MI RAB EAU
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BIBLIOTHÈQUE NATIONALE


+7-eLLEGTIOS DES MEILLEURS AUTEURS ANCIENS ET »DERMES


MI RAB EAU
SA VIE


SES OPINIONS ET SES DISCOURS


PAR


A. VERMOREL


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TODIE CLNOULtIS


PARIS
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1,113EAITUE LE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
% EUE DE VALOIS, PALAIS-ROYAL, 2


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1882
Tous étroits réservée


11 lA -


3
1


3


3


1
1


Alfieri. De la Tyrannie. 1
Arioste. Roland furieux
Beaumarchais. Mémoires 5
— Barbier. Mariage de Figaro. ,
Beccaria. Délits et Peines 1




Bernardin de Saint - Pierre
Paul et Virginie 1


Boileau. Satires. Lutrin
— Art poétique. Epttres
Bossuet. Oraisons funèbres
Boufflers. OEuvres choisie
Brillai - Savarin. Physiologie


du Goût
Byron. Corsaire. Lara, etc t
Casons. Diable amoureux
Cervantès. Don Quichotte 4
César. Guerre des Gaules
Chamfort. Marres choisies__ 3
Chapelle et Fachatimont Voya-


ges
Cicéron. De la République
—Catilinaires. Discours
Colin-d'Harleville, Le Vieux


Célibataire


Condorcet. Vie de Voltaire 1
— Progrès de l'Esprit humain in
Corneille. Cid. Dorure 1
—Cinna. POlyeticte t


Rodogune. Menteur
Courier (P.-L.). Chers•d'œuvres


Lettres 3
Cyrano de Bergerac. Choix 2
D'.../lembert. Encyclopédie
— Destruction des Jésuites t
Dante. L'Enfer


Dtimostlednes. — Philippiques et
Olynthiennes


1
Descartes, De la Méthode


t




Desmoulins (Camille). Couvres 3
Diderot. Neveu de Rameau 1
—Paradoxe sur le Comédien.,


BIBLIOTHÈQUE NATIONALE. -VOLUMES A 25


CATALOGUE GENERAL


Diderot. Romans et Contes..
—Mélanges philosophiques
Duclos. Sur les Moeurs
Erasnie. Eloge do la Folie




Epictéle. Maximes


Fénelon. Télémaque
— Education des Filles
Florian. Fables
Fo& Robinson Crusoé




Fontenelle. Dialogue des Morts
—Pluralité des Mondes
— Histoire des Oracles
Goethe. Werther
—Hermann et Dorothée
—Faust •




Goldsmith. Le Vicaire de Walte
field


Gresset. Ver-Vert. Méchant__
Hamilton, Mémoires du Cheva-


lier de Grammont
Homère. L'Iliade
Horace. Poésies
Jetedy-Dugoter. Cromwell




Juvénal. Satires
La Boétie. Discours sur la Ser-


vitude volontaire
La Bruyère. Caractères




La Pontante. Fables
Lamennais. Livre du Peuple-
- Passé et Avenir du Peuple
— Paroles d'un Croyant




La Rochefoucauld. Maximes._
Lesage.
— Diable boiteux
—Bachelier de Salamanque._
— Turcaret. Crispin
Lin guet. La Bastille
Longue. Daphnis et Chloé
Meiji. Droits et Devoirs
— Entretiens de Phocion
Machiavel. Le Prince


'9 n




MIRABEAU


SA VIE


SES OPINIONS ET SES Di..;COUR


SUR LE PAVILLON AUX COULEURS NATIONALES


La proposition faite par Menou et adoptée
l0 31 octoore par l'Assemblée, de substituer au
Pavillon blanc le pavillon aux trois couleurs,
lut vivement combattue par le côté droit; Mi-
rabeau répondit aux opposants avec une pa-
triotique indignation, avec une vigueur toute
révolutionnaire :


Aux premiers mots proférésdans cet étrange
'ébat, j'ai ressenti les bouillons du patriotisme


lusqu'au plus violent emportement...


(Le côté gauche applaudit ; quelques membres
lu côté droit se prennent à rire; l'orateur leur
lresse cette apostrophe : )
Messieurs, donnez-moi quelques moments





d'attention; je vous jure qu'avant que j'aie cessé
de parler, vous ne serez pas tentés de rire L.


Mais bientôt j'ai réprimé ces justes mouve-
ments pour me livrer à une observation vrai-
ment curieuse et qui mérite toute l'attention
de l'Assemblée; je veux parler du genre de
présomption qui a pu permettre d'oser présen-
ter ici la question qui nous agite et sur l'ad-
mission de laquelle il n'était pas même permis
de délibérer. Tout le monde sait quelles crises
terribles ont occasionnées de coupables insultes
aux couleurs nationales! Tout le monde sait
quelles ont été, en certaines occasions, les fu-
nestes suites du mépris que quelques individus
ont osé leur montrer! Tout le inonde sait avec
quelle félicitation mutuelle la nation entière s'est
complimentée quand le monarque a ordonné
aux troupes de porter, et a porté lui-même ces
couleurs glorieuses, ce signe de ralliement de
tous les amis, de tous les enfants de la liberté,
de tous les défenseurs de la constitution! Tout
le monde sait qu'il y a peu de mois, il y a peu
de semaines, le téméraire qui eût osé montrer
quelque dédain pour cette enseigne du patrio-
tisme eût payé ce crime de sa tête!...


(De violents murmures s'élèvent dans la par-
tie droite; l'autre partie de la chambre retentit
de bravos et d'applaudissements.)


Et lorsque vos comités réunis, ne se dissi-
mulant pas les nouveaux arrêtés que peut
exiger la mesure qu'ils vous proposent, ne se
dissimulant pas que le changement de pa-
villon, soit dans sa forme, soit dans les lue'


_ 5
sures secondaires qui seront indispensables
pour assortir les couleurs nouvelles aux divers
signaux qu'exigent les évolutions navales;
méprisant, il est vrai, la futile objection de la
dépense, on a objecté la dépense, comme si la
nation, si longtemps victime des profusions du
despotisme, pouvait regretter le prix des li-
vrées de la liberté ! comme s'il fallait penser à
la dépense des nouveaux pavillons, sans en
rapprocher ce que cette consommation nou-
velle versera de richesses dans le commerce
des toiles et jusque dans les mains des culti-
vateurs de chanvre et d'une multitude d'ou-
vriers! Lorsque vos comités réunis, très
bien instruits que de tels détails sont de sim-
ples mesures d'administration qui n'appar-
tiennent pas à cette Assemblée, et ne doivent
pas consumer son temps ; lorsque vos co-
mités réunis, frappés de cette remarquable et
touchante invocation des couleurs nationales,
présentée par des matelots dont on fait avec
tant de plaisir retentir les désordres, en en
taisant les véritables causes pour peu qu'elles
puissent sembler excusables ; lorsque vos co-
mités réunis ont eu cette belle et profonde
idée de donner aux matelots comme un signe
d'adoption de la patrie, comme un appel à leur
dévouement, comme une récompense de leur
retour à la discipline, le pavillon national, et
vous proposent en conséquence une mesure
qui au fond n'avait pas besoin d'être deman-
dée ni décrétée puisque le directeur du pou-
voir exécutif, le chef suprême des forces de la
nation avait déjà ordonné que les trois cou-
leurs fussent le signe national t




.._ 6 —


Ue bien, parce que je ne sais quel succès
d'une tactique frauduleuse dans la séanced'hier
a gonflé les coeurs contre-révolutionnaires, en
vingt-quatre heures, en une nuit, toutes les
idées sont tellement subverties, tous les prin-
principes sont tellement dénaturés, on mé-
connaît tellement l'esprit public , qu'on ose
dire Û. vous-mêmes , à la face du peuple
qui nous entend, qu'il est des préjugés an-
tiques qu'il faut respecter, comme si votre
gloire et la sienne n'étaient pas de les voir
anéantir, ces préjugés qu'on réclame! Qu'il est
indigne de l'Assemblée nationale de tenir à
de telles bagatelles, comme si la langue des
signes n'était pas partout le mobile le phis
puissant pour les hommes, le premier ressort
des patriotes et des conspirateurs, pour le
succès de leur fédération ou de leurs com-
plots! On ose, en un ,


mot, vous tenir froide-
ment un langage qui, bien analysé, dit préci-
sément : Nous nous croyons assez forts pour
arborer la couleur blanche, c'est-à-dire la cou-
leur de la contre-révolution... (Murmures vio-
lents de la partie droite; les applaudissements de
la gauche sont unanimes.) à la place des odieu-
ses couleurs de la liberté! cette observation
est curieuse sans doute; mais son résultat
n'est pas effrayant. Certes, ils ont trop pré-
sumé... (Au côté droit :) Croyez-moi , ne vous
endormez pas dans une si périlleuse sécu-
rité, car le réveil serait prompt et terrible!...


(Au milieu des applaudissements et des mur-
mures, on entend ces mots : C'est le langage
d'un factieux.)


Cahnez-vous, car cette imputation doit être
l'objet d'une controverse régulière; nous som-
mes contraires en faits; vous dites que je
tiens le langage d'un factieux (plusieurs voix
de la droite : oui! oui!)


Monsieur le président, je demande un juge-
ment, et je pose le fai•.. (Murmures.) Je pré-
tends, moi, qu'il est, je ne dis pas irrespec-
tueux, je ne dis pas inconstitutionnel, je dis
profondément criminel de mettre en question
si une couleur destinée à nos flottes peut être
différente de celle que l'Assemblée nationale a
consacrée, que la nation, que le roi ont adoptée,
peut être une couleur suspecte et proscrite!
Je prétends que les véritables factieux, les vé-
ritables conspirateurs sont ceux qui parlent
des préjugés qu'il faut ménager, en rappelant
nos antiques erreurs et les malheurs de notre
honteux esclavage! (Applaudissements.)


Non, messieurs, non! leur sotte présomption
sera déeue; leurs sinistres présages, leurs
hurlements blasphémateurs seront vains! Elles
vogueront sur les mers, les couleurs natio-
nales! elles obtiendront le respect de-toutes
les contrées, non comme le signe des combats
et de la victoire, mais comme celai de la sainte
confraternité des amis de la liberté sur toute
la terre, et comme la terreur des conspira-
teurs et des tyrans!...


Je demande que la mesure générale com-
prise dans le décret soit adoptée; qu'il soit
fait droit sur la proposition de M. Chapelier
concernant les mesures ultérieures, et que les
matelots à bord des vaisseaux, le matin et le
soir, et dans toutes les occasions importantes,




_ g —
cette injure est si vile qu'elle ne peut m'at-
teindre. J'ai proposé que i'on passât à l'ordre
du jour, au lieu de s'occuper de sa démence,
et peut-être s'il eût conservé quelque sang-
froid, m'aurait-il demandé lui-même pour son
avocat. Je ne puis donc être suspecté d'un désir
de vengeance en prenant la parole pour re-
quérir de votre justice un jugement. En réfié-
clissant à ce qui vient de se passer, j'ai com-
pris qu'il ne convenait pas à un représentant
de la nation de se laisser aller au premier
mouvement d'une fausse générosité, et que
sacrifier la portion de respect qui lui est dû,
comme membre de cette Assemblée, ce serait
déserter son poste et son devoir. Ainsi, non-
seulement je ne propose Mus, comme je l'a-
vais fait, de passer à. l'ordre du jour, mais je
demande qu'on juge M. Guillermy ou moi; s'il
est innocent, je suis coupable, prononcez. Je
ne puis que répéter que j'ai tenu un langage
dont je m'honore, et je livre au mépris de la
nation et de l'histoire ceux qui oseront m'im-
puter à crime mon discours.


L'Assemblée condamna M. Guillermy aux
arrêts pour trois jours.


_ 8
au lieu du cri accoutumé et trois fois répété
de vive le roi, disent : Vive la nation, la loi et
le roi!


Au milieu des applaudissements excités par
ce discours, un membre du côté droit, Guil-
lermy, s'écrie : IVIrirabeau est un scélérat.! et fait
la motion de l'arrêter sur-le-champ. Mirabeau
demanda qu'on passat à l'ordre du jour; mais,
ayant réfiechi sans doute aux conséquences
de sa générosité, il prit un instant après la
parole :


Je serais bien fâché, dit-il, de me présenter
en cette occasion comme accusateur, mais je
ne puis cependant pas consentir à être accusé.
Non-seulement mon discours n'était pas in-
cendiaire, mais je soutiens qu'il était de devoir
pour moi, dans une insurrection si coupable,
de relever l'honneur des couleurs nationales,
et de m'opposer à l'infâme il n'y a lieu à déli-
bérer, que l'on osait espérer de notre fai-
blesse. Je dis, et je tiens à honneur d'avoir dit
que demander que l'on ménageât les préjugés
sur le renversement desquels est fondée la ré-
volution, que demander qu'on arborât la cou-
leur blanche proscrite par la nation à la place
des couleurs adoptées par elle et par son chef,
c'était proclamer la contre-révolution. Je le


e répète, je tiens à honneur de le répéter; et
malheur à qui parmi ceux qiu, comme moi,
ont juré de mourir pour la constitution, sE
sent pressé du besoin de m'en faire un crime!
Il a révélé l'exécrable secret de son coeur dé- -,


• loyal ! Quant à l'injure de l'homme traduit
devant cette Assemblée et soumis à sa justice,




sua LE DROIT DE 'PÉTITION


Ces orages devaient être suivis d'autres non
moins violents, et le côté droit, battu dans ses
derniers retranchements, allait chercher sa
défense dans de grossieres invectives. Le 6
novembre, une députation du corps électoral
de la Corse, en exprimant ses hommages à
l'Assemblée, énonçait une plainte indirecte
contre deux de leurs députés, dont l'un, l'abbé
Peretti, était l'auteur d'une brochure que
Mirabeau vint lire à la tribune, dans laquelle
il essayait de rendre odieux les amis de la ré-
volution qu'il traitait d'archiapôires et d'orchi-
rois. Le même abbé Peretti, dans une lettre
adressée à un habitant de la Corse, que Mira-
beau lut également à la tribune, disait que,
dans toutes les rues étaient placées des po-
tences qui étaient entourées de bourreaux, et
qu'il n'y avait pas une de leurs opinions qui
ne leur fît courir les risques d'être pendus.


(MM. d'Ambly et Lautrec courent à la tri-
bune, en menaçant Mirabeau. Ils sont arrêtés
par les huissiers ; ils se portent vers le fau-
teuil du président ; tous les membres du côté
droit quittent leurs bancs, demandant la pu-
nition de M. Mirabeau. On distingue au milieu
du tumulte : Ce Mirabeau est un grand gueux.)


Mirabeau, impassible et fixant d'un air de
mépris les membres du côté droit :


Je ne conçois nus d'où vient ce désordre à la


— —


suite de la lecture que j'ai faite de la lettre de
M. Peretti. Virieux : Vous nous insultez.)
J'ai dit une fois dans cette tribune que notre
force fait notre faiblesse. Il me serait en effet
trop aisé (l'obtenir une éclatante vengeance
des injures qui nous sont faites pour que je
puisse le désirer. (L'Assemblée et les tribunes
applaudissent à plusieurs reprises. — Plusieurs
membres du côté droit : Voulez-vous nous assas-
siner?) Si nous avons des phalanges à notre
disposition, et que vous n'ayez que des libelles
à la vôtre, il faut convenir que notre patience
est grande... Il serait trop commode de se ti-
rer d'un pas embarrassant par des cris et du
tumulte. Tout le monde a pu juger les motifs
du débat que l'on a suscité ; on a provoqué la
sévérité de l'Assemblée contre les députés
qui sont à la barre. Est-ce ainsi qu'on a cru
nous faire consacrer le droit de pétition, qui
est l'incorruptible gardien de la liberté?....
Sommes-nous clans une assemblée délibérante
ou dans une arène de gladiateurs! Est-ce que
ceux qui nous interrompent n'insultent pas eux-
mêmes h la souveraine majorité de l'Assemblée ?
Quand les députés de la Corse seraient coupa-
bles, les réclamants ne sont-ils pas eux-mêmes
soumis h la juridiction de l'Assemblée? Com-
ment peut-on excuser tous ces hurlements,
tout ce désordre?... Nous ne nous y trom-
pons pas. Nous observons depuis longtemps
les divers moyens qu'on emploie successive-
ment pour faire passer l'A. ,emblée pour
un conci.iabule ou pour un champ de ba-
taille. Ne reconnaissez-vous pas qu'on veut
nous faire perdre le temps, afin de pou-





12
voir dire : Voyez les moments qu'ils cousu-
ment pour faire leur interminable ouvrage...
Cela serait bien vrai si on voulait suivre les
habitudes et les rits d'un certain nombre de
conspirateurs (La partie gauche applaudit). Je
crois que la lettre que j'ai lue suffit à la justi-
fication des députés corses; pour moi, je dois
compte à leur patriotisme de s'effrayer du
danger où met peut-être leur patrie l'impu-
dence de ceux qui ont écrit de pareilles lettres
(De nombreux applaudissements accompagnèrent
Mirabeau jusqu'à sa place.)


M. Péretti disait, pour se justifier, que par
des potences il avait entendu des lanternes.


On demanda ensuite que l'orateur de la dé-
putation continuât son discours: un décret
l'ordonna; mais à de nouveaux murmures se
mêlent des huées, des cris, des sifflets, des
hurlements. Le président se couvre. Il annonce
qu'il va déployer toute la puissance et toute
la force de l'Assemblée nationale pour sévir
contre tous ceux qui interrompront. Ces mots
umenerent le calme, et l'orateur fut entendu.


— 13 —


SUR L'AFFAIRE DE L'IIOTEL or, CASTRIES


A quelques jours de là, une autre séance,
celle du 13 novembre, ne fut guère moins ora-
geuse. C'était à la suite du duel qui eut lieu
a cette époque entre M. Charles de Lameth
et M. de Castries, dans lequel le premier reçut
an coup d'épée assez grave; une émeute
populaire suivit ce duel. La porte de la
maison de M. de Castries fut enfoncée et
ses meubles brisés. Une députation du batail-
lon Bonne-Nouvtile vint demander à l'Assem-
blée, au nom de la patrie et (le l'humanité,
une loi qui mît tout membre de la Législature
à l'abri (les attaques perfides des ennemis de
la révohtion. Il demandait en même temps
vengeance contre M. de Castries, qui avait
osé défier en combat singulier M. Charles
Lameth, sans respect pour son caractère.


Tandis que ces opinions étaient applaudies
avec transport, un membre, M. Roi, osa s'é-
crier : // n'y a que des scélérats qui puissent ap-
plaudir.


Cette insulte excita l'indignation de l'As-
semblée. On demanda que le membre qui lui
avait manqué fa arrêté sur-le-champ et con-
(but en prison.


M. Foucault pensait que l'Assemblée, en
adoptant cette proposition porterait atteinte
à la déclaration des droits, qui veut qu'on ne
puisse être arrêté qu'au nom de la loi, et par
les formes qu'elle a prescrites.. Quant à moi,
douta-fil, je sens si bien mon inviolabilité,




-14
que,, si vous ordonniez mon arrestation, je
n'obéirais pas, et vous ne pourriez m'avoir
que mort.


MIRABEAU. - Si, au milieu de cette scène
odieuse, dans la triste circonstance où nous
nous trouvons, dans l'occasion déplorable qui
l'a fait éclore, je pouvais me livrer à l'ironie,
ie remercierais le préopinant. (M. Foucault
s'é rie : M. Mirabeau m'accable toujours d'iro-
nies; M. Mirabeau s'acharne sur moi,- je de-
mande...) Puisque vous n'aimez pas l'ironie, je
vous lance le plus profond mépris.


A ces mots, le côté droit est agité par les
mouvements les plus violents : plusieurs mem-
bres, prêts à s'élancer vers Mirabeau, sont re-
tenus par leurs voisins : ils le menacent du
geste, emploient les expressions basses de
gueux, de scélérat.


M. le président rappelle Mirabeau a l'ordre.


MIRABEAU. - Oui, sans délite, je dois être
rappelé à l'ordre, si l'Assemblée veut déclare
qu'un de ses membres est coupable d'employer
le mot mépris envers l'homme qui n'a pae
craint de professer ouvertement à cette tri-
bune son mépris pour les ordres de la majo-
rité, et d'y déclarer qu'il ne lui obéirait que
mort (Applaudissements universels d'un côté :
murmures de l'antre). Certes, il est temps de
raisonner et d'écouter, certes, cette soirée
donnera une ample matière aux vertueux écri-
vains de la noble école des impartiaux, pour
dire, redire et répandre que nous consumons
le temps et la confiance de nos commettants




dans les vaines et hideuses contention de
notre irascibilité. Certes, aujourd'hui encore
on pourra s'écrier que l'Assemblée nationale
est entièrement désorganisée; qu'elle n'a Plus
ni calme, ni règle, ni respect d'elle-même.
Mais ne sont-ce donc pas évidemment les
coupables qui sont ici les accusateurs? N'est-
ce pas leurs délits qu'ils nous imputent?


Messieurs, il est temps de le reconnaître, et
la déclaration n'en saurait être trop solen-
nelle ; votre longue indulgence, cette indul-
gence née, comme je l'ai dit tant de fois, du
sentiment de votre force, cette indulgence
serait coupable et fatale si elle n'avait point
un terme. La chose publique est vraiment en
danger, et le succès de vos travaux entièrement
impossible, si vous perdez de vue que vous êtes
tenus également de respecter et de faire res-
pecter la loi; si vous ne faites pas un exemple
dans cette assemblée; si pour ordonner le
royaume, vous ne commencez par vous ordon-
ner vous-mêmes. 'Vous devez établir dans l'em-
pire l'obéissance aux autorités légitimes, et
vous ne réprimez pas dans votre sein une
poignée d'insolents conspirateurs! Ah! c'est
pour leur propre salut que j'invoque votre
sévérité; car si la lettre de vos règlements et
l'esprit de vos lois, si la voix paisible de votre
président et l'indignation des spectateurs, si
les mécontentements des bons citoyens et
notre propre insurrection ne peuvent leur en
imposer, s'ils se font un point d'honneur
d'encourir nos censures, une religion de déso-
béir à la majorité, qui doit régir toute so-
ciété , sans quoi l'association est dissoute,




-- 16 --
n'arrivera-t-il pas infailliblement que le peuple
ressentira enfin l'injure faite à ses représen-
tants ? Et des mouvements impétueux et ter-
ribles, mais justes vengeances, des catastro7,
phes en tout sens redoutables, n'annonceront-
ils pas que sa volonté doit toujours, a dû tou-
jours être respectée? Les insensés ! ils nous
reprochent nos appels au peuple. Et n'est-il
donc pas heureux pour eux-mêmes que la ter-
reur des mouvements populaires contienne
encore ceux qui méconnaissent toute loi,
toute raison, toute convenance?


Messieurs, on se natterait en vain de faire
longtemps respecter ce qui est méprisable ; et
rien n'est plus méprisable que le désordre.
On nous accuse de favoriser l'anarchie, comme ,
si notre honneur, notre • :


• e, notre sûreté
n'étaient pas imiquemere


.
.:-;lis le rétablisse-


ment de l'ordre! Mais qu'est-ce que l'anar-
chie, si ce n'est le mépris de la loi; et com-
ment sera-t-elle l'objet de la vénération pu-
blique, la loi qui émane d'un foyer de tumulte
et de scandale? Comment obéira-t-il à la loi,
le peuple dont les législateurs foulent sans
cesse aux pieds les premières règles de la dis-
cipline sociale?


S'adressant au côté droit... Savez-vous ce lue
l'on a dit ce matin à l'un des principaux chefs
de la force publique, qui, devant la maison
de M. Castries, parlait du respect dû à la loi?
Ecoutez la réponse du peuple dans son éner-:1
gigue


• Pourquoi les députés ne la
respectent-ils pas?» Dites, dites, qu'est-ce que
le plus furieux d'entre vous aurait pu répliquer?


Si vous rappelez tout ce qui est coupable,


-- 17 --


pesez donc aussi tout ce qui excuse. Savez-
vous que ce peuple dans son ressentiment
contre l'homme qu'il regarde comme l'ennemi
d'an de ses plus utiles amis, savez-vous qu'au
milieu de la destruction, nul n'osera dire la
dilapidation, ces effets de cette maison pros-
crite, le peuple s'est religieusement arrêté de-
vant l'image du monarque; que le portrait du
chef de la nation, de l'exécuteur suprême de
la loi, a été, dans ces moments d'une fureur
généreuse, l'objet (le sa vénération et de ses
soins persévérants? Savez-vous que ce peuple
irrité a montré à. madame Castries, respecta-
ble par son âge, intéressante par son mal-
heur, la plus tendre sollicitude, les égards les
plus affectueux? Savez-vous que cc peuple, en
quittant cette maison, qu'il venait de détruire
avec une sorte d'ordre et de calme, a voulu
que chaque individu vidât ses poches, et cons-
tatât ainsi que nulle bassesse n'avait souillé
une vengeance qu'il croyait juste.?


Voilà, v oilà 'de l'honneur, du véritable hon-
neur, que les préjugés des gladiateurs et leurs
rits atroces ne produiront jamais. Voilà quel
est le peuple, violent, mais exorable; excessif.
mais généreux ; voilà le peuple, même en in-
surrection, lorsqu'une constitution libre l'a
rendu à sa dignité naturelle, et qu'il croit sa
liberté blessée. Ceux qui le jugent autrement
:e méconnaissent et le calomnient; et quand
ses serviteurs, ses amis, ses frères, qui ne se
sont voués à sa défense que parce qu'ils l'ho
forent profondément, repoussent ces blas-
phèmes que l'on profère à chaque instant dans
cette assemblée contre lui, ils obéissent à leur




--- 18 —
premier devoir, ils remplissent une de leum
plus saintes fonctions.


Nous avons trop tardé; ne souffrez pas que
le temps que nous a emporté ce coupable dé,
bat passe pour la puérile explosion d'une co-
lère oiseuse et stérile ; faites dans votre sein
un exemple qui démontre que votre respect
pour la loi n'est ni tiède ni simulé : qu'enfin
M. Roi soit conduit en prison.


Après quelques amendements proposés et
écartés, il fut décidé gué M. Roi se rendrait è
l'abbaye Saint-Germain pour trois jours.


SUR LÀ CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ




SUE LA COXSTITUTION CIVILE DU CLERGt


La constitution civile du clergé, décrétée le
et 1190, avait soulevé de vives résistances,


et les évêques députés à l'assemblée avaient
rédigé une protestation sous ce titre: Exposi-
tion des principes de la constitution civile du
clergé. Ce manifeste fut dénoncé à l'Assemblée
comme une coalition formée par le clergé de
France pour se soustraire à l'exécution des
dévots et exciter le peuple à la révolte. En
Cette circonstance, Mirabeau, dans la séance
du '20 novembre, prit la parole pour demander
notamment que des mesures fussent prises
contre les ecclésiastiques qui, dans des man-
dements ou lettres pastorales, décrieraient la
révolution, et que fut déclaré déchu de ses
fonctions, tout evèque qui aurait demandé au
Pape de nouvelles institutions canoniques.


Nous extrairons seulement le passage sui-
vant de ce discours qui, sous l'impression des
préoccupations du moment, a le tort de con-
fondre empiétement l'Eghse dans l'État:


... Mais je l'ai dit, l'intérêt de rappeler les
droits de l'Eglise n'est ici que le prétexte de
l'entreprise de nos évêques, et l'on ne peut
méconnaître la véritable cause de leur résis-
tance.


Les vrais amis de la constitution et de la
liberté ne peuvent se dissimuler que nos pas-




— 22 —


— 23 —
teurs et nos prêtres persévèrent à compose
une classe à part et à mettre au nombre des
devoirs de leur état l'étude des les qul
peuvent arrêter la révolution. Ce sont des
prêtres qui rédigent et qui font circuler lesfeuilles les plus fécondes en explosions fréné
tiques contre vos travaux; et ces prêtres sont
soutenus de toute la prélature aristocratique
on exalte leur dévouement aux anciens abus,
comme l'héroïsme du zèle apostolique; on les
honore comme les réclamateurs imperturbables
des droits de Dieu et des rois; on les encense,
on les canonise comme les Ambroises et lesAthanases de leur siècle ; il ne leur manque
que de mourir victimes de leur fanatisme O-
de leurs transports séditieux, pour recevoir
les couronnes de l


'apothéose, et pour obtenir
la gloire d'être inscrits sur le tableau des mar-
tyrs de la religion.


Pontifes qui partagez avec nous l'honneurde représenter ici la nation franeaise,
ne plaise que j'attire sur vous, ni sur vos


coilègues dispersés dans leurs églises, des
re-proches qui vous compromettraient aux yeux


d'un peuple dont le respect et la confiance
sont nécessaires au succés de vos augustes
fonctions. Mais, après cette derniere éruption
d'une inquiétude qui menace tout, pouvons-
nous croire que vous ne prêtez ni votre appui
ni votre suffrage aux écrivains ;uni-constitu-tionnels qui décrient la liberté au nom de
vangile, et qui ne visent à rien moins, qu'àprésenter la révolution sous les couleurs d'une
manoeuvre impie et sacrilége? Et quand vous
vous seriez bornés au silence de la neutralité


' et de l'insouciance, ce silence n'eût-il pas déjàété lui-même un scandale publie? Les pre-
miers pasteurs peuvent-ils se taire dans ces
grandes crises où le peuple a un si pressant
besoin d'entendre la voix de ses guides ,
de recevoir de leur bouche des conseils de
paix et de sagesse Oui, j'étais déjà profon-
dément scandalisé de ne pas voir l'épiscopat
français adresser à ses ouailles de fréquentes
et fortes instructions pastorales sur les devoirs
actuels des citoyens, sur la nécessité de la
subordination, sur les avantages à venir de la
liberté, sur l'horreur du crime que commettent
tous ces esprits perturbateur s et malveillants
qui méditent des contre-révoluti o ns à exécu-
ter dans le sang de leurs concitoyens. J'étais
scandalisé de ne pas voir des mandements ci-
viques se répandre dans toutes les parties de
ce royaume, porter jusqu'à ses extrémités les
plus reculées des maximes et des leçons
conformes à l'esprit d'une révolution qui
trouve 'sa sanction dans les principes et dans
les plus familiers éléments du christianisme.
q'étais enfin scandalisé et indigné de voir des
pasteurs inférieurs affecter la même indiffé-
rence, écarter de leurs instructions pu tiques
tout ce qui pourrait affermir le peuple dans
l'amour de son nouveau régime, laisser plutôt
transpirer des principes favorables à la résur-
rection de l'ancien despotisme. et se permettre
souvent des réticences perfides. Je m'arrête
pour éviter des inductions trop fâcheuses.


Prélats et pasteurs, je ne possède pas plus
qu'un autre mortel le don de prophétie, mais
j'ai quelque connaissance du caractère des


4




--- 2!k —
hommes et de la marche des choses. Or, sa- .
vez-vous ce qui arrivera si les âmes ecclésias-
tiques, persévérant à se fermer à l'esprit de la
liberté, viennent enfin à faire désespérer de
leur conversion à la constitution, et par con-
séquent de leur aptitude à être citoyens? L'in-
dignation publique, montée à son comble, ne
pourra plus souffrir que la conduite des hom-
mes demeure confiée aux ennemis de leur
prospérité; et ce qui serait peut-être encore
aujourd'hui une motion violente ne tardera
pas à acquérir le caractère d'une mesure rai-
sonnable, sage et commandée par la nécessité
d'achever le salut de l'État. On proposera à
l'Assemblée nationale, comme l'unique moyen
de nettoyer le sein de la nation de tout l'an-
cien levain qui voudrait se refiltrer dans ses
organes, on proposera de décréter la vacance
universelle des places ecclésiastiques conté-
rées sous l'ancien - gime, pour les soumettre
toutes à. l'élection es départements, pour met-
tre le peuple à p rtée de se donner des pas-
teurs dignes de sa confiance, et de pouvoir
chérir, dans les apôtres de la religion, les amis
de sa délivrance et de sa liberté,


— 25 —


9ROJET D'ADRESSE AUX FRANÇAIS SUR LA coasTrraTioa
CIVILE DU CLERGÉ


OTI


Nous devons placer ici le projet d'adresse
aux Français sur la constitution civile du
clergé , présenté à l'Assemblée par Mira-
beau, au nom du comité ecclésiastique et dont
la lecture provoqua un si grand scandale de
la part de la droite que l'orateur ne put l'a-
chever. On retrouve dans ce document, consa-
cré à la justification de la réglementation
religieuse, les principes éclairés de Mirabeau
sur ia vraie liberté religieuse. Elle explique
.parfaitement d'ailleurs quel entraînement de
passions et de circonstances dicta la conduite
de l'Assemblée :


Français ! au moment on l'Assemblée natio-
nale ordonne le sacerdoce à vos lois nouvelles,
afin que toutes les institutions de l'empire se
prêtant un mutuel appui, votre liberté soit
inébranlable, on s'efforce d'égarer la cons-
aience des peuples. On dénonce de toute part
la constitution civile du clergé, décrétée par
vos représentants, comme dénaturant l'or-
ganisation divine de l'Eglise chrétienne et
ne pouvant subsister avec les principes Con-
sacrés par l'antiquité ecclésiastique.




