bravo!
bravo 1)


Est-ce que la majorité de celte Chamhre semit, par
llasard, si exigeante, si intrailable que de demander au gou-
yernement des efforts extraordinaires? La majorité de eeHe
Chambre s'esf o[eJ'le eonstammenl, elle s'est olferte, elle a
demandé qu'on march&l avec elle, elle a promis des seCOUI'S
d'hommes, d'urgent, tout ce dont on aura besoin; elle de-
mande sa dissolution, si on ne veut pas marcher avec elle.
(Bien, tres-bien! aux ccutres. Applaudissements prolongés.)


OIl 11'a point de motifs de dire que la majorilé de celte
Chamhre est exigeante, dif1lcile; jamais il ne s'en est ren-
contré de plus [acile, de plus douce, de plus porté e iL soute-
nir le pouvoir, el a lui faire les mcilleures eonditions qll'il
ait jamais obtcnues en pareille occasion.


Je ne J'appellerili pas ce que vous avez vu hiel'. Vous avez
vu que dans l'intél'ieur du gouyerncmcnt, an sein dn pou-
voir exécutif, il n'y u\'ait pus plus d'ordre qu'entre les Jlou~


T. 1, 15




~ HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE PRANCE.
voirs conslilulionnels. A Dieu ne plaise que íe réclame cet
infame principe de la servilité des foncLionnaires rédamé
en d'autres temps ! Sans doute on ne pcnl pas son indépen-
dance, sa dignité en s'alJiant all minislel'e. Le minisLere, a
son tour, a son indépendance et sa dignité 11 conservero Il y
a deux personnes dans cette allianee; iI faut de la liberté, de
la dignité puur toutes les deux; le ministere doit savoir se la
conservero


VoBa. pour l'ordre, messieurs; voillt l'état ou il est dans ce
momento Je viens a. la liberté. Elle est grande depuis la
révolution de Juillet, elle est réelle pour tout le monde, c'est
notre honneur a tous; mais il faut en liberté quelque chose
de plus que la l'éalité actuelle, quelque chose de plus que le
présent: ¡Ilui faut de la sécurité, il lui faut des garanties
pour l'avenir. Ces garanties existent-elles aujourd'hui pour
toutes les cIasses de citoyens? Toutes ces opinions si vives,
qui se manifestent avec tant J'énergie, sOllt-elles sures?
Esperent-elles rester longtemps dans le meme état? La est la
question.


le passe a la liberté individuelle; elle est grande comme
les autres. Sans doute le gouvernement n'a aueune intention
de porlel' et n'a Jamais porté la moindre atteinte iJ. la liberté
individuelle. Mais elle e"t dimcile iJ. concilier avcc de fré-
quenles éllleutes, elle a u()aueuup a en soutfl'ÍI'. Vous cnten-
diez hiel' M. le préfet de police racontel' commcnt il avait éLé
obligé de lutter de son COl'pS, a-t-il Jit, el sans doute il I'a
fait avec le cOllrage qui le distingue; obligé de lutto!' pom
sauver la liberlé d'un homme qui se déhatLait dans la foule,
qui se rendait jc ne saís ou, qui se lrouvaÍt la par hasard.
A coup sur, cet homme ne doil pas cl'oil'e que la liberté
individuelle soit bien su¡'e 11 París, (On rit.) J'ai entendu
dire, je ne garantis pas ce fait, qu'un honorable député de
Belgique, un pretre, a été insulté dans les rues de Paris,
paree qu'il paraissait ayce les habits de son état et qu'il a eu
])esoin des secours de la gal'de nationale pOtil' se mettl'e en
rureté. Celui-Ia aura aussi quelques doules sur la liberté




CHAC\1BRE DES DEPUTÉS.-19 FÉVH.IEB. 183L 227
individuelle. Je pourrais aller plus loin, parler de fimpossi-
hilité que, dans des désordres pareils, loutes les arrestations
soient bien réfléehies, bien motivées. II est évident qu'il y
en a de légeres; il Y en a qui portent atteinte a la liberté
individuelle. En un mot, avee le désorure dans les roes,
avee la perspective des émeutcs, il n'y a aueune liberté
individuelle sure et dont les eitoyens puissent se vanter.


Je ne dirai qu'un mot de la liberté des opínions. Un de
nos honorables eollcgues sait iI. quel príx ji faut l'acheter.
(O» rit.) Ce n'est pas la précísément l'état normal de la
liberté des opinions.


Je passe 11 la liberté des eultes. M. le préfet de la Sejne en
a parlé a eette tribune dans les meilIeurs termes, avee les
plus honorables sentíments: il s'est empressé de dire qu'il
avait faíl tous ses ctl'orts pOUI' l'établir la liberté des eultes
dans Paris. [\ 11 eu raison. }Iais a la liberté des cultes,
comme aux autres liberlés, il faut de l'avenil'; il luí faul
du respect; elle ne vil que du respect publico (Bien, tres-
bien!) Elle a beso in d'etre 1'espectée; il ne lui Sllftit pas
d't~tre écrilc dans la loi. Ponr entre!' dans les églises, poa!' y
prufesser son cuJte, il faut etre sur que le peuple et I'auto-
rilé vous protégel'ont.


Pendant quillze ans, sous la lteslauration, les protestants
ont joni d'une entiere liberté ue cultej lis out 1'e\:u du gou-
vernelllellt de; ll,JLlrhun~ plus de :;ecou1's, plus de temples el
de pasteurs qu'd:; u'"u avaient 1'ejfu des gouVel'lléments
précédcnts. Eh bien, ib ne cfoyaient pas avoir la liberté des
culles, et ¡Is nc !'avaient pas réellement, parLe qu'ils étaient
un objet de dél1ance, d'avérsion, et qu'ils se détiaient a leur
tour. Ils necomptaicnt pas sur cette liberlé des cultes Jont
ih jouissaient. ('esl ain:;Í qu'une grallde parlie des calho-
liques frant,;ais se cruíeul dans la llJeme situation aujourd'hui;
quoique jouissant de la liherté 'luí leur sera conservée,
grace a vos mesures, ils s'altendent aJes actes d'hostilité de
la part du gouvernement. C'esL un fait, un fail que vous
avez a guérir; vous le guérirez san s doute; mais vous avez iJ.




228 IUSTOIRE PARLEl\fENTAIRE DE FRANCE.
le gllérir. Vous eles obligés de témoignel' plus de respect il
I a liberté des cultes que tout autre gouvernement.


Je sais, mesúeurs, que de la plupart de ces maux, de ces
désastres, on s'en prend am:: carlistcs. Je) ne fais aueUll
doute sur les intentions de ce qu'on appelle parti cm'liste;
ji yen a un, ilne peut pas ne pas en exister un. Sans aucun
doute, ji est hostile et cherehe toules les occasions de réussir
dans son hoslililé. Cependant je voud!'ais demande!' a un
de nos honorables collegues ce qu'jl entend par ces illllsions
dont jI a parlé hjer, et dont ji a déploré la perle. 11 a dit
que c'étajt une belle iUusion de croirc qu'on pouvait par
la liberté ramener ses ennemis, les guérir de leurs préven-
tions, dissiper les haines et échapper ainsi a la nécessité des
mesures extraordinaires ..


Messieurs, si on 5' est flatté, par la liberlé égale de tous,
par la modération, de se t:oneiljer en six mois tous ses en-
nemis, de djssiper toutes les prév'entions, de vaincre en un
mol les pattis, j'en demande pardon it la Challlbre, c'est
une illusion d'enfant. Cela n'estjamais anivé dans ce monde;
les partis résistenl bien plus longtelllps a la modération,
a. la douceur, aux bons gouvcrllcmcnts, comIUe ils 1'é·
sistent plus longtemps a la lyl'annie; salls doute iI faul
s'attendre u la Iongue hostilité, it la malveillallcc séculairc
peut-etre du par ti "aineu; et ce n' est pas une illusion it
perdre pour celui qui croit que la liberté, la rnodéralion,
le régime égal pon1' tous sont plus p1'op1'es a le ramener,
el feront durer le mal beaucoup moillo que tout aulre sy.s-
teme de gouv?rllement. (Oui, oui, c'est vrai.) JI n'y a la
aueune ¡IIusion. La justice eslle droit de tous, des vaincHs
el des yainqueurs. POllr le gouvcrnelllcnt, le systcme de la
liberlé indiliduelle et de la modéralion est le meilleur moyen
de vainere l'animosité des partis, quelque longue que eette
tache puisse ctre.


Messie1ll's, qu'on prenneit l'égard du parti carliste, comme
des autres, tautes les mesures qu'on jugera nécessaires dans
les limites de la lihert¡~ et de la justice. Je sajs que ce parti




CHAMBRE DES PAIRS.-·19 FEVRIER 1831. 2'29
est á/a {ois im¡JUissant et ma/raisant ; ,je sais qu'il luí arrive
ce qui arrive aussi aillcur~, que le venin demeure la Oll la
vie n'est déjlt plus. (Bien, tres-bien 1) Qu'on prenne done
contre lui tontes les mesures nécessaires et légitimes. l\fais
permettez-moi de dire aussi a notre révolution, a eette révo-
lution qui esi a nOU8 aussi bien qu'iI. qni que ce 50it, pcr-
mcttez-moi de lui dire ce que nOU5 regardons comme la
vérité sur son eompte; permettez-moi de ehereher a la
défendre de ses propres errenrs, dé ses propres vices, pour
appeler les choses par lem nom.


Un honorable membre de eeUe Chambre m'a reproché, jI
ya qllelque temps, de mal parler de la Révolulion franr.aise
en générGI, de lui reprocher ses tort~, i.t toutes les oceasjons,
de la traduire pour ainsi dire a la harre de l'Europe; e'est
l'expression dont on s'est servi. lIessieul's, pendant quinze
ans qll'a duré la RestaUl'ation, j'ai fait un autre métier; j'ai
défendll la Révolution fran!<aise, non-selllement dans ses inté-
rets, mais dans ses idées, dans son honneur, dans sa dignité.
En 1826, au momen! Olt elle semblait le plus etre vaincue,
je I'ni appelée glorieuse en facede ses ennemis. Pourquoi,
mesgieurs? Paree qu'elle était alors attaquée, diffamée, en
péril.


J'ai contumf', je J'avoue, de dire la vérité an plug fort, et
de me por ter la ou parait etre le danger (Bravo! bravo!
aux centres.)


J'agís alljourrl'hni comme alors; je dis aux vainqlleurs
ce que je erois la vérité; je vais OU le danger me paraH
etre.


En faisant cela, je erois agir non-seulement en honnete
homme, en hon citoren, mais faire un acte de prudence
politique. Les gouvernements ne sont pas faits, ne sont pas
institllés pour plairc; les gouvernements libres moins que
d'alltres. On a vu des gouvernements rlespotiques et pOpll-
laires. Quand ils sont forts, ils rallicnt la majorité des inté-
rets nationaux; ils savent se placer dans le mouvement natio-
nal, ils étollffent le reste, et alors on les dit populair!)\>,




230 BISTOIRE PARLEl\1ENTAIRE DE FRANCE.
Dans les pays libres, le meilleur gouvernement n'est


presque jamais populaire. 11 a toujoUl's contre Ini le parti
des espérances et celui des mécomptes. Le parti des illusions
dé~ues est précisément la portion de la société la plus re-
muan te; c'est assez ponr rendre le pouvoir impopulaire,
meme au moment ou il est le plus national et le meilleur, Ol!
il rend le plus de services au pays.


La Chambre des dé¡mtrs, en juillel, a pris une autre posi-
tion qu'auparavant; elle esi devenue non le gouvernement,
mais le siége du gouvernement. On s'en prendra il elle de
toutes choses, paree que e'est elle qui donne I'impulsion.
Que la Chamhre des Mpllt~s ne s'y trompe pas; par cela seul
qu'elle détermine la dircction du gonvernement et qu'elle
en répond, elle est destj¡¡ée Jésormais ¡¡ n'(\tre pas popu-
laire. Tant qu'elle n'en aura pas pris son parti, tant qll'elle
se trompera sur sa situation, qu'elle jllgel'a de sa situation
présenle par sa sitllation passée, elle sera dans une position
fausse, elle ne remplira pas sa vérit1hle tache.


Depuis 1688, il n'y a pas eu en Angleterre de Chambre
des eornmunes populail'c; ii n'y en a pas eu unc seule quí
n'aít eu eontre elle, sinon imméuiatement, du moins pl'es-
que allssitüt apres son avénement, les écrits, les mouve-
ments de eette portion de la société gui fait et qUÍ défait la
popularité. Pourguoi? Paree que, a partir de eette époque,
e'estla Chamhre d('s communes qui a gOll"erné l' Angleterrf\;
dc meme qll'elle avait le pouvoil', elle avait la responsahilité.
Aussi elle a fait de~ fantes. Quieonque aura le lJOuvoir en
sera responsahle, ne sera pas poplllaire et !le doit pas y pré-
tendre: on ne gouverne les peuples libres qu'il ce prix. Je
crois fermement que nous sommcs uans unc mallvaise diree-
tion, que l'orure el. la liberté chez nOlls sont en perte et non
pas en gain. Je erois fcrmement que nous ne sommes pas
dans la voie du gouvcrncment libre, uu gouyernement
nalional. J'en étais eomaincn il y a trois mois, lorsque mes
amis et moi sommes sOl'tis du minÍslere. D'nutres, honora-
oles eomme nons, sinceres comme nüllS, dévoués comIne




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-20 FÉVRIER 1001. 291
nous au prince et au pays, en ont jugé aulrement; i1s ont
cru la tache possible aux conditions auxquelles !lOllS l'avions
jugée impossible. Je ne Icur demanderai pas ce qu'ils en
pensent aujounl'hui. (Mouvement.) Jc dis seulement que, si
on persiste dans celte voie, si e'est la popularité qu'on
cherche par le gouvernement, on n'aura pas de gouverne-
ment, pas plus, toujours moins qu'on n'en a aujourd'hui.
L'ordre y perdra sa force, la liberté son avenir, les hommes
qu'on y appellera ¡eur popularité; et nous ne serOIlS pas plus
avancés apreso Pour mon comple, je ne cl'ois pas qu'il soit
possible de resler dans cetle position.


- Séance du !lO févrler 1831. -


M. GUlZOT. - La Chambre m'a paru regretter que la ques-
tion qui l'occupe devint si exclusivemeut personnelJe (mur-
mures); je le regretle comme elle. J'avais essayé de l'éviter
et de donner a la discussion, tout en [rouvant que le mini-
stere y était impliqué, un tour aussi général , aussi désinté-
ressé qu'il était en mon pouvoir. Cependant je comprends
que la question se pose de nouveau el netLement, entre le
ministere dont j'ai eu l'honneur de faire parlie el le mini-
stere actuel. Je comprends tres-bien que M. le président du
conseil ait été amené a la poser de la sorle, et je I'accepte a
mon tour, tout en priant la Chambre de remarquer que ce
n'est pas moi qui l'ai posée ainsi.


M.le président du conseil me reproche surtout deuxchoses:
d'avoir exagéré le tableau de notre situation et d'avoir
imputé tout le mal au pouvoir. Sur le premier point, je désire
qu'il ait raison ; c'est ~inccrement et du fond du creur que
je désire me tromper sur ¡a gravité de notre mal. Jesuis loin
de penser qu'il soit saos remede; nOI!-seuleroent je ne le




232 IIISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
erois pas sans remede, mais je erois le remede sous notro
mamo


Mais je ne pense pas non plus que, paree que le remede
existe, il faille dissimlller la gravité du mal. Remarqllez la
sitllation dans laquelle nous nous trouvons hahituellemcnt
SOtlS le régime l'eprésentatif: d'l1n cOté, une opposition vive,
arden te , passionnée, toujours pretc a exagérer tout ce qui
se passe dans la société, a reprocher au pouvoir ton tes les
fautes, lous les malheurs; et de l'autre coté, un pouvoir
qui, sans ces se ohligé de se défendre, est dan s la nécessilé
d'atténuer le mal a son tour, de le nier meme quand il le
reconnait, quand il en a le sentiment. 11 s'établit sur la
situation du pays une polémique dans laquelle il y a exagé-
ration des deux cOtés.


C' est un grand danger pom les gouvernemcnts de ne pas
avoil' un sentiment vrai et juste de leur situation, de nc pas
connaltre tout le mal de la société. Ces reproches tres-fondés
fIu'ils peuvent adresser 11 l'opposition, cetteexagération q11'iI8
trouvent dans les aceusations dont ils sont l'objet, voilent a
lenrs yeux le mal réel de la société, et paree qu'ils ont 8011-
vent raison contre l'oppo,ition qui IE'S aecuse, il, ne voient
ras qu'elle a S01!wnt rai,on contre eux, el qll'ellc ne leur
Jit pas meme tout le mal quí existe el tout ce qn'on anrait
(lll faire ponr le pr,;venir.


Je ne crois pas avoir exagéré le mal; je le répete, .ie ne
le erois pas sans remede, el jc suis cOIlvaincu que, si les
ministres actuels étaient hors dll conseil, s'ils n'avaient pas
ceUe responsabilité qui avengle les hommes comme elle les
éclaire, ils jugeraient de la situation eomme moi, eomme
nOlls tous, qu'ils la verraient aussi grave que je la voís,
qu'íls y trouveraient tont le mal que j'y trouve. le crois
que c'est uniquement dans eette nécessíté continuelle de se
défendre contre des accusations souvent injustes, qn'est la
source de leur erreur, de ..... passez-moi le mol, de leur
aveuglement sur notl'c situalion.


Quant a avoir imputé tout le mal au pouvoir, je ne erois




CHAMBRE DES Dl~PlJTI~S.-;¡O FÉVRIER 1831. 233
pas avoir encoul'u ce reproche. J'aí di! le premier que, dans
la nature meme de notre situation, dans I'origine de notre
I'évolution, daos ceHe intel'vention si glorieuse de la force
populaire dans le gouvernement, étaít la véritahle, la princi-
pale cause du mal qlli nous travaille. Ce n'est pas aux hommes
que je l'impute: ils y ont leur part, mais ce n'esl pas la plus
grande. Je l'econnais toutes les difficullés quí les assiégent
et combien ils ont de peine a en sortir; et, je le l'épete, si
nous étions dans une voie de progres, quelque lent qu'il put
etre, quelque éloigné que me parut le but, je n'aurais pas
élevé la voix; c'est uniquement paree que nous sommes, a
mon avis, dans une voie de détél'ioration, paree que nous
marchons vers le mal au lieu de marcher vers le bien, que
j'ai élevé la voix, et que j'ai imputé aux hommcs une partie
du mal de la situation.


00 dit qlle je n'ai pas indiqué les remedes; j'en eonvíens,
les remedes sont tl'es-difficiles a indiquer, paree qu'ils con-
sistent infiniment plus dans I'action que dans les paroles; les
remedes, il faut les pratiquel': on les pratique plus aisément
qu' on ne les dit.


Cependant je-crois avoir signalé les principales causes, et
rn mrme temps les principaux moyens de porter remede au
mfll. J'ai dit surtont que l'harmonie n'exislait pas entre les
pOllvoirs eonstitutionnels, qu'ils ne savaient pas, passez-moi
le mot, se servir, se soutenir les nns les autres, que ceUe
union de toutes les forces constitutionnelles entre les grands
pouvoirs et de toutes les forces exéeutives dans le sein du
gouvernement, que eeUe union n'existait pas, que le réta-
blissement de ceHe union était le grand remede, le remede
dont nous avions besoin. Il faut bien que ce remede ait
paru le vrai au ministére actuel puisqu'il vient de le pro-
poser, puisqu'il vient de l'accepter tel que vous l'aviez pro-
pasé. Ce que le ministére ,-ient d'annoncer, e'est lé remede
que fai indiqué, que ceUe Chambre invoque depuis long-
temps. (Vaix nombreuses au centre: Oui, oui l ..... A. gauche.
Vous n'en vouliez pas, il ya quelques jours.)




234 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Permettez-moi d'exposer au vrai, et en entrant encore


plus avant que je n'ai fait hier dans notre Eituation, les reIa-
tions de la Chambre avec le minístel'e.


La Chambre, depuis six mois, a essayé par tous les moyens
de marcher avec le ministel'e, de lui preter force, laChambre
ou du moins la majorité de cette Chambre. (Aux centres: Oui!
oui !)


Elle n'a pas demandé depuis six mois sa dissolution,
paree qu'elle a espéré pouvoir portcr au gouvernement
l'appui dont iI avait besoin •.. (Aua- centres : Oui! oui!);
paree qu'dJe a espéré pouvoir arriyer au rétablissement de
eelte harmonie entre les pouyoil's eonstitutionnels qui luí
paraissait la condition néeessaire de Icm force. C'est daos
ceUe espérance que la majorité de eette Chambre n'a pas
élevé la voix pour en appeler au pays. (M. Isambert parle de sa
place.)


M. le président. - Quand tout le monde a le droít de
parler, on ne doit pas interrompre.


M. GUIZOT continue.-Je eooviens que ces expressions la
majorité et la minorité de cette Olambre me déplaisent. Aussi
au moment de les employer. je eherche 11 les éyiter. Je me
servirai, si vous le voulez, du mot la Chambre tout entiere, mais
quand je l'emploierai, une portion de eette Cllambre me
criera que ce n'est pas son avis, que ce n'est pas ce qu'elle
demande. Comment voulez-yous que je fa,se? Il faut bien
que je parle de la majorité et de la minorité; il n'y a pas
moyen d'éehapper a eelte situation.


Je dis done que, tant que la majorité de eeHe Chambre a
espéré de pouvoir s'allier fermement et eomtammenl' au
gouvernement, de pouvoir lui preter I'appui dont il avait
besoin el de pouvoir 11 son tour en recevoir la force néees-
saire au .salut du pays, elle est restée dans l'attente; et c'est
seulement paree qu'elle eommenee 11 perdre eeUe espél'anee,
paree qu'elle se voil elle-meme eompl'omise, s'affaiblissant
elle-meme, se déeréditant par son inertie, paree qu'elle ne
peut faire ce ~u'elle voudrait faire, ce qu' elle demande qu'on




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-20 FÉVRIER 1831. 235
lui fasse lilire, e'est, dis..je, par eeUe raison qu'a son tour
elle p,leve la voix el qu'elle invoque eomme remede 11 notre
situation eette dissolution qu'on invoquait eontre elle, il y a
quelques jours, apparemment dans les memes vues.


J'ai done indiqué le grand remede, le remede emeace a
notre situation, le seul qui puisse rétablir l'harmonic entre
les pouvoirs constitutionnels el la force dans le gouverne-
mento


M. le président du conseil vient de vous dire: q, quand le
pays aura prononcé, quand une majorité sera venue, elle
sera obéie. 1) Messieurs, je n'aime pas le mot obéie, meme
pour une majorité. Je nc crois pas qu'un gouvernement doive
promcttre d'obéir. (Adhésion aux centres.) Si la majorité qui
viendra dans celte enceinte semblait au pouvoir contraire aux
intérets du pays, dangereuse poude trone et pour la nation,
il devrait dissoudre cncore la Chambre. 11 ne doit done pas
s'engagcr d'avance a obéir a une majorité queleonque, jus-
qu'a ce qu'il ait épuisé tous les moyens légaux, toutes les
épreuves eonstitutionnelles. (Nouveau mouvement d' adhé -
sion.)


Je erois done avoir indiqué le grand remede, le remede
politiqueo Il y en avait deux. On pouvait, e'est ma eonvietion,
on pouvait marcher avec cette Chambre, on pouvait fonder
de concert avec elle un gouvernement véritablement natio-
na!. C'est cclte premicre épreuve que la Chambre a tenté,
ou pluWt e'est dans eette attente que la Chambre vit depuis
six mois. Ce remede n'a pas été employé, on n'a pas su
l'employer. II yen avait un autre, la dissolution; e'est celui
que la Chambre invoque, e'est celui que .M. le président du
conseil vient de nous promettre. Je n'ai done pas été aussi
silencieux qu'on le dil sur le remede. J'ai indiqué le remede
applieable pendant que la Chamhre était la, et le remede
applicable quand on voudra la renvoyer.


Apres eette discussion gl'nérale sur notre situation, je
demande la permission de dire quelques mots sur ee qui esl
personnel a moi el a mes honorables amis.




236 mSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
11 est vrai que les diffieultés que j'aí signalées, nous ne les


avons pas surmontée,:, que le mal dont je me suis plaint,
nous ne I'avons pas guél'i; e'est pour ccla que nous nous
sommcs retirés des alfaires. (Mouvement.) e'cst paree que
nous n'avons pas trouvé les morens qui nous paraissaient in-
dispensables pour guérir ce mal, pour surmonter ces diffi-
cuItés, que nous n'avons pas vouJu en accepter la respon-
sabilité. (Voia: ti gauche " C'est vous qui les avcz fa,it naltre!)
Croyez-vous que nous n'ayons a eette 'époquc rien proposé,
rien demandé? On nous demande a notre tour si l'éloigne-
ment du préfet de la Seine ou l'emploi' des ba'ionnettes nous
pat'aissaiellt des moyens de gouvernemellt suffisants pour
guérir, au mois d'octobre, le mal qlli existe encore aujour-
d'hui. Non cel'tainement, ces moyens-Ia nc nous pamissaient
pas suffisants, nous n'avons pas demandé I'emploi des haioll-
neUes; nous avons cru qu'il fallait faire cc qui dispense de
les employer; nous avons cru qu'i] fallait constituer le pou-
voir, mettre le gouvernement dans une position telle qu'il
n'y eut pas a craindre d'émeules dans les rues. l'Ious savons
tres-bien qu'on ne p¡'évient pas les émeutes, souyent on n'en
es! pas averti la veille. Mais on les empeche trois mois d'a-
vance, on les empeche par la condnile detous les jours, par
I'ensemble du gouvernement, et non par l'emploi direct des
balonnettes et la destitulion de quelques homml's.


11 est possible que, si nOllS ellssions demandé, 11 cette
époque, tels ou tcls moyens de gouvernement en particulier,
el quand meme on nous les eut donnés, nous n'eussions
pas dó rester aux alfaires. Ce n'était pas d'un acle en parli-
culier, c'était d'un systeme de gouvernement, d'un ensemble
de conduite qu'il s'agissait. Aussi, c'est sur ce point fonda-
mental qu'il était nécessaire de se concerter, de s'unir forte-
ment avec les pouvoirs eonstilutionnels, qu'il était nécessaire
d'adopter, soiten matiere législative, soit dans le pouvoir exé-
cutif, soit dans l'administration, des principes de conduíte el
des hommes qui pussent convenir a la majorité des Chambres
et a I'ensemble des pouvoirs constitutionnels.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.- 9 MARS 1831. 237
e'es! lit, messicul's, qu'était la qucstion; c'est par lit que la


séparation s'est faite. Je ne dis pas que nous eussions été ca-
pables de sufflre it celte lache; je ne dis pas que si l'on eut
accepté notre systeme, nOllS eussions réussi; mais je dis que,
du moment ou nous n'étions pas en état de le faire pleine-
menl et réellement prévaloir dan s le conseil, nous devions
nous retirer, el que nous avons fail acle d'honnetes gens et
de Lons citoyens, en n'aceeptant pas la responsabilité d'une
conduite que nous ne pouvions pas tenil'. (Marques d'adhé-
sion aux centres.)


- Séance du 9 mars 1831. -


M. GUlZOT. - Je ne prolongerais pas eelte pénible discus-
sion, s'il n'y al'ait pas, duns l'intéret de la vérité, un principe
et un fait 11 rétaLlir. M. le président du conseil vient de
dire que la dissolution de la Chambre appartenait au Roi
seul, que e' était l'expression de la volonté royale seule, que
le ministóren'avait pas it y intervenir. le ne erois pas, mes-
sieurs, que ce soil la le principe constitutionnel. Dans aucun
cas, le Roí neJait rien 8euI. Le Roi ne faitrien que par le con-
seil de ses ministres, et, s'jl s'agit de dissolution, de nomina-
tion, d'un acte quelconque, il ya des conseillers qui en I'é-
pondcnl. La dissolutjon n'est, pas plus que tout antrc acte du
gouverncment, I'cxpression d'une volonté pal'ticulicre du
Boi; c'esl l'exprcssion d'un systeme ministériel que le Roi
soulient tant qu'il garde ses ministres el qu'il ahandunne
<¡uaml il les changc : voilit pour la question de principe.


Quant 11 la qnestion Je faíl, la Chambre n'a demandé ni
sa conscrvation ní sa Jissolution. (Fa/x aux cerdres : C'est
vrai.) La Chambre n'a jamajs émis d'opinion sur ectte
question. Seulement elle a remarqué un gTand désaccord, un
grand tronhle dans l'inléricur du gourcrnement, un défaut
d'harmonie enll'e les pouvoirs constitutionnels et de "Ígueu!'




238 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
dans l'exercice du pouvoir exécutif. C'est la le fait qu'eUe a
signalé a l'allention du Roi etdu pays, el cIle en a til'é cette
double conséquence qu'il fallait ou changer de syslcme ou
en appeJer au pays pour savoi .. s'il approuvait le systeme
actuellement suivi. La Chambre, je le répete, n'a {loint de-
mandé sa di8solution, mais elle a pensé qu'iJ étail temps de
rétablir I'harmonie dans le sein du gouvernemenl, el, en re-
mal'quant ce fait, elle s'en est remise 11 la sagesse !lu prince
sur le choix a faire entre les deux moyens, sur le change-
ment de systcme ou l'appel au pays.




XXVII


Discussion du projet do 10i sur les attroupements, et des
mesures pris<,s par le cabine! do M. Casimir Périer a l'égard
de l'association dite nationale.


- Cbambre des députés.-Séance du 30 mars 1831.-


Le U mars i83t, le lendemain meme de la formation
du cabinet présidé par M. Casimir Périer, une associa-
tion se forma a Paris « pour assurer, ~isait son pro-
gramme, 1'indépendance du pays el l'expulsion per-
pétuclle de la branche ainée des Bourbons. ) C'était
évidemment une assoCÍation dirigée contre la politique
de paix européenne et de résistance a l'esprit révo-
lutionnaire que proclamait le nouveau cabinet. [)es
comités correspondants s'instituerent dans plusieurs dé-
partements. Le 18 mars, le gouvernement présenta a la
Chambre des députés un projet de loi destiné a répri-
mer les attroupements qui, depuis l'émeute des 14 et
15 février, se renouvelaient tous les jours et troublaient
gravement l'ordre publico La discussion de ce projet
commen~a le 28 mars, et indépendamment de ces dis-




240 HISTOlRE PARLEME~TAlRE DE FRANCE.
positions propres, la légalité et l'opportunité de l' Asso-
cia/ion nationale en furent le principal objet. A cette
occusion, el pour la défense du ministere de 1\1. Casimir
Périer et de sa politique, je pris la l}arole, en réponse
a M. Odilon Barrot, et en ces termes:


M. GUIZOT. - Ce n'est pas moi qui viend!'ai conteste!' les
l'egrets sur la vivacité de nos débats et le désir d'union que
vient de manifester l'honorable préopinant. Je les partage
avee lui. Seulement, je erois devoir faire remarquer que ce
n'est pas du cOté du gouvernement que la désunion a eom-
meneé, que ce n'est pas lui qui a engagé l'attaque, que e'est
du sein de l'opposition, d'une opposition vive, et je pOllrrais
dire violente deplIis plusieul's moís, qui a écIaté par la
presse, par tOll5 les moyens, que e'est du sein, dis-je, de
celte opposition que les attaques sont sorties et que les asso-
ciations se sont formées. (Agitation agauche ... Au centre:
Oui, oui, e'es! vrai.)


Dans le département de la Mosdle en particulier, on a
aeeusé le pouvoir d'abandonner la cause de l'indépendance
et la dignilé du pays. Ce n'est pas pour l'aider dans su
marche, c'étuit pour le suppléer, pour le remplacer, pour
substiluer un systeme 1L un autre (denegations agauche);
e'était pour substilucr un sy:;térnc d'adrnillistration a un
autre. (Nouvelles dénégations.) Sila Chamhre me le perlllet,
j'enll'el'ai dans quelques détails. (Oui, oui, parlez.)


Ce n'cst pas d'aujourd'hui que l'opposition, uans le dé-
parlement de la Mosdle, a pris ccUe marche. II y a pi usicurs
rnois qu'une société pal'ticulii.~re tres-pen llombreusc s'Cot
conslituée a )Ictz en état d'hostilité, non-seulemcnl avcc
l'administralion locale, mais avcc I'adminislration centrale.
Elle a institué des séances, elle s'est él'igée en club, elle a
donné son prograrnme, elle s'e~t déclarée hostile au systeme
d'adruinislraLion qui était suivi a París; elle a memo sollicité
Ic renycrsr,rncnt du minislcl'e précédenl, cornme cuntrairc a




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-30 MARS 1831. 241
l'indépendance et a la dignité de la Franee ... (lnterruption .a
gauche.) Elle le trouvait heaucoup trop faible, heaucoup
trop peu prononcé; elle réclamait la guerre, elle se pro-
non~ait pour la guerrc immédiate, la guerre agressive.


On a pu voir, dans un petit journal puhlié a Melz, les
actes et le Iangage de eeHe société. Je ne parle maintenant
que du fait, j'examinerai plus tard les con~équences.


C'est du sein de cette société qu'est sortie la premiere
association sur le modele de laquelle toutes les autres ont été
formées. J'ai done le droit de dire que ee n'est pas du
mini~ti~re, mais d'une opposition ancienne quoique fort
restreinte, qu'est venue l'attaque. 1I ne faut done pas impu-
ter au pouvoir les dissensions qui existent parmi nous; iI ne
fau! pas lui repl'ocher ce systcme de dénigrement, de ca-
lomnie, d'injures qui a cornrnencé 11 peser sur sa tete, dont
il a été le premier objet et la premiere victime. Le pouvoir
use aujourd'hui de son droit de défense, et le tort qu'il a eu,
e'est de ne pas en avoil' usé plus tUL (Adhésion aux centres.)


J'entl'e mainlenant dans la question. 11 y en a deux qui
ont élé 50ulevées hiel' et aujoul'd'hui, peut-etre avec un peu
de confusion: la question de notre état intérieur et ceHe de
notre état extérieur, les questions de l'administration et de
la guerreo Je demande a la- Chamhre la permission de lui
dire mon avis sur l'une el sur l'autre.


Tout ce qui se rapporte a notre état Íntérieur a été rattaché
au fail des associations dites nationales, et je erois avee rai-
son, cal' elles sont évidemment le principal caraelere, le fait
dominant de notre situation. Je ne m'étonne done pas que
ce soit d'elles seules qu'on s'esl occupé; seulement, faí líeu
de m'élonner que ce soit a propos du projet de' loi sur les
érneutes. (Voix agauche: On nous a provoqués.) Le fait
n'est pas contestable; c'est a l'occasion du projet de loi sur
les érneutes qu'on a soutenu les associationo dites nationales •••
(Interr!lption agauche.) Je u'accuse personne d'avoil' soutenu
les émelltes; je dis seulement que e'est sur ce terrain que
s'est établie la discussion, el qu'il s'esl fail dans les esprits une


T. r. lG




242 HISTOIRE PARLEl\fENTAIRE DE FRANCE.
transition naturelle et presque involonlaire des émeules aux
associations nalionales. (Sensation.) e'est done des associa-
tions seuJes que j'ai a vous parler, puisqu' elles renferment
toute la qucstion de notre politique intérieure.


On a soutenu leur Jégitimité el leur opporlunilé. On lrouvc
le gOUl'ernement injuste, paree qu'il les improuve, et impru-
dent, malavisé, paree qu'il ne s'empresse pas de les ae ...
cueillir.


Que les citoyens s'associent pour défendre ou pour cxer-
cer leurs droits constitutionnels, les droits consacrés par la
Charle, rien de plus simple. Ces associalions peuvent elre
graves, dangereuses meme pour le pouvoir, mais e'es! par sa
faute; quand elles le menacent, il est dans son lort. L'asso-
ciation des citoyens pour l'exercice OH la défense des droits .
constitutionneJs esl indiquée dalls la Charte, el elle ne peut
avoir rien d'illégitime. Nous avons vu des associations pour
le refus de l'impOt, pour les éleetions; elles étaient graves,
mena\tantes pour le pouvoir, mais elles n'avaienl rien d'ilIé-
gitime; elles étaient conformes aux droits des citoyens, el
elles ont sauvé le pays.


Que les citoyens s'asEocienl encore pour certains actes, dans
certains buls qui n'onlpas été prévusni intcrdits parles lois:
je le con!(ois: ces associations Ollt quelque chose de plus dou-
teux que les précédenles; Jeur légitimité et leur opportunité
peuvent varier davantage selon les circonstances. Par exem-
pie, !'association cathoJique en lrlande,une association for-
mée pour obtenir le rcdrcssemenl de certains griefs, des
moditications et meme des modifications profondes au gou-
vernement, it la législation du pays, il n'y a la rien de radi-
calement illégitimc; cela peut ctre bon, utile, quelque
graves et dallgeremes que de telles associations puissent etrc.
~lais s'associer ponr des actes donl la constitution a spé-


eialement chargé les pouvoirs publics, pour faire, comme on
vous j'a dit, ce que des forces légales sonl chargées de faire,
cela est radicalement vicieux et ilIégitime.


Que diriez-vous d'une assoeiation formée pour rendre la




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-30 MARS 1831; 243
justice? Que dil'iez-vous d'une association pour baltre mon-
naie? (Mouvement agauche.) Ce ne sont la que des fOllctions
publiques, des droits dont le pouvoir est invcsti, des intérCLs
généraux auxquels il est cha1'gé de pourvoi1'.


Mais on dit: dans l'association fOl'mée pour la défense du
te1'ritoi1'e, iI n'y a rien de coercitif, il n'y a rien qui empeche
le pouvoir de continuer ses fonctions; seulement les citoyens
viendront l'aider dans sa tache.


Messieurs, c'est bien quelque chose que d'exiger du gou-
vernement qu'il accepte, qu'il adopte ces pouvoirs momen-
tanés, marchant cOte a cote de lui, le surveillant et le contl'Ó-
lant.Aurions-nous oublié ce qui arempli l'histoire de l'Europe
pendant des siecles? Une association du memo geme, l'as-
sociation de l'Église a été pendant huit siecles le survcillant
de l'action du pouvoir civil. On a toujours dit que c'était
un État dans l'État. Elle n'avait cependant pas la prétention
de lever des hommes pour faire la guerre: elle ne régissait
que l'existence 1'eligieuse des hommes. Eh }JÍen ! par cela
seul que c'était une société constituée, elle a été un embar-
ras, un dan gel' pour les pouvoirs publics, et l'obíet d'une
sUl'Veillance aUentive.


Et nous-memes, que n'avons-nous pas dit naguere de ces
associations, de ces congrégations religieuses qui se formaient
autour de nous? Ne nous en sommes-nous pas plaints? Les
apotres les plus ardents de la liberté n'ont-ils pas demandé
hautement au pouvoir de s'en séparer, d'éloigner de lui les
fonctionnaires qui s'y engageaien t? Pourquoi done? Apparem-
ment parce que le principe de ces associations, leur exis-
tence, leur action paraissaient dangereux pOUl' les pouvoirs
publics, pour leur sureté.


II s'agit aujourd'hui du memc fait; nous sommes dans
une siluation analogue. Je répondl'ai tout ti l'heure aux
exemples qu'on a cités de l'Angleterre; on yerra qu'ils sont
sans aucune application a notre situation présente, qu'ils
condamnent les associations nationales au lieu de les con-
firmer.




244 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Je dis que, par le seul fait de leur constitution et de leur


action, les associations de ce genre sont un grave danger pour
les pouvoirs publics, et que, s'il n'y a pas, de leur part, usur-
pation matérielle des fonctions publiques] il y a du moins
perturbation dans FEtat.


On répond 11. cela que l'administration ne peut pas tout
faire, qu'elle ne peut pas suffire a tout, qu'il est néces-
saire que, dans des circonstances extraordinaires, elle soit
aidée par l'ardeur, par l'enthousiasme des citoyens, et on
cite l'exemplc de l'Angleterre.


Messieurs, cela est arrivé en Angleterre, non pas une fois,
mais deux fois; cela est arrivé 80US Guillaume IrI apres
l'expulsion des Stuarts, comme de nos jours lorsque le ter-
ritoire a été menacé. Que fil alors l'opposition? Elle cessa;
il ne se fit pas une organisation en dehors du gouvernement;
iI ne s'établit pas un budget particulier; iI se fit des sous-
criptions qui furent remises au gouvernement seul.


Partout, dans les comtés comme a Londres, les associations
vinrent se ranger autour des magistrats; elles ne vinrent pas
les attaquer ni dire qu'ils compromettaientla dignité et l'indé-
pendance du pays; elles vinrent au contraire leur preter
force, soutenir que le pays ne pouvait se sauver que par sa
ferme union ave e son gouvernemen!, soutenir, non pas qu'il
fallait se séparer, mais s'unir et s'appuyer I'un sur l'autre.
Toules les oppositions cesserent ou s'atténuerent, non-
seulement daus les chambres, mais dan s les journaux, dans
les comtés, partout ou l'opinion publique se faisait jour.


Est-ce la ce que nous voyons parmi nous? Est-ce la le but
des associations? (A gauche. Oui, oui l. .. Dénégations aux
centres.) Ponr mon compte, je ne puis aecepter cette
réponse. Je crois trop a la sincérité de la plupart des inter-
pretes de ces associations, soit dans leurs actes, soit dans
les journaux, soitpar toutes les voies par lesquelIes ils se
sont exprimés, j'y crois trop, dis-je, pour ne pas peuser
qu'ils ont dit vrai en déclarant qu'ils attaquaient le systeme
de l'administration, qu'il fallait la changeJ', qu'elIe était




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-30 MARS 1831. 245
incapable de jiéfendre l'indépendance et la dignité du pars.
(Interruption ti gauche.) C'est ee que l'on répete tous les
jours depuis trois mois : je n'en fais. aueun reproehe 11 eellX
qui le disent, si e'es! leur opinion et s'ils en sont eon-
vaineus; mais qu'ils ne disent pas qu'ils se raIlient au gou-
vernemenl el qu'ils viennent lui preter leur appui, quand
ils travaillént a l'arraiblir, 11 le faire ehanger de systcme. Sans
eela leur eonduite n'aurait pas de sens.


Je dis done que les exemples pris de l' Angleterre sont
essentiellement différents de ce qui se passe ehez nous, el
qu'ils parlent pluto! eontre que pour les assoeiations natio-
nales.


San s doute l'administration ne suffit pas; sans doute elle
a besoin du zele, du dévouement ded eitoyem. C'est pour le
leur demander que nous avons des organisations volontaires.
Chez nous, la garde nationale, quoique instituée par une loi,
n'es! pas un service administratif; e'est un serviee volon-
taire, un serviee dont le zele et le dévouemenl des eitoyens
font loute la force. Eh bien! e'esl a la garde nalionale, e'est
11 eette grande organisation spontanée, générale, on tous les
sentiments, tous les intérels viennent se réunir, que le gou-
vernement s'adresse; e'est sur son eoneours qu'il compte,
et non pas sur quelques assoeiations partieulicres, peu
importantes par leur nombre, par leurs forees, qui ne peu-
vent que jeter de la perturbation dans l'État, ear e' est la leul'
seul titre a l'a.t1ention que nous leur aecordons aujourd'hui.
Si elles ne jetaient pas le trouble dans rEtat, elles n'auraient
aueune action, nous n'aurions rien 11 leur demander.


Pour les légitimer, on fait valoir deux choses, les intentions
et la néeessité. Les intentions? Personne dans eette Chambre~
j'ose le dire, ne respecle plus que moi la sineérité de ces
inlentions. Je ne me suis jamais permis d'élever le moindre
doule sur ceHes d'aueun de mes eollcgues. Messicurs, les
intentions sauveront, je l'espere, les individus dans .J'autre
vie; mais elles n'ont jamais sauvé Ics Élats dans cellc-ci.
(Sensation.) On pcut les alléguer pour sa justifieation




246 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
morale, jamais pour sa défense politique. JI arri\'e meme
souvent que les honnes intentions et la séeurité qu'el-
les inspirent sur les démarches font naltre ce fanatisme
aveugle, intraitable, cette préoecupation de son propre sens,
ceHe idohitrie de soi-meme, passez-moi l'expression, qui
enfantent des torts réels et jettent les homtnes les plus sin-
ceres loin. de I~urs vues naturelIes et de leur véritable
volonté. (Tres-bien, tres-bien !)


Messieurs, laissez-moi vous parler avec une entiere fran-
chise de ce qui s'est passé hiel' dans la Chambre.


Personne, j'ose le dire, n'honore plus que moi le carac-
tere d'un de nos collegues, du général Lafayette; personne
n'est plus profonrlément touché de ce long et infatigable
dévouemcnt a une mcme cause, de cctte sincérilé, tIc eette
énel'gie qui nc 1'0nt pas abandonné un instant, dans la bonne,
ni dans la mauvaise fortune. Et cependant quelles paroles
plus étranges dan s un pays libre que ceHes que le général
l.afayette a fait entendre hiel' a cette tribune? Il vous a dit
qu'il n'avait de let,{ons a recevoir de personne. Mais que
faisons-nous donG ¡ci, rnessieurs, sinon de donner et de
1'ece\'oi1' mutuellement des let,{ons? La liberté de la presse,
la discussion, la publicité, qu'est-ce done qu'unc ICt,{on
continuellc, offerte et donnée a tous? Le gou\'ernemcnt
représentatif est un gouvernement oü tout le monde ret,{oit
des lec;ons, qui n'a pour objet que d'en donner a tout le
monde, commc de conférer a tout le monde le droit de dire
son avis sur les affaires du pays. (Tres-bien, tres-bien.)


PermeUez-moí tIe demander si toutes les intentions sont
les memes, s'il est quelqu'ún qlli pllisse répondre des inten-
tions de tout un parti. Ar'l'cs ce quí s'cst passé parmi nous
tIepuis quinzc a trente ans, apres tant de vicissitudcs diverses
dans les fortunes de chacun, arres tant de conspirations,
tan1 tIe révolutions, tan! d'accidents de tout gcnre, il doit y
avoi1' ·eu beaucoup de mécomptcs, et a la suite de ces
mécomptes beaucoup d'intentions di verses, beaucoup d'espé-
ranecs qui ne yont pas loutes au meme bul.




CHAMnHE DES DÉPtJTÉS.-30 MARS 1831. 247
Je sais ce que font les partís. Jls meltent leurs honnetes


gens, leurs hommes les plus honorables en avant, sur la
premicre ligne, comme autrefois les Barbares, dans Jeurs
armées, metlaient les femme~ et les enfants en avant. (Sen-
sation prolongée.) Ce n'est pas la premiere ligne d'un partí
qui le constitue; il faut le traverser d'un hout a l'autre, il
faut pereer les rangs, il faut aller voir ~ qui se passe, ce
qui se dit, ce qui se projette derriere ce rempart d'hon-
nctes gens que le parti oppose a ses advcrsaires. Eh bien! mes-
sieurs, si j'étais chargé de eeUe tache, je ne crois pas que
personne, parmi les honorahles lidvcrsaires que je combats,
osat répondl'c des intcntions de tous ceux qui les suivent.
(Nouvelle sensation.)


Naguere encore les plus honorables de nos adversaires
ont essayé de faire exprimer leurs intentions louables, sin-
ceres, gans les acles ou se manifeste la pensée du parti. Eh
hien! ils ont échoué; ils ont été refusés; et cela leur est
arrivé plus d'une fois. Aprcs cela, Je doute qu'ils osassent
répondre de la pensée de ceux qui marchent a, leur suite.


Apres I'excuse: des intentions vicnt ceBe de la nécessité.
On dit que la sureté exlérieure de l'État, son indépendance,
sa dignité, exigent la formation des associations. Messieurs,
cecí est la question de notre état extél'ieur, la question de la
paix et de la guerreo


Je n'ahuserai pas des moments de la Chambre, mais je lui
demande la permission de la retenil' encore un peu. (Oui,
oui, parlez.)


On pose, en général, la question de la paix et de la guerre
d'une faQon que, pOUl' mon comple, je ne saurais accepter,
et qui trompe, je crois, la Cham brc et la France sur le véri-
table état des afi'aires. 11 semble que nOllS ayons a. choisir
entre une paix sol1icitée, mcndiée, honleuse, et une guerrc
réguliere'. Messieurs, il n'en esl rien: pour nous, il ne s'agit
ni d'une telle paix ni u'une lelle guerreo


11 est anivé a. un hommc, qui, toute sa vie, avait professé
les príncipes et serví la cause du pouvoír, plus lúin que




248 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
je. ne le voudrais faire, il est arrivé un jour 11 1\1. Canning
de menacer des révolutions l'Europe continentale, et de
se présenter, lui et son pays, comme en mesure de les
déchainer. Beaucoup de personnes en Angleterre , et
meme parmi les arnis de Canning, lrouverent eeUe me-
nace inconvenante, imprudente de la parl d'an ministre.
A mon avis, elles avaient tol'l; Canning, dans cette circon-
stance, démela, e'n homme supérieur, Jes paroJes qui conve-
naient a la poJitique de son pays. Depuis quelques moís, ces
paroJes sont devenues le langage, la regle de conduite, le
vade-mecum de quelques homrnes d'un partí. (Sensation.) lis
ont la main pleine d'ínsurrections, de révolutions; íls les
offrenl a tous les peuples, ils les jettent 11 la lete de tous les
gouvernements. (Vive adhésion aua:: centres.) C'est une'rnenace
continue}(e. Et remal'quez, messieurs, que la plupart de ces
hornmes, quelqne' honorables qu'ils soient, ne sont pas d'an-
ciens amis de la cause du gouvernement, d'anciens amis du
pouvoir, comme "était Canning. Ce sont des hornmes qui, en
général, ont eonseiencieusement, je n'en doule pas, pris parti
pour les insurrections, pour les révolutions, ou du moins
ont manifesté leur sympathie pour ce genre d'événements.


Est-ce que, par hasard, ils croiraient, en répétanl les pa-
roles de Canning, imiter son exemple, donner a leur pays les
me mes conseils, imprimer asa politique Je meme caractere,
faire enfin ce qu'a fait Canning, et ne faire que cela? L'er-
reur serait immense. lis font tout autre chose que l'homme
supérieur dont ils empruntent les paroles; ils se mettent en
hostilité généraJe contre t'Üus les gouvernements européens;
ils se séparent de la société des États PUl'opéens; ils sortent
des voies de la civilisation et de la paix pour entrer dans
celles de la barbarie et de la guerre, d'une guerre éternelle.


Je dis éternelle, ce n'est pas sans dessein. On le proclame
de toutes parts; on vous dit qu'il s'agit d'une guerre 11
mort entre deux príncipes, que ces deux principes ne peu-
vent coexister sur le sol européen, qu'il faut qu'ib en
viennent aux mairlS, et qu'ils se combaltent jusqu'it




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-30 MAR S 1831. 249
ce que l'un ait complétement cédé le terrain a l'autre.


Je ne suis pas assez ignorant de ce qui se passe dan s le
monde pour ne )las voir qu'íl y a deux principes en luUe,
non pas depuis quinze el quarante ans, mais depuis des
siecles. On les exprime mal, quand on parle de la souverai-
nele du peuple et du droil divin; il s'agit au fond de la civi-
lisation progressive ou de rétat stationnaire; il s'agil, non
pas de telle ou te1le doctrine particuliere, mais de savoir si
les sociélés seront en développement~ en progres~ ou bien si
elles resteron! immobiles, sous le joug permanent de quel-
que s possesseurs. (Sensation.) .


Eh bien! je reconnais la luUe de ces deux príncipes, elje
n'en dis pas moins que le systeme dans lequel on nous
pousse, la guerre, n'est pas la conséquence légitime et iné-
vitable de eette lulte, qu'elle est au contraire en opposition
ormelle avec les principes du nouvel état social, avec le


sentimenl de lous les peuples libres, avec l'intéret actuel
el bien entendu de la France.


