TIRÉS nES PAPIERS f n'UN HOMMED'ETAT, SITR tES C.AUSES SECRETES QUI ONT...
}

TIRÉS nES PAPIERS


f


n'UN HOMMED'ETAT,
SITR


tES C.AUSES SECRETES QUI ONT DÉTERMINÉ LA POLITIQUE
DES C,ABINETS DANS LA. GUERRE DE LA. RÉVOLUTION,


IJEI'UIS 1792 .1USQU'EN ,f1I5.


TOME DEUXIEME.


PARIS,
PONTHlEU ET COMP", PAI~AlS-ROYAL,


F.T QUAI MALAQUAIS, N° l.


1828. .'~ /
'-, ,.- .


)


~ .:.~ ,
....




•• "'C'~'"
:.j. ,


t




1


lVIEMOIRES
TIRÉS DES PAl'IERS


,


D'UN HOMME D'ETAT.
=


LA. r¿volulion renversant lous les obstades que
venaient de lui opposar deux monarques puis-
sans, dont l'un avait compromis, ponr la- com-
hattre, sa réputation et ses trésors, OH devait peu
s'attendrc qu'elle se renfermerait dans les limites
assignées par la diplomatie des courOllnes. An-
cune transactíon n'était possible entre la réYolll~
líon triomphante et les rois repoussés et humilíés.
Les hommes qui la dirigeaient jugerent des 101's
qu'il leur faIlait puiser de nOln"dles forces uans
la guerre offensive, et aussit6t la réaction COlll-
men<,'a. L'armée prussieune n'avait point encore


H.




achevé sa retraite que l'illvasion de la partie de
l'Allcmagne voisine du Moycn-Rhin, était non-
seulemellt résolue, mais mise á exécution par le
corps d'armée sous les onlres du général Cus-
tine. Émule et rival de Dumouriez, Adam-Phi-
lippe Custine brulait de lui disputer la palmc des
conqlH~tes entreprises an nom de l'égalité Fépu-
blicaine. Mais on ne retrouvait point en lui le
mcme talent ni la meme connaissance des hom-
mes. Custínc manquait surtont de circonspcc-
tioll; il eom pl'cuaiL la g-uel'rc, l1luis la faisait maL
Favorisé par la uaissunce et par la [ortune, jI 11e
elevait rien jusqll'alors a la révoJlltion, dont ii
avait cmbrassé chaudemcnt les príncipes. C'était
un républicain a yec les mccurs de l'ancien régime.
n avait bit, eomme colouel, la gncrrc pour riu-
dépcndance de l'Amérique dn nord, et, a son
retour, iI avait pris rang parmi les officiers-géné-
raux. Député a l'assemblée constitnante, il s'y
pronon~a ouvcrtement pour l'~tablissemcllt des
gardes nationalcs et pom la déclaration des
droits de l'homIl1c.


Cnstine avait vn le commCllccmcnt des hos~
lilités avec des sentimellS <le patriotisme mdés
a des projets d'ambition. Ce fut lui qui, des le
21 avril, marchán t a la tete d'un détachement
de six mille hom111e5, tlélogea les Autrichicns
(l('s gorges du pays tk Porcutruy : les Autri-




l)'UN HOl\I~IE n'ÉTAT. 3
chicns, a son approche, s'étaient retirés sans
l'attenelre. Telle futla seule entreprise tentée vers
le Rhin jusqu'aux événemens de septembre.


Sur le Haut-Rhin, le prince Esterhazy, com-
mandant l'armée antrichienne d'observation,
s'était conelamné a une campagne inactive : les
troupes placées sur les deux rives da flenve n'a-
vaient fait de part et d'autre ancnne tentative
pour le passer.


