VI ¡ HISTüIRE POPULAIRE DE LA HEVOLUTION 1'.~.R A. RASTOUL PARIS SOCIÉn~...
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VI ¡


HISTüIRE POPULAIRE
DE LA


HEVOLUTION
1'.~.R


A. RASTOUL


PARIS
SOCIÉn~ GÉi\ÉRALE DE LIDHAIRIE CATHOLIQUE


VICTOR PALMÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL
í6, rue des Saints-Péres, 76


BRUXELLES ¡ GENEVE
• J. ALBANCL, l!' do la Succursale H. TREMBLEY, Dr de La Succunalo


1'2 , nUE DES PARÜl3SIENS Rlill: CORRATERlE1 4.


L'autsur it l'éditeur se résarvent tous les droits,






AVANT-PROPOS.


Pourquoi une histoire populaire de la Ilévo-
lulion írancaise, alors que déjá il existe tant
d'hístoires de la Révolution? La réponse sera
eourte.


En effet, il existe de nombreuses histoires de
la Bévolutiou , qui, du reste, n'empéchent pas
d'en publier citar¡ue ;¡ unée de nouvelles j maís
ces histoíres. généralemen t trés-étendues, rebu-
tcnt beaucoup de lecteurs par leur Iongueur,
De plus, trap souvent ce sont, non des his-
toires impartinles, mais des apologies. Les uns,
Ú l'exemple de MM. Thiers el Mignel, présen-
tent la Révolution comme une crise fatale, dont
personne ne pouvait empécher les excés, el
qui était nécessaire POUI' les progrés jíe la
France et de l'humanité tout entiére , cette
théeríe, sans glorifler les crimes, excuse au


a




II AVANT-PROPOS.


moins les coupables qui ne sont plus que des
agents irresponsables et inconscieuts de la
fatalíté. Les autres, comme ~1l\f. Quinet, Mi-
chelet, Louis Blanc, font I'apologie, sinon des
hommes, au moins des doctrines de la Bévolu-
tion. D'autres enñn, plus logíques ou plus
hardis, comme M. Esquiros. glorifient haute-
ment et les choses et les hommes de la Bévolu-
tion. L'immonde Marat lul-méme a trouvé des
panégyristes, et tout récemment l'anniversaire
de la proclamation de la République a servi de
pretexte a la glorification de la période de la
Révolution comprise entre le 22 septembre 1792
et le 9 thermidor, c'est-a-dire de la Terreur.


A ces dangereuses histoires, nous voulons
op oser u n simple exposé des íaíts, présen-
taut impartialement ce qui s'est passé. Sans
nous interdire a l'occasion une rapide appré-
ciation, nous laisserons généralement au lec-


o teur le soin de juger, lorsque nous lui aurons
mis sous les yeux les piéces du proceso Notre
impartialité n'lra ptlS cependant [usqu'á tenir




AVAXT-PROPOS. ll¡


la balance égale entre le mal et le bien, entre
les assassins et les victimes j ce ne serait pas la
de I'impartialité , mais une désertion de la
cause de la vérité.


Comprenant les inconvénients des histoires
trop étendues, qui ne s'adressent qu'á la caté-
goríe restreinte des lecteurs ayant du loísir,
nous avons cherché a étre aussi brei que pos-
sible sans cependant omettre ríen d'importan t.
II en résultera pent-étre une certaine sécberesse
á cause de la multiplicité des faits sur lesquels
nous serons obligé ele passer rapidement; rnaís
cet ínconvénlent sera, croyous-nous, compensé
par l'avantage de réunir en un seul volume un
récit sufñsanunent complet de la Bévolution.


La plupart des historiens de cette période de
notre 11ist011'e arrétent leur récit au 18 bru-
maire : nOUR n'a vons pas cru devoir les imiter,
et nous avons consacré quelques pages au con-
sulat. En Iui-mérne et dégagé des événements
qui l'ont suivi, le 18 brumaire n'est qu'une
date révolutionnaire , un coup d'Etnt aprés


rr




IV AVÁNT-PROPOS.


d'autres : pour lui donner sa signíücatíon con-
. tre-révolutíounaíre, peut-étre plus apparente
que réelle , cal' le premier consul Bonaparte
régularísa la Iíévolution plutót qu'il ne la ter-
mina, iI nous a parn nécessaíre de rappeler
tres-sommaircmcnt les mesures réparatrlces
dn gonvernement consulaire, et surtout le Con-
cordat qui, dans une certaíne mesure, fermait
la Bévolutlonvouverte par la conslitution civile
du clergé.


En terminant cet avant-propos, nous répéte-
rons oette phrase dont on a beaucoup abusé;
maís que nous pouvons redire en toute vérilé :
Ceci est un livre de honne foi.




1l1STülRE
DE LA


rlÉVOl.UTION FRANCAI8E


INTRüDUCTlüN.


CHAPITRE l.


Les causes de la Révolution. - Abus de i'ancien régillle.-
Féodalíté. - Droits féodaux, - Droit du selgneur, - A11-
cienne constitution de la France. - Itoyauté, - Le clergé
- La noblesse, - Les parlemeuts. - Le tiors étut. -
Le protestantísme. - Le [ansénísme, - Le gallicanisme•.
- Le phllosophisme,


D'apres les panégyristes de la Révolution fran-
caíse, toutes les causes se résumeraient dans
. ..


une seule, les abus de rancien régime, qui
avaient provoqué dans toute la nation une légi-
time índignation. C'est bientot dit, el iI est
singuiier que cette indignation apparaísse si
tardo


D'al.ord , quest - ce que l'ancien régímet
1




Ii\TtlOJ)L1GTION.


Nombre d'historiens répondent en évuquant la
féodalité el les droils Iéodaux. La féodalilé,
organisation pen cormne, n'existait plus ala fin
du XVIII slécle. S'Il subsístait encere quelques
droits Iéodaux, ils étaient sans itnporrance et
peu vexatoires. On se plan a rappeler certaines
obligntions qu'on trouve huuiiliantes. on oublíe
que ces obllgations étaíent souvent l'uníque
redevance imposée par un seigneur a son fer-
miel'. Que de oulivateursaujourdhuí échange-
raient volonlicrs centre ces obligations le lourd
fermage qu'ils doivent pnyer, hon an mal au l.
On parle égalemenL d'autres droils essentielle-
ment attentatoires a la dignité humaine, comme
le fameux droit du seigneur, par exemple :
seulemenl ces droits avaient dispnru, si méme
ils avaíent existé, Ponr le droit du seigneur
notamment, il a été établi d'une maniere írré-
futable qu'on n'entrouvait pas trace dans l'hís-
toíre. Cela n'a pas empéché un réceut-historien
de la Révolution d'en parler encere, se déli-
vrant aínsi un brevet d'ignorance ou de mau-
valse foi.


L'ancien régime, dans ses parties essenliellrs,
consistait en ceci : le rol, ayaut un pouvoir
absolu en apparence, mais limité en i'ait par




IN'l'.l'lOD UeTrox. 3


les lois el-par les droits des proviuces, des p¡¡r-
lemcnts , des corporations , etc.: la nation ,
dlvlsée en trois ordres, le clergé, la noblesse,
le tiers état, les parlements, enregistrant les
édits royaux et ayant droít de remontrances ,
les provinces, ayant leur vie propre el s'admi-
nistrant en grande partie elles-mémes. Cette
constltutíon qui, pour n'étre pas écrite sur une
feuille de parchemin, n'en existait pas moins,
envalait bien une autre. EIIe avait l'avantage
de s'étre formée pea a peu d'apres les besoins
et les idées. Nos constitutions, votées au lende-
'maín d'une révolution, parfoís a une voix de
majorité, sont trés-belles sur le papier , mais '
elles durent peu, et, depuis 1789, nous n'en
avons paso eu moins de dix-neuf, ce qui .
donne pOUI' chacune une durée moyenue de
molns de cinq ans, tandís que la vieille con-
stitution de la Fmnce , inscrite seulement es
(mur des Frauiais, a duré dix siécles et a fait
la Franca.


Maiulenant, que la royauté ait parfois abusé
de ses pouvoirs et íailli a sa In ission. que
LoulsXIV se soít trap sonvenu des Césarspalens,
que Louís XV ait laissé péricliter les affaires
publiques, on ne peut le nier; maís e'élaient




INTRODUCTlON.


des abus auxquels il était facile de porter remede,
et Louis XVI avait commeucé il réagir des les
premieres annéesde son regué.


Le clergé. incontesta blernent le meilleur des
trois orríres, possédait de grands biens dont il
faisait géoéralement un tres- charitnble usage.
Gráce á ces hiens, il n'y avait ni budget des
curtes, ni budget de l'assistanre publique; ni
budget de linstruction publique; au clergé de
subvenir a toutes ces dépeuses, et il le faisait.
Ses biens n'étaient pas sournis á limpót . mais
dans des motuents de besoin, jamas l'aide du
clergé n'avait manqué, el, a J'époque de la
Bévolutlon, íl élai; encare endetlé par les dons
gratuits qu'Il avait faits, A coté de cela, il y
avait des abuso 11 s'était produit des scandales,
moins nombreux qu'on ne s'est plu a le díre,
mais réels, Les prétres scandaleux furent plus
tard d'excellents révolutiounaires. Les doctrines
du [anséuisme el du gallicanisme avaient séduit
beaucoup de prétres el les disposaient a accep-
ter la constitutíon civile du clergé. Quoique
les rangs du c1ergé Iussen t parfaitement acces-
sibles a tous en droit et en fait, peut-étre la
proteotíon, la naissance, avaieut-elles trop d'in..
ñuence, Mais pour remédier a ces abns.. il Y.




INTRODl.lCTION. 5


avait une autoríté toute préte et qu'il suffísait
de laisser agir, celle du pape.


La noblesse n'étaít pas un COl'pS Iermé,
comme 2n le croit commuuément: on y arrí-
vait faeilemeut, et par les services militaires, et
par les oftices [udicíaires , et par' de nom-
breuses charges municipales ou autres: il n'y
avait pas moins de quatre mille charges en
France donnant accés dans [a noblesse. Depuis
la disparition progressíve des droits féodaux, .
en dehors de ['exernplion d'impóts, restreínte ti
ses biens nobles, il ne restaít guére a la no-
blesse que des priviléges honorifíques, comme o'"
le droit de porter I'épéc, le droit de colombier, i
le droít d'avoir une girouette sur sa gentilhom-'(:.l
miére. Ces vprlviléges n'étaíent-ils pas COIII- ,
pensés par le service niilitaire que devaient les
gentílshommes, et ir propos duquel on disait,
non sans raison, qu'en temps de paix la noblesse
servait avec ses revenus, et en temps de guerre
avec son capital? Cela est si vrai que, daos le
cahíer de [a noblesse d'Auvergne, 011 deman-
dait le mainlien de I'exernprion d'impóts en
alléguant la détresse des gentilsholllmes ruinés
par [e service rnilitaire. Il íaut recoun.iítre du
reste, que c1ans [a noblesse plus que partout




ti IN'fRODUC'fION.


ailleurs, iI s'était glissé des abuso Si la noblesse
de provin-e, la plus nornbrense se rappvlait
qu!' noblesse oblig«, la 1I()I¡Je~se de COUI', la plus
en vue, sem lilait l'uublier. Nomhre de geutils-
hommes s'étaient laissé prendre aux idées nou-
velles et déclarunient contre des priviléges
qu'ils no comprenaient plus, paree qu'ils se
rcfusaient aux devoirs quí en étaíent I'origine.


A coté de la noblessc d'épée était la nohlesse
de robe, les paríementaires, Les memhres des
parlernents distribuaicnt gratuitemeut la jus-
tice et, en dépit de critiques passiouuées, ils
avaient IIn lwut renom d' i ntégríté, LClIr vie
élai! des plus régulieres el. digne de magistrats.
Appelésaenregistrer les édits royaux, lls avnlent
parfois résisté avec fermeté a des ordres qu'Ils
consldéraient comme injustes, Mais trop son-
vent aussi leur opposition n'était pas [ustiñée.
Imbns des doctrlnes [unséui-tes. ils avaieut
prétendu régenter l'Égtise. el avaicut fiui par
81'1' .cher nu faible Louis XV l'expulsiou des
[ésuitcs, qui était une odieuse iniquité. A la
veill« de la Itévolution. ce sera leur obstiuation
déralsonnable quí rendra uécessaire cetle con-
vocatíon des états généraux dont ils seront les
premiéres victímes.




INTRODUCTION, 7


Le ti,e1's état n'élait pas aussi annihilé qu'on
I'a préiendu. Le fameux mot de Sieyes : Ql¿'est le
tiers {tal? liicu, n'cst qu'un jr-u despritcoutre-
di! par la réalilé. Depuis Colbert, nombre de
bourgeois avaient occupé de hautes posltious, et
1'011 en courptait dans les couseil- de Louís XVI.
De plus, comuie cela a été rlit , il était Iacile au
bourgeois riche d'arriver il la noblesse et de
servil' grutuiternent I'Élat. Dans sa u.asse, la
bourgeoisle, riche, influente, étuít satisfuite :
mais il y avaít uue partie remuante, irnhue des
idées des encyclopédistes et qui aspíraít á jouer
un grand róle, C'est rnallreureusemeut dans
eette Iractlou que seront choísis la plupart des
représentauts du tíers aux états généraux.


Dans cet exposé de l'état social en Franca,
ríen ne mon tre la nécessité,ni méme la pro-
hahilité d'une révolution. S'il y a des abus, ils
peuvent disparattre : des mécontents, 011 peut
les tenir en respcct. Rien done n'explique suf-
flsamment ceue terrible explosion dont il faut
chercher les causes ailleurs,


Certains historiens sout remon lés j usqu'á la
créalion, 011 au moins jusqu'au déluge; c'est
un peu loin. M. Louis Illauc s'arréte au proles-
tanjísme: pour luí, la Itévolutíon francaise des-




8 INTRODUC'flON.


cend directement de Luther , elle n'est que
l'appticatlon, dans le dmnaine politique, _du
principe du libre examen qlle Luther a Iait
triornpher daos le dornaine rcligieux. Cette ap-
préciation est tres-exactc. Seulement Luther
avait eu des précurseurs dans les hérétiques et
méme daos les empereurs et rois quí, á l'auto-
rilé divine de l'Église, opposaient les doctrines
du césarisme paíen. Au XVII" siecle, le jansé-
nisme continua I'ceuvre de Luther, et par les
parlements il étendit son actíon sur le terruin
politique. Le galllcanísme. qui en paraissant
augmenter le pouvoir royal l'affaiblissnit en
réalité, contríbua égalemeut, pour sa bonue
part, a préparer In llévolution. La déclaration
de 168~ devait amener, le moment veuu, la
constitution civile du clergé, Au X\lIIe sieclc, un
nouvel agent de décomposilion se monlra. le
philosophisme, qui mettalt tout en questiou.
Divisées entre elles, les diverses écoles philoso-
phiques s'entendaient POUl' tout attaquer, et Oll
leur laíssait le charn p libre. Elles trou vaienl des
complices jusque sur les tróná. Voltaire avait
la faveur des prínces. Bousseau recevait les
épreuves de I'Émile, ouvrage interdit, sous le
couvert du directeur de la librairie, l'honnéte




IJ.\lTRODUCTlON.


Malesherbes; Diderot, d'Alembert, et jusqu'aux
moindres grima uds frottés de philosophie ,
étaient adules et pensionnés par des grands sei-
gneurs. Les doctrines devaient se répandre et
se répandirent, sinon dans le peuple, au moins
dans la partie remuante du tiers état, eeHe qui
faisait l'opinion. Seul, le clergé essaya de lutter,
mais il perdit bientót ses meílleurs soldats par
la suppression des jésuites, et lui-méme était
atteint.


Cela ne suffit pas cependant pour expliquer
la Révolution : la France avait une constitution,
reuvre du temps: le roi Louis XVI ne pensait
qu'á faire le bonheur de son peuple : la majeure
partie du clergé, quoique imbue des idées galli-
canes, était saine; la noblesse de province, daos
une grande portien, comprenait encore ses de-
voírs , du tiers état Iui-méme il n'y avait qu'une
partíe qui se fút Iaissé prendre aux doctrines
des encyclopédistes; c'était , il est vrai, la plus
remuante, la plus agissante. Ce n'est certaine-
ment pas assez pour íaire comprendre le rapíde
écroulement de la vieille monarchie francaíse i
on dirait un cháteau de curtes. La plupart des
hlstoriens se sont arrétés devant cette diíñculté
sans pouvoir la résoudre. Quelques-uns ont


1.




10 INTRODUCTION.


tronvé dans leur foi une tres-sérieuse explica-
tion. la seule, en déünitive, qui ni! élli}lonllée.
Se reportant a la grande loi de I'expintion,
soit volontníre par le repentír. soit Iorcée, ils
ont rappelé que si l'hornme pouvll't rester im-
puní en ce monde. paree qu'il trouvera son
explatlon dans I'autre, il n'en est pas de mérue
des naLions; celles-ci n'ont qu'une existence
temporelle, pendant laquelle elles doivent ex-
piel'. Les livres snints ncus montrvut lsl"ael
heureux et récoltant en paix les Iruils de "es
champs tan! qu'il es! a peu prés fldele a la loi
du Simú. maís des que les prévarlcations se
multlplient, le chátiment arrive sous In forme
d'une oppressíon étrangere, don! Dieu le dé-
livre lorsque, repentant, iI a crié vers le ciel,
Dnns une certaine mesure. la France remplit,
sous la loi nouvelle, la urls-ion du peuple élu.
Née d'un acte de foi sur le champ de bataille
de~ Tolbiac, elle est la filie atnée de l'Églíse.
Lorsqu'elle est infldele a sa missiou, Dieu l'y
rappelle par des chatlments, La Bévolutinn
francaise est justement I'uu de ces chatlments,
le pIus terrlble, paree que la déviatíon avait été
plus grave. Pendant le xvnr siécle, la France,
en tant que natíon, avaítpour ainsi díre cessé




INTRODUCTlON. H


d'étre chrétienne: elle était le centre des doc-
trines eucyclcprdistes qui empolsouualent I'EII-
rope le dile de Choiseul el le cardinal de Beruis
avaient mené In carnpagne contre les jésuitr-s,
et les ordres religieux élnieut menacés dans
leur ensemble; les parlements s'étaient Iaits les
íustruments eles sectaires jansénistes: la royan té,
moins cnupahle au point de vue des idées,
sétait avilie par les scandalos du Ilégent et de
Louis XV. La punition (levait venir el elle est
venue. Les hommrs clalrvoyants la prévoyalent¡
l'abhé Debeauvais, dans un discours trés-coura-
geux, pour lequel les courtisans demandaieut
une puultiou que le rol refusa. le P. de Beaure-
gnrd, d.rns des prédlcatlons qu'on pourrait dire
prophétiques. aunoucaieut les désaslres de la
fin du siecle , le P. de Bcaurcgard devinalt
méme les saturnales du culto de la Haison dans
I'église Notre-Dauie 011 il préchait. Lorsque le
Dauphin, pere de Louis XVi, prince dont on
adruirait la verlu el connaissait la Iermelé, fut
enll'\ e par la petite vérole iJ. l'age de treulesíx
aus, ss mor! Iut considérée comme une puul-
tion divine, Dieu laissaut á la France un víeíl-
lard et 11 n enlant,


Cette expllcatíon de la Révolutíon írancaise (V;
,,..


~




t2 INTRODUCTION


été rejetée comme entachée de mysticisme par
des gens qui chassent la Providence de l'his-
toire . maís elle n'en reste pas moins, et seule
elle explique un cataclysme dont la soudaineté
demeure sans cela inexplicable.




CHAPJTRE JI.


H~gne de LOl1i~ :XVI. - Situation de la Franre. - Carnctere
de Louis 11.VI. - Marie-Antoinctte.- llenvoi de Maupeou
et de l'abhé Terray. - Maurepas, Choiseul et Macbault.
- Turgot et Matesherhes. - Happel du parlementv--;


. Guerre d'Amérique. -- Neckel·. - Caloune. - Réunion
des notables. - Loménie de Brieunc, - Itésístance des


. parlements. - Les états généraux.


Louís Xvl moura sur le ¡rolle en 1774, a l'age
de vingt ans : Mat'ie-Anloinetle avait dix-sept
ans. Leur premier acte en apprenant la mort
de Louis XV, quí leu!' donnaille tróne, fut une
priére á Dieu .ils lui demandaient sa proteo-
tiou paree qu'ils régnaient tres-jeunes et dans
une situation difficile.


Le long regne de Louis XV (1715-1774)
avait produit des effets désastreux: le pouvoir.
s'était affaibli en perdant toute considération,
el les désastres a l'extérieur avaieut augmenté
le mécontentement. La situation était telle
qu'un écrivain n'a pas craint d'intituler une
histoire du régne de Louis XVI; Louis XV] détl'oné.
avant d'étl'13 roi. C'est nne exagératíon, rnaís il




14 INTRODUCTION.


est incontestable que la situation demanrlalt des
remedes prompls et énergíques, et malheureuse-
ment le jeune roi n'avait aucune des qualltés
nécessaíres pour applíquer ces remedes.


Tres-instruit, d'une grande honuéteté, d'un
jugement droít, rempli de honnes iutentions,
désireux de faire le bonheur de son peuple,
LouisXVI manquaitde deuxqualités essentielles:
la décision et la fermeté. Il voyait j uste, mais
faute d'oser im poser ses vues, il laissait faire
des choses dont il comprenaít le danger, ou du
moins ne réalisait pas les amélloratlons dont
la nécessité lui élait démontrée. Cela le faísaít
parattre encare plus irrésolu qu'il ne l'étaít,


l\larie-Antoinette, [eune , gaie , aimant les
distractions, n'avait pas, en 1774, ce qu'il fallait
pour suppléer a la faiblesse de Louis XVI. Ce
n'élait pas la reine du 2(} juin el du 10 aoút,
ni surtout la grande mnrtyre du Temple et de
la Conciergerie. Habituée a la simplicité autrí-
chienne, elle n'avait pas comprls la nécessité
en France de l'étiquette. Elle ne voyail qu'une
gene dans ce qui était avant tout une force,
une sauvegarde. Forte de la purelé de ses in-
tentions, elle ne tarda pas a se former une
potite con!' intime, ce qui pxcitH hlen des




INTRODUCTION. 15


[alonsies. Ses amusements, mérne les plus ínno-
ceuts, lui Iureut impu.és il crlme , et elle fut
calomniée par ceux-la mémes qui auraleut dü
la défendre, Ces calomnies ont élé répétées et
grossles a plaislr par les hístoriens révolution-
naires qui désiraíent laver la Ilévolutiou de
I'assassinat juridique du 16 octobre 1793 On a
aeeusé Marle-Antolnette dans sa conduite, in-
ventanl des erimes la oü l'écrivain impartinl ne
trouve que des imprudences. On l'a trnitée
d'Autrlchienne, elle qui él,1Í1 devenue si Fran-
~,lise que sa mere, Alarie-Tbérese, el son frere,
Joseph , lui reprochníent d'oublier sa patrie.
OIl l'a »ccusée d'avoir causé par son intluence
néfaste toutes les fautes de Louis XVI, el pen-
dant longtemps elle n'a eu aucune influence:
c'est seulernent quand les mauvais jours sont
arrivés qu'elle s'est occupée des affalres, et
malheureusement son iufluenee n'a, pas été
assez prépoudérante pour donner au roí la
íermeté qui lui manquaít. Dans les premíeres
années , tout ce que la reine demandait, c'é-
taieut quelques Iaveurs pour les person nes de
son entourage, faveurs qui n'étaíeutpas toujours
méritées,


Le premier aete de Louis XVI fut de renoncer




16 INTRODUCTION.


au don de [oyeux avénement: c'élait un heureux
déhul.Puis i] renvoya les deux ministres de
LouisXV,le chancelier A1aupeou et l'abbé Terray,
qut étaient universelJement détestés , mais il Ial-
lait les remplacer. I'rois noms étaient mis en
avant: le duc de Choiseul, le marquis de Maure-
pas et M. de Muchault.Lepremíer, qui avaitnégo-
cié le .marlage du d-uphiu avee Marie-Autní-
nette, avait les sympathies de celle-ci, mais le roi
ne voulutjamais prendre pour mínlstre l'homme
quí avait insulté son pereCertalns historíens le
regrettent, oubliant que Choiseul, bomme tres-
superñciel, n'était certainement pas de taille a
dominer la situaiíon. 1\1. de Macbault était plus
sérieux, mais jansénlste sectaíre. il était disposé
a abuser du pouvoír centre le clergé qui était
opposé asa nomination. Hestait MHurepas, long-
temps ministre et auquel sa disgráce. venue de
M'nB de rompadour, avait donné un certain
prestige. Louís XVI le choisít, mais le vieillard
octogénaíre étaít resté un personnage léger,
sans consistance , gouvernant avec des bons
mots,


o Des autres ministres, deux surtout mérítent
l'attention, Turgot et Malesherbes. Le premier
arrivait avec un plan de réforme complot, trop




INTRODDCTION. 17


complot, et son caractere cassant ne lui per-
mettait pas d'agir progressivement. De ces
reformes. les unes, comme la libre circulation
des grans dans tont le royaume, etajent bonnes,
maís demandaient il étre prcparées: les autres,
couune la suppression des eorporations, étaient
daugcreuses: il fallait réfonner et non supprírner
les corporations. De plus Turgot, ami des
encyclopédistes, passait pour athée, et Vollaire
annoncant a Frédéri.e de Prusse sa nomination
au poste de contróleur général, ce qui revenait
au ministére des finanees, se félieite de l'ar-
rivée au pouvoir d'un philosophe avec lequel
la superstition aurait a cornpter. Quant a lUales-
her"es, ses faiblesses pour les encyclopédistes
et pour Turgot étaient notoires.


Pendant les deruieres années de Louis XV,
le chancelier Maupeou, suívant son expressiou,
avail retiré In eouronne du greffe, en exilant
le Parlement, Louís XVI s'empressn de détruire
I'oeuvrede Mil upeou. Cela lui valut les Iélicitations
générales, mais c'était une íuute, toute réforme
un peu importante étant presque impossibJe
du moinent quil fallait corupter avee l'oppo-
sition trop souvent tracassiere des parlemants,
Cctte opposition, du reste, He tarda pas a se




18 11"TftODUCTlüN.


rnanifester et ne contribua pas peu a la retraíte
de Turg»t. On a beaucoup blallld Louis XVI
d'avoír p-rmis cette rerraite. Outre que le roí
m.mqualt de fermeté, il élait irnpossihle de
maintenir Turgot au pouvoir, sans risquer un
bouleversemeut géuéral. MaleslJel'bes, quí n'est
pas suspect et qui suivit TUI'¡{al dans sa retraite,
reconnaít qu'avec les meilleures intentions, ils
ne firent que bouleverser l'adrniuistration et
agiter l'opinion. Turgot était a peine tombé du
minístere que la plupart de ses reformes pre-
maturées ou Imprudentes fureut retirées,


Le grand événemen l des preuiieres années du
regne de Louis XV1Iut la guerre d'Amérique. Les
colonies anglaíses de I'Amérique du Nord s'é-
taient soulevées eontre leur rnétropole, et récla-
maient I'appui de la Franee. Louís XVI hésitait:
il lui répugnait d'appuyer des rebelles, et íl
redoutait les dépenses d'une guerreo L'opinion
était avec les iusurgés, qui pour les uns repré-
sentaient la liberté. et pour les nutres fournis-
saient I'occasiou de se vengel' des revers de la
guel're de Sept Ans et de déch i rer le triste traité
de Paris. AVilnl que Louis XVlne se fút décidé,
bien des jeuues geutllshommes, eutre autres te
colonel marquis de La Fayette, étaient partís




INTRODUCTION. 19


pour combattre SOllS le drapean américain. Le roi
finit par céder, La guerre fut glorieuse, le traité
de Versallles remplace le tri/iré de París. muis
cette guerra eut une double i nfluence également
d-sastreuse : elle tourna eucore davantage les
tetes déja aílolées de liberté , el elle causa un
déñc.t de quatorze cenl cinquante millions.
Grace a I'habíleté du banquier Necker, protes-
taut génevois, chargé des ñuances de1118 a1181,
on avait pu Iaire lace aux dépenses ; mais le
déficit restait , quoique Necker eüt dit le con-
naire daus Ull furucux compre rendu qui pas-
sionna l'opmiou.


ANecker succéda Calonne, esprit brillant, qui
trouva aussí de l'argent dans les premiers
temps. Mals un mamen! ecartés, les embarras
ñnancíers revenaient hlentót plus Iorts. Pour y
rernédier, on demandait les états généraux, qui
ne s'étaient P¡lS réu nis depuis 161~, et que re-
doutaieut le roi et son ministre. Calouue ima-
gina de couvoquer une assetuhlée des notables,
ti. laquelle il soumeur.dt un plan complet de
reforme. dout I'une des pri ncipnles prescrí ptions
était la soumíssion de tous les biens a I'Impót,
dont les biens nobles el ceux du clergé étaient
exempts. Les notables se réunirent en sept




20 INTROUUCTION.


bureaux présidés cha-un par un prince du
sango; apres avoir entendu l'exposé du plan de
Calonne , ils se déolarérent íncourpéteuts et
renvoyérent la décision aux états généraux. Cet
échec determina la chute de Calonne qui fut
remplacé par le cardinal Lornénie de Brienne,
dont le róle avaít été tres - important aux
notables ..


G'était un triste personnage que Loménie de
Brienne , évéque, il étaít 1ié avec les encyclopé- .
distes et passnít pour athée. Ses débuts furent
assez heureux: la halne centre Calonne. qu'on
brülait en efflgie, le rendait presque populaire.
Cela dura peu, et les embarras flnaneíers l'ayant
forcé a reprendre les plans de son prédécesseur,
il se heurta ¡'¡ l'opposition du Parlement. 11n
exil ¡'¡ I'royes rendir le Parlement plus souple ,
désireux de revenir aParís, il prornit d'enregís-
trer les édits pour les nouveaux impóts, moyen-
nant promesse d'une convocation des états
généraux dans cinq ans. Cinq ans, c'est long,
et le cardinal de Brienne clevait se croíre victo-
rieux, lorsqu'll fut arrété par lopposüion des
parlements provincíaux et du clergé. Dans cero
taines provinces, notamment en Dauphiué, il
y eut de graves désordres. Le clergé refusa un




INTRODUCTION. ~l


don de 1,¡;OO,OOO Iivres et réclama les états géné-
raux. Le roí céda. el, le 8 aoút 1788, étaít sígné
le décret de convocation des élats généraux,
Quelques jours aprés , le cardinal de Brienne
tombalt, plus détesté eucore queCalonne dont
il u'avaíl pas les qualités.


La Révolution comrnencait sur une question
d'ímpót, cal' la est la cause occasionnel1e de ce
grand cataclysme. Ce fut le déficit,annueIlement .
de 56 millions, qui amena la convocation des
états généraux; el par .un fait singulier les
états généraux, devenusassemhlée constituante,
s'occupereut de tout, sauf du déflcit






LIVRE PREMIEn.
L'A&SEMDLEE COKSTITUANTE.


ellA PI TnE l.


tes électlons. - Betour de Necker, - Los notables. - Les
hrochures. - Doublenien t du tiers, - Cahiers des háil-
liages. - Yceux daugereux. - Désnrdros. - Pillage de
la maison de Heverchon.


Neckeravait pris la place de Bríeune: sa popu-
Iarité I'avait designé au choix du roí. Maisle
banquier génevois. financier habile, n'était pas
un homme d'État.


Les notables furent convoques pour résoudre
certaines questions relatives aux états géné-
raux. Toutes ces questions étaient débattues
avec beaucoup d'ardeur dans une foule de, bro-
ehures. Toute licenee était don née aux écrivains.
Célait dangereux et ils en abusaleut : on con-
natt la Iameuse hrochure de Sieyes, avec son
mot sur le tíers état qui , étant iout da IlS la
nation, n'était ríen dans l'État el demandait a




24 L'ASSEMBLf;E COi~STITUANTE.


, étre quelque chose, L'anüthese était Iansse, cal'
le tiers état était plus que quelque chose, il
était beaucou p et uombre de mi n istres sortaient
de ses rangs , elle n'eu réussit Pi¡S moins. 00 a
accusé le cardinal de Brieuue d'avoír uutorisé
et méme provoqué ce déhordement de brochu-
res pour excite!' j' opiniou et pour se venger des
ordres privilegies dcnt la résístance avait fait
échouer ses plans et amené sa chute du minis-
tére. Le caractere de Brienne permet de tout
croire : inais il peut avoír agi de bonne foi,


La principale question posée aux notables
était celle du doublement des députés du tíers
état, Necker, quí , n'ayant aucun tact politique,
n'attribuaít pas d'importance aux récrimina-
tions passionnées des .écrivains du tíers état,
croyaítpar ce doublement donner pleine satis-
faction au tíers, Les notables voyaient plus
'juste, ct, par 11.2 voix centre ~3. ils se pronon-
'cerent centre le doublement, Un seul bureau,
celui de Monsieur, gráee a la voix prépondé-
rante du président, appuya le doublernent.


Le roi passa cutre au vceu de la majorité des
notables. Ce doublement du tiers fut arrété
dans le resuua: du conseil tenu le 27 decem-
bre 1788. On dit qu'au moment oú le roí prit




LIVRE PREmER, 25


cette décíslon, on luí montra un portraít de
Charles 1", décapité par les révolutionnaires
angl«is. Quoi qu'il en snit, ce doublement éiait
une Iaute, a qnelque point de vue qu'on se
piara! Si le vote avait líen par ordre cumme
dans les états généraux précédents, a quoibon
doubler la représentutíon du tiers? Si, au con-
traire, les ordres devair-nt se reunir, le tiers,
avec sa double représeututiou, deveuait le mattre
absolu , cal' 11 élait toujours sur de rallier quel-
ques membres (le la noblesse el heaucoup de-
membres du clergé, D'autres Iautes Iurent com-
mises: aiusi, les princes du sang furent lnvítés
a ne pas se préseuter, el 1Is laissérent ainsi le
champ libre au duc d'Orléans. Surlout on
négligea de trancher a l'avanco les questions
les plus importan les, comrne celle du vote par
téte ou par ordre i on ouhlia de modiüer un
eérémonial suranné qul devait blesser les dépu-
tés du tiers, Toutes ces fautes eurenl de graves
conséquences.


Les élections eurent lien au 1110is de mars 1789,
non saus quelques désordres: pour le tiers .état
elles étaient á deux degrés: les asseuiblées
paroissiales nom maient les électeurs qui se
rendaient au chef-lieu du bailliage pou!' nom-


::




2ü L'ASSEMBLÉE CONSTITllAN'J'E.


mer les députés et rédiger le cahier ues do-
léances. Moins nombreux, le clergé et la noblesse
élisaient directement leurs députés, Dans le
clergé, un grand nombre de cures furent
nomrnés.


En méme temps qu'elles élisaient Ieurs dépu-
tés, les populations exposaient dans des cahiers
leurs doléances ou vreux. C'était cornme un
mandat impératif. On a beaucoup vanté les
cahíers des bailliages en 1789. et OIl a opposé
la sagesse des cahiers aux folies des manda-
-taires. 11 y a certaincment beaucoup de vrai
dans ectte opposition, mais aussi un peu d'exa-
géraLion. Les cahiers des bailliages, dans cer-
taines phrases, <fans certaínes tendances, sern-
bIent préparer le rnouvement révolutionnalre.


Les demandes générales des hailliages peuvent
se résumer ainsi :


Monarchíe héréditaire dans la famille des
Bourbons:


La religion catholique religion de l'État;
Responsabilité des ministres;


.. Vote des ímpóts par les états généraux;
Périodícité des états généraux:
Garantíes pour la liberté íudividuelle el pour


la propríété.




LIVRE PRE~lIER. 27


Tous ces vceux étaient bons, et la France
aurait gagné a ce qu'on ne les dépassát paso


Dans les cahiers du ticrs état, on demandait
en cutre :


L'égale adrnissibilité a tous les emplois;
La suppression des privileges nohiliaires ,
L'aholition de la vénalité des charges [udi-


ciaires ,
La reforme du clergé par l'intervention de


I'État;
La suppression des milices provinciales, qui


se recrutaient par la voic du tlrag'c au sort.
La noblesse deuiaudait :
Le maintien de ccrtains privilcgcs , que [usti-


flait l'obligatiou du service militaire. Uaus ccr-
taines provinces , notamrnent en Auvergue, 011
invoquait , pour maintenir I'exemption d'irnpóts
sur les hiens nobles, la détresse des gentils-
hommes, ruines par le service militaire.


Dan" les cahiers de la noblesse se retrouvait
le vceu relatif a la réforrne du clergé:


Le clergé se plaignaít de l'indífférentísme
religieux.; il réelamait une limite a la liceuoe
de la presse, donr Ia nohlesse el le tiers deinan-
daient [a liberté absolue. 11 íusistait sur les
droits de l'Ég-lise sur l'euseignement.




28 L'A::;::;E~IBLÉE CONSTITUANTE •.


Dans quelques provinces, il demaudaít une
rélorrne par les uiains de l' État.


Cette derniere note, quí se rctrouve plus ou
moius explicite daus les v.eux des trois ordres,
est Iort grave. Elle moutre que l'opinion ctalt
mure pour une attcinte aux droits de I'Egtise.
qui se réíoruie par elle-móure, et non par les
princes. C'étaít un legs du gullicanisme el du
jansénisme, legs qui aboutira ti la conslitution
civile du clergé.


áprés les éleclious et avant la réuuion des
états généraux, iI y eut des désordres sur d.vers
polnts, cutre ceux déjá signalés au momenl du
vote. L'!JivCI' avaít été tres-freid, les récoltes
mauvaíses, et la population souffrait de la
cherté des vivres, peut -étre un peu artiflcielle,
A París. la maison d'un íudustriel du Iaubourg
Saiut-Antoine, Beverchou. Iut pillée. et l'émeute
ne s'apaisa qu'aprés plusleurs décharges des
soldats. D'autre part, les dames de la cour,
revenant d'une f6te, étaieut insultées dans le
méme quartler, surtout celles qui pnssaient
p01l)' hostiles nux réIormcs. C'étuit de mauvaís
augure pcur la Iulure asscmblée.




CHAPITRE [1.


Réunion des états générallx. - Jouruée du 5 mai, ~ Dis-
cours de M~r de la Fare, - L'étiquette. - Diicours du roi,
- Discours de llareutln et de Necker, - La qucstion du
vote. - Attitude des trois ordres. - Usurpatious ,Iu tiers.
- Mirabeau. - Serment du Jeu de Paume, - :l'la"tin
d'A~de. - Séance royal e du 23 jui n. - La délararíon
royale, - Résistance du tiers. - Parules préié-s II Mira~
beau. - Le roi cede. - Béuniou des ordres et constitu-
tion de l'Assemblée nationale.


Onfait géuéralcment dater la Constituante du
5 mai 1789, jour de la n'uuion des élats gene-
raux: c'est auticíper sur les évéuements , la Con-
stituaute n'exista en faiLqu'aprés le serment du
Jeu de Paume, en droít qu'aprés la réunion des
trois Ordres.


La journée du 5 mai 1789 a Versailles fui
réellement ímposnnte. Suívant I'habitude. les
états généraux s'ouvrirent par une cérémonie
religieuse. On se rendit procession nellement a
l'église Saint-Louis oú devait étre dite la messe
du Saint-Esprit. Les députés du tiers état, en
nombre double , venaient les premíers . ils
étaient vétus de noir, avec le manteau de lune ,


2.




30 L'A::'6E~tBLEE CO;,\¡STITUANTE.


le rabat blanc et le tricorne, Puis venaieut les
députés de la noblesse en manteau de soie
hrodé d'or. l'épée au cóié, avec une echarpe á
la Henri IV. Les dépulés du cl-rgé étaieut en
habits de chreur , précc.lant le Suint-Sncre-
meut quc-portait le véuéraule archevéque de
París, monseigneur de Juigné. Monsleur, le
comte d'Artols, les ducs d'Angouléme et de
Berry tenaient les cordons du dais, Le rol suí-
vait avec la reine el toute la cour.


Sur le passage du cortége, les cris de « Vive
le Iloi » étaient nombreux et en apparence (out
était bien. On nuraít pu reumrquer cependant
que les députés du tiers avaíent été salués par
de trésvífs applaudissernents, et que la députa-
tíon du Dauphiné avait élé I'objet d'une ovation
toute partícullere, quí s'adres-ait a la proviuce
dont l'opposition élalt allée j IlSqU'¡¡ la révolte,
On aurait également pu remarque!' que In dile
d'Orléans, député de la nohlesse, affeclait de
marcher un peu en avant de son ordre, de ma-
niére a se confondre avee les dernlers députés
du tiers. Comme ~1iI'¡¡lJeau figllr;lit parmi ceux-
el el qu:i1 était dans les dernlers rangs , les
deux cornpllces pouvaient marchar ensemble,


L'évéque de Nancy, monseígneur de La Fare,




LIVHE PRE 'tlIEll. 31


prononca le sermon d'usage, qui était un rlis-
COUI'S SUl' la n,'cessitü de la religion, seule
c.ipable de rain' la force des cmpircs. Dans ce
discours, il pronunra le mo í de libertes publi-
ques. el des ilpp!,mdissemeuts éclatercnt sans
respect [JoU!' le lieu saint,


A J"isSI1P de 1:1 cérémonle roligtcnse, les dépu-
tés se re ndireut 1!,Ins la salle des PaS-Pl'J'dIIS.
Des cene premiere réuuion, timprévoynnce du
gouvernement upparut : ríen u'avuit été prévu
pour le cérémnnial : personne n'avait sougé a
apporíer aux {JllciCllllf'S couturnes des change-
mcnts nécessiíés par !'élat des mreurs. Ains¡ Jes
dépuiés du clergé d dr. la nohlesse pnsserent
par la grande porte avec le roí. les députés du
tiers élat par une porte lutérale. Avaut la pré-
seutntion ,IU rol, les deux bauants de la porte de
la salle Iureut ouverts pour la uoblesse el le
clergé, un seul pour le tiers. La noblcsse el le
clergé íurent r0~lIS dans une salle, le tiers dans
une autre, Au mornent oú le roi se COUVl'il, il se
prorluisit un incident rcgrcttable : la noblesse et
le clergé l'illlilerrnl peudant que le tíers devait
restcr découvcrt , les Mpulés du tlers n'accep-
téreut pas celta difléreuce. el its allaient se cou-
vrir malgré les protestations des rléputés de la




32 L' ASSI~i\lIJLÉE COi\STITLJA'\TE.


noblesse, lorsque le roi mit tout le monde
d'accord en se découvraut ct en gardnnt sou
chapean ú la main. Tous ces inutiles froisse-
ments n'étaicnt pas de uature Ú maintenir
l'entente entre les divers ordres.


Le roi prit le premir-r la parole : son díscours
tres-court. résuuie bien la situutinn :


(( La clette de l'I~lat, déjá immense 11 mon
avénement au tróue, s'est eucore accrue sous
mon regne : une guerre dispcndieuse, mais
honorable, en a élé la cause; I'augmentation
des impóts en a été la suite uéccssnire. el a
rendu plus seusiblu leur iu('gaJe répartitiun.
Une inquiétude w'nf'rille, uu désir cxagél'é d'in-
novatiun, se sonl empnrés des esprits et tlniraicut
par égarer totalement les opinions, si 011 ue se
hátait de les fixer par une réu uio n d'avis sages
et modérés C'est dans cette coutiancc , lIles-
sieurs, que je vous ui rassemblés, etje vois avec
sensihilité qn'elle a élé justiííée par [es disposí-
tions que les deux preiniers ordres ont montrées
a renoncer a leurs priviléges pécuniaires. L'es-
pérance que j'ai C()Il~:l1C de voir tOIlS les ordres,
reunís de seutiuients, coucourir avec mol au
bien général de I'ÉtaL, ne SI'!';) poiut trompee, ))


Lorsque Louís XVI terunnu sa courto harau-




LIVRE l'HE31IEll.


¡;ue, il Iul salué par le cri unanime de « Vive
le roi: l) 11 Yavuit daus ce rliscours une d éolnra-
tiou illljWrlallle, ccll« (]Id 1;laill'l~lati\e aux deux
pretuiers ordlcs ¡n(;ls a reuuucer Ú l.urs ti pri-
ül(;gl's pél'uniaires ». Célait un grilnd poiut,
urais Ú c¡)I¡' de cela. dans les paroles de Louis XVI
on nc scutait pas assez le roi.


Le ganle des seca UX, :\1. de lluren ti n , exposa
les projets don! les 1~la!s seraieul snisis , au pre-
miel' raug ügurnicnt la réíortne de la législatíou,
l'uuiflcatiun de l'impót el le vote du budget,
JI. de llareutin 101lCll,I it la grave quesriou du
vote. Cel((' question uurai! dú ('{re Iriltll'hée par
le roí :1\'<lul la réuulou des états. 11 était eucore
Il:'lllpS de la traucher le preiuier jour, quoique
déjú IJiI'n 1<11'I1. .\11 Iieu de fairc counatrre la
volouté du roi, devant Inquell« íout le monde
se seralt indiné, si elle avaiL été nettemeut p.ré~
seutée.Ie garde des sceaux se Dorna ti Jire que,
quoique rpgill'd,llll le vote par tete COIl1IllC mcil-
IClIl', paree quil in.Iiqunit mleux la volouté
g(:Il(>l'ale, le roí laissai! au x états le soin de
dél'l'él(·I'. C'élnit une 1',IIIIe irréparahle.


Le discours de :\1'ek(~1' cut peu de succes,
lllellll' ,1I¡PI'i's du 1i('l'S état , c'était un long
exposé üuancier, teU ITe d'un banquier eL non




34 L'ASSIBIIlLI~E CO\STI'lT,\\TE.


d'un homme (l'Élat. Necker accusait un détlcit
auuuel de 56 millious . il Iaisait Ill'S-lollijUl'IUelll
son éloge , il I'l'collllnal}(lüil "11\ d('plllt's la sa-
gesse, el {las plus que ~I. dI' B<lI'('lJlin il lit'
tranchait la qnesnon du vol", 10uI en laissuut
voir quil lH!ucll;lil [lOll!' le \'ole P;II' ¡{'le.


Ce fui aux (!'is I('pde's de (1 ViII' le roi ' » que
íut Ievée cel le sliHuce d'inallijlll'alion, mais des
le soir 1Il(~1l1¡~ la lutle corumcueait. Les mr-ncurs
du tiers état avuicut coinpt-is au discou rs du
roi qu'ils n'uvaicut rieu il 1'l'<Iilldl'e de re princc
el quils pouvaicut 10uI OSI,'I'. lis dl'(~lal'(')'('1l1 qlll'
le lie]'s étnt sI' j'('ullil'Hil, IIOfl dalls 1:1 s,III,' qui
lui «tait deslille',', mais rl.rus la sall« dl's ,'I;lIs
g¡Jnc' r;1I ix , conuuo s'il conslilll:lil ;'1 lu i soul 1"
représeutation d¡'la nalinu. EII nll;III1' tcnips. le
tiers etal deuiauda ¡lile la n',iJiI';¡! ¡(JIl des pou-
voirs se Ilt en couun un. C'élait 11':!I1c1lCl' en
sa Iaveur la question du vote. Ht'llllis pour véri-
fiel' les pouvoirs, les trois onln's u'aurnien l [l1L
se séparcr pour tli'~libl'rer boll;nwlIl. L(~ rlel'gé
ella lIolJlesse J¡~ CUlll¡Jl'iI'CIII el SI' 1'('l'lI:';('I'('lll ¡'¡
la dcmaurt« du licrs.


Hu reste la 1l(l1J[¡'ssc el le clt'l':-',I' 1I','t:liellt pas
COJllpl(\IClllrlll d'acc(ll'd SiLI' la ('(lI"ll1il(' Ú [cui!';
si la grande uiajorité dl~ la lIulJic:",,' dilil )'I:S(l-




L 1 Vil F P 1:L \1 I EJ:.


Iúuieut U[l[lUS~I~ ,111 voto [lar íótc qui la livrait Ü
In discn'Iion du ticrs , bcaucoup de mernbres
du e!crg¡' parrui les cures pcuchaient pour une
réuuion avec le tiers état ,1lHJUé'l ils apparte-
uuíeu; par leurs Iaruilles. Des les prcmiers jours,
il y «ut des dél'l'ctiolls. notaunucnt celle du curé
d'Etuueruresnil. Grr;goil'e. plus tard évéque
coustitutíouuel de Loir-ct-t.hcr.


La situuliou ml'lla\';mL de se prolonger , le
tiers dilt l'l'sollli dI' hrusqucr les évéueurenls.
Le 16 juin, sur la prupnsil iuu de l'uhbé Sieyes,
Ull des lI1ell¡fll'cs dll c!1'l'gé (llli s'étnieu! ralliés Ü
luí, il se constitua en ass('lllldl;e natiouale. Pour
se urcttre iJ 1';¡J)l'i duuc dissolution, I'Asselllbléc
nariunnle !ll'('ida 1[11(' la 1I'\(;e des impóts ue se-
rail autorisée que pcudaut qu'clle existeralt. C'é-
tait une double usurpatiou. ct mulgré la faihlesse
de Louis XVI, la nou vl'lle Asscmblée nutionale
n'était pas ccrtaine d'obteuir l'assentiment dll
roi.« Si, ce q ue jo ne crois pns possihle, écrivait
Mir.rbeau, le roi dounait SH sanctinn au nouveau
titre que 1l011S llOUS som mes arrogé, il resteraít
vrui (11lC les dépu tés du tiers on t joué le roya 11-
me HU trcuto «t quarante. » A ceue époque, le
député dAix u'étail P;¡S éloigné d'un rapp.oche-
ment avec la cour: il eut I1H~me des entrevues




ae L' A SS E:;\lll L IÜ~ CON STIT OA",TIC


avec les ministres Montmorin et Necker , maí:
le premier ne le cornprit pas et le sccond lE
blessa. 01' iI u'était pas homrne apardonner unr
offense, et il voulait se rendre nécessaire.


Malgré sa longnulmité, Louis XVI, s'effrnyan
des usurpations du tiers, voulut y meure Ul
terme en se présentant aux étals géuéraux e
en leur íaisant une déclaratíon il laquelle il:
n'oseraíent pus résister et qui donnerait satis-
íaction aux vreux des baillinges, L'idée étaí
bonue , mais il fallalt agir innnédiutemeut et ni
p~IS laisser aux meneurs du tiers le temps d~
parer le coup. On perdit du temps , la c1éclam
tion fut annoncée pour le 22, puís remíse au 23
En auenuant, les réunions des trois ordre
étaient suspendues, Le clergé el la noblesse SI
soumireut, maís le tiers resista. Au lieu de ré-
primer par la force ceue résistance, on prit UI
hi.ds rídicule: le 20 juin, la salle des état- gé
néraux Iut fermée sous pretexte de la prepare
pour la séance royale. C'est alors que les depu
tés tJu tiers se rcuuireut daus la salle .lu JCI
de Pauuie al') eut licu la fumeuse sceue di
scruieu t.


Leprésident du tiers, Bailly, met en délibé
ratíon ce que l'on doit faire. Un député rh




L 1V 11 Jo: P 111-; M 1sn. 37


Dauphiné, l\Iounier, propose de 11e pas se séparer
avant n'avoir terminé la constitutlon et n'géuéré
l'ordre publie. La motíon est acceptée d'cnthou-
siasme. Bailly prole sermcnt le preinier. et tous
de répéter: Nous le jurons, Tous, sauf un dé-


.. putó courageux , Martin d'Agde , qui au-dessous
de sa signnture iuscrit : opposant, Son COUI'Jge
luí fit courir un véritahle danger de la part de ses
collegues exaltes.


Le 23 juin eut lieu la séance royale : le tiers
n'était pas saus appréhension. Le roi se presenta
dans l'Assernblée avec tout r'appareil royal. Nee-
ker, qui cepcndaut avait fai] la déclaratíon, ne
I'avait pns accompagné de pcur de perdre sa
popularité; c'était un élément de succes de
moins. Louis XVI, dans une courle harangue,
se plaint de la mésintetligence qui existe entre
les ordres et pnralyse leurs travaux. Le garde
des scenux lit tille prcinierc rdéclarution quí
annule les c!pcreb C!U tiers et autorise la réu-
niou des ordres ea n;C'llt aux deux tiers des
voix le chiflro de la majorité. C'élait [aire la.
partie bello au tiers qni , avec les membres
dissidents du clergé el de la noulesse, réunissaít
plus que ce ehitrre.


A cette premíéredéclaratiou en succede une
i.l




38 L'ASSEJ\lllL~:E r.ONSTITUANTE.


seconde qui aeeordait la plupart des demandes
contenues dan s les cahiers des hailliapes ; c'est
celle qui est connue SOllS le nom de déclaralion
royale du 2.3 juin. En voíci quelques disposí-
rions :


«Art,1ero - Aucunnouvel impót ne sera établi,
aucun anclen ne sera proroge au delá el u terme
ñsé par les loís, sans le consentement des re-
présentants de la nation.


« Art. 9. - Lorsque les dispositions formelles
annoncées par le clergé et la nohlesse de renon-
cer a leurs privíléges pécu níaires auront été
réalisées par leurs déiibéraíions, I'iutention du
roí est de les sauctíonner, et qu'il n'existe plus,
dans le payement des contributíons pécunialres,
aucune espece de priviléges ni de dislinctioos.


« Art. 10. - Le roí, désirant assurer la liberté
personnelle de tous les citoyeus d'une maniere
solide et durable. invite les états généraux a
chercher et a lui proposer les moyens les plus
couvenalJles de concilier labolition des ore ..es
connus sous le nom de leurcs de cache: avec le
maiotien de la süreté publique.


(l Art, 11. - Les étuts génél'ilux examineront
et Icront con ualtre a :::la Majeslé lemoyen I~ pius
convenable de concilier la liberté de la presse




avcc le respect dü á la religíon, aux mceurs el a
l'honneur des ciloyens.


(( Art. 12. - 11 sera établi, dans les diverses
provinces ou généralilés du royaume, des éuus
proninciauai , composés de deux dixiemes de
membres du c1ergé. dont une partie sera néces-
sairement choisie dnns l'ordre épiscopul , de
trois dlxiémes de l'ordre de la noblesse, et de
eiuq díxíernes de l'ordre du tiers état


(1 Art. 1¡l. - Les états généraux s'oceuperont
du projet, coucu depuis longtemps par Sa l\'Ia-
[esté, de porter .les douanes aux frontieres du
royaume, afln que la plus parfaite liberté régne
dans la círculation ínterleure des marchandíses
natíonales ou étrangéres, »


Cettedéclaratlon donnait satisfaetion au tíers,
d'autant que, avec la réunion des ordres et avee
la majorité des deux tiers, il restalt le mattre.
Il devait done, a l'exemple de la nr.blesse et du


- clergé, se retirar, coníormément a l'ordre du
.roí, Maís la Itévolution était déjá dans les es-
prus, Je8 membres dll tiers restérent en séaace,
el lorsque 1: marquís de Dreux-Brézé, grand


. mattre des cérérnonies, vint leur rappeler les
ordres du roí, ils se reíusérent a parlir.l\1. de
Dreux-Brézé se retira, et les députés se décla-




40 L'ASSEMTILÉE CONSTITUANTE,


rerent inviolables, lIs savaient qu'avec Louis XV
i1s risquaient peu en résislant. On apreté i
Mil'abeau, en cette circonsrance, des parole:
théátrales qu'il n'a pas prononcées , c'est un dE
ces mensonges comme on en ,rencontre beau-
coup dans l'histoire de la Bévolulion.


Les députés du tlers avaient bien calculé;
Louis XVI, ne pouvant se décider a sévir, dií
de les laisser tranquitles , troís jours apres, iI
donnait a son fidele elergé et a sa fi.dCle noblesse
l'ordre de se réuuir au tiers, Vainement le duc
de Montmorency-Luxembollrg, président de la
noblesse, lui fit les représentations les rnieux
fondées, le roi persista; il aimait mieux (1 faire
tous les sacrifiees ) que de voir «un seul homme
périr pour sa querelle », Que d'hommes cetre
faihlesse a fait périr.


Les étatsgénéraux étaient flnis , I'Assemblée
constitnante les remplacaít, et la Révolution
étaít faite.




ellA PrTnE JIJ.


Les électours a Paris, - Les briaanris. - Tentatives auprés
de l'armée. - Les gardos Irancaises. - Mesures de pré-
caution du roi. - Démnrchr d" l'u-sern hlée. - Rél'on"e
du roi. - IlPlra1tc de Ncrkor. - Munífestarlou au Pulais-
ROlal. - Camille Desmoulius. - Journée du 14 [uill-t.
- Príse de la Bastílle. - Massacres. - Les prisonniers
de la Bastille,


A l'usurpation du tiers état répondait une
autre usurpation. On avait nornmé a París,
comme dans les provinces, des électeurs char-
gés de choisir les députés et de préparer Ics
cahiers des bailliages. Des qu'ils virent la
marche que prcnaient les événements, les élec-
teurs se constitueren t cn assemblée, et un cer-
tain nombre d'entre eux restaient en perma-
nance il l'Hótel de Ville; ils constítuaient un
pouvoir en face de l'autorlté régulíere. Apres
la réunion des trois ordres, ces électeurs eo-
voyerent une dépuíation féliciter, au nom de la
vilJe de París, l'Asserublée coustituante, et au
lieu de leur répoudre qu'ils n'avalent aucun pou:
voír, on les admít aux honneurs de la séance,




42 L'ASSEMBLtE CONSTITUANTE,


Du reste, le désordre était partout, et ron
voyait, a París et en province, apparattre des
bandes de briga nds, préts á tous les exceso D'oú
venaient-Ilst Quel était leur róler Qui les sou-
doyait? Il esl difficile de répondre d'une ma-
niere precise a ces questions. !Unis ce que ron
peut dire, c'est que ces brigauds, en eutrete-
nant partout I'agitation et en fournissant des
prétextes pour instituer les gardes natíonales,
servaien t les vues des meneurs de la Bévolutlón.
Parfo.is cependa nt ils élaient mal recus, et les
paysans dauphlnoís leur donneren tune rnde
le~on.


Le grand obstacle a la Hévolntíon étnit dans
I'armée, il Iallait la gagner. Des émlssaires nom-
breux la travaillaient, et des mémoires du
ternps nous montrent mérne des fernrnes de
han! rang allant jusque dans les casernes. On
cite notamment Mme de Staél, la filie du ministre
Necker, qui ne dédaignait pas de verser de
l'eaude-vie aux gardes francaises. C'étnientles
gardes frnncnises qui , un pen tardivemcnt,
avaient réprimé l'émeute ie jour de l'inceudie
de la fabrique de Iléveillon. lis cnnstituaient
une iroupe d'élite comptant 3,000 hommes et
forl aimée á. París. On s'occupa de les gagner




LIVRE PHEMIEU. 43


et on y parvint. üans les premiers jours de
juillet, onze gardes francaises refusérent de
défendre Mgr de Juigué, assaillí par des gens
que sa charíté avait nourris pendant l'hlver:
ils furent enfermés a la prison militaíre de
I'ALJbélye. Imrnédiaternent iI se fit un mouve-
meut en leur faveur. Une députaLion alla de-
mande¡' leur déllvrance a I'assemblée. Celle-ci
n'avait qu'á répoudre que cela ne la regardait
pas, mais elle saisit avec ernpressement ceLte
occasion de détruire la discipline de l'armée et
d'achever de gagner les gardes francaises. Mal-
gré les eflorts des quelques députés qui com-
prenaient tous les dangers de la voie dans
Iaquelle on s'eugugeait, malgré les reserves de
Mirabcau lui-méme qui, ayaut le sens du gou-
vernemenl, répuguait ú intervenir en faveur de
soldats indignes, iI fut décidé qu'il seraít envoyé
une députation au roí pour dernander la grace
des ouze gardes Iranraises Louis XVI céda, et
les pnsouniers, a leur sortie de l'AbLJaye, furent
portes en triomphe val' une Joule oú l'~
vcyuitles MailJard, les Théroigne de Méricourt el
d'autres héros des journées révolutionnaires.


Les désordres devenant chaqué jau!' plus
graves, et les gardss trancaíses se faisaut l'ar-




44 L'ASSEl\lBLEE COi\STITl1ANTE.


mée de l'émeute, le roi ílt venir a Vcrsnillcs
quelques troupcs q¡¡'jl piara SOllS 18 cotuuian-
dcment du uiaréclral de Bl'oglie, Cetle résolu-
tion produisit une vive (!JI10liOIl dans la COII~tj­
tuante, dout tous les nl('II1I)1'('S n'(;I;¡j('Jlt pas
rnssurés. Plusicurs (h;jlutés, panul lesquels Jli-
raheau, iu-ist-rcnt POUl' (IU'O:1 dem:llldúl au
roí le retrait de ses íroupes. qui pm'aissajelll
une menace Ú l'asscmhlée el ir la population
parisienue si dévouée Louis XVI, i'ais:11l1 tr(\\(~
H sa faibless«, ieíusa (le faire parí ir J¡,'i rroupcs,
il les avait fait venir ú cause dl's d(;sol'dres qui
coutiuunicut. il ]H' pouvait les j'('llluyel'. Du
reste, si ces troupes cO'rayaiellt l'a'iSI'llll>lée, il
pouvait la r.issurer en la lrausportau! daus une
autre dile, á Noyon ou Ú Soiss.ius pal'('xelllple,
peudant ¡¡Ile lui-méme se rcndrait il COillpil'¡;ne.
Les dépulés n'avaieut gal'de d'accepter leur
éloíguerncnt de Paris, el ils n'i nslsterent pas.
L'idce de Louis XVI élait bouuc, el il est 1'('-
grettuble qu'il ne l'ait pas mise ir cxécUliolll)('II-
dant qu'il en l'lail lelll!ls cneme.


Le ministre Necker navnit pas [uu'u ft la
séance du 2;, juin, SUlI al»('llce avait élé Irl'S-
rcmarquce. Par ]'HiIJ1('sse ou pHI' connivcuce il
Iaissalt le Chilllljl liIJl'I_' ft '·""S('IlIlM!'. LI: fui,




LIVHE PREi\flER.


comprenant le danger de cette conduite, lui lit
demauder sa dl;lIlission, qu'i: donna. Sur la
priére de Louis XVI, il partit avant que sa _
démission ne íút counuc, el il fu! remplacé par
le maréchal de Broglie el par 1L de Breteuil
qu'on croyait plus Iurmr-s. 011 a blárné ce l'en-
voi de Nccker COIIIIIIO llll acle lmpolitique. on
oubliait que ce ministre élait complétement
incapable, et qu'il laissait tout faire.


La nouvelle du départ de Necker produisit
une profonde émotion sur I'assemblée el a
Paris. Le Palais-Iloval était le centre d'action
des révolutionuaircs, autan t ú cause de sa
situation que paree que c'était la demeure du ,;o.
tille d'Orléans. Necker était partí le 11 juillct: \
le 12 il Y cut au Palais-Iloval une espece d'é-
meute dont Cain¡IJe Dcsrnoulins donua le sign al;
on porta en triomphc les bustes du duc <1'01'-
Iéans et de Necker. voilés d'un crépe en signe
de deuil. Dans la soirée, les dragnns du prince
de Lambesc, qui gurda ien t les Champs-Élysées,
furent assaillis : apres bien des hésitatíons, le
prince voyant qu'ou voulait lui couper la re-
traite, dut charger , rout se horun, du reste, a
quelques personnes légéremcnt coutusionnées.
Les gardes Iranraises, qu'on araít fait sortu-,





46 L'ASSEMBLÉE CONSTITUAl.\'TE.


prirent partí pour l'émeute et croiserent la
baionnette sur les cavaliers du priuce de Lam-
bese.


Le Iendcmain , nOllVC;¡IlX désordres : u n rou-
vent fut pillé el incendié , des buuriques d'ar-
muriers furenl dévalisées. Une garde bourgt-oise
de soixaute bataiilons fut furmée, non pour
rétablir le calme, mais pour aider les émeu-
tiers. Cette gnrde bourgeoise pri 1 pour cou-
leurs le rouge el le hleu. Quelques jours apres,
le blane fut ajouté et constitua le drapeau tri-
colore,


Dans la nuit du '13 au 14, des milliers
d'horumes des fatibourgs se III irent en marche
pour prendre l'Ilótel de Ville, milis iI y avait la
un électeur énergique. Le Graud de Saint-Iteué ,
iI déclura que si I'Hótel de VilIe était forcé, iI
le ferait sauter , cela calma les plus arrleuts.
Dans la matinée. les érneuticrs furent plus heu-
reux: ils entrerent aux Invalides, malgré le
commandant, M. de Sombreul , et y trouverent
vingt mille fusils. Ils vennient de s'armer ainsi,
lorsque l'idée de prendre la Rastille fut mise
en avant.


Les historíens révolutionnaires ne tarissent
pas sur ce glorleux exploit, rnais les faits np




LIVHE. I'I\EMIEH, 41


contírmeut pas leurs récits enthousíastes. La
Bastill«, comurandcc par M, de Launay, un
vieiirard, IW cuurptait que 11, déíenseurs, dont
82 invalides el 32 Suisses , ces défenseurs étaieut
insnfflsant ment armés el HHI nquaíent de mil ni-
tions: les cauons n'avaíent qu'un coup a tirer.
L'attaque ne présenialt done pas grand dauger,
el la seule difflculté était de Iranchir les fossés
el d'escaladcr les murs, les ponts-levis étant
leves.


Une premiére attnque out líeu le matin , qui
ne prorluisit aucun résultat deux déchargcs en
l'air uiireut en déroute les assaülants, Une se-
ronde colonne pénétra dan" les ouvrnges cxté-
rieurs que M, de Launny, ayant trap peu de
monde, avait dú abandonner , elle s'arréra au
second pont Ievis, La troisieme attaque, la plus
sérieuse, quoiqu'elle ne le fL11 guere, fut faite
par 300 gardes trancaises, qui avaient -íx petits
canons. IIs n'aurai-ut certainement pas pris la
place, si M. de Launay n'avnít perdu la tr·te, et
si 'Ia faible garuison avait voulu faire son de-
volr, JI suíüsnlt d'écarter a coups ele fusil ceux
qní lentprilipnl de I¡;¡issrr le pont-levís. Mais les
invalides vuulaient capltuler. lis le flrent , le
pout-Ievls fut lliliss(:: les assaillants entrérent




48 L'ASSEMBLEE Lü;\STlTUANTI:.


daus la vieille citndelle el les invalides íurcnt
pour la plupart massncrés, Ilwlgl'é les cflorts
des gardes Irancnises pnur les sauvcr. ~1. de
Launny. le major de Losmc, nJ. de ,'Iiray,
\1. de Persau íurent ussassinés, ainsi (fll(' le
malheureux prévót des marchumls, M. de Fh'~·
selles.


On a résurué ainsi le giorieux exploi! dn
1i¡ juillet : « Une íortercssc mal (ou pas) dd'en-
due, ouvrant ello-iuémc ses por les ü une
érneute; des scélérats protltu •. d'unc cupitula-


tion pour miISSaCH'1' des huuuues dl'Sal'lllés. )1
Voilit tout. Le chiflr« memo des perles des
assaillunts, lID honunes, d'apres un récít révo-
Iutionuaire de lépoq ue tres-probableineut exa-
geré, montre courhieu la dNellse a élé peu
sérieuse.


Quaut aux prisonniers que rentcruialt cette
terrible prisou, ils étaient au nombre de sept.
parmi lesquels quatre íaussaires. et le marq uís
de Sade, un personnage iuuuoudc, dissl mulé
sous un Iaux nom, et qui fut conduit ü Cua-
re lito II counn e Iou,




CIlAPITRE IV.


Mo: du duc de Lu lluchcfuucuuld. - Proposittou billery.-
Pal'oks de )lil'llhcau. - Le roi a l'Asscu.Iiléc. - Son dis-
COII!'S, - Happcl do "eckm'. - Sat i-Iactinn dRS émoutiers
p.uisicns. - Bailly et La Fayctt«. ~-- Premíer projet de
départ du roi. - Conunence.uent de l'émigratiou, - Ses
Cal"CS, - Ce qu'cllo u été. - Le roi a Pat-i-; - Parnles
de Baílly. - Assnssiuut, dI'. Foull.m el de Berthier. - Fai-
hlessc de La Faycttc. - Parnlcs de llamare. - Itetour de
Nerkcr. - Fi u du dircctiir« do Puris. - Désordrcs en
province, - l\uit du ·f aout. - Louis XVI restaurateur de
la liberté íruncaísc.