Quel est le principe fondamental du nouvel état de choses
qU'OR invoque tous les jours? e'est qu'il faut réduire l'action
du gouvernement, surtout en ce qui touche aux opinions,
a 1'ordre moral, intellectuel; la, il ne faut pas que le pou-
voir intervienne. On veut qu'il se borne a régler l'or-
dre extérieur. e'est ce principe qui a été exprimé un jour
d'une IQaniere inexacte par notre honorable collegue,
M. Odilon Barrot, quand iI a dit, devant la eour de cassa-
tion, que la loi devait etre athee. Il se trompait, c'était une
mauvaise expl'cssion. La Ioi nc doit pas plus etre athée que
déiste, la loi nc doit pas intervenir dans les matieres reli-
gieuses. (1I'1.0dilon Barrot : Vous etes trop éclairé pOUI' avoir
pu vous iromper sur le sens de ccHe expression.) Remarquez
que je l'explique : je dis que l'expression élait inexacte, que
M. Odilon Barrot entendait par la que la loi était incompé-
tente en parcille maticl'C. N'cst-cc pas la le scns que vous y
aUachiez? (M. Odilon Barrot: Ccst bien cela. L'expression
avait été empruntée a M. l'abhéde Lamennais dans le meme




250 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
sens.). (On rit.) Que l'expression vienne de M. l'ahbé de IA-
menais ou de 1\1. Odilon Barrot, elle est également fausse
égalcment inexacte. (On rit.) ,


Jcdis done que le principe fondameiltal denatre sociélé, c'est
que le pouvoir n'intervienne pas dans les questions purement
morales, et lorsqu'il s'agit d'une lutte de systemes, d'idees.
Eh bien! ce sont les partisans les plus exclusifs de ce prin-
cipe qui viennent réclamer l'intervention de la force au
dehors. A l'intérieur, toutes les fois qu'il s'agit d'une lUlle
entre des doctrines, des idées, ils veuleot que le pouvoir n;in-
tervienne pas; ils ont confiance dans le développement naturel
de la civilisatioll, dans l'influcnce progl'cssive de la vérité.
Et a l'extérieul', quand il s'agit aussi du progres de la civi-
lisation el de la vél'ité, ils veulent que l'on ai! recours immé-
diatement a la forcej ils demanden! qu'on écrive une doctrine
sur son chapeau, qu'on prenne les armes et qu'on répande
le sang pout la faire triompher! A-t-on jamais vu une con-
tradiction plus étrange, une méprise plus bizarre sur les
fondements de notre état social? U faut bien que la méprise
soit grande, cal', si je regarde aux faits, je trouve mon obser-
vation--contirmée par la pratique des peuples; je ne parle pas
des temps anciens, mais de nos jours.


Regal'dez quels 80nl les pays qui se sont le plus empressés
d'intervenir par la force dans cetle lutle de Jeux idées. Ce
sont des pays gouvernés despotiquement. C'est d'une part,
l' Autriche; de l'autre, la Russie. La Prusse, pays déjit plus
avancé, plus éclairé, s'est montrée moins pressée d'appeler
la force au seeours de telle ou telle idée. L' Angleterre a
hésité bien plus encare; 'elle a positivement refusé d'inter-
venir dans certains caso El pourquoi? paree que la eon-
fiance dans les progres de la civilisation et de la vérité
est plus grande en Angleterre que partout ailleurs. Je 80rs
de notre contínent, je me transporte aux: États-Unis,
gouvernement que vous regardez comme le type du nou-
vel état social. Certes, les États-Unis ont eu une OCC8.-
sion bien tentante d'employer la force au secours de leU1'8




CHAMBRE m:s DÉPUTÉS.-30 MARS 1831. 251
idées, de la faire servir a la propagation de leur systeme de
gouvernement. Les colonies espagnoles étaient en guerre
avec la métropole. Les Étals-Unis ont exprimé hautement
leur syrnpathie pour ces pays voisins; mais ils ne sonl pas
intei'venus par la force, ils n'ont pas envoré des armées pour
faire triompher le principe de la souveraineté du peuple
dans les colonies espagnoles contre le principe du droit
divino Pourquoi 'f parce qu'ils né s'en croyaient pas le droit,
parce_qu'ils ne croyaient pas que la force put ainsi se jouer
du droit des gens.


Ce qu'on nous demande aujourd'hui, c'est la politi-
que des Étals despotiques, c'esl la poli tique de l'empereur
Alexandre, et non pas la polilique de Washington et de
JII_l\Ionroc j ce qu'on nous demande, c'est de l'étrograder vers
les idées el les sentiments qui firent les croisades et les
grandes actions du moyen ilge, el non pas d'agir selon les
principes du nouvel état social, selon la pratique des peuples
les plus libres et les plus éclairés. (Vive adhésion.)


Il n'y a la rien que de tres-simple et qui ne fUt tres-facile
11 prévoir. La politique des peuples libres est essentiellement
réservée el prudente, précisément 11 cause de la respoIlsabi-
lité qui lui est altachée; elle ne se décide pas selon des fan-
taisies ni pour accomplir quelques combinaisons arbitraires.
Elle consulte, elle entend l'intérelnational clairement, hau-
tement déclaré, Comme les opinions des peuples libres sont
ordinail'ement mobiles, changeantes, leur politique ne se fie
pas au premier Clan, au premier mouvement d'eIithou-
siasme; elle sait qu'on peut avoir, pendant un temps, beaucoup
de gout pom la gueno, et ensuite fort peu de dispositions
pour la soutenir, el qu'on la prend positivement en dégout si
elle n'est pas fondée sur les exigences les plus impérieuses de
la sociélé.


On nous parle sans cesse de ce qui s'est passé en 1792, et
parce que nous avons été attaqués alors, on dit que nous le
'5erons aujourd'hui, elon veut que nous fassions encore ce
llue nous avons faitalors.




252 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Mcssieurs, je n'insisterai pas sur la différence si marquée


qu'il y a entre notre époque et ceBe dont on nous parle. Je
ne dirai pas que c'était alors une époque d'illusions, d'expé-
ricneeuniverseBe, expériencedontnous avons profilé plusque
d'autres. Je ne dirai pas que, depuis eeUe époque, les gouver-
nements absolus se sont fort perfectionnés dan s la tactique de
la résistance a la contagion des peu pIes libres et qu'il ne faut
pas se fiel' au souvenir de nos sucees. Je dirai que, meme en
1792, on a agi beaueoup plus prudemment qu'on ne voudrait
nous faire agir aujourd'hui; on attendit l'agressionétrangere,
l'invasion du territoire ... (Jlf. DemaTl;ay: C'est une erreur!)
On attendit l'entrée des Prussiens sur le territoire franc,¡ais.
(M. Demarr;ay: Nous avions déclaré la guerre me me a rAn-
gleterre.)


Il me semble que la déclaration de Pilnitz était bien une
déclaration de guerre a la Franee. (Jlf. Demarr;ay: C'é-
tait un traité .•. Réclamations aux centres.) Cette déclaration
de Pilnitz annorit;ait évidemment la guerre. elle mettait la
France dans la nécessité de résister. Rien de pareil ne s'es!
encore passé parmi nous. Il n'y a point de déclaralion
de Pilnitz pour moti ver la eonduite qu'on nous conseille.
Aujourd'hui, on nous eonseille de commeneer par la guerre
de propagande, par la guerre lointaine; e'est par lit qu'on a
fini en 92. On n'a pas eommencé par chereher ses ennemís,
soit en Italie, soít ailleurs; e'est sur le territoire de la
France que la guerre a commencé, que la résistanee a pris
de la force, et qu'elle s'esl ensuile porlée sur lous les points
de I'Europe.


Du reste, messieurs, je ne m'étonne pas de ces conseils,
en voyant qui les dOIme et d'ou ils viennent. Un parti, apres
tout, ne peut agil' que selon les principes qu'il professe et
avec les force s dont jI díspose. 01', que pl'ofesse le parti qui
nous pousse a la guerre de propagande? La légi,timité
de l'insurrection contl'e tOU8 -les gouvernements qui ne sont
pas conformes a nos principes. N'a-t-on pas dit que toute
insurrection contre un pouvoir qui n'était pas libre, selon




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-·30 MARS 1831. 253
nos principes, était légitime, et toute ohéissance a un gou-
vernement lihre était un devoir? Quant aux force s qui
appuient ce systeme, il est impossihle de les méconnaitre.
Ce sont toutes les passions, tous les intérets, toutes les opi-
nioI)s hasardeuses, bonnes ou mauvaises, sinceres oufausses,
généreuses ou égoistes, tout ce qu'il ya de novateur et d'a-
ventureux dans la société. Eh bien! de ces príncipes, de
ces forces, il ne peut sortir aucune paix ni ·au dedans ni au
dehors. Il y a sans doute la. de quoi surveiller les intérets
de la liherté et du perfectionnement social, mais il n'y a
pas de quoi fonder el soutenir un gouvernement régulier.


La guerre de pl'opagande, la fievre révolutionnaire sont,
dans des moments de crise, la nécessité de ce parti; ce sont
les seuls conseils qu'il puisse donner paree que ses forces l'y
poussent et que ses principes les lui commandent. e'est lile
malheur de ce parti. Pour conseiller la paix, il serait obligé
de renier ses principes. Pour lui, la paix serait honleuse et
la guerre: dcvient, éminemment révolutionnaire. C'est dan s
ecHe alternative qu'il se trouve placé.


Messieurs, ce n'est pas la la position de la France. La
Franee n'est pas réduite a cel1.e alternalive. La France ne
professe pas que l'insurrection esl légitime contre tous les
gouvernemenls différents du sien. La France a d'autres inté-
rets que des intérets d'esprits novateurs et ardents; elle
dispose d'autres forces. La France n'a pas hesoin de se
renier elle·meme pour faire la paix, ni de mettre tout son
enjeu dans le Lou[eversement de l'Europe pour faire la
guerreo (Vive adhésion.)


J'ai appelé de tous mes vamx, j'ai applaudi, avee toute la
joie patriotique dont je suis capahle a l 'avénement du minis-
tere actuel, paree qu'il est a cet égard dans la meme sit~a­
tion que la France, paree qu'il n'a pas pour principe de sollici-
ter et de soutenir toute insurreetion al' étranger. Le ministere
actuel, comme la France) veut etre pacifique et hautain en
meme temps. (Mouvements divers.) Il peut elre llelliqueux
et réguliel' en me me temps; iI a la double faculté de faire la




254 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
pail: et la guerre comme illui conviendra, selon l'intérel du
pays.


Messieurs, la France n'en est point aujourd'hui 11 rece-
voir la paix de rEurope. La paix! c' est la France qui la
donne. (Sensation.) La France porte la paix ou la guerre
dans les pans de sa robe; c'est a l'Europe a la mériter de la
France par sa sincérité, par la loyauté de sa conduite. La
France sait ce qu'elle tient dans sa main; elJe sait qu'elle
fera la guerre si la guerre lui convier¡t, si l'Europe ne
mérite pas la paix. J'ai la ferme confiance que l'Europe
comprendra qu'ellc a besoin que la France lui donne la
paix, et qu'elle fera, pour la France, ce qui pcut scu! dé-
cider la France 11 la lui donner. (lIJout'rmmt 1lrolonr¡é d'ulIe
vive adhész·on.)




XXVIII


Discussion de l'adresso de la Chambre des députés au rOi,
;t I'ouverture de la seconde session de 1831.


- Chambre des députés .-Séance du 11 aoút 1831.-


La seconde session de 1831 fut ouvene le 23 juillet.
La discussion du pr(ljet d'adresse commen~a le 9 aout.
Elle fut tres-animée et se porta, ave e une égale vivacité
sur la politique intérieure et sur la politique extérieurc
du cabinet présidé par M. Casimir Périer. Je pris la
parole le 11 aont pour défendre et soutenir le cabinet.


M. GUJZOT. - Le moment est venu OU chacun de nous
doit dire ici toute sa pensée. La sincérité enticrc de la
tribune me parait etre aujourd'hui plus que jamais notre
meilleur, notre seul moyen d'action. Hiel', j'en aurais usé
sans la moindre crainte; malgré la vivacité du débat, il
n'était pas sorti un momenl, it mon avis, des habitudes
parleroentaires; tout avait été dit avec une entiere liberté, et
la Charobre avait tout écouté ave e la plus grande aUention.
Aujourd'hui, je l'avoue, j'ai un peu moins de confiance etje
me sens obligé de dire des choses qui peuvent déplaire it




236 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
quelques personnes. Je suis sur ccpendant que je n'ai l'in-
tention d'offenser personne, que je respecte toutes les con-
victions, toutes les intentions; je parlerai donc avec une
liberté entiere. Si je m'écarte des convenances, je prie la
Chambre de m'en avertir.


Une chose m'étonne et m'afflige dans ce débat, c'est ce
penehant 11 se porter principalement vers les questions du
dehors, vers les affaires étrangeres, e' est la disposition de la
Chambre 11 se laisser attirer sur un tel'l'ain, et iJ. eroire que
la est le principal objet de son atlention. Vous avez vu hicl'
un honorable membre qui a essayé de ramener la question
sur notre état intérieur, obtenir de la Chambre moins d'at-
tention qu'il n'est accoutumé et qu'il n'a droit d'en ob-
tenir.


Messieurs, la disposition dans laquelIe paraa etre la
Chamhre a ce sujet, l'Europe He la partage pas. Depuis six
moís, l'Emope subordonne toutes ses dispositions 11 l'état
intérieur de la Franee, a ce qui se passera en France;
tout est en suspens en Europe jusqu'a ee que l'état intérieur
de la France ait pris un caraclere décidé, détinitif. Vous
Mes étonnés de lalenteur des Autrichiens a évacuer l'ltalie :
entre beaucoup de causes de cette lenteur, savez-vous
quelIe était la pt'incipale? On attendait le résultat de nos
éleetions. (Mouvements divers.) Vous vous étonnez que l' An-
gleterre hésilea s'engager, a la suite de la Franee, au profit
de la Pologne : l' AngletelTe a besoin de savoir quel sera le
gouvernement de la Franee, avant de se prononcer dans
une si grave affaire, avant de eontracter de tels engage-
menls. (1Ifouvement.) Vous désirez tous le désarmement gé-
néral de l'Europe; ce désarmement est subordonné 11 l'état
inlérieur de la Fra'nce; iI ne sera possible que quand l'état
intérieur de la Franee inspirera, en Franee et en Europe, de
la eonfiance et de la sécurité. C'est, messieul's, dans notre
état intérieur qu' est la clef de l' avenir; e' est un faít visible,
et I'Europe l'a proelamé hautement. A mon avis, messieurs,
l' I<:urope a raison; elle eom prend qucl est le earactere nou-




CHAMDRE DES DÉPUTÉS .-ll AOUT 1831. 257
veau qu' ont pris depuis un demi-siecle les événements,
et quelles sont les causes nouvelles qui en décident. La
prépondérance des idées et des institutions libérales sur
les combinaisons de la diplomatie ou sur la force des -balon-
nettes, ,"oila le véritable caraetere de la civilisation adueIle :
e'est surtout par l'empire des idées et des institutions que
les événements se déeident en Europe; e'est de la qu'ils
re~oivent leur origine et leur diredion. Eh bien! le siége
de eet empire est en France. Nous l'avons proclamé vingt
fois pour nous en glorifier; ne l'oublions pas quand nous
avons besoin d'en tirer une le~on. e'est de l'état de nos
idées, de nos institutions, de notre gouvernement, que
dépendent la paix ou la guerre en Europe: l'Europe, je
le répete, le proclame tous les jours; il serait étrange
que nous fussions les premiers a l'ouhlier, et que nous
allassions chel'cher au dehol's, dans des combinaisons
soit de paix, soit de guerre, les causes des événements
qui ne dépendent que de notre état intérieur et constitu-
tionnel.


Je dirai plus: e'est le devoir des peuples libres de porter
d'abord sur leur état intérieur toute leur aHention ; e'est lit
que sonl les pl'emiers inlércts des masses; c'est la que se dé-
cident la détresse ou la prospérité, le honheur ou le malheur
des nations; e'est par la que les peuples agissent pleine-
ment sur leurs destinées. Voyez les grandes époques ou
la diplomatie el la guerre ont brillé de tout leur éclat;
ce ne sont pas des époques de liberté; elles appartiennent
au XVlle el au xvme siecle. Dans le eours des grandes l'é-
volutions, quand les peuples ne s'oceupent pas avant tout
de leur intérieul', de la constitution de leur gouvernement,
soyez surs qu'ils ne sont pas libres ni prcts a le devenir.
(Sensation.)


Aussí, ce qui me frappe surtout, ce que j'approuve et estime
véritablcment, dans le systeme du ministere, e'est qu'iI a été,
sur ce poinl important, de I'avis de ¡'Europe; e'est qu'il a
eompl'is que uans notre état intérieur était le secret de nos


T. r. 17




258 HíSTOI'RE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
destinées; il a ertt que la premiere ehose 11 faire parlili ~ous,
c'était de fonder le gouvernement, de rasseoir la société, de
donner aux intérets et aux idées léur véritahle djrection;
(!'estla le sens de ce qu'on appella le systeme de la paix. Sans
doute e'est pour éviler aux peuples les maux de la guerre
qu'on ,'eut la paíx; majs on la veut surtout paree que
e'est le seul moyen de donner au gouvernement nouveau
tonte la liberté, toute la régularité de son action. Le len-
demain d'une révolution, la guerre est une source de révo-
¡utions nouvelles.


On ne s'est pas jeté dans la guerre, pareequ'on ne prévoyait
l'événement. Les guerres, ce sont des revolutions pour nous,
comme ponr tous les peuples qui se sont trouvés dans une
situation analogue a la notre; la paíx est ]'afIermís~ement
de notre gouvernement intérieur, e'est le hon ordre ehez
nous. Quand le ministere se prononl;a pour le systeme de
la paix, jI eomprit que notre état intérieur était le plus im-
portant, el qu'avant de se jeter au dehors, il fallait n'avoir
rien de grave 11. régler au dedans.


On a dit que ee systeme IIOUS a fail pedre au dehors de
la considératioll et de la for~e; on a di t qu'il compromettait
notre índépendancc. Je ne reviendrai pas sur les réponses
qui ont été faites 11. eeUe tribune j je ne dirai rien de toutes
ces prédictions qui depuis un an nous annoncent une ¡nva-
sion générale. Messieurs, ces prédictions sont démenties
par I'événement. La paix subsiste, les relations des États
sont régulieres; rien de ce .qui élait annoneé comme pro-
chain, imminent, inévitable, n'est arrivé. (Sensation.)


le prendrai pour preuve de nolre considération au dehors
un symptOme que personne ne pourra récuser: madame la
duchesse de Beny est partie, il ya quelque temps, pour
aller "oyager sur le continent: je ne veux pas chercher quel
était le but particuliel' de ce voyago; cependant il est ¡mpos-
sible que vous ne pensirz pas que, soit de sa part, soít de la
part des personnes qui I'accompagnaient, il y avait projet
de s'étuhlir sur notre frontiere, et de susciter de lit des intri-




CHAMBRE DES DÉPUTltS.-ll AOUT 1831. 259
gues et des embarras a la révolution de Jnillel. Elle s'e~t
présentée dans divers Etats avec tons les titres qu'nne
femme malheureuse peut avoir 11 leur intérN, et pour-
tant elle a été partout refusée, écartée; nulle part elle
n'a pu obtenir la permission de s'établir sur nos frontie-
res.


1\ n'est pas, si je ne suis trompé, iI n'est pas jus-
qu'il son frere qni n'ait témoigné qnelque inquiétude 11 la


. reeevoir chez lui, a Naples, il qualre ou cinq cents lieues de
Franee.


Qu'arrivait-il en 1789, quand I'émigration sortait du ter-
ritoire? Elle était partont re{:ue, accueillie, filtée; elle
s'établissait sur tous les points de notre fI:ontiere; elle y
préparait la guerre; elle ne tl'ouvait nulle part en Europe
une puissance qui lui refusat ee qu'elle demandait. L' As-
semblée eonstiluante a enduré deux ans que le moindre
électeur d' Allemagne la bravat hautement. Elle a enduré
deux ans ce que nous n'endureriolls pas quinze jours. C'est
que l'état de l'Europe est complétement ehangé sur ce
point; e' est que les idées, les eonvictions de l'Europe sont
entierement ehangées sm nolre intérieur. Ce simple fait le
prouve mieux que toute autre ehose. L'Emope ne eroit pasque
nous soyons une nalion en désorganisation, en dissolution,
prete 11 tomber dans une complete anarchie, ineapable de
se défendre conlre les attaques dont elle serait ¡'objeto


Nous devons a deux grandes pllissances d'avoir changé, a
cet égard, la conduite de I'Europe. Nous le devons a Napo-
léon et a la révolution de Juillet.


Nous le devong a Napoléon, paree qu'il a prouvé a I'Eu-
rope que la société pouvait etre reeonstituée en Franee,
qu'elle pouvait subsiste!' régulieremen~, fortement,. en pré-
senee d'un ordl'e social autre que eelui des autres Etats eu-
ropéens.


Voilll le service que Napoléon a rcndu, serviee immense
el qui compense bien des fautes.


La révolution de Juillet nous en a rendu un autre. Elle




260 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
a, pour la premiere fois, donné a l'Europe la conviction
que la France, livrée a elle-meme, était capable d'un
ordre public régulier, que la liberté poli tique , le gouverne-
ment représentatif pouvaient s'établir. en France sans
menacer le repos, la sureté, la liberté de rEurope.


Napoléon, cbez nous, a réconcilié l'ordre social et la
Révolution franc;aise avec rEurope. La révolution de Juillet
a commencé la réeonciliation de l'opinion politique lihérale
en France ave e les gouvernements européens. (Marques
d' adhésion.)


. C'est a ces deux forces , je le répete, que nous devons le
cbangement qui s'est opéré en notre faveur dans l'atti-
tude de l'Europe; elles ont montré que, si notre ré-
gime intéricllr était changé, nous n'étions plus en
révolution, et que nous étions eapables de vivre l'éguliel'e-
mento


Eb hien! qu'a fait le ministere? II a eu la meme idée
que Napoléon et la l'évolution de Juillet; il a marché daos
la meme voie; il a entrepris de démontrer pleinement a
l'Europe qu'elle avait eu raisan, qu'elle avait raison de
croire a la possibilité de conserver une paix, une paix régu-
liere et loyale ave e la Franee, que la liberté politique pouvait
exister en Franee sans que personne, sans qu'aucun gou-
vernement de l'Europe fut immédiatement et révolutionnaire-
menl menacé.


Tels ont été la tentative du ministere el le caraetere fon-
damental de son systeme. Il a pour lui,je le répete, l'exemple
de Napoléon el de la Révolulion de Juillet; iI a suivi la
l'oute que lui ont tracée le plus grand bommc des temps
modcrnes, et le plus grand événement qu'une grande nation
ail accompli.


Je conjure la ,Chambre de ne pas se laisser détourner de
ces voies; je la conjure de ne pas se laisser égarer dan s des
projets, des desseins, des espérances étrangeres "au véritable
inléret national.


C'est de notre constitution intérieure, de la fondation de




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-ll AOUT 1831. 261
notre gouvernement, que la Chambre doit s'oeeuper avant
tout = e'est lit que réside la véritable diffieulté de notre
situation, la difficulté qui prime toutes les autres. C'est
done sur nolre état intérieur que je demande la permission
de rappeler et de retenir votre attention.


Vous avez entcndu dans une séance précédenlc un hono-
rable membre de ceUe Chambre prendre la défense, non pas
de tel ou tel ministere, mais de tous les ministeres qui se
sont succédé en France depuis la révolution, prendre la
défense de ce qu'il a appelé avec raison le gouvernement de
Juillet toul entier. L'honorable M. Thiers a été autorisé a
parler de la sorte,. par le langage de ses adversaires; cal',
malgré la diversité des accusalions, c'est le gouvernement de
Juillet el les divers ministeres qui ont été et qui son! encore
lous les jours attaqués par l'opposition, el surtout par l'op-
position extraparlemen!aire .... (Mouvement en sens divers.)
Par l'opposition extraparlementaire .... (Agitatlon.)


Messieurs, il ya eu quelqucs raisons, quelques bonnes rai-
son s a ce qu'a fail l'opposition. A travers toutes les vicissi-
tudes des minisleres ct la diversité de leur situation et de leur
conduite, au fond, depuis Juillet, c'es! un meme systeme qui
a prévalu; une certaine communauté de systeme, d'opiníon
et d'intention se fait remarquer dans leurs actcs. Cet en-
semble de conduite a pour lui une honne raison: tous ces
cabinets étaient issus de la révolution de Juillet; ils y
avaient tous concouru; concouru, non-seulement en y pre-
nant par!, majs en approuvant la fa(;on dont elle s'était
faite, celte fa(;on pl'omple, décisive, dont nous avions
constitué en quelque sorte une royauté et une Charte.
Tous les ministres qui se sont succédé depuis ont lrouvé
cela bon: ils y avalent, je le répete, concouru, et personne
n'a regretté d'autres combinaisons. En hit d'élections, par
excmple,a quelques différe.nces pres, tous sonr partis du mcmc
point; aucun d'eux n'a réc1amé le suffrage universel, au-
cun n'esl "enu proposer le boulevcrscmclltde nos institutions.


Dans I'administration, il n'y a cu aucun renouvellement




262 HISTOIRE PAI.{LEMENTAIRE DE FRANCE.
général. Tons les ministres ont respecté les anciens droits,
les anciens services. Je ne sais, en effet, lequel a prononeé
le plus de deslilulions. Au dehors, dans les affaires étrange-
res, tous ont également pl'ofessé la paix. Ainsi, vous le
voyez, sous quelque poinl de vue que vous les considériez, a
prendre les chases dans leur ensemble, a les juger par les
dehors, il y a une cerlaine ¡den lité de vues, de syateme, de
conduite dans les différenls ministeres qui se sont succédé.


Pourquoi done tous nos débats si vifs, si 'obstinés? Pour_
quoi tant de dissenliments au milieu de tant de ressern-
blances? e'est ¡ci, messieul's, qne je vous demande la per-
mission de dire toute ma peusée. (Attention.)


Je ne parle pas d'un partí dont les efforts conh'e notre
gouvernement sont naturels, doivenl exister, auxquels nous
avons dó nous attendre, el qui ne peuvent cesser qu'apres de
longues années de paix, de raison, de justice, quand on
aura détaché de ce parti tous les hommes de sens el d'hon-
neur qui sont capables de s'en détacher, et certainement


. c'est le plus grand nombre.
Je ne parle point de ce qui esl a faire conlre les coupables


tentatives de ce par ti : a cel égard, nous sommes unanimes,
et les divers ministeres I'ont été; mais il est un autre parti
dont le caractere fondamental est que la révolution de Juillel
ne lui a pas sumo Ce parti ne peul se résigner a se renfer-
mer dans les limites que la révolution de 1830 a assignées
11 notre politique; il u'est pas content de la maniere dont la
révolution s'est faite, ni de rien de ce qu'elle a [aÍl depuis. Que
réclame ce partí? Onl'a vu, au su de toul le monde, sur les
places publiques, dallE les mes, el jllsqll'iJ. nos portes. II
réclamait un inlerregne et un gouvernement provisoire, une
constitulion toute nouvelle qui u'elit rien de commun avec
la Charle, pas meme le nom; il voulait la convocatíon des
assemblées primaires et la délibération sur la révolution quí
venait de s'opérer. Voilil ce qu'iI. ceUe époque il demandait
au vu el au su, je le répeíe, de tout le monde. Depuis, en ma-
tiere de législation, mais, hors de cetle Chambre, il a pro-




CHAMBRE DES PÉPUTÉS.-ll AQU'I' 1831. ~a
fessé le suffrage universel, le mépris de toutes n~ leili
actuelles, la nécessité de les renverser sur-Ie-champ, de re-
commencer a nouveau l'reuvre de nolre législation et de
notre ordre social.


Quant aux affaires extérieures, ce parti appelait a grands
cris la guerre, la guerre générale, la guerre de principes! II
prechait la nécessité absolue d'envoyer toutes nos idées,
tous nos principes contre les idées et les principes du reste
de l'Europe.


Et quand la guel're lui a manqué; qu'est-ce qu'il a faíl?
IIl'a faite cette guerre, mais il I'a faite sous maín, ill'a
faite sous tel'1'e, pal' la propagande, par les provocations a
l'insurrection, au renversement des gouvernements établis.
C'est une guerre cela, messieurs; il n'est pas loyal el'appeler
cela la paix; c'est la guerre non déclarée, déloyale, injuste,
telle qu'il n'est plus de notre civilisation de la faire.


Nous avons vu ouvrir des souscriptions en faveur de je ne
sais quels projets de révolution qui n'ont pas meme eu
l'honneur d'avorter; nous avons vu des révolutions a l'entre-
prise; nous avons vu des sociétés anonymes se former pour
provoquer au dehors de semblables projets.


Voilil ce qu'a faít ce partí, quand il n'a pas pu avoir ll!
guerre comme illa demandait.


Eh bien! messieurs, que veut-il ce parti'? quel nom lui
donner? On lui a donné le nom de parti républicain. le ne
veux pas de la république; personnne n'est plus convaincu
que moi que la monarchie est le seul gouvernement qui con-
vienne a la France; pel'sonne ne la veut plus sincerement·
que moi; mais je ne ferai pas 11 la République l'injure de
donDer son nom 11 un tel partí. (Marques d'approbation.) La
république est un gouvel'Oement l'égulier, qui peut etre juste,
loyal, el qui n'a aucun rappport avec le partí que j'essaye d~
caractériser. (Vive approbation.) Ce qu'est véritahlemenl ce
partí? le voici, passez-moi l'expression: e'es! la collection de
tous les déhris, c'est le caput mortuum de ce qui s'est passé
chez nous de 1.789 a 1.830. e'est la collection de toutes les




264 HISTOIRE P ARLEMENTAIRE DE FRANCE.
idées fausses, de toutes les mauvaises passions, de tous les
intérets illégitimes qui se sont alliés a not~e glorieuse Révo-
lution, et qui ront corrompue quelque temps pour la faire
échouer aussi quelque temps.


Considérez quelles sont les ídées de ce partí et ce qu'il
professe.


Sa premiere idée est de tout recommencer, de faire table
rase pour élever un nouvel édifice social.


Ce qu'il professé, c'est de ne reconnaltl'e dans le passé, ni
dans le présent, riende légítime, de ne rien trOllver de bon
dans ce quí a été, dans ce qui esto C'est I'reuvl'e de la créa-
lion qu'il faut recommencer ehaque jour.


Cette chimere, celte folie, e'est le crime du partí. Il
n'y a rien qui corrompe plus profondément les homrries que
]e fol orgueil qui les porle a croil'e qu'il est en leur pouvoir
de recommencer le monde lous les jours, de renouveler ah-
solument les gouvernements el les soeiétés.


Il n'en est pas ainsi: les soeíétés, les gouvernements,
tout cela est l'reuvre du temps, des génél'ations; il faut:plu-
sieurs siecles et de longues expéríenees pour les former.


Eh bien! e'est une des folies, e'est un des crimes du
parti d'oublier ce bon sens populaire, ce bon sen s de I'huma-
nité, pOUl' nous jeter sans eesse a la tele une création qu'il
faudrait sans eesse reeommeneer. (Tres-bien! tres-bien!)


Sa se conde idée, e'est l'épée de Damocles qu'il ¡íent con-
stamment suspendue sur la tete de tous les gouvernemcnts,
et meme du nOlre. Vívre avec eette épée de Damocles sur la
tete, n'est-ce pas un supplice jnlolérable? e'est a ce sup~
pliee que ce parti condamne tous les gouvernements qui se
sont ehargés d'en préservel' les citoyens, de leur donner slI-
reté et confianee. Le parti dit a tout gouvel'llernent: vous
n'aurez ni repos ni de sureté; I'insurreetion populaire est la
qui vous menaee, elle meltra la main sur vous quand ji
lui plaira, elle vous ehangcra, vous détruil'a. C'est la ce q n'i!
répete 10us les jours, ce qui eslle foru.l de ~a pensée. (Mar-
ques d' adhésion.)




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-ll AOUT 1831. 265
Voíla pour les doctrines du partí. Voyons maintenant


qucls sont les moyens qu'il emploie.
L'émeutc) la force, l'appel continuel a la violence, a la


violence matérielle, invoquée foutes les fois que le cours na-
ture! el régulier des choses ne permet pas au parti d'accom-
plir sa volonté.


Voulez-vous rcgarder au langage? Lisez! C'est le langage
des plus mauvais temps de nolre révolution; langage timide
encore el honteux, mais qui s'essayc; langage de gens quí
veulenf savoir si vous etes en état et en disposition de les ré-
primer, et qui, le jour OU ils croiront que vous ne l'etes pas
ou que vous ne le pouvez pas, se livreront 11 tout leurcynisme,
11 tout leur dévergondage, prets a répandre au milieu des
sociétés, daos les rues, sur les places, a y étaler (passez-moi
l'expressioo) toutes les ofdmes de leur ame. (Mouvement
dans l'assemblée.)


VOlla, messieurs, le partí auquel vous avez alfaire; ce parti
que je n'appellerai pas le parti républícain, mais le mauvais
parti révolutionoaire, est aujourd'hui, grace a Dieu,
affaibli, usé, incapable d'amendemeot et de repentir.
La révolution de Juillet, c'est au conlraire tout ce qu'il y
a eu de hoo, de légitime, de national dans notre premicre
révolution, el tout cela converti en gouvernement. Voila,
messieurs, lalutte a laquelle vons assistez: elle est étahlie
entre la rél'olution de Juillet, c'est-a-dire entre tout ce qu'il
ya eu de bon, de légitime, de national, depuis 1789 jus-
qu'a 1830, et le mauvais parti révolutionnaire, c'est-a-dire
la queuede notre premiere révolution, tont ce qu'il y a eu
de mamais, d'illégitime, d'antioational, depuis 1789 jns-
qu'a 1830. (Marques d'approúation au centre.)


Voila la lulte dans laquelle vous eles engagés.
Et ne vous faites pas illusiou; ue cherchez pas a couvrir


sous de beaux: noms des choscs qni sont si mauvaises. Ce
sout lit 'Taiment les deux partís: aquí restera la victoíre?
C'est it vous d'eo décider.


Tel est, rnessieurs, au dedans l'état général des choses;




266 IIISTOIRE PARLEMEKTAIRE DE FRANCE.
telle est la véritable lulte qui se passe au milieu de nons.
Voici maintenant ce qui nous divise. Parmi les amis sin-
ceres, éclairés, honneles de la révolution de Juillet, parmi
les hommes dévoués it sa cause, a sa bonne 'cause, iI en est
qui croient qu'il faut ménager le par ti dont je viens de parler,
qu'on a besoin de son alliance, qu'il faut l'avoir dans ses
rangs aussi longtemps qu'on le pourra, jusqu'it la derniere
extrémilé s'il est possible, et qu'en atten~ant, il faut lui faire
les concessions dont il a besoin, afin de ne pas se l'aliéner.


11 y a au conlraire des hommes qlli croient qu'iI faut
accepter le combat, que c'est la condition de salut, que ce
parti dans nos rangs nous perd, nous corrompt, nous désho-
nore aux yeux de I'Europe, qu'il faut l'avoir non pas der-
riere soi, non pas dans ses rangs, mais en face, comme ad-
vcrsaire, le lui dire et le lui prouver lous les jours.


Voilit, messieurs, voilitles deux poli tiques entrelesquelles
vous avez a choisir. Je ne crains pas que ce mauvais
parti triomphe, meme indirectement,dans ceUeChambre. Je
sais qu'il n'y a pas de voix, qu'il serait unanimement 1'e-
poussé. Mai~, dans cette Chambre comme pumi tous les
amis de la révolution de Juillet, il y a division: il y a des
hommes qui pensent qu'on peut, qu'on doil le tolérer et le
respecter jusqu'll un certain point; d'autres croient qu'il
faut l'avoir en face et le combaUre.


C'est entre ces deux systemes, l'un incertain, l'autre
décidé, entre un systeme mixte dan s lequel le mauvais et
le hon s'amalgament comme ils peuvent, el un systeme
franc et décidé, que vous avez it choisir.


Ne vous y trompez pas, messieurs; la France vous a en-
voyés ici pour faire ce choix duquel tout dépend en ce mo-
mento Ce qui tourmente la France depuis un an, c'est
l'incertilude, I'indécision, la question de savoir qui est ami
de la révolution, qui est son ennemi, qui veut de la révolu-
tion, qui n'en veut paso e'est cela qui fait le lourment de
la France.


La France vous a envoyés pour prononcer entre deux




CHAlIiBRE DES DEPUTÉS.-ll AOUT 1831. 267
poli tiques; elle comple que vous en choisirez une franche
et décidée. Vous ne pouvez choisir qu'entre la timidité qui
ménage le mauvais parti, et la franchise qui le combat ou-
vertement. De la fa~on dont vous feraz ce choix dépend
l'aceomplissement de votre mission.


Permettez-moi de vous le dire dans ma eonviction pro-
fonde: si vous ne faí tes pas le choix que la France attend,
si vous ne lui donnez pas un systeme eomplet, frane, vous
tomberez dans toutes les incertitudes, toutes les vacillations,
toutes les menées dont la France souffre el est lasse depuis
.un ari.


Il dépend de vous, messieurs, de faire ee ehoix. Prenez-y
garde; ou bien vous aecomplirez la plus grande tache qu'une
assemblée de citoyens puisse accomplir au service de son
pays, ou bien vous serez au rang de ces assemblées faibles
qui n'ont pas su s'acquitter de la mission que leur pays leur
avait donnée.


(M. Guizot deseend de la tribune au milieu des applaudis-
sements vifs el réitérés d'une partíe de la Chambre.)




XXIX


Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roi,
a l'ouverture de la seconde séanee de 1831.


- Chambre des dépuiés. - Séance du 12 aout 1831.-


A l'occasion d'un amendement au quatrieme para-
graphe du projet d'adresse, proposé par 1\1. de Podcnas,
député de l' Aude, M. Teulon, député du Gard, entre-
tint la Chambre de l'état de l'administration dans ce
département, et reprocha au premier ministcrc formé
apres la révolution de Juillet d'avoir vouIu faire ce
qu'il appeIa « un partage égal du pouvoir entre les
vainqueurs et les vaincus, dans I'espoir d'amcner entre
eux un rapprochement.» Je pris la parole pour relever
cette assertion.


M. GUIZOT. - C'est un seu! fait que je désire releve!'.
L'antépréopinant vous a parlé d'un égal partage du pouvoir
cntre les vainqueurs el les vaincus, 'luí avait été établi dans
la départcment du Gal'd par le premier ministcre aprcs la
révolutíon de JuiJlet. Voici, messieurs, en filit, que) a été le




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-12 AOUT 1831. 269
partage du pouvoil' ii. eeHe époque. Le préfet, les troÍs sous-
préfets, le secrétaire général, le général eommandant, le
procureur général, le procureur du roi, le reeeveur général
ont été changés (Sensation) et rémplacés tous, je n'hésite pas
a le dire, par ues hommes attachés a la révolution de Juillet.
le uois faire remarquer que l'honorable memhre quí a porté
eette plainte a été nommé, par ce meme ministere, secrétaire
général du département du Gard. (Mouvement.) Je ne peuse
pas qu'il y ait eu alors partage égal de pouvoír entre les vain-
queurs el les vaincus. le pense qu'íl a été faít tous les chan-
gements commandés par la justice el la bonne admínistra-
tion. Ces changements se sonl étendus encore plus loin. Un
grand nombre de maires et de memhres des conseils muni·
cipaux ont été renouvelés. La garde nationale de la ville de
Nimes est presque toute composée de protestants. le ne dís
pas cela pour lui faire tort, au contraire; elle est pleine de
patriotísme, elle est animée d'un hon esprit; elle s'est plus
d'une foís compro mise pour maintenir l'ordre dans le pays.
Mais il n'esl pas e:xact de di re qu'il y ait eu partage égal de
pouvoir entre les vainqueurs el les vaincus. Il y a eu chan-
gement au profit des vainqueurs et juslice envers les vain-
cUS. (Marques d'adhésion.)




xxx


Díscussion de l'adresse de la Chambre des députés au roí
dans la seconde session de 1831.


- 'Chambre des députés. -Séanoe du 12 ao6.t 1831.-


On me reprocha, dans cette séance, le langage que
j'avais tenu dans celle du 11 aout a propos du partí
républicainetdes émeutes. Je prís la parole pour expli-
quer et justifier IDon langage.


M. GurZOT. - Je n'ai que deux faits 11 faire remarquer 11
la Chambre.


Premierement, je n'ai pas entendu hiel' laver ]e parti
qu'on appelle républicain de toute participation aux émeutes;
j'ai dit que je ne reconnaissais pas le vrai parti républicain
dans celui qui prenait ce nom; mais je n'ai pas dit que le
parti qui prend le nom de républicain n'a pris aucune part
aux émeutes. Au contraire, cc parti, a, selon moi, par-
ticipé aux émeutes. J'ai eQtendu lui entever un beau nom,
mais non pas lui contestcl' ses actes.


Secondement, j'ai dit hiel' que nous n'avions a choisir
qu'entre deux systemes : un systeme décidé et arreté, et un




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-12 AOUT 1831. 271
systeme incertain, faíble, qui ménage iJ. chaque occasion les
fauteurs du désordre, quí leur cherche des palJiatifs et des
excuses.


J'avoue queje ne m'attendais pas iJ. trouver sitOt la confir-
malion des faits que j'ai avancés hier a cette tribune. Que vient
de faire en effet l'orateur auque) je succede? 11 a tenté d'excu-
ser le parti républicain; il s'est appliqué a le tírerd'embarras.


M. ODILON BARROT.-Vous vous trompez complétement sur
mon intention.


Al. le Président. - N'ínterrompez pas, vous répondrez.
M. ODILON BARROT. - Il n'es! pas permis de dénaturer


ma pensée.
M. GUIZOT. - Je n'accuse en aucune fa~on lesíntentions;


je fais seulement remarquer la fausseté et ['embarras de la
position. Je dis qu'un sentiment rublie, un sentiment avoué
de tout le monde uccuse de nos désordres, ou du moins d'une
grande participalion a nos désordres, les hommes qui se
parent a tort, selon mal, du nom de républícains. Je dis que
ces désordres ont eu líeu souvent aux cris de Vive la Répu-
blique! Je dís que, parmi les hommes quí y ont pris part, il y
en a qui se croient sincerement républicains; ils se trom-
pent, maís ils n'en ont pas moins celte convictiolJ, et ce
n'en est pas moins aux crís de Vive la République! que ces dé-
sordres ont eu lieu. Il est done naturel que le se.ntiment
publie en aceuse ceux qui s'appellent républicains, et que
]'adresse réponde a eeUe partíe du discours de la Cou-
ronne.


Tel est l'embarras du partí que j'attaquais hier, qu'il
s'est eru obligr, de détourner ce coup et de prendre les
vrais républicuins sous su IJrotectíon. 11 ne s'agi! pas íeí des
vrais républicains, maís de ceux qui, aux cris de Vive la
Republique! viennent porter le désordre dans la société. Je
dis que le sentimenl publie les condumne, et qu'il n'y a aucun
moy~n de les retirel' de l'adresse. Je demande le mllintien du
paragraphe.




XXXI


Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au roí,
a l'ouverture de la seconde scssion de 1831.


- Chambre des dépulés.-Séance du 16 aoüt 1831.-


Dans ~a séance du 15 aout 1831, le président du con-
seil ayant demandé la parole sur la position de la ques-
tion relative a un amendcment de 1\'1. Bigllon, député de
l'Eure, au moment ou la cloture de la discussion sur
l'amendement meme venait d'etre prononcée, le droit
de prendre ainsi la parole lui fut contesté, et un vif
incident s'éleva a ce sujet.Dans la séance du lendemain
16' aout, la lecture de cette partie du proces-verbal de la
séance précédente donna lieu a un nouveau débat dans
lequel j'intervins pour expliquer la situation de la
Chambre dans cette circonstance et déterminer nette-
ment la question dont il s'agissait.


M. GurzOT. - La Chambre s'est occupée a la fois de deux
questions toutes différentes. .


11 Y a d'abord une qucstion de fait, qui C~l celle de savoir




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 AOUT 1831. 273
ce que M. le présidcnt du conseíl a faít hiel' quand jI a de-
mandé la paroJe: c'est sUl'la question de rail que porte la
rectitication du proces-verbal, demandée par l'honorahle
M. de Rambutcau.


La seconde question esl une questíon constilutionnelle:
ceHe de savoir jusqu'a quel point et de quelle maniere la
prérogative royale doit etre exereée dans la Chamhre en
vertu de l'al'tic/e 46 de la Charle.


Sur la premiere queslion, on ne peut pas demander l'ordre
du jour; iI faut rectifier ou non le proees-verbal. Le proces,.
verbal ne constate pas ce qui a été enlendu, mais ce qui a
été Cait, ce qui a été dit : íl se pellí qu'un grand nombre de
membres n'aient pas entendu ce qlli a été dit; mais la ques-,
tion qu'on met aux voix, c'esl de savoir si telle chose a été
dite, si telle chose a été faite. C'est une question de Cait que
l'on met aux voix dans tout débat qui s'éleve sur la rédaction
du pro ces-verbal. Le proeos-verbal n'es! ¡laS autre chose que
I'exposé de ce qui s'est passé dans une séance; toute demande
en rectification du proces-verbal éleve une question de fait;
ceUe question se décide par assis et levé, a la majorilé
des voix. Ceux qui sont d'avis que le fail s'est passé teÍ
qu'on l'articule se levent pour la rectification du proces-
verbal; ceux qui ont vu le fait d'une autre maniere se levent
contre.


JI n'y a done la, je le répete, qu'une question defait. Si le
plus grand nombre des membl'es de celte assemhlée regarde
comme constant que M. le président du conseil avait de-
mandé la parole sur la position de la question, le fait sera
rétabli dans le proces-verbaJ de cette maniere. Si le plus
grand nombre de nos collcgues croit le contraire, il sera
constaté que le fait n'a pas eu lieu, et il ne sera pas rétabli
dans le proces-vel'bal.


Voilil sur la pl'emicl'e question; quant a la seconde,
la question eonstitutionnelIe, il n'y a pas líeu de passer a
)'ordl'e du"jour, cal' c'esl une question qui ne peut pas etre
résolue dan s eclte Chambl'e.


T. r. 18




2'14 lIlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Voix el gauche. - Raison de plus pour passer a l'ol'(lre uU


JOUI'.
M. GUIZOT. - La Charnbre regle tout ce qui l'egal'de ses


opérations intérieures, en tant que les grands pouvoirs,
indépendanls I'un de l'autre, n'y sonl pas intéressés; mais
<¡uand jI s'agit de la correspondance, des relalions de
ces POUVOil'B entre eux, il ne dépend pas de la Chambl'c
de l'égler ces relations et eette eOl'l'espondance par un vole
réglementaire.


Ou l'article de la Charle est clair, ou jI ne l'est paso
Plusieurs voix. - Ill'est.
Autres voia:. - 11 ne 1'est paso
M. GUlZOT. ~ C'est I'un ou I'autre: si l'article esL clair,


ji he doit pas elfe modifié pa!' un vole réglementail'e; si, au
contraire, il ne rest pas, s'il a hesoin d'ctrc modifié, il He
peut I'étre que par le concours des trois pouvoirs; il ne peut
I'elre par un seul, indépendamment dlli de u/{ autres. Je le
l'úpHe, la Chambl'e ne pent pas délihórer sU\' ecHe qucslioll.
(Bruits en sen6 divers.)


Je demande que la Chambl'e se pl'ononce sllr la question
I'elalive a la I'ectilication du proces-I·erbal. Elle déclarcra les
faits tels qu'elle les a .us el cl1tcl1dus.


Sur la secoude questiol1, nous avons disculé; des opil1iolls
différel1les ont été émises; il n'y a pas liel! 11 délihércJ'. (Ollí,
oui! l' ordre du jour.)


Je demande l'ordre du jOlU'.




XXXII


Discussion a ]'occasion <.les interpellations adressées par
M. Mauguin au ministere sur les troubles sur venus dans
Paris.


- Chambre ,les députés.-Séance du 20 scptembre 1831.-


A la nouvelle de la prise de Varsovie, de violents
désordres éclaterent dans Paris pendant les journées
des 16,17,18 et 19 septembre.l\I. Mauguin, député de
Saone-el-Loire, adressa, a ce sujet, au miniswre des
interpellations qui susciterent un débat tres-vif pro-
longé du 19 au 23 septembre. Les affaires extérieures
et intérieures du pays, le caractere et les conséquences .
de la révolution de Juillel, les principes et la conduite
des divers eabinets furent de nouveau remis en ques-
tion. Je pris deux fois la parole dans ce débat, le 20 sep-
tembre en réponse au général Lafayelle et le 21 en
réponse a 1\1. Mauguin. Le débat se termina par une
ordre du jour favorable au eabinet.


Sur une nouvelle interpellation de 1\1. Mauguin, je
revins, dans la séance du 26 octobre suivanl, sur la




276 HISl'OIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
conduite que j'avais tenue, en 1830, cornme ministre
de l'intérieur, envers les Espagnols réfugiés en France,
el je complétai les explications que j'avais déja don-
nées a ce sujet dans la séance du 30 septembre.


1\1. GUlzoT.-Messieul's, comme ami du ministere, comme
pll.rtisan de son systeme poli tique , j'aurai peu de chose a
ajouter 11. ce que vous avez entendu. A mon avis, hier el au-
jourd'hui, l'explication de la conduite du ministere, la dé-
fense de ses aetes ont été satisfaisantes el completes; je n'ai,
je le répete, presque rien a ajouter. l\lais quand eelle diseus-
sion s'es! élevée, nous nous en sommes promis quelque chose
de plus que la jllstification ou l'accllsation dll ministere.
Qul3lque grande que soil cette qucstioll, il Y en a une autre
encore. Le minislere ne s'est pas nielé seul de notre poli ti-
que intérieure; il n'est pas le seul .qui ait eu des idées , des
intentions, et qui ait agi au dehors au llom de la France. Je
ne .viens done pas défendre le ministere suffisamment dé-
fendu; je viens attaquer la polilique, les idées, les intentions,
les acles de ses adversaires qui sont les natres.


Plusieurs voix a gauche.-Commentles intenlions allssi!..,
(AgitaNon.)


M. GOIZOT. - e'esl anssi la une qUL'stiün que nous nous
sommes promis de traiteL"; nous nous sümmes promis de lout
dire ici, de dire au pays ce que nous pensons sur toutes
choses el sur tout le monde. Je vais l'essayer. (JI/arques d' at-
tention.)


Vous vous l'appelez tous de" quellc maniere la révolution de
Juillct,lI laquelle nous avons lous eu par!, fut rc!(ue en Eu-
rope. L'Eul'ope la trouva nalmelle, inévitable, je dirai prcs-
que légilime. La conduile du gouvernemenl déehu parul si
insensée, si énorme que l'Emope prévoyaiL la révolution,
et n'en fut P[lS étonnée. Je pourrais citer, si d~s cOl1Ym'salions
particuliercs pouvaicnt etre rappol'tées U celle tribune, je
poul'l'ais citer telles pamles d'un g¡'und sOIlVl'rain qu'on re-




CHAMBHE Dl~S üÉPVTÉS. -20 SEPTElIIBRE 1831. 2ii
garde eomme le plus g¡'and ennemi de la révolulion de
Juillet, et qui, lorsqu'ill'apprit, dit lui-meme : «( Voilil Jes
eonséquences du manque de foi des souverains.» (Sensation.)
La révolulion de Juillet, je le répete, fut done trouvée natu-
rcIlo et presque légilime. Cependanl on eut peur, on s'en
méfia; on se demanda; pOUl'I'ons-nous vivre en paix avec la
France? N'osl-ce pas un volean qui vienl de se rouyrí¡' au
milieu de l'Europe? J'ai entendu plusieurs de mes col/egues
s'élonnel' et s'indigner de ces inquiétudes de l'Europe.
Messicurs, en \'érité, je ne COllcois pas cel étomiement.
L'Europe n'est pas de ceux qui n'onl rien ouhlié ni rien ap-
pris depuis quaranle ans. 11 est impossible que I'Europe ne se
souvienlle pas des conséquences que la Ré\'olulion fran~aise
av:lit eues pour elle; elle a du voil' ayec méfianee, ayee
effroi, la possihililé de ehanees pareilles; l'Europe, dans son
inlérCt, en allant au fond des choses, ayait droil d'avoir pCUl';
elle avait droit de se méficr, el elle n'a rien fait que de natu-
rel quand elle a armé il l'apparition de la r~\'olulion de
Juillet. Nous, de notre cOté, nous avons bien fail de nous
méficr de I'Europe, de eroire a la possihilité de graves dan-
gel's; nous avúns bien fail d'armer. De par! et d'autre, 011
est resté dans sa situation; il n'ya ¡'ien la dont on doive s'éton-
nel', ni dont on puisse faire a personne I'objet d'un reproche.


Les eh oses étant telles, la situation de tout le monde ainsi
établie, que pouvait faire le goU\'ernement fran~ais '1 JI n'y
avait évidemment que deux systemes: prendre, contl'e les
méfiances el les terreurs de l'Europe, loufes les précaulions
nécessaires, armer le pays, se tenir en étal de défcl1se el en
meme temps s'efforcer de rassurel' I'Europe , de dissipcl' ses
méfiánces, ses crai rrte s , de lui P!'ou\'er qu'un état régulier,
tranquille, pouvait s'établir cn France, de eontinuer avec
l'EUI'ope de bonnes el pacifiques relations.


