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LJ~S OPÉRATIONS DE BOUnSE
DEVANT LA CONSCIENCE






LES


opERATIONS DE BOURSE
DEV ANT LA CONSCIENCE


Etudes Morales et Juridiques


PAR


L'Abbé DEVILLE
DOCTEUR EN THÉOLOGIE ET EN DROIT CA~ON


Professeur de Théologie a la Maison des Chartreux


LYON
tlBBAIBIE GÉKÉRALE CATBOLlQUE ET CLASSIQUE


VITTE ET PERRUSSEL, DIRECTEURS
3 d 5, Plaee Belleeour, 3 et ¡¡


188~






LETTRE


DE S. É. LE CARDINAL CA VEROT
A L'AUTEUR


Lyon, le 25 septembre 1883.


MON CHER ABBÉ.


Selon le désir que vous rn'avez
eXJprirné~ j'ai fait eXJarniner votre
travail sur les Opérations de Bourse.
Vous ne pouviez ehoisir un su/el
plus aetuel~ et sur lequel il (Id plus
irnportant d'apporter la lumiere.
e' est done un serviee que vous aurez
rendu aux Direeteurs des' ámes et
aux catholiques consc~enc~eux ~ en




abordant des quest'¿ons aussi délica-
tes et., jusqu'a ce jour, a peu pres
t·nexplorées. La clarté de votre ex-
position aidera,j'en suis convaincu,
ü comprendre ce que l' on peut se
pB1'mettre aoec sécurité dans des opé-
rations off, la justice est si souvent .
en péril de pe1'dre ses d1'oits.


Receoez) mon cher Abbé, l' assu-
l'ance de mon affectueux dévoue-
nwnt.


t L-:)'I. Cardinal CAVEROT,
Archeviiquc de Lyou •


........




AVANT-PROPOS


Les pages que nous offrons au public sont
nées, pour ainsi dire, des circonstances que
nous venons de traverser, et dont les consé-
quences se déroulent aujourd'hui sous nos yeux.
Jamais la Bourse n'avait vu accourir dan s ses
temples une foule plus nombreuse et plus va-
riée, jamais elle ne re~ut des hommages plus
empressés et plus universels. Mais hélas 1 aux
réves d'o'r, aux enchantements d'un jour, a
succédé la triste et poignante réalité; et, si
quelques rares survivants ont échappé au nau-
frage, le nombre des victimes est incalculable;
tant iI est vrai que la fortune est inconstante
et éphémere, quand elle ne repose pas sur sa
véritablé Lase, sur le travail et l'effort de
}'activité humaine !


L'Eglise catholique a toujours mis en hon-




VIII AVANT-PROPOS.


neur le travail, sous toutes ses formes et dans
toutes ses manifestations, quelles qu'elles
soient. Elle a inscrit, en lettres d'or, dans sa
charte fondamentale, cette parole de nos livres
saints : Homo naseilur ad laborem sieut avis ad
volatum. « L'hornme est né pour le travail
comme l'oiseau pour fendre les airs » (1).


Et cette parole, elle l'a réalisée non seule-
ment par la conquéte morale du globe, car
sans nul doute, c'étaientdes hGmmes laborieux
que les Apótres, ces infatiguables semeurs de
la bonne nouvelle, mais encore par les innom-
brables travaux de ces phalanges de moines,
qui ont civilisé le monde et l'ont arraché a
la Barbarie. Le travail le plus humble, le tra-
vail matériellui-méme a été ennobli et trans-
figuré par l'Eglise; elle n'oubliera jamais
qu'on se disait en Judée, en montrant le Sau-
veur « Nonne Me estfaber?» (2) Et ce mot évan-
gélique est devenu l'honneur et la devise de
l'ouvrier chrétien, dont l'ouvrier de Nazareth
est -le divin modéle.


Aussi l'Eglise, gardienne infaillible de la
morale, a-t-elle protesté, de tout temps, avec
une noble vigueur, contre les excés de la spé-


(1) Job, V. 6.
(2) Marc. VII, 3.




AVANT-PROPOS. IX


culation et du jeu. En 1720, au moment ou le
funeste génie de Law exer¡;ait sur la France son
influence néfaste, le Cardinal de Noailles, arche-
veque de Paris, lan¡;a un Mandement, pour rap-
peler au monde, qui semblait les avoir ou-
bliés, l'Esprit et le~ maximes de l'Evangile.
« La foi, s'écriait le Prélat, s'affaiblit de jour
en jour, le libertinage et l'irréligion font un
progres rapide; des esprits téméraires et auda-
cieux blasphement ce qu'ils ignorent, et atta-
quent ouvertement les fondements de la reli-
gion; les regles et les saintes maximes de
l'Evangile ne sont presque plus connues que
d'un petit nombre d'ames fideles, l'iniquité
abonde, la charité est refroidie, selon la parole
de Jésus-Christ. Le jour du seigneur est pu-
bliquement profané par des travaux merce-
naires et des trafics ¡Ilicites, par des plaisirs
criminels et des débauches honteuses. Le Jeime
et l'abstinence, gardés si religieusement par
nos peres sont scandaleusement violés; la
licence et la corruption regnent de toutes parts;
on se livre a une avarice et a une avidité
insatiables, que Dieu condamne si fortement
dans les livres saints ; l'usure et la fraude, au
mépris des lois divines et humaines, s'exercent
publiquement. Il n'y a plus de frein qui répri-
me la cupidité, que saint Paul dépeint comme




x AVANT-PROPOS.


la racine de tous les maux. L'usage de ces
richesses d'iniquité n'est pas moins criminel
que les moyens qu'on a pris pour les acquérir.
Le riche est devenu insensible aux miseres de
ses freres, sa dureté croit avec son abondance ;
il ne sesert de ses trésors que pour fomenter et
pour assouvir ses passions. Le luxe porté aux
derniers exces a corrompules mceurs publiques,
dérangé et confondu toutes les conditions, Cait
oublier la bienséance et les devoirs. Le vice,
soutenu et fortifié par la muItitude, triomphe
etse produitavecaudace; la droiture, la probité,
la candeur sont regardées comme le partage
des ames faibles. »


Ne dirait-on paso que ces pages sont écriles
d'hier? Ce tableau si véridique et si éloquent,
tracé, il ya plus d'un siécle et demi, par l'illus-
tre Prélat, ne convient-il pas au spectacle qui
se déroulait naguere sous nos yeux, pendant
ces derniéres années ? Mais laissons aux Prin-
ces de l'Eglise le soin de ílétrir le vice, et de
venger lamorale publique; notre but est plus
humble et notre tache plus modeste; ce n'est
point une harangue religieuse ou morale, que
nous avons voulu faire, encore moins une phi-
lippique ou une satire, mais un simple essai
doctrinal el positif.


Les opérations de Bourse, comme tous les




AVANT-PROPOS. XI


actes humains, relévent de la conscience, et sont
soumises aux prescriptions qu'elle édicte. Au
fond de toutes les questions financiéres, il y a
toujours une question de justice naturelle, et,
par conséquent aussi, de théologie morale.
Voila pourquoi, sans prétendre aucunement au
titre de théologien, nous avons pris la plume ;
voila le motif qui nous servira d'excuse aupres
de ceux qui seraient tentés de nous accuser de
trop d'audace et de témérité.


11 nous a semblé, en efIeí, qu'il y avait une
lacune a remplir: le Prétre,chargé de la direetion
des ames, doit étre appelé a résoudre, au tri-
bunal de la pénitence, un grand·nombre de cas
ayant trait aux opérations de Bourse, aujour-
d'hui surtout qu'elles sont si universellement
pratiquées. Quand l'heure des responsabilités
vient a sonner, il importe qu'il sache a qui elles
incombent,afin de déterminer la part qui revient
a chacun.


Il est done néeessaire que le Prétre, que le
directeur des ames, ait une eonnaissanee suf-
fisante de la Bourse et de ses opérations,
afin de pouvoir les apprécier en connaissance
de cause. Comment en efIet, juger un acte qu'on
ne connait pas? Comment se prononcer sur la
moralité d'une opération dont on ignore le
mécanisme? Comment diriger les consciences




XII AVANT-PROPOS.


sans avoir étudié les principes? Comment en
un mot, éclairer les autres, si l'on n'est pas
éclairé soi-méme ?


Les tri bunaux, il est vrai, ont re~u la mission
officielle d'interpréter la loi ~ d'en fixer le
sens, et de terminer les litiges qui peuvent
s'élever a son sujet; leurs déeisions sont, en
général, empreintes d'un profond sentiment
d'équité, et nous nous plaisons a rendre hom-
mage a la magistrature de notre pays; mais
elles doivent nécessairement aussi se conformer
au texte de la loi. Or les loispositives ne sau-
raient obliger en conscience, quand elles sont
contraires a la loi naturelle, quand elles beur-
tent de front cette loi primordial e et divine,
gravé e par la main du créateur lui-méme dans
le creur de l'homme: « Natura est lex a Deo
insita», suivant le vieil adage seolastique.


Oui, au-dessus de tous les tribunaux officiels,
au des sus de la Cour de Cassation elle-méme,
il ya un tribunal supérieur, une cour supreme,
dont les jugements sont sans appel, car ils sont
l'expression de la vérité absolue et de l'éternelIe
justice. Ce tribunal siege au plus intime de
l'homme, dan s ce for intérieur ou la vérité
apparait tout entiere et dépouillée de tout
artífice; ce tribunal, en un mot, e'est le tribunal
de lacons~ience, duquel tous les autres relévent.




AVANT-PROPOS. XIII


La conscience, quand elle parle avec certi-
tude et clarté, n'est pas autre chose que la voix
de Dieu au dedans de nous-méme ; son domaine
différe de celui des tribunaux ordínaires,
comme le for íntéríeur différe du for extérieur.


Au for extérieur, les juges sont souvent obli-
gés de se prononcer sur des preuves ou des
présomptions, quí, quelque fortes qu'elles
soient, ne sauraient engendrer une certitude
réelle et absolue ; íl est une foule de circons-
tances dont les tribunaux humains ne tiennent
nul compte, et qui pésentcependant d'un grand
poids au tribunal de la conscience. Le for exté-
rieur ne peut juger que sur les apparences;
le for intérieur seul saisit la réalité vraie.


Sans doute, il est a souhaiter, pour ]'heureuse
harmonie des Corees sociales, que ¡'un et l'autre
for marchent d'un commun accord ; sans doute
les conflits entre la loi et la conscience sont
toujours profondémeni regrettables; mais quand
ils se présentent, et cela arrive, hélas! trop
fréquemment, il ne faut pas sacrifier les droits
de la conscience, cal' ils sont supél'ieurs a tous
les autl'es, ils sont éternels et inprescriptibles.


Oui, aujourd'hui plus que jamais, iI importe
de maintenir haut et ferme le droit inviolable
et sacré qui réside au plus intime de nous-méme;
il faut le protéger et le défendre contre toutes




XIV AVANT-PROPOS.


les inj ustices et ton tes les oppressions; il fant
combatlre ce préjugé vulgaire qui identifie tou-
jours la loi et la conscience, en sorte que les
prescriptions ou les prohibitions de l'une se-
raíent nécessairement celles de l'autre; il faut
détruire cette confnsion déplorable, car elle
fausse les intelligences, dénatnre la notion dn
devoir, et nous méne directement a l'asser-
vissement et a l'esclavage le plus dangereux, a
l'asservissement et a l'esclavage de la con-
science.


Oui, en face de la démocratie envahissante,
il faut sauvegarder l'existence de l'individu,
qui est I'élément premier du corps social;
en face du nombre, il faut que l'unité résiste et
ne se laisse point écraser; le nombre, il est
vrai, crée la loí, mais il ne saurait créer ni la
justice ni la vérité; elles prennent leur so urce
plus haut, et restent A l'abri des fluctuations
sans cesse renaissantes des majorités humaines.


f lli )




LES OPÉRATJONS DE BOURSE
DEVANT LA CONSCIENCE


PREMIERE PARTIE
La Bourse- ses Opérations- ses AuJtiliaires


CHAPITRE PREMIER
La Bourse. - Diverses significations de ce Mot. - Coup·d'ceil


sur l'origine et l'histoire de la Bourse.


Le mot Bourse est pris en différents sen s ;
tantot il désigne vulgairement le petit sac dans
lequel on met son argent de poche ; tantot il
signifie le contenu pour le contenant, l'argent
et tout ce qui sert a le faire fructifier. C'est de
la qu'on appelle Bourse, soit le líeu ou s'assem-
blent les négocíants et les banquiers pour
échanger leurs effets de commerce et leurs
valeurs mobiliéres; soit le marché lui-méme


1




2 PREMIÉRE' PARTIE.


ou se négocient les fonds publics, les titres de
toute sorte, actions et obligations, qu'on y voit
amuer chaque jour.


L'ensemble des opérations quí se font sur
ce marché prend également le nom de Bourse.
Ainsi, on dit en parlant de la disposition du
marché, de la bonne ou mauvaise tenue des
aITaires: bonne Bourse, Bourse animée, raíble,
sans entrain, pour indiquer les différentes
phases qu'elle traverse successivement. Enfin,
on désigne encore du nom de Bourse le temps
légal accordé aux négociants et aux banquiers
pour se livrer él leurs opérations : On dit, par
exemple, pour marquer le moment précis ou
une opération a été concIue, qu'eIle a été faite


• au début, au milieu, ti la fin de la Bourse. 11
est aisé de voir que tous ces différents sen s
peuvent se ramener él une méme signification
fondamentale, a la fortune publique et privée,
a tout ce qui, de prés ou de loin, contl'ibue
él son accroissement et il. sa prospértté.


L'origine du mot Bourse est tres-obscure et
fort peu connue: e'est él Bruges, dit-on, au
XVI" siecle, qu'il fut adopté la premiere fois,




CHAPITRE PREMIER. 3


pour désigner le ] ieu ou se réunissaient les
marchands de cette ville. Quelle fut la cause de
cette dénomination? les uns veulent y trouver
le souvenir du propriétaire de la maison ou se
tenaient les assemblées ; or il s'appelait l7an
der Burse : les autres en cherchent le motif dans
une sculpture symbolique qui ornait le portail
de l'édifice : On y voyait trois bourses entrela-
cées les unes dans les autres.


Quoi qu'il en soít, les noms sous lesquels ces·
lieux de réunion étaient désignés variaient
beaucoup autrefois. On les appela successive-
men t: Convention, Change, Estrade, . Loge ,
ColUge, etenfin Bourse. Ces différents noms se
rapportent, comme il est aisé de s'en rendre
compte, soit a la nature des opérations aux-
quelles on se livre, soít a la configuration des
lieux gui leur servent de théiltre. La Bourse de .
Londres a pris la dénomínation la plus exacte
qu'on puisse concevoir; elle exprime tres bien
le genre d'affaires gui s'y traitent: Stock-ex-
change, échange de valeurs. En Franc¡ais, le
mot Bourse rend plus rapidement~ la pensée,
mais il ne traduit pas aussi explicitement l'idée




4 PREMIE RE PARTIE.


principal e qui est comme la base et le fonde-
ment de tout le systéme financiero


Si de l'explication du mot nous passons a celle
de la chose en elle-meme, telle qu'on l'entend
ordinairement, nous définirons la Bourse: un
líe", d' échange oti se reunissent les négociants
et le& capitalistes pour faciliter leurs affaires
commerciales.


En réalité, la Bourse a commencé, on peut
le dire, avec le négoce lui-méme: les besoins
du commerce, qui avaient fait instituer les
foires et les marchés périodiques, ont donné
naissance a l'institution des Bourses; mais, selon
la nature des choses, elles ne devaient venir
qu'en dernier líeu : il fallait qu'auparavant le
change et le crédit eussent ptis des proportions
assez considérables pour permettre aux négo-
ciants d'opérer sur de simples titres, et de faire
une partie notable de leurs afIaires avec du
papier. En efIet, dans les foires et les marchés,
on vend et on achéte des denrées en nature,
il y a livraison matérielle des objets; a la
Bourse, rien de pareil; il n'y a ni marchandises,
ni denrées; les conventions s'établissent sur




CHAPITRE PREMIER. 5


des titres, sur des Jettres de change, du papier
de commerce, ou atttres valeurs représentatives
de crédito


Telle a ete l'origíne des Bourses de com-
merce: quant aux Bourses d'effets publics
et de valeurs mobiliéres, tels que fonds d'état,
actions et obligations industrielles, elles suívi-
rent, dans leur existence et leur fonctionnement,
le développement de la richesse publique et la
création des grandes entreprises.


L' existence des Bourses es t donc trés ancienne,
mais leur établissement ofliciel et legal ne
remonte pas aussi loin. Sous une appellation
ou sous une autre, on en trouverait des traces
chez toutes les nations de l'antiquité: aRome,
cinq cents ans avant l'Ere Chrétienne, sous le
consulat de Publius Servilius et d'Appius Clau-
dius, il y avait une assemblee de marchands,
collegium mercatorum, dan s laquelle il est permis
de voir une espéce de Bourse. Cependant,
l'histoire éconotilique des peuples n'ayant été
racontée que plus tard, on trouve fort 'Peu
de det:üls, dans les ouvrages anciens, sur ces
sortes de réunions de commerce, sur laur orga-




6 PltEMIEltE PARTIE.


nisation, et les opérations qui s'y traitaient.
En France, c'est a Philippe-Ie-Bel qu'il faut


remonter, pour rencontrer les premiéres réu-
nions de commerc;ants. Une ordonnance du Roi,
rendue on 1304, fixa le grand pont, comme lieu
réservé aux opérations de change a Paris; depuis
lors, ee pont a été appelé pont dtl Change; mais
la Bourse propreu'.ent dite ne fut légalement
instituée dan s la Capitale que bien plus tard, en
1724, quatre ans aprés la chute du trop fameux
systéme de Law.


Lyon a devaneé Paris et toutes les autres villes
de France, sous ee rapport ; car e'est dan s ses
murs que fut eréée la premiére Bourse gouver-
nementale, avee une sanetion officielle et légale.
Graee a son heureuse situation topographique,
grace a ses relations avee les peuples les plus
commerc;ants du nord et du midi, avee les Flan-
dres et l' Allemagne, d'un coté, les Lombards et
les Florentins, de l'autre, la vieille cité don na
bientot une extension considérable a son com-
merce et a son industrie.


La place de Lyon eut de bonne heure un
grand crédit auprés de toutes les nations voi-




ClIAPITIlE PREMIER. 7


sines; elle le 'dllt a I'honora bilité de ses négo-
ciants, et ti l'institution d'un tribunal arbitral
établi spécialement pour juger les diffé-
rends qU! pourraient s'élever au sujet des
transactions commerciales, Les négociants lyon-
nais acquirent en peu de temps une grande
renommée de probité, et de fidélité scrupuleuse
a remplir leurs engagements ; i~se faisaient
remarquer aussi par leur esprit d'ordre et
d'économie, leur intelligence et leur activité ;
en un mot, par de rares aptitudes commerciales.
Lyon, il faut le dire a son honneur, n'a point
dégénéré, et les nobles traditions d'autrefois
s'y conservent toujours.


Quatre fois par an, aprés les foires et les
marchés, qui se tenaient a des époques déter-
minées, avaient lieu de grandes opérations
financiéres, connues gOUS le nom de change.
Ces négociations se traitaient sur, la place du
Change, ainsi appelée aujourd'hui encore : les
marchands lyonnais et étrangers se réunissaient
dans la Loge des Flo1'entins, située sur cette place,
au lieu méme ou s'éléve actuellement le temple
des Protestants: la rue de la Loye voisine du




8 PREMIERE PARTIE.


Temple en perpétue le souvenir. La, i1s ac-
ceptaient ou refusaient les lettres de change
qui avaient été tirées sur eux~ des diverses
parties du monde; les paiements acceptés, ils
arretaient le prix duchange, et le change de
Lyon avait alors une grande importance, car
il réglait, en Europe, le cours de l'argent.


Ces marC¡;s célebres furent abolís, au com-
mencement du regne de Charles VIII, et transfé-
rés a Bourges, sur le simple refus des délégués
Lyonnais de faire don au jeune Prince d'une
subvention annuelle de quatre mille livres
jusqu'iI. l'époque de sa majorité. Cette mesure
impolitique produisit une sensation profonde.
Priver la ville de Lyon de ses quatre grands
marchés annuels, c'était lui enlever sa prospé-
rité, sa gIoire et sa vie. Aussi les Echevins
envoyérent-i1s une délégation a Paris, pour
faire rapporter la mesure spoliatrice ; mais ce
furent 8urtout les instances du Cardinal de
Bourbon, archeveque de Lyon, qui triomphérent
des hésitations du jeune Monarque et de ses
Ministres: les marches furent officiellement
rétablis le 14 Mai 1489 : On célébra, a cette




CHAPITRE PREMIER. 9


occasion, des fMes splendides. Une procession
générale fut ordonnée pour remercier Dieu de
cet heureux événement; dés le matin, les cloches
de toutes les églises sonnérent un joyeux caril-
Ion: Prétres, Conseillers, Echevins, bourgeois,
marchands et pa ysans, parcoururen t, en chan tan t
des psaumes, les principaux quartiers de la cité.
Mais le Cardinal de Bourbon ne.t assister a
ces fétes; la mort l'avait enlevé"de ce monde
quelques mois auparavant, vers la fin de l'année
1488. Lyon fit a son Archevéque de magnifiques
funérailles, en reconnaissance du zéle admira-
ble qu'il a vait déployé dans les circonstances
importantes dont nous venons de parlero


La Bourse de Lyon, comme celle de Paris et
des autres principales villes, a subi de nom-
breuses vicissitudes. De la place du Change, ou
nous l'avons vu séjourner d'abord, elle fut
transportée plus tard, au centre des affaires
commerciales, sur la place des Terreaux. Rien
n'était plus incommode que cette Bourse en
pleln vent; mille circonstances en génaient les
opérations: les intempéries atmosphériques,
la curiosité des passants, l'absence de tout ordre




10 PREMIÉRE PARTIE.


et d'un bureau pour les transactions. C'est la
qu'elle fonctionnait lorsque éclata l'orage révo-
lutíonnaíre qui ensanglanta la fin du siécle
dernier.