Leduc de La llochefoucauld-Liancourt révcilla
le roi dans la nuit du14 au 15 juillet, pour lui
annoucer la prise de la Basfille. II Mais c'est
done une révolte ? di! Louis XVI. - Non, sire,
répliqua le duc, c'est une révolu tion. JI Le mot
était juste.


Dans sa séance du 15 juillet, la Constituante
ne pouvait pas ne pas s'occuper des événements
de la veille , elle sulvaí t les progres de l'émcute
avec une attentiou auxieuse, qui s'était changée
en joíe en voyant le triomphe des révolution-
naires el l'inactíon des troupes. en dépnté de




50 L'ASSEiVlULEE CONSTITUANTE.


la faction d'Orléans, le ruarquis de SiIlery, mari
de Mmc de Geulis , pruposa une adresse qui
blámait, non II's émeuliers, iuais le roi et ses
conseillers, el qui engugcait le roi (( Ú cesscr de
cornbattre le peuple », Les ministres du roi, ces
« pestes publiques JI, étaien t accusés de lout le
mal, el l'adrcsse flnissait aillsi : « Les flots de
sang qui out coulé out empoisonné la vic du
meilleur eles rois, et la natiou. sire, va pronon-
cer l'anatheme contre ceux qui vous ont donné
des conseils sauguinuires. )) C'était, en uiérne
ternps, odieux et grotcsque, el cepeuuant l'a-
dresse, courbattue par quelques députés de la
droíte comme une gloriflcation de I'émeute, le
fut par ccrtains députés de la gauche, notam-
ment par !\lirabeau, cornrnc trop faible. Elle fut
écartée et I'Assernlrlée se borna a voter l'envoi
d'une députation pour demander le renvoi des
troupes et des mesures pour assurer la sll1Jsis-
tance de París. Mirabeau, dictant a la députa-
tion ce qu'elle devait dire, tonna centre « les
hades étrangeres », contra les « princes, les
princesses, [es favoris el les Iavorítes »: il les
accusa de préparer la destructlon de l'Assem-
blée nationale et une Saint-Barth/lemy de pa-
trioles. C'était ahsurde. mais cela n'en portaít




LIVRE PHEl\lIER. 51


pas moins coup, el I'on préparait ainsi les jour-
nées d'octobre.


Au rnoment oü la députatíon allait partir, le
dile de La Ilochefoucauld Liancourt annonca
i'arrivée du roí, qui venait aveo ses fréres,
C'était la premiare [Gis qu'il venait ainsí sans
l'appareil royal déployé dans la séance du
23juin , c'était cornme une reconnaíssance im-
plicite de la déchéance de la royauté. A son
entrée, Louis XVI fut acclamé. malgré l'opposi-
tion de l'Iil'abeau, quí demandait un « morne
silence » jusqu'á ce qu'on fút fixé sur les iuten-
tions royales. Le roi adressa aux députés le
petit discours suívnnt :


({ Messíeurs, je vous ai assemblés pour VOll6
consuIler sur les afluires les plus ímportantes
de I'Élat. 11 n'en est pas de plus instante et qui
affecte plus sensiblemcn t mon cceur que les
désordres aífreux qui régnent dans la capítale.
Le chef de la nation vient avec conüance au
milieu de ses représentants Ieur témoigner sa
peine et les inviter a trouver les moyens de
ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a
donné d'inj ustes préventious i je sais qu'on a
osé publier que vos persounes n'étaient pas en
süreté. Serait-iI done nécessaire de vous 1'aS811-




52 VASSEl\lBLÉE CONSTlTUAKTE.


rer sur des bruits aussi coupnhles, drmcntis
d'avance par m011 carilctcre counu ? Eh bien,
c'est moi qui ne suis qu'u n avec lila nution ,
e'esl moi qui lile Ü(~ ¡'¡ VOIIS. Aidl'z-1II0i. (/;II1S
cette circonstance, a assnrer le salut de l'J~tat.
Je l'attends de l'Assetnhlé« uationalc: le zi'le
des représeutauts de mon peuplc, réuuis pour
le salut COIllIl1Un, tu'en esL un sur gar,lIll: el,
comptaut sur la l1délité de mes sujets, j'ai donné
ordre aux troupes de s'éloigner de Puris eL de
Versailles. Je vous autorise et je vous invite
méme á faire connaüre mes dispositions a la
eapilale. ))


C'érait toujours la mérne désespérante Iai-
blesse et le méme encouragcmcnt don né aux
rcvoíuuonnaires. Le roi fui Irl's-applandL et le
président, ~I~r Lefrunc de Pouipig uau, arche-
véque de Vienne, lui demanda au nom de I'As-
semblée le rappel de Necker, qui Iut iunnédia-
tement prorn is.


Le roi était á peine partí qu'une députation
de vingt-huit mernbres de l'Assemblée se ren-
dait a París pour annoncer aux Parisiens la
nouvcIle victoire eL leur faire savoir que leur
conduite était pleinemeut approuvéc. Les dépu-
tés furent recus avec d'autant plus d'enthou-




[.]\1\1<: I'HEMIEH,


siasme Ijll';'1 Paris ron élai! mediocrement ras-
suré sUJ' les su ilr-s ele In journée du 14 juillet.
Les vainqucurs 1l'(:Ulil'1l1 P,IS ür-rs de leu r vic-
toirc, ('1 ils el'aic;lIi1jl'1I1 [011 qu« Ia patícnce de
Louis \\'j n(' S(' lassát. Le message de l'Assern-
hlép les rassur« et ce Iut un t¡II'C de gloil'l' que
davoir íuit pilllíe des vainqneurs de ln Ilnsíille.
lJiliIl) Iu l proclamé mnirc ele ]l,¡ris el La F,¡yelle
g()IlI:lal ele la gal'dc nationule. Un 1',' ]).{I))I Iul
mérue ehun1(" SI11 la proposition, assez singu-
liclc" de l',u'cIIP\('l!lIC de París. M~" de Juigné.
'l'oulcs les t(>lps ("ilicn! afrol(!rs,


A In cour ('('III'lId;1I1I. Oll comprenai: la gra-
vité eles (:VI'III'IIll'nls. ut dilns UJl conseil des
ministres touu le soir l11(,IlW, 15 juillet, on exa-
mina la qurstion du d.'pilll du roi. La majorilé
"('S ministres se pnllIOIl\';¡ pOlI!' In ll.:gillivc. en
gl'andc pallip paree qu'on redout.iit elp luisser
Ip ch.nnp lihr« nux intrigues du duc d"il'!éans.
l)(os '111'il Iut d.:cíel(j que le roi resterait, quelques
'l,jgIlClll'S parlirl'll! el 1'('migralíon eOlllml'llr!1.
Le com!e d'Mlois partit des prcuiíers , il élait
ll'('s-illlpoplllaire ú cause de SOIl opposilion au
11I0U\(~lll('lll 1'("Olllliollllail'p el pouvait se trou-
ver pxpo,.' Ú hicn d('s dallgers, SUII iuipopuln-
rjll' rejnillissait jusque sur le roí ct sur la rcill(\




5~ L'A~~EMllLEE CON srrr L ANTE.


et Louis XVI lui uurait lui-uiúme donné l'ordre
de partir. L'émigratiuu a t'li! viveuient all<lljllée;
011 a reproché aux W'lIlilslJOlIllIlCS d'avuir quitté
leur pntrie et d'avoir porté leur concours ¡) ses
ennemis. On ouhlie que la uohlesse fidele était
exposée ú ele graves dan gers; Ú Paris com me
en province, les gentllshonnncs étaient en hutte
a el inccssautes mcn.ues, qui parfuis se tradui-
saíent en voies ele fuit , dans les ctunpugues. des
hrigunds, veuus on ne sait doú. exri.aiant les
paysans , le seigneur voyait brúlor son chatean,
trés-heureux quand il pouvait s'échapper, ce
sont lá eles circons!a nces Irl'S-<llll!U uan les.
Quant a donner Ieur concours <lUX cuuemis de
la Frunce. si les émigrés le Ilreut daus le hut
de délivrer Louis X\'l, réellement priso nnier
dans son palais des Tullcrles, nvant de l'ctre
au Temple, ils entendaicnt maintcnir linté-
grité du pllYs. Une ville d'Alsace avait propasé
au prince de Condé, comuiandunt des (i1lligrés,
de luí ouvrir ses portes á coudition que le
drapean blanc, le drapcau fraucais, et non le
drapean autrichien , flotterait sur los 1I1111'S;
le général autrichien ayan: rcíusé. le priurc de
Condé jll'fivint If'S hahitauts «I la ville j"l'I'll\ll SfJS
portes aux: alliés,\u'mit-il aRi aiusi , s'Il n'avait




L 1V IU" P 1\ JJ;M I E IL 55


pas vouln conservar les provinces francaises.
Quvlles qu'aieu: él,' les fautes des émigrés,
ils n'out j.nnais cessé d'ótre Francais de
CrBnl' •


Un reproche plus grave a éfé fait aux gen-
ritshommes qui ont donné le signa! de I'érni-
gTation des le mois de juillet 1í8!.l; on a (lit
que, s'ils éiaient restes. its aurnient coustirué
une arrnée dévouée qui. aux jOLlI'S de crise,
eút pu se ranger autour du roi. L'observa-
tion serait tres juste avec un autre roi que
Louis XVI. ntais ce prince ne cessait de répéter
qu'Il ne voulait pas qu'une goutte de sang füt
versée pour sa cause; il paralysait ainsi les
eílorts de S3 « fldele noblesse » , qui restait
exposée sans utillté possible aux coups des assas-
sins. Des lors , pourquoi les genlilsllomrnes
seraient-ils restés, puisqu'ils ne pouvaient ni
défendre le roí ni erre déíendus par lui? lis
devaient d'autaut moins hésiter ti partir que le
roi Iui-uréine avait invité le comte d'Artois a
passer iJ I'étranger, El] snmme I'émigratlon,
quí souvent ne fut pas volontaire, ne fut cer-
taiuerneut [las 11 n crime, et si elle fut une faute,
la responsabilité n'en est pas aux seuls érnigrés,


On pressait le rol de se rendre aParis pour




56 L'ASSEMIH,¡;;g CO NST ITl, ANTE,


conürrner les bounes nouvclles portees aux
Parisiens par la députation de I'Assemblée. C'é-
tait s'exposer, mais Louís XVI avait au supróute
degré le courage passif': il ceda. Le 17 juitlet, il
se mit en route , il avait conuuu nié le matin,
et comme il n'était pas certain de revenir, il
avait délrgué ses pouvoirs it Mousieur, pour le
cas oú il serait tué ou retenn prisonuier.
Quatre ccnts ganles du corps íormaient I'es-
corte royale , au Poiut-du-Jour, ils durenl s'ar-
réter, la garde natlonale leur rcfusaut le passage,
Le roi uhésilu pas ú se couüer aux gardes
nationaux et continua sa route. On connait la
ridicule harangue du maíre de Paris, Bailiy.
qui l'attendait <lvec les clefs de la ville. {( Sire,
j'apporte il Votre ~Ia.ieslé les clefs de sa bonne
ville de Paris , CI~ sont les mémes qui out été
présentées f¡ Henri IV. Il avait reconquis son
peuple, et c'est le peuple qui a recouquis son
roi. II Ces quelques mots, qui resscmblcnt il
une insulte, éiuient purc sottlse dnns la bouche
de Bailly.


Le roí (l recouquís » se dirigea vers lHótel
de Ville, apres avoir conñrmé La Fayelte duns
son commandement de la garde nationale. Il
nc fui salué par ¡WCUll cri , le silcucc avait dé




rccounuandé. En arrivant il l'Hótel de Vílle, ji
dut passer sous une voúte rnuconnique íorrnée
pa!' les épées des électeurs. Ce nétnit pas fait
pour rassurer. L;¡ Fayette Iui rernit 1<1 cocarde
nationale, Iormée depuis la veille eles trois cou-
leurs: le blanc, coulcur ele la Frauc«, avait été
ajou té au bleu el au rougc. Lorsque Louis XVI
se montra avee la cocarde tricolore, i! fut salué
d'une immense acclamntion : mais cette accla-
mation était achetée par une humlliation. Le
retour fut moins triste que la venue : ce n'était
plus le glacial silen ce du uiatin, la glace était
rompue. Cepeudant, sur la place de la Concorde,
une femmc fut tuée d'un coup de fusil tres-
prés de la voíture du roí, {fui ne s'en apercut
pas, Ce fail esl constaté par Bailly, témoin peu
suspect, qui ajoute qu'on ignora si c'étaít un
simple accident ou une lcntative de régicide.
Arrivé il Versailles, le roi se félicita de nouveau
de ce que, dans cette belle journée, personne
n'était mort a cause de luí. C'était vrai, sauf
pour la feuime tuée, et le 14juillet. Du reste, le
s:mg ne tarda pas á étre versé de nouveau.


lJ" des membres du miuistére qui devait
reuiplacer Necker, l'i ntendant Foullon, fort hon-
nele houun«, fut arrété aux environs de París.




ii3 L'ASSE~JIlLI::E COl\S'l'J'J'l!AN'J'E.


Ou a dit qu'il se cacliait el qu'il s'était méme
fait passer pour \II01't. C'est un douhle men-
songo. 11 fut amcué a Paris : on luí avait mis
un collier de churdon : une 001le de fulu était
devaut sa bouche. on préteudaít qu'il avait di!
que la populace était bonne a manger du Ioiu :
c'étaít encare un mensonge; iI fut accablé din-
sultes el de mauvaís traitements. Lorsquil
arríva a l'Hótel de VilIe, La Fayette essaya de le
sauver, en proposant de le Iaire conduire a
l'AblJaye en atlendant qu'il Iút jugé. Mais la
populace voulait sa prole, el La Fayette íaíssa
faire. Le malheureux fut assassíné avec des raf-
finements de cruauté,


Le méme [our, on arrétait le gendre de Foul-
Ion, Berthier de Sauvigny, inten.tant de París.
C'était un éiecteur qui, sans droit, faisait cette
arrestatíon., On ouhlie trap que les illégaJilés
oornmencerent des les débuts de la Ilévolution,
et plus tard 1<1 Commune de París no Ilt que
continuer. eu les amnliflaut, !PS traditions de
l'assemblée des électeurs, Accablé d'insuues ,
Berthier ne faibliL paso « Je croirais saus excrn-
pie, dit-il a l'électeur qui l'accompngnair, ¡",
avanies dont jI' suis I'objet, si Jésus Christ 11'1'11
avait éprouvé de plus sanglantes.i. II l;tuit Dieu




LIVHE I'HEMIEII.


ct [e He suis qu'un homme. )) Bailly, a l'Hótel
de Ville, ne moutra pas plus de ferrneté que
La Fayette pour Foullon ; iI annonca qu'il allait
faire conduire le prison nier 11 l' AIJIJ;¡ye, mais
I'escorte le lalssa enlcver par la populace. Ber-
thier, láchcrncnt ubandonué, s'empara d'un
fusil el fit reculer ses ¡bsassills; il totnha bien-
tót percé de coups, Su tele el celle de son beau-
pére Iurent prorneuées dans París au bout d' une
pique.


En apprenaut l'arrestation de son pere, un .
fils de Berth ier se rendit chez Lally-Toleudal, \':§
auquel ses cflorts pour la réhabilitatlou du géné- '\
ral Lally, injustcmcnt coudamné, avaient fait "
une grande réputation. Lally-Tollendal íít de
vains eílorts , quaud, le lendemain de I'assassi-
nat, il demanda la répression de ces crimes,
Barnave répondit par ces sanguinaires paroles ¡
« Le sang versé était-il done si pur? )) Quelque
temps apreso le député dr Grenoble, dont l'en-
thousiasme révolutionna..» commencaít a se
calrner, recut la visite d'un inconnu qui le pría
de prendre conuaissance d'un manuscrít. Bar-
nave le fit et vit que c'était un mémolre dans
lequel ou eugageait le roí á faire les correes-
'síons inscrites dans la déclaration du 23 juin,




GO L'ASSE MDI. EE CO SS'!' ['1'[; A'I'n:.


Lorsqu'il cut lenu iué Sil le(;llll'l~, l' incuIlllU se
nommu: e'élait Illl üls de Foulluu, elle méuioire
était de sou pl~rc. Ilaruave lui demanda purdon
et il ragretta <I1lle.telllelll des parulcs qu'il devait
plus tanl expier SlH' l'uchafuud. UIl tuit pcu
connu, c'est que l'on (~ssa}a de voler la Iamille
de Berthier en la portant sur la liste des émi-
grés , il lui fut tres-diíücile (le se íuire ray<;¡
aprés la 'I'erreur.


Quant il La Fayelle, il donna avec éclat sa
démission de général de la garde natiouale le
solr de I'assasslnut: mais il In reprit le lende-
main,


Neeker avuit élé rappelé le 18 j uillet et son
retour a Versailles avait élé un long triomphe,
Le 30, il vint a Paris : usant de son asceudant
sur les éleeleurs, iI obtint la mise en liberté du
baron de Bezenval et une déclaratlon d'aumistie
générale, qui fut lue au próne dans toutes les
églises. l\lais c'était le deruier acte des élee-
teurs: ils disparureut pour Iaire. place ti un
conseil de comuiune eomposé de cent viugt
membres élus par les districts. ils élaienl deve-
nus trop modérés et voulaient arréter le mou-
veincnt auquel ils avaient tant contribué.


Dans les províuces, les exemples de la popu-




L IYllE PRE\lIE H. til


lace pnrisienne étalent ñdelement suivis; a
Strasbourg, lhó!cl de ville élait enlevé; a
Ilennes et a Sainl-.\I;l!o. larsr nal , iI Cherbourg,
Duuiouriez parveunit ú sau ver l'urscnn}. a
TroyPs, {¡ l~lalllpf's. lo maire pU1i1 t ué : d;¡l1.s le
Lauguedoc, le marquis de Ilarras <'tuil coupé
en uiorreaux sous les yeux de sa feunne en-
ceiute , dans le ~luille, ~1. de MOlltesson était


. fusillé sur le COl'PS de son beau-pere , en Fran-
che-Comré, le barou de Montjuslin étuit sus-
pendu au-dessus d'un pults , des íemmes el des
jeunes filies nobles ctaieut ourragées et eusuite
tuées. Tout cela explique bien un peu l'éuii-
gratíon.


Et l'Assemblée, quand on lui sígnalait ces
désordres el luí dcmandnit des mesures éner-
giques de répression , ne daignait pas s'en
OCCUPCl'. Elle se perdait dans des dív.rgatlons
philosophiques 011 fuisait ce qu'elle appelai t des
sacríñces putrlotlqucs. Daus la Iamcuse nuit du
4 aout, sur I'iuitiative de quelques membres de
la nohlessc engagés dans le rnouverneu t révo- .
lution naire et íum i liers du Palais-Iloyal, tous
les privilégcs étaient abolis, méme ceux des
provinces qui certainemeut n'avaieut pas douué
a' Ieurs députés maudat POUl' cette abolition ..


Il




62 L'ASSEl\lIlLl,E COi\STITtiANTE.


Cette nuit du /1 aoút a exalté jusqu'au lyrisiue
les écrivains révnlntiounaires : ils I'ont présen-
tée comme la nuít des sacriüces. D'auíres iJjs-
toriens plus froids, exuminaut les suites, l'ont
appelée la nuít des dupes, cal' de tous les sacri-
fices il ne fut tenu nucun compre, et cela ne
fit qu'accélérer la marche de la Révoluüon. Le
derníer nom est le vrai, et la nuít du 4 aoút fut
bien la nuit des dupes.


Cette nuit fameuse se termina par la procla-
mation de Louis XVi COIlHne le rcstaurateur de
la liberté íraucaise, el par le chuut d'un Te
Deum, NouveJles duporíes.




CHAPlT BE V.


Refus du roi de sanctionner les décrcts du 4 aoút. - Plans
flnanciurs d(~ ~('cker. - Négocíations de ~Iirabeau avcc la
COlU·. - La déclurntion des droits de l'hormro. - Obser-
vations du roi.


Si Louis XVI manquait ele fermeté, il voyait
juste. Lorsqu'on lui presenta les décrets de la
nuit eles dupes, il refusa de les sanctionner , il
comprenait que la voie était dangereuse. Mais
on lui dit que, pour sa constltutíon, la natiou
n'avait besoiu que de sa seule volonté; quant
au róle c/u roi, il se lioruait ú promulgue!' des
décrcts qui n'uvuieut pas besoin ele sa sauction.
ü'était l'uuuihilation complete du pouvoir
royal. Louis XVI s'iuclina.


Les embarras financiers qui avaient cansé la
réunion des états généraux n'avaient pas dis-
paru. Neckcr, apres divers expédieuts, étuit aux
abois ; ji demandn quc chacun ñt le sacriflce du
quart ele ses revenus. Le sacriflco était dur, et
malgré la grande réputation et la popularité
du ministre, le projct Iut vivement cornhattu.




04 L'A SS E 'IEL tE CONSTITUANTE.


11 aurait mémo été rcpoussé. sans l'appui de
Mlrabeau. Le Iouguonx orateur étaíl en négo-
ciation avec la cour par I'intermcdiaire de son
ami Lamarck , qui rcrncttait ses mémoires iJ.
~Jal'ie-Antoillel!e; il espérait le ministero qu'il
devaít toujours poursuivre sans jamais l'at-
telndre : il était done dans de honnes disposi-
tions. el comprcunut In nél'c"sité de la mesure
dernandée par Necker, il la I1t accepter. Le
clergé avaít bien donné un moyen d'évitcr cctte
mesure exlr('me; il oífrait un r mprunt de
400 millions, pour lequel il donnerait ses hipos
en gamntie. Mais on refusait, Oll vouluit plus.
et la spoliation du c1ergé ('1ait déja nrJ'elrlc
dan s hien des «sprits.


L'ássemblée avait décidé, des les premieres
séances , avant meme la réu nion de,-; ordrcs,
qu'elle ferait une eonstitutiou dont le préambule
serait une déclaration des droitsde l'honuue. Le
mamen 1étai tveu u eletenir parole. La Melaral ion
des droits de l J¡om lile fu t votéc, aprl's do ;51' uses
discussíons, elle uvait éré repoussée par 28 bu-
reaux sur 30, el en séanco pu hlique elle obtint
une gl',~tlde majorité par sui!e de la prcssiou
des trihuuos, a iaquelle hcaucnnp de d(\plllés
n'osaien t pas résistcr. Le tcxte de celte déclara-




LIVRE PREMIER. 615


tion est assez important pour étre donné en
entier,


« Les représentants du peuple fraucais, con-
stilués en assemblée nationale, considérant que
l'ignorance, I'oubli ou le méprís des droits de
l'homme sout les seules causes des malheurs
publica ou ele lacorrUpliOl! eles gouvernements,
onl résolu d'exposer, dans une déclaratíon so-
lennelle, les droits naturels, inaliénnbles, et
sacres de l'homme, aüu que celte déclaratlon.
coustauuneut presente ü tous les membres du
corps social. Ieur rappelle sans cesse leurs
droits et leurs devoirs , aílu que les actes du
pouvoir Iégislatit et ceux du pouvoír exéculif
pouvant étre, á chaque lustuut, cornpurés avec
le but de toute íustitution politique, en soient
plus respectés : afln que les réclnmatlons des
citoyens, fondees désorinals SUL' des príncipes
simples el incoutestables, tienneut toujours au
maintícn de la constitutíon et au honheur de
tous.


« En conséquence, I'Assernblée nationale re-
connalL el déclare, en préseuce el sous les aus-
pices de I'Étre supréme, les droíts suívants de
l'homme et du citayen :


{( 1. Les 110trlIIIPS uaissent el uemeurent li-
4.




ns L'ASSE~IBLEE CONS'flTUAl'ITE.


bi-es et éganx en droits. Les distinctions so-
ciales ne peuvent étre fondées que sur I'utilité
cornmune.


« 11. Le but de toute association politique est
la conservation des droits naturels et iuipres-
crlptibles de l'homme. Ces droils sont : la Ii-
berté, la prospérité, la súreté et la résistance a
l'oppressíon.


« ItI. Le príncipe de toute souveraineté ré-
side essentieilement dans la nation. Nul corps,
nul iudividu, ne peut exercer d'autorité qui
n'en émane expressément.


« IV. La liberté consiste a pouvoir faire tout
ce qui ne peut pas nuire á autrui : ainsi l'exer-
cice des droits naturels de cliaqne hom me n'a
de bornes que celles qui assureut aux autres
membres de la socíété la jouissnnce des mémes
droits. Ces bornes ne peuvera étre déterrninées
que par la loi.


« V. La loi n'a le drolt de défendre que les
actions nulsibles a la socíété. Tout ce qn i n'est
pas défendu par la loi ne peuL étre ernpéché, et
nul ne peut étre contraint á faire ce qu'elle
n'ordonne paso


« VI. La loi est l'expression de la volonté gé-
nérale, Tous les citoyens ont droit de concou-




LIVRE PHE M1EIL 67


rír personnellement ou par leurs représentants
a su íormation, Elle doiL étre la méme pour
tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse.
Tous les citoycns étant égnux ú ses ycux, sont
égalemenl aduussibles a toutes diguités, places
el emplois publics, selon leur capacité, et sans
autre distinctíon que celIe de leurs vertus et
de Ieurs taleuts.


« VIL Nul homme ne peut étre accusé, a1'-
rété, ni détenu que dans les cas déterminés par
la loi, et selon les formes qu'elle a prescrítes.
Ceux quí sollicitent, expédient, exécutent ou
font exécuter des actes arbitraires doivent étre
punís. mais tout ciloyen appelé ou saísi en
vertu de la loí, doit obélr a l'instant; il se rend
coupable par la résistance.


(( VIII. La loi ne doít étahlir que des peines
stricternent et évidemment nécessaires, et nul
ne peut étre puni qn'en vertu d'une loi établie
et prornulcuée antéríeurement au délit, et lé-
galemenl appliquée,


« IX. Tout homme étant présumé innocent
[usqu'á ce qu'il ait été declaré coupable, s'il est
jugé indispensable de l'arréter, toule rigueur qui
ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa per-
sonne doit étre séverernent réprirnée par la loi.




ti~ L'ASSEMl:lLÉE CONSTITUANTE.


« X. Nul ne doit étre inquieté pour ses opi-
nions, méurc relígieuses, lorsque leur maulles-
tation ne trouble pas I'ordre public établi par
la loi.


« XI. La libre commuuication des pensées
et eles opinio ns est UIl des droits les plus pré-
cíeux de l'ho llll II e ; tnut citoyen peut done par-
ler, écrire, imprirner librerneut, sauf'á répondre
de I'abus de celte liberté dans les cas détermi-
nés par la loi.


« XII. La garantie des droits ele l'homme et
du ciroyeu néccssit« UlIC force publique; eette
force est dalle iustítuée pour I'avautage de tous,
et non pour l'utilité particuliererle ceux aux-
quels elle est conüée.


« XIII. Pour l'entretien de la force publique
et pour les dépenses d'ndministrntion, une con-
tribution commune est indispensable; elle doit
étre également répartie entre tous les cítoyens
en raison de leurs facultes.


(( XIV. Tous les cituyens ont droit de consta-
ter par eux-rnémes el par leurs représcntants
la nécessité de la contríbution publique; de la
consentir librement, d'cn sui vre l'ernploi et d'en
déteruiiner la qualité, I'assiette, le recouvre-
ment el la ti urée,




LIVHE PREMIER. 69


« XV. La sociélé a droít de demandar compte
á tout ageut puhlic de son adminlstratíou.


( XVI. Toule société dans laquelle la garantie
des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déteruiiuée, n'a pas de constitu-
tion.


(( XV JI. La propríété étant un droit inviolable
el sacre. nul ne peut étre privé de ses proprié-
tés, si ce n'est lorsque la nécessité publique,
légalemcnl constatée, l'exige évidemment, et
sous la condition d'une juste el préalable in-
clem nilé. )) j.!


Voila la fameuse déclaration des droits de~::
l'hounne, dont on parle bcaucoup, souvent sans ~.
la bien con nntrre: elle renfenne quelques véri- .~.
tés noyées dans une phrnséologie inutile et me-
lees il de nombreuses erreurs.


Apres In déclaratiou vínt la coustitution votée
par ucclnmntion . iI fut décrété que le pouvoir
royal était héréditaire dan, la famille l'('gnante,
de male en mále, par ordre de prirnogéuiture.
La personne du roí était déclnrée inviolable.


Des déhals trés-vifs eureul lieu sur les dcux
Chambres et sur le droit de veto du roí. Les
deux Chnuibres Iureut écartées.imalgré les ef-
íorts des partisans de la Conslilntion angtaise.




70 L'ASSEMBLEE CON8TITUANTE.


Le droit de veto fut seulemen t suspenslí', Mira-
heau essaya inutllemcut de faire donner au
roí le »eio absolu, ()7;, voix centre 32 décidé-
rent qu'aprés deux législatures le velo suspensif
prendrait fiu. Ce vote irnportant ent lieu le
11 septembre.


Les prcmiers articles de la Constitutlun fu-
rent soumis á 1;1 suuctiou du roi , en III(:lllC
temps que la déolarntion des drolts de i'ho nune.
Ce prince fit de tres sages observa tions, il de-
manda que « le pouvoir ex écutif eút son entier
essor entre les mains d 1I monarque. )) Il lit
ressortír I'irnpossihilité ou il était de protege!'
la perception des in] pots, la circula tion des
graíns, la liberté iudividuclle. II approuvait Ics
artícles prése ntés, llOll qu'il les lrou vát pal'-
faits, mais aílu de « ne pas différer d'avoir
égard au vceu présent des représentants de la
nation, et aux circonstauces alarmantes qui
invitaient a vouloir par-dessus tout le rétablis-
sement de la paix et de l'ordre, )) Enfln, sur la
déclnration des droíts ele l'hornrne, íl disait :


« Je ne m'explíque pas sur In déclaration des
droits de l'homrne, ello contieut de tres-bonnes
maximes, propres 1\ ¡iltillel' vos travaux : milis
elle rouferrnc des pl'illcilw~ susceptibles d'ap-




LIVRE PREMIER. 71


plications et méme d'Interprétations différeutes,
qul ne peuvent étro justcment appréciés qu'au
momeut oú leur véritablo sens sera fixé par les
Ioisauxquelles la déclaration servíra de base. ))


Le roí ne dépassai t pus ses droi ts, puisq u'on
lui avait rcconn u le droit de veto suspensif ,
malgré cela, on trouva sa reserve mnuvaise. et
il plia: le ;) octobre, il accepta tout ce qui avait
été Iait, y compris la dangereuse déclaration des
droits de l'hoin me.




CIlAPITnE VI.


Crai ntes des cunstitumts, - Pr"jet do rnmcner le roi iJ.
Pari s, - Les gT8!l:ldipl's de la g:ll'do n.u.iouu le. - A vis de
La l"¡tyet-te ~t Suiut-Priest , - Le H~gi:lll'tlt (~e Fiandl'e. -
ltepas de bicnveuue. - Acclamat inus UH rol. - Mellsollges
des paniotes. - Jouruée da 5 octohre - Fauriue fuctlce.
- Iléuniou au Paluis-Hoyal. - L'huissier MaillanL -
Départ pour Versallles - Ilésitation, et dépurt de La
Fa) eue. - Projets de départ du rol. - Attitude de d'Es-
tuiug, - Ordre u'éviter touto eüu-ion de sango - Arrivée
des baudes parisiennes. - Le uiot (j" MOUllier. - Arrivée
de La Fayeite. - Iuvasion du dl'ltl'illl peudaut lu nuit, -
Dévouement des gurdes dn corps, - Souuncil de La
Fayttc. - Iletour 11 Paris.- Iusu uctiou coutre les auteurs
des désordres.


Malgré la bonté excessive et l'irrésolution du
roí, les constituants , partisans ele la Révolu-
tion, n'étaient pas sans appréhension ; le prince
pouvaít leur échapper. Écoutant les conseils
énergiques de la reine el du ministre Saint-
Priest, iI pouvait s'appuyer sur l'arrnée, dont la
plus grande partie était encoré fidéle, el en
quelques lreures détruire une ceuvre Iactieuse,
Pour éviter ce danger, il failait que Louis XVI
et sa Iamille fusseu t dan" les mains de la Hévo-
lution, et un moyen 5111' se présentaít, le torcer




..
i.r\ 11 E 1'11 E .\1 I En. 73


í'l quitter V(~l'sailles et a rcutrer daus P,Il'[S,
Te! fut le but des orgnuisateurs des journées
des 5 et 6 octubre. Peut-étre quelques-uns
d'eutre eux allaieut-ils plus Inin. Dans des jour-
nées de désordre comme cell-s ItI, un nralheur
esl bienlót arrivé , la Iatnil!e royale pouvait dis-
paraítre, et le tille d'Oylé<\lls se trouvait plus
rapproché du trone.


Pour rauieuer le roi a París, le moyen étaít
tout II'OllVé; il Iullai! une uouvelle érneute:
les uieueurs du mouveinent révolutionnaire
savaient counnent on les prépare. lis n'atten-
duient qu'uue occasion : le banquet des gardes
du CUl'pS ct des otflciers du !'l'gilllent de Flandre
la leur Iournit.


Les gurdcs frunc.uses, deveuus, apres la pl'ise
de la Bastille, les suldats de la Ilévolution,
constituaient les bataillous de grcuadiers de 111
garde nationale. 'I'r.rltres a leur devoir, ils POUl',..
suivaient d'uue haine violente les troupes res-
lées üdeles el surtout les gurdas dn corps. La
Fayette, dout l'honnéteté uulive se révoltait
partois centre les exces de la Ilévolution, apprit
que ses greuadiers se proposaicnt de marcher
sur versailles et d'extermiuer les gardes du
corps: ll en prévint le ministre Suiut-Priest, Le




74 L'ASSEMBLÉE COl'lSTITUANTE.


régiment de Flnndre venait d'arriver a ver-
sailles, escortant un imporlant convoi ele farine
destiné nassurer dans Paris le serviré des sub-
sistances : le ministre gurda ce régiment, dont
la fielélité paraissait assurée, pour renforcer la
garnison ele versaílles. C'était son droit et rnéme
son devoír,


Suivant une habítude militnire qui existe
encare, les gardes du corps offrirent aux olfl-
clers du régiment de Flandre un repas de bien-
venue. Au dessert In familIc royale parut: le
Jauphin était porté par un grenadier. La pré-
sence de la reine et du dauphin excita chez
des hommes dévoués une émoLion Lien natu-
relle , on cría vice le roi , vive la reine; des
officiers de la garde nationale qui avaient été
invités, ce qui montre que le banquet n'nvait
aucun caractére politique, partagérent l'émo-
Han de leurs camaradcs. JI n'y avait rien In que
de fort simple; mais les journaux s'emparerent
des faits et les dénatureren t; íls racon tércnt
que, dans une orgle, la cae u-de nationale avait
été foulée aux pieds: que les sicnires de Ir.
t~'l',lnnie avaient juré la morí des patriotss el la
destructlon de Paris, ele. C'était absurde , mais
la crédulité populaire est sans bornes, surtout




I.IVR.E PRb:MIER.


au temps de révolutiou, et [es agítateurs ne
l'Ignoraient pas,


Ccpeudant cette Iantasmagorie du banquet
n'aurait pns suífl ; mais eles glOns experts en
éuieutes savaíent co.ument ou achéve d'exciter
la populace. Dans la malinée elu 5 octobre,
en vil parallre aux environs du Palais-Iloyal,
toujours le quartier général de l'émeute, ces
figures sinistres qui avaleut épouvanté Paris aux
díverses journées révolutionnaires. En mérne
temps, le pain manquait chez les boulaugers,
gráce 11 des mesures habileinent príses , leute \ e


Ji...la fournée était enlevéc dés le matiu, et I'en- ,,~
quéte faiteplus tard parle Chátelet étahlit que eles \
boulangers avaíent recu eles ofíres d'argent ú
contlition de ne pas cuíre. A leur honneur on
eloit constatar quils les avaient repoussées. Vers
mídí, une jeune fllle, Louise Clabry, s'empara
d'un tambour et se mit ú batlre le rappel;
blentót les figures sinistres se grouperent: un
chef se présenta, c'était l'huissier Mui llard, un
des vainqueurs ele la Ilastille, qui donna le mot
d'ordre en disant qu'Il Iullait aller chercher du
pain a Versailles. Lorsque Mailtard eut réuní
un groupe sufflsant dans lequel les femmes
dominaient, il se mit en marche surVersailles;




íli L'_\SSE"lBLÉ:~: CO~ST1'I'CA"'TE.


on s'était procuré des arrues en pillant les bou-
tiques des arui uriers , il Y avait métne deux
petits cauons apparteuaut él. la gal'de uatiouale.
En mute quelques hornrnes détertninés auraient
arrété cette multitude , mais aucun 01'(11'0 ne
fut donné ni par la muuicipalité, ni par le
commauuant de la garde nationale. Certes,
BailJy el La Fayette n'avaient aucune sympathie
pour les bandes de Maillardv et ils repoussaient
les excés qui allaient se commettre , mais ils
laíssaíent faíre autant par craínte de perdre leur
popularité, que par un secret désir de vair le
roi él. París sous la main de la Ilévolutiou, qu'ils
se t1attaient d'arréter a temps.


Apres les bandes de Maillard , les grenadiers
de la garde nationale, anclen nes gardes fran-
caises, se réunirent sans qu'aucun ordre eüt été
donné par La Fayette j ils voulaient rnarcher
sur Versailles pour soutenir les patrio tes contre
les gardes du corps et les soldats du régiment
de Plandre. La Fayette arríva a l'HOtel de VilIe,
Iorsqu'ils étaieot déjá réunis , ils le sommérent
de se mettre a leur tete; le général, monté sur
son légendaire cheval blanc, hésitait: il deman-
dait un ordre ou au moins une autorisatíon de
la Commune, Les grenadiers, pour triompher




LIVRE PIIEMIER.


de ses hésitations, le menacerent demettre le
prender greuadier venu a cheval et d'en faire
Ieur chef.


La Fayeíte hésitaít encere, Iorsqu'un ordre
de la Commune lui fut délivré , il se mit
en route, ramassant le plus de hourgeois qu'il
pouvait pour faire con! re-poids aux grenadíers,
dont l'exaltation l'cffrayait. Qu'allait-il faire il
Versnillcs? 11 ne le savaít pas trop lui-méme,
désireux d'empécher les exceso maís plus désí-
TCUX encere de ne pas compromettre sa chére
popularité et de ne pas servir les plans de la
contre-révolution. DIl reste, Ú qnelque point de
vue qu'on se place, ces hésitatíons de La Fayette
sur la place de Grevc sont coupables : Oll la.
marche des grenadiers de la garde nationale .
sur Versaitlcs coustituait un danger pour la
famille royale, et alors La Fayette devait s'y
opposer; ou il comptait sur ces grenadiers pour
maintenir les llandes de 1\taillard, et alors ji
devait háter le départ. Dans ces circonstances,
on n'atteud pus nn ordre de la Connnune pour
couvrir Sil responsahilité. Un fait qui ne doit
pas étre ou blié, e'est que La Fayette Iaisait dire
au ministre Saint-Priest de ne pas s'inquiéter,
attendu qu'il répoudait de l'ordre. 11 était done




78 L'ASSE!I'lBLiE CONSTITUANT".


mattre de ses grenadiers. Pourquoi n'est-íl pas
partí plus tót?


Que se passait-il a Versailles pendant que
~J;dllard el La Fnyctle umrchaient sur cene
ville? Le rol, qui ciait a la chasse, el In reine,
qui éíait a Trianon , avaient élé rappelés en
touíe hale. C'étnit la derniere chasse du rui, et
Marie-AnloinelLe ne devait plus revoir sa rési-
dence favorito de 'I'rianou: le lendemaln allait
commcncer leur captivité, Un conseil eles mi-
nistres fut tenu , Salnt-Priest, le seul homme
de tete, proposa de se sulsir des ponts, et d'en-
VOJ'er la reine el la famille royale á Ilambouillet,
pendant que le roí, a la téte eles troupes, imit
au-devant des rehelles. Necker, toujours plein
d'illusíons. combauít ce plan, que Louis XVI
n'osait accepter. Saint-Priest, alors, insista pour
la retruíte ele In famille royale tout cutiére , il
disait avec rnison nu roi que s'I! allait ti París,
sa couronne éíait perdue, Le dangor éiait d'au-
tant plus granel qu'on ne pouvaít cornpter sur
la garele nationale ele versaüles, donl le corn-
ma ndan t, le comte (/'Eslni ng , était. acqn ís <1l1X
révolutionnaíres. 11 ne prit, en eITet, aucune
mesure, et cornme Saiut-Priest le lui reprochait.
il objecta qu'Il n'avait pas d'ordre. « Quand le




LIVRE PREMIER. 79


roi n'ordonne ríen, répondit le ministre avec
indignaticn, 11n général doit se décidnr en
hÜlIllIJI! dI' guerre. » V·Eslaing courba la tete,
rnais ne flt rieu. Un momcut on put croíre
que les conseils de ses plus dévoués partisans
avaieut décidé le roi, el i'on tlt des préparatifs
pour se retirer it Ilamboulllet : mais bleniót
Louis XVI retomba dans ses irrésolutions et
altendit les événemenls avec ce courage passif
quil possédalt au snpréme degré, mais quí ,
dans un prince, ne sufflt paso Quant a l'Assern-
blée, les royalistes avaient proposé qu'on se
rendít en mnsse aupres du rol; mais Mirabeau
ñt rejeter la motion conune attentatoirc a la
dignilé des représentauts de la uatiou : 00 se
contenta d'envoyer une députation de trente-six
mernbres, II laquelle se joignireut beaucoup de
constituants du coté droit.


Penda [J l ces hési lal ions, Maillanl avancait
avee ses hundes. II dut étre fort surpris de trou-
ver les pon:s librcs . un simple poste, avec une
piece d'artillerie. aurait ,1I'1'elé le mouvemeut et
donné ;i La Fayctte le ternps d'arriver. StH'
lordre du roi, les gardes du corps se retirercnt
daos les cours du palais, dont les grilles furent
fermées j Louis XVI avait r1éfendu méme de




80 L'ASSEMRLÉE CO;\STITUANTE.


repousser la force par la force: c'était Iivrer a
la mor! SES tld('les grn..les du corps. La foule
hurlante arriva sur la place du palais et parut
d'abord vouloir entoncer les grilles; mais l'atti-
lude résolue des gardes du corps en imposa,
el dEstaing clut reunir la garde nationale, qui
vint s'Interposer entre les garc1es et les émeu-
tiers, Elle était favorable au mouvemeut et
avait dirigé ses canous contre le palais: mais
il lui répuguuit de livrer il ñlaillard le roi
el m'~Jlle les gardes du corps Bien comrnan-
dée, elle aurait faH son devoir, Du reste,
elle ne Iaisait pas grande vigilance, el elle lais-
sait insulter el mérne blesser les gardcs du
corps,


L'Assemblée recevait également la visite des
bandos érneutieres qui se mélaient aux députés.
\Jirabeau, qui u'aimait pas la populace, trouva
quec'était trop de liberté; il sapprocha de
Mounier, quí présidait, el lui dil: « Levcz la
séance. - Pourquoi? - Ne voyez-vous pas ce
peuple furicux '¡ - Est-cc moi qui l'ai conduit
ici?-On vcut égorgel' une pnrtie des mcmhrcs
de I'Assembléc. - Si l'on nous tue tous , mais
tous, vous m'eutendoz ! bien des honuétes gens
périrout , rnais la Frunce Be peut qll'y gagner.




· LIVREPREMIE R. 81


- Le mot est joli 1» dit Mírabeau en regagnant
sa place.


Enfin La Fayette arriva avec ses grenadiers
et tout ce qu'il avait pu ramasser de gardes
nationaux , il fit prendre posilion ases hornmes.
Les grenadiers, si montés centre les gardes du
corps, se rappelérent quevjadis la maison du
roi avait sauvé les gardes francaises , ils ne vou-
lurent ras livrer des soldats aux bandes de
l\Iaillard, qui furent écartées du palais, non
sans vígueur. On pouvait croire que tout était
terminé


Telle était certainement la conviction de La
FayeUe qui, oubliant qu'un général doit veiller
a tout, alla se coucher sans s'assurer que les
mesures de précautíon avaient été bien prises.
Quelques miserables profíterent de cette faute.
Cuídés par des gens qui connaissaient l'inté-
rieur du palais, i1s se glissérent jusqu'á une
porte dérohée par laquelle ils pouvaient arriver
aux appartements de la reine. Quelques gardes
du corps, Deshuttes, Varicourt, Miornandre,
du Bepaíre, se dévouerent et retardérent leur
marche; la reine put se réfugier en toute hate
.dans les appartements du roi: les assassíns cri-
blerent de coups son lit vide. Cet acharnement


s.




82 L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE.


a pnru jnstement suspect, Ln Fayette, enün
réveillé, arriva, mais bien tard , íl 111 évacucr le
palais, délivra quelques g-:ll'(les du COl'pS faits
prísouuiers , mais une foule immense restait
autour du palais, pnnssant des tris menncants
et demandant le retonr du roí iI París. La gorde
nationale n'était pas súre , dlr ne voulait retour-
ner qu'avec le roí; Louis XVI céda . La Fayette
annonca la honne nouvelle, et lorsque le roí
parut sur le balcon, il fut acclamé. La reine
vint ensuite, le dauphiu dans les bras : « Pas
denfant: » cría-t-on. Elle parut seule, calme et
flére, La Fayeí!e lui balsa In main, et la fouIe
cría : Vive la reine! Les garcles du corps eux-
mémes furent acclamés, aprés que La Fayette,
devant la foule, en eut ernbrassé un et luí cut
douné sa cocarde. L'Influence du général était
done grande, et cela augmente sa responsa-
bilité.


A une heure, le cortége se mít en marche
pour revenir a París; les grenadiers en tou-
raient la voiture royale , derriere venaient les
gardes du corps sans armes, ({ menant le deuil
de la monnrchle », Dans le cortége on pou-ait
voir, portees sur des piques les tetes (L~ gardes
du corps assassinés : on avait coutraiut un mal-




LIVRE PREMIER. 83 .


heureux perruqu ier de sevres de les coiífer et
de les poudrer: ji mourut de frayenr.


La rei ne aurait voulu descendre aux Tuile-
ríes: on n'osa pas le luí permettre, et il lui
fallut suivre le roi a l'Hótel de VilIe. « J'espére,
dlt un électeur, Mareau de Baint-Merry, que la
reine reviendra sauve de l'Hotel de VHle;
mais je doule qu'elle puisse arríver seule aux
Tuileries. » Apres ces paroles, comme le maire
llnilly était bienvenu a faire l'éloge du peuple
et a Iéliciter Louis XVI de sa renlrée dans
Paris l Le roí , qui se retrouvait pleinement
des qu' il ne s'agissaiL que de braver passive-
ment un danger, recut bien les compliments de
Bailly; il declara qu'il « venait toujours avec
bouheur el confiance au milieu des habitante
de sa bonne ville de París », BailIy, en répétant
ces pnroles, oubliait le mot conünnce: In reine
le lui rappela. ( ~Iessieurs, dit-il, en l'enten-
dan! de la bouche de la reine, vous étes plus
heureux que si je ne m'étais pas trom pé. JI Ce
mnrivaudage n'empéchuít pns qne la royauté
élait ñníe: derriere la captivlté dorée des Tui-
leries, on pouvait apercevoír eelle du Temple.


El maintenant, a qui remonte la responsahl-
lité de ces néfastes [ournées r A la suite d'une




~i L'AS~E)lBLEE CO~STIT'-" xrr


enquéte judiciair'~' 11' Cll,'\\I'll't detnanda laulo-
risation ele poursuivrc le d 11,' dOrléans el ~Iira­
beuu , I'antorisation fut rdIIS(\¡', paree (JlII' I'nc-
cusation mariquait de pn;risioll; pUIII' dl's Iaus
ele ce genre, la " précisiou l) IJli!llil"e toujours,
el le vote de la Coustituaut« II'n ¡las Jan', le
duc d'Orléaus et MirHlJeHlI des SOllp~'OIIS qui
pesaieut SUI' eux. Quunt a La Payetle. il Iul.
couuue toujours, au-rlessous de SOIl )'()!t' el ne
sut pas rcmplir son devoir: il laissa fair». IIl1lili0
par infntnation de lui-uuunc, moitié par aruou r
de la popularité: ~Oll rciard. le ;) octohro, SOIl
imprévoyancc daus l:i soiréc, son sonuncil dans
la nuit, scut eles faih dOIJl t'hisroirc a le droit
de dcmandcr 111l compte sévero au 11 héros eles
elenx mondes ».




CHAPITRE VII.


Lo roí au comité des subsistauccs. - Une députation de
Iemrnes chcz la reine. - Le houlanger Fraucois. - La loi
martiale. - Érnigration des constituants. - Les orateurs :
Clermont-Tonnerre, Viricu, l'abhé Maury, Casales, Mira-
bcau, llamare, Bobesplerrc. - Les clubs : [acobins,
cordcliers, fouillants. - Fcrmeture du club des impar-
tiaux. - Les [ournalistcs : Loustalot, Camille Dcsmoulins,
Marat, Rivaro!, Champcenetz, Sulcau. - Propositions de
Mírabeau. - Projets de Monsieur, - Favras, - Díspari-
tion des parlemcuts. - Suppressíon des provinces.


Des le Iendemain de sa triste rentrée il París,
Louis XVI assístait a une réuníon du comité
des subsistances ; il fallait assurer l'approvision-
nement de París et faíre cesser une famine un
peu factice. Au sortir de la séance, le rappor-
teur, qui apparlenant a la majorité ne peut
étre suspect, disait : (( De bonne foi, le rni en
savait plus que nous. »


Le me me jour, la reine recevait une dépu-
tatinn de femmes; a leur aspect, le dauphin,
efírayé, se cachait dan s les bras de sa mere en
disant: (( Est-ce encore hiel'! )) Marie-Antoi-
nette montra il ces fernmes beaucoup de bien-




86 L'ASSEMBLÉE CON8TITUANTE


velllnnce . a l'une d'elles qui luí parlait allc-
manci, peut-élre pour lui tendré un piége, elle
répondit que, devenue Iranraise, elle ne parlait
que la langue de san nouveau pays. Ces paroles
el les explications de la reine émureut les
femmes méines les plus prévenues et elles se
relirérent en criant : Vive la reine! mais cela
ne durait paso


Malgré les efforts du rol el du comité des
subsi-tances, la pénurie des vívres contlnuait :
le pain mnnquait pnrfois. On savait íaire la
Camine quand cela était nécessaire. Un malheu-
reux houlanger, du nom de Francois, fut vic-
time d'une des émeutes ainsi provoquées.Il fut
pendu. puis on lui coupa la tete qu'on promena
au bout d'une pique, et que des misérables
mirent sous les yeux de sa fernme. La Fayette,
si placide, flnlt par s'émouvoir, iI cornprit que,
génér»l de la garde natlunale el idole des
Parislens, il était responsable de ces horreurs:
il demanda el obilnt que les coupables seraieut
chátiés, el flt voter la loi martlale qui clonnait
tout pouvoír aux municlpalltés pour réprimer
les désordres,


L'Assemhlée nalionale avait naturellement
suíví le roi dans sa bonne villa f1p París, oú




LIVRE PREMIEft.


elle avait tant contrlbué a le conduíre. Elle
sir'gouit dans l:t salle du manége, pres de la ter-
rnsse des Feuillanls. Ses rnngs s'étaíent bien
éclaircís: a la suite du vale de certains ar-
lides de la constitutíon et surtout des journées
d'ociobre, cenL quatrevvingts meinbres de la
droite dile consliLulionnelle étaient partís: dans
le nombre étaient Mounier, Lally-Tollendal
et Mir de La Luzerne, évéque de Langres, 00
a blámé cette re traite qui rédulsait les forces
déjá trop restreintes de la drolte: on s'est
montré d'autant plus sévere pour ces députés
qu'Ils avaient, pour la plupart , contribué a
déchaíner la Ilévolution. A ce tilre, ils mériteut
des reproches et on peut leur dire : Patere legem
quam ipse [ccuii. !Uais il faut reconnaltre aussi
qu'íls ctaíent impuissants, surtout avec l'attitude
hésitante du roí sur la fermeté duquel il était
impossible de cornpter, des qu'au lieu de souf-
frir, il fallail agir. Apres ce départ , le partí
monnrchlque cornptait encoré comme oraieurs
dans l'Assemulée, Malouet. adrniuistrateur dls-
tingué, le comte de Clermout-Tonnerre, le mar-
quis de Virieu,tous les trois pnrtisa ns détcrmlnés
de I'orgaulsatíon anglaise qu'ils avaient cm
pouvoir appliquer ala France: les deux demíers




88 L'ASSEMllLEE CO NST JTUANTE.


payerent che!' leurs illusions. Clermont-Ton-
nerre fut assassí né le 10 aoút 1792, et Vi rieu
tornba dans les rungs des Lyonnnis, Les orateurs
monarchiques qui n 'avaien Lja mais ríen concédé
a la Ilévolution étaieut l'ahbé ~lalll'y, fils d'un
cordonnier de Va lréas, et Cazalós, un ofñcier
de dragous qui se revela orateur clans une dis-
cussion dé hureau. « .'Iais. monsieur, vous étes
orateur 'l. lui dit Mirabeau qu'il venaiL de CDm-
battre. Ce mot Iut une révélation el Cazales ne
cessa de lutter, souvent centre Mirabeau lui-
méme, tant que la lutte fut possible.


Dans la gauche 011 trouvait d'abord Mirabeau.
qui parfois appuyait la droíte, soit par conviction,
soit qu'il se crút sur le point ele s'arranger avec
la cour et de saisir le ministere , Barnave,
Adrien DUPOl:t, tous les deux avocats , les deux
Lamcth; ils devaient leur éducation a la fa-
mille royale, qui les avait comblés de bienfaits:
La Fayette; le jansénisLe Camus, haíssaut l'Église
d'une haine de sectaire. l'évéq ue d'Autun ,
'I'alleyrand, qui, d'abord ultra-royaliste, s'était
tourné du coté du plus fort des qu'il avait com-
pris que la faiblesse du roi perdait tout. Aucun
de ces orateurs ne se disait et n'était encere
républicain. Quelques députés ohscurs seule-




LIVIIE PIIEMIER. 89


ment. sans se dire répuhllcains, proposaient
les mesures les plus radicales, c'élait Pétion : le
Pelleticr de Sai nI-FilrgPilll, rich« parlcmentaire,
qui avai: tourné com me T;¡I¡(~yran:l el que la
conr avait jadis opposé il La Fayctte , l'ahbé
Gr¿goire, Ir premier mcmbr« du elel'gé <J1]i se
íút rallié au liers clal; lluz ot: ll:trrrre de Vinuzac,
parlen!' disort, et entln Itot.esplerre, toujours
malhunr.m x <i la tribuue el jouant un role
presqu« ridicule. Tous repilraill'Ont iJ la Con-
ventiou, 01'1 ils srronl des personnages impor-
tants.


En dr-liors de l'AsserniJI,~e, il s'élait créé deux
pouvoi rs : les clu lis el la presse, Le premier
club fut jr; club hreton, Ionrlé il Versailles par
Chapelicr et pnr les aulrcs rléputés bretous
du tinrs él:l!: lJÍenlól il prit du rléveloppement
et compta des déplltés de toutes les provinces.
Lorsque l'Assemblée se transporto á Paris , ji
dl'llIgca <le norn el rleviní le clu h des amis de
la Constitutiou : iI tenait ses séan ces dans une
salle du couvcnt des Jacohins: il ílnit pnr en
prcndre le 1l011l. Jiuport. Bnrnuvo, les dcux
L'uneih y domiuaient ; dahord il.; a~aiellt en a
luuer contre des d,'plIlrs ¡¡]IE modérés, mais
ceux- ci leur avaieut !nissé le chainp libre et




90 L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE.


avaient fondé le club des Feuillants, dévoué a
la Consrltuüon. Ouverts ¡¡UX senls dépulés a
Ienrs débuts, les clubs ne t:1l'1j(\l'ent pas ,'1 s'ou-
vrir il 10111 le monde el devinrent de véritables
puissnnccs. A colé el au-rlessous du clnh des
Jacohins, iI y avait le club des Cordeliers, beau-
coup plus viulent, la régnuíeut üanton. Camille
Desmoulins. Maral. Les royalistes avaient essayé
de fonder le club dcs Tmpartlaux , mais les
réunions Iurent dispersées pnr la populace ,
sans que La FayeLLe ni Bailly, dont c'étalt pour-
tant le devolr, se misseut en peine de faire
respectar la liberté de leurs adversaires : le club
des J/ll partia ux díspa ru Ides la fin de l'a 1Inéc 1789.
Les jacobins avaient créé toute une organisation
savan te qni leur doun ait une force iuunense.
115 avaient formé des groupes de dix houirnes
qui recevaíent un mol. d'ordre et le trans-
meuaient chacun a dix nutres hommes appnr
tenunt a dix balaillons diflérents de la gurde
nationnle, el ceux-ci á leur tour agissaient. De
cette facon. chaque bataillon el niéme chaqué
ccmpagnie de la garde nationale recevait a
teuips les or.lres du club, el ron pouvait ainsi
susciter presque il I'improviste des éureutes qui
paraíssaient toutes spontanées. La Fayette, dans




LIVTIE PREl\UJilR. 91


ses Mernoires, donne de curleux el tristes détails
snr cette savante organisatlon par laquelle il se
trouvait conlme paralysr'.


Les journuux n' étaieut pas moi ns pu lssants
que les clubs, ~liralJeau, le jour méme ele la
réuuion des états géuéraux , créait le premier
journal sous le litre de Leitre anlrS commeuants;
l'arüniuistrntion arréta la publicaüou: ~Iil'aheau
se plaignit et counne toujour- le gouvernement
recula. Le député d' Aix rencnca promptement
á son journal , mais il en surgit d'autres,
Loustalot publíait ses RhJoluliolls de París, qui
étaient d'uue grande violence el portaient pour
épigraphe : « Les grands ne nous paraísseut
grauds que paree que nous sommes a genoux;
Ievons- nous.» Camille Desrnoulins adressait
d'abord aux Pnrisiens ses Discours de la iauterne,
et se gtoriílnit C!U litre de procureur géuéral de
la Iuntcrue, puis il lancult les lüoouuunu de
Frailee et de Braboui. Maral, dans son Ami dis
pwp!e, demaudait des leles; a son début il lui
en íullait quelques ceuiai nes, il ; nila plus tard
el des ceutaiut-s de mille . La Fayeüe, dé~i.;tlé
par lui paruii les hounnes á tuer, le ílt décréter
de prise de corps, mais il se cachait hieu el on
ne put le trollver. Fréron, indigne fíls du vail-




\12 L'ASSEMDLI~E CONSTITU ANTE.


lant critique, qui avaít lutíé avec tant de cou-
raga centre Voltaire , dirigcait 1'01'0lell1' dt!
peup!e; Carra, les Annalcs patriotiques ; Condorcet
et Cerutti, la Fcuiue 1JilIiI}i3oise; Laclos. ponr le
cornpte du duc dOrléans, le .!OW'IIal des amis
de la Consiituüon: l'abbé Fnuchet, futur évéque
conslitutionnel. In Bosich» dl3 (el', pu is le Iourtuii
des amis dans lesquels il accommodait t'Evan-
gile au gré des passions révolutinnnaires , Bris-
sot, le Pairioie [raueals, etc. Ces journnux,
partisans violeuts de la Hévolution, étaient
cornbattus par le Chan¡ du coq, d'E51l1f'n,lI'Il; le
Journnl politiouc, oc Hivarol : le Me/'cH/'c ))o/ilil]ue,
de Mallet- Dupan : les Acles des ApÓII'CS, de
Champcenetz et Sulcau. Au point de vue du
tnlent, les royallstes élaieut hien supéricurs ,
ancun journnlistr révolutionnairc ne pouvait
lutter d'esprit avec Ilivarol ou Chumpoenel». (le
verve avec Solean; mais les uns flattaicnt les
plus basses passions, pcndunt que les autres
les comballaient. La lutte, des 101'5, était trop
inégale.


Cet CXPOS(" de la situaílon é!ail nécessaire
POUl' expliquer la suite des évéuements: il faut
maintenant revenir il l'Asserublé«. Mirabeau
était toujours en pourparlers arce la cour , par-




I.lVHE I'HE~lIEI\'


Iois les uégocíations étaieut rouipues, muis
elles ne tardaient pns ú étre reprises.lI y avait
it cela un double motif : daus une certaine
mesure, Mirahcau était honune de gouverue-
ment , il avaít le seus de l'autorité, et il lui
répugnait de n'étre l[U'UIl tribun destructeur.
De plus, criblé ele dettes, ll uvait grnnd besoin
d'argent, el il oblenait des sornmes consídé-
rables qui lui perrnettaient de contiuuer sa vie
luxueuse el de Ialre patlenter ses créaucíers,
Dans un mérnolre , remis ú cette époque par
.\1. de Lamark, il proposuit une" coalitiou im-
médiate du roi avec ses peuples, hors de París
qui engloutit tout , qui veut etl'etout le
royaume, qui se perd el quí perd tont.)) Pour
exécuter ce plan, il recomuiaudait de ne pas
sortir ele France, ce qui serait une abdication,
mais il engageait le roi Ú se retírer á Houen
sous la protectiou d'uu cam¡J de :20,000 hommes
formé entre cette ville el Paris el commandé
par un géuéral sur, qui aurait de I'actlon snr
les soldats. Ainsi délivré, le roi, par une procla-
matiou, Icrait <I¡¡¡)pl il 1,1 nation : iI dirait qu'ou
lui avait Iait violence, qu'iln'étau pas libre, II
appellerait l' Asscmblée a Upl'CS de lui , el sur
son refus , il en réunirait une nouvelle pour




9' L'AS8EMBLÉE CONSTITlJANTE,
résoudre les qnestions pendantes. Ce plan ne
mauquait pus de hnrdiesse , et il avalt des
chances de succes, qnoiqu'il íút déja bien tard,
mais il Iallalt 1111 rol rcsolu.


En méme ternps. le f!'t~l'e du roi, ~Ionsieur,
que la marche des évéuements etlrayait, voulait
entratner le roi a Péronne. OU il s'appulerait,
sans quitter la France, SUl' les Pays-Bas autri-
chiens. Ici se place I'affaire Favras. Thomas
Mahi, marquis de Favrns, ancien eapilaine des
gardes de l\1onsieur, fut accusé d'avoir formé.
sous l'insplration de ce dernier, un complot
pour enlever Louis XVI. 11 Iut jugé et condamné:
il ne cessa de protester de son innocence, et
on ne put obtenir de lui aucun aveu. Quoique
gentlthomuie , Favras fut pendu , il mourut
avee une grande Iertneté, 11 avait par devers
lui, d'aprés plusíeurs historiens , des pieces
fort compromeuantes pour Monsieur. et qui le
couvraieut. il refusa de les produire et les re·
mit en secrct a 1\1. Talón, dout plus turd la filie,
al,n. du Cayla, les reudit cachetées it Louis XVllI.
Le cachet avait été respecté par ~J. Talun et
par sa LiJle. ~ . <i;


Des deux projets de départ, aucnn n'nhoutít¡
AliralJeau ne devint pas ministre¡ il obtínt seule-




Ll VRE PREMIER,


ment une pension, el. continua son double jeu,
nt'gociant avcc la conr et appuyant les mesures
les plus révolutionuaires, notauuneut d.ms la
discussion relalive aux biens du clergé, dont il
sera questiou plus tardo


Parmi les mesures prises par l'Assernbléo, il
faut uientiouner la disparition des parlernents
et la división de ·la Frauce en dépnrteinents.
Les parlemeuts , I~hr Ieur opposition mérne a
des réformes jnstiflées, avaient nécessité la
réuuion des états génémux , ils en furent les
premiares victimes. Le 2 novembre 1789, I'As-
sembléc vota la prolongntlon indéflnie de leurs
vacances: i1s protestereut, non sans dig nlté, el.
sureut au moins tomber avec houneur , mais
leurs proiestatlons ne trouverent pas d'écho ,
mandes ú la barre de I'Assctllu:ée, les maglstruts
furent traites avec rigueur, persouue ne prit
leur déíense. Des cette époque, les parlemeuts
cessereut d'exister, quoique le décret dabolitlon
définiLive ne solt que du 6 septembre 1í90. La
división de la Frailee en depariemeuts avait
pour hut. couune la destrnctlou des parlements,
de Iairedlsparaítre louLe possiuilité de résisíauce
aux vol mlés souvcraines de l'Asseuiblée. Les
provinces étaient vastes; elles formaient comme




\lli r,'.\S S ID l BLÉl'; eo x ,;. 'J'J T e Ax TE.


de petlles pauies daus la grande (la Franco},
elles avaient eles íraditious, des lieus cornumns.
ü'étaient aulant d'olistacles qui dureut dispa-
ruitre. 11 a élé longtcuips de morle d'adtnirer
la nouvellc divisiou qui découpait la Frauce
en petites circouscripüous á peu pres égales ¡
on disait que l'esprit provincial avait disparu
pour ne laisser de place qu'uu patriotisme.
Mals I'expérlcuce a dimiuué cet cngouement: un
a vu , par les diverses invasious, que lcsprit pru-
vincial, l'esprit de clocher, loiu de Ialre obstacle
au putriotisuie , s'y ajoutait et luí douuait plus
de force; la puissance des provirices ne pel'-
mettait pas á París de rlisposer Ú son gJ'(~ du
sort de la Frunce, et si l'on u'a pus «ssnyé de
revenir aux aucieuuc, proviuces, bien des bous
esprits les regretteu Lavec raisou.




e In PITnE v II r.


Le roi 11 l'As-ernuléc. - Applaurlissnmcnts des députés, -
Sermnnt civiC[llo.- l'ruposjtion do di-snlutlon.c--Sophlsmes
de Mirabeall. - Le droit de I'aix ot do guerreo - La
gr.mde trahison du comte do ñlirahenu. - Désordres en
provine". - Sllpp"e<oioll des distiuctions nohilialres. -
Mlraheau ct son valet de chumhre. - Le nom da Capct.


Le 4 février 1790, le roí se presenta inopiné-
ment él la Charnbre : il était seulemcnt escorié
de deux offíciers do la gurdo nutiouale. Il s'assit
SUl' le sir'ge du président. sur lcquel on avait
jeté un tapis do velours, JI prononca un discours
qul luí valut des acclamations euthousiastos,
Tout en acceptant, el méme en voulaut la sup-
pressíon des ditférences d'ordre et d'érat, il
détendait lirndeineut la nohlesso el le clergé
centre d'cnvieuses auaqucs.


(( Tout ce quí rappelle él une natlon désahuséa
l'ancienneté et la continuiLé des services d'une
race houoréc, cst uno distinction que rien ne
peut détruire et couune etle s'unit aux devoirs
de la reconnaissunce , ceux qui, dans toutes les
elasses de la société aspírent él servir eñlcaee-


ti




OS L'ASSEMBLtE CO:\STITL:ANTE.


ment leur patrie el ceux qui out en déjá l'Imn-
neur de réussír ont inLúret iI rcspectcr cette
transmission de HU-es el ele souvenirs, le plus
beau de tous les héritnges qu'nn puisse íuirc
passer á ses enfauts, Le respect rlú aux tncmhrcs
de la religion ne pourra non plus s'eflaccr, el
lorsque leur cousldération sera principaleuient
unie HUX saintes vérités qui sont la sauvcgarde
de l'ordre el ele la morale , tous les citoyens
honnétes, éclairés, auront un égal inlereL ú la
maiutenir pL it la r1Ncndre. »


Lr roi parla CllSlljlf' r1f'S inquiétudos qui sr
répandalení dHIlS les provinces, des nxcés corn-
mis. « Joignez-vous it mol pour les nrróler,
dit-il, el empéchons de tous !lOS efforts que des
:violen ces criminelles ne vienucnt souiller ces
jours eü le bonheur de la natíon se prépare.
Vous qui pouvez influer par tant de moyens
sur la puissance publique, éclairez sur ses véri-
tables inléréls le peuple qu'on a égaré, ce hon
peuple qui m'est si cher el dout Oll m'assurc
que je suis aimé quand 011 veut me consoler de
mes peines. » Ces parolcs émurcnt l'Asscmblée ,
le roí ému Iui-mérne; sinterrouipit un instaut,
puis il termina en Iaisant appel ú l'esprit de
concorde et en invitant tous les députés, il « ne




LIVIlE PREMl E~, gg


professer, lI'apl'l"s son cxcmple, qu'une seule
opinion, qu'un seul iníérút, qu'une seule \'0-
Ionté, I'arracücment ú la consunuion nouvelle,
et le désir ardcnt do la paix , dn bouheur et de


-la prospérité de la Franco n ,
Dans ce dlscours, qui fut accueilli avec en-


thousiasme, on retrouve tontos les qualités,
mais aussi tous les défauts de Louis XVI; il voit
-juste: il íait comprendre á l'Assernblée les fautes
qu'elle a connnises «t qu'elle la commettre ,
mais il le f,fiL d'une maniere détouruée et en
laissant voir d'avanco qu'il subira ce qu'on vou- -,
dra Ini imposer. Avec une assernhlée comme la
Coustituante, c'étaít ouvrír la voie iJ. de nouveaux
exces.