C'était la le systeme qui se présentait naful'cllcm('nt a un
gouvernemcnl sen:;é; e'esl celui-qui a élé tenlé bieu ou mal,
ave e plus ou moins de sucees, par tous les ministcres qui se
sont succédé depuis quatorze mois.




27tJ HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FHANCE.
Uautl'e systcme, c'était de se constituel' en état de volean


au rnilieu de l'Europe, de couvrir l'Europe de feu, de
proclamer sur-le-champ l'incompatibilité de l'ordre social
fran9ais av('c ¡'ordl'e social emopéen, el de les mettrc tous
deux aux prises.


Mcssieurs, y a-l-il quel([u'un, je ne dis pas dans les mille
rcres, dans les rnille folies qui pussenl par la tete des
hornmes, y a-t-il, dis-je, quelqu'un pal'mi les hommes sen-
sés de l'opposition on en dehoJ's, qni ail pro posé ce systeme?
Non, messieul's; depuis quatol'ze moi" \' opposition , et dans
cette Chambre el au dehors, a été, selon moi, imprudente,
léméraire; mais je ne la tl'ouve pas hardie; jc ne trome pas
qu'elle ait manifesté de grands projets, qll'elle ai.l con¡;u de
grandes pensées, pas meme des pen:,ées folfes dans h~Ul'
grandeur.


Non, messieul's, le systemP. dont je parle, le sysleme fana-
tique, odieux, impossible en définitive a faire l'éussir, mais
qui cependant pouvait tl'ouver en Enrope des forces morales
et mattlrielles qui lui fus~enl propres, ce systcme n'a été con-
seillé par personne; personne dans {'upposition n'a osé
sél'ieusemenlle proposer.


Nous avons vu l'opposition divisée de bonne heme sur
celte question. Les uns se sont prononcés pour la paix, les
antres ont gardé le silence; d'autres ont conseillé la guerre,
mais une guerre poli tique el point la guerre de propagande,
¡mint ceUe guerre volcanique dont je parlais tout 11 l')¡eurc.
D'aulres ont conseillé la propagande, mais la propagande en
désa vouant la guerre; cal' vous venez de l'entendre a eelte
tribuno, un s'cst prononcé en meme tcmps contre la guenc
el pOUl' la propagande. Je ne me charge pas de la conciliation
de ces deux idées.


!\l. LE GÉNÉRAL L.~FAYETTE.-Je ucmanderai la parole pOli!'
un fait.


1\1. GmzoT.-Eh bien! messieu!'s~ sans pl'étenuro a conci-
lier les contrauictions de ce systeme, je dis que l'opposition en
a cOllslamment tcnu le langage: .ie dis qu'elle a prO\'oqué




CHAlI'IBRE DES DÉPUTÉS.-20 SEPTEMBRE 1831. 279
toutes les passioJls, qu'elle a élevé toutes les plaintes
que ce systeme suppose; en un mol, que la portion exlé-
I'iellre de sa conduite, son Jangage, ses actes, ses méfiances
ont appartenu au sysleme qu'elle n'osait et qu'elle ne pou.-
vait pas sé,.iensement comeiller.


On a fail plus: ce qu'on ne pouvait faire prévaloi1' en
France, ce qu'on ne pouvait conseiller en Franee, on I'a
promis au dehors; on n'a voulu rester en a1'riere tI'au-
cune insurrection, d'aucun projct de révolution, d'aueuDe
'tentative de ce genre; on les a lous accueillis, proclamés; on
s'en est déelaré le patt'on, sans s'inquiéter de savoil' si on étaÍl
en élal de les faire réussil'; on s'est porté fo1'! en lenr favenr,
au nom de cette Franee qu'on ne représenlait pas, qu'on ne
gouvernait pas, dans laqnelle on élait hol's d'élat de préva-
loir par la liberté, la diseussion el la publicittS.


Savez-vous ce qu'ón a fail 11 l'égard des réVO"lutions étran-
geres"? on a fail comme ces malheul'eux qui mellen! au
monde des enfants sans s'inquiéter de savoir s'il sont en état
de les nQurril' el de les élever. (Sensation). C'est la le ·ca-
raetere des idées, des inlentions, des actes, de la conduÍte
de l'opposition, an dedans et an dehors de ceUe Chambre
depuis quatorze mois.


Permeltez-moi de passel' en revue rapidement les divel's .
pays, les différentes I'évolutions qui y ont été essayées, et de
vous y montrer évidente, a toucher a la main, ceUe poli tique
sans fl'anehise, sans hardiesse et sans sérieux, el ses funestes
résuItats.


Je prends un pays auquel on ne pense prt'sque plus, je ne
sai5 pOllrqlloi, cal' jI iI. beauwup souITer! , l'~spagne. Quand
la révolution de J uillet a été consommée, le nouveau gouver-
nement nalional était, a l'égard de l'Espagne, dans une po-
sition excellente pOUl'l'cngagcr iJ. des coric8ssions nécessaires,
légitimes, pout'l'amener 11 faire quclque chose pOllr 8es sujets.
Le gouvcrnement francais avait sur son tenitoire un grand
nombre de I'éfllgiés espagnols doñlles tentatives élaient fOI'!
I'edoutécs 11 Madrid, On Cl'nyait, el on dCYilil le cl'oÍ!'e, qu'ils




280 HISTqIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
trouvel'aient beaucoup d'écho dans la nation espagnole. C'é-
tait, entre les mains du gouvernement fran~ais, un moyen
de négociation puissant, facile, dont on pouvail tirer partí au
profil de la liberté et de la prospérité espagnole. Eh bien!
qu'a-t-on faít ? On a gaspillé, on a pel'du ce moyen. Ce n'est
pas le gouvernement, mais l'opposition. Dne insurrection a
été tentée sur les frontieres espagnoles par de malheureux
réfugiés; on les y a encouragés, poussés; on ne s'est pas in-
quiété, on n'a pas' su reconnaitre s'il y avait, pOut' eux,
de vél'itables chances de succes; el nous avons eu le mal-'
heur, cal' c'en est un pour nous comme poul' les Espagnols,
de voir quelques-uns des plus ¡Ilustres défenscurs de l'indé-
pendanco de fEspagne hors d'état de faire quatre lieues sur
son territoire; nous les avons vus échouer dans une tentative
folle.


Il fallait le prévoir; iI ne fallait pas pousser ces hornrnes
en propageant sans cesse les idées, les senliments qui ont de
tels l'ésultats. On faisait presque a ces hommes un devoir
d'honneur d'aller délivrer leur pays d'un mauvais gouverne-
mento Quand on ne les yaurait pas poussés individueIlement,
ce que je ne veux pas sayoi1', on les ya poussés d'une maniere
générale par un langage imprudent, en provoquant des sen-
timents qui exercent une grande puissance, et on les a en-
voyés ten ter en Espagne une insurrection impossible.


Messieurs, lorsqu'on veut mettre en mouvement des
hornmes et des peuples, on est rnoralement obligé de savoir
ce qu'on fait, el de ne pas tenter légerement des choses évi-
demment impossibles. e'est ce qui est arrivé pour l'Espagne.
I.a tentative n'a eu aucun sucees, et eeUe épée que le gouver-
nement fran!(ais pouvait tenir sur la tete du gouvernement
espagnol a été brisée entre ses maiQ.s. JI a été démonlré que
les réfugiés espagnolsétaient sans crédit, sans force, pour sou-
lever leur pays. Voila ce que la politique de l'opposition a
valu a la France el a l'Espagne. (Sensation prolongk)


Je prends I'ltalie. La que!tion est ¡cí tout aulre. II ne s'agit
pas en Halie d'une simple querelle entre un gouvernement




CHAMBRE DES DEPUTÉS.-20 SEPTEMBRE 1831. 281
el une partie de la nation; il ne s'agit pas de ehanger les in-
stilulions d'un paya, ni de faire une révolulion intérieurej il
s'agit de faire un grand pays, un grand peuple. L'unité ita-
henne, comme l'honorable général Lafayette le disait toul a
l'heure, voila ce qu'i1 y a au fond de toules les tentatives qui
ont été failes en Italie. Ce n'est pas la liberté de telle ou lelle
province; ce n'est pas telle ou telle modification, tel ou tel
gouvernement, c'est l',unité italienne, c'est la reconstruelion
de ¡'ltalie en un grand peuple.


Cette lentative a été renouvelée bien des fois j elle a tou-
jours échollé. Je ne dis pas qu'elle soil radicalemenl mau-
vaise et illégitime; je ne prélends pas inlerdire allX patriotes
ilaliens lems pensées et leurs espérances; mais je dis que la
difficulté esl immense, et que jusqu'ici on a loujoms échoué,
depuis la chute de I'empire romain.


Bonaparte en a donné une raison qui me parail vraie j il
I'a tl'ouvée, avec son admirable génie, dans la configmation
géographique de I'ltalie. Vous connaissez ce morceau dans le-
qucl il essaye d'expliquer les l'évolutions d'lialie par sa confi-
guration géographique. Pour moi, cela m'a convaincu.


Eh bien! non-seulement la tentative de refaire l'ltalie a
tOlljours échoué, mais il n'y a pas moyen de se dissimuler que,
dans ces derniers temps, depuis dix a douze añ's, elle n'a pas
été soutenue avec ceUe énergie, eette persévérance, cette
apreté de courage el de dévouement qu'exigent de pal'eilJes
reuvres.


Messieurs, ceci est plus que triste, c'est douloureux a
dire; ce n'esl pas sans effort queje me décide a prononcer au-
jourd'hui des paroles qui peuvent, je le sais, aJler en Italie
lombel' 5ur un noble creur el I'affliger pl'ofondément;
mais avant tout, il faut que la vérité soit dite. (Tres-bien,
tres-bien !)


11 est vrai que depuis douze ans, ni le courage ni le
dévouement des Italiens n'ont été au niveau de la grand e
reuvre qu'ils ont tentéej il est vrai que toujours préoccupés
passionnémenl dans leur langage, dans leul's écrils, de re-




28'2 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANUE.
construire l'Italio, i1s Otlt été faibles et cnfants {lour une
pareille entl'epl'ise. (Sensation.)


Que devait faire la Frunce dans utle telle siluatiou? Fal-
lait·íl qu'dle .lila! se jelet' dan s une entrc[)I'isc qlle I'lta-
lie elle-meme se montl'ait si pou capable d'accomplir? 1\105-
sieurs, cecí encore est triste 11 dil'e; mai~ il faut qne les
peuples aient sOllffert longlemps pOUt' pouvoit, compler sur
nn secours étranger; il faut qll'ils aient lntlé longtemps;
il faut qu?il ait pél'i hien des milliers d'hommes pour que
l'inlervenlion étrangere düvicnne nalurelle el ,'érilablement
utile, Ce n'est qu'apres une longue persévéranee, apres
des siecles d'efforts qu'on peut complcr utilement sur l'étran-
ger. L'ltalie, jusqu'11 présent, n'a eu aueun droit de compter
sur votre secours.


Qu'avait 11 faire la Franee, et dans son intél'ct el dans celuí
de l'Italie? Elle a'ait 11 rétablir parlout en Italie son in-
fluence, 11 Juller partout contre I'influence autriehienne, 11
reprendre possession d'une influence corre.spondanle et supé-
rieure, s'il se pouvai.t, pour la faire loumer au profit des
améliorations que l'Italie pouvait cspérer. C'était lit l'an-
cienne poliiique de la Franee; mais eeHe politiquc a ses con-
ditions; on ne la suít pas par cela seul qu'on le veut; il y eut
de tout temps ueux eondilions fondamenlales 11 I'influence
de la France en Italie : la premiere, e'es! son alliance avec
quelques-uns des gouvemements italiens, un point d'appui
fermement préparé dans eertaines cours, dans certains gou-
vemements. e'est a Turin et 11 Rome que l'influencc dc la
France, au xvue el au XVIlle siL~cle, lutlait efficacemenl conlre
l'influence autrichienne; e'est en s'appuyant sur la eour de
Home el la maison ue Savoie que la France s'esl emparée,
en Italie, d'une influence qui halan~ait eelle de I'Autriche.


Eh bien! qu'a fait I'opposilion a I'égan] de l'ltalie ~ Elle
s'cst déclal'ée en guerre a vce lous les gou I'ememenls í taliens
sans exeeption. le ne dís pas qu'el1c ait menacé spécialcmenl
lel ou lel gouvernement, qu\'lle ait Iravaillé a ~a Tuinc; mais
la menace résultai l naturclleuHlnt de ses idées el de 8CS ac-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-'W SEPTEMBRE 1831. 283
tions; lous les gouvernemellls d'ltalie, celui de Turin
eomme eelui de Rome, devaient se eroil'e menacés. L'oppo-
sition a done tendu a óler it la Franee s(m premier moyen
J'influencíl ulile en Ilalie.


Quanl au second, on a parlé de la rapallté. Messieurs, ce
lI'est ras sculement en s'alliant avee la cour de Rome, en
étallt bien ave e elle que la Franee avait acquis de l'influence
en ltalie. 11 fau! se rappeler un fait plus génél·al. Depuis le
XYIle siecle, la France a été a la lele du ealholicisme en Eu-
rope. La poli tique du calholicisme occidental el mél'idional
s'est, depu:s dem: cents ans, l'altachéc a la cour de Franee;
e'es! autoUl' de la COlll' de France que l'Espagne, ¡'Halie, la
Belgiquc et tous les États catholiques de ¡'oecident de l'Eu-
rope ont tourné. La Franee a (rouvé la un grand moyen de
force.


Je sais (out ce qu'on peu! Jire d~ l'influence du eatholi-
cisme sur la constilution intérieure de ces pays et sU!' leur
libcrté; .je sa1s que ce He influence a perdu beaucoup aujour-
d'hlli; il n'en est pas moins vl'ni que c'es! en qualité de
chef du catholicisme en Europe que la France, dans les
deux dcrniers siecle~, a eu, partiéulierement en ltalie, une
immensc influence, et a prévalu souvent aRome con!rc
l'Autl'iche.


Eh bien 1 la politiqlle de l'opposifion, elle-meme I'a
déelaré, s'est mise en état de guerre avec le catholicisme;
était-ce la une conrluite propre it fairc regagner a la France
l'influence qu'elle avait perdue et qu'elJe ne devait pas tentel'
de rcprendre par la force des al'mes? Les idées el le langage
ded'opposition ont été radiealement nuisibles a l'influence
que la France pouvait rcprendre en Jtalie; ils n'ont pas été
moins nuisíbles a la liberté italienne, a la cause des améIio-
rations politiques en Halie.


L'ltalie est aujourd'hui en alTiere. Tout mouvement pré~
coce et pl'ématuré cst un mouvement rétrogl'ade, En
matiere de l'évolulion, tout ce qlli ne rél.lssit pas nuit, tout
ce quí n'avance pas rétl'ograde. (Senwtion.) e'est la ce qui




284 IllSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA:-ICE.
est arrivé en Italie et en Espagne; la poli tique de l'opposi-
tion a fait éclore la des fruits avant qu'i1s fussellt mul's,
des fruits qlli son{ tombés, et qui ne renaltl'ont peut-etre pas
de longtemps. (Approbation aux centres.)


J'arrive a la Belgique. C'était, messieurs, une bonne for-
tune que la révolution de Belgique al'l'ivant six semaines
apres la nOtre; c'était une bonne fortllne inespérée que la
destruction soudaine d'un royaume élevé, comme on nous
l'a dit, contre la France, devenu le premier bouleval'd de
l'Europe contre la Franee. CeUe destruetion, dis-je, élait
un fait immense, qui ne devait inspiret' a la Franee aucune
autre idée que celle de le mainlenir.


La bonne fortune a été encore plus grande. L'Europc
éelairée par tout ce qui s'est passé depuis quarante ans,
plus clairvoyante el raisonnahle qu'on ne le suppose, I'En-
ro pe a compris qu'ilJallait se résignel' a la chule dn royaume
des Pays-Bas comme a la chute de la branehe ainée de
la maison de Bourbon; l'Europe a compris qu'il y avait
la nécessité; elle s'est montrée promptement, beaucoup
plus promptement qu'on ne I'espérail, disposée a aecepter
ce seeond fait.


QuelIe bonne forlune que de faire si facilement recotl-
naitre au hout de six semaines une seconde insurrection,
une insurreetion qui Otait la pierl'e angulaire de I'reune de
la Sainte-Alliance; de la faire reeonnallre par la Sainle-
Alliance elle-meme ohligée de se transforme!', de se mettl'e 'a
la raison! Voila queIle a été la politique du gouvememcnt
fran~ais; iI a réussi dans son desscin.


Que faisait pendanl ce temps-Ia l'opposition.? Elle n'élait
pas contente de ce fail, et la comme partout elle étalait des
prétentions et des esplÍmnccs illimillÍes, cat' c'est le earactcl'c
de ce par ti de prendl'e sur-le-champ ses prétcnlions pour des
espérances, et ses espéranees pOUl' des certitudes.


Le partí a done VOUILl autre chose; il a youlu la réunion
de la Belgique a la France. Ceci était une question fOl't dou-
teuse en Belgique. Pom mon compte, d'arres ce que j'ai IIll




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-20 SEPTEMBRE 1831. 285
recueillir de renseígnements, il li'a paru que la réunion a
la France n'était pas I'opinion de la majorité en Belgique,
que ce n'était pas le nBU national; il m'a paru qu'il y avait
des pl'ovinces qui inclinaient naturellement yers la France,
mais que la nationalité était le sentiment dominant en BcI-
gique, que le désil' de former un État indépendant était sa
premiere pensée, et qu'ainsi toute idée de réunion était
une cause de désunion et de faiblesse.


e'est poudant la premiere tentative que l'opposilion a
faile, tentative qui n'avait d'autl'e résllltat que d'affaiblil' la
révolulion nomelle el de la compromettl'e au moment meme
ou I'Europe la l'econllaissait, 11 a fallu renoncer a la tenta-
tiye de réunion. Qu'a fait l'opposition? Quel a été son sys-
teme? Elle a encouragé en Belgique I'esprit démagogique
(murmures el gauche), oui, I'esprit démagogique; c'est ayec
dessein que jo me sers de cette expl'ession. Personne n'ignore
qnels sont les émissaires qlli sont partis de Paris, quelle COI'-
re>pondance s'esl établie entre les clubs de Bruxelles et les
sociétés secrCtes de Paris; on a encouragé l'esprit démago-
gique pOUl' fomenter des trouhles aux dép(ms du gouvel'lle-
ment nouyeau, aux dépens de l'indépendance de la Belgique.
Telle a été la poli tique constante de l'opposition, si bien que
le nouveau gouvernemenl beIge a été obligé de se défendre
contre les émissaires de Paris et de chasscr les pl'étendus
ami s qll'on lui envoyait. (Mouvements divers.)


roila, quant a la Belgique, les serviccs que I'opposition
lui a l'endus; yoilil quel a été le résultat de sa politique,


Messieul's, jamais eneore a ceUe [ribulle je n'ai prononcé
le nom de Pologne. Je souhaitais yivement son sucees, el je
n'y croyais pas; je ne me serais pas pel'mis de Jire un mol
qlli pul décollrager les amis de celte helle cause; je me serais
étel'llellement reproché de dil'e un mol qui pul tromper mon
pays, en encourageant des espérances que je ne partageais
pas. Je dis tl'Omper mon pays, el c'rst ayec dessein. 11 est
aisé, messieul's, de dire a ectte trihune, entre nous quatre
cents députés tranquillcment assis dans ceUe enceinte: « La




~6 HISTOmE PAULEMENTAIHE DE FHA:>iCE.
Pologne ne périra paso » 11 y a eu cependant de bonnes
causes perducs dans le monde. Depuis que les hommes sonl
répandus en soeiélé sur la surface de la lerre, iI y a eu des
peuples tres-illégitimement effaeésdu rang des :nations : il y
a eu d'effroyables malheurs en ce gel1l'e, el personne n'a le
droit de dire qu'une bonne cause ne sera jamais perdue.


Ce n'est pas que je doule de la justice divine, de la Provi·
dence; mais elle a ses seerets, ses plans que nous ne con-
naissons pas, el nous n'avom pas le droit dc les préjuger ni
dans un sens ni dans I'autre; nous n'avons pas le droit
de donner nos désirs pour les volontés memes de la Pro-
videnee. (Vive sensation.)


II y a d'ailleurs des oeeasions OU la réserve, la prudenee
sonl partieulieremellt imposées. Je ne vous redirai pas tou! ce
que vous venez d'entendre a cette tribune sur I'histoire de la
malheureuse Pologne, sur ses tentatives continuclles et
d'organisation politique el d'affl'anchissement territorial,
lenlatives qui ont toujours éehoué, eomme ceJles ponr l\mÍlé
de \'ltalie. 11 y a des causes a un tel fait; je nc les recher-
cherai pas; je ne prélends pas dirc quc le fait soil incorri-
gible; mais je dis que c'était une raison d'apporter dans la
poli tique, a I'égard de la Polognc, une I'ésene toute parti-
culiere. La néeessité de cette réservc s'esl fait sentir meme
en Pologne, parmi les insurgés, les nohles insurgés qui
s'étaienl saisis du gouvernement. Voyez ce qui s'est passé a
Val'sovie, aulant du moins que nous pouvons le connaltl'e ;
n'est-il pas évident que dcux partis existaiellt au srin de celle
révolution, un partí modéré, prudent, réservé, qui ne vou-
lait pas se fermel' toutes les portes, qui ne voulait pas con-
damner irrévoeahlement son pays 11 la nécessité d'un plein
sucees. Le général Chlopicki, le général SkI'inezcki, une
grande parlie du gOllvememenl pJ'Ovisoire, le prince Czar-
tOI'Ínski, apparlenaient au parti modéré; ils ont été poussés
jusqu'aux deruieres extl'émités par un autre parti, par un
pulí auquel je ne veux faire aueun reproche, il n'est pas
permis d'en faire 11 une noble cause, 11 des braves qui out




cllA;¡IBRE DES llJ~PUT~;S,-20 SEPTEMBRE 1831. 2íl7
succombé malheurcusement; mais je d.is qu'il y a eu la un
parti violent, imprudent, qui a voulu nc laisser aucune res-
source et mettl'e sun pays dans la nécessité de vainere l'em"-
pire russe ou de périr.


Messieurs, entre ces dcux partís, le langage, la eonduite,
les aetes de 1'0pposítion en France ont favorisé le par!i vio-
lent au déll'iment du parti raisonnable. Je n'ai aucune eor-
respondancc, mais il n'est pas be80io de lire des leUres oi
d'écouter d.es conversatioos; si" je juge pu ce qui s'im-
prime, par ce qui se dit sur la place publique, je vois que la
conduÍle de I'opposition a ell pour résullat d'affaiblír le partí
qui voulait se résel'ver une I'cssource, el de fomenter le
parti violent, le parli qui voulait pousser tout aux dernieres
extl'émités. Je n'impute ce l'ésultat 11 persono e , pas me me
au pal'ti violent de la Pologoe, mais íl est certain que eeUe
politique n'a pas réussi. (Sensation.) Je 8ais, je le répete,
que de lelles choses sont douloureuses a dil'e; je ne pense
pas qu'il y ait dans eelle Chambre quelqu'un qui éproUl'e i:t.
les entemlre plus de peine que moi a les dire; mais je
suis convaincll que notre premie!' devoir a ceUe tribune,
e'est de dire tout ce que nous croyons commandé par
l'intérCl de notre pays el par la vél'ité. Eh bien! j'af-
Hrme que, selon ma conscienee, la poli tique de I'opposition
s'esl eomplétement trompee dans les quatre pays que je
yiens de parcourÍl', et qu'elle a radicalemenl nui an BUCeeS
des tentatives qui y ont elé faites en faveur de la liberté.
(Marques d'adhésion aux centres.)


Messieurs, je erois que I'0PllOsilioll se trompe fondamen-
talement sur l'état aetuel de l'Europe; elle oublie que
la question révoluliounaire, la cl'ainle, la terreu!', légitime
ou illégilime, des révolutions domine I'Europe, pl'éoccupe
lous les esprits, el que, dans toules les tenlatives, soil d'a-


"méliorations intérieures, soi t de 1I0mellcs combinaisons
territoriales qui peuvenl etre indispensables a l'Europe,
rien n'est bon ~ rien n'esl possible, tanl que la question
I'évolulionnaire sera dans eel élal flagranl, dans cel étal




288 HISTOIRE PARLEMEl'jTAIRE DE FRANCE.
d'irritation dont I'Europe tout entiel'e est saisie. (Tres-bien!)


Tout a l'heure l'honorable général Lafayetle vous disait
que le général Washington n'avait pas refusé de secourir la
France au moment de l'explosion de laguerre entre la Franee
et le reste de l'Europe, que c'était 11 l'occasion d'un traité
conclu avec l' Angleterre que la politique de Washington
s'était développée. Je me pel'mettrai de rappeler a l'hono-
rabIe général qu'il y a la erreur; lorsque la guerre a
éclaté entre la Franee et l'Europe a I'oeeasion de la révolu-
tion, a l'instant meme OU eette guerre a été apprise en Amé-
rique, avant qu'il fut queslion du traité avec l' Angleterre,
'Vashington écrivit 11 tous ses ministres:


« La guerre ayant éclaté entre la Franee el la Grande-
Bretagne, le goul'el'llement des États-Unis doit employer
tous les moyens qui sont en son POUVOil' pour faire observer
une stricle neutralité, et empecher que les citoyens de ces
Étals ne les compromettent vis-a-vis de l'une ou l'autre
de ces puissances.


« Je vous invite a prendre ce sujet en considération, afin
qu'on puisse adopter, sans délai, les mesures les plus pro-
pres a ¡lOUS fail'e parvenir a ce but si désirable, cal' on a rap-
porté qu'on armait déja en eourse dans nos ports. Avisons a ee
que des événementsqu'il ne nous est pas possible de prévoirni
d'arreter n'aient pas de fieheuses conséquem:cs pour nous. »


D'apres cette lettl'e, des mesures furenl prises par les
différents ministres des États-Unis, non-seulement pOUi' main-
tenir la neutralité, mais pourempeeher les citoyensdes Etals-
Unis, soit d'aller prendl'e service eux-memes chez une des
puissances belligérantcs, soil de lui porter des secours en
armes ou de loule espece.


Les actes qui constatent ces mesures existent dans les do-
cumenls hisloriques de l'époque. Une luUe s'établit 11 ce
sujet entre le parti démocratique et le parti fédéraliste, dont
'Vashington passait pour etre le chef. Je ne pense pas que
Washington fUt le chef d'aucun parti j je crois qu'il agissait
dans l'intéret bien entendu de son pays. Quoi gu'il en soit, '




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-20 SEPTEMBRE 1831. 289
lorsque la République fran~aise envoya aux Etats-Unis son
ministre, ce ministre contracta avec le parti de l'opposition
américaine des l'elations fort étroites, et engagea, contre le
gouvernemenl des Etats-Unis, dont 'Vashington était pré-
sid~nt et Jelfel'son ministre du département d'État, une
lulle vive, essayant d'exciter l'opposition el de fomenter
des divisions, des troubles aux Etats-Unis. Par suite de
ceHe luUe, 'Vashington, d'apres un mémoire rédigé par
JefIerson lui-mcme, qui appartenait au parti démocrati-
que, demanda le rappel du ministre fran~ais. Yoici les ter-
mes du message adressé, le ;) décembre 1793, par le pré-
sident des États-Unis aux deux Chambres :


« e'est avec un déplaisir extreme que je me vois forcé de
déclal'el' que le ministre qui est chargé de repl'ésentcl' ici la
France ne parait pas partager les dispositions ami cales de
la puissance qui l'avait député vers nous. Ses actes tendent
11 attirel' les malheurs de la guerre sur notre pays , 11 semer
la division pal'mi nous, et a nous plonger dalls l'anarchie.


( Lorsque ses entl'epl'ises ou celles de ses agents ont eu
pour ohjet de nous forcer 11 prendre part aux hostilités, ou
qu'elIes ont élé des violations faites 11 nos lois, elles ont été
arretées par le cours ordinaire de la justice et par l'exercice
des pouvoirs qui me sont confiés.


« Tant que le dangern'a pas été imminent, je les ai lolé-
l'ées, par égard pour la nalion que représente cet envoyé; mais
j'ai respecté les traités et je les ai exéculés, selon ce que j'ai
cru etrc leur vérilable sens. J'ai donné a la Fl'ance tous les
témoignages d'amitié que sa posilion pouvaillui fairc atten-
dre de nous el qui étaicnt compatibles avec ce que nous
devons aux autres puissances D


Voilil, dans des circonstances un peu analogues aux
notres, quels ont élé la conduite et le langage du gouver-
nement des Etats-Unis. Je dis que, dans l'élat actuel de
I'Europe, la meme conduite, le meme la[)gage étaient ¡mpo-
sés 11 la France, bien plus étroitement qu'a. Washington, cal'
le danger était infiniment plus grand j je dis que le gouveme-


T. L W




290 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRA~CE.
ment fran«;uis a élé, pour la Po!ogne, heaucoup plus !oin que
le gouvernement des Étals-Unis pour la France ; je dis qu'il
a monlré une hienveillance heaucoup plus marquée, qu'il
s'est beaucoup plus compromis dans celte cause que ne I'a-
vait fait Washington pOUI' la Répuhlique fran~aise.


Messieurs , je le répete, la queslion révolutionnaire qui
domine aujourd'hui en Europe commande 11 nolre patrie
une politique de réserve el de prudence; elle esl facile, ... je
me trompe, tout est diflicile en ce monde, mais enlin on
peu! la tenir sans compromettre en rien les intérets de notre
pays.


On parle sans cesse de la lulte qui existe aujourd'hui
en Europe entre le pouvoil' absolu et la liberté, enlre
le régime despotique et le régime constitutionnel. Cela
es! vrai; celte lulte existe, elle a eu déjil d'heureux ré-
sultals, elle en aura de plus grands encore, je l'espere.
~Iais il y aúne autre lutle qui existe a coté. C'est la lulle de
l'ordre contre l'anarchie, de l'espl'it antisocial contre l'esprit
social, la lulte des principes, des intérets, des passions
désorganisatrices conlre les principes, les intérets, les pas-
sions conservatrices. Ces deux: luttes sont simultanécs
aujourd'hui en Europe, se melent et se confondent souvent.
Eh bien! par une de ces llonnes fortunes qui arrivent rare-
ment dans la vie des peuples, la France est admirablement
placée pour se mettre 11 la tele des deux honnes causes; la
France est vouée aujourd'hui, par l'origine de son gouverne-
mellt, pal' ses institutions, par ses sentimenls, par ses
mffiUl'S, a la cause constitutionneIle, a la cause de la liberté
légitime, el, en meme temps, comme sa révolulion est accom-
plie, comme elle n'a plus de vérilaLle intérCt l'évolutionnaire,
comme elle a besoin d'o1'dre autant que de liberté, la France
est nalureIlement appelée a se por ter le patron de la cause
de l'ordre, tout aussi bien que de la cause de la liberté.
(Adhésion.)


?\Icssieurs, le seu! obstacle que la France renconlre dans
l'accomplissement de celte double mission, ce qui la gene




CHA~IBRE DES DI~PUTÉS.-20 SEPTEMBRE 1831. 291
ct lui nuít le plus, c'esl la politique que je vÍens d'attaquel',
e'es! le partí dont jc vÍens d'examiner la conduíte dans tout
ce gUÍ s'est passé en EU1'Ope depuis quatorze mois. Il y a du
bien el du mal dans ce parti; il y en a dans toules les dIOses
hilmaines; mais je n'hésÍte pas a dire qu'aujourd'hui, teI
qu'il eSl, le mal y domine; qu'il est lié 11 la cause des mau-
vaises passiom, des mauvais sentiments, des mauvais inté-
rets, plus qu'11 la cause de la liberté et de l'ordl'e. (Adhésion
aux centres.)


Voilil pourquoi son influence est si constamment fatale;
voil11 pourquoi elle a été fatale ill'Espagne, fatale a la Bel-
gique, fatale it l'Italie, faLale illa Pologne, autant qu'elJe a pu
influer .... (lnterruption d gauche.)


MessieUl's, que les peuples etrangers le sachent bien; je nc
peux porter ici que l'expression d'nne conviction personnelle,
mais je I'arporte entiere; que les peuplcs étrangers le
sachent bien: de ce partí-lb. ne leur viendra ni l'affl'anchís-
semenl, ni la liberté, ni tout ce qui les garantit; le parti
Icur pl'omet ce qu'il ne peut pas leur donner; illes flatle et
illes perd. (Adhésion prolongée aux centres.)


M. ODlLO~ llARROT.-Lo!'squ'on annonce hautemellt qu'on
aUaque l'opposition sur ses intentions, on s'impose ......


M. GUIZOT.-Je demande la parole .... Je n'aí accus':! les
illtcntions de personne.


A droite et d gauche.-Si fait, vous avez dít les intentiollS.
M. GurzOT.-Non, je n'en ai pas parlé.
PlusieuTs voix aux centrcs.-Non, non.
A droite et el gauche.-lll'a dít. (Vives dénégations aux cen-


tres, oh! c'est trop fort, d l'ordre, el l'ordTe!)
M. le président.-Veuillcz écouter, l'oratcllI' va E'cxpli-


que!'.
Un mcmbro dela 2e sectionde droite.-Nousn'a\'ons pas été


envoyés ici par nos commettants pour faire assaut de forcc
de poumons.


l\I. G¡;¡zoT.-Veuillez m'écouter.
M. LAFFITTE.-On vous a écouté sans vous intcrromprc un




29Z HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
seul instant, et tout le monde a entendu les memes paroles.


M. GUlzoT.-Je le répete, j'ai dit que j'attaquais le partí,
mais je u'ai pas dit que j'attaquais les intentions (Si raíl!
Si taíl ! ... Non, non!)
~I. SANS, al' milieu du bruit.-Nous avons d'aussi bonnes


intentions que vous autres. Nos intenticms sont sacrées.
M. le président.-M. Guizot n'a pas parlé d'intentions.
1\1. LAFFITTE.-J'en atteste le Moniteur et la Sténographie.
M. GUlzoT.-Depuis que fai I'honneur de siéger dans


ccHe Chambre, je n'ai jamais inculpé les intentions de per-
sonne. Je prie ceux de mes honorables collegues qui ont le
souvenir de ce que j'ai pu dire a cette tribune, de se rappe-
ler que j'ai toujours professé pour les intcntions de tous le
plus profond respecto Peut-etre les analogies que pcuvent
avoir quelques paroles ont donné lieu a ectte méprise. J'ai
attaqué le systeme, les actes, la conduite.


A droite et agauche avec toree.-Et les intentions.
M. GUlzoT.-Cela n'est pas possible. De meme que I'op-


position, avec ses p'aroles et ses moyens d'influenee, peut alta-
quer le ministere, il es! juste que les membres qui appuient
ses actes aient aussi le droit d'attaquer les acles de l'opposi-
tion; mais je n'ai jamais dit les intcntions.


Les memes membres.-Si, si, vous l'avez dit.
1\1. SANS, auee taree.-Vous avez parlé d'intentions, YOUS


l'avez dit d'une maniere tres-solennelJe.
l\I. GUIzoT.-Je n'ai aucun souvenir d'al'oir prononeé le


mot inlention ; si je l'ai dit (OUt, oui 1) je le désavoue. (Mar-
ques de satistation.)


- Séance du 21 septerubre 1831.-


M. GUIZOT. - Messieurs, je n'abuserai pas des moments
de la Chambre; je ne rentrerai pas dans la discussion géné-
rale, je parlerai uniquement des faits qui me sont personnels, .
et j'en parlerai avec d'autant plus de modération qu'ils me
sont pel'sonnels. II pcut m'arriyer de traiter vivement des




CHAMBRE DES DÉPUTÉ8.-21 SEPTEMBRE 1831. 293
questions générales, d'attaquer vivemenl les sentiments, la
eonduite; mais je regarde la modération eomme un del'Oir
strict, toules les fois qu'il s'agit des personnes. La Chambre
me fera l'honneur de eroirc que je ne sortirai jamais des bor-
nes de la plus rigoureuse mesure.


J'ai besoin cependant de m'expliquer sur un fait. On a
blamé la cunduite du cabinet dont j'avais l'honncur de faire
partie, a I'égard des réfugiés espagnols. Je remercie I'ofa-
teur d'avoir rappelé un fail qu'il est hon d'éclairer immédia-
temenl, comme tous ceux qui peuvent intéresser nolre
situation.


Apres la révolution de Juillet, les réfugiés espagnols qui
se trouvaient en Franee, et ceux qui y accouraient des autres
pays, particulierement de l'Angleterre, con~ureIlt le projet
de tenter un mouvemenl sur les frontieres de leur pays.
L'idée était simple et naturelIe; elle vint a un grand nombre
de ces malheureux proserits.


Je m'étonne d'etre démenti lorsque je dis qu'ils ont été
eneouragés par un grand nombre de personnes qui appar-
tiennent aujourd'hui a l'opposition. Je le répete, je serais
étonné d'etre démenti, cal' ces memes personnes, a eeHe
époque, se faisaient gloil'e de soutenir el d'encourager ces
réfugiés, et tous les journaux,organes de leur opinion, sou-·
tenaient et eneourageaient, eomme eux, cette entreprise. Je
m'étonne done, je le répete une troisieme fois, de voir dé-
mentir, désal'Ouer, ou du moins rétracler a moitié, aujour-
d'hui, ce qu'on faisait hautement alors.


Cela étant, quelle était la situation du gouvernement?
Le faiL avait pour lui, eomme gouvernement, des in con-
yénienls graves; c'était évidemment un granu emLarras,
une grande eompliealion. Done I'intéret du gouvernement
n'était ríen moins que d'eneourager eette entreprise.


Que devait-il faire? 11 prit la résolution de se )'p,nfermcr
dans les lois de la liberté stricte, dan s les luis fran~aises, de
traiter les réfugiés espagnols, dalls tous leurs mouvements
sur le tel'l'itoire fran~ais, eornme des Fran~ais" de leur




294 HlSTOIRE I'ARLEMENTAIRE DE FRANCE.
accol'del' toule la liberlé, lous les droits dont jouissent les
FJ'an~ais : rien de moins, rien de plus.


C'est i:t ce titre que, quand ils ont voulu se promener sur
le terriloire fran\;ais, des passe-ports leur ont été délivrés
comme a tous les citoyens; ils ont pu se rendre i:t Bayonne,
a Perpignan ou en tous autres lieux. Bien plus, comme un
cerlain nombre d'entre eux se présentaient comme voyageurs
pauvres, sans ressources, et demandaient des passe-ports
d'indigents, on ne les leur a pas refusés, on leur a déJivré
des passe-ports d'indigents avec le seeours, je erois, de trois
sous par lieue.


Voila exactement les faits, voila la liberté que le gouver-
nement a laissée aux réfugiés espagnols; en cela, il accom-
plissait rigoureusement les lois du pays, et il évitait de se
meLtre en conflit avec un État voisin dan s un moment dif-
ficile; conflit inévitable s'il eut suivi les conseils des per-
sonnes don! je parle, qui accusaient tous les jours le gouver-
nement de ne pas faire davantage.


Le gouvernement espagnol, informé qu'un grand nombre
de ces réfugiés arrivaient sur la frontiill'e et faisaient des
rassEmblements, réelama aupres du cabinet fJ'an~ais.


Le cabinet resta toujours dan s les regles de la politique
légale el conslitutionnelle; il reconnut qu'il avait des devoirs
enyers le gouvernement espagnol, comme envers les horn-
Illes 'lui Yivaient sur son territoire. 11 donna des ordres
11 toutes les autorités sur les fronticres espagnolcs, de
i'aire disperser les rassemblements qui se formaiont, s'ils de-
YlmalCnt nombreux an point de justifier les inquiétudes du
gouvernement espagnúl, de les désarmer, s'il y avait lieu, de
leUl: ordonner de rentrer dans l'intériour du pays.


Ces ordl'es ont été donnés a diverses reprises par le télé-
graphe, a IDlltes les autorités des fronticl'es espagnoles. lis
ont élé exéculés aussi a diverses reprises.


Le cabinet crul ainsi concilie!' ce qu'il devait a la liberté
des hornmes qui étaient sur son territoire, a son prop!'e désir
de ne pas compliquer sa position en établissant un conflit




CHAMBRE DES DEPUTES.-21 SEPTEMBRE 1831. 295
avec le gouvernement espagnol, et en meme temps ce qu'íl
devait a ce gouvernement et a la bonne inteIligence quí de-
vait régner entre lui et nous.


Je rappelle les faits exactement; si on vient les contester,
je suis pret a répondre. Je n'ai pas la moindre intention
d'animer davantage les débats. C'est, a vrai dire, le seuI faíl
personneI dont il ait été parlé. Cependant, il en est un autre
sur lequel il m'es! impossible de garder le silenee.


1\1. Manguin, en combaUant ce que j'avais eu I'hohneur
de vous dire sur les causes des maIheurs de la Belgique et
de la Pologne, et sur les partis qui agitaient ces deux pars,
vous a dít que, de ces deux partís, I'un était modéré, il est
vrai, prudent, mais disposé a accepter une restauration oran-
giste it Bruxelles, el russe it Varsovie. 11 a posé la question,
dans I'un et I'autre pays, entre le parti faible, disposé it
accueillir de nouvelles restaurations, et le parti énergíque,
national, décidé a mourir plutOt que d'accueillir une reslau-
ration nouvelle.


·Messieurs, je n'accepte pas des questions ainsi posées. 11
n'est pas vrai qu'a Bruxelles, le régent.élu par le congres
flit prel a accueillír une restauration orangiste. C'était entre
le con gres el le el ub de Bruxelles qu' étai t la question,
nulIement entre le parti orangiste et le partí national. Est-
ce que par basard le congres de Bruxelles et le régent
n'avaient pas été du parti naLional? Esl-ce qu'ils étaient
orangistes? C'est enlre eux et le club que la lulle s'e.st passée;
c'est au club que les émissaires de Paris allaienl offrir un
appui a Bruxelles. Non, la Iulte était entre le "rai partí na-
tional, c'est-a-dire celui qui comprenait le hesoin d'ordl'e,
les conditions de gouvernemcnt, el un partí disposé a l'anar-
chic. Voila quels ont été les adversaires du véritahle parti
national.


A Varsovie, la dil'ision élait entre le général Chlopicki, le
général Skl'ineczki, le gouverncment provisoire et le club de
Varsovie. Est-ce encore ici la "Julte entre le partí qui voulait
la restauration russe et le parli national? Mais c'c~l une




296 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
injure que de qualifier de la sorle ces deux braves généraux :
ils ont été les soutiens du parti national, ils ont élé la tete
et les bras de la Pologne. Non, ils ne voulaient pas une res-
tauration russe, mais ils avaient le bon sens de eomprendre
qu'entre la Pologne et la Russie la lutte était inégale,
et que, dans eeHe grossiere inégalité, il aurait peut-etre
été utile au pays de se résel'ver une ehance, quelques moyens
de trailer.


Comment, messieurs, on demande a la Pologne de prendre,
vis-a-vis de la Russie, l'attitude que nous avons prise envers
la hranche ainée de la maison de Bourbon! Comment,
paree que nous avons pensé qu'il n'y avait pas de porle a
laisser ouverte apres la révolution de Juillet, qu'elle était
irrévocable, que l'expulsion de la brancllf ainée de la
maison de Bourbon était définitive, on veut assimiler la
situation des malheureux Polonais a la naIre! On veul
qu'ils fussent aussi délerminés que nous, el qu'ils ne se lais-
sassent aupres des Russes aucune chance de conciliation,
;:omme nous aUpl'es de Charles X ! C'est une injure au bon
sens, é'est demander a des hommt!s ce qu'il eul été insensé
de faire. .


l'tIais pourquoi M. Mauguin a-t-il posé ainsi la queslion, u
Bruxelles el a Varsovie1 C'est ponr pouvoir la poser de meme
a Paris, pour pouvoir dire qu'a Paris la question était en-
tre un parti disposé a accueillil' une troisieme restauration,
un parti dévoué a une quasi-restauration, en attendant une
re¡;tauration enticre, el le parti national.


11 n'est pas plus vraí a París qu'u Bruxellc~ et a VarsovÍe
que la question soil entre un tel partí et le parti natÍonaI.


J'afllrme quc, dans cctte Chambl'e, aucun des membl'es
dont j'ai l'honneur d'eLre conna nc pcnse que je sois disposé
a accueillir une tl'oisicme restauratÍon. (Non, non, non!) Je
vous remercie, messicurs, de votl'e assentimenL; jc suis
comaincu que, sur les hanes ou le meme assentiment ne
m'est pas donné, il n'est pas une personne qui, en conscience,
me cl'Jie disposé a accueillir une troisieme restauration.




CHAMBRE DES DÉPUTES.-21 SEPTEMDRE ]831. 297
11 n'ya done personne qui songe a une troisieme restau-


ration; la question n'est pas la : elle est, comme je I'ai déj1t
dit, entre les hommes qui croient que, pour féconder la r~vo­
lution de Juillet, pour la rendre aussi salutairc au pays dans
son développement qu'elle l'a été dans son origine, il faut
se raUaeher promplement a des principes d'ordrc, a de
fortes conditions de gouvernement e! de société dont on
s'est momentanément écarté par la néeessité des temps, au
moment de la révolulion de Juillet, et l'opposition qui ne
pense qu'a continuer el a propager la révolution.


Messieurs, on ne fonde pas un gouvernement, on ne gou-
verne pas une société par les memes principes, les memes
moyens, les memes sentiments par lesquels on fail des réYo-
lutions. Ce sont la deux choses complétement différentes.
Quand une nécessité révolutionnaire surgit au milicu
d'une société, on fait appel aux passions, a la force ma-
térielle, au suffrage universel. On a raison, il le faut, c'est
le seul moyen de sauver le pays. Mais quand le pays est
sauvé, quand le danger est passé, quand la révolution est con-
sommée, les hommes de sens, les patriotes véritables se
hatent de rappeler l'ordre et le calme. Ne vous, y trompez
pas, l'ordre, c'est la vie des sociélés; le désordre es! leur
mort.


La question est done, ici comme 11 Bruxelles et a Varsoyie,
entre ceux qui croien! que l'ordre est une condition de
l'existence sociale e! ceux qui ne le comprennent paso


La question es! d'aulan! plus mal posée ainsi 11 París, que
notre révolution est faite et qu'elle est main!enant hors de
danger. Je comprends quelles peuvent etre les alarmes
populaires, les égards qu'on leur doit, et ce qu'il faut faire
pour les calmer; mais je dís que la rérolution de Juillet
est assurée, qu'elle n'a rien a craindre de ses ad\'el'-
saires, et tout au contraire de ses amis insensés, dont, au
surplus, la plus grande partie, tous les jours, se rattachent
au gouvernement.




298 HISTOIRE PARLE"'IENTAIRE DE FRANCE.


- Séance du 20 octobre 1831.-


M. GUlZOT. - Je demande la paroJe pour un faít per·
sonnel.


Mcssieurs, je ne viens pas prendre parl a la discussion qui
oécupe la Chambre. C'est pour un fail personnel que fai
demandé la parole, et je m'y renfcrmcrai, du moins en ce
momento


Je eroyais avoir déjll donné 11 la Chambre, Il l'égard de
ce fail, des explications satisfaisantes. Je ne puis, dans ce
momen!, les répéter toutes, mais j'y ajouterai quelques
détails.


Immédiafcmenl apres la révolution de Juillet, un projet fut
formé, fiU vu et su de tout le monde, parmi les eonstitutíon-
neIs espagnols réfugiés en France et en Angleterre, le projet
de lentcr un mouvementdans leur patrie. Le gouvernemenl
fl'an!(ais n'al'ait aucun intéret a y preter seeours; mais un
grand nombre de personnes qui, si je me permettais de les
interpellet" ne me démenliraient pas, un grand nombre de
personnes pressaient vivemcnt le gouvernement, non-seu-
lemenl de laisser toute liberté aux conslilutionnels espagnols,
mais de leur prc!er son appui, un appui posilif, renouvelé
tous les jours. C'étaient des personnes qui aHaient 11 la pré-
fecture de police demander qn'on accordit des passe-ports
pour les Espagnols qui voulaient se rendre sur la frontiere
de leur pa)'s.


Qu'avait a faire le gouvernement dans eelte situalion? Son
embarras était grand; il ne voulait ni avouer, ni favol'isel',
ni appuycl' I'insurl'cetion qui se pl'éparait SUI' la. fron!iel'e
cspagnole. f)'un autl'e coté, il ne devait pas refuser, a. des
hommcs qui se tl'ouvaient sur son territoire, la libre eircu-
lation dans le royaume.


Dans cette position, prcssé tous les jours, je le répete, par
les pel'sonnes dont j'ai en l'hDnneur de parler et qlli ne me
Jémentiront pas, le gouverncment pl'it la résolution de




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-:26 OCTOBRE 1831. :299
donner aux réfugiés des passe-ports, des passe-ports meme
collectifs, comme on en donne souvent aux voyageurs ..... , et
d'adjoindre 11 ces passe-ports les secours de 1'Oute qui s'accor-
dent aux voyageurs indigenls. JI es! vrai qu'un gram{ nombre
de ces passe-ports ont été collectifs; il est également vrai que
le gouvernement fl'an!(ais n'ign/)rait pas et ne pouvait pas
ignorer ce que voulaient tenter les réfugiés qui se rendaient
sur la frontiere espagnole: iI n'a jamais prétendu l'ignorer.
11 a fai t ce qu'iI ne devait pas refuser a la liberté des réfugiés,
dans un moment de crise comme celui ou il se trouvait, ce
qu'il ne pouvait refuser aux sollicitations pressantes de per-
sonnes qui avaient, a cette époque, el devaient avoir un véri-
labIe crédit sur les résolutions du gOllvernement.


Le gouvernement n'a rien fait de plus, et des que le ca-
]¡inet espagnol a réclamé contre les rassemblements qui se
formaient sur la frontiere, nous avons :donné ordre de les
disperser et de faire rentrer les l'éfugiés dans l'intérieul'.


Qu'il me soit permis de lire a la Chambl'e la copie de la
leUre qu'a ceUe époque fai adressée, eomme ministre de
l'intérieur, aux préfets de la frontiere d'Espagne; la Cham-
bre jugera si elle n'est pas entierement conforme. aux
principes que je viens de lui indiquer.


V oici eeUe leUre :


« J'approuve pleinement,monsieur lepréfet, votre conduite
envel'S les réfugiés espagnols qui sont l'entl'és sur notre terri-
lo:re. Vous les avez engagés a s'éloigner de la frontiere, el
vous avez pris soin d'éviter, envers eux, toute mesure coerci-
tÍye el dure. e'esl bien la ce que vous imposaient, d'une
part, le droit des gens, de l'aulre, le respect du malheur. La
France est etdésire l'ester en paix avec ses voisins, notam-
1110nt avec l'Espagne; une exacte et sincere neutralité en est
la condition. Vous l'avez ohservéc. Mais en meme temps,
il est natul'el, il est juste de témoigner 11. de malheureux
}lroscrils l'estimc qu'inspil'e leur courage eí la sympathie




300 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
que commande leur infortune. J'ai mis soús les yeux du Roi,
dans son conseil, la lettre qll'ils lui ont adressée, et que vous
m'avez fait passer. Sa Majesté a résolu de prendre des me-
sures néeessaires pour leur assurer, dans l'intérieur de la
Franee, une hospitalité tranquille et les secours dont ils ont
hesoin. Les déparlements OU ils devront habiler de préfé-
renee seront désignés, et ils y reeevront, eux et leurs ramilles,
ee qu'aura réglé la bienveillance du Roi, a eharge seulement
de ne pas s'en éloigner sans l'aveu de l'autorité. Informez-Ies,
monsieur le préfet, de eette résolution, qui sera ineessam-
ment exécutée. Le ~oi désire que sa protection non-seulement
les soulagc, mais les console autant qu'il est en son pouvoil',
et je m' estime heureux d' etre ehargé de leur en transmetlre
l'assurance.


« Recevez, etc,
« G UIZOT. »


M. MAUGUlN. - Et la date?
M.GUlzOT. - La date est du 13 octobre 1830.
Voila, messieurs, la leUre quej'écrivais, comme ministre


de l'intérieur, aux préfets des fronlieres d'Espagne. eeUe
conduite envers les réfugiés espagnols n'est-elle pas exacte-
menl conforme aux principes de gouvernement professés
dans le projet de loi qui vous est soumis? Des secours ont été
promis aux réfugiés; un vif intéret a été témoigné pour leur
malheur, et ees secours leur ont été promis, non comme droit,
mais a titre de hienfait. En meme temps, on leur a an-
noncé que les lieux OU ils devraient résider de préférenee
seraient désignés, et qu'ils ne pourraient s'éloigner de ces
lieux sans l'autorisation de l'aulorilé.