Pendant les mauvais jours de la Terreur,
la Bourse de Lynn fut fermée, comme celle de
de Paris ; on con<;oit en efIet, qu'a cette époque
néfaste de "otre histoire, les affaires et le
commerce étaient totalement suspendus. La
réouverture de la Bourse de Paris, au commen-
cement du Directoire, amena également celle
de la Bourse de Lyon ; elle fut alors plus
commodément installée dans les b:himents du
Palais Saint-Pierre. C'est'la qu'elle est restée
pendant la premiére moitié de ce siécIe, jusqu'a
ce que le monument somptueux, qu'elle cccupe
aujourd'hui, lui ait été érigé sous le. second
Empire.


Etrange et singuliére destinée que celle de
la Bourse ! Pourchassée d'abord comme une
malfaitríce, elle en est réduite a se cacher,
a se dérober aux regards de la police, a' vi-
vre dans des demeures obscures et souterrai-
nes, semblables aux lieux ol',cupés par nos




CllAPITRE PREMIER. 11


tripots modernes ; tolérée ensuite, elle com-
menee a ~araitre, iI. se montrer au It,ran.d 1(\'l\:~
sur les places publiques; courtisée enfin, et
adorée par les puissanls du siécle et les grands
du monde, elle habite aujourd'hui des palais
splendides, ou elle régne en maitresse et en
souveraine absolue.


Pénétrons dans le temple de l'ídole du jour,
non point pour en admirer les proportions
grandioses et la riche architecture, mais, dan s
un but plus noble et surtout plus grave, pour
faire passer successivement sous le regard de
la conscience les principaux actes qui s'y accorn-
plissent.




12 PREMIERE PARTIR.


CHAPITRE 11
La Spéculation et le Jeu. - Leur Définition. - Leur


Différence. - Leur Moralité.


En dehors des marchés au comptant, qui ont
pour but le placement sérieux et définitif d'une
somme d'argent, toutes les autres opérations
de Bourse tiennent plus ou moins de la natura
de la spéculaLion et du jeu. Aussi importe-t-il,
avant tout, de se faire une idée aussi précise
que possible de l'un et de l'autre, et de déter-
miner leur degré de moralité, afin d'appliquer
ensuite ces principes aux différentes opérations
de Bourse.


ARTICLE PBEMIEB. - La Spéculation.


Et d'abord, qu'est-ce que la spéculation ?
Elle a été définie en ces termes par un Penseur
fameux de notre époque, par le trop célebre
Proudhon: « La spéculation n' est autre chose que




CHAPITRE DEUXIEME. 13


la conception intellectuelle des différents procédés
par lesquels le travail, lé crédit, le transport et
l'échange peuvel1t intervenir dans la production.
C' est elle qui rechercbe et découvre, pour ainsi dire,
les gisements de la richesse, qui invente les moyens
les plus économiques de .~e la procurer, qui la mul-
tiplie, soit par des farons nouvelles, soit par des


. combinaisons de crédit, delransport, duirculation,
d' échange j soit par la crélttion de nouveaux besoins;
soit meme par la dissémination el ledéplacement
incessant des fortnnes (1). » e'est un tableau
plutót qu'une définition ; mais, il faut I'avouer,
le tableau est complet, achevé, et Proudhon a
étérarement aussi exact. I1 a rassemhlé tousles
traits épars qui peuvent nous donner une idée
de ce qu'on nomme la spéculation en général.
Aprés avoir cité différents exemples, il conclut
ainsi: « Laspéculation est done, a proprement par-
ter, le génie de la découverte. C' est elle qui invente,
qui innove, qui pourvoít, qui résout ; qui, sembla-
ble a l' Esprit infini, crée de rien toures chosls. EUe
e.~t la faculté essentielle de r Economie. Toujours


(1) Manuel du spéculateur a la Bourse, p. 4.




14 PRHIIilRE PARTIR.


en éveil, inépuisable daTls ses ressourel'S, m~fiante
dans ta prospérité, inlrépide dan s tes revers,
elle avise, eonroit, raisonne, définil, organise,
com11tande, légi{ere: le tmvail, le capi tal, le com-
merce exécutenl. Elle esl la tete, ils sont les
membres; elle marche en souveraine, ils suivent
en esclaves. (1) »


On ne saurait peindre avec des couleurs'
plus vives et plus saisissantes, le role que joue
la spéculation dans le monde, et le célébre
écrivain, si connn par ses paradoxes étranges,
n'a pas été sonvent aussi bien inspiré.


Si maintenant nous restreignons cette donnée
trop abstraite et trop générale, pour l'appliquer
aux opérations de Bourse, nous dirons volon-
tiers, avec un savant economiste de notre temps :
« La spéeulalion de Bourse est l'exereice Ubre el
varié, mais loyal, de lous les moyens aples ti pro-
cure'r par la combinaison d'achats et de ventes, au
comptant ou ti terme, ti la hausse on ti la baisse,
des bénéfices aléaloires ti l' opéraleur. (2) »


(1) Manuel du spéculateur a la Bourse, p. 6.
(2) Les opérations de Bourse par Ed. Guillard, Professeur


de droit Fran~aisa BeMle,page 017.




CHAPITRE DEUXIÉME. 15


Il nous semble qu'on ne pourrait donner une
définition plus claire et plus exacte de la spé-
culation véritable et honnéte. Nous y trouvons
en effet, l'élément essentiel qui la constitue, et
les caractéres qui la distinguent de l'agiotage
et du jeu. La Loyauté des moyens employés,
voila ce qui la sépare de l'agiofage, pris ordi-
nairement en mauvais sens ; car on désigne so11,s
ce nom la mise en action, pe¡' fas et ne{as, de
toutes les manreuvres propres a imprimer aux
cours de la Bourse une dil'ection en rapport
avec le bul d'opél'atíons aléatoil'es, engagées
ou méditées sur la hausse ou la baisse des
valeurs.


Il y a également une différence marquée
entre la spéculation et le jeu: le hasard qui, a
une table de jeu, est l'élément dominant, n'est
plus a la Bourse qu'un élément tout-a-fait se-
condaire. A une table de jeu, j'attends du ha-
sard une carte favorable dont je tirerai, a mon
pro~ t, le meilleur partí possible; a la Bourse,
au contraire, j'attends presque tout du travail
de mon intellígence. Je cherche, avec le se-
cours de mes études et de mon expérience 7




16 PREMIERE PARTIE.


a prévoir l'imprévu, e'est-a-dire a découvrir
ce qui existe, mais que j'ignore, et qui peut
avoir sur les cours une influenee déeisive. Mon
attention ne se porte pas sur le htlsard, ear le
hasard, e'est l'absenee de toute loi, e'est le
vide moral, e'est le néant; mais sur la cause
ignorée, bien que toujours agissante, dont la
déeouverte est le fruit d'un labeur sérieux et
la so urce de profits parfaitement légitimes.
Qu'est-ce que le eommeree, I'industrie, le
progrés? e'est l'homme dominant la matiére
et la rendant utile par son travail. Qu'est-ee
que la Bourse? e'est l'homme eherehant a lire
dans l'avenir et a le dominer: au fond, i! y a
toujours le travail, la lutte et l'efIort. A la
Bourse, comme dan s le eommerce et l'indus-
trie, loin de prendre le hasard pour associé,
on l'évince le plus possible: Ce n'est plus la
l'ordre d'idées qui régne autour d'un tapis
vert.


C'est done une erreur de croire que la spéeu-
lation ne demande pas le seeours de l'intel-
ligenee, n'exige pas l'efIort et le travail.
Le ehamp d'étude quí se déroule devant l'hom-




CHAPITRE DEUXIEME. 17


me de Bourse est ímmense: La polítíque, les
loís de l'économie sociale, la condition pros-
pere ou malheureuse du pays, le développe-
ment de la richesse agricole et industrielle,
l'ofIre et la demande, voila tout autant de
questíons qui doivent lui etre familiéres; car
elles exercent sur les cours des valeurs une in-
fluence décisive et souveraine. Eh bien! je le
demande, n'y a-t-il point la de quoi occuper
sérieusement la víe d'un homme?


Sans doute, parmi ceux qui fréquentent la
Bourse, il en est qui ne connaissent d'autre
guide que le hasard; mais ceux-lil ne rué-
ritent pas le nom de spéculateurs; ce sont
purement et simplement des joueurs: ils for-
ment le servum pecus qui se met a la remorque
des autres et les suit partout aveuglément.
Cependant, au-dessus de la foule ignorante et
avide, il y a la classe des tinancíers laborieux
et intelligents qui étudient et travaillent : ceux-
la s'appuient, dan s leurs spéculations, non
point sur le hasard, mais sur des observations
sérieuses et approfondies, et cherchent a cons-
truire l'édifice de leur fortune: cet Mitice,




18 PREMIÉRE PARTIE.


il est vrai, sera souvent ébranlé, quelquefois
mrme renversé par les orages du monde finan-
ciers, mais ils se mettront une seconde fois a
l'ceuvre et le rebatiron t de nouveau. N'est-ce


I


point la une víe laborieuse, et n'en avons-
nous pas sous les yeux mil'e et mille exem-
pIes? Oui, le champ de la finance est, aussi
bien que tout autre, propre au développe-
ment de l'intelligence, a la formation du talent,
et a i'\jclosion du génie: il y a le génie de la
Bourse, comme le génie de l'éloquence, des
arts et de l'industrie. On dit les Princes de
la finance, comme on dit les Prinees de la
parole.


La spéeulation est done bien difIérente du
jeu : eelui-ei n'a d'autre résultat que de faire
passer l'argent de la poehe de l'un dans celIe
de l'autre : ir n'y a pour la Société ni bénéfice
ni perte; Pierre a perdu, Paul a gagné, voila
tout: celle-Ia, au contraire, est utile etféconde,
comme l'industrie et le commerce. Elle est
l'auxiliaire indispensable du crédit public et
privé; sans elle, les emprunts d'Etat seraient
presque impossibles. On sait, en efIet, que ce




CHAPITRE DEUXlilME. 19


ne son t guére les vrais dé ten teurs qui se pres-
sent aux guichets .des souscriptions: ce sont'les
spéculateurs, les banquiers, les financiers qui
n'aiment pas immobiliser leur argent, qui
n'ont souvent que la moitié, le quart du capi-
tal souscrit, mais ne craignent pas, él l'aide
d'un versement partiel, d'escompter les béné-
fices de ¡'avenir. Peu él peu les ti tres de rente
passent de leurs mains dans celles des rentiers,
ou elles restent comme un placement défi-
nitir.


Sans la spéculation, ou en serait l'indus-
trie, qui a réalisé tant de grandes choses?
Oil seraient les voies ferrées qui rapprochent
si merveilleusement les distances ? Oil seraient
la plupart des inventions du génie moderne?
Oil serait enfin ce mouvement d'affaires dont
la Société a besoin pour vivre, et dont elle vit,
comme de I'aliment nécessaire él sa prospérité
matérielle? Ouí, le poéte a eu raisan de dire :


Je nP- confondrai point dans le meme anatheme
Les marchés sérieux avec le jou lui·meme;
Les premiers, concentrant les capitaux épars,
Secondent puissamment l'indnslrie et les arts ;




20 PREMIERE PARTIE.
Beaucoup de plan s hardis, d'entreprises immenses,
Avorteraient dans I'ombre, infertiles semences,
Si, de Iumicre et d'air Iargement inondés,
La Bourse, leur soleil, ne les eüt fécondés (1).


Sans doute, il y a des ombres au tableau : au
milieu de ce mouvement rapide, qui entraine
la Société moderne vers la production et la ri-
chesse, il y a, de temps a autre, des catastro-
phes et des ruines, des orages qui passent en
semant partout la désolation et la mort: a coté
de la spéculation honnete et féconde, qui re-
pose sur le travail et la probité, iI y a une spé-
cuIation crimineBe et malfaisante, qui emploie
tous les moyens possibIes, la fourberie, le men-
songeet la calomnie, pour arriver a son but;
en un mot, a coté de l'usage légitime et moral,
il y a l'abus avec ses injustices crian tes et ses
deplorables conséquences. Mais n'abuse-t-on
pas de tout, méme des meilleures choses ? de ce
qu'il y a des speculateurs deshonnétes, s'ensuit-
il qu'il faille condamner en bloc la speculation
tout entiere? autant vaudrait alors condamner
le commerce et l'indnstrie, parce qu'il se


(1) Ponsard, La BOUTSf1, comédie en cinq acles, p. 24.




CHAPITRE DEUXIEME. 21


rencontre des négociants infidéles a leurs en-
-gagements, des banqueroutiers frauduleux 1


La seule question est de savoir s'il peut
exister a la Bourse, une spéculation légitime, ,
a laquelle la conscience permette d'appliquer sa
peine et son temps? la réponse, a notre avis,
ne saurait étre douteuse, aprés ce que nous
venons d'établir. Oui, dirons-nous pour con-
dure, il ya une spécuIation parfaitement légi-
time aux yeux de la conscience: elle doit,
pour cela, remplir les deux conditions de jus-
tice et de moralité requises dans tout acte
humain.


Elle sera, tout d'abord, conforme a la stricte
justice, si elle ne dépasse jamais les forces fi-
nancieres de celui qui opere; sans cela, il s'ex-
poserait évidemment a faire tort au prochain, a
violer le droit strict.


En second lieu, elle ne blessera pas la
moralité la plus sévere, si, en dehors d'un cer-
tain aléa qui lui est nécessairement inhérent,
elle nécessite le travail et l'effort, tandis que
le jeu s'appuie avant tout sur' le hasard, et
n'entretient que les passions mauvaises.




22 PREMIERE PARTIE.


AltT. n. - Du jeu.


Le jeu peut étre considéré a un double point
de vue: comme distraction, et comme opéra-
tion eommerciale. Envisagé eomme distraction,
il est un passe-temps agréable, et a toujours
trouvé graee devant la morale, méme la plus
rigide. Comme opération eommerciale, on peut
le définir: « Un pacte par [equel les contmc-
tanls conriennent que celui ff ent're eua; lJui per-
dra do/mera a l' autre une certaine somme. )1


Le pari ou gageure a une grande ressem-
blance avec le jeu: « e' es! une promessa réci-.
proque par laquella deux ou plusieurs personnes,
qui soutiennent des. choses contraifes, s'engagent
ti paye;' une cet·taine somme ti celle qui se trotl-
vera avoir raison. » Le jeu est une sorte de
pari, et le pal'i une sor te de jeu: eette assimi-
lation résulte de la nature méme des ehoses ;
ils se suivent souven t l'un l'autre, el le jeu
donne fréquemment naissance au parí. Le
langage lui-méme se méprend a eet air de fa-
milIe; et, par une eonfusion généralement




CHANTRE DEUXIhm. 23


aeeréditée, il qualifie du nom de jeu eertaines
opérations de Bourse quí ne sont que des parís
sur la différenee des cours. Nous nous confor-
merons a cet usage, et nous parlerons indis-
tinctement de l'un el de l'autre.


Considéré dan s son objet, le jeu peut étre
partagé en trois classes: 1° les jeux d'adresse ;
2° les jeux de hasard; 3° les jeux mixtes.


Parmi les jeux d'adresse, il faut citer la
Palestreetle Cestechez lesRomains; enFrance,
au moyen-age, les tournois qui firent pendant
si longtemps les délices de la chevalerie ; dan s
notre société moderne, le sport avec ses rami-
fications nombreuses.


Le jeu de hasard est celui ou le hasard seul
est en cause. Le plus aneien et le mieux carac-
térisé est le jeu de dés, dont le nom latin, alea,
désigne le hasard lui-méme. La loterie est un
des plus redoutables jeux de hasard, car elle
s'adresse aux classes pauvres dont elle surex-
cite la convoitise: tout le monde ne peut pas
jouer; tout le monde peut mettre a la loterie.


Enfin les jeux mixtes sont ceux Ol! l'habileté
du joueur peut a un certain point contrebalancer




24 PREMIERE PARTIE.


l'influence du sort: certaines combinaisons de ,
cartes, le whist, le piquet, rentrent dans cette
catégorie.


Les jeux d'adresse et les jeux mixtes ne sont,
en aucune fa~on, contraires a la justice et a la
morale, pourvu qu'ils soient pratiqués avec une
certaine modération;" mais la question semble
plus difficile a résoudre en ce qui touche les
jeux de hasard. On sait ave e quelle rigueur la
loi romaine les proscrivait. Le vieux et austere
Caton répétait souvent a son fils: « aleas fuge».
Dans un mouvement d'éloquente indignation,
Cicéron, effrayé des ravages que produisait la
passion du jeu, confond dans une méme repro-
batíon les joueurs et les plus inti.mes debau-
chés: « Omnes aleatores, omnes adulteri, omnes
impudici. »


L'Eglise catholique avait aussi, de bonna
heure, défendu les jeux de hasard sous les peines
les plus severes. Nous en trouvons la preuve
dans le Canon suivant qui date des temps aposto-
liques: « Episcopus, aut presbyter, aut diaconus
qui alece indulget, vel desinat vel deponatur. Sub-
diaconus, aut cantor, aut lector, qui consimilia




CHAPITRE DEUXIEME. 25


facit, vel de,inat vel a communione sejungatur;
similiter el La'ici. »


Cependant le jeu de hasard en lui-méme est-
il absolument contraire au droit naturel, ti la
conscience? 11 faut évidemment distinguer ici
la justice stricte des autres vertus morales: La
justice est une vertu, sans nul doute, mais elle
n'est pas, tant s'en Caut, la seuIe vertu morale
que nous soyons tenus de pratiquer. Quoi qu'en
dise le proverbe, on n'est pas fort honnéte
homme, parce qu'on n'a ni lué, ni volé: la sphére
de la moral e obligatoire s'étend bien au-dela
des limites de la stricte justice. A l'aide de
cette distinction importan te, nous allons es-
sayer d'apprécier le jeu de hasard.


En stricte justice, il peut étre licite, pourvu
qu'il se fasse sans fraude et sans duperie, que
l'enjeu soít vérítablement la propriété du
joueur, et surtout que l'égalité entre les joueurs
soit parfaitement observée.


En morale, le jeu considéré comme délasse-
ment est tout-:-a-fait innocent, pourvu g:u'il ne
dépasse pas la juste mesure, et qu'il ne nuise
pas aux occupations sérieuses ainsi qu'aux de-


L




26 PREMIERE PARTIE.


voirs de profession. Mais si nous l'envisageons
comme so urce de la. richesse, comme moyen
d'arriver a la fortune, alors la mOl'ale, d'indul·
gente qu'elle était, devientsévére, et porte con-
tre lui ses plus légitimes prohibitions.


Rien n'est plus opposé a la loi de Dieu, qui
a condamné l'homme a gagner son pain a la
sueur de son front, que ce genre d'industrie
qui, san s peine, sans travail, san s application
sérieuse, donne plus de richesses en un mo-
ment que les voies naturelles et ordinaires
n'en donneraient en une année. Combien est
frappante de vérité la peinture que nous en
fait le Poéte, lorsqu'il met· ces paroles dans la
bouche d'un valet de Cerme, comparant sa posi-
tion a celle d'un joueur de Bourse :


J'ai beau piocher, hecber et herser le terrain,
Semer el moissonner, batlre el vanner le grain,
Me lever avant l'aube et rentrer a nuit closc;
Travailler comme un boouf quijamais ne repose,
Quand je vivrais cent ans, je ne gagnerais pas
Ce qu'¡¡ gagne en un mois en se croisant les bras. (1)


Le caractére sacré de la propriété s'efface,


(1) La Bourse, p. 11.




CH.HITRE DEuxJimE. 27


l'auréole qui couronnait son front disparait,
lorsqu'elle est le résultat du hasard et non pas
le fruit du labeur. eomment veut-on mail1tenir
le respect de la fortune acquise par le jeu, dan s
l'ame de l'ouvríer, de l'homme du peuple quí
gagne péniblement sa vie a la sueur de son
front?