Quoi qu'il en soit, la séance du 4 février
fu! bello en apparence. Apres les applaudisse-
ments enthousinstes qul avaient accueilli la fin
du discours du roi. fut prété le seruient civique.
c( .JI' jure d'Nl'c lidele á la natiou, Ú la loi, an
roi. el de mainteruir de tout ilion pouvoir la
Ooustituti ou décréiée par I'Assemhlée natiouale
et acccptéo l)¡ir le roi. 1) Chnqne député répéra
ce serment, qni Iut pl'(~lé ú París le soir mérne,
et ensuito daus 1011les les communes, Le roí,
cettc clcf de ratito de I'nncieune conslitn tiou




100 L'ASSEMBLÉE CON8TlT UANTE.


francaise, se lrouvait relégué GU trolsieme rang
et devenait presque inutile , de la a la supprcs-
sion de la royauté il u'y avait pas loin.


La Constitution était terminée.nu moins dans
ses parties essentiellcs: il Iulluit ruainíennnt J'ap-
pliquer. Les royalisies essayerent de proflter du
moment d'enthouslnsma qu'avait produit l'atti-
tude du rol, POUl' lui obtenir une dictature de
trois mols POU[' mcttre en vlgueur la Coustitu-
tíou. lis se heurtórent a Mirnbenu auqucl une
dictature aurait Iait perdre toutes ses espérnuces
d'arriver au pouvoir, el ils échouerent. L'abbé
Maury demanda alors de nouvelles électlons, le
mandat des dépulés étant terminé: ils l'avaíent
méme siugullerement dépassé , il failait que la
nation füt consultée el pronourát sur la con-
stítution qu'une nouvelle chambra applique-
rait. C'était loglque, mais cela ne convenait
pas a la plupart des députés Iort désireux de
rester, ni surtout a Mirabeau. Celui-ci préleu-
dit que la natiou et l'Assemblée c'était tnul un;
sur les mnndats violes. iI s'écria, parorliant Sci-
pinn el Clcéron : ( Je jure que vous avez sauvé
la chose publique. » 11 Iut <IC(;id(~ que de nou-
velles élections n'uuraieut lieu llll',lP]'(',S l'urhe-
vement complet de la Coustitution elles maudats




LIVl\E PIlEl\IIER. 101


irnpératifs furent déclarés nuls. Les députés
onbliaient qu'ils les avaient acceptés et méme
sollicités.


Soment les histnriens se demnndcnt si, a tel
moment don né, il n'auralt pas été possible d'ar-
réter le mouvement. Voilá certaíuement un des
moments les plus favorables. Si\laury et Mil'a-
beau avaient étlí d'accord pour demander le
départ de la Constitunnte, ils aurnieut pu l'obte-
nir, et de nonvelles éleetions pouvaíent donner
Une Chamhre meilleurc. uaus tous les cas, la
royauté n'avait pas eucure perfil! tout prestige,
corume lorsque ['AssemlJléc Iégislntive fu t réuuie.


s'étant imposé le rlevoir de coruptéter la Con-
stitutiou, l'Asserublée continua ses travnux : elle
s'occupa de la magistrature , des jnges élus
rernplacerent les parlements , peu s'en fallu t
que le jury ne íút élendu aux causes civiles.
Ensuite vint la grave queslion du droit de paix
el de guerre. Une grande partie de la Chambre
voulait réserver a la nation le drolt de faire la
paix et de déclarer la guerreo Barnave se ñt le
défenseur de cette opinión que .\Jirabeau eom-
battit avec une grande énergie. Celui-ci I'em--
porta, et le droit de paix el de guerre Iut délégll~
au roi et il I'Assomblée. Seulement cette victoire




i02 L'A5!5EMBLÉE CON5TITUANTE.


ruí coüta sa popularlté: on cria dnns les rues la
grande trahíson du comte de Mirabeau et luí-
méme déclara qu'il « n'avait ras hesoin de celte
leeon pour savoir qu'il était peu ele distance du
üapítole a la roche Turpéienue n , II continuait,
du reste, ses pourpnrlers avec la COUI', et il fit
demancler au roi une entrevue , Louis XVI refusa
absolurnent de le voir, et Mirabeau fut seulement
recu deux fois par la reine, « le seul homme
que le roi eút pres de lui »,


Il est impossible de s'attarder aux intermi-
nables discussions de I'Assemblée , pendant que
les orateurs péroraíent, les désordres conti-
nuaient dans les provinces. La constitution
civile du clergé. elont il sera plus tard question,
était venue apporter un nouvel élément de
trouble en frappant les catholiqt.cs dans le plus
intime de leur consclence. Dans certaines villes
les troubles eurent ele la gravité: a Marseille, le
fort Baint-Jean fut pris et ie commandant de
Deausset fut tué: a Aix , l'avocat Pascalis , une
des gloires de la Provence, coupable d'aimer sa
provínce , fut penelu. A tous ces désordres,
l'AssemLlée assístalt impassihle , elle réservait
sa sellsibilit¿ (expression tres a la mocil' alors)
pour Franklin dont elle prenaiÚe deuil pendant




LIVRE PREMIER. 103


trois [ours. Qunnt aux personnes assassinées,
lcur sang n'était pas sufflsarnment pur.


Dansson discours du /¡ février, le roí avaít dit
a I'AssemlJlée qu'elle dcvaít respectar les d.s-
liucti()lJS nobiiiaires. recompenses des services
rendus par les areux , il avnit donné les meil-
leures raisons. 'Inis 'que pouvaienl les raísons
sur des esprits affolés? Le 19 juin 1790, lreuvre
de la nuit du /¡ aoút fut complélée ; les litres de
noblesse furent abolís. 00 vit ce spectacle sin-
gulier : le fils dun cordounier, l'abbé Maury,
défendant les tures de noblesse centre un
Nonilles et un MonlmOl'ency, pauvres esprits
égarés. Le lendernain du vote , Mirabeau étaít
M. Biquetli l'atné. 11 Vous ave? desorienté l'Eu-
rape pendant deux jours n, s'écria-t iI. Du reste,
il entendaiL bien rester le cornte de Mirabeau,
au moins pour ses gens. Aprés la suppressíon
des tlrres, pendant qu'Il prenait un bain, son
valet de chambra, obéissant au décret de la
Constitunnte, l'appela simplement Monsieur;
illui prit la tete et la trampa dans I'eau en lui
disant qu'il entendait hien étre pour lui Mon-
sieur le comre, Que de démocrates dans le méme
casI 11 y aurait du reste un relevé curieux afaire,
en prenant les noms des votants du 19 [uín quí




1U4 L'ASSEl\lHLÉE CONS1'I1'UANTE.


sont devenus barons ou eomtes de I'Empire.Si
pour son valet de chambre, Mirabeau ne cessait
d'étre comte, pour Camille Desmnulins le roi
devenait M. Capet l'aíné, el la reine, la femme
du roí ou Madarne Capelo C'est alors que parut
pour la premlére Iois le nom de Capet.




CllA PITRE IX.


Fédrration dn 14 jldlleL .~ t.mhnusíasme pour les prepara-
tif" - Arrivée de, Iédérés eles dúpnrtemeuts. -- Oiscollr5
du roi. - ~Jcsse UIl Champ de Mal's, - Sermellt de La
Fayottc. - Scruicu t du roí. - 'loll\'u:J1l'nt de la reino. -
Arcl.mrations. - Les jacobius pt. les délcgués militaires.-
116vlllle de i'iane,\". - Le marqui s de Houi llé, - MOl't de
D¡'silles. - 1111actillll a i'iallcy. -, Ofíres ü Bou il lá.. - Oé-
por! clll Neckr-r, dcux Iois al'l',"te'. - 0,1'+\ de, députés,
- J"1l de domiuo s on'r,'t au dnupliin par les grnnadiers de
la gur.le natiouatc. - Départ dr-s tantcs du roí. - Leur
arrcstution. - Discussinn iI l'ASSl'1Il IJl('c. - Miraheau et
Mallrr, - Le mol de lile 11ou , - Proposition contre I,g
émigrés, - J\lirabeau . .:.... Sa mort,


L'nnniversaire de la prise de In Bastilla ilp-
prochaít, iI fut décidé qu'on le célébrerait par
une fete notlonale: c'est la grande Iédération du
1/¡ juillet 1790. Cene íéte a excité I'enthou-
siasme de presque tous les historiens, lis ont
inonlré 200,noo personncs de tout rang, de
tout ag'I~. travaillnnt confoudues pour supplécr
iJ. I'iusufflsauce (les ouvriers . le petit collet de
l'abhé se croisait avec le COS1UIlIC du rnililuire ;
la hlouse de louvrier t:lait Ú cóté des véteuieuts
éléganls du peLiI 11Iilill'P,. Pour (~gayer les tra-




105 L'AStil<::VI BL gr·: co NSTI'l'U ANTE.


vaux, on enton nait des chreurs patriotiques,
parmí lesqueIs se glissait quelquoíois le l/a ira.
Celte rleruiere circonstanca doit refroidir I'en-
tbousiasme et rl isposer a voir dans ces travail-
leurs fruternellumcnt mélés heaucoup de dupes
et de vlctlmes.


25,000 fédérés avaient été cnvoyés par les dé-
partements , ils íurent courluits par La Fayelle
d'abord a l'Assernhlée, ensuite chez le roí, au-
quel on donnait de plus en plus Insecoud raug.
La Fayetle a conservé le récit de cette double
préscntation, il en fait un tablean d'autaut plus
enchauteur qu'il était, cn sonune. le héros de
la journée. Le rol adressa nux tédérés une al-
locution pleine de cceur : (( Itedites á vos ci-
toyens, leur dit-il, que j'aurais voulu leur par-
ler a tous eomrnc je vous parle iei; rediles que
leur roi est Ieur pére, leur frere, leur ami,
qu'il ne peut étre heureux que de leur bou-
heur, grand que de leur gloi re, puissan l que
de Ieur liberté, riche que de leur prospérité,
souflrant que de leurs maux . faltes surtout en-
tendre les paroles ou plutot les sentimeuts ele
rnon cmur dans les humbles chaurniercs et
dans les réduits des iníortunés: dites-Ieur que,
si je ne puis me transporter avec eux dans leur




L1VRE PRElH1ER,


déjá indiqués montrent que les municipalítés
s'arrogeaient íous les pouvoirs el, a l'occasion,
entraient en Iutte avee l'AssemlJlée nationale
qui , en révolte elle-tnérne , n'avait guere le
droit de se plaínrlre. La questíon des émigrés
se présenta de nouveau quelques jours plus
tard, le 28 février. On demandait une loi centre
les émigrés : ~IiralJeall s'v opposa, [( Si vous
faites une loi centre l'émlgration, s'écria-t-il,
je jure de n'y obéir jamais. )) Comme un petit
groupetres-avancé I'interrompait, iI fui im-,
'~posa silence par cette apostrophe clédnigneuse/lit


« Silence aux trente voix! ) 1I triompha, maf~
" ole lendemain, Frél'on lui dísait dans rOrateu\,:::-",.
, ,,:,'


du pevple : (1 Mirabeau, moins de talent et plus~:
de vertu, siuon gnrc la Ianterne : » Sur la ques-
tiou de la régvnce, il soutiut la cour. Iaisant
écarter I'élection que demandait la gauche:
toutetois il laissa prononcer t'exctuslon de 1l¡


reine, teninuutrerstou ete« trop tone.
La cnrriere du trjbun élait flnie , malade, iJ


prít la parole daus une discussion pour dé-
fendre les íntéréts de son ami Lamark, ce fut
son coup de gráce. Sa mort fut eelle d'uu
paren ; iI recut pour la forme I'évéque coustí-
tutíonnel du Hhóne, Lamourettc , maís cette




114 L'ASSE1\UlLf:E COi\'STITUANTE


démarche ne trompa personne. Avant de mou-
rir, pour ne pas compromettre le roí. il con-
sentit a laísser brúler les notes qu'il avait sou-
mises il Louis XVI; il tenait a leur conservatíon
pour ne pas laísser le souvenir d'un démolis-
seur. Dans ses derniers instants, il s'occupait
de la situatiou. « J'emporte dans mon cceur,
disait-il.Te deuil de la mouarchie, dont les dé-
brís vont étre la prole des factieux, )) N'avait-il
pas été le prender et le plus aetif de ces fae-
tieux? 11 mourut le 2 avril 1791, a I'áge de
42 ans. On lui fit de magnifiques Iunérailles, et
l'église Saiuíe-Genevieve, transíoruiée en Pan-
théon, reeut ses cendres. Cefut lui qui inaugura
les caveaux 0([ devait trouver place Marat luí-
méme.


On s'est souvent demandé si Mirabeau aurait
pu sauver la uiouarchie. La question mainte-
naut est oiseuse, mais iI n'est nullerneut prouvé
que cet homme, puissant POUI' détruire , le Iút
égalemeut pour reconstruire, el tout semble
indiquer le contraire. 11 reste el restera Un
tribuu , dont I'éloquence sur-faite avait une
grande actiou , surtout dans I'auaque.




CfIAPITHE X.


Le rol prisonnier (\11X 'I'uilcries. - 11 ussisto it la messe d'l111
['l'''trl' coustluuioun«í. - Lettro de I'ahbé Haynal.-
Adoption de b ~lIillutillt" - Projct rl'évasiuu du roi. -
Pluns de BÚllili,'. - Diulcultés du départ. ~ La Iuite á
Vureunes, 20 jui n..- Ud,u'ds. - Drouet rccunuait le roi
ct prévicnt la muuicipallté de Varennes. - Le roi est
UJ'l'été,- UUlIill,) urrivc t rup tard. - 11 passc it l'étrun-
:~el'. -- l\etll'll' du r.ii , - Le marquis de Diuupierrc. -
Les conunissure., Pétion et Ilaruave. - Un niot de Petiou.
- Arrivé« aH\ 'l'uileries.


Les révolutionuaires proclamaieut tres-huut
que la Jatnille royale était libre; ils siudi-
gniliell t coutre [es éllligl't;s qui osaíeut parler de
la cuptivité du roí. Cette liberté cependuut u'é-
tait pas bien grande. Ainsi, le 18 avril, ie roi
voulut se reudre Ú Suint-Cloud dans le hut de
faire ses paques eles inaius d'uu prétre üdele ,
il monta en voiture el prit la route ele Saint-
Cloud. uiais II dut attenilre une heme el elernie
l'ouverturo des grilles qu'on avuit Iermées et Iut
forcé de revenir sans avoir pLl sortir. La Fayette,
daus ses JlénlUil'~s, l)l'(jlend que Louís XV! s'est
haté ele monter en voiture JJOU!' hieu coustater




116 L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.


qu'on le rctenait violemment aParis, el qu'il n'a
pas voulu atteudre. Une atteute d'une heure et
derníe étaít plus que sufüsante. Du reste, La
Fayette lui-méme n'ayant pu faire sortír le roí,
douna sa dérnission, qu'il retira ensuite, suí-
vant son habitude. Quelques jours apres le [our
de Páques, Louis XVI, qui n'avait pll couunu-
uier a Saint-Cloud des mains d'unprétre fldele,
assista publiquement el la messe d'un prétre
constitutionnel al'église Saínt-Germain-I'áuxer-
roís : c'était une Iainlesse mutile.


Dans le bu t d'arréter la Constituanle, quelques
royalístes eurent l'idée de lui faire écrire une
lettre par un des c1cmeurants de la secte ency-
clopédique, l'abU,é Baynal, que les premiers
excés de la llévolutlon avaieut éclairé. Le vieux
philosophe se préta el cette idée , i! adressa aux
députés une longue lettre, un peu declauiatoire,
mais dont certaíns passages étaien t íort justes.
Comme on devaít s'y attendre, la lettre ne pro-
duisit aucun efIet. Ce n'étaíent pas quelques
pages de l'abbé Baynal qui pouvaient arréter la
Bévolution. Quelques [ours aprés cette tentative
avortée, l'Assemblée adoptait pon!' ínstrument
de supplice la guillotine, apres une discussion
dans laquelle Hobespíerre demanda I'abolition




LIVRE PREMIER. 117


de la peine de mort , puis elle Iicenciait les
officiers de larmée, aprés un dlscours de Robes-
píerre, plus heureux cetle fois, et malgré les
efforts de Cazalés: on voulait se débarrasser
d'officiers dont on craiguaít le dévouement
au roí.


Captif, Louis XVI íormait des projets pour
mettre fin a eette captivité; il était en corres-
pondance suívie avec Bouillé, dont il connais-
sait le dévouement et l'énergie. Le roí désirait
gagner une des places du commandement de
Bouillé i le général avait un autre plan; il au-
rait voulu la présence sur la írontíere d'une
armée autrichienne , réunissant ses meilleures
troupes, Bouillé se serait dirigé vers le point
menacé par cette arrnée. et en mérne temps il
aurait fait demander par les départements fron-
tíéres que le roi vínt se mettre ala tete de l'ar-
mée. Miraheau aurait appuyé la demande, et
Bouillé ne doutait pas de l'assentirnent de ['As-
semblée, quí n'aurait pas osé refuser. Louis XVI
repoussait ce plan, qui faisait intervenir l'étran-
gel'; il ne voulait avoir recours qu'á des Fran-
cais. D'ailleurs, la mort de i\1irabeau rendait le
plan inexécutable , il fallait son ascendant sur
l'Assemblée


7.




118 L'ASSE~IBLU: r:ONSTITI..\ :\TE.


Alors Bouillé ottrit Ú Louis XV1truis places de
retuge : Besaucon, Valeneiennes et Montmédy;
ce fut celle-ci qui fut choisie. Des la fin de jan-
vier 17lJ 1, le roi annonea son départ pour mars
et avril : c'étaít trop tót et une indiscrétion était
a craindre. Deux routes se présentaient, l'une
par Reims et Stenay traversait peu de grandes
villes, et une grande voiture pouvait attirer
l'attention , l'uutre, par Chálons, Sainte-Mcne-
hould et Verdun, était dangereuse dans sa der-
niere partíe, l'esprit de la population de Verdun
étant tres-mauvais , on pouvaít tourner Verduu
par Varennes : maís eette derniere petite ville
n'avait pas ele poste. En février, Mirabeau sou-
mil au roí un nouveau plan: il s'agissait de
faire dissoudre l'Assemblée et de faire rendre
la lihertéau roí par la nation ; Mirabeau se fai-
sait fort d'avoír le eonsentement du peuple a
París et dans trente-six départements : Bouillé
disposait de six. Mirabeau devait conduire le
roí il Compiégne ou a Fontainebleau. Ce plan
avaít obtenu l'approbatíon de Bouillé, qui ne
désespéraít pas de le faire accepter par La
Fayette, Iorsque la mort de Mirabeau arréta
tout. Il fallait revenir au projet ele fnite a Mont·
médy, et Bouillé s'occupa de tout préparer. Les




LIVHE PHE~l1EH. 110


lettres qu'il écrivit il cette occasion , les précau-
tions qu'il recommaudalt, tout cela est émou-
vant SOtlS Iq plumo d'un soldat, Le départ, fixé
d'nbord CiU lO juiu, cutre minult el une heure
du inatiu, u'eut lieu que le lerulemuiu Ú cause
el'une Iemme ele chambra su-pacte dont c'était
le jour ele service. Le roi s'était privé d'un utile
auxiliaire en u'erumenautpas le comte d'Agoult,
que lui recounnandait Iíouillé : -,!,,,e ele 'l'ourzel.
gouvernaute eles enfants ele Franco, réclama les
privilégt-s de sn charge, et le roi céda , un intré-
pid« soldat aurait mleux valu, Le départ était
difücile, cal' la garde uationale faísait le service
aux Tuileries : les Ildeles g'al'des dn corps n'exis-
taientplus. GI',\ceaucornte ele Ferseu, la fumille
royale put gdg'UCl' le Carrousel, 11 m" c1~ 'I'ourzel
dait J!"" la Iiaronne ele Kol'11'; Maelame et le
Dauphin étaieut ses Iílles Amélie el Aglaé; la
reine, Mme llochet, gouvernnnte , le roi, le valet
de chambre Duranrl : -'Iadame Élisabeth, la
elemoiselle ele compagnio Hosalie , deux gardes
du corps en laquais étaient sur le siége; un
autre était daus UIl cabriolet qu¡ suivait avcc
deux fenunes de chambre , ces trois gi"Jes du
COl'pS dévoués étuieut Mc\I. de Valol'r ,e Maldan
et de Moustier.




120 L'ASSEMBLÉE CO'\'STITVANTE.


Cette grande voiture et ce péle-méle de la
haronne avec son valet de chambre étaient déjá
de nature a donner des soupcons. Deux heures
furent perdues a Monlmirai/ iJ cause d'un har-
nais cassé. A Chálons, le maítre de poste recen-
nut le roi, maís iI ne dit rien. Le détachement
de Pont de Sommevellc, qui n'avaít pas été
prévenu du retard , apres avoir vainement
attendu, était parti; iI prévint les détachements
de Sainte-Menehould et de Clenuont-en-Ar-
gonne que le roi ne passeraít pas, et iI s'égara
en se rendant á Varennes. ASainte-Menchould,
le fils du maitre de poste Drouet reconnut le
roi j il partit immédiatement pour Varennes.
Un maréchal de logis, du nom de Lagache, le
poursuivit inutllement, AVarenues, iI n'y avaít
pas de relaís , Drouet avait commencé avee
quelques hommes á barrer le passage : on pon-
vait encore le forcer, mais le roi, toujours daos
cette idée qu'aucune goutte de sang ne devait
étre versée pour sa cause, ne permit pas d'ern-
pIoyer la force. 11 essaya d'obtenir de I'épicler
Sausse, procureur-svndic de Ia commune, la
liberté de passer. Celuí-ci Melara qu'i1 atten-
drait les ordres de l'Assemblée. Ces ordres arrí-
vérent portes par un aide de can.p de La




LIVRE PREMIER. 121


Fayetle, M. de Romeuf; il Iallait ramener le roí
a París. Bouillé, prévenu trop tard, accourait:
QU311d jj arriva aVarcnnes, le roí en était partí
depuis une heure et dern ie mus I'escorte de
quatre mille gardes natiou: IIX. Desolé, le fldéle
général, abandonnant son commandement,
prit la route de la frontiere , OU des gardes na-
tionaux essayérent de l'arréter , il forea le pas-
sage, essuyant quelques coups de fusil auxquels
il ne réponuit paso


Le retour de la famille royale fut triste; par-
tout le roi était accueilli par des inj ures: un
vieillard, M. de Dampíerre, qui étaít venu saluer
le roí, fut lácherneut massacré, A Épernay,
cependant, un offlcicr du nom de Cazotte sut
faire respecte!' le roí. Dans cette ville, la famille
royale fut rejointe par les deux commissaires
de I'Assemblée, Pétion et Barnave. Ces deux
députés ne se ressemblaient pas; autant le se-
cond íut respectueux pour l'infortuue, autant
le premier fut grossier. II s'est vanté Iui-méme,
dans ses .~Jémoires, d'avoír dit, avant de partir de
París, qne le « gros cochon 1) serait bien em-
barrassant , il ajoute méme, mais on peut ne
pas l'en croíre, que La Fayette auraít trouvé le
mot charmant. A la Ferté-sous-Jouarre, IR reine




122 L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.


étaít chez une dame nomméc lUme Renard, qui
se présentaít en tablier : « Pourquoi done ce
costume? - Du moment que Votre Majesté est
entrée dans cette maison, je u'aí pu en étre
que la servante, Il Le dimanche 25 juin, a sept
heures du SOir , la famille royale rentrait il
París: on refusa au roí le salut des armes:
les gardes du corps , enchalnés , échappereut
par míracle a la mort. La Fayette recut le roi
aux 'I'uileries , il íut moins eonvenable que
Barnave.




enAPITRE x1.


t.mui de I'Assémblée. -- Hóle de La Fayette. - Suspensiou
du roí. - Lettre de Bouillé, - Départ de Cazalés. - Pé-
tition contre la royauté. - Dépót sur l'autcl de la patrie
au Champ de Mars. -Joumée du 17jui1l\'t.- Rassemblc-
ment des jacobius. - Proclamation de la loi martiale. -
Le drapean rouge. - La Fayette et Bailly assaillis acoups
de pierres. - Le prcmier faít tiror sur la foulc. - Effets de
cettc fermeté, - Annexion du corntat Veuaissln et de la
principauté d'Avi¡¡non. - Accoptatíon de la constitution
par le roí. - Fétes publiques. - Décret de l'Asscurhlée
déclarant ses membres inéligibles.


La nouvelle du départ du roí avait jeté l'As-
semblée dans une grande émotion, quoíqu'elle
eüt affecté de ne pas tenir compte du mani-
reste dans Iequel Louis XVI exposaít les motifs
de sa condulte. Le président de I'Assemblée,
Beauharnais, le maire de Paris, BailIy, voyaient
la guerre civile en perspectíve, La Fayette prit
sur lui d'envoyer dans toutes les dírectíons, a
tous les gardes nationaux, l'ordre d'empécher
ce qu'on affectait d'appeler l'enlevement du
roí. C'est done a lui qu'est c1ue l'arrestatíon du
roí, et il doit en porter la responsahilité.


Lorsqu'ello apprit l'arrestation du roí, I'As-




12t L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.


sen: ')Iée designa les deux commissaires dont iI
a déja été parlé, Pétion el Barnave, Le 25, elle
décréta la suspensión du rol el prit tous les
pouvoirs jusqu'a l'acceptatíon déLlnitive de la
Constitutlon. La majorité ne voulait ni la dé-
chéance du roí, ni l'aboliLion de la monarchíe:
elle tenait seulement a étre maítresse du roí
pour le soumettre a ses volontés. Une letire du
marquis de Bouillé, dont Barnave se servít
habilement, lui facilita l'exécution de ses plans.
Bouillé, preuant sur luí, autant qu'il le pou-
vait, la responsabilité du voyage de Varennes,
s'efforcait de dégager le roi, Ou affecta de le
croire, et Barnave lit décider en mérne temps
que le roí, inviolable, ne pouvait étre recherché
pour la fuite a Varennes, et que les auteurs et
complices de cet en lévement seraient renvoyés
devant la haute COUl' d'Orléans, Avant cette
décísion, l'Assemblée avait perdu son dernier
orateur royaliste, Casales, qui avait donné sa
démíssion apres avoir soutenu la lutte [usqu'au
bout.


Si dans I'Assemblée on ne voulaít pas la dé-
chéance, iI y avait dans Paris un partí remuant
qui la demandait. Une pétition fu! rédigée par
Danton, qui représentait le club eles cordeliers,




LIVRE PREl\lIEH. 125


par Brissotpour le elub des jaeobins, par Lacios
pou!' la Iaction d'Orléans ; on annouca que
ceue pétition serait déposée au Ohamp de Mars
sur I'autel de la patrie, oú l'on élidt invité a
alter la signer le 17 juillet. Dans la matinée,
deux malheureux furent surpris sous les degrés
qui conduisaient a l'autel de la patrie; une
Indecente curiosité les avait conduíts la; ils
furent massacrés. Bientót la foule devint im-
mense: toutes les sociétés patriotiques s'étaient
donné rendez-vous au Champ de Mars, el la
pétition avait recueilli síx mille signatures.
La Fayette et Bailly, prévenus par I'appel auda-
cieux qu'avaient Iait les promoteurs de la péti-
tion, avaient pris Ieurs précautions. la loi
martiale avaít été proclamée. Bailly et La Fayette
parurent au Champ de Mari> avee des détaehe-
ments de troupes el de gardes nationaux; le
drapeau rouge était déployé. Des coups de feu
Iuren t tirés sur Bailly et sur La Fnyette i un
dragon fut atteint; des píerres furent lancees
SUI' les troupes el sur la garde nationale. Pour
effrayer les émeuliers, la garde natlonale tit
une premiére décharge en l'aír , l'audace des
émeutiers s'accrut, les píerres arrivaíent plus
nombreuses . une décharge eut líeu qui jeta




12ü L'ASSEl\lUÜ:E CONSTITUANTE.


par terre une centaine d'individus: la Iuule s'eu-
fuit de toutes parts. Il y a loiu de lit au récít
eles journaux de I'époque. qui purlcnt d'épou-
vantables massacres, de tlix mille tués, etc. Il
y cut une premiere décliarge en l'air, et cornme
elle n'avait rieu Iait, une deuxieme décharge,
qui fit une centaine de victimes, Voilá tout.
C'est á cette journée que Iaisait allusion Lamar-
tine, lorsqu'Il disait, le 2ú février '18!¡8, que le
drapean rougc avait fait le tour du Champ de
Mars dans le sang,


C'était la prcmierc fois, depuis le 111 juil-
Jet 1789, qu' une émeute étai t réprirnée: au pre-
miel' rnoment, l'effet ruora! Iut iuuuense , les
meneurs ordiuaíres des éureutes prircnt peur
el disparurent: Hobespierre, quoique couvert
par son invíolabilité de député, ne Iut pas le
derníer a se cacher, Cette trayeur salutaire ne
tarda pas ti se dissiper. Ni La Fayette, ni Bailly,
ni I'Assemblée ne pouvaient tirer parti de cette
victoire , seul Louis XVI aurait pu le Iaire, et
ses pouvoirs étaient suspendus, Aussi, JU huut


-ele quelques jours, les orateurs des jacobius et
des cordelíers avaient repris toute Ieur audace
et ils insultaieut les deux vuinqueurs du J7 [uil-
let, La Fayette et BniJJy.




LIVI1E PHEMIER. 127


Avant de se séparer, l'Assemblée consacra une
iníquité qu'elle avait quatre fois repoussée. Le
p~lpA possédaít en France le couitat Venaissin et
la princípauté d'Avignon , c'était une possessio~l
parfaitement réguliere, remontant a plusieurs
siecles : les populations ne se plaignaient pas
de la domination pontiflcale, cal' il él toujours
fail bon ciore S011~ la crosse. Des désordres
avnient été provoques par une míuorité turhu-
lente, qni abouLirent aux massacres de la Gla-
ciere, mais il sufflsait de ne pas soutenir cette
mínorité, et l'ordre se serait rétahlí. Ces raí-
sons avaíeut jusque -Ia décidé l'Assemblée iJ.
repousser une auuexion évidemment injuste,
cal' on n'était pas en guerre avee le pape; á ses
derniers jours, elle se déjugea. L'annexion fut
votée, en gl'illJde pafUe saus doule paree que
les auteurs de la constitution civile du clergé
voulaient se venger de ce que Pie VI avait con-
damné leur ceuvre.


Le 3 septemhre, la Constitutiou , enün ache-
vée, fut préseutée au roí. Il l'accepta par uue
leítre a l'Assernblée en date du 13 septembre,
el le leudernaiu il VÚ]t reuouvcler verbateurent
son accepuuiou. Ce fu! loccasiou de íétes pu-
hliques quí n'eureut pas léclaí des fétes précé-




128 L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE.


dentes; les illusions étaient parties, et ron se
trouvait entre les tristesses du passé et les incer-
titudes de l'avenir.


Le roí reprit alors en apparence l'exercice
du pouvoir et, le 30, iI prouonca la clóture de
l'Assemblée, qui avaít duré un peu plus de
deux ans. Ce court Japs de temps lui avait suffí
pour amonceler les ruines, et elle n'avait rien
édíflé, cal' sa Constitution n'était pas viable,
comme un trés-prochain avenir allait le dérnon-
trer. Avant de se séparer, I'Assernblée avait mis
le comble a ses fautes en décidant que ses
membres ne seraient pas rééligibles; c'étaít
confier la mise en reune d'une constitution á
des homrnes qui ne la connaissaient paso Celto
Iaute couronnait dignement l'ceuvre de des-
truction de la Constituante.




CHAPITRE XII.


'.0\ Cou~titnante et l'Église, - Le clergé n'était pus hostile
it la l\,lvolution. - Offro d'un emprunt de 40U millions.-
Proposition de Talleyrand. - Discussion, - Muury et
Mirabeau. - Hésolution votée, consacrant la spolíatlon
de l'Église. - Création d'assignnts, - Projet de suppres-
síon des ordres religieux et des valla monastiques. - Pro-
position de Dom Gerle. - Coustitution civile du clergé.
- Faiblesse du roi. - Serment 11 la constitution civile.
- Refus. - l\Iesures oppressíves. - Prétre assasslné, -
Coudamnation par le pape de la constitruion civile. -
Désordres causés par la constitution clvíle.


Les entrepríses de la Coustituaute contre le
clergé ont été assez multipliées et assez impor-
tantes pour demander un chapitre spécial.


Au début, le clergé n'était nullement hostile
aux réformes. En1787, une assemblée du clergé
reíusaít un subside de 1,200,000 livres, a moins
que les états généraux ne fussent convoqués.
Lors des électíons, les cahiers du clergé con-
cordaient sur plusieurs points avec ceux du
tíers: íls demandaient notamment la suppres-
sion des priviléges nobiliaires et l'égale admís-
síon des citoyens a tous les emplois. A Ver-




HO I.'A SSE\I nr.t:E (:0 i\ST IT LJ ANTE.


sailles, des les premiers jours , beaucoup de
députés du clergé voulaien l se réunir aux dépu-
tés du tiers, et quelques-uns n'attendlrent pas
la séance royale du 23 juín ; les nutres vinrent
des que le roi l'eut permís. Peut-étre eurent-
ils tort cl'al\er aussi víte , mais cela pro uve au
moins qu'ils n'étaient pas hostiles.


Lorsque la questionñnanciere fut posée par
Necker, qui demandait a chaeun le saerifice du
quart de son revenu, le clergé offrit un em-
prunt de 400 millions pour Iequel il donnerait
ses bíens en garantie. Cette offre généreuse fut
refusée , on voulait plus. Les biens du clergé
avaient excité la convoitise de bien des gens,
et on voulait les prendre. On évaluaít ces biens
a quatre milliards, et cela faisait envie. On
oubliait qu'il s'agissait d'une spoliation, et que
ces biens, mis en vente en mérne temps, subí-
raient une enorme dépréciatíon , c'est ce qui
n'a pas manqué u'arriver. On peut se demandar
si des biens du clergé I'ÉLat a réellement retiré
les 400 millions qu'on lui offrait,


Ce fut un évéque, Talleyrand, qui le premiar
propasa d'afíecter aux besoins du royaume une
partie des biens du clergé. 11 n'y avait qu'á
accepter l'emprunt de 400 mítlíons. Mais Tal-




Ll"HE J>nEMIEH. 131


Ieyrm)(j trourait que ce n'était pas assez. JI
évalnait les revenus dlí clel'gé 1i 150 millinns,
chiílre évídemmeut exageré, snrtout avee une
réalisation immédiate, et JI proposait d'en lais-
ser les eleux tiers au clergé et de prendre le
reste. Ce qu'il y avait ele plus grave daus sa pro-
position, c'est qu'il níait que le clergé füt un
propriétaire couune un nutre, et qu'íl mettait
en avant les prétendus droits de l'Etat sur les
híens des corps publics. D'avance Sieyrs avait
répondu átoute cette argumentafion par cette
simple phrase : (( lis veulent étre libres et ne
savenl pas M!'e justes. » La proposition de Tal-
leyrand souleva une tr-s-vivo discnssion. ~¡alll'Y,
pour le clergé, Miralicau, pou l' les révolution-
naires, íurent les principaux orateurs, « La
propriété est une el sacrée pour nons comme
pour vous, disait Maury. Nos propriétés garan-
tíssent les vótres, » La noblesse, spolíée il son
tour, les cundumnés des tribnnaux révolution-
tionnuircs dont les biens étaient conflsqués,
purent voir que ~Iaury disait vrai. Il ajoutait :
(1 Le peuple ama sur vous tous les droits que
vous exercerez sur Hans; il dira aussi qLI'i1 est
la nation. qu'on ne prescrit pas contre Iui. »
Ces paroles sont prophétiques, et toute une




132 L'ASSEMllLBE CONSTITUANTE.


école révolutionnaire cornbat I'héritage avec les
arguments invoqués centre les proprlétés ccclé-
siastiqucs. En terminant , Maul'Y présentalt
l'exemple de I'Angíeterre avec sa taxe des pau-
vres. Mirabeau s'efforea d'écarter cette idée de
spollation. qui pouvait eflraye certains députés,
et il proposa de déclarer (1 qu'il était de prin-
cipe que toute nation est seule et véritahle pro-
priétaire des biens de son clergé 1). C'était un
sophísme: on ne (1 declare » pas un (1 principe»
il la majorité des voix. l\Iaury objecta avee
raison que c'était la destruction du droil de
propriété : ii rappela que le clergé avaít payé la
rancon de Francois lel'el les dettes de Charles IX;
qu'il était encere endeué á cause des subsides
donnés sous le regne de Louis XV; e'étaient
des fuits índénlablcs, « Le plus terrible despo-
tlsme, dit-il, est e: lui qui porte le masque ele
la liberté, » Dans cette discussion, un député
encoré inconnu, le comte de Montlosier, pro-
nonca une grande et belle parole ; il rappela
que jadis, avec une croix de bois, les aporres
avaient conquis le monde, et que ceue croix de
bois resterait aux évéques qu'on voulait spo-
lier. La cause du droit succomba, el le 2 dé-
cembre '1789, 568 voix centre 346 votérent la




résolnfíon suivanto : « I'ous les bicns ecclésias-
tlquessont a ladisposition de la natinn, á charge
de pourvoir d'une maniere conveuable aux
frais du culte, it l'entrelien de ses ministres el
au soulagement des pauvres, sous la surveil-
lame el d'apres les iustructions des provinces.
Dans les dispositions pour subvenir á l'entre-
tien des ministres de la religión, iI ne pourra
étre assuré ;i la dotatiou d'aucun curé moins
de 1,200 livres, non compris le presbytere, l) Lit
est le fondemenl du Iiudget des cultes, qui est
une véritahle restitution , le décret de l'Assem-
blée constituantc emploie méme [e mot de
rente, qui est signiticatif. Le17 décembre, un
décret créait hOO ruillions d'assiguats, hypothé-
qués SUI' la vente des biens du clergé pour la
mémo souuue : par suite de la dépréciatlou
inévítable, il íullut en veudre bcaucoup plus.


Mais on n'en voulait pas qu'aux .biens du
clergé, on en voulait au cIcrgé lul-méiuo. Lo
13 Iévrier 1700, le comité eles aflaires ecclé-
siastíques, oú dominníeut les jauséuistes el les
encyclopédistes, saísit la Chauibre de la sup-
pression des ordres rellgieux et des vrcux rno-
nastlques. Cela ne le regardalt pus: tout ce
qu'un Hlat peut faire, c'est de ne pas tenir


8




1:~4 L'A~SEMP,U:E CO\S'lTI'UAi\TE.


compte des vreux monastiques, comme cela se
passe actuellement en France. Le comité n'avaít
pns proposé la suppression absolue , íl avalt fait
quelques reserves. L'ahbé Grégoire dernandaít
également qu'on ne supprimát que certaíns
établissemenLs. Barnave. La Hochefoueauld, qui .
devaient l'u n et l'autre expier par la mort leur
zele révolutionnaire, clemandérent et obtinrent
la suppressíon absolue. Afin qu'on ne püt pas


. áccuser l'Assemblée ele passions anticatholi-
ques. un chartreux un peu fou, Dorn Gerle,
demanda que la religion catholíque fút seule
autorisée comme culte public , la propositíon,
d'abord ajournée, finit par erre rejelée.


!\Iais la grande usurpation de l'Assemblée
constituante, ce fut la constítutíon eivile du
clergé. Par eelle eonstitution, I'Assemblée, sans
aucun droit, remaniait les diocéses, supprimait
les canonieats, les bénéfices, etc. Elle pres-
erivait que les évéques seraient élus par les
membres de l'assemblée du département, et
leur interdisait de demander leur confirmation
au pape; les cures devaient étre élus par les
ñdeles: le métropolitain conflrmait l'évéque, et
celui-ci le curé. Enfin on foreait le prétre a
préter serment a cette eonstilution schísma-




LIVRE PREMJER. 135


tique. C'était une double atteinte a la foi catho-
lique et a la liberté de conscience. CeUe con-
stltution élait I'ceuvre de jansénistes cornme
C,ill1US, scctaires haineux que M. Thiers qualifie
de chrétiens des plus « píeux » pt d'hommes qui,
comme Mírabeau, voulaient décatholiciser la
Prnucc. Des le coinmencement, la constitution
civile du clergé causa des troubles dans plu-
sieurs départements, el surtout dans le Midi:
les populnticns protestaient énergiquement,
mais on n'en tenait aucun compte.


Le roi consulta secretement le pape, qui lui
indiqua le caractere schísmauque de la cousti-
tution civíle. En mérne ternps, iI le renvoyait
aux couseils de mouseigneur Lefranc de Pomo
pignan, archevéque de Vienne, el de monsei-
gneur de Cicé, archevéque d'Aix. Ces deux
prélats, par une raiblesse qu'explíquent, sans
la justifier , leurs opinions gallícanes , con-
selllérent au roi d'accepter la Constitution. Le
prince suivit leurs conseils: maís monseigneur
de Pompignan, desolé, mourut de chagrín,
confessant haurement sa faute. Le 27 décem-
bré 1790, le curé d'Brnbermesnil, Grégoíre,
le premier préta serment ala constitu tion civile ,
il fut imité par la plupart des curés révolution-




130 L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.


naires. Quanl aux évéqnes, ils refuséreut tous
un sermen! sclrismatique, sauf le cardinal Lo-
ménie ele Bricuue , arcucvéque ele Scus, l'ancien
iniuístre , Talleyrnud . d'Auluu , Saurine , de
Viviers, qui était a moiué fou, Jarente, d'Orléans,
el Gobel, évéque de Lyddali, iu partitru«. Dans
toute la Francc, sur peut étrc 100,OllO prélres, il
n"y en cut pas 20,000 a pretor sermcnt, el uans
certains dioceses, apeineen compra-t-on quelques-
u ns. El ccpcndant Ics mesures avaicut été bien
prises pour cffrayer les prétrcs. on les ohli-
geait a mantel' en chaire elevanl Icurs parois-
síens qu'on avait exeités, et lá il déclarer s'i1s
reíusalent ou prútaicnt le serment. Certains
prétres furent meuacés , d'auíres furent mal-
traités , un fut tué d'un coup ele fusil, en chaire,
au mouient oú il cxpliquait pourquoi il refu-
sait le sermeut , un nutre u'écuappa á la mort
que paree que l'amorce ne prit pas feu. .En
m éme temps que les prétres, les religicuses
étaient maltraitées, el des sreurs ele charité qui
refusaient un prétre constilutionnel étaient
Iouettées par dcs mégeres et memo par des
hommes qu'excitait ce prétrc lui-mérne. Un bref
du pape Pie VI, en dale du 13 avril 17\)1, con-
damna counne schismatique la constitutiou




LIVRE PHEMIEll. 137


civife du clergé j ce bref fut lacéré au Paíaís-
Royal, et le pape fut hrúlé en efflgic. Pie VI
prescrivaít aux prétres assermen tés de se retrae-
ter; un oertain nombre lui obéirent.


Le 16 juin 'lí91 fut marqué par une parade
plus grotesque peut- étre qu'odieuse : Gobel,
évéque constitutionnel de la Seine, mena au
club des jacobins et a l'Assemblée des enfants
auxquels iI avait fait faire la premiere comrnu-
nion : un de ces enfants prononea deux discours
tévoJutiollnaires, et l'Assemblée cut la faiblesse
de leur accorder les honneurs de la séance.


\u moment oú la Constituauto ílnissait, aprés
avoir amoncelé dans la question rcligieuse au-
tant de ruines que partout ailleurs, deux députés,
GalIois et Gensonné, élaient en mission dans
l'ouest, oú les mesures antireligieuses avaient
produit une grande surexcitation. qui plus tard
amena la guerre de Vendéc. Ils ne rendirent
compte de leur mission qu'á I'Assemblée légis-
lative, et il sera plus tard question de leur
rapport, «






LTVRE 11,
L'At;8ElIIBLEE LEGISLATlVE.


CHAPITRE PREMIER.


Pruclumatiou de Louis XVI. - Héuniou de l'Asseiublóe lé-
gislativc. - Situatiou. - Les partís. - Radiatiou puis
rétahlisseuicnt des ruots de Sire et de Majesté. - Dérnis-
sion de La Fayette el de Bailly que rernplacent Santerre
et Pétion. - Les bataillons de piquiers. - Dernierc ova-
tiou au roi. - Mesures contre l'émigratiou. - Le roí op-
pose son veto. - Lettre du roi aux émigrés, - Massacres
de la Glaciére, it Aviguon. - Amuistie accordée aux
assassins. - Perte de Saint-Dominguc. - Ministére Nar-
bonnc. - Fermeture du club des feuillants, - Arnnistíc
accordéc aux révoltés de Nancy. - Feto en leur honneur.


En acceptant la Constítution, Louis XVI avait
adressé a la nation la proclamation suivante :
« J'ai accepté la Constitution; j'em ploierai tous
mes efforts a la maintenír et á la faíre exécuter.
Le terme de la Révo1uti on est arrivé; il est
temps que le rétablissement de l'ordre vienne
donner a la Constitution I'appui qui lui est
mainten.mt Ie nlus JJP{'PS~:Ji"8, il est temps de




140 L'ASSEMI3LÉE LÉGISLATIVE.


fixer l'opinion de l'Europe sur la destinée de la
France et de montrer que les Francnis sont di-
gnes d'étre libres.» Le surlendemain, pour la cló-
ture de l'Assemblée, Thouret disait au roi : ( Sire,
votre ~lajesté a fini la Révolution. » Louis XVI
était évidemment de bonne foi; sans se [aire
grande illusion sur la Constitution quí lui avait
éte imposée, il l'avait acceptée et par devoir iI
entendait la faire exécuter. Mais la bonne foi
était-elle aussi grande chez les Constituants? On
peut en douter, au moins pour certníns et d'ail-
leurs en se déclarant iuéligihles, les auteurs de
la Conslitution s'enlevaient tout moyen de la
faire respecter, C'était une haute imprudence
en ternps de révolutiou, de charger de mettre
une Constitution en vigueur des homrnes nou-
veaux qui n'avaient pas contribué a la faire et
qui , comme leurs devancíers , pouvaíent se
croírele droit de tout changer Ú Ieur tour.


Des la réunion de l'Assemblée législative, on
put voír combien la situation était changée,
Sauf quelques hommes ayant une certaine no-
toriété, comme l'abbé Fauchet et Oondorcet, la
plupart des nouveaux députés .étaient complé-
tement inconnus. L'élément royaliste pur avait
complétement disparu , les royalistes constitu-




LIVHE JI. 141


íionnels de la nuaucc virieu, Cleruiont-f'onuerre
eL uiéure La Fayette, étaient tres-peu nombreux
et se coufoudaieut avec des constitutiounels
plus avaucés comme Vaublanc, Jaucourt, qui
représentaient les uiémes idees que daus la
Constituaute les Lumcth et llamare: enlre ces
dcux nuanccs constitutionu-lles. un mol ex-
plíquera la différence . les premien, voulaieut
la royauté avec UlW Conslitution, les seconds
ucceptaient la royauté paree qu'elle était daus
la Constilution. A proprement parler, il n'y
avait pas de républicains avoués dans la Légis-
lative, mais un groupe nomlneux et brillant se
rangeait autour de Brissot el voulait, avec le
pouvoír, une orgauisatiou tclle que la royauté
n'aurait plus existe que de nom. Qnelques dé-
pules, plus avances. avcc Danton, uvec l'ex-ca-
puciu Chahot el Bazire, représeutaient lcs idées
de la íructiou extreme des jacobins el des corde-
liers. Acoté de ces divcrs groupes se trouvaieut
heaucoup de députés, les plus nombreux peut-
étrc, sans idées arrétées et tout disposés a subir
la loi du plus Iort.


Les plus Iorts, au déhut, éíaleut les eoustítn-
tionnels . ils éprouverent cepeudaut un grave
écliec á la preuiiere séauce. Sur la deuia mio do




'142 L'ASSEMBLÉE LEGISLATIVE.


quelques députés de la gauche, les mots ele Sire
el de Majesté furent supprimés comuie entachés
de servilisme. Le roí se montra justeuu-ut hlessé
ele cette snppression iuconvenante . les cousti-
lutionnels comprirent qu'ils étaícnt débordés
s'ils laissaient faíre , ils réclamérent, ils invo-
quérent, sinon le lexte, au moins l'esprit de la
Conslitution qui maíutenaít la royauté, et ils
ñrent rapporter, non sans peine, le vote de la
veille. lis avaient triomphé, mais c'était une de
ces victoíres qui coúten t cher.


En mérne temps que la Chambre changeaient
les deux maures de Paris, Bailly et La Fayette.
Celui-ci donnait su déuiissiou de corumandant
de la garde nationale , il se sentait dépassé, et
n'ayant pas le courage de lutter contre une si-
tuation dont il étaiL l'un des princípaux auteurs,
il se retíraít, Iaissant sa succession ir Santerre,
le hrasseur du Iaubourg Saint-Antoine, connu
pour sa particípatíon atoutes les émeutes, Bailly
faligué, désillusion né \ usé, se retirait éll;ülem.ellt
el etait remplacé prll' Petiou , qui I'empol'taít
sur La Fayette et SLH' el'Audré , deux consti-
tuants. Il obtint 6,000 voix sur SO,OOO électeurs
inscrits, dont 10,000 seulement prirent part au
vote. On a reproché ú la Cour d'avoir appu~é




LTVRE TT.


Pétion, don! elle croyait n'avoir ricn a redou-
ter, a cause de sa complete insignlflunce, centre
La Fayerte, et davoir ainsi contribué a háter la
marche dela Hévolution. OulrequeI'appuidela
COIll' n'auraít probablement pas suffí pour futre
triompher La Fayette, pouvait-on cornpter sur
celuí-ci pour arréter le mouvement révolution-
naire? En rnéme ternps que Pétion, arrlvaient ú
l'Hótel de Ville, Manuel comme procureur-syn-
die de la Cornrnune,et üanton, compromís dans
les journées des 5 el 6 octobre, comme son
substituto L'un des prerniers soins de la nouvclIe
adminístratlon fut d'armer la masse des citoyens
en Ieur donnant des piques. Jusqua-Iá les
bourgeoís seuls formaient la garde nationale ;
la populace y entraít a son tour et formait
les bataillons de sans-culottes , armée toute
préte de l'émeute, Le roí, qui voyaít .íuste,
comprit de prime abord I'illégalité et les dan-
gers de cette organisation; iI fit quelques
observations a Pétion ; ce n'était pas assez.


Le 7 octobre, Louis XVI se rendir au sein de
l'Assemblée lcgislative el prononca un discours
tres conciliant ; cela lui valut des applaudisse-
ments el des cris : « Vi ve le roi l » Le soir, au
théátre il recut une ovation , deruier souvenír




'144 r.'ASSE\[BLf~¡,; Lf:GISL \'1'1\"1-:


de celles qu'il avnit recues jadis : mais tout cela
ne Iui donnait pas la force dont il avait besoiu.et
la lulle allait commcncer avec I'Assemblée.Elle
s'engagea sur la question des émigrés, C'était
un terraín habilement choisi par les meueurs
de la gauche, les Vergnlaud , [es Isnard, les
Brissot : ils n'avaient gnere dt-J contradiclion
¡'¡ craindre, les violsnts, toujours les plus forts
en temps ele révolution, étaient avec eux. On
demanda done des mesures violentes contre
l'émigration. Vergnlaud présenta un tablean
exagéré des rassemblements d'érnigrés aux
portes de la France : i\Iirabeílu n'étaít plus lit
pour combattre une loi inique et jurer de ne pas
y obéír. L'orateur de la Gironde triornpha : le
28 octobre fut voté un décret quí obligeaít Mon-
sien!', frére du roi el régen t en cas de morí de
Louis XVi, á rentrer en France dans un délai


. de deux mois, SOtlS peine de déchéauce de rous
ses droíts. Quelques jours apres, le 0 novernbre,
tous les emigres etaienl déclarés suspects de
coujuratíon et menaces d'étre frappés de la
peine de mort, s'ils n'étaien1 pas rentrés en
Frunce avant le 1er jauvier , les princes eux-
Ull'mr-s étaíent atteints par ce décret, quí placaít
les biens des érnigrés SOllS le séquestre au pro/U




LIVRE II. 145


de la nation. Le roi, qui désapprouvaít l'émí-
grillion, avait (!rij<'t invité ses rreres a rentrer ,
mais hlcssé des mesures vetees par l'Assemllllé


, il opposa son re/o. C'était son droit. Le mécon-
tcntcment. n'cn Iut pns moins tres-granel, et
aprés (JlICIC[uC's jours de résislancr , il co.rsontlr
¡'¡ accepter le Mcret .lu 28 octobro COIH'Crl1<lnl
Monsielll" maintenant son ref'us pour celui C\U
\) novembre : mais, en méme tcmps, par une
lettrc renduo pll hl il{uc, il invitai t de nouvcau
et avec bcnucoup d'inslstance les émlgrés aren-
(rcr. On [es a heaucoup blámés de ne pas avoir
obéi , on oublle rrop que, si Louis XV[ pouvait
dire aux érnigrés de revenir, il n'éiait pas ca-
pable de les proteger, Les désordrcs continuaient
en provinco : chnquc jour 'c'étaient des incen-
dies et des pillagcs, sonvent des mcurtres , on
ne peut guére reprochar nux gentilshollllllcs
tI'avoir cherché nn a bri.


Dans les désordres des provinccs, une meu-
lion spéciale est due aux massacres de la
GI.aciél'c á Avignon. L'injuste annexion votée
pour la Constítunnte 1l10fll'ilIlle n'avait PaS
calmé les esprits : les révolutiounuircs. dout
cette annexíon avait augmenté I'Influence ,
trnltalent Avig-noll en pays conquis ; ils miren:


o




He L'~SSI:\IBLÉE U:/.;rSLATIVE.


la main sur les églises. Cp vol sacrilége excita
une grande indignation el un de leurs chefs fut
tué. Ce meurtre amena les terribles massacres
de 1<1 Glaciere al! plus tic ccnt personnes Iurent
tuées. L(~ principal auteur de ces massacres était
Jourdnn Coupe-Tete. L'arrivée de compaguies
de la garnison dOrange rétablit l'ordre : Jour-
dan fui al'l'Nc\ avec quelques-uus de ses corn-
plices, mais il írouva de chaleureux défenseurs
ft la Lr¡?;islntive. 1\Ialgl'l' I'opposition des consti-
tutionuels. malgré l'horreur des crimns counuis.
I'Assemblée décida ú une viugtaine de voix de
lllfljoriló que les assassins <lc 1<1 GI<1ciere spraient
,"H11tst icis, C'(!fiJif lIll rllctJlIl'ilgelllellt á 1;75511$.'11"-
nat.; il nc sera pas perdu.


A la méme époque, les doctrines révoiutíon-
naires falsaient perdre ¡'¡ 111 France, aprás
d'épouvantables massacres, la plus bolle de ses
colonies, Saint-Domingue. (1 Périssent les colo-
nics plutól qu'un principe », disait un orateur
de la Const.ituante. La eolonie Irancaise périt en
effet. Le mouvement dirigé d'abord contre les
blancs comme en France coutre la noblesse, Ilt-
de nombreuses victiuies. Sans avoir co rnpléte-
ment rompu avec la Franca, Toussaint-Louvcr-
ture était de fait lndépeudant. Plus lard, une




LIVRE 11. 147


expédition cnvoyée par le prernier consul
échoua, et la reine des Antilles cessa déflui.ive-
ment ele porter le drapean fraucais,


Un miuistere fenillant avait faít place il un
ministere plus royalisre dont les principaux
mernbres étaient :\lM. de Lessard, Bertrnnd de
l\Iollev i lIe et de Narbo nne. CeI11 i-ci, espri t hril-
lant mais chimérlque, conseillé par M,,,ede Staél,
la filie de Necker, espérait diriger la Hévolution
et il pensait qu'avec une guerre, qui détour-
nerait l'altention des événements inlérieurs,
1'00uvre serait plus facile , il préparai Idone active-
ment la guerra attendaut une occasíon favorable
POUI' la déclurer. Pour les préparatifs il avaít Iait
émettre 100 millions d'assignats. La guerra étaít
populaire : les uns la voulaíent dans le mérne
but que l\I. de Nnrbonne pour donner un déri-
vatíf aI'opinion ; les autres pour faire de la pro-
pagando républicaine. Au club des Jacobina,
Brissot et ses <I111is poussaient él la guerre;
Itobespierre les combattait, craignant le pouvoir
qu'une guerre heureuse donnerait au roí. Le
partí de la guerre l'empurla et Guadet fit
declarar que celui-lá était infame et lraüre a la
partie írancaise qui prendrait part a des actes
de conciliation.




148 L'ASSEM1JLEE LE(;¡SLATIVE.


Sur ces entrefaítes, le club des Feuillants, qui
prétendait Iaire contre-poids aux Jacobins et aux
Cordeliers, disparut , des désordres eurent lieu
a la suite desquels il Iut fermé; on ne pouvait
ni ne voulait proteger ses merubres. Ln méme
temps, I'ASst'111lJlée accordait les honneurs de
la séance aux soldats révoltés du régimen¡ de
Cháteauvieux , qui amnistiés revcnaíent du
bagne. Les constitutionnels protesterent contre
une ovation qui était une glorification de la
révolte a la veille de la gucrrc , ils. ínsísterent
sur ce qu'une amnistie ne devait pas se trans-
forrner ainsi en apothéose , on passa outre. Un
député de la droite, Gouvion, dont le frére, offi-
cier, avait élé assassiné par les révolLés de Nancy,
déclara qu'il serait obligé de sortir si l'on
accordait les honneurs de la séance aux assas-
sins de son frére . « Sortez », lui íut-il répondu,
Et l'ovation de '1'Assemblée fut suivie d'uue Iétc
publique organisée par les soins de la munici-
palité en l'hon neur des révoltés, C'étnit une
singuliere rnauiere de se préparer a la guerreo




CIIAPITI1E 11.


Du-i-onr'ioz ministre. - Ses colli'¡!;IH'S airondins. - 1101and
de la Platipl'r, Servan e t Clavii-r,'s. - Plan d~ Dumourlez.
- Décla¡·"tion de gllrrrc h l'Autricho - A qui iucnmbe
la re-pon-nbi lite de la ¡!;lIcrrc. - Mesures de Pétinu centre
le roi. - Liccncíemcnt de la gurde constitu riounclle du
roi , - Servan propose un camp de 20,0 O hommes sous
París. - Vote de I'Assemilúo, - Louis XVI onpose son
veto. - Il cst :'ppuyé par le Dircctolre et par une partie
dc la garde nutionule, - Retraite dc Roland, Servan et
Clavierus. - Lcttro de Roland. - Vote dc I'Assemhléc. -
- Le roi oppose son v. to h la loi contrc lvs prót res rófrac-
taires. - Retraitc de Dumouricz. - Lcttre ele La Fayette.
- Journée du 20 juin. - Róle dc Pét iou. - Les fédérés
dan. I'Assembléc. - Pétition d'Itugucuin. - Invasiou des
Tuitru-ies. - Ferrneté dc Louis XVI ct de Marie-Autoinettc.
Arrívéo tardivc de Pétion. - Su justiflcation.


Le mlnístere Narbonne avait fait place a un
ministére girondin. dont les princípaux mem-
bres étaient Dumouriez, ministre eles affaíres
étraugeres, le colonel Servan, de la guerra:
Clavieres , des coutributious : Holand de la
Platlerc, ele l'iutérieur. Cetuici avait pour
Égérie, sn femme, Mine Holaud, qui avait Iait
son élévation par son int1uence sur le partí
gircndin, auquel son salen servait de líen de




150 L'ASSEl\lBLÉE LÉGISLATIVE.


réunion. Dans tout ce ministére, il n'y avait
qu'un homme , Dumouriez : Servan n'avait
au cu ne portée polit ique , Clavieres éLait un
ñuuncler , Itoland, person nage prétentieux, rap-
pelant de loin Nccker, subissait I'iufluence
désastreuse de sa Ieuune, qni haissalt tout ce
qui était au-dessus d'elle. Dumouriez, sans opí-
niou bien arréíée, acceplait la constitutíon et
voulaít sincercmeut sauver le roi. Son plan érail
d'aller, s'il le íallait, jusqu'aux Jacobins POUI'
s'emparer d'eux et les diriger. Apeine ministre,
il se rendit Ú uue de leurs réunions , il se coiffa
du bon nct ron ge el oblint leurs applaudisse-
men ts,


L'un des premiers acles du ministere fut de
déclarer la guerra iJ I'empereur d'Aulriche.
Dumouriez 1'Ol'9a la main au roí, qui répugnait
a eeUe déclaratiou, dont il compreuait le dan-
ger, prévoyaut une guerre géuérale et peut-
étre devinant que ron s'armerait contre lui
des événemen ls heureux ou nialheureux. La
déclaration de guerre fut accueillie avec enthou-
siasme par l'Assemblée , sept dépull:s seulement
osereut voter centre. Gn a diL et répété que la
guerre éíait lnévitablc, quc la Frunce était pro-
voquée par l'Europe coaliséc. Cerlaiuülllcnt la




LIVRE JI. l51


Bévolution était vue d'un mauvais ceil, elle
multiptiait les provoca tions aux tyrans , maís de
ces mauvaises dispositions a déelarer la guerre,
iI y avait loin, Un seul prince était toutdisposé
a prcndre les armes pOUI' Louis XVI: c'était le
chevaleresque roí de Suede, Gusrave 1lI, et il
veuait de tornber sous le poignard rl'Anknrs-
troem. L'empereur d'Auu-iche, Léopold, était
par tempérament tres-moderé: iI se demandaít
si la guerre ne rendrait pas plus dangereuse la
situatiou de sa SOOUI', Marie-AntoineUe. Il est
vrai qu'il venait de mourir et de faire place a
SOIl fils Francois ; mais la politique d'attermoie-
ment coutiuuait. Le roi de Prusse avait con-
tructé nne alliauce avec I'ernpereu r d'Allema-
gne con tre la France ; mais [es deux alliés se
jalousaient mutuellement, et cette jalousie para-
Iysait leurs décisíous, L'alliance était si peu
eonsidérée eomme sérieuse, méme en France,
que la guerre ne Iut déclarée dabord qu'á
l'Autriehe; on ménageait la Prusse dans í'espé-'
rance d'obtenír sa neutralité , on révait méine
de donner le commandement de l'arrnée Iran-
caiso au plus illustre des généraux prussieus,
le duc de Bru uswick, cclui-lá memc dout le
manifeste cut un si terrible retentissement. De




152 L ASSE'lBLI~1<: LEGlSLATJVE.


tous ces íaits, on csl douc en droil de couclure
que la guerre a élé provoquée par la Législa-
tive. Du reste, les Girunrlius, alors maítres de
l'Asseuibléc , vouluieu t dcpuis longtcm ps la


. guerre, soit pour lier la cause révolutiuuuaire
a la cause natiouale, soit paree qu'ils y voyalent
un moyen de s'ussurcr le pouvoir. Un de leurs
niiuistres, Clavieres, daus une leure curieuse
réceunueut puhliée, écrivait quelques mois plus
tard il un génél'al quil falluit se rnainteuir en
élal de guerre, attcudu que c'était le seul uioyeu
de couserver la Ilépuhlique.


L'accord entre les Gil'otlditls et Dumouriez ue
pouvait lougteuips d urer; los uvucats de la
Girondc, infutués de leur éloquoucu hoursou-
flée, préteudaient étre les uiaítrcs. et Dumou-


riez n'était pas honune il accepter d't,tre Ieur
ínstrument. N'osant encere s'attaquer dírecte-
.mcnt il Iui, les Girondins s'eu prirent au roi, el
Pétiou, toujours muire de Paris, prescrivit des


, mesures lnuniliantcs pour la garde du roí.
Louis XVI se plaiguit, el l'étio n répondit par
une leure blessanto qu'il s'empressa de publier.
Cependant les mesures furent relirces, rnais
l'opinion uvait été ameutée contre le roi. Quel-
ques [ours aprés, l'Assernbléc vota, malgré les




LIVRE 11. '153


effortsde Dumouriez et sur I'initiative des Giron-
dins, le Iicenciement de la gnrde que la constí-
tution donnait au roi et qui portait le nom de
garde constitutionnelle. CeUe garde, comman-
dée par le loyal duc de Brissac, était bien com-
posée , les royalistes, soit purs, soit constítu-
tionnels, étaicnt nombreux: c'est pour cela
qu'on la licenciait, en affectant de dire qu'on
en constituerait une nouvelle. Apres quel-
ques hésitations, Louis XVI accepta le décret;
Dumouriez le pressait de reconstituer immé-
dialement une nouvelle garde , il n'en llt rien ,
et cela facilita les journées du 20 juin .et du
10 aoút.


Une crise ministérielle était inévitable: elle
éc1ata al'occasion de la proposition d'un camp
de vingt mille hommes sous Paris, faite par le
ministre de la guerre, Servan. Celui-ci, sans
prévenir Dumouriez, et apres s'étre entendu
seulement avec Roland el Claviéres , saísit
directement l'Assemblée du projet, qui fut voté
immédiatcmeut. Ce carnp, compasé de vingt
mille fédérés, répondait dans l'esprit des Giron-
dins a un double but : c'était a la fois une
garantió centre toute tentativo de réaclion roya-
liste et une súreté contre la populaCe~~l~'1l'


11. ~v
...


...


\ ?




154 L'ASSE'\IBLEE LEGISLATIVE.


-slenne, dont le ponvoir croissant inquiétait la
majori Ié de l' Assern hlée. Louis XVI opposa son
veto. 11 fut nppllyé par une partie de la garde
natlonale de Paris, qui voyaít avec ralson dans
le camp projeté une mesure de susplcíon centre
elle. Les oíflcicrs de la garde nationale présen-
térent une pétitlon revétue de huit mille signa-
tures et dernandant que le carnp ne fút pas
formé. Cela causa une vive émotion dans l'As-
semblée, et un homme hardi auraít ptl pro-
file!' de ce moment; mais Louís XVI le laissa
passer , Dumouriez lui- méme , un moment
déconcerté, laissa faire. Vergniaud obtint qu'au-
cune résolufion ne fút prise lm médiatement;
d'autres pétitions en sens coutraire arrivérent,
el le vole ne fut pas rapporté. Seulement
Dumoúriez reprocha sa conduite au ministre
Servan en termes tres-durs, Le résuItat fut la'
retraite des trois Girondins Servan, Iloland et
ülavieres, L'Assemblée declara qu' ils empor-
taient ses regrets, el Mme Boland dicta il son
mari une lettre au roi d'une excessive inso-
lence sous un masque de modération ; la lettre
fut immédiatement communiquée a l'Assem-
blée, aux clubs, aux journaux; elle eut un
grand retentissement et flt beaucoup de mal




LIVfU: n.


au roi. « Je suís convalncue, écrivait \}'nc Ilolnud,
et je erais que l'événement a dérnoutré que
cette letrre a beaucoup serví aéclairer le pays J),
et a amener la 'Ierreur don! elle fut la victlme
non innoeentc. Dumonriez paru] iI I'Assemhlée
le jour méme oú on déclarait que ses anciens
collégucs emportaient les regrets de la naliou :
ínterpetlé de toutes parts. iI üt face iI l'ornge et
fit taíre ceux qui I'attaquaieut: l'un d'eux,
Guadet, le traita de Cromwcll; c'étai t ú la
mode,


Dumouriez voulut continuer son role, qui
consistait a diriger la Hévolution par les jaeo-
bins , mais eeux-ei étaient furieux du refus du
roí de sanetionner le déeret pour ce camp de
víngt millehommes, dout ils espéraient bien se
rendre les uiattres. Sur linsístance du ministre,
Louis XVI céda et sauctlonna le décret: il com-
prenait bien qu'il se metlait a la discrétion de
l'armée révol utionnaire, mais eclte eonsidéra-
tion ne pouvalt l'arréter. Seulement il y avaít
un autre décret portant des peines contre
les prétres réfraclaires, c'est-a-dire ñdéles a
l'Église. Sur ce point, Louis XVI fui inflexible;
sa conscienee était en jeu. Vainement Dumou-
riez, gui ne croyait a rien, el Barnave, qui




156 L'ASSEIIIBLÉE LÉGISLATIVE.


était protestaut, iusistórent-ils aupres du roí;
on dit que Dumouriez se mit méme a genoux
devant luí: Louis XVI persista. Des lors, ne
pouvant poursuivre son plan el se considérant
comme inutile, Durnouriez douna Sil démission
el alla prendrc un commandcmcnt Ú l'armée
du Nord. Un ministere formé d'hommes sans
notoríété et sans inf1uence le remplaca dans
les circonstances les plus critiques.