On ne peut done trouver ríen de nóuveau, a l'égi:lrl des
réfugiés, dans le projet de loi qui vous est présenté; e'est
la mesure annoncée quand ¡Is étaient encore sur la fron-
tiere d'Espagne. II n'y a ni innovalion ni dureté dans cette
mesure; elle n'est que la continuation de eelle que prescri-
vait la leUre écrite au moment ffieme ou les é\'énemcnts
s'aceomplissaient.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-26 OCTOBRE 1831. 301
Sur ce point, je ne crois done pas qu'il puisse y avoir de


discussion aujourd'hui. Quant a la bonne foi dans la eonduite
du gouvernement, je erois qu'elle es! évidente et qu'aucun
des honorahles membres n'osera le contester.


Si j'en voulais la preuve, je la trouverais au besoin dans
les journaux du temps, ou le gouvernement, el moi en par-
ticulier, nous étions attaqués tous les jours parce que nous
ne faisions pas tout ce qu'on demandait, parce que nous dis-
pcrsions les rassemblements.


A quoi servent des passe-ports? disait-on, n'ont-ils pas le
droit d' en ex iger '! Le territoire fran!;a1s n'est-il pas libre
pour tout le monde? On voulait que IIOUS fissiolls davantage.


1\1. !\rArGUN. - Et le désarmement?
~f. GUIzor. - J'y arrive. Quant au désarmement, le güu-


'ernemcnt l'a fait opérer parce qu'il ne pouvait consentir a.
se rendre complice des tenlatives failes contre un gou-
vernement avec lequel nous étions en paix.


Mais, dit-on, qui les a armés'¡ le ne sais; ce que j'af-
firme hautement, e'est que le cabinet était étranger a ces
armements.


Je erois savoir qu'ils achetaient ces armes ou que I'on en
achetait pour eux; mais jamais le gouvel'llement ne leur en
a fourni.


Je dirai plus: il a dó les désarmcr, sur I('s réelamations
pressantes du gouvernement espagnol, paree que nous dc-
vions respeeter le droit des gens.


TelIe a éttl, a cette époque, la conduite du cabinet fran-
cais; je erois que la leUre que je viens de meltre tout a
I'heure sous vos yeux n'a rien de contraire a ces principes.
Ces principes sont les memes aujourd'hui. Je n'entre point
pour le moment dans le point fondamenta] de la question;
j'ai youlu seulement répéter les explications que j'avais déjil
cu l'honneur de donner a la Chambrl'.




XXXIII


Discussion du projet de loi relatif a la révision de l'article 23
de la Charte, e'est-11.-dire a l'institution de la pairie et a
]'abolition de l'hérédité.


- Chambre des députés.-Séance du 5 oetobre 1831.-


La Charte de 1830 avait laissé en suspens la question
de l'hérédité de la pairie et des bases de l'institution de
la Chambre des pairs. Le projet de loi destiné a résoudre
cette question par l'abolition de l'hérédité fut pré-
senté le 27 aoUt 1831, parM. Casimir Périer, a la Cham-
bre des députés. Le rapport en fut fait le 1 \) septembre
1831, par 1\1. Bérenger, député de la Drome. Le débat
s'ouvrit le :30 septembre et se prolongea jusqu'au 18 oc-
tobre. Je pris la paroJe le 5 octobre pour défendre le
principe de l'hérédíté de la pairie. Le projet de loi,
adopté le 18 octobre par la Chambre des députés, a 386
voix contre 40, et le 28 décembre par la Chambre des·
pairs, a 102 voix contre {l8, fut promulgué comme
loi le 29 décembre 1831-


M, GnzoT. - Messieurs, comme queslion de principe et




CHAMBRE DES DÉPUrÉS.-5 OcrOBRE 1831. 30:!
d'orgnisation politiqne, le projet qui oc cupe la Chambre est
grave sans doute; il l'est bien davantage, a mon avis, comme
question de circonstance, d'intéret acluel et immédiat, el le
sort du présent en dépend ene ore plus que celui de I'avenir,


Personne, j'ose le dire, n'a meilleure opinion que moi de
mon pays et de ses destinées. Cependant, je vous le demande,
y a-t-il aujourd'hui un homme sensé qui puisse por ter ses
regards sur nolre situation et les relevel' satisfaits?


L'anarchie va croissant autour de nous, (Écoutez, écou-
tez!) Dans les idées, elle est évidente. Pas une con\'iclion
générale et forte qui rallie les esprits, pas un pouvoir qlli
soit fermement respecté. J.e n'irai pas chcrcher mes
exemples bien loin.


ectte Chambre, depuis le mois de juillet 1830, a été ::11'-
demment réclamée, impatiemment altendue; elle a été élue
en vertu d'une loi nouvelle, conforme aux vceux générale-
ment exprimés quand elle a été rendue. La Chamh¡'e arri"e
a peine; déjil. son origine est incriminée, son droit contesté.
Nons sommes, dit-on, en usurpation flagrante. Depuis 1830,
tous les pouvoirs sont illégitimes; nous avons tous besoin
d'aller mendier dans les assemhlées primaires ecHe légiti-
mi té qui nous manque absolument.


Et remarquez, messieurs, qu'il. en juger du moins par les
apparences, ce n'est pas la. une iqée isolée, hasardée, comme il
en arrive dans les pays libres; presque tous les Ol'ganes exté-
I'ieul's de l'opposition ont accueiUi et l'épété eette doctrine;
elle n'a pas été désavouée, comhattue par les principaux
organes de l'opposition, meme dan s le sein de cette Chambl'e.


Est-ce la, je le demande, est-ce la la situation régulicl'c,
constitutionnelle, du pouvoir dont nous faisons pal'tie?


La royauté nouvelle, messieurs, n'est pas mieux tl'il,itée
que la Chambl'e nouvelle. Qu'elIe ait des cnncmis qui
l'attaquent, ricn de plus simple, c'est sa situation natul'elle,
inévitable; que cal'listes, honapal'tistes, l'épublicains,
veuilIent la renverser, je le comprends, je ne m'en étonne
en aueune fa~on, l\fais ceux-lil. meme qui ne sont pas ses




304 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
ennemis, qui le uéclarent hautement, quellangage tiennent-
ils a son égard?


Continuellement ils affeclent de lui rappeler que son in-
violabilité n'est qu'une fiction; d'autres fois, ils luí annoncent
que, si elle n'adopte pas tel ou tel systeme de poli tique
extérieure, tout lien est rompu ayec elle. Ils la menacent
sans ces se; ils la fraitent comme on traite une royauté
ennemie, la veille ou le jour meme d'une révolufion qui la
renverse. A coup sür, dans ces idées, dans ce langage, dans
eette fagon de eonsidérer et de trailer les pouvoirs publics,
íl y a une granue, une déplorable anal'chie. (Mouvement.)


L'anarehie existe dans les faits exlérieurs et matériels,
comme dans les esprits, moindre, fen eonyiens, mais tres-
réeIle et pleine de péril. Vous voyez refuser l'impot légalement
voté; vous voyez refuser d'obéir a des lois qui ne sont pas
abrogées; vous yoyez des alteintes portées 11 la liberté de c1as-
~es enlieres de eitoyens; et, malgré lui, malgré sa noble et
sincere résistance, le pouvoir manque de force pour répri-
mer de tds exd~s.


Partout éclatent l'affaiblissement du pouvoir, I'arrogance
et les prétentions illimitées des volontés individuelles.


Est-ce lit l' état régulier d'une société constituée?
Est-ce que nous ignorons notre mal? Est-ce qu'il serait le


résultat de quelques-unes de ces grandes el générales ¡I-
lusions qui s'emparent quelquefois de tout un peuple
et le précipitent a son insu dan s des voies pleines de
périls? 11 n'en est rien. Cela était en 1789; a eeHe
époque, on marchait, on eourait ,'ers l'anarchie sans
le savoir, on était plein d'illusions; il n'y en a plus. (Sen-
sation. )


Cette anarchie flui nous presse, nous la voyons tous.
Beaucoup de gens le proclament tout haut, heaucoup le
répetent tout bas; beaucoup, el e'est le plus grand nombre,
se taisent, et ne sont pas les moins inquiets. Parlout, dans
toute, les classes, dans tous les rangs, on voit l'anarchie qui
nOUE envahit; on la yoit, on la déplore, on 11'y résiste pas.




CHAAIfln¡;; D¡;;S DÉPUTÉS.-5 OCTODRE 1831. 305
Que nous manque-t-il done pour y résister? Nous avom


pleine connaissanee du mal, et a coup S11r pleine libcrté de
le comhattre. Que nous manque-t-il done?


Ce qui nous manque, c'cst un point d'arrel, une force
indépendanle qui se sente naturellement appelée a dire au
mouvemcnt révolutionnaire, causc de toute cclte anarchie :
Tu iras jusque-Ia, el pas plus loin. (Sensation.)


En soi,-mcme, ce mOllvcment révolutionnaire n'est pasbien
terrible; íl est le résullat assez naturcl de la révolution qui
s'est aecomplie. C'cst un torrcnt qui ne tomhe pas de bien
haut, qui n'est pas hien rapide ni bien étendu. Cependant il
coule, iI nous emporte, et il nous emportera lant qu'il
n'aura pas trouvé une digue qui le contienne, une force qui
l'arrete.


La royauté nouvelle, messieurs, je n'hésite pas a le dire,
ne suffit pas ~eule pour cette tache: elle est elle-meme
d'origine révolutionnaire. Nous sentons tous qu'elle a besoin
d'appui, et nous lui en cherchons laborieusement pour
qu'e\le ait le temps de s'établir, de s'enraeiner dans notre sol
el puisse rendre alors tous les serviees que nous en atlendons.
Mais aujoul'd'hui, le point d'arret dont nous avons hesoin,
elle n'est pas cn élat de nous le fournir.


Nous-memes, messieurs, dans eette Chambre ou nous
siégeons, nOllsne suffisons pas seuls a eette tache.


L'élection, il faut bien le dire, puisque c'est la son but el
sa nature, l'élection donne plus de puissance que d'indépen-
dance. Notre pllisslmce, messieurs, elle est immense! Toul
est en queslion devanl nous; tout est 11 faire par nous, tout
est remis a notre volonté. OH nous demande toute chose :
OH nous demande de poursuivre le mouvement de la révolu-
lion et de l'anClcr; on nous demande de tout renouveler et de
tout eonsacrer; c'est 11 nous qu'on s'adressc pour toule
chose. Nous avons l'air dc possécler le souverain pouvoir :
Eh bien! il non s écrasc! (Mmwement d'approbation aua;
r,entres.) Nous sueeomhons sous le fardean.


En {789, en t 791, on était plns conliant; l' Assemblée
T. l. 20




:100 HIRTOIRE PARLEMENTAIRE m: FRANrE.
constituante et la Convention se sont trollvées inyesties du
pou\'oir absolu : elles onl disposé de tout a leUt' volonté; elles
ont eru qu'elles I'éussiraient 11 tout, elles se son! jetées ayec
une confiance témél'ail'e dans ceHe entreprise. Elles ont
échoué, nous le savons, et celte expél'ience nous a prolité.
Nous n'ayons plus la confiance de ceUe époque; quand
nous nous trouvons investis d'une puissance immense, il
nous prend une sorle de terreur, nous sommes effrayés dc
nous-memes. De la cel embarras, ce! abattemenl, eettc
espece de méeomple qui existe dans ceUe Chambre el qui
allesle sa raison el sa probité politiqueo La Chambre senl
qu'elle ne pcnl suffire seule a la tache qui pesc :;ut' elle;
ctje n'hésite pas 11 le dire, la Chambre esl effray(;e de son
pouvoir el de sa responsabilité. (Au centre: Tres-bien! tres-
bien!)


Je le répete done; cc qui nous manque, ce que 1I0US
cherchons, ce que nous in\'oquons tous, c'est un point
d'anet, une force alliée qlli nous aide a contenir un mOll-
"emenl désordonné, en mema temps qu'a le satisfail'e
dans ses cxigences légitimes. Eh bien! ce point d'anCt,
cette force alliée, nOllS l'a\om a coté de nous, notls pouvons
les lrouvcl' naturellement, sans efforls, dans un pouyoir con-
stilutionnel indépenJant, qlli cxislc par lui-meme, qlli nOU5
l'endrait les services que nous en allendons. Eh bien! nr>us
travaillons a le détruire, nous voulons lui cntever ce qui
{{tit sa force, son inuépenuance, ce qui lc rend propre 11
aecomplir sa mission.


:\Iessieurs, permeltez-moi de le dire, en vél'ité nous don-
nons au monde un étrange spcelacle. (Lé,qérr 1'UIIWltl' a
gauche.)


11 faut bien que nOlls en ayons un peu le sentiment. Je
n'en vcux pou!' pl'eu\'e que la fagon dont nos auvel'saires eux-·
memes traitent la question. lis ne contestenl guerc les avan-
tages de I'hérédilé; la plupal't d'entre ellX du moins n'a-
bordenl pas la question directemenl; ils n'examinent pas
I'inslitution sous le rappOl't de son utililé, de son mél'ite




ClfAMBRf<: DES DEPUTÍ<;S,-5 OCTOBRE 1831. 307
pratique, dans ses rappol'ts avec les besoins de notre élat so-
cial. lIs la repoussent, permettez-moi de le dire, par une
sorte de fin de non-receyoir, par des raisons préjudicielles.


TantO! on nous dil: íl ne faul pas admeUre I'hérédité de la
paíl'ie; elle est contl'aíre aux principes de nO,lre ordre social,
c'est un privilége qui choque l'égalité. Ou hien on dit: on
ne peu! pas admetlre l'hél'édité, c'est une aristocl'atie;
l'aristocralie est déchue, on ne peut pas la recréer. Ou bien
encore: le pays ne vcut pas de l'hérédité, et quand ¡'imti-
tution serait bonne, excellente, elle est i'epous~ée par le
V{})U national.


Ainsi, on ne doit pas) on ne pent pas, 01\ lIe veut pas;
voilit ce que les advel'sail'es de l'héré,lité de la pairie nons
opposen!; ce sont ton tes l'aisons pl'éjudiciel1es qui ne sont
pas prises dans le fond de la question, qui ne jugent pas l'insti-
tution en elle·meme, sun mérite ni son efflcacité.


Cependanl, j'abordel'ai ces questions préjlldicielles; je
vous demande la permission de vous en dire mon avi~.
(MarqUES d'attention.)


Messieul's, je n'apporte ící aucun dédain pour les prín-
cipes; je ne viens point opposer, a l'ol'gueil de ce qu'on appelle
la théul'ie, les dédains de ee qu'on appelle la pratique. L'in-
lerverÍtion plus génél'ale, plus active, plus cffieaee de l'esprit
humain dans les alfaires hurnaines est u.o des grands bien-
faitsde la civilisation muderne.ll faut l'accueilliret l'aecepter
pleinement; il n'y a point d'institution qui ne soit tenue de
se légilimcl' aux yeux de la raison; mais les princi pes ne
80nl pas loUjOUls ce qu'un cl'Oit, et surtout ¡Is ne sont pas si
nombl'eux, si étl'Oits, si exelusifs que heaucoup le supposent.


Par exemple, dans la question qui nous occupe, j'ai en-
tendu heaucoup parler d' égalilé; on l'a invoquée eomme le
principe fondamental de "notre organisation politiqueo le
crains bien qu'il n'), ait la quelque grande mépl'ise.


San s doule, il y a des droits univenels, des dl'oíts égaux
pom tous, des droits qui sont inhércnts a l'humanité el dont
aucune cl'éature humaine ne peut etre dépouillée sans ini-




308 HISTOIRE PARLEME='ITATRE DE FRANCE.


quité el sans désordre. C'est I'honncur de la cil'ilisation mo-
derne d'avoir dégagé ces droils de cet amas de violenees et
de résultats de la force S0US le que! ils avaien! été long-
temps enfouis, el de les avoir rendus a la lumicre. C'est
l'honneur de la Révolution frant;aise d'avoir proclamé el mis
en pratique ce résultat de la eivilisation model'ne.


Je n'enlreprendrai pas iel l'énuméralion de.ces dl'oils uni-
versels, égaux ponr lons; je veux dire seulement qu'a mon
avis ils se résument uans ces ueux-ci : le droit ue ne subir,
de la part de personne, une injustice quelconque, sans
ctre protégé conlre elle par la puissance publique; el ensuile
le droit de disposer de son existcnee individuelle selon sa
volon!é el son intél'et, en lan! que cela ne nuit pas a
l'exis!ence indiviuuelle u'un autre,


"oila les droits personnels, llnivcrsels, égaux pour lous.
De la l'égalité dans ¡'ordre civil el dans l'Ot'dre moral.


Mais les droits poli tiques seraienl-ils de celte nature?
Messieurs, les moits politiques, ce sont des pouvoirs sociaux;
un uroi! po!itique, c'esl une portion uu gouvernement: qui-
conque l'exerce décide non-seulement dl1 ce qui le regarde
per,;onnellement, mais de ce q lIi regarde la société ou une
portion de la société. II nc s'agit done pas la d'existence
personnelle, de liherté individuelle; il ne s'agit pas ue l'hu-
manité en général, mais ue la sociélé, de son organlsation,
ues moyens de son exislence. De la suit que les droits poli-
tiques ne sont pas' universels, égaux pour lous; ils sont spé-
ciaux, Jimités, et je n'ai pas hesoin de grandes preuves pOUl'
le démon!rer. Consultez l'expérjenee uu monue; de nom-
hreuses cla~ses d'individus, des femmes, des mineurs, des
domestique" la grande majorité des hommcs sont parlout
pril'és des droits politiqlles; et non-seulcmcnl ceux-lil en sont
privésJ majs des conditiom, des garanties ont été partout et
de tout !cm¡ls altachées aux droits poli tiques comIne preuve
ou présomptioIl de la capacité nécessaire pOU!' les exercer
dan s l'inlérCt de la société, qui csl la sphcre que ces droits
concernent, el sur laquelle ils agis~ent.




CHA~m¡(E DES D.ÉPUTES.-5 OCTOllRE Hm. <lU9
Bien loin done que I'égalité soit le principe des droits po-


litiques, c'e~t I'inégalité qui en esl le principe; les droits
poli tiques so nI nécessai rement im;gaux ~ inégalement distri-
bués. e'est la un fait qu'uttesteut et consacrent toutes les
constituliollS du monde. La limite de cotte inégalilé peut va-
rier a l'infini; les droits politiques s'étendent ou se resserrent
selon une multitude de circonstances différentes. Mais I'iné·
galité demcul'e toujours leur principe, el quiconque parle
d'égalité en maticre de droits politiques confond deux dlOses
esscnticllcmcnt distindes et différentcs: l'existence indivi-
duelle et l'exislencc sociale, l'ordre civil et l'ordre politique,
Id liberté et le gouvcrnelllcnt.


En rnatierc de liberté, il y a des droits universels, des
droits égaux; en rnatiere de gouvernement~ il n'y a que des
droits spéciaux, limités, inégaux. (Marques d'adhésion.)


Ce n'est pas eomme eontralre a l'égalité que l'hérédité peut
Ctl'e repoussée; cal' íl n'y a en cela rien que de conforme,
de l'igoureuscmcnl conforme a la nature des droits poli tiques
et a leur distrihution, dans les pays les plus libres el au mi-
lieu de la civilisatiún la plus avallcée.


Mais une inégalité héréditaire des droits politiques. un
pouvoir transmis pal' le seul fait de la naissance, ceci n'est-
il pas contraire aux príncipes, n'y a-t-il pas la une "érilable
múnstruosité?


Je demande, messiellrs, la permission de rappeler deux
faits qui ont déjil été indiqués dans le cours de celle discus-
sion, et sU!' lesquels je n'jusistcrai pas, mais qu'il me pamit
nécessaire d'avoir toujollrs présents a l'esprit.


Une ínégulité héréJitaire, des droils transmis par le seul
faít de la naissance, c'est la un des fondements de la société
civil e ; la transmíssiún de la lJl opriété n'cst pas nutre chose.
Je sais bien que celte inégalité, cette trallsmission par droit
de naissance est attaquée sur ce terrnin-la. Aussi, je l'avoue,
je n'en ai pas grand'peur. Je crois que la propriété cst !Jonne
pOUl' se défendre, el qu'il ya des illtérCls qui n'ont rien a
craindre des plus stricles coméquellces de la logique.




alO HISTOIRE PAl:(LElIIENTAIRE DE FIUNCE.
Cepenuanl je remarque le fail: c'esl le principe ue I'illé-


galité hérédilaire el desdroits transmis par le seul fail de la
naissance, principe en vigueur dans I'ordre civil, qui es! pu-
hliquernent altaqué aujourd'hui dans I'ordre politiquc, telle-
ment que le principe cOlllraire est une religion. (On rit.)


Je n'entends pas tirer, je le répele, de ce fail toutes les
conséquences que je pourrais en tirer; je n'entenus pas assi-
miler complétement la sociéLé poliLique a la société civiJe; jc
remarque seulemenl qu'il ya, dans un principe qu'on regarde
comme monslrueux, le fondemenl non-sclIlement nécessaire,
mais légitime, moral, seul possible ue la société civile.


J'enlre dans I'orure politiqueo QlI'est-ce que je lrouye au
sommel ue I'ordre politique '1 La plus grallue inégalilé, l'hé-
rédit6, la lransmission ues plus grands uroi!s poliliques par
le seul fait de la naissance, la royauté.


Je n'entends pas assimilel' la pairie a la royaulé ni COIl-
dure nécessairement de l'une 11 l'aulre; je di" seulemenl que
la encore, dan s l'ordl'e politique, je tl'ouve le fait ue l'inéga-
lité, la transmission des droits par le seul rail de la naissance;
el qu' a moins de qualifier votre gOllvernemcnt de monslrueux,
vous n'avez pasle dl'oit de Jire que ce principe soit mon-
strueux. Je répete que je n'entends pas me prévaloir des COll-
séquences que je pourrais tirel' de Iil; ce que je demande
anx adversaires de l'hél'édité, c'cst de ne pas se prévaloil'
d'un principe absolu, de ne pas repousser toute atteinte ~
ce princi pe commc contraire a la raison Itumaine.


A présent,j'ahorde la quest ion en elle-mcme, eu la Jéga-
geant de ses préliminaires.


Je dis que, quant aux dl'oits hérédi laires ell eux-mcmes,
inuépendamment des conslilutions écriles, des organisa-
lions politiqueo faites de main d'hornme, il y a des lois
natlll'elles qui reglenL les affaires uc ce monue, iI y a des
principes primitifs, universcls, qui goul'crncnt les sociétés.
Les Italiens ont un pl'ovel'be qui'dit: Le monde va de lui-
méme;:el hicli Illi en prentl, Cal' s'illl'a"ait, pour aller, que
le,; Jois que ks hommes prétcndent lui donucr, il se détra-




CILUl BRE DES n{:PUTJ::S.·- 5 OCTOBRE 1831. 311
querait plus sou\ent que cela ne lui alTive el pourrait meme
s'arreterqllelquefois tout it fait. Le monde va de lui-meme; le
monde I'a en vertu de cel'taines loís naturelles, de certains
príncipes primitifs et universels, et grace a Dieu, il n'esl pas au
pouvoir des hommes de l'empecher d'aller.


Eh bien! parmi ces principes, il y en a deux qui me frap-
pent, comme les plus puissants, comme invineibles: l'héré-
di té ell' aclivité individuelle oula personnalilé. Par I'hérédité,
cllaque individu, chaque génél'ation relioit de ses prédé-
cesseurs une certaine situation toute faite, une certaine
exislente déterminéc; iJla re\ioit naturellement, nécessaire-
ment, pal' le seul. fait de la naissanee. Cela est vrai danfi
I'ordre morid comme dans I'ol'dre maté riel. Les 'idées, les
sentiments, les l1aJ.¡itudes se transmcttellt comme les biens,
comme la disposition physique, et il n'esl au poul'Oir d'aueul1
de llOUS de les répudier complétement.


Apres eelle situation toute faite, ainsi I'e\iue de ses prédé-
cesseurs, chaque homme, chaque génération, en veriu de sa
raison el de sa Ji berté, par sa propre force, modifie, change
cette situation, celle existence, se fait soi-meme a son tOIll':
apres avoir été fait par ses prédécesseurs. En sorte que nous
sommes tous, et les générations et les individus, le résultat
de deux élémenls: \'un- de tradition, qui est l'reuvre des
temp8 el des personnes qui nous ont précédés; \'autl'e de
création, qui est notre propre ouvt'age. (Sensation.)


C'est I'alliance de ces dl'uX principes, de ces deux éléments
qui fail l'honnelll' et la supériorité du genre humain. C'est
par la tradition, par I'hél'édité que subsistent les familles,
les peuples, I'histoire; sans traditiol1, sans hél'édité, vous
n'auriez. rien de tout -cela, C'est par I'aclivité personnelle
des familles, des peuples, des individus que les conditions
de I'hérédité changenl; !'acli,ité pCI'50nnelle fait la perfecti.
bilité du genl'e humain. e'est ce qui le distingue de Loules
les autres cl'éatures qui COllVl'ent la lerre; supprimez l'un de
ces deux éléments, vous faites lomhel' le genre humain au
rang des animaux. (Sensa!1:oll.)




312 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Eh bien! c'est de la bonne combinaison de ces deux élé-


menls dans de justes proportions que résulte la bonne
organisation des sociétés. Si le \lrinci\le de l'hérédité \lrévaut
seul, s'íl domine exelusivemenf, vous al'ez l'immobilité;
e'est le régime des peuples de casles. Si e'est I'individualité
qui domine presque seule, vous avez l'isolement, point de
liens ave e le passé, point d'avenÍ!', une exis!ence indi\iduelle
et isolée; e'est le régime des peuplades errantes, harbares,
qui couvrent depuis longtemps le sol de l' Amérique.


Je le répete : les deux pl'incipes de l'hérédilé et de la per-
sonnalité sont nalurels, néccssaires, légitimes; leurs eombi-
naisons péuvent varier a l'intJni: elles dépendent d'une
multitnde de causes. Ainsi, dans une société naissanle et
fort simple, le principe de l'hérédité tien! (leu de place;
c'est eelui de l'aetivilé personnelle, de l'individualilé qui
domine. Dans une soeiété ancienne, compliquée, le prin-
cipe de l'héréuité occupe nécessairement une beaueoup
plus grande plaee; il Y a un plus grand nombre de t.'adi-
tions, par eonséquent un ehamp moins libre laiosé a l'aeti-
v¡té individuelle.


Ces combinaisons, je le répcte, peuvent varier a l'infini;
mais les deux principes sont égalemenL légitimes, naLurels;
vousne pouvez exclure ni l'un ni l'autreue I'espere humaine,
eL quand leurs parts sont mal faites, il y a de grands dé-
sordres dans la société.


Que nous propose-t-on aujourd'lllli? On HOUS propose de
déclarer qu'il n'y a de pouvoir légitimc que le pouvoil'
éleetif, e'est-a-dire le pOllvoir qui dépend de la volonté
humaine, qui est créé par la volonté hu maine.


e'est la la doctrine que I'on professe: e'est au nom de
cette doctrine surtout qu'on proscrit l'hél'édité de la pairic.


Eh bien! je repoussé complélemcnt ceHe doctrine; je la rc-
pousse comme contrairc aux faits générallx que je viens de
vous cxposer, et qui ne sont aulre ehose que l'histoire dc I'hu-
manité; je la rcpousse comme eontrairc allx faits les plus
simples qui ~e passent au milieu de nOIlS, dans toutcs nos




CHAlIIBlm DES DÉPUTÉS.-5 OCTOBHb 1831. 313
familles. Est-ce que tous les pouvoirs sont électifs? Est-ce
que le pouvoir paternel est électif? N'avons-I1ous pas sous
nos yeux des pouvoirs légitimes qui ne sont nuIlementéleclifs?
(1I1ouvements divers.) J'insiste sur ce point : la doctrine qui
consiste a dire qu'il n'y a de pouvoir légitime que le pou-
voir électif, je la combats avec d'autant plus de raisun que
notre gouvernement repose sur le principe de la monarchie,
c'est-a-dire sur la part faite, au nom de la raison publique,
:IUX nécessités sociales, au principe de I'hérédité.


Celte part est-elle suffisante? l'hél'édité ne nOlls est-eIle
nécessaire que sur le trone et nuIle part ailleurs? C'es!
la toute la question.


Aucun princi pe ne nous gene uans ceUe qucstion; on n 'a
pas le droit de se prévaloir de je ne sais quelle illégitimité
générale de l'hérédité, pour nous comLattre el nous im-
poser des lois dans la question que nous traitons. L'héré-
dité est un des principes écrits dans la Charle du monde, el
loutes les doctrines qui la repoussent absolument sont igno-
rantes, harbares el fausses. (Mouvements en sens divers.)


Eh bien! messieurs, la question ainsi dégagée de lous les
embarras qni tendaient, pour ainsi dire, a l'écraser, la
question réduite a eIle-m~me, la voici: Pour que la pairie
remplisse sa destination, pour qu'eIle joue dans notre gou-
vernemen! le role qu'elIe est appelée a accomplir, est-il né-
cessaire qu'eJle soit héréditaire?


Je le répete, nous sommes libres de traiter et de résoudre
cette queslion selon I'utilité sociale j je erois qu'il n'existe
pas de principes donl nous devions nous embarrasser le
moins du monde.


La question ainsi posée, il y a un fait qu'il est impossible
de ne pas remarquer, c'est la luHe qui est élablie dan s toute
société entre deux inlérets diffél'ents : l'intéret de la posses-
sion, de laconservation, du maintien de ce qui est, et l'inté-
ret de la conquete ou le désir d'innovation. Cette lulle est le
fait général et constan! de toute sociétt~ i c'est meme ce qui
constitue la vio sociale, le progres de la civilisation.




314 HISTOIRE PARLEMEl\TAIRE DE FRA~CE.
Voici commenl en généralla lulte s'établit : elle s'cngage


entre, d'une parl, le gouvemement pl'opl'emenl dit, le pon-
voir exécutif, commc I'epl'éscntant el champion de I'intéret
de consel'valion, el d'autre part, l'élément démocl'atique,
cúmme I'cprésentant I'intéret de conquete et d'innol'a-
tion. Je ne dis pall qu'il en soil toujours ainsi; I'hisloire
pl'éscntc peut-etre des comhinaisons tliffércntes; mais, en
génél'al, e'est ainsi que la question finil par se poser.


Alora il. ces iniérels généraux donl jI' vous ai indiqué les
l'cpl'ésentanls, viennent se jointlre des intél'els personnels.
Le goul'ernement est représenté par des personnes; l'élé·
ment démocratique eal aussi représenté par des persoll-
nes; et I'on comprend que les passions personnelles vien-
nent alors sc comhiner avec les inlérOts généraux. Et plus
iI y a de liberté dan s un pays, plus I'élément démocra-
tique déploie I'esprit d'innovation et de conquete, plus le
goul'ememenl esl porté a se monlrer le défenseur de l'intéret
de consenatiem.


Ce fait, messleurs,n'est pas nouveau; il a été reconnu a
eeUe tribune; les hommes 1'ont observé depuis qu'ils vivent
en sociélé, et l'on a eherché un moyen d'empecher que les
représcntanls des deux ¡nlérels en vinssent conlinueUement
aux pl'ises; d'empeche¡·, comme le disait hiel' mon honorable
ami M. Royer-Collard, que les flots démocratiques vinssent
battre continuelIemcnt la royauté.


Il n'y a presque aueune eonstilution, soít dans le moyen
:ige, soit dans des temps plus I'eculés, 01/ cet élément ne se
retl'ouve, bien ou mal imaginé; partout on a cherché a créer
un pouvoir de cette nalUl'e, dont l'objet esl de fortifier le
gouverncment, de le soutenir contre I'invasion de j'élément
démocratique.


Pour aUeindl'e ce bul, que fallt-il? JI faut que ce pou\'oir soil
animé de I'esprit du gouvel'llemenl, qu'il en compl'enne les
conditions, les hcsoins, qu'il vive habituellement dans sa
sphcre, a son niveau, el que cependant il ne soit pas
le gOllvel'llcmcnt lui-meuw; JI faul (IU'íl ~ujt animé deti




CHAMRHE DE~ DÉl'UTÉS,-iJ OCTOBHE 1831. 315
inlérets géntÍrallx que le gouverncment représente, et qu'il
u'ait pas les passions personnelles quelegouvernement porte
dans SOn sein, 11 faut, en un mot, que ce soit un pouvoil'
gOllvernemental, mais que ce ne soit pas du tout le gouver-
Ilement.


.


Eh Lien! je dis, que dan s la seconde Chambre ou la pail'Íe,
il n'y a que l'hérédité qui puisselui faire atteindre ce hut. Je
dis qu'i\ n'y a que \'hél'édité qui puisse créel', a cóté du gou-
'emement, un certain nombre de situations permanentes,
lixes, au niveau dn gouverncment, vivant habituellement
dans sa sphere, connaissant ses besoins, pénéll'ées de son
esprit, ayant les memes intérets généraux que lui, sans avoir
les intérets personllels, les passions personnelles qui alli-
mende gouvel'llemellt dans sa lulte conlre l'élément démo-
cratiqlle.


Je dis qu'il n 'y a que I'hérédité qui puisse donner a la
pairie ce caractere, el faire en sorte que la pairie soutienne
le pouvoir sans épouser tel ou tel ministere en particulier,
sans embra~sel' la cause particuliere de telles passions, de
tél íntérCl pel'sonnel.


L'hél'édité, je le répete, place la pairie a cóté du gouver-
nement. au niveau du gouvernement, et cepenqant la laissc
étrangere et indépendante de lui. Sous ce point de vuc,
j'hél'édité peut seule véritablement donner a la pairie le
cal'actere dont elle a besoin pour remplir sa mission. .


On dit: «Ce que vous créez la est une aristocratie, il n'y
en a plus, il ne peut plus y en avoil'. »


Je ne rappellerai pas iI. la Chambl'e ce qu'elle a déjil en-
tendu dans les séances préeédelltes; je ne l'edirai pas, entre
autres, ce que M. Thiers a dit a la Chambre, que les eh oses
ne sont pas si nouvelles qu'on le pense communément. La
Révolution fran~aise a faiL de tres-grandes choses, elle a
changé l' état social. Cependant, iI ne fallt pas.la croire si
grande qu'on se la figure; elle n'a pas changé la nalure des
hommes ni les conditions essentielles de toule société. 11
u'est pas Hai que la Révolulion ail supprirné dans la société




3Hl HISTOIRE PAHLElIIENTAIRE DE FRAKCE.
tous les éléments d'aristocl'atie. L'échelle social e a sans
doute moins d'étendue, il y a moins de distance des degrés
supérieurs aux degrés inférieurs de la société; mai, la distance
est encore suffisamment gl'ande pOUl' que l'aristocl'atie puissc
s'en 1irer et elle s'en til'era. Il n'est pas besoin de la créel';
elle existe sous nos yeux, dans toutes les condilions de la
société; la Révolution ne l'a pas détruite.


J'irai plus loin, quand nuus parIons de l'aristocratie au-
jourd'hnl, j'ai peur que nOlls ne tombions dans une grande
méprise; nous avons l'air de parler de ces ¡ultes qui avaicnt
lien entre la démocratie et l'aristocratie dans les répuhliques
anciennes; nous avons l'air de parle!' de celte dérnocratie
oisive, s'occupanl, comme l'aris1ocl'illie, des alfaires· ¡m-
bliques, discnlantet "onlant pal'tager le gouvel'llement. C'est
la ce qui se passait a Athtmes, aHorne, dans les répnhliques
anciennes, par suile de l'esclavage el de la eonslitution
qu'avaient alors les gouvernemenls.


La démoeratie moderne n'a rien de semblable a eelIe-Ji¡.
Elle est laborieuse, oecupée, cssentieIlcment youée a ses in-
térets domestiques, aux besoini de sa vie privée. La démo-
cratie moderne n'est pas en lutle, comme on le prétend,
contre l'aristoeratie; elle n'aspire pas an pouvoi!', elle
n'aspire pas a gouverner elle-meme, elle veul intervenir dans
le gouvernement autant qu'il est nécessaire pour qu'elle soil
bien gouvernée, et qu'elle puisse, en loute sécurité, vaquer a
la vie domestique, aux afIaires pri vées. (Tres-bien! tres-bien 1)


C'est la le résuItat, et de l'abolition de l'esclavage, el de la
grandeur des États modernes et de la complication de notre
civilisation aetuelIe.


La démocratie modernc, je le répcte, n'e~t pas essentielle-
menl vouée a la vie poli tique, pl'éoccupée des passions politi.
ques; elle a ses intél'cts et ses affaires partieulieres, dont elle
demande a ponvoir s'oecuper avcc liherté el sécul'ité; elle
eherehe dans le gouvernement loutes les garanties de ecUe
liberté et de eeHe sécurilé. Rien de moins, ríen de plus. .


Eh bien! messieurs, si, lel est I'élat des choscs dans notre




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-5 OCTOBRE 1831. 317
pays, ce don! nous avons beso in, et plus besoin que jamais,
e'es! de trouver dans la société des hornrnes qui, par situation,
par le fait de leut' naissanee si I'on veut, se vouent et appar-


. tiennent spéeialement aux affaires publiques, a la víe poli-
tique, des hornmes qui en fassenl habiluellement, naturelle-
ment, leul' étude, leur état, leur profession, eornrne d'aulres,
dans la démocratie, font leur état de la jut'isprudenee, du né-
goce, de l'agriculture el de toutes les earrieres de la vie.sociale.


Je dis que celte aristoeratie es! la eondition des soeiétés
modernes, une conséquence nécessaire de la nature de la dé-
rnocratie moderne.


A ceHe aristocraÍle deux conditions sont imposées : la
pl'erniere, e'es! d'etre constamment sournise au controle, a
l'examen, a l'implllsion de la démocratie; la seeonde, de se
I'CCl'utcr constamment duus la démoeralie, de lui OUVl'it· son
sein, de reeevoit· d'elle tout ce qu'elle pl'oduit d'homrnes ca-
pahles qui vOlldron! sorlir des intérets privés pOUI' se consa-
erer aux affaires du pars. Je dis que ces deux eonditions sont
essentielles, nécessaires 11 l'aristoeratie eonstitutionneIle dont
110US avons besoin. 01', I'hérédité est le seul moyen de satis-
fail'e a ces deux conditions.


Par l'hérédité, vous atteignez le but dont j'ai parlé; vous
a\'cz ainsi un ceftain nombre de siluations toutes faites,
(les farnilles dont la vie puhlique, dunt les affaires publiques
seront, pour ainsi dire, I'élérnent, qui sel'Ont placées au som-
met et recevronl toujours cependanll'impulsion de la démo-
cralic; ca .. , il n'y a pas de doute sur ce point, c'esl eeUe
Chambre, e'e"t la Charnbre dérnocratique qui déoidera de la
direction du gouvernernent, qui donnera l'impulsion, qui
sera prépondél'anle.


Je dis que votre Chambre des pair> ainsi eonstituée se re-
erulera nécessairement dans le sein de la démocratie, et, a
cet égard, il existe un fait plus concluant que toules les
observations qu'on poul'rait faire.


La Chamhre des pairs anglaise est certainernent la plus
arislocmtiqlle, celle qui r~unit le plus de conditions de




H18 HISTOlRE PARLE\IENTAfHE DE FltANCE,


dUl'lÍe el de perpétuité possibles. Eh bien! voulez-vous
savoir I'état acluel ae la Chambre des pairs anglai~e?


Un de nos honorahles collegues, M. le général BerLrand,
dans une opinion qui nous a élé distribuée, a dil : (1 Pal'-
courez la gélléalogie des lords des trois royaumes, presque
loutes les races y l'emonknt a la conquele de nos Normands
du XI" siecle. )) Ne semhlerail-il pas, d'apres cela, que les
familles de la Chambl'e des pail's d' Angletel'l'e se sont per-
pétuées depuis le Xle siecle'l Cel'les, le príncipe d'hérédité
aurait exercé la une gra.nde puissance.


Eh bien! messieurs, voici son étal véi-ilable. Sans compter
les pail's ecclésiastiques, pOUl' lesquels jI n'y a pas d'hél'édité,
il y avail, en J 829, dans la ChamIJre des pairs 37~ membres
laiques. Sur ces J75 membres, 48 seuJemelll remontent an
del a du XVII" siecle, 124 au deJit du XVIII" ~iec\e, el sur les
26t restants, et dont aucun n'es! plus ancien que le XVIll"
siec\e, 170 n'ont pas quatt'e-vingts aos d'cxistencc, 104,
meme ne datent que de ce siilcle-ci.


Voilit eomment la Chambre anglaise ~'est l'l'crutée; ,"oil!1
quelle a été, dan s ecHe société si al'islocJ'atiqllement consti-
tuée, la force du principe ,lc 1'llL;réditó. C'est la classc
moyenne qui remplit tres-rapidcment la Chamhre des
pairs; e'est elle qui cst le vérilable résel'voil' daos leqllel
I'aristocratie vienl sans cesse se régénéler, se l'ajeunil'.


A combien plus forte raison en serait-il de meme chez
nous? Dans notre société Ol! l'hél'édilé n'aul'aít allCllue des
garanties-civiles qu'clle possede en Anglelerre, la démocrutie
serait I'élément ou se retrempel'ait sans cesse la Chambre
des pairs. Nolre aristocralie constitnlionnelle, soutllise a l'in-
f1uenee prépondéranle de l'élément dérnocratique, ,iendrail
s'y recruler chaque JOUl',


C'es! lit ce donl nous avons besoin. Nous avons hesoin, pas-
sez-moi le mol, qlloiqu'il ne rende pas exactement !na peu-
sée, nous avons besoin d'nne classe essentiellement politique,
d'un certaio nombre d'hommes essentielIement poliliques.
Ce qu'il faut, c'est qu'ils ne disposent pas de nous selon leur




CHAMBRE DES Ilh)CTI~S.-r) O(;TOBrm 1831. :lJ(/
glé, e'est que lous les llOunnes eapables du pays quí vouul'ont
entrel' uans la vie polilique aient la pel'spectil'e d'une
situation poli tique, Iixe et indépendante.


II y a, messieurs, un dernier argument dont il faut bien
que je dise un mol. On dit : le pays n'en veut pas; votre
institution peut etre tres-bonne, mais elle est repoussée par
le vmu naliona\. Messieurs, personne ne pl'ofesse un plus
gl'and respeet que moi pour les organes et les "mux du pays;
e'est le droiL des pays lihres de n'avoir d'insLitutions que
eelies qu'ils aeeeplenl el auxquelles ils eroienl. },fais, mes-
sieurs, les peuples libres se lt'ompenl Comllle d'aull'es j a la
vérilé, ils se détl'ompent aussi mieux que d'autres par le faíl
de la lihel,té. J'ai dan s mon pays celle confiance qu'il s1l:ura
se détromper quand il s'est trompé. Je lui porte plus de
respect, j'ose le dire, que ceux qui veulent s'emparer de sa
"olonté dn moment, de sa cl"oyanee du moment, comme
d'une volonté immobile, élernelle, d'une eroyance qui ne
pcut pas changel'; que ceux qui nous donnent eelte raison
comme une raison péremptoire devant laquelle il faut que
nolre raison a nous s'al'riHe et suceombe. Non, il n'en est rien:
notre raison reste libre el indépendante devant la convietion
du pays; nous avous I'avantage de croire que le pays peut
se tromper; et nous en avons sous les yeux d'assez grands
exemples ponr que notre contial1c.e ne 80it pas illégitime,


Happelez-vous quelle était la rOl'ce de la eonviction géhé-
rale, la force de ce que j'appclIerai la pl'évention, le (ll'éjugé
du pays, daus le procc3 des ministres de Charles X. Le
pl'éjugé général, la con"iction générale étaient que leur
condamnatiou 11 mort était nécessairc. Eh bien! j'aflirme
que le pays s'était trompé, el qu'aujourd'hui le pays se
félicite que cela n'ait pas eu lieu, qu'il sait gré 11 la Chambre
des pairs du jugement qu'elle a rcndu. (Marques d'adhé-
sion.) II a changé d'avis a eel égard; grand exemple,
exemple tel'l'ible des CI'l'eurs populaircs et des frénésies
don! on se guérit dans les pays libres. (Nouvelle adhésion.)


Nous en avons un autl'e plus récent. Je parle de la




320 HISTOIRE PARLEl\fENTAIRE DE FRANCE.
diseussion que nous avons eue, il y a qllclques jours sur
ItS affaires étrangeres. San s aueun doute, la sympathie du
pays pour la Pologne était profonde, généralc; elle I'est
encore. Le pays paraissait (je dis paraissait, paree que je ne
yeux pas affirmer que cela fUt), le pays paraissait porté a
croire qu'on aurait dti faire la guerre a la Russie pour la
Pologne. J'affirme qu'il est délrompé 11 cet égal'd, qu'il ne
croit plus que celte politique elit élé utile a la Pologne, bien
qu'illui porte le meme intéret et qu'il ait pour elle la meme
sympathie, mais il est actuellement comaincu que cette
guerre eut été contraire a son intérct et o. la justice de l'Eu-
rope. (Mouvements en sen.~ divers.)


J'apporte ici ma conviction; j'affirme que ma conviction
a ~té telle. (Voix ti gauche : A la bonne heure, parlez ponr
vous.) C'est un sous-entendu que nous pouvons aisément
nous épal'gner; il esl clair que chacnn n'apporte ici que sa
conviclion, et qu'il ne prétend pas l'imposer aux autres.


J'affirme qne, dans ma conviction, le pays s'est détrompé
a cel égard, qu'il croil alljourd'hui que la guerre n'ellt pas
été bonne, qu'elle n'était . pas sage; ce qu'il ne croyait pas
aussi fermement il y a quinze jours.


Je dis donc que nous avons eu tout récemment deux grands
exemples de la maniere dont un peuple libre se détrompe
apres s'i\trc trompé. J'ai Jonc dans mon pays celte confiance
que s'il était vrai, comme je le pense, que I'hél'édité de la
pairie fUt une institution nécessaire, utile, la Francese détrom-
perait a cel égard (Voix ti gauche: Non, non, jamais .... Voix
au centre: Oui, oui!); s'il était vrai J'ailleurs, ce que je ne
crois pas, qu'il se soit aussi trompé que quelques persormes le
prétendent.


Ce n'est pas sans raison que j'ai cette confiance. Je vous
prie de remarquer au nom de quelles idées on comba! au-
jourd'hui l'hérédi té de la pairie. J'afiirme, sans crainted'etre
démenti, que c'est au nom des iMes, des théorics de 1791.


Eh bien! il est vrai que les idées de 1791 sont encore
p"ésentes a heallcoup d'esprits, qll'elles ont encore en




CHAl\lBRE DES DÉPUTÉS.-5 OCTOBRE 1831. 321
France une grande pulssanee. 1\ est vral, en meme temps,
que toutes les fois qu'on les ,'oit appl'oeher de l'épreuve,
toutes fois qu'on les voit sur le point d'elre mises en pra-
tique, le pays recule, parce que son expérience !'avertit de
leur fausseté, paree que I'instinct de I'expérience I'avel·tit
que ces idées ne valent rien pour fonder nn gou\'ernement.
Je dis pour fonder un gouvernement, el e'est a dessein.


Ces idées ont été exeellenles pour l'enverser I'aneien ré-
gime, pour détruire; je ne leur en veux pas de eeUe destrue-
tion; au contraire, je m'en applaudis; mais je dis qu'elles
n'avaient que eeUe destination, qu'elles l'ont remplie, el
qu'a présent elles sont usées, elles De sont plus bonnes pour
les eh oses dont nous avons besoin. De quoi avonS-DOUS be-
soin aujourd'hui ? NOllS avons besoin de fonder un gouver-
nement, de consolider notre monarchie constitutionneIle. 11
est évident qu'on ne fonde pas avec les memes idées, avee
les memes pl'océdés par lesquels on délruit. Cela est de bon
sens el n'a pas besoin d'etre démontl'é.


On ne fonde pas un gouvernemenl en un JOUI', d'un coup,
par la baguefte de ce qu'on appelJe le pouvoir eonstituant;
on le fonde par la bonne eonduite de ce gouvernement lui-
meme, par l'hll1'monie, palO le jeu bien entendu de tous les
pouvoirs permanents el habituels qui le constituent. On le
fonde un peu chaque jour, un peu plus le lendemain; on le
fonne en vingt ans, en einquante ans, en un siccle; c'est une
OJuue qui ne 'peul etre aceomplie que par le eoncours tran··
quille, régulier, non d'un pouvoir constituant, non d'un
congres, non de l'exereice extraordinaire de la souveraineté
publique, mais des pouvoirs légaux, hal,ituels, permanents.
C'est ainsi que les gouvernements se fondent, et ainsi seule-
ment; il n'y a aueun autre moyen de leur donner de la force
el de la durée. (Sensation.)


Eh bien! c'est quand nous avons eette rou vl'e a aceomplil',
quand e'est notre intéreL, no(re ])esoin, Ilotre devoÍl' de fon-
del' legouvernement conslitulÍonnel en Franee, e'est alol'sque
nous i1'io08 commcneer par détruire un pouvoiressentiel, un
~L ill




;322 H1S'f01RE PARLE"lENTAlHE DE FltA'iCE.
pouvoir constilutif de ce gouverncment? Commrnt, 110U8
n'ayons qu'a fondel', c'esl la notre Lesoin, e'esl la ce qui
1l0US préoccupe lous, et nous ¡rions reprendl'e l'wuvre de
dcstruction, au nom des memes idées el des memes lhéorics
qui, en 1791, n'onl servi qu'a cette wu vre !


Non, messieurs, -cela est contraire au bon sens, cela es!
contraire aux besoins du pays, aux vwux bien enlendus de
10Us les hommes éclairés el indépendanls.


Vous voulez fonder uné monal'chie eonstitutionnelle:
commencez par respecter les pOUl'oil's qui la constiluent, par
respecter leul' indépendance) par assurel' a tous leur lihre
exel'Gice, el ne }'evenez pas san s ces se sur des expériences el
des théories qui, je le répete, sont saos valeur aujolJl'd'hui.


ta pairie comisle en trois éléments, en tl'ois conditions ;
par la nominatioll rOJale, elle est mOllarchique el forütie le
gouvernemelll; par le nombre illimité de ses membres, elle
~'adaple bien 11 la monal'chie constilutionnelle et tient biell
sa plal:e daos le jeu des hois pouvoil's; par I'hérédilt;, elle
esl monal'chique eL libérale en merrie temps; elle est poli-
tique, elle donne au pays ce dont il 11 hesoin et pOIl!" I'ol'd,e
et pour la lilJCl'lé.


Si vous détruisez I'UII de ces lroi~ élémenls, l'une lit' U's
trois cOlldilions, vous porlez atlcinte it la royauté, a la ma-
chine cunstitulionnélle, it sun jeu libre el bien entendu. Je
lle vcux pas dire par lil que si j'hérédité n' est pas mainle-
nue, la Franee est perdue. (1l1ouvement_) Je ne veux pas le
dire, paree que j'espere da,-anlage de lUon pays. Je eOllnais
peu de folies donl son bon sens ne réussil lót ou tard a le
sauve!'. l\1ais j'i\ffil'me que, si YOUS mainll'ncíI J'hél'édité, la
France esl saun:e; l'anul'chie dunl nou~ nous plaignons
lrouvera son lel-me, le point d'arret que 110U8 chcl'dlOllS sem
alleint, la révoluliol1 de Juilld sera terminée el l:ollso!iJéc
a la fois. Si I'héréJité de la pairie est a!Jolie, je lIe sais pas
quelles tempeles nous allcndenl, mai",¿¡ eoup sí!r, les ancres
nous y manqueront. (Marques d'ulle vive adliésion ((11 centre •••
Sensation prol ongée,)




XXXIV


Diseussion dn projet de loi portant demande d'un erlJdit tle
18,000,000 de franes pOllr travanx d'utilité publique et dans
le but de secourir la classe ouvriere.


-ühambre des députés. - Séance du 20 octobre 1831.-


Ce projet de loi, présenté le 27 septembre a la Cham-
bre desdéputés, fut discuté pend'ant troisjours,et adopté
le2t octobre a une grande majorité. C'étaitune mesure
de circonstance qui soulevaitlos plus importantes ques-
tions d'organisation social e et d'administration publi-
t]ue. Je pris la parole pour indiquer, en peu de mots,
les yrais principes de la maW~re et pour bien détermi-
ner le caractiwe du projet, qui fut promulgué comme
loi le 6 novembre 1831.