Oui, la richesse est légitime et honorable,
quand elle vient du travaíl : avec cette origine,
elle inspire le respect; elle n'a pas alors les
nombreux vices qu'on lui trouve quand elle est
dueaux hasards du jeu ; elle ne corro:tÍlpt pas
habituellement celui qui la posséde; il ne la
dissipe pas follement et ne s'expose pas a la
perdre, paree qu'il sait ce qu'elle coute, et
qu'elle porte l'empreiilte de ses fatigues et de
ses veilles; elle est pour les fils un exemple au-
tant qu'un patrimoine; elle provoque l'ému-
lation et non pas le mépris. Mais si on la cher-
che et si on la trouve dans les hasards du jeu,
elle perd tous ces caracteres qui )ui conci-
liaient l'estime et l'admiration; elle devient
un objet de haina et d'envie, de ·la part du
pauvre et du deshérité de ce monde; elle est un




28 PRElIlIERE PARTIR.


mauvais e:xemple, le plus mauvais de tous, car
iI frappe les regards des multitudes. S'enrichir
sans travailler! quelle séduisante tentation
pour l'homme du peuple, pour l'ouvrier courbé
tout le jour sous le poids de son labeur! Enfin,
si elle s'accroit par des procédés injustes et
déshonnetes, elle ne mérite plus que le nom
vuIgaire d'escroquerie, et devrait toujours etre
punie par les lois.


En définitive, le jeu de hasard peut, il est
vrai, ne pas bless~r la justice stricte; mais iI
demeure toujours entaché d'immoralité, si on
s'en sert comme d'un moyen pour arriver a la
fortune. On ne sera pas, sans doute, obligé de
restituer des richesses ainsi acquises, pourvu
qu'aucune fraude, aucune duperie n'ait été
melée au jeu, quel qu'il soit; mais cette fortune
restera toujours marqué e , aux yeux de la
conscience honnete et délicate, d'un sceau in-
déIébile, du sceau de son origine.


Résumons, en quelques mots, les principes
que nous venons d'établir relativement a la



moralité de la spécuIation, du jeu et de l'a-
giotage.




CHAPITRE DEUXIEME. 29


La spéculation n'est pas contraire, en elle-
méme, a la justice et aux autres vertus mo-
rales, puisqu'elle réclame l'efIort et le travail ;


Le jeu ne lése pas nécessairement la stricte
justice, mais il est ordinairement immoral,
car il favorise l'oisiveté et toutes les passions
mauvaises qui en sont les conséquences fu-
nestes;


L'agiotage, enfin, est toujours injuste et im-
moral, car il outrage a la fois la stricte justice
et les autres vertus.


N ous allons maintenant parcourir succe~si­
vement les principales opérati01ls de bourse,
et leur faire l'application de ces régles. En
étudiant leur nature intime, nous jugerons
aussi de leur degré de moralité, suivant la
part plus ou moins grande qu'elles laissent a
la spéculation, au jeu et a l'agiotage.




30 PREl\IIERE PARTIE.
,


CHAPITRE 111
Les l\larchés au comptant. - Leur Légitimité. -


Leur l\loralité.


Les opérations de Bourse se divisent d'une
maniére générale en deux elasses : les opéra-
tions au comptant, et les operations a terme.
Les unes se réglent au moment m"me ou se
fait l'opération, ou dans un délai trés limité;
les autres ne se réglent qu'a une époque plus
ou moins éloignée du moment de la négocia-
tion, mais cependant toujours fixée d'avanee.


La premiére opération de Bourse qui se pré-
sente au regard de l'observateur, e'est l'opéra-
tion au comptant. Pour vendre et pour acheter,
il faut que deux hornmes se rencontrent: d'une'
part le propriétaire d'un objet qu'il veut ven-
dre, d'autre part l'aeheteur qui veut l'aequérir.
Quand il s'agit de marchandises visibles, pal-
pables, emmagasinées, l'acheteur se rend dans




CHAPlTRE TROISIE~IE. 31


les entrepóts, dans les magasins, et choisit ce
qu'il veut ; le voyageur de son coté va offrir a
domicile soit la marchandise, soit plutót un
échantillon qui en donne une idée. Mais quand
iI s'agit d'actions oil. d'obligations de chemin
de fer, de valeurs industrielles, de titres de
rente sur l'état, celui qui veut en acheter ne
peut pas courir les rues en demandant a droite
et a gaucha s'jl ya des vendeurs : de méme
celui qui voudrait les vendre ne peut pas aller
les offrir au premier venu qu'il reneontrera. Il
faut done qu'il y ait un marché pour les va-
leurs mobilieres, comme il yen a pour les grains
et les toiles, les vins et les bestiaux.


On entend par valeur, en général, tout ce qui
représente au moyen d'une simple feuille de
papier un capital en argent. La eréation d'un
marché pour les valeurs est aussi raisonnable
que nécessaire; sans cela, elles se trouve-
raient expósées il une dépréciation inévitable.
Lorsque nons achetons un objet qui ne peut pas
se consommer, mais qui représente une partie
plus ou moins grande de notre fortune, peu
importe, nous sommes heureux de savoir que




32 PREMIERE PARTIE.


nous pourrons facilement le vendre, et rentrer
en possession de notre argent: s'il nous fallait
pour cela recourir a des moyens difficiles, faire
de nombre uses démarches exposées :i. res ter
longtemps infructueuses, toutes ces difficultés
nous détourneraient évidemment d'un pareil
mode de placement. Il est done utile, et méme
nécessaire, que l'acquisition comme la vente, en
un mot que I'échange des valeurs puisse se
faire sur un marché déterminé qu'on appeIle la
Bourse.


Les marchés au comptant sont de deux sor-
tes: les uns constituent de simples placements de
capitaux; les autres commencent a entrer dans
le domaine de la spéculation, en se fondant sur
la variation des cours. lIs sont, dans les deux
cas, fort simples et tres faciles :i. comprendre.
J'ai une certaine somme d'argent :i. ma disposi-
tion : J'achéte avec cette somme des titres quel-
eonques, par exemple des ti tres de rente 3 %
au eours de 80 fr. : cela veut dire qu'autant de
fois je payerai 80 fr., autant de fois je per-
cevrai 3 fr. de rente ehaque année: soit pour
un capital versé de 8000 fr., je toucherai tOU8




CHAPITRE TROISll'lME. 33


les ans 300 fr. de rente: dans cette hypothése,
je n'achéte pas pour revendre, mais pour avoir
un certain revenu fixe ; je ne fais pas une spé-
culation, mais un simple placement de fonds. Il
est évident qu'il n'y a rien la que de parfai-
tement légitime, et dont la conscience la
plus honnéte et la plus délicate puisse s'alar-
mero II s'agit en efIet, d'un marché ordinaire ;
et, pour ne pas sortir des limites de la justice
et de la moralité, il suffi t d'observer les con-
ditions de bonne foi et de sincérité requises
dans toute opération commerciale. Aussi ne
nous y arréterons-nous pas, et passerons-nous
de suite a la seconde hypothése.


Supposons toujours la rente 3% au cours
de 80 fr.; j'ai la persuasion que dans quelque
temps ce cours s'élevera: j'achéte avec la
somme de 8000 fr., une rente de 300 fr. Bien-
tot mes prévisions s'accomplissen t, la rente
monte a 85 fr. ; je reven.ds alors mes titres, et
je réalise un bénéfice de 500 fr. Dans ce cas,
rai achet~ pour revendre, j'ai fait une spécula-
tion. Ce genre d'opération n'est pas autre
chose que le commerce des valeurs mobilié-




34 PREMIÉRE PARTIE.


res; il repose sur le principe méme du négoce :
acheter abas prix pour revendre a un prix
plus élevé.


Pour l'apprécier en conscience, il faut faire
une double supposition: le gain que j'ai réa-
lisé sera, en partie du moins, le résultat de
mes études, de mes calculs, de mon travail
enfin; ou bien il sera le simple produit du
hasard et des circonstances qui m'ont servi favo-
rablement. Dans le premier cas, c'est une spé-
culation honnéte et légitime, comme tout acte
de négoce; dans le second, c'est déja le jeu,
qui peut, a la vérité, ne pas offenser la stricte
justice, mais ne saurait jamais etre considéré
comme la source vraiment morale de la richesse
et de la fortune.




CHAPITRE QUATRIÉME. 35


CHAPITRE IV
Les Marchés 11. terme. - Leur Définitiol1. -:- Leur Division,


Leur Moralité.


Les opérations a terme, avons-nous dit pré-
cédemment, sont celles dont le réglement ne se
faít qu'a une époque plus ou moins éloignée du
moment de la négociation, mais néanmoins
toujours déterminée d'avance: le terme, en
efIet, n'est pas laissé au choix des spéculateurs:
ordiriairement il est fixé au '15 courant, ou a la
fin du mois: ces jours sont appelés, en style
de Bourse, jours de liquidation / ainsi on dit:
Liquidation courante ou liquidation de fin du
mois, selon les différentes valeurs; car il en est
qui ont deux liquidations, et d'autres qui n'en
ont qu'une seule. Ces mesures ont étéprises
pour faciliter le réglement des opérations de
Bourse, et diminuer les risques déja si grands
que causent les fluctuations des valeurs ; car ces




36 PREMIERE PARTIE.


risques s'aeeroitraient toujours, si on prolon-
geait indéfiniment les délais. La liquidation
n'est done pas autre chose que I'opération p~r
laquelle on régle et on arréte les comptes des
marchés a terme engagés a la Bourse pendant
la quinzaine ou pendant le mois.


Il y a deut. classes de marchés a terme: les
marchés fermes, et les marchés libres ou a
prime.


MTICLE PREIoIIER. - Les Marchés fermes.


Les marchés fermes sont ceúx dan s lesquels
le vendeur et l'acheteur s'engagent a livrer en
liquidation, l'un ses titres, l'autre son argent,
sans qu'aucun puisse se soustraire a l'exécution
de l'obligation qu'il a contractée. Par exemple:
j'aehéte 1500 fr. de rente 3 0/0 livrables a la
prochaine liquidation; cela veut dire que le
dernier jour du mois courant, j'échangerai mon
argent contre un nombre proportionneI de
titres de rente.


Cette opération, au point de vue économique,




CHAPITRE QUATRIElIIE. 37


présente des avantages réels et sérieux, el
l'emporte de beaucoup sur le marché au comp-
tant, quand les contractants ont tous deux, l'un
l'argent pour payer et I'autre les titres vendus.
Je compte pour la fin du moís sur des rentrées
importantes; j'achéterai fin courant de la
rentepour le montant de cette somme, et, a
l'échéance, je me trouverai en mesure de payer.
Mais pourquoi n'ai-je pas attendu la fin du
mois pour acheter? paree que j'ai craint qu'en
liquidation les cours fussent plus élevés qu'au
moment ou j'aí donné mes ordres a mon agent
~e change. le puis donc par ce moyen réaliser
une véritable économie, en achetant aujour-
d'huí des ti tres a un plus bas prix que je ne
les achéterais au comptant a la fin du mois.


Faisons maintenant l'hypothése contraire:
J'ai besoin d'une certaine somme pour fin cou-
rant, je ne pourrais I'utiIiser plus tót et j'en
perdrais l'intérét. Pour toucher cette somme a
jour fix~, iI me suffira de vendre a terme une
quantité égale de valeurs; j'aurai ainsi l'avan·
tage de jouir de l'intérét de mon argent jus.
qu'au dernier jour, car le cours du marché a


2




38 PREMlimB PARTIE.


terme est ordinairement plus élevé que celui
. du comptant~ Je vendrai done mes ti tres plus
cher a terme que je ne les aurais vendus au comp-
tant, et je réaliserai ainsi un bénéfice· plus ou
moins considérable, mais equivalant toujours a
l'interét de mon argent, qui d'ailleurs, sims
cela, serait reste improductif.
, Les marches a terme, conclus a la Bourse
:dans ces circonstances et mille autres sembla-
hles, sont réels et sérieux; ils constituent
:l'exerciced'une spéculation tres legitime, et
.n'offrent, a11 point de vue moral, aucune prise
.8. la critique, méme la plus sévere; en supposant
.toujours, bien entendu, que les contraétants
sont de honna foi, et qu'ils possédent réelle-
ment,l'un les ti tres vendus, et l'autre la
somme nécessaire pourles acheter.
. Mais si, comme il arrive souvent, lecas
opposé se présen te; si le vendeur est sans
fitres, et I'acheteur sansargent, alors nous
tombons dans le domaine de la speculation
pure, dan s les operations ti cUicouvert. On
donne ce nom a' des opérations Mns lesquelles
acheteurs et vendeurs n'ont point l'intention'




CHAPlTRE QUATRIEME. 39


de lever ni de livrer, soit qu'ils n'aient ni
titres ni argent, du moins suffisamment, soit
que I'exécution ne rentre pas dans le pro-
gramme de leurs combinaisons. L'opération
se résout alors par une différence a toucher
ou a payer, selon qu'elle a été favorable ou
non.


J'achéte 1500 fr. de rente 3 % livrables a la
prochaineliquidation, au cours de 85 fr.; dans
I'intervaUe, le cours monte a 87 fr.; je revends
mes titres ; et comme les 1500 fr. de rente qui,
au cours de 85 fr., valalent 42,500 fr., valeni
maintenant. au cours de 87 fr., .5,3,500 fr., je
gagne une somme de10JO fr. que je toucherai
a l'époque de la liquidatlon. J'avais acheté
sans avolr l'intention, ni méme la possibilité
de lever ces ti tres de rente, mais uniquement
dans l'espoir que les cours s'éléveraient et que
je pourrais réaliser un bénéfice: En un mot,
je suis un spéculateur heureux ti la hausse.


Supposons mamtenant lecontraire: le venas
au cours de 85 fr. des titres de rente 3 % que
je ne posséde pas ; en style de bourse, je vends
a découvert; mais j'espére que d'ici a l'époque




iO PREMIERE PARTm.


de la liquidation les cours baisseront, et que je
pourrai alors acheter a meilleur marché. Or,
voici que je suis trompé dans mes prévisions;
les cours montent a 87 fr., au líeu de descen-
dre, comme je l'espérais ; la liquidation arrive;
je suis obligé de payer la différence entre le
prix auquel j'ai d'abord vendu et celui auquel
je devrais acheter aujourd'hui, entre 85 et
87 fr., c'est-a·dire, autant de rois 2 fr. que
j'ai vendu de ti tres de rente 3 % : en un mot,
je suis un spéculateur malheureux a la baisse.


Les ventes el découvert sont un des plus
grands leviers de la spéculation : el~es oeca-
sionnent la baisse, lorsqu'elles se font en grand
nombre; elles déterminent au contraire la
hausse, lorsque les acheteurs forcent les ven-
deurs a livrer les titres, et que ceux-ci ne peu-
vent se les procurer qu'en les demandant a
tout prix: cela s'appelle chasser le déco'Uvert.


Ces sortes d'opérations ne sont conformes
a la justice stricte, qu'autant qu'on ne s'expose
point a perdre san s pouvoir payer et sans
avoir l'intention sérieuse de le faire; car il
n'ya pas alors égalité entre les deux parties




CHAPITRE QUATRIÉME. 41


contractantes: l'une, en efIet, ne peut que
gagner, et l'autre ne peut que perdre.


Elles ne sont morales qu'autant qu'elles re-
posent sur des bases solides, sur des données
intelligentes, qui nécessitent le travail, et non
sur le basard, le mensonge ou la force. La
Bourse, il est vrai, est un cbamp de bataille ;
mais, ici pas plus qu'a la guerre, la force ne
saurait primer le droit.


ART. n. - Lee Marchée a prime, ou libree. .


Le marché a prime, ou libre, ainsi appelé par
opposition au marché {erme, qui se trouve ir-
révocable, est celui dans lequel l'acheteur se
réserve, a son choix, en liquidation, la faculté
d'exiger la réalisation de la conventíon, ou de
renoncer a la négociation, moyennant l'abandon
d'une certaine somme ou prime, payée d'avance
au vendeur.


J'achéte fin courant 5,000 fr. de rente 5 0'. a
• 100 fr. dont 1 fr.; je devrai remettre immédia-


tement une somme de 1,000 fr., montant de la
prime; et, lorsque arrivera la liquidation, j'au-




42 PREMIERE PARTIE.


tai le droit ou de prendre les 5,000 fr. de rente,
en payant de nouveau 99.000 fr., ou d'aban-
donner le marché, en laissant au vendeur les
1000 fr. déja versés.


Le prix des primes est déterminé a la Bourse
d'apres les offres et les demandes; par consé~
guent, il est tres variable. On dit que la rente
5 010 est a 100 dont 50, dont 1, dont 2, suivant
que les primes sont de 50 c. de 1 fr. ou de 2 fr.
On écrit par abréviation: 100/50; 100/1;
100/2.


L'acheteur a prime a le choix entre ces deux
termes: exécuter le marché, ou y renoncer
moyennant l'abandon de sa prime; mais i I ne
conserve cette faculté d'option que jusqu'a la li-
quidation prise pour échéance; a cette époque,
il est tenu de se prononcer, et de faire COll-
naitre au vendeur s'il prend ou non livraison
des titres: cette déclal'ation est connue sous le
nom de réponse des primes.


Les marchés ti prime deviennent des marchés
fermes, des que l'acquéreur a déclaré qu'il en-
tendait lever les titres.


Telle est, dans ses éléments essentiels,




CHAPITRE, QUATIUEME. 43


la notion des marchés fermes ou libres, quí,
~ont les principaux instruments de la spécu-
lation. Ces opérations peuvent se compli-:
quer par une série de 'négociations, et se
preter a une variété infinie de combinaisons-
diverses ; nous n'avons pas l'intention de par~
~ourir ce labyrinthe, et de pénétrer dans cet
inextricable dédale': cela, d'ailleurs, n'est 'pas
nécessaire a notre but. Il nous suffit, en efIet,
pour apprécier sainement la moralité de ces
opérations, quelIes qu'elles soient, d'en con-
naitre le mécanisme fondamentaI.


Or, les marchés ti terme (ermes, quand ils
aboutissent a des livraisons effectives et réel-
les de titres, nous semblent tout anssi irrépro-
chables, aux yeux de la conscience, que les
marchés au comptant; quand ils se résolvent
par le payement de difIérences, ils entrent
dans le domaine de la spéculation, comme les
marchés ti prime et les opérations ti découvert.


On pent donc porter sur ces difIérents actes
un jugement synthétique, et dire en appliquant
les principes déjil établis :


Ou bien la spéculation, dont ces actes ne




PB.EMIEB.E PARTIE.


sont que l'instrument, repose sur des données
sérieuses, sur l'étude et le travail, et alors elle
est parfaitement moral e et légitime;


Ou bien elle ne s'a'ppuie sur rien, et alors
elle n' est pas autre chose que le jeu, et doit etre
jugée comme lui, c'est-a-dire, comme étant
toujours en opposition avec la mora lité vraie,
sinon avec la stricte justice ;


Ou bien enfin, elle repose sur des données
fausses et mensongeres, et alors ell.e constitue
l'escroquerie et le vol, justiciables, non seule-
ment de la conscience, mais aussi de la police
correctionnelle.




CHAPITRH CINQUIEME. 45


CHAPITRE y


Le Report. - Sa Nature. - Sa Moralité.


Le mot report a différentes significations :
Il désigne d'abord la différence, en plus, en-


tre le prix d'un titre acheté a terme et celui d'un
autre acheté au comptant; le mot déport ex-'
prime un fait contraire au précédent, c'est-a-
dire l'excédant du comptant sur le cours a
terme.


La rente 3 010 au comptant est a 79,30, a
terme elle est a 79,55: il y a 0,25 c. de re-
port; au contraire, la rente au comptant est a
79,55, a terme elle est a 79,30: il y a 0,25 c.
de déport.


Il désigne en second líeu un prét sur titres, sur
nantissement: Celui qui préte est le reportetlr,
celui qui emprunte est le reporté. Le report
est alors le bénéfice du capitaliste qui préte de
l'argent sur le dépót d'un titre; ledéport estau




4·6 . PREMIÉRE PARTIE.


eontraire le bénéfiee de celui qui préte un ti-
tre sur le dépot d'une somme d'argent. Il y a
report quand les titres sont plus abondants
que le numéraire; il Y a deport quand le nu-
méraire est plus abondant que les titres.


Enfin, si l'on pénetre plus avant dans la na-
ture et le mécanisme de l'opération, reporter
e'est acheter au comptant ou en liquidation, et
revendre a une échéanee plus éloignée ; se (aire
reporter, e'est vendre au eomptant ou en liqui.-
dation, et se racheter a une autre échéance.
Si l'achat et la vente s'effectuent en meme
temps, iI y a report direct; et si les deux opé-
rations se font a divers intervalles, il y a report
indirecto


La différence entre les prix d'achat et de
vente constitue le report, lorsque le bériéfice
est pour le préteur, et le déport, lorsqu'il est
pour I'emprunteur; si la différenee est nulle,
on dit que le report est au paú'. En d'autres
termes: iI ya report quand iI ya exees de titres,
et demandes d'argent; il' Y a déport quand ce·
sont les titres qui sont recherchés et l'argent
qui est offert.