Le décret centre les prétres réfraclaires avait
été voté a la suite de la missiou qlle Gcnsonné
el Gallois avaient remplio dans l'ouest, oú la
constítutiou cívile du clergé soulevait de graves
désordres. Les deux députés, qui u'étaient
pas suspects, concluaient il la tolérance , ils
disaient que les populatious ele l'ouest n'étaient
pus hostiles á la Itévolution, si elle voulait leur
laisser leurs (, bons prétres n , Ces conclusions
íurent combattues avec une grande violence
par Fauchet, évéque constitutionnel du Calva-
dos; il déclara que, pour lui, les insermentés
étaient pires que des atliécs, et il fit miroiter
devant les yeux de l'Assemblée l'écouomie qu'on
réaliserait en supprimant les rentes attribuées
aux prétres réfractaires. Fauchet l'emporta, les
prétres insermentés, sans étre immédiatement




LIYRE rr. 157


proscríts, fureut livrés ú la discrétion des mu-
nicipalités el des directoires, auxquels on recom-
maudait I'ér ergie. rebelles ala loi, ils n'avaient
ras droit nllX: garanües constitutionnelles et ils
élaient déclnrés suspects. On cornprend ~que le


,(


roi, qui dé ú se reprochait la faiblesse qu'il
avait conun se en sanctiounant la constitutlon
cívíle du clergé, ne pouvait acceptcr ces me-
sures de prrsécution , d'autaut plus odieuses
qu'elles autorisuíent les vexatíons les plus arhi-
traires.


Le jour méme ou Dumouriez quittait le mi-
nístere, l'Assernblée rcccvait une lcttre de La
Fayette , celui-cí dénoncait les violations conti-
nuelles de la constitution , accusait les jacobins
de n'étre qu'un e (( íaction » conduite par des
chefs remuants et voulant s'Imposer au peuple ,
il maltraitalt fort les ministres girondi ns el
méme Dumouriez qu'il n'aimait pas et dont il
ígnoraít encere la retraitc, et tcrminait en de-
rnandant le retour au décret du 29 septembre.
Quoique bien diminué, le prestige de La Fayette
était encoré grand. Les Girondins sentírent
vivement le coup; ils essayerent de le parer en
esprimant des doutes sur I'authenticité de la
lettre , le rnoyen était maladroit. 11 se raviserent




158 L'ASSEr.lBLÉE LÉGISLATLVE.


et se plaignirent de ce qu'un général osait écrire
une lettre oommiuatolre pour I'Assemblée. La
droíte soutint La Fayeíte rlont elle avait applaudi
la lettre, et parut triompher ce jour-lá. Mais
c'étalt-un tríomphe sans Iendemain.


Les Girondins voulaíent revenir au pouvoír,
et ils étaíent decides ¡'¡ ne reculer devant aucun
moyen. Par Pétion , i1s étaient mattres de París:
ils allaient en user. Déjil ils cornmencaient a
parler de république, non qu'ils fussent répu-
blicalns, mais paree qu'ils se croyaieut assurés
du pouvoír avec la république. Des concilia-
bules se tenaient entre Ghondins el [acobins:
l'approche de l'anníversaire du Jeu de Paume,
la nouvelle des déroutes par lesqucllcs avait
débuté la campagne, fournissaicnt une occasíon
favorable pour soulever la populace, déja irritée
par le refus du roi de sanctionner le décret
centre les prétres réfractaires. Le 19 juin, l'As-
semblée recut, malgré l'opposition de la droíte,
une députation de Marseillais: l'orateur parla de
la colere du peuple préte adéborder, des conspi-
rateurs qu'il fall lit punir. La gauche fit voter
séance tenante les honneurs de la séance pour
cette députatíon: nombre de députés votérent
par peur. Le méme jour une réunion avait líen




LIVRB 11. 15ll


chez Santerre , Legendre, un des hommes de
Dantcu, y assistaít. OlJ décidait d'aller le len-
demain, anniversaire du serment du Jeu de
Paurne, plantel' un arhre de liberté dans le
jardin des Tuileries, Huit mille gardes nationaux
devaient déposer une pétition demandant le
re tour des trois ministres girondins et l'accep-
tation du décret contra les prétres, Santerre
rassnrait les timldes en leur disant qu'il élait
d'accord avee Pétion et avec Danton, et que la
garde nationale ne bougeraít pas. Le directoire
du département, encore constitutionnel, élait
préven u; il voulut prendre des mesures el forca
Pétion il signer des ordres POUl' la garde natío-
nale , mais le mairc révoqua ces ordres des
qu'il Iut libre. De son coté, Vcrgnlaud endormait
l'Assemblée , quelques députés signalaient ce qui
se passait el demanclaient des précautions; Ver-
guiaud persuada al'Assemblée qu'elle ne devait
pas empíéter sur les attributions du directoire,
qui était seul chargé du maintíen de l'erdre ,
d'ailleurs ¡¡ garantit la tranquíllíté et rappela
qu'on pouvait avoir eonñance dans le verlueux
Pétion. Aux Tuileries, la eour, préven ue, s'at-
tendait a tous les malheurs, Depuis le licencie-
ment de la garde oonstitutionnelle qu'on n'avait




lOO L'ASSEMBLÉE LÉGISLATlVE.


pas remplacée , le roi était sans nutre défense
que la garde nationale, mal disposée et mal
oornmandée. Le 19 au soir, il disait a ~1;¡les­
herhes : (1 Qui saít si je verrai coucher le soleil
de demain ? »


Des le point du jour, le 20[uin, des milliers
d'hornmes armés descendalent du faubourg
Saint-Antolue , Santerre les a rassurés en leur
garantissant que la garclenationale ne les gene-
rait pas , Pétion l'a promis, Celte tourbe, oú se
trouvaient tous les émcutlers, était divisée en
trois corps dirigés par Santerre, Saint- Huruges
et Théroigne de Méricourt, eelle-ei a che val sur
un canon. Un des corps demanda a défiler de-
vant l'Assemblée. Le procureur-syudic de la
commune, Hcederer, qu! déja la veille avait pré-
venu Vergniaud, insista pour qu'on refusát , si
I'on cédait, personne ne serait plus mattre de
cette multítude , tout essai de résístance serait
inutile. Vergniaud fit décider que la fonle défi-
Ieraít : quelques députés de droile dema udércnt
qu'au moins on la fit défiler désarmée. 11 était
trop tard : des hommes et des femrnes armes
étaicnt déjá dans la salle. Le défilé dura trois
heures, arrété parfois par les danses des Iennues
au milieu de I'Assemblée. Une pétition tres-vio-




LIVHE n, 161


lente Iut Iue par Huguenin : elle demandait que
le pouvoir cxécutif Iút anénnli s'il osait résíster
a la natiou . elle parlait de la cruelle nécessité
de trcmper sa main dans le sang des conspi-
rateurs.


Le ddlle flni, 1<1 foule se parla, [lar un détour,
sur le JHI lais des Tui leries , elle amenai t des
canons pour Iorccr les portes. La gurdo natío-
nale élait iusufflsaute el n'avait pas d'ordrc.
Apres quclqucs tentativos de négocíatiou pour
«lnenlr qu'uuc vingtaiuo de rlélegués entrassent
soul», la porte fuL Iorcée, ct la foule cnvahit les
«scalicrs , un canon ctait tratué pour forcer les
m;tI'CS portes au Iiesoi u. Cefu ti uu tile , Louis XVI
douua lui-lIIl'IIIC l'onlre d'o uvrir et se trouva
en présenco de la foule, Ú laquelle son attitude
pleine de cauuo cn imposa. Le roi se reudit
daus le salou de l'Oísil-dc-Ikcuf', el la multitude
Mfila dcvant luí. 11 J uvait autour de lui le
vicux uiaréchu! de Mouclly, ~BI. d'Hervilly, de
Hougaiuvitle, Aclocque, counuandaut du batail-
IUIl de Saint-slarccau, et quclques greundiers
du liataillou des }>'illes-Sainl-TlloJJ1as. 11 dut
coiffur le honuct rouge el accepter un verre de
viu , uinis son c.rlmo ne se dcmeuüt pas A un
garde natioual qui lu i disait dc ne pas s'cffravor.




162 L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE,


il prit la main et la mil sur son cceur, en luí
disant: « Voyez s'il ha! plus vite que d'habl-
lude. » Le boucher Legendre , l'homme de
Danton, lut une pctítion íusulente. En mérne
temps, la reine se trouvaít dans une autre píece,
et assístait elle aussi au délllé. Elle avait avec
elle ses deux enfanrs: on avait coitTé le dauphin
d'un bonnet rouge sous lequel il étouflait. Une
simple table la séparaít de I~ multitude, et
quelques hommes de cceur s'étníent placés au-
pres d'elle ponr la protégcr. Ce fut inutile ,
tout se borna a quelques grossiéretés. ~Jadall1e
Elisabeth, rencontrée seule da liS une salle
quand elle allait rejoindre son frére, faíllit étre
assassinée par des furieux qui la preuaieut pour
la reine. « Pourquoi les détromper? » dit-elle a
la personne qui leur avait signalé leur erreur :
I'angélique princesse aurait accepté la mort
poursauver sa belle-sreur.


Ce fut Santerre qui vint délivrer la reine et
ses enfants; les commissaires de la législative
narriverent que plus tard, Vergniaud harangua
vainement la Ioule , elle ne conuneuca á se
retirer que lorsque Pétion parut, a six heures
du soir, et encere la rctrnite ne fut-elle déflni-
tive que sur une nouvelle inu-rvention de San-




LIVHE JI. 163


terreo Pétion, dont le role avait été si mépri-
sable, prélendit faire son apologie. Mal écouté
par le roi, il puhlia le lenclemain une procla-
matíon dans laquelle iI rendait hommage a sa
vertu , iI déclarait que toute autre conduite
aurait presenté des dangers graves. tandis qu'on


,n'avait pas eu a regretter une seule mort. Per-
sonne n'étaít .mort, en eITet; mais, comme le
dit Rmderer, le prestige royal était tué , le
peuple s'était assis sur le tróne, et la royauté
était finie.




eRA PITRE 111.


Itéaction arres lo ~o juiu, - Itevuo de la gardc nationalc.
- Prote-tarinns d s directoires des départemeuts, - La
Fayette vient it Paris, - Les Girondius se rapprochent des
[acobins. - Perfldc atraque de Vcrgniuud conrre le roL'
- L'ubhé Larnourette. - Pétion suspcudu par le roi et
maíntenu par l'Assemhlée. - Feto de la Fédél'ation.-
Dernierc tentativo de La Faycttc. - Propnsition de dé-
chéance. - Tentativo de Condorcct pour reúdre lo pouvoir
aux Girondius. - Voto do la déchcanc« par les sccrious.
- Al'l'ivéo des Marscillais et des Brcstois. - Hejet do la
miso en accusation do La Fayettc . - Prépar.uifs du
10 aoút. - Forces dont disposaít lo roi, - Ilólc de Pé-
tiou. - Nouvcuu conscil de C0ll1ll1l111e. - Assassi nat de
lIIandat. - l\1atinéc du 20 aoút. - Arrivé« des iusurgés,
- Hrederrr décide le roí a se rerírcr a l'Asse.uhlée. -
Attaque des Tuileries.- Massacrcs et piJJagc.- LouisXVI
dans la logc du logographe, - SlIsl'ension provisoire de
la royauté. - La famille royalc au Temple.


Comme cela arrive souvent, les exces du
20 juin provoquerent une réacLion; des pro-
testatíons surgírent de toutes parís. Le direc-
toire accusa formellement Pélion, en mérne
temps que Bigot ele Préaureneu íaisait voler par
I'Assemhlée un décret interdisant l'entrée de
groupes armés. Pétion , qui payait d'audace,
vint aux Tuileries eta l'Assernblée le 21 juin an




LTVHF JI. 165


soir, il n'eut aucun succes ni d'un coté ni de
I'autre , le roí ne dalgna pas faire attention a
ses explícatíons cmbarrassées, et le hataillon
des Pilles-Saint-Tbomns qui, royaliste, s'étaít
massé dans le j.rrdin des Tuileries par précau-
tion , l'accueitli t par des huees. Le certueu» Pé-
tion adressa au peuple une proclaruation nou-
velle, dans laquelle ji l'invitait ¡) rester sage el
a éviter les piéges qui 1ui seraient tendus. Le
roi passa une revue de la gnrde nationale par
laquel1e il fut tres-acclarné , on l'invita Ú revétir
le costume de garele national; il s'y reíusa par
scrupule coustitutíonnel et par suite ele la
tendance dc son caractére. C'étai] une [ante.
Soixan te-douze el irectoires ele départemen t pro-
testerent: quelques-uns avec une grande éner-
gíe: beaucoup de villes les imíterent. D'autre
part, les révolutíonnaires mnltipliaient les
adresses, et une péti tion du Iaubourg Sain t-
Antaine demandait que le roi fúl frappé du
glaive de la loi. Entre ces pétitions contradic-
tolres, I'Assemblée ne sut pas prendre un partí.
elle se borna ¡'¡ des díscussions tres-violentes.


Le zg juiu, La Fayettc arriva de l'armée du
Nord au momenl al! on ue lauendait pas et
parut ú la barre de I'Asscmblée. JI s'éleva avec




loO • L'A SSE 11BU: E LÉ GISLA TIVIi:.


vívacité contre les fauteurs de désordres: mais
il manqua de fermeíé dans la conclusion, se
bornant a dire qu'il « osait supplier » l'Assern-
blée de veiller au respect de la constitution et
de punir les coupables, quels qu'ils fussent, Il
n'obtint que les honneurs de la séauce, accordés
aux derniers pétition naires, et le renvoi de sa
pétition a une commission de douze mernbres
qui venait d'étre créée pour réprimer les pro-
jets centre la constitution. La Fayette se rendit
ensuite aux Tuileries, oú il fut recu par !\Ia-
dame ÉJjsalJelh. Il aurait proposé ele nouveaux
plans que la méfla nce de la cour aurait fait
échouer. II avait convoqué la garde nationale
pour une revue que Pélion contramanda, et ne
se sentant pas appuyé par les roya listes, il n'osa
passer cutre, et il partit, laissant il l'Assemblée
une lettre inutile. Cetle tardive démarche fut
plus nuisible qu'utile. 00 11 rlit que, sans l'op-
position de la reine et l'hésltatíon du roi, La
Fayette aurait agi et qu'il aurait réussl. Ce
ri'était gil ere un homme d'acríon cependant, et
il hésitait toujours. De plus, son prestíge élait-il
suffisant ponr soulever encere la garde natío-
nale el triornphcr des nouveaux hataillons que I
Pétion mil "mM La Fayette était 1''''; ,le I




L I V111i 11. 16í


30 juin ~ le 2 juillet, létat-mnjor de la garde
natioualc titniL supprimé ¡'¡ Paris et dans les
grandes villes; l'Assetnblée enlevaiL ectte der-
niere garautie ú la tranquillité publique et ache-
vait la désorganisation de la garde nationale.
Cette suppressiou fut voLée sur l'initiative de
Brissot et d'Isuard. Les Giroudins n'avaíent pas
pu reprendre le pouvoir le 20 juin comme ils
l'espéraient; ils se rapprochaient des jacobins.
Dans la discussion , Isuard, dont la violen ce
r;tait excessive. traita La Fayette de (( soldat
facticux ».


Le lcndemain, 3juiIJet, Vergniaud, le meiIJeur
orateur de la Gironde , lanca contre Louis X\l
un réqllisitoire d'une perfide hahileté, Ceréqui-
sitoire aurait dü avoir nour conclusion logique,
sinon la mise en jugerneut, au moins la dé-
chéance, mais I'orateur girondin ne conclut
pas . ji avail soulevé les haines, cela luí suñlsait
pour Je moment. C'est dans la lougue díscus-
siou que provoque ce díscours qu'eut Iieu
l'Incidcnt COIJllU sous le nom de baiser La-
mourette. Ce Larnourette était l'évéque consti-
tuti., ... nel de IIhüne-el-Loil'e; il fit appel a
l'uuion de íous les Francais el réussit SI nieu
que les députés rles camps les plus opposes




'1ÜX L'ASSEMBLf:E LIC1;JSI.ATIVI;.


tomberent dans les bras l'un dt~ laurre. Cette
patriotlquc réconcilialion Iut nunoncéo aux
départerneuts, aux villes el au pouxoir CH\l'l1lif.
Le roí vint á l'ássumblée : « La nulinn el 1I01lS,
dit-il aux députés, ne Iaisons qu'un . I'un PI rallo
tre ont le mérne but : leur réunion snuvera l:l
France, » La réunion ne devait pas étre de plus
longue durée que la réeoneiliation des me: ,-
bres de l'Assemblée dans le baiscr Lamourette.


Le dírectoiro de Pnris avait continué son
examen de la conduite de Pélion. Ayant acquis
la prcuve de la complicité du malro avec le
mouvemeut du 20 juin, il le suspnnrlit. Le roi
sanctionna le déeret de suspension , .mais l'As-
semblée maíntínt le maire, mnlgré le direc-
toire et malgré le roi. Quelques jours aprcs,
Pétion triomphait a la féte de la [édération.
Les fédérés étaient arrivés des divers points de
la France : les Marseillais se rendirent á l'As-
semblée et dernanderent la déchéancc au nom
de la ville de Marseille : la pétition fut écartéc,
et le muire de Marseille, Martin , qui était dé-
puté, protesta; mais les pélitionnaires n'en
furent pas moins adrnis aux honneurs de la
séanee. La Ié.iération du '14 juillet 1792 11t pen
d'impressiou , ron comruencait ¡) se 111;¡sf1l' sur




LIVRE IJ. 169


les fl"tes de ecuo nature. Le roi y assistait arce
la reiue , il rscuoillit quciques maigrcs cris de
vive le rui. presque aussitót couverts par le cri
de vive Pctlou : il Y eut múme quelques cris
de vire Pélion ou la 1110(1.


La Fayette, dont on dcm<lnd<lit la mise en
accusation, lit une derniero íentative nuprés du
roi : Duport et Lally-Tnlenrlal f'u rent chargés de
soumettre á Louis XVI un plan analogue a
celui de Boulllé que jadis avait repoussé La
Fayette lui-mérne. 1\ s'agissait pour le roi de
se J elirer a Compiégne sous la protection des
troupes, de casser ce qu'avait fait la Lt:gislative
el de réunir une nouvclle assernhlée. Le roí
refusa, soit qu'Il ne voulút pas se conüer a La
Fayette, s.iit plutót qn' i1 ne crút pas á la réussi le
de ce plan. C'était en effet bien tard, el la situa-
tion avait empiré depnis I'époque oú le marquis
de Bouillé proposaít un plan de cene nature.


. Dn reste, Louis XVI n'avait plus d'illusious, et
il écrivait á. son confesseur: (( J'ai fini avec
les hommes , je dois me tourner vers Dieu. »
CeUe convietion explique l'iuaction absoluo du
roí du 20 juin an 10 aoút : iI prévoyait et atten-
dait la captivité, jugeant la lurte impossible.
Son courage passif', augrneuté par sa foi, tui


'lO




1711 L'ASSEI\IIlLI':E Ll'éGISLATIVJ;;.


faisait accepter cetro pénihl« situatiou. C'ost ce
que n'ont pas compris ceríuins historiens,
memo bien intentionnés, qui cherchent á cette
innelion les molifs les plus invraisemblahles.


Si, du resle , le roi avní: conservé des illu-
sions, elles auraient été liientót dissipécs, Déjá
les fédérés marseillais avaient demandé la clé-
chéauce . le 23, le député Choudleu reneuvelle
la proposition , mais les Girond ins, qui d'abord
nvaient parn disposés ,', la déchénnce, chan-
gerent d'atlitude. Espéraient-ils oblenir Ir pou-
voir snns cela? Craignníent-i!s d'(~ll'e débordés
par los jncqhius el les cordelicrs, plus pnissants
qu'eux it Pnris? Ils nuppuyúrcut pas Choudicu,
et le 26. írois jours apres, Condnrcet íaisait voier
tille adrcssc qui invitait le roí Ú prendr« des
ministres ayaut la conflancc de l'Assemhlé« r.l
de la naíion , c'est-a-dire it rcprendre Itolnu«.
Clnvieres el Servan. De plus, Gensonné, Ver-
gniaud et Guadet íaisnient auprés du roi une
démurche directo: le peintre de Bozeétait chargé
par eux de luí remettre une lettre dnns luquelle
ils I'engageaienl ú s'appuyer sur eux, et protes-
-taíent de Icur dévoncment ¡'¡ la royauté. Cepen-
dant Pétion continuait ú préter son concours
üdes complots d~;stin¡ls ;) romp!r-ler la manifes-




LIVHE ,1. 17'1


tation du 20 juiu. Le 26 juillct au soír une
nouvelle tcutntive avait été préparée pour le
Ieudernain, lorsqu'il la contremanela. Étalt-ce
pour no pas aller a l'enconlre des projets ele
Verguiaud, Gensonné et Gnac1et? Etait-ce par
crainte eI'un échec, el le iuuire jngeaít-il pru-
elent d'allendre l'arrívée annoncée des Mar-
seillais ? Ou enfin, Pétion agíssaít-íí un peu
pour son campte? 11 ne serait pas impossible
que les Cirondins, désíreux avant tout du POLI-
voir, le poursuivissent en meme temps par
des déuiarchcs aupres clu roi el par I'éuieute.


Les deuiandes de déchéance se multipliaient, ~
el le ::!8 juillet, des 1,8 seclians de París, [11 ,o


¡ I'í~


se pronoucaieut pour la déchéauce, (lllelque~-~
unes, comilla celle de Mauconseil, avec une \¡rl'~
lencoexccssive. L'Assemblée avait en la faiblesse ~~4
de déclnrer les seclions eu pennanence, ce quí
Ieur donnaít une c1angereuse autorité, Le 30,
arrivaicnt les Marseillais coneluils par Barba-
roux, un sot bellátre, et par Itébecqui, un arn-
uistié déjú gravemenl coiupromís dans des
jouruées révolutíonnaires. Leurs premíers pas
dans París Iureut marqués par eles rixes OÚ le
sang coula , ils Iurent bieutót suivis par les
Brestois : les uns el les autres ujoutereut leur




112 L'ASSE~lBLÉE L(,GISLATIVE.


pétition de déchéauce a celles des sectinns, et
le 3 aoüt Pétion se chargeait de lire ces pétitions
a l'Assemblée. Mais les Girondins avaicut peur,
el si les hon neurs de la séallcc furont accnrdés
lIUX ~Ial'srillais, leur pélilioll fut ecartée . celle
de la sectiou Mauconseil Iut cassce, mais Pélinn
se refusa atransmettre le tlécre! de l'Assernblée.
Le 8 cut' lieu une discussion tres-violeute sur
la mise en accusation de La Fayell('; malgré
l'acharncment de ses adversaires, le grnéral
cut une trésforte majorité. ~06 voix centre 2~~.
Ce chilTre de 406 montre de quelle majorité
aurait disposé le partí constilutionnel sans la
pression des trihuues. Dans la séance du 9 aoút,
nouvelles víolences daus la discussion , des
députés de la droite fureut maltraítés par des
révolulionnaires. Dan, la soirée, Bcederer vint
prevenir la Chambre du mouvernent qui se
préparait publiquement pour le lendemain.
L'Assemblée ne voulut prendre aucune pré-
caution,


Depuis le 20 juin, les meneurs du parti ré-
volutionnaire n'avaícnt cessé de préparer un
nouveau mouvemeut : un plan datruque avait
été \onguement élaboré par ti n oíñcler alleuiaud,
Westermann; ulusieurs íois, I'exécution en




LIVIIE 11.


avait été remise : elle rut üxée au 10 aoút: les
menenrs voulurent proüter (le l'cxcitation pro-
duile par le rnaladroit manifeste du duc ele
Brunswick el par la déclamtiou eles princes
émigrés. La disünction entre le peuple révolté
et le roi captíf était soignensemcn t exploitée
centre le roí.


Le commandant des Tuileries, le 9 aoút, était
un cununandant de la garde natlcuale, militalro
expérhuonté el loyal, Mandat de Orancey ¡
il avait pris ses mesures pour une sérieuse
défeuse , il disposait des Suisses, au nom bre
de 900; 300 étaieut cn Normaudie : de 500 gen-
tllslrommes dévoués, mais mal armés : de deux
hataillous súrs de la garde uatiouale, les Pilles-
Saint-Thomas el la Butle-des-Jloulins : d'autres
bataillons doutcux , de la gelldal'tllcl'ie, égale-
ment douleüse, et cuflu de quelques ceutaiues
d'artilleurs de la g-arde natiouale, tres-mal dis-
poses. 11 avait placé ses 11'OUpeS de maniere a
couüer la défense de l'intérieur du chá.eau a
celles donl il était SUI', Le 9, dans la soirée, iL
fit venir Pétion, qui n'osa pas résister j il en
ohtint I'ordre de repousser la force par la force.
Cet ordre était ¡) peine don né que le .maire
aurait voulu le retirar, IIlais :Haudat Ir gnulnit,


ro.




174 VA SSEMBLÉE J~ÉGISLATIVE.


el Pélion s'esquiva, se rendit a l'ASsemblée et
de la chez lui,. OlL iI se fit consigne!' et gardcr
aVil') par un délachement qu'envoyail le nou-
veau conseil de cornmune. PéLion prenait ses
précautions comme au 20 [uin. 1\ raconte luí-
méme, dans ses JIémoires, que ce fut tui qui bata
l'envoi du détachement destiné a le garder.
L'anclen dírectoire, dévoué ú la constltutlon, Iut
chassé de l'Hótcl de Vllle: un conseil de com-
mune se forma, qui comptait les révolutíon-
naires les plus avances. L'un des premíers
actes de ce conseil fut d'inviter Mandat a venir
a l'Hótel de Ville : celuí-ci hésitait, mais Rcede-
rer, qui ignorait le changement survenu, le
décida. Le conseil se proposaít un double but :
retirer l'ordre de Pétion el désorganiser la
défense des Tuileries en la privan 1 de son chef;
Mandat ayant refusé de livrer l'ordre et de pro-
mettre qu'il ne se défendrait pas, fut d'abord
retenu prisonnier dans une chambre, puis
assassiné. C'était une perle irreparable.


La nuit fut triste aux Tuileries; personne ne
se coucha: Rcederer resta auprés de la famille
royale. Dans la matinée, Louis XVI passa, en .
babit de sole, la revue des troupes. Les Suisses
étaient décidés: les bataillons dps Fille~·Saint-




LIVRE JI. 175


Thomas et de la Butte-des-Iloulins aussi : les
autres hésitaient, el les canonniers déolaraicnt
qu'Ils ne tircraient pas sur leurs fréres . ils
ñrcnt méure cntendre quclques cris de : A has
le veto. De plus, ni le costume, ni l'altitude du
roi n'étaíeut fails pour encourager , il fallait un
soldat, et Louís XVI n'avait que le courage
passif; il étaít toujours préoccupé de l'idée
d'évíter toutc cffusion de sango Dans ces con-
dilions, la lulle était irnpossible.


Les direcleurs du mouvement, rassurés par
l'assassinat de Mandar. avaient tracé leur plan
en conséquence : Westennann et Santerre com-
mandaíent la princípnle colonne, dont les
Marseillaisformaient l'avant-garde.lIs se mirent
en marche a 7 heures du matin , non snns hésí-
tatíon. el Westermann dut forcer Santerre a
marcher. Chemin faisant, une patroullle roya-
liste fut cernée el perdit six homrnes parmí
lesquels le jeune journaliste Suleau, froidement
assassiné par 'fhéroigne de Méricourt. Les tetes
de ces malheureux turent portées au bout des
piques,


L'atlaque était imminente, lorsque Rcederer,
qui n'avaít pas cessé ses instances auprés de
Louis XVI pour le décider a éviter toute lutte




1~6 L'ASSElHBLEE LEGISLATIVE.


et a se retirer au sein de l'Assernhlée, réussit ,
sans oser garantir au roí la vie snuve, ji luí
montrait cette décision comme une derniero
chanca ele salut, Ln fnmille royale se renelit a
l'Assemblée, accueillie sur sa route par des
insultes, el laissant en présence les assaillants
et ses défenseurs abandonués a eux-mémes.
Ceux-ci n'avaient aucun ordre , les Suisses se
replierent dans le palais , penrlant que les
gardes nationaux se rstiraicnt ou se rangeaient
avec les assaillants . les Suisses songcuicnt si
peu ase défendre qu'i ls jelaient leurs cartouches
a la foule , milis lorsque les portes eurent été
enfon cées, ils viren l inassacrer Icurs cauiarades.
réduits au désespoir, ils tirent Ieu el une dé-
charge suffít pour mettre les émeutiers en
déroute. S'ils avaient été plus nomhreux et
qu'ils eusscnt proflté ele leurs succes, ils seraient
restés mattres du terrain. Mais leur pelit noui-
bre ne leur permettait pas de tirer partí de leur
victoire, et ils recurent du roi l'ordre de cesser
toute déíense. lis durcnt se retirer ele nouveau
dans le palais ; les vaillants i\lal'seillais reprircnt
courage : les portes du palais Iurent enloncées
a coups ele canon, et il se passa d'elfroyailles
scenes de carnage et de pillagc . sauf quelques




LJVRE JI. 111


femmes, tout fut lachement massacré. Apres
Ieur Iacile victoire, les vainqueurs du 10 aoút
ponrsu ivi ren t partou tles partlsan s de la roya uté;
nombre de prrsonnes furcn] tuées, parrn! les-
qnelles jl. de OlermontI'onnerre, uu des gen-
ti/-;/JOIIIIIJC'S qUÍ cvnient acclnnie la révolution
á ses déhuís


JJ faut revenir fl Louis XVI et a sa famille.
En urrivan Lil I'Assemblée, 1I0n sans diffieulté,
le roi fu! I'e\~u par le président Vergniaud.
Louis XVI lui dit qu'il était venu pour éviter un
granel crirne. « Sire, lui répondit Vergniaud,
vous pouvez compter sur I'Assemblée. » Et en
exécutio n de cette prornesse, invoquant un article
du reglemellt qui ne permettait pas de délibérer
devant le roi, on relégua la famille royale dans
la petite loge du Iogographe oú elle étouffait,
en mornent les députés purent crnindre que
les vainqueurs n'envahlssent la salle des séances,
comme ils avaíent envahi les Tuileries ; I'effroi
fut granel, mais 00 parvint ú íairc respecter
le sanctuaire ele la représentation nationale ,
seulemeut on dut suhir les ordres de I'émente
triomphaute. 223 dépulés - la plupart des
constltutíonnels, al! nombre de /100 enviren,
étaient absents - prouoncerent la suspensíon




178 L'ASSEMBLÉE LÉGISL ATIVE.


provisoire du pOUVOi1' exécntif, laissant á la
conventiou qu'on allait élire le soin ele preudre
une résolution déflnitive : ils décidérent qu'un
gouverneur serait donné ¿1Il dauphin el ce
gouverneur fui Condorcet. Les Ciroudins se
deruandérent sans doute si la royauté ne serait
pas maintenue inalgré le íriomphe do la Révo-
lulion, el par précaution lis placaient un eles
leurs aupres du jeune prince.


La famille royale resta troís jours aux Feuil-
lants 011 dans la loge du Iogographe , on
avait décidé d'ahord qu'on luí clunnerait le
Luxembourg pour résidence , maís les événe-
ments rnarchaient, il fallait au roi , non un
palais, mais une prison, el le 13, Pétion con-
eluisit Louis XVI et sa famille au Temple.




CIJAPITHE IV.


Ll'S G' rOIHlil1S rcprcnnent le pouvoir. - Dauton. ministre de
la ju-tice. - La Cnmruune. - Destruction d"e' bustes do


'Dail1y el, lk La Fuyctu-, - Hé,istallce dos départemenrs au
2:) arú r., - J\olalld f'alt casser les arrérés des direcoires,
- Prnjet de Lit Favette.... Il passe a I'étranger et est fait
jnisounicr par II's Autrichicns, - Mesures de la Com-
lllUIlO. - Ilnhnspierre et Marat. - Pótion conservé comme
muir». - L'ii electorale. - L'Asscmhléo essaye de réagir
centre la Connuune. - Créution des tribunuux populuírcs.
- L'Assemblée refuso de se dissoudre.


Les Girondins proílterent de la révolution du
10 aoút pour reprcndre le pouvoír , les troís
ministres renvoyés par Louis XVI, Roland,
Servan el Clavieres, revínrent rnais ils n'étaient
pas seuls. La Gironde avaít laissé faire le
10 aoüt plutót qu'elle ne l'avait fait elle étaít
complice, mais non auteur principal. les me-
neurs, les jacobina el les cordeliers, n'étaient
pas hommes Ú perdre les fruits deleur vicfoire.
Avec les trois ministres qui revenaient, Danton
entra au miuistere , il prit le portefeuillc de la
jnstíce : c'~'ait un maítre que )'pr,tw;¡ipnt lá les




180 L'ASSE~IBLEE LÉGISL,\TlYE.


ministres girondins, et un mattro moins corn-
mode que Dutnouriez, el d'autant plus exigcant
qu'il se senlait appllyé par la Couunuue, Le
direetoire avait disparn daus la lourmeute et
avait fuit place Ú HIIC cornmune révolutionnairo
qni s'était nomméc elle-rnéme. Elle entendait
bien agir en toute indépendance el se souciait
pea de l'Assernhlée , elle prenait rl'iunom-
brables arrétés, paríois jusqu'a deux cents par
jour , un de ces arrétés prescrivait de briser
les bustes ele Bailly et de La Fayette. En
méme temps, elle se mettaít en conununlca-
Lion avee les directoíres on les municipalités
des départemen Is. C'étn it une usurpa Iion fla-
grante que I' Assemblée était incapable d'em-
pechero


Le 10 aoút fut assez mal acceplé par les
départernents et par l'arrnée: les diréctoires des
déparLements, dans leurs adhésious, flrent des
réserves significatives. Roland. ministre de
l'intérieur, pour couper court ¡'¡ ces blámes qui
se 1!luItipliaient, et pour soumettre les dépar-
temeuts, 11t casser quelques délibérations OÚ
les' reserves étaient trés-accentuées. Cela lui
réussil, mais plus tard, lorsque les Girondins
vaiucus furent proscríts par les [acobius, les




r.1VRE 11. - 181


traditions de Ilolaud scrvircnt conlre fui; il
alilil Iait anuulcr les protcstutious contre la
révoiuliou du -lO aoút, on Ilt anuuler les pro-
tcstations contre la proscription d'uu cerlain
nombre dll députés: il suhit la loi qu'il avait
faite. Aus armécs, La Fayettc , que suivaít
Lücknor, voulut résistcr: [lit contrnire, Dumou-
riez, tres-mal avcc le premier , accueillit la ré-
volution avec cmpresseuicut , ct par son
excm p!e, cntrntua lJil'I\(les hésitnnts. [I,a F,lyelte
arait la pcusce di) s'apl)llyel' sur les dircctoires
des départcmcuts pour Iaire une conlrc-révo-
Iution , le direcíoire des Ardeuues entra pldne-
mcut daus ses vncs: d'aulrcs dircctoires se
inontraicnt disposés ú Iaire de méme , mais le
directoire de I'Aisne découcerta tous les plans
en mettant iI prix la lele du géuéral, Celui-ci
qui, nvec sen caractére hésita nt, élait peu dís-
posé au rule qu'il voulait jouer. cornprit qu'il
était pordu, elle 10 aoüt il franchissait la fron-
tiere avcc une partie de son état-rnajor , il
n'avait pas l'autorité qu'il fallait pour entraincr
une arméc. Son désir (ilaiL de gngner la Hol-
laude, mais il toruba duns les uiains des Auui-
chieus qui l'cuícnucrcut dans une citadel!e :
son rule était ilni. Le vieux Lückrier sans


L




lH2 L'ASSnl BL É E LÉG TSL \ TI VE.


méme attendre son départ, s'était bassement
humillé devant les cornmissaires de l' Assemlilée
et avait Iait montre d'un enthousiasme qui ne
lui epargna pas l'échafaud. De cette époque
date I'envoi ¡lUX armées de couunissalres de
I'Assemblée , les premiers avaient surtout pour
but de fuire acceptcr la révolutiou du 10 aoüt,
lis ne tarderent pas a s'immlscer dans les opé-
rations militaires, et les apnlogistes de la llévo-
lution en out profíté pour attribuer a leur
itupulsion des suecas que bien souvent ils ont
arnoi ndris el méme comprom is.


1,'1 résistance était dornptée , la révolution
étuit ncceptéc, eL París irnposalt sa volonté ¡\ la
Franco .mais, pour élre mattresse, l'Assernblée
avat besoin de soumettre Parls oú elle se I1'0u-
vait en luue presque ouverte avec la Comrnu ne.
Celle-ci continuait ti agir en souveraine : elle
suppri mait les journaux roynli-tes et don nalt
len I"S presses aux [ournalistes jacobina, elle
faisnit íermer les parles de Paris POUI' retenir
les C'IH1CllIis de la Ré[lnhliquf', qui nétait [las
encere pruclamée, el les passeports étaieut 11Ié-
ticuleusemen I exarni nes. Derriere la COIllIIIU ne
élait Itobespierre, qui, suivant son huhilude,
mcuait Irs chos-s sans oarattre. 011 avait formé




LTVIH' n.


un comité de surveillance, véritable comité de
dénonciations el d'arrestations dont faisaieut
partie Pauis el Sergent, el auquel Marat s'adjoi-
gnit de son autorité privée. Des le 11 aoüt,
Robespierre pérorait aux Jacobins: il sartait de
la cacheue dans laquelle íl s'étaít tenu coi
le 10; il déclarait que la Révolution avait été
publiquement préparée. C'était la condarnna-
tion du maire Pétion qui, manquant ¡'¡ tous ses
devoirs. avait au moins laissé faire, s'il n'avait
pas aidé, Du reste, la Commune reconnalssante
le maintint maire de París, tandis que les
autres adminislrateurs étaient rcmerciés avec
le directoiro,


L'Assemblée légíslntive se sentait dépassée ,
elle voulut réagír. L'un de ses premiers actes
fut une nouvelle loi électorale. Cédant a la
pression de la Cormnu ne, elle üt disparaüre la
distinction qui existait entre les citoyens aciifs,
les censitaires, el les autres citoyens , afin de
íaire voter tout le monde, elle accorda méme
une indeuruité aux électeurs pauvres, Elle Iai-
sait aiusi les afluires des jacoliins, qui S'01'-
ganisuíent nctivcmcnt pour les élections , iI
leur fallait f¡ tout prix la majoriré. Toutcfois,
au grand mécontentement des jacobina, l'élec-




tion ¡¡ deux degrés tut tnainteuuc. U~S assem-
blées primaires dcvaient se reunir le 21; aoút
pour uonuner les électeurs, qui clroisi raie 11 1, le
2 septembre, les uieruhrcs de la Couveutiun. La
date de la réuuíon de la Convention fut le
20 s-ptembre. Hobespierre blama la loi é.ecto-
rale: il n'osa cepeudau t demander le suffrage
direct.


Des pouvoirs étendus Iurent donnés aux
el irectoires des départements , niais, en m-me
temps, on accordait aux municipalítés le droit
de dénonciation , c'étalt préparer la ierreur. Les
directoires Iurent hiculót réd uils ú un fantóuie
de pouvoir, les municipalités étant mattresses.
C'était, sur une plus petite échelle, ce qui se
passait,a París pon!' I'Ass()Jll1Jlée et la couuuuue.
Daus les preuiiers jours, l'Assemblée avait essayé
de rappeler Ú l'Ilótel de Ville le directoirc, illé-
gukunent dissous , il Iallut plier. Elle essaya
égulement de supprimer le comité de surveil-
lauce , elle échoua, et toute son action se Dorna
ti Iaire écarter I\laral, au uioins en appareuce.
Le 10 aoúl, elle avait place les Suisses surví-
vauts sous la protection de la nation : quelques
jours apres, la uiaiu Iorcée, elle les dé<:lill'a
justiciables des cours martiules. Elle crea un




LIVHE 11.


tribunal populaire dans le but d'assurer au
nroins des jllges it ceux qne meuacuit la COIll-
muue. Le moyen était mauvais, et les tribunaux
populaires, étenrlus a tou!o la Frauce, devin-
rent les épouvantables trihunaux révolutlon-
naires qni anl laisse; de si IIl;fils(es souven írs.
D:lIJs le projet de l'Assernhlée, le trihunal pnpu-
Iaire se composaít dI' drux jurys, I'un .i'accu-
salían, l'autre de .illgf'nwnt; le premíer devait
elrc com posé des j 11 rys ('U functio ns: les membres
du second dev ienl etre élus, ~Iéeonlente, la
Connnune menaca d'une insurrection, et l'As-
semblée s'cmpr-ssa de déclarer que les deux
jurys seraient élus, L'électiun cut lieu, Robes-
pierre, nommé prr'sident, refusa : il u'aiuiait
pas ces roles au grand jour, toujours compro-
mettants. Le 25 aoút, le tribunal cormneuca a
fonctionner en condamuant Ú mort d'Angle-
mont, comme agcut des émigros, et Laporte,
intendant du roí. L'échafaud Iut dressé en per-
manen ce; la place de Greve fu t laisséc aux
crimes de droit commun, la place du Carrouscl
réservée ata crimes politiquea. ñlalgré sa sévé-
rité, le tribunal était uccusé de faihlesse , il
acquitta M. de Montmorin, cousin de rancien
ministre; il Iall ul le gal'dcr en prisuu pour le




Hj L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.


mettrc al'abri des violences. En mérne tomps, les
biens eles émigrés étaient mis sous le séquestre:
un décret expulsait di> Frunce, dans un délai
de quinze jours, les prétres réfractaires. sous
peine de déport.ition a la Guyane: et les prétres
ainsi frappés, on ne les laissait pus partir, on
les mettaít en prison, et ils se trouvaient en
contradiction avec la Ioi, Des qu'il s'agissait du
clergé fidele, la Commune et l'Asseurblée ríva-
lísaient de haine et de violence.Le comité de
surveillance ele la Commune proflta des décrets
de proscription de l'Asseuihlée pour Iaire arre-
ter tous les prétres qu'on pul trouver. et le sang
de ces prétres, massacrés dans les journées de
septemhre, retombe aus-i bien sur les Ver-
guiaud, les Isnard el autres orateurs de la légis-
lative, que sur les Marat. les Hohespierre. les
Danton, orgau isateurs avoué- des rnassacres.


Le 26 aoút, la Couun une SOlll mal'Assemhlée
législative de s'en aller , ce jour-la les deputés
de toutes les uuances se réunireut pour reíuser¡
ils le ñrent avec une empilase théatrale. décla-
rant qu'ils resteraient jusqu'a la réuuiou de la
Conreution; une procl.unntion emphatique Iut
envoyée aux directoires des départeuieuts pour
leur anhoncer ce grand fait,




CIIAPITrlE V.


""éparatifs des massacres de ssptembre. - La Commune
ordonne les visites domicilialrcs. - L'Assemhlée autorise.
- Recornmandation de Holan d a Pétion et a Sauterre, -
Paroles de Danton, - Déclaration de la patrie en danger.
- 2 seotemhrc, - Comrnenrernent des massacres,
Maillard it l' \hbaye. - Massacre des prétrcs aux Carmes.
- Befu- du pr-sident de la section de s'y opposer, -
\I!I,·, de <ombreutl et Cazotte, - La princesse de Lam-
baile. - Sa tote. - Chiffre des victimes. - Faihlesse des
girondins. - Payerncnt aux assasslns. - Bltlaud-Varennes,
- , mtestation un peu tardive de I' oland. - Circulaire do
la Cornmune. - Ma~sacres en province. - Les prison-
niers d'Orléans á Vcrsailles , - M. de Lessard et Danton.
- Péri.m reparalt le 6Sept".- Extension des tribunaux
politiqnes a toute la France. - Désordres aprés les mas-
sacres. - Fin de la législarlve.


Cette fermeté théátrale que l'assembJée mou-
tra 11 ne [oís paree qu'il s'agissait de s'en aller,
elle ne sut pas la retrouver pour empécher les
ruassacres de septem breo Le 26 aoút, le méme
jour oú eIJe la sommait de partir, la Cornmune
declara suspecrs les signataires des pétitíons
centre la journée du 20 juin et contra la for-
mation sous París d'un carnp de vingt miJIe
homrnes. En vertu de eette décision, un décret




188 L'ASSE~lBU:E LÉGISLATIVE.


contresigné par le ministre de la justlce, Dan-
ton, onlonna des arrcst.uions el des visites do-
m iciliaires. Le dcvoir de lassemblee élait de s'y
opposer, duns l'illléri'l nlt'IlI() de son pouvoir ;
séduít« ou elll'él}ée par Vélll/Oll, die cul la Dd-
Llesse d'auLoriscr les, isilc's dOlllicili¡lir('s, Dés
lors Ja Couunu nc pouvail pJ'épal'cr il sou aise
les jouruécs de septcrnhre , les victimcs nc lui
mauqueraleut paso D('s an estntious Iurcnt Iaites,
en eflct, daus la uuit du 2\.1 au 30 aoú: el l'on
couunenca ir répandre les hruils qui prépa-
raient ces jOUI'l\('CS révolutiouuaires. On parlait
l.eaucoup de lcvée el! uiussc, dc paLrie en dan-
gel', de d(;J);II'L pOllr la frontii'I'(', eL I'on ajoutuit
qu'avaut de lJlill'(jH'J' cu/dll' l cn ucuri du de-
1101'S, il íalluit se d¡;IJaITassel' de l'cnncnu du
dc.laus ,\Ialgl'é son iuíutuaüou de Iui-uiéuic,
llolaud prit pcur el il rccounuanda al! maire
Pétion el au counnaudant do la garde natío-
uale SanleJ'l'e de vciller it la súreté des prisons.
La déllwrclle ét,lil inutile, cal' Sanlerre étalt
compllce du urassacrc des prisons, et le vel'-
tueux Pétiou. trap épris de sa populurit« pour
risquer dl: la perdre, allait dispuratrre, conune
il I'avaií útil au 10 aoút. Les orgnuisareurs du
mas-acre le snvaicnt el ils ugissalcut en cousé-




r.tvur 11.


quence. A mesure que le jonr approchait, leur
langagc deveuau plus net : « II íaut de l'au-
duce, disait Danlon le 1"" soptembre, encore de
l'audace, toujours de I'audace. }) C'étaií , 1',0
méme tem ps, une répo use it certai llS députés
cflrayés qui parlaienl oc quiller Paris, et une
meuace trop réalisée á l'adresse dos prisouniers.
Dans la móme journée. Danton. Manuel, (1'3u-
tres person nages i níluen ts. tirent élargir eer-
taius prisonnlers auxquels ils s'intéressaient.
« L'air des prisous n'esl pas sain ;» disait l'un
deux á une Icnune qui voulait resrer auprés
de son oncle, vieillard oologéuairc. Ces mesures
ne laisscnt aucun douto sur la préméditation,
et quand les historiens révolutionuaires parlent
d'un mouvcment spontané et irresistible de la
population parisienne, ils faussent la vérité:


Lc 2 septombre, dans la matinée, la Corn-
munc declare la patrie en danger. sur la pro-
posilion de I!nguenin: Tallieu, qui commencait
a se Iaire conuattrc, lit une proclamntlon théa-
trale . le drapouu nolr, en sigile de deun, est
prornené daus les rues ct hissé sur cerlains
édifíccs ; le cuuou d'alarme est tiré; In nouvelle
de la chute de Vcrdun cst répanduc parto lit.
Cettc habite mise en sceuc n'aurait ecpcnd'~~1


11. O


...
~ ¡~




1\10 L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.


pas suffl, mais l'émeute avait ses bandes tou-
jours prétes pour pl'endl'e l'initiative da mou-
vement. Six voítures eontenilnt des prétres
qu'on arnenait prisonuiers á l' \bbaye, passaient
au carrefour Bussy; quelques bonunss donnent
le signal du massacre , quelques prétres sout
tués sur place , les voitures coutinuent leur
route jusqu'au guichet de l'Abilaye; la tous
les prérres sout massacrés, sauf deux, dont
l'un. l'abbé Sicard, le bienfaiteur des sourds-
muets, fut sauvé par le dévouement d'un hor-
loger du nom de Monuo], Apres ce preuiier
massacre, il étaít encore Iacile de tout arréter ;
mais au contraire on encouragea, el Billaud-
Varenues, délégué de la Connnune. approuva
les assassins par ces sinistres paroles « Peuple,
tu Immoles tes ennemis, tu fais ton devoir. ))


Les rnassacres de seprembre sont trop counus
pour qu'il soit nécessaire de les racouter; d'ail-
leurs le récit en serait trap long. Toules les pri-
sons de Pa1'Ís recurent la visite des assassins. Un
simulucre de tribunal se constitunit aI'Abbaye,
iI était présidé par I'huíssier JVIaillard; le délenu
cornparaíssait, son identité étant établie, puis
par une phrase courme celle-ci, par exernple:
« élargissez monsíeur, » on le livrait aux assas-




¡'IVRE n. 1\11


sins. A I'Abbaye, aux Carrnes, aux Bernardins,
a la Salpetriél'e, a Saiut-Firmin et a Bicetre,
il la Conciergerie, a la Force oú le massacre
dura plusieurs jOUl:S, partout le sang coula avec
abondance. Aux Carmes, il n'y avait que des
prétres réfrnctaires , sans méme attendre la
eoustitution d'un tribunal, les assassins tiraient
sur ceux qu'ils rencontraient; puis, pour facili-
ter Ieur besogne et pour évíter des évasíons,
ils réunirent les prisonniers, dont plusieurs
déjá blessés, dans la chapelle, et les ñrent dé-
filer dewmt leur sanglant tribunal j la périrent
l'urchevéque d' Aries, I\I~r Dulau, et les évéques
de Saintes el de Beauvais, deux freres du nom
ele La Itochcfoucauld. Au moment oú cornrneu-
9ail le massacre, quelques citoyens courageux
allerent prevenir le président de la section du
Luxem bouI'g. qui refusa ele faire marcher la
garde nationale. A I'Abllaye, OLL I'on égorgea
[usqu'au 4 septembre, périrent les Suisses qui
tombérent en soldats , ils avaient été plaeés
sous la protectlon de la nation. Parmi les autres
vlctimes se trouvaient le mlnístre Monunorín,
Thierry, valet de chambra de Louis XVI. les
ahés Lenfant el de Hastlgnao. Deux príson-
nlers, Bombreuü et Cazotl.e, durent la \'ir au




1. 92 L'AS S ¡.: i\JBL 1m L I~ GIS L AT j VE .


dévouementde leLll'S flIies; Oll a di! que Mlk de
Sombreuil avait dú achcter la vie de son pere
en buvant un verre ele sang , le íait esl contesté,
el il paraítrait qu'clle hut seulcment un verre
ele vin a la santé ele la nation : seulcment le
verre était plein ele sang, ayanl servi aux égor-
geurs, avec Iesquels l'héroíquo jeune filie dut
trinquer. Élísabeth CazoUe ne sama son pere
que pour quelques j ours : il fut repris par le
tribunal révolutionnaire qui se montra moins
humain que les assassins ele septcmhre. A la
Force fui luée la princesse de Lainhalle, donl
la mort est restée inexpliquée. Manuel voulait
la sauver et des sommcs d'argent cousidérables
avaient été dlstriliuées: elle n'en fuI pas moi ns
assassinée, et satl'le po.tée au hout d'une
pique fut promenée dans Paris , le sinistre cOJ'-
tége s'arréta sous les murs de la prlson du
Temple; on voulaít forcer la reine Ú con templer
la tete sanglante de son amie, el counne dans
I'intérieur de la prison on s'cflorcnit de l'éloi-
gner de la fenétre, un muniripal lui annonca
brutalement qu'on lul présentait la tete de la
,Lamballe.


On évalue le nombre des viclimes it plus de
1,300 ainsi réparííes : Abbaye, 171; Force, 16');




LIVIIE IJ. 1ü3


ClJútelet, 223; Conciergerie, 378; Bel'llnrc1ins,
73; Carmes, 151: Birelre. 170; la Salp(~lrih'e,
213. Milis ces chiffres pourrnient bien élre trop
faihles : les arres!nliolls nvaieut été faltes sans
ordre: il suffisait d'une dénonclation pour faire
incarcércr quelqu'u n : les registres d'écrou
étaicnt mili tenus , des prisnnniors auront done
pu (~In: massacrés dont le nom u'aura pas été
connu. JI ne Iaut pas croire que ces victimes
appartcna ien f ioutcs it la II oblesse ou au clergé.
A la Force. la premíerc victime Int une mal-
heureuse íemme eonnue sous le nom de la
belie ravaudeuse , elle avait élé condamnée
pour s'étre vengée de son amant, soldat aux
gardcs-Irnnrníses: on luí ñt subírdes tourmcnts
épouvantabtes. A la Satpétriére, des femmes
de mauvaise vie qui sutiíssaíent de simples
peines ele police, turent massacrées a la suite
d'iguobles orgies , a la Conciergerie. on égorgea
des indivídus condamnés a des peines de droit
corumun de peu de gravité, et méme en simple
détention préventlve: il Bicétre, des enfants de
la maison de correctiou furent égorgés. eette
prison fu l une des dern iéres vísitées, el les
assassins se plaignaient de ce que ces enfants
Ieur avaient donné plus de peine que les autrt.s




H14 L'A 5SMIBLÉE LÉGISL AT 1VE.


victimes. voílá, cependant, ce qu'on a osé ap-
peler la juslice du peuple.


Mme' Holanc1 a qui la situation de son mari
permettait d'étre bien renseiguéc. a dit qu'une
cinquantaine d'horn mes déterrniués auraíent
pu empécher les massaores el mettre les assas-
sins a la raison. Ce témoignage est d'auíant
moins suspect qu'Il est la condamuatlon for-
melle de la couduite des Girondins. Au déhut,
en effet, quolques horn mes auraient suffi: le
dern ier jour, c'étalt plus difflcile, paree que les
assassins s'étaient reerutés ele tous les gens
sans aveu toujours nomhreux a París, Aussi
lorsque, tardivernent, parurent eles députés, ils
Iurent hués et se retírerent piteusement. Les
elélégués de la Cotnmune. au contraire, furent
applaudis paree qu'ils apprnuvaicnt, Billaud-
Varennes, celui-Iá memo qui disait au peuple .
« tu fais ton devoir, 1) annonca aux égorgeurs
que la Couuuune leur all.iuait 24 Iivres a chaoun
atitre de récompcnse nutiouale, el 12,000 livres
furent volées a cet effet. Quant a la garde na-
tlonale, elle n'avait pas dordre, et les com-
mandants , sogneusement choísls , n'éiatent
pus hommes a agír de leur pl'olwe luitlatlve,
En résuuuí, les [ouruées de septem bre 011 l été




LIVRE n. HJh


ordonnées par la Commune et l'Assemblée Ié-
gíslative a laissé Iaire.


Le ministre de l'intérieur, Iloland , fut encore
cclui qui montra le moins dc lácheté , le 2, il
avnitété surveíllé el comme consigné; le 3, il
adressa au maíre el au commandanl de la
garde nationale une réquisition snus résultat:
le 5, il écrivit a l'Assernblée une lettre quí,
malgré le jargon révolutlonnaire, ne manque
pas d'une eerlaine íermeté. Il dénoncait les
massacres et demandait des mesures de précau-
tion. Cela n'étaít pas inutlle, cal' le comité de
surveillanee de la Commune avaít adressé aux
directeurs el aux municlpalités des departe-
ments une circulaíre dans laquelle non-seule-
ment il justiüait les mnssacres, mais encore
invitait a suivre partout le noble exemple des
patriotes parisieus et iJ purger le sol Irancais
des ennemís de la liberté. Voici le texte de eette
círculaire, qui était contresignée par Danton,
ministre de la [ustice.


« La Com1111111e de Parls se hate d'inrnl'mer
ses freres de tous les départements qu'une par-
tie des consplrateurs féroces détenus dans les
prísons a été mise a mort par le peu ple : acres




Hlü L'AtiSEMllLEE LEGltiLATIVE .


.dr justice qui lui ont paru indispensables pour
reteuir par la tcrreur les légions de trailres
caches dans ses murs, au moment 011 il allait
murchcr a l'rn nemi, et sans doute la nation
entiere, apres la longue suite de trahisons qui
l'ont conduitc su!' les hords de I'ablme, s'em-
prrssera d'a l ! flp tC1' ce mosjen de salu: pub/ic, et
tons les Francais s'écrieront comme les Pari-
siens : II Nous rnarchons a l'enuemi, mais nous
« ne laíssons pas dcrriére nous des hriga uds
(1 pou r égorger nos femmes el nos enfants. ))


« Les mernbres du Comité d8 surveillance,
administrateurs du salut publíc ·el les aclminis-
lrateurs adjoints réuuis :


« P .-J. DUPLAIN, PANIS, SEllGI·:NT, Lf.NFANT,
JOUlmEClL, ~hRAT, ['ami dú peuple,
DEF()j!GUES, DI LFEllT, CALLY, constí-
tués a la Commune, en séance á la
Mairie, ))


L'appel fut entendu , a Lyon, plusieurs oífi-
oiers uétenus ú Pierre-Scize furent massacrés
malgré les efforts du commaudant Irnbert-
Colomez; á Gisnrs, le duc de La HocllE'foucauld
qui avait tant fait pour la révolution, fut assas-
siné , á Meaux, il y cut trelzc victiures , ;1 Heims,




LIVRE 11. IV'I


i1 Y en eut dix. De tous les massacres dA la
province, le plus grave fut celui de Versailles:
plusíeurs personnages Importants. parmi 18S-
quels le duc de Ilrissac, anclen conunandant
de la garde eonstiLntionnelle du rol, oc Lessart,
anclen ministre, avaient élé renvoyés devant In
haute cour d'Orléaus , la Commune el Danton
dÜIIII¡']'(~nl l'ordre de les conduíre á Paris , un
contre-ordre arrivn trap tard. Les prisormiers
arrivérent ú Versnillcs oú les auendait une
Laude d'assassins, dont le chef étnit Fouruier
l'Américain; ils furcnt rnassacrés, llJalgré les
eflorts du uiairo pour les proteger. A leur re-
tour, ces assassins recuren! les félicilations de
Danton : « Celui quí vous remcrcie, leur dit-il,
ce n'est pas le ministre de la justíce. c'est le
ministre du pcuple. » Celui qui remerciait, ce
n'éíait lHls le ministre, ni de la jnslice ni du
peuple, c'étnit I'homme taré qui était heureux
de voir disparattrc avec ele Lcssart un témoí n
dangereux , I'ancieu ministre aurait pu donner
le ehiflre eles som IIH'5 que Danton avait recues
de In cour, eonune ñliraheau , qu'il rappclle
duus une certaine mesure, iI avait toujours
bosoin d'argcut; il avaít vendu son coucours au
roí; iI esl vrai qu'il n'avuit pas tcnu ses eugagc-




198 L'ASSE-'lBLl~E LEGISLATIVE.


ments. Le ministre Iloland dut payer les íraís
de l'expéditiou ele Fouruíer I'Amérioain.


Le 6 scpunntn», iout l~J¡Jil Iini, Pctiou reps-
fUI. II demanda qu'un voile fut jeté sur le
pnssé, parla de la fraterníté républiouine et fit
l'éloge de ses propres vertus , c'était 11 n sujet
sur lequel il no tarissnit paso Le pl'ésitlent de
I'AssPlIJlliée, H<;¡';lIIlt de Séchelles, ctu ti! láchelé
de répoudre sur le ItJelll(~ LOII el de se moutrer
satisíult d'opposer ú des événellH'lIls mnlh-u-
reux la préseuce d'un hornme de bien. La la-
cheté pUlít, du reste, ;'¡ I'ordre du jour, cal' les
journ.rlistes qui blámaient les massacres, n'o-
saient le faire qu'avcc les plus grandes pré..au-
tions, el en excusant, quund ils n'applaudis-
saient pas, ce qui avuit été Iait, D'ailleurs, aux
organisateurs du 10 aoút qui se récriaieut contre
les journées de septembrc, on opposait un ar-
gntl1l'n.t qu'íls ne pouvaient guere réfu ícr: on
leur disait, ce qui était en grande partie vrai,
que les hommes du 10 aoút et du ~ scptembre
étaieut les m-mes, el un des héros de sep-
tetnhre ct du 10 aoút vint rléclarer II la barre de
ele I'Assernhlée quil ne croyait pas avnir reudu
un 'molndre scrvice a fa canse ele la liberté le
2 septembre que le 10 aoút: il ajouta qu'il




LIVHE II.


avait reconnu parmí les exécuteurs de la j us-
tice du peuple beaucoup de combattants du
10 aoút, On ne luí répoudit rien.


Le 9 septem bre fut renrl 11 le dficrct qní éten-
dait iJ toute la Prance l'iusritutinn des tribunaux
politiques , chaque déparlelllrul devait avoir le
sien: l'Assemblée, par ce ríécret, voulait empé-
cher en province des massacres corurne ceux de
Paris: elle orgauisait la terreur.


On a bcaucoup vnuté l'h"n'H~If'té des a-sas-
sins ele scptembre qui rapportaient fldéleuient
les bijoux des victhncs: il u'esl pas certain que
tout ait été rapporté, ou plutót le contrnire est
prouvé. De plus, eles objets rapportés beaucoup
ont disparu. Les jouruaux de I'époque, cedes
peu suspects, constatent en outre qu'a la suite
des u.assacres, les crimes se multiplierent , les
assassiuals el les vols ne cessaieut pas elle garde
meuhle Iut pillé plusieurs Iois. Uu journalistedes
plus ardeuts Prudhouune. fiuit par demanderle
retour a la loi, la « justice du peuple étant euün
sntislnite. l) (;11 des derniers rlécrets de l'Assern-
hlée cut pour but de rernéd ier a cet état de
ehoses : il pnrtaií que (out citoyen uiuui d'une
carie de sClrdÉ rlélivrée par le présideut de ~a
section, aurait le droit de requerir laide de
/#~\'II¡
fa




20U L'ASSE.~mLEE LÉGISLATIVE .
.


I'autoríté. Ces cartes de súreté devinrent plus
tard un des instruments ele la tcrreur , tout
tournait mal a l'AssemlJlée sur ses derniers
jours.


Le 17, la législative adressa aux citoyens
francais une proclamation emphatique et le
20 scptcrnbre, elle termina son cxistonce, íai-
sant place a la Conventiou. On iI dit avec raíson
de ectle Assemblée qu'elle avait Hui SUI' les
massacres de septembre , nou sans l'avoir
merité.




r.rvnr III.
LA CONVENTION.


CIIAPITRE PRE\IIEn.


Les élections. - Fraudes ct violcnccs. - Tr-nm phe de
Hobespierre a Paris. - Philinpe Fga!ité. - Les parLis.-
La Girondo. - La Montaenc. - La Plaine. - Pétiun
prósidcnt. - Prnposirion Collot d'Ilcrboís. - Proclama-
tion do la !\¡"puldir¡ue. - Propositiou Lasourco, - O1'é-
rations militaircs. - Désoreunisatiou de l'armé«, - Les
volont.urcs. - Déroutos de Quiúvruin et de Tournay. -
Lcutcurs des alliés . - Chllte de Vcrdun. - Dumouriez
remplace La Fayette. - Les rh'Illés de l'Argonue. - Ba-
taille de Valmy, - Retraite du duc do Bruuswick.


La situation des esprits, I'anarchie qui rrgnait
partout a la suite de la révo\ulion üu 'lO aoüt
et des massacres de septembre, ne pcrmcttaíent
pas de faire des élcctions régulieres : partout
les élections furent en tachées de fraudes et de
viotences , les Jacobins, qui s'cutendaient dun
bout de la France ú l'autre, voulurent s'assursr
le pouvoir et ils n'étaieut pas hommes a reculer
devant les moyens les plus extremes; les Gl-




202 LA CONVENTION.


rondins n'étaient guére plus scrupuleux. Les
clubs imposaient aux candídats l'engagement
de voter l'abolitlon ele la royauté el l'établisse-
ele la Bépuhlique ; et les plus flers, quoíque tres-
opposés a la Hépuhlique, acceptaieut Iáchement
ce mandat hnpératif. A París, oú la Courrnune
étaít multresse ahsolue, les hounétes gens, au
dire de Daunou, n'osaieut paraítre aux assem-
blées électorales , daus les provinces les alisten-
tíous íurent inuorubrnbles, et bien des élus
n'obtinreut qu'une uriuorité ridicule,


Hobespierre tlt passer á París sa liste tout
entiére , on y remarquait Danton, Cumllle
Desmoulins, Billaud- Varenues, Mara!' Panis,
Sergent, Fabre d'Bglantine, Collot dHerbois,
Fréron, la boucher Legeudre, ~Ianuel, tous
plus ou moins comprotnis dans les tnassacres
de septeuibre : Ilchespierre flt donner la vingt-
troisíérne place a son frére, agé de vingt-uois
ans et totalement iuconuu : il daigua il la
dema n.te de Sillery et de Lacios, accorder la
víngt-quatriéme au duc d'Orléaus, élu 50115 le
nom de Phiiippe-Egnlité, il une voix de majo-
rité, voix qui Iui rut Ineme contestée. Le
prince du sang en ét;¡it arrivé ú changer son
nom: on a essayé, sinon de le justifler, au




LIVRF. TrI. 203


moins ele I'excuser, en disant que ce nom lui
avait éld illljJosé par la Corurnune alors qu'iJ
veuait reclame!' la radlation d'un de SPS fils
parlé sur In liste des émigrés : l'cxcuse n'est pas
admissible, et le cltoyeu l~g¡:Jité n'a que trop
justiíié son sobriquet révolutiounaire. Aucun
candiuat girondin ne passa : un électeur avait
mis en avaut le nom de Kersaint, Itobespierre le
ñt écarter et la tentativo ue Iut pas renouvelée.


Daus les dépurtements oú 1'0n iguoraít en
partie la rlvnllté naissante des Giroudins el des
Jacohins , les listes porlaient des noms des
deux partis : les uns et les autres représeutaíeut
égulerneut la révolution. Parmi les élus, cutre
les chels de la Giroudc, on remarque dans la
Sarthe Sieyes, que sa réputation fit nomrner,
ca!' il ne briguait pas la députatinn et aurait
préléré se teuir a I'écart : son électiou le íorcait
d'uppuyer la Hépllblique, lui qui, dans une
lettre du 6 juillet 1791, la déclarait essentielle-
menL opposée ú la liberté vraie . dans Seine-et-
Oise. Kersaiut, repoussé Ó Paris , Tallien, le
septetn hrisuu r: 1I('rilull de Séchelles, ancien
parleurentaire , ~Llrje-J(lseph Chenier : dans le
Cantal, Cnl'l'icr, auquel son proco nsulat de
Nantes a tait une triste céléhrité ; cans l'Oise,




204 LA CONVEiilTION.


Anacharsís Cloolz, haron prussien, espece de
monornane qui s'intitulait le rcpréscntant du
geure humain et allait partout préchaut I'a-
théisrne . daus le Puy-de-Dome,Couthon : dans le
Pas-dc-Culals. Saint Just, un louljeune houune ,
ces deux députés devaíent Ioruier avec Robes-
pierre le Iarueux triutnvirnt : daus la !\lame,
Drouet, qu'on récomponsait d'avoir fuit échouer
la fuite du roi , etc. On comptait panni ces
élus 81 membres de la législative, apparteuant
presque tous au par ti de la Gironde : 77 mern-
bres de la Constitnante, ayant siégé ú l'extróure
gauche, notarnmeut Grégoire, deveuu évéque
constitu tiounel de Loir-et-Chcr. Lunjuiunís,
Pétiou, Ilobespierre.