M. GUIZOT. - le ne veux point pt'olongel' la digt'ession a
laquelle les préopinants se sont livrés; je demande, au con-
lrail'e, la permission derappeJet'l'attention de la Chambre sur
le projct meme. Je n'avais poillt dessein de prendl'e la parole
dans ectte discussion; mais il me semble que le projet n'a
été envisagé sons son point de vue véritable, ni p:l\' ceux qui




324 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
l'ont attaqué, ni par eeuxqui l'onL défendu; je erois que ,'on
s'esl laissé aller a une méprise qui, si elle eontinuail, serait
grave. Je prie done la Chambre de me permettre quelques
courtes obsel'vations.


La détl'essc d'une grande partie des classes laborieuses
est un fait sur les causes duquel les opinions peuvent varier,
mais sur I'exístence duquel tout le monde est d'accord.


Pour mon compte, je suis tenté de croire ce faít plus
grave encore qu'il ne le parait; il me semhle que l'on n'est
pas assez fráppé du hon esprit et de la l'ésignation avec Ics-
quels les classes laborieuses supportent lcurs souffrances.
Depuís un an, elles ont donné un excmple d'intelligcnce et
de moralité dont il est impossihle de n'etre pas frappé. Au
milieu de toutes les tentations, au milieu de lous les mauvai~
exemples qui pouraient les égarel', elles ont résisté, elles se
sont tenues en paix, elles ont l'éclamé el défendu l'ordrc
public contre les manreuvres de ceux quí voulaient le
troubler.


le suis done convaincu que la souffrance el la détl'esse
des elasses laborieuses sonl encore plus grandes qu'elles ne
paraissent. e'est a ceUe souffrance, a eelle détl'cssc que
s'adresse le projet de loí quí vous est soumis.


:Messieurs, ce n'esl pas la le seul fuit, il y en a d'aulrcsavcc
lesquels la !ouffrance des classes lahorieuses coincide; saos
parler destentatiyes pour trouhler l'ol'dre public qui se sont
l'enouvelées sur plusieurs poinls, il faut faire attention,
aux ídées qu'on propage, qu'on cssaye de propager.


On s'efforce de mettre en opposition la propriété el le
travail, les propriétaires qu'on qualilie en général d'oisifs,
el les travailleurs. (On rit.) J'ai l'honneur de dire a la
Chambre que, san s altacher a ce fait une importanee im-
mense, je crois qu'il en a une réelle, ne fUt-ce que par
l'état d'égarement dans lequel il jette des esprit, r¡ui de-
vl'aient exereer sur la société une influence salulaire, el qui
lravailIent au contrair.e a la cOlTompre et 11 I'égarel'. (roix
au centre: C'pst vrai.j




CHAMBRE DES DÉPUTES.-~O OCTOBRE 1831. 3~5
Indépendamment de ces théories, il y a des re ves philan-


thl'opiques: on se figure que I'on peut ~upprime1' dans ce
monde-ci la souffrance, la misere, donne1' du travail a. lous
ceux qui en manquent, et que c'est une entreprise dont les
gouvernements doivent se charger.


Qmmd on veut soulager les classes laborieuses, il faut
faire attention non-seulement a. leurs souffrances, mais a
lous les faits dont je parle.


On a eté obligé d'en tenir compte, on en a ten u compte
dans le projet de loi. Quel est le \'érilable caractere de ce
pl'ojel? Apporte-t-il un remede limité aux souffl'ances des
c1asses lahol'ieuses, en se conauisant eomme la raison 1'01'-
donne? Pour mon eompte, je le erois.


Et d'ahol'd, le projet arme le gouvernement des moyens
de maintcnir l'ol'dre publie en soulageant les classes Iabo-
l'leuses.


J'ai entendu un honorable membre parle1', avee une sorte
d'éloignement, de l'influence que ce projet peut donner au
gouvernement. Messieurs, je désire que nolre gouvernement
ait de l'influenec, qu'il en aC(luiel're; je désire qu'on lui donne
tous les moyens dont nous pOllvons disposcr. le erois q.ue
!lOUS avons été envoyés iei dans eelte mission. (Oui, oui,
sans doute 1) Ainsi, les moyens d'influence que le projet
donne au gouvernement, au lieu de les craindre, je m'en
applaudis.


Un al'ticle du pl'ojet de loi allribue 5 millions a M. le
ministro de I'intériem' pour des besoins imprtÍvus; on a
exagéré eette marque de confiarice; mais il y a quelques
mois, nous avons donllé une hien plus grande marque de
eonfiance au gouvernemellt en lui aecol'dant 100 millions
pOUl' les besoins éventuels de l'extérieul'.


Eh bien! messieurs, je erois que la force du gouvcrne-
ment dans les relations ,~xtél'jeures est Ven!,1~l de ceUe con-
fianee des Chambl'es, et de l'cmpressement qu'elles ont mis
a lui aecordel' cette somme; e' esl la que je trouve la Pl'inci-
pale cause des bom résultats que nous avons atteints au




:nG IIISTOIRE l'ARLEMENTAWE DE Fl{A:\CE.
Jehol's. le dis des Lons résullals, messieurs, cal' jamais les
affaires exlél'ieures de la France n'ont été conduites avec
plus de suite, de mesure, de dignité, el n'ont pl'ésenté de ré-
sultats plus satisfaisants que ceux qlli ont été obtcnus de-
puis six mois. (Au centre: Oui, oui, c'est vrai 1)


J'ajoute que cela est du eu grande parlie a la con/lance
que la Chambre précédenteet cclle-ci ont témoignée au gou-
\el'l1ement et aux moyens dont elle I'ont armé.


Eh! messieurs, il n'y a aucun doule, et je l'ai entendu
dire a des étrangers, que toules les fois que, d'aprcs les él'éne-
ments qui se passaient dans la capiiale, le gouvernemenl pa-
raissaÍl plus faible ou plus privé de la confiance des Chambl'es,
son influence al' exlél'ieur s'affaibli~sail; pendant qllinze jours,
trois semaines, il étai t sans considération et sans autorité au
dehors. (Murmures.) Lorsqu'au contl'aire, I'ordre Íntérieur
s'établissait, IOl'sque la confiance des Chambrcs cnvel's le
gou\'cmemenl augmcnlait, notre considération el notrc
autorité a l'extérieur reprenaient de la force. Pour mon
comple, j' ai entendu les étrangers les plus éclail'és attestel'
ce fait. le suis convaincu que la confiant:e des CiJambres
est le vérilable moyen de force du gouyernemcnt, et que nOlls
ne devons pas plus le lui refuser a l'intérieur qu'a l'extérieul'.


En vérité, 5 millions alloués un ministere pour sullvcnil'
aux besoins impl'évlIs n'ont rien d'extraordinaire. Gn de-
mande a qllels hesoins il s'agit de suhvenir; ji n'y a rien de
si simple. 11 peul anire!' que) dans une grande \'ille manll-
facturiere, une industrie 50uffrc, lallguisse. Eh bien! il im-
porte que le ministere puisse y porter des secours. Il faut
qll'il puissc employer pendant un certain tcmps cette popu-
lation dont les travaux resleraient suspcndus.


Cinq millions pOllr un ohjet aussi grave, aussi important,
ne sont pas chose que les Chambres puissent rcfuser ... (Mur-
mures.)


Quant aux moyens d'armer le gouverncmenl, de le fOl'li-
lier, de lui donner de l'influence, le projet de loi llC mérito
(Ille des éloges.




CHA\iB/tE DES J)ÉPUTÉS.-20 OCTOBRE 1831. 327
J'arril'e a ce qlli concome les relations de la propriété el


du travai\. Dans I'état ordinaire des choses, ces relations ~e
r¡~glent par elles-me mes ; je suis meme convaincu que toute
hmtati\'e du gouvernement de vouloir intervenir <lans ces re-
lalions serait chimliI'iqlle et funeste; c'est la le COUl'S ordi-
naire des dIOses.


L'homme est placé dans ce monde avee sa liherté, avee sa
responsabilité, et 11 des chances fort inégales. C'est le cours
des vieissitudes humaines; il les suhit, il lutte eonlre elles;
il n'y a ¡mcun moyen de les luí épargner. Sous ce rapport,
comme sous Ion s les autres, il ar1'i"e des momenls exh'aor-
dinaires dans la vie de la sociélé, des moments ou les relation8
habitllelles de la propriélé el du travail sont dérangées:
qnand cela arri\'e, il est uu devoir el de I'intérel de la pro-
priété de venir an secon/'s des c1asses laborieus~s.


C'est ainsi que les propl'i(;taires doivent I'épondre a ces
aceusalions insensées donl ils sont I'objet depuis quelque
temps; c'est en prenant les elasses 11Iborieuses son s leur pro·
ll'ction dans les moments diffleiles, e'est en faisant des cITor!s
cxlraordinaires pour atteindre ce but, qu'ils penvenl jouir
eux-mcmcs des avalltages qui leur sont attrihués. Mais C\~3t
a une eondítion: a la condition que les mesul'es prises ne
seronl que tcrnporaires, exceptionnelles, comme les besoins
anxquels elles répondent, eomme les cas auxquels elles
"culent subvenir.


Quel est le vice de la laxe des pauvres en Angleterrc?
c'est qu'elle est permanente; e'est qu'elle est une institu-
tion; e'est qu'clle n'esl pas destinée a subvenir it un cas
extraol'dinaire et imprévu, mais a entl'etenir la pauvreté aux
dépens de la riehesse. Voila le principe de la laxe des pau-
vres.


Eh bien! e'cst liI ce qu'jl ne faut pas lai85er introduire
dans nos lois. Mais que, uans une circonstance extraordi- .
naire, les riches viennent au seCOlll'S des pauvres el dOllnent
du travail a ceux qui en manquent, que le besoin soit etl[\-
staté, que la limite dn ~ecours wit délerHlillée par, la loi, je




~'28 HISTOIHE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
dis qu'il n'y a rien la qui ressemble a la taxe des pauvl'es,
rien qui ne soit parfaitement légitime.


La tentative d'introduire la taxe des pauvres parmi nou~
serail aussi funesle a la liberté qu'elle I'a été en Anglelerre,
et je serais le premier a la repousser. Mais le projet de loi
n'est pas cntaché de ce vice; il est dans le vrai; il pourvoit 11
des besoins extraordinaires, il assigne la limite du seeours,
quanl a la somme et quant au temps; il est parfailement
juste. 11 ne mérite aueun des reproches qu'on adresse a la
taxe des pauvres.




xxxv


DiscussioIl du projet de loi sur le recrutement de l'armée.


- Chambre des députés.-Séance du 5 novembre 1831.-


Dans la discussion du projet de loi sur le recrutement
de l'armée, présenté le 17 aout 183i par le maréchal
Soult et qui fut promulgué comme loi le 21 mars 1832,
plusieurs systemes de réserve militaire avaient été
Vroposés par voie d'amendement. Je les combattis en
soutenant le systeme adopté de concert par le gouver-
nement et par la commission de la Chambre, et qui
fut maintenu dans la loi.


M. GUIZOT. -Messieurs, la Chambre a prohablement déj1l.
remarqué la singulicre marche de cette discussion. A son
origine, les partisans de l'amendement se 80nt pl'ésentés
comme plus inquiets que nous, comme plus soigneux que
nous de l'indépendancc el de la sécurité nationales: ils ont
accnsé le systbne de la commission d'affaihlir la force mili-
taire, l'organisation mililaire de la France, de ne pas créer de




330 HISTOIRE PARLE~[E"TATRE DE FHANCE.
réserve. Pell a peu la discussion a changé de caractere : l'ac-
cllsalion esl dcvenne tout autre.


On a reproché a la eommission de vouloir mainlenir le
systerne des années permanentes, des grandes armées, le
sysleme de la guerre, en un. mot, et de s'opposer il l'étahlis-
semcnt d'une armée sur le pied de paix, a la destruction des
grandes armées, au systemfJ de la paix.


La d iscussion d'hier a offert ecHe déviation él'identt) ; il
faut qu'il y ait enlre nons quelqne confusioll, qUf'lquc mé-
prise sur la valeur ell'enel soit du sysleme de la commis-
sion, soit de celui des amendemenls.


Je demande a la Chambre la permission de les comparer
de pres el avec quelque pl'écision pour pou I'oir CIl fllil'e
apprécier les résuJtats.


Je prendrai pout" base un reerutement annuel, fixe, par
exemple un recrutement annuel de 80,000 hommos; je
sais (¡'es-bien qu'il variera selon le vote annuel de la Chambre;
mais la variation du l'ecrutement annuel affecle également
les deux syslemes : ainsi, pour les comparer, je puis prendre
eelte base the.


Dans le systernll dllla commission, 80,000 hommes le\és
tous les ans a\'ec sepl ans de !iervice, vous donnent 560 mille
hommes. Les uns, sous les drapeaux, formenl l'effectif, les
aulrcs sont renvoyés dan s leurs foyel's, mais toujours "faciles
a rappeler et disponibles.


Dans le system,e des arnendernenls (el je prends I'amcnde-
ment de M. le cornte de Ludre com¡nc le plus complet), \'uió
le résultat auquel on al'l'i\'e.


Vous retenez 320 mille hommes pendant qllutre ans sous
les drapeaux: 320 mille hommcs renvoyés pendant quatre
ans dans Icurs foyers, forment une pl'cmiere armée de ré-
se/ve. Vous avez de plus 320 mille homrnes pris sur ceux
que le contingent annuel n'a pas appelés : 40 millehommes
par an forment, en effet, au hout de huit ans une seconde
réserve de 320 mille hummes.


Ainsi le résultal de l'alllcndt'IIlClll csl de 960 milIe IJ')lnllle~




CHAMBHE DES DÉpu'n;;S.-5 NOVEMBRE 1831, 331
pris pour le service militail'e, dont 320 mille seulement for-
ment l'armée ol'dinaire, l'arm¿e réelle, I'armée active.


n suffit de I'inspection de ces chiffres pOLIr juger que le
systcme des amendements affaiblil I'armée ordinail'e, l'ar-
mée réelle, pour fortitier l'armée spéciale, l'al'mée de ré-
serve.


Ainsi, M. le ministre de la guerre vous disai!, arec beau-
coup de raison, que le résul!at de l'amendement serait d'af-
faiblir la force mililaire organisée, l'armée 'réelle, au profit
d'un systeme de réserve.


Mais est-il done vrai que, dans le sysleme de la commis-
oion, vous n'ayez pas de réserve? Messieurs, il ne faut pas
nous laissel' imposer par les mots, ni abuser par les
apparences, Le systeme de la commission comprend une
année acti re el une armée de résel'l'e, cal' le ren voí en
congé dans les foyers est une maniere de créer une armée
de réserve dans le sein de I'armée ordinaire. '(Mouvements
m sens divers.)


Je dis, messieurs, que le s-ysteme des eongés a pom' l'é-
sultat de cl'éer une réserve, c'est-a-dil'e de meltre a la dispo-
sition du gouvernement Ull cel'lain nombre de soldats qu'il
n'emploic pas dans les temps ordinaires, et qll'il peut appe-
ler lout 11 coup quand il sUl'vienl une eirconstance exlraordi-
naire. (Voix ti gauche : C'est de I'arbitraire,) Si ce n'est pas
la une réserve, e'est qu'on préfel'e les mots aux ehoses. (Mur-
mures.)


JI s'agil done de comparer le sysleme de réserve de la
commisoion avec celui qui vous est proposé pal' MM. de Ludre
et de Laborde. Eh bien! la réserve qui résulte du projet de
la commission a d'abord cet avanlage l'eCOllnU depuis long-
temps d'etre toujours el tout eniiere disponible et faeilement
disponible.


Ce systeme a un autre avantage; e'es! de présenter une
réserve joute formée, toute instl'uitc, pOllr laquelle il n'est
})as néccssail'e de cl'éer une organisation spécialc, une orga-
uisation locale, paree que les memes cadrcs, les memes ofti-




332 HISTOIRE PARLEl\IENTAlRE DE FltANCg.


ciers, peuvent servir. Dans le systcme des amendements,
ji faut une organisation spéciale et locale pOut' former la
réserve.


A cette occasion, je vous rappellerai ce que disait hiel'
M. le ministre de la guel'1'e : il lui est facile, dans le
systcme des congés, de les combiner de maniere 11 obtenir
de véritables économies, cal' on cOll\(oit qu'il ne doil pas en
codter autant que s'il fallait créer une organisation particu-
liere, comme pour la réserve qni subsisterait sépal'ément de
l'armée active. L'armée de résel've, telle que )'amendemcnt
la propose, cOIite nécessairemenl plus cher, puisqu'il faut
créel' pour elle une organisation spéciale. Elle a en oulre un
défaut radical, c'est de faire disparaitre de la loi du l'ecrute-
ment un de ses principaux bienfaits, un des bienfaits qui
I'ont fait agréer, la lihération d'une par ti e de la population.
On a su d'une maniere positive qu'il y avait un e€l'tain
nomhre d'hommes eomplétement libérés, el qui, sauf les
cas cxtraol'dinaires ou la Franee tout enticre se lcvel'ait
pour sa défense, n'auraient rien a démeler avec le service mi-
litaire. Dans le systeme de l'amendement, pel'sonne n'cst
libéré; les uns sont appelés a l'armée, les autl'es sout desti-
nés 11 former une réserve; et par la combinaison des deux
réserves, VOllS les prenez tous pOUl' les mettre dans une COll-
dition d'exception J pour les assujettir a un certain service; cn
sOl'te que vous privez la population dc l'avantage de la Iihé-
ration annuelle, avantage qui a facilité beaucoup I'cxécution
de la ¡oi de recrutement.


Ce n'est done pas entre un sysleme qui ne donne ancullc
réserve et un systcme qui eu crée une que vous avez 11 choi-
sir, mais entre un systcme qui donne une réserve au sein
meme de l'armée, qlli n'est autre ·chose que I'armée ellc-
meme s'étendallt el se resscrrant seloules besoins du scrviccJ
el un systeme qui crée une réserve hors de l'armée, a coté de
l'armée, une réserve qu'il sera beaueoup plus diflicile de faire
rentrer dans l'al'mée. Vous avez, dans un cas, une assimila-
tion facile, et dans I'autre une simple juxtaposition.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS,-5 NOVEMBRE 1831. 333
On a invoqué plus d'unc fois, messieuJ's, l'autol'ité et


I'exemple de M, le mal'échal Gouvion-Saint-Cyl'. le puis dire
que le maréchal m'honorait de son amitié, et quelques pel'-
sonnes pemenl se I'appelel' que je n'ai pas été tout a fait
étl'anger a la loi du l'ecrutement. Il faut se l'appeler les cir-
constan ces dans lesquelles on se lrouvait. La conscl'iption, le
nom seul de conscriplion étail devenu une chose tellement
odieuse au pays qu'il étaiL bien difficilequ'on l'établiL quelque
chose qlli lui ressemblaL. Aussi le premiel' article de la loi
disaiL : ( L'armée se l'ecrute par les enrólemenls volon-
taires. )} Les appds d'hommes ne venaient que comme sup-
plément, dans les cas d'ahsolue nécessilé,


JI était difllcile, pour nc pas di re impossihle, d'obtenir une
levée de 60 ou 80 mille hommes, Il n'entra done dans III
loi que le chiffre de 40 mille hümmes, et ce fut pour suppléer
a l'insuffisance de cct appel que le maré<:hal Saint-Cyl' élahlit
le systcme des vétérans, en pt'olongeant le service de six an-
nées, afin de donner une l'ésel'\'e composée de soldats. En
effet, il ne faisaít cas, comme tous les militaires, que d'une
résel've de soldats, Ne pouvant donc avoil' une levée d'hom-
mes qui luí donnat une réserve dans le sein meme de I'ar-
mée, il imagina la l'éscl've dcs vélérans, le l'ai enLendu cent


Jois dire que, s'il avait pu avoir une lcyée annuelle de
80 mille hommes, et un syslcmc de congés, il ei'tl préféré
ce systcmc; c'e,t parce qu'il n'a pu j'avoil' qu'il a proposé la
l'ésenc des vélérans, C'était lit son vél'ilable motif; cal' au
fond, il compl'cnait tres-hien la valeur d'une armée de ré-
serve, facilemenl assimilée a I'al'mée active, et fl)rmée par
le systeme des congés,


Ainsi, messieurs, la compal'aison des deux: systemcs csl
lout entiere, a mon avis, a J'avantage de l'amendemenl de
volre commission, cal' il yous donne une organisation mili-
laire plus forle, plus súre el plus (lisponible,


Je comprelldraís bien mieux, ie I'avoue, les objections
contre I'amé'lldement de la commission si dles venaient de
ceux qui craignent les gl'andes al'mées, les' al'mées perma-




334 HISTOIRE PARLE;\-lE~TAmE m: Fj{A.\'CE.
nentes et qui voudraient faire prévaloir, comme sysleme de
défense et de sureté nationales, le systeme des mili ces et des
gardes nationales, et la réduction, 11 un taux tres-bas, des
al'mées proprement dites.


Ceux-lil ont des objections plus fondées 11 adressel' au
systeme de la commission; cependant, je ne les crois pas
plus vaIables.


D'abol'd, il est évident que, par le vole annuel de l'cffectif
de l'armée, dan s la loi des finances, il est au pouvoir de la
Chambre de l'éduire I'armée permanenle au ta~x qu'exigent
les bcsoins du moment, et qu'aiIlsi il n'y a de danger ni
pOUI' les libel'lés publiques, ni pOllr les finanees de l'État.


Je demande pardon a la Chambl'e de I'en trclenir ayer
aulant de délail de ces matieres qui devl'aient apparlcllir
aux militaires; eependant, eomme des questions politr-
ques el morales s'r rattachent, je crois qu'il est per-
mis a chacun d'avoÍl' son avis 11 cet égal'd et de le fairc
eonnaitre.


le dirai done que cela me pal'ait une idée heureuse, une
bonne combinaison, que eeHe de soldats, de Hais soldats
voués a la vie militail'e, bien inslruits, hien dl'essés pour la
guerre, el qui cependant ne sont pas complélcmelll sépurés
de la population ; qui relournent chez eux de temps en tc'mps,
non pour passer un mOlS ou quinze jOUI'S, mais six moi,;,
mais un an el plus, selon que le besoin du service le per-
met; qui, sans se sépul'er de l'al'IIIée, sans ccsscr ¡J'elre
soldals, ne se séparent pas non plus de la pO¡JUlation. lis
conservent ainsi quelque esprit civil; ils ne sont point étran-
gers aux hahitudes et llUX sentiments dll pays. Cela a élé
toujours le prohleme a résoudl'e que d'avoir une armée qui
fUt animée de l'esprit militail'e, et qui cependant ne fUl
point étrangere a I'esprit ci,'il, séparée de la popula-
tion. Eh bien! ce pl'obleme me paraH plus heul'ellsemen 1
résolu par la comhinaison de la commission que par alleUlle
alltre.


Dans l'amendement qu'on vous propose, on présellte le




cJfA~lDnE DES 1)1:;1'UT!;;:-;.-5 .'iOVE~IBHE 18:n. ~¡:3.:,
systerne ue l'ésel've; rnais eJans la réserve, je crains eJe ne
pas truuvel' suftisamment une armée. Dans le systeme eJe
la comrnission, je la trouve fUf! bien COIlstituée, e! de plus
se moJant a la population.


Les eJangers qu'on pounait reduutel' pour les Jibcl'tés
publiques de la force de cette organisation militaire sont en
grande partie atténués par la consiuération que j'ai eu l'hon-
neur de vous présenter. 11 me paralt évident que le systemc
des milices, des gardes nalionales proprement dites, est·loin
de sufHre aux besoins de la France, a qui il faut une vél'itablc
armée, fortement ol'ganisée. On nous Ilarle souvent de l'élau
nouveau que prenura I'esprit public en vertu de [Jos insti-
lulions el u'un gom'el'Uemenl national. Je n'en duule pas;
mais c'est seulemenl uans les grandes circunslances, dans les
circonstanees exlraOl'dinaires, q uallLlle besoin du pays pl'OVO-
quera cet enthuusiasme, cel élan national i nuus devons
éviter de tenir coutinudlement la population uans cet état
u'ellervescenee que suppose l'enlhuusiasme, quelque légilime,
quelque national qu'il Boit. Dans les temps ol'dinaires, la
population uoit etre dan s un état moral tranquille; elle n~
tloit pas etre pel'pétuellcment écliauffée par la situation du
pays; elle uoil etl'e laissée iI ses mreurs, a ses habitudes, iJ.
ses occupaliuns. (Agitation agauche.) e'est seulement en cas
d'invasiun, 100·.que les dallgel's exll'aurdinaires se pl'ésentent,
que I1'JUS ¡HUIJS besoin de J'dan natiunal, de l'eutbuusiasme
général, el il .ne nous manquera jamais. Nous n'avuns pati
hesuin de I'échautl'er tuus les juurs par des pruvocations con-
tinuelles, par une excÍlation satis ubjet, qui fa ligue les Lons
citoyens el qui agite uutre mesure les oisifs.


M. DE LAIIURDI!.-JC uemande i.J. faire une observation ue
ma place.


M. le Président.-Vousn'avez pas la parole; n'inte1'l'om-
pez pas l'orateur, vous pouJ'I'CZ lui réponure.


M. GUlZOT. - Hernarquez d'ailleurs, messieurs, que le
sysleme de la commission n'exclut aucunement l'inlerven-
lion des garues natiunales rnobiles el non mobiles. VOUS en




336 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.


avez les bases posées dan s le projet de loi sur la garde natio-
nale; il n'est pas vrai que nous so1'ons dépourvus des moyeos
de la mobiliser.


Dans la proposition que vous avez discutée il y a quelques
joms, M.le général Lamarque vous demandait deux cllOses:
iIvous présentait un projet pour organiser l'institution, et iI •
demandait une mesure de circonslancr. Vous avez repoussé
la mesure de circonstance, vous avez jugé qu'elle n'était pas
néllessaire; quant 11 I'institution, si elle a besoin de quel:-
que complément, si la législation doil Ctre revue, on
vous a annoncé que le gOllvel'llement s'en occup,üt, et que
la Chambre pourrait faire a cet égard ce qu'elle jugerait né-
cessaire. 11 n'1' a done aucun danger: les garues lIationales
mobiles ne se1'ont pas étrangcres a notre organi~ation mili-
taire; leur place y esl déjil assignée. Vous serez toujours les
maltres de compléter cette organisation qui ne contrariel'a
pas du toul le s1'steme de la commission.


Nous sommes aujourd'hui, a ce qu'il paralt, embar-
rassés entre deux systemes différents: l'un que j'appelle
le systeme de l'esprit militail'e, qui tend continuellemenl a
développer outre mesure la force de l'ürganisatioIl militaire
de la France, et qui voudrait y faire pl'évaloir ce dont la
"France s'estheureusement, a mon avis, débarrassée. D'autl'es
personnes, el ici je voudrais me servir d'un mot aont elles ne
pussent etre choquées, d'autres personnes revenl la dcsll'uc-
lion ou tout au moins la réduction ues armées permanentes,
ou, comme je "le disais, leur remplaccmcnt par un systcme
de milice et de gardes nationales.


Eh bien! a mon avis, ni l'un ni I'autrc de ces syslemes
ne sont bons en France.


La France a besoin d'une armée permanente forlement
organisée el toujours disponible; mais elle a besoin aussi que
l'esprit militaire ne domine pas exclusivemelll sur son tel'l'i-
toire, comme ii y a dominé lrop longlemps. (Voi,n aucentre:
Tres-bien! tres-bien!)


L'amendemenl proposé par la commissiülI a ce d,)u]¡le.




CHA~fBRE DES DÉPUTÉS,-5 KOYE:\lBRE 1831. 337
avantage de nous donner une al'mée réclle, une forte organi-
sation militaire, et d'écarter en meme temps la prédomi-
nance de I'esprit militail'e.


Les partisans du systeme militairc nous vantent toujours
le systemc prussien; ils tendent a fail'e de la France une
vas te caserne. Si ce systeme a été utile a la Prusse dans eel'-
taines eirconstances, il finil'lJ. par luí devenir fatal. Quant a
DoUS, il ne pont convenir ni a nos mreurs, ni a notro eivili-
sation ; nous ne eonsentil'ions pas a abdiquer notre constitu-
tion politiqnc, a nous lai,ssel' imposer des chalnes, des en-
traves, a elrc condamnés, comme les Prussiens, a une telle
privation de la liberté. Le systeme amél'icain ne saurait nous
convenir davantage, et des milices ne nous suffiraient pas; iI
nous faul une al'mée réelle el permanente.


Le systeine de la commission esl eelui qui remplit le
mieux ces vues; il esl plus efticace et moins onéreux qlle
ccluÍ de l'amendemcnt. J'appuic done le systilme de la com- .
mission. (Marques d'adhésion.)


T. t 22




XXXVI


Di~cussion de la proposilion de 111. de BricquevilJe pour le
bannissement a perpétuité de la branche ainée des Bour-
bons.


-Chambre des députés.-Séance du 16 novembre 1831.-


Le 17 septembre 1831, 1\1. de Bricqueville, député de
la Manche, prít l'initiative d'une proposition pour le
bannissement a perpétuité, avec eertuines uggruvations
et pénalités légules, de la branche ainée des Buurbons.
La commission chargée de l'examen de ceUe proposi-
tion en pro posa l'adoption en en retranchant les péna-
lités légules, el en assimilant la famille de Nupoléon i:t la
branche ainée de la maison de Bourbon. Je pris la pa-
role, dans la discussion de eette proposition, en réponse
a M. Berryer qui en avait indirectement demandé le
reje!, et a l'appui des concIusions de la commission. La
proposition, amendée et aUénuée par la Chumbre des
pairs, fut convertie en loi le 10 avril1832.


M. GVlzoT.-Meesicurs, l'honorable M. BCJTycr, en 111011-




CHA:\IBRE DES DÉPUTÉS.-16 NOYEMBRE 1831. 3a9
tant a la tribune, vaus a promis qu'il ne rentrerait pas dan s
la discussion générale. POUI' mon eompte, je n'oserais faire
une telle pl'omesse. 1I y a ici une seule question, une ques-
tion de conrenance politiqlle, d'utilité politique, et l'amende-
ment de lU. Berryel' la reproduít tout entíel'e, allssi Ilien que
la proposition primitive, aussi bien que le projet de la com-
missíon. H est done impossihle de ne pas prenúrcfa question
lout entiere.


Si I'amendement' ne faisait que repousser des mC$ures de
proscription, je serais loin de venir le combatlre.


El moi aussi, messiellrs, je désappl'ouve comme inutilcs
el presque toujOUI'S comllle dangel'cnses les mesures de
pl'oscriplion.


J'adhere comrJétement a ce qni vous a élé si bien dil hier
a ce sujel par deux de nos honorables collegues, M. Pages et
M. de Marlignae.


On vous a parlé des préterrdants a la couronne el des
I;spérances des partis; ce ne sont pas la, messieurs, pour la
l'évolutíon de J uillat, des fails inattendus, des fails d'excep-
lÍon conlre lesqllcls elle soíl obligée de prendrc des mesures
de précautioll. Elle a prévu ces faits, elle les a conllUS a'a-
vanee. e'esl dans l'altenle des prélendants a la COUl'onne, dans
¡'altenta des espéran.ces que la liberté meme ferait naItre uu
sein des partís, que la révolution de Juillet s'est accomplie.
Elle a connu, an momenl 01I elle s'accomplissait, queIles
JeslÍnées lui étaienl réservées, el c'est par la légalité qu'elle
a promis de yaincre el les prélendants a la couronne et les
partis.


C'est cette promesse que la révolulion de Juillel est oLligée
de lenil'.


On vous a encore parlé lout a I'j¡enre d'exemplcs, el ron
\'ous:a cité celni de I'Angleterre; je n'en dirai qu'un mol;
c'est que l'ex.emple est [Qul choisi.


Les mesures d'exception el de proscl'iption n'ont pas
manqué, en efiet, a la révolulioll de 1688, et depnis le pre-
miel' jonr jU9qu"\ll de~niel'~ elles n'onl pas cm peché, pl ndant




:HO HlSTOTRE P .. \.RLEMENTATRE DE FRANCE,


soixante-dix, ans les complots, les insurrections, la guern>
civile; el le gouvernemenl des whig~, a eette épOqllC, a été
el est encore qualifié en Anglelerre de gouvernemenl lyran-
ni,¡ue, préeisément paree qu'il a multiplié sans succes loules
ces mesures.


L'exemple est done mal ehoisi, je le répete; il proUl'e le
contraire de ce qu'on voulait étahlir.


Messieurs, la force de la révolulion de Juillel es! toul
nutre; sa force consiste dans sa parfaite conformité ave e les
intérels el les sentiments généraux de la France. Elle n'a élé
faite an profit de personne; elle n'a été le triomphe d'aucun
projel, d'aucune faction, d'aucun intéret particulier; elle a
été le triomphe des vues el des inlérels généraux de la
France. (Tríos-bien, tres-bien!) Voili son caractcre. Aussi elle
peut compter sur la sympathie nationale; elle peut invo-
quel' au Ileso!n l'appni de toules les forces morales el ma-
té¡ielles de la France. Voilil 'pourquoi e~le n'a pas besoin de
mesures d'exception.


J'avone que, pour mon compte,je me suis souvent étonné,
je dirai meme volonliers artligé de voir un granrl nombre de
personnes, el me me de mes amis, s'inquiéter de la libertr.
qlli régnait alltOlll' de IlOllS, de la liberté des discours pro-
noncés dans les Chambres, de 'la liberté de la presse hors
des Chambres, de la liberté de nos ennemis, en un mot,
de la liberté de nos adversaircs, des adversaires de la révo-
llltion de .1 uillet.


e'est la nolre condilion ; cette liberté, e'est notre état ré'-
glllier, habiluel, I'état au milieu duquel nous sommcs de3ti-
nés 11. vhi'l!,


11 faut que nOlls nous aceoulumions a entendl'c dire ce qlli
nous déplait, ce qui nOlls offcnse, ce qui nous menace pellt-
(\tre. L'Empire a pu s'inquiétcr de voir ouyel'ts, dans París,
Ls salons d'lInc femme, il a pu s'en défendre par }'exil. La
Reslauration a pu s'inquiétel' d'un mot prononcé a l~
t:ihunc l'ar M. Manuel, et le faire chassel' de celte salle pour
8'('n défendre. Nous, nous sommes desl.inés a voir autoul' de




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 NOVEMBRE 1831. 341
nous des salons bien autrcment lJOstiles que ue poul'ait
I'Ctre celui de madame de Stae! pOllr l'Empire; nous
sommes destinés a entendre a la tribune des deux Chambrcs
des pal'Oles bien autrcmentdmes, pOUI' notre ré\'Olution, que
ne pouvait I'Ctre le mot répugnance prononcé par ~I.l\Ianuel.
:\fous n'avons pas besoin d'y répondre par des mesures
d'exception et de proseriplion. eette liberté esl notre eondi-
tion et notre force. (Tres-bien, tres-bien 1)


Toutefois, en repoussant ces mesures d'exception el de
proscl'iption, nOllS ne sommes pas ohligés de ne pasemployel'
les armes qui nous sont propres, et qui valent infilliment
miellx que ces mes'ures elles-memes.


Nous ne sornmes pas ohligés de ne pas recourir, toutes
les fois que l"occasion s'en présente, a eelle conformité de
notre révolulion ayee les sentiments et les intérCts nationaux,
a ce qui fait sa force.


Nous pouvons, nous devons, en toute occasion, manifeslcl'
hautement notre sympalhie el ceHe de la France pO\ll" la ré-
yolution de J uillet. Nous devons en appelcr, toules les fois
que nous en sentirons le hesoin, a ces intérels el a ces
sentimcnts généraux avec Icsquels elle est en pleine ~ympa­
thie.


De leur nature, ces iIltén~ts sont tranquilles el silencieux;
ils n'interviennent pas d'ellx-memes et 5pontanément par-
tout ou leur présence sel'ait nécessail'e; c'est a !lOUS a les
appelel" toutes les fois que notre l'évolution est menacée, a les
faire parle)', toutes les fois qu'il sera hon de faire entendre
leur yoix.


C'est 11 nous surtout a élerer la yoix des inléreis généraux
au-dessus descoteries et des factions, loutes les fois que la yoix
des cotel'ies et des faelions travaille a dominer la France. Je
¡Jis que nous sommes aujoul'd'hui daus une de ces si(ua-
lions.


Je dis que des eotel'ies, des factions s'agitcnt a!ltour Je
/lOUS, a I'abl'i de la liberté donl elles jouissent, dont elles
doi\elll jouir. Elles tramillent, elles se coalisent(c'est le mot




54'2 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAKCE.
propre) pour attaquel' la révolulion de Juillet et les inlérels
généraux dont eIJe est inséparable.


Je me sers du mot de coterie, du mol de faetion 11 dessein
el non pas du mol de parti. Le mot de parti est tr<lp élcvé,
trop noble, trop grand pour donner une idée de la guerre
qlli nons est faile en ce momcnt. Sans doute, il existe des
parti~, il en existe an milieu de nOllS; sans doute, il existe
des hommes, en grand nombre, qui éprouvenl des regrets
pour les différents régimes déchus; sans doute, il esl des
carlistes, des bonapartisles, des l'épuLlicains, qui revenl un
aulre ordre de choses. Ne croycz pas que lous cellx-lit pren-
nenl part a la guerre qu'on veut nous faire en ce moment.


Des hornmes de sen s et de bonne foi se rcfuseraient it une
misérable petitc Jutte, sans gravité, sans sériellx, dangwcusc
seulement pUl' le trouble qu'cllc apportc dans JL'S affaire,
tlu pays. Ce n'est pas ceux-Jit que j'attaque. Quelle que soil
la différence de leurs opinions et des notl'es, de lcm situalion
et de la notre, que leurs sentiments soient lihres, que leurs
conduite soit libre, qu'ils gardent et leurs regrcts el leu!'
mécomptes et leurs espérances. Je le répete, ce ne sont pas
eux qui nous attaquen t; ce son t les cotel'ies, les factions, les
hl'ouillons, les espl'its dél'églés, les méconlenlements person-
neIs; e'est une poli tique sans gravité, sans dignité, sans sen-
timent de patrie, une misérable rouerie sUl'année et subal-
terne, que toutes les époques ont YUC, el qui,a toutes les
époques, n'a fait que du mal et a ceux· qui sc la sonl per-
mise, el au pays Ol! elle s'est déployée.


On n0l15 parle de la fusion des partis; on nous di l que Iél.
concorde peul s' étalJlir entre eux; on nous demande de ne
pas inlerrompre celte harmonie naissante, ni ccUe réconci-
Jiation qui commence. Eh l messicllIs, nons n'aYOI1S jamais
fail antre chose depuis quinze moís qui ne tendit 11. amenCl'
ecHe réconciliatioIl des partis, la disparition des haincs qu'ils
se sont vouées, 11 établir entre eux une hal'monic d'opinions
et de sentiments. •


l\fais ce I1'.f~St pas ue cela qu'il s'ügit. La Chambrc sait que




CHAMBRE DES DEPUTÉS.-16 NQVEMBRE 1831. 34'3
je suis aeeoutumé a apporter a eette tribune l'expression
pleine et franche de ma pensée; ce n'est pas de eetle ré-
conciliation des partis, ce n'est pas de l'harmonie entre les
sentiments et les opinioIls de tous ces partjs qu'il est ques-
tion; ce n'est qu'une mísérable guerí'e déclarée a la révolution
de J uillet par des eoterjes, des factions impuissantes eontrc
elle, mais qui peUl'ent nuire au re pos, a la prospérité publi-
que; e'est la ce que j'altaque. (Aux voix. Tres-bien, trcs-
~ifn!)


A de telles altaques, messieurs, n(ms n'avons qu'une force
a opposer, nous ne deyons en opposel' qu'une, un hon gou-
vernement, el la puissance, la voix de ces intérets généraux
dont vous eles l'ol'gane. Eh bien, messieurs .. le projet de loi
que vous a présenté la commission n'est pas autre ehose que
la proclamation de ces intércts gén~raux, une répétition de
ce qn'a fait la révolutiou de Juillel, la pure el simple ré-
volution de J uillet.


Qlle contient ce pl'ojet '? une dédaralion l~gale du divorce
prononcé par la révolulion de Juillel entre la France el lel"
dynastics ¡¡ni l'avaient régie pendant trente aus : d'une part,
la branche ainéc des llourbons; de l'autre, la dynastie de
Napoléon, telle esi la prcmicre partie.


La seconde esl le rappel au d roi 1 c.ommun pour tout ce
qlli ne con cerne pas l'exc\usion de ces dcux dynasties, en
matiere crirninelle, et mcme en maliere civile, quant aux
Licns, autant que cela se peut; M. le présidcnl du conseil
,"ous a demandé ayec une grande raison, de rentrer dans le
droil cornmun, aussi pleinement que possible.


Voila done le projet de la commission : cxclusion pure et
simple des deux dynastics qui avaienl gouverné la France, el
poude reste le droil commun; je dis que ce projct esl con-
forme aux intérCts de la France, el qu'il esl du devoir de la
Chamhre de I'adopter.


Je dirai peu de cllOses du divorce de la Frunce avec la
dynastie de l\;apoléon, ce divorce est consommé depuis long-
tcmps¡ ill'a été par le raíl me me du chef de eelte dynastic.




344 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
;\Iapoléon s'cst pcrdu lui-meme, chacun le silit; el apres lui
il ne reslait plus rien, absolument rien. (Murmnres au:c
f :ctrémités . )


Quant a la bl'anche ainée de la maison de BOUl'bon, je
m'exprimerai avec la meme franchise; la Franee, j'en suis
conmincu, n'a den a se reprocher envers elle.


Quand eelle famille l'eparut en Franee, son apparition
remplit, je ne veux pas Jire d'anxiété, mais de Joute, un
grand nombre de bons ciloyens, d'esprits éclairés. 00 se
demanda si l'établissement de la Restauralion serait pos-
sible.


C'était un probleme, un probleme poli tique a résowlre; la
France n'y a pas mis d'ohstacle; la Franee s'esl soigoeuse-
ment séparée des factions qui ont lravaillé a c]¡asscl' violem-
menl la hranche alnée de la maison des Bombons.


Rappelez-vous, je vous le demande, le lallgage (le ces fac-
tions, ee qu'dles disaient lous les joms.


On disait qu'apres le dépal't des étmngers, qui a'"aient
ramené la maison de Bourbon en Frallce, elle tombcrait
infailliblement. Les élrangcrs sont partis, la maison de
Bourbon n'est pas lombée.


On disait qu'elle tombE:J'ait a la premiere guene qu'elle
voudrait faire, qu'elle était hors d'état de ~uppol'ter la pl'é-
sence d'une al'mée nalionale. Elle a fait la gUCl'l'':l (rnllrmurcs
d'improbation aux extrémités); elle I'a faite tranquillement et
avec succes; elle n'est point tomhée devant la premierc
guerreo


Voix á gauche. - C'était une guerre impie.
11. GlJIZOT. - Je n'ai point a qualifier cctte guel'rc : pcr-


sonne ici n'en pense plus de mal que moi. Il n'en est pas
moins "raí (Iue la maison de Bourbon a fait la guene, el
qu'ellc Fa faite libl'emenl et tranquillement.


On disait encore que la maison de Boul'hon ne surl'ivrait
pas a la mort de Louis XVIII; que cclui-la seul était sagr,
prudent, et que son succcsseur ne régnerait pas hui! joUls.


Eh bien! le regne de Chades X a duré six années. San s




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 NOVF;MBRE 1831. 315
Joute, des conspirations, des insmrections ont eu lie\J contre
lui comme contre son frere; la France ne s'y esl pojnt as-
sociéc.


La France a laissé passer les conspirations elles insurrec-
tions; elle a voulu sayoir si ceux qui lui avaient donné la
Charte I'avaient acceptée eux-mcmes el pour leur propre
compte. Ce sont les ordonnances de juillet qui luí ont appris
qu'ils ne l'lvaient pas acceptée.


Alors, la France entiere s'est.Ievée, la France, quí n'avail
pris jusque-la aucune part aux insurrections, la France, quí
s'était séparée des ennemis de la branche ainée des Bour-
bons, la France s' est déc\arée alol's, et la branche ainée des
BomLons esl lomLée dans la pl'emiere Lataille que la France
ait liuée conlre elle. (T¡'iJs-bien, tres-bien!)


La révolulion de Juillet n'appartient a aueune des eonspi-
rations et des insurreclions qui ont lutté contre la maison
des Bombons; des conspirateurs y ont pris part sans doute, et
une part sincere el glorieuse; mais c'est la France tout en-
tiere qui l'a faile, el c'est a elle seule que ,son avenir appar-
tienl.


Aussi, jI' l'ayoue, jo m'étonne d'entcndl'e si souvent des
hommes prétendant s'apPl'oprier eette rél'olution, el j'ai été
étonllé bien d'avantageencore, permettez,moi de ledire, d'en--
tendre dire qu'un honorable memLl'e de celte Cllambre avait,
pendant vingt-qualre heures, lenu a sa disposition la cou-
ronne de France. Esl-ce a dire qu'il eut pu la donner a qui


aurait voulu, qu'il eIlL pu donner a la France le gouverne-
menl qu'il aur::tÜ voulu? J'estime trop la persoIlne dont il
s'agit pour croÍre qu'elle eut été capable, meme en pensée,
J'une telle faluité envers son pays. (Marques d'adhésion att
centre ••. Légers murmures a gauche.) Non, les pays libres
n'appal'tienncnl a personne; ils décident seuls eL eux-mcmcs
de leur deslinée. On vient, apres quinze mois, agiter je ne
sais combien de questions, di re qu'on aurait pu choisir entre
tleux, troi~, quatre el cinq partís; on vient nous proposer je
ne sais combien de plans de gouvernement.; il me sem-




3J6 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAKCE.
ble qu'en juillet 1830, la liberté n'a manqué a personne, que
chacun pouvait] s'il lui convenait, produire son plan de
gouvernement, amener son candidat au concours. Eh bien,
je vous le demande, esl-il vrai qu'a ee moment-lit il ait élé
sérieusement queslion de Henri V, dc Napolébn 11, de la
Répuhlique?


:Mon Dieu, on pcut s'en yanter aujourd'hui; on peu!
diee aujourd'hui : « Nous aut'Íons fait ee que nous aurions
,·oulu;») messieurs, on n'a pas fait, on n'a pas proposé, on
n'a pas "oulu; on a senti l'empire de la raison publique; on
a été raisonnahle en juillet, bien plus qu'on ne I'a élé depuis;
on s'est soumis a la néeessité, a la solulion qui était appelée
de lous eOtés, 11 la seu le naturelle, seule bonne, senle natio-
nalc; cl il y a aujourd'hui, }Jcrmcttez-moi de le dire, unc
sortc de fanfaronnade a venir se van ter de ce dont on n'au-
rait pas osé parler séricusement apres les trois jomnécs de
juilIet. (Marques d' adhésion au centre.)


Messieurs, e'esl une présomption étrange de eroire qu'on
tlirige de tels événements; la Providence en rait plus des
trois quarts. Les hommes, suns doute, y mellent la main; i!s
y font entrer un peu de leurs intentions, un peu de leur "0-
lonté, mais l)ien peu; ils ne les dirigen! pus : c~s événements
80nl dirigés par des causes générale8; il n'est au pouvoir de
personne, ni de les faire, ni de les changer, et e'est les ra¡le-
tisser que de venir dire qu'on aurait pu les faire plier 11
l'arhill'.tire de telle ou teIle yolonté; e'csl leu!' oler leul' gran-
deur, lenr nalionalilé; e'est parler le langage des eongres de
Yérone et de Vienne, et ce langage est indigne de la révolu-
tion de J uilIet. eeUe l'évolution est un é\'énement qui a
édalé, que personne n'a fait, qu'il n'a élé au pouvoir de per-
s::mne de chunger, qui était écrit liJ.-haut, qui n'a pas pu ne
pas s'accomplir .


.M. SANSo - C'est mns doute le droit divin . qui l'a fait.
(Mouvement aux extrémUés.)


M. GurzOT. - Eh bien, messieurs, le pl'ojel de votre COill- .
mission ne fait autre ehose que reC0I111uitl'e ce fait, le




CHAlIInRE DES DÉPUTÉS,-16 NOVElIIBRE 1831. 347
reconnaitre de nouveau, lui donner une nouvelle sanctiün
légale, le eonvertil' en droít éerit,


eclte sanction est-elle absolument nécessaire? Non, grace
¡I Dieu ; mais elle peut etre utilc 8elon les eireonstanccs ; elle
lleut avoir un but,


Jc n'cn vcux d'autre preuve que l'argumcn,tation employéc
hi~r, dans la séance, par un orateur dont la Chamll),c honore
le caractel'c el appréeie le talent, 1\1. de Martignae; il vous a
demandé de que! droit vous inscriviez dans une loi l'exclu-
sion a perpétui té de ecHe ramille et de ses dcseendants; il a
fait pasEer dcvan! vous toutes les révolutions qui se sont ac-
complies dcpuis' qllarante ans, tant de trones brisés et relevé~,
tilnt de dynasties ehassées et rappelées, toutes les vir:issiludes
des choses humaines, el il vous a demandé eomment vous
osiez parler de perpétuité.


l\1essieurs, iI y a eu des révolutions qui sont t(lmbées, qui
onl été passageres, paree qu'elles n'élaient ni 1égilimes, ni
honnes, ni raison~ables, ni 'nationales. 11 y en a en au eon-
tmire, en pelit nomllre, j'en conviens, et l'arement, mais en-
fin il yen a eu qui ont duré paree qu'elles étaient légitimes,
nécessail'es, nationales. Ce n'est pas la premicre fois dans le
monde que des dynasties onl élé ehangées, que des dynas-
ties nouvelles se sont étaLlies, qu'il s'esl aecompli des révo-
lutions hem'euses, perpétue!lcs. On nous traite en vérité
com me des enfanls quand on vient nous jeter a la tete les ré-
yolutions qui sont tombées, qui n'ont pas réussi, pOU!'
!lOUS persuader qu'il esl impossible que la nOtre 'réussisse.
~ous aussi nous a\'ons nos exemplcs et nos gloires 11 citer.
~ons connaissons ues rél'Olutions heureuses, durables. Eh
bien! no(re prétenlion est que la notre est de eelles-lit,
qu'elle a droit a la perpéluité, paree qu'elle est née dans la
nationa1ité, qu'elle élait nécessaire, Iégitime, et, a cause de
celil, nous sommes convaincus qu'elle durera. Nous lui disons
ce que les premiers peres de l'Église clu;étienne disaient a
l'Éalise qll'ils élablis5aient : Esto perpetua. 11 est de bon


o ,
excmplc que nous insel'ivions eetle p!Jrase dans nos 1015,




348 HISTOIRE P4\.RLE.MENTAIRE DE FRANCE.
qu'elle y soil la preuve de notre conviction et de notre con
fiance dan s la Lonlé de notre cause. CeUe confiance a eu lieu
pour de mauvaises causes, el a quelquefois trompé les hom-
mes; mais esl-on en droit de dire que notre cause n'esl pas
honne parce qu'il y en a en de mauvaisrs? C'e!>t une véri-
taLle dérjsion qu'un tel a!'gument : nous ne ponvons I'ac-
repte!', el nous devons inscrire dans nos lois la perpétuité
ue la révolution de Juillet. (Tt'es-bien, tres-bien! aux cen-
tres.)


Tout se réduit donc a ceci. L'amendemellt de I'honorable
}I. Berryel' tient les faits pour des fails, les fails accomplis
pour des fajls accomplis; jI ne veut poinl reconnaitre ue
uroit, ji ne ,eut pas proclamer qu'il y a eu droit dan s notre
révolution; il ne yeut excluJ'e _ ni une dynastie ni une
autre.


C'est 8ans doute paree qu'enfin il n'est pas malérielle-
ment impossiLle qu'une de ces dynasties puisse revenir. Mais
nous qui avons moralement la, confiance contraire, nou~
qui ne nous contentons pas du fait, nous qui n'aurions ja-
mais pris part, je le dis pon\' mon compte, a une l'évolutioll
si nous n'y avión s vu qu'un acle de violence, un coup de dés
de la forlune, nous qui al'ons en besoin d'y voir un droit, un
droÜ national, de la croire légitimc, nous ne manquel'ofls
pas de le répéter toutes les fois que I'occasion s'en [lréscn-
tera, el d'opposer a tous les factieux: la légitimité de riotre
rél'olution.