CHAPlTRE CINQUIHME, 47


La Bourse est fréquentée pardeux catégo-
:ries de spéculateurs : Les uns ont de l'argelit,
et pas de titres; les autres ont des titres, et
'{las d'argent, Les premiers offrent de préter
,leur numeraire contre des ti tres ; Iesseoonds,
:leurs titres contre du numéraire, Ces deux
'éléments se combinent entre eux: les acheteurs
'sans argent disponible vendent et se font re-
'porter ¡les vendeurs sans ti tres reportent et
rachétent. S'ily a beaucoup plus de titres a li ..
vrer que d'acheteurs disposés a lever, l'argent
,devient rare, comparativement llux titres·; l'in ..
teret qu'on lui paye se trouvant supérieur a
'celtii qui est payé aux titres, il ya report; si l,e
Caít contraire se produit, c'est-a-dire s'il y '3.
beaucoup plus d'acheteurs de titres que de
~endeurs disposés a livrer, le trtre devient rare
'tomparativement a l'argent; le loyer des titres
devenant a10rs supérieura l'interét del'argent,
il y 'a déport, , ' ,
. ·Aláliquidati{)n, si vendeurs sans titi'es et
acheteu-rs sansargent, se font équilibre" la
oompensation s'établit, et le repo'i'l que paie
l'acheteur se mesure seuleme'nt a-u reveliu du




~8 PllRMIEllE PAll TIR.


titre dont l'acheteur bénéficie en vertu de sa
situation ; le report reste modéré. Quand ce
sont les vendeurs sans titres qni sont les plus
nombreux, le repare se transforme en déport;
si ce sont les acheteurs sans argent, le repare S6
tend au-dela des limites raisonnables, et cette
tension est un signe de la situation périlleuse
du marché, un signe avant-coureur de pro-
chaines et inévitables catastrophes. Qu'on se
rappelle la chute de cette Société célébre qui a
causé autour d'elle, en tombant, la ruine d'un si
grand nombre de fortunes laborieusement et
honorablement amassées, semblable a ces
chenes séeulaires qui, déracinés par un vent
d'orage, éerasent tout ce qu'ils reneontrent
dans leur chute effroyable ! Qú'on reprenne la
série des reports pratiqués sur cette valeur,
pendant les ~rois derniers mois qui ont précédé
le désastre; c'est l'histoire du cataclysme finan-
cier, écrite jour par jour, et iJ.' l'avance, sur' la
cote officielle: le 16 décembre 1881, un mois
avant la faillite, on payait jusqu'iJ. 150 fr. de
raport, pour quinze jours, c'est-a-dire, environ
130 a 140 0/.l'an! ! !




CHAPITRE CI,QUIEME. 49


Considéré au point de vue économique et
financier, le report est d'une incontestable uti-
lité: il lie les marchés au comptant avec les
marchés a terme ; il porte sur les londs publies
une masse considérable de capitaux qui leur
donne un mouvement continuel; il procure
un placement lueratif aux financiers qui
ont pour peu de temps, dans leur caisse, un
argent qu'il ne convient pas de laisser san s
emploi; il permet enfin aux spéculateurs, de
prolonger leurs opérations au-dela du terme
précédemment fixé, et d'attendre un moment
plus favorable pour, réaliser.


Envisagé selon les principes de la justiee et
de la morale, lé report est-il légitime? Peut-il
etre pratiqué en toute su reté de conscience?
pour répondre a cette question, il faut étudier
sa nature intime, et déterminer le caractere
essentiel qui le constitue. Or, les économistes
sont lo in d'étre d'accord sur ce point: les
UDS, en etTet, comparent le repart a l'an-
cien Mohatra, qui consistait dans une combi-
naison ingénieuse, usitée antrefois ponr dissi-
mular le prét a intérét, alors qu'il était dé-




50 PREMIERl! PARTIE.


tendu; les autres y 'voient unprét a intérét,
'Ou bien un prét sur nantissement; d'autres
I'assimilent a la vente a rémé'ré, -c'est-a-díre a
la vente avec faculté de rachat; d'autres enfin
le regardent comme une vente pura et simple;
, Quoi qu'il en soít de cette controverse, qui
dépasse heaucoup trop notre compétencepour
que nous osions y prendrepart, nous pouvons
néanmoins exprimer notre avis sur la moralité
dU f'eport, en le considérant soit comme un
prét' plus ou" moins déguisé, soit. comme un
contrat' de vent"e et d'achat: c'est a ces deux
notions principales qu'Qn peut le ramener."


" " Si le reportest'un prét quelconqu6, n'est-il
pas eritaché d'usure? Onsait, en eifet, que
l'intéret de l'argent mis en report est ordinai·
rement Lien au-dessus de l'intérét légal; il
s'éléve quelquefois, comme nous venons de le
voir, a des prixvraiment fabuleux. Malgré
cela, ilous n'osarions pasaffirmer qua le re-
port est usuraire, et voici pourquoi: I'inté-
re! d'un capital doit etreproport~onné aux ris-
que s et 'Périls 'courusparce méme capital;
c'est une loi générale el néceS"saire;"foridée sur




CHAPITRE CINQUniME. 51


la justice naturelle et sur l'équilibre financier.
La théologie n'a-t-elle pas admis ce principe,
lorsqu'elle a voulu légitimer le prét a intérét
par des titres extrinséques au prét lui-meme 1
Et parmi ces titres extrinséques se trouve le
danger auquel est exposé le capital prété, peri-
éUlum sortis. Or,dans l'opération du report, le
periculum sortis est considérable, et le report s'é-
léve a mesure que le péril augmente. On I'a
bien vu dans la derniére crise financiere
que nous venons de traverser : le prix des ·re-
ports équivalait parfois a plus dudouble du
capital prété, aussi étions-nous a la veille d'un
cataclysme; le lendemain l'orage éclatait,
reporteurs et reportés etaient entrainés dans
rabime.


Si le report est un contrat de vente et d'a-
chat, sous une forme quelconque, il participe
de la nature de la spéculation, dont iI est un des
agents les plus puissants. Il faut done le juger
comme on juge la spéculation elle-meme:


Si le repore est une opération sérieuse,
intelligente, étudiée a l'avance, il n'a rien
d'illégitime en lui-méme~ car il est le résul-




52 PRKMIÉRK PARTlE.


tat d'une spéculation laborieuse et honnéte;
S'il ne constitue qu'une opération de pur


hasard, alors il se contond avec le jeu. Or,
nous l'avons déjil dit, le jeu, quand bien
méme il ne blesserait pas la justice stricte,
n'en reste pas moins protondément immoral,
si on l'emploie comme moyen de taire for~
tune.


Enfin, si le prix des reports se tend a la
suite de faux bruits, de nouvelles menson-
geres, ce n'est pas autre chose alors que l'es-
croquerie et le vol.




CHAPI'lRE SIXIEME. 53


GHAPITRE VI


La Bourse et ses inLermédiaires.


Nous avons étudié les prineipales opérations
de Bourse, au point de vue de ]a mora]e, et
tenté de déterminer les conditions dans les-
quelles elles doivent se produire, pour satisfaire
aux exigences d'une conflcience droite et éclai-
rée. Il nous reste maintenant a connaitre les
principaux agents dont se sert la Bourse pour
entrer en relation avec le public, et a recher-
cher le degre de responsabi]ite moraIe qui leur
incombe.


AB'l'lCLB l'kaxma. - Lea Agente de chango.


Les opérations seraient tres restreintes, si
les negociants et les speculateurs étaient con-
traints de chercher eux-mémes limr contre-
partía; il Y a avantage pour tous a ce qu'un




rREMIERE PARTIE.


tiers se charge de rapprocher les acheteurs des·
vendeurs, et c'est sur ce besoin que 'sont fon-
dées les professions de courtiers et d'agents de
change. Cette nécessité résulte de la nature
méme des chosek ; aussi l'origine des courtiers
et agents dechange remonte-t-elle a une épo-
que qu'on ne peut préciser, ciais antérieure a
I'établissement des Bourses de commerce. "


Lesagents de change sont des officiers minis-
térieIs nomméspar déeret du Président de la
Républiqué, sur la proposition de la Chambre
syndicale ; leur nombre varie suivant l'impor-
tance des villes ; a Paris, iI est de 60, a Lyon
de 30 seulemEmt.
.' Le Parquet est I~ réunion des agents de
chan.ge ,.eIi corps, a la Bourse, par opposition a
la Coulisse qui comprend tous les offieiers non
ministériels.


On appelle CorbeiUeJl~ espace réseryé, situé
au milieu de la salle, ou les agents de change
se réúnissent. pour consommer leurs transac-
tions.
. n. faut distinguer le Parquet de la Cor-
beilúti le Pa.r.quet,. c'~st fétre co}.le~ti.f, la com~




CHAPITRE SIXIllME. 55
pagnie des agents de changa se réunissant
pour ses opérations; la CorbeiUe, c'est Pem-
placement ou les agents de change seuls ont le
droit de pénétrer pour se livrer publiquement
a ]eurs transactions financieres.


Quelle est la responsabilité des agents de
change aux yeux de la conscience? a coup sur
elle est tres grande; ils sont, en effet, nous
l'avons dit, des officiers ministériels, chargés
de remplir un mandat tres important, celui de
servir d'intermédiaires entre la Bourse et ]e
public, et de présider aux transactions qui
s'operent. lIs sont assujettis a des lois et a des
reglements, dans l'exécution de leur mandat;
et il n'est pas douteux qu'ils ne soient obli-
gés en conscience de les suivre et de s'y confor~
merexactement. Ces lois renferment en général
des dispositions fort sages et fort prudentes;
si elles Maient fidelement observées:, .nous
ne serions pas témoins de ces secousses ter ..
ribles qui viennent, de tempsa autre, ébranler
le sol de la Bourse.


Mais, en dehors de ]a faute juridiqu·e et Jéga]e
qu'ils peuvent commettre, les agentsde,change




56 PREMIERE PARTIR.


encourent, a un autre point de vue, une res-
ponsabilité plus grave encore. Ils sont, en effet,
les conseillers officiels et autorisés du public
ignorant et crédule ; ils sont, en quelque sorte,
chargés de le diriger dans l'emploi de sa for-
tune et de ses épargnes. Aussí doivent-ilstou-
jours le détourner du jeu et de I'agiotage, et
méme de la spéculation a laquelle il est en
général tout a raít étranger. Aussi ne doivent-
ils encore lui conseiller, comme placement, que
des valeurs sérieuses et de tout repos. Combien
de fois, en effet, l'épargne franQaise ne s'est-
elle pas dissipée, pendant ces derniéres années,


,en des placements aléatoires et périlleux ?
Combien de fois ne s'est-elle pas engloutie dans
des entreprises aventureuses comme dans un
abime sans rond ?


La responsabilité des agents de change est
telle, qu'ils sont obligés en justice de réparer
les dommages causés a un tiers par leurs con-
seils imprudents. Investis de la confiance pu-
blique, ¡ls sont tenus de ne point la tromper,
en vertu du quasi-contrat qui les lie a la Société
dés qu'ils acceptent le mandat qui leur est con-




CHAPITRB SIXIEME. 57


fié. On peut rigoureusement leur appliquer ce
principe incontestable de la théologie morale:
Si dans consilium, id agat ex suo statu vel of!icio,
tenetur ad restitutionem de damno injusto, quod
ex StW consilio sequitur (1).


On voit combien est difficile, et délícate, aux
yeux de la conscience, la mission d'un agent de
change; quelle prudence et quelle sagesse il
lui faut pour ne pas se heurter aux nombreux
écueils qu'il rencontre. S'il veut remplir digne-
ment son mandat, la fortune ne lui sourira
peut-étre pas aussi vite, que s'il eut été peu
scrupuleux etpeu consciencieux dans Pexercice
de ses fonctions; mais il aura quelque chose
qui vaut infiniment mieux que tous les trésors
de la terre, l'honorabilité et la paix de la
conscience.


ART. n. - Lr. CouliAe. - Son Origine. - Relponsabilit6
del coulisaiers.


La limite du nombre des intermédiaires oC-
ficiels, c'est-a-dire des agents de change, eut


(1) Gury-Ballerini, de Justitia et Jure, p.l17tXm.




58 PREMIERE PARTrE.


pour efIet la création de nouveaux intermé-
diaires distiI1cts des premiers; les besoins du
pubJic soJlicitérent des individus non pourvns
:de la qualité d'agent de change, de s'entremettre
moyennant une commission, dans des négo-
ciations de valeurs: de la naquit la Coulisse.
EUe commén~a a domier signe de vie sous la
Restauration, vers 1826; a cette époque, les
agents de change étaient surs de tr~)Uver accou-
·dés sur la balustrade, faisant barriére dans le
,couloir qu'ils avaient a traverser pour alIer de
leur cabinet a la Corbeille, des spéculateurs
tont disposés aarréter, pour leur compte, les
afIaires qui leur conviendraient.
: La bahistrademobile et 11 coulisse SUr la.l
quelle ils s'appuyaient valut a ces spécuJateurs
le nom de Coulissiers, et a leur réunion le nom
de Coulisse. Ces coulissiers, qui d'abord ne
payaient pas de courtage, devinrentplus tard
des intermédiaires prélevant une commission,
i!1férieure cependant a celle qui, est prélevée
par l~s agents de changé.
, Ou appelle do~c Coulisse 'le marché des va-
leurs étabJi. acoté dumarché officiel. On la c\é-




CHAf'ITRE SIlLEME. 59


signe souvent aussi sous le noiD. de petite Bourse
des boulevards, du lieu ou elle se réunit le soil',
a Paris.


Le Parquet a ses réglements, sa discipline,
sa chambre syndicale, 'ses conditionsd'admis-
sion qui luidonnent un caractére ·de fixité et
·de stabilité; la Coulisse, au contraire, n'apas
d'existence légale, ni méine de réglement gou~
vernemental ort professionneT; menaoée san s
cesse dans son avenir, car éll edépend dh 1>on
ou du mauvais vouloir du gouvernement, elle
nesaurait avoir une, organisation durable.
Aussi la voyons-nous disparaltte aux:épaques
de troubles et d'orages financiera, pdur repa;l
raitre ensuite, quand leCÍel' de la Bóui'se ·r~.l
prendun peu de calme etde sérénité. " ,
. ,Toutes les, opérations .qlli .se prátiquent aü
Parquet se pratiquent également a la Coúlisse,'
sauf peut'-etreles marchés aucomptánt; car
lis sont réstés'I'apanage exclusÍf des agents dé:
change: d'aHIeurs, cegénre de négóciatións,
qui n'a rien á voir avec la spéculati6.n pure,;
est peu en rappoit avec le caractére de' eeux;
qui fréquentetlrla Boui8e~desbóúlevards.·. '




60 PREMIERE PARTII.


Les opérations de la Coulisse peuvent étre
considérées a un double point de vue : au point
de vue de la légalité, et a celui de la moralité
pure, de la conscience.


Envisagées au premier point de vue, elles
sont entachées d'une nullité radicale, pour
deux raisons: d'abord paree qu'elles ne sont
pas sérieuses, mais ordinairement fictives; les
marchés en coulisse manquent de réalité, ils
sont tres rarement suivis de livraisons et de
levees de ti tres ; encore faut-il pour cela s'a-
dresser a un agent de change; ils ne consti-
luent en un mot que des jeux de Bourse : En
second lieu, paree que ces opérations sont
exécutées par des intermédiaires qui ne sont
revétus d'aucun caractere ?fficiel, et qui usur-
pent des fonctions réservées aux agents de
change.


Envisagées au point de vue de la justice
stricte, les opérations de la Coulisse, quand
bien' méme elles sont nulles devant la loi, n'en
restent pas moins valides devant la conscience;
elles engendrent une obligation naturelle, si-
non juridique: e'est lA un des nombreux cas




CHAPITRE SIxIilME. 61


de dissentiment qui existent entre le for
intérieur et le for extérieur, entre la justice
naturelle et la justice légale (1).


Quant a leur moralité, il faut en juger, sui-
vant qu'eIles restent dans la catégorie de la
spéculation vraie, ou du jeu pur et simple.
La spéculation, nous 'l'avons dit, peut étre lé-
gitime et morale, lorsqu'elle exerce les facul-
tés supérieures de l'homme, son activité et
son intelligence ; le jeu sera toujours immo-
ral, car il tarit la source de toutes les vertus
et alimente toutes les passions mauvaises.


ART. III. - La PressB.


Il n'est personne qui ne reconnaisse le role
considérable joué par la presse aujourd'hui:
En finance comme en politique, elle est la
reine du jour. Elle est un auxiliaire puissant
pour la Bourse, et le bulletin financier de


(1) 11 u'esl done pas permis, eomme on le faH trop souvent,
de se retrancher derriere l'exception de jeu, pour ue pas
payer les deltes contractées a la Bourse, car, si elles ne sont
pas exigibles devant les tribuuaux, elles le sout certainement
devant la conscience.


2.




62 PRRMlliRR PARTIR.


chaque journal exerce une grande influence
sur l'esprit des lecteurs. e'est la qu'ils vont
puiser leurs inspirations, chercher des con-
seils pour employer utilement leurs capitaux
ou leurs modestes économies. Aussi, nous
assistons, depuis quelques années, a une éclo-
sion prodigieuse de journaux, de revues heb-
domadaires, qui patronent certaines valeurs ou
certaines entreprises financiéres.


Le bon public, ignorant et crédule, les pe-
tites gens surtout se laissent facilement séduire
par ces articles a sensation qui paraissent de
temps a autre, et ils viennent en foule apporter
le fruit de leurs labeurs et de leur épargne.
Pendant quelque temps, 'l'affaire semble en
voie de réussite et de succés; quelquefois
meme elle atteint le faite de la prospérité;
puis, tout a coup, elle s'effondre, entrainant
dans sa chute d'innombrables victimes, dont
le seul tort a été d'étre trop confiantes et
trop nalves. N'avons-nous pas été trop souvent,
pendant CeS derniéres années, les témoins
attristés d'un pareil spectacle? N'est-ce point
la l'histoire d'hier et d'aujourd'hui ?




CHAPlTRE SIXIÉME. 63


On ne saurait done le nier, la responsabi~
Jité de la Presse, en matiére de finances, est
trés grave aux yeux de la conscience. Parmi les
personnes tenues a restituer, la théologie
compte, dans certains cas, les donneurs de
conseiJs, consulentes: Ce n'est pas seulement,
en effet, celui qui est l'auteur immédiat d'une
injustice qui est obligé de la réparer, mais en~
core ceux qui en ont été les complices, ceux
qui y ont coopéré d'une maniére efficace. Or,
il n'est pas douteux qu'uu mauvais conseil ne
puisse étre, dans certaines circonstances, et re-
lativement a certaines personnes, la raison
déterminante d'un dommage subí par le pro-
chain. Celui qui le donne a done exercé une
influence sérieuse et efficace; il a été vraiment
cause morale d'une injustice; il est ten u par
conséquentala réparer, du moins dans une cer~
taine mesure, c'est-a-dire proportionnellement
au degré de causalité qui lui est imputable. Eh !
bien, nous le demandons en toute sincérité et
bonne foi, ne devra-t-on pas ranger dan s ceUe
derniére catégorie ces journalistes imprudents
ou coupables, qui prónent des valeurs qu'ils ne




64 PREMlllRE PARTIR.


connaissent aucunement, vendent leur plume a
une agence financiére dont ils s'engageront a
patroner toutes les affaires, quelquG véreuses
qu'elles soient, et trompent indignement leurs
lecteurs?


Chose triste a di re ! les journaux qui se pi-
quent d'un conservatisme étroit, en morale et
en poli tique, ne sont pas les derniers a em-
ployer ces procédés peu délicats, et a conclure
ces marché s peu honorables. 11 y a malheureu-
sement plus encore: les Semaines Religieuses
elles-mémes insérent des articles financiers
pour vanter certaines entreprises plus ou moins
sérieuses, et annoncent en grosses lettres,
a leur derniére page, les valeurs favorites
qu'elles recommandent aux ames simples et
nalves ! On ne saurait croire tout le mal que
cela fait a la Religion, car elle doit étre sépa-
rée de la spéculation plus encore que de la
politiqueo


Un journaliste consciencieux et honnete
n'encouragera jamais la spéculation folle et
insensée; il détournera la petite épargne des
valeurs aléatoires et a gros revenu ; mais sur-




CHAPITRE SIXIEME. 65


tout il ne vendra jamais sa plume au plus
ofIrant, et conservera, sur ce point comme sur
les autres, sa pleine et entiére indépendance.






DEUXIEME PARTIE
La Bourse et les Sociétés de Crédito


CHAPITRE PREMIER


Le Contrat de société. - Sa Nature. - Ses Ditrérentes
especes. - Loi de 1867.


La Société est un contrat par lequel plu-
sieurs personnes conviennent de mettre quel-
que chose en commun, dans la vue de partager
le bénéfice qui pourra en résulter: chaque
associé doit apporter de l'argent ou son indus-
trie, ou l'un et l'autre a la Cois.


La Société est cominerciale ou civile: la
Société commerciale a pour but de faire habi-
tuellement des actes de commerce, tandis qu'il
n'el'l est pas ainsi de la Société civile. ~a




68 DEUXIEME PARTIE.


prem¡¡~re constitue une personne morale, un
étre fictif indépendant de la personne des
associés; elle présente tous les caractéres de la
personnalité propre ; elle a son patrimoine, ses
créanciers et ses débiteurs; elle a également
un domicile, un nom qui est la raison social e :
tandis que la seconde est une simple agglo-
mératiou d'individus qui agissent ensemble ou
les urrs pour les autres, et se trouvent seule-
ment engagés d'aprés les principes généraux
du droit, c'est-a-dire pour leur part et portion ;
en un mot, , il n'y a pas de créanciers de la
Société civil e, il n'y a que des créanciers des
divers associés.