An poiut de vue poli tique, la Conveution se
divisait en deux partís: la Gironde el la !\IOll-
tagne , la Gironde avuit, au déhut, la supério-
rilé dn nombre el du talcut , ses orateurs
étaient counus, et la plupart des députés hési-
tanls paraissaient disposés it se placer dans ses
raugs : la Moutagne , moins nombreuse el
n ayant d'autre orateur connu que Danlon et
RoLespiel'l'e, rachetalt son iufériorité numé-
rique par une énergie snuvage , elle avait sur la
Gironde un grand avantage : la Commune,




LlVHF TII 20:'


si puissanto it París el dont J'AssemlJlée légis-
lative n'avait pu triornpher. l'uppuyait haute-
ment. Entre I:('S deux pnriis , Il~S seuls en
scene, se groupalent les dépul(:s inconnus qui
arrivaieut de la province sans opluion arrétée,
et qui répugnalent aux exces, ils composaíent
la plaine. D'uhord, i1s se montrerent favorables
aux Girondins qui avaient le pouvoir et dont
la motlération relativo leur convcnaít mieux.
Mais Iorsque la lutte fut engagée et qu'Hs virent
toute la faihlesse des brillants parleurs de la
Girande, ils flrent volte faee et subirent, par
peur, les exigcnees de la Montagne, jusqu'au
9 thcrrnidor. lis devinreut les crapauds du ~la­
rais, suivant une expression trop éoergique
peut-étre, mais aussi trop vraíe. Daos la pre-
miere séance, la Giroude I'emporia pour la
coust tutiou du bureau, Pétion, qui était á elle,
mnlgré son róle odieux au 10 aoüt et aux jour-
nécs de septembre, fut élu président, mais ce
succés Iut compensé par la faute que commit
la Girunde en laissant a la Mo ntagne I'ioitialive
de la proposition pour I'abulition de la royauté.


Ce Iut Collot-d'Herboís qui fit la proposítion.
Les Girondins, découcertés de se voir préveuus,
essayerent de racneter leur maladresse par leur


u




~lIli L.\ CO\VF.'\TIOi\.


ardeur républicaine , il élail trop Iard , L'aboli-
tion de la royauté el la proclumatiun de la
Ilépubiiquo furcnt votées ú I'unanimilé; on s'y
auendait, el cependunt ce vote causa une pro-
funde impressiou en France, tellement Iu nation
était encere monarchíque. La Oiroude donua
sa mesure daus 11 ue a litre circoustan ce; un de
sesmembres, Lasource, propasa la création
d'uue garde pour la Convenlion couiposéo de
g'lJ'lles nationnux uppurtenaut nux 83 departe-
iuents , il avait devine; los dangcrs que préscu-
tait l'hostilité avouée de la Couuuuue, hk-n
décidée ú imposer ses volontés, el il voulait
mcttre ainsi la Couventlou SOllS 1" proteclion
de la Franco entiere . c'étalt l'Iu.lépeu rnnco de
la Couventiou elle salut ele la Gironde; celle-ci
pouvait íaire voter la propositíou . soiL par peur
des menaces de la J\lonLagne el de la Counnuue,
soit par aveuglemeut, elle ne soutint pas la
proposüíon de Lasource, dont le seul résultat
ful d'éveiller contre la Gironde les défiances de
la 'populace parisienne.


La Convention déhutait sous d'heureux aus-
pices, les arrnées républicaines remportalent
leur prerniere victoire, Kellermann résistait il
Valmy aux attaq ucs de l'aruiée prussiennc. La




LIVHE JII. 207


déclaratlon de guerre, acceptée ou plutót pro-
voquée par la Iégislatlve , élait une impru-
denee; la France n'était pas préte. L'armée, que
le gouvcrneuicut réparateur de Louis XVI avait
mise SU1' Ull execllent pied, eomme la marine,
avait été désorguniséc par fes excitations des
Jacobius: les uppels á linsurrcction et á la de-
sertinn avaieut été entcudus par les soldats, et
un ministre de la guerre disait á la Constituaute
qu'il manquait 50,000 hommes. L'Assemblée
autorisa la levée de 100,000 homrnes par enga-
gements volontalres , on ne les trouva ras; les
soldats fidólcs á leur devoir élnient en bulte il
d'incessuntcs nttnqucs, cela lJ 'eteit [HIS Iait POli]'
encourager. \)e pms, tes cal\re'3 é\aient l\é5()\,'b<'.-
nisés par suiíe de \'emigralion de la plupart des
oñlcíers. Pour rernédicr il eeUe situation, au
lieu de reníorcer l'armée qu'elle regardaít
comme une constitution -despotique, l'Asseru-
blée constituante vota \'organisation de corps de
volonraíres, qui, mieux pnyés'que les soldars,
étaient libres de retourner chez eux chaque
annee, 11 la íiu de la call1pague, el choisissa'ent
eux-mémes Ieurs offlciers. C'etait arretcr te re-
crutcmont de l'armée. I)c pruno abord , la
levée des \'01011 [aires se Lit assez bien; les pn'-




L,\ CON VENTlOi\.


miers bataillous Iuren t prornptcmen t réunis,
mais cette ardeur s'arréta hieurót, et tous les
généraux se pluignalent de l'i ndiscipline des
corps de volontaires qui pillaicnt les hahitants,
Malgré ces plaintes, la Conslituante prescrivit
de nouvelles levées de volontaires qni se flrent
plus mal que les prcmíeres. Le mi nistre de la
guerre Narboune, qui préparait sél'ieusement
la guerre s'émut des plaintes incessantes des
généraux , il voulut j uger des faits par Iui-méme
et le résultat el' un voyage qu'Il Ilt uux armées,
fut de demauder le verseuient des volonlaires
dans la troupe de Iigne. Maí-; l'armée n'éLait pas
« démocratique J) ; su proposition fut repoussée,
et on lui acrorda il grand'peine I'autorisation
de recruter l'armée, Les membres avaucés de
la législative niaient mérne l'utilité de I'armée¡
il sufflsait, disaienl-ils de la garde nationale,
Le ministre avait obtenu l'nutorisation de recru-
ter l'artillerie dans les COl'pS de volontaires. sur
les menaces des députés jacohins, qu'appuyaient
les clubs, cette autorisatiou fut révoquée.


Aussi, lorsque la guerre fut décidéc avec un
enthcusiastne in'éfléchi. n'était-ou pas ¡JI'N, et
l~~ \W\',\ll\~\'\',91 G\)~~\'lI\\\)\\'i> lI\)\)\.\\h'~I'l\ aux M-
routes de Quiévrain el de Tournay: les




LIVl\E El. tU\}


troupes se d('hand('I1'nt, criant quclles étaient
trahics et tuórcut le g¡'néral Dillon qui s'oppo-
sait ;i leur íuitc. Ces déroutes furent une des
causes de la journéo du 20 juin , ou plutót les
Girondins qui voulaient repren.tre le pouvoir
s'armérent de ces déroutes POUl' ameuter contre
le roí la populace parisiennc. Si ;Ipres ces deux
déroutes et dnns l'élat de désorgnnisatiou oú .
éluit l'urtude, les Autriclnens et les Prussiens
avaicnt niurché résolumcnt sur París, ni La
Fayelte, ni Lür:kner u'auraicnt pu les arrérer,
~Iais les alliés se souciaieut peu de délivrer
Louis XVI et la Fr.iuce .lu joug révolutionnaíre •
ils se jalousaicnt mutuellemeut et u'étaicnt pas


.sans arriero peuséc (l'agTillldissemenl anx dé-
pens de la Francc , triomphaut rapitlement de
la Itévotution et délivrant Louis XVI, ils de-
vaieul renoncer Ú tout agraudissemeut. lis le
COIll prenaíent, et au lieu de laisser les émigrés
marcher en avant, ce qui aurait pu provoquer
des mouvements royalistcs, ils les reléguaient
au second plan, les utilisant seulement dans
quelques missions dangereuses oú la bravoure
francaise était uécessalre. Lorsque des villes se
déclaraient prétes Ú ouvrir leurs portes ú condi-
tion d'arborer le drapeau hlunc, ilss'y refusaíent.


12.




210 LA CONVENTION.


Ces considératíons expliquent commeut, ne
rencontrant pas d'obstacles sérieux, les trou-
pes alliées faísaient une guerre méihodlque,
s'arrélant au siége des molndres hicoques et
perdaut ainsi un temps précieux. 11 faut ajou-
ter que le général issime prussien, le duc de
Brunswick, avait failli devenir le généralíssíme
des armées de la Itévoluticn : des négociations


.avaient été suivíes pour cela entre le géuéral
Custine et lui, elles n'aboutirent pas, mais elles
n'en sont pas moíns significatives. Plus tard,
Custine paya de sa téte des négociations qui luí
avaíent été ordonnées de Paris.


Le temps perdu par les alliés fut mis a profr
par nos généraux : les placas tornbaient succes-
sívement. maís nos armées se reconstltualent,
Le fameux maniteste du duc de Brunswick, qui
étaít au moins une grande imprudeuce, n'eut
d'autre eITR! que de faciliter leur travail aux
organisaieurs de la révolurion du 10 aoút Ce
manífeste est si extraordinaire que certains
hístoriens se sont dernandés s'Il n'avait pas élé
lancé par le duc de Brunswíck pour excitar les
révolutionuaires et amener la chute du rol,
pendant qll~ d'autres ont accusé les émigrés de
l'avoir imposé au général prussíen ou ele l'avoír




r.rvru: IrI. 211


dénaturé. Cette derniere version n'est pas sé-
rieuse.: les émígrés étaient peu écoutés, et ils
n'auraient pas fait une piéce dont ils étaíent
les premiers Ú reconnaítre la souveraine impru-
deuce. Les alliés pouvnient et méine devaient
s'efforcer de protéger le rol prisonnier en ren-
dant ses adversaires responsables des suites de
leurs excés, mals ils devaient le faire sur un
autre ton et appuyer leu rs déclaratíons en mar-
chant résolumenl en avant.


Le rlépart de La Fayette lit donner le com-
mandement de l'armée francaise a Dumourlez,
qul étaít un général d'une toute autre valeur,
Verdun venait rt'ouvrír ses portes et la nouvelle
de sn chute avait été mise a profit par les orga-
nisateurs des massacres desepteurbre , In route
de Paris était ouverte et il ne restait devant les
Prussiens qu' un seul obstncle, les défilés de
l'Argonne. Avec un remarquable coup d'reil
militaire, Durnouriez comprit que la était la
derniere chance de salut, mais il falluit se
presser, cal' les Prussiens étnient plus prés des
défilés que lui. Gráce a la lenteur, peut-étre
ealculée de Brunswick, grace aussi a la promp-
titude de sa décision et de sa marche, Dumou-
riez prévint les Prussiens el il les tint en écheo




212 LA r:ONVEN'L'lOi\.


penrlant une quinzaine de jours , lorsqn'Il dnt
abandonner 1';\l'gollnc ¡'l la suit« de 1;1 snrprise
d'un passage mal (ll'fcndll, conlrairomnut Ú ses
ordresvil avait en le lelllps (1t: coustituer son
arrn ée.


M;lill'('s de l'ArgOlllH" les Prussicns se diri-
gerelll SUl' París, toujours avec la múmc len-
teur . íls ctaicut suivis d'un CI'II(\ pal' l'auuée
de üumouriez. de l'antre par le COl'pS de Keller-
m.um. Brunswick voulut se d('llal'l'as~el' (le
-Kellerrnau n qui le serrait de [lI'I'S; la rr-ncoutre
enl líen pres de VaIIl1Y; le gtiuél'al fr.mcais
occu pil j 1 une forte posi Iion, ellOisie avec in Id-
ligence. Alm"s uno Iougue enuon nade qui flt
peu de uial des deux cólés, les lroupes prns-
siennrs mouterent {¡ l'nssaut des IIH11 le III'S occu-
pées par l'arrnée frnneals« Les solriats dp Kel-
lermann flrent bonne coutenance el l'attaque
no fut pas poussée ú fon l. Telle fut, en ré-
sumé, Ú¡ victoire de Valmy, dont les consé-
quences morales out été si grandes. Les soldats
írancais avaient fait preuve de fermeté SOIJS le
feu de l'ennemi : du reste, c'élilifmt des soldats,
non des volontaíres, Kellermaun aynnt quelqucs
jours aupnravant, renvoyé ses voloutnires qui
pouvaieut porter le désordre dans ses rangs.




1,1VHE 111. 213


Des deux rólrs, les pertes n'atteignirent pas
un iniñier ¡J')J()JJ]lJJes.


Ceue bilajlle, uu point ele vue militaire, ne
,c)¡;Ing'c¡¡it piS la sÍ/l/a!ion ; les Prussieus res-
lai('llt maítres de la route de Paris, el ils pllU-
"<1il'lll, g,li\ con\i\\\\\'\' \e\ll' mal'c\w, Kellel m I\ln
el Dumouricz u'{'lail'ut pas de force il les arréter
en rase CÜ111 paglle, soit renouvclcr leur al.,",
taque : ils n'eu flrent den, Le duc de Bruns-
wick, ú la surprise générale, se mil en retraite,
el quelques jours a peine apres I'inslguiílaute
canounade de Valmy, les géuéraux Ir.mcuís
avaieut rel'ollvré toutes les places enlevées. On
sait uiaiuteuaut que des négociations eureut
Iieueutre Brunswick et üuurouriez . voloutiers
cclui-ci aurait traité de la paix au nom c/u rol,
si [es choses avaient été moins avancées : mais
apres le 10 aoút, les massacrcs de septembre el
la proclamutiou de la Itépublique, c'était im-
possible. Ce Iait monrre cornbien fut grande la
faute eles alliés, faute voulue certaiueineut, de
ne P,IS agir avee plus de résolutíon , i1s auraient
pu épargucr it la Frailee les horreurs de la
tcrreur el á l'Europe vingt ans de guerras san-
glantes. La paix étaut itu possihle. Dumouriaz
oherr.ha á acheter la retraite des Prussiens, et




214 I,A CONVENTION.


il Yparvlnt. On a d it quo les dinn~anf'l de In
couronue - le vol du gal'dc-ml'ulJle venait
d'avoir lieu - servirent ú décidcr le général
prussien ; cela paratt établi. Le duc de Bruns-
wick qni était cribló de dcttes, les paya peu
de ternps nl)l'('!s et plusicurs des diamanta de la
couron ne de Franco turen t III is en ven teen Alle-
magne. Quoi qu'il en soit, la retrnite de l'armée
prussienne mottait la llépuhliquo it l'abri de
tont danger cxtérieur : elle dcvait augmenter
la désunion entre les alliés el. ralentir encore
la marcho des Autrichiens : elle préparait pour
une époque peu éloignéo la paix uvcc la Prusse.
Quanl. au roi et aux érnigrés, ils étaient com-
nlétement sacriflés.




CIlAPITBE 11.


Dantnn a la Convcntinn. - Iló.Tccfion dos muniripalités et
dvs t ribunuux. - I\apport de Jlolnud, - Los romrnissaires
de la Convcnrion. - L"Ue de la Girondc ct d« la 1\10n·
tagnc. - Proposi.lcn Ki-rsaíut. - Décrcts rapportés le
lcndemain. - Accus.uions contre Hobcspierrc et Marat. -
Nouvcau ruinistere. - L:l gardo de la Conrention.-
AtUl'lue de Louvet centre I\obe-piel're. - Hépouse de
Hobcspierre. - Evéuemcnts militaircs. - Dumouricz en
Bulgijue. - Jenunapes. - Custine il. ~layenee. - Mon-
tesquiou en Savoic. - Anselmo il ;'.1 ice.


Les prem ieres séances de la Conventio n
íurent peu intéressantes: les hommcs nouvcaux
étaient uouibrcux el ue savaíent pas trap ce
qu'ils uevalcut faire : ils Ieur fallait connaitre
le lerrain. Certaius députés des départements,
apparteuant ti la Gironde, savaient comment
s'étaieut faltes les élections parisiennes : ils
avaieut l'inlenLion d'en demander l'aunulation
quand on vériflcrait les pouvoirs. C'était írap-
per leurs adversaires au creur. Mnis Danton el
quelques aulres députés inílueuts fírent ajour-
ner la vérifloatinn qui u'eut jamaís lieu. Il en
ful toujours aíusí , les Gírondíus avaíent de




21G LA CO ..... YE\TIO\.


bonnes iusplratíous, mais ils ne st\vaienl~amai.s
les mettre en pratique,


Dauton u'l'lait plus ministre de la jU.'itice;
il avaít dú douncr sa détnis-dnn, les Iouctíous
de urluistre élant iucouipatibles avec celles de
député. Des les preuiiers joUI'S, il s'était créé
daus la Convention une situatiou qui n'étaít
pas sans annlogíe avec eelle de Mil'abeau.
Comme celui-ci, il était l'homme de l'action
et des mesures violentes; comme luÍ, iI ré-
puguait á certaíues extréuiités, el de mérne que
l\Iirabeau négoeiait avee la eour, dont il était
toujours pret á se rapprocher, de niéuie Danton
n'était pas éloigné ele s'euteudre avec les
Girondins.; ceux-ci ne comprirent-ils pas DU
dédaignerent-Ils un hornme qui ne leur parais-
saít pus redoutahle ? Toujours est-il qu'i!s s'en
flrent un adversaire acharué. On a dit, pour
les gloriüer, qu'ils n'avaleut ríen voulu avolr
de coiumun avec un septembriseur. On oublie
quils comptnient daos leurs rungs eL les chefs des
Marsl'illais au '10 noút , Burburoux el Iléhecqui,
et Pétion qui, maire de París. laissa Iaire les
ma-sacres, et dont la complicité hypocrite ne le
cede en rien iI la complicité avouée de Dauton,


La Conventiou avait rlécidé que les munici-




r. I Vn1: TI J. ~17


palités ct les tribuuaux seraient maintenus en
Ionction sous la Ilépublique , cela ne convenait
pas aux Jacobius : les déuouciations affluerent.
Parlout on déuoucait les muuicipalités et les
tribuuaux comme convaincus d'incivísme ; ils
émanaientde l'élection, tnais ils avaieut servi
le tyrau. Sous cetro pressiou, la Convention se
déjugea et décida que de nouveIles élections
auraieut lieu. Ce n'était pas le moyen de se
faire respecter.· La réélcction des tribunaux
amena une longue díscussion , certains logi-
ciens de la l\lontagne trouvaient les tribunaux
inutiles et voulaient de simples arbitres; d'au-
tres, moins ahsolus, ucccptaicnt les tribunaux,
mais réclamaient l'éligibililé de tout citoyen
coinme juge ; ces derníers lcmporterent en ce
sens que la Convenlion déeréla l'élection des
tribunaux et renvoya les conditíons a rem pHI'
par les candídats a un reglement qui serait
fait ulLérieurement. C'élait encore une con-
cession.


Roland, ministre de l'intéricur, presenta son
rapport sur la situntion , iI se plaignit beaucoup
des obstaeles que ne cessaicnt de luí susciter
les ccmuiissaires envoyés par la Commune dans
les départerneuts: il d(;noll~'a avcc vivn(~il(; ePi


13




118 LA <:O:\\1':\TIO\.


abus, qui élait une usurpation de pouvoir.
Entrant dans ses idées, la Convention décida
que tous les commíssaíres de la Co111 mune se-
raient rappelés: des conveutinnnels devaient étre
chargés de míssions extraordinaires partout oú
cela seraít néeessaire. c'est l'origi ne ele ces
missions en províuce qui ont fait couler des
tlots de sang avec les Carríer, les Lebon, les Mal-
gnet, etc. Comme il s'agissait de ses pouvoirs,
qu'aucun de ses membres n'entendait laisser a
la Commuue, la Convention avait acceplé les
propositions de Roland, bien qu'elles íussent
dirigées par le ministre gírondin centre les
amis politiques de la l\Iontagne; mais tout fai-
sait pressentir qu'a la premiare occasion la
lutte allait s'engager entre la Gironde et la Mon-
tagne, lutte sans merci, qui ne se terrnineralt
que par I'écrasement d'un des partís, Cette
occasion fut fournie par une proposition de Ker-
saint. Les municípalités, imitant la Commune
de Paris, usurpaieut íous les pouvoírs: un
courrier avait été arreté elans la Mame, et le
procureur syndie du département , qui avait
voulu s'opposer a cette illégalité, avait été obligé
de prendre la fuite. Kersaiut dénonca ces Iaits,
el remoutant a l'orlglne de tous ces (ifisordl'es,




IVroE ru. ~ 1\1


c'est-á-dire aux maSSACl'eS ele septembrs. il de-
manda des échafauds pour les assassins pI pour
ceux qui précliaíeut l'assassinat. La Monlagne
était directemeut atteinte dans les septeuihri-
seurs, dont l'un, Tullien, réclama l'ajouruement
de la propositíon. L'ajournemen 1. Iul corubattu
par Verguinud ct par Buzot: la Giroude trio m-
pha, et ú une grande rnajorité la Convention
adopta trois décrets, prescrivaut : 10 qu'il lui
serait rendu compte de la situatiou de la Ilépu-
hlique et de Paris , 2° qui1 serait faít une loi
contre ccux qui provoquaient aux désordres ,
3° que la Convention aurait ¡'¡ ses ordres une
force armée recrutée dans les quatrc-vingt-trois
déparlemenls. C'était pour la Gironde une vic-
toire décisive, ú condition que les décrets se-
ra ient mís á exécution. Mais le soir mérna, Fabre
d'Églantlne dénoncait ces décrets cornrne auti-
révolutionnaires aux Jacobins, et le lendemain
un Monlagnard, Merlín, demandaít que la Con-
vention revint sur son vote de la veille, comrne
elle l'avait déja fait, La dlscussion recommenca,
beaucoup plus violente et plus acharuée que
la veille. Le marseillais Rébecqui dénonca les
tríumvirs nantan, Robesplerre et 1\1arat, qui
révaient la díctature. C'était une faute d'atta-




L ,\ 1:0 X VE NT ION.


quer Danton, surtout sans pouvoir rien pré-
ciscr. Le député de Paris sc délcndit avec d'au-
taut plus de facilité que les accusatíous éraient
plus vagues: pour répondro iJ. I'accusation de
dictature, il propasa un décret portaut peine
de mort centre quiconque aspireraít a la dicta-
ture, sous quelque forme que ce fút: mais en
mérne ternps , comme les Girondins étaient
accusés de fédéralisme, it cause dc l'affectation
avec laquelle ils opposaícnt sans cesse la pro-
vince a París, il demanda la peine de mort
pour tout hornme qui songerait it détruire par
le fédéralisme l'unité de la llépublique. Ce der-
nier coup portait beaucoup plus juste que ceux
de Rébecqui. Robespierre succéda a Danton; il
profita du vague des accusatíons pour se poser
en victime et pour ideutifler sa canse avec celle
de la Bévolutiun : ce Iut toujours son procédé.
Barbaroux, reprenant les accusations de Ré-
becqui, essaya de préciser les íaits , il declara
qu'avant le 10 aoüt, Panis et Sergent lui avaient
dit que, dans I'intérót dc la Hépubliquc, il fal-
lait con Ilcr la d irection des affaires a un dicta-
teur, qui élait naturellcment Ilobespicrre. Aprés
Barbaroux, Mara! parut a la tribuna, c'était la'
prcmiere fois, 11 était débraillé, el su présence




LIVHE !JI. 221


inspira une curiosité melée de dégoüt. Il s'en
apercut, et, sans s'émouvoír, il « rappela a la
pudeur » les nourureux eunemis qu'il avait dans
I'euceinte de la ConvenLion. 11 parla, du reste,
avec une impudente frauchise, avouant qu'il
avait demandé un dictateur paree qu'Il I'avait
cru et le cruyait encere nécessaíre , il fallait
une main ele fer pour réprlmer les complots
des ennemis ele la liberté. Cette impudence de
Marat provoqua une arden te improvísation de
Vergninud qui, sortant eles banalités sur la dic
tature, dénonca et les íucessantes provocations
de Marat a l'assasslnat; et la circulaíre de la
Commune Invítant toutes les villes de Franco
aímíter les massacres de septcmbre. Marat joua
la comedie, et se placant un pistolet sur la
teuipe, s'écria qu'il se tuerait s'il le fallait pour
échapper a la tyrannie. Cela émut peu. Ver-
gniaud, comme cela luí arrivait souvent, ne sut
pas profíter elu moment favorable; il aurait
certainement obten u un décret d'accusation
conIre Mnrat, il luíssa demander l'ordre du
jour, qni fut voté aprcs quelques banales explí-
calious. Celte grande émotíou était perdue, et
tout se horna a quelques excuses de la Cam-
mune, qui flt un siuiulucrc de soumission en




LA COi\VE"'J'lOi\.


saoriñant son comítéríe surveillance, déjá désor-
ganisé et désorrnais inutile. La commission
affecta de se montrer satisfaite. En réalité, c'étaít
un échec pour la Gironde, cal' les décrets votes
furent oubliés , pour la Montagne, c'était le
point ímportant.


Le minístere avait dn étre renouvelé : aprés
Danton , Servan avait donné sa démission , Ro-
land annoncaít qu'il voulnít en faire autant, Sur
la proposition de Buzot, la Conventíon déclara
que Roland avait sa confiance, et le vaniteux
personnage promit de rester [usqu'a la mort,
Le cabiuet fut completé par la nominatíon de
Garat, idéolcgue sans valeur, á la justice, et de
Pache a la guerre , celui-ci s'empressa de livrer
<lUX Jacobíns l'arlministration de la guerre,
quoiqu'Il eut été choisi par Holand. Le ministre
de l'intérieur commit une nouvelle faute en
demandant ú Danton un cornpte des dépenses
secretes du minístere de la [ustíce , celui-ci
prétendit l'avoír donné avant de quitter le mi-
nistére, Hulano nin, et In Convention prononca
que le compte avait élé donné, mais en gros.
JI ne fallait pas atíaquer Danton ou il Iallait
pousser l'attaqne sérieusement. La Giroude Iut
mieux inspireo lorsqn'elle demanda au comité




LIV/Jf<; 1I1.


de surveillance de la CDmmune de renrlre
compre des objets qu'il avait recus pendant les
massacrcs de septem bre , le compte fut mal
rendu, et plusieurs membres du comité furent
condamnés ¡'¡ des restitutions qu'ils ne ñrent
paso lis avaient élé pris, suivant l'énergique
expression de l'historien Mortimer-Ternaux,
ce les pieds dans le sang et les mains dans le
sac ». La Gironde était de nouveau uiaítresse
de la situatíon ; elle réorganisa le comité de
súreté géuérale chargé de prouoncer sur les
arrestatíous, el le composa exclusivement de
députés giroudius. Les Montagnards s'effraye-
rent, el ne pouvant encere entarner la lutte dans
le sein de la Couvention, ils commencerent
leurs 11 tlil ques dans les clubs; Bríssot fut rayé
du club des Jacoülns. Une campagne tres-vive
fut couduite centre la gnrde départeuientale,
que les Girondins avaient íalt voter pOU!' la Con-
vention , on la represen tait comme une garde
prétorienne destinée á opprimer Paris, et l'on
cffrayait les scctions parisiennes en leur annon-
~'ant la guerre civile. Vainement les Girondins
faisaicnt remarquer que cette garde ne comp-
terait que /'¡,/.¡70 houuncs. qu'elle serait com-
posée par les départements. ([He le comman-




LA CONVENTION.


dant seul était á la n~1ina I ion ele la Convenlion;
les calumnies contlnuuient , el elles étaient
accueillies par la populuüou. Ou jouait la,
contre les Giroudins, le vieux jeu que jadis ils
avaíent jOU(' centre Louis XVI á I'occasion de
sa garde conslitutionnelIe.


D'ailleurs. les Giroridius ne se reíusaíent
á aucune mesure de rigueur du moment
qu'elle était dirigéc centre les prétres inser-
mentés ou con lre les émigrés. La si lila; ¡OH du
trésor public élait déplorable ; Oll avait émis
deux milliards d'assignats et les caisses étaient
vides, Cambon, le fí nancier de la Convenlion,
proposa de porter I'émission a [¡OO millions de
plus, cela fut accepté. En méme íemps, pour
augrncntcr la garantie des ussignats, les décrets
de conflscation déjá portes coutre les (\llligrés
furent éteudus : les persounes qui avaieut eles
dépóts appartena nt aux émigrés. furent sO,mmés
de 'les livrer , quan t aux émigrés, ils étaient
condamnés it mort s'ils avaient pris les armes
centre la France : daus le cas contraire, ils
élaient haunís et leurs híens confisqnés. Ces
mesures avaíent 11/1 hnt flscal en mém« tcmps
qu'elles donnaient satisíuctiou Ú la halne des
révolutionuaircs centre la nohlesse qui four-




L1VHE 111. 225


nissait la plus grande poetíon de I'émigration.
Les départements, oú les Girondins avaient


conservé toute leur influence, les soutenaient ,
d'ailleurs, leur propre cause était engagée dans
celle de la garde de la Convention qu'ils de-
vaient forrner : ils envoyaient de nombre uses
adresses dirigées centre les couspirateu rs de la
Conunune. D'autre part, les seclions parí-
siennes multipliaient les adresses en sens con-
traire et elles obtcnaient de la faiblesse de la
Convention l'abrogntion de la loi martiale. Le
27 octobre, Buzot proposa un projet contre la
provocation aI'assassinat ; il visait Marat et
rétrospectivement les septembriseurs, Le 29, .
Roland déposa le rapport sur Parls .qui luí
avait été demandé; iI faisait I'éloge de la popu-
lation, mais attaquait vivement la Communc,
dont il signalait les empíétemcnts. Robespierre
s'opposa á l'impression de ce rapport qui
caloinníaít la Ioyale population de ¡'aris et les
répuhlicains les plus dévoués , I'impression fut
votée malgré ses etrorts. Implicitement visé
dans le rapport, il avait dit qu'on n'osait pas
I'accuser en Cace; Louvet releva le gan t, é't corn-
menea sa fameuse accusation ; il énumérait
toutes les usurpatious de la Commune, qu'il


I :~.




:26 LA COi\"VENTIO[\.


aUribuait a Bobespíerre, et aprés chaqué fait iI
revenait á ces mots : « Ilobespierre, je t'accuse, ))
Cela ne manquait pas d!) mouvernent. ni d'une
certaine grandeur. Seulemeut, á canse du role
de ses amis au 20 juin et au 10 aoút, Louvet
élait forcé d'établir entre les faits autérieurs au
10 aoüt et ceux qui étaient postérieurs une
distinction que rien ne ju-tiflait. Lit était le
coté faible de son réquisitoire ; ce que Robes-
pierre avait fait apres le 10 aoüt, les Girondins
l'avaient fait avant, et si l'un était coupable,
les autres l'étaient, á moins de souteuír que ce
qui était permis centre Louis XVI étaít défendu
contre ;\'1. Roland. Il est vraí que Bohespierre
ne pouvait guére invoquer cette raison, Il s'en
tira, du reste, habilement, en demandant que
sa réponse fut re mise a huit jours. Les Giron-
dins auraient dú l'obliger a répondre seance
tenante; par dédain sans doute, ils accePlerent
l'ajournement. Le soír méme, Bobespíerre, que
ces attaques faisaient de plus en plus le chef de
la 1\I0ntagne, recut une ovation aux Jaeobius;
on ne parlait de ríen moins que d'entamer la


..


lutte contra la Convention, si cela étaít néces-
saire, et Iíobespierre lui-méme dut calmer ses
trop ardenls partisans. JI fut affirmé aux Jaco-




LIVRE 1Il, 227


bins, non sans raíson, que les hommes du 10aoút
et ceux du 2 septembre étaient les rnérnes:
Louvet avaiL da le nier ; il ne pouvait ignorer
cependant que si tous les cornbattants du
10aoút n'étaient pas aux prisons le 2 septembre,
au moins tous les massaereurs de septembre
élaienL au pillage des Tuileries et au massacre
des Suisses le 10 aoüt.


Pendant les huit jours qu'avait demandés
Robespierre, la Convention, qui craignaít de
trop s'engager, recula; elle ajourna les projets
irritants , elle repoussa le projet de Buzot
comme inutile, sous pretexte que le j ury suffi-
sait pour punir la presse, si elle provcquait a
I'assassínat , le molif était ridicule. Au jour
dit, Robespierrc flt longuement son apologie;
glissant sur certains points, il s'étendit com-
plaisamment sur certains autres : de nouzeau
il iden tilia sa cause personnelle avee celle de
la Révolution , lorsqu'Il eut terminé cette apo-
logie, qui ne manquait pas d'habileté, Louvet
et llarbaroux voulurent répondre, maís la Con-
veution ne le permit pas et elle passa a l'ordre
du jour. Les Girondins laisserent faíre. lis atfee-
térent de- dire qu'ils avaient triomphé et de
traiter dédaigneusernent Ieur adversaire : en




2


fait la virtoire étnit it lni : ces attaques toujours
inutiles lE' grandissaieut et l'actíon de la Gironde
sur l'nssernhlée allait en diminuant.


Quelques 11101s des opérations mililaircs : La
rctraite des Prussiens apres Valmy nc laissait
plus au nord que les Autrichicns , ils atta-
querent vaincmcnl Lillc qui resista Ú un lJOI11-
Lardement, el se mlrcut CI} retraite. Duuiourirz
forma le projet de les chasser de la Bclgiq ue ;
il vint á Paris lc 12 octobre <'1 a-sistn it une
séance des Jacobins, par Iesquels il se fit ap-
plaudir : seul Marat lui liut rigueur et vint le


-relancer jusque dans un bal. Dumouriez lui
tourna lo dos et Maral Iut mis :'t la porte. Le
voyage du général avait pum hut de luí obtenir
lesressources nécessuires pour SUIl expédition en
Belgique; il réussit, non sans diftlculté , 011 se
méfíait de luí. Ayanl obtenu á peu prés ce qu'il
voulail,il partit pour Valenoieuucs oú était
son armée, el le 6 novcmbre la bataille ele
Jemmapes, gagnée sur les Autricl1iens, gráco
aux vieux régiments qui emportereut les hau-
teurs de Cuesmes avec un élan admirable, lui
livrait la Belgique. Maitre du pays, il cut á
compter avec le ministre Pache et la Conven-
tion qui voulaient révolutiouuer la Irelgique,




LIVHE 111. 229


et les dH'l.icultés qu'il rencontra purent contri-
buer iI décider plus tard sa défcctíon.


En mérn« temps que Dumouriez envahissaít
la Belgtque, Custine envahissait le Palatinat et
s'emparait de Mayence ; iI poussait mérne une
pointe hardie jusqu'á Francfort, qu'il obligeait
a payer une contribution de 1/¡ millions ; plus
souple que Dumouricz, il se prétaít aux désirs
de Pache et introduísait dans les pays conquis
les idées francaises au grand mécontentement
des populations.


Dans le midi les généraux l\lontesquiou et
Anselme s'emparaient sans coup férir, le pre-
miel' de la Savoie, le second du comté de Nice,
Sur tous les points, nos armées étaien t victo-
rieuses.




CIIAPITIlE 111.


La fami lle rovale au Temple. - Proves de Lnuis XVI. -
Happort Gohier. - Itapport Valuzé. - Itapport Mailhe.
- La Convention décid« qu'eJle [ugcra le roí. - Comrnis-
sien d'cxamen - ACle .I'accusation - Lectur- de l'acte
d'accusation au roí. - Coruparurion du roi. - Atritude de
Valazé. - Les défonseurs du rol. -- Son testamento -
Discours de Dcs-zc. - Paroles du roí. - Dernier effort de
Lanjuinaís - QlIe;lhll' posées. - Voleo - Lácheré de la
Gironde. - Philippe Egalité. - Duchutol , - Verguiaud
proclame le résultat. - Garat au Temple. - Domiers mo-
ments et mort du roi.


Apres le 10 aoút, la Iaurille royale, it laquelle
on avaít d'abord destiné le Luxembourg pour
résidence, fut conduiLe it la tOUI' du 'I'eruple :
elle dut cette aggravatíon a Pétion qui, d'accord
avee les membres de la Commune. aflecta taut
d'inquiétudes sur les mesures a prendre pour
garder et préserver en méme tem ps les prison-
niers, que la Législa tive lui laíssa le soin de
choisir la résídence. Ce fut PéLion qui condui-
Sil au Temple Louis XVI et sa famille, et ce
vaníteux personnage s'acquítta de sa mission
avee son inconvenauce ordinaíre.




LIVRE m. 231


Par le touehant récit du ñdéle valet de cham-
bre Cléry, on conuaít tous les incidents du
séjour de la famille royale au Temple. Elle oc-
cupait la petite lour du Temple qui avait quatre
étages; la reine, Madama Elisabeth, l\Iadame et
le dauphin couchaient au second, le roí au
troisieme. La journée de la Iamille était ainsi
réglée : le roi se levait iI six heures : Cléry le
coilTait et l'habillait; le roí passait daos son
cabinet, oú il faisait sa priére, puis lisait jusqu'á
neuf henres, sous la surveillance d'un muni-
cipal qui ne devait pas le perdre de vue. Pen-
dant ce temps-lá Cléry Iaisait le scrvice de la
reine. A neuf heures, le roi déjeunait, et iI dix
henres il desceudait ehez la reine; alors avaient
Iieu les lecons du dauphin, A une heure la
tamille royale íaísait une prornenade, sous la
survcillance de quatre munícipaux, Apres le
díner le roi faisait un court som meil, suivi
d'une lecture. A huit heures avait lieu le souper
du dauphin, auquel le roí Iui-mérne faisait
faire sa priére avant que Cléry aille le coucher ,
la famille royale soupait ensuíte et se séparait,
Telle était la víe que les Girondius, ses anciens
ministres, avait faite au descendant de saint
Louis.




LA CONVEi\TION.


Jamáis, du reste, Louis XVI ne fut plus ad-
mirable quau Temple. Dans le roi, a Versailles
ou aux Tuileries, on doit regretter bien des
défaillances : iI ne veut pas comprenelre que ce
n'est pas en vain que Dieu a donné au prince
une épée, et que si la bonté est une qualité,
ce u'est pas la seule, ni méme la principale
qunlité de celui qui est appelé il gouverner un
peuple. Au Temple, plus de eléfaillances, et
Louis XVI se montre dans toute sa grandeur.
Lorsque le 21 septembrc, les corntuissalres de
la Couven tion vien nent lui lire le décret d'nbo-
Iition de la royauté, en vain leur haiue chorche
a lire.quelque abattement sur les traits ele la
victime, Louis reste impassible. CeLte. impassi-
bilité, ou plutót ceLte fermeté chrétienne se
retrouve dans toutes les círconstances


Au mois d'octobre, la famille royale fut trans-
portée dans la grande tour du Temple 011 elle
trouva une installation encere plus mauvaise
que dans la petite. A la méme époque, le roi fut
dépouillé de ses décorations. Le 1el' novembre,
il recut la visite d'une commission de la Con-
vention, dont faisait partie Drouet, I'auteur de
son arrestation a Varennes; il adressa aux
cornmissaircs des réclarnations qui ne furcnt




LIVIIE III.


pas écoutées, La Convention avait voté pour
I'entreticn de la íam ille royale, une somme de
500,000 livres, maís la souune ne fut jamáis
donnée : on IJnya seuleincnt 2,000 livres en
assignats, el on remboursa au valet de charnbre
IIue une somme de 526 livres qu'il avait dú
avaucer ;'\ son maíírc.


Un premier rapp;rt sur la situation du roi
avait été faít ¡'¡ la Législative par Gohier; iI était
haineux et accusait le roi ele lous les crimes ,
Gohíer concluait á I'incompétence de la Légis-
lative qui devait laísser á la Convention le soin
dé prononcer. Une commission fut nommée
par la Convention, et le 6 elécembre, Dufriche
de Valaxé, un girondin ele naissance noble, fai-
sait le rapport. pour la prerníére fois dans une
piéce publique paraissait le nom de Louis Ca-
pel; Valazé, se montrait plus haineux et plus
violent que Gohier ; il présentait le roi comme
ayant merité le chátim ent des traítres. Et l'au-
teur de ce ra pport parlait ainsi par lácheté.Le len-
demain.autre rapport de Mallhe sur la question
juridiquc: par des arguties de procureur, 1Iailhe
s'cfforcait d'éíablir (IUC Louís XVI était justi-
ciable de la nation que représentait la Conven-
tion , il ne pouvalt invoquor le hénéflce de la




L\ CO::\\EYL'lO\.


Constitution qui le déclaraít inviolable puisqu'il
l'avait violée. Le 13 novernhre, les débaís s'en-
gagerent sur eette question. « Le roi peu t-ilétre
jugé ? 1) Plusieurs députés, Morisson, Royer,
Faure soutinrent que le roi ne pouvait étre
jugé; Saint-Just, avee un freid cynisme qui ef-
fraya l'Assernblée, Melara que tout roi étuit
hors I'humanité et devair étre supprimé.


Le 2 décembre, la munici palíté de Paris fut
renouvelée; au refus de Pétion et ele I'ancien
contróleur générill d' Ormesson sneeessivement
élus, le girondin Chambon Iut nornmé centre
le jaeobin Lhuillier, membre du Tribunal ex-
traordínaíre , le nouveau eonseil de la Commune
était aussi mauvaís que l'ancien qui ne luí eéda
la place que sur les menaces de Santerre ,
Chaumette Iut nommé procureur-syndíc, avec
Hébert, le direeteur du Pére Dltchime, pour
substitut, Cette nouvelle adrninistration se si-
gnala par un reeloublement de rigueurs eontre
le roi.


La Convention n'avaít pas décidé si le roí
pouvait étre jugé; eles désordres ayant en líen
a canse du prix du pain, les ~lonlagnards en
rendirent Louis XVI responsable, el deman-
llerent sa prompte mise en jugeuient. Apl'f's




LIVHE 111. 235


une nouvelle dicussion dans lnquelle Robes-
picrre reprit. SOIlS une forme adoucie, la íhese
de Saint-Just et soutint que la condamnation
du rol était l'ahsolution et la confirmation de
la Ilépublique, la Conventíon decida qu'elle
pouvait juger le roí. Les Girondins voterent
pour la plupart, comme les i\lontagnards; ces
pnrleurs hrillants tombaient dans le piége que
leur avaient tendu leurs adversaires. Le calcul
des ~Ionlag-nards était odieux, mais habile : si
les Giroudins ne condamnaient pas le roi a
mort, 011 les accuseralt d'étre des suppóts de la
tyrannie et de rever une restauratíon , si,
centre leur conscence , i1s le condamnaient a
mort. ils se décousidéraient par cette preuve de
faiblesse et perdaieu t leur autorité dans l'As-
seruhlée. Couuueut, dans la Gironde, aucun
homme ue sut-il déjouer ce calcul, en Iaisant
déclarer que le roi, couvert par la Constitution,
ne pouvait étre jugé?


011 voulait aller vite : une connnission de
21 mein ores Iut nouuuée pour préparer l'acte
d'ac-usariou , elle 10 déceinbre, Lindel en dan-
nait lecture ú la COIIV('UtiOll qui I'npprouva.
PUlir cet acte , dressé avec une ad ieuse habileré,
Lindel nvait Iait usagc des pi('ces dc l'armoirc




236 LA CONVENTION.


de fer réeemment livrées. Le lendemaín, au
milieu d'uu gr.md déploieuient de force, le
maire Cbambou, le procureur-syudic Chaurnette
et Sauterre se présenterent au roi auquel ils
lurent un décret portant que Louis Capet étaít
traduit á la barre ele la Convention pour y étre
jugé. « Capet n'est pas mon norn, ditLouis XVI,
c'est le nom d'un de mes ancétres. )) 11 ajouta
qu'il cédait a la force. Unc voiture, qu'entou-
rait une nombreuse escorte, l'amena a la Con-
vention Santerre alla prévenir le président
Barreré que (( Louis Capet attendait ses ordres ».
Le roi fut iutroduit: iI prit place il la llano
entre deux officiers rnunicipaux , les tribunes
étaient remplies d'hommes arrnés. On donna
lecrure devant le roi de I'acte d'accusatiou ,
sans qu'il se départit ele son impnssi hilité. Puis
le président procéda iJ. I'interrogatoire. Un dé-
puté, Durand ele Maillanne, a raconté combieu
il étaít ému des répo nses du roi, qui parlait
el' ti ne voix terme, avcc une clarté et une préci-
sion a.lrnirnbles. Malgl'é cela, il auralt été plus
royal de ne pas répoudre , a quoi hon discuter
ave« des honrrcaux dont le jugement est pro-
nOIlC(J d'avance? Le girondin Valazé se conuuisit
alee une raro iusolcuce . sans daigner se re-




LTVnE JJ1. 237


tourner, il tenrlait les piéces au roi par-dessus
son épaule, lui disant : ( Ileconnaissez-vous
cela.ll Le roi devait répondre oui ou non. A
six hcures, l'i nterrogntoire était terminé, el le
rol retournait au 'í'eiuple, rnais iI était privé le
jour mémc de la consolation de voir sa famille
dont 11 fut sépnré , c'était un surcroít de cruauté
de ses préteurlus [uges,


La Convention avaít d'abord songé a inter-
dire toute déíeuse au roi et iJ. le juger somrnai-
rement; elle n'osa pas, et LouisXVI fut prévenu
quil avaít a désigucr ses défenseurs. Il ehoisit
Target et Tronchet; le premier déclina l'hon-
neur qui Ini était fait; le second accepta avec
rcconnaissance: il s'adjoignit Malesherbes, l'an-
cien miuistre de Louis XVI, et Deseze, jeune
avocat du barrean de Bordeaux. De nornbreux
personuages s'otfrirent pour défendre le roi:
André Cuénier, le poéte, Olyrnpe de Gouges
(\lmc Aul.lry), quí avait écrit des ouvrages en
faveur de la Révolulion, Sourdat (de Troyes),
Cazalés , I'orateur de la Constituante , Lally-
'I'ollendal, Malouel, etc. : les ministres Dalmas
et Necker pu hliúreut des mérnoires en Iaveur
de I'accusé. Audré Chénier et Mme Aubry
payerent de leur tete leur oílre généreuse.




1,A LO;'i Y l!: i\ TI O ;\ •


Le jonr de Noél, Louis XVI qui ne se faisait
pas illusion sur I'issue de son preces. fiL sun
testament: cette piéce est bien counue. mais
elle est trap touchaute pour ne pas la repro-
duire :


« Au nom de la 'I'res-Balnte Trinité, du Pére,
et du Fils, et du Saint-Bsprít : Aujourdhuí
25' jour de décembre 1792, moi Louis, seizierne
du nom, roi de Frauce, étant depuís quatre
mois renfenné avec ma famille dans la tour du
Temple a París, par ceux qui élaient mes su-
jets, et privé de toute communlcation quel-
conque. rnéme, depuís le 1i du courant, avee
ma famille , de plus, impliqué dans un preces
dont il est impossible de prévoír I'issue, 11
cause de la méchanceté des hommes, et dont
on ne trouve aucun prétexte ni moyen dans
aueune loi exístante; n'ayant que Dieu pour
témoin de mes pensées el auquel je puisse m'a-
dresser, je déclare ici en sa présence mes der-
níeres volontés et sentimeuts :


« Je laisse mon ame a Dieu, mon créateur j
je le prie de la recevoir dans sa miséricorde,'
de ne pas la juger d'aprés ses merites, mais par
ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s'est




L1VnE u r.


offert en sacrifíce a Dieu son Pere pour nous
autres houunes quelque indignes que nous en
fussious, el moi le prernier :


« Je meurs dans l'uuion de uotre Sainte-Ilere
l'Église catholique. apostolique el rouiaiue quí
tieut ses pouvoirs, par une succession non in-
terrompue de Saint-Pierre, auquel Jésus-Christ
les avait confiés.


(( Je crois íermement et confesse tout ce qui
est contenu dans le symbole el les cornmande-
ments de Díeu et de I'Église, tels que l'Église
catholique les enseigne el les a toujours ensei-
gnés. Je n'ai jamaís prétendu me rendre juge
dans les díüérsntes manieres d'expliquer les
dogrnes qni déchirent ¡'Église de Jésus-Christ j
mais je men suis rapporté et m'en rapporteraí
toujours, si JJieu m'accorde vie, aux décísions
que les supérieurs eccléslastiques, unis a la
sainte Églisc catholique, donnent et donneront
conformément a la discipline de I'Église suivie
depuis Jésus-Christ.


(( Je plains de tout mon ecsur nos trére« qui
peuvent étre dans l'erreur ; mais je ne prétends
pas les juger el je ne les aime pas rnoins tous
en Jésus-Christ, suivant ce que la charité chré-
tienne !lOUS enseigne, Je prie Dieu de me par-




2íIJ LA co x VEYI'IO\.


donuer mes péchés , j'ai cherché iJ. les con-
naltre scrupuleusement; a les détester et a
m'humilier en sa présence. Ne pouvant me
servir du ministere d'uu prétre catholique, je
prie Dieu de recevoir la confession que je lui
en ai faite, ct surtout le repeutir profond d'a-
voir mis mon nom (quoique cela fut centre ma
volonté, á des actes qui peuvent étre cont.aires
a la discipline et a la croyanee de I'Église ea-
tholique, á Iaquclle je suis toujours resté sin-
cerement uni de creur. Je prie Dieu de recevoir
la ferme résolution OLL [e suis, s'il maccorde
vie, de me servir, aussitót que jo le pourrai, du
minístere d'un prétrc eatholique, pour m'accu-
ser de tous mes péchés et recevoir le sacrement
de Pénitence.


« Je prie tous ceux que je pourraís avoír oI-
fensés par ínadvertance (cal' je ne me rappelle
par avoir fait sciernrnent aucune oílense il per-
sonne), ou ceux a qui j'auraís donné de mau-
vais exemples ou des scandales, de me pardon-
ner le mal qu'íls croíent que je peux Ieur avoir
fait , je prie tous ceux qui on t de la charité
d'unír leurs priores aux miennes pour obtenir
de Dieu le pardoo de mes péchés.


« Je pardonne de tout mon C(lmr;) ceux quí




LlYI1E IJI.


se sont faits mes euuemis, sans que je lenr en
ale donué aucun sujet, et je prie Dieu de leur
pardonner, de mcme qu'a ceux qui, par un
faux zele ou par un zéle mal entendu, m'ont
faít beaucoup de mal.


« Je recommande a Dieu ma femme et mes
e nfunts, ma SCBur, mes . tantes, mes freres et
tous ceux qul me sonL attachés par les lieus du
sang ou par quelque autre maniere que cela
puisse étre: [e prie nieu particulíérement de
jeter des yeux de miséricorde sur ma fernme,
mes enfants et ma sceur qui souffrent depuis
longLemps avec mol , de les soutenir par sa
gráce, s'il viennenL a me perdre , et tant qu'ils
resleront dans ce monde péríssable. .'


(1 Je recornmande mes enfauts a ma femm~~t-'
j.e n'ai jamáis d.OUlé de sa tendresse materna VI.
pour eux , je lui recommande surtout d' 1\
faire ele bons chrétiens et d'honnétes homme "'Ol!


"de ne leur faire regarder les grandeurs de ce "
monde-el (s'i1s sont condamnés a les éprou-
ver), que comme des biens dangereux et pé-
rissables et de tourner 18urS rcgards vers la seule
gloire solide et durable de l'éternité. Je prie
ma sceur de vouloír continuer sa tendresse a
mes enfants et de leur tenir lieu de mere,
1~




.. LA .CüNVENTIOi\'.


s'ils avaíent lc malhcur de perdre la leur.
« Je prie ma 1'el1l111C de me pardonner tous


les maux qu'elle soulfre pour moi, et les cha-
grins que jc pourrais lui uvoir causé dans le
cours de notro unión: comme elle peut dl'e SLlI'C
que je uo garde rien centre elle, si elle croyait
avoir quelque ehose ú se reprocher.


({ Je recornmande bien vivcmcnt ú mes en-
fants, apres ce qu'ils doivcnt ú Dieu, qui doit
marcher avant tout, de rcster toujours unis
entre eux, soumis et obéissanls iL leur .mere,
el reconnaissants de tous les soins et les peines
qu'elle se donne pour eux et en mémoire de
moi. Je les prie de rcgarder ma sceur comme
une seconde mere,


« Je recornmande ;', mon ííls, s'il avait le
malheur de devenir roí, de songer qu'il se doít
tout eutier au bonheur (le ses concitoyens;
qu'il doit oublier toute haine el tout ressenti-
ment el nommément ce qui a rapport aux mal-
heurs et aux chagrins que j'éprouve , qu'il ne
peut faire le bonhcur des peuples qu'en suivant
les lois, mais en meme temps qu'un roi ne
peut les faire respectar et faire le bien qui est
dans son creur, qu'autant qu'il a I'autorité né-
cessaíre, et qu'uutrcmunl., ('!alll ji(; .laus ses




LIV la: IlI. 213


opératíons et n'Inspirant point de respect, il est
plus nuisihle qu'utile.


« Je reconunande á mon fils d'avoir soin de
toutes les persounes qui m'étaient attachées,
autant que les circonstances oú il se trouvera
lui en donneront la faculté, de songcr que c'est
une dette que j'ai contractée euvers les enfants
ou les parents de ceux qui ont péri pour moi,
et ensuite de ceux quí sont malheureux pour
moi.


« Je sais qu'il y a plusíeurs personnes de
celles qui m'étaíent attachées qui ue se son1pas
couduites envers moi comme elles le devaient,
et qui ont niéme montré de I'íugratitude ,
milis je leur pardonne (souvent dans les mo-
menls de trouhle et d'efIervescence, on n'est
pas maítre de soi), el je prie mon fils, s'Il en
trouve I'occasion , de ne songer qu'a Ieur
malheur.


« Je voudrais pouvoir témoigner ici ma re-
counaissauce il ceux qui m'ont montré un atta-
chemenl véritable el désintéressé , d'uu colé, si
j'ai élé sensihleuient touché de I'iugratitude el
de la déloyauté de gens á qui je n'avais jamais
témoigné que des houtés, de I'autre, j'ai eu de
la cousolation á voir l'atíachemen! et l'intérét




244 LA CO:iYE!\'j 10\.


gratuit que beaucoup de personnes m'out mon-
tré ; je les prie dcu rccevoir tous lijes remer-
ciements. Daus la situatíou OLL sont encere les
choses, je crain drnis de les comprouiettre si je
parluís plus explieilemenl; muis je recomo
mande spécialemcut amon fils de chercher les
occasions de pouvoir les reconuaítre.


11 Je croiraís calomuier cepeudant les senti-
ments de la nation, si je ne rccommnudals ou-
vertement a mou Ills ~UI. <le Chumilly et Hué,
que leur vériiable attacheuient pour moi avait
portes á s'entenner avec moi dnns ce triste sé-
jour et qui ont pensé en étre les malhoureuses
victímes, je lui recouunaude uussi Cié,,);, des
soius duquel j'ai eu íout lieu de me louer de-
puis qu'il est avec moi; COtlltIlC c'est lui qui est
resté avec moi jusqu'a la fin, je prie messieurs
de la Commune de lui remettre mes bardes,
mes livres, mamoutre, ma bourse et les autres
petits objets qui ont été déposés au Conseil de
la Commune.


« Je pardonne encere tres-volontiers a ceux
quí me gardaieut les mauvais traiternents el les
genes dout ils ont cm devoir user envers inoi i
j'ai trouvé quelques ámes sensibles et coinpatis-
santes, que celles-la jonissent dans Ieur creur de




L/VIII<: JII.


la tranquilité que doit leur douner leu!' I'a\'on
de penser.


( Je prie MM. de 3Ialesheshcs, 'I'ronchct et
Deseze, de recevoir ici tous mes rciuerciemcn ts
el I'expressiou de Hin sensibilité pnur IC)lIS le,
soins et les peines qu'ils se sont douué ; pour
moi.


« Jo flnis en déclarant devant Bien ct prét a
parattre devaut Iui, que je ne me reproche au-
cun des crimes qui sout avancés centre moi.


« Fait douhle a la tour du Temple, le 25 dé-
cembre 1792.


Signé: Louis,


Le lendemain 26 rJécembre, le roi cornparais-
sait ele nouveau devant 1<1 Convention. JI avaít
demandé a Malcsherhes ce qu'il pouvait faire
pour ses clévoués cléfenseurs, Trouchet et
nesezc. « Embrassez-les , )) luí répondit son
uncien ministre, et le roi embrassa les deux
avocats , plus honorés de cela que de toute
autre récornpen se. La Convention ílt at-
tendré le roí pcndant une hcure : ses eléfenseurs
en causant avec InÍ, disaient Sire et lVIajesté,
un conventionnel trouva cela mauvaís, « Qui
vous rcncl si hardis len r dit Treilha r.l. de ]11'(1-


1;




LA l':O:'íVENTI01\.


noncer ici des noms que la Convention a pros-
crits? - Le mépris de la vie, )j répondit Males-
herbes. Deséze prononca son discours qu'il
est ínutile de résumer : il cherchait vainement
des juges la oú iI n'y avaít que des accusateurs.
On lui a reproché de s'étre montré froid; il avait
obéi au roí qui lui avait fait supprimer une pé-
roraison pathétique, en lui disant . « Je ne
veux pas attendrir mes aocusateurs. » C'était
royal. I..ouis XVI ajouta quelques paroles, iI dé-
clara que sa conscienee ne lui reprochait ríen.
il protesta surtout contra l'accusation d'avoir
fait verser le sang, lul qui avait toujours reculé
devant une défense légitime pour ne pas causer
d'effusion de sango 11 avait malheureusemeut
poussé cette horreur du sang jusqu'á la fai-
blesse. Puis le roi se retira avec ses défenseurs.


Les Girondins commeucaient a comprendre
les difficultés de la situation dans laquelle les
Montagnards les avaient placés. Lanjuinais ,
toujours opposé au jugement, demanda qu'on
rapportát le décret par lequel la mise en
jugement du roí avait élé elécielée. Pélion l'ap-
puya, peut.étre l'ancien maire de París avait-il
quelques remords ? lis échouerent, et iI fut dé-
cidé que trois questions seraient posées : 1° Le




LIVRE JI!.


roi est-il coupable ? 20 Le jugement sera-t-i! sou-
mis tI la sanction du peuple? 3° Quelle sera la


. ?peme .
Sur la premiére questlon, il fut répondu oui


á l'unanirnité des 683 députés présents, parrni
Iesquels ñguraíent des royalistes, cachant 50i-
gneusement leurs sen ti men ts , 66 députés
étaient absenta ou s'étaient récusés.


Sur la question de l'appel au peuple, ú2ú dé-
purés le repousserent: 281, parmi lesquels les
cheís de la Giroude, l'appuyerent.


Lorsque la troisieme questíon, celle de la
peine ti inflige!' au rol, fut posee, les tribunes
étaíeut garn ies d'hommes aruiés qui mena-
caient les députés soupcounés d'étre favorables
a Louis XVI; des canons étaieut braqués sur les
portes de la Convention , la Montagne avait pris
ses précautíons pour intimider ses adversaires.
On tira au sort la Iettre par laquelle on de-
vait commencer l'appel des départements, le
G sortit. « Tant rnieux, dit Deseze a Males-
herbes, la Girande nous est favorable. )) Hélas!
la Gironde eut peur et ses chefs voterent la
mort, sauf quelques-uns, qui, avee Lanjuinais,
surent résisier a la pression. Un vote sur-
tout tít une horrible impressiun, ce fut celui




248 LA t:Oj\iVEj\iTIO~


de Philippe-Égalité. Quand il prononca ces
mots terribles, la mort, il y eüt comme un
frémissemen t dans toute l' Assemblée . les Mon-
tagnards les plus exaltes eux-mémes, avaient
honte de leur cornplice , ils trouvaíent qu'il au-
raít dú s'abstcnir. Pendant que chaqué député
défilait pour donncr iJ. haute voix son vote,
quelques-uns marquaien L[es voix , la majorité
n'étant pas tres-Iorte, ils se dernandalent quel
serait le résultat, Au dernier morncut, alors
qu'on allait cloro le scrutin, OH vit entrer UlI
député qui, malade, se faisait porter. c'était Du-
chate! qui n'avait pas hesité ú quitter son lit
pour venir rernplír son dcvoir. Au milieu des
insultes des Montagnards ct des rribunes, quí
voulaient I'cmpécher de voter, il se prononca
d'une voíx éteinte pour le banisscment. Quel-
ques mois plus tard, cet acte de courage lui
coütaít la vie. Le présideut devait Jire le résul-
tat du scrutin, el par une ironie du sort que
remarqua la Moutague, Vergniand occupait ce
jour-la le fauteuil de la présideuce. C'élait
déja lui qui avait annoncé I'ouverture du pro-
ces; il dut en proclarner le résu llat : :187 dépu-
tés avaient voté pour la mort, ,j;)/¡ pour le han-
nisseuient , sur les députés qui nvaíent voté la




J,J\J(t; lIJ. 249


mort, 46, comme par une derniere capitulation
de conscíence, avaient demandé un sursis,
on ne tint aucun comple de Ieur reserve. En
proclamant ce résultat, verguíaud, qui n'au-
rait voulu ni [uger, ni condamner Louis XVI,
et qui cependant avaít voté la mort, éraít pro-
fondémen t ému , étnit-ce simplementle remords
ou le plus hrillant orateur de la Gironde de-
vinaít-il que cette lácheté allait causer la perte
de SO!} parti?


Malesherbes, au 110m du roi, donna lecture
d'un appcl a la nation, on n'en tint nul compte,
Le leudemaiu, 17 janvier, les larrnes de son
vieux ministre apprireut iJ. Louis XVI la triste
nouvelle , iI s'y attendait, il la recut avec calme
et il ne songea plus qu'á se préparer iJ. la
mort, Le 20, Garat, ministre de la j ustice, se
presenta au Temple, le chapean sur la tete;
Grouvelle lut le décret que Louis XVI entendit
avec beaucoup de dignité.


Le jour mérne, 11 écrivit iJ. la Convention pour
lni demander un délai de trois jours pour se pré-
parer ala mort, la faculté de recevoír un prétre
insermenté qui ne serait pus iuquiété, I'autori-
sation de voir sa Iamil!e , en ruéme lemps i l
recouuua ndait il ses bourreaux ses servileurs.




~50 LA r:ONVEi\TJ01\'.


On luí accorda toutes ses demandes, sauf la
premiére ; la Convcntion avait háte d' en flnir,
les l\Iontagnanls craiguaient toujours que leur
vicLi me leur échappá t : parmí les raisons
qu'ils donnerent pour refuser le délai, se trou-
vait celle-cí. que l'humauité COIllIl1;IIH!i1it de ne
pas prolonger iuulilemeut les souflrauccs d'un
condamné, l' invocation á llnuuanité élaiL heu-
reuse.


Cornme si elle eút voulu se douuer la jouis-
sanee d'humílier celui qu'on allait ussassiner,
la Commune de París íaisait retire!' uu roi, non-
seulemen t touL instrumen t trauchau t , mais
mérne les fourchcttes : il dut díucr sans four-
chette. Un savait bien cependaut que Louis XVI,
chréticn, saurait attcudrc la 11101'1. Duus la soiréc
du 20, le roi cut avec sa famille sa deruier« ell-
trevue : avant de quitter sa femme, sa sraur et
ses enfanls, il dut leur promellre qu'il les re-
verrait le lendemain. II vit ensuilQ I'abbé Edge-
worth de Firmout , prétre inscnnenté , mais
lorsqu'il demanda I'autorisatiou de faire dire la
messe et de cornmun icr, on lui répoudít qu'ou
pourrait luí douuer uue hostie cmpoi-nnuéo.
La Cornmune cepeudáut rcviut sur son refus,
el le lcudcmuin matln, avaut de partir pour




r.ivu« ID,


]11 plllce de 1" lI¡:\o]uliol1, moiutcuen! place
Louis XVI, le roi l)ull'eCcvoil' la salute commu-
nion. 11 aurait d('sil'é que Cléry l'uccompagnat ,
011 lui répourlif brutalcnu-ut que le hourrcau
était assez hon pour Iui. JI se Illil cn mute avee
l'abbé Edgewol'lh et le connnissaire de la COIll-
mun«, qui était un prétre apostar <In 110m de
Iloux. Des Iron pes avaient été disposées daus
toutes les dirccíious, la Convention savait qu'un
complot avait été formé pour cnlever le roí , ce
qu'cllc iguorai 1, c'est que le roi Iuí-méme avait
dissuadé ses fldeles paríisnns de fairc aucune
tentativo, pour éviter une nouvclle cííusion de
sang, C'était par une Iroide journée de janvier,
el toute la ville était COIJIl1W plongée dans la
stupeur.


Arrivé, au pied de I'échaíaud , Louis XVI,
apres 1111 moment d'hésltation, se laissa líer les
mains, sur une observatíon de son confesseur,
qui luí rappela le supplice du Sauveur, Du haut
de I'échaíaud , il prononca quelques paroles
d'une voix 1'01'10 ; (1 Je meurs in nocent de tous
les crirnes qu'on m'irnpute ; jc pardoune aux
auleurs de rna mort, d je pric Dieu que ce sang
que vous ;\111';7, répnnrlre ne retornhe jamais
SUI' la I'rance. ,) t.n rouletncnt de tambour,




L·\ CO\YE\TJO'i.


ordonné par Santerre, d'aprés les uus, par un
oíflcier general du nom de Beauíranchet d'a-
pres les autres, l'empécha de poursuivre, et
quand le roulement fut terminé , Louis XVI
avaít cessé de vivre. Un valer de bourreau
monLra sa téte au peuple en criant : Vive la Ré-
publique! Quelques jours aprés, une lettre du
bourreau , repondaní aux meusonges d'un jour-
nal républicain, rendaít hommage au courage
avec lequelle roi était mort,


L'histoire a jugé cet odieux assassinat que
den n'excusait; il était inutile : iI a valu á la
France la guerre a I'extéríeur et la Terreur á
i' in térieur, Victime expiaLoire, frappé popr les
siens, Louis XVI dernandalt que son .sang ne
retombát pas sur la Frunce, sa priére n'a pas
été exaucée, et depuis SO aus, la France sup-
porte encore les conséquences du crime du
2'1 janvier,


(ó;é\¡;~
\~. li\~~~:'.'/'.:




CIl\PITnE lV.


Déelaratioll lk ~l:lh:JTe :l. l'AIl~lct('I'l'e et h l'Espagne. ~
Ass""inilt de Lo Pdletim' do Sui nt-Fargonn. - Mesure»
tcrroristos. - ltctruiro de P.ol,,"d. - Los assi.nut». -
Pachc, maire de Paris. - 1'\ol\\"e\\cs mesnrcs terror istos , -
Le trihu nal révotuíinnnnirn. - ~Ionvcmcllt avorté du
9 murs. ~ í-luint« tl~ Vorguiaurl, - Mesures coutro le;;
émi;;n,s ct le, suspvcts. - Comité de défense et do '(¡t'et,;
générnlc. - Lnsource dénonce Danton. - La COllvention
renonce it l'in violnhilité d.: se"' meiuhres. - Pl'()~ds de
Dumourioz. _. fa VL\ n111] h Paris, - ExpL"dition de Hnl lanrln.
-- Bataillc de "'e(~r'\Vindc. - ONo'cl¡o" de Duruouricz.


L'assassinat <Ir, Louis XVI, c'étalt la guerra ti
l'extérieur et la terreur Ú l'intérieur. Des que
le gouvernement anglais apprit la mort <In roi,
la cour prit le deuil : (les deux représcutants de
la Franco, I'un, Chauvelin, Iut clmssé , l'nutre,
'I'alleyrnnd, toujours prudent, prit un passeport
ponr les l~tats·Unis. Jusque-Iá, l'Angleterre,
quoique mécontente de In conquéte de la Bel-
gique, avait hésité ti déclarer la guerre, toutes
les hésitations disparurent. En mérne temps, la
Convenlion déclarait la guerra á l'Espagne,
paree que I'arnbassadeur espagnol avai; fail des





LA CONVENTIO;';.


démarches en faveur de Louis XVI. C'était de la
démence.