— 28
Ainsi, nous n'aurions pu briser les chaînes


de notre servitude sans secouer le joug de la
foi ?... Non ; la liberté est loin de nous pres-
crire un si impraticable sacrifice. Regardez,
8 citoyens ! regardez cette Eglise de France
dont les fondements s'enlacent et se perdent
dans ceux de l'empire lui-même; voyez comme
elle se régénère avec lui; et comme la liberté
qui vient du ciel, aussi bien que notre foi,
semble montrer en elle la compagne de son
éternité et de sa divinité! Voyez comme ces
deux filles de la raison souveraine s'unissent
pour développer et remplir toute la perfectibi
lité de votre sublime nature, et pour combler
votre double besoin d'exister avec gloire et
d'exister toujours!


On nous reproche d'avoir refusé de décréter
explicitement que la reli gion catholique,
apostolique et romaine est la religion natif-
nais.


D'avoir changé, sans l'intervention de ras?
torité ecclésiastique, l'ancienne démarcatin'
des diocèses, et troublé, par cette menu
ainsi qu'en plusieurs autres points de l'a:
ganisation civile du clergé, la


w
issance épT-


copale;
Enfin, d'avoir aboli l'ancienne forme de r,


mination des pasteurs, et de la faire déterpa.
ner par l'élection des peuples.


A ces trois points se rapportent toutes
accusations d'irréligion et de persécution do
on voudrait flétrir l'intégrité, la sagesse
l'orthodoxie de vos représentants. Ils vont
pondre, moins pour se justifier que pour p
munir les vrais amis de la religion contre


97
laineurs hypocrites des ennemis de la réva-
ution. (Une grande partie de l'Assemblée ap-


plaudit.)
Déclarer nationale la religion chrétienne,
fit été flétrir le caractère le plus intime et le
:us essentiel du christianisme. En général,
a religion n'est pas, elle ne peut être un rap-
port social; elle est un rapport de l'homme
rivé avec l'être infini. Comprendriez-vous ce
sle l'on voudrait vous dire, si l'on vous par-
ait d'une conscience nationale? Eh bien! la re-
gion n'est pas plus nationale que la cons-
ince : car un homme n'est pas véritablement
e4ieux, parce qu'il est de la religion d'une
ration; et quand il n'y aurait qu'une religion
,ans l'univers, et que tous les hommes se
croient accordés pour la professer, il serait
acore vrai que chacun d'eux n'aurait un
:ritiment sincère de la religion, qu'autantlue chacun serait de la sienne, c'est-à-dire
'a.ittant qu'il suivrait encore cette religion


''.verselle quand le genre humain vien-leartCdjurer. (Les applaudissements recoin-
psi de quelque manière que l'on envisage
religion, la dire nationale, c'est lui attri-


.,r une dénomination insignifiante ou r_-
"'m'ait-ce comme juge de sa vérité, ou comme
c de son aptitude à. former de bons ci-


que le législateur rendrait une religion
tiittlionnelle? Mais d'abord y a-t-ii deslités nationales? En second lieu, peut-il


être utile au bonheur public que la
ascience des hommes soit enchaînée par la




— 28 --


loi de l'Etat. La loi ne nous unit les uns aux
autres que dans les points où nous nous tua
thons. Or, les hommes ne se touchent que
par la superficie de leur être ; par la pensée et
la conscience, ils demeurent isolés, et Passe
ciation leur laisse, à cet égard, l'existence
absolue de la nature. (Les applaudissement+
continuent.)


Enfin, il ne peut y avoir de national, dans
un empire, que les institutions établies pou
produire des effets !Nelitques, et la religion
n'étant que la correspondance de la pensée e
de la spiritualité de l'homme avec la pensée
divine, avec l'esprit universel, il s'ensuit qu'elle
ne peut prendre sous ce rapport aucune forme
civile ou légale. Le christianisme principale
meut s'exclut par son essence de tout sySl
tème de législation locale. Dieu n'a pas créé
ce fiambleau péur prèter des formes et de
couleurs à l'organisation sociale des Français:
mais il l'a posé au milieu de l'univers pour être
le point de ralliement, et le centre d'unité dg
genre humain. Que ne nous blâme-t-on
de n'avoir pas déclaré que le soleil est Pue
de la nation, et que nul autre ne sera reconnu
devant la loi, pour régler la succession des
nuits et des jours? (La salle retentit d'applaudie
semants.)


Ministres de l'évangile ! vous croyez lue
christianisme est le profond et éternel f:sstee
de Dieu ; qu'il est la raison de l'existence d'un
univers et d'un genre humain ; qu'il einbrass
toutes les générations et tous les temps ;
est le lien d'une société éparse dans tous les
empires du monde, et qui se rassemblera da


— 29 --
quatre cents de la terre, pour s'élever dans les
splendeurs de l'inébranlable empire de l'éter-
nité (la droite rit et la gauche applaudit), et
avec ces idées si vastes, si universelles, si su-
périeures à toutes les localités humaines, vous
demandez que, par une loi constitionnelle de
notre régime naissant, ce christianisme si
fort de sa majesté et de son antiquité, soit
déclaré la religion des Français ! Ah! c'est vous
qui outragez la religion de nos pères! Vous
voulez que, semblable à ces religions menson-
gères, nées de l'ignorance des hommes, ac-
créditées par les dominateurs de la terre, et
confondues dans les institutions politiques,
comme un moyen d'oppression, elle soit dé-
clarée la religion de la loi et des Césars !


Sans doute, là où une croyance absurde a
enfanté un régime tyrannique, là où une cons-
titution perverse dérive d'un culte insensé, il
faut bien que la religion fasse partie essentielle
de la constitution.


Mais le christianisme, faible et chancelant
dans sa naissance, n'a point invoqué l'appui
des lois, ni l'adoption des gouvernements. Les
ministres eussent refusé pour lui une exis-
tence légale, parce qu'il fallait que Dieu seul
parût dans ce qui n'était que son ouvrage, et
il nous manquerait aujourd'hui la preuve la
plus éclatante de la vérité, si tous ceux qui
professèrent avant nous cette religion sainte
l'eussent trouvée dans la législation des em-
pires !
0 étrange conséquence ! quels sont ces


hommes qui nous demandaient avec chaleur
et une amertume si peu chrétienne un décret




— 30 --
qui rendit le christianisme constitutionnel ?
Ce sont les 'mêmes qui blâmaient la constitu-
tion nouvelle;


qui la présentaient comme
la subversion le toutes les lois de la justice
et dela sagesse, qui la dénonçaient de toute part
comme l'arme de la perversité, de la force et
de la vengeance ; ce sont les mêmes qui nous
disaient que cette constitution devait perdre
l'État et déshonorer la nation française. Oh I
hommes de mauvaise foi, pourquoi voulez-vous
donc introduire une religion, que vous faites
profession de chérir et d'adorer, dans une légis-
lation que vous vous faites gloire de décrier
et de haïr, pourquoi vouiez-vous unir ce qu'il y
a de plus auguste et de plus saint dans l'uni-
vers, à ce que vous regardez comme le plus
scandaleux monument de la malice humaine.
Quel rapport, vous dirait saint Paul, peut-il
s'établir entre la justice et l'iniquité, et que
pourrait-il y avoir de cootatun entre Christ et
Bélial. (On applaudit.)


Non, Français, ce n'est ni la bonne foi ni la
piété sincère qui suscitent au milieu de vos
représentants toutes ces contestations reli-
gieuses ; ce sont les passions des hommes,
qui s'efforcent de se cacher sous des voiles
imposants , pour couvrir plus impunément
leurs ténébreux desseins.


Remontez au berceau de la religion : c'est
que vous pourrez vous former l'idée de sa
vraie nature et déterminer le mode d'exis-
tence sous lequel son divin fondateur a voulu
qu'elle régnât dans l'univers. Jésus-Christ est
le seul de tous les sages qui se sont appliqués
à instruire les hommes et à les rendre bons et


— 31 —
heareux, qui ne les ait envisagés sous aucun
rapport politique, et qui n'ait, en aucune cir-
constance, mêlé à son enseignement, des prin-
cipes relatifs à la législation des empires.
Quelle que soit l'influence de l'Évangile sur la
moralité humaine, jamais, ni Jésus-Christ, ni
ses disciples ne firent entendre que l'institution
évangélique dût entrer dans les lois constitu-
tionnelles des nations. Il n'ordonne nulle part
à ceux qu'il a choisis pour publier sa doctrine,
de la présenter aux législateurs du monde
comme renfermant des vues nouvelles sur
l'art de gouverner les peuples : st Allez et ins-
truisez les hommes, en disant : Voici que le
royaume de Dieu approche, el lorsque vous en-
trerez dans une ville ou dans un hameau, de-
mandez qui sont ceux qui veulent vous écouter,
et restez-y autant qu'il le faudra pour leur ap-
prendre ce que vous devez leur enseigner ; mais
si J'on refuse de vous écou ter, sortez, et soyez en
tout prudents comme les serpents et simples
comme les colombes. • (On applaudit.)


L'Evangile est donc, par son institution, une
économie toute spirituelle, offerte aux mortels,
en tant qu'ils ont une destination ultérieure
aux fins de l'association civile, et considérée
hors de toutes leurs relations politiques : il est
proposé à l'homme, comme sa seconde raison,
comme le supplément de sa conscience; et non
à la société, comme un nouvel objet des me-
sures législatives. L'Evangile a demandé, en
paraissant au monde, que les hommes le reçus-
sent et que les gouvernements le souffrissent.
C'est là le caractère extérieur qui le distingua,
dès son origine, de toutes les religions qui




-- 32 --
avaient tyrannisé la terre ; et c'est aussi ce
qui doit le distinguer, jusqu'à la tin des
temps, de tous les cultes qui ne subsistent
que par leur incorporation dans les lois des
empires.


C'est donc une vérité établie sur la nature
des choses, sur les lumières du bon sens et sur
l'essence même de l'institution évangélique,
que vos représentants, t) Français! ne devaient
ni ne pouvaient décréter nationale la religion
catholique, apostolique et romaine.


Mais puisque le christianisme est une éco-
nomie toute spirituelle, hors de la puissance
et de l'inspection des hommes, pourquoi nous
sommes-nous attribué le droit de changer,
sans l'intervention spirituelle, l'ancienne dé-
marcation des diocèses ?


Certes on devrait nous demander aussi pour-
quoi nous sommes chrétiens ? pourquoi nous
avons assigné sur le trésor national aux mi-
nistres de l'évangile et aux dépenses du culte
la plus solide partie des revenus de l'Etat t (La
vartie droite murmure.)


D'après les éléments de la constitution chr&
tienne, son culte est l'objet de l'acceptation li-
bre des hommes et de la tolérance des gouver•
nements. Il ne peut être répute que souffert,
tant qu'il n'est reçu et observé que par un
petit nombre de citoyens de l'empire ; mais
dés qu'il est devenu le culte de la majorité de
la nation, il perd sa dénomination de culte to-
léré il est alors un culte reçu ; il est de fait la
religion du public, sans être, de droit, la reli-
gion nationale ; car une religion n'est pas
adoptée par la nation, en tant qu'elle est une




— 33 `".•


puissance, mais en tant qu'elle est une collec-
tion d'hommes..


Dans cet état du culte, son exercice n'ayant
aucune correspondance avec l'ordre civil, il en
résulte plusieurs conséquences :


Premièrement, l'autorité ecclésiastique peut
partager, entre les pasteurs, la conduite spiri-
tuelle des fidèles, suivant telles divisions ou
démarcations que lui prescrira sa sagesse ; et
le gouvernement, qui n'est lié par aucun point
au régime religieux, n'a rien à voir, ni à ré-
former dans des circonscriptions qui n'ont pas
de visibilité politique.


Secondement, dans cette situation du culte,
qui fut si longtemps la seule que •


l'ancien sa-
cerdoce ait demandée aux puissances de la
terre, la subsistance des ministres, la cons-
truction et l'entretien des temples, et toutes
les dépenses du cérémonial religieux, sont une
charge étrangère an fisc ; car ce qui n'appar-
tient pas à l'institution politique ne peut être
du ressort de la dépense publique.


Troisièmement, mais da moment que l'ins-
titution chrétienne, adoptée par la majorité
des citoyens de l'empire, a été allouée par la
puissance nationale, du moment que cette
même puissance, prenant sur elle toutes les
charges de l'état temporel de la religion, et
Pourvoyant à tous les besoins du culte et de
ses ministres a garanti, sur la foi de la nation
et sur les fonds de son trésor, la perpétuité et
l'immutabilité de l'acceptation qu'elle a faite
du christianisme , dès lors, cette religion a
reçu dans l'Etat une existence civile et légale
qui est le plus grand honneur qu'une natiou


imscAn.u. orna. Er »,30..




— 3
puisse rendre à la sainteté et à la majesté de
rEvangile ; et dès lors aussi c'est à cette puis-
sance nationale, qui a donné à l'institution re-
ligieuse une existence civile, qu'appartient la
faculté d'en déterminer l'organisation civile et
de lui assigner sa constitution extérieure et
légale. Elle peut et elle doit s'emparer de la
religion, selon tout le caractère public qu'elle
lui a imprimé, et par tous les points où elle l'a
établie en correspondance avec l'institution
sociale. Elle peut et elle doit s'attribuer l'or-
donnance du culte dans tout ce qu'elle lui a
fait acquérir d'extérieur, dans toute l'ampleur
physique qu'elle lui a fait contracter, dans tous
les rapports où elle l'a mis avec la grande ma-
chine de l'Etat, enfin dans tout ce qui n'est
pas de sa constitution spirituelle, intime et
primitive. C'est donc au. gouvernement à ré-
gler les démarcations diocésaines, puisqu'elles
sont le plus grand caractère public de la reli-
gion et la manifestation de son existence lé-
gale. Le ministère sacerdotal est subordonné,
dans la répartition des fonctions du culte, a la
même autorité qui prescrit les limites de tou-
tes les autres fonctions publiques, et qui dé-
termine toutes les circonscriptions de l'em-
pire.


Eh l que l'on nous dise ce que signifie l'in
tervention de l'autorité spirituelle dans une
distribution toute politique ? Une nation qui,
recevant dans son sein et unissant à son ré-
gime la religion chrétienne, dispose tellement
le système de toutes ses administrations que
partout où elle trouve des hommes à gouver.*
ner, là aussi elle prépose un premier pasteur


— 35
à leur enseignement religieux : une telle na-
tion s'attribue-t-elle un pouvoir sacerdotal ?
entreprend-elle quelque chose sur les cons-
ciences, sur les dogmes de la foi, sur ses sa•
crements, sur ses rapports et ses dépendances
hiérarchiques ?


Mais, nous dit-on, la juridiction spirituelle
des évêques a changé avec l'ancienne division
des diocèses, et il faut bien que le pontife de
Rome intervienne pour accorder aux évêques
des pouvoirs accommodés à la nouvelle cons-
titution.


Que ceux d'entre nos pasteurs qui ont le
coeur droit et l'esprit capable d'observation
s'élèvent au-dessus des idées et des traditions
d'une théologie inventée pour défigurer la re-
igion et la subordonner aux vues ambitieuses
de quelques hommes, et ils reconnaîtront que
le fondateur du christianisme semble avoir
constitué son sacerdoce d'après la prévoyance
de sa destinée future, c'est-à-dire qu'il l'a :ait
tel qu'il lait se prêter à tontes les formes ci-
viles des Etats où l'institution chrétienne serait
adoptée, et s'exercer dans toutes les directions
et selon toutes les circonscriptions qui lui
seraient assignées par les lois des empires.


Est-ce en donnant à chacun d'eux mie por-
tion de puissance, limitée par des bornes
territoriales, que Jésus-Christ a institué les
apôtres': Non, c'est en conférant à chacun
d'eux la plénitude de la puissance spirituelle,
en sorte qu'un seul, possédant la juridiction
de tous, est établi le pasteur du genre humain.
« Allez, leur dit-il, répandez-vous dans l'uni-
vers, prêchez l'E vangile à toute Créature .....




— 36 —
a VOUS ENVOIE COMME MON PERI, d! A •NVOYE.


Si done au moment de leur mission les
apôtres se fussent partagé l'enseignement de,
l'univers, et qu'ensuite les puissances fussent.
venues changer les circonscriptions qu'ils s'é-
taient volontairement assignées, aucun d'eux
se serait-il inquiété que sa juridiction ne se
trouvât point la même? Croit-on qu'ils eussent
reproché e. l'autorité publique de s'attribuer le
droit de restreindre ou d'étendre l'autorité spi-.
rituelle ? Pense-t-on surtout qu'ils eussent in-
voqué l'intervention de saint Pierre pour se
faire réintégrer dans les fonctions de l'aposto-
lat par une mission nouvelle?


Et pourquoi auraient-ils recouru à ce pre-
mier chef de l'Eglise universelle? Sa primauté
ne consistait pas dans le possession d'une
plus grande puissance spirituelle, ni dans une
juridiction plus éminente et plus étendue. Il
n'avait pas reçu de mission particulière ; il
n'avait pas été établi pasteur des hommes par
une inauguration spéciale et séparée de celle
des autres apôtres. Saint Pierre était pasteur
en vertu des mêmes paroles qui donnèrent à
tous ses collègues rtmivers à instruire et le
genre humain a sanctifier. (La partie droite
murmure.) Aussi voyons-nous saint Paul et les
autres apôtres établir des évêques et des prê-
tres dans les différentes contrées où ils ont
porté le flambeau de l'Evangile, et les insti-
tuer pasteurs de troùpeaux qu'ils ont conquis
au christianisme dés son origine ; et nous
ne voyons nulle part qu'i:s aient invoqué,
pour remplir cet objet sacré, l'autorité de
saint Pierre, ni que les nouveaux pasteur


— 37
aient attendu de lui l'institution canonique.


Quoi! les pontifes de notre culte ne recon-
naissent plus, dans leur mission, le même ca-
ractère dont les apôtres furent revêtus? S'il
est vrai que le sacerdoce chrétien n'a été ins-
titué qu'une fois pour tous les siècles, la puis-
sance apostolique ne subsiste-t-elle pas au-
jourd'hui dans ses évêques comme successeurs
des apôtres dans l'universalité de sa primitive
institution ? Chacun d'eux, au moment de sa
consécration, n'est-il pas devenu ce que fut
chaque apôtre au moment où il reçut la sienne
aux pieds du pasteur éternel de l'Eglise? Et
n'est-il pas ENVOYÉ comme Jésus-Christ l'a été
par son père ? Enfin, pas été investi
d'une aptitude applicable à tous les lieux, à
tous les hommes, et toujours subsistante, sans
nulle altération, au milieu de tous les change-
ments, de tous les croisements et. de toutes
les variations que peuvent éprouver les dé-
marcations des églises.


« Veillez votre conduite, dit saint Paul aux
évêques qu'il avait établis en Asie; veillez
votre conduite et celle du troupeau pour le-
quel le Saint,Esprit vous a consacrés évêques
en vous donnant le gouvernement de l'église
de Dieu que Jésus-Christ a fondée par son
sang


Pezez ces paroles, et demandez-
vous si saint Paul croyait à la localité de la
juridiction épiscopale. ( On entend de nombreux
applaudissements.)


Les évêques sont donc essentiellement char-
gés du régime de l'église universelle, comme
l'étaient les apôtres : leur mission est actuelle,
immédiate et absolument indépendante de




38


toute circonscription locale. L'onction de l'é-
piscopat suffit aussi à. leur institution, et ils
n'ont pas plus besoin de la sanction du pon-
tife de Rome, que saint Paul n'eut besoin de
celle de saint Pierre. (Les applaudissements
redoublent.) Le pontife de Rome n'est, comme
saint Pierre le fut lui-même, que le pasteur
indiqué pour être le point de réunion de tous
les pasteurs, l'interpellateur des juges de la


. foi, le dépositaire de la croyance de toutes les
églises, le conservateur de la communion uni-
verselle, le surveillant de tout le régime inté-
rieur et spirituel de la religion.


Or, tous ces rapports n'établissent aucune
distinction, di aucune dépendance réellement
hiérarchique entre lui et les évêques des au-
tres églises; et ceux-ci ne lui doivent, en
montant sur leur siége, que l'attestation de
leur union au centre de la foi universelle, et
de leur volonté d'être pasteurs dans l'esprit et
dans le sens de la croyance catholique, et de
correspondre au saint-siège, comme au prin-
cipal tronc de l'autorité que Jésus-Christ a
donné à son église.


On ne connut jamais, dans l'antiquité ce-
clésiastiq ue, d'autres t'Ormes pour il ati on
des pontifes. Je professe, écrivait autrefois un
évêque au pape saint Damaze, que je suis uni
de communion d votre sainteté, c'est-à-dire à la
chaire de Saint-Pierre. Je sais que l'Eglise a été
batie sur cette pierre. Celui qui mange la Pdque
hors de cette maison est un profane. Qui n'a,
masse pas avec vous est un dissipateur. Voilà la
détermination précise du rapport que Jésus-
Christ a établi entre saint Pierre et les autres


— 39
apôtres, et la seule règle de la correspondance
à maintenir entre Rome et toutes les églises
do la catholicité ; et c'est aussi la seule dont
l'Assemblée nationale ait recommandé l'ob-
servation aux premiers pasteurs de l'église
de France.


C'est en recourant à cette source antique et
incorruptible de la v raie science ecclésiastique
que les bons esprits se con vaincront aussi que
les évêques métropolitains reçoivent, par leur
seule occupation du siége désigné pour métro-
pole, tous les pouvoirs nécessaires pour exer-
cer leurs fonctions. Les bornes purement ter-
ritoriales, que des considérations d'ordre et de
police ont forcé de prescrire à la puissance
épiscopale, sont les seules limites qu'on lui ait
jamais reconnues dans l'empire français.


Les métropoles ne sont elles-mêmes que des
établissements de police. L'épiscopat du mé-
tropolitain n'est pas différent de celui de ses
évêques suffragants. Sa supériorité sur eux, il
ne la tient pas d'une mission particulière,
mais seulement de la suprématie de la ville
où son siége est établi. Cette espèce d'hiérar-
chie sacerdotale était toute calquée sur la hié-
rarchie civile, et les empereurs désignaient à
leur gré le siége de ces établissements.


Loin d'avoir rétréci la puissance épiscopale,
et d'avoir élevé le simple sacerdoce au niveau
de l'épiscopat, dans les dispositions que nous
avons statuées sur son régime, nous lui avons
plutôt rendu cette immensité qu'il eut dans
son origine, nous avons détruit toutes ses li-
mites où un ancien et épais nuage de préju-
gés et d'erreurs en avaient concentré l'exer-




-- 40 --


cice : à moins que ce n'eût été rompre la gra-
dation hiérarchique qui distingue les premiers
pasteurs et les pasteurs inférieurs, que de
donner à l'évêque de chaque église un conseil,
et de régler qu'il ne pourrait faire aucun acte
d'autorité, en ce qui concerne le gouvernement
du diocèse, qu'après en avoir délibéré avec le
presbytère diocésain. Comme si cette supério-
rité que le pontife possède de droit divin sur
son clergé, l'affranchissait du devoir imposé
de droit naturel à tous les hommes chargés
d'un soin vaste et difficile, d'invoquer le se
cours et de consulter les lumières de l'expé-
rience, de la maturité et de la sagesse! comme
si dans ce point, de même que dans tous les
autres, l'Assemblée nationale n'avait pas ré-
tabli l'usage des premiers siècles de !
« Tout s'y faisait par conseil, dit Fleury, parce
qu'on ne cherchait qu'à y faire régner la rai-
son, la règle, la volonté de Dieu... En chaque
église l'évêque ne faisait rien d'important sans
le conseil des prêtres, des diacres et des prin-
cipaux de son clergé; souvent même il con-
sultait tout le peuple, quand ii avait intérêt à
l'affaire, comme aux ordinations. »


Mais la même puissance qui possède exclu-
sivement la législation nationale, a-t-elle pu
et dû faire disparaître l'ancienne forme de la
nomination des pasteurs, et la soumettre à
l'élection des peuples?


Oui, certes, elle a eu ce droit, si l'attribu-
tion d'une fonction appartient essentiellement
à ceux qui en sont et l'objet et la fin ; et le
sacerdoce français doit aussi, à cet égard,
l'exemple du respect et de l'obéissance. C'es


-- 41 --


pour les hommes qu'il existe une religion et
un sacerdoce, et non pour la divinité qui n'en
a pas besoin. Tout pontife, dit saint Paul,
choisi du milieu des hommes, est établi pour le
service des hommes, il doit étre tel qu'il sache
compatir à l'ignorance, se plier à la faiblesse
et éclairer l'erreur.


Et non-seulement l'apôtre proclame ici le
droit du peuple aux élections ecclésiastiques,
comme dérivant de la nature des choses, mais
il l'appuie par des considérations particulières
d'ordre et de circonstances. Le service sacer-
dotal est un ministère d'humanité, de con-
descendance, de zèle et de charité. C'est pour-
quoi saint Paul recommande de ne le confier
qu'à des hommes doués d'une âme vraiment
paternelle et sensible, qu'a des hommes dés
longtemps exercés aux bonnes actions et con-
nus publiquement par leurs inclinations paci-
fiques et leurs habitudes bienfaisantes. C'est
pourquoi aussi il indique pour juges de leur
aptitude aux fonctions de pontifes et de pas-
teurs du peuple, ceux qui ont été les specta-
teurs de leur conduite et les objets de leurs
soins.


Cependant, parce que l'Assemblée nationale
de France, chargée de proclamer les droits sa-
crés du peuple, Pa rappelé aux élections ec-
clésiastiques; parce qu'elle a rétabli la forme
antique de ces élections, et tiré de sa désué-
tude un procédé qui fat une source de gloire
pour la religion aux beaux jours de sa nou-
veauté, voilà que des ministres de cette reli-
gion crient àl'usurpation, au scandale, à l'im-
piété, réprouvent, comme un attentat à la




— 12 —
plus imprescriptible autorité du clergé, le
droit d'élection restitué au peuple, et osent
réclamer le concours prétendu nécessaire du
pontife de Rome!


Lorsqu'autrefois un pape immoral et un des-
pote violent fabriquèrent, à l'insu de l'église
et de l'empire, ce contrat profane et scada-
leux, ce concordat qui n'était que la coalition
de deux usurpateurs pour se partager les
droits et l'or des Français, on vit la nation,
le clergé a sa tête, opposer à ce brigandage
tout l'éclat d'une résistance unanime, rede-
mander les élections, et revendiquer avec une
énergique persévérance la pragmatique, qui
seule avait fait jusqu'alors le droit commun
du royaume. (On applaudit.)


Et c'est ce concordat. irréligieux, cette con-
vention simoniaque, qui, au temps oit elle se
fit, attisa sur elle tous les anathèmes du sa-
cerdoce français, c'est cette stipulation crimi-
nelle de l'ambition et de l'avarice, ce pacte
ignominieux qui imprimait, depuis des siè-
cles, aux plus saintes fonctions, la tâche hon-
teuse de la vénalité, qu'aujourd'hui nos prélats
ont l'impudeur de réclamer au nom de la re-
ligion, à la face de l'univers, à côté du ber-
ceau de la liberté, dans le sanctuaire même
des lois régénératrices de l'empire et de l'au-


(Les applaudissement de la gauche étouffent
les murmures de la droite.)


Mais, dit-on, le choix des pasteurs confié à
la disposition du peuple ne sera plus que le
produit de la cabale.


Parmi les plus implacables détracteurs du
rétablissement des élections, combien en est-


— 43 —
il à qui nous pourrions faire cette terrible re-
ponse : Est-ce à vous d'emprunter l'accent
de la piété pour condamner une loi qui vous
assigne des successeurs dignes de l'estime et
de la vénération de ce peuple, qui n'a cessé de
conjurer le Ciel d'accorder à ses enfants un
pasteur qui les console et les édifie? Est-ce à
TOUS d'invoquer la religion contre la stabilité
d'une Constitution qui doit eu être le plus
inébranlable appui, vous qui ne pourriez sou-
tenir un seul instant la vue de ce que vous
êtes, si tout à coup l'austère vérité venait à
manifester au grand jour les ténébreuses et
lâches intrigues qui ont déterminé votre élé-
vation à l'épiscopat (on applaudit); vous qui
êtes les créatures de la plus perverse admi-
nistration; vous qui êtes le fruit de cette ini-
quité effrayante qui appelait aux premiers em-
plois du sacerdoce ceux qui croupissaient dans
l'oisiveté et l'ignorance, et qui fermait impi-
toyablement les portes du sanctuaire à la por-
tion sage et laborieuse de l'ordre ecclésiasti-
que?




(La partie droite murmure et s'agile. Une
grande partie de l'assemblée applaudit.)


Comment ces hommes qui font ostentation
d'un si grand zèle pour assurer aux églises uu
Choix de pasteurs dignes d'un nom si saint,
comment ont-ils donc pu se taire si longtemps
lorsqu'ils voyaient le sort de la religion et le
partage des augustes fonctions de l'apostolat
abandonnés à la gestion d'un ministre esclave
des intrigues qui environnaient le trône? Les
occasions de s'élever contre un sacrilége trafic
se présentaient au clergé à des époques régu-
iièrement renaissantes, mais que faisaient-ils




4 .1—
dans ces assemblées ? Au lieu de chercher un
remède à la déplorable destinée de la religion, et
d'éclairer la sagesse d'un prince religieux et
juste sur l'impiété qui laissait le soin de pourvoir
de pasteurs l'église de France aux impitoya-
bles oppresseurs du peuple, ils portaient pué-
rilement aux pieds du monarque un vain et
lâche tribut d'adulation, et des contributions
dont il imposait la charge à la classe pauvre,
assidue et résidente des ouvriers évangéliques.
(Nouveaux applaudissements.) Et qui ne voit
que demander une autre forme de nomina-
tions aux offices ecclésiastiques edt été, dans
nos prélats, condamner trop ouvertement leur
création anticanonique, et s'avouer, à la face
de la nation, pour des intrus qu'il fallait des-
tituer et remplacer?


Que, si n'osant réprouver d'une manière
absolue le rétablissement de la forme élective
pour les offices ecclésiastiques, les prélats ré-
pètent encore que le mode décrété par le corps
constituant est contraire aux formes anciennes,
qui toujours accordèrent au sacerdoce les hon-
neurs de la prépondérance, ncius leur deman-
derons s'ils ont trouvé cette influence fondée
sur une loi précise de la constitution évangé-
lique, et si elle eteit un effet (les régies sur
lesquelles Jésus-Christ a organisé le régime
de la religion ? Nous leur demanderons quelles
furent les premières élections qui suivirent
immédiatement la fondation du christianisme?
La multitude des disciples choisis, sur l'invita-
tion des apôtres, sept hommes pleins du Saint-
Esprit et de sagesse, pour les aider dans les
soins de l'apostolat : ces hommes reçurent


— 45 —
-des apôtres l'imposition des mains, et ils fi-
rent les premiers diacres.


Et de nos jours, quand et comment le clergé
intervenait-il donc dans le travail de la dis-
tribution des places diocésaines et paroissia-
les? Il y avait des siéges pontificaux à rem-
plir, et le roi les donnait; il y avait des titres
de riches abbayes à conférer, et la cour les
conférait : une très grande partie des béné-
fices-cures était à la disposition des patrons ou
collateurs laïcs, et ces laïcs en disposaient :
un non catholique, un juif, par la simple ac-
quisition de certaines seigneuries, devenaient
!es arbitres de la destinée de la religion, et
de l'état moral d'un grand nombre de parois-
ses; ainsi les grands titres et les grandes pla-
ces de l'église se distribuaient sans la partici-
pation et môme à l'insu du clergé; et ce qui
lui restait de droit sur les nominations obs-
cures et subalternes, ne servait qu'à rendre
plus publique et plus sensible sa nullité en
administration bénéficiale.


