LA RÉVOLUTION SOCIALE. OUVlAGIlS DV m:f:MIl AUTEVB. De la CNébrallon du...
}

LA


RÉVOLUTION SOCIALE.




OUVl\AGIlS DV m:f:MIl AUTEVB.


De la CNébrallon du dlmanche. t vol. ..•..•.•••.......• 7~ c.
Qu'est-ce que la PI'opl'lélé? (¡er Mémoire.) ........•..• 2 fr. 50 c.
Qn'~st-ce que la PrOI"'lété? (,e ~lélllO;re.) LellIes a 111. nlnnqm sur


la Prol,üélé .. , ............ , .............. ,. . . . . . . . . .. t fr. ¡;O e,
A "C,·li.s~nH>nl aux PI'ollrlélalres, ou Leltres A l\I. Consi,l-'-rant sur


U'lU dél'ense de la hopl'i:li,., ............... , .... , ......... t fr.
De la C""a1lou de "Onlr" daos '-Dumanllé. 2e {dilion, are e des


notes de ['unteur. t fort vol. ....•....... , ., ........... , ... ,. 4 fr.
Sysíéme (les Cooll'adl~t1ou8 économl<llIes. GU PhilosoJlhie de la


Illis;'l'e, 2e Mition. 2 1'01. ................................. 7 fr.
De la Concurreocc eot,'e h's Chemlos de fer el les ,'oles oa-


vigables. t yol. .•.............. , ..•........ , ...•.....• , I fr.
80lulloo du Probléme .oclal. 2 vol. 2 Iivr. sont en vente a ... ~o c.
Ol'l;anlsalioo du Crédlt el de la C1rclllatloo, el Solulion dll pro-


Llellle social... . .......•.•.. ,' •.......•• , ....•.......... ¡¡O c.
)\¡}pport dll eHoyeo Tllle,'s, pn;e!'dé de la Pr0l'0,ition dn citoyen


Prol1dhon Te'nti,"e 11 l'irnpllt ~nr le revenll, sl1ivj t1n Discours p!ononcé a
J'ASsPlllulée T1alion~le le:;1 Juillet 1848. l· vol. in·l2 ........ o O' 7;; c.


IdécH réfolulloooalres (les 3/allhu.-ierl', la Réaclion, Pro~ra!llme r('vo·
Jutionnaire, ()nestlOn él.rllugere, la Pl'úsideflcc, AI·gument ¡¡-la lHontagne,
le Tenne, Toasl il la ll,'volution, c'c , ele.) I vol. ... o •• o. 2 fr. :'0 e,


I,!! Dl'olt au travall el le nrolt de proprléléo In-12 ........ 50 co
Résl1\l1é de la QllesUon soelaleo Raoque d'éehaoge, avec Hne


pr'face el des nole.' par Alfred Darimon, anót:n rMacleur en d,ef du
Peuple. t vol. ia-18 o .•.... o o .. o ... , ... o. O' o. o .... o t fr. 25 c.


IhUlI¡Ue du Pellllle, sllivie dn Happa,.t de la Cornmis-ioll de, Délégués
tlu LUXCUlhOIJI'g. 1 '·01. .•••••••.••••••••••••.••••••••.••• 50 c.


Jlllél'él el principal, disrus,ion entre 111M. P"oudhon el Bastial, sur
l'inl,\n't de, capi:aux, t \·01. •••• , o ... o ........ o' ..... o o I fr. 50 c.


',loS COl.fe.§loos Il'uo révolnl!ollllalre, ponr senil' 11 la Réyolulion
tiu f~\fier. - ~e étliLiún, mvue, c()lTig(~e el l!l1;jlIlent:"e par l'allt!!llr.
I vol. ...... O' •• o • o .. o ......... o ... o ............ o ., 2 rr. :;0 e.


Idél' géllél'ale ,le la Révolutloll all XIX· slécle, choix d','ludes
sur la prallllllc r,;vúlnliollua:re et irnlnslriellc, I vol ............ :; rr.


pova pARAITRE PROCHAINEMENT.


P"ogramme 11IlWosop!llque, [lour rann,:e 1~¡¡3. o o·




LA
»" '><'";,;::';"i::>::!",;~;,:;"i:>~/~


RÉVOL,UT.LOB~SOCIALE , ~""-'?;c .. ~_,~_.,,,:,,.,~,..:¿i¿:;~:'~:l~~~.:-t1"t~,~,f~ .. <,'t;~r-·~Ii~ .. ···,¡N'~:~><~~;~~~~~~~~;·i~~:r.;~
DtMO~ll\tE