Le signal de la terreur a l'intérieur fut donné
par I'assassinat de l'un des juges de Louis XVI,
Le Pelletier de Saint-Fargeau, nncien membre
du Parlement et jadis royalíste, Le Pelletier,
qui disposait d'une vingtaine de voix, s'était
formellement engagé a voter pour le baunisse-
ment; il manqua a sa parole et le 20, avant
rnéme la mort du roi, un ancien garde consti-
tutionuel du rol, du nom de París, le tuait
cl'un coup de sabré. On lui 11t des funérailles
magnifiques et son corps fut porté au Pan-
théon. Sous l'impression de cet assassinat, qui
effrayait nombre de conventlonnels, des me-
sures de rlgueur furent votées , les Bourhons
furent expulsés de France ; les personnes qui
s'étaient réunies aux Tui/eries pour la défense
du rol íurcnt décrétées d'accusatiou, ainsi que
les fonctionnáires venus aParis pour conspirer
contre la Républlque ; comme compensation,
les Glrondins firent voter en méme temps des
poursuites contre les septembriseurs , mais
quelques jours apres, sur une démarche COIl1-
minatoíre des sections de París, ces poursuites
íurent ajournées,




LIVIIE lIT. 255


Le comité de surveillance générale constitué
par la Convenlion pour faire disparaítre celui
de la Commune Iut renouvelé ; les Girondins
qui y avaient eu jusqu'alors la rnajorité, n'y
furent plus qu'en minorité. D'autre part ils
avaíenr pel'du leur ministre isvori, ñoinoú, qui
fatigué de son impuissance et réeluiL a des
plaintes inutiles, préférait se retirer , les deux
mínisteres de la [ustice et de I'intérieur furent
momentanément réunis entre les mains de I'in-
capable Garat ; par compensation, Pache quitta
le rninistóre de la guerre oú il Iut remplacé
par un soldat, Beurnonville. L'assemblée, sous
le coup des excitations de la Commune, vota
les certiflcats de civisme ; tout citoyen élait
tenu d'en avoír un qu' il devait présenter a toute
réquisition , elle autorisa de nouvelles perqui-
sitions pour rechercher les émigrés ou les indi-
vidus suspects de l'étre. Le financier de la Con-
vention, Cambon, poussait a la multiplication
des émigrés : iI venait d'émettre encore 800 mil-
lions d'assignat,s, déclarant que les planches
aux assignats serviraient encore longternps aux
besoins de la Hépuhlique , maís pour éviter
une trop grande dépréciation, il fallait un sur-
crott ele garantlc que fournissait la conñscation




2~(j LA CONVE:'iTlON.


des biens d'émigrés. Le 14 fcvrier, [e maire de
París. Chambon, (lIli était Girondin, était rem-
placé par Pache, (lile les Girondins avaicnt íait
chasser du ministere de la guerreo C'éluit [JoU!'
eux un adversaire déterminé. De concert avec
Marat, Pacho orgauisa un mouvemcnt centre
des négocia 11 lsqualiflés d'accn pareurs , le mouve-
men t désavoué par [es chefs de la Montagne,
ne réussit pas, et les Girondins réclamerent la
mise en accusation de Marat, qui fut simple-
ment renvoyé devant [es tribunaux ordiuaires.
Les nouvelles rnilitaires qui arrivaient de De[·
gique étaient mauvaises ; [a Commune en pro-
tita pour demandar l'envoi aux armées de quel-
ques centaines des Brctons qui faisaíent le
servíce aupres de la Convention ; il fut décidé
qu'ils seraient envoyés, non uux armées, mais
sur [es cótes , [e résultat était le mémc, seule-
ment la Convenlion, ou plutót Beurno nville [es
retint encore quelque temps, Se servant habile-
ment de ces nouvelles militaires el invoquant
le dan gel' de la patrie, les montagnards firent
voter I'envoi daus les départements de 83 com-
míssaires de la Convention, chargés de réohauf-
fer l'enthousiasme (les populations el ayant
plei ns pouvoirs , ces represe ntan ts íurcnt chuijls




LIVH¡'; 1IJ. 2;j7


parmi les montaguards. Un irnpót de gnerre
fut volé sur les villes. Un tribunal extraordi-
naire fut Cl'C;(; pOUJ' juger \('S (1 tmitres, les agi-
tateurs et les contrc-révolutionnaires ». C'est
le fameux tribunal révolutionnairc. Pour corn-
pléter I'oeuvrc, Ilobcspierro demanda que ce
tribuual fút dispensé de suivre les formes
habituelles : il íallait írapper f01'1 el vite pour
terriüer les eunemis de la llévolution , les Gi-
rondins s'eñrayerent el la demande de Itohes-
pierre Iut repoussée. Les Jacohins et la COI}l-
mune s'irriteren 1 de cette résístance de la
Convenlion ; un monvcment populaíre lut
organisé qui u'aboutit pus; aucun montagnard
importanl no voulut se mcüre a la tete, le mo-
ment n'étaít pas venu, les Bretons n'étaient pas
encorepartis, el le ministre Beurnonville, un
soldat, effrayait les agitateurs. Du reste, la Con-
ventia n ne persévéra pas dans son refus : elle
décida que le nihunal extraordiuaire serait
composé do () memhrcs choisis par elle, qu'il
serait dispensé des formes judicíaires el qu'il
pourraít évoquer dírectement une affaire cri-
mineIle. C'était mettre la liberté des ciloyens a
la discrétion du tribunal , vergniaud l'explí-
qua ti l'Asselllbíee, el JI o1Jtint qu'on ad¡oÍlJdl'ait




258 LA CONVENTIÜN.


au tribunal des jurés également ehoisis par la
Convention, sculement ces jurés devaient don-
ner leur avis a haute voix, ce qui les mettait a
la discrétion du publico


Le 13 rnars, á la suite d'une réeonciliation
apparcntc entre les Girondins et les Monta-
gnards, Vergniaud demanda une euquéte sur
les désordres des jours précédents ; il dénonea
plusieurs agents notoires des Jacobins, parmi
lesquels Lazouski et Foumler l'Amérlcalu , ces
agents Iurent poursuivis, mais la poursuite
aboutit á un acquittement. Verguiaud lui-méme
avait eonlribué a ce résultat en aflectant d'at-
tríbuer aux érnigrés la responsabi lité de dés-
ordres dont les auteurs étaient, au dire de tout
le monde, le maire Pache et Marat. De nou-
velles mesures violentes suívirent eette tenta-
tive avortée de Vergniaud; les érnigrés furent
írappés de banníssement il perpétuíté el leurs
biens confísqués. La peine de mort fut décrétée
centre les prétres déportés qui rentreraíent en
France : des comités révolutiounaires furent
établís dans toutes les communes pour la sur-
veillance des élrangers et des suspects , des
visites domicllinires furent prescritos par la
Commune dans le hut de rechcrcher les émi-




LIVHE IIJ. 25!l


grés et les prétres réfractn ires , la Convention
se horna ñ exiger que les visites eussent Iieu le
jour , enfin les concierges ele chaqué maison
furcn t tenus d'afflcher a la porte la liste eles
Iocataíres. Le méme jour, 25 mars, était créé un
comité de défense et ele súreté générale com-
pasé de 25 membres et comprenant un nombre
égal de Girondins et ele Mon tagnards , cette créa-
tion était une idéo ele Dnnton qui aurait voulu
voir la Convention prcndro la dictature sans
épuiser ses forccs dans des Iuttes intestines. De
nonvelles et violentes attaques des Girondins le
firent renoncer iJ. ce projet. On commencaít a
parler á París des intrigues oontre-révolutlon-
naires ele Dumouriez avec lequel Danton avaít
eu, a plusieurs reprises, des rapports: le giron-
din Lasourcc, s'cmparant ele ces rapports, accusa
Danton d'étre le complice de Durnouriez¡ Dan-
ton répondit avec une grande violence, et ñlarat
profita ele cette eliscnssion pour faire décréter
que la Convention renoucait iJ. I'iuviolabillté
ele ses membres et qu'elle permettait de les
poursuivro s'i1s éLaient suspects. Les Girondins,
avec leur imprévoyancc habituelle, votercnt la
mesure duns la pensée de la rliriger contre Danton
el Marat, ct elle les livrait a leurs adversalres.




LA CON\Ei\TION.


C'est apres ceLle discussion qu'arriva iJ Paris
la nouvelle de la défection de Dumouríez. Apl'(>'s
sa victoíre de Jeunnapes el sa conquéte de la
Belgique, Dumouricz avait songé il une expédi-
tion en HolJande. Il élail venu it Paris d,IIlS
les deruiers jours de décembre pour obtenir
des ressources nécessaires it son expédition el
aussi pour essayer de sauver le roi pour lequel
il avait conservé une afi'eclion réellc. Mais ioin
de son armée iI ne pouvai trien, et iI étai! partí
fort' mécontenl et des Girondins qu'il rcgardait
avec raíson C0ll1111e des rhéteurs sans cousis-
tauce el. des Jacobins avec lesqucls il n'avaít
plus voulu ele coutact. L'idée d'uue contre-révo-
lulion germuit dans son esprit, el il songeait il
la íaire en obtenant, sinon l'appui, au moins
l'inacLion des Aulrichiens. Mals pour cela illui
íullait de nouveaux succes qui assurassent son
prestígc. L'cxpédition de Hollando dcvail lui
douuer ces succes ; elle counneuca heureuse-
meut, mais les Autrichíens reprireut l'ofI'ensive
en Bclgique, íorcerent Miranda qu'il avait
laissé pour les observer, el rcculer el!' oliligereut
a revenir en toute hateo Duuiouriez réunit 1'a-
pidement toutes sesforces.montant it f¡0, 000 hom-
mes euviron , el couuaissant le caractere du




LIVIIE IIJ. 261


soldar francais, iI crut que le meilleur moyen
de sauver la sítuation compromiso de l'armée
était do prendre I'offensíve, quoique les Autri-
cliiens pussent lui opposer 50,000 hommes.
Une bataille s'engagen ;'¡ Neerwindc le 18 mars:
victorieux Ú l'uuo dos ailes, Duniouriez fut battn
¡'¡ l'autre par suite de la Iáchcté ot de I'iudísci-
pline des volontaires, et il dut battre en rctraite.
Cette déíaite le perdait dans l'esprit dos momo
bres de la Convention ; il lo cornprit et essaya
de hrusquer ses projeLs ele coutre-révolution : il
voulait dissoudre laConvel1tion et rétablir la
monarchie, avec la cousritution de 1791 a mé-
lioréc, au profit de Louis XVJl, d'aprés los uns,
au proflt dn duc de Chartres qui servait dans
son année, d'aprés les nutres. La counivence
du générul autricaicu Clairfuyt iudiquerait
plutót la restauration de Louis XVII, ti moins
qu'il n'ait été trompé par Dumouriez. La Con-
vention qui se doutaít des projets du général,
lui envoya quatre counuissaires et le ministre
de la gucrre Buurnonville ; üumouriez les livra
aux Autrichieus, et essayn d'entratuer son
armée : la troupe l'aurait peut-úíre suivi, quoi-
que travaillée par les agen ts des [acobi us, uiais
les volontaires l'accueillireut ;'¡ coup de fusil;


15.




262 LA CONVENTION.


il dut sé retirer lui-rnéme au camp autrichien,
el Dampierre rallia l'arméa au nom de la Ré-
publique. Doué d'incontcstables qualités mili-
taires, Dumouriez, dont la carríere a commencé
tard el a flni tót, a Iaíssé la réputatíon d'un
aventurier,




CHAPITRE V.


Menaces centre l'arméo. - Amalgame. - Comité de salut
publico - Premiare condamnatíon du tribunal révolutícn-
naire. - Commissaires de la Convention aux années. -
Marat décrété d'accusation. - Son acquitternent. - Pétítíon
centre les vingt-deux. - Cornmission des douze. - Arres-
lation d'Hébert. - Sa mise en liberté. - Jouruéc du
31 mai. - Supprcssion de la comrnissiou des douze. -
Journée du 2 [uin, - La Convention prisouniere. - Pros-
cription des vingt-deux. - Arrestation de 111"19 Roland.


La défectíon de Dumouricz faillit faire dispa-
1'aH1'e i'armée centre Jaquel/e les Jacobins con-
servaient leurs vieilles préventíons: i1s disaicnt
que les généraux el les soldats étaieot des trat-
tres; que seuls les volontaires étaieot dévoués
11 la Bépuhlique , ils demandaient, en censé-
quence, la mise en accusation des généraux,
l'épuration des oíüciers et le versement des
soldats dans les bataillons de volontaíres. C'était
la désorganisation des armées et la perte de la
France, Illalgré la Ienteur et la mésintelligence
des alliés, Heureusement les conseils des Jaco-
hins ne furent paséeoutés; él si on livra le mi-




LA CONVEl'\TION,


nisrere ue la guerre a un de Ieurs hommes,
l'incapable Bouchotte, et au secrétaire général
Vincent, du club des Cordeliers, on maintint
les troupes de ligne. Quelques mois apres, la
Convention finit méme par faire exécnter l'amal-
game , c'est-á-diré par former des demí-bri-
gades, composées el'un bataillon de ligne et de
deux bataíllons de volontaires. C'était faire dis-
parattre les volontaires et reconstítuer une véri-
table armée.


Le 6 avril , sous l'im pression produíte par la
nouvelle de la défectíon de Dumouriez , le
comité de süreté généralc, devenu comité de
salut public, fut réduit a neuf memhres el com-
posé exc1usivement de montagnards. Les pou-
voírs les plus étendus lui furent donnés , el
comme Vergniaud s'en eñrayait, Bnrrere le ras-
sura en lui disant que chaque semaíne le comité
devait rendre cornpte de ses actes a la Conven-
tion, toutes les fois que le sccrc u'était pas
nécessaire. Cela n'étaít pas une garanlie sérieuse,
le comité pouvant toujours alléguer qu'il devait
garder le silence. Le méme jour étaít exécutée
la prerniére personne coudamnée it mort par
le tribunal révolutionnaire. Le comité de salut
public et le tribunal révolutiounairc, qui de-




LIVJlE lIJ. 205


vaient marchar de eoneert pendant toute Ia
terreur, débn taien t ensemble.


Pour éviter le renouvelterncnt de la défeetion
de Dumouriez., la Convcntiou decida l'envoi de
connníssaircs aux arrnées. Le peintre David,
membre de la ~lo)] tague, dessina pour ces com-
missaires un costume a eflet. On a dit souvent
que les cnmrnissaires de la Convention avaient
décidé la victoire: on les a montrés entraínant
les soldaís. Ces tableaux ne sont nullement
conürmés par l'histoíre. Les conventionnels
s'exposaient Iort peu ; ils se contentaient de des-
tituer et de fairo guillotiner les géuéraux qui
leur déplaisaieu t; mais ils savaíent parfaíte-
meut se tenir iI I'écart, Un seul, Fabre de I'Hé-
rault, íut tué dans une rencontre eontre les
Espagnols, en face desquels il fut peut-étre fort
surpris de se trouver.


Une derniére conséquence de la défeetion de
Dumouriez , qu'avait accompagné le due de
Chartres, fut l'envoi de tous les membres de la
familIe d'Orléans encore en France dans une
prison á l\larseilIe. La Iacueté de Philippe Éga-
lité ne Iui avait pas serví.


La lutte continuait entre les Glrondins et les
Jacobins. Le 10 avril, les Gironclins dénonce-




266 LA CONVENTION.


rent les excítntlons des [ournaux [acobins: ils
signalerent partículierement une círculaire de
Marat aux départernents, dans laquelle il élait
dit que la Convention était pleine de traitres
dont il fallait la débarrasser. ~Ial'at se reconnut
\'antcm de \ü dn:n\ü\l'e; \\ 5\)W\\\1\ I1U'1\ ü)lü\\ (\i\
la véríté, el, interrompu par le cri de: « aI'Ab-
baye, » il sortit pour Iancer dans son journal
une nouvelle attaque centre les trnítres de I'As-
semblée. Un certaíu nombre de Montagnards
vou\aiellt sigllel' la circu\aire; 1\5 fU\'cmt l'e\enus
par eette réllexion de Lacroíx que, si la Con-
vention ne mérítait plus la conflauce du peuple,
i! fallait faire ele nouvelles élections; 01', ils ne
se souciaíent nullement d'affronter de nouveau
les chances du scrutin. Le 13, Marat fut elécrélé
d'accusatíon¡ le lendernain , i! s'en vantait,
dísant qu'il avait été accusé par les trois assem-
blées, la Constituante, la Législative el la Con-
vention, paree qu'i\ n'avaít cessé de elémasquer
les traítres. Le 15, les eommissaires de trente-
cinq seetions, sous la eonduite du maíre Pache,
vinrent dénoncer les Girondins et demander
l'expulsion el la mise en accusation de vingt-
deux députés: en méme temps, ils réclamaíent
la eonvoeation des assemblées primaires, Les




LIVRE III. 267


deux demandes furent repoussées, et l'Assem-
blée appela a la présidence Lasource, un des
vingt-deux. Les l\lontagnards, qui n'avaient osé
défendre Marat, mais qui n'entendaient pas le
laisser condamner, I'engageaient a se présenter
devant le tribunal. L'acte d'accusation étant
prét le 23, Marat se présenta le lendemain;
l'assistance lui était tout acquise : le président
I'interrogea de maniere a lui permettre de se
disculpar, et iI fut acquitté. Au sortir du tribu-
nal, iI fut conduit en triomphe a la Conven-
tíon. En méme temps qu'il acquittait Marat, le
tribunal révolutionnaire condamnait des sol-
dats, des ouvriers, des femmes du peuple, accu-
sés de sentiments antirévolutionnaires. Un fait
de ce genre fut signalé a Isnard, quí le dénonca
avec une grande violenre a la Convention et
demanda qu'on retirát au tribunal des pouvoirs
exorbitanís dont il abusait, II ne fut pas sou-
tenu par la Gironde, qui eut peur, et l'on vota
I'ordre du jour. Les Girondins, malgré leur mo-
dération relatíve, portaient peu d'intérét a ces
contre-révolutionnaires, et ils n'oserent pas
détruire le tribunal qui devait les condamner
quelques mois plus tard,


Vaincus d'avance a París, les Girondins agis·




21i8 LA CONVENTION.


saient en province : de.s départements il arri-
vait des députations qui vcnaient assurer la
Convention de leur dévouement et protester
contre les usurpations de la Commune , aux
menaces des sections párisienues, ils opposnieut
d'autres menaces, disant que París devait res-
pecter la représentation nationale, s'il ne vou-
lait pas s'exposer aux vengeances de la pro-
vince. C'était, dans la situatiou, une provocation
maladroite. A la suite de la réceptíon d'une dé-
putation de Bordeaux, Guadet demanda le trans-
ferl de la Convenl.ion a Bourges , la propositíon
fut rejetée, mais on yola une commíssion de
douze meuihres chargée de veiller a ce que la
municipalíté parlslenne ne dépassát pas ses at-
tributions. Cettc counnission fut exclusívement
composée de Girondins. Une de ses premiercs
propositions fut de placer la Couvention sous
la protection de la garde natiouale, dont cer-
tains bataillons n'étaiont pas mal dlsposés el
qu'on espérait gagner. Puis, la commíssíou tlt
arréter Hébert , rédacteur du Pere Uuchene ,
substitut du procureur-syndíc de la C0Il1111Une,
Dobsent, président, et Varlet, secrétaíre de la
section de la Cité; ils avaien t publié des adresscs
menacantcs contre la Conveution. L'arrestation




LIY HE 111. :26\!


d' Héhert causa un soulevemeut général , le
2 mal, I'Asseuiblée envahie et iucapable de ré-
sister, décida que les priscuniers seraient ren-
dus iI la liberté . en ménie temps, la connnis-
sion des douzc Iut supprimée en l'ahseuce de
beaucoup dc députés : le lcndemain, Lanjuiuais
protesta conlre cette suppression, et la Conven-
tion, ú vingt voix de majnríté, rétablit ja eOI11-
iuissiou: mais le rétablissement fut de courte
durée. Le 30 mili, le maire Pache et les admí-
nistrateurs des sections préparerent une insur-
reelion pour le leudemain : le ccmmandement
de la garde nalionalc, vacant depuis le départ
de Sanlerre pour la vcndéc, íut donué ¡'¡ Hen-
riot, qui élait tout dévoué a la Commune. Vai-
ueuieu t Lanj lJ i nais déuoncait ces préparatifs
sur lesquels on ne pouvaít se tromper : la Con-
vention laissait Iaire. A minuit, sur l'ordre
d'Henriot, OIl sonna le tocsin, la générale fut
llattue dan s les rues, le canon d'alarme fut tiré.
En iuéme tcmps, le service des posles était sus-
pendu: le sccrct des lcttrcs était violé, les liar-
rieres étaient Iermées. La Convention s'nssem-
bla de honue heure , les alcntours de la salle
des séanccs étaient occupés par des bataillons
ayalll de I'artillcric mee cux. Le girondin Va-




270 LA CONVE NTIO;'o¡.


lazé réclama l'arrestation d'Henriot qui avait
enfreint les orclres de la Convention et qui osait
la menacer ¡ le rnontagnard Thuriot demanda
la suppression de la commission des douze,
seule cause, disaitil, de I'érnotion populaire,
il fut appuyé par Couthon, qui parla avec une
telIe férocité, que Vergniand s'écria :« Donnez
un verre de sang it Conthon, il en a soif.)) Dan-
ton demanda également la suppression de la
commission des douze et l'aelmission des péti-
tionnaires dans l'Assemhlée. Il était difficilc de
résíster: les pétitionnaires fureut adrnis et la
commission des douze disparut. Le présidcnt,
le 31 mai, était un mon taguard, ñlallartué, élu
la veille; c'était le prcmíer président pris dans
la Montagne , la majorité se déplacait : la Plaine,
voyant la Gironde impuíssante, l'abaudonnait
pour aller a la 1\Iontagne. Un député ele la
Plaine, parlant de cette séance, avoue qn'il au-
rait voté le maintien de la ootnniissiou des
douze, don t iJ com prcnait l'utilité, si la Gironc1e
avait eu des troupes.


La Communc n'était pas satísfnite de la sup-
pression de la commission des douze, elle vou-
lait I'expulsion eL la mise en accusatiou des
vingt-deux; dos le Icn.temain, (,\Ie a.lressait il la




LIVRE 111. 271


Convention des pétitions menacantss dont les
..


porteurs obLenaient les honneurs de la séance.
Le maíre Pache organisait pour le 2juin un for-
midable mouvemen t : il avait prés de 1bO, 000 li-
vres destinées aux colons de Saint-Domingue
et s'en servait pour douner 2 livres par jour
aux gardes nationaux qu'il voulait mainLenir
sous les armes. Le 2 juin, la Convention étaít
bloquee par 100,000 hommes et 163 pie ces de
canon. Barreré, qui voulai t éviter les excés,
avait proposé aux chefs de la Girande et a ceux
de la lVlontagne de donner simu1tanémenL leur
démission; Danton y consentait, maís Robes-
pierre refusa. Barrere proposa alors aux vingt- ,/
deux de se suspendre momentanérnenL; quel(~~""
ques-uns n'étaient pos éloignés d'y conseutlr.j,
maís Lanjuinais résista énergiquement. comm~,~1;
le boucher Legendre le menacait de I'assommer:
(( Fais décréter que je suis breuf, lui cria-t-il, et
tu m'assommeras.)) Certains députés, partisans
de I'expulsion des vingt-deux, comme Lacroix,
auraieut voulu au moins que la Convention pa-
ruf agir en liberté. Lacroix, qui avait voulu 501'-
tir, ne I'avaít pas pu: il était rentré Indigné. On
proposa que, pour prouver la liberte de la Con-
vention, tous [es députés sortisseut, président




LA CO'<VE'\'l'lON.


en tete, et allassent. se mettre sous la proteo-


tion de la force publique. Hérault de Séchelles,
qui présic1ait, se mit en marche, suivi de tous
les députés, sauíune vingtaine de Montagnards,
partout ils trouverent des passages fermés; el,
comme lis voulaien Lpasser, IJenriot reclama les
vingt-doux, et ne recevant pas de réponse , 11
s'écria : (1 Aux armes! canonniers, á vos pieces. »
Jl avait pris ses dispositions et mis aux pre-
miers rangs des bataillons dont il était sur. La
Convenl.ion dut rentrer dans la salle des séances,
Couthon lui dísant qu'elle devait étre rassurée
sur sa liberté. Les vingt-deux furent alors dé-
crétés d'accusation : c'étaient Censouné, Guadet,
Brissot, Corsas, Pétion, Vcrgniaud, Salles, Barba-
roux, Cambon, Buzot, Birotteau, Lidon, Rabaut
Saint-Étienne, Lasource, Lanjuínais, Grange-
neuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, Boyer-
Foufrede et Boileau. Furent en méme letups dé-
crétés d'accusatiou, Claviere el Lebruu, les deux
anciens ministres; la veille, Bolaud avait été
décrété d'accusatiou, ainsi que sa femme, qui
fut scule arrétée. Aux honnnes qui la condui-
saient en prison, M"'" ltoland disait que les dé-
partements n'approuveraieut pas la conduite
de la populace parisíeunc , 011 lui répondit que





LIVRE llJ. 273


les départements n'avaient [las davantage ap-
prouvé le 10 aoút, qu'avaient Iait 'les Giron-
dins. Mm' Itoland ne l'ignorait pas, puisquc son
mari, ministre de I'intérieur, avait fait casscr
les adresses des directoires des départements
qui exprimaient des réscrves,


Les Girondins ont étl' souvent jugés avec
une grande indulgence paree qu'on les cornpa-
rait a Ieurs ad versaires, les terroristas ; 00 ne
doit pas oublier cependan t qu'ils avaient pré-
paré les journées de septembre et la terreur
par les jouruées du 20 juin et dul0 aoút: qu'ils
voterent par lácheté la mort du roi, et que, s'ils
se uiontrerent rhétcurs él(igants, ils ne firent
jamáis preuve de la moinc!re íutclligence com me
hoinmes d' Éiat.




eJL\ P ITnE vI.


Adresse justit1cativc des jacobina. - Mouvernents en pro-
vince. - Puisaye, - Décrets de la Cornmunc. - Arres-
tatíon des députés girondins. - Fonrnécs du tribunal
révolutiounaire. - Léonard Bourdon. - Assassinat el
apothéose de Marat. - Charlotte Corday. - Loi centre les
accapareurs. - Hobespierre au comité de salut public, -
Fédération du 10 aoüt. - Emprunt forcé d'un milliard, -
Grand livre de la dette publique. - Arméc révolutionuaire,
- Loi des suspects,


Il faJiait faire accepter ¡'¡ la province cette
épuration de la Convention qui frappaít les
plus illustres de ses députés. Les Jacobins s'en
churgerent et ils adresserent il toutcs les
sociétés républicaines des départements une
adresse destinée a justifier eetle nouvelle révo-
lution ;. ils disaient que les journées des
31 mars et 2 juin constiLuaient une troisierne
révolution cornplétant celles des 14 juillet 1789
et 10 aoút lí92; la prcmiere avait été faite
contre la tyrannie, la seeonde centre la menar-
chic, la troisiéme était nécessaire pour mettre
la République a I'abri des tentatives de contre-
révolutiouuaires d'aulant plus dangereux qu'ils




LIVHE ¡TI 275


alfectaieut le masque du patriotisme , ils fai-
saient remarquer que cette troisíeme révolution
n'avait pas coúté une gouttc de sango On ne
peut nier qu'ils ne fusseut logiques : les 1l10U-
veuicnts des :); mai el 2 juin procédaíeut des
mérnes príncipes que ceux des 14juillet et
10 aoút eL n'élaient pas moins légitimes. Du
reste, les Jacobins terrninaient tres-habilement
en disant qu'ils soumettaient la révolutiou pa-
rísíeuue a leur souveraiu, le peuple, Malgré la
circulaire, la troísieuie révolutíon fut mal ac-
cueillíe ; de tous les cotés, il arriva des protes-
tatious , presque toutes les grandes vílles se
plaígnirent, quelques-unes sur un ton mena-
cant. La Couvcntíon déja ernbarrassée dc SOll
trioinphe, n'était pas sans inquiétude : elle
redoutait non-seulemeut la province, mais
aussi la Communc de Paris, á laquelle ellc
s'était pour ainsi dire livrée , elle avait dú com-
pléter so 11 épurution, cn ajoutaut aux vingt-deux,
soixante-treize députés siguataíres d'une protes-
tation centre l'émeute du 31 mai. Elle fut bien-
16t rassurée du coté des départemeuts. Soixante
avalen t voté des protestations, dans lesquellcs se
laissait voir la haine de I'oppression imposée
par París autuut el. plus que I'affcction pour les




27ti LA CONYENTION.


Girondins. A· pcinc quclques - UtIS ürent un
semblant de résistaucc, ct rlans ces departe-
ments, ceux oú la résistaucc Iut séricuse
étaient catholiques ou royalistcs cl uuu Girou-
dins. Ce n'est certainemeut pas pOU!' la Gi-:
ronde, mais pour la liLJerlé rcligicuso que les
dépurtcmcnís de l'Ouest prireut les nrmcs, et
dans I'Ardeche counne Ú Lyon [e meuvement
était surtout royaliste. Les sculs mouvemenls
qu'on puissc iurputcr ú la Glrondc sout ceux de
Norrnandie, de Bordeaux el de l\Iarseille; ils duo
rérent peu et ne Iurent pas sérieux. Bordenux,
apres quelques Ianfaronuades, ouvrit ses portes
aux missionnaircs de la Convcntion ct laissa
exécuter les Gironclins; les Marscillais hattus ú
Scptemes, se soumirent, et si Toulon résista, ce
íut avec le drapean anglais sur ses remparts. En
Normanc!ie, le mouvemen t mieux combiné parut
prendre de I'írnportance , un royaliste, le mar-
quis de Puisaye, et le général consLiLuLionnel
Wirnpfen commandaicnt l'urtnéo norrnaude il
laquelle s'étaicnt joints quelques détachements
de royalistes breIons ; ils marchérent sur Paris,
rnais leurs troupcs láchcrent pied aPassy aux prc-
rnieres décharges pendant que les troupes dela Con-
venlion sesanvaien:drleu r c(¡t(~. Les(;i1'0 lid ins.lou-




LTVHE ITI. 277


nérent la leur mesure; c'étaient des bavards
et non des hommes d'action, Le résultat le
plus clair de tous ces mouvements fut de Ian-
cer déilnitivement la lUonlagne dans la voie
de la terreur et d'attirer sur les departe-
ments suspects des proconsuls qui les déei-
mérent.


La Couunuue, gráce a laquelle la lUon tagne
avait trioruphé, entenclait user de la victoire :
elle édieta de nouvelles mesures de rigueur ~
contre les prétres el les nobles. déclarant qu'ils ~
étaient a tout jamaís exclus des fonetions publi-
ques; elle déclara trattre a la patrie tout député
qui abandonnerait son poste; déjá la Convention
avait contesté 11 Manuel el il Kersaint le droit
de donner leur démission et les avait fait arre-
ter, Kersaint avait voulu rejeter su part de
tyrannie, on ne le lui avait pas permiso La
Commune fit expulser des sectíons les signa-
tairesdes pétitions contre le camp devingt mUle
hommes el contre les décrets de persécutíon
relatifs aux prétres réíractaires, La Convention
quí se sentait déborder, voulut empécher, mais
comme la législative apres le 10 aoüt , elle
plía: elle finit l.neme, sous la pression des
mouveuients soulevés par les Oironrlins en


16




278 LA CONVE NTION.


province, par déclarer que la Commnne avait
bien méríté de la patrie.


Du reste, les mesures de tcrreur se mulíi-
pliaient avcc une iucroyablc rapidité , chaqué
[our c'étaít quelquc nouveau décret, souvent ab-
surde, irnpossible a exécuter, mais toujours vio-
lent. JI Iaudrait des VOlUU1CS sculcmeut pour
euregístrer ces uiotions oú les Mcutagnnrds Iai-
saient assaut de violence entre eux et avcc les
de\légllés de la Cornmu ne el des sections: mais
il suíüra de meutiouuer brievemcnt ú leur
dale les plus lmportnntes.


La fuite de plusieurs députés girondins dé-
cida l'arrestation des autres , en attcndnnt le
moment ele les {aire cxécutcr, ON voulait les
tenir, Le R jnillct, Saint-Just, qlli commnncait
¡j prendre, sous la haute direclion de son COll1-
patriote ltobespierre, un role prépondér.mt, de-
manda la mise hors la loi de 16 députés,
cornmo traitres ú la patrie. Déjú le tribunal ré-
volutíonnalre avaít comtnencé les cxécutions
par Iournées, et le 18 juin avait VII monter a
l'échafaud 18 Bretons, parmi lesquels plusieurs
íemmes, plus 0\1 moins compromis dans la
conspiration de la La Houarie , ils moururcnt
avcc une fel'l1leli; Ioute Cll~(;ti(~lInc, rcfusant




LIYHE IlI. 27()


l'assistauce du prétre assermen té. Le 13 j uillet
on exccutait \J Orléanais accusés d'avoir voulu
assassiner Léonard Bourdon , 01', il s'agissait
d'une échauflourée entre la suite de ce conven-
tionnel, qui vcnait de faire un dtner copieux.
el le poste de l'Hotel-de-Ville : dans la bagnrre
Léonard Bourdou recut une écorchure, dont il
pronta pour se pOSOl' en martyr , parmi les
garcles nationaux exécutés et qui tous apparte-
uuieu t aux posítious les plus hum hles, se trou-
vaiL le pero de dix-ueuf enfanls; le convention-
ucl ú la suite de ecuo exécution. recut le nom
de Léopard Bourdou.


Le jour méme oú mouraient les \J gardes-
natiouaux d'Orléaus, un des cheís ele. la l\Ion-
tague, !Ual'at, était assassiné, Une jenne filie de
Caen, Charlotte ele Corday d'Armans, véritahle
paíeune, éprise des héros de l'antiquité, avait
vu les Girondins proscrita: pour elle, ils rcpré-
sentaient la cause de la liberté. Elle avait formé
le projet de les venger et de délivrer la France,
el IIp['(~!S avoir hésité entre Hcbespicrre, Dan-
ton et Marat, son choix se porta sur ce dorniel'
C0Il1111e le plus capable el le plus dangereux.
Elle arriva il Paris el en fuisant croire il dos
révélatious sur les (liroudius, elle purviut ¡'¡




280 LA CONVENTION.


pénétrer auprés de Marat qui, malade, étaít
dans un bain. Au moment OU il écrivait les
noms qu'elle lui donnait. prorneítant d'cuvoyer
tous ces contre-révolutlonnaires il la gnilloltine,
elle le írappa avec un couteau qu'elle avait
acheté pour cela. La morí fut inslantanée ;
Charlotte Corday arrétée, fut jugée et condam-
née; son courage ne se démcntit pas, et sous
les irnprécations de la foule, elle conserva,
pendant qu'on la conduisait ¡'¡ la guillotine, la
méme attitude hautnine. On a appelé Charlotte
Corday, « I'ange de l'assassinat 1>, expression
par trop singulíere ; on I'a represen lée comme
une ardente royalíste et une fervente chrétienne,
elle n'étaít ni l'un ni l'autre : quoíque de
famille noble, elle était deveuuc républicaine il
la maniere antique et elle imilait les héromes
de l'antíquité. Du reste, beaucoup de person-
nages de la Hévolution parlaient el agissaient
comme des survívauts ele la Grece et de llorne :
les Girondins, surtout, paraissaícnt se croire au
Forum ou á I'Agora. La Conventionfit a Marat,
qu'elle avait jadis décrété d'accusation, des funé-
railles magnifiques; l'immonde persounage fut
placé au Panthéon á cOÍ(; de Le Pelletier de
Saint-Fargeau , le mont des martyrs, ñíont-




LIVRE 1[1. 281


martre, deviut '[out Mal'nt: on fit l'éloge du
martyr répuhlicain en prose et en vers, et un
orateur ne oraignit pas de rapprocher le cceur
de Marat du cceur ele Jésus,


Cet assassiuat servil de prétexte ú ele nou-
velles violences. La ville ele 1Iayence ayant
succombé apres une honorable défense, les
génél'aux furent décrétés d'accusation j les sol-
dats eux-inérnes n'échapperent pas, dan s le
prender moment, ú la vengeance républicaine,
et on les accusa de lacheté. Sur les plaintes
incessantes des.clubs qui ne cessaícnt de décla-
uier cnutre les riches el les accusaicnt de la dé-
préciation toute natu relle des assigna ts, la Con-
vention rendit, le 26 juillet, un décret con/re
les accapareurs: I'accaparcment était transformé
en crirne capital : tout négociant était tenu ele
déclarer los murchandises do premiere néces-
sité qu'il possédait: des comrnissaires véri-
üaíent ces déolaratious. La moindre inexacli-
lude était passi hlc de la peine de mort, et les
jugements éluicnt sans appcl. Ce n'était plus la
noblesse ni le clergé qui étaient ainsi voués ¡'¡ In
1lI0l"1, tnais le plus petit négociant, et le décret
produísit ses effets . il conduisit il l'écha-
faud nombre de néguciants de toute posi-


1\;.




282 LA CONVENTION.


Han, sans améliorer la situation commerciale.
Le 27 juillet, les mernbres du comité du salut


public furent changés , Robespierre y entra
pour la premiare fois. De ce moment date la
elictature ele ce comité, dont voici la composi-
1ion : Itobespierre, chargé de la direction gé-
nérale et en réalité maítre de plus en plus
absolu: Oouthon, qui avait la pollee générale;
Carnot, la guerre , Robert Lindel, les subsis-
tances: Prieur (de la Cóte-d'Or), l'adrninístra-
tion militaíre , Hérault ele Séchelles, les affaires
étrangéres , Jean Bon Saint-André, la marine;
Thuriot, Collot d'Herbois el BilIaud-Varennes,
les diversos missions; Barreré étaí Lchargé eles
rapports. Plus tard, Saint-Just y entra comme
factotum de Bobespierre. Danton, moitié volon-
tairemcnt, moitié par l'influencc de Robes-
píerre, fut tenu a l'écart: il se reposait sur sa
popularité et laissait préparer sa perte. Quant
a la Convention, elle fut bientót réduite au
role d'un bureau d'enregistremeut. elle votaít
les propositions du comité, que Barreré était
chargé de lui présenter sous la forme la moins
désagréable. Si elle tentait de résíster, c'était
pour s'humilier davantage le lendemain.


Le 1" aoüt fut décrétée la mise en accusation




LIVRE 1lI.


de Marie-Antoinette, á Jaquelle Hobespierre s'é-
tait d'abord opposé; le méme [our, des décrets
étaient portés centre ceux qui refusaient les
assignats , ils établissaien tune échelle de péna-
lité qui allait jusqu'á la mort. Le 8, la Com-
mune disparaíssaít pour faire place á une nou-
velle adminístration, qui resta [usqu'au 9 ther-
midor, et dans laquelle Rohespierre et Hébert,
les Jacobins et les Cordcliers se disputaient
l'influence: Pache restait encoré: il avaít trop
bien mérité de la Montagne aux journées des
31 mai el 2 juin pour qu'on le changeát.


L'anniversaire du 10 aoüt fut l'occasion d'une
fédération, suivant l'expression adoptée; une
statue colossale de la nature avait été élevée
sur l'emplacemcnt de la Bastílle , une « eau
pure » coulait de ses mamelles. Herault de
Séchelles, président de la Convention, offrit a
la nature « I'expression de I'amour éternel des
Francais pour ses lois », il prít de l'eau dans
une coupe qu'i1 porta á ses lévres, puís la passa "
aux fédérés et aux vieillards. Le cortége se
rendít ensuite a la place de la Révolution (place
de la Concorde) al! Herault de Séchelle mil le
feu a un amas de sceptres, ue couronnes, d'é-
cussons, placé au pied de la statue de la Liberté:




284 LA CONVENTION.


la féte se termina au Champ de 1la1's, clevant
l'autel de la patrie.


La Convention couiprenait que sa míssíon
était terurinée : le 1'1 aout elle yola de nuuvelles
élcctious, uiais en méiue lClIIps elle les ajourna
iJ cause des circoustunces. el l'ajournernent fut
long. Le Iendeuraiu elle votait I'arrestation
générale des suspects que lui deuumdalt la
Comlllune; en méme teinps elle írappait les
riches d'un euiprunt forcé d'uu unlliard. Ponr
taciliter la levée de cet euiprunt, Carnbon, le
ñnancíer de la Couveutio n, Ilt voter l'établisse-
menL d'un grand Iivre de la dette publique; il
poursuivait un but poliliquc autant que
ünancíer • il pcusait que les créanciers de I'État,
inscrits an grand Iivre de la delte publique,
auraíent tout intérét au mainlieu de I'élat de
choses existant et seraient ainsi gagués ala Hépu-
blique. Ce ealeul ne manquait pas de fouderneut.
Le 4 septembre, Chaurnette. au nom de la com-
rnune, demanda l'organisation d'une armée
révoiutionnaire qui devait parcourir la Frauce
pour la purger eles traitres : elle tralnerait á sa
suite une guillotine toujours préte ir Iouctionner
La COnVéI1tlOn recula; elle accorda l'armée
révoluriouu.ure, mais rofusa conune inutile el




LlVHE ur. 285


démoralisante la guillotine volante. Il fut voté
que la (1 terreur élait ú I'ordre du jour », Ce vote
était superflu , cal' de fait la terrear existait
depuis longtemps. L'armée révolutíonuaíre fut
instituée sur le rapport de Barrere, qui, ju-
gcant plus tard cotto création , déclara ¡¡ue
c'était une « institution á la llobert, chef de bri-
gands », Le 17, un juriscousulte, Merlin (de
Douai) fít voter la Iameusc loi des suspects.
Cette loi instituait un comité de súreté générale
et dan s chaquc commune des comités révo-
Iutionnaires, dont les membres, payés par la
nation, avaient pour mísson de faire la chasse
aux suspects: c'étaient 50,000 comités de déla-
tion. A l'appui des délatíons contre les suspects,
on n'exigcait aucune preuve, aucun térnoi-
gnage : une dénouciation anonyme suffisait; aux
accusés on reíusait le droit de prendre un dé-
fenseur. Les catégories de suspects étaient
nornbreuses, elles comprenaient : 1° Les indí-
vidus des deux sexes qui, muets sur les crimes
des royalistes, déclameraícut contre les sans-
culones ; 2" 'I'ous ceux quí seraient dénoncés
connue tréquentaut les ci-devant nobles, les cí-
devan t pretres el autres contre-révolutiounaires ,
:1" 'Fous ccux qui se permcttraieut d'exprirner




286 LA CONVENTION.


un doute sur la durée de la I\c'pllbliqllc; Ero Tous
ceux qui, n'ayant ríen fait contre la Itévolution,
n'auraient ríen fait pour elle; 5° Tous ceux
qui parleraieut avec mépris des autorités ré-
publicaines, des sociétés populaires et des
défenseurs de la liberté; 6') Tous ccux qui
ealomnicraient la justice nationale appliquée
dans les jouruées de septernbre 1792 ; 7° Tous
eeux qui Ionneraient ou íréqueuteraient des
sociétés anti-républicaines ; 8° Tuus eeux qui
ue seraieut point assidus aux assemblées de
leur seetlon ; 'JO Tous eeux auxquels les auto-
rités révolulion naires auraient refusé un cer-
tiíícat de cioisme. Comme si ce n'était pas assez,
on ajouta ultérieuremcnt une nouvelle caté-
gorie encore plus éteudue, eelle des gens sus-
peetés d'étre suspccts, El pour appliquer cette
loi de sang le tribunal révolufiouuaire fut
réorganisé et augmenté : il éomptait parrní ses
membres Uermann, Dumas, 'I'opiuo-Lebrun,
AntonclIc, un ex-marquis , l'accusutour public
était Fouquier-Tiuville.




GHAPITI1E VII.


~lissions en prnvince, - Carricr it Nantes. - Lebon it Arras.
_ íllaignct il O""ogc. - Coutho n, Collot d'Herhnis ct
1"01",1,,', iL Lyou. - llécl'i't du lJ)",ilmlm. - Ellvoi do
43 d"l'utl's de la droire dcvant le rribu nal i-évolutiouuuire.
_ Arrestntion d(IS í:L - Gorsns. - Couvcrncment róvo-
lutinnnuire. - Pr06's ct 0101'1 Ü" Marie-Ant·)illctte. -
Les to m bes de S'unt-Douis, - Preces des Gircndins. -
Le dur d'üJ'lhns. - Dail]y. - Barnave. - Pcrsécution
rcligiense. - Abjurution (le Gllbel. - Féte de la ralson. -
Calcndrier républicniu. -- Victoires des arruées.


[Al rerreur lJ'était pi/S « ¿¡ Tordr« du jour Jj
qu'a París; elle exislait en province el la
sinistre Ioi des suspccrs lui donna une nou-
velle activité: Les conventionuels envoyés dans
les départemnnts pour terrifler les ennemis de
la Hépublique el échaullcr le zele des patriotes,
avaient pris Ieur mission au sérieux : sauf
quelques trés-rares exceptions, ils se montraíent
les dignes émules de leurs collegues restes a
Paris, el plusieurs tn éme dépassaient dans leur
ardeur répuhlicaine le tribunal révolutionnaire.
Le plus cruel de tOIlS Iut Carrier ; sous pretexte
de terriflcr les Vcndéeus, il multiplia les




288 LA CO:'\VE\"TTO~,


exécutions; la guillotine allant trop lentement,
on lui substitua les Iusillades et les noyades.
Non-sculeuient tout Vendéen pris élait fusillé,
mais des femmes, des vicillards, des eníants,
subissaient le mérne sort. Carrier Ilt cntasser des
lila \houreux sur des batea ux ú soupape qu'on
coula it au milicu de la Loire ; on attachait
enseuible, apres qu'on les avait dépouillés (11;
leurs vétements, un houune et une Iern11Ie,
qu'on jetait ensuite á l'eau , c'était un (11I1ll-
riage républícain », Le proconsul en galeté
disait ensuite « quelle riviére républicuine que
cette Loire », La Conventionl1nit par le rappeler,
maís aprés avoir approuvé sa conduite, dont
elle doit porter la respousabilité morale. 11
Iaut ajouter que Carrier ne pouvait invoquer
les dangers courus ; Iorsqu'il arriva ú Nantes,
l'insurrection vcndéenne était déja sur son
déclin. S'il y avait eu du danger, il n'y seraít
pas alié. A coté de Carrler et presque sur la
mérne ligne, on peut mettre l'apostat Joseph
Lebon, un ex-oratorien ; il flt a Anas de nom-
breuses vietimes et il s'en vuntuit a la Con-
ventíon qui I'approuvait, lout en trouvaut ses
formes un peu acerhes. Maignet, encere un
prétre apostar, ne fut pas moius cruel daus le




1. I \ n 1: 111.


Comtat Vcnnissin. En quclques scmames, la
COlllmission populairo d'Orango, sous son im-
pulsiou, prououca :lOO condanmations a mort,
dont une trcutainc coutro des roligeuses aux-
quclles on no reprochaít fine de refuser' le ser-
mcnt iI la constitution civile du clergé. Un
bourg, Bérlouin, rut hrCtIc\ paree que, pendant
[a nuit, on avait coupé I'arbre de la liberté, et
60 habitants de Bédouln, des paysans, furent
exécutés.


La ville de Lyon, que tyraunisnit Chalicr,
s'était révoltée le 20 mal centre la Convention j~
Chalier Iut jugé et condutuué, Les Lyonnais se i
seraieut volontiers soumís, iuais la Couveutíon ~;
leur imposa des conditions qu'ils ne pouvaíent
nccepter. Kcllcrtna uu Iut cha l'g'l; de faire le
siége de fa cité rehelle ; le IOY:l1 soklat obéit
nvec répuguancc et fut heureux de se retirer
avant la Iin, laissant le comnuuuleuieut au
conveutlonnel Dubnis-Craucé. Apl'üS une hé-
roíque résistauce, la ville succomba le 10 OC-
tobre, et Couthou Iu t chargé de la punir.
Couthon était cruel, cepenrlnnt il n'ohélt qu'en
partie aux ortlres de la Convention. La ville
devait disparaltre, et ;'¡ Iu place oú elle érait,
devait étre dressé uue écriteau portaut ceue


n




290 LA CüXVgN1'ION.


inscription : « Lyon lit la guerre a la liberté,
Lyon n'est plus. » Le proconsul annonca en
grande pompe son dessein de détruire en efIet
la vílle : il se Ilt portar en Iauteuil-e- il étaít
paralytique- dans ccrtaiues rues, frappant d'un
marteau d'or les maisons, et disant : « Au nom
de la loi, je te condamne il élre démolie; » et la
sentence était exécutée; mais ces destructions
pompeuses conservaicut en réalité la plus
grande parlie de la ville, qui devait seulement
perdre son norn el s'appeler « Commune af-
íranchie », En mérne temps, Coulhon faisait exé-
cuter les cbefs de la révo1te el présidait a une
apothéose sacrilége de Clialier. Celte modera-
tion relative déplut ala Convenlion, et Couthon
fut rappelé, quoique I'ami de Ilobespierre ; il
fut remplacé par Collot d' Herbois el Fouché-
encore un prétre apostat - qui ílreut exécuter
les dérnolitions en grand, prenant le décret de
la Conventicn au pied de la lettre ; en 15 1110is,
ces démolitlous coütereut 15 millious. Ils mul-
tipliéreut également les exécutious et comme
Carrier, trouvant la guillotine trop Ieute, ils
eurent recours ú la fusillade ; on avait mis a
leur dispositíon l'armée révolutiounaírc que
commaudait Ronsin ; elle leur senil Ú orgauiser




LIVI\I~ Ill. 2!J1


de véritables septembrisades : le nombre des
victímes s'éleva aplusieurs milliers.


Ces quelques exemples sufflront pour per-
mettre de juger les mísslons des proconsuls de
la Convention en province.


Le 27 septembre, la Oouventlou compléta son
décret centre les accapareurs par un nouveau
décret fixant le prix maxirnum eles marchan-
díses , sous peine d'étre réputés suspccts, c'est-
a-dire sous peine de mort, les marchands
élaient tenus d'obéir. Le 3 octobre, 45 députés
de la Gironde furent renvoyés devant le tribu-
nal révolutionnaire; en méme ternps les 73
signataires ele la protestatíon centre le 31 mars
furent arrétés , quelques 3Iotllügnal'ds deman-
daient qu'ils Iusscnt jugés avec les 45, Robes-
píerrc et Danton s'y opposerent , le premier ne
voulait pas aller si vite, le second, qui revenait
ades idées d'indulgence, voulait sauver les 73.
Le 6, Gorsas, un Girondin , qui s'était caché,
fut pris ; il fut traduit imrnédiatement devant
le tribunal révolutionnalre, condamné et exé-
cuté, C'est le premier convcntionnel qui monta
sur I'échafaud. Que d'autres devaient le suivre,
Le 10 octobre, Saiut-Just, dans un discours
ernphatiquc, développa la nécessité d'uu gou-




'102 LA C()\\E\TI()\.


vernement révolutionnaire qul íerriflát les
ennemis ele 1<1 liberté iJ. l'intérieur comme iJ.
l'extérieur , la Convention applaudit,


Depuis le 1. el' aoút , il avait éíé décrété que
Marie-AntoinetLe serait traduite devant le tribu-
nal révolutionnaire , le 2 aoút, elle fut transíé-
rée a la Conciergerie, oú le concierge Richard
el sa femmc se montrerent plcins de preve-
nanees; a cette époque de terreur, c'était cou-
rageux, et il n'en íalluit pas plus pour étre en-
voyé iJ. l'échafaud. Le 12 octobre, la reine subit
un intcrrogatoire, le 13, on lui donna lectura
de I'acte d'accusation : le 14, elle comparut
elevant le tribunal révolutionnnire , elle avait
choisí pour défenseurs Chauveau-Lagnrde et
Tronf-on-Ducoudl'ai, qui se montrerent dignes
de cet honneur. Devant ses juges, la reine de
France lit preuve de la plus grande dignité;
elle consentit a répondre , mais elle le fit en
reine. Le misérable Hébert avaít fuit centre elle
une déclaratíon ignoble , il l'avaít aceusée d'a-
voir corrompu le Dauphin pour régner plus
tard sous son nom : elle n'avait pas daigné ré-
pondre. Le président le lui fít remarque!', alors,
belle d'indignation, elle se tourna vers l'audi-
toire : « J'en appelle u toutes les meres: )) s'é-




LIVHE IIl, 203


cría-t-elle. Héhert resta écrasé SOtlS cette réponse
et I'auditoire, 011 dorninaient ces mégeres qu'on
appelait les tricoteuses de la guillotine, eut un
mouvement de sympathio pour la víctime.Pen-
dant la séance, la reine ayant soif, demanda
a boíre: personne n'osait lui apporter un verre
d'eau; un officier de gendarmerie le flt, il fu t des-
titué, heureux encore de couservcr sa tete. De
tous les témoins cité s centre la reine, un seul,
Hébert, la chargea , les autres, Bailly, Latour-
du-Pin, Manuel, lui-méme, se montrerent pleins
de déférence , cela leur coúta la vie. Le comte
d'Estaing, rancien comrnandant de la garde-
nationale de Versailles aux 5 et 6 octobre, sans
accuser la reine, rappela qu'il avait eu a se
plaindre d'elle , le momeut était mal choisi. Les
dcux déíenseurs de la Heine savaient qu'íls
plaídaient une cause perdue : ils ñrent ce qu'ils
purent , leur augusto cliente les remercia et
cornmc térnoignage de son estime, leur légua
le soin de paycr les quelques dettcs qu'elle lais-
sait a la prison. La Ueine fut condamnée; I'exé-
cntion eut lieu le 16 octobre : Mal'ie-Antoinette
fut conduite a l'échafaud dans une charrette ,
elle dut subir les insultes de la populace, son
calme ne se déurentit pas un seul instant, Un




LA CONVENTIO:i.


témoin oculaire raconte, qu'au départ de la Con-
ciergerie, le valet de bourreau lui avait lié les
maíns en serrant plus qu'il n'élait nécessaire ct
de maniere á la faire beaucoup souffrir, Elle
souílrit eette odieuse torture sans se plaindre, La
reine fut accornpagnée au supplice par un prétre
constitutionnel, I'abbé Girard, dont elle reíusa
le rninistere, ne voulant pas qu'on püt la soup-
conner d'adhérer au schisme. l\laric-Antoinette
avait 37 ans lorsqu'eile fut ainsi assassinée, le
16 octobre; la Convcution comrnit, au jugc-
gement de Napoíéon Fr, confirmé par la con-
science publique, le plus odicux des crimes, La
République dépensa un peu moins de 7 livres
pour « la hiero de la vcuve Capet », Oll' s'est
demandé si, avant de mourir, la reine avait pu
recevoir les suprémes consolations de la relí-
gion. Daus une Iettre ti 1\1"''' Elisabcth, qui ne Iut
pas rernise et qu'on retrouva plus tard dans les
papiers de Fouqnier- Tinville, elle paratt dé-
elarer le con traire , mais elle étai Lobligée á la
prudence pour ne comprometLre ni le prétre
qui l'aurait assisté, ni le concierge et les gen-
darrnes qui auraient facilité á ce prétre les
moyens d'arriver jusqu'a elle. Sans done s'arré-
ter aux paroles de la Hei;H', susceptibles, du reste,




LIVIlE III. 295


d'interprétation, des écrivains ont fait des re-
cherehes et i1s sont arrivés a cette conclusion,
trés-forternent motivée, que la Reine, á la Con-
ciergerie, avait pu voir un prétre. D'ailleurs,
l'abbé Magnin, curé de Saint-Roch, prétre des
plus respectables, a affirmé qu' il avaitpu pénétrer
dans la Conciergerie, et donner la communion
ala reine. Et la parole de l'abbé Magnin est
de cclles qui doiven t j nspirer pleine confiance.


La République qui assassinait les souverains
vivanís , ne pouvait respecter les souverains
morts : les tombes royales de la basilique de
Saint-Denis furent violées, les restes des rois
jetés au vent et des merveilles artistíques brí-
sées. On dit méme qu'un homme osa souffleter
Henri IV dont le corps fut lrouvé dans un
rernarquable élat de conservation. A ces dévas-
tations, un seul corps échappa, celuí de 'fu-
reune, non que la populace ait respecté le sol-
dat tombé sur un cham p de hataille, mais paree
qu'un savant reclama le corps pour des expé-
riences scientiñques , Turenne resta longtemps
all muséum du Jardin des Plantes d'oú il fut
tiré pour étre porté aux Invalides.


Quelques jOUI'S apres Marie-Anloinette, 21dé-
purés girondins compuraissaicnt devant le tri-




Z()6 LA CONVE:XTIO\'.


bunal révolutlonuaire , leur alLiludc mnnqua de
dignité; ces brillauts oratcurs. jadis si pleins
de [actance, ne surcut me-me pns se déícudre:
l'un d'cux , Boilcau, déclamit qu'it s'était troui-
pé el qu'il dcvenait Jurohiu : l'auíre uiait sa
partícípatíon Ú tel acle de la Giruntle el s'cflor-
~ajl den rejeter la rcspousabilité sur les nutres
accusés , seuls Vcrguiaud et Sillery uiouüereut
quelque Ierin eté , le premicr rctrouva SOIl élo-
qucuce Ull peu eurphatique, lorsqu'il se vil ac-
cusé d'uvoir tJ'ellll)~ daus les jouruécs de sep-
tembre : Sillel'Y, gen li lho lllllle , se rccouuut
trutue Ú SOIl ordrc, it SOIl rol el Ú SOIl Dicu.
I\lalgl'é la Iuihlesse de leur déíens«, les Giroudius
ciuburrassaicut bcuucoup les IlleJIlIJI'eS du tri-
huual , LJ u'ell'J'üyuil leur Ill'esLige. FOlL(l uicr-
'I'inville, cruiguait surtuut liuflueuce de Ver-
guiaud, qui pouvait eulever ÜUX j urés uu verdict
d'acqulueuient. llolrespierre Iut préveuu, et uu
décret de la Couveutiou uuíorisa les uicmbres
du trihuuul it dore les déhats, desqu'ils se croi-
raient sufflsanuueut éclairés. LOI'S11 uc 1"0 uquier-
Tinville recut le décret, il ílt deuiautlcr aux juges
par le présideut, s'ils étaieut suílisnunueut éclai-
rés , ceux-ci alfcctcrcut de n;polltll'e ¡ILIe JIOII;
mais ([('11.\ luurcs aprl;s, ils d('clan\l'clI! les de-




I.IVnE JII. 2!17


bats terminés, et les 21 députés furent condarn-
nés. Au moment oú la sentence fut prononcée,
l'un d'eux, Valilzé, chancela. « Tu as peur, Va-
lazé, lui dit Vergniaud. - Non, je meurs. » Il
venait de se tuero Les Girondins passerent en-
semble la nuit qui précéda leur supplíce , c'est
ce qui a donné lieu il la fable du dernier han-
quet des Girondins dramatisé par Charles No~
dier. D'apres nn prétre assermenté, l'abbé Gi-
rard, tous, sauf Brissot, qui se declara déiste, et
Lasource, qui élait protestant, se confessercnt:
l'abbé Fauchet, évéque constitutionnel du Cal-
vados, douua des preuves d'un sincere repen-
tiro Le lendemain, lorsqu'ils furent conduits a
I'échaíaud, Ieur attitude fut ferme, mais d'une
fermeté théátrale , le cadavre de Valazé suivaít
c1ans une charrotte, et il fut guillotiné, Outre
les 21 exécutés a Paris, et parmi lesquels était
Duchatel, auquel on n'avait pas pardonné son
vote courageux en faveur de Louis XVI, trois
furent guillotlnés a Bordeaux : deux, Pétion et
Buzo! furent dévorés par les loups , Condorcet
et ltoland xe tuerent. Mm" Roland, l'Égérie de
la Gironde, Iut condamnée á mort . elle fit
preuve de ferrnetéelevan t le tribunal com me en
aJ1ant tI l'échafaud. EH apercevant la statuc de


J,




29X LA CU.'<YLNIlOi\.


la liberté, ql1i dominait l'instrument du SUjJ-
plice, elle s'écria : « O liberté, que de crimes
on commet en ton nomo »


La jeunesse de la pl upart des Gironelins, leurs
talents, plus lu-illants que solides, leur mort
courageuse, surlout [es crimes de leurs adver-
saires, leur out fail coinme une sorte d'au-
réole: on les juge avec indulgence, paree que
leur chute fut le signa! déflnitif de la Terreur,
qn'ils essayérent tardlvement d'empécher. Mais
il ne faut pas oublier qu'ils avaicut préparé
cctte Terreur et frt¡yé la voie aux Dauton et aux
Robespierre, méme aux Marat, lis ont eu le
pou voír a la Législative, et ils en ont usé coutre
le roí qu'ils devaicnt servir; la proposition
du camp ele 20,000 homrnes sous Paris, com-
binéeentre Servan, Claviere etnolancl, était une
véritable trahison. lis ont eu le pouvoir le
10 aoüt et ils n'ont su rien prévoir ni ríen ern-
pechero Enfln, ils ont condamné Louís XVI par
lácheté, Si donc on doit [es cousidérer cornme
des victimes de la Iíévolution, ce ne sont pas
au moins des victimes innocentes. Suivant une
expression de Vcrgnlaud, « la Hévolution
comme Saturne, dévorait ses enfants. ))


Les condamnés dé1llerit sí nombreux qu'il




L 1VRE llI. 209


serait difficile ele les énumérer tous, iI suffira
de quelques noms : Le duc d'Orléans, qui, de-·
vant le tribunal révolutionnairs n'eut pas le
courage ele désavouer son vote dans le preces
de Louis XVI; il declara qu'il avait voté en con-
science la mort du roi : cela ne le sauva pas :
pendant qu'on le conc1uisait au supplíce, le
cortége s'arréta devant le Palais-Iloyal et le
prince put lire sur sa splendide résidence : pro-
priété nationale , il sourit tristement. Un prétre
constitulionnel, l'ahbé Lothrlnger l'accompa-
gnait et avait, dit-on, recu sa confession. Bailly,
l'ancien maire de Paris, le président de l'As-
sernblée le jour du serment du jeu de Paume
et le 23 juín, nc pouvaít échapper; on ne lui
pardonnait pas la répression de I'émeute du
17 juilIet 1791. 11 ne fut pas exécuté place de
la Révolution, mais sur cette place du Champ-
de-Mars 011 on lui reprochait d'avoir fait verser
le sang du peuple, ilsut mourir. Barnave, l'au-
cien constítuant, qui demandait si le sang de
Foullou et de Berthier était si pur qu'il fallut
le rcgretter, était dcvcnu l'ami dévoué du roí
apres la fnite de Varennes; ses notes au roi
causcrent sa mort. Il aurait pu Iuir, il ne le
voulut pas ; il Iut ameno dl~ Creuoble a París.




300 LA COi'\YE;\T10;,\.


et dovant le tribunal révolutionnaire, il se dé-
fendit avec éloqucncc, 111' d,:ignnnt pas rlissi-
muler ses scntimcnts. An ternps de Sil popula-
rilé, Sil parole ardcnte aurait soulevé l'autli-
toire centre les juges , mais il étuit ouhlié, iJ
marcha á I'échníaud avec Iermetc. Connne COII-
traste, 011 peuL citer la comtessc du Buri-y, qui,
condarnnée á mort pour avoir secouru des érni-
grés, demaudaít grace au bourreau. Du reste,
ce fut une exception, presque tous les condam-
nés moururent avee courage : on plaisautait
J118me sur la mort dans les prisoris, et eomme
la statue de la liberté qui domiunit l'échaíaud
étaít devenue sous I'actiou ele I'air comme ga-
leuse, on disait qu'on « allait mourir au pied de
la galeuse ». Le caractere franeais se retrou-
vait, avec son insouciaut courage.


La fin de l'année 1793 íut marquée par un
redoublement de persécutions religieuses.
Dans les premieres séances de la Convention,
il avait été question des prétres ínserruentés,
et les membres de la l\'Iontagne demandaient
des mesures de rigueur que les Girnnriins ,
pon!' la plupart, n'auraient pas reíusécs. Danton
et Bobespierre s'y opposerent , ils objccterent
qu'ilétait inutile d'aljglllclllel' les r.mharras de




r.rvnr: TI!. 3ll!


la République en blcssant une certaine catégo-
rie de citoyens dans leur conscience. C'était
sage , mais la Convention ava i t marché, ct
ni Danton, ni Ilobespierre ne pouvaient plus
empécher la persécution, aussi n'essayerent-
ils pas de s'y opposer, et Iaisserent-ils voter
que la nation ne Ierait plus les frais d'aucun
culto.


Dans la nuit du 6 au 7 décernbre, une dépu-
tation des seclions, provoquée par Hébert el
Chaumette, vint inviter Gobel, évéque consti-
tutionnel de la Seine, il renoncer .a ses tone-
tions. A la suite de cette démarche, la déclara-
tion suivante fut préparée par Gobel et par les
mcmbres de son consell : « Aujourd'hu¡ qu'il
ne doit pIus y avoír d'autre culte public el na-
tional que celui de la liberté et de la sainte
égalité, puisqne le souverain (le peuple) le veut
ainsi. conséquent a mes príncipes, je me sou-
mets a sa volonté, et jé viens vous déclarer
hautement que, des aujourd'hui, je renonce a
exercer mes fonctions de ministre catholique. »
Cette déclaration íut lue le 7 a la Convention.
Gobel et les prétres qui I'accompagnaient en-
tendaieut réserver le culte privé; i1s donnaient
une dérn ission et ne faisaient pas une abjura-




302 LA CONVENTlO"<.


tion. Et quand Momero félieita Gobel, qui venait
de remettre sa croix pastorale et son anneau,
et ses prétres, de se dépouiller du caractere que
leur avait imprimé la superstition, iI se méprit,
mais aucun n'osa réclamer. La dérnarche n'en
est pas moins une Iácheté , elle íournit a bien
des prétres assennentés l'occasion de faire une
abjuration complete, Orégoirc, l'évéque consti-
tutionnel de Loir-et-Cher, sommé de les imiter,
refusa énergiquement, montraut plus de eou-
rage que Sieyes. Pour compléter leur ceuvre,
les athées de la Cornmune organiserent á Notre-
Dame une íéte de la Haison : une courtisane
demi-nue fut installée a la place de la sainte
Vierge et recut les adorations de la foule. Chau-
mette presenta ce «ohef-d'rauvre de la natnre l) a
la Convention; il demanda que Notre-Dame fut
consacrée au culte de la Raison el qu'on n'eut
pas d'autres dieux que ceux de la nature. Le
président Lequinio salua le triomphe de la liai-
son sur la superstition, et un décret voua Notre-
Dame a la Raison. La déesse, accolée par Le-
quinío, s'assít a coté de luí. Le soir, nouvelle
féte il Notre-Dame, a laquelle assisterent beau-
coup de eonventionnels et qui dégénéra en 01'-
gíe, Pour couronner I'ceuvre , la Convenlion




LIVHE IJI


rappela au comité d'insu-uctiou publique qu'il
avait a préparer un culte raisonnable, desliné
a remplacer le chrlstiauisme. Ces saturnales,
blámées par Ilobespierre el Danton, contri-
huereut f¡ la perle d'Hébert, dont le premier
commencait a craindre la popularité crois-
sante.


Une mesure plus dangereuse fut príse contre
la reJigion : la Conveution, pour faire oublier
le « fanatismo », c'est-á-dire la religion catho-
tique, changea le calendrier , quelques savants
impies furent chargés de faire un calendrier
républicain qu'on imposerait aux populations.
Les ancieus rnois étaieut remplaces par les moís
de vendémiaire, brumaíre, frirnaire, nívose,
pluvióse, ventóse, germinal, floréal, prairial,
messidor, thermídor, fructidor , chaque moís,
de trente jours, était partagé en írois décades;
les [ours devenaient primidi, etc.: le décadi
devait étre chómé en remplacement du diman-
che, dont la célébration était défendue. Les
noms des sainls disparaissaíeut du calendrier
pour faire place a des fruits, des légumes, des
instruments aratoires, etc.: les íétes religleuses
étaient remplacées par des fétes nationales, le
21 [auvíer, [e 10 aoüt. L'erc républicalne. quí




LA CO'\'VE'\'TTON.


devait se suhslitner a l'ére chrétíenne, partait
de la proclamati on de la Ilépu blique , et le
22 septembre 1í92 élait le 1'" vendémiaire an I.
Toute cette reforme, oú certains historiens n'ont
vu que de la puérilité. était une machine de
guerre centre l'Église : un anden couveution-
nel, lorsque le premiar consul rétablit rancien
calendrier, avouait que le calendrier républi-
cain avail en po nI' but principal de faire dispa-
rattre le dimanche , ce repos du septieme jour
qu'on retrouve partout, comrne un témoi-
gnage des traditions prirnitives de l'hu manité
sur la création, írrítait les a Lhées : illeur a sur-
vécu.