An moment ou l'armée combiné e sons les 01'-
dres du roí de Pl'llSSC, déJ)onchait sur la Meuse
ponr pén~trer el! Champagne, le prince de Ho-
henlohe-Kirchberg, eommandant le corps d' ob-
scrvatioll cln Moyen-Rhin, l'avait franchi pres de
Spire, et s' était porté sur la Queich, aux environs
de Landau, Ol! veuait de s'établir Custil1e clans
un camp retrallché. Le prince, se dirigeant sur
la Meuse pour joindre l'armée eombinée, laissa
dix a dOHZC millc hommes derriere la Spirebach,
destinés a convril' a la fois Spire et Mayence ;
mais bientot apres ce meme corps fut retiré de
ectte position si importante: sous les ordres du
comte d'Erbach, il se mit en marche pour ap-
puyer l' opératioll mal ealculée contre Thionville.
On ne laissa devant Spire que trois mille hom-
mes, composés d'A utrichiellS d ele soldats de
l'électeur de Mayence, cOlllmandfs par un sim-
ple colonel. Ce corps, qui n'était pas m~!nc re-




4 )!bWIRES
tranché, devait couvrir toutes les communi-
cations et d'immenses magasins destinés pour
les troupes impériales, dans une ville sans fo1'-
tifications et a six lieues seulement de Landau.
Tenir si pres de l'ennemi des approvisionnemens
qu'il eút été si facile de transporte1' de l'autre
coté du Rhin, parut une sortlt d'énigme qu'Oll
crut expliquer par une solution toute politiqueo
On prétendit que l' empereur avait laissé aSpire
tous ces magasins, comme un appat, pour atti-
rer les troupes fran\aises sur le territoire alle-
mand, et par la faire renoncer a leur neutralité
les princes qui s'y obstinaient, malgré les gríefs
de I'Empire contre la France. On serait plus pres
de la vérité, si on n'apercevait dans cette fausse
combinaison que l' reuvre des passíons secretes,
produit naturel d'une guerre d'opinion, qui
trouve partont des prosélytes. L'état moral de
cette partie de l'Allemagne n'était pas si rassu-
rant pour que le chef de l'Empire put impuné-
ment y attirer les Fran~ais.


Les doctrines de l'égalité et de la démocratie,
l::mcées clu sein de la France, s'étaient répandues
an loin, et avaient commencé, sous diverses
formes, a s'insinuer clans presque toutes les
cours allemandes, principalement sur les borcls
clu Rhin, ainsi que sur la Moselle et dans une
parlie de la Souabeet de la Frallconie. C'étaicnt




, " D UN JIOIlIl\IE ]) J:TAT. 5
les basses classes etle bas clergé qui, dan s lesétats
des électeurs ecclésiastiques, renfermaient les
plusardens prosélytes de la réyolution frall(;aisc.
Une année avantla guerre, l'un des plus profonds
adversaires de la révolution 1 :¡.vait dit et écrit:
« Cest dans les électorats ecclésiastiques que le
» nouvcau systemc aura probablement ses pre-
» miers succes; c'est la quc les remparts de la
» liberté germanique commenceront a s'écrou-
)) lel'o »


Déjil les écrits fraw;:ais et les harangues eles
oratems des assemblées nationales avaient donné
un granel monvement aux esprits dans plusieurs
contrées de l'Allemagne, principalement dans
les viII es soumises aux princes-électems de Tre-
ves, de Cologne et de Mayence.


Ces effets fmcllt plus on moins aggravés par la
faiblesse, les fautes on les vices de ces divers
gouvernemens. On savait quc les habitans de l'é-
lectorat de Trcycs nomrissaient de justes motifs
de mécontentemens contre leur areheveque,
prinee faible et avare, esclave cln baran Dmni-
nique, son principal ministl'e, qui ne songeait
qu'a grossir le fise aux dépens de l'inclustric et dn
eommerce. Les habitans de J\Iayenee n'avaient:
pas autant a se plaindre de lenr régime intérieur.
Mais Mayence, la ville la plus voluptueusc de


, Edi'0nd Burke.




6 i'lIÉ:lroIRES
l' Allemagne, fonrmillait de pretrcs, et tons les
lif'IlS y étaiellt reJaehés. n y fIorissait d'aillenrs
une université qui rcnfermait dans son sein une
fnule de jeunes éleves, dans r esprit desquels fer-
mentaient toutes les idées nouvelles.


D'un autre coté, la révolution ne pouvait etre
envisagée politiquement, sons le memc point de
vue, dans un pays qui renfermait plusieurs états
imparfaitement unis par une so1'te de constitu-
tion fédérative. Parmi les princes voisins des
frontit~res de Franee, les uns avaient [;lvorisé les
émigrés, d'autres les avaiellt éloigll{~S et traités
séverement. L'éleeteur pala~ill de Raviere, le
duc de Wurtemberg et le margrave de Bade ne
les avaient admis ni favorisés en auenne maniere.
Pourquoi, disaient les partisans de la révolution,
l' éleeteur de Tn~ves, si peu éloigné des frontieres,
n'a-t-il pas imité la eondnite qu' on t tenue ces trois
prinees, qui n'ont jamais permis dans leur pays
aux émigrés fi'all(;ais armés OH non armés, aUClln
séjour qui pitt donner de la jalousie OH de l'in-
quiétude a la Franee?


Toutefois, les riguellrs dirigées contre les émi-
grés, ne furent pas toujours un signe eertain de
bienveillance ponr la 1'évolution fraJl(;aise : nul
p1'ince, en Allemagne, ne s' est montré plus dur
a leur éga1'd, plus impitoyablc meme, que le
landgrave de Hesse-CasseI; mais iI était en meme




7
temps l'ennemi le plus prononcé de la révoln-
tion; le premier il pl'it J'cngagement de défendre
contre elle les bords du Rhin avec ses troupes.


En remontant le Rhin, le dnc de vVnrtemberg
était le premier prince de l'Empire dont la France
se promettait alors la neutralitp. La conr de
Vienne luí avait fait proposer de prendre á sa
solde huit mille hommes de ses troupes. J\Iais le
dnc, a qni elle offrait en meme temps de garantir
ses états ele toute invasion, crut elcyoir rejeter
une propositioll qui pOllvait le compromcttre
avec la France; et ce reflls, il le motiva sur
l'intéret de ses sujets, qu'il n' entendait pas ex-
poser a une querelle qui leur était étrangere. L'é-
lecteur palatin et le margrave de Bade montre-
rent tont it conp les m(~mes sentimens et la meme
politique que le duc de \Yurtemberg, el ces
trois princes COllcel'tcrent des mesures commu-
nes pour le maintien de leul' neutrahté. On ne
s'étonnera dOllc pas (lU'ils aíent €>pié le moment
d'entamer des uégociatiolls secretes avec la
Franee, des qu'il ne leur fut plus possible de
douter que les revcrs de la coalition dans cette
premiere campagnc, ouvraient, pOllr ainsi dire ,
leurs états aux armées franc;:aises.


Spire était le prcmier pas qui devait conduire
a une invasion désirée a Paris, tant par esprit de
repré sailles, que par adhéslon aux excitations de




8 JlIJfJlIOIRES
Custine. L'ordre lui en fut donné par le conseil
exécutif, qui y voyait une su reté de plus pour
l'affranchissement total dn territoíre. Custine
était alors a la tete de dix-huit mille hommes de
troupes de ligne et de gardesnationales exercées,
y compris qnatre mille cinq cents chevanx. Mais
vonJant frapper les espríts par des apparences
imposantes, iI mit en réquisition sept a huit
rnille paysans alsaeiens, destiné s a grossir ses
forces. Selon les rapports de ses émissaires, a
l'exception des trois miJJe hommes cornmandés
par le colon el Winkelmann, et de la faíble gar-
nison de Manheim, formellement déclarée nen-
tre, rien ne pouvait s'opposer a la marche qui
lui était tracée. En effet, le colonel Winkelmann,
surpris et enveloppé dan s Spire, mit bas les
armes avec denx mille sept eents hommes.


Ivre de joie, étonné de son succes, Custine
ne se contente pas de la proic facile que lui off,·e
les magasins dé Spirc, richcment pourvus de
tont ce qui pouvait satisfairc les besoins d'une
armé e I ; il frappe le pays d'une contribution de
I,:WO,OOO Hvres.


Une émigration subite de la part des hantes
classes, et de tous ceux dont les dispositions con-
nnes étaient contraircs a l' esprit de la révolution,
fut déterminée par l'appréhension qu' excitait 1'