PAR LE COUP D'ÉTAT
Du 2 Décembre,


PA.1l


P. J. PB.OUDHON.
~~~ __ -!!!~~~!~~~~--"""., ,J:i,-' .. ":"'":':-~~. ' , , el' a se rer3, m,-,is ceJiJ st'ra, paree Ilue C'E!'IT 1'.CHIT.


jIdee oénérale de la Rti!Julution rf1.4 XU~ sié,I., p. 195 )


> '''.0 S¡"iéme EditioD,


~" ,~~GHENTÉE DE I.A LETTRE DE L'Al'TEUR AU PIU:NCE PRÉSIDE~T ~ ~ DE LA REPUBLIQCE. ~i~
• <i :RNIER FlI~~~~ LIBRAIRES,


10, fUe lIíchelicu, el Palais-Royal, 211>.


1852






AVIS DES EDITEURS.


Nous publions, en tete de la présente édí-
lÍon de ee livre, la leUre éaite par I'auteur au
Prince-Pl'ésident de la République, á l'ocea-
SiUll de l'illtel'dit qui, d'abord, avait été jeté
su!' son 1ravail. I\t. Pl'oudhon a livl'é eette
lettre a la publieité pour l'épondre ü certaines
insinuations maheillantes et ealol11uieuses qui
s'attaquaient a son honorabililé de publiciste.
En joignant eeHe pieee au livre lui-meme, nous
eroyons done faire. une ehose ulile et agréable
:1 nos leCleurs et satisfail'f' a la jusle suscepti-
bililé de 1't~erjvajIL




1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1


. 1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1 ,




,


A MONSmUR LE PRÉSlDENT DE LA RÉPUBLlQUE.


Paris, 29 juillet 1802.


~lonsieur le President,


En 181,.8, fai combllttll votre candidllture a la
présidenee de la Hépublique, parr:e que je la
jugeais mClll:¡~llnle pour la démocratie, hostile
aux répuhli(;uins. Les ilffi'ltcurS de pamphlets
ont gardé le souvcnir de 111.:1 polémique de ce
temps-la.


A pres l'élection du 10 décembre, fai fait une
maladie grave qui m'a forcé pend,mL un mois de
m'übscnlcr (le l'Asscmblée nationale, dont j'élais
membre. La cause de eeHe maladie, Monsieur le
PrésidcnL, jo n'ui pas bcsoin de vous la dire :
tandis que le pcuple vous élevuit sur le pavois,
II me pCl'Qai t le cmur.


A peine retabli de mes chagrins et..:te mes fa-




- VIII-


tigues, sur la fin de janviel' 1849, rai attaqup
votre pouvoil' nouveau avec toute l'irrilation de
la convalesceu<:e. eette attaque m'a valn trois ans
de prison, qui ont pris fin au ,~ juin 1852.


Pendant la premiere annee de ma captivilé,
j' ai recommenee la I u1te autant de fois qu' iI m' eL
été possible. J'ai subí, pour eette obstínation,
deux míses au secret, deux transferements el dellx
proces, dont l'un a eté abandonné pour vice de
forme, et l'autre s'est terminé pLlr un acquitte-
ment. Je ne me suis résigné au silenec que lors-
qu'il m'a été notifié par le préfet de police que
la prison emporlait pour moi, journaliste, avec
la séqucslration ele ma personne, le silcnee de
ma parole. La loi pénale n' en dit rien, el sous le
dernier roi, cela ne s' etait pas vu; mais le temps
et les cireonstanees donnent aux loís lem inler-
pretatioIl.


Apres le coup d'État du 2 Jécembrs et la
défaite de l'insurrer,tion, j'ai été penclrmt cinq
jours eomme un eondamné ü m(~rt. J(~ n'avais
ríen a craindrt' pOlIr lila pCI'S0l111C ; Illais Ip (~OllP
porté a la R¡\publiqne m~ d(\sespt':rai.t. Ah! Mon-
sieur le Presidenl, vous n'avcz eu, vous ne 1'el1-
contrerez jamaís d'adversaire plus energique et
en meme temps plus désintél'essé que moi. Jl~
n'ai poínt éte volr'e rival, córnnw d'au[res quí, ú


\




- IX-


mon avis, en étaÍenl dignes, fu furent; je n 'aspire
point a votre succession, comme d'autres, qui
valent moins peut-etre, y pensent. Je n'en veux


pü.'& ptu'& a VQtre dignité qu'a votre personne, et
ie ne conspire paso 1'üi vu en vous l'ennemi de
la République que j'avais embrassée : ne cher-
chez pas d'autre cause a mon opposition.


Depuis votre second avénement, fai cherché
a me eonsoler, - je serais mort sans cette eon-
sD\a\1Dll, - ~"D. Th~ \\~\1\\)\\\lo.\\\ ~ m.~\ ... m.tm.'(¡ \\'3..fG
vous étiez le produit de circonstances fatales, et
queeette révolution, que mes amis et moi n'a-
vions sans doute pas été trouvés dignes de faire,
vous en étiez, bon gré, mal gré, le représentant.


Louis-Napoléon, me sllis-je dit, est le manda~
taire de la révolution, a peine de déchéance l. ..


AussitOt je fais de ma pensée un livre : j'im-
prime ce livre; mais la police en interdit la
vente, mena~ant a la fois l'imprimeur et le li-
braire. Pourquoi? e'es! ce que je viens vous de-
mander 11 vous-méme, ~Ionsieur le Président.
Pardonnez eette interrogation a un républicain.


Vous etes la révolution au díx-neuvieme siecle,
car vous ne pouvez pas étre autre chose. Hors
de la, le 2 décembre ne serait qu'un accident.
historique, sans príncipe, sans portée : voila mon
premier point. Maintenant, le savez-vous, Mon-




-x-


sieur le Président? le voulez-vous? l' oserez-vous
dire? Questions scabreuscs et que je n' ose résou-
dre: voila monsecond point. Cest tout mon livre:
consolation pour moi-meme, cspérance a mes
corcligionnaires, défi a la contre-révolution! A
ce livre. fai donné ma ra~on, mon style, mes
idées, mes opinions. mes craíntes; du reste, et
malgré mon extreme franchise, pas la moindre
attaque, ni au Président ni au gouvernement.


Je ne me suis pas dissimulé que ce livrc, en
donnant la raison d'existence du 2 décembre, luí
créait une sorte de légitimité dans les choses;
que recevant ainsi sa signification de l'histoire,
le gouvernement en recevrait une nouvelle force,
et qu'ace mot tombé de ma plume: «( Louis-Na-
poléon est le mandataire de la révolution, » la
popularité de I'homme, tant de fois fatale aux
répubJicains, monterait encore parmi ses sept
millions de voix.


Homme de parti, je me suis dit ces eh oses ;
homme de révolution, fai passé outre; laissez-
mOl vous dire, Monsieur le Président, pour quel
motif et dans quel espoir.


J' ai considéré que vous ne pouviez obtenir,
comme mandataire de la révolution, le moindre
succes auquel la révolution n' e11t sa grande
part.




- Xl-


j'üi done espéré, dans l'intérét de eette ré-
volution, que la Franee. éelairée sur sa situation
véritable, rassurée par vous contre toute sur-
prise, oserait enfin envisager de faee la questioll
quí lui a ete posee en fénier; - fai esperé qu'a-
lors notre pays, qu' on vit de tout temps a la tete
du mouvement intellectuel, a repoque des trou-
badours, á la renaissance, aux dix-septieme et
dix-huitieme síecles, pourraít suivre sans dan-
ger la révolution philosophique et sociale, com-
mencee au dix-neuvieme. et a laquelle vous-
meme. Monsieur le President, avez pris part;
- fai esperé, enfin, qu'au fond de l'exil, dans
les prisolls, la démocratie recevraÍl de mes pa-
roles quelque allégement, el que peut-etre il
serait permis a ceux qui partagent ma resigna-
lion dan s le present. el ma confiance pour rave-
nir, de revoir, honorables et inoffensifs, leurs
amis et leurs foyer~.


Compensalion faite, je n'ai pas cm devoir su-
bordonner a mes ressenlimeIits de parti les inté-
rets généraux de la revolution, el donner plus
longtemps la joie de notre infortune a ces vieux
partís dont la longue trahison a decide le succes
du coup d'État, et qui tous, sans en excepter le
clergé, se sont monlrés sans miséricorde ...


Maintenant la políce arrete la. vente de mon




- XII -


ouvrage. Le nom de l'auteur, le titre du livre,
les formes du langage : voilll ses griefs l ...


Je me croirais un hypocrite et un lache si,
apres rn' etre mis dans le cas de solliciter votre
intervention, ~Ionsieur le Président, jo faisais au
pouvoir la moindre excuse. Qu' est-il donc besoin
que je m'explique? J'ai voulu que ma publication
fUJun acte de haute moralíté; il ne tient qu'A
vous, Monsieur le Président, d'en faire un acte
de haute politiqueo Pour cela, il faut que mon
livre paraisse, tel que jc l'ai fait, avec ses arncr-
turnes, ses hardiesses,. ses méfiances, ses para-
doxes. Je ne passc condamnation que sur ce qui
sera déclaré crime ou délit par les tribunaux; en
ce cas, je demande que la condamnation tombc
exclusivement sur ma tete.


Je me disais, il y a quatre jours: qu'il se trouve
un hornme de tete et de camr, un seul dans le
gouvernement du 2 dócembre, et mon muvre
passe. Faut-il que faille jusqu'a vous, Monsieur
le Président, pour rencontrer cet homme-Ul ?


Je suis, etc.
P. J. PROUDHON.


P. S. La terreur exercée par la police est telle,
qu'iI a été impossiblc a l'auteur d'obtenir un seul
exemplaire de son livre pour M. le Présidcnl de
la République.




LA


RÉVOLUTION SOCIALE
DÉMONTRÉE


PAn LE COUP D'J~TAT


.Te ne sais pZlS comment Cí~la ~e fera.
tnais cBla sera, paree llue r;'EST f,CRIT.


l'rlée geller(Ile de la Ré,;nlwlir¡n al' XiX·
,iede, p. 19:í.l


l.


POUHQuor .1E JlA):~ DE LA POLJTIQm: •


.le n'ecl'is pa¡; wnf're ljui pCIII proscrire, Jisait
CamilIc Dcsl1loulins sur la fin de 93, aJors que Ro-
bespierre tout-puissant était en train de samer la
société, et que déjit la Hépub lique n' existait plus 1 ...


. Ie prends pour l1Ioi ectte maxil1le. Je renonce,
puisqu'on l'a voulu, El exereer le vcto dont la révo-
lution de février avait armé la presse contre le pou-
voir, el je coml1lence par dée1arer que je n'ai rien
:\ dírt' contre le eOllp d' {>ia t ¡lu 2 drecllIbre, rien


1




-2-
contre les uutellr~, coopéra!curs et bénéficiaircs ¡J,.
ce eoup d'dat; ríen cont1'c .le ,ote fluí 1'a abS(iu,~
par '1,600,000 sufl'rages; rien conlre la constj¡u-
lion du 15 janvicr el les pouvoirs qu'elle organí~e;
rien meme contre la tradiliull fJu'elle scmhle YOU-
¡oir raire revivre, dont elle adore les vestiges, el
qui es1 restée au c(Pur du peuple COllllllC la der-
níere de ses rel igions .


.le ne récrimine point, je ne proteste pas, je
ll'acclIse personne. J'acceple le fait aecompli .... -,
eoltlme l'astronome tombé dan s une citerne acrep-
tait son acciden t.


S' ensuit-il, répuLlicains, qu' il travers lous ces
changemcnts de la scene politique, dont le tenlle
n'est peut--rlre pas encore proche, nous n'ayons ú
exerccr aueun ¡¡ete cOl1servaLoire; el paree Ilue nos
eonviclíons se !romelll froissées, !lOS cspéranccs
déc;ues, notre foi meurtrie, qu'il nous raiIle croupil'
dans eeHe proslraLion llIorale, pire que le crime:'
S'ensuit-il que nous n'ayons Cju'a llIaudire le vaín-
queur, en atiendant l'heu1'e lanlive de la réparil
lion, et a mériter ainsi, par une slupide el coupa))k
inerLie, notre mauvaise forlune 'l


A Dieu ne plaise! Nous avons trop d'inlénHs ('!l-
gagés dans le ponvüir, en quelques mains qu il
tombe; nous sommes trop peu assurés du préSl'll t
el de l'avenir de ce pouvoir, pour qu'il nous SI,it
permis, un senl instan!, de nons annuler dans lJill'
abstentíon soi-disant verlueuse, et qui ne serail ({ue
lache. Dussé-je done ctre accusé par les énergiques
d'ayoir mauqué a la fierté répuLlicaine, paree
qu'une fois de plllS j' aurai, en écrivant, plíé sous
la nécessité du jour, je dirai ce que je pense des af-




-3-
faires; j'affirmerai de nouveau, clans sa plénitude,
contre toute monarchie et théocratie, le principe
républicain; tandis que les dynaslies préparent leur
retour, je pronosliquerai son tríomphe; j' opposerai
a la politique des hommes la néce~sité des choses;
je ticherai, autant qu'il est en moi, el san s mano
quer aux conditions que le pouvoir actuel m'im-
pose, d' éclairer el'une idée les ténebres de notre
situation, de donner au pays conscience de son
état, de le relever dans sa propre estime et aux
yeux de l' étranger; de prendre des garanties, dans
ce temps de subiles catastrophes, contre une sub-
stitution éventuellcment conlre-révolutionnaire; de
rendre en fin aux idées une pcrspective, aux inté-
rets une direction, aux courages le ressort, aux
proscrits l'intelJigence et le calme.


Et puisqu'üujourd'hui le privilége de la polémi-
que a JYtlssé de la presse au pouvoir, que la pensée
a perdu le droit de se produire uans l'énergie de
son opposition, qu'elle n'est plus tolérée que sous
la forme incolore d' opinion probable, pour ne pas
dire d'avis respecLllellx : je ferai tous mes eiTorts,
en ménageant les sllsccpLiLilités d' en hau!, pour
sauver, par l'intéret du sujet, la dignité de l' écri-
vain, el dissimuler son s le patriotisme des sentÍ-
ments la gene odieuse de la purole.


Qu'apres cela le pouvoir, que j'uurai peut-etre
servi, en le révélant a lui-mcme et aux autres, tire
avantage de mes renseignements, je ne le redoute
pas pour ma religion. J'en serai heureux, uu be-
soin, pour le progreso Moi qui, dans I'histoire, ne
reconnais que des gouvernements de fait. qui les
répudie théorillucmenl Lous, qui n'en voulais pom




-4-
mes contemporains aucun, je ne demánde pa~
mieux que de voir ceIui que je paye se modifier el
marcher suivant mes principes. Et qui ne voit déjiJ
eombien le gouvernement du 2 décembre, tout forl
el tout sage qu'il s'imagine d' ctre, a Lesoin que ses
adversaires les plus maltraités lui montrent la rou te '1
Qui ne voi.t, dis-je, que si la raison répuLlieaine,
découragée par tant d' oulrages, ahandonne il ses
perfides suggestions ce pouvoir eneore sans racines,
aussi surpris que la nation de son existenee, l'esprit
·public s'affaissant de plus en plus, la révolufion ré-
trograde de dix degrés~


Triste eondition des soeiétés humaines, et qui
doit donner singulierement a réfléehir aux démo-
erates, qu'un pimple ne puisse, en aucun cas, s'ab5-
traire de ses gbuvernants, cl qu'a moins de les
écraser daos sa révolte, ee qu'il ne peut pas tou-
jours, il soit condamné El les redr2sscr sans cesse,
meme quand iI les déteste le plus l ...


"Mais que dis-je? ce que nous sommes tentés de
prendre pour un falal et regretlable appui, qu' est-
ce autre cbose que l'éterncllc absorption du pouyoir
dans la liberté? Et dan s cctte solidarité intime du ei-
toyen et de l'état, dans eette obligation étroitc f)Í in-
dissoluhle de nos intérels avee le gouyernement,
pouvons-nous méconna"ltre, au point OU nous som·
mes, le symp-tome el'une prochaine réyolulion ?


N'est·ee pas, en effet, le triomphe de 1'idée
révolutionnaire, fondée sur la nalure meme des
choses, que la faculté politic¡uc soit d{'sormais tr!le-
ment lié e a l' exercice de toutc facuW~ proft's~ion­
nelle, que le mécanisme politiquc, autrrmcnt dil
la raison d'état, rr1n,tn! d'lll1 million de souv('-




-5-
I'ains, en devienIle impossillle; que L[uieonque s' oc-
cupe d'une branehe de la produetion ou de la con-
sommalÍon générale, participe, par cela meme, a
la gestion du pouyoir, ait voix délibérative el fata-
Icmcnt pcrturbatriee clan s l'élat; qu'ainsi le gou-
I'crnemcJlt nc pouvant ras plus s'aifranchir uu
concours dircd dcs producteurs, fabricants, com-
mel'l;:anls, arlisans, manouvriers, écrivains, artistes,
que ceux-ci faire abslraclion dan s Jeurs Iravaux de la
poli tique uu gouvcrncmcnt, l'initiative inuustrielle
se transformc sans cesse en initiative politique, et
convertisse fatalement l' aulorité en an-archie?


On avait cru que pour refouler la terreur démo-
cratil!Ue il fallait, par une concentration extreme
du pouvoir, oter au pays sa souveraineté, séquestrer
les masses de la politiquc, interdire a tout éerivain,
qui ne relevcrai[ pas du ministere, de traiter de
rnatieres poliliques. La suspension de la faculté po-
litique, partout el toujours, la resfauration de l'au-
torité : tel a été le mot d'ordre de la contre-révolu-
lion. Que1 gouvernement serait possiblc, en eifet,
disaient-ils, avec le droit eonstitutionnel de diseuter
le gouvernement? QueHe re1igion pourrait subsis-
ter avee le libre examen? Que pourrait-il sortir
d'assemblées tumultueuses, formées d'é1éments
aussi disparates L .. te 2 déeembre ne fait qu'ap-
pliqueI', dalls la JIlesure de ses moyens, eette puis-
sante théorie, ignorant apparemment qu' en toute
~ociété le souverain ne légif()re el le prince n' exé-
cut~ que de l' ahondance de l' opinion, et s'imagi-
nant que le meilleur moyen de faire penser le cer-
veau, e'est de pratiqucr la ligature des nerfs et de
bOliche!" les sen s J




-6-
01', admirez le résultat. Plus 011 s'e/foree (ren


chainer la raison nationale, plus eeUe raison pro-
testante réagit et déborde, prenant pour organc:
ceux-lit meme qui avaient applaudi, avee le plus de
furcur, a la répression de la parole et de la pensée.


De quoi s'enlretiennent le plus volontiers mes-
sieurs les académieiens dans leurs díscours solen-
neIs? de politiqueo Sans la politíque, ils ne sauraienl
que dire, dans leurs conciliabules, la plupart du
temps. EL nosseigneurs les éveques, si prompts a
accuser l' esprit de revol te qui earactérise le siccle ,
que traitent-ils avec le plus de prédilection clan s
leurs mandements? la politiqueo II est vrai que
e'est pour le bien de la chose, et l'intention justifle
tout; mais il ne tient qu'anx omilles de réf16chir
it leur tour sur les instl'llctions de lel1rs pasteurs,
et de voir quel intél'el illll1lellSe, positif, l'Eglise
a dans l'état. l~t nos graves /lwgislrals, comment
se dédommagenL-ils, dans leurs mercuriales, des
longs et fastidieux ennuis de la judicaturc? en dis-
sertant de· politiqueo Eux aussi se croient obligés
d'apporter an systeme le conlingent de leurs obser-
vations I Pas une 1e<.(on donnéc au peuple, avec
l'assentiment de l'autorité, qui ne soit le dévelop-
pement d'un intéret poliliqlle étranger a l'alltorité
elle-meme. Bourgeojs quj faisiez si bon marché du
gouverncment, pourvu qu'il vous donnat l' ordre
matériel, la sécurité de la rue, savez-vous pourquoi
la confiance ne vous revien t pas { e' est que tous
tant que vous eles, et pour une inflnilé de raison5,
toutes plus décisives les unes que les autres, vous
ne pouvez vous empecher de parlcr politiqueo ta
poli tique , en effet, dans cet ambigu OU vous vivez




-7-
depuis 1830, est l'alpfw et l'omega de toutes vos
~péculaiions, de lous vos in térels, de toutes vos
jdées. Ce n' est pas Hobespierre ou Rousseau qui
YOllS dit cela : e' est la nécessité des choses, l' éco-
Ilo!llie inóluctable de la société. Pendant que vos
Itommes d'état font de l'art, vos afIaires font de la
raison; bon gré mal gré vous eles des hommes
pulitiques, qui pis est vous etes de 1'0pposiliol1.
HOflll11e de leLlres, vous vous proposez d' écrire
J' histoire? prenez garde, ce sera un traité de poli-
tique. Economiste, vous examinez les Eources de
l'impot, la composition du budget, le prix de re-
"ient d'un soldat, le morcellement de la propriété,
l'influence de la protection sur la circulation, etc.?
YOUS aurez beau danser sur la corde raide des dis-
linctions el jongler awc les rnots, votre économie
poli tique sera encore de la poli tique, toujours de la
politiqueo Philosophc, vous cherehcz les principes
du droil, oks condilions de la société et de la mo-
ralc? poli tique. Industriel, cornmel'r,ant, agricul-
teur, la nalure de vos enlreprises vous met en rap-
port perl11anent avec le domaine, la régie, l'adl11i-
nislratioll, la douane, l' octroi : tout cela est de la
politiqueo Vous ne pouvez élever une réclamalion,
adresser une plainte, proposer une réforme, sans
remuer 1<\5 fondements de l' état, toncher les secrets
de la police et de la diplomatie. Au bout d'une
question de transí t, iI Y a l' éqllílihre européen.
Les sévérités de la loi ont réduit de moitié le travail
de la librairie et de l'imprimerie : faites done,
quand la po1ilí~ue les empeche de vivre, que les
imprim<eurs ne s'oecupent pas de politíque I Vous
eles adjudícataire, concessionnaire, rentier de




-8-
I'état', quí plus que vous a l'obligation, partan! le
droil, de s'intéresser a la polilíquc'? Tant vaut le
gouvernement, tant vaut votre inscription : cecí
est l' a b e de la Bourse. Que des ouv riers s' asso-
cient pour l' exploitation cn commun de leur indus-
trie : le contrat qu'ils forment entre cux ncyous
semble relever que des codes civil et de cornrnerce;
la poli ce , non san s raison, y découvril'a une ten-
dance polítique. Qu'un particulier ouvre, pom les
escomptes de ces ouvricl's, un comptoir : Banque
du Peuple 1 aussitUt visite domiciliaire, perquisitioll
de papiers, apposition de scell0s. te prétendu
comptotr est un centre l)olitique.


Du haut de la société jusques en bas, tout ce
qui se produit, se meut, sc consomme, tienl a l'ac-
tion poli tique et peut etrc considéré cornme un;.)
fonction du gouvernemellt. Chaque individtI qui tm-
vaille, qui vend et qui acJ¡etc, est, par un certaill
coté, représentant de l' état; il participe au gouver-
nement, qui ne peut ricn sans son libre conCOUIe
et son adhésion. Il serait étrangc que dans un pa! ~
oú, par le progres des siec1es, le gouvernemen:
n'est plus en réalité que le rappport des illtél'eh';
on eút la prétenlion tl'exclure les intéreis du gou-
vernement, et de régir la nation a la maniere eL
l'autocraie de Russie ou des sultnns de Bab~-lone.


Combien ils doivent se trouvel' empechés, morlÍ-
fiés, ces prétentlus hOl1unes d' étal (J ui, sur ]a foi de6
jésuites,ont uccepté pom llloyell curati f él pris pOUl'
dogme, sous le nom d' AUTORITÉ, l'interdiction poli-
tique, de se yoil' a chaque heme, dans tous leurs
actes, soumis uu controle inévitahle des intérels,
forcés de rcculer devunt lui, et cela a l)cine de rwn




-9-
ronfiancel El cOfilme ils doivent regretter cet age
ti'or de l'autorité, OU le travail étant peu ou point
spécialisé, le COnlmerce el 1'industrie sans engre-
nage, la sciencc nuBe, la phllosophie réputée dé-
moniafIue, chaque pauvre famillc logée dan s sa
maisonnetíe et vivant du seul produit de son petit
champ, du 40is d'affouage et de l'herbc commu-
nale, le gouvernement, je veux dire l'l~glise, n' ayant
pour toute politique que la dime a lever et le su-
perflu de la population a envoyer en Terre-Sainte;
planait au-dcssus des groupes obéissanls comme la
nuée sur le dé sed l ...


Treve done, s'íl vous plalt, de vaines délicatesses
et de faux scrupules. La politique, primée, subal-
ternisée par l' économie, mais s' obstinanl a garder
une position distincte, supéricure, impossible:
voilit le secret de notre situation, el ce qui m' 0-
blige, malgré tuute la délieaiesse du sujet, a faire
en ce mpment aetede politique ... lei la forme em-
porte le fond, el quand la maison brille, ce n' est
pas le eas de chercher si. l' on est mal ou bien avec le
portier. Pendan 1 troís ans une reaclion imbécile
a preché ler restauration de 1'autorité, l'absorption
des lihertes indivieluelles dans l'étal. Le pouvoir
aclnel u'est (IUl' le premier terme de eette enfilade
eonlre-ri,volulionnnire, j'allais dire sa premiere
dupc. f)'aull'es [(,l'on! le proces it l'anfeur du coup
tl'élal, ¡acollleronl les Mystercs (h¿ 2 DJcembre,
oiront les UI',I reS iIH)¡itol/I1{¡[CS, la \l1u1tituele eles
SlIspects, les llO!!1S des "ictimes. Ponr mOl á qui
l'exil , et .i't~lI l'(~lliercit' la prison <-¡tLÍ m'a protégé
dt , s",:, 111IilüilLs, ll'aceorclt.: pas de relles franchises,
j'ohéis a d'autl'cs de"uir~ • .le ne lúisserai point,


1.




-10 -
sans exprimer auparavant mes réserves, s'ouvrir
le testament mystique et olographe du 2 décembre,
se préparer a l' étranger une restauration subrep-
tice, ou bien encore s'organiser dans l'ombre un
second essai de corruption constitutionnelle. Soli-
daire, hon gré mal gré, comrne citoyen, comme
écrivain, comme travailleur el chef de famille, des
actes d'un pouvoir que je n'ai pas voulu; convain-
eu, du reste, que dans l'événement du 2 décembre


. il Y a autre chose encore qu'un complot; n' ayant
aucune garantie, tant s'en faut, ni que la démo-
eratie, une vraie démocratie, revicnne a temps aux
affaires, ni qu'une autre révolution de palais nous
fasse jouir d'un régime plus complet de liberté; ne
me fiant a aucune notaLilité, ni princiere, ni popu··
laire, du soin des intéreis générallx et eles libertés
publiques: je reprends le cours de mes pllblications.
J'use.. en me conformant allX 10is, de ce qui me
reste d'initiative; j' adresse a mes concitoycns, et par
eux au Président de la Hépublic¡ue, mes réflexions
sur les causes qui ont amené les derniers événe-
menls, et sur les résultals que, selon moi, ils
doivent produire ; et j' adjllre saos honte Louis-Napo-
léon d'aviser au plus LOt, cal', en vérité, et pour lU1-
meme et pour nous, .i' ose Jire qu' il y a urgen ce !


Pour lui, J'abord. On dit que, semblable a l'Em-
pereur, il a foi a son éloile. Si telle est sa supersti-
tion, loin de ren raine\", je l'en félicite. Point ne
faut de lunettes pour la découvrir, ceHe étoile, ni
d'une table de logarithmes pour en calculer la mar-
che. On l'apen;oit a l' mil nH, et tout le monde peut
dire ou elle va.


Le 24 février 1848, une révolutíon renversait la




-11-
monarchie constitutiollnelle, eL la rempla<,;ait pUl'
une démocratie; -le 2 déeembre 1851, une autre
révolution suhstitue a cette démocratie une prési-
dence déeennaJe; - uuns six mois peut-etre une
tl'oisieme révolution chassera ectte présidence, et
rétablira sur ses ruines la monarchie légitíme.


Quel est le secret de celte péripétie ? les memes
propositions, reproduites en d'autres termes, vont
nous le révéler.


Ce que n'a su comprelltlrc Loui.s-Philippe, a
perdu Louis-Philippe et amené la République;-
ce que n' ont osé afflrmer les républieains, a perdu
les répuhlicains, et déeidé le sueces de Louis-Na-
poléon; - ce que ne saura procurer Louis-Napo-
léon, le perdra a son tour, et il en sera de meme
ele ses sueeesseurs autant il s'en présentera, a sup-
poser que le pays consente á payer indéfinimenL
les frais de ces vocations infidl'dcs.


Ainsi, delmis 1848,. et.ie pou"t'rais remonter bien
plus haut, un sort est jeté sur les chefs poli ti-
ques de la Franee : ce sort, e' est le probleme du
prolétariat, la substitution de J' éconornie á la poli-
tique, des intérels il l'autorité. en un mot, l'idée
social e . C' est pour cela que la mission de Louis-
Napoléon n'esL pas auLre que celle de Louis-Philippe
el des républieains. et ecux qui viendront apres lui
n'cn auront pas d'autre a leur tour. En polilique,
on n'es( pas l'héritier d'un homme, on es! le por-
teur d'une idée. Celuí quí la réalise le míeux,
e'est eeluí-la qui est l'héritier légílíme.


Qu'importe done que l'ielée soeiaJe ne souleve
plus elans la presse d'irritants débats, qu' elle ait
cessé de passionner la mulLitude, que le capitaliste




- 12-
lie croie délivre du cauchemar, llue les commÍs-
:;aires de Louis-Napoléon le félicitent duns lcms
rapports d'avoÍr terrassé le monstre, comme ces
médailles, frappees al' effigie de je ne sais pl LlS
quel césar, le glorifiaient d' avoir lPboli le nOlll
chrétien, nomine christianorum de/eto; qu'importe
tou! cela, dis~je, si, en eroyant frapper le soeia-
lisme on n' a fait qu' en repercuter ]e venin; si la
pensée qui errait a la surfaee a gagné déja les par-
ties nobles; si le pouvoÍr qUÍ devait l' écraser n' ex-
prime, en résultat, par ]e fait dc son institution,
par ses besoins, malgré ses prolc_statíons officiel!es
et ses proscriptions o ol'fieieuses, que le socialisme,
l'absorption de la politique dans l' économie; sí
Louis-Napoléon, dans les plus importanls de ses
décrets, manifesle la lcndance irrésistible qui le
pOllsse a la révolution sociale?


Non, le socialisme u'est p~s vaineu, puisqu'il
n'est pas résolu; puisqu'il n'n rencontré juSqu'il
présenfque des injurcs e t Jes buoionneHes; puisqu 'ji
n'est pas un intérct qui ne l'exprime; puisque le
gouvernernen t du 2 décem hre, apres l' avoir pros-
crit, a dti se poser eornme son interprete; qn'jI
lui emprunte su popllbl'ité, qn'jI :c:'inspire de ses
solutioIlS, qu'il ne seJ1lble l'elenu lluC par le désjr
de concilier les intércfs exislallls ayee celi x (¡U 'il
voudrait cl'éer; puisqn' t'11 un mol, 1]' apri's cerl;¡; n~
r.1pporls am .. 4ue!:" il esl P¡'flllis ¡l'ajulllt't' 'llt,·1.il·t:
créan~e, ~L':1l115-~apo:é()n serait ie pir'e, il,.;ons. :'1
YOUS voulez, le premie!' des so¡;Ínlistcs, lo rlc!!liel'
des h'lllllléS de ~[omemementl Est-ce done LO\018-
Napoléon ljuí fel';1 la révolutioll sociale? est-ce ié
petil-fils de Charle:. X, ('oel¡¡i de Louis-PhiJippe, ou




-13 -
tel autl'e qu'tl vous plaira'? car en vérité nous ne
pouvons plus di re le soir par qui nous aurons l'hon-
neur d' etre gouvernés le matin. Que nOllS importe,
encore une fois, le nom du personnage el Le meme
astre les régit tous, et notre droit vis-a-vi~ d' eux reste
le meme. Badauds, qui demandiez en 48 quand
cela flnirait 1 qui avez tout livré, Constitution,Li-
berté, Honneur, Patrie, pour que cela finIt, vous
voila relancés dans une autre aventure 1 Vous croyiez
loucher au débarcadere, vous n' étiezqu'a la station.
Entendez-vous le simet de la locomotive? Croyez-en
un homme que votre journal favori, le Constitut:íon-
nel, a hreveté prophete ; laissez a11er le convoi, aÍ'~
rangez-vous dans votre coin, huvez, mangez. dor-
mez et ne soufflez mot I Car, je vous en avertis, si
,ous continuez a crier el rager, le moins qui vous
puisse advenir sera d' elre jctés sous le wagon.


Que si telle pst en France la condition du pouvoir,
que, s'il ne ::;ait, ne peu! ou ne veut servir la révo-
lulion, se l1létamorphoser lui-n,eme, il est balancé
par elle, flu' avons- n01ls de mieux a faire, socialistes
et non-socialistes, radicaux et Illodérés, que d' étu-
diel' sans relachc l'immense probleme, de chercher
la concilinlion de nos idées, le rapport de nos inlé-
r~ís, et, sans altenure que des chefs r1us aimés nous
<irrivenl, d'cxcrccr eles maíntcnant sur le pouvoir,
'iLicl (111'11 soil, la pressiml1égilime, incessante, de la
sl'iellce el dli drui! 1 Qne L()uís,Nap¡)I¡~on, puisqu'íl
est en ligne, dC-í icnne, s'i/ yeut, par le mandat ré,'o-
lutiOlmaire qu'il ~'('¡;t donn6 le 2 déeembre, plus
p;J'lti Hl q1le ne fu l l' ¡~lll Iil~tnll'; '1'I' il actomplisse
I (k'U\re ¡1u dix-ncuviéme siécle; smtout qu'il ait
l'urglleil de ne r¡en lai.-:¡;(-;¡' i\ faij'(' Ú ~lln ~lJ(~(~esseur,




-14 -
et qu'apres luí la nation rendue a elle-meme, forte-
ment constituée dans son économie, n'ait plus a re-
dauter, de la part d'un parti, d'une secte, ou d'un
prince, ni usurpation, ni restauration, ni dictature ;
qu' elle puisse dire adieu a la raison d' état : et je ne
serai point, quant a moi, détracteur de Louis-:\:apo-
Jéon, Je ferai le décompte de ses t01'1s envers Ja dé-
mocratie au fur et a mesure de ses sen'ices; je lui
pardonneraison coup d' état, et lui rendrai grace
d'aváir donné au socialismo certitud e et réalité.


Mais que parlé-je toujours de socialisme? Je vou-
drais que ce sobriquet el'origine conlre-révolntion-
naire, que le peuple accepta en 1~8 comme il al'ait
accepté en <,)3 ce\ui oe sans-culutlc, e\ qui rend tout
aussi mal l'idée du siecle, eút fait son temps. La
période d'agilation (In'il exprimait est finic, et la
question souJevée par luí teIlemcnt posée qu'aucun
ordre du rour ne }' écarteraplus. Sans In. persécu-
lion dont il est le prétexte, j'abandonnerais, pent-
etre, ce mot de passe de la révolulion économir¡ue,
qu'affectionnent pour le besoin de leurs calom-
nies les écrivains de la réaction, grands publicistcs,
qui en pleine marche révolulionnaire nienl la réa-
lité du mouvement. Pendant que les regraUiers oe-
cupent la foire, soldats de 1'avant-garde, pionniers
infatigables, ne Jaissons pas faiblir l'étude, et jeú-
ner l' opinion. L'hisloire de l'humanité csl l' his-
toire des armées, a dit le neveu de l'Empcreur :


En avant la trente-deuxieme,
La trente-deuxieme en avant l




n.


SlTUATlON DE U ~'RANCE AU 24 F~;VRIER 1848. '


n y a des gens qui, á propos du 2 décembre,
commentant la Decadcnce des Rumains, vous disent
le plus sérieusemenl (Ji¡ monde: ta natíon fran-
«;aise est corrompuc, dégénérée, luche. Elle a trahi
sa mission providentieJIe, renié su gloire. Il n'y a
plus ríen a altendre d'elle : qu'une autre prenne
sa place, el re90Íve sa couronne !


Bcaucoup de Fran~ais répetent ces sottises, tant
ils sont prompts á médire d'eux-memes!


D'autres, affectant un air hippocratique, accu-
sent le socialisme. C'est ]e socialisme, assurent-ils,
qui a perdu la démocratie. Le peupIe, de lui-meme,
était plein de hon sens, pUl', vertueux, dévoué.
Mais son ame a été matérialisée par les préd!cants
de socialisme, son cO?ur d¿sintéressé de la chose
publique, délourné de l' action. C' est par l'influence
de ces idées léthiferes qu'il a pu se tromper sur la
si gnification du coup d' état, baitre des maios a la
violation de l' Assemblée, a l'arreslation des géné-
raux. OIl lui avait appris a mépriser ses représen-




- 16-
tanls : il a Illanqué a Jeur appel, et dans le guet-
apens du 2 décembre, il n'a vu qac le rétahlissement
de son droit, le suffrage universel.


Le citoyen ~lazzini, l'archange de la démocratie,
s'est fait l'éditeur de ceUe opinion.


Voici encore, sur le meme événement, d'antres
variantes:


!3'est la gauche qui a assnré le succes du coup
d'Etat, en votant, le 17 novembre, contre la pro-
position des questeurs.


e'est la presse de l'Elysée qui a effrayé de ses
récits la bourgeoisie, et retenu son indignation.


e' est l' armée, féroce et vénale, dont l' attitude a
désespéré le patriotisme des eitoyens.


e' est ceci, e' est cela!' ..
Toujours les grands événements expliqués par les


petites causes 1 Aussi l'étranger, prenant acte de ces
misérables défaites, ne comprenant point qu'une
masse de 36 millions d' hommes se laisse, en un
HH'lme jour, mystifer el museler, sime sur notre
natioil, el il. son tour la proclame déchue. Ccux guí
ne nous connaissent point, qui ne savent de qllelle
révolution la France est en tl'avail, ou qui ayant
entenuu vaguement parler úe celte révolution, la
jugcnt aussi absurdc que nos eonscrvateurs, jeltent
le sal'casme a ecHe race, éllle entre toutes, et la
youenT a J'opprobre. L'Anglais, déguisanl mal sa
joie, dévorant d'avancG nalre lerritoire, l'ougit de
notre m enture ; l' Américain, avec son insolen ce
d'affranchi, crache sur nolre 110m; l' AJlel1land
métaphysique, le Hongrois féodal, \' Italien bigot,
l'un apres l'autre, nOl/S clouen! au pilul'i. TancEs
que le Saint-Pére nous fail baiscl' ses muJes, voici




-17-
le pl'ophete Jlazzini qui nous pl'ésente l'éponge de
fiel, el prononce sur nous le Conswnmatum cst f
Quel triomphe, dans toute l'Europe, pour l'envie'
et quelle le¡;on a la postérité! La France de 1848,
la fille de 92 ct de 1830, eh bien! eeHe F mn ce
émancipatrice, un moment adultere, met au monde
le socialisme; et tout aussitOt elle trahít les natio-
nalités, elle assassine les républiques, s'agenouille
devant le cadavrc de la papauté, embrasse le fan'-
lom~ de la tyrannie, et meurt l ...


Oh! si je n'avais cju'a répondre a des pédants
igllares! s'il ne s' agissaít pour moí que de flageller
une fois de plus ces mystagogues, sycophantes des
révolutions qu'ils n'ont pas prévues et quí les dé-
passent 1 ••• -Mais un devoir plus séríeux me com-
mande. II faut justífier ma natíon devant l'histoire,
lui oler ce poids d'infamie, dont ses rivales esperent
l' écraser. Un seul jour de remords pom la France I
e' est cent mílle fois plus que la passion de l'Homme·
Dieu ... Oublions done tous, s'i} se peut, nos griefs;
raisonnons de ~a!lg-froid, repassons les faits et le~
eauses. Que l'histoíre, nous montrant dans nos er-
reul's les canses de nos défaites, nous apprenne enfin
11 les réparer. Qu'au feu de l'adversité disparaissent
panni nous les partis et les sectes; que l'intolérance
~oit Hétrie, qu'on n' estime plus que la liberté!


te 2!dévrier 1848, une poignée de I'épublicains,
franchissanl les limites de la protestation hour-
geoise, renverse le trone et ditau peuple: Sois libre I


C'était hardi, cela aurait élé sublime, si, avec
rnoins de mouération el d'honnefeté, je le ferai voir
tont i.t l'heurc, avec moins d'égards pour les préju-
gés du pays, avec moins de religion démocratique,




- 18-
les auteurs de ce coup de main, tenant plus dI?
comptede leur position que de leur príncipe,
avalent voulu profiter de leur succes pour engre-
Her la Réyolution. Qu'ils sachent lous, néanmoins.
(ju'en rappelant ici leur timidité, je ne lenr en fais
aucun reproche, et puissent-ils eux-mernes n' en
éprouver pas plus que moi de regret! Au líen de
pl'ésumer, comme d'autres, la volonte nationale,
ils ont préféré l'atlendre; leur premier acte a été
de mettre en pratique la théorie qu'ils venaient de
faire triompher, au rísque d'en perdre bientOt, par
l'incapacité de la multilude, tout le fmil : aUClln
bliime ne peut les frapper. Et si, en présence des
faits qui ont suivi, on se prend a regreUer, par 1110-
mCllts, que des chefs populaires aient pousse aussi
loin la foi poliliquc, ces memes faits, nécessaires
d'ailleurs a ]'écIucation nalíonale, nc font que rele-
ver cIavantagc leur verlu.


Que signifiait cependant dans la bonche des
hommes de février, ceLLe paroJe si vaste, adressée
au penple, Sois libre? quelles étaient les chaines
r¡ue nOU5 avions iI romp1'e, le joug qu'il fallait hri-
ser, l' oppression dont nous devions disperscr les
ressorts"7 sur quoi portait en fin ceUe effusion de
liberté qu' on an non«;¡ai t?


Car toute révolulion est, par cssence, négatiyc :
nousverrons meme qu'elle ne peut ni ne doit etre
jamais que cela, CeHe de 89, cIans ce c¡n'elle a eu
de déci"if, de.réel et d'acqnis, n'a pas été autre
chosc. Yavaít-il donc pour nous matiere a négation,
en février? restait··il quclque chose a abolir, on
bien n'avions-nous qu'a améliorer? Dans le pre-
mier cas, pOllrquoi cctte abstention du Gouverne-




-19-
ment provisoirc? dans Je second, pourquoi avair
chassé Louis-Philippc, el que signifiait la Républi-
que? Ou les chefs de la Démocratie trahissaient, en
gardant le stalu quo, leur mandat; au bien ils
avaient agi sans mandat, et il ne fallait voir en eux
que des usurpateurs : impossible, ce semble,
d'échapper a ce dilemme.


e'est ici que commence le martyre des fonda-
leurs de la République : car, comment supposer
qu'ils aient ignoré le but de lcur entreprise? Mais
ils n'onl pas osé, i1s ne pOllvaient pas oser 1 ... De
lü, l'appel au peuple, el se¡; trisles résultats.


n existait en France, au 21~ février:
1. Un clerlje organisé, comprenant environ


50,000 pretres el aulant d'jndiviuus des deux sexes
répartis duns les maisons religiellses; disposan t de
300 mil1ion5 de propl'iétés, sans cOlllpter les égli-
ses, biens curiaux, le casucl, le produit des dis-
'penses, inelulgences, collectes, etc.; organe, présu-
mé indispensable, de la mor'ale publique et privée,
exer~ant a ce litre sur tou! le pnys une influenee
occulle, el'aulant plus redoutablc par eette raison,
el en bien des eas irrésistibh.


2° Une armec de !~OO,OOO homIlles, disciplinée,
dépaysée, sans relations avec les gardes nationales,
qu'on lui apprenait a mépriser, et a lit dévotiol1 e11-
tiere dl! pouvoir, seul jugó capable de gareler le pa}s
et de le défendre.


3° Une ccnlralisario/t wlminülrativc, mailresse
de la police, de l'instruction publique, des travaux
puhlics, ele l'imput, de la douane, des domaines ; oe-
cupant au dela de 500,000 fonctionrraires, salarié s




-:lO -
des eUllllllunes el de I'élal; tCllilnl dans sa clépen~
dance. directe au indirecte, toute propriété, toute
industrie, tout art mécanique ou libéral; ayant par-
taut la haute main sur les personnes et sur les cho-
ses; !.:ouvernant tout, el ne laissant aux cantribua-
bIes ~Íue la peine de pruduire et de payer l'impot.


4° Une mayislraturc forlement hiérarchisée,
étendant a son tour, sur les rapports sociaux et les
intérels privés, son inévilable arbitrage: Cour de
rassation, Cour d'appel, Tribunaux de prerniere In-
stance et de Commerce, Justiccs de paix, Conseils de
prud'hommes, etc. : le tout en parfaite intelligenee
avec l'église, l'administration, la police et l'armée.


5° Cet j nlluense organisme, servant il la fois de
moteur et d'instrument il l'aclion co11ective, alt1-
rant san s cesse 1l lui la furce et la rlchesse du pays,
Imis grands I'AHTIS s' en disjlUtaient la direction, et,
jaloux de procurer le bonhcur de la patrie, trou-
blaient, déchiraient son seín de leur arden te com-
péti tion. C' étaient : le partí légitimiste, représen-
tant la branche ainée de Bourbon, el· jusqu'a
rertain point rancien régime; le partí orleanisle,
représentant des illées rOllstitutíonnelles; le parti
républicain. Ces lruis partis se subdivisaient a leur
tour en plusicurs llUtlneeS : en uehors, le parti
bonaparliste, quí allait reparaltrc, cnfin le partí
socialistc, quí (kvait attirer sur lui la malédiction
rte ton s les alllres.


6° Quanl ti la NATION, parfaitement homogellc
au point de vue juridique, elle se divisait, sous le
rapport des intérets, en trois catégories principales,
que nous essayerons, comme suit, de ,définir:


La Bourgeuisie. Je range dans cette classe tout




- 21-
ce (lui vit d u reven n des capi taux, de la l'ell te des
propriétés, du privilége des offices, de la dignité des
emplois et sinécures, plutM que des produits effectifs
du trdvaiJ. La bourgeoisie moderne, ainsi entendue,
forme une espece d'arislocratie capilalisle el fon-
ciere, analogue, pou]' la force numérique et la naturc
de son patronage, iJ. l'ancienne noblesse; disposant
pl'esque souverainement de la hanque, des chemins
de fer, des mines, des assurances, des transports,
de la grande industrie, du llUut commerce, et ayant
pour base d'opérations une delle publique, hypo-
thécaire, chirographaire et commanditaire, de 20 a
25 milljards.


La Classe moyenne.Elle se compose des entrepre-
neurs, patrons, boutiquiers, fabricanls, culliyateurs,
savanls, artistes, etc., vivant, comme les prolélai~
res, el a la différence des bourgeois, beaucoup plus
de leur prodnit personnel que de celni de leurs ca-
pitaux, priviléges el propriétés, mais se dislinguanl
du prolétariat, en ce qu'ils travaillent, comme 011
dit vulgairement, il. leur comple, qn'ils ont la res-
ponsabilité des perles de lenr étal eomme la jouis-
sanee exclusive des bénéfices, tandis fIue le prolp-
taire travaille iJ. gag e et moyennant salaire.


Enfin, la Classe oUl:ricre ou Proldariat. C' est celle
quí, vivant cornme la précédente plus de son tra-mil
et de ses services que de ses capitaux, ne pos:;ede
aucune initiative industrielle, et mérite it lous égards
la qualification de rnercenaire ou sala,riée. Qnelqups
individus de cette classe, par lellr talent el lcm ca-
pacité, s' élevent iJ. une condition el' aisance a laquelle
souvent ne parvicnnent pas les entl'epreneurs el
patelltés; de memp que parm i ef'S derniers, quel-




- 22-
ques-uns obtiennent des bénéfices qui dépassent de
beaucoup le revenu moyen des bourgeois. Mais ces
inégalités, tout inJividuelles, et qu' on pourraít con-
sidér~r presque COl1lme des anomalies, n'affectent
point les masses; et coml1le la classe moyenne, com-
posé e en général des producteurs les plus habiles
et les plus énergíques, demeure {ort au-dessous,
pour la sécurité et les garanties, de la classe bour-
geoise; de meme le prolétariat se compose d'une
multitude pauvre, sinon misérable; n'arant toute
sa vie du bien-etre que le reve; connaissant á peine,
enbeaucoup de lieux, l'usage du blé, de la viande
et du -vin; chaussé de sabots, vetu en toute saison
de coto n ou de toile, et dont un grand nombre ne
saít pas lire. Les éconol1listes ont pei nt, en traits
érnouvants, la misero du prolétariat; ils ont prouvé,
jusqu'á l'évidencc, que dans cettc misere était la
cause de l'afl'aiLlissement de la momlité publique,
et de la dégradation de la race. La France est le
pays de l' Europe OU se trome le plus grand écart
entre la eivilisation et la barbarie, OU la moyenne
d'instruction est la plus faible. Tundis que Paris,
centre du luxe et des lumicres, passe á juste titre
pour la capital e du globe, il est dans les dépar-
tements une foule de locaJilés OU le peuple, a
peine affranchi de la glébe, et déjá. corrompu
par le salariat, semblc avoir rétrogradé sur le
moyen age.


Le pays compte au dela de 36 millions d'habi-
tants. Son produit annuel est d'environ 9 millíards,
dont un quart sert a payer les frais d' état, église et
autres {onctions appelées improductives ou parasi-
tes; un autre quart appartien l 11 titre d'intérct, rente,




-·23 -


loyer, di,iJentle, agio, commissiol1, hénéfice,e!c.,
aux propriétaire.'i, ea¡í1talistes et en!repreneurs; ce
qui Jaisse pOUl' la classe travailleuse, en y compre-
nan! ceux de la classe moyenne qui ne réaJisent
pas de bénéfice, el e' est le grand nombre, un re-
venu ou salnire qu'on peut évaluer a 4,1 centimes
par tete et par jour, et qui duns les cas extremes est
au-dessous de j 5


TeIles étaient les choses au 24 févríer, et tel
é!ait leur rapporL. Nous vrrrons tout a l'heure quel
mouvement ce rapport devait engendrer : bornons-
nous a constater aquel résultat, en J'absence
d'idées positives, il avai! conduit nos hommel' d'état.


Toute la fo¡;ce de cctle nation, abstractioll
faite du territoíre et des haLilants, ce qui consÜluc
son importance comme organe polilique et fonction
dan s l'hulllanilé, luí "jent done unÍquement de
sa féodalilé gouvernemelllale et Lourgeoise. Le peu-
pIe, la masse servilc, exploitée mais non organisée,
est sans ,alcur polili(JlIe. SOI1 role es!, a peu de
chose pres, celui de I'csclavage ~hez les aneiens.
Supposez pour un instanL la }1iérarchie qlli le con-
tient el le met en iBuvre, déLruite; le pouvoir
anéanti, dans son personnel et ses emplois; la
bourgeoisie exlerminée, ses richesses partagées;
supposez celle multitude, indigente el illetLrée, bar-
Lare si ron vellt mais non pas vile, uevenue mai-
tresse par un coup d~haguette révolutionnaire, pas-
sant le niveau sur I'Eglise et sur l' état, et réalisant
a sa maniere la paraLole de Saint-Si1110n, comme
elle aurait tres-Lien pu s' en donner le plaisir apres
le 24 février : aussiLot, et jusqu'it nouvelle organi-
sation, la France, dépouillée, 1:0111111e Samson par




- 24-
Dalila, tle sa chevelure, n' est plus (IU' une mfl~se
inerte, a l'état chao tique ; il ya bien une III11liél'c
sociale, iI n'y a plus de sociéLé.


Ainsi le peuple franl)ais, dans ses masses pro·
fondes, ave e la centralisation qui l' enserre, le clergé
quí le preche, l'arméc qui le survcille, l'ordre ju-
dicíaire qui le mcnace, les partis qui le tiraillent,
la féodalité capitaliste et mercantile qui le possede,
ressemble a un criminel jeté au bagne, gardé a yue
nuit et jour, avec coUe de mailles, camisoJe de
force, chaine, carean, une boHe de paille pour lit,
du pain noir et de l' eau pour toute nourriture. OÍ!
et quand vil-on une population mieux garrottée,
serrée, genée, mise a une diete plus sévere'! Les
Américains, qui n'ont ni elergé, ni police, ni cen··
tralisation, ni armée; qui n'ont point de gouver-
nement, dans le sens que l'ancien monde atlache
a ce terme; qui ne savent que faire de leur bétaiJ.
de leurs farines el de leurs terres, parlent de nous
fort al'aise 1 Nous portonsdepuis des siecles un poids
qui en moins d'une génération aurait écrasé ton te
autre race; el telle est notre misere, que si on n01l5
ote ce poids nous ccssons de vivre, si on n01ls le
conserve nous nc pouvons pas exister. Voila ce qu' it
fait de nous la politique, la raison d'état l. ..


Certes, jamais occasion plus helle ne s'ofl'rit a
des révolutionnaires. Tout le monde, la bourgeoisie
elle-meme, le sentait. 11 répugne que la société ne
soil autre chose que l'immolation systématique du
grand nombre au plus petit, quand ce grand nom-
bre se compose d'individus de meme sang, doués
d'aptitudes identiques, capahles enfin de devenir a
leur tour, par l'instruction et le I.ra,ail, aussi sa··




- 25-
vants, aussi artistes, aussi puissants inventeurs,
aussi grands capitaines, aussi profonds hommes
({'Etat, que leurs cousins de la classe gouvernante
et hourgeoise.


Je n'ai nulle envie de rallumer des discordes
éteintcs. Je sais que je n' écris point un article du
Representant du Peuple, qu'il n'y a plus de multi-
lude qui me lise, et que je remuerais en vain ce
foyer qui n'est que cendre. La classe la plus nOlll-
hreuse et la plus pauvre, eette grande armée du
sufTragc universel, que nous avons essayé d'afTran-
ehir par sa propre initiative, a donné par deux fois,
au 10 décembre 1848 et au 20 décembre 1851,
llne réponse telle que la comportait l' état de son
ame, la poésie de ses souvenirs et la naIveté de ses
~entiments. Le peuple franr,ais, pour quelquc temps
encare, entend qu'on le gouverne, i1 ne m'en coute
rien de l' avouer, et il cherche un hom me fort I 11 a
dévoJu sa souveraineté au nom qui lui représentait
la force: quelle idée d'avoir vouIu faire, de cet en-
faní, un souverain ! quelle fiel ion lamentahle dans
la séric déjit si longue de nos flctions! ... .le n'ap-
pcllerai pas de ce plcbi~cife, r¡ui me met a l'aise, el
.ie n'entends en aucune far,on infirmer le vote du
20 déeemhre. Le peuple, si ce n'esf par raison, au
llloins par instinct, SAIT ce flu'il fait; seulement ce
qu'iJ sait n' est pas a la hauteur de ce que nous, les
gcns de la classe moyenne et les bourg~ois, nous
53\On5. Ce ne sont pas les actes du peuple, parfai-
tement auLhenliques, quoi qu'on dise, et trop faciles
a prévoir, que .ie discute. Je me demande: Com-
menl, au 2Mévrier, les chefs de la démocratie ont-ils
rési¡;,;né lems ponvoirs entre les mains d'un pareil


2




- 26-
peuple; et commenL celui-ci, a son tour, a-t-il
trompé les espérances des démocrales?


eette question, qui renferme le secret des événe-
ments postéríeurs, et quí, apres tout ce que l' 011 a
dit el écrit depuis quatrc ans, est encore toutc
neuve, on me pardonnera de la traiter avec une
certaine dilígence.




nI.


DESIDERATA DE LA RÉVOLUTlON AU 24 FÉVRIKR.


L' édueation des peuples, dit Lessing, est eomme
eelle des individus. Chaque progres obtenu dans
eette édueation amene la suppression d'un organe
éducateur, et se résout }lour le sujet en accroisse-
men t d'indépcndal1ce, cessalion de discipline.


La révolulion éeonomique et anti-gouvernemen-
talt·, en vue de laquelle on avaitrenversé la monar-
chie constitul:ionnelle, appelé dix millions de Fran-
~ais a l' exereiee des droils poli tiques, eréé la plus
immense anarehie dont l'histoire fournisse l'exem-
pIe ;eette révolution, si grosse déja de préparatifs,
nepouvaitdoneeonsister, d'unepart, que dansl'abro-
gation, partiellc ou tota]e, en tout cas progressive,
des grands organismes qui a r origille des soeiétés
s('nirent a dompter la natme rebelle des peup]es;
en second licuo dans l' extinctlon des dettes, la pro-
pagation du bien-ctre, la transformation de la pro-
priété, l'i!nnihi]ation des partis, enfin, et pour dire
tout d'un seul mot, l' éducation soeiale et égalitaire
des masses.




- 28-
Ainsi la re!igion, :;ymLolíque de la suciété, fut


de tout temps la premicre manifestation intellec-
tuelle du peuple ; le sacerdoce, son premier maitre.


San s que la révolution témoignat la moindre
haine pour le culte, il y avait líeu de se demande!',
en 1848, si, d'apl'es le príncipe de la liberté reJi-
gieuse el le pl'ogres de la raison pul)\i(jue, on llevait
enfrelen!r plus longfemps, aux frais de la natían,
un corps aussi redoutable tIlle le clergé; si le temps
n' était pas venu pour la sociélé fran~aise de COID-
meneer la renonciation au culte, considéré cOl1lme
principe de morale et instrument d' ordre; s'il ne
convenaít pas ~ cette heure, dans l'intéret des
meeurs elles-memes, et san s dogmatiser aucune-
ment, de transporter l'autorité religieuse au pere
de famílle, comme on venait de transporter l'auto-
rité politique au citoyen; d'apprendre aux masses
que la priere n' est qu'un supplément de la ré-
flexion, a l'usage des enfanls et des simples; les
sacrements et les mysteres, une allégorie des 10Ís
sociales; le culte, un emblCme de la solidarité uni-
verselle; de leur dire, enfin, que l'homme qui n'a
de verLu privé e , de fidélíté aux engagements, de
dévouement a la patrie, que par crainte de Dieu el
peur du bourreau, loin d' etre un saint, est luu l
simplement un scélérat?


Car, si 1'0n continuait de penser, avec quelque~*
uns, que le peuple ne peut se passer de culte; que
s'il ne va plus a la messe, il dévastera les campa-
gnes, brulera les granges, pillera les magasins;
qu'en admetlant meme, comme fait notoire, la dé-
cadence du catholicisme, la seule conséquence á
tirer de ce fait serait de remplacer la religion offi-




-<"29 -
cicHe par une autre plus en harmonie avec les
besoins et les idées, nullement d'abandonner un
si grave intéret a l' arbitre des consciences; Cj 11' en
atlendant il était de Lonne poli tique d'appeler les
pretres a la bénédiction des drapcaux de la liberte
et aux funérailles de ses martyrs; sí, dis-je, tel
devait etre le jugemellt de la démocratie sur 1'ime
portan ce des cultes, alors on avait eu tort de chasser
la dynastie d'Orléans; il fallait s' en tenir a la ré-
forme demandée par M. Duvergier de Haurane,
appuyer simplemcnt :MM. Odilon Barrot et Thiers.
La théorie démocratique de la liberté est incom-
patible ave e la doctrine théologique de la grdce :
il faut choisir entre Augustin et Pélage, deux mai-
tres qui s' excl}lent réciproquement. Point de révo-
¡ution dans l' Hglisc, point de républiquc dans l' état.


Pour moi, j'avais une lclle foi dan s la moralité
du pcuplc , ma'gTé l'influence délétere du paupé-
risme, que je Jl' eusse poin t hésité a appuyer la
liberté la plus entiere, et en respectant les c1'oyan-
ces individuelles, a mettre définitivemcnt la re1i-
gion hors de l' état, e' esl-a-dire d' abord, 110rs du
hudget. Et certes, l'oninion des clwfs de la démo-
cralie sur l'il1lpürlan


1


ce ull~rieure des idées 1'e1i-
gieuscs ne peut non plus elre un dou(e pour pcr-
son!lc: leul' Jll'incipc 1cm Jófcndalt d'avoir du
peuple lIne ()pi\\io\l ~i déf!;r<Hhnlc.


}iais ils n" osen:Jll Ü>:;W,](;)' la resp.-,mabiiité cl'une
déeisiull al!~~i gra\e; jis Cl'urent dcvoil' en référe1' a
la nalion. NOlls ¡le :':OnllllCS pas le souverain, pen-
sillenl-ils; la religioll est une de ~,es propriétés; jI
ne 1l0US apparlieul pus de pr~:juger les dispositiol1s
de Sil cunseiclll'e, CIWUl'C Illoins cl'attirel' Sllr la ~lé"


2




- 30-
mocratie la réprobation qui de toul temps s'est atta-
chée aux athées /. .. Le peuple, l' Assemblée na-
tionale, décidera.


C' est ainsi que les souvenirs sanglants el ob-
sc<mes de l'hébertisme arrClerent le par ti répuhli-
caín sur la pente de la liberté. Le passó de la
Révolulion écrasait le vrésent : oy, la question
renvoyée au jugement populaire, l'Eglise élait sure
du triomphe.


La meme chose devait arrivcr pour le gouver-
nement.


Qu'esl-ce que le gouvernement dans la soeiété?
Le maillot, si j'ose alnsi clire, d'un pcuple au ber-
eeau; apres le culte, l'organe principal de l'éduca-
tion des masses; aux époq urs d' an tagonisme, l' ex-
pression armée de la force collective.


Déja le prohleme de la réduclion iI opérer dans
le romoir central avait été posé en 89. A moitié
résolu par la formation sponla9ée des ganlcs na-
tionales et les fédérations de provinces, il avait
rendu possihles les journées des J ¡ juillet, 5 et 6
octobre, et 10 aout. C'rst sous )'influencc de ce
principe que la :France tout cnli&ro ful révoluLion-
née pendant les années 80, 00, 01,92, etjmqu'au
31 maí 93; que se formerent les bataillons de vo-
lontaires, et que le pellplc se len en masse sous la
terreur. Affirmé, quoiquc ohscllI'érnent, par le
parti de la Gironue, cODlhatlu á la ftlis par les
royalistes de l'assemblée el par la Monlagne, il
succomba dans ~a guerre civile allumée par la
journée du 31 maí. 011 peut dire qu'il dater de
eeHe époque la France a élé rayée de nomean de
la liste des nations libres; en changeant de gouver-




-31-


nement, elle n'a plus fait que changer de tyrannie.
n~sorganjsée , désarmée, muselée, san s point de
ralliement, sans cohésion d"intérets, ailleurs que
dans l' état; ne reconnaissant d'autorité que ceHe
du centre; accoutumée a le suivre comme le soldat
suít son chef de file, elle a perdu jusqu'a la notion
de son indépendance et de ses droits. Depuis
soixantc ans en" assiste aux tragéd ¡es de son gou-
vernement, réduitc, IlOur toute initiative. a pour-
suivre ses maltres tour a tour de ses vceux et de ses
maIédictions. Toul,e actíon propre luí est otée;
toute tentative I)Our la ressaisir et que n' appuie pas
1'un au moíns des pouvoirs constítués, est réprimée
a l'ínstant et ímpitoyablement.


Cest ce dont on peut juger d'aprés le tablean
de nos révolutions, pendant les soixante-quatre
derniéres années.


ANNALES DE LA LIBERTÉ, EN FRANCE,
DU 24 JA~VIER 1789 AU 24 FEVRIEII 1848.


1789. - '2 El janriel'-4 mai. - COll\'oealion des États-gé-
néraux, rédac.tion d('s cahiers. La nation appelée a la vie
politique, fail ponr la premiere fois aete de volonté, ex-
prime ses intentions, et nomme ses représentants.


'20 juin. - Serrnent du Jeu de Paume : l' Assemblée des
représcntJllts se déelare souverainc, el supérieure 11 la pré-
ro¡;aliye I'oya!r.


1l¡ iuillet. - te penple appuie ses représentants; la
rO)'3uté est subaltcrnisée ; les gardcs nationales sejédéralisent.


1790. - 14 jlt,:[[cl. - Grande (édération; le roi prete
scrlllcnt a la nalÍon; la nation jure par la Révolution.


17(¡'1. - 14 juillft. - Nouvelle {tJderation. La nation
pardonne au roi : ELLE commande, IL exécute.




- 32-
1.792. - 10 aoút. -La royauté nepouvant supporter sa


condition ínférieure, conspire contre la souveraineté natio-
nale. Elle est vaincne : la nalion se forme en Convent'ion
ponr fonder une RÉPUBLIQUE. .


1793. -31 mai-2juin. - Réaction de l'idée d'aulorité
contre l'idée de liberté. La raison d'État, sous le nom de
Répuhlique une et "indivisible, triomphe de la raison dll
Pays, aCCllsée de (édéralisme. Le peuple appuie l'unité : la
nation est remise sous le joug pal' les Ja~bins. Commence-
Inent de la terreur.


lei finit la période de liberté, inaugurée par la
r-onvocation des Etats-généraux.


179lJ.. - 2lJ. (évrier-a am'il. - Élimination des Héher-
tistes et Dantonistes par.la faction de Robespierre. Le pouvoir
se concentre de plus en plus.


27 - 28 juillet (9 thermidor). - Le pouvoir incline a la
dictature d'ull seu\. Révolution de palais, OU Robespierre
est vaincu par ses collegues du comité de Salut publico
D'abord, la population n'ose s'y fier, et le triomphe de la
Convenlion para!t douteux, tant le triUlmir avait su étein-
dre la faculté politique dans les masses. Peu 11 peu les Pa-
risiens se pronollcent; Robespierre est guillotiné, et le
pays, échappé de cette tyrannie, retombe sous celle des
thermidoriens.


1795. _1" avril-20mai(12 ge'rminal-l er pmirial).-
Insurrection du pcuple de Paris contre les réactcurs de
thermidor. Comprimée par l'autorité conventionnclle.


5 octobre (13 1iendérniaire). - La désalTection (';jt au
comble. Si les électious dcmeurent libres, les royalistcs
seront nommés en majorité, el ce sera fail de la Hépl.lblillue.
Une loi , dite du 13 fructidor, ordoune done que les deux
tiers des représentants scront choisis panni les lllcmbres de la
Convention. B.évolte des sections : écrasée par Bonaparle.


1797.-lJ.'septembl'e (1.8 {nwtidul').-De lIouvelles élec-
tions amenent une majorilé royaliste. Coup d'état du Direc-
toire, appuyé par l'armée el les jacobins. La constitutioll
est violée, la représentation mutilée, et la Ilépublique im-
molée pour la se conde fois par ses défel18eurs.




- 33-
1799. - YllOnm.úre (1t> úrumaire). - Hévolution de


palais, au profit de Bonaparte. La nalíon, qui n'a pas été
eonsultée, se tait ou applaudit.


1814. - Am'il. - Révolution de palais, au profit des
Bourbons, revenus ;\ la suitc de l'étranger. La nalioll balue
ses prinees, qu'cllc ne connaissait plus.


1815. - Man. - Conspiratíon militaíre et révolutiún de
palais. Une partie de la nation bat des mains au retour de
l'Empereur.


J/tillet. - 2e restauratÍon des Bourbons, par la faveu!'
de l'étranger. L'autre partje de la nation, qui avait gardé le
si!enee pcndant les cent jours, prend sa revanehe d'applau-
dissements, et les proseriptions commencent.


1830. - Juillrt. - Un conflit s'éleve entre les grands
pouvoirs de l'Í~tat j le peuple de París appuie les 221 ; le
maréchal Marmont retire les troupes. Révolution de palais,
au proflt de Louis· Philíppe.


1832-183/¡, - Émeutes républícaines et carlistes : vain-
cues par le gouvernement. .


1839. - í.:oalilion parlementairc : une sociélé secrete
essaye de profiler de la eÍI'COnstallce pour appeJer le peuple
allX armes. ta eourOlllle cede: révolutioll millistérielle.
18~8,-'2.2-%(¡3IJrier. - Conflit entre le millistere etl'op-


positioll, soutenue pal' la garde nationale. Louis-Philippe
s'enfuit, laissant la place aux républicains.


Non, ceux (¡u'a surpris l'attilude de la .France au
~ décembre 1851 ne connaissenl pas son hístoire.
11s n'en ont J'etenu que les grandes dates parle-
mentaires el militaires, prenant, les trois quarts du
temps, raclion du pouvoir et des partis pour ceHe
de la nation.


La France, qu'on le sache une foís, dermis
soixante-quatre ans, n'a pas eu CINQ années d'exis-
tence nationale. Elle a vécu, de sa vie propre, du




- 34-


24 janvicr 1789, date de la convocalion des Etats-
généraux, jusqu'au 31 mai 1793, date de l'expul.
sion des Girondins. Pendant celle courte évolution,
on voit le pays se subordonner le pouvoir, le divi-
ser, le réduire; les libertés locales et individuelles
se fermer; et si la situation est loin encore d·ctre
heureuse, l' esprit et la volonté surgissent de par-
tout dan s le eorps social. Apres le 31 mai, le rar-
port est interverti : le pouvoir, comme sous les
rois, se subordonne le jlays; la nntion n' es! plus
qu'une partie intégranlc de l' état; le contenant
est compris dan s le content!o On rcconnai!, dans
la centralisation préconisée par les Jacobins, !'in-
flucnce de l'instinct popuhirc, plus facilemcnt
saisi de la noLion simple (Iu pouyoir que de l'idée
compliquée du contrat social. La faculté polilique
s' absorbant de plus en plus dalls les agcnts supé-
rieurs de l'aulorill), les ciloyells penlent une a
une toutes leu1's liberLés, el ne COll~enellt pas
meme la sécurité de lenrs corrl'~pondanccs. La
société a disparu: c' est un domaine, avec ses ré-
gisseurs, ses employés, el ses fel'Iuiers.


CerLes, on ne peut nier que les Jiver" go¡nerne-
ments qui se sont succédé en France apres la mort
de Louis XVI, n' en aíent parfois tire ue grandes
choses; que, soit par leur initiaLíve, soil pHI' leur
réaction, iIs n'en aient fait jaillir de yiyes éLincel-
les. Mais tout cela, encore une "{ois, cst histoire
i!'état; ce n'esl pas l'hisloire!lu pcuple. Or, si le
mot de démocratie sigl1ifie (luelque cllose, si e' es!
par elle et pour elle qu'avait en lieu 1a révolulion
de février, c'était le cas, en 1848, de mettre
fin a une anomalíe monstrueuse, et, si ron




-35-
n'osait aller jusqu'it l'allnrchie, qui comme tout
principe indique pIutO! un icléal qu'une réalité. on
ne pouyait du moins se refnser it une silllpliíication
générale de l'inslilut politiqueo


le peuple done était-il déclaré hors de tutelle,
et mi juris? La cenlralisation, ce vaste champ
d'orgueil, devait elre irnmédiatement attaquée, et
les citoyens envoyés en possession d'eux-memes.
On restituait, saur les transitions a ménagcr, aux
départernents et aux eommunes la gestion de leurs
aífaires, le soin de leur poliee, la disposition de
leurs fonds et de leurs troupes. De quel droit des
individus, nommés par leurs pairs, auraient-iIs pré-
tendu savoir mieux a Paris ce qui convient am pro-
vinces, que les électeurs eux-memes? .. Pour faire
des Vran0ais, la prernii~re eondilion était de faire
des eitoyens, e' est-a-elire, dans notre langue, des
gens de IcuT' pays, ce qui no peut s'obtenir que par
la décentralisation. On fondait l'armée dans les
gardes urhaines; on laissüit aux 1ntérets en litige le
choix des arbitres, la forme des procédures, l'au-
tOl'ité des solutions ......


Pensait-on, au contraire, que duns cette démo~
cratie sans díelüteur, sans sénat, sans factotons et
suns mouchards, l'ordre ne durerait pas huit jours;
que le peuple avait Lesoin, suivant le style de
HOllsseau, d'llIl prince, comme il avait 1es01n d'un
dieu; que 1101'S de lit, les particuliers se hattraient
entre eux, que le faíble semit livré a la merci du
fort, le riche exposé tt l' envíe du misérahle ; qu'une
force était néccssaire a la llépuhlique, pour con te-
nir les mauvaises passions, punir les délils, et don~
lIer aux honnetes gens la s6curité?




- 36-


Alors encore, puisquc l' on dcvait conserver le
systeme, e' était une hypocrisie de parler révolution,
el l' on s' était rendu coupable d' atlentat en renver-
sant la dynastie. En proclamant le peuplc S011"\'e-
rain, on le trahissait doublement; d' ahord, paree
qu'il ne devait jouir que d'une souverainelé fictivej
ensuite, paree que dans l'hypothese ii était indigne
de l'exercer. Rien que l'attribution du droit de
vote il ce peuple réputé ignare, capable des plus
scanda]euses aberrations et des plus irréparables
Iachetés, ce vote ne dlit-il elre donné que tous les
cinq ans, était un crimc contre le progre s et contre
.Ie genre humain.


Je n'ai pas besoin de di re quelle était sur ce
point, comme sur l' autre, l' opinion du Gouverne-
ment provisoire. Nul ne professait pour le peuple
une plus haute estime; et si la chose eut dépendu
de ses sentiments, sans doule iI eút a l'inslant
coupé les lisieres. Mais, pour la seconde fois, ils
n'oserent pas I retenus qu'ils étaient par le préjugó
général, et par cette craintc de l'inconnu qui trou-
ble les plus grands génies. Bien loin (le conseillel'
la démolition de l'autorité, quelques-uns conseil·
laient de s' emparer de ]a dictature: pourquoi faire,
si ron ne vouJait ni de la suppression du culte,
ni de la diminution de 1'Etat, et, quant aux amé-
liorations industriel1es, qu'on n'était pdS d'ac-
cord 7 ... L'impossibilité de reeonnaltre le dictateur,
el par-dessus tout le respcct du principe démo-
cratique, des r-onsidérations toutes de principes,
apposerent le velo sur les velléités d' exécution. La
question poli tique fut dévolue, comme la queslion
ecclésiastique, a ]' Assemblée nationale : on put




- 37-
des lors prévoir qu' elle y serait enterrée. La. il fut
sous-entendu que le peuple étant mineur, on ne
pouvait l'abandonner a ses propres conseils; le
gouvernementalisme fut maintenu avec un surcrolt
d'énergie; on en fut quitte pour donner a la con-
stitutíon nouvcllc la qualification de démocratique,
ce quí, a en juger d' apres la rédaction publiée le .4-
novembre 181~8, élait peut-etre moins vrai que de
la Charte de 1830 ....


Je ne m'étendrai pas sur la question économi-
que, la plus grave de toutes. Posée dan s ses véri-