Nous le·répéterons san, cesse, nous ne nOUE lasseroIls pas
,le le répéter; nous savons qu'il y a parmi nous, surtout apres
tant de révolulions el de vicissiludes, des faibles tl'e!iprit 5111'
!es(}uels la suhlílité da I'aisonnement, I'éclat du Jangage el
la coalilion d'hoffimes jusque-Ia ennemis pement agir puís-
samment; nous savons qu'on peullcs tromper, les égarcJ' de
la sorteo Eh bien, nous, représentants des intérets nationaux,
nous, chargés de parler an nom du peuple, 1I0US dcrons
opposer la déclaralion du pays a ces subtilités par lcsquclles
un es:,aye d'égarcr les honnetes gens.




CHA:lIBlm DES Dl~PUTÉS.-16 NOVDIBRE 1831. 349
Oui, mcssieurs, les honneles gens; car cette cause, la


cause de volre l'l\VOlllliotl, la cause du projet de yolre co"m-
11Jíssion est eclle des lwnnetes gens, opposée il eelle des [ilC-
tieux, des hrouillons, el aux déréglements d'esplit et d'ima-
gination. (MoulJement marqué d'apln"obation au centre.)


e'esl parce qll'on enlraine beaucoup de gens dans tle [u-
nestes eneurs que je vous demande d'écarter du pl'ojet lout
ce (lui ressemblerait U des mesures d'exceplion, a des appa-
rences de prosCl'iplion et de sang, soit dans rordre civil, soit
dan s rordre crimine!.


le vous demande de ne pas fournil' de prétexle u ces accu-
~ations qui retentissent aulour de nous contre notre l'él'o-
llition; elles sont un mensonge. On a beau crier tres-haut,
on ne pel'suadera a personne que la révolution de Juilld ait
élé violenle, pCJ'séculrice, t}ll'elJe.ait délrllilles libel'lés, soit
de ses adl'el'sail'es, soit des autres citoycns: cela n'est pas,
cela choque le bon sens, le fait esl évident pour tous. II
est évident que depuis quinze mois, le gouvernement et
les Chamhres combaltcnt pour la liberté, dan s lOinlél'et dc
tons; mais il ne faut pas fournir de prétexte u ces mensonges
par lesqllcls on essaye de tromper, II esl de notre plus grand
jntél'et d'écarter de la loi et de notre conduite la moindre
apparence d'exception ~l de proscription. II faut que nons
combaltions les prétendanls a la couronne, les faclions et les
mensongcs des faclieux, pal' la liberté des discus~ions, par
la publicité, par le bon gon vcrnemenl, par la réforme meme
de nos lois; an lieLl d'aggl'a,'er la législation, il fau! travailler
a l'adoueir, a la meltre en harmonie avec nos mceurs; ce
sont des réponses plus effieaees que celles que vous cher-
cheriez dans des lois d'exceplion.


l\Icssieurs, je le demande a vous-memes: jI eol évidenl
que la situation générale s'améliore, que l'état du pays se
calme, que la prosp~l'jlé du p:J.ys commence a se relever.
A quoi le devolls-nous? A la persévérance avec laquelle le
gouyerncment a marché dans la \oie premiére de la révoln-
tion de Jnillet, a la pcrsé\'érancc avec laquelle il ;¡ reroussé




350 HISTOIRE PARLElIfENTAIRE DE FRANCE.
Lons les efforts qn'on a faits pour ¡'en détourner, a la pcr-
sérérance avee laquelle celte Chambre, en particulier, s'esl
associée an gouvernement et a soutenu ses effol'ls.


Voila, messieurs, ce qui commence a calmer le pays. Voilil
ce qui donne, a ces facLÍons et a. ces coleries dont je parlais
tout a I'heure, la libe! té de déplayer tous les mayens, d'user
de toutes les armes, que nolre constitution lui don ne.


Mais le gouvernement et vous, vous continuerez 11 persé-
vérer dans celte voie, et je ne vois pas, dans tout ce dünt on
vous menace, un dangcr dont nous ne puissions tt·iompher.
(Marques pl'olongées d'adhésion au centre.)




XXXVII


Discussion des interpellll.tions adressées au ministere, lo 19 dé-
cembre 1831, 11 l'occasion de l'insurrection survenue 11 Lyon
Jans le mois de novembre précédent.


-Cbambre des députés.-Séonce du 21 décembre 1831.-


Le 21 novembre 1831, les réclamations des ouvricri5
en soie sur le prix des journées de travail de,'inrent a
Lyon 1'oeeasion d'abord de désordres graves, puis d'une
insurredion qui s'empara de la ville, en chassa ou eH
<1omina les autorités militaires et civile::l, et en demeura
maitresse jusqu'aux premiers jours de décembre, 011 le
maréchaI Soult et le due d'OrIéans entrerent dan s
LJ'on avec des troupes suffisantes pour y rétablir el y
maintenir 1'ordre légal. Le 25 novembre, M. Casimir
Périer tit aux deux Chambrcs, sur ces événcments
encore flagrants, une communication a laquelle les
Chambres répondirent par des adresses d'adhésion
votées 11 d'immenses majorités. Le 17 décembre sui-
vant, 1\1. Casimir Périer et M. le comte d' Argout tirent,
l'un a la Chambre des députés, ¡'autre a la Chambra




il52 HlSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
des pairs, une nouyelle communication Ol! les é,-éne-
ments de Lyon étaient exposés dans lem ensemble,
examinés dal15 leurs causes et appréciés dans leur rap-
port ayec la politique générale du gouvernement.


Cet exposé donna líeu a des demandes cl'explications
el i.t un débat tres-animé qui porta a la fois sur l'insur-
reetion de Lyon el sur la politique générale dll cabine!,
se prolongea pendant quatre séances, et flnit par un
ordre du jour voté, a une immense majorité, en faveur
dn cabinet. Je pris la parole i.t la fin de la troisieme
séance, en réponse a l\1i\1. Odilon Barrot, de Traey et
Mauguin. Quclques-unes de mes paroles, mal com-
prises, ayant donné lieu, dans la séance du 22 décem-
hre, a une réclarnation dn maréchal Loban qui s'était
cru aUeiot pLlr ce que j'avais dit de la commission mll-
nicipale de juillet 1830, je m'emprcssai d'en donner
une explication que le maréchal et la Chambre trou-
verent pleioement satisfaisante.


M. GrrzoI. - JI.' ne retiendrai par la Chambre sur les
alraires de Lyon ... Je les regarde mainlen.1nt eommc j ugées
(légers murmures) ; e'esl mon avis. 11 est évídeut que le mi-
nistt)l'c s"esl conduit dans eelte occasion al'ce toute la pl'U-
dence que des hommes de gouvernement doivent apportel'
c1ans des cas aussi graves.


le ne descendrai pas Hon plus uans le cloaque ou l'on a
\'0ulu faire entrer la ChamhJ'c.


11 y a des qucstions qlli doivent etre porlées devanllajuslice
qui punit ou démcnlla presscj la Chamhre n'a rien a y voil',
elles sont hontcuscs a traiter iei. (Marques nombreuses d'aó-
spntimrnt.) Jc dirai ~n seul mol sur celle affairej e'est que




CHAMflRE DES DÉPUTÉS.-21 DECEJlIflRE 1831. 353
ron s'est prévalu de l'arret de la COllr d'assises eomme d'une
démonstration des faits allégués. L'honorable oralem qui a .
plaidé la cause des prévenus devant la Cour d'assises sait
mieux que personne qu'un pan'i1 argument ne peul etre al-
légué; en maliere de ditfamation ou de calomnie, on plaide
l'intenlioll el la honne foi. L'honol'ahle M. Odiloll Barrol
a plaidé devanl la Cour d'ussises la bonne fui des deux jour-
naux. 11 a plaidé qu'il y avait eu, qu'il pouvait y avoil' eu,
pOUl' les rédacteurs des deux journaux, assez de motifs de
el'oire les faits pour les puhlier; voilil. le sens de l'arret ; il
n'cn a pus d'autre; il n'emporte aucune démonstration, au-
cune assertion des faits, il déclare simplement 'que les jurés
n'ont pas trouvé les prél"cnus eoupaLles d'avoil' publié de
telles assel'tiolls. Qu'on n'imoque dOlle pas rarre! e')mrne
rccollnuissant la yérité des fails; )1. Odilon Barrol lui-
meme a plaidé le contraire, (Trés-úien !)


Plusieurs voix. - Mais les débats '!
. 1\1. GnzoT. Mais la question de Lyon et la quesliun tles


embrigadcments d'ouvriers n'ont pas été les seu les qui aien!
été souleH~es il. eeLte tl'ibune : M. Mauguin, avant hier, en
at.taqllant sur ce point la conduite du milli,tere, les a ralla-
chées a m politique lonl enliere. C'est il. eeUe politique qu'il
a imputé les malheurs parlieuliers de ces deux afIairl's,
non-seulement a la poli tique du ministel'e aetuel, mai, il.
eeHe du gouvernement ton! elltier depuis la révolutioll de
Juillet. .


1\1. Mauguin a posé la vraie, la grande question, et e'es!
la question qu'il importe it la Chambre et au pays d'édai-
cir, cal' nous avons Leau la traiter souvent, on y reviellt
sans eesse. Pourquoi? paree que e'esl, en effel, la question
importante, décisive pour le pays. Achaque occasion, a
chaque événcrnenl, on examine la question de sayoir si la
polilique générale csl houlle, si IlOUS sornmes dans la honne
011 la mauvaise voie. 11 n'y a pas moyen de dire que ce
n'est pas la la qucstion, paree que e'esl eelle-Ia gui domine
tOutC5 les aulres, el M. Mauguill a en raison de la po,er;


T. l. 23




354 HISTOlRE PARLEl\1ENTAlRE bE FRAKCE.


e'est pour cela que je demande A la traiter a mon tour.
l\fessieul's, ee n'est pas pour la premiere fois qu'avant hier


nous avons été accusés, mes amis el moi, de méconnaltre le
sens, la grandeur el la portée de la révolution de Juillet, de
n'y voir qu'un simple événement, une question denoms pro-
pres; on a meme l'épété les mots de restauration continuée,
de quasi-révolution ...


Aux extrémités. - Oui, e'esl \Tai!
D'aut1'es voix. - Dites quasi-restauralion, cal' vous avez


déjll dit quasi-Iégitimité.
M. GUIZOT. - Le sysleme du gouvernement, a dit M. Mau-


guin, a été emprcint dans les premiers aeles du premier mi-
nistim', des son arrivée aux affaires, el e'es! de la qu'ont dé-
coulé tuus no,; maux. (Aux extrémités. e'est tres-vrai.) C'es!
iJ. cela que jI' vais répondre.
~Iessicllrs, ce n'est pas des p_remiers acles du premier


ministere que M. l\lauguin a fail dater sonopposilion
constante; il la fait remonte¡' jusqu'a cette époque pour la
justifier; il aurait pu, il aurait dd la faire remonter plus
haut. Je réclame eontl'e la date qu'illui a assignée comme
trop tardive,


Ce n'est pas des premiet,~ acles du premier ministere,
e'es! de, premiers jours, des premicres heures de nolre ré-
yolution, que date le dissentiment.


Au momenl meme ou le mouvement nalional commcn-
~o.it iJ. se faire sen tir, ii fut eonsidéré de deux manieres hien
ditIérentes: les uns pensaicn! qu'il fallait sur-Ie-champ pro-
elamer une l'évolulioJl complete, éclatanle, menac;anle; ¡es
mots de pouvoil' consli luan!, de déchéance, de gouvcrlle··
ment p'l'ovisoire furen! a ¡'instant pl'Ononcés. D'au!rf'S pen-
saient que la l'évolutioll qui se préparait devait. se faire au
cOlltrairc natul'ellemenl, prog¡'essivement, en se conduisant,
a c!taque heme, selon que l'indiquaient les eireonstances. ,
de telle sorte qu'eIle parUt évidemment. cornmandée par la
raison et par la nécessilé.


Ce sont lit les deux systemes qui se sont trou\'és en pré-




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-21 DÉCEMBRE 1831. 355
scnce des les preruieres heures dé la révolution de Juillet,
qui ont été empreints dans notre conduite, et, pOut' per-
sonnific¡' sur-le-champ, dans la conduite de M. Mauguin
et dans la notl'c.


Des les premiers ruomenls, 11 peine la commission mu_
nieipale provisoire éta¡t-elle élablie a I'Hotel-de-Ville, que
voulait-elle proclamer? .La déchéance de la branche ainée
des Bourbons. Que voulait-elle {aire? Nommer des ministres.
J'ai eu meme l'honneur d'ctre nommé par cette commissíon
mini~tre de l'instl'uction publique.


QueJques ,/!oix a l'exti"eme di"oite. - Elle a eu bien tort.
(Jlut'nltwes au centi"e! Écoutez, écoutez!)


M. Gl'IZOT. - Les autres personnes, ceHes quí partageaien t
mes opinions, commencercnt par pl'otester contre les ordon-
nances illéga[es de Charles X et par décla¡'er leur refus d'o-
Mil'. Un joU!' apres, elles approuvaient la résistance a main
armée, et venaient se placer dans ses mngs, sous sa garde.
Deux jours apres, elles disaienl, du moins dans leurs réu-
nions, qu'il n'y avait pas lieu a traiter avec Henri V, que
eelte combinaison devait etre repoussée.


Dans une réunion de pairs el de députés, forméc pOUl' dé-
libél'er sur les atfaires du momenl, j'ai soutenu eette opi-
nion contre M. de Chateaubriand, qui réclamait pour
Benri V.


Une voix. - C'était M. Uyde de Neuville.
1\1. GmzoT. - Pcu de jours apl'es, ces memes personnes,


marchant avec l'événement, toujours appliquées a se su-
hordonner a la nécessité évidente, ces mcmes personnes nomo
maient un licutenant général du royaume, provisoirement,
toujours en vertu de la nécessité. Trois jours apres, les
chambl'cs légalemcnt réunies, les pouvoirs léganx constitu-
tionnels sanctionnaient cette décision de la nécessité, et no m-
maient légalement le licutenant général du royaume, en
attendant la royauté nouvelle.


Voila, messieurs, les dellX syslemcs qui ont apparu des
les prcmieres heures de la révolution de Juillet. Le premier




:356 HISTOlRE PARLEMEXTAIRE DE FHA:-''CE,
ne la ¡¡renait, pour appeler les cho"es par Icm 110m, que par
son coté rél'oJulionllail'e; il ne tenait aucun comple du pas56,
des institutions exislanles, des pouvoirs en vigueUl'; il en
appelait aux passions et a la puissance uu moment ; c'élail
un peuple esclaye qui brisait sa chaine el qui n'avait d'aulrC'
hcsoin que de déployer sa voJonté el sa force. Dans l'aufrC'
5y~l~me, on prenait la rél'olution par son cOté constilu-
tíonnel; on respectaiL le passé, les inslitutions élablies, les
pouvoírs en vigueul'; on s'auressaít a eux, on complait sur
eux, La Franee, dans ce systeme, élait un peuple libre qui
défendait ses droits et faisait ses affail'es sagement el pru-
delllment, au mílieu de la mitraille et des eoups de fusil.


Yoila la véritable origine du dissentiment; il esl grand, í1
est pl'ofund, il est incurable; et la preme, e'es! que ehacun
de nous a subi sa destinéc, fideles, les uns au systemc que
j'appelle l'évolutionnail'e, les autres au systcme conslilu-
tionnel. (Interruptions diverses.) Vous pourrez me répondre;
rnessieurs, voila le rail vérilable. Eh bien! par cela seul que
ce dissentimenl a exis!é, que les deux eonduites ont é!é si
prufondémenl différenles, s'cnsuit-il que la notre ai! été
antinationale, qu'elle ne fasse pas honneur a notre révolu-
tion, qu'eile u'en eomprenne pas la valeur et la portée?


Cerles, messieurs, ce n'est pas la une conséquence néces-
~aire. C'est bien (luelque chose J'abord, permettez-moí de
le di re, que le succe~, Quel cst le systcme quí a préralu, au
momenL nH~me, pendant l'entrainement des passions, lorsque
toutes les ehances semhlaient favoralJles a l'autre syslcme?
Ce:;l le nutre, le syslcme légal, eonslitutionnel. On nous le
reproche assez aujourd'hui ; e'esl a ce fait qu'on impute tous
les maux qui sont SUl'venus.


Notre systeme a pl'él'alu au milieu de l'entrainement des
passions, par la seule force de la raisan, de la néeessité, de
ecUe selge,se publique qui rcmplissait l'atmosphCre apres
la gloil'e de l'événement, qlli a imposé silence aux opinions
le3 plus intr'aitahles, qui a ramené les volontés les moins
ft\Vorahles; qlli lem a fait adopte!' eette conduite au moment




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-21 DÉCEMBRE ]831. :lGi
meme et rcmettre leurs dissentiments a un autrc tem ps.


le dis que ce seu! fait prouve enJaveur du systcme auqud
je me fais g!oil'e d'appartenil'. J'en donnel'ais bien encore
'luelques autres raisons.


JI était le moins périlleux; je ne dís ¡¡as pOUl' les hommes
, qui se melaient de la révolution; il esl hien clair que, si elle


n'avail pas réussi, Charles X n'aurait fait aucune distinc.tion
entre nous, et qu'il ~e serait peu oecupé des voies di verses
que chaeun avait voulu suivre. (Voix a dl·oile. 11 en feraít
maintenant!) Nou~ étions tous enveloppés dans les mernes
destinées, el je ne craindrais pas d'en appeler a ceux de mes
honorables collegues 'lui son! aujoul'd'hui dan s les rangs de
l'opposition; je ne cl'aindrais pas de 'leur demander si au-
eun de nous, 'lueHe que soit la difIél'cuce de nos opinion~,
n'a pas montré la meme franchise de CCCUl' dans la rél'Olu-
tíon de Juillet, si tous ne s'y sont llas précipilés a\'ec le meme
comage.


Ce n'est done pas pour nous, c'est pour le pays que nolre
systcme était le moins périlleux; il ne hlessait pas anlant
d'intérCts, il ne semait pas les germes d'une division aussi
profonde, il n'inquiétait pas' si gravement au dehol·s.


De plus, rappeiez-vous les faits, ce systeme avait l'assen-
, timent de la France entiere.


Que disait la France, je vous le demande, quand elle pl'é-
\'oyait une résolution possible, quand elle pressentait le ren-
versemcllt de la maison de Bourhon?


Elle disait qu'il semit hien désirahle que cette l'é\'olutiun
se fit tl'anquillement, régulierement, qu'elle fUt faile par les
pOl}-l'oirs établis, qu'elle dUl'1il quinze jours uu plus, qu'au
hout de quinze jours tout ftit rentré dans I'ordre.


C'était la le senlill1ent unanime, c'élait le mm expl'imé
dans les cOllversalions les plus intimes. Eh bien, nous ayions
devant nous ce YCCU de'la France entiere; nous a\'ons élé
Jideles a ce sentimenlj e'est eeUe comietion qui a dicté
nolle conduite au moment décisif. '


Je dil'ai plus: il yavait aans cette politique infinimeut




358 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
plus de prudence que dans I'autre, un plus juste sentiment
des effeLs de la révolution et de l'état dans lequel elle allait
placer le pays.


Que faisons-nolls, je vous le demande, depuis quinze
mois'? (Voix au centre. Hélas! oui, que faisons-nous?) Mes- .
sieurs, nous rherchons péniblement a retrouver les príncipes
du gouvemement, les bases les plus simples du pouvoir.


CeHe révoluLion si légitime, si indispensable, si réguliere.
si p¡'ompte, elle est si grave qu'elle a ébranlé tous les
f0l1demenLs de l'éditiee poliLique, el que nous avons grand'
peine a le rasseoir. C'est la la mesure de la grandeur el de
la puissance de ceUe révolulion; e'est la le fait que nous
avons prévu au moment OU elle s'accomplissait.


e'est dans le pressentiment de cet avenir que nous J'egar-
dions comme indispensable pour le pays de retenir lous les
éléments de gouvernement, tous les principes d'ordre quí
étaient déja entrés dans la société, de nous ratlacher aux
pouvoirs existants, aux institutions en vígueur.


La France a été appelée, une fois déja, 11 se donner elle-
rn~me son gouvernement. C'était pour sortir de nos trou-
ble~; c'était a l'époque du Directoire; la France a échoué.


Depuis quarante ans, l'Empire et la Restauration se sont
succédé; mais la France ne s'est pas donné ces gouverne-
ments; elle les a regus : le premier, du génic d'un homme;
le 8econd, de la force des événemen ts.


La révolntion de Juillet a été appelée It faire elle-meme
son gouyernement, appelée, permettez-múi I'expression, a
I'organist'l' de pied en cap, depuis la couronne jusllll'illa com-
mune; c'était la une ffillvre írnmensément difllcilc et a la-
qnelle on ne pouvait trop songer ni prenure lrop de précau-
tiom. C'e~t ce quí a déterminé notre :conuuite, ce qni en a
fait, je n'hésile pas a le dire, le systeme vraiment national,
le seul quí convlnt aux besoins du pays. .


Vous ne pouvez le méconnaltre: ce quí nous tourmente,
c'est la difficulté de refairc notre gouvernement, de re con-
struire le pouvoir; toutes les questions politiques sont soule-




CHAMBRE DES DÉPCTÉS.-21 DÉCEMBRE 1831. 359
vées, et nous sommes chaque jour plus embarrassés pour
leuI' solution.


Il est SUI'venu une bien autre question: la révolution
de JniIlet n'avait soulevé que des questions politiques, des
questions degouvernement; par ces questions, la société
n'était nuIlement menacée. Qu'est-il arrivé depuis? des ques-
tions sociales se sont élevées. 11 y a eu lulte entre certaines
classes. Les troubles de Lyon nous )'ontrévélé. 1I y a aujour-
d'hui des attaques contre les classes moyennes, contre la pro-
priété, contre les institutions de famille. Des questions .so-
ciales, des dissensions sociales sont venues se joindre aux


'qucstions politiques, et nous sommes alljourd'hui en pré-
senee de ectte double difficulté, d'un gouvcrnement a
conslruire et d'une soeiété a défenJl'e.


On vieut nous par/el' de peur; on vient nous dire que
nOlls défendons le systeme de la peur, que nous nous elfrayons
de dangers imaginaires! La peur ... ; mais permettl>z-moi de
vous le demander, ce n'est pas de notre peu!' a nous qu'il
s'agil; qui est-ce qui a peur aujourd'hui? Qui S'imllliele, qui
s'alarme? e'est la France apparemment.


Je nc suppose pas qu'on veuille la traiter comme un
"ieillard imbécile qu'il dépend de tout le monue u'elfrarer.
Vous prétendez que naus effrayons la France; mais la partie
est égale entre nous : la presse, la tribune sont ouvertes a
ceux qui veulent la rasslIrer comme a eeux qui veulent l'in-
quiéter'; pourquoi done ne la rassurcz-vous pas? Pourquoi
s'alarme-t-elle sur son avenir, sur son rrpos? Pourquoi?
paree <¡u'elle a peur d'un systeme qu'elle regarde, je 1Ie
yeux pas me servir ue qualificatiolls dures, qu'eIlc n>garde
comme l'héritiel', comme le repré~elltant, comme le débris
du systeme révolutionnaire sous lequel elle a gémi si IOllg-
ternps. La l"rance a pellr de tout ce qni lui rappelle les
maux qu'elle a soulferls, de ce qui ressemble aux principes,
aux habitudes, au langage révolutionnaire. ecHe peur ... , elle
n'est pas nou\'elle, elle n'est pas u'hier : il ya trente-cinc¡
um que ce sentiment domine la nation. e'est la peur qui a




:360 lIISTOlRE PAHLElIlENTAIRE DE FRANCE.
jeté la Franee dans le despotisme; e'était cette peur qlli do-
minait NapoIéon lui-meme; il pel'daitla liberté de son ju-
gement, quand iI songeait aux maux que pouvait causer une
assemblée délihérante insensée.


Voilil la véritable peur, la peur nationale, celle que la
France a eonsel'vée, qui a fait la force de la Hestauration
conh'e l'opposition nationale elle-meme. Rappelez-vous avee
quel elfroi la France a toujOUI'S vu appl'ocher tout ce qui
ressemblait' a ce péril, avec quel empressement elle s'est
toujours jetée dans les bras de quiconque promettait de l'en
dMendre. Je ne veux pas aller bien loin; I'appelez-vous nolre
propre histoire depuis la révolution de Juillet. Deux fois la.
France a cm voir ces principes, ces habitudes, et le parti qui,
a tort ou a raison, est censé les représentel', la Franee a Cl'u
le voir approcher du pouvoirj c'était au moment OU ton tes les
sympathies nationales llaraissaient pres de repal'altre el de
s'accordet' ave e ce parti, apres I'émente de l'Archeveché: la
France pOUl'lant s'est jetée alors dans le syslcme contraire.
Elle a été tellemenl elfrayée d'un seul pas dans le sen s donl
je parle, qu'elle a invoqué un changement de direclion el de
gouvernement. M. l\fauguin vient de nous dire : Vous parlez
toujours des intérets matériels, et vous négligez les intérets
moraux; vous faites appel aux sentiments égolstes, a la
crainte, a la faiblesse; vous n'imoquez pas les nobles senti-
ments, les passions désintéressées. Messieurs, cela n'esl
pas; il y a plus de moralilé dans le bon onlre el daos la paix
que dans toutes les elfel'yescences du monde.


Aux centns. - Tres-bien, tres-bien!
M. GUlZOT. -Je dirai plus: s'il ya des sentiments géné-


retn: qui sont snspects, qui alarment, a qui la faute? Qui les
a décrié:; depuis quarante ans? Que d'abus on en a faits! A
quels mens_onges n'ont-ils pas servi! Quels malhcurs en ont
été la suitc! Voilil la \'éritahle cause qui décrie l'en-
thousiasme des sentiments généreux; c'est a ceux qui les
ont rendus suspects qn'il faut s'en prendre, et non pas a
nons.




CHAM13RE DES DÉPUTÉS.-21 DÉCEMDRE 1831. 361
:\'otre situatioll, messieurs, se réduit a ces termes bien


simples que nous avons en meme temps un gouvernement
il fondel" et la soeiété EL défendre. Eh bien 1 messieurs, eette
amvl'C, qui est eelle que nous avons entrepl'ise, EL laquelle
nons nons sommes dévoués, e'est le ministet'e du 13 mars
qui en est aujourd'hui ehargé; e'est SOU8 cette bannicl'e qu'il
a été instilué.


Quand iI a accepté cetle mission, quand'il vous a proposé
de le seconder, vous a-t.il demandé de grands eiforts, de
J;nnds sacrifices1 Vous a-t·il appelés a un grand combat~
Nous aurions du les lui accorder s'il les avait demandés
dans une entreprise si' nationale. Messieurs, il a demandé la
pai", la liberté, la paix avec tous, la liberté de tous. Ce sont
la les deux moyens, les deux seuls moyens par lesquels le
ministcre s'esl chal'gé de fonder le gouI'ernement, et de dé-
fendre la société eonlre les attaques dont ils sont I'objet. La
qllestion se réduit done iJ. eeci. L'opposition, ear il faut Lien
que je me serve d'un mol général, et malgré toutes les
différenees d'opinioris qui peuvent exister dans le sein de
l'opposition, elle a cependant une eerlaine unité, ear hiel'
eneore ~L de Tracy disail a eette lribune que la polilique
générale de la Franee, depuis la révoJution de Juillet, lui
paraissait avoil' été traitée d'une maniere pleinement Slttis-
faisante par M. Mauguin.


M. DE TRACY. - Je demande la paroJe.
1\1. ODILON BARROT.-lI n'y a pas d'objection.
~1. CUIZOT. - (Intel'ruption.) Je répele textuellemenl la


phrase telle que je viens de la lire dans le 2JJoniteur. Je prends
done l'opinion de M. Mauguin eomme l'expression sincere,
en ce moment, du systeme de I'opposilion. Eh bien! je
demande si l' opposilion peut remplir les deux taches qui
nons sont imposéesJ fondel" un gouvernement el défendre
la soeiété en maintenant la paix et la liberté.


Je ne veux pas enlrer dans de longs détaiIs; mais j'en ap-
pelle i:t. la franchise de.s membres de eeHe Chambre : les prin-
cipes natnrcls dn gouvernement, les fondements du pou-




362 HISTOmE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
vOlr, I'esprit de gouvernemeut, sont-ils dans le sysleme,
daos le langage, daos les maximes, dans les habitudes de
l'opposition?


Je réponds non, hardimenl.Qnand nous avons en 11 traiter
les instilutions municipales, que demandaill'opposition? Le
suffrage universel, \'élection des maires.


Voix agauche. - Non, non! nous démenlons.
M. GUIZOT. - Le suffrage universel a tité plusieurs fois


profeJlsé, demandé a cette tribune. (Dénégations QUX exlré-
mités.)


M. OOILON BARRor.-Nous avons combaltu le suffrage uni-
versel; il n'y a qu'un membre de la dl'Oile qui l'ait proposé.


M. BERRYER.-C'est moi. Je demande la parole.
M. CAETAN DE LA ROCHEForCAULD.-M. Ma!'échal I'a aussi


proposé.
M. GUlzor.- Je pOUl'l'ais citer M. de Lafayetfe, M. Maré-


chal, qui ont professé celte opinion. Ce que je di s, c'est qu'il
est é"iden! que les principes, les habitudes, le Jangage de
l'oppo5ilion ne son! pas emprcints dl' I'es.prit de gouvcrne-
mento


M. DUPIN alné.-L'ordre du jou!', l'ordre du jou!'!
M. GmzoT.-La Chambre a.júsqu'ici soutenu le ministere


aetuel dan s la lulte qll'il a engagée pou!' atlcindre ce double
but. On a aecusé la Chambre de servilité, on a di! que le mi-
nistere disposait des votes. J'en appelle, messieurs, a la con-
seience de ectte Chambre; jamais assemblée fut-elle plus
libre, plus indépendante, déterminée par une conviction
plus lente et plus diflicile? La Chambrc esl arrivée 11 ceHe
session dans un étal d'incertitude et de doute. L'opinion de
la Chambre s'cs! formée progressivement, IJar la discussion,
par I'expéricnce, par l'examen. Jamais, je :le répete, jamais
assemblée n'a été si évidemment déterminée par des motifs
désintéressés e! sinceres. C'est 11 la Chambre 11 soutenir son
amvre; c'est a la Chambre a portér la conviclion jusqu'au
bout. Le ministere s'es! dévoué 11. la fondation du goul'erne-
ment de Juillet et 11 la défense de la sóeiété. La Cllambre le




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-2~ DÉCEMBRE 1831. 363
soutiendra dans eette omvre diffiei]e, et ces derniers débats
sont de nouvellcs raisons qui doivent délerminer sa convic-
lion el sa eonduite. (L'ordre du jour, l'ordre du jour ! •.. -
MM. Berryer, Mauguin el Jacqueminotmontent a la tribune.
Les cris : L'ordre du jour! redouhlenl.)


- Séance du 22 décembre 1831.-


M. GUIZOT.-Il me sera faeile de dissiper l'inquiétude qui
s'est élevée dans l'esprit de notre honorable collegue (le
maréchal Lobau). II n'a jamais été dan s ma pensée d'in-
culper Di lui, ui la eommission municipale provisoire.


Je n'ai poinl parlé du pouvoir révolutionnaire ou du pon-
voir constitutionnel. J'ai uniquement vouJu dire et j'ai dit
que, des I'origine de la révolution, il yavait eu deux ma-
nieres diffél'entes ~e la considérer, que deux systemes poli-
tiques s'étaient manifestés dans le sein de la commission
municipale provisoire, et j'ai ajouté qu'on avait meme pu
démeler le germe d'un sl'stcrne autre que le systeme con-
stitlltionrrel.


M. LAFFITTE.-C'est une erreur.
M. GTTlzoT . .....:Permettez-moi de m'expliquer, messieurs.


J'ai indiqué des actcs, j'ai parlé avec précision; j'ai dit qu'a
mon avis, par exemplc, la commission municipale provisoire,
en nommanl des ministres, n'avait point fait un acle régu-
lier, qu'dle n'avait point pouvoir pour le faire, qu'elle
n'avait pas été instituée dans ce hul. Voilit tout ce que j'ai
voulu dire; faí profondément respecté ses intentions;
mais dans sa direction générale, j'ai cru trouyer les germes
d'un systeme de polilique différent, une maniere toule diffé-
rente de considérer notre révolution: telle a été ma pensée.


Je le répete, je n'ai point qllalifié la commission munici-
pale de révolutionnaire; j'ai dit seulemcnt quej'avais tromé




364 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
la les traces d'une maniere diffél'ente de considél'el' notre
révolution et la conduíte de nos affaíres.


Voila l'explication que je dois 11 la Chambre et a I'hOllO-
rabIe maréchal, dont personne plus que moi n'honore et le
caractere et la conduite. Nous avons, si je ne me trompe,
depuis ce moment, suivi, lui et moi, la me me ligne politi-
que; d'autl'es en ont tenu une diffél'ente: e' est l'ol'igine
de cette différence que j'ai voulu marque!' iti.




X'X X VIII


Discussion du budgel de 1832.


- Chambre des députés.-Séance <lu 23 janvier 183'! -


Le baron Louis, ministre des finances, avait présenté
it la Chümbre des députés, le 19 aout 1831, le projet de
budget pour 1832. M. Thiers fit, le 30 décembl'e 1831,
le l'appol't des travaux de la commission chargée de
rexamen de ce projet. Apres cinq jours de cli'scussion
générale, on en vint it la discussion des ül'ticles, et la
question du maintien total ou de la réduction du fonds
consücl'é a l'amol'tissement de la :dette publique se
pl'ésenta la premiere. Je pris la pal'ole poul' défendl'e le
maintien complet cIu fonds d'amol'tissement, qui fut en
effet müintenu apres un long débat.


M. GUllOT.- Personnc ne demande l'abolition de l'amor-
tissement; que¡"ques personnes seulement en demandent la
l'~duction. 1\ s'agit done uniquement de savoir s'il faut que
l'amol'tissement soit fort, aussi fort que le proposent le gou-




366 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
vel'llement et la eommission : e'est la le seul point sU!' lequel
il y ait doute, e'est la seule question a examiner.


Dans l'opinion a peu pres génél'ale, I'amortissement a un
double bul: soutenil' le taux des effets publics, c'esl-a-
Jire le erédit publie, el éleindre, payer effectivemcnl
la delte. Je sais que le premier de ees deux buls est contesté
par quelques personnes, il vienl Je I'etre toul a I'heure a
eeUe tribune. On a dit que I'amortissement n'al'ait pas une
aetion soutenue sur le taux des .effets puhlics, paree qu'il
n'en décide pas seul, et qu'une foule d'autres causes eon-
coul'ent a dépréeier on a éle\'er le taux des effets pnhlics.
Sans doute, el quelques-unes de ces causes sonl plus puis-
santes que l'amortissement; mais il n' en es! pas moins vrai
que, sclon l'opinion presque génél'ale, l'amol'lissemcnt
a un Jouble but : le premie!', de soutcnir le taux des elfels
publics, un des signes extériellrs du erédit public, c'est-
a-dire de mettre l'État en mesure de contracter, s'il en a
hewin, de nouveaux emprunts 11 un taux qui ne soit pas
trop onéreux; le second but esl de payer d'une maniere
réelle et effieace la dette puhlique.


Si ces deux buts, messieurs, ne pouvaient pas etre atteiuts
I'un sans l'autre; si, pom a\oi¡' quelque c!'édit et pour pou-
yoir empruntel' a un taux supportable, il était absolurncnt
indispensable de faire ce qu'il faut pom payer réellcmcnt el
effecti~ement sa delte, la question qui nous oecupe n'existe-
rait paso


Un amortissement capable de payer en elfel la delte scmit
seul eapable de soutenir, jusqu'iJ un_certain point, le tau~ des
effels puhlics, et il faudrait bien accepter eelui-lit ou rcnoneer
lout a fait a l'amortissement; mais il n'en est pas ainsi. En
matierc d'emprunt comme en toute malÍcl'c, l'erreu!', I'illu-
sion, l'imprévoyance sont possibles. JI al'1'ive souvcnl que
l'empl'uoteur croit qu'il pay,!/'a sa detle; il en a la ferme
volonté, il fail ses elforts pour cela. Le preteur, de son cOté,
se confie a lui. II peut a1'l'iver et iI arri\'e que I'un et l'autre
se t¡'ompent.




CHAMBRE DES DÉPUTES,-23 JANVIER 1832. 367
11 arrive que l'empl'UnteUl' ne fait pas des effo!'ts suffisants


pou!' paycl' sa dclte; dans les alTaires ordinail'cs, combien
ne voit-on pas de banquiel's, de négociants~ de commel'liants
consel'l'el' longtemps leuI' crédit en marchant ycrs la han-
quel'oute; pourquoi? paree qu'ils se trompent sur leu!'
propl'e avenir, paree que leurs eréaneiers se trompent éga-
lement; qu'il ya de I'illusion, de l'imprévoyanee dans leur
eonduite. L'intéret personnel n'est pas suffisant pour éc\ail'cr
sur I'avenil', pOUl' enlever toute possibilité d'erl'eUl'. On
peut avoir duo crédit, des effets publics dont le taux se sou-
tienne, sans faire tout ce qu'il fau! pOUI' payer sa dette,


On peut done alteindre le premier bu! de l'amortissement
san s alleindre J'éellement le sccond.


e'est lit, messieurs, le ,'ice, ou poU)' parler plus exacte-
nlcnt, le danger de ce qu'on appeBe le systcmc du crédito Le
erédit est une for! beBe ehose; il es! bon d' en avoir; mais il
faut savoir qu'on peut l'obtenir, momentanément el pendaut
quelque temps, a des eonditions qui sont fort loín de garantir
l'avenir. II faut savoíl' que l'on peut avoir trop de eontianee
dans son crédit actuel, et que le preteur peut avoir, de son
coté, trop de contianee dans le erédit actuel de l'emprun-
teur.


Avec eelte eonfiance réciproque, les transactions se rc-
nouvellenl; et, d'emprunts"en empl'Unls, celui qui ahuse de
son crédit marche vers l'abime de la banqueroute, et I'on
lomhe a la fois, pl'eteUl' et empruntcul', paree que I'on n""u
pas suftisamment mesuré l'élendue de ses reSSOUl'ces,


Eh bien! e'est la le vice de l'amorLissement faible, de
meme que celui de J'amortissement médiocre,


L'amol'tissement médiocre donne lien de eroire que l'on a
la ferme volonté de payel' sa dette. 11 est un gage, une
preuve, non-seulement de sincél'ité, mais meme, jusqu'a un
eertain point, de puissanee dans l'aecomplissement de son
dessein,


l\Iais s'il arrive en me me tempd que l'amorlissement ne
soit pas assez f01'1 pour pa.ye¡' la dette, c'esl-a-dire pour at-




368 HISTOIRE PARLE~IENTAIHE DE FHANCE.
teindre le second hut qu'il se propose, I'amortissement
de\'ient un mal; il devi¿nt un leurre qui trompe les créan-
óers, qui leur donne une sécurité qu'ils ne doi\cnt pas
avoir, une cause de plus d'aveuglement pour l'empl'unteur
elle pl'etcur, une nouvelle provocation 11 s'engager sans pré-
royance dans cette voie du cl'édit dont il est si facile d'a-
buser.


Pour que I'amortissement soit mlutaire, il fant qu'il at-
teiglle non-seulementle premier hut, qui est de soutenil' le
tanx des effcts publics, mais encore le second, qui consistei:t
éteindre réellemcnt la detle; il faut que I'amortissement soit
forl, tres-fo!'t.


Que reprochent tous les hommcs raisonnables a ce
systeme de crédit? e'est de déchargw le présenl en char-
geant un avenir qui aura aussi ses propres charges et qui s'en
déchargera a son tour sur un autre avenir; et ainsi de suite
jusqu'a ce que vienne une époqlle qui, ne pouvant plus suf-
tire 11 son fardeau, ne pouvant le porter plus loin, le jeltcra
it tcrre. II n'y a qu'un amortissement tres-fort qui puisse
empecher ce déplorahle résuliat.


L 'amortissemt:nt faible, médiocre, qui nc demande au
présent, c'est-it-dire 11 l'empmnt, que ce qu'i] faut pour sou-
tcni!" actuellement le taux des effets publics, fait une répar-
tition tres-inégale, tres-déraisonnable, du fardeau entre le
présent el l'avenir, entre l'emprunt el l'impot; I'amortissc-
ment fori, éncrgique, demande au contraire au présent sa
jus e part dan s le fardeau; non-seulement il soutient le
crédil public, mais il éteint effcctivement la delte : en sor te
que l'amorlisement faible exploite la bonne foi publique, est
un ¡culTe qui rngage les créanciers dans la banqueroute,
tandis que I'amol'lissement fort répond au hut de I'institu-
tíon, a la pensée premie re de I'amortissement, el présente une
yéritable ga'rantic aux créanciers en ce qu'i] assure en me me
temps el le laux de la rente et l'cxtinction de la dette.


11 s'agit uniqnement de savoir quel est le sens qu'il faut
. altribuer a ces mots : amol'tissemcnt fort, amorlisscment




CIIA~JDHE DES D}:PUT]~S,-2:3 JA:\VIER 1832, 30\)
faihle, et qnelle duit en elre la mesurc. C('ci est une question
de fail el d'expérience, et nous arons des éxemples a con-
sulter.


Quand l'institution de l'amol'tissement a élé intl'o-;
,¡nitc en Anglelel'l'e, c'esl le lanx d'un pou!' rent qui
a élé généralement adopté, pt l'on a calculé qu'cn
trente-sept ans, au moyen des intérets composés, la oclle
se lrol1verait éteinte avec un amol'tissement d'un pom
cent.


En meme tcmps que l'on faisait ce caleul, 011 disait quc
c'élait pendant la paix qu'il fallait payel' ses delles, et <¡n'íl
falJait, pendanllc temps des dépenses ordinaires, se ména-
gel' des rcssoUl'CCS pour le temps des dépenses extraordi-
nalréS,


Mais, mes~jcurs, ~e donnel' trenle-.ept ans pOli\' éteinJrc
sa dctle, c'cst sc faire l'idée la plus fallsse dc la ,,,ie des
pcuplcs, c'est se laissel' tromper par les mots. Ce que nous
appelons circonstances extrao!'dinaires l'evient tres-sou "cnl
dam la vie des peuples; les é,'énements extraordinaires 11C
se font pas atlendl'c trcnle-scpt ans, ils sonl plus fréqucnls.
De 1G88 a 1815, dans une période de ccnt-yingl-scpt am,
I'Anglelerre a en ~üixanle-cinq ans de gucrre et soi,xante-
Jeux allS de paix. la proportion a été a pen prcs la meme
pom lit France. Nous \'cnons dc truycrscr quinze anllées
qu'il est pel'mis de regarde!' commc les plus pacifiques qu'on
puisse yoir de longtemps dan s cc monde, el ccpend:tnt 110:18
ayollS eula guerrc tI'Espagnt', l'cxpéditíon de Morée, I\'xpt;-
dilion d'Afl'iquc, qui nons out cotilé de 3 a 400 million5; el
enfiu IlOIlS al'ons CII une rél'olulioll, SOlll'CC dc rMpcnscs CI-
traordinaires.


Vous \'oyez dOlle qllc ce calenl d'un ponr cenl, cqui cxioc
t!'cnle-scpt ans p~mr l'cxtinclion cffecliye ou la I éJuc\ion
consiJérahlc de la JCtlc, est un fallx calcul, un calclll
étrangel' a l'bisloirt', et qui méconnait Ics "raies circun-
stances tic la \ic des peuples.


L'amol'lisscmcnt de un pou!' (',ent est done Irúp faílJlc; il
T, T. 24




370 HISTOIRE PARLE.MENTAlRE DE FRANCE.
faut un amortissement plus considérable pom alleindl'e
les deux hul5 légitimes de l'amorlissement, le soulien dn
crédit public et l'exlinclion de la dellc. Si vous ne vous
imposez pas la loi d'atleindre ce double bul, I"OUS vous
trompez vous-memes, vous trompez vos créanciel's, vous
agissez a\'ec une imprévoyance coupahle, vous mal'chez vers
la banqueroule; si vous voulez aUeindre le second bUI, le
payement réel on du moins la réduction notable de la uelte,
il faut autre chose qu'un amorlissement de un pom üent;
il faut l'élever au taux de deux pour cenl au moins, taux au-
quel il est aujourd'hui chez nous, addilion faite a la
dotation pl'imitiye des rentes qu'il a achetées. (Adhésion aH
centre.)


Contl'e ces faits, messieurs, qui sonl simples et qui n'on!
pas be50in d'EHre laborieusemenl démonlrés par des caleuls,
contre ces fails, jc ne connais qü'une raison, qu'une raison
concluanle et péremptoire : c'est l'impuissance de la part de
l'État de supporter un amorlissement considérable. L'im-
puissance du pays, la délresse publique, voilil le seul moyen
avec leguel on puisse combaltre les faits que je \'iens de pré-
senter.


Messieut's, c'est une chose gmve que de proclamcr ainsi
I'impuissance du pays, d'en faire le point de départ de sa
conviction, la regla de ses résolutions, et de poser ce fail : le
pays nc peut pas supporler plus longtemps un tel fardeau,
il cn est aux expédients.


Ccla esl grave, financierement et politiquement, messieurs.
(Écoutez, écoutcz!)


Financiel'cment, c'est dire qu'on est obligé de se jeter tete
baissée dans la voie des emprunts, qu'on esl obligé d'abuser,
a lout prix, du systcme du crédito


Singuliere situation! Ce sont les adversaires habituels du
sysleme du cl'édit qui viennent demander qu'on en use
outre mesure, qu'on se réduise a ses seules reSSOlll'Ces.
El ce sont les défensellrs ordinuires, les défcnseurs officiels
du crédit qui veulent le renfel'mer dans de justes limites,




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-23 JANVIER 183:2. 3il
qui veulent faire la part de l'impót, qui demandenl qu'on
n'en abuse pas 1


Vous voyez quellc est la eonséquenee finaneiere de eeUe
impuissanee du pays dont on veut faire le principe de vos
résolutions. C'est abuse!' outre mesure du sysleme de crédít
el le pousser jusqu'u ses derníeres extrémités, jusqu:au. point
ou ji perd el les emprunteurs et les preteurs.


11 n'est pas moin~ grave politiquement de déelarel' ains
I'jmpuissancc publique.


C'est un propos vulgaire, et que nous avons tous enlendu
-ou répélé, que, pour avoir une bonne armée, ce qui importe
le plus,. e'esl de conserver des cadres, des eadres complets,
Ilien organisés, permancnts.


Eh bienl messieurs, la société a besoin de eaares comme
l'arméc : ell~ est contenue dans des cadl'es légaux qui font
sa force, et il importe de les conserver intacls et permanents;
car, quand une fois ils son! brisés, rien de si difficile que de
les rétablir el de faire reutre!' la société dans les cad res qu
la eontenaient habiluellement. Ces cad res sont les pouvoirs
établis et les conll'ibntions élablies. Briser les pouvoirs,
briser les contributions, déclarer que la soeiélé en est venue
a ce poinl qu'elle ne peut plus supporter ni les uns ni les
autres, faire sueeéder une révolulion financiere u une révo-
lution politique, briser les impóls eomme on a brisé les pou-
"oirs, e'esL mettre la soeiété lout enliere en question; e'es
prolonger jusqu'iJ. des limites indéfinies la erise eontre la-
quel/e llOUS luUons si pénihlemenl.·


Pour moí, je ne sais ¡¡í je m'abuse, mais e'est préeisémen
paree que les pouvoirs établis ont été mis en question et ren-
versés, renversés légitimement, e'est paree que nous amns eu
1¡ aL'Complir une révolution politique, que nous al'ons glo-
ricusement accomplie, que je erois qu'il importe au salut de
la France de se préserver d'ime révolution finaneiere; qu'il
lui importe de maintenir, je ne dis pas dans tous leurs détails,
mais dans leur force réelle, de maintenil' intac1s et perma-
ncn(s ces impóts établis qui sont les cadres matériels de la




372 HISTOIRE PARLEME~TAIRE DE FRANCE.
société, les moyens par lesquels son existcme matél'ielle se
développe. (Vive approbation aux centres).


JI n'ya done rien de plus grave, je le répete, que de pl'o-
clamer la détresse, I'impuissance publique. le ne dis pas que
celte impuissance nc soit jamais réelle: il y a des pays assez
malheureux pour en ett'e arrivés a ce poinl; mai, je dis qu'il
faut y bien regal'der avant de pl'ononcet' un semblable
arret.


Voyons si cet arret serait fondé, si notre pays en c~t venu
a ce point de détresse qu'il ne puisse pas supporter cel amor-
tjssement considél'able dont ji a besoin poul' que le but de-
l'amortissement soit atteint.


Je ne l'amenerai pas la Chambre dans le~ détails ¡¡ui lui
ontété présentés hier, d'une maniere si lucide et si complete,
par 1\1. le l'apporteur. Je veux seulement vous mettre 50llS
les yeux quelques faits qui vous prouveront que l'impllis-
sanee du pays n'est pas portée au point qu'on allegue.


La déll'eSse, ehez un grand peuple comme le nutre, ne
vient pas en un jour, la prospérité nc finit pas tout a coup.
1I peut y avoir erise, embarras momcntané; mais quand lu
prospérité a duré longtemps dans un ,pays, quand il es! hcu-
rcusement entré dan s celte yoie, il n'en SOl't pas a l'instant
meme. Ce qu'il faut considérel', pour juger sainemcnl de
la France, ce n'est pas seulcment su silualion acluelle, la
erise ou nOllS nous trouyons, les soulfranccs du moment; il
fant consid~rer I'élat úu pays depuis quinze Oll vingt ans; jI
faul examinel' quelle esl la marche qu'il a sui,-ie, dans qucl
sen s il s'est développé. S'il a marché yers la détresse, il esl
probable que vous avez raison aujoul'd'hui; si, au contraire,
il a pris de grands dél'eloppements de richcsse el de puis-
sanee, s'il a marché vers la prospérité, il n'est pas probiTble


. qu'il en ait vu, en quelques ,?ois, larir les sources lout en-
tieres.


Je n'ai aueun dessejn de discuter a la tl'ihune les muVl'cs
ou les mériles de la Reslauralion. Quand elle a élé ¡lUis-O
sante, j'ui signalé el attaqué ses raules; je I'ai fuil pendanl




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-23 JANVIER 1832. 373
tJix: ans au.x: grands applaudissements, j'ose le dire, de ceux-
lit meme qui aujourd'huim'accusent de vouloir les conti-
nuer. Je n'ai aucun dessein de détourner la discllssion ac-
tueHe vers un but politiqueo Je peuse, comme la Chambre,
qll'il est lrcs-désirable que nous sortions enfin de ces ques-
tions purement passionnées, pour débattl'e les affaires uu
pars. le ne ramimerai done pas, je le répe1e, la question sur
les mérites, sur les reunes politiques'de la Restauration. Je
ne veux: que constater les résullats matériels obtenus dans
les quinze dernieres années.


Messicurs, quand on examine quelle esl la détl'esse ou la
prospérité d'un pays, il ne faut pas s'cn rapporter a des OUI-
dire, a des propos de satisfaction ou d'humeur, auxquels
chacun s'abandonne lihremenl dans la conversation; il faut
consulter des faits authentiques, des documents dans lesquels
la société se résume el se manifeste. Voici quelques-uns de
ces faits reJativement aux premieres années de la Restaura-
tion.


Je parle uu produit des principaux im{lots indirects, de
ceux qui sont la preuI'e la plus c\aire de la consommation.


L'emegislrement, le timbre, les domaines, ont produit
en 1816, 171,825,872 fr. et en 1829,186,429,355.


Le produitdesdouanesetdessels s'estélevé de 94,206, 713 fr.
en '1816, a 159,085,085 fJ'. en 1829; et celá ave e les memes
tarifs ou a peu pres, cal' ce ne sont point les changements
de tarjfs qui ont considérablemenl influé sur les droits.


Les boissons, droils divers, taha es et pourlres ont pro-
duit139,g37,269 fr. en 1816, el 206,218,255 fr. en 1829.


Le pl'oduit des postes a été de 20,973,000 fl'. en 1816, el
de 30,545,620 fr. enJ829. •


Produit de ces quatre grandes contri-
hutions pour 1816.... . ..• ....•...•. 426,842,854 fr.


Produit des memes contl'ihutions pOlir
,1829.. • .. . .. .. . .... .. ..... ... .. •. 582,278,315


Différcnce en plus.. . . . . . . . . • . • . . .. 155,435,461 fl'.




374 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Voila quels ont été, de 1816 a 1829, les progr.es des im-


pOts qui sont les signes les plus cerlains de la consommation.
le passe a un autre symptome de production : je yeux parler
des frais de poursuite pOUl' les contl'ibutions dit·ec(es.