Sans doute il fut un fige de l'église où le
sacerdoce présidait les assemblées convoquées
Pour créer des pasteurs, et oh le peuple ré-
glait, sur le suffrage du clergé, la détermina-
tion de son choix. Mais pourquoi nos prélats,
au lieu de s'arrêter à des temps intermédiai-
res, où les formes primitives étaient déjà al-
térées, ne remontent-ils pas jusqu'à ces élec-
tions Si contiguës au berceau de l'Eglise, ou
Chaque ville et chaque hameau avait son pon-
tife, et oit le peuple seul proclamait et intro-
nisait son pasteur? Car il faut bien remarquer
Blue l'association du clergé aux assemblées




— 4E —
électives date de la diminution des siée;ee
épiscopaux, c'est-à-dire qu'elle a sa cause
dans la difficulté de rassembler la multi-
tude de ceux qui appartenaient à une seule
église. •


A ces mêmes époques où le sacerdoce était
Pâme des assemblées convoquées pour l'élec-
tion des ministres du sanctuaire, les évêques
pauvres et austères portaient tout le fardeau,
du ministère religieux : les prêtres inférieure
n'étaient que leurs assistants ; c'étaient les
évêques seuls qui offraient le sacrifice public,
qui prêchaient les fidèles, qui Catéchisaient
les enfants, qui portaient les aumônes de l'E-
&Ise dans les réduits de l'infortune. qui visi-
taient les asiles publics de la vefilesse , de
l'infirmité et de l'indigence , qui parcouraient
de leurs pieds meurtris et vénérables les val-
lées profondes, et les montagnes escarpées,
pour répandre les lumières et les consolations
de la foi dans le sein des innocents habitants
des champs et des bourgades. Voilà des faits
précisément parallèles à celui de l'influence
des évêques sur le choix des pasteurs. Or,
voudrait-on transformer ces faits en autant de
points du droit ecclésiastique, et prononcer que
la conduite des prélats qui n'évangélisent pas
leur troupeau, et qui voyagent dans des chars
somptueux, est contraire à la constitution es-
sentielle de Mese (On applaudit à plusieurs
reprises.)


Le mode d'élection adopté par l'Assemblée
nationale est donc le plus parfait, puisqu'il
est le plus conforme au procédé des temps
apostoliques, et que rien n'est si évangélique


-


â'7-et si pur que ce qui dérive de la haute anti-
quité ecclésiastique.


La coupable résistance d'une multitude de
prêtres aux lois de leur pays, l'opiniâtreté de
leurs efforts pour faire revivre le double des-
potisme du. sacerdoce et du trône, ont aliéné
d'eux la confiance de leurs concitoyens, et ils
n'ont pas de nos jours été appelés en g•rand
nombre dans les corps chargés désormais de
eoclamer le choix du peuple.


..liais le temps arrivera où une autre géné-
ration de pasteurs, s'attachant aux lois, et à
la liberté comme à la source de son existence
et de sa vraie grandeur, regagnera cette haute
considération qui donnait tant d'autorité au
sacerdoce de la primitive Eglise, et rendait sa
présence si chère à ces assemblées majestueu-
ses, où les mains d'un peuple innombrable
portaient solennellement la tiare sacrée sur la
tête la plus humble et la plus sage.


Alors les défiances inquiètes et les soupçons
fâcheux disparaîtront; la confiance, le respect
et l'amour du pauvre ouvriront aux prêtres
les portes de ces assemblées, comme aux plus
respectables conservateurs de l'esprit public
et de l'incorruptible patriotisme. On s'hono-
rera de déférer à leurs suffrages; car rien
n'est en effet plus honorable pour une nation,
que d'accorder une grande autorité à ceux
que son choix n'a pu appeler aux grandes pla-
es de la religion sans leur reconnaître l'a-


vantage des grands talents et le mérite des
grandes vertus. Alors le sacerdoce et l'empire,
la religion et la patrie, le sanctuaire des mys-
tères sacrés, et le temple de la liberté et des




— 48
lois, au lieu (le se croiser et de se Heurter,
au gré des intérêts qui divisent les hommes,
ne composeront plus qu'un seul système de
bonheur public ; et la France apprendra. aux
nations que 1'Evanglle et la liberté sont les
bases inséparables de la vraie législation, et
le fondement éternel de l'état le plus parfait
du genre humain. (Les applaudissements re-
commencent.)


Voilà l'époque glorieuse et salutaire qu'a
voulu préparer l'Assemblée nationale, que M-
teront, de concert avec les lois nouvelles, les
lumières et les vertus du sacerdoce, mais que
pourraient aussi reculer ses préjugés, ses pas-
sions, ses résistances.


Pasteurs et disciples de l'Evan
•ile, qui ca-


lomniez les principes des législateurs de vo-
t•e patrie, savez-vous ce que vous faites?
Vous consolez l'impiété des insurmontables
obstacles que la loi avait opposés au progrès
de son désolant système; et c'est de vous-
mêmes que l'ennemi du dogme évangélique
attend aujourd'hui l'abolition de tout culte,
et l'extinction de tout sentiment religieux.
Figurez-vous que les partisans de l'irréligion,
calculant les gradations par où le faux zèle
de la foi la conduit à sa perte, prononcent
dans leurs cercies ce discours :


« Nos représentants avaient reporté sur ses
bases antiques 'l'édifice du christianisme, et
nos mesures pour le renverser étaient à ja-
mais déconcertées. Mais ce qui devait donner
à la religion une si grande et si imperturba-
ble existence, devient maintenant le gage de
notre triomphe, et le signal de la chute du


— 49 —
sacerdoce et de ses temples. Voyez ces prélats
et ces prêtres qui soufflent, dans toutes les
contrées du royaume, l'esprit de soulevement
et de fureur; voyez ces protestations perfides
oie l'on menace de l'enfer ceux qui reçoiveni
la liberté ; voyez cette affectation de prêter
aux régénérateurs de l'empire le caractère
atroce des anciens persécuteurs des chrétiens;
voyez ce sacerdoce méditant sans cesse des
moyens pour s'emparer de la force publique,
pour la déployer contre ceux qui l'ont dé-
pouillé de ses anciennes usurpations, pour
remonter sur le trône de son orgueil, pour
faire refluer dans ses palais un or qui en était
le scandale et la honte (il s'élève à droite des
murmures qu'étouffent les applaudissements de


gauche). Voyez avec quelle ardeur il égare
les consciences, alarme la piété des simples,
enraye la timidité des faibles, et comme il s'at-
tache à faire croire au peuple que la révolu-
tion et la religion ne peuvent subsister en-
semble.


Or, le peuple finira par le croire en effet;
et, balancé dans l'alternative d'être chrétien
ou libre, il prendra le parti qui coûtera le
moins à son besoin de respirer de ses an-
ciens malheurs. D abjurera son christia-
nisme: il maudira ses pasteurs; il ne voudra
plus connaître ni adorer que le Dieu créateur
de la nature et de la liberté. Et alors tout ce
qui lui retracera le souvenir du Dieu de PE-
vangile lui sera odieux; ll ne voudra plus sa-
crifier que sur l'autel de la patrie ; il ne verra
ses anciens temples que comme des
Ments qui ne sauraient plus servir' CA ttes-




-- 50 —
ter combien il fut longtemps le jouet de ?im-
posture et la victime du mensonge (On mur-
mure dans plusieurs parties de la salle) :
ne pourra donc plus souffrir que le prix de sa
sueur et de son sang soit appliqué aux dé-
penses d'un culte qu'il rejette, et qu'une por-
tion immense de la ressource publique soit
attribuée à un sacerdoce conspirateur. Et voilà
comment cette religion, qui a résisté à toutes
les controverses humaines, était destinée à
s'anéantir dans le tombeau que lui creuseraient
ses propres ministres !


Ah! tremblons que cette supputation de
rincrédulité ne soit fondée sur les plus alar-
mantes vraisemblances ? Ne croirait-on pas
que tous ceux qui se font une étude de dé-
crier comme attentoire aux droits de la reli-
gion le procédé que vos représentants ont
suivi dans l'organisation du ministère ecclé-
siastique; ne croirait-on pas qu'ils ont le
même but que l'impie, qu'ils prévoient le
même dénoûment, et qu'ils sont résolus à la
perte du christianisme, pourvu qu'ils soient
vengés, et qu'ils aient épuisé tous les moyens
de recouvrer lem' puissance et de vous re-
plonger dans la servitude? (La gauche ap-
plaudit, M. t'abbé lilaury salue l'Assemblée et
se retire, plusieurs ecclésiastiques sortent avec
lui; d'autres le suivent séparément et succes-
sivement.) C'est-à-dire que la seule différence
qui distingue i ci la doctrine irréligieuse de
l'aristocratie ecclésiastique, c'est que la pre-
mière ne souhaite la ruine de l'irréligion que
pourrendre plus sûr le triomphe de la Consti-
tution et de la liberté, et que la seconde ne.


— 51
tend à la destruction de la foi que dans l'es-
poir de lui voir entraîner dans sa chute la li-
berté et la constitution de l'empire. L'une
n'aspire à voir la foi s'éteindre parmi nous
qu'en croyant qu'elle est un obstacle à la par-
faite délivrance des hommes; l'autre expose
la foi aux plus grands dangers dans le dessein
de vous ravir ce que vous avez reconquis de
vos droits, et de jouir encore une fois de vo-
tre abaissement et de votre misère. Enfin,
l'un ne hait de la religion que ce qui paraît y
consacrer des principes favorables aux tyrans,
et l'autre la Eue volontairement à tous les
hasards d'un choc dont elle attend le retour
de la tyrannie et la renaissance de tous les
désordres. Ainsi, l'esprit d'humanité qui se
mêle aux entreprises de l'incrédulité contre
rEvangile, en adoucit et en fait en quelque
sorte pardonner la témérité et l'injustice.Mais
comment pourrait être excusé notre sacer-
doce du mal qu'il fait à la religion pour ren-
foncer les hommes dans le malheur et recou-
vrer une puissance dont la privation soulève
toutes ses passions et contrarie toutes ses ha-
bitudes?


O vous qui êtes de bonne foi avec le ciel et
votre conscience! Pasteurs qui n'avez balancé
jusqu'à ce jour à sceller de votre serment la
nouvelle constitution civile du clergé que par
l'appréhension sincère de vous rendre compli-
ces d'une usurpation, rappelez-vous ces temps
anciens où la foi chrétienne, réduite à con-
centrer toute sa majesté et tous ses trésors
dans le silence et les ténèbres des cavernes,
tressaillait d'une joie si pure lorsqu'on venait




52
annoncer à ses pontifes austères et vénérables
le repos du glaive de la persécution; lors-
qu'on leur apprenait la tin d'un règne crueet
l'avénem.ent d'un prince plus humain et pus
sage ; lorsqu'ils pouvaient sortir, 'avec moites
de frayeur, des cavités profondes on ils avaient
érigé leurs autels, pour aller consoler et affer-
mir la piété de leurs humbles disciples, et
laisser jaillir de dessous terre quelques étin-
celles du flambeau divin dont ils gardaient le
précieux dépôt. Or, supposons que l'un de ces
hommes vénérables, sortant tout à coup de
ces catacombes antiques ois sa cendre , est
confondue avec celle de tant de martyrs,
vienne aujourd'hui contempler au milieu de
nous la gloire dont la religion s'y voit envi-
ronnée, et qu'il découvre d'un coup d'oeil tous
ces temples, ces tours qui portent si haut
dans les airs les éclatants attributs du chris-
tianisme,cette croix de l'Evangile qui s'élance
du sommet de tous les départements de ce
grand empire


Quel spectacle pour les re-
regards de celui qui, en descendant au tom-
beau, n'avait jamais vu la religion que dans
les antres des fores et des déserts ! Quel ra-
vissement ! quels transports ! Je crois l'enten-
dre s'écrier, comme autrefois cet étranger à
la vue du camp du peuple de Dieu : O kraal
QUE VOS TENTES SONT BELLES! 0 JACOB! QUEL OR.
BRE; QUELLE MAJESTÉ DANS VOS PAVILLONS


Calmez donc, ah! calmez vos craintes, mi-
nistres du Dieu de paix et de vérité ! rougis-
sez de vos exagérations incendiaires, et ne
voyez plus notre ouvrage à travers vos pas-
sions. Nous ne vous demandons pas de jurer


53 --


contre la loi de votre coeur (plusieurs mem-
bres du côté droit se lèvent et s'écrient :C'est son-
ner le tocsin); mais nous vous demandons au
nom du Dieu saint, qui doit nous juger tous,
de ne pas confondre des opinions humaines
et des traditions scolastiques avec les règles
inviolables et sacrées de l'Evangile. S'il est
contraire à la morale d'agir contre sa cons-
cience, il ne l'est pas moins de se faire une
conscience d'après des principes faux et arbi-
traires. L'obligation de faire sa conscience est
antérieure à l'obligation de suivre sa cons-
cience. Les plus grands malheurs publics ont
été causés par des hommes qui ont cru obéir
à Dieu et sauver leu: âme. ( On applau-
dit).


Et vous, adorateurs ce la religion et de la
patrie, Français, peuple fidèle et généreux,
mais fier et reconnaissant! voulez-vous juger
les grands changements qui viennent de régé-
nérer ce vaste empire? Contemplez le con-
traste de votre état passé et de votre situa-
tion a venir. Qu'était la France il y a peu de
'Cois? Les sages y invoquaient la liberté, et
la liberté était sourde à la voix des sa ges. Les
Chrétiens éclairés y demandaient où s'était
réfugiée l'auguste religion de leurs pères; et la
vraie religion de l'Evangile ne s'y trouvait pas.
(Murmures à droite, applaudissements d gau-
che.) Nous étions une nation sans patrie, un
Peuple sans gouvernement et une Eglise sans
Caractère et sans régime.
, ;11-. Camus s'écrie : « On ne peut pas enten-
ure cela, je demande l'ajournement, le ren-




— es —
tyrannie qui voudrait tenter de relever ses
remparts; et que rien ne déconcerte plus effi
Lacement les desseins des pervers, que la tran-
quillité des grands coeurs.


DERNIERS TRAVAUX DE MIRABEAU




SUR LA POLITIQUE EXTÉRIEURS


Des alarmes presque unanimes s'étaient ré-
pandues sur la sûreté extérieure de l'Etat,
l'occasion des dispositions apparentes des
puissances à l'égard de la France. Les comités
militaire, diplomatique et des recherches se
réunirent pour combiner des moyens de dé-
fense, et Mirabeau, le 28 ianvier 1791, au nom
des trois comités, vint présenter un projet as-
sorti aux conjonctures. Mirabeau montre d'a-
bord qu'il n'y a pas lieu, dans la situation, de
concevoir de sérieuse alarmes :


Pour un peuple immense, encore agité du
mouvement d'une grande révolution, pour de
nouveaux citoyens que le premier réveil du
patriotisme unit aux mêmes pensées dans
toutes les parties de l'empire, qui, liés par les
mêmes serments, sentinelles les uns des au-
tres, se communiquent rapidement toutes
leurs espérances et toutes leurs craintes, la
seule existence des alarmes est un péril; et,
lorsque de simples mesures de précaution sont
capables de les faire cesser, l'inertie des re-
Présentants d'un peuple valeureux serait un


S'il ne s'agissait que de rassurer les Frais
nous leur dirions : ayez plus de confiance


dans vous-mêmes et dans l'intérêt de nos voi-
W




— 60 --
sins. Sur quelle contrée portent vos alar•
ses?... La cour de Turin ne sacrifiera point
ufle utile alliance à des haines domestiques
ou étrangères ; elle ne séparera point sa poli-
tique de sa position, et les projets d'une in-
trigue échoueront contre sa sagesse.


La Suisse libre, la Suisse lidele aux traités,
et presque francaise,ne fournira ni des armes
ni des soldats au despotisme qu'elle a ter
rassé; elle aura honte de protéger des conspi-
rateurs. de soutenir des rebelles.


Léopold a été législateur, et ses lois trouve
ront aussi des détracteurs et des ennemis:
s'il a des armées nombreuses, il a de vaste
frontières; s'il aimait la guerre, quoiqu'il e
commencé son règne par la paix, ce n'est pas
du côté du midi que sa politique lui perme
trait de tourner ses armes. Voudrait-il ap-
prendre à des provinces encore flottantes es'
tre l'excès (l'une liberté qu'on leur a gâtée.6
la prudence d'une soumission qui ne dure$
qu'autant qu'elle sera supportable, commet
résistent à des conquérants ceux qui, das5
leurs propres foyers, ont su abattre la tyre
nie?


Craignez-vous quelques princes d'Allemage
qui feignent de penser que le gouvernene
d'une nation souveraine aurait dû s'arrête
dans l'exécution de ses lois devant des pet'
tions privilégiées de son territoire? Mais see
viraient-ils mieux leur intérêt par des ce
bats que par une utile négociation, et y'
draient-ils compromettre l'indemnité que le
justice leur accorde? Que, dans des siècle'
barbares, la féodalité ait armé des chûtee


-- 61 —
contre d'aJtres châteaux, cela se conçoit;
mais que des nations fassent la guerre pour
maintenir la servitude de quelques hameaux,
ceux-là mêmes qui font de pareilles menaces
oc le pensent point. Croyez plutôt que si les
'ro grés de notre révolution donnent de l'in-


itude à nos voisins, cette crainte est un
qu'ils ne viendront pas nous troubler par


provocations périlleuses?
Sont-ce quelques français réfugiés et quel-


ques soldats secrètement enrôlés qui vous
inspirent des craintes? Mais la haine de pa-
reils ennemis ne s'est-elle donc pas exhalée
tusqu'aujourd'hui en impuissantes menaces ?
(iii sont leurs alliés? Quelle grande nation
épousera leur vengeance, leur fournira des
armes et des subsides, leur prodiguera le
fruit de ses impôts et le sang de ses ci-
toyens?


Sera-ce l'Angleterre? Relativement aux au-
tres puissances de l'Europe, il suffit de péné-
trer dans les intentions probables des cabi-
nets; mais il s'agit de la Grande-Bretagne, il
faut encore écouter la voix de la nation. Qu'a-
vons-nous à espérer ou à redouter du minis-
tère anelais ? Jeter dés à présent les grandes
bases d'une éternelle fraternité entre sa na-
tion et la nôtre Serait un acte profond d'une
politique vertueuse et rare. Attendre les évé-
nements, se mettre en mesure pour jouer un
côte, et peut-être agiter l'Europe pour n'être
Pas oisif, serait le métier d'un intrigant qui
fatigue la renommée un jour, parce qu'il n'a
Pas le crédit de vivre sur une administrationbienfaisante. Eh bien ! le ministère anglais,




--- 62 --
placé entre ces deux carrières, entrera-t-il
dans celle qui produira du bien sans éclate')
bien celle qui aura de l'éclat et des catastro-
phes? Je l'ignore, mais je sais bien qu'il ne
serait pas de la prudence d'une nation de
compter sur des exceptions et des vertus po-
litiques. Je ne vous inviterai point à cet égard
à une trop grande sécurité ; mais je ne tairai
pas dans un moment où l'on calomnie parmi
nous la nation anglaise, d'après cette publica-
tion de l'écrit d'un membre des Communes,
que tout admirateur des grands talents a été
affligé de compter parmi les détracteurs su-
perstitieux de la raison humaine, je ne tairai
pas ce que j'ai recueilli dans des sources au-
thentiques : que la nation anglaise s'est ré-
jouie quand nous avons proclamé la grande
charte de l'humanité, retrouvée dans les dé-
combres de la Bastille; je ne tairai pas que si
quelques-uns de nos décrets ont heurté les
préjugés épiscopaux ou politiques des An•
glais, ils ont applaudi à notre liberté même,
parce qu'ils sentent bien que tous les peuples
libres forment entre eux une société d'assu-
rance contre les tyrans. Je ne tairai pas que
du sein de cette nation, si respectable chez
elle, sortirait une voix terrible contre des mi-
nistres qui oseraient diriger contre nous une
croisade féroce pour attenter à notre Consti-
tution. Du sein de cette terre classique de la
liberté sortirait un volcan pour engloutir le
faction coupable qui aurait voulu essayer sur
nous l'art funeste d'asservir les peuples et de
leur rendre les fers qu'ils ont brisés. Les Mi'
nistres ne mépriseront pas cette opinion le


-- 63 --
blique, dont on fait moins de bruit en Angle-
terre, mais qui est aussi forte et plus cons-
tante que parmi nous. Ce n'est donc pas une
guerre ouverte que je crains, les embarras de
leurs finances, l'habileté de leurs ministres,
la générosité de la nation, les hommes éclai-
rés qu'elle possède en grand nombre me ras-
surent contre des entreprises directes; mais
des manoeuvres sourdes, des moyens secrets
pour exciter la désunion, pour balancer les
partis, pour les déjouer l'un par l'autre, pour
s'opposer à notre prospérité, voilà ce qu'on
pourrait redouter de quelques politiques mal-
veillants. Ils pourraient espérer, en favori-
sant la discorde, en prolongeant nos combats
politiques, en laissant de l'espoir aux mécon-
tents, de nous voir peu à peu tomber clans un
dégoût égal du despotisme et de la liberté,
désespérer de nous-mêmes, nous consumer
lentement, nous éteindre dans un marasme
politique; et alors, n'ayant plus d'inquiétude
sur l'influence de notre liberté, ils n'auraient
Point à craindre cette extrémité vraiment fâ-
cheuse pour des ministres, d'être tranquilles
dans l'Europe, de cultiver chez eux leurs pro-
pres moyens de bonheur, et de renoncer à ces
tracasseries superbes, à ces grands coups d'E-
tat qui en imposent, parce qu'il est peu. de
juges de se livrer tout simplement au soin
de gouverner, d'administrer, de rendre le
Peuple heureux, soin qui leur déplaît parce
qu'il est apprécié par une nation entière, et ne
laisse plus de place à la charlatanerie. Telle
Pourrait être la politique insidieuse du cabi-
net, sans la partici pation, et même à l'insu du




6.1
peuple anglais ; mais cette politique est si
basse, qu'on ne peut l'imputer qu'a un en-
nemi de l'humanité, et si étroite, qu'elle ne
peut convenir qu'à des hommes très vulgai-
res, et que, de nos jours, elle est peu redouta-
ble


Ce n'est pas au dehors que sont les dangers,
c'est plutôt à l'intérieur, et parce que les bons
citoyens, ne comptant pas assez sur eux-mêmes,
exagèrent jusqu'au découragement les crain-
tes que leur inspirent, pour la Révolution, ses
ennemis déclarés qui l'attaquent, ces aveugles,
et leurs amis qui la compromettent. Ne doit
on pas, en effet, regarder comme une (les cau-
ses des alarmes populaires cette défiance exa-
gérée qui, depuis longtemps, agite tous les
esprits, qui retarde le moment de la paix, ai-
grit les maux et devient une source d'anar-
chie, quand elle cesse d'être utile à la liberté?
Nous craignons des ennemis au dehors, et
nous oublions celui qui ravage l'intérieur du
royaume! Presque partout, les fonctionnaires
publics, choisis par le peuple, sont à leur
poste; ses droits sont donc exercés? Il lui
reste à remplir ses devoirs, qu'en surveillant;:
ses mandataires, il les honore de sa confiance,
et que la force turbulente de la multitude cède
à. la puissance calme de la loi. Mors, jusqu'au
signal de danger donné par le fonctionnaire
public, le citoyen dira : on veille pour moi. Car
ce n'est point la véritable liberté qui a de val•
nes terreurs, elle se respecte assez pour ne
rien trouver de redoutable.


Cependant, poursuit Mirabeau, si les crainte


— 65 —
ont été exagérées, elles ne sont pas tout
fait dépourvues de fondement, car il y a en
des menaces, des enrôlements, des prépara,
tifs assez publics du côté de la Savoie.


Il convient donc 1° de préparer les gardes
nationaux et l'armée pour le service que pour
rait exiger ultérieurement l'état de guerre ;
2° d'envoyer des troupes sur divers points du
royaume qui pourraient être menacés; 3° de
se mettre en mesure de placer des amis de la
révolution dans les postes diplomatiques qu'oc-
cupent aujourd'hui ses ennemis notoires.


Du reste, conclut Mirabeau, ne craignez pas
l'effet de ces mesures sur nos voisins:


Notre politique est franche, et nous nous en
faisons gloire ; mais tant que la conduite des
autres gouvernements sera environnée de
nuages, qui pourra nous blâmer de prendre
des précautions capables de maintenir la paix?
Non, une guerre injuste ne peut pas être le
crime d'un peuple qui, le premier, a gravé
dans le code de ses lois sa renonciation à toute
conquête. Une attaque n'est point à craindre
de la part de ceux qui désireraient plutôt d'ef-
facer les limites de tous les empires, pour ne
former du genre humain qu'une seule famille,
qui voudraient élever un autel à la paix sur le
monceau de tous les instruments de destruc-
tion qui couvrent et souillent l'Europe, et ne
garder que contre les tyrans des armes con-
sacrées par la noble conquête de la liberté.


e4IIIABEAL, OPIN. ET DISC,


1




— —


sen L' âMPOT DU TAcAC


Le 29 janvier 1791 l'ordre du jour amenait
une question d'impôt très importante, la ré-
gie fiscale et prohibitive du tabac. Mirabeau,
on le sait, était partisan, en théorie, de la
parfaite liberté de l'industrie, et à plus forte
raison de la plus nécessaire et de la plus fé-
conde de toutes, la culture et le commerce
des produits de la terre. En ces circonstances
cependant il se déclara partisan de l'impôt
sur le tabac comme le meilleur des mauvais
impôts :


Mais , comment concilier la prohibition
avec les principes de la constitution, avec la
liberté des citoyens? Je réponds que c'est le
prix excessif de l'impôt qui invite aujourd'hui
à la contrebande, qui nécessite les contrain-
tes, les visites, etc. Diminuez .e prix, et la
contrebande sera moins suivie, et par consé-
quent plus facile à réprimer, et votre impôt
vous produira 30 millions et l'exportation du
tabac préparé sera beaucoup plus considéra-
ble... Cette partie de votre Code pénal pres-
crit des peines atroces ; proscrivez ces peines,
et réformez votre code. Quatre provinces
étaient à même de faire des versements frau-
duleux; détruisez ces privilèges. Que les vi-
sites domiciliaires ne soient permises qu'en


-- 67 --


sas de grands approvisionnements, et qu'un
officier civil les autorise toujours par sa pré=
sence... Dans tous les cas, ce qui importe vé-
ritablement à l'Etat, c'est qu'un impôt volon-
taire ne soit remplacé par ue impôt onéreux
qui aggraverait la charge de ceux que le peu-
ple supporte déjà avec peine. Quel impôt plus
doux pouvez-vous proposer que celui du ta-
bac? Il n'atteint qu'une petite partie de ci-
toyens, il ne frappe pas les denrées de pre-
mière nécessité , il n'a pas, comme les autres
impôts de consommation, l'inconvénient de
peser plus sur le chef de famille qui a le plus
d'enfants, c'est-à-dire en raison inverse de
ses moyens. Pourriez-vous trouver une impo-
sition aussi douce, aussi équitable? Mais, dit-
an, si cet impôt peut être supprimé sans rem-
placement... Vous ne voyez pas que nous
partons d'une autre hypothèse , que nous
avons besoin de ce remplacement. N'avez-
vous pas d'autres impositions à diminuer
pour rendre aux campagnes les capitaux que
le despotisme leur avait enlevés... Les bar-
rières étant établies aux frontières, les frais
de l'impôt du tabac sont déjà payés; si vous
détruisez les droits de régie, l'Angleterre fera
dans le royaume, pendant plusieurs années,
des versements qui nous priveront du pro-
duit de la culture de cette plante parasite. On
voudrait nous faire ce funeste présent : l'As•
semblée nationale a décrété l'égalité des hom-
mes, mais elle n'a pas encore décrété l'égalité
des plantes, etc,




-63—


MIRABEAU PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE


A la fin de janvier 1791, par un acte de tar-
dive justice, lui, quarante-quatrième, fut
nommé président de l'Assemblée. Dans cette
position, Mirabeau eut l'occasion de prononcer
plusieurs réponses remarquables a des adresses
et députations.


Le 10 février, il eut à, répondre à une dépu-
tation de Quakers, qui demandaient la permis-
sion de pratiquer leur religion en France, et
d'y constater eux-mêmes leur état civil, selon
les formes tolérées en Angleterre et en Amé-
rique :


Les quakers qui ont fui les persécuteurs et
les tyrans ne pouvaient que s'adresser avec
confiance aux législateurs qui, les premiers,
ont réduit en lois les droits de l'homme; et la
France régénérée, la France au sein de la paix
dont elle recommandera toujours l'inviolable
respect, et qu'elle désire pour toutes les autres
nations, peut devenir aussi une heureuse Pen-
sylvanie. Comme système philanthropique, vos
principes obtiennent notre admiration ; ils
nous rappellent que le premier berceau de
chaque société fut une famille réunie par ses
moeurs, par ses affections et par ses besoins.
Eh! sans doute les plus sublimes institutions
seraient celles qui, créant une seconde fois


— 69 —
respèce humaine, la rapprocheraient de cette
première et vertueuse origine.


L'examen de vos principes, considérés
comme des opinions, ne nous regarde point.
Nous avons prononcé. Il est une propriété
qu'aucun homme ne voudrait mettre en com-
mun, les mouvements de son lime, l'élan de sa
pensée; ce domaine sacré place l'homme dans
uns hiérarchie plus relevée que l'état social.
Citoyen, il adopte une forme de gouverne-
ment; être pensant il n'a de patrie que l'uni-
vers. Comme principe religieux, votre doc-
trine ne sera point l'objet de nos délibérations;
ies rapports de chaque homme avec l'Être d'en
haut sont indépendants de toute institution
politique; entre Dieu et le coeur de chaque
homme, quel gouvernement oserait être l'in-
termédiaire? Comme maximes sociales, vos
réclamations doivent être soumises à la dis-
cussion du Corps législatif. Il examinera si la
forme que vous observez pour constater les
naissances et les mariages donne assez d'au-
thenticité à cette filiation de l'espèce humaine,
que la distinction des propriétés rend indis-
pensable; indépendamment des bonnes moeurs,
il discutera si une déclaration dont la fausseté
Serait soumise aux peines établies contre les
faux témoins et les parjures, ne serait pas un
véritable faux serment.


Estimables citoyens, vous vous trompez ;
vous l'avez déjà prêté, ce serment civique que
tout homme digne d'être libre a plutôt regardé
comme une jouissance que comme un devoir.
Vous n'avez pas pris Dieu à témoin , mais vous
avez attesté votre conscience; et une con-




-- 70 --


science pure n'est-elle pas aussi an ciel sans
nuage? Cette partie de l'homme n'est-elle pas
un rayon de la divinité? Vous dites encore
qu'un article de votre religion vous défend de
prendre les armes et de tuer, sous quelque
prétexte que ce soit : c'est sans doute un beau
principe philosophique que celui qui donne en
quelque sorte ce culte à l'humanité. Mais pre-
nez garde que la défense de soi-même et de
ses semblables ne soit aussi un devoir reli;
gieux. Vous auriez donc succombé sous les
tyrans? Puisque nous avons conquis la liberté
pour vous et pour nous, pourquoi refuseriez-
vous de la conserver? Vos frères de la Pensyl-
vanie, s'ils avaient été moins éloignés des sau-.
vages, auraient-ils laissé égorger leurs fem-
mes, leurs enfants et leurs vieillards, plutôt
que de repousser la violence? Et les stupides
tyrans, les conquérants féroces ne sont-ils pas
aussi des sauvages.


L'assemblée discutera toutes vos demandes
dans sa sagesse ; et si jamais je rencontre
un quaker, je lui dirai : Mon frère, si tu as le
droit d'être libre, tu as le droit d'empêcher
qu'on ne te fasse esclave. Puisque tu aimes
ton semblable, ne le laisse pas égorzer par la
tyrannie ; ce serait le tuer toi-même. Tu veus
la paix, eh bien! c'est la faiblesse qui appelle la
;lieue; une résistance générale serait la paij
universelle.


Le 14 février, une députation des docteurs
agrégés vint à l'assemblée nationale denia.
der l'abolition d'un loi (de 1679) qui attribuait
aux professeurs de la faculté de droit le pri•


-- 71 --
vilége exclusif de donner des leçons de droit
public, avec défense aux agrées de s'occu-
per de l'enseignement des lois.


U. C'est parmi les maîtres éclairésMIRABEA
de l'art que les productions humaines trou-
vent leurs meilleurs juges. Sous ce point no-
tre nouvelle constitution mérite une estime
particulière de la part des jurisconsultes.
Comme elle a des droits à votre attachement,
en vous considérant seulement comme ci-
toyens, l'assemblée nationale reçoit avec inté-
rêt l'expression de vos sentiments à ce double
égard. Nous approchons de l'instant on la plus
grande partie du droit public et privé qui
nous a régis jusqu'à ce jour sera mêlée dans
ces vastes ruines dont nous nous voyons en-
vironnés. Il ne restera plus guère à notre
usage, de l'ancienne jurisprudence, que ces
vérités éternelles qui, prises dans la nature
de l'hounne et de la société, voient tout chan-
ger autour d'elles, sans jamais changer elles-
mêmes, et qui sont le principe de toute régé-
nération durable. Le droit naturel a été le tronc
primitif de toutes les tiges de cette science
générale qu'on appelle droit. Mais des bran-
ches parasites ont fini par étouffer l'arbre. Il
a fallu les abattre ; il faudra descendre jus-
qu'aux racines pour faire passer partout des
rejetons sains et vigoureux. Beaucoup de cho-
ses sont faites sur cette matière, beaucoup
d'autres sont à faire ; notre droit particulier
n'exige pas de moindres réformes que notre
droit public n'en a éprouvé. Nous avons déjà
fourni une assez ample matière à l'enseigne-




-72


ment général. Hommes de loi, vous êtes dési-
gnés par votre état même pour faire connaître
et chérir nos lois. La justice a toujours eu
pour tous les peuples quelque chose de sacré.
Nous venons d'élever partout de nouveaux
temples à, son honneur. Vous êtes comme les
prêtres de ces temples; vous en enseignerez
le culte ; vous en écarterez les fausses doctri-
nes ; vous empêcherez que la religion de la
justice ne se souille avec le temps par des cou-
tumes insensées, par des interprétations infi-
dèles.— Avant toutes les facultés du royaume,
il existait une grande faculté, celle de la réu-
nion de tous les citoyens qui, chacun dans
leurs divers genres, ont le droit de donner
essor a leurs talents, et se rendre utiles à leur
patrie. Si l'esprit des corporations a été de tout
resserrer, de tout arrêter, celui de la constitu-
tion actuelle est de tout développer, de tout
étendre : elle s'applique à rouvrir les canaux
qui peuvent rendre libre et facile toute espèce
d'utile communication, et surtout celle de l'es-
prit et de la pensée. — Ne doutez point que
cette Assemblée ne considère votre demande
dans ses rapports avec les principes de liberté
et de sagesse qui l'ont dirigée jusqu'à pré-
sent.


— 73 —


SUR LE DROIT D'ÉMIGRATION


Un fait peu important en lui-même, mais
considérablement grossi par les circonstances,
excitait alors une défiance et une irritation
générale, le départ de Mesdames, tantes du
roi, allant faire un voyage à Rome; départ
regardé par le peuple comme une fuite qui
pourrait être bientôt suivie de la fuite du roi
lui-même. Ce n'était pas à Paris seulement
que le départ avait excité de vives inquiétu-
des; le patriotisme des départements s'était
aussi ému, et la municipalité d'Arnay-le-Duc
crut devoir arrêter les fugitives jusqu'à ce que
l'Assemblée en eilt délibéré. Mirabeau eut be-
soin de grandes instances pour obtenir la pa-
role; il s'exprima de la façon suivante :


Je demande la priorité, dit-il, pour la rédac-
tion que je vais proposer; et comme cette
question me parait avoir consommé beaucoup
de temps, je ne motiverai mon opinion que
dans le cas on elle éprouverait de l'opposition.
Voici comment je rédige le projet de décret
par lequel vous avez à déclarer un principe
incontestable :


L'Assemblée nationale, considérant qu'au-
cune loi existante du royaume ne s'oppose au
libre voyage de Mesdames, tantes du roi, dé-
clare qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le
procès-verbal de la commune d'Arnay-le-Due




— 74 —


renvoie l'affaire au pouvoir exécutif.» (Il s'élève
beaucoup de murmures.) Je vais motiver ma
rédaction en très peu de mots. Ce n'est ici
qu'une question de fait; car ce que l'Assem-
blée statuera demain ou après, ne décidera
pas si Mesdames ont aujourd'hui le droit de
voyager. Aucune loi ne les en empêche; l'As-
semblée a été instruite de ce voyage, et elle
n'y a pas mis d'obstacle. Il faut bien que la
commune ait pensé ainsi, puisqu'elle n'a pas
demandé l'exécution d'une ancienne loi, mais
une loi nouvelle.


Que m'objecte-t-on dans le système de ceux
qui veulent que l'Assemblée prononce une im-
probation tonnelle? On dit qu'il y a une in-
fraction à la loi , mais l'Assemblée nationale,
en ordonnant l'impression de la pétition de la
commune de Paris, a fort concouru à induire
en erreur et à élever les doutes dont nous
voyons l'effet. (On. applaudit.)


On ne peut se dissimuler que nous ne nous
trouvons pas dans des circonstances ordinai-
res, que nous ne soi-Mues pas encore parve-
nus à établir le jeu régulier de l'organisation
sociale : il y aurait donc une extrême rigueur
à imprimer la tache d'une désapprobation sur
une municipalité qui s'est adressée à vous,
en motivant sa conduite d'une manière très
respectueuse pour le chef de la nation. (Les
applaudissements recommencent.) Je le deman le
à tous les opinants dans tous les systèmes;
que voulons-nous? Nous voulons faire une dé-
claration qui ne laisse aucun prétexte à l'in-
fraction de la loi existante et qui assure la
tranquillité publique. Eht nous avons assez


— '75
d'objets de sollicitude pour ne pas donner au
voyage de Mesdames plus d'importance qu'il
n'en a! Qu'est-ce que je propose? La déclara-
tion d'un fait constant, un prononcé régulier
et un renvoi qui est un hommage à la loi. Je
m'exprime ainsi : • L'Assemblée nationale,
considérant qu'aucune loi existante du royaume
ne s'oppose au libre voyage de Mesdames.... n
Est-ce un fait? y a-t-il une loi?


M. GOURDAN. - Il y en a iule : je la cite, c'est
le salut du peuple.


MIRABEAU. - Le salut du peuple . est surtout
intéressé t ce qu'il n'y ait pas de tiraillements
d'opinions et de mouvements en sens con-
traire, quand la chose publique exige une par-
faite unité d'action et de volonté. Le salut du
peuple n'est pas intéressé à ce que Mesdames
couchent trois ou quatre jours de plus en
route. Leur voyage est peut-étre un mouve-
ment d'imprudence, mais il ne porte aucune
atteinte à la loi. Tous les bons citoyens, sans
doute, doivent dans les circonstances qui nous
pressent, rester à leur poste, et montrer leur
attachement au chef de la nation. Mesdames
ont fait une chose imprudente, impolitique,
mais non illégale; il n'y a donc pas lieu à dé-
libérer; et puisqu'il y a eu empêchement à
l'exécution de la loi; il faut renvoyer au su-
prême exécuteur de la loi. Pourquoi l'Assem-
'née se chargerait-elle d'une responsabilité qui
n'est pas la sienne? Je soutiens qu'il est de sa
sagesse, de sa politique, si un corps aussi
puissant peut avoir de la politique, de ren-
1;oyer cette affaire au pouvoir exécutif-


d




-- '76 ----
Après quelque discussion, la motion de Mi-


rabeau fut adoptée.


Le lendemain, la discussion du projet de loi
sur la résidence des fonctionnaires publics
donna lieu à un orageux débat.


Mirabeau s'opposa de toutes ses forces à ce
que l'on prit aucune mesure arbitraire contre
l'émigration, et, pour montrer que ces idées
étaient anciennes chez lui, il lut à la tribune
les véhémentes adjurationsque, dans sa Let-
tre à Frédéric-Guillaume (1), il avait jadis
écrites contre les défenses d'expatriation.


Après cette citation, Mirabeau poursuivit :


J'ai l'honneur de proposer, non de passer à
l'ordre du jour, il ne faut pas avoir l'air d'é-
touffer dans le silence une circonstance qui
exige une déclaration solennelle, et que l'avis
du comité rend très mémorable, mais de por-
ter un décret en ces termes : L'Assemblée
nationale, ouï le rapport de son comité de
constitution (il s'élève beaucoup de murmures),
il y a deux choses qui me paraissent incon-
testables; la première, c'est que M. Chapellier
a parlé au nom du comité de constitution, la
seconde, c'est que si j'ai tort, on peut le dé-
montrer. Je reprends la lecture de mon projet
de décret.


L'Assemblée nationale, ouï le rapport de
son comité de constitution, considérant qu'une
loi sur les émigrants est inconciliable avec les
principes de la constitution, n'a pas voulu en-
tendre la lecture du projet de loi sur les émi-


it) Voyez tome
p. 93.


— '77 —
grants, et a déclaré de passer à l'ordre du
pur, sans préjudice de l'exécution des décrets
précédemment portés sur les personnes qui
ont des pensions ou traitements payés par la
nation, et qui sont hors du royaume.


Quoique la majorité de l'assemblée acquies-
çât évidemment à cet avis, quelques membres
irrités par les manœuvres hostiles de l'émi-
gration s'opiniâtraient pour qu'une loi filt
rendue. Mirabeau reprit la parole:


La formation de la. loi ou sa proposition ne
peut se concilier avec les excès du zèle, de
quelques espèces qu'ils soient; ce n'est pas
l'indignation, c'est la réflexion qui doit faire
les lois, c'est surtout elle qui doit les porter.
L'Assemblée nationale n'a point fait au co-
mité de constitution le même. honneur que
les Athéniens firent à Aristide, qu'ils laissè-
rent juge de la moralité de son projet.


Mais le frémissement qui s'est fait entendre
à la lecture du projet du comité, a montré
que vous étiez aussi bons juges de cette mo-
ralité qu'Aristide, et que vous aviez bien fait
de vous en réserver la juridiction. Je ne ferai
pas au comité l'injure de démontrer que sa
loi est digne d'être placée dans le code de
Dracon, mais qu'elle ne pourra jamais entrer
Parmi les décrets de l'Assemblée nationale de
France. Ce que j'entreprendrai de démontrer,
C'est que la barbarie de la loi qu'on vous pro-
Pose est la plus haute preuve de l'impratica-
bilité d'une loi sur l'émigration. (Le côté droit
cl une partie du côté gauche applaudissent; le
reste de l'assemblée murmure.)




— 78 —
Je demande qu'on m'entende. S'il est des


circonstances où des mesures de police soient
indispensablement nécessaires, même contre
ces principes, même contre les lois reçues,
c'est le délit de la nécessité ; et comme la so-
ciété peut pour sa: conservation tout ce qu'elle
veut, que c'est latoute puissancede la nature,
cette mesure de police peut être prise par le
Corps législatif; et lorsqu'elle a reçu la sanc-
tion du contrôleur de la loi, du chef suprême
de la police sociale, elle est aussi obligatoire
que toute autre. Mais entre une mesure de
police et une loi, la distance est immense. La
loi sur les émigrations est, je vous le répète,
une chose hors de votre puissance, parce qu'elle
est impraticable; et qu'il est hors de votre
sagesse de faire une loi qu'il est impossible
de faire exécuter, même en anarchisant toutes
les parties de l'empire. Il est prouvé par l'ex-
périence de tous les temps qu'avec l'exécu-
tion la plus despotique, la plus concentrée
dans les mains des Bu,siris, une pareille loi n'a
jamais été exécutée, parce qu'elle est inexé-
cutable. (On applaudit et on murmure.) Une
mesure de police est sans doute en votre puis-
sance. Reste à savoir s'il est de votre devoir
de la prononcer, c'est-à-dire si elle est utile,
tri vous voulez retenir les citoyens dans l'em-
pire autrement que par le bénéfice des lois,
que par le bienfait de la liberté; car de ce que
vous pouvez prendre cette mesure, il n'est pas
dit que vous deviez le faire : mais je n'entre-


. prendrai pas de le prouver; je m'écarterais
alors de la question : elle consiste à savoir si
le projet du comité doit être mis en délibéra-


— '79 —
tion, et je le nie. Je déclare que je me croirais
délié de tout serment de fidélité envers ceux
qui auraient l'infamie de nommer une com-
mission dictatoriale. (On applaudit.) La popu-
larité que j'ai ambitionnée, et dont j'ai eu
l'honneur (violents murmures dans l'extrémité
de la partie gauche, quelques applaudissements
dans la salle et dans les tribunes) la popula-
rité dont j'ai eu l'honneur de jouir comme
un autre, n'est pas un faible roseau ; c'est
dans la terre que je veux enfoncer ses ra-
cines sur l'imperturbable base de la raison
et de la liberté. (On applaudit.) Si vous faites
une loi contre les émigrants, je jure de n'y
obéir jamais.


Cette séance fut une des plus orageuses de
la session. Mirabeau, qui voulut reprendre
une troisième fois la parole, fut interrompu
par une partie du côté gauche. M. Goupil de-
manda quel était le titre de la dictature
qu'exerçait Mirabeau sur l'assemblée : • M. le
président, dit Mirabeau, je prie messieurs les
interrupteurs de se rappeler que j'ai toute ma
vie combattu le despotisme, et d'être con-
vaincus que je le combattrai toute ma vie. »
C'est dans cette circonstance qu'interrompu
de nouveau, il lança ces paroles célébres: —
Silence aux trente voix!




— 80 —


INCIDENT SUR LE CLERa


Dans la séance du 2 mars, plusieurs pro>
sitions furent faites sur les vicaires qui for-
ment le conseil des évêques, sur ceux qui des1
servent les églises auprès des curés, et sur
préférence à accorder e. ceux qui ont été sup.
primés, pour les places vacantes.


• En général, dit Mirabeau, nous nous occu-
pons prodigieusement trop du clergé; nous ne
devrions nous occuper d'autre chose dans ce
moment que de lui faire payer ses pensions,
et de le laisser dormir en paix. »


L'Assemblée passa à l'ordre du jour.


ZUR LA CAISSE LA FARGE


Le 3 mars, à propos de l'établissement de la
Caisse La Farge, Mirabeau prononça un remar-
quable discours sur l'amélioration morale et
matérielle du peunle par les établissements
d'épargne et de prévoyance :


Vos comités trouvent une foule d'avantages'
dans l'adoption du projet de M. La Farge : ii


— 81


en est un dont ils ne vous parlent point, c'est
qu'un pareil établissement, rappelant sans cesse
à la classe indigente de la société les ressour-
ces de l'économie, lui en inspirera le goût, lui en
fera connaître les bienfaits et en quelque sorte
les miracles. J'appellerais volontiers l'économie
la seconde providence du genre humain. La
nature se perpétue par des reproductions ; elle
se détruit par les jouissances. Faites que la
subsistance même du pauvre ne se consomme
pas tout entière ; obtenez de lui, non par des
lois,mais, par la toute-puissance de l'exemple,
qu'il dérobe une très petite portion de son tra-
vail pour la confier à la reproduction du temps,
et par cela seul vous doublerez les ressources
de l'espèce humaine. Et qui doute que la men-
dicité, ce redoutable ennemi des nations et des
lois, ne fût détruite par de simples règles de
police économique ? Qui doute que le travail
de l'homme dans sa vigueur ne pût le nourrir
dans sa vieillesse ? Puisque la mendicité est
presque la même chez les peuples les plus ri-
ches et parmi les nations les plus pauvres, ce
n'est donc pas dans l'inégalité des fortunes
qu'il faut en chercher la véritable cause, elle
est tout entière dans l'imprévoyance de l'ave-
nir, dans la corruption des moeurs, et surtout
dans cette consommation continuelle sans rem-
placement, qui changerait toutes les terres en
déserts, si la nature n'était pas plus sage que
l'homme.


M. La Farge appelle son projet Tontine via-
gère et cl'amortisserneni. Je voudrais qu'il l'eût
appelé : Caisse des épargnes, Caisse des pau-
vres, ou Caisse de bienfaisance; ce titre aurait




— 82


mieux fait connaître au pauvre ses besoins et
au riche ses devoirs. Assez de fortunes ont été
amoncelées par l'avarice, en accumulant des
intérêts, en échangeant des privations pour
des richesses, il faut apprendre aussi à la classe
indigente le moyen de se préparer un plus
doux avenir. Une pension de 45 liv. serait un
grand bienfait pour les habitants des campa-
gnes ; cette somme est presque le salaire du
travail d'une année entière. Une pension de
mille livres, de mille écus ferait la fortune de
la famille la plus nombreuse. Quelle émulation
ce prix décerné à l'économie ne serait-il pas
capable d'y exciter ? Partout le peuple est à
portée de faire quelques épargnes, mais il n'a
nulle part la possibilité de les faire fructifier.
Qui voudrait se charger chaque jour du denier
de la veuve ? Supposons même qu'un fils pour
son père, ou qu'un père pour son fils, voulus-
sent retrancher six deniers par jour du travail
que cette économie leur rendrait plus doux,
dans quelles mains déposeraient-ils la modi-
que somme de neuf livres à la fin de chaque
année ? Quel serait même l'accroissement de
cette somme, si elle ne produisait que de sim-
ples intérêts ? L'esprit d'économie jusqu'au-
jourd'hui était donc presque impossible dans
les classes indigentes, il n'en sera pas de
même lorsqu'une caisse des épargnes aura
réalisé les voeux des bons citoyens. En vous
parlant des avantages de l'esprit d'économie,
comment passer sous silence les bonnes mœurs
qui en sont le premier bienfait ? La pauvreté
se concilie avec toutes les vertus ; mais à la
pauvreté succède l'indigence, la mendicité; et


— 83


combien cet état cruel n'est-il pas voisin de la
plus dangereuse corruption ? Tout se tient
clans l'ordre moral. Le travail est le pain nour-
ricier des grandes nations. L'économie, jointe
au travail, leur donne des mœurs ; les fruits
de cette économie les rendent heureuses ; et
n'est-ce point là le but de toutes les lois ?


Vous craindrez peut- être de diminuer la
subsistance du pauvre par des sacrifices même
volontaires que son état semble ne pouvoir
supporter. Que vous connaîtriez mal les effets
de l'esprit d'économie? Il double le travail
parce qu'il en fait mieux sentir le prix; il
augmente les forces avec le courage; mais
comptez-vous pour rien l'invitation que vous
allez faire aux riches? Et lorsque vous autori-
sez une caisse des pauvres, a qui donc pres-
crivez-vous de la remplir? Non, j'en atteste
tous ceux qui ont vu de près les ravages de la
misère, les pauvres ne seront pas les seuls à
s'intéresser à cette caisse bienfaisante qui ne
va recéler des épargnes ou des aumônes que
Pour les multiplier. Une nouvelle carrière s'ou-
vre à la bienfaisance, comme une nouvelle
chance s'ouvre à la pauvreté. En est-il de plus
douce ? elle embrasse l'avenir, elle est accor-
dée au malheur, elle a pour base l'espérance.
Il ne nous reste qu'a, donner un exemple, qui
' 3ans doute aura des imitateurs.




— —


SUR LA RÉGENCE


Durant ce même mois de mars fut soulev
question constitutionnelle de la régen


Le principal problème à résoudre était celui
savoir si la régence serait héréditaire ou él
tive. Mirabeau trouve dans cette discussio
l'occasion d'accentuer énergiquement les pri ,
ripes libéraux, en soutenant, contre Barna
l'électivité de la régence. Des murmures cou
vrirent les premières paroles de Mirabeau; il'
reprit ainsi son exorde :


Je répondrai en homme que les battements
de mains n'étonnent pas plus que les mur-
mures, que je respecte les objections fortes, et
que j'estime même les objections spécieuses
parce qu'elles forcent à se replier sur soi-
même, et à penser ; mais j'observe que l'As-
semblée n'ayant rien statué encore sur l'in-
violabilité du régent, sur l'identité des fonc-
tions, des droits et des devoirs attribués à la
régence et à la royauté, on ne peut pas dire
que l'identité de la régence et de la royan-''
force à rendre celle - là héréditaire coin,
celle-ci. Pour ce qui est de la crise dont
Tous a fait un effrayant tableau en cas d'élu,/
ton, je réponds qu'elle existe pour toutes lest
régences, pour toutes les minorités : c'est toue
jours une grande crise politique, que la va-


— 85 —
^ance du trône, que la minorité d'un prince;
ais on ne peut l'éviter, et elle est peu redou-


table dans un gouvernement bien constitué....
Eh! messieurs, ne croyez pas que, quand


une constitution est faite, on puisse tirer un
grand et surtout un durable parti d'une crise
momentanée ; et soyez sûrs qu'en ce genre
comme en tout autre, on ne recueille pas autre
chose que ce qu'on a semé. Pendant que je
parlais et que j'exprimais mes premières idées
sur la régence, j'ai entendu dire avec cette in-
dubitabilité charmante à laquelle je suis dès
longtemps apprivoisé : cela est absurde, cela est
extravagant, cela n'est pas proposable. Eh bien!
je déclare que, dans cette Assemblée, je connais
de très bons citoyens, des esprits très éclairés
qui ont de grands doutes sur la question, et
qui s'apprêtent à soutenir l'élection de la ré-
gence. J'en conclus que la question doit être
posée ainsi, qu'elle a besoin d'être discutée; et
que, quand on propose une chose quelconque,
avant de dire c'est absurde, c'est extravagant,
c'est improposable, il faut y avoir bien réfléchi,
ce qui en tout état de cause ne gâte rien.


Ces réflexions fixèrent la question jusqu'a-
lors flottante, et le lendemain Mirabeau repa-
rut à la tribune :


La régence sera-t-elle héréditaire ou élec-
tive, ou plutôt, car un régent ne succède à
rien, ainsi l'expression régence héréditaire est
impropre : la régence sera-t-elle fixée d'une
Manière invariable, ou déterminera-t-on seu-
lement le mode qui doit former la régence




— 86 —
Telle est la véritable question dans laquelle je
me suis aperçu, ainsi qu'en maintes occasions,
que beaucoup d'hommes prenaient leur hori-
zon pour les bornes du monde. Je vais cher-
cher s'il n'est pas quelques aspects nouveaux
sous lesquels on la peut considérer, s'il est
vrai que, dans toutes les hypothèses, elle inté-
resse la sûreté de la monarchie, et peut alté-
rer la régularité du gouvernement; si un bon
constitutionnaire ne doit pas voir que cette
question n'a qu'une importance factice éma-
née de nos vieilles idées de l'ancien régime;
qu'enfin il est assez indifférent qu'un régent
soit bon ou mauvais, ce qui simplifierait beau•
coup la question. (Il s'élève des murmures.) D
y a d'abord un grand aspect sous lequel la
question n'a été ni vue ni présentée. Plusieurs
philosophes, méditant sur la royauté, ont con.
sidéré la monarchie héréditaire comme l'oble
tion d'une famille à la liberté publique; tout
doit être libre dans l'Etat , excepté cette fa-
mille. Le gouffre de l'anarchie est creusé par
l'ambition et les factieux ; Decius s'y pré•
pite, le gouffre se referme : voilà remblêMe
de la royauté dans cette théorie.


Le système de l'indivisibilité du privilége
auquel tous sont appelés, et qui sépare la fa-
mille entière de la nation, conduirait à soute
nir que c'est à la famille à nommer le régent
Le droit du plus proche parent n'a lieu qu'a
la mort du roi; alors il s'agit de le remplacer,
au lieu que, dans le cas de la régence, il ils
s'agit pas de remplacer le roi qui existe, quoi'
qu'enfant, mais de remplacer la royauté; et ce,
cas est bien différent de l'autre. La royauté


— 87 —
est à la famille , c'est à la famille à la faire
exercer. Les grands mots ne changent rien à
la nature des choses, et la régence, après tout,
n'est qu'une tutelle. — Second système. On pour-
rait obliger chaque roi à nommer lui-même,
pendant sa vie, aussitôt qu'il aurait un enfant
mille, ou même aussitôt que la reine serait
enceinte, le régent. On préviendrait par là, en
partie, les mouvements du hasard et ceux de
"élection, et l'opinion publique ferait appeler
le plus digne. Notre histoire offre plusieurs
exemples de régents désignés par les rois. Les
rois ne disposaient de la régence que par tes-
tament; voilà le vice, c'est pendant leur vie
qu'ils devraient y nommer. — Troisième sys-
tème. Parmi les modes d'élections connues, on
préviendrait une foule d'inconvénients, en ad-
mettant que le régent élu pourra être pério-
diquement conservé ou remplacé, car on n'élit
que pour bien choisir.


N'est-il donc aucun mode d'élection exempt
d'inconvénients? Les a-t-on tous épuisés? Est-
11 bien sûr que la véritable élection du peuple
soit sujette aux mêmes inconvénients que celle
d'une poignée d'aristocrates? Et croit-on avoir
fait une comparaison raisonnable en assimi-
lant, par exemple, les élections de la Pologne,
de cette république où cent mille gentilshom-
mes, tous électeurs et éligibles, asservissentCin à six millions d'esclaves, à celles que


pourrait disposer et déterminer dans un
empire couvert de vingt-quatre millions d'hom-
mes libres, armés pour faire respecter leur
volonté contre les factions intérieures et ex-
terieures? Je pourrais citer cent autres modes,




— 8 9 —
— 88 — 1,:nés dans l'espace des siècles, ont préservé


et encore traiter la question d'un conseil de ;terre des derniers ravages du despotisme,
régence mis en parallèle d'un régent. Mais :e ne feraient pas, pour l'amélioration de
tout ceci n'est pas la question ; considérons-la :%)ece humaine, quelques bonnes administra-
en soi, dans ses rapports avec la nation, avez- :ois rapprochées les unes des autres?
le roi, avec la Constitution. Le hasard donm Ne serait-il pas aussi très utile de démontrer
les rois; et il y aurait bien des lieux commun ,cette famille, placée en quelque sorte en de.
plus ou moins ronflants à débiter ici. Faisons .,:rs de la société, que son privilège n'est pas
seulement deux observations un peu plus sub . .i.lement immuable , que son application ne
stantielles. Le hasard sera souvent tellement pende quelquefois de la volonté nationale.
aveugle, qu'on regrettera de ne pouvoir le tette famille pourrait même s'améliorer sous
corriger par l'élection. Je n'aurais qu'à sup. 'e rapport, car chaque règne pouvant offrir à
poser deux malheurs pour me faire entendre; ihactin d'eux une royauté passagère, tous
voudrions-nous avoir pour régent l'homme :hercheraient à s'y préparer, à s'en rendre di-
faible, ou coupable, ou trompé, qui serait alos;nes, tous ménageraient l'opinion publique et
appelé par la loi. 74pprendralent les devoirs des rois. Il me sein-


Ce n'est pas tout, prenons garde que la ri -Je aussi que sélection pour la régence rap-
gence peut être un régne de dix-neuf ae c-:11erait à certaines époques la véritable source
c'est-à-dire un assez long régne; que lorsqu'el ie la royauté. Et il est bon que ni les rois, ni
roi viendra à peine de naître, le parent le plia 'e peuples ne l'oublient.
proche sera peut-être dans la vieillesse. 6 Le système des élections est donc très con-
dans une enfance non moins inactive ervenable, messieurs, et même très plausible,
celle du roi , et qu'il est ridicule, entre de l tris favorable, avec quelque légèreté qu'on
enfants, de ne pas vouloir choisir un homme j'ait traité dans un premier aperçu.
La Providence donne des rois faibles, igno* Cette question, sous le point de vue électif,
rants, ou même méchants; maissinousavonse a nu grand désavantage à être traitée pour
mauvais régent, c'est nous qui l'aurons voulefious et parmi nous. Assoupis et presque in-


Or, par l'élection, on aurait le moyen de corTorporés à la royauté héréditaire par la plus
lier provisoirement l'exercice de la royauté 8141ongue des habitudes, nous l'avons reconnue
membre de la même famille qui en serait . comme préexistante à la constitution, nous
plus digne pour le roi. On parviendrait par , lavons pas même tourné notre pensée à un
à doulier une grande leçon au roi mineur, ie rude d'élection, parce que nous n'en avons
lui presentant, sous te nom d'un régent, Pas besoin. Mais, certes, de ce que la solution
l'exemple d'un bon roi: mais ceci devient 8 11; ce problème ne nous est pas nécessaire, il
core un avantage ruineux pour la nation. Ytil' 4e s'ensuit pas qu'il soit insoluble.
puisque quelques règnes de bons princes clair




-- 90 ---
Eh I pourquoi transporterait-on dans une


institution qui n'entraînerait pas les inconvé-
nients avoués des élections, les inconvénients
incontestables de l'hérédité.


Mais, messieurs, il est temps de vous faire
remarquer la source commune de toutes les
erreurs sur cette matière, et notamment de
l'importance exagérée que l'on attache aux di-
verses opinions qui vous ont été soumises ; on
voit toujours dans un roi, dans un régent, ce
qu'ils étaient. Celui-là l'agent presque unique
de tous les biens et de tous les maux d'une
grande nation, durant un long règne; celui-ci
un roi absolu pendant plusieurs amides. Rien
de tout cela n'est plus; là où une constitution
existe, là où la liberté publique est établie sur
de bonnes lois, et sur le respect de ces lois, un
roi n'est plus que l'exécuteur suprème de ces
lois, sans cesse réprimé comme protégé par
elles, sans cesse surveillé comme soutenu par
la multitude des bons citoyens qui font la force
publique. Là aussi un régent qui ne l'est que
pour un nombre d'années déterminé, n'est 0
fond qu'un ministre principal sous des formes'
plus augustes et plus relevées. Il y a bien
de quoi faire des intrigues sans doute, il en
existe bien, et il en existera toujours pour des'
places de commis de bureaux ; mais il n'y a
point de quoi nourrir des factions. Lorsqu'ou
fait sonner ce mot, en pareille occasion, 05
pense aux Orléans, aux Condé sous Charles VII,
aux Montmorency et au Guise sous Frac'
çois II, et l'on ne pense pas que là où il n'y S.
plus de roi absolu, un régent n'est plus un roi
absolu.


lee


-- 91
On sait que la Constitution de 1791 (titre III,


chap. 2, vol. 2) déféra la régence au plus pro-
! che parent du roi mineur ( jusqu'à dix-huit
ans ), prononça l'exclusion des femmes, déclara
qu'à défaut d'un parent légalement capable la
régence serait conférée par une élection à
deux degrés, etc.


MORT DE MIRABEAU


Nous arrivons à la fin de la carrière
que de Mirabeau, prématurément et subite-
ment interrompue par la mort. Le discours
sur la régence que nous venons de citer fut
Prononcé dans la séance du 25 mars ; le sur-
lendemain 21, il occupait encore la tribune
pour exprimer son opinion approfondie, rela-
tIvement à un projet de décret sur les mines.
Le 2 avril, le président de l'Assemblée, Tron-
chet, annoncait aux députés la mort de leur
illustre collègue, survenue dans la matinée, à
huit heures et demie. Leprésident annonça
qu'on avait fait la motion d'envoyer une dépit-
tatou aux funérailles de Mirabeau. /Vous irons
tous, tous s'écrièrent les membres de rAssem-
bide.




— 92


DISCOURS SUR L'ÉGALITÉ DES PA RCAGES DANS
LES SUCCESSIONS


C'était le projet de loi sur les successio
qui était à l'ordre du jour. On savait que
rabeau avait employe ses dernières forces
préparer un travail sur ce sujet. Au milieu
la discussion, Mgr l'évêque d'Autun se Fe
senta a la tribune, le travail de Mirabeau sil
main :


Je suis allé hier chez M. Mirabeau, dit,
un grand concours remplissait cette mate ,
où je portais un sentiment encore plus dol.
loureux que la tristesse publique. Ce spectO
de désolation remplissait l'âme de l'image'
la mort : elle était partout, hors dans l'ese:
de celui que le danger le plus imminent fl
nouait. Il m'a fait demander. Je ne na'arrP
rai point à l'émotion que plusieurs de ses (1',e
cours m'ont fait éprouver. M. Mirabeau, dO
cet instant, était encore homme publie;
c'est sous ce rapport qu'on peut regare
comme des débris précieux ces dernières pa•
les qui ont été arrachées à l'immense proie 0.
la mort. vient de saisir. Rassemblant tout sr
intérêt sur la suite des travaux de cette
semblée, il a su que la loi sur les successio
était à l'ordre de ce jour, il a témoigné del
peine de ne pas assister à cette discussion ;l
c'était avec des regrets pareils qu'il parais*
évaluer la mort. Mais comme son opinion e,
l'objet qui vous occupe est écrite, il me
confiée pour vous la dire en son nom. Je lv


---- 93 —
remplir ce devoir: il n'est pas un seul des ap-
plaudissements que cette opinion va mériter
qui ne doive reporter dans le coeur une émo-
tion profonde. L'auteur de cet écrit n'est plus;
je vous apporte son dernier ouvrage ; et telle
était la reunion de son sentiment et de sa pen-
sée également voués à la cause publique, qu'en
l'écoutant vous assistez presque à son dernier
soupir. *


M. Talleyrand lut ensuite ce travail, qui fut
écouté avec une attention religieuse.


Voici les passages les plus importants de ce
discours, dans lequel Mirabeau part de ce
principe que le droit de propriété est un droit
soc;a1 et non un droit naturel :


Vous avez commencé par détruire la fi"Dda-
lité, vous la poursuivez aujourd'hui dars ses
erets : vous allez comprendre dans voef.fifor-
ines ces lois injustes que nos coutumes ont
introduites dans les successions. Mais, ce ne
sont pas seulement nos lois, ce sont nos es-
prits et nos habitudes qui sont tachés des
Principes et des vices de la féodalité.Vous de-
vez donc aussi porter vos regards sur les dis-
Positions purement volontaires qui en sont


Voici la question fondamentale qui se pré-
seute : la loi doit-râle admettre chez nous la
libre disposition des biens en ligne directe ?
e'est-a-dire un père ou une mère, un aïeul ou
une aïeule doivent-ils avoir le droit de dispo-
ser a leur gré de leur fortune, par contrat ou
par testament. et d'établir ainsi l'inégalitéfl
ans la possession des biens domestiques?
Ce n'est pas de la nature, c'est de la société




— 94
lue le citoyen tient le droit de disposer dere
propriétés pour le temps on il n'est plus. Et
c'est par là que la matière que nous traitons
est liée aux lois politiques, puisqu'elle tient
au partage des biens territoriaux, à la trans-
mission de ces biens, et, nar là même, à la
grande question des propriétés dont ils sont
la source.