tables termes, elle ne me semble pas plus que les
deux précédentes susceptible de contradiction.


La nation se divisant, ainsi qu'il a été dit, en
tr~is catégories naturelles, dont l'une a pour for-
mule: Opulence et consommalion improductive;
l'autre, Industrie el Commerce libre, mais sans [la-
ranties; la troisicme, Sujétion absolue et rnisere
progressive: le probleme pour la Révolution était
de résoudre la premiere et la troisieme classe dans
la seconde, les extremes dans le moyen; et par-la
de faire que tous, sans exception, eussent en pro-
portion égale, le capital, le travail, le débouché,
la liberté, et 1'aisance. En cela consiste la grande
opération du siécle, et l'objet, encore si peu com-
pris, du socialisme. L'histoire et l' analogie des
principes montrent que cette solution est la vraie.


Ce que le socialisme a nommé exploitation de
t'homme par l'homme, a savoir, la rente du pro-
priétaire. l'intéret ,du capitaliste, la dime du pre-
tre, le tribut de 1'Etat, l'agio de l'entrepreneur et
<1u négociant, toutes ces formes de prélibation de
I'autorité sur le travail, ramenées a leurs origines,


a




- 38-


aux premiers tehlps de la produetion humaine, sont
un corrélutif du gouvernement et du culte, une
des formes de l'initiation primitive. De meme que
l'homme no s'esl originairement discipliné que pUl'
la terreur religieu8e et la crainte du pouvoir, il ne
s'est Jivré au travail que toreé et contraint. Pottr
obtenir de lui un labeur qnotidien, il a fallu le sou-
mettre a une l"etenue quotidienne: au fond, la
rente et l'intéret ne sont que les instruments de
eeUe éducation énergique.


Actuellement, le peuple de nos villes et de nos
campagnes, donlla moyenne de salaire est de 41
centimes par jour et par tiMe; ce peuple était-il
cupuhle de supporter, sans tomber dan s la crapule
et l'insolence; une part plus forte de riches§e?
Etait-il a craindre, qu'en augmentant son bien-
elre, au lieu de doubler son activité et de le fain>
monter dans la vertu, on ne le précipitat dans la
fainéantise et le vice? Fallait-il, de plus en plus,
le tenir en bride par un rude labeur, un I11aigre
salaire, et cornme l'avalent praLiqué sur eux-memes
Je Christ, les apOtres, les moines du moyen age,
ne laisser d'espérance au prolétaire que dans une
autre vie?


Poser ces questions, e'était les résoudre. La dif-
ficulté. pour le Gollvet'nérrlent provisoire; n'était
pas dans le but) eHe était dans le moyen. CommetH
garitntil' le travail, ouvrir le débouché, équilibrel'
la production et la consornmatioI1, augmentet le sa-
laire, attaquer la rente el l'intéiit, ~ns faite dís-
puraltro le úrédit et Al'ríHer la forJllation des capi-
táux? .. V émattcipation du prolétal'iat se prt1sentait
a ceI'tains esprits cOinmé la dépossession de la bour-




- 39-
gcoisie; les projets variaient a l'infiQi, source in-
tari55able de calomnies pour le parti républíeain.
Bref, ILS N' OSEREC'lT PAS, ILS NE POUVAIENT PAS
OSER! Quanel il y va de la fortune et ele la liberté
publique, nul en particulier n'a le oroit ele se
charger ele la réforme. Huber est convenu avee
moi, a Doull~ns, qu'('n pronon¡;ant le 15 maí ]a
dissolution de l' Assemblée, il avait commÍs un acte
d'nsurpation. Le gouvernement provisoire se fui
trouvé dans le meme cas, en statuant, de son chef,
sur la nécessité elu culte el du gouvernetnent, et
sur l' organisation elu travail. L' opinion n' étant
pas faite, il ne lui appartenaít pas ele la devancer.
Apres tout, la misere elu peuple est encore un
moindre mal que l' arbitraire dans le pouvoir. Le
elroit au travail, elécrété en principe par le Gouver-
nement provisoire, fut rcnvoyé pour l'organisation
a l'Assemblée constituante, oú les confraelicteurs
ne pouvaienl manquer el'etre en majorilé. Croyez
done que les représentants eles inlérels menacés al-
lassent, d.ans eles conditions pareilles, se elévouer a
I'émancipation du prolétariat! ...


Ainsi la elémocratie, quelle que fut sa volonté et
sa foi, se trouvait en faee ele questions sans fonel ni
rive. De toules parts. la traelition ele 89 aboutissait
a 1'inconnu. On ne pouvait pas reculer, on n' osait
plus avancer. Il semblait bien a tous que la mora-
lité publicf'le s' élait élevée, la richcssc accrue, les
principes d' ordre et de bien-etre multipliés en tous
sens; qu'il était juste, par conséquent, raisonnablc,
utile, ele elévelopper les libertés publiques, ele elon-
ner plus el' essor a la liberté individuelle, d' éman-
ciper les consciences, de faire au peuple une part




- 40:-
plus large dans la félicité sociale. La révolution de
89 nous avaitlaissé a combler ces lacunes; c'était
pour avoir reculé devant cette reuvre que la mo-
narchie de juillet, hypocrite et corruptrice, avait
été renversée. Puis, quand on voulait mettre la
main a I'reuvre, tout ce mirage de liberté, d'éga-
lité, d'institutions républicaines, s' évanouissait.
Áu lieu d'une terre de promission, émaillée de bos-
quets, de vignobles, de moissons, d' eaux courantes,
de vertes vallées, on ne découvrait qu'une plaine
aride, silencieuse, san s Jimites!. ..


L'histoire n'est que le résultat des situations. La
situation de la France, telle qu' elle exisLait en
1848, toute nation, par le progres de ses idées, le
jeu de ses institutions et de ses intérets, y arrivera.
e' est pour cela que l'histoire de France est l'his-
toire de tous les peuples, et que ses révolutions sont
les révolutions de l'humanité.


Que les peuples s'instruisent done a nofre his-
toire 1 Qu' est-ee qui a empeché la démoeratie de
j 848 de prendre une initiative révolutionnaire?
au premier regard, le respect de son principe et
l'horreur de la dictature; - apres un examen plus
approfondi, l'embarras des solutions, - en der-
niere analyse, et eomme nous essayerons de le faire
voir, un PRÉJUGÉ.




IV.


PR~JUGÉ UNIVERSEL CONTRE LA RÉVOLUTION,
AV 24 FÉVRlER.


DÉSISTEMENT DES RÉPUBLlCAINS.


En remontant de cause en cause le cours des
manifestations sociales, il me tiemble reeonnaitre
que ce quí depuis quatre síecles abuse les nations,
ce quí met des entraves a l'esprit humain, ee quí
a produit tous les maux de la premiere révolution
et fait avorter le mouvement de 1848, e'est le pré-
jugé généralement répandu touchant la nature et
les effets du progreso Les· ehoses se passent, dans la
société, d'une certaine fat;on; nous les concevons
d'une autre, a laquel1e nous nous effonjons de la
ramener : de la, une eontradi.ction constante entre
la raison pratique de la société et notre raison théo-
riq.ue, de la tous les troubles et fracas révolution-
naIres.


Que le lecteur veuille bien me suivre quelques
instants dans ecHe diseussion que je taeherai de
rendre aussi eourte el elaire que possihle.


Nous puisons notre conception du progres dan s




-lt2 -


les sciences el d:ms l'industrie. Lit nous observons
qu'une découverte s'ajoute sans cesse a une décou-
verte, une machine a une machine, une théorie á
une théorie; qu'une hypolhese, admise d'abonl
comme vraie, et plus tard démontrée fausse, e~l
immédiatement, nécessairement, remplacée lKl1'
une autre; en sorte qu'il n'y a jamais ni vide ni 1a-
cune dans la connaissance, mais accumulatíon et
développement continuo


eeUe conception du progres nous l'appliquons
a la société, je vem dire aux grands organismes
qui jusqu'a ce jour lui ont servi de formes. Ainsi
nous voulom que toute constitution politique soíl
un perfectionnement de la constitution antérieure;
que toute ¡;eligion présente une doctrine plus ri-
che, plus complete, plus harmonique, que celle
qu' elle remplace; a plus forle raison que toute orga-
nisation économique réalise une idée plus vaste,
plus compréhensive, plus intégrale, que celle du
systeme précédent. Nous ne concevrions pas que
tandís que la société avance sur un point, elle ré-
trogradat sur un autre. Et la premíere question que
nous adressons aux novaleurs qni parlent de réformer
la société, d'abolir telle ou telle de ses institutions,
c' est de leur dire: Que mett(~z-VOUS a la place?


Les hommes qui s' occupent de gouvernement,
les esprits prévenus d'idées relígieuses, ceux qui se
passionnent pour les constructions métaphysiques
et les utopies sociales, et le vulgaire a leur suite,
ne se peuvent figurer que la raison, la conscience,
a plus forte raison la société, n'aient pas leur on-
tologíe, lcur constitution essentielle, dont l'affir-
mation, toujour3 plus explicite, est la pro/,ession de




- 43-


(oí perpétuelle de l'humanilé. Un systeme détruit,
¡ls en cherehent un autre; ¡ls ont besoin de sentir
leur esprit dan s des universaux et des catégDl'ies,
leur liberté dan s des interdictions et des licences.
Chose étonnante, la plupart des révolutionnaÍres
ne songent, a l'inslar des eonservateurs qu'ils com~
hattent, qu'a se batir des prisons; ils ressemblen t au
compagnon, quí va d'auberge en auberge, d'atelier
en atelier, amassant quelques écus, se perfection-
nant dans son état, jusqu' a ce qu' enfin, de retour
au pays, il tombe ... en ménage! .


Rien n' est plus faux que eeHe coneeption uu
progre s social.


Le preínier travail de toute société est de se faire
un ensemble le regles, essentiencment subjectives,
ffiuvre des esprits spéeulatifs, admise par le vulgaire
sans discussion, que justifie la nécessité du moment,
gu' honore de temps a autre l'habileté de quelque
prince juste; mais qui, n'ayant pas de fondement
dan s la vie de l'espece, dégénere tot ou tard en 01)-
pression. Aussitót cornrnenee eontre le pouvoir un
travail de négation gui ne s'arrete plus. ta liberté,
prise pour contróle, lend a occuper toute la place:
fandís que le polilique s'efIorce de réforrner l'élat
et cherehe la perfec\\on dG systeme, le philosophe
s'aper~oit que ce prétendu systerne estnéant; que la
véritabJe autorité, e'est la liberté; qu'au lleu d'une
constitut'ion de pow:oirs créés, ce que cherche la so-
ciété est l' équilibre de ses force s naturelles.


11 en est ainsi, du reste, de toutes les ehGses qui
procedent de la pure mison. D'abord ces eonstruc-
tions semblent nécessaires, douées du plus haut
degré de positivisme, et la question parait ctre uni-




:"'--44-


quement de les saisir dans leur absolu. l\'lais bien-
tot l'analyse s'emparant de ces produits purs de
l'entendement, en démontre le vide, et ne laissc
subsister a leur place que la faculté qui les a fait
rejeter tontes, la critique.


Ainsi, lorsque Bacon, Ramus, et tous les libres
penseurs eurent renversé l' autorité d' Aristotc, et
introduit, avec le príncipe d' observat'ion, la démo-
cratie dans l'école, quelle fut la conséquence de
ce fait?


ta création d'une autre philosophie?
Plusieurs le crurent, qqelques-uns le croient


encore. Descartes, Leibnitz, Spínosa, MaIebranche,
Wolf, aidés des nouvelles lumieres, se mirent, sur
eette tabIe rase, a rcconstruire des -"ystemes. Ces
grands esprits, qui tous se réclamaient de Bacon,
et souriaÍent du Péripatétique, ne comprenaient pas
cependant que le principe, ou ponr mÍeux Jire la
pratique de Bacon, l' observation, directe et immé-
diate, appartenant a tout le. monde, le champ OU
elle s' exerce étant infini, les aspects des choses
innombrabhis, il n 'y ava:it pas plus de place dans la
philosophie pourun systeme que pour une autorité.
La OU les faits seuls font autorité, il n'y a plus d'au-
torité; la OU la classificalioil des phénomenes est
toute la science, le p.ombre des phénomimes étant
infini, il n'y a plus qu'un enchainement de faits
et de lois, de plus en plus compliqué et généralisé,
jamais de philosophie ni premiere ni derniere. Au
líeu done d'une constitution de la nature et de la
socíété, la nouyelle réforme ne laissait a chercher
que Je perfectionnement de la critique, dont elle
était l'expression, c'cst-a-dire avec le controle im-




- 45-
prescriptible et inaliénable des idées et des phéno-
mimes, la faculté de construire des systemes a l'Ín·
finí, ce qui équivaut a la nullité de systeme.' La
raison, instrument de toute étude, tombant sous
ccUe critique, était démocratisée, parlétnt amorphe,
acéphale. Tout ce qu'elle produisait de son fonds,
en dchors de l' observation directe, était démontré
a priori vide et vain; ce qu' elle affirmait jadis, el
qu'elle ne pouvait déduirc de I'expérience, était
rangé au nombre des idoles el des préjugés. Elle-
meme n' existant plus que par la scienee, eonfondanl
ses lois ayec celles de l'univers, devait etre réputée
inorganique: c'était, par essence, une table rase;
la raison était un etre de raison. Anarehie com-
plete, étcrnelle. lit OU des philosophes et théolo-
gíens avaient affirmé un principe, un auteur, une
hiérarchíe, une constitution, des príncipes pre-
míers et des causes secondes : teIle devait etre la
philosophie apres Bacon, leIle it peu de chose pres
fut la critique de Kant. Apres le Novum Organum
et la Critique de la Rais.on pure, il n'y a pas, il nc
peut pas y avoir de systeme de philosophie : s'il est
une vérité qui doive etre réputée aequise, apres les
efforts réeents des Fiehtc, des Schelling, des Hegel,
des éclectiqlles, des néo-chrétiens, etc" e' est eelle-
la, La vraie philosophie, e' est de sayair eomment et
pourquoi 1101lS philosophons; en combien de fa~ons
et sur quelles matiáes nous poU\'ons philosopher;
il (¡uui aboulíl loute spéruJation phílosophiqnc. De
systcme iln'y en a pas, iI ne pwt pas y en avoir,
et c~'rst llnr pl'ellVC de médioerité philosophiquc,
que de chel'chel' aujourd'huí une philosophie.


Cultivons, développons nos scienees ; cherchons-
3.




- 46-
en les rapports; appliquons-y nos facultés; travail-
lons sans cesse a én perfeclionner l'instrument, qui
est notre esprit: voila tout ce que nous avons a
faire, philosophes, apres Bacon et Kant. .Mais des
systemesl la recherehe de l'absolu I Ce serait folie
pure, sinon charlataneric, et le recommencement
de l'ignorance.


_ Passons a un autre objeto ,
Lorsque Luther eut nié l'autorité de l'Eglise


romaine et avec elle la constitution cathol¡que, et
posé ce principe, en maliere de foi, que tout chré-
tien a le -droit de lire-la Bible et de l'interpréter,
suiv¡:mt llllumiere q\lc Dieu a mise en lui; lorsqu'il
eut ainsi sécularisé la théologie, quelle fut la con-
clusion a tirer de eeUe éclalanle revendication?


Que l'Église romaine, jusqu'alors la maltresse et
l'institutrice des chrétiens, ayant erré dans la doc-
trine, il falhüt assembler un conciJe de vrais fideles
qui rechercheraient la lradition évangélique, réta-
bliraient la pureté et l'intégrité du dogme, premier
besoin de l'église réformée, et constitueraient pour
l'emeigner, une nouvelle chaire?


Ce fut en effet l' opinion de Luther lui-rrH~me, de
Mélanchthon, de Calvin, de Beze, de tous les
hommes de foi et de science qui embrasserent la
Réforme. La suite a montré quellc était leur iIlu-
sion. La souveraineté du peuple, sous le 110m de
libre examen, introduite daos la 1'oi comme elle
l'avait été dans la philosopbie, il ne pomait pas
plus y avoir de confession rcJigieuse que de systeme
philosophique. C' était en vain qu' on essayerait, par
les déclarations les plus unanimes et les plus so-
lennelles, de donner un c0rps aux. id/!es protes-




- 47-
lanres : on ne pOUVllit pas, au nom de la critique.
engager la critique; la négation devait aIler a
l'infinj, el tout ce qu'on rerait pour l'arreter était
condamné d'avance comme une dérogation au
principe, une usurpation du droit de la postérité,
un acte rétrograde. Aussi plus les années s'écou-
lerent, et plus les théologiens se diviserent, plus
les églises se mu]¡jplierent. Et en cela précisément
consistait la force et la véri té de la Réforme, la
était sa Jégitimité, sa puissance d'avenir. la Ré-
forme était le ferment de dissolution qui devait
faire passer insensiblement les peuples de la mo~.
rale de crainte 11 la morale de liberté : Bossuet,
qui fit aux églises protestantes un grief de leurs
variations, et les ministres qui en rougirent,
prouverent tous par la combien ils méconnaissaient
l'esprit et la portée de cette grande révolution.
San s doute ils avaient raisan, au point de vue de
l'autorité sacerdotale, de l'uniformité du symbole.-
de la croyance passive des peuples, de l'absolutisme
de la fui, de tout ce que le mouvement critique,
déterminé par Bacon, allaitdémontrer insoutenable
et. rain. Mais le papisme, en niant le droit a la
pensée et l'autonomie de la conscíence; le protes-
tantismc, en voulant se soustraire aux conséqucnces
de cette autonomie et de ce droit, méconnaissaient
également la nature de l' esprit humain. Le pre-
mier était franchement contre - révolutionnaire ;
l' autre, avec ses transactions perpétuell es, étai t doc-
trinaire. Tous deux, bien qu'a un degré différent,
se rendaient coupables du meme délit : pour us-
surer la croyance ils détruisaient la raison; quclle
h ' 1 . I t eo ogle ..• ,




-lt8 -
te 'Comprendrons-nous, enfin? Depuis le jour


ou tutber brida publiquement a Wittemberg la
bulle du pape, il n'y a plus de eonfession de foi,
plus de eatéehisme possible. ta légende chrétienne
n' est plus que la vision de l' Humanité, ainsi quc
1'0nt exposé tour a tour, apres Kant et tessing,
Hegel, Strauss, et en dernier lieu Feuerbach. C' esL
la la gloire de la Réforme; e' est par la qu' elle a
bien mérité de l'Humanité, et que son reuvre, en
reprenant eelle du Christ, déja trabie par les ~on­
stituants de Nieée, surpasse eelle de son auteur.


De meme que toute philosophie depuis Baeon se
réduit 8. cette regle, Observer avec cxactitude, ana-
lyser avec pt'ecis'ion, général'iser avec rigueur ; pa-
reillement toute religion depuis Luther, se réduit ü
ee préeepte, formulé par Kant, Agis de. telle SOl'[e
que chacune de tes actions plásse ¿{re prise pOlO'
regle génerale. Au líeu de dogmes, au licu d'un
rituel, ce que nous voulons désormais, pour la
raison et pour la conseienee, e' est une regle de
conduite. Laissons done eeHe manie de substitu-
tions : ni l'église d'Augsuourg, ni ceHe dc Genevc,
ni aueune eonfrérie de quakel's, mOl'aves, mo-
rniers, fl'ancs-ma~,ons, etc" ne remplaeera jamais
l'Eglise romaine. Tout ce que ron entreprendrail
a cet égard serait eontradietoire et rétrograde; ii
n'y a pas, au fond de la pensée humaine, de nOllyel
érlifice religieux : la négatioll est éfernelJe.


De la religíon, venons a la politil{ue.
Lursque ./urieu, appliquallt an tcmporelle prin-


cipe que Luther avai.L invoqué pour le spiritllcl,
cut opposé au gouvernement de droit divin la ~ou­
veraineté du peuple, el transporté la démocralie de




- 49-
I'Eglise dan s l' état, quelle conséquence durenl
tirer de cette nouveauté les publicistes qui se char-
gerent de la répandre?


Qu'aux formes du gouvernement monar"chique
il fallait substituer les formes d'un autre gomer-
nement, qu'on supposait en tout l'opposé du pre-
mier, et qu'on appelait, par anticipation, gouver-
nement républicain?


Telle fut, en efIet, l'idée de Rousseau, de laCon-
vention, el de tous ceux qui, apres la mo:(t de
Louis XVI, par conviction ou par nécessité, s'atta-
cherent a la République. Apres avolr démoli,' il
faBait édifier, pensait-on. Quelle société pourrait
subsister sansgouvernement? Et si le gouverne-
ment est indispensable, comment se passer de con-
stitution? "


Eh bien I ¡ci encore I'histoire prouve, et la logi-
que estd'accordavec l'histoire, que ces réformateurs
politiques se trompaient. n n'y a pas deux sortes de
gouvernements, il n'yen a qu'une : c'est le gou-
vernement monarchique héréditaire, plus ou moins
hiérarchisé, concentré, équilibré, suivant la 10i de
propriété d'une part, et de la division du travaíl de
l'autre. Ce qu'on appelle ¡ci aristocratie, la démo-
cratie ou république, n'est qu'une monarchie sans
monarque; de meme que l'église d'Augsbourg, l'é-
glise de Geneve, l' église anglicane, etc., sont des
papautés sans papes, de meme que la philosophie
de M. COllsin est uu absolulismc sans absolu. Or,
la forme du gomcrnement royal une fois entamée
par le controle démocratique, que la dynastie soit
conservéc comme en Angleterre ou supprimée
comme aux États-Unis, peu importe, il est néces-




- 50-
sa.ire que de dégrada.tion en dégradation cette forme
périsse toul entiere, sans que le vide qu' elle laisse
apres elle puisse etre jamais comblé. En fait de
gouvernement, apres la rorauté, iI n'y a rien.


Assurémcnt, le passage ne peul s'effecluer en
un jour; l' esprit humain ne s' élance pas d'un seul
bond du QHclque chose au RIEN; et la raison pu-
blique est encore si fai ble I l\lais ce qui importe est
de savoir ou nous allons, et quel principe nous
mene. Que les Feuillants, les Constilulionnels, les
Jacobius, les Girondins, que la Plaine et la l\Ion-
tagne se reconcilient donc; que le National el la
Ré{orme se donueut la main, iIs sont tous égale-
ment anarchistes : la souveraineté du peuple ne
signifie que cela. Dans une démocratie, iI n'y a
lieu, en derniere analyse, ni a conslitution ni a
gouvernement. La politique, dont on a écrit tant
de yolumes, et qui fait la spécialité de tant de pro-
fonds génies, la politique se réduit a un simple
contral de garantie mutuelle, de citoren a citoyen,
de commune a commune, de province a province,
de peuple a peuple, variable dans ses articlcs sui-
vant la matiere, et révocable ad libitum, a l'infini ...


Une philosophie, ou théorie a priori de rUni-
vers, de I'Homme et de Dieu, apres Bacon; une
théoJogie, apres Luther; un gouvernement, apres
qu'on a posé en principe la souveraineté du peu-
pIe: triple confradiction. Sans doute, encore une
fois, iI n' était pas dans la nature du génie philo-
sophique de reconnallre et de proclamer, aussitOt
apres la publication du Novum Or~anum, sa propre
déchéance; et e' est pour cela qu apres Bacon, et
jusqu'a nos jours, il a paru des systemes de phi-




- 5t-
losophie. Sans doute encore iI répugnait á la con-
science religieuse, émue aux accents de Luther,
l'hornmo le plus religieux de son siécle, de s'a-
vouer anti-chrétienne et athée, et e' est pour cela
qu'apres. Luther, et jusque sous la république de
février, il y a eu tant d'eífervescence reJigieuse.
Sans doute, enfin, l'esprit gouvernernental, dans
la pensée meme .de eeux qui eriaieut le plus haut
contre le despotisme, ne pouvait d' emblée aceepler
sa démission; et e' est pour cela que depuis 89 nous
en sommes a notre huitieme constitution. L'huma-
nité ne déduit p~s ave e tant de promptitude ses
idées, ct ne fuit point de si grands sauts : il ne m'en
eOlIte rien de le reeonnaltre.
~Iais ce qui est certain aussi, e' est que ce mou-


vement philosophique, politique, religieux, qui
s'aeeomplit depuis quatre siecles, en sens évidem-
ment inverse, est un symptome, non de création,
mais de dissolution. La philosophie, en s'appuyant
de plus en plus sur les sciences positives, perd son
caractere d' a priori, et ne conserve d' originalité
qu' en faisant sa propre critique; la phiJo'sophie, au
dix-neuvieme siecle, c' esi l' HISTOIRE de la philoso-
phie. D'autre part la religion, se dépouillant ele son
dogmalisme, se confond avec l' esthétique et la mo-
rale : si de nos jours l' étude des idées religieuses
a acquis un si puissanl intéret, e' est seulement
comme histoire naturelle de la formation et des
premiers développements ele l' esprit humain, et
nous ne saurions bhlmer trop fortement les auteurs
de l' Encyclopédie nou'1:elle de leur ten dance a une
reconstitution des ielées religieuses. La religion,
pour nous, c'est l'archéologie de la raison. Quant




- 52 -
a la politique, le travail de llégati~ll qui la dé-
vore n'est pas moins visible; je n'en veux pour
preuve que la Constitution de 1848, posant e~\~­
meme, en tete de ses articles, sa propre pcr(ecttbt-
lite, et déterminanl a la fin les conditions de sa
révision l ...


Ainsi le progres, en ce qui con cerne les institu-
tions les plus anciennes de l'humanité, la philoso-
phie. la religion, l'état, est une négation conti-
nue, je ne dis pas sans compensation, mais sallS
reconstitution possible. Qu'on me permeUe de eÍ-
ter, de ce mouvement si peu eompris, un dernier
cxemple, le plus important pour notre époque.


Lorsque dan s la nuit du 4 aout, apres avoir abolí
les droits féodaux; l'Assemblée Constituante pro-
non¡;a ceHe des maitrises, jurandes, corporations,
et posa le principedu libre travail, du libre échange,
quelle conclusion y avait-il a déduire encore de
eette démoeratisation de l'industrie, de l'agricul-
ture et du commerce, pour l' économie de la société"


Que les institutions antérieures étant détruites, il
fallait les remplacer par d'autres; qu'á l'aneienne
L\l'ganisation tlu trayail, il fallait suppléer par une
organisation nouvellc?


Beaueoup le penserent, et eette opinion est en-
core aujourd'hui la plus suivie. Malouet, constituant,
qui le premier parIa du droit au travail; it la Con-
vention, Saint-Just et Robespierre; BaLen!', apres
thermidor; llt. Rover-CollaI'J, snus la Heslauration ;
le socialisme tout'cnticr depuis 1830; en 4-8 le
Gouvernement provisoire, adopterent eette iMe.
Jetée clan s les masses elle devail y obtenir une "0-
gue immense; elle re~ut dans les ateliers natio-




- 53-
naux un commencement de réalisation, et déter-
mina la révolte de juin.


Pour moi, je iúi point hésité a le dire : l' orga-
nisation des travailleurs, conguc dans le sens el
comme perfectionnement des institutions de saint
Louis, est incompatible avec la liberté du travail et
de I'échange. Sur ce point, comme dans la ques-
tion du culto etde l'état, la négation estperpétuelle;
le progres, ce n'est pas la constitution du groupe,
qui reste éterneIlement spontanée et libre, e' est
l' exaltation de l'individu.


Que de fois n'ai-je pasentendu exprjmer ce vreu
dans les réunions populaires : Ah 1 si les chefs d' é-
cole pouvaients' entendre \ S'i\s pomalent, une fois,
convenir entre eux d'un plan, d'un programme,
le plus simple possible; d'un certain nombre d'ar-
lieles organíques, qui deviendraient le Credo des
travailleurs ! ... Plus de divisions, alors, plus de ri·
valités : la démocratie serait unie, et la Révolu-
tion sauvée 1


Elle eut été perdue la Révolution, si les socia-
listes s' étaient entendus.


II n'ya pas dans l'ordre économique de systeme
agricole-mercantile-industriel, iI n'y en aura ja ..
mais; pas plus qu'il n'y a, pour la libre pensée.,
de systeme philosophique; pour la conscience, de
théologie ; pour la liberté, de gouvernement. C' est
temps perdu, ignorance, folie, que de le cher-
cher; e' est de la contre-révolution. La perfection
économique est dans l'indépendance absolue des
travailleurs, de meme que la perfection poli tique
est dans l'indépendance absolue du citoyen. eette
haute perfection ne pouvant etre réalísée dans son




..... 54 .....
irléal, la Société s'en approche de plus en plus par
un mouvement d' émancipalion continuel. Réduire
indéfiniment les charges qui grevent la produe-
tion, les prélevements opérés sur le salaire, les re-
tenues imposées a la eirculation et a la consomma-
tion; dimj¡mer les fatigues du travail, les difficul-
tés de la main-d'ceuvre, les entraves au erédit et
au débouché, les lcnteurs de rapprentissage, les
soubresauts de la concurrence, les inégalités de
l' éducation, les hasards de la nature, etc.; par un
eontrat de garantie et de secours mutuel: voila,
dans l'ordre de la richesse, toute la Révolution,
voila le progreso L' économie sociale n' est point
une constitution, a la maniere de la féodalité ou
des castes de l'Inde, un systeme tel que les utopies
de Fourier el des Saint-Simoniens. C' est une science
qui a pour objet de résoudrc, par une méthode
d' éq~ation spéciale, les problemes divers qu' en-
gendrent les notions de travail, capital, credit,
echange, proprieté, impdt, valettr, etc., etc. Il n'y
a rien a substituer aux anciennes corporations
d' arts et de métiers : e' est la liberté qui nous l' en-
scigne; c'est la Révolution, le progres, la seienee
éeonomique qui nous l' attestent.


Ainsi, au rebours de ce que supposent générale-
ment les réformateurs el révolutionnaires, l'Huma-
nité, en ce qui touche ses formes primitives etson or-
ganisation préparatoire , ne marche point a des re-
C'onstitutions; elle tend a un dévetissement, si j' ose
me servir de ce terme, a une désinvolture complete.
Plus d'ontologie, plus de panthéisme, d'idéalisme,
de mysticisme: l' esprit purgé par la méthode ba-
conienlle, ll'admet pas de cOllception el priori, ni




- 55-
petite ni grande, sur Dieu, le monde et l'huma-
nité. Plus de religions dogmatiques, de constitu-
tions gouvernementales, d' organisations industrie!-
les; plus d'utopies, ni surla terre, ni dans le ciel.
ta conscience, la liberté et le travail, de meme
que la raison, ne souffrent ni autorité, ni proto-
cole. II implique que la raison se préjuge elle-
meme dan s un a priori, cet c't priori fut-il son
ouvrage : elle ne serait plus raison; -que la con-
scicnce re<,;oive son critérium d'une· source étran-
g:ere: eHe ne serait plus conscience; - que la
lIberté se subordonne il un ordre préétabli : elle
ne serait plus liberté, ene serait servitude; - que'
le lravail Sj;l laisse atteler dans un organismepré-
lendu supérieur : il ne serait plus travail, iI serait
machine.


Ni la conscience, ni la raison, ni la liberté, ni
le travail, forces pures, facultés premieres et créa-
trices, ne peuvent, sans périr, etre mécanisées, faire
partie intégrante ou constituante d'un sujet ou ob-
jet quelconque : elles sont, par nature, sans systcme
et hors série. C' est en elles-IlH~mes qu' est leur raÍ-
son d' etre, c' est dans leurs reuvres qu' elles doivent
trouver leur raison d'agir. En cela consiste la per-
sonne humaine, personne sacrée, qui apparait dans
sa plénitude et rayonne de toute sa gloire a l'in-
stant ou, rejetant bien loin tout sentiment de
crainle, tout préjugé, touie subordination, toule
participation, elle peut dire avec Descartes, Cogito,
ergo sum; je pense, je suis souveraine, et
s'exaltantjusqu'a l'enthousiasme,je suis Dieu(1) 1 ..


(1) On trouvera cette théorie du progres développée plus au
long dans un opuscule qui paraítra incessamment.




- 56-
Si les hommes du Gouverncment prOVIS01l'e


avaient élé convaincus de la vérité de ces idées,
com·bien la Révolution leur eut été légere! Avec
quel calme, queIle sécurité, ils eussent abordé leur
tache 1 Et de quel dédain iIs eussent accueilli ceUe
clameur qui commen<,¡ait a s'élever contre la dé-
mocratie, et qui demeurant sans réponse, ne soule-
vant que des protestations embarrassées, honteu-
ses, devait sitot l'engloutir : « Quoi 1 toujours nier!
}) toujours détruire 1 toujours des ruines I toujours
» le néant I C' est la ce qu' on nomme progres et
» liberté l. .. »
. A Dieu ne p]aise que j'ineulpe iei des hommes
qui fous, agissant dans la mesure de leurs lumieres,
ont obéi a Ieur conscience, et n'ont pas cru pou-
voir assumer la responsabilité de si grandes choses.
J'ai pu combaftre les opinions de presque fous; je
n'ai jamais mis en doute la rrobité, le dévouement
d'aucun. lIs ont quitté le pouvoir, les mains pures
de rapine et de sango Le seul dont la vertu parut
alors suspecte, Armand ~Iarrast, vient de mourir
pamTe, ne laissant pas de quoi payer ses funé-
railles. Toute Ieur ambition ,arres avoir exercé
deux moís un pouvoir auquel rien, si ce n'est leur
conscience, ne fixait de limites, a été .de remettre
au nouveau pays légal le soin de ses destinées, el
de rendre, fideles commis, des comptes justes. Pour-
suivis par les souvenirs de 93, que déja la calomnic
évoquait contre eux, et pIeins de l'idée que la Ré-
publique avait plus a fonder qu'a délruire; ne vou-
Iant ni passer pour démolisseurs. ni usurPer la
souveraineté nationale, ils se sont bornés a main-
tenir l' ordre, et a rassurer les intérets. lIs n' ont




- 57-
parlé au peuple que de fraternité, de toIérance, de
sacrifice. Ils auraient cru forfaire a Ieur mandat,
en sortant des voies légales, et jetant, de leur au-
torifé précaire, le peuple dans la Révolution.


On criait, autour d'eux, que la religion ,était
menacée. lIs ont appe1é la bénédiction de I'Eglisl'
sur la République, introduit le clergé dans l'As-
semblée nationale.


On répandait que la Révoluti.on allait désorgani-
ser l'Etat, que la démocratie, c'était l'anarchie. lIs
ont répudié la tradition d'Hébert, et pris pour
devise les mots sacramentels : Unité, indivisibilité
de la République, séparation des poU'voirs, Con-
stitution.


Le socialisme était accusé de precher le pillage,
la loi agraire. lIs ont sauvé la Ranque en donnant
cours forcé a ses billets, consolidé la deUe flot-
tante, avec un bénéfice énorme pour les porteurs
de bons du Trésor el Jes déposants de ]a Caisse d' é-
pargne. Plutót que de recourir a des moyens som-
maires, extra-légaux, contre les riches, ils ont pré-
féré, dans le besoin urgent de la République,
demander au peuple son dernier sou, et rogner
leurs propres traitements. Partout i]s ont mis l'hon-
neteté a la place de la poli.tique, se détournant avec
dégout des hypocrisies princieres et des violences
de ]a démagogie.


Et cependant, quels prétextes, quels exemples,
ne pouvaient-ils pas invoquer I


De tout temps la multitude a cru que la morale
n'obligeait pas les dépositaires de sa puissance, et
que ce qu'ils faisaient était bien, pourvu qu'il 1ui
fut, a elle, profitable. Le sénat romain ohéissait a




- 58 ~
ce sentiment de la plebe, quand il mettait César
au-dessus des [oú, et le déclarait possesseur de tou-
tes les femmes. L'Eglise romaine et l'Eglise ré-
forméc exprimercnt tour a tour la meme licence,
la premiere,' en canonisant Charlemagne poly-
game, la seconde en di3pensant le landgrave de
Hesse de la fidélité a son épouse. La morale, tant
décriée, des jésuites, n'est pas autre chose que la
systématisation de ce príncipe, qui éleve, a certai-
nes conditions, la force a¡'l-dessus de la loí, le génie
au-dessus des regles! Pouvoir, aux yeux du peuple,
dispense de vertu : e'est précisément la théorie des
quiétistes, que Bossuet combattait en Fénelon.


Les hommes du Gouvernement provisoire firent
de la République le synonyme de MORALlTÉ. Ils


_ furent pieux, modestes, pleins d'honneur et de
scrupule, prompts au dévouement, esclaves de la
légalité, gardiens incorruptibles de la pudeur dé-
moeratique, vrais surtout. lIs ont porté haut l'hé-
roIsme républicain. De toutes les choses qu'ils pou-
vaient mire dans le sens de la Révolutíon, leur
relig-ion n'a osé s'en permettre qu'une seule, et íl
s'est lrouvé que eette chose, commandée par le
principe, était, au point de vue de la cause, trop
avaneée j et souverainement impolitique : le suf-
frage uníversel! ...


Or, la Révolution ayant été, signalée, et point
faite ¡ le Gouvernement provisoire, par une sorte
d'horreur du vide, s'étant abstenu : que pouvait-
íl sortir de la situation ?


II est faeile de le comprendre.
L'essenee de toute révolutíon est de déplaeer la


masse des ¡ntérets, d'en froisscr quelques-uns, d'en




- 59-
cl'éer un lJeaucoup plus grand nombre, Par cela
meme, toute révolution a pour adversaires natu-
rels les intéretsqu'elle inquiete, cornme elle a pour
partisans eeux qu\ He soigne.


D'apres eette lor, d'expérienee hislorique et de
sens eommun, la République, ehargée des destinées
de la Révolution, allai! done avoir pour ennemis
tous les représentanls des intérets qu' elle mena-
<tait, ennemis d'autant plus implacables qu'ils au-
raient vu le péril de plus pres, et que la Révolu-
tion, trompée dan s son attente, se débattraít avee
plus de rage contre l'abstention dont on luí faisait
une loi. Qui tíent tient, badin qui demande I La
Révolution n'ayant rien pris, il ne luí serait ríen
accordé. Une coalition se forma, contre la démo-
eratie, de tout Ce qui, a tort ou a raison, avait eu
peur : propriétaires, manufaeturicrs, Je commerce,
la Banque, Je clergé, le paysan, les corps consti-
tués, les états-majors., les deux tíers du pays, enfin.
Le 15 mai, le 24 juin, la démoeratie révolution-
naire essaye de rcprendre le commandement : on
lui oppose sa propre loi, le suffrage universel; elle
est terrassée. Alors le duel se transporte sur le terrain
de la nouveHe Constitution : mais eette Constitu-
tion, hélas I queUe qu' elle fUt, e' était le gage de
la retraite des démoerates.


Pour moi, je ne m'en cache paso J'ai poussé de
toutes mes forees a la désorganisation poli tique ,
non par impatienee révolutionnaire, non par amour
d'une vaine eélébrité, non par ambition, envie ou
haine; mais par la prévoyanee d'une réaction iné-
vi tabl e, et, en tou t cas, par la certi tude o u j' étais
que dans l'hypothese gouvernementale OU elle per-




- 60-


sistait a se tenir, la démocratie ne pouvait opérer
rien de bono Quant aux masses, sí pauvre que flit
leur intelJigenee, si faíble que je eonnusse leur
vertu, je les oeraignais moins en pleine anarehie
qu'au serutin. Chezo le peuple, eorome chez les
enfants, les erimes et délits tiennent plus a la mo-
hilité des impressions qu'a la perversité de rame;
el je trouvais plus aisé, a une élite républicaine,
d'aehever l'éducalion du peuple dans un chaos po-
)itique, que de lui faire exercer sa souveraineté, avee
quelque ehanee de sueees, par voie éleetorale.


De nouveaux faits ont rendu inutile eette tae-
tique désespérée, pour laquelle j'ai bravé long-
temps l'animadversion publique; et je me rallie
sans réserve aux hommes honnetes de tous les par-
tis, qui, eomprenant que démocratie e' est démo-
pédie, édueation du peuple; aeeeptant eette éduca-
tion eomme leur tache, el pla<;ant au-desslls de
tout la LIBERTÉ, désirent sineerement, avee la gloire
de leur pays, le bien-etre des travailleurs, l'indé-
pe~danee des nations, et le progres de l' esprit hu-
mamo




v.


LE 2 m:CElUBRE.


I.asituation faite, les événements vont se déduíre.
Tandis que la classe nantie jure haíne a la répu-


blique; que le partí républicain, tombé en constÍ-
tutionnalisme, donne son désistement, Louis Bona-
parte, porté par cinq millions et demi de voix,
devient l'organe de la révolution. Ainsi va la 10-
gique des choses, que la compctition des partis, le
chassé-croisé des intrigues, l'animatian des person-
nalités, ne nous permeltent pas de comprendre.


Quel que fut l' élu du 10 décembre, en effet, pro.-
duil d'une situation révolutionnaire, il était forcé
de devenir, a peine d'une prompte déchéance, ]'01'-
gane de la révolution. La coalition des réacteurs,
en appuyant Lauis Bonaparte, agit comme si. en
s' assurant de l'homme, elle pouvait conjurer la
chose; -la démocratie, de son cOté, en persistant
apres l' élection dans une opposition trop bien justi-
fiée, oublia trop souvent aussi que sa cause ne pou-
vait dépendre dn bon plaisir de celui que la révo-


'"




- 62-
lution venait de se donner pour chef. Contradiction
des deux parts, qui devait en amener une foule
d'autres.


J'insÍste sur ce princi.pe que j'ui eu l'occasion
Mja de ruppeler : le chef d' état, meme héréditaire,
ne représente pas un parti, n'héritepoi.nt el'une
pr~priété; il représente un.e situation, il hérite
d'une nécessité. Les roi8 de France de la troisieme
race, qui, avec des tempéraments tres-différents,
poursuivirent tous, et de main en main, la meme
reune, l'abolition de la féodalité; de nos jours
Robert Ped, qui, chef des torys, ne cessa de com-
baUre la politique des torys, en sont de beaux
exemples.


Louis-Bonaparte, indépendamment des sympa-
thies populaires qui l'avaient élevé au pouvoir, était
done, apres le 10 décemhre, le représenlant de la
révolution; par son alliance avec les chefs des
vieux partis, au contraire, et par l'opposition des
républicains, il était le chef de la contre-révolution.
Ce renversement de roles, qui meUait tout le
monde dans une situation fausse, faillit coúLer cher
au nouveau président. 11 était ruiné sans ressource,
si des la fin de 184·9 il n'eut désavoué, d'une ma-
niere plus ou moins directe et formelle, la poJitique
de la majorité; si surtout ccUe majorité ne lui. eut
ménagé, dans la 10i du 31 mai 1850, une hranche
de salut. ...


Passons sur les années 1849, 50,51, et arrivons
de suite au 2 décembre.


Vapparition de la démocratie aux afTaires n'avait
produit en réalité qu'un résultat, e' était de popu-
lariser, au moins pour quelque temps, l~ suffrage




- 63-


univcrscl, en le préscntant au pellple cornme 1'ins-
frurnent infailliLle de la révolution sociale. Or, la
loi du 31 mai ayanl réduit d'un tier8, et dénaturé
par le systerne des exclusions, le suífrage uníversel;
la dérnocratie, de son coté, faisant du maintien de
cetle loi un casus belli pour 1852, l' occasion était
décisive pour Louis Bonaparte. Sa réélection dépen-
dant de sa popularilé, el sa popularité de la con-
duite qu'il allait tenir sur le rétablissement du suf-
frage universel, foute la question pour lui était de
savoir si, en appuyant la loi que ses ministres
avaient votée, il se ferait le Monck d'une nouvelle
restauration; ou bien si, en se joignant aux répu-
blicains, il deviendrait une seconde fois le chef vi-
sible de la révolution. Avec la majorité royaliste.
Louis Bonaparte descendait du fauteuil, comme
Cincinnatus, :\'Ionck, Washington, fotit ce qu' on
youdra, n'emportant pas nH~rne une pension de
rcfraite; joint aux démocratcs, c' est-a-dire au prín-
cipe démocratique, ii était a la tete d'une force su-
périeure, et sans concurrent possible. La constitu-
lion lui donnait congé, sans doute; mais le peuple
le rappellerait l. .. Que Louis Bon aparte , en vertu
dc son initiative, proposat done l' abrogation de la
loi du 31 mai, et mlt ainsi la cause du suífrag€ uni-
verse] sous sa protection : toute sa popularité lui
revcnait a l'instant; il dcvenait, ipso (acto, et mal-
gré tont, maitre de la position.


Et d'abonl il gagnait a cetle conduite deux avan-
tages immenses : le premier, de faire voter avec
I ui, pour lui, quelque répugnance qu' elle en eut,
tou!e la gauche, et par la dc se montrer aux reu):
du peuple comme le chef de la révolution, puis-




- 6h-
qu'il était d'accord avec les révolutionnaires; -le
second, de placer la majorité dans la triste alter-
native, ou d'étre entierement subalternisée, décon-
sidérée, si elle suivait le Président, ou de donner
elle-meme le signal de la guerre civile, si elle per-
sistait. A lui le beau róle, a elle le personnage
odieux. Ce dernier parti était le pire, puisque la
majorité se prononl.fant pour le maintien dela loi,
sacrifiant a une question de dignité 10utes leiS
chances de sa cause, et le Présidcnt rcfusant de
prete!' main-forle a ses d¿crets, dans ce conflit entre
la monarchie et la démocratie Louis Bonaparte ap-
paraissait a la fois, au peuple comme le défenseur
de son droit, a la bourgeoisie comme le protecteur
de ses intérets.


Ce fuf pourtant ce parti que choisit la majorité.
L'histoire fIétrira ces il1telligcl1ces décrépites, ces
consciences impmes, qui préférerent a une récon-
ciliation avec la gauche le Tisque des libertés, et
qui, dans une situation aussi nelte, pouvanl d'un
mot annuler la forlune de Bonaparte, travaillerent
de tout Jeur pouvoir, de toutes leurs roueries, au
triomphe de l'homme qu'elles ha"issaient.


Du 4. au 30 novembre 1851, l'action marche
avec une prestesse militaire. L'Élysée propose, cluns
son message, le rappfl de la 10i du 31 mai : la
~lontagne appuie. L'Elysée s'abstient de vot,er sur
la loi mllnicipale : la Montagne l'imite. t'Elysée,
s' emparant "du systeme d' abstention, recommande
aux électeurs de ne se pas présenter aux comiccs de
Paris : la démocratie, engagée par ses précédents,
s'abstient également. L'EIysée, enfin, repousse la
proposition des questeurs : la Montagne vote comme




- 65_
lui. La Montagne et l'Élysée font corps, la fusion
parait compIe!e.


On a critiqué ce dernier vole des Montagnards :
a mon avis, c' est sans justice. Déjil ils élaient do-
minés, absorbés : une volte-face du cóté de la ma-
jorité n'eut servi qu'a rendre la situation plus como-
pliquée, plus périlleuse, sans rien enlever de ses
avantages au Président.


Par la proposition de rappel, ne l'oublions pas,
Bonaparte était devenu le défenseur armé du suf-
frage universel; la faveur du peuple pour lui, en ce
moment, était au niveau du 10 décembre 18' ..8.
Lui uter le commandement de l'armée, et 11\'1'er Ce
commandement au général Changarnier, a la
contre-révolution, c'était pour la l\'lontagne une
inconséquence qu' expliquait sans doute la haine
de l'homme, mais inexcusable devant la logique.
Or, c' est la logique qui mime les affaires; le
sentiment n'y est qu'une cause de déception. On
a dit que, le Président renversé, la Montagne au-
rait eu bon marché d'une majorité impopulaire.
Peut-etre : le 2 décemhre a fait voir comment l'ar-
mée observe la discipline, et Changarnier, armé
d'un décret de l'AssemlJlée, n'eut pas moins fait de
besogne que Saint-Arnaud. Mais qui ne voit que si
la Montagne se fUt tournée contre le Président, le
Président, résoln a ne pas eéder, se serait insurgé
au nom du suffrage llIÚ' etsel conlre l' Assemblée,
que le pcuple ~l! ~er.1it joint a celui qui portail le
drapean de ses dl'lJib; (Ille la MlIlltagne n'aumit. pu
:'t/iHe jllsqu'au bUlIt les ('Ollsél[ucnccs de son VOÍt',
el ;mrait {ini par se l'alliel' ilBonaparte; (1'1'alol's,
son il1conséquence cut éclaté au grand joUl'; et


4.




- 66-
que, viclorieuse ou vaincue en compagnie de
l'Elysée, elle perdait, avec sa dignité, le fruit de sa
tactique?


Pour mOl. ie partage enticrement l' opinion ex-
primée par Michel (de Bourges) el Victor Hugü.
lis ne pouvaient pas, eomme ils ¡'ont dit, armer la
loi du 31 mai, la contre-révolution; ils ne pou-
vaient, sans abandonncr la poli tique des principes
pour eeHe des personnalités, meUre a ce roint leur
eonduite en opposition ayec leurs paroles. Le rejel
du rappel de la loi du a1 mai et lü proposition des
quesleurs étaÍent deux actes so\idaires, que le bon
sens ~éfendait de seinder. A ulanl, par la proposition
de l'Elysée, on rentrait dan s la Constitulion, autant,
par celle des qursteurs. vraie eseobarderie, on en
sortait. Voter aujourd'hui pOlIr le sufTrage univer-
sel, e'était prendre l'engagement de voler del11ain
contre l' éreetion d' une dicla!ure en opposition a la
présidenee : tout le malheur de la Montagne, dans
eette occasion, a été de ne pas embrasser résolú-
ment la situation qui lu! élait faile, d' aceepler, telle
quelIe, son allíance du moment avec l' Elysée, et
d'en poursuivre jusqu'au bout les conséquenees.


lHais les passions trop animées, les ressentiments
trop acres, ne laissaient plus de place a la réflexion.
A partir du J7 novembre, les roles sont compléte-
ment intenertis, au délriment de la majorilé, et
sans bénéfice pour la lVJ9ntagne. Au líeu de subal-
terniser la premiere, l'Elysée tralne a sa remorque
la seconde, et eommo il n'est l'allié d'aueune, il
les domine toutes deux. La gauche sentait parfaite-
ment ce qu'avait de faeheux pour elle son auitude:
ses orateurs et ses journaux n' épargnerent ríen pour




- 67 -
établir leur indépcndanee, se séparer de la politique
présidentielle, etc. Ces apologies réeriminatoires
étaient, dans la eireonstanee, fort inutiles, par eon-
séquent elles étnicnt une faute de plus. Les démo-
erates, sUlvant leur habítude,AJar exees de seru-
pules, se perdaient. En polit!que, alors surtont
qu'on opere sur l'intelligence bornée des masses,
alors que les queslions multiples et eomplexes
tenoent á se résumer en une formule simple, iI
n'y a que les faits qui comptent, le méritc des in-
dividualités est zéro. La Montagne tombait dans le
piége ou s'élait prise la majorité. Au lieu de fa}re
une opposition toute personnelle a Louis Bona-
parte, elle n'avait qu'a se taire, et se tenir prete a
partager avec lui le fruit de la victoire. Nc ,'alait-¡I
pas mieux, je raisonne iel, comme Thémistoele ou
Maehiavel, an point de yue dc rutile, que ~lichel
(de BourgesJ fUt ministre d' état ou président du
conseil le 4 déeemhre, que d'aller a Bruxelles,
dans un exil s~ns gloire, pleurer l' erreur de l'invi-
sible sow:erain? le sais bien que le peuple, sarcas-
tique et goguenard, eommell(:ait a traiter les lHon-
tagnaros de scnaleurs, et qu'ils ne pouvaient, sans
se démentir, tolérer de si injurieuses suppositions.
Lenr susceptibilité sera un trail de plus de la hon-
homic de notre époqne. César s'inquiétait peu des
plnisanleries de ses solda/s. Restez chez vous, ames
vertneuses; donnez il vos femmes et a vos enfants
l' exemple quotidien de la modestie et du parfait
~mol1r; majs ne rous mélez pas de politiqueo JI
Jaut, demandez a ceux de 93, une conscience large,
que n'effarouche roint ú 1'oceasion une alliance
adultere, lE. foi publique violée, les lois de l'huma-




- 68-
nité foulées aux pieds, la Constitution Muverte d'un
voile, pour faire la besogne des révolutions ..•.


Si la pensée du 24 février fut sans comparaison
plus grandiose, plus généreuse, plus élevée que
la fatalité du 2 déc~bre, iI s' en faut qu' elle portat
avec elle un aussi profond enseignement. Qu'un
gouvernement s'affai:sse sous le dégout public;
qu'une démocra;tie se montre a son début pacifique,
conciliatrice, púre de violence, de mensonge et de
corruption; qu'elle pousse la délicatesse jusqu'il. la
minutie; le respect des personnes, des opinions el
des intérets, jusqu'au sacrifice d'elle-meme : tout
cela, produit d'une civilisation déja avancée, ma-
tiere a poésie et éloquence, cornme dit Juvénal, Ut
pueris placeas el declarnatio pas, tres·bon a rap-
por ter dans la Morale en action, n'a rien de grave
pour l' esprit, rien de philosophique.


Mais qu'un homme, dans l'état de délabrement
ou était tombé Louis-Napoléon avant le 2 décem-
bre, président en partan ce , n'ayant depuis son
élection, absorbé qu'iI était ou couverl par ses mi-
nistres, rien fait qui fit valoir sa personne, contra-
rié, contredit, abandonné par ses fideles; surveillé
par tous les partis, n'ayant de recommandation
que ceHe d'un onde mort aux iles, iI y avait de
cela trente-deux ans I que cet homme, dis-je, seul
et contre tous, avec des movens connus, el l'aide
de deux ou trois afildés jus:lu'aloJ's [lrofon(ll~mrllt
obscurs, tente un COIl)) d'{~lill el réllssi~sc : \oilú ce
l[lli, micux ¿Iu' aucun événl~llIent, monLrc la furce
des situations el la logique de l'hi~toire. Voilú SllI'
.quoi nous devons, l'épublicains, proftllulélllt'nl
réfléchir, el qui doit nous mettl'e en gaN.le pOU!'




- 69-
la suite contre toute politique subjective et arbi-
traire.


Qu'on répete tant qu'on voudra que le 2 décem-
bre a été un guet-apens, un acle de brigand, OU
l'arrnée s'est rnontrée féroce, le .. peuple lache, le
pouvoir scélérat : tout cela ne faÍt qu' embrouiller
l'énigme. Certes, il faHait etre un peu l'homme de
Strasbourg et de Boulogne pour accomplir le 2 dé-
cembre ; mais en accordant a l' événement tous les
caracteres qu'on lui donne, il reste toujOUl'S a
expliquer ccci : Cornment celui qui échoua si mi-
sérablement a Boulogne et a Strasbourg, dans des
circonstances qui , d'apres nos mceurs insurrec-
tionnelles, ne pouvaient que lui concilier une cer-
taine estime, réussit a Paris dans des conditions
odieuse"s; comment a point nommé, le soldat, si
sympathique a l'ouvrier, sous prétexte de disci-
pline s'est nlOntré impitoyable; comment le peuple
a été lache, plus ¡¡lehe que le gouvernement ren-
versé par lui en 1848; cornment, un malin, iI
s'est pris de haine pour la liberté, de mépris pour
la Constitution, et d'adoration pour la force 1


Il est cerlain, quoi qu' on ait dit du courage de
l'armée au 2 décembre, que ce courage a été s1n-
gulierement excité par ]a défection complete, di-
sons mieux, par l'adhésionformelle du peuple. II
est certain qu'un moment, ]e 3 et le 4, il sufGt
d'une poignée d'insurgés pour rendre douteux le
succes du coup d'Etat, et que si, a ceUe heure,
]e peuple, remplissant les rues, avait magnétisé
le soldat, la chance tournait contre Louis Bona-
parte.


La masse, i] faut l'avoucr, parce que cela nous




- 70-
esl encore plus honorable que de le taire, la masse,
en haut et en bas, a été complice, ici par son inac-
tion, la par ses applaudissements, ailleurs par une
coopération effective du coup d'Etat du 2 décembre .
.le l'ai vu, et mille auires, aussl peu suspects de
bonapartisme , ]' ont vu aussi : ce n' est pas la force
armee, c'est le peuple, indifférent ou plutot sympa-
thique, qüi a décid.é le mouvement en faveur de
Bonaparte.


La bataille était gagnée avant d'elfe livrée. De-
puis trois ans la révolution méconnue, outragée,
mise en péril, appelait un chef, je veux Jire par-
Ia, non plus un écrivain, un tribun, elle en aYaít
ele resle; mais un homme en posítion de la défen-
elre, Bonaparte n'avait a répondre que ces deux
mots : l\lE VOILA 1 Eh bien 1 ces deux mols, ílles a
dits, et comme en poli tique les intentions ne sont
ríen, les actes tout; comme depuis un mois, Eo-
naparte faisait acte révolutionnaire, la révolulion
l'a prisau mot. Elle lui a donné la victoire, sauf
plus tard a compter avec lui.


Comment, direz-vous, le peuple, au lieu de crier :
Vive le Roi ou Vive la Ligue, n'a-l-il pas crié: Yire
moi-méme? comment, en soutcnant J'une main
le suffrage universel avec Bonaparle, n'a-t-il pas
défendu, de l'autre, contre Bonaparte, la con5-
titution? - Comment! Vous connaissez peu la
multitude; 1'hisloire ne vous a point inilié u sa
psycologie.


Rien n'est moins d~mocrate, au fond, que le
peuple. Ses idées le ramenent toujours a l'üutorité
d' un seul; et si l' antiquité el le moyen age nous
ont transmis le souvenir de quelques démocraties,




-71-
on trauve, en y regardant de pres, que ces démo·
cralies résul:aient bien plus de la difficulté de poser
le prince, que d'une inlelligence véritable de la
liberté.


A AHúmes el dans toule la Grece, les annales de
la démocratie ne présentent guere qu'une série
d'usurpations, qni, ne parvenant jamais a se légi-
timer, a fonder des royaulés, basíltYias, comme en
Orient, élaient appelées ty-rannies, dominations.


ARome, lorsque l' insfituLion antique des patro-
nages et des c1ienteles cut été anéantic, et que la
plebe, SOtiS la conduite des tribuns, eut triomphé
du patriciat, personne n' eut garde de comprendre
que ce qui rcstait a faire, pour assurer la liberté,
e' était, apres une loi agraire et une autre sur 1'u-
sure, une [inslitution de garantie contre le cumul
el la centralisation despouvoirs. Une telle idée était
prématurée pour l'époque; l'humanité était réser-
vée pour d' autres destins . .J ules-César, héritier des
Gracques, fut donc créé dictateur perpéluel; et la
nH~me dignilé continuée, sous le nom de Principat,
a Octave et a ses successeuI'S, la conslitution de la
république fut remplacée par la constitution impé-
riale, Le peuple eut du pain et des jeux; mais ce
fut fait de la liberté.,.


Dix-huit sieeles se sont écoulés depuis ceHe ré-
volution, lorsque le peuple fran~ais, ayant abolí ses
institutions fóodales, se trouve dans la meme situa-
lion que celui de Rome. Que font alors les chefs
poplllaires? Toujours pleins du meme préjugé, ¡ls
fOllt décréter, sous le nom de Republique une et in-
diásible, un gouvernement plus savamment con-
centré que l'aneien, el qui faislIit di re aux émigrés :




- 72-
« La royauté existe toujours en France; il n' y man-
» que que le roi. » Aussi la royauté ne se fit pas at-
tendre : apres quelques années d'agitation le pou-
voir tomba, aux acc1amations de la foule, aux mains
de Napoléon... .


En 181~8, la centralisation créée par la répu-
blique, l'empire et la monarchie constitutionnelle
tendait a se dissoudre, quand tout a coup la dé-
mocratie se trouva de nouveau maltresse des choses.
Alors, comme si l'analogie des situations devait
ramener perpétuellement les memes antinomies,
l'influence rendue au peuple eut de nouveau pour
résultat, non pas de remplir le vceu des c]asses
moyennes, en poussant a la décentralisation, mais
de réveiller la pensée d'une dictature. Les journées
des 11 mars, 16 avríl, 15 mai, n'eurent pas
d'autre but; cnfin, aux journées de juin, la dicta-
ture fut instituée en la personne du général Cavai-
gnac, l'homme qui l'ambitionnait le moins, contre
ceux qui la voulaient le plus. L' exemple, couvert du
prétexte de salutpublic, ne futpasperdu: en 1849,
nouvel essai de dictature, et toujours contre la dé-
m ocratie , qui des ce moment, préparant sa revan-
che pour 1852, ne caressa plus d'autre iclée.


A la date clu 2 décembre, les masscs fatiguées,
aussi incapables de délibération que d'initiatiye; la
bourgeoisie inquiete, aÍmant a se reposer sur un
chef complaisant de la garde de ses intérets; tous
les partis étaient préparés pour ceUe grande mesure,
dont on espérait des résultats décisifs. Du cóté des
républicains, ce qui fdistinguait les hommes d'ac-
tion des endormeurs, c' est que les premiers voulaient
procéder par une dictature énergique, tandis que




- 73-
les sccondsprélclHIaicnlqu'ol1 se rcnfcrnút, quand
memc, dans la constilution.


Ajoulons que les iMes monarchiques, reproduites
chaque jour avec une pulJlicité insultante, aidaient
singulieremcnt ü la marche de l'opinion dictato-
riale. Le principe J'autorité admis par les royalistes
COll1me nécessairc, par la démocralie comme transi-
toire, la p('ns~e en ce moment était une: on ne dif-
férait que sur les mots. Des dcux catés, le pouvoir
pcrsonnel, l'aulorité d'un seul, apparaissait comme
organe logiclue el moyen indispensable de solu-
tion. Áussi bien, sur la fin de 1851, n'était-ilplus
question de réformes, de créations, d'améliorations
quelconques. Il s'agissait, avant tout, de se baltre.
Tons les partis armaient, fabriquaient de la pondre,
captaient la faveur des militaires. Pour les uns le
dictllteur futur était Changarnier, pour les autres
Ledru-Rollin ou n'importe qui. La situation, que
tont le monde avait faite, mais avec laquelle pel'-
sonne ne comptail, youlut qae ce fut Bonapartc.


Le 2 décembre au matin, une proclamC\tion affi-
chée rlans la nuit apprend aux Parisiens a peine
éveillés, « cIue I'Assemhlée nationale est dissoute,
t) le suffrage universeL J'élabli, le peuple convo-
) qué dans ses comices a l' eITet de déclarer, par
J) oui ou par non, s'il adhere au coup d'Etat, et
» s'il autorise Louis-Napoléon a faire une Constitu-
) lion Sur les ba~es de eeHe de l' an 8, et el' apres les
» principes de 89. » Le tout, appuyé d'un nombre
de canons et d' une force armée respectable.


Telle est en substance la proclamation. Le
smplus, on peut le considérer comme verbiage,
eau bénite de COUl', phrase::; ele circonstance, par-


o




.. - 74 -


fois mctne íncomicléd~es. Le l'appcl de la cúmti··
tlllion de ¡'an 8, par excruple, lruhismit une préoc-
cupution personnelle, el faisait tache au tableau.
~Iais n'y a-t-il ras de taches au soleil? Et ¡mis,
qu'impodait au peuple la conslitulion de }'an 8,
plu!iJL que celIe de l'an 2, pluliJt que celle de l'an 31
Est-c() que la sociélé écri.t ses constitutions? de-
mandait M. de Maislre. Le peuple ne les lit pas
davanlage.


01', voyez comme tout ~ela lombe d'a-propos:
Bonaparte dissout l' Assemblée par la force: Voila


l' homme el' (lcc'ion, le dictatcur /
Bonaparte en appelle au reuple: Voila le SUF-


FRAGE UNIVEllSEL !
,Bonaparte s' en réfere aux idées de 89 : Voila la


REVOLUTlON I
Le peuple es! logique, non pas a la fac,;on des


philosophes qui distinguent el qui argumentent; il
est logique comme le boulet qlli sort du canon,
comme le marteau de l'horloge, comrne l'aulomate
de Vaucanson. CornrnenL eut-iI pu s'opposer a I'en-
treprise de Louís Bonaparle? 11 lui auruit fallu,
comrne a Sganarelle, distinglle\' entre fagotset fagots,
accepter le suffrage ulliverscl d'une main, l'epous-
ser de I'autre la constiluLioll de 1'an 8; applaudir
du creur a la déconfiture de la rna~orité réaclion-
naire, et soulenir du vole le príncipe de la repré-
sentation nationale : opérations suLtiles dont la
masse est incapaüle.


Ce n'est pas lout. Le Président s'était fait connal"
tre jadis par des écrits socialistes : ses amís conser-
vateurs en avaienl presque demandé pour lui par-
don au pays. Le peuple, qui juge les hornrnes




- 75-
a'apres lui-meme, sait qu'ils peuvent trahir et se
vencIre, mais qu'ils ne changent pas. Il dit, le mol
est hisloriqlle: Barbes a demande paur nous un
milliard aux riches; BOJ/aparte 1/01IS le dannera 1
Largesse l comme au temps Jes rois. C' est tout le
socialisme au peuple.


Bientot on apprencl que les généraux Changar-
nicr, la terreu)' des fauhourgs; Cavaignac, si oaieux
depuis les journées de juin; Bedeau, Lamoriciére,
le coloncl Charrus, ont été enlevés de leurs domici-
les, enferll1és á Mazas, pour etrc de la dirigés sur
Ham. Le peuple jouit de la satisfaction donnée a
ses haines; iI rappelle le mot de Changarnier aux
représentants: Delibhcz en paix ! et rito


Une réunion de représentants, ayant a leur tete
MM. Berryer, O. Barrot, Crelon, Vitet, etc., se
forme au 10C arrondisscment. Elle est enlevée par
la troupe, et eonduite, entre deux rangs de 501-
dats, au quai d'Orsay. Les citoyens, sur le passage
de eette puissanec déchue, se découvrent : le peu-
pIe, cruel comme les enfants, sans générosité, in.
sulte a lcur rJésaslre ; lis l' out vuuIu I Yainement
ils invoquent la Constitution! La Constitution, dit
le peuple, vous l'avez les premiers et sciemment
violée. C' est un chifl'on dan s une hotte.


Mais la Montagne I Ses membres les plus popu-
laires, Greppo, Nadaud, l\Iiot, sont arretés aussi.
C' était le commentaire de certains passages de la
proclamation oú le Président, s'adressant a des
égo'ismes rJ'un autre ordre, s'offrait comme sauveur
de la soeiélé contre les menaces des Rouges, en
ll1ell1e telllps qu'il se présentait a la multitude
comme le procureur de la Révolution. te peuple,




- 76-


ingrat, infidele a l' amitié, ne trouve a eette nou-
velle que des railleries ignobles sur la perte des
25 francs. Les montagnarcls étaient dépopularisés,
savez-Yous pourquoi"l paree qu'i\s étaient indem-
nisés. Le peuple, qui accueille sans sourciller une
liste eivile de 12 millions, aiten(lu, dit-il, que cela
[ait aller le commerce, regarde l'inclel1ll1ité de ses
représentants comme nn vol fait á sa bourse.
25 franes par jour 1 ues démocrales \ ... La démo-
eratie, e' est l' envie.


II n'y avait pas jusqu'ü la hardiesse ciu eoup de
main qui n'amusat le peuple. On lrouvait char-
mant d'avoir été prendre au lit ces hommes qui la
veille parlaient de mettre Bonapa¡·te á Vincennes,
et d'en finir avec la république. BraDo! bien CUu-
duJ, disaient les fallhollriens. Aucune victoire dé
l'Empereur ne les impl'essionna plus vivement.


CepencIa!1t l'ade du 2 décembre n'en restait pas
moins un attentat au premier chef conlre la con-
stitution et contre l'assemblée, parlant eontre la
répuhlique elle-meme. L'appel au peuple ne POll-
vait le eomrir: l'appel d'lIn individu au peuple ne
peut prévaloir contre le droit écrit du peuple. POUl'
cIue l'appel au peuple pul ¡llre pl'is en eonsidéra-
tion, il aurait fallu l au préülable, remettl'e les
clIoses in slofu qua. An point de vue de la léga-
Jité, Bonaparte était done coupahle, passible de
l' article 68 de la Conslitution. Bien vrai élait-il que
eette ConstitutioIl avait été luainle fois violée par
eeux qui parlaient maintenant de la défenLlre. ~lais
enfin elle était la loi, le lllOllumeut ue la réyolution
et de la liberté; loin qu'i] faHut déehircr le pacte,
la démocralie n'[\,;I\;[ d'apptli (Ill,~ ]J.




-77-
Le peuple ne voulut rien entendre. Le peuplc


ost tOlljours pour qui l' appellc; el par cela seul
fjue Ranupade se soumettait a sa décision, il était
Stll' d'ctl'e ubsous.


L' aycnir dira, il vue des aetes de Louís-Napo-
Jéon, si le coup d'état elu 2 décembre fut, je ne
dirai pas légitime, il n'y a poin! de légitimilé COI1-
1re la loi, mais, au point de vue de 1'utililé publi-
que, excusable. Tout ce qu'il m'appartient de
faire, c' est d' en reehereher les éléments, la signi-
lkation, la fataíité; e'est,.en rendant justice áceux
qui s'armerent pOllr le combatlrc, de sauver 1'hon-
nour nalional.


La Montagne a fait noblement son devoir. Elle a
sr,dlé de son sang une cause juste, mais désespérée.
Ce sang, eeluí de plllsieurs milliers de eitoyens, la
proseription en musse du parti démocratique, ont
lavé la patrie, et régénéré la révolution. L'Empe-
reur it Sainte-Hélcne disait, parlant des Espagnols :
({ Ma politique exigeait que 1'Espagne entrat dan s
)} mon sysleme : le changernent de sa dynastie
}) t~tait nécessaire. Le pcuple espag-nol s' est soulevé;
») c'élait }loor lui une question d'honnellr : je n'ai
» rien il dire. ~) Qu'il me soit permis en ce mo-
ment de m 'emparer des paroJes de l'Empcreur. Le
salut de la patrie, je veux le croire, et la politique
de touis-Napoléon, politiquc de progre s , sahs
doute, exigeaicnl qu'il oLtlnt, ü tout prix, une
prorogalion el unc extcnsion d'alltorité. Les répu-
hlicaills ne püuvaient, sans lácheté et 8uns pal'jllrc,
permcttre ceUe usurpalion. lls sc sont immolés:
llOllncur a cux 1 QH'on repollsse Jeu!' príncipe,
qu' on conclamne leurs théorics, qu' on proscrive




- 78-
leurs personlles, a la honlle heure 1 Que les syco-
phantes de la trihune, de la presse el ele la chaire
relioivellt le prix de leurs calomnies : c'est de droit.
La postérité rendra une pieuse justice aux vain cus,
la France citera leurs 110ms ave e orgueil.


Apres l'hérolque Baudin, apres Miot, qui seul
entre ses collegues a retellu le privilége de la dé-
portatioll, 011 cite, parmi les protestants les plus
énergiques, Victor Hugo, le granel pocte; Michel
(de llourges), le profonel orateur; Jules Favre. le
Cicéron républicaill; Crémieux, Charamaule, Ma~
díer-Montjau, Victor Schmlcher, jlarc Dufraisse,
le colonel Foreslier, la rédaction du National. Le
jOlirnal qui représentait plus spécialement la Con s-
titution de 1848 ne devait pas '! survivre : pourquoi
les haines qu'il soulevait jadis ne sont-elles pas
restées avec lui sous la barricade? ..


Que l'étranger, míeux instruít sur l'état de na-
fre pars, la question posée en février, le degré
d'intelligence des masses, le jeu des situations, la
marche des partís, nous condamne El présent, s'ii
1'0se 1 La llation fran~aise, qui a accompli déjil de
si grandes choses, n'a pas aUeint sa majorité. Des
préjugés vivaces, une éducation superliciellc, don-
née par la corruption civilisée plutot que par la