Personne ne niera que, si'ces frais vont dans une propor-
lion décroissante, c'est une llfeuve que les contributions
se payent plus facilement, et que celte facilité est due a. un
plus grand développement de I'aisance publique.


En 1822, les frais de poursllite de toute nature pOUl' II
perception dcs impots dirccls, s'élevaient a J ,380,000 fr.
pour 344,026,0'17 fr. de recouvrcment, c'est-a-dire a 4 fr. 01
poul' 1,000 fr.


En 1828, ils se sont élévésa 904,680fr.pour 325,678,630 fr.
de recouvrement, c'est-a-dirc a 2 fl'. 78 poul' 1,000 fr.


Vous voyez, messieurs, qu'il ya eu une réuuction notable
sur les frais de I'ecouvrement; ce qui est une pl'euve malé-
rielle d'une augmentation d'aisance et de prospél'ité.


le releve, dans d'autres parties des produits, d'autres
preuves des développements de la France a la meme époque.
Je. veux parler des importations et des exportations.


En 18t 6, les importations de la France dans la Grande-
Bl'etagne se sont élevées, valeur officielle,lI 10,444,500 fr.,
él les exportations de la Grande-Bretagne en Frunce,
11 40,8tHi,550 fr:


En -1826, les premieres ont monté 11 79,470,620 fr"
60 millions de plus qu'en :1816;etles secondes,a 16,:1 i 1 ,000fl'.,
au lieu de 40 millions en 1816.


Je ne renouvellerai pas 11 ce sujet la question de la balance
uu commercc, aujourd'hui abandonnée par les hommes
éclairés; mais il y a la incontestablemenl un systeme de dé-
yt'loppemenl dans la prospérité de la Franee pendanl les
seize dernieres années. Est-i1 donc vrai qu'apl'cs seize ann_ées
de progl'cs altestés par des résuItats incontestahles, nous'
soyons subitement frappés de détresse et d'impuissance ?


Voici des documents de meme nature relativement aux
impóts inuil'ects. (Écoutez, écoutez!)




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-23 JANVIER 1832. 3í5
• Les irilpóls indirects ou de tout genre ont produit :


En 1829 .• , .••....• 091,010,000 fr.
En 1830 ........... 572,243,000
En 1831. .......... 527,023,000


L'ahaissemenl du tarif des hoissons, a partir du ler jan-
vier 1831, devait réduire les produits de 1831,


Comparativement a 1829, de ..••.• 34,800,000.fl'.
a 1830, de ...... 32,400,000


La diminution effeetive sur les reeettes de 183J, a done
été:


Comparalivement a 1829 de .... ;. 63,987,000 fr.
a 1830 de •.•••. 45,222,000


Ainsi il y a eu de 1829 a 1831, indépendamment de la
l'éduction du tarif des boissons, une diminution réelle
de ..••..••..••••...•..• , . • •• • •. • •• 29,187,000 fl'-
Et de 1830 a 1831 la diminution n'a élé
que de .......................... '. 12,820,000
A quoi il faut ajouter la différence entre
les restes a reeouvrer sur les boissons a. la
fin des deux années 1830 el 1831, ei .. " 4,771,230


Ce qui fait de 1830 a 1831, sur les impots indirects, une
diminution de 17,591,230 f1-.


La diminution a done été moindre qu'on ne devait s'y
altendre, el e'esl surlout pendant le dernier trimestre que
I'augmenlation a eu lieu i elle s'est élevée a 13,220,000 fr.


Le produit des impots indireets est supériem en 183J,
malgré la réduction du tarif des lJoissons el malgl'é le fti-
cheux état de plusicurs parlies de I'industrie, il est, dis·je,
supérieur de plus de 100 millions a ce qu'il était en 1816.


Je vous demande, est-ee la ee qu'on peut appeler de l'im-
puissance? Je ne nie pas les soufhallces du pays: persollne
ne leur porle plus de sympathie que moi j \lOUS Icm portons
lous une grande sympathie, et aucune portion de eette
Chamhre n'a le droit de préjuger les sentiments de l'au-
[re a cet égard. Mais ce sont les faits memes que je mets
sous vos yrux : je demande s'jl est pos::ihle dl~ pal'ler d'im*




:376 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAKCE.
puissance, de détresse définitive en présence' de tels
faits.


Sans doute il faul songer aux soutfrances du pays el faire
ce qui est en nolre pouvoir pour les allégel'; mais il ne faut
pas méconnaltre les faits dans leuI' ensemble) il ne faut pas
Jire au pays qu'i) marche veI'S sa ruine, qu'il est dans un
étal de détresse, quand au contraire les fails, les documents
montrent qu'il tend a se relever de la erise dont il a beau-
coup soufferl, qu'il rentre dans la voie de la pI'ospérité, qu'il
ne demande que la sécurité complete de \'ordre établi pour
que sa prospérité se développe de nouyeau ayec écla!.


11 y a dans notre histoire un pouvoir que je nc suis pas ac-
coutumé a louer et dont je ne peuse pas grand bien. Ce
poU\'oir, e'est la Comention. Quel a été son mél'ite? Son seul
mérite, si j'oi'e le dire, e'est de n'avoir jamais Msespéré du
lJays, de n'a\'oil' jamais dit, quelles que fussenl les diffieultés,
f(llels que fussent les Jangers, de n'avoil' jamais dit : le pa)'s
ne peut pas; d'avoir eu une grande opinion de la France d
de la volonté du Ilays.


Voila le vrai, el s'il m'est permis de le Jire, le seul mérile
Je la Convention.


Yoix twrnÚreuses. - Tres-hien, tres- bien!
M. G¡;¡ZOT. - Voila, le mérité de la Convention, yoila son


mérite palriotiqlle, le seul qu'elle ait 11 mes yeux, je nie tous
les anlres. (Tres-bien 1)


Eh bien, messieul's, permettez-moi de ci ler des exemples
moins sinistl'cs que celui ·la, et plus dil'eclemenl analogues 11
la qucstion qui nOll5 occupe. JI' pl'endrai ces exemples dans
)lQtre hisloire au XYIllc ~iecle et dans noLre hisloire toule ré-
eenle.


En 17119, la France sOl'lait de eeUe guerre assez dél'aison-
nuble qu'clle avait soutenue pour la succession de l'empil'e
d'¡\utriche en fareur de l'éleeteUl' de Baviere eontl'e ~Iarie­
Thércse. La Fmnce sol'lait Je eeHe guerre avec une augmen-
tatíon de 1,'200 millions de delte publique, avec des impóts
douhlés, presque triplés, cal' on a\ait angmcnt~ olltre




CHAI'rIBRE DES DÉPUTi~s.-23 JANVIER 1832. 377
mesure tous les impOts; elle en sort;it avec une marine ré-
duile a deux vaisseaux.


C'élait le cri général du pays qu'on élail lombé dans la
derniere délresse, et qu'il n'y avait ahsolument rien a faire
~ue de réduire comidérahlement les impOts.


Un ministre dont le nom a fait peu de hruit, parce qu'il
étail étranger a toutes les coteries du temps, mais qui ne
manquait, a coup sur, ni de lumieres ni de fermeté, M. de
Machault élait alors controleur général.


. Que fit M. de )lachault? que projeta-t-iI ? quel édit fit-il
rendre au roi?


11 pamt en mai f749 un éditqui étahlissait un impot d'un
"inglieme, et qui affcclait cel impol a la fondation d'une caisse
d'amortisscmenl pour 1'exlinction de la deHe publique.


Ce fut au milieu de eelte détresse du pays, apres ces lon-
gues souffrances, avec ces 1.,200 millions de detle publique,
avee eelte masse toujours eroissanle d' impOts que le contro-
leur général eonltut la pensée et eut le courage d'établir un
impot nouveau, el de le eonsaerer a l'extinclion de la dette
publique.


El, ehose 11 remarquer, eeHe premiere idée de la caisse
d'amortissemenl en France coincidait avee l'idée de sup-
primer tout privilége en maliere de contributions, el de les
faire peser sur la noblesse et sur le elergé.


Le projet de M. Machault étail d'étahlir un impót pesant
égaJement sur toutes les classes de la soeiété el d'employer le
produil de ecHe taxe a l'extinction de la delte publique.


Jc n'hésite pas it dire que c'est la une des tentatives les
plus honorables, les plus patriotiques, les plus éclairées que
jamais un ministre ail faites. M. de Machault suceomba
sous les eris de la noblesse et du clcrgé qui ne voulurenl
point prendl'c leur part des charges publiques; vous savez
quel a été le résultat de ce refus; vous savez dans quelle
sé~ie de désordres, dans quels embarras financiers la France
il. été cngagée.


Et tOLlt l:c1a est ani\'é paree. que ron a refusé de suivre




378 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
les plans d'un minist~e sincere et courageux, qui ne crai-
15nait pas d'affronter les difficultés du moment pour surmon-
ter celles de l' a venir.


Nous' avons encore un exemple plus récent, un exemple
contemporain.


En i8in, une chambre contre ¡aquelle on s'est tant
élevé, el avec raison, celte chambre, en manianl les
dépenses publiques, institua un amortissement : celle
éambre en voulait au crédit public; elle en voulail aussi a
l'amortissement, elle était décidée il. faire le moins qu'clle
pourrait.


Elle institua, vous le sa"l'ez, un amortissement de vingt
miJlions. Celte chambre fut dissoute. Une chambre nou-
"elle arl'iva, moins étrangel'c au pays, plus écfairée, animée
de sentiments plus patriotiques. La situation OU elfe se trou-
vait était écrasée par les charges de l'occupalion; nous sor-
tions d'une année de fautice; la souffrance était immcnse.
Dans de telles circonstances, que 6t ceUe chambre? Elle
doubla le fonds de l'amortissement; elle I'éleva a 40 mil-
lions. Au mili,eu des difficultés de celte situation pénible et
de toutes les charges qlli pesaient sur le pays, la pensée du
ministere d'alors, el de la chambre qui lui donna la force
d'exéclller celle pensée, fut d'affeclel' un amortissement con-
sidérable aux charges qui pesaient et il. celles qui allaient
pesel' sur la France, et de mainlenir les impots dont on
amit besoin pour supporter ces chal'ges.


Voilil. ce que fit des l'abord une chambre plus nationale
{lui avait remplacé Ulle chambre hostile au pays. C'es! entre
ces exemples que vous avcz il. choisir : entre l'exernple de la
chambre de 1815, d'llne chambre hoslile il. I'amortissernent,
hostil e au crédit, qui travaille a le renverser au lieu de le
soutenir, et l'exemple de la chambre de 1817 qui, au mi-
lieu de circonstances hien autrement graves, de charges bien
autrement pesantes, ne craignit pas de demander au pays les
sacrifices que son salut d'avenil' exigeait, el de doubler la
dotation de l'amorlissement.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-23 JANVIER 1832. 379
Je le répete, messieurs, e'est entre J'exemple de la Chambre


de 1815 el eelui de la Chambre de 1817 que vous avez 11
choisir. (Marques nombreuses d'approbatio71 aux centres.)




XXXIX


Discussion du budget de 1832.


- Chambre des députés. - Séance du 16 février 183~. -


Daos la discussion du budget du ministere de l'in-
struction publique pour l'exercice 1832, et a propos du
ehapitre IV de ee budget, qui proposait d'allouer
1,100,000 franes pour des bourses dans les séminaircs,
1\1. DubDis, député de la Loire-Infériellre, proposa, sur
ee ehapitrc, une réduction de 600,000 franes.l\L Comte,
député de la Sarthe, sous-amenda cet amendement en
demandant que le erédit de 1,100,000 franes fUt, pro-
gressivement et it mesure de l'extinction des bourses
déjit aeeordées, réduit a 600,000 franes et ne dépassat
plus eette somme. Je eombattis l'amendement et le
sous-amendement qui furent rejetés.


M. GUlzor. - le ne suivrai pas l'honorable préopinant
dans la roule qu'il vous a fail entrevoil' en commell~ant a





CHA~IBRE DES DÉPUTES.-16 FÉVRIER 183'2. 381
parlero Je ne erois pas que la philosophie et l'avenit· soient
,Iu domaine de ceUe tribune.


1\1. DUROIS. -Je demande la parole pour répondl'e a cela.
~1. GUIZOT. - Ce n'est pas que j'entende le moins du


monde bannil' la philosophie et )'avenir; ils ont leur place
aillelll'sj j'ai seulement des prétenlions plus modestes : je ms
que nous venons faire ici de la politique, de la prudence ;
nous venons traiter des inlérels présents du pays.


La philosophie se développera en dehors de ceUe enceinll'
el l'avenir ne sera pas sUPP¡·imé. Quant a présent, ce son!
des queslions de prudence, d'intércts actuels que nous débal-
tons. e'est sous ce point de vue seulement que je considé-
rerui )'amendement qui vous es~ proposé, el je le l'e'pousse
comme contraire aux intércls acluels bien entendus du pays
el a la polilique qui lui convient.


Qlland je repousse cel amendement, ce n'est pas que je
me fasse la moindre illusion sur le role el les disposiLions
d'lme grande partie du clergé, je dirai meme, si l'on veut,
du clergé en génél'al, daos la lutle qui s'est engagée de-
puis 1 i89 pour l'établissement d'un gouvel'l1emenl libre;
je n'ai it ce sujet, s'il m'es! permis de le dire, aucun motif
personnel d' erreur. Quand je suis entré pour la premiere fois
dans les fonctions publiques,j'ai élé ill'instant meme dénoncé
par une circulaire adressée il tous les éveques de France,
eomme protestant et comme philosophe ; et quand j'en sllis
sorli, il y a onze ans, pour avoir voulu m'opposer aux. progTe~
de la conlre-révolution, la seule ehose qfIi me reslat, la parole
dans l'enseignement supél'ieur, l'influence ecelésiastique me
la fit retirer 11. I'inslant meme; elle ne voulut pas que j'essayassc
d'agir sur les esprits, pas plus qu'elle n'avait voulu de mon
inlervention dans les affait·cs. Je dois done avoir l'esprit par-
faitcment liLl'e. J e sais tout ce que eelte illflucnce a cu
tl'hostililé au progres des idées et des institulions nou-
"elles; je sais tout ce qu'il peut y avoir en elle de malveil-
lance pJur la révolution de J uillct. Je comprends que la
France ait, contre une grande parlie du cIel'gé, des motifs




38~ HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRAKCE.
forl naturels de raneune et des raisons forllégitimes de dé-
llanee; je n'en dis pas moins que 'ce n'est pas la le point
de vue sous lequel on doit considérer la queslion.


Ce ne sont pas les souvenirs du passé, ce sont les intél'ets
et les besoins du présent qui doivent regler nolre conduite.


Se prie la Chambre de considérer un moment le ehange-
menl qui s'est fail dans nolre situation, en général, depuis
la révolulion de Suillet, et particulierement dans la situation
de eette Chamhre.


La Chambre n'est plus, comme les chambres de la Res·
tauration, un pouvoir défensif occupé 11 luller lahorieuse·
ment pour la cause des intérCls généraux el les libertés pu-
bliques contre un gouvernemellt hostile.


La Chamhre est maintenant, dans le gomemement, le
pouvoir prepondérant, le pouvoil' dirigeanl; elle esl chargée,
non-seulement de controler le gouvernement, mais de le
former, de l'inspirer, de le soutenil'¡ c'est de l'aveu de
tout le monde que la Chambre occupe ce haut rang aux yeux
du pays, dans l'opinion générale, dans l'opinion du gomer-
nement lui-meme.


Vous ayez ce rare bonheur d'avoir un prince qui le pre-
miel' rend hommage a ce principe du gouvernemenl cons!i-
tutionnrl, qui est le gouvernemenl de la majorité nationale
ma~ifestée dans la Chambl'e.


e'esl donc en gouvernement, pel'mettez-moi de le dire,
que la Chamhre doit pensel' et agir; c'es! avec l'esprit de
gouycrnement qu'elIe' doil considérer les affaires; et quand
nous avons en parliculier a nous oecuper de la question du
cJcrgé, ce qui nous. imporle, ce que nous derons nous de-
mande)', c'est quel mal nous devons en cl'aindre comme gou-
rernement constitutionnel, et quel bien, quels profi~s,
quels secours nous pouvons en recevoi¡' au meme titre.


C'esl sous ce point de vue que je demande la permission
de considér~r un moment la question.


La siluation du clergé, messiel.ll's, est hien changée; il est
nécessaire de se rendl'e compte de ce changement.




CHA1\IBRE DES DÉPUTÉS-16 FEVRIER 1832. 383
Comme pouvoir polilique, je n'hésite pas a dire que sa


défaite est complete. Le clergé n'a pas été expulsé de France
avec Charles X, mais comme pouvoir politique, il n'a pas
été moins détroné que lui.
, L'ancienne noblesse retrouve des bien s, une place da,ns
nos institutions, el une belle place si elle ,'eut. Quant au
clergé, il n'a relrouvé ni hiens, ni place dans nos inslitu-
tions. Sous Charles X meme, il n'a pas pu se faire une
place. Son propre partí n'a pas fail entrer un ecclésiastique
dans eclle Chambre.


Quelqufs voix. - Vous oubliez M. l'abbé de Pradt.
1\1. GUlZOT. -Cet exemple meme confirme mon raisonne·


ment; cal', autant qu'il m'en sonvient, c'est le parti opposé
qui a fait entrer M.l'ahhé de Pradt dans l'ancienne Chambre.
(Cest vrai! e' est vrai!)


Son propre parti n'a pas fail entrer un ecclésiastique
Jans celle Chambre, el il n'esl personne qui ne sache
quelle était l'influence. du banc des éveques a la Chambre
des pairs.


Ainsi, me me sons Charles X, le clergé n'a jamais pu re-
vivre, prendre place dans nos inslitulions comme POUVOil'
poli tique. Ce qu'il avait de pouvoir, il le devait 11 son in-
fluence au prcs de la personne du prince; elle a disparu
avec le prince. Ainsi, fai bien le droil de dire que, comme
pouvoir poli tique , le clergé a péri, a été détroné avec
Charles X.


Quand un fail esl aussi évident, aussi accompli, il esl im-
possible qu'il n'agisse pas sur les espl'its, meRle sur les es-
prits qui sont le plus intéressés a le niel'. Je sais qu'il ya
dans lous les partis un certaín nombre d'hommes qui résis-
lent longtemps a la conviction, 11 l'évidence. Cependant
I'évidence agil sur les masses, et il arrivera du clergé ce
qui arrive de tous les partís, qu'il sera forcé de reconnaitrc
que son pouyoír polítique a péri, que sa siluation polilique
est complétement changée, el qu'il serait insensé de préten-
Jre la retrouver.;




384 lIISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FHANCE.
On 1l done grand tort, a mon avis, quand on parle aujonr-


tl'hui du elergé d'une maniere génél'ale, ahsolue, commc
d'un corps uni, animé d'un meme esprit, de l'esprit qu'il a
depuis des siecles, qu'il conservera toujours, depuis l'évequc
jusqu'au moindre curé.


Messieurs, il n'en est rien, et cela sera de moins en moins
lous les jou!'s. Déjit il est aisé de reconnaitre que des
opinions fort différentes se manifestent dan s le sein du
c1ergé.


J'y vois bien encore un peu de l' ancienne opinion, de
I'opinion conll'e-révolutionnaire, qui persiste it rever l'an-
cienne existence du c1crgé.


le vois bien, a cóté de ce He opinion, une autre petite opi-
Ilion a laquelle l'honorable pl'éopinant faisail allmion tout a
l'heme; une petite opinion que j'appellel'ai, moi, I'opinion
révolutionnaire du c1ergé, qlli essayc de combine!' les an-
ciennes idées eeclésiastiques, pal' exemplc, I'ultramonta-
nisme avec le suff¡'age universel, el quise flalte de retl'Ouver,
dans ce mariage hizarre des anciennes idécs ecclésiastiques
avec les théories modernes, un moyen d'influence dou1 elle
nI¡ sait pas ce qu'elle ferait si elle pouvait l'obtenir, et don!,
en réalité, elle ne ferait rien. Je connais eette pclite école,
ou ceLte petite secte; mais a cOté, en meme temps queje
vois un clergé contre-révolulionnaire el une petitc secle
animée d'un fanatisme vél'ilahle et hizarre, je vais, en géné-
ral, le dergé tranquil1e, pacifique. Il peut bien aYOil' srs
regl'ets, ses affeclions; mais il reste el /Veut resler étranger
aux intrigues des uns et aux passions des autt'cs, el se ren-
fenner purement et simplement dans ses fonctions reli-
gieuses. Eh bien! je dis qu'il faullenir, avec ces dilfé¡'entes
parlies du clergé, une conduile ex(remement différente, qll'iJ
ne faut pas parler de la mcme maniere de ces différenles
opinions, ni les tmiter de mellle.


Je comprends que vous vous montriez lrcs-roideo, tl'es-li-
goureux avec la fadion contre-l'évolutionnairc .. le cl'ois que
YOllS fefez fOl't hien de la Irrisser s'user par la liherté el par




CHA'IInHE DES m:;PUTÉS.-16 FÉV¡HER 1832. 3S5
le temps; e'es! un aecident irréglllier et sans avenir clans
J'hisloire du clergé.


Mais qllant a la masse eccléeiaslique, tranquille, paci-
fique, rcnferméc dans les exorcices religieux, non-seulemcnl
YOUS ne lui del'ez pas de la froidclIr, de l'indiffércnce; YOUS
lui dercz bienveillancc; clle doil trollve!' auprcs de YOUS
intérCl et fayeur.


Permettez-moi de vous arrelcr un moment sur sa COI1-
duitc et sur l'idée qlli y préside. Pourquoi le clergé est-il
tranquillc? Pourquoi se renfcl'mc-t-il dalls les fonctions re-
ligit:nses? C'est qu'il croit que la religion a une existrnce
séparée de la poli tique , qu'iJ. lravers les vicissitlldes des
Étals, I'Église a toujours une mission a rernplir, et qll'elIe
peulla remplir SOllS [oules les formcs de gouYcrncmcnt, sous
les régimes les plus dircrs.


Eh bien, cettc idée cadre parfaitcment aree les prine: pes
de notre ordre conslitutionncl, qui sépare la; vie eirile de L1
vie l'eligieuse, qui admel que l'Église subsiste sons touo les
régimes, et qu'elle u loujours su miss ion iJ. uccomplir. C'e"t
un principe professé par l'Ég\ise el LJu'elle u invoqllé toutes
les fois qu'ellc s'esl trouvée dans une situalion difticile. En
consacrant ce principe, vous n'attaquez pasjI'ordre comtitu-
tionnel; vous établissez, au contraire, entre cet ord¡·e et 1'1::-
glise, un poinl de contuct; Y011S avez, si je puis m'exprimer
ainsi, une es pece d'anse par laqnelle vous poU\'ez saisil' et
rattacher 1,1 religion au régime constitutionnel.


Je ne sais uujomd'hui d'important, pour le gouycrnemcnt
el ponr la Chambre, que dcux fctits 11 meltre hien en éyi-
dence, a consta ter et it prouver tons les jours : le premier,
c'est que l'existcnce politique du elergé [est 1 finic, que,
Comme pouvoir politique, il est tombé ave.c Charles X; :e
Bceond, que 50n existcnce religieuse (ie nc dis pa~ seulcmcllt
sa liberlé religieuse, mais son existenee religicusc comme
élahlisserncnt puhlic) n'en ,est nu\lemenl'"compromise,
tlll'eIle Il'e~t pas alteinte par la perle de son exislencc· 1'0-
¡ilifIue, qll'il subsiste comme établisserncnl religicllx auop é


T. r.




386 IIlSTOlRE PARLE:\IENTAIRE DE FHANCE.
par l'État, avee lequel l'État a lraité. Quana ces aeux faits
seront constants pour le cIel'gé comme ils le sont pour vous,
vous n'anrez rien a craindre de lui; loin de lit, vous aurez
tout a en espérer.


Rappelez-vous, messieurs, ce que disait dernierement
notre honorable collegue M. Odilon Banol; il vous parlait
avec chagrin de I'incertitude de nos convietions poli tiques et
morales; il vous disait, autan! que je m'en souviens, qu'il
n'y avait plus, pour un grana nombre d'esprits, ni bien, ni
mal, ni vérité, ni mensonge, et qu'on marchait sans sa\'oir a
quel senlimenl il ral1ait s'arrcLer.


M. Odilon B1ITOt disail vrai, et je crois le mal aussi grand
que lui; seulement je erois qu'il ne le disait pas tout entier.
Non-seulemcnl nos convictions morales el poli tiques sont
incertaines et vacillanles; mais DOUS sommes aux prises avec
des convictions poli tiques eL morales plus certaines que les
nOtres, bien plus ressenées, j'en conviens, ressenées dans
un espace bien plus élroit, a un bien petit nombre d'indi-
vidus, mais plus arden tes, je pourrais dire fanatiques, tandi3
que nous, nous ne le sommes paso


Remarquez, en effet, queHes son! les idées auxquelles vous
avez affaire; ce sont les vieilles idées révolutionnaires, anar-
chiques, qui se manifeslent autour de vous avec un degré,
je ne veux pas dire de fanatisme. mais (le frénésie qui
épouvante les hommes sensés.


Transportez-vous aux assises, écoutez les paroles qui y
ont retenli, et dites-moi s'il n'y a pas la des eonvictioIls
énergiques et redoutables.


El en meme temps que vous avez affaire 11 ces convic-
tions révol utionnaires qui ehel'chent encore a dévorer la
société, vous avez affaire aussi aux vieilles croyances eontre-
révoluLÍonnaires qui ne sont pas aussi éleintes que nous
serions quelquefois tentés de le croire et qui ont aussi lew'
énergie et leur danger. (Mouvements divers.)


En présenee de deux ennemis dont les convictions sont
I'anatiques, et par cela meme redoutahles, vous vous pré.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 FÉVRIER 1832. 387
sentcz arec des convictions molles, incertainesj el qu'oppo-
sez-vo.llS, je vous le demande, a ces fOl'ces ennemies ? I'a-
mour de I'ordre, qui est aujourd'hui un sentiment général
en France, et un certain instinct de moralité, d'honneteté et
de justice, qui repousse toutes les violences, toutes les ini-
quilés, tous les bouleversements auxquels nous amenerait
le triomphe des convictions ennemies.


Voilll vos deux seules forces, vos deux senles croyances;
c'est avec I'amour de I'ordre et I'instinct des bonneLes gens
que HOUS luUons contre les deux fanatismes dont je vous
parlais tout a l'heure, le fanatisme révolulionnaire et le fa-
natlsme contre-révolutionnaire,


Eh bien! ces deux sentimenls qui font aujourd'hui notre
force, l'amonr de l'ordre el I'instinct des honnetes gens, le
sentiment de la moralité et le respect pour la justice, la re-
ligíon les nourrit, les fortifie el les répand dans les masses.


La religion fait quelques fanatiques; oui, mais pour un
fanatique, la religion faít cent citoyens soumis aux lois, res·
pectueux pour tout ce qui est respectable, ennemis du dés-
ordre, du clévergondage et du cynisme.


e'est par la qu'indépendamment de tout pouvoir polilique,
la religion es! un principe éminemment social, I'allié natu-
rel, l'appui néeessaire de tout gouvernement régulier; il
n'cst arrivé sans grave péril a aueun gouvernement régulier
de se séparer complétement de cet appui, et de se rendre
hostile la premiere force morale du pays.


El non·seulement, permettez-moi de le dire avec franchise,
la religíon répand el fortifie dan s lous les esprits I'amour de
l'ordre et les instincts bonnetes; mais elle donne a toul gou-
vernemenl un camclere d'élévalion el de grandeur qui man_
que trop souvent san s elle, Je me sens obligé de le dire. JI
importe extrememenl a la révolution de Juillet de ne pas
se brouiller al'ee tout ce qu'il y a de grand el d'élevé cluns
la nature humaine el dans le monde. 11 lui importe de ne
pas se laisser aller 11 rabaisser, 11 rétrécir toutes elloses; car
elle pourrait fOl't bien a la fin se trouver rabaisséc el ré-




388 HISTOIRE PARLEME:'<TATHE DE FRANCE.
trécie elle-meme. (Tres-bien, trés-bien! aHX ext¡'él1lités.)


L'humanilé ne se passe pas longtemps de gl'andeur;
elle a besoin de se voir elle-meme grande el glorifiée; el per-
metlez-moi d'ajoutet· que le gouvernemellt qui prételldrait
se fonder ulIiqllement sur le bien-eh'e matériel dll pcuple
s'abuserait étrangement. Sans doute, le biell-Ctre des masses,
l'amélioration progressive de leur condition, est la base de
tout gouvernement légilime et libre; mais les masses ont
d'autres besoins que le bien-el re; elles ont besoin de gran-
deur; et j'insi,te sur ce puint qu'il est important pour la
révolution de Juillet de ne pas se bt'ouiller avec tout ce qu'il
y a de grand et d'élevé dans le monde. (Tres-bien, tres-
bien!)


Je crois que la rél'Olution de J uilld et le gouvernement
qui en est né seront bien conscillés s'ils s'appliquenL iJ. I'e-
eherehet, I'alliance de la religion, iJ. donller satisfactioll a eeHe
portion considérable du elergé qui veut rester pai~ib\e et se
renfermer dans ~a mission religieuse. Ne nou, trompons
pas par les mots, il ne s'agit pas de formes palies, de respect
extét'ieur, de pme eonvenance; il faut donnel' au clergé
la ferme conviction que le gouvernement parle un respect
profond a sa missioll religicuse, qu'i] a un profond scnti-
ment de son IItililé sociale; il faut que le clergé prenne con-
Hanee Jans le gouyernement, sente sa bicnveillance: il luí
donncl'a en relour l'appui dont je pal'lais tout a )'hcure, el
'lui peut, plus qu'auclIn autre, vous mettl'e en élat Je lulter
contrc Il's ennemis dont vous Cíes investis.


e'esl sous ce point de vue, e'est dans cet esprit que je
vous prie de eonsidérer tonlcs les propositions qu'on vous
fail relalivement au elel'gé, et en parliculier I'ameudement
dont il s'agit. (JIouvements diurs.)


Quelques voix. - Vous n'étiez pas dans la question.
M. Gl'lZOT. - Messieurs, j'espcrc que vous "elTez que


I'amendement n'est pas étrangcl' aux considél'atíom que j'ai
eu ]'honneur de vous soumellrc. (Non, non!)


Cet amendemcnt a d'abord un caructere qlle je ne mis




CHAMBRE DES DEPUTES.-16 FÉVRIER 183t. 389
comment qualifier, un caractere fantasque, al'bitl'aire, si
j'Me dire. En efftt, pOUl'quoi ne propose-t-il pas de suppl'i-
mer GOO mille, 800 mille francs? Pourquoi ne propose-t-il
pas de supP"imer tout? 11 n'y a pas de raison, d'apres les
principes de I'honorable membre, pour s'ancter a un chiffl'c
plut&t qu'a un autre.


11 es! arhill'airc; les bourses dcs séminaires ont une raison.
Il ~l évident qu'elles ont pour objet d'aider la portion pauvre
del la poplllalion qui serait disposée a entrer dans le clergé,
de l'aider, dis-je, 11 faire ses études. C'es!, comme I'a dit lui-
meme cet orateur, e'est un recrutement moral, exercé dans
la nation au profit du clergé. Cependant il ya des limites a
fixer. On peut les déterminer par ce fait: combien se faít-iI
d'ecclésiastiques par an? Cet amendement ne repooe sur au-
cune hase. Remarquez de plus sa co'incidence avec lous les
autres amendements qui vous sont proposés. Vous avez I'é-
duit hiel' considérablement les traitements des archeveques
el des é\eqlles; on vous propose de réduire cerlains élablisse-
ments ecclésiastiqlles, el en particulier le chapitre de Saint-
Denis; on vous propose meme de le suppl'imer tout a fait.


La maison des hautes études ecclésiastiques est supprimée
par le goul'ernement lui-meme.


11 est difficile que, dan s eeHe c0'incidence de tous ces amen-
Jements, le clcl'gé, les hommes raisonnables du clergé, ne
voient pas, je ne dis pas une défdveul', un mauvais dessein,
mais enfln quelqlle chose de facheux pour lui; ils ne peuvent
y voir une inlelltion bienveillante; ils ne peuvenl croil'e
qu'apres Cl'S amcnd~ments ils seroIlt allssi respectés, aussi
influents qu'auparavant, au moins aux yeux du gouverne-
ment.


On vous parle sans ecs,e de Napoléon, du concordat de
1 80!; le retou!' a ce cOlll:ordat est l'idée qu i domine dans
les csprils. Je \'acceple, et jq demande qu'on sache bien ce
qu'a élé ce concol'dat de 1801.


Il a été un retomo a la religion, la reconslruction de l'éta-
lJlisscment religieux pour soutenir l'établisscment social.




390 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
C'est dans des intentions tres-bienveillantes, tres-favorables
a la l'eligion, c'es! au profit de l'établissement l'eligieux que
le concol'dat a eu lieu.


Si v.ous venez aujourd'hui, en 1832, 'affaiblir la religion el
l'établissement ecclésiastique en illVoquant le concordat de
1801, vous ferez le contraire de ce qu'a fait Napoléon; ne
venez pas dire que vous imitez Napoléon; vous faite s exacte-
ment le contraire; vous défaites l'reuvre du con cordal de
i 801. Ce fut, je n'hésite pas a le dire, peut-etre la plus
grande preuve de la supériorité du génie de Napoléon que
d'avoir démelé en 1801, au milieu des préjugés et des ob-
stacles de toute nalure qui l'entouraient, qu'il fallait recon-
stituer I'établissement l'eligieux; il fut, non pas un des pre-
miers, mais le premier a conceroir cette grande idée.


Eh bien! vous venez de faire pelit a petit, par des amen··
dcments misérables .. ". (Vive interruption.)


M. GUlZOT.-J'ose dire que pel'sonne plus que moí ne
respecte les décisions de la Chambre; non-seulement je m'y
soumets, mais je les respecte sinceremenl, meme quallll je les
désapprou ve .• ".


A 'gauche. - Alors ne les appelez pas misérables !
M. GUlzoT.-Il ya une foule d'amendements non adoplés


que j'ai le droit d'appeler misérables; c'esl de ccux-Ia que
j'ai voulu parler. (Nouvelle interruption.) .


M. GARNIER-PAGES.-Vous devez respecter llon-seulement
la Chambre, mais les membres de la Chambre.


M. GUlZOT.-L'honol'able auteur de l'amendement, mes-
sieul's, vous uisait toul a l'heure que les bourses des grands
séminaires étaient complétement étrangeres a la pensée pl'i-
mili"e de Napoléon quand iI avait fait le concord"t, et il
vous les a monlrées introuuites plus tard par Napoléon lui-
mcme; l'oralenr a trouvé la une pl'euve qu'elles étaient
élrangel'es a la pensée premiere de NapoIéon.


Messielll'S, Napoléon était un homme de sens, qui n'uvait
pas la prétention de faire tout a la fois, qui savait mé-
nager les nécessités du moment el meme les pl'éjugés contl'e




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-16 FÉVRIER 1832. 391
lesquels illuttait; Napoléon se semit bien gardé de favoriser
les ~éminaires au momeut 011 il rappelail les éveques, el
'luand il a favorisé les séminaires plus tard, il se serait bien
gardé d'y fonder des boul'ses au meme moment. Napoléon
~avait aUendre; il savait que de telles clIoses ne peuvent f'e
faiIe en un instant, et qu'elles exigent deux, trois et quutre
années : e'est la ce qu'il 11. fail.


ÉrectioIl des séminaires apres celle des évechés, el fonda-
tion des hourses apres celle des séminail'es, voilil le [ll'ogres
de la polilique de Napoléon; ce n'est pas une dévialion, c'est
un progreso n poursuivait .ses oouvres avec la meme persé-
vérance, avec le meme courage el la meme patience queje
souhaite pour mon compte au gouvernement de Juillet dans
l'oollvre qu'il est appelé a fonder.


Cette oouvre, je le I'épete, c'est la création, I'ol'ganisation
complete du gouvel'llement constitutionnel. POllr le fondel'
,'él'itablement, pOUl' luttel' avec sucees conll'e les forces qui
I'attaquent, nous avons besoin de l'appui, de I'alliance de la
l'eligion el du clergé comme établissement religieux.


Pour mon eompte, je désire eeUe alliance, je la seco n-
¿crai aulant qll'il sera en mon pouvoir; et comme je IrolH'e
les bOUl'ses dans les grands séminaires favorables a celte al-
liance, comme j'y trouve une prellve de la bienveillance du
gouvernement el de la Chambre pour l'établissement rcli-
gicux, je vote contre l'amendement.


Je repoussai en ces termes le sous-amelldement de
M. Comte.


M. GUIZOT. - Je prie la Chambre de remarquer que la
cornmission propase une réduction de 100,000 fr. et que
le gouvernement annonce une diminution prochaine de 500
llOUI'ses. Ainsi ce que demande I'honorableM. Comte se trouve
dans la proposition du gouvernement et dans celle de la com-
mission. Je n'ai pas comballu ces Pl'opositions. C'est uni-
quement a l'amendement de M. Dubois que jc me suis opposr.




3!)2 HISTOIHE PARLElIIENTAIHE DE Flü:\CE.
M. IkBOIS.-La commi¡;sion a, en effet, annoneé dans son


rappol't que le ministl'e avait pris la résolution d'éleindre suc-
ccssivement 500 bourses, el que la diminutíon de 100,000 fr.,
qui a eu lieu eeUe année,· était un premier pas Yel'S celte
extinctíon. Eh bien, quand l'extindion de 500 hourses aura
eu IiCll, e'psl-a-dire qualld vous aurez rctranché encor<;
:100)000 fr., cal' la diminutíon de 100,000 fr. retranehe
2JO bourses, vous aurez atteint la limite d'extinction an-
noncée par le ministre.


n résulte de calculs positifs que I'année derniere YOUS
cntreteniez pour ·1,210,000 fr. 3,025 élcves a 400 fl'.
Quand vous aurcz atteint la limite de 500 hourses étein-
tes) vous entretienurez eneore 2,5:2:> élcl'es qui cOllte-
ront 1)010,000 fr. Je dis que cela esl bcaueoup (rop, quc
vous ne pouyez pa,: entl'etenir 2,525 éleves qllanu, chaqlle
année, JI ne sort qu'un nombrc de 1,200 pretres. el e'esl la
qu'étail toute la force de mon amendemenl. (Bruit).


D'alltre pal·t; j'entre tout a raíl dans les raisonnemenls de
Illon honorable ami M. Comte. Alol's, si la Chambrc consent
iJ. allouer 600,000 fr. au budget, il sera demandé un erédit
sllpplémentaire pOll\' faire face a la dépense des bounes jus-
qu)a ce que les jcuncs gens aient f¡ni leur éducation.


M. GUlZO'f, de su place.--2,:JOO hourscs ne donnent pas
'::l,:JOO pletres par an. Les étuucs durcnt quatre am; il faut
q:;alre ans pour qu'uu séminariste devienne pretre. 11 ne
sort des grane], séminaires que 500 ou 600 prl~tt'cs par an,
et cornme, d'apres les calculs de M. Dubois, íl en fautt ,200,
il s'ell~lJit que, inuépendammcnl de ceux qui ont été élevés
C<lmrne buur:;Íers, ii eH faul encore (lOO . . (Bl'ua.s divers.)




XL


Discussion du budget de 1832.


- Chambre des députés.-Séance du 28 février 1832.-


La commission ehargée de l'examen du projet de
hudget pour l'exerciee 1832 avait proposé, dans son
rapport, a propos du chapitre XXII du budget du mi-
nistcre de l'agriculture et du commerce, sur le service
de la vérifieation des poids et mesures, une réduction
de ;)00,000 franes. Je combattis cet amendement qui fut
rejcté.


M. GmzoT.--J'avoue que je partage l'inquiétude des préo-
pinants sur ]'effet de l'amendement de voll'e commission i.t
l'égard du syslcme des poids et mesures.


e'est sam aucun doule un des beaux ouvrages, un des
heaux résullals de notre RévoluLion. e'est un résultat qui
réunit, remarquez-Ie, l'ulilité jOUl'naliere, l'utilité minu-
lieuse a la beauté scielltifique et syslémalique. 11 n'y a
l'ien de si rare que ces deux avantages, celui de l'utilité de
tous les joul's el celui de la beauté scientifique réunis.
(Approbation.)


Eh }lien, le systcmc des poids el mesures á ce douhle




394 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE,
mérite; et cependant, il rencontre encore, dans les habi-
tudes populaires, de grands obslades, il a eu besoin d'lilre
soutenu par la main de fer du gouvernement impél'ial pOUl'
commencer 11. pl'évaloir. 11 s'en faut encore beaucoup
qu'il ait complétement prél'alu, el il a besoin d'etre soutenu
encore Ionglemps par l'administration pour s'élablir tout a
fait dans les habitudes QU pays.


Messieurs, l'organisation actuelle des vérificaleurs des
poids et mesures me paralt seule propre 11. soutenir efficace-
menlle sysleme, Je crains qll'on ne se soil pas rendu un
compte bien exact de ce que font les ,'érificateurs el de I'in-
fluence qu'ils exercent. Les vérificaleurs font trois eh oses :
la premiere est de tenir le burcau de poin~onnage et d'éta-
lonage pOUl' loules les mesures nouvelIes; ce hureau se lient
au chef-lieu de l'arrondissemclll.


Jls font ensuite des lournées dan s les arrondissemenls
pour vérifier les poids et mesures anciens; enfin ils dres-
sent les matrices des roles de tous les assujettis 11. la vérifica-
tion. Les assujettis s'élhent en France a 900,000, Les rMes
sont dressés ensuite pour les conh'ibulions dil'ectes el non
pour les contributions illdirectes.


Quels sont les mérites de cette administration ainsi ré-
duite a sa plus simple expression? e'est précisément
d'etre un ser vice spécial fait par des hommes spéciaux qui
onl étudié la matiere. Assurément, il !le faut pas litre un
homme de génie poul' comprendre le systeme des poids et
mesures et pour en surveiller l'applicatiün; cependant il
faut avoil' un peu l'éfléchi, ii faut avoir l'habitude de com-
parer les poids et mesures prodigieusement divers des dépar-
tements avec les poids et mesures du systeme décimal. Eh
bien! ce genre d'instruction ne peut appartenir qu'aux em-
ployés qui en ont fait une élude spéciale.


De plus, leservice de la vél'ification a cet avantage de
n'litre nullement fiscal. Je ne sais si beaucoup de membres
de eeUe ch~mbre ont pris la peine de I¡re avec süin l'ordon-
nance UU 18 décembl'c 182:5, qui a l'l;glé cdtc org.lIlisation.




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-28 FÉVRlER 183~. 393
Elle a yeillé avec le pI us gmnd soin a. ce qu'il n'y eut rien de
Jiscal. En voici la preuve.


CeUe ordonnance porte, arlic1e 12 :
«( Le monlanl du cl"édit ne pourra etre supérieur au pro-


duit de la rétribution de l'année précédente; quand il sera
reconnu que la totalité de la recette n'est pas al)sorbée par la
dépense nécessail'e, il sera pourvu a. une réduction sur la
quotité du tarif poul' l'avenir, en observant ce qui est dit au
dernier paragraphe de I'article j 6. »


Tant on a voulu que celle tétribution fUl exc1usivemenl
afIeclée aux dépense~, el tant on s'est appliqué a oler lout
caractere de fiscalité a. ce travail.


Voici I'arlicle 22 :
a JI est défendu aux vérificateurs de s'ingérer dans le re-


couvrement de la rétriblltion, et de percevoir ou accepter
aucun salaire de la part de ceux dont ils vérifient les poids
et mesures, a peine de concussion. )


Vous voyez qu'on a compris a. ceHe époque combien il
était important d'oler a. celte vérificalÍon tout caractcre de
fiscalité. Eh bien, c'est ce service qui existe, qui n'a point de
caractere fiscal, que vous allez défaire.


Vous allez chargcr de ces fonctÍons des employés qui ont
autre chose a. faire, et pou1' lesquels cela ne sera qu'un acces·-
soire , qui n'auronl pas faít une étude spécíale du systeme
des poids et mesures et qui se1'on1 portés a considérer leur
nouveau service sous le point de vue purement fiscal; des
employés qui son! eux-mcmes soumis a. la véríficalion.


C'est évidemment compromeltre le service des poids et
mesures, e'es! lui oler son caractcre d'unité si important et
sans lequelle systernc enlier n'existe pas.


L'ordonnance de 1825, dont j'aí parlé, a été conll'e-signée
par M. Corbiere; tous les gouvernements qui nous ont pré-
cédés ont protégé I'unilé du systeme de I'auministration des
poids et mesures; il ne se peut pas que le gouvernement de
Juillet détruise eette unité et porte atleinte a. l'ceuvre de
.Monge. (Tres-bien! tres-bien!)




XLI


Discussion du budget de 1832.


- eharobre des députés.-Séance du 7 roars 183il. -


Dans la discussion du budget du ministere des affaires
étl'Jugeres pour l"exercice 1832, la politique de paix et
d'observation des traités, proclamée et pratiquée par
les cabinets du 8 aout 1830 et du 13 mars 183J, ayaÍt
été de nouveau et vivement aUaquée. M. Casimir Périer,
ulors président du conseil, l'exposa et la défendit duns
un long et remarquable discours que lU. Mauguin entre-
prit de réfutcr. Je pris la parole pour répondre a
1\1. l\Iauguin, et apres ma réponse, la Charnhrc ferma
la discussion générale sur le budget des atfaires étran-
geres.


M. GmzoT.-l\Iessieurs, au poinl OU celte discussion est
arrivée, je n'ai nul dessein de la proJonger longtemps. Je ne
llrendrais mcme pas la paroJe s'il ne me sembJait nécessairc
d'al)pelel', de concentrer loute l'attention de la Chambre sur
ce qu'íl y a de vlaiment nouveau dans nolre situation el sur




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-7 MARS 1832. 397
la conduite que eetle face nouvelle des alfaires nous eonseille,
it nous el a notre gouvernement.


L'honorahle préopinant nous disait tonl a l'heme qu'jl
éearterait toutes nos discussíons passées, qu'i\ s'imposerait
de ne parler que de l'avenir de la France, de ce quí intéresse
véritablemenl nolre avenir. 11 vous \'a promis, j'essayerai de
le faire. (Sourires.)


JI n'y a réellemenl d'important pour nOlls aujourd'hui,
aprcs les longucs disl'ussions quí onl eu lieu a ce sujet, que
ce qui esl nouveau, ce quí esl SUl'venu depuis que le mi-
nislere du f3 mars dirige les alfaires du pays.


En effe!, il y a quelque chose de nOllveau; nous commen-
~ons a sortir de eette situation violente ou la question révo-
lulionnaire domine et étoulfe loutes les autl'es; nous com-
men!;ons a sortir de ectte situation ou tonl es! question de
vil' et de mort, ou lou:; les intéréts sont obligés de se taire
devanl un intérel unique, exclusif, redoutahle.


Nous entrons dans cette sitnation plus libre ou ¡'on peut
tenir compte de tous les faits, balancer tous les intérels,
suí He une polilique vraiment nationale, une politique indé-
pendanle, au lieu de se débatLre sous le coup d'une question
de yie et de mort. Eh bien, messieurs, persévérerons-nous
dans ce systeme? Avaneerons-nous dans cette yoie nouvelle,
ou relomberons-nous sous l'empire de la question l'évolu-
tionnaire? C'est la aujonrd'hui le problcme que eelte Cham-
bre et le gouvernemenl sont appelés a résoudl'e.


Rappelez-vous, messieurs, et je puis m'adresser a la mé-
moire de lous les membres de cette Chambre, quel es1 le
fait sous l'empire duqucl nous vi,'ons, je puis dire, depui5
quaranle ans: c'est une coalition générale de l'Europe; c'cot
sous ce fail qu'apres des elforls inouis et des soulfrancc3 in-
croyahles, la Républiqlle fran!faise faillit sllccomber. II fallut
que la main de Bonapade vinl la sauver.


Plusieul's voix.- La Républiquc s'était saul'ée elle-meme.
M. GUlzor.-Il a sauvé la France, si vous voulez ... (Nou-


vrlles l'éclamations.)




398 HISTOlRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
Voix des extrémités. - La Franee était sauvée quand Bo-


naparte s'est mis a la tete du gouvernement.
Aux centres. - Laissez parler.
M. DE GRAMMONT. - Il n'est pas permis de défigurer ainsi


l'histoire.
M. GUIZoT.-Bonaparte fit plus que de gagnel' des ba-


tailles; il comprit tres-bien d'OII venait le dangerj iI com-
prit qu'il fallait bl'iser l'unité de l'Europe, dissoudre eeUe
eoalition qui pesait sur la France. Étudiez la poli tique du
gouvernement consulaire; étudiez ses actes, ses négocialions,
vous verrez qu'ils tendirent constamment a détruire l'unité
de l'Europe, a chercher des alliés il. la France. 11 négocia
successivement avec l'Espagne, le Portugal, la Prusse, l' Au-
triche. 11 ne négligea aucun moyen de se faire des alliés j il
chel'cha par tous les moyens a bl'iser ceHe unité redoulable
qui avait pesé sur la République fran~aise, P.t il. entrer dans
le systeme des alliances au lieu de rester sous celui de la
lutle rél'olutionnait'e; c'est l'honneur du gouvernement con-
sulaire d'avoir ressuscité les négociations,:'d'avoir remis la
France en paix avec telle DU telle puissance de l'Europe, et
de l'ayoir ainsi soustraite il. ce fardeau de la coalition 50U5
lequel elle avait failli succomber.


Malbcureusement, vous le savez tous, Napoléon rentra
dans la voie d'ou Búnapal'te avait tiré la France. De meme
que la Convention avait aspiré a la révoIution universelle, il
refit contre luí-meme la coalition qu'iI avait travaillé a dis-
soudre; il succomba a son tour. Ce fut dans cel état, en
présence de l'Europe liguée contre la France, que la Restau-
ration s'accomplit.


Quelle fut la tentative, I'effort de la France, ou plutot de
son représentant au congres de Vienne? Ce fut de détruire
I'unité de l'Enrope, de la mettre en deux, de faire a la France
une politique et des allianees distinctes. e'est, iI faut le dire,
l'honneur de M. de TalIeyrand d'avoir consacré, pendant le
con gres. de Vienne, tous ses errorts a obtenil' ce résultat,
d'avoir travaillé a détruire I'alliance de Chaumont; jI y




CHAMDRE DES DÉPUTÉS.-7 MARS 1832. ~99
réllssil. Vous savez qu'jl panint a conclure une alliance
entre la France, l' Angleterre et YAutriche. Les Cenl-Jours
vinrent détruire cette reuvre, et la France se retrouva en
p('[~,;elll'e de fa coalition européenne; eelle-ci prit le nom de
Sainte-AlIiance, el se fit sous la prépondérance russe.
Voila le faitsous Jequel nous avons 'vécu jusqu'a la révolu-
lion de Jllillet, la Sainte-Alliance dirigée contre la France, et
dans la Sainte-AlIiance, la prépondéranee russe, résultat na-
turel de la personne d' Alexandre et du role premiel' que la
Russie amit jOllé dans la lutle contl'e Napoléon.


Eh bien! la révolution de Juillet semhlait devoir con-
firmer ce fait redoutahle, ressel'l'er tous les liens de la coali-
tion européenne contre la Frunce. relles ont été en effet et
nos cl'aintes et les premieres apparences; ou en sommes-
nous aujourd'hlli? Je le. demande, ou en sommes-nous de-
llUis que le sysleme politique dll cabinet se déploie en Eu-
rope? Je conviens qu'il n'y a pas de scission entre les
puissances eUl'opéennes; tous leurs représentants siégent a
Londres; leu!' union n'est pas pl'eS de se rompre, elle ne se
rompra pas, Je l'espere; mais il est clair que l'unité de la
eoalition elll'Opéenne a disparu, qu'il n'y a plus de eoalition
européenne contre la France.