Nous pouvons donc regarder le droit de
propriété tel que nous l'exerçons comme me
création sociale. Les lois ne protégent pas, ne
maintiennent pas seulement la propriété; elles
la font naître en quelque sorte; elles la déter
minent; elles lui donnent le rang et l'étendue
qu'elle occupe dans les droits du citoyen.


:;'ais de ce que les lois reconnaissent lei
de propriété et les garantissent, de es


qu' .11es assurent, en général, aux propriétaires
la disposition de ce qu'ils possèdent, s'ensuit•
il que ces propriétaires puissent de plein droit
disposer arbitrairement de leurs biens pote
temps ou. ils ne seront plus? Les droits (),?'
l'homme, en fait de propriété, ne peuvent*
tendre au delà. du terme de son existence.


La propriété ayant pour fondement re
tat social, elle est assujettie, comme les se
tres avantages dont la société est l'arbitre;
des lois, à des conditions. Aussi voyons-ne'?'
partout le droit de propriété soumis à celle:
nes règles, et renfermé, selon le cas,
des limites plus ou moins étroites. C'est aile;
que, chez les Hébreux, les acquisitions,lef
aliénations des terres, n'étaient que pourtl-,.
temps, et que le jubilé voyait rentrer,
bout de cinquante années, tous les hérite


— 95 —
dans les familles de leurs premiers maîtres.
C'est ainsi que, malgré la liberté laissée en
général aux citoyens de disposer de leurs for-
tunes, la loi réprime la prodigalité par l'inter-
diction : on pourrait citer vingt autres exem-
ples.


La société est donc en droit de refuser à
ses membres, dans tel ou tel cas, la faculté
de disposer arbitrairement de leur fortune. Le
même pouvoir qui fixe les règles testamen-
taires, et annule les testaments quand ces
règles ont été violées, peut interdire en cer-
taines circonstances les testaments mêmes,
ou en limiter étroitement les dispositions; il
peut déterminer, par sa volonté souveraine,
un ordre constant et régulier dans les suc-
cessions et les partages.


Il ne s'agit donc plus que de savoir si ce
que le législateur peut, il le doit faire; s'il
doit refuser au citoyen qui a des enfants la
faculté de choisir entre eux des héritiers pri-
vilégiés.


Les lois romaines l'accordent, on le sait ;
et c'est un grand argument pour plusieurs
Juristes. J'ignore, messieurs, s'il faut rendre
grâces à ces lois romaines, ou s'il ne faut pas
se plaindre de leur empire sur la jurispru-
dence moderne. Dans les siècles de ténèbres,
Ces lois ont été notre seule lumière ; mais
dans un siècle de lumières, les anciens flam-
beaux pâlissent; ils ne servent qu'à embar-
rasser la vue, ou même à retarder nos pas
dans la route de la vérité.


Peut-être est-il temps qu'après avoir été
subjugués par l'autorité des lois romaines,




— 96 —
tous les soumettions elles-mêmes à l'autorité
de notre raison : et qu'après en avoir été es-
claves, nous en soyons juges: Peut-être est-il
temps que nous sachions voir dans ces lois
le génie d'un peuple qui n'a point connu les
vrais principes de la législation civile, et qui
a été plus occupé de dominer au dehors que
de faire régner l'égalité et le bonheur dans
ses foyers. Peut-être est-il temps que nous
rejetions des lois où la servitude filiale dé-
coulait de l'esclavage, autorisé par ces lois
mêmes ; où un chef de famille pouvait non-
seulement déshériter tous ses enfants, mais
les vendre; où la crainte, repoussant les fils
du sein paternel, éteignait ces deux rapports,
flétrissait ces tendres sentiments que la na-
ture fait naître, et qni sont les premiers ru•
diments de la vertu. Peut-être est-il temps
que les Français ne soient pas plus les éco-
liers de Rome ancienne que de Rome moderne;
qu'iLs aient des lois civiles faites pour eux;
comme ils ont des lois politiques qui leur sont
propres; que tout se ressente, dans leur légis-
lation, des principes de la sagesse, non des
préjugés de l'habitude ; enfin qu'ils donnent.
eux-mêmes l'exemple, et ne reçoivent la loi
que de la raison et de la nature.


Or, messieurs, que nous dit cette nature,
Jans la matière que nous discutons? Si elle a
établi l'égalité d'homme à homme, à plus fo
raison de frère à frère ; et cette égalité en.
les enfants d'une même famille ne doit-
pas être mieux reconnue encore, et plus r.
pectée par ceux qui leur ont donné la n
SaCCE


— 97 —
-Cest un axiome de droit devenu vulgaire,


4ue les enfants sont les héritiers naturels de
leurs parents ; ce qui ludique à la, fois, et la
légimité du titre en vertu duquel une famille
entre dans l'héritage laissé par ses chefs, et
l'égalité du droit que la nature donne à cha-
cun de ses membres sur cet héritage.


Cette loi sociale qui fait succéder les enfants
aux pères dans la propriété des biens domes-
tiques doit se montrer dans toute sa pureté,
quand le chef de famille meurt intestat. Alors
les enfants qui succèdent partagent selon les
lois de la nature, à moins que la société ne
joue ici le rôle de marâtre, en rompant à leur
égard la loi inviolable de l'égalité.


Je ne sais comment il serait possible de con-
cilier la nouvelle constitution française, où tout
est ramené au grand et admirable principe de
l'égalité politique, avec une loi qui permettrait
à. un père, à une mère d'oublier à l'égard de
leurs enfants ces principes sacrés d'égalité na-
turelle ; avec une loi qui favoriserait des dis-
tinctions que tout réprouve, et accroîtrait ainsi
dans la société ces disproportions résultant
de la diversité des talents et de l'industrie, au
lieu de les corriger par l'égale division des
biens domestiques.


Le concours de la loi et de l'opinion a dé-
truit chez nous cette prépondérance générale,
que les noms et les titres se sont arrogée trop
longtemps. Il a fait disparaître ce pouvoir ma-
gique qu'un certain arrangement de lettres
alphabétiques exerçait jadis parmi nous. Cc
respect, cette admiration pour des chimères
a fui devant la dignité de l'homme et du ci-


Yiajn L, •• bUlc• ••




--- 98 ---
toyen. Or, je ne sais rien de mieux pour aire
repousser des rejetons à, cette vanité enseve-
lie que de laisser subsister des usages testa-
mentaires qui la favorisent ; de cultiver en
quelque sorte par les lois ce fonds trop fertile
d'inégalité dans les fortunes. Il n'y a plus
d'aînés, plus de privilégiés dans la grande fa•
mille nationale ; il n'en faut plus dans les pe-
tites familles qui la composent.


Dans notre précédent gouvernement, une
multitude de victimes étaient sacrifiées parle
barbarie des lois féodales ou par l'orgueil pa-
ternel à, la décoration d'un premier-né. Alors
les ordres religieux, les bénéfices, les con-
vents, les places de faveur, appelaient les re-
butés des familles : voilà deux maux, dont NI
servait en quelque sorte de remède à l'autre.
Aujourd'hui, grâce à la sagesse courageuse dl
cette Assemblée, ces lieux de refuge sont fer-.
més ; mais aussi il ne faut plus d'opprimés qui
les réclament. Si, d'un côté, les spéculation'
de l'intérêt ne peuvent plus souiller nos autel:,
que, de l'autre, des enfants réprouvés par leurs
propres pères n'aient plus à regretter ces ree
sources justement proscrites. (Le côté gauche (i
les tribunes applaudissent vivement.)


Mais quoi ! les avantages domestiques qui
naissent en foule d'un système parfait d'el'
lité dans les familles ne forment-ils pas un dffi
plus forts arguments pour l'y établir? Les le
ports naturels qui unissent les pères à 180
enfants, les enfants à leurs pères ne se resse ►
rent-ils pas quand vous écartez ces pratiquas
dénaturées placées entre eux par une socle!
mal ordonnée?


---- 99 ---
Ah! on ne le voit que trop : ce sont les pères


qui ont fait ces lois testamentaires ; mais en
les faisant, ils n'ont pensé qu'à leur empire, et
ils ont oublié leur paternité. Ils en ont. été pu-
nis en faisant naître dans le coeur de leurs en-
fants, à la place des sentiments doux et sin-
cères, de ce penchant naturel. d'amour, de
respect et de gratitude, des motifs de crainte
et des vues secrètes d'intérêt. Ils en ont été
punis en préparant quelquefois les dérégla-
ments et le malheur de ces favoris de leur
vanité.


Et les enfants entre eux? Je demande si
l'inégalité du sort qui les attend n'est pas
d'avance une source de jalousie, de haine ou
d'indifférences domestiques; et si ces tristes
et naturels effets ne se prolongent pas sou-
vent dans la société, de manière à diviser pour
toujours les branches d'une même famille?
Or, vous le savez, messieurs, le bonheur de la
société se compose en plus grande partie d'af-
fections privées; c'est dans les foyers domesti-
ques que se forment les sentiments et les ha-
bitudes qui décident de la félicité publique.


Et quelle source féconde de querelles, de
difficultés, de procès ne serait pas tarie par ce
uloyen simple et naturel! Les tribunaux ne
Mentissent que trop de contestations causées
par l'obscurité des lois, le choc des usages,
l'incertitude du droit entre les diverses classes
de citoyens. C'est bien pis encore quand la
discorde traîne les familles devant les juges !
,1110rs l'acharnement est d'autant plus vif, les
uecultés plus interminables, et le ressenti-
Mein plus profond, que les liens du sang sont




-- 100
plus étroits. La société en est déchirée, et le
scandale s'ajoute à la ruine.


Il y a plus, et je pense que toute l'éduca-
tion d'une famille tend naturellement à se ré-
gler sur le sort qui attend les enfants dans le
partage des biens domestiques. L'inégalité de
ce partage appelle l'inégalité des soins pater-
nels, celle même des sentiments et de la ten-
dresse. Mais tandis que le fils privilégié, qui
fait plus particulièrement l'espoir et l'orgueil
de ses parents, reçoit une éducation plus re-
cherchée, lui, de son côté, sentant que son sort
est fait dans le monde, et qu'il s'agit bien
moins pour lui d'être que de paraître, de se
rendre utile que de jouir, profite, comme on
peut le croire, des soins qu'on lui donne.
Quant au reste de la famille, vouée en quelque
sorte à l'obscurité, son éducation se ressent de
la destinée qu'on lui prépare. C'est ainsi que
tout se corrompt sous l'influence des mauvaise
lois.


Mirabeau conclut à fixer législativement
l'ordre et le partage des successions en ligne
directes, qui interdit aux ascendants enve.
leurs descendants, et vice versé, toutes subsie
tutions et fidéicommis, ainsi que toutes dis-
positions tendantes à rompre l'egalité des par
cages; celles qui préexisteraient ne devront
conserver d'effet que dans un degré et wie
une scuie mutation; enfin, à assurer ainsi Mis
héritiers les neuf dixièmes de la succession,
un dixième seulement restant à la disposition
du testateur.


-- 101
Les plus vifs applaudissements se renouve-


lèrent à la fin de cette lecture, qui termina la
séance.


nmiuss RENDUS A LA MÉMOIRE DE MIRABEAU,
CRÉATION DU PANTHÉON


L'Assemblée sentit très bien la perte que la
Révolution et la France venaient de faire, et
elle voulut honorer, comme elle le méritait, la
mémoire de ce grand homme, qui avait tant
fait pour la liberté de son pays.


Dans la séance du 3 avril, une députation
des sections de Paris fut introduite à la barre.
Consternée de la perte que la nation venait de
faire, et voulant rendre un hommage d'estime
et de reconnaissance aux mènes de Mirabeau,
elle présenta le voeu qu'il fût inhumé au
champ de la Fédération, sous l'autel de la pa-
trie.


On applaudit à cette belle idée.
De nouvelles vues furent suggérées par le


département de Paris.M. de La Rochefoucault,
à la tête d"une députation, s'exprima dans les
termes suivants :


« L'administration du département de Paris
a compté, pendant quelques jours, M. de Mi-
rabeau au nombre de ses membres. C'est à ce
titre que, vêtus de deuil, nous venons parler
de lui aux représentants de la nation, et leur
apporter l'hommage du voeu que nous for-
mons pour que l'ère de la liberté française soit


â




402
l'époque d'un hommage rendu à la gloire des
hommes qui auront bien mérité de la patrie.
Nous allons vous lire, si vous le permettez,
l'extrait de la délibération du directoire. »


M. Pastoret, procureur général syndic, lut
l'arrêté du directoire de département. Cette
pièce est ainsi conçue :


Extrait des registres du directoire de
département.


«M. le procureur général syndic a dit : Mes-
sieurs, huit jours se sont à. peine écoulés de-
puis que, assis au milieu de nous, Mirabeau
présentait, avec son éloquence énergique, les
moyens de régénérer l'empire, la tranquillité
publique, et déjà Mirabeau n'est plus.


» Quand la mort frappa cet Américain illustre
dont le nom rappelle à la fois tout ce que le
génie a de plus vaste, la liberté de plus self,
la vertu de plus auguste, l'orateur français,
dans la tribune nationale, provoqua le deuil
de la France et de l'univers. Vous venez de
lui rendre le même hommage d'estime et de
douleur; mais cet hommage, messieurs, ne
vous acquitte pas entièrement.


» Au milieu des justes regrets causés par une
mort qui, dans ce moment, peut être considé-
rée comme une calamite publique, le seul
moyen de distraire sa pensée est de chercher,
dans ce malheur même, une grande leçon
pour la postérité.


» Les larmes que fait couler la perte d'un
grand homme ne doivent pas être des larmes
stériles. Plusieurs peuples anciens renfermè-
rent dans des monuments séparés leurs prê-
tres et leurs héros. Cette espèce de cultequ'ils rendaient à la piété et au courage, ren-


— 103
dons-le aujourd'hui à l'amour du bonheur et
de la liberté des hommes. Que le temple de
la religion devienne le temple de la patrie.
Que la tombe d'un grand homme devienne
l'autel de la liberté.


» On sait qu'une nation voisine recueille reli-
gieusement, dans l'un de ses temples, les ci-
toyens dont la mémoire est consacrée par la
reconnaissance publique. Pourquoi la France
n'adopterait - elle pas ce sublime exemple?
Pourquoi leurs funérailles ne deviendraient-
elles pas une dépense nationale?


« Mais ce voeu, nous ne pouvons que l'expri-
mer; c'est à nos représentants, à ceux que
nous avons si justement chargés du soin de
nos lois et du soin de notre bonheur, à lui
imprimer un caractère auguste. Ihltons-nous
donc de le leur présenter; et qu'un décret so-
lennel apprenne à l'univers que la France
consacre enfin aux amis du peuple les mo-
numents que l'on élevait autrefois au hasard
de la naissance on des combats.


Le procureur général syndic entendu, le di-
rectoire arrète qu'il sera fait une députation
a l'assemblée nationale pour demander :


1 0 Qu'il soit décrété que le nouvel édifice de
Sainte-Geneviève soit destiné à recevoir les
cendres des grands hommes, à dater de l'épo-
que de notre liberté;


Que l'Assemblée nationale seule puisse
juger à quels hommes cet honneur sera dé-
cerné ;


30 Qu'Honoré Riquetti de Mirabeau en soit
jugé digne;


40 Que les exceptions qui pourraient avoir
lieu pour quelques grands -hommes morts
avant la révolution, tels que Descartes, Vol-
taire et J.-J. Rousseau, ne puissent être faites
que par l'Assemblée nationale;


5° Que le directoire du département de Paris




/04


soit chargé de mettre promptement la nou-
velle église de Sainte-Genevieve en état de
remplir sa nouvelle destination ; et d'inscrire
au-dessus du fronton : Aux grands hommes la
patrie reconnaissante.


Cette adresse fut vivement applaudie, et la
réponse du président , qui était Tronchet,
ajouta à l'impression qu'elle avait faite.


• Lorsq ue l'Assembl ee nationale, d it-il , enten-
dait la voix éloquente de Mirabeau provoquer
les honneurs publics pour la mémoire de Fran-
klin, elle ne s'attendait pas que trop tôt notre
douleur, et celle de la France entière, appelle-
rait les mêmes hommages sur la tombe de
notre collègue. Il était aussi le vôtre, mes-
sieurs, et l'Assemblée nationale reçoit avec
sensibilité le voeu par lequel vous venez ap-
porter le sentiment de la reconnaissance offert
a un des grands défenseurs de la liberté pu-
blique. »


La pétition du département. renfermait deus
objets : l'un concernant les honneurs à rendre
aux grands hommes après leur mort, l'autre
relatif à l'attribution de ces honneurs à Mira'
beau. Robespierre, qui prit la parole dans le
discussion, distingua ces deux objets, et rendit
à Mirabeau l'hommage suivant :


• La pétition du departement de Paris vous
présente deux objets egalement dignes de vo•
tre attention : l'un particulier à M. Mirabeau,
l'autre général et tendant à fixer la manière
dont la nation doit récompenser les grandi
hommes qui l'ont servie. Quant au premier,
il n'appartient, je crois, à personne dans cette
assemblée, de contester la justice de la pub'
tion. Ce n'est pas au moment ois l'on entend de
toutes parts les regrets qu'excite la perte de cet
homme illustre dans les époques les el
critique; a déployé tant de courage contre la


tO5
despotisme, que l'on pourrait s'opposer à. Ce
qu'il lui tilt décerné des marques d'honneur.
J'appuie de tout mon pouvoir, ou plutôt de
toute ma sensibilité, cette proposition. »


M. Barnave termina la discussion d'une ma-
nière qui fait honneur à son coeur.


Nous ne pouvons point nous occuper
en ce moment, dit--il, du mode qui sera
adopté pour consacrer la reconnaissance de
la nation envers ceux qui l'ont bien ser-
vie. Les détails auxquels nous obligerait
une pareille discussion troubleraient et dégra-
deraient le sentiment profond dont nous som-
mes pénétrés. Ce sentiment juge M. Mirabeau,
puisqu'il est le souvenir de tous les services
que M. Mirabeau a rendus à la liberté de sa
atrie. C'est• ce jugement qu'il est question


de prononcer en ce moment. Je propose de
rendre un décret concu en ces termes : L'As-
semblée nationale déclare qu'Honoré Riquetti
Mirabeau a mérité les honneurs qui seront dé-
cernés par la nation aux grands hommes qui
l'ont bien servie. — Renvoie le surplus de la
pétition au comité de constitution pour en
rendre compte incessamment. n


C'est ainsi que les deux objets furent dé-
crétés.


Dès le lendemain, le conseil de constitution
fit connaître son avis. M. Chapelier dit que • le
comité avait mis d'autant plus d'empressement
à cet égard qu'il avait vu que c'était honorer
encore plus la mémoire du grand homme que
la France venait de perdre, que de décerner à
son occasion un monument public aux grands
hommes qui ont bien mérité de la patrie. •


Il resterait, continua-t-il, une seule difficulté :
M. Mirabeau a demandé, par une disposition
testamentaire,.à être inhumé dans sa maison
de campagne a Argenteuil ; mais il ne pré-
voyait pas alors les honneurs que devait lui




— 106 —
décerner la patrie. Votre comité a pensé que
les dépouilles du grand homme que nous per-
dons appartiennent à la patrie, comme il lui
appartenait lui-même pendant sa vie ; il vous
propose le projet de decret suivant :


L'Assemblée nationale, ouï le rapport de
son comité de constitution, décrète ce qui
suit :


» Art. lez. Le nouvel édifice de Sainte-Gene-
viève sera destiné à. réunir les cendres des
grands hommes, à dater de l'époque de la
berté française.


• Art. 2. Le Corps législatif décidera seul à
quels hommes cet honneur sera décerné.


n Art. 3. Honoré Riquetti Mirabeau est jugé
digne de recevoir eet honneur.


• Art. 4. La législature ne pourra pas décer-
ner cet honneur à un de ses membres, venant
à décéder : il ne pourra être déféré que par
la législature suivante.


» Art. 5. Les exceptions qui pourront avoir
lieu pour quelques grands hommes avant la
révolution, ne pourront être faites que par le
Corps législatif.


• Art. 6. Le directoire du département de Pa.'
ris sera chargé de mettre promptement l'édi-
fice de Sainte-Geneviève en état de remplir sa
nouvelle destination.


» Seront gravés au-dessus du fronton, ces
mots :


» AUX GRANDS HOMMES


» LA PATRIE RECONNAISSANTE.


• Art. 7 En attendant que la nouvelle église
de Sainte-Geneviève soit prête, le corps de


— 107 —•
Riquetti Mirabeau sera déposé à côté des cen-
dres de Descartes, dans le caveau de l'ancienne
église Sainte-Geneviève. »


L'Assemblée adopta avec transport le projet
de décret présenté par le comité.


Vers le milieu de la séance, le président
avait annoncé que le convoi de Mirabeau se-
rait prêt à partir à quatre heures. L'Assemblée
décide qu'elle s'y rendrait en corps.


Nous ne décrirons pas les funérailles de Mi-
rabeau. Jamais cérémonie ne futplus majes-
tueuse, lit-on dans le Moniteur.. Quel roi alla
jamais à Saint-Denis, dit Camille Desmoulins,
escorte d'autant de chevaux , d'esclaves et
d'ânes que Mirabeau d'hommes libres en al-
lant à Sainte-Geneviève ? •


Le jour même de la mort de Mirabeau, le
Journal de Paris appréciait son caractère po-
litique en quelques lignes plus remarquables
dans leur brièveté que le long éloge funèbre
de Cerutti :


« M. Mirabeau est mort. routes les passions
et tous les partis se sont reunis à donner les
mêmes regrets et les mêmes larmes au talent
que la patrie a perdu. Son nom est celui que
la postérité rencontrera le plus souvent dans
les événements, dans les lois et dans les monu-
ments oratoires de la Révolution. Dévoué à
la cause de la liberté et de la nation par ces
engagements qui lient un homme dans tous
les points de son existence, il a pu flotter dans
le choix des moyens de faire triompher cette
cause, jamais dans la résolution de tout sa-
crifier au désir et au besoin de lui assurer
un triomphe immuable. Parmi les acclama-
tions qui accompagnaient son nom, depuis
deux ans, de graves inculpations, il est vrai,
se faisaient aussi entendre : mais les pre-
mières étaient méritées par des talents et par
des services dont on ne pouvait contester l'é-




-- JOS --
Ce; les secondes, environnées pour ses en-
nemis mêmes des obscurités de l'incertitude,
devaient être regardées comme 13s vengeances
d'un parti qui a succombé, ou des envieux
que Mirabeau désolait autant que les aristo-
crates. lb


OEUVRES POSTHUMES DE MIRABEAU




OEUVRES POSTHUMES DE M1RAHEAU


On attribue généralement à Mirabeau un
Travail sur Céducalion publique, trouvé dans
ses papiers, imprimé en 1791 par Cabanis ;
nous n'insisterons pas sur ce travail, qui pa-
raît être l'ouvrage de l'éditeur lui-meme. Ca-
banis ne devait avoir du moins entre les mains
que des notes tout a fait incomplètes.


Mais pour compléter cette exposition des
opinions de Mirabeau sur les grandes ques-
tions mises à l'ordre du jour de notre siècle
par la Révolution, nous devons mentionner
quelques-uns des projets authentiques de dis-
cours recueillis par M. Lucas-Montigny, et
publiés dans ses Mémoires de Mirabeau.


Parmi ces écrits posthumes, nous signale-.
rons surtout un projet de discours relatif à
l'abolition de l'esclavage, un autre relatif au
mariage des prêtres, et un troisième sur la
liberté de la presse.


Nous plaçons encore sous cette rubrique un
curieux fragment de lettre sur un projet de
faire de Paris un port de mer—l'idée qui s'est
reproduite avec persistance dans ces derniers
temps n'est pas neuve;—et enfin un Mémoire
sur la franc-ma


ç
onnerie qui atteste combien


les idées politiques de Mirabeau lui tenaient à
cœur. On verra qu'il voulait faire de la maçon-
nerie une véritable propagande révolutionnaire.




n-• 112 —


SUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE


Le premier de ces discours est particulière-
ment remarquable. Mirabeau le réservait pour
une circonstance opportune, qui ne se pré-
senta pas durant son trop court passage à la
grande Assemblée, dont il était une des plus
éclatantes lumières.


Voici quel devait être l'exorde de l'orateur :


J'entreprends de plaider devant vous la
cause d'une race d'hommes qui, dotés d'une
fatale prééminence parmi les malheureux,
épuisant en peu d'années toutes les douleurs
humaines, vivent, souffrent et meurent escla-
ves de la plus détestable tyrannie dont l'his-
toire nous ait transmis les forfaits.


Vous savez déjà que je parle des esclaves
de l'Amérique.


Je ne dégraderai ni cette Assemblée ni moi-
même en cherchant à prouver que les nègres
ont droit à la liberté; vous avez décidé cette
question, puisque vous avez déclaré que tousles hommes NAISSENT ET DEMEURENT ÉGAUX ET LI-
BRES, et ce n'est pas de ce côté de l'Atlantique
que des royalistes corrompus oseraient soute-
nir que les nègres ne sont pas des hommes/


Si, d'après ces principes solennellement pro-
clamés dans toute l'Europe, les nègres de vos
îles, hommes comme nous, ont un droit in-


' contestable à la liberté, d'oà vient que cette


-- In
Assemblée n'a point encore détruit les rap-
ports de maître et d'esclave dans toute l'éten-
due de l'empire français


Il importe à la France d'abolir l'esclavage,
poursuit Nirabeau, non pas seulement pour
que ses actes soient conséquents avec les
principes de liberté qu'elle proclame , et
dont elle organise les conséquences consti-
tutionnelles, mais encore pour servir de grands
intérêts, pour obéir à de grands devoirs que
révèle la plus simple prévoyance d'un avenir
prochain.


En effet, pourrait-on cacher aux peuples
éloignés cette révolution qui est. votre gloire?
La proclamation des Droits de l'homme ne re-
tentira-t-elle pas dans toutes les parties du
globe? Ne redira-t-on pas de proche en proche
qu'en France tous les hommes sont eégis par
des lois égales ? Et quand la sagesse de votre
constitution sera connue du monde entier, y
aura-t-il une puissance sur la terre assez forte
pour empêcher que la liberté ne devienne
l'objet de l'ambition de tous les peuples, et
qu'à notre exemple ils ne secouent, ils ne bri-
sent tôt ou tard les fers dont ils sont meur
tris ?


Si cet effet, plus ou moins éloigné de la ré-
volution française est inévitable, une multi-
tude d'hommes esclaves resteront-ils seuls
témoins immobiles, victimes résignées du pri-
vilège exclusif de la liberté? Ne voudront-ils
pas, ou la conquérir, ou qu'elle leur soit ren-
due? Parviendra-t-on à leur en voiler le spec-
tacle, à les priver désormais de la raison et
de la réflexion. comme on les prive de la li-




b


— --


berté? Les blancs suffiront-ils à maintenir'
par leurs seules forces le régime que vous
avez détruit? Ou pourront-ils se borner à en
faire une parodie insolente ? Transformeront-
ils en mystères religieux les usages et les de-'
voirs des hommes libres? Réserveront-ils la
pratique de la liberté pour de certains lieux,
pour de certains jours ?


Non, vous penserez pour ceux qui ne pen-
sent point; vous vous élèverez au-dessus des
intérêts que les préjugés et.


l'ignorance enten-
dent mal, et vous sentirez que, pour épargner
d'horribles carnages, que, pour conserver vos
colonies, il faut, dès cet instant, pré parer les
noirs à la possession d'un bien qu'aucun
homme ne tient de son semblable, et qui est
le domaine universel de l'humanité.


Mais je suppose que les tyrans coloniaux
aient des moyens assez puissants pour conser-
ver sans péril les nègres au rang de leurs
bêtes de somme; je suppose qu'ils puissent
exercer sur leurs esclaves le plus affreux des-
potisme et en même temps chérir une Consti-
tution qui ne respire que la liberté




Je ne
vous dirai pas que cet odieux contraste ré-
volte la raison; je ne vous montrerai pas com-
bien il est affreux de regarder la liberté pour
soi-même comme le premier des biens, et
d'appesantir le joug de la servitude sur une
race d'infortunés ; mais je dirai que, dans cette
domination, les blancs contracteront ou plutôt
conserveront des moeurs, des habitudes, des
principes qu'ils nous rapporteront au sein de
lu métropole, ois ils tendent sans cesse à re-
venir, ou ils reviennent toujours; moeurs et


— 115
habitudes, sentiments et principes dont l'inté-
rêt même de notre liberté nous commande
d'examiner sévèrement l'influence


Mirabeau entre ensuite dans la discussion des
motifs que les défenseurs de la traite et de
l'esclavage opposent aux opinions qui veulent
l'abolition immédiate de l'une, graduelle de
l'autre.


Ces objections sont de deux sortes :
Les unes sont relatives aux noirs en eux-


mêmes ;
Les autres reposent sur divers intérêts po-


litiques et financiers de la France.
Commençons par la question particulière,


c'est-à-dire par les argumentations qui s'ap-
pliquent aux seuls noirs :


Nous n'affirmons point, disent leurs bour-
reaux, ou les avocats de leurs bourreaux, que
le commerce des esclaves soit juste. Mais :


1° Il les préserve de la condition bien pire que
la guerre ou la captivité leur ferait subir dans
leur propre patrie;


20 Ce commerce ne se fait point d'une manière
inhumaine;


30 Les nègres ne sont pas malheureux dans
les colonies, et certainement pas plus que les la-
boureurs dans nos climats, et, par exemple, que
la plus grande partie de nos paysans ;


40 Il faut, d'ailleurs, opter entre le maintien
de la traite ou la ruine des colonies, car elles ne
peuvent être cultivées que par des noirs; et,
comme leur reproduction est insuffisante, il n'y
a que la traite qui puisse y suppléer;


50 On exagère les travaux et les souffrances
des noirs esclaves, et ils sont d'autant moins d
plaindre, que leurs maitres ont un intérêt, même
pécuniaire, à les itrMaier;


6° Enfin, des lois et des règlements peuvent




-- 116
venir au secours des noirs, si leur situation
exige réellement, ce qui est douteux, le secourt
de l'autorité législative.


Mirabeau examine et réfute ces objections
par une argumentation très serrée eten même
temps très éloquente. Qu'on en juge par le
passage suivant :


Vous l'avez vu, nos adversaires soutiennent
en second lieu, que la traite des nègres n'est
pas un commerce inhumain.


Pour en juger en connaissance de cause,
lisez le rapport fait en Angleterre, au conseil
privé et à la barre du parlement : le relevé
authentique des bâtiments négriers partis de
Liverpool, de Bristol , démontre par une série
de dix années, que la Grande-Bretagne ex-
porte annuellement plus de cent mille nègres,
et qu'un cinquième au moins périt avant d'ar-
river à sa destination. Ainsi, sur cent hommes
ravis à l'Afrique, il en meurt vingt tout de
suite! ainsi, dans une seule branche de ce
commerce monstrueux, la traite détruit cha-
que année 'vingt mille noirs! Eh! d'oà vient
cette mortalité terrible? apprenez-en la cause,
colons qui feignez de regarder l'esclavage
comme un bienfait ; c'est qu'à l'horreur de la
captivité qui commence pour ne plus finir
qu'à la. mort, se joignent encore, pour les nè-
gres, pendant le trajet, la faim, les maladies,
le manque d'eau, le manque d'air.... ET Cg
COhittlERCE s'EST PAS INHUMAIN !...


Comptez pour rien les dévastations, les in-
cendies, les pillages auxquels il a fallu livrer
la côte d'Afrique pour en extraire avec des
peines et des frais infinis, le petit nombre de


-- 117 --
noirs qui survivent à la capture, comptez
pour rien ceux qui, durant la traversée, se
donnent la mort, ou qui périssent dans les
révoltes du désespoir; mais figurez-vous ce
qu'est cette traversée de deux mille, quelque-
fois de trois mille lieues. Voyez le modèle
d'un navire chargé de ces infortunés, et tâ-
chez de ne pas détourner vos regards. Comme
ils sont entassés les uns sur les autres?...
Comme ils sont étouffés par les entre-ponts!
ne pouvant se tenir debout, même assis, ils
courbent la tête; bien plus, ils ne peuvent
mouvoir ni leurs membres, étroitement gar-
rottés, ni leur corps même, car soumis à tous
les besoins, à tous les maux de celui dont il
partage les fers, chaque homme est attaché à
un homme, quelquefois à un mourant, quel-
quefois à un cadavre! Voyez comment le vais-
seau, qui se roule les meurtrit, les mutile, les
brise l'un contre l'autre, les déchire par leurs
propres chaînes et présente mille supplices
dans un seul tableau! Se couchent-ils, tout
l'espace est rempli; et l'insensée cupidité qui
voudrait les secourir, n'a pas même prévu
qu'il ne restait plus de passage, et qu'il fau-
drait fouler aux pieds ces corps de suppliciés
vivants. Ont-ils du moins une somme suffi-
sante d'air respirable? Calculons ensemble :
un espace d'un peu moins de six pieds de
longueur sur un peu plus d'un pied de lar-
geur, est la base de la colonne d'air, la plus
courte possible qui doit suffire à la respiration
de chacun; aussi vicié en peu de temps
dans ses principes, à peine renouvelé par d'é-
troites ouvertures que font souvent fermer




118
le gros temps, la pluie, cent occurrences di-
verses, cet air se change bientôt en poison.
Mais pourquoi en auraient-ils davantage?
pourquoi l'auraient-ils pur ? n'a-t-il pas fallu
aussi spéculer sur ce premier besoin de la
vie? Les infortunés ! je les vois, je les entends;
altérés de respiration, leur lan gue brûlante et
pendante peint leur douleur, et ne peut plus
l'exprimer. Comme ils s'attachent, comme ils
se collent à ces treilles! comme ils cherchent
à pomper même des rayons de feu par l'espoir
de se rafraîchir un instant !


Ecoutez ces hurlements; voyez les derniers
efforts de ces malheureux qui se sentent suf-
foquer.... vous n'entendez plus que le silence.
Cet air mesuré par la barbarie, cet air impré-
gné de douleur, de désespoir et de sang, n'est
plus qu'une homicide atmosphère de mofètes
pestilentielles; et, malgré vous, la mort de la
moitié de ces victimes va faire la place des
autres.... Suivons donc ce navire, ou plutôt
cette longue bière flottante, traversant les
Mers qui séparent les deux mondes. L'infor-
tuné qui voit périr son compagnon se prive
en vain du mouvement, seule manière dont il
puisse le secourir, ou oublie souvent pendant
plus d'un jour qu'il n'est plus attaché qu'à un
cadavre; et: là se reproduit comme un événe-.
ment ordinaire le supplice qui a fait de son
inventeur le type des plus affreux tyrans.
L'horrible cachot mouvant se dépeuple do
plus en plus, nègres et matelots sont mois-
sonnés; les maux les plus affreux, naissant lel
uns des autres, trompent par leur ravage l'a•
varice même qui les a enfantés, l'avarice qui


— 419
a trouvé de l'or pour acheter des hommes, et
qui n'en a pas eu pour acheter de l'air.... ET a,
commua S'EST PAS INHUMAIN!...


Mais ne serait-il pas possible de prévenir
ces accidents affreux en chargeant moins de
nègres sur chaque vaisseau? Non : la traite,
alors, deviendrait impraticable; le marchand
d'esclaves violerait je ne sais quel atroce et
stupide règlement; il ne peut tourner à son
avantage ce commerce si hasardeux qu'autant
qu'il entasse les nègres comme des objets de
cargaison. Ces malheureux qu'à terre on
considérera tour à tour comme des hommes
ou des animaux, ne semblent, au moment du
transport, que des êtres inanimés, un vérita-
ble lest, utile pondus. La cupidité humaine se
joue à leur faire parcourir tous les régnes
de la nature ET CE COMMERCE S'EST PAS 1511G


-MAIN !...
Du moins, contents de dompter, à force


d'inhumanité, les esclaves voyageurs, leurs
conducteurs sauront-ils leur pardonner les
tentatives qu'ils font trop souvent en vain,
Pour se réfugier dans la mort, ou se procurer
la liberté?... non : cette dernière équité, on la
rencontre quelquefois dans les âmes les plus
féroces, mais l'inexorable cupidité l'interdit à
ses agents. Tous les vaisseaux négriers abon-
dent en instruments de supplice, non pas de
mort, mais de vie, et le croirez-vous'? un de
US instruments est destiné à faire prendre de
force des aliments aux esclaves qui veulent
Mourir! on les contraint ainsi à prolonger
leur vie et leur misère..ET CE COMMERCE S'EST
PAS INHUMAIN




— 120
Mais je me trompe : quelquefois les nègres


doivent le bienfait de la mort à leurs conduc-
teurs. Chaque navire négrier emporte une
provision de poison; il est utile dans les ré-
voltes; il est nécessaire, si le calme accueille
ce vaisseau où l'avarice a mesuré la place des
aliments, comme celle de l'air. Par le poison,
l'équipage se délivre de l'esclave impétueux
que les chaînes, que les gardiens auraient
peine à contenir, et dont le généreux exem-
ple inviterait ses compagnons à la révolte, à
la vengeance. Le poison supplée à la disette
de l'eau et des comestibles.... vous frémissez;
le fait est certain; il est avoué; il n'est pas
contestable; c'est un des procédés nécessaires
à la traite. On vous a demandé de décréter
les meurtres, les brigandages, les atrocités
qu'elle enfante; rendez encore légal l'empoi-
sonnement; sans lui le trafic des esclaves ne
saurait se maintenir.... ET CE COMMERCE N'EST
PAS INHUMAIN!...


Il l'est également pour les agents supérieurs
comme subalternes de la traite, et si votre pitié
vengeresse respire à ces mots, qui semblent
annoncer une juste punition, gardez de vous
méprendre. Les matelots sont presque aussi
innocents que leur proie humaine : existe-t-il
«an commerce plus barbare que celui dont il
faut séduire les agents par des avances d'ar-
gent, par les excitations de la débauche, par
toutes sortes de ruses odieuses? Pourtant ce
n'est qu'ainsi qu'on parvient en Angleterre à
former l'équipage d'un vaisseau négrier ; c'est
ainsi qu'on enrôle des matelots déjà vaincus
par leurs besoins: et plus tard c'est par les


— 121


mauvais traitements qu'ils essuient à bord
qu'on les assujettit à tous les actes de cette
odieuse entreprise. Le capitaine qui les com-
mande est presque toujours un homme dur et
cruel; il le faut bien, puisqu'il se dévoue vo-
lontairement à l'affreux métier de trafiquer
du sang des hommes ; il règne en tyran sur
son équipage comme sur la cargaison : il
oblige les matelots à s'approcher du rivage
dans des canots découverts pour recevoir les
esclaves dérobés. Cette horrible chasse, ces
vols, ces recéler-amis homicides, ne peuvent
se faire que pendant la nuit : son excessive
fraîcheur succédant, sous le tropique du Can-
cer, aux ardeurs d'un jour dévorant, frappe
souvent de cécité les matelots avant qu'ils
aient pu regagner le navire, et soumet à de
lentes tortures les agents d'une conspiration
dont ils expient le crime sans avoir recueilli,
sans avoir à recueillir les profits du crime ;
en un mot, ce n'est pas celui des matelots,
c'est celui de leurs maîtres, et leur sort ne
sera guère différent du sort de leurs victimes,
dont le contact sur le même navire leur com-
muniquera souvent les plus affreuses mala-
dies et quelquefois la mort.


Ces faits, et tant d'autres que je pourrais
citer, attestent trop bien l'exécrable inhuma-
nité de la traite et ses conséquences mons-
trueuses.


Mirabeau termine par cette éloquente adju-
ration :


J'ai démontré que les intérêts politiques et
commerciaux de la France vous commandent




— 122 —
l'affranchissement graduel des nègres; que
l'abolition de la traite peut seule y conduire
sans secousse, sans catastrophe ! Qu'en por-
tant ce décret d'abolition, vous rendez, dès ce
moment, à un sort supportable des milliers
d'hommes. dont l'existence est aujourd'hui
l'opprobre et le crime du reste de l'espèce hu-
maine; que vous leur donnerez, avec-la pers-
pective de la propriété, les besoins d'économie
qu'elle fait connaître, les vertus sociales
qu'elle favorise, ou plutôt qu'elle engendre;
que leurs travaux, soutenus, excités par des
sentiments doux, par des motifs raisonnés,
par de justes espérances, seront moins coû-
teux et plus productifs; que, dans ce système
de modération et d'humanité, les colons eux-
mêmes apprendront à détester la tyrannie
comme un crime inutile; qu'ils se façonneront
ainsi à la liberté publique, et qu'ils n'ont pas
moins besoin de ce bienfaisant apprentissage,
que les nègres de celui de la liberté person•


Vous ne seriez que de sages administra•
teins, qu'il vous faudrait reconnaître, procla•
mer, pratiquer ces vérités de simple ecce.
mie politique; mais vous êtes des législateurs,
vous êtes les dépositaires de la morale de e
nation et de son honneur, comme de se
droits et de sa puissance; et quand les devoid
les plus impérieux, quand les principes de l
constitution auxquels vous êtes unis par vus
serments ne vous laissent ni choix, ni déls!,
ni prétexte; vous que n'ont pas effrayés les
réformes les plus hardies et les plus difficile
pourriez-vous hésiter à n'être que justes?


-- 123
Que l'Assemblée qui, avec tant de courage,
détruit l'aristocratie dont le joug humiliait


a France en la dominant, donne sa sanction
i l'aristocratie mille fois plus odieuse qui op-
prime les Indes occidentales! Qu'après avoir
aboli des priviléges insultants, elle les consa-
cre dans la plus inique de toutes leurs appli-
cations ! Qu'après avoir déclaré, en prononçant
anathème contre le système féodal, qu'aucun
homme, même pour de simples intérêts de
propriété, ne peut être sous la puissance d'un
autre; qu'après avoir tout fait pour la liberté,
l'Assemblée marque, qu'elle rive les fers des
Africains du sceau national, du triple sceau
de la nation, du roi, de la loi! que le détesta-
ble privilège d'opprimer le faible, l'ignorant, le
Pauvre, soit le seul qu'elle respecte ; et qu'a-
Prés avoir regardé une naissance illustre,
d'inunenses possessions, des services rendus
a la patrie, et même une longue suite de souve-
rains pour aïeux, comme de vains titres, elle
reconnaisse cependant que la couleur dela peau
est une charte légitime de tyrannie


Voilà
qui est impossible. Le seul douté serait un


,o utrage. Je laisse à d'autres que moi l'insensé
courage de le proférer, et le honteux espoir
d'être applaudi.


Je ne demande donc plus si nous abolirom,
une trafic de la traite; mais faut-il que


demande quand nous l'abolirons, tandis
,me année de retard autorise en Afrique


assassinats et condamne des millions
d'hommes à l'esclavage? La longue suite des
maux les plus cruels serait-elle donc un titre
four les prolonger indéfinixnent?Differer, est-




--- I —
ce autre chose que tolérer des crimes ? Hési-
ter, n'est-ce pas décider de fait? Les commer-
çants négriers, les Africains armés qui mar-
chent aux combats pour faire des prisonniers
afin de les vendre, hésiteront-ils? Les des-
potes qui condamnentdes innocents, les bar-
bares qui égorgent les enfants pour vendre
les mères hésiteront-ils ?


Représentants des Français, ah! ne laissez
pas éteindre le feu sacré dans vos mains ! Ne
laissez point échapper une occasion si propre
à amollir les haines nationales ! Asseyez sur
l'éternelle et inébranlable base de l'intérêt de
l'humanité l'alliance des deux premiers peu-
ples de l'Europe, et qu'ils commandent désor-
mais la paix au monde entier, au lieu de l'en-
sanglanter en s'entre-déchirant. Que ce beau
système soit votre pieuse politique ; seul D
est assez vaste pour tout concilier, pour tout
réprimer; c'est lui qui, faisant disparaître non
pas les rivalités de commerce, mais ces haines
absurdes, confiera aux soins paternels et vie
lents de la France et de l'Angleterre la
becté des deux hémisphères. Il imitera pour
l'espèce humaine cette cause première qui
régit en silence l'univers et qui, donnant au
grand tout une impulsion uniforme, laisse
cependant une immense latitude aux cause
secondes.


Représentants des Français, vous êtes di:
gnes d'atteindre à cette hauteur! Montrez e
toutes les nations quel est le véritable esprit de
notre révolution qui les étonne, qui les émeut!
qui excite toutes leurs sympathies, mais (le;
doit aussi les instruire par de généreux 0


— i 25 —
vertueux exemples; d'autant plus nécessaires
que partout les préjugés aveugles de l'igno-
rance, ou les haines intéressées de l'orgueil
aristocratique tendent. à la faire méconnaître
en la calomniant. Prouvez à l'univers que si
des circonstances heureuses ont favorisé vos
nobles et rapides conquêtes sur la tyrannie,
elles sont dues surtout aux inspirations de
votre philanthropie, à son zèle et à son intel-
ligence, à son courage réfléchi et à sa persé-
vérance chaleureuse. Soyez les tuteurs de
l'humanité souffrante, à la Jamaïque comme
à Saint-Domingue, dans vos colonies comme
dans celles des autres Etats européens. Votre
décret, attendu sous le hamac du nègre, est
le seul espoir de sa misère. Séchez d'un mot
les larmes de ces infortunés; rendez-les meil-
leurs en leur ouvrant l'espoir d'être un jour
plus heureux; comme les dieux, exaucez tou-
tes les prières justes : répandez en même
temps sur tous les climats l'influence régéné-
ratrice de la paix et de la liberté et que les
restaurateurs de la France affranchissent tous
les mondes!




— 126 —


UR LE MARIAGE DES PRÉTRES


Ce morceau est encore un projet de discours;
et Mirabeau n'attendait sans doute qu'une cir-
constance pour prendre l'iniative sur la ques-
tion. Ces nombreux projets de discours, re-
trouvés dans les papiers de Mirabeau, mon-
trent, une fuis de plus, l'absurdité de l'opinion
qui transforme ses secrétaires en collabora-
teurs. Lucas Montigny a retrouvé dans les pa-
piers de Mirabeau, écrits en entier de sa main,
retouchés, et souvent transformés à diverses
reprises, bous ses principaux discours. Cet
homme, que l'on voudrait nous montrer pas-
sant sa vie dans des orgies, était au contraire
un intrépide travailleur. Voici les principaux
passages de son projet inédit de discours sur
le mariage des prêtres :


La France vous doit la réforme de la cons-
titution ecclésiastique, grande et difficile opé-
ration que la sagesse même ne peut tenter
qu'à des époques excessivement rares. Vous
avez rendu à la nation des biens trop souvent
détournés de leur destination primitive et vé-
ritable. Vous lui avez rendu des milliers
d'hommes que des engagements téméraires
en séparaient, quoiqu'elle les nourrît dans son
sein ; mais vous ne les lui avez pas encore
restitués citoyens. En déterminant le nombre


' des officiers du culte, leur salaire, l'étendue
de leurs empla's, vous les avez soumis plutôt


-- 127
que liés à notre nouvelle constitution; vous
les avez remis dans le inonde, mais non dans
rEtat ; et vous n'auriez pas assez fait pour la
religion, ni pour la patrie, si votre ouvrage
n'était pas couronné par une loi que vous
avez déjà méditée, par une loi dont l'effet se-
rait de délivrer à jamais de la chaîne du céli-
bat les ecclésiastiques qui ne voudraient plus
la porter.


Ma proposition ne renferme rien que vous
ne puissiez, rien que vous ne deviez accorder;
rien qui ne soit a la fois licite en soi-même,
important par son objet, nécessaire a votre
ouvrage. Par quels timides motifs nous dissi-
mulerions-nous que nous désirons cette loi?
que nous la croyons indispensable? qu'il res-
terait sans elle quelque chose d'hétérogène
dans la constitution. Qu'enfin, il ne s'agit ici
que d'un objet lié au régime civil, intimement
uni aux plus grands intérêts de la nation et
dont l'ambition seule et l'ignorance ont pu
faire une loi de discipline ecclésiastique?


S'il existe deux pouvoirs, l'un sur les esprits,
l'autre sur les personnes, je ne vous propose-
rai pas de les confondre, niais de les omettre en
harmonie. J'entrerai d.onc sur-le-champ dans
la question sans ces formes inventées pour
faire parvenir la vérité aux oreilles des faibles
ou des tyrans.


Quelle est l'intention fondamentale de notre
Constitution? de rendre tous leurs droits à
tous les hommes qui voudront participer à ses
avantages et de les soumettre à tous les de-
voirs qui sont une suite de ces droits, car des
droits sans devoirs et des devoirs sans droits,


L




— 128 —
sont une égale injustice, une égale absurdité
et un dangereux vice d'organisation dans l'or-
dre social.


Or la Constitution française doit-elle donc
demeurer si imparfaite, que sous son empire
on puisse trouver encore des individus qui
ouirprit des bienfaits de la patrie, sans appar


tenir à la patrie? Qui seront protégés par les
mêmes lois que les vrais citoyens, et qui se-
ront dispensés des plus essentielles de ces
lois? Qui, à la face des hommes, pourront,
que dis-je ? devront abjurer la qualité d'hom-
mes ; et qui, toujours stériles parmi les abeilles
de la ruche politique, essayeront de réaliser
une théorie que la nature combat sans cesse,
que la société ne peut reconnaître sans se
détruire?


Ne craignez pas d'être encore accusés ici de
menacer la religion. Ceux qui prétendraient
maintenir le célibat obligé des prêtres en sou•
tenant qu'il est irrévocablement commandé
par les principes de cette religion sainte, subs.
titueraient d'une manière impie les fantaisies
des hommes aux commandements du ciel.
suffit d'un coup d'oeil sur toute l'organisation
de la nature, pour voir quelle a été la véritable
volonté du Créateur; lai-même a donné le
précepte du mariage; il a frappé de réprobe«
tion jusqu'à la stérilité involon taire ; et ce soli
les hommes qui ont osé lutter coutre Dieu, el
opposant une loi dénaturée et cruelle à cette
loi de paix et d'amour, base primitive, principe
divin de la Société.


Mais si le mariage a fondé la société, elle
peut se conserver que par le mariage; il ar


— 129 --
partient donc à la politique autant qu'à la re-
ligion : elles ont un but commun, l'union, la
multiplication, le bonheur des hommes.


Qu'est-ce en effet que le mariage? un contrat
civil dont toutes les conséquences se rappor-
tent à la société, et qui, dans toutes, est du
domaine des lois civiles.


De quelle manière, à quelle fin l'Eglise in-
i,..rvient-elle dans le mariage ? Elle le bénit,


elle y ajoute la forme religieuse que nous ap-
pelons sacrement; mais cette sainte cérémonie
extérieure au contrat matrimonial, ne saurait
en constituer l'essence. C'est assez pour la re-
ligion de proclamer le mariage, de lui donner
un caractère de publicité, de marquer du
sceau de l'honneur et de la décence la coha-
bitation des deux époux, déjà liés par leur
Contrat ; et si elle solennise ainsi leur union ,
c'est su rtout pour la donner en exemple, pour
Couvrir de fleurs cette inévitable chaîne qui
lie les deux sexes à la nature comme à la so-
ciété.


La religion conseille donc, commande donc
le mariage, qu'elle consacre, et cependant les
ministres de cette religion le fuient, le com-
battent, l'avilissent ! Qui ne voit que ces minis-
tres ne sont pas ici les organes de la religion,
Mais plutôt les esclaves de quelque autre
doctrine moins pure, de quelque autre puis-
sance moins légitime.


lerabeau, dans une digression savante,
prouve que le mariage des prêtr,:s était géné-
ralement admis dans les Premiers siècles de


et que l'introduction du célibat ne
affita881,0. MN, AUCOVIIS. —




-- 130


fut qu'une conséquence de l'insatiable soif de
domination de l'Eglise romaine.


Voilà donc à quoi se réduit cette question,
historiquement envisagée. Les partisans du
célibat des prêtres nous citent quelques opi-
nions particulières, quelques décrétales, quel-
ques articles de conciles, dont l'Eglise
cane n'admet pas même tous les points de
discipline; et nous, en faveur du mariage des
prêtres , nous citons les livres saints eux-
mêmes, la doctrine évangélique, l'exemple
des apôtres, celui de saint Pierre, le chef des
pontifes, l'histoire de la primitive Église,
mille exemples postérieurs, des réclamations
sans nombre de princes, d'évêques, de peuple,
depuis que le célibat a prévalu ; enfin, la cor.
ruption des siécles de débordements et
scandale.


Quoi! l'Eglise a pu dire à une classe non?
tireuse de citoyens, à ceux qu'elle destinai
particulièrement à être l'exemple du monde:
C'est en vain que la nature vous impose
gation de perpétuer votre existence dans vos de'
tendants, qu'elle vous y sollicite par la loi
plus générale, la plus impérieuse; c'est en vais
que la religion vous appelle à l'union conjugal
par les préceptes, les exemples, les autorail.;
c'est en vain que la société, d'accord avec la rd"
gion et la nature, vous presse de former cet ee
notable, ce vertueux lien : n'importe, nous vote,
interdisons comme profane ce que la nature,0
religion, la société, appellent sacré ; nous VO
colons du inonde civil, vous serez saints à ne,",
manière ; vous vivrez dans la société, mais *Ji


-- 431


n'y virrezpas pour elle, vous n'y serez unis qu'à
nous; votre sainteté sera une abnégation de la
qualité d'homme; votre état, une violation du
premier devoir social.


Ce n'est pas cette étrange théorie qui nous
privera du droit évident de prononcer sur les
questions relatives au contrat civil, appelé
mariage. Nous séparerons le célibat ecclésias-
tique des dogmes et de la morale chrétienne,
et de tous les objets sacrés de la foi; nous n'y
reconnaîtrons qu'un arbitraire de discipline
extérieure ; ou plutôt (car je ne dois point par
une réticence timide priver mon sujet et vous
d'une grande vérité), nous ne verrons, dans le
célibat ordonné aux prêtres, qu'un attentat
contre les droits de l'homme et du citoyen,
qu'une entreprise contre les lois civiles, qu'une
usurpation du pouvoir législatif, a qui seul il
appartient de déterminer un point si intime-
ment lié à tout le système social.


Ainsi ces injonctions du célibat, qu'elles
aient été prononcées soit par des conciles fran-
çais, soit par des conciles étrangers, sont
également contraires à tous les principes, et
nulles pour nous.


De quoi s'agit-il donc ici? Il s'agit d'inves-
tir ou plutôt de réinvestir le pouvoir législatif
du droit de résoudre une question qui le re-
garde et qui ne regarde que lui. De quoi s'a-
git-il? D'user du droit que vous avez déià
exercé quand vous avez rappelé à l'Etat civil
les religieux liés par des règles qui n'étaient
pas les vôtres. emprisonnés dans des tombeaux
creusés par des mains étrangères. Cette As-
&emblée voit déjà l'intime rapport qui existe




132
entre les voeux monastiques et le célibat des
prêtres. Ce célibat n'est lui-même qu'un voeu
bien moins tolérable pour la société que les
institutions monastiques, puisque, enfin, c'est
dans les cloîtres que s'ensevelissent les maux
attachés à la discipline barbare qu'on y ob-
serve, au lieu que c'est dans la société que se
répand la contagion des mauvaises moeurs
dont le célibat est une source.


Je dis donc que la libération des voeux mo-
nastiques ne doit être, dans vos principes et
dans le plan de vos travaux qu'un prélude à
la libération du voeu forcé de célibat, auquel
le même pouvoir despotique avait soumis les
prêtres. Vous avez ouvert ces portes, brisé ces
murs, qui recelaient tant de victimes de leur
propre témérité et d'une institution antiso-
ciale; mais vous ne les avez pas enti renient
rendues à la société et à elles-mêmes. Faites
tomber ces entraves de l'esprit, ces chaînes
de l'opinion, cette servitude morale qui isole
dans la société ceux que vous y avez rappelés,
et qui demeurent encore plus étrangers à
l'ordre social par les rapports qui leur man-
quent, qu'ils ne lui appartiennent que par la
liberté qu'ils ont recouvrée.


Je vais plus loin : je soutiens que ce serait
aux dépens de l'ordre public que les religieux
rentreraient dans la société, si vous ne leviez
pas le dernier obstacle qui les empêche de
s'unir à elle par toute espèce de pacte hon


-nête et légitime. Représentez-vous des mil-
liers de religieux sortis en peu de temps des
cloîtres, répandus soudain dans le monde;
considérez que cette foule de célibataires, dont


133 —


beaucoup sont jeunes ou dans la- force de
l'âge, vont être frappés de mille objets nou-
veaux, en proie à mille tentations qu'ils n'ont
point été appelés à combattre. N'est-il pas à
craindre que l'on ne voie paraître au grand
jour plus de désordres éclatants que la mali-
gnité même n'en a peint de cachés au fond
des cloîtres?


C'est. à vous à prévenir ces désordres. Beau-
coup de religieux ne vous demandaient pas de
les arracher à leurs retraites, de frapper leurs
sens de séductions inconnues, de les environ-
ner de tentations et de piéges. Vous avez été
décidés par des raisons supérieures; mais vous
devez garantir ceux que vous avez exposés
sans leur aveu. Vous le devez à eux, vous le
devez à la société, à qui vous n'avez pas voulu
faire un présent funeste; vous le devez aux
moeurs, à la vertu dont vous êtes les premiers
protecteurs; vous le devez enfin à vous-mê-
mes. La sainte institution du mariage se pré-
sente à vous comme un remède aux maux qui
existent, comme un préservatif contre ceux
qu'il faut redouter, et c'est par vos mains que
la société doit ouvrir aux hommes nouveaux
que vous lui rendez, un abri contre des passions
qui pourraient troubler les familles, qui dé-
crieraient votre ouvrage, et déshonoreraient
la religion...


Niais j'entends les apologistes du céli-
bat vanter cette vie solitaire, comme un état
de perfection plus digne d'un prêtre. Eh bien t
je leur réponds : Si vous êtes plus sages que
l'auteur de la nature, dont la volonté la plus
visible est la reproduction illimitée, indéfinie,




— 134 -- r
votre sagesse ne nous convient pas : la pureté
est nécessaire sans doute, mais vous ne devez
pas la placer ailleurs que les autres fidèles, à
qui la religion permet les mêmes espérances
qu'a vous. Cette pureté; pour être méritoire,
devait être libre comme toutes les autres ver-
tus; vous ne devez pas la forcer par l'autorité.


Quoi ! le célibat que les législateurs ont tous
réprouvé comme un symptôme et une source
de corruption, comme un signe de décadence.
des moeurs sociales, vous le regarderiez, prê-
tres, comme un état d'excellence et de sain-
teté ? Ah I soyez seulement parthits comme
les apôtres, comme saint Pierre, comme les
premiers évêques : devenez comme eux mari
d'une seule femme; c'est toute la perfection
que le ciel et la terre vous demandent.


N'avez-vous embrassé l'état célibataire que
comme unf distinction qui vous honorêt par-
mi les autres serviteurs du ciel ? Vous vous
êtes trompés. Le célibat n'est pas moins con-
traire au but de la religion qu'a celui des so-
ciétés ; trop souvent il imprime un caractère
d'immoralité à ceux qui le pratiquent, aussi
le célibat ne fut en aucun temps honoré que
par le préjugé. Vous reconnaissez l'empire sa-
cré de la nature, puisque, tout en alliant le cé-
libat avec la prêtrise, vous exigez du prêtre
toutes les qualités physiques qui font l'homme:
or, si la nature vous parle, vois invite, votre
système de désobéissance n'est-il pas une ré-
bellion, un crime contre elle ? et si vous lui
cédez sous le masque, quel nom mérite cette
imposture qui vous donne les faux honneurs
d'une fausse perfection 9


— 135
Quant à votre serment, envers qui vous en-


gagea-t-il? Est-ce envers nous qui vous de-
mandons le contraire de ce que vous avez
juré? Voulez-vous nous appartenir ou non?
Dans la morale la plus sévère, un serment
n'est obligatoire qu'autant qu'il est libre, et
qu'il porte sur des choses justes, utiles, con-
venables. Si vous aviez commis un crime par
serinent, vous auriez commis deux crimes. Vous
avez juré d'être sans descendance ; vous avez
donc juré contre la nature, la religion et la so-
ciété? Vous avez fait ce serment aux pieds
d'un homme, et vous vous croiriez liés à lui
contre tous les hommes?.... La société dira à
l'individu rebelle aux lois sociales : Je te re-
pousse parce que, dans l'extravagance de ton
imagination, tu oses transformer en vertu le
crime de, ta nullité. La religion lui dira : Puis-
que tu as voulu créer des vertus qui ne sont ni
du ciel ni de la terre, cherche donc un domaine
pour ta divinité chimérique!


Mais on objectera peut-être que les soucis
temporels détourneront les prêtres des occupa-
tions de leur saint ministère? — Ne dirait-on
pas que les prêtres d'aujourd'hui n'ont aucun
souci terrestre; qu'ils écartent, qu'ils dédai-
gnent toute distraction mondaine et tout soin
temporel ? Parlons vrai, leurs soins, leurs dis-
tractions, ne feront que changer d'objet ; ces
soins en seront plus satisfaisants, plus édi
fiants, plus utiles. Les ecclésiastiques devien-
dront plus laborieux. Le mariage est l'école la
plus sûre de l'ordre, de la bonté, de l'humanité,
qui sont des qualités bien autrement nécessai-
res que l'instruction et le talent; mais Pinstrue-




-- 136 —


tion s'y trouve naturellement purinée, elle de-
vient plus douce et plus raisonnée, plus élo-
quente et plus générale. Parcourez les églises
étrangères; vous y verrez des pasteurs mariés
partager sagement leur temps entre leurs fonc-
tions spirituelles et l'éducation de leur famille.
Tout s'allie, rien ne souffre; leur vie est douce,
et tous leurs devoirs sont bien remplis, ceux
de la famille et ceux de l'agrégation sociale,
comme ceux du sacerdoce...


Un autre avantage se présente et me paraît
un objet de considération qui n'est pas
digne de vos regards. Vous allez, par le ma-
riage des prêtres, ouvrir, dans l'intérêt de
l'éducation générale, ces sources purifiées dont
je parlais tout à l'heure. Vous préservez nos
jeunes rejetons de ces maisons d'enseignement
prétendu, qui sont plutôt des lieux de péni-
tence et d'affliction ; vous les affranchirez de
ces lois trop souvent tyranniques, de cette
sèche indifférence, de cet égoïsme sombre
qu'ils rencontrent dans presque tous les éta,
blissements célibataires. Il faut à de faibles
enfants les soins et la vue de ce sexe qui sou-
rit des les premiers instants à leur existence,
comme é leur bonheur. Il faut à de faibles
oreilles des voix paternelles, adoucies par
l'amour d'une compagne et par l'habitude de
régler la famille. Il faut à de faibles yeux des
exemples de simplicité et d'union qu'on ne
voit que dans les mariages réguliers, et à de
jeunes esprits des leçons aimables, des devoirs
,qui soient recommandés plutôt qu'exigés, un
travail qui ne soit suspendu que par des exer ,
cites naturels pris dans une douce fraternité.


137 --
sous la tutelle, avec l'encouragement de deux
époux , qui se regarderont non-seulement
comme des chefs de famille, mais comme des
bienfaiteurs de la patrie.


Enfin, l'Église a forcé les prêtres au célibat ;
nous ne proposons pas, à Dieu ne plaise! de les
forcer au mariage, mais seulement de leur
permettre le mariage. Chacun d'eux consultera
son goût, sa fortune, ses circonstances, ses
ressources....; et quand il serait possible, après
cette génération, que la plus grande partie
des ecclésiastiques préférât un célibat volon-
taire, ce qui n'arrivera sûrement pas, vours
auriez rendu néanmoins un service signalé
aux autres prêtres, vous auriez beaucoup fait.
pour la patrie en les délivrant du célibat
forcé.


J'espère donc que nous touchons au mo-
ment où la prêtrise ne sera plus un obstacle
au mariage. Vous allez séparer dès à présent
ces importantes questions d'état civil qui vous
seront soumises dans leur temps, et sur les-
quelles vous n'exercerez pas moins vos droits;
vous ne porterez pas moins sur celles-là que
sur celles-ci les méditations de vos esprits dé-
voués aux intérêts d'une sage liberté.


Vous ne souffrirez pas, sans doute, qu'un
pouvoir spirituel qui relève du dehors vienne
décider du sort de vos familles, qu'il puisse
prononcer pour vous, pour vos enfants, pour
la société, quel citoyen peut se marier, quel
citoyen ne le peut pas; qu'il dispose ainsi en
souverain de notre législation civile.


4




-138--


SUR LA LIDERTÉ DE LÀ PRESSE


On connaît déjà l'opinion de Mirabeau sur
la liberté illimitée de la presse ; néanmoins ce
discours, qui ne fut pas prononcé, nous a paru
intéressant à reproduire :


Je ne sais si le plus grand nombre des mem-
bres de cette Assemblée est convaincu que
cette liberté n'est susceptible d'aucune police
de précaution; on peut rester dans le doute
jusqu'à ce que le comité de constitution ait
prouvé, par ses propres tentatives, que des
réglemente sur la liberté de ia presse, qui au-
raient pour objet d'en prévenir les abus, sont
incompatibles avec les puissants motifs qui
commandent à cet égard des franchises illimi-
tées.


En effet, après le régime de la censure, à
jamais réprouvé par la raison, que fera-t-on
pour séparer les avantages et les inconvénients
de la presse, en sorte que, jouissant du bien,
nous soyons préservés du mal? Par exemple,
prohibera-t-on indifféremment tous les ou-
vrages sans nom d'auteurs ou d'imprimeurs?


Mais pour qu'une telle exclusion n'exposât
la chose publique à la perte d'aucune vérité
importante, il faudrait qu'il fût possible de


— 139
rendre tous les hommes indépendants, d'éle-
ver leur âme au-dessus de certaines bienséan-
ces; il le faudrait, dis-je, car autrement cette
prohibition priverait la société des précieuses
lumières que peuvent répandre dans son sein
le grand nombre d'hommes éclairés, mais ti-
mides, qui, craignant des persécutions, se con-
damneraient au silence, dés que vous leur en-
lèveriez le voile de l'anonyme, dont souvent
des intentions innocentes peuvent vouloir se
couvrir, quoiqu'il serve d'ordinaire à cacher des
desseins criminels ou du moins coupables.


Cette privation peut-elle être justifiée? est-
elle indifférente dans un bon système de lé-
gislation? ne laisse-t-elle pas aux abus l'espoir
de se maintenir? n'assure-t-elle pas l'impunité
à ses délits, contre lesquels on n'a que la cen-
sure de l'opinion.


Non, nous ne tomberons point dans le dou-
ble malheur de multiplier les ennemis du bien
en rendant ses défenseurs plus rares et plus
timides. Eh I qui ne connaît les ménagements
dont la vérité a besoin pour nous persuader,
et les persécutions dont la société elle-même,
dans son inconcevable légèreté, tourmente
ceux que leur franchise, leur zèle ou leurs ta-
lents appellent au grand jour? Leur enlève-
verons-nous l'égide qui leur est si souvent né-
cessaiue pour les défendre contre le danger de
nous instruire, contre la rage des méchants,
contre la vengeance des passions? Exiger que
les auteurs se fassent connaître, ce serait leur
dire :


Nous ne vous permettrons de nous éclairer
qu'autant que vous vous exposerez à perdre vo-




-- 140 —
tre repos, votre fortune, les relations qu'on vous
a rendues nécessaires.


Que ceux qui voudraient assujettir la liberté
de la presse à des lois sévères nous appren-
nent donc de quel côté le bien l'emporterait
sur le mal ! La société gagnerait-elle aux pré-
cautions qui retiendraient les auteurs des li-
belles plus qu'elle ne perdrait par l'influence
de ces précautions sur les écrivains estima-
bles qui craindraient de se nommer? Un bon
livre est doué d'une vie active, comme l'âme
qui le produit; il conserve cette prérogative
des facultés vivantes qui lui donnent le jour.
Le bienfait d'un livre utile s'étend sur la na-
tion entière, sur les générations à venir. Il
grandit, il féconde l'intelligence .humante; il
multiplie, il prolonge, il propage, il éternise
l'influence des lumières et des vertus, de la
raison et du génie; c'est leur essence pure et
précieuse que l'avenir ne verra pas s'évapo-
rer; c'est une sorte d'apothéose que l'homme
supérieur donne à son esprit, afin qu'il sur-
vive à son enveloppe périssable... Et l'on vou-
drait y attenter, ou seulement en courir les
risques! Ah! les immenses avantages de la li-
berté de la presse peuvent-ils être balancés
par les inconvénients passagers et circons-
crits de ces libelles éphémères, de ces person-
nalités calomnieuses qui se détruisent en se
multipliant, et dont le mépris qu'elles inspi-
rent ne tarde pas à devenir le contre-poison?..
La question est donc jugée. Tout cc qui gê•
nerait la liberté de la presse léserait néces-
sairement la nation ; ce serait vraiment un
crime. Tuer un homme, c'est détruire une


141 ---
créature raisonnable, mais étouffer un bon li-


vre, c'est tuer la raison elle-même (i.).D'ailleurs, vous l'avez vu, l'obligation à la-
quelle vous assujettiriez Les auteurs et les im-
primeurs ne vous garantirait pas des libelles.
On suppose des noms d'auteurs et d'impri-
meurs comme on invente des calomnies,
comme on foule aux pieds tout ce qu'il y a de
plus respectable et de plus saint. Dès lors les
précautions que vous auriez cru prendre con-
tre la licence des écrivains ne feraient que la
rendre plus fâcheuse. Ils ajouteraient à des
productions répréhensibles le crime de les
faire passer sous des noms supposés. Moins
un honnête citoyen prêterait des apparences
à la calomnie, plus la calomnie raffinée serait
tentée d'emprunter son nom comme une at-


testation de vérité.Et ne croyez pas que s'interdire tout règle-
ment de précaution ce serait s'exposer à voir
rester impunis les libelles, les écrits outra-
geants, provocateurs du désordre et de l'anar-
chie non, pas plus que les autres délits aux-
quels la société n'oppose que la vengeance des


lois.
Oblige-t-on


les hommes à attacher d'avance


à leurs discours, à leurs actions, à l'usagequ'ils font de tant de facultés dont ils peu-
vent abuser, des signes qui facilitent contre
eux les poursuites de la justice, lorsqu'ils vio-


(4) Nos lecteurs reconnaîtront ici l'épigraphe du li-
vre de Mirabeau sur la liberté de la presse : « Who


a man, ldlls reasonable creature . .. But, lie \vile


destroys a good book, kilts reason itself.




— 1.42 —
lent la décence, les lois, l'ordre public? Non,
sans doute, et qui oserait y songer? Pourquoi
donc l'auteur ou l'imprimeur d'un livre répré-
hensible serait-il plus difficile à découvrir
qu'un faussaire, qu'un voleur, qu'un assassin,
qu'un empoisonneur î S'interdit-on l'usage de
la monnaie parce que des malfaiteurs en fa-
briquent de la fausse ? et le publicateur d'un
libelle est-il plus difficile à, découvrir qu'un
faux monnayeur? Est-il même beaucoup de
crimes qui, par les détails auxquels il faut
s'assujettir pour les commettre, par les com-
plices qu'il faut avoir, exposent plus leurs au-
teurs à être découverts que la fabrication.
d'un livre?


Quelle est donc la nécessité de pren-
dre contre les livres des précautions qu'on ne
prend pas contre des choses dont l'abus est
tout à la fois plus facile, plus dangereux, et
ou une obscurité plus grande dérobe plus ai-
sément le coupable? Il faut le dire pour la
honte éternelle des gouvernements, pour l'op-
probre de cette classe d'hommes qui, du sein
de l'ignorance, veulent rester les maîtres hé-
réditaires de toutes les opinions, de toutes
les conditions sociales, et s'approprier exclu-
sivement le monopole de tous les rapports et
de tous les moyens que la nature a créés sans
distinction au profit de tous les hommes; il
faut le dire, ce n'est pas contre les livres con-
damnés par la raison et les bienséances qu'on
a imaginé de gêner la liberté de la presse;
c'est contre les livres vraiment instructifs,
ceest contre les lumières qu'ils répandent et
qui tendent à détruire les usurpations...


143 —


rame roivr DE DER (f)


J'ai reçu avec bien de la reconnaissance l'ou-
vrage : Recueil de lettres à Franklin


., que voua
m'avez envoyé, dont j'avais pris note, et dont
je m'étais promis depuis longtemps de faire
l'objet d'une méditation particulière, aussitôt
que le torrent qui m'entraîne m'aurait permis
d'aborder le recueillement et l'étude. Il n'est
pas douteux qu'a considérer le sujet que vous
avez traité, dans ses seuls rapports avec la
science d'homme d'Etat, il ne ffit encore un
des plus importants dont on pfit s'occuper
dans la circonstance actuelle, où l'existence de
Paris est si importante a changer, soit pont*
cette capitale elle-même, soit pour la sécurité
du royaume et la perfection de son organisa-
tion sociale. Paris ne fut jamais, sous le des-
potisme, qu'une obstruction du corps politique,
également propre et destinée à le vampirer et
à le corrompre. Paris


doit devenir l'artère prin-
cipale de la circulation politique, et le peut fa-
cilement, si, comme je n'ai cessé de le penser
depuis quinze ans, votre idée est fondée et se


(I) ce fragment est une réponse à une lettre de
. Da-


vi Lereyl
dans laquelle ce savant architecte lui fai-


sait
d
connaltre les projets qu'il méditait pour faire dE


Paris un port de nier, en amenant directement
par la


Seine les grands navires de commerce.




— 144 --
réalise par les moyens les plus simples de l'art
Si, au contraire, quelque grande entreprise
de ce genre ne vient détourner et calmer lesimaginations, déterrer les capitaux enfouis,
employer les bras oisifs, aviver enfin et occu-
per innocemment unepopulation immense, qui


•ne vivait que d
'agiotage, de procès, de luxe,


de décoration, ou des salaires d'un gouverne-ment corrupteur, les convulsions que subiraParis, pour diminuer ou soutenir
a rtificielle-ment une e


xistence contre nature, auront deseffets in
calculables, et déjoueront toute la pru-


dence humaine (16 juin 4790),


'MÉMOIRE CONCERNANT UNE ASSOCIATION INTIME A
ÉTA-DLIR DANS L'ORDRE DES F. M..., POUR LE RAMENERA SES VRAIS PRINCIPES ET LE FAIRE TENDRE VÉRI-TA


BLEMENT AU BIEN DE L'HUMANITÉ; RÉDIGÉ
PARLE FRERE


NOMMÉ PRÉSENTEMENT A RCÉSILAS,EN 1776.


Principe de l'association intime des F..,
Io Le but de cette


association serait de tra-vailler effi
cacement à celui que l'ordre entieldes Fr. M.,. se propose : Le bien de tous leshommes.


Pour r
emplir ce but, il faut bien connaître


lès moyens d'y parvenir.



145 —


D'abord, le bonheur de chaque homme en
particulier dépend du degré de sagesse et de
vertu que l'architecte suprême lui a donné.
Une société quelconque ne peut forcer chaque
homme en particulier d'être sage et vertueux :
ce serait un projet chimérique. Mais on peut
mettre les moyens d'acquérir la vertu et la
sagesse à la portée de plus d'hommes, et c'est
là un des résultats que l'association ne devrait
jamais perdre de vue, et qu'elle peut très bien
atteindre si elle y veut travailler.


Telle est la nature de la sagesse et de la
vertu que leur profession tourne constamment
ii. l'avantage de celui qui en est doué , y a
tant de gens qui semblent persuadés du con-
traire, c'est qu'il n'ont dans l'esprit de voir
Cette vérité, ou qu'ils ont pris de mauvais plis,
et sont devenus incorrigibles avant de la
connaître.


C'est donc à éclairer les hommes qu'il faut
s'attacher pour les rendre sages et vertueux ;
c'est surtout à les éclairer dans leur jeunesse
qu'il faut travailler.


La première base des soins de l'association,
l'un des principes cardinaux d'où dériveraient
ses règlements, serait donc le soin d'étendre au-
tant qu'il est possible la sphère des connaissan-
ces, non pas tant en profondeur qu'en surface.


Je m'explique :
Ce ne sont point les recherches scientifiques


auxquelles l'association doit livrer ses soins et
ses travaux. Les récompenses qui en sont
presque infailliblement le fruit sont un véhi-
cule assez puissant pour engager les gens de
lettres à s'y livrer.




— 146
Cependant, si les membres de l'association


peuvent, sans nuire à des résultats plus im-
portants, encourager, soit en commun, soit
séparément, des d écouvertes utiles, ils agiront
parfaitement dans l'esprit de l'O.


Mais c'est à répandre les vérités et les con-
naissances utiles, déjà établies parmi beaucoup
de personnes, à les faire parvenir jusqu'à la
classe du peuple qu'ils doivent s'attacher. C'est
par là qu'ils travailleront puissamment à éclai-
rer et à perfectionner l'humanité.


C'est aux vices de l'éducation qu'il faut at-
tribuer l'ignorance des gens de tous les états,
excepté quelques esprits heureux, et ceux qui
font métier des lettres; cette ignorance qui
engage tant de jeunes gens dans le vice, tant
d'autres personnes dans une dissipation par
laquelle elles tombent dans mille égarements,
et sont rendues incapables, pendant toute leur
vie, de penser, de s'occuper utilement.


Cette folle éducation fait haïr les sciences,
les rend presque impossibles à acquérir, em-pêche neuf cent 'quatre-vingt-dix-neuf per-
sonnes sur mille, de prendre l'habitude de lire,
qui entraîne celle de penser, et qui préserve
d'un nombre infini de vices et de malheurs en
munissant l'esprit contre l'ennui.


C'est donc à la changer qu'il faut s'appli-
quer. L'association doit donc s'attacher à exa-
miner et encourager toutes les nouvelles dé-
couvertes qui se font sur ce point, et à mettre
et faire mettre en pratique toutes celles que
?a saine raison, jointe à l'expérience, feront
reconnaître propres à répandre davantage les
connaissances vraies et utiles, et à Mettre


— 9.0 --
plus d'hommes en état de les acquérir.


Ainsi, l'introduction de la raison, du bon
sens, de la saine philosophie dans l'éducation
de tous les ordres des hommes, sera le pre-
mier but de l'association.


Venons au second : supposez les hommes
sages et vertueux, tels que peut les rendre
une bonne éducation, vous verrez que cela
seul ne suffit pas pour leur bonheur. tin
homme très sage et très vertueux sera fort
malheureux s'il a la goutte ou la pierre. Il le
sera moins qu'un fou et un vicieux avec les
mêmes maux; mais il le sera toujours beau-
coup.Il est vrai que l'association proposée ne sau-
rait entreprendre de mettre des bornes aux
influences physiques que l'architecte souve-
rain a fait entrer dans la composition de son
édifice, et qui frappent souvent les individus.


Mais il y a d'autres empêchements au bon-
heur dont les hommes peuvent jouir, et ces
empêchements proviennent tous du gouver-
nement et de la législation. Pense-t-on, par
exemple, qu'un homme, quelque sage et ver-
tueux qu'il soit, puisse n'être pas très infor-
tuné lorsqu'on l'arrache à ses parents, à sa
femme, à ses enfants, a son amante, par exem-
ple, pour l'envoyer se faire égorger en Amé-
rique (1) 4 Lorsqu'il est serf et attaché à la


(il Allusion manifeste aux liessols que le landgravede Hesse-Cassel Frédéric II, vendait. au nombre do
5,000, aux Anglais, pour aller con battre les


insur-


geras de l'Amérique du Nord,
expédition au sujet de


laquelle Mirabeau écrivit, en Hollande, l'Auis
aux


Hessois,





— 148 --.
glèbe, lui et ses enfants, à perpétuité; lors-
qu'au lieu de pouvoir travailler pour se nour-
rir, lui, sa famille et son bétail, il est obligé
d'aller en corvée ; ou lorsque, voulant mettre
quelque art qu'il a appris en pratique, s'éta-
blir avec la fille qu'il aime, il ne le pourra pas,
parce qu'il n'aura pas de quoi payer les frais
de maîtrise pour lesquels il se voit obligé
souvent de se dépouiller du dernier sou qu'il
pourrait si bien appliquer à améliorer sa con-.
dition; ou lorsqu'il suffira d'un indice un peu
probable pour le faire mettre en prison et à la
question ; enfin, un homme sage et vertueux
peut-il être heureux s'il peut être opprimé,
exilé, emprisonné, mis à mort enfin par un
homme puissant auquel il aura déplu ?


C'est donc le despotisme et ses conséquen-
ces qui forment un des grands Iléaux de l'hu-
manité, et le second grand pivot de l'associa-
tion devrait être ta correction du système pré-
sent des gouvernements et des législations.


— /49 -


*0 A encourager tous les nouveaux essais
lui se font pour corriger l'éducation ;


30 A encourager tous les établissements d'é-lucation publique fondés sur de bons princi.
?es, et non sur la façon pédantesque et pleine
de préjugés dont on a élevé jusqu'ici la jeu-
nesse;


40 A s'éclairer eux-mêmes
par de bonnes lec-


tures, par leurs conversations et méditations
sur tous les objets d'utilité publique, et sur-
tout sur l'éducation ;


5° Ceux qui sont mariés et pères, à veiller
à celle de leurs enfants, à les préserver de toutfanatisme, à leur former le corps aussi bien
que l'esprit; à en faire des hommes, à leur ins-
pirer les sentiments qui font la base de l'as-
sociation et les vertus sans lesquelles e:‘x.-
mêmes n'y auraient pas été reçus;


6° A s'entr'aider pour que les forces réunies
de la loge M, à laquelle ils appartiendront,
concourent au même but.


Devoirs des frères du grade inférieur.


Outre les obligations du secret envers tout
profane de l'assujettissement aux lois de l'as-
sociation et autres de cette nature, ils s'enga-
geront:


1° A travailler de tout leur pouvoir à l'éta-
blissement de bons instructeurs, surtout pour
te peuple;


Devoirs des frères du grade supérieur.


Ces frères s'engageront :
10 A leur entrée dans ce grade, et par tousles liens les plus sacrés, à ne jamais en sortir


ou s'en détacher, sous quelque prétexte que
ce puisse être, à quelque degré de fortune
qu'ils s'élèvent; à ne jamais cesser d'en ob-
server tous les engagements; à en reconnaî-
tre toujours les membres et à ne jamais rom-




— 150 —
pre leurs liaisons avec eux; car plus ils ac-
querraient de puissance et de crédit, plus ils
seraient en état de remplir les vues de ce
grade. Si un frère est parent du souverain
d'un Etat, ou s'il devient ministre ou favori
d'un prince, il emploiera tout son crédit aux
buts de l'association ; il inspirera avec sagesse
ses sentiments d'amour, d'humanité et d'é-
quité à son souverain ; il l'empêchera, autant
qu'il pourra, de commettre des duretés, de s'a-
bandonner à un luxe ruineux, à une ambition
ou à une avidité sans bornes; il rendra compte
de ce qu'il aura fait à ce sujet à ses frères
pour en recevoir le juste tribut d'estime et de
louange qu'il aura mérité;


2u
A abolir tant qu'ils pourront la servitude


des paysans, l'asservissement des hommes à
la glèbe, les droits de main-morte et tous ces
usages et droits qui avilissent l'humanité, et
qui sont les restes affreux de la barbarie de
nos ancêtres.


Pour expliquer cet article, il faut savoir que
l'association n'exige point des sacrifices sur-
naturels de générosité. Comme ils répugnent
au coeur humain, avec des lois pareilles elle
ne pourrait pas durer. Ainsi on n'exige pas
qu'un gentilhomme affranchisse tous ses pay-
sans sans équivalent, mais il aura certainement
un avantage beaucoup plus grand à les établir
comme de petits fermiers sur leur portion de
terre qu'a les tenir toujours dans la servitude.
Les terres en Angleterre, formées sur ce noo•
dèle, rapportent bien autrement que dans nos


• pays où le paysan est serf;
30 A faire tout leur possible pour abolir les


— 451 —
,orvées, sous la condition d'un équivalent
quitable, dont l'avantage pour le seigneur
:errien a déjà été prouvé jusqu'à l'évidence;


40 A faire tout leur possible pour abolir tous
es corps de métiers, toutes les maîtrises ; en.
in mot, toutes les gênes mises sur l'industrie;
:out homme devant travailler pour vivre, sui-
vant les lois d'une saine morale, il ne faut pas
qu'il y ait d'entraves qui empêchent de rem-
plir ce devoir ;


50 A faire tout leur possible pour abolir tou-
tes les gênes mises sur le commerce par les
douanes, les accises et les impôts de toute dé-
nomination par lesquels les financiers pom-
pent le sang des sujets sans qu'un peuple sa-
che combien il donne ;


60 A. faire tout leur possible pour restreindre
les impositions énormes que le pauvre peuple
se voit à présent obligé de payer;


7 0 A faire tout au monde pour procurer une
tolérance générale de toutes les opinions reli-
gieuses quelconques ; pourvu qu'un homme
soit utile à l'Etat, qu'importe à la législation ce
qu'il croit ? L'exemple de la Hollande, de l'An-
gleterre, des colonies en Amérique, prouvent
l'utilité de cette façon de penser ;


80 A faire, pour cet effet, tous ses efforts
pour faire abolir toute juridiction des ecclé-
siastiques, diminuer leur nombre là où il est
excessif, arracher toutes ses armes à la su-
perstition;


90 A tout faire pour renfermer le despotisme
dans des bornes plus étroites et plus équita-
bles. En Allemagne, ils travailleront à main-
tenir le droit des Etats, à y résister au pou-




-152,
voir arbitraire, à. n'y point céder à de vils
intérêts. Comme on ne saurait rien dire là-
dessus, et que tout dépend des circonstances,
les frères s'aviseront entre eux, dans leurs
assemblées, sur les moyens de remplir leurs
engagements à ce sujet. Cela fera l'objet de
leurs plus mfirea délibérations.


10° C'est dans cette vue que, les frèresdu grade inférieur liront attentivement les
bons ouvrages sur l'éducation de toutes les
classes des hommes; ceux du grade supé-
rieur liront et méditeront tous ceux qui trai-
teront des objets de législation et d'adminis-tration, se les recommanderont les uns aux
autres, et rechercheront entre eux ce qui
pourrait être applicable à leurs circonstances.


11° Ils s'opposeront partout aux injustices
des hommes puissants; et s'ils ne peuvent les
empêcher, ils tacheront de les publier, dé-
voiler et d'en mettre les auteurs au pilori du
publie.


120 Pour cet effet, ils favoriseront autant
qu'ils le pourront la liberté de la presse, la
plus forte barrière que nous ayons contre la
tyrannie et contre l'oppression ; ils répan-
dront les écrits qui donneront ombrage au
despotisme ; ils en assisteront les auteurs, si, .,,
d'ailleurs, ils sont gens de mérite, et qu'il n'y
ait pas de malice et de fausseté dans leurfait.


13° Afin d'encourager d'autant plus les mem-
bres de l'association à agir avec zèle, pour
remplir les susdits engagements dans toute
,leur étendue, ils jureront solennellement d'as-sister de toute leur puissance ceux qui, par


— 153 --
trop de zèle dans l'exécution de leurs engage-
ments, auront pu tomber dans quelque dé-
sastre ; les noms de ceux qui auront souffert
pour la cause de l'humanité seront communi-
qués à tous les frères ; on répandra leurs belles
actions dans le public, pour les faire jouir de
l'honneur qu'ils méritent; ils seront recus avec
estime de tous leurs frères. C'est à quoi on ne
manquera jamais, dans toutes les correspon-
dances réglées qu'il y aura entre les loges
éclairées et leur chef-lieu, et entre les diverses
provinces.


Telle est l'esquisse du plan d'un édifice dont
on pourrait ensuite déterminer les détails dés
qu'on 1'au.r4it fondée




1P




On peut envisager maintenant l'unité de
cette grande physionomie de Mirabeau, qui
domine la Révolution. » C'est toujours le génie
révolutionnaire de Mirabeau qui inspire la
France, voulant arracher le despotisme de son
sol et fonder la liberté sur d'indestructibles
bases.. (CH. L. CHASSIN, le Génie de la Révolu-
tion, t. IL)


Avons-nous besoin, avant de déposer la plu-
me, de revenir encore sur ces accusations dif-
famatoires et calomnieuses dont presque tous
les historiens semblent avoir pris systémati-
quement à tâche de souiller sa glorieuse mé-
moire? Iln'y avait pas là seulement une grande
injustice historique à réparer : il y avait à
protester contre l'obscurcissement coupable
d'une des lumières les plus vives qui puissent
taire resplendir l'immortel génie de la Révo-
lution, et son esprit profondément libéral o_p-
posé à toutes les usurpations autoritaires. Ç'a
été le principe de l'ceuvre que nous nous som-
mes proposée , et tous ceux qui nous ont
prêté une attention suivie ont certainement
compris qu'il ne s'est pas un instant agi pour
nous d'une apologie, qui ne serait pas plus dg
la dignité de la démocratie, que de la dignité
de l'histoire.


Au moment où nous allions clore notre tra-
vail, un des plus anciens amis et collaborateurs
du grand homme dont la démocratie déplore




— 156 —
la perte, M. Alfred Darimon , député de la
Seine, a bien voulu nous communiquer une
lettre précieuse de Proudhon sur Mirabeau,
écrite précisément à l'occasion de la publica-
tion alors toute récente de la Correspondance
avec La Marck. Ce jugement, très soigneu-
sement étudié et très minutieusement motivé,
nous apport(., une autorité inespérée et venge
d'une t'acon éclatante la mémoire de Mirabeau.
C'est pour nous, et ce sera certainement poure
nos lecteurs une véritable bonne fortune que
la publication des principaux passages de cette
lettre, marquée de la vigoureuse empreinte du
maître.


Écoutons Proudhon :
Cette correspondance (la Correspondana


• de Mirabeau avec te comte de La Marck) donne
• le véritable sens de la Révolution française
• de 1789 à 1792 ; elle témoigne en outre, plus
• que tous les discours du grand c?ateur, et
• contient sa justification.


• Il est démontré par les lettres et les notes
• de Mirabeau, et par les réponses qu'elles
• provoquent, qu'en 1789, avant même la rétl•
nion des États généraux, et plus encore après


• la prise de lu Bastille, la nuit du 4 août e
• les journées d'octobre, l'opinion unanime, le
• problème à résoudre, était : Accord de 14
• Monarchie avec la Révolution.


» Ce n'est pas seulement les Mounier, les
• Malouet, qui le comprennent ainsi ; ce n'est
• pas seulement Mirabeau, Barnave, les La:
• meth, Lafayette et jusqu'à Robespierre; c'est
» tout le monde, sans exception.


• Et les événements ont prouvé que la por


—157
» tée de la Révolution de 89 à 1848 ne dépas-


sait pas ce but.


Mais comment se fera cet accord?


Là tout le monde se divise : les uns tendent
pour cela à réduire la part de la Révolution


» texte de jalousie de la royauté,les autres sui-
, vent la tendance contraire ; par dévouement
» à la Révolution et dévouement au nouvel


ordre de choses, ils tendent à annihiler de


plus en plus le pouvoir royal.


Du reste, les factions diverses ne combat-


tent évidemment que pour s'approprier sous


la monarchie telle quelle qui sera organisée,


la plus large part d'influence; à cet égard, la


guerre faite à la cour par Lafayette et les


Lameth jusqu'à la mort de Mirabeau, et par


les Jacobins mêmes, n'est qu'une maniere de


réduire celle-ci à se placer sous leur protec-


fion.


Au fond, ceux qui attaquent la cour et me-


nacent la reine, veulent la même chose que


ceux qui les flattent (les partisans de l'ancien


régime exceptés); la préférence, même appa-


rente, accordée à l'un, devient aussitôt un pré-
» et à grossir celle qui, par pure hypocrisie,


prend aussitôt la forme d'une accusation de


trahison...


Il faut dévoiler ce secret des hommes du


temps, c'est là ce qui explique les accusa-


tions réciproques d'orléanisme et de courti-


sanisme ; et toutes ces méfiances qui cachent


autant de convoitise que de zèle...
» Pendant un temps, l'idée vola dans l'air de




changer la dynastie... la pensée orléaniste


usée, il fallut alors, bon gré, mal gré, se ra-




-158-
»


--


» battre sur la dynastie existante; on ne le fit
» pas sans y apporter théoriquement quelques
» modifications. On songea tantôt à remplacer
.1 Louis XVI par Monsieur, tantôt à lui arra-
» cher une abdication et à nommer un conseil


de régence; tantôt à provoquer un divorce
• et écarter la reine pour mieux maîtriser le
» roi; tantôt enfin à gagner la reine elle-


•» même, et à la réconcilier avec la Révolution.
Toutes ces idées circulaient avec plus ou


» moins de consistance; il faut les rappeler,
» non qu'elles aient reçu chacune une expres-
s sion puissante, mais parce qu'elles représen-
» tent à l'historien les diverses hypothèses de
» conciliation que s'ingéniaient à trouver les
» esprits.


» Quelques-uns, sans se préoccuper autant
» du roi, de la reine, de la dynastie, songeaient
» plutôt à former un parti si nombreux, si
» puissant, qu'il s'imposât de lui-même ; ils
» voulaient former un gouvernement monar-
» chique qui pat, au besoin, aller sans le me-
» nargue : ceux-là devançaient la coalition de
» 1848, qui renversa .Louis-Philippe.


» L'esprit de Mirabeau paraît avoir datte:,
» suivant les probabilités qu'il y trouvait, en-
» tre ces divers plans; et c'est là une des
» causes secrètes qui l'ont fait et le feront en-
» core accuser avec le plus d'injustice ; c'est ce
» qui fait paraître, aux observateurs superfl-
» ciels, sa conduite politique si souvent


LA RÉVOLUTION.
» Mirabeau ne croit fortement qu'aune chose


» Mais, en même temps, il aperçoit plus ne


» morale.


-- 159
tetuent qu'aucun autre la nécessité pour ré-


P poque et pour la chose publique, de conci-
» lier cette Révolution avec une forme de gou-
» vernement monarchique représentatif; plus
» que personne, il sent la nation entraînée sur
» la pente fatale, et la Révolution, la liberté,
* tout, en péril.


»
Mirabeau en 89 a vu 93; l'excès de la dé-


»
magogie, et puis le despotisme militaire. Mi-


»
rabeau répondant à l'argument pessimiste


»
de la cour, qui disait que l'excès de l'anar-


» chie ramènerait la France à ses rois, Mira-


» beau a cru, il le dit en plusieurs endroits,
» qu'il faudrait plus de vingt ans pour épuiser
» les conséquences du débordement (en effet,
» de 90 on est allé jusqu'en 1814); il a donc
»


conclu, de toute la puissance de sa raison, à
» la nécessité d'enrayer le char révolution-
» naine, en révolutionnant la royauté, et goya-


* lisant (si cela se peut dire au sens constitu-
» tionnel) la Révolution.


»
Ses sollicitations auprès de Lafayette, et


»
finalement son entrevue avec la reine, et


»
tout ce qui en a été la suite, sont la conclu-


»
sion logique de cette conception parfaite-


»
nient raisonnée, judicieuse, et hautement
justifiée par les suites.
» Quel est clone le sens de ce fameux pacte




avec la cour?
»


Sauver la Révolution de la seule manière
qu'elle pouvait l'être (puisque la démocratie


i et l'empire
prévus par Mirabeau étaient deux


positions également instables) par sa récon-
»


ciliation, au moins temporaire, avec la mo-
t narchie.




— 160 --
• C'était tellement dans le sens commun,


• tellement dans la donnée universelle, que
• Mirabeau dut croire que, ses services ac-


ceptés, son plan l'était par conséquent aussi.
• Il fallait plus que de la folie pour vouloir,
• pour espérer autre chose. Il paraît cepen-
• dant que la cour ne fut jamais tellement
• convaincue sur ce point qu'elle n'entretînt
• de temps en temps des idées de complète
» contre-révolution. C'est là ce qui empêcha
• le succès des conseils de Mirabeau et poussa
» la France aux extrémités,


• Et c'est ici qu'apparaît dans tout son jour
• la loyauté, la grandeur de Mirabeau; il ac-
• cuse, réprimande, fouette dans ce sens les
• hésitations, les faiblesses du prince. Jamais
» il ne soupçonne qu'on le trahit; il ne lui
» vient pas a l'esprit qu'on puisse attendre
• de lui une chose absurde; il marche, il
» avance, frappant sur la contre-révolution à
• mesure qu'elle se montre (ce qui indigne à
• chaque fois la cour), et fournissant chaque
• jour des conseils qui ne sont jamais sui-
• vis. »


Ici, dans la lettre que nous avons sous les
yeux, Proudhon entre dans quelques détails.
Il montre que « l'éditeur de la Correspondance
• semble souvent n'avoir rien compris à Mi-
• rabeau. » — « Si l'on devait en croire le cora-
• mentateur, Mirabeau devrait être considéré
• comme un étourdi et un charlatan. • Il cite,
par exemple, la séance du 13 novembre 1790,
ou, à propos de l'affaire de l'hôtel de Castries,


, Mirabeau fit une violente sortie contre M. de
Foucauld, etfit l'éloge du peuple. Mirabeau sa


—161—
serait excusé de sa véhémence sur les attaques
inconsidérées de ses ennemis, et il aurait pré-
tendu que c'est une tactique. Nous reprenons
la citation :


« Ce prétexte de tactique ou de tempéra-


ment est la réponse ordinaire de Mirabeau


aux plaintes du comte de Lamark et de la


Cour contre chacun de ses coups de ton-
» nerre.


» Mais qui ne voit ici que Mirabeau est par-
» faitement dans son double rôle : 1 c! d'enga-


ger de plus en plus la révolution, et de la
» maintenir envers et contre tous ; 2 0 de con-
» traindre, sinon de réconcilier à elle la mo-


narchie?
» Pouvait-il s'expliquer plus à fond avec de




pareilles gens (le roi et la reine)? Pouvait-il
» leur dire : la résolution d'abord, la dynas-
» tic après? Il eût été remercié le leude-
» main.




Mirabeau n'a donc que la ressource de dire,


quand il fait acte de révolutionnaire, qu'il
» agit ainsi par tactique et habileté : au fond,


il est., jusque dans ces tromperies, l'homme


le plus dévoué à la fois à la Révolution et à


la famille royale : deux causes, ne l'oublions


pas, qui, dans son esprit, et non sans rai-
» son, étaient devenues inséparables.


» Toute sa conduite se règle d'après cela, et


s'explique merveilleusement...
» Qu'on le suive de près : sa politique révo-




iutionnaire est systématique, trop systéma-
»


tique pour qu'on puisse l'attribuer au tem-
» pérament; — en même temps les explica-


xta nBaka, ome. si fasc.. v. 6




— 162 —
lions qu'il donne à la Cour, de tactiquq


• d'habileté, etc., sont à la hauteur de ses cor-
» respondants, et n'accusent qu'eux...


• Mirabeau ne se dément pas; il est toujours
• lui-même; il a raison à la fois contre tout le
• inonde; mais c'est justement pour cela que
• ceux qui ne l'ont jamais compris l'accu-
• sent.. •


Proudhon suit pas à pas la correspondance
de Lamarck, et il montre cette tactique révo-
lutionnaire, qui se joue de la coin


•, traite le
roi et la reine en enfants, et poursuit invaria-
blement son but : le triomphe de la Révolu-
tion.


suant à son système de fortifier le pouvoir
executif qu'inspire ses discours surie veto, sur
le droit de faire la paix et la guerre, Proudhon
le justifie avec beaucoup de sens :


« Du moment que l'on voulait une monar-
• chie, il ne fallait pas, surtout en France, l'a
• moindrir. « Bien rous, disait Mirabeau, ceu,.:
• qui croiraient que la France peut se passer de
• roi. • Et i804 a prouvé combien il avait rai-
» son. Il fallait donc enrayer et remonter la


pente, chose difficile...
• Du reste, il pivote constamment sur la
Révolution; au fond, c'est elle qu'il sert en
conseillant la Cour, il ne sort évidemmentpas
de là. •


Proudhon continue :


« La position de Mirabeau vis-à-vis de la
e Cour ainsi exposée, reste à la juger.


— 10.3 —




Au point de vue politique, la pensée de


conciliation de Mirabeau était-elle juste?


Juste, on ne le saurait dire, le sort de la


monarchie constitutionnelle après trente-


trois ans d'existence a prouvé que cette


conciliation n'est jamais une vérité (1).


Mais ce qui est certain, c'est que tout le


monde la voulait, et qu'en r189 comme en 99,


comme en 181.1 et 1830, elle était le nec plus


ultra de ce que la raison publique pouvait


comprendre; d'ailleurs elle était exigée par


la tradition ; c'était une eN-CESSITÉ.


Nécessité d'autant plus grande et qui


donnait à cette opinion d'autant plus d'ap-


parence, que la démocratie s'est constata-


ment montrée brutale, inhabile, et nous a


ramenés toujours au despotisme.


Toute la question se réduit donc à savoir


si Mirabeau se liant avec la Cour, entamant


(i) Proudhon place ici une note : « Puis il ne se-


rait pas difficile de prouver en théorie que Ni-
>, rabeau lui-mérne, dans toutes ses notes monar-
» chiques, n'est pas monarchique du tout. n C'est
là, croyons-nous, quo
politique




se trouve la vérité sur le rôle
po de Mirabeau. Les oeuvres antérieures que
nous avons mises en lumière attestent que, si la mortprématurée de Mirabeau ne lui permit pas de devenir
un républicain du lendemain, il était un


républicain
de la veille — le seul peut-ètre de rassemblée consti-
tuante. Cette maturité de la pensée de Mirabeau, qui
devançait son époque, explique admirablement la
profondeur de ses vues politiques, et aussi cette par-
faite possession de lui-même qui lui permettait de
poursuivre avec calme le triomphe de l'idée à la-
quelle il avait dévoué sa vie en en réglant l'expres-
sion sur le mouvement des circonstances qu'il savait
provoquer et qu'il pouvait se flatter de diriger,


-


tenant qu'il tenait les fils de la Cour elle-même. main




--••• 104 —


» avec elle des négociations suivies, la con-
» seillant, prenait le bon moyen.


» On pourrait demander (l'abord ce qu'il y avait
• de mieux à faire : d'autant qu'après sa mort,


Barnave et autres le tentèrent et que ce fut
• l'éternelle ambition de Lafayette. Pour trai-
• ter avec une dynastie, agir au nom d'une
» dynastie, encore faut-il s'approcher du dy-
» naste.


» Mais la question porte plus loin que de
» simples correspondances ; il s'agit de savoir
» si, dés lors, la Cour, si le pouvoir exécutif, de-
» vait être réduit et subaltornisé au pouvoir
» législatif, suivant le principe le roi règne et ne
» gouverne pas, ou bien simplement séparé
» et corrélatif.


» Ici encore, il est impossible de n'être pas
• de l'avis du grand révolutionnaire. Plus que
» Lafayette, Thiers et autres, il est dans la
» vérité constitutionnelle. Comme il le sentait
» si vivement, la royauté, entièrement subal-
» ternisée, n'est plus qu'un rouage inutile, ser-


vant à déguiser la dictature honteuse d'un
chef de parti, d'une aristocratie. Au fond, le
parti du roi qui règne et ne gouverne pas est
un parti aristocrate. Mirabeau n'en voulait
pas.
» Mirabeau voulant donc, pour sauver la


• Révolution, relever le pouvoir exécutif, sans
» en faire une dictature comme celle de 93,
» ni un despotisme militaire, comme en 1804,
» mais une monarchie constitutionnelle, comme
» fut a peu prés la royauté sous les ministères
» Decazes et Martignac, Mirabeau devait s'ap-


procher du grince régnant, du titulaire de .


-- i65


ce pouvoir, et chercher à l'entraîner


Ceci entendu, il ne reste rien contre Mira-
', beau qui vaille la peine d'être relaté par
» l'histoire. Une démocratie envieuse autant
» qu'injuste s'obstine à, souiller cette grande
» memoire, une bourgeoisie mesquine et bête
» l'accuse avec ingratitude; cela mérite à peine
» l'honneur de la plus flétrissante réplique.


» Mirabeau, ruiné, persécuté, ayant sacrifie
» à la Révolution ce qui lui restait de fortune


-




et de vie, donnant à l'accoinplissement de


son oeuvre ses jours et ses nuits, et ayant le
» droit de supposer que sa pensée autant que
» ses services étaient accueillis, Mirabeau re-
» coit une rémunération qui n'est que la ga-


nantie de repos et de sécurité dont il a un si
» immense besoin; cette rémunération que la
» Révolution aurait dü lui voter, c'est la mo
» narchie avec laquelle il s'agit de la réconci-
» lier, qui, en attendant, la lui offre! Et Mira-
» beau est vendu! Mirabeau est traître!... L
» s'est trouvé des bourgeois assez bêtes, des
» nobles assez lâches pour le dire!


» Il faudrait ici mettre en regard de Mira-
» beau le puritain Lafayette, recevant de la
» Cour des millions pour la trahir, payant des
» deniers de l'Etat des armées de mouchards,
e de journalistes, d'émissaires, etc., pour sa


gloriole personnelle.
» Quand on ne verrait en Mirabeau qu'un


» avocat consultant dont on occupe le talent,
» les journées, les veilles, les secrétaires, dont
» on consume la vie et le courage, on lui ac-


corderait une légitime récompense.


Le roi Louis XVI prie le comte de Mira-




— 166 —


beau de vouloir bien lui indiquer, jour par
• jour, ce qu'a son point de vue, — le point de
• vue de la Révolution telle que Mirabeau la
• comprend , — il juge utile de faire tant à
• l'égard des personnes qu'a, l'égard des choses,


pour le service de la couronne.
• Mirabeau accepte, ou plutôt ACCORDE ses


• services; il consent à devenir, si on le veut,
» conseiller, mais il faut qu'on lui ôte le souci
• de la subsistance : et voilà Mirabeau vendu!




Honte à la nation qui souille et outrage
• ses grands hommes! Mirabeau fût-il cou-
» pable, le devoir de l'historien serait d'étouf-


fer le vice de l'homme dans la gloire du
• tribun !


• Non, non, Mirabeau ne fut point traître,
• vil encore moins ; sans doute, il eut, comme


tout honnête homme, la pensée de faire ser
• vir sa cause à sa fortune; jamais pour sa
• fortune il ne déserta sa cause ; jamais il ne


sacrifia un iota de ses convictions.
• La calomnie organisée contre Mirabeau fut




une honte pour le parti révolutionnaire de


89 et une calamité nationale...
• L'excès de travail occasionné à Mirabeau


• par ses négociations avec la Cour fut pour
• beaucoup dans la maladie qui l'emporta.
» Mais, par là même, les reproches d'orgies


sont réduits à peu de chose. Des séances


de comité de cinq et six heures, puis les


luttes de l'Assemblée, une correspondance
• effrayante , on ne sait où cet homme a
• trouvé le temps de faire tant de choses.


• .1


En même temps que les deux premiers vo-
lumes de notre travail sur Mirabeau, paraissait
la première partie d'une Histoire de Robespierre,
par 111. Ernest Flamel. Nous considérons comme
fort louable le but de tous ceux. qui se propo-
sent de faire mieux connaître les grands hom-
mes de la Révolution : nous applaudissons
donc bien sincerement à l'entreprise de M. Ha-
mel, et nous avons lu avec empressement son
ouvrage.


Mais nous avons vu avec peine que M. Ha-
mel, adoptant de vieux procédés d'apologie,
s'est cru obligé d'exalter le héros qu'il a choisi,
aux dépens des autres hommes qui ont tra-
vaillé à rceuvre commune de la Révolution;
nous l'avons vu avec peine, mettant le rhéteur
à la place de l'historien, avoir recours, après
tant d'autres, à ce procédé aussi faux que dé-
testable de la comparaison, et dans des paral-
lèles, tout de fantaisie, entre Mirabeau et Ro-
bespierre, rapetisser le premier pour grandir
le second. Comment, lui qui s'indigne à bon
iiroit des calomnies absurdes accumulées con.
ne Robespierre, s'est-il lait, sans examen,




— 168


l'écho complaisant des calomnies non moins
absurdes qui ont vulgairement cours sur Mi-
rabeau?


Les phrases telles que celles-ci, qui n'ont pas
nécessité de grands frais d'invention de la part
de leur auteur, abondent dans le livre de
M. Hamel : « Mirabeau aborde, corrompu et
débauché, la scene de la Révolution ; il en sor-
tira les mains tachées des largesses de la Cour,
n'ayant pas de trop pour défendre sa mémoire
de toute l'immensité de son génie d'orateur. »
Ou : « l'immortel orateur, on le sait, avait, en
entrant aux Etats généraux à porter le poids
d'une lourde réputation. Son passé décousu,
ses aventures scandaleuses, sa plume vénale
n'étaient pas de nature à disposer l'Assemblée
en sa faveur, et à cette époque, il n'avait pas
eu le temps de s'imposer à ses collègues par
la puissance de son génie. « La vérité est,
quoique M. Hamel ne le sache pas plus que
beaucoup d'autres, que Mirabeau arriva à l'As-
semblée constituante précédé d'une immense
réputation d'homme d'Etat aussi bien que
d'orateur, d'avocat des peuples opprimés aussi
bien que de défenseur de tous les droits indivi-
duels; ses écrits sur l'agiotage, sa mission à
Berlin, son adresse aux Bataves, en faisaient
déjà un personnage avec lequel on savait d'a-
vance qu'il faudrait compter, et les circons-
tances de son élection en Provence attestent
assez son immense popularité.


M. Hamel réédite indirectement une vieille
accusation souvent répétée contre Mirabeau,
au sujet de la loi martiale. Nous ne sommeil
pas, pour notre propre compte, l'ami des loi9


— 169
martiales, ni d'aucunes mesures de ce genre
quelles qu'elles soient. Mais cependant, puis-
qu'il y aura longtemps encore de semblables
lois, avant de condamner, il faut examiner, et
savoir au juste quel était le vrai caractère de
cette loi martiale, et surtout quelle part y prit
réellement Mirabeau. Voici ce qu'en dit M. Ha-
mel : « Terrible était cette loi, et désastreuses
étaient destinées à en être les conséquences.
Dans le cas où la tranquillité publique se
trouverait en péril, le drapeau rouge devait
être hissé à la principale fenêtre de l'Hôtel de
Ville et promené par les rues. A la troisième
sommation adressée par les officiers munici-
paux, les attroupements étaient tenus de se
dissoudre immédiatement tous peine d'être
dispersés par le feu. Il est aisé de comprendre
combien pouvait être dangereux l'exercice
d'une loi si vague, si élastique, entre les mains
(l'un pouvoir hostile à la Révolution, et juge
lui-même des cas où la tranquillité publique
serait menacée. C'est le propre de la tyrannie
de profiter des incidents particuliers pour
étendre sa domination et attenter à la liberté
de tout un peuple.


Il est évident pour tous les lecteurs de M. Ha-
mel que la loi martiale remet des pouvoirs
extraordinaires aux mains de la Cour. Tandis
que réellement l'exécution de cette loi est ex-
clusivement confiée à la municipalité, élue par
le peuple, qui, par conséquent, ne peut être
suspectée d'être un pouvoir hostile à la Révolu-
tion, et il ne peut être question ici des calculs
de la tyrannie. Mirabeau, qui restreint l'ap-
plication de la loi à la ville et aux faubourgs




170
de Paris (1), a soin de déclarer qu'elle serait
parfaitement inique dans les lieux où les mu-
nicipalités ne sont pas électives. Il ne s'agit
donc pas d'armer la tyrannie d'un pouvoir ar-
bitraire, mais au contraire de transporter à la
Révolution un pouvoir exercé jusque-là au
profit du despotisme. Et les termes de cette
loi ne sont pas aussi vagues, ni aussi élastiques
que paraît le dire M. Hamel. Non-seulement
Mirabeau veut qu'on ne confie le pouvoir mili-
litaire qu'à des magistrats élus par le peuple,t
et que ces pouvoirs ne puissent être exercés qu'es


;1) a On demanda à M. de Mirabeau pourquoi il neproposait pas cette loi pour la généralite du royaume,
rependit que tes officiers municipaux n'étant pas


dans tout le royaume élus par le peuple, il avaitpensé qu'il pourrait tire dangereux de mettre entre
leurs mains un pouvoir aussi étendu, quoique aussi




nécessaire, que celui qui est porté dans l'acte. - Que
ce pouvoir, placé dans les !nains d'officiers non élus:
par le peuple, pouvait être




un obstacle en beaucoup
de lieux à l'établissement des municipalités sur les::
vrais principes, parce qu'elles ne pourraient être créée,:
sans que le peuple s'assemble, et que ces assemblées
attaquant la propriété .des maires ou échevins entitre «office, pourraient être considérées par eux
comme des attroupements séditieux. — Q ue ruacommence par établirpa.rtout desmunicipalités libres.
et alors sera temps d'étendre à tout le royaume cette
.oi sur les attroupements, que des circonstances mal-
heureuses rendent aujourd'hui nécessaire pour la
capitale et ses environs, et qui ne pour plus être dif-
féree sans 'danger. » Cette note, extraite du Courrierde Provence, attesteassez qu'il nes'agissait nullement,
dans l'esprit de Mirabeau, de mettre entre les mainsde la tyrannie un instrument pour étendre sa do-
mination et attenter à. la liberté de tout un. peuple.
.1l s'agissait, au contraire, d'arracher ;I la tyrannie un
dangereux instrument, et, an besoin, de le retourner
contre elle.


----
171 —


présence de douze officiers municipaux peur le
mains ; mais il réclame encore une autre
précaution, a bien adaptée, dit-il, à un gou-
vernement qui respecte le peuple et la li-
berté.* C'est de donner aux mécontents at-
troupés un moyen de faire entendre leurs
plaintes et de demander le redressement de
leurs griefs. Et nous retrouvons en effet cette
disposition dans l'art. 5 de la loi martiale votée
par l'Assemblée le 21 octobre 1189 : a Il sera
demandé par un des officiers municipaux,
auxdites personnes attroupées, quelle est la
cause de leur réunion et le grief dont elles
demandent le redressement; elles seront au-
torisées à nommer six d'entre elles pour ex-
poser leur réclamation et présenter leur péti-
tion. »


Voilà pour la loi martiale elle-même, qui est
bien certainement la plus justifiable et la plus
équitable de toutes les lois exceptionnelles.
Priais même telle qu'elle est, est-il vrai qu'il
faille en faire tomber toute la responsabilité
sur Mirabeau? A. un moment où tout le monde
était d'avis qu'il fallait prendre des mesures
pour rétablir l'ordre, et où Robespierre deman-
dait l'établissement d'un tribunal révolution-
naire dit national, Mirabeau présenta un projet
de loi martiale, dans lequel il tâchait de con-
cilier de la Lagon la plus satisfaisante les me-
sures nécessaires pour le rétablissement de
l'ordre avec le respect dû au peuple et à la
liberté. Mais encore aurait-on tort de croire
que Mirabeau se fit le défenseur aveugle et
satisfait d'une loi qui ne pouvait être pour lui
que la meilleure. des mauvaises lois, rendue




-- 112 —
nécessaire par la gravité des circonstances ee
exigée pour la sauvegarde même de la RéVo•lution.


Dans la séance du 21 octobre, Mirabeau, ré-p
ondant à Robespierre qui demandait la créa-


tion d'un tribunal exceptionnel, disait :
• On demande une loi martiale et un tribunal,


ces deux choses sont nécessaires; mais sont-
elles les premières déterminations à, prendre?


• Je ne sais rien de plus effrayant que ces
motions occasionnées par la disette. Tout se
tait et tout doit se taire, tout succombe etdoit succomber devant un peuple qui a faim.
Que fera une loi martiale d'un peuple attroupé
s'écriant : il n'y a pas de pain chez les boulangers?
Quel monstre lui répondra par des coups de
fusils? Ln tribunal national connaîtrait sans
doute de l'état du mouvement et des délits qui
l'ont occasionné; mais il n'existe pas de tri-bunal; mais il faut du temps pour l'établir;
mais les commotions sont fortes et terribles;
mais le glaive irrésistible de la nécessité est
prêt à fondre sur vos têtes. La première me-
sure à [ rendre n'est donc ni une loi martiale ni
un tribunal : j'en connais une autre, et la voici :


• Le pouvoir exécutif se prévaut de sa pro-
• pre annihilation. Demandons-lui qu'il nous
• dise, de la manière la plus déterminée, quels
• moyens il lui faut, quelles ressources il attend
• de nous pour assurer les subsistances de la


capitale : donnons-lui ces moyens, ces res-
.1' s


ources, et qu'à l'instant il soit responsablede leur exécution. •
Cette proposition de Mirabeau fut votée par 7-


l'Assemblée, qui, dans la même séance, vota la


— 173 —
loi martiale, à peu près conforme au projet de
Mirabeau, refondu et amendé par M. Target.


Nous avons dil insister sur ces détails pour
faire enfin justice de toutes ces accusations,
si gratuitement prodiguées contre Mirabeau,
et que nous avons regretté de trouver re-
prises avec une légèreté peu excusable par
un jeune historien qui prétend précisément
réagir contre les calomnies qui ont trop long-
temps défiguré les grands hommes de la Ré-
volution.


Quant à nous, nous comprenons autrement
la grande exégèse révolutionnaire. Les luttes
des partis ont depuis trop longtemps rapetissé
et ensanglanté les pages de notre histoire. Il
est temps de reconstituer, au-dessus de ce-s
rivalités mesquines, le grand parti de la Ré-
volution. Pour cela, demandons leur enseigne-
ment à tous les hommes qui furent engagés
activement dans la mêlée héroïque, de 1189 à
1799. Oublions leurs faiblesses ou leurs crimes,
qui ne peuvent que nous troubler et nous dé-
moraliser : effaçons, s'il se peut, ces souvenirs
néfastes. Dégageons les préceptes lumineux
qui composent la part virile de leur héritage
et que leur exemple nous serve d'aveAisse•
ment et de leçon. C'est dans cet esprit que
nous avons recueilli les opinions et les discours
de Mirabeau, et que nous voudrions voir re-
cueillis de même les opinions et les discours de
Robespierre et de tous les autres qui ont af-
firmé avec courage et netteté les grands prin-
cipes qui sont la base du droit moderne.




Ce qui fait à Mirabeau un grand davantage
auprès des observateurs superficiels, c'est sa
mort préniatnrée. On juge avec les yeux de
quatre-vingt-treize cet homme qui mourut au
commencement de 1791. Mais, en réalité, Mira-
beau peut affronter toutes les comparaisons.
Au fond, par son oeuvre antérieur et par son
attitude à la Constituante, il a été à lui seul
tout aussi révolutionnaire, sinon plus, que
tous les hommes de S3 pris en bloc. Son pré-
tendu royalisme n'est qu'une affaire de forme.


« Plusieurs écrivains, dit M. Ernest Flamel
dans son livre, ont paru s'étonner des éloges
prodigués à Louis XVI par Robespierre dans
quelques-uns de ses écrits ; mais leur étonne-
ment vient certainement de ce qu'ils ont
perdu de vue une chose essentielle, à savoir
que le jeune roi marchait alors lui-même à. la
tête des réformateurs; que, jusqu'au jour où,
effrayé des sourds grondements de la Révolu-
tion montant vers lui, il se laissa entraîner par
le parti de la réaction jusqu'à faire un pacte
avec l'étranger, il était resté honnête homme
et animé des meilleures intentions; qu'enfin,
les éloges de Robespierre, qui n'avaient rien
de servile, comme tout ce ciui s'écrit en ce




76
genre, s'adressent, non à l'héritier de Louis XIV
et de Louis XV, mais au monarque philoso-
phe, au roi réformateur, docile aux inspira-
tions de Turgot et de Necker, au souverain
qui, pour un moment, sut mériter le glorieux
surnom de Juste.


• C'est M. Hamel qui parle,
et il parle de Robespierre. A combien plus
forte raison, cette observation ne s'applique-
t-elle pas à Mirabeau! M. Hamel dit encore
plus loin : • L'Assemblée tout entière était
royaliste, et Robespierre lui-même, en ce sens
qu'il admettait parfaitement bien un roi entouré
des institutions les plus libérales et les plus
démocratiques. •


Mais si Mirabeau admettait la monarchie
comme une transition nécessaire et même
utile, ses écrits antérieurs sont là pour attes-
ter que ce n'était nullement son idéal politi-
que. Il n'y avait pas besoin que la surexcita-
tion des événements déterminât chez lui des
convictions républicaines; au contraire, il mar- Àtrisait, par sagesse et par son patriotisme, 111`les événements et lui-même, sentant, comme
le montre fort bien Proudhon, que le salut de
la Révolution était à remonter le courant. Il
est donc permis de croire que, s'il eût été
donné à Mirabeau de vivre plus longtemps et
d'assister au désastre de la royauté, le révo-
lutionnaire eût pris sa revanche, et il eût pu
exercer une influence considérable sur les évé-
nements. Nous ne serions même pas loin de
penser que sa mort a été vraiment une cala-
mité publique.


Mirabeau était, plus que tout autre, capable
de donner à la révolution sa véritable direc-


tion, et de la préserver des excès autoritaires
qui ont le plus contribué à fausser sa voie et
à compromettre son oeuvre. • Dans la remar-
quable lettre à laquelle nous avons emprunté
de si intéressantes citations, Proudhon, après
avoir établi que l'on ne peut, en tout cas, re-
procher à Mirabeau qu'une erreur philosophique,
ajoute, en thèse générale, que l'idée démocra-
tique et républicaine n'est juste qu'autant
qu'elle est considérée comme la réduction à
t'absurde du principe d'autorité gouvernemen-
tale.« Tant que l'on reste sur le terrain dugou-
vernementalisme, il n'y a pas de position sta-
ble. Donc, la véritable conclusion est celle-ci :
Du moment qu'une nation a fait reconnaître sa
souveraineté, il n'y a plus en politique qu'une
chose qui lui convienne, c'est que le gouverne-
ment, quelle qu'en soit la forme, travaille lui-
même à développer l'action économique sur
tous les points du pays, et à diminuer et ré-
duire la sienne propre. • Cette conclusion si juste
et si profonde, mais dont on :ne fait que com-
mencer à entrevoir aujourd'hui la justesse, a
certainement été pressentie par Mirabeau, dès
son Essai sur le despotisme, et il y a tout lieu
de croire que cet idéal démocratique était ar•
rivé à se dégager très nettement dans son es-
prit. Ceux qui ont lu attentivement ces cinq
volumes peuvent attester que ce n'est point là
une supposition gratuite de notre part ; et
pour nous contenter d'un seul trait, le passage
suivant du discours sur les traités de la France
avec l'Espagne (55 août 1790; est assez remar-
quable : « Si nous devions nous conduire au-
jourd'hui d'après ce que nous serons un jour;




--- i78
si, franchissant l'intervalle qui sépare l'Europe
de la destinée qui l'attend, nous pouvions don-
ner, dès ce moment, le signal de cette bien-
veillance universelle que prépare la reconnais-
sance des droits des nations, nous n'aurions
pas même à délibérer sur les alliances ni sur
ia guerre. L'Europe aura-t-elle besoin de poli-
tique lorsqu'il n'y aura plus ni despotes ni es-
claves! Il n'est pas loin de nous, peut-être, ce
moment où la liberté, régnant sans rivale sur
les deux mondes, réalisera le voeu de la phi-
losophie, absoudra l'espèce humaine du crime
de la guerre et proclamera la paix universelle.
Alors, le bonheur des peuples sera le seul but
des législateurs, la seule force des lois, la
seule gloire des nations; alors, les passions
particulières, transformées en vertus publiques,
ne déchireront plus, par des querelles san-
glantes, les moeurs de la fraternité qui doi-
'vent unir tous les gouvernements et tous les
hommes; alors se consommera le pacte de la
fédération du genre nun3am. •


Mirabeau, qui réprouvait tous les coups
d'autorité, de quelque part qu'ils vinssent, et
qui se refusait énergiquement à admettre, en
aucune circonstance, l'excuse commode de la
raison d'Etat ; Mirabeau. qui définissait la li-
berté « l'inviolabilité de chaque individu » ; Mi-
rabeau qui repoussait le mot de tolérance,
comme, en quelque sorte, tyrannique lui-
même, puisque l'existence de l'autorité qui a
le pouvoir de tolérer attente à la liberté, par
,cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi, elle pour-
rait ne pas tolérer »; Mirabeau qui posa le pre-
mier le grand principe de la séparation absce


— 119
lue de la morale et de la religion ; iabeau
a des droits spéciaux aux sympathM


iesr de la


jeunesse et du peuple; et la conspiration ini-
que qui s'est attachée avec


t de persistancetan
à mutiler et à souiller cette grande mémoire,
achève, croyons-nous, de donner la mesure de
son intérêt à rceuvre que nous avons entre-
prise, et qui a le privilége de se présenter au
public sous un patronage, qui est à la fois
un honneur et une bonne fortune pour l'au-
teur.




TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES


TOME I


Pages.
Introduction 3
Jeunesse de Mirabeau 77 .
Premiers écrits de Mirabeau 115
Notice sur sa maison 116
Mémoire pour le portefaix Jeanret 117
Mémoire sur les salines de la Franche-


Comté 120
Essai sur le despotisme 125
Avis aux Hessois 153
Réponse aux conseils de la raison 155
Le lecteur y mettra un titre 156
Des lettres de cachet et des prisons d'Etat 161


TOME II


Des lettres de cachet et des prisons d'État
(suite)
3


Mémoire du duc d'Aiguillon
16


Voyage en Angleterre
17.


Considérations sur l'ordre de Cincinnatus


19
Doutes sur la liberté de l'Escaut


35
Ecrits sur l'agiotage 41




— 182 —


De la caisse d'escompte.


Do la banque Saint-Charles


Lettre à M. Lecoulteux de la Noraye
Sur les actions des eaux de Paris




Réponse à Beaumarchais


Lettre à M. de Calonne


Sur Moses Mendeishonn et la réforme po-
litique des juifs


67
Lettre sur Cagliostro et Lavater.




Lettre à Frédéric-Guillaume.....


S5
Conseils à un jeune prince




105
Histoire secrète de la cour de Berlin




107
De la monarchie prussienne




119
Adresse aux Bataves sur le staffioudérat


137
Observations sur la maison de force appe-


lée Bicêtre


161
Dénonciation de l'agiotage




171
Lettres . sur l'administration de Necker


183
Suite de la dénonciation de l'agiotage... ,85


TONS 111


Réponse aux alarmes des bons citoyens
3


Sur la liberté de la presse


13
Lettres à Cérutti


33
Mirabeau en Provence




35
Discours sur la représentation illégale de


la nation provençale


39
Réponse aux protestations des prélats et


possédants fiefs


44,
A la nation provençale.




49,
Ovations à Aix et à Marseille




54
Sur le règlement pour la convocation aux


Etats généraux.


58


— 183
Pagep.


Avis au peuple marseillais as
Double élection à Aix et à Marseille 68
Théorie de la royauté. . 75
Réglements observés dans la chambre des


communes 73
Mirabeau journaliste. 77
Détats sur la vérification des pouvoirs 83
Sur la dénomination que doit prendre l'As-


semblée des communes 97
Transformation de l'Assemblée nationale


en Assemblée constituante. 103
Protestation contre l'esclavage des nègres 113
Sur le renvoi des troupes 135
Sur le renvoi des ministres 128
Assassinat de Berthier et Foulon.... > 139
Sur l'organisation des municipalités 142
Sur le secret des lettres 145
Sur la pluralité simple ou graduée 147
Nuit du 4 aoCit 149
Premier emprunt de trente millions 152
Discours contre la proposition de soumettre


les prêteurs à des retenues. 155
Discours sur la dune ecclésiastique 158
Sur la déclaration préalable des droits de


l'homme 160
Sur la responsabilité de tous les agents de


168
169


175


Pages.
43
45


46
46
47
33


l'autorité
Sur la liberté des cultes
Sur la dette nationale
Sur la sanction royale ..... 177




— 18i —


TOME IV.


Pages.
Sur la sanction royale (suite).-


3
Sur la contribution du quart des revenus


10
Sur la loi martiale


21
Sur l'interdiction des droits politiques aux


faillis et aux banqueroutiers


23
Sur l'inscription civique...




26
Sur la propriété des biens ecclésiastiques


29
Sur la division du royaume et sur les mu-


nicipalités


40
Sur l'établissement d'une caisse nationale


et l'admission des ministres à l'Assemblée 42
Sur la transformation de la caisse d'es-


compte en banque nationale


50
Sur l'éducation politique des fonctionnaires


publics
51


Sur le droit de l'Assemblée d'exclure un
de ses membres


56
Sur la dictature
58


Sur la nécessité d'exiger du ministre des
finances un budget régulier




64
Sur la proposition de déclarer la religion


catholique nationale


65
L'Assemblée décrète qu'elle ne pourra être


renouvelée avant l'achèvement de la
Constitution .


67
Sur l'organisation municipale de la ville


de Paris.


Sur l'indépendance du pouvoir judiciaire


12
Discours sur l'exercice du droit de faire


la paix et la guerre


77


— 135 —
Pages.


Réplique. 106
Lettre adressée aux quatre-vingt-trois


départements. 123
Eloge funèbre de Franklin 131
Sur la liberté du commerce, à propos des


retours de l'Inde 133
Sur les traités de la France avec l'Es-


pagne 142
Sur les assignats 147
Sur la liberté électorale 161
Sur la procédure du Châtelet, dans l'affaire


des 5 et 6 octobre 163


APPENDICE


Proposition de voter des remercîments
à Bailly et à Lafayette 113


Sur le refus du Parlement de Rennes d'en-
registrer les décrets de l'Assemblée.... 118


Sur l'assimilation de la Corse 188


TOME V.


Sur le pavillon aux couleurs nationales... 3
Sur le droit de pétition




10
Sur l'affaire de l'hôtel de Castries




13
Sur la constitution civile du clergé




19
Projet d'adresse aux Français 25
Sur la politique extérieure
Sur l'impôt du tabac


66
Mirabeau président de l'Assemblée 68
Surie droit d'émigration




— 186 —
Page...


Incident sur le clergé


80
Sur la caisse La


• 80
Sur la Régence,
Mort de Mirabeau


9
Discours sur l'égalité des partages dans


les successions.
Honneurs rendus à, la mémoire de Mira.


beau. Création du Panthéon
101


OEUVRES POSTHUMES.


Sur l'abolition de l'esclavage


Sur le mariage des prétres.


I
Sur la Y.berté de la presse




i
Paris port de mer


143
Mémoire pour ramener l'ordre des francs-


maçons à ses vrais principes


144


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