Parmi les Sociétés commerciales, les unes
sont des Sociétés de personnes, les autres des
Sociétés de capitaux; d'autres enfin présentent
un caractére mixte.


Les Sociétés de personnes sont formées en
vue de la pe1'sonne de chaque associé: elles
se fondent sur une confiance entiére et mu-
tuelle des associés entre eux, a tel point que


. chaque associé peut représenter toute la Société
e1- traiter pour tous: en outre, chaque associé




CHAPITRE PREMIER. 69


engage a la Société sa personne et toute sa for';"
tune: les associés ainsi réunis sont tenus
solidairement, c'est-a-dire chacun pour la to-
talité des dettes, et les créanciers de la So-
ciété ont pour gage de leurs créances, non seu~
lement l'actif de la Société, mais encore tout le
patrimoine de chaque associé: la principale
forme de cette Société, c'est la Société en Rom
collecaf.


Dans les Sociétés de capitaux, ce n'est plus
une confiance personnelle qui reunit les asso~
ciés; les personnes disparaissent pour lais~
ser la place a l'argent. La Société seule con-
tracte: chaque associé apporte une masse de
fonds au-dela de laquelle il n'est pas tenu;
les obligations de la Société ne sont garantíes
que par le capital social et non par les patri-
moines des associés; enfin aucun associé ne
représente la Société. La principale forme
sous laquelle se manifeste ce genre de Société,
c'est la Societé anonyme.


Enfin, la Société mixte est celle ou, parmi les
associés, les uns s'engagent solidairement,
comme les associés d'une Société en nom col-




70 • DEUXIEME PAR TIE.
lectif, tandis que les autres ne sont tenus que
jusqu'a concurrence de la somme qu'ils ont
promise: ces derniers se nomment commandi-
taires,et la Société s'appelleSociété en com-
mandite.


On distingue deux sortes de commandites :
la commandite ordinaire et la commandite
par actÍons. Dáns la premié re , la part de
chaque commanditaire est un intéret propor-
tionnel a la somme engagée; or, cet intérét ne
peut pas étre cédé, ou ne peut l'étre qu'avec
le consentement des autres associés. Dans la
seconde, la part de chaque commanditaire est
un certain nombre d'actions, selon qu'il a en-
gagé un capital plus ou moins considérable ; or,
cesactions sontcessibles, c'est-a·dire, que le com-
manditaire a le droit de se substituer un associé,
de son pleín gré, et sans le consentement de
la Société; la distinction entre l'intérét et l'ac-
tion repose done sur la cessibilité: l'intérét
est incessible, tandis que l'action est cessible.


Nous parlerons seulement de la Société ano-
nyme; car c'est sous cette forme que sont cons-
titués les grands établissements de crédito




CHAPITRE PREMIER. 71


La Soeiété anonyme, e'est-a-dire qui n'a pas
de nom, est une simple réunion de eapitaux
mis en eommun pour étre gérés par des admi-
nistrateurs: elle est done néeessairement une
soeiété par aetions.


L'aetion est un titre d'assoeiation; .I'obliga-
tion est un titre de eréanee: la premiére est
illimitée dans ses ehanees de gain, tandis que
la seeonde est fixe et invariable dansses bé-
néfiees ; mais, par eompensation, l'aetion offre
moins de séeurité pour les capitaux que l'obli-
gation; elle peut perdre l'intégralité de la
mise engagée avant que l'obligation soít en-
tamée; en un mot, l'aetionnaire est le débi-
teur de l'obligataire.


Les aetions sont de deux sortes: les unes
sont nominatives, c'est-a-dire qu'elles portent le
nom de eelui a qui elles sont délivrées, et qui
en devient propriétaire; leur cession s'opere au '
moyen d'un transfert, c'est-a-dire d'une men-
tion sur les registres de la Société; les autres
sont au porteur, c'est-a-dire ,que' le titre ne !ait
aueune mentiún du llom du .propriétaire, et
leur propriété passe de main en main~ comme




i2 DEUXIEME PARTIE.


la monnaie, par la simple remise du titre.
La Société anonyme differe, sous un rapport


essentiel, de la Soeiété en commandite par
aetions : dans celle-ei, il y au moins un assoeié
en nom et indéfiniment responsable, tandis
que dans celle-la, il n'y a pas d'associés en
nom; tous les membres sont actionnaires, et
responsables seulement jusqu'a concurrence
du capital engagé. Les Sociétés anonymes ne
peuvent done pas avoir de raison sociale; mais,
comme en définitive, il faut les désigner par
un nom quelconque, on les qualifie tantot par
l'objet de leur entreprise : ainsi on dit la com-
pagnie de Suez, de Panama; tantot par le lieu
du siege ou elles ont pris naissance : ainsi on
dit: le Crédit Lyonnais, la banque Ottomane.
Elles ont en général pour but de grandes en-
treprises commereiales, industrielles ou finan-
cieres : la division de leur capital en aetions
permet de composer une force unique et puis-
sante, a l'aide de la réunion d'une multitude
de petits capitaux.


Avant 1867, aueune Société anonyme ne
pouvait S6 former sans l'autorisation du gou-




CHAPITRE PREMIER. 73


vernement, et une fois constituée, elle était
placée sous la surveillance de I'autorité. On
croyait ainsi donner aux capitaux une entiere
sécurité et une garantie absolue. On a reconnu
ensuite le dan gel' de ceUe législation qui ren-
dait, aux yeux du public, le gouvernement res-
ponsable de toutes les catastrophes financieres;
eL n'en diminuait pas le nombre.


La loi du 24: juillet 1867 a oetroyé la liberté
aux conventions, en supprimant la néeessité de
l'autorisation et de la surveillanee du gouver-
nement; mais elle a du, en méme temps, dé-
eréter eertaines mesures préventives, afin d'ob-
vier, autant que possible, aux nombreux abus
qui ne manqueraient pas de se produire.


Et d'abord, les Sociétés anonymes ne peu-
vent diviser leur capital en aetions inférieur'es
a 100 ou 500 fr., selon I'importanee du capi-
tal social. eette disposition, fort sage, a pour
hut d'empéeher d'émettre des aetions a 5 et
10 fr., tout comme des billets de loterie, et
de tenter ai nsi, par l'espoir d'un gain extraor-
dinail'e, la petite épa¡'gne toujours si facile ¿t
séduire.


3




74 DEUXIEME PARTIE.


En second lieu, elles ne sont définitivement
constituées qu'aprés la souscription de la tota-
lité du capital social et le versement par cha-
que actionnaire du quart du montant des ac-
tions par lui souscrites: l'exécution de ceUe
condition essentieIle prouve que la Société a
été contractée sérieusement, et non pas seule-
ment dans un but de spéculation illicite. Qu'ar-
riverait-il, en effet, si les associés fondateurs
n'étaient obligés a aucun versement effectif?
Ils ne sepréoccuperaient que d'une chose, de
lancer l'affaire, comme on dit, de faire croire,
ne fut-ce qu'un moment, a un succés, et de
déterminer ainsi une hausse dans la valeur
des actions : ils en profiteraient alors pour les
vendre, et les acheteul's nalfs et crédules les
verraient bientot retomber a zéro entre leurs
mains.


En troisiéme líeu, d'aprés la loi de 1867, « il
peut etre slipulé, mais seulement par les statuts
constitutifs de la Société, que les ac"tions pour-
ront, apres avoir été libérées de moitié, étre con-
verties en actions au porteur par délibération de
l'assemblée générale. Soit que les actions restent




CHAPITRE PREMIER. 75


nominatives apres cetle libération, soit qu' elles
aient été conrerties en actions au porteur, les
souscripteurs primitifs qui ont aliéné les actions,
et ceux ti qui ils les ont cédées avant le verse-
ment de moitié, restent tenus au paiement du
montant de lettrs actions pendant un délai de
deux ans, el, partir de la délibération de r assem-
bree générale. » Cette clause fort importante a
pour but de prévenir une fraude qui se prati-
quait autrefois: Les actionnaires cédaient les
actions qu'ils avaient souscrites, a des insolva-
bIes, et avant l'entiére libération du capital;
les nouveaux actionnaires se trouvaient dans
l'impossibilité de remplir leurs engagements,
et la Société était mise en faillite; néanmoins
les souscripteurs primitifs n'en avaient pas
moins souvent réalisé des bénéfices considéra-
bIes. C'est a ce danger que la loi de 1867 a
voulu remédier, en déérétant la responsabilité
des souscripteurs primitifs et des cessionnaires
intermédiaires.


Telle est, dan s ses dispositions principales,
la loi qui régit aujourd'hui les sociétés. A-t-elle
réalisé toutes les espérances qu'elle faisait




76 DEUXIEME PARTIE.


naitre a l'époque de sa promulgation, en 1867?
le régimé de liberté qu'elle a inauguré a-t-il
été favorable a la sécurité des capitaux et aux.
intéréts financiers ? nons n'oserions l'affirmer,
en face des récents désastres qui nous ont frap-
pés, et dont les conséquences déplorables se
déroulent aujourd'hui sous nos yeux.




CHAPITRE DEUXIÉME.


CHAPITAE II


Les Adminislrateurs des Sociétés de crédito - Leur
Responsabilité.


77


Les Sociétés anonymes sont administrées par
un ou plusieurs mandataires a temps, révoca-
bies, salaries ou gratuits, 'pris parmi les asso-
cies. Une assemblée generale est convoquée, a
la diligence des fondateurs, postérieurement a,
l'acte qui constate la souscription du capital
social et le versement du quart du capital, qui
consiste en numéraire. Cette assemblée nomme
les premiers administrateurs, et les commis-
saires pour la premiére annee; ces derniers
sont chargés de faire un rapport a l'assemblee
genérale de l'année suivante, sur la situation
de la Société, et sur. les comptes présentés par
les administrateurs.


Les administrateurs doivent étre proprié-




78 DEUXIÉME PARTIE.


taires d'un certain nombre d'actions déterminé
par les Statuts: ces actions sont affectées, en
totalité, a la garantie de tous les actes de la
gestion, méme de ceux qui seraient exclusive-
ment ptlrsonnels a l'un des administrateurs ;
elles sont nominatives, inaliénables, frappées
d'un timbre indiquant l'inaliénabilité, et dé-
posées dans la caisse sociale.


11 est tenu, chaque année au moins, une
assemblée générale, a l'époque fixée par les
Statuts.


Les administrateurs sont responsables, con-
formément aux regles du droit commun, indi-
viduellement ou solidairement, suivant les cas,
envers la société ou envers les tiers, soit des
infractions aux dispositions de la loi, soit des
fautes qu'ils auraient commises dans leur ges-
tion, notamment en distribuant ou.en laissant
distribuer sans opposition des dividendes
fictifs.


Tel est, en substance, le principe sur lequel
repose la responsabilité des administrateurs
aux yeux de la loi; e'est aux tribunaux qu'il
appartient d'en déduire les conséquences, et




CHAPlTRE DEUXIÉME. 79


d'en faire l'application aux difIérents cas sou-
mis a leur appréciation.


Mais le for intérieur est-il toujours, sur ce
point, en accord avec le for extérieur? La
conscience étend-elle aussi loin que la loi ci-
vile les limites de la responsabilité? con-
firme-t-elle toujours lés arréts rendus par les
tribunaux ? Question grave et brulante! Nous
essayerons de la résoudre, en nous pla~ant
dans la sereine région des principes de la mo-
rale, sans jamais descendre dans l'aréne OU
s'agitent les passions humaines.


Les administrateurs sont des délégués nom-
més par ~es actionnaires pour gérer la Société:
En acceptant ce mandat, ils ont contracté 1'0-
bligation de gérer avec soin l'affaire dont ils
sont chargés, et de rendre compte de leur ges-
tion a qui de droit; ils s'engagent a apporter a
cette gestion les soins ordinaires que tout
homme grave et prudent apporte a ses propres
afIaires. On ne saurait, en conscience, leur
demander davantage; et si l'afIaire vient a dé-
périr entre leurs mains, ils ne seront vraiment
responsables qu'autant qu'ils auront manqué




80 DEuxniME PARTIE.


a ce prlllClpe élémentaire et évident en lui-
méme, quoiqu'il soit fréquemment d'une ap-
plication difficile.


Pour éclaircÍr les difficultés nombreuses qui
peuvent surgir dans la pratique, il faut distin-
guer, avec les théologiens, une double espeee
de faute : la faute théologique, et la faute ju-
ridique. La 'premiére entraine néeessairement
aprés elle une culpabilité intérieure et réelle ;
la seeonde n'engendre qu'une culpabilité exté-
rieure et légale. Cette distiI}ction est fondée sur
les exigences souvent fort diverses de la cons-
cience et de la loi ; et, relativement a la question
qui nous oecupe, la faute théologique con-
sisterait dans l'omission, de la part des admi-
nÍstrateurs, d'une vigilanee ordinaire et sé-
rÍeuse; tandis que la faute juridique résiaerait
souvent dans la simple omission d'une vigi-
lance extraordinaire, et par la méme morale-
ment impossible.


Quelle est maintenant, de ces deux fautes,
eelle qui donne naissance a une obligation de
justice morale et naturelle? Evidemment, c'esí
la premiére, c'esí la faute théologique qui seule




CHAPlTRE DEUXIÉME. 81


est une faute moral e : pour etre ten u de répa-
rer un dommage résultant de notre aetion, il
na suffit pas que eeUe aetion nous appartienne
physiquement, il faut de plus qu'elle nous ap-
partienne moralement, qu'elle ait été eomman-
dée par notre volonté libre; e'est la, en efIet,
que réside la souree de toute vraie responsabi-
lité. Un aete physique ou malériel, un aete qui
n'émane point de notre volonté libre, de notre
personne morale, ne saurait constituer une
injure véritable, une violation réelle du droit
d'autrui; car le prochain ne peut évidemment
axiger que nous fassions I'impossible pour ne
point lui nuire ; et s'il vient a soufIrir un dom-
mage queIconque dans de pareilles cireons-
tances, iI doit le supporter comme un cas for-
tuit et indépendant de l'ordre moral.


II n'y a done, en principe, obligation vérita-
bIa d.e réparer un dommage queIconque, qu'au-
tant qu'iI a été causé volontairement et libre-
ment, du moins a un certain degré: la gravité
de l'obligation est alors proportionnée au de-
gré de la causalité morale. Cette régle est die-
tée par le sens commun: On ne saurait étre;,




82 DEUXIÉME PARTIE.


en eifet, responsable d'un acte qu'il n'a pas
été possible d'empécher. Mais si la loi civile
déclare que la responsabilité existe, si les tri-
bunaux imposent l'obligation de réparer le
dommage, cette sentence est-elle vraiment
obligatoire en conscience ?


Ecartons d'abord l'hypothése extréme d'un
conflit absolu entre le droit positif et le droit
naturel, entre la loi et la conscience : il arri-
vera bien rarement, en eifet, que la faute juri-
dique ne soit pas accompagnée d'une faute
théologique plus ou moins grave; mais le cas
qui peut seprésenter fréquemment, c'est que
les exigences de la loi civile soient plus rigou-
reuses que celles du droit naturel, c'est que la
sentence des tribunaux soit plus sévere que
celle de la conscience. Est-on alors ten u de se
soumettre entiérement a la décision portée par
les juges? En d'autre termes, est-on obligé, en
conscience, a payer intégralement la somme a
laquelle on a été condamné par les tribunau~ ?
nous ne le pensons pas, quoiqu'en aient dit cer-
tains théologiens plus juristes que philosophes
et moralistas.




CHAPITRE DEUXIEME. 83


Evidemment, il ne s'agit point ici de se mel-
tre en rébellion ouverte avec la loi ; et, comme
les décisions des tribunaux peuvent etre exé-
cutées par la force publique, il ne saurait etre
permis de mettre obstad e a leur exécution par
la force individuelle et privée: Mais peut-on,
en co'nscience, se soustraire, par des moyens
détournés, aux décisions souvent implacables
des tribunaux? Nous estimons que cela est
permis, lorsqu'on est moralement certain d'a-
voir été condamné injustement, OU du moins
au-dela des limites de l'équité naturelle.


On nous opposera, peut etre, que certaines
lois deviennent obligatoires, post sententiam
judicis, sans l'etre auparavant, ante sententiam
judicis: mais il s'agit ici de lois fondées sur des
présolllptions de droit, a raison des dangors
attachés a certaines actions, et non pas de
celles qui reposent sur une présomption de fail.
Les premiéres obligent, post sententiam judicis,
meme dans les circonstances ou les inconvé--
nients qu'on a voulu prévenir n'existent pas ;
les secondes n'obligent, meme post sententiam
jutlieis, qu'ailtant que le fait sur lequel elles re-




84 DEUXIEME pARTIE.


posent est rigoureusenient vrai : sinon, elles ne
sont obligatoires qu'autant qu'on est forcé de.
les subir.


Or, les décisions des tribunaux, 40nt nous
parlons id, rentrent évidemment dans la se-
conde catégorie : il s'agit de savoir, en effet,
si, dans l'accomplissement de mon mandat
d'administrateur de telle ou telle sodété, j'ai
commis les négligences qui me sont imputées ;
si j'ai pu et dli prévoir tels ou tels événements
dont on m,e rend responsable; s'il a été en
mon pouvoir de découvrir telle ou telle infrac-
tion a la loi, telle ou telle fraude, telle ou telle
spéculation de mauvais aloi, a la suite des-
quelles la Société vient de sombrero Ce sont la
tout autant de -questions de fai! a résoudre; et
si ma consdence les résout contrairement a la
sentence portée par les juges, si elle me rend
un bon témoignage, tandis qu'ils me déclarenl
coupable, ou du moins si elle me dit trés clai-
'rement que la sentenee des tribunaux est d'une
sévérité excessive, ne puis-je pas m'en tenir a
sa décision? Je ne pourrai, il est vrai, résister
ouyertement aux agents de I'autorité, quand




CHAPITRE DEUXlli~lE. 85


ils viendront exécuter I'arrét qui me con-
damne; mais si je puis me dérober a son
application, je ne croirai manquer, en le
faisant, a aucune regle de la justice, a aucune
prescription de la conscience.


Qu'on ne fasse pas appel non plus a ce fa·
meux principe da bien public, si fréquemment
invoqué pour légitimer les mesures les plus
arbitraires et meme les plus iniques. Le motif
du bien public est sans doute fort légitime,
lorsqu'il est sagement interprété; mais il faut
prendre garde de ne point l'étendre outre me-
sure, et de ne point en faire une sorte de
panacée universelIe; les théologiens eux-mé-
mes devront étre, a l'avenir, plus prudents
dans I'admission de ce vulgaire axiome, et ce
n'est qu'aprés I'avoir discuté sévérement,
qu'ils luí accorderont droit de cité au for inté-
rieur. N'est-ce point au nom da bien public,
qu'on a récemment porté atteinte aux droits
les plus sacrés du citoyen, a la religion et a la
liberté? N'est-ce pas en son nom qu'on a en-
vahi les Cloitres et ehassé les Moines? Ne
peut"il pas couvrir toutes les injustices, a.bsou-




86 DEUXIEME PARTIE.


dre tous les crimes? Le bien public aujour-
d'hui, c'est la fameuse raison rl Etal d'autre-
fois.


Et maintenant, pour en revenir aux admi-
nistrateurs d'une Société de crédit, nous résu-


, merons en ces termes notre opinion relative iJ.
la responsabilité qu'ils encourent aux yeux de
la conscience.


S'ils se sentent gravement coupables daus
l'accomplissement de leur mandat, i1s doivent,
méme ante sententiam judicid, réparer, du
moins dans la mesure du possible, les domma-
ges qui sont le résultat de leur négligence ou
de leur impéritie.


Si, au contraire, leur conscience ne leur
reproche rien, s'il s'agit d'unecatastrophe
tlnanciére, subite et imprévue, comme il s'en
produit quelquefois a la suite de ces commo-
tions qui ébranlent la Société jusque dan s ses
fondements, ils ne sont tenus absolument a
rien, meme post sententiam judicia, parce que
cette sentence repose sur une base essentielle-
ment ruineuse, sur la fausse présomption de
lenr culpábilité. -




CHAPlTRE DEUXIÉME. 87


Enfin, et c'est la l'hypothése la plus ordi-
naire, s'ils sont coupables au regard de leur
oonscience, mais pas au méme degré que de-
vant la justice humaine, ils sont obligés de
réparer une partie plus ou moins notable
des dommages, se Ion qu'ils ont été plus ou
moins négligents dan s l'exercice de leurs fone-
tions; mais lis ne sont pas tenus de se sou-
mettre a la décision des juges, dans toute son
intégrité et toute sa rigueur, dans ce qu'elIe a
de tout-a-fait excessif; car ici encore, i1 y a
fausse présomption de (aíl, il y a exagération
de la faute réelle et, par suite, de la respon-
sabilité vraie.


Tal est, notre humble avis, dans ceLLe
question si délicate, si obscure, et parfois si
compliquée. Plusieurs causes, en atTet, peu-
vent contribuer a la chute d'un établissement
financier: en dehors de l'impéritie, de l'im-
prudence ou de la culpabilité plus ou moins
grande des administrateurs, il faut compter
aussi les revers soudains de la fortune, les
passjons mobiles et inconstantes de la foule,
les événements politiques dont l'influence est




88 DEUXIÉ~fE PAIlTIE.


si considérable a la Bourse, enfin les conjura-
tions financieres, qui triomphent a l'adie de la
force et du nombre. e'est de tous ces éléments
multiples et divers qu'il faut savoir dégager la
responsabilité morale desadministrateurs d'une
Société de crédit en faillite, et déterminer~
sans exagération comme sans faiblesse, la me-
sute dans laquelle ils doivent réparer les
,fuines qui se sont amoncelées autour d'eux.


Que les administrateur,s interrogent done
sincérement leur conscience ! Qu'ils réfléchis-
sent sur la part plus ou moins grande qu'ils
ont pu prendre, selon le role qu'ils remplis-
saient, a un désastre financier et a ses consé-
quences ! Qu'ils se souviennent enfin, qu'au
dessous d'eux il y a deux catégories de per-
sonnes, actionnaires et créanciers surtout, aux-
quels ¡Is font subir un dommage immérité !




CHAPITRE TROISIEME. 89


CHAPITRE III


Les Actionnaires. - Leur Responsabilite.


Nous avons déja donné, a propos dé l'orga-
nisation des Sociétés financiéres, quelques n'"
tions breves et sommaires, sur lesquelles nous
devons revenir ici, afin de les développer et
de les compléter. 11 importe, en efIet, de bien
connaitre la nature et les éléments de l'aclion,
si l'on veut en déduire exactement la respon-
sabilité morale de l'aclionnaire: .


Le progrés de l'industrie, par l'applica-
tion des récentes découvertes de la science,
a provoqué l'accumulation des capitaux néces-
saires aux vas tes entreprises et aux grandes
créations. L'établissement d'un chemin de fer,
par exemple, demande une somme de cinq
cents millions ; il n'existe aucun capitaliste ca-
pable de fournir cette somme : Eh! bien qu'ar-
rive-t-il? une Société se forme pour la cons-




90 DEUXIÉME PARTa:.


truetion de ee chemin de fer; et, pour attirer
a elle les petits eapitaux, et leur donner libre
acces dans l'entreprise, elle divise le capital
dont elle a besoin en un million de parts,
qu'elle ofIre au prix de cinq cents franes. Cha-
cune de ces parts est représentée par une feuille
de papier revétue de la signature des repré-
sentants de la Société : c'est la ce qu'on ap-
pelle un titre.


Une fois tous les titres places, c'est-A-dire
une fois les cinq cents millions trouves, l'action
de la Société pourra s'exercer et commencer
la construction de cette voie ferrée, qu'une
action isolée n'aurait jamais osé entrepl'endre.
Cette action commune, en efIet, est le resultat
d'un million d'efIorts individuels, d'un million
d'actions particulieres. C'est pour cela que le
titre l'emis en échange des cinq cents franes a
gal'de le nom d'action.


Le benéfice de l'action est illimité, et dé-
pend évidemment du sueces de l'entreprise ;
on l'appelle lJividende. Si l'entreprise réussit,
les bénéfices a partager sont plus considéra-
bIes: les actions sont demandé es, elles mon-




CHAPl'l'RE 'fROlSIÉME. 91


tent. Si, au contraire, l'entreprise ne réussit
pas, les bénéfices sont de peu d'importance ou
de nulle valeur: les actions sont offertes pIu-
tót que demandées, elles baissent. Tout cela
se produit en vertu de I'inévitable loi de 1'0f-
fre et de la demande qui régle le prix de tou-
tes les marchandises, a la Bourse comme sur
les autres marchés. Ces fluctuations sont done
trés légitimes, pourvu qu'elles soient dues a des
causes naturelles, et non point a des nouvelles
exagérées ou a des bruits alarmants, tendant a
faire la. hausse ou la baisse, dans un but de
pure spéculation, et de jeu toujours funeste
et immora!.


Supposons maintenant que la SocÍété ait be-
soin de nouveaux capitaux pour achever la
construction de la Iigne de chemin de fer, ou
compléter son réseau; elle fera un emprunt,
et procédera de la méme maniére que pour
les actions; elle créera des titres, et les offrira
au publie en échange d'une eertaine somme
d'argent, de trois cents francs, par exemple :
ces titres constituent ce qu'on appelle des obli-
gations.




92 DEUXIEME PARTIE.


Il Y a entre l'action et l'obligation deux dif-
férences principales et essentielIes: d'abord,
I'intérét de l'obIigation est fixe, et ne varie
pas comme celui de l'action; il est toujours
payé le premier, c'est-a-dire, avant le Divi-
dende attribué a l'action, en sorte que les ac-
tionnaires ne peuvent rien toucher, avant que
les obligataires aient reQu intégralement l'in-
téreL qui leur est diI; en second lieu, le capi-
tal des obligations est hypothéqué, sur le fonds
méme, sur la propriété de la Compagnie. L'o-
bligation ofIre done aux capitaux, en.quéte de
placement, plus de sécurité, mais aussi moins de
chance de gain et de plus-value que l'action.


Les -actions représentent l'actif d'une So-
ciété, déduction faite de son passif: le capital
social ne se compose que de la réunion de ton-
tes les actions; les obligations ne doivent ja-
mais y étre comprises. Les actions, en efIet,
sont une dette de la Société vis-A-vis d'elle-
méme; tandis que les obligations sont une dette
de la Société vis-A-vis des tiers, ce qui est to-
talement difIérent: en un mot, l'actionnaire
est associé, iI participe aux bénéfices de la




CHAPlTRE TROISIEME. 93


Société; tandis que I'obligataire est simple-
ment créancier, il ne touche que l'intéret ré-
gulier de sa créance.


L'action, avons·nous dit, peut etre nomina-
tive ou au porteur ; néanmains dan s la Société
en commandite, et dans la Société anonyme
libre, le titre ne peut étl'e au porteur qu'a-
prés versement de la moitié du montant de
l'action ; et encore sans dégager 'la responsabi-
lité des souscripteurs primitifs, qui ne se pres-
crit que par deux ans. C'est a l'acte social de
déterminer la forme que doivent avoir les ti-
tres de la Société : quelquefois on décide qu'ils
serant facultativement nominatifs ou au por-
teur, aprés qu'ils aurant été liberés de maitié ;
d'autres fois qu'ils seront toujours nominatifs,
jusqu'a compléte libération. L'action au por~
teur se transmet par la simple tradition du
titre, tandis que l'action nominative ne peut
changer de propriétaire que par un transfert
effectué, par la signature d'un acte synallag-
matique émanant de l'ancien propriétaire
c'est-a-dire du eédane, et du nouveau proprié-
taire c'est~a-dire du eessionnaire: cet acte est




94 IfEuxn1:!llE PARTIE.


déposé au siége social, ou transcrit sur un
registre destiné, par la Société, a cet efIet.


Cela posé, quelle est la responsabilité des
actionnaires, soit au point de vue de la loi,
soit aux yeux de la conscience?


Et d'abord légalement: il faut distinguer
entre les diverses qualités des titres, selon
qu'ils sont nominatifs ou au porteur, et les
différentes caiégoriea d'actionnaires, selon
qu'ils sont souscripteurs primitifs, acbeteurs
intermédiaires, ou porteurs actuels.


S'il s'agit d'aetionsnominatives, tous les ti-
tulaires sueeessifs sont tenus, les uns a défaut
des autres, de faire les versements nécessaires
pour la complete libération du titre: l'aetion-
naire qui vend ses actions reste done caution
de son aeheteur, envers la Société et les tiers
créanciers. Relativement a l'ordre dans lequel
les divers titulaires sont tenus, evidemment
c'est le titulaire actuel qui est le premier
obligé; et les autres, a défaut de celui-ci, jus-
qu'aux souseripteurs primitifs.


Si les actions sont au porteur, les sous-
cripteurs pritnitifssont tenus, suivant l'article




CHAPITRE TROISIEME.


3 de la loi de 1867, des derniers versements,
pendant deux ans a dater de la délibération
de l'assemblée" qui a décidé la mise au por-
teur; et, d'apres une récenta décision des
tribunaux de Lyon, ils n'ont aucun recours
contre les détentéurs intermédiaires antérieurs
aux porteurs., La raison principale sur la-
quelle le jugement s'appuie est celle-ci: des


"que les titres ont été mis au porteur, leur
trans~ission de personnelle qu'elle était de-
vient réelle; l'acheteur, associé des qn'il prend
possess~on du titre, perd ~ette qualité et s'af-
franchit des charges qui y sont attachées, aussi-
t6t que le titre passe entre les mainsd'un
nouveauforteur. Les seuls responsables sont
done les souscripteurs primitifs et les derniers
porteurs, a la difIérence des actions nominati-
ves dont tous les titulaires successifs peuvent
étre recherchés.


Telle, est, dans ses dispositions essentielles,
la loi qui régit la responsabilité mutuelle des
difIérentes catégories d'actionnaires. L'inter-
prétation en est souvent obscure et d'une ap-
plication difficile; aussi les tribunaux sont-ils






96 DEUXIIlME PARTIE.


fréquemment saisis d'instances a cet égard, et
la jurisprudence n'est pas encore pleinement
fixée sur ces matiéres délicates, qui touchent a
un si grand nombre d'intéréts.


Examinons maintenant, si toutes ces dispo-
sitions de la loi sont rigoureusement obliga-
toires en conscience, et dans quelle mesure elles
le sont: nous traiterons la question, comme
précédemment, au point de vue des actions au
porteur et des actions nominatives.


S'il s'agit d'actions auporteur, il nous sem-
ble qu'en conscience le dernier porteur est
tout d'abord ten u de faire les versements exi-
gés ; la raison en est simple: le de:nier ache-
teur d'une action a pris ou dli prendjo.e sur lui
toutes lt~s charges qui restaient attachées a cette
action, de méme qn'il a pour lui toutes les
chances favorables de plus-vaIue ou d'intérét ;
il est exposé a la perle comme au gain, c'est
de toute justice. Quant a la responsabilité lé-
gale des souscripteurs primitifs, elle nous
semble ne venir qu'aprés celle des porteurs
actuels: les souscripleurs primitifs ont, en effet,
transmis a leurs acquéreurs les droits et les




CHAPITRE TROISIÉME. 97


devoirs inhérents a un associé; ils ne sont
plus en réalíté membres de l'association. La
loi, il est vrai, leur impose de rester caution
pendant deux ans, a dater de la mise au por~
teur des actions nominatives, mais cette garan-
Líe n'est obligatoire pour eux, qu'autant que
les derniers porteurs seront insolvables; ils
ont transmis, en un mot, cette obligation
de faire les versements, et c'est a celuÍ en-
tre les mains duquel se trouve le titre qu'in-
combe en conscience le devoir de la rem-
plir, puisqu'il l'a acceptée.


En outre, ne peut-on pas supposer que beau·
coup de souscripteurs primitifs sont de bonne foi
et ignorent absolument les conséquences redou-
tables de la signature qu'ils donnent? Nous sa-
vons que la loi n'admet pas cette excuse, mais le
fol' intérieur peut en tenir compte, lorsque celte
ignorance est invincible, ou que du moins elle
n'est pas gravement coupable. Que de sous-
cripteurs imprudents qui ne se doutent pas de
la responsabílité qu'ils endossent! faudl'a-t-il
les obliger en conscíence a subir toutes les exi-
gences de la loi ? nous ne le pensons pas, d'au-


3.




98 DEUXIEME PARTIE.


tant mieux que, d'apres une decision recente du
tribunal de commerce de Lyon, et confirmée
par la cour d' Appel, ils sont dans l'impossibi-
lité de rechercher le dernier porteur qui est
responsable aussi, et a défaut duquel seuIe-
ment ils sont tenus de payer. On leur oppose
le secret professionnel des agents de change:
étrange et singulier prétexte, qui recouvre les
spéculations les plus véreuses, l'agiotage le
plus effréné, et empéche a la justice véritable
de su iv re son cours !


S'il s'agit d'actions nominatives, nous croyons
encore qu'aux yeux de la conscience le titulaire
actuel est le premier responsable, et cela pour
la méme raison que précédemment: le posses-
seur actuel du titre a signé un contrat; et,
parmi les clauses de ce contrat, il est en une,
implicitement et nécessairement con tenue, qui
l'oblige a faire les versements exigibles, au
lieu et place de son vendeur.


Quant a la responsabilité des souscripteurs
primitífs, et des acheteurs intermédiaires, elle
n'est que subsidiaire, c'est-a-dire, elle ne vient
qu'a défaut de solvabilité des derniers titulai-




f.HAPITRE TROISIE?!IE. 99


res: pour qu'elle soit réelle, et obligatoire en
conscience, il est nécessaire qu'on leur donne
des preuves indubitables de I'insolvabilité de
ceux auxquels le titre a été transmis avec ses
obligations et ses droits ; et encore pouvons-
nous invoquer ici, comme plus haut, la bonne
foi et l'ignorance invincible de beaucoup de
souscrípteurs primitifs et d'acheteurs intermé-
diaires. Il semble naturel, en efIet, qu'on ne
soít plus obligé dés qu'on n'est plus associé :
la caution ímposée par la loi au vendeur para!t
tout a fait exorbitante. Comment? je vends
des actions d'une Société de crédit précisément
pour me libérer de cette obligation de répon-
dre a des appels de fonds, suspendue sur ma
téte comme une épée de Damoclés; et voilA
que, malgré tout, je suis forcé de rester caution
pour mon acheteur, de me porter garant de sa
solvabilité !


Mais au moins faudrait-il que je puisse
le eonnaitre, le ehoisir, eet acheteur au-
quel je transmets mon titre avee l'obJigation
qui lui est inhérente. Il m'importe souveraine-
ment, en efIet, de traiter avee un homme sol-




100 DJiUXIÉME PARTIE.


vable, et non avec le premier venu; sans quoi
je serai perpétuellement exposé au danger que
je voulais éviter. Cependant iI m'esl impos-
sible de connaitre celui auquel je eMe mes ac-
iions; a plus forte raison suis-je dans l'impos-
sibilité de le choisir a mon gré : le secret pro-
fessionnel m'interdit cette connaíssance, ce
choix qui me serait pourtan t si utile, si né-
cessaire méme; et si j'ose questionner mon
agent de change a ce sujet, iI gardera vis-a-
vis de cette demande importune un silence
absolu.


Voila, il faut l'avouer, une singuliere posi-
tion! Je suis legalement obligé de me porter
garant d'un inconnu! tant il est vrai que cette
fameuse loí de 1867 est loin d'étre partaite. Elle
peut,en effet,donner líeu aux interprétations les
plus arbitraires, et créer les situations les plus
étranges. Aussi n'hésiterons-nous pas a con-
dure que la conscience n'est nullement tenue
de se plier a toutes ces étrangetés et a toutes
ces incohérences.


En résumé, il nous semble qu'au point de
vue du droit natllrelles derniers acheteurs ou




CHAPlTRE 'fROISIÍlME. 101


titulaires sont v.raiment responsables, que les
actions soient nominatives ou simplement au
porteur: C'est a eux, en effet, qu'incombe 1'0-
bligation morale de répondre aux p.ppels de
fonds, que ces appels soient faits par la So-o
ciété elle-méme ou par le syndic de la faillite,
peu importe, puisqu'ils ont pris sur eux l'en-
gagement implicitE) d'y satisfaire, en achetant
les actions.


Les souscripteurs primitifs et les acheteurs
intermédiaires ne nous paraissent tenus en
conscience a faire les versements, qu'autant
qu'illeur est absolument démontré que leurs
cessionnaires sont insolvables; car, quelIes que
soient les subtilités et les fictions de la loi,
il n'en reste pas moins vrai que les derniers
détenteurs d'actions se sont substitués volon-
tairement au lieu et place de leurs vendeurs,
et qu'ils doivent en conscience répondre pou!'
eux (1).


(1) Encore faut-il que les snuscripteurs primitifs et les
acheteurs intermédiaires aient pu soup¡;onner une scmblable
responsabilité. Nous savons bien que les tribunaux civils
n'admettent pas l'ignorancede la ¡oi: Nemo ctmsetur igMol'are.




102 DEUXIÉME PARTIE.


Que les derniers porteurs d'actions d'une
Société en faillite réfléchissent donc bien a la
gravité du devoir qui' leur incombe ! qu'ils ne
se fassent aucune illusion a cet égard! ils sont
liés par leurs engagements, et la justice serait
lésée, s'ils faisaient volontairement retomber
sur d'autres l'obligation qu'ils n'auraient pas
voulu remplir. C'est alors qu'il faudrait leur
appliquer en toute rigueur l'axiome théologi-
que si connu : Non remittitur peccatum nisi re.~­
tituatur ablatum (1).


San s nul doute, lis conservent ]eurs recours
contre les administrateurs dont les impruden-


legem: tel est l'aphorisme invariable sur lequel reposent leurs
décisions; mais nous savons aussi que le for intérieur n'est
pas aussi rigide que le for extérieur: il n' est pas un théolo-
¡;¡jen gui ne regarde l'ignorancp-, qualld elle est inviocible,
comme une cause capablc d'exonérer d'unc raute ou d'une
obligatioll que\conque 11 remplir,


(1) Entre les derniers porteurs el les souscripteurs primi-
tifs ou intermédiaires, il ya, au point de vue de la eonseienee,
eette différence essentielle : il est diffieile de snpposer I'igno-
ranee ou la bonne foi chez les premiers, tandis qu'¡¡ est tres
facile de la rencontrer chez les seeonds,




CHAPITRE TROISIE?rIE. 103


ces ou les fautes leur font subir un dommage
réel; sans nul doute, ils peuvent invoquer a
leur décharge les circonstancesimprévues, les
revers soudains de la fortune, les folies de la
spéculation; car, a dire vrai, ce sont les joueurs
surtout qui sont ¡ci responsables; ce sont eux
qui compromettent le sort des Sociétés finan-
cieres; ils peuvent bien échapper a la justice
humaine, mais ils ne sauraient se soustraire a la
justice de Dieu : toutes ces excuses, les action-
naires peuvent les invoquer en conscience, a
bien meilleur titre encore que les administra-
teurs, puisqu'ils n'ont en général que peu ou
point d'influence sur la directíon de la Société
dont ils font partie; sans nut doute encore,
ils peuvent traitar a I'amiable avec le syndic,
obtenir des conditions plus favorables; mais
qu'ils prennent garde aussi de ne point trop
léser les intéréts des divers créanciers !


Il Y a,en effet, au-dessous des administra-
teurs et des actionnaires, toute une classe de
personnes dont nous n'avons pas Cait mentíon,
parce que leurs droits sont sacrés et évídents:
c' est la classe des dépoSft'/tt" e'est-a-dire des




104 DEUXIE1UE PARTIE.


nombreuses personnes qui ont simplement
prété au taux legal leur argent il. la Société,
sans jamais participer a ses bénéfices, et sans
s'exposer, par conséquent, aux mémes risques
et aux memes périls que ceux qui en profi-
taient. Leur sort est d'autant plus intéressant
et plus respectable, qu'il s'agit souvent ici de
fortunes simples et modestes, de petites éco-
nomies péniblement amassées: elles sont ve-
nueSl la, en quéte d'un placement sérieux, et
non point dans un but de spéculatíon ou de
jeu. Eh bien! ce sont ces dettes qu'il importe
le plus d'éteindre, e'est ce gouffre qu'il fauL
combler, du moins dan s la mesure du possi-
ble : la conscience le réclame irnpérieusem~nt,
cal' les créanciers ne sont ni associés ni respon-
sables a aucun degré, ils sont uniquerneI)t vic-
times.


Voila notre humble avis sur celte question
aussi délicllte que brulante d'actualité. On
nous rendra du moins cette justice, de n'avoir
tenté de la résoudre qu'en nous éclairant a
la sereine lumiére des pr.íncipes, sans jamais
nous préoccuper des passions humaines qui s'a-




CHAPI'fRE 'fROISIÉME. 105


gitent ici-has : Ce n'est pas un plaidoyer que
nous avons voulu faire, mais un exposé doc-
trinal.






TROISIEME PARTIE
Les Opérations de Bourse et le Droit positif.


CHAPITRE PREMIER


Les Opéralions de Bourse el le Droit civil.


Il Y a plus d'un demi-siécle qu'on discute
sur la législation financiére, sur la validité des
marchés a terme, la valeur et la moralité de
l'exception de jeu. Les catastrophes financie res
qui viennent d'ébranler le sol de la Bourse
ont enfin réveillé l'opinion publique; les dé-
putés ont pris l'initiative des réformes néces-
saires, et le gouvernement a promis une nou-
velle loi sur ces matiéres.


Les faits sont éloquents et réclament une
prompte solution. Citons un exemple entre




108 TROISIEMR PARTIR.


mille: un capitaliste dorine a son agent de
change l'ordre d'acheter á terme une grande
quantité de titres poussés par la spéculation du
jour; il lui remet en méme temps une couver-
lure importante, selon les régles imposées pour
ces sortes de marchés: il se Cait reporter de
liquidation en liquidation, attendant les der-
niéres limites de la hausse pour réaliser: mais
tout-il-coup survíent un événement inoui, le
crack, puisqu'il faut J'appeler par son nom;
la perte est considérable, le capitaliste ne veut
plus lever les titres, et il refuse également de
payer les différences en s'abritant derriére
l'article 1965 du Cede civil:


«, La loi n'accm-de aucune action pour une
deUe de jet! et pour le payement (/un parí. »


Cette histoire n'est-elle pas d'hier? Et pour-
rait-on compter les victimes nombreuses de ce
procédé injuste et immoral ?