En méme temps que le calcndrier répuhli-
caín, apparurent le costume répuhlícain, l'af-
fectation de la saleté pour éviter les soupcons,
la carmagnole, le bonnet rouge, le Iangage
grossier, I'appellation de citoyen el le tutoie-
ment obligatolrc , les domestiques étaient chan-
gés en officieux.


Au point de vue miiitnire, J'année 1793 se ter-
minait assez bien: le 8 septembre, Houchard
avait hattu les alliés a Hendschoote el fait lever
le siége de Dunkerque , accusé ele n'avoír pas
suffisammenl proílté de su victoire, le vieux sol-




Ll vm: IlI. 305


dat fut rappclé cl oonrlaumé it rnort, aprés avoir
enteudu un Pouquier-Pinville parler de sa Iá-
clieté , Jourdan, qui lui succéda, délivra le nord
de la Franco par la víctoíre de Wattignics : a
l'est, Hochc ct Pichegru avaient déhloque Lan-
dau el forcé les alliés iJ la retraíte: au sud, un
jeune connnandant d'artillerie, du nom de Ro-
nnparte, avait décidé la redditiou -de Toulou,
oú les couventlonnels en mission rappelerent
les horreurs qui avaient marq lié la prise de
Lyon. Purlout, le territoíre íraucais était dé-
gagé.





CHAPlTRE VIII.


Les Jacobins, les indulgcnts et les héhertistes. _. Lnttc de
Itouespierro contra Io's héhcrtistcs. - Appni que lui
donnant les indulgcuts. - Proposition de Chabot., -
Faihlosse de la Cocvention. - Arrcsrntiou de Chabot,
Baz ire et Fabre d'Ég!antine. - Propositio n de Chaumette
pour les égliscs. - Le vieux Cordelie:'. - Anniversaire
du 21 janvier. - Premicrc arrostntion de Vincent et de
Ron sin. - I1ébert aux Cordcliers. - ltobospicn-c aux
Jacobins. - Arrestation, [ugcrncnt et cxécutiou dHébert
et de ses amis, - Joie des popnlations. - Campngue de
Robespierre contra les indulgcuts. - Arrr'stntion d'Hérault
de Séchelles. - Arrestation de Danton el Camilla Dosmou-
líos. - Vains eíforts de Legcndro il la Convenlion.-
Condamnation et suppl ice de Dautou él de ses amis, -
Prétendne sensihilité de Ilobespicrrc


La l\'Iontagne, víctorieuse, devai t se diviser;
trois partís se dessinaien t : les exagérés, avec
Hébert, la Commune et l'armée révolution-
naire; les Jacobins purs, aveo Hobespierre : les
modérés, les indulgcnts, ayer; Dantou el Camilla
Desmoulins. Robespierre, trop habile pour al-
taquer deux adversaíres a la fois, dirigea d'a-
bord ses coups centre les hébertistcs: il savait
que, dans ecU.!: cauipag ue, il aurni! l'uppui eles




LIVRE I11. 307


indulgents, auxquels les folies des hébertistes
répugnaient autant qu'a lui, Une proposition
de Chabot Iaillit le désarmer , ee eonvention-
nel, anclen capucin, voyait avee effroi que la
loi des suspects et I'abandon par la Convention
du privílége de l'inviolabilité pour ses mem-
bres, mettaicnt tous les députés a la rnerol du
Comité de salut public , peut-étre se sentaitil
déjá menacé. 11 demanda qu'un membre de la
Convention ne pul. pas étre décrété d'accusa-
tion sans avoir été entenc!u. Ce n'était pas trop
exiger, et la proposition fut votée avec d'autant
plus d'cmpressement que chacun pouvait y
trouver sa súreté. !\:Iais cela ne faísait pas le
compte de Bobespierre qui n'aurait pu {aire
arréter Danton, par exemple, comme déjá il le
projetaít. Jamais la Convention n'auraít con-
senti a décréLer Danton d'accusation, lui pré-
sent. Quoique son inl1uence fut bien diminuée,
il avait encore du prestige, et il retrouvait par-
fois ses anciens élans. La proposition de Chabot
avait été votée le 22 décem bre , le 2~, Saint-.Tust
et Robespicrre la faísaient rapporter comme
pouvant proteger les traítres, les conspirateurs ,
ils commencaient, sans préciser, Ieurs dénon-
ciations centre ceux qui compromettnient la




.'108 LA COi'íVEi'íTlON .


liberté, soit par des exagératíons suspcctes, suit
par une indulgcnce prématurée. Quelques jours
apres Chabot et Bazire étaieut arrétés par ordre
duo Comité de salut public, en apparence pour
des mulversations, en réalité paree qu'ils avaíent
failli déjouer les plans de Ilobespierre. Un autre
député, Fabre d'Egluntine, un ami de Danton,
était également ill'l'eté sous le mérne pretexte ;
il avait appuyé Chabot. La Conventiou courba
la tete, Dautou He put Iaire mettre Fabre en
liberté. Le lJ janvier, Chauuietle, qui contiuuait
sa campugue eontre la religiou, proposa de dé-
créter que tout iudividu qui deiuauderait la
réouverture d' une église serait passihle de la
peine capitale. Itobespierrre, invoquaut la li-
berté de conscience, combuüit el lit rejeler la
propositiou, qui cepeudaut flattait les haines
religieuses d'un grand nombre de couventlon-
neis; il recommenca ses déuonciations centre
les exagérés qui COIll prometlaient la liberté,
sans désigner claírement Héhert et ses parti-
sans, mais en Iaisaut comprendre qui il vísait.
En méme temps, Camille Desmoulins nvait J'e-
pris sa plumo de journaliste et, au nom du
partí des indulgents, il prechait la inodération,
tournant en ridicule les héhcrtistes. Sun jour-




LTVnE TlT. :lOO


nal, le Vicux Cordeiier, cut un immcnso succes,
dú moins a la verve de Camille qu'á ses appels
a l'indulgence qui trouvaicnt de l'écho dans
toutes les classes ele la population, Intiguées ele
la 'I'erreur, Hobespierre accepta cet utile auxi-
liaire pour sa campagne coutre les hébertistes,
tout en se réservant de s'en déharrasser, le
mouient venu et, atln ele bien marquer sa sé-
paration du partí des indulgents, il fit expulsar
Cauiille Desmoulins d u club des Jacobins. En
méme temps Hébert Iaisait expulser plusieurs
amis ele Robespierre du club des Cordeliers,


L'anniversaire du 2'1 jauvier ne pouvait pas-
ser inapcrcu : iI fut décidé qu'il serait célébré
par une rae annuelle.ret sur la proposition de
Couthon, la Convention, debout, jura dans un
moment d'enthousiasme guerre aux tyrans et
paix aux chaumíéres , elle prit l'engagement
solennel de vivre libre ou de mourir et de gar-
del' la Bépublique une et indivisible.


La lutte continuait entre les hébertistes et
Robespierre: les prernicrs s'uppuyaient sur la
Commune, sur l'armée révolutionnaire, dont
i1s avaient imposé la création il la Convention
et dont le commandant, Ronsin, était il eux, el
sur I'admínístrauou de la guerra qui leur ap-




310 LA CONVENTION.


partenait par Bouchotte et par son secrétaíre
grnéraI, Vincent. Itobespíerre fit arréter llnnsin
et Vinceut, que Danton parviut a faire nrettre
en liberté , il n'airnait pas les héhertistes, rnais
il avait eu des relatio ns avec plusieurs. uolam-
ment avec Bonsin, pour [es jouruées de sep-
tembre, el il-prévoyait peut-étre le sort que lui
desti nait Hobespierre apres la déíui le des hé-
bertistes. L'arrestation de Ronsin el. de Vincent
fit compreudre aHébert le danger qui le mena-
cait, le 24 mars, il dénonca aux Cordeliers la
conspiration ourdie contre les patriotes les plus
ardents , iI fut acclamé; on lui prornit de le
soutenir; plusíeurs sections se prono ncerent
en sa faveur, Hobespierre prit peur avec raison :
si Hébert avait su agir, si Honsin, qui avait l'ar-
mée révolutionnaire sous ses ordres, n'avait pas
été un personnage incapable et prétentieux,
bon seulement ¡'¡ parador en grand uniforme,
les hébertistes pouvaient proflter de la surprise
de leurs adversaires pour épurer la Conven-
tion , ce nouveau 31 mai éíait certainement
plus facile que le prernier, et il aurait été ac-
cepté aussi íacilement, l\lais Hébert, satisfait
de son succés aux Cordeliers, n'agit pas , Ro-
bespierre et ses séldes reprírent courage, el




LIVHE III. 311


fe 6, Barrero déuonca a son tour a la Conven-
tion la douhle conspiration trarnée contre la
liberté par les cxagérés et par les indulgents :
il le Ilt, du reste, d'une maniere un peu vague,
conformémcnt a son systeme qui était de mé-
nager tout le monde afin de pouvoír toujours
s'accommoder avec le vainqueur. Le 13, nou-
velle dénonciation, mais de Robespierre cette
fois et aux Jucobins: il dénonce en méme temps
les indulgenls el les exagérés , seulement, pour
les prerniers, il resle dans le vague, tandis que
pour les seconds il precise les accusations et
désigne les personnes. II pouvait le faire sans
danger, ses mesures étaient prises , dans la
nuit, Hébcrl était arréte uinsi que Memoro,
Honsin, Vincent et Anacharsís Clootz. La Con-
vention approuva ces arrestations, hiantót sui-
vies de celles de Chaumette eL de Gobel. Le
preces des hébertistes ne fut pas long: arrétés
le 11" Hébert, l\lomoro, Vincent, Bonsin et Ana-
charsis Clootz furent guillotinés peu de jours
apres : Chaumette et Gobel le furent également,
On dit que rancien évéque de Lyddah mourut
chrétiennement, et qu'uu prétre constitution-
nel, l'ahbé Lothringer, poste sur le passage de
la charrette oú étaient les coudamnés, á un




312 LA CO~VE"\TlO".


point Msigné d'nvauce , lu i dounn l'ahsolu-
tion: l' évéque lui avait envoyé sa confession
par écrit.


Le supplíce eles hébertistes fut accueilli Ú
Paris et dans toute la France par des transports
de joie ; on savaít qu'ils ne cessaient de deman-
del' les mesures les plus violen les; on espérait
done que Ieur chúte amenerait la fin ele la
Terreur , on l'espéruit d'autant rnieux que
dan s les derniers jours, les Jacobina el les
indulgcnts avaient marché de coucert el que
le supplice d'Ilébcrt avait été suivi de La disso-
lution de l'année révolutlonnaire. Dans celte
cxplosion de joie, indico des sentirnents popu-
Iaíres, Bobespierre vit une meuace: il comprit
que, s'il attcndait, le partí des indulgents pulse-
rait dans cet assentiment une grande inñuence.
Si en eITet Danlon, an líeu de se tenír a I'écart,
conílant dans sa force, avait résolument entamé
la lntte contre Hobespierre, il aurait trouvé des
appuis sérieux , en envoyant les hébertistes
au supplice, celui-ci avaít nécessalreu.ent di-
minué les forces du partí ele la Terreur. Mais
Danton n'agit pas, il avait ú expier Jes mas-
sacres de septembre. Cepenclant les avertlsse-
ments ne lui manquaient pas, donnés par son




LIVRE ut, 313


rlval lui-tnéme : ainsi un de ses amis, Hérault
de Séchelles, quoique merubre du comité de
salut puhlic, avaít été arrélé pour avoir donoé
asile a une émigrée. De pl US, lorsque les
cendres de l\1irabcau avaient été arrachées du
Pauthéou, Iíobespierre, avcc une affectation qui
avait été reuiarquée, avait déclaré qu'il n'y
avait point de grand homme sans vertu. C'était
un avis nienacant pour Danton dont le passé,
counne celui de Mirabeau, offrait prise aux
attaques. 11 dédaigna toutes ces menaces jus- (
qu'au jour OLI il apprit qu'il avait été dénoneé
aux Jacobius par llohespierre ainsi que Ca-
mille Desuioulins. Cunnaissant la prudence de
Ilobespierre, il comprit qu'il était perdu , iI
voulut agir, mais trup lard; iI était arrété dans
la nuit, aiusi que CamiJIe Desruoulins, Lacroix,
Phílipeaux el \Vestennann. Lorsque le lende-
maíu, 1e1' avril, Legendre annonca a la Conven-
tion l'arrestatiou de Danton, l'émotiou fut pro-
fonde , il essaya de protller de cette émolion
pour obtenir la mise en liberté d'uu des fonda-
teurs de la Hépublique et iI aurait certainement
réussi sans I'arrivée de Saiut-Just. Colui-ci de-
manda Iroidcurent si quelqu'un oserait arréter
le con rs de la j ustice uatiouale , il ajouta que




:J14 LA CO:H'E\TI01\,


eelui qui tenterait de le faire serait un trattre
dont la place devrait étrc, non ú In Corivcntion,
mais devant le tribunal révolutionuaire, it colé
des coupables dont il se faisail le défenseur.
Devant ces menaces, tout le monde se tut, et
Legendre put a peine balbutier quclques mols
d'éloge en faveur de Danton,


Devant le tribunal révolutlonnnire, I'atlitude
de celui-ci fut aulrement ferme que celle des
Girondins; il ne renla aucun de ses actes: il
en revendiqua hautemeut la rcsponsalrilité.
Cormne il parlait avec aniumtiou, le président
lui flt observar qu'il 1Ie gardait pas la modera-
tiou convenahle it un uccusé. ( 11 est bien per-
mis de s'emporter quanil il s'agitdc sauver sa
téte. )1 Couune pour les Giroudins, on écourta
les déhats , le tribunal se déclara suíüsanunent
éclairé et condauina les accusés it niort. En
entendant sa condamnatiou, Danton, se rappe-
lant qu'une année auparavant, il avail grande-
menl contrihué a la création du trihuuul révo-
Iutionnaire, en demanda pardou it Dieu el aux
homrnes. 11 dit égaleurcnt qu'il cntratnuit Ilo-
bespierre qui le suivrait bleutot. Sauf Cantillo
Desmoulins, les coudauuiés Be se déparílrcnt
pus de Ieur Ienue attltudc en inarcüant uu sup-




L I VI{l~ I JI. 315


plice; avant de monter sur l'échafaud, Danton
dit au bourreau : ( Tu montreras ma tete au
peuple, elle en vaut la peine. » C'est une mort
paienne. Des apologistes de Bobespíerre ont dit
,qu'il avaít fait un sacriñco douloureux en im-
niolant au salut de la patrie el de la liberté,
Camillc Desmoulins el Dauton , on a méme
préteudu qu'au moment oú la charrette passait
devant la maisou de Itobespíerre, on avait en-
tendu derriere les Ieuétres Iermées un profond
sanglot. en fait ne pcnnet pas de croire a cette
seusibililé . quelques jours aprés la mort de
Camille Desruoulius el de Danton, la fatale
charrette passait encere dcvaut la maisou de
Hobespierre, el elle conduisait a l'échafaud la
veure du preinier. Si Ilobespicrre avait pleuré
parco qu'il était obligé de laisser immoler Ca-
millc pour le salut de la liberté, il n'aurait
pas permis que I'on guillotinát sa veuvc,




GlIAPITI1E ix.
La, tr-rrcur rerlonhl«, - Jugcmunrs du tribunal révnlution-


naire. - Ma íame Élis~lbcth. - l.a mir.rl ct Céilc Il-nault.
- Déclaration en favcur de l'f:¡re suprúme. - 'liraille-
ments dans le comité d.: salut public. - Le triumvirat.
- La fete dc ¡'Etre supremo. - Loi du '22 pralria]. - La
Convrntion protege ses membres. - T"ntativc dos Monta-
gnards aupres des d-putés de la plainr. - Itohcspicrre
dénonce ses adversaircs aux Jucchius. - Sa rctrait» .. -
Discours du 8 thcrmido:-, - Ilcfus de l'improssion de son
discours, - S,'ance des Jacohi ns. - Séauce du 9 thornn-
dor. - Bobevpicrre décrété d'accusution, - Sa dúli-
vrance. - Mesures de la Couveutiou, - Prise de I'Hotel
de Ville: - Supplice de Bohcspierre. - Succés de nos
arrnéos.


La mort de Danton laissait Ilobespierre sans
rivaux , iI était le maítre, et cela devait le pcr-
dre. Danton le cornprenait Iorsqu'il disait:
(1 J'entraine Robespierrc. » Le premie!' résultat
de la chute des indulgenls fut naturellernent
un redoublement de terreur. Le tribunal révo
Iutionnaire mullipliait les fournécs : un jour il
condarn nait quaran te-elnq magistrats du parle-
mcnt de París, parmi lesquels d'Epréménil: le
lendemain vingt-trois magistrats du parlernent




LIVIiE 111. 317


de Toulousc. Pnis c'étaient trente fermiers gé-
néraux, dout le savant Lavoisier , eelni-ci de-
mnndn un sursis pour achever une expérieuce :
« La Itépublique n'a pas besoin de s<lvants,)) lui
fut-il répontlu. Vingt-cinq négociants de Sedan
élaient corulaumés ponr crime de négocían-
lisme; ¡JII<lIOrze fe111 111 es ou [cunes filles de Ver-
dun, dont quelqucs-unes des cnfauts ; vingt pa11-
vres paysauucs du Poitou, des briqavules ; Ma-
lesherhes, avee touto sa íamille. Le O mai , Ma-
dame Élisabcth Iut citée dcvant le tribunal
révolution naire; on la separa brusquemen t de
sa niéce, en lui disant de preudre son bonnet,
paree qu'elle ne la reverrait paso Avec l'angé-
lique princesse se trouvaicn t plusieu rs dames de
la cour: au pied de l'écliafaud, chacune d'clles,
avant de mourir, vint s'Incliuer dcvaut Madamc
l::lisalJelll qui Iut exécutée la deruíére. Les ju-
gos avaient songé UII moment a lui 'donner
pour compagnes de supplice des filles de mau-
valse vie - il yavait de tout dans les prísous
eucombrées, - une d'elies, appelée Églé, di-
sait : «J'auraís bien attrapé ces coquina: avant
de mourir, je me seraís jetée a ses pieds, lui
dcmandant pardon de ce qu'on m'avaít mise
avec elle.: Un des faits les plus odieux, ce fut In


18




318 LA CO:'O'\'ENTIOI\,


fameuse conspiration des prisons, 11 laquelle
on eut recours plnsieurs fois pour faire une
grande fournéc : on réu nissnit des gens qui ne
se counaissnicnt pas. el on les accusait d'avoir
ensemble comploté une révolte dans la príson.
Et il ne faudrait pas croire que les hautes classes
seules fouruissaient des victimcs, il y en avait
de tout rang : un pauvre montreur de uuuion-
nettes était exécuté avec sa femme pour avoir
joué des piéccs inciviques. Dans I'affaire des
chemises rouges, a coté de grands seigneurs se
trouvaient Lamiral qui avait tiré un coup de
pistolet sur Collot-dHerbois, Cécile Ilenault,
qui avait voulu voír Ilobespierre afin de ~avoir
comment était fait un tyran et sur laquclle on
avaít trouvé un petit couteau bien inoffeusif, et
une pauvre ouvriere de 17 ans, dont le seul crime
était d'~voir porté a manger a une actrlcc cm-
prisonnée pour incivisme. Le derníer convoí
de condamnés, le 8 íhermidor compronait le
poéte André Chénler, que 2!¡ heures do retard
auraienl conservé a la Franco. En moins de
deux mois, du 10 juin au i 7 juillet, le tribunal
revolutionnaire pronouea 2,085 condamnations.
Daos les derniers [ours, tout se bornait a peu
pres a une constatation d'Identité , parfoís




UVI:E nr. 3H1


méme, cette constalation ne se faisait pas,
Loizerollcs pére fut condamné pour son fils, et
la duchesse ele Birun sur l'acte d'uccusation
préparé contre son intenelant.


Le 7 rnai, líobespierre, rornpant compléte-
ment avec les trac1itions d'atliéisme qu'il avait
toujours condamnées, lut un long rapport par
Iequel il était declaré que le peuplc francais,
reconnaissait l'existcuce ele I'Elre suprérne. La
Couventlon vota l'impressíon du rapport el en
accepta les couclusions : mais beaucoup de
Montagunrds furent mécoutents , ils trouvaient
que croire a l'f;lre supréuie, c'était c1u fana-
tisme, de la superstilion. Déjá iI Yavait elesdif-
ücultés c1ans le comité du salut publico Robes-
liierre, Coutbon et Saint-Jusl fonnaient un tri-
umvírat auquel les autres devaíent obéir: cela
froissait Barreré, Billaud-Vareuues el Coilot-
d' Herbois, qui ne cherchaient qu'une occaslon
de secouer le joug; mais ils avaieut peur, La
brutallté de Saint-Just leur donna l'appui de
Carnot, que le jeune triumvir avait insulté.
D'autre part, le comité de súreté générale,
composé ele ~lonlagnards déterminés comme
Vadler. Amar, Voulland, était irrité d'étre tenu
au secocrd plan; certains de ses mcrnbres se




LA CI)~VLl\iT[()\.


croyaient, avec raison, menacés par Robes-
pierre. Oe Iá, un mécontcntcmcnt qui, comme
celui de Barreré, CoJlot-d'Herbois et Billaud-
Varennes, n'atteudnit qu'une occasion pOIll'
éclater. CeUe occasion ne pouvair tarder ú se
préscnter, cal' Bobcspicrrc, trop súr d'étre le
maitre, ne ménageait guóre ses collégues. La
Convention faisait ses volontés, el par le uou-
veau maire Fleuriot, par le procureur-syndic de
la Comtnune, Payau, par le oommandant de la
garde nationale, Henriot, il tenait la commune
et la garde-natíonale, el il était l'ielole des Ja-
cobins. Tout lui présentait son pouvoir comme
bien assis.


Le 8 juin '1í04 (20 pruirial}, cut lieu la fete
de l'Elre supremo, volee par la Convention. En
sa qualité de président de la Convcntíon, Iío-.
bespierre était appele ú l'houneur, qu'il avait
ambitionné, d'étre le pontife de la Iéte. Il com-
menea par se faire attendro, ce qui causa une
vive irrltation chez les membres de la Conven-
tion, dont plusieurs venaieut malgré eux ú une
íéte religiense. Tous les conventíonuels étaíent
en habít bleu a revers rouges el portaicnt ú la
main un bouquet , Ilobespierre s'avancait le
premíer, alIectant de laisser une certaine dis-




L1V1\E llI. 321


tance entre ses collegues et lui , iI hnrangua le
peuple, puis, conformément au programme,
mil le Ieu aux ügures du néant, de I'athéisme,
de la discorde et de I'arnbition : le groupe con-
sumé laissa voir la sagesse. Le cortégc se rendit
ensuito au Champ de !\Inrs, oú une montagne
remplacait I'autel de la patrie : Ilohcspicrre
précédait toujours les autres convenlionnels,
qui laissaient deviner leur mécontentemcnL Du
haut de cene monlagne, ltobespierro Iit un
nouveau discours, dans lequel étaient procla-
mes l'Etre supréme et I'innnortalité de l'ámc,
Un nouveau discours pronoucé aux Tuileries
termina la íétc, pendant laquelle l'échuíaud
avait chOmé.


Cetre proclamntiou de l'Elre supréme avait
íuit espérer que Ilobespicrrc, wailre du pou-
voir, uieurait un termo ú la 'l'erreur. L'illusion
ne fut P;¡S longue. Des le lendemain, le tribu-
nal révol utiounaire reprit sa sin istre besogne,
expédiant par jours cluquantc á soixante con-
dauruations il mort, et le 10 juin (22 prairial)
Couf ho n proposait ú la Convention une nou-
\ elle loi des suspects qni aggravait encore la
preruiere. Cettc loi n'avait pas été soumise au
coruiíé de salut puhlic, au 110m duqucl elle




:m LA CO'lVENTIO'i.


éraít préscutée , S811]S, les triurnvirs en avnicut
eu conuaissance. La Couventlon fut ell'rayec de
ce nouveau décret: 11 n article surtout I'épou-
vantait il donnait le droit aux deux comités
(le salut pnblic el de súrcté rl'euvoycr uu con-
ventionnel devnnt le lrihunul révolutiouuaire
saus que l'Assetublée Iút cousultée. En cutcn-
dant la lectura de cet article. un d¡'IHlte inun-
tagnarrl , lluuurps , braudissuut un poignard,
s'écria que, si la loi était volée, il ne rcstait
plus aux députés livrés á lu discréliou des couii-
té; qu'á se tuer. Ces purules avaient fait iui-
pressiou el la Couveution hésituit , lorsque
ltobcspicrre prit la purolc, 11 declara que la
loi était nécessaire el qu'elle ue mcnacait uul-
Iemeut les députés vertueux, mais ceux-la sculs
Ú qui leur couscieuce Iaisait de justes reproches.
Son discours eut un plein succes, el la loi
qui mettait la vie des députés ú la merci des
comités et la vio des citoyeus il la merci du
preuiicr délateur veuu, Iut volée en Ull quart
.I'heure, saus discussion. Mais le Ieudemnin, ]a
Conveutlon-compreuait la Iaute qu'elle avait
couunise j ni Hobespierre, ni Saiut-Just u'étaieut
lit; COlltlJOII el Lchus u'avaieut pus la JlH~IJle
uutorilé , sur lu propositiou d'uu des députés




J.IVJ:E !JI.


qui sc scntaicnt menacés, la Convcution décida
<¡UC, pnr son voto (le la vcille, elle n'avait nulle-
ment voulu déroger ú la loi, quí exigeait qu'un
député ue pú( d "e poursuivi que sur un décret
d'elle. ltobespierre ]]] a IHIIH\Í l done compléte-
ment son hut, quí était de mettre ses adver-
saircs il sa díscrétion et ele les íraduire peu ti peu
devunt le tribunal révolutiounaire dont iI était
le maitre. 11 était convenu entre les membres
du comité de salut public que trois signatures
suíüsaieut pour cnguger le comité; o]' Hobes-
pierre disposait de ces trois signatures par Cou-
thou et Sainl-Just, el il uuraít lancé les décrets
d'accusation quand il aurait voulu. La" décisiou
de la Convcntiou déjnunittous sos calculs, et la
loi du 22 pruirial n'nvait d'autre résultat que
d'augmentcr sa rcspousabilité en multipliant
les condumuutions centre des iudividus dout la
urort lui était inuíile. De plus, cette loi aug-
menta la scission qui existait déjá dan s le
comité de salut publico Billaud - Varenues ct
Collot-d'HOI'DOis reprocherent trés-vivemcnt ú
Itobespierrc d'avoír préseulé une loi aussi grave
saus qu' ils en aient en conuaissance,


Celle situatiou no pouvaít durer. Billaud-
vureuues, Collot-d'Ilcrbois, les meuibres du




LA CONVE;\"'l'ION.


comité de süreté, et divers Montagnards comme
Tallien , Léounrd Bourdon se sentaient mena-
cés; ils résolureut de prevenir Ilohespierre.
La majoríté, dans la Convcutiou, dépcndait des
députés du centre; ils Ilrent somier ces députés,
leur demandaut leur appui contre les trium-
virs. Les députés du centre hésitaient, car ils
savaient que Ilobespierre, c¡uin'avait rien conLre
eux, les avait parfois défenJus centre certains
des Montagnanb qui maintenant réc!amaient
leur appui: d'autre part, la loi du 22 prairial,
qui aggravait encore la 'I'erreur, les éloíguaít
de Itobespierre, en leur Iaisan t perdre tout
espoir de le voir revenir ,'\ des idées de mudé-
ration. Ilobcspicrre, sans connaitre le détail de
ces in trigues, n' ignorait pas que ses adver-
saíres s'organisaient centre lui; ses Iamiliers,
Payan, Fleuriot, Henriot, l'engagaient a faire
un nouveau 31 mai pour purger déflnitivemeut
la Convention de tout élérncut impur, il aurait
certainement réussi, ayant pour lui la Coui-
mune et les Jacobina, ~lals hornrne ele parole
et d'intrigues, Ilobespierre répugnait á I'action ,
iI crut plus súr ele faire condarnuer ses adver-
saires par la Convcnlion ellc-mómc, il espérait
que les hoinrnes de la plaiue tui sauraieut gré




LlVIIE JII. 315


de la protection dont iI les ava~t couverts. JI se
llama donc ti déuoncer ses adversaires aux
Jacobins le 1'" juillet . puis il se lint quelque
temps Ú l'écart, ne pnraissant ni á In Conven-
tion, ni au comité de salut publico C'était renou-
veler la fuutc d'~ Dantou.


Se scutaut de plus en plus menncés, les
Montaguards rsdouhlerent d'efforts auprés de
la Plnine, et la loi <tu 22 prairinl aklant, ils
finirent par la gagncr it peu preso Robespierre
l'iguorait, Iorsqu'il parut ú la Convenlion le
26 juillet (8 thermidor). 11 prouonca un discours
tres-long, tres-en tortillé,. dans lequel, aprés
avoir fait son npologle, il dénoncait, sans les
désigner, ses ennemis, el demandnit I'épnrntion
des deux comités de salut public et ele súreté
générale' et une couceutrntion plus énergiqne
du pouvoir. Il se croyait habile en resíant ainsi
dans le vague, et se flgurait qu'efTrayée la Con-
vention voterait ce qu'il voudrait. n se trom-
pait: ce vague fit peur. S'il avait designé ceux
qu'il voulait sacrifler. son influenca était encere
tclle qu'il eút triornphé: ceux qui n'élaient pns
directement menacés auraient sacrifié rnéme
leurs amis , mais personne n'était rassuré, et,
pour In premiare fois, Robespierre vil refuser


iO




,126 LA CONVE'lTION.


I'ímpression de son discours. C'était un échec
d'auLant plus grave que, sur la proposítíon de
Barreré, I'impression avait été d'abord votée.
Le soir, Robespierre se rendit aux Jacobins, et
la íl relut de nouveau son díscours, qui fut
vivement applaudi : íl dit que c'était son testa-
ment, que les ennemis de la liberté allaient
l'emporter. Mais on lui promit de le soutenir ,
ses adversaíres furent exclus de la société, no-
tamment Collot-d'Herbois et Bíllaud-varennes.
Ses amis lui disaient d'ugir, et il aurait certai-
nement réussí , mais il préféra attendre: It
croyait encore I'emporter a la Convention.


Les adversaires de Itcbespierre, sürs de I'ap-
pui de la Plaine et ayant le président a eux,
avaient fait Ieur plan. Quand, le 9 thermidor.
Saint-Just et Lebas viennent reprendre la these
de Robespierre, ils sont violemment interrorn-
pus; Robespierre monte a la tribune, les cla-
meurs redoublent: le président Thuriot, loin
de lui maintenir la parole, appuye les interrup-
teurs. Tallien, un poignard a la main, dénonce
le nouveau Cromwell; il declare que si per-
sonne n'ose arréter la tyrannie, il fera luí-
mérne justice du tyran ; il dénonce Henriot,
qui est décrété d'accusation. Vadier reproche it




t..IVHE 111. :m


Bobespierre la loi du 22 prairia1. Bobespierre
essaye vainetnent dp prendre la parole , les cris
de « A bus le tyran ! )) retcntissent. « Le s:1I1g de
Danton t'élouffe n , lui cric un député. II se
tourné vers la droiie qu i, gaguée, n'écoute pas
ses appels suppliaurs, JI est decreté daccusa-
tion , ai nsi que SOIl frere, Saiut-Just, Le})as en


• eCourhon. t
•Les cinq députés sont conc1uits a la prison c1r~


Luxembourg, oú l'on refuse de les recevoir;~
leurs amis les délivrent et les menent a l'Hótel
de ville. Henriot, qui avait été arrété, est mis
en liberté par Cofflnhal . il se presente a la
porte de l'Assemblée qui le met hors la loi;
cene mise hors la loi, si le commandant de la
gnrde nationale avait su ag!r avec résolutiun ,
ne l'aurait pas arrété , mais il élait ivre: il ne
sut rieu faire, et se vit bientOt abandonné. La
Convention nomme cornmandant général de la
garde nationale en remplaccrnent d Henriot,
Barras, dont elle conuatt I'énergie , douze corn-
missaires sont envoyés aux sections pour les
ínstruire de ce qui s'est passé , les sections pro-
meLtent leur obéissa nce , les cinq députés sont
mis hors la Ioi , Hobespierre n'agit pas, il se
laisse cerner; les canon niers d' Henriot sont




díspersés et les troupes de la Couventlon pé-
nstrent dans i'Hótel de ville. Lehas se tue;
Couthon, Saint-Just, Robespierre jeune, sont
arrétés: Coffinhalreproche sa lácheté a Henriot
qu'il jetle par la fenétre , Robespierre est pris
apres avoir essayéele se tuer ou avoir recu d'un
gendarme un coup de pislolet qui lui brise la


..


machoire. Des le leudeurain, les députés, les
soixante-dix membres de la Cornmune, le com-
mandant Henriot, les mernbres du tribunal ré-
volutíonnaire sont envoyés il l'échaíaud sur une
simple constatation d'identité; parrni les mem-
bres de la Comtuune élait le cordonnier Simon,
le gardíen, ou plutót le bourreau du jenne
Louis XVII. Les hnées de la foule nccompagne-
rent Robespierre: la charrette s'arréta devant
la maison qu'il habitait, une femme montant
sur une des rones le maudit au nom de toutes
les meres.


On a dit que Robespierre valait mieux que
ses adversaires et que, s'il avait triornphé , il
aurait comme eux mis fin ú la Terreur. Ce
qu'aurait fait cet énigmatíque et froid person-
nage, personne ne le sait; mais il est vrai que
les Bíllaud-varrennes, les Collot-d'Herbois, les
vadier, les Tallien, ne s'étaien t pas uiontrés




LlVHE 111.


moins cruels que llohespierre et qu'ils n'enten-
daient nullement inaugurer une ere de misé-
ricorde , ils se défendaient, voíla tout. Seule-
ment, ils n'avaient pu triompher qu'avec l'aide
des députés de la Plaine, et ceux-cl, appuyés
par I'opinion, n'entendnient pas Iaisser con-
tinuer la Terreur. En résumé, comme l'a dit
de lVIais1re, le \} therrnidor fut la victoire de
quelques scélérats sur d'autres scélérats, mais
cette victoire tourna au proñt de l'humanité,


En méme temps que la 'I'erreur prenait fin,
les armées fl'[!.n~aises ohtenaient des succes
décisifs , le nord de la Franco, toujours menacé,
était dégagé et Pichegru envahíssait la Belgi-
que; dans le midi les Espagnols et les Piémon-
tnis pt;¡ient battus,




CIJAPITllE x.


Itéaction centre la Terrenr. - Délivrnnc« des prisonniers.
- Jugo ment de Carrier, Lohon et Fonquivr-T'iu vil l«. -
La jcuncssc dorée, - Fl'rllletul'o des jacobins. - [larpol
des 73. - Rieton!' do- députés girondi n«. - Maintil'n des
mesures cnnrre les emi~rl¡s et les pr:'tl'es ñdeles. - Pour-
suirr-s centre Barrera. Hil laud, C'·1I0! et Vadier - Mouve-
ment du 1,-r avril. - Déporration de !\illaud etCollot, -
Journée du 1'" prairial, - Féraud et Boissy d'Anglas. -
Prorés el. condnmnarion des deruicrs turrori-tes. - Mort
de Louis XVII. - Échange de Madarne. - Heprésailles
dans lo ;\Iidi. - lléucrion tnrrotiste. - Quiberon. - Com-
plot d,' Pichogru, - Conqnéte de la Hollande. - Traité de
Bale. - La Constitntion. - Prescriptions pour les pre-
mieres élcctious. - Journée du 11 vendérniaire. - Le gé-
néral Bonaparte, - Derniere sónnce de la Convention.


Des le 10 therrnidor, Barrér«, dans un rilp-
port, dema udait IR conti nuation de La 'I'erreur :
Ilillaud, Collot, Amar, Vadier, réclamaient le
titre de terroristes, et s'opposaíent aux indul-
gents . Billaud demanda le mainlien du tribu-
nal révolulionnaire quí pouvait encoré reudre
des services. La situation fut plus forle que
leur volonté; une partie des montagnards, avec
Barras, Fréron , 'I'allien , se rapprocha de la
droíte et s'opposa á la continuation de la




LIVRE m. 331


Terreur. Les prisons furent ouvertes a Paris et
dans les provinces : elles contennient plus de
200,000 suspects. qui n'étaient pas súrs du len-
demain. Le tribunal révolutiounaire fut con-
servé, mais entierement réorganisé; les comités
révolutionnaires furent supprimés pour la plu-
part et la haute paye de quarante sous fut
retírée au délateur; la loi du 22 prairial fut rap-
portée, les comités de salut public ct de súreté
générale furent composés de nouveaux dépu tés;
en méme temps qu'il était établi seize comités,
avec des pouvoírs égaux, chargés d'cxercer la
surveillance sur les affaires, C'était une compli-
cation, maís aussi une garantie.


La Convention se trouvait dans une sítuatíon
difficile; elle avait approuvé, au moins par son
silence, les acles du comité de salut public ,
parmi les thermídoriens , méme ralliés a la
droíte, il s'en trouvait qui avaient pris part aux
mesures terroristes : il n'élait done pas facile
de revenir sur ce qui avait été fait. Parfois
un thennidoricn qui dénoncaít á cause de ses
amvres un terroriste, se trouvait quelques jours
apres dénoncé lui-méme: c'est ce qui arriva
notamment pour Carrier ct Thuriot. Celui-ci
fut un des dénoncíateurs de Carrier. et qu-lque




LA CONVENTlON.


temps aprés, iI était luí-méme poursuivi. Les
prern íers con ventionnels con1re lesquels des
poursuites furen l demaudéns, furen t Carrier el
Lebon: íous les úeux sublrcut leur preces: tous
les dcux furcnl cmdaurucs ú mort , mais afln
de ne pas parili/re b}¿)mel' des rígueurs que la
Convention avait approuvées, on les condanma
commc coupalJles d'avoir voulu par leurs exces
servir les contrc-révolutionnaircs. Fouquier-
Tinville fut égalemeut poursuivi el courlamné ,
Sil défense consista ¡'¡ dire qu'i! avait obéi, " J'ai
été la hache de la Couvcutiou , répétait-il ,
puuit-ou une hache? 1) Iucontestalrlemeut il
disait la vérité, il n'en íut pus inoíns COl1-
damué.


Le terrorisme, abattu dans la Couver.tiou,
élait resté le mailre aux Jacohius et uux Cor-
deliers. Fenné par Legcndre qui avait mis la
clé daus sa peche, le club des Jacobins u'avait
pas tardé it se rouvrir, appuyés par des députés,
les Jacobins avouaient leur desseiu ele repten-
dre le pouvoir el de conrbaltre do uouveau les
traltrcs. Billaud-Varennes el Collut-tl' Herhois
s'étalout reconcilies avec eux. La Convention
connneuca par interdirc les correspoudances
cutre les clubs; elle défuudit le» pétitious col-




LIrnE 111. 331


Iectíves. En méme tciups , sur l'iniUatíve de
Fréron, qui avaít reprís, dans un tout nutre
sens, son journal, I'Orateur du peuple, la jeu-
nesse dorée s'organisait contre les Jacohins;
elle se recrutait dans tous les rangs de la
sociélé, el opposaít le lIrveil d¡¿ peupí« au (ja ira,
et a la Cannagnole. lJes luttes tres-vives s'enga-
gerent en tre les Jacobins et la jeunesse dorée ,
elles se terminérent par la fermeture du club
que la Convention prononca.


Soixaute-treize députés gémissaient en pri-
son; c'étaient ceux qui avaient signé la protes-
tatíon contre le 31 maí , ils demandérent leur
mise en liberté et leur réintégration a l'Assern-
blée, La question était grave, puisque ces
députés étaient détenus en vertu d'un décret
voté par la Convention elle-méme. Leur de-
mande fut d'abord écartée , mais elle revint
sur le tapis et les soixante-treize reparurent.
Cette mesnre en appelait une autre; c'étaít
le retour de ceux des quarante-cinq députés
décrétés d'aceusatíon qui avaient échappé a
l'échafaud. La lutte fut vive, les terroristes, et
méme quelques thermidoriens se récriérent.
ils n'admettaienl pas qu'on condamnat le
31 mai , qu' ils gtorifiaíent au méme titre que


[9




334 LA CONVENTION,


le 10 aoút , un rapport de Robert Lindet fait
dans ce sens fut d'abord accepté par la Con ven-
tíon.Tl était impossible de s'en tenir la; I'lnno-
cence des Girondins survivants fut proclarnée,
leurs droíts reconnus, et l'on vil reparaítre
Lanjuinais, Louvet, et les autres.


D'autres mesures de réparation suívírent ,
les biens des victimes irnrnolées depuis le
10 mars 1793furent rendus a leurs familles , le
séquestre établi sur les propriétés des étra ngers
fut levé; mais le vieux levain révolutionnaire
restait et l'on ne fit rien pour les érnigrés. la
confiscation fut maíutenue contre eux et leurs
Ills: on excepta seulement les émigrés Iorcés,
qui avaient da. se retirer devant la tyraunie:
on faisait allusíon aux farnilles de Toulon, de
Marseille, qui avaient fui les proconsuls de la
Terreur. Quant aux. prétres, il fut décídé que
le prernier qui oserait ouvrir une égtise serait
passible de la peine de mort, On ne leur por-
mettait mérne pas le culte privé. Seuls, les
prétres asserrneutés trouverent quelque grace.


A mesure qu'elle avancaít dans cette voie, la
Convention trouvait qu'elle avait été trop Iaíble
en bornant les poursuites a Lehon et a Carrier.
Des départements on luí dénoncait d'autres




LIVRE I1I. 335


députés. Lecointre d'abord, Legendre ensuite
dénoncaient les membres du comité de salut
publique et du comité de súreté géuérale : Bar-
rere, Billaud-Varen nes, CoIlot-d'Herhoís, Vadier.
Ces quatre députés furent mis en état d'arres-
tation. CeUe mesure excita un grand mécon-
tenlcment dan s la populace déjá surexcitée
par suite des miserea de l'híver. Les terroristes
s'armaient de ces miseras qu'ils attríbuaient aux
décrets de la Convention, notamment a l'abo-
lítíon de la loi du maximum. Se sentant
menacée, la Convention vota une loi sévére
centre la rébellion, centre les insultes a l'As-
semblée , elle décréla que, si elle perdait sa
liberté, les députés suppléants se constitue-
raient en assemblée a Chalons-sur- Marne.
C'étaít ce que les Girondins avaient songé afaire
avant le 31 maí. En me me temps le général
Pichegru que ses succés venaient de rendre
populaire était appelé pour veiller a la süreté
de l'Assemblée. Malgré ces précautions, un
mouvement cut lieu le 1c' avril 1795; des ban-
des envahirent l'Assemblée en demandant du
pain et la Constitulion de 1793; le présídent
de la chambre fit sonner le tocsin, et devant les
mesures prises et les gardes nationales qui an-l,




33ü LA CO:\YE\TIO,\.


vaicnt, ces envahísseurs se retir(·rcnt. Le len-
demain, la Convention prononca la déportation
á Cayenne des quatre députés: seuls, Billaud-
Varennes et Collot-d'Herboís Iurcnt déportés:
Ic premier s'échappa vingt ans aprés dc Sin-
namary et se refugia it Saint-Domingue, oü il
mourut en 1819; le sccond mourut aSlnnnmary
en 1796, apres uvoir avalé dans un acces de
flévre chaude une bouteille d'eau-de-vie Va-
die)' s'était euíui, et Barreré, grace it une mala-
die opportune, ne quitla pas Hochefort.


Un mouvement plus grave eut !ieu le 20 mai,
1C!' prairial , la chamhre fut envahie par des
bandes armées, le député Féraud fut tué, et le
président Boissy d'Auglas salua sa tete qui étuit
portée au bout d'uue pique; plusicurs députés
constituerent, a I'aide de ces haudes, un non-
vean comité; s'ils avaíent agi avec vigueur et
s'étaient empares des diverses admlnistratíons,
ils pouvaient reprendrc le pouvoir, il Y avait
encore bien des éléineuts terroristes dans la
Convention. Le lendetnain, nouveau mouvc-
ment; les bandos úu iaubourg Samt-ántoiue
venaient demander la mise en libertó de l'as-
sassin de Féraud qui avait été arrété , la Con-
vention était ganlée par trois hataillons de




Ll VIlE 111. .137


garde natiouale, mais les cauouniers n'étaient
pns súrs: on parlemente ; une députation est
introduitc, le présídeut Vernier donne l'acco-
íade á l'orateur et lui Iait les plus belles prnmes-
ses. Cette Iois, la Convention perdit patience et
résolut de sévír . le géuéral Menou fut chargé de
désanncr le fuubourg Snint-Antoiue el réussit,
Tranquillisée de ce coté, la Convcntion décréta
d'uccusation Pache, Bouchotte, Xavier Audouin,
Hasseníratz , Hentz, Duroy, Souhrani, Bour-
botte, Forestíer, el Peyssard : ils furent traduits
devan l une commission militaire , Peyssard fut
condatuué á la déportatio n, Porestier acquitté,
les autres coudamnés a mort , ils se írapperent
tous avec un compas qu'avait I'un d'eux; Bour-
botte , Soubrani el Duroy, qui n'élaient pas
tout it Iait morts, furent guillotines.


Quelques jours apres, le 8 juin 1795, mourut
au Temple le jeune Louis XVII; le cordonníer
Simon l'uvait tant multraité que l'enfant était
perdu lorsqu'arriva la réactíon de thermídor ,
on le fit soigner, rnalgré le député Bríval qui,
méine apres le !) thermidor, dernaudait qu'i1
fut mis á mort: il était trap tardo Sur la de-
mande des habitants d' Orléans, sa sreur fut
échangée coutre Beuruouvilte el les cuuuuis-




338 LA CONVENTION.


saires de la Couventíon livrés par Dumnuriez,
Les historiens révotutionnaires parlen! beau-


coup des représailles qui eureut Iieu dans le
midi ; il yen! en dIe! de 6 a 700 victimes;
c'étaient surtout des vengeanccs personuellcs,
ceux qui avaient vu massacrer toute leur famille
et qui eux-mérnes avaient souffert la prison se
vengeaient de leurs délateurs.


La condamnation des terroristes qui semblait
devoir engager définitivement la Convention
dans la voie OU elle était entrée fut suivie d'une
réactíon. La Convention se sentait débordée,
l'opinion se prononcuit contre la République
qu'elle Identiflait avec la Terreur el dernandait
le re tour ala royauté. 01', si la grande majorité
des députés repoussaient la Terreur, ils enten-
daient également conserver la Hépublique,
beaucoup étaient régicides et, en 1795, ils avaient
céléhré I'anniversaire du 21 jauvier. Deux évé-
nements donnérent le signal de ceLte réaction,
l'expédition de Quiberon et la conspiration de
Pichegru. Apres l'expédition de Quiberon, Tal-
Iíen , redevenu terroriste el trouvant dans le
général Hoche un instrument complaísant, flt
fusiller des prisonniers que couvrait une capí-
tulatíon. Quant a Pichegru, qui avait formé le




LIVRE 111. 339


projet de rétablir la royauté et qui échoua, il
fut destitué de son cornmandement et on lui
offrit I'ambassade de Suéde qu'il refusa.


Ce qui donnait au général Piehegru une
grande autorité, c'est que plus qu'aucun autre,
il avaít eontribué au succés de nos armes, alors
partout víctoríeuses, Aprés avoír conquis la Bel-
gique de concert avec Jourdan, il avait envahi
la Hollande, et la rigueur du froid, en gelant
les rívíéres et les eanaux et ernpéchant une
inonda tion, lui avait lívré le pays. Ces succes
avaient décidé la Prusse, mécontente des eoa-
lisés, a traiter avee la France , par le traité de
BAle, negocié par Barthélemy, elle renoncaitá ses
possessions sur la rive gauche du Bhin, a con-
dition d'étre indemnisée sur la rive droite aux
dépens des principautés ecclésiastiques qu'on
sécularíserait. Déjá un autre prince, celuí de
Toscane, avait fait la paix avec la République.
Quelques semaines plus tard, c'était le tour de
l'Espague. La guerre continuait seulementavec
l'Autriche et avec l'Augleterre: tout danger
d'invasíon était passé, et les hostilités n'étaient
;)1IS tres-vives.


La Convention allait se séparer , elle avait fait
une nouvelle constitution dont voici la sub-


,




340 LA CO:"VEi'\Tlü:'l.


stanee: les asscmhlées primaires fonnéesde la
Lotalité des citoyens choisissenl les électeurs
ceux-cí a leur tour nomment les mcmbres du
COl'pS législatif qui eomprend les Aneiens et les
.Cinq-Ceuts. Les Allciens étaient au nombre de
250: ils devalen l erre agés de 40 :J115 au moins ,
pour étre mernbre du conseil des Ciuq-Oeuls,
iI suffisait d'avoir 30 ans. Le pouvoir exécutif
étaít confié ti un dírectoire de 5 membrcs nom-
més par le Corps législatif et n'ayant que des
pouvoírs tres-reslreiu ls; les directeurs étaient
responsables et ne pouvaíeut exercer aucun
commandement mililaire. Les nominations ad-
mínístratives et j udieiaires éLaient faiLes par les
assernblées électorales et pritnaires.


La Convention qui craignait que les élections
ne fissent triompher les partísans, chaque jour
plus nombreux, de la royauté, décida que, pour
les premieres électíons, les deux tiers des
mernbres des deux conseils devraient étre pris
dans son sein. CeUe disposition arbitraire sou-
leva un grand mécontenternent: les sections
de París protesterent. Les décrets qui réser-
vaient les deux tiers des places aux conven-
tionnels furenL adoptes par 263,000 vaix centre
95,000; la Constitution elle-rnéme réunit




LIVI\!': llI. 3H


\)58,000 voix, sur 5,000,000 d'élecleurs ; c'était
une in fime minori té. El encore la Convention
fit-elle voter les armées, sur lesquelles elle
croyuit pouvoir com pter.


Les élections avaient dé ñxées au 20 vendé-
miaire , le 13, les élecleurs de París se réuni-
rent sous la présidence du duc de Niveruais et
sous la protectíon de la garde nationale. La
Convention chargea le général Menou de dissi-
per la réu nion . mécontente de sa mollease, elle le
reui placa par Barras qni prit pour secoud le gé-
néral Bonaparte encore incounu. Les insurgés
manquaient de chefs capablcs , le g(\ucral Dani-
can se laissa amuser pendant que Mural S'ClJI-
parait de l'nríillerie des Sahlons el que Bonaparle
prenait ses d ispositio us : qua nd celui-ci fu t prét, il
attendit les seclionnuires, son artillerie les íou-
droya et il en cut facilemcut raisou. Bien con-
duit, le mouvemeut auraít certainement réussi.
La Convention se divisa en deux camps , les
violents, avcc 'I'allieu, voulaient une répression
rigourouse¡ les modérés, avec Philíppotcaux,
iusisíaient pour I'indulgence; ceux-ci l'ernpor-
terent et l'on ne poursuívít guere que des
contumaces.


La Couveution íint sa derníere 'séance le




342 LA CONVENTION.


28 octobre 1795; elle vota une amnistie géné-
rale et l'abolition de la peine de mort iI la paix;
elle excepta de l'amnistie les émigrés, les pa-
rents d'émigrés et surtout les prétres inser-
mentés contre lesquelles elle recommanda de
mettre a exécntion les lois existantes. Ce fut
son testament poli tique, elle restait ñdéle ti sa
haine de la religion.


On a fait gloire á la Convention de beaucoup
de décrets pour l'instruction publique; ces dé-
crets n'existalent que sur le papier, et en réa-
lité sa part se borne á la création de l'école
polytcchnique, du conscrvatoire des arts-et-
métiers, et au rétablissemcnt de l'Institut,
création de la monarchie que la Hévolution
avait commencé par détruire.




CHA PITRE XI.


Guerres de Vendée et ce Bretagne. - Caractére de ree gilerres.
- Commencemcnt du mouvernent vendoeu, - Catheli-
neau. - Stoffi,'t. - D'Elbée. - Bonrha mps. - Lescure.
- La Rochejaquelin. - Charerte, - Preiniers succés, -
Prise de Saumur. - Cathelineuu, général en chef de l'ar-
rnée catholique. - Attaque de Nantes. - Mort de Cathe-
Iinoau. - D'Elbee, généralissime. - Kléber et les
Mayencuís. - Bataille de Cholet, - Mort de Bonchamps,
- Passage de la Loire.- La Bochojaquelin, généralissirue,
- Barail!c de Laval. - Échec sur Granville. - Défaites
du Mans et de Savenay. - Mort de La Hochejaqueliu,
- Les colonnes infernales. - Mort de Charette et de
Stofflet, - Pacification de la Vcndée. - Guerre de Bre-
tagno. - Expédition de Quiberon, - Le champ des
martyrs. - Paciñcation de la Bretagno,


La guerre de Vendée, cette (1 lutte de géants »
mérite une mention spéciale , e'est pour cela
qu'il n'en a pas été questíon [usqu'ici, Les pro-
vinces de I'ouest, Bretague, Anjou et Poitou (la
Vendée faisait partie de cette derniere pro-
vince), n'avaient montré aueune hoslilité eontre
la Bévolutlon , la Bretagne s'y était méme mon-
trée favorable. Noblesse, clergé, paysans, tout
le monde acceptni t la nécessité des reformes,
et les premiers actes de l'Assemhlée coustí-




tuanLe ne íurent pas mal accueillis, bien
qu'elle eút dós I'abord dépassé ses pouvoirs. La
premiére, la nohlesse se détacha de la Bévolu-
tiou elle étail dírecíement atteinte; les paysans
aimaient leurs seigneurs avec lesquels ils vi-
vaient en excellents rapports: aux prcmieres
élections municipales, ils les ehoisirenL pour
marres, mais i1s reslaient partisaus des réformes
ou tout au moins indlüérents. Lorsquo I'As-
sembléo toucha d'une main téinéraire á la
question religieusc et vota la constitution civile
du dergé, 13 situation chaugea , le elergéne
fut pas seul mécontent, le paysan le íut autant
que ses « bons prétres )) et ille Iaissa voir. PJ2in
de foi, il n'ad mettai t pas q u'on portát attei n te
a sa liberté religieuse. Le mécontentement Iut
au comble Iorsque Louis XV] cut sanctiouné,
par une íaiblesse si uoblement rachetée en-
suite, la eonstitution schismatique.


« Quelques jours apres cette sauotion, dit un
des derniers historiens de la Bretagne el de la
Vcndée. ,CJui juge les choses saus partl-pris,
M. El/gene Veuillot, une grande agitation ré-
guait en Bretague ct en Vendée : cettc atlcinte
a la liberté de conscience lit revivre tous les
gricís jusqu'alors paticmment supporlés, on se




[.IYI\E JI!.


sentit bien plus royaliste des que l'on pul, voir
que les cnnemis du trone étaient aussi les en-
nemis de íautel. On ne songeait pas encare,
surtout en Vendée, a recourir aux armes, mais
déja 011 se déclaraít OH vertemen t con tre la
Ilévolution. Des conseillers municipaux don-
nérent leur dérnission, soit pour ne pas concou-


. rir au déplacement des prétres qui relusaient
le sermeut, soit pour n'avoir aucun rapport avec
le curé assermenté. Un certain nombre de mu-
nícipalités déclarerent méme, par écrit, que
toute conscience chrélienne devait protestar
avec horreur el indignation (( contre le serment
« iniquo irnposé aux ministres de Dicu. Un tel
« serment, ajoutalent-ellcs, détruít la religión,
ce ji est contraire á la raísou, Ú la loi, au bon
« sens. Non, jamals nous ne nous préterons a
« l'exécution de cette loi. )) D'autres deman-
daient que l'on atlendit la décision de Rome.
Afin d'arréter ces manifestations, les autorités
faisa ient el islri buer des pamphlets oú I'on di-
sait que le Pape et les cardinaux avaient dé-
ciaré que les aílaires du elergé de Franca ne
les regantnient poinl. Dans plusieurs commu-
nes, on ne put trouver personne pour ten ir les
registres d" létat civil; le servíco de la garde




L\ C()~\E\TIü~.


nationale fut abandonné: on arracha publique-
meot les afficues et placards conteuant des lois
ou des arrétés administrntifs. Enfln , de pauvres
paysans aimaien t mieux garder ou méme per-
dre le produit de leurs charnps que de l'aller
vendre aux villes OLL la religion était persécutée
dans la personne des prétres ñdeles, »


Ce caractére religieux avant tout des guerres
de l'ouest, caractere qui en explique la persis-
tance et la grandeur, est attesté par les témoí-
gnages les plus diverso L'installation des prétres
conventionnels faite par la gendarmerie et
méme parfois par des détaehements consídé-
rables de troupes - a Plougarneau, il faUut
600 hommes et 4 piéces de canon - avait amené
partout des désordres. La législature s'en émut
et envoya sur les Iieux Gensonné et Gallois, et
ceux-cí eonstataient, a leur retour que « l'é-
poque de la prestation du serment avaít été la
premiare époque des troubles. » Pour « ces
pauvres hahitants des campagoes l'amour ou
la haine de la patrie consiste ... a aller oú ne
pas aller a la messe des prétres asserrnentés.. H Ir
est difficile de mieux indiquer le caractére reli-
gieux de cette émotion qui aunoucait un sou-
levement. Les prerniers ehefs du mouvement




LIVIIE lIJ. 347


furent Cathclineau, le saint de l'Anjou, Lescure,
le saint du Poitou, Boncliamps, d'Elbée, dont
la piété étaít connue. Les deux derníers ont dé-
cIaré l'un et l'autre que, rnalgré leur dévoue-,
ment au roí, jamais ils n'auraient pris les armes.'.
si I'on avait seulement toléré le libre exercice
du culte catholique. Et c'étaient des gentils-
hommes qui devaient plutót représenter le
coté politíque du mouvement. Malgré ces té-
moignages, les guerres de l'ouest ont été et
sont encore présentées comme presque exclu-
sivement politiques. Sur ce point, historiens
révolutionnaires et historien s royalistes concor-
dento Cela s'explique par ce fait qUI) les uns et
les autres se laissent entraíner par l'esprlt de
partí. Les républicains cherchent 11 excuser la
Révolution des horreurs de la guerre de Ven-
dée; alors ils la présentent comme une lutte
des royalistes contre les républicains j des lors
la conciliation étaít impossible, et la Convention,
qui avait l'Europe sur les bras, devait user de
tous les moyens pour mettre fin a une guerre
civile qui paralysait la défense. La tactique est
habile, mais la véríté, c'est que la guerre civile
fut provoquéc par la Convention . au licu
d'écouter Gallois et Gensonné qui lui disaient




:148 LA CO:"VE'lTIO:\'.


de Iaisser libres les cathollques populatious de
l'ouest, elle donna I'ordre de désoler Ieur pa-
tience. L'erreur de heaucoup d'historleus roya-
listes provicnt d'un raisonnement d'un antre


. genre , ils ont voulu rnontrer la canse monar-
chique plns íorte qu'el!e ne l'était réellcmcut,
et ils out dé heureux de revendiquer exclusi-


. vement pour le drapean hlanc la gloiro des
Cathelineilu, des Bonchamps, des Loscure. Mais
les faits sont lit qui ne le permettent pas, cal'
en méme temps qu'Il arboraít le drapean blanc,
le vendécn porlait sur sa poitrine I'imago du
Sacré-Creur.


Ne pouvant que tres-sommnlrement résumer
les phases des guerrcs de Veudée el de Brota-
gne, il était nécessalre eren indiquer nu moins
tres-nettement le caractere.


Annoncée par plusieurs échauflourées, la
grande guerre ele Venclée commcnca le 10 juin
1793; le Lirage pour la Ievée des 300,000 hom-
mes en fut l'occasion. Combatl.rc pour com-
battre, les Vencléens aimerent mieux réserver
leur snng pour la défensc de leur Ioi. Le signal
fut donné a Saint-Florent.en Anjou , les jeunes
gens appelés pour le tirage et que menacaít
une piece de canon cliargée, s'emparerent de la




L1\ la: 11l. 34!J


píece et chasserent les gendarmes. Le soir méme,
Catheliueau, voiturier eolporteur de laine du
Pin-eu-álauge, se mit a leur tete; des milliers
de paysaus se Ievérent 11 l'appel du saint de
l'Anjou , ils n'avaient que quelques mauvais
fusils , la plupart étaieut aruiés de bátous , ils
surprirent des détachements républicains don!
la dél'aite Ieur livra des armes et des munitions.
Cathelineau fut rejoint par Stofflet, aneien sol-
dat, garde-chasse du marquis dc Maulevrier,
qui lui amena une troupe considérable, ct les
Vendéens s'emparerent de Cholet, défendu par
2,000 hommes de troupes régulieres. Ces suc-
ces décidérent les gentHshommes a prendre
part au mouvement qu'ils n'avaient pas eom-
mencé , on vit successivement arriver d'Elbée,
Boncharnps, anciens offlciers, Lescure, Henri
de La Rochejaquelin, qui disait aux paysans lui
demandant d'étre leur chef: « Si j'avance ,
suivcz-moi, si jo recule, tuez-moi , si je meurs,
vengez-moí.» En rnéme temps, Charette, anclen
offlcier de marine, énergique et intelligent,
prenait le comrnandement du soulevemem
dans le Bas-Poitou. Ces gentilshommes ne se
dissimulérent pas les dangers ou les difficultés
de leur tache; ils prévoyaíent une lutte sans


20




3~O LA COj\'VE~TJO:-:.


merci , oú ils snccomberaient; mais ils accep-
terent par devoir. « Nous ne devons point pré-
tendré a la gloire humaine, disait Bonchamps :
les guerrea civiles n'en donnent point, » La
gloire humaine lcur est vcnue cependaut, et
une gloire des plus pures.


Le soulévement de la Vendée fut d'abord ac-
cueilli avec mépris a Paris : des volontaires
parisicns réclamerent l'honneur d'écraser seuls
les ( brigands » ; ils pensaí iut sans doute
courir peu de dangers et faire heaucoup de
huliu. On les appelait par dérisiou , rnéme
dans les camps républicains, u les héros á cinq
cenls Iivres n , Ces héros furent bien vite dé-
troui pés: commandés par eles officiers dignes
d'eux qu'ils avaient choisis CI1X-1l1l"mes. ils
íurent hattus, et il fallut envoyer centre les
Vendéens de véritables soldats, La ConvenLion
le fit et en méme ternps elle donna aux géné-
raux les ordres les plus cruels qui ne furent
que trop obéís, sauf par quelques honorables
exceptions. Les divers corps Vendéens s'étaient
réunis pour constituer la grande arrnée ven-
déenne , en quelques jours, ils enlevérent Bres-
suire, Thouars, Purthenay . un échec it Fon-
t~lIay fut rapidumeut reparé. A I'un ue ces




LIVtlE 1Il. 351


combats, pcndant que Lescure, qui s'était porlé
intrépidement en avant , restait sous le Ieu
d'une batterie républicaine, ses soldats s'arré-
tereut pour s'agenouiller devant une oroíx , La-
ville de Beaugé voulait les faire relevar. « Laís-
sez-les prier, dit Lescure, toujours exposé, ils
ne s'en battront que míeux. )) El les soldats de
Lescure se relevant, prirent la batterie. Le
mouvement avait commencé le 10 avril , et le
10 juin la grande armée vendéenne était maí-
tresse de Suutnur, ce qui lui perrnettaít de
marcher, soit sur París, soit sur la Normandie,
soit sur Nantes. A Saurnur, Lescure trouva le
général répuhlicain Quétiueau qui attendait
son jugement , il avait éLé précédernrnent vaincu
par les Vendéens; il dit á Lescure que le soulé-
vement vendéen amenerait le partage de la
Franco par les étrangers qui au fond se sou-
ciaient fort peu de Louis XVII; le chef ven-
déen luí répoudit que, plutót que de perrnettre
un partage dc la Francc , tous les soldats de
l'arméc catholíque (elle s'appelait ainsi) se
joindraient aux républicains. Ces deux hommes
se séparercut, Lescure pour trouver la mor!
quelques semniues apres dans un combnt, Qué-
tiueau, moins heurcux, pour inuuter SUI' l'écha-




352 LA CONVl\'fION.


faud avee sa fem.ne, quoiqu'il eu fait loyale-
men t son devoir.


La grande armée vendéenne avait besoin d'un
général en chef; tous les geutllshommes s'effa-
cerent devant Cathelineau qui s'était montré
digne du eommandement. On décida ensuite
l'aítaque de Nantes. La prise de eetle ville
pouvait avoir une grande importanee en ce
qu'elle donnait aux Vendéens des communica-
tions avec la mer par la Loire et avec la Breta-
gne, Les Vendéens pénétrérent hravement dans
la vilIe et ils l'anraient sans doute enlevée si Ca-
thelineaun'étaít pas tombé mortellement blessé.
Le découragemei. t se mit parmi ses soldats
et il fallut hattre en retraite. Le saint de I'An-
jou mourut le 14 j uillet 1703 ; en trois mois, il
avaitlivré un grand nombre de combats presque
tous victorieux , eonsti tué l'armée catholique
et fait trembler la Conveutiou. Son suceesseur
fut d'Elbée, bravo soldat, offlcier de mérito, mais
qui n'avait pas l'aclion de Cathelineau sur les
paysans. par deux fois, sous ses ordres, l'arrnée
vendéenne éehoua centre Lucen. La capitula-
tíon de ~Jayence allait amener en Venclée des
troupes d'élite. Les coalisés avaisnt exigé que les
Mayencais, COIllIIIC' 011 les appclait, ne pusscnt




LIVHE IlI. 353


pas servir pendant un an, mais ils n'avaíent
rien dit pour les insurgés de I'Ouest dont
ils ne daígnaicut pas s'occuper. La Con-
vention proflta de cet oubli singulier pour
envoyer les Mayen<;ais sous le commandement
de Kléber coutre les vendéens. Apres quelques
succes partiels; les Vencléens furent battus a
Cholet; d'Elhée el Bonchamps furent blessés
et I'armée catholique se trouva presque acculée
a la Loire. Les généraux déeiclérent de passer (
sur la ri ve droite du fleuve : ils trainaient avec
eux 5,000 prísonniers républícains qu'ils ne
pouvaíent ernmener. Les Vendéens irrites par
les pillages, les. incendies, les tnassacres des
troupes républícaines, parlaient de les mettre a
mort. Bouchamps, quí se mourait, obtint qu'on
leur laissat la vie sauve. Ce qui peint bien
l'époque, e'est que le commissaire de la Con-
vention qui raeontait le fait, reeommandait de
le cacher et de dire que les prisonniers répu-
blieains avaient été arrachés par Ieurs fréres
d'armes des mains des brigands. Les généraux
se succédaíent vite il la tete des troupes
vendéennes: Cathelineau,Eouehamps étaient
morts, d'Elbée était grlévement blessé; Lescure
fut tué el sur son corps I'on trouva UIl cilice:


20.




3M LA CONVENTION,


le commandernent échut a Henri de La Iloche-
[aquelín, un jeune hornme de vingt-deux ans.
11 debuta sur la rive droite de la Loire par un
bríllant succes. les républlcains furent battus
derant Laval et la ville prise. Apres des hésita-
tíons, on décida de marchar sur GI"1ll ville pour
se mettre en rapport avec I'Angleterre qui pro-
mettaít le débarquement d'un convoi de muní-
tions et d'un corps d'émigrés. Tous les efforts
de l'armée vendéen ne se bríserent centre les
murs de Granville et il Iallut baltre en retraite.
Au Mans, se trouvait l'arrnée républicaine qui
tríompha aisément de bandes dérnoralisées et
qui comptaient autant de femmes, de vieillards
et d'enfants que de combattauts: la défaite de
Savenay transforma la retraite en déroute ,
quelques milliers d'hommes seulerneut repas-
serent sur la rive gauche de la Loire et recorn-
mencerent la lutte des prerníers jours par peti ts
détachements. La Convention avait lancé sur
la Vendée des colonnes infernales qui rava-
gpaient et tuaient tout sur leur passage , c'était
une gu-rre d'extermination. La Rochejaquelin
fut tué dans une rencontre, le 4 mars 1794,
par un soluat auquel iI venalt de Iaire gráce ,
la Convention fit exhnmer son rorps pour etrc




LIVRE m, 355


bien assurée de sa mort. Des autres chefs
la plupart avaient également succornbé, sauf
Charelte qni se maintenait dans le Marais et
Stoíflet dans l'Anjou,


Apres le 9 thermidor, des capitulations furent
oífertes a Charetle et a Stofflet qui traitérent de
puissance a puíssance avec la Républlque. L'ex-
péditíon de Quiberon décida Charette a repren-
dre les armes; apres des prodiges de valeur, il
fut pris el fusillé; quelques jours avant, 8toft1et
avait éprouvé le méme sort. La Vendée étaít
finie. Cependant I'apaisement n'étaít pas com-
plet , il ne le devint que lorsque le premier
consul, par l'intermédiaire de l'abbé Berníer,
eut prornis la pleine liberté du culte catholi-
que en attendant le Concordat. Si la veudée
n'avait pas fait triompher la cause politique á
laquclle elle était dévouée, au moins dans sa
défuíte avait-elle Iait triompher la cause de la
religion pour laquelle elle avait pris les armes.