civilisation; de romanesques légendes, en guise
d'instruction historique; des mades plutOt que des
coutumes; de la vanité plutot que de la fierté; une
niaiserie proverbiale, qui scnait déja, iI y a dix-
neuf siecles, la fartune de César autant que le cau-
rage de ses légions; une légereté qui trahit l' en-
fantillage; le gaut des parades et l' entrain des
manifestations tenant lieu d'esprit public; l'admi-




- 79 --
ration de la force el le culte de ]' audace suppléant
au rcspect de la juslicc : (el est, en raccourci, le
portrí1it du peuple frun\:uis. De toules les nations
ciyili,ées, c'es! eneore la plus jeune : que fera cet
enfan t devenu homme!. .. Tonjours nous avons
suivi nos maUres, et nos quereIJes d' écoliers nous
divisant en une multitucle de bandes, toujours
nous avons succombé dans nos protestalions contre
l'autorité, quand nons n'avons pas en pour auxi-
liaire une fraction de l'qutorité elle-meme.


Au 2 décembre, apres une campagne de 30 mois
de l'Assemblée législative contre les institutions
qu' elle était chargée de défendre, le pouvoir exé-
cutif, maltre de l' armée, appuyé du clergé, de la
bourgeoisie, d'une partie considérable de la classe
moyenne, qu'em'~yaient les éventualités de 52.
tenle un coup d'Elat. Comme Charles X au 25
juillet 1830, le gouvernement partage la représen-
fation nationale et les clusses élevées : reste le
peuple. l\'lais tandis que Charles X, en violant la
Charte, attaquait la Hévollltion; Bonaparte se ré-
clame de la Révolution, et ne déchire le pacte,
il le dít du moins, que pour arrÍver aux partís
royalistes : des ce moment la mu ltitude, si elle
n'est pas pour luí tout entiere, devient neutre. Les
blouscs de Saint-Antoine refuserent neltement de
marcher : la Montagne les tl'OllVa jouanL au bil-
lard, et n'en pul meme obtenír un asile pour dé-
libérer. Sur le boulevúrd, pres de la mairie du
5e urrondissement, un poste ayant été enlevé par
des insurgés, ceux-ci furenl assaillis par une bande
d'ouvriers, et contraints de faire '-tsage de leurs ar-
mes eonlre ces élrallges alliés du pouvoir. Darrs




- 80-
le quartier Sainl-Marceau el la rue MouffelarJ, on
se fut aUiré un méchant parti, en arrachant seulc-
ment un payé. Ailleurs, le peuple fraternisait avec
la troupe conire l'émeute el lui fournissait des vi-
vres ! on eut Jit des comperes du coup d'Etat. Des
bourgeois, chiffonniers parvenus, fusillés par des
soldats ivres jusque dans 1eurs foyers, n' en app1au-
dissaient pas moins a la répression des briganils,
dont le Constitutionnr3l et la Patrie 1eur racon-
taient les s.inislres eXl)loits. Dans quelques départe-
ments, si l' on en croit les relations officielles, le
mouvement eut plus de gravité: cela tint á l'enré-
gimentation formée de longue main par les socié.
tés secretes. Les paysans, en quelrlues endroits,
élaient descendus sur la vílle, avec 1eurs femmes
et des saco: I!e dirait-on pas les hommes de Bren-
nus? Mais 11 peine la nouvelle se répand qu'a Paris
les Rouges ont le dessous, vite les paysans se reti-'
rent el se prononcent pOllf Bonaparlc. Le réritable
Amphitl'yon est l'Amphítryon oy, {'on dine 1 Il n'y
a pas de gens plus a lcur aise, dans les moments
critiques, que nos Sosies gaulois.


Etonnez-vous, arres cela, d(~s 7,600,000 yoix
données 10 20 décembre a Louis-Napoléon. Oh!
touis-Napoiéon est bicn récllemont l' élu du peu-
pie. te peuple, diles~vol1s, n'a pas été libre! le
peuple a été trompé! le peuple a eu peur! Vains
prétextes Est-ce que des hommes ont !Jeur(t ost-ce
qu'ils se trompen! en cas pareil '1 ost-ce (IU'ils
manquent de liberté? C' est nous, républicains,
qui l'avons répété sur la foi de nos trarlitions les
ij1us sllspcclos: Ln voix dn Peuple est la roix de
Dieu. Eh bien I la vüix de Dicu a nomIllé Louis-




- 81.-


Napoléon. Comme ex prcssion de la volonté popua
]aire, j.l est le plus légitime dcs souvcrains. El a qui
vouliez-vous donc que le peuple donnat ses suffra-
ges? Nous l'avo'ns entretenu, ce peuple, de 89, de
92, de 93 : il ne connalt toujours que la légende
impériale. L' empire a effacé, clans sa mémoire, la
république. Est-ce qu'il se souvient du comte de
.Mirabeau, de l\J. de Rohespierre, de son ami Marat,
du Pere Dllchesne? Le peuple ne saitque deux
choses, le Bon Dieu et l'Empereur, comme jadis il
savait le BOIl Dieu et Charlemagne. Si les mmurs
du peuple se sont inconteslablement adoucies de-
puis '89, sa raison est restée a peu pres an meme
niveau. En vain nous avons expliqué a ce monar-
que imberbe les DroÍls de l' homme et du citoycn; en
vajn nous l'avons fait jurer par cet aJage, la Répu-
Mique esl au-dessus du Suffi'age universel. II prend
toujours ses houseaux pour ses jambes, el iI pense
que le mieux haltant est cellli qui a le plus raison.


Comprendrons-nous, enfin, que la république
ne peut avoir le meme principe que la royauté, et
que prendre le suffrage nniversel pour base du
droit public, c' est affirmer implicitement la perpé-
tuité de la monarchie? Nous sommes réfutés par
nmre prop1'e principe; nous avons été vaincus,
parce que, u la suile de Rousseau et des plus détes-
Lables rhétcUl's de 93, nous n'avons pas voulu re-
connaltre que la monal'chie était le procluit, direct
et f,resqnc infail!ihk, de la spontanéité populaire;
rHlrC(~ que, npl'es :l\oi)' al)Oli le gOUYf'nH~Hlenl par
la YI'¡),r:c 11/<. Dicll, 110m; avons prétendu, á l'aiele
tl'lI ne :l1llrc lidiun, ('onsliLiwr le gouvernement
pOI' In !Ji'{!f'e dI/. fie¡¡l¡i(~; paree que, au líen d'elre


IS.




- 82-
les édueateurs de la multitude, nous nous sommes
faiLs ses esclaves. Comme a elle, iI nous faut encore
des manifestations visibles, des symLoles pal pahIes,
des mirlitons. Le roi détroné, nous aVOllS mis la
plebe sur le trone, sans vouloir entendre qu' elle
était la raeine d' OU surgirait tUt ou tard une tige
royale, l'oignon d'oil sortirail le lys. A peine déli-
vrés d'une idole, nous n'aspirons qu'a nous en fa-
hriquer une autre. NOU3 ressemhlons aux soldats de
Titus, qui, apres la prise du Temple, ne pouvaient
revenir de leur surprise, en ne trouvant dans le
sanctuail'e des Juifs ni statue, ni homf, ni ane, ni
phallus; ni eourtisanes. lIs ne eoncevaient point
ee Jéhovah invisible: e'est ainsi que nous ne eon-
cevons pas la Liberté sans proxenetes!


Qu' on pardonne ces réOexions ameres a un éeri.
vain qui jooa tant de fois le role deCassandre! Je ne
fais point le proees a la démoeratie, pas plus que je
rt'infirme le suffrage qui a renouvelé le mandat de
Louis-Napoléon. Mais iI est temps que disparaisse
ceUe école de faux révoIutionnaires, qui, spéeulant
sur l'agitation plus que sur J'intelligence, sur les
eoups de main plus que sur les idées, se croient
d'autant plus vigoureux eL 10giques, qu'ils se flaHent
de mieux représenter les dernieres eouches de la
plehe. Et croyez-vous done que ee soit pour plaire
a eeUe harbarie, a eette misere, el non pas pour la
eombattre el la guél'ir, que nous sommes républi-
cains, soeialistes et démoeratcs? Courtisans de la
multitude, e'est vous qui etes les embarreurs de la
révolution, agents secrets des monarehies que halaye
la liberté, et que releve le suffrage universel"


Qui done a nommé la Constituante. pleino de




- 83-
légitimistes, de dynastiques, de nobles, de gén~raux
et de préJats? - Le sulTrage universel.


Qui a f!ti le t O décembre t 848 ? - Le suffrage
universel. .


Qui a produit la Législative '1 - Le suffrage
universel.


Qui a donné le blanc-seing du 20 décembre? -
Le suffrage universel.


Qui a choisi le Corps législatif de 52? - Le
suffrage universe!.


Ne peut-on ras elire aussi que c'est IR suffrage
uniyersel (ftli a eommencé la réacLion le 16 avril;
qui s'est éclipsé derriere le dos denarLes le 15 mai;
qui est resté sourd a l'appel du 13 juin; qui a re-
gardé passer la loi du 31 mai; qui s' est croisé les
bras le 2 décembre? ..


Et je le répete, Iorsque j'accuse ainsi le suffrage
universe!, je n' entends nullement porter atteÍnte a
la Constitution établie, et au principe du pouvoÍr
actueI. J'ai moi-nieme défendu le suffrage univer-
sel, comme droit conslitutionnel et loÍ de rEtat; et
puisqu'il existe, .ie ne demande point qu'on le sup-
prime, mais qu'il s'éclaire, qu'il s'organise et qu'il
vive. Mais il doit etre permis au philosophe, au ré-
publicain, de constater, pour l'intelligcnce de l'his-
foire et l' expéricncc de r avenir, que le sufIrage
uniyerse!, chez lln peuple dont l' éclucalion a été
aussi négligée (Ille le nolre, avcc sa forme matéria-
liste el héliocenlrique, loin d' elfe l' organe du pro-
gres, est la pierre d'achoppcrnent de la liberté.


Pauvres ct ínconséquents démocrates ! Nous avons
fait eles philippiques conlre les tyrans; nous avons
preché le respect des nationalités, le libre ex.ercice




- 84-·
de la souveraineti: des peuples; nOus vouliont;
prendre le3 armes pour sOlltenir, envors et contrc
tous, ces belles, ces incontestahles docLrines. -- Il
de quel droit, si le sufl'rage uni versel élait notro
regle, supposions-nous que la nation russe fút le
moins du monde genée par le tsar; que les paysans
polonais, liongrois, lombards, toscans, soupirassent
apres lcur délivrance; que les lazzaroni fussent
pleins de haine pour le roi Bomha, et les transté-
verins d'horreur pour monsignor Antonelli; que
les Espagnols et les Porlugais rougissent de leurs
reines dona Maria et IsabeHe, quand notre peuple
a nous, malgré l'appel de ses représentanf.s, malgré
le devoir écrit dans la Constitution, lllalgré le sang
versé et la proscription impitoyablc, par peur, pUl'
b2tise, par conlrainle ou par amour, je vous laisse
le choix, donne 7,600,000 "oix a l'homme que le
pal'ti démocratique délestait le plus, qu'il se flaHait
d'avoir usé, ruiné, démoli, par trois ans de criti-
ques, d'excitations, el'insultes; quand il fait de cet
hOlllfllC un diclatcur, un cmpcrcur"? ..




VI.


LOUlS NAPOLÉON.


le ne suis pour rien dan s la formation du pou-
voir actuel : je voudrais qlre tous ses adversaires,
royalistes et démocrates, pussent en dire autant. Je
n'ai cessé de eombattre, dans la république el hors
de la république, les éléments divers quí devaient
falalement l'amener; je puis, comme Pilate, me
laver les -doigts de ecHe eréation spontanée : Die u
sait ce que fui osé pour en étoufTcr le germe! 11 n'y
avait pas de Président de la Hépublique, que déja jc
prévoyais qu'il en serait de la souveraineté du
peuple comme de la Jérusalem d'Ezéchiel, quí se
pámait d'alllour pour l' Assyrien et l'Égyptien, el
que je lonnais contee la folie de la moderne Ooliba.
COllllile l()uj(j1ll'~, In yoix du prophete s'e~t perclue
dans le dóserl, el la fOl'llicalioll s'cst aecomplie.
Plli~q\l'il p,t. inlllilp dl~ parkr ni ('onll'i~ ni pOllr,
l(u'il IlH~ wit:m IIlujl1~ lil'l'Jllis Je' rllifllll1WI' sun! ..•
Allx lJllissnnls le:, IJlli'~;:IIlI(·s "¡"rili's C'eslleur droit
p.1. c'I'~·:1 nulre rlevuil', I'llllnll (ju'il !le s'y mplc ni
1)(~di¡Jie 1Ii offense, A¡'.~qlle dolo el úljnri¡¡ 1




- 86-
Je veux di re El Louis-Napoléon la bonne aventure.


Je ne fais a mes prédietions qu'une réserve; e'est
qll'il reste parfaitement le maitre, a ses risques et
périls, de me faire mentir, et de tromper l'irrévo-
cable destino Le déeret est inflexible: mais l'homme
a la liberté de désobéir, sur la l)erte de son ame I
Cal', disait la loi des XII Tables, interprete de l'é-
ternelle Providenee, « Quiconque manquera El la 10i
;; sera saeré, » e'est-a-Jire, dans le langage antiquc,
imité plus tard par l' Eglise, dévoué aux dieux in-
fel'llaux, anatheme. Qui sec1ls faxit, sacet esto 1


Com bien, depuis 60 ans, ont élé aÍnsi saerés,
pOUl' leur ignoran ce aussi bien que pour leur ré-
beIlion I Louis XVI, Sacer esto 1 Napoléon, Sacer
esto 1 Charles X, Saccr· esto 1 Louis-Philippe, Sacer
esto 1 El parmi les répllblieains, la Gironde, Danlon,
Robespierre, Ledru-Rollin, Cavaignae, chaeun avee
les siens. Rien n'a pu les sauver, ni leur éloqllenee,
ni lem énergie, ni Ieur vertu. Qu'ils n'aient pas
voulu, ou qu'ils n'aient pas eompris, l'arret a été
le merne: Sacri wnto 1


Louis-Napoléon a aussi son mandat, d'autant plus
irnpératif, qu'il se l'cst adjugé de vive force. Le
connalt··il ? Dans le diseours d' ouverture du Corps
législatif, il a laissé entendre que si les partís n'é-
taient pas sages iI pourrait se faire cmpereur, sinon,
qu'il se eontenterait du Litre de Président. Eh quoi !
Prinee, vous ne savez pas au jusLe ce que vous re-
présentez, l'Empire ou la llépublique I A peine
entré dans le labyrinthe, vous avez perdu votre fill
Comment done espérez-vous de vainere le l\lino-
taure" Prenez garde que le sang des martyrs du
2 déeembre ne s' éleve eontre vous: Sacor es{o!




- 87-
11 serait possibJe, et je dois encore l'en avertir,


que fout en suivant son étoilo, Louis-Napoléon suc-
combat avant d'avoir achevé son reuvrc. Cest la
destinée ordinaire des initiafeurs de sceller de leur
sang Jeur initiation. Eux aussi, ils sont des victimes
expiatoires : la vengeance des vieux intérels et des
vieilles idées les poursuit a mort. Le peuple qu'ils
servent ne se leve pas pour les sauver : plus iI con-
quiert de hien-etre, moins iI garde de reconnais-
sanee. Dans ce rude métier de l'apostolat révolu-
tionnaire, il faut travailler gratis, souvent meme
donner son sang avecsa fortune. Mais lequel vaut
le mieux, pour un chef d' état,de périr par le fer
de Ravaillac, ou par eelui de Guillotin? de mourir
de la mort des martyrs, OH de celle des réacteurs?
Sacré pour la gloire ou sacré pour la honte, Bona-
parte, voila ee que je lis dans ton étoile : Sacer esto I


Puur jirer l'horoscope d'un homme, deux con-
ditions sont nécessaires : connaltre sa signification
historique et fonctionnelle) s'assurer de ses in-
clinations. La destinée de cet homme sera la résul-
tante de ces deuxéléments.


Un homme, dans toutes les circonstances de sa
vie, n'est jamais que l'expression d"une idée e'est
par elle qu'il se fortifie ou se perd, suivant qu'il en
procure la manifcstation, ou qu'il marche a contre-
sens de son influenee. L'homme dn ponvoir sur-
tont, en raison des intércts généranx qu'il repré-
sente, ne pout uvoir de volonté, d'individnalité, que
Son idée meme. Il cesse de s'appartenir, iI perd
son libre arbitre, ponr devenir serf dn destino S'il
prétel1dait, dans des vues persol1l1elles,s'écarter de




- 88-
la ligne que luí trace son idée, OH si par erreur iI
en déviait, il De semit plus l'homme du pouyoir, ce
serait un usurpateur, un tyran ...


Quel est done, d'abord, au point de vue de sa si-
gnifieation historique, touis.Napoléon? Telle esL la
prekliere question il laquelle nous ayons ilTépoüdrc.


Je l'aidit déjil : tbuis-~apoléon est, de me me
que son oncle, un dictateur révolulionnaire, mais
avee ectte différenec, que le premier Consul venait
clore.la premiere phase de la révolution, tandis
que le Président ouvre la seeonde.


La série historique nous l'a déjit démontré.
Ceux qui déclament eontre les idées révolution-


naires réfléchissent-ils que le role des rois de France,
pendant la troisieme raee, e' est la révolution; que
les états-généraux, sous saint touis, Philippe le
Bel, Charles V, touis XI, I.ouis XII, Charles IX,
Henri I1I, Henri IV, touis XIU, e'est la révolu-
tion; que le sage Turgot, le philanthrope Necker,
le vertueux Malesherbes, e' est la révolution?


Passons sur les états-générJux de I.ouis XVI,
par lesquels, apres un despotisme de 175 am, la
nalion reprenait, pour la réformer el la développer,
sa eonstitution traditionnelle; passons sur la Consti-
Luante, la tégislative, la Convention, le Directoirc,
([ni ne firenL apres tont que renouer eeHe chaine
des tel1lps, brisée par les rois. Mais I'Empereur,
quj rappela les nobles et les pretres, el n' cut garde
pourlanl (le lcm r(~ndre len!"s hiem:; qui romrit les
églisps, pn sanel.ionn:mt la conslitul.ion (In rlergé
pI la séru!arisalion dI! eulLe, e'est la rhollllioll;
mais la Cllarte dI" 18B, C[lIi enfan!a {'elles delR80
et 184-8, c'es! le pude l'ÚVollltiollnaiJ'c.




- 89-
Et ('elui quí, une premiere fois, en verlu de ce


pacle, fllt élu Président de la HépuhIique; qui, se
prévalant de ce meme pacte, bien qu'il en déchirat
la derniere cédule, et arguant des complots monar-
chíques, vient de se faire réélire pour dix ans chef
de eeUe meme République; celui.la, dis-je, reniant
son príncipe, son droit, si je puis ainsi dire, sa
propre légitimité, serait un homme de conlre-ré,'o-
lution!'- Je 1'en défie.


Or, non--seulement Louis-Napoléon porle en lui,
sur le front et sur l'épaule, le stigmate révolution-
mire; jI est l'agent d'une nouvelle période, jI ex-
prime une formule supérieure de la Révolution.
Cal' 1'histoire ne stalionne ni ne se répete, pas plus
qne la vie dans les plantes et le mouvement dan s
l'Univers. QuelJe est donc ceUe formule dont le tour
semble etre arrivé, et que représente, a peine de
non-sens, Louis- Napoléon?


Est-ee ce He Hépnblique, bonnelc et modérée, sa-
gemenl pl'ogressive, raisonnahlement démocratique,
r¡ui prévalut apres le 2!~ février? - Mais Louis-
Nupoléon en a renversé le monument; il en pour-
suit parlont les défenseurs. S'il ne voulait que ceUe
HépubliíJue, qu'a\ait-il hcsoin de faire arreler a
son domicile le général Cavaignac, le 2 décembre?
J] devait lui di re : Génél'al, YOUS m'avez remis, il
ya Iroís ans, le gOllvernail de la Bépuhliflue. Je le
dé pose a mOll tour en vos civiques mains, apres
avoir chassé les royalisles. Convoquez la Haute-
Cour, je rendrai devanl elle comple de ma conduÍte.


la monarehie constitutionnelle et bourgeoise?
- Relirez-vous, en ce cas, dirai-je il Louis-Napo-
l&on : ce n'est pas á vous de dépenser eeUe liste




- 90-


~ivíle, c'esL au comte de París. Puisquc vous n'avez
violé le contrat que pour rernettre les chbses in statu
quo, allez-vous-en. La hourgeoisie entend gérer ses
alTaires; le pouvoir, elle le veut pour elle; elle ne
reconnalt au chef de l'état d'autorité que eelle
qu'elle-meme lui a mesuréc. Sa maxime est con-
nue : Le Roi regne el rw gouverne pas. Certes, iI ne
vous manquera pas de recrues comrne I'honorable
M. Devinck, candidat d' opposition monarchique
avant le 2 décembre, aujourd'hui adhérent de
l'EIysée, qui trouveront quetout est bien dans votre
sysléme. Ces gens-la, en jurant pour vous .. mécon-
naissent l' esprit de leur caste. ta bourgeoisie vous
boude; elle se sé pare de vous de plus en plus: il
8erait ab~urde que. vous en fussiez le représentant.


La rnonarchic, dile légitirnc~ - Place alors au
eomle de Chambord 1 vous n' etes pas le ROl, vous
etes l' U.~urpateur. lIenri V vom le fait assez en-
tendre quand il engage ses fidcles servileurs et su-
jels a vous preter leur. concours en tout ce (Iue
vous faites contre la révolution, et qu' en meme
temps il lenr recommande de vous refuser le ser-
mento


Vempire? On le dit, le gouvernement a l'air d'y
croire. 11 inc1inerait peut-etre a ce He idée \ -
Mais, reprendrai-je, prenez garde. Vous confondez
votre tradition domestique avec votre mandat poli-
tique, vatre extrait de baptt~me, avec votre IDÉE. Une
tradition, si populaire qu'elle soit, quand elle n'a
frait qu' a la dynastie et ne se fond pas daos les ten-
dances d'une époque, loin d'etre une force vive,
est un danger. On peut B'en servir pOI1r escalader
le pouvoir : elle est inutile pour l' exercer. C' est




- 91 -


pour cela que dans l'h i~ [ni 1'8 lit íradition appuralt
constamment vaincuc : foi de nos percs, royalisme
de !lOS peres, mlY'l1I'S, coutnmes, préjugés, vertus
et vices de nos peres, vous eles finis a jamais! Et
toi, sublime Empercur, reste aussi sur ta colonne :
tu perdrais de ta taille, si tu l' avisais d' en des-
cendre.


Caligula u beau elre le fils ou g'rand Germanicus
et de la vertueuse Agrippinc, Chereas poignardc
sans respect ceUe h:adition vide. En vain Commode
se recommande des Antonins, Uéliogabale de lVIam-
mee et de Sévere : ces fils de famille, qui n'af-
firment d'eux-memes que.leur hérédité, soulevent
le momle impatient. Le talent et la verlu, non
moins que la débauche et le crimc, sont impuis-
sants a soutenir une itlée pas8ée a l'état de traclition.
Julien, espece de Chaleaubriand paúm devenu
césar, q\li en rleine révolution chrétienne écrivit le
géníe du polylhéis}Tlü, grand homme de guerre et
granel homme d'Etat, ame stolque; J ulien entre-
prend de ressusciLer la trarliLion idolatre, la vraíe
tradition impériule. Il est vaincu par le Galiléen !
De quoisont morts les Stuarts, rois légitimes
d'Eeosse et rl' Angleterre? de leur ficléIité a la tru-
(lition. Pourquoi Henri V ne rentrera-t-il pas en
France'? e'est [IU'il n'est et ne veut etre toujours
que le monument d'une lradition; e'cst qu'il a
perdu le fiL des ldées, qu'il n'a point de fonction
historique, point de mandat. Ce descendant de
Robert le Fort ne connalt de ses aneetres que les
armoiries: iI ne sait pas (IU'ils [urent penelant neuf
sieeIes les chcfs de la Révolution; iI ne sait pas
que son a'jeu} Rugues Capet, point ele départ de




- 92-
la Conslitution nalionale el de la décauenee de la
féodalité, fut roi YrL\lUlent l~gitimc, fiuoi qu'on ait
dit; tundís que Lonís XIV et Louis XV, par qui
fu! interrol1lpu le mouvemenL constilulionnel, et
Charles X, quí essaya d'y faire obstacle, perdírent
la légitimité. llenrí V J e'est la ro)'auté fran~aísc
dans EOn impénítence finale.
]~t puis, avec quoi faire el soutenir un empire?


on dit, ayec l'armée. 01', ~auf le respect dli au sol-
dat, l'e~prjt moden~e rópllgne it celte influcnce.
Napoléon, qui ne ful ClllperCUl' que par l'armée,
quí fit mana:mrcr lant de légions et avee tallt de
succes, l' éprouva lui-merce . lis n' en cculent plus!
disait-il SUl' la fin de sa ca-rriere. Cest qu' en effet,
a-vee la meilleure yolonlé du monde, nous n'en
pouvions plus .. Maintenanl les causes d'affaiblis-
sement de l'esprit guerricr, qui chez la nation la
plus helliqueuse et dans l!'s eirconstances les plus
favorables curent raison de l'Elllpereur, ont reelon-
hlé d'inlensité; el 5:111S paringer les illusions du
Congl'(~s ele la Paix, on peul douter que Napoléon
lui-meme, s'il vi,ait de notre lemps, fut autre chose
qu'un Lamoriciere ou un Changarnier. La France,
aufan! et peut-clre plus que lc reste de l'Europc,
ayec ses myriades d'induslries séparées, ~a pro-
priélé morcelée, sa population hesogneuse, vi,ant
au jour le jour, cherchant le travail, ne pouvanl
un seul moment, meme pour la défcnse des libertés
puhliques, se dislraire de ses lahcurs, la' France est
devenuc réfraclaire au métier des armes. La bour-
geoisie, la classe moreune, le penple meme, sont de
moins en moins sylllpalhiqucs a l'uníforme : iI n'y
a pluti que Je prclre qui fraternise avec le soldat.




- 93-
le pays compte ce qll'illui coúte, et n'ütlend qu'une
occasion de rappe]er daos leurs foyers ces enfanls,
armés pour la défcnse de ['ordre et le mainlien de
Su dignité. QUÍ prouverait l'inutililé de eeHe pro-
lection soldales(jue aurait yaincu l'empire, tant les
disposílions dll pays laissen t peu de chance a ceHé
hypotbCse de gouycrnement !


Empíre, Illonarchie con~tilutionnelle el légitíme,
république de mütlération et de vertu : ríen de tout
cela ne foul'I1it ulle raison d' existence au gouver-
nement du 2 dl'cembre, n'exl'lique le rule de Louis-
Napoléon. Il faut donc conclure, ainsi qu'il est ré-
sulté lJour nous de la situalÍon de la France au
24 février, des lacunes lai~sées par la premiere ré-
\olulion, des questions soule\ées par le socialisme,
de l'éviction des démocrutes, de la proclamation dll
2 déeembre, de l'adhésion dll peuple aux })romes-
ses cOlllenues dans celle proclamation, que le 2 dé-
eemhl'e esl le signal d'une marche en avant dan s
la ,oie rÓ'.olutiolinaire, el que Louis-Napoléon en
esl le général. Le ,eut-il? le sait-il? peut-il soute-
nir ce farc1cau: c'e~t ce que la mile nous appren-
dnt. Quant 11 présenl, il s'agit pour nous, je le ré-
pete, non pas des inclinalions el de la capacité du
sujet, mais de sa signitlcation. 01', ceLte significa-
lion du 2 décembre, l'hisloire la démontre, c' esi
la Rérolution dcmocl'atique et socia/e ...


Mais, peut-etre que eette démonstration, toule
de chron9logie, peche par la hase; pcut-etre qu'une
science plus haute, cn nous révélant a la fois le
principe des sociétés, la deslination des gouverne-
:nenls, la cause des réyolutions, nous ferait aper-
ce\o¡r le vice de ia d(lllnée hisloriql1E', et prouyerait




- 94-
que le hut du 2 déeernhre, et le role providentiel
de Louis-Napoléon, e' est, tout au I'cliOUrS, d' aneter
dans une mer immobile le torrent r{~Yolulionnail'e,
échappé lui-nH~me d'un ocean supól'ieul' a travers
les fissures d\m terraín bouleversé.


Sans doute, nous (}ira-t-on, tout gomerncment
repose sur ure idée dont il es! l'agenl, el qui en
meme ternps eonstitue su foree. Ils sont donnés l' un
par l'autre; ilsse produisent ¡'un l'at!lre : leur ae-
tion est réciproque et leur exi,-tence commune.
Ainsi-l'idée religieuse est tout a la fois principe et
produit d'une autorité: c'es1 elle (fui flt la puissance
des Numa, des Constantin, des Charlemagne, des
Califes et des Papes. Ainsi encore la centJ;alisalion
politiqlle, ce qu'on a appelé mystiquement dtoit di-
vin, a cause de sa spontanéité, es! prúduit et prin-
cipe d'aulorité : e' est elle qui détermina la for111ation
des ancienllrs monarchies, qui dans la Grece démo-
cratique assura la prépondérance des I'ois de Macé-
doine, qui en France illush:a la troisicme race de
rois; qlli, aprcs le 21 janvier, se servit des regici-
des eux-memes pom recomposer la monarchie.
~lais d'oll savez-vüus que l'idée gouverncmentalc


ou sociale, comme vous voudrez, doive se modifler
indéfiniment, jusqu'it ce qu'elle laisse l'Humanité,
élevée au plus haut degré de civilisation, san s formes
poli tiques 1 d' OÚ savez-Yous que tou t pouvoir qui se
substitue a un autre esL pour cela mi~mc un pouvoir
de révolution, condarnné ¡\ servir une révolution
nouvelle, laquelle dUl'ait pour tenne inévi laLle de
l'empol'ter? Qui vous dit, enfin, qu'un gomel'l1e-
ment ne puisse pas, d'une yue plus haute, se dé-
rober a ce qu'il vous plait d' uppeler su misan "isla-




- 05-
riow" el ~:'an~' ],()!1lonler le eours des sil'e1es, revenir
a ia somee de tout gouwrnemcnt, laquelle se re-
trOtiye au fond de ton tes les traditions, et qui eon-
stilue la desli née générale?..


A eeUe objecLioll, on a reeonnu la doctrine ultra-
montaine. An fond, e'esl lú négation du progres, et
la calomnie du genre humain. CesL aussi. loule la
seienee des jésuites, ennemis jurés de la raison,
falsificateurs de 1'11isloil'e, fautcurs de mauvaises
mreurs, par principe de religion. A les en croire,
il n'y aurait de lógitime, dans les annales de l'hu-
maniié, que la période cOlllprise entre l'an 1073,
date de l'avénement de Grégoire VII, et l'an 1309,
date de la translalion du SainL-Siége a Avignon.
Encore s' en faut-il que eeUe periode, pIeine de ré-
voltes, et de la part des princes, et de la part des
peuples, contre l'autorilé des Papes, soi! aux yeux
des jésuitcs entierement inéproehable. A plus forle
raison fout le reste, avant el apres, doit-il elre con-
sideré ¡ suivanL la parole de ~\! . Donoso-Cortes, comme
réprouvé. L'Eglise, jusqu'ü Charlemagne desliluée
de puissance te ill porelle, réprobation. .L'Eglise
feudatail'e des empercul's, réprohi~tion. L'Eglise sé-
parée de l'élat, répl'obatíon. L'Eglise, enfin, sa-
lariée ele l'état, menacée de pcrdrc encore, avec la
propriélé, le salairc, réprobation, ahominalion de
la tlé~olalion. Ce que veu!enL les jésuiles, c'eslI'E-
glise dominant l'étul, I'Egli'e férulant les I'ois et
les peuples, dispensan! les droits et les devoil's, le
travail et la récornpense, le plaisir et l'amour. C'est
en cela que consistent, suivanL eux, pOUl' les na-
tions, la vérité, la justice el la paix. A cctte cor.di-
tion sculement la sociélé renlrera dans l' ordrc,




- 9G -
jouira d'une sLubilité inalLérable. Et c'est pour par-
venir a ce but que les jésuites conseillent aux rois
de l'Europe, notamment a Louis-Napoléon, de re-
placer définitivement, chacun dans ses élats, le
trone al' aLri de l' aulel, eL de se coucher avec leurs
armées en truvers de l'histoire, dans laquelle,
disent-ils, et non sans raisan, il n'y a de salut que
pOtIr les révol utiollnaires.


En sorte que, d'apres les jésuites, il faudrait
rejeter commc apocryphes, et ne pouvant induire
qu'il une science illégitime, les quatre-vingL-dix-
neuf centiemes de l'histoire; prendre le gomerne-
ment ecclésiastique, tel qu'il s'est manifesté de
Grégoire VII a Boniface VIII, pour formule unique
de l'ordre dans l'humanité. Et comme la véritable
autorité se trouve la OU est la véritable formule, le
Pape redeviendrait, cOlilme au moyen age, le chef
suprcrne des primes, l'arbitre spirÍtuel et lemporrl
de, tous les gomernements. La restauration de
l'.Eglise Jonc, voilil, voilil, disent-ils, la naie ré\ 0-
lution; la théocratie, yoilil le uai socialisme.
Cornme ce prédicatcur en plcin vent, qui se voyait
abandonné de son audiloire pour un specta 'le de
polichineIJe, élabli en faee de sa ehaire, ils nous
crient, en agitant leurs erucifix Je bronze : Ecco,
eeco il vero pllleinel/o!


On a tan t fail pour le clergé, pour tous les cler-
gés dermis (Iuatre ans, qu'il hon droit chacun des
cultes que l' élat subvenlionne a pu en coneevúir
I'espoir d'une résUl'J'ection. L'affaiblissement meme
des mmurs tIue l'hisloire signale aux él)otIues de
transilioll, et la confusion des iMes, "icnnenl en
aide ti l'utopie théocratique. Ham l' Ill¡jl:ci~i(m de~




- 97-
croyances, chacun redemande a I'Eglise qui un re-
mede it la corruption, qui un préscrvatif contre la
l'éYolulion 80ciale. La bourgeoisie, quel heurcux
symptOme! apres un siecle d'inJifférence, se prend
lout it coup de fcrvcur rcligieuse. Elle avise tIue ia
rcligion pent etre utile a ses intérels : uussitClt elle
demande de la religion, heaucoup de religion. Une
rommandile s'esi orguniséc duns S0n sein, pOllr la
1'eslauration des idées religieuses. Chrisl a élé ap-
pelé au secours des diellX bourgeois, Mammon,
Plntus, ))orus et FO'nus. Christ n 'a pus répondu;
mais l'Eglisc, orthodoxe et réfo1'mée, s'esL emIJres-
s6e d'accourir. Apres les fameux pefits livres de la
me de Poitie1's, nous avon8 eu les conciles de Paris,
Lyon, Bordeaux, les mandemenls des éveques, les
sermons des curés, les preclJes des ministres. Un
jour ils chanterent pour la Républif{ue; la {Ol'tune
tou1'l1ant, ils se }ll'OlIOllccnt, en parfaite sécurité de
conscienre, conlre la Hévolution .


.4o.insi tu Yieille :;oeiété est fondée sur la théocratie.
Le fatal dilemme revienl toujOUI'S, Cathoíícifé OH
Liberte. Les jésuiles It~ savclil, et c'e:l ce qlli les
rcnu seuls for[s dans l'Eglisc, comme Jes socialisles
sont seuls forts dans la Hérolution. En vain les .ié-
suites sont désavoués par les éveques : ne vous Hez
pas a ces gallicans, doctrinaires de l'é~at ecclésias-
ü(ll1C, plus jé:mj[es en cela que les jésuiles. La théo-
cratie papale, ,~ous dis-je, est la derniere ressource
tic la contre-révolution.


L'Eglise, appelée par l'état, pourrait-elle donc
luí fournir l'idée mere, irréformable, l'aliquid in-
COllcusswn que pOllI'suivent tous 1<'5 pouvoirs, et
don! l'image rnohile, ~cmJ¡lahle it ces feux 1l0dllrneS


(j




- 98-
quí égarent le voyageur, les aUíre l'un apres l'autre
au fond de l' ablme?
. Je le nie. Je soutiens au contraire que le prin-
cipe de tout gouvernement est identique et adéquat
a sa donnée historique, et ma raison est péremp-
loire : c'est que, hors la loi meme du mouvement,
tout est mobile dan s la nature et dan s l'humanité.
la religion, conséquemment l'Eglise, comme tout
Je reste. Ce qu'on nomme repos, station, immobi-
lité, esi un état purement reJatif : en réalité, tout
pese, tout se meut, tout est en perpétuel change-
mento


Afin de rester dans mon sujet, et pour édifier
mes lecteurs sur cette question capitale de la muta-
bilité des idées religieuses, je consignerai ici les
propres paroles d'un vieux pretre, aussi savant qu'or-
thodoxe, il qui jo demandais son opiníon sur le
mouvement de la société et l'immobilisme prétendu
de l'Eglise. Si, lui faisais-je observer, la civil isa-
tion, ill'instar de tous les organismes, épl'ouve une
métamol'phose incessantc, comment accorder avec
elle l' immobili lé de la [oí? Et si la foi est emportée
dans le meme mouvement, comment cnJ1rc asa cé-
leste origine? ou est Sil véríté, son authenticité, sa
certitude? Etres changeants, qu'avons-nous il faire
d'une institution foi-disant immuable? Serviteurs
d'une loi comme nons transiloire, au contraire,
qu'avons-nous bcsoin, poul' la suivrc, d'autorité?
Ma iransition, e' est ma révélation; et tout ce que
j 'affirme, dans le cercle de ce mouvement, est suffi-
samment juridique et divino 11 y a contradiction
entre la destinée de l'homme et ce que vous pl'éten-
dez elre sa regle; en deux mots, entre la l'évolution




- 99-
el la religion. D'ou je conclus, que l'humanité ne
pouvant subsister que dans un perpélucl mouve-
ment, la religion, supposée éternelle el immuable,
n'est pas faite pour elle: si cette religion est vraie,
l'humanité n' existe pas; et, récipl'oquement, si
l'humanité n'esi point une chímere, la rcligion est
impossible.


TeUe était ma question tres-instante, et voici quelle
était la réponse de mon inlerloculeur. Il n'admet- ~
tait pas, bien entendu, en sa qualité de pretre, que
la révélation chrétienne fUt soumise, comme les
pensées des hommes, u la loi de progre s : pour luí
la religion exíslait de toule élernité, comme Dieu.
~Iais cette faculté d' évolution, qu' il rejetait dans le
christianisme, ill'admeUait dans la société, et c'est
par le mouvement, tres-réel, il l'avouait, de celle-
ci, qu'il rendait raison du mouvement apparenl de
celui-lil. L'lmmanité ne faisait ainsi que traverser
la révélation et s'immerger, en passant, dans le
sang de .Iésus-Christ. Quant ,u cOl1cilier la perpé-
tuite et l' indéfectihílité de l'Eglise ayec son regne
lrunsitoire, il le faisait a l'aide de la théorie de la
~¡\ce appliquée a la pluralité dcs mondes, cn,ten-
dant ainsi, de l'Univers entier, ce qui, dans l'Ecri-
ture et les Peres, semhle dit seulemcnt de l'habita-
tion terrestre, 7rárrf}~ clxol.Ji-I.I:;YY¡<;.


Lechristianisme, disait-il, estéternel eti mmuaLJe,
comme son auteur. 1\1ais l'humanité est évolutive
et changeantc, comme lous les elres vivanls. C'est
pour cela qu'elle n'était capable de recevoir la révé-
lation chrétienne que clans un agc relativement
avancé; qu'elle l'a exprimée ensuite peu a peu;
qu'en se débattant sous cet cnseignement surnatu-




- 100-


re1, elle a pUn! le proclllire el!e-mcme, et r¡u'au-
jourd'hui, par un décret incompréhensible de la
providence, le sens de la foi se fermanL en elle,
comme l'ou'ie chez le vieillard, elle semble a la
veille de s' en détacher. Le christianisme, apres
¿tl'e monté, comme le soleil, sur l'horizon des 80-
ciétés pemlanL un cerlain nombre de ~iecles, nous
est apparu un moment au zénith; puis il est entré
dans sa décadence, et l' humunité vie111is8:1n t, . se
corrompant ou changeant toujours, jc ne l' examine
pas, ii a commencé de s'éteil'ldre sons divers hori-
zons. A celte heure, ponr la majorit6 de la France,
il a cessé d'exister. Cette révolulion de la société,
sous la lumiere du ChrisÜunisme, il est facile Qe la
démon trer, les faste;; ele l'Eglise a la main.


Ainsi, poursuivait ce pretre, en ce fJuí concernc
la hiérarchie, n011S savons, par la frudition el
l'écriture, que I'Eglise a pUf,,;é par <lualre étuts
diIférents: la fraternité jnorganiquc, ou démocratic
purc; lc gouvernement des prctl'es ou al1clcns; la
fédération épiscop,ale, et la monarchie papale. f:c
n'esL pus tout : l'I~gIise, apres s'etre établie exclu-
sivemcnt dans la spherc du spiriluel, a fini pafl
emelopper le temporel : alltant les apolres se dé-
fendireut cl'cmpiéler sur le droil de césar, auLint
les papes de la grande époque prétet'clirent sou-
mettre les peuples a leor aulol'llé. Dcpuis le
13" siecle, un mouvell1cnt en sens inyerse s'est
manifesté. Letcmporel s' es} dislrai l du spiritl1el;
l'état s'cst scindé d'avcc l'E(l,lise; les princes ont
vouIu se renclreindépendants dcs ponlifes, tenif de
Dieu seul et rlirectement lcurs droits. Ven; la memc
époque, Jes conci1es se sont mis au-dessus des papes,




-,~,-
el, de fail, la fédération épiscopale a été de nouveau
rcconnuc. Les éVl~fjUCS, nommés par les princes
dcvenus a Ieur place les représentants des peuples,
n'oni plus élé qll'agré6s par le pape. La primauté
du Saint-Siége n'est done plus, en ce moment,
quant ala hiérarchic, qu'un symbole) et flllant a la
foi, qu' llne sorte de Cour de cassation ecclésiastíquc.
Le-l1louvement ne s' est pas arreté la, et bien qu'il
ait été constamment dissiri1ulé, réprimé et nié par.
la puisf'ance ecclésiaslique, sa réalité n' en re,,~ort
qu'avec plus d'éelat. Le principe du libre examen,
reCOl1nu paI~ les élats a mesure qu'ils sodaient du
giron de l'Eglise,· impossible a nier en soí, s~est
tourné eontre l'Eglise; la faculté d'examiner est
clevenue faculLé de décider, et e'est ee qlli ramt'me
invinciblement le Chrislianisme a son point de dé-
part, a la démocratic, á la dissolution.


Pourc¡uoi ce mouvcment d'ascension el de déca-
dence, que d'apres votre fac;on de parler, vous at-
tribucz au ehrislianisme, mais qui dans la réalité
n'appartient qu'á l'humaine nature? Les saÍntes
Ecrilures nQUS en donncnt la seule raison que nous


. puissions concevoir: Proptcr duritiam cordis eOTum;
et encore, Non potcstis pur/m'c. De m,;me fJ.ue Jésus
ne révélalt que peu a pou , a ses disciplcs, les pro-
fondeurs de sa doctrine, á cause de l'étal d'illfir-
mité de leuI's ¡¡mes; de meme, c' est a un élut pa-
thologiquc de notro natuJ'e, qu'jl faut uUribuer ceL
u!Iaibliss~ment de h f\:i, drrl1s lequ;,l 1.c~ philoso-
¡)hes cro~cnt ll';Hl\'Cr !:', prcu··;c tIc 1 onglnC natu-
relJQ el de la co]'ruplibiU;~ de la religion. Une dimi-
nution de capacité pOlll' les eh oses d.:; la foi, cluns le
cmul' ües hommes, n'cst pus plus difficile a admet-


6.




-102 -
tre au temps ou nous ,ivons qu'un accroissement
de ceHe capacité, depuis l'époque OU parut Notre-
Seigneur jusqu'it ceHe OU I'Egli~e manifesta sa lmis-
sanee par les croisades. Le concert divin, que Py-
tbagore déjil croyait enLendre, n'a pas cessé; l' l/o-
sanna éterne\ ne s' est ras afFaibli : e' est nous qui,
apres avoir été un instant guérÍs de nolre surdité,
reperdons l'oule spiritllelle. Tout passe done, en
autres termes, l'humanité ehange sans eesse : l' or-
dre de Dieu es! immuahle.


Bu coté de la doctrine, rneme évolution de res-
prit humain, et pour la destinée de la religion,
meme résultat.


te dogme chrétien, obscur, indécis, coniradic-
toire me me dans les écrils des apolres, se dégage
peu a peu des nuages amoncelés par les sectes d'O- '
rient et les philosophes convertís. A Nicée, il oh-
tient sa premiere eonstitu [ion. Pendant plus de
mille ans encore, il se développe, il s'éplll'e, c'est-
a-dire que l'Univers chrétien le eonr;oit de mieux
en mieux dans la plénitude de son essence, a tra-
vers les hérésies continuelles, les schismes, el l'anlÍ-
christianisme de Mahomet. La philosophie d' Aris-
tote, si fori en "ogue au moyen age, fut un des ins-
truments dont se servit la Providence pour pro-
durre en nous cette gloriellse intuilion. Enfin, au
concile de Trente, la vérité resplendit de fous ses
rayons: alors, malgré la protestation de Luther, on
peut dire que la foi, sous le rapport de la connais-
sance, fut complete.


A dater aussi de cette mémorable assemWée,
r attitude de l'Eglise de"ient toute négative. Elle
n'avait plus rien adonner, en faít de dDgme, a ses




- 103-


enfanls : apres lem avoir tout appris , elle ne pou-
vlIit plus que combatire I'éternel con trüdi cteur ,
celuÍ qui, selon la Bible, dit toujours NON, le Sa-
tnn de l'incrédulíté. ta parole de Dieu, entrant
duns le monde par l'audition, forJes ex auditu, peut
bien se produire par parties : .il implique qU'elle
se réforme, elle n'est susceptihle ni d'augmenta-
lion, ni de diminution. Le caractere de l'Eglise est
doncde garder le .~faln qua. Mais la rnison de
l'homme es! infatigable dans ses imeslígations; ct
plus ses pOÍnts de vue se mulliplient, plus elle de-
víent inquiete, lnsoumise, sur l' objet de la rcli-
gion. La est la pierre de scandale de notre foi.
Nous voudrions l'accommoder a notre philosophie,
l'éclairer de nos nouvelIes lumicres, tandÍs qu'elle
ne peut avoir rien de commun ayec elles. Quid
mihi el tibi est. mulicr? dit le Christ a Marie, sym-
hole de nofre J1Umanj/é. Aussj, est·ce iHee une
profonde inconséquence que certains esprits, plus
zélés que prudents, ont essayé de faire évoluer,
comme ils disent, le monllment désormais achevé
du genie chréticn. Comrne si le génie chrétien élait
autre chose que l'idée irnmuüble de Dieu! Mais
l'Eglise, avee une merveilleuse inspiration, ne les
a point suivis. Bossuet, F énelon , disciples de Des-
cartes, essayent en vain de philosophcr sur la foi :
l'exemple de Malehranche et des jansénistes leur
démontrc hientOt l'impossihilité de soumettre les
choses de la foi aux mesures de la raison. Autant,
un siecle plus tard, on vit le clergé rebelle 11 sa
eonstitution prélendue civile. autant le dogme
qu'il défend se montre rebelle a la philosophie. La
langue pourrait-elle déguster la flamme, et la lime




- 104-


mordre le dianwnt? .. De nos jours, cerlains cm-
piriflues ont youIn renure a ce dogme ce (IU'ils
nomment su vilalité,. ils sont allés jusqu'á dire fIue
le christianisme est la religion du progreso Une
telle proposition était ce qu'on peut imaginer de
plus absurde en th~olog¡e. L'Eglise n'a donné au-
Cune approbation a eeUe éeóle : la penséé de M. de
Maistre a déeidémimt prévalu. Que l'humanité
toume, tourne, cmportée dans sa civilisalion in-
terminable 1 le chrístiani¡;mc s'affirmc eomme in-
flni, éternel, immuable, absolu; il ne peut avoir
d'autre raison que son absolutisme, d'autre vie (llle
son éternité. Ce que demande le christianisllle,
s'jl est permis de supposer que l'homme se reti-
rant Dieu le eherehe, e' est que la hiérarehie ee-
clésiastique soit rétablie, au spirituel et au tempo-
rel, sur le plan de Grégoire VII; ce qu'il exige,
c'est que toute philosophie, a peine d'anatheme,
se renferme dans la limite des prescriptions tridcn-
tines; ce qu'il se propose, ce n'est pas de suivre
l'humanité dan s ses joyeuses aventures, niais de la
flxer, dans la eendre et le cilice, au pied de son
monumento


Que l'humanité, comete égarée, revienne un
jour a son soleil, et se fixe sur lui dans une orhite
réguliere, e'est ce que nous Jevons désirer tous,
mais ce dont rien ne nous garantit la ccrtitude.
Bien au contraire, 1'humanité paralt, en vertu de
sa nalure propre, s'óloigncr de plus rn plm" el le
cltristianisme monrir progrcssivcmcnt a ,.~es re-
gards; et tandis (Ille le pretre, les y(,[L\: ()EH'rls par
la théologie, le contemple dans sa splendeur el con
irnmensité, il n'apparait plusau vulgaire, a lravers




- 105-
le télcscopc de ]'j¡isto¡'re, que comme un astre
éteinl, sans diamelre apparcnl el sans parallaxe •..


- ElI (ruoi! m' éeriai-jc presque épouvanté,
vous, prell'e du Cltrist, e' es! ainsi que vous inter-
prétcz les promesses! L'humanité pcrdrait sans
retour sa re'¡lg'lOn, e\ "l"Y¡Ú\ 'S~iYoIéc de s(m nieu l
Vous n'admcUcz [las meme la possibilité d'une
conversion! Maís que penscz-vous done de cette re-
r,rwlescence des idées rcligieuses, qui s' esi mani-
festée si halltelllent depuis l'installation de la H.é-
puhlique, de cdte réprobation violente qui éelale
par tonlc l'EUI'ope contre les athées?


II me l'épondit, avec lln sentiment de foí pro-
fonde melé d'ironie :


le Christ nOllS a dit : Pensez-vaus que larsque
cienrlm le P'ils de l'}iolilme il (rouve encare de la
(oi snr terre? .. .le crois que le Verbe éclaire tour
a tour, en dwque sphere des cieux, toute huma-
nité; je crois ainsi que la religion, dans l' infini
des mondes, ne mClIrt jamais. C'est la que HOUS
deyol1s cherchrr la perpéluité el 1'11níversalilé de
l'Eglise; comme elle posséda l10tre terre, elle pos-
~eJe, en leur temps, tous les globes des cieux, con-
f'ormément a ce (lui esl dit ele l'éternité du Verbe,
et de son univel'selle illumination. Uais je crois aussi
que la capacité on faculté de rccevoir la foi dalls toute
11111e "ivélnte cst bornée; que si la grace est'gratuite,
elle a pOlll'!ant ::;a mesure; et qu'en toute sphére,
comme il y a une henre pour la révélalion, il yen
a une aus~j pum l'apostasie et le jugemenl. ..


Que vous dirai-je maintenant '7 Ce qui fail croire
a une réapparilion du chrisLian,ismc dans les ames
el au lriomphc pro(~hain de l'Eglise est le frémis-




- 106-
sement de ceUe faculté religieuse, dont je vous
parle; faculté toulc humaine, qui n'est point la
religion, qui es t la condi lion psychique de la re1i-
gion, eomme ]' (oil est la condition physique, e' est-
a-dire l'organe de la vuc, comme le nez est l'organe
de l'odorat. eette faculté, que la critique de Vol-
laire n'avait point entierement atrophiée, que Rous-
seau et les romanliques ont irritée ensuite, s'est fait
resscntir de nouveau en 1848, Ü l' oecasion du so-
cialismc, a peu prcs commc, sous certaines in-
fluences atmosphériques, l'indívidu mutilé éprouve
une sensation a l'extrémité du membre qu'il a
perdu. Une politique rc1igionnaire, quí ne croit
point a elle-meme, IJroflte de ec hoquet de mysti-
císme pour évoquer la roi ap.tique, ,et se bire un
lluxiliaire de l'Eglise, alors que l'Eglise est déja
tombée pour notre pcuple sous l'horizon. Des pre-
tres, que l' abjecti.on clu sal1ctuaire humilie, que
l'abaissement de la foi déeoncerle, se prClel1t a
eette poli tique saerilége, affeelent un haut patro~
nage sur l'état, s'immiscent clans les affaires des
communes, se flatlent de ressusciter par l' édnca-
tion une chrétienté mortc de mort nalureJIe. eeUe
exhibition macahre ne saurait faire illusíon a per-
sonne, anx vrais chrétiens !,mcore moíns qu'aux
indifférents. La (lignité de l'Eglise, l'honneur et la
sécurité du saccrdoce, ne peuvent que s'y compro-
mettre. lei, iI n'est plus question de foi, ii ne
s'agit que de psyeologie.


La propagande des cneyclopédistes avait dessé-
ché les sources de la foi. Survient une révolution,
qui dépouiiIe l'Église, des longtemps feudataire de
l'état, de ses propriétés, supprime les eouvents,




- 107 -


rerait la carte de l'épiscopal. Une partie du bas
clergé, qui se croit reyenu aux temps de l'Eglise
primitivc, et quelques prélats, llclhimml a ceUe ré-
forme, imposée au saeenloce par des mains phifo-
sophiques. Les Leaux esprits du temps, les chré-
tiens a la Jean-Jacques, s'imaginent que le pretre,
ainsÍ dégagó (['intórcls lllolldains, souslrait aux tén-
tallons du lme el de l'avarice, va se mettre a l'u-
nisson du siecle, el marcher avee lui. Onpourra
etre religieux ú la {oiset sceptique, dIncr avce son
curé et se moquer de la eonHDunion! Quel mo-
ment pour une restauration, n' est-il pas vrai? Et
comme la foi, d'aecord avec la ra\son, va refleurir
sous le soleil de la libel té \ ... Comme si ce n' était
pas le comble de l'impi~té de restaurer l'rouvre de
Dieu I comme si l@ pretre pouvait plier son carac~
tere El ces accommodements! Non, l'Eglise, en
tant qu'Eglise, ne pomait consentir a sa déposses-
sion, pus plus que Boniface VIII ne pouvait ob-
tempérer aux sommations de Phílippe le Bel j et si
plus tarel, dans le concordat de 1801, Pie VII re-
connut la conquete de la Révolution, il faut voÍr
cluns cet aete forcé une élongation nouvelle du
christianisme. rleurons sur ]e schismtl, qui de
89 El 1801 désola l'Eglise gallicane: ce schisme
était inévitable. La révolution ne pouvait s'abste-
nir, san s aucun doute; mais l'Eglise non plus ne
pouvait pas céder : il fallait, pour le maintien du
droit canoniquc, que les pretres assermentés fussen t
excommunies par leurs collegues réfractllires. De
ce moment la discorde, par nous allumée, court
les Yillcs et les campagnes, sépare l' époux de l'é-
po use ; la conscience du peuple se trouble, parta-




- 108 .,"-


gée entre l'bérésie et la contre-révolution. Le di-
lemme est posé a la liberté par le pretre : Ou le
respect de la propriété eeclésiastique, OH l' athéisme.
Et la liberté jeHe la mort au pretl'e, et se fait
alhée. Que dites-vous de ce premier e~sai de res-
k'\uration religieuse? ..


Enfin la révolution est consommée. Tl'iom-
phante par la po1i.tique et par les armes, elle s'lm-
pose a I'Eglise cemme pis-aller. te fait accoll1pli
couvre le testament de Dicu. La nalion et le 811-
cerdoee ~ublient leurs mutuelles injures : le prell'e
est homme aussit et la paix, comme la misere, ré-
concilie tout. Alors, apres les fetes de la Raigon,
apres le culte de l'Etre supreme et les agupes des
lhéophilanthropes, la reJ,igiosité mal antidotée
des masses se retourne vers l' aneÍen en he. Le
christianisme apparait dans la pénombre plus
grandiose; on se passionne pour ses reliqucs; on
jurerait une apparition de la ,icille foi. Telle est
l'attraction de l' ame vers les cllOses divines; el puís,


Un seul jOUf ne fai! pas d'lIn morld culholic¡ue
Un implacable athée, un brúlot anarchic¡ue.


Le premierConsul satisfit a ce retourde jeU118SSe,
en signant le concordat. C' était, dans l' o]i1 nion gé-
nérale, un scrvice signalé rendn á la cause f.ainte,
et d'une portée tou! nutre, ''u h cil'conslance, que
la réinstallation de sai nle Geneviclc au Pan lhéon.
l\fais est-ce que Dieu aecepte lesservices des hommes!
est-ce qu'il se soucie de leur politique et de leurs
apologies? JJfon nom est sur lcurs lcores," mnis [eu,/,
cmur est loin de moí! Ni le concordat, ni les pa>
blications de l\aI. de Chateauhriand, de Bonnid, ,le




- 109-


,le ~Iui~ln\ el!'., ne l'lIl'cnl ré\llll't~ ¡l l'Eglise une in"
!1ll'llt'P ;H'fJuise llé~urilHlis á d'autres idées. Le sa-
eerdoce cOlldarnnú ú rf'~!er dan s sa discipline et
dans ~a foi, son retour lle parut it la génération ré-
rolutíonnée, que ce qu'il était véritahlement, une
tl':msaction tout humaine, alraire de sacrisfie et de
reliquaire. La piélé faiblit bientot, et rapidement :
(Iuinze, seize aBS s'élaient él peine écoulés de~
puis la réouvertllre de~ églises, lors(lue l'abbé de
Lürnennais jefa son famenx cri tI'alarme, l' lndiffé·
rence/


Indifférence! voilit oú en était le pays a la ren~
trée des Bourbons. L' Empereur avait cru rétablil'
le culte; il n'avait fait que remplacer l'intolérance
par l'indifférence, envelopparit dans le meme sen-
timent le christianisrne el touie religion. CeHe
aptitude du creur, premie!' don de la gnke, qui
avait amené la conversíon du gentil et du barbare;
flui avait sou piré un instant dans les reuvres déistes
de Rousscau et de Bernardin de Saint-Pierre el
avait motivé le Concordat, maintenant elle était
complétement éteinte. 11 n'y avait plus, dans les
ames, de place pour la foi, eL landi~ qu'en 93, sous
la Terrenr, les pages de l'Indi(férence eussent ef-
frayé peut·etre, en 1820 elles ne paraissaient plus
(lile ridicules.


A eeUe "oix, eependant, qui révéla la profondeuJ'
de, I'inerédulité, il Y eut un tressaillement dan~
I'Eglise. Une croisade apostolique fut organisée,
sons les auspices du nouveau pouyoir, contre la
philuso[Jhie et la révolution. L'année 1825 fulla
Vl'nnde époque eles mifsiollS, sni"ie, en 1826, du
Juhilé. Eh Lien! qu'a prodllit cette surexcitation


7




-11.0-
¡les cOllsl~ienc('s! Quelques déhallchés, sans idées
el sans yergogne, quelques jaeobins dl~erérits, pour
qui ríen n'mait marché deplIis Hohcspierre, en-
glués par la paroJe de nos jC!lnes missionnnires :
voila !cs conyeniom éclalan!es dont s'enrichil'ent
it eclte époque les fastes de la foi. Du resle ·les
tnemes phénomenes qui avaien! éclaté en 1801,
dans la bourgeoisie, reparurenl en 1 H25, dans le
pcuple. C'était le tour du peuple de faire a la reli-
gion de ses pefeS Irs derniersadieux. J'ai élé témoin,
dans ma viHe higote, de cet acces de dévotion inf('r-
millcnte, j'ai pu en ob~erveI' tous les symrll~llIes.
,l'ai HI hommes, fefllmes, jeunes gens, jcunes filIes,
se Cl'oisrr, se confes~e]', répandrc au pied des aulels
la sundJOndunce ele leur tendres::e. Paree qu'ils
étaient amoureux, ils se erovaienl fid¡'¡es. ~lais Cl'
n'élait que feu de pail1e, ser~ant de chaufl'erelte á
la sensualité, comme íl parut aux intrigues des jolies
rhantcuses ayec les vicaires l1londains. Les rlii~sion­
nJircs, par une SI.·'clllc!ion pil\USC, ayaient eu l'idée
:le composer lenrs cantifJucs sur les airs de la Ré\o-
¡,,¡ion. Etra';gc fa<;on de la faire ollblicr! En 1829,
l'ecpl'ill"~Yülu!ionnaire 80ufflait ele parloul; le liber-
l/I/uye Hvait repris ses droils; le pe11ple et ],¡l. c1as~e
moyenne, seeo.ués far la mission, avaient appris il
se connailrc : on s'en apcn,:ut aux éleclions de IS;{O,
ou le clergé épuisa son intluence et [lui décidcl'cn t
tí catastrophe de juillet. Avec le ll'úne s'écrouJa la
religion. Les porle-croix des missionnaires, dl'Y¡;-
n\l::; g,'lrdes nationaux, se mirent partout a délrlli!'c,
au chan! de ]n J!(l1'seillaisr, le IrlOllUlllCI1t de leul'
piélé :fiez-Yous main Icn<lnt a la conversioB d' !lBe
race réYolulionnaire I




-1.11-
,Quoi de plus? Le progres est la croyance du


siecle. L'humani té court, d' une course efTrénée,
el vous ,oulcz que je cmie a la résurrection du
chrislianisllle ! ... Le Chri~t aurait-il deux passions
a e.ndurer pour le salul des hO!l1mes? ..


Sous Louis-Philippe, gr;'¡ce a la pl'Olection de la
Sicilienne ~Jnrie-Al1Iélie, c¡ui dans le eerele de ses
commérages dévols crul faire autant de bien it la
religion que son r"lIé de mari faisftit de mal aux
mmurs pI! h1iflucs, le clergé tnn ai lle úlencil:usemen 1
a se rcfail'e : il reprend posi lion., sinon faveur. Su
foi est dcyenue plus acre: c'tst une revanche qu'il
lui faut, el plus il se mele aux agilalions du si e-
ele, plus il lémoigne que le siecle gagne sur lui. 11
sait a quoi s'en tenir sur le mouvement de J'Idee,
et ne s'y cng~grra pas une seconde fois. Mais, par
quels puis~anls lravaux, par quclJes (orles éludes,
par qncHe paroJe fondalrice, va-l-il capter l'alten-
tion de la f1lultilude, racheter sa nullité passée,
rajeunir la faculté de croire, combütlre la folie du
progres'! Quels c;mlrepoi,ls opposera-t-il it ct;tte at-
traclion fatale, (lui nnit la ciúli~alion a l'Eglisf',
l'hulllanitc' á son nieu? O Prmjdencc üdorabln !
le prc.tre cherche la relig'ion, jI rencontre la super-
stition; ji fuit la noun'üulé, il donne dans la séni-
lité. La déyolion it 5ainte Pllilornene et au cmur de
M arie, les guérisons miraculeuses de )1. de Hohen-
10be, lJiw ¡;{ L1JnouI' le plus ¡mf, des livres de
piété dan s le style it la mode, passionnés, yolup-
tuellX ounauséabonds : ,"oila les créations de ce
VerLe, (lui jadis produisit les Origene, les Tertlll-
líen, les Auguslin, les Hildebrand" les Bernard,
les Thomas i La gl'ilude o::uvrc de l'EglifC !l10dernr




-·112 -


esl eeHe de l'abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame
des Victoires, fondateur d'une société en l'honneul'
de la Vierge, dont il prétend avoir eu une révéla·
lion en disant sa messe. Moyennant un sou par se-
maine, chaqlle confrere el consceur partieipe aux
suffragesde lasociété; et ce sou, á ce qu'on assure,
produit a M. Desgeneltes des millions. Que ne le
fait-on ministre des finances! Maintenant ab uno
rlisce omnes. Mesurez, d' apres les exercices de
M. Desgenettes, la puissance d'inspirationdu chris-
tianisme daos notre cler¡2;é. CaleuIez son influence
sur un siecle dix fois plus savant que eelui de
Comtantin, et dix fois plus orgueillcux de sa science;
el Imis comptez sur la hauteur de doctrine, sur
l'a,utorité du don propht·tique, ponr rendre a
I'Eglise le gomernement des sociétés modernes.
Le sacerdoce s' a!rais~e, vous el is-je, et la religion
envolée relourne au ciel 11' oú elle est venue.


Une révolution éclate : lous les écrivains ]'on[
annoneéc; le pretre senl n'a ríen dit. Une répu-
hIique est proclamée : ayant de la connaltre, il lui
offre ses prieres. Des sectaires proposent leurs théo-
ríes: iI ne sait s'il doit applaudil' Oll condamner.
II ya des pl'etres socialistes, iI Y en a d'anti-socia-
listes, Enfin, les bourg~ois, les riches, ceux que
Brydayne appelait les opprcsscurs de l' humanité
souffrante, lui révelent que le soóalisme, qui ne
eroit pas a Malthus, ne 9roit pas davantage il
l'Église; et pour sauver l'EgliEe, le saeerdoce se
fait malthnsien. ]\ flétril, cOJllme athée, le socia-
lisme, sur la dénonciation de ces avarcs qui ne
connurent ,jamais ])ieu, el qui prennent Ir, miroi-
tement de leul's éCl!:' pULIr le snleil de la religion!




- 1\'3 -
Non, il n'y a plus dc saccrdoce, il n'ya plus de


foi. Le christianisme ne tient plus qu'il cet inslinct
phosphorescent, donlje \011S ai signalé i'extinction
continue depuis Voltaire, qn'enlrelient, sons pré-
tcxle d'aft, une liltéralure sensualiste; qu'adorent
vos Hélo·i~es nymphomanes, el que Hohespicrre,
l'hommc dont l'intclligcncc ne con0~11, dont le
('(Cur n' aima jamais rien, dé finissait rEtre supreme.


Connaissez-vous rícn de plus niais que cet r~tre
supreme, qui ressemhle il un dien eOflJme l'un/re
de vos doctrinaires rcssemble u une politique,
commc la rnnfianrc des agiotcurs ressemble a une
économie'? Parlez-moi d'Allah, de .léhovah, de
Baal, de Brahma, de Pan, d'Osiris, de Véuus, de
Thor, de Zeus, de cet Esprit qui dans toutes les
théogonies féconde les Yierges, et que les Grecs
personnifierent en Priape; prenez 1 si vous voulez,
le~ allimaux et les légutlles des Egyptiens : voílil
de~ dietlX vivallt s et signifieatifs, sYll1boles plus Oll
moins grossiers, révélations préparatoires uu Diell
rhrétien. Mais l'Etre supreme, Bone Dens / de
(1uene religion fut-il jamais, l'Elre supremc '?


C'est pourtant ee fantome dont la vogue, ravivée
par la flamme impure de la politique et des inté-
rels, conserve au christianisme un dernier souffle.
Otez l'Etre supreme, otez cet absolu dialectique,
théomorphisé l)ar les jacobins, les romantiques, et
qllelques cOllllllunautaires; et 1'idée de Dieu aura
disparu de la soeiété, il n'y aura plus de religion.


Et vous me, demandez si je erois a une secunde
Illissio\l de l'Eglise ehrétienne? si je erois que ceHe
Eglise, ainsi restaurée, puisse fournir il l'état qui
la llíe un príncipe de durée et de force? si e'est a




- 114-
ce manne(luin, entomé de handcrolles catholiqucs,
quc la rrance nomelle dira, coml1lC la fiancéc ro-
maine disait au jCllne Homain son fiancé, Soi.~ mo/!
Cai'tls, et je semi la Ca¡"a; donne-moi ta muin, et
je te donnerai mon cceur?, ..


O rils des eroisés, enfanls de Loyola, posl¡'Til(;
de ceUe ¡Ilustre genlilhommerie, don! les Onll'l'~,
al'lllés pom' l'exlel'l1linalion de l'idoIatric et de
l'hérésie, faisaient la loi aux rrinces et emhra~­
saient de leur ré~eaule monde fid(~le: c¡ui que 'OUS
soyez, ehrétiens de la dernierl' el de la plus l1lal-
heureuse des époqlles, n'cs~aycz ras de donllcr le
thange a la Révolution : ce semit mentir au Sainl-
bprit. Toule ehail' est l'évollée, el nous hail.!\ous
sOlllmes ha"is d'une haine endém i(llle, imélérée,
comlillltionnelJe; d'une haine CJui se raisonne, el
s'aeerolt chuque jour de l'inlelJigcnce de son prin-
cipe el de notre opp~silion. Apres la mor! de Cam-
hyse, les mages, successeuJ's de Zo['oaslre el repré·
senlanls tle l'anlique religion arienne, eSpl~nl11t á
la fois rétaLlir leur cullc tlans sa pUJ'elé el lcUl'
propre instilut uans sa puissance, entrcrent uans la
conspiralion u'un cerlain Smerdis, qlli se disait fils
ou neveu dll granel CyJ'lIS, el en ccllc (]uali lé l'égna
quelque temps SUJ' les Perses. ~Jais lJicnl(¡t la réae-
tion des mages souleva conlre elle les grands el le
peuple. Smerdis fut délruné; tous les JJ1agcs, lous,
massucrés; et une fele, la plus grallde fl~le des
Perses, insLituée en réjouissanee pcrpétuelle de ce
massacre, la illagoplwnia. Joule religion se ronde
par le sang; toute rdigion disparait dans le sang.
Adorons les desseins de la Providenee, et que les
événements s'aecomplissent 1 Bien pauvre serait




- '115-
notre foi, si nous la faisions dépendl'e du nombre
des élus; bi('n faihle notrc l'spéranec, si elle avait
}¡esoin de garan/ics Icmporcllcs: bien mesquinc
no!re cllarj!é, s'illlli [a/lai¡ pour aljlllcl1ll'appro~Ja­
lion des hOrllmes! Le Christ est yenu, Ii! Chrisl se
rC'tire : qu'il soit glorifié. a tout jamais par ceu\.
quí, De l' ayant pas vu, ont reeueilli son al110l1f,
e/ qui attestent su parole ! , ..


Que la religion puisse ainsi se distinguer de
l')¡urnanilé, comme l'cntendait ce prelre; que ce
so;t eeIJe··ei quí ehangc, t:mdis que la premierc dc-
meure immuablc; ou bien que toutes deux' eon-
fondant leur exislenee, la religion, de meme que
l'élat, n'élant qu'une des formes de la sociét6, le
nH~me mouvement les eulruine I'une et l'aulre : le
résültat pour nous osI a!¡soll1ment le meme. Loui,;-
Napoléon ne peul se séparer de la súciété donl il
est le chef : done Louis-Napoléon rcpréscntc,
au point de yue du ealholicisme, l'impiété révo-
J lltionnaire, i rnpiété qui n' es! pas sculemen t eelle
d'une époque, mais qui dalc de si.\:. si('~cles. Quelle
est eeHe impiélé '? le ni\cllelllcnt des rlasscs, j'éman-
cipation du prolétal'iat, le trmail libre, la penséc
libre, la conseienee libre; en un mot, la fin de
tuutc aulorilé~ Lonis-Napoléon, chef du socialisme,
e' esl, ]JoU!' r Eglise, lIn anléchrist ! ...


01', en pollÚ(\\Ie, ll,~ llleme l\U'en économie, Un
JW vil ql/e de ce que Con es' eL (It_e l'on c('(!c : eeL
lq)\lOl'isme est plus sur (~ue 11lUS ccux ueMacl,ílnd.
Que Louis-Napoléon prennc done hardiment son
t¡lre fa/al; qu'íl arborc, it la place de la eroix, r em-
blem ,- mac;onnique, le uivcau, l' équerre eL l' aplomh:




- 116 -
("cst le sigllc du llIodcme COllslalllin a qui la \le-
toire est pl'omise, in ¡wc signo vinces! Que le 2 dé-
ecmbl'c, sortanl de la fl1l1sse position que 1 ui a faite
la lacti(!ue de3 partís, produisc, dévcloppe, orgunisc,
el sans relHrd, ce príncipe qllí doit le faire ,iVl'l',
l' an ti-christianismc, e' Gst-a- d íre, ]' anti-lhéocrati e,
ranti-capitalisl1le, l'anli-l'éodalilé; <fu'iI unache á
r Egli~c. a la vic inférieurc, et qu 'il eré e en hOnllJJC-
(~es prolétaires, grande armée du.sufl'rage mú\crsel.
bapli:-és enfants de Dieu el de l'Eglise, el qui man-
f]Uent tt la fois de science, dc tl'avail el de pai n,
Tel est son mamlat, telle 6:,:t sa force.


}'aire des eitoyens aycc les serfs de la glehe el
de la machine; ehang'er en sages des el'oyanb
ahuris; produire tout un pcuple, avee la plus helle
des races; Imis, ayee eeHe génération transformée,
réY0lutionJ1cl' rEurope el le monde: ou je suís
moi-meme aussi aliéné de la ei,ilisation que le dien
ehrétien, ou il ya de quoi satisfaire 11 l'arnhilion de
dix Bonaparte.




VII.


:~EPT MOIS DE GOUVER:'IEME~T •


. I'ai dit ce qu'était le 2 décembre de par la ne-
ressité des citases: íl reste a savoir ce qu'il prétend
etre de par su volante.


J'appelle volanté, dan;.; un gOllvernement, 110n
pas l'jn!ention, quí s'entenel exclusivement eles per-
sonnes, et peut etre pré:-mmée toujours bonne;
mais la tendunee, impcrsonnelle et collective,
qu'accusent ses actes. Si despotique, en eifet, que
paraisse un gou'iernement, ses actes sont toujours
déterminés pUl' les opinions et les intérets qui se
gl'oupent rrulour de luí, qui le tiennent Jans leur
dépendanee beauc0up l)llls qu'il no les l.ient cluns
la sienne, el c1nnt I'oppo~ilion, s'il essayait de les
hrarer, ;:lIllbernit infailliLlement Sil chute. Au
fond, la SOlllel'aindé rl'un seul n'existe Bulle part.


Mnis ~;i In. \olonlé, dans le pOlHoir, esl imperson-
nelle, elle n'exisle cependant pus sans molifs; elle
1'('po"e sur dc~' con,idél'alions, uaies ou fausses I
qni, :,r1opl?".< l"u' le gOllYernf'll1ent, f'1 intl'oduitei


7.




- 118-


dan s l'histoil'c, :' elE'yiemwnt it Jeu!' tour, par I'en-
tralnement eles conséqlleJlces, une seconde néees-
sité. D'ol! il suit que pr)ur tout g'ou"ernemel1!, elans
Jequel la voJonté n'est point identi(lue el i(l(~(luate
a la l'uison erare, il y n deux especes de causes né-
cessitnntes, les unes objeclircs, qui résultent de la
donnée hisLo!'ique; les autres subjee;tives, et qui ont
pour bases les considéralions plus ou rtIoins inté-
ressées qui le gouvernen t.


Historien impartial, dégngé de tout re8sen limen l
de parti, j'ai constaté, it l'avant.1ge du 2 décembre,
la raison historique, ohjeclive, el falale de son exis-
tenee. Je vais de me me , sans malignité ni indifi-
erétion, en me tenant toujours dans la pure philo-
sophie, deseendre dans l'allle de ce pouvoir, re-
ehereher le seeret de ses décisions, secret que lui-
meme, j' oserais presqlle l'dlirmcr, ne connait paso
La polémique el la salire me sonl interdites : je
n'oo éprouve nul regrct. Puissent it leur tour mes
lectellrs confesser que jc n'y ai rien perdu!


Qllelle est donc la Vmuance un nouveilll pouyoir,
pui::que c'esL elle seu le , aprcs la chalne des [ails,
qui importe il l'hisloire, el (luí cUllIple en politi-
que 7 Qudle est la rilisoll sccrCl~, spontanée, qui,
il son insu peut-elre, dirige l'Elysée? Tandís (pIe
sa sígnification historique lui assigne pour hut la
révolution,oú le poussent, d'un commUl1 effort,
ses attractions el ses infl uences ? oú ya-l-i 1, enfin?


Ji r.'E3IPlItE! telle ed la l'éponse uní] orme. El
salisfaltc d'llne solution qlli ne touche qu'á la su-
perficie, des clloses, ¡'opinion s'ilrr~[(', allencIant,
uyec plus d'inc¡uiélude que de sympulhie, celte
manifcstalion impériale.




- 119-
L'empire, il ne sert a rien de le nier, se laisse


yoír dan s le l~ain de maison, dans le styIe et
l'éliquelte de l'Elysée. I! arpara!t dan s la restaura-
tion des emlJlcll1cs, l'imilation du formulaire, la
commémoralion des idées, l'imitalion des movens,
l'ambilion plus Oll moins déguisée du litre. ·~1ais
tout cela aCC1Jse plutOt un salIvenir qu'un principe,
une velléité qu'une spontanéité. Nous cherchons
l'idée,. on nous montro le symbole. t'empire serait
proclamé demain, (IlIe je demanclerais encore,
comrnent, el en verlu de quoi l'empire existe,
d'aulant plus que rélaLlir un nom, ce n'est pas
rcfalfe une chose. Que Louis-Napoléon se fasse
couronner un 2 décembre, des mains eu Pape,
dans l'église Notre-Dame : il ne sera pas plus rem-
pereur que Charlemagne acelamé en 800 par le
peuple romain, ne fut cé,ar. Enlre :\'apoléon em-
perenr, rt Louis-Napoléon président de la Hépu-
bliqlle. il s'est passé (rop de choses pour que
cellli-ci d.:vienne le continuatcur pUl' et simple
de ccluí-liJ.. De meme qu'il n'y eut rien de com-
mun entre le premier el le second empire romain,
iI n'y auraít non plus rien de connnun entre le
preínier et le second empire franQais, rien, dis-je,
si ce n' esl peut-etre le despotisme : 01', e' est j us-
tement de ce despotisme que nous demanderions
u voir, dans les conditions de l' époque, l' origine,
la raison.


Les impulsions auxquelles obéit le :2 décembre,
qui constituent ce que j'appellcrai sa raison ou vo-
lonté propre, par opposílion il sa raison historic{ue,
ont toules lem point de départ dans la manIere
donl il enlend la dbIégalion.




- 120-


POli!' luí, de luellie que pum le \ulgail'c, l't'-lu
(tu peuple n'est puint, ('.omme le diclaleur romaill,
l'organe de la néccssité du moment, enfermé dall~
un cercle de conditions historiques, économiqut'5,
stratégiques, etc., quí lui tracent son mandat. 1': ólu
du peuple, clans la pensée de l'Elysée, es! affrancl! i
de toules considéralions circonslancielles; il agit
nans l'indépendance absolue de ses inspirations. 11
ne re¡;;oit pas la ]oi des faits du dehors, il la produil
du fond de sa prudence. A u Iien de ehereher,
comme nOU8 1'a\ons rail, par lIne analyse infati-
gable, ]a nécessité de challue jour, afln de la con-
yertir en 10i, eL d'en procurer l'exécution; il se
erée a lui-meme un idéal, que chaeun de ses acles
a pour oLjet de réallser ensulle, et qu'il }!pplique,
d'autorité, il la nation. Ces! ainsi que l'Eglise l'a-
tholique, en vertu de la mission qu'elle s'aUrihue
d' en-haut, tend inccssaml11en t a !'amcncl' la sociél!:'
a son type, sans tenir aucun cOTllpte des données
de l'économiB, de ]a philo~ophie el de I'histoil'e.
1'e1le est I'humünité selon ]a foi, dit-elJe; rien en
(1 er,;il , rien an de:a. te 2 déeembrc suit exactemellt
la meme cOlllluite. n ~e meut tlalls une sphó'e
d'idées il lui; il ge1nvernl' d'apl'es une certainc
spontanéité de raison (plÍ lui rail nreel'tcl' ou Teje-
ter l'elm:ignemcnt des failf;, sniyant qn'ílles jugc
conformes ou conlraires it son proprc dr"~l·ill. 1.1' 2
d¡"ccmbre, en un mot, sc cCillpor[r aH'e le [1:: r.'
('cmmc si le pays lui Hir:i¡ term ce langagc : ( J'¡¡i
,} dé pcu ~8tif'fail du ~\s!;,n:p de la l~cslaur,~tion
1> de eelui de Louis-l'lJi'Jippe, ct j'ai pcu pro¡¡té d~
f' eclui des répllblicnins .• Ie 'OIlS charge lIlainte-
1) 11&]11 rl' a ppliqller Ir. "'1 [rt' . COJ1lIilH1lflez, .i' oh{;j~.




- 121 -
)) jla f:ullliance fait votre droit; ma liberté sera dans
) lila soumISSlon. »


Cest Já ce que je nomme subjecrivüme dans le
pOllYoi r, par opposition á la loi OBJECTIVE, que re-
"ele la génération des faits et la nécessité des
chose~. f,e subjectivisme est commun a tous l(~s
partis, aux démocrates aussi bien qu'aux dynasti-
rrues; son action est plus intense dan s notre pay"
que chez aucun autre peuple. C' est de lui que nous
'lennent cette manie des gouvernements forts, el
ces réclames en faveur d'une autorité quí, plus
elle se cherche dans upe pareille voie, moins elle
parvient a s'alteindre.


Le premier fruit de la politique subjective, en
effet, est de soulever autant (le résistances qu'il
y a d'idées et d'lnlérpts, conséquemment d'isoler
le pouvoir, de lui faire un hesoin constant des re5-
tl'ict.ions, défenses, censures, interdictions; finale,·
men!, de le pl'écipiter, a trayers les méconfente-
rnen[s eL les haines, !fans les yoies du despotisme,
qui son! le bon plaisir, la violence el la contra-
diction.


A ce propos, je ne }lUis m'empecher de faire,
Imlre la suhjeetivilé dn 2 décembre et ceHe du
Gomernement proyisoire, un rapprochement qui
porte déjü ,a le~on.


Tamlis que le l;om rll1rJllcnl prov L~tlírc, par l'eli-
gíOI1 d~m()cl'aliC¡!lc, s'ilblen:lil, ~'cffor~aiL de ralliei'
les parlís el les ilJi:'l'cls, ne rÓlEsiss::it qu'á les SOll-
lercr t0HS, et s'mili¡ ¡]ans l'imignifianee; on ni
YOlr l'Ely,éc, u~;l'iranl it les dominer, les frapper
¡'Ull lll'ri's l'autre, t<tillel' ele droile el de gauehe ú
COllpS di' dt'·('.ri'I~) ¡]l'¡l!t):, ,'1' lllW i~',ergie inilant,',




- t22-
OSER, maIS en osant, se compromcttre par la per-
sonnalité, trop apparente, de sa politiqueo Le Gou-·
vernement jll'ovisoire, avec ses hullclills, avait fail
de la nullité; le 2 décembre, avec su terreur, fail
de la bascule. 'foules ehoses compcnsées, J'un l1'a-
vanee guere plus que l'antre; les memes difficul-
tés, aecompagnées des memes opposilions, suh-
sistent. Le Gouvernernent provisoire, ig"ool'ant la
révo]ution, ]a laissait fomber; ]e 2 déccmbre veut
lui faire sa parl; la soumet a ~es vues, et de fait
l'escamote. Le Gouvernement provisoire s'en est
alié; le 2 d~embre ne se soulienl déjil plus que
par la force. Mais la force qui ne sait que eon-
traindre au lieu de créer engendre la hainc, el la
haine esl le salpetre qui fait sauter les gouverne-
menLs. Puisse ne pas l' éprouver, a ses Jépens et a
nos frais, Louis-~apoléon! .•.


1. Opinion du 2 décembrc sur sa propre signiflcation.


La proelamalion de Louis Bonararte se référait,
ainsi flu'ün l'ü vu, aux principes de 89. Elle üccu-
sait les vieux partis, se pronont;ail conlre la myauté,
réclamait les améliuralions tant pl'omises, faisait
appel, enfin, aux sentiments révollllionnaires.


Ce langage a-t-il été soutenu? Oui el non, tour
a tour, suivant que la politique du moment jugeait
a propos d'avancer ou de reculer.


D'ahord, la díssolntion d'une assemblée aux trois
quarts royaliste, et l'arrestation des pl'incipaux chefs
des partis dynastiques, semhlaie~1t témoigner d'un
parfait accord entre les vues de I'Elvsée et la donnée
révolutionnaire. Mais huil jours 11e s'élaient pas




- 123 -


écoulés que ks journaux du pouvoir, coopérateurs
du coup cl'état, parlaient el'un autre style. C'était
pour same!' la religion, pour. rétablir le principe
d'aulorité, pour défendre la propriété el la famille,
que Louis-:.\apoléon avail mis fin iJ. une situation
trop tenduc; e' était, enfin, pour museler la révo~
lution. L' Univers rcligieux osait écrire, el n' était
pas conlredit, que ces rappels a la révolution et
aux principes de 89 étaient phrases de circonstllnce,
clont personne ne pOllvait etre dupe; qu' en fait le
COllp d'élat étaít dirjgé contre les príncipes, L'esprit
el les ten dances de la révolution. Et les décrets
conccrnant le jury, la gUl:de nalionale, la suppres-
sion de la devise Lihcrle-E!lal~c-FTalernité, la sub-
stitution du nom de tOllis-Napoléon a cellli de la
l'épublique dans les priéres puhliques, venaient il
l'appui de l'interprétation insolente de t' UlI'irers.


La cOllslilulioll du 15 janvier reproduisit la pen-
sée du 2 déce1ll1Jre. - « Elle reconnail, dit l'ar-
» tiele premier, confirme el garantít les gr::mds
,) príncipes proelamés en 1789, et qui sont la hase
}) du droit public des fran~ajs. i} - Cormnenl les
appliquait-elle .ces príncipes? c'est cc que nous
examinerons plus has. ~lais, le surlendemain de la
proll1ulgation, l' Univers, rcvenant a la charge, écri-
"ai[ encore :


« Sous 11C sommcs point alarmés de la déclara-
'f> tion faite en l'honneur des principes de 89,
,) quoique ceHe formule par elle-meme ait toujours
» qnelque chose cl'inquiélant. Il y a plusieurs 'Cs-
>, peces de principes de 8H : ceux des cahie1's, eeux
}) de la déclaration dll roi, ecux de l' Assemblée
.) constituanLe. Ce que les cahiers voulaient, ce que




-- 124 -
)} le roi aeceptait, tout le monde le veut on l'ac-
» reple : c'élait Je fond constitutif de la monar-
» chie fran«;aise. n n'y a point de théorie, sí {erIlw
» qu'elle soít, qui ne s'incline a cet ég-ard llevant
» les faits accomplis. Le 89 de l' Assem blée consti-
)' tuante, le rraí 89 révolutionnaire, est antipa-
» thique au caractere national. C'est le dogme des
» philosophes, des parJementaires, des niveleurs;
» c' est l' abus de la tiberté. Lo'in de consacrel' ce~
» prétendus principes, la constitutiun nouvelle en
» Cllt la ncgation. »


Est-ce l' Univers qui a menti, ou la constilution
du 15 janvier?


Sí nous suivions pas il pas les actes du pouvoír,
ils nOLlS répondraient, interrogés 1'1ln apres l'autre:
C'esL l'Univers; --- C'esl la constilulion; - Ces!
I'Univerll; - C'est la constilution; - Cesl l'Uni-
verl( ... , sans que nous pussions aniver ü une ré-
pome positive. D' on vien I cette incerlitude? el' un
faít tres-simple, quí reslitue en parlie it la consti-
lulion du 15 janvier sa Donne foi, eL enleve aux
jésuites de l' U1Iivers l'honneur d'un mensonge de
plus. e'est que Louis-Napoléon, tl'apres la maniere
donL il interprete la délégation qUl lui a été faite
par le peuple, n'accepte évidemment la r~vülutiol1
que son s hénéfice rl'inventairc. el dans la mesure
de ses propres pensées; r' e~t. f¡U' au lien de se Sll-
hordonner a elle, iI tentl, par une o¡;inion exagérée
de ses pouvoirs, il la subordonl1er a lui; c'cst enfil1
qu'ayanl conlre lui tOl/s·les parli~, et ne pouvant,
ne sachant, ou n'osant, ni ~e prononcer pour all-
cun, ni en créer un nOllyCUU (lui soit le sien, iI oC
trouve dam la ¡¡ére~$il':' dI' ¡]¡'iiSf~1' ~r~ a(h('i'~ajrí)',




el pOlIr se I1JUÍIl tem!', d' imoLj UCl' tour a tour la ré-
\olutioll el la cOlllre-révolutiol1. Cela, dans un
certaiJl monde, passera peut-etre pour prudenee,
habileté; mais e'est ce que j'appelle ulopie, inin·
telligence du mandat, trahison a la forLune, infidé·
lité a son éloile. Le chef d' élat a la place de la raí·
son d'état, l'homme se substituant a la naLure des
rhoses, ii n'y a plus dans le gouvernement ni unité
de vues, ni sineérité, ni force. 11 se croit sur, et il
laLonne; intelligent, eL il ne sait ni ce qu'il fait ni
()[¡ íl ,,1. Il s'appclle Bonapartc ou Napoléon, et iI •
lJe l'cut dire quelle est sa nature et son litre. Aban-
dunné a lui-meme, il s'égare dans le dédale de ses
(',onceptions. Qu'il poursuive dans eeUe voie, san s
h'loire et sans issue, et j'osr. prédire a Louis-Napo-
JÚOll qu'il n'arrivera pas meme a la hauteUl' de
}J. Guizot, le docleu!' de la subjectivité gouverne-
menlale, le théo!'icien de la bascule; de ~l. Guizot,
fluí fai~aít de la COl'l'uption par gmnde politique, de
rínt!'igue par na"lvelé, de la violence par vertu;
oc ~I. Gnizot, le dernier des hommes d' état, s' iI
n'en avait été le plus austere ...


2. Actes du 2 décembre relatifs au clergé.


Le 7 déeembre, alors que la bataillc sur quelques
poinfs des départements dura!t encore, un décret
du Président de la République rendait au .culte le
Panthéon. C'était nalurel.. .. an point de vue de la
subjectivité !


Depuis 18M~, le clergé, tout en suivant ses pro-
prrs desseins, n'avait renclu rIne de hons offices á
LOllis-Nilpoléon, dont cependant il répudiait l' ori-






- 126-


gme, la tradition et la nllson. L'élecLiun uu JO dé-
cembre avait été pour le clergé l' oceasion d'une cam-
pagne contre les infideles; l'exl'édition de Home,
raite a wn hénéfice, ne J'ayait pas trouvé moim: ar-
dent; el dans le coup el' étatcj!li écrasait le socialisme
il "ovait une manifestatiun de la Providence. Ave(~
ec s-ys\crnc o'interpréta\iün llTo'V¡r\en\ie\\e, \'Ég'úse
sert qui elle veut, autant qn'il lui convient; elle
n'est jamais emharrassée dans ses panégyriques el
s('s anathemes. Elie chante pour tous les pouvoirs,
sllivant qu'ils concourent iL ses dcsseins, jme par
tous les principes, aujourd'hui affirmall t la suu-
veraineté du peuple, Vox Popl1[,i, demain le droí L
divin, Vox Dei. :Elle seule a le privilége de pretel'
8crment san s engager sa conscience, comme de
donner, aquí !Jon lui semble, le Don Dien .mus con-
/i:ssion. Sa suhjectívilé l' élele au· dessus de toute
I oi. Le Président de la Hépu lúrlue, don L la roi ne
dépasse pas sans doute celle dI! charholll1icr, n'a
pas regardé a l'intenlion : iI s'eslmonll'é reCOll-
nais3ant. Apres le Panlhéon, il a livré au clergé
les colléges, déelaré les cardinaux de plein dl'oit
memhl'cs du Sénat, rétabli les aUl1lullj(~j'S clans les
régimenls, supprirné, El la salisfaelion des jésuitt's,
les chaires de philosophie, J'écolc normale, pépi-
nieres d'idéologues; assig-né aux vieux vieaires une
pension ele re traite sur les Licns rl'Orléans, etc.
Pouvait-il moills 110ur ses liuéles allíés { ... SO\om;


. .
donc justes, el Lien que la philosophie solt en íll-
terdit, considérons les cho~es philosophiquemen l.


Certes l.ouis-Napoléon, en donnant au clergé eles
llJarques si éclatantes de sa gratiluue, n'a loula
autre chose que se conserver, en face des padís




- 127-


hostiles, un auxiliaire (fu,i les pénetre et traverse
tOlls.1I ¡lattait d'aillcurs la fcrvelll', si subitemenl
réveillée apres févricr. N'est pas (IlJi veut inven-
teur d'une religion. -[1 fanl, damail la réurlion,
une rcligion an pcup!e! --- Louis-Napoléon trome
sous su maillle ealholici"mc; il s'empare du catho~
licisme. Si ce n'esl [las d'Ull génie transeendanl,
c'est an moios d'unc pratÍ({ne 1'aeile; el pour ma
part, je 10lle sans résene Louis-Sapoléon de n'avoil'
point dogma ti sé en matierc de foi.
~Iais, en s' engageant vis-á-vis du clergé. louis··


Napoléon a fait acte de polilique puremenl inelivi~
ducIle, el si habile que soit eeUe politique, elle
n'en compromet pas Illoins le príncipe véritable, quí
est la révolutiün. Le partí prélre, dCjluis Charles X,
ll'e\islail pll"Js: lcs décrds du Présidcnt l'ont res-
suscilé. Louis--"apoléon lui-meme l'a compl'is; el
COl11l11e son inlenliol1 ll'esl point apparcmment, cn
se faisanl du clergé nn inslrument ele pouvoir, (lc
lui aceonler plus que n'avait fait l'Empereur, il a
imposé par avanee ulle horne aux cmpiétements de
l' Eglise, dans ce réglelllenL d' études 'luí débarrasse
l'enscigricment des sciences des eonditions lilté-
raires, el rl~serve á l' élat, sur les écoles ecclésias-
tiques, un droit de haute inspeetion. Parl á la reli~
giol1 et parl a la scíense; part á la foi et part üla
lihre pellsée; part it l'Eglisl' el part á l'~tal : tel esl
le pri Ilcipe d' équilibre, gloire de l' ancienne (/0('-
trine, qu'a suivi Louis-Napoléon, apres avoir, moi-
tió par reconnaissancc, moilié par besoin, relevé le
parti prelre.


C'cst déja chose grave que dans une république
les convenances du chef puissent ainsi etre substi-




- 12R -


tuées á celles de la nalío!1- JJais, eomme dit le pro-
\crbe, un mal n'arrive jamais seul , et voici qui est
bien aut1'ement inquiétant pClUl' nOlls. Avec l'Eglise,
iln'est point d'é([llilihre: le 2 décemb1'e sera poussé
plus loin qu'il n'a voulll. lln'est pas dans le carac-
tere de l'Eglise de souffril' des hornes a son aposto-
lal; elle n'accepte puint de partage; elle veut tou1,
demandez a l' Unircrs. Le droit d'inspeclion, entre
autres, la blesse profondément. Par ce droit, en
elfet, elle est constitu~e en fMpendance de l'étal;
l'autorilé ~livine, don! elle se p1'évaut, la révéla-
lion, les Ecrifures, les conciles, tout cela esl nié.
A peine relevé e par le hras sécnlier, l'Eglise aspirc
done a le dominer; l'antagonisme des deux puis-
sanees, spirituelle el temporelle, recommence: on
peut prb oir ce qui en sorfira.


Supposons it l' étahlis8cIllen t aclueI une cerlainc
tluréc. üe deux clloses l'une : ou hien iI se rap-
proc!tera de la démocralie, el renlrera dans le
mouvement révolutionnairc, dont le premier aeto
8em d'effacer des institutions du pays le catholi-
eisme; OH hien iI persistera dans son systeme d'ini-
tiative, et dans ce cas, n'ayant (llJe I'Eglise, ayer
I'armée, it opposer il l'adion hostile des partis, il
~era conduit de concession en concession it sacri-
fier a son alliée tout re qui reste des libertés main-
lenues par la constilution.


Alo1's retentira de nouveau eontrc l'Eglise le eri
de Yoltaire, ÉCTfkSCZ l'infame! ... Alors aussi le
e1rrgé répondra flUX libres penseurs par des repré-
~ailles d'intolérance; les égards, de simple COllYn-
llanee, que la loi ]'(~eolllll¡¡\l1de en faveur des cul-
les, se changeront en ti ne obligation de pratique




- 129-
ostensible, el loule pnife~silJll ll'incrédulité, llluni·
feste ou facite, sera pOIlfRuivie cornme outragp u la
religion el scandalc pour les mceurs. TI sf'rait
étrange fIue I'élollrderie d'un Laharre rllt punie du
supplice, tandis qu'il n'y aurait que des récompen-
ses pour les écrils d 'un nupllis et d'un Volney!
L'inquisition qui déja plane, invisible, sur In
librairie, arrctera dans son essor toule philosophie.
En vertu du príncipe que l'cnfant appartient a
l'Eglise avanl ti'ctre a la famillc, elle s'immiscera
dans le ménage, s'asseoira au foyer domestique,
surprendra le secret du pere mécréant, qn' elle dé-
noncera ensllite, comme trallre a son Dieu, a sa
patrie, it ses enfants, et livrera an hras sécuJicl'.
Ces jours de triomphe pour l'Eglise 11e sont pas si
éJoignés, peut-etre. Ne possede-t-elle pas l'instrue-
tíon publique, ayec laquelle elle se propnse de
refaire la génération? N'a-t-i! pas été t¡ueslion de
remIre ohligaluire la sanetilicatiol1 du dimanche?
Et qUÍ m'assurerail que dans l'il11l1lense razzia qui
a suivi le 2 déccmbrc,. le crime d'indévotion n'a
pas été pour heaucou p de citnyens la cause p-e-
micre de la transportalion et du hannissemenL? ...


Eh bien l que le pomoir, que l'Eglise recueillenl
ici ma profession de foj.


Je m'en tiens aux ¡wincipes de 1789 , garantis
par la constitution du 15 janvie,', J'ai rompu, de-
puis la guerre de llome, pour moi et pom les
miens, avec l' Eglisc; el je proclame bien haut
mon libre arbitre. Que le pretre prodigue "es ser-
vices il ces etres infol'tunés, yoisins encore de la
hrute, vicieux par I'('xces de leut' nalnre animale,
qui pour pralifiucl' la jll~lice ont hesoin J'une




- 130-


sanction infernale : je loue cctte charité, qu' au-
cune institution n'a su remplacer encore; et si, en
assistant la faihlesse de mes freres, le prctre res-
pecte ma comcience, je le remercie au nom de
J'humanité. ~Jnis. moí, jp crois n'avoír aucun be-
soin de ces formules mystiqucs; je les repom'se
comme injurieuses a ma digllité et a mes mceurs.
LA jour ou je seraís forcé, de par la ¡oí, de recon-
naltre la rcligion catholi(]uc, apostolique et 1'0-
maine, pour reiigion de l' état; de faire acte de
comparu:íon a l'église et an eonfessionnal, el'en-
voyer mes enfants au bapLcllIe et il la saintc table,
ce j01;r-Ja aurait sonné ma dernicre heure. Défen-
scurs de la famille, je vous monLrerais ce que
e'cst qu'un pere de famílle! .Ie ne craíns rien pour
ma personne: ni la prison ni les galcres ne m'ar-
rachcl'aient un acte de latrie. Mais je défends uu
pretre de porter la main Sllr mes enfants; sinon,
jeLueraís le prelre ...


:l. Acle, au 2 décPlnhre envers les républicains.


Je cOlllprends ce qu'01\ ap¡elle, pal' une assimi-
lation du 1011 plaisir de l']¡omme a la loi des choses,
raison d'état. Je sais que la polilique n'est pas plus
la eharilé que la morrrlQ, el j'admets t]ll'un chef de
parti f{ll't entreprcnd de (lunncr la paix il son pays
el d'en réformer les institutiuns en S'elllpal'ant du
pouvoir par un eOllp de main :,,'assnre ensllile de
l'inaction de ses advcrsaires, par l'arrestatioll de
leurs pel'sonnes. Q/Ji orat la fin 1:Cli t les moycns :
une fois ¡lO]''; de la ]¡;galii/', ce príncipe ne connalt




- 131 -


j,Ius Je JjJlJi[e~. El c'est puurquoi je suis oppose a
la dictatnre, et il toute es pece de coup d'élat.


Mais, nlt~me en me pla~ant sur ce terrain im- •
moral de la furce, je clis encore Cfu'il est, ponr ]e
dictaleur, des cOllsirlératíons qui reglen l l' exercice
de son pouvoir el dominent sa subjecti"ité. L'arbi-
traire, en un mol, n'est pas vrai, mcme au service
de l'arLilraire : comrnent en feraiL-on, p~ur un
seul jour. un principe de gouvernement'l
Louig-~apoJéon s'était proposé d'éteindre les


partis : on a )m jugcr quelle différence il meUait
entre cm, el avec quelle mesure inégale il traitait
les J ynastiques et les républicains. Etablissons d' a-
bord les faits.


Des 1848, Louis-Xapoléon, par ]e concours des
partís conservateurs et l' opposi lion des nuances ré-
publicaines, qui portaient éontre lui a la prési-
dence ~lM. Cavaignac, Ledru-Rollin. Raspail, se
[rol/vait de faít l'allié, le chef de la réaction.
CeUe p05itíon, évidem~llent fausse, et qui, je 1'a-
mue pour ma part, flljlls(lu'all 2 décembre l'cspoir
des ré[mblicains, n'eLll pas dú se pl"olonger au dela
de la période électorale. I)'autrcs conseíls dirigerent
l'Elysée : COlllme, en, gage de bon accord, il avait
adoplé la politic¡ue des rC.lcleurs, il leur demanda
:;es ministres. La journée uu 13 juin, les éleclíons
de mars el avrí I 1850, ia loí du :31 maí, etc., en
resserrant ('ltaque .ion!' dilYantage les liens quí unis-
saíent le Présidenl it la ('unlre-révolution, creu-
~l:rcnt l'ahime qui le sl'parail de la république.


En 1851. commenr,a la scissíon qui devaítl' affran-
cIlÍr ele la lIlajorilé el alu)ulír au coup d'état. Louís.
Sapoléol1 rentranl ainsí dalls la vérité de son róle~




-1:12 -


on devait lugi(jlIelllent s'allenlll'e it el' qlle, talllli~
, qu'il serait en hutte aux attaques tle la majorité, il


serai-t appuyé par la gauche républícaine. Mais l' úm·
lution qui venai! de s'aecomplir dans l'Assemhlée
étaít 101n d' entrainer le pays. Pendant que majoritr
et minorité devenaienl de plus en plus hostiles ¡'1
Bonaparte, les niasses conservatrices, aussi mécon-
ten tes de la majorité que le parti réJlUblicain l'étai!
de la Montagne, effrayées surtout .de 18r>2, con ti-
nuaient a se grouper autour du Jlrésidcnt. C' es!
dáns ces dispositions que le coup d' état troma le
pays. Le 2 décembre, quand les répuhlicains se 11'-
verent pour la défense de la constitution, les con-
servateurs se leverent contre les républicains. Lt'
roup d' état fut ainsi détourné, comme l' élection
de 1848, au hénéfice de ceux qu'il rnena¡;;ait : aprps
avoir cornrnencé par une invocation a la révolu-
lion, 11 finíl par une Saint-Barthélerny de révoJu-
tionnaires.


Puisque nous étions en dictature, il appartenait
au dictateur, tout en prenant ses suretes contre les
hornmes, de se prononcer une honne fois sur les
choses. Que ne disait-il, a présent que ríen ne le
pouvait gener, el de maniere a etre entendu : Je
¡¡u'Ís la revülulion, et la clemocratie, et le soC'ialisme /
Comrnent, a peine échappé du traquenard des
questeurs, se laissait-il aller une seconde foís il. l' en-
trainernent fatal de la réaction '1 Certes, on ne sau-
raít rappoI'tel' a Louis-Napoléon ces tablos fnnehres,
dl'essées par les commissions militaires, et 'luí ont
Stll·\,ÓCU al' éfat (le sié!lc. Connalt-il un sur mi \le d{~s
indi,¡,llIs pJ'oscrib~ s'¡~il-il le~ noms de fons ces ri-
loyens, ouvricrs. laholll'eUrS, vignel'om, i nd IIsLl'ieJ~,




- 133 -


g-ens de ¡oi, savanls, propriétaires, qu'a frappés \a
lerreur r1éccmbriste'? non. Il a done laissé faire :
fJourquoi ~ Que ~ignifie ceLLe con [reclame oü la ré-
yo!ution est invoquée comlTIC príncipc et moyen, el
le personne! révolutionnaire proscrit; oú le prín-
('ipe dynasticlue est nié, et les partisans des dynas-
líes pris pour conseils et auxiliaires? ..


,\ lheu ne plaise que je ,ienne semer dans lila
patrie fle nouycaux fcrments de haine. ~Jais com~
mcnt parviendrons-nom it rétaLlir la concorde,
~ans laq uellc il n'y aura jamais pour nous de li-
berté, si nous u'apprenons a connaitre la méea-
r:ique fatale quí nous arme les uns contre les
~lUll'e~, et nous pousse a nous exterminer? Ce sont
k-; tcrroris~s de 52 qui sont devenus tout a coup.
ton 51, terrol'istes; e' est Bourbon, e' est Orléans,
!jui, tundís que LOUls-~apoléon les jetait it Paris
par les fenetres, pretnient main-forte clan s les dé-
Jlartf~ments a ses soldals. Ce 50nt les hornmes
de~ vicilles monarchies, qui dés avant le 1 O ¡}(~­
cembre 1848 remplist'ant Ips adlIlinit'traliom, le~
II'ihunallx, les ótats-majOl's, propríéIUil'(,~, capita-
listcs, gl'ands entreprencurs, cf1'ruyés d('~ rnenac('s
lie quelques fous, tremhlant pour leurs I'nrlunes t'I
pour leurs vies, Ollt tlirigé les urrestations, les per-
ljuj~i¡iol1s, les exécutions, el décidé, par ['cmpor-
lelllenl de leur égoi'sme, la victoirc du coup d'élal.
I'ontl'e leu1's proprcs chefs.


\lainlenanl quelJe esl la si[ualion?
Louis-Napoléon se flaUe d',noir détruil les partís


(lynastiques en prellunt leur place et ruinant leurs
princes; ces partis de lem cotéeonsiderent eomnw
un sueces d'a,oir obknu de l'Elysée, pOUl' parl dp


8




///
- 134-


in, la proscriptiop des démocrates. (Juí a ga-
.Ié, qui a pcnlu, dans ecUc campagne de contrc-


révolulion? JI est aisé u'cn faire le comple.
A présenl que la HópuLli(Iue paralt éeraséc, que


la population est épurée, le pays placó sous un pou-
,oir lelle~lent f6rt, que les vieilles l1lonarchics
pemen! déjil se représenter, dans la perspective,
avec un vernis de libéralim¡,e (\'oir les discoUl's de
MM. de Kerdrcl et Monlalembert au Corps légis-
latif), les partisans (les dynasties se séparent de
Louis-Napoléon. Deux aetes leur onlJ,uffi pour
opérer ce mouvement, et replaccr l'Elysée dans


. une position critique : l'un est la lellre du com te
(le Charnbord, quí interdit aux royalistes le ser-
men!; l'autre, l'opposition fOl'rnée par les primes
d'Orléans aux rlécl'ets du 22 janvier 1852. Libert¡;·
PrOpl'tCIC, yoilil la derise eles royalistes, non plus
contre la délllocratie, rnais con tre Louis-Napoléon.
Quant au coup d'étal, J)10n qll'ils en accopten! les
frui ts, ils s' en déclarent innacents. lis ne ]' alll poill t
comeillé,loin dt: lit ils ront combaltu. MM. Ber-
ryer, Vilel, Valimc!>nil, clc., n'onl-ils ras 8igné la
déclaration dc déchéancl' de Louís-Buna nade el ~a
mise 1101'S la loi? )\~I. Thiers, Duvergi~l' de Hall-
rane, Baze, Changarnier, ne sont-ils pas pros.
crits1 Sans duute, disenl-íls, en foudrmailt la dé··
mocratie et le socialismo, Louis-~apolt'l;11 a rendu
a la société un service immcnse; milis en nsurnrtnt


1


un pOllvoir qui devait elre rll~C('l'n(~ iibrelllenl, en
imposant de son chef une conslitutiuIl qui n'a été
ni disculée ni acceptée, (lui est nullc de plein rlroit,
dont l'application est un olltrage qllotidicn am: li-
bertés et aux Lraditions du pays, Lnujs-~llp()150n




- 1:35 -
s'est joué de la fui J>ubJiquc, et declaré ennemi dcs
FraIJ(:ais.


L'ElIlpcrcul', lui ullSsi, ,müt en la faihlesse- de
ces pedidcs allianees, Sa polilique d'intcricur ne fut
qu'unc slúle de concessions aux émlgrés el aux -pre-
tres, ct de Jl('r~l'clltions emers les jJalriotes, Quund
les 1'o\ali5lc:,: luí lanraicnl une mac[¡jne infernale,
il emoyait a Madag¿scar cent répuLlicains. Com-
Lien, sur les challlps de hatail1e de Leipsig el de
Walerloo, tJ'al!i par l'a!'lllCe ~axonne el par llour-
Illont, abandonnc, comlllC Holanu a Honcevaux,
par Grollr:hy, iI dul retsrcller ces 35,000 vieux sol-
dals de 1a Hépuhlique, que sa méfiance envoyu pé-
1'ir inulilemenl it Saint-Dorningue I Ah! s'écriaient
les h'l'igands ele la Lairc, de retour cluns leurs foyers,
s'i1 n'avait pas nlppeló les nohles j s'il n'avuit pa~;
rélabli les prelrl's! s'jl n'u\ajt pas rcmo~é .losé··
phinc! c'I'Litít, jlUII!' les ~oldll1s de l'empire, la
déessl' du la réH)luijoll que ceLle .loséphine, S'il
n'mail pas épousc l'Autrichienne! Ah! ah! ah!. ..
Sacer c~lo.


lí. Acles du 2 déc0mbre cOllcl'rnanl la réfol'me écollomique.


Résoudre la bourgeoisie et le prolétariat dans ia
classe llloyl'J1ne; la classe qlli út de Wil revenu
et celle qui lit de son salai1'e dansla classe qui,
Ü proprel1lcnt parler, ll'a ni rClenu ni salaire, mais
qui imente, qui enlrep!'end, qui rait yaloir, quí
produit, qui échangl', qui scuJe constilue l'écono-
lIlíe de la société el représente véritablcl11cnt le
pays : lelle est, aV0J1S-110LlS dil, la vérilable ques-
tion de févricr.




-- 136 -
leí, eUll1llle en plllsielln; aulrcs r;ireonslanees,


j'aime il reeonnaltre LIue le 2 déeembre n'a poinl
I'ailli par l'inteJl lion. C' est melllc dunsles aett'~
relatifs it la résulntion dcs elasses que Louis-Napo-
Jéon a le micm: lllontré aquel point jI comprcnaj[
sun manda!. Mais iei eneorc des considératiulls
puremenl subjeetives ont détuurné le '2 déeemhre
du vérilable bul, el neutralisé son bon désit'. Lh OÚ
le Président de la république UUfllit dú ehu(jlte
jour reeruter des atlhésions par mi 11 iel's, ses fonda-
tions Ollt passé llresque inapen:ue:, de la ('la~se
moyenne et du peuple, soulevé, du colé de ja JJOur-
g-eoisie, des méfianees et des llléeontentelllenl~.
D'autres vanteront eeUe l)olitúlue de prétenrJilc
pondération et el'insellsible progres, qui désaffec-
tionne les elasses influentes el laisse indilrérenles
les ma~ses : je m' en plains an norn de la súreté
publique el de la Révolution.


Rien n' est plus aisé, quand un le vondra, q lIe
d'accomplir, sans la moindre seeousse, la ré\o¡lI~
tion sociaJe, donl l' atten le paralysc la Frunce et
l'Europe.


011 comprend d' abord que pOllr ce LIui reganln
la classe la plus nombrcuse el hl plus pauvrc, la Hé-
\oIulion consistant en garantie de travail, augmcn-
tation de hien-etrc, développement de connaissanct:
el ele mornlilé, nucune opposilion um: mesures
révolutionnaircs ne pelll surgir de ce cilté-lit. Le
prolétariat ayant tout h reeevoir, He fera jamais
obstacle El une ré,o]utioll (lui a pour bnl de lui tout
donner.


Quant El la classe moyenne, iI faul la eOl1sidúer
lont a la fois comme partie agissanle, pal'tie don-




- 137-


nante et partie [ll'l'lHlIlle : au tolal, son comple df:
réyolution, si j'ose ainsi parler, doit se balancer
en sa faveur par une augmentation d'afl'aires, de
bénéfices, de pouvoir, de populal'ité, de séeurité,
Elle est le moniteur du peuplc, dan s cct enseigne-
ment mutuel de la révollllioll, et la cheville ou-
vriere du progres : il ne s'agil pour lc gOllYCl'llC-
mcnt que de la metlre au pas, en lui elonnant
l' exemple, lmis la laisscr faire. De ce coté enCOl'e
point de résistance a craindre, point de diflleulté.


Tout I'embarras provicnt de la bourgeoisie, (Ionl
il s' agit de transformer l' existence, et (IU'iI l'aut
alllener, par la conviction elc la nécessité et le süin
de ses intérets, a changer volontairement l'emploi
de ses capitaux, si miellx elle ll' aime ('omir le
fISgue de les conSOIllUler daos I'improductivité,
et par saite d'arriver rapidemeot a une ruine
tolale.


COlllmen l edle eumersion de la }JOul'geulsie,
plu~ cliflicile sans dOllle it opére¡'(lue eelle dll5 0/0,
a-t-elle été attaquée? llll'y ra1lait que de la justice :
on va mis de l'inveclivc et de la lllo11esse.


Puisque, slIi van L les jOllrnaux él yséem, qlli n' OllL
vas encore fini d'cxploitel' ce miséfQhl~ lheme, 18
coup el'dat avait élé dirigé nniqucmellt contrc les
muycs, irs socil1lislc~, les prt¡'Wuw:r, les bri!loilrl:!,
les jlu'q Uf S ; qll·aiw.i tes héild~ciaircs dn 2 décembre
é!aicnt les l'apii:1!iclc~, ]'('nlií'r", propriólnirc:>, gens
il pri,iL"gc~. lllo11llpüiems, :;il1l:CUí'i:;[í:S, tout ce qui
es! BOl: nr.[.;OI:', en fin, la eom¡':q¡¡cnrc élait. ce semble,
qU'Oll lellr en iai;:s¡(l, ir plus longlemps possihle,
l'illusion. La poliiifJue, ail llloins ecHe de com,
vrescrirai l dI' Ill(:nagt'l' eeUe classe rallf',mil'l'e, de


8




- 138-
la rendre de plus en plus complice Ju gomerne-
111cnt, de l'engager, d'abord par scs vanitéf', ses
préjugés, ses terreurs, lmis par l' autorité de ses
Jlremieres démarches, dans les nomelles rMor-
mes.


la poliliflue qu'on adopta fut celle de Louis XIV
et de Muzurin. On ,olllait bien refouler la nouvcllc
féodalité, mais sans la délruire, et en tant seule-
menL qu'elle pouvaiL contrarier le pouvoir; senir
le peupie, mais san:,; l' élcvcl' all-dessus de sa con-
dihon .... C'est du moins ce qlli résullc, pour l11oi,
des acles du 2 décembre.


Comme le besoin de popularité se faisail sentir,
d'autant plus ,'ivement que la bourgeoisie apportai.t
plus de zele a la réaction, on munc¡ua de mcsure,
et le congé fu! signifié a eelle-ei oulragemement.
En luí ruppelanlle scnirc l'cndu par le coup d'élat,
on lui reprochait prcs<¡lIe (le l'tnoir I'endu neces-
saire par son incapacité gomerncli;cnlulc, cl son
esprit révolutionnaire. L' U/livc1'S, la Pal¡ic, le
Cunstitutionncl, marchant a la quelle de la Gazclfc,
le lui déclarerent durcmcn t. la hourgeoisic, :-;ui-
vant ces feuilles, c'éLait l'anarehie. C'cst la ]¡Ollr-
geoisie, disaiclll-Plles, qlli a raiL périr Louis XH,
qlli a sacrifié les Girolldills, Danton, Hobespierl'e;
qui a conspiré contre ]e Dircctoire. C' est el!e qui,
apres les désastres de Moscou e t Lei p:;ig, a oEé de-
mander a l'Empereur des comptes, el deux fois l'a
plongé clans l'abime. C'esl elle quí a détJ'()né
Charles X, abandonné Louis-Philippe, comprolllis
le général Ca,aignae, pom son eoncurrcnl hCUlnu
que demnin elle Lrahira. La bourgeoisie! c'est \'01-
taíre et Housseau, Lafayette el MiraLeau 1 c' e~! le




- 139-


libéralisme des 15 ans, l'opposition des 181 Et
elle prétendrait régncr! ...


Ainsi, á la sulJjectirité hourgcuisc, le 2 décern~
bl'c opposait la siennc ! ... L' opinion ainsi prépa-
rée, les actes suiYiren t. Pum ne pas trop 110U8
l~tendre, nous mClltionncron~, en ce qui concernc
la bourgeoisie, les décrcls du 22 jamier concer-
nanl la famille d'Orléans, l'inslitulion du crédit
foneier, la réduclion du taux de l'escompte, la r;Oll-
version de la rente, complétée ultérieurement par
la réduelion de l'intéret SUl' les bons du trésor; -
en ce qui coneeme le prolétariat, un certain déve-
loppement donné aux travaux d'utilílé publique,
110lamment a Paris, la cróation de caisses de sc-
cours mutuels, les circlllail'cs des mini~tres de l'in-
tél'ieur et de la políce en fayeur des elasses omTic-
res, le l'etrail dl'S pl'ojcls de loi sur les chiens, les
cheyaux, le papícr, ctc. _


Tel es! Ú pCll pres l'ellsemhle des mesures prise.s
par le 2 décembre tI l'égard des deux classes ex-
tremes, 1'[ dallS un 1ml, dimi-ie de tramformation
ré,o)utioIlJlai/'f'.) un pClI, mais" surlout de subordi-
nation générale.


Ce c¡u'il funt eOllsidóJ'cr dans les déerefs du
=2t jamier, c.'esl, il mon ayis, bealleoup moins la
(hna~¡ie quí s'ell trome diminuée, que le~ prin-
ripes ~!¡j' le~qlleh ces décre[s reposent, el qui inté-
l'es~enl au pll/s )Jaut degl'é la Hévolutiol1.


Si Lüuis-~!:;p!;ll'on s'l:L¡it pi'opnsé sir;Jplemcnt de
ruinc}' une lace de jil'i!lCCS, de di:eallJler, en mct-
{¿iD! une d~ 11llSli(' Ú ['au llt!l1C, le plus redoutable
des ',icu\ partís, ii jl'[,\{' l fIlie i'aire de cel appareil
de procureu!' sur lequcJ i a basé les considérants de




- HIO-


~es décrets, el qui él sOlllevé une réprohation prp~­
(lue générale. II lui suffisait, par exemple, de Jire
que les d'Orléans étaient en eOllspiratíon perma-
nente contre la république; a ees causes et eH
veI'Íu du droít de légitime défense, de les déeJarer
décbus de lenrs }Jropriétés. La poliee était-elle en


. peine de donner a l' aeeusation une réalité? n' opé-
rait-elle pas tous les jonrs, vis-a-vis des républicain~,
de plus surprenants prodiges" Est-ce que depuí~
quatre ans les princes d'Orléans, par leurs vamx, par
les 80uvenirs qu'ils ont laissés, par les intrigues
de leurs partisans, ne conspirent pas" es[-ce que
pendant 18 ans Louis.·Philippe, IJar le concerl
avee la Sainte-Alliance, l' embastillement de París,
les lois de septembre, la corruption constitution-
nelle, etc., etc., etc., n'a pas conspiré? ... A ct'~
raÍsons sOnlmaires, personne n'aurait fait d'ohjec-
tion. Les princes auraien t pl'Otesté de leur inno-
cenee : Tout rnuuvais CI1S cst niab!c 1 te publie e11
cut cru ce qu'il eut voulu; l' égo'isme bourgeuis
semit demeuré dans sa quiétude; et la démoeratie,
qui avait bien d'autres comptes ü demander amo
d'Orléans, aurai L pu, sans faire toft a se" principf'~,
applaudir au déerct.


Quel est done le légiste qui a imaginé de motiltT
les décrets du 22 janvier snr un principe (le tlroit
réodal qne la rí~Yolulioll de XH nlilil nholi, qu'il
étail dll devoil' de 1,()l1i,;-i'\al¡(ll'~{)l\, óllwnr/ant el
eorrigeant en yertn de SOll alllol'iló diclalul'iiliclcs
ac.tes des gouverneHlcn[s ullté)'i(,llr~, de ra:lipl' tlé-
finitivernenf! Ainsi (lue l'avait prouvé M. HllJlill
dans la séance de la charnhre des député~ (in 7 jan-
viel' 1832, le prineipe dI' dh()!ntioll e~j lin :'.0],,1-




-- l!d-


laire de l' Ort,t'iUl ísatiun l'éodale. Le licf abroo'é la ~. b ,
pwpriété constituée telle que l'a faite le Code, la
I'o~auté assilllilée par l'dahlissement de la liste
ciYile a une fnnrtion publi<Ille, le retour au do-
maine des biens dn prince (}tü re00it la couronno
ne peut pas plus etre revrndi(fllé que cehli des
)lropriétés patrimuniales d'un IJréfet on d'nn jug<~
de paix ... II était aussi par trop na'if d'imoquel', á
litre de précédent, une loi ele 1815, rendue en
fawur d~s J can-sallli-l'crrc de la ItestauratÍon. On
COllr.oit que la comnmnautó dút avoir des charmes
pour les Bourbons, expatriés précisément pour
aroir repoussé la division, et qui, rentrés nus en
18iJi., n'avaient qu'unc pensée, celle de refaire de
la nalion enticre leur propriété, suiyant la politique
de Louis XlV et la 10i féodale. Mais qu'en 1~32
une Opposition inconsl'<j uente essayút de faire re-
,iHe cel ancien elroit, et <IlIe ,ingt aus aprt?s Iouis-
Xapoléon a son tour l'invo<{wlt : c'est ce qui doil,
a tDUS ceux qui suivent la tradition de 89, parattre
illogiqne, surtout contrc-révolutionnaire.


Au reste, il faut CI'Ull'C <fue Louis-:\"apoléon, ell
l'f'ndant les décrets dll 22 janviel', n'a eu d'alltre
\ ue que de réparer la souslraclion [mUllalcusa com,·
mise le 7 aOI1t, par Louis-Philippe, an ddlr;mell( de
l'élut : cel ade de haute justice lui paraissant de
10m poinls préférahle au procédé, quclque peu ma-
chiavélique, ({lll' j'indiflllais tout it l'hcUl'e. Cesl it
ce point ele yue que Jwaucoup de l'épublicains out
}Iris la cllose, el n'ont ]las hésilé a cn exprimer leur
satisfaction. A mes yeux, Loujs-~apoléon, sans y
pemer, a fait grief aux principes de 89; et de tous
les actes érnallés cle son Ehre arhitre, il n'en est




- 142-
pas (lui renferme, dans sa leltre, de plus redouta-
bies conséquencés.


S'il est admis que les hiens du chef de" l' état,
patrimoniallx aussi hien qu'apanagcrs, posséclés
avant son avéncment ou poslérieul'elllent aCfjuis,
sont réunÍs de plein droit au JOllluine (le la cou-
ronne, il s'ensuivra, avee le tcmps :


Que la loi (lui ordonne la rélmioll dcs apallase,;,
suppose par cela nH~t1IC la faculté d'ell uce/';


Qu'en conséquence le chef de l'dal, atlmini,,-
trateur et usufruilier des domaincs de l' état, po u-
vant a l'aide du bndget, de su liste civilc, de sun
crédit, de sa haute influence, par des transadiol1s
de gré a gré, les augmcntcr, ampEfier, élcl1l1rc,
dans une progression continuc, pourra égalemellt
les concéder sons formc d'Hpanagcs, fiefs, majo-
rais, elc., sous telle condiliOI1 de relour, redeHU1ce,
obédience, hOl1lmage, serviee, maÍ]) mor le , clc.,
qu'illui conviendra de fixer;


Qu'ainsi, par l'extension du príncipe el les ac-
quisitions et incorporalions du prince, il se refor-
mera, des domaines de l' élal el de ceux !les pal'-
ticuliers qui, de gré ou de force, ayec ou slms
indemnité, en reconnaltront la suzeraindé, une
nouvelle organisation féodale, dont les grands fonc-
tionnaires seront les premiers et principaux mem-
bres;


Qu'a la suite, la massedes propriétés, entrainée
dans le meme móuvemcnt, sera peu a peu, en
vertu de transactions libres ou par ,oie u'assimila-
tion, réputée démemhrcmenl du dOlllaine puLlie et
concession de l' éla t, conformémcn t au uroi t féodal
el illa défmition de Robespierre ;




- H,3 -


Que le mCl1le p]'illcir)(~ s'appliquant aux choses
du commcrcc pt de j'indmtric, la féodalité devien-
tIra universelle ;


Oue le nrince, en raison de son aulori té suze-
rai1;8, anr;l le droit de limite!' la posscssion de ses
yaSSClllX, de la rtWOr¡ller, de changor les conditions
de la le!Jure, de d('~clarer la suftlsance des revenus;


Oll'entin á chaque emplüi militaire, civil ou
ecelésiastique, pourra elre attClchée, en guise de
traitCl1lCllt, la jouissancc de <Iuclquc tcrre ou pri-
,ilégc : üécJaranl au sur plus le prince l'incompu-
libililé de la propriété libre avec l'exercice des
foncliom; publiques, et ordonnant en conséquence
la dévolulion.


Dt' eette manipre l'ancien régime serait rebati
de fond en eomble: la bourgeoisic redeviendrait
noblcsse, la c1assc moyenne tíers-état, le prolétaire
serf de la gldJC, de la houille, du fer, du co-
lon, etc.; le lout aux applaudissements de l'Églisc,
'lui se verrait revenue aux beaux jours de sa puis-
sanee, et ues ullra-communístes, ennemis de la fa-
mille et du tnlYail libre, quí reconnalLraienl dan s
I'etie lllare!Je rétl'ograde un progre~ vers leurs idées.


t' exécutÍon de ce plan est-elle une chimere?
La ccntralisalion po1itique, qui depuis soixante ans
n'a ceSSl~ de s'ag-graver; la loi de 1810 qui a orga-
nisl\ preSljUe sur les memes principes, la propriété
minéralé: l'alJus des brevcts d'invenlion et des
dépols de m~deles de fahrique; les concessions
failes Jept,is six l1lois au c1ergé et aux compagnies
indm:trieHes; ia maniere, facde et large, donl se
Jélivrent les adjudications de travaux; la création
de dignitaires avee augll1entation de traitements;




- '1lt4
la liste civíle et les acqlli~itioJlt' u'immeuhles du
Président de la RépuLliquc ; les len dances commu-
nistes et féodales de la multitude, tant (]'atItres faits
qu'il serait trap long de recueillir ,011t ouverL la
,"oie. En díx ans, il serait possible de mener si loin
eeUe réroluLion, de la renore si profonde, de luí
créey tant el de sí puissants intérels, qu'elie pOUI'-
raíl défier toutes les rages démocratiques el bour-
geoises. Le peupIe est si 'pauue en ce moment, la
elasse moyenne dans une ,itualiol1 si précaire, le
préjugé hiérarchique si puissant, que ce sysLCmr,
habilement saulenu, pourrait etre cOlJ8idéré, rela-
Livement, comme un bienfait. Serait-il de longue
uurée? la question est autre. M.aís dunlt-il moin~
encore que l'empíre, la re~tauration ou la monal'-
chie de juillet, ce serait to'ujours asscz pour l'hol1-
llcur (le J' entrepri~e, toujollrs trop pour cclui de la
naLion.


Certes, en déduisant ces conséquences <111 dt"erel
uu 22 janvier, je ne calomnie pas Louis-J\apoléoll.
11 ne les a sÍll'ement ni voulue!' ni prévúes, el jp
suis eOllynincu ([u'il les repou~scrait éncrgiquf'-
mento Mais la Yie de l'homme est frn gil e , ti\n¡Ji~
(fue les principes, une I'ois íntrouuits dans I'hj~-
10ire par les faits et la logique, sont ine\.orah¡c~.
Tel est le l1Ialheur du gouvernement personnel,
qu'en suivant meme ses inspirations les plns ,e1'-
tueuses, presque jamais iI ne produit le bien qu'il
cherche, et que souvenl il accomplit le mal qll'il .
ne vcut pas ...


tes décrets fll1anciers ofi'rcnt-ils des di~positiolls
plus sages?


Jr menlirais a loute mil vir, it nlr:: convirtiol1s




- 145-
les, pllls intimes et les plus cheres, si je hIamais
soit le principe, soit le but ou l'opporlunité de ce~
décrets . .T'aime mieux m'y associer et réclamer ma
part J'initiative autant qn'il es! permis a un ci-
toyen don! les idées, longtemps controversées,
finissent par obtenir, peu on prou, la sanction du
public et du gouvernement.


.Te n'ineidenterai pas davantage sur la quotité des
réductions. - Pourquoi, demandera-t-on, n'avoir
pas réJuit tout de suile le taux de l'escompte a 2
ou 1 pOli!' O/O? L'encaisse de 600 millions repré-
senté par ¡¡arcille somme de billets cireulants n' est-
il pas Ilfopriété nationale? la nation a-t-elle besoin
de payer, pour ses propres fonds, un intéret aux
aetionnaires de la Banque? .. Et la conversion de
la rente: pourquoi, au lieu de la faire en 4 1/2, ne
l'a-t-on pas faite en 4, voire meme en 37 ...


Ces critiques, si fondées qu' elles puissent etre,
manqueraien t ¡ei de justesse. On peut regretter
la modération du législateur, qui n'a pas répondu
a l'impatience de la révolution, et sert ineompléte-
ment les intérets généraux. Mais jI peut répondre
qu'il préfere les progre s lents aux mesures radica-
les, el la ehose ainsi ramenée a une question de
mesure, sur laquelle le gouvernement a le droit de
suivre son opinion, il n'y a ríen a répliquer,


Ce que je reproche aux déerets eoneernant l' es-
co!npte, la rente et le erédit foneier, c' esl leur in-
cohérenee, e' est le défaut de coordination qui s'y
fait sentir, et qui trahit eneore, dans le 2 décem-
bre, des préoceupations toutes subjectives.


Puisque le gouyernement avait l'intention, tres-
louable assurément, de réduire l' escompte, de con-


9




-1.46 -
vertir la rente et d' organiser le crédit foncier, la
premiere chose qu'il eut a faire, avant d'arreter le
chiffre des réduetions, c'élait dé chercher le raprort
des difTérentes valeurs entre elles, afin d' opérer
ensuite tIe maniere a oLtenir un résultat v'mlu. Par
exemple, voulait-on faire refiner les capiLaux, qui
amuent ala bourse, vers le commerce et 1'indus-
trie? il fallait peser davantage sur la rente, de ma-
niere a offrir aux capitalistes l'appat d'un revenu
plus fort sur la commandite que sur la dette. C'est
le contraire qui a eu lieu: iei j'ai le droit de de·
mander pourquoí?


Les sociétés de crédit foncier ont été autorisées,
les bases de leur constitution établies. Mais autre
chose est d'auloriser le crédit, autre chose de don-
ner crédit. le décret du 28 février a ouvert l' écluse
saos doute, mais le canal est asee. Comment n'a-
t-on pas vu quepour amener les capitaux aux soeiétés
de crédit foncier, il fallait les expulser de la bourse,
mieuxque cela, décréter la réduetion de l'intéref sur
toules créances hypothécaires, et du meme coup
proroger de 2 a 5 ans lous les remboursements?


On dira peut-etre que c'élait attenter a la foi
des contrats et a la propriété. Nous ne nous enten-
dons plus. Est-ee que louis-Napoléon, arres le
2 déeembre, n'était pas revCtu de la diclature, de
toute l'autorité législative et exécutive, ainsi que 1'a
démontré M. Granier de Cassagnac '? Esl-ce que,
pouvant abroger ou ressuseitcr la loi, il ne pouvait
pas aussi la faire? Est-ce qu'il n'a pas usé de ce
pouvoir pour la saisie des hiens d'OrIéans, la déela-
ration de l' état de siége. la suspension de la liberté
individuelle, la réforme de la constitution, }'en-




-147 -
chainement de la prcsse, cte., etc'? S'il pouvait
réduire l'escompte de 4 a 3, iI pouvaít, íI devaít
généraliser la mesure; car en législation, comme
en logique, toute idée qui ne se généralise pas est
fausse, est injuste.ll devait, marchant sur les traces
de l'Empereur, déclarer que 1'intéret des eapitaux,
usuraire au-dessus de 5 pour 0;0 d'apres la loi
de 1801, le deviendrait désormais au-dessus de 4,
3, 2, 1, ad libitum, et cela pour toute espeee de
capitaux et sans distinction de pf(~ts. Il devait, en
conséquence, confirmant pour le surplus les con-
trats existants, ordonner que tous intér~ts stipulés
suívant les aneiennes regles seraient propor.tion-
nellemcnt réduits d'apres la nouvelle loi. En deux
mots, ce qui devait oceuper la rcligion du pouvoir,
e' était que la rédllction, rendue générale et frap-
pant toutes les especes de valeurs, ne put Ctre aceu-
sée d'inégalité par personne; et que eeux-la me mes
qui auraient a soufTrir, comme eapitalistes, de la
réduction de leur revenu, retrouvassent, comme
eonsommateurs, une compensation a ce déficit,
dans la diminution de leurs dépenses.


Le pouyoir en France ne fera ríen de solide, le
búdget ne couvrira ses déficits, Louis-.:\Tapoléon en
particuliel' ne triomphera de l' opposition bour-
geoise et n'apportera au peuple de réel soulage-
ment, a la. classe moyenne de vraie garantie; la
natíon, enfin, ne parviendra a vainere la eoneur-
renee de l' étranger et a réduire ses tarifs, que lors-
que le pouvoir, par ses lois sur l'intérct, aura con-
traint le capital a demander a la eommandite les
bénéfiees que lui offrent la deUe publique et l'hy-
potheque. Louis-Napoléon a l'autorité : qu'.il en




- 148-
use en acceptant a son tour ceHe de la nécessité;
et il n'aura ríen a craindre des jugcments de l'hís-
toire, pas plus que des complots. Quand la raison
d'état n'est plus que la raison des c1lOses, l'état,
quelle que soit sa constitution, est aussi souverain
que libre, et les citoyens sont comme lui.


Ces principes, de vraie politique, l'Élysée les a
entierement méconnus, par esprit de tyrann~e? non,
par esprit de compagnonnage .. En meme lemps qu'i1
réduisait le taux de l' escompte, il prorogeait le pri-
vilége de la Banque et laissait suhsisfer l'obligation
des trois signaturcs; en meme temps qu'il di mi-
nuait la rente, d'une fraction qu'iI eut été permis
de regarder simplement comme un impot, iI offrait
le remboursement, en prenant sous main ses me-
sures pour que la volonlé d'etre remhoursé ne vInt
a personne; en n)(~me temps qu'il organisait les
sociétés de crédit, il les laissait, par ce me me res-
pect du privilége; dans des conditions teHes que des
emprunteurs sérieux auront encore moins envie d'y
chcrcher des fonds, que les preteurs d'y porter
leurs capitaux. En cfIet, au dela d'un intéret de 2
1/2 a 3 pour % et d'une commission de 1/4, le
remboursement par annuités est plus onéreux que
l'intéret a 5 avec faculté de se libérer a volonté :
l'institution est impraticable.


En résuItat, les réformes financieres du 2 dé-
cerl1bre, COllf,¡ues d' apres des considérations toutes
personnelles, des convenances corporatives, des
transactions arbitraires, n'onl point produit ce
qu' on en espérait. Le fisc gagne 18 mil/ions sur la
rente; mais cela n'empeche pas le déficit prévu au
10r janvier 1853 el' rtre de 720 millions; - les




-149 -
commer~anls admis a la Banque gagncnt 1 pour 0;0
sur leurs cscomples, mais le portefeuille se dégar-
nit de jour en jour; car, ce n'est pas tout de cir-
culer, il faut d'abord produire, et le crédit, facile
pour l'cscompte, est inaccessible a la production;
-le principe de l'annuité a été posé en contradic-
tion de l'intéret, mais san s possibilité d' application
sérieuse. 'fout cela est du bon plaisir, plus ou
moins judicieux, estimable : ce n' est pas de la lé-
gislation, ce n' est pas du gouvernement.


Je ne dirai gu'un mol du développement consi-
dérahIe donné aux travaux ploIblics. Au point de
vue de la circonstance, et comme satisfaction don-
née aux travailleurs, les travaux de chemins de fer,
d' embellissement de la capitale, etc., ne peuvent
soulever de blame. Que le gouvernement provisoire
n' en a-t-il usé de meme 1 Engager les finances, dans
des cas pareils, non-seuJement est de bonne poli-
tique, c'est de nécessité. 'foulefois je ne saurais
m' empecher d' observer que les travaux d' état, pour
la pIupart travaux de luxe et de progres,. et ce qui
vaut mQins instruments ele popularité, eloivent ve-
nir comme complément, jamais comme initiation
du travaiI général. 11 n'y a qu'un ~léhémet-A1i qui
puisse a commandement faire travailler ses sujets :
en "France, )e \ravai), comme l' appréciation (les
actes uu POUVOjf, est lihre. Aussi, malgré les pro-
voeations de l'Elysée, et grace au décousu des dé-
crets de finance, l' exemple du gouvernement est
médiocrement suivi; tandis qu'il se lance dans les
entreprises, les prouucteurs, qui ne voient ni plan
ni iS5ue, travaillent exclusivement sur commandes,
et la nation vit au jour le jour l ...




-150 -


1). Actes du 2 décembre concernant les institutions politiques :
Presse, Serment.


Le mandat de Louis-Napoléon a pour objet de
procurer la révolution ou la contre-révolution : je
ne crais pas que l' on conteste l' allcrnative. Dans
l'un et l'autre cas, son pouvoir, obtenu et orga-
nisé en vue de ce mandat, est dictatorial: ce n' est
pas le controle, tel quel, du conseil d' état ou du
corps législatif, qui pourrait infirmcr cclle scconde
proposition.


J'appelle diclature le pouvoir conféré pal' le
peuple a un seul homme pour l'exéculion, non pas
des projels parliculiers de cet homme, mais de ce
que comillande au nom du saIut pubIic la néces-
sité. Ainsi le pouvoir dictatorial, iIlimité quant aux
moyens, esL quan L a son objet essentieIlel1lent spé-
cíal : tout ce qui est en dchors de cct objet est sous-
trait par la meme a l'aulorilé du rliclateur, dont les
pouvoirs cessent au:::sitül qu'il a rempli sa mission.


J'ai dil déja crí:2.Lien me répugnait la dictature,
si familiere am: ~:omains, et dont l'abus engendra,
a la fin, l'au~~iralie césürienne. Je la considere
comme une;nstitutlon théocratique et barbare,
mena<;;ante, dans tous les cas, IJour la liberté; 11
plus forLe raison la repoussé-je, lorsque la déléga-
tion qu' elle suppose est Índélinie clan s son ol)jet el
illimitée dan s sa duré e . La diclalure alors n' est plus
pour moi que la tyrannie : je ne la discute pus, je la
hais, et si l'occasion se présenle, je l'assassine ...


Louis-Napoléon, je le veux bien, en prenant la
dictature, n'a point voulu de la tyrannie.ll a réglé




- 151-
les conditions et posé les bornes de son pouvoir,
par une eonstítution. Comme s'il avait dit au pays :
« La Franee a une révoluLion a opérer, révohition
([ui, dans l'élat de division des esp~its, ne peut sor-
hr régulierement d'une assemblée, et qui exige,
pOllr tOllte une génération peut-etre, le eommande-
ment d'un seul. Cette révolution, j'en assume le
fardeau, avec l'agrémemt du peuple, et voici quelles
seront mes attributions. »


En fait et en droit, la consLitution du 15 janvier
n'est pas autre chose que ce pacte.


De meme done que je comprends la raisan d' élat,
que cependant je voudrais tenir museléc, je com-
prends aus~i la dicfature, que je n'aime paint, mal-
gré les exemples qu'en fournít I'his10ire. Et puis-
qu'ainsi l'a vaulu en 1851 le suffrage universel, je
n'ai rien a objecter, au fond, contre la constitution
du 15 janvier: mes obsenations sontde pure forme.


Je me demande pourquoi la constitution du 1 &
janvier, ayant a organiser un pouvoir dictatorial,
essentiellement transitoire, statue comme si ce
pouvGir était définitif; pourquoi son objet étant ex-
clusivement révolulionnaire, elle affecle Une com-
préhension générale; pourquoi elle ne définÍt ríen,
ni sur les reformes a opérer, ni sur les inslitutions
a in troduire, ni sur les rapports du paJ's avec
l' étranger, ses limites, ses colonies, son commerce,
ni sur l'cnsemhlc des moyens que réclame l'ac-
complissement d'un tel.mandat? Quand Camille fut
revetu deja dielalure, c'était pour chasser les Gau-
lois; quand Fabius y parvint a son tour, c' était pour
arre ter Annibal; quand César lui-rrH~me fut nommé
diclateur a vie, le motif, au moins apparp.nt, était




- 152-
eonnu, e'était la fin des guerres civiles, le triom-
phe de la plebe sur le patriciat, la reslauration
sous une autre for'me de l'antique autorité des
rois, La eonstitution du 15 janvier, sauf quelques
restrietions de pe'u d'imporlance, organise une dic-
tature quasi-héréditaire, puisque le Président de la
république a le droit de désigner par acte secret
son sueeesseur: dans quel but eette dietalure ~ cm
l'ignore, le prétends, avee l'histoire, que e' est pour
la révolution; l' Vnivers, les tables de proseription a
la main, soutient que e'est pour la eontre-révolu-
tion, Combien d'années, de siecles, durera eette
dietature? la constitution du 15 ¡amicr ne s'expli-
que pas davantage,


J'ai donné trop de preuves de mon indifféren-
tisme constitutionnel pour que j'attribue a l'acte du
15 janvier plus d'importance qu'il ne mérite, ct que
je m'en fasse un texte d'attaques contre le gouvcr-
nement du 2 décembre, Je sais, aussi bien qu'un
autre, qu'un gouvernement ne vit point de la con-
stitution qui le définit pas plus qu'un fabricant ne
subsiste de sa patente: un gouvernement vit de ses
acles, eomme un fabricanl vil de ses produits. La
valeur des actes fait la valeur du gouvernement.
Cependant j'ai le droit de chercher s'il y a ou non
accord entre le pouvoir établi et l'jdée qu'il sert,
puisque e'est cet aecord, plus ou moins observé,
qui témoigne de l'intelligcnce quc lc pouyoir a de
sa raison. On me dit que la constitution dul5 jan-
vier est ealquée sur ceHe de l'an 8! iVIais, avec la
permission de l'auteur, je réponds que l'an 8 n'a
rien a faire iei, pas plus que l'an lj,O: jI s'agit de la
révolution ou ele }a eonlre-révolution soeiale.




- t58-
En ce moment OÚ les passions se taisent, ou la


société est comme suspendue, iI faut rendre justice
aux penseurs qui depuis 89 ont posé les bases de
toutes nos constitutions politiques. lIs avaient le
senfiment profond de ceUe loí de convenance entre
le pouvoir et son idée, quand ils disajent qu'un
acte de gouvernement n'est pas bon paree qu'iI est
utile, mais paree qu'il est dans la mesure ;qu' en po-
litique, ce qui fait la légitimité, ce n' esi pas le profit.
mais la compétence; conséquemment que cé qu'il
faut considércr surtout dans les actes du pouvoir est
moins le fond que la forme; que hors de la, la répu-
blique est livrée a l' arbitraire, et la liberté perdue.


C' est d' apres ces príncipes qu'íls avaient conctu
la lpéorie du gouvernement représentatif.


Etant admise pour une société la nécessité d'une
ccntralisation gouvernementale, la loi de ceUe cen-
tralisation est que ]e pouvoir y soit divis,é et équi-
libré dans toutes ses parties. Ainsi l'Eglise sera
séparée de l'état, par conséquent les fonctionnaíres
ecclésiastiques ne pourront faire partie ní des as-
semblé'es ni du ministere; - l' exéeutif sera dis-
tInel du législatif, en conséquence le roin'aura
pas de Veto," - si la nation est partagée naturelle-
ment en ueux classes, eomme en Angleterre, iI
sera bien que ehacune soit représentée : de la la
théorie des dCllX chambres. - Tous les agents du
pouvoir exéeutif ~eront responsables, le chef exeepté,
parce que la responsabiJité de celui-ci le soumet-
tant a }'aulre l)ouvoir, ramimerait l'indivision .. ~~
Le progres élant la loi de toute société, et la sécurité
du peuple interdisant au pouvoir les aventures, les
111inisLres, représentants du príncipe conservateur,


. 9.




- ~54-
seront pris dans la majorité; le progres sera repré~
senté pal l' opposition, quí, grandissant lous les
jours, deviendra, au moment utile, majol'ité á son
tour et ministere.


Tel fut le sysleme inauguré en 1830, et qui, par
la mauvaise foi du prince el le scandale des intri~
gants qui en eurent la dil'ection, aboutit, longtemps
avant l'époque' OU il devail naturellemenl fini!', a
la catastrophe de février. Suivant la 10i qui en faisait
la base, ce régime de liberté pl'ogressive tendait,
par la démocratie, a la réduction conlinuelle de
l'ol'ganisme politique, el a son absorplion dans
l' organisme économique. Celte tendance, inhérente,
autant que la séparation des pouvoirs, a tout gou-
"crncmentlibre, les querelles de parti, les dérisions
de la tribune, les envahissemenLs de l'autorité
centrale, les hontes du l'(~gne, la firent pel'dre de
vue. De dégoút les csprits tournerent a l'ulopie,
etles romanciers aidant, on en "int a se prendre de
passion, quí pour la féodalité ou le suíl'rage uni-
veTsel el direct, qui pour le comité de salut {Jublie
ou pour l'empire, qui pour Platon, qui pou!' Pa-
nurge. e'est dans cel état de l'opinion qu'apparut
la république, el !fu' en moins de quatre ans la
l~rance a pu jouil' de deux constitutions.


l\Iaintenant qu'a voulu le 2 décembre? Servir la
révolution, et dans ce hut organiser, sous le con-
trole populaire, un pouvoir dictatorial? la constÍ-
tution du 15 janvier n' en dit mot : elle ne laisse
apercevoír, sous des ilpparences empruntées a la
théorie représentative, que l'exorhitance de la pré-
rogative présidentielle, sans donner la moindre
raison de ecHe exorbitance. funder un élut réguliel,




- 155-
expression de la classe moyenne, ayant pOlil' hut le
développement de toutes les facultés du pays, et
l' éducation pacifique du peupIe? en ce cas, une
réforme de la constltution du 15 janvier est indis-
pensahle. Pour vivre de sa vie normale, cultiver
son sol, exploiter ses mines, échanger ses produits,
la France n'a pas hesoin d'elre tenue sur pied de
guerre, menée tamhour hatLant, dans le silence de
la trihune et de la presse, comme s'il s'agissait
d'un départ pour Madrid, Wagram ou Moscou. Les
pouvoirs du président sont hors de proporlion avee
ses devoirs: ce u'est plus l'idée qui regne, e'est
l'homme. Pourquoi ce senat a colé de ce corps le-
gislatif, si le gouvernement du 2 décembre exprime
la résolution des partis, la rusion des c1asses ~ Pour-
quoi, a l'encontre des príncipes de 89, et par un
renversement d'idées tout féodal, le chef de l'état
s'arroge-t-il l'iniliative de la 10i, tandis que les re-
présenlants n 'onL que levcta? eomment, dans la dé-
mocratie napüléonienne, le controle, jadis une ga~
ranfie d' ordre, est-il devenu un péril? Comment des
représentants du peuple ne peuvent-ils interpeller le
gouvernement, lui demander ce qu'il a faíl de ses
trésors et de ses enfants? Comment ces mandalai-
res, délihérant sans publicité, hien que non san s
lémoins, ne peuvent-ils rendre compte au peupIe
de la maniere dont ils ont rempli leur mandat?..
Tout seroble a r.ontre-sens, faule d'explication suffi-
sante,dans la constitution du 15 j.,mier. Et corome
la raison publique ne se forme que d' apres ce gnÍ
est exprimé, non sur ce qui esl sous-enlendu, tot
ou tard ceUe machinc, mal conslruilc pour roffice
qu' elle doit rcmplir, trahira le l1lécanicicn : il será




-156 -
balancé, comme ce roi de Bahylonc (lui, rcvetu de
tout le despotisme oriental et ne répondant point
par· ses actes a la. granueur de son pouvoir, fut
trouvé trop léger, Et invenlus est minus habens! ...


Que dirai-je du sermene? une inconséquence de
plus.


Les partisans de la légitimité, sur l'avis clu comLe
de Chambord, refusent de le preter : ils ont raison,
et font en cela preuve de loyauté. Dans les idées
royalistes, le serment est un aete de vassclage, qui
lie, d'un lien unilatéral ct personnel, eelui qui
prete le serment a celui qui le re<.;oit. Mais j'avouc
que je ne saurais admeUre ceUe délieatessc chez un
républicain, et les ruisons de MM. Cavaignac e!
Carnot ne m'ont pas ,convaineu. l..e serment, pom
un républicain, n'est qu'une simple reconnuissunce
de la souveraineté du peuple en la personne du
chef de l'état, par consé(]uenf un contra! synaI-
lagmatique, qui oblige égalcIllcnf et réciproquc-
ment les parties. Le royalistc jure sur l'évangile,
le républicain sur la révolution : cc quí esl fort
différent. Cest ainsi quc pretercnt sel'l1Ient a Louis-
Philippe (;arnicr-Pages, Luma)'¡ine, Ledru-Rollin.
Louis-Napoléon l'entcnorail-il autrcmcnt'? Ce quí
esi certain, e'est qu'il ne l'os.erait dire .. )'estime
done que les représentants républieains, apres
avoir, sous le régime du 2 décembre, parLicipé aux
éleetions, devaient participer aussi um lravaux du
corps législatif,· et conJitionner leur sermcnt par
leur opposition.1l n'y avait lit ni parjurc, ni restric-
tion mentaJe: c'était s'accordcr ayec soi-méme, et
affirmcl' la républiflUf\.. ~his lü sub)ectivité nous
ayüugle tous: dans nos opiniolls, nons ne voyons




-1.57 -
que des hOIll tllC S ; dan s nos contradicteurs, que des
hom llles; clan s les événements qui nous pressent,
que des hommes, et toujours des hommes. Louis:-
Napoléon, Henri V, et le Comte de Paris ne sont
pas les seuls qui regnent sur la France : quant a la
république, a la patrie, au pays, termes honnetes,
sous lesquels chaque chef de partí déguise son ati-
tocratie, chaque partisan sa servilité .....


Ilserait fastidieux de prolonger cette analyse : le
lecteur peut se remémorer, dans ses détails, la po-
litique du 2 décembre, et généraliser.


Ce qu'on ne peut refuser a Louis-Napoléon, c'est
le mérite, décisif a 1'heure des révolutions, d'avoir
osé; c'est d'avoir en quelques semaines tonché a
tont, ébranlé tout, mis tout en question, propriété,
rente, intéret, inamovibilité, priviléges d'oflkes,
bourgeoisie, dynastie, constitutionnalisme, église,
armée, écoles, administration, justice, etc. Ce que
le sociaJisme n'avait attar¡ué que dans l'opinion, le
2 décembre a prouvé, par ses 'actes, a travers le
chaos de ses idées, la confusion de son personnel,
la contradiction de ses décrets~ les projets lances,
retirés, démenlis, combien fragile en était la struc-
ture, combien pauvres les príncipes el superficielIe
la stabilité. Ces vieilles institutions, ces traditions
sucrées, ces monuments prétendus du génie n"a-
tionul, il les a fuit danser COl11J1le des ombres chi-
noises; graee h luí il n' est plus possible de croire a
la nécessité, i't la durée d'aueune des choses qui ont
fait depuis trente ans l' objet des discllssions 11arle-
menl.aires, et dont la défcnse, l11al entendue, a
couté tant de sang et de larmes a la République.·
Que la démocrutÍe, vaincue en décembre, revienne




-158 -
quand elle voudra : elle trouvera les csprits prépa-
rés, la route ouverte, la charrue dans le sillon, le
grelot aucou de la bete; elle pouna joindre en-
core, comme en 1848, au mérite du radicalisme,
celui de la modération et de la générosité.


Avec tout cela, il est impossible de se dissi-
muler:


Que dans les actes du 2 déeembre la raison de
l'homme, au líeu de se eacher sous la raison des
choses, s'en distingue essentiellement; el tantót lui
obéit, tantót se la subordonne.


Que cette tendance subjeclive prcnd sa source
dan s la maniere dont le 2 décembre, a l'instar de
la multitude qu'il représente, des légitimistes guí
refusent le serment, et d'une fruelion meme des
républieains, entend la délégation ;


Que le buf 011 meue eeHe lendance, la significa-
tion qu'elle se <1onne, n'est autre) en derniáe ana-
lyse, qu'elle-meme, l'aulorité pour l'aulorité, l'art
pour 1'art, leplaisir de commandcr a 36 millions
d'hommes, de faire servir leurs idées, lcurs inté-
rets, leurs passions, tour a tour cxcités, a d~s vues
fan taisistes, a peu pres com me ces I'ois d' Egypte,
qui consumaienl vingt ans de regue, foutes les
forces de la nation, a s' ériger un tombeau, el se
cróyaicnt immortels.


Ainsi le 2 déeembre, né dans l'histoire des [autes
des hommes et de la néeessité des temps, aprés
avoir essayé quelques réformes utiles, s'abandonne,
eomme ses devanciers, a l'arbitraire de ses eoncep-
tions, et retombe, sans qu'il s'en doute peut-elre,
san s qu'il sache ni commenl ni pourquoi, de la
réalité sociale duns le vide personnel.




-1.59 -
L'histoire démonlre eependant que les sociétés


ne marchent et les gouvernements ne durent
qu'aulanl qu'il y a unilé, accord parrait d'intérets
et de vues, en !re le prinee et la nalion. Sous les
premiers capéliens, 1.011is le Gros, Philippe Auguste,
Louis IX, Philippe le Bel, tout le monde veut la
communc, la séparation de l'Egli$e et de rétat,
la prépondéranee de la couronne. Le peuple et le
roi s' entendent; ]e paysan et ]e bourgeoi's erÍent
l'un et l'autre : A has le dominicain! A bas le {ran-
ciscain! A has le tcmplier! ...


Sous Charles V, Charles VI, Charles VII, iI n'y
a qu'une pensée, chasser l' Anglais. Que seraient
devenus les Valois sahs la Pucelle, sans eette union
intime du prinee avee le peuple?


Louis XIV veut régner seul. A part les adjone-
tions de la Franche-Co:nlé, de l'Alsace el de la
Flandre, commandées par une ~aíne polilique, ses
entreprises n'ont plus Jc raison que le bon plaisir
de l'homme.ll rompl, par la Succ€ssion d' Espagne,
l'équiJihre européen; il retire la parole donnée aux
protestants par son a'ieul Henri IV; il ()puise la
Franee, opprimc la raison et la eonscience, et arrive
enfin au traité d'UtreehL, plus honteux, plus fu-
neste a la Franee que eeux de 1815. Le peuple,
aprt?s sa mort, insulte a son cadavre, et e' est de luí
que date la haine traditionnelle pour les Bourbons,
a laquelle fUl'ent dévoués tour a tour Louis XVI,
Louis XVIII, Charles X et lIenri V.


Mais s'il est un exemple qui doive frapper le
pouvoir actuel, e' est celui de Napoléon ....






VIII.


L'HOIWSCOPE.


Nous sommes au lendemain du 18 brumaire.
Nous réfIéchissons sur les causes qui de chute en


chute ont amené cette solution déplorable, ou pé-
rissent ave o les lihertés puhliques le respect de la
nation et des lois, et qui livre a un soldat un blanc-
seing de gouvernement. Ces causes, nous n'avons
ras de peine ajes découvrir, d'abord, dans les ha-
bitudes politiclues et intellectuelles des masses, qui,
délivrées de l' oppression ecclésiastique et nohiliaire,
illcapables d'ailleurs de comprendre la théorie
constitutionnelle el les conditions de la liberté,
étaient invinciblement entralnées vers le pouvoir
d'uo seul; en second lieu, dans la série des évé-
nemcnts, qui arres avoir porté au plus haut degré
la concentration politique et la déconsidération des
chefs parlementaires, rendait, a une époque de
guerres continuelles, le despotisme d'qn militaire
inévitable. '


Nous cherchons ensuite a percer le voile qui




- 162-


eouvre l'avenir de ce chef, dont la tlcstinée est dé~
sormais inséparahle de celIe de la patrie. Et telles
sont nos conjectures sur cet inquiétant avenir.


« Bonapal'te est volonlaire, au deJa de toute vo~
lonté. Impatient du frein, iI ne souffre aueun par-
tage de pouvoir, aucune contestalion d'autorilé. Il
s' est révélé des sa premiere campagne, par sa ré-
sislance aux ordres fiu Directoire; dans la campagne
d'Egypte, entreprise sous la seule garantie de son
nom et de ses desseins; et finalement dans la ma-
niere dont iI a quitté son armée pour venir a Paris,
général désobéissant et fugitif, s'emparer du gou-
Yernement.


}) Tout vice, a dit un philosophe, provient de
niaiserie : tout despolisme procede de faibIesse d' es-
prit. Bonaparte, volontaire et dominateur, étranger
aux grandes études, n'a pas de génie poli tique.
Elevé a l'école militaire, habitué a la vie des camps,
incomparable dans le commandement des armées,
il croit que le l)euplc se mene comme le soldat. Il
est, par ses idées, incapab1e de présider aux des ti-
nées d'un état. Son intelligence, merveilleÍJse pour
l'exécution, a besoin d'une autorité qui le dirige,
et iI repousse tout conseil, il répugne a toute auto-
rité. Loin de devancer son siecle, iI connalt a peine
son époque; il n'en saisit ni le véritable esprit, ni
les tendances secretes. Jacohin avec Robespierre,
modéré sous le Direct()irc, il a suivi avec la fougue
de son caractere le flux et le reflux de la révolu-
tion. Aujourd'hui ,premier consul, il prend son
mandat, a qnstar des plus infimes praticiens, pour
une substitution de ses vues, qu'on suppose im-
menses, aux nécessités pratiques de la situation el




- 163-
du temps. Paree qu'il n'a pas d'idée, il huit les
irlcoloques. Le voila qui caresse l' ancien reglme,
cherchant dans le passé des analogies qui lui servent
de principe : quand il se croit original, il n'est
qu'irnitateur. Comme il parla la Iangue révoJution-
naire, il parlera la langue monarchique. Sa logique,
étroite et raide, lui posant le dilemme entre la dé~
mocratie pure et le despotisme, il ne verra ríen en
dehors, rien au-(],essus; ce sera un autoerate par
raison et de bonne foi 1 Toujours supérieur dans
l' exécution, il Testera, dans la poli lique, médiocre
el faux, eouvrant a peine du eharlatanisme de ses
Yictoires, et de l'enflurc de son style, la misere de
ses conceptions. Tel prince, tel peuple. SOllS l'in-
lluence de son gouvernement, la JiUérature et l'art
sembleront endormis, la philosophie affaissée. Áu
mouvemen t intellectuel du ti ehors, la france, ivre de
poudre, asphyxiée sous ses lauriers, ne répondra que
par des reuvres morl-nées. Du reste, il ne réussira,
quelques succes qu'il oblienne, dans aueune de ses
en freprises : son passé répond iei. de son avenir. 11
s'est comert d'une gloire immortelle dans la cam-
pagne d'Italie, faife au sc1'vice. de la répub1ique~
sous l'inspiration de la patrie el de la révollllion a
défendre, II a éehoué duns la campagne d'Egypte,
proposée par lui, accordée a sa sollicitation, et qui
l1e pouvait guere avoir d'autre 1'ésultat que d' el1-
tretenir le vulgaire de sa, renommée, en aHendant
qu'il s' emparat du pouvoir.


» Maintenant il est le malt1'e, maltre presque
absolu. Son role, indiqué par 1'histoire, serait,
apres avoir vengé la france et terminé la révo-
lution, de fonder l' ordre constitutionnel, l' exer-





- 164-
mee régnlier des libertés publiques; il n' en veut
pas. Ce qu'il vent, c'est de régner seul, et asa ma-
niere. La France ne lui est point de conseil ni
d'autorité: elle lui sert d'instrumeut. Or, comme
il ne saurait avoir de vaIeur, en tant qu'homme
d' état. qu'il la condition de se faire le ministre des
destinées publiques, et d'agir sous le couvert de la
volonté nationale loyalement représentée, iI est iné-
vitable qu'il se perde et nous perde avec lui. Ses
talents militaires, ses facultés puissantes, lui servi-
ront a prolonger contre la néce~sité une lutte inu-
tile. Mais plus, dans ceUe luUe, il déploiera d'hé-
rOlsme, plus sa folie sera gigantesque : si bien
qu' enfin en le 'Voyant acculé al' absurde, on se de-
mandera si la vie de c~t homine, dépourvue de
conscience, est autre chose que le somnambulisme
d' Alexandre ou de César. Ainsi nous sommes livrés
a la fantaisie d'un soldat de fortune, invincible
quand il est l'homme de son pays, insensé quand
iI n' écoute que son orgueil. ~)


El maintenant, voyons l'histoire.
n'abord, Bonaparte sent ~ merveille combien,


apres sa fuite de l'armée d'Egypte el son usurpa-
tion du pouvoir, il a besoin de se faire absoudre.
te but de l' expédition manqué par la destruction
de la floUe a Aboukir etla levée du siége de JaITa,
són devoir était tracé par ses propres paro les:
c'était de revenir, gt'and com'ne les anciensl De
(Iuel droit abandonnait-il ses soldats sur une plage
lointaine? De quel droit son ambition, trompée


• dans ses calcu]s, et n'arant plus rien a faire en
Egypte, s' en venait-elle, solitaire, se charger du
destin de la république? Si le Directoire eut fait




- 165-
justice, Bonaparte était traduit devant un conseil
de guerre et fusillé. La lacheté des directeurs et
l' étourdissement de la nalion luí livrent le pouvoir:
a la bonne heure. Mais l'absolution populaire ne
suffit pas; il faut une réparation, et qui dit répara-
tion, en matiere de pénitence, dit, en I'abscnce dll
supplice, 'les bonnes muvres.


Bonaparte le sait mieux que personne: e' est
pourquoi il eommenee par s'identitIer a la répu-
bliquc, qu'il s'attache a rclever au dedans et au
dehors. Aussi bien iI n'ignore pas que ses serviees
luí eompteront double, d'abord pour se faire am-
nistier, puis, pour obtenir la prorogation de son
pouvoir, Rien n' est done heau eomme eette période
de la vie de Bonaparte. Pendant deux ans, soutenll
de toutes les notabilités militaires, administratives,
linancieres, ete., qlli voyaient en lui l'homme du
pays, le gouvernement du premier eonsul marque
ehacune de ses jOllrnées par un sueces. Qu'on jette
l' mil sur eette ehronologie.


ÉPHÉMÉRIDES CONSULAIRES.


1800.


18 jamJier. - Les généraux Brune et Hédouville on1
vaincu les chouans et pacifié la Vendée.


11 (évrier. - Constitution de la Banque de France.
8 marso - Formation de l'armée, dite de réserve, de


60,000 hommes.




-166 -
14 marso - tlection de Pie VII, Barnabé Chiaramonte.


Le ciel semble applaudir 11 la Hépublique gouvernée par
Bonaparte. Pie VIl, étallt évllque d' Imola, s'~tajt {ait remar-
quer par ses sympathies démocratiques: son avénement
{ut, pour I'époque, ce que fut lt5 ans plus tard eelui de
Pie IX, J ean 1\1asta1.


20 marso - Victoire d'Héliopolis, remportée par Klé-
ber, suivie de la reprise du Caire;


6-20 atril. - l\Iasséna, avec SouIt et Oudinot, soutient
dans une suite de combats hérolques, I'etro!'t des Autri-
chiens et se replie sur Genes.


3-11 mai. - Batailles d'Engen, l\1ceskirch et Biberach,
gagnées par l\Iorean. Prise de l\lemmingen par Lecourbe.


16-20 mai. - Tandis qne l\Iasséna occupe les Autri-
chiens, le premier consul franchit le Saint-Bernard, re-
nouvelallt l'entreprise d'Allnibal.


29 mai. - Occupation d'Augsbourg par Lecourbe.
2 juin. - Bonaparte a Milan: l'occupatioll de eette


ville compense la reddition de Genes, effecLuée par lUasséna
apres une défense immortelle.


9 juin. - Bataille de l\1ontebello, gagnée par Bonaparte.
Lannes y a la plus g;ande parto


tú juin. _ Victoire de Marengo, gagnée par le premier
consul. Elle est due a l'arrivée de Desaix, qui y trouve
une mort gloriense, et a la charge du jeune KeIlerman. -
Le 5 p. O/O, qui était 11 11 fr. 30 c. la veille du 18 brumaire,
est coté 11 3.5 fr.


19 juin. - Victoire de Hochstedt, remportée par Moreau,
suivie de l'occupation de l\1unich, par Decaen.


14 juillet. - Prise de Feldkirch, par Lecourbe et 1\10-
litor.




-167 -
30 septembre. - La Franee el les Etats-Unis s'unissent


par un traité de eommcree et d'amitié.
18ocfobre. -' Départ de l'amiral Baudin pour un voyage


de décollrerle. Tout marche de front, les sciences, les
arlS, la poliLique et la guerre.


f·r rlécembre. - :Maedonald, gélléral en chef de l'armée
des Grisons, égalallt raudace du premier consul, passe les
Alpes t~ roliennes, et se met en communication avee Brulle,
général de l'armée d'ltalie.


3 decembre. - Victoire de Hohenlinden, gagnée par
Moreau. - Suivent, le 9, p~gsage de nnn ; le 15, prise de
Salzbourg, par J.eeourue; le 19-20, passage de la Traun,
occupation de Lintz.


25-27 décembre. - Bataille de Pozzolo, gagnée par
Brune, et OU se distinguent Suchet, Davoust, Marmont ¡
passage du l'tlillcio.


1801.
9 janm'er. - Traité de paix de Lunéville, entre la Franee


et l' Autriche. La coalition est rompue, la révolutioll vieto-
rieuse, l' Angleterre réduite 11 ses propres armes.


21 marso - Traité entre la Franee el I'Espagne.
, 28 marso - Traité entre la Franee et Naples.


5 jui{lft. - Combat naval d' AIg6siras, livré par ¡'amiral
Linois. L'avantage reste a la fiotte frailcaise .


4-15 aout. - Nelson attaque la fiottille rassemblée 11
Boulogne. 11 est chaque fois repoussé.


29 sfplembre. - Traité entre la Franee et le Portugal.
8 octl)bre. - Traité avee la Russie, signé 11 París.
9 octobre. - Paix avee la Porte Ottomane.




-163 -


1802.
25 marso -La paix est signée a Amiens, entre la France


et l' Angleterre. - Le 5 GIO est coté a 53 fr.


La légende napoléonienne n'a conservé de ceHe
éclatante période que les souvenirs du Saint-Ber-
nard el de Marengo: tout le reste est demeuré plus
ou moins dans l'ombre, comme si, dans ce concert
de toutes les forces patriotiques, il n'y avait en but
qu'une seule gloire, une seule existence, ccHe de
Bonaparte. Cependant il résulte des faits, el des
conditions de toute ceHe guerre, que la campagne
ouverte en' Italie a pour pendant nécessaire celle
d' Allemagne; que le 14 juin, OU la gloire du pre-
miel' Consul souffrit un instant d'éclipse, n'eSl que
la premiere moitié de la tache accomplie i:t Hoch-
stedt et Hohenlinden; que le passage du Sainl--
Bernard est le corrélatif de ceIui ues Alpes tyrolien-
nes, exécuté dans des conditions peut-etre pIm
difficiles; enfin, que les traités de tunéville el
d'Amiens sont le produit d'un double eifort, con-
duit, ex mquo, par les deux guerriers lcs plus rc-
tlommés de l' époque, Moreau et Bonaparte. Mais tel
est le privilége du pouvoir, que tout succes obtenu
par le subalterne profite exclusivemenl au supé-
rieur. ou est considéré comme non avenu par la
légende. Bonaparte est le chef: il suffit. En pleine
république, l'injuste renomméc lui suhordonne
ses compagnons, et le peuple, dans son instinc\
monarchique, se rendcomplice de cette partialité,
que bienlot il payera cher.


Apres le traité d' Amiens, la dictalurc de Bona-




-169 -
parte était finie. 11 ne lui restait qu'a déposer les
faisceaux apres avoir inauguré, sur de nouvelles
bases, le régirne constitutionneI. lIle cornprenait,
certes; aussi, ses mesures étaient prises de longue
main, et six semaines aprcs la signature du traité
d'Arniens, iI se faisait nommer Consul, pour dix
ans! Un an plus tard la paix était rompue ave e
l'Angleterre, et le pouvoir de Bonaparte ne ren-
contrait plus ni contradicteurs ni obstacles.


Rappelons, en quelques dates, eette partie beau-
coup moins remarquée du consulat, OU le héros,
qui san s doule avait la faiblesse d~ se croire né-
cessaire, laisse voir a nu le travail de son ambi-
tion et son jeu de bascule.


1799.


11. navembre (i 9 brumaire). Déportation el internernf'nt
'de 62 républicains vppo~és au coup d'état.


24 décembre. -. Proc/amation de la constitution de
l'an 8, toutea l'avantage du prernier Consul. -Cambacél'es,
régicide, deuxieme consul; Lehrun, aneien scerétaire intime
du chanceliel' Maupeou, tl'oisieme cOIlsul : Jlonapal'te es!
COll1ll1e le Chl'ist entre les deux larrons!


1800.
'5 janlJiJ~r. - Déportation de 133 répuhlicains.
17janvie1'.-Loi contre lapresse, suppressiondejournaux.
13 fénrier. - Loi en faveur des émigrés. On déporte les


patriotes, on rappelle les nobles.


26 septembrr.. - Loi en faveur de la loterie : la passion <iu
jeu entl'elenue aux dépens deTesprit public.


10




- 170-
2lt. décembre. - Explosion de la machine infernale. La


poli ce prouve qu-e les coupables sont royalistes: le premie\'
consul condamne a la déportation 130 républicaíns.


1801
7 février. - Création de trihunaux criminels spéciaux


dans les départements.
21 marso - Par le traité de Madrid, Bonaparte, ex-jaco-


bin, consul de la république fran\(aise, fait Louis de Bour-
hon, ex-prince de Parme, roi d'Italie.


:1. er juillet. - Les noirs de Saint-Domingue se donnent
une constitution. Leur chef, Tou8saint-Louverture, nommé
gouverneur a vie, écrit a Bonaparte avec ce protocole: Le
pTemier des noirs au premier des blanes. La -comparaison
blesse Bonaparte, et décide de sa politique vis-a-vis de la
coloníe.


15 juillet. - Signature du Concordat. Bonaparte releve
le parti pretre, qui l'appelle Noltveau Darid, et lui rend en
bénédictions ce qu'il en ret;oit en argent et en inlluence.


7 septembre. - Ouvertnre de la Diete helvétique: le pre-
miel' consul de la république frant;aise, protecteur naturel
de l'índépendance des nations, intervient daris les affaíres
d'une autre république.


1lt. décembre. - Expédition de Saint-Domingue. Une
foule d'anciens militaires, surtout d'officicrs, élevés 11 l'école
de la république, et dont les opinions faisaient omhrage,
sont éloignés.


1802.
26 janvier. - Bonaparte se fait nornmer président de la


répuhlique italienne. Cumul injustifiahle dans un chef d'état
républicain, aussi bien au point de vue du droit des gens




-171 -
qu'il celui de la liberté fran{:aise. Bonaparte voulait un trone:
a dMaut de la Frallce, il se ménage l' !talie.


26 aTril. - Amnistie générale en faveur des émigrés.
Les jacobills resteront a l\'Iadagascar.


8 mai. -Bonaparte est nommé consul pour dix aus. ,,11
" eut voulu, dit-i1, tenniner a la pr.úx sa carriere politiqueo
)) Mais le Sénat a jugé qu'il devait au peuple encore ce sacri-
)) fice; il se conformera a la volonté du pcuple t )) - Tant il
est vrai qu'll la paix d' Amiens expirait la mission de premier
COllsul, et que des illfluences d'entourage, jointesa l'ambition
de l'homrne, déterminercllt seules, en sa faveur, cette nou-
velle aliéllation de la souveraineté.


18 mai. - Levée de 1.20,000 hommes. - En 1.800, alors
que la .Fr;mce avait sur les braf> tonte la coalition, la levée
n'avait été que de 60,000 hommes; aujourd'hui, en pleine
paix, le recrutcment est porté au double. 11 est évident que
la guerl'e est une des cOlldition~ du nGUvean gouvernement.


19 mai. - Établissemellt de la Légion tI'honneur, vive-
ment combattll par le 1l'ibunat. - (( Aux l'éí1Jubliques la
)) verlu, aux monarcbies l'honneur, )) avait dit lUontesquieu.


20 mai. - lUalgré les promcsses faites il la population de
¡ni cOllsener ses droits poli tiques, l'esclavage est rétabli
dalls toutes les Antmes. Les réformes des negres sont abolies
par les blancs!


1.0 jnin. - Enlevement de Toussaint-Louvel'lure, mal-
gré la capitulatioll : il est conduit au fort de Joux.


2 aoCa. - Eonaparte est nommé cOllsul a vie, par
3,568,885 oui, contre 8,374 non. La spontanéité du peu-
pIe est il l'unisson du premier COIISU!. Il dit : (( Content
» d'avoir élé appcIé, par l'ordre de CELUI de qui tout émane,
)) a ramener l'ordre et l'égalité sur la tene, j'entendl'ai
» sonner la derniere heure sans regrct, comme sans inquié-
,) tude sur l'opinion des générations fntures. »


4 aout. - Réforme de la constitution de l'an VUI. -




- 172-
Elle était incompatible, en errct, avec le consnlat a vie, par
ses formes encore tl'Op dérnocratíques, trop libérales. Désor-
mais le rcgne de la subjeclivité consulaire est assuré : Qni
veut la fin, veut les moyens.


10 aout-l1 sf)Jtembre. - L'lle d'Elbe et le Piémont sont
réunis an Lcrdtoire de la républiqne franyaise. Infraction
au principe des nationalités, et aux príncipes du droít public
sur l'équilibre européen. Qui eut dit alors que cette réunion
était impossible, se serait attiré le mépris du prinee et de la
nution, Douze ans ne s'écouleront pas, avant que eette im-
possibilité soít devenuc un axióme.


9 octobrc. -Occupation des états de Parme par ordre du
premier consu!. Bonaparte ne déguise plus ses projets d'cn-
vahissement en Italie.


1803.
1 9 fevril'l'. - ACle de médiatioll rcndu par Bonapartc


pour meltre fin aux différends entre les cantons Suisses.
Cet acte esl appuyé d'une armée de ~O,OOO hommes, qui,
des le 21 octobre précédent, avaient commencé de pénétrer
en Suisse, sous les ordres du général Ney.


26 (évrier. - BOllaparte fajt" dit-on, proposer secrele-
ment a Louís XVIII de lui cérler ses droits au trone de
France .• Je ne confonds pas, répond Louis XVIII, l\L Bo-
» naparte avec ceux qui l'ont précédé. J'estime sa valeur,
» ses talents militaires; je lui sais gré de quelques actes
» d'administration. Mais il se trompe, s'il croit rn'enga-
» ger 11 renoncer a mes droits; loin de la, il les établirait
» lui-meme, s'Hs pouvaient etre litigieux, par les démarches
» qu'il fait en ce rnoment. » N'est-ce point déj1l Hemi V,
remerciant Louis-Napoléon de ce qu'il a fait contre les révo-
lutionnaires, et engageant ses féaux 11 refuser le serment?


25 marso -:- Levée de 120,000 hommes, en prévision de
la rupture aveC l' Angleterre.




-173 -
30 avt'it. - La touisiane est vendue aux États-Unis,


pour la somme de 81,300,000 franes : eonséquenec anti~
eipée de la cessation de la paix.


13 mai. - L'ambassadeur d' Angleterre re~oit ses passe-
ports : on se prépare a la guerreo


Cette rupture était-elle inévitable? les politiques
ont disputé du pour et du contre : iI n'y faut point
tant de reeherehe. Ce qui reste établi, par la dé-
monstration ehronologique et par les faíts, e' est
qu'un chef d'état, dans la po~ítíon de Bonaparte,
pouvait, a volonté, moyennant quelques conces-
sions, faire la paix ou la gue1're; e'est que les pré-
textes allégués de part et d' autre étaient plutót du
1'e5sort de la diplomatie que des armées; que si,
par exemple, l' Angleterre ne voulait pas rendre
(I'ile de Malte), Ronaparte voulait toujours prendre
(rile d'Elbe, le Piémont, l'état de Pa1'me); c'estque
tandis (lile les intére!s de la Grande-Bretagne
étaienL évidemment compromis par la prolongation
de la paix, dl,l cOlé de la France la guerre n'était
utile qu'A Bonaparle; que ecHe guerre iI l'avait
pl'évue, c¡u'il s'y tenait pret, que des longtemps il
agissait comme si elle eut été déc1arée; e' est,
enfin, (lu'autant la Franee trouvait d'avantages a
éplI ¡ser, avan t ele combattre, tous les moyens di-
plomatir{ues, 1ransaetions, compensations, etc .•
autant l'Anglclcl'rf', I'0ur qui la situalíon était tont
alltr~, était intéresséc á faire naItre le conflit, et a
rhercher une solulioll par la yoie des a1'mes.


L' Angleterre, en efIe!, voulait l' empíre de
l'Océan, qu'alors, comme aujourd'hní, il était dif-
fieíle de luí enle,e1'. POUl' balancer eette domina-


10.




- 174-
tion maritime, la France n'avait que deux moyens :
c' était, ou de fermer a l' Angleterre le continent
européen, comme elle-meme nous fermait l'Océan,
ce qui entrainait, si l'Europe refusait d'entrer dans
ce systeme, la nécessité de la conc!uérir, chose im-
possible; ou bien de combaUre sa rival e avec ses
propres armes, par l'industrie, le commerce, la
navigation, les alliances. etc. : moyens surs, mais
lents, peu compatibles avec la récente conslitution
du pouvoir, et qui n'étaient ni dans le génie du
premier consul, ni dans la nature de son comman-
dement.


Ainsi, dans la lutte avec l' Angleterre. la poli-
tique d'exclusion. c'est-a-dire de conquete, qu'a-
vaient revée les hornrnes de la Convention, notam-
ment Barere, poli tique absurde au point de vue
des intércts et des liberlés du pays, mais indispen-
sable a la conservation d'ul1 pouvoir excessif; poli-
tique sans but, puisque prélendre it tout, c'est ne
prétendre a rien; ceUe politique personnelle, qui,
rarnenée El sa plus simple expression, n' eut jamais
été soufferte, prévalut c1uns les conseils de la nation,
grace a l'éclat des victoires récenles, aux prétextes
habilement colorés de la diplomatie, et a l'exCila-
tion des rivalités nationales. De ce moment, ii fut
facile de pronostiquer, aux dates et aux lieux pres,
les péripéties de }a lutte, et de prédire le résulLat.


A l'intél'ieur, Bonaparte nommé consul il vie,
débarrassé de toutes entraves constitutionncllcs, líe
peut mainlenir son autoriLé qu'en la concentrant
de plus en plus, et en occupant la nalion d'enlre-
prises qui absorbent son éncrgie et fassenl di\ersion
aux esprits. Ce plan est déjil contradictuire : le l)ou·




-1.75 -
voir plus fort est toujours plus attaqué; l' opinion,
des qu'eUc ne se reconnalt pas en lui, se tourne
conlre lui. Viendra le jour fatal OU la liberté com-
primée, la tendance nationale froissée, réagiront
contre le despote : alors la nation, an moins celle
qui pense, la seule qui compte, se séparera de son
chef, et de ceUe scission résultera infailliblemenl
ou la chute de l'un, ou la dégradation de 1'autre,
peut-etre la ruine de ious deux.


Au dehors, l' Angleterre maltresse de la mer.
protégée par sa position insulaire, subventionnant
les rois, soulevant les peuples, tenant par l'univer-
salíté de son cornmerce la nation franyaise, pour
ainsi dire, en état de blocus; l' Angleterre force
Bonaparle, pour se dégager de ce blocus, de le 1'e-
tourner contre elle, c'est-a-dire de s'emparer suc-
cessivernent de tous les élats de rEurope, de dé-
troner l'un aprcs l'autre tous les rois, de changer
les dynasties, el d'abolir les natlonalités. En deux
mols, l'Angleterre pousse llonaparte, bon gré mal
gré, a la monarchie llniycrselle. S'il s'arrete un
seul jour, il perd le fruit de ses victoires: la France
lui rcdemund0 sa conslitulion, les peuples leur li-
berté. Les conspirations sont la aussi pour lui dire :
~larche, marche; sinon, abdique!


Dans celte entreprise d' aulocratie européenne,
combien y a\uit-il de chances pour Bonaparte? pas
une seule. Combien pour l'Angleterre ? toutes. Le
lraité de Westphalie, en faisanl grief, en plus d'un
cndroit, aux. nationüliLés, uyait posé l'idée d'une fé-
déralion curopéenne, el jeté les fondements de cet
équilibre, donL le pcr[ecLionncmenl est une des don-
nées les plus üulhenl1ques de lhisloirc, ct fOl'mera




- 176-
l' reuvre supériellre de la révoJution. Un peu plus
tot, un peu plus tard, Bonaparte, en contradiction
avec la destinée universelle, devait avoir devant ]ui
toute l'Europe en armes, derriere lui la France
épuisée, pleine de murmures. S'il ne tombait du
premier choc, ce qui apres tout était une chance,
jI était inévitable qu'a l'heure supreme de l'insur·
rection des peuples, sa chute ne devint le gage de
la paix générale, et le prix des efforts de l' Angle-
terre.U faudrait dix ans, peut-etre, pour déterminer
ce grand armement; il en pourrait con ter a l'Eu-
rope six millions d'hommes tués sur les champs de
bataille et une dette de 30 milliards: melle a ce
prix, la potitique anglaise ne pouvait reculer. De-
puis 1789, la révolution fran~.aise n'avait pas conté
beaucoup moins: pour sa prépondérance maritime,
pour l'honneur de sa diplomatie, pour 1'0rgueil de
sa raee, l' Angleterre ne se refuserait pas un égal
sacrifice.


Toute l' épopée impériale est dans le jeu de eeUe
partie, dont l'issue apparalt de ]oin avec la certitudc
de la fatalité, mais dont Bonaparte, pIein de ses
projets, redoutant sur toute chose de s'amoindrir,
n'aperc;oit pas le péril et le machiavélisme. Le
grand stratége, pris au piége de son utopie tandís
qu'il poursuit les idéologues, esi des cet instant
condamné. Lui, superstiticux ct falaliste, n'apen.:oit
pas l'infortune attachéc aux cntrC{lrises qu' il con-
«;oit el dirige seul. Ni la rcddition de Malte au\. An-
glu.is (5 septembre 1800), fmil amer de l'exféditiúu
d' Egyple; ni la reddition d' Alexandrie (30 aout
1801), dernier poste occupé par no~ soldals; ni la
révolte des noirs (14 seplclIlLrc 1802), He le peu-




- 1.77-


vent tirer de ses iUusions. JI se précipite avec une
ioie insensée daos la voie oú l'appelle l'ennerni,
dont jJ sernble prendre a tache de réaliser de point
en point les prévisions.
~Iais que cet hornrne sera dur a réduire! queHe


peine, a la providence des nations, pour avoir rai-
son de ce Briarée 1 queIs prodiges d'intelligence,
d'activité, de séduction, d'audace, accomplis par cet
antagoniste du destin, pour soutenir une prétention
impossible 1 L'histoÍre de l' empereur Napoléon, vé-
ritable hors-d' amvre dans l'histoire de l'humanité,
simple dalls son motif comme 1'Iliade et l'Enéide,
es! devenue a hon droit pour le peuple une lé-
gende, un mythe. Peu d'écrivains en ont dé melé la
raison organique, s'jl est permis d'appliquer ici le
style du personnage Du reste, nul n'a moins connu
le secret de sa destinée, les causes de sa grandeur
et de sa décadence, que Napoléon. Il s'est ignoré
jusqu'il la fin. En voyant, dans les méditations de
Sainte-HélEme, le vagabondage de cet esprit superhe,
qui jusqu'au dernier moment proteste contre la
défaile, parce qll'il nc peut Ja comprcndre, on di-
rait un astre qui, poussé loin de son orbite, n'aper-
~oit plus sa route daos l' éblouissement de ses
rayons, et court au hasard a travers l' empyrée.


J'ai cru devoir, pour l'intclligcnce des événc-
ments contemporains, et la confirmation des prín-
cipes que nous avons posés sur la génération de
l'histoire, présentel' ici le résumé chronologique
de la période impérialc. La vérité, offusquée dans
la longueur des dissertations et des récits, apparaIt
dan s la pure chronologie, avec une évidence qui ne
se retrollve que dan s les mathématiques. On yerra,




- 178-
une fois compris le point de départ, la filiation
inéluctable des faits, l'impossibilité de plus en plus
appareute de la politique napoléonienne, l'inutilité
des victoires; el, en comparant la richesse des
moyeos, la puissance de8 facultés, avec l'absurdité
du but, oq aura la vraie mesure de l'homme.


ÉPHÉMERIDES ll\1PÉRIALES.


1803.


20 mai. - Commencement des hostilités contre I'An-
gleterre. A dater de la rupture du traité d' Amiens, il n 'y a
plus qu'un individu qui pense et agisse pour la nation, c'est
Bonanarte. D~.légué du peuple, muni de son blanc-seinp, il
se croit dispensé de prendre désormais aucun eonseil, et tOlH
en ne suivant d'autre raison que sa raison, il nI' se juge poinl
despote. Ceux qui l'aiderent a organisrr le gouvernement
eonsulaire sont devenus les eommis de ses lOlolltés, ses com-
pagnons d'armes, les valets de son empire. La .Franee, alié-
nant sa souveraineté, est au service de ce citoyen, qui hien-
ot marchant de pair avec les l'ois fera de son autorité
ndividuelle un article de foi, et de son délil'e une manifes-


tation de la providence.
22 mai. - Le premier consul ordonne d'arreler tous les


Anglais voyageant en France, et les déclare prisonniers de
guerreo Comme Brunswick, dans son fameux manifeste, ce
n'est plus seulement au gouvernement anglais qu'il fait la
guerre, c'esr 11. la nation I .


3 juin. - Invasion du Hanovre par le général lUortier.
27 septembre. - La censure est établic, pUUI' assurel',


dit I'arreté, la liberté de la presse.
30. novembre. - Evacuation de Saint-Domingue, prc-




-179 -
mier fruit de la politique de llonaparte. La garnison réduite
11 5,000 hommes, dont 800 officiers, est prisouniere de
guerreo 50,000 Frant;ais ont péri dans celte expédition : au-
tant avait déja cofité eelle d'Égyptc. Ainsi échoue la seconde
entreprise, personnelle, de Bonaparte.


20 decembre. - Sénatus-coJisulte qui regle la forme des
séances du corps législatif. A la tribune, comme dans la
presse, la libcrlé ne pass e paso En elIet, pom l'exercice du
pouyoir, dans les termes du plébiscite elu 2 aout 1802, et
pour la carriere que nous avons 11 fournir, la liberté est de
tropo


1804.


1.5 février. - Conspiration contre le premier Consul. La
liberté proteste! Moreau est arrClé.


25 février. Etablissement des droits réunis.
28 février. - Arrestation de Pichegru. Bienheureux


Kléber, Dcsaix, Hoche, lUarceau, Joubert! ils n'ont eli le
temps ni de trahir la révolutioll, ni de conspirer contre le
tyran. lis sont morts pour la patrie : dorénavant on ne
mourra plus que pour l'empereur!


9 mal's. - Arrestation de Georges CadoudaI. De quoi se
melait cet hurluberlu 1 La France avait une expérience 11
suivre avec son empereur : apres lui, les Bourbons I


21 marso - te duc d'Enghien est fusillé 11 Vincennes.
Royaliste ou républicain, tout ce qui fait résistance est
écrasé.


211 marso - Levée de 60,000 conscrits.
28 avril. - Proclamation de Dessalines aux Haitiens:


Gl/erre ti mort aux tyrans I Liberte, Independancel On dia
rait le cri de 92. La révolution, arretée en Europe, fait un
tour chez Ie~ Indiens.




- 180-
¡' 4 mai. -..,. Bonaparte est nommé Empe-reur héréditai-re.
La molion en est faite au Tribunat, adoptée par le Sénat
conservatenr, « afin d'assurer an peuple fran~ais sa dignité,
» son indépcndance et son territoire, et d'empecher le re-
D tour dn dpspol'isme, dc la rwblesse, de la féodalité, de la
» servitnde et de l'ignorance, seuls présellts que puissent
» faire au peuplc les Bourbons, s'ils revcnaient jamais. ))


Ce séllatus-eonslIlte est ratifié par 3,521,675 oui, contrI'
2,579 non.


19 ma-i. - Création de maréchaux : destinés sans doute,
d'apres le vceu du Tribunat, 11 combattrc la feodaWé et la .
noblesse.


27 maí. - Prestation du serment. - Le c1ergé compare
Napoléon 11 Josaphat, Mathathias, Cyrus, IHoise, César, An-
guste, Charlcmagne. Dieu lui a dit: « Siége 11 ma droite,
II sede a dext'l'is meis. Lc gouvernement lui appartient, la
» soumission lni est due : tel est I'ordre de la Providcncc! »
lis diraient, ces pretres, s'jls l'osaient, que l'Éternel ayant
trompé l\lm• L:Etitia, en avait eu Napoléon.


10 jui'/,. - Proces et bannissemcnt de lUoreau : Piche-
gru s'étrangle en prison, Georges Cadondal est fllsillé.


10 juillet. - Établissement du ministt"re de la poli ce.
2 octobn. - Dile flottilIe est rassemblée 11 Boulogue, pOllr


la deseente en Angleterre. Les Anglais tentent inutilement
de la détruire.


8 octobre. - Le negre Dessaline prend le titre d' Empe-
reur de Haüi. L'ironic de Toussaint-J.ouvertllre passe 11 ses
11Iccesseurs: il cst écril que Saillt-Domingw) sera le cauche~
mar de Napoléon.


2 decembre. - L'Empcreur cst couronné a Notre-Dame.
Les dépenses du sacre, d'apres les journaux de I'empire, !le
s'eieycllt qu'lI six mülions!




- 181 -
3 decI:m bTl'. - A.Hianee (le l' ,\ ngll'lerre ¡nee, l.a SuMe.


Tandis que le conr¡lléranL s'apprcte, l' A ngleterre travaille
de son r,(¡té les gouvernemenls el les pCllples.


1805.


17 jan'rier. - Levée de 60,000 hommes.
29 janrier. - Fondation de Napol€onville ou Bourbon-


Vendée.
18 mar,~. - L'ElI1perellr déclare au Sénat qu'il accepte


la COllroune d'Italie, d'apres le vrell manifesté par la popu-
lation italiennc. eomme si une voix secrete protestait en lui
contre ia fatalilé gui l'entrairtc" iI dit : " .... Le géni'c du
)) mal chercheni. én yain des 11rétextes pour mcttre le conti-
l} nent en gúerre : aucune nouulle puissance ne sera incor-
» porée aans l'¿tat {ran~ais! »


5 a1)rif. - Pie VII, qui avait cspéré, en leuant a Paris
sacrer l' Empel'eür, I'ecouvrer les anciens domaines de" f;glise,
s'en rrtourne les mains viJes, aux sifllets de I'Europe.


8 am·il. - Traité d'alliance entre l' Angleterre et la Russie.
8 mai. - L'cmpereur de Hai'ti, Dessaline, décrete une


constitution impériale.
26 rnai. - Napoléon est couronné a !Uilan, Eugene


Beauharnais déciaré v:ce-roi d'Italie. La {éodalité, 'malgl'é
le v<cu du Tribunat, recommencé done, par la famille' de
~apoléon.


4 juiu. - Réunion de Genes a la Franee.
23 juin. - La répnblique de Lucques est transfol'mée


en principauté, et donnée a tlisa, srenr de Napoiéon.
21 lnillet.-- Réunion de Parme a la Franee. Ainsi se


justifieot les griefs de l' Angleterre, ainsi se poursuit, malgré
la lumiere intérienre qui l'écJaire, la carriere anti-provi:'


11




-- 182 -
dClllielle de l'Empereur. i\lent~ll-il, qualld il déclllrait le
18 mars q1¿' auc1I'ne pllissance ne Sfrait úlcorporée dan,:
l'élat rra/l~'ais? poínt : la force des cho~es I'ér,ras~it. A
chaque alliance que faisait l'!\ngle!ert'e, il répolldait par un
agrandi'iscmen! de territoit'c, voila tout.


22 inilíct. -- üimbat naval a la hallteur du cap Fillistrre
(Espaglle), entre la !lolte franco-espagllole el les Anglai~;.
L'avantage reste 11 ces dcrniers.


9 aoitt. - L' Autriche aclhcre au traité du 8 anil, entre la
Russie, -la Sucde et l' Allgleterre. .


8' septemb're. - 3· coalítion con/re la France. Si la ré-
flexion pouv~it nattre au cmur de Napoléoll, il scntirait en
ce moment quelle est l'allomalie de sa posiLioll. Iherrail
que ecHe anomalie résulte de son systcme de gouvernemenl,
leqnel ~l son tour a sa source dans l'idée qu 'H se fait, avec le
vulgaire, du nunda! ¡13Iitique. Il se dirai! alors que des
victoires, au senicc ti'une méchanle causc, sont aulant 11
redoutcr que des cléfaites, el d¿s a présent il ne comhatlr¡¡it
plus que pour le statié quo et pour la paix, te mauvais gé.nie
l'emporte : en avant !


Passage de l' llln par le général autrichien Klénall.
9 srptrmb¡·e. '- llétablissement du calendrirt' grégol'icn.


A llle;;ure que llonaparte est poursuivi par l'ancien régill1e,
ill'evientaux illSÜlutions ele l'ancien régime. Tous les actes
de son gouvernernent, parfaitelllcllt !iés entre -eux du reste,
son! 11 contre-sens de son mandat.


2[t seplemúTC. 0- Sénalus-consnlte qui orclonne la lerée
de 80,000 cOllscrits, met en acLivité ccux de 1801,2,3,
I¡, 5; onlonne la réorganisation drs ganles nationales.-
IIJandemenls des éveques, «(tÚ ordonnent des pricres publi-
erues, et répandent leurs bénédictiollS sur l' Oint di. Seí-
in~ur, erwoyé dI( ciel pom' visiter la trl're.


OÚ done eslla vérité cnFrance? oü est la raison? N'os!-il
11a5 vrai que sous cette a,alanche d'aclulatiolls dont il est




-1.83 -


l'ubjel, le plus sincere de tous, le plus lJOl1l1ete, c'est encare
Napoléon?


8-20 ocfobrr. - Combats de Werling;el1, GU11fburg, Lan-
genau; occupalíon d' Augshourg, Munich; capitulation
d'LlIll. E11 15 jours, l'enncmi a perdu 50,000 prisonniers.


21 or!obrr. - Hataille de Trafalgar, gagnée par Nelsoll
sur ¡'amiral franr;.ais Villeneme. Ce qu'avait été Aboukir (\
l'cxpédition d'Égyple, Trafalgar le sera pour toule la période
impériale. Napoléon, sallS marine, est irrévocablement COll-
dall1ué ;1 s'emparer du contiIH'nt. e'est ce qu'Oll appellera
S!J~lh¡¡e uu B/OCl/R conliltl'fltal. A Trafalgar, comme a
Abonkir, Napoléon est done vaineu, et sans rémission, lmis-
que la position qui lui est faite est lelle, que vn1ncu en
Allemagne, il perd tout; vietoricux, il est de plus en plus
compromis. Toutes ses \'icloires sont frappées d'avance de
s\érilité, et changérs en défailes.


25 octobre. - Le roí (le Prussc adhere ;\ la eoalition.
j'l'oremb1'P. - J"c 2, Mass(\na, eommandant l'armée


d'Italic, forre l'arc.hi(lllC Charles a l~ Tetraite; le 4, eombat,
d'All1ste t.lPn, oceupaliotl de Sleyer, prise de Vicenee; le 7,
Of.C\l[lltion d'JlIspnlck; le 9, cOlllbal de Maricnzell; le 11,
eombat de Dernstein ; le .13, nCCIlpation de Vienne; le 14-24,
occllpation de Trente, j'rcsbonrg, 1Irunn, Dmrnberg,
Tricste; le 28, jonction de l'armée d'Italic ct de la grande
arméc.


h nOl'embre. - Combat naval, en Vl1e du cap Villano,
(Galice). Quatre vaisscaux frallpis, échappés dudésastre
de Trafalgar, sout [orcés de se rcndre, aprcs une action de
[l hcurcs.


2 dccembre. - Vietoire d' Austerlitz, gagnée par l'Em-
pereu!'.


26 déc.emb1'e. - I'aix de Presbourg, avec l' Autriche. -,-
En voilil un 110rs de combal; que fera de lui Napoléón t




- 184-
La regle de la goerre est d'aITaiblir l'ennerni vainco : les
états de Venise, la Dalmatie, l'Albani~, sont rénuis au
royaume d' ltalie; l'électeor de llaviere et If~ duc de Wur-
temberg, déj1t a la dévotion de I'Empel'eul' des Fran~ais,
sont agrándis aox dtlpens de l' Autriche, el prennent le litre
de rois. Ainsi ce qu'il ne peut OU n'oserait encore incorporer
a ses états, iI le divise, le donne a des Subalternes, dont il
se fait (les auxiliaires conlre la c{'alirion. Par suite de ce
Il"aité, Nenfchlitel., Bprg et Cleves sont réunis a la Frailee,
et Napoléon déclaré en outre p,l'otpcteur de la cull(¿dératin/i
hp,hetique.


1806.


23 jl1nvier. - A la nouvelle de la défaite d' A usterlitz, Pia
est frappé d'apoplexie et meurt. Son rival Fox arl"ive au mi-
nistere : des négociations sont éntamées pour la paix.


28 jl1nvier.- Le sénat décerne a Napoléon le titre de
GRAND : un monUIlH'nt esl décrété en son honneur. La
natioll, enivrée, partage l'aveuglement de son chef, dont elle
partagera aussi la ruine.


6 février. - Combat naval, dans la baie de Saint-Domiil-
gue, enlre une escadre f,.all~aise et \,Ine escadre anglaise : ter-
millé a l'avantage de l'enncmi.


8-15 février. - Invasion du royaume de Naples, en re-
présailles de la neutralité mal gardée par le roí Ferdinand.
'Conslamment baltu sur mer par les Anglais, Napoléon n'a
que la ressourc~ de les expulser du continent :apres l' Italie,
il continue par Naples.


30 mars.- L'Empereur Homme son frere, Joseph Bona-
parte, roi des .Qeux.-Siciles.


5juin.- Napoléon .rétablit, pour la conservation de ses
conquetes, le systell1e féodal. Il Ilomme 1\1urat, son hcau-
Etere, grand duc de Ikrb I'l eleves; donne a TaIlcyrand la




- 185-
principauté de lIénévent, a titre de ppf' immédiatde la cou-
roune ; décIare en outre un autre de ses freres, touis Bana-
parte, roi de Hollaucle. Pressentant le dan2.er des COIl-
quetes, il voudrait ~e borner a des changements de dyn3sties.
lHais ce moren cst pire que I'autl'e : les rois de la création
de Napoléon lui donneront plus de 80uci que n'eussent fait
les indigénes.


6Juilll'l.- I.e génél'al Rtlgnier est défait par les Anglajs
a Sainte-Euphémie en Calabre. Le peuple se souleve contre
les I'hn~ais, l'ass¡¡ssinat est organisé contre eux : préludé
de ce t]ui arrivera, queJq!Jes années plus tard, en Espaglle.


12 juillet. - Confrdération du Hhill, sous le Protec.torat
de Napoléoll. cé traité, qui inféode a l'cmpire quatorze
princcs allwunds, assure a la Frallce, contre la cO;tlitioll,
Ull contingent de 50,noO hommes. Oc pareils princes eussent
mérité la corde, 8i les peuples avaient l'intelligence de lcurs
intércts: ils en furent quittes, apres la retraite de !Hoscou,
pour une trahison de plus.


20 ((011/.- En préscnce des agrandissemellts de Napoléon,
la Uussie refuse la paix, elltrainant la Prusse dans son orbite.


6 octobrc. - l.¡ec(Jalition. HielLu'est c/)Ilquis, tant qu'i\
reste a couquérir, dit l' Angletcrre. Conquérons done, répond
I'Empereur.


9-10 octobre.- Combats de Schleitz et Saalfeld : les Prus-
siens SOIl t battus.


1l.¡-31 octobrl'. - Vicloire d'Iéna : capitulation d'Erfurth,
occupation de Leipsik, lIalberstadt, Bralldebourg; Berlín,
Varsovie, elc. Prise de Spandau et Slcttin,


Novembrr. - Prise ti' Anklam, Kustrill, Lubeck; ,lIccupa-
tion de Hesse-Casscl, Hambourg, Breme, reddition de l\lag-
debourg; éapitl1lalioll de Hameln, entrée de Murat a Varsovie.


21 novembl'e.- Décret impérial, daté de Berlin, relatif au




-186 -


Systeme continental. Les Iles britannic¡ues sont mbes en élal
dé blocus; ·tout Anglais saisi rlDus les etats frau~ais est déclaré
prisollnier de gucrre, toute Illal'chandisc prO\cnant dc cclte·
uation est prohibée. ProvisoircLllcnt kl'russc csL cOI1(lamnée
auné contl'ilmtion de guerl'e de 150 millions. Et <10 denx.
Restent, avec l'AngletelTe, la llussic et la Suede.


Ainsi l'I'apoléon, non-sculement rait la guerre aux éla!s, iI
la (ait aus: .peuples; lloll-seuleq¡cilt ilfail la guerre aux hom-
mes, iI la fait aux choses. Cela durera-t-illollgtemps? ...
Poursuivons •.


1807.


15 décembre. - Levée de 80,0(){) hommes. En meme
teIllpS, l'Empereur ordonne aux gurdcs natiollaux (le se pré-
parer pour 11Il scriice actif.


23-26 decembl'e. - Combats de Czarnolo, l\Iohrungen,
PulLusk, Golymin, contre I('s Ltnsses. I'artout les Fran~ais
obtiennent I'avalltage.


Janúer.- Les opératiuns militaires continuellt: prise de
flreslau et de Brieg, sur rOdero


8·26 février.- B.:taille sanglarite d'E.ylau ; combats d'Os-
trolellka e.t de Blé:~!i:J)erg, ou les généraur 13ernadotle el
Ney taillent en pi!'c:; l'ellllemÍ.


7 avril. - Lpvée de 80,000 hommes, classe de 1808.
L'Empereur, pour enJrelenir·ses années, et faire face aux
alfaires, anticipe ses coupes d'hommes. La déjil se dévoile
sa faiblesse.


5-14jtt.in.- Combats de Spanden, Deppen, Gultstudt,
Ileilsberg, ou le:; Francais sont COllstammcnt vicloriellx.
Entin, la victoirede Friedland, suivie de la prise de Keelligs-
berg el de la Neisse, de la capitulatjOJl d~ Glalz et Kasel,
oblige la. Russie a demander la paíx.




- 187-
7-9/lI1jjeJ. - PAIf PE TILSIT7: La coa/ition est vaÍncue.


Elle le 8('J,1 81lSSÍ lO1lglemps que les jJOl'JS1llCC/i, ,7fl liell de
mJSscr1cllrs forees, agiront séparément, et que les peuples
ne se croirollt pas intéressés a la qncrel[¡>.


La Prllsse penlla llloilié de son lerriloire, qui pas:;e, partie
11 la France, parlíe a la Saxc. I.~ Pologoe, qui av,lit élé pon!'
Nap()léon d'un si grimd seconrs, est oubliée, ou plnLüL 5a-
criflée par lui 1I1'al\\itié du CI,ar • .Elle apprellll, a ses üépens,
que l'antagonisrne des princes ne vajamais jusflu'a leur faire
servir l'émancipation des peuples.


16 a011t.- I.a guerre sur le contincnt cst terminée : Napo-
léon ren tre triompllallt 11 Paris. L' enthousi;sme es~ au com ble.
Mais cet enlhousiasme se changerait bientOt en consterna-
tion, si quelqu'un en ce mQmenl pouvait se douter que toutrs
crs victoires 80nt autant d'insultes lt l'étoile de Bonaparte,
des méfaits qui ne font qu' exasp~rer le deslill contre la
Franee el contre lui. A Ilssi COffiment condamner le hél'os,
comment!le pas le plailldre, uu contraire, quand 011 voit
jusqu'ou s'abaisse l'imbécillité de son parterre? « II fst au
» ({eúl de l'hisluire, s'écrie le présid¡mt Séguier; au-dessns
)) de l'arlnúraliun! I1 ne peut etre égalé que par l' AMOUR ! »)
Folie el pitié !


18 aou(- Formation dll royaume de Wcstplwlie: le plus
jeune frcre de Napoléon, .lérümc, iígé de 27 ans, en sera
titulaire. Universel- applaudisoemen t.


19 aout.- Le Tribunat esl. supprimé : il s'y manift',tait
des velléiLés d'opposition! Le constitution impérialc, tant de
fois reman iée, est modifiée de !louveau. N' est-ce pas logi-
que, néce8saire? C¡·jns tes reins pom le combat, o .guerrier!
car, plus tu remportes de triomphes, plus tu te crées d'oppo-
sitiollS, el te taillrs de bcsogne; plus par conséquent tu auras
besoin, comme l'aLhléLc, de te ramasser dans ta force!


1. er septembre. - Organisation de la république hnienne;
comme partie intégrallte de l'empire franvais. Napoléon-;




- 1H8-
apres avoir manqué l' Angleterre par l'Égl pte, la ressalSlt
par la Grece! L' Unirers bien/ot ne le contiendra plus!


2 septembre. - Le roi de l)russe adhere au Systerne con-
tinental.


7 sp.ptembre. - Prise de rile de Rugen par le maréchal
Brune : la SuMe rappelle ses troupcs.


e' est en ce moment que les tlngl. lis, aveuglés par, la eu-
pidité et la haine, bombardent Copcnhague, eapitale d'un
état neu!re. Le motif de celte aggre,silm odicuse est le refus
qu'avait f~it le roí de Danemark de prendre part a la coali-
tion. On p0uvait, sans crime, ne point comprelldre une po-
litique que le,s Anglais eux-memes servaient si mal: aussi,
cetaete de "andalisme fit plus de mal a l' Angleterre que
toutea les victoires de Napoléon. Un moment les puissances
se séparérent d'elle. etNapoléon faillit, en haine de ses ri-
vaux, devenir l'arbitre accepté de l'Éurope.


9 septembre. - I.e roi de Danemark interdit 11 son peuple
touLe communicatioll ave e les A nglais.


14-16 octobre. - Napoléon, adoptant hautement les idées
de Barere, déclare qu'il s'opposera a toute alliance des
princes du continent avee l' Angleterre. Rien n'égale 1'outre-
cuidance de ce ca,~U8 belli, si ce n'e'st 5a niaiserie. Mais
telle est cn ce moment la c1amenr contre les Anglais , que
le q.ar se joint 11 Napoléon, et accede a son tour au Systthne
continental. '


Ainsi une faute poli tique , un crime contre le droit des
gens, semble un moment faire fléchir le dl'stin! Ce mo-
ment fut pour la Gr¡;nde-Bretagne le plus critique de 5a
l\ltle avec Napoléon : mais le doutc ne fut pas tic longne
durée. L'intempéranee de I'Empercur ramene vite aux AH-
glais ceux que leur barbarie en avait un instant détachés.


13 nocembn. - Premiere expéáition de })ortugaJ. La
cou!" de Lisbonnc ll'ayant pu, par crainte de l' Angleterí'e
qui mella~ait ses possessiolls d'Amérique, entrw: dans le




- 189-
Systeme continental, NapoléoJl rend un décret portant que
la maison de Bragance a cessé de régner en Europe, et
charge le ,général Junot de l'exécutiou. Aiusi, il suflit que
les Anglais mett!'nt le pied dans un état, poúr que cet état
devienne UIl eIlIlemi de l'Empereur!


30 noumhrp. - Prise de Lisbonne par les Fran(:ais, UIle
contrihution de 100 lllillions est illlposée au Portugal. --
Que dites-vous de cette fC'présaille au bombardement de
Copenhague, o sage Alexandre?.. .


iO décembn - Réunion du royaullle' d'Etrurie a la
Franee: l'armée fraIH;aise en prend possession.


17-18 d¿ccmbre. - L'Empereur lance décrets sur décrets'
touchant le Systeme continental. Le roi d' Angleterre y répond
par une déclaratiQll portaíit que la Grande-Bretagné est le
seu 1 bmtle'ca'l'd des libe,ttes de l' Europe.


1808.


'l er janrier. - Elat de la marine. anglaise : 253 vaisseaux
de ligne, 29 de 50 canons, 261 frégates, 299 sloops, 258
brics: total 1,100 vaisseaux de guerre, non éompris les
cuttel s et autres oatiments de moindre dimension.


Etat de la marine francaise : zéro.
On demande laquelle des deux puissances, de la France


OH de la Grandé-Bretagne, tient l'alltre en état de blocus?
3 jo iI !'in', - L'Espagn~, a l'instigation de Napoléon, ef-


frayée par le sort du Portugal, entre dans le Systeme conti-
nenlal.


21 jaurier. - Héunioll de Kchl, Cassd. Wezel et Fles-
sillgue au territoire fran~·ais.


Levée de 80,000 !lommes.
2 (árier. - Home est occupée par les l<'ran«;ais : Systeme


r;üut inrnla.l.
u.




- 190-
17-29 (évrier. - Occupation de l'ampeJune, Barcelone,


Figllierc, Saint~Sébasticll, par mesure continentale. Plus de
100,000 Fran.;ais se répandcllt dalls la Péninsule.


i 9 marso - A la suito d'jntrigues de cour, oú se voit la
maill de NapoJéon, Charles IV, roí d'Espagne, abdique en
fanmr de son [¡[s. '


:2 acril. - Décret impérial gui annexe les provinces
d'Ancone, Urbin, Camerino, Macerata, a l'empire fran~ais,
S ysteme continental. '


5 mai. - Traité de Bayonne, par Jequel Ferdinand VII
restitue la cOllronne 11 son pera Charles 1 V, qui la transporte
a Napoléon. A celte noul'elle une insurrertion {:c1ate a
Madrid: les mécolltents sont fusillés par les soldats de Mural.


Tous les historiens blament la condllite de Napoléon en-
vers l'Espagne, comme artifIcieuse, immorale, inique. Ce
qu'il nous appartient id ¡l'en relever, c'est qu'elle est la
réduction a l'absurde du Systeme de Napoll'on. Combien de-
vait se sentir fort!' l' Angleterre, en voyant ce chef d'un granel
état refaire et défaire sallS ccsse la carte polili<¡lle de l'Eu-
rope, dépersonnaliser pellples el gOlFcmcments, agrandir
salls cesse son territoire, cóuuue un parliculier arrondit sa
propriété, n~ reconnaitre en fIn dans la constitution des élalS
qU'lIue o:uvreartificicll~, que l'épée produit, que l'épée peut
détruire.


27-30 rnai. - La politir¡ue de Napoléon, ou,pour mieux
díre la politique imposée a Napoléon par l' Angletcrre, porte
ses fruits. L'Espagnese souleve tout entiere : la guerre des
peuples commence contre l'Empereur.


6 juin. - Napoléon ne peut plus reculer. Décret impé-
rial qlli proclame roi d'Espagne Joseph Bonaparte, frere
3illé de I'Emperem.


14juin. - Les ínsurgés de Cadixs'emparent des débris
de la fIoUe fran~aise, derniers restes de TrafaJgar : 5 vais-
seaux: de ligue, 1 frégatc, 4,000 ll1arills.




- 191 -
16 j/tin, - InsulTt:ctioll des Portugais. L'jnceI1clic est


.Humé clans loute la P{>llinsu1e, attisé par \' Allglcterrc. Lafo1'-
tune COllllllcnce ¡¡ tOUl'ller. Que les pcupJl'S du .\'ord suivent
l'exemple de eL:UX du Miaí, el e'en est fait de ;';apoléou.


'22 juin. - Capitulatíon de Baylen : 13,000 soldals et
officiers fran({ais meltent bas les armes, et sont envoyés a
Cadíx sur les pontons.


29 jui!let. - Le roi Joseph, elfrayé du progres de l'in-
surrection, abandonne Madrid, apres une résidenee de huit
jours.


31 juillet. - Une armée anglaise débarque en Portugal.
La gnerre est sUfe, en pays ami, contre l'élranger qui l'op-
priluc.


1.0 aout. - Le général espagnol la Romana, {)ccupé en
Danemark an scrviee de I'Empereur, s'evade avec 22,000
hommes, et retoUl'lle en Espagnc aider rinsurreetioll.


21 (loüt.-lIataillc de VimcIro, cutrc Junol ct Wellinglon.
Les Frau({ais, inférieurs ellllombre, se retirent en bon ordre.


30 aoút. - CO/H'C'lltioll de la Cintra: les Fran({ais éva-
cuenl le Porlugal el renlrent en I<rance, transportés Silr eles
nisseallx allglais. Wcllinglon rail la guerre' enmarclrand :
il ne se risque qll'aH'c d{'~ forces supérieures, et ne re-
gal'de pas a l'hellorabilÍté el'une capilulalion, pOUl'\U que
les l<ran<;ais 'parlent! Ainsi, depuis [rois JIlois, l'Empe-
reur éprouve elam la Péninsule unesuite d'échecs, qui ren-
elent de plus en, plus manifesle l'impossibilité de ses plauso
Pendant que l'insurrection pullule, la cOlltrebande foisol1ne:
Napuléon est vaincu par les masses populaires, dans sa stra-
tégie et sa politique.


8 srplembre. - Convention de París, pour le reglement
des affaires avee la Prusse. A tliré en Espagne par lepéril du
Syslhne, l' Empercur se hale de traiLer dans le Nonl ayec la
coalitioll.




- 19~-
iD septembre. - Levée de 80,000 colIscrÍts, classe de


i8iD; rappel de 80,000 autres, sur les cIasses de 1806, 7,
8, 9: total 160,000 hommes, r(lDdus nécessaires par la
'gnerre d'Espagne. La France ne sourcille pas!


12 octobre. - Entrevne d'Erfnrt, entre Napoléon el
Alexandre. Les deux souverains adressent au roi d'Angle-
terre une lcttr~ collective pour J'engager ¡¡ la paix! Napo-
léon, ¡¡ Sainte-Hélime, a traiLé le czar Alexandre de Grec dn
Bas-Empire. Il est certain que ce grec cornmit, dans la cir-
constance, un acte d'insigne betise. Si, dans ce moment,
au lieu de servir complaisalllrnellt les viles de Napoléon, il
eut appulé I'Angleterre, le Portugal, I'Espaglle, le roi de
Naples, le Pape, il pouvait haler de quatre ans la débilcle irll-
périale. CeUe faute coutera cher aux coalisés.


4 novembre. - L'Empereur, tranquille sur les illtentions
de I'Autriche, de la Prusse, el de la TIussie, entre en .Espa-
gne avec 80,000 hommes, retirés des forteresses d' AlIe-
magne.


10-23 nrmembre. - Combat el prise de Burgos; bataiJle
d'Espinosa el de Tudéla, gagnées par les Franrais.


4 décpvibre. - Redditioll de Madrid par les insul'gés.
L'Empereur adresse aux Espagllols une proclamation rne-
nacantc. « Aucune puissalJce, dit-il, ne peut exister sur le
» Continent, illtluencéc par I'Allgletenc 1..: Je chasscrai les
l) Anglais de l' Espagne, et leurs adhél'ents seront envelop-
l) pés dans leur ruinc ...


5-16-21 décembre. - r rise de Roses en Ca lalogne; com-
bats suOe Lobregat, ¡¡ San- Felice, el ¡¡ Molino-dd-Hey, )i-
vrés par Gomion Sailll-Cyr. Les Espagnols, COllstammcllt
battns en bataille rangée, prelluent Icut' t'cranche eomnw
gaérillas. Les triomphes de l'armée francaise passeront a la
postérité; son exterminatioIl en délail éehappe ¡¡ I'histoin'.




- i93-


1809.


Ja n vier. - L'reuvre impossible c.ontinue. Combatsde
Priél'os, de Tarac;,ona, et Ge la Corogne; prise du Ferró\.
Les Espagnols sont tOlljours vaincus j mais les Fran!;ais
s'usent toujours! .


2\ (éV1>ier. - Prise de Saragosse, nouvelle Numance!
par Lannes.


24 (éDtlÚ. - Hcddition de la ~lartinique aux Anglais.
par VilIaret-Joyeuse.


12-29 marso - Une se conde expédition est dirigée cOlltre
le Portugal, sous les ordres du maréchal Soult. - Combat
de Lanhozo, bataille et prise d'O-Porto.


9 am'il. - 5" coalltion. L'cxcmple des peuples finit par
clltralller les rois. L' Autl'ichc, impatiente du joug, stipen-
diée par l' Angleterre, rompt la paix. Passage de l'Inn et de
la ,salza par I'arc/¡idllc Charles: di\'crsion rationnelle, mais
insuffisallte, en faveur du Portugal et de I'Espagne. Se peut-
ill'ien de plus stupide quc ces prétendus coalisés ?


-12 ac/'ü. - Nomeau désastre maritime, éprouvé par la
Fl'ance, a rile d'Aix. Depuis Trafalgar; nos marÍns ne se
l'isquent }1lus sur I'Océan; ils sont enlevés, bnl1és dans.
leurs rade~. A l'ile d' Aix, 13 vaisseaux et frégate~ sont dé-
truits.


-1;)-'J o arrU. - Comhó!t de l'orrlenonc et de Sacile, sur
le Tap;liamcnto. Ir'; Frall(:ais¡ Clll11malldés par le princr
ElIgenc, ,on! fl'ahonl uattus par les A utriehirll~.


19-22 ardl. - Comhats tIc PfafI"en-HoITen el de TaulJ,
livrés par Ondinot el llavoust; hatailles d' A bensberg I',t
d'Eekmuhl : les Fran(:ais gagnent parlon!.




- 194-
23 atlril. - Levée de 30,000 hommes, classe de 18tO;


plus 10,000 11 reprendre sur eelles de 1806 Ü 1809.
h '!nrú. - Auaque du fort d'Ebers]wrg, mI périssent


5,000 brarcB, inutilClllCllt sacrifiés par les généraux. Au
rcbours du U'arail, la guerre, en devcllant méLier, sc démo-
ralise: preuve a priori qu'avec la civilisation elle doit dis-
paraitre.


10-18 mai. - Le maréchal Soult, ayant perdu une par ti e
de son artillerie et de son matériel, évacue le Portugal. La
seeonde expédition eontre ce pays éehoue eomme la prc-
miere. Ce ,que Napoléoll obtient d'avantages d'lI11 coté, il le
perd dé l'autre. - Il {audra-it que je {usse par/out! s'écrie-
t-il. :Eh! sans doute, invincible Empereur, et e'est ponr cela
que votre Systeme ne vant rien.


i3 inai. - Occupation de Vicllnc.
17 mai. - D~crct impérial qui réunit lcs états romains


11 l"cmpire frall~ais. Napoléon rémque les dons dc CharIc-
magne, et a,sigllc au Pape un relenu de deux millions.
ToujQurs le Sy~teme.


21-22 mai. - Bataille d'Essliug, treS·SallglantC. VEm-
pereul' est rajeté sur la ril'e droite du Danube, et s'établit
dans nle Lobau.


25 mai. - L'armée d~Italic, apres une suite d'actions
heureuses, opere sa jOl1ction avcc l'arméc d' Allemagllc.


- .


1 i j¡l'in. - Le pape Pie VII, qui n'avait pas eu de fondrcs
contre le Systcme continental, dépouillé maintenallt de son
état, fulmine contre Napoléoll. L'ancien démagogue d'Imola
parle maintenmt comme Grégoire VII. Toute ridieule et
intÚessée que paraisse cette dérnonstration du Saillt-Siége,
elle n'en produit pas moins son cITct sur les chrétiens <tu
ñouvel empire, donl la foi avail élé si mal a pro pos ravívée
par le Concordato




- 195
5-6 juillet. - Victoire de Wagram. r: Autriche, qui oon-


servait cncore une belle armée, el pOllvairprolonger la Jutte,
se jeUe allx pieds de :\'apoléon. L'cmperellr Frauyois payera,
pOllr préCllJinaire, une contriblltion de guerre de 238 lllil-
!ions. La débalJ(ladc de la coalitiou, signalée par tOllS les
pllblicistes depllis 92, saUYe encore une fois l'Empereur,
coÍnme elle avait sauvé la révolulion.


Le ·meme. jour, Pie VII est enlevé par ordre de Murat,
transféré a Grenoble, et deJa a Savone, 011 il est gardé-a
vue.


28 juillet. - Bataille de Talavera, sur le Tage, 011 le
maréchal Victor est batlu par WelUnglon.


15 aoi'Lt. - Reddition de Flessingue aUle Anglais, par le
général1\lonuet. Présage funeste : la perte de Flessingue est
le pendant de la capitulatiou de Baylen.


5 uctub'l~e. - Levée de 36,000 hommes, répartis sor les
classes de 1805, 7, 8, 9, 10.
1~ octoure. - Paix de Vicnne, entre la France et l' Au-


triche. tes prodnces illyrierines soal réunies a la France.
lJ'impürlanles Cl~ssioJls de terr;toire sont faítes ¡¡ la Confédé-
ratiGil germallique, au grand duché de Varsovie, et ¡¡ la
TIussie. Le Systcme con/ittentat ,,, touj-ullrs : la gUerre con-
tinue avec le Portugal, l'Espagne et l'Anglctcrre.


25' oc/obre. -- Nomeau désastre maritíme éprouvé par les
Fran~<ljs: troi~ vaisseaux et deux frégates, commandés par
l'amiral Baudin, sont échoués ou brulés sur la cote de I'Ué- .
rault. Contre l'aigle, il n'y a bec ni ongles : coupez-lui les
ailes! C'est la tactique des Anglais .


..


19-28 n01)embre. - Bataille d'Ocana, livrée par l\Iortier ;
combat d'Alba de Tormes, par Kcllerm:m. Les ESflalb\1.Clk
sout lIlis en déroute, et les Fran~ais se consument.


fG ddcembre. -·Napoléon avise un nouvéau moycn de




- 196-
consolider son empire, e'est de. se donner un hérit'ier. Le
divorce est prononcé eutre lui et Joséphine.


1810.


6 janvier. - La Suede fait la paix avee la-France, et
adhere au Systeme continental: - Ainsi, au COlnmence-
ment de ceUe anoée, le Nord tout entler se' tait deyant
Napóléon. l\Iais, ¡lendant que les gouvernements 'tléehissellt,
la force des cboses conspire contre l' Empcreur. La cOlltre-
bande annule les traités ¡ ce que le sabre a lié, le commercc
le délic; jusque dan s le palais impérial, I'Anglctcrre s'ouvre
des débouchés. La guerre de Ia.Péninsule n'est que I'érup-
lion, sur un point, de ceUe lulte soutcrraine, universelle.


2 {évrier. - Séville est oeeupée par les Fran¡;ais : la junte
illsul'recliollllclle se réfugie 11 Cadix.


6/ífvrier. - Reddition de la Guadeloupe aux Anglais. La
FraJ)ce n'aura bientót plus une seule statioll sur le globe.
Qu'est-ee done que les lallriers de Wagram, de Friedlalld,
d'Iéna, d' Austerlítz, les adjonetions forcées de territoire,
les dynasties introlli~ées malgré les pellples, aupres de cel
isolement I!laritime, qui rompt, ponr ainsi dire, tout rapport
de la Franee avee le reste dll monde?


7 !evrier·. - l'IIariage cntre Napoléon et Marie-Louise,
eélébré a Vienne. par procureur. La nation f,ran~aise a tou-
jours regretté cctte allianee, impolitiqlle, orgueilleuse, qni
faisait de Napoléon le neveu de Loui, xvr, le cotJsin de tOllS
les despotes, le pupille de la· contre-révolutiotl. l\lais il fant
a\'ooer qu'clle ne se cO'mprend gnere miellx dn coté de
l' Autriche, qui, an lien de se tenir ~atls une prolestatioll
muette, paetisait avec le dévol'ateul' de ses élals. le ¡f.aitre
futur de l'Europe!


9 mar8. - Napoléon réalise la fable du Soleil qui se ma-
rie : plus il en'gendl'e, plus iI hrúIe. Gare aux grenonilles!




- HJ7-
Par décret impérial, EWIr prÍsons d'état sonl établies, en
faveur des prévenus de délits politiques qu'jl ne serait conve-
nable, ni de tradláre deran! les tribunaux, ni de faire mettre
en Ubertél Le régime des leUres de cachet recommellce.
Les hisloriens ne savent accuse¡' que le despotisme : mais la:
cause du despotisme, on est- elle? la délégation, la déléga-
¡ion, vous dis-je 1 Toute nation qui ne pense plus esl dévouée
au despotisme.


1.6 ma1'S. - Le 5 p. 0/O est a 88 fr. 90 cent. Ce cours
est le plus élevé auquel parviendrollt les fonds publics sous
la périodc impériale. o


6-13 I/lai. - Prises d'Astorga etde Lérida, parlesgéné-
raux .J unot et S-Uchet.


8 j1iin. - Prise de lUéquincnza : les }'ran{:ais ticnnent
les murailles, la populatiou ue se Iivre pas. Toutes ces prises
de ville n'avancent on rien la conqucte, e! ne senen! qu'á
emplir de blltill les fourgons des généraux.


1-9 juilld. - Luuis Honaparte., roí de Hollande, recon-
nalt I'imp()s~ibijilé pour se~ étals d'observer le Systeme con-


o ti'/lental. Soureraill honllele, rnais sans pouvoir, il donne o
sa démissioll. La Hollande est incorporée a l'empire fran-
rais. AillSi le sy8teme s'use et se crera.~se: trois ans de paix,
au cas d'une soumission géllérale, suffiraient pour en faire
jusLi~e. - Ce fait, peu remarqué, est un des plus graves
symptomes qui aient dli frapper Napoléon.


7-8 juillet. - Prise de l'iIe Bourbon, par les Anglais.
10 jui{{et. - Troisicme expédition de Portugal: Masséna


et Wellington. Prise de Ciuuad-Hodrigo, parlemaréchal Ney.
5-27 auut. - Décrets rd~lirs au Sysleme cont-inental. Les


d,'nrées coloniales SOllt soumises a des ladfs élevés; les mar-
chandises anglaises r,ondamnées au feu.


21 aoút. - Bernadotte est élu roi de SuCde. - « Allez,
lui dit Nnpoléon en soupirant, et que les deslins s'accom-




- 198 -
plissent! ... » Id, se découvre un autre vice du systcme con·
tinental. Qne les pays pt'Ív{>s de leurs dynastes se dOllncnt,
comme la Suédc, Jlour chefs les généri1ux de Napoléon,
l'empire est immédiaternent dissous, la France ramenee a
ses justes limites. La eonduite reccnte de J,ollis Honaparte,
plus tard celle de l\lural, le pl'ouvcnt. Tant la feodalite re-
pugne aux nations modernes!


27 aout. - Prise d' Almé'ida, en Portugal, par l\lasséna.
27 septembre. - Bataille de Busaco, oil Masséna est re-


poussé par Wellington.
18 octqbre. - Instilution des conrs préyo!alcs pour la


répression des contrebandiers et de leurs comp:iccs! J)Em-
pereur semble ignorer que plus la contrebande o[re de
dangers, plus la prime s'óle\'e, plus par conséquent la pro-
tl'ction se démoralise. te Sus/eme continental tourne a la
folie : ni l' Empercur ni la France ne s'en aper~oivent.


3 décembre. - Prise de l'ile de France par les Anglais.
'13 "décembl'e. - Héullion ¿es villes anséaliques d du


Valais a l'empire fraJlc;ais. L'Emjlereur se dédolllmage, sur
les états du coutinent, des perles que lui ron t' éprouvcr les
Anglais sur l'Océan. Nous n'avons plus de colollics : mais
ks llaliclls, les AlIemallds, les Hollalldais, les SlIisses, les
Sayoyards, les Illyriclls, les Crees, sonl Frauyais! la MéUi-
tcrranée ('st un lae frall~ais : il esl Hai que nous n'y aYOIlS
plus un ~clll vaisseau. Tout esl Franc;ais!. ..


"Levée de 160,000 hommcs, classe de 1811, pour la COI1-
tinuation de la guerre d'Espagne et du Sljstt:me continental.
(( Poursuiv!lz, Sirc, s'écrie le Séna!, cclte GVEIUIE SAcl\LE,
" ponr l'1wnneur d(~ nom rl'an~ais, et l'indépendance des
" nations.' »


1811.
Qu'¡¡ fai! Napoléon, pendant l'année 1810? Du hant de


son palais des Tuileries, il a monté la gardc du Syst¿me con-




HJ9 -
finen/al, sévissalll contrc les contrebandiers, et atlencJanl
de jO'lll' ('11 jOUl' la somnission de la Péninsule, Que va-t-iI
[aire pendanl crlle al1Jlée 1811 ? JI contil111Cra sa garde. un
instant réjoul par la Jlaís~ance de son fils, le mi de Rome,
et fai,ant loujours passet de llouvel!es troupes dalls eelte
Espagl1e, dollt le pellplü, écra,é dans ccnt hatailles, d,;,ore
les armées et \le se rcnd pas, L'C8prít de l'apoléon vcilllJ :
nI jour ni nuit il ne se repose, l\lais celte ,elIle est celle du
somnambule; eelte lie n'est pas d,e l'histoi1'e, e'est un rhe
d'Ossian, -


2-20 janlJier. - Prise de 1'o1'tose, par Suehet : oceu-
pation d'Olivenza.


19 fét1rier. - Bataille d,e la Gébora, gagnée par Soult sur
les Espagnols.


28 (élJrier. - Réunir)fi du duché d'Olclenbourg a la
Franee, sans autre molif ni ]ll'étcxte que l'intérét du Sys-
teme continental. Celte incorporation déci<le la brouílle a,ce
la Russie,


5-12.mars. - Combat de Chiclana, prise de Ba(lajoz,
combat de Rcdillha. tes généraux Victor, J\'Iortier, Soult,
Ney, se signalcllta l'emi contre les Espagnols et les Anglais.


20 mnrs, - l\aissanee du roí de Home. Cet cnfant vient
tro)) tanl. l\liellx eüt nlu, a I'exemple des <tncicns césars,
H'ussocier un homme lOill fai[ , le prinee Eugene.


h arril. - ~Iasséna bat en 'l'etraite <levant Wcllingtoll : il
est remplacé par lUarlllout.


10 ¡¡¡al. - Evaeualion d'Almélda: l'expédition de Por-
tugal échoue pour la lroisieme fois.


16 ml),i, - Cornbat d'Alboerra, oú leH Anglo-Espagnols,
malgré une perle imllH!nSe, restent mailres du tcrraill, lis
investissent Badajo;:, •


3 juin. - Henri-Christophe, dit le Singe noir de 'Napo-




- 200-
. léon, e5t sacré ;IH~C de l'huile de cacao, par un capncin


lIommé Erell, I'oi de Ila"iti. !.a constiLution donnée par ce
llouveau chef cst enlierement calquée sur .la constitution
napoléonienne. En 93, on cut dit que cette figure méphisto-
phéliq ue étJit payée par le~ Anglais pour narguer I'Empereur 1


11 jUÚ¡. -- OllH'rture d'nn. concile a Paris, convoqué
pour régul¡¡riser l'inslitution des éveques, auxquels le IJape
refuse d'emoyrr des bulle~. - Pauvre Empereur! le loila
tombé en lhéologie : iI \le se réveillera l)as 1 ..


28 juín. - Prise de Tarragonc, apres :2 mois de siége
et :¡ as-ants. l.c gélléral Suchet cst fait maréchal.


20 wpternbre. -' Le Pape, priso~Jlier a Salone, approuve
les décn·ts du concile de Paris; la eour papale reCuse de
ratifier ceVe approhation. De lons rotés le spirituel et le
temporeh l'excollllJlUnicalion el la eontrebande, ,s'insurgellt
contre Napoléon.


:25 octobre. - flatailIe de Sag,ollte, gagnée par Suchet,
~uivie de la redditioll de la place.


20 dicembr:e. - Levée de 1 '20,000 con~crits, c1asse de
f8f2. Encure une ~allnée d'écoulée : le reve ne fluít ¡mint I
La nation e~t sous le fluiéle de l' Empereur.


18J2.


9-19 janvier:. - Pri~e de.Valence par Suchet, etde
Ciudad-Rodrigo, par Wellington. IIy a balance!' ..


Décret impérial qui a{feete 100,000 hectares de tcrre a la
culture de la bettera\ c. N\lpoléon cherche les moyens de
remplacer par des produits indigcnes les produits eoloniauI
.Il.ont ses sujets ne peuvent se passer. Un jour, ses e{forts
'jrortewnt leurs fruits ; pou!" le moment, et dans I'idée qui le
préoccupe, i1s ne montrent qU(t l'absence de sa raison.




- 201 -
26 ¡ant,jer. - Décrp,t impérial qui réullit la Catalogue.


Pourquoi pas, puisque nous SOIllmes en train, toute la Pénin-
suJe? C'est que Napoléon, ne vonlallt pas de l'originalité de
son siecle, ne peut plus (JIre qu'imitateu~. La Catalogue
avait fait partie des élats de Charlelllagne, elle fera pariie des
états de Napoléon.


2/¡ f¿vrier. - L'hcure marquée par la fatalité approche.
JI était inévitable que Napoléon, apres les traités de Tilsitt et
de Vienné, forcé par le SyRleme continental, seul moyen, de
défense qu'il eut conlre I'Angletcnc, de s'étendre toújours,
finit par pomsel' de nouveau toutes les puissances a la
Intte, et que la guerre éclatat, toujours plus générale. L'in-
corporation du duché d'Oldenbourg avait été pour la Russie
le sujet du mécontentement qui devait ail1ener une rupture.
Dans la prévision de cet é\'énement, Napoléon se hate de
conclure avec la Prusse un traité qu'appuie le maréchal
Oudinot avec un corps d'armée. La Prnsse en conséquence
rellouvelle son engagemellt de soutenir le Systcme conti-
nental; en cas de guerre avec la nussie, elle fournira 20,000
hommes.


1;3mars. - SénaLus-consulte~ qui organise la garde natio-
nale. Elle est divisée en I.rois bans, don..t le premier, formé
d'abord de cent cohortes de 971 hOllll1leS chacune, est mis
a la disposition de I'Empereur.


1I~ marso - Trailé entre la France et l'Autriche, signé a
Paris. Celle-ci fournira un contingent de 30,000 hommes.


24 mars.- 6" Coalition. Traité entre la Russie ella Suéde
(Bernadotte!) auquel l' Angleterre 's'empresse d'adhérer~


7 avri/. - Badajoz est pris d'assaut par les Anglais: le
général Philippon e,t fait prisollnier avec 3,00 O hommes.


9 mai.- Ouverture de la call1pagne de Russie: Napoléon.
quitte París, suivi des regards inqU!C1S des populations. . •


A cette heure \'empire frau(:ais, successivement accru de




- 202-
conquetes impolitiques, mais rendues inévitables par la gnerre
avec l' Angleterre et le Syslhne continental, se compose de
132 départements, non compl'is la Catalogne, formant en-
semble une popuiation de h2 millions d' habitants. D'un
antre coté, les états soumis a la dominalion indirecte et plus
011 llloins réelle de :'\apoléon, ne comptent pas moins de
44 millions. Cest done 86 millions d'ames, h moitié de
l'Europe, auxquelles commande I'empereur des Frar.~ais.
A vec cetLe ilUlUense étenduc de territoire, sans marine,
chassé 'de ¡'Océan, il étouITe !. .. t'armée qn'i! concluit en
llussie est de 500,000 hommes, traillant 1,200 bOllches a
fen. Tout annonce que ¡'instant décisif est venu : il s'agit de
savoir si la monarchie de rEurope ,dn globe, sera cOIlsti-
tlfée, ponr la gloire cle NapoléoIl et la confusion de l' Angle'"
terreo Napoléon le sait : mais l'illusion de ~on esprit lui
montre les choses a rebours du vrai. La (afalilé entra1ne leR
Russes, dit-il, que les destins s'accumplissellt! •..


28 juin.- Entrée de l'Empereur a Wilna.
22 jttillet.- Bataille des Arapilps, OÚ le maréchal Marmont


est défait par Wellington. L'cmpíre avance :m nonl, rélro-
grade au mieli: c'est la toile de l'éllélope.


12-14 aoftt.- Occnpation de I\laelrid par Wellington : la
garnisoIl fran<;aise capitule. L':\nglais se h,lle : il ('st clair que
si, pendant que Napoléon envahira la Jlussie, les Fran\ais
sontforcés d'évacuer l' E~Jlagne, rien n'cst rait pour Napoléon.


17 aout.- Bataille de Smolensk gagnée par Napoléon.
lilais la gnerre est nationalisée pn Russi~ eomme en Ispagne,
et la qnestion n'est plus de savoi!" si les armérs fléchissent,
mais si lespeuples sont en état de fournir 1'holocauste que
réclanie, ponr en fini!", cette armée de GOO,OOO hommes,
commandée par Napoléon.


1 er RPp'embre. - tevée de 129~OOO conscrits, classe de
1813; plus 17,000 pourrcmplacer les manquants de la garde
nationale.


7 scptembre. - BaLaille de la ~loscowa. 20,000 Francais




- 203-


Ilors de combaL; 30,000 Russes tllés, bles"és ou prisonniers.
KutusolT fe proclame vainqueur : peut-etre ne mentait-il pas
autant qu'on a dit. Cal' si les F1'JI1{:ais sont 500,000, et les
Ilusses 1,ÚOO,OOO, et que les prcmiers penlent 500,000
hommes, tués ou blessés, et les seconds, 7.50,000 : déduc-
tion faite de part el d'antre, ce sont les Franpis qui sont
vaincus. La guerre el' Espagne et la campagne de llussie ~;ont
tout entieres dans ce cal.cul'.


14 septembre.-;- Occupation de Moscou. Leshabitantsont
étl~ avertis d'évacucr la ville, que le fanatisme ¡iHe aux
tla!l1mes. t'Empereur est épouvan!é : la taclique elu guerricr
civilisé se sent ÍllIpui:;sanle elevant la fureur barbaJ:e.


1'1-18 oc/obre. - 'Napol¿on est a ;Uosc@u, attendant les
sbumissions d' Alex(!ndrc. Pl'ndant ce temps-I'l, il est allac{ué
sur ses dcrriercs par les généraux russes, accourus de toutes
les partirs de !'('mpire. Le maréchal CouviDo Saint-Cyr lcur
résiste;l peine 11 I'otolsk; Murat est complétement battu, a
Winskowo, par KutusolT, le vaincu de la Moskowa; Bresc sur
le Bl1g est enle\'é aux A IItrirlJicllS par TschitdlagolT, qui
menace les COmIlJllllicatiollil de l' Empereur avec Varóovic.


23 oclub/'l'. - COllspiratioll du général Mallet a Paris:
3YhJpiolllC cITrayant de la, désaITcction du pays et de I'isole-
ment de !'Empercur. Si Mallet parvient a s'emparer du préfet
de police el du ministre de l"in!éricur, la Franee est cnlevée,
par un coup de mLin, a !\apoléoo. Quelle politique, que eeIle
qui a jeté de si misérables fondements!


te meme jom, Napoléon ordonne la re traite. Ainsi il n'a
den obtCIlU, la campagne est perdue; et qllelque hono1'a-
bIrmen! qll'j[ s'en tire an point de vue de I'honneur Illili-
taire, la llJOiLié de son armée aura péri. Et cepend~nt il a
été tOlljours vaillqul,m !


7 novemIJrc.- Arrivée a Smolemk, 100 licues de Moscon,
alm';; une retraite marquée par tlrs combats qnoticliens, oil
l'armée, toujours victorieuse, s'itITaiblit cependant toujours !
Gloire el gralldcur d'allle du u¡¿u'écld (~ey.




- 201¡ -


1h-16 norembre. - L'année fl'auGaise éraclll; Smo!ensk.
La nature virnt au secours des Husses : le thermometre
tombe a 25 degrés. Tous les chevaux p':rissent, de famine
autant que de froíd : ceux des cosaques trouvaient a se re-
faire. -Prise de Minsk et des magasins fran~ais par les Russes .


. 28 novembre. - Passage de la Bérézina (180 licues
ouest de Moscou), journée la plus alfreuse de la retraite.
e'est la que le maréchal Ney rec;oitle nom de Bravedes brave.~.


5 décembre. - Napoléon, apprenant la tentative de
Mallet, prend aussitOt les devants, et quitte l'armée 11
Smorgon~.


10-11. décemb'l'e.- Evacualion de Wilna (218lieuesde
Moscou), ou l'armée fran«;aise avait e.spéré se Tefaire. Dé-
sespoir général, déroute complete, massacre des soldats par
les habitants.


18 décemllre. _ Arrivée a Paris du 29' bullctin de la
Grande-Armée, daté de i\Ialodeczno (200 Iieues ouest de
Moscou). La cOllsternalion esl illlmense. Le surlelldemain,
20, l'Empereur arrive 11 Paris : il est (titicité par le Sénat.
u Iehon sens, lui ditle grulld-tlluitre de I'Université, Fon-
» tanes, le bon sens s' arrete avre /'espect devant le rnysü're dn
» poutoir et de l'obéissance. II l'aT)(lndonne ti la rdigion,
» qwi nndit les princrs sacré.~, en lps (aisant l'image de ¡Jíen
» méme. » - (( Ah ! Sire, s'écrie a son lour le premier prési-
» dent, I'autorilé irnpériale n 'aura jamais de plus ferme ap-
» pui que les magistrats, qui sont les plus chers garants du
» l:espect . pour les droits de la souveraineté. Nous sommes
» prets a tout sacrifin pOU'l' rotre personne sacrée, et la
» prospérité de volre dynastie. Veuillez rece"oir ce nouveau
» serment : nous y demcurerons fideles jusqu' ti la mort. »


30 dér:embre. - Déf('Clio!1 du général York, comwandant
le contingeIit de 20,000 hommes fourni par la Prnsse (,oir
plus' hant 211 févricr). ecHe défeetion cst provoqllée par le
Tugendbund (Société de la Verlu), <¡ui déja remplit toute
l' AlIcmagne, et prechc la croisade contre Napoléoll.




- 205-


1813.


11 janvÍI'I'. - Levée de 150,000 ¡lOmmes, classe de '18'14;
rappel de 100,000 conscrits des classes de 1809, 1810, 18B
et '1812. L'Empereur, dit le Sénat, n'a dépensé que le811per-
Jiu de la popu lation.


:2 5 janv'ier. - L'Empereur essaye de se réconcilier avec le
Pape, qui se moque de lui. Un concordat est signé a Fontai-
nebleau, et rcje~é par la cou/' de Ilomc.


t 'r Ferie?'. - Proclamation de tonis X VIII aux Fran(:ais.
Cellli-llI a réfléchi. Il a vU l'errem' de touis XVI et de Na-
po\óon: íl propose de rétablir la liberté d'apres les bases de 89,
c'estca-dire, une Charle constitulionnelle. Aimi Napoléon
est attaqué sur la maniere dont il a interprélé et rempli son
mandat; son pro ces s'instl'uit dans l'opiniün : est-ce clair?


10-22 {hrier. - ProeJamalion de l'empcl'cur Alexan'
dre. 'fous les roles sont intenel'tis: les chefs de fa coaliLion
appellent les pellples allx armes, comme ayait fait la Con-
\en!Íon en 92, el Irs invitent;1 seC(luer \ejong'de Napo\(\oll.
l'endant ce temps-Ia, les prél'ets de Napoléon cOlltillucnt de
le féliciler d'avoir triomphé de la !/iodalit¡! et de ]'a¡wrch/:p.


Fr marso - 7" coa/ition. Traité entre la l'i'usse el la
Hussie. Tout se réunit ponr accabler I'EmperellJ' : Berna-
dotte lui écrit et l'accable de reproches. Cet autre jacobin,
de\'enu roi légitime, ose parle l' d' ambÜion!


3 avril. - Séllatlls-consulte qni met a la disposition de
l'Empereur, en sus de la levée du 11 janvier : 90,000 hom-
mes, c1asse de 181l¡; SO,OOO, rappel de 1806, 7, 8, 9,
10, 11 el 12; 10,000 gardes d 'h::mneur a chevaJ, équipés 11
leurs frais; en tou! 180,000 hornmes.


15 avril. - Départ de l'\ apoléon; onverture de la call1-
pagne de Saxe. I.es forces des l"rJnc;ais en AlIcmagne s'éle-


12




- 206-
yent en ce momen' 11 166,000 hommes; les alliés en
comptent 225,000.


2 mai-4 juin. - Bataillrs de tutzen, Eautzen, etc.
Armistice de Pleswitz. Napoléon d'abord victorieux, si la
victoire doit se présumer toujonrs d'apres le nombre des
mOl'ts et des blessés, cherchc a ¡.:;agllcr du tcmps. lITais le
temp:, pro/he f'llcore plus aux alliés: ch.1l]u e jour de treH~
qui lui amtme un régiment, dunne un adhércnt 11 ses adver··
saires.


21 juin. - Bataille de Vittoria, gagnée sur le roi Joseph
par Wellington. Elle aura pour résultat de déterminer l'éva-
cuation de l'Espagne paf ce qui re:ttc des armées franvaises.
Ainsi échoue cette expédition, dans laquelle aurollt été sa-
erifiés inutilement f,OO,OOO soldats .


. 28 jnillet -10 aollt. - Congres de Prague, sous la mé-
diation de I'Alltrichc. Les alliés rejettent les propositions de
I'Empereur, qui dem,1nde que l'ineorporation de la Hol-
lande. des villes anséantiqucs et de l' Italie dans l'empire
fra!1(;ais soh mainlcnue : ¡ls Melarent que la France doil
rester bornée 11 la ~leuse, au lthin el au\: Alpcs.


On s'est étonn~ que Napoléon Il'ait pas trouré celle tran-
S3ction suffisallte, ct qu'il ait préféré risqucl' le tout poude
tout. '\lais que ~er<lil-il "cnu fairca Paris, dépouillé de HOIl
preslige militaire, souflleté dans son SUstime continenlaf,
amoindri, rlélllonétisé, oblig.é de soulenir, dans une paix in-
d\1strieuse, son-omnipotenec, gouvernementale, en prrsrnce
d'Ull prince Ugitime qui olTrait la sous-ellchere el'une CIJar!/.'
eOllSLÍlutionuelle el d'une bourgroisie (lui lllurmurait? Na-
poléoll se sentait ruiné; des ce moment, en elTet, il ne com-
bat plus pour le trone, il combat pour su propre dignité. te
monarque u disparu, l'homme reste : te! e;,l le sens de la
derniére campagne de NapoléuJI.


31 juillet. - Combats de Roncevaux et (le Cabiry, ou se
signale le maréchal Soult. l\lais le cOllragc cede 11 la fatalité ;
la retraite d'Espagne c~t le pelldallt de eelle de Hussic.




- 207-
12 ami/. - VAnll'iche si~llifie il l'elllpereur Napoléon,


son gelldre, son adhésÍon a la coalilioll.
1.5 aoul. - I'!'oc!amation <In roi de Suede, Bernadotte,


aux Allemallds.Jllesexhorte1lsnivl.el.exempledesl.ran-
~ais de 92 : l'ancien soldal de la ré¡lIlblirJne saÍt cornrnent
on pré\ipite les penples contrc les despotes. Défection du
gélléral J ornill y.


18 aout. - Evacuation du myaume de Valen ce , par
Suchet.


2ll ao11t. J,evée de 30,000 conscrits, rappeldes classes
de 1812, 13, 1ll, dans 2ú~ départements ~u l\lidi.


27 ao11/. - Bataille de Dresde, gagnée par l'Empereur.
Mort de Moreau, revenu des États-l1nis, a la voix de Ber-
nadotte, pOllt" diriger les opérations des alliés. -:- Ce succes
est balancé par les dófaites multiplices des généraux Oudi-
not, Macdonald, Villldamrne, Ney, Ia l\Iartilliere, tan! en
Allema¡:.:ne qll'en Espaglle, l'é\ilcualion de Schwérin par
Davoust, la prbe du fOl t Saint-Sébastien par les Anglais.


7 oclob¡"e. - Passage de la nidassoa par Wellington.


9 Jcto/¡re. - Levée de 160,000 hommes, classe de 1815 ;
- rappel de 120,000 hOlTImcs, sllr toutes les classes des
annécs alltérieure~ : total 280, 000 hommes.


15 octovre. - Défection des Bavarois.
18-19 octobre. - Bataille de Leipsig, dite des Nations:


175,000 Fl'ancais conlre 330,000 alliés. Les Saxons aban-
donnent 1,1 cause de l'Emperenr sur le champ de bataille:
Na-poléon est vaincll ; la volonté de l'homme est écrasée par
la volonlé des c)¡oses.


26 oelovre. - Défection du Wirtemberg.
30 octobre. -- Combal de Hanau, oit les FranCais en


retraite sont. winquéurs des Bavarois, avec perte de




- 208-
iO,{¡OO LOll1il1es lués ou blessés, et autaut de prísouniers.
Hallan est la Bérézina de 1813.


31 ocfobl'e. - CapitulatioIl de Pampelune : l'Espagne oc-
cidentale est aJrranchie.


10 norem[¡'P. - WelIington, toujoUl'S a la poursuite de
l'armée fralJ(;aise, attaque le maréchal Sonlt et le force 11
Saint-Jean: de Luz.


11 novembre. - Heddition de Dresde. La capitulatioll
obtenue par Gouvion'·Saint-Cyr est üolée par Schwarzem-
berg: 23,000 homlIl~s et 6,000 malatles, sont reteuus pri-
sonniers paF les alliés.


14-15 nODembre. - Napoléon eSl congratulé, au 110111 du
Sénat. par Lacépéde. « Le Sénat, dit cet imbécile, a frémí
» des dallgers que Volre Maj esté a courus. VOlre iUajesté a
» combattu pour la paix. A vant la reprise des hOSlililé~, Vo-
l) tre lHajesté avait olrert la réu11ion d'un congreso Vos en"
1) nemis, Sire, s'y sont. opposés; c'es! sur eux que doit re-
'. t¿mber le blfulle dI' la guerre t » Cela dil, le Séllat décrelc
une levée de ::100,000 hommcs, a répartir sur toutes les
c1asses antérieul'es, de 1803 a 1814.


24 norembrl'. - Prise d' A msterdam par les Prussiens;
la Hollandc proclame son illdépendancc.


8-13 décembre - Suitc de combats entre Soult et Wel-
Jington, dan s les Pyrénées. Les Fran!;ais reculent toujours.


11 décembre. - 'Imité de Valen\;ay : ~apoléon TellIZ 11
Ferdirrand V II ses états !. ..


13 décembre. - Murat, espérant sauver sa royauté de
Naples, se pose en représcntant de la nationalité italielllle,
et se sépare dc l'Empereur. te calcul était faux assurément,
mais iI reposait sur un principe nai, c¡ui se dressait alec
l'évídence d'un monument, la nationalité. Tont aceuse donc
Napoléoll, ses freres, beaux·fréres, son ex-maréchal Ber-




- 209-
nadolte, la g'lerre natiollali,ée en Galabrc, en Espagne, en
Russie, et dans tout I'cmpire germanique.


'15 dice/l¡úre. - Défcction du Dancmark, dcrnier allié de
Napoléon.


1!l d¿cembrp. - Lc Gorps législatif est convoqué. L' E 111-
pereur proteste (( ({u'il a toujours "ouln la paix; qllc mo-
" narque el pére, il sait ce <.tu' elle ajoute 11 la sécurité des
)) trones et drs Iamillcs; qn'iln'a pas dépendu de lui qu'elle
» ne fut jamais lruublée. )) Ces paroles out été taxées d'hy-
pocrisic : comment au COlltraire n'cll pas recolluaitre la
sincérité? Cc n'était pas l' Empcrcur qui rcpoussait la paix,
c'était le sysleme. Et ce systeme n'élait point une fantaisie
de despotisme; c'était la r"sultante dc toutes les idécs de
Napoléon, en maticre dc gouvernement.


21 décembre. - L'illvasion commence sur toute la ligI1e
du nhin : les Suisscs y prcnnctlt part, en livrant le passage
aux alliés. Juste reconnaissance de la médiation du premier
Consul (1 9 février 1. 803) !


SO decembl'l'. - La cOlllmission dl1 corps législatif pré-
sentE' SOIl rappoit colltre la poliLi'iue impériale. JI y est dit,
que ce n'est [.las assez que l'Empereur renonce a conserver un
tCITitoire trap étrndlt, a exerccr une prépondérance 'incom-
patible avec l'indépendance des llalÍulls; qu'il [aut une
patrie, des loi~ lJr'utcctriccH, la liberté, l'exct'!:ice des droús
]JOlitiqttCs, 'etc. - L'impression e5t "otée a la majorité ae
225 nlix contre 32. l.a policc fait enlever les épreuves!


31 déccmlm'. - te corps législatif esl ajonrné pár; décret
imp"rid. L' ElllperCll1' 11 'apcn;llit qlle l'inopportunité' d'un
acle [ail SOIlS le callUII de l'enllclIli, all moment ou il faliait
tendre loutcs les forces du pays puur rcpou~ser I'invasioll.
Mais a ql1i la raule, en vl'rité, si dans ce InOlllClll b Fr;¡!lCé
craignait peut-etre ,LlloillS les alliés que I'Etnpereur?


12.




- 2tO -


1814,.


te, janlJier - Réception dujour de l'an. - L'Empereur,
a la vue des députés du corps législatif, se rache, di"ague,
Son discours improvisé, incohéren t, démontre ce fait étrall ge :
c'est que Napoléon, homme d'état, ne voyait dans l'indé-
pendallce des états, le respect des nationalités, l'équilibre
des territoires, que des moralúés banales, a l'adresse des
ambitions princiércs; il ne concevait point ces chosps comUJe
des PIIlNClPES nécessai. es, des LOIS absolues de l'économie
(les sociérés. Commmt, avee eelle idée snperficieJle des COll-
ditionsM la po\itiClue, apres dix an:; u'une alloration uni-
verselle, pouvait-it recevoir la le{:on des représentants,
dominer une situation dont il ne comprenait que les. acci:
dents stratégiques, faire face a une diplomatie hypocrile, qui
se prévalait de ses erreurs aux yeux des populations, et
s'appretait elle-meme a violer, pour san prolit, les principes
qu'elle luí opposait?


8 janvier. - La Franee est envallie sur tous les points.
Le montant des troupes alliées, en mouvemcnt contre IlOUS,
est d'un million d'hommes; l'effectif des troupes fran¡;.aises,
non compris les gardes mtionaux mobilisés, 350,nOU
hommes.


25 jan vier. - Départ de Napoléon pour l'armée : Cam·
pagne de Franee.


27-29 janvier. - Saint-Dizier est repris : combat de
llrieIÍnll, 0\\ les FraU4;ais se dégagent d'une mau vaise position.
Blucher se replico


1·· fevrier. - Bataille de la Rothiere : sans résúltats. -
Les Francaís battent en retraitc sur Troyes.


5 (evrier-19 mars. - Con gres de ChiltiIloll. Les alliés
exigent que la }<'rance reprenlle ses anciennes limites, et




- 211-
donne pour suretés plusieurs places de guerre : refus de
~apoléon.


7 {¿lTifl'. - Les premiers symptOmes de royalisme éc!a-
tent a Troyes, en l.hampagne.


10-11 {érrie/'. - Combats de Champaubert et de Mont-
mirail, bu les troupes alliérs sont battues par Napoléon.


Proclamation du due d'Ángouleme.
17-24 {hwier. - Combats de Nangis, ",Iontereau, Méry-


sur-Seine : les alliés battent en retraite devant Napoléon;
Troyes e~t. l'epris.


24 ph'riel'. - Décret impérial, daté de Tl'oyes, eootreles
partisans dcsanciennes dynasties. lIs sont' déclarés traitres
a la patrie, et punis de mort.


27 {éorier. - Bataille d'Orthez, entre Wellington et
Soult : décidée en faveur des gros bataillons.


27-28 {cvrier.·~ Comba!s de Bar et de la Ferté-sn\'-
Aube: les maréehaux Oudinol et lUacdonald se retirent
avee perte.


1 er mai's. - Traité de Chaumont entre les alIiés. La
cause de I'Emperrllr est srpar('e de celle deja France; la
liberté, cOlllrad.iction d(~cbirallte! appal ait a la !lation, sous
les (lrapeaux des c\Jalisés et les auspiees des Bourbons! ....


5 marso - Napo\éon déc'rCte la le,ée en masse, dans les
villes et les campagnes, eontre les alliés. Hélas! lui seul ne
le sait pas : le peuple est changé dcpuis 92. L'aneicn fana-
tisme de l'illviolabilité da territoire n'existe plus. Que l'Em-
pereur se défende, puisque la France c'est lui 1


12 marso - Le duc d'AllgouIerne est reifu a Bordeaux,
al/X acclamations des habilants.


13-1 h marso - ncprise de P.eims par l' Empereu\' : les
allié~ 3y¡mCent toujours.




- 212-
20-21 mano - Combats d'Arcis-sur-Aube. L'Empereur


s'expose en soldat : les alliés entrent 11 Lyon.


25-26 marso - Combats de Fcrc-Champenoise et de
Saint-Dizier. Les maréchaux I\lortier et l\larmont sont battus
datis le premier; Napoléon est vainqueur dans le second.


29 marso -- Le 5 p. 010 est descendu a 45 francs.
30 marso - Bataille de París. La dHense est abandonnée


par Clarke, Lacuée, Savary, le baron Pasquier, le roi
Joseph, qui refusent d'anner le peuple. Apres la plus hé-
rOlque défense, les.maréchaux MOl'lier et MarmoIllévacuellt
la ·capit!lle. Le lendemain, 31, París capitule; le 5 p. 0[0
hausse de 2 franes.


1·' avrü. - Le Sénat illstitue un gouvernement provisoire,
la municipalité publie une proclamation aux Fran(:ais contre
l'UsurpateuT, et les invite a revenir a lenr.s 'rais légitimes.
- Le 5 p. 010 est a 51 frailes.


2 avril. - NapoléoIl est décIaré par le Sénat dechu du
trone; le droit d'liéTedité abolí dans sa (amille; le jleuple el
l'aTmée déliés enve'l's lui de lwr ,·errnent.


Les conscrits de la del'lliere levée sont renvoyés dans leurs
foyers.


5 av1'it. - Convention de ChevilIy: le maréchal i.\lal'-
mónt, plus citoyen que soldat, se rallie au gouvernement pro-
visoire , le soldat abandonne son général pour son pays : la
ruine de l'Empereur est cOllsommée. Le 5 p. 010 est a 63 fr.
75 c.; hausse en 7 jo urs, 18 fr. 75. l.e meme l10t de
bourse r¡ui accueillít le premier Conslll, fail la conduite ~
l'Emperenr.


ti atril. - Les bases d'llllt· cOIl,títUliOll sunl décré!l',.~
par le Séllal, pour etre prnposées a LUllís XVII[ : la nation
reprelld la coearde blanche.


1.0 ami. - BatanIe de TUlIllJlI~e. WellillglulI, (lllÍ con·




-:2'1:$ -
llaissait la capítulation de París, vent, avant de poser les
armes, se dOllrwr I'hollnellr d'une vicloi"e et atta que le
maréclJal SOlllt da ns ses ,'etranchements, Il est repoussé avec
hOBte el une perle éllOl'me,


11 arril. - Abdicatioll de l'Empereur.
3 mai. - J.ouís X VUI fait son entrée a Paris, aux acela-


malions des habitants.


n a été fourni a Napolébn Bonaparle, consul dé-
cennal, cOllslII ~i vie e! empere'lr, depuis le 18 mai
1802 jllsqu'au 15 nO\cmbre 1813, pour le servicede
sa plJlitirlue pel'sonneBe, un totalde2,473,OOOcon-
scrits, non comp¡'is les enrülements volontaíres, les
douaniers, le smplus des levées a raison des déser-
teu1's pl réfl'aclaires, les gardes nationales de Pa,ris,
Slrasbourg'. Melz, Lille, etc., c¡ui firent un se~vicc
acljf dans la derniere campagne, et la levée en
masse ol'ganisée an cúmmenecment de 1814, dáns
plllsieursdépartcmellls. Ajoutons 100,000 hommes,
soldats et mnLclots, emoyés en Egyple et a- Saínt-
Domingue, el rappelons-nous que ceUe jeunesse,
une foís enrégímentée, élail pcrdue pour le pays ou
ne rcrcnait que mulilée: ce scra un effcctif de
2,57~ ,OOÜ hommes, consommés en entreprises aux-
quellcs manqua l'inspiratton du pays, la connais-
sanec des tCfllpS et l'inLelligenee des ehoses.


Ávec cetle force armée de 2,573,OOOhommes,
un pouvoir sans limiLo el salls controlo, avec l'en-
trainemcnl de la Fruncc el l' onthomiasme des sol-
dats, Napoléon échoue dan s toutes les entrepriscs
qui ne relevent que de son génie. Il échoue en
Egyp1e, a Saint-Domingue, en Portugal, en Es-
llagne, en Russie; apres la rctraite de N1oscou, la dé-




- 21h-
feclion générale de ses alliés, \)rolégés ct [cU<.la-
taires, la Prusse, l'Autriche, la Saxe, la Bayicre, la
llollande, les villcs }lanséaticIues, la confédéralion
du Rhín, le Daneawrck, la Suisse, l'Italie,· OÚ com-
mañde son beau-fn;re Murat qu'ernporle le torrent,
prome qu'au moment ineme OU il se flatlait d'ayoir
réussi dans ses projets de concentration europécnne,
iI avait au contraire complétcmcnt échoué; que les
peuples, autant que les rois, supportaient impa-
tíemroent et sonjoug, et sa protection, etsa média-
fíon, et son alliance. Et le résultat, apres douze ans
de luttes, que les chantres de la Grece el de l'Inde
eussent regardées corome {ahuleuses , e' est l' expu l-
sion de !'hommc, de sa famille, de sa dynastie, la ré- .
duction de la France ases limites,tellcsqu'ellcscxis-
taient au 1 er janvier 1792 : les conquetes ~e la répu-
blique ne son t pas meme conservées par Nápoléon.


Maintenant pour expliquer eeUe chule profonde
apres une si brusque élévation, faut·il ressasser les
raisons banales d'amhition cl d'orglleil, /'incendie
de Moscou, le froid de 25 degrés, les fausst;'s ma-
nceuvres du chef, la tra!lison des pellples et des roís,
aCCllser la France et l'Euro}Je, ou bien outrager le
héros?


Tout cela est absurde.
Le principe de l'insucccs n'est point dans les


accidents de la nature et de la guerre, pas plus
que dan s le crime et la lachelé des hommes; il est
tout cntier dans le faux des conceptions poliliques.
Napoléon luUait contre la raison des peuples ap-
puyée sur la raison des ehoses: il étail done ,aineu
d'avance et infailliblelllent, yaincn, dis-je, non l)as
seulement apres Moscou et Leipsig l mais des Aus-




- 215-
lerlitz, des le jour OÚ eommenee aved' Angleterre
eeUe dispute de prééminenee, dans laquelle on voit
Napoléon conJuit, sans qu'il s'en aper<;oive, par la
raí son J'ó[at qu'il s'esl faite, a une coutinuité .pe
despotisme rt de conque tes évidemment absm:de.
Dans la guerre eomme clans la politique, comme
uans l'hisloire, c'est la raison générale, raison des
peuples et raison des choses, qui triomphe en défl-
ni~lve: Napo\éo~ ncpL~ra1t pBin~s'etre douté quecette
ralson, dont 1111lclhgence fUIt seule Jes hommes
d'état, fuf d'une qualilé aulre que la sienne. Paree
qu'il se trouvait, clans su profession, plus de génie
qn'a la plupart de ses contempórains, surtout de
ceux que leur naissance avait fails princes, il crut
que ee génie, tres-special, suffirait pour lui assurer
le triom phe toujours et parlout. Il n' oubliait
qu'une chose, d'ailIeurs hors de sa portée et qu'il
appelait lui-meme son cloile, e' est-u-dire son man-
dal, déterminé d'avance, sans lui, sans aucilne
consídératíon de sa pcrsonne, par les néeessités de
l'hisloire el la foree des silualions.
Ai~si, des son départ pour J'Egypte, Bona-


parte ne sail plus Ol! va le siéelc, el ce quí jusqu'a
eertain point l'excusc aux yeux de la postérité, ses
contemporains n'en savenl pas plus que luí. Pour
combaUre l' Anglelerre, nation mereantile ·et indus-
trielle, Uonaparle ne eonnall que la guerre: iI s'en
va, militairemcnt, prendre sa rival e par derriere,
ehercher un passago qui. ne pouvait etre obtenu
qu'un dcmi-sicclc apres lui, par la vapeur et les
ehemins de fer. Du premier coup, l' Anglais mel a
néant eeUe singuliere stratégie, en détruisant les
:lloyens de transport de Bonaparte, et l' enfermant




- 21G --


comme dans une trappe. ()ue signifient alors les
victoircs des Pyramides, d~l l\'lont-Thabor, etc.'l
Qu'importe que Ronapar!e se dédommage sur les
)Jamelouks, les Arabes, les Tures, de l'irréparable
revers el' Ahoukir ~ 11 triomphe de la harharie; il
est vaincu pnr la civilisation. 'Ious ces fails Li '<11'-
llles ne peuventexc'rcer d'jnfluence que sur les
imag'inations folles des Fran<.iais et des Orientaux :
quant i:t l'entreprise, néant.


Le Systcmefontinenfal n'es! qll'une variante (le
l'expédiiion d'Egyple. t'id(~e Jlrcllli~('e n'apparlient
pas i:t l'Empereur : elle paralt, d'apres Barere, elre
venue au Comité de salut public chns le feu de 93,
et l'ignorance OÚ l' on était génóral~ent alors des
] ois de l' économie. Puisqu' on ne pouvait aUeindre
Pilt et l'Angleterre a travers l'Oeóan, il n'y avait,
pensait-on, qu'it lui fermer l'Europe, el ses mar-
chandises lui restant pour compte, l' Angleterre
serait ruinée. Quelle fulie l ... 3r:ti~, pOllr garder
l'Europe de la visile des Anglais, il eú! fallu, slIr
l'immcnse élendue ele ses cútes, une marine elix
fois plus nombreuse que pour opérer chez eux une
descente. llans l'impossibilité de se procurer une
pareille flotte,il ne reslai t de ressollI'ce,contre le CQI1l-
merce de ces insulaires, que l'abslenlion,~volontaire
ou forcée, du continent. TeUe eslla lhéorie du blocus
continental. C'est i:t peu pres COlume si, pour oter
au gouvernement du 2 uécembre la rcceUe des
impóls inelirects, et le pousser plus vite a la. ban-
queroute, les citoyens supprimaient de leur con-
sommation le vin, la biere, le,;; eam-ele-vie, le sel,
le sucre, le tabac, etc. l ... Si étrange que paraisse
aujourd'hui l'ielée, Bonaparte se ehilrgc tIc l'e'\écn-




- 217-
1I0ll. II n'aperc:,;oit pas Ull seul instant qu'en
p,c1uant de eette maniere les Anglais de l'Europe,
e' est l'Europe clle-meme qu'il va séquestrer du
reste du monele, c' est le monopole du gIobe qu'il
assure aux Anglais, et en fin de compte la prépon-
dérance de la Grande-Brctagne, l'infériorité du
continent, et sa propre incapacité qu'il signe.
L'esprit de l'Empereur est fermé, bloqué, sur toutes
ces choses : d' OU saurait-il, d'ailleurs, que la mé-
thode des mathématiciens ne peut s'appliquer aux
ehoses de la raison pure, et qu'une idée désignée
par A dans son expression élémentaire, poussée a
sa elerniere conséqucnce devient Z, c' est-a-dire ,
une contradiction? .. Pendant dix ans le Blocus con-
tinental, contre-partie de la centralisation politique
qu'il tenait aussi des jacobins,- deux idées contra-
dictoires, deux antinomies I - volla, au dehors et au
dedans, tout le fond de la poli tique impériale; voilit
ce que devient, dans la pcrsonnalité d'un homme,
le génie de la révolution I


Dix ans de luUes avaient déprimé foutes les
intelligences : le génie poli tique ele 89 était tombé
tour a tour du fanatisme de Babeuf aux platitudes
des théophilanthropes. t'idée mere de la grande
époque, GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF, machine
d'investigation sociale plutOt qu'institution véritable,
cette idée, elis-je. trahie par l'ancicnne royauté,
déconsidérée par les scenes de la Constituante, de la
Législative, de la Convention, niée par les coups
d'état du Directoire, était obscurcie. 11 n'eut pas
moins faHu, en 99, que le génie de Mirabeau et le
bras de Bonaparte pour la remettre a flot dan s
l' orinion et lui restituer son éclat : l'homme dn


13




- 218-
18 brumaire n'avait que la moitié des taIents qu'exi-
geait ce róle.


Bonaparte, en effet, traitant la politique exacte-
ment comme la stratégie. gonvernant les peuplcs
comme il commandctit les armées, toulo sa car-
riere, si glorieuse pour 'un barde, n'est plus aux
ycux du publiciste qu'une infraction perpétuelle
aux lois élémentaires de l'histoire. II se comparait
aux conquérants farneux, Alexandre, César, Charle-
magne ; et certes,a nc considércr que les coups, il
pouvait encore passor pour modeste. Mais iI ignora,
ou iI oublia que ces hornmes fameux représentaient
l'idée, la nécessité tendentielle de leur siéde;
qu'en eux les peuples reeonnaissaient leur prúpre
incarnalion, leur génie; qu'ainsi Alexandre, c'était
la confédération hellénique et sa prépondérance
sur 1'0rient; que César, e'était le nivellernent des
classes romaines et l'unité poli tique des nations
groupées autour de la Méditerranée, unité qui ¡m-
pliquerait un jour la ccssation de l'esclavage; que
Owrlemagne enfin, e' était l' édueation par le chris-
tianisme des races du Nord, et lour suLstitution
dans l'initiative humanitaire aux raees du Micli.


O .. , qllelle idée représentait, au 19" siécle,
Napoléol1? La révoluhon fran~aise? C' était bien
ce que lui disait son Sénat, et ce qu'illui arrivait
aussi par moments d' entrevoir. ~Iais il est évidcnt
qu'aux yeux de l' Empereur la révolution n' était plus
qu'une leUre morte, un billet protesté et impayé,
passé par profits et pertes, quí luí servait, uu
!lesoin, a motiver son títrc, mais dont il répudjait
l'orú!'Íne,


Leí révolution fran¡;aise avait eu pour but:




- 219-
l' D'achever l' reuvre monarchique, suivie depuis


Hugues Capet jusqu'en 1614 avec autant d'intelli~
genee que le eomportait l' état des esprits, détournée
apres la derniére convoeation des états-généraux au
profit du despolisme, par Richelieu, l\lazarin el
Louis XIV;


2° De développer l' esprit philosophique dont le
dix··huiticme siécle avait donné le signal, et que
Condoreet avait formulé d'un seul mol, le progrcs ;


3° D'introduire dans le gouvernement des na~
lions l'idée économique, appelée a éliminer peu a
peu ceHe d'autorité, et a régner seule, comme une
reJigion nouvelle, sur les peuples.


Napoléon n'étail pas a eeHe hauteur : ni homme
d' état, ni penseur, ni économiste, soldat et rien
que soldat, il Y en avait trois fois plus qu'il n'en
pouyait portero Tout en lui se soulevait contre de
pareilles données. La tradition histori.:¡ue, iI la
niait, la chcrchant OÚ elle n'était paso Hival de
César, el'AnniLal et d'Alexandre, dan s les batailles,
iI copie dans la poli tique Charlemagne. II se
compo,,;e un empire taillé sur le meme patron
que celui elu chef frane, s' élendant a la fois sur
la Gaule, l'Espagne, l'Helvélie, la Lombardie,
l'Allemagne. H ne saH point que depuis le traité
de Weslphalie le droit public de l'Europe a pour
base indestructible l'équihhre des états ell'indé-
pendance des nationalilés. Quant ala philosophie,
a l'écono mie, au gouverncmen t rcprésenf.alif, tran-
sition obligée El la démocJ'ulie industrielle, ii les
repousse également. Les idéologucs luí sont aussi
suspects que les avocats, et ne jouissent d'aucune
considéralÍon sous son regne; les économistes, i1




- 220-


les assimile aux idéologues et les persécute a l'oe-
easion. On sait comment il traita les démocrates,
rendus si odieux sous le nom de jacobins. Mira-
beau n' était plus; Sieyes, en révélant sa vénalité,
avait achevé de déconsidérer le systeme eonstitu-
tionnel; J.-B. Say se tenait a l'écart; Saint·-Simon
poursuivait, inconnu, le cours de sers observations
sur l'humanité, et prophétisait:a quelques amis la
fin du regime militaire et gouvernemental; Fourier,
simple commis. revait au fond d'un magasin; eha-
teaubriand continuait a sa maniere la réaction de
l'aneien régime, et jetait les fondemenfs de la res-
tauration. Napoléon restait seul, n'ayant trouvé ni
son Áristote ni son Homere, personnage a l'antique,
doué de toutes les qualités qui font le héros, mais
qui chez lui ne pouvaient plus servir qu'a masquer
la faiblesse de l'hornme d'élal.


Le monument le plus réel de la période impé-
riale , eelui auquel l'orglleil de Napoléon semble
tenir surtout, est la rédaetion des eodes. 01', qui ne
voit aujo1.H'd'hui, surtout depuis le 2 déeembre,
que cette compilalion de la jurisprudenee des sie-
eles, qui devait fixer a jamais les bases du droit,
n' est qu' une utopie de plus? Trois ou quatre décrets
de Louis-Napoléon ont suffi pour infirmer l' amvr e
législative de I'Emrereur, et porter a sa gloire la
plus grave atteinte. Le code Napoléon es! aussi in-
capable de servir la société nouvelle que la répu-
blique platonienne : encore quelques années, et
l' élément économique, subslituant partout le droit
relatif et mobile de la mutualité industrielle au
droit absolu de la propriété, il faudra reconstruire
de fond en comble ce palais de carton !






- 221 -


Certes, Napoléon fut lJn grand virtuose de batail-
les et de victoires ; toute sa vie est une épopée, dans
le gout du peuple el des anciens. Héros incompa-
rable, lutfant contre les dieux et les hommes, si
profond dans ses calculs qu'il peut défier la for-
tune, et vaincu seulement par l'inflexibIe destin :
iI y a dans cette carriere de quoi composer un
poeme vingt fois long comme l'lliade, un ~Iaha­
bharata. C'est ainsi, du reste, que le peüple com-
prend Napoléon, et qu'iII'aime. La raison d'état de
la révolution a rejeté l'Empereur; la spontanéité
popuIaire lui donne asile: l'élection du 10 décem-
bre n' est elle-me me qu'une protestation de cette
poésie des masses conlre l'inexorable histoire.
Comme action politique, la vie de l'Empereur ne
demande pas cent pages, et si pour plus d' évidence
on veut suivre la filiation chronologique, il n'en
faudra pas 25. Toufe ceHe série de batailles', qui
nous a valu tant de trophées, qui nous a cotité
tant de trésors et tant de sang, se réduit ~rilo­
gie militaire, dont le premier acte s'ap~bou­
kir, le deuxieme Trafalgar, le dernier Waterloo.


Un mot seulement sur ce dernier exploit.
Napoléon, apres les adieux de Fontainebleau,


ne pensait point qu'il fut fini. Sa raison admeUait
la chance des combats, les conséquences de la dé-
faite: elle ne pouvait se faire a l'idée du r6tablísse-
ment des Dourhons. De leur légitimité; de leuy
droit divin, naturcllement il en riait: mais par
quel talisman ces princes, oubliés depuis 25 ans,
<lédaignés de la coalition, odieux a la nation fran-
(.;aise, avaient-ils ressaisi leur couronne? Comment,
en un jour, sans armée, sans budget, sans pres--




- 222-
tige, ces émigrés avaient-ils pu le supplanter,
lui. le triomphateur de 20 ans, l' élu de 5 mil-
lions de suffrages1 l/intrigue seule, meme avec
les Talleyrand et les Fouché, n'opérait pas de ces
miracles. C' était done une surprise, honteuse, ridi-
eule, dont la France tot ou tard voudrait avoir rai-
son, et dont lui-meme, le vieil Empereur, serait
appelé El faire justice .


. O~ fais~it grand bruit d~. la C~arte. Mais pou- 1
valf-Il crOlre, apres ce qu JI avaJt vu de tout ce
parlementage, et sous la Constiluante, la Législa-
tive, la Convenlion, et sous le Directoire; pouvait-
il eroire que pour ce chifIon de papier la France
se fut donnée aux Bourbons'? ... Plus il y pensait,
plus la reslauralion devait lui paraitre misérable,
irrationnelle.


C'était pourtant la, dans la Charte, que se trou-
vait le mot de l'énigrne. Ce qui avait rléterminé la
chute de l'Empereur était l'iJée politique et sociale
de ~donnée par lui, noyée dans les listes
de e~tion et les conslitutions de ¡'empíreo
Ce qui faisait la forlune des Bourbons élait celte
meme idée de 89, aflirmée par eux, apres 25 ans
de résistance, sous le nom de Charte. Hien n' était
plus logique que ceHe cxpulsion et cette restaura-
tion; rien de plus légitime, a celte condition, que
la LégitirnitfJ. Ainsi va la révolulion.


L'ex-ertJpereur eut le lemps de s'en convaincre,
pendant les dix mois qu'il passa a l'11e d'E1be. 11
put mivre de la les actes du Con gres de Vicnne, re-
prenant les bases d u trai té de West phalie; les pre-
miers débals des chamhrcs de la restauration; ob-
server 1'e5sor de l'industrie, de la lillérature et de




- 223-
la philosophie fran~aise, sous un régime de paix,
et de liberté pourtant bien modeste.


Quel enseigncment tire de tous ces faits Na-
poléon ?


Dans le congres de Vienne, iI voit des intrigues
diplJmatiques, des remnniements injustcs; dans le
gouvernement des Bourbons, iI saisit des ridicules
et des maladresses. En toute chose son esprit s'ar-
rete a la superficie, ne juge, n'apprécie que le mal.
EL e' est sur ces données qu'íl baLít aussitot le plan
de son retour!


Napoléon s'imagine qu'un role historique peut
se reeommeneer; iI se fialte, dans un nouvel essai,
de réussir mieux que la premiere fois. Vexemple
meme des Bourbons lui vient en argument de son
erreur; iI ne se doute seulement pas que dans
eeUe prétendue restaul'ation, iI n'y a de restauré
qu'une demi-douzaine d'individus; que le prineipe
qu'ils défendaientjadis a été par eux abjuré, et que
leur métamorphose, au moins apparenle, a élé la
cond¡¡Íon sine qua non de leur rentrée. Dans ecHe
Charle tant dédaignée, il n'aperc;oit pas la révolu-
tion, qui bientOt remise en marche par la pratique
conslilutionnelle, foreera ses mandataires b. la suivre
ou les expulsera de nouve,m. - Un trone pour une
Charle! se dit Napoléon. Je 1eur dannerai aussi
une Charte, a laquelle je prclerai serment l. ..
Comme en 1799, simple llOmme de guerre, apres
avoir Vil défiler tan! (\a') gauvernements et de mi-
nisleres, iI s' élai t cru TIlúvement aussi capaLle, et
plys cupable que tant d'autres de tenir le tin:ül1 de
rEtat; il ne dauta pas davantage, en 181á, qu'iI He
fut apte, autant et plus que les Bourbons, a faire




- 22ft-


un munarrlue eunstitutionnel. He lui aux autres, la
comparaison étaít a son avantage : mais e' est des
CHOSES qu'il s'agissait, et Napoléon n'y pensa
jamais.


Ainsi l'Empereur est a la remorque du roí I
A l' erreur des restauratiúns, a la chimere de sa
propre résipiseence, iI joint le désavantage de l'imi-
tation constitutionnelle; course au clocher de la po-
pularité, et poussant la copie jusqu'a la niaiserie,
il éerit en tete de son nouveau contrat : Acte addi-
tionnel aux constitutions de l' empire. C' est-a· dire
que comme Louis XVIII en signant la Charte se
comptait dix-neuf ans de regne, Napoléon dans
son Acle additionnel se comptait quatorze ans de
constitutionnalité! ... Drole de plagiat!


Apres avoir triomphéa Ligny et aux Quatre-Bras,
l' empereur suecombe a Mont-Saint-Jean : l'irrévo-
cable destín confirme son arret. La, san s doute, il
eut pu vaincre encore, commc on l'a répété a satiété,
8ans l'immobilité de Grouehy, san s la trahison de
Bourmont, san s l'arrivée de Blücher, sans les incer-
{itudes de Ney, sans le chcmin couvert, sallS le
manque de elous pour mettre hors de service,
apres ehaque charge des cuirassiers I les callons
des Anglais. Alors c' eut été a Wellington de dire :
J' aurais vaincu, sallS le retard des Prussiens,
sans l' arrivée de Grouchy, sans cecí, san s eela! ...
Que s' en seraít-il suivi? une seeonde invasion, une
seconde campagne de France, et tres-probablement
une seeonde abdicatíon. Car, qui ne voit ici que
les accídents de la guerre, pris en détail, sont pour
tout le monde; considérés d'ensemble, sont pour
la logique? Waterloo, jour néfasle dans les amlales




- 225-
de la France, est légitime dans la marche de la ré-
volution el la destinée de l'Empereur.


Au resle, NapoMon, supel'stitieux, fatalisle,
eroyant a son étoile, disant de luí-meme, Je mis
['enfant des c'irconstances, et se trompant seulemenl
sur la signification de son role et les articles de son
mandat; était encore plus pros de la vérité que ses
contemporains. n se sentait poussé, el il s'inquiétait,
ne sachanf ou il al1ait) Qui done alors eut su le luí
dire? Personne, de son temps, n' eut celte intelli-
genee de 1'hi8t01re, qui assure la raison contre les
succes momentanés d'une fausse politiqueo Jusqu'il.
l'arrivée du 296 bulletin (18 décembre 1812), la
France fut dan s l' éblouissement. A l' étranger
meme, on eut de la peine il. en revenir. Un mo-
ment, apres le bombardement de Copenhague,
l'Angleterre est abandonnée. Alexandre est ami,
Vranftois donne sa filIe. Déjil Fox avait négoeié pour
la paix. Pitt lui-meme avait agi par haine, plus que
par une juste appréciation des choses. Le reste al-
laít eomme moutons. Partou!, le fil des tl'aditions
étuit rompu, la conseience historique s' évanouissait
sous le prestige des événements. Seul le peuple
espagnol opposait son moi au moi impérial. Mais on
ne croyait pas que des armées franftuises fussent
dévorées par des guérillas, et Wagram avait fait
désespérer de la nationalité espagnole. Comme on
ne regal'duit qu'it la superficie, on jugcait indes-
tructible un t~difice minó, dont, avec un peu plus
d'atlention, on aurait calculé la fin avec une préci-
sion chronologique.


Ainsi, parmi ses contemporains étonnés, Napo ..
léoll reste slIpérieur encore, grace au sentiment


13.




- 226-
mystique qu'il a de sa destiné e ; ce qui revient a
dire que l'ignorance des peuples e.t de leurs chefs
a fait les frois quarts de sa gloire. f.ombien le grand
homme cut disparu plus vite, si commc de nos
jours l' esprit d' analyse se fUt avisé de computer les
éléments de son regne} et d' en tirer l'horoscope !
Dis-moi d' ou tu vwns, et je te dirai ou tu vas / ...
L'hisloire de l'établissement d'un pouvoir, en don-
nant la mesure de son mandat, est une garantie de
plus de la liberté des peuples.




IX.


NE MENTEZ PAS A LA RÉVOLUTION.


Toute l'histoire est figurative; toutes ses époques
sont falidiques et se servent l'une a l'autre d'an~
nonce et de correction. El la destinée sociale n'est
aussi qu'un long mythe, OÍ! se joue l'Esprit infini,
préludant a la création de quclque nouvelIe hu-
manité ...


J'ai dit la légcnde impériale : je vais en mon-
trer dans les feits contcmporains la. réalité. lIoG
est somnium, ct lime est intcrpretatio cjus.


Com me Nabuchodonosor a revé Cyrus, l'Empereur
a prophétisé Louis-Napoléon. A parl!' opposition deja
signalée, savoir que l'Empereur venait elore une
révolution, tandis que Louis-Napoléon en ouvre une
autre, opposition qui dan s la série historique est
une ressemblance de plus, on retrouve entre les
deux figures, entre leurs situations etleurs époques~
la plus constante analogie.


L,e premier Donaparte n'est heureux en rien de
ce qu'iI entreprend de sa propre initiative: il n'a de
sucees que sous le eouvert de la nation. Laissons
au! Ossiáns populaircs ses éterneHes batailles: elles




- 228-


sont en général bien eombinées, bien jouées, su-
périeurement gagnées, ou brillamment perdues.
Il ne s'agit point iei de l'individu, dans son métier
de héros; iI s'agit de l'homme politiqueo CesI
eomme eoneeptions politiques qu'il faut juger les
expéditions d'Egypte et de Saint-Domingue : elles
ont éehoué, paree que l'inspiration publique avait
eomplétement manqué a la premiere, et qu'une
entreprise de eeUe importanee devait jaillir exclu-
sivement de laraÍson nationale ; paree qu'ensuite le
souffle révolutionnaire avait fait défaut it la seeonde,
et qu'il était absurde, erimincl, de remettre les
Haltiem dans les fers, en vertu de la déclaration
des droits de l'homme.


Malgré ce douhle insueees, malgré ses travers
d'administration et de poliee, déja trop apparenls,
le premier ConsuJ réllssit néanmoins; et jusqu' a la
Tupture du trait{~ d' Amiens, son gouvernement,
réparateur et paeitlcateur, fort de l' adhésion géné-
rale, est fécond et prospere. Mais l'Empereur, af-
franehi de la tuleHe de l'opinion et des lisieres
eonstitutionnelIes, tombe de J'aute en faute, el
hientot d'insueeb; en insueees. La ehronolügie
nous en a faIt toueher la raison : eette tete olvm-
pienne, impatiente de la vüix publique, et <fJuí
\oulait penser toute 8eule, Hnit par m~ rien pen-
ser du tout t. ..


Ramenée a ses véritables termes, la comparaisol1
e.r.:tre les deux Bonapartc peut done se suivre. Lüuis-
Napoléon, il est Hai, n'a pns gagné de bataiUes :
qui sait s'iI n'en gagnerait pa~? .MeUez en présence
deux armées, deux généraux. L'un des deux sera
neecssairement vainCJlIl'lIl', J'autre vaincll; le pre-




- 229-
miel' un héros, le second une mazette, disait Paul-
Louis. Etpuis .une victoÍre peut s'acheter, comme
toute chose ... il ne s'agit que d'y mettre le prix.
Triomphes et lauriers a part, abandonnant le ter-
rain de la guerrc et de ses hasards pour nous
placer sur celui de la politique, je dis, sans flatteric
commc sans ironie, que l' oncle et le neveu se va-
lent, bien plus, que leurs destinées se suivent et
s'apparient, comme en une métempsycose. A Stras-
bourg ct a Boulogne, Louis-Napoléon échoue, comme
Bonaparte en Egypte et a Saint-Dorningue. Il réus-
sit le 10 décembre, avec les memes éléments, lors-
qu'au lieu de surprendre, dans une conspiration
in-promptu, les sympathies nationales, íI se pré-
sente dans des eonditions régulieres aux suffrages
du peuple. Il est heureux encore le 2 déeembrc,
malgré la violation du pacte, comme son oncle
]' avait été le 1 S brumaire : je crois avoir suffisam-
ment expliqué comment, en eette cireonstance, la
fatalité de la situation couvrit l' anomalie de la
forme.


Mais si, dans les deux hommes, la yolonté, le
jugement, la conception politique, l'alternative des
sueees et des revers, paraissent en tout semblables
et par les memes causes,' la parité des conjoncturcs
esl hien autrement frappante.


les an lagonistes de l'EmpCl'éuJ' étaient, d'une
part, l'arisloeratie fóodale, reprósentée par les émi-
grés, les pl'clres et la coalition; de l'alltrc l'arislo-
cratic financil~re et mercantilc, représentéc par
l' Angleterre. Ces deux aristocratics faisant cause
commune et combinanL lelll's moyens, c'était par
une comLinai~on tle lIIoyen~ analogues que l'Em·




- 230-
pereur devait les combattre. On a VU, dans la chro-
nologie que nous avons dressée du consulat el de
l'empire, comment llonaparte, au lieu d'organiser
contre l'ennemi les forces économiques de la na-
tion, puis d'enlraí'ner dans le meme mouvement,
sous la pression des libertés fran¡;aises, le conti-
nent de l'Europe, s'enehevelra el péril dans sa po-
litique de sabre, dans le dé date d'une poliee ressus-
citée de la Terreur, enfin, dans la néeessité de
conquetes sans fin et l'absurdité de son systeme
continental.


I..ouis .. Napoléon a aus~i pour adversaires, d'un
cOté, l'ancienne féodalité, représentée par la Sainte-
Alliance, le parti légitimisle et ultramonlain; de
l'autre, l'aristocratie eapitaliste, représentée par la
haute bourgeoisie et par l' Angleterre. Comme en
1805, ces aristocralies s' enlendent, se concertent,
se (usíonnent. Pour les vaincre, il faut, sans négliger
la force militaire, une combinaison de móyens cm-
pruntés a la pratique des intérets, a la science éeo-
nomique; iI faut; surtout, embrasser fortement,
franchement, l'idée réyolutionnaire. Déja cepen-
dant, funeste analogie ! déja, par les fausses mesures
du 2 decembre et les déclamations de ses lournauA,
la révolution est abandonnée; les aristocraties hos-
tiles se présentent sous le couvert des intérels géné-
raux et des libertés publiques; encore un peu, et
comme en 1809 et 1813, les peuples eux-memes,
a la voix de leurs nobles, de leurs prelres, de Ieurs
exploiteurs et deleurs despotcs, jelteront l'anatheme,
courront sus a Louis-Napoléon.


Je pourrais, prophete de malheur, pénétrant plus
a fond dans le mystcre de l'avenir, marquer les




- 231 -
phases de ecHe luHe dont les symptOmes jaillissent
déjil des dernieres éleelions de I'Angleterre; mon-
trer la révolution, tour a tour invoquée, repoussée,
eommc sous le consulat et l'empire<, abandonnant
enfin le 2 décembre, et touis-Napoléon, trahi
eomme eon oncle par sa persollnalité, donner une
fois de plus l' exemple des vengeances du Destin :
Discite justitiam moniti, et non temnere divos 1


J'aime mieux, pour l'enseignement de mon
pays, pour l' édlfieation de ses maUres, présents el a
venir, et par mesure de garantie eontre des faetions
qui, sans plus d'intelligence et de bonné volonté
les unes que les autres, dévorent déja en idée la
suecession du 2 décembre, démontrerune derniere
fois, et par un nouvel argument, l'ínviolabililé des
révolutions.


Non, dirai-je a I'Elysée, vous ne pouvez conti.
nuer de sang-frold eeLle triste parodie de répopée
impériaJe. Et si, comme cerlains philosophes se-
raient induils a le pemer, vous eles une nouvelle
incarnation de volre oncle, vous n'ctes poinl revenu
pour retomber dans vos anciens égarcments. rnais
pour en faire pénilcn~e. Vous nous devez l'expia-
tion de 1814 et 1815, ce qui veu! dire, des dix
années de la servitude impériale; l' expialion de la
légi timité, que vous avez lait restaurer; l' expiation
de la quasi-légitirnité, qué vous avez rendue possi-
ble. l\lellez-vous done a 1'unisson de votre époque
et de votre pays, car YOUS ne pouvez faire par vous~
meme, pas plus que l'llalie de Mazzini, Italia (ara
da se ! ... Volre étoile ne le veu! pas; le peu pIe ne
le veut pas; l' ombre gémissante, non encore puri-
fiée, de Napoléol1, ne le veut pas; et moí, volee as-




- 232-
trologue bénévole, qui n'aspire, comme tant d'jm"
tres, qu' a en finir, je ne le veux pas non plus.


QueI doit elre, d'abord, votre point de départ'?
je vous l'ai dit, la révolution.


La révolution, democratique eL soC'iale, tous les
deux, entendez-vous, est désormais pour la France,
pour l'Europe, une conditionforcée, presque un
fait accompli, que dis-je? le seul refuge qui reste
au vieux monde contre une dissolutiou imminente.


Tant que le malade a la gangrene, il engendre
de la vermine. De meme, aussi longtemps que la
société sera livrée a une économie de hasard, il est
inévitable qu'il y ait des exploÜeurs et des exploites,
un parasitisme et un paupérisme, qui la rongent
o'une dent rivale; - aussi longtempsque pour sou-
len ir ce parasitisme et pOUI' en pallier les ravages la
société se donnera un pouvoir concentrique et {ort,
iI y aura rles partis qui ~e disputeront ce pouvoir,
avec Jequel le vainqueur boit dalls le erane du
vaineu, avec Jequel on fait eL l' on défait les révo-
lutions;-aussi longtemps, enfin, qu'il y aura des
partis antagonistes et des e1asses hostiles, le pou-
vo~r sera instable et l' existence de la nation pré-
calre.


Telle est la généalogie de la soeiété, abandonnée
aux ágioteurs, aux usuriers. aux empiriques, aux
gendarmes el aux factions I Le vice ou régirne éco-
nomique produiL l'illégalité des fortuncs, et par
suite la distinction des classes; la distinetjon des
elasses appelle, ponr la défendre, la centralisation
politique; la eentralisation poli tique donne nais-
sanee aux partis, avec lesquels le pouvoir est néees-
sairel1lent instable el la paix impossible. Une ré-




- 233-
forme économique, radicaIe, lJeut seuIe nous
tirer de ce cercle : on la repousse. Ce sont les
conservateurs qui retiennent la société a l' état ré-
volutionnaiue .


ta France, pays delogique, semble s'etre donné
pour mission de réaliser, de point en point, cette
théorie lt priori de la misere, de l' oppression et
de la guerre civile.


11 existe en France, et tant que la révolution ne
sera pas faite dans l' économie, iI existera : 1. une
bourgwisie qui prétend maintenir, a perpétuité,
les rapports antiques du travail et du capital, bien
que l~ travail n' étant plus repoussé eomme une
servitude mais réclamé eomme un droit, et la eir-
eulation desproduits pouvant s' )pérer presque sans
escompte, le privilége eapitaliste n'ait plus de rai-
son d' existenee; 2. une classe moyenne, au sein de
laquelle vit et s'agite l'esprit de liberté, qui pos-
sede la raison del'avenir, et qui, refoulée de haut
et de JJas, par l'insolence eapitaliste et l'envie pro-
létarienne, n' en forme pas moins le ereur et le
cerveau de la nation; 3. un prolétariat, plein de sa
force, que la prédication socialiste a enivré, el qui,
a bon droit, sur l'article du travail et du bien-ctre,
se montre intraitable.


Chacune de ces classes se disputant le pouvoir,la
premiere, pour refouler une révolution qui menace
ses ¡ntérets; la seconde, pour la modérer; la troi-
sieme, pour lól lancer a fond de train, la division
par classes se change en une division par partis,
entre lesquels on distingue: L le parti de la légiti-
mitlÍ, représentant de" la loi salique et des tradi-
lions féodales, seules capables, selon ·lui, d'arreter




- 234-
la révolutíon; 2. le partí de la monarchie constitu-
tionnelle, plus bourgeoís que noble, et quí, dans
ce moment, par la voix de M. Creton, rappelle le
pays aux bienfails et aux gloires de 1830; 3.1e par ti
de la rdpubliquc modéréc, quí, tres-eirconspcet iJ.
l' endroit desréformes éeonomiques, ne veut plus
cepenuant ni de royauté, ni de noblesse, ni de prési-
denee; 4. le partí de la rápublique rouge, plus gou-
vernemental encore qu' 8conomiste, et quí a pris
pour programme la eons[i[ution de 93; 5. le partí
bonapartislc, quí tend iJ. satisfaire Oil tromper par la
guerre l' appétit du prolétariat; 6. le parti pretre.
enfin, quí, parfaitement renseigné sur la marche
du siécle, ne voit plus d'issue pour la société, el
pour lui-meme de Síl1ut, que dans le rétablissement
de l'omnípotence spintuelle et temporelIe du pape.
Je ne compte pas comme partí les soeialistes, quoi-
que plus républicaills et pI us radieaux que les rou-
ges, paree que, dans aueune de leurs éeoles, ils ne
sont hommes de pouvoir, maís hommes de SCrENCE
et de solulion.


Trois classes et six partís. en tout NEflF grandes
divisions antagoniques : voilil la Franee, sous le ré-
gime de l'économie malthusienne el d-e la centra~
lisalion politiqueo Voila le produil de ceUe unite
dont nous sommes si fiers, que l'étranger nous
envie, et iJ. Iaquclle il faut donner pour embleme
la tete de Méduse et ses serpcntsl


Or, je délie tout pouvoir qui ne sera pas révo-
lutlonnaire, ccIui de Henri V aussi bien que celui
du 2 déeembre, la théocratie comme la bour-
geoísie, de faire eesser cetle division des partís et
des classes; et par la memo raison jo défie tout




- 235-
pouvoír, au point ou en sont les cboses, de tenir
conlre. Vous pouvez quelque temps vous soutenir
sur l'antagonisme des ]nrtis, comme la lanterne du
PanLhéon sur les arcs-boutants du dome: mais cet
,équiJibre, quifit loute la stabtlilé de Louis-Philippe,
est précaire. Qu'un instant, a la premiere oeca-
sion, les partís cessent de S0 conLrebuter, les
classes de se menacer, et le pouvoir tombe. La sup-
pression des libertes, les genes de la presse, l' état
de siége, les prisons d'état, 1'ostracisme érigé en
institu!ion, tous ces instrumenls de la vieille tyran-
nie, n'y feront rien. Un gouvernemenl qui n'aura
pour lui que la force el des millions de suffrages,
sera obligé, comme Hobespierre, de recommencer
san s cesse l' cpuration de la société, jusqu'a ce que
lui-n1t~me ji soil cpuré.


L'Empereur crut amHer la corrosion des partís
par la guerre : dé:eslahlc ressourcc, quí atteste
moins le despofisme de l'homme que ¡'extrémité OU
il se voyait réduit, et sa profonde ignorance des
choses révolutionnaires. Ih Lien I la guerre a pro-
noncé en dernier ressort cnnlre l'l~mpereur. Et
puis, guelle gucrrc {erait Louis-Napoléol1? a qucl
propos'? contre qui? avec quoi?.. le pose ces que s-
tions, sans les presser : je ne voudrais rien di re qui
eut ¡'ombre d'un défi ou d'une ironie. Passons done
sur la p'olitique guerriere, et puisqu'il est i:t pen pres
défendu au 2 déeembre, hors le cas ou il prendl'ait
fait et cause pour la révoiuLion, de rendre au peu-
pie ecHe poé~ie i rnpériale; puisqu'il est condamné a
faire de la vlle prose óconomique et soeiale, disons-
lui que les idées nc se combltlent que par les idées ;
qu' en eonséquence, pour avoir raison des partís, il




- 236-


n'est qu'un moyen, c'es! el'en former un qui les
engloutisse tous. J'ai expliqué ailleurs comment,
dan s la donnée actuelle, ce parti d' absorption devait
se composer de la classe moyenne et du prolétariat:
je m' en réfere a mes précédentes indications.


Nier, dans l' économie actuelle de la société, la
nécessíté des partis : impossible.


Gouverneravec eux, sans eux ou contre eux : im-
possible. '


Leur imposer silenee par des moyens de poliee,
ou leur donner le change par la guerre et les aven-
tures : impossible.


Il reste que l'un quelconque devienne l'instru-
ment d'absorption de tous : c'est cela qui est pos-
~jble.


Que le 2 décembre done, et ce que je dis ici
pour le gouvernement qui passe, je l'adresse a tous
ceux qui vienncnt; que le 2 décembre embrasse
franchement sa raison d' etre; qu'il affirme, sans
restriction ni équivoque, la révolutíou sociale;
qu'il dise tout haut a la Frunce, qu'il notifie a l'é-
tranger la teneur deson mandat; qu'il appelle a luí,
au lieu d'un corps de muets, une représentation
vraie de la classe moyeune et du prolétariat; qu'il
prou\e la sincérité de sa tcndance par des actes
d'un libéralisme explicite; qu'il se purge de toute
influence cléricale, monarchique et malfhusienne;
qu'il transporte aux corps des instituteurs et des
l1lédeeins, les uns duns la misere, les autres livrés
au hasard d'un honteux easuel, les 42 millions
jctés aux prelres; qu'il rha~se de sa société cette
hunde d'intriganls, sans foi ni loi, boMmes, espions
la plupart, qui le grugent; qu'il aLandonne aux




- 237-
gémonies de l'opinion ces gcntiHatres littéraires,
dont le souffle vénal, pestilentieI, enfte la voile de
toute tyrannie; qu'il livre aux francs-juges de la
d,¿~'\\';<¿ .... ~t\<¿ (~ ~(\l'S \\QIJJ:\\C~ (QUS ces rené~acs, dra-
maturges de cour, pamphlétaires de police, mar-
chands de consultations anonymes, moutons de
prisons el de cabarets, qlliapres avoir manaé le
pain sec du socialisme, lechent les plats gr~s de
l'Elysée ...


Quoi done 1 paree que la démo~ratie a combattu
la candidature de Louis Bonaparle au 10 décem-
bre, j'y étais; paree qu'elle l'a fait reeuler ]e
29 janvier, j'y étais; paree qu' elle s' est insurgée
contre lui le 13 juin, san s la prison j'y aurais été;
paree qu'elle l'a vaincu dans les éleclions de 1850,
du fond de la Coneiergerie j'y étais encore; paree
qu'eIle s'est levée contre lui le 2 décembre, je ne
lmis plus dire que j'y étais!. .. touis-Napoléon se
croirait obligé, par esprit de concurrence, de don-


. ner a sa polilique une signification personnelJe 1 11
aurait peur de paraitre éclipsé, si l' on disait de lui
qu'apres avoir terrassé la : épublique sociaJe, il lui
a pris ses idées, el s 'est mis a sa remorque 1


L'Empereur céda jadis a ee pueril amour-propre.
JI voulut elre autre chose que la république, faire
plus que la république, penser mieux que la ré-
publique. Il arriva, en fin de compte, qu'avec tous
ses titres, ses couronnes, ses trophées, il ne fut
ríen, ne fit rien, seul ne pensa jamais rien : il
resta Napoléon. Allons-nous recommencer ce con-
cert a une seule partie du grand maestro?


Ni Galba, qui rempla¡;a Néron, tant regretté
du peuple; ni Vespasien, qui refusa aux larmes




- 2~8-
d'Eponine le pardon de Sabinus; ni Nerva, quí
avait conspiré contre Domitien; ni Pertinax, quí
tua Commode; ni Septime-Séverc, qui fit déca-
piter Didius-Julianus, le dernier et plus offrant
enchérisseur du césarisme ; ni Aurélien, qui traIna
a son char J'immortcllc Zénobie: aucun de ces
empereurs ne se crut obligé de modifier le slalut
impéríal, statut révolutionnaire alors, paree que
l'ayant repris de mains rivales, queIquefois indi-
gnes, jI se serait cru déshonoré en le suivant.
Brutus, il est vrai, apres avoir expulsé les Tarquins,
abolít le titre de roi et proclama la république.
e'est que les Tarquins, afi'eclant les airs des tyrans
grecs, manquaient a leur missíon modératrice, quí
était de procurer, par le patronage des patriciens,
l'émancipation de la plebe.


Que parlez-vous done de plagiat et de remorque,
comme s'il s'agissait des individus, non de la des-
tinée? Laissez les hornmes, Pllisque la défaite et
leur propre dignité ne leur perrncllcnt pas (!'Ctre
a vous. Entre Esaü et Jaeob, le supplalllé et le
supplanteur, iI peut y avoir paix, jamais amitié ni
oubli. Pour des gens de eecur, il est des griefs qui
ne se peuvent eITacer. Je veux bien, acquittant le
tribut de mes opinions a ma patrie, contribuer
peut-etre a éclairer un pouvoir que j'ai dti eesser
de eombattre; je ne le servirai paso Mais précisé-
ment parce qu'Esaü a perdu son droit d'ainesse,
il faut que Jaeob soit ehef du peuple de Dieu:
sinon Esaü, dil Édom, le nougc, revendiqucra l'hé-
ritage, et ehUtiera son cadet suborneur et infidcle.


Ne rusez point avee la rholution; n' essayez pas
de la faire tourner a vos fins particulieres, l' oppo-




- 239-
sant a vos eompétíteurs, pendant que vous vous
tailleriez dans son écharpe un manleau d'empe-
renr ou de roí. Ni vous, ni aueun de eeux qui as-
pirent a vous remplacer, vous ne pouvez eoncevoir
une idée valable, mener a fin la moindre entre-
prise, hors des données de la révolution. La ré-
volulion a tout prévu, fout eonc;u; elle-meme a
dressé le deviso Cherehez, et quand d'un esprit
droit et d'un cceur docile vous aurez trouvé, ne
vous melez plus, en commun avec le pays, que de
l' e,;écution.


El quelle serait done la haute pensée, l'idéal
politique et économique, que le dépositaire de la
s0uveraineté nationale se créerait a luí-meme, le
procluisant de son génie, et ne le recevant, ni par
transmission historique des partís qui l' ont préeédé
aux alfaires, ni par voie analytique de l'étude des
faits sociáux et de leur généralisalíon" Que pour-
raít-il penser de luí-meme, eomme homme, qu'il
ne dut recevoír de l'opinion eomme chef d'élat;
conlre quoi par conséquent tous les eit'lyens n'eus-
sent le droít de prolesler, s'il 11lí plaisüit d'imposer,
en vertu de son titre, son idée nouvelle?


« Parmi tant de religions quí se eontredisent,
}) disait Rousseau, une seule esl la bonne, si tant
}) est qu'une le soít. ) De meme, parmi tant de
poli tiques que la fantaísie des partís et la présomp-
tion des hommes d' état enfantent, uneseule peut
etre vraí~, e' est eelle quí, par sa eonformíté con-
stante, harmonique, arce la nature des choses,
aequiertun tel earaetere d'impersonnalité et de
réalité, que chacun de ses actes semLle un déeret
de la naturc meme, et qu'iI l'Académie, a l'atelier.




- 240-
sur la place publique, dans un conseil d'experts, par-
tout ou des hommes se réunissent pour trailer en-
semble, elle puisse se formuler aussi bien que
dans une assemblée de représentants et un conseiJ
d'état. Elevée a ce degré d'authenticité OÚ elle
tíent tout des choses et rien de l'homme, la poli ti-
que est l'expression pure de la raison générale, le
droit immanent de la société, son ordre intérieur,
en un mot, son Économie.


éette politique, vous ne la trouverez ni dans
Aristote, ni dans Machiavel, ni dans aucun des
maitres qui ont enseigné aux princcs 1'art, essen-
tieHement subjectif, d' exploiter leurs états. Elle se
dégage des rapports sociaux, et des révélations de
l'histoire. Pour moi, la révolution au 19" siecle en
doit etre l'avénement.


e'est un principe, dans cette politique a la fois
rationnelle et réelle, que sans travail il n'est pas de
richesse, et que toute fortune qui n'en provient pas
est par cela meme suspecte; que le labeur aug-
mente toujours et que le prix des clwses diminue;
qu'ainsi le mínimum de salaire et le maximum des
heures de travail sont inassignables; que si l'hec-
tolitre de blé vaut 20 franes, aucun décret du prinee
ne le peut faire vendre 15 ou 25, et que toute
hausse ou baisse factice, par autorité de l'état, est
un vol; que sous le régime de l'intéret, l'impot
proportionnel, équitable en lui-memc, devient pro-
gressif dans le sens de la .misere, san s que rien au
monde puisse l' empecher; qu' un autre corollaire
de cet intéret est la protection douan!ere, en sorte
que toute tentative pour abolir celle-ci sans tou-
cher a celuÍ··la est une contradiclion; que tou[~




- 24f-
taxe qui affecte les objets de luxe, au lieu d'etr€'
supportée par le consommateur, le sera infaillible-
ment par j'ouvrier, attendu que la consommatioll
étant facultative et le prix libre, le producteur
d'objets de luxe a toujours plus besoin de vendre
que le consommateur d'acheter .. ,.


Que de bévues des gouvernements et de leur
politique arbitraire auraient été empechées; que
de vexations, de souffrances, de mécomptes, de
déficits prévenu,,; que de ten dances funestes ar-
rÉHées a leur origine, si depuis soixante ans ces
propositions, avec leurs corollaires, avaient eu rang
de vérités démontrées et d'articles de loi dans la
conscience générale I Avec une douzaine de pro-
positions de ceUe espece, et une presse libre, je
voudrais aneter court, dans toutes ses fugues, le
gouvcrnement du 2 décembre. Quoi done! Louis-
Napoléon ne régnerait-il que par l'imbécillité des
Franc;ais 1 ...


H exisle, sur les rapForts des hommes en société,
~ur le travail, le salaire, le revenu, la propriété,
le pret, l'échan:!e, l'impo!, les s~rvices publics, le
culLe, la justice, la guerre, une fouIe de vérités
pareilles, dont un limpie exlrait, accompagné
d' exemples, dispenserait les gouverncments de
toute autre politique, et bientot la société des gou-
vernements eux .. memes. e'est lit' notre véritable
consti [ution : constitution qui domine toutes les
difficultés, qui ne laisse rien a la sagesse des princes,
qui se moque des dictateurs el des lrihuns; dont les
théoremes, enchainés l'un a l'aulre 'comme une
mathématique, conduisenl l' esprit du connu a l'ín-
COlmu dans les voies sociales, fournissf,!nt des solu-


14




- 242-
tions pour toutes les circonstances; et contre ]a-
quelle tout ce qui se fait, d'oü qu'ilvicnne, est nul
de soi, et peut elre réputé tyrunnie! Le pouvoir
qui enseignera uux ciloyer.s ceUe constiluLion, et la
chose commence a devenir possible, aura plus faiL
pour l'humanité que tous les empereurs et les papes:
apres lui les révolutions de l' espece seront comme
celles de la planete, rien ne les troublera, et
personne ne les sentíra p'us.


Le 2 décembre, dan s le premier feu du coup
d'état, réparant la longue incurie de nos assem-
blées, a pu décréter coup sur coup des concessions
de chemins de fer, des adjudications de travaux,
des prorogations de privilége, des réductions d'es-
comple, dl s saísies d'immeubles, des conversions
de rentes, des contÍnualions d'impoLs, etc., etc.;
faire une foule de choses quí, si la soeiété élait
instruile de su vraje corslitulion, auraient été de-
puis longtemps faites, et mieux faite:", ou ne 8e se-
raifmt jamais faites. te vulgaire, quí rapporte taut
a la volonté du chef, a peu llres comrne le pere
Malebranehe voyait taut en Dieu, a admiré ectte
fécondité déeréLa'e, et paraútes rl'appluudir a ce
pouvoir fort el agissant 1 Mais biento! la flevre des
réformes s' est calmée : plus d'une fois le 2 dé·
cembre u dli réTacter des résolut:ons sous presse,
retirer des projels dont élait saisi déja le c)n~eíl
d'état, et Ion peut prévoir que s'ii n'apprend
a lire mieux dans le liHe de la politique éternelle,
il paraHra bientot aussi impuissant, au~si incupable,
au~si téméraire, aussi fou que ses devanciers, sans
en excepter l'Empereur lui-meme.


Quoi qu'il en soit, et des décrets rendus jusqu'ici




- 2h3-
par le 2 décembre au milieu de l'abstention uní-
verselle, el de ceux qu'il rendra par la suÍte du
fond de Ea prérogatlve, il ne fera pas que la maxi-
malion des forlunes cesse d'elre une iclée contra-
dictoire; qu'une vente ¡misse elre réputée parfaite,
avant que les parlies soi~nt convenucs de la chose
et du jlrix: que le mandal el l' adjudicalion, dans
le meme individll, foient termes compatibles; que
le quasi-contrat ne devienne quasi-délit, et meme
crimc, alors que le bienfaiteur d'office se prévaut
uu bienfait pour asservir le bénéficiaire .....


le 2 décembre ne fera pas que le systeme féo-
da!, vaincu dans l' ordre poli lique et religieux, re-
devienne une vérité dans I'ordre industriel, quand
les condilions du lravail el les lois de la comptabi!ilé
s'y apposent; il ne fera pas apres wn décret sur
l'@scompte, rendu au nom de la propriété publique,
que l'intrret des capilaux soit désormais autre
chose qu'une taxe arbitraire et transi!oire; il ne
fera pas, malgré ses concessions de quatre-vingt-
dix-neuf ans, que si Je prix de revient des trans-
porls, par fer et par eau, peut oescendre a 1 cen-
time pur tonne et kilomólre, le puys consente á
payer aux compagnies 8, 10 et 14 centimes, par
amour de la féodalité industrielle; ni, quand le
salaire du tramilleur, dans toutes les catégories de
services, est en décroissance continue, que celui
des fonclionnaires de l'étut doive allgmenler.


I:Empereur, uvec su concenlration politique,
avec son hlncus continental et ses incorporations
perpétuellcs d'états, se créait cent impossibilités
dont chacune, avec le temps, pouvuit le détruire.
Louis-Napoléon, quí ne s' est pas donné le quart de




- 2M-
la b~sogne de son oncle, avec sa seule constitution
renouvelée de l'an VIII, s'en crée mille : tant, de-
puis la chute de l'Empereur, les élémenfs réfrac-
taires a l'autorité ont pris de développement 1. ..


Le 2 décembre a donné au' clergé un brevet
d' enseignemenl 11 peu pres exdusif. Mais ce brevet,
tout a fait gratuit, ne contient pas plus de garantie
du gouvernement que les milliers de brevets et di-
plomes qu'il délivre chaque année; contre écus,
aux étudümts et industriels. 11 ne fera pas, ce bre-
vet, meme quand il joindrait a l'autorité de l' état
ceHe de la sainte écriture, que le travaIl, considéré
par la théologie comme l'expiation d'un vice origi-
nel, In sudore vultus tui vesceris pane tuo, rede-
vienne un état servile; que celui qui par le travail
se rachele de la misere, de l' ignorance el de l' escla-
vage, ne con~oive pas la pensée de se racheter aussi,
par le meme moyen, du péehé et de la couIpe;
que l' esprit religieux, entretenu par les pretres, ne
se trouve ainsi balaneé par le génie industriel; que
pauvreté soit de nouveau réputée vertu, et que le
progres du bien-etre et du luxe n'ait pas pour corré-
latif le développement de la raison, I'affranchisse-
ment de la conscience, le regne absolu de la liber-
té, a la place de l'humilité, du détachement et de
la passivité chrétienne.


Le 2 décembre, par philanthropie, autant que
par intéret, se préoccupe de l'amélioration du sort
des classes pauvres. Les circulaires de ses ministres
le répelent; les earesses du Président en témoignent;
plusieurs de ses actes le font enfendre; les confi-
dences de ses amis et l'hostilité croissant e des plrtis
rendent la chose tOllt a fait probable.




'- 245 -
Mais cornment se propose-t-il d'opérer cette ,arné-


jioratioIl? 11 ne peut pas sur la France moderne ré-
gnerencalife; s'cmparerau nom de I'intéret public
de la productioll et du commerce; mattre 27,000
lieues carrées de pays, 27 rnillions de propriétés,
fabriques, métiers, en régie; convertir 36 millions
de producteurs de tout age et de tout sexe, plus ou
moins libres, et qui aspirent chaque jour a le de-
venir davantage, en salariés. On n'avale pas plus
gros que soi, et si le 2 décembre pense engloutír
la nation, e'est lui r¡ui crin'era.


Supposons que le '2 décembre, poursuivant la
soluLion du probleme économique, essaye de re con-
stituer la nation suivant le systeme que nous avons
signalé comme étanl la conséquence du décret sur
les biens de la famille d'Orléans. Hors de la liberté
progressive, indiquée par l'histoire, et de la com-
munauté des égaux, adoptée au fond par toas les
utopistes, iI n'y a pas d'autre systerne. 11 faut au
préalable que le 2 décembre intéresse a ses vues
une partie du pays; qu'avec celle-la, il conquiere
le reste; eL comme jI entend se réserver l'initia-
tiye, qu'il ne sauraiL consentir aucun démembre-
ment de son autorité, qu'il ne peut offl'ir a ses
auxiliaires et adhérents que des récompenses pécn-
niaires, des coneessions de terres, mines, etc., ou
des privil éges C.)!Il rnerciaux el industriels; il faut
que ecHe associalioll pOllr l'organi~ation du. travail
el r extil'palion de la lIlisere, J' arres le principe
de la hióral'chie militaire et gouvernementale,
ofIre aux associés, en faculté s économiques, une
indemnité suffisante du renoncement a leurs droits
politiclues,


H.




- 246-
Or, e'est ici que la confradiction ne tarderait pas


d'apparaitre. Le 2 décembre apprendrnit bientOt, par
son expérience, ces vérités au-dessus de tout gOllver··
nement: e'est que (ralinil et commercc ont pOtIr sy-
nonyme liberte,. que la liberté induslrielle est soli-
daire de la liberté polilique; que toute resll'ietion
apport~e a celle-ci est une entlave pour celle-lit,
coméquemment un empecbement au travail et une
interdiction de la richesse; que l'échange, le pret,
le salaire, tous les acles de l'ordre économique,
sont des confrats libres qui rérugnent ti toute con-
dition hiérarchique. Quant au poU\'oir cer.tral, il
verrait, et déjit il ne tíent qu'a luí de le voir, que
les affaires de5 particuliers ne prospérent qu' autant
qu'ils ont confianee dans le gouvernement; que le
seul moyen de leur donner celle confiance, e'est de
les faire eux-memes membres aclifs du souverain;
que les exclure du gouvernement, c'est autant que
les chasser de leurs industries et propriétés; et
qu'une nation de travail, comme la noire, gou-
vernée sans le contrOle perpétuel de la tribune, de
la presse et du club, est une nation en état de fail-
lile, déja sous la main des garnisaires ...


Tous les lieux communs sont épuisés sur la na-
ture démocratique de l'impot, et le droit qu'a la
nation de le fixer librement. Le 2 décembre sait
cela comme tout le monde: la constitution du 15
janvier a bien voulu le reconnaitre. Pourquoi donc
les memes replésentants qui sont appelés a voter le
TOTAL de l'impót, n'ont-lls pas le droil ti' en discutcr
le detail, et d'y faire lelles réduclions qu'ils jllgent
utiles ? La France et son gouvernement, d' apres le
systeme de volation suivi poue l'impóL nu corps


..




- 247-
légÍs]alif, es! comme une maison de commerce ..


formée par deux ind¡'vidus soi-disant assocíés en
nom collectif, et dont l'un serait chargé d'acquitter
sur ses produits, El présentation des factures, et sans
pouvoir demander de compte, les dépenses dont
la fixation se1'ait le privilége exclusif de 1'aut1'e. Ou
le '.2 décembre a-t-il pris ce moue de société et sur-
tout de comptabilité ?. ..


Tout a élé dit pareillement sur le fonctionnaire
puhlic. Le fonctionnaire public, depuis le chef su-
preme de retat jusqu'au dernier vaJet de vilte, est
le mandataire de la nation, le commis, le délégué
du peuple. La constitution du 15 janvier, comme
ses précédentes, reconnalt cette démocratisation du
personnel de l' état. Pourquoi done n'appartient-
il qu'au chef de l' état de nommer aux emplois,
d' en fixer les attributions et les salaires? Pourquoi
les 500,000 salariés de l' état forment-ils corps,
caste. nalion pour ainsi dire El part, sous la dépen-
dance exclusive du chef de l' état? Sous ce rapport
encore, la France ressemble a un domaine dont
l'exploitalion aurait été changée par l'intendant en
une servitude personnelle, établie a son bénéfice,
avec faculté pour lui, non-sculement de transiger
au nOn! du propriétaire, mais de comprometlre. Ou
le 2 déccmbre a-t-il puif-é celte notion du mandat
ct de la propriété ? Ce n' est pas dans le coJe Napo-
léon .....


Je ne veux pas que mes observatíons dégénerent
en altaques, et c'es! pour cela que je les exprime
en style juridique, me bornant a montrer, a l'aide
de quelques rapprochcments, et dans les formes
les plus concises,. combien l' exercice de l' autorité,




- ~1l8 -
lant réclamée de nos jours par des avocats san s
science, des publicistes sans phllosophie, des
hommes d' état également dépourvus de pratique el
de principes, est devenu incompatible avee les no-
tions les plus élémentaires de l' économie et du
droit De quelque eOté qu' on y regarde, le 2 dé-
eembre, - el quand je dis le 2 décembre, ai-je
besoin de répéter sans cesse que ie comTlrends toute
autre formedictatoriale ou dynastique? -le gou-
vernement, dis-je, est acculé entre l'an-archie et
le bon-plaisir, ob\igé de choisir entre les ten-
dances na\ure\\es de \a soeiété, et l' arbitraire de
l'homme 1 Et cet arbilraire, e' est la violation per-
pétuelle du droÍt, la négation de la science, la ré-
volte eontre la néeessité; e' est la guerre a l' esprit
et au travaill Impossible.


Je ne finirai pas, apres avoÍr touché les impossi-
bilités de l'intérieur, sans dire un mot de ceHes du
dehors.


S'il est une chose que le 2 déQembre doive
avoir a Cffiur, c' est a coup sur de réparer les dé-
sastres de 1814 e t 1815, de relever dans le concert
européen l'influence de notre natiol1, de la faire
remonter au rang- des puissances de premier ordre,
en appuyant, au besoin, eeHe prélention légitime
par les armes.


Le 2 déeeOlbre le peut-il, dans la sitnation équi-
"\oque oü il s'est placó, cutre la révolutioll et la
con fre-révo!ufÍon '?


Desbruits ont circulé, tl'ouvcnt enCOl'é des cré-
dules, sur des projets de deseente en Angleterre,
d'invasion de la Belgique, d'ineorporation de la
Savoie, etc. Ces bruits ont élé démenlis par ordre:




- 249-
en effet, ce sont de ces choses gu'on ne croít pas
sans les avoir vues, et quand on les a vues on n'y
croít pas encore.


Le peuple, guí ne sait de la guerre que les ha-
tailles, quí n'en comprend ni la raison ni la poli-
tique, peut se repallre de ces chimeres, attendre
que le Président, ayant batlu les Anglais, les
Prussiens. les Autrichiens, les Russes, et revenant
chargé de trésors, décharge d'autant les roles des
contributions. Partout ailleurs qq'au cabaret, on
l'ait que la guerre est la luUe des principes, et que
toufe guerre qui n'a pas pour objet de faire triom-
pher un príncipe, comme furent les guerres de
Louis XIV el de l'Empereur, est une guerre con-
damnée, et d'avance perdue.


Ou donc est le principe, le grand intéret, natio-
naI et humanitaire, que peut invoquer en ce mo-
ment Louis-Napoléon, pour etre en droit de dé-
darer, a n'importe qui, la guerre?


L'abolition des traités de 1815?
Ceux qui depuis vingt ans parlent de ces traités


!le savent pour la plupart de quoi il s'agit. Les
traités de 1815, ceuvre de la Sainte-Alliance, sont
le produít des guerres impériales : a cet égard, ils
prennent place dans l'histoire, a la suile du traité de
Westphalie. lIs ont pour objet de former, a perpé-
luité, une croísade entre les puissances de l' i'~urope
contre tout état quí, comme la France de 1804 a
1814, tendrait a sortir de ses limites nafurelles ou
prescI'ites, et ti s'incorporer des portions de terri-
toire étranger. La France, dont les empielements
~uccessifs pendant dix annécs ont été l' occasion de
ces traités, s'y trouve plus ,maltraitée que les




- 250-
autres puissances : elle a été refoulée en de~a du
Rhin, dégarnie, ouverte. Tel était le droil de la
guerre el le bénéfiee de la vietoirc pour les aJliés.
Nous avons voulu nous étenJre, nous sornmes
vaineus, nous devons payer el de plus fournir des
suretés 1 Rien ne saurait infirmer ces traités, rien,
dis-je, si ce n'est le consentement des parties, ou
la .gu~rre, mais la guerre appuyée sur un nouveau
pnoelpe.


Je reproduis. done ma question : Ce principe,
OU est-il pour le 2 déeembrc '?


touis-Napoléon n'a fait jusqu'ieí que senir la
Saintc-Alliance en frappant la démoeratie el la ré-
"olution; bien 10m qu'il puisse protester eontre les
traités de 1815, de fait il y adhere. II serait puéril
qu'il atlendit de ses alliés, a litre de récompense,
la fronliere du Rhin. La seuJe récompense que
Louis-Napoléon puisse obtenir de la Sainte-AI-
lianee, e'est qu'elle le tolere, le soutienne, le pro-
tége, eomme gardien et dompteur de la révolulion,
jusqu'a ce que Jes .circonstanees, devenues par lui
favorables, permetlenl uux alliés de nOllS rendre
une troisieme fois nos prinees légitimes. Elle serait
illogique, cerles, la Sainte-AlIianee, en contradie-
tion avec elle-meme, elle mentirait a son hut el a
ses príncipes, si, en faisant la guerre il la révolu-
tion, elle reconnaissait en Louis-Napoléon Bona-
parle un drnaste d'origine essentiellement révo-
lutionnaire, a plus forte raison si elle lui eoncé·
dait, pour joyeux avénement, un terriloire de cinc¡
a six millions d'habitanls, "avec la ligne stratégique
la plus formidable du monde.


Maintenant que Louis-Napoléon, usant de sa pré-




- 251 -
rogative, en appelle aux armes; que, servant la
contre-révolution el'une inain, el jurant de l'autre
par la révolution, il cngage le pays dans une
guerre avec la Sainte-Alliance, pour la frontiere du
Uhin, il esl le maltre. Mais qu'il sache aussi que
daos une revendication aimi posée I'opinion ne
le suivrait pas : elle ne verrait dans sa poli tique
qu'une fantaisie conquérante, un point d'honneur
nalional GU domeslique, sans caractere moral, et
par son abandon elle paralyserait ses efforls. Tant
il est vrai lJu'il y a dans les trailés de 1815 quel-
que chose de légal, qui ne peut elre délié que par
une légalilé supérieure.


La réYolution au 19" sirc1e est ceUe légalité.
Rappelons-nous ce gui a été dít plus huut que


Louis-N:lpoléon, de meme que I'Empereur, ayant
pour adversaire principal la fcodalité capitaliste
représenlée au dehors par J'Angleterre, la vraie
maniere de corphattre lAnglcterre, ce n'est pas de
l'attaqucr en Egypte, dans l' Austrllie ou l'Inde,
pas plus que d'enjamber la Manche: e'est de frap-
per l'ennemi, chez nous d'abonl, dan s les rapports
du travai 1 et du capi lal. .


Des avant la révolulion de 89, l' Angleterre avait
commcncé la conquele elu globe : comment? par
la force des armes? non, elle laisse ce svsLcme aux:
Fran~ais; - par l'accumulalion de ses capitaux, la
puissance de son industrie, l'exlcnsion de son com-
merce. Le SUCCC3 ne lui a paint failli : pas de pays
aujaurd'hui ou elle ne récolle. Nous-memes nous
puyans tribut il ses ouvriers, a ses ingénieurs, a ses
capitalistes; et déja, par les acquisitions de pro-
priétés que font chez nous les sujets anglais, la




- 252-
Grande-Bretagne prépare sur notre territoire le
retour de sa prépondérance. te libre échange, au-
quel ses bourgeois convient les peuplcs, en écrasan t
foute concurrcnce, est le dernier coup fJu'elle s'ap-
prete-a porter a la liberté des nations.


Ainsi procede l' Angleterre : pas de conquetes a
main armée, pas d'incorporations de territoires,
pas de nations englobées, pas de dynasties des ti-
tuées : elle ne se permet aucune de ces violences.
Ene ne tient point a gouverner les peuples, pourvu
qu'elle les pressure, témoin le Portugal: la Balance
du commerce, portée il s'on maximum de puissance
sous le nom de Libre.echange, voilil l'artillerie de
}' Angleterre.


Il faut done qu'a une guerre de capitaux nous
répondions, avant tout, au dedans et au dehors,
par un systeme de crédil qui annule la supériorité
que l' Angleterre tire de ses masses capitalisées :
alors, nous pourrons parler a la Sainte-AlIiance.
Oéja, par ses décrets financiers, le 2 décemhre a
marqué le but : qu'il acheve, qu'il n'allende point
que des nécessités plus impérieuses l'y contraignent.
Soit qu'il pense a négocier, soit (fU'il se prépal'e it
la guerre, qu'il commence par se rendre écono-
miquement fort. Qu'il ose accomplir en six mois
ce que ces journaux font entrevoir dans une pers-
pective de 50 années ; que par la réduction combi-
née des rentes et intérets aux simples frais de
cOrhmission, il change dans leur .intégralité les
rapports du travail et du capital; qu'il coupe, si


. j' ose ainsi dire, le nerf a la féodalité bourgeoise, el
puis, qu'il déelare a son tour a l' Angleterre, non
plus le Blocus contínental, folie avonculaire, mais




- 253-
le Lihr(j cehange; enfill lJu'il abulisse autour de luí
la douane .... Cela fait, voÍci dans (TueBe situation
se trouverait la Francc, vis-á-vis el'eÚe-meme et de
l'étranger.


A l'intérÍeur, la produetion augmente d'un
guarI.. ,. C'est unp. ri'gle rl'économie, un des
théoremcs les mieux démontrés de la seience, que
le revenu du cavital estproduit, comme l'impot,
par le 1ravai1; que dans l'invenlaire de la société,
ce revenu ne doit pas s'ajouter au produit, maÍs se
déduÍrc dnproduit, cornme l'impot; qu'ainsi ce
qu'on ole an revenu, de meme lJu'ill'impOt, profite
ti'autant au travail, qui le consommant le recrée,
attendu qu'il n' ya de consommatÍon imprdductive
que celle du capitalistc et de l' élat; de te11e sorte
que si, sur une production annuelle de neuf mil-
liards, il e~t prélevé quatre mÍlliards pour l~ capital
et pour l'impOt, ce prélevement étant par hYP9-
thése supprimé, en meme temps que la consom-
mation des producteurs douhlera, leur produclion
s' élevera, ipso ¡acto, de neuf millÍards a treize. Que
le 2 décembre rende aux c1asses travaÍJleuses ce
signalé senice, et il pourra se van/el', au hanqud
national, de ne pas manger le murceau honteux!
Ses 12 millions de lisIe civile lui seront complés
comme une commission, sur le surplus d'affaires
qu'il aura procurées, de 112 ou 1¡4 pour 100 ...


Au dehors, la Belgique, la Savoie, une parlie de
la Suisse et du Piémont, gravitent, de toute h
puissance de leurs intéréts industriels, vers la
France, marché libre de 36 millions de consom-
mateurs, consommant, d'apres ce qui vient d'elre
d1t, comme 45! Crédités par la cil'culation fran-


15




- 25[~ -


<;aiEe el par leurs échanges, ces états operent a
leur tour la lir;uidalion de lcur aristocratie carita-
lisle et propriélaire, dont la con{tanre auattue de-
"ient parloul le signal de la prospérilé puhlique :
ils tOl1lhenl dans le cercle d'altrü~tiol1 de la FI'ance.
Ne lem demandcz point a10rs si, avec lem réi'olll-
líon économique, solidaire de la nolre, avec notre
langue, nos monnaies, nos codes, notre commerce,
ils veulen! etre franliais 1 Ne leul' proposez ni ins-
pecteurs de police, ni préfets: laissez·les se gou-
verner a leur guise, conserver leur franehi<e, jouir
tout d'abord de cette indépendance civile el poli-
tique, qu'il faudra bien, tol ou tal'd, rendre a
chacune de nos provinces. Con ten tez-vous, avec
ces co-intéressés, d'une alliance offensive et défen-
sive guí vous permette, dans le péril commun, de
compter sur leurs-soldats el leurs forteresses, comme
sur les valres. CeLte polilique de réserve, hientOt
comprise, vous assure d'irnmenses succes. QU(J.nd
la conque te avait pour objel le tribut, cornme au
temps des monarchies orien tales, la conque!e,
qlloique brutale, éLait du moins ratiol1nelle. Au-
j')uI'J'hui le pillage a cessé, pour les étaLs comme
pour les particuliers, d'elro un moyen de f9rtunc.
Les vraÍes ~onr¡uctes sont ceres du commerce :
r exemple de l' Angleterre, depuis un siecle, le
prouve de reste. Comment se rail-il, quand l'esprit
des nations a changé, que les formes de leur di-
p!omalie soien! juste a la hauteur de ce He des
Cambyse et des Ninias l ....


Apres la BelgilJue, la Savoie, la Suisse frangaise,
le Pi.6mont cisalpin, pays lirnitrophes, l'ltalie.
Rome, foyer d'éruption, projette ses flamrnes




- 255-
nationa]es au nord et au midi de la Péninsule.
Dites-Iui, Présidenl de la répuhIlque humanitaire,
que vous voulez qu'elle vive par elle-meme et pOllr
clfe-mcme, et rIle "jyra. n'un mol vous aurez res-
su~cité eclte nalionalité, égorgée par vous daus les
n;UI'S de Rome, apres llvoir été trahie sur le champ
de hataille de ~ovaITe!


La Pologne aura son tour; et le R()í des mcrs
?le rOHS éclwppera pas, saisi clans le filet démocra-
tique et social.. ..


Ayec la France révolutionnée, la politiqlle
extérieurc est fucile a suivre. Le centre de gravité
européen se dópluce, la nouvcllc Carthage cede a
la Hume nouvelle, et s'il faul combaUre, la gllerre
est sainte, la victoire es1 súre. ~jais all done Louis-
l\apoléon, désertunt l'idéc révo!ulionnaíre, trome-
rail-il un prétexte pour fuire au nom de la France
la moindre démonslrntiol1 sur le continent? Geólier
hénévole et gTatuit de !a d(~mocrntie, compere et
dupe de la conLre-réYo~ulion, i1 n'a pas I11cme le
droil d'émetlre )ln vcpu. 11 a re<,;u les compliments
du czar: qu' allrai t-il a réclamcr pour la I)ologne "1
II a fait, de concerl avec les jésuites, avec les soldats
de l'Autriche et de Naples, la campagne de Ilome:
les choses rétablies llar lui dans le slatu quo, (IUf'
lui reste-t-il a Jire en faveur des Italiens? Grace a
sa diversion puissante, la réaclion est maltresse
partout en ]~urope, sur le Po, sur le Rhin, sur le
Danuhe : qucl principe représenterait, aux yeux
des Napolitains, des Romains, des Lombard3, des
Hollandais, des Westphaliens, la famille de l'Em-
pereur? Croit-elle qu' on ]a cherche pour sa no-
Llesse, el MM. Louis, Jérome, Napoléon, Pien'e,




- 256 --


Charles. Antoine, Lucien Bonaparte el Mura!, pen-
sent-ils etre du liman don! se pétrissent les souve-
raills par la graee de Dieu, les princes légitimes,
les rois absolus, el les valets?",'


Oui, citoyens ou messieurs, vous portez lo plus
grnnd des noms modernes; vous appal'te pez par la
ehair el le sang a celui de lous les hommes qui
sut le mieux fanatiser les masses, et les courber
sous le joug, Somenez-vous eependant qu'íl ne
parvint, quelques années, a les eontenir, que paree
qu'il représentait a leurs ye:Jx la RI~VOLUTIO;\, AR-
MEE; et que pour n'avoir pas su, au jour marqué
par les circonstanees, elre grctnd par la paix el lu
libedé, comme il ¡'avait élé par le commandrment
et par la guerre, pour avoir mis son libre arbitre a
la place de la deslinée que lui montrait ROn éloile,
il périt, chose pitoyable, ¡;:,1US su propre dérai50n,
laissant aux Horneros de l'avenir, si l'.avenir produit
encore des Homeres, le plus riche et le plus gigan-
tesque canevas, et presque rien il l'his1oiro 1 .. ,


On ne trompe pas la Révolution, HIt-on I'Em-
pereur, vivant et ,'ictorieux; alor5 qu'elle est
muetto, que toul le monde l'ignol'e, que per80nne
ne prend la parole pour eIl,e, que lous les préjugés
qu'elle combat sont en honneur et ne renconlrenl
aucune contradiction, tundis que les intérels qu' elle
sert s'oublient eux-mcmes ou se vendent.


Et l' on s'imaginei'ait que pour vainere la révo-
lution il suffira de eeUe cendre impériale rap-
portée de l'exil, aujourd'hui que I ' peulú ne eroit
plus aux revenants, aujourd'hui que la réyolulion
parle a toute heure, que les homme~.i rent en ~on
nom, que les jeune~ iillrs la chanlent, que les IJC-




- 257-
tits enfanls la redisent, true les pl'oscI'ils la poI'tent
mI' tous les coins du globe; aujourd' hui tlue le
pouvoiI' absolu fait il cause d'elle, nuit et jour, la
veille des armes, el que le capital se tord sous sa
violente étI'einte!


)mpu issance, impllissance, i mpuissancc ! '" 01',
l'Elysée saurait-il me di re eombien peut durer, en
pI'ésence de la I'évoluLion qui gl'andit, un gou-
veI'nement dépouilb de preslige, et réduit a la
(jlIOtirlienneté de l'impuissance? ...






x.


ANARCHIE OU CÉSARISME. -:- CONCLUSW:"l.


S'il est un fait qui atteste la réalité et la force de
la révolution, e'est sans contredit le 2 décembre.
QLle la France l'cntenrle, et que l'Europe en soit
instruile : arres les journées de fé\Tier etiuin 18!i.8,
ceBes de décemhre 1851 doi \'ent eompter eonune
la troisicme éruption dl1 volean.


Renrlons-nous eomple de eelle seeousse quí,
plus qu'aucune auLe, a fait faire a larévolulion un
pas déei~if.


La France, par toute son hisLoire, par les Ro-
mains et les Francs, par Char/omagne eL les f.a-
péLicns, marche, d'une marche continue, i.t 89;
par 89, elle aLouU i.t 18!i.8.


En 18!i·8, comrne en 1789, tont, DA:\' S LES
CH0SES, arpelle une révolution. "Mais a la dilfé-
renee de 1789, iI n'y a en 1848, dan.~ ,les idees,
rien, ou peu s'en faut, qui la détermine. La silua-




- 26U-
tion est mure, l'opinion csl en retardo De ce dés-
aeeord entre les ehoses el les idées jaillissent tous
les ineidents qui ont suivi ....


D'abord, la prédieation soeialiste.
La révolution s'imposant eomme néeessité, el


l'opinion s'en défiant paree fIu'elle ne la connais-
sait pas, le pre~ier travai\ del'uit etre de révéler
au pays la l'év:01vli<in.,spci'llle. Tandis done que le
Gouvernem~nfpr¿WjB()f~é, . la, Commission exécu-
tive, le générálCaya'igriac, s'occúpeqtd~ maintenil'
l' ordre, le socialisl~le, avee l' énergie que eomman-
dait la eircoTIslance, organise sa propagande. 011
luí a reproché q'avoir (ait peU'f\,On Vaceuse eneore
aujourd'hui d'avoir, par se, cxtraYagane~s, com-
promis, perdu la républiqlle! Oui, le soeialisme a
fait peur, et il s' en vanle I On meurt de peur
comme de toute autre maladie, et la vieiHe société
n'en reliendra pas. Le soeialisme a fait peur !Fal-
lait-il done, paree que les nutres ne faisaient rien,
ne pouvaient faire rien, que 11'I\1S nou:; tmsions
nous-rnemes1 Fallait-il, en mellanl des sourdinesa
nos tambours, laisser tomber 1 'idée avec l' aetion '? .•
Le socialisme a fait pcur! Puissants génies, il. quí
lesoeiaIisme a fait pcur, et qui n'avez pas tremblé
devant le sufi'rage universel \ ...


Or, comme le socialisme, effrayant it premiél'e
vue (toute idée qui se manifesle pour la premiere
fois eifraye:. ne pouvait passcr sans soulever une
eontradicLion violente; COll1me ccpcndant il était
dans la donnée de l' hisloi re et des institutioÍls, jI
devait arrivel', d'un coté, (iue le socialisme gran-
dirait sous une l'éaclioll générale; en second lieu,
qu'il rnetlrait 11 HU J'inconsé(!ucnce de tous ses ad-




- 261-


versaires, depuis les montagnards jusqu'aux dynas-
tiques, el par eette révélation de leur illogisme, les
précipitemit 1, s uns apres les autres du pouvoir,
donl ils se servaient contre lui.


Pas un fait qui n'alteslc le progres \du socia-
lisme, qui ne monlre en meme temps la déroute
successivc, inévitable de ses adversaires.


Pourquoi, de février a décembre 1848, les ré-
publicains de toute nuanee sont-ils successívemenl
évincés? paree qu' ¡Is se tiennent hor5 du socia-
lisme, gui est la révolution; paree que hors de
la révolution sociale, la république n'a plus de
sens, qu' elle semble un juste-mílieu, une doctrine,
un arbitraire.


Uais pourquoi les republieains, adorateurs de
93, se tiennent-ils en 1848 hors du mouvement?
paree qu'ils aper~oiYent des l'abord que la révo-
lu:ion social e est la négatíon de touté biérarchie,
politique el économiq:!C; que ce vide fait horreur
a leurs préjugés d'organisation, a leurs habitudes
de gouvernemcnt; et que leur esprit, s'arretant a
la superficie des choses, ne découvrant pas sous la
nudité de la forme le lien intelligible du nouvel
ordre social, recule a cet aspect, eomme'devant un
abime.


Aimi, meme comme négation, comme table rase
OH plutt)l COll11l1e vide, la révolulion exerce déja
une puissanee sur le milieu ambiant; elle est une
force d'attraction, une finalité, un bui, puisqu'en la
niaul lesrépublicains semblentse renier eux-memes
et se perdent I


Au 10 décembre, Louis llonaparte obtient la pré-
férenee sur le général Cavaignac, qui cependant


11S.




-,262 -


Il:vait bien merité de la palric, dont le eivisme, le
désintéressemen t, la modeslie 3eron t relc\'és par
l'histoiTe impartiale. Pourquoi eeHe injuslice de
l' éleetion? paree que le gén(;ral Cavaignae, {ataJi[é!
avait dú eombattre, au nom de l'ordre eL de la loi,
la révolution dans le soeialisme; paree qu' ensuite
il se présentait, au nom de la révolution, eomme
adversaire dés paTtis dynastiques, et franehement
ré"publieain paree que, enfin, dev:mt eette rigidité
ir la fois constitutionnelle et républi1:aine le nomde
Bonaparte se levait, pour les masses eornmc une es~
pétartee de révolution plus promptc, pour les par-
tis-ans de l' autel et du trónequi les poussaient eOllime
une espéranee de eontre-révolution. Hévolulion,
confre-révolution, le oui et non, qu'importe? e' est
toujours la meme passion qui agite, la meme idée
quí dirige.


COhtre qui est entreprise plus lard la guerre de
ftorne'? eontre Mazzini? Allons done J ceux qui fi-
rent déeréter la guerre de llome étaient tout allssi
démoerates que Mazzini. Comme ~lazzini, eomme
Rossi, ils portaient éerit sur leur drapeau : Sépa-
mtion d¡¿ spiritucl ct du tcmporcll Gouvernemcnt
lare ct librc I La révolution de Rome a élé faite eon-
tre la révolution soeiale.


Contre qui est votée la loi du 31 mai '1 - contre
la révolution.


Comment, en 1849 et 1850, l'éJu de einq mil-
lions et demi de suífrages parvient-il El se dépopu-
lariser? par son allianee avec les réac!eurs. Comment
ensuite reeouvl'e-t-il sa popularilé '? en affirmant le
suffrage universel, voix, on le suppose, de la révo~
lution Le peuple, en 1851, a re~u Louis Bonaparte




- 263-
a résipíseenee : eomme le pere de l'enrant prodigue,
sans écou{er les observalions du fils sage, il a par-
clonné au Jils rcpcntant.
~ous voici en préscnce des élections de 1852:


a gauche la proposilion de rarpel de l'Elysée, il.
clroite l'obslinuLioll de la lui du 31 mai, derriere
nous l'insurrectioH. La siluution est on ne peut plus
révolutionnaire: qu'est-ee qu'il en sorlira '1


leí, HOns ne devons plus juger les évrnements au
poinlde vue de lalégaliLé et de la morale, de l'exer-
cice régulicr du pouvoir, du respcet de la eom,ti-
tution, de la religlOl1 du serlllent. L'hi510ire pro-
noneera sur la moralilé des acles: ce qui 110115 ap-
partíent e' est d' el1 eonstater le fatal colé. Constitution,
serment, 10Ís. tout a sombre au milieu de la com-
pélition arden te : la mauvaise conseiencB de l'un a
délié celle de l'autrc, et Cfuand la royauté se pro-
clame a la tribune, pourquoi l'empire ne s'éléve-
verait-il pus sur la place publique? La foi constitu-
tionnelle foulée aux pieds par la majorité, ii ne reste
que raclion brute, immoralc, des ambitions et des
partis, insirull1ent aveugle du destin.


Telle I'st dOlle, en n0vembrc 51, la situatioD des
f(,rces antagoniqlies: la révolution est représentée
pár la galiche répub1icaine, el incidemment par
rE1 ysée, qui se joint a elle pour le rappel de la loi
du 3 t mai; - la con lre-révolulion a pour organe
la majorí té, el incidcm ment aussi l' Elysée, qui s'unit
a ~Ile pour toul le reste, conlre le partí républi-
calO.


VElysée, élément éc¡uivoque, sans sígnification
par lui-meme, est en ce momcnt comlJaHu par les
deux parlis, flui tendcnt, avec une égale ardeur, a




- 2M -
J'éliminer. 11 s'agit en effet de savoir si la Frunce
sera a la réYolutíOll ou a la contre-révollltion.
Qu' est-ee que ~I. Bonaparle, pour qu'í I vienne dire :
Ni l'un ni l'autre; e' est ü moi que sera la Franee '1 ...


Cependant, a la YHe de ee ehamp clos ou vont se
jouer ses dest1nées, que vense le pays ~ Le pay~
répugne a rélrograder, maís il redoute les ré,'olll-
tionnaires. Ce n'es! plus seulement le soeialisme
qui lui fait peur : e' esl une l'éaetlOn montagnarde,
ce sont leE représailles de la dénlOcratie l ... CeHe
disposition des espl'its, l{ui l'epousse également,
d'un coté le principe de la rcadion, dc l' autre les
hommes de lit revolulion, fail la fortune de l'Ely-
sée. La meme mison qui pouvai! le faire hroyer
entre les deux armées, luí vant le triomphe sur
toules deux : il affirme la révollltion, el il protégc
les conservateurs 1 SolulÍon hilaléral;: el contrauic-
toire, mais logiquc pOUl'lant, vu l'étal de l'opinion,
et que les eirconstanccs l'cndaíent prcsque inévi-
tahle.


la signifi(~alion du 2 (léccmhre, l'iclée qu'il rc-
présente, est done, bien uulhenti(IueHlcnt, UÉVOLU-
TI o:.\' . te reste esi afl'aire dc jJer.~OJIIWS, e' est-i:l-dire,
intrigues de partis, tmnsactions de coteries, ven-
geanees privées, manifeslalions autocratiques, me-
sures de salut public el dc náson d'état. e'est la
marge luissée au bon plaisir gO'uvernemental par la
loi des ré,olutions.


)1ais eet alllhigll l1e pcut durer : lout principIO
Joil p¡,uduircses comélllH'!Il~eo~, [oul pouvoiruéroulcl'
~on iMe. Nom en SUlUl:les lil: lIlle va faire LOlli~
~ap()léoll '1


raí rapI,orté les aeles }lrillClpaux lIt! t décembre;




- 265-
j'en ai fail ressot'tir l'inspiration .• moitié réelle.
llloitié personnelle, et la constante incertitude. Et
nous avons pu constater que jusqu'a ce moment le
llouveau pouvoir, arre té par le néant de l' opinion
publifllle, abandonné á Sl'S seules inspirations,
pllltUl dij'igl~, au sein de la contradiclion univer-
selle, par la prudence de l'homme que par la raison
des dIOses, au lieu de quitter le double visage qui
lui a donné la "ictoire, tendait pIutot, en vertu de
l'idée qu'il se fail de la dé!égation, el d'apres ses
traditions domestiques, a continuer son jeu de
bascule, el a transformer, probablement sans s'en
rendre compte, en une féodalité de fantaisie les
institutions aclueHes .


.J'ai monlré alors, par l'excmple de l'Empereur,
la vilnité de toute conception poli tique en dehors de
la svnthese sociale, de la raison de l'histoire, des
ind¡'calions de J'éeonomie, el de la donnée révolu-
tionnaire. Et l'analogic des époques m'y aulorisant,
j' ai rappelé Louis Bonaparte a sa véritable mis-
sion, définie pür lui-meme, a l'époque de son pre-
mier avénement, la fin des partis : définition qui se
traduit en cetle autre, la fin de la politique rna-
rhiarc/'ique ou pCTsormelle, e' est-a-dire, la fin de
[' I.wtorifé elle-meme.


ta négation de l'aulorité, el par suile la dispa-
rilion de tout or¡;anisme gouvernelllcntal pouvait
parattre C\1rore, cn 1 !H9, une idée ohscure (1) ;
arrES h~ 2 déccmhre, il n'y res le plus le moindre
nuage. Le 2 (kl'(:illbre a faít ressorlir la contradic-
líon du gouvcJ'IlclIIcnlalisme et de I'économíe, de




266 -


l'état Gt de la soeiélé, dans la Franee aetuclIe; ce
que nous ne pomions que deviner, iI y a qualre
ans, par les re:~Ics de la logiquc, lcs [ait~, inter-
pretes infaillibles, le renden! aujourd'lllli palpable:
le paradoxe est devenu une vérilé.


Résumons ce:; fails, et prouvons par le u!' ana-
lyse la vérité de ceUe triple proposítion, qui rcpré-
sente tout le mouvement des 6'~ dernieres année" :
Le gouvernement personnel, ou d~spotiqne, est impossible;
Le gouvernement représenlatir ('st impossible;
Le gouvernemcnt est impossible.


Les príncipes sur lesqucls repose clcpuís 89 la
soeiété fran~aise, disons [aute soeiélé lihre, prin-
cipes antérieurs et supérieurs a la notíon meme de
gouverncment, sont :


1. ta propriete libre, eellequ'on appeJail it Rome
quiritaire, et chez les barhares envahisselll'S allo-
diale. C'est la propl'iété aLsoIuc, autant dll moins
qn'il peut se lrouycr chcz les hommesqllelque chose
d'abs0Iu; propriété quí relhe ¡lirectement cl exclu-
sivement du propriétairc, Jequel I'auminisll'e, la
loue, la ycnd, la donne ou i'engage, suivant son
honplaisir, san s en rendre comple a personne."


tu propriété doit etre transformée, Eans doule,
par la ré\oluLion économi!JlIc, "mais non plS en
tant qu'elle est lihrc : elle ¡[oit, au con[raire, ga-
gner sans cesse en liberlé el en garantie. La trans-
formation de la proprielé porLe sur son cq'iíliúre :
e'est quelque chose Il'aEa1oguc au principe qui a
été introduit dilUS le droit des gens par les traités
de Westphalie et de 1815.


2. Le trcwaillibl'e, avec ton tes ses dépendances.




- 2á1-
la profession libre, le commCl'ce libre, le crédit
libre, la sciencclihre, la pcnséc ella religion libres:
ce qui yeut dirr, le droit absolu, (L priori, sans re5-
triction ni controle, pour tout citoyen, de travailler,
fabriquer, cultiver, eXlraire, produire, transporter,
échanger, vendre, achetcr, preter, emprunter.
transiger, inventer, s'instruire, penser, discuter,
vulgari~er, cfoire ou ne pas crOlre ¡ etc., dans la
mesure de ses moyens, sans autre condition que
ceHe de tenir ses engagements, comme aussi de ne
gener personne d:ms \' exercice du meme droit.


Le lravail aussi doit elre révolutionné, comme la
propriété; mals quant it ses garanties, nnllement
quant a son initiative. Prenure l' organisalion cor-
porative pour garantie du (ravail, ce serait recomo
mencel' l' reuvl'e du moyen ag'e, l' extirpation de
l' esclavage par la féodali té.


3. ta disLÍnction naturelle, egalitaire et libre,
des spécialitl;s industl'ielles, mercantiles, scientifi-
ques, etc., d' apres le princi pe de la diyision du
travail, et en dehors de tout esprit de caste.


Tels sont les príncipes de 89, objet de la célebre
Dülaration des droÜs de l'homme et du citoyen,
reconnllS par la dernicre conslilulion; et teHes de-
puis celle épor¡ue les bm:es de notre socj~té.


Or, le gouvernement devant elre l'expression de
la société, suiv!lnt I'expression de 1\1. de Bonald,
on demande quel peut etre le gouvernement d'une
société établie sur de pareilles bases?


Ce ne pourra pas etre une féodalité tcrritoriale.
puisquc la propriété est libre; ni une féodalité
industrielle, mercan Lile ou fmanciere, puisque le




- 268-
travail est libl'e, le commerce libre, le crédít libre,
ou du moins en puissancc manifeste de le devenir;
ni un régime de castes, puisque les spécialités pro-
fessionnelles, d'apresleur principe économique, sont
libres; ni une théocraLie, puisque la conscience est
libre aussi. Sera- ce une monarchie absolue ? non,
puisque les facultes de l'hornme et du citoyen, le
travail,l'échange, la propriété, etc., convertiesen
droits, étant libres, et leur exercice libre, il ne reste
plus rien qui puisse servir de moLif ou d'ohjet a une
autorilé quelconque, et que le souverain, jadis vi-
sible, personnel, incarnalion du droil divin, esl de-
venu une abslraction, une fiction, asavoirle peuple.


Si done, dans la société ainsi constituée il se
forme un gouvernement, ce gouvernement ne
pourra resulter que d'une délégation, convention,
fédération, en un mot, d'un consentement, libre
et spontané, de tous les individlls qui composent
le peuple, chacun d'eux stipulant et se cotisant
pour la garantie de ses intéreLs. Si bien que le
gouvernernent, si gouvernement il y a, au lieu
d'EntE I'AUTORITÉ, comme auparavant, l'cpréscntera
le Bappo'f't de tous les in térCts qu' engendren t la
propriété libre, le travaillibre, le commerce libre,
le crédi.t libre, la science libre, et n'aura par con-
séquent lui-meme qll'une valeur représentative,
comme le papier monnaie n'a de valeur que par
ceHe des écus qu'il représente. Au fond, le gou-
yernement représen Lati1' a pom emhleme et peut-
etre déflní, un as.~ignat.


Ainsi la nature démocratique et représentative
du gouvel'llement découle de la na.ture essentielle-
ment libre des intérels dont i l indique le rapport ;




t~
-- ~v~ ____


ces intérets donnés, tout rappel it une autol'ité
(¡uclconque devicnt un non-sens. Pour que le gou-
vernement cessat cl'etl'e démocratique, dans une
société ainsi faite, el que l'autorité r reparut, il
faudrait que les facultés déclarées libres cessassent
de l' etre ; que la propriété ne fut pI us propriété, mais
fief; le commerce plus commerce, mais ociroi; le
crédit plus crédit, mais servitude, corvée, dime et
muinmorte : ce qui est contre l'hypothése.


Ai-je besoin de redire, ce que tout le monde
sait, que la pensée de 89, celle de toules les consti-
tutions flui en sont sorties, a élé d' organiser le gou-
vernement, de teIle maniere qu'il fUt la représen-
talion des intérets libres sur lesquels la société
repose, et que teIle est encore la prétention du 2 Ilé-
cembre? Le 2 déccmbre, comme tous les pouvoirs
qui l' ont precédé depuis 89, se flatle de représen-
ter pUl' excellence le rapport des inLérets reconnus
libres par nature et (I priori. Ni lui, ni aucun de
~es devanciers ne s' est jamais douté de ce que c' est,
puur un gOllvernement, qlli d'ailleurs vise a raulo-
rité, que d'eLre une r'cpréscntation, la représeota-
tíon d'un rappurt, d'uo rapport d'intérels, et d'in-
térels libres 111


Aiosi le gouvernement n'existe aujourd'hui que
par ce qu'i1l'Cprésl'1l1e. II ne jouil pas, comme dit
l' école, de l' aséité; iI ne se pose pU5 de lui-meme,
íl est le proJuit du bon pluisir des libertés, de la
convenance des intérets. Un tel guuvernement est-il
possible '? N'y a-t-il pas contl'adiclion entre tous ces
termes : (;ouvernfment, représcfltation, intérels,
liberles, rapport? ... Au lieu de nous livrer sur ce
point a une discussion de catégories, de tenír le




- 270-


klSteur plongé dans la métaphysique, faisons de
- l'histoire. ,


Supposons que, dans rordre des connaissances
politiques, iI arrive, comme en tout autre ordre de
con'11aissance, que les idées abstraites prenant peu
a peu la place des idées concretes, le gouvernement,
au lieu d'Cire considéré comme la rcprésenlatilJn
ou personnification du ra11port social, ce qui n'est
qu'une conception matérialiste et idolatrique, 80i1
eonlju comme étant ce RAPPORT lui,meme, chose
moins poétique peut-etre, moins favorable a l'irna-
gination, mais plus conforme aux habitudes de la
logique : lc gouvernement, ne se distinguant plus
des intérets et des liberLés, en tant que les uns et
les autres se mcttcnt en rclation, cessc d'cxisler.
Car un rapport, une 10í, peu! s'écrire, corrÍrne 011
écrít une formule d'alg8bre, mais ne se' represente
pas, dans le sens gouvcrnemenlal el scéni(Iue du
mot, ne s'incarne pas, ne peut pas devenir toute
une arl'Ílée d'histrions, ayant pour mandat de jouer
elevant le peuplc le Rapport des intércts I Un rap-


• por! est une idée pure, quí se consigne, en qucl-
ques chiffres, caracleres, signes, ou vocables, dans
un livre, elans un iraité, dans un contrat, mais
qui n'a de réalité que ecHe des objets memes qui
sont en rapport.


Eh bien I le résultat le plus positif, leseul po~i­
tif, de tous les gouverncmenls qui Jepuis 89 ont
passé sur la Francc, a été de nlcttre en lumicre
celte vérité simple cornme une déllnition, évidenle
cornme un axiorne : Le .(Jollvernement est le Rap-
port des libertés el des inlérels.


Et cette premiere proposition donnée, les con sé-




- 2i1 -


({uences accourent: e'est que désormais la politique
et I'économie se confondent; que pour qu'il y ait
rapport d'intérets, iI faut que les intérets eux-
memes soient préscnts, répondants, stipulants,
s' obligeants, et agissants; qu' ainsi la raison soeiale
el son vivant emhlcme sont une seule et meme
ehose; en dernicre analyse, que tout le monde
étant gouvernement, íl n'y a plus de gouverne·
ment. La néJation du gouvernemcnt surgít aínsi
ele sa définition : Qui dit gomernement représen-
ta(if, dit rapport des intéreb; quí dit rapport des
intére!s, dit absenee de gouvernement.


Et, en cITet, l'hístoire des soixante dernieres an-
nées prouve qu'avec le gouvernement représentatif,
pas plus qu'avec le despotique, les intérets ne sont
ni libre~, ni en rapport; que pour qu'ils se main-
tiennent dans les condilions de 1eur déclaralion,
quí sont eelles de leur existence, il fauí qu'ils trai-
tent direetemcnt entre eux, suivant la WI de leur
~ol1darilé, el sans inlermédiaire. Hors de la, la pro-
priété redevient fier, le travail servitude, le com-
merce péage; les corporations se re"orment, la phi-
Iosophie est a la di~crétion de l'E¡,dise, la science,
entre les mains des euvier et des Flourens, ne dit
que ce (IU'i1 p1ail a la théologie el au pape: il n'y
a plus ni liherlés ni intérc!s I


Les intérels, dans lcur Déclaration fameuse,
avaicnt dit que la consciencc serait libre. - Le re-
présentant des inlérels déelare, en 1814, que la re-
ligioTi cutholique est la religíon de l'élat; en 1830,
qu'elle est la religion de la majorité, ce qui, pour
la pratique et pour les finances, revient exactement
au meme. En eITet, en 1852, les catholiques, SOU8




- 272-


prétexte qu'il~ SOIl! la m;¡jorilé. mettent IlOrs de
j'inslructi()n publique les dissidents, otent les chai··
res, fcrment les écolcs aux protestanls et aux juifs.
En sorle que tOl1t e.loyen, qu'il ait ou non un in-
téret de eroyance, paye, el'abon!, pour toutes les
religions, el s'il a le llIulheur d't~Ll'e juif OH protes-
tant, es! excommunié, non pas cotnllJe juif ou pro-
testan!, mais comme faisant partie de la minorité
religieuse, par les catllOliques. Ou est la liberté'? ou
es! le rapportl


Les intérels voulaien t, par la Jl](~rue DéeJaration,
que la pensée fut libre. - Le représentant des in-
térets, du rapport des intérels. prétend, de son cOté,
qu'il ne peut remplir son manda! en présence de
eette liberté; qu'jI a besoin que les intére!s ne
parlent point, n' écriven! rien, ne lisen! pas; at-
tendu que, s'ils y regardaient de trop pres, s'ils
donnaient un avis, leur sécnri!é et eelle de l'état se
trouverait compromise. L'Empereur supprime les
journaux, la restauration crée la censure, la mo-
narchie de juillet fait les lois de septernbre, la ré-
publique septelObrise les journaux, le 2 décembre
leur donne des aVfj/'tÍ!Sscmcnts. Ou est la liberté des
intércts 1 ou est leur rapport'? Et quelle étrange ma-
niere de représenter les intérets, que de les réduire
an silence .....


Dans la prévision des intérets, la gllerre devait
etre le dernier argumen t auquel la nation aurait
recours pour conserver la paix. Hors le cas de
guerre, l' entrctien J'une armée permanente leur
semblait une anomalie, que l'institu!ion des gardes
nationales avait sllrtout pour Imt de faire cesser.-
Mais le représentant des intérets, chef' des armces de




-,273 -


ter re et de mer, trome toujours quelque raison de
faire valoir son titre; et fluand il ne guerroie pas,
ii tient ses armées au complet, sous prétexte que
sans cela il ne peut répondre de l'ordre intérie.ur,
maintenir la paix entre les intérets! Les ¡ntérets ne
sont done pas en rapport, OH ponr miellX dire, ce
rapport n'est pas représenté, puisque le représen-
tant ne reut les tenir en paix que pur la force.


Les intérels demandent un gouvernément abas
prix, la modération des impdls, leur répartilion
équitable, l'écOllomie nans les dépemes. le rem-
hoursement des lieUes 1 - A eela le représentant
des intérets répond, que pour elre bien gou-
verné, il faut bien payer; qu'un fort budget est
une marque de richesse et de force, une dcUe
"norme une condition de stabilité. Et le hudget
ayec la ele He double en 50 ans! N' est-ce pas la
mystification des intérets '!


La vigne esí une des sources principales de la
richesse du papo Il faudrait, pour en encourager
la culture, assurer aux vins et eaux·de-vÍe le déhou-
ché don! il" ont hesoin, en supprimant les trois
quarts au moins des droits sur les llOissons, ce qui
serait en meme temps' faire grand plaisir au peu-
pIe, qui se pr¡ve de vino - Que dit lit-dessus
le représentant des intérets? que les droits sur
les boissons forment la catégorie la plus im-
portante de ses receUes, le plus beau fleuron de
sa couronnc; que les remplacer, esl impossible;
que les supprimer, e' est le pousser a la han que-
route. Pour comble de contradiction iI ferme les
cabarets 1 En sorte que, si l'intére! vinicole n' est
refoulé, écrasé, sacl'ifié, les autres inlérets ne peu-




- 27/1 -


yent etre représentés! Oil est la liberté pour la
vigne ( oú est son rapport ayec les autres cultures,
avec l'industrie et le commerce? ..


Mais quoi 1 ce n'est pas la vignc senle qui se
plaint : l'agricullure demande uu sel; l'ollvrier
de la viande, du sucre, du tahac, de la houille, <Iu
euir, de la toile, des laines. L'ouvrier est nu, et
meurt de faim. - Le représentant des intérets en
souffranee, el ces intérels sont tous les intérels 1
fait dire par ses journaux et ses orateurs, qu'il n'esl
pas vrai que le sel soit indispensahle a l'agriculturc
et au bétail, comme s'il savait cela mieux (Jne les
agriculteurs I eOIllmc s'il lui apparlenait, a lui re-
présentant, d'en décider l. .. Qu'au surplus, il serait
heul:eux de réaliser en raveur du peuple le vceu de
Henri IV, la poule au pul,. mais que l'in téret des
éleveurs fran<;ais, eelui des fabricanls ele sucre
indigene, etc., cte., ne permelleut pas de laisser
inlroduire dans le pays, frane de port, les hestiam,
les sucres, les houilles, cte., doul le pCllple a be-
soin pour sa consommation. Si hien que les intén"3ls
sont sacrifiés, p;f lenr propre représcnlant, au rap-
port des intércls, el qu' en verln de ce rapport, d' apres
le lémoignage du représenlant, la nation ne pour-
rail devenir riche sans qu' elle fut a l'instant meme
ruinée! A. quoi sert done le gouvernement? N' est-il
pas clair iei, que la rcprésenlation du rapport ne re-
présente qu'une chose¡, e' est que le rapport n' existe
pas?


Depuis vingt ans les intérets réclamaicnt, sans
pouvoir lesobtenir, des intitulions de crédit. Enfin,
un décret du 2 déeembre organise le crédit fon-
cier : e' esl tout ce qu'il peut faire. Uais comme iI




- 275 --
n'a pas de fomls, l'instilulion n'es! qu'une caisse,
qlJi restera vide jusqu'a ce qu'il plaise aux inlérets
de la remplir. Lst-jJ clair, malgré ee qu'a dit le
fameux Law, cilé par M. Tbiers, que l'état ne
donnc point crédiL mais 11') re¡;oiL an contraire : ce
qui fail que le représenlant des intérets se trome,
en matiere de crédit, dans une ubsolue incapaciLé
d'agir, s'il n'esl lui meme représenté par les inté-
rels qu'il représente I


te rapport des intérels démontre que les canaux
doivent elre livrés a la batellerie gratis. Le repré-
sentant des intérels établit un tarif sur les can¡mx,
et les aITerme. Pourquoi? parce que cela oblig~ ses
amis, et lui procüre un revenu. Le représentant
des inlérets a done d' autres inlérets que les illté-
rels 1


te rapport des intérets exige que les postes,
les chcmins de fer, tous les inslruments d'utilité
publlque, sojent exploités. au prix le' plus bas, et
suns intéret de capitaux. te représentant des inté-
r~ts fait payer le !ransport des lettres, des per-
sonnes eL des rnarchandises, le plus cher qu'jl
peul; lcs particuliel's n'ont pas nll;Jme la sécurité
de leurs correspondanr:es J usqu'ici on avait cru
que e' était au mandant de témoigner sa conliance
au mandataire : point du toul, c' esl le mandataire
qui dit n'avoir pas confiance a ses cornme!tants!


L'in térel des farnilles, in téret univcrsel, absolu,
5[\115 conlradicleur po~sible, veut que l'instruction
soi! donnée a l'enfanL par des hommes qui aient la
confiance du pcre, et suivant des principes qui luí
agréen t. te représen tan t de l'intén~t de famille,
ex.prcssion la plus haute de la puissancc pater-




- 27G -
nelle,l1vre l'instruction aux ignorantins et aux
jésuites; et cela, s/)us eouleur qu'il ne représente
pas seulement les peres, qu'il, représente amsi les
enfants l ... Que dites-vous, peres de famille, de
eeUe conseiencieuse représentation 1 ...


Sur lous les points, le représentant des libcrtés
et des intérets, est en eontradietion avec la liberté,
en révolte contre les intérets : le seul rapport qu'il
exprime, e'est leur servitude eommune!


Que faudra-t-il done vous dire. race mouton-
niere, pour vous prouver qu'un rarport, une idée,
ne se reprüentent point, eomme il vous plait de
l' entendre; que la liberté a plus forte raison ne St'
représente pas non plus; que la représenter, c'est
la d.étruire; et que du jour OÚ nos peres firent,
devant Dieu el devant les hommes, la Dülaration
de leurs droíts, poserent en principe le libre e~er­
eiee des facultés ele )'homme et du citoyen, ce
jour-Ia, l'autorilé fut niée dans le ciel et sur la
terre, et le gouvernement, meme par ,'o;e dE dé-
légation t rendu impossible?


Revenez, si vous le youlez, aux mreurs féodales,
a la foi théoeratique, Oll a la piété de césar; rétrogra-
dez de dix, de vingt, de quarante siecles, mais ne
parlez plus de lihertés représentées, de droits et
d'intérels représentés: paree que les libertés et les
intérets, dans leur colleetivilé et leur rapport,
ne se représentent paint, et que le représentant
d'une nation, de meme que le J'cprésentant d'une
famille, d'une propriété, d'une industrie, ne peut
en elre que le chef el le maltre. La représentation
des intérets, c'esl la reconslitlltion de l'autorité!


Anurchie Ol! eésarisme done, M. Homipll VOll~ 1'11




- 277-


dit; les jésuites vous le discnt, et pour la centieme
fois je vous le répt'%. Ne cherchez plus de faux~
fuyants, plus de milieux. Depuis soixanle ans ils
ont été tous épuisés, et l' expérience vous a fait voir
que ces milieux ne sont, comme le purgatoire de
lJunte, qu'une sphere de transition, OU les ames,
dans l'agonie de la conscience et de la pensée, sonl
préparées pour une exislence supérieure


Anarchie, vous dis-je, ou césarisme : vous ne
sortirez plus de la. Vous n~a.vez pas voulu de la ré-
publique, honnCte, lIlodérée, conservatrice, pro-
gressive, parlcmentaire. et libre; vous voilil pris
entre l' Empercur et la Sociale ! Avisez, maintenant,
ce qui vous plait le plus: cal', en vérité, Louis~
:\fapoléon, s'il tombe, ne tombera, comme son
uncle, que par la révolution, el pour la révolution;
et le prolétaire, quoi qu'il arrive, se lassera moins
que vous. N' estoce pas pour l ui que se fera la révo-
lution; et, en attendanl la révolution, n'est-il pas
l'ami de César?..
~1ais le césarisme I Le joyeux conseiller de l'E~


lysée y a-t-il réfléchi? Le césarisme deyin t possihle
chez les Romains, quand ~l la vicloire de la plebe
sur le patriciat s'ajonta la conque te clu monde,
eomme garantie de" suhsistance. Alors César put ré-
compenser ses vétérans des te1'res prises a l' étrangeJ',
payer ses prétoriens avec les tributs de l' étranger,
nourrir ~a plebe des produits de l' étranger. La
Sicile, l'Egypte, fournissaient des grains; la Grece,
ses artistes; l' Asie, son 01', ses p:uf ums el ses cour-
lisanes; l' Afrique, ses monstres; les Barbares, leurs
gladiateurs. Le pillage des nations organisé pour la
eonsornmation de la plebe romaine, plehe fainéante,


10




-- 278 -
féroce, hideuse, et pour la sécurité de l'Empereur:
voila le césarisme. Cela dura, que hien, que mal, trois
siccJes, jusqu'a ce (lue la coalitiol1 des plehes étran-
geres, sous le nom de christianisme, cú! remp!i
l' empire et conguis César.


JI s'agil aujonrd'hui de bien autre chose. Nous
. avons perdu nos conquete8, et ceHes de l' Empereur
et ceHes de la république. NOUli ne tirons pas de
I'étranger un centime dont nOU8 puissions faire
l'aumone au dernier des décernlJI'is!es, el l'Algé-
rie nOU8 cotite, bon an mal an, cent millions, Pour
triompher de la bourgeoisie, capitaliste et proprié-
taire; pour cntenir la classe moyenne, industrieuse
et libérale, et régner par la plebe, il ne s'agil plus
de l'entrelenir, ceUe plehe, des dépouilles des na-
1iol18 vaincues; iI s' agit de la faire "ivre de son
propre produit, en un mol de la faire traniller.
Comment s'y prendra cesar? la c¡ueslion esl la. Or,
de quelquc maniere qu'd s'y prenne, (1\1'il s'aLlrcssc
a Saint-Simon, Fourior, Owen, Cabel, Louis-Napo-
léon, etc., nous sommes en plein socialisme, el le
dernier mol dI! sor.i:11isme, e'es!, ave e le non-'in··
táet, le 110¡¡'gouvcr::cmcilt f . ...•....


Croyez-vous, me demandera a ceHe heure une
euriosité indiserete, malveillante peut-etre, que le
2 déeembre acccpte le role ré'\'olutionnaire dans
lequel vous J'enfermez, eOITIrne cluns le eercle de
Popilius { AnrÍcz··vous roi dans ses i"clinations li-
hérales: et snr eeUe nécessi té, si hien démontrée
par vous, du mumlat de Louis-Naroléon, ~ous
rallierez-vous a son gouYcrncl1'lent. comme a la
meilleure ou a la moins mauvaÍse des transitions?




- :.l7J
C'esl la ce (lU' un veut savoir, el ou 1'0n vous
atlend! ...


le r¿'pondr:ti a ceLle epreslion, un peu scabreuse,
par une autre :


Ai-je le clroit de supposer, quand les ídées que jc
dMends depuis quatre ans ont obtenu si pen de
succes, que le chef du nouveau gouvernement les
adopte de sito! et les fasse siennes? Ont-elles re-
vetu, aux yeux de l'opinion, ce caractere d'imper-
sonnalilé, de réalité, d'universalilé, qui les impose
it l' état'l Et si ces idées, encore toutes jeunes, ne
sont guere encore que,les idées d'un homme, d'oú
me viendrait l'espoir que le 2 décernbre, qUI est
homme aussi, les préfere a ses idées? .....


. 1' écris, afin que les autres réfléchissent a leur
tour, el s'il y a lieu, qu'ils me contredisent. J'écris,


. afin que la vérité se manifestant, élaborée par 1'0-
pinion, la révolutlon, avec le gouvernernent, sans
le gouvernemen t, ou meme eontre le gouverne-
ment, puisse s'accomplil'. Quant aux hornmes, je


'" CrDís voJontiers it leur bonne intenfion, mais encore
plus a l'inrorlune de leur jugement. n est dit, an
livre drs Psaumes : Ne melle:: pas votre confiance
dans le~ princes, dans les en{ants d' Adam, e' est-a-
dire, dans r,eux dont la pensee est subjcctive, paree
que le satut n' est pas avec C'ltX 1 le erois done, et
pour notre malheur a tous, que l'idée révolution-
naire, mal définie dans l'esprit des masses, mal
servie par ses vulgarisateurs, laisse eneore an gon-
vel'l1ement l'option enliere de su poli tique ; je erois
(fue le pouvoir est enlomé d'impossibilités qu'il ne
voit pas, de eonlradiclions qu'il nc sait point, de
piéges que l'ignorance universelle lui dérobe; je




- 280-


(~I'ois que tout guuvernement peul durer, 8'il veut,
en aftirmant sa raison h isloriqne, el se pla<;an t
dans la directi.on des intércts qn'il est appelé a ser·
vil', mé!is je erois aussi que les· hommes ne chan-
gent guhe, d (Iue si Louis XVI arres avojr lancé
la révolutioll a youlu la retirer, si l'Empereur, sí
Charles X el Louis-Philippe ont mieux aimé se
perdre que d'y donoer suite, il es! peu probable
que ceux quí leur succéderont s' en fas8ent de sitot,
et spontanément, les promotcurs.


e' est pour cela que je me ticns en dehors du
gouveroement, plus disposé il le plaindre qu'il lui
faire la guerre, dévoué seulement a la patrie, el
que je me rallie COl'pS el ame ü eeUe élite de tra-
vailleurs, tete du prolétariat et de la classe moyenne,
par ti du travail el du progres, de la liberté el de
I'idée: quí, compreoant que lautorité n' est de rien,
la spontanéité populaire d'aucuoe ressource; que
la liberté qui n'agi.t poin! est perLiue, et que les io-
térets quí ont besoin pour se mettre en rapporl
d'uo intermédiaire qui les représente, sont des in-
térets sacrifiés, accepte pour but el pour devise,
l' Education du peuple.


O patrie, patrie fral1(;aise, patrie des chantres de
I'étemctllerévolution! patrie dela liberté, carmal-
gré toutes tes serv'itudes, en aucun lieu de la terre,
ni dans l'Europe, ni dans l'Amérique, l'esprit, qui
est tout l'homme, n' est aussi libre que chez toi 1
patrie que j'aime de cet amour accumulé que le
fils grandissant porle a sa mere, que le pere sent
croltre avec ses enfanls 1 Te verrai,je souffrir long-
temps encore, souffrir non pour toi seuIe, mais
pour lé monde qui te paye de son envie et de ses




- 2R1 -
outrages; soufl'rir innocente, pour cela seulement
que tu ne te connais pas"! ... Il me semble a tout
instant que lu es i1 la derniere épreuve! RéveiHe·
toi, mere: ni te~ princes, tes barons, el tes eomtes,
ne peuvent plus rien ponr ton salut, ni tes prélats
ne sauraient te réeonforlcr ave e leurs bénédiclions.
Garde, si tu v~ux, le souvenir de eeux qui ont bien
fait, va quelquefois prier sur leurs mQnuments :
mais ne leur cherche roint de successeurs. lls son!
flnÍs! Commence la nouvellc vie, o la premiere des
immorlclles; montre-toi dans ta beau té, V énus
Uranie; répands tes parfums, fleur de l'humanilé!


Et l'humanité sera rajeunie, et son unité sera
créée par toi : cal" l'unité du genre humain, e'es!
l'unité de ma patrie-, eomme l'esprit du genre
humain n'est que l'esprit de ma patrie.


FIN.






TABLE DES MATIi~RES.


Avis des Éditeurs. •..•.•••••.•.....••.•.•..•.••••.• v
Leltre adressée par l'Auteur a M. le Présiclenl de la Répu-


blique •... , ....•..•. ..••.. • ....... .••. .•••• ...... . VII
I. - Pourquoi je fais de la politique .•..• '. ,..... . .• 1


II. - Siluation de la France au 24 févricr iSiS.. . • . . • 1a
Ill. - Desiderata de la révolution au 24 f¿vrier •.•••. , 27
IV. - Préjugé universcl contre la révolution au 24


févriel'. - Désistement des républicaills •. ' •••.. 41
V. - Le 2 décf;mbre............................. 61


VI. - Louis-Napoléon ..••.•.. , .••.••. ,............ So
VII. - Sep! mois de gouvernement .•.•. " ' •. ' •.••.• " 117


VIII. - L'horoscope ..... , ..•. ' .•.•• ' •..•. ' ••••.••.•. 161
IX. - l'Ie mentez pas a la révolution •.••••..••.•••••• 227
X. - Anarchie ou césarisme. - Conclusion .••.•••••• 259


I:'a!l~. -1:YI>. o.e 1'1. ... 'v' D"uo.ey-Dupre, rue Salut-Louis, 4.6.