On a voulu empécher le jeu en lui déniant
tonte action cívile, et on a mis entre les mains
du joueur un procédé fort simple pour gagner
toujours et ne jamais perdre! un hornme spé-
cule sur la rente) il perd; iI n'a qu'lln mot a




CHAPITRE PREMIER. 109


dire: J'ai joué, je ne paierai pas. Bien plus, il
peut gagner a coup sur: 11 n'a qu'a s'adresser a
deux agents de change différents, et dire a
l'un: Vous m'achrlerez des rentes pour telle
époque; et dire a I'autre: Vous vendrez pour
mon compte 1elIe quantité de rentes. Eh! bien!
en opérant ainsi en sens inverse surla méme
quantité de rentes, il joue a coup sur; cal' il
acceptera I'opération qui se trouve avantageuse,
tandis qu'il refusera de payer la différence
pour l'autre opération en se couvrant de l'égide
de la loi. Voila OU nous en sommes encore
aujourd'hui !


Cependant la Chambre des députés s'est
émue de cette situation anormale, et plusieul's
pétitions lui ont été adressées dans le meme
sens. On insiste auprés des pouvoirs publics
pour que l'exception de jeu, a laquelIe donne
lieu I'article 1965 du Code civil, ne puisse
plus étre invoquée en ce qui concerne les
marchés a terme: l'expérience a prouvé, en
effet; qu'elle n'a jamais protégé que la mau-
vaise foi, el n'a fait qu'encourager les excés de
la spéculation.


4




110 TROISIElIlE PARTIE.


Les ,tribunaux reconnaissent de jour en jour
que la législation sur les marchés a terme est
inapplicable; ils consultent, pour rendre leurs
décisions, la sincérité et la bonne foi des con-
tractants, la proportionnalité des opérations
engagées avec la fortune des parties, enfin, leur
solvabilité notoire; et, dans beaucoup de cas,
ils déclarent valides les marchés a terme.


L'exception de jeu est d'ordre public, c'est-a-
dire, qu'elle peut etre invoquée, a défaut des
contractants, par le Ministere publico Le juge
posséde un pouvoir absolu d'interprétation : les
opérations a terme, a prime, celles des reports
ne constituent pas nécessairement des opéra-
tions de jeu , mais elles peuvent le devenir par
l'intention de celui qui opere; c'est done cette
intention surtout que le magistrat doit chercher
a connaitre: illa trouvera dans la multiplicité
des opérations contradictoires, dans les régle-
ments de difIérence sans livraison ou sans prise
de possession efIective des titres, et dans l'exa-
gération des négociations eu égard a la position
pécuniaire des acheteurs et vendeurs. Toutefois,
le second critérium ne suffirait plus aujour-




CHAPITRE PREMIER. 111


d'hni pour établir la preuve du jeu ; la Cour
de cassation a adopté une jurisprudence plus
large, en reconnaissant que des opérations dont
le réglement consistait en une différence a
payer, pouvaient néanmoins présenter un ca-
raetére sérieux.


« Attendu, dit la Cour supréme, que des
marehés a terme, en vue de bénéfiees a réaliser
sur la variation des cours, peuvent étre sérieux
et dés lors légitimes; qu'ils n'impliquent done
pas par eux-memes la présomption légale ou la
preuve du jeu, quand méme en eertains cas ils se
résoudraient par des différep.ces; que la ques-
tion de jeu, dans l'hypothése OU iI peut y avoir
incertitude sur le earaetére des opérations, est
une question de fait et d'intention .... »


Conformément a ces principes, les tribunaux
de Lyon ont plusieurs fois décidé, dans ees
derniéres années, que les opérations de Bourse,
réalisées pour le compte d'un négociateur
d'une insolvabilité notoire, pouvaient étre taxées
de jeu; mais qu'elles ne sauraient l'étre, quand


ti
elles. ne sont pas en disproportion avec les res-
sourees d'un spéculateur notoirement solvable.




112 TROISIIlME PARTIE.


La question, de jeu, disent-ils souvent, en s'ap-
propriant les paroles de la Cour de Cassation,
« est une question de faít et d'íntention. »


Ainsi la loi condamne d'une maniéreabsolue,
comme illicites et invalides, des opérations que
la jurisprudence reconnait, du moins dans
certaines circonstances ; 01', il faut bien I'avouer,
I'équité naturelle est plus favorable aux déci-
sions des tribunaux qu'au texte de la loi. 11 Y
a dans lajurisprudence, depuis quelques années
surtout, une tendance progressive et marquée
a se montrer rigoureuse vis-a-vis des débiteurs
de mauvaise foi qui renient leurs engagements
et s'abritent derriére ['article 1965 ducode civil.
C'est la un acheminement vers· une réforme
réclamée par I'opinion publique, vers la dis-
parition du corps de nos ¡oís de cette excep-
tion audacieuse qui s'appelle. I'exception de
jeu.


Deux théories se trouvent en présenl'e:
l'une veut interdire les marc.hés a découvert et
empécher les jeux de bourse; l'autre veut la
liberté pour les opératíons de bourse comme
pour toutes les autres opérations quí se ratta-




CHAPlTRE PREMIER. 113


chent au commerce ; elle demande pour la dette
résultant des opérations de bourse, quelque
soit leur cal'actére, une action civile, une action
devant les trilmnaux.


De ces deux opinions, l'une a fait ses preuves:
Qu'a~t-elle produit? A-t-elle empéché le jeu?
On ne veut pas, dit-on, du scandale de ces for-
tunes édifiées en un seul instant, sans travail,
sans effort, au grand détriment de la morale
publique: fort bien! mais ne l'offense-t-on pas
davantage, cette morale publique, par le spec-
tacIe de gens qui s'enrichissent en niant leurs
engagements, en refusant de payer ce qu'ils
doivent, sous prétexte que les dettes de jeu ne
sont pas reconnues par la loi?


On veut empécher le jeu, et quelle tentation
n'offre-t-on pas aux joueurs '1 Sous l'empire de
notrelégislation, un malhonnéte hornrne peut
gagner sans limite et ne rien perdre. Aussi,
que de gens arrivent honnétes a la Bourse, et
se retirent malhonnétes! Mais si le refus de
payer expose a une action en justice, a des
poursuites, a la saisie, on hésitera devant ces
slIéculaüoIl,s mOIl,strueuses ({ui étonnent par




114 TROISIilME PARTIE.


leur audace inouie. On se renfermera dan s les
limites de sa fortune et de son crédito


Les circonstances économiques qui existaient
au commencement de ce siecle, a l'époque de
la confection du code, ne sont plus les memes
aujourd'hui : elles sont radicalement modifiées
par le développement du commerce et de l'in-
dustrie, et le besoin incessant d'argent pour
les alimenter. La spéculation et le jeu sont des
faits pnblics, journaliers, pratiqués par tont le
monde, par les grands établissements financiers
comme par les simples particuliers. Or, il est
difficile d'établir une différence absolue entre


- le jeu et la spéculation, qui est, selon le mot de
Derryer, l'un des éléments de la prospérilé pu-
blique. C'esL une question de fait et d'intention,
comme nous l'avons vu, et c'est aux tribunaux
qu'il appartient de juger et d'apprécier.


Mais une loi n'est pas bonne, quand elle
laisse une trop large place a l'interprétation du
juge; aussi quel spectacle singulier que celui
de la variété et meme de la contradiction entre
les innombrables arrets rendus sur cette ma-
tiere par les différents tribqnaux, selon qu'ils




CHAPITRE PREMIER. 115


se placent a des points de vue divers ! Les tribu-
naux de commerce inclinent vers l'équité na-
turelIe, tandis que les cours d'appel sont plutót
favorables au texte de la loi.


Ce n'est pas dans la prohibition absolue que
se trouve le reméde au mal, car elle serait im-
puissante; et l'autorité se compromet en vou-
Jant défendre ce qu'ello n'a pas le pouvoir d'em-
pécher. On n'arrétera jamais le jeu, pas plus
qu'on n'arréte les eaux d'un fleuve qui descend
a la mer: il faut le régler, le moraliser, comme
on endigue les eaux du fleuve pour les reten ir
dans leur lit, et ne pas les laisser envahir leurs
rivages : Or, le seul moyen de moraliser le jeu,
c'est de lui donner une action devant les tribu-
naux, c'est d'y voir Je fondement d'une obliga-
tion civile. On jouera beaucoup moins, lorsqu'on
saura qu'il faut payer si l'on perd, et qu'on
peut étre poursuivi par toutes les voies de
droit.


Oui, il faut réformer cette loi singuliére et
vraiment étrange dont les honnétes gens ne
veulent pas invoquer le bénéfice, et qui n'a
d'autre etret que de protéger les joueurs éhon-




116 TROISIÉME PARTIE.


tés, et de leur assurer le droit de nier le con-
trat, s'il ne tourne pas a leur profit.


La plupart des pays voisins nous ont devaneé
dans cette réforme si nécessaire, et leur légis-
lation est beaucoup plus conforme que la notre
aux principes de la morale et de l'équité natu-
relle. .


En Suisse, la condition des ,marchés a terme
est réglée par la loi de 1860: L'article premier·
en est aiIisi con~u: Les marcltés ti terme sont
reconnus ti la Bou;rse de Geneve comme operations
commerciales j ils pourront se résoudre par des
dilférences, ffacc01'd avec les contractants. »


« Nous ne 'doutons pas, disaient alors les dé-
putés qui prirent l'initiative de cette loi devant
le Grand Conseil, nous ne doutons pas que les
excés de la speculation et dujeu ne soient beau-
coup diminués par cette nouvelle législation. »
Leur attente n'a pas été trompée, et une
expérience, déja longue, a démontré qu'ils
avaien t raison.


En Italie, les marchés a terme sont réglés par
la loi de 1874.1\1. Minghetti, alors ministre des
finances, fit adopter par la Chambre italienne




CHAPITRE PREMIER. 117


unedisposition qui accordait aux marchés a
terme une action en justice, quand méme ils
auraient seulement pour objet le payement de
différences.


En Autriche, a la suite des catastr.ophes
financiéres qui ébranlérent, il y a dix ans, la
fortune publique et privée, la législation a été
modifiée par la loi de 1875. L'articIe 13 est
ainsi formu)ée: (( Vans les proces relatifs á des
opérations de Bourse, r exception tirée de ce que la
demande est fondée sur une opération de dilfé-
rence, comtituant un jeu ou un pari, n'est pas
admissible. » On ne saurait étre plus explicite,
et s'opposer avec plus de vigueur a la mauvaise
foi et a la fourberie.


En Espagne, la législation admet aussi les
marchés a terme: Les décrets de 1875 permet-
tent a l'agent de change, muni de l'autorisation
de la Chambre syndicale, d'en poursuivre l'exé-
cution devant les tribunaux.


On le voit: de tous cótés un mouvement se
produit en faveur d'une législation plus con-
forme a la justice et a I'équité naturelle. La
france suivra, sans nul doute, l'exemple qui luí.




118 TROISIEME PARTIE.


a été donné par les nations voisines, et la crise
terrible, que nous venons de traverser, aura du
moins eu le bon résultat de montrerIa nécessité
d'une loi nouvelle, et d'en hater la promulga-
tion.


En attendant, iI n'est pas douteux que
l'article 1965 du Code civil ne saurait étre
invoqué en conscience par ceux qui ont perdu
en spécuIant ou en jouant a la Bourse: l'obli-
gation natureBe subsiste toujours, quand méme
elle n'est pas sanctionnée par la loi civile.


Le jeu, bien qu'immoraI en lui-méme, sur-
tout si on le pratique pour s'enrichir, n'entraine
pas moins aprés lui une obligation stricte de
justice, pourvu qu'il ofIre les conditions essen-
tieBes a sa validité, savoir: 1° que les joueurs
puissent disposer des choses risquées au jeu;
on ne peut en efIet, sans ínjustíce, s'exposer a
perdre le bien d'autrui: 2° qu'ils consentent
vraiment a jouer, c'est-a-dire qu'ils ne soient
circonvenus par aucune sollicitation ou fausse
promesse: 3° qu'ils observent avec fidélité les
regles du jeu, qu'il n'y ait entre eux ni fraude
ni supercherie: 4° enfin, qu'il y ait égalité entre




CHAPITRE PREMIER. 119


les joueurs, c'est-il.-dire, qu'en dehors de l'habi-
leté particuliere a chacun d'eux, les chances de
gain et de perte se balancent des deux cotés,
et que la mise en jeu soit égale de part et
d'autre.


Toutes les fois que les jeux de Bourse rem-
plissent ces di verses conditions, ils donnent
naissance il. une obligation natureIle; et cela
est si vrai que la loi civile elIe-méme, aprés
avoir refusé sa sanction aux dettes de jeu (1),
reconnait néanmoins que le perdant ne peut
répéter ce qu'il a valontairement payé (2).
Pourquoi lui refuse-t-eIle ce droit? sinan parce
qu'il n'a payé que ce qu'il devait réeIlement,
parce qu'il s'est acquitté d'une obligation
natureIle.


C'est donc manquer il. la justice la plus élé-
mentail'e que de vouloir s'abriter derriere
I'article 1965, pour ne pas satisfaire il. ses pro-
messes et a ses engagements; c'est trahir en
méme temps son honneur et sa conscience.


(1) Art. 1961).
(2) Art. 1947.




..


120 TROISIEME PARTIE.


Espérons que cette facilité déplorable sera
bientót rayée du Code civil, et que les joueurs
seront alors plus prudents et plus réservés .




CHAPITRE DEUXIEME. 121


CHAPITRE 11.


Les opérations de Bourse et le Droit Canon.


Il Y a deux sortes de Chrétiens, disait saint
Jérome a un de ses Iévites, les cleres et les
IaXques : Unum genus quod mancipatum divino
officio et deditum contemplalioni el orationi,
ab omni strepitU temporalium cessare eonvenit, ut
sunt. Cleriei. Cleru8 enim' grrece, latine sors :
inde hujusmodi honines vocantur Cleriei, id est:
sorte electi. Omnes enim Deus in suos elegit.
Aliud veró genus est Christianorum, ut sunt
Laiei. Laicus enim grrece, est populus Latine.
Ris eoncessum est temporalibus sese immiscere;
el ita salvari polerunt, si vilia tamen bene {aciendo
evitaveriut. JI (1).


Rien n'est plus capable de nous donner une
forte idée des deux états qui partagent les


(1) Cap. 7, 12, q. 1.




122 TROISIhlE PARTIE.


Chrétiens, que les paro les qu'on vient de lire.
Tous les réglements eccIésiastiques qui on~ été
faits reposent sur la distinction établie avec
tant de force et de précision par le saint Doc-
teur.


La discipline qui interdit le négoce aux
cIercs remonte aux premiers temps de l'Eglise.
Cette prohibition n'est pas autre chose que
I'application des paro les de l'apótre saint Paul
a Timothée: « Nemo miUtans Deo implicat se ne-
gotüs srecttlaribus, ut eí placeat cui se probavit.»
« Quiconque s'est enrolé au service de Dieu ne
s'embarrasse point d'es affaires séculiéres, afin
de pi aire a celui a qui il s'est voué. )) (1)


Le septiéme des canons attribués aux Apo-
tres défend aux clercs les affaires séculieres,
sreculares cttras, et cela sous une peine grave,
la peine de la déposition.


Au cinquiéme siécle le concile d' ArIes con-
damne a l'excommunication le Clerc qui fera
un acte quelconque de négoce pour gagner de
l'argent: « qui turpis lucrí gratiti, aliquod nego-
tium exercuerit. »


(1) 1I Epist. ad Timoth. c. 2. v. 4.




CHAPlTRE DEUXIlblE. 123


Le Déeret Gratien renferme la eélébre Déeré-
taJe adressée par saint Gélase aux Eveques de
la Lueanie, des Abruzzes et de la Sieile, pour
leur déclarer que les CIeres adonnés auxopé-
rations de commerce sont indignes de remplir
le Ministére des autels : « Clerici aut ab indi-
gnis qurestibus noverint abstinendum, et ab om-
ni cujuslibet negotiationis ingenio vel cupiditate
cessandum, aut in quocumque gradu sint po.~iti,
si cessare noluerint, mox eL Clericalibus officiis
abstinere cogantur. »


11 y a dans les Déerétales de Grégoire IX, un
titre entier, le titre cinquantiéme du troisiéme
livre, consaeré a eette défense: « Ne Clerici
vel Monachi srecularibus negotiis se immis-
ceant. » Les Evéques doivent procéder sévé-
rement contre les Cleres qui se livrenthabituel-
lement au négoee, et les punir par l'excommu-
nieation, s'ils ne s'amendent paso
L~ Pape Alexandre III éerivait a l'Evéque


de Londres: « Secundum instituta Prredeces-
Sorum nostrorum, sub interminatione anathema-
tis probibemus ne Monachi vel Clerici causa lucri
negotientur. »




124 TROISIEME PARTIE.


La Constitution de Clément V, publiée aucon-
cile général de Vienne, a un caractére plus
solennel encore; elle porte que les Eveques
sont strictement obligés de faire observer les
canons prohibitifs du commerce, s'ils ne veulent
avoir a repondre d'une négligence vraiment
condamnable: « Adversus Clericos negotiationi-
bus vel commerciis srecularibus vel officiis non
convenientibus clericali proposito publice insis-
tentes, sic canonica servare studeant (DiOJcesani
locorum) instituta, qttod et illi ab excessibus com-
pescantur hujusmodi, et ipsi de damnabili circa
hrec negligentio, nequeant reprehendí. ))


Le Concile de Trente a sanctionné la méme
discipline, et parmi les questions qui devaient
étre traitées au ConciIe du Vatican, s'iI n'eut
pas été maIheureusement interrompu, nous
trouvons celIe-ci : « Qure autem de srecularibus
curis, maxime vero de vetito, clericis negotiatione,
per generalia Concilia vel Prredecessores nostros
alias sancita fueront, religiose observent. » (sche-
ma de vitO, et honestate Clericorum.)


En dehors du Corpus jurís et des Conciles,




CHAPITRE DEUXIEME. 125


les Constitutions des Papes fixent plusieurs
points importants:


1 ° Les bénéfices réalisés par les Ecclésias-
tiques, a I'aide du commerce, ne sont pas
légitimes ;


2° Le Négoce exercé indirectement, par un
tiers, est condamné: il fait encourir les
peines canoniques aussi bien que le négoce
direcl ;


3° Les opérations de change et de Bourse
sont comprises dans. la prohibition, quand
méme on les ferait per aHum;


4° Il est défendu aux Clercs de prendre des
intéréts dans les Sociétés de commerce et de
crédit.


Telle est, en substance, la doctrine con te-
nue dan s les Bulles de .Benoit XIV et de Clé-
ment XIII,qui font loiencore aujourd'huisur ces
matieres, et dont les Peres assemblés au dernier
concile cecuménique ,tenu au Vatican, avaient
l'intention de rappeler la force obligatoire.


Nous devons mentionner aussi les décisions
des Congrégations romaines qui ont interprété
les lois, et répondu aux différentes consulta-




126 TROISIEME PARTIE.


tions qm leur étaient adressées. Nous n'en
citerons qu'une seule: En 1846, la Congl'éga-
tion des Evéques et réguliers fut consultée au
sujet des actions qu'émettent les sociétés en
commandite. Une banque devait s'établir dans
une ville de l'Etat Pontifical, el les fondateurs
désiraient que les Ecclésiastiques prissent des
actions: L'Evéque soumit la question au Saint-
Siége. La Congrégation des Evéques et régu-
liers, en assemblée générale, le 30 Janvier
184,6, examina la proposition suivante :


Est-il permis aux Ecclésiasliques promus
aux OI'dres sacrés ou possesseurs de bénéfices
de prendre des actions d'une banque en com-
mandite?


La réponse fut : non licere.
Enfin les statuts synodaux de chaque diocése


portent les memes défenses, el nous [isons
dans ceux de Lyon :


« Nous défendons a tous les Ecclésiastiques :
« 10 d'exercer aucune sorte de négoce, soit par
« eux-mémes sOÜ par des personnes inter-
« posées, et de faire partie d'une société de
« commerce; 20 plus expressément encore, de




...


CHAPITRE DEUXIEME. 127


« se livrer a des jeux de Bourse, ou méme de
« se les permettre sous quelque forme que ce
« soit.» (1)


Nous venons de je\er un coup d'reil rapide
sur la législation de I'Egl ¡se: depuis les premiers
siéc!es jusqu'a nos jours, elle n'a jamais varié
sur ce point important de sa discipline; elle
s'est toujours efIorcée de maintenir pur de tout
mélange et de tout alliage terrestre, cet idéal
du prétre dont on retrouve l'esquisse achaque
page de l'Evangile.


Si nous appliquons ces principes a la Bourse
. et aux opérations qui s'y traitent, nous arrive-
rons logiquement aux conclusions suivantes :


Et d'abord, toutes les opérations de Bourse
qui tiennent du négoce, de la spéculation et du
jeu sont absolument interdites aux Clercs. Les
marchés au comptant leur sont permis, comme
moyen de placement sérieux de leurs capitaux ;
mais s'ils étaient trop fréquemment répétés,
c'est-a-dire si les achats étaient faits en vue de
spéculer par la reyente, ils constitueraient des


(1) Statuls synodaux de Lyon, p. 27-28.




128 TROISIEME PARTIE.


actes de commerce et tomberaient sous le coup
de la loi. Cependant il ne leur est pas défendu
de jamais revendre des valeurs qu'ils auraient
achetées, pour faire un meilleur emploi de
leur argent, ou bien dans la crainte que ces
valeurs ne viennent a baisser : ce n'est point
la du négoce, mais une gestion sage et prudente:
Le négoce consiste, en efIet, dans la répétition
fréquente des mémes actes, c'est-a-dire d'achats
suivis de ventes, ou dans l'intention qui dirige
un achat en vue d'une reyente proehaine, dés
que le prix de la valeur ou marchandise aura
monté, et permettra ainsi de réaliseI un béné-
fiee plus ou moins considérable : Or voila pré-
cisément ce que les saints Canons interdisent
aux Cleres ; mais ils peuvent, en tf.lute su reté
de conseienee, faire les aetes nécessaires a la
bonne administration de leur fortune person-
nelle et a la conservation de leurs intéréts. Le
négoce est incompatible ave e les fonetions
sacerdotales, tandis que la prévoyance, l'ordre
et l'économie sont des ver tus que le Prétre ne
saurait dédaigner.


La spéculation, qui tient du négoce, lui est




CHAPITRE DEUXIE~lE. 129


interdite au méme titre et pour les mémes
raisons que le négoce lui-méme.


Quant a la spéculation pure et aux jeux, ils
sont plus rigoureusement encore défendus aux
Clercs, car ils répugnent, beaucoup plus que
le négoce, a leur caractére et a leur dignité.
L'Eglise n'a jamais admis le 'jeu qne comme un
moyen de délassement el de repos pour l'esprit.
Ecoutons le Docteur angélique qui résume
admirablement, sur ce point, la morale de
l'Eglise: « Ae/iones ludierw non ordinantur ad
aliquem finem exlrinsecum j sed tantt/,m ordí-
nantur ad bonum ipsius ludentis, prout sunt
deleetantcs vel requiem prwslantes ») (1). « Le
jeu n'a d'autre but que de procurer a celui quí
joue un plaísir et un délassement.» Tel est le
principe général. Voici maintenant les molifs
sur lesquels il s'appuie, et les regles quí doivent
présider a son application : « Sicul horno indiget
eorporali quiete ad corporis re{ocillationem, quía
non lJotest continue laborare propler hoe quod
habet finitam virtutem, quce determinatts laboribus


(1) Summathéolog.,l' 2" q.1,a.G, adl"'".




130 TROISIEME PARTIE.


proportionaturj ita etiam ese ex parte animre,
cujus etiam est virtus ~nita, ad determinatas
operaciones proportionaca. Sicut autem {atigatio
corporalis solvitur per corporis quietem, ita etiam
oportet quod {atigatio animalia solvaturper animre
quietem: quies autem animre est delectatio; el
ideo oportel remedium contra {atigationem anima-
lem adhiberi per aliquam delectationem. Hujus-
modi autem dicta ve l (acta, in qttibus non qureritur
nisi delectatio animalis, vocantur lttdic1'a vel
Jocosa: el ideo necesse esl lalibus interdt'tm uti,
quasi ad quamdam animre quietem. Circa qure
tamen videntur tria esse prrecipue cavenda.
Quorump1'imurn el principale est, quod prredicta
delectatio non qureratur in aliquibus operationibus
vel verbis turpibus vel nocivis. .Jliud autem
attendendum est, ne totaliter gravitas animm
resolvatur. Tertio autem attendendum eSl, sicut
el omnibus aliis humanis actionibus, ut congruat
(ludus) personre et lempori et loco, el secundt'tm
alias circttmstantias debiti ordinelttr, ut scilicet
sit el lempo're el homine dignus (1). »


(1) S. Théolog., 2' 2m q. CLXVIII, a. 2., in corp. arto




CHAPITRE DEUXIEME. 131


« Le corps de l'homme ne saurait travailler
indéfiniment; il a besoin . de repos paree que
ses forces sont bornées ; il en est de me me pour
l'ame, dont la puissance d'action a aussi ses
limites. Toute lassitude demande du repos,
aussi bien celle de l'ame que celle du corps ;
et le repos de l'ame, c'est le plaisir : Or le
plaisir,on le trouve dans le jeu, et il est néces-
saire d'y recourir quelquefois pour le délasse-
ment de l'esprit. Mais il faut éviter trois choses
dans le jeu ; d'abord, il ne faut point chercher
un délassement dans des paroles ou des actions
mauvaises: en second lieu, il faut éviter une
trop grande dissipation ; enfin on doit observer
dans les récréations, comme dans les autres
actions de l'homme, ce qui convient a la per-
sonne, au temps ou l'on vit, au lieu ou l'on
est, afin que tout soit digne du temps et de
l'homrne. »


Voilil, en quelques lignes, toute la doctrine
de I'Eglise relativement au jeu : Elle ne }'admet
que comme un passe-temps agréable, un d~las­
sement du corps et de I'esprit ; et encore faut-
il qu'il n'ofIense en rien les lois de la morale,




132 TROISIElIfE PARTIE.


el qu'il soit pratiqué avec convenance el modé-
ration.


Si ces principes atteignént tous les fideles,
a plus forte raison sont-ils applicables aux
¡rétres, dont la vie doit servir d'exemple
et de modele au peuple chrétien! Aussi les
Canons Ecclésiastiques sont-ils tres séveres
vis-a-vis des CIercs qui s'adonnent a certains
jeux, ou bien y passent un temps trop consi-
dérable; et nous trouvons dans les statuts
synodaux du Diocese de Lyon ces sages exhor-
tations: « Nous recommandons instamment aux
Prétres (féviter, dans tous leurs jeux, quels
9u'ils soient, l'exces, la passion, le désir du gain,
el de ne jamais y engager des sommcs relative-
ment considérables (1). »


Si des jeux ordinaires, nous passons aux
jeux de Bourse, il nous sera aisé de comprendre
qu'ils doivent étre absolument défendus aux
Prétres. Le jeu en général ne leur est permis
que dans un but de délassement et de repos,
et encore faut-il qu'ils en usen t avec une extréme


(1) Slatuts synodaux de Lyon. P. 2\1.




CHAPITRE DEUXIEME. 133


réserve: Or, les jeux de Bourse n'atteignent
ce but en aucune maniere; ils surexcitent,
au contraire, l'activité d'une falton vraiment
fébrile, et peuvent conduire a tous les exceso


Enfin, et voici la raison capitale, ils ne sont
que des moyens d'édifier rapidement une for-
tune. Or, a ce titre, nous l'avons vu, ils sont
entachés d'immoralité : la richesse n'est vrai-
ment legitime et respectable qu'autant qu'elle
est le fruit du travail, et non point le simple
efIet du hasard. Ce sont les sueurs de l'homme
qui donnent a la fortune acquise le meme ca-
ractere d'inviolabilité qu'a la personne elle-
meme.


La Conclusion est évidente: si la pratique
des jeux de Bourse est condamnee par le c1roit
naturel, a plus forte raison le Droit canonique
la condamne-t-il aussi, et fait-il un devoir au
Prétre de s'en abstenir !


Enfin il est une derniere conclusion a tirer,
relativement au placement des capitaux et a
l'emploi de l'argent : s'il veut s'en tenil' a la
rigueur des principes, le Prétre ne doit placer
)jon argent que sur des rentes ou sur des obliga-


4.




134 TROISIEME PARTIE.


tions; il ne peut acheter ancnne action, et
cela ponr deux raisons:


La premiere, c'est que l'action constitue une
part du fonds social; l'actionnaire est associé,
il participe anx benéfices comme aux pertes de
la société: Or la loi ecclésiastique interdit
au Prétre de remplir ce róle.


La seconde, c'est que I'action est sujette a
des variations de prix, a des fluctuations quel-
quefois considérables: il fallt nécessairement
alors suivre les cours de la Bourse, rechercher
les causes qui peuvent amener la hansse ou la
baisse, étudier la situation d'une entreprise ou
d'une industrie; il faut, en un mot, s'occuper
des questions financieres ou industrielles, sous
peine de voir sa fortune diminuer peu a peu,
méme s'écrouler subitement. Or, ce sont
précisément ces inquiétudes de tous les jours,
ces soucis permanents que !'église a voulu éviter
au prétre ; c'est précisément ce travail qu'elle
ajugé incompatible avec les fonctions sacerdo-
tales.


Les actions nom.inaiives et non libérées of-
frent un danger de plus; elles peuvent com-




CHAPlTRE DEUXIÉME, 135


promettre, a un moment donné, la dignité
sacerdotale, car le souscripteur et les titulaires
successifs sont exposés, en cas de faillite de la
Société, a des poursuites judiciaires.


Que le prétl'e se souvienne done qu'il n'est
point un manieur d'argent, mais le négoeiateur
de Jésus-Christ, ehargé de faire ici-bas, en son
nom, le sublime trafic des ames, et d'opérer
avec elles toutes ces grandes transactions qui
doivent leur assurer le royaume des cieux : Non
srecttli met'calores, non mammonre ministri, sed
Chrisli mercatm'es, animarnm negociatores! (1),
Qu'il se souvienne qu'entre lui et l'homme de
bourse, il y a un abime infranchissable, il y
a toute la distancc qui sépare le ciel de la
terre : l'homme de Bourse est l'homme de la
terre, de terra terrenus; le Prétre eilt l'homme
du Cíel, de Crelo crelestis!


(1) Ex Monit. s, Caroli ad Cler,






CONCLUSION


La Bourse est un protée aux mille formes;
elle revét des couleurs variées, et se présente
sous les aspects les plus divers au regard de
l'observateur attentif et impartial. On ne sau-
rait porter sur elle un jugement équitable, si
1'0n n'étudie, en détail, les nombreuses opéra-
tions dont elle est le thé<i.tre: nous n'avons pas
employé d'autre méthode; et, sans nous bercer
de vaines espérances, il nous sera peut-étre
permis de croire que nous avons répandu quel-
que lumiére sur des problémes obscurs et dif-
ficiles.


Essayons, en terminant, de jeter un coup-
d'ceil d'ensemble sur la Bourse, et d'embrasser
le vaste horizon dans lequel elle vit et se
meut.




138 CONCLUSION.


Tantót elle est le marché universel ou se
pratique l'échange des valeurs qui y affiuent de
toutes les parties du monde: A ce point de
vue, elle est, non seulement utile, mais néces-
saire au développement du commerce el de
l'industrie, au progrés de la civilisation. La
conscience, bien loin de condamner ces opéra-
tions, ne peut que les approuver et les encou- _
rager, pourvu que les lois morales, qui prési-
dent aux relations humuines-, soient pleinement
sauvegardées.


Tantót elle est une table de jeu, et les
joueurs rangés autour du tupís vert attendent
leur fortune d'un coup de dé: a ce titre, elle
est immorale au supréme degré, car elle excite
les passions mauvaises, alimentent un luxe
sans frein, et dégoute du travail honuéte, de la
seule et vraie source de la richesse.


Tantót enfin la Bourse Pt:lut étre comparé e a
un champ de ba,taille,


Oil c'est au Heu du sang de I'or qui couJe a 110ts .


...... Les joueurs y sont partagés en deux corps:
Les faíbles dans un camp, el dans l'autre les forts.




CONCL USION. 139


GrflCe aux gros bataillons qu'ils tirenl de leur caisse,
Ceux-ci fOllt, a leur choix, ou la hausse ou la baisse,
Si bien que l'un des camps, étant maitre des cours,
Toujours gagne, pendant que I'autre perd toujours (1).


A ce nouveau point de vue, si bien décrit
par le poete, les opérations de Bourse ne sont
pas plus morales que celles de la force: Or, sur
ce champ de bataille pas plus que sur les autres,
la force ne saurait primer le droit.


La Bourse est donc une immense aréne ou
viennenL s'agiter toutes les passions de l'huma-
nité, les plus nobles comme les plus viles, les
plus légitimes comme les plus mauvaises: L'in-
dustriel et le négociant y coudoient le flaneur
et le désoouvré; le financier habile eL érudit s'y
trouve a coté du joueur ignorant et téméraire;
l'honnéte homme s'y rencontre avec le fripon.
Que chacun de ceux qui fréquentent le Palais
de la déesse interrogent leur conscience, et se
demandent avec sincérité a queIle catégoríe ils
veulent appartenir.


Qu'on nous permette maintenant de tirer
une derniere conclusion : Entre la morale et


(1) La Bourse, de Ponsard, p. 24 et 32.




140 CONCLUSION.


l'éeonomie politique, il ne saurait y aVOlr
aueune opposition: le monde éeonomique, tout
eomme le monde moral, releve de la main du
Tout-puissant. Or, l'harmonie doit régner entre
les reuvres de Dieu; et l'harmonie, e'esí l'ac-
eord, e'est la subordination légitime des diffé-
rents regnes de la nature; e'est la hiérarehie des
étres entre eux; e'est eette éehelle admirable
dont nous apereevons la base sur la terre, et
dont le sommet se perd dans la voute des
cjeux.


La seienee éeonomique, si elle veut véritable-
ment progresser, doit tenir eompte des lois
supérieures de la morale: tout progres, en
effet, quel qu'il soit, renferme quelque péril
en germe, quelque cause interne de eorruption,
quelque ver qui le ronge et le fait insensible-


. ment périr, s'il n'est pas garanti et vivifié
dans fes peuples et les individus par la force
mora le. La vertu est, en quelque sorte, le sel
sans lequel tout se eorrompt: Otez des ames
ce grand ress·ort, ce grand présel'vatif, et la
civilisation matérielle dégénérera bientót en
une barbarie raffinée.




CONCI.USION. 14,1


Parmi ces ennemis intérieurs que le progrés
recele, pour ainsi dire, au dedans de lui-méme,
il faut compter surtout ceux qui appartiennent
a l'ordre maté riel et économique. En effet, un
des plus grands dangers de la civilisation est
dans cette existen ce facile et douce, qui affaiblit,
qui énerve les ames et les caracteres. Les ten-
tations de l'ordre matériel semblent croitre avec
les moyens de les satisfaire, c'est-a-dire avec les
progres mémes de la richesse et du bien-etre.


Il faut que l'élément moral, qui est la con-
dition indispensable de tout véritable progres,
se fortifie de plus en plus, pour opposer une
digue suffisante a ce flot croissant de passions
mauvaises et d'insatiables eonvoitises. Ecoutons
un penseur qui ne saurait Ctre suspeet de ne
pas aimer le progre s : « Plus une soeiété, a dit
M. Vacherot, fait de progrés dans la civilisation
matérielle, plus elle a besoin que le sens moral
y soit developpé (1). »


La Bourse ne sera done vraiment utile et
féconde qu'autantqu'elle sera vraiment morale,


(1) De la Démocratie, liv. m.




142 CONCLUSION.


c'est-a-dire qu'elle sera l'auxiliaire et le soutien
du travail sous toutes ses formes, du génie
humain dans toutes ses manifestationslégitimes.
En dehors de la, elle pourra, de temps a autre,
briller comme un météore, jeter quelques
flammes étincelantes et rapides; mais elle
laissera ensuite aprés elle d'inévitables ruines
et des catastrophes irréparables; semblable a ces
astres errants quí ne font que traverse!' le ciel,
et retombent sur la terre, en brisant tout ce
qu'ils rencontrent sur lem passage !


La civilisation matérielle a sans doute sa
grandeur, eL nous sommes loin de la mécon-
naitre; mais cette grandeur peut se réaliser sans
tant de corruption. C'est l'agiotage que nous
condamnons, et non pas le mouvement. des
capitaux dans de grandes et saines entreprises.
Ce ne sont ni les grands industriels ni les
fínanciers laborieux que nous combattons, mais
les joueurs passionnés, et tous ceux que La
Bruyére a si bien appelés les manieurs d'ar-
gent. Voilil ceux qui corrompent jusqu'a la
spéculation, s'enrichissent sans rien faire,
attirent vers le jeu l'argent et les consciences,




CONCL USION. 143


et créent ce luxe effréné qui déprave tout sans
rien embellir.


De nos jours, ce n'est plus par le travail et
l'économie que l'on espere arriver a l'aisance
et a la fortune; ce n'est plus seulement par
les arts, les sciences, l'industrie, les services
rendus au pays que l'on espere parvenir a la
gloire; une certaine habileté, le jeu et l'intrigue,
voila les puissants mobiles qui gouvernent le
monde. Cet amour de la fortune rapide a gagné
toutes les c'asses de la société ; jamais les tri-
bunaux n'on~ rendu plus de jugements sur les
questions de jeux de Bourse ; jamais le désir
du gain n'a fait plus de victimes.


Laissons a I'atelier l'ouvrier besogneux;
La san te, le travail peuvent le rendl'e heul'eux.
Poul' suppol'ler son sor! laissons lui le courage ;
Unjoueur ne dit plus: « J'aidu coour a l'oU\Tage. ))
l\Ialheur au travailleur qui voit un parl'enu !
Malheur 11 lui s'il cl'oit que le temps es! vellU
De courír les hasards el lenler la forlune !
Jour el nuít I'obsedant, eclte idée importune
Pervertil'a son coour honnele ~t courageux,
Et le rendra joueur, brutal et parcsseux. (1)


(1) Les chel'cheurs d'Q/' a" XIX-siecZe, par E. Boucher. París
Dentu, 18:)6.




144 CONCLUSION.


Oui, que l'ouvrier retourne a son atelier, et
le laboureur a son champ! Que chaque tr[l-
vailleur de l'immense fourmiliére humaine se
remette a creuser le sillon qu'iI. avait peut-
étre abandonné pour courir aprés les hasards
de la fortune 1 Qu'il medite ces vers de Ponsard
a qui nous avons fait de si fréqaents emprunts :


•. ,. La Bourse est un gouffre ou l' on puise
L'ardcnte soíf de l'or et l'apre convoitise,
Mais ou ron engloutit le paisible bonheur,
Le talent, la rartune, el quelquefois l'honneur.(1)


Ramenons les hommes a la terre et a l'agri-
culture; la France y gagnera en richesse réelle,
en moralilé el en véritable repos ; car la terre
n'a pas seulement l'avantage de renfermer des
tresors qu'elle ouvre au travail ; elle donne il
ceux qui la fréquentent et qui la cultivent
quelque chose de sa solide et féconde nature ;
elle n'enrichit pas en un jour, mais la richesse
qui vient d'elle a comme une certaine noblesse
qui la rehausse et augmente son prix. Si les


(1) La Boul'se, page 36.




CONCLUSION. 145


laboureurs n'ont pas tout le bonheur ni toutes
les vertus chantées par les poétes, ils ont du
moins


. . . . . . . . • . • . cette fierté sereine
Que dOllne un léger gain, apres un jour de peine. (1)


(1) 1.a Bourse, par Ponsard, p. 36.


FIN.


5






-,


TABLE DES }JATII~RES


Pagos


LETTRE DE S, E. I.E CARDINAL CAVEROT..... . V
Av ANT-PROPOS • • . . • . . • . • • • • . . • . • . • . • • . • • • • VII


PREMIERE PAR TlE
La Bourse. - Ses Opérations. - Ses Auxiliaires.


CHAPITRE PREMIER, - La Bourse. - Diverses si-
gnifications de ce moto - Coup d'rnil sur
son origine et son histoire............. :1.


CHAPITRE n. - La Spéculation et le jeu. -
Leur définition. - Leur différence. - Leur
moralité ••...•.••..• , • • . . • . . • . • • . • • • . • :1.2


CHAPITRE 1lI. - Les marchés au comptant.-
Leur légitimité. - Leur moralité.. • • • • • • • 30


CHAPITRE IV. - Les marchés i.t terme. - Leur
Définition. - Leur Division. - Leur Mora-
lité... .•• • .•.. ... ..•.. • . .••••.• .•••.• • 35


CHAPITRE V. - L~ Report. - Sa nature. -
Sa moralité.. . • . . • . • . • • • • . • . • . • . . • . . . • . 45


CHAPITRE VI. - La Bours0 et ses intermé-
diaires. - Les Agents de change. - Les
Coulissiers. - La Presse.. . . . . . . . • • • • • • . 53




148 TABLE DES MATIERES.


DEUXIEME PARTlE
La Bourse et lesSociétés de Crédito


CHAPITRE l'REMIER. - Le contrat de Société. -
Sa nature. - Ses différentcs especes. - Loi


Pages


de 1867............................... 67
CHAPITRE n. - Les Administrateurs d'une


Société de Crédito - Leur responsabilité.. 77
CHAPITRE 1Il. - Les Actionnaires. - Leur


responsabilité. . • . . • . • • . . • • . . • • . . . . . . . . • 89


TROISIEME PARTlE
Les Opérations de Bourse et le Droft positif:


CHÁPITRE PREMIER. - Les opérations de Bourse
et le Droit civil............ ............ 107


CHAPITRE II - Les Opérations de Bourse et le
Droit Canon........................... f21


CONCLUSION. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 137


Lyon. - Imprimerie Vitte et Perrassel, rue Sala, 58 .


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