La guerre de. Bretagne ne ressemble a la
guerre de Vendée que sur un point : le senti-
ment religieux: sur tous les nutres points, elle
diífére compléternent. Jamais aucun chef bre-
ton ne parvint á grou per les chouans, de ma-
niere á former une armée; c'élaient des chefs




LA CO\\'VENTION.


de bandes agissant isolémen t ; quelquefois íls
se réuníssaíent pour un coup de main et se
séparaient ensuíte. Jamáis, non plus, l'insur-
rection ne fut générale comme en Vendée; le
pays ne s'y prétaít pas, et les administrateurs
républicains eurent I'habileté de ménager, dans
une cerlaine mesure, les sen I imenls religieux
des habitants. Enfin, les chouans , sans étre
aussi cruels qu'on s'est plu a les représenter,
n'avaient pas la générosité des Vencléens; les Ca-
doudal, les Boísguy, les Boishardy ue pouvaient
se comparer sous ce rapport aux Cathelineau,
aux Bonchamps, aux Lescure. Un moment on put
croire que l'insurrection allait s'étendre a toute
la Bretagne et constituer une grande armée
royale, lorsque l'expédition de Quiberon eut
lieu, Cette expédition, promise depuís long-
temps, etait attendue avec impatience el l'ardeur
était grande, mais des fautes graves firent tout
échouer. Les commandants du corps de débar-
quement, MM. de Sombreuil et d'HervilIy, au
Iieu de se jeter dans le Morbihan, comme le
leur proposait Tinténiac, perdirent un temps
précíeux et donnérent a Hoche la facilité de
les enfermer dans la presqu'ile. Lorsqu'ils vou-
lurent s'ouvrir un pas-uge, il (',lit trop tard ,




LIVHt: UI. :J57


repoussés dans la presqu'tle, ils pouvaient en-
core résister en s'appuyant sur le fort de Pen-
thiévre dont ils s'étaient empares, et donner
le lemps aux chefs hretons de faire une diver-
sion sur les derrieres de Hoche : mais on avait
confié la garde du fort a des désertcurs répu-
blicains recrutés en Angleterre parmi les pri-
souníers de guerre et qui s'empressérent de le
Iivrer, Il ne restait plus qu'a mourir , les émi-
grés étaient disposés avendré chercment leur
víe, lorsque le général Humbert, de vive coi«,
fit une capitulation qui accordaít la vie sauve
aux émigrés, en exceptant quelques chefs,
noíamment d'Hervilly , mortellement blessé ,
et Sornbreuil qui accepia Iuí-méme l'exception.
La capitulution ne fut pas respectée , les repré-
sentants Tallien et Blad tirent fusiller les pri-
son niers, sans que Hoche , qui se souvenait
trop d'uvoir été ernprisonné sous la 'I'erreur,
osát Iaire respecter l'engagement d'honneur de
son Iieutenant. C'est a Auray , au champ des
Martyrs qu'eurent lieu la plu part des exécu-
tions , iI I'honneur des soldats francais , on
doit mention ner qu'i1s se refuserent a remplír
I'oülce de hourrea u: les représentants durent
avoir recours aux officiers el aux soldats d'une




LA CONVENTION.


Iégion beige. On a accusé J'j.ngleterre d'avoír,
dans l'expéelition ele Quiberon, preparé un
piége odíeux a nos ofüciers de marine, nom-
breux dans le corps de débarquement; le gou-
vernement anglais prévoyait le rétablissemen t
de l'ordre en France; i! appréhendait que les
officiers de marine ne rentrassent et ne per-
missent de reconstituer rapidement la marine
de guerre, désorganisée par la Bévolution :
pour parer a ce danger, il auraít envoyé á
Quiberon le plus d'anciens otflciers de marine
qu'il aurait pu et iI les aurait abandonnés aux
troupes républicaines. Un orateur anglais,
Sheridan, s'est fait l'interprete de cette accusa-
tíon, lorsqu'il répondait á PiU qui disait que le
sang anglais n'avait pas coulé a Quiberon :
« Oui, mais I'honneur anglais a coulé par tous
les pores. » L'accusation est trop grave pour
pouvoir élre admise sur de simples présomp-
tions et les embarcations auglaises se sont ex-
posees pour recueillir les émigrés qui se
jetaient a la mero


L'expédition de Quiberon porta un granel
découragemen t chez les chels royalistes , Iloche
en profita habilement. Par ses concessions, par
la liberté qu'il dunuait pour l'exercice public




L 1vru: .1 J 1.


du cull« cathotiqu«, il parviut i1 rlésarmr-r l;¡
plupart des cheís, traquant les autres avec
beaucoup d'activité. S'il ne paciña pas complé-
tement la Bretagne. au moins réduísit-il l'in-
surrectíon a de bien raíbles proportions. Mais
le feu couvait sous la cenclre et la paciJication
ne fut complete quavec le Coucordat. Avec la
Venclée, la llrelagne avaít tríomphé sur la
qucstion religicuse.






362 LE DIRECTOIltE.


giq res, une « halle dans la boue », sont d'une
uavr.uite vérité, au point de vue poli tique
comme au pointc1evue des mosurs. La poli tique
du Directoire se person nifie dans Barras, le
seul direeteur qui resta toujours au pouvoir;
gentilhomme de bonnc noblesse, Barras s'était
jeté 11 corps perdu dans la Bévolution et avait
siégé a la Montagne, menacé par Ilobespierre,
auquel iJ auraít tenu tete, si on l'en croit, il fut
un des meneurs de la révolution du 9 thermi-
dor; lorsque lesjacobins et la Commune se mon-
trerent décidés ú entamer la lutte pour soutenir
Robespierre, les therm idoriens, fort peu hornmes
d'actíon pom la plupart, ohercherent un homme
et choisirent Banas qui avait une eertaine répu-
tation d'énergie et qui, ancien offícler de marine,
était plus propre au commanc1ement. Son suc-
ces du 9 thermidor lui valut la succession de
Menou au 13 vcndérniaire , la, le danger était
plus sérieux, et les seetions valaient mieux que
les séides de Robespierre et les canonniers
d'Henriot, mais Barras tul la main heureuse
dans le choix de son lieutenant. Voilá l'homme
en qui se résume le Directoíre: homme de
plaisir, sans eonviction, ne cherchant que son
intérét ; quelques directeurs eomme Letourneur




LIVRE IV.
LE DIHEC'fOlnE.


CHAPITRE PRIBIIEfl.


Ce que Iut le Dlroctoire. - Ban-as. - Les «iuq directcurs.
- Situation ñnanclér«, - La planche alix nssíguats. -
Le procés des assassins de septcmbre. - Mesures centre
les prétres fldeles, - Nouveuu st r.uc.it, - La loi centre les
émigrés..- La presse. - Cousplrutlou Babcuf, - Con-
spiration royaliste, - Succes de nos "rraó"s. - Campagne
de ¡7(la en Aücmagnc. -- ~loreau et Jourdun, - L'archi-
due Charles. - te .géuéral Bouaparte ca Halle. - Pre-
miéres opér.uions. - Séparution des Piémontais et des
Autrichiens, - Armistice avcc les Piémontuis. - Bataille
de Lodi. - Armistlccs avec le Pape ct avcc Naples, -
Opérations autour de 1Lt:¡toue. - Cupi: nlation de 11an-
toue. - Trnité de Tolcntiun. - Marche sur VÍ<'¡]; e. -
Prélimiuaires de Léot.en. - Chute de la ll"publi'lue de
Venise. - Traité de Cumpo-Formio.


Pour compléter l'hisloire de la Ilévolution, il
ne reste plus maiutenant que le Directoire, une
{( haltc dans la boue 1), cal' on considere géné-
ralement la Hévoluliou counne tcrminée au
18 brumaíre, el ou Iait du consular la préface
et la' prépnration de l'Euipire. Ces lI1oL3 éuer-
~J




LIVf\E ¡Y. 303


comme Barthélerny surtout, valaient certaine-
ment mieux. maís ils ne firent que passer, et
n'eurenL aueune influenco.


Quant aux mraurs de I'époque du Directoirc,
elles sont restées proverbiales; comme le disait
un écrivain contemporain, on comptait autant
de salles de hal que la Terreur de prisons, et
parfois un local avait simplement changé de
destination : on dansait dans les salles qui
avaient entendu les sanglots des victimes. La
société du Dírectoire était comme affolée, il
ssrnblait qu'elle cherchát á s'étourdir eL ti ou-
blier les scenes don I elle avait été témoín et
victime. Jl y avait jusqu'á des bals des victimes
oú l'on n'était recu qu'en deuil ct en prouvant
qu'on avait perdu quclque parcnt sur I'écha-
faud. La preuve était íacile pour tout le monde,
la Terreur ayant frappé partout. Les costumes
des Iemrnes, sous prétexte de rappeler l'anti-
quité, dépassaíent en inconvenance tout ce que
l'on avait jamaís vu: la helle Mme Tallien, qui
du fond de sa prison avnit poussé Tallien contre
Robespierre, et d'aütres fcmmes élégantes,
parmi lesquelIes Joséphine de Beauharnais,
formaient la cour de Barras et donnaient le
ton. Les muscadins qui avaienL succédé á la




3tH LE IJIHECTUrBE.


[cuucsse doréc, n'étaicul plus que des precieux:
ils affeetaient un jargon des plus ridicules,


Daus loute cette période de la llévolution,
une senle ehose repose un peu l'esprit et le
cmur, les succés eles armées francaises j si a
l'intérieur, sous le rapport politiquc comme
sous le rapport moral, le spectacle es! honteux,
a I'extérieur la Fra nee est belle méme dans ses
défaites qui resten t glorleuses, et sous le Direc-
toire cornme sous la 'I'erreur, on peut dire que
l'honneur írancais s'est refugié dans les camps.


Si les conven tionnels avalen t commis un abus
de pouvoir en s'imposant aux électeurs, on ne
peul nier qu'au poiut de vue de leur constítu-
tion, ils avníent agi avec pruelence. lis se rappe-
laient sans doute ce quí élait arrivé pour la con-
stitution de 1791; les réveurs de i'Assemblée
nationale avaient cru faire un coup ele mattre
et prouvcr leur désintéressement en décrétant
qu'aucuu d'eux ne serait rééligible. Le résulíat
fut de livrer la mise en pratique ele la consti-
tution it eles hommes qui ne la connaissaicut
pas et qui ne songerent qu'a la délruire. Si les
convenlionnelsavaient laissé les électeurs libres
dans leurs choix, tres-peu d'entre eux auraient
été réélus, la Frauce élait lnsse de la Convcn-




t.ivns IV. :1G5


tion , qui le cornprcnait et quí pour cela s'é-
tait imposée. Desélections liln-esauraient amené
sux deux conseils des Anciens et des Cinq-Gents
une majorité royaliste qui aurait choisi eles
directcurs décidés á travailler au rétablissernent
de la royauíé. Par suite de la mesure prise par
la Convcntion, la mujorité fut acquise d'nvance
ú la constitutlou, el les royalistcs qui formerent
la mnjoriíé eles représeutants liLrement élus
Iurent réduits á I'impuissance. Parmi ces dé-
putos sctrouvaieut un ccrtain nombre d'ancicns
constituants, des membres de la droite de la
législalive el quelques hommes nouveaux. Les
élections s'étaieut faites avec plus de régularité
el d'hounetetc que jamais el elles donnaient
bien l'état de l'opinion.


Les deux conseils avaient anornmer les cinq
dírecteurs , cela ne se fit pas sans diffículté, Les
convenLionnels qui formaient la majorité ne
voulaieut pus d'hounnes dont les noms seraient
comme une protestation contre la Terreur , iI
y avait panni eux heaucoup d'anciens terrorís-
tes, plus Oll íuoius bien convertis. Cette consi-
dération fit écarter Lanjuinais. lis craignaícnt
ég;alellll'nL de nounuer des royalistes el Cam-
hacéres fui l'('POU~S(i paree qu'on le soupcun-




36ü LE DIHECTOll\E.


nait d'étre favorable au rétablíssemen t de la
royauté. Dans les déha ls que suscitait cette
éleetion, on mettait parfois en avant des dépu-
tés tellement inconuus que Barbé-l\Iarbois finit
par dernander qu'on ajouruát l'élection afln
que I'on püt au moins faire connaissance avee


. les nouis des fulurs chcfs du pouvoír. Le choix .
des eonventionnels s' arréta sur les cinq noms
suivants : Sieyes, Ilewbell, Barras, La Heveillére-
Lépeaux et Caruot. C'étaieut cinq eonvention-
nels, dont trois, Ilcwhcll, Barras et Carnot
avaient siégé a la l\lontagne, Carnot avait méme
íait partie du comité ele salut publio el apres le
ti thermidor avait failli étre poursuivi. 11 íut
nommé en souvenir de l' organlsatiou des ar-
mées. La Beveillóre-Lépeaux étaitdes 7:3; comme
membre d'une nouvelle sede, il était tres-hes-
tile aux prétres inserrnentés; cela eontribua a
son succes, Sieyes refusa et fut remplacé par
Letourneur, conventionnel également, ami de
Carnot. En somme ces noms indiquaient elans
la majorité I'intentíon de suivre, dans une cer-
taine mesure, les erremcnts de la Terreur. On
le compreuait si bicn qu'un graud Hombre de
jacobins qui se tenaient it I'écart, offrireut leurs
services des qu'ils conuureut les 1l0JllS des




LIVHE IV. 367


directcurs : ils voulaient les aider dans leurs
luttes centre les ennemis de la liberté, les roya-
listes, les émigrés et les prétres.


La premiare question qui s' imposa aux di-
recteurs et aux conseils était relativoaux finan-
ces; la situation flnaucíére était de plus en plus
mauvaisc: pour avoir 20 millions especes, il
fallait émettre :3 milliards d'assiguats , les pa-
piers émís sous divers nOIl1S élaient également
dépréciés. On eut reeours a un emprunt forcé
de 600 millions qui rentra mal, mais qui don na
toujours quelques ressources. Les jacobins, quí
reco mmcncaieut a parler hau t, demanda ient
qu'ou eút recours aux grands moyens de la
Terreur ; milis ils n'étaíent plus les rnattres, et
la majorité eles conseils n'aurait pas osé sui-
vre leurs conseils, La planche aux assignats,
celle ressource que Cambón, le grand financier
de la Convention, disait presque inépuisable,
futbrisée, et on émit 00 millions de rescriptions
analogues ú nos bons du Trésor. Quelques jours
aprés, on mcttait en circulation des mandats
territoriaux hypothéqués sur ce qui restait des
biens clu clergé; la spoliation n'avaít pas proflté ,
la plus grande partic de ces hiens avaít été
dilapidé!', et certainc.ucut la Franco n'en avait




31\8 LE nrnECTülnE.


pas retiré utllement les 400 millious qu'oíírait
le clergé.


Penclant la réaction therrnldorienne, la Con-
ventiou avait voté des poursuites conlre les
assassins de septemhre, mais elle avait ajourné
l'exécution de la mesure; il ne lui élait pas
facile de poursuivrc ces assassins sans irnpli-
quer elans la poursuite certains de ses mcmbres
counnc 'I'allieu, alors ¡'¡ la COIl1I11Une. Le couseil
des Cinq-Cenls décréta un nouvel el définitif
ajournement, sous la pression eles jacobins.
Sous la méme pressio n, le Directoire prit de
nouvelles mesures centre les prétres ínserrncn-
tés, ou plutót il rappela que les anciennes me-
sures n'étaíent pas abrogées el que par suite on
devait les mellre ú exéculion. 11 Iallait désoler
la patience de ces fanaliques, les frappcr de
l'exil ou de la prison. C'était conlraire au prin-
cipe de la liberté de consclencc inscrit dans la
Constilulion, mais qu'importait? Un nouveau
serinent fut imposé en place de rancien; iI
suffisait qu'on jurát haine ú la royauté. Sur
ce serment les prétres fldeles ne íurent pas
d'accord , pendanl que les uns croyaient qu'eu
conscience 011 pouvait le [lI't\ler, les nutres
étalent d'avis qu'il devai: Elre refusé. Gl'S




L1VHE IV. 369


cxig;rnccs du /) i r('el oirc curent naturellement
pour résultat damener dans certains déparLe-
menís un renouvellement de la pcrsécution ,
des prétres furent arrétés et emprlsonnés , d'au-
tres furent envoyés a l'ile d'Aix, en attendant
leur déporlation á la Guyane , entassés dans
des endroits malsains, ils eurentbeaucoup a
souffrir. Certaines administrations mieux dis-
posées , apres avoir arrété quelques prétres ,
déclarérent qu'elles n'avaíent pas de fonds
pour les nourrír, et les remirent en liberté.
Ces faits montrent combien était précaire la
tolérance de fait laissée aux prétres.


LesdirecLeurs voulurent ímposer aux mern-
bres des deux conseils le serment de hníne
a la royauté , quelques députés s'y refuse-
rent, et ron renouca a cette exigence..Toute-
fois l'anniversaire du 21 [anvier fut célébré
eomme une rete nationale.


Malgré les mauvaises dispositions évidentes
du Dírectoíre el de la majorité, quelques députés
demanderent I'abrogatíon des lois maintenant
les mesures d'exeeption centre les émigrés et
centre leurs parents; ils échouerent , la loi du
3 brumaíre, ce dcrníer témoignage de la haíne
de la Convenl.iou , fut mnintenue el contre les


'21.




370 . LE DIHECTOIHE.


émigrés et contre les chefs de chouans amnis-
tiés; on accorda seulement de nouvelles faci-
lités aux érnigrés foreés, c'est-á-dire aux habi-
tants de eertaines villes qui avaicut dú fuir
devant des répressions sanglantes. Le vieux
levain révolutionnaire persístalt.


Une lutte tres-violente s'était engagée entre
les journaux jacobins et les journaux royalisLes;
ceux-ci, longlemps réduits au silence, adres-
saient de dures vérités ü leurs adversaires et
aux directeurs, Le gouvernement, pour se' dé-
barrasser de ces atraques, s'adressa ¡'¡ l'Assem-
blée et demanda une réglementalion de la
presse. Mais on ne compreuait alors que la
licence absolue ou la tyrannie de la I'erreur, et
les conseils n'osérent ou ne voulurcnt pas
réduirc la presse au si/ence. D'ailleurs un pro-
ces qui fit grand bruit leur montrait que le
danger n'était pas oü le voyaient les dírecteurs,
Un terroriste du nom de Babeuf avait formé
une conspiration pour s'ernparer du pouvoir;
il n'avait aucune chance de suecas. Cherchant
un général pour le mettre á la tete des conjurés,
íl n'avait trouvé que le ridicule Rossignol. La
doctrine de Babeuf étaít le communisme le
plus complot, il voyait daus la propriété l'ori-




LIVHE IV. 371


gine ella cause de tous les maux de la société.
Dénoncé une prerniere Iois, Babeuf fut pour-
suivi, mais en mérne tcmps, pour ne pas trop
irríter les terroristes , le Directoire tit pour-
suivre d'obscurs conspirutcurs roya listes plus
rldicules que redoutables. La mesure prise
centre lui n'arréta pas Baheuf et ses amis, qui
reprirent leur osuvre sur de nouvelles bases.
Le plan était de soulever les troupes du camp
de Grenel!e, et avec elles de marcher sur les
conseils et sur le Luxembourg oú logeaient les
directeurs. Babeuf, délivré, aurait pris la dicta-
ture pour faíre le bonheur de l'hurnanité par
l'application de ses doctrines; s'il fallait pour
cela violenter quclquo peu l'humaníté, il était
tout résolu a le faire. Les conjures essayérent en
eflet de soulever les soldats: ils échouerent par
la fermeté d'un offícier supérieur qui les ñt
sabrer. Les auteurs de ceHe tenlative furent
immédiatemenl traduits en j ustice, et plusieurs
furent condamnés ti mort, parmi lesquels un
ex-conventionnel des plus violents, Javogues.
A la imite de ce nouveau complot, le proces de
Babeuf fut activé; il se termina par la condam-
nation ti mort de Babeuf et de Darthé, et par la
coudamnation ;'1 In déportatiou dc sepl de ses




31'.! LE DlnECTOIRE.


complices parmi lesquels le sculpleur Buena-
rotti. En múme temps des conspirníeurs roya-
listes élaient condamnes a des peines minimes:
ils étaient peu dangereux, eL embrouillaient
les affaires du parf royaliste, plutót qu'Il ne le
servaient.


Le mois d'ocLobre 1796 vil venir en Frnnce
un plénipotenLinire anglals, lord Malmesbury,
chargé de négocier la paix: il demanda l'éva-
euation des Pays-Bas qui lui fut refusée, et re-
tourna en Angleterre; cette négociatíon ne
paraít pas avoir été séríeuse , elle n'avait
sans doute d'autre but que de contenter l'opi-
nion qui, en Angleterre, se prouoncait forte-
ment en faveur de la paix.


L'année 1796 est, au point de vue militaire,
des plus brillantes; troís armées devaient opérer
centre l'Autríche, deux en Allemagne. sons les
ordres de Jourdan et de Morcan, une en Italie,
sous les ordres du général Bouapnrte , que
Barras récompensait par ce commandement
de l'appui qu'jj lui av,1it apporté le 13 vendé-
míaíre. Moreau, avee l'armée de Rhin-ét-Ilo-
selle, devait franchir le Bhin et se diriger sur
le Danube par le bassín du Neckar; Jourdan
avec l'armée de Sambre-et-Meuse devait suivre




LIVIlE IV. 3/3


la vallée du Mayn; ces deux armées devaient
se réunir sur le Danuhe el menncer Vicnne.Ce
pian éfail de Camal; il présenuú! I1n grave
dangor , trés-volsines iI leur départ de Frunce,
les deux armées, avant leur jonction sur le
Danube, dcvaient se trouver éloignécs; un
ennemi habile pouvait les auaquer et les battre
séparément. C'est ce qui arríva. L'archíduc
Charles, jenne prince qui avait remplacé Clair-
fnyl et dans lequel il y avait I'étoíle d'un géné-
ral, était opposé a Moreau, un de ses líeute-
nanís faisait face a Jourdan : il essaya d'abord
d'arréter Morcan a Ilastadt el ne le puto Il
s'apercut que Jourdan, moins fort que Moreau,
allait se trouver isolé; il Iaissa Latour avec
!)O,OOO hommes pour observer le dernícr eL
marchar contre l'arrnée de Jourdan , celui-ci,
hattu a Wurzbourg, dut repasser le Bhin en
toute hate , l'archiduc se rahattit au sud pour
couper la retraite iJ. Moreau, qui heureusement
avait devine son plan et s'était retiré par la
voíe la plus courte. Son armée était sauvée,
mais le plan de Carnot avaít complétement
échoué.


Cet insucces fu! amplernent compensé par
les víctoíres de l'arrnée d'Ilalie. Celte armée




3H LE DII\ECTOlltE.


avait remporté avec Scherer, une victoire inu-
tile a Loano , elle étaít sur les Alpes, ayant en
face d'elle 22,000 Piémontaís et 30,000 Autri-
chiens , elle était forte de 30,000 hommes,
déguenillés, rnais rompus aux fatigues de la
guerreo Bonaparte débuta par séparer les Pié-
montais des Autrichiens ; ceux-cí furent battus
a l\lontenotte, les Piémontais a Millesimo et a
Mondovi. Le Directoire prescrivait de révo-
lutionner le Piémont; Bonapurte, suns tenir
compte de ces ordres ridicules , conclut un
armistice avec le Piérnont , cela le débarrassait
d'un ennemí et lui perrnettait de diriger toutes
ses forces contre les Autrichiens. En quinze
jours , avec 30,000 hommes, il avait gagné
6 batailles , enlevé plusieurs places forLes, pris
21 drapeaux , 55 pieces de canou, fait 1,500 prí-
sonniers et tué ou blessé 10,000 hommes a
l'ennemi. L'arrnistice avec le Piémont fut suivi
de la paix.


Bonaparte essaya de gagner Beaulieu de vi-
tesse sur l'Adda; il n'y réussit pas et quand il
arriva au pont de Lodi, les Autrichiens élaient
en bataille sur l'autre rive , il forca le passage
et fit une entrée triomphale a Milan. Quelques
soulévernents furent réprimés avec rigueur. Le




LIVIlE IV.


Directoire, qui ne le trouvait pas assez souple,
lui ayant manifesté l'intention de diviser son
commandement, iI refusa et offrit sa démission
qui ne fut pas acceptée. Avant de se lancer dans
le bassin de l' MUge, iI assura ses derriéres par
des armistices avec le roi de Naples et avec le
pape Pie VI, duquel il exigea 20 millions;
un agent írancaís du nom de Basseville avaít
été assassiné dans une émeute, il en profita
pour demander une éclatante réparation ,
quoique le gouvernement pontifical n'eüt au-
cun tort. Le Directoirc , cédant a ses préjugés
antí-religieux, voulait íorcer le Pape a rétracter
tous les actes pontificaux contre la eonstitution
civile du clergé : Bonaparte eomprit qu'il n'ob-
tiendrait rien el passa outre. En meme temps,
il menacait la république de Venise. lui repro-
chant d'avoir donné asile a Louis XVIII qu'elle
avaít cependant invité 11 partir et d'avoir laissé
violer sa neutralité par les Autrichiens; ces
rnenaces préparaient l'avenir. Wurmser était
arrivé d'Allemagne avee 40,000 hommes au
secours de Beaulien , Bonaparte le battit en
détail dans plusieurs l\"ncontres, notamment 11
Castiglione et le contraignlt a s'enfermer dans
Mautoue. Son grand talent étaít, quoíque ayant




37H I.E DIHEC'fÜlllE.


un elTectif Idus faible, de se trouver toujours
plus fort sur le champ de bataille que son
enncmi dont les íroupes élaient dispersées,
Un troísieme génél'tll Alvinzi dCSCAlHlíL avec
50,000 hommes : Bonaparíe n'en avait pas
25.000 it lui opposcr; une premicro hataille cut
lieu á Arcole, au milien des marais sur eles
jctées étroites , les tétes de colonnes seules
pouvaient combattre, ce qui annulait In supé-
riorité nnmérique d'Alvinzi; une deuxieme ba-
taille décisive fut livrée a Hivoli; Bonaparte
occupait une position centrale Ires-Iorte qui
lui permit de battre snccessivemenlles troupes
antrichiennes dont les pertes furent énormes.
Cetle défaite décida la chute de l\Iantoue et la
perte pourI'Autriche de toute l'Italie , le 2 fé-
vrier 1797. Apres une courte expéeliLion contre
le Pape, auquel il imposa le traite de Tolentino,
qui donnait a la France Avignon et le comtat
Venaissin, des objets d'art et une forte con-
tribution de guerra, Bonaparte concut le projet
hardi de marcher sur Vienne; le 16 mars, iI
forcait le passage du Tagliamcnto, que l'archi-
duc Charles cssaya vainement de. déíendre ,
l'Autriche n'avait plus de troupes et, suívant
I'expression ele Bonaparte, apres avoir onvoyé




L 1\'!lE t v.


centre Iui des armées sans générilux, on cn-
voyaít mainteuant un g-énél'al sans arrnée. Le
18 avril, il éiait ú Léohen menacant Vienne,
lorsqu'il signa les prclhninaíres ele la paix . la
Loiubardie et la BeIgiqlle etaieut cédées ¡'¡ la
France , en compcusation I'Autriche acquérait
Venise, l'Istrie eL l'Jllyric: lronaparte avait d'au-
taut moins hésilé ft sncrifler la républíque ele
Yenise que, dans UlI mouvcmcnt populaire a
Vél'onc, excité par le gomernencnt vénitieu el
;1p[lrl(' les Páqnes Véronuises. eles soldats fran-
rais avaicn: ('t(' massacrés. Le 20 mai, le géuéral
Harnguoy-dllltliers eutralt á Vcuise: la vieille
républiqnc avaít vécu. Les préluninnircs de
Léobeu arréterent le mouvement en avant de
Morcau et ele Hoche qui avaient rcpris I'offcn-
sive, Moreau sur le llhin , Hoche sur ia Lahn.
Ces préliurlnuires íurent suivis du traíté de
Campo-Form io signé le 17 octobre.




CHAPITRE JI.


Henouvellement des conseils. - Majorité royaliste. - Bar-
thélemy, directeur. - Club de Clichy. - Abrogatiou des
lois contre les emigres et les pretres, - Lutte du Corps
législatif et du Dírcctoire. - Pr ocln.uatiou de Bonaparte.
- Hoche. - Indécision des députés. - Bouaparte euvoie
Augereau. - Fermeture du club de Clichy. - 18 Iruc-
tidor, proscriptions. - Décrets coutrc les émigrés et les
prctrosv-> Mesures terroristes. - Mort de Hoche. - Négo-
ciations avec l'Angleterre. - 'I'raité de Campo-Formio. -
Arrivée de Bouaparte iJ. París, - Féte du 10 déeembre.-
Discours de Talleyrand.


L'année 1797 amenait le renouvellemcnt du
tiers des deux conseils: les roya listes attendaient
cette époque avec impatienee, ne doutant pas
que les élections ne leur donnassent la majorité;
le Direetoire et ses partisans étaient, au contraire,
dans une grande appréhension. Les espérances
des uns, les craintes des autres se réaliserent
pleinernent. Sauf quelques tres-tares exceptíons,
parmí lesquclles Barrére , dont l'élection fut
eassée paree qu'il avait été condamné á la dé-
portation, tous les élus appartenaient au parti
royaliste , parrni eux se trouvaient le général
Pichegru, Camille Jordan , Imhert- Colornes,




LIVRE i v. 379


un des contumaces poursnivis ponr le 13 ven-
démiaire et qui, pnrgeant sa contumace, avait
été acquitté, Un des directeurs devait sortir; le
sort désigna Letourneur au grand regret des
royalístcs qni croyaient pouvoir compter sur
lui et qui auraient préféré voir sortir Rewbell,
ou Barras, ou La Bevelliére. Letournenr fut
remplacé par Barthélemy, le négociateur du
traité de B¡'He, diplomate distingue, anclen ser-
viteur de la royauté. Le choix était bon, mais
Barthélemy était insuffisant , il aurait fallu
nornmer Pichegru qui, comme général victo-
rieux, aurait eu bien plus d'autorité. Barbé-
Marbois Iut nommé président du conseil des
Anciens et Pichegru du conseíl des Cinq-Cents,
En méme temps les royalistes ouvraient á Cli-
chy un club dans lequel ils parlaient haute-
ment de leurs espérances et préparaíent leur
campagne. C'était une imprudence dont leurs
adversaires surent profiter. Un autre cercle,
mais de couleur constitutionnelle, s'ouvrait a
l'hOtel ele Salrn, actuellement la Légion d'hon-
neur, avec Mm. ele Staél , Benjamin Cons-
tant et Talleyranel revenu d'Amérique aprés le
9 therrnidor et maintcnant ministre des affaires
étrangéres . L'ex-évéque d'Autun eut d'abord




380 L E DI IlECTO I nu.


quclque peine ú se Iaire rayer ele la lisle' eles
émigrés sur laquelle il avait élé porté, non sans
raisou , cal' son voyage en Amcrfquc avait été
tres-volontaire , les Anglais ne I'auraíent pas
empéché de revenir en France.


Les députés royalistes conunencercnt par
íuiro abulir ou adou cir plusienrs lois vexatoírcs
uiaintenues par les thermidoriens, le Directoire
les laissa faire , il ne teuaí l pas outre mesure a
ces lois, qui avaícnt IaitIeur temps . La loi du
3 hrutuaire maintenant toutes les mesures ele
proscription contre les émigrés el flls d'éuii-
grés fui rapportée , seulcment les dépuíés roya-
listes auraient voulu que les émigl'és eussent le
droi t de demandar aux tribunaux la rarliation
de lcurs noms de la liste des étnigrés: la majo-
rilé n'osa pas aller jusque-Ia, el la radiation dut
étre demandée aux Duectcurs qui pouvaient
toujours refuser, el le uiemhrc du dircctoire
chargé du service des éuiigrés était justerncut
Itewhell, le plus terroriste des direclcurs; heu-
reusemeut i1 étuit uccessible Ú des séductiuus de
diverses surtes. Les dccrets substituaut l'l~tal
aux licritlcrs des émigl'cis Iurcn í r'galelllenl
abolis Cuuiille Jordan , dc\plll(: d(~ LYOll, uu
uorn de la li1)('1'1\' .Ie couscicuc« .. demaudu ('ga-




3Kl


leureut la supprcssiou des décrcts contrc lcs
prétres réfractaires : il ne réussit qu'en partie ,
il oblint ele notables adoucissemeuts , mais ú
cause ele [;1 vieillc halne des révolutlonuaircs
centre le clergé , on n'osn lui accorder davan-
t,lije; ('elle situation durcra jusqu'au Consulnt,
et la persécutiou rcsteru i nscrito dnns la loi
et continuera.


Le Direetoire qui avait d'abord laissé faire ele
mauvaise grace prit peur : les mauvais instincts
de Ilewbell etde Barras se réveillerent, et la
lutle s'eugagea. iucossante, entre la majorité
duDirectoire et la majoríté eles deux eonseils,
Deux directeurs, üarnot, l'ex-mernbre du comité
de salut public, el Ilarthélemy, uiurchaieut d'ac-
cord avec les conseils . La llovclliére , quoique
girondin, était avcc les uion tagnards llewbell
et Barras. Les royalistes avaient eommis la faute
ele blesser Bonapartc auquel ils ne pardounaient
pus son róle au 13 veudétniaire. Banas, heu-
reux ele s'uppuyer sur un général auqnel ses
victoircs et surtout les prélirniuuires ele la paix
donnaieut une grande influence , profíta hahl-
lemcut du 1I1l~CIlIJlclltCIlIPI1t ele Bonaparto et
I'ameua ti se [JI'OlllJlIl;CI' contrc !a majorité eles
conseils. l lu us uue pruclauration il son urmée,




382 LE nIREC'füIflE.


Bonaparte s'éleva contre les traítres qui s'étaient
glissés jusquc dans les conseils de la Républi-
que; dans un banquct il porta un toast a 1<1
réémigration des érnigrés, a la destructiou du
club Clichy; il jura guerre implacable aux
ennemis de la République et de cette Constitu-
tion de l'an 111, qu'il devait déchirer de la
pointe de son épée deux ans plus tardo Barras
chercha et trouva un autre auxiliaire dans le
général Hoche, également répuhlicain et tout
disposé a jouer un role politique , il I'invita a
mettre ses troupes ala disposition du Directoire,
et írnmédiatement Hoche envoya plusieurs mil-
liers d'hommes a la Ferté-Aleps, á une distance
de Paris moindre que ne le prescrivait la Con-
stitution. La majorité des conseils s'érnut, ses
membres se réunirent chcz I'roncon-Ducou-
dray: mais ils ne surent prendre aucune déci-
síon, et Pichegru, si brillant sur le champ de
bataille, se montra fort írrésolu . Cependant
Hoche n'avait pas continué sa marche sur París,
et sur les observations des conseils, il avait
retiré ses troupes ; il avait agi ainsi sur les 01'-
dres des directeurs, qui, aprés avoir demandé
son concours, s'effrayaient d'un tel auxiliaire ;
ils redoutaient son ambition. lis préíéraient




LIVHE IV,


s'adresser ú Bonaparte qui était pi us loin et dont
ils n'avaient pas deviné l'ambition démesurée.
Celui - ci leur envoya un de ses Iieutenants,
Augereau, auquel la victoire de Castiglione avait
fait une certaíne réputation : anclen mattre
d'armes, Augereau était brutal et trop inin-
telligent pour son gel' Ú jouer un role politique,
ardent républicaín el dépourvu de scrupules, il
se trouvaít tout disposé pour remplir la mis-
sion qu'on lui destinait. Des son arrivée le club
des clichyens fut Iermé, ainsi que d'autres
clubs, mais ceux-ci pour la forme, on n'en vou- .
lait qu'au premier dont quelques membres furent
maltraités. Le 7 fructídor, La Hevelliere rem-
placa Carnot comme président du Directoire;
il prononca un violent discours contre les sup-
póts du fanatísme et de I'aristocratie, lorsque
Bernadotte lui remit en grande pompe les dra-
peaux conquís par l'armée d'Italie. Pour gagner
les sympathies populaires, les directeurs avaient
donné un grand éclat ú cette cérémonie. Du
reste, Barras aimait I'apparat. La majorité des
conseils déliliérait toujours, mais ne faisait
rien , les directeurs la prévinrent. Le 18 frueti-
dar (4 septembre 1797), deux directeurs et
ceut-quut re-vi llgl dépuíés Iurcnt arrétés et pro¡,-




384 LE lJIllECTOIIlE.


crits , le Corps j¡\[-ji~lnlif fu t nllnqnc ; l'ndjudaut
géuéral Ilamel lit Ioyalcmeut son devoír et s'ef-
Iorca de proiéger les conscils dont la garde lui
avait t'US coufiéc ; ru.us Augereau accourut et se
porta cunlre Itainel él des violences iudignes,
lu i nrrachant les insignes de son grade et le
meunennt memo de le Iaire Iusiller. llame! paya
sa Ildélité a son devoir de la déportation.
Parmi les royalistes ainsí arrétés étaient le dlrec-
teur Barthélemy , Caruot avait pu s'échapper,
Pichcgru , Barbé-Marbols , 'í'roncon-Ducou-
dray, Lafon-Ladebat, Camille Jordan, Imbert-
Colornes, etc. Le député souin disait le lende-
main á Barthélemy : « La dose était forte, mais
elle a bien pris et le peuplo a avalé la pílule. J)
Que pouvait faire le peuple sans chef conlre
les lroupes d'Augnrcnu , Les dcux conseils mu-
tiles approuvaieut les mesures prises , Lamar-
qlle présiclait les Auciens, Ilogcr-Ducos les Cinq-
Cents. Les députés furent proscrits , des décrets
furent rendus centre les émigrés etcontre les
prétres réfraclaires : les opera lions des assem-
blées primnires, connunnnles et électorales de
quarautehuit dépnrrerncnts Iureut annlllécs, les
journaux royalistes Iurcnt supprimés, les nutres
Iureut bailluu ués el mis peuduut UII al! SOU,j la




LIVl\E IV. 3s5


surveillanco de la police ; la garde nationale fut
suspendue , [óu les ces mesures furent prises
sur un rapport de Boulay (de la Meurtbe), futur
comte de l'empire, qui rappclait, sauf une cer-
taine élégance qu'il u'uvait pas, les rapports de
Barrére aux plus mauvais jours ele la Terreur.
En racontant le coup d'Elat, on ne peut s'empé-
cher de se rappeler que les révoluüonnaíres,
qui s'indignent toujours des coups d'État diri-
gés contre eux comme celui du 18 hrumaíre,
approuvcnt fort les coups d'État qui leur sont
favorables. Seulement le coup d'f;tat du 18 íruc-
tidor présentait un danger quí n'aurait pas
échappé aBarras et a ses collegues, s'ils avaient
été prévoyants ; il s'était fait grace a l'armée et
par un géuéral, Augereau ; un moment devait
venir oú quelque autre général répéterait le
coup d'État, mais a son proüt.


Quinze jours apres le 18 fructidor, Hoche
mouraít , on accusa le Directoire de l'avoir em-
poisonné, paree qu'il devenait redoutable, et
l'accusation trouva créance, tellement les mem-
bres du pouvoir exécutif avaient bonne réputa-
tion. Quelque temps avant sa mort, Hoche
avait été appelé au cornrnandemen t d'une expé-
ditio n dcstinéo Ú I'Irlaude, OLL UII soulóvetnent


22




385 LE DIRECTO IRE.


avaít eu lien; la tempéte dispersa les bátiuieuts
de l'escadre francaise. Le Dircctoire fit faire a
Hoche de pompeuses fuuéruilles entierement
patennes : c'était un moyen ele protestar contra
I'accusution dont il éLaiL l'objet. Le présidcnt
du Directoire, La Itevellierc. dit que « la Consti-
tution de l'an 111 devait étrc l'arche sainte "; le
moment était bien choisi pour parler ainsi: on
venait de la violer,


Merlin (de Douai), I'auteur de la fameuse loi
des suspects, remplace Barthélemy, et Prancois
(de Neufcháteaul, auteur d'une proposition con-
tre le c1ergé a la législatíve, Carnot. Merlín
avait une certaine réputation comme juriscon-
sulte: mais ni I'un ni l'autre 11e forlifiaient le
Directoire. Moreau, en apprenant ce qui s'était
passé, cut la íaihlesse de livrer la correspou-
dance de Pichegru, relativo iJ des négociations
pour le rélablissemenL de la royauté. C'était
trop tard : il aurait dú ou la livrer des qu'il 1'a-
vait eue, OH la garder lorsque Pichegru était
proscrit. Général habite, Moreau manqualt de
caractere.


De nouvelles négociations avec l'Angleterre
s'ouvriren t II Lille , le négociateur anglais était
lord Malmesbury ; le négociateur francais, Ma-




LIVRE IV. 387


ret: comme la premíérc fois, elles échouórcnt.
Pendant ce ternps-lá, le général Bonaparte né-
gociait aUdinc avee le comte de Cobentzel; le
trnité de Catnpo-Formlo, qui intervint, fut si-
gné le 17 octobre 1797. Comme íl l'avait déjá
fait plusieurs fois, le général passa outre aux
instructions de Barrns qui n'osa [las se ptaiudre.
'Ce Iraité diflérait peu des bases posées dans les
préliminnires de Léoben: la Frunce ncquérnit
fa Belgique, la Lombardie autrichienue, les Hes
Ioniennes; I'Autriche, l'Istrie, la Dalmalie, Ve-
nise et une portion de ses 1~lats; la liberté était
rendue ú La Fayette; la Hépublique cisnlpine
élait reconnue et la Valteliue y élail réunie. Le
Directoire ne Iut pas satísfuit: il aurait voulu
plus de républiques , mais la paix était accueil-
lie avec enthousiasme ú París et les directeurs
se gardérent bien de laisser percer leur mé-
contenlement que cepenilant Bonaparte sut de-
viner. ASOll arrivée aParís, le 5 décemhre, -
íl n'étail pas pressé, -le général descendit ason
hótel, dans la rue Chunterciue , qui prit le norn
de rile de la Viulo ir«. Le 10, une grande Iéte Iut
duuuée eu SOIl houueur. 'I'alleyruud jJl'OIlÜIJ«;a
un graud discours, duns Iequel pour prouver
que Iíonnparte u'uvait aucuue ambitíou, i! parla




388 LE DIRECTOIHE.


de son goüt pour les poésies d'Ossian : il fa\lait
solliciter le général pour le tirer de Sil studíeuse
relraite, mais on avait besoin de lui, el, ajoutait
l'orateur, « la France entiére sera libre, peut-
étre lui ne le sera jamais. 'felle est sa dostinée. J)
'faIleyrand el Bonaparte durent avoir de la peine
a conserve!' leur sérieux. Celni-ci parla égale-
ment, el il fit un grand élogc des gouverne-
ments représentatifs pour lesquels , de tout
temps, il a proíessé le plus profoud méprls.




CIlAPITHE II!.


Joseph Bonaparte a Ilomo, - Tentativo et mort de Duphot.
- Expódition de Bcrthier. - Hépuhliqne rornalne, --
Départ du Pape, - Son voyage en Fraucc. - Sa mort, -
Rl·pnbliqlle parthénopéenne. - République Suisse, -
Les cantons catholiques. - Congres de Hastadt, - Ilup-
ture des négociations, - Assassinat des plénipotentiaircs
Irancais. - Défaites des armées francaises, - Souwarow
- Le conclave a Venise. - Pie VII. - Victoire de Zllric!l
el de Castricum. - Coup d'État du 30 prairlal,


Le Directoire avait désapprouvé le traité de
Campo-Pormio, pourtan t avantageux ala Franco
qui avait besoin de la paix : il révait mieux et,
débarrassé de Bonaparte, qui était parti pour
¡'.Égypte, il se lanca dans des aventures dange-
reuses.


Un des actes de Bonaparte que le Directoire
avait le plus désapprouvés, c'était le traité de
Tolentino; les membres du Directoirc, depuis
la déportation de Barthélemy, étaient atteints
d'une véritable monomanie anticatholique ; ils
voulaient absolurnent frapper le pape. Pie VI
montrait beaucoup de bonne volonté, mais
I'amhnssadeur Joseph Bonaparte, avait pour in-


22.




3~O LE DIRECTOIRE.


struction de multiplier les exigences et en
rnérne temps de provoque!' un mouvcment ré-
publicain qui fournirait au Dlrcctoire l'occa-
sion de prendrc partí pour une république
sceur. C'était un singulier role pour un ambas-
sadeur; Joseph Bonaparte le remplissait en
conscience, et son paláis éLait le rendez-vous
des conspirateurs, Le 28 décembre, le géuéral
Duphot, de passage iI Rome, sortit de l'ambas-
sade francaise en uniforme, a la téte d'une
bande d'émeutiers. La pollee ¡f'Ccourut pour ré-
tablír I'ordre : elle Iut accneil1ie á coups de
pierre, des coups de feu furcnt memo tirés sur
elle: elle riposta et Duphot tomba mortel1ement
frappé. 11 l'avait certes méríté, et cependant le
gouvernement pontifical fit immédiatcment
des excuses. Mais Joseph Bonaparte , suivant
ses instructions, ne voulut pas laisser échapper
cette occasíon: il refusa lesexcuseset fitau Direc-
toire un rapport mensonger OU les faits étaíent
complétement démturés. A la lecture de ce
rapport, les deux conseils, épurés, éclaterent
en imprécations contre le « tyran de. Home »,
( le chef infame de I'exécrable race sacerdo-
tale », et Berthier recut l'ordre de marchar sur
Bome. Soldat, Bertliier obéit, mais il écrivaít




LIVHE IV. 3\H


au général Bonaparle : « Je veux sortir des ré-
volutions ... Je me battrai comme solelat tant
que la patrie aura des ennemis a combattre,
mais je ne veux pas me méler de la politique
révolutionualre , )) Le 25 février 1798, il entrait
á Rome; c'était l'anniversaire de l'exalíation du
Pape; la république fnt proclamée et un direc-
toire fut nommé a l'instar de la République
francaise. Les troupes commirent d'odieux pil-
lages, que Berthier essaya vaínement d'empé-
cher. Le Directoire avait place comme agent,
a cOté de Berthíer, le calviníste Haller, qui
voulut forcer le Pape a lui remettre l'anneau du
pécheur et essaya mérne de l'enlever de force;
d'au íre part, le général Cervoni voulut impo-
ser a Pie VI la cocarde tricolore, qu'il refusa.
Le 20 février, Haller décida que le Pape se met-
trait immédiatement en route , Sa Sainteté ne
put emmener qu'un prélat, monseigneur Ca-
racciolo, et un secrétalre, I'abbé Marotto, an-
cien jésuite. « Voussen tez-vous la force de venir
avec nous au Calvaire, lui dit Pie VI. - Tres-
Saint-Pére, répondit-il, me voici prét a suivre
les pas el la destinée du Vicaire de Jésus-Christ
et de mon souverain. )) Pie VI passa troís mois
il Sicllllc; puis il huhita le chatean de San-




LE DI nECTOI r.e.


Cassiano , pres de Florence , il Y recut la visite
du roi dépouillé de Sardaigne, Charles-Emma-
nuel de Savoie et de sa íernme, 1<1 vénérable
Marie- Clotilc1e de France, sreur de Louís XVI; le
duc de Toscane perdit ses É'<lts it la suite de
l'hospitalité qu'il donnait au Pape. ~lais la haine
du Directoire n'était pas satisíaite : Pie VI dut
venir en France. Partout il rencontra, de la
part des populations, l'accueil le plus respec-
tueux : a Grcnoble, les jcunes filies allerent en
procession a sa rencon tre; dans l'hótel fort
simple 011 le Pape avait été logé, les scrvantes
changeaient chaque jour, et Pie VI sut que les
dames de la ville se succédaient, tenant a hon-
neur de [e servir. Il arriva a Valence le 14 juil-
let , le 13 aoút, la foule était sous ses Ienétres,
íoule bruyante, mais sympathique, il se presenta
en disant : (( Ecce horno, l) pnis il donna sa bé-
nédiction. Quelques [ours apres, iI mourait pri-
sonnier et le Directoire triorn phant annoncaít
que le derníer des soi-disant papes vcnait de
mourir. Les victoires de l'armée russe sur nos
armées devaient démentir cette prédiction et
permcttrcd' élire le succcsscur de Pic VI,Pie VII,
qui allait négocier le Concordat nvec le génél'al
Bonaparte.




LJVRE IV. 393


11 faut revenir il uomc. Berthier avait laissé a
Masséua un comtnandement qui lui répugnait;
celuí-ci ne resta pas longtemps; les plaiutes des
ofllciers el des soldats I'obligárent a partir; iI
fut remplacé par Championnet. Apres Borne,
vint le tour de Naples. Le Directoíre provoqua
la guerrc el Champíonnet recut l'ordre d'ache-
ver la conquéte de l' Italie : il n'avait pasassez de
troupes et apprenant que le général autrichien
l\Iack, qui com mandait les troupes napolilaines,
marchaít centre luí, iI évacua Borne : les deux
armécs se rencontrereut au moment oú on s'y
attendait le moins: les Napolitains beaucoup
plus nombreux, lacherent pied; Championnet
poursuivaut ses succés, marcha sur Naples oú
il fonda la république parthénopéenne , il fut
remplacé par l\Iacdonald; on lui reprochait de
n' étre pas allé assez vite.


Enfin une autre république fut fondée en
Suisse. Les Suisses avaient une république fédé-
rale, on leur imposa la république uuitaíre avec
un directoire: le général Brune, qui comman-
daill'expédition, avait amusé les Suisses par des
négoclutíons jusqu'au dernier moment. Les can-
tons protestants, les plus grands eL les plus ri-
riles, S(~ dl'!'l'ndirenl peu: le plus granel exploit




IJE DIHECTÜIRE.


des soldats de Bernc, fui le rnassacre du géné-
ral d'Erlach; les cantons cathollques, au con-
traíre, opposércnt une vaillante résistauce.


La fondation de ces républiques était une
double faute: elle comprometlait la pnix qui
n'étaít pas solide, et elle obligeait la Frunce á
disperser ses íroupos pour défeudrc les gou-
vernements qu'elle avait ímposés. Au moment
011 se fondait la république de Nuples, les trois
plénipotentiaires francais Bonuier, RobcrjoL el
Jean Debry, discutaícnt, au congrcs de Bastadt,
les conditions de la paix avec les plénipoten-
tiaires de l'Autriche, de la Bussie el des petits
États allemauds. les négociations étuíent diffí-
elles: Iesenvahíssements du Dírectoire n'étaient
pas de nature á les íaclliter et l'on fluitpar dé-
clarer aux plénipotentiaires francais qu'il étaít
inutile de négocier davantage, que la paix ne
pouvait se íaire et quils n'avaient qu'a partir.
Le lendemain les plénipoten tiaires étaient mas-
sacres par des hussards iJ quelques lieues de
Rastadt; seul, Jean Debry écliuppait. Le gouver-
neme ut auírichieu a íoujours protesté qu'il
était étranger ú ce crime centre le droit des
gens, el certains historieus ont accusé les direc-
teurs, qui désiraiení reudre la guerre jlHhitilble,




LIVRE IV. 395


Si tr] avait été Ic désir du Dircctoire, il ne
dut pas tarder Ú regretter la rupture des né-
gocialions; cetle nouvelle campague qui com-
meucait dans de manvaises conditions, á canse
de la dispersión de nos trou pes, ne fut pas
henreuse , les Au trich iens el les Busses, Ieurs
alliés, ílrent éprouver plusieurs défaites aux ar-
mées francaises. En Italie, Souvarow battit suc-
cessivemen1 Schérer, Morcan, i\lacdonald qui
dut évacuer Naples et Rome, el Joubert qui fut
tué iJ. Novi; loute l'ltalie étail perdue pour nous,
sauf la rivíere de Genes, énergiquement dé-
fendue par Masséna. Les succés de Souvarow,
un schísmatíque, perrnírent au conclave de se
réunír a Venise et d'élire le cardinal Chiara-
monti, qui prit le nom de Pie VII. Sur deux
points seulement les armées francaíses furent
victorieuses, en Suisse oú Masséna battít les
Autrichiens et les Russes a Zurich, et en Hol-
Jande oú Brune battit a Castrlcum les Anglais
qu'il obligea á se rembarquer. Malgl'é ces deux
victoires, on avait dú abandonner la plupart
des pays conquis, et le territoire francais était
méme menacé, lorsque le général Bonaparte
arriva d'Égypte,


Pendant c(~llr call1pagno ton[l' 1histoire iu-




396 LE DIREC'fOIRE.


térleure se résume dans un nouveau coup
. d'État; Sieyes avait consenti a faire partie du


Directoíre en remplacement de Rewbell. De
coneert avee Barras, il se débarrassa de ses trois
collégues, Treilhard , Merlín et La Bevelliere
el les remplaca par Roger-Dueos, Gohier el
Moulins. Ce dernier était général, mais ji n'a-
vait pas une notoriété suffisante pour donner
au Directoire la considération el la force qui lui
manquaient.




CIIAPITBE IV.


Expédition d'Égyptc. - Prise de Malte. - Dóbarquemeut
en Égypto. - Priso d'A!t:'(antiri". - Bataille des Pyra-
mides, - Dcstruct.iou de la fluuc rl',,¡;~aisc. - Expéditiou
de Syric. - fécltcc ,bV<lllt Saint-Joun-rl'Acre. - Batai llc
d'A';ollkir. - Iutour d" Bonupurtc. - Klébcl'. - Cupitu-
l.rtiou. - [\l'ri\:(~ü de nOll:tpa~tfl_ á Pari s. - Projets d\~
Sieycs el (k Barras. - Transfcrt des couseils 11 Saint-
Cloud - Arrestatiou de Coh ier ct do Moulins, - ID hru-
main-. - LI' cuusci! des Ciuq-Couts.


A son retour d' Itulie, le general Bonaparte
voyant l'insucces dc l'cxpéditiou centre 1'11'-
laude, proposu au Directoire d'attaquer l'Au-
gletcrre en Oricnt el de s'ernparer de I'f:gypte,
L'idée Intiunnédiutcment accueillie ; elle éloi-
gnait 1111 généra\ que ses su cces nvaíent rendu
dangereux. Bouaparte s'occu pa immédiatement
de préparer son expéditiou : il fallait Iaire
promptement el sccrctemeut. On mettait a sa
disposilion une escadre de 13 vaissenux, 6 fré
gates , bricks el ílútes , el 40U Látiments de
trausport, i'oscadre élait co mmanclée parl'ami-
ral Brueys, aynn! sous ses ordres Villcneuve,
Decres el Duclrayla. Les corps de débarque-
ment étaíent cornposés de vieillos troupes.


2:J




3!l8 LE DIRECTO ms,


Bonaparte emmenaít avcc lui les généraux
Berthíer, Cafl'are!li, Dornmanln, Desaix, Klé-
her, Menou, Heg'nier, Lanusse, et un certaln
nombre de savants qui .levaicnt Ior-mcr l'insti-
tut d'Égypte el élurlier le pays. Le départ eut
lieu de Tonlon 1e 19 111:1 i 1708. Millgl'é le secret
gardé et la célérité apportée aux préparatifs, les
Anglais avaient en connaissance de l'armement,
maís ils ignora len t sa desl ina lion. L'am iral
Nelson, qui croisait dans la ~Iéditerranée avait
étéprévenude rcdoubler de vigilance. L'escadre
arríva en vue de ~Inlte '(lans les premiers jours
de [uin , Bonapnrte s'était ménagé dos i ntelli-
gences, el le 12, le grand-mattre de Hornpesch
lui livrait une ville imprcnable.


Le i er juillet, la llorte arrivni: IH~1I1'('lIS(~ml'llt
en vue d'Alexandrie. éclwppanl it Neison qui
était venu la chercher SllJ' les cótes de PI'O-
vence. Le débarquemen 1 eu I líen i mmédlatc-
tsmeut, el le lendemain Alexnndrlc ouvrait ses
portes, Bonaparte pu hlia ti ne proclamatlon dans
laqur lle , pour ménagor les ~lllsulm(lns, il dé-
clarait qu'il venait Iaire la guerre seuleuient
aux l\lamelueks, el se don nail commc le repré-
sentant du sullan. Les ~Ial\lelucks coustttuatenr
un corps de cavaliers qui se recrutaít par des




LIvnE IV. 309


jennes rsclnvps; ils avaicnt ponr chef Ihrahlm
ll('YI~: ~lolll',1(1 ¡¡"y. V lii:"i1i.",oltl;¡l" i ls C¡'()};¡jl~ilt
avoir raci:L~;i\l'lll r.iis lil dL~.-; [:llll:ls,il]:; Ir.rucais :
ils [im'lIl vito il<'lm:llp¿:;, el d.uis leur étoune-
meut, ils croYi¡i.· .t qll:~ les suldats étnieut atta-
('J¡(~S par des dlil:12S di~ íer el avnieut baptisé
Ro11:1 par',e le p;"l'I~ d 11 l'1':1. La vicloi re eles Pyra-
mides, le 21 juillct. livru aux Fran~i:~s le Caira
el tout le nord ele l·l~.;·Yl)le ; la joie du triomphe
Iut dluiinuéc pal' la rlesu-uctinn de la flotte
francaise il. Ahoukir. Apl'cS avoir réprimé une
révolte au Caire et avoir chargé Desaix, le sul-
tan juste, de poursuivro la lutte contre Mourad,
Bouapnrte fit une expédition en Syrie; la pos-
session de ceue provínce cst índispensahle pour
couvrír i'É:;Y;Jte. Les dé!)llt~ flll'ent heureux, la
ville de Jarra fut prise, les 'I'urcs furent battus,
mais Saint-Jean-d'Acre réslsta el il fallut se retí-
rer. A peine de retour en l~gypte, Bonaparte ap-
prít le déuarquement il Aboukir d'une armée
turque: i! s'y rendit en toute háte el la détruisit,


Les désastreuses nouvelles qui arrívaíent de
France le déciclel'ent á y revenir; i1 disait ¡] Me-
nou qu'il chasserait les avocats, prendrait le·
pouvoir el enverrait des secours pour con-
solíder I'occupatíou : des troís choses, deux




400 LE DInECTülIlE.


ont éíé íailes. JI s'ernbarqua le 24 aoút sur le
Iiuiron et arrira lrcurcuscment aSaint-Ilaphnél,
lc 9 ocíohre 1709, 1I Iaissait le commandement
aKléber qui, d'nliord découragé, retrouva loule
son éncrgie devanl Je dauger el hattit les Turcs
a Héliopolis: mais il ful assassiné par un Iana-
tique eL ses successeurs durent cnpituíer.


Sicyc's songeail dcpuis Iongternps ¡'¡ en fluir
avec cette conslilulion de I'au III qui ne se sou-
teualt que par des coups cl'Úat.lllui Inllait pour
cela un général; il avait pensé ú Iloche, qui
élait mort, ¡'¡ Joubert, tué ú Novi , el á Moreau,
mais ce dernier mauquait de la c!écision né-
cessaire. En appreuant l'arrivée de Bonaparte,
il s'écria : (( La palde est sauvée l » Des confé-
rences eureut lieu entre le géuc:ral elle dircc-
teur, pendaut que Barras négociail avec un in-
trépida agent royaliste, Fauche-Borel, le retour
de LouisXVllI. Le miuistre de la pollee, Fouché,
qui connaíssaí t les deux n('gocialiolls, resíait
neutre en apparence , mais en réal ir(,] fuvorisait
Bonaparte, sans doute paree qu' il luí vovait
plus de chance de succes, et puis régici.lc, il de-
vait étre peu favorable aune restauratlon.


Le plan suivanl fut arrété : la représeutation
nationale serait transportéc iI Sai11 l-Cl oud SOllS




L1VliE IV. .01


prétevte de la meure ú l'abri des d.mgers que
préseutait Paris : Bounpartc scrait ch.rgé ele la
l)l'()l(:gcl'. Quant au directoire, Sieyes f'l nO~el'­
Duces douneruicnt leur démission , on achéte-
raíl, celle de Barras , Gohier el, 'loulins seraient
mi; dans l'hnpossibillté d'ngir , troís consuls
scraient nornmés el, les dcux conseils sernien t
suspcndus. En cxécution de ce plan, le 'i8 bru-
mairo, sur la propositiou du présldeut Carnot
qui étalt gdgIH;, le transfert du COl'pS législatlf
ú Saint Clolld fut voté, et sa gardo fut conflée
iI Ilonapartc. La plupart des géuéraux étaíent
daus le sccret. Ilounpurtc se rendlt chez les
dcux directeurs, G01l1e1' et Monllns, [CUI' ndressa
de viís reproches sur l'état Oll ils nvaicut mis la
Pranco, si helle deux ans auparavant. et les Ilt
g'al':~er Ú VI[('. Le leurlemaiu, \) novembre, les
deux couseils tinrent séance a Saint-Cloud :
Bonupartc se rcndit d'ahord al! conseil des
Aucicns, qu'on supposait plus Iacile , il rappela
les nornhreux coups d'I:;lnt qui avaient élé Iails


. en vlolaliou de la Constitution de l'au 111; il
vit que ele ce coté, il u'nurait aucune difllculté.
Aux Cinq-Ceuts ce fut plus diltlcile : Bonaparte,
Iorsqu'il parut , fut accuellli par les crls :
« A has Crnmwell. Ú IJGS le tyran : horslu Ioi.»




402 LE DIREC'fülfiE.
'.


Les députés l' entoureren t; on dit mérue que
quelques-uns tirerent un poignard et l'en me-
naeérent. II étaít impossíble au général de se
faire entendre et la situa lion devenait criti-
que, Iorsque quelques grenadiers pénéírérent
dans la salle et l'cntraiuercut au dehors, « lis
m'ont mis hors la loi, ditil eu core íout ému a
síeyes. - Eh hieu l meilcz-Ias 1101'S la salle! ))
Ce qui fut dit Iut Iait. Lucien Bonaparte, prési-
dent des Cinq- Ccuts , haraugua les soldats
qui entrerent dans la salle, la haronnette croi-
sée , les Ciuq-Cents di-parurcnt. Quelqnes-uus
se réunirent daus la soirée, el dél'l'éU'l'enl tout
ce qu'on voulut , le" uncle ns approuverent. La
Constitution de l'uu III étaí: íluie.




APPENDIC::


Le consnlat. - Son caractere r..pu-atcu r. - Déllvrance de
I~ Fr.ince ti. l'intóricur. - Cauipagn« dItalic. - JLtl'engo.
-- C"tl1p:¡gll'~ d'AI1,cilLlG'1'J. - Ilohcnllnd-n. - Trai¡é de
Luucvil!c. - Pai x dAmicus, - Itétublissement de I'ordre
ti. l'intcrl.uu-. - HÓJrga:1isajoa d~ l'adrninistraticn. -
Cede civil. - Ahl'o:;;ttion des lois contre les émigr és. -
COIlCI)I'(lat, •


Ceci n'est [las une histoire du consular, mais
un court appendice sur le consular, appenclice
suffisantpour expliquer comment le 18 bru-
maire a été la fin, plus app~ -ente que réelle,
de la Ilévolutiou ct non un simple coup cl'État
connue le 9 thertnidor ou le 18 íruotidor.


On s'attendait él la fin du directoire ; le consu-
lal fut accepté , les II'0ís consuls furen t Ilona-
parle, Sje~ es el Itoger-Ducos. en réalíté, Bona-
parle élait le matíre. Sieyes se retira aprés
1'i nsuccés de la Conslitution qu'il avaít rédigée,
et Iutsuivi par Iloger-Ducos , Cambacéres devínt
deuxicme COllSUJ, el Lchrun troisieme.


Délivrcr la Franco mcnacée :'t I'extérleur,
ré tab lir l'ordre á l'in térieur, tel était la double




404 APPE~DICE.


mission qu'avait il rempllr le preruler cnnsul.
Masséua se soutenait avec peine dans la riviér«
de Genes, Sucl101 tilnit atlaqlu: sur I(~ Val'; ji
fallait agir prompieuient. I)(~II.\: ;\I'll1t:e5 íurent
íormées , I'une ouvertement , SUl' le llhin ,
I'autre secrétement au pied des Alpes,\IDrl'nu
avait le conunandmncut de la prcmiere , il
devait marcher sur Vieun« pnl' le hasslu du
Danuhe. La seconde, dont le premiar consul se
réservait'le couunaudcurcnt. devait Irauchir les
Alpes el descendre en Itali« sur les"derrieres de
Mélas qui auaquait M;lss(~nn el. suchcr. Le plan
réussit dans son ensemhic , l'aruu'e d'Italie
frauchit hcureusomeut les Alpes,. el la batnillo
de Mareugo lui Iivra l'Italie , 'lorean ele son
coté , vainquour Ú lloliunliudeu . mcnacait
Vienne. L'Autrícho St) d¡:cida ú la p;¡j'( qui tut
signée á Lunévillc, le \) Iévriur 18U l. (ltl('Iques
mois apres, la palx était siguée Ú Amieus avec
l'Angleterre: la Frunce perdait quclqucs colo-
nies, les Anglais ae(~ept;¡ienl son acquisitiou d~'"
la riv« gnllt:hc du lth in. J)';¡UII'CS traites flll'Cn}_
conclus avec tous lf':, ¡::lals de l'Europe. CettéJ
paix W:J1(;l'a'" fut accunillio nv(~~ culhuusiusure
rlans toute la Frailee. Elle dcvait malheurcuse-
ment ucu durer.




APl'Ei'iDICE. 405


11 était pout éíre C¡lCOI'e plus difflcile de ré-
tahlir l'ordrc it l'intérieur que de faire la paix
méme avec I'Anglctel'l'c Le premier consul
I'('ssnyn n'sollllllelll; l'u.huinistration fu! réor-
gilllisée; les ünauces Iurent-dirigées par des
houunes COIll pétcnts , la rédaction du cacle civil
fut commoncéc ; mais les deux mesures répa-
ratrices par excelleuce íurcnt le rappel des
('llligl'l:s el surluu! le rélahlisserucnt du culte
catholiqu« pai- le Coucordat. Les lois centre les
emigres Irappaieut 145,000 nersonnes. dont
80,000 nobles; le prcmier cousul les fit abrogcr
par un sénutus-consulte . il dut pour cela im-
poser sa volonté. Le Coucordat dut également
I;ll'e imposé aux révolutiou naires qui peuplaient
le conseil rl'J~lal, le sénut el le tribunat. Le
premicr cousul Te Lit. En rendaut ainsi á la
France, malgré son entouragc, le libre exercice
de Sil foi rellgieuse, iJ Iaisait plus pour réparer
.~e.i:; maux causes par la Révolution que par les
traités les plus avantngeux el par les réformes
·á'l~1illjstrali\es. les plus heureuses. On doit
regretler seuleuicnt que par l'addition des
article-, organiques, COIÜl'C Iesquels protesta le
h\gakdu Pape, il alt amoiudri son ceuvre sans


/
r : ne ntillté pour son pouvoir.




405 APPENDICE.


Le consular dura peu : d'abor.l déccnn
devint consulat á vie ¡'¡ la suite d'un nitr"
centre la vie du premier consul , une conspilT
tion amena la crénliou de l'cmpirc, avec leer
disparurent les derniéres fOQDPS l'!'fJlrlllie.
ccnservées jusque-h. Le restilill';¡tcU/' dI! en.
catholíque en Franco demanda au Pape
venir le sacre!'; Pie VII y ccnscnlit, et ~ilp
léon l" put se dire eui pereur des Fruncais po
la gráce de Dieu.


FIX.