Je ne parle pas seulement de la ratifieation de l' Angle-
lerre au Ir'aité du j 5 novembre; il est évident, par le lan-
gage de ses ministres, par les sentiments qui éclatent et dans
le parlement hritannique et dans toule la nation anglaise, que
si le gouvernement anglais n'a pas eonclu un traité d'alliance
ofIensive el défensive avec la France, il marche de coneert
avec le gouvernement fran!(ais, qu'il est animé du meme
esprit, que les intél'r.ts communs des deux nations sont com-
pris par les deux gouvernements. Cela vaul hien les alliances
ofIensives et défensives éerÍtes, car cela les amene le jour ou
elles deviennent nécessaires. Ce que la France doit désirer.
e'est que l'Europe ne soit pas troublée, e'est que la paix de
l'Europe ~ubsiste, et qu'au milieu de ceUe paix la coalition
soít détruite virtuellement, que la Fr-ance se prépal'e des




400 HISTOIRE PARLE;\IENTAIRE DE FRANCE.
alliances, une polilique particuliere pour le moment ou ülle
en aura hesoin.


Eh bien! c'est ce qui existe aujourJ.'hui en Europe. L'u-
nion des puissances n'est pas troublée, mais il n'y a pln~,
je le répete, de coalilion générale contre la Fmnce. Le gOll-
vernement fran!{ais et le gouvernement anglais marchent de
coucer!, et s'il u'y a pas de lraité conelu, qu'ou ue vienne pas
dire que cela tient a la pl'ésence de tel ou tel ministere, que
cela dépend du succes de telle ou telle mesure daus le parle-
meut britannique. Je crois 'lile celte Chambrc doil porler, et
pour mon comple je porle au minislere actuel de l' Angleterre
une véritable sympalhic; jc crois ses intentions excellentes,
el pour I'Europ~, et pour l' AngletelTe, el pour nous. Je n'ai
pas sur la mesure de la réforme une opinjon al'l'etée; je lIC
fais [lrofession de savoir les chasco que quand je les connais
vérilalJlement; cependanl je désjre le succes de eeHe mesure,
qui me paralt le vreu prononeé de l' Angletcrre. Mais, jc
le l'épete, je ne crois pas du tout que la boune inlelligence
de la France el de l' Angletel're tienne au sucd~s de lelle ou
lelle mesure, a la présence de tel ou tel ministáe. Elle a
des causes bien supérieures qui subsisLeraient quand meme
les di:;cussions du parlement auraíent une autre issue que
eelle que nous pouvons atiendre el cspérer.


Je ne connais aujoUl'd'hui en Angleterre que le parti tory
violent, exagéré, qui puisse vouloir rompre avec la Fratlt:l',
une guerre ayec la France, el la guene générale en Euro pe:
eh bien! le lorysme violent u'a aucune chance ell Anglclerl'l"
a moins que la France elle-meme ne luí en donnal par su
conduite violente en Enrope, et par l'exagération de'l'esprit
révolutionnaire chl'z nons.


Apres cela, qu'jl arrive ce qu'il voudra' en Angleterre,
(lue la discussion qui s'agite dans le parlemellt.bl'ilanniqlle
ait ¡'isEue que le pays trouvera ~age. Pour nOllS, quelqne inté-
rCl que nous pOl'tions a la rérol'lne, queHe que Soil nolre
sympathie pour le minislcre aCluel, notre sorl u'esl pas lié
an sien, el la bonne iutelligcnce de la Frallce et de l' Anglc-




CHHIBRE DES DÉPUTÉS.-7 MARS 1832. 401
terre peut trouver sa place dan s une foule d'aulres combi-
naisons.


Le progres politique dont je parle est moins ayancé, yen
conviens, sur le continent qu'au dela du détroit. La Prusse
et l' Autriche sont plus engagées que l' AngletelTe dans les
traditions, les habitudes, el pour tout dire, les intérets de la
Sainte-AlIiance; elles sont placées encore, je ne dirai pas
dans la dépendance, mais sous la prépondémIlce russe, et
fort au dela de ce qui leur convient. .


Cependant, il est impossihle de ne pas remarquer déja,
dans chacune de ces deux puissances, une certaine tendance
a reJacher les liens qui les unissaient a la Russie, a se faire
une politique pl'opre, personnelle, a agír plus librement
qu'elles ne I'ont faít pendant les quinzeannées de la Restau-
ratioll; il est impossihle, apres I'issuc qu'a eue la guerre
de Po!oguc, que l' Autriche ne reprennc pas quelques-unes
de ses anciennes méfiances contl'e la Russie, de ces méfiances
qui ne l'o11t jamais quittée, de ces méfiances qui, au com-
mencement de notre gouvernement et 100'sque la coalition
européenne se formait contre nous, l'ont relardée long-
temps. L'Autriche reprendm hientót quelques--unes de ces
méfiances.


D'un autre cóté, l' Autriche ne renOnCel'R pas aisémenl a
l'alliance anglaise, qui est dans les habitudes du cabinet de
Vienne; cette alliance est un principe politique pour la mo-
narchie autrichienne. D'ailleurs, il s'est formé en Aut¡'iche
Une multitude d'intérels nouveaux auxquels nous ne pensons
pas assez, et qui modifient puissammenl la polilique des ca-
hinets. Ainsi, il y a quelques années, l'Autriche n'avait pas
dans la Médilerranée plus de deux ou trois cenls batiments
de commerce; elle en a aujourd'hui plus de deux mille. Son
commerce a pris une telle exlension qu'il est impossible
qu'eIle ne ménage pas beaucoup, sous ce rapport, des inté-
réts aujourd'hui tres-puissant~, et qui n'étaient rien il y a
quelques années.


C'est ainsi que, par ses progres naturels, la civilisation se
T. I. 26




402 HISTOIRE PARLEMENTAIlUi: DE FltANCE.


défeqd elle-meme, qu'elle prolége la paix, qu'elIe obliga les
gouvernements de moditier leur politiqueo Quoique exté-
rieureuumt les'choses restent les meme~, il ya une f(lule de
¡:a,uses qlli imposent a l'Autriche une poli~ique di{férente de
celle qu'elle a suivie a\.!trefpis, el qui I'ohligent a,ujoul'd'hui
a se place¡' un peu horil des ha,\Jitudes el des roulÍnes de la
Sainte-AlIiance, a etl'1l un pElU moins S()US la pl'~pondérance
rUSSe Ilu'elle ne l'a été depuis quin¡e ¡lUS,


Je pourrais faire le m~II\e !nlVaill\u"" la Prusse; jo pour ..
r¡~i~ ID,ontrer les ¡ntérets nOuveaux qui se 80nt Cl'éés, le sys-
teme essentiel1ement pac\«que de son gouvernemenl, le
besoin qu'elle a. de la paix, me me pour cette influence sur
l't\llemagne dont on parlait tout a I'heure.


D'ailleurs, il ne faut pas oublier que la pel'sonne, la vo-
lonté,. l'opinion du roi ele Pl'usse, es~ d'un grand poids dans
la politi~ue de son cabitwtj d'aulant que c'es.t un roo tres-
pppulaixll, trcs.-cpe..' a '041 paya, qui lui a l'ondu d'éminents
sllfVices, qqi a prQt~g~ la \ib~té de la pensée, et favorisé le
MveloPPewenl de. l'intaU\gence au dela de ce qu'ollt fait
lous les autr(l~ s~\lvel'ains de l' Allemagne. Il a rendu SUTlout
ª ilU{\ pays ce s~l'vic~ imwense, celui de réunir en une sellJe
Eglise les luthériens ~t les calvinistes jusque-la séparés.
~a, poli~ique personnolle du roi de Prusse esL essentielle-


IDent pa.citique; elle l' oblige a gal'der une extreme réserve,
QU .;lu mojns une bien plus grande réserve que ne faisait
ja~i~ frédédc-G\.lillaume, dans la vue générale d'une ooali-
tion, contrll l~ franco.


Ainsi, mossieqf!l, sQr le Il<lntinent, pour l'Autriche mem~
cowme poqr III P\,u~~e, l!llien de la Si\inte-Alliance est pa\' ..
tm~t l'el~ohé; Pílrtou,t une poli tique nouvelle s'insinue dans
le~ ~e\atiof\s des cabinets, et les obligo 11. modifier leura an-
clen~e.S TPutines.
l\~ste, il e~~ vrai la Russie, beauco.up plus. fidele, j'en con-


viens, awr¡ \ríl.d\\lons de lil Silinte-Allianc"ll; d'abord elle l'avait
enfantée; elle y avait la prépondérance, c'élait son reuvfll,
son empil'e; il est naturel qu' elle y tienne davantage; d'ail-




CHAl\fRRR DES DÉPUTÉS.-7 MARS 18:l2. 403
leurs les principes de l'absolutisme· sonl plus ceux de la
Russie que de toule autre puissanee; iI n'y a pas lieu de
s'étonner de celte adhérence plus longuc de la Russie 11 la
Sainte-Allianee. Cependant elle n'en est pas venue jusqu'a
une hostilité sérieuse, véritable, contre la France.


Ne eroye! pas les bruits répandus a ce sujeto Les gouver-
nements ahsolutistes ne sont pas. aussi légers, aussi témé~
raires qu'oll est tenté quelquefois de le ero!re. Savez-vous
quelle eiit été l'envie de I'empereur Nieolas? De mettre la
Franee de Juillet au han de I'Europe, de lui rendre les re~
lalions plus difIiciles, plus épineuses, plus malveillantes.
C'était la la polilique de I'empereur de Russie, el non pas
Une guerl'C générale et déclarée.


Eh bien! si tous les faits que j'ai eu I'honneur de rap-
peler a la Chambre sont exacls, il est évident que la Russie
ne 'dispose plus de I'Europe comme le faisait la Sainte-
Allianeo. D'un auh'e cOté, il es! impossihle:gue l't)mpereur
Nicolas Jui·meme ne s'aper~oive pas que la poli tique, je
n'oso pas dire qu'il suit, mais dans laquelle il semble v<!u~
loir persister trop longtemps, nuíl R la canse qu1il "ent 5crvir.
Ce sont l'esprit révolutiounaire, les chances de révolution
qui alarment l'empereur Nicolas. Eh hien! tout retard a la
pllcitlcation géoél'ale do rElII'ope, toul retard a des Ill'rao-
gem~nts définitifs el générauli entretienl le ferment révo.
lutionnaíre, empeche I'esprit de paix el d'Ol·'Ilre de renaitre'
vérilablement en Europe : on sorle que, pa\' sa pCl'sislance
imprudente daos la politique de la Sainte-Alliance, l'empe-
J:eul' Nicolascompromettl'ait la eaDiO qúi lui est chere,et pl'e-
terait.des forces ill'espril révolutionnail'e qu'il veut combaHre.


]) est impossible qu'il ne s'aper~oive pas de ce danger et
qu'il no l',enonce pas de 1l1i-meme a une el'l'Cl11' qui n'est,
pel'meltez-moi de le dire, qu'une rontine.


Il est una vérité proclamée par tout le monde, je erois,
exceplé par l'honorable M. Mauguin; c'est que la prépondé-
rance rU~iie n'existo plus, ou du moins qu'elle esl grande-
menl affaiblie.




404 mSTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.
J'avoue que j'ai été étonné d'entendre dire tout a l'heure


que l'issue de la guelTe de Pologne lournerait en grand ac-
croissement de puissance poUt' la Russie. Ce qui m'a paru
depuis deux ou tl'ois mois évidenl puur tout le monde, c'est
que, quelle qu'ait été l'issue de la guerre de Pologne, la
Russie n'en a pas moins re~u un notable échec dont elle
portera longtemps les marques; non-seulement a eause des
eftorts matériels, des sacrifices d'hommes el d'argent qu'elle
a été obligée de faire dans eette lutte, efforts plus grands
qu'on ne sait au d~hors, el qui luí ont couté plus cher
qu'on ne croit, mais a cause de son infl,uenee morale qui
s' est affaissée.


Eh quoi! l'on a vu 60 ou 80,000 hommes et une seule
ville résister pendant prcs d'une année it la puissance de l'em-
pire russe, tenir les esprits en suspens, faire un moment
flotter les destinées; et l' on trou verait lit un grand acel'ois-
sement de force et de erédit pour l'empire russe! J'ose dire
qu'il n'y a aueun acel'oilSement de terriloire qui puisse com-
penser l'échec que la Russie a éprouvé dans eeHe Cil'COll-
stanee. (Voix nombreuses. Tres-hien, tres-bien!)


Vous le voyez, mcssieurs, malgré les apparences, malgré
l'union qui eontinue it régncr entre les puissances de l'Eu-
rope, la Sainte-Alliance s'écroule de toutes pal'ts, les liens
s'en relachent. La politique consLammcnt unie eontre
la Franee s'affaiblit; chaque État reviellt it une politique
plus personnelle,plus libre; les combinaisons intéricures de
chaque État peuveilt varier, la Franee peul tl'ouver place
dans ees diffél'enles eombinaisons.


II n'est pas vI'ai que la Franee soit engagée dans tel ou
tel s)'steme exclusivement, qu'elle ne puisse pas, dans telle
ou tellc occasiotl, ehcrchel' el ll'ouver d'auLl'es alliés. e'est
par la force de sa position qu'elle "eut la paix en Enrope'


. ,
elle a contribué plus qu'aucune autre puitisance a· main-
tcnir la paix europécnnc; elle cst libre de choisil' désol'-
mais ses aUiés et de faire prédominer, dans td ou tel
moment, tel8 ou tels de ses intérets, Si j'avais besoil1 de




CHAMBRE DES DÉPUTÉS.-7 MARS 1832. 405
preuves spéciales el positives, je les trouverais bien facile-
ment dans les événements qui occupent aujourd'hui tous les
esprits, dans les affaire s d'Italie el dan s les affaires meme
d'AncOne. Si jamais il a été évident que I'état général de
l'Europe était changé, que la Sainte-Alliance était détruite,
que la France étail maitresse de sa polilique, et pouvait re-
trouver les combinaisons les plus avantageuses, l'affaire d' An-
con e en est la preuve. (Rires d'incrédulité aux extrémités.)
Permcttez-moi de vous le prom-cl'. (Marques générales d'at-
tention.) .


Messiems, quand a éclaté l'insllrrection de la Romagne,
la premiere, el j'ajouterai me me la seconde, vous savez que
l'opinion générale qui nous a saisis lous a été que c'élait
une manifeslation d'un vif esprit de liberté, que ces popula-
tions voulaient avoir des institutions nouvelles, que les con-
cessions offertes el me me données par le gouvernement
n'étaient pas suffisantes, qu'il en fallait de beaueoup
plus étendues el plus solides; e'était l'opinion générale.
Cependant au milieu de eeUe opinion, on a entendu dire
tout a coup, je ne dirai pas qu'une asscz vive sympathIe, le
mol est trop fort, mais qu'une assez grande faveur pour
l' Autriche se manifestait dans ces États et qu'ils n'étaient
pas fachés de la rentrée des troupes auLrichiennes. Celte pré-
dileclion pour l' Autriche, du coté de la Llllllbardie, a dd
nous étonner; cependant il est impossíble de méconnaitre
le faíl. .


On a dit tout de suite qu'il s'agissait d'une grande intrigue
de la part de l' Autriche, d;une intention de conquete, et que
son intervention dan s la Romagne n'était qu'un prétexte
pour s'emparer de cetle province, eL l'ajouter a ses posscs-
sions italiennes.


Je ne crois, je dois le dire, ni a I'un ni a l'antre fait. Je
ne crois pas que ce soit le besoin général el ~ivement senti
d'institutions libres qui ait soulevé la Romagne.I1 ya la, a
IIJon avis, une question beaucoup plus profonrle, beaucoup
·plus diffj¡;ile a résoudre. le ne crois pa, aux intrigues autri-




4015 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE FRANCE.


chiennes pour conquéril' Bologne, el l'ajouter aux autres
possessions de l' Autriche en Italie.


L' Aulriche sait h'es-hien que ni la France, ni l' Angletel'l'e,
ni la Prusse, ne souffriraient un pareil accl'oissement ds SR
part en Italie. Mais l'état général de J'ltalie a amené ces
il1surrections partielles, et en amimera peut-elre, dans la
sé1'Íe des années, heaucoup d'autres. 11 ya la un malaise gé-
néral, la souffrance d'un pays qui aspire a un changement
d'état; non-seuJement celle cause excite naturellement des
mouvements analogues a ceux que vous avez vus; mais c'est
un excellenl príncipe de guene générale en Europe, une
excellente chance pour certaines gens d'établir par ce moyen
une collision dont ils ont besoin, et qu'ils n'ont pu réussir a
opél'er ailleurs. Nous ne pouvons le méconnaitre; nous
sommes trop accoutumés a regarder les affaire s de notre
pays et celles de l'Europe pOUl' ne pas voir qu'il y a un
parti, une faetion qui a besoin d'une guerre générale, qui
n'a d'espérance, de chance que dans une collision univer-
selle. Eh bien, on avait espéré que cette coHision naitrait de
la Belgique; elle a manqué; on I'avait espérée de la Pologne;
elle a manqué. On la cherche en Italie.


n y a la un foyer de guerre générale, el je 11e doule pas
(je ne sais aUeun fait particulier, je n'ineulpe personne), je
11e doute pas q'!e !'insurrection polonaise d'abord, el ensuite
celte espece de mouvement qui s'est manifesté, vers l' Au-
triche, n'aie11t été fomentés par ce ))esoin d'une guerre
générale flui a élé deux fois déja l'espéranee de cette faction;
je ne doule pas qu'on n'ait espéré, si les provinces holo-
naises. se détachaient tout a fail du gOllvernement papal
el se raUaehaient a l'Autriche, celte coHibion qui avail
manqué en Belgique et en Pologne,


Je crois qu'on se sera trompé pour l'Italie comme on
s'est trompé en llelgique el en Pologne. J e erois ferme_
ment que le gouvel'llernent de l' Autl'iche a trop de hon sen s
pour ne pas comprendl'e que la llOssession meme de la
HOllllIgne ne vant pas a heaucoup pres pour lui les chances




CHAMH!{E DES DÉPUTÉS,-7 MARS 1832, 407
d'une guerre générale. La France, d'un atltre coté, sait lres-
bien el a prouvé par sa cotlduite qu'un sucees aussi vif qlt'on
voudra le supposer ne \ui vaudrait rien póiir eHe-meme.


Ainsi la France ',et l' Atilriche ne donnetóiit páS dans le
piége qui leur est tendu; elles ne se laisseront pal! enU'áiner
dans une eollilliort. '


Cependant le maJáis!! italien est uh rait qujon ne pélit
supprimer et dont iI raÍlt tenit· comple. t.' Autriche a
grande envie, slnon de conquéril',du móins de miiirlteiilr OÍ!
d'étendre sa prépondérance en Italie; l' Autriche veut que
l'Italie lui appartienne par voie d'influence; la France ne
peut le souffrir.


Eh bien! lit OU l'on voudrait une cause de collision géné-
rale, ce sera seulement une caUse de difficultés, de négocia-
tions entre les deux puissances. 11 faü! que chacün prenne ses
positions; l'Autriche a pris les siennes; nous prendrons les
notres; nous lutterons pied a pied contre l'influence au-
trichienne en Italie; MUS éviterons une collisioh générale;
mais nOlls ne souffrirons }las que 1'lhllie tout enliet'e lombe
décidément et complétement sous lá prépondérance autri-
chienne.


Et remal'quez, rnessieurs, les révoliltions, Pinsurrection,
la conquete, voilil. la politique révolutionnaire,celle dans
laqueJle on voudrait nous entrainel'. nes expédilions par-
ti elles, des mesures cotnminatoires, des négociatloris, voilil
la poli tique réguliere, la politique de la civilisation. (Marques
nombreuses d' approbation.)


Eh bien, c'es! eeUe poJitique que nous devons suivi'e eu
Italie. Sails doute nous devons luller contre l' Autriche, fa-
vorise!' le déVeloppemenl des libertés italiennes; nous devons
penser a la prodigiellse incertitudc de l'avenir de ce grand
pays, y préparer notre poli tique tranquillement, réguliere-
ment, en íl'ayanl pas peur des embarras el deS diffi-
cultés, eh sachant les affl'Ontel' au hesoin et les silrinonter
lerlterncnt.


le sais (ll1e ¡;ettc politiquc es! compliqlléc, difLicile; je




408 HISTOIRE l'ARLEl\iE='ITAIHE DE FRANCE.
sais que ce n'est pas ceHe a laquelle nous sommes habitués
depuis quarante ans; mais remarquez la sitnalion nouvelle
ou le gouvernement représentatif et la liberté de la presse
placent la poli tique. Les gens (luí écrivenl 81\1' les événemenls
et ceux qui les lisen! croient assister a un spectacle, a un
drame; ils sont des spe~lateurs oisifs, pressés que la pillce
marche et qu'clIe arrive a son dénoument.: ¡ls sont impa-
lients des difficultés, des ¡eolem's; ils s'ennuient. Mais les
événements sont tres-réels; ce n'est pas une comédie; les
personnages sont lres-réels aussi, et ¡ls ne sont pas si pl'essés
que les speclaleurs; ils prennent lems aises. ¡ls calculent
leurs inlérets. En poli tique pratique, ceHe l'apidité néces·
saire [¡. un drame joué devant le pubJic assemhlé ne con-
viendrait point; les événemenls se dél'oulent bien plus
lentement, avec· plus de difficuItés. Vous vous plaignez que
la Prusse, la Russie, l' Autriche et la Hollande, n'aient pas
encore reconnu l'indépendance de la Belgique. Messieurs,
au XVI" siecle, la Belgique, les Pays-Bas voulurent se rendrc
indépendants de l'Espagne. Voulez-vous me permettre de
vous rappeler quel temps ils onl mis a se faire reeonnalll'e.
(Mouvement.)


La premiere insurrection a eu lieu en 1562.
La déclarationde l'indépendanee des Provinees-Unies a été


faite en 1581; la premiere treve que l'Espagne aecorda eut
lieu en 1609: cette treve fut accordée par suite de la mé-
diation de la Franee et de l'Angletet·re. La guert'e a recom-
mencé en 1621, et ce n'est qu'en 1648, quatre-vingt-six aus
apres, que I'Espagne a reconnu l'indépendance des P ... ,o-
vinces-Unies. (Bruits diverso Riresd'appl'obation aux cen-
tres.) e'est a travet'S ces épl'euves el des souffrances inoules
que les Provinces-Unies parvinrent a assúrer leur indépen-
dance. .


Non, messieurs, la Belgique n'a pas a se plaindre; il lui
en a peu cOlité pour redevenir un État; elle a été heureuse
de trouver si prúmptement la protection de la Franee. C'est
au sein de la paix, c'est sans de grandes sOllffrances, qu'eIle




CHAMBRE DES DEPUTES.-7 MARS 1832. 4.09


altelld les ratifications générales qui lui arrivel'ont; je ne
sais si ce sera dans deux ou trois mois; mais si elles se faí-
saient plus longtemps atlendrej ce ne serait pas encore
une raison pour nous élever contre un systeme de poli tique
qui a amené de si prompts et de si rapides résultats.


Je demande 11 la Chambre la permission de le lui répéter,
paree que c'est, a mon avis, le seul fait important de nolre
situation; nous commen!(ons a sortir de la question révol u-
tionnaire; nous commen(;ons a entrel' dans ces questions de
poli tique pratique oil iI Y a de la liberté, de la diversité, el
qui ne sont point des questions de. vie et de mor! dont on
ne peul attendre san s crainte la 8olution.


Ce résullat, ce pas que nous avons fail hors de la poli-
tique révolutionnaire. nous le devons au systeme du gouver-
nement depuis la révolution de Juillet; a ce systeme modél'é
et pacifique qui n'a engagé la France ni dans les voies révo-
lutionnaires, ni dan s .aueune combinaison exclusive.


La Chambre a appuyé ce systeme ; qu'elle persévere a lui
donner son appui. Les difficultés . que. nous rencontrons
sónt graves, sans doute, mais elles n'onl ríen de fatal, de.
mena!(ant j elles se résoudront toutes par la bonne conduite
dn gouvernement, el la persévéranee des pouvoirs constitu-
tionnels dans les memes voics. C'est plus que jamais pour
la Chambre le momenl de donner foree et confianee au mi-
nistere qui nous a fail entrer dans eette voie, la seule voie
de salut.


Je vote pour le budget des affaires étl'angeres tel qu'il a élé
proposé par le Gouvernement, sans aueune réduetion, paree
que je suis eonvaineu que la Franee n'a rien de plus pressé,
rien de plus important, aujourd'hui, que d'appuycr ee pre-
miel' essai de politique raisonnable et nalurelJe que nous
voyons poursuivre depuis un ano (Marques nombreu~'es et
prolongées d'approbation.)




XLll


Diseussíon da budgllt de H!3;!.


- Uhalllbre deo députes¡ ~Séanoe dI! 14 IImra 1832, ~


Dans la diseussion dll budget du ministhe de la
guerre pour l'exerciee 1832, M. Mangin d'Oins, député


. g'IHe-ei--Vilaine, proposa par amendement ~
10 La mise a la reti'aite de 18 lieutenants genét'tlux


et de 122 maréehaux de eamp;
20 L'alloeation de 10,000 franes aux 42 lieutenants


généraux, et de 6;666 franes aux 60 maréchaux de
eamp qui rcsteraicnt en non·adivité. Ce qui devait pi'o-
duire une réduction de dépenses de 1,686,040 franes.


Je combattis cet amendement qui fut rejeté.


M. GUlZOT. - Messieun) je viens pl'ier la Chambre de
mettre un t~l'me, el un tCl'me pl'ompt) a ecUe disCU5Sioth


Aux extrémités.-Eh bien! aux voix, aux voixl (Agtttlttlln.)
M. GUIZOT. - Messieul's, permettcz .. oO. (Non, non, aux


voix!) Messieurs, pel'sonne ne pense plus que moí que la
Chambl'e ne doit cédcl' a ullcune cl'aintc; pCl'sonnc lJ 'c:,t




OHAMBHE DES DÉPUTÉS.-ll MA:kS 1832. .ti!
Vlus cunvaincu que moi que la Cllambre peut avoir, dans
des occasions que je ne veux pas caractétiser, des devoirs
difllciles, j'igoul'eux mema a \'emplil'; et si elle se U'ouvait
dans une de ces occasiuns, je serais le pi'emier a lui dli~
mander tout son courage, quels que russent les périls. Milis
rien de pareil n'existe aujourd'huL Je prie la Chambre de se
rappeler la situation oil elle se trouve. La Chambrc des
députés est de faH, ét par une cOriséquence naturelle da notre
révolution). le pouvoir prépondél'ant de l'État j c'cs! elle qui
détermine la dil'Bction du gouvernement, et qui imprime le
caractere de son opinion aux alIaires publiques. 01', mes-
sieurs, la respQnsabilité est inhél'ente Iltl pouvoil', a la pré-
~ondérance. Conduisez-vous ayec la prudence que cotnmande
la responsabili té.


Qúe fit Henri IV apl'cs la Ligue? 11 paya les deUes de ses
ennemis, leS deUes de Mayenne; il paya inema trois fois
plus de deltes.que Mayenne n'en avait. Hcnl'i IV savait qU'ilU
sortir des tronbles politiques, il faut IIUl'tout s'appliquer a
guéril' toutes les plaies, f1 ra8surllr tontes les etlstertces; ji
savait que e'esl une faute énorme dé portar 8/i.ns ces~e le
trouble et I'inquiélude :dans toutes les c1assés de lá sociéh! ...
(Aux voiro; auro voiro 1)


Plusieur's voiro auá! extrémité8. ~ A l'ttll1ender't'lent, it
l'amendernent! .


M. GUlzot ....... e'est de I'rHnéndement que je parle.
Au centr~. "'- ltcoutez, écotltez!
M. le Préliident du Conscil.~ Atlendez le silénce! .
M. GUIZOT. '- Ce que la Cháinbre a a faire aujoul'd'htii,


la mission a laquelIe elle es! appelée, c'est de Se condllil'e
comme tit Henri IV, de joueí' le role d'nti granu htitI1rne, de
suivre tlne bonne poli tique, ulle politique prudente et ná-
tioUllle.


Uh oi'IHeüt· accusait hiel' le ministcre de cherchel' 11 con"
tenter tou! le monde, el de ne s'occupet· que des lntél'ctg
pl'ivés. Messieul'S, c'esl chogc itnpossiblc, je le sais fort bien,
que de contenter tous le monde; mais il faut éherchcl' aussi




4]2 HISTOIRE PARLElIIE~TAIRE n'E FRANCE.
a ne pas mécontenler tout le monde. (Trés-bien, tres-bien.)
C'est la le premier devoir d'un gouvernemenl, et on sert en
cela l'intp.ret général, cal' l'intéret génél'al n'est aulre chose
que la eollection des intérets privés, qu'il filut consulter
tous et ménager continuellemenL. Eh bien 1 e'est le devoir
de la Chambre, e'es! sa mission de penler a toutes choses,
de ména[ler tous les intérets, de se les concilier tous, autant
qu'il est en son pouvoir; cal' c'est sur elle, je le répete, que
pese la principale responsabilité des destinées de la révolu-
tion de Juillet et du gouvel'llemenl quí en est 'sorti. (Aux
voix, aux voix!)


Je dirai plus, messieurs; la Chambre, en suivant la
mauvaise poliLique donl je viens de parler manquerait non~
seulement a sa situation, elle mallquerait encore, je n'hésile
pas a le dire, a ses sentiments, it ses propres sentiments.


Tous les glorieux souvenirs de notre révolulion, tous les
noms propres qui s'y rattachent sont chel's a la Chambre; la ,
Chambre honore el aíme toutes nos gloires, elle désire mar-
quer sa bienveillance et son estime a ces guerl'iers aquí
DOUS devons nos triomphes. Mais il faut, messieurs, que la
Chambre sache que la l'econnaissance cotite quelque chose au
gouvernemenL el au peuple, qu'il faut faire des sacrifices pour
mal'quer l'estime que I'on porte a de grands services rendus,
qu'il n'est pas possible de témoignel' dign('Jllent sa recon-
naissance et de dégrever en me me temps les contribuables.
(Bruits divers.) La France veut, la France doit payer la gloire
qu'elle doit a ses défenseurs, ear c'est elle qui en a recueilJi
les fruits; leur gloire est pOUl' elle aussi bien que pour eux;
mais la gloire emile cher, la reconnaissance coute cher.
N'hésitons pas, messieurs, a le di re au pays. C'est par de
telles le¡;ons qu'il apprendra qu'il ne faut pas se précipiter
aveuglément dans les révolutions; c'est par de telles le¡;ons
qu'il saura que la paix, la liberté réguliere, le régime con-
stitutionnel valentmieux que tous les hasards des révolutions.


Je le répele,je demande instammenl a la Chamhre de ter-
miner celte discussion.




CHAMIH{E DES DÉPUTÉS.-ll MARS 1832. 413
Vvi.:c de la droite.-Eh bien! terminez votre discours.
M. GUlZOT. - Qu'elle consulte sa vraie situation, ses


propl'es affections; qu'elle réprime les abus a venir, qu'elle
réforme dans ¡'avenir les mauvais systemes; mais qu'elle soít
juste, large, génél'euse poU\' tOU5 les services rendus, pour
toutes les gloires passées. (Approbation aux centres.)




XLIII


Discussion du budget de 183'2.


- Chambre des députés.-Séance du ~O mars 1832.-


Le budget du ministere de la guerre contenait (eha-
pitre xv) une alloeation de 500,000 franes «pour seeours
aux aneiennes armées de rOuest. » Plusieurs amende-
ments furent proposés pour la réduction de eette
somme. 1\1. Casimir Périer et 1\1. le maréchal SouIt les
eombattirent au nom de la politiquc.J'appuyai le cabinet
dans sa résistance. Les amendements furent rejetés:


M. GUlZOT, de sa place.-U est, je erois, bien eonvenu
que les seeoul'S dont il s'agit ne constituent pas des droits,
que le gouvernement est toujours libre de les retirer aux
personnes a qui ils sonl donnés. Lors done que vous voulez
réduire l'alloeation, ce que vous allez réduire, ee sont les
moyens d'aetion, les moyens d'influenee du gouvernement
dans rOuest. (Mouvement en sens divers.) Je ne doule pas que
le gouvel'llement ne retire et ne doive relirer ces secoUl'S
aux personnes qui, dan s l'Ouest, se conduiraient mal el ma-
nifesteraient leur hostilité contre le gouvernement actuel.




CHA1lBRE DES m~PUTl~S.-20 MARS ]832. 415
l\lai~ ce crédit, eette allocation laissée entre les mains du
gouvernement est évidemmenl un moyen d'influence sur des
gens doit il ne s'agit pas de conquérir l'affection, mais dont
il fant maintenil' la tl'anquillitp.. Ceci n'e5t pas, je le répete,
une question d'affection, ee n'est pas non plus une question
de justice ni de droil; e'est une question d'influence, c'est
une mesure politique ; si le gouvernement trouvait que les
gens anxquels ces sccours sont donnés ne les mérítent pas,
¡lles leur retirerait, el ne ferait aucun usage de votre crédito


Je demande que le Cl'édit soít maintenu tout entier, aUn
de ne pas affaiblir les moyens d'influence dont le gouverne-
ment dispose libremerit. (Aux voix, aux voix!)




XLIV


Discussion da projet de loi relatif a la résidence des étrangerr,
réfugiés en France.


- Chambre des députes. - Séance du 9 avril 1832.-


Le cabinet présenta, le 9 mars 1.832, a la Chambre
des députés, un projet de loi relatif a la résidence des
étrangers réfugiés en France et aux droits du gouver-
nement a leur égard. Le rapport en fut fait a la Chambre
le 7 avril :1.832, par M. Parant, député de la Moselle.
Plusieurs membres de l'opposition, entre autres M .. de
La Fayette, combattirent vivement ce projet. J'appuyai
la proposition du cabinet, qui fut adoptée et promul-
guée, comme loi, le 2:1. avril 1832.


M. GUlZOT. - Messieurs, je demande a la Chambl'e une
·double permission : la premiel'e de ne pas l'occupel' de po-
3itique extérieure; ceci n'est pas elu tout uue queslion de
'felations étrangeres i c'est une question d'ordre intérieur, de
Ipolice fran~aise. Nous n'avons point a nous inquiéter en ce
moment de ce qui s'est passé, de ce qui se passe au dehors;
je n'y reviendrai pa~.




CIIAMTIRE DES DE1'l'rÉIJ,-\) AVRIL 1832, 417
Je prie aussi la Chambl'e de trou\'er bon que je ne


l'entre pas dans ces discussions générales sur le systeme de
gouvernement qui préside il nos dcstinées depuis un an,
dans ces aecusations, ces défenses, ces récriminations géné-,
rales dont nous sommes abl'euvés. (Voix aux centres:
Cesl bien vrai!) J'ai pris part moi-meme plusieurs fois a
ces débats, j'en suis las .•. passez-moi l'expression. le ne
yeux que pl'ésenler a la Chambre quelques observations sur
la question particuliere, sur la loi spéeiale qui nous est
proposée el sur laquelle je n'avais, en arrivant, nul desseiu
de prendre la parole.


Messieurs, j'eslime, aulanl que l'honorable général qui a
ouyert la discussion, eette philanthropie générale qui s'in-
téresse au sort universel de l'humanité, au progres général
de la civilisation, et considere l'intéret commun de lous les
peuples. Comme lui, je désire que les peuples se dégagent
de ces prél'entions, de ces haines natjonales qui ont si Jong-
temps troublé l'Europe, Mais, messieurs, si j'honore la phi-
lanthropie générale, j'estime aussi l'esprit de nationalité et
les senLiments qui le constituent; j'estime l'esprÍl de natio-
nalité eomme j'eslime l'esprit de localité, l'espl'it de famille,
cal' la résident les véritabJes liens qui attachent les hommes
illa société particulicre dans laquelle ils sont engagés et lui
aSSUl'ent leur affection el leur dévouement. Je Ín'étonne d'en-
tendre constamment parler conll'e la ccntralisation de notre
administl'ation intérieure,' contre ses funestes eonséquenees
pour la vie morale de nos départements el de nos yilles; el
en meme temps on veut nous' imposer je ne sais quelle
eentralisation universelle de l'Europe; on veut que IlOUS
nous inquiétions surtout des destinées universelles de l'hu-
manité, et que nous leur subol'donnions les alfail'es particu-
)jefeS de notre pays.


Ce n'est pas ainsi, messieurs, que nous entretiendrons,
que nous l'amenerons cpez nous l'amour de nos institulions,
resprit nalional, lous les élémenls du pall'iotisme. Sachez-Ie
bien, messieul's; c'est la ce qui fail la yél'itable force, c'est


T. l. 27




418 'HISTOmE PARLE~IENTAIRE DE FRANCE.
la que. réside le yéritahle honncUl' d{'s nations. 11 faut erí-
courager, notirril' ces scntimcnls et non les nffaíblil'. l\"c
craignez pas qu'ils excrcent alljourd'hui trop d'cmpirc; ce
n'est ¡las le l'isque que nous courons.


Le príncipe sur lequel se fonde la loi qui vous est pro-
posée est que les étrangcrs lI'ont pas les memes droíts qOe
les natíonaux; pourquoí, messiellrs? paree qu'ils n'otfrent
pás les mcmes garanties. Les éll'angers ne sont point anímés,
envers le pays qu'ils hahilent en passant, des memes sentí-
ments que les natíonaux; leurs intérets, leurs affail'es, lem
existenee tout entíere ne sont pas liés aux intérets, aux
affaires, a l'existenec dn pays; n'offrant done pas les memes
gal'anties it l'ordre puhlic, it l'intél'eL nütional, les étl'angers
ne doirent pas,!le peUl'enl pas al'uir I,es memes droits. Yoil!l
le motif légitime, naturcl, de eette législatioll parlieulicl'e a
l'éganl des éLrangers qui se rencontl'e parlout.


II ne faut pas s'en élonner; il ne fauL pas la traiter de pri-
v..ilége, <.le harbarie. Cest le résultal nalurel, illliverse], du
bon sens humairi; e'es! ce qni a e.xisté de tout temps et dans
loute soeiélé. Une législation partícnliere Ü I'usage des éfhm-
gers, e'esl le droit co:nffiun de l'Europe, de l'humanité
tout entiere. ecHe législation suina saos Joute les progres
de la eivilisalion; elle deviendra ehaque jour plus douee,
plus hurnaine, plus juste; mai~ elle exislera tant qll'il y
aurá des nations distinctes el des pays sépal'és. .


La vraie, l'unique queslionqui doive nous oecuper esl dOlle
celle de sa voir si, Jans les circonslances particulieres Olt
nous nons tróuvons, uans les 1'appo1'ls actuels de la France
avee l'Europe, il y a quelque .motif d'adopler, ü I'égard des
étrangers, les mesnres partienlieres que le gouvernemcut
vous pro pose.


JI' prie d'abord la Chamb!'c de remarquer que le gouver-
nement élail en possession d'une loi fo!'melle plus d'ulle fois
appliquée, et qui lui, donnait le droit d'expulse1' les étran-
gers du lerl'itoire. Le gouvernement ne vient done pas vous
'demande\' quelque chose d'inoul, un acc\'oissemcnt de ri-




CHAl\fBRE DES DI~PUTl~S.-9 AVRIL 1832. 419
gueur a la législation acluelle. 11 vient simplemcnt, sincere-
llIenl, vous proposer de modifiet', selon les circonstances
actuelles, la législaliol1 en vigueur.


RemarC¡llcz, je vous pt'ic, mC5siems, que, depuis la révo-
lution de Juillet, l'administration est arrivée 11 un degré de
franchise el de sincérité que peul-etre elle n'avait jamais eu
auparavant.


Nous avons Vtl des administrations hienveillanles, pru-
dentes, occupées du hien du pays, tres-raremenl une admi-
nislralion complétement sincere, qui avouat hautement, qui
professut, qui pratic¡uat, sans exceplion, sans détour, les
principes constitulionnels, el viul débattre au grand jour,
dans cette ellceinte, tontes les affaires du pays. Vous avez
cela, mcssicurs; rOllS avez un gouI'ernement sincere, qui
vienl tout vous dire, qlli YOll5 demande tout ce donl il croit
ayoir }Jes'Oin, rien de moins, rien de plus. 11 était en posses-
sion d'une législation toule faite 11 l'égal'd des élrani5ers.
(Vive adhésion.) Eh bien! il croit avoir besoin de quelques
modifications qui la rcndent, il cel'tains égards, moins dure.
11 s'adt'esse a vous, il vous qui eles chargés avcc hti des inté-
ret~ du pays. N'y n-t-il pus lit évidemment droiturc, fl'an-
chise, adoption neltc et complete du régime constitutionnel'!
Qu'avez-vous a faire, sinon d'examiner si en effet il y a
des raisotls, de bonnes raisons aux modifications qu'on vous
uemande ? (Nouvelle adhésion.)


JI suflit, messieurs, de jcter les yeux sur les faits pom s'en
convaincre. JI y a cn en Europc, depuis dix-huit mois, plu-
sicul's tentatives de révolution; que I'esprit de liberté, le
besoin d'amélioration aient eu part it ces tenfatives, j,] n'en
doute pas;' rnais il y en allssi des hesoins atlarchiquc5, de,
instincts de trouble el de houleve/'sement. Ces tentatives ont
oU'ert du bien el du mal, de I'utilité et du danger. Ces étran-
gel's qui alTivcnt chcz vous no sonl pas lous, permettcz-moi
di) le dire, des arnis pUl'railcmcnt sagos, parfaitement désin-
téressés de la liberté; il pent existe!', il existe parmi eux des




420 HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE }'HA:\CE,
hommes qui peul'ent devenir chez nous uIIe cause de tronblc,
qui ont besoin d'Ctre sUl'I'eillés.


Nons ne voulons pas faire de propagande an dehors el
contre nos voisins, mais nous ne voulons pas non plus qu'on
en fasse chez nous et contre nons.


Je le répCte, et je ne voudrais pas que 1'011 pretat a mes
paroles un sen s, une portée que je ne leul' donnc poin!; je
ne porte, a celle masse d'élrangers quí s'est réfugiée chez
nous, aujoUl'd'hui plus nomhl'cuse qu'eu uueun autre temps,
aucun scntiment amer, hostile; je ne ressens pour eux que
bienveillanee et sympathie; mais nous pouvons, nous de-
vous, sur Ieul' compte, comme dans loule autre qucslion,
parler avec franchise el dire la vérilé tout entiere.


Eh bien, messieul's, qui ne sail, qui poul'rait nier qu'il
doit y avoir, qu/il y a, ehcz un eertaiu nombre de ces étran-
gers, des instincts, des besoins, des habitudes contraires a
nolre tranquillité intérielll'e, el dont on pout'rail se servil'
pOUl' la t1'Oubler? J'en appelle au plus simple hon sens; n'est-
ce pas la un fail évidcnL pour lous? 01', que demande le
gouvernement? La simple faculté d'as8igner aux étrangers
réfugiés une l'ésidence pIutot qu'une autre; el pourquoi
encore, messieurs? paree qu'ils ne présentcnt pas lc's memes
gal'anties que les nationaux, paree qu'ils 11'0111 pas, au milieu
de nous, Ieurs biens, leul's familles, tout ce qui fait la force
et la sUl'eté de l'úrdre publie; c'est 1t cause de cela que le
gouvernement croit avoir besoin d'ctl'e investi, a leur égard,
d'une puissance pal'ticuliere. Ce besoin est-il récl? Je le
pense, et je vote pour l'adoption de la mesure propusée.


Flr-¡ m; TOME i'REMlEII.




T ABLE DES MATIERES
DU TOl\lE PREMIEll..


IN'l'HODUCTION


TROIS GÉN}:RATIONS
1789-1814-1848


1. -1789-1t:!l4.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V!
1I.-1814-1848.. .......................... ........... XLVII
IlI.-1848........... ....................... ...... CXXIV


DISCOT.;RS


I.-Discussion du projet de loi présenté, le Zi! mars 1819, sur
les juurnaux et écrits périodiques. (Chambre des députés,
séance du 3 mui 1819.)............................... 1


lL-Discussion de ]'adresse dite des 221. (Chambre des dé-
putés, séance du 16 mars 1830.)... ........... ........ 14


III.-Présentation et discussion du projet de loi relatif a la
publication de la liste des élec!eurs et du jury dans cha-
que département, pour l'année 1831. (Chambre des députés,
séllnces des 14 et 25 aout 1830.)..................... ?5


IV .-Présentation et discussion du projet de loi relatif au mode
de pourvoir aux élections vacantes dans la Chambre des
députés. (Chambre des députés, séances des 14 et 30 aol1t
1830.) ...................................... ,. ...... 30


V.- Présentation et discussion du praje! de loi relatif a la ré- )
élection des députés pro mus a des fonctians publIques
salariées. (Chambre des députés, séances des 17 et 27 aout
1830.)............................................... 35




422 TABLE DES lIIATIÉRES.
YI.-Présentation d'un projet de loi portant demande d'un


crédit de cinq millions, applicable, sur l'exercice de 1830,
a divers travaux pubEes, soit a Paris, soit dans les dé-
partements. (Chambre des députés, séance du 17 aout
1830.) •..•......•...........•......••........ , ....... 49


VII.-Discussion d'une proposition relative a la formule du
serment exigé de tous ies fonctionnaircs publies. (Cham-
bre des députés, séanee du 19 aout 1830-)............ 5:3


VIII.-Renseignements donnés par le ministre de I'intérieur
sur les changements opérés dans le personnel de l'admi-
nistration apres la révolution de 1830. (Chambre des dé-
putés, séance du 27 aOlit 1830.)...................... 59


IX.-Présentation, par le ministre de I'intérieur, d'un rapport
général sur l'état de la France et les actes dn gouverne-
ment depuis la révolution de 1830. (Chambre des députés,
séance du 11 septembrc 1830.)....................... 63


X.-Discussion du projct de loi relatif au vote annuel, par les
Chambres, du contingent nécessaire pour le recrutement
de l'armée. (Chambre des députés, séance du 15 septembre
1830.).. .............................. .............. 74


Séance du 28 octobre 1831. ....... ..... . ......... 80
XI.-Présentation et discus,ion d'un projet de loi sur l'expor-


tation et l'importation des céréales. (Chambre des députés,
séance du 18 septembre 1830.)....................... 84


Chambre des pairs, séance du 1~ tíctobre 1830.... 92
XII .-Débats sur les clubs et sur l'article 291 du Code pénal.


(Chambre des députés, séances des 25 septembre et4 octo-
bre 1830.)........................................... 98


XIIL-Discussion du projet de loi relatif a l'application du
jury aux délits de lapresse et aux délits politiques. (Cham-
bre des députés, séance dll 4 octobre 1830.) ......... 107


XIV.-Présentation du projet de loi relatif aux récompenses
nationales a accorder aux ,-¡ctimes de la révolutlOn de
JUDlet 1830. (Chambre des députés, séance du 9 octobre
1830.)........................ .. ..... ........•...•.. 11il


XV.-Présentation de deux projets de loi relatifs a I'organisa-
tion de la garde nationale sédentaire et de la garde natio-
nale mobile. (Chambre des députés, séance du 9 octobre
1830.)......................................... ...... 119


XVI.-Discussion du projet de loi relatif a l'ouverture ¿'uu
crédit de trentemillions pour préts et avances au com-
merce. (Chambre des pairs, séallce dn 16 octobre 1830.) 125


XVII.-Discussion d'une proposition relative au cautionne-·
ment et aux droÍts de timbre et de poste imposés aux jour-
naux et écrits périodiques. (Chambre des députés, séance
du 8 novembre 1830.)................................ 130


Séance du -9 novembre 1830...................... 137
XVIII.-Discussion d'un peojet de loi relatif a la répression


des délits de la presse. (Chambre des députés, séance du
25 novembre 1830.)............... .•......... ........ liiR




-TABLE DES MATrlmES. 4'23


XIX.-Discussion relative aux inquiétudes e~ !lux trouble~
provoquós a l'approche du pro Ces des mllllstres du rOL
Charles X. (Chambre des députés, séancc du 20 décembre
18:30.). . . . . . . . . . . . •. . . . . . . . . . . . . . . • . • . . . . . . . . . . . • . . . . 163


XX.-Débat relatif aux troubles et aux.incidents suryenus pen-
dant et apres le proces des mimstres du rOl Charles X.
(Chambre des députés, séltnce du :29 décembre 1830.). 166


xxr .-Discussion du pr~j~t de loi Sll~ l!1.compo~ítíon des cours
d'assises et les condltlOns de la declslOn du Jury. (Chambre
des députés, séance du 8 janvier 1831.).............. 179


XXIL-Discllssion sur la politiqlle extérieure du ministere
du 11 aout 1830. (Chambre des députés, lIéance du 15 jan-
víer 1831.)........................................... 188


XXIII.-Discllssion sur la politique extérieure, adoptée et pra-
tiquée par le cabinet du 11 aout 1830. (Chambre des dépu-
tés, s6ance du '27 janvier 1831.)....................... 197


XXIV.-Discussion du projet de loi sur'l'organisation munici-
paleo (Chambre des députés, séance du 2 février 1831.) 211


XXV. -Discllssion du projet de loi sur l'orgaoisatioo munici-
paleo (Chambre des députés, séance du 8 févríer 183l.) 213


ÁXVI.-Discussion sur la conduite el sur la situation du mini-
slere du 3 novembre 1830"a l'occasíon des troubles survenus
dans Paris, les 14 et l¡i Jévrier 1831. (Chambre des députés,
séance du 19 février 1831.)........................... 218·


Séance da 20 février 1831. ........ , . . . . •. . . . • . . .. 231
Séance du 9 mars 1831............ ..... ........... 237


XXVII.-Discussion du projet de loi sur les attroúpements
et des mesures prises par le cabinet de M. Casimir Périer,
a l'égard de l'association di te NaNona!e. (Chambre des dé-
putés, séance du 30 mars 1831.)...................... 239


XXVlII.-Discussion de l'adresse de la Cham bre des députés
au roi, a l'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre
des députés, séance du 11 aoót 1831.).... .. . . . •. . •• . .. 255


XXIX.-Discussion de l'adresse de' la Chambre des députés au
roi, a ¡'ouverture de la seconde session de 1831. (Chambre
des députés, séance du 12 aout 1831.)................. 268


XXX.-:-Discussion de l'adresse de la Chambre des députés au
rOl, dans la seconde seSSlOn de 1831. (Chambre des députés,
séanct' du 12 aoút 1831.)............ ................. 270


XXXI.-Discussian de l'adresse de la Chambre des députés au
roi, a I'ouverture de la secande session de 1831. (Chambre
des députés, séance du lS aaót 1831.)............ ..•• 212


XXXII.-Discussian a l'occasion des interpellatians adressées
par M. Mauguin all.m¡'].i~tere sur les traubles survenus dans
Paris. (Champre des députés, séance du 20 septembre
1831.) ....... :.': ............ t.. . . . . . . . . .. . .. . . . . . . .. .. 275


Séance d.u 21 septembre 1831. ...... " ..... ; .. . .. . 292
Séance fiu 26 octobre 1831.·...................... 298





424 "TABLE DES MATII~m.:S.
XXXIIL-Discussion du projct de loi relatif 11 la révision de


l'article 23 de la Charte, e'est-a-dire a l'institution de la
pairie et a l'abolition de l'hérédité. (Cham bre des députés,
séanee du 5 oelobre 1831.)........... •.............. 302


XXXIV. -Discu8sion du projet de loi portanl demande d'un
crédit de dix·huil millions de franes pour Iravaux d'ulilité
publique el dans le bul de seeourir la classe ouvriere. (Cham-
bre des députés, séance du 20 octobre 1831.).......... 323


XXXV.-Diseussion du projet de loi sur le reerutement de l'ar-
mé6. (Chambre des députés, séanee du 5 nov. 1831.). 329


XXXVI.-Diseussion de la proposition de M. de Bric<}ueville.
pour le bannissement 11 perpétuité de la branche amée des
Bourbons. (Chambre des députés, séanee du 16 novembre
1831.)................................................ 338


XXXVII.-Discussion desinterpellations adressées au ministere.
le 19 décembre 1831,11 l'occasion de l'insurrection survenue
á Lyon dans le mois de novembre précédent. (Chambre des
députés, séance du 21 décembre 183l.)............... 351


Séance du 22 décembre 1831. ......•........... ;. 363
XXXVIII.-Diseussion du budgct de 1832. (Chambre des dé-


putés, séanee du 23 janvier 1832.).................... 365
XXXIX.-Discussion du budget de 1832. (Cham bre des députés,


séanee du 16 février 1832.).. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . 380
XL.-Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés.


séance du 28 février 1832.) .•.••. " •••• . . •• • •• . • . ••• .• 393
XLI.-Diseussion du budget de 1832. (Chambre des députés,


séanee du 7 mars 1832.)......... ..................... 396
XLII.-Diseussion du budget de 1832. (Chambre des députés,


séanee du 14 mars 1832.).............................. 410
XLIII.-Discussion du budget de 1832. (Chambre des députés,


séance du 20 mars 1832.)....... ...................... 414
XLIV.-Discussion du projet de loi relatif a la résidenee des


étrangers réfugiés en France. (Chambre des d~putés, séance
du 9 avrilli:l3:¿.)...................................... 416


FIN" DF. LA TABLll DU TOME l'RF.MiF.R.


PARIS.-IMPRIM~: