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1


LES


PRINCIPES
DE 1789



EN AMÉRIQUE




OUVRAGES DU l\11~l\1E AUTEUR.


OUVRAGES nunr.nis


HllLiGION, PATRIE El' AIJOUR, col1ection de Poésies, (4, Pas-
sage Sau lnier). 1 vol. in-B",


ESSAIS BIOORAPHIQUES El' DE CRITIQUE LIl'l'ÉRAIRE sur les
principaux Publicistes, Historiens, Poé tes et Litlérateurs
de I'Amérique latine. (Guillaumin, 14, rue de Richelieu.j
1" série : 2 vol. iri-S",


DE LA PEiNE DE MORT. Brochure in-B, (Chez Dcntu, 17 et 19,
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QUESTIONS DE POLll'IQUE, DE LÉGISLATlON El' DE DROll' INl'ER-
NATlOKA~, etc. 3 vol. in-Sv.


ESSAIS BIO¡}RAPHIQUES El' DE CRiTIQUE LTl'TÉRAIRB sur les
princip~ux Publicistes, Historiens, Poé tes e~ Littérateurs
de I'Amérique latine. 2" série : 1 vol. in-S" ••


Paris. - Imprimé chez Bonaventure, Ducessois el C',
55, quaí des Auguslins.




LES


"


PRINCIPES
DE 1789


EN AMÉRIQUE
PAR


J. M. TORRES CA ICEDO
Anden chargé d'affaires du Vénézuéla;


Officier (le la Légion d'honneur ;
Membre de la'Société d'économíe polítique de Paris, de l' Associalion


inlernalionale pour le dévcloppement des seiencessociales,
ctc., etc,


PARIS
E. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR


PALAIS·ROYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORLÉANS


18GG
'I'ous droits rés('rrrs~




t
~. ~


.,




AVANT-PRüPüS.


QueHes sont les préoccupations de notre époque?
- Il est permis, sans doute, de se poser cette quos-
tion , a11 1110111ent d'écrire un livre destiné a ses con-
temporains. Jurons-nous par Aristote, commo au
moyen ágo? Somrnes-nous dévots comme sous le
regne do Philippo Ir ou du Grand Iloi ? L'osprit phi-
losophique des encyclopódistos a-t-il complétement
desséché nos creurs, en soufllant sur nous l'incré-
dulité? Le génie des batailles, qui a si glorieusomont
salué l'aurore du XIXe siecle au bruit du canon de
Marengo, a-t-il Iait du temple de la victoire le phare
do toutes les nations?


A voir sur les mcrs des dcux mondes ces vaisseaux
a




- JI-


majestueux, pavoísés aux coulcurs <lo tous les ['cn-
ples, et qui portent d'un hemisphere a l'autre les
produits de tous les climats, nous disons : l'univers
est devenu désormaís un vasto comptoir, et le négoco
est le dieu du j our. A entendre le hruit de la prcsse
lancant aux quatre eoins du glohe les productions
les plus varices, depuis les vas tes eoneeptions du gé-
nie jusqu'aux plus Iantaisistes houtades de l'imagi-
nation, nous eroyons au triornphe déflnitif des lu-
mieres sur les ténéhres de I'iguorance, Mais lesol de
notre planete tremble sous les ellorts de luttes dé-
sespérées et lointaincs ; 011 entend des gémisscments
et des clameurs ; I'horizon est de pourpre; la terre
est baignée de sang et do larmes. Au nord do l'Eu-


.


ropo, c'est un peuple héroíque qui sueeombe aban-
donné par COl1X qui l'avaiout eutraíné dans la lutte ,
a I'est , c'est uno naliun lllLli'7J'l'C qu'on égorgc sans
pitié ; aI'occident, des populations cntieres mcurent
dans la misere et le désespoir ; au midi de I'ancieu
monde, le fanatismo releve son poignard eontre la ci-
vilisation ; et si nous prétons l'oreille aux murmures
de l'Atlantique, los vagues de I'Ucéan nous appartent
des nouvelles de guerre et de mort. 'I'ant <lo haines




- III -


et de combata seraient-íls done le tribut payé par
notro áge al'histoiro do l'humani té!


Itassurons-nous, ccpondant. La locomotive siffle ;
lo wagon s'élancc dans l'espace; il traversa les con-
trées les plus éloignées ; a chacuno de ses étapes, il
jette sur un sol étranger des populations étonnées
de ce rapprochement soudain, Les barrieres entre
les peuples disparaissent ; les frontieres s'effacent;
des missíons scientifiques sillonnent lo globo, dn cap
de Bonne-Espérance au cap Nord, de la mer de Béh-
ring au détroit de Gibraltar, et correspondent entre
elles par-dessus les mers et les continents; il n'y a
plus ponr les peuples qui hrúlent de se confondre,
ni d'ótcnduo , ni de durce : la vapeur et l'électri-
cité ont fait le mirado, conduites par la main pro-
vidcnticlle du progres. Doute et Ioi , seience et
fantaisic, sang et amour , lutle et fusion , voilá le
XIX e siecle,


011 se trom pcrait toutefois d'une maniere étrange
si, parmi tant d'émotions diverses, on ne réservait pas
une place c1istincte aune préoccupation majeure qui
earactérise surtout notro siccle.


Les merveilles de l'époque nctucllo ont cortes




- IV-


assez de granc1eur et d'imprévu pour éblouir les re-
gards des admirateurs superficiels; mais les esprits
sérieux ne peuvent méconnalLre qu'un mal secret,
profond, fatal, travaille la société moderne.


Une atrnosphere lourde pese sur les peuples ; un
vent d'orage souffle sur les nations. Insatíablo de
conquétes , et pourtant dédaigneuse de ses victoires,
l'humanité semble attendro quclque chose encere :
elle regarde l'avenir.


Traversez les capitales, visitez les plus hnmbles
villages, et dítes-moi si vous n'avez pas entendu
parler de cet inconnu auquel toutcs les classes socia-
les aspirent; que les habitants des palais redoutent
sans pouvoir s'en rendre comple; que les masses
populaires invoquent sans oser le nornmer. Prétez
l'oreilleaux bruits de la vie qui vous entoure, et ra-
contez ce que vous entendez.


De toutes parts, les tremes des vieilles monarchies
craquent et s'eITondrent. Les démocraties déblayent
le terrain , et substituent a l'absolutisme le dogme de
la souveraineté des penples. L'nnion du tróne et de


I'autel se rornpt, et l'augustevieillard de Home semble
devoir se résigner désorrnais an'ótre plus que le chef




-v-


spirituel du monde chrétien. Les nationalités endor-
mies releven: la tete et seconent leurs fers; elles mur-
murent que la léthargie n'est pas la mort. Un besoin
irresistible d'émanoipation tourmente la terre ha-
bitée, tantót grondant sonrdement comme ces ton-
nerres précurseurs: des cataclysmes de la nature,
tantótjaillissantsur quelquo point du globe en révo-
lutions soudaines, comme la lave des volcans. Au sein


mérne des nations, de grandes questions s'agitent. Les
gouvernants ot los gouvemcs discutent le prohleme
de 1eurs droits et da leurs devoirs, Ces conflits sont
féconds en hóros et en martyrs. Les cachots regor-
gent de víctimas; les placee publiques se peuplent de
citoyens, Les contradíctions les plus bizarros se croi-
sent et se hourtent, et, au rnilieu de celta confusion


extreme, il y a des dórnocraties qui s'entr'égorgent i
coté de rois assez éclairés pour se mettre á la tete
du mouvernent des esprits,


Vous dites aux nationalités vaincues : Pourquoi
murmurer contre vos conquérants? Saumettez-vous
au fait accompli; vos maitres se chargcront du soin
de vos destinees; courhez la Iront , ils vous associeront
á leur fortuna.




-- VI -


Aux peuples avides de droits et d'indépendance,
vous dites : De quoi vous plaignez-vous '? N'avez-vous
pas le bonheur matériel? Vos chefs construisent pour
vous de confortables demeures ; ils versent :i pleínes
mains l'aisance sur les classes les plus déshéritées;
l'industrie et le commerce ne sont-ils pas un champ
fertile ouvert avotre activité? Pourquoi poursuivre
le fantóme, quand la réalíté vous comble de ses
faveurs? Confiez-vous a vos gouvernements; ils
savent qu'on n'a rien a gagner avcc les nations
pauvres. Donnez-leur l'obéissance, ils vous récorn-
penseront par le hien-étre.


Ces conseils sont ceux de la sagesse pratique.
Vous croyez un instaut qu'ils ont prévalu; rnais
déjá les nationalités et les masses se son t lancees
dans la région des orages a la reeherehe de leur
idéal.


Les développements extraordinaires dont la presse
périodique a été l'objet, depuis le gouvernement
de la Restauration surtout, sont les syrnptómes les
plus certains des préoccupatlons politiques et sociales
de notre époque. Si actuelIement le journalisme est
le roi du monde, c'ost qu'il répond á un besoin




VII


irrésistible , universel , de discutor les affaires "pu-
bliques, ct de. voir, bien ou mal, quelque chose dans
les intóróts de l'ItLat. Il n'est pas d'intelligenee si
restreinte, qui ne se sente vivement attirée au pied
de cette tribuno péríodíque , oú les talonts les plus
divers agitent les graves problemes de la vie des
nations.


On a critiqué beaucoup le journalisme, et on a
eu tort. Le journalisrne , c'est l'humanité consciente
d'elle-mémc , discutnnt ses clroits, analysant ses
dovoirs ; c'cst la nation dressant jour par jour le
hilan de ses gloircs et de ses infortunes; e' es t le
dévouement plaidant pour les causes justes, et mar-
quan t l'injustice au front pour la vouer aux cháti-
rnents de l'opinion; c'cst la son lincllo avancec du
progres , qui signalo les abus el qui prepare les
réformes ; c'cst 10 fouet du moraliste , la terreur des
réputations nsurpées; e'est le courage, e'est l'honneur
et c'est la vio I


Le journalisme s'est développé particulierement ,
en France, en mérne lemps que les scienees morales
et poli tiques considérees comrno sciences; mais s'il
a eu Ia rnéme origine, s'il s'est proposé de satisfaire




- VIII


les mémes aspirations , il a prís des proportíons
considérablement plus etendues. La raison en est
simple: la OÚ s'arréte le volume le journal penetre.
Pour la généralité des lecteurs, la feuille quotidienne
qui s'élance dans le publíc, armée ala légere comme
un tiraiileur dans la plaine , doit tuer I'in-octavo.


Ce derníer s'cn vengo bien, a son tour, par la
durée,


J'ai touché du doigt le mauvais cóté du journalisme,
Le volume que nous intrcduisons aujourd'hui


dans le public est une protestation contre le carac-
tére éphómere des productions périodiques. C'est un
recueil de monographics sociales ct politiqnes qui ,
chacunc en son tomps, a répondu el uno opportunité.
Le jeune el brillant auteur qui le puhlie a voulu
grouper ses souvenirs , el quoique n'ayaut p:lS atteint
encere l'áge oú l'on se replie sur soi-méme , il a eu


la prudente pensée de reliro le livre ele son passé,
Ces revues rétrospectíves peuvcnt avoir parfois de
I'amertume , mais elles sont toujours salutaires :
on y pulse des forces pour le présent; elles sont le
gago de l'avenir,


Le volume de nr. 'I'orres-Carcedo est une collection




- lX-


des articles les plus militants, du plus courageux des
publicistes américains. C'est dire que ton tes les aspi-
rations de notre époque y trouveront un aliment;
que les qucstions les plus palpitantes de nos temps
modernes y sont traitécs avec cctto vivacité que
commando la polémique, et qui ne nuit pas cependant
ala plus stricte impartialité,


M. 'I'orrós-Catcedo a placé son nouvel ouvrage sons
un titre qui a du prestige : « Les Principes de 1789
jtlgés par un Americain. • S'il ne s'était agi que de
donner une forme piquante á une amvre digne d'in-
térét , l'auteur aurait déjá parfaitement réussi. Quoi
de plus original, en effet, quo de traduire les prin-
cipos íondamontaux do nos Iihóraux modornes,
devant le tribunal el'un patriote du Nonveau-l\londe?
Mais il y a mieux. La pensée du publiciste américain
a été plus sérieuse, Défenseur éclairé des idées libé-


rajes, il a voulu remontar a leur souree, et du m0 4
ment oú il aborc1ait l'analyse des droits imprescrip-
tibles de l'homme, iI lui asemblé qu'il devait
inserire au frontispiee de son livre la date lumineuse
qui rayonne sur l'hisloire contemporaine elespeuples
visilés par la liberté.




-x-


Mais qu'on me permette cependant, ace sujet, une
observation modeste.


Il n'est certes pas un cceur généroux qui no se re-
jouisse des conquétes sociales de notre siecle, L'éga-
lité devant la loi, lo respoct do la liborté índiví-
duelle et dos consciences, I'admíssíbílité de tous Jos


citoyens indistinctement aux ernplois, la répartition
des charges selon les facultes de chacun et d'apres le
consentement des représentants de la nation, I'invio-
labilité de la propriété, etc., sont des hienlaits qu'il
n'est guére facile de nier, et dont l'auteur de ce vo-
lume a éloguemment décrit la nature et la portée,
Mais faut-il, avec la foule, ne dater l'aurore de ces
principes qne de la nuit du 4 aoút 1789?


L'Assernblée Constituante a fait disparaitre los in-
stitutions gui blessaient l'égalité des droits; ene a
organisé la France, refait la Iégislation et l'adminis-
tration, constitué l'unité du pouvoir )égislatif, ré-
formé lajurisprudence criminelle, declaré á l'Europe
que la nation francaise renoncait el entreprendre au-
cune guerre dans un esprit de conquéte, et qu'elle
n'emploierait jamais ses forces contre la liberté
d'aucun peuple. Voilá sa gloire. Mais il serait injuste




~ XI-


d'ouhlier que sa mission a consiste plutót a traduire
dans les Iaits les reformes qui germaient dans les
esprits.


La Franee avait mis deux siecles el exercer sa pen-
sce. Elle avait passé de l'áge de Descartes, de Cor-
neille, de Hacine, de Bossuet et de Moliere a celui de
Montesquieu, de Jean-Jacques Rousseau, de Voltaire
et de Diderot. 1789 n'a done été que l'éclosion des
idees émises par ces harons féodaux de la philoso-
phie, qui avaient stipulé la eharte des droits de
I'hornme avant que M. de La Fayette la portát a la
tribune de la Constituante. Louis XVI lui-mérne a no-
blement ouvert la carríere de la Révolutíon, en
renoncant au droit do joyeux avénement, en s'enga-
geant á acquittor la dette publique, en rendant aux
protestante l'usage des droits civils, en affranehissant
les sorfs des torres domaniales, en dócidant que les
taillables ne seraient plus solidaires pour le payement
de l'impót. Si done on affírme que la Révolution
francaise , quelque glorieuse qu'elle ait éLé, s'est
bornee amettre violernment en teuvre les matériaux
accumulés par de nobles intelligeneessous l'ancíenne
monarchíe, on rend hommage el l'histoire; rnais si




- XII -


l'on assigne pour point de départ él cette emancipa-
tion féconde une date unique, sans précédents et sans
transition, on -paye tribut a l'erreur, M. Torres-
Catcedo a trop medité sur les destinées progressives
de l'humanité, pour ne pas avoír reconnu cette vérité
historique, et, s'il parle de 1789, c'est pour détermi-
ner l'idée par la date de son éclosion.


Maís que faut-il entendre par ces príncipes de
1789, qui ont fait le tour du monde? Nous les ínvo-
quons volontiers dans nos dissertations de philoso-
phie sociale. Publicistes novices, nous espérons, en
les citant, nous donner de la consistance ; vieux rou-
tiers de la politique, nous leur demandons la popu-
laritó, Nos constitutions, opportunément élastiques ,
ne manquent pas de reconnaítre, confirmer et garan-
tir, sans les définir toutefois, les granda prnciipes
proclamés en 1789, et qui sont la base du droit
public des Francais.


S'agit-il des príncipes écrits dans les cahiers rédí-
gés par les électeurs de París ou des autres parties de
la France? Faut-il recourir au discours de Louis XYI
dans la seance du 23 juin ? Doit-on cornbincr les
diverses déclaratíons proposées par Sieyes, Mounier




- XIll -


et La }<'ayette? Les gramds prmcípes paraíssent plutot
avoir été formules dans la Déclaration votée par
l'A.ssemblée Constituante UU 'lO au 26 aol\t 1789, et
acceptée par Louis XVI le 15 octobre suivant. Ils
cornprennent , índépendammcnt de la liberté des
cultes, de la liberté individuelle, de l'égalité des ci-
toyens devant la loi, de l'inviolahilité de la propriété
et de I'inamovihílité de la magístrature, la liberté de
la presse , la résistance a l'oppression, la séparation
des pouvoirs, l'application de la force publique al'a-
vantage de tous, le droit qu'a la société de demander
ti tout agent du gouvernement un compte de son ad-
ministration.


11 est aujourd'hui peu de pays en Europe , quí
n'aient subi l'influence de cette émancipation socialo
et politiqueo


En matioro de liberté religiouse , par exemple,
nous VOYOIlS la llelgique pratiquer la liberté des cul-
tes au point de vue, non-seulement de la conscience
et du Ior intérieur, mais encore de l'exercice puhlic
(Constit. 7 (él), 1831, art. 14, 15 et 16). Depuis 1815, la
plupart des constitutions allemandes ont expressé-
ment rcconuu lo príncipe de la liberté religieuse,


b




- XIV-


On trouve des dispositions semblables dans les consti-
tutions de Baviere, de Bade, de Wurtemberg, du
grand-duché de Hesse et de Saxe. Ces dispositions,
il est vrai, ne garantissaient que la liberté religieuse
de l'individu, et ne s'appliquaient pas a la profession
extérieure domestique ou publique du culte. Mais,
depuis 1849, le systeme des Etats-Unis a paru s'intro-
dulre en Allemagne. La constitution de l'empire ger-
maníque, votée par le parlement de Francfort, garan-
tissait non-seulement la liberté de conscience, mais
encore la liberté des cultes. Plusieurs constitutíons
ont, depuis cette époque, consacré la libre profession
du culte public ou domestique, et le droit de fonder
de nouvelles sociétés religieuses. Je ne parle pas de
la Suede, ou la liberté religieuse n'existe pas encore,
puisque tous les cultes, autres que la religion évan-
gélique, sont soumis á l'autorisatíon préalable du roi ;
ni de l'Angleterre, oú les membres des religions dis-
sidentes sont encore exclus de certaines fonctions. Il
faut reconnaitre cependant que le progres semble
pénétrer au sein mérne de ces nations, si arriérées au
point de vue religieux. C'est ainsi qu'en Suede la loi
du 23 octobre 1860 a fait disparaltre les lois barbares




- xv-


qui punissaient de la confiscation, de l'exil et de l'a-
mende, ceux qui proíessaíent une religion autre que
la doctrine évangélique; et qu'en Angleterre, depuis
l'acte d'émancipatíon , les catholiques sont, au point
de vue politique , assimilés aux anglicana. Quand
on voit le principe de la liberté relígieuse inscrit -
ne fút-ce que théoriquement - dans les lois fonda-
mentales de la Russie ; quand on constate que le
gouvernement ottoman offre aux peuples du conti-
nent européen l'exemple de la tolérance la plus
étendue, on ne peut renoncer a l'espoir de voir les
idées philosophiques modernes, s'étendre sur les
deux mondes dans un avenir prochain,


L'égalité civile a triomphé chez presque toutes les
nations européennes. L'article 4, par exemple, de la
constitution de 1845, porte que tous les Espagnols,
sans distinction, sont admíssihles aux emplois pu-
blics. L'article 6 de la constítution beIge porte qu'il
n'ya dans l'État aucune distinction d'ordres; que les
Belges sont égaux devant la 101. Tout le monde sait
qu'en Angleterre la nohlesse ne confere aucun privi-
lége, que les Iords sont soumis aux charges publiques
comme le bourgeois et l'ouvrier, et que l'aristocratie




- XVI-


anglaise n'est qu'une institution purement politiquo,
Il est vrai que cet élat social remoute auno époque
antérieure au XIX" siecle. La reformo du servage en
Russie est un pas glOl'icux fait IJar l'empereur Alexan-
dre Ir sur la voie do l'égD.litú civí!e dans I'ernpiro
des czars, Colle égalitó a triomplié déflnitivcment en
Italíe, en Portugal. Seule, l'Allemagne n'a pas encore
réalisé sur ce point sa révolu tion de 1789, et, malgré


la marche progrossive de sa Iógislaüon, l'esprit éga~
litaire de notro sieclo s'y heurto encoré centre do
nombreuses ínstitutions Iéodales. Mais celle patrie de
la Réforme et de la philosophie ne testera pas long-
temps fcrmée au progreso Déjú les propriétaircs bour-
geois y sont sur la mérne ligne que les possesseurs
nobles, si ce n'est en Autriche, en Wurternberg et
dans une partie du Hanovro. Déjá les droits et im-
munités attachés ú la proprióté imrnohiliero y sont
l'objet de vives attaques, dont le resultat sera do los
Iairc entieremont disparaítre. Pcndant longtcmps, en
Prusse, les hrevcts d'oífíciers ri'étaient exclusivement
acccrdés qu'á des gen tilshornmes. La constitution
prussisnno de 18GO a consacrú, au moíus theorique-
ment, le príncipe quc K los fonctions publiques serout




- xnJ-


accessibles atous ceux qui remplissent les conditions
de capacité déterminées par la loi.•


00 jetterait les bases d'un ouvrage plein d'íntérét,
si l'on recherchait daos les législations variées des
différents peuplos civilisés, la trace des principes
grandioses formulés d'une maniere sí féconde par la
Révolution francaise, 00 arriverait surtout aconsta-
ter que les ínstitutions de la France ont serví de
modele apresque toutes les lois des États européens.
On rernarquerait, par exemple, que notre respect
pour la propriété privée a inspiré la loi espagnole du
14 juillet 1836, la loi bavaroise, etc.; que les orden-
nances postales deWurtemberg , de nade, de Hanovre ,
de Saxe, de Baviere, d'Autriche, que l'article 22 de la
constitutíon belge, ont compris le secret des lcttres
comme ]'ont fait les législateurs Irancaís j que la li-
berté de l'industrie a triomphé en Belgique, en
Espagne, en Italie, etc., etc.


Ce travail n'a pas encere été tenté d'une ma-
niere sérieuse, complete el méthodique. Mais des
mnnographies excellenles ont été publiées depuis
ces dernieres années , el pourraient servir de
jalons,


b.




- xvrn -


Les principes de 1789, répandus par la France sur le
monde ont-ils été, me demandera-t-on, conservés et
respectés par la patrie de Voltairo et de Mírabeau ?
Sont-íls, notamment, en vigueur de nos jours? La
question peut parattre indiscrete . .Te l'alJorde fran-
chement et je réponds : • La constitution de 1852
reconnait, confirme et garantit les grands príncipes
proclames en 1789, et qui sont la base du droit public
des Francaís » (Art. 1er , Const., 1852). La conslitution
de l'an VIn, les Chartes de 1814 et de 1830, se renfer-
maient a cet égard dans un prudent silence, qui ne
leur a pas porté bonheur.


La constitution de 1852 reconnait ces grands princi-
pes, done elle en atteste I'exístence ; elle les confirme,
done elle leur donne force de loi constitutionnelle ,
fondamentale ; elle les garantir, done elle s'engage a
les faire prévaloir dans la législation. Cette re con-
naissance, cette confirmation, sont sanctionnées par
les articles 25 et 26. Le Sénat est le gardien des li-
bertés publiques; il s'oppose ala promulgation des
lois qui les violeraient: mission grave, imposante,
et qui justifie parfaiternent la considération due a ce
grand corps de l'État.




- XIX-


Quelques esprits chagrins s'avisent cependant de
demander comment cette illustre assemblée con-
servera fldelement les libertes publiques, si elle n'est
pas élue par la nation, et si elle attend du pouvoir
exécutif la permission de siéger (art. 24) ; mais nons
les abandonnons á leur humeur morose, pour rendre
hommage á la liberté des opinions.


La consti tution de 1852 n'a pas dú se borner i
proclamer les principes de 1789. Elle a sans doute
implicitement reconnu, confirmé et garanti les res-
trictions nécessaires que les constitutions précédentes
avaient admises et formulées. On ne peut interpréter
autrement son silence. L'article 26, par exemple, se
préoccupe des lois contraires a la liberté indivi-
duelle, mais sans dóflnír cette liberté, sans lui assi-
gner des limites. Isolée des lois politiques qui l'ont
précédée, cette disposition serait une phrase sans
portée. Qu'est-ce qu'une loi contraire ala liberté in-
dividuelle ? Qu'est-ce que la liberté individuelle?
S'agit-il de la liberté ahsolue t }¡tais la constitution ne
peut la reconnailre, la confirmer et la garantir,
paree qu'elle est inconciliable avec la notion de so-
ciétó, L'article Pf ne fait-il allusion qu'á la liberté




- xx-


rcstreinto ? Mais quelles scront les bases do ces res-
trictions? Seront-elles abandonnóes á la discrétion
du gouvernement? Réduite aux termes de l'article
26 de la constitution, la liberté in dividuelle ne serait
alors qu'une vaine chirnere, ou qu'une scandaleuse
déception.


Il en est de méme pour les autres príncipes énon-
cés dans cet article. Il faut dono remonter au delá de
1852, pour leur assigner les limites légitimes qu'ils
comportent.


Ces limites, l'Assemhlée nationale les a tracées elle-
méme, La liberté, ses applications diversos al'indi-
vic1u, au culte, á la presse, au travail, sont circou-
scrites par l'u/Ílitépublique, par les exigences de la vie
sociale. Ce que la constitution de 1701 a en vue, c'est
l'lItilité eommune (Déclo». des droits de l"homme et du
eitoyen, art, l er ) . Le but de toute association politique
est la conservation des droits naturels et irn prescrip-
tibles de l'homme (art. 2), et non la consécration de
tel ou tel systéme gouverncmcntal sacriflant l'in-
dividu á une abstraction , l'Etat, La liberté consiste
done á poúvoir faire tout ce qui no nuit pas i autrui ;
ainsi l'exercice des droits naturels de chaqué homme




- XXI-


n'a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance de ces mémes
droits (art, 4). La loi ne peut défendre que les actions
contraires au maintien de la société (art, 5). Nul ne
doit étre inquieté pour ses opinions, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l'ordre puhlic (art. 10),
c'ost-á-dire, ne porte pas atteinte aux avantages que


l'homme attend de la vie commune. La libre com-
munícatíon des pensées et des opíníons est un des
droits les plus précieux ; tout citoyen peut done
parler, écrire, imprimer lihrement, sauf arépondre
de l'abus de cette liberté (art. 11). La propríété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en étre
privé, si ce n 'est lorsque la nécessité publique, légale-
ment constatée, l'exige évidemment, et sous la condi-
tion d'uno juste et préalable indemnité (art. 17). Les
sacrifices que la vie commune demande a la liberté
de chacun doivent étre déterminéspar la loi, expres-
sion de la volonté générale (art, 4 a7, 10, 11, 17),
et non par le décret, dont I'action doit se borner
aux simples mesures d'exécutíon (Constit., 1852,
arto 6).


Voilü les regles fondamentales que reconnaít, con-




- XXII -


firme et garantit l'article 1er de la constitution
francaise de 1852, et que 1'artic1e 26 place sous la
garde vigilante du Sénat, Il est impossible de com-
menter différernment ces deux articles, si l'on tient 11
trouver en eux autre chose qu'une vaina et décevante
déclaration. L'Assemblée nationale avait, dans son
enthousiasme politique, décidé que « toute société
dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée,
n'a point de constitutíon » (art, 16). Il eút été plus
exact de dire qu'une société semblable a une fort
mauvaise constitution. Maís il peut arriver que les
príncipes soient reeonnus, que la eonstitution soit
établie sur les bases du droit et de la raison, et que
I'application soit momentanément suspendue, Le de-
voir de tous est alors de préparer la voie au libre jeu
de la loi constitutionnelle.


Il ne serait certes pas difflcile de signaler, dans la
législation de la Franee, des dispositions qui ne ré-
pondent ni 11 l'article 1er, ni 11 l'article 26 de la con-
stitution de 1852.


Le préambule du titre 1er de la eonstitution de
1791, consacre la liberté pour tout hornrne « d'aller,
de rester, de partir, sans pouvoir étre arrété, ni dé-




- XXIII -


tenu, que selon les formes déterminées par la consti-
tution .• Nul ne peut étre puní qu'en vertu d'une loi
étahlie, promulguée antérieurement au délit et léga-
lement appliquée (art, 8, Décla«, de 1791). La liberté
individuelIe est garantie par l'intervention du pou-
voir'judiciaire (Conse. 1791, chapo v, arto 1, 2, 4).
Ces principes souverains ont-ils inspiré les rédac-
teurs de l'arlicle 7 de la loí du '27 février 1858, qui
met a la discrétion du ministre de l'intérieur I'in-
ternement ou l'expulsion du territoíre, de tout indi-
vidu qui aura été condamné, interné, expulsé ou
transporté par mesure de súreté générale, a I'occa-
sion des événements de mai et juin 1848, de juin
1849,ou de décemhre 1851,7 Hátons-nous d'ajouter
que ces pouvoirs exceptionnels, qui portent atteinte
ala liberté individuelle (Constit., 1852, arto 26), doi-
vent, d'apres la loi de 1858 elle-meme, prendre fin
HU 31 mars 1865, ce qui promet vraisemblablement
un retour aux príncipes de 1789.


Que dire aussi de la législation sur la presse? Com-
ment concilier le droit proclamé par l'Assemblée na-
tionale, reconnu, conflrrné et garantí par la constitu-
tion de 1852, qu'a tout citoyen de parler, d'écrire,




...... XXIV -


d'imprimer librement ses opinions, dans les límites
de ce qui ne nuit ni a l'ordre publie, ni al'intérét
privé, avee le régime si exceptionnel qui pese actuel-
lement suc les manifestations de la pensée 'l La ronsti-
tution de 1791 déclarait que nul ne pourrait étre jugó,
soit par la voie civile, soit par la voie criminelle,
pour faits d'écrits, imprimés ou publiés, sans qu'il
ait été reeonnu et declaré, par un jury, s'il y avait
eu délit dans l'écrit, et si la personne poursuívíe était
coupable (art. 18, ch. v). Le décret du 3 janvier 1852
défere aux tribunaux de police correctionnelle la
connaissanco de tous les délits prévus par les lois
sur la presse, La constitution de 179I place la
libre communication des opinions sous I'égide de
la loi i le décret du 17 février 1852 l'abandonne
au pouvoir díscrétíonnaire du ministre de l'inté-
rieur.


Il n'est pas jusqu'au principe de l'inviolahilité de
la propriété , qui ne soit 1 sous nos lois actuelles,
interprété dans un sens nouveau, D'apres l'artíclo
17 de la Déclartuioti des droits de l'homme, il fallait,
pour enlever a un individu sa propriété 1 que la
nécessu» publiqlle, légalement constatée , c'ost-á-dire




- xxv-


par la loi, exigeát évídemmcnt ce sacrifice. Sans
parler de la déclaration de I'utilité , qui a lieu
actuellement par un décret, on sait comment l'adrni-
nístration entend de nos jours la question de néces-
sité publique.


Faut-il conclure du rapprochement indiscret des
dates de 1789 et 1864, que I'article J<r de la
constitution de 1852 doít disparaitre, ou que le
gouvernement impérial, entrant dans la voie des
institutions libérales 1 doit 1 avee la haute prudence
qui caractérise tous ses actes, réaliser successivement
dans la pratique les príncipes qu'il proclame s"':lr le
papier? Laconclusion aurait I'apparence d'une ironíe,
et ne serait digne ni d'un homme qui respecte le
gouvernement de son pays, ni d'un ami intelligent
du progreso A voir tant de lois restrictives de nos
plus cheres libertés, on ne peut se défendre de corn-
parer avec amertume ce qui avait été révé par nos
peres, et ce qu'ont réalisé leurs neveux; mais ce pre-
miel' moment de dépit passé , tout esprit conscien-
cieux, tout cceur loyaldoit reconnaitre que, loin d'étre
une violation prérnéditée des principes fondamen-
taux de notre droit public, ces lois exceptionnelles,


e




- XXVI -


ne sont que des eoneessions plus oumoins néeessaires
aceordées ades exigenees politiques et sociales tem-
poraires. Les fleuves ne remontent pas aleur souree j
les vérités jetées dans le monde germent et Iructiflent
sans eraindre la faux du moissonneur. Ce dont notre
époque a le plus de besoin en ce moment, ce n'cst
pas de liberté, mais d'impartialité et de désinté-
ressement. A quoi sert-íl de discuter sur l'opportunité
de telle mesure forcément transitoire, lorsque les
principes sont debout! Le devoir de tout soldat de l'a-
venir est de' se grouper sous ces príncipes reconnus,
confirmés et garantís par une constitution démocra-
tique, et déposés entre les mains d'un gouvernement
responsable. L'heure est solennelle. La question n'est
poínt de rechercher quelle est la forme extérieure
du pouvoir qui conviendrait atel goüt , ou qui satis-
ferait telle convoítíse coupable. Le débat est plus
élevé, Ce sont les principes de 1789 eux-rnérnes qui
sont journellement menacés, Les deux camps sont
en présence : d'un coté ce sont les représentants de
l'esprit philosophique 1 les défenseurs du progrés ,
les enfants du XIX· siecle i de l'autre les ennemís
éternels des Iumíeres , les sombres satellites du droit




- XXVII -


divin 1 ceux qui refusent au peuple le droit d'avoir
une volonté, ceux qui maudissent les conquétes de
notre síecle. La mansuétude de nos gouvernants a
rassuré leurs cohortes 1 et déjá ils cherchent ajeter
dans les génératians nauvelles le fiel de leurs ran-
cunes. Puisqu'ils veulent avoir une autre banniére
que celle de la France régénérée depuis qu'elle est
devenne souveraine , il faut que ceux qui portent un
cceur d'homme se réunissent sous le drapeau trico-
lore, et proclament l'éternelle vérité des príncipes
de 1789.


C'est done faire reuvre piense que de défendre ces
príncipes, les analyser, en rechercher la nature,
et préciser les limites de leur application.


Tel est le vaste champ ouvert aux études de l'au-
teur de ce volume. M. 'I'ozres-Caíoedo aborde tous ces
sujets avec indépendance et sincérité. II apporte dans
ses analyses la précision d'un esprit pénétrant et pro-
fondément initié a la science des faits humains. S'il
trauve des expressions chaleureuses pour dépeindre
les sentiments nobles, les aspírations larges, il ne
ménage point la sévérité de ses jugements pour les
écarts de ce faux libéralisme, qui compromet la li-




- XXVIII -


berté dans l'ancien monde, et la souille sur le nouveau
continent, Partisan décidé de la liberté, sous toutes
ses formes, il combat aoutrance les exces de la dé-
magogie, dans l'intérét me me de la liberté. Ses
articles ne sont pas seulement des dissertations in-
téressantes sur les problernes a l'ordre du jour; ils
sont une révélation de l'état social de cetLe Amerique
du Sud, oú. sous la forme républicaine se dissimule
trop souvent le plus ininteIligent despotisme. M. 'I'or-
res-Carcedo a consacré sa carriere de publiciste ot
d'homme d'État adémasquer les menees absoluListes
des démagogues de son pays, et quand on ponse
qu'il 1'a fait au péril de sa vie et de sa fortune, on


.ne peut refuser sa sympathie a tant de courage et
d'abnégation.


Dirai-je que l'auteur de ce volume est partisan de
la séparation de l'Église et de l'lhat? Qu'il soutient la
these de la décentralisation administrativa, et qu'il
demande mérne le régime municipal le plus étendu ;
mais qu'il n'a jamais cessé de combattre le systemo
fédéraLif it la maniere hispano-amérieaine ? Lo sui-
vrai-je de préférence sur le terrain de ses théories
économiques en matiere d'impóts et de propriété ? Un




- XXIX-


avant-propos n'est-pas une analyse, C'eSlIlTI frontis
pice, et je dais me borner an'índíquer que quelques-
unes des tetes de chapitres de cet intéressant re·
cueil.


VoiláI'osuvre, Voici maintenant l'auteur.
M. 'I'crres-Caícedo est né el Bogotá, en 1830. Il est


devenu orphelin de bonne heure. Il était pauvre, U
a travaillé le dur laheur des hommes d'intelligence
qui croient a l'avenir, L'avenir lui a souri. Ceux
d'entre ses familiers qui ont suivi les étapes de sa vie,
l'ont vu successivement conquérir le díplóme de
docteur en droit civil, celui de docteur en droi t
canon, et devenir avocat. A cette époque de sa car-
riere, le jeune docteur de Bogotá n 'était pas seule-
ment un jurísconsulte qui donnait des esperances:
il étaít encare un poéte plein de séduction. La jeu-
nesse des hornmes d'élite débute toujours par la
poésie, cetto delicatesse du cceur.


Puis, un jour 1 la scene a changé. L'avocat est de-
venu homrne publico Il a été député suppléant au
con gres grenadin , secrétaire de légation a París el
á Londres, intendant des finances des I~tals de Bo-
livar et de Magdalena, secrétaire d'uue mission ex-




- xxx-


traordinaire aWashington, consul, agent conftden-
tiel, et enfin chargé d'affaires de la république de
Vénézuéla pres les gouvernements de Franee et des
Pays-Bas.


Homme de lettres, on a de lui un volume de poésies
intitulé: Religion, Patrie, Amour, et des Essais de
biographie et de critique littéraire; publiciste, il a
jeté de nombreux articles dans les principaux jour-
naux des deuxmondes, et il rédige a lui seul, depuis


longtemps, El Correo de t!ltramar, le plus important
organe de publicité de l'Amérique du Sud. Diplomate,
il a recu des gouvernements aupres desquels il a été
accrédité, des marques irrécusables d'une considéra-
tion qui l'honore, el qui le soutiendra dans sa car-
riere polítique. En 1861, les membres du corps di-
plomatique de l'Amérique latine résidant a Paris,
lui adresserent dans une lettre qu'il conserve ti bon
droit comme un titre d'honneur, des remerciements
unanimes pour l'élévatíon, la justice et l'impartialité,
avec lesqueUes il a toujours soutenu les intéréts et
les droits des républiques du Nouveau-Monde.


Maintenant vous me demanderez, peut-étre, s'il




- XXXI -


possede dans la vie privée les qualités bienveillantcs
de l'áme :


Je vous répondraí que je suís heureux d'étre son
ami.


P. PRADlER-FODl~RE.


Paris, C~ 12 septernbre 1864.






1


L'AUTORITÉ ET LA LIBERTÉ


La nature et la. destinée de l'hornmo , c'est
I'obeissance morale , c'est-a-dire I'obeissance
dans la liberté. Dieu a créé l'hommc pour
qu'il obéit a ses Iois, et il I'a creé libre pour
qu'il oheit moralement. La liherté est d'insti-
tution divlne, comme l'autorite; ce qui est d'reu-
vre humaine, c'est la revolte et la tyrannie.


Au jour de la creation, Dieu a prescr ít 1'0-
béíssauco a. l'homme sous peine de perdition;
au jour de la régénération, Dieu a mis la
liberté de l'homme en mouvement pour COIl1-
mencer 1'<I!IlVre de salut.


(GUIZOT, Méditation» el J!;tudes morales.)
L'uutorité , c'est la force raisorinahle et né-


cessaire , le despotisme I c'est la force absurde,
(CIlEU"; UE LESS>:R, De la Liberté.i


1


L'Autorité et la Liberté, voilá la clef de l'histoire
du monde: voilá les deux hannieres qui ont flotté sur
d'immenses champs de bataille, théátres de luttes
sanglan les.


Au norn de l'Autorité, des millíers cl'hommes ont
disparu de la face du globc , la tete tranohée par la


1




hache des bourrcaux ; au nom de la Liberté, la guil-
lotine est restéc pendant des mois entiers dressée au
grand jour au milieu de villes populcuses.


La lutto a ét6 cruelle, acharnco , sanglante. La
liberté a cependant remportó victoire sur victoirc.
Qui peut nier que le monde, tel qu'il existe aujour-
d'hui, n'ait plus de liberté, nous 118 di rons pas
que lo mondo paien , maís que le monde du moyen
áge?


Mais , par cela me me qu'on a gagné en liberté
civile et politique, il convient de bien flxer les idees
sur la relation qui existe entre 1'AutoriLé et la Liberté,
et d'examiner la filiation de chacune d'GIles.


II


D'ahord fut proclamó le principe de la souceraineie
de droü divin des rois, ceux qui Jo soutcnaiont se
fondant sur le chapo VIIl, verset Lí des Procerbes ; au
nom de ce príncipe disparurent la liberté indivi-
duelle et la liberté des majorités,


Vint ensuitc le principe qui soutient la souvcrai-
neté populaire ; et ses partisans, cornme tous los
partisans des systernes absolus , arriveront directe-
ment, par une nécessité logique, au regne eles multi-
tudes barbares in habiui ct in actu.. Si la souveraineté
du droit divin produisaiL le despotismo un petit norn-
bro 1 la souveraineté populair e mal compriso pro-




.)


"


duisit le despotismo du grand nombre. Avec le pre-
miel' príncipe, il y avait plus de probabilité de gou-
vernement par l'intelligence ; avec le second, les
probabilités étaient pour la force ; et, comme les
nommes qui ont eles intentions rnauvaises sont pour
la plupart doués d'activité et d'audace, il était él
craindre que ces hornmes no convertissent en in-
struments de lours mauvais dcsseins los rnasses igno-
rantes représentant la force.


C'ost ce qui est arrivé partout OÜ le princípo de la
souvorainotó populniro s'ost etabli, Ú l'exception des
Etats- Unis; oxception causóo par les circonstances
tontes particulieres dans lesquclles se trouva cette
association des qu'elle se constitua indépendante.
Parmi ces circonstances se trouvent, entre autres, les
suivantes : il n'y a pas do citoyen qui , dans ces
Etats, ne sache lire 0t écrire, el 11e connaisse ses
devoirs et ses droits; ensuile, les intéréts commer-
ciaux, si développés dans l'Union americaine, gráce
aux habitudes héreditaires et a la position topogra-
phique, óloigrient les Américains du Nord de la
manie des ernplois, vóritable lepra des autres nations,


Pour nous, le véritalile príncipe serait celui qui
proclarnerait la souveraineté basée él la fois sur l'in-
telligence et sur la force: ce serait le príncipe de la
souveraineté indivic1uclle, qui pourrait 11 juste titro
s'appeler princi pe do droit divin. Ce serai t le gom-er-
nement de chacun par soi-rnérne, du munícipe par le
municipe, do la provincc par la province , de la na-




-\-
tiun par la nation; ol cola, saus (lile le gouvernement
perdit de son unité , ni le citoyen de sa liberté indr-
viduelle, Mais comme il n'est pas el propos d'exposer
ici ce systerne , nous nous hornerons el diré seulemont
que nous admettons commo baso du nouveau systérrie
la simpliflcation des attributions UU pouvoir , ce qui
dirninuerait ['ambition du commandement et erripé-
cherait les révolutions,


Le gouvcrnernent doit Iaire ce que chaque individu
ne peut Iaire par lui-mórne , mais qui tourne au proflt
individuel et commun. L'Etat, comme dit j'auteur de
la Politique unioerselle, étre abstrait et colIectif, n'a lo
droit de regir et de régler que ce qui est rrécessaire-
ment indivisible, par consóquent indivis, essentielle-
ment colIectif, excIusivement publico Nous partageons
I'idco émiso par Bastiat clans son livro sur los llarmo-
nies économiqucs el rlnns sa brochurc La Loi : le gou-
vernernent n'a pour attriuutions que do veiller él la
súreté publique, percevoi r les con tributions , adrni-
nistrer les biens de la comrnunaute.


JIT


Mais au milieu de toutos les formes de gouverne-
ment possibles, au sein do toutes les associations,
sous le mantean ele la loi, apparatt un monstre qui
menace ele ruine les nations, qui porte sur sa hanniere
le mot Liberte, mais qui, par ses actes, produit la




- ;¡ --


tyrannie la plus sanglante, les plus épouvantables
exces : le vol, la mort, le déslionneur ! Ce monstre ,
c'est la démalJo!Jie.


Arislote disai t que les démagogues, courtisans du
peuple, étaient plus aredouter que les adulateurs des
tyrans, Cette vóritó, répétce par Louis-Philippe dans
les prerniers jours do son gouvernement de roi-ci-
toyen, Iut c1éveloppée par 111. de Lamartíne, au com-
mencement de la République , dans les magnifiques
termes qui suivent, et que nous empruntons a un
article « La Démocratie et la Dórnagogie JI puhlié
dans le Cimseiller riL¿ Peuple.


« Les dórnagogues sunt les flatteurs, les courtisans
« du peuple , quanclle peuple est souvcrain, Ils le
• porvertissent ponr exploiter ses vices et ses crimes.
« Ils l'enivrent pour le précipiter dans tous les
« ahímes, Ils exaltent sos rcssentiments , ses misares
« et ses arnbitions jusqu'á la tyrannie , centre les
« autres classes do citoyens. Ils le pousscnt aux
• conspirations et aux violoncos contra son propre
« gouvornemont , Jo lendemain rnéme d'une révolu-
« tion faite pour donner la liberté lcgale et l'égalité
" politiquo. Ils l'arment contre ses représentants,
'1 centre sa constitntíon, contre le suf1:'rage uníversel,
« centre les bourgeois aisés, centre I'industrie, 0011-
« tro le cornmerce , eontro la prospérite , contre luí-
• mérne ; contre tout ce qui constitne le travail, la
, production , la consomrnation , Je salairc, le hion-
• étre et la vie des peuples, IIs lni conseillen t le sui-


,
• o




- (j-


" cide. IIs lui donnent des armes pour qu'il se déchire
" de ses propres mains!


« Tels sont les courtisans de la multitude ; pires,
u s'Il est possihle , que les courtisans des rois. Cal'
!l les courtisans des rois ne pervertisseut qu'un seul
" nornme, tanñis que les autres soñorcent (le per-
a vertir toute une nation! Apprcnez i vous défier des
" anarchistes , si vous voulez res ter républicains l »


Ce Iurent les démagogues qui, en agitant le peuple
de l'Amérique du Nord , le fírent accuser de concus-
sion ot de trahison Washington lui-mérne , qui venait
de cimenter de sa fortuna et de son sang la liberté de
la république; ce furent eux qui pousserent le peuplo
a le proscrire, a le jeter dans une sorte d'exil moral
des affaires publiques, pour appeler a sa placo des
soldats insubordonnés , des agitatenrs des places
publiques et des faillis de Boston , la lie de I'Europe
rejetée par le mépris public sur les coles de I'Atlan-
tique.


" Mon ami, ,,- écrivait alors \Yashington aun de
ses compagnons d'armes : - "je verse des larmes
f( de sang sur l'avenir de mon pays, si la sagesse du
" peupIe américain ne parviont pas ú le soustraire a
f( I'influence de pareils hornmes. Il nous sera plus
" difficile de vaincre les démagogues que les Anglais,
« Les démagogues compromettent tout ce que nous
a avons fait. Ils étahlissent un gouvernemcnt d'agi-
« tation permanente, et des sociótús démagogiques
a vis-á-vis du congres national ,illlpcriwn inilllpcrio.




7
« Et quel ernpire! lornpire des plus audacieux, des
« plus perverso Si l'Amériquo permet cette anarchie,
" si le congres ne refrene pas les clubs, la république
« est perdue, »


Aprés un an d'agitation et ele folie qui compromit
son indépendance , 1'Amériqne eut la sagesse ele
refréner et mérne do prohibcr les clubs. Une fois les
démagognes vaincus , cetto république apparut
comrnc la plus grande ot la plus solide des dcrnocra-
ties. Le granel Bolivar n'eut pas , comme le modesto
Washington, le honheur de mourir en voyant les
pays qu'Il avait d élivres purgés de démagogues.


Les dérnagogucs out creusé partout la tombe des
institutioris liberales. Nous ne nous lasserons jamáis
de le repéter : anotre époque, 011 le monde a marché
dans la voio de la libertó, les obstacles que celle-ci
pourra rencontrer dnns son développorncnt, les com-
motions que pOUrl'Oll L óprouver les soc:iélés, vien-
dront des exces dos dámagoguos. L'anarchie ameno
toujours aprés elle le despotismo du sahre,


Les démagogucs , disait un puhliciste hispano-
américain en 18n, out tonjours comhattu la libertó,
paree qu'ils ont cornhattu la civilisatiou ct la vórité,
Au Pnyz d'Atheues, au Capitule eL au Vatican de
Iiome , aux Tuileries de Paris, an parlernent de Lon-
dres, au Palais-Blanc de Washington , dans toutes les
repuhl iques de l'Amóriquc cspaguole, los dcmagogues
ont profanó la liberté; ils l'ont blcssúe mortcllcment,
en eommetfant en son nom des crimes immenses, La




- ,') --


liberté de Horne, la répnblique d'Athénes , la natio-
nalité de Carthage, tomheront sous Jes coups des
démagogues, La France répuhlicaine, en 1793, donna
au monde des ~O\l\'s de scandale el de honte , elle
traversa les désastres de la Terreur, la díctature du
Consulat. - Marat, Hobespierre, Saint-Just, Cou-
thon, etc., furen t démagogues, et , comme tels, ty-
rans execrables,


Danton disait au nom de la liberté: « Jl [ou; [aire
pcw' " et ponr réaliser son 'expression, ce digno mi-
nistre de la j ustice llt exéeuter les boucheries da 2 et
du 3 septembre. Peu de temps apres, la tete de la
princesse de Lamballe fut portee en triomphe sous
les fenétres de l'infortuné Louis XVI, qui atlcndait
80n triste sort.


C'es! uu sujet des exces comrnis 11:11' les démago-
gnes dans les journées tristoment mómorables des
10 aoú t, 2 et 3 sep tembre, que le pocte Schiller
écrivit ce passagc qui a eu tant d'écho : ,,1I ne faut
" pas réveiller le lion; la serre de l'aiglo est san-
11 glante et terrible; mais ce qu'il y a de plus terrible
• et de plus effrayan t, c'est I'hornme dan s le delire
• de la liberté! •


Nous pensons avee Cremé quo ce n'était pas la le
delire de la liberté. Il ne faut pas profaner un nom
aussi sacré, Ce fut le delire de la plus féroce et de la
plus infárne tyrannie! Et ce qu'il y a de plus singu-
lier , c'est que les démagogues, apres avoir exercé
leur tyrannie sur les bons citoyens, apres les avoir




-\i-
pilles ct assassinés, finissaient par s'assassiner les uns
lAS nutres. Ainsi Marat , qui demandait publiqucrncnt
300,000 Wles, meurt assassiné ; Danton , pris comme
un géant dan" "on 'Dommeil,cst immolé \.lar le I1etit
Itohospierre; Ilobespierre, a son tour, est immolé par
Tallien. 11 cette ópoquc, le hourreau était devenu le
véritahle sonvcrain do la Franco. Aussi, quand Danton
cornparut á son tour, les rnains liées, devant le hour-
rcau auquel il commanc1ait la veille, et lui di t avec
un regard sinistre : ({ (lnoi ! c'est toi, misérable! "
- lo Console-toi, lui répliqua l'homrne-supplice, tu ne
seras pas le dernier qui tomberas sous ma main ... "
Et cependan t, dans ceue ere henreuse d'échafallds el
de guillotines, on entonnait de belles strophes en
l'honneur ele la déesse Ilaison , de la déesse Liberté,
de la déesse Yérité, Voici des vers á la Liberté:


Quu!, aecenls! q ucls tr an s po r i s ! parlou! la gai!l' brille,
La Franco es!-e11e done un e se ulo famille?
Au l icu mó m c oú ¡PO r o is c'taLtient l e ur fier!é,


On adore la Lib e r té , ele., e tc ,


Mais Iaissous de colé les dómagogues, gens pour
lesquels nous avons en eles l'enfanco la plus vive
rópulsion , ct voyons la Iiliation de I'Autorilé et de la
Liberté, leur origine et 18m ohjet.




- J(J-


IV


M. Émile de Girardin a imprimé, dans son écrit
sur rAbolilion ele tasuoru«, etc., les plirases sui-
vantes :


« Les deux príncipes qui se disputen! l'ernpire des
« sociétés sont : l'Autorité absolue , la Liberté ah-
« solue.


" Ces deux génies antagonistas s'excluent mutuel-
« lement et sont tout abit incompatibles. Il no peut
« jamais y avoir le moindre accord entre eux. - Ils
« sont fatalement logiques ot conséquents par leur
« nature. L'essence de chacun d'eux consiste dans la
« destruction de I'autre,


" l'Autori té, fine de la force, se fonele sur la con-
~ "gueto.


« La Liberté, filIe du travail et ele la raison , se
« développe par I'ecoriomie.


u L'Autorité est assise immobile sur la foi; - la
" Liberté marche appuyee sur l'exarnen .


• L'Autorité proclame le mal et I'enferme dans son
" sein ¡-laLiberté proclamo lo bien ot le repand sur
" le monde.


n L'Autorité favorise I'ignorance ; -la Liberté in-
" spire la science.


" L'Autorité protege 1'err01I1' el ponrsuit la vérité;
n-la Liberté protege la véritó et poursuit l'erreur.




- 11 -


« L'Autorité est une invention de l'homme ; - la
« Liberté est un préscntde Dieu.


(, Il faut choisir entre ces doux ennemis irréconci-
« liables. Il n'v a pas de milieu , pas de íransaction
". possible entre cux. 1'11n est le génie du bien, 1'autre
« est le génie du mal; - l'un est la Iurníere, l'autre
" est les ténehl'es. Celui-ci a concu et produit le
« passó ; -l'autre ahrite et íéconde l'avenir, "


Entendons-nous avec .\1. de Girardin.
Si I'Autoritúest rejetée absolument, la véritahle Li-


berté est nussi rejelée d'une maniere absolue ; la
propriété, l'éeonomie, la raíson et le travail, bases
de la liberte, d'apres JI. de GÍl ardin lui-meme, sont
rejetes aussi, Onrejette done la civilisation, on rejette
done la société,


La Liberté est un présentque Dieulégua á I'hornme;
l'A.utorité est un attrihut de la Divinite,


Qu'est la droite raison dans I'hornme? La droi te raí-
son est I'mstitutrioe de la liberté: e'est la lurniore quí
montre Ú l'homrne le ebemin qu'il doit suivre, e'est
la souveraine de la liberté, e'est l'autorité de I'hornme
sur Iui-mémc. I;~dairer la raíson, e'est diminuer les
probalrilités d'erreur, en diminuant les ehances de
rnauvais exerciee de la volonté; par conséquent ,
e'est donncr él l'Autorité la prépondérance sur la Li-
berté.


De méme, qu'est-ce que la liberté dans l'homme?
C'est 1<1 preuve ele l'imperfection de son intelligenco
et ele sa voloutc. La perfcction do I'intelligence et de




-- 1:¿ -
la volonté exclut l'existence de la liberté d'électíon ,
puisque la liberté consiste achoisir entre deux voies:
celle de la vérité et celle de I'erreur; et, pour une in-
telligence et une volonté parfaites, il n'y a qu'une
voie possible, celle de la vérité.


Si la Liberté est sainte, l'Autorité est sacrée. L'ótrc
pensant ne peut arriver a so. destinée immortelle,
s'il n'imí le pas les perfections du Créateur ; s'il no
fait pas usage de son intelligence et ne regle pas tout


. d'apres elle. - L'intelligence proclame la nécessité
de l'autorité, paree qu'elle proclame la nécessité de
I'ordre , et qu'il ne peut y avoir d'ordre sans auto-
rité. L'ordre est la fólicitó du ciel, comme il en est lá
loi. - Sans ordre , il n'y a pas de liberté, il n 'y a pas
de bonheur. l'Autorité, filIe de l'intelligence divine
et appui de la liberté humaine, est la reine du ciel.
C'est l'Autorité qui rend possible l'existence sociale.


Sans l'Autorité, la société serait un chaos ; elle se-
rait le regne des ténehres, la proie des plus forts, par
conséquent des plus barbares.


L'Autorité assure la liberté, paree qu'elle protege
le plus faible contre les attaques des plus forts.


L'Autorité veille sur l'honneur des Iamilles , et chá-
tie les torls faits achacun de leurs rnembres.


L'Autorité couvre la propriété de son égide sainte ,
et punit séverement le voleur et le larron,


L'Autorité dcnne l'impulsíon an développernent des
éléments de prospériré publíquc , en Iavorisant les
progres des particuliers.




- 13-
L'Autorité protege les talents et leur préte un ferme


appui,
L'Autorité poursuit le criminel et protege I'inno-


cent,
La Liberté n'est pas un sentiment dépourvu de no-


blesse, qui consacre les exces et Iait germer les ini-
quités. C'est un sentiment pur comme la verlu, qui,
rendant l'homme maítre de ses actions, le met dans
la voie du bien et le rend le digne fils du Créateur,
par les vertus qu'il pratique. La liberté que possede
l'hornme . de faire le mal est une liberté égarée;
c'est fe pouvoir de Luzbel pour se révolter contre
Dieu; c'est l'envie de Caín le poussant á jeter la mort
sur la terreo Ce n'est pas l'ange du bien descendu du
ciel pour consoler l'homme; c'est le génie du mal
sorti de l'enfer pour torturer l'existence humaine!


La liberté qui vivifie et qui fait progresser, la li-
berté qui conserve, ri'est pas, suivant l'expression
d'un écrivain américain, la licence qui, couverte du
bonnet rouge, foule aux pieds le cadavre de son frere
pour plantel' sur lui son étendard ensanglante, Ce
n'est pas la démagogie, qui regarde les gouverne-
ments comme les ennemis naturels des peuples. Ce
n'est pas l'impuissance, formules de fait en prín-
cipe de gouvernement; ce n'est pas l'orgueil, qui
veut faire au peuple I'aumóne de ce qui lui appartient
de droit. Non; laLiberté, c'est l'individusacrifiant une
partíe .de son droit en faveur de la comrnunauté;
c'est l'Evangile mis en pratiquc; c'ost le bien de tous


'2




- 1'1-
et de chacun, sans le mal du dernier des membres
de la cornrnunauté politique; son origine est dans le
désir de bonheur et sa limite dans le préjudíce du
prochain. 'I'elle est la Liberté: le reste est lieenee,
vanité ou mensongo !


Mais les tyrans ne sont pas les seuls ennernis de la
Liberté; les passions son t les véritaLles tyrans de
l'homme. Quand la raison et l'intelligence sont sub-
juguées par les passions, l' individu manque de liberté;
alors il pord le seeplre que le ciel lui donna pour
qu'il fút le r.ri des eréatures, el il devient le dernier
des étres crées. La tyrannie dos rois, disait un écri-
vain francais en 1849, est rnoins IOUI'do (I1W la tyran-
nie des passions. Joseph, au fond d'un obscur cachot
d'esclave, est plus libre que l'orgueilleux Pharaon sur
son tróne ; Jean-Baptiste et ses Ireres étaient moins
esclaves qu'Hérode au comble du triomphe de sa
volupté; Picrre, suspendu él une croix,était plus libre
que le sanguinaire Néron.


La premiare el la plus désiraLle des libertes est
celle que l'on obtient par le triomphe remporté sur
soi-méme ; de méme que l'esclavage le plus dógradant
est celui qui nous assujettit au despotismo des pas-
sions, qui 110US Iait suivre leurs impulsions comme
les bétes suivent les instincts de leur grossiere na-
ture,


L'avare qui veillc pour tliésauriscr ost-il libre?
Non; avide d'or, il n'éprouvo de plaisír qu'en enten-
dant le son du metal; il est l'esclave de cette hideuse




-- 1;") ---
et insatiahle passion, L'amliitieux est-íl libre, lui qui
perd tout repos, touto quiótude, en cherchant les
moyens les piusconvenables pour arriver ases fins?
Gil est la liberté de cet homme ? La fíevre le con-
sume; chaqué ohstacle qu'il reneontre dans sa car-
riere lo rernplit de soucis, lui Iaít maudire llexistence.
II est l'esclave do SQ folle passion.


Est-il Iibre, lo sensualista quí , pour un instant de
'plaísir éphémere , perd le sentiment de la gloire, du
grand et du beau; qui abjure tout avenir et toute
espérance? Voyoz-le toujours taciturno, toujours
chagrin ; il cherche le plaisir, el le monde ne lui
donne que dédains et mépris.


Non; il n'y a de Iihertó ni pour l'snvieux, ni pour
l'avare, ni POUl' le sensualiste, ni pour celni qu'agite
l'infernale soif de la vengeance. Nous ne devons done
pas rechereher avec autant de soin la liberté poli-
tique, consistant dnns les formes de gouvernement ,
que la liberté de I'árne ; celle-ci produit nécessaire-
ment la premióre.


La liberté individuelle consiste ú se rnettre an-des-
sus de soi-mérne, ú suivre les impnlsions de l'áme, et
non les monvemen ts déréglés de la matiere. L'homme
qui sait mattriscr ses passions aime la liberté, la li-
berté pure, ce sentiment qui eleve I'áme , qui lui
fait comprcndre sa destinée imrnortelle, qui I'assimile
a I'ange ,


Un peuple cornposó d'hommes de ce genre doit
nccessairernent étre libro et répuhlicain , paree que




- 10 --
la tyrannie poli tique nait de la tyrannie des passions,
de mérne que la liberté social e nait de la pratique de
la vertu, de la victoire sur les instincts déréglés,


On ne peut jouir de la Iiberté qu'au sein de la so-
ciété, et la societé ne peut exister sans autorité. La
oú I'on n~st pas cerlain de sa propriéte, oú personne
ne pout dire : cela est amoi, ceci ost ;i toi; OÚ I'epoux
n'est pas sur de Thonneu r de I'ópouse ; ou le pere n'a
pas les moyens d'assurer la pureté de ses filIes; ou
les liens soeiaux no sont pus resserres par les lois ;
oú les lois ne sont pas respectees el, exécutées par
l'autorité, - la liberté ne pout exister; paree que la
ou no rcgnent pas la séeuri té, la-propriété, l'honneur,
il Y a tous les éléments de la plus rude tyrannie.


La société sans autorité ne peut se cornprendre ,
paree qu'elle n 'est pas possible, «Une société sans
« autoritó, cst un corps dans ler¡nellos yeux sont les
« pieds, les pierls sont les yeux , Io hras cst la langue,
« le ventre est la lMe, lout est confusion et forme un
• composé monstrucux, » auquel pcut parfaitemsnt
s'appliquer le vers 658 du Il le livre de l'Énéidc:


Mon stru m ho rr-cnd um , informe, i ngcns, cu i lumen ad cm ptu m.


De la Liberté nait nécessairernent l'Autorité. La
Liberté cree l' Aulorité pour que celle-cí la défende et
protege son développement normal. La Liberté et
I'Autori té marchent unies; il ri'y a que les anarchístes
capables d 'assurer qu'elles sont incompatibles.




- 17 ---
Les familles sont le type, la base des sociótés , et


e'est dans les familles que l'autorité est le rnieux eta-
blie, Dans callos oú l'autorité s'est reláchée, il n'y él
pas la paix : les intéréts souffrent , les enfants se per-
vertissent, Il en est de mérne dans les sociétés : eelles
ou regno l'anarehie perdent Ieur existencc et s'effa-
eent du livre des nations indépcndantes.


La religion chrétienne, qui apporta au monde la
véritable liberté, qui rendit a la femme ses droits
perdus, qui en flt la compagne et non plus l'esclave
de l'homme, - s'appuie sur l'autorité divine.


Surquoi s'appuient les sciences,les arts,les helles-
lettres, la civilisation enfin? Sur l'autorité des sa-
vants et des maitres.


Ceux-lá méme qui soutiennent les doctrines anti-
sociales ne s'appuient - ils pas sur l'autorité de
leurs maitres, Campan ella, Owen, Fourier, Prou-
dhon, etc.?


Mais si, d'apres J\I. de Girardin, «Tautorité favorise
" l'ignorance, protege l'erreur, proclame le mal et
« poursuit la vórité, - comment M. de Girardin veut-
ll arriver a (f l'économie , au travail organisé, a I'ac-
croissement de la consommation, au développement
de la production, a l'affermissement de la paix, a la
disparition de la misere , á la transforrnation de l'im-
pót, a l'organisation de la démocratie, a l'élévation
de l'humanité, al'extension de la civilisation,a l'u-
niversalité du bien-ótre, á l'unité du monde obtenue
par le pouvoir de la scienee, a l'ordre obtenu par


2.




- 18-
l'nnitó du gonre humain? » 'I'out cela est inconciliable
avec ce qu'on appelle liberté absolue \.


Si l'AutoriLé est un crime, une usurpation, pour-
quoi parlar d'économie, de démocratíe, de droits, de
rópublique ?La répuhlique n'est-elle pas un gonvorne-
ment? N'est-ce pas un contre-sens que de parler de
consommation , de travail, d'irnpót, duuitó du mon-
de, otc., en rnéme ternps que l'on renie toute sujé-
tiori, que ron cherche avidernent Ú rompre tous les
liens socianx ? « L'Autorité, tille de la force, se fonde
par la conquéte ; » de sorte quo le gouvernernent de
I'Amóriquc du Nord devrait, d'apres M. de Girardin,
tomber paree qu'il fut Iondé par In coriquéte. (luelles
sont grandes, les crreurs des hornmes d'un grand
talent !


L'Autorité es] saiu!e, elle est nócessaire pon1' con-
1. M. Charles Iiunoyer, d ans son magnifique ouvrage sur


les nd{{tiO>1,~ de l'Liulustrie avec la Liberte et la Moml" a d it , '"
propos de la liberté, ab so lu e : « Lo mot liberté u'cxprime ja-
« m ais qu'une q uantité relati ve, cal' il u' ya pas de liberté abso-
« Iue , Tout étre erc,é e s t soumis 11 ccrtuin cs lois, et ne peut
e: agir que dans des limites fixe s el pr é cises. L'cx pression libre
< comme l'air, dont n o us n ou s s er von s q uclo uefo is pour
« désigner une liberté il lirn itée , n'exprime q u'une quanti té
« tr es-Ii mi té e , L'atmosphere , en effe t , es t invineiblement
« un i e a la terre; les vents sont soumis a des lois inflexibles;
,< l'air n'est done pas indéfinirnent libre, pas plus qu'un au-
« tre eorps matér i el : les etres an im ós n e le son t pas d avan-
« tage , et I'h ornm e ne I'est pas plus que le reste de la
e crr-ation. De mé me que les ani mnux e t que !outes les
« Io rc cs de la na tu r c, il ri'ust susccpti LIc que d'un e certaine
« espeee d'cxtension d'aetion, »




- HJ-
server I'ordre, la liberté, la science. - L'anarchie,
qui est l'ahsence de tont8 autorité, est le chaos de la
société, l'absence de la lumiere, de la liberté et du
bien,


11 es! vrai qu'il y a des pouvoirs tyranniques, des
pouvoírs oppressenrs; mais c'est paree que dans le
monde le bien existe él cóté du mal: ces pouvoirs
n'ont du reste qu'une existence éphémére; I'histoire
le prouve. Nous voulons l'autorité avec la loi pour
limite, avec la justice pour regle, avcc le bien public
pour point de dópart et pour borne, avec l'absenco do
partis mesquins et d'jntérets personnels, avec des vues
élevées, Voilá le veritable gouvernement et la
vcritable autorité. Nous sommes loin de vouloir un
gouvernement qui tende, mérne d'une maniere eloi-
gnée, au despotisme ; mais nous sommes loin aussi
de renier le príncipe sauveur de l'Antorilé.


Pour combattre le príncipe de l'Autorité, M. de Gi-
rardin cite, dans son Jivre Le Droit, le texte de l'Évan-
gile de saint Mallhjeu: " Les derniers seront les pre-
" miers, et les prerniers seront les derniers. 1) Sans
répondre a1II. de Girardin que le Christ voulut seu-
lement donner un conseil dhumilitó, sans faire appel
aux nombreux textes que ron pourrait puiser dans
tous les livres saints pour soutenir le principe de l'au-
torité, nous nous contenterons de tirer la réponse de
l'ohjection rnórne. Puisqu 'on dit: "Les premiers seront
les dernicrs, ctc.;» c'est que l'on reconnait qu'il ya
des premiers el des derniers, qu'il y en a qui cloi-




- ~u -
vent commander et d'autres obéir; qu'il y a Autorité,
en un mot, et autorité legitime.


Nous terminerons en citant les paroles d'un
éloquent écrivain espagnol : " La véritable cause
" du mal profond dont souffre l'Europe, est dans la
• disparition de l'idée d'autorité divine el d'autorité
" humaine. Yoilá le mal dont l'Enrope, dont la so-
• ciété, dont le monde entier sont affectés .•


1849.




JI
LIBERTÉ INDIVIDUELLE.-DETENTION PRÉVENTlVE 1


Lo magi strat instructeur est toujours firmó
co ntrc la. liberté, jamais pour elle.


BéRANGER (de la Dróme).


I1 ri'est rien de plus précieux que la liberté indivi-
duelle, inséparable de la sécurité. C'est pour la ga-
rantir que les hommes se reunissent en société,


Dans les associations poli tiques, il existe deux
objets principaux : garantir les droits individuels,
conserver intacts les droits sociaux , en d'autres ter-
mes, produire la sécuritó, au moyen de l'équilibre
constant entre le droit propre e t le droit d'autrui, entre
le droit et le devoir.


Mais de me me que le droit propre, sans limites au-
cunes, n'est que l'anurchic, paree qu'il suppose l'an-
nulation du droit d'autrui ; de mérne, l 'omnipotence
du droit social est la tyrannie, paree qu'elle annule le
droit in di viducl.


1. No us avons suivi los é tu de s de MM. Bal lo t, üdilon
Barrot , 'I'essi er de Rausch e n bcr g .




Ces préliminaires ótant posós, examinons rapíde-
ment ce qu'est et ce que doit étre la détention pre-
ventive.


Il est incontestable que la société a le droit et le
dcvoir de se déíendre, aussi bien que l'individu; mais
il est hors de doute aussi que ce droit est limité par la
nature des droits indivíduels, qui son t en mérne tornps
ceux de la commuuauté, Le mal fait á l'un des asso-
ciés est une menace constante pour chacun des
citoyens et pour tous en general.


Dans les cas de contravention a la loi, de elélit et
de crime, il est clair qu'il eloit y avoir, elans une so-
ciétó bien organisée, eles fonctionnaires spcciaux pour
s'enquérir du delit, découvrir le coupable, réunir les
preuves du méfait et imposer une peine al'auteur,


Mais comme tout homme doit ótre considéré
comme innocent tant qu'il ri'y a pas ele preuvcs du
contraire, le hon sens, l'équité ct la justice veulent
cluepersonnu ne soit Irappó d'une peine, quolque 16-
gere quelle soit, sans étre convaincu d'avoir violé
les devoirs et trnusgressó les lois.


Eh bien, la prison;qui n'est pas moins prison paree
qu'on lui donne le nom plus doux ele détcntion, est
une peine, cal' elle prive l'hornme de sa liberté, qui est
le plus cher des hiens, cal' elle affecte son honneur et
l'honneur de sa Iamillo, le plus précieux des trésors,


Lorsqu'un individn est dénoncé comme coupabJe
d'un delit ou d'un crirne, le juge instructeur ne eloit
pas agir sur de simples soupcons ; le corps clu dclit






- 2'1 -
individuelle n'est pas un droit particulier, rnais un
droit qui intéresse la communauté.


Nous avons dit que le juge rlevrait ordonner la
comparution de préférence el l'arrestation , par le
príncipe mémo que tout individu doit étre reputé
innocent tant qu'il n 'ya pas de preuvcs du contraire;
cela, bien entendu, en exceptant le cas oú il est pris
en flagrant délit, OÜ il aurait subi deja d'autres con-
damnations, ou il aurait une mauvaise reputation.


Apres la comparution, l'individu assigné ne doit
figurer dan s aucune prison ni maison qui y ressem-
ble pour attcndre d'étre soumis a l'interrogatoire.
C'est l'illustre criminaliste M. Faustin Hélie qui ie dit
en ces termes: « Si l'interrogatoire est retardé dans
« les vingt-quatre heures, le prévenu doit étre me-
• mentanérnent déposé dans une chambre el part,
« qui ne soit ni prison ni dépendance de prison, qui
• ne luí imprime ni les apparences ni le reflet d'une
" prison réelle, Le mandat de comparution ne con-
• stitue point un état de dótention provisoire : c'est
• un simple état d'expectative. Le prévenu attend
« son interrogatoire, et ce doit étre dans l'endroit
" me me oú il sera fait .•


Une grave question est celle de la mise en liberté
du prévenu ou du maintien de la détention preven-
tive. M. Hélíe dit el ce propos : « Cet acto est un jugo-
• ment, et ce jugement doit se baser sur des pré-
• somptions sérieuses, puisqu'il place le prévenu
" dans un état de détention qui peut durer jusqu'á la




- 2~-
« fin de l'instructíon. IL faut done que les premiers
u indices aient été confirmés par quelques térnoi-
O( gnages. Il faut, surtout, que ces témoignages n'aient
• pas été détruits, ni méme affaiblis, par les explica-
« tions du próvenu, "


Il est un mitre point important a considérer: lo
juge instructeur doit avoir une certaine latitude dans
la recherche et la constatation du délit ou du crime
et dans la découvorte du coupablo j c'ost une affaire
de loyauté et de droiture. Mais le prévenu, surtout
s'il a été, mis en dépót ou retenu provisoirement,
doit avoir que1que recours contre ces actes, s'ils ont
etc injustes, En premiar lieu, le juge et le greffier
devraient étre tenus, sous des peines séveres , de
déc1arer, dans 1e mandat de comparution ou d'arres-
tation : la désignation exacte du prévenu, la spécifi-
cation du fait incriminé, et lo passage do la loi qui le
punit, acte écrit dont copie serait laissée au prévenu.
Celui-ci, en cas d'iníraction a ces formalités, devrait
avoir la faculté de faire appel a une assemblée pro-
tectrice de la liberté individuelle , dont la mission
serait de connaitre sommairement des recours pré-
sentés. Les membres de cette chambre seraient é1us
tous les trois mois par les citoyens ou par le conseil
municipal. C'est une idéo qu'indique, s'i1 ne la déve-
loppe pas, un éminent avocat, M. Tessier de Raus-
chenhorg, dans son ouvrage intitulé : De l''ilulépcn-
dance cioilecliez les Francais; en 1862.


Dans plusieurs nations de I'Europe, et des plus
3




- 2G-
civilisées, il se passe quelque chose dont, suivant
Tocqneville, l'idóe seule scandalisait les Américains
du NOl'U : quelquefois le préveuu, avant d'étre inter-
rogé, suhit des semaines et des mois do prison pró-
ventive; son honneur est souillé, sa famillo resto
saTIS appui, ses interéts sont alJalld01JIJ(~S. Nous en
avons vu des oxcrnplus, et nous demandons sí c'est
1ade la civilisa tion,


En Franco, les Ordonnancos de 17CO, titro X, art.Jfl,
disaient : « L'emprisonncment ne sera decrete pour
{( personne , si ce n'est pour crirne entralnant uno
« peine afflictive el infamante. »


Gausse, cité par M. Ballet, dit en commentanl col
article : « Les juges doivent prendre de grandes pré-
« cautions, et ne pas ordonner a la légere l'empri-
{( sonnernent d'un accuse. Ils doivent agir en ceja
• avec une grande prudence , cal' la prison est une
« injure irreparable, a cause de I'espece el'infamie
" qui s'attache el. elle. J)


M. Ballot , dont les rcrnarquahles dueles nous
ont guidé plus d'une Iois , et surtout dans cet ;11'-
ticJe, remarque aH,C douleur que c'est apres la
chute du monde Ieodal, dcpuis le triornphe des idees
libérales, que l'on a dit en France : par la volonlé
d'un seul homme, l'emprisonnement 1:10111'1'a étre
décrété contre tout citoycn domicilié ou non, pour
elélit ou crime entraluant ou non peino alllictivo ou
infamante! Et cela, sans que ce méme homrne, s'il a
cornmis une erreur, puisse uicttrc en libertó le cí-




toyen injustement incarcéré . Mais cette monstruosité
cst bien plus grande encere, si ron considere que ce
magistral peut séquestrer le prévenu, le priver de
[ante comrnunication , de tout conseil.


En Angleterre , la vóritable liberté et la garantio de
son exercicc sont ótablies en príncipe. Si la pratique
laisse pa rfois quelquo choso el désirer, nous n 'avons
pas el nous en occupcr, Le pcuplc anglais a toujours
voulu étre libre, el,a couquis des garanties précieuses,
qui sont dues á tout homme, de quelque race qu'il
soit et sous toutes les latitudes.


M. Ballet Iait observor que la J1Tagna Charla du roí
Jean sans 'I'erre, qui porte la date de 1215; l'acte
connu sous le nom de Petition o{ nighlS, accordé par
Charles I'" ei11G28; l'acte fameux de l'Habeas corpus,
sous Charles JI, en 1079, rcconnaissent et garantís-
sent la liberté individucllo, en étahlissant qu'aucun
citoyen ne pcut étrc arréte ni ernprisonné, ni dé-
ponilié de ses hiens, coutumes et Iiliertés, ni con-
darnné amort ou á I'exil , si ce n'est par sentence de
ses pairs, suivant les lois du pays, Ainsi s'exprirne
l'article !IB de la Grande Charle. L'acto de Pétition
des Droits dit il son tour: « AUCUll homme ne doit
• étre mis ct retenu en prison sans avoir été entendu
• en jugernent. •


En Angleterre, chaque citoyen a son droit reconnu,
ella sauction eflective de ce droit est á sa portée.


Tont «itoyen arrétó pour un (Time quelconquo
pcut ohtcuir, en s'adressant au lord cliancelier OH á




- 2K-
l'un des douze juges, un writ d'habeas corpus, c'est-á-
dire un ordre de comparution devant le juge qui a
délivré le uirit. Dans le délai de deux jours apartir de
l'exécution du writ, il doit étre mis en liberté, á la
condition de fournir caution qu'il comparaitra 11 la
premiere réquisition devant la cour qui doit le juger
défínitivoment.


Le geólier ou son agent qui refuserait de remettre
dans les six heures une copie du warrant ou acte
d'incarcération , nécessaire pour obtenir le writ
d'habeas corpus, est condarnné apayer au détenu une
indemnité de deux cents livres sterling. Le geólier
qui négligerait de répondre au WJ'it d'habeas corpus
ou ne présenterait pas le prisonnier conformément a
ce writ, doit payer au détenu une indemnité de cent
livres sterlíng. En outre, ce geólier ou son agent
perdrait sa place.


Le juge qui refuserait de donner le uirii d'habeas
corpus, sur la présentation de l'acte d'incarcération,
payerait au prisonnier cinq cents Iivres sterling, it
titre d'indemnité.


Aucun citoyen mis en liberté en vertu d'un acte
d'habeas corpv,s ne peut étre inearcéré de nouveau
pour le mérne délit que par ordre de la cour devant
laquelle il a donnó caution de comparaitre. Siquelque
jugo agissait contrairement á cette disposition, il
serait obligé de donner au prévenu, á titre d'indem-
nite, une somme de cinq cents livres sterling.


Ainsi, d'apres la loi , les arrestations arbitraires




;2\) ---


sont impossihles ; la prolongation de l'emprisonne-
ment est difficile; la mise au secret, impossible.


l/habeas corpus est suspendu dans des cas excep-
tionnels, comme cela est arrivé sous Guillaume Ill,
Georges In et Georges IV. Le gouvernement peut
faire arrétor et emprisonner, sans jugement préala-
ble, les persorines soupconnées de sédition ou de
trahison; mais, en co cas, ces personries ont droit a
une inclomnitó, si elles prouvent leur innacence.


Aux États-Unis e t en Suisso, surtout clans le cantan
de Geneve, la liberté inclividuelle est complétemenl
garantie et a l'abri de toute attaque du pouvoir.


En France, dans ce pays qui a fait tant de progres
en divers sens, la liberté inclividuelle ne repose pas
sur de solides bases.


M. Roger (du Loiret) disait du haut de la tribune
parlementaire, en 1R'¡;'¡ : «La statistiqne nous dé-
« montre que, sur f¡O,OOO cas c1'emp"isonnoment pro-
• visoire, on ne compto que 400 cas de mise en
" liberté provísoire. IWe nous démontre aussi que,
« chaque année, plus de 19,000 citoyens sont déclarés
" innocents, apres avoir subi plusieurs rnois de de-
« tention pvéceiuioe. »


La liberté inrlividuello n'est pas suffisammont ga-
rantie en Frunce, du mament oú le magistrat peu t
délivrer un ordre de comparaitre (en ceci il n'y a
aucun mal), un ordre d'arrestation, de mise au dépót,
rl'emprisonnernent, ele mise au secret; la détention
prévcntive pouvant durer indéflniment. Quant a la


3.




- :)0
caution jie mise en liberté, elle n'est añmise qu'en
matiere cor1'ectionnelle, el doit consister en especes
Oil en irnmeubles.


Si 1'ineulpé est innocent, si le magistrat a agi arhi-
trairement ou manqué aux Iormalites legales, 1'0[-
tensé ne pout poursuivre un agent du gouvernement,
comme le dórnontre nr. 13a1l0t, qu'cn vcrtu d'une
décisicn du conseil tl'Etat, c'est-a-dire que l'action
judir.iaire est soumise á l'action administrative. Ji
quoi il faut ajouter que le conscil d'Etat est une
creation du chef du pouvoir , et que, IJar conscquent,
l'offonsé doit trouvor plus d'obstacles ú sa reclama-
tion.


NOGS parlons ici en these gónóralc. L'cxercico d'un
droit ne dovrait engendrer aucune suspicion, íut-
elle imméritée, comme nous n'avons aucunc peine
á le reconnaüre apropos d!UI1 COl'pS aussi honorable
que le conseil d'I;~lat.


Mais laissons I'analyse des Iágislations spócíalos,
cal' IlOUS navons en d'autro íntention que celle
d'exposer synthétiquemen t les principes qui nous
paraisscnt Ir plus conformes a ce que proscrivent la
juslice el le droit,


1863.




III


LlBERTiO DE LA PRESSE. - L1CENCE DE LA PRESSE


1


En tont ce qui a rapport á l'usage du droit, nous
avons toujours cu soin de cherchor sa limite natu-
relle, fixóo par la loi moralo et par l'essence méme
du clroit.


Un droit qui m'appartient supposo ponr autrui un
droi t identique, 011 ce qui revient '111 mérne un devoir
qui m'est irnposc. La limito do 1110n droit est le
droi t de mon voisiu, Il n'y a pas ele droit contra le
droit.


De ces vóritcs incontestables, méconnucs par les
ahsolutistes ct les dérnagogues, qui sont uno mérnc
chose sous dos noms diffórcnts, naít tout un systerne
politique ot social.


J'ai lo droit de faire tout ce qu'autorise la loi mo-
Tale, antérieure á toute autre Ioi, Je penso, done
j'ai lo droit cl'exprimer ma pensée , soit verbalement,
soit par écrit. Mais ma ponséo, qui est la synthese
de mon oxistcnco morale, pcut porter tort ú autruí:




je dois alors m'abstenir d'cxprimer cette pensée;
je voudrais et j'exigerais que mon voisin s'ab-
sttnt d'exprimer la sienne, si elle m'était préjudi-
ciable.


L'homrne, vivant en societé, et on ne peut le con-
sidérer autrement, a des droits; mais il a aussi des
devoirs envers la société, envers ses semblables ct
envers le gouvernement sous lequel i l existe. Quant á
l'expression de sa pensée, il a le droit de la Iormuler
par écrit ou de vive voix, et cela saus autre sujétion
que celle imposée par le droit d'autrui ou l'intérét
social.


En matiere de littérature , de politique, de science,
do philosophie, de religion , jo puis penser d'une au-
tre facon que quelques-uns de mes concitoyens, que
beaucoup d'entre eux ou qu'eux tous; je n'offense per-
sonne par ma maniere de penser, paree que c'est
lIlOIl droit et qu'on n'oífense persoune en usant de
son droit. Mais si j'ai le droit de penser, j'ai aussi le
droit d'exprimer rna pensée. Ni le gouvernement, ni
la société ne peuvent s'ériger en juges pour m'im-
poser une maniere de penser offtcielle ou conven-
tionnelle.


Personne, gouvernement ou société, ri'a le droit
légitime de restreindre l'expression de ma pensée.
Ainsi,on ne pourra jarnaisjustiüer que certains gou-
vernements aient le droit de conférer des priviléges
a des imprimeurs , a des éditours ou colporteurs
d'imprimes ; d'exiger d'oux un sorrnent ; d'imposer




comrne un devoir une autorisation préalable , un
cautionnernent ou le payement du timbre aux feuilles
quotidiennes ou périodiques et aux brochures d'un
certain nombre de pages ; de préparer la ruine d'en-
treprises considérables.et cela rnéme par simple voie
administrativo. De pareilles restrictions de la liberté
seraient tout au plus excusables pour Iaciliter I'éta-
blissement d'un régirne nouveau survenu el la suitc
de violen tes secousses ; leur excuse serait precisé-
ment dans la nécessité immédiate de rétahlir l'ordre
et dans le caractcre transítoire de ses dispositions,


1 1


Cela neveut pas dire que la liberté de la presse soit
absolue, sans Irein; qu'elle ne reconnaisse aucune su-
jétion , Non; nous admettons, par exemple, que l'on
puisse discuter les actes de la vie privée d'un Ionc-
tionnaire, d'un ministre des flnances, si cela est utile
el la communauté : ainsi, si un ministre des finances
a fait banqueroute, c'est faute d'inteUigence ou faute
d'habileté, et, dans I'un et l'autre cas, ilne peut gé1'cr
les intéréts de la communauté. La presse a le droit
alors de discuter les actes prives de ce fonctionnaire.


Mais il y a des cas dans lesquels le droit individuel
est et doit étre limité par le droit et l'intérét social;
par exernple, on n'a pas le droit de diffamer et de ca-
lomnier, de trahir la patrie.




- 3 í ---
Droit de dif{amer! la coníódóration Grenadine a


établi, depuis 1851, la liberté absoiue ele la presse.
Mais dire que Pierre a le droü ele difIamer, c'est as-
surer que Jean a pour deooir d'ótre diffamé, ce qui
est une monstrueuse aberraFon, un scandale moral,
A qui la diffamation est-alle utile '! A pcrsonne ; ni au
diIfamaleur, ni au diflamé , el 111C!ins encere Ú la so-
ciélé.


Dans cecas, le principo: Onrépond ir, un écrit partm
asure écrit cst faux : 1° paree que tous eeux qui lisent
la calomnie ne liseut pas la dófcnsc ; 20 paree que,
suivant le systerne ele don Ilasile , il reste quelque
chose ele la calomnie; c'est pour cela qu'un Fruncais
órninent disait que si on I'accusait d'avoir voló les
tours de Notre-Dame de I'uris, il comuicncerait par
s'oxpatrier ; 3° parco qu'il erige en délit l'ignorance
littéraire et la pauvrete : si je ne suis pas capablo de
répondre ú un habile calornniateur Oll si je u'ai pas
les rnoyens de payer la defcuse, mon honneur, ma
liberté sont a la mcrci du premier calomuiateur
qui usera di: droi: de calomnier; /1° paree qu'il J' a eles
accusations que la déíonse ne Iait qu'aggraver; par
exemple, Jean dit : - Madame X."., mariec, est en-
trée tel jour dans une maison inhabitéo sitnée dans
une rue solitaire ; peu de temps apres,lI1. Y... est
venu dans la memo maison ; tous les deux y out passé
plusieurs heures, el sout ensuito sortis en prenant
millo précautions , oteo - En pareil cas, si vous pre-
nez la déíeuse de madame X., vous 110 feroz qu'aug-




menter le scandalc et mettre votre cliente dans uno
position pire.


La haute trahison no peut jamais étre arlmise
cornme une chose juste, étre érigée en droit ; et ce-
pendant la liberté ahsolue de la presse y conduit, SI
Jean, lorsque sa patrie ost en guerre avec une aun-e
nation, revele él l'onnomi les plans de son general et
lui indique les points Iaibles par lesqucls il peut
diriger l'attaquo contre sa patrie, il est traitre ct
merite le dernier supplice, Mais, d'apres les de-
Ienseurs de la liberté ahsolue de la presse , ce
mérne Jean nc conrrnet point une action crimi-
nelle en trahissant sa patrie au moyen de la presse ;
c'est uno action iunocento! Estsil possible de faire
un ernploi plus scandaleux de tous les principes et
du sens mural?


Les Americains du Nord fournissent au calornnió
ot Ú I'offense les moyens de poursuivre le calornnia-
teur el I'offcnseur. Les Anglais, ct cela surtout depuis
Georges IV, punissent de la peine de mort celui quit
au moyen de la presse, trahit son pays ou diffame son
souvcl'ain.


Ainsi done, liberté complete et sans restrictions
pour touto discussion politique, littéraire, relígieuse ,
sociale , otc.; mais les tribunaux ordinaires, l'action
libre centro tout diffamatcur et traítre.


La lihortc, c'ost la jusíicn ; la justice, c'cst la mo-
rnlo,




- 3G-


lIT


Mais la liberté doit étre absolue. Entendons-nous,
La liberté, nous venons de le dire, c'est.la justíce,


Par conséqucnt, c'cst le juste equilibre entre le droit
et le devoir; liberte alisol uc pour 1'un, c'est une res-
trietionde liberte pour l'autre, et memo pour la com-
munaute ; la liberté sans sécurite n'est que l'oppres-
sion.


Un publiciste éminent de la Nouvello-Grenade a
qualifíó exactement la liberté ahsolue , dans un lan-
gage a la fois pittoresque et plein de sagesse.


Il y a, dit-il, une ruelle publique, par laquelle
tout le monde pent passer ; mais cette liberté est li-
mitée par une rostrietion qui dit : personne ne peut
s'arréter ou arréter ses meuhlos pcndant plus d'une
heure dans la ruelle. Vient un hornme ele peu de ca-
pacité, qui veut parser pour lihéral, et dit : Plus de
restrictions, liberté complete dans la ruelle. Alors
les hahitants en font le lieu de leur station; les
tailleurs y portent leur établí , les charpcntiers leur
tour et leur banc, les forgerons leur enclurrie e t leur
forge, le muletier y fait stationner ses hétes, le e11a1'-
retier ses chariots, et le porcher ses pares; le pas-
sage par la rnelle devientimpossible ou tres-difficile,
c'est-á-diro que la liberté d'y circulcr a disparu ou
diminué. Pourquoi '(Paree qu'on a eu I'irnprudence
de eroire qu'on augmentait la liberté en détruisant




n~
JI


la restriction que la sécurité imposait a ceue Iiher-té
rnéme.


La liberté iIlimitée, a dit M. Ospina, est la liberté
de la hrute , la liberté du sauvage ; la liberté de
l'homme civilisé est enferméo dans les murailles sa-
créos du droit, qui ne peut cesser d'exister sans le
dommage d'autrui et celui de soi-rnéme.


Le droit fixe la limite, et non la liherté ; et la jus-
tice et la convenance générale fixent le droit.Partout
ou la liberté apparaít foulant aux pieds le droit, elle
ameno la tyrannie, l'esclavage. Le despotisme,l'a-
narchie, la servitude domestique sont l'exercice de
la liberté hrutala ou la liberté víolant le droit.


ReJ'usezit un homme la sécurité, autorisez-en un au-
tre ú exercer par rapport él. lui sa liberté sans limite,
et de la résulteront l'oppression, soufferte par le pre-
mier, et la tyrannie , exercée par le second.


Ilefusez aun peuple la süreté contre l'exercice de
la liberté ilIimitée que vous accordez a un hornme
seul ou aun potit nombre d'hornmes, et vous aurez
lo despotisme poli tique.


Laissez él. tous liberté entiere, et enlevez-leur la
sécurité, vous aurez le plus formidable et le plus
destructeur de tous les manstres,-l'anarchie; l'anar-
chie n'est que la liberté tres-étendue et illimitée
pour tous, sans sécurité pour personne.


Les tyrans des peuples, les maltres d'esclaves sont
les amis les plus ardents de la liberté, mais non de
la liberté d'autrui , de la leur propre, iIlimitée. L'a-


-1




- 3t1 .---
mour que les démagogues ont pour la liberté est
identiquement le méme. Si vous en doutez, écoutez-
les, et vous les entcndrez á tout propos demandar
des exclusions : la proscription et la mort pour ceux
qui ne suivent pas leur hanniére, Donnez-leur le
pouvoir, et vous verrez quelle sera leur activité área-
liser de tels désirs.


C'est ce quí est arrivé Ú la Nouvelle-Grenade sous
le régime de certains radicaux, Invoquant achaque
pas la liberté absolue, ótahlissant la liberté de la presse
méme pour diffarner , calomnier et trahir la Ilópu-
bliquo (la disposition consti tutiounelle existo), ils ont,
en montant au pouvoir, étouffé la libre expression de
la pensée et elevé de toutes parís des échaufauds.
Et cependant les démagogues tronvent des gens qui
les excusent, tandis que les tyrans sont execres de
tous. Cela dépend de ce que les uns parlcnt el chaque
instant de liberté, et que los nutres ne la nomment
jamais ; mais les uns eL les au tres creuscnt la tornhe
de la liberté. Il est terups que les peu]Jlps deman-
dent des actes et non des paroles; il Iaut déclarer la
guerre aux tyrans, qu'ils exercent la tyrannie sous
le nom de tyrans ou sous celui de dérnagogues. Il
faut combattre les traflquants politiqucs , les cau-
dillos et les dictateurs.


La liberté de la presse, étant un simple développe-
ment de la liberte de la parole , doit uvoir la me me
limite que cette liberté.


Ce qui, exprime par la p;¡l'ole, coustitue un délit,




.- 3\J-


doit retro ancore plus si on l'exprirne par la pressc,
paree qu'elle est la parole multipliée á l'infíni ou du
moins indéfiniment. Il n'est pas licite de diffamer,
calomnier ni trahir la patrie au moyen de la pa-
role, de messages oraux ou écrits; il doit donc étre
moins licite encare de le faire par la presse.


Résumons-nous : libertó complete pour toute dís-
eussion poli tique, religieuse, socíalo, Iittéraire , etc.; li-
berté mérno pour discutcr les actes de la vie privée
de certains fonetionnaires, quand ces actes sont in-
timernent liés ti. l'acquit eles fonctions qu'ils remplis-
sent, cornme dans le cas presenté au commencement
de cet article; mais sévérité contre quiconque dif-
fame ct ealomnie au moyen de la presse, et surtout
contre eeux qui s'en servent pour trahir la patrie,-
voilá ce que nous demandons,


1863.






IY


DROIT DE RÉUNION ET D'ASSOCIATION


L'homme est uaturellement sociable, paree qu'il
est essentiellement intolligent, libre et sensible. Le
tcm ps actuel est le plus fécond en associations de tou t
genre, paree que c'est cclui O1i les notions du droit
ont fait le plus de progres, OÜ le champ s'est ouvert
plus 'laste aux idées dérnocratiques el libérales.


L'hornrne pensé, donc il peu: eaiprimer sa pcnsée,
soit de vive voix, soit par lcttres, soit par la presse.
L'oxpression do la pensée, la comrnunication des
idees, est non-seulement un des droits esseutiels,
mais une des premieres nécessités de l'homme qui
'lit au sein des sociétós politiquea,


Quoi de plusinnocent, de plus utile et de plus né-
cessaire que la réunion et l'ecliange des idees en tre
hornmes qui professent une mérne croyance politiquc,
sociale , philosophique ou religieuse ? La discus-
sion dan s une assernblee (plus l'assemhlée est nom-
hreuse , mieux cela vaut) épure, éprouve les con-
victions, el fait briller la veritó. Le droit de réunion


4.




'1:2 ---


et d'association est préexistant a toute loi positive;
mais ce droít a une explication logiquo qnand il s'agit
d'États ou d'associations politiques régis par des insti-
tutions représentativos.


Il faut étahlir une difIérenco, puisqu'il est convenu
de la Iairo , entre le droit de réunion , qui supposo
uno assemblée de citoyens pour traiter, dans des cas
déterrninés, d'une affaire quclconque, - et le droit
d'association, qui suppose l'existence permanente ou
périodique d'une assemblée plus ou moins norn-
breuse.


Dans le prernicr cas, le droit de réunion est incon-
testable, et on ne pourrait le restreindre ou I'annuler
qu'en abusant de la force.


Quant au droit d'association, qnelques-uns préten-
dent : 10 Que les réunions ayant un caractsre perma-
nent, - soit qu'elles aientlicu journellement ou ades
intervalles plus ou moins longs, - ayant un regle-
ment, des chefs, une organisation reguliere.s--doivent
étre soumises aune autorisation préalable, á une sur-
vcillancc continuelle, a l'acceptation du chef nomme
par l'administration, ou au rnoins ala présence d'un
agent do la poli ce ;-que les membres ou leurs repré-
sentants doiveut donner une caution et des garanties
de ne pas troubler l'ordre, et de nc pas attenter ala sé-
curitó publique; 20 que si ces conc1itions no sont pas
exigées, les réunions doivcnt au moins étre SOtlS la
surveillance imrnédiate des autorités, leurs membros
restant soumis a la responsahilité legale - c'est-á-




dire á la poursuito j udiciaire et rnéme administrative,
dans le cas OU l'objet des réunions serait contrairo a
la rnorale, aux lois, et attentaloire a l'ordre publico


En un mot,. les deux écoles qui proclament en
affairos de prcssc, l'une la répression et l'autre la li-
hertó absolue, se trouvent encore en présence en ma
tiere d'association ,


Nous avons déja oxposé nos príncipes au sujet de
la liberte de la presse. IIs sont cntiórernont appli-
cables quand il s'agit UDS associations ; n011S renvoyons
done anos écrits sur la liberté de la presse. En re-
sumé, nous dcmandons : la liberté complete d'asso-
ciation pOn!' toute discussion politiquc, religieuso,
sociale, philosophique.Iittéraire, etc.; l'action répres-
sive et judiciaire, dans les limites du droit commun,
quand il s'agira do discussions dans lesquelles on
diffamera ou calomniora, ou ourdira des plans contre
la securitó do n~tat, dans Io GaS ou il serait en guerre
avoc une nation ólrang(\r'o. Itieu de plus, ríen de moins.


ene des objections qui s'opposent an droit ahsolu
d'associntion, avcc les restrictions ci-dessus indi-
quees, c'es; que los associés peuvent ourdir une vaste
conspiration, egarel' le peuple, rcnverser le gouver-
nemeut, ele. - A cela HOUS réponclrons :


1" II est plus diflicile de conspirer pnhliquoment
qu'eu particnlicr; lú OÚ il n'y a pas liherlé absolue
do rúunion eL d'asw(:iatioIl, les socié!,(~~ secretes
a1Jol1l1 ('11t , elles aíllliós SOl] t nornhreux, cal' la prohi-
hition stirnule I'ardcur des citoyons ;




20 Les autorités peuvent plus Iacilernent prendre
des mesures sérieuses pour neutraliser l'action des
assocíés qui conspireraient publiquement;


30 Les associations sont une soupapequi donne issue
aux passions extremes. La pensée franchernent et pu-
bliquement exprimée ernpéche le plus souvent que
cette pensée ne se traduise par des actes ;


4" A coté des associations hostiles él l'ordre , il peut
s'en établir d'autres favorables au gouvernement, qui
neutraliseront et annuleront mérne I'influence des
premiéres ;


50 II n'y a pas d'exemple qu'un gouvernement soit
tombé pour avoir eu un respect excessif pour le droit
d'association, tandis que I'histoire nous apprend la
chute de beaucoup de gouvernements qui ont etó
renversés pour avoir rcstreint ou annulé le droit de
réuníon et d'associatíon ;


6" Si le gouvernement suit une politique nationale,
si ses actes sont profitables au peuple, il n'y a aucun
danger que les conspirateurs réussissent dans leurs
plans. Leurs déclamations ne peuvent détruire les
bons résultats de ces actes : le peuple qni sent le
bien qu'on lui fait, bien qui consiste a respecter la
justice et a la faire respecter, ne eomprend pas les vo-
ciférations des tribnns de carrefour et des trafiquants
politiques.


La liberté d'association a pour effet de mettre en
évidence , au moyen des discussíons, le mal qui
existe. Si tout va bien, et si on abuse de l'exercice de




- '1.-) --


ce droit, eeux qui se font da -tort sont les déclama-
Ieurs et les amhitieux, qui prétendraient troubler la
tranquillite publique.


Mais, ponr que la liberté d'association produise ses
hons effets ct n'occasionne J)[IR les rnaux qne l'on 1'8-
doute, il Iaut que les nutres libertes soient rcconnues
et garanties. Toutcs les Iihcrtós sorit solidaires, et
quand l'une cl'elles est m('COTIIlIle 011 ann ulée , on
abuse <i'uDe autre, et l'harmonie se trouble j cal' c'est
en haut, dans Jes spheres gouvernementales que le
désaccord a eornrnence et que l'cquilibre s'est rompu.


En rcclamant la liberté complete de réunion et
d'association, nous ne devons pas refuser, et nous ne
refusons pas non plus certaines mesures de haute
pollee, telles que d'empécher la présence d'hommcs
armes, d'accorder l'entrée aux agents elel'autorité, ou
auxhommes de cooyance politique, relígieuse, etc. ,dif-
férente. Notro systerne veut la Joyanté en tout, l'exer-
cice du droit avec le bien pour but, la elécouverte ele
la vérité, A coté ele la liberté, nous réclamons la fran-
chiso et la dignité, eompagnes inseparables de la li-
berté, cal' les unes et les autres sont filIes de la jus-
tice.


1854.






v


DROIT DE PÉTITION


Maintenant qne triomphe partout le principe du
suffrage univcrscl, qui réalise rancien axiome: fax
populi, vox Dei! le droit de petitíon doit étre reconnu
dans tonte son étondue, sans aucune limite, Ce se-
rait, en elTet,un contre-sens que de proclamer le droit
pour tous de choisir les Ionctionnaires publics, et en
rnéme temps róprimer le droit de faire connaitre les
plaintas des citoycns, do signalcr les reformes qui
pourraíent étre avaniageuses, de mettre en évidence
les actes illógaux ou inconstitutionnels des autorités.


Le droit de pétition, tel que nons l'ontendons, d'ac-
cord avec les príncipes liberaux, contient le droit de
réclamation, le droit de dénonciation el le droit d'ac-
cusation,


Le premier s'entend des illégalités commises, du
manque d'observation des lois, et a pour corollaire
le sigualcrncnt des reformes á introduire dans la lé-
gislation. Nous no parlons pas du droit de demander
dos pcnsions, des excrnptions, etc., cal' etant, par son




- 48-
earactere, exclusivement privé, ce droit no fait pas
partie de notre sujeto Nous ne contostons nullemont,
pour cela, la légitimité de son origine et la parfaite
justice de son exorcice.


Le second a rapport aux violations de la constitu-
tion, aux actes dos aulorités superieures qni seraient
contraíres á l'honneur de l'État, ou compromettraien t
son indépondance et son avenir.


Le troisieme, déduction immédiate du précédent,
reconnait achaque citoyen la faculté d'accuser le
fonctionnaire ou les mandataires prévaricateurs ou
traitres. L'exercíce de ce droit impose strictement
le devoir de produire des preuves.


L'usage de ces droits, de nature semblable, est un
résultat de la participation de chaque citoyen aI'exer-
ciee de la souveraineté, ot produirait des hiens im-
menses pour la cornmunauté.


Comment el en quels termes ehacun de ces droits
doit-il se développer? - Comment et de quelle ma-
niere devront proceder les citoyens, soit devant les
Chambres, soit devant la Cour suprérne de justice,
soit, dans les cas respectifs, devant le pouvoir exé-
cutif? - Comment et en quelle forme devront pro-
céder les Chambres, la Cour suprérne? - Ce sont la
des termes de la question étrangers a la nature de
cet article, et de l'examen desquels nous nous oceu-
perons atten tivement dans une muvre él laquelle nous
travaillons depuis plusieurs années.


Nous avons seulement voulu exposer anjourd'hui




- 49-
la légitimité du droit de pétition comme une censé-
quence inevitable du droit d'exprimer librement la
pensee, du droit de réunion et d'assocíation , et sur-
tout du droit de suffrage.


s






1\:"'1: r n nrL\.;tJ Uf.
....N';


,.-,-., .


,


VI
LA F R ATER N I T É E T L' É G A LIT É 1


Et hoc eet mandat""" ejus; ut credamus in
nom-ine Filii ejus Jesu-Christi :EtDILIGAMUS
ALTERUTRUM SICOT DEDIT MANDATUM NOBIS.


(1 JUN, 111, 23.)
TeZ est son comma.ndement,. que no'Us croyions


su nom de son Fils J ésue-Cbrist; et QUE NOUS
NQUS AIMIONS LES UNS LES AUTRES, A.tNSI QU'IL
NOUS LOA. ORDONNÉ.


FRATERNITÉ 1mol sublime, qui élargit le CCBur, qui
charme l'árne, qui porte a l'esprit I'idée la plus éle-
vée , la plus vaste, la plus celeste! Comment ne
parlerions-nous pas de la Iraternité, quand c'est le
mol d'ordre que la Société populaire a grave en tete


•de son reglement , quand elle s'est proposé pour hut
de Iraterniser, de rapprocher le pauvre du riche, le
faible du fort, le savant de I'ouvrier sans instruction!
Fraternité! sainte parole prononcée par le SEIGNEUR


1. Extrait d'un journal que l'auteur rédigeait 11 Bogota, en
18-19, saus le titre de Sociedad Popular, et destiné exclusive-
ment aux classes ouvrieres, réunies en une société de ce
nomo




et scel1ée de son sang sur les ruches escarpéesdu Gol-
gotha!


La fraternité est I'esprit, le resume du code de Jé-
sus. Des siécles et des siecles de honte, de servitude
et de rnalheur ont passé sur le monde; l'hornme a
subjngué son sernblable, luí a enlevé ses droits, I'a
fait esclave et avili. Des que le prédicateur de la Ju-
d~ eut donné au monde son code céleste;" des que le
signe rédempteur, simple en sa forme, mais sublime
en ses mysteres, se dressa plein de majeslé an-des-
sus des aigles romaínes rayonnantes de gloirc ; • des
lors I'hurnanité rajeunie eutrevit la haute destinée
que lui préparait la main de son Dieu ; elle se sentit
pleine de force et de vie,


Avant le christianisme, l'humanité gémissait dans
les fers : le pere était le despote du ñls, I'époux de l'é-
pouse, le riche du malheureux; l'esclavage, cette mon-
strueuse institution qui a gravé au front de l'homme
une marque d'ignominie, a pris naissance dans les
ténehres de I'idolátrie , et s'est développó dans ces
siecles de fer, oú la force subjugua l'intellígence, OÚ
les principes chrétiens étaient apeine en fusiono


L'hornme naít l'égal des autres hommes, car il est
doué des mémes [acultés, il peut également aspirer
a la pratíque de la vertu, mais il est mille circou-
stances qui occasionnent une inégalité naturelle,
qu'aucun systerne de gouvernement n'a pu et ne
pourra déLruire.Celui qui estné avec une plus grande
dose d'intelligence est supérieur a celui qui n'a que




- "


,JJ


le simple bon sens;eelui qui, á force d'étude et d'ap-
plieation, est parvenu él se distinguor dans les scien-
ces, dans les arts ou dans une industrie ou profes-
sion quolconquc, est supérieur a celui qui ne sait
rien, qui n'a rien appris; celui qui, a force de travail,
de constance et d'habilete, a gagné une Iortune , est
supérieur acelui qui n'a ríen acquis a cause de sa
paresse, de sa nógligence, de ses penehants pervers,
ou pour tout autre motif.-Donc, quand on parle d'e-
galité, il s'agit de l'égalité des droits et des devoirs; de
l'égalite fondée sur l'origine eommnne des hommes.
- Ceux qui proclament l'egalite absolue mentent ;
ceux qui préchent au peuple cette égalite chímérique,
le trompent, se servent de lwi cornrne d'écneum. pou« ar-
river aux postes eleves, ET LE TYRANNISENT ENSUITE. II
faut qu'il yait de l'inégalité pour que I'égalité soit
respeetée.


La sC111e égalité possihle, c'est l'égalité devant la
loi ; l'égalité quí éliwe, en ouvrant a tous, en raison
de leurs merites, les routcs qui conduisen tala scienee,
ala richesse et au pouvoir. L'cgalite qui abaisse, qui
tend ,1 mettre le savant de niveau avec l'ignorant, la
ville avec la bourgade, est I'expression de l'orgueil
el dulmensonge ; c'est la tyrannie de l'égalité.


Tandis que I'égalité est limitée , la fraternité n'a pas
de bornes. Le riche est le Irere du pauvre, eornrne le
blanc est le Irere du noir. Lc magistrat est le frére
du citoyen; l'homme vertueux est le frere de celui qui
s'est ecarté du sentier du dcvoir. La fraternité est


5.




- 5'1-
1:1 base de I'égalité, 'de la liberté et de la tolérance.
La fraternité ri'est donc que la CHARITÉ chrétienne.
La philanthropie, ce doux mot inventé par les philo-
sophos, n'sst qu'un mot crenx et vain ; la CHARlTÉ
scule , la plus belle parole du code de Jésus , est la
realito du plus grand dos attrihuts du véritahle Dieu.


Un peuple chez lequel la fratemi té a sa place, chez
lequel se pratique la cliarité de J ésus , est un peuple
quí marche asa perfection, et qui, sans aucun doute,
jouit de liberté et de tous les biens que produit la
paix, C'est un peuple éminemment chrétien. Cherchez
la fraternité en dehors des príncipes inculques par le
ohristianisme , vous ne trouverez que mensonge, ser-
vi Lude, dégradatíon et misereo Les partís qui ne sont
pas chrétiens, qui ne sont pas moraux, sont essen-
tieUement pornicieux, paree qu'ils n 'ont pas la charité,
paree qu'ils n'cnt que la cruauté et la persécution,


Pour s'en couvaincre, il suffit de jeter les yeux sur
les penples de I'Orient, OÚ regne l'islamisme. Vous
n 'y trouverez ni liherté, ni vio, ni progres ; il. n'y a
pas la de fraternité, Voyez le musulmán, son cime-
terre au poing, le Koran a la main, tyranniser ses
femmes au nom de son Prophete , rnéconnaitre ses
enfants, hall' ses semblables. Ses yeux n'ont que des
eclairs de colere ; son camr est ulcéré par la rage et
le remords. En Orient, il n'y a de liberté ni pour I'in-
dividu, ni dans la famille; jI n'y en a pas, par consé-
quent, dans l'Etat ; i! n'y a pas de charit«, aussi I'ha-
liitant gérnit-il sous le foueL de sou tyran ; aussi nous




montre-t-on l'Orient comme un cadavre majeslueux
couché sur un lit de fleurs.


Lorsqu'en 1793, le sang francaís coulait a flots,
lorsque les tetes des premiers hommes de la patrie
de Fénelon et de Bossuet tornbaient sous le couteau
de la guillotine, ce n'était pas la religion du Christ
qui régnait, Persécutée et presente, elle était rem-
placee par la fausse raison, et l'image d'une fille de
joie dorninait l'autel el la place du signo du chrétien.
La Franco gemissait sous le despotisme des constítu-
tionnels, sous celui de Danton et de Marat; c'est aux
préceptes de Jésus que ce peuple dut de relever son
front abattu et de ne pas se plonger dans les horreurs
de la barbarie.


La liberté et l'égalité ne peuvent exister sans mo-
rale et sans industrie. Le travail, l'application des
forces intellcctuelles él, l'reuvre de la productíon, sont
une condition essentielIe du progreso La liberté et
l'égalité ne sauraient étre sans ces conditions maté-
rielles.


A mesure que I'homme travaille et romperte des
victoires sur les éléments naturels, le niveau social
s'éleve , le hien-étre s'étend , les hommes et les
peuples se rapprochent davantage, les causes de
guerre disparaissent, l'Égalité et la Fraternité se
consolident.


Ríen n'est aussi noble que le travail; ríen ne con-
tribue plus que lui él, établir la démocratie, lorsqu'il
est exécuté avcc intelligence.




Les hommes sont égaux en droits et en devoirs. Ils
ont dans le eiel un seul Pere, un seul Juge. Tous, ils
sont eondamnés a travailler.lls doivent done s'aimer
tous eomme des freres, L'humanñé est une, et le tra-
vail, l'échange des produits, la eommunieation des
idees, réunissent tous les peuples en un seul groupe,
sans distinetion de raees, de couleurs, de zones et de
latitudes.


1


La Fraternité est la base rondamentale de la Républiqne l.


La Fraternite est le fondement de la république,
attendu que c'est d'elle que nait l'égalité, eomme
nous l'avons demontré dans notre éerit : LA PAIX ET
LA LIBERTÉ.


Elle est le príncipe de la république, de méme que
l'intoléranee et le défaut d'harmonie sont la base
et le caractere distinctif des formes absolues ou
despotiques. La dérnocratie, si mal appréeiée par
quelques publieistes, est le fruit de la eivilisation et
ele la vertu. On a cru que la démocratie est ennemie
de l'ordre, qu'elle est le regne des passions dé-
ehainées j profonde erreur! La fraternité ne peut
produire que de magnifiques résultats, paree qu'elle


l. 11 ne fau! pas perdre de vue que ce! article aété écrilet
pub lié en 1849 dans la capitale de la république néo-grs-
nadine ,




57
est rorare, le systeuie, lequilihre Entro les devoirs
et les droits, l'alplta et l'dmega de la rnorale. Ceux qui
calomnient la démocratie se révoltent contre la voix
du ciel, qui a prescrit la Iraternité , qui a ordonné
que tous les hommes s'airnassent, riche et pauvre,
savant el ignorant, hlanc el noir.


Nous ne confondons pas la libertó avec la licence;
l'égalité avcc le désordrc et le nivellernent ; I'inrlé-
pendance avec ce vague sentirnent que répudient a
la fois l'honneur, la patrie, la reJigion; la fraternité,
avec ce systeme inventé, il Y a peu de temps ,
par les charlatans , faux éclectisme , consistant á
accepter la vérite et le rnensonge, á se liguer avec les
bons et avec les méchants, Non! la premiere de ces
choses n'est que I'anarchie ; la seconde, le regne de
I'erreur ; la troisieme, l'instinct du sauvage ; la der-
uiere, l'indifferentisme, la prostration de l'áme.


la liberté que nous VOll]OI1S et que nous airnons,
c'cst la liberté qui assure les droits de tous les
hornmes et qui sert de soutien et de fondement a
I'égalité. La libertó dont nous parlona, c'est la li-
berté de l'hornrne civilisé, qui consiste dans la pra-
tique de tout ce qui ne nuit á personne, et qui, par
conséquent, n'cst réprouve ni par la morale, ni par
les lois, ni par les traites.


L'egalité que nous préclions, c'est l'égalité devant
la loi , l'égalíté des droits et des devoirs, Par censé-
quent, l'inegalité pernicieuse et antichrétienne est
eelle qu'étahlissen 1, les lois exceptionnelles. Ainsi,




- S~-
tout monopole créé en faveur de telle classe ou de
tel individu est odieux et inique. En matiere d'éga-
lité, notre théme est le suivant: A chacun selon ses
oertus, achaque homme, liberté complete, réglée
par la liberté d'autrui et par l'intórét social. Tout
homme écIairé par les rayons du soleil est soumis
aux mérnes destiuées sociales et divines. L'inégalité
provenant des facultés et de la nature de chaque
homme en particulier est l'inégalité qui régularise
la marche des sociétés, paree que, par elle, I'hornrne
supérieur en intelligence, en richesse ou en force, est
capahle d'accomplir des actes de vertu par la protec-
tion qu'il accordera au faible , au pauvre, á l'homme
sans intelligence.


L'indépendance personnelle, base de la liberté so-
ciale, a son origine dans le triomphe remporté sur
nos passions; mais liOUS développerons cette idée
plus loin.


La fraternité que nous défendons est, comme nous
l'avons dit, le fondement de la république; elle con-
siste á aimer tous les hommes, alors mérne qu'íls
suívent le chemin de l' erreur, et ahlúmer ces er-
reurs , a les leur montrer et á leur aplanir le sentier
de la vérité. La fraternité est le trait caractéristique
de I'étre pensant el sensible.


Il faut donc, pour jugar la républiquc, connaitre
ses bases, el ces bases sont établies par Dieu mérne,
Le symbole démocratique est compris dans les
trois grands príncipes qui forment les bases des so-




- 50-
ciétés libres. Ils résument la morale la plus sublime,
la morale évangélique ; fondée sur ces bases, la dé-
mocratie ne peut qu'étre bonne et sainte, cal' l'Évan-
gile est l'reuvre de Dieu,


Que nous dit la Iraternité ehrétienne? Aimez-vous
les uns les autres , ne faites pas de distinction , pour
aimer, entre le juif, le mahométan et le chrétien;
entre le barbare et I'Iiornme civilisé ; entre le com-
patriota et l'étranger; entre une langue et une autre,
un eulte et un autre culte, une opinión et une autre
opinión. Elle fait plus: elle nous ordonne de considé-
rer le monde eomme une vaste patrie, hahitée par
un peuple de freres.


Eh bien! qu'est-ce que la république ! C'est la per-
fection idéale des gouvernements ; e'est la fraternité
ehrétienne appliquée sur une grande échelle a toutes
les c1asses du peuple, et introduite dans les secrets
inviolables du pouvoir. La fraternité est done l'árne
de la république.


Cela étant, la république doit étre essentiellement
bonne, paree que le gouvernement de tous et pour tous
ne peut contenir aueun germe de dissociation.La ré-
publique estl'irnitation de l'Eden perdu, e'est le temple
de la justice, c'est l'arche des príncipes évangéliques.


Il se peut que l'on voie dans la république des
hommes pervers ravir l'honneur aux familles, mé-
connattre leurs parents, persécuter et ealomnier leurs
amis, se jeter dans des luttes Iratricides. 11 se peut
que l'on y voie des mandataires opprimer les hommes




- Cü-
de talent et de vertu, enlever les garantíes et les droits
individuels, attenter contre les libertes publiques.
Ceux-lá ne sont pas de vrais républicains; ce sont
les descendants de Cam qui assassinent les enfants
d'Abel!


Les tyrans du monde sont les ambitieux, les hom-
mes qui agissent bien ou mal d'apres les calculs
égo'istes de leur utilité personnelle. Que ees hommes
se trouvent dans un pays régi par des institutions
liberales ou dans une nation opprimée par des des-
potes, ils sont les Cams de tous les áges,


Le modele des freres, et par conséquent des démo-
crates, e'est Abel.


Les républiques démoeratiques eonsistent él donner
a tous et a chacun les garanties désirables; a ouvrir
le champ de la gloire, de la richesse et du pouvoir a
tous les citoyens, quelle que soit leur naissance,
quelle que soit leur couleur.


Dans les pays démocratiques, l'intelligenee et la
vertu seulos ont la suprématie, paree que seules elles
peuvent gouverner le monde. Mais, si les hommes
vertueux et intelligents sont appelés él gouverner les
nations, c'est afin de donner le bonheur au peuple, et
de servir de conseillers aux moins intelligents. Sans
cela, ils remplissent mal leur mission, et outre-pas-
sent les pouvoirs que le peuple leur a donnés,


Dans les républiques, il n'y a pas de ees distinctions
odieuses des gouvernements aristocratíques, qui font
d'un homme peut-étre sans talents ni vertus un




~61-
marquis, un duc, un prince, et du malheureux, qui
peut-étre possede un grand génie et un grand creur ,
un vil esclava. C'est que ces avantages ele la républi-
que ne sont pas dus aux systemes des hommes, mais
al'Hornme-Dieu qui a préché la fraternité. Aussí, a
mesure que le monde avancera dans sa carriere,
tendra-t-il a se démocratiser. Les titres héréditaires
vont mal avec les príncipes de pure fraternité.


Les nations civilisées oú , par suite d'une aber-
ration, existe cette classe de gouvernements d'ex-
ceptions et de priviléges, finiront par arriver a la
forme démocratique et a s'y fíxer, Partout germe le
príncipe démocratique; et le triornphe de la dérno-
cratie se réalisera bientót, si ses apótres et ses pro-
pagateurs se bornent afaire pénétrer leurs príncipes
dans le sein des sociétés au moyen de la raison et des
voies pacifiques; car la seule chose qui jusqu'á pré-
sent a empéché le développement complet des idées
démocratigues, c'est la conversión en coryphées de
la démocratie d'hommes qui, au fond, étaient ty-
rans, et qui pour cachar leur ambition se procla-
maient républicains. Ce triomphe sera retardé tant
que les hommes du sabre et du poignard pousseront
le cri de liberté...


La démocratie, c'est la fraternité, et par conséquent
eUen'a pasbesoin desCromwell, des Marat, des Collot-
d'Herbois,démocrates d'ahord et liberticides ensuíte;
mais des Washington, des Franklin, des Nariño, des
Bolivar, etc.


(j




- G2-
Le résultat des eíforts des prcmiers et des travaux


des seconds fínira de nous convaincre que la répu-
blique est éminemment Iraternelle dans son origine,'
ses moyens et sa fin.


II


La Fraternite dans ses rapports avee la paix.


Jetez un coup d'reil sur les peuples affligés par le
pire des fléaux, par la guerre! La fraternité regne-
t-alle chez eux? Non I


Ces peuples ont été libres ou souílrent le joug de
l' esclavage.


Dans le premiercas, ils se sont jetés dans la guerre
par un but immoral, pour renverser ceux qui gou-
vernent, poussés par des hommes pleins d'ambition ;
- et alors ces hommes méritent l'anatheme du ciel ,
paree qu'ils méconnaissent la fraternité.


Si le gouvernement a violé la constitution et les
lois; s'il a privé les citoyens de leurs droits; s'il a
rompu toutes les digues que la morale et les lois
opposent au déchainement des passions ; et si, pour
ces raisons, le peuple opprimé a résolu de recouvrer
ses droits perdus, alors, son soulevement est juste,
mais il n'est pas convenable ; paree que la raison et la
vertu triornphent él la longuc du rcgne de l'oppression
el de la force. Un partí qui professe les príncipes de




(: ..
- .i"-


íratcrnité ne prendrajamais les armes contre un gou-
vemement traitre, tant qu'il restera quelque moyen
de triornpher légalement ; et ces moyens, tout peuple
qui a été regí par des institutions démocratiques les
possede.


Si le peuple qui se souleve a gémi pendant ~e
longues annócs sous la verge de fer de son tyran ; si
ce peuple u'a janiais joui de Iiborte, alors son soule-
vement est juste et néccssaire ; il est dans le mérne
cas que celui ou se trouverent les Macchahées.


Supposons qu'il y ait chez nous une administration
qui, transgrcssant le code fondamental, nous enlevát
nos droits, violát le secret de notre eorrespondance,
nous persécutát. nous incarcérát, nous dépouillát de
la liberté de manifester notro opinion ; supposez que
cette administration dilapidát les deniers publics;
qu'elle cornptút dans son sein des hommes qui nous
fassont mander pour nous outrager de parole et de
fai t, pour nous conseiller de faire des révolutions, otc.,
anríons-nous le droit de nous soulever? Non, nous
ne l'aurions pas , d'apres la logique de la fraternitó.
Il nous resterait encore mille moyens légaux pour
vaincre, et nous vaincrions légalement, en dépit des
intrigues et des persécutions du pouvoir 1,


Supposons maintenant une nation comme la Rus-
sie : lá, il n'y. a pas de garanties , il n'y en a jamais


J. Tout cela ed arriv é a la Nouvell e-Grenade , en 1849 et
en 1861.




- G/l-


eu ; les hommes y sont poursuivis et tués comme les
bétes fauves dans les bois; pas de sécuritó ni pour
les personnes, ni pour la propriété ; la, on proscrit
les cultes qui ne plaisent pas au czar. Eh bien! en ce
pays, la guerre est le seul rnoyen d'arriver au regne
de la liberté et de la fraternité .
•La fraternité nous conscille d'cfracer de notrc die-


tionnaire j usqu'aux mots de {orce, contrainte, vio-
lence : elle nous ordonne d'imiter le Christ, dont la
religión a parcouru le monde d'un póle a l'autre,
sans autres armes que la prédication, sans autre ar-
mée que eelle des douze pécheurs, Si notre liberté
est en danger, nos armes seront la raison, les asso-
ciations fraternelles. Laissons la violence et le poi-
gnard pour les disciples de Marat et de Robespierre,
pour les hommes sans cosur ni honneur.


La fraternité est le fondcment de la tolérance; la
ou existent fraternite et tolérance, la paix existe né-
cessairement. La fraternite nous enseigne arespecter
les droits de nos semblables, et á sacrifier nos inté-
réts, notre repos et jusqu'á notre víe pour le bien
des autres hommes. La Iraternite est le bien de tous
et de chacun, sans le mal du dernier des membres de
la soeiété.


Et non-seulement la fraternité nous ordonne d'ai-
mer nos amis et les indifféronts, elle nous prescrit
aussi d'aimer nos ennemis mérnos, Tel est l'exemple
donné a la terre par le Itédernpteur : on connaít les
paroles que Jésus enseigna á ses disciples al'approche




-ti5 -~
de l'heure du sublime sacrifice; on sait aussi qu'en
expirant sur la croix, il répéta des mots de fraternité
que les siecles répetent aux siecles. La fraternité est
done la mere de la paix.


Glorifions la fraternité! elle est le lernme de la
république évangélique. Quand flotteront partout ses
splendides étendards , les anges entonneront des
hymnes de paíx sur les hautes montagnes, a travers
les vagues de l'orageux Océan, sur les glaces du Nord,
et sous les ardénts rayans du Midi,


Il est un peuple dont le front est couronné d'an-
tiques lauricrs : celui de Rome. Il jouit de libertés, il
eut ses gloires : la fraternité Iuit de son sein , et ce
peuple baisa les pieds des tyrans; ses gloires et ses
lauriers perdirent leur éclat, ses chaines l'opprime-
rento Au milieu de notre siecle , un saint pontife
ceignit la liare, el fit résonner le cri sacré de frater-
nité, Asa voix, les proscrits rentrent dans leursfoyers,
les opprimés se sen tent libres, les tyrans tremblent.
Et que vous semhle-t-il? La Rorne des conquétes n'a-
t-e1le pas ele éclipsée par la Rome des triomphes
pacifiques de la liberté? La Rome de Pie IX n'est-clle
pas plus grande que celle des Césars l?


Quand la fraternité sera une réalité dans le monde,
nous aurons atteint I'áge d'or chanté par les poétes ;
alors régnera une parfaite harmonie entre ceux qui


1. Cet article fut écrit en 1848, 11 l'époque des réformes
uau guri,es par Pie IX.


6.




- GG-
commandent et ceux qui obéissent; paree qu'alors
les uns et les autres respeeteront leurs droits réci-
proques ;-alors il n'y aura plus de révolutions, plus
d'assassinats dans le sanctuaire méme des lois '.
Alors I'hurnanité recevra les bénédictions de son
Dieu l


III


La Fraternité et la Liberté.


LWERTE! A ce mot enchanteur, tous les creurs p al
pitent d'allégresse ; a ce cri sublime, la jeunesse s'é-
lance, pleine d'ardeur, vers l'avenir; le vieillard
secoue le poids des ans; le soldat, plein d'enthou-
síasme, court au charnp d'honneur ; les peuples se
lévent en masse. La liberté fait des héros, des sa-
vants, par elle la vertu resplendit. Mais quelle est
son origine? quels sont ses fondements? quelle est la
véritable liberté?


Chacune de ces questíons est féconde par sa nature;
mais nous n'on parlerons que légercrncnt.


C'est un fait que la liberté n'existait pas dans les
nations non chrétiennes. Les républiques grecques,
tant citées pour leurs institutions liberales, n'étaient
pas libérales au fond, cal' leurs institutions, jugées a


1. Al lu si ori aux violcnces commises un sein de la repré-
sentation na tion ale , a Caracas, le ;¡j février 1818; a Bogota,
le 7 mars 1849.




- 1)7 --
la lumiere des doctrines évangéliques, renfermaient
mille germes de tyrannie.


Dans les sociétés antiquas, l'oppression domestique
était sanctionnée; la femme, cette plus belle portion
du genre humain, la plus faihle, la plus sensible,
était dégradée, avilie ; les eníants étaient presque
esclavos par rapport á leurs parents , l'esclavage était
dans les lois, et souvent le nombre des esclaves était
plus grand que celui des citoyens. La liberté indivi-
duolle n'existant done pas, les bases de la famille
étant perverties, la liberté politique devait étre nulle.


" Dans une si deplorable situation, a dit Balmes,
" apparut le ehristianisme, religion de paix, de cha-
" rité, religión sublime qui, proclamant le príncipe
" d'égalité de tous les hommes devant Dieu, Iaisait
" présager l'influenco qu'elle devait avoir dans l'ave-
f( nir des pouples. En eífet, hannír l'erreur , réformer
" et adoucir les mmurs , corriger les vices de la lé-
« gislation, horncr lo pouvoir et le mettro on harrno-
f( nie avee les intéréts publics , donner une vie nou-
• velle á I'individu , réorganiser la famille et la
« société , telle était la mission du christianisme,
« mission d'une grandeur inflnie.


De sorte que, ces príncipes étant proclamés, réga-
lité de tous les hommes étant préchée el la fraternité
prescrite, la liberté politique prit un essor immense.
C'est ainsi que l'origine 01 les fondements de la
liberte se trouvcnt consignes dans le code le plus
sublime, dans le code par oxccllence, dans l'Evangile




- tj¡) -
paree que c'est la que sont compris les vrais principes
de fraternité.


Avant de dire quelle est , selon nous , la véritable
liberté, nous prouverons qu'elle n'est et ne peut étre
en opposition avec l'ordre ni avec la prndence, et
qu'elIe marche unie a la sécurité, it l'égalilé et a la
propriété,


En eifet, en quoi consistent la pI'Lulcnce et la raison,
si ce ri'est dans le parfait usage de nos facultés? Et
comment pourrons-nous jouir de liberté, sinon en
usant de nos facultes, comme le veulent la raison et
la prudence? Gil voyons-nous régncr l'ordre le plus
vrai , si ce n'est la oú chacun s'abstient de toute
agression et de toute injustice? Que demande la
liberté, sinon que chaeun s'interdíse la violenee et
l'iniquité '( Done, sous les mots d'ordre, de prudencc
et de raison , il n'y a aucune idée que n'ernbrasse le
mot liberté; et celui qui demande le sacrifice de la
liberté dans l'interét de I'ordre est aussi ennemi de
l'ordre que de la liberté.


C'est un préjugé peu différent de celui que nous
venons de réfuter que celui qui présenle la liberté
comme un elément de commotion et le despotisme
comme un gage de paix, C'est le sens de ce proverbe
politique si connu et si souvent cité: Malo pericttlo4
sam. libertatesn quam quietum serviti'um; f{ j'aimo mieux
une liberté pleine de pórils qu'un tranquille escla-
vage. » C'est une folíe que de vouloir allier aínsi les
idees d'ordre et de sécurité avec le despotisme, et




- GU---
eelles d'agiLation et de danger avec la liberté : si
le despotisme était plus favorable que la liberté a la
tranquillité des hommes, il est hors de doute qu'il
devrait étre préféré; mais il n 'en est pas ainsi, cal',
au contraire, le despotismo agite el la liberté tran-
quillise; et c'est pourquoí on doit préférer celle-ci
a celuí-la ; la liberté tranquillise, le despotisme
seul est turbulent. Partout OU certaíns hommes
venlent opprimer les autres, il y a víoíence, dés-
ordre et cause de désordres; partout oú personne
n'a de prétentions dominatrices, partaut OU il y a
liberté, il y a repos et gage de reposo Il suffit d'ouvrír
les yeux pour s'en convaincre. Que 1'0n compare les
pays dans lesquels il y a le plus de tyrannie avec
ceux dans lesquels il y en a le moins, et on yerra si
les plus libres ne sont pas les plus tranquilles, Qu'y
a-t-il de plus fréquemment agité que le despotisme
turc, et qu'y a-t-il eu de plus constamment tranquille
que la liberté anglo-américaine?


Certains hommes fonl plus de cas de la liberté que
dela sécurité.. d'autres l'estiment moins que la pro-
priété; d'autres moins que l'égalité; et tous craient
devoir la distinguer de ces trois choses, Cette distinc-
tion nous paraít.peu mativée, cal' il ya plus de diffé-
rence dans les mots que dans les idées qu'ils expri-
ment, et quiconque apprécíe sa sécurité, considere
la propríété et l'égalité comme choses importantes,
doit par cela rnéme estimar davantage la liberté; cal'
toutes ces choses ne peuvent réellement exíster que




- íO --
dans les pays 011 regne la liberté. II y a sécurité lá
oú aucun homme ne pense a faire violence aautrui ;
il Y a propriété Iá 011 aucun homme n 'empéche son
prochain de disposer a son gré, pourvu qu'il ne nuise
a personne, de sa personne, de ses facultes et de
leurs produíts ; et il y a égalité, non pas la oú tous
possédent le méme degré do vertu, de capacité, de
biens et d'importance, cal' une tolle égalilé ne peut
exister nulle part, mais la OÚ nnl ne possede plus
d'imporlanee qu'il ne doit, OÚ chacun peut acqnérir
tout ce qu'il peut avoir. L'égalíté, la propríété et la
sécurité, résultent done de toutes les causes qui con-
courent a la production de la liberté, pour le moins,
d'une de oelles qui y eontribuent le plus, c'est-á-dire
le manque de toute prétention injuste et de toute
entreprise violente. Ces ehoses sont la liberté elle-
méme, considérée SOl1S un eertain poínt de vue : la
sécurité est spécialement la liberté de disposer de sa
personne; la propriété, cellc de dísposer de sa for-
tune; l'égalité, celIe de croitre en raison des moyens
propres, gui se manifestent partout OÚ chacun se
souinet aux limites de la modération et de la jus-
tioe,


Nous voyons done que la fraternité est l'élément,
la base principale de l'égalité, de la paix et de la li-
berté; et que la liberté véritable nait de I'ltvangile.


On pourrait Iaire de longues dissertations sur
chacun des points traités dans cet article ; mais á
notre grand regret DOllS sommes obligé d'étre laco-




- 71 -
nique. [Nous nous occuperons ailleurs de définir ce
qui constitue la liberté politique, sociale et domes-
tique, pour arriver ensuite a cette these ; la morale


/et l'industrie sont, pour ainsi dire, les fondements de
la liberté et de la démocratie,


1849.






VII
LE VAGABONDAGE


Est-il juste, est-il utile de poursuivre le vagabon-
dage? Ohtient-on par ce moyen des résultats pra-
tiques 't


Si le vagahondage était un dólit, la société aurait le
droit de le réprimer, .mais il n'est pas un délit; cal'
il consiste moins dans une action quedans I'inertie,
La société n'a ni la faculté ni le pouvoir de chátier
le paresseux et I'hornme inerte; et bien que nous ne
prétendions pas proclamer le droit a l'oisiveté et au
vagabondage, nous nions le droit d'établir des peines
pour une chose qui n'est pas un délit.


Les lcgislations pónales qui punissent le vagabon-
dage par la prison sont injustas, el au lieu d'obtenir
le résultat qu'elles veulent atteindre, elles ne font
que multiplier le vice qu'elles voudraient faire dís-
paraltre.


Le vagaborul est un étre onéreux ú la société, cal'
tout le monde étuu] obligó de vivre de son travail
acluel OlL ¡]c son travuil uccumulé, c'est-zí-dire du




capital, celui 'qui ne travaillo llas cst un Irclon qiu
vit du travail des ahcillcs indnstriouses ct active,".
D'autre parr.Ie vagahnnd csl destiné ú devenir tút OH
tard coupahle on crimine}, Oll pour lo nioins escroc
ou voleur.


Dans une socióte bien orgnnisce , il doit y nvoi:
une police tres-active; non pon!' molcstcr, l'spionuCl,
se déguiser, chcrcher ct iuveuter <les conspi ruteurs
et des accusés politiquea, mais pour ohscrver , veillor
á la sécurité des persounes ct eles propriéiós, avcrtir
et proteger.


M. Hornbcrg a dit avec bcnucoup ele ruison et tres-
heurousemcnt : " Lo vagabondago cst un état el 11011
un délit, Il Cette dófínition marque lo ca ractere des dis-
positions que I'ou doit prcndrc centre 10 vagabon-
dage.


Jusqu'a presont, on s'est emparó du vagabond et on
Fa incarcóré pour plus ou nioins ele lemps. De cctte
Iacori, on denature le caractcre (In va¡C<l!JOill1:1gc; 011
étahlit une nouvello catégnrio lle, délits , I't l'l);; u'a
Iait que donner ainsi une prinro d'encouragl;I1JL'Et
anx vagabonds. Ce él quoi ils aq¡iJenl, en eííct, c'cst
ano rien faire ; 10 travail leur Iait horreur.


En prison, le vagabond 118 Iait ricn ; sans ancun
travail , il a le logorncnt, le pain ct le n~lcmellt aSO'll-
rés , c'est-a-dire (1\18, cornrue chútiment, il attcint le
but qu'il se proposo.


De Id. resulte ql¡O lo Y~l(~ ..J)OlhtI2~ c.JL le vice un le
delit (puisqu'on lui él douuó ce 1~.U'c'L l1:;n;lcijnc1




il Y a le plus (lo recidives, Les chilfres des statistiques
le prouvent.


Qne [aire? Attaqucr le mal par le véritahle re-
mede; opposer au vice la vertu contrairc, obliger au
travail cclui qui ne veut pas travailler, Ainsi,aulieu
(le la prisou dans Iaquel!e on ne Iait rien , ou le vice


des r.icincs plus prolondes, on devrait forcer le
\:lgabOlHl;L tr.ivailler; on dovrait, dans un local con-
suuit Ú cct cffct, Iui enseignor un art, un métier , une
proíession quelconquc ; une partie de la valeur des
produiís rostcrait á l'útalilisscmcnt, ct l'autre , destince
~l Yappretüi, lui serait remiso au moment oú on le
rcplacerai t au scin de la société,


Ile cctto Iacon, on utiliserait ces forces sociales per-
dues pour le bien, aptes au mal; on préviendrait de
nornhreux rlólits par dos voios douces, modérécs et
ntilcs á cclni (llli en scrait l'objnt, ainsi qu'a la so-
ciétc.


En ])C;II1COUP (lo pa};s do I'Europe, lo vagabond, uno
fu:" surtí (le prison OÜ il u'a rien appris ot n'a Iait que
p.cndro plus cl'auiour pour le vagabondago, reste
~'Jill1ÜS pendant 11n ccrtain nombre d'annécs á la
surveillauce 110 la policc , ni plus ni moins qu'un cri-
mine! surtan Ldu hagne. De la resulte que si, par un
hnsard extrémcmont raro, lo vagahond dósiro renon-
ccr á sos halriturlcs antericures, il no trouve ni ate-
Jil'1' ni maíson OÚ on vcuillo l'admottro. ?;ÑC/4';


Le syst"'ll10 quo IlOUS defcndons n'offrira ríen dtt,',-::>~~:¡,~(
scuihlnlilc : le np,'alJOIlll, c1ó¡:l Iait au travail, aurrf"'.;~!~~;:.;


\? i', 1,
V', -t .


\. '''', - ',~ ,~/i/, -, ,~
........ __..-




- 7G-
un métier ou une profession. La prison aurait élé
pour lui une école ; il serait un citoyen utile et non
un paria flétri; il se sentirait digne et travaillerait,
Ne voyant pas partout cette ombre funeste du gen-
darme, il serait maítre du présent et de l'avenir, et
le passé resterait pour toujours enfoui dans les bu-
reaux, les écoles ou les'atelicrs destines aux fainéants
et aux paresseux,


L'individu et la soeiété gagneraient done a ee
systeme, l'action de la poli ce serait simplifiée, le
nombre des hommes laborieux et horinétes serai t
augmenté, eelui des oisifs et des délinquants dimi-
nuant dans la mérne proportion,


18M.




VIII


DE LA PEINE DE MORT


1


Nous sommes a une époque oú personne ne doute
que l'hornme ne soit né pour vivre en société; ou
personne ne s'occupe de rechercher comment la so-
ciété s'est forrnée, cal' sa forrnation se présente a tous
d'une facon facilo ct simple: de la premiare famille,
type de la société, déri veren t tl'autres farnilles ; celles-
ci forrnerent le rnunicipe, plusieurs munícipes la
cité, plusieurs cites l'Etat, la nation .


• De la vie nomade, vie de simple chasseur,
l'homrne passa a la tribu pastorale , de celle-ci a la
tribu agricole , de la tribu agrícole ala cité, ct de la
cité ala nation l. » La sociéte est un fait que l'homme
trouve en venant au monde, comme il trouve le so-
leil se levant a l'orient et se couchant a l'occident,
La question n'est done pas de savoir si l'homme peut
vivre hors de la société, ni de rechereher commenl


1. M. E. Pelletan. A un homm, tombé,




ni quand s'organisa la societé premiare. La question
cst de savoir u'oú la sociéte tient son pouvoir et jus-
qu'oú s'étend ce pouvnir.


Ir


Quel est le devoir d'un homrne ú1'6gal'l1 d'nn autre
homme '1 Respecter sa personunlite el lout ce qui y
a rapport ; respectar son droi t dans tous ses j us tes
developpcmenls. La mesure du droit dautrui est daus
notre propl'e droit. ,re [aites 1JOS ir outrui ce que t'ous
ne ooiulrie: pas qui vous (lit [ait, tellc cst la limite du
droit.


Quel est le droit qne Picrre pcut Iaire valoir ú l'é-
gard ele lean ? OlH~ lean ne sorte pas do la limite de
son propre droit, qu'il ne porte pas atteiute au droit
de Pierre, qu'il n'attentc ni ú sa Iihcrtc, ni ú sa pro-
priétó, ni á :i<1 siu'etú. Que Lean (lgisse enu:)'s Picrrc
comnle il ooiuirait {fue ron (lgíl eIIrcrs lui-snhne. Voilá
le droit, voilá la naissanco du dcvoir. Ce qui est de-
voir par rapport ú l'un est droil par rapport ú l'autre,
el vice versa.


Mais les passions poussentJean á fouler aux picds
ses devoirs, avioler les droits de Pierre. Que faire ,
apres que ces devoirs ont 6tG Ioules aux picds, que
ces droits out d(~ violes, que le domrnauc a (':16' causé
au detrimen t c1e Pierro '1 Les dcvoirs elles droits 011 L
pcrtlu leur équilihrc, l'hannouio !:~I IrUll I.lóc, In paix




'"l.'


a disparu. Pierre pcut demandar rcparation a Jeon;
rnais cclui-ci ost le plus fort 01 rcíusc do remettre les
eh oses dans lcur L~Lat antóricur ou au moins de
rlouncr une indemnité pour les préjudices causes.
OliO fniro ? Ou la force de Jcan triompho el l'injus-
tice a lo dessus, OLl Picrre dcvrait ch orcher ase ven-
gCl' par la ruso du dommage que luí a causé Jean,
d alors la sC)('i(\I¡\ e~1 inipossihle cks que l'ordro est
troublé.


Comrnc lo mémc cas peut so répéter tous les jours,
]:" nutres nssucies , qui voieut dans la violation du
droit d'a II í.rui une iucunce á leur propre droit, disen t :
mjourd'hui, nous jugcons 01prononcons entre vous:
.lcrnain, vous jugorcz et prononcercz dans notre cause.
~-1ais qu'est-ce que Pierre pourrait réclamer de Jean ~
Uue celui-ci I'iu.Iemnisút des prcjudices qu'il lui au-
rait causés ; qu'il rólal!Jill'1wnnolJie en lre les droits
«t les dcvoirs, qu'il ¡'élahlit l'ompirc de la justice.


D'ou derivo (IOllC, pOll1' la sociótó, le droit ele ju-
,"CI' et do j1I'OllUJICl!l' la sentcnce ? Du droit ele la son-
vorainc!ó indi vitlucllc. Jusqu'un s'ótend son droit ?
.T usqu'ou s' [:1 cnd lc ,11'0; t de 1'indivirlu '! .Tusqu'au 1'é ta-
l lissoment des c1lOS0S, autunt que Iaire se peut, dans
l'ótat OLL elles se trouvaient auparavant , jusqu'au
::~tahliss(1mcntdo l'empiro ele lajustice.


Incidcmurcnl, 11n a1111'0 iutcrét vicnt so joinelre a
Iu: du l'1'I'iaw:lIlf : (,"':il. l'illll"l(.t ¡J(; la sociótó on


" nórul , q ui , jUg'('illlt eL st.uu.urt centre Jean , 011(:1'-
!U' ú lo c;lI'l'ig,,1' pour ]':lYi'nil' au movr-n de la snnc-




- so -
tion légale, et montre aux yeux de tous les associés
l'arrét de cette sanctíon comme prét aétre prononcé
contre quiconque attentera au droit d'autrui.


Ainsi donc : réparation, correction et exemple, -
voila ce que l'on cherche principalement dans une
sentence légale.


Mais le droit individuel , ainsí que lo droit social,
ne peut s'étendre que jusquoú s'étendent Loutes les
actions humaínos : el conscrver, aruóliorer, prévoír
et pourvoir. L'homme qui reclame son droit, et la
société, qui écoute sa reclamation et lui fait justice ,
agissent dans le sens de la conservation : conserva-
tion do l'harrnonie entre les devoirs et les droits;
conservation de la paix, conservatíon de la sociéLé.
Tout ce qui va au delá n'est plus conservation, défense
ni amélioration : c'est l'exercice de la force hrutale i
c'est I'agression, la destruction. Alors la société, abu-
sant de sa force, agit a l'égard de Jean comme ce-
luí-ci a agi al'égard de Pierre.


Irl


Appliquons ces préliminaires ala question de la
peine de mort, Ne parlons pas des petits délits, ponr
lesquels cette peine a été appliquée pendant plusieurs
siecles ; arrétons-nous aux plus atroces, aceux dont
la perpétration paraít demander avec plus d'autorité
application du dernier supplice. Ne considéron s pa s




-1)1-
non plus les délits poli tiques , IIui out éLI~ pnuis et le
sont encore chez plusieurs nations de la peine capi-
tale; cal' si nous démontrons que cette peine est in-
justo ou ne convient pas mérne comme ehátirnent des
crirnes les plus atroces, son injustice ou son incon-
vcnance sera démontrée relativement aux autres dé-
lits et crirnes,


Un homrrie en a assassírié un autre. Il n'y a pas de
circonstances attónuan tes. Le crime a été longuement
prémédité el accornpli avec la plus grande atroeité.
La victime est un pere de famille honorable. L'assas-
sin est un de ces ótres corrompus, rebut de la société ,
qui se joue de tout ce qu'il y a de plus sacre et de
plus respectable. C'est un homme conduit par son
passé au dernier terme de la carriere d'un scélérat,
l'assassinat. Quel1e peine infligerez-vous acet homme
sans CCBur et sans conscience, qui a fait d'une nom-
breuse famille autant d'orphelins, qui a enlevé ala
nation un citoyen honorablo , intelligent, actif'; qui
a jeté I'alarme dans la societe? Vous n'hésitez pas,
TOUS répondcz : La peine capitale!


D'oú vient a la sociéte lo droit d'infliger cetto peine?
Qucls avantages produit I'application de cette peine,
pour l'assassin, pour la victime, pour la famille de ce
dernier et la société en général?


Le droit de tuer l d'oú le Iaites-vous dériver pour
la société? Nalt-il du droit indivíduol ' '? Il natt du


l . .'II. de Lamartine, d an s son discours sur lubol iti on de la.




droit do legitimo dóír-nso, rúpoudoz-vous, Eh bien!
nous verrons jusqu'ou s'eterid ce droít pour lindí-
vidu, pom' en deduire ensuito jUSI[ll'OÚ il s'ctend
pour la societé ,


IV


Presque tous les rnoralistes, peros ele l'1::gliso et
philosophes, sont d'accord sur ce poin t : qu'i l est licite
ele tuer un inj uste agresseur. Nais tOIlS s'nrr nnlent
aussi adire que si l'attaquó a la possihilité de sr: san-
ver sans tuer son adversaire , 01 qu'il 11) tun, il corn-
met un homicide. Ainsi clone, tu es rutaquó ; il n'est
pas possible ele fuir ; l'agresseur est un liomrne Iort,
et il vient, le poiguard :'t 18. runin pour te le plnnger
dans la poi trine: tu as nn pisto lo l ; hlossor ou tuer
cet hornrne est le seul moycn dI' le s.mvcr. Tu le tues,
ton action est innoconte. "[ais si tu poux fui]', si tu
peux desarmar ton ennerni , s'il t'csl facilc rl'osquivor
ses conps, et quo pourlant tu le tUI'S, ton action est
erirninclle; tu es homicida.


La société peut désarmer un agrcssour, le rcduiro
a l'impuissance; elle peut davantago cncorc : elle
dispose des moyens nócessaircs ponr le corrigcr. La


peine de mort, admet en pr.ucip e le droit pour la so ciété
dimp ose r e e u e peine; il su d'.\cLue se u l cru e nt contra s o n
i nr o nvena nc e et son manque <1e ra i so u d a ns les tcmps: ac-
t uc ls. 1Iais ce st'[arsscr la quo st io n il iuo it iú gngnéc aux par-
i is a n s Q(] l'échafaud.




--- i:l:l --


socictó cst puissautc, I'agrcsscur est faihle, La so-
cidl: ccpcndant 11'¡]OIlno <11) lo tuer. Oú est le drcit do
ll'gitime dúfcnsc? L'assassiu a dl'jú connnis le crirne ,
ce que ron peut craiudre, c'est qn'il ri'on comrnotte
de nouveaux. Mais entro la probabilité el la ce rtitude ,
il y 0.1:1 m.uno d iffcrunco qu'eutre la possihilité d'é-
lre a:ICl(flj(:~ el ht,c;l'()s"io'1l'irectLí(~e, Si UI! iudividu est
1'("[i'l!é lu.u.ici.l», p:ll'l'O qu'il a tue un agresseur in-
justo dont i l pouvai: su dólivrer en le désarrnant,
pourquoi la socid6 ri'cst-elle pas homicillo en ótant
la vio á un honunc lJ11i 1'0, attaquóe, mais qui ne l'at-
taque pas acruellcm..ut el qu'cllo 11C:ul empéchcr de
l'attaquer á l'avcnir? Ce qui cst criminel pour l'in-
dividu scrait-il saint pour la société? Y aurait-il deux
justiccs, l'une iutlividuellc, lautre socialo?


Lo droit ele legitimo dófonso existe dans la société
quanrl il y 11 guerro entro nation el nation, entre
partí ct parti , Alors c!C1lX ,;oci,\[¡,'s ou deux partís qui
prétendent iL Ia fuis .rvoír la justíce pcur cm, et qui
n'on t pus de tribunal supcricur qui puisse terminer
leur l1iff¡"l'Cllcl, Iont an¡c1 au demier recours qui
113lu' resto, -les armes; el, en luttan t les Ul1S contre
les nutres, ils exerccnt lo droit de legitime déíensc.
Cela ne veut pas dire qu'il n\ ait pas de guerree in-
justes, de nalions et ele prulis agrosseurs; rnais.bien
([ue J¿[no soit pae; Ja qucstion, les gouvernemcnts
pourrnntólrc agrCfS('UlS, l!:~; :,ocl¡',ll's no le sont ja-
iua is : en d6rClll1<lllllcs Ioycrs ou la patrie el en pré-
tant aux gU1lycrnornonls lcur ccopcration pour 1'0-




- 84-
relldiquerleur.s droit.s, ellesagissent d'apres le droit
de légitime defense; ainsi done, relativement a la
société, ce droit est aussi bien deflni que relative-
meo t a I'individu. Confondre ce qui constitue le droit
de legitime de~ense llar rallPort a l'indivi<lu, avec
ce qui le constitue par rapport ala societé, est corn-
rnettre un sophisme d'autant plus hlámahlo qu'il est
fait centre la vie des étres raisonnabJes. On ne pourra
jamais , dans cette question, aller de l'individuel
au collectif sans tomber dans de tres-graves erreurs.


A une époque reculée, on donnait la morL aux
prisonniers de guerre ; plus tard, on les réduisit á
l'esclavage; dans les deux cas, on alléguait que,
jouant existence eontre existence, le vainqueur de-
venait maitre absolu de la vie et de la personne du
vaincu : il pouvait le tuer, disaít-on , a plus forte
raison le fairo esclava. Aujourd'hui, gráce au cid, la
civilisation a fait connaiLre que le droit de legitime
défense, relativement a la socióté, n'allait que jus-
qu'á meUre I'ennerni dans I'tmpossibilitó de Iaire le
mal: celui qui meurt sur le charnp de hataille meurt
paree qu'il venait aussi PULll' tuer ; mais le prisonnier
desarmé, et impuissaut Ú iuul Iaire , n'cst plus agrcs-
seur : - c'est un instrumcnt de moins entre les
mains de l'ennerni, instrurnent qui doit res ter au
pouvoir de celui qui I'a pris jusqu'a ce (1UC la guerre
soit terminée ou qu'un autre instrument égal soit
donné en ccliange l.




- 85-
La soeiété pardonne done a son agresseur et se


borne aI'ernpécher de faire du mal! mais cependant
elle tue l'agresseur d'un indi vidu, agresseur deja
desarmé et emprísonné, qn'elle peut ahsolumen t
empécher de renouveler ses móíaits !


v


I1 Y a plus; le fils de l'assassiné a-t-ille droit de
tuer l'assassin ? - Oh! non, répondez-vous : ce serait
cornmettre un homicide , Eh bien! si le fils de la vic-
time, c'est-á-dire celui qui aurait le plus de droit ala
vengeance, si toutefois ce droit existe, ne peut donner
la mort a l'assassin sans commettre un délit, d'oú la
sociéte tíre-t-elle le droit de la lui donner, en alléguant
qu'elle commet un acte de j ustice et non un délit '?


S'il est évidcnt que la société ri'a pas le droit d'írn-
poser la peine de mort, il est plus évident que I'exé-
cution ele cette peine ne remedie pas au mal, mais
l'aggrave an contraire. Qu'est-ce que la famille de la
victime gagne a ce que I'assassin soit exéeuté? Hien,
Qu'est-ce que la société gagne á cette exécution '?


méme temps l'uv ant-garde, et qu'il ne soit pas possible de
co nserv er les prisonniers, prisonniers qui, une fois en liberté,
peuvent compromcltre le s ort de ccux qui les ont faits? -
Dans ce cas, presque to us les publicistes croient qu'il es t
licite de do n ncr la mor t aux p r iso un ie rs , en v er tu du prin-
cipo d e co nsnrvat ion el du droit de l('gitime ddense. Milis ji
fuut, en tou t cas , que lL' dall3cr so it co nstrué ,


ti




Elle perd doux do ses mcmhros au lieu d'un ; elle en-
durcit les mrnurs du pcuple et le dísposc ala cruauté
par la vue de la sanglaute exócution d'une peine
aussi barbare. Et quant aI'assassin, lui qui pourrait
s'étre repenti, avoir expié son crime devant Dicu ct
elevan t les hommes par la pratique des vcrtus, il cst
arraché ú la scene ele; la vie , jeté dans nne tornbe,
sans pcut-éue avoir cm I() Iornps <le so preparer á
cornparaítre devant le Jugo des jugcs ; on le lance
dans l'éternite, l'úrno souillée peut-et1'e, et léguant
ases enfants son nom déshonoró l Cela ost horrible et
fait frémir le crcur le moins sensible. Dieu, qui
donne l'étrc, »eut qlle lepechw)' ne mcure point, mais
I]u'il se convertisse et cice; et la société, qui ne peut
pas memo créer une fleur , disposo de la vio do
l'hornme et I'envoie dans l'eternité sans lui donner
le temps de rachctcr ses fautes par des acles de
saintete í


Sécuri té, réparation, correction, exemple.i--voila ce
que doit se p1'opos8r la sociéió en cluuiant lo coupa-
ble ; rnais, avec la peine de rnort, elle n'atteint aucun
de ces objots. Elle croit obteuir la securité en Iaisnnt
du criminel un cadavre, et laisse les parents de l'exé-
cuté épier l'occasion de se vcngcr de I'accusateur, s'il
yen aun, et des jugcs qui out prononcé la sentence.
En quoi consiste la l'(~p:ll'[\lion pour la ramillo de
l'assassiué ? Consiste- t-clle á voir une autro íamille
privee ele son soutien ct plouguo dans la donlcur et
la houte ? Comment obtient-on la correction de I'as-




l;~
-- ()¡ -


sassin ? Ln cadavro peut-il se corrigcr ? L'eITd de
I'exomple cst-il cerlain? Au contraíre , celui qui
prond la résolution de tuor, cnnuaissant lo sort qui
l'attcnd, tuera en aj ontant el son acte crirninel les
plus gr!lmles cruantés, pour rnériter ü plus de titres
la peine qui doit lui étre appliquóe, - peine indivi-
sihle, íncornmeusurabln, tcrrihlo, sanglante. Nous
rapporterons plus loin ce qui arriva, il y a quelques
anuéos, en Esp;¡gne, et ce qui a contriJmé ü Ioriuer
notre j ugcrneu t sur linefflcacitó d(') la peine de mort.


La sanction do la loi, c'est la punition, « Dans
I'orrlre univorsel, Dien seul se charge d'appliquer
une peine a toutes les fautes, quelles qu'elles soient.
Dans l'ordre social, le gouvernement n'est investí
du droit de punir que pour proteger la liberté, en
irnposant uno juste róparation á ccux qui la violento
Le droít de punir u'cst pas non plus le droit do se
venger. Ilonriro lo iual pour le mal, demandcr reil
pour (('il, elent pou!' dcnt, est la forme barbare d'une
justico SalJS Iurniero , cal' le mal que jo vous ferai
n'ótera pas celui qllC vous m'avcz Iait, Ce u'est pas
la douleur resscntie par la victime qui reclame une
douleur corrcsporulante, c'ost la justice violée qui
impose au coupahle l'cxpiation de la souffrance,
Telle est la moralitó de la peino. Le príncipe do la
peine u'est pas la róparation du rlommage causé. Sije
vous ai cause U11 mal S:JlIS 18 vouloir , je vous paye
une indcmnité ; mais ce n'est pas lú une peine, cal' jo
no suis paS coupnlilc ; íandis que si j'ai commis un




- 88 ~
crime , cutre l'indemnité LIu mal que j'ai Iait, je dois
une réparation a la justice, par une souffrance con-
venable, et c'est en cela que consiste véritablement
la peine .


• QueHe est l'exacto proportion des chátirnents et
des crimes ? Cetle question ne pcut recevoir une
solution absolue. Ce qu'il ya ici d'irnmuable, c'est
que l'acte contraire it la justice mérito une puuition,
et que plus l'acte est injusta, plus la punition doit
étre sóvére•


• Mais, ir colé dl¿ droit depunir, est le devoir decorrí-
qer. nfaut laisser au coupable la possibilité de réparer
son crime. L'homme coupable est un homme encore;
ce n'est pas une chose dont on doive se déharrasser
des qu'elle nuit, une pierre qui tombe sur notre tete
el que nous rejetons dans l'abime afin qu'elle ne
blesse plus personne. L'hommc cst un étre raison-
nable, eapable de cornprendre lo bien et le mal, de se
ropentir et de se reconciliar un j our avec I'ordro. Ces
vérites ont donné naissance ades ouvrages qui hono-
rent la fin du XVIII" siecle et le comrnencernent du XIX·.
La conceptíon des maisons de pénitence rappelle ces
prerniers temps du christianisme, OÚ le chátirnent
consistait en une expiation qui permettait au cou-
pable de rernonter par le repentir au rang des
justes' .•


1. M. Cousin, Du Vrai, du R.a" el du Rien.




- 8U-


VI


Comme l'observent MM. Orlolan t et Guizot", la pre-
miere époque du droit penal fut la guerre entre
l'offensé et I'offensenr, la vengeance particulicre. La
deuxierne époque Iut I'accomrnodernent, l'accord, 1'ar-
rangerncnt pacifique entre les parties sans interven-
tion sociale ; plus tard, dit DuBoys", par I'extension
du régirne des castes et sous l'influence des fausses
religions, les vengeances particulieres recommen-
cerent el étre exercées par l'oflensé et par sa famille,
Au XVI" siecle, dit 1[, Ortolan, les peines sont horribles
et se couvertissent en instruments de vcngoance et
de terreur. Elles sont exagérccs ct cruelles. La mort
se prodigue. La privation de la vie n'est pas le plus
grand supplice : alors ost inven tée la mort exaspérée,
le feu, l'écartelernent, la rcue, la strangulation, le
knout, le sao, l'enterrement tout vil', etc.


Mais la société y a-t-olle gagné '? A-t-e11e été plus
heureuse, a-t-alle joui de plus 'de calme, a-t-alle
compté moins de criminels dans son sein, quarid les
peines ont été plus terribles, quand la mort a été
prodiguée? Le contraire est arrivé, « Je vais ouvrir
avos yeux les annales du monde, dit un célebre écri-
vain. Si ces sanglantes législations, dont je vais par-


l. [ntrod"etion hisiorique au droit pénal.
2. Histoire de la civi/isa/iotl en Franco.
:J. Il isioire du Droii crimine!.


8.




-!lO -
courir les tahleaux, n'ont pas ópouvanté les crimes;
si, au contraire, ils semblent rcnaltre avec plus de
rage, sous la vorge Uf) [el' qui les frappo ; si, d'un
autre coté, les pages de l'histoi ro sont moins souil-
lees de forfaits lorsque les législations douces el mo-
dcrécs ont rég16 Jos cmpires, la question , alors, sera
dccidée. De ce tablean ooinparatif et analytique résnl-
tcra ceí te effrayantc couclusion : que pcn.lant eles
sii'c1es entiers, le sang des hornmcs a couló sur la
ter re comme l'eau dos Ileuves, sans qu'il soit resulté
eL; ces assassinats périodiques au tro choso qU'Ull
inalheur ele plus a aj outor a la liste effroyahlc dos
malhcurs et des Iléaux qui, en tout ternps et en tout
lieu , ont fait de l'homme la victime sans cesse renais-
saute,


« Est-ce dans ces siecles horribles, est-ce sous la
domination barbare ele 'I'ilierc , Caligula, elc., qu'en
voyan t plus de supplices, un vit moins do crirncs ?


« Venez, u mallieurcux partis.uis de la sóverité,
fouillez , si vous en avez lo couragc, ces cpouvan-
tahles anuales que je ne puís Jire qu'en frisonnant,
Dites-nous si alors la vertu était plus en houneur,
les mrsurs plus douces, les rlieux plus vénérés, les
hions et la vie des hornmes plus respeelés que sous le
régime humain et doux de 'I'itus, de 'I'rajan , etc. ', »


• On exécutc un criurincl , dit un autcur bien
connu ; son supplice est un spcctacle ponr la plupart


l. Chuussnrt ,




- DI-
des assistants; un pclit nombre le regarde avcc une
ceriaine pitié mélcc d'indignation. Que rósulto-t-il
de ces dcux sentiments? Ilion moins que la lerreur
salutairo que la loi preterid inspirer ... 11 en est du
spectaclo d'un supplice, comme du spectacle d'un
drame, el de mémo que l'avare retourne a son
coffro-Iort, I'honuno violunt el injusto revíeut á ses
inj us tices,


"Semblable aux Iluidcs, qui , par Ieur nature, SR
mcttent toujnurs au nivcau do ce quí les entoure,
l'áme s'endurci I par lo spcctacle repdé elela cruaute.
Les suppliccs, en dovenant Irequents, épouvantont
moins, parco que l'on s'hauitne Ú lours horreurs, et
les passions, toujours actives, sont au hout de cenf
ans rnoins reteuues par los roues et les gibets
qu'auparavant llar la seule prison ,


" On ne pcut níer que 1'atrocíté (les peines ne soít
dircctomcnt OPPOS(~c au bien pulilíc et á I'objet
rnéme que ron se propase, - ernpécher les crimes.
Plus terrible sera lo chútíment, plus lo coupahle
osera pour l'eviter , et la rigueur des lois multipliera
les crirnes , en chútiant tros-sévercmont les crirninols.
Les pays et les siecles ou furent mis en usage les
chátiments les plus barbares furent toujours désho-
norés par les plus monstrueuses atrocites. Ce n'est
point par la rigueur des supplices qu'on prévient plus
súrement les crimcs, mais par la certitude de la pu-
nilion'. »


1. llcccaria, Des d¿/¡ts et des peines.




·- !)"l-
Pour se convaincre davantage de l'inefficacité de


la peine de mort eomme moyen d'inspirer la terreur,
cette terreur salutaire dont parlent les partisans de
cette peine inique, llOUS allons transcrire, sans aucun
commentaire, ce qu'on communiquait de Madrid, le
:3 mai 1856, á la Gazettcdes Tribusuvu» de París:


« Le 8 avril, deux gardes de la milice bourgeoise
conduisaient un mendiant á la prison de Saladero. En
traversant la pe lite place de la Cebada, ils furent
attaqll~s par deux ouvriers nornmés Valentin Buen-
dia et José Martines, Les militaires s'emparerent de
ces individus et les conduisirent avec le mendiant au
Saladero.


ce Peu de jours apres, les deux ouvricrs furent en-
voyés sous la garde de pIusieurs alguazils ala prison
civile, Pendant le trajet, José Buendia, frere de Va-
lontin, que 1'on conduisait en prison , ordonna aux
alguazils de rcndre la liberté á son frére ; comme ils
s'y refusaient, José Buendia tire une carabine cachée
sous les plis de son large manteau, l'arme et met en
joue les alguazils, qui appellent aux secours. Deux
gendarmes accourent, mais a l'instant José Buendia
se precipite entre eux et leur dit : Arriere ' En méme
temps il fait feu. Un des rnilitaires , blessé au creur
par la baile, tombe baigné dans son sango


'1 Les passants s'emparerent de l'assassin et le li-
vrerent el la justice. Le gendarme fut transporté :i
l'hópital, oú il expira le mérne jour.


• Le tribunal criminel de Madrid, apres une courte




- fJ3-


procedure, condamua Ilucndia c'l la peine de mort.
« La condamnation de cet individu fit naltre dans


la population de notre ville une certaine exaspéra-
tion contre les gendarmes, qui, lorsqu'ils se trou-
vaient isolés dans les rucs on dans les Iieux publica,
élaien t insultes ou raillós, Cette exaspération s'ang-
menta encore ft partir de lundi dernier , jour OÚ
Buendia, n'ayant pas ohten u sa gráce, fnt mis en
chapelle.


« Mardi matin I'óchafaud Iut dressé ; i l pleuvait a
verse, ce qui n'ernpécha pas une fonle immcnso de
se rendre sur le lieude l'oxécution. A midi el demi,
on fit sortir Buendia de la ehapelle pour le mener ú
l'échafaud, monté sur un áne el entouré d'un deta-
chement de cavalcrie ; un prétre était de chaque
coté du coupahle , le tenant par la main ; l'aide du
bourreau tenait le licol de I'áne.


« Des qne le pationt parnt sur la plato-forme de
l'échafaud, il y eut dans la Ioule un mouvement gc-
néral,


« Au mornent oú le bourreau, remplissant son
triste ministere, íaisait tourrier la vis du collier qui
devait étrangler le coupahle, des cris aigus reten-
tirent dans la multitud e : un nouveau crime venait
d'étre cornmis. Un ouvrier avait donné un coup de
poignard a un gendarme qui était tombé roide mort.


« Les témoins oculaires de cet événement ont dé-
claré que l'ouvrier s'était approché du soldat el lui
avaít dit d'un ton railleur : Eh bien 1 étes-vous satis-




- !Jí --
Iait <le voir mourir Ilncndia HU' l'ecliafaurl? Et sans
attendre la réponse du gendarme, illni avait plongé
dans le vcntre un couteau aigu qui penetra jusqu'au
manche. »


La peine ele mort est-elle cfficacc ? produit-clle une
crain te salutaire 't


VII


Mais il Y a pour les chreticns un préccpte con-
cluant, positif, qui n'adrnct ni interprétations, ni
tcrgiversations, (( Tu ne tueras point, » a dit le Sei-
gneur ; et ce préccpte négatil est obligatoire pour
l'individu commo pour la sociétó, D'oú la société dé-
cluit-elle qu'elle peut tuor , quand l'indivic1u ne le
pout pas? La justice est une, 01 la méme pOlll' le sin-
gulier comme pour le collectií. 'I'u ne tueras point. -
Oui, répomlont les partisans de la peino de mort;
mais si tu tues, la sociétó a droit ele Le íuer, - C'est
ce que vous dites ; mais ou est cello ampliíioatiou du
préceple: Tu ne [lleras poiJíI?-Dans les livres saints,
ajoute-t-on, on lit aussi qnc celuí qui tuo par le fer
périra par le fet'.-Et d'oú tirez-vous que ce soit Ia
socióté quí aitle droit de Iaire périr par lo íer colui qui
a tué avee le fer ? L'assassin peut mourir des mains
d'un autre assassín, mais cela est dans les hauts jugo-
ments de Dieu; cela est contingent ; la peine de mort
que la sociéié irnpose est ccrtaine, assuréc, irrémé-
diablo.




- O:i-
(iuoi l I'homme, qui est maítre <le sa pcrsonnalité,


ne peut altenter asa propro vie, ne peut recourir an
suicide sans cornmettre un crime 311X yeux de la re-
ligion et de la philosophie, et la société croit faire un
acte de vertu en íaisant d'un homme un cadavre 1...
Tuer, c'est enlever SOl¡ pouvoir á Dieu, et cet im-
rnense délit est commis par I'individu qui assassine
comiue par la socíétó qui Iait iner, avec la dífference
que l'un le Jait dans un moment ele passion et de
folie, et que l'autre l'cxócute de sang-Iroid et avec
une entiere prémeditation . L'un confesse ou croit
pour le moins avoir cornmis un crime, et l'autre se
vante de faire une chose sainte.


Dieu ne tua point Caín ; il le condarnna avivre. Les
sociétés chrétiennes prétendcnt-elles agir avec plus
de sagesse, en Iaisant mourir les criminels


VIII


De quel droit la sociéte, rion-seulement arrache-
t-elle la vie aux homrnes, mais en force-t-elle d'au-
tres él. exécuter sos ordres harbares? Dans les pays OÜ
existe ce sinistre exécuteur de la justice humaine (do
I'injustice, aproprernent parler), un étre raisonnable
est condamné él. l'oiuvre la plus infame et la plus de-
gradante: d'un hornme, on Iait un chacal, un tigre,
el de toute sa farníllo une Iarnille ele Carns , puisqu'en
heaucoup d'cndroits I'emp!oí de hourreau est hórcdi-




- 96-
taire. Cela n'entre-t-il pas ponr beancoup dans les
considérations contre la. peine de mort '?


Et dans les pays OU il n'y a pas de place spéciale
crcee, aV0C la dotation correspondan te et le cérérno-
nial étahli, pour ce sombre auxiliaire de la mort que
I'on appelle bourreau, n'est-il pas horrible d'obliger
des citoyens pacifiques, sensibles, religieux, asouiller
leurs mains du sang de leurs semblables? Apres qu'un
de ces hornmes a Iait feu sur la poitrine d'un de ses
íreres, croyez-vous que le chagrín, l'horreur, le re-
mords méme ne s'attachent pas a lui pour troubler
le calme de sa vie '1 Nous avons vu un de ces infortu-
nés perdre pour aínsi dire la raison, en se rappelant
qu'il avait été l'exécuteur d'une de ces barbares sen-
tences.


A Dieu seul, dont le souflle a animé la matíere, le
droit d'éteindre cette flamme ici-bas I


Qu'on veuille bien le remarqucr : a ces courtes 1'0-
flexions, nous n'avons pas ajouté les argumenta qu'on
pourrait tirer de la faillibilité de I'esprit humain, Ú
chaqué pas exposé á étre trompé par les apparences,
Combien de fois se Irouvent reunies contre un inno-
cent une telle quantíté de circonstancos qu'elles le
font paraitre coupable ! et combien de fois l'homme
le plus perspicace, le plus exercé dans la pratique
judiciaire et dans la procédurc, jugeant sur de vio-
lents soupeons, SUl' de Iausses prcuves revétues de
I'apparence de la vérité, n'a-t-il pas condamnó un
hornmc de liien ;'l mourir' ... Les nnnales judiciaires,




- 97-
l'histoire des tribunaux en présentent d'innombrables
cas, épouvantables drarncs qui font refluer 13 sang au
cwur ;... la possihili té seule de condamner un inno-
cent, en le croyant coupable, ne suffit-elle pas pOTIr
faire réduire en cendres les échafauds et détruire pour
toujours la hache des bourreaux?


Apres le terrible et sublimo sacrifice de la Croix,
les sociétés qui ourent le bonheur de suivre les doc-
trines du Crucifié durent abolir pour toujours la bar-
bare peine do mort, cet assassinat légal que con-
damnent la justice, la religion et la philosophie.


Plus de vengeance! Ne demandons plus dent pour
dent et tete pour tete, comme au temps du Cid. Que
le caractere de la peine ne soit pas plus longtemps
alteré. « La peine se fonde sur I'expiation imposée et
acceptée, et non sur l'expiation imposée et repous-
sée... La premiére produit tót ou tard le repentir
l'amélioration, la moralité ; la seconde produit, le
plus souvent, l'endurcissement, la haine, la mort de
I'árne, La premiare appartient el l'école des législa-
teurs spirítualistes ; la deuxieme á l'école des légis-
lateurs matérialistes. L'une est fondée sur la vérité,
la justice, l'intérét social j l'autre sur le mensonge,
l'injustice, la vengeance.


IX


Comme chrétien , cornme philosophe, nous qua-
liflons d'iníque la peine du dernier supplico, et nous


9




- 98-
plaídons avec fcrveur pour l'abolition absolue de l'e-
chafaud; mais, en memo temps, llOUS repoussons de
toute la force de notre árne el de nos convictions cette
doctrine pénale de l'érninent M. de Giranlin et de son
école, qui prétencl étab1ir pour tonto peino la consta-
tation du délit, la sanction moralo , la sanction pu-
blique, la perte lou t au plus des droiís de citoyen, et
I'obligutiou d'iudeiunisor des dommnges él, préjudiccs
causes. ?lI. de Girardin demande I'abolition de ton tes
les peines afflictives :


Peine de mor t,
Travaux forcés á perpétuitó,
Déportation ,
'I'ravaux foreés a ternps,
Détention,
Itéclusion ,


se fondant seulement sur ce que la peine est d'ori-
gine scrvilc, et qu'a Horno le ciloyen libro, qui avait
encouru la sóverité de la loi 1 ctait declaró esclavo de
la peino, scrvum poms: \. II Y aurait autant de raison,
si raison il y avait, pour s'élever centre les peines
que prétend étahlir I'illustre mais paradoxal puhli-
ciste Irancais.


C'est proclamer l'impunit6 absolue, c'cst avoir
beaucoup de pitie pour les crirninels, ct point du tout
pom les hommcs de bien; c'cst consacrer le délit
cornrne élémcnt social; c'est livrer la sociétó aux




oxces des plus COlTOn:jJU~; c',sl n.iuer les nations par
leurs fondernonts ; c'est rctirer la hacho des mains
L1u bnu rreau qui tue les coupahlcs , pour la remettre
aux coupuhles, qui tuoront les honnétcs gens.


Ce sont ces exagérations, ces idees desorganisa-
trices quí donuent Üt) la vigueur el de la force aux
vartis retrogrades ou an uphiianthropiqucs. La li-
berté el, les principes out parfois plus d'enncrnis
parmi ceux qui se disent leurs partisans, que parrni
ceux qui les attaqucnt de front. Les prorniers lour
font plus de mal que les seconds ; leurs hlessures sont
rnortelles.


Il Iaut, dit Platon, qu'ancun crirno, de quelquc na-
ture qu'il soit, ne reste impuni,et que pcrsonne ne
puisse échapper au chútiment '. Moutesquieu I'ensei-
.gue, ct mille écrivnlne rcmarquables l'orit répété.


Proclarnons l'inviolahilité de la vie Jiumaine, mais
110n le reglw des crnninols. Levons hicn haut l'cton-
dard de la justicc, maís ne mcttons pas les homrnes
de hien ú la merci des rnechants, Dofondons la civi-
lisation ; rnais n'allons pas, par uue unornalie sirigu-
liere , introtluire la barbarie. La justico doit passer
avant tout. Que le hon sens, le S8IlS moral, marque
toutes nos actions ! Que la verité et la religion éclai-
rent toujours notre route l. ... ~.


1855.


1. Los Lois, l iv , IV, trad. de M. Cousin.
2. La p ein r. de mort a (,té abo li c dans la Nouvelle-Grenade


et au Y0nl'·zlll'·}a. Du ns la. prorn icr e de ces n"publiques, so us
la d i ctat uro de }Ios~ucra, bien 'lue I'i nv iola bilité de la vie




,


- 100-
humaine ait été pruclarn é e sur le p ap i cr-, on afusillé plusieurs
personnes, méme pour dúli ts po liti qu es , En outre , chaque
fois qu'il convient au parti dominant de dire qu'il ya émeute,
la Constitution lui permet de suspendre les garanties indivi-
dueHes, et alors, ~ le droit naturel de la guerre » domínant
s e ul , on fusillc tous les citoyens qui funt obstaclc aux projets
du partí dorn inan t.


Au Vénézuéla, depuis 1868, époque a laquelle la peine de
mort a été abolíe, le derníer supplice n'u é té ínOigé a per-
so nrie , On a proclamé le príncipe, et on a eu la bonne foi de
le respecter.


1864.




IX


INSTRUCTION PRIMAIRE OBLlGATOIRE


Instruction supérieure.


Nous devons considérer dans l'enfant deux carac-
teres distincts : l'enfant et le citoyen futuro


Le pere doit la nourriture ason enfant; rnais il ne
lui doit pas moins l'aliment de l'esprit : l'éducation.


Le citoyen a des droits ; mais il a aussi des devoirs,
Une grave responsabilité est attachée él la transgres-
sion de ceux-ci, et il faut des lumieres pour exercer
ceux-Iá. En étahlissan t la responsahilité pour le non-
accomplisscment des devoirs , il est justo et néces-
saíre de donner les lumióres indispensables pour
l'usage du droit propre a chacun, sans qu'il soit
porté atteinte au droit d'autrui, point d'origine du
devoir.


Ainsi done, le pere et l'État sont ohligós de donner
al'enfant I'instruction nécessaire.


Il ya dans los législations do tous les peuples civi-
lisés une déclaration qui est un précopto : - AUCUD
citoycn ne peut alléguer l'ignorance des lois, Mai


n,




- \02 --
ce précepte suppose que ron a donné au citoyen les
moyens indispensables pour connaítro ces lois, qu'on
lui a enseigné, au moina, aIirc, aócrirc, et fait con-
naitre les bases Iondamentales do l'orgnnísation Sfr-
ciale; qu'on lui a c1onné, avant tout, une cducation
morale.


Donner a son enfant l'cducation mnrale et rclí-
gieuse; lui inculquei, autunt que possililc, [es lll'e-
miers rudiments de l'éducaliou, tel est le dovoir du
pere, 11 appartient á l'Élat do fournir á I'enfant 1'1u-
struction primaíre, en l'obligcant a la rocevoir.


La dérnocratio et le suílrage universel, qui est son
oxpression Ia plus élevée , triomplient de toutes parts.
Mais l'égalité ne sera pas un fait, la liberté ne sera
pas une réalité, le suífrage ne sera pas un acto dcli-
heró et intelligent, si le citoyen 1I 'a pas les moyons
d'éclairer sa raison par les notions indispcnsal.los de
l'instruction primaire.


Pour bien exercer un droit qui imposo un devoir,
le citoyen a elroit él I'instruction primaire gratuite ;
ponr exiger I'accomplíssorncnt des devoirs corres-
pondants aux droits, l'Eíat ost dans I'ohligation de
donner cetle instruotion gratuita, en la rcndant obli-
gatoire.


Cela ne veut pas elire qu'á coté elesécoles prirnaires
de l'État, clans ses diversos sections , ne puissont
s'établir c1es écoles privées, Le monopolo n'ost hon en
ricn ; mais le laisscz-Ioire, IlIi,"r::-)lussc¡' n'est pas lll]-
missihle en malierc rl'insuuction jll'imailC.




En Franca, l'instruction prirnaire n'cst pas obliga-
toire, et c'est lá qn'est plus grand le nombre d'en-
fants et d'adultes qui ne savent ni Jire ni écrire.
?Ir. Jules Simon dit qu'en France le 40 "l; de la popu-
lation, 880,000 eníants , ri'a au cuno espcce d'éduca-
tion. Ce clriffre est hicn inférieur aux rttats-Gnis, oú
Ie nombre d'ócolos primairos est considóralilo, en
Prusse, en Sucdo , au Ilanovre , dans le duché de
Bade, etc.


Les adversaírcs de l'instruction primaire obliga-
toiro invoquent la liberté de I'cnfant et I'autoritó du
p(~l'e. « La lihortó (le I'cnfan t! mais sil es l mineur de-
'vaut la loi , il I'est aussi devant la raison, La liberté
de I'enfant l mais on veut , pout-étro, criger en droit
individuol le droit ú l'ignorance! 1) L'autorité du pere
n 'a rien avoir dan s le cas présent : l'État ne la mé-
connalt pas plus en ohligcant le pero á ünvoyer ses
enfants ú I'ccole qu'i l no la mócounaít en l'obligeant
á les nourrir et en I'erupóchant de les écraser de tra-
vail, La seule chose en quoi il Iaut respecter I'autorité
el les droits du pero consiste ane pas le contraindre
d'envoyer ses enfants dans les ócolcs oú I'on professe
une religión contraire ú la sienne. Si lo pero a,
cornrno tel, des droits sur ses oníants, la sociét6 a des
droits sur lo citoyen pero.


On allegue centre l'enseignernent prirnaire gratuit
([UO le pauvro devra ainsí contribuer á l'éducation du
riclie. (luc vcu t-on dire par lú ? Lo richo contribuo
aussi Ú l'l:¡]llcatiun du patt\Te. Dans los societes oú




- IOí -
domine la démocratie, l'égalité devant l'impót existe.
L'argument n'a done aucune force.


Telles son t , sommairement indiquées, quelques-
unes des raisons qui nous déterminent a soutenir le
príncipe de l'instruction primaire obligatoire et gra-
t ni te.


En these générale, nous soutenons que, dans tout
ce qui rr'appartient pas essentiellement a l'action
collective et indivise, l'initiative indivíduelle doit
agir sans subir plus de controle qu'il n'en faut pour
l'ordre social. Cela s'entend de tout ce qui a rapport
aux besoins physiques : la Iaim , la soif, le froid, etc"
oxcitant, stimnlant l'homme, lui servent d'aiguillon
pour inventer, perfectionner les inventions, pour
prorluire davantage, de meillenre qualité et a plus
bas prix. Quan t aux nécessités intellectuelles, morales,
comme l'a prouvó 11. Baudrillart, il n'y a rien en
l'homme qui lui dise: 1( Tu es ignorant, apprends, u
La société doit done prendre en main la torche et
éclairer la rou te.


Nous avons déjá, dans un autre travail , rléveloppé
nos idees sur ces importantes questions. En ce qui
concerne l'enseignement inférieur et professionnel,
deux thóories opposées existent. L'une soutient le
monopo1e du gouvernement; l'autre proclame la
liberté absolue. Nous ne sommes partisan ni de l'une
ni de l'autre.


Le monopole n'a pas de raison d'étre, el en cela,
comrne en tout, il cst désastrcux el injustifiable : il




fait supposer que lo gOllYQrllI'IlW¡: Ln seul ](;5 lumieres
suffisantes pour régler les programmes, choisir les
professeurs, etc.


La liberté absoluc , qui repousse toute immixtion
du gouvernement, qui lui enleve la facultó de con-
tróler les études, de dólivrer des brevets de capacité,
quí proclame que chaqué individu a le droit de se
dire avocat, médecin, íngcniour, ctc., et d'exercer
ces professions, - est uno thóorio absurdo, funeste,
et dont les conséquences sont fatales pour la société,
Cette théorie est passée en loi dans la Confédération
grenadine.


Comment distinguer qui est bon avocat, bon méde-
cin, bon ingénienr? On répond : l'individu est le
meillenr juge de ses intéréts, et il saura aqui il con-
fie la défense de son honneur ou de ses intéréts, la
santé de sa famille, la construction de sa maison, etc.
De sorte que lorsque lean aura vu Sil, cause perdue,
son pere ou son enfant morts, sa maison mal con-
struite tomhóo en ruine, alors il saura que Pierre
est mauvais avocar, mauvais médecin, mauvais ar-
chitecto. En échange, il a eu le bonheur supréme de
voir ce méme Pierre se donner pour architecte, me-
decin, avocat, par la gráce de la liberté absolue d'en-
seignement.


En cette matíere , comme en toute autre, ce n'est
pas dans les extremes que so trouve la vérité. Il y a
un systeme mixto, qui consiste a laisser a l'État la
police des études, it conserver un centre de la science




- lOG -
et de l'enseignement profussiounel , en laissant aqui
que ce soit le droit d'établir des colléges et des maí-
sons d'éducation, OU l'on pourra, moyennant cer-
taines formalitcs, obtenir des brovets de capacite.


En matiere d'enseignement, le droit social est aussi
sacró que le droit individue), ou, ponr mieux dire,
l'un se complete par I'autre,


Nous n'admettons en rien la tutelle do l"État; mais,
en matiere d'enseignement, él coté du systemo de la
liberté, toujours fécond, nous n'excluons pas la salu-
taíre interventlon de la société. Nous ne partageons
pas les idees radicales que professe sur ce sujct l'é-
minent M. Dunoyer, - ct, bien que nous admottions
un systeme plus liberal que. celui de M, Wolowski,
nous croyons tres-justos les idees suivantcs expri-
mées par ce memhre de lInslitut, duns la session
d'économie politique du 5 Ióvricr liW ¡ :


« Le gouvernement est appcló Ú rernplir, dans la
« question de I'cnscignornunt , le role tl'uu corps de
« réserve prét a agir des que l'uctiou iudividuollo
« viendrait él manquee; ce 1'0:0 n'a rien rl'absolu
• dans l'application. Partout ou l'initiative iudivi-
« duelle so manifoste, le gouvernemcnt doit laisscr
• faire; partout OÚ elle languit, il doit I'aider ; par-
• tout OU elle manque, il faut qu'il agisse par lui-
• mérne. Sa m ission peut se resumer en deux mots :
• Qu'il laisss [aire, maís qu'il veille ~l ce que quclque
a chose se fasse! JI


18,61.




x


SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT


Un des grands príncipes qui ont triomphé dans les
sociétús modernos est celui de la liberté de con-
scíenco et de la tolérance des cultes.


Xlais ce príncipe no peut avoir d'application pra-
tique qu'á la condition que l'Église et l'État vivent en
parlaite indépeudance.


Les gouvernements, qui sont, avant tout, produc-
teurs de sócurité , ont ponr mission de veilJer a ce
que les gou vcrnés soícnt justes, qu'ils respectent le
d1'01t d'autrui, qu'ils u'cmpóchcnt pas le légitime
exorcice de la liberté des nutres.


O¡wllL ú la religión, il n'appartient pas él l'Etat de
montrer al'homme la voie qui conduit les ames au
salut éternel. Cette mission est réservée él l'Église.


L'État ne doit donc pas avoir de religión.
Un gouvcrncment qui professe une religion , qui


a.lmct ct uno croyance, a besoin d'étro plus
011 nioins iuiclórnnt, 111us OH rnoins injuste. S'il ad-
mol une sculo roligion, ú l'cxclusion des nutres, il




- 10S-
agit ouvertement contre le príncipe de tolérance
universelle; s'il admet la pratique de tous les rites
et subventíonne toutes les l::glises, il lui sera dlíñ-
cile de percevoir dans une juste proportion et de ré-
partir d'une maniere equi table les con tributions im-
posees pour le service du culte.


L'Etat qui adrnet une religion nationale, surtout la
religión catholique, apostolique, romaine, doit vivre
sous le régime des concordats, qui tond él mettre l'E-
tat sous la tutelle de l'Eglisc ou vice versa. Les con-
cordats sont des traités qui se violent Irequcrnment,
le plus souvent au détriment de l'Eglise comme en
Baviére , en Prusse, en Autriche , etc., et sont une
source éternelle de conflits entre le pouvoir civil et lo
pouvoir ecclésiastique.


Il ya deux pouvoirs essenfiellementdistiuets, ayant
des attributions diversos, un but différent : le pou-
voir civil et pclitique, et le pouvoir ecclésiastique ;
ce qu'í l y a de plus logique est que chacun d 'eux ait
sa sphere naturelle d'action, Lo lomps est veuu OÜ il
Jaut que l'Eglise catholique célebre le granel concor-
dat entre la religion et la liberté, entre le pouvoir
civil et le pouvoir ecclésiastique : - la séparation
ahsolue des deux pouvoirs.


L'Eglise a besoin de liberté absolue pour la pré-
dication, l'enseignement, l'administration des sacre-
ments, etc.; mais cette liberté, qui constitue sa víe,
elle ne peutl'obtenir plcine et cntiere qu'á la condi-
tion de se séparer de l'Etat,




- 100-
II Ya vingt ans, la question d'cmeignemenl (\[(Ilt


chaudernent agitee entre le clergé et I'Uníversité en
France. Dans cette question, les deux partios avaien t
raison el toutes deux avaient tort, Voici pourquoi :
l'Université niait al'Église le droit qu'elle demandait ,
paree que l'Église avait beaucoup de priviléges; l'É-
glise comhattait I'Universite en se Iondant sur ce
que tout monopole est inj uste et nuisiblo.


Mais ce que les deux partios auraient dú deman-
der, c'était la liberté complete. Si l'Église voulait
exercer le droit d'enseigner, elle ne devait pas le de-
mauder comme la substitution dun monopole á un
autre, mais comme une institution favorable á tous ,
En réclamant ce droit, l'Égliso devait étre dans la
sphere du droit comrnun , renoncer á ses privilégos
exclusifs, entrer pleinement SOllS l'action de la loi gé-
nérale.


Les pseudo-libéraux voulcnt la liberté civilc, rnais
non l'iudépendaucc de l'.EgIlsc. C'est lá une aberra ,
tion , un rcnoncciuent aux piincipes. Ln au ieur
tres-connu, dont l'intclligenco cst vivo, mais don:
les passions sont ardeutcs, IW veut pas la liberte pour
l'l~g¡ise catholique, paree que, dit-il , celle-cí est op-
posée aux principos de 89; en conséquence, tant que
les défenseurs de ces pri ncipes seron t au pouvoir,
ils doivcnt restreindrc l'indépendance de celte Église.


Tel est l'argument principal de tous les partís ex-
clusifs. Aujourd'hui, ce SOIlt les Iihéraux qui l'émot-
tent : que demain les conservateurs soient au pou-


10




_. JIU -


voir, ils diront : les partisans des principcs de ~9 sont
ennemis du catholicismc ; nous dcvons done rcstrein-
dre leur liberté qui menaco notro existcnco.


Mais de cette lutte constante, de ces réactions sans
fin, naissent les combats aohames, les haincs invétó-
rées , le rógirne ele l'arhi traire. Les vrais principes
consistent aproclarner la liberté pour tous, la Iihcrtc
constituée par l'exercice elu droít de chacun , ayant
pour limite l'exercice du droit d'autrui,


La séparation ele l'Eglíse et de l'État produit d'bel1-
reux résultats dans l'ordre politique, social et ócono-
mique. Cette séparation rend impossihles, par sous-
traction ele matiere, les conflits religieux, toujcurs
si dósastreux , et coupe á lcur racine ces énormcs
abus dénommés contribulions de (limes, de prerni-
ces, etc.


L'Église indépendante n'a pas ú soumettre ú la vo-
lonté du pouvoir la nornination de ses pasleurs de
prcmicr el de dcuxierne ordre ; les cures no son 1
plus alors autant de serviteurs des hauts Jonc-
tionnaires. En échange, le pouvoir civil uo voít dans
les divers mernbrcs de la hiérarchio ecclésiasLúpw
que des gouvernés ordinaires, tous soumis a la loi
comrnune, égaux en droits el en devoirs.


Le meilleur moyen d'éloigner tout conílit entre les
deux POllVOirS est de définir radicalement leurs re-
Iatious. Il est une serie de graves quostions dont la
réalisation sera retardéo OH qui produira dos luttcs
entre 1'1::g1iso el n::lat, tant qu'ils vivront SOllS ce




\11 -
fatal régime : parrni ces questions se trouvent, par
exemple, la tolérance des cnltes, le mariage civil.


Dans los lttats-Unis d'Amérique,il n'y a pas eu de
lurtes entre I'Église et 1'1:~tat, parco que celui-ci n'a
rien ú faire avec les diverses communions. Toutes
peu vent exíster ; mais aucune n'a de caraclere oífl-
ciel. Toutes out ICllI' vie propre el jouissent d'une in-
dcpendauce absolue, paree q u'aucune d'elles n'a plus
de droits qU'UIlC autre,


1\. la Nouvcllc-Ilrenade, ce systerrie d'indépendance
ahsolue fut adoptó des 18;)3; et tout murchait á la sa-
tisfaction universelle , jusqu'an moment 011 la barbare
dictature de Mosquera et de ses amis vint fouler aux
pieds les droits des catholiqucs, violant ainsi les prin-
cipes de tolérance universelle et annulant le sage
systeme de la separation des deux pouvoirs.


Voilá la question présentée dans ce qu'elle a de
plus important, Nous sommes déjá entré autre part
dans quelques développernents á ce sujeto


1862.






XI


ARMÉES PERMANENTES


I


Des notre enfance nous avons répétó les paroles si
COlllJUeS de Cicéron , qui peut-étre saus qu'il le voulüt
Iurmerent un vers :


Cedant arma togce, eoneedat laurea l in gu.r-


Ce qu'on ost convenu d'appeler pouvoir civil a
toujours eu pour nOLlS uu charrne et une attraction
irrésistihles : il represente le pouvoir exercé par dé-
kgalioIJ, avcc loi, mcsurc .contróle et rosponsabilité;
caracteres opposes au pouvoir mili taire , qui porte
avec lui quelquc chose de la hrusqucríe des casernes,
de l' odeur ele la poudre, du ton href et irn pórieux des
exorcices militaircs, du suhre qui frappe et ne raí-
sonne paso


L'existence d'un Élat qui possede une nombreuse
nrrnée permanente entraine les Étals voisins, et mérne
les ¡::tals éloignés, amcttrc sous los armes uu nombre
d'homrnes egal ou plus grand, cal' lorsqu'on dispose


]o.




- 111 --
de la force, les idóes d'agression el de COIH]uC:le ne
manquent pas do surgir. Le souveruiu qui dispose di)
rnilliers de soldats devicnt arrcgnnt. D'auíro part, la
carricre militaire est de ccllcs daus lcsquolles on
u'avance pas rapidoment aux ópoques de tranquillitó
01 de repos ; le soldut aspire done .ipres Ó son olcrnen t,
la guerrc , qui lui offre l'avcnir, lui proinet des
grades, des dccorutions, des ptnsious.


Pour lo service des armes, UlI chcrche les ]¡Ol1lIllCS
les plus robustcs, les rnieux coustituós, les plus a¡;-
tifs, c'est-a-dire qu'on enleve, 1)C)UI' l'uiuvro de la des-
truction, les Iorces les plus ViVI:S 110 la sociéte, les in-
strurnents les p] LIS propIOSÚ l'CCUVI'O di) la productiou,
dn bien, de la civilisation,


Non-seulerncnt cela; niais, outro qu'on arrache ces
hommes au travail quifcccnde, a l'industrie agrícole,
au cornmerce , á la falnication , iI Jaut dcpouiller la
sociétó de caj.itaux imrncnscs P"lll' cntrcuir ces norn-
breux bataillons qui sout o.uployós el soutcnir les
amhiíieux, á epouvnuter la lihcrtó ; il Iant <LlIgTIlCJlll'l'
les impóis pour payer les cascrucs, les canons, les
Iusils, les munitions , les uuilormes, les chevaux, cte.


Les grandes armées ont toujours servi , ou bien á
rcndre les guerres civiles plus frcquentes et plus ter-
ribles, ou bien a excitor les gueLTes internationalcs.


Cela est démontre par I'histoi n-. Ainsi C8 systerno
prnduit l'affuibli-semcnt ¡]C~ f'Ol'C(;S jlrlJdnclires d'nne
narion , par les luas qu« I'ou retire du t.uvail ; I'a-
moindrissemcnt du revcnn des partirulicrs, ]J:tl' les




nnuveaux irnpóts exiges pour le payement, l'entre-
I ien , ele., de ces millions d'hommes, qui ne servent
llil'Ú Iaire des parados militaires, aapprendre l'art de
t uer, de déíllcr dans les revues militaires, au grand
contenternent de la vanité des souverains ; I'augrnen-
tation des probahili tés de guerrc, et par conséquent
de misero et do rérrogradatíon.


Un ouvrier cst un instrumon t de civilisation ; un
soldat est un instrument de destruction en tous sens;
UlT atelier represente tout ce quo la civilisation mo-
derno a de plus noble et de plus actif ; la force el
l'inlelligence appliquées eL l'reuvre de ce que ron
pourrait appeler une secondo eréaLion; une easerne
represente ce que la barbarie a de plus horrible, la
négation de la li.berté in di vidueUe, et l'annihilation
dos créatures de Dieu ,


A quoi a serví a la France , par exemple, d'avoir
dépense pOlll' ses arrncos, ele 1831 á 18 119, plus de
G,125 millions ele Irancs ? Il est déinoutre que les
grandes puíssanccs, commo cellcs do second et de
troisierne ordre, au lieu d'inll'oduire des écoriornies
daus le Ludgct ele la guerre, augmentent ehaque an-
nées les [mis de la paix armée. Le quart des frais
gélJDlalH est app}j'{llé ett ministére de la guerreo La
1i'nmce, qni. appelait ious les ans 80,000 hommes
sous les armes, en appclle anjonrd'hui 100,000. La
Grande-Brctagnc, qui voyai t de manvais mil les ar-
mees permanentes. a al ijounl'lrui 150,000 soldats,
sans cornjitor l';:II'I))60 (le 1'1nc)o. 1,(1 PTll5Se s elevé son




1: (j --
cffcctif de paix do 130,000 á 205,000. La Russie et
l' Autriche suivent la France pas <l paso L'Espagne a
aujourd'hui plus de soldats qu'au temps de Phi-
lippc 1I, et ainsi des autrss. Le total des ~épenses
de la France atteint deux milliards, sur lesquels
1[50,000,000 sont pour la guerro, o'est-á-dire pour
les soldats, los offlciers et les chefs de l'armée de _
terre, sans compter la marine, les logements, etc.
La Grande-Bretagne a 1,800 millions de franes de
frais génóraux, dont 4JO millions pour la guerreo
L'Autriche, 850 millions, dont ?80 millions pour les
armées; la Prusse, 520 millions, sur lesquels 140 mil-
lions sont destines a la guerre. L'Italie 050 millions,
dont 260 millions consacres á la guerre ; l'Espagne,
:'00 millions, dont 95 millions pour les anuees, etc,


Ir


~Iaís nous désirons éviter I'oxagóration en tout : si
uous sommes ennemi des nornbreuses arrnées per-
manentes, nous n'aeceptons par l'idée empirique
qu'un État soit absolument dcpourvu de force armée.
L' hu manito tend chaque jour de plus en plus ti l'u-
nité et á l'harmonie , par le développement des inté-
réts moraux et matériels, par la diffusion des lu-
mieras, par la solidarité dans les maux cornme dan s
les biens. L'humanité sera véritablement la grande
arnille desenfants de Dieu, quand, dans chaque État,




- 117 -


les droits individuels seront reconnus et garantis;
quand dominera la liberté, c'est-á-dire la justice; -
quand il n'y aura plus de guerre de nation anation
pour s'arracher des lambeaux de terre ou imposer
telle ou telle croyance poli tique ou religieuse; quand
ces Iuttes seront remplacées par des combats d'ému-
lation, pour savoir qui produit le plus et le mieux,
qui fait avec le plus de succes entrer les forces na-
turelles dans la grande amvre de la production.


Cola arrivora un jour ; mais en attendant, et tandis
que le peuple fait son éducation et que les nations
apprennent a se respecter par égo'isme, sinon par
rlevoir, - le mot patriotisme a un scns, l'homme se
doit ala nation dans laquelle naquirent sos pares et
ou lui-rnéme a vu le jour , d'oú il resulte que, comme
certains États sont armés et ont des soldats, les autres
doívent s'arrner pour dcfendre leurs Ioyers et I'indé-
pendance de la patrie.


Un des gr.inds devoirs, peut-étre le premiar devoir
d'un gouvernement, est de produire la sécurité :
pour soutenir la loi, pour assurer le droit de chacun ,
ÍJOur prevenir et réprimer les excés de la liberté
individuelle, - la force est necessaire, et la force est
sainte quand elle cst an service du droit. Pour arri-
ver á ces hautes fius de toute societe bien constituée,
la police et les arrnéos sont utiles : la prernicre, en
Ionctionnant d'apres un systerno clair, précis, déflni ;
811 protegeant toujuurs, ne preuant jamais de dégui-
Sf.'TlIPnt pour coutróler la condui!e du ciíoyen pnci-




--lj~ -


fique, et en neservant pas d'arrne aux pouvoirs ainbi-
tieux qui viveut 1¡]eins de soupcons, paree qu'ils sont
en lutte ouverto avec la liberté; -- les anuéos, Ior-
mées suivant la Ioi de l'égalité de tous los citoyeus
quant anx droits et aux devoirs, reunís d'apres un
príncipe rationnel , juste ot proportionnó aux elernents
dont se composo l'État.


Avant les arrnees perrnanen tes son t les gardos
nationales, sage institution qui cst la gardienne ele
I'ordre comme la dófonso de la libertó et <lo I'indó-
pendance. La natíon doít avoir Ea ~;aHl0 nationalo,
- comme doiven t l'avoir le district, 1:1 province, le
cantan, le munícipe, -armée de ses armes pl'opres,
commandée par des chefs issus du suffrage popu-
Iaire,


L'armée permanente doit elro en rapport avec la
population ct les rossourccs du 1):IY8. Tn ecrivain
démocrate, en ncmi des arruúes pcrmauentes, a sou-
tenu que celle d'un Úat doit (~Iro composl'o Ú raison
de 1 soldat par 200 hahitants, S'i l avait dit en raíson
de 1 par 1,000, iI aurait múrne ainsi l~laJ)li uno baso
tres-propre Ú former dos armees considérahlos.
L'armée doit étre dissérninee dans les diverses pro-
vincos, afin d'etre toujours un élément d'nrdre et
une garantie pour la conservation de l'indépendance ,
et jamais un danger ponr la liberté:


(Ju'on étahlissc des collcgns militaircs dans lcsquels
d'Iialrilcs proíesscurs de I'orrlro civil donncront une
éducatinn liheralo ct dómocratiqno el les instincts




~- I iU


de corps soront nU'l!r:ili~':i va l es idees acquises
dans ces pt"pinii;rl'R.


La nccessito di-s arm-es permanentes, avec les
caracteres Irl() nnns vcnons dindiquer , I'sl urgente
d.ms l'état actuol de la civilisation, Ú de mi chrétienno
cncore, cal' la piix u'ost qu'uno 1l'I~ve plus ou moins
lO!l!;llo, sans Iorrncr encere l'ótat normal de la sociélé
(ce qui vicndr.i avcc 11' t.nnps}: la gn(~1'l'l) cst done nne
SCiCllC() que doivcn t Iorcém.int apprcudre les enfants
d'un 1:;I'1t qul He "en tras déchoir.


III


De qnelle mnniere doivcnt so forrner les armées ?
Trois systell1()s out eté mis en pratique : celui du
recrutcment forcé, cl,llli eles cngagements volon-
taircs, celui (lo la consrriptiou el rln til'age au S01't. Il
y a en 1'1'IlSSC un nutre SYS!l~IllC POU1' la forrnation de
la laruhrhcr el du larulstu I'm .. ce systernc est extrétner
incnt vicicux, cal' íl appelle sous les armes iridistinc-
temont tons les citovcns de 20 á ;J() ans , soit pour le
prcmi-r, soi t pour le dcuxierne corps de la latultoher
OH 110111' lo lancZslllrm, sans admcttre ni exceptíons ni
rern pluccrnents. Ce svsterne , qui naquit des circon-
"lances dans lesquclles fut placee la Prusse par la
paix de 'I'ilsitt, rópoudait el cctto cpoque á uno néces-
si te rcelle el impériensc. JLis aujourd'hui e'est un
auuchron isme, el il douno une tres-mnuvniso orga-




- 110 -


nisation , comme on en a eu la preuve en 1854 et en
1859. En effet, au premier cri d'alarrne, agriculteurs,
artisans, avocats, rnédecins, li ttérateurs, etc., ehaeun
snivant son áge, doit se rendre asen COl'pS respectif',
et pcrdre des mois en tiors en steriles exeroices, en
garnisoris ou en marches sans hut, tandis que tous
les éléments vitaux et toutes les forces productivos
de la nation sont ahandonnós. Mais il serait hors de
propos d'entrer dans des details au sujet de ces
institutions.


Le recrutement forcé est, sans contrcdit, lo sys-
teme le plus odieux connu; c'est uno sorte d'escla-
vago moderne, par lequel sont violes a la fois les
principes d'égalité, le respcct de la liberlé indivi-
dueHe, et par leguelles familles sont privees de leur
appui et la société de ses mei lleurs bras.


L'impót du sang doit peser égalemcnt sur le riche
et sur le pauvre, su r l'hornmo lettre et l'ignoran t. Mais
que signifie ce systeme en vortu duquel des chasseurs
d'hommes se repandent daus les 1'118S el dans les
eampagnes pour jeter le lazzo au cou des pauvres
enfants du peuple, les trainer aux casernes, les affu-
bler de l'uniforme et leur metí.re un fusil au hras ?
Respecte-t-on ainsi la sainte idée de I'égalité? montre-
t-on de la déférence pour la liberté individuelle '1 Ces
soldats ainsi improvises aman t-ils l'amour des ar-
mes, respecteront-ils la disciplino, restoront-ils ele
bon gré dan s leurs casernes?


Les engagements volontaires seraien t le systeiuc le




- 121 -
plus juste et le plus équitable, s'il pouvait étre prati-
qué. Mais par ce systéme, mérne en payant une forte
prime, il est difficile de former une armée; cela
s'est vu souvent en Angleterre, et récemment dans
les États-Unis du Nord.


La conscription obligatoire consulte le principe
d'égalité, respecte la liberté individuelle, n'exempte
aucun citoyen de I'impót du sang (si ce n'est dans
ces cas de justice reconnue, étahlis dans les législa-
tions romaine et Irancaise), donne a l'Étatdes soldats
instruits, disciplines. La conscription est unie au ti-
rage au sort; celui qui a tiré un bon numéro est
exempt; mais ainsi le hasard peut favoriser le richc
comme le pauvre, le savant comme l'ignorant. La
mesure est la méme pour tous.


Comme complément de la conscriptíon et du tírag.:
au sort, il faut admetlre le systerne de remplace-
ments. Le soldat donne ú la patrie une partie du temps
qu'il pourrait consacrer au travail. Celuí qui a du
capital ou du travail accumulé dit acelui qui n 'en a
pas : « Veux-tu de I'argent, tu vas me remplacer
comrne soldat '1» Le rernplacant accepte volontaire-
ment; ayant un goüt prononcé pour la carriere des
armes, il prend le fusil ,a la place de son compa-
triote. Le pouvoir n'intervient pas en cela: il imposo
a tous le mérne devoir; mais sí celui dont le termo
est expiré, ou bien qui a été exempté par le sort, S8
substitue a celui qui veut vivre loin des casernas el
des uniformes, il est dans son droit, et l'État n'a pas


11




- 1~}
de raison de S'Op]103('1' Ú co changement, auquel il
gagne le plus souvent, cal' un soldat par inclination
vaut mieux qu'un soldat par force. Si c'est la ncces-
sité qui obligo á so Iairo remplarant, c'est aussi la 11é-
cessité qui eontraint á toute espece de travaux.


En cutre, i l ya entre les hommes des diflerences
naturelles, que ne rlétruit ni no peut détruire le prin-
cipe d'égalite tel qu'il rloit étre cornpris, - de l'éga-
lité qui eleve, el non de celle qui abaisse et nivclle.
L'ernploi du t0111pS ri'est pas le mérne , ni quan t ú
I'action, ni quant aux resultats, POUl' celui qui ri'a
qu'une 111811r d'intclligonce, pcu ou point cultívéo,
que POU1' I'hornme de talent el de savoir.


Mais comme complérnen t indispensable de ce der-
nier systéme 1 comme hase d'un régírne démoerati-
que, il faut que dans la carricre militaire on suive la
maxime, A cluicun selon ses aJlP.'l'CS ,. que l'avancernent
soit ponr celui qui se distingue par son hahileté et sa
valeu!', et non comme en Angleterre POUl' celui qui
est nó dans la classe aristocratique.


Cela étahli, puisque l'humanite n'est pas encoré
arrivée aI'époque des luttes de travail el de produc-
tion seulement, il y aura des armées d'accord avec
les príncipes de justice, avec le respect des idées
d'égalité el de liberté individuelle , des armáss en
rapport avec les ressources et la population de cha-
que Etat; - ces arrnóos seront composécs d'homrncs
propres au métier de sohlat, et possédant des senti-
ments d'honneur et d'humaníté, de sorte que la




- 1'23-
guerre se présentera ehaque fois avec de nouveaux
caracteres de moralité, jusqu'á ce qu'arrive I'époque
si désirée de la paix univcrselle al! sein des associa-
tions libres.


1800.


..






xn


DE L'IMPOT


Qu'est-ce que l'imp6t?- Los dófínitions abondent.
Voyons-en quelques-unes :


Montesquieu dit, dans son Espri; des lois : « Les
• revenus de l'lhat sont la portian de S011 bien que
« donne chaqué eitoyen pour assurer l'autre portien
« et en jouir agréablement, "


J.-TI. Say: « L'irnpót est la portien des produils
« d'une nation qui passe des rnains des particuliers
« dans celles du gouverncment pour subvenir aux be-
« soins publics.Quel que soit lo nom qu'on lui donne,
• contribution, droit, suliside , ou don gratuit , c'est
« une charge 'Ílnposec aux particuliers ou réun ion de
« particuliers par le souverain , peuple ou princo,
« pour pourvoir aux dépenses qu'il juge él, propos de
« faire : e'est toujours un impót, »


Adam Smith : ({ L'impót., e'est le revenu public que
« le peuple forme au souverain ou eL l'État au moyen
u de ses rovenus propres et particuliers. »


'I'urgot : » L'impót est une charge imposée par la
« force ala faiblesse, »


Mirabeau : • L'impót est une sornme avancée pour
11.




-~ l:JG -


(, obtonir la protcction ele l'ordrc social, une condi-
" tion imposóc ú chacun par tous, »


'I'outes ces déílnitions nous paraissent incompletos,
cal' elles se-rapportent pour la plupart a l'impót payé
en e~póces.


Parmi los deflnitions plus modernos, calles qui ap-
pcllcnt lo plus notrc attcntion so n t les suivanres :


:'1. Ducuing : " L'irnpót ('st uno sorinuo avancoo
« annuellcrnunt (JlW le cnntribuahle pay(~ ú l'Etat, "


;'.1\1. de Girardin 01 !l:lIÍlIlOIl : " L'impó! cst la primo
« d'assurance que chaque ciloyen payu al! gnuverue-
« mont aSSL11'Lmr. »


:'Iademo:selle Itoyer: "L'impót est un service qui so
, paye, un d.ivoir qui se remplit ,une dette qui s'etcin t."


La déílnition qui nous satisfait le plus es t celle de
H. Pascal Duprat : « L'impót ost cotte quotepart de
" prostutious persoruicllcs ('1 de ccutributions de tuute


'F'o chaquc citnvr:n doit Iournir ú la corn-
" munautc cn (\:!lall!:;O de;; ~:I nil:cl; qu'il I'(;~'o'; t. »


Des la periode primitivo, depuis les t ri l.us pasto-
rales jusqu'á nos jOUl'S, en pnssaut par J'éJlI:CJl18 feo-
dale, les associes out payé ú I'associntion le service
d'étrc protégós. Que l'impút n'ait pas élé justement
réparti et ne le soit pus encere, c'est une question a
part ; mais son existence de tout tern ps nc peut étre
l'óHqu6e en doute.


" L'l~:at a trois g'l'ands dovoirs, trois importantes
mj,:~iG:1S:i r,'lJ:p1'¡: (1(:feTl1:'!) l'iudcpendance el lhon-
ncur de la patrio, et l'iUil''';l'ii(, do son lerritoire :




-- 127 -
donn el' la securi té i I'iuterieur ; Iairo tous les grands
travaux d'utilité géncrale et mérne d'embellissement
des villes ; cal' dans les pays démocratiques il faut
que le peuple ait non-seulement la liberté el le pain ,
mais aussi ces jouissances qui ennoblissent l'esprit
ct ólevent le nivcau social, qui procuren! quclque
rcpos et quclquo agrcmcnt aux classes lalioriouses,
cornme les ócolcs, les hibliotheques, les musées, les
promenades, ple,'."


Subvenir aux frais do ces ser-vices rcndus par l'État
aux particuliers, voílá aquoi sert l'impót,


Il est UI1e grave erren!', que ron comrnet Iréquem-
ment, el qui consite el ne donner lo nom d'Impót qu'a
la somme d'argent 'Ino le contrihuahle paJe chaque
année au fisco Comme il est facile de le voir , et comme
l'ont démontré entre nutres Ml\I. Molinari el Bernard ,
lo service militaire , celui de la garde nationale , le 10-
gernent donne aux troupes en marcho, ctc., sont des
impóts.


L'impót est ncn-seulemen l juste, mais encare il est
essentícl ala vie des sociétés politiquee. Tout scrvice
se paye, et comrne l'Úat n'est pas un étre tombé des
nucs el possódant des ríchesses en dehors de notre
globe, il est forcé de vivre, de se maintenir el de
fonctionner avec la portion que luí donnent pour cela
les associés,


L'important, el ce sont lá dos vérités connues de
Iouí le monde, c'est (lile I'iinpút soit équitablement


1. _\L T. Bu r na r.l .




!~S -
réparti, que sa perception soit facile et peu coúteuse,
qu'il soit appliqué aux objets auxquels il est destiné,
qu'il soit voté par les ólus du peuple, qui ont aussi
pour mission de contróler son emploi.


Faut-il préférer l'impót direct 0\1 l'imp6t indirect,
I'irnpót progressif Oll l'irnpót proportionnel, l'impót
sur le capital ou I'irnpót sur le revenu ?


Notre intention n'étunt pas d'écril'e un ouvragc sur
l'impót, maís seulement d'en exposer les éléments
ordinaires, nous laissons de coté l'examen approfondi
de ces questions délicates.


Dans les temps primitifs de la société, l'impót était
representé par le travail personnel; el l'époque de la
féodalité, cette maniere de payer l'impót devint une
véritahle servitude. Il tend aujourd'hui el se résondre
par les prestalions pécuniaires, paree que tout ser-
vice est un échange d'efforts, lesquels trouvent un
ólérnent d'évaluation dans la marchandise argento


L'impót indirect, s'il regne d'une facon absolue,
est d'une perception plus facile; mais il cst moins
equitable dans sa répartition, et accuse un élat peu
avancé de la société publique dans laquelle iI fonc-
tionne. L'impót direct se préte mieux aune juste ré-
partition , mais il suppose une statistique tres-avan-
cée, beaucoup de patriotismo dans les contribuables,
pour qu'ils ne fassent pas de fausses declarations, et
une droiture extreme dans I'arlministration publique,
pour ne pas convertir I'impót en arme de parti.


L'impót progressif absolu a t1'0UVÓ un ardent dé




129 -
fenseur en L-J. Rousseau, el plus tard en M. de Gi-
rardin , sans compler Adam Smilh eIL-E. Say.11 est
d'une injustice noloire, cal' il suffit de faire un simple
calcul pour démontrer qu'il arriverait nn moment OU
l' impót égalerait lo capital. Ce systsme impraticable,
outre qu'il est injuste, ferait érnigrer les capitaux de
l'Btal dans lequel il serait étalili.


L'irnpót progrcssíf relatif a trouvé de nos jours un
dófonseur ardent en mademoiselle C.-A. Royer, et
heaucoup deconomistes distingues Je soutiennent.
Mais que l'injustice el l'inegalité soient dans le rap-
port de 1 ou dans celui de :2, elles n'on son 1pas moins
inégalité el injustice.


L'impót sur lo capital rencontre d'abord ces ohjec-
io ns : que 1'État assure le capital et n'a droit qu'au
produit de ce capital ; que le capital consiste en tout
travail accumulé, -inst.l'uments de travail, matieres
prernieres, maísons , torres cultivées, ohcmins de
fer, etc., etc. Comment évaluer, pour établír un type
uniforme, ce qui ele su nature produit des resultats si
divers, des chiffres de revenus si différenls? Cepen-
dant l'impót sur le capital existe aux États-Unis, en
Ilalie el rlans plusieurs ]~lats allemands.


L'impót sur le revenu cst établi en Angleterro, en
Prusse, á Bade, dans le Vénézuéla, el partout il est
impopulaire. S'il greve le rcvenu brut , il attaque le
nécessaire du pauvre ct fuit a peine breche au
superflu du riche ; s'il greve le revcnu net, il arrive
Úabsorber tous les proflts,




-- 1:\0 -
Copendant, M. de Pass}" dit que c'cst l'impót le plus


proportionnel , le plus approprió aux facnltés des
contribuahles, et par conséquont cclui qui répond le
mieux aux prescriptions de I'équité,


M. Prourlhon, cet admirable talcnt en fait de con-
tradictions et d'antinomies, (1 ui se plait a nier, a dé-
truire, et qui n'afíirme et u'édiflc ríen, jugo la grave
question de l'impót aussi impossiblo ú résoudre d'uue
facon satísfaisante que celle [le la duplication du cubo
on de la quadrature du cercle.


La chose est, en elfet, diíflcile ct emharrnssan te ;
mais on pourrait esperer quelque chose si les gou-
vernements voulaient étre plus justes et les peuples
plus sages ; si les monopoles etaient ahclis, les roua-
ges de l'adrninistration simplifiés, les armócs perma-
nentes ot los marines de guerrr.. diminuees ; si l'on
modifiait les systcmes de douanos, en laissant le
champ libre aux produíts qui s'ohtienuent ú bon
marchó dans les zones oú la I'rovidence a donné au
soleil el au climat une cortaino action hienfuisan!e, it
la terre certaines forces pro ductrices ; si OIl laissait
agir librernent les lois naturelles et se rapprocher de
plus en plus les uns des autres les hornmes ot leurs
produits. Alors les hudgels se trouveraicnt rcduits a.
rnoins de la moitié du chifl're qu'ils atteignent au-
jourtl'hui, et les contribuables s'ernpresseraiont de
payer le prix j usto et reel du service (lU8 leur 1'811-
drait l'E!at.
Jlai~ en ;¡l!l'l]rl:1nt que cet heuroux temps vicnne,




.- 1:11-


dans cette qucstion do l'illll't,t, si diíílcile arésoudro
d'ruic Iacon absolue, no m', déclurnns que nous avons
été sóduit par l'idéo dun honune de genio. quoique
trop utopisto, ~I. de Girarrlin. ne tout ce que nous
avons In de lui, c'est ce qui nous a semhle le plus
sensé et lo plus pr.uicahle: Sans avoir aUC11ne predi-
Ioctíou pour un systcrno llt:terminé, 1l0US adhérons ;i
prcsquc Ion tes les parties lb plan corren par ce pu-
hliciste.


C'est I'impót transformé en prime rl'assurance.
L'idée n'est véritnhlement pas do M, de Girardin :
elle a sa flliatiou dans ccrtaiucs institutions athé-
niennes ; mais enfin, c'est lui qui lui a donné uno
forme uouvelle et l'a vétuo ala moderne.


• L'impót, suivant 1L ele Girarllin, n'est ou no doiL
1( étre que la prime d'nssur.mce payéo I)i!r chaque ci-
1( toyen a l'I~tat. Sur qnoí rloit-on la prondre ? Touto
1( prime d'assurnuco os! calculcc sur la valeur de
1( I'ohjot assuré ; d'oú resulte lJIW I'impót, pour étro
« juste et ratíonnel, doit s'appliqucr uniquernent aux
« valeurs. Il Iaut, cm un mot, que la repartition de
« I'irnpót se fasse au prorata, non de la valeur loca-
« Live, des ouvertures domiciliaires, de la superficie
« territoriale , do la propriété vraie ou fausse, ou de
1( l'exercice plus ou moins lucratif de cette propríété,
« -mai" du capital ne! que possodo chaque individu .
• De cetto facon, l'impót a tous lAS caracteres que
« l'on exige de lui : il est unique, proportionnel, c'est
« un instrument d'égalité. 11. celui qui possede, on de-




-13
« mande en raison de ce qu'il a; a cclui qui n'a rien,
" on ne demande rien.


" L'organísation de l'impót sur le capital est tres-
« facile et tres-simple; c'ost eeUe des compagnies
" d'assurances.


" Le con tribuable fait au percepteur la déclaration
" de l'actif et du passif de sa fortune : le capital net
u est imposé. La sincérité de la décla ration est ga-
« rantie par le douhle intérét qui solticite l'assuré.
• D'un coté, cet intérét l'ernpéche d'exagérer sa for-
" tune, ce qui serait exagérer la prime d'assurance ;
• d'un autre coté, ce mérne intérét lui ordonne -de ne
• rien oublier de son actif , paree qu'il s'exposerait
« ainsi, en cas de sinistre, a ne recevoir qu'une
• somme insuffisante, et en outre, a l'exereice du
" droit de préemptian,


" Voici en quoi consiste le droi t de préemption !
• votre fortune, capital net, est de cent mille franes;
• vous déclarez cinquante mille francs : Si I'État
« soupconne que vous eommettez une fraude, il a le
« droit de s'ernparer de toutes vos proprietés en vous
« payant einquante-cinq mille francs. »


Nous avons dit que cette théorie nous séduit; mais
nous n'en faisons pas un article de foi de notre
croyance éeonomique et fiscale. Dans la discussion si
cornpliquée de l'impót , c'est I'idée que nons avons
trouvée revétue du véteruent le plus simple et de
l'aspect le plus philosophique,


11'63.




XIII


LIBERTÉ DANS LA DÉTERMINATION DE L'INTÉRÉT
DE L'ARGENT


Dans un écrit publié par nous en 1854, nous avons
examiné assez longuement cette importante question
de )a science économique. Nous allons aujourd'hui
énoncer simplement les éléments qui la constituent,
c'est-á-dire les prolégomenes de la science,


1° L'argent est une marchandise. De mérne que
l'on ne peut, en droit, Iíxor la valeur d'un metro de
drap, le prix de location d'une maison, - de rnéme il
n'existo aucun fundement solide pour fixer I'interét
legal de l'argent.


Le capital représenteun travail antérieur; peu im-
porte qu'il consiste en argent, en maisons, en pro-
pristes, etc. Le travail est échangé centre du travail,
ou, ce qui est la méme chose, il ya échange d'efforts.
J'ai du blé, -vous avez du vin ; je vous donne l'excé-
dant de mon LIé contre l'excédant de votre vin, apres
avoir déhattu les conditions de I'echange , S'il ya in-
tervention d'un nouvel élément qui favorise les


l'!




'-1 '
- ,j j --


transactions, si au licu de vin vous me donncz ele
l'argcnt, I'cssence dcschoses n'c':,\ P;\8 C]¡;¡llgÚ] ponr
cela. Votro argent represente toujours vo.re travail,
comrne mon hlé represente 111011 travail pro[lre ;


2° Quanrl il y a abomlanco de la niarchandiso argcnt,
celui qui demando il cmprunler pcut l'ohtcnir ~t de
rnoilleures conelitions. Et si, dans un pays ou il u'v a
pas de lois resu-ictivos rle I'iutúrét, OH réalise en pró-
tant des Léuéílces supéricurs á ceux que l'on olilien-
draií daus d'autres transnctious, I'argent afíluera vers
ce pays jusqu'á ce (Jt1\) ron arrivc au niveau désiré,


Les lois qui reglent le loyer de l'argent, au Iieu do
prcduire le bon marchó, arnenent la cherté , et Ion L
d'une action lieite une action coupable , nn délit. Si
ron fíxc, par cxemplc, 11n intcrét de 5 ou GO/O, les
capitalistes 11onneI88, qui De vculeut pas violer la loi,
s'abstiondront de prétcr ; mais él lour placo apparai-
tront les hornmcs de mnu vaiso foi , los véritablcs usu-
riers, qui trouvent le charup libre pour imposor des
conditions plus onércuscs,


La loi sera violóe au détrirncn t ele la morale socialc,
et cela sans qu'il soit possihlc de prouver qu'il y a
violation : Pierre demando ccnt francs, il en recoit
quatre-vingt-clix et donne un rC0u ele cent ;


30 Celui qui dc'mando a emprun ter le fait, soi t
pon!' appliqucr le capital argcnt á uno cntrcpriseIu-
crative, snit pour sorti r duu« situatíon d éscspércc.


Dans le prernier cas, il pcut t i rer de son industrio
des bónóflces supericurs á ccux 'ln'olJliellll,' prétcur,




d'oú résulte qu'il y a profi t pour tous, cal' la produc-
tiun de la ricliesse a l)té de la sorto siimulée ; -
dans lo sccoud cas, comnieu de Iois u'csl-il pas arrivé
qu'une sonnue prétóe Ú gros intéréts a SCiUYÓ la vio
d'un ho mmo, l'honnour d'une Iarnille ? En toute cir-
constaucev pour celui (jui demando el cmprunter, le
pnH qui lui cst ¡'¡¡it est un lricn qu'il rrcoit, cal' per-
sonne IJ() demande ce q ui pcutlui Jairc du mal. Dans
l'ótat actuel de la l('gislalioll francaise, le malh eu-
reux ne trouve pas do capitalistes qui corisentent a
lui donner de l'argent a moins do ti pour 100, et on
ne le lui donno pas ú plus Iort iutcrét paree que la
10i 1'emp6011e; mais les monts-dc-piété recoivent en
dépót, pour le tiers de 1eur valeur, les effots du
miserable, et lui prcnnent un intérét supérieur a
() pour 100;


4° Celui qui préto son argcnt ú intórét rend un
véritahlc scrvicc, et tout servicc doit so payer, en
dóbattunt lihrcuient los conditions entre celui qui le
rend el celui qui 10 rccoit. En outre , tout capital a
pour essenco d'ótre proc1uclif: si Picrre consent a
ahandonncr a Jean uno certaino sornmc, il cesse,
pendant tonl le teiups qu'il s'cn dessaisit, d'cxploitcr
cclte sornme el son avantage, et Juan I'exploite pour
son propl'e cornpto ; done il doit indernniser Pierre.
C'est ce qui s'appolle lucro cessant et dommago nais-
sant, Do lú )'intén]t ele I'al'gr;ul. Jcan punt se lancer
dans des 0p¡"l'atiol1s arel1I111'CUSO,;, il peut rnourir, ct
Picrro t1'0"I·!'1':1 ¿¡I/il''' 111'S r1iUkl1]!¡"S do tout gClJre




- I:lG-
pour obtenir le payernent de ce qui Iui est du, C'est
la ce qui constitue le danger probable, qui exige le
payement d'une prime. Tel est le systern« suiví par
toutes les compagnies d'assurances;


50 En Franca, sous le régime de la loi de 1807,
qui fixe I'intérét de I'argent a () pour 100 dans les
affaires commerciales et a5 pour 100 dans les affaíres
civiles, on a plusieurs fois toleré que la Danque éle-
vát le taux de son escompLe; une loi dans ce sens a été
promulguée en 1857. Ehbien, pourquoi ótahlir deux
ordres de systerne , I'un pour la TIanque privilégiée
et l'autre pour les particuliers, pour les simples pré-
teurs? Comment ce qui est immoral et pernicieux
pour ceux-ci devicnt-il moral et utile pour celle-la?
Quelle différence y a-t-il entre un billet signé par
deux ou trois personnes et un hillet signé par un
seul individu? 1\1. Léon Faucher a prouvé d'une ma-
niere irrefutable qu'il n'y a aucune différence, pas
plus qu'entre des préts pour des opératioris commer-
ciales oupour tout autre objet. Ce ne sont lá que des
distinctions de casuistcs, completement étrangeres ú
la science ;


60 La loi qui fixe I'intérét de l'argent parait
avoir surtout en vue de protéger l'emprunteur contre
le préteur ; mais elle n'aurait pas dú s'arrétcr amoi-
tié chemin. Si elle s'intéresse tant au nécessiteux,
puisqu'elle atlaque la propriété représentée par la
rnarchandise argent, en fixan Lun taux pour I'intérét,
elle aurait dú ordonner que le capitaliste prétát á




-- 131 ---


5 OH 6 pour 100, suivant le cas, Ú celui qui demande
du capital. Cela eút eté logique.


La 10i fait subir aune grande partie des citoyens
une tutelle forcée, qui ne reconnait ni áge, ni condi-
tion, ni limite; elle intervient pour dire acelui qui a
besoin de la marchandisc urgent: Tu ne recevras pas
á un intérét superícur Ú J ou 6 pour 100; et au pré-
teur ; Tu no dorineras pas ton argent á un inlérét
plus elevó. Mais M. Baudrillart a deja fait rernurquer
qu'il est plus clangore ux d'acheter et de vendré que
do préter et d'ÜJ1lpn1llter. Si la loi ctahlit une taxe
pour les prúts ú iuterét, elle devrait ú plus Iorte rai-
son en élablil' une pour les achats et les ventes;


7° Les lois tolcrent certaines choses pires que
l'usure; ~LVictorBorie a dit avec beaucoup d'esprit:
«Puisqu'il s'agit de tutelle, pourquoi, 61égislatours,
« ne faltes-vous pas une loi con tre les demoiselles qui
« poussont les íils dí) Iauiille ehez les usuriers , -
• centre les restaurateurs qui ouvrent Ieurs salons les
« nuits de 1J:tJ, - centre l'Opéra el ses hals masquós,
« - coutre les courses de clievaux, - contre les pa-
« ris , - centre le quartier Breda, - contre le vin
« ele Champagnc , - contre lcs crinolines, etc., etc .
• Le tribunal de police correctionnelle serait ainsi
« transformé en tribunal de la pénitence; "


8" C'est depuis Turgot surtout, que la question
de nt n011S nOlIS OCCllj10l1S a ctó (Jisclltée, et ceux qui
sont partisans de íixor I'iuíúrét de I'argent ont ('1é
Ci'mpl{,tCIllI;]it hattus, I'ersonn« ri'a su comme :\I0n-




- ];;0--
tosquieu montrer los rósultats coutraires au hnt que
prodnisent les lois de cetto nnturo. Ce publiciste di-
sait : " L'usure augmente en proportion ele la séYé-
" rité de la rléfense. Le p~etcllr s'indenmiso du dan-
• gel' de la contravention. " - Ce tlieme a été
developpé par Srnith , Say, Bastiat , M. Clicvalier.
Hossi, :3DI. Molinari , DalTdrillart, Darimnn, Garnier,
Borie , etc.


L'Angleterre, l'Espagnc, les Úats-Ul1is, I'Italie , la
Ilollande, la Belgiquo, la Prussc, etc., penetres de
ces doctrines, apres avoir suivi la voic dos incensé-
quences economiqucs el ele l'etnpirismc , out alioli
ks Iois qui limitaíent l'intérét de l'argent , El au
lieu d'étre plus elevó (IU'O!l Franco, toutes cuoses
égales d'ailleurs, I'intérút cst au coutrairo moins fort
dans ces pays.


La táche d u légíslateur est Iacilc, la honne marche
des societes plus assurce, en suivan t loyalernont les
lois preexistantes qui rl~gisseIlt le monde moral.


1860. ,




XIV


DE LA LlBERT~ QUI DOIT RÉGNER
DANS LA DÉTER¡,lINATlON DE L'INTÉRET DE L'ARGENT


Duns les l imites du droit, tout par la libre
el perfectible spoutunéí tc de I'houime ; rien
par la lci cu la force qu e la jusríce uuivcrselle,


(BáSTIAT, La Loi.)
Jc veux que le taux de l'Intérét soit tou-


jcurs le plus bus poss ible . et voil a pourquol
jc suppl ic le legislutenr {le ne film; sen occuper,


!DE MOLINAR].)
Lo socíalismc n'cst antr-o cliose qu'uno exa-


cérvt iou ruuicalo tuai s parfni t ern en t logique,
dc' \:IS lo¡x et l'l\;~'Jt.il[('lltS. Vou-, ni-ex déeidc
He l'int.cret svruit iimité a ciur] et á si.x pour


cent; le socialistue decide que linteret sera
réduit a zcro .


DE MOLlN."lRI, Les Soil"ées de la fue
Saint-Lazare, )


SmlMAIRll. Rnison de la pu bli e ati on de cet article. - QCES-
TIONS: QIl'est-ce qne le travai l ? Qn'est-ce que la valeur?
(Juel cst le Io ndcmcn t de la valen!'? - Qucs t-cc que la
richesscv-c-Qu'cst-ce que le ca p i tal ? Qu'cst-cc que Iéch an-
gc?-Commcllt doit-il <'tro n'·s[,>I-La monnaic cst-elle une
InarchuIHli:-il''?- La m on na iu «st-o l le nn signo? Est-e l ls une
nlt'~.;urc dt~ \";\lt:UI';'·- y a l-il uno in c s u rc de vu lc u r? - La.
!'lOllJl ..i i c {<[;tuL [IIl /li"odlllt l 1111l: Ili n r c h ;, n d i ;;" e , (1Ilcllu') sont




--110--
les 1018 qui doivcnt en r(~gler le change?-Tout capital pro-
duit un intéré t. - Qu'est-ce que lin téré t ? - Légilimité de
I'intérét.- Perpétuité de l'intór ét. - Si I'interet esl lícite 1,
cine¡ ou si x , poure¡uoi d e v i e n t-i! i!lieite a huit, dix, etc.?
Et s'il est i!lieite a h uit, dix, etc., pourquoi ne I'est-il pas
aussi a six, einq ou un ?-Hésulle-t-il un dommage pour les
emprunteurs de ce qu'i! y ait des capital istes q u i leur pro-
ten! a int,;ret?-EITets de la concurrcnccv-c Sphi-re de la loi.
- Lycurguc, Solon, Ro usseau , Robespierrc, Proudbon.-
Les lois qui fixent ¡'int,}r"t de lar go nt donnenl un r,;slllLat
co n trai r e a c e lu i que I'o n se propusc.-Luis r cl ig ie uscsv-;
Con clusio n.


Nous avons recu de la Nouvelle-Grenade des jour-
naux annoncant que M. le gl'néral Tornas C. de i\los-
quera, en sa qualite de reprcsentant de la provinco
de Cipaquira, proposait aux chambres legislatives
un projet de loi flxant l'intérét de l'argent á 5 O/O
dans les affairos non commerciales ct á GO/O dans
les affaires de commerce.


Nous avons cru devoir formuler quelqucs observa-
tions á ce sujet, cal' la question est iutirncment liée aux
príncipes Iondamentaux de la science économique.
et, d'aulre part, I'auteur de cette proposition, hornme
cclairé et ami du progres , fut coinmc rcprésentant,
en 1834, un des premien; qui, ala Nouvelle-Grcnaríe,
contribuercnt á [aire pénétrer les príncipe» liberaux
dans les loisflnancieres de ce pays, et plus tard ,de 18'¡;j
á 184\), réalisa comme president de la Ilépuhlique
une révolution complete dans les finan ces nationulcs.


Nous avons encere été llorté a ecriro sur cctte
question Delr la lecture d'un articlc centre le g'l~llóml




- 1~1 -
Mosquera, écrit par un jeune homme de talent mais
qui a, par extraordinaíre , émis dans cet article plu-
sieurs propositions complétement opposées aux véri-
tés éconorniques; et qui, si elles étaient vraíes, ten-
draient él prouver la doctrine que renferme le projet
du géll(~ral :\IoHllwl'a.


Xos observa tions sont calquées sur les écrits do Ros-
si, M. Chevalier, M. ;,lolinari, Mac-Culloch , et surtcut
sur ceux de l'éiuincn t Ilastiat, qui a contribuó par ses
a:unes ú élargir le champ de l'économie politique ,
en purgeant cotte science de mille erreurs soutenues
llar des ecrivaius aussi i llustres que Srnith, Ricardo,
Say, Sismondi, M Garnier, etc., et qui a aidé a ren-
verter dans l'areno de la discussion le monstre du
socialismo, i le Irapper mortellement, mieux que
ri'auraient 1m lo Iairo los canous des gouvernernents,


L'hommo, corume étro passif', eprouve des besoins
et les satisfait ; mais pour arríver él cette satísfaction,
iI lui faut cxercer son activité, soufIrir une peine,
faire un efIort, travaillcr. Le resultar de celte peino,
de cet effort, de ce travail , so nomme service, et il
est transmissiblo, Do lú vient qne l'homrne peut sa-
tisfaire ses besoins, soit en produisant lui-méme tout
ce qui lui est nécessaire (ce á quoi i] n'arrivera ja-
mais ) , soit en recevant les produits d'un autre
horurne , en vertu de la división un travail; mais
toujours il lui a fallu souílrir une peine, faire un ef-
Iort et ohtcnír le rcsultat de cet effort.


Ce que nous venons d'oxposor cst fondarnental, et




- 142 -
nous conduit adéfinir, d'apres Bastiat, le travail, la
otueur, la richesse, le capital et l'(;change; cal' de ces
définitions dépei:Jd la solution d'un grand nombre
de questions économiques, et principalomen t de
celle qui nous occupe.


Le travail est l'application de nos facultes a la sa-
tisfaction de nos besoins.


La valel!r est la relction entre doux services
échangés.


La richesse est la somme, non pas dos valcurs (ce
qu'il faut bien rernarquer) , mais dos choses qui pon-
vent servir ala satisfaction de nos hesoins,


Le capital est I'accumulation ele services an lérieurs
et actuels; il se compose de materiaux, d'instrumcnts
et de provisions.


Quel est le fondomen t de la valcur ? Si l'hornmo
vivait isolé, il ne suflirnit pas par lui scul ú produire
la dixierne partíe des clioses les plus nécessaires ala
sntisfaction de sos prerniers besoins. Que I'on consi-
dere , en elfet, cornhien ¡j']lOrnmes n(;('(~ssite la pro-
ducüon d'un boisseau de hló, par exemple : pour la
seule constructiou de la charrue , le charpcnlier, ]e
forgeron, dont le travail est précódó du lahour de
ceux qui ont coupe les bois dans les Ioréts el fouillé
les en trailles de la terre pour en cxírairo le fer, etc. ;
ces hommes ont besoin de véterncn ls ; ct comhien
de temps et cornlrion duutrcs hnnnncs na-t-il pas
fallu pour tisser un metrc du cll'ajl le plus grossiol' '(
- Ainsi clone, I'hornme, soit dit cn passaut, est (10s-




1
, ,)
;.} -


tiné el vivro en mcid,'·, sous quolque point de vue
qu'on le considere ; et dans octto societé, chacun
travaille pour les outres, sans savoir le plus souvent
a qui servirá son travail, Cliacun introduit dans le
grand marcl!(l de l'humnuitó UIl scrvice rendu par
lui et en retiro un aulre (:(juit'ull!1Jt, s'i! n'est pas
obligo par la force de reccvoir cclu i qui n« tui conoient
paso rÜ?ITe I)()S~údc un proLII1Íl dout Jcan a hesoin , el
cclui-ci en posserlo un antro qui cst nécessaire ú
celui-Iá : tous les dcux rnesurent l'offort qu'a coúlc
acnacun d'eux le produit qu'ils possedent, et l'eíío: L
qu'il leur Iuudmi t Iaire pour obtcni r colui qu'ils n '011 t
pa~ : ils COlll pa ron t , el si leurs elforts se trouvcn L
e.juilibrús, ils troquent, ils éehangent : le [otuienient.
de la t'CrlCUl' est done dll1ls l'elTol't [ait el dans l'e/rol'l
cpal'gné, et consiste g(néralemont dans le sceond plus
que dans le prernier. Lorsquo Pierre achete une
chose de laquelle il a J)('~OiIl, il llC s'occupe pas de
savoir si clle a coúté á Je.m un effort representé par
'2; mais, consulíant ses forces, son hahileté, etc., il
calcule si elle lui coútcrait á lui-rnérne un efl'ort
representé par 2 lji ou 1 3/1, el se décide en consé-
quence ú achetcr ou ne pas achcter l'objet dont il a
hesoiu. - Ce qui precede sert a prouver cambien
snut inutiles, absurdcs mérne , les vaines suhlilités
dans lesquclles se pordent les économistes pour cher-
cher ú savoir si c'est la valeur qui mesure l'utilité
ClU I'll!iiitl~ ijlli mesure la valcur 1,




- 111-
L'autenr des Harmouies économiques fait remarquer


avec raison que la tbéorie de la valour et de l'é-
change se trouve, par un heureux hasard, beaucoup
mieux développée dans la jolie fable de Florian,
l'Aveugle et le Parounique, que dans le plus volumi-
neux traíté d'economie poli tique. L'aveugle dit, en
effet, au Paralytique :


< Aidons-nous m u tu el le m cnt ,
La charge des malheurs en sera plus J"ghe .
................................. A nous deux ,
Nous possédons le bien a cbacun nécessaire :


J'ai des jambes et vous des yeux,
Moi, j e vais vous porter; vous, vous serez mon guide ;
Ainsi, sans que jamais notre umi tié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. »


Mais qu'est-ce qui doit régler les condi tions de l'é-
change? Est-ce la loi ou les particuliers ? Puisque
personne (a moins d'employer la spoliation) ne peut
retirer de la société aucun service qu'au moyen d'un
autre service équioolent, il est clair que ceux qui don-
nent et ceux qui recoivent SOIJt lesjugcs legitimes de
la mesure de l'íntensité de leurs efforts, ct, par con-
séquent, c'est aeux qu'il appartient de décider si ce
qu'ils rscoivent »eu; ce qu'ils donnent ou en est l'é-
qnivalent, et vice versa. Cela paralt étre une incontes-
table vérité , et cependant les nations qui maintien-
nent le régirne prohihitif na fout que la Iouler aux
pieds. Nousverrons plus has que ecuo verité, triviale
en apparence, estla base de la liberté ele l'intéret de
I'argent, ct qu'elle est méconnue ]lar ceux qui vou-




- 1'15-
lent que la loi fixe le taux de cet intérét. Le seul cas
dans lequella loi puisse intervenir pour cela est ce-
lui d'un jugement pour dettes, lorsqu'aucun intérét
n'a été fixé par les parties,


L'exaetitude, la vérité de l'équivalence de deux ser-
vices est done dans le débat librement engagé pour
I'établir entre les contractants. - C'est 1[\ un Iait de
toute évidenee ; mais peut-íl s'appliquer 11 la mon-
naie ? La monnaie est-elle une marchandise '?


Pour se convainere que la rnonnaie est un produit,
une marehandise, un rcsultat du travail, il suffit de
rechereher comment tout individn pent obtenir cette
rnarehandise, ce produit. L'oxygene et l'azote qui
composent l'air atmosphérique nous environnent de
toutes parts ; aucun effort n'est nécessaire de la part
de personne pour que nous le respirions 1; la hrise
nous caresse dans les champs, dans les vallées, sur les
collines, etc. ; - de cela, comrne de toutes les forces
de la naturc, nous avons la jouissauce gratis, paree
que Ieur produetion no coute aucun travail ; mais
cornment la monnaie vient-etle entre nos mains ?
Pour l'acquérir justemen t, il faut que I10US donnions
en échange un produi t, que nous rendions un ser-
vice, un écu de plus dans une main suppose un ecu
de moins dans une antre ; par ccnsequent, eelui qui


l. A moins que nous n'ayons Lesoin que I'on nous intro-
duise des qu anri tés d'air, comme dans la cloche a plongeur;
et alors ce n'est pas I'air introduit, mais l'aetion de I'Intro-
duire, le service, qui constitue la valeur .




- líG-
a cet écu de moins doit, en vertu de la mutlwlilé des
services, avoir re<:n HU équivalent '.


Bastiat, dans sa hrochure in titules Alamlit arqeu!
(que nous voudrions va ir répandue en Amériquo au-
tantqno les seize autres hrochuresdu memo auteur, au-
tant que ses Harmonies économiquesi, s'exprirne ainsí ;


• Lo moment est venu d'analysor la véritahle for-
11 rnation de la rnonnaie, ahstraction faite dos mines
11 et do l'importation.


11 Vous avez un écu : que signifle-t-il dans vos
11 mains? C'est comme 10 témoignagc, commo la
1I preuve que vous avez executé, ú uno époque quel-
11 conque, un travail dout vous u'avez pus joui, mais
11 dont vous avez fait jouir la société dans la per-
« sonne de votre client; cet écu atteste que vous
« avez rendu un seroice a la socioté, et en cutre ir
" constate sa valeur. Il atteste aussi que vous n'avez
11 pas encare retiré de la societó un seruíce HI~EL équi-
11 valent, comme c'était votre droit. Pour vous mettre
« en état d'exercer ce droit quand et comme vous
« voudrez, la société, par les mains de votre client,
« vous a donnó une reconnnisstuice , un litre, un bon
« de la Ré¡ntblique, un écu enfin , qui ne diífere des
• ti tres judiciaires qu'en ce qu'il porte en lui-mérne
l( sa valeur, et si vous pouvez lire avec les yeux de
l( l'esprit les inscriptions qu'il porte, vous y déchif-
1I frerf'z distinctement ces mots : Cotare le préseiu,
« rendez au porleur 'Un service équicalen: a celui fjn'il


l. Has ti at, id.




- 147 --
• a rene/u a la sociéié, valcur 1'C¡;Ue, constatéc , prouvée
u ei mesuree par ma propre valeur. »


L'auteur dit encore , dans un autre endroit de la
mérne brochure : « Les choses utiles sont échangées
« entre elles suivant la convenance des personnes
« auxquelles elles appartiennent. Il y a deux formes
u pour ces transactions : 1'une se nommc {1'OC,. e'est
• eelle par laquelIe on rsnd un service pour en re-
« cevoir ensuite un, autre équivalent. Sons cette
« forme tontos les transactions seraient extrémernent
« Iimitées. Ponr qu'elles puissent se multíplier et se
« terminar á travers le temps et I'espace, entre por-
« sonnes inconnues et par fractions infinies, il a fallu
• l'intervention d'un agent intermédiaire: la 1I0N-
« NAIE. Elle donne lieu a l'échange, qui n'est antro
u chose qu'un troc complexe, C'est ce qu'il íaut re-
« marquer et bien cornprendre. L'échange se décorn-
« pose en deux trocs , en deux facteurs : la vente et
« E'aehat j, dont la reunión est nécessaire pour 10
« constituer, Vous oende: un service pour un écu ;
« ensuite, avec cet écu, vous achetez un servíce ; c'est
« alors que lo troc est complot, c'est alors que votre
« eflort a été compensé par une satisfaction réelle .
• Évidemment vous ne travaillez asatisfaire les be-
« soins d'autrui qu'á la condition qu'il travaillera a
« satisfaire les vótres, 'I'ant que vous n'aurez entre
" vos maíns-que l'écu qui vous a été donné pour vo-


L Cctte observatio n es t de J .-B, Say.




- 1UI-
• tre travail, vous étes en droit de réclamer le tra-
1( vail d'une autre personne, et c'est lorsque vous
« l'aurez fait que l'évolution économique sera com-
1( plete en ce qui vous tonche, cal' c'est seulement
1( alors que vous aurez obtenu, par une satisfaction
1( réelle, la véritable recompense de votre peine. L'i-
• dée de troc implique celle de service rendu et de
" service recu, Pourquoi n'en serait-il pas de meme
" pour l'idée d'échange, qui n'ost qu'un troc en par-
1( tie double. "


Un écu s'obtient done par les rnémes moyens qu'un
sac de blé , qu'un chapeau ou tout autre produit;
c'est-á-dire ea donnant en échange un autre pro-
duit, pour l'obtention duquel il aura fallu souffrir
une peine, faire un effort, travailler,


En conséquence, la monnaie entre dans la sphsre
de tous les nutres produits : les lois qui doivent régir
son échange sont les mérnes que celles qui régissent
l'échange des autres produits. Ces lois sont fondées
sur la liberté: laisses {aire, laissez passer, On ne peut
pas dire él un individu : Tu ne preteras pas ton argent
aun intérét supérieur a5 ou 6 p. 100, pas plus que
ron ne peut imposer a un marchand de sucre le
devoir de le vendre aun prix déterminé : les deux
dispositions sont une attaque ala propriété.


La nécessité d'un intermédiaire qui facilitát les
échanges fit adopter les métaux précieux comme ex-
cellent moyen de circulation , tant pour leur valeur
intrinseque que pour leur ductilite , leur facilité de




- 1'¡') ----


transport, etc. ; mais de lel. sont venues milie erreurs
économiques : on a cru que les lois qui régissent l'é-
change de la monnaie sont différentes de eelles qui
régissent l'éehange en général; et on Fa appelée signe
de valeur, mesure de valeur, etc.


La rnonnaie n 'est un signe de valeur qu'autant
que peutl'étre un sac de blé, par exemple. Celte er-
reur a conduit á des conséquences pratiques fatales.
En croyant que la monnaie cst le signe des valeurs,
rlisent M. Molinarí et Bastiat, CJIl a cru qu'íl suffirait
d'augmenter le signe pour augrnenterparcela memo
la cliose signiliée. « De mérne qu'on voit dans la
" morinaie le signe de la richesse , on voit dans le
u papier-monnaie le signe de la monnaie, et l'on en
« conclut qu'il existe un moyen tres-facile de procll-
« rer á. chacun les douceurs de la Iortune. u


On a cru voir dans la rnonnaie la mesure des va-
leurs,


« L'usage ordinaire ;¡ rapporté la valeur de toutes
" les choses á la valeur du numeraire. Gn dit : cela
({ caut 5, 10, 20 Irancs, comme on dit : cela pese
" 5,10,20 grammes : cela meSUTe 5,10,20 metres;
" ce terrain conticni 5, 10, 20 ares, etc.; et l'on a
(f conclu de la que la 1iwnnaie est la memre des"oa-
" leurs. Une mesure de langueur, de capacité, de
u pesanteur, de superficie, est une quantité conve-
« nue el invariable. Il n'en est pas de rnéme de la
u valeur de 1'01' el, de I'argent ; elle varie autant que
« ceHe du b16, du vin, du drap, du travail , et cela


13.




- 1,")0--
• par les mémes causes, paree qu'elle ohéit aux
" mémes lois et a mérne origine. Nous ohtenons 1'01'
« absolurnent comme le fer , par le travail des mi-
• neurs, les avances des capitalistes, le concours des
• marins et des négociants. L'or vant plus 011 moins
" suivant que sa production coúte plus ou moins
• sur le marchó, qu'il est plus ou moins recherch é ;
« en un mot, il subit dans ses fluctuations le destin
• de toutcs les produetions lrurnnines. Mais voici
« une chose bien étrange et qui cause bien des illu-
" sions : quand la valeur du nurnéraire varie , le lan-
« gage en attribue la varíation aux autres produits.
• Ainsi je suppose que ton tes les circonstances rela-
« tives a1'01' restent les mérnes et que la réeolte du
• blé soit mauvaise ; le blé montera; on dira alors :
• 1'hectolilrede hlé, qui valait 20 francs, en vaut au-
" jourd'hui 40; et on aura raison, paree que c'est
II effectivement la valeur du blé qui a changa, et le
II langage est cette fois d'accol'd avec le Iait jj,¡is
« faisons la suppositíon inverse : supposons que
II toutes les circonstances relativos au 1)lé soient les
II mémes, et que la rnoitié de tout 1'01' existant dans
« le monde se perde au fond de la mer : eette fois ce
« sera la valenr de 1'01' qni montera. Il semble alors
II que l'on devrait dire : cette piece d'or, qui valait


II 20 (remes, en oaut 40. Nnie camment s'expl'imel'a-
II t-on 't comme si c'était l'autre terme de comparai-
II son qui eút baíssé, el 1'on dira: le hle, qui valait
II 20 francs, n'en vaut plus que 10.




« Quant au resultar, il est le ménie; mais que l'on
« se figure un instant toutes les tromperies qui doi-
" vent se faire dans les échanges, quand la valeur de
« l'intermódiaire vario sans qu'un changement de dé-
« nomination en avertisse. On mot on circulation des
" pieces allérées ou des billets qui portcnt le chiffre
• de 20 Irancs elle conservcront Ú travers toutss les
« dépréciations ultérieures. Leur valeur sera ré-
• duite d'un quart, de moitié, el ccpcndant on eon-
« tinuera de les nommor pieces el billets de 20 [rancs,
« Les gens avises auront soin de ne donner lcurs
« produits que lJOnr un nombre plus grand de hillets
« ou de pieccs; en dautres termes, ils dernanderont
" 40 írancs pour ce qu'ils vendaient autrefois
« 20 franes; mais les ignorants tornheron t dan s le
« piége, et il se passera plusieurs années avantque
" l'évolution soit completo pour toutes los valeurs.
« Sous l'influerice de l'igriornnce et de la coutume, la
« journée (fuJ] paysan rcsrera longtemps Ú un franc,
« tandis que le prix de tous les objets de cousornma-
« tion s'élevera autour de lui. Il tombera dans Ia
• misare sans en discernor la cause. Lne Iois la
• fausse monuaie mise en circulation , quelle que snit
« la forme quelle preune, il Iaut que la dépréciation
f( vienne et se maniíesto par la hausse universelle de
« tont ce qui est susceptible de se vendre. Mais cette
« hausse n'est ni instnnrauéo ni ógalc pour tout, Les
« gens adroits, les hrocanteurs, qui s'entendent aux
« affuires, sortent du Ialiyrinthe, paree que leur af-




,".)
j .J.--


(/ faire , leur métier, leur proíession est d'observer les
• fluctuations de prix, d'en reconnaitre la cause, et
« mérne de spéculer sur elles. Mais les petits com-
« mercants, les paysans, les ouvriers, supportent
« tout le poids, Le riche n'est pas plus riche, mais le
« pauvre devient plus pauvre. Les expédients de cette
• espece ont pour effeLs d'augmenter la distanee qni
« separe l'opuloneo de la misera, do paralyser les
« tendauces sociales qui rapprochen L incessamrnent
« les hornmos d'un méme niveau; et onsuite il íaut
" que plusieurs siecles se passent pour que les elasses
« déshéritées regagnent le terrain qu 'elles ont perdu
« dans leur marche vers l'égalité des conditions.•


Si la rnonnaie n'est pas une mesure de valeurs,
y a-t-íl qnelque prodnit qui possedo la qualité de
les mesure!'? Voyons ce qni a été dit á ee snjet : " La
" science n'a pas pour but, cornrne l'échauge , de
« cherchor la rclation acucelle entre deua: suvices,
" paree que dans el) eas la morinaie suífírait. Ce
u qll'elle cherclie surtout, c'cst la rclation entre l'e(-
" [ort et la satisfaciion ; aceL égard, dans le cas OU il
" existerait une mesure de valcurs, elle n'enseigne-
« rait rien, paree que l'effort porte avec lui a la sa-
« tisfaction une proportion varicLble de profit gratuit,
« qui n'a pos de valeur. C'est paree que eet élément de
« hien-étre n'a pas été perdu de vue , que la plupart
« des écrivains ont deploré l'absenco d'une mesure
" des valeurs. lls ont vu qu'clle ne donnerait anenne
« réponse a la question suivante : Quelle est la ri-




« chesse comparative de deux classes, de deux peu-
" pies, de deux générations?


« Pour résoudre cette question, la science aurait
" besoin d'une mesuro qui lui révélát, non la rela-
" tion entre deuo: scroices, qui peuvent servir de véhi-
" cules a dos doses tres-diverses de profit gratuit,
« mais la relation entre l'efl'ort et la satisfaction; et cette
" mesure no serait autre chose que l'effort rnéme,
" c'est-á-dire le travail ,


« Mais comment le travail servírait-il de mesure ?
fI N'est-il pas lui-méme un des élémenls les plus va-
« riahles ? N'est-il pas plus ou moins habile, pénible,
« variable, dangereux, répugnant ? N'exige-t-il pas
« plus ou moins l'intervention de eertaines facultés
• intelleetuelles, de certaines vertns morales? Et ne
, eonduit-il pas, en raison de toutes ces circon-
« stances, ades rémunérations d'nne variété inflnie ?


" II ya une nature de travail qui, en tout temps et
" en tout lieu, est identique el eJle-m(~rne, c'est-á-
" dire qu'elle pourrait servir de type : e'est le travail
" le plus simple, le plus grossíer, le plus primitif', le
• plus musculaire , celui qni est le plus dépourvu de
" toute préparation naturelle, celui que tout hornme
« peut exéeuter, qui rend des services que chacun
, pent se rendre a soi-rnémo ; eelui qui n'exige ni
« force exeeptionnelle, ni haliitude, ni apprentissage;
« le travail tel qu'il s'est manifesté au point de dé-
" part de I'humanitó, en un mot Jo travail du simple
" journnlíer. Ce travaíl est partout lo plus offert, le




_ 1:)'1 -
« moins spécial, le plus hornogene :et le moins ré-
« tribué, Toutes les rómunérations s'échelonnent et
« se graduenl en partant de eette base, augrnentant
, avee toutes les circonstances qui s'ajouterent á son
n mérite.


« Si done on veut comparer deux états sociaux, il
" D 'est pas néeessaire de recourir el une mesure de
" caieurs par deux motifs aussi logiques I'un que
« l'autre : 10 paree qu'il n'y a pas de mesU'l'e de va-
" leurs ; 20 paree que, s'il en existait une, elle donne-
" rait él la question une réponso trompeuse, en ou-
« bliant un élérnenf considerable el progressif du
« hien-étre humain, le profit gratuit.


« Ce qu'iJ faut faire, c'est au contraire oublier
« complétement la valeur , particulierement lamon-
« naie , et se dernander : Ouello est, en tel pays el él
« telle époque, la quantité de chaque gen re de profit
(( spécial, et la somme de tous les profits qui corres-
" pondent aehaque quantité donnés de Iravail hrut ?
« En d'autres termes, quel est le bien-étre que peut
« se procurer par l'échange le simple journalier l? "


Tout ce qui precede contribue el prouver avec plus
de force que la monnaie est une véritahle marchan-
dise, et que, comme telle, elle est sujette dans son
éehange aux mérnes lois qui reglent l'échange des
autres produits, ainsi quo nous l'avons denion tré 1)]11S
haut,


1. Harmonies économiques.




- lJJ --
'I'out ce qne nous vonons d'exposer a el ú I'étre pour


arriver el établir la thcse suivan te : Tout capilal P1"0-
cZ/dl ültérét. Tout [lrodnit qui n'est pas appliqné dlrec-
tement a la satisfaetion immédiate de nos besoíns
produit un profit, un benéfice ; que ce produit soit une
maíson , une propriótó ou une sornrnc d'argcnt, etc.,
ce profit, ce 1I6116fiee, se nornrne tantót lirfer; tantót
[ernuuje, usufrui», etc.: mais le nom général est in-
teri't, de iruer-esse, qui, comme le mot l'indique, si-
gnif1e participation dans les profits.


Avnnt de parler de ce qui constitue I'íntérét apI)li-
qué au hénefice que produit le numeraire , et avan t
d'examiner ce que c'est que le prét aintérét, voyons,
dans un apologue emprunté au Iécond auteur de la
belle brochure intitulée Capital et Rente, comrnent
s'établit l'intérét ou hénéfico emanó de tout autre pro-
duit, de tout autre service. Cela nous conduira plus
facilement ú la dérnoustrntion , OU, pon]" micux dire,
ceja dérnontrera le droit des contractants ú fixer Ií-
Lremsnt I'intérét de I'argsnt.


LE nABOT DD ~m:"<UlSIER.


« Il Y a quelque temps vivait dans un víllage un
menuisier philosophe , cal' mes persorínages le son!
tons un peno Jacques travaillait du matin au soir avec
ses rleux bras robustes, sans que pour cela son intel-
ligence íestát oisíve. Il avait l'habitudo de se rendre
cornpte de ses actions, de leurs causes el de leurs
conséquences, el il se disait parfois : Avec ma hache,




- 156-
ma scie et mon marteau, je ne puis faire que des
meubles grossiers, et on me les paye comme tels ; si
j'avais un rabot, je contenterais rnieux mes pratiques,
et a leur tour elles me contenteraient. Cela est tres-
juste: je ne puis espérer que des services proportion-
nés aceux que je rends.Uui, ma résolution est prise,
[e fabrique un robot.


« Pourtant, un moment de se rnettre él l'couvre,
Jacques fit encere cette réflexion : Je travaille pour
mes pratiques 300 jours par an ; si je passe 10 jours
a faire mon rabot, en supposant qu'il me dure un
an, il ne me restera que 290 jours pour faire des meu-
hles, Il faut done, pour ne pas me jouer un tour Ú
moi-méme, que je gagne dorénavant en 290 jours
autant que maintenant en 300. Il faut méme que je
gagne davantage , car sans cela il serait inutile de me
lancer dans les innovations. Jaeques se mit alors á
calculer, et se convainquit qu'il pourrait vendre des
meubles perfectionnés a un prix qui compenserait
amplement les 10 jours consacrós ~l [aire lo rahot.
Lorsqu'il fut arrivé aune plcine cerlitude acet égard,
il se mit a l'reuvre,


u Au bout de 10 jours, Jacques était possesseur
d'un magnifique rabot, d'autant plus préeieux pour
lui qu'il était son propre ouvrage. Aussi sautait-il de
joie , paree que, comme la honne laitiere , il suppu-
tait tout le bénéfice qu'i l allait tirer de l'ingénieux
instrument : maís, plus heureux qu'elle, il ne se vit
pas réduit adire adieu ases beaux reveso




- 15i -
« Jacques se mettait a faire des cháteaux en Espa-


gne, quand il fut interrompu par son confrere Guil-
laume, menuisier du village voisín, qui, aprós avoir
admiré le rabot, comprit tous les avantages que l'on
pouvait retirer d'un tel outil, et dit a son ami:


• - Il faut que tu me rendes un servíce.
« - Lequel?
" - Préte-rnoi ton rabot pour un ano
• Comme on peut facilement le penser, Jacques,


en entendant cette proposition 1 s'écria :
« - Y penses-tu, Guillaume '? Et si je te rends ce


service, quel service me rendras-tu de ton coté?
« - Aucun. Nesais-tu pas que le prét doit étre gra-


tuit? Que le capital est nécessairement improductif?
Quel'on a proclamé la fraternité? Si tu me rends un
service pour en recevoir un autre de moi, quel mé-
rite auras-tu?


" - Mon ami Guillaume, la fraternité ne veut pas
dire que tous les sacrifices soient d'un seul coté, et,
s'il en était ainsi, je ne vois pas pourquoi ils ne de-
vraient pas étre du tien, Je ne sais pas si le prét doit
étre gratuit, mais je sais bien que si je te préte gra-
tuitement mon rabot pour un an, cela équivaut a te
le donner. Ate dire vrai, je ne l'ai pas fait pour cela.


II - Eh bien, mettons de coté les modernes axío-
mes de fraternité découverts par MM. les socialistes.
Je te demande un service ; quel service exiges-tu en
échange?


II - D'abord, dans un an, le rabot ne vaudra plus
14.




- ¡j~-


ríen et ne pourra plus servir j il est done ¡uste ({ue
tu m'en rendes un autre exacternent semblable; ou
bien que tu me donnes l'argent sufflsant pour le [aire
arranger, ou que tu me payes les dix journées que je
dois employer ale refaire. De I'une et de l'autre fa-
con, il faut que j'aie le rabot en bon état cornme il
l'est 11 présent.


" - Cela est trós-juste ; je me soumets <1 cettc COl1-
dition. Je m'engage a te rendr« un rahot pareil ou sa
»aleur. Je pense que tu es satisfait et que tu n'as pas
autro chose ú me demander.


« - Je pense tout le contraire, j'ai fait ce rabot non
pour toi , mais pour moi, Jo mo proposais un avan-
tage, - un travaíl plus Iini el mieux rétribué, - une
arnelioration a mon sort, Je ne puis te ceder tout
cela gratuítement. Qnelle raison y a-t-il pour que ce
soit moi qui aie fai t le rabot et toi qui en retires le
profi t? Alors je pourrais te demander la hache et ta
scíe. QueHe confusión ! n'est-il pas plus naturel que
chacun garde ce qu'il a fait avec ses rnains comme il
garde ses mains rnémes ? Se servir sans retrilrution
des mains d'un autre , c'est ce qu'on appelle Tesela-
vage : se servir sans rétribution du rabot, cela peut-il
s'appeler {raternilé?


n - Mais, puisqu'il est con venu que je te le rendrai
a la fin de l'année, aussi beau, aussi han, aussi bien
aiguisé qu'íl est maintenaut ...


• - Il ne s'agit pas de I'annéo prochaiue , rnais de
cette année. J'ai fait ce rahot ponr améliorer mon




- ¡;'!J-


travail et mon sort; si tu te bornes a me le rendre
dans un an, c'est toi qui en auras le profit pendant
un an , etje ne suis pas obligé á te rendre un seroice
sernhlahle sans en reeevoir aueun de toi. Ainsi done,
si tu veux mon rahot, indépendarnment de la restitu-
tion intégrale déjá stipulée, il faut que tu me rendes
un autre sercice que nous allons discuter ; il Iaut que
tu maccordes une rótribution, - et la rétrilmtion
íut accordée.


" Il fut convenu que Jacques aurait ala fin de l'an-
née un rabot entierement neuf, et en outre une com-
pensation, consistant en un étahli , en échange des
avantages dont il se privait, et qu'il avait eédés ason
confrere.


« Et il fut impossible qu'aucun de ceux qui eurent
connaissance de cette affaire pussent y voir la moin-
dre trace d'oppression ou d'injuslice t. »


Cornme la discussion , au plutót l'exposé no porte
dans ce eas que sur des provisions, des outils ei du
matériel, taut va parfaitemont ; personne , sauf les
plus avances ele l'école socialiste, ne contrediront la
légitimitó du hénéfice ou interét. Mais des que le nu-
meraire apparaít (et c'est le cas général) cornmc rna-
tiere de la transaction , on pousse les hauts cris ; -
les objections se pressent en Ioule , les déclamatíons
arrivent en masse. On fait cette objection, que le nu-
rnéraire ne se reproduít pas lui- méme comme un sac


l. eapilal el rente,




-10U -
de blé, qu'il n'aide pas au travail comme un rabot,
une scie , etc., qu'il ne produit pas directement une
satisfaction, comme le fait une maison, et l'on ar-
rive a cotte conclusion, que le numéraire estimpuis-
sant aproduire un interét quelconque, et on appelle
l'intérét une extorsiono


Cette objection est un véritable sophisme. La plu-
part du temps celui qui peut rendre le service n'a
pas la chose méme dont a besoin celui qui le de-
mande. L'argent se presente au milieu de tant de
complications sociales ponr faciliLer l'échange. Jean
a besoin d'une machine afiler; Pierre n'a pas la ma-
chine, mais illui donne l'argent pour l'acheter; en
réalité donc, ce n'est pas de l'argent qu'il Iui préte,
c'est une machine , et s'il lui préte cette machine
pour un an , Jean est ohligé ele la lui renrlre dans
le méme état OÚ il l'a recue, lui doununt en outre un
bénéfice pour l'usage qu'il en fera, - un profit, un
intérét fixé d'avance el librement déhattu entre eux.
Quelle raison peut-il y avoir pour qu'íl n'cn soit pas
de mérne avec l'argont, qui, ainsi que nous I'avons
vu, est une véritable marchandise qui s'acquiert
comrne toutes les autres, et qui par conséquent doit
élre régie par les lois générales de récbange? Le
profit de Jean est aussi grand, si on lui préte la ma-
chine que si on lui íournit sa valeur en argent ; et
pour Pierre la privation est la mérne dans les deux cas,
cal' machine et argcnt sont deux produits don! l'ac-
quisition a nécessité une peine, un effort-un travail.




- lGl -
Mais, dit M.Thoré, est-ce qu'au bout d'un an vous


trouverez un écu de plus dans un sac de cent francs?
Non, dit l'autéur des Sophisrnes économiques, si l'em-
prunteur jette le sac d'argent dan s un coin, Si on
faisait la rnéme chose d'un sac de blé ou d'un rabot,
ils ne se reproduiraient pas non plus par éux-mémes,
Mais ce n'est pas pour laisser l'argent dans le sac ni
le rabo! él un clou que I'ernprunteur les demande;
c'est pour en faire usage. Et s'il est incontestable
que ces objets le metten't en état de realiser des PI'O-
fits qu'il n'aurait pu obtenirsans eux, s'íl est démon-
tré que le préteur renonce pour lui-méme el ces pro-
fits, on cornprend facilement que la sti pulation d'une
partie de ces profits en faveur de celui qui préte soit
équitable et lógitime.


Pour mieux comprendre et démontrer la lógiti-
mité de I'intérét de l'argent, et du libre intérét , dé-
fíníssons l'intórét appliqué au prét de l'argent, et
examinons ses parties constitutives. Nous avons déjá
donné plus haut notre défínition , voyons-en d'au-
tres:


L"intéret est le serviee rendu, apres un libre débat,
par I'emprunteur au capitalista en rémunération du
service que le préteur a rendu au premier t.


L'intéret est done la somme que ron paye pour
avoir l'usage d'une certaine quantité de travaiJ ac-
cumulé, sous la forme la plus durable, la moíns


1. Capital et rente.
14.




- 16'2 --
ernbarrassante et la plus facilcment échangeable l.


Cet 'I1sage se paye tantút cher et tantót bon mar-
ché; on a vu les capitalistes payer une prime él eeux
qui lour conflaient leurs capitaux; cela est arrivé
pour les premiares banques de dépút établies él Am-
sterdam , él Harnbourg et él Geneve ; él Arnsterdam, les
eapitalistes payaient une prime de 10 florins.


Les hommos aceumulcnt les capiiaux 50US toutes
les formes, mais principalernent sous forme de IlU-
meraire, paree qu'il offre, comme nous venons de lo
dire, les avantages suivants : durée , facilité de molri-
lisation , rnoindro espace pour le garder. Les capitaux
s'accnmulent par l'cpargne. Deux rnobiles portent
l'homme ú ópargner, comme l'observent Rossi et
M. Molinari ; le premier mobile dérive de la nature
mérne de I'hornme. La periodo de travail ne s'étend
guere au dela des deux tiers de la vie humains.
Dans l'enfance et dans la vieillesse, I'hornme con-
sornme sans produire ; il est done ohligó de réserver
une partie de son travail de clraque jour l)()l]r ólever
sa famille et pourvoir él sa propre suhsistance dans la
vieillesso. Tel est le premiar mohile qui pousse
l'homme él ne pas consommer immédiatement Ia
Iruit de son travail et a accurnuler des capitaux.-
Le second mobile qui excite a économiser le produit
du travail, él accumuler des capitaux, c'est le désir
d'augrnenter la production (cela est relatif aux entre-


1. DE JlfOLlNARI, Les Soiree« de la rile Soint-Lacare .




lG3 -
prcneurs d'industries), en diniinuantles offorts, afin
que le travail soit plus fructueux.


Passant maintenant ala partie positivo de l'intérét,
DOUS dirons qu'il est de toute justice que le travail...
leur qui a accumulé sons forme de numéraire le pro-
duit de ses laheurs se fasse payer un bénéfico ponr
la partio do co capital avec Iaquelle il secourt un au-
tre hornme. Les {mis de production de l'intáét, pour
parler cornrne i\l . Moliuari et adoptant sa pensée,
sont : travaíl, dommages, pertcs et risques.


Si vous prenez une certaiue peine, si vous soufIrez
certains dommages, si vous courez certains risques
en gardant vos capitaux, vous étes ordinairement
obligés de vous donner plus de peine, de supporter
plus de préjudices et de courir plus de risques en les
prétant, Quand vous n'avez pas besoin de votre capi-
tal immédiatement, vous le prétez jusqu'á l'époque á
laquelle vous en aurez hesoin. Deux omprunteurs
ayant actueIlement bosoin do capital se presenten t
chez vous; avec lequel Jerez-vous aífaire ? n 'est-il pas
vrai que vous choisirez celui qui vous présentera le
plus de garanties morales et matérielles, le plus
riche, le plus probe, c'est-á-dire celui qui vous rem-
hoursera le plus súrement? Cela, amoins que son con-
current ne vous ofIre une somme plus forte, cas dans
lequel vous estimerez la différence de risques et d'of-
freso Si vous décidez en favour du second, c'est paree
que l'excédant de l'oifre a pu halancer avec avan-
tage la diílércnco de garanties morales et matérielles.




- IG'l-
L'intérét sert done a couvrir les risques.
Vous prétez votre capital pour une periode déter-


minée; mais, étes-vous sur de n'en avoir pas besoin
avant ce temps? Ne peut-íl pas survenir un accident
qui vous ohlige a reeourir a votre épargne? N'ar-
rive-t-il pas frequernment qne l'on préte un capital
dont on a soi-rnéme hesoin '? Dans le premier cas, le
dommage n 'est qu'óventual ; dans le second, il es!
réel. Mais éventuel ou réel, ne doit-il pas étre com-
pensé '!


L'intérét sert done acompenser les préjudices.
Vous gardez votre capital dans un coffre ou ail-


leurs. Si vous le prétez, vous étes obligé de vous don-
ner une certaine peine, d'exécuter un certain travail
pour le tirer d'ou il était, le campter, constater le
prét, et aussi surveiller I'ernploi du capital prété, Ce
travaíl doit étre remuneré.


L'íntérét sert done él. payer un travai1.
Une prime servant acouvrir un rísque, une cornpen-


sation servant aCOUYrir un préjudice , un salaire ser-
vant á rémunérer un travail, tels sont les éléments
positifs des frais de production de l'intérét,


Ces trois élernents se rencontrent achaque pas et
él. différents degrés dans tous les préts a intérét.


Le taux de I'intérét (íaisant abstraction du défaut
de concurrence) , monte aproportion que la moralité
baisse; il monte aussi él. mesure que l'intelligence
s'abaisse ou s'affaiblit 1.


L. 'I'h éor-iede Moli nari . Il Y a le travail acluel gui se rému-




- IG:J-
Tout ce que nous venons de dirc prouve la légiti-


mité de I'intérét, et de l'intérét libre. Mais nous allons
voir que M. Proudhon lui-méme a confessé cette
légitimité dan s les termes les plus explicites. Il dísait
dans la Voix dtt peuple , en combattant Bastiat :
e Il est vrai que le prét cst un scrvicc, et comme tout
• service, il est une vale ur ; en conséquence, cornme
" il est rémunérable par nature, il s'ensuit que le
• prét doit avoir son prix, qu'il doii avoir un inté-
• rél t. 11 Cela pouvait passer pour une des nom-
hreuses antinomies de M. Proudhon, vu qu'il est par
excellence l'auteur des antitheses, des contradictions,
pour prouver qu'il était bon disciple d'Hégel et de
tous les docteurs de I'école allemande du systeme
d'¡'lrc et de nc pas élr'c. CeUe déclaration pOUr1'3 pas-
ser pour tout ce que l'on voudra, mais il u'en est pas
moins certain que l'aveu en faveur de la legitirnité
de I'intérét est concluant.


11 est vrai qu'ailleurs le méme écrivain , pour nier
la Iégitimité de I'interét , dit que celui qui préte une
somme dargcnt, par cela mérne qu'il la préte, n'en a
pas besoin; et que, ri'en ayant pas besoin, il n'a pas


nere par le salaire; par exemple le travail du semeur, du labou-
reur, etc., et le travail acc um ul ó q ui se rému n ere par la com-
binaison de I'in térét el de l'amortissement, et qui n'est autre
chose qu'un salaire ingénieusement réparti sur une multitude
de consommateurs. (Troisieme lettre de A.-F. Bastiat aM. P.-J.
Proudhon . Hui tiern e de la s(,ric.)


1. Premiére lettre de M. P.-J. l'ro"dhon á A.-F, Bastiat. Troi-
siern e de la série.




- l(jG-
droit a un intérét. Ce a quoi on lui a tres-bien ré-
pondu que le chapelier, par ceja rnémo qu'il vend
ses chapeaux , prouve qu'il n'a pas hesoin d'eux, et
ne doit en exiger aucun prix.


1\1. Chevet, rédacteur aussi de la Voix du peuple,
forrnulait centre l'interét cet argument, qu'il est illé-
gal, attendu que celui qui préte un capitalnc donne
pas la propriété, rnais pl'(~tel''1lsage de la propriété, tan-
dis que celui qui paye un intcrét donne ww propricté,
On peut faire mille réponses 11 cet argument, en voici
une sans replique : l'usage de la propriété prétée ne
fournit-il done pas une utilité rcelle al'emprunteur,
et le capitaliste ne se prive-t-il pas de cette utilité?
L'usage d'une propriété n'est-il done pas un service)
et comme tel n'est-il pas evaluable et sujet adiseus-
sion ?-Et cependant, dans un autre ondroít, M. Che-
vet convient qu'il est juste que le capitalista exige de
l'empruntenr quelque chose de plus que la rcstitution
simple du capital prúté ; mais que] est le nom de ce
quelque cliose de plus? Il 'est-ce pas l' intérf:l?- N. Che-
vet ne pouvait nier qu'il était l'ami et le comrnensal
de M, Proudhon. On dit que I'on apprend a hurler
avec les loups ...


Notre derniere proposition a été : Tout capital pro-
duit un intérét; ceja est dójá dérnontró, aussi bien qne
sa Jégitimité; nous ajonterons maintenant, avcc Has-
tiat et j\1. de Molinari : Un des caracteres de l'intérétdes
ccpitaux est la perpéluité,. en d'autres termes, la loi des
capitaux est de }Jroduire un bénéfice constani.




- ¡C;¡-


En effet, le possesseur d'un capital qui le préte pour
un an , par exemple, a droit ace qu'on lui rende son
capital plus un excedant qui s'appelJe in/érét: cela a
été suflisarnrnent dérnontré. A l'expiration de l'année,
il entre en possession de son capital; il peut donc
continuer á l'ernployer a rendre des services, soít au
rnérne individu qui en a déjá en l'vsage, soit a un
autro ; mais I'un et l'antre doivent rendre service
pour service; ils doivent payer l'usage du capital
d'autrui, Aussi longternps que Jean, capitalisle, aura
son travail accnmulé, son capital, au service d'un
autre, il aura droit Ú un proflt, que ce soit pendant
un an ou pendant eent ans, C'est ce qu'on appelle la
perpétvile de l'inlérét áu capUal. Assurérnent, si l'inté-
ret estjuste la prsmisre annee , il ne I'est pas rnoins
la centieme ; cal', dans la premiare cornzie dans
la derniere, il Y a pour le capi taliste privation des
services qu'il pouvait retirer do son capital, et pour
l'emprunteur des profits dérivés du capital d'autruí,
Celui-ci doit done indemniser le préteur de la priva-
tian gu'il s'impose , au mayen d'une partie des P1'o-
fits qu'il obtient.


Nous pouvans deduire de ce qni precede les théo-
remes suivants, comme les formule l'auteur des
Harmonies économiques: Ié Celui qtÚ accortie un tléuii,
rend tm servicc; lJ I'intérét est danc légitime en ver tu
du príncipe : seroice pour seroice.


1I Puisque tauente eoiue, il [aut la payer: coúter el
payer sotu corrélatits, Ainsi done; legitimité de I'in-




- 1G8 -
térét, et de I'intérét librement débattu, comme tout
service.


Au sujet de la perpetuité de l'intérét, nous donne-
rons les axiomes suivants : Puisque I'interét est bon
et licite a raison de 1, il est bon et licite a raison de
6,10, etc. - Puisque l'intérét est juste et legitime
dans le premier délai, il est j uste et légitime dans
les autres, cal' sa raison d"etre reste la mérne. -
Puisque l'intérét est juste et licite pour Pi erre , il est
juste et licite pour tout autre. -:- Puisque l'on recen-
natt que le libre débat est juste et licite pour I'echange
de produit centre produit, de service contre service, en
dehors du numéraire, il faut aussi reconnaitre la
méme justice et la rnérne légitimité lorsque les serví-
ces sont accumulés sous la forme de numéraire, soit
que ces services soient échangés immédiatement,
soit qu'il existe un délai plus ou moins long, et cela,
en vertu de ce que le numéraire a la méme raison
d'étre que les autres produits.


Ce sont la des vérités élémentaires. Il est pénible
d'avoir a faire la dérnonstration de faits aussi simples;
mais cela est nécessaíre, paree que les premiers prin-
cipes économiques sont méconnus mérne par les
hommes les plns éclairés: il n'est pour ainsi dire pas
une nation chez laquelle ils ne soient achaque pas
foulés aux pieds par ceux qui font les lois ou ont
quelque influente sur leur formation.


Un profond observateur a émis l'idée que voici :
« C'est vraiment un bonheur pour l'hurnanité que




- 1G9-
({ l'intérét soit légitime; s'ilne I'était pas, elle serait
• placee dans une dure alternative : Périr en rcstant
• juste, on progresser par l'il1jnstice. 11


Nous avons vu ce qne c'est que la valeur; nous,
avons vu le fondement de la valeur; nous avons va
ce que c'est que l'échange et quelles sont les lois
naturelles qui le réglent ; HOUS avons vu que l'argent
est une marchandise comme toute autre chose , et
que par conséquent son échange doit étre régi par
les mémes lois que celles qui régissent l'échange de
tout produit, savoir : le libre débat entre les contrae-
tants. - Nous avons vu que tout capital produit un
intérét, intérét perpétuel; - que I'intérét sous toutes
ses faces est legitime, et principalement celui payé
pour l'usage de l'argent d'autrui. Eh bien, tout ce que
nous avons démontré ne prouve-t-il pas I'ahsurdité,
l'injustice et l'arbitraire des lois positives qui reglen]
I'intérét de l'argent?


M. Proudhon et son école, en demandant I'étahlis-
sement de ce qu'ils appelaient Crédit gratuit, étaient
conséquents avec eux-mérnes , paree qu'il entrait
dans leurs plans de n'exiger des emprunteurs qu'une
tres-perite somme suffisante pour couvrir les {rais de
bureos: de la Banque du peuple; mais quel principe
invoquent ceux qui demandent que la loi fixe l'inté-
rét de l'argent a un autre taux? Le principe de la
propriété ? - Non, puisqu'ils l'attaquent ouverte-
mento - Celui du crédit gratuit, celuidu systeme social
et communiste? - Non, puisqu'ils fixent un taux.-


15




- 170-
L'inconséquenco est flagrante. Si l'intórét est une
chose honue a 6, pourquoi devient-il mauvais a
10, etc., et si nntél't~t est une chose mauvaise alO,
a 7, pourquoi se change-t-il en une chose bonne
depuis 1 jusqu'á 6? .. Si les libéraux et les conserva-
teurs s'arrogcnt le droit de reduire l'in téret, pour-
quoi ne recounuissent-ils pus aux socialístes le droit
de le reduiro azero ? Ceux-oi, du moins, ont pour eux
la logique.


Puisquo les uns et les autres s'élevent contre la
tyrannie du capital, qu'ils veuillent bien nous dé-
rnontrer qu'il y a prejudice pour I'ernprunteur dans
ce fait que des capitausíes prétent Icnr argcnt á un
intérét que1conque Iixé Iibrement, Nails croyons,
nous, que c'est tout le contraire, et que la táche de
MM. les entraoeurs serait bien difficile, ou pour
mieux dirs impossible. Le capital est un élérnon t
éminemment dérnocrntiquo et civilisateur. SaI1s ca-
pital accumulé, tout progres serait irnpossihle ; le
pauvre serait plus pauvre, Le capitaliste aide l'ín-
dustriel dans ses entreprises, le comrnercant dans ses
speculations 1 tout le monde, enfln, dans sa carricre
respective . .Ml1is ce qu'Il y a de plus singulier dans
les capitaux créés, c'est qu'íls aident a en creer de
nouveaux pour Ceu! qui n'avaient rien, et que ie plus
« le capital est abondant, plus sa part proportion-
• nelle dans le produit est réduite ; et cornma en
e augmentant, les capitaux augrnentent la facilité
« d'en creer d'autres, j] ('11 résulte (Ine la cuilditiün




-- 171 --
• de I'emprunteur, du nécessitcux, s'ameliore sans
1< cesse, }J-I< La guerre au capital, ou ce qui est la
mérne chose, au stimulant qni le íait accumuler, a
lintérét, c'est la gneJ'l'e des aveugles coutre ceux qui
voient, la guerre des mucts contre ceux qui parlent,
la guerre des paralytiques contre ceux qui ont le
libre usage de Ieurs mcmbres. Ce qui importe le plus
aux aveugles, aux l1IIWIS et :Il1X perclus, c'est qu'il y
ait plus de gens qui voieut , 'parlent et se mcuvent ,
paree qu'il y aura de la sor Le plus de personnes en
ótat de leur étre utilos. II


Le fait rnérne qu'il y a des individus qui doman-
dcnt <i emprunter montre le bien que les capitalistes
font aux indigente. Quiconque demande un prét iJ,
un intérét libromont débattu et accepté 1 s'il est
homme de bien, a fait le calcul de ce que produira
sa spéculation, et sait, par consequent, si les proflts
qu'elle donnera peuvent rómunéror amplerncnt son
lravail et laisser un excédaut pour payer au capita-
liste sa part de profl 1. On objcctera que la nécessité
ou l'imprevuyance peuvent Iairo accepter des con di-
tions oncreuses ; mais ce sont la des objections fu-
tiles. JI vaut mieux, pour celui qni est dans le besoin,
trouver quelqu'un qui lui préte a un interét libre, que
de ne trouver personne qui lui fournisse a un intérét
fixe ce dont il a besoin, D'ailleurs nous verrons plus
join que la [utuuior: tle l'intérét, au lieu de le {aire bais-
ser, terul ir l'élevc1' el I'Clcve. (Juant a timprévoyance,
son correctif n'est pas dan s la loi, mais dans la 1'8S-




- ~72 -
ponsabilité personnelle; nous sommes tous sujets a
l'erreur, et si on se sert de cet argument pour fixer
l'intérét de l'argent, on devrait aussi I'employer
pour régler la maniere d'effectuer toute espece de
transactions, Nous prouverons que cela n'entre pas
dan s la sphere de la loi.


Ce qui importe le plus a ceux qui ont besoin de
capitaux, c'est qu'il y ait assez de capitalistes ; cal' la
concurrence, qui n'est autre ehose que l'absence de
toute autorité qui intervienne dans 1'échange des
produits, exercera sa loi supréme en matiére de prét
aintérét du numéraire de mérne qu'elle l'exerce dans
l'échange de tout produit. - Si les capitalistas sont
peu nombreux, les capitaux sont circonscrits dans
certaines mains, et alors la demande, étant plus
grande que l'offre, amenora une hausse dans l'inté-
rét ; mais si les capitaux ahondent, si le pays offre
de la sécurité, si l'ordre existe et si les transactions
peuvent se [aire au sein d'une paix parfaite, alors
l'offre surpassera la demande, et l'intérét haissera,


Mais supposons qu'il y ait peu de capitaux, que
I'intérét soit eleve: le profit plus grand obtenu dans
le prét a intérét fera que les eapitaux employes dans
les diverses industries, attirés par l'appát du gain,
viendront s'offrir aux emprunteurs ; alors, les capi-
laux abondant, il se produira une baisse de l'intérét,
- Les capitaux étrangers eux-mérnes prendront part
a cette évolution ; cal' la monnaie, cornme l'eau,
ten ela l'équilibre, et va ele la oú elle abonde aux en-




- tí3 -
droits ou elle manque. Seulement, elle est l' ennemie
de la démagogie et du désordre: ce sont 1<\, deux
<ligues puissantes qui, dans toute nation, ernpéchent
l'entrée du numéraire. Partout OU les capitaux
abondent, I'intérét baisse, sans que la 10i intervienne
pour fixer un taux. L'usure est prohibée á Borne, et
suívant M. Carey de Philadelphie, on y paye 30 ti -w
pour 100; tandis qu'en Angleterre, OU lintérét est
libre 1, il ne s'éleve pas ti plus de 3 O/0, et en Hol-
laude, 2 O/O. Du reste, l'in térét est de 20 O/O au
Bresil ; 10 O/O a Alger ; 8 O/O en Espagne; 6 O/O en
Italie ; ;:, O/O en Allemagne; et 4 O/O en France.


Mais il y a plus; la rnission juste de la loi ne va
pas jusqu'á régler le taux de l'intérét, de rnérue
qu'elle ne devrait pas aller jusqu'á fixer le prix du
pain ou du sucre 2.


« La 10i est la justice organisée; elle cesse d'étre
la loi des qu'elle organise I'injustice, La loi peut ou
doit ériger en délit ce qui est délit, mais elle ne peut
ni ne doit qualifler de méfait les actions innoecntes
a la lumiere de la loi nalurelle et de la justice uni-
verselle. Faire le contraire, e'est ehanger, affaiblir,


l. Mac Culloeh a dit, dans son Traité d"écollomie politique, que
l'usure était autrefois prohibée en Angleterre, mais aujour-
d'hui l'intérét est libre, pourvu qu'on ne l'exige pas d'une
somme moindre de dix livres sterling.


2. En Frunce, le pr ix du rain est fixé; mais le peuple n'en
es t pas mieux fourni pour cela qu'en Belgique et en Hollande,
o u la vente est libre. Ce fait vient done a l'appui de n o tr-a
argumento (La liberté de la boulange r ie a été établie seule-
ment en J863.)


16.




- lií -
pervertir l'objet de la loi ; c'est la rendre orlieusc,
ainsi que l'autorité qui la dicte, l'exécute ou l'appli-
que, - La dórnagogie se fonde sur I'ahus de l'auto-
rilé; rnais l'un et l'antre urrivent aux mémes fins,
ils Ioulent aux pieds los lois uaturelles.


<l La loi , ayant ponl' sanction necessaire la force,
peut-elle étre raisonnuhlernent ernployéo a antro
chose qu'ú muintenir chacun dans son droit ? On ne
peut la faire sortir de ce cercle sans la changer, el,
par conséquent sans touruer Iu force centre le droit ;
et cornme c'est la plus funeste, la plus illogique per-
turhation sociale que ron puisse imaginer ; il faut
recouuaitre que la véritable solution, tant cherchée ,
du prohleme social, est eontenue dans ces simples
paroles : «¡La loi est la justice orcanisée. u Quand
la loi et la force main tiennent un Iionime dans les
limites de la justiee, elles ne lui imposent qu'une
pure négation, l'ahstention de Iaire du mal. Elles ne
portent atteinte ni el sa personnalité, ni el sa liberté,
ni a sa propriéte. Elles ne font que sauvegarder la
personnalité, la liberté, la propriété d'autrui. Elles
se tiennent sur la defensivo, défendent le droit égal
de tO\1S, remplissent une mission dont I'innocuite est
evidente, I'utilite palpable, In legitimité incontesta-
ble. L'objet de la loi, dit-on, est de (aire j'égnel' la jus-
tice ; mais ceue expression nost pas rigoureusernent
exacte; l'objet de la loi est d'empecher que l'injustice ne
rellne 1.


l. La Lo;.




- 17:J-
Les hounues qui su croieut cliargés de regir les so-


ciétes ou d'influer sur lems destinées procedent d'un
principe Iaux , savoir : que la loi crée des droits; que
la loi positive ne JOiL pas étre soumise á d'autres lois
antérieures ; que la propriéte vient de la loi ct n'est
pas aníérieure atout pacte social et politique , tandis
que la loi sur Ia jrropriete rr'existe que par le íait
I1H~Il1e de I'existcnce de la proprióté.
IA~s ](~gislate¡¡rs ou les hommes politiques suivent


!ll'eSl}Ue loujours le príncipe de CtC medecín don t parle
Érasme : Facianvus experimentwaiin corpore viii. Et ce
fait est tres-anclen : ainsi Solon, dans le hut d'a paiser
les trouhles de la cité, commence par abolir les
dettes, Lycurgue va jusqu'á bannir de Lacédémone
le cornmerce et la monnaie. Itousseau dit : ({ L'ordre
social est un droit sacre qui sert de base atous les
nutres. JI Cepcndant ce ilroi: ne oient pas de la nature;
il est {muté surles conoentions. Ilobespierre disait: ({ En
rléfinissant la liberté, cette prerniere nécessité de
I'hornme, le plus sacre des droits qu'il a recus de la
uature, nous avons dit nvcc raison qu'elle a pour li-
mite lo droit d'autrui. Pourqnoi n'avez-vous pas ap-
pliqué ce príncipe a la propriéte, qui est uneinstiui-
tioii socuile, comme si les lois éternelles de la natura
élaient moins inviolables que les conventions des
hommes '! » Et dans sa législation il dit :


ArL I'", - La propriúté ost le droit qu'a chaque
citoyen de jouir do la portien de biens qui iui est ga-
raniie par' la Ioi,




- lí(j -
Saint-Simon, Campanella, Owen, Fourier , Leroux,


Cabet, Prouelhon 1 etc., appartiennent ala méme école.
Mais il est un fait tout á fait particulier , et qu'il


faut observer ave e attention : Les lois, en sortant de
leur sphere pour fixer l'intérét elel'argent., atteignent
un but contraire acelui qu'elles se proposent. Ainsi,
en violant la jnstice, en altérant, porvortissant les
lois naturelles de I'échange, - en érigeant en delit
une action innocente, -~ au lieu de détruire l'intérét
légitime du capitaliste, elles font naitre l'l¿S1Jl'e la
plus monstrueuse, exercce par des hommes sans
CCBar. Une loi, quelque injuste qu'elle soit, est tou-
jours une loi, et les capitalistes consciencieux , ne
trouvant pas de profit a préter au taux légal, s'abs-
tiennen t, et le défaut de concurrence, joiut au risque
d' encourir une peine pour violation d'une loi, laisse
le champ complétement libre aux agioteurs, qui en
abusent au détrirnent des plus nécessiteux, de ceux
auxquels I'intensile du besoin ne laisse lJÍ le loisir
d'altendre ni mérne le temps de la réflexion. Le
moyen le plus propre a (aire monter l'interel est donc
de fixer un interet legal.


On cite souvent comme argument contre l'interét
le texte de la loi de Motse : Non fmnerabis proximo tuo
sed alieno, et le texte de l'Évangile, qui dit :i}[utuum
date nil inde sperantes. - Le prernier texto parait étre
un conseil au peuple hébreu, ou si l'on veut un pré-
cepte pour resserrer da van tage les liens qui unís-
saient tous les Hébreux entre cux; mais on ne peut




- 177 -
l'alléguer contre l'intérét de l'argent dans son essence
méme, puisqu'on en reconnaissait la bonté par rap-
port au proximo alieno. D'ailleurs, la {raternité et le
cr¡Jdit gratuit pouvaíent bíen étre établis comme loí
chez un peuple pour lequella manne tombait du ciel
et dont le législateurchangeait, d'un coup de verge,
les rochers en sources vives. Si nos législateurs se
présentaient avec de pareils titres, on pourrait leur
pardonner la prétention de faire des lois sur la pro-
priété. S'ils la donnent, qu'ils la réglementent; mais
tant que son acquisition licite naitra da travail des par-
ticuliers, ceux-ci sont les législateurs tout-pnissants
de ce qu'ils ont produit. - Quant au Mutuum date ... ,
cela veut dire : " Quand vous donnez pour l'amour
du ciel, n'attendez pas de rétribution sur la terreo »Et
cela est tout naturel, - Du reste, la chose change si
ron veut convertir en préceptes tous les conseils de
l'ÉvangiJe. On lit, en effet, dan s les saintes Écritures :
• Faites cornme l'oiseau, qui ne laboure pas la terre
et qui ne seme point. - Si on vous frappe sur la joue
gauche, présentez la droite, - Si onvous vole votre
manteau, donnez aussi votre habito u-Que les légis-
latcurs qui font de ces textes des arguments,en fas-
sent aussi les bases de leurs lois et soient les premíers
ales observer, HOUS Ieur assurons qu'ils recevront
maint soufflet, et qu'ils ne laisseront pas chómer les
tailleurs, s'ils ont assez d'argent pour cela.


" Le meilleur, en cela, c'est de ne pas faire de lois,
" de laisser aux timorés la liberté de donner leur




- 178-


• argent gratis, aux usuriers celle de le donner
• comme ils pourront, et a ceux qui en ont hesoin,
• celle d'en prendre OU ils en trouveront 1. lJ


Nous avons rapidornent expuse les idées que nos
rnéditations nous out fournies et celles que nous
avons puisées dans Rossi 1 Storch, Mac Culloeh,
MM. Chevalier, Garuier, et principalement dans
M.l\Iolinari et Bastiat, Nous avons táché de présenter
le plus logiquement possihle la flliation des idees, et
de placer les questions dans un ordre tel que l'une
donnát la solution de l'autre.


Dans une république comme la Nouvellc-Grenade ,
OU les sains principes sout généralernent si répan-
dus en politique, en matiere d'adrnínistration, de
finance, etc., ce serait un contre-sens que de faire
une loi pour flxer I'intérét de l'argent; ce serait un
véritable anachronisme; ce serait perdre le fruit des
efforts qui arnenerent l'abrogation de la loi qui fixait
l'interét légal. Le progres rationnel , cet accroissement
de vie dans la natura el, dans l'humani!é, comme le
déflnit M.Pelletan 1 s'oppose á la réalisation d'une me-
sure aussi contraire aux bons principes. Les legisla-
teurs poussent quelquefois les choses a I'extrérne ,
dans la Nouvelle-Grenarle : ainsi, s'il s'agit de la li-
berté de la presse 1 ou bien ils font une loi qui la
supprime absolument, ou bien 1 ils en proruulguent
une autre qui, comme celle en vigueur aujourrl'hui,


1. J.-E. Caro (eitoyen de la Nouvelle-Grenade), el Dastiat.




1854.


- liV-
atraque les principes de justice universelle , paree
qu'elle laisse la libertó méme poul' calomnier, e\'
donne en méme temps l'irnpunité au calomniateur.
Notre devise a toujours élé: liberté, mais non licence;
ordre , mais non despotisme; loi , mais loi fondee sur
la jusfice. C'est ainsi que l'on obtient la paix, l'hon-
neur, la prospérité, la richesse.


Puissent les hons príncipes économiques se rapan-
dre largement dans les Amériques, cal' de la dépen-
dcnt en grande partie leur bonheur ct Icur repos!
J::conornie poli tique, justice, bon sens, c'est tout un "


« En rnatieres économiques, la liberté est tout ce
« que peuvent demandar a la loi les réformateurs
« dignes de ce nom 2••


Nous terrninerons en répétant l'axiome que nous
avons place en tete de cet article, paree que, en
J'examinant bien, on yerra qu'il contient les bases
de tout systerne politique, financier et administratif :
, Dans les limites du droit, tout par la libre et per-
fectible spontanéité de l'hornme ; rien par la loi ou
la force que la justice universelle ", »


1. Capital etrente.-2., Ce qu'on voit et ce qu'onnevoit paso
~3. La Loi .:


La traductio n en fruncais de ees écr its espagnols a été faite
sa ns que l'on eút saus les yeux la plus grande partie des
textos c i t és : ,Je sor te que I'o n p out y tro uv er que lqua ditl'ó-
ru n c e a vcc les passngl'8 o rig iu aux , q u., tradu its d'abord du
f'ran ca is en f's¡,ngnoI, o n t é tú re trn dnits ens ui i e de l'espagnol
en fran eni s . (.Yo te de ¡·l~ditC!lr.)






xv


PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE


La propriété est un droit sacré, paree qu'elle est le
fruit de I'application des facultes humaines al'muvre
de la production, et ces facultes sont une prolonga-
tion de ce que l'homme a de plus essentiel a sa na-
ture; elles sont l'homme méme,


L'homme est condamné au travail, qui ne signifie
ríen par lui- rnórno et n 'a de valeur que par la direc-
tion qu'on lui donne, L'intelligence hurnaine se ré-
vele de plus en plus par les conquétes qu'elle fait sur
les forces naturelles. L'hornrne tend asoumettre ces
forces et ales dominer paiI'cxercice de sa raison, La
propriété, fruit de cette lutte constante, est la con-
dition de tout progres et la base de la liberté.


La légitimité de la propriété a été mise en doute
par des esprits turbulents ou par des hommes pos-
sédant une fausso science, sinon de mauvaises in-
tentions, La sociélé s'est montrée alarmée chaqué
fois qu'on a entrepris cette barbare croisade contre
l'intelligenco, la liberte et la civilisation , contre l'es-


l6




- 182-
pérance méme du pauvre : le capital. Mais par une
singuliére aberration, ceux-lá mérne qui défendent la
légitimité du capital sous ses formes diversos, de la
proprieté, croient agir conformément aux principes
en condamnant la propriété lilLéraire.


La propriété litteraire est une propriétó, a dit avec
un grand talent Alphonse Karr ; c'est la la meilleure
définitíon, et la plus courte commo la plus éloquonte
défense de cette propriété,


Toute application des íacultés intelloctuelles a
l'ceuvre do la civilisation est un acte noble et elevé.
Le travail est honorable, quel que soit l'objot de sa
production, Le savant comme l'ouvrier , lo littórateur
comme le fabricant, le poéte comme le commercant ,
tous remplissent dans la societé une tache utile et
profltahle.


Puisqu'on reconnalt la propriété d'une maison ,
d'un champ, d'un navíre, erc., il est juste de recen-
naltre la propriété tiuéraire, dont l'origine, dont la
forme, dont les moyens de production sont plus in-
tellectuels, plus spiritualistes, et portent davantago,
pour ainsi dire, le sceau de l'ame, le cachet de la
raison, De mérne que la spoliation a revétu mille
formes contre la propriéte reconnue j usqu'a présent,
de méme aussi elle a eu recours a. diversos mesures
contre la proprieté qu'il reste a reconnaítre légale-
mene, la propriéte littéraire et artistique.


eette propriété a son origine dans l'cxpression de
I'idée, et son application dans la forme qne ron




- 183 --
donne acette idee. Les ennemis de la propriété lit-
téraire, et par conséquent.de la liberté, ont fait des
lois et des décrets pour comprimer la pensée méme j
soit par la censure, soit en fixant des sommes plus
ou moins élevées pour permettre la puhlication de
feuilles périodiques et de brochurrs j puis en ínven-
tant les avertíssements , plus tard par la saisie des
reuvres imprirnées ; etc. Ce point capital entre com-
plótemont dans la grave quostion de la liberté de la
prosso , dont nous ahordons l'examen dans un au-
tre artiele.


Mais le mode le plus usuel, le plus connu, le plus
légitime d'attaquer la propriété littéraire , c'est de la
restreindre a un certain nombre d'années , c'est-a-
dire de falsifier son caractére, de méconnaltre son es-
senee, le droit que possede le propriétaire d'user et
rnérne d'abuser de la chose qui luí appartient ; et de
nier sa perpétuite.


La propríctó nait du travaíl, de l'applícaüou des
facultes inlelleclnelles. La perpétuité est l'essence de
la propríété. Tel est le príncipe reconnu pour la pro-
priété des maisons, des terres, des navires, etc.; mais
quand il s'agit de la propriété littéraire on ne recon-
nait plus le méme príncipe, et cela sans alléguer au-
cun argument qui justifie cette inconséquence, cette
violation de la loi morale.


Et quelle est la propriété plus respectable que la
propriété littéraire ? M, Pelletan dit avec raison :
« Connaisscz-vous un travail qui appartienne plus




- 184-
• au travailleur qu'un livre ? Cal' enfin, mon livre,
• c'est moi, moi tout entier; moi dans tout ce que
« j'ai de plus personnel et'ele plus intime j moi sans
• autre assistance et collaboration que cello de ma
• lampe eL la Ieuille de papier blanco


K De quel droit la société viendra-t-elle, apres ma
• mort, revendiquer une part ou la totalité du produit
, de mon travail ? En quoi a-t-olle contribué acette
« production ? l\I'a-t-ello nourri pendant que je me-
K ditais? A-t-elle nourri ma famille quand je ne pou-
K vais pas le faire ? Comment! j'ai creé par moi-méme
K une valeur productive, une valeur que je pouvais
• a mon gré créer ou no pas creer, et la société,
« sans avoir aucune part a cette création, aurait
« pour elle seule le bénéfice en un temps déter-
« mine! »


En effet, que dirait-on si la loi étahlissait que le ca-
pital accumule, sous quolque forme que ce soit, par
l'industriel, le commercant, I'agriculteur, etc., ne lui
appartiendra que pendant sa vie, et á sa famille, pen-
dant 20, 30 ou 50 ans apres la mort ele celui qui a
réuni ces valeurs? Cela paraitrait monstrueux, inique,
et copendant , cela a para ot parait juste quand on
applique cette disposition ala propriété littéraire !


Le comte Walewski a soutenu aelmirablement les
droits sacres, imprescriptibles, de la propriete litté-
raire, quand il a dit : « C'est une question ele Iittéra-
« ture et d'art, mais aussi ele moralo el ele philoso-
K phie, qui se rauacho Ú l'csscuce múmc de l'ordre




- 185-
« social, aux regles de l'équité, a la constitution de
" la propriéte, ason príncipe, acelui de l'héritage,
« c'est-á-dire el la continuation de l'homme par la fa-
" millo, en un mot a ce qu'il ya de plus profond,
" de plus noble et de plus saint dans I'humanité,


" On a dit qu'avec l'imprimerie naquit le droit de
" l'écri vain sur la valeur commerciale des produits
« de sa pensée. Au lieu de dire le droi t , peut-étre il
« eüt été plus juste de dire l'exercice du droit. L'im-
" primerie, en effet, a donnó a l'auteur le moyen de
" propagar son muvre et d'use1' ainsi de sa propriété,
« de la matérlaliser : mais avant cela, pour et1'e im-
« matérielle, cette propriété n'en existait pas moins,
« étant de droit naturel. Si l'imprimerie avait existé
« dans les temps primitifs, jamais la propiélé lit té-
" raire n'eüt été contestóe. Ce n'était done pas le
« droit qui manquait, mais le moyen d'exercer le
" plus respectable des droits. ))


Mais les paroles de cet érninent publiciste, qui pei-
gncnt avec le plus de vigueur la natura de la pro-
prietó sont celles-ci :


" Si l'occuptuio« est lepl'incipe de la propriélé immo-
" biiiere, leprincipe de la propriélé littéraire esilc créa-
« iio«.


u Quand Homere parcourait les villes de la Grece
(( en' cbantant ses vers sublimes, il recevait en
« échange l'hospitalité : c'etai Lle premier droit d'au-
" teur payé au plus grand des poétes ; c'était le pre-


miel' exorcice d'un droit antérieur, et qui n'en
16.




- 186 -~~
« existait pas moins pour n'étre encore ni reconnu,
« ni pratiqué; c'est aussi la propriété littéraire
« qu'Hornere consacrait par la tradition, en confiant
« ses vers a la mérnoire des rhapsodistcs. IJ


Maís le plus singulier, cornme I'a fait ohserver un
écrivain distingué, e'est que I'on reconnaít la pro-
prióté dans toute son ótendue quand il s'agit de cer-
tains artistas, les peintres et les statuaires, par exem-
ple , et on la méconnaít pour les cornpositeurs et les
littórateurs. Raphaél et .l\Iichel-Ange ont joui exclusi-
vement et dans toute son extension de la propriété
de leurs magnifiques toiles, Aujourd'hui, les héritiers
de David, d'Horace Vernet, de Paul Delarocho , de
Canova, etc., ont le droit d'empécher que l'on tire sans
leur permission des graxures, lithographies, photo-
graphies, etc., de leurs reuvrcs, soit el. titro onereux,
soit a titre gratuit ; rnais un littérateur, un poete, no
peut en beaucoup d'endroits poursuivre celui qui
reimprime ses muvres, en les mutilant souvent, et les
droits de ses héritiers ne dépussent pas trente ans en
France, vingt ans aux Pays-Iías, en Relgique et en
Suede, trenle ans en Prusse, en Autriche et on Portu-
gal, cinquante ans en Bnssio et en Espagne, sept ans
en Angleterre, i l'exception des niuvres puhliées par
la couronne ou par les universités, cal' alors le droit
de propriété est perpétuel.


Ces délais ne signifient ríen, quand méme on les
prolongerait, paree que, en les etahlissant, on viole
la loi morale qui fixe les bases de la propriété en




18'i ---
general, et aussi paree qu'il y a des chefs-d'oauvre
dont le 'mérite passe inapercu pendant des genera-
tions entieres : de sorte que ni l'auteur ni ses Iiéri-
tiers ne retiren t le profít legitime des créatíons du
génie. Milton vendit son Paradis perdu pour quel-
ques guinées ; Camoéns mourut dépourvu de tout
dans un hópital , íl on Iut de mérne de Gilbert, de
Chatterton, d'Hégésippe Moreau, Les eompositions de
Beethoven et de Weber II 'atteignirent la haute renom-
mee qu'elles ont aujourd'hui, que longtemps aprss
1eur publication ; les descendants de Corneille et de
Hacine, gráce a la limitaLion de la propriété litté-
raire , a ce systeme communiste, vivent aujourd'hui
dans la misere.


M. Chaudey, malgré son talent reconnu et sa haute
illustration , combat la perpétuité de la propriété lit-
téraire ; mais faute de raisons, il a recours ades so-
phisrnes tels que celui-cí : « Serait-il juste que nous
payions aujo urd'hui un trihut aux descendants d'Ho-
mere '? » La réponse est faeile, d'accord avec les prin-
cipes de justice : Si ces desccndants cxistaient, ils de-
vraientjouir des produits de ces grandes rauvres ap-
pelees l'Iliade, l'Odyssée,ainsi que les descendants de
tous les capitalistes et propriétaires jouissent in
secula seculorum du revenu de la terre et des capítaux.


M. Chaudey demande aussí , en passant aun aulre
ordre de choses : « La postérite de Triptoleme pour-
rait-elle posscder aujourd'Iiui l'invention de la char-
rue '/ » M. Pelletan lui répond qu 'elle pourrait possé-




- lH8-
del' la churi ue que Iahriqua Triptoleme, si elle exis-
tait, mais non I'invention, Nous allons plus loin , et
nous disons : elle devrait aussi exploiter le privilége
do I'invention, d'apres les príncipes exposés plus
haut, En outre, si ce systerne pouvait présenter des
inconvénients a la société, il existe une loi d'expro-
pi íation pour cause d'utilite publique; niais c'est la
une question que nous examine: 011S plus loin.


M. Chaudey nie forrnellcment qu'une U;UVl'C lit-
téraire soit une propriété comme une terre, une
maison, et se fonde sur ce que terre et maison peu-
vent se donner en propriété, mais non l'idée ou les
idées de l'ceuvre littéraire. II est clair que I'idée no
peut se donner en propriété aun seul individu ou á
un cercle determiné ; qu'elle est , de sa nature, uni-
verseHe el appartient á l'humanité des qu'elle est
livrée au public; mais I'idéc doit étre revétue d'une
forme, et celto forrne.Iivro, tahleau, statue, partition,
est appropriahle el exploitable.


Le mérne publiciste et jurisconsulte parle de choses
qui n'ont rien avoir dans la question OH produisent
des résultats opposés: il parle de I'usufruit ; mais I'u-
sufruit, dit M. Pelletan, qui no suppose pas la pro-
priété dans I'usufruitaire, la suppose dans un tiers.'
Il parle des routes publiques; mais pour que ces
routes soient devenues publiques et actueliement gra-
tuites, il a fallu qu'elles Iussent faites avcc l'argent
des contribuables. C'est une propriété dont on use
en commun paree qu'elle a été payée au proraui.




- 18H -
Il est inexplicable qu'en France, patrie de l'idée,


le grand principe de la perpétuité de la proprieté
littéraire n'ait pas été sanctionné depuis longtemps
déjá, les bases de cetto réforme extrémement juste
ayant élé étahlies en diverses occasions,


Le comte Walewski cite Turgot, qui rédigea un
Mil dans lequel 011 lit ces mémorables paroJes :


{( La propriété littéraire est la premiare, la plus
• sacrée, la plus imprescriptible de ioutes. »,


Diderot, ci té par le mérne pcrsonnage, disait dans
ses Leures.sur le commerce el la librairie : {( L'auteur
{( est propriétaire de son muvre, ou alors personne
{( dans la socicté n'est maitre de son bien. l)


Le célebre comte Portalis disait, en 1839, a la
Chambre des pairs : « La propriété li ttéraire est nne
• propriété par sa nature, par son essence, par I'in-
" divisihilité de l'objet et du sujeto l)


Le prince Louis-Napoléon écrivait it M. Jobard , en
1844 : « L'rnuvre íntellectuelle est une propriótó
« comme une torre, comme une maison; elle doit
u jouir des mérnes droits, et ne peut étre aliénée que
« pour cause d'utilité publique. 1)


Notre these est absoIue : la propriétó littéraire est,
sinon superieure, au moins egalo ú toute antre pro-
priété. En couséquence, elle doit étre régie par les
rnémes regles ; des garanties identiques doivent lui
ótrc nccordócs ; elle doit t:tre perpétuelIc.


en des plus ar.lents dM(~IlSellrs de la propriété lit-
térairc, M. Hotzel, par une singuliere aberration, nie




- 190-
que la propriété littéraire soit assimilable 11 toute au-
tre propriété; mais, des ce moment, 111. Hetzel fait
triompher les príncipes de ceux qu'il croit COIU-
battre.


11. Hetzel dit qu'étahlir la perpétuité de la pro-
priété líttéraíre serait fonder un monopole contraire
aux intéróts moraux de l'auteur et de la sociétó , Oú
800t les preuves d'une semblable assertion? Qui a dit
que le propriétaire d'une maison exercát un mono-
pole préjudiciable a la société, paree que lui et ses
hóritiers peuvent disposer, á perpétuitó, de l'im-
meuble qui leur appartíent de telle facon qu'il leur
pIaira i


Ainsi le systeme proposé par M.Hetzel et approuvé
par 111. V. Hugo, de faire entrer les chefs-d'reuvre
dans le domaine public, moyennant une légere in-
demnité, est contraire au príncipe de propriété, Dans
le méme cas se lrouvent les conclusions indiquées,
mais non déduites, des discussions du congres de
Bruxelles, Les véritahles príncipes en cette metiere
ont été hautemcnt et logiquement proclames par le
comité francaís ponr la défense de la propriéte litté-
raire, comité cornposé de MM.Alloury, Blanc, Bohm,
Colombier, Guiffrey.. Hachette, Lahoulaye, Mares-
chal, Saintine, Jules Simon, Vitu.


Les adversaircs de la perpétuilé de la propriété
littéraire font plusieurs objections qu'ils croient in-
destructibles; ce sont :


10 La possihilíté de supprimer, rnutiler ou ne pas




- 191-
réimprimer un bon livre; 2° la cherté des bons ti-
vres par défaut de concurrence. Voyons si ces objec-
tions sont sérieuses, et pour cela profítons des obser-
vations Iaites par les membres du comité Irancais.


Puur suppriiner un livre ou pour ne pas le réirn-
primer, il faudrait un motif plus puissant que ceux
pum le puhlier elle réirnprimer; il taudrait quelque
chose de su perieur á la gloire et el I'intérét, Les deux
motiís existeut pour l'auteur; le second seul existe
pour le Iiliraire ou I'editeur. Mais il est plus facile
qu'un livro reste sans réirnpression, quand tout le
monde peut le reiuiprimer, que quand il u'y a qu'un
seul homme qui puisse le Iaire, Les mutilations sont
plus possibles quand le livre peut étre mis sous presse
par le prernier venu, que quand ce sont les gens in-
téresses el la gloire de I'auteur qui out le droit de le
faire paraítre,


Mais supposoz un livre utile á la société, et qua ron
voudrait retirer de la circulation par des motifs spé-
ciaux, des raisons de secte, par exemple : en ce cas,
la propriétó littéraire étan t une propriété cornme
une autre est soumise el la loi d'expropriation pour
cause d'utilité publique, l'Etat paye une indemnité,
réglée par experta, et le livre cesse d'appartenir a
l'auteur et ases héritiers pour tomber dans le do-
maine publico


La crainte de la cherte est moins raisonnable:
l'auteur ou l'cditeur connaissent par instinct, sinon
par science, les príncipes économiques, et saveut y. ue




- 1\l2-
le bon marché plus grand occasionne une plus grande
consommation et par conséquen t un plus grand bé-
néfice. Il est done de leur intérét de vendre davan-
tage en cédant a un prix moins élevé. S'il y a un
auteur ou un éditeur qui exagerent le prix, les
consommateurs se rejetteront sur les ouvrages qui
ressemblent le plus acelui qu'ils ne peuvent acheter.


Mais sérieuses OL1 non, ces objections sont inad-
missibles, en établissant que la propriété littéraire
est une proprióté, et que le mattro a le droit d'user
et d'ahuser de la chose qu'il posséde en propre.


Ainsi notre conclusion est celle du comité.
« L'muvre intellectuelle est une propriété comme


« une terre, une maison ; elle doit jouir des mérnes
« droits, et ne peut étre aliénee que pour cause d'uti-
« lité publique. 11


2862,




XYI


DROIT MAR/TIME


lL A PROGRESSÉ, MAIS 11, EST ENCORE BIEN LOIK D'krRE
L'EXACTE DIÍRIVATION DE LA JUSTICE.


1


Dans les temps anciens, le droit de la guerre se
résumait en cette doctrine: La guerre étant le droit
du plus fort, toute espece de violence est permiso
pendant les hostilités : plus on fera de mal a I'en-
nemi, mieux on usera de ce droit, L'ennemi, e'est tout
individu appartenant ú la nation contre Iaquelle on
fait la guerre, et par conséqucnt toute propríété, tout
bien de cet individuo Le vainqueur est maitre de la
personne du vaincu; il peut le tuer , a plus forte
raison le rcduire a l'esclavage; et, comme l'acces-
soire suit le principal, puisque sa personne devient
la propriété du vainqueur, ace vainqueur appartisn-
nen t les propriétés c1u vaincu.


C'est la ce que I'on appelait droit dans I'antiquité,
La Grece et Rome n'agirent pas autrernent.


Les efforts du christianisme modiflerent cette bar-
17





- 19'1 -
bare théorie du droit ; on ne tua plus le vaincu, on
ne le réduisit plus el. l'esclavage ; mais on incendia
les villes, on s'empara des propriétés privées, sous
pretexte de faire des avantages au vainqueur, et de
stimuler la valcur des cornbattants par l'appát du
butin ,


Sur ce point mérne quelquos modifications impor-
tantes ont été introduites; quoique, á la honte de la
civilisation, on ait vu dans la dernicre guerre contre
la Chine, le vainqueur incendier le magnifique palais
d'eté ú Pékin, et s'approprier toules les richesses qui
s'y trouvaient,


II


Au XVIII" síecle, Mably fut un des puhlicistes qui
combattirent cette théorie.Jl soutint, avcc ti'autres dé-
fenseurs dela civiiisation chrétiennc, Russes et Amé-
ricains du Nord, que I'interét de I'humanité consiste
á. amoindrir les ruaux de la guerrc, Ú [aire le moins
de mal possihle aux citoyens qui n'ont pas pris les
armes, a respectar la proprieté purticulicrc, Do ne pas
géuer le commerce, adeclarer que la guerre se íai]
entre les États, el non pas entre les particuliers.
~lably disait : " Les puissances maritirnes, qui re-


« gardent le cornmerce maritirne comme le fonde-
« ment le plus solide de leur grandeur, auraient dü
« depuis longtemps empécher leurs navires d'insul-
« ter les vaisseaux marchauds el de les caprurer.•




- 195-
Quand Franklin vint en Europa pour négocier des


traites entre l'Union et les nations du vieux monde, il
réussit aIaíre insérer dans le traité avec la Prusse
cotte clause rernarquahle :


u En cas de ruptura entre les parües contractantes,
" tous les vaisseaux marchands employés á l'échange
CI des prnduits de divers lieux,-et par conséquent des-
• tinés i Iaciliter et ú étendre les besoins, les corn-
" medites eL les douceurs de la vie, - passeront
« librement et sans étre ínquiétés. II


Il fut stípulé dans ce traite que, en cas de guerre,
protection serait accordée aux femmes, aux enfants,
aux littérateurs, aux cultivateurs, artisans, rnanu-
facturiers, a tous ceux enfin qui ne sont pas armés
et habitent des villes ou places non íortifiées. -C'éLait
le 10 septembre 1785 que Franklin iniroduísait dans
la pratíque ces idóes hurnanitaires.


En 1702, l'Assemblée Iégislative de Franco pronon-
~'ait l'abolition des príses de propriete sur mer ,
ainsi que de l'ínstitution des corsaires, Ce fut l'Angle-
terre qui fit alors le plus d'opposition a I'admissíon
de ces princípes.


Lorsque, en 1856, le con gres de Paris proclama
quelques modifications incornpletes au droit mari-
time existant, les États-Unis dernanderent de plus
grands dóveloppernents, comme nous le verrons plus
luin. Quelques autres]Úats firent de méme,


En effet, le mal de I'un ne Iait le bien de personne,
tandis que tous retiront des avantages du bien d'un




- 190 ---
seul, La guerre est un mal tres-gr.iud : c'est la des-
truction ; modérer ses effets, c'est travaillcr en faveur
de l'humanité. Le eommeree vit en faisant du bien a
tont le monde: il vit de l'éehange des produits d'une
zone dans laquelle l'homme est aidé par la natura,
centre les produiLs particuliers aune nutre zone oú
I'on obtient avec moins d'efforta ce qui est nécessaíre
aux pays éloignés. Empécher eet échange qui féconde,
sous prétexte de nuire ú I'ennemi, c'est done agir
centre les intéréts des amis et des neutres, eontre son
propre intérét.


Le droit de la guerre, a dit Montesquieu , derive de
la nécessité el du juste rigide; aussi , comme l'observe
M. Chedicu , toute rigneur inntile est en dehors du
droit : il n'est perrnis ríen au delá des mesures stric-
tement necessaires pour atteindre le hut de la
guerreo


ITI


Mais si l'on a introdnit de salutaires reformes dans
les guerres continentales, il y a heauconp a réformer
dans les guerres maritimes.-Il est admis dan s celles-
la que les inc1ividus non armés et les biens particu-
liers doiven t étre rcspoctós ; mais dans celles-ci on
n'adrnet pas le mérne príncipe. D'ahord OIl a declaré,
el l'on a cru que c'était une grande conquéte, que le
pavillon couvreTa propriétó, sauf la contrebande
ele guerre ; ce qui Iavorisait la propríéte enne-




l07 -
míe a bord des navires neutros. Plus tard, et sur-
tout en 185G, on étahlit que les propriótés neutres
sont libres, abord d'un vaisseau ennemi, a l'excep-
tion de la contrebande de guerreo


Que manquo-t-íl acet égard? Que l'on admette sans
restrictions que la propriété ennemie est libre, soit á
bord d'un vaisseau neutro ou d'un vaisseau ennemi,
en exceptan t la contrebande de gnerre; que les hos-
tilités ne doivent avoir lieu qu'entre les vaisseaux de
guerre, el jamais entre ceux-ci et les vaisseaux mar-
chands ; que l'on admcttc cnfin, dans les guerres ma-
ritirnes, le príncipe adopté dans les guerree conti-
nentales.


Il est d'autres points importants, en matiere de
droit maritime, au sujet desquels nous dirons deux
1110ts : les lettres de marque, la contrebande de
guerre, les blocus, les prisos.


Corsairee.:-: Lorsque , en 185G, on rendit compte au
gouvernement de \Vashington des déclarations du
congres de París, relatives a certains points de droit
maritime, et surtout aI'aholition des lettres de mar-
que, en l'engageant a adhérer a ces declarations,
~f. Marcy, ministre des affaires étrangeres de I'admi-
nistration Buchanan, fit des observations tres-justes
et proposa des modifications tres-importantes.


L'institution des eorsaires pendant les guerres ma-
ritirnes est un vestige d'un autre ágc ; mais c'est
une conséquence des príncipes qui forment encare le
droit maritirne existan t. Les corsaires sont un mal


17.




- 198 --
pour l'Etat qui les ernploie et pour cclui qu'ils corn-
battent. Des I'instant ou une nation déli vre des let-
tres de marque, elle peut étre súre de voir surgir une
foule de questions internationalcs pour les torts Iaits
aux neutros. Les capitaines des navires armes en
course n'agissont ll;¡S toujours sous l'irnpulsion rl'un
sentimont do patriotisrne, mais nbéisseut Úune soif
de lucre, et pO\ll' l'apaisor SD Iivrcnt Ú toute sorto
d'entreprises, Les marins, quí peudan t une longuo
guerre ont réalisé des héncllces dans 1elIr métier, pl'r··
dent lo sentiment de la discipline en tout ce qui u'est
pas de leur profession ; ils ne se contentent plus du
gain d'un travail honnóte et deviennont autant de
chefs de piratee, L'histoire le démontre,


Mais une nation qui n'a pas do marino militaire ou
n'en a qu'une trós-faihlo , ot dont los cotos sont eten-
dues, n'a d'autre ressource que les lettres de marque.


Ainsi les Etats-Unis ne refuserent pas absoluuient
d'aholir les corsaires, mais ils proposercnt une re-
forme complémentaire, qu'ont sonteuuc tous los urnis
du droit. lis dirent : Nous conseutirous :1 abolir les
lettres de marque, a condition (lile dorénavant la
guerre u'aura !ieu qu'entre vaisseaux de guorre, et
que les vaisseaux rnarchands seront respectes, Nous
avons vn ailleurs cornment et pourquoi I'Angleterre
s'opposa acette reforme,


M. Marcy disait, en 1856: les Etats-Unis n'ont que
72 vaisseaux de guerre et '2,1'20 canons, 1andis que
1'L1ngle181'1'8 posseáe eciueücment, 591 rai.sseaux el




- 199-
17,'201 canons, Ou bien les Etats-Unis, en acceptant le
príncipe qu'on leur propose, renoncent aux moyens
de défense auxquels ils ont droit de recourlr, ou bien
ils sont obligés d'adopter le ruineux et périlleux
systerne d'entretenir une immense marine deguerre,
transforman t ainsi leur systerne politique.


La Ilussie a été plus fidele aux príncipes lihóraux ,
quant al! droit rnaritirne : elle ne voulut pas se servir
de corsaires dans sa gucrre centre la 'I'urquie de 1767
á 1774, ni dans cclle c¡u'elle soutint contre l'Angle-
torre et la Fr¿lllce de 11:l~)4 :i 1856.


Conirebaiule de gUC1're.-Il ne manque pas aujour-
d'hui de puhlicistes notables qui élevent leur voix
autorisée pour demander cette déclaration : II n'y a
pas d'arlicles de coutrebande de guerreo C'est aller
Irop loin: une nation ne pent permettre qne l'on
porte ú l'ennemi le poignard destiné a la Irapper, Si
ron fait la gllCITC, cliaque helligérant a le droit d'em-
pécher son ennemi de 15'<11'11101'. C'est la un príncipe
qui derive de la justice et intéresse l'humanité.


Mais an nom de ce príncipe Oll a prétendu faire
en trer dnns la liste dcs articles de contrebande de
gncrre dos objcts cl des produits qui ne servent pas,
memo indireclement, a la guerreo Il n'y a pas de
limite fixe et precise, cal' la nature et l'essence de ce
que l'on appelle ainsi, ne scnt hien exposées ni dans
les commentateurs du droit des gens, ni dans la plu-
part des traites,


II y a des objets qui serveut directement a la




- 200-
guerre, d'autres qui n'y servent qu'indirectement,
quelques-uns servent a la guerre et a la paix. Il est
hors de doute que les armes, les munitions sont de la
contrebande de guerre, comme il est évident que les
produits de luxe et des arts ne le sont paso Mais pour
les objets intermédiaires, il y a des discussions;
i l ya eu des gouvernernents, celui d'Angleterre, par
exemple, qui ont voulu comprendre dans la centre-
bande de guerre l'argont et les vivres. En 1859, la
France dé clara que 10 charhon de torre n'ótait pos
contrebande , tandis que l'Anglclerre et l' Autrioho le
tiennent pour tel.


Dans cette confusion d'idées et d'opínions , que
chaque gouvernement exploite a sa guise quand le
cas s'en presente, il ya ccpendant quolque chose qui
pcut servir de point de départ pour une reformo se-
nérale : M. Lnhiche signale l'art. l,'r du traite eles
Pyrénées qui est dovcnu a cet cgard la baso elu elroit
pnblic européon, POUl' avoir étó solennellement con-
sacre par les traites dUtrecht. Cet article limita la
contrebande de guerre aux armes et munitions de
guerre, c'est-á-dire aux objets naturels ct manurac-
turés qui peuvent servir directement ou immédiate-
ment aux hostilités, Il déclara libres tous les aun-es
objets non appropriés au service spéciul do la guerreo
Ce principe a quelquefois été observé par I'ánglo-
terre rnéme, elans ses guerree contre la Franca, et
bien que violé parfois, il existe encare et sert de base
aeles reclarnations.




- '201 -
La France ,l consigné ce príncipe dans des actos


solennels : M. Lahiche fait les citations suivantes :
dans l'art. 2, liv, lII, titre IX de l'ordonnance de la
marine, dans le reglernent de 1778 et dans le rapport
presenté au Sénat le 10 mars 181'2, il est dit : « Les
seules marchandiscs de contrebande de guerre sont
les armes et les munitio ns de guerreo •


Il Ya un autre point írnportant, au sujet de la con-
trebando : doit-on confisquer les articles de centre-
bande de guerre pris al'ennerni et aux neutres, ou
seulement les garder en dépot ou les employer, pour
les rendre plus tard'! - La Grande-Bretagne et les
diverses puissances européennes ont pour coutume
de les confisquer. Mais les États-Unis, dans le traité
conclu avec la Prusse le 10 septembre 1785, art. 13,
stipulerent que les articles d(~ contrebande doivont
¿~re seulernen t retenus, et plus tard rendus, en payant
en outre des domma{Jcs-intérfts au» intéreesés.


Blocus.-Lcs Etats-Unis, comme presque toutes les
nations auxquelles furent communiquées les déclara-
tions du corigres de Paris, accéderent a celle qui a
rapport au hlocus , c'est-á-dirc que le blccus ne doit
étro reconnu que quand il est annoncé en due forme,
et qu'il y a assez de forces pour rendre le blocus
eíTl'ctif. Ce n 'est vóritablernen t pas la une grande 1'é-
Iorrne ; s'il n'y a pas assez de [orces pour renclre le blo-
cus cífectif, il sera aussi illusoire que le fameux blocus
contineutal decrete par Napoléon. La reforme consis-
terait él abolir tout blocus, comme contraire au com-




- 202-
merce et nuisible aux neutres et a tous ceux qui ne
prennent pas part aux hostilités. Le hlocus, tel qu'il
cxiste aujourd'hui, est une négation des pi-iucipes
plus ou moins fixes existant en niatiere de contra-
bande; non-seulcment il empuche d'urriver dans un
pays les articles propres ú la guerre, inais aussi ceux
qui ne le sont paso


En cutre, si I'on veut ernpécher I'enncrni de rece-
voir des armes et des munitions de guel're, il suffit des
regles admiscs en matiere de contreliaude de guerreo


Prises. - Au début de la guerre d'Italie, en 1859,
le souverain de la Franco recornmandait a ses sol-
dats de ne considérer comme ennerni que celui qu'ils
trouveraient les armes ú la rnain. Mais dans la guerre
centre la Chine, en 18líÜ, intervinrent des arrange-
ments entre la Frunce et la Grande-llrctagne, on fit
des ordonnances, on donna les instructions les plus
contradictoires. Voyons-en quelques-unes.


Le 22 février, il fut signe entre la Franco et l'Angle-
terre une convoution róglant le molle et les termes
pour la répartition des priscs. On maintint la pratique
barbare de soumcttre les propriétés privées au droit
de prise dans les guerres mari timos.


Cette convention traite non-seulement de la répar-
tition des prises maritimes, mais aussi de ceHe des
trophées et du bu/in. Nous avons étó surpris de ce
mot qui nous rappelait toutes les iniquites cornruises
en d'autres temps pour anirner les trouprs par l'appát
du vol des propriétés de l'ennemi armé ou desarme.




- 203-
Heureusemont.Tart. 8 explique que le hutin consiste
dans les propriétés publiques de l'ennemi, les dra-
peaux, les canons, et autres objets qui peuvent étre
considérés comme des trophées.


Le gouvernement anglais, par déclaration officielle
du 7 mai, el, le gouvornernent francais, par décision
impériale du 28, mérne mois, firent savoir qu'ils res-
pecternicnt les droits des neutres dans les termes con-
tenus dans les dóclarations dn congrés de París, et
cela non-seulement en Iaveur elesÉtats qui adhérerent
aces déclarations, mais aussi de ceux qui les repous-
serent,


Les rnémes décisions donnent le droit aux Anglais
et aux Francais de continuer le commerce avec la
Chine, meme sur le territoire chinois, La France ac-
corda explicitcment la réciprocité aux Chinois; l'An-
gleterre garda le silence sur ce détail, peut-étre paree
qu'ellc jugea ridicule d'établír qu'í! ya ímpossibilité
de commerce quand on perrnet aune partie de le Iai re
et qu'on I'ínterdit a l'autre, Ces résolutions sont im-
portantes, cal' elles consacrent une fois de plus le
príncipe que les hostilités ont lieu entre les gouver-
nements, et que les simples particuliers ne sont en-
gagés dans la guerre que Iorsqu'ils prennent part aux
opérations.


Mais vient ensuite une autre consideration , un
autre renoncement aux príncipes : ces gouvernements
proclament le droit de s'ornparer des propriétés pri-
vées des sujets de l'Jhat ennerni et d'ordonner la cap-




- 20'1-
ture el la conñscation. Cornuieut adruettre que des
Anglais, des Francais el des Chinois puissent conti-
nuer le comrnerce pendant les hostilités, tandis que
l'on annonce en méme temps que les propriétés pri-
vées des derniers peuvent étre capturécs el confls-
quées r


Dans cette me me guerre , le gouvernement fran-
cais, au moins, donna des instructions el, sos agents
pour que, suivant les príncipes proclames par Frank-
Un en 1785, ils ne considérassent pas comme prison-
niers les femrnes, les enfants et les personnes étran-
géres an métier des armes, qui se trouveraicnt el, bord
des vaisseaux capturés ,l.


La convention du 22 février est tres-détaillée relati-
vement ala maniere de faire la repartition des prises;
mais cela importe peu á notro snjet.


En 1856 et 18;)7, quand OH CODllUl les déclarations
du congres de Paris, les Etats-Unis demanderent que
l'on adoptát la résolution suivante : « La propriété
particuliere des sujets d'une nation belligérante ne
pourra étre capturée par les vaisseaux armés d'une
autre puissance, que lorsqu'il s'-y trouvera de la COll-
trebande de guerreo • Le président Buchanan de-
manda davantage : l'abolition du hlocus. Le Brésil
demanda que tonte propriété particuliero inoffensivs,
sans exception, Iú t placée sons la protection du droit


I M. Labiche .




- 205 -
maritime et al'ahri des croiseurs de guerreo Les villes
de Brérne et de Hamhourg se prononcerent en faveur
de 1'inviolabilité des personncs et des propriétés pri-
vees sur mer en temps de guerreo En Prusse, une
commission de la Chambre des députés exprima le
désir ele voir le gouvernernent appuyer des idées
sernblablcs, commc dórivation des príncipes chrétiens
et de l'esprit de I'epoque.


1862.






XVII


DISSERTATIDN


SUR L'ORIGINE ET LES PROGRES DU DROIT DES GENS


otr, CE QUI EST LA. l\I¡~l\IE eROSE, SUR LA. SUJ3STITUTION
DE LA. JUSTICE AU F AIT El' DE L'INTELLIGENCE


A LA PORCE.


Apres le Chrlstianísme, j'humanité marche
en avant, bt-íllan t d'une nouvelle jeunesse. II
est un terme auquel elle est certaiue qu'elle
tloit arriver : le présent répoud de l'avenir ,


(LERMINIW et DACOSTE.)
La liberté est un aete de foi en Dieu et en


son ceuvre.
(BASTIAT. La Loi.)


'La libertó s'acquiert et ne se conquiert paso
Croire que la liberté peut triompher par la


force- est une Illusiou qui n'u jamais eu de
lcndemajn. La force, avant de vaincre , s'est
plus d'une fois déguisec ; mais víctorieuse,
elle no s'est pas dcruentie une fois. J amais
elle n'est devenue la liberté ; toujours elle est
restée la force.


(E, DE GIRARDIN. Le Droit.)


1


L'hornme est naturellement sociable: c'est la un
príncipe admis par tout le monde, qui n'a été corn-
battu que par UIl philosophe qui, conscient de son




- ~o~-
genie, prétendit se faire une place apart hors dn ter·
rain sur lequel s'étaient place" les nutres hommes.
Rousseau, par son díscours sur I'inegalító das coneli-
tions et son Contrtu social, fit preuve d'un granel ta-
lcnt j mais il ne dsmontra, ne mil en évidence aucune
vérité, ne dutruisit pas le principe établi antérieure-
mento lntelligent, libre el actif', l'hornme cloit cher-
cher une placa oú il puísse élargir le cercle de ses
idees, rocovoir des sensations agréahles, exercer sa
volonté: tout cela, il ne peut assurément le róaliser
qu'aupres des autres liommcs, et non en menant
une vie errante et vagabonde, en vivant parrni les
bétes sauvages. Perfectionnement et félicité, voilá
le sentiment naturel a I'homme, le but vers lequel
tendent ses regards, ses travaux, ses efforts ; et c'est
dans la société seulement qu'il peut se perfectionner
et étre heureux.


Parcourez l'histoíro des temps les plus recules ;
vous trouvez l'homme vivant en socióté. En cet état,
a-t-il toujours élé heureux, a-t-il vécu en possession
de droits et sous I'ernpire de lois clict6es par la raison
et la justice? Assurément non. Tantót gémissant
dan s les fers d'un hontaux esclavage, tantót la proie
d'une licence sans frein, il n'a jamáis, on peut le
dire, sa vouré la Iélicité, Partout OÚ nous jetons les
yeux, nous ne découvrons qu'une large zone de
sang et de dépouilles. - En exarninant l'univers,
nous I'adrnirons, ses heautés nous enchantent : de-
puis le lichen jusqu'au cedre, depuis l'atome jus-




- 'lO\) -
qu'auxglobcs célestes, depuis l'homme [usqu'a l'ange,
tout est grand, plein de rnagniflcence et d'harrnonie;
mais en examinant lo monde moral, que trouvons-
nons? Ilien que ruines, dévastation , miscre ; les
hornmes se détruisant sans pitié les uns les autres;
des peuples dévorant d'autres peuples. Le monde
nous apparatt alors, suivant I'expression de Vrr-
gniaud, comme ces grandes PYl'amides d'Égypte, que
J'homme admire pon1' leur beauté, paree que ces rno-
nurnents défient le pouvoir des sieclcs ; niais s'i l
souleve les pienes qui en ferment I'entrée, il ne
trouve dans leurs profondcurs que des cadavres, des
cendres elle silence des tombeaux.


Cerles il est doulourcux , le spectacle que nous
offrent les tristes fasles de l'espóce hurnaine. Les
pages sanglantes de son histoire ne nous monrreut
que ponplos vainquours ct peuples vaincus, pcrsccu-
teurs el persecutós, 1JoUI'l'UaUX el rnartyrs. De Ion les
parts, dit Daeosto, on no voit quo rncurtre, rapine,
échafauds, Iarrncs et sang ; une liberte sanS freiu on
un lionteux escla vage. La tyrannic, le fanatismo el
l'auarchie engendren! les crimes, et les crimes se
disputent le sceptre des nations : á ne voir de tous
cótés que servitude et ruines, il semhle que la des-
truction est I'instinct de l'hornme, la souílrance son
patrirnoine. "Ceux (lui pcuplaicnt les rives du Jour-
dain périsscnt aux bords de I'Euphratc ou sout muti-
les dans les palais de Ilabylone. Cyrus annihile les
nations, el sa tóte nage dans le sango Thebes, cité


i«.




- 210-
florissante naguere, ri'abrite plus que les oiseaux
nocturnes et les descendants de Pindare ; Perscpolis
n'offre plus qu'un monceau de cendres, el l'ernpire
du roí des rois a disparu, 'I'yr dOI1I1e pénihlcment le
jour aCarthage, Carthage p:st dévorée par I'insatiabls
Rome, qui ason tour est mise en pieces par les san-
vages fils du Nord; et des sables de 1'Arabio sorlent
des phalanges dévastatrices qui donncnt le coup
mortel él l'empire de Constantino IJ


L'univers est un tableau suhlimo ; it une Iaihlo lu-
miere on n'y découvre que d'adrnirublcs traits de
pinceau; iI en est ainsi dans l'áge de l'innocence, él
I'áge poétique de la jeunesso, non encere souillóe
par la boue de ce monde; mais tout change d'aspect
des que la raison dans tont son cclat vient eclairor
l'homme, des que l'on a parcouru l011S les ,lgos,
pénétrant au creur des sociétés, l'histoiro d'une main,
et le crible de la critique dans I'autro ; alors le goút
s'est formé, le bandeau est tornhe des ycux ; on ri'a-
percoit plus ni la flnosso du pinceau , ni la richesss
des couleurs, ni la beauté des íorrnes : rout est con-
vert de taches énormes, voilé d'ouiln-es cpaissos.


Qu'est-ce dono qui a produit dans le mondo une
pareille désolation el de si grands desastres ? Quollo
eSL la cause qui a fait vorser tanl de flots de sans",
changé la terre en un tlieátre de menrtre el do C:11'-
nage ? n est hors de douto que les bouleverscments,
tous les grands cataclysmes sociaux, sont produíts
par le mépris pour les príncipes, par l'íno]}se1'valion




- '2\\ -
des devoirs que la nature a imposés aux hommes et
aux nations, cornme conelition essentielle pour leur
honheur et leur perfectionnement; c'est lJarce que la
force, et non le droit, a régné dans le monde; paree
que I'homrne n'a pas été traité comme un élre intel-
ligont, libre et actif'; parco que la vérité a été étoufI'ée
par le rnonsonge, né de I'arnhition, de la soif du
commandement, passion nohlo peut-étre Ú SOIl déhut,
presque toujours monstrueuse en son dévelcppe-
ment, - passion qui, suivant le grand capitaine du
siecle, est lo pont jeté par Salan sur lo chaos, POUl'
passcr de l'enfer au paradis.


Los sociélés antiques ne jouircnt d'aucun droit,
d'aucune garantie. Leur civilisation irnmobile, sta-
tionnaire, ne leur fournissait aucun element de pro-
gres, de prospérite, de bonheur ; chaque peuple u'a-
vait qu'une maniere d'ótre : despotismo on licence. Et
chez ces peuples méine qui jouissaient d'une liberté,
dans quel état la societe se trouvait-elle ? En proio a
une rnaladie rnortelle, elle etait ahattue, avilie, Les
deux principaux élements de la société, l'individn et
la farnille, no Iiguraient pas, ou pour mieux dire
n'existaient paso L'esclavage était dans les lois, el
souvent le nombre des esclavos était double de celui
des citoyens, La femme, base de la farnille, se trou-
vait dégradée, réduite ;i la plus hurnble scrvitude.
Le pére exercait sur sos enfants des pouvoírs que ne
lui avait pas donnés la natura : au lieu d'un pere ,
c'etaít un tyran,




- 212-
Nous avons parlé en passant de l'individu et de la


famille ponr mettre plus en relief l'état douloureux
dans lequel se trouvaient ces sociélés, minées par
leurs bases. En commencant par Lycurgue et Minos
et finissant mérne par la légisJation non chrétienne
des Itornains, on découvrira mieux le veritable état
de ces sociétés gangrenées, 01'1 l'esclavage le plus
atroce était sanctionné, la femmo dégradée, le foyer
domestique avili. Avec Ieurs 'rnreurs corrompues, ces
peuples ne pouvaient avoir qu'un droit public vicié.
N'ayant en eux aucuu élément puissant de civilisa-
tion qui les POUSSClt vers un champ plus vasto, qui
les portát a étendre leurs relations, ils no pouvaient
se perfectionner, ou plutút ils devaient forcément ré-
trograder. Si nous examinons les relations des pe u-
ples entre eux , nous verrons qu'elles manqnaicnt
absolument. " Le traite que la Crece conclut avec la
Persa, dit Donoso Con es, fut !G traite de Marathon ,
ratifié it Salamine. » QUe1lI"C'S alliances Iaitr-s dans
un but guerrier et rarernent ohservóes, presque tou-
jours violées, au contraire, quelques stipulations re-
latíves au commerce, et dans lesquellcs les intércts
des peuples faibles étaient fréquemment sacrifiés ú.
l'ambition des peuples forts, - voilá tout ce que ron
trouve ; et l'on ne saurait dire que cela Iormát un
code de droit universal, ni mérne génl:l'al.


Du reste, le droit dos gens, eonscqucnce nócessaíro
du droit naturel, appliqué aux peuples avec de lé-
géres modifications, -le droit des gens no pouvait




-, :213-
exister qu'ú l'état cmhryonnaire dans ces sociétés ClI
les premiers príncipes du droit naturel étaíent enve-
loppés de ténebres, Et mórne, en aelmettant que le
droit eles gens ait existe parmi ces peuples qui n'ad-
mettaient pas le principo d'('galité entre les hornmes,
sans lequel on ue saurait établir l'égalité entre les
nations, ce droít u'aurait pu (~tre qu'informe, in-
juste el arhitraire, puisque ces bases l'étaient elles-
rnémes.


C'ost une conséquence nécessaíre du COUl'S naturcl
des évenements. L'excrcice ele la sonverainete el'un
peuple, a I'iutérieur comrne a l'exlérieur, ne peut
étre legitimement ré316, ainsi que le veut ]'essence
de l'homme et de la sociéte, tant que la fcmme est
considórée comrne un vilinstrument de plaisir, ou une
[asiueuse ostenuuion ¡l'une vaine opuience. La société ne
peut marchar dans ces conditions j elle est minée par
ses Iondernents, le moindro mouvement la rerrvcr-
sera. Un célebre puhlicistc espagnol a deja exprime
c<"tle idee, en examinant les sociétés anciennes. K On
, ne peut, a clit I'illustre Balrnes, concevoir des so-
({ cié tes bien MdJlies, ayant un gouvernement libre
({ etmaintenant des relations avec les autres, partout
« oú n'existe pas une véritable civilisation ; dans les
« lieux oú l'homme reste elans un état ahject, OÜ il
u est mis au niveau de la hrute, il est impossihle de
u creer et d'organiser une civilisation plcíne de
" graneleur et ele elignité, cal' partout ou l'on voit un
« homme accroupí aux pieds d'un autre homrno , at-




- 214-
« tendant, l'reil inquiet, les ordres de son maítre ou
« tremblant de peur au seul mouvement d'un fouet,
« - partout OÚ l'homme est vendu comme une
" héte, moyennant quelques pieces de monnaie en
« échange de ses facultes, do sa vio m(~me,- partout
« OÚ la femme a le méme sort que l'esclave , ou cette
« aimable moitié du gonre humain , la plus faible, la
" plus sensible, la plus digne d'un protecteur et non
« d'un tyran, tremblo sous le regard de I'homme
« qui devrait étre son cornpaguon ot son soutien,-
« jamais la civilisation ne se développera convena-
« blement j elle sera toujours Iaihle, Iausse, mala-
" dive, paree qu'en ces lieux l'humanité porte au
" front un sceau d'ignominie; il ne peut y exister
« de nations libres communiquant entro elles cornme
« des srnurs. La force, et non le droit, domine dans
" ces: sociétés; la force les précipitera dans l'ahíme
« de l'ignorance; de telles societós portent en elles
« des syrnptómes de destruction et de mort.


« Tel était l'état dans Iequol se trouvaíeni les socié-
« tés anciennes, san s autre principo, sans autre ím-
" pulsion que le ressort Iaihle et usé de l'idolátrie ,
" quí avait déjá perdu toute sa force par l'eflet du
« temps et par l'usage grossier qu'en avaient fait les
« passions humaines, Exposé au feu dissolvaut de
" l'observation philosophique , s'il exercait encore
" sur l'esprit des pouples quelque machinalo in-
(( fluence par suite d'habitudes enraciuees, il n'était
" capable ni de rélablir I'harmonie de la sociélé.. ni




- 215 -_o


« de prodnire ce Iougueux enthousiasme qui inspire
« les grandes actions, enthousiasme qui, dans les
• emurs vierges, peut étre excité rnéme par la super-
a stition la plus irraLionnelle et la plus absurda.•


C'est au rnilieu de cette deplorable situation qu'ap..
parut le christianisrne, religión de paix et de charité,
religion sublime, qui, proclarnant le príncipe de 1'é-
galité do lous les homrnes dovant Dieu, présageait
I'influence qu'elle devaít avoír sur l'avenír des pen-
pIes. En eflet, bannir 1'erreur, reformer el adoucír
les mCBUI'S, corriger les vices de la législation, impo-
ser un frein au pouvoir el le meUre en harrnonie
avec les intéréts publica, donner une vie nonvelle a
l'individu, réorganiser la famille et la société,-telle
fut la mission du christianisme, mission d'une gran-
deur colossale , immense, infinie.


Proclamar la liberté de l'individu et l'égalité de
tous les hornmos, paree qu'ils ont tous rnérne origine
et mérne fín, paree que tous ils sont doués de facul-
tés égales, c'était proclamer aussi l'égalité des na-
tions, l'indépendance des peuples. Aucun résultat
n'était encare ohtenu, mais un pas de géant était fait
ponr l'atteindre.-La tache cIure encaro; et pour ar.
rival' 011 nous sornmcs arrivós, pour voir mis en pra-
tique quelques-uns des grands et bienfaisants prín-
cipes apportés par le christianisme, il a fallu que le
monde traversát plusiaurs síecles, que l'humanité
subit de grandes épreuves ; pour voir hriller un ho-
rizan plus vas te ot plus clair, les sociétés ont été en-




- 216-
veIoppées de ténebres épaisses, la terre a éte irnbi-
bée de sango Un jour viendra oú toutes les institutions
politiquee et sociales S810nL alisolumcnt calquees
sur les doctrines préchees en Judée et scellées sur le
GolgoLha; « paree que, apres le christianisme, l'hu-
" manité marcho en aV:1I1t, lnillant d'uno nouvelle
f( jeunesse : il est un terme auquel il est certain
" qu'elle doit arriver ; le present reporid de l'ave-
" nir. »


La destruclíon de l'unitó romaiuc, Iorsquc l'empire
tornba sous les coups des barbares, plongea l'Eu-
rope dans la plus prolonde ignorance, Alors vinrent
ces siecles maudits sur les lesquels pese I'anathcme,
ce moyen áge qui fut cornme une ohscure caverna
placee entre la civilisation ancienue et la civilísation
moderne; « époque aux deux extremes de laquelle
• on voit d'un coté les républiques grecques el ro-
l< maine, rayonnant do gloire, el de l'autre I'organi-
" sation ele la société européenue, qui se leve d'uu
" seul coup , sans préparation, sans enfance, sans
" jeunesse; epoquo nornmée avec raison sepulcro et
« berceau de la civílisation : sépulcre ele la civi-
« lísation anciennc, bercean de la civilisation mo-
• derne.·


Mais ils passerent, ces siecles de deuil et de tene-
hres, ils passerent ces ternps OÚ malgré I'existence
des principes chrétiens, qui etaient en fusion, la
force avait assujetti le droit, OÚ les lances et les
masses d'arrnes décidaient les questiorrs camme pI'e-




- 217-
rniere et derniere misan. Les ágcs chevaleresques
sont passés, et déjá le voile so souleve, la véritable
civilisation se laisse enlrevoir. Des la fin des croi-
sades on a commencé asentir la nécessité des asso-
ciations, élément de vie quí s'est progressivernen ~
développé depuis que, suivant l'expression de M. Gui-
zot, une mérno muraille a formé un in térét cornmun.
Déjá les rayan s du soleil ne venaient plus heurter
les hants créneaux des demeures Iéodalcs.


Vint enfin le temps oú les doctrines chrétiennes
devaient commencer á porter des fruits abondants et
magnifiques. De la lutte de tant de sieclcs, de cette
lulte de principes si mélés , devait naiLre la civilisa-
tion moderne. Les fondements de l' éditice étaient déjá
jelés; 11 allait en peu de temps s'élever fiel' et majes-
tueux. Alors, ditDacoste, est inventée la poudre, fílle
de I'enfer, dont la voix est celle du tonnerré et quí
détruit et consume inslanlanément. Un morceau de
fer saturé d'aímant ouvre d'immenses routes sur les
abimes de l'Océan, et Corlez traverse I'Atlantíque,
Les Lusitaniens vont houleverser la terre des parfums,
et les Castillans immolent les jeunes fils du Soleil.


Déjá se montrent les éléments si divers de cette
civilisation qui nous frappe d'étonnement! Mais ce
n'est pas tout : plus tard,dit J3almes, est inventé un
véhicule rapide, un moyen d'exploitarion, de multipli-
cation el d'expansion de toutes les pensées, de toutes
les affections humaines ; un moyen qui vient de sur-
gir de la téte d'un hornme, comme un miraculeux


19




- 218-
rayan, plein de colossalos destinées : L'DIPnIMERIE!


Voilá, acoté d'un elernent de mort, un élérnent de
vie, de liberté, do honheur. L'un represente la force;
I'autre, représentant l'intelligence, est appelé él. de-
venir le rempart centre le dcspotisrne, la barriere
contre l'ambitíon, le véhicule le plus propre él. répan-
dre les droi ts des peuples et aprotester centre les abus
du pouvoir. Le genre hurnain est entré dans la voie
du salut,


C'est él. dessein que nous avons parcouru légere-
ment tous ces éléments de notre civilisation. Il n'a
pas été non plus inutile pour notre sujet de montrer
l'état des sociétes anciennes, et les imrnenses bien-
faits apportés par le christianisme : cela nous a été
nécessaire pour arriver au point par Iequel nous de-
vons comrnencer : l'établissement un droit des gens
européen.


Ir


Nous avons vu l'aspect que prúsentaient les socio-
tés non chrétiennes, dans lesquelles dominait non la
droit, mais la force. Comme nous l'avons dit, le
droit des gens n'y existait véritablement pas; car,
dérivant du droit naturel, obscurci chez ces peuplos,
qui n'en faisaíent que des applications barbares, il
devait nécessairernent étre injuste et arbitraire. Les
savants assurent qu'Aristotc a écrit un traité sur la




- 2Hl-
guerre, lequel ne nous a pas élé transmis ; mais cela
ne détruit point ce que nous venons de dire. En effe!,
Montesquieu affirrne que les Iroquois , bien qu'ils
aient la coutume de manger leurs prisonnicrs, out
un droit des gens aleur Iacon et proíessent quelques
príncipes sur la guerre et la paix ; mais ce droit, im-
proprernent appelé droit des gens, pas plus que ce1ui
des ancíens, n'est pas basé sur les príncipes. On peut en.
dire presque autant du droit fécial des Romains,
quoique ala véritó, ma1gré ses irrégularités, celui-ci
puisse étre consideré comme la premiere base du
droit des gens actuel.


Nous dirons encere, au sujet du droit coutumier,
qu'on trouve deja dans le moyen áge des especes de
tréves entre Saladin et les chrétiens, permettant a
ccux-ci d'entrer dans Jérusalern ; mais on ne doit pas
tenir compte de cela en traitant de la science. Le
droit des gens ne commenca véritablement que lors-
que la ei vilisation cut déjá pris quelque développe-
ment, lorsque les principes du droit naturcl et du
chrislianisme curen! pénétre un peu plus au CQ?Ul'
des sociétés. Nous croyons qne c'est du XII" síecle
que date I'étahlissement du droit conventionnel eu-
ropéen, Il existe un monument qui prouve que le
droit des gens n'était pas inconnu aux républiques
italiennes florissant a cette époque : c'est le célebre
traite connu sous le nom de l' Paix de Constance, •
conclu ala fin du XII· siecle (2,,) juin 1183) entre l'em-
pereur Fréderic Ilarherousse et ses YaSSdUX, el daus




- 220-
Iequel intervint le pape Alexandre III. Ce traite, fait
á Venise apres la déroute de Frédéric a Lugnano,
eut une grande influence sur la partic de l'Europe
alors civilisée. 1I est tres-Important par les graves
sujets poliques et religieux dont il est question, par
les stipulations liberales qu'il conticnt au sujet du
cornmerce , par les droits conccdós au peuple, par
I'abdication de certains droi ts royaux, et surtout
paree que, comme lo dit Sismondi," ainsi se tor-
a mina, par I'étahlissement d'une liberté 1t"gale, la
a prerniere et la plus noble luLte que les nations de
« lEurope moderno aient soutenue contre le despo-
« tisme ; paree que ce fut lo premier pacte entra un
• monarque el ses vassaux dont l'Europe ait été té-
a moin ; la premiare ligne tracée entre l'autorite et
« la liberté; le premier hommage solennel rendu
a aux droits de l'homme; le premíer coup porté
• aux gouvernements fondés sur la force. »


Apres ce fameux traité, nous n'en trouvons pas
d'autre qui ait fondé la liberté en Italie el lui ait
donné plus el'impulsion, si ce n'cst colui do la célebre
ligue ele la Lombardie, par lequelles diverses répu-
blíques italiennes convinrent de réunir leurs forces et
leurs ressources pour chasser du pays les tyrans fran-
cais et allemands, qui , Ioulant aux pieds leurs droits,
détruisaient la liberté. Dans cette ligue, comme dans
ton tes les grandes el nobles actions qui illustrent
cette époque, ce fut Floronce qui prit l'initiative,


Tous les autres traites que l'on trouve en parcou-




- 221 -
rant l'histoire des répuhliques italiennes n'ont pour
hut que le reglcment d'in téréts elu mornent, par suite
el'une existenee fugaee et précairo ; ou bien ils sont
conclus entre les tyrans qui étouífaient la liberté de
ce beau pays. n faut citer parmí eux eelui conclu
entro Cosme ele Médicís, tyran ele Florenee, et Fran-
00is Sforza, duc ele Milan par intrusíon.


Plus tard , nous voyons qu'en 16i5 on connaissait
l'ouvrago du e¡'~lebre puhlicisto Grotius, plein en gé-
néral de saines idées. C'cst elone au XVII" siecle que
les príncipes ont été posós ave e plus de solidité. Ce
síecle Iut grand par ses événements poli tiques et re-
lígieux, par l'ossor que prirent les lettres, en France
surtout, et par l'influence qu'il exer<;a sur les desti-
nées ultérieures eles peuples. Au eommencement de
ce siécle (7 avril 1609) fut signé le traite par lequel
l'Espagno reconnut I'indépendance des Provinces-
Unics ele Hollande. C'est la un des traites les plus írn-
portauts, et l'un des Iaits qui attestent la substitution
ele la justice et ele I'intelligence a l'injustice et a la
force.Mais ce n'est qu'au milieu de ce siecle (25 octo-
hre 16'18) que nous trouvons le monument grandiose
qui scella les travaux de tant d'autrcs siecles , l'une
des premiares sources dou émanele droit coutumisr,
et, suivant l'ahbé Despradt, la hase de la diplomatie¡
nous voulons parler de la « Paix de Westphalie, »


Ce n'est pas ici le lieu d'exposcr les causes qui pro-
duisírent la conclusion de ce traitó. On connait l'état
dans lequel se trouvait I'Allemagne ú cette époque,


19.




- 222-
par suite des doctrines préchées par Luther ; on sait
aussi quel était l'état politique de ce pays ; des prin-
cípes politiques, et surtout des principes religieux se
heurtaient dans l'empire. Les luthériens et réfor-
mistes s'étaient leves deux fois, et deux fois, presque
sans obtenir aucun privilége, ils avaient cédé de leurs
droits, par le traité de Nuremberg (1532) d'abord,
plus tard par celui de Passau (2 aoút 1552), Enfln,
par une nécessíté de l'État, ou pour mieux dire de
l'Europe, puisque sous divers pretextes les princi-
pales puissances européennes s'étaient engagées
dans une guerre acharnée, la paix de Westphalíe fut
conclue en 16~8. Ce traite mit fin a la guerre de
Trente-Ans, et fixa les relations de l'Empereur avec
l'Empire, en étahlissant les bases de la Constitution
fédérative de l'Allemagne, qui alors, plus qu'aujour-
d'hui, pesaít d'un grand poids dans la balance euro-
péenne. II déíínit les .rapports entre la religion ea-
tholique et la religion protestante, eelle-ei restant
admise comme religion d'ÉtaL Par ses clauses et par
la maniere dont il fut conclu, ce traite est un monu-
ment célebre, que l'on appela avec raíson le Code de
l'Europe ; jamáis, en effet, on n'a discute d'intéréts
ni des principes plus vastes que ceux dont on s'oc-
cupa á Munster et ú Osuabruck.


Ce traite fut suivi de celui des • Pyrénées, » qui
n'est qu'un appendiee acelui de \Yestphalie, et fut
conclu onze ans apres celui-ci (23 septernbro 1659).
Le traité des Pyrénées changea la poli tique euro-




- 223-
pécnne, en faisant descendre l'Espagne au rang de
nation de second ordre, détruísant ainsi l'ancien sys-
teme d'equilibre de l'Europe, et donnant plus de
puissance ú la Franco. Il fit au commeree des conees-
sions liliórales, et décida le mariage de Marie-Thé-
rese dAutriche, fllle de Philippo IV, avee le roí
LouisXTV.


II prepara un autre traité non moins important :
oelui que l'on oounatt souslenomde «Paix d'Utrecht,»
conclu au commencement du siécle derníer (11 avril
1713). Celui-ei termina la guerra elite de Succcssion,
clans laquelle avaient figuró les premieres puissances
européennes; la dynastie autrichienne fut remplacée
en Espagne par celle des Ilourbons ; quelques con-
cessions furent faites au commerce neutre, entre nu-
tres celle qui slipulo que le pavillon couvre la pro-
priété, Il faut noter surtout, dans ce trailé, le pacte
dit traite des ncgr'es, par lequel l'Espagne perrnit a
l'Anglererre d'in troduire chaqué année en Arnérique
4,800negros d'Afrique, en payant 100 livres tournois
par teto; stipulation contraíre aux príncipes da
christianisme, avilissant la dignité de lhomrne, op-
probre de la civilisation moderne. C'est a cette stipu-
lation inique que quclques-unes eles républiques
américaines doivent cette gangrene qui les a rongées
lentement ct qui est un germe de destruction.


Au déhut de nolre sieclc, nnlre at íention est app2-
Iée par le celebre traite de "Tilsí tt , " conclu les 7 et 9
jnillet 1807, apros les trois importan tes Latailles




- :221-
d'Iéna (14 octubre 1806), d'Eylau (8 février 1807) et
de Friedland (14 juin 1807), qui portéreut Napoléon
a l'apogée de sa gloire militaire. Sa couclusion fut
précédée de la mystérieuse conference qu'eurent sur
le Niémen le guerrier Irancais et l'ernpereur russe,
dans laquelle ils s'entretinrent peut-étro du gigan-
tasque projet de partagor lo monde en doux grands
ernpires de l'Orien t el l'Occident, l'un pour l'empereur
russe, I'autre pour l'ompereur francais. C'est encare
lá un traite dans lequel, mulgré les progrcs de la
civilisation et l'existence du droit des gens, on voit
la force dornptant le elroit; la puíssance des baíon-
nettes et du canon étouffant les droits et les libertés
des peuples,


III


Apres avoir parlé ele ces traites qui font, pour
ainsi di re, époque dans l'histoire, nous ne nous arre-
terons pas pour examiner ceux qui portent le nom de
« Sainte-Alliance.• Cene fut que I'alliance impie des
rois, dans le hut d'escamoter la liberté des penples.
La Sainte-Alliance avait á remplir une mission autre-
ment sublime: celle de cimenter le droit puhlic dos
nations sur les bases indestructibles de la liberté et
des princi pes; mais ce conciliabule de politiques
n'eut en vuo que sos íntéréts propres, au détriment
des droits des peuples. Ces hommes qui naguóre fai-
saienL appel á la liberté centre lo despotismo et I'as-




- 225-
cendant militaire de Napolcon, des qu'ils sentirent
sous leurs pieds un terrain solide, ouhliérent la li-
berté, les garanties sociales, et ne penserent qu'á ri-
ver les fers de ces mérnes peuples qui 1eur avaient
serví d'échelon pour renverser le colosse; couvrant
lour perfidie des épitlietes sacrées de paix et de cha-
rilé, invoquant la religion et des noms augustas. lIs
furent tratu-es, ceux qui au sein de la paix ouhlierent
Ieur mission et tyrann isercnt la societé ; cal' " Napo-
" léon sut du rnoins dorcr les chaines de l'esclavage
a par I'éclat de sa gloirc et l'ascendant de son génie. •


Ce fut dans les con gres de Vienne (18t5) et d'Aix-la-
Chapelle (1818), que la diplomatie reeut une forme
véritable ; mais cela n'entre pas dans notre objeto


Nous avons vu l'étnt des sociétés anciennes, OÚ do-
minait la force et non le droit ; nous avons montré les
príncipes de vie qu'apporta au monde la sublime re-
ligion du Christ et la régénération qu'elle effectua
dans les socíétés. Nous ne nous sommes arrété.apres
l'établissement de cctte magnifique institution, que
sur les siecles OÚ nous pouvions trouver quelque
chose d'á-propos pour le snjet que nous traitons. Nous
avons laissé de coté l'examen des siecles intermédiai-
res, paree que,:rnalgré l'existence des príncipes chré-
tiens, le moyen áge ne fut dominé que par la force,
par suite de circonslanccs morales que I'histoire a
consignées dans ses anuales. Les élérnents de vie et
de progres ne produisen t pas leurs eifets au mornent
méme oú ils apparaissent ; le temps est un élément




- 226-
indispensable pour qu'ils puissent produire leurs
bienfaisants résultats.


Nous laissons également de coté les sociétés orien-
tales, oú regne le mahométisme, paree que les limites
étroites dans lesquelles nous devons nous renfermer
ici ne nous permettent pas ces investigations. n suffit
de savoir que ces peuples présentent les rnémes
symptómes de destruction que les sociétés anciennes:
avilissement de l'individu, dégradation de la femme,
par conséquent de la famille et de la société j consé-
quence nécessaire, comme le remarque Buchanan,
chez les peuples OÚ ne regne par le christianisme.
Aussi, voyons-nous l'Orient immobile «comme un
majestueux cadavre couché sur un lit de fleurs.»
Mentionnons ce qu'a dit un écrivain en parlant de
cette partie du monde; il s'exprime ainsi : • On voit
• dans l'Orient les vieilles sociétés, superhes, monu-
« mentales, OU tout porte le sceau des siecles, oú les
• mceurs semblent immobiles sous le poids de l'his-
• toire et des traditions ; sociétés essentiellement
• hierarchiques , dans lesquelles I'hornrne s'éleve
• aux nues et se fait l'égal des dieux, tout en restant
• au niveau de son sol, confondu dans la boue, diñé-
• rant it peine de la brute; nations toutes pleines de
• silence, de mystere, d'immohilité, comme leurs py-
• ramides, leurs temples imrnenses, et chez les-
• quelles le puissan t, rempli d'orgueil et de fanatisme,
• sacrifie a ses magnifiques plaisirs les intéréts du
• peuple, la liberté des faibles,la dignité des vierges;




- 2'27 -
• nations oú la rudesse et la majesté vivent en per-
• pétuel contraste, au milieu de ce luxe si conforme
• aleur caractere, et dans lequell'éclat et la valeur
• intrinseque sont plus admirés que la délicatesse du
• travail."


La plus grande preuve des progrés de la civilisation,
de la substitution de la justice au fait, ou de l'intelli-
gence el la force, est dans la maniere dont cornmenea
et se continua la guerre que les puissances occiden-
tales firen t, en 1854, ¡'¡ la Russie pour secourir le
Iaiblo contre le fort, Quel!e puissance civilisatrice que
eelle du christianisrne l la croix défendant le crois-
sant pour soutenir les príncipes universels de justice
est un des plus grands faits qu'ait vus le monde et qui
feront I'admiration des peuples avenir!


Pnisque dans celte lutte formidable entre les plus
grandes et les plus fortes puissances de la terre, il ne
fut question que dintéréts moraux : protection d'une
nation faible, maintien de I'honneur européen ,
défense de la civilisation occidentale, il est juste
d'affirmer que le monde a fait de grands progres, et
qu'il tend a la paix par une gravitation irrésistible.


Pour voir combien les principes du christianisme
ont penetré au cmur des sociétés, il sufIit d'énumérer
les avantages obtenus et ceux quidoivent résulter en-
core de cette lutte gigantesque du droit contre la force.


Ces avantages se résument ainsí :
Nouveaux éléments de paix et de civilisation acquis


par I'alliance anglo-Irancaise ;




- 228 -
Nouveaux élérnents de vie portes au sein de la


Turquie, pouvant contrihuer it sa rógénération, qui
exercera sur l'avenir du monde une grande influence;


Diminution des horreurs de la guerre, comme le
prouve la douceur des alliés, no faisant, il Odessa,
d'autre mal que celui stricternent nccossaire pour
rnettre l'ennemi armé dans I'impossihilité de conti-
nuer ses attaques, et comme le démontre le cri d'in-
dignation poussé d'un bout aI'autre des pays civilisés
contre les auteurs de I'inccndie et des atrocités de
Sinope ;


Avantages pour le commerce, tels que ce principe
admis par les grandes puissanccs mari times (sinon
comme regle universelle de droit des gens, au moins
comme concession du moment), que le pavillon cou-
vre la propriéte et que les navires libres rendent libre
la marchandise, a l'exception de la contrebande de
guerre ; plus encare: les marchandises des neutres
sur des vaisseaux ennemis sont réputées libres j


Amoindrissement de puíssance pour cette nation
monstre, qui menacait d'absorher la civilisation oc-
cidentale; memorable lecon pour les gouvcrnements
ambitieux;


Rupture entre la Russie et les puissances alleman-
des; coup de mort porté á l'absolutisme; nouvelle
breche ouverle aux sains principes Iihéraux ;


Paix du monde assurée par l'affaiblissernent de la
puissance russe, et par l'irnpossibilité dans laquelle
elle est mise de trouhler le repos européen ;




Libre navigation du Danube et de la mer Noire.
Chacun de ces avantages obtenus est une preuve


évidente en faveur de notre thése ; ils démontrent
que, • apres le christianisme, l'humanité marche en
« avant brillant d'une nouvelle jeunesse ; il est un
• terme auquel elle est certaine qu'elle doit arriver :
« le présent répond de l'avenir, •


Ce qui nous enthousiasme le plus au milieu de
cetle lutte prodigieuse, ce qui nous console des maux
que l'humanité souffre en ces instants, c'est de voir
combien d'éléments debonheur et de civilisation sur-
gissent de toutes parts : ce mérne Orient immobile
et gangrené, ce pays que l'empereur de Ilussie, dans
une eonversation avec l'ambassadeur anglais, appe-
Iait • un malade al'extrémité qui allait mourir sou-
dainement, • a donné une grande preuve de vitalité,
produile sans doute par son contact avec les nations
civilisées d'Occident, et qui contribuera puissamment
afaire revivre de ses cendres cette belle portien du
monde, qui peut-étre luifera substituer au fanatismo
la liberté; aux sérails, la dignité de la femme j au
croissant, la croix ; au voluptueux paradis des houris
et du prophete , le ciel de la vraie religión.


Ce mouvement dans une meilleure voie, cet acte
de vio, ce fruit qui prouve que la civilisation occi-
dentale s'est greffée sur l'arbre amoitié desséché de
l'empire ottoman, avec sa séve vivifiante, - e'est le
firman adressé par le sultan aMustapha-Pacha, com-
mandant en chef de l'armée impériale de Batoum et


20




- 2:30 -
des cótes de Sakoum, pour lui ordonner de prendre
les mesures nécessaires afin de rnettro un terme au
trafic des esclaves en Géorgie et en Círcassie. Cedocu-
ment est d'une importance extreme; j] contient les
passages suivants :


• L'homme est la plus noble de toutes les crea-
• tures issues de Dieu, qui l'a destiné aétre heurem:
• en le Iaisant naitre libre. Mais, contrairement a
« cette destination primitive, les Circassiens out
« l'étrange coutume de vendré comme esclaves leurs
• enfants et leurs parents, et rnéme de se voler entre
• eux les enfants pour les vendre comme des ani-
• mame ou des objets mobiliers.


« Ces procédés, incompatibles avec la dignité de
• l'homme et contraires a la volonté du souverain
• créateur, sont extrémement mauvais et censu-
• rables. •


Le hatti-hoummaioum qui rend les chrétiens indé-
pendants merite le mérne éloge. Bien que cet édit
n'ait eu jusqu'á présent aucune applícation pratique,
par suite du fanatisme musulman, il suffit que le
príncípe de tolérance ait été reconnu par le gouver-
nement du peuple le plus intolérant du monde pour
que les conséquences en soient immenses en faveur
de la cause du droit et de la civilisatlon. Nous ne
devons pas non plus passer sous silence le grand
príncipe posé par le congres de Paris, établissant le
recours al'arbitrage des puissances amies avant que
les États ne se jettent dans les hasards de la guerreo




- 231 -
Une conséquence des granas principes qui triom-


phent aujourd'hui, c'est la question qui tient actuel-
lement l'Europe en suspens, qucstion qui, dcpuis des
siecles, et principalement depuis le régne de Henri IV,
appelle l'attention de tous les penseurs,-la questíon
italienne, plus grande et plus noble que celle d'Orient,
par la position qu'occupe la Pénínsule , par ses
méritos au tcmps de la renaissance des leltres,
eomme aussi par ses glorieuses traditions, ses terri-
bles souffrances et ses légitimes aspiratíons ; cette
question est trap intéressante pour pouvoir étre trai-
tée en quelques lignes; elle néeessite le développe-
ment des príncipes généraux de la loi naturel1e et
l'examen dos regrettables traites de 1815, ceuvre de
la force opprimant le droit, 1ȒlJlfo1t'!i( :


IV t,o\ ),
. '-"" ~


-!Jll\\'


Disons maintenant quelques mots du role que
l'Amériqne a joné et est appelée ájoner dans le déve-
loppement des príncipes, dans la marche des civili-
sations et dans les progres du droit des gens.


L'Arnérique du Nord, Gil la souveraineté nationale
a élé plus respectée, oú les droits et les devoirs sont
restés en parfait aecord, OÚ les principes chrétiens se
sont largement développés, OÚ la force n'a pas
opprimó lo droit, OÜ l'autorité et la liberté sont res-
tées dans de sages limites,-a avancé, dans l'espace




- :232
de soixante ans, comme ne l'a falt jusqu'á présent
aueune autre nation.


Gretee ala tolérance qui regne dans les mceurs de
ce peuple et se réflete dans ehaque aete de sa vie
publique, tout y est libre: locomotion, associations,
travail, parole, presse, élections, eonscience. Le res-
pect pour le droit d'autrui et le zele pour le maintien
du droit propre out fait de ceue nation le siége de la
liberté et de la richesse. Pai», traoaii, liberté, telle esj
la triple devise de l'Américain du Nord; jouissant de
ees trois précieux biens, il marche toujours en avant,
mettant en pratique son expression nationale si laco-
nique et si énergique : Go ahciui ' !


C'est pour cela que, en cinquante-sept ans, c'est-á-
dire jusqu'en 1851, époque jusqu'á laquelle arrivent
nos données statistiques, les États-Unis du Nord out


I Nous parlons des pro gr es que l'Union Amérieaine doit
nnn-scul ement a ses bienfaisantes institutions, mais aussi,
au caractcr e que surent lui imprimer ses fondateurs et ses
premiers hommes d'Etat, Wasb in gton, Franklin, Hatnilton,
Jefferson, Jay, etc., etc. Malheureusernent, le' institutions
ne son t pas tout: les meilleures p-xigcnt des hornmes hon-
nétes, des citoyens vertueux ; la république ne peut exister
q u'a force de patriotismo el de vertu , Eh bien! depuis
quelques années, le principe utilitariste a pénétré au cceur de
cette soeiété; le d és ir de jouissances malériel1es domine une
grande par tie de ces hommes si actifs; rien ne peut apaiser
Ieur soif de l'or, Les homm cs ho nné te s el vr ai men t patrio tes,
vovan t la to ur nu re que prennent les esprits, se retirent de
l'a;ene politique, prennent en horreur les ch ar gcspubliqucs
et laisscn t ai nsi le champ l ibre au x plus audacieu x q u i sont
partout Ie s plus perverso Malgré ses Lelles institulions poli-
tiques, I'Unio n Améri caine va dég~nérant, paree que le sen-




- 233-
pragressé d'une facón prodigieuse, comme nous al-
Ions le voir par les chiffres suivants, tires de l'Alma-
nach américain de Boston et du díscours prononcé a
Washington par M. Webster, secrétairc d'Etat , le
4 janvier 1851.


!l
l:l


12.061
1/2 acre.
Nuls.


17S3.
Nombre d'};tats oo......... 1á
Membres du Concres oo. 135
Population des États-T'nis ,. 3.929.328
Entrées au trésor {dollurs] oo.. 5.720.624
Dépenses de I'État oo..................... 7.529.583
Importations.. oo.oo ,....... 31.000.000
Exportations ~6.109.000
Marine marchande (tonneaux)................ 520.764
Étendue des Étals-Unis en milles canés..... 80;,461
E1Iectif de l'armée........................... 5.120
Milice nationale oo. Nulle.
Marine (vaísseaux) oo ..
Armement (artilleriel., .
Traités avec les populations étrangeres , •
Phares et vaisseaux-phares...... oo , .
Fraís de ces phares (dollars) ...••.••......•.•
Superficie du Capitole .
Milles de voies ferrées en actívité l oo ..


1851.
:n


295
23.267.499
43.774.8t8
39.355.268


178.138.318
151.898.720


3.535.454
3.314.365


lO.OOO
2.W6.456


76
2.012


90
37~


529.265
4 acres 1/3.


10.287


timent moral y est altéré ; de la proviennent la corruption et
la vénalité des hauts fonctionnaires publics, le pen de loyauté
dans les transactions particulieres , la ~ibusterie appliquée
dans les relations de cet Etat avec les États plus faibles.
Nous avons déja publié quelques écrits sur les causes per-
turbatriees de l'ordre dans Ies États-Unis de l'Amérique du
Nord; nous eommencerons bientó t la publication d'un vaste
travail sur la aituation politique, soeiale et religieuse aetuelle
de eette nation, comparée a. la situation que lui firent, par
leurs nobles vertus, les patriarches de son indépendance.
Pour le moment, nous ne nous proposons que de donner une
idée général e des prcgrcs récls qu'a f'aits cette jeune na-
tion.


1 M. Victor lIfeunier publia En 1855 les lignes su ivantes :
e Le premier chemin de fer arnéricain fut ouvert en dé-


c. cernbre 1829 .•• C'érait une modesto ligne de 13 milles de
20.




- 234-


Dépenses de ces voies (dollars)•...... , .
Milles de voios ferrées en construction .
Ligues télégraphiques (milles) " .
Nombre des bureaux de poste•..............
MiIles de routes de poste... . .
Revenus des postes (doüars) .
Dépenses de ce département .
Nombre de milles pour le transport .
Colféges .
Bíhlíotheques publiques...•.................
Volumes contenus dans les bíbliotheques ..•
Biblíotheques d:écoles , ..
Volumes de ces híblíotheques .
Émigrants d'Europe aux.l~tats-Lnis(par an),


200
5.642


l04.747
72.040


19
¡ji


75.000


10,000


1851.
306. (;07.954


10.092
15.000
21.551


178.762
5.592.971
5.212.953


46.511.423
121
694


2.201.632
10.000


2.000.000
315.333


Dans les Étals du Nord de l'Union Américaine, dit
l'annuaire d' Économie Politique de 1853, l'instruction
primaire est I'ohjet principal des eíforts intellectueIs
et financiers du gouvernement. Il y attache autant


« long entre Baltimore e í les m oul ins de Elieott. Comment
< cette période de 25 ans a-t-el le été remplie? Qu'on en juge:


« En 1848, on com ptu i t aux Etats-Un is 8,472 kilornetres en
« service :


« Le 1" janvier 1855, il Y avai t 2::l,01O kilornetres.
« 12,067 k i lo me tr es so n t en con s rr ue tio n ,
« En 1859, i ls pourront produire des b ériéficcs, et l'Amé-


« rique se trouvera sillonnée par 43,549 kilornetrc s de che-
« mins de Ier, c'est-a-dire beaucoup plus que la circonférence
« de Ia terre.


« Aujourd'hui mém e , les États-Unis p ossede nt un systcme
« de chemins de fer tel que si toutes les IigIles qui le com-
< posent, au nombre de 300 oIl400, éta i en t ajo u técs les unes
« aux au trcs , elles suffiraient pour faire au globe e ntier une
« ceinture de fer.


« Un quart de sie cle et un peuple qui ne forme environ que
« la v ingticm e partie de la population dissérn in ée sur la
« terre ont suffi pour exécuter UIl travai l d'une aussi prodi-
• gieuse étendue. Cetle puissance p arai t mó me hors de pro--




- 235-
d'importance que les gouvernements de l'Europe au
payement et á l'entretien de leurs armées. Ainsi, par
exemple:


Maine. - Population, 583,167 ames; budget des
écoles, 264, 351 dollars.


Les rapports de 1850 affirment qu'il existe 3,608
écoles, fréquentées par 230,274 enfants, dont 91,519
les suívent régulierernent.


Neto-Ilampshire; - Population , 317,976 times;
budget des écoles, 189,925 dollars.


En 1852, le nombre des enfants qui fréquentaient
les écoles s'élevait a 84,900, donnant en été 58,805
présents en moyenno , et 55,770 en hiver.


Vermont. - Population, 314,120 ames; budget des
écoles, 217,!l02 dollars.- Nombre d'enfants fréquen-


e portion av ec les rlirn ens io ns du théátre sur lequel elle
« s'exerce ,


« Cette tcrre I qui apparut a l'ignorance des premiers
« hommes co mrno une immensitó saTIS limites, paraJt apeine
• ass ez grande pour contenir leurs descendants; ce n'est que
e le piédestal d'un géant. Et qui a e ré ó ce góant? Ce n'est
« ni un guerrier, ni le pere , ni le descendant d'une série de
« ro is : c'est le plóbéien qui, dans son enfance, observait
« aucntivement les goultes de vapeur qui se con derisaient
e: sur le couvercle d'une théiero. En pr éscnce de ces chiffres
« <'loquents, comment ne pa. étre frap pé des moyens dont
e dispo se l'homme, gráce ¡, la science? Apres Watt, viennent
« Stephenson, Seguin. Derriore e ux so n t ces grands hommes,
« ces saints el ces rnar tyrs de la démocratie qui ont Iabo-
« riousement étud ié les conditions de la: production de la
« fo roe ; ceo prolélaires sans nombre et sans nom qui, par
« les perfec tio nnem ents dont toutes les sciences leur sont
« redevables, ont rendu réalisables Jes théories , ~




- 236-
tant les écoles, 90,110; honoraires d'instituteurs el
institutrices, 127,071 dollars.
~lassachllsselts.- Population , 994,499 ames; bud-


get des écoles, 965,494 dollars,
Nombre d'écoles en 1851, 3,987; instituteurs,


6,694. Moyenne d'enfants présents en hiver, 182,564;
en été, 132,4'22. - Nombre do volumes composant
les bibliotheques des écoles, 91,539. Les dépenses
pour constructíon d'édifices consacrés ú l'instruction
primaire s'élevaient, en 1818, 11 2,750,000 dollars,
dont 2,200,000 avaíent été employés apres l'an-
née 1838.


Rhode-Island. - Popula.tion, 147,544 ames; hud-
get des écoles, 109,767 dollars ; nombre d'éco-
liers,26,712.


Neto-York, - Population, 3,097,394 árnes ; budget
des écoles, 1,052,923 dollars.


Nombre d'enfants fréquentant les écoles, 800,430.
- Nombre de volumes composant les hibliotheques
des écoles 1,507,077.


Que l'on considere les résultals prodigieux que
produit l'existence d'institutions basées sur la justice
et imprégnées de la sainteté des principes chrétíens.
Quel merveilleux progres !


La grave queslion de I'esclavage, elle-memo, toute
hérissée' de difficultés, tend do jour en jour i rece-
voir une solution plus conforme nux principes; un
moment viendra oú elle cessera déñnitivement
d'exisler par soustraction de matiere. Les proprié-




- 237 -
taires d'esclaves dans les États du Sud ont adouci le
traitement de ces malheureux, et les philanthropes
des Etats du Nord savent canciller leurs idees huma-
nitaíres avec celle du respeet a la propriété. Ainsí
tout n'est qn'harmonie dans cette heureuse terreo
La flibusterie, les sentiments agressifs eontre les
soeiétés politiques voisines u'étant que I'expressíon
d'un nombre restreint , et recevant toujours l'ana-
therne de la sanction publique, quelquefois mérne
réprirnés par les autorítés, 11e peuvent détruire l'har-
monie de príncipes el de fails qui domino dans les
États de l'Union américaine, RelativemenL a notre
sujet, il ne faut pas oublier que les État-Unis ont été
les premiers a proclamer comme principe de droit
des gens, que le vaisseau libre fait la marchandise
libre j que tous leurs traités sont basés sur les sains
príncipes de lajustíce universelle, et par conséquent,
de l'égalité des nations entre elles.


L'autre partie de I'Amérique, par suite de círcon-
stances moins heureuses, des habitudes dont elle hé-
rila, enfermée dans les Andes, n'ayant jamais recu
d'érnigration comme ee1le qui se fit de Franca aux
États-Unis ala fin du siécle dernier, émigration como
posée de savants et de capitalistes qui aiderent adé-
velopper ses immenses éléments de félicité; par
suite aussi de la diversité de caractere de ses nabi-
tants, les UDS froids el impassibles, les autres ar-
dents et belliqueux j - enfin par millo au tres circón-
stances physiques et morales, n 'a pas prosperé avec




- 238 -
autant de rapidilé que sa sreur. Elle a boaucoup
avancé cependant depuis le peu de temps qu'elle est
indépendante : l'enseignement s'est étendu parmile
peuple; le commerce a pris son essor; l'esprit de tra-
vail s'est avivé, Nóanmoins, en notre qualité de pa-
triote, nous ne devons pas cacher la vcrité, quand il
devrait en résulter plus de mal que de bien; et nous
déclarons franchement, quoique avec douleur , que
nos prngres auraient dü étre plus grnnds .


Al'ignorance des masses, au manque de popula-
tion, aux difficultés des moyens de cornmunication, se
sont joints la politicornanie, l'esprit d'imilation des
théories dissociatrices de la vieille Europe, l'amhi-
tion de la plupart des hommes d'épée , et les exces
des démagogues.


Le salut de ces pays, leur bonheur dans l'avenir
sont lié s él l'esprit de travail et á la création d'inté-
réts matériels, base de la prospérité américaine. Les
intéréts moraux sont étroitement unis aux intéréts
matériels ; et il n'y a poínt !ieu de déclamer contre
oeux-cí. Ainsi le commerce, l'agricuJture et l'exploí-
tation des mines sont les voies nouvelles qui doivent
s'ouvrir devant les nouveaux peuples latino-amé-
ricains. Que le pouvoir du gouvernement ne soit pas
trop étendu ; que l'individu s'éleve, et le municipe
apres lui, que la plus grande puissance soit mise
dans le 1'e111'le; que I'Eglise soi t séparée de l'État;
que l'on ne renverse pas la pyramids sociale en vou-
lant la faíre tenir sur le sommct ; alors la paíx re-




- 239-
gnora.Timmigration se por lera en masse vers les
splendides immensítés de l' Arnérique du Sud, qui
bieníót rivalisera de puissance et de richesse avec
I'Union de l'Amérique du Nord.


La mission de l' Amérique est grande, sublime;
de son sein doivent sortir des idées de pnre liberté
qui réformeront le monde, comme autrefois jaillirent
les divins éclairs qui illuminerent l'Europe du sein
des repuhlíqucs italiennes. Les peuples de l'Amé-
rique du Sud, liés par une me me origine, un me me
idiome, mérnes institutions, mérnes intéréts et mérne
religion, doivent former une seule famille de fréres,
n'ayant qu'une seule pensée, une seule volonté.


L' Amérique doit poser les bases du droit des gens
américain : liberté du commerce, amoindrissement
des horreurs de la guerre, confédération de ses peu-
ples afin d'ernpécher des scandales semblahles aceux
commis par les nations étrangeres au Rio de la Plata;
elle doit en fin tendre a réformer le droit des gens
européen dans tout ce qu'il peut avoir d'ínjuste, de
despotique et d'arbitraire.


Quand I'Amérique aura étouffé dans son sein le
monstre de l'anarchie, elle rendra pratiques dans
toute leur extension les príncipes proclamés par le
christianisme; alors , unie él. l'Amérique du Nord, et
faisant flotter en tous lieux son pavillon partout res-
pecté, elle contríbuera él. constituer sur la terre les
gouvernemcnts de droit; alors ses republiquesv ri-
ches et florissantes , attcindront tout le bonheur




- 2'1.0-
auquel peut arriver l'homme apres la malédiction cé-
leste; le monde sera régi par l'intelligence, do-
minant pour toujours la force; le commerce, ce levier
des temps modernes, remplira son véritable róle, et
ce qui se décíde aujourd'hui par les batonnettes et les
canons sera jugé par la raison: ces peuples for-
meront alors une grande répuhlique dans laquelle
ne retentiront que des hymnes a la Liberté. -
L'Amérique peut réaliser tout cela: ses flls n'ont qu'á
le vouloir; et ce noble but sera atteint quandchaque
citoyen apprendra adétester la démagogie autant que
la tyrannie, avoir avec une égale aversion les adu-
lateurs du peuple et les sbires des tyrans j quand
chacun saura qu'il ne peut y avoir de liberté sans
ohéíssance a la loi, que la véritable liberté est le bien
pour tous sans mal pour le dernier méme des mem-
bres de la communauté politique; qu'elle a son ori-
gine dans le désir du bonheur et sa limite dans le
préjudice du prochain,


Telle est notre esperance; et elle se réalisera, car,
• apres le christianisme, l'humanité marche bril-
• lant d'une nouvelle jeunesse j il est un terme
• auquel elle est certaine qu'eUe doit arriver, le pré-
e sent répond de l'avenir••


1849. - ]855.




XYIII


GRAVE QUESTION DE DROIT MARITIME
LE TRE~T et le SAN JACINTO.


1
c. qul préc'da la captur. d•• coDUDi.salr•• du Sud.


Deux vaisseaux confédérés, le Theodora et le Nash-
ville, réussirent a forcer le blocus des ports du Sud:
le premier, pour conduire a Cardenas, dans l'ile de
Cuba, MM. Slidell et Masan, les commissaires; le
second, pour canduire en Angleterre le colonel
Peyton, el pour recevoir une forme plus appropriée
aux usages de la guerreo


Voyons d'abord quelles Iurent les prouesses du
Nashville. Ce vapeur de 1,120 touneaux, commandé
par le capitaine Peagrim, avait un équipage de
80 hornmes, presque tous anglais, et était armé de
deux canons rayes de 12. Il se trouvait, le 19 novem-
hre 1861, al'entrée de la Manche.


Le mérne jour, le Harvey-Rirch, capitaine Nelson,
portant pavillon de l'Uníon, faísait route vers New-
Yorl"


'21




- 242-
Le capitaine du Nashville fit au Fla'l'vey le signal de


faire halte. La lutte, trop inégale, était írnpossible. Le
capitaine Nelson obéit, passa ú Lord dn Nashville et
y recut I'ordre de transporter tout son monde, 2D per-
sonnes , sur ce navire, Ce deuxierno ordre une fois
exécuté , le capitaine Peagrim fi t mcttre le feu au
Harvey-Rirch, qui fut bientót rcduit en cendres.


Tout l'équipagc, y eompris le eapitaine Nelson, fut
mis aux fers clans la cale du Nashoille, qui traversa le
détroit et arriva, le 21 n01'o111L1'e, aSoutliampton, oú
il remit en liberté l'équipage du Harro].


Le capitaino Nelson s'adressa aux autorités de
Southampton, les priant de faire donner la chasse au
Nashville, dont le capitaine lui avait volé ses effets,
ses livres, etc. Les autorités rejeteront sa pétítíon et
lui conseillerent de s'adresser au secrétaire d'~tat.


Lord John Russell, informé de l'affaire, la soumit
al'examen des Conseillers de la Couronne.


Pendant ce temps, la presse anglaise, le Times en
tete, mettant de coté la discussion d'un cas aussi
grave,-oubliant que ce fait est contraire a la fa-
meuse proclamation de la Ileine et aux lois anglai-
ses, - eut recours a un sophisrne de distraction,
disant qu'un navire unioniste , le James-Adjer, par-
courait aussi les cotes d'Angleterre dans l'intention
de donner la chasse aux bateaux-poste de la malle
royale , que ron supposait devoir conduire les corn-
missaires du Sud.


Ce n'était évidemment pas la question, puísque




- 243-
l' Adje?' était accusé d'uno intention d'atlaque, mais
non d'un fait réel; ce n'était que dans le cas oú ce
Iait serait exécuté que l'on devrait cxaminer s'il était
légal ou non, et dans la supposition mérne 011 cette
attaque s'effectuerait, cette facón d'agir ne pouvait
légitímer la violence du Nashmille.


La quesLion était done eelle-ci: 10 le Nashvillc avait
á son bord, pOlll' Je transportar en Angleterre, un co-
Jonel de l'armée du Sud, venant en Europe avec une
mission miliLaire; 01', un soldat de ce grade, chargé
d'une mission de cette nature, est réputé contrebande
de guerre i 2° le Nashville venait aSouthampton dans
le hut de recevoir des amélioratíons pour les usages
de la guerre; 3°le capítaine du Nashville s'était rendu
coupable d'un attentat horrible dans les eaux de la
Grande-Bretagne, au grave détriment des intéréts et
des droits des Élats du Nord.


Mais le gouvernement anglaís se horna a envoyer
un vaisseau de sa marine de guerre, le Phaeton, pour
donner Ja chasse it Jamcs-Adjcf.


Voilá ce qui constitue un acte injusto et blámablc,
une violation de tout principe de neutralitó,


II


Le Trent et le San Jaolnto.


L'attenlat du Nasluiillc avait été commis lorsqu'ar-
riva en Angleterre la grave nouvelle de la prise ahord
du Trnu, naviro de Ja malle royale, de ill~r. Slidell




- 2H-
et Masón, commíssaíres envoyés par le Sud pres des
cours européennes, pour Iier avec elles des relations
diplomatiques,


Lorsque les commíssaires arriverent a la Havane,
le consul anglais, résidant en cette ville.Ies presenta,
en grand uniforme, aM. le capitaine général de l'Ile,
en déclinant le caractere diplomatique de ces mes-
síeurs. Voilá déjá un fait grave pour le gouvernement
anglais, qui ne désapprouva pas la conduite de son
agent commercial.


Les commissaires arrivent a Saint-Thomas, s'em-
barquent ti. bord du Trent, et le 8 novembre, le San
Jacinto, vaisseau de guerre américain, apercoit le pa-
quebot anglais; il hisse son pavillon , tire un coup de
canon apoudre, puis un autre aboulet; le Trent Iait
flotter aussi son pavillon et met en panne.


Le capitaine américain Wilkes se rend ti. bord du
Trent avec dix marins, et demande qu'on lui livre
MM. Mason et Slidell, ainsi que leurs secrétaires ; le
commandant anglais proteste, maís il cede devant la
force, et les commissaires sont transportes abord du
San-Jacinto, 011 on les traite avec toute espece d'é-
gards. ,


Le capitaine Wilkes a adressé au ministre de la
guerre une lettre dans Iaquelle, s'appuyant sur plu-
sieurs autorités, telles que Wattel, Kent, Wheaton,
il souticnt la régularité de son procédé, Les popula-
tions recoivent triomphalement M. Wilkes, la Cham-
bre des représentants de Washington lui vote des 1'e-




- 245 -
merciemenls, et le gouvcrnornent envoie les prisou-
niers dans une íorteresse fédérale.


III


Apres cette oxposition du Iait, se présentent les
questions suivantes :


1° Le gouvernemont de 'Washington, considérant
les Etats du Sud cornme rebelles, a-t-ille droit de les
poursuivre hors du territoíre et des eaux de la na-
tion ?


2° Un batean-poste, alors rnéme qu'il appartient a
la marine royale, jouit-il des priviléges d'un navire
de guerre?


3° Un navire, soit de guerre, soit de commerce,
Iait-il partie du territoire de la natinn ? Le capitaíne
du Treiu, en yerta de ce príncipe, a-til observé les
devoirs des neutros en adrnettant tl son bord 1DI. J\Ia-
son et Slidell, connaissant le caractere puhlic dont ils
étaient revétus '(


4° Les agents diplomatiques doivent-ils fígurer
parrni les articles dits contrebande de guerre '(


5° Les neutres peuvent-ils transporter les personncs
et les hiens de l'ennemi, d'uu port neutra aun autre
port neutra '?


6" Quels sont les príncipes quo I'Angleterre a pro-
clames en cotte matiere ? Quels précédents a-t-olle eta-
blis '(




-No -
70 Convienl-il d'intrcduire des modifications dans


le droit maritime ?
Quant a la premiero question, I'allégation de ce


Iaít que le gouveruernen t do Washington a consideré
los États du Sud cornme rebelles est le plus Iort ar-
gument dont M, Thouvenel se soit servi dans sa note
au ministre des affaires étrangeres des États-Unis.
Mais cet argurnent perd toute sa force quand on sait
que, des le commancement de la lutte, l'Anglcterre, la
France, l'Espagne et toutes les nations du continent
ont rcconnu aux Élats du Sud la qualité de helligé-
rants. La question actuelle ayant un caractero inter-
national, on doit alléguer non point la maniere dont
le gouvernement de 'Washington peutjuger ses ques-
tions de poli tique in térieure, mais la facon dont les
puissances ótrangeres ont determiné le caractere de
la lutto. Si le gouvernement anglais qualifie cette lutte
de guerre civile, et s'il s'est déelaré neutro, il doit ob-
server les regles de la.plus stricte neutralité. D'autre
part, l'argurnent invoqué voudrait dire que le gou-
vernernen t de Washington abandon nait son juge-
ment prirnitif sur le caractere du conf1it entre le Sud
et le Nord.


Par la seconde question , il est évident, et personne
ne l'a mis en doute, que les vaisseaux de guerre neu-
trcsjouissent seuls du privilége de n'étre pas abordés;
mais un batean-posta, quoique d'origine, de nom et
d'usages modernes, n'en est pas moins assimilable
aux autres navires ordinaires,




- 247-
Le troisiéme point, conformément aux príncipes


les plus élémentaires du droit des gens, ne peut avoir
qu'une solution contraire au capitaine du Trent. Ce
capitaine savait que MM. Masón et Slidell avaient recu
le titre d'agents diplomatiques du gouvernement des
IbaIs confédérés 1 que ces messieurs portaient des
dépéches importantes, que leur mission était hostile
aux Etats dn Nord, elc. Ces circonstances, jointes a
celle deja énoncée - que le consul brítannique a la
Ilavane avait moutré lant de sollicitude pour les corn-
missaires, parlent tres-liaut contro le capitaine dn
Trent.


Le quatrierne point esl un des plus graves de celte
discussion; mais, suivant les príncipes proclames et
pratiqués 'en Angleterre et dans plusieurs autres
Etats importants du continent, il est hors de doute
que les représeutants d'un I~tat doívent étro consi-
dérés comme controbande de guerre, puisque l'on
considere comme tello los dépéches et les personnes
utiles ü la cause de l'un des belligérants. Un repró-
sentant diplornatique u'est-il pas une serie de depe-
che vivantes '! Est-il une personne plus utile, en cer-
tain cas, al'un des hélligerants, que celle en laquelle
il a mis sa conñance.á laquelle il a donné des in-
structions et des pouvoirs étendus?


Le cinquieme point est resol u négativement par
ee que nous aJlons exposer plus baso Mais son irn-
portance est capi tale dans la question que nous dis-
cutons; cal' l'endroit nentre 011 étaient transportes




- 248-
ces cornmissaires était le territoire européen , centre
de toute es pece d'éléments utiles, indispensables
méme, aux États du Sud, soit pour les relations ínter-
nationales, soit pour les articles de guerre de toute
natura.


Passons 11 ce qui forme l'élément essentiel de la
question: Quels príncipes l'Angletcrrc a-t-elle procla-
més? quels précédents a-t-elle établis?


IV
Proolama\lon des Prlnclpsl, - Au\oritéa.


Commencons par les proclamations oííícielles :
sans remonter bien haut, cal' l'énumératíon serait
trop longue, prenons une époque réeente : en 1854,
apres la déclaration de guerre 11 la Russie, la Reine
fit publier une proclarnation disant :


• Il est impossible a Sa Majestó de renoneer a
• l'exercice de son droit de s'emparer des articles de
• eontrebande et d'empécher aux neutras le trans-
• port de dépéches pour l'ennemi. »


Nous le répétons, un ministre plénipotentiaire
est-il autre chose qu'une série de dépéches vivautes '?
Ne pol'te-t-íl pas des dépéches de íout genre?


AUTORITÉS ANGLAISES. - Nous les citerons sans ob-
server I'ordre chronologique.


Le docteur Philmoro, avocar prlvé du conseil de
la reine, dans son dernier volume : Cotnmentaires SU/'




- 249-
les lois iniersuüionau», soutient " que les croiseurs
« des parties helligérantes ont le droit de visiter,
• d'examiner les navires et les chargements des
• neutres, quelle que soii leur desunaiion. "


IJ ajoute ensuite :
« Le transport des choses on des personnes au seroice


CI des porties belligérantes est une oiolation. dn principe
• de la neusralit« elautorisela confiscation, SANS EXCEP-
• TER LES D1':Pl~CHCS NI LES ronruuns DE DÉPEClIES
" ADRESSÉES A UNE PUISSANCE NEUTI\E. J)


II au ailleurs :
« Toute cornrnunication oíílciolle faite aune puis-


, sanee neutre, au sujet des affaires d'une des par-
« ties belligérantes, a toujours un caractere d'hosti-
• lité et peut étre consülérée comme cont¡'ebandc de
fl guerre, paree qu'au moyen de ces communica-
• tions Oll peut aider ou affaiblir les opérations des
fl belligérants.•


Ceci est clair, évident, Aínsí, en jugeant la ques-
tion d'apres les príncipes professés en Angleterre, ]e
gouvernement de Washington était dans son droít
endonnant au commandant du San Jacinto les ordres
qu'il lui donna.


Sir William Scott émet une opinion identique él
celle de M.Philmore, et M. Jeckinsen, plus tard lord
Liverpool, a professé Ia méme doctrine. Le ch'uncelier
Kent asoutenu la mérne these , mais nGUS ne voulons
pas nous appuyer sur son autoritó.


Un des chefs les plus íllustres du partí tory, lord




- 250-
Robert Montagu, soutient que l'acto du commandant
du San Jacinto est legal, n'oubliant pas, dit-il, qu'il
est conforme aux principes proclames et aux íaits
pratiqués par l'Angleterre, qui, en1812 et 1842, re-
poussa les propositions da gouvernement de Wash-
ington pour I'aholition dn droit barbare ele visite.
Lord Montagu soutient que le gouvernement fédéral
a le droit de capturer ses ennemis, méme SOtiS pavil.
lon neutre, paree que ce pavillon ne peut favoriser la
contrebande de guerre, el ql¿'Ltn duirqcnicnt de txnüeu
et de poudre ne peut pas (aire plus de mal a1tn bellif]s-
rant quedeu» ambtisstuieurs qui vont sotliciler contre lui
l'appui de nations puissasues,


Le célebre jurisconsulte anglaís M. Edwin James
défend la mérne tbéorie. Des doctrines identiques ont
été soutenues, il y a quelque temps, par l'illustre
M. Reddie, dans son ouvrage intitulé: Recherches
historiques et critiques sur la loi maritime internatio-
nale.


Le fils da grand Peel, qui a rang de ministre, et
memhre du Parlement, dansundiscours qu'il adressa
él la fin de décernhre 18G 1 aux électcurs de Burg,
soutient la légaJité de la capture de 1\IM. Mason et
Slidell, mime dans lecas oi: ils seraient seulement sup-
posésrebelles. M. Peel ajouta: - 11 Il Y a trois ans, le
• gouvernement anglais aurait voté des remercie-
I ments au corumandant d'un navire anglais qui au-
• rait fait prisonnier Nana Sahib, mérne] á bord d'l111
• vaisseau neutro. D




-;2;)1 -
Le Globe a soutenu chaleureusement la légalité et


la légitimíté de la capture des commíssaires du Sud.
Le lristuntui du 14 décembre 1861 a défendu la


mémo these que le Globe. Ce [ournal a affirmé que
depuis quelque temps l'Angleterre méditait une at-
taque contre les Élats du Nord, dans le seul but de
tirerdu Sud le coton dont elle a hesoin,


Il est inutile de dire que wauol, Bello, \Vheaton,
M. Ortolan, Kent, M. Irautefeuille, etc., défendent plus
ou moins explicilement la mérne doctrine. Nous n'a-
vons voulu rapporter ici que les expressions con-
cluantes des publicistes britauniques.


En Franca, plusieurs journaux, tels que le Journal
dcs Débtus, le Journal tlu. Haore, l'Opinio1Í Nationale, le
Pharede la Loire, et El Bruxelles l'Indépendance belgc,
ont plaidé en faveur du capitaine Wílkes. Le Journal
du Havre a dit :


« Étan] convenu que les dépéches des beIligérants
• sont comprises dans ce que ron appelle contre-
• bande de guerre, on se demande comment les por-
• teurs de dépéches, qui sont eux-mémss des helligé-
• rants dans l'exercice de leurs fonctions, pourraient
« étre couverts par le pavillon neutre á l'ombre
« duquel ils se sont places .


• 1HI. Masen et Slidell étaient en route pour venir
1< chercher en Europe des renforts bien plus décisifs
" pour leur cause que toutes les munitions deguerre
« que pourraient faire arriver á I'ennerní les quelques
« navires assez heureux pour forcer le blocus ala




- ~S2-
• sorne OH a 1entrée des pórts mis en interdit par la
• Ioi de la guerreo 11


v


Éllumération de précédentB.


Voyons mamtenant quelques faits pratiqués par
I'Angleterre :


Le gouverncrnent anglaís, en 1812, eut rccours
aux armes mérne, pour soutenir le droit qu'il s'est
arrogó en vertu des principes qui précedent, et ne
peut, en 1861, trouver injustifiable de la part des
États-Unis ce qu'il croyait saint, bon et néccssaire
en 1812. A colte époque, los croiseurs anglais ont ar-
relé et abordé les navires americains pour s'emparer
des marias anglais embarques á hord de ces navíres;
plus tard, le gouvernernent anglais a reclamé pour
ses croiseurs le droit de s'ernparer des personnes eles
Américains c1u Nord él bord dos vaisseaux neutres.


Il est un autre fait rúcemment pratiqué par les
vaisseaux de guerre de la GrandoBretagnn, applaudí
et soutenu par les cabinets ayant ponr chefs lord
Derby et ensuite lord Palmerston, - fait scandaleux,
unique, et que nous avons consigné dans des écrits
intitules • La Force et le Droit ; -l'Angletcrre et le
Paraguay. »Rappelons en peu de rnots col acto de pi-
raterie :


En 1859, le vapeur national du Paraguay nomrné
le Tacuari avait a son hord le général Francisco 80-




- 253-
lano Lopez, fils du président du Paraguay, allant de
Bueno-Ayres it Parana, pour y remplír une noble
mission consistant it proposer les bases d'un arrange-
ment entre les provinces srnurs qui se faisaient la
guerreo Une question (Iue nos lecteurs connaissent
était pendante entre le Paraguay et 1::1. Grande-Brc-
tagne, question dans laquelle le droít etait du coté
du Paraguay. JI n'y avait ni gucrre , ni cause do
guerre entre les deux États, unís par dos traites de
paix, de navígation et ele commerco. Malgró cela, le
Buxzará ct le Grappier, de la marine britanniqua,
suivent de prcs le Tacuari , tirent sur lui et cher-
chent par tous les moyens a s'emparcr do la per-
soune du ministre paraguayon.


Il faut noter dans ce cas 18s circonstances aggra-
vantes qui suivent : 10 Le Tacuari était un vaisseau de
guerre du Paraguay; 2" il avait ti bord le représen-
tant d'une puissance qui élait en paix avcc l'Angle-
terre, el ce représenlant allait remplir une mission
d'humanité ; 3' le Tncuari se trouvait dans les eaux
el'unÉtat neutre; !10les navires agresscurs apparte-
naient a la marine royale anglaise.


Eh bien I que firent lord Derby d'abord ct lord
John Russell ensuite'! lis applaudirent et approuve-
rent la conduite des commandants du Buzzcrti et du
Grappter ...


De quel droit viennent-ils done s'clever aujour-
d'hui centro la conduite du San Jacinto, plus fondee
et moins violcnte ?




- 2;)1 -
Parmi les faits assez rapprochés ele l'hístoire hri-


tannique, il en est un qui a une grande analogie avec
celui du Trerü, et n'en diffcre qu'en ce qu'il est plus
odieux. C'était en 1780; l'Amérique anglo-saxonne
se trouvait en pleine insurrection contre la métro-
poleo Les provinces soulevées avaient envoyé en Hol-
lande M. Henry Lorens avec mission d'obtenir que
les nouveaux États fussent reconnus. L'illustre COID-
missaire quitta eL la Martinique le hrigantin Atlruuui
ets'embarqua sur le Jfercure, batean-poste hollandais.
Le 14septembre 1780, trois j ours apres avoir quitté
le port, le 1Jfereurefut abordé par le croiseur anglais la
Vestale, dont le commandant s'empara du commis-
saire, de son secrétaire et de ses dépéches, et les con-
duisit a Londres, Le Mercure fut également déclaré
de bonne prise, et le capitaine hollandaís fait prison-
uier.i--Ce précédent ne parle-t-i! pas en Iaveur du
gouvernement de M. Lincoln '(


Mais, de nos jours mérne , postérieurement a l'af-
faire du Trent, il s'est P;:ffé en Italia un fait bien
étrange, et que nous devous consigner ici : c'est lo
transport de soldats bourhonniens par des navíres
anglais, de Malta ala Basilicate et aux Calabres. Le
cabinet de Turin a demandé á ce sujet des explications
au ministre anglaís, M. Hudson, quia répondu:


• Le transport et le débarqucment d'aventuriers et
« de munitions doit étre consideré comme un acte
« de piraterie. En conséquencc, les croiseurs italiens
• peuvent capturar ces navires anglais, les couler,




- 255 -
« juger et fusiller les hommes quí se mettent aínsi
« sous la protection du pavillon anglais. »


Ce fait est consigné dans plusieurs journaux ita-
liens, el mérne dan s le Jlfonitwr de l'Empire.


Est-il assez concluant ?
Voicí un autre fait :
La España, voyant combien les Anglais ont été


irrites par l'attentat commis centre leur pavillon par
un vaisseau américain, rappelle en ces termes un
attentat analogue, commis par los Anglais au com-
mencernent de ce siécle :


« Le 5 octobre 180 '¡, quatre frégales de la marine
« royale espagnole, la Medea, la Fama, la Clara et la
• Mercedes, venant de Buenos-Ayres et de Lima, Iai-
« saíent voile vers l'Espagne. Elles étaient sous les
• ordres du chef d'escadre don José de Bustamente y
• Guerra; leur équipage était loin d'étro au cornplet,
« cal' l'Espagne n'était en guerre avec aucune puis-
fe sance, avec l'Angleterre moins qu'avec toute autre,
« Elles portaienl un chargement de quatre millions
(( sept cent tronte-six mille cent cinqnanle-trois pías-
fe tres, el divers produits précieux. A la hauteur du
• cap Sainte-Marie, elles rencontrerent quatre autres
« Irégates anglaises d'une force supérieure, avec des
fe équipages nombreux et choisis.


« Une des frégates anglaises tire un coup de canon
« á boulet, intimant ainsi aux Irégates espagnoles
« l'ordre de faire haIte; celles-cí s'arrétent, et un
fe envoyé du commandant anglais vient leur ordon




- Z;JG -
ner de sui vre les navires anglais, en qualité de


• prisas, aux ports d'Angloterre. Le chef espagnol
• rópond dignement; on entamo des riegociations
" pour chcrchcr nn moyen de sortir lionorablement
(1 el pacifiquernent do co conflit ótrango el im prévu,
• et lorsque , apres uno hcure de confórence , Jos
(1 officiers espagriols se tcnaiont sans aucune dé-
l' fiance sur le pont de lours navires, s'entendant sur
" les moyons les plus cnnvenahlcs pour n'avoir pus
« rccours aux voies ele la violcnce, les quatre frega-
(1 tes anglaises lúchent tonto Ieur bordeo sur les fró-
• gates espagnoles, endommageant gravemcnt lcurs
l. coques et les mettaut ainsi dans I'ohligation de se
• défendre .


• Le cornhat dura plus d'une honre el se termina
" par uno horrible catastrophc : la Ncrccclcs sauta,
" avee plus de ~lOO hornrnes déquipage, qui périrent
" par I'explosion ou se noyerent dans los flots. Ce
(1 navire portait la fa III illo du cornmandant d'une des
" nutres frégatcs, son ('pouse, scpt ouíants et deux
" neveux , - lous perireut, Les trois antros frégatcs
« fnrent prisas et conduites en Angleterre : le chef
11 d'escadre Bustarncnto protesta centre cet acte de
« pirate-ie , mais tout Iut vain : les morts ne furent
« point rappeles ú la v.e, les millions veles ne furent
« point rendus, les navires iniquement captures no
• furent point restitnés. »


On voit done qua le fait exéculé par lo San Jacinto
n'est ni le prcrnicr ni le plus grave de ccux elece genre.




- '257-
Les preceden ts SOIlt tr-llcrnent nombreux du coté


de la Grande-Bretague , que les jurisconsultes de
I'Amérique da Nord etles represen tants du peuple ont
pu dócider avec raison que la capture de 11.\1. Masón
et Slidell a éte légale.


VI


Demandes de l'Angleterre. - Concessions du gouvernement
de Washington.


Le gouvcrnement anglais ouhliant les príncipes
qu'il a toujours proclames et les faits dont il a
été I'auteur , voyant l'Union d'Amérique, qu'il a
flattée jusqu'á I'humiliation , se débattre dans une
crise violente, désirant tirer du Sud le coton dont
ses fabriques ont besoin, -n'aelmit pas et ne fit pas
connallre la note concilian le qui luí fut adressée
des le debut du conflíl IJar M. Seward, ministre des
affaires etrangercs des I::tats-Cnis; - i! eleva la voix
el donna orelre él I'ambassadeur anglais d'exiger :
10 que le gouvernemcn t arnéricain désavouát et
censurút la conduile du capitaine du San Jacinto;
20 qu'il donnát les satisfuctions les plus complotes j
3° qu'il mit en liberté les quatre voyageurs arrétés a
bord du Trcni ; /1 0 qu'il les indemnisát convenable-
ment , La guerre devait rósultcr du rcfus d'accéder él.
ces demandes, el I'organe elelord Pahuerston , le ilJor-
nilllj Post, menacait tous les Sau Iaciruos de l'Amérique


Z2.




- 258-
du Nord d'étre balayés des mers par l'escadre an-
glaíse.


Le gouvernement de 'Washington, avant de savoir
ce qu'exigeait celui d'Angleterre, rccut diversos notes
de gouvernements amis, tels que ceux de Franee, de
Ilussie, etc., l'engageant él rnettre les prisonniers en
liberté.


Le gouvernement américaín aurait pu accepter la
guerre en signant la paix avec les États du Sud et je-
tant ses 500,000 soldats surle Ganada. La guerre ma-
ritime aurait été terrible; cal' si l'Angleterre a une
marine de guerre formidable, les Éta:s-Unis peuvcnt
armer en course des milliers de vaisseaux marCn:ands
et faire un mal immense au commerce anglais,


D'autre part, les Etats-rnis ont dans leur territoire
tout ce qui leur est ueccssaire, tandis que l'Angletcrre
a bcsoin de prcndre au dehors les deux tiers des balles
de cotun que ses íahriques cmploient. La guel're so-
rait sans doute une calamité pour les Úats-Unis;
mais pour l'ángleterre, elle so traduirait par la ces-
sation d'un travail qui Iait vivre au moins dix millions
d'ouvriers, Ajoutez acela que l'Irlantle pourrait se-
couer le joug, et aider les millions de íreres qu' elle a
de 1'autre coté de I'Atlantique, comme eHe serait aidée
par eux.


Le gouvernement de 'Washington voulut cepen-
dant donner unepreuve de modération, et sa con-
duite Iut d'accord avec ses antécédenls. En des cas
semblables, d'autres nations ne crurcnt pas se d05-




.._- ZS9 -
houorer en cédant : quand le croiseur anglais le
Leopard attaqna le Scheesapeaue, navire de l' Amérique
du Nord, pour s'emparer de quelques déserteurs, le
gouvernement américain demanda des explications,
et I'Angleterre désapprouva la conduite de l'amíral,
le destitua et paya les indernnités requises.


Dans une autre occasion, le prince de Joinville
s'ernpara d'un pilote a hord d'un vaisseau anglais;
le roi Louis-Philippe désapprouva la conduite du
prince et adressa á la reine une lettro autographe,
dans Iaquelle il faisait amende honorable.


Le grave conflit anglo-américain se termina done
d'une maniere pacifique, lorsque deja l'Angleterre
avait Iait des dépenses immenses et tout preparé
pour une guerre prochaine. Le gouvernement de
'Washington consentit arendre les prisonniers Iaits
abord du Trcnt, et ú les transporter en Angleterre, a
hord ~n vaisseau íédéral. Cene solution, ú laquelln
nous avons cordialernent applaudi, tourne 'au proflt
de la cause des príncipes, de I'hurnanite et du com-
merce.


Les journaux anglais, et 11 leur tete le Times, ont eu
le mauvais goút de parler de l'humiliation qu'ont
subie les États-Unis; mais, bien loin de s'humilier, il
s'éleve tros-haut l'individu OH le gouvernement qui,
en dépit des insinuations de l'orgueil, agit conformé-
ment a la justicc. L'hurniliation fut pour I'Angle-
torre, dans le départ de son ministre plénipotentiairo
el surtout dans le langage tenu par le Times.




- 2GO -
Mais venons au principal. On dit, et cela est tres-


eroyable, que la bello noto de JI. 'I'houveriel eut une
grande influenco sur la dócision du gouvernement de
Washington : ce qu'il y a de positif', c'cst que le
ministre des affaires étrangeres de jI. Lincoln dcmon-
Ira que les États-Enis pouvaient íacilcment restituer
les prisonniers : 10 pnrce que le commandant du
San-Jacinto avait agi sans ínstructions: 20 paree que
la réclarnation de l'Auglotcrre étaít d'accord avec les
príncipes du gouverne1ll8nt amóricain, qui trouve,
en 1201, un précédcnt justiflcntif do sa résolution
actucllo. Ainsi clonc ce gouvememcnt humillé, au
Jire du Times, triompho an contrairc , cal' il fait
reconnaítro solcnncllomcnt par l'Auglcterro la saín-
teté des droits des neutros.


La. décision du gouverucment fnt bien accueillie
par le pulilic óclairó UCo ]::ta1s du XOl'l1.


En fin de compto, c'cst I'Angletorre qui a perdu
dans tonto cet:c affaire ; car, si e!lt~l u]JiOl1U la rcsti-
tution des quatrc personnagcs qui {!laielJt ú Lord du
Trent , elle no pon rra Il1US, á l'n venir, cammettre
d'actcs contraircs aux droits des neutros. - En outre,
cornme le declarent les journaux de Londres, elle
avait armó mille navires de 120,000 marins et 12,000
canons l - Elle avait cnvovó d-s troupes aux Ber-
mudes, au Cauadu , clópenó'ó dos somrnes imrnenses.
- Elle a oblcnu la restií ution des prisonniers, mais
ello y a pcrdu un de ses r(~H'S lc'~, plus ehcrs, et 1'hu-
uinnitó r a gar,u6 la ccusccration rl'un príncipe.




- ;261-
Cepondant le Neu» r01'7; Timesdit que la guerre entre


lAngletcrre et les lttats-ljnis n'est que différce, cal'
il reste la grande question de la reconnaissance des
1::tats du Sud. Lo ;:jomernement de -Washington ne
tolérera pllS que l'Angletorro suivo cette poli tique.
Nous n'avons aUCUIle sympathie pour les États du
Sud; maís, conséquents avec les principes , nous
devons dcclarcr (1uele Sud ayant manifesté la volonté
de se séparcr, ét~li }1Il gouvernemcnt qui fonc-
tionne régulierement, ayant des revenus, une ar-
mée, etc., la question est ú déhattre entre les 1ttaLs
du l'\ord et ceux du Sud; mais les nutres nations ne
peuvent que reconnaitre le gouvernernent de fait.
Cette pratique a été suivie aI'époque de la guerre de
I'indépendance des colonies anglo-saxonnes et 101's
de la guerre d'índépendancc des États de l'Amériqns
latme.


Suívant les révélations dn Daily·Ncws, le cabinet
hritannique aurait pu, des le commencement du con-
Ilit, évíter I'anxiétó qui a rcgné, mis en danger heau-
coup de capitanx, et obligó l'Angíeterrs adépenser en
arrnements, en navires, en enrólements, etc., plus
de trois millions de Iivres sterling. En effet , le
ministre de l' Arnérique du Nord ú Londres) M.Adams,
cornmuniqua au Foreign-Oifice une dépéche tres-
pacifique du ministre eles affaircs étrangeres de
l\f. Lincoln , dcpúche dans Iaquclle il ctait dit que le
commandanL du San-Lacinto avait agi sans instruc-
tions, et que le gouvcmernent de Washington espé-




- 262-
rait que le gouvernement de la Iteine eonsidérerait
eet aete sans prévention aueune, puisque, pour sa
part, le cabinet américain était animé des meilleures
dis positions.


Pourquoi done le Morning-Post, organe de lord Pal-
merston , puhliait-il, le 2 déeembre, un artiele belli-
queux? pourquoi faisait-on tant de préparatils de
guerre? Est-il done vrai que le gouvernement anglais
désire la guerre avec les États de I'Union?


Le Moming-Post, pour se justifier des aeeusations
du Daily-News, alléguait que la dépéche de 1\1. Seward
était, non pas un document officíel, mais une note
confidentielle !


VII
RéformeB .. raíre,


Nous avons, dans cette qucstion, soutenu le gou-
vernement des États- Unis, conformémcnt aux prin-
cipes en vigueur, et qui ont été surtout défendus
chaleureusement par l'Angleterre. Mais, en these
générale, nous ne soutiendrons jamais qu'il y ait
justice absolue et eonvenanee ace que le méme ordre
de choses existe eonstamment. Non; tout autres
seront a l'avenir les principes dn droit mari time ,
cal' les idées qui dérivent de 1¡1 eivilisation actuelle
sont toutes différentes.


En premier lieu, il faut qu'un parfait accord entre
."




- 263-
,


les nations détcrmine, d'une maniere claíre et pré-
cisc, ce qui constitue la contrcbande de guerro, n'ap-
plíquant ce nom qu'aux articles qui servent spéciale-
ment aux usages de la gnerre.


Depuís la conclnsion dn traite de commerce d'U-
trecht, entre la France et la Grande-Bretagne, con-
firmé par celui de 1768, depuis les déclarations de
la Russie an sujet de la neutralité armée, - les trai-
tés et les conventions postérieurs ont continué d'éta-
blir une liste indéfinie d'articles de contrehande
de guerre. Lors de la derniere campagne d'Italie, en
1859, le gouvernement francais cut la gónéreuse in-
spiration d'éliminer quelques-uns de ces articles, tels
que le charbon, du catalogue de la contrebande j
mais, en définitive, cette légere réforme n'a été intro-
duite que par la Frunce et pour la Franco, et ne lie
aucun autre État.


Il faut, en outre , -l'humanité et les intéréts du
cornrnerce l'exigent, - que le systérne des lettres de
marque soi t aboli ; il faut proclamer ce grand prin-
cipe - que la guerre marítimo ne doit exister á l'ave-
nir qu'entre les vaisseaux de guerre, le commerce
restant cornplétement libre pour les vaisseaux en-
nemis comme pour les vaisseaux neutres.


11 Iaut que le droi 1 de la guerre dan s les luttes ma-
ritirnes sui ve les progrés qu 'a fai ts le droit de la guerro
dans les lultes continentales.


CeLte reforme en implique une autre aussi impar.
tante: la déílnítion claire et nette de ce que l'on en-




- 264-
tend par blocus efTectif; les déclarations du congrés de
Paris méme laissent encore cette questíon dans le
vague, ou elle a toujours été. Le mcilleur serait que
le blocus ne fút jamais admis que pour les ports mi-
litaíres.


1861.




XIX


CARACTERES DES RACES PREPONDERANTES.


KATIOKALITÉS.


1


On parle beaucoup aujourd'hui des Taces, do leur
influence, de leur antagonismo radical, de leur pro-
chaine fusion et de mille autres ahstractions.


En premier lieu, il ne faut pas confondre les races
proprement dites et les sous-races avec les nationa-
Iités, Les premieres sont l'muvre de la nature; les
autros naissent des divers actos de la puissance hu-
maine.


Blumenhach énurnere cinq races humaines, qui se
divisent en une inflnitó de sous-raees; ce sont : la
race caucasique ou blanche , l'éthiopique ou noire, la
mongolique ou jaunc, l'ainéricaino ou rauge, la ma-
laise ou noir-jaune, On peut dire que les deux gran-
des sous-races sont l'américaine, qui se confond pres-
que avec la mongolique, et la malaise, qui tient de la
mongoliquo et do la caucasíque.


La grande diílerenco entro les races, ce qui leur
donne une supóriorité relative , ainsi que I'ont dé-


ss




- 266-
montré Buffon et le secrétaire perpétuel de l' Acadé-
mie des sciences de France, ce n'est pas l'ovale plus
au moins prononcé du cráne, ni la plus ou moins
grande quantité de pigment que chaque individu
peut avoir entre l'épiderme et le derme ; ce sont
d'autres circonstances extérieures : l'influence du
climat, les aliments, les mrnurs. Cette vérite, énoncée
par Buffon, a été prouvée par Lamarche.


Mais ces éirconstances extérieures peuvent se mo-
difier et se modifient : il est facile de le comprendre
quant aux aliments et aux rnrnurs. Quant au climat,
s'il ne peut changer, son action surles hommes peut
recevoir des modifications.


De toutes ces races, la premiere est, sans doute, la
caucasique : elle n'a été, dit Lamarche, soumise ni
gouvernée par aucune autre race ni sous-race. Elle a
excellé dans les sciences et dans les arts ; elle a préché
et propagó l'idée d'un Dieu unique, créateur et rému-
nérateur; elle a produit Moíse, Jésus, Mahomet¡ elle
a constitué les gouvernements les plus réguliers.


Mais pour le philosophc chrétien , toute cette no-
menclature de races est de peu d'irnportance: La
grande vérité révélée et propagée par le christia-
nisme, c'est que l'hommeest doué de facultés égales,
qu'il a une mérne origine, qu'il aura une méme fin;
- que tous les hommes sont égaux en droits, paree
qu'ils sont soumis aux mérnes devoirs. II n'y a qu'un
Seigneur Dieu, et devant lui toutes les créatures sont
égales, tous les hornmes sont freres.




- 267-
L'époque des questions de races est passée : elles


ont fait leur temps ces idées des philosophes el
publicistes paíens, qui prétendaient que certaines
races devaien t étre sous la dépe~dance de certaínes
autres, La justice a rom portó millo triomphes sur la
force, et dan s un avenir qui n'est pas éloigné, la
grande et féconde idée qui a triomphé dans les farnil-
les triomphera définitivement parmi les nations au
sein de l'humanité.


L'homme intolligent, sensible et libre, est maítre
de lui-rnérne : il se doit aDieu, devant qui il est res-
ponsable méme de ses plus secretes pensées; il a des
devoirs envers sa famille, envers ses semblables,
envers la société dans laquelle il est né et devant
laquelle il est responsable de ses actes extérieurs.
• Intelligence servie par des organes • el animée par
des passions, il a une mission élevée a remplir dans
la grande tache de l'humanité,


Lamarche dit, avec autant de raison que d'éclat :
• A quelque race que les homrnes appartiennent,


« ils sont tous, sauf le cas de maladie individuelle,
• doués do tous les grands attributs particuliers a
• l'espece humaine : le sentiment religieux , la.
• pudeur, le sentiment de la famille, celui de la pro-
• priété transmissíble de pere en fils ; la parole et les
« langues, I'education, le calcul et les sciences, le
• don de diriger le feu, de fabriquer les instruments
" pour supplccr á I'insuífisance dos Iorces musculai-
o res, les arts d'irni tation, onfin la conscience, oú vit




- 268 -
• le sentiment d'une rcsponsahilitó d'outre-tombe.
• C'est de ces cttrilnus C01Jl11WnS, quoique culticabíes a
« des degrés difiáenls, que résuitcnt les droits uénéraux
« C011WIW1S atespece, d'ou dcrivout ensuite les droits
• poli tiques particuliors Ú chaqué nafion. })


Il ri'est aucun príncipe de gouvrrncmont libre, de
droit civil, penal et poliriquc, de droit international,
qui ne soit contenu daus la thóorie chrétienue. Aussi,
SOlIS quslque latitude que ce soit , ot panni les peuples
les plus óloignós , au scin dcsqucls a penetró la
lamiere de la civilisation actuelle , la Iarnille cst orgn-
nisée sur de meillcuros bases ; la sociótc cst rcgíe par
des institutions plus justes que celles des peuples
ancieris ; les relations entre les États se sont regula-
risces, el, dan s la paix C0l11l110 dans la gucrrc, a dis-
paru cet esprit qui Iaisait CjUC les hommos se regar-
daiont comme des enuemis et non cornmc des Ireres.
Il y a encare hcaucou I' ü Iaire : hieu des In Ites
sauglantcs auront C'1lS'Jl'e lieu entre le droit et la
force, entro le christianisinr-, rcligiol! de l'avcnir, et
certaines ínspiraíions des ~jl.'ck-; p.uous qui anímcnt
encere quelques insf tulions SU1' lo rain t de suc-
comlier.


La chaira, la presse, les missions, le commcrce
aidé de la vapeur, I'éíroito liaison des interéts indus-
triels sous diversos latitudes le f.-COI!L1 esprit [1'aSSO-
ciation, - t011t cela 1']'l"]1;[l'e l.i Iusion des rnces et
I'harmonic de l'hutnaniu-, 1111i nc l1Cl11 se soustraire
aux lois invariables de la ~'o!idaljté el de la revcrsí-




- 2C0-
hilito. Le monde gravite vcrs I'unité au mOJTon dn
christianisme , et il n'est pas bien éloigné le jour oú
18s barrieres qui séparent les peuples, - qu'on les
nOlTllTle Irontiercs ou douancs, - érant renversées,
oú les Ileuvcs el les mers intericures elant ouvertes
a la libre navigation (le fons les navircs ; ou la pro-
priété industrielle el littórairc, dout l'origino est tout
aussí uolilo quc lonte anLro( etaut garantie , le com-
merco des idees ~ie!l'eetl1ela lihrcrucnt ct satis embar-
ras, COml118 celui des produits a:';l'icoles et industriels.
Alol's seront aholics les armccs permanentes, rnenace
constante ele 1:1 liberte ct sourco de pauvreté ; alors
se réalisera l'uniformite des cedes civils et criminels,
eles poids, (]('S mesures el dos monnaics , l'6galiL6 du
tarif des pos.es, de la télL'graphie; alors tout hornmo,
hlanc ou 110[1', juif, chrótien 011 musulman, de telle
ou tcll.: latitudc, jouira sur tonte la tl21']'8 des mémes
droits civils, ct toulcs les créalu res ele Dicn vivron t
sous la doucc et saiuto loi de charite et damour. Ce
ne sont IUS U rlo vains songcs : le monde el'aujonr-
d'hui, COIlJIJ:U'Ú Ú cr.lui d'hipl', nous assuro que la
main de la I'rovidonce aid» l'rnuvre ele l'hornrne au
lieu ele la detruire , qu'elle travaille á ótahlir partout
le re~!ne du Droit, en Iaisant dorniner l'csprit chréticn.


Nais, malgre les triomphes ohtonus, la lice est
encere ouvcrto ; il Iaut que l'iurlividu ait plus ele
Ul'O; ts, qu'il entro dans le plcin exorcice de ses Iacul-
tés intellcctucllcs ; il Iaut done luíter pour renverser,
non-sculcmcnt les ódiíiccs ,mcare dehout de l'cpoque


23.




- 270-
féodale, mais aussi ces nouveaux systernes qui met-
tent le peuple en tutelle , ces créations mensongeres
de classes intermédiaires entre le pouvoir et la mul-
titude ; il faut que les aristocraties de sang tombent
et que l'égalité de tous les hornmcs soit reconnue
partout, Le systerne du droit divin des rois est aussi
abusif que celui qui proclame la sainteté de la no-
blesse héréditaire,


Tous les droits de l'individu étant reconnus, la
conséquence legitime est de reconnaitre ceux de
toutes les associations, et de laisser á chacune d'elles
le droit de se constituer et se gonverner a son gré,
Le systeme d'équilihre européen a consisté jusqu'á
présent a tenir les nations faibles sous le joug des
nations puissantes. C'est le systeme de tutel1e forcée
exercé sur Jes Etats secondaires par les puissances,
et le maintien de certaíns peuples dans la servltude,
par rapport ad'autres, L'équilibre du monde sera, a
I'avenir, sous la dépandance de l'ernpire de Ia justice.
Le monde moral a ses lois nécessaíres et constantes
comme le monde physique. Quand chaqué peupIe
jouíra des droits qui lui sont propres, la nécessité
des interventions diplornatiques eL des armees dispa-
raitra. Lorsque chacun jouit de son droit, il ri'est pas
hesoin d'arbitres ni d'arrangements amiahles , bien
moins encore de protecteurs imposés et non acceptés.
Le systeme actuel de l'équilibre est nécessairs,
parco que l'on a creé le systerne de compression
exercé par certaines nations sur d'autres j et des que




~- 271 --


"'injustiee et la spoliation ont triomphé, il faut que
les dépouillés et les opprimés menacent de résister,
et que les spoliateurs et les oppresseurs soient Iou-
jours préts a vaincre cette résistance. La Sainte-
AlIiance des puissants a été étahlie pour asservir les
faibles; hientót viendra la Sainte-Al1iance des peuples
pour proclamer et garantir la liberté de tous et de
chaeun.


Les races ne sont que les diverses familles de la
socióté européenne qui prircnt une physionomie par-
ticuliere a la chute de I'empire romain. On peut en
citer, avec Lamarchc, trois principales : la raee
slave , au nord; la race germanique, au centre, avec
la ramification anglo-saxonne dans les Iles Britanni-
que s ; au midi, la race latine, avec laquelle se con-
fondent 30 miilions de Grccs voisins de l'Oríent. De
ces trois Iamilles , la slave est presque complétemenj
organisée ; la germanique a voulu se recoristituer en
acceptan tune comhinaíson Iédéra tive; la latine se
trouve dispersée, seule, et n'a pas songo a jeter les
bases de son alliauco necessaire. La famillc latine a
tant d'affínité avec la famille scandinave que, si cette
alliance se réalise, celle-ci doit y entrer, ainsí que
les dix millions de Itoumains qui servent de garde
avancée a la famille latine sur les bords du Danube,


Il est heaucoup de gens qui, voulant déguiser leur
égoisme, se declaren¡ cosmopolites pour se dispen-
ser du devoir d'airner leur patrie et leur race; c'est
un vceu tres-louable el tres-noble, que de désirer




- '2i'2-
voir les races fondnes ensemble, les inléréts 111is en
harrnonie, pour arri ver ain si á l'unité <111 monde, a
la fraternité universclle ; rnais i l íaut auparavant,
el c'est une condition sine qua }Ion di; couo íusion, de
ccUe harmouie el de cctle Iratoruite, que I'on fasse
entrar les inrlividus dan" l'cxorcico do tous leurs
droils, qu'on laisse el cliaqnc nalionalitc son autono-
mie legitime. La fusicu 11C S'("',,]):it jamais e1:11'(: des
éléments rivaux : 1'IJa1'111onio no pcut exisíer entre
le rnaltre el l'csclavo ; l,l Iraternitó ne pcut rcgner
entre oppresseurs el oppriinós. I'our cntrcprendre la
grande reuvre de la fusion , il faut cornrnencer par
faire que chaqué nationalitó soit libro el indópen-
dante, qne chacuue soit uno nation.


Il ya des portions de natlonalitós qui, malgré leur
origine, doiven t, á cause de lcur position topogra-
pliique , vivre sous le gOllYl'l'ncIllcnl d'unc autre
race, Tello est la Bohémo. 11 y a dos nalions qui,
gráce a 10Lll' originuiitó, Ú lours nnditions , á leurs
actes d'cncrgie , no pourraicnt EOllE aucun pretexte
so concevoir eílacécs de la carte do lEnropc j tclle
est la Hollande,


De toules les nationalitús qui aspirent el so fondre
en une seule nation, la plus puissanto cst la Slave :
80 rnillioris d'hornrnes ::0:,( ],!:lIÚ, SOIlS le sccph o du
czar ct couvrcnt un i runu-ns« knitoil'e, enorme-
ment étendu dcpuis la glH'lTC 11c la eh ino ; C,lI' i ¡ s'est
acc: u d'un quart llar lacquisition un tcrrain qu'ar-
rose le fleuve Amour. La portien de la race slave




- 273-
sournisc au gouvcrnement do I'Autriclie, celle qui se
t1'O\1VO dans les Principautós Danuhicnncs, et celle de
la Scrliic, etc, tcntlent Ú, s'incorporcr au vasto em-
piro fondó par Pierre le lhand; la m(\111e tendance
se manifesté parn.i les chreticns de toute race qui
professcnt en Griont le rito 2,'1'(;0, LopIlllSlal'isII1Cf'st la
plus grlJJl'¡u 0\ [il'l'~:.i¡(Jn nuruerique des Iamilles eu-
ropéeulIes. La llussie s'cffurce de soumcttrc la I'erse
Ú SJlJ id1 ucu ce pOlll"avoi r le 1'1Fsai'c ]iliro par H6::1l.;
CUlO fait tlc" ci1"nrLs plus .é:l'ands oncnre pour s'ouvrir
une autrc route VCl'S L!Cahoul par lo pays des Kirghis.


La questiou ¡]"(;([nilibro, en supposant l'cxistcnce
de natioris ilJ(ll'l)(;ndulltes coruposócs de nalionalitós
asscrvics, ccnsistcrait ú íavoriser le developpernen t de
la racc scandinavc, les progres de la race l"OUlllaine,-
a travailler :l I'ugrandissement de la Prusse pour
qu'cllo serve (le harricre entre I'Europe Occidcn (ale eL
le ¡lTand ernpirc Slavr, au licu do I'Antrichc, nation
gangrcuóo par lo despotisiue ;-:\ tircr lOricnt de cet
etat dan;: ]('I1ll(:l un l'a rcprescnlc comme llll " majes-
tueux cadavro couclié sur un lit de fleurs, )J - Ú lui
Iaire indircctemeut ahsorher la séve íécondante ele
la civilisation chrúticnno. Les chreticns ct les rnusul-
sans de l'crnpiro olloman nppartiennent a la pre-
micro race, ú la ruco cancasique ; ils son t done doués
eles mémes IaclIll(;s quo les nutres peuples do l'Eu-
ropo pour ¡Jl'ogrescl'r dans les scicnces, los arts, le
comnierce , de, Le sultan rcconnaít déjú que si le
mahomútisrno cst capablc do conquéri r , il ost im- , .'_


I f¡·l:th·~....'"


<gJ




- 274-
puissant pour gouverner. Cetaveu est un pas vers le
christianisme. Mais sans cela méme , que l'Orient
abolisse la polygamie, et son sort est assuré, et le
moribond dont parlait le czar Nicolas se leyera plein
de vie, portant la civilisation de l'Europe al'Asie. Que
ron ne eroie pas cela bien difficile; la polygamie se
meurt; deux hauts fonctionnaires turcs y ont publi-
quement renoneé. Qu'y aurait-il d'étonnant ace que
le sultan aglt aínsi, quand il a l'exemple du grand
Soliman? Pourquoi le mahométisme ne pourrait-il se
concevoir sans la polygamie, quand nous la voyons
répudíée par le judatsme, avec lequel elle existait?


Il ya 70 millions de Slaves, 40 millions d'Alle-
mands, 25 millions d'Anglo-Saxons. La race latine
compte 90 millions d'hommes répartis entre la
Franee, I'Italie, la Péninsule ibérique et la Suisse
francaise ; sans compter que les Scandínaves sympa-
thisent avee elle, qu'elle a 10 millionsde Roumains
sur le Danube et un royaume grec qui peut gagner
du terrain. Que les nationalités s'émancípent, et ceux
qui ne croient pas en la fusion des raees au moyen
du commerce, de la eommunieation des idées, des
sentiments, et par les liens réeiproques qu'ils eréent,
verront qu'au sein de la liberté il y aura des forces
capables de neutraliser I'action envahissante, soit
du panslavisme, soit de la race germanique ou de
toute autre raee.


L'ídée d'assujettir certaínes nationalités it d'autres
est fort ancienne : parrni les Romains, il n'yavait




- 275-
d'autre distinction capitule que celle de Romains et
non-Romains ; mais eette énergique race de conqué-
rants voulait tout soumettre el sa loi. L'idée d'unité
la dorninait, Pline l'Ancien disait :


« Il semble que les dieux ont ehoisi Rome pour
« réunir tous les cmpires, donner au monde un ciel
« plus serein, harmoniser les langues diseordantes
« et donner I'humanité al'homme. »


Pline le Jeune, dominé par la mérne idée d'unité
en tout, s'écriait :


« Nous avons un prince qui ne nourrit et ne pro-
• tége pas avec moins de zele une station séparée de
• nous par de vastes mers, qu'une tribu romaine. Il
« sait si bien lier I'Orient et l'Oecident par les nceuds
« d'une éternelle correspondance, que chaque nation
« trouve dans ses vilIes tout ce que produisent les
« divers climats... Depuis que les peuples sont réunis,
« leurs biens rnélés et confondus appartiennent el
« tout le monde. Que le mondeestheureua: d'etTe tombé
• sousnotreépée et d'avoirabdiqué aux pieds deRome! »


Aristide le rhétoricien s'exprimait ainsi :
« Petits et grands, riches el pauvres, nobles el


« plébéiens, tous sont égaux devant la majesté de
« l'Empereur, qui résume tous les pouvoirs et eon-
« sacre tous les droits, Au sein d'une démocratie qui
« s'étend el toute la terre, tout vient de César et tout
" revient alui, Cequ'est l'Empereur relativement el
« tous les pouvoirs, Rome le sera relatívement a
« toutes les provinces, Rome ,forum eommun et




- 2iü -
" centre uníversel, recoit les hahitants du monde
« comme la rner absorbe dans son sein tous ses
« fleuvés. La torre n'est plus partagce entre les Grecs
• et les barbares, mais entre les Hornains ct les non-
• Homains, La majesté de la cilé domine l'univcrs, et
« les nations s'unissent pour demander aux disux
« l'éternité de l'Empire 1 ! )J


Ilendu Iait observar que cetlc Iuncste idee do l'u-
nitó, mere de la conquéte , des spoliations et de l'es-
clavage, survécut á la chute de I'ernpirc , bien que re-
vétant d'autres formes. L'l~glisc hérita de cettc idee ;
mais heureusement, elle I'appliqua au maintien de
la liberté. Bientót survint le moyen üge, et parut
l'ombrc sinistre du Saint ElIlpire Romaiii qui amena
les lultes entre le systcmo thcocratique et le systerne
impérial, le pouvoir public d'alors, qui faisait des
papes les arbitres de I'univers ; les terribles lutles
entre les partisans de l'Empire et ceux de la papauté,
Cette idee de l'unité fut conservéc, suivant leurs dif-
férentes manieres dapprecíer la question de forme,
par Barherousse , Grégoire IX, Boniface 'VIII, le
Dante: celui-ci s'écriait, dans son poctique langage :


Vioni a vcde r la tu a Roma che pingue
Ne d ova sola, c die n o u.e chi arn a :
Cesare mio, perche non m'uccompugnc.


Pótrarque, se voyant décu dans les esperances qu'il
avait mises en son ami Hienzi, se fait le propagateur


1 Reudll.




des idees du Dan le, cornme Oll le voit principalement
dans sa lettro Ú Charles IV, OÚ il disait :


« L'erupiro romain, hrisó par de si rudcs tempétes,
« rnet en ta valeur ses esperances souvcnt frustrecs
« et presque éteintes ; a peino échappú el tant d'é-
« cueils, il vcut rcspircr ti I'omln-o de ton nomo Que
« la douceur du pays natal ne te caplive pas, Quand
« tu regardes I'Allernagne, penso Ú l'Italic. Né la-has,
« tu fus elevé ici ; lá tu as le royaume, iei le royaume
« el l'ernpire ; el qu'il me soit perrnis de le dire,
" sans rabaisscr en ricn les au tres pays et les autres
« peuples : Si les rnernlrrcs de la monarchíe sont
» partout, c'es: ici seulement qu'en esi la leteo »


Cette fatale idee de l'unité dans le Saint-Ernpire a
été la cause de l'asservissement de Lien des nationa-
Iités ; elle fut la cause de la ruine de tonte l'Italie. Il
fut un temps OU le n.érne Pétrarque, flottant . entre
divers systórnes, se souvint qu'i l ótait Italien avant
tout, et voulut propager l'idee de I'iudépendance ita-
lienne. Il s'ecría alors, voulant que la Péninsule füt
protégée par ses frontieres nalurelles eontre les vucs
des homrnes du Nord, auxquels il s'ótait volontaire-
ment assacié :


Den provide natura al n ostro s tat o ,
Quau d de ll' Alpi schermo
Pose tra noi e la te d esca r ab bra.


Rienzi lui-mérne, apres sa premiare chute, alla á
Praguc, en 1352, supplier Charles IV de lni ouvrir les
Alpes; il disait : « L'Ernpire est la sonrce de tout droit


24




- ni'!-
« lemporel et le seul moyen d'empécher les cornmo-
« tions dans les grandes luttes de l'Italie '. »


Ainsi done, par des voies opporées :et peut-étre avec
des sentiments contraires, tout eút penché vers le
régime de la force, l'annihilation de certaiues natio-
nalités, l'esclavage de certaines nutres. L'Allemagne
disait bien haut naguere que l'Italie ne pouvait pas
étre une nation, el cette erreur, qui semble un blas-
pheme , a été répétée mérne en Angleterre et en
Franco. En tout cas, comme l'ohserve Lamarche, c'est
l'Allemagne qui n 'est pas une nation : illui manque
une capitale véritable, un centre d'action intellectuel
et poli tique ; illui manque, d'un colé du moins, des
frontieres bien défínies ; il lui manque I'unité, la
complete homogénéité de 1"UCCS, d'ínstitutions, de
traditions, de vues et de tendances, L'Ilalie, au con-
traire, a tout cela et plus que tout cela -la cornmu-
nauté de gloire et de souffrances.


Cequi forme avant toutles nationalités, ce n'est pas
tant l'origine et la race que la communauté dintéréts
moraux et rnatériels, l'uniformité de rnmurs et la vo-
lonté de vivre sousle régime de certaines instituLions.


La lutte, quant apréscnt., doit avoir pour but de
reconstituer les nationalités d'apres ces príncipes,
de leur donner une existence propre, d'en faire de
véritables nations; viendra ensuite la Iusion au sein
de la liberté et de la justice. Il n 'y a de luttes achar-


1 Rendu,




- 279-
nées entre diverses races ou différenles nationalités
que lorsque les unes tyrannisent les autres et les
ruinent ; alors la race ou la nationalité qui agit ainsi
n'a que trois routes asuivre : soutenir une lutte ou-
verte contre la race ou la nationalité opprírnée, comme
le fait l'Autriche; l'annihiler, la détruíre , comrne
l'a fait l'Amérique du Nord avec les Peaux-Ilouges j
la notionaliser par l'égalité des droits et des devoirs ,
comme la France I'a Iait ponr l'Alsace et la Lorraine,


Sous I'ernpíre de la liberté et de la justice , il n'est
personne qui ne so trouve heureux; seuls le des-
potisme et l'inégalité des droits et des devoirs font
éclater la haine des races, le mécontentement des
nationalités. La France forme un corps do nation
compacte, quoiqu'il y ait en elle du Gaulois et du
Romain, c'est-á-díre du sang italien, du sang
espagnol et du sang grec , quoiqu'elle contienne les
éléments allernand, scandinave, celte, goth, gascon,
basque ; mais tous sont francaís. L'Autriche, au
contraire , n'cst qu'une mosarque de nationalités :
la síxierne partie de sa population est allernande ; le
reste se compase de races et de nationalilés différentes,
qui vivent sons des lois exceptionnelles, qui ne
[ouissent pas de droits civils et poli tiques égaux; qui
payent l'impót d'une facon inégale, etc. L'empire
autrichien , si héterogene , n 'existe que paree que son
gouvcrneincnt a ruaiutenuJes uns par les autres:
los Slaves , les Madgyars ct les Croates se dé testen t
plus les uns los autres qu'ils ne détestentles Allernands.




- 280
Mais ce terrible e t infárne systeme de divise?' pou«
r-égner est anjourdhui un anachronisme. Le príncipe
des nntionalités est á l'ordrc du jour , il a deja obtenu
ses prcmiers triornphcs et ne tardera pas á rester
victorieux. Le bien a pour necossitó de triornpher dn
mal, la vérite du mcusonge , le droit ele la force.


A I'cxccption de ces grandes nationalités qui ont
une physionoiuie pl'Opl'ü el tres-marquee , il n'y a
pour ainsi dire pas uno seulo nation qui ne soit
composee de famillcs d 'origine diñórente; mais celles
qui son t parvenues el se maintcnir 1ranquillos et unies,
préscntant un CO!'PS solide d'association politique ,
le doivent a l'uniforrnité des droits accordés. Ce qui
importe dans les nations composées de Iamilles
diversos, qui ne peuvent exisler séparément en corps
de naiion , rnalgró la différence tl'origine , c'est de
former , qu'on no us passe l'expression, une nationalité
artifíciclte, qui rende la naíiou forle et pnissante ,
Iasse le présen t 1)055i) .le e t pro pare 11n avenir heureux;
01', le moycn darriver ú ce liut , C'C5t de reconnaítre
l'égalité civile el politique , dudmcttre tontos les
religions sur un pied cl'égalilé.


Il se forme de tontos parts un droit puhlic poli tique
basé sur les priucipes de la justice. Il a fait en
soixante-nouf ans ele rapides progros , qui so dcve-
lopperont chaqué jour. Lo c1roit puhlic international
a été quclqucfois plus avancé rplO le droit politique
intéricur; il a n'c'u dCllUis quauo nns de plus arnplos
développcrnents , el il s'erablira sur ses véritables




.. :281 --
bases le jour OÚ íriomphcra déíinitlvement l'idée
ólémcntaire de l'autonornio de cliaque peuple.


La prerniero formule du problema social, I'indé-
pendance des nationalités , a gagné duterrain depuis
peu d'annécs , comme le prouvc la gucrre de Crimée
faite pour soutcnir l'cmpire ottornan ; la protection
donnée au Montóriógro , ú la Scrbie et aux princi-
pautes Danuliienncs , q ui out 1','clam6lc droit de se
gon vcrn el' par ullcs-mómcs, a YCC Cl: rtuines restrictions
extérieures , p'utót pon1' la formo qne fondamentalcs.
Ce príncipe a trioiuphó, au ln-uit du canon, en Italie,


All fí Ollvcau-Xloinle , et surtan! dans l' Amérique
espagnnle, torro do lilJOrté ct l1'logalité, oú n'existent
pas les dilficultes qui rósultcnt de la lutle entre le
peuple el I'nristocratie , OH entro I'uno el l'autro ot le
pouvoir royal; OÚ les scules tradirions existantes sont
les tradi tions colnnialcs , qui , a11 licu détre un obsta-
hle , sti mulcnt :'t p)'(;gT¡'~,eer dan;' l'ccuvre de l'avenir ;
- sur eolio torre, L1isOllS-l]II1l8, il n'y a, sous le rap-
lJOrtpolitique , que doux ol.siaclcs : I'un interne, pas-
si/gel': rúfaúi¡',sullv,nt de I'¡'ifllifiúr¡) onlre i'autoríté
et la Iihortó , travail qui c-t en voie de s'achever ;
l'autrc, d'un caractero lJeJ'm¡¡lH~nt, grave, terrible:
la luue entre la ruco auglo-saxonue, qui habite pros-
que tout le non1, ct la raco latine, qui s'étend sur le
resto dtt con tinent.


Commo on fa vu en Cnlifornic , la race anglo-
S:L\0111W, apto el Ll()\l'!0llPCl' les j¡¡(01'cls matéricls, a
Iairo progl\'s~cr le HJl, tcnd unijucuicnt a aunihilcr


24.




- 2B2-


la race rivalo. Ce fait cst visible aussi dans l'Inde.
Que faire pour arre ter le mal? Oue ces républíques,
qui out mérne origine, méuies traditious, mémes
institutions, méme religion, mérne idiome, qui se
voient rnenacées des mérnes dangers et marchen t vers
l'avenír en suivant la rnéme voie ; - que ces rópubli-
ques forment une confódóratinn , qu' elles s'unissent
avec l'ancicnne métropole sur les bases d'une parfaite
égalité, et concluent avec les nations européennes
quí ont des possessions en Arnúrique des traites de
garantie mutuelle , reconnaissant la souveraineté de
chaque pays, Nous nous rappelons la parole de Na-
poléon III; n a dit que sa mission en Amerique est la
méme qu'cn Europe : soutenir le faible contre le fort,


Déjá a commencé dans l'Amérique du centre une
entreprise grandioso qui produira d'excellents résul-
tats pour I'equilihre de ces natious débiles aussi
bien que pour le connncrce ; deja 10 gouvernemont
anglais , par rivalité contra le Yankce , sino n par
amour de la justice, a Iait certains pas qui l'ernpé-
chent d'íntervenír el de conquórír el I'ohligont, jus-
qu'á un cerlain point, a défendro ; tel est le traite
Ouseley-Jcrez ; déjá M. Disracli , au scin du Parle-
men t el dans un discours aux électeurs, a parlé de
la nécessíté de maintenir l'équílibre, non-seulement
en Europe, mais dans le monde entier, et s'est occupé
explicitement des natíons d'Amérique.


M. de Girardin a publié sur l'équilibre européen
un travail quí nous a pum fort remarquahle. Nous




- :283-
partageons plusieurs des idées de l'illustre publiciste,
surtout celle qui a rapport a I'équilihre etá l'unité
au moyen des échanges, et non au moyen des armées
permanentes et de la guerreo Les principes érnis avec
tant d'óclat par :M. de Girarclin, nous les avons son-
tenus par instinct et par conviction. Ce qui nous a
toujours paru la plus dangereuse des erreurs, c'est
de condamner la guerre ayant pour but l'indépen-
dance et la liberté des peuples, Entre la guerre et la
paix , il est clair que tous les avantages sont du coté
de celle-cí et lous les inconvénients du coté de la pre-
miero ; mais cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas
des gnerres saintes, justes, necessaires. Quand done
a-t-on vu les tyrans ahandonner de bon gró leur
systerne barbare, le droit triornpher sans lutte de la
force, l'oppresseur dire a l'opprimé : Je te rends tes
droits?


D'apres le systerne de 1\1. de Girardin , I'Autriche
aurait-elle rendu de hon gré leur liberté aux provin-
ces lomhardo-vénitiennes ? Aurait-elle renoncé sans
lutter ason systeme de Irapper ces contrées d'irnposi-
tions quadruples, d'exi gel'd'elles des emprunts forcés,
de jeter leurs habitants dans les eachots, paree qu'ils
s'appelaient ltaliens et non Autrichiens, de fouetter
les femmes paree qu'elles se refusaient al'amour des
Tudesques? Si pendant quarante-cínq ans ce régime
est devcnu de plus en plus insoutenable, comment et
quand la Péninsule out-elle recouvré la liberté par la
paix? De ce qu'il reste d'autres problernes a résoudre




- 281 -
apres I'expulsion des Autrichiens , Iaut-il en déduire
qu'on no devait jamnis les expulser? Suscitar des so-
phismes u'est pas senil' les intéréts de l'humanité ;
méler des idees cxagérecs, Iausscs , inadmissihlcs, a
des idees grnndos, nobles ct Iecondes, ce n'est pas agir
en philosophe ni en ami de la liberté et du progreso


Le mondo entre dans une voio uouvelle et la jus-
tice triomphora prochaincmcn t.


Cela posé, discutons avec JI. jronlt le merite des
roces prdponddl'Gntes, 01 vOYOI1S ccl le qui a le mieux
serví les intéróts de l'humanitó , ccllo qui contribuera
le plus au dóveloppemcnt de la civilisation,


TI
R.ACB LATIl\B


Puisquo nous somrnes encere éloignés des temps
ou 1'11 umani té sera ce qu'olle doit étro, une grande fa-
millo del Ireres ; puisque le monde est divisé en races
et nationoliié«, et que l'on parle tant de la prépondé-
rance de quelques races 1, faisons un rapide examen
des ti tres de la race latine, Cornmencons pour cela
des le début de la grande ere chrétienno.


Celte race a ri'gné pendant dix-hui t siecles, pro-
duisan t presque exclurivernent la civilisation actuelle:
des le commencement de notre ere, ce fut elle qui
precha et propagoa le christianisme. Lorsque l'cm-


1 No u s e m pl ov o ns le 0101, bien qu'il ne soit pas ribo\lrel1~e~
m e n t l'xac!, pour s ui vr c le s p r i t e t le langaQ'G de co nvcnt io n
qui domine aujunr.ihu..




pire rornain tornha sous Ios eonps des barbares, elle
civilisa les conquerants, les convertir á sa religión,
leur fit ahandonncr lcurs harhares traditions, Au
moyen úge, ello sauve l'Europo du cimcterre maho-
metan et du dogme cncrvant de la Iaíalité , plus fu-
ncste que le cimoterro ; ello souticnt en Espagne la
lulte la plus acliarncc rlont I'histoire fasse mention
entre uno race ct uno et':t;'>.. ]':1('0, mIO roligion et une
nutre roligion. !lu dchut tb.l'll¡~toij'emoderno, n011S
la voyons iuttant centre le ruahornetisme, proiégeant
la race germaniql1O. A l'ÚJI()(l:w de la Henaissance ,
elle rayonne de toutes ll's glcírcs.


La race latino Iouda l'unitó de I'ompire romain,
preserva la civilisarion des coups des barbares, con-
serva les sciences et los lettrcs á l'époque de la déca-
dence, dans la 1111i t du rnoyen ,1ge, organisa la ligue
entre les harons elle peuplo pom' mcttre á la raison
les rois spoliateurs, do mómo que plus tard elle orga-
nisa une ligue cutre lr.s rois el, les peuples pour
meltro un froin aux [¡IIIIS des s<.'igucurs.


C'est ú la race latine (J1W l'on doit les prem ic rs pns
[ai ts en Italie puur l'ét<lll]i rscmcn 1, des gouvernerneuts
rógulicrs ; c'est a elle 11{1O revient l'honneur d'avoir
repandu 8111' toule la il'lTe la tliéorie sublime des
droits de l'hornme.


11 fut un tornps ou ]u,s nations de la race latine,
et surtout parrni elles n:Sp:J.~Ile , futiguerent la
renornmee IJ:lr leurs hauts Iaits el exócuterent les
acles Ies plus gluri(]ux lle i'lli;ótoin; rnodoruo , L'Es-




- 28G-
pagne chasse l'Ottoman, protege l'Allemagne; les fils
de la Lusitanie foulent la terro dos parfums et les
Castillans pénetrent chez les jeunes ílls du Soleil,


Au XVI" siecle on voit partout l'Espagnol victo-
rieux i il promane ses glorieux étendards el travers
l'Allemagne, la Grece, I'Italie.


Au siecle dernier, la Révolution de 89 jelte les
bases de I'organisation de l'avenir. aprés que les
armes de la France ont aidé á constituer la républi-
que anglo-saxonne au delá de I'Atlantique. Un peu
plus tard, toutes les nations du continent sont sou-
mises a l'influence, au pouvoir et aux lois d'une
nation latine. Trente et quelques années de repos
n'ont pas enervé la force d'initiative de cette race:
pendant la paix elleagít par les livres, et quand
sonne l'heure de la guerre elle se montre ardente,
irrésistible, víctorieuse, soit pour arréter en Orient
l'injuste conquéte du géant slave, soit pour déloger
du Midí le barbare Tudcsque. La race latine lutte au
sein du Céleste Empire; ello penetre au craur de
l'empire annamite.


C'est chez les peuples de cette racc que domine le
príncipe d'égalité, príncipe fondamental, d'oú déri-
vent tous les progres dans la scionco politique et
sociale , qui produit cette vive impulsion que l'on
nornme spontanéité, pousse aux plus grandes entre-
príses , fomonte les plus nobles sentiments. C'est
parmi ces peuplos qu'íl faut chorcher les codos les
plus parfaits. Les peuples peuvcnt marcher bien ou




- 287-


mal avec des institutions poli tiques vicieuses; mais
ils ne peuvent vivre, s'illeur manque de bonnes loís
civiles.


En littératuro, en poésie, en peinture, en musique,
en statuaire , quelle est la race qui dispute la palme
ala raee latine Y


Et quels grands noms, quelles belles figures on voit
hriller parrni les peuples de cette noble raee! Les
apótres, saint Augustin , saint Thomas, saint Vin-
cont-de-Paul, sair.Jt Bonaventure, - César, Trajan,
les rois eatholiques,- Galilée, Michel-Ange, Colornh,
Vasco de Gama, Cortez, Charles-Quint , Louis XIV,
Napoléon, etc. Et notan s en passant que seu1e la
race latine posséde de véritables chants épiques,
entre autres ceux de Virgilc, de Dante, de l'Ariosle, de
Tasse, Virgile, cet aimable chantre des douceurs des
champs, poéte de l'amour, de l'espérance et de la
gloire, mérne dans l'inCortune; Dante, le poste phi-
losophe, políüque el prophéte, dont I'oruvro s'appela
de son temps I'Apocalypse de la société laíque ; le
Tasse, cette personnification du poéte tel que le con-
coit lo peuple ; tantótchantant les hauts Iaits de la plus
vaste entreprise du moyen áge, tant6tnous charmant
par ses slrophes pleinos de I'amour le plus ardent, le
plus pur et le plus rnalheureux; aujourd'hui gisant
dans ce Pandemonium OÚ tout lui échappe. jusqu'á la
ponsée ; domain couronné au Vatican, I'étrarque, ce
]Jl'écul'seul' de J.-J. Housseau, commo le nornrne
E. Quinet, le solitaire de Vaucluse, le • véritabic flcllé »




que distingue rinconslancc clans [esp((s.liolls, et qui Ya
cherchant partout la vóritó avcc une sainte ardeur ;
Arioste, • dont le poéuio est l'irnagc de l'esprit hu-
main a l'épuquo ele la Honaissance. "


Le colosse de la Iittórature allcmanrle , Grního, dít,
dans sa ccrrespcndaucc avcc Zoit, que c'cst en Italie,
par son contuct avec les gT,uHls g<'nlies de b racc
latine, que son propro glmie se revela el lui-rnéme et
prit une dirsetion marquée.


M, Montt, dans son heau livre dont nous aYOlJS
parlé en plusieurs occasions, reconnaít tous les ti tres
de grandeur qui appartienucnt á la race latine; et il
ne pouvait ea étre autrement, cal' cet écrivain est
farniliarisé avcc I'histoire ; runis , entrainé par son
irresistible arnour pour la rnce angln-saxoune, il
pretend que la race latine cst tomhée au XIX· siecle
dans le dernier degré d'ubaissemcnt. « Le triomphe
définitif du Saxon ct de l',\nglo-Saxon date de [8[4,
c'est-á-dire ele la chute rle ?\::poléon. »


Mais 1f. Moutt convicnt I]llJ 11) passé appartient
tont entier á la racc latino ; il l'onviellt quc cctte race
possede u par excelleuce los caracteres de la creation,
de la force, de l'intelligence, de la passion, les plus
heaux traits de la physiouornie humaine. La famille
latine est oomposoe rl'artistes etd'agricultcurs. Le
Latín a pour patrimoiuo le géllie vif et pénetrant, la
parole ardente , l'art oratoirc, la pocsie , Yinoention,
tout ce qui demande uue languo de Ieu, la richesse
de: s images et du coloris. La raro latine est catholi-




- 289-
que; elle appartíent a cette religión da passé el de
l'aveni1', la seule parfaite et véritable. Les Espagnols
et les Francaís cunstruisent des palais et des temples
magnifiques. L'Espagne a élevé dans les deux mondes
des travaux gigantesques. La France et l'Italie étalent
d'innombrables merveílles. La race latine compase a
elle seule la plus grande portie de l'histoire de l'Europe
ei de la cioiiistuion. ..


Voilá tout ce que dit M. Montt a la louange de la
race latine, non dans un seul paragraphe, maís en
diversespages de son livre, et, apres ce pompeux et
juste éloge, il affirrne que la race latine. est arrivée
au dernier rlegré d'abaissement dans le XIXe siecle,
et que le Saxon et l' Anglo-Saxon ont tríomphé déñni-
tivement depuis 1814.•


Commo il 1'avoue, le passé appartient a la race
latine; ainsi qu'il l'afflrrne dans ce que nous venons de
transcríre, cette race a toutes lesqualilés qui laiontet
doivent la faire maítresse de I'avenir : création, force,
intelligenco, passion, parole ardente, richesse d'ima-
gination, volonté de fer ; en outre, sa relígíon l'en-
traine ú la conquéte de cet avenir; mais, s'il en est
ainsi, comment expliquer lo prétendu triomphe
définitif du Saxon et de l'Anglo-Saxon? ce prétend 11
abaissomcnt du Latin ? Comment peut-on justifier me
pareille assertion , coutraire á tout ce qu'établ.t
l'auteur de l'Essni, et surtout a ce qu'enseignent lr.s
Iaits contemporains, quand le mérne écrivaín dit:
• L'Anglo-Saxona vaincu le Latin; maisil n'a pas pris


25




- 290-
sa place, et ne s'est pas emparé do son génie créateur,
élevé? 1)


Si le vainqueur n'a pas vaincu, le battu n'est pas en
tléroute, Si le prétendu vainqueur ne possede ni {( le
grandiose ni le monumental; si l' Anglo-Saxon s'isolc
de la communauté universelle et separe sa nation de
la eommunauté historique; s'il no sacrifie son exis-
tenee ni aun fait antérieur ni aune vue postérieuro, ni
aux gloires da passé ni aux esperances de l'avenir, 11-
quels son! les titres, quelles sont les qualités de ee
vainqueu1' définitíf? Quels moyens possede-t-il d'as-
surer son prétendu triornphe, surtout lorsqu'il a en
faee de lui un rival qui possede toutes les qualités,
toute la force qui poussent en avant?


Cependant M. Montt assure {( que la vietoire de la
race anglo-saxonne (qui d'apres ses ealculs date de
1814) a tous les caracteres d'une vietoire définitive,
permanente: le pouvoir militaire (etla Crimée?),la
force navale (et les révélations de sir Ch. Napier?),
1'illustration (ne se trouve- t-elle que chez les Anglo-
Saxousr), les institutions politiques (parmi lesquelles
il faut louer le régime du privilége , la vénalité du
suffrage, etc.), la richesse, les possessions territoriales
(aussi florissantes que la Jamatque, aussi heureuses
et aussi paisibles que I'Inde), les peuples qui luí sont
soumis (mais u'en sont pas cotueiusí. »


M. Montt dit : « 11 Y a dan s le monde síx grandes
puissances : deux anglo-saxonnes, deux saxonnes,
une slave, une latine! »




- 291 -
En admettant que l'Espagne ne soit pas comptée


parmi les grandes puissances, avec sa popnlation in-
férieure seulement de deux millions á celle de la
Prusse, ses éléments de richesse plus grands, sa com-
position plus homogene que celle de l'Autriche, ses
finances en meilleur état; - en admettant cela, puis-
que ainsi l'ont voulu les chefs de la Sainte-Alliance,
bien que l'Espagne seule eüt réussi a tenir tete
aux légions invincibles du colosse du siecle 1, nous
dirons que tout doit entrer en compre non numero sed
pondere, et comme nous le verrons dans notre arti-
cle sur la France, cette nation pese autant que ses
rivales.


L'auteur de l'l!:ssai dit: « II y a dans le monde
deux grands peuples libres: aucun d'eux n'est latino •


Eh quoi I la France, avec son admirable principe de
l'égalité civile et politique , qui a pénétré non-seu-
lement dans les institutions , mais dans la maniere
d'étre soeiale, n'est pas libre? L'Angleterre est libre
paree qu'elle a la liberté de la presse et l'habeas
corpus; admirables institutions, sans aueun doute,
mais qui perdent beaucoup de leur valeur aupres
d'une aristocratie qui absorbe tout, - aupres du
suffrage restreint et du vote acheté ou arraché par
la menaee, - aupres de sa législation ernbrouillée,


1 Si 11 cette époque les diplomates, dirigés par le prince
de Metternich, n'avaient pas été dominés par leur haine con-
tre la race latine, I'Esp aguo aurait pu reprendre la place que
lui lit perdre le traité des Pyr énées.




- 29~-
toujours au détriment des enfants des classes des-
héritées, - aupres de sa trés-mauvaise organisation
judiciaire, de ces milles priviléges Iéodaux qui exis-
tent encore dans la puissante Albion, tels que ceux
dont jouíssent la Cité de Londres et certain cercle de
Liverpool , et dont nous parlerons en temps voulu.
La France occupe aujourd'hui le prernier rang parmi
les premiares puissances du monde; mais elle a be-
soin de plus de liberté al'intérieur, Il est facile d'a-
voir de nouveau la liberte de la presse; mais il est
trés-difflcile de renverser un corps riche et puíssant
de nobles, dont l'existence rend impossible le gou-
vernement du peuple par le peuple, le seul juste,
rationnel et stahle, A vrai dire, dans chaque État du
continent, nous trouvons beaucoup adésirer pour un
bon régime politique ; mais sans suivre la vague,
nous sommes tres-éloigné de penser que l'Angleterre
est le seul pays 011 l'on jouisse de la liberté, POUl' nepas
aller au delá des mers, puisque le livre que nous ana-
lysons a POUl' titre ; Essaisur leqouoernement enEurope,


Pour quiconque analyse les choscs sans preven-
tions, il est clair que le Piémont a plus de liberté que.
l'Angleterre, et qu'un gouvernernent libre (dans le
sens européen) regne en Belgique, en Portugal, en
Hollande el jusqu'á un certain point en Espagne.


En supposant exacta l'opinion de 1\1. l\Iontt, qui si-
gnale comme causes de la déctulcnce et de la pros/falion
de la race laline, le gonvernement absolu, I'absorp-
tion personnelle , l'avilissernent des penpies, - il est




- 283-
clair que cela ne constituerait pas la ruine complete
de cette race et le triomphe déflnitif de la race anglo-
saxonne: les constitutions peuvent changer d'un
moment al'autre ; 89 en est la preuve ; mais les qua-
lités partícullercs achaque race lui restent toujours,
et nous avons vu que notre autour les accordc toutes
ala latine. Il dit encore :


e JI y a seulement une supériorité temporaire qui
• provicnt du gouverncment, des mceurs, de la con-
« stitution transitoire d'une sociétó ; le Latin d'aujour-
, d'huí est l' Anglo-Saxon du xv" siscle ; I'Anglo-Saxon
« d'aujourd'hui est le Latin du XVI". Chalcondides,
" voyageur byzantin du xv« aiecle fait de Londres el
« des Anglais une peinturc qui pourrait maintenant
n s'appliquer en entier a Madrid et aux Espagnols.
« L'Angleterre libre, sombre, terrible, dominant le
" XIX" siecle, ne ressemble en rien el l' Anglelerre ré-
« volutionnairo, simple, enjouéc et pauvre du xv",
" La mee est la mime : les insiiiutions, les mmurs ont


seules cluuiqé. •
M. Montt dit " que s'il y a en Europe cinq gran-


" des puissances militaires, il n'y a que deux nations
" inlluentes par la pensée, l'aclion libre, la parole,
« la coutume. Aucun peuple ne pense el ne parle par
« la boucho de l' Autriche, de la Ilussie et de la
« Prusse, Pour le monde, lcur langue est un simple
« dialecto, leur pcnsée une pcnsóo solitairo ; • et
apres avoir consacré quelques lignes bien écrites a
la uócessitó d'assirniler les races, ji entro dans l'ana-


2S.




- 294-
.yse des agents de la civilisation européenne : les La-
tíns et les Anglo-Saxons. Nous le suívroñs prochaine,
ment sur ce terrain, et nous verrons a101's que si la
Tace latine a brillé dans les síecles passés, " que sí
elle compase a elle seule la plus grande partie de
l'hístoire de l'Europe et de la civilisation , • elle do-
mine dans le présent, et I'avenir luí est réservé.


Mérne l'Espagne, cette grande nation dont les en-
fants eux-rnémes parlent aujourd'hui ave e tant d'ir-
révérenee, - cette Espagne contient mille éléments
de vie et n'attend que l'union de ses habi tanls pour
étonner de nouveau le monde par ses gloires, pour
répéter dans un autre ordre de ehoses des faits aussí
grandioses que la déconverte d'un nouveau monde,
I'étahlissement de nombreuses colonias, la lutte gi-
gantesque entreprise , malgré ses divi sions, contre les
Maures aguerrís et civilísés, la défense du christia-
nísme , le régime des eommunautés, qui apporta en
Europe les prernieres lueurs de liberté, L'Espagne ne
I'a cédé et ne le cede aaucnne autre nation en actes
de véritahle grandeur , en faits de haut héroisme.
Son histoire, eomme 'ceHe de ses principaux postes,
est aussi poétique que sublime, aussi brillante que
féoonde,


M.Montt lui-méme , si ami de la race anglo-saxonne,
ne peut s'ernpécher de s'écríer :


" On voit aujourrl'hui l'Espagne faihle, obscure,
" éloignée du théátre de la politique européenne, et
" 1'on s'écrie : l'Espagne cst perdue pour toujours!




- 205-
" On voit l'Angleterre puissante, libre, riehe, et l'on
" dit : l' Angleterre est immortelle, privilégiée, uni-
• que au monde! Que Pon se souvienne done que
" l' Angleterre, si grande aujourd'hui, n'étaít, pas
e plus tarel qu 'hiel', humiliée et vendue par le Iaihle
« et corrompu Charles II; que l'on se souvienne que
« l'Angleterre ele l'ordre, de laliberté, de l'industrie,
• cst la.niérne qne celle de l'annrchie des deux roses,
« du despotisme de IIenri VIII, de la tyrannie de
• Cromwell! • \


Oui ! en Europe comme en Amórique, la race latine
donnera au monde de nouveaux jours de gloire et de
splendeur: elle continuera á travailler au proflt de
l'humanité, au dóveloppernent de la civilisation. La-
tins, ne renions pas notre origine, ne maudissons
pas notro race ; Espagnols, ne j ctons pas de houe sur
le manteau de notre mere : si elle est triste, si elle
souffre et Ianguit, raison do plus pour que nous l'ai-
rnions et l'entonrions avec z81e et sollicitude. L'Arné-
ricaiu-Espagnol, surtout, ne doi t pas ouhlior les gloírcs
de ses peros au tcmps de la grande lutte ; s'ils se dis-
Linguérent sur les chnmps de bataille, ils furent plus
grands encere par leur abnégatíon et leurs vertus hé,
ro1l1ues., Que celui fluí se sentirait entrainé par la
manie de médire de ca race et ele son sang, porte la
main á son ecour; ses pulsa lions lui diron t qu'il y a
la quelque chose qui manque ú la race anglo-saxonne
- le sentirnent. Que celui qui serait égaró au poínt
ele demander que la race anglo-saxonne absorbe la




- 2913-
race latine dans le Nouveau-Monde, jette anparavant
un coup d'eeíl sur le sort qu'ont eu les Espagnols a
San Francisco. Veut-on la culture du sol ou le pro-
gres des étres humains qui lhahitent t - Pour avoir
le droit de s'appeler humanitaire, philanthrope, etc.,
on doit commencer par aimer sa patrie, surtout
quand celte patrie est grande, et il n'est pas besoin
de dire avec Séneque :


Non enim patriam quía magna, amct, sed guia sua,


1860.




xx ~


LA LIBERTÉ ET L'ÉGALlTÉ
JUGÉES PAR UN AMÉRICAIN;


OU LES NOUVELLEs THÉOmES l'OLITIQUES DE M. F. GONZALEZ
SUR LA LInERTJ~ 1 L'ÉGAL1TÉ, L'OLIGARCH1E ET LES RACES.


Le Correo dc Uitramas: du 31 octobre a publié un
hrillant et lumineux article de 11.le docteur Gonzalez,
dans lequel il se propose de démontrer l'excellence
des nouvelles doctrines poli tiques qu'il professe.


Cette production, comme toutes celles du mérne
anteur, est rernarquahle par la sincérité des convic-
tions, la loyauté et la franchise dans la maniere de
les soutenir, la précision des idées, la clarte des pen-
sées, la logique serrée du raisonnernent, le désir ar-
dent de découvrir la vérité. Cette derniere qualité est
si prononcée chez M. Gonzalez, que cet écrivain eút
pu adopter les célebres paroles du Dante" Cercando
il 'L'cro,» que Ilousseau a trarluites en latin de la facon
suivante: {( filan¡ unpetlere vera. »


On ne peut dire de M. Gonzalez ce qu'on a dit de
M. de Girardin : que parcil au Socrate d'Aristophane ,




- 298
il est suspendu dans les nuages et qu'il vit dans la ré-
gion des abstraeLions et des antitheses métaphy-
siques. L'éerivain de la Nouvelle-Grenade est clair,
précis, conséquent avee luí-méme ; il a horreur des
sophismes et des phrases vides.


Mais entrons en matíere.


1


M. Gonzalez accepte la liberté dans tous ses déve-
loppements; mais il I'accepte avee de grandes res-
trictíons.


Il accepte la démocratie et l'égalité; mais en Eu-
rope et pour la race caucasienne seulernent, et non
dans l'Amérique OU les races sont hétérogénes.


A la forme démocratique, il oppose la forme oli-
garehique, paree qu'il ne pense pas que la majorité
ignorante doive gouverner la minorité intelligente.


Apres avoir aeeepté en Europe la démocratie et
l'égalité, il ne tarde pas él dire que la démocratie est
une chímere qui n'a jamais existe.


Laissant de coté le principe de l'égalité, il soutient
la thése que toutes les races ne sont pas aptes a
exercer la souveraineté et él eontribner an dévelop-
pement de ce fait complexo qui se nomme la cívilí-
sation.


Tel étant le Credo politique de M. Gonzalez, il pose
les trois propositions suivantes, qui, examinées de
pres, se fondent en une seule.




- 299-
10 L'exlension de la liberté doit étre, dans chaque


société, relative a l'aptitude que possedent les indi-
vidus qui la composent, pour en user au profit de la
civilisa tion j


20 L'aptítude des individus pour faire usage de la
liberté est plus ou moins grande suivant la race a
laquelle ils apparticnnent j


30 L'usage étendu de la liberté, dans les sociétés
eomposées d'hornmes de diverses races, est subor-
donné aI'existence de certaines conditions indiquant
danslcs individus des instincts et des tendances fa-
vorables ala civilisation.


Avant d'aborder l'examen rapide de ces questions,
nous rappellerons que, suivant M. Gonzalez, • la li-
berté par elle-méme n'est ni bonne ni mauvaise,
C'est une faculté de l'homme, de l'usage de laquelle
peut résulter le bien ou le mal, suivant l'application
quí en sera faite.•


Nous admettons le príncipe paree qu'il est d'une
évidence absolue. Mais qu'est-ce que cela veut dire?
Que si la liberté est une faculté de l'homme, son exer-
cice doit étre reconnu a tous les individus, noirs,
blanca, jaunes, de telle ou telle latitude. La liberté
par elle-rnéme n'est ni bonne ni mauvaise; mais elle
est un instrument de bien et de mal; et c'est paree
que l'homme est appelé a une destinée immortelle
que Dieu luí a laissé cette faculté qui le perd ou
l'éleve. Intelligent et agissant en toute liberté, il suit




- 300-
la route du devoir ou s'en éloigne, mórite la recom-
pense ou le chátiment.


Devant Dieu, tout homme est responsable de ses
actes, et tous sont jugés par le Juge desjugcs d'apres
la mérne loi. Si Dieu a laisse la liberté a l'hommc,
l'homme ne peut l'enlever él son sernblahle ni la li-
miter, cal' la créature ne peut pas corriger l'ceuvro
du Créateur.


De la liberté, qui implique la responsabilitó, nais-
sent les droits et les devoirs, Les hommes ayant tous
des droits et des devoirs égaux, ayant la mérne ori-
gine et la méme fin, sont tous égaux devant la loi
morale, regle de toute loi écrite. L'égalité est d'origine
divine, comme la liberté.


L'homme vivant en société- et on no peut 10con-
sidérer autrement, soit qu'on I'ohserve dan s la fa-
millo, dans la tribu, dans la cité, dans la nation, -
est libre, et a ce titre est égal atout autre de ses sem-
hlables. Réuni en société, chaque associé doit avoir
la mérne somme de droits et de devoirs. De la vient
l'égalité civile et politique dans toutes ses dérivations.
Les limites de cette égalité sont les memos que ee1les
de la liberté. Nécessaires et indispensables, ces res-
trietions sont l'reuvre de la justiee qui nous or donne
de ne pas faire au proehain ee que nous ne voudrions
pas que le prochain nous Iít.


C'est paree que le monde anclen méeonnut les lois
préexistantes, la grande loi rnorale des devoirs, qu'il
sanetionna l' csclavage domestique, qu'il réduisit le flls




- 30l-
et l'epouse al'état de choses, qu'il fonc1a 1'exploitation
c1e l'hornmo par l'homme, c'est-á-diro l'esclavage; c'est
paree que la loi chrétienne, sublime expression de
l'éternelle loi morale, tend á se développer chaque
jour, que la femme a cessé de trembler devant le
fouet d'un maitre et d'étre un vil instrurnent de plai-
sir, pour remplir le 1'610 d'ange du foyer, d'épouse
et de mere; c'est pour cela aussi que le fils n'est plus
I'esclave du pere, et que l'esclavage est c1evenu une
institution réprouvée par les législations et par
l'Église.


De l'inégalité des faculLés intelleetuelles et des
force s physiques, il ne resulte pas que l'on puisse
logiquement ériger en systeme l'inégalité civile et
politiqueo Le príncipe de la responsabilité des actes
que 1'on exécute existant pour tous les hornmes, il
en résulte que si devant Dieu l'hornme est égal a
I'homme par I'árne et par le cosur, l'égalité existe au
sein de la socíétó.


Cela ne veut pas dire que l'égali lé des nivelenrs soit
l'égalité cluétienne : elle est la tyrannie de I'égalité,
engendrée par 1'envie; e'est l'inégalité baptisée du
nom contrairo. Plus honnéte, plus actif, plus pré-
voyant que Pierre, lean a plus que lui éclairé son
intelligence; il a tiré plus de fruit de son travail; il a
acquis une plus grande somme de hien-étre ; - lean
est supérieur aPierre dans l'usage do ces biens, paree
que tous les deux ont eu la mérne liberté pour arriver
a ce résultat, et que l'un des deux a mieux employé


26




- 30'2 -
sa liberté, ses facultés, qui sont un prolongement de
sa personnalité.


Que Pierre s'efforce d'arríver, par le travail el la
constanee, a la hauteur OU Jean s'est élevé au sein
de la liberté, e'est Iá la sainte égalité ; mais que Pierre
pretende, en vertu de l'égalité, que Jean descende a
son niveau, e'est la tyrannie de I'égalité, l'omvrc de
l'envie et de la force.


L'inégalité naít soit des privi!éges accordés, par
ceux qui abusent du pouvoir et de la force, au petit
nombre, aux castes, aux oligarchies; soit des privi-
léges auxquels les démagogues prétendent convier
les masses, sous le nom de communisme ou sous
toute autre dénomination.


Mais, dans l'un eomrne dans l'autre cas, l'abus
confirme le principe, au lien de le détruire.


Ainsi, reeonnaitre que le gouvernement, la souve-
raíneté, les droits, appartiennent aquelques homrnes
et pas ad'autres, e'est fonder un systeme qui n'est
ni expliqué ni justifió par l'étnde dn droit et de la
nature de l'hornrne. A qnel signe reconnatt-nn les
hornmes qui doívent gouverner et ceux qui doivent
étre gouvernés? Quí désigne ces hornmes? Parrni
ceux de la classe gouvernante elle-rnéme, tous ne
pouvant gouverner 1 qui choisira les supérieurs, ot de
quel droit prétendra- t-on les élire?


C'est paree que le prineipe de I'égalíté chrétienne
a été méconnu, que se sont fondés Ies'gouvernements
despotiques.




- 303-
Quels granda et Iéconds résultats a produits en


Franco le rcgirne de l'égalité! La cause de ces su-
blimes manifestations de l'esprit francais moderne est
tout entiere dans ce Iait que, sauf ces terribles moments
de flevre róvolutíonnaire auxquels est sujette la na-
tion Irancaise comme toutes les nations de race latine,
la patrie de Mirabeau a cherché a remplacer la hié-
rarchie de la naissance par la hierarchie du merite i
respectant ainsi l'égalité dans I'inégalité.


Napoléon Ter, dans un jour de franchise et d'expan-
siou, a qualiflé comme il doit l'étre le systeme de
l'oligarchio ou de la force. Causant avee Fontanes,
dans les avenues du bois de Fontainebleau ;


.-Savez-vous, luí dit-il, ce que j'admire le plus?
Le courtisan préparait sans doute une réponse


flatteuse, lorsque le grand capitaine le devancant ;
« C'est , ajouta-t-il, l'impuissance de la force pour


organiser une société, Il n'y a que deux puissances ;
le sabre et l'esprit ; a la longue le sabre est toujours
battu par 1'esprit. "


II esl aussi honteux d'étre oppresseur qu'opprímé,
Le peuple se leve centre l'oppression ; mais dans son
juste insrinct, il ne méconnait pas qu'il ya de légi-
times inegalités, qui Iont la gloire des nations et l'éclat
des siecles : -l'inégali té de l'intelligence 1 du savoir et
de la propriété noblement acquise.


« C'est paree que le peuple respecte ces ínégalités,
consecration de l'egalité des droits et des devoírs ,
que chaqué fois qu'un homme distingué par ses




- 30/! -
talents, ses vertus 1 ct (chose rarc l) par sa naissance
mérne I défend la liberté 1 il l'adopte pour chef: ainsi
ehaque fois qu'un hornme de talent vcut donner la
main á la róvolution , c'cst presquo toujours lui ,
depuis La Fayette jusqu'á Lamartine 1 qui prend la
tete de la colonne. Sons un régirne de liberté, le flot
porte de lui-méme la nohlesse libérale au pouvoír.
Aux plébéiens, aux fils do leurs reuvres , la libertó
vend sos Iaveurs plus eher : avant do penser á les
acquérir , il faut que le plébéicn conquierc , par un
long noviciat , une répu tation dans la carric ro do la
pensée ou de l'industrie. Il ne peut arriver á la vie
publique , la premiere ambition d'un homme de
merite, que sur le déclin de la vie , alors qu'il sent
déjá les approches de l'áge des désil!usions. Le patri-
cien, au contraire, pour toute espece de candidature et
en touto élection , trouvo dan s l'éclat de sa naissance
une éconornie de temps, une dispenso d'áge , un
avantage sur I'enfant de la multitude. Maure de lui-
memo el de la direction de sa pensée , gráce au
privilége héréditaire de la fortune , il peut voyager,
étudier, faire en un mot son éducation politique ,
avec la certitude de trouver une position qui le
mette amérne de rendre des services i son pays ,
cal' chez un peuple libre, un hornme est íoujours
ce qu'il veut (~ll'e, pourvu qu'il ait du talent '. »


Que gagna la républiquo de Floreuco apasser do la


1 111. Pcllctan.




- 305-
démocratie él. l'oligarchie? Sous le régime de l'égalité
l'Arno coulait rouge de sang , sui vant l'expression du
Dante; les Guolfes ot les Gibelins se portaient eon-
stamment de rudes coups dans l'aréne 1 " le sang
n'avait pas le temps de sécher ; » mais, au milieu de
ce terrible choe dos armes et de ce cri d'alarme
général, Florence croíssait en puissance et en gloire.
a Florenee avec son territoire si élroit, remplissait,
dit un éminent éerivain, le róle de puissanco de
premiar ordre , non-seulemont en Italie, mais en
Europe ; elle avait la suprérnatie dans tout ce qui a
rapport au génie, aux arls, á la littérature I a la
philosophie, a la seience, paree qu'il n'y a pas nouf
muses dans le monde, il n'y en a qu'une : la liberté. »


Florence , avec I'oligarchie fondée par les Médicis ,
oligarchie régie par un seul homme, voit mourir la
république au milieu des plaisirs; Florence, "morte
d'épuisement sur le lit de la volupté, ne fut plus
desormais , comme dit le président de Brosse, qu'une
mendiante parfumée, une cité savante dans l'art de
la musique et dans le métier d'entremetteuse... II


Un illustre maréchal de Franee, dont le nom appar-
tient al'histoire militaire et aux annales scientifiques
de notre époque contemporaine, avait recu en pre-
nant possession du ministere de la guerre, différentes
lettres de particuliers qui s'cfforcaient do prouver
leur paren té avec le nouveau ministre: " Jo rie
doute pas , leur écrivit-il, que j'aie l'honneur d'ap-
nartenir á la méme famille que vous; mais vous devez
~G.




- 306-
savoir que mon pere et mon ateul étaient cordonniers,
et mes souvenirs de famille ne vont pas au dclá du
pere de l'auteur de mes jours. Ainsi donc , si vous
voulez vous élever, travaillez , soyez honorables ou
continuez de l'étre , et servez utilernent la patrie. »


N'est-ce pas la une belle dófinition de l'égalité?
C'est l'inégalité, dit Aristote dans sa Potitique,


qui produit les révolutíons. M. Pradié Fodéré dit, dans
son traite de Droit politique et el'Economie sociaie :
« Les hommes I pris individuellement et compares
les uns aux autres 1 sont essentiellernent différents
et inégaux, Il e;xiste entre eux des inégalilés morales
et physiques qui occasionnent des différences néces-
saires dans leurs positions respeetives. La 10i de la
sociabilité naít de cette mérne inégalité des hornmes,
paree que c'est cette inégalitó qui forme et main tient
les sociétés humaines ou les corps sociaux , mais si
le législateur ne peut effaoer ces incgalités provi-
dentielles , paree qu'elles son t inhéren tes ala natura
humaine , íl ne doit pas en creer d'autres par une
répartition inégale des charges ou dos a van tages. »


Si depuis quarante ans M. Gonzales désire com-
prendre J.-J. Rousseau, sana y étre encore parvenu,
il n'est pas étonnant que nous , qui n'avons pas son
intelligence, nous l'ayons bien moins compris encere,
Le philosophe de Genéve n'est donc pas notre apótre :
nous sommes séduit par son style et par les tirades
de sentirnentalisme dont ses reuvres ahondent; mais,
que ses adorateurs nous le pardonnent J nous osons




- 307-
dire qu'il n'y a ríen-de plus absurdo que son prétendu
Contra: social, cupie de certaines idées allemandes en
vogue él cette époque, (ruant á son libéralisme , l'on
n 'est pas libéral , que nous sachions , lorsque comme
Ilousseau on soutient I'esclavage ,lorsque comme lui
on dit que pour gouverner les hommes il faut leur
faire croire qu'ils sont libres et les obliger aohéir
sans le lcur faire sentir. Quant a l'égalité, la seule
qu'il pratiqua fut d'envoyer ses eníants au méme
tour des Iiospices rl'en Ian ts tronves,


Arriere ceux qui confondent la liberté et la déma-
gogie, ceux qui font une mérne chose de l'ordre et de
I'oppression, ceux qui croíent que l'égalité n'en-
gendre que l'ochlocratie et l'autorité que l'autocratie!
Ceux-Iá sont les exagérés, les fanatiques, les enfants
terribles de la philosophie politique. Il n'ya pas de
liberté sans démocratie et sans égalite. Il n'y a pas
dordre sans autorité,


Il


A mesure que les principes chrétiens ont triornphé,
la société s'est transforrnée, passant du municipalisme
inintelligent ú la féodalité, dans laquelle étaient
représeutes á la fois le gonvernement absolu et le
germe démocratique, On a vn passer ainsi successi-
vernent sur la scene de l'histoire les rois en lutte
a vec les harons, ceux-ci avec leurs vassaux, plus tard
les allianees du monarqne avec les vassaux contre




- 308-
les spoliations des barons, puis celles des harons
avee les vassaux pour rnettre des bornes au pouvoir
tyrannique des rois. De I'isolernent que produisit la
féodalité poussée á l'oxtr eme, los croisades fírent
sortir le príncipe d'association, qui apporta les pre-
mieras lueurs de l'égalité civile et politique, par la
confusion dans les mérnes cohortes, son s le méme
symbole, du ch evalier et du vassal, sous la direction
de celui qui représente le mieux l'absence de caste,
nous ne disons pas de hierarchio - lo prétre,
Plus tard los communos, los États généraux, les
chartes octroyées par les mon:lrqucs, les constitutions
votées par les peuples, ont étendu le príncipe d'óga-
lité; a tel point qu'aujourd'Iiui on ne peut [oruler do
dynasties, mais que celles qui étaient fondees el
comptaient des siecles d'existence disparaissent peu
á pen; et que celles qui appamissent ne subsistent
qu'en vertu du génie personnel de leurs Ioudateurs,
Ces fondateurs eux-mémes commencent par payer
leur trihut a la souveraineté du peuple en tout ce
qu'elle a de plus absolu - le suílrage uníversel.


Et ce ne sont pas les princi PfJS , les considérations
abstraites qui démontrent que la démocratie et l'éga-
lité sont le Credo politique de la civilisation chré-
tienne. Les faits matériels, les conquótes do l'hornme
sur la nature mettent en 6vidence ot consolident
I'égalitó, en élevan t progrcssivement le nivean social.
Itien n'egalise et ne démucratise plus que les résultats
de l'élasticité de la vapour appliquce comme cause




- 309 -'-
de force, aux machines, aux navires, aux chemins
de Ier, Rien n'a porté dans ses flanes plus de con-
quétes démocratíques que l'invention de l'impri-
merie; il en est de mérne pour les découverles qui
font la gloire des temps modernes.


Nousle répétons : de mérne que l'ahus de I'autorité
n'est pas une preuve contre la nécessité du gouver-
nement ; - de mérne les clarneurs et les excés des
niveleurs ne prouvent rien contre le légitime prin-
cipe de l'égalité, Le fer peut servir él faire des socs
de charrue, ou a fabriquer des poígnards. L'imprí-
merie, dit Balmes, cornmenca par publier la Bible el
a souvent servi dans la suite ala publícation des plus
immorales conceptions de l'esprit.


Si l'éga1ité et la démocratie triomphent en Europe,
elles sont une necessité en Amérique, soit paree que
ces príncipes font partie de l'existence publique et
sociale de ses peuples, soit paree qu'il ya absence
d'une classe prépondérante; - cal' le caractere des
habitante, les clímats, les distances, le manque de
capitaux.Ja maniere dótrc, agricole et minérule avant
tout, de ces pays, et la distribution de la propriété
territoriale, rendent toute oligarchie impossihle et
absurde.


D'autre part, toute oligarchie a besoin de se fonder
et de s'appuyer sur la force. C'est découvrir un sin-
gulier remede que de prétendre guérir les maux dont
souffre l'Amérique en accumulant de nouvelles
causes de divisions et de luttcs




- 310
Une des propositions de M. Gonzalez est ainsi


formulée: « L'extension de la liberté doit étre dans
chaque sociélé relative al'aptitnde que possedent les
individus qui la composent pour en user au profit de
la civilisation.•


M. Gonzalez arrive ala théorie professée en France,
que la liberté .est bonne en Angleterre, mais que la
France n'est pas encore préparée a jouir de la meme
dose de ce grand bien. Cette doctrine exposée par Un
auguste personnage, a étó développéo par M, le duc
de Morny dans son discours d'ouverture des sessions
du Corps législatif, le 5 novembre 1863.


Le Mornil1fl-Post a eu a ce sujet, et en parlant de
l'aptitude des peuples a jouir de la liberté, une idée
trés-originale. « Cette théorie, a-t-il dit, rappelJe
I'histoire de ce pere qui voulait que son fils apprit a
nager, mais comrne pour apprendre a nager il faut
se jeter a l'eau, et comme pour oser se jeter a l'eau
il faut savoir nager, le pero ne voulait pas que son fiIs
se jetát al'eau. " L'affaire donnerait líen el de curieux
développernents.


L'hornrne étant en tous lieux le rnérne , - intelli-
gent, libre et actif; étant un étre raisonnable qui a
des droits et des devoirs, - non s 11e savons comrnent
et pourquoi, devant la science, non devant la force,
on viendrait lui dire : ici vous aurez la liberté; plus
loin vous l'aurez moins ; ailleurs vous ne l'aurez pas
du tout. Nous verrons plus loin qu'il y a certaines
manieres de préparer le bon exercice de la liberté




- 311 -
dans les pays peu avances en civilisation, moyens
proposés par 1\1. Gonzalez et que nous admettons
aussi.


Citons auparavant un passage tres-attachant d'une
brochure de M. Pelletan, récemment publiée a Paris
sous le titre de l'Ombre de 89, leure aM. le duc de
Persigny.


• . .. Tout ne consiste pas a aimer la liberté, dit
cet écrivain ; il faul aussi la comprendre. Vous dites
qu'il y a autant de liberlés dans le monde qu'il y a
de nations ou de différences d'épidermes : une liberté
hlanche, une liberté noire, une liberté cuivrée et
peut-étre une liberté incolore,


« Il y a autant de libertes qu'il ya de nations? Je
ne vous comprends pas, monsieur le due : La liberté
qui conviendrait a la France serait-elle par hasard
l'absence de liberté?


«Desl'instant oú, dans votre systeme, la liberté est
purement arbitraire, géographique, ethnograplúque,
anglaise en Angleterre, turque en Turquie, toute na-
tion est libre, parfaitement libre, puisqu'elle 1'est
eomme elle doit l'étre - par ordre de climat. Ainsi,
reclamar pour elle la liberté, c'est demander de l'eau
étant au milieu de la riviere.


« Qnoi! faudra-t-il, selon votre théorie, adrnettre
la liberté asiatique? Voici le Mogol ou l'équivalent de
Cabonl. De fait il possede sa constítution libérale, ap-
propriée au tempérarnent de son penple, la bourse
ella tete de chacun, Quand on le salue, il ne répond




..:- 312 -
méme pas a cette politesse, si ce n'est par l'interrná-
diaire du hourreau. Il prend les quatro cinquiernes
de tous les revenus et les rnange consciencieusement
avec sa íamille , ses élcphants et ses quatre cents
femmes légítimes. Tous les ans, on porte solennelle-
ment Sa Majesté sur une balance, et si elle pese une
livre de plus, on dit que I'État est prospere. Est-ce la
la liberté?


• J'aime la loyauté dans la discussion, et je me
garderai bien de vous faire dire oui ; au contraire, je
vous fais dire non. Mais cornment et par quel oubli
de 1'histoire avez-vous pu laisser échapper le nom de
liberté a propos de Sparle? Savez-vous bien ce qu'é-
tait la liberté dans la caserne de Lycurgue? C'était
le quart de la nation toujours sous les armes et au
régime de la gamelle; c'était la grande partíe du
peuple ilote ou méteque ; c'était la femme la jupe au
vent et a discrétion ; c'était la jeunesse, cachée der-
riere une haie, guettant le passant pour le tuer par
derriere ; maniere honnéte de s'exercer au métier de
héros. Si e'est la la liberté, vive la senitude!


" Non, monsíeur le duc, vous avez beau dire, la
I


liberté ne porte pas le manteau d'Arlequin. Il n'y a
pas diverses especes de liberté ni de diverses cou-
leurs, Il n'y a qu'une seule liberté, toujours une el
partout la mérne, Un peuple l'a ou ne Fa pas, ou ne
l'a qu'en partie: voilú toute la différence. On peut
bien la mettre ala torture, jamáis on ne lui fera dire
autre ehose ni signer un changement de personne...




~. 313 -
Et eomrno 011 présente l'exemple de l'Angleterre


aristocratique, le mérne auteur répond :
• Donnez-nous la liberté de la Suisse ou de l'Amé-


rique : je ne sache pas que la, il y ait une aristocra-
tie; et a défaut de la liberté anglaise, trop arístocra-
tique pour nous, paraít-il, nous aurons au moins la
liberté démocratique de Geneve et de Boston : nous
saurons nous en cantenter \. •


III


Quand on procede par esprit d'école et de systeme,
sans considérer ni analyser les diverses phases d'une
question, on commet les erreurs les plus regretta-
bles. Les uns disent : j'aímo la liberté; quant al'au-
torité, c'est l'ennemie née de la liberté; celle-ci est
incompatible avcc elle. Se peut-íl qu'il se trouve des
hommes intelligents qui raisonnent ainsi? Le nombre
cependant en est grand. Ce qui est certain , évident,
positif, c'est que la liberte et l'autorité ne peuvent
exister séparérnent. Leur essence est celle du droit,
Le droit fixe la limite ct non la liberté; et la justice
et la convenance générale fixent le droit, Partout
ou la liberté se presen te foulant aux pieds le droit,
elle amene la tyrannie , l'csclavagc. Le despotisme,
I'anarchíe, la servitude domestique, sont I'exercice
de la liberté brutale ou ele la liberté violant le droit,


t M. Pelletan.
27




- 314-
Refusez aun homme la sécurité, autorisez un au-


tre homme el exercer sa liberté sans limites, el de la
résultera l'oppressíon soufferte par le premier et la
tyranníe exercée par le second.


Refu:sezla sécurité aun peuple el accordez la liberté
illimitée a un hornrne seul ou a un petit nombre
d'hommes, el vous aurez le despotisme politiqueo


Laissez une liberté entiere el absolue a tous et en-
levez aces hornmes, devenns absolument libres, la
sécurité , et vous aurez le plus formidable et le plus
destructeur de tous les monstres - I'anarchie : qui
n'est que la liberté tres-étendue et illimitée pour tout
le monde, sans sécurité pour personne.


Les tyrans des peuples, les maures des esclaves
sont les amis les plus ardents de la liberté, non de la
liberté du prochain, rnais de la leur illimitée, L'a-
mour que les démagogues ont pour la liberté est
identiqnement le méme.


M. Guizot a dit dans ses jféditations et Études mo-
mies:


• La liberté est d'institution divine comme l'auto-
rité. Cequi est d'ceuvre humaine, c'est l'insurrection
et la tyrannie. Le jaur de la creation, Dieu prescrivit
a l'homrne I'ohéissance, sous peine de perdition. Le
jour de la régénération, Dieu mit en mouvement la
liberté de l'homrne pour cornmencer l'ceuvre du salut.


• L'autorité est la force raisonnable et nécessaíre.
Le despotismo el l'oligarchie sont la force absurde, »


Que l'on nous perrnette de transcrire les passages




- 315-
suivants de notre Étiule sur l'autorité el la liberté, pu-
bliée a Madrid il y a guelgues années :
..•.•.. Pour nous, le véritable príncipe se-


rait celui quí proclamerait a la fois la souveraineté
basée sur l'intelligence et sur la force: ce seraít la le
príncipe de la souveraineté individuelIe, qui pourrait
ajuste titre s'appeler de droit divino Ce serait le gou-
vernement de chacun par soí-méme, du municipe par
le municipe, de la province par la province, de la
nation par la nation; et cela sans que le gouverne-
ment perdit de son unité, ni le citoyen de sa liberté
individuelle,


Le gouvernement doit faire ce que chaqueindividu
ne peut faire par lui-mémo. Son action doit tourner
au profit individuel et communal. L'État, comme dit
l'auteur de la Politique universe/le, étre abstrait et col-
lectif, n'a le droit de regir et de régler que ce quí est
nécessairement indivisible, par conséquent indivis,
essentiellement collectif, exclusivement publico Nous
admettons ce qu'établit Bastíat dans son livre sur les
Harnumies économiques et dans sa brochure La Loi,-
que le gouvernernent n'a d'autres attributions que
de veiller él la sécurité publique, percevoir les con-
tributions, administrer les propriétés de la commu-
nauté, diriger !es relations extéríeures,


M. Ernile de Girardin a imprimé dans son écrit sur
Y'Aboiiiion de l'Aulorilé, etc., les sentences suivantes :


" Les deux príncipes qui se disputent l'empire des




- 3l6-
sociétés sont: I'autorité absolue : la liberté ahsolue,


« Ces deux génies antagonistes s'cxcluent mutuel-
lement et sont tout afait incompatibles. Il ne peut y
a voir jamais le moindre accord entre eux. -lIs sont
fatalement logiques et conséquents par leur nature.
L'essence de chacun d'eux consiste dans la dostruc-
tion de l'autre,


«L'autorité, fille de la force, est basée sur la con-
quéte ,


« La liberté, fille du travail et de la raíson, se dé-
veloppe par l'économie.


« L'autorité est assise immobile sur la foi ; - la li-
berté marche appuyée sur l'examen.


« L'autorité proclame le mal et le renferme dans
son sein j -la liberté proclame le bien et l'étend sur
le monde.


« 1'autorité favorise l'ignorance ;-la liberté inspire
la science.


« L'autorité protege I'erreur el poursuit la vérité.
a La liberté protége la vérité et poursuít l'erreur,
« L'autorité est une invention de l'hornme; - la


liberté est un présent de Dieu.
« Il faut choisir entre ces deux ennemis irréconci-


líahles. n n'y a pas de milieu, pas de transaction pos-
sible entre eux. L'un est le génio du bien, I'autre est
le génie du mal; l'un est la lumiere, l'autre est les
ténebres. Celui-ci a COl1r;U et produit le passó, celui-
lá abrite et fécondo l'avenir, 11


L'autorité est, d'aprss eotto thcoric, rejetée d'une




- 317-
maniere absolue. Il en est de memo de la véritable
liberté, de la propriété, de l'éeonomie, de la raison
et du travail, bases de la liberté, d'apres M. de Gi-
rardin lui-méme. Mais n'est-ce pas rejeter en rnérne
temps la civilisation , la société ?


La liberté est un présent que Diou Iégua a
l'homrne. L'autorité est un attrihut de la divinité.


Qu'est la droíto raison de l'homme? La droite raíson
est I'ínstitutrice de la liberté. C'est la lumiére qui
montre Ú l'homme le ehemin qu'i! doit suivre, C'est
la maltresse de la liberté. C'est l'autorité de l'homme
sur Iui-méme . Éclnirer la raison , c'est diminuer les
prubabilitésd'erreur en diminuant les probahilites du
mauvais exercice de la volonté, Par conséquent , c'est
donner a l'autorité la prépondérance sur la libertó.


Et de méme, qu'est-ce que la liberté dans l'homme?
C'est la preuve de l'imperfeetion de son intelJígence
et de sa volontó, La perfeetion de l'intclligence et de
la volonté exclut l'existence de la liberté d'éleetion,
puísque la liberté consiste el choisir entre deux voies :
eelle de la verité et celle de l'erreur; et pour une in-
telligence et une volonté parfaites, il n'y a qu'une
voie possible, la voie de la verité.


Si la libertó est sainte , l'autorité est saerée. L'étre
pensant ne peut arriver asa destinée immortelle que
s'il imite les perfections d11 Crcateur, que s'il fait
usage de son intclligence et regle tout d'apres elle.-
L'intelligence proclame l'autoritó comme nécessnire ,
paree qu'elle proclame la necessite ele l'ordrc, ct
~7.




- 318-
qu'il ne peut y avoir d'ordre sans autorité: L'ordre
est la félicité du ciel, comme il est sa loi. - Sans
ordre il n'ya pas de liberté, il n'y a pas de honheur.
L'autorité, fine de l'intelligence divine et appui de
la liberté humaine, es! la reine du ciel. C'est l'auto-
rité qui rend possible I'existence sociale,


Sans l'autorité, la société serait un chaos; ce serait
le royaume des ténebres, elle deviendrait la proie des
plus forta, par conséquent des plus barbares.


L'autorHé assure la liberté, paree qu'elle protege
le plus faible contre les attaques du plus fort,


L'autorité veille sur l'honneur desfamilles et chátie
les torts quí sont faits achacun de leurs membres.


L'autorité couvre la propríété de son égide sainte
et punit séverement le ravisseur et le larron,


L'autorité donne l'impulsion au développement des
éléments de prospérité publique, en favorisant, bien
entendu, les progres des particuliers.


L'autorité protege les talents et leur préte un ap-
pui certain.


L'autorité poursuitle criminel et défend l'innocent.
La liberté n'est pas UD.seniíment ignoble qui con-


sacre les exces, qui Iait germer les iniquités. Elle est
un sentiment pur comme la vertu, qui, rendant
l'homme le maítre de ses actiens, le met dans la voie
du bien, et en fait le digne fils du Créateur, par les
vertus qu'il pratique.


La liberté que possede l'homme pour faire le mal
est une liberté égarée : c'est le pouvoir de Lucifer




- 3HJ-
pour se révoller centre Dieu, c'est la jalousie de Catn
jetant la 1110rt sur la terre, Ce n'est pas l'ange du
bien descendu du ciel pour consoler l'homme j c'est
le génie du mal sorti de l'enfer pour torturer l'exis-
tence humaine.


La liberté qui viviííe et fait progresser, la liberté
qui conserve, n'est pas, suivant l'expression d'un
écrivaín américain, la liccnce qui, couverte du bon-
net rauge, foule aux pieds le cadavre de son Irere ,
pour y plantel' son étendard ensanglanté. Ce n'est
pas la demagogia, qui regarde les gouvernements
commé les ennemis naturels des peuples ; ce n'est pas
l'impuissance , formulée de raíl en príncipe de gou-
vernement; ce n'est pas l'orgueil, qui veut faire au
peuple I'aumóne de ce qui lui est dú de pleiu droit,
Non! La liberté, c'est I'individu sacrifiant une partie
de son droit en Iaveur de la communautó ; c'est
l'Évangile mis en pratique; c'est le bien de tous et
de chacun, sans le mal du dernier des membres de
la communauté politique : elle a son origine dans
l'ardent désir de félicité et sa limite dan s le préjudiee
du prochain. Telle est la liberté: le reste n'est que
licence, vanité ou mensonge.


Mais les tyrans ne sont pas les seuls ennemis de la
liberté. Les passions sont les véritahles tyrans de
l'homme. Quand la raíson et l'intelligence sont sub-
juguées par les passions, alors l'individu manque de
liberté, alors il perd le sceptre que le ciel hñ donne
pour étre le roi des créatures, et il devient le dernier




- 320-
des étres créés .• La tyrannie des rois, disait un écri-
vaín francais en 1849, est moins lourde que celle des
passions, Joseph, au fond d'un noir cachot rl'esclave,
ótait plus' libre que l'orgueilleux Pharaon sur son
tróne, Jean-Baptiste et ses freres étaient moins escla-
vesqu'Hérode dans le triornphe do sa volupté, Pierre-
attaché ala croix, élait plus libre que le sanguinaire
Nerón.


La premiare et la plus désirable de toutes les liber-
tés est ceHe que ron obtient par le triomphe re m-
porté sur soi-rnéme; de mérne que l'esclavage le plus
dégradant est celui qui IlOUS assujettit au despotisme
des passions, qui nons fait suivre leurs impulsions
cornme les tetes suivent les instintos de leur gros-
siere nature.


IV


Nous n'admetLons pas non plus que l'on nous offre
pour les uns la liberté, pour les autres la sécurité, ou
pour ceux-Iá I'égalité. Il faut donner tout a la fois,
paree que, s'il n'en est pas ainsi, la liberté que l'on
donne est difforme, Liberté, égalité, sécurité, sont les
parties d'un méme tont; et ce tout répond ala nature
intelligente et morale de l'hornrno. Ne 1l0US offrez pas
une de ces parties seule, paree que nDUS .avons be-
soin de toutes, comme d'air, de Inmiére et d'eau.


L'oligarchie n'aurait pas de degrés, D'apres ce que
nous cornprenons du systerne de M. Gonzalez, on
irait en montant jusqu'au plus intelligent, el, pour




- 321 -
chercher cetto intelligcnce, au risque de ne trouver
que la lorce, on remonterait jusqu'au temps de l'ab-
solutisme pur, de la c1assification des castes, du ré-
gime des priviléges. La liberté ne peut exister avec
le privilége.


Un éloquent écrivain a tracé, dans uno brochure,
les lignes suivantes qui résument notre pensée:


"... Égalité, liberté! Quand la presse renoncera-
t-elle a jouer avec ces mots et a les jeter en l'air I'un
ap1'8S l'autre, comme la Dubarry jetait ses oranges
en criant : Sante, ChoiseuI! saute, Praslin t Peut-étre
y a-t-il antinomio entre ces idees. Peut-étre l'égalité
est autre chose que la liberté!


{( La liberté, quelle qu'elle soit, implique I'égalité ;
cal' la liberté accorc1ée Ú l'un et rcfnsée ú I'autre perd
aI'instant son nom de haptérne, pour prendre le nom
de privilége.


{( L'égalité, par cornpensation, implique toujours
la liberté; car pourquoi demander l'égaJité, si ce n'est
pour avoir la permissíon de faire tont ce que fait le
voisin. Eh bien! que signifio cotte perrnissicn , sinon
la liberté ou une forme de liberté? il


Par ce qui précéde on voit comhien est erronée,
selon notre maniere de voir, la prerniere proposition
de JI. Gonzalez : " L'extension de la liberté doit étre
dans chaque société relative á l'aptitude que posse..
c1ent les individus qui la composont pour en user au
profit de la civilisation. »


A cette formule, qno la dérnocratie , et surtout en




- 322-
Amérique, veut dire gouvernement de la majorité
barbare sur la minorité inlelligente, nous opposons
celle-cí : Soit dans les démocraties, soit dans les aris-
tocraties, la minoríté audacieuse domine la majorité
inerte et égoíste; depuis Cicéron , on a toujours ré-
peté les mémes plaíntes : le parti qui veut la liberté
dans l'ordre et dans la justice est apathique 1 indo-
lent; il n'a ni chefs, ni programme; il manque d'ac-
tion, dans les conflits graves; il s'agite, il court au
combat quand il rr'est plus temps, et souffre le mar-
tyre en silence. Quand il monte au pouvoir, il se frac-
tionne et abdique entre les mains de la démagogie.
Dans l'opposition, il moralise par la presse el ala
tribune parlementaire; mais il agit peu. Dans le gou-
vernement, il ne sait ni contenir ses ennemis, ni con-
tenter ses amis.


Le mal que signale M. Gonzalez ne provient pas
de la dérnocratie ; il est inhérent a tout partí d'ordre,


Le parti démagogique est, au contraire, audacieux,
sntreprenant, et, comme il est agressif, il a des chefs,
une hanniere et un programme ; il est uni, rusé, fait
de la propagande, Dans l'opposition, il préche les
idees les plus exagérées et proclame la liberté abso-
lue. Au pouvoir, il gouverne avec une baguette de
fer et étouffe toutes les libertes publiques.


La Nouvelle -Grenade 011"1'e a M. Gonzalez un
exemple qui prouve que le mal n'est ni dans la souve-
raineté populaire, ni dans la démocratie,- mais dans
l'état moral de celte société: il faut y former les




- 323-
mreurs, moraliser les classes élevées, donner au parti
de l'ordre, c'est-á-dire des citoyens honnétes, une
impulsion et une direction. Lorsque existait le suf-
frage restreint, I'élection a double grade, au temps
de Lopez par exemple, dont le gouvernementfut une
oligarchie (car il y a aussi l'oligarchie de l'ignorance
et du crime) , les prétendus libéraux tríomphaient
aux élections, soit par la fraude, soit par le poignard.
Quand s'établit le suffrage universel, c'est-á-dire la
plus haute expression de la démocratie, la contrainle
n'étant pas aussi facile a exercer sur les électeurs
disperses que sur les colléges électoraux d'aupara-
vant, le suffrage universal fit triompher les hommes
d'ordre. Cela s'est répété deux ou trois fois dans Is
Nouvelle-Grenade,


N'est-ce pas la une preuve en faveur du peuple et
de la démocratie?


Quand les soi-disant libéraux ont étahlí, en j 854,
la dictature d'Obando , en 1860, la dictature de Mos··
quera, qu'ont-ils fait? Pour triompher,ils se sontbien
gardés de faire appel au suffrage universel : ils out
abolí le suffrage, suspendu l'exercice des garanties
iudividueBes, étouffé toutes les libertes, rendu des
décrets sur les suspects; ils ont declaré que l'imprí-
meur méme devait étre puni pour la seule admissiM
(le décret ne disait pas pour la publication) d'un ar-
ticle hostile a la dictature j ils ont confisqué les pro-
priétés des bons citoyens pour les répartir entre les


.soldats ; ils out dressé des sellettes, Pour tout cela,




- :l'2'¡-"
ils ri'ont pas Iait appel au pcuplc, paree que lo peuple,
pcrsonnificati on de la démocratie, leur était hostilc,


Si I'aphorisme de de Maistre, approuve par M. Gon-
zalez , el qui consisto a dire que partout le peii:
nombre a rneJié le granel, était exact, dans le scns que
lui donnent M. Gonzalez et le publiciste savoisien ;
s'íl était vrai que les intelligents aient toujours gou-
verné de fait, 1\1. Gonzalez ne serait pas réduit ú
soupirer apres l'oligarchie de l'intelligence et de la
vertu , puisqu'elle existerait partout, Ce qu 'il y a de
certain, surtout dans les sociétés ou les mreurs ne
sont pas Iormées, e'est que le pe lit nombre, non celui
des intelligents, mais eelui des audacieux, étonffc la
voix du grand nombre, des hommes honorables, de
la démocratie, de la souveraineté populaire. S'il ri'é-
tait pas arrivó dans la Nouvelle-Grenade ce que disait
1\1. de Montalernbert en 18'18: " Vous, les hommes
d'ordre, vous laissez aux demagogues le nionopolo
de l'audace, " .i\Iosqucra et Ohando, surtout apres le
discrédit dans lequel ils tornberent, ne seraient pas
parvenus a renverser une administration conslitu-
tionnelle et honorable, et a Ionder le régimc de la
plus épouvantable tyrannie.


Ainsi done, ce n'est pas le l'egne de la dérnocratie
qu'il íaut craindre, c'est le regué du petit nombre dos
audacieux ; ces audacieux ont Iait qu'aujourd'hui dans
la Nouvelle-Grenade la société est divisée en deux
catégories : l'une réduite , les fripons ; l'autre norn-
breuse, les martyrs, Quels sont les plus blámahles ?




- 3LJ -
Dans ce pays, il y a en de uornhreuses reformes


constitutionnclles. Obaque reforme a amené une
augmentation de liberté; mais chaque liberté a étó
nominale, et chaque fois la somme de liberté réel1e
a été moins considérable, De nos jours la liberté
réelle est descendue a zéro, tandis qne la liberté
écrite est montée an degré le plus elevé.


M. Gonzalez trouve que la souverainetó populaire
est illusoire des I'instant OÜ I'áge fixé pour l'oxercer
chcz les hommes est de vingt et un ans et qne les
femmos et les cnfanls en sont oxclus. Ce n'est pas lá
un argument sórieux , et c'est la premiare Iois que
nous trouvons un argument do cctto espcce dans les
ócrits do jI. Gonzaloz. Ition n'ost absolu dans l'reuvre
des hommes, L'áge de vingt el un ans ost la limite
flxóe par la nature mérne !lOUr QU\111 hornme soít '
homme, pour qu'il ait pu arriver á avoir un métier
ou une profession , En exagerant, on yerra combien
l'argument en question est faihle : Si I'on accordait
le droít de suífrago aux fcmmcs el aux cufants de
sept ans (el quelques radicaux néo-grenadíns ont
demandé la premicrc de ces choses), M. Gonzalez
pourrait encare dire : on excluí encore les fous, les
idiots el les cnfants au-dessous de scpt ans jusqu'aux
nouveau-nés ; l\I. Gonzalez scrait encere aulorisé a
répéter : « 11 faut appclor les olieses par lour nomo
La souveraineté exercée par la rnajoritó dos hornmes
ágós de plus de vingt el un ans (en ~e cas-Ia ce serait
plus de sept) sera Ion! ce qu'on voudra, moins la


28




- 3:2G --
sonveraineté du peuple. C'est une núpntion de In sou-
veraineté du pcuple pum ceux-lá mémes qui l'invo-
quent. »


y


M. Gonzalez dít :
« Vous me demanderez peut-étre : Que pcut-on


done Iaire en Amérique '?
(( Renoncer aux flctíons et constítuer les gouver-


nements sur les príncipes d'une vérité brillante et
claire,


« La souverainelé reside dans la réunion de fonc-
tionnaíres élus pour gouvernor la nation par la
majorité ahsolue des individus mulos üg(\s de vingt
et un ans, qui, sachan t lire el écrire el no dépcndant
de personne atitre de journaliers ou de domestiques,
ont une rente armuelle de .... provenunt d'une pro-
priétó fonciere ou d'une industrie ou profession.


« Ce serait-Iá une ver! !() claíre déduite logique-
ment de la fin que doi t Se' proposor uno societé chré-
tienne, et de l'aptitude des moyens propres á obtenir
cette fin .•


Eh bien! en Europo et en Amérique, il y a des
libéraux et des dérnocrates tres-ardents qui ne sont
pas partisans du suffrage univorsel , La démocratie a
coexiste avec le suffrage restreint. Le suffrage uni-
versel est la plus haute expression ele la démocratie ;
mais il exige pour son exercice legitima: 10 l'instruc-




- 327 -
tion primaíre gratuito et obligatoire ; 2° l'ample li-
berté do la presse , les lihertés de réunion, d'associa-
tion, de pétition : 30 la responsahilité ministérielle.


Nous avons toujours consideré comme tres-saga
le principe de la consti tution néo-grenadine de 1830,
suivant lequel " tout indívidu qui , dans un delai déter-
miné par le législatour, ne saurait pas lire el écrire ne
pourrait exercer les droits de citoyen, Il Pour exercer
un droit, il fau t le eonnaitre, el, pour ne pas attaquer
le droit dautrui, il Iaut savoir quels sont les devoirs
qui nous incornhent , ou ce qui est la méme chose,
jusqu'ou s'étend notre droit, Il est évident que celui
qui vit plongé dans l'ignorance la plus profundo ne
peut avoir des notions bien claires de droit et de
devoir. Celui qui, en outre de cetle ignorance, est
sous la dépendance absolue d'un autre, ne gagnant
qn'un failile salaírc, ot pour lequelle suffrage est un
drnit qu'il ne connalt pas et ne reclame point, et
qu'il exerce, non par procuration, mais par ordre
d'un maitro,- celui-lá n e sait pus ce que c'est que
la patrie; et comme il n'a ni intéréts él défendre, ni
droits ú cornprendre, toutes les cocardes lui convien-
nent et toutes les hannieres lui sont indifférentes.
Pourvu que le cens soit peu elevé et que I'instruction
soit gratuito et ohligatoire , un démoerate peut
adoptar le systome proposé par ~l. Gonzalez dans les
lignes ci-dessus transcritos. C'ost un systeme de
transition qui, confirmant le droit de suífrage, pré-
pare les citoyeus in poteniia ale devenir plus tard




- 3~8 -
in ccui, pour le bien <lo la sociétó et lour proprc
honneur, De méme que les rlémocratos adrnettent le
princi pe <lo l'exclusion des cnf'ants el des idiots elans
l'exercice dn suffrage, de memo on doit adrncttre
I'cxclusíon temporaire eleceux qui, par leur ignorance
ou leur dépcndancc absolue, ne savent el ne peuvent
exercer par eux-rnémes un eles droits les plus impor-
tants de I'hornme dans la société politiqueo


Mais de l'etahlissement ele cette restriction tran-
sitoire, conflrmation du principe de la souvcraineté
populaire, iI ne resulte pas que I'oligarchie devienne
une conséqnence fatale. Le suífrage universel est de
date tres-recente, el la souveraineté populaire exis-
tait avant qu'il ne Ionctionnút, Le cens électoral Iaisse
la porte ouverte a tous ceux qui par le travail et leur
activíté peuvent surtir ele la dépendance ahsolue des
nuiure«, devenant ainsi de véritahles citoycns. Une
proposition sernhlahle á celle de M. Gonzalez a été
soutenue, en 1862, elans un journal tres-liberal et
dérnocratique de France.


De nos jonrs, un écrivain tres-émínsnt, M. Dollfus,
appuyé par les démocrates rédacteurs du Temps, a
sontenu une these sernblable. I1 dit, entre autres ve-
rités fécondes :


« Ce qui importe ú la liberté, ce sont moins les
constitutions et les chartcs, et moins encore les insli-
tutions, que les mrnurs publiques, qui scrvent ele
base ú tont l'édifice d'unc nation. lJ


Mo Dollfus cousidcro comrne incapahlcs d'étre li-




- 32\J -
bres ceux quí n'ont pas conscience du devoir, et dé-
clare qu'il n'y a pas de peuples ni d'individus aussi
fáciles asournettre á la scrvitude , que ccux qui obóis-
sent uuiquement a leurs instincts. « La liberté, dit-
il, n'est pas une concuhine qui demande frcquem-
ment les grandes tirados, la fougueuse impétuosilé
de la passion, le delire de la lutte et l'ivresse du
triomphe. C'est une épouse sévere, et si l'union avec
elle exige des sacriflces, elle procure la felicité. Avant
tout elle impose des devoirs et stimule l'énergie
pour les rernplir. Son cornmerce ri'inspire pas la sen-
sualité, mais la maturité et le calme. La concubine
disparan touj ours quand disparan l'ivresse de la
passion. Aupres de I'épouse, quand la passion a été
rassasiée, il reste le devoir et 1'estime reciproques, et
ce nouvcl aitachement, moins véhement, mais plus
durable et plus Iécond, plus amical et plus digne de
l'homme qui a ohtenu la possession de soi-mérne.
Les Francais ont aimé la liberté comme une concu-
bine, el c'est pour cela qu'ils l'ont souvent trahie, »


Le méme écrivain, qui defend avec ardeur la liberté
et l'égalité, signale les abus de l'une et de l'autre, et
les moyens de los corriger, en travaíllant á former
les mmurs, a instruiré le peuple, amoraliser les clas-
ses supérieures, pour que lo scntiment de l'égalité
ne dégénere pas en envie, en esprit niveleur.


M. Dollfus dit :
« Le sen timen t du devoir ne suffirai t peut-étre pas


á l'homme libre; il Iaut qu'il soit Ilcr el qu'il no soit
:l~




- 330-
pas vain. Un hornme fiel' n'appartient qu'á lui-méme,
le sentimsut de son indépendanee alimente sa noble
fierté. Un homme vain appartient el sa vanité. Sa va-
nité disposo de lui; eette vanité le Jivre pour un ru-
han, pour un titre, pour un moreean de pouvoir qui
le mette en évidence, Vain et venal son t deux adjee-
tifs qui vont de pairo Un hornrne vain est toujours a
vendre ; il ne faut qne lu i flxer un prix ..... L'homme
fiel' cherclie fa propre approbation. L'hoimne vani-
teux chercho l'nj.prolmtion des nutres. Les aulres,
c'est Je publie, et le puhlic, e'est le vulgaire. Le vul-
gaire est I'esclave de sa propre soltise, de eette sot-
tise qui reste la bouche bóante devant l'éelat exté-
rieur. L'homme vain est done l'esclave d'un esclava,
auquel il croit iruposer le rcspect ; il se trompe luí-
mérne et trompe le publico »


M. Duvernois, qui approuve les itlées de \1. Dollfus,
fait cependant l'observation suivante .


• . . . M. Dollfus craint ayer; raison ces sentiments
mesquins qui énervent un peuplo ou 1111 hoinrne 1 le
mettent en mauvais termes avee ses vérítablos amis
et le livrent él ses dangcreux adulateurs, M. Do1lfus a
raison quand i1 montre la supériorité de la persóvé-
rance et de la volonté persistante sur ce caractere
fougueux dont nous tirons tant vanité ; mais M.Ilollfus
doit se méfier de cette ten dance qui le T,ousse él aller
par déduetion du particulier au général; il ne doit
pas prendre pour le caractere francais ce qui est le
proIuit dune crise sociale. La premiare phase de la




- 331 -
Révolution a 61éune pliase d'égalité el a amené le re-
gne de la vanité : la seconde sera lihérale ct amenora
le regne de la noble Ilerté, de la dignité et du de-
voír. JI


VI


M. Gonzalez donne beaucoup d'importance a la'
questíon eles races et soutient qne les unes onl été
produitos pour gouverner, les antros pour obeir ; les
unes pour civiliser, les nutres pour alimenler la bar-
barie.


Cette thcorie cesse d\~tre poli tique pour devenir
philosophiquu, el par cnnsóqucnt morale. La théorie
de M. Gouzalez ne tenrlrait aríen moins qu'á soulenir
qu'il y a diversos ey(:ariolls: que l'honnne hluuc, l"Eu-
Topeen (el tonl au plus le métis, dit J\I. Gonzalez}, est
le seul qui ait ~c9n le son rile immortel du Créateur-,
qui ait elé dote d'uue .lrne iutelligcnte, libre et active;
que lhommo noir «tl'Indicn sont uno sorte d'orang-
ontangs un peu moins laids, rnais ni plus iuteIligents,
ni plus dignes de la liberté. De sorte que l'Indien et
le négre, bieu que responsables de leurs actes devant
Dieu el devant les hommes, ne sont pas nés pon!'
jouir de droits, mais pour remplir une plus grosse
somme de devoirs.


Si c1ans la Nouvclle-Grcnade il ya díversité de races,
le politiqu e, suívant notre humble opinion, ne doit
pas travailler él les mettre éterneIlement dans un




- 332-
antagonisme absolu, mais ales refondre, á les elevcr
et a les moraliser, afm que tous contriuucnt ala p6-
nib!e tache du développement de la civiiísation, qui
est la meilleure direction donnée aux facultés intel-
lectuelles et morales de I'homme.


A propos de la question génél'ale eles races en ce
qui concerne la Nouvelle-Gl'cnade, la tMorie de
]\1. Gonzalez est détruite par ce fait que ce ne sont
pas les classes barbares qui fonl les révolutions et
commettent les scandales que stigmatise justement
l'éminent publiciste. Ce sont les Llanos, les créoles,
les métis et les negros cioilisés qui, par amhition , par
cupidité ou par vanité, invoquant toujours des noms
sacres pour les profanar par leurs acles, comrnettent
les plus grands exces et inondont de sang le sol de la
patrie.


Si ce sont les civiliscs de toute race qui agissent
ainsi , I'anatherne que lance M. Gonzalez contre les
races qui ne sont pas d'origine caucasique est sou-
verainement injuste. Si ces rnaux eristent , commo
on ne peut rnalheureusement pas le nier, dans la
Nouvelle-Grenade 1 et sont protluits par les civilisés,
le remede n'est pas celui qu'indique M. Gonzalez ,
mais on doit le chercher ailleurs ; il consiste, comme
nous l'avons déja dit, a former les mreurs , a mora-
liser les classes élevées, á Iorrner un partí compacte
et actif qui travaille pour la cívilisation et pour la
liberté dans la justice et le devoir, qui no laisse pas
le charnp libre uniqueincnt aux dcsorgauisateurs




- 333-
Il consiste aussi iJ. stirnuler l'cmigration , en ayant
soin de choisir les élémenls dorit elle se compose,
afin que ces élérnonts nous apporlent les arts 1 la
science 1 le travail; qu'ils nous aiden t el. cultiver nos
terres , el. preparar des voies de communication; a
sanctionner des lois liberales au fonel; a éLablir
des gouvernements qui ne se préoccupent pas de
satisfaire eles vcngearices de parti , mais qui songent
a rernplir leurs dovoírs et el. pratiquer la justice.
Lorsqu'il en sera ainsi , il Y aura sécurité, industrie,
capital, hicn-étre général, et le travail sera un dérí-
vatif efIicace el. la fievre révolutionnaire inoculée par
les créoles , les mótis , les Ineliens et les civilises.


Dans les nations de l'Europe si travaillées aujour-
d'hui par les divisions civiles, par les guerres ínter-
nationales , ou par la paix armée, ce ne son t pas, que
nous sachions, les negres et les Indiens qui fo-
rnentent et maintiennent ces luttes sanglantes; ce
n'est pas non plus la dérnocratie et la souveraineté
populaire , puisqu'elles n 'exístent pas en Ilussie ,
en Prusse , en Autriche , en Turquie , etc. N'est-ce
pas la une nouvelle preuve contre la these de M. Gon-
zalez , qui a formulé ainsi sa seconde proposition:


« L'aptitude des individue el. faire cet usage (de la
liberté) est plus ou moins grande selon la race aZaquelle
ils appnrtietvaeni? »


Voici ce que nous écrivions en 1859, sous le titre
de Races el Nationolüés :


On parle beaucoup aujourd'hui de races , d'ill-




- 334-
fluence de races, de leur antagonisme radical, de
leur prochaine fusion ot do millo autres abstrae-
tions.


En premier lieu, il ne faut pas confondreles races
proprement ditcs et les sous-races avec ce qui con-
stitue les nationalités. Les unes son t les reuvres de la
nature , les autres naissent des divers actes de la
puíssance humaine,


Blumenbach compte cinq races humaines, qui se
suhdivisent en une inflnité de sous-races , ce sont la
caucasique ou hlanche , I'ethíopique ou naire,
la mongolique ou jaune , l'américaine ou rauge,
la malaise ou noire-j aune. On peu t di re que les deux
grandes sous-races sont l'arnéricaine, qui se confond
presque avec la mongolique , et la malaise qui tient
de la mongoliqne et de la caucasique.


La grande différonce entre les races, ce quí leur
donne une supériorité relative, et cela a été démontré
par Buffon et par le secrétaire perpétuel de l'Académie
des sciences de France, ce ri'est ni l'ovale plus ou
moins prononcé du cráue, ni la plus on moins grande
quantité de pigment existant entre l'épiderme et le
derme de chaque individu ; mais l'influence du
climat, les aliments, les mreurs. Cette vérité, énoncée
par Buffon , a été prouvée par Larnarche.


Ces diverses circonstances cxtórioures peuvent se
modificr ct so modifient en réalité. TI est facile de le
cornprendre quant aux alirnents et aux mraurs ;
quant au climat , s'il ne peut étre change , l'action




- 33b-
qu'il exerce sur les hommes est susceptible de madi-
fications.


De ton tes ces races , la premicre est, sans doute,
la caucasique, Elle n'a été soumise ni gonvernée, dit
Lamarche, par aucune autre race ni sous-race. Elle a
excellé dans les sciences et dans les arts; elle a préché
et prop<Jgé l'idée d'un seul Dieu, créateur et remuné-
rateur , Moíse, J ésus , Mahornet , lui appartiennent.
Elle a constitué les gallvernements les plus régulíers,


Mais pour le philosophe chrétien , tan te cette no-
menclalure de races est de peu d'importance. La
grande vérité révelee et propagée par le christia-
nisme, c'est que l'homme est doué de facultes égales,
qu'il a une méme origine, qu'il aura une méme fin,
que tous les homrnes sont égaux en droits, paree
qu'ils sont sournis aux mérnes devoirs. Il n'y a qu'un
Seigneur, Dieu, el toutes ses créatures sont égales
devant lui, Tous les hommes sont freres.


Le temps des questions de races est passé. Nous ne
sommes plus, gráce ú Dieu, dans ces époques réculées
ou les philosophcs parcns prétendaient que certaines
races devaient étre sous la dépendance de certaines
autres, La justice a depuis longtemps terrassé la
force, et dans un avenir peu éloigné, cette grande
et Iéconde véritó qui a triomphé dans les familles,
aura été reconnue définitivement dans les relations
des peuples entre eux.


L'hornme, intelligent, sensible et libre, est maítre
de lui-méme ; il se doit él Dieu , devant lequel il est




- 33G-
responsable mérne de ses plus secretes pensées, il a
des devoirs euvers so, Iarnille, cnvers ses semhlables,
envers la sociétó dans laquelle il est né et devant la-
quelle il est responsable de ses aetes extérieurs.
• Intelligenee servie par des organes » et animée par
des passions : il a une haute mission ¡\ rernplir dans
la táche de I'humanité,


Lamarehe dit avee autant de raison que d'é-
c1at:


(( A quelque raee que les hornmes appartiennent,
ils sont toujours doués, sauf le cas de maladie indí-
viduelle, de tous les grands attritmts particuliers iI.
l'espece humaine : le sentiment religieux, la pudeur,
le sentiment de la famille, celui de la propriétó trans-
missible de pere en fils; la parole et les languos,
l'óducation, le calcul et les seienees, le don de diriger
le feu, de fabriquer les instruments pour suppléer
a l'insuffisanee des forees musculaíres, les arts d'ími-
tation, enfin la eonscience, ou vit le sentimen t d'une
responsabilité d'outre-tombe. C'est de ces auriinus
communs, quoique cultivables ades deqrés différents, que
résuitent les droits généraux communs a Tespece, d'oú
dérivent immédiatement les droits politiques parti-
culiers achaque nation. •


11 n'y a aucun príncipe de gouvernemeut libre, de
droit civil, pénal et politique, de droit internatiunal ,
qui ne soit consigné dans les principes chróticns,
Aussi, sous quelque latitude que ce soit, dans los
contrées les plus éloignées, au sein desquelles a pé-




- 337 ~
netl'é la lurniere de la civúisation acíueúa, la famille
est organisée sur do rneilleures bases; la société est
régie par des institutions plus justes que celles des
peuples anciens; les relations entre les l~tats se sont
régularisées, et dans la paix comme dans la guerre
on a vu disparaítre cot esprit rnalfaisant, qui faisait
que les hornmes se regardaient comme ennemis et
non comme freres. Il y a rnalheureusement encere
beaucoup a faire ; on verra bien des luttes sanglantes
encore entre le droit et la force, entre le christia-
nisme, religion de l'avenir, et certaines inspirations
des áges paíens, qui, préte» á s'éleindre, ne sont ce-
pendant pas encore complétement évanouies.


La chaíre, la presse, les missions, le commerce
aidé par la vapeur, la solidaritó étroite des intóréts
industriols dans les diversos latitudes, l'osprit fécond
d'association : tout cela prepare la íusion des races
et l'harmonie de l'humanité, qui ne peut se soustraire
aux lois invariables de la solidarité et de la révcrsi-
bilite, Le monde gravite vers I'unité grttce au chris-
tianisme; et i1 n'est pas bien é1oigné, le jour ou, les
barrieres, - frontieres 011 douanes, qui séparent les
peuples étant renversées,-oú les fleuves et les mers
intérieures étant ouverts a la navigation de lous les
peuples, - ou la proprieté industrielle et la propriété
Iittéraire, - ces deux sorurs de si noble origine étant
garanties, -le commerce des idees, comme celui des
produits agricoles et manufacturiers, s'eflectuera li-
brement. Alors seront abolles les armées permanen-


2[)




- :338 -
tes, menace constante pour la liberté et source in-
cessante de pauvrcté ; alors se réalisera l'uniforrnité
des codes civils et criminels, des poids, des mesures
et des monnaies, des tarifs de poste, de télégrapho ;
alors tout homme, blanc ou negre, juif', chrétien ou
musulmán, de telle ou telle autre latitude, jouira sur
toute la terre des mémes droits civils, et toutes les
créatures de Dieu vivront sous la douce et sainte loi
de charité et d'amour. Ce ne sont pas lá de vains
songes: le monde d'aujourd'hui , comparé acelui
d'hier, nous assure que la main de la Providence
aide el ne détruit pas l'ceuvre de l'homme, qu'elle
s'efforce d'ótahlir partout le regne du droit, en fai-
sant dominer I'esprit chrétien.


Mais, malgré les triomphes obtenus, la Iice est en-
care ouverte. Il faut que l'individu ait encore plus
de droits, qu'il entre dans l'exercice plus plein et
plus entier de ses facultés intel1ectuelles. Une lutte
est encere nécessaire pour renverser non-seulement
les derniers vestiges de l'époquc féodale, mais ces
nouveaux systernes qui rnettent le peuple en tutelle,
ces créations mensongéres de classes qui s'élevent
entre le pouvoir et la multítude. 11 faut que les aris-
tocraties de sang tombent, et que l'égalité de tous les
hommes soit reconnue partout. Le systeme du droit
divin des rois est aussi abusif que celui qui proclame
la sainteté de la noblesse héréditaire,


On doit admirer certainernent le courage et la
franchise avee lesqueJs M. Gonzalez soutient ses opi-




- 339-
nions, mérne celles qui peuvent choquer lo plus l'es-
prit de conventionalisme,


Ce publiciste, on le voit, est sincere dans son désir
de chercher la vérité; il puise un noble courage dans
le dédain qu'il professe pour les Iaveurs inconstantes
de la multitude , et dans son pen de goút pour la
popularité ephérnere.


Si nous contredísons ses nouvelles théories poli-
tiques, ce n'est pas pcur nous attirer la faveur des
démagogues.qus nous avons accepté pour adversai-
res, dermis que nous avons pu manier une plumeo
C'est paree que nous ne les croyons pasjustes, paree
que nous ne trouvons pas que le remede qu'il propase
soit efficace pour guérir le mal si grave dont souf-
frent les républiques de I'Amérique latine. Ainsi I
dans la Nouvelle-Grenade , nous ne nous lasserons
pas de le répéter, ce qui est le plus nécessaíre, c'est
de Iormcr les intnurs, de moraliser les classes civilí-
sées, d'organiser un parti d'ordre ayant des chefs,
des príncipes fixes et un programmo bien défini.
Dira-t-on que ce u'est pas 1<1 ce qui manque, quand
OIl voit un Mosqueta uni aun Obando et aun Lopez,
ennernís acharnés pendant quaranie ans qui s'al-
Iient pour faire une révolution contre un gouverne-
ment organisé et pour annuler ensuite toutes les
lihertés publiques, en rnérne temps qu'ils proclament
les lois les plus liberales du monde?


Le pire resultar do la tyraunie de Mosquera et des
radicaux, ce n'est pas d'avoir confisqué, fusillé sans




aucune formo do preces, assassiné, etc., erc., mais
d'avoir pervertí les esprits, d'avoir corrornpu le ca-
ractere national, d'avoír preparé la voie á de nou-
veaux tyrans. 'I'irnon l'a dit : )) On no pcut gou-
verner par la íerreur qnc sur des pcuplcs láches et
corrompus. ))


VIII


La díscussion quo nous avons eu I'honnour do son-
tenir avec M. Gonzalez cst, au fond, la mérne que
eelle qne nous avons soutenue, il y a cinq ans, avec
le publiciste chilien M. A. Montt, Nous pouvons
reproduire aujourrl'hui, cornme résumé de ce debat,
quelquos passages des articles quo nons publiámes en
1859. Nous disions alors :


Nous avons Iréquernrnent entendu M. Montt dire :
" Qu'on ne me parlo pas do snfl'rage uníversol, de
souveraineté elu plus granel nombre, et encere moias
de la souveraineté indíviduclle. Pour moi, rnajorité
numérique équivaut á minorité intelligentc. ))


Si M. Montt acceptait franchement les principes
qui triomphent dans le monde, et qui sont la base de
la politique intérieure de l'Amerique du Nord, qu'il
Ioue tant, la rente serait nplanie ponr luí, et sa pluma
brillante pourrait rendre dos sorvices plus irnportants
a la cause de l'humauitó.


Commcn t M, Montt vcut-il douncr la forco pour base
aux gouvernemonts. s'il ne kgitimo pas cctte force,




- 341 -
s'Il no fait pas connaitro les Litros incontestables de
ce gouvernernent '? Nous ne sommes pas de ceux qui
font appel ade chimériques ccturats sociau« ; non: la
doctrine du philosophe de Geueve a été discréditée
par son auteur méme ; mais il est évident que, pour
examiner les droits sociaux, nous avons aexaminer
l'élérnent primordial, - los droits individuels,-la
personnalité, - le moi. Le point de départ est facile;
il est philosophíque. L'idée d'iudividualité est anté-
rieure acelIe de société. D'apres l'exarnen des Iacul-
tés individuelles, origine des droits, nous trouvons
les tribus nomades, les sociétes pastorales. L'appré-
ciation des facultes humaines nous donne la mesure
des droits individuels et du pouvoir social. L'examen
des sociétés ernbryonnaires et la cornparaison de leurs
maniere d'étre avec les socielés civilisées nons montre
l'crreur de la doctrine de M. Montt, qui, avec certai-
nes reserves, veut mettre la majori le sous la lutelIe
de la minorita. L'erreur de 1\1. Montt provient d'une
cause que 110US aVOl1S déjá indiquée: le publiciste
chilien noxamine pas les quostions ¿¿ priori; il ac-
cepte les Iaits, et choisit daus ce qu'il trouve, sans
remonter aux principes de la science, ou, ce qui es!
la méme chose, allX Iois du monde moral.


Si nous devions exprimer par une formule d'école
la doctrine de 1\'1. Montt, en le faisant tres-líbéral, nous
di rions qu'il sou tient le principe que la sou veraineté ré-
side dans les inteIligenees. L'auteur de I'Essaiveut que
ce soit la majorité intelligentc qui.dit-il.est la minorité


29.




-3U-
numérique, qui gouverne ; maís qui a le droit de dire:
Je fais partie des intelligents? Quel est celui ou quels
sont eeux qui doivent dire ú ces intulligents : Gou-
vernez? Si dans une association industrielle, dont
M. Montt ferait partie, un, deux 011 plusieurs des as-
sociés disaient : nous prenons la di rcction des affaí-
res, paree que nous sommes les plus capuhles, que
ferait M. Montt? Nous pensons qu'il protestcraít et
qu'il ferait appel au vote de tous les associés, S'jI en
est ainsi, pourquoi M. Montt veut-íl que dans la
grande assoeiation poli tique, tous n'intervíennent pas
dans l'éleotion de eeux qui doivent diriger les affaires
eommunes? La comparaison est défectueuse : non-
seulement il s'agit, dans l'association politique , d'in-
téréts matériels,- mais il s'agit cucore de la Iamille,
des contrats, de toutes les actions de I'individu, de-
puis sa naissance jusqu'á sa mort, de sa vie, de son
honneur, etc" etc. Et cependant M. Montt veut-il que
le petít nombre s'arroge lesdroits de la majorité ? ll
est clair que, el probité égale, il es! plus utile et plus
juste que les intelligenls gouvernent; rnais au rnoíns,
puisque l'on reconnait l' élément Force, que]'on laisse
le plus grand nombre, dans lequel elle reside, exer-
cer ses droits, Si la majorité nurnérique est minorité
in telligente, l'une et l'autre constituent la force, et
ron ne peut dire que l'on a celle-ci lorsque ron
compte el peine un de ses élémcnts.


« M. Montt reconnatt, page 135 de son ouvrage,
les bases de toute organisation politique, et cependant




- 013-
il n 'y conforme pas ses doctrines. Il y a dix ans, nous
avons puhlié une théorie semhlable dans une bro-
chure sur l'influence du christianísrne, sur la substi-
tution de la [usiicc au {ait ei de l'in/elligence ala {orce.
1\1. Montt dit: • El chose étonnante 1 non-seulement
« le christianisrne a fixé les príncipes qui doivent
« gouverner le crcur , mais aussi les lois qui dirigent
« 1'entendement: il cst criteriwn en mérne temps
" que conscieuce, logique non moins que morale j
« que ron prcnuc un prccepte quelconque, I'amour
• du prochain, par exen-:ple; que ron étudie la na-
" turo, le caractere et le résultat de eette loi morale,
« ot ron trouvera qu'elle eontient d'innornbrables
" príncipes de poli tique, de societé et do philosophie,
, c'est-á-dire priucipes d'entendernent el de juge-
« rnent. En eifet,si n011S considérons le prochain comme
(, noire éqal el! son IÍI/W et ses sens, [rere tleuasü Dieu;
" xous LE GONSJl)I~1I0NS EX FAIT Gomm f:GAL EN DEVOlRS
• El' EN pnJ~I\OG,UIVES, CITOYEN EN I'IIÉSENCE DE LA
e HÉPliBLIQUE, FHl~l\E DEVANl' LA LO!. De la na1t tou'
" nn S!JSleme politiqueo De la l'abolition de l'eselavage,
« de la seroitude, DES PIIIVILÉGES, ETC••


Comment I'intelligent et savant M. Montt, apres
avoir établi de tels principes, peut-il , soutenir sa
théorie de la tute1le du peuple, dn gouvernement de
la majorité par la minorité, et accepter comme ex-
eellent le gonvernomcnt anglais, ou regne et domine
le régime aristocratique, - régime qui rend nulle
systeme représentatif qu'ií veut faire figurer dans ses




- 344-
parlements, - systeme qui rcndrait nulles toutes les
lihcrtés si celle de la presse n'existait pas ?


Nous donnons pon d'importance aux formes de
gouvernorncnt : nous n'airnons pas á prendre l'ombre
pour le corps, Que tous los droits soient reconnus,
que leur exercice soit garantí, et á cettc condition
nous acceptons la rópublique et mérne la monarchie.
Notre systemo est simple: gouyorner pou, gonverner
avec droit, donner de la force ace gouvernement,
autant de force pour rernplir sa mission que l'indi-
vidu en a pour rernplir ccllo qui lui cst propre. Dans
une autre occasion nous aVOIlS dit ce qui suit : Quo
domando un ponplo pour étrc libre? Que la souve-
raineté individuelle soit reconnne, et qu'en consé-
quence on garantisse la liberté ahsolue de suffrage,


la liberté d'industrie, la liberté de disposer comme
on l'entendra de la propriété légitimement acquise,
la liberté de locomotion, la liberté de pétition, la
liberté d'association, la liberté de s'arrner , la liberté
de l'enseignement, la liberté de la presse, la liberlé
de conscience. Ainsi entendue, la libérté « est le droit
divin, • parce qu'elle es! la legitimité de tous,


Que faut-il pour qu'un peuplo soit libre? Que ces
libertes et celles qui en dependent soient reconnues
et pratiquées. Mais pour qno la.loi cerito soit une vé-
rité, pour que la liLerlé de Jean no soit pas hornee par
la force de Pierre , il Iaut qU'UIl tiers veille a ce que
chaque droit soit exercé dans sa propre spliere, ace
que chaqué individu nu droit. duquel il aura été Iait




- 345-
tort rentre en complete possession de ce droit, et
recoi ve en outre l'indemnité necessaire. Ce tiers, ce
protecteur est nommé par Pierre et par Jean, et ace
titre il exerce sur tous deux un pouvoir légitime, cal'
tous deux ont contríhué á Iui indiquer la facon dont
il doit agir pour maintenir I'empire de la justice, Ce
protecteur, en ce sens, n'est pas souverain, cal' la
souveraineté étant indivisible et individuelle, ne
118Ut se transférer d'un hornrne a un autre. Le pro-
tecteur exerce los fonctions, non pas de son verain,
maís d'arbitro, de régulateur : il fait que chaque in-
dividualité se circonscrive dans sa propre sphere, et
veille au maintien de chaque souveraineté.


Mais il y a des affaires qui n'appartiennent ni a
Pierre ni á Jean, mais a tous les deux et a tous les
autres associés ; tous les intéressés, ne pouvant
prendre part a la direction de ce qui leur est com-
mun , nornment un adrninistrateur général,


L'ensemble des associés forme la natíon; mais
comme des fraotions plus ou rnoins grandes de ce
pouple occupont divers territoires de l'État, ses frac-
tions ont des intéréts respectifs, scctionnels, qui se
concentrent dans plusieurs autres cercles et nécessi-
tent une administration locale.


La natíon, rj~tat, se trouvent soit par le voisínage,
soit par les nécessités du cornmerce, en relation avec
d'antres associations politiques ; comme chaqué in-
dívidu ne pourra s'entendre ú la fois avec un autre
État pour régler les relations reciproques entre les




- 346-
deux nations, il faut qu'il y ait des delegues quí
interviennentdans ces arrangements, devant toujours
se soumettre acertaines bases; d'oú la souveraineté
collective nationale. Dans les peu pIes libres, apro-
prement parler, il n'y a pas de souveraineló interne,
immanente, paree que Ia souveraineté est une et
indivisible, et cette souveraineté est individuelle.
Une natíon prend le caractere de souveraiue dans
ses relations avec une autre nation.


Ainsi donc , ce qui importe a un peuple, e'est que
les droits individuels soient bien definis et garantis;
ce qui importe aux nations , c'est qu'on leur laisse le
libre maniement de leurs intéréts particu liers ; ce
qu'il y a surtout d'important, c'est que ce qui est in-
divis soit bien distingué de ce qui est individuel : la
direction de ce qui est indivis regarde I'adrninistration
publique, - ce qui est divisible regarde lindividu,
C'est la une idee fondamentale: que les administra-
teurs aient peu d'attributicns, rnais que dans tout ce
qui leur est laissé, c'est-á-dire tout ce qui n'en tre pas
dans la sphére individuelle, ils aient la force et les
moyens de remplir leur mission , de mérne que les
individus ont ces moyens et cette force.


L'ceuvre de l'administration générale doit done
se borner a donner la sécurite , a punir les délits, a
maintenir l'honneur national, ft diriger les intéréts
généraux, á régler les relations intemationales.


L'ceuvre des sections doit étre d'administrer ce
qui, par sa nature, est d'un caractere local,




- 3'17 -
Cela une fois établi , que faut-il aux associés ?


S'unir, se resserrer ; plus encore : tendre ala fusión
des races, des príncipes et des intéréts, en ouvrant les
fleuves el les mers inlérieures a la libre navigation
de tous les navires du monde; en donnant des droits
égaux ú tous ceux qui se soumettent aux mémes de-
voirs ; en reconnaissant, enfin, dans tous l'excellence
de la souveraineté individuelle,


Voilá le moyen rl'établir la liberté réglée par
l'autorité, d'harmoniser les droits et les devoirs, de
fonder l'empire de la justice, d'arriver a la paix, a
l'ordre et au hien-étre général , que l'honorable
M. Montt veut voir régner partout,


L'étude de M. Gonzalez offre encore beaucoup de
points qui provoquent la discussion; mais nous ne
pouvons pas nous étendre davantage; le temps et les
loisirs nous faisant défaut,


En lisant l'ceuvre de M. Gonzalez, nousne ponvons
que répéter les paroles de 11. Cuvillier-Fleury dans
son analyse des « Lettres inédites de Sismondi ala
comtesse d'Albany, • publiées récemment parM.Saint-
René Taillandier.


.... L'auteur conserve, comme on le voit dans ces
écrits, tous les caracteres d'un esprit éminemment
lihéral ; ji les a tous, exceplé un seul : il n'est pas
ferme devant les dangers el les égarements de la
liberté. II


Pour nous, nous conservons sans altération nofre




- 3Ul-
foi eh Dieu, qui est la synthese suprérnc de l'univers,
notre foi en la Raison et en la Liberté, qui sont la
synthese supréme de I'hornme,


Paris ¡ 18ú3.




BIBLIOGRAPHIE.


1


DE LA PEINE DE :lrIORT, par J.-M. TORRlis-CAICllDO l.


Un écrivain des plus distingués, M. 'I'orres-Caiocdo ,
anclen représentant de la République de Venezuela, pro-
sateur, poéte, économiste, versé dans la scienee de la
politique, vient de publ ier sur la Peine de rnort uu tr avail
aussi remarquablepar l'élévation de la pensée,'que par la
ehaleur de la eonviction. Ce sujet est plus que jamais a
l'ordre du jour; des faits récents lui ont imprimé une
palpitante actualité. Née au XVIII' si ecl e, posée par les
philosophes h umanitaires de eette époque, traitée par
les Beccaria, les Voltaire, les J.-J. Rousseau, discutée
depuis bien souvent, cettc question a pris dans ces der-
niers temps une place exceptionnelJe dans la po Iémi-
que. Des poétes puissants, des philosophes éminents,
des publieistes ingénieux, des orateu rs célebres en ont
attaqué ou soutenu la légitimité ; les esprits ont été agi-
tés,les conseiences. remuées, Quel probléme en eflet
que celui de savoir si la soeiété a le droit de se faire
justiee el lc-mérne ! que de ehercher si la soeiété ayant
ce droit, il est nócessaire d'en user! M. 'I'orr-és-Caiccdo
n'a point reculé devant la diffieulté de la solution, i1 a
voulu apporter le tribut de ses l urnicres dans I'enquéte,
sa déposition consoiencieuse dans le débat.


Pour 1ui , point d'hésitation : la société est sans droit
quand elle demande la vie d'un homme en expiation d'un


parís, Dentu, éditeur, Palais-Royal .
30




- 350-
crime, Pour Iui , ce ri'est pas sculcmcnt une odieuse ini-
quité, c'est encore une barbarie mutile.


« D'o ú vi ent, d it-i l , a la société lc droit d'infliger la
« peine de mort? Q uels avantages produit 1'application
« de cette peine pour l'assassin, pour la victim e, la fa-
« milJe de ce dernier, ct la société en général? •


Le droit de tuer naitrait-il du droit individuel? Mais
un individu, qui n e saurait disposer m é me de sa propre
vie par le suicide, n'a le droit de donner la mort a son
semblable que dans le cas strictemcnt limité de la l égi-
time défense. Le droit social nétant que la résultante
des dro its i u div id ue ls , la société a-t-elle le dr o i t de dis-
poser de I'ex isteu co d'un homme dans le cas OU il est
forcé de se défendrc? Jamais, répond M. 'I'orrés-Caicedo:
le coupable emprisonné, désurni é , peut to ujcurs étr e mis
hors d'état de nuire sans pour cela perdre la vie, el un
individu qui, dans une circonstance pareille mettrait son
ennerni amort, cornmettrait un crime. Il doit en étre de
m éme paur la société. « Il n'y a pas, ajaute-t-il, deux
« ju.stices, 1'une individuel1e, l'autre sociale. »


En dehors d u droit, que gagne d'ailleurs la société a
l'exécution d'un criminel? Rien . Qu'y gagne la famille
de la victime? Rien encore. Il n'y a pas de réparation
du dommage causé, il n'y a pour le corps social que
la perte de deux membres au líeu d'un , et un spectacle
sanglan.t donn é au peuple,


En tuant un coupable, aucun des buts que doit se
proposer une législation pénale n'est atteint. Sans effi-
eacité sous aucun rapport, el le ne protege pas plus par
l'intimidation qu'el Ie ne peut amender par I'exemple.


Au XVI" siécle , demande M. Torres-Caicedo, qu'a-
t-on gagné a·brüler, a. rouer, a écarteler , etc.? On
était alors prodigue de cruautés : les crimes étaient-ils
moins nombreux, étaient-ils moins horribles? au con-
traire, et Beccaria a pu s'écrier ave e- r aison que les
« siécles oú furent mis en usage les chátiments les plus
le barbares furent toujours déshouorés par les plus
e monstrueuses atrocités. »


De nos jours, M. Caicedo cite comme exemple du peu
d'efficacité de I'échafaud, I'assassinat d'un gendarme es-
pagnol poignardé sur le lieu mérne o ú l'on exécutait un
malheureux condamné pour avoir, lui aussi, tué un
gendarme.




- 351 -
La peine de mort, inj uste, barbare, inutile, n'est-elle


pas de plus formellement condamnée par J'Évangile? El
comme question accessoire , au nom de q uel droit, de-
mande M. 'I'orrcs-Caicedo, la société impose-t-elle aun
citoyen le m étier de bourreau?


Comme chrétien, comme philosophe, M. 'I'orrés-Cai-
cedo s'éléve avec force contre la peine du dernier sup-
plice. I1plaide énergiquementpour l'abolition absolue
« de l'échafaud. » .!\lais s'ensuit-il qu'il aiJle jusqu'aux
extremes conséquences tirées par certaines écoles?
Veut-il l'abolition dc to utes les peines afilictives comme
i¡¡compatibles avec le respect dú á la personnalité
humaine? Veut-il établir une simple sanction morale et
se contenter de la réparation des dommages causés ?
Loin de lit, il condarnne hauternent une pareiJle doc-
trine qui proclarnerait I'irnpunité entiáre et « retirerait
« la hache des mains du bourre au pour la remettre aux
« coupables q ui tueraient les hormétes gens. » Il affirme
l'inviolabílité de la vie humaine, mais il ne veut pas du
régue des criminels. " Levons bien haut, dit-il, I'éte n-
« dard de la justi ce , rnais ne mettons pas les hommes
« de bien it la merci des méchants. Défendons la civi-
« lisation, mais n'allons pas, par une anomalie singu-
« l iére, introduire la barbarie. »


Nous avons essavé de montrer l'enchainement d'idées
-et les principaux·.r~isonnementsur lesquel s M. TOl'res-
Caicedo s'cst appuyé pour ar rivcr asa radicaJe conclu-
sien. Maintcnant, si nous nous interrogeons nous-m éme,
le livre ferrné , et ne nous trouvant plus sous l'influence
deja prose élógante ct colorée de l'auteur, nous so mmes
bien obligó de di re que nous avons été séd uit par Je
talent de l'écrivain , mais que nous n'avons pas eté con-
vaincu. Mi\lgre tout ce q u'ont de spécieux les arguments
de M. 'I'orr é s-Caicedo. malgré toute la logique qu'il a
déployée dans sa discussion, il nous est impossible
d'admettrc son opin ion. II nous semble que la société a
le droit, pOllr son salut, de se défaire d'un hornme ccu-
pable d'un de ces cr imrs dont la fréquence _mettrait en
danger I'ex isten ce m érne du corps social. Un se resigne
it cette extrémité, de m ó m e que pour sauver un malade
on ne craint pas de retrancher du corps humain un
membre gangrené.


Qnoi! pour un intórút souvcnt douteux, la sor:iéte a le




- 352-
droit d'envoyer au delá des mers, a une mort presque
certaine, de pauvres paysans arrachés a leur charrue,
et on lui dénierait celui de faire périr un coupable!


q; La punition est la sanction de la loi, • et nous ad-
mettons pour la so ciété le droit, dan s certai n s cas nette-
ment d éfinis, de donner al a l oi la pl us terrible de toutes.
Mais il Iaut, nous le reco nnaissous volontiers avec Bec-
caria et Voltaire, que, pour que la peine de mort soit Ié-
gitime, elle soit nécessaire.


La perte de la vie nousparait un chútiment dont la loi
pénale n e saurait encore se passer. N 011S savons tout ce
qu'on peut dire ace sujet. L'excmplo cité par M. 1'. Caí-
cedo nest peut-útre pas un fait isol ó. N'a-t-o n pas con-
state que presque tOLlS Ics mi sérables condamnés amort
avaient autérieurement assisté aune 011 plusieurs exé cu-
tions capitales? Mais il y a aussi des faits contraires a.
all éguer. Ici , c'est un homme qui, avant de tuer sa
femme, sinquie te et demande si l'on guillotine encare; Iá,
c'est un accusé qui avait cherché a savoir j usquoú il
pouvait aller dans le crime sans cr aindre I'échafaud.


Certes , la peine de mort n'est pas un remede assuré,
infaillible. Elle n'empéche ]las le crime de s'accompl ir,
mais q ui oserait dire q u'el le est complétement inefficace
et q u'el le u'arr éte aucune main? Et si la crainte de la
mort prévenait un seul assassinat dans une année, la vie
de l'homme qui en aurait été victime ne vaut-clle pas au-
tant que celle de plusieurs scélérats frappés de la peine
capitale ?


No us espérons qu'un jour, par suite de l'adoucis-
semcnL des mosurs, des p rogr ós de l'instruction, de I'ac-
croissement de la prospéri té générale, de la moral isatinn
des masses, la peine de mort, de moins en moins appli-
quée, sera complétement abolie. A.lors, selon I'expres-
sio n h eureuse d'un illustre orateur, on pourra licencier
les execute urs des hautes ceuvres. Nous appelons cej our
de nos vce ux les plus ardents ...


Hélas I anotre époque de civilisation si avancée, il
est a craindre que ce moment soit encore éJoigné. Nous
nous rappelons qu'a I'Assemhléc co nstituante de 1848,
dont la majorité ótait animéc a la fois de scntimcnts
sages et génereux, la q uesti on de la peine de mort fut
largement et séricuscro cut discutée. La passion l'aurait
peut-étrc cmportó sur la raison si un magistrat, un




- 353-
j nriscun s ulto plcin de scie nce , n'av ai! ólcvé ccttc quostion
a la h auteur d'une véritahle éloquence et d'une logique
irresistible. Aprcs son discours. qui restera dans nos
anuales poli tiques el. parlementaires, I'Asserub lé e passa
a l'ordre d u j our , Co magistrat, j 'airne aciter son nom,
est mon ancien coll é g ue, M. Aylics, aujourd'hui con-
soil ler a la Cour de cassation .


Mais en attendant que la peine de mort disparaisse de
nos Codes , u'a-t-on pas pour les crimes corumis dans
ces mouvements désordonnés o ú la passion dominant
l'homme ne l ui laissc pas une entiére Iiberté rno ral e,
na-t-o n pas l'immonse el. pr éciouse r ess o ur ce des cir-
co nstances atténunntcs ? Qu'on reserve le dernier cháti-
ment, la supr é me expiation pour Ics cas heureusement
rares oú des crimes longucment el. froidcment medites
viennent epouvanler la so cietó ; qne, pour nOUE servir
des paroles de Voltaire, le glaive de la loi so it do plus
en plus cmo ussé, rien de m ieux : nous le rópétons : iI
ne n ous semble pas que le temps scit encore arriv e oú
ce terrible glaive do iv e étro r iv é au fourreau el. u'en
plus sortir,


Ori aessayé dans plusicurs pays de supprimerla peine
capital e ; ces tentatIves n'ont pu r ó uss ir , souvent m éme
cette prétendue abolition n'a eu líen q u'en apparenco ot
n'a éte q u'un mcnsonge.


M. Caiccd o luí-memo cite la No uvel le-Grcnade , oú
nno loi abolit la pciuc de m or t , et ou pourtant des ci-
toyens sont f'usi llcs pour simples délits po liti q ucs.
Quelle anomalic !


« Abolissons la peine de mort, mais que MM. les as-
sass ins commenccnt, » a dit nagu ere avec autant d'orí-
ginaJité que de j ustesse un spirítuel éerivaín quí, to ut
r óccmmeut encore, a rcproduit sa célebre petite phrase
en la commentant de la fagon la plus piquante et la plus
vigoureuse 1.


Ne faut-il pas que J'adoucísscmcnt des m ceurs pu-
bliques pr ócódc cel ni de la légísJa1ion? Ce u'cst pas a
ce tte dern i ó ro quil f'au t demander d'amerier le premier
r ésultat.


I Lettrc de .\L Al p h onso Kar r al! Siécle, La Gaset!« des Tri-
61/.naux en a donné la eonclusion d ans so n num6ro du 8 sep-
tern bre lI:Hi4.


30.




- 35'1-
11 est ce pe nd au t des points oú n o us sommes he ur eux


d'elre d'accord avec 11. 'I'orr és-Ca icedo . Cet écri vain
se faitnn argument, a l'appui de sa th6se, de la publicité
d o un é e au cb áti ment. Ces exéeutions o ú la foule se rue
commo a une Ióte , oú Io condamné. objet d'une avide
curiosité, finit ou par inspi rer la pitié s'i l pl euro devant
la mort, ou par exciter presque la sympathie des as~
sistauts s'il a le triste courage de poser j usque sur l'é-
chafaud et de mo urir san s sourciller, ou par les iudi-
gner s'i] i nsulto a la Io is a la société et au chátiment,
comme cel a s'est vu il y a quelques semaines; ces
éxécutions, d isous-n ous. sont un spcctaclo déplorable
auquel non t qu'a perd re l a moral e et la pudeur publi-
ques. Tous les cre ur s h o nu étes e n sont róvoltés.


Po ur q uo i la pe iue ne serait-elle pas sub ie daos l'en-
ceinte dune prison, devant un jury désigné ad hoc et
chargé d'attestcr la r énlite de I'cx écution du j ugement?
Ponr étre entonrée d'une sorte de mystere religieux,
loin des regards curieux de la foule, la terrible peine
en scrait-el le rnoins effravuute ? Qu i sait si l'intimida-
tion sal utai rc q u'el le d oit insp irer n'cn scrait pas au
co ntr ai re augmentéc ?


Nons n ous sommes Ia iss é e ntral ner aux développe-
mc nts sur cette q uesf.ion de la peine de mort, si com-
plexo, si diffioi le , si do ulo urcuse: rnai s n o us avo ns cr u,
pré cisé mon t paree que I're uvrc de M. Cn ice do n ous
avait paru couscie ncieuse el. m éritante. devoir indiquer
pourquoi nous ne POUVOIlS !lOUS r al lie r a l'o piuion de
I'au teu r. No us n c l ui d ovo us ]las moins des remercie-
meuts et des f'é li citati o ns . IJ a f.u t pl'ellve de talent
co mme penseur et comme écr.iv.u u ; ji a soute n u avee
ardeur une cause qui inté ressc l'humanité; iI a mis au
se rvi ce d'idées dont on ne pcut méconnaltrc la généro-
sité ;;on langage ferme el. d i guc.


L'Etude de M. 'I'or rcsCaice do s ur la peine de mort est
C'xtraited'un ouvrage q ui d o it elre p ub l ié prochainement
SOllS le u n-o de: Les principes de 1789 en AlIléri'lue.


Ce spécimen perrnct de j uger do ce que sera l'ceuvre
ent.iere, nous ne pOllvon s q u'e n d é sirer Ja prompte appa-
rrn on , et que présager a l'auteur un légitime succes .


H. DE SAINT-ALBIN,
. Conseil ler a la Cour ímpériale,


(Extrait de la Gazette des Tt'iú¡maux, du 28 septernbre 1861.)




- 355-


II


UNE QUESTIO~ CAPITALE.


»s i« Peine de Morl, par ~I. J.-M. 'I'orres-Carcedo,


La peine de mort a été le thóm o de tant de décla-
mations vaines; elle a ser vi de pretexte a un tel étalage
de sensiblerie hum a uitai re ; elle a ete attaquée avee un
si graud reufort d'arguments et d'éloquence; elle a éré
d éfendue ave e tant de principes et au ss i de paradoxes,
q u'en parler aujourd'hui semble un l ie u co m mun , Néan-
moins, i l n'est pas d'année ou cette q uestion ne se trouve
ramenée sur le terrain de l'actualité par quelque inci-
dent saisissant ou horrible: John Brown , le martyr,
dont le gibet fut une eroix; Samuel Wright qui vit
Londres pleurer au picd de sa potence; Jacques Latour,
uarguant la guillotine comme ji avait bafo u é la justice;
Muller , l'assassin mystérieux. Lamentables ou cy-
uiq ues, chaq ue année des scéues étranges ravivent une
polémique qui ne fini ra q u'ave c la supr-éme pénalité
inscrita daos nos codeso Quand viendra ce terme?


L'échafaud s'en va! a dit la parodie sinistre d'un mot
farneux. Nous l'avons cru en 1848 en vovant vendre a
l'encan les po te aux rauges de la gllilJotine. Ce u'ótait
qu'un leurre. Les vie ux pi liers verrno ulus ont cede la
place ad u hcau CCBur de ch én c peint a neuf, el I'éch afaud
fauctioune touj ours, Les prejngés, la tradition, les
vagues te r re u rs I'étayent : la justice et la r aison le
frappent a coup red oubl és . L'aITreuse machine tombera,
mais elle est solide encore.


Ungrand progres a été fait pourtant par les adversaires
de la peíne de mort; ce progr és est une demi-conver-
sion obtenue sur les crimina listes. Aujourd'hui, ces
deruiers ne proclament plus, ils n'admettent m ám e plus
que la soci éré ai t a se venger ; elle se preserve, disent-
ils. Ave e cette doctrine nouvelle,la cause de I'abolition
est gagné e en príncipe.


Le m ot de »indicte publique une fois rayé de la langue




- 356-
judiciaire , il ne reste aucun argument sér icu x aux par-
tisans de l'expiation supremo. M, de Marchangy le
suvait bien.lui qui tua de ce mot les scrgents de
la Rochelle; luí, l'i mplucab!e et Ii ai ue ux procureur
g énéral dont les vo ú tcs d u Palais-de-J'ustice s'étonnuient
naguere de r épétcr l'éloge.


Iuvoq uera-t-on , en eITet, lo droit de lógitime defense
qui n e se j ustifie que pnr un dnngcr ceriain el iminédiai?
Parlera-I-on de la ucccssitó de te rri lier le co upable qui ,
entre léchafaud el lui, vo it m iro i te r le prisme des pas-
s io ns sati sf'ai te s et I'aspo ir de l'impunité! Est-ce en prati-
quant l'homicide qu'on aura la prétontion d'inspirer
l'horreur de l'homicide? Est-ee en faisant na1ire de la
p iti é pour lo crirnincl qu'on fera grandir le mépris et
l'horreur du crime ?


Non, i l ne restera rien aux d éfcnscurs de la peiue de
mort, e t c'est ce que vientde dórnoutrer, dan s une bro-
chure remarquabl e , un des écrivains les plus distin-
gues de l'Amérique, éor ivain devenu franc;ais par
l'adoptiou des leltres, M. 'I'orr é s-Cai ccdo , dont nous
avons déj a. recommandé a 110S lecteurs les ceuvres
politíques et l itté r a.ire s.


Celte étude si originale sur la púne de mcrt cst cxtraite
d'un volume que l'auteur doit publier prochainement
sous le litre de; Les Principes de 89 en Amél'i'11Le. Elle
ruttaoh e la question de la peine de mort it l'cnsemblo
des p rincip es sur lesquels rup oso n t les so ci ótós m o-
d er ne s, rlepuis la gr~lIlde ernuu ci patinn populairo de la
fin da dern ie r siccle.


Recu or ohan t de q uc lle s ourcc d ér ivo pour la société
le droit de juger et de prononeer la se n ten ce , i1 déter-
mine les limites du droit social, cettc fiction qui ne
represente que la coll.ectivité des droits individucls.


La socióté , mau datair e de l'individu, perd sa so uve-
rai neté l á o ú son commettant voit expi rer son dr oit, 01',
ce dernier s'arr éte a la lógitime d éfcnsa. Le danger
immédiai et certain ócartó, la mort de l'agresseur devient
crime. e. Cortes, dit M. 'I'orres-Cniocd o, si un individu
est réputé hornicide, paree quil a tué un agresscur
injuste dont il pouvait se d ólivrer en le désarmant,
pourquoi la société n'est-e lle pas homicide en ó tant
la vi e a un homme qu i I'a attaquée, m ais qui ne l'attaque
pas actuellement el qu'elle peut I'ernpécher de I'attaquer




- 357 --
a I'avenir? Ce qui est criminel pour l'individu seralt-rl
suint pour la société? Y aurait-il de ux justices, l'une
individuelle, l'autre sociale? )}


Et I'aute ur, poursuivant I'assirnilation, l'exagérant
memo dans le sens de ses adversaires, ajoute ;


« Il ya plus; le fils de I'nssassin é a-t-il le droit de
tucr I'ass as siu?-Oh! non, répondez-vous; oe serait
commettre un homioide. Eh bien! si le fils de la victime,
c'est-á-d i re cel ui qui aurait le plus de droit ala ven-
geance, si tontefois ce droit existe, ne peut donner la
mort a. I'assnssin sans cornmettre un délit, d'ou la so-
ciété ti re-t- elle le droit de la l ui donner, en alléguant
qu'el le commet un acte de j ust icc et non un délit? »


La justice condamne la peine de mort; I'utilité, la
nécessité parvi cnuent-el les a amnistier nos codes de ce
déni d'éq uit«. Non: « It est'plus qu'évident que l'exécu-
tion de celte l)eine ne remedie pas au mal, mais l'ag-
grave, au contraire. )}


«Qu'est-ce que la famille de lavictime gagne a ce que
I'assass in soit exécuté? Rien. Qu'est-ce que la société
gagno a cette exécution? Elle perd deux de ses membres
au Iicu dun, elle endurcit les mosurs du peuple et Je
dispose a la cruauté par la vue de la sanglante exécution
d'uno peine aussi barbare. Et, quant a I'assassin , lui
qui ponrrait s'étre repenti, avoir eXfié son crime
devant Dieu et devaut les hommes par a pratique des
vertus, il est arrach ó a la scón e de la vi e , jeté d ans une
tombe, sans peut-étrc avoir eu le temps de se préparer
á co m paraltre devant le Juge des juges; on le lance dans
I'óternité.I'áme souiIléepeut-etre,etléguantit ses enfants
son nom deshonoró! Ceja est horrible et fait frémir le
creu r le ruo ins sensible.


« Sécurité , réparation , corre ctio n, exemple, voil á ce
que doit se proposer la société en chátiant le coupable;
m ais, avec Ja peine de mort, elle n'atteint aucun de ces
objets. Elle croit obtenir la sécurité en Iaisant du cri-
minel un cadavre, et l aisse les parents de l'exécuté épier
I'occasion de se venger de l'aecusaleur, s'i! yen a un,
et des jugcs qui ont pron oncé la sentence. En q uo i con-
siste la I'cparation pOlI!" la f'um i lle d8 l'assassiné ? Con-
siste-t-el lc á vo i r u ne autre famille pri vée de son soutien
et plongée dan s la douleur et la honte? Comment
obtient-on la co rrection de I'a ssussm ? Un c¡J.dayre




- 358-
peut-il se corriger? L'effet de l'exernple est-il certain?
Au contraire, cel ui qui prend la résolution de tuer,
connaissant le sort qui I'atteud, tuera en ajoutant a son
acte crimine! les plus grandes cruautés, pour mériter
¡¡ plus de titres la peine qui doit lui étr e appliquée,-
peine indivisible, incommensurable, terrible, san-
glante. »


Les 'plus grands esprits du passé, et surtout de notre
époque, assistent dans son éloquent plaidoyer le jeune
défenseur de l'inviolabilité de la vi e hu maine. A ses
cótés apparaissent ala barre des h istoricus, des l égistes,
des philosophes : Beccaria, Duport (de la Constituante),
Guizot, Rugo, Cousin, Chaussard, Ortolan, Louis Blanc
et tant d'au tres,


A poursuivre avec cette ardeur le renversement de
l'échafaud, il y avait un danger, c'était l'exagération.
Quelques publicistes dc notre temps n'y avaient point
échappé: M. de Girardin entre autres, avec son esprit
paradoxal, s'était jeté droit a l'abíme. Sa théorie des
peines a(fictives l'avait conduit a conéacrcr le délit
comme elément social, et a retirar la hache des mains
du bourreau qui tue les eoupables pour la remettre aux
coupables qui tueraient les h onnétes gens.


M. 'I'o rres-Carcedo s'est bien gardé de ces idées
désorpanis atr-ices ; il a combattu avec autant d'él évatiou
que de chaleur les théories de M. de Girardin; il a
flétri, comme il convenait, le dogme de I'impunité ab-
solue,


Les exagérations, qui faisaient la part si belle a l'in-
cisif bo n scus d' Al phonse Karr, ne se r etr-ouve nt a aucune
page de l'écrit h omogen e el sérieux que n ous venons
d'analyser. Fragment d'u ne grande oiuvre, cet opuscule
a toutes les qualités de celle-ci: grandeur de pensée ,
puissance de conception, logique d'argumentation, é lé-
vation de style. \


En raiso; de cette affinité avec une importante publí-
cation de philosophie politique, nous signalerons dans
la brochure un mot que nous ne vnudridns pas l'etrouver
dans l'ceuvre complete: c'est celui d'intéret général de la
société acconpló aeeluí do néccssité de l'exemple. 11 y a
lit une porte o uverte aux ndv ersa ires de la peine de
m or t ; mais il ya surto ut let c'est le plus regretlable)
une formule toule faite. Or, les hommes politiques




eomm e M. 'I'orrés-Caicedo savent ce que valent ces, éti-
quettes de l'arbitraire, qu'el les s'appelleut raison d'Etat,
salut public ou etcemple, •


Le plaidoyer de M. 'I'orr és-Caicedo portera des fruits,
croyons-le d'autant mieux que l'éloquence du fait s'a-
joute avec lui al'éloquence de la parole : le jeune di-
plomare n'a-t-i l point concouru a l'abolition de la peine
de mort dans la Nouvelle-Grenade et le Venezuela? En
Ellrope • la philosophie moderne est moins heureuse
qu'en Amérique : la mort juridique a encore un vaste
domaine. 11 se rétrécit po urtant. En Roumanie, en Tos-
cane, dans le grand-duché de Hesse.Darm stadt , dans les
duches de Nassau, de Saxe-Cobourg et de Saxe-Meinin-
gen, les exécutions capitales sont interdites. En Portu-
gal, le bourreau ne peut plus toucher aIa femme, et I'a-
bolition complete de la peiné irréparable aété approuvée
al'unanimité par la com missio n parlementaire. DaÍLs la
province de Liáge, les ma:gistrats ont, d'un commun ac-
eord, résolu, malgré la: persistan ce de la loi, de ne plus
prononcer une seule sentence cepitale ,


La France, ceue patrie des initiatives généreuses, SI
ene est distancée aujourd'hui, saura d'un bond se re-
metlre a son nang, un beau jour de sublime entralue-
mento GUSTAVll HUltrOT.


(E:drait du C'ourrier Franfais, du 12 novembre 1864.)


FIN.




I.
1I.


nI.
IV.
V.


VI.


VII.
VIII.
u.
X.


XI.
XIl.


XIII.


XIY.


xv,
XVI.


XVII.


XVm.


XIX.


xx,


TÁBLE DES MATIERES.


Préface, par M. Pradier-Fodéré .•••. '., ••••••••
L'autorité et la 1.iberté .... ;................... 1
Libertéindividuellev j-« Détention préventive ... 21
Liberté dé' la presse. - Licence de la presse... 31
Droit de réunion et d'association •.•••••..•• ,... 41
Droit de pétition ,., 47
La fraternité et l'éga1ité........................ 51
La fraternité est la base fondamenta1e de la


Répub1ique '. 56
La fraternité daos ses rapports avec la paix..... 62
La fraternité et la liberté. '.................... 66
Le vagabondage..••••.•..• , .•••••. , .•.. " ••. •• 73
De la peine de mort oo , 77
Instruction primaire obligatoire , •• , ..• 101
Séparation de l'Ég1ise et de l'État..::.oooo .. , .. 107
Armées permanentes oO.oo.oo ,' 113
De I'i mpót .•••• oo .• ' •••••• ; , 125
Liberté dans la détermination de l'intérét de


l'argent , 133 ~
De la liberté qui doit régner dans la détermi- ~


nation de I'i n térét de l'argent••...••... , •..•. 139
Pro priété littérairo 181
Droit maritime 193
Dissertation sur l'origine et les pro gres du


droit-des gens , '" 215
Grave question de droit mari tirne. -- Le Trent.


et leSan Ja(.into , ,''9
Caracteres des rae es prépondérantes. Nationa1i ..',


tés. Race latine , I6c
La LIBERTE et l'ÉGALITÉ jugées par un Amé-


ricain, ou les nouvel1es théories politiquea
de M. F. Gonzalez sur la liberté, l'éga1ite
l'oligarchie et les races 297


Bibliographie...•••.... '" •............•••..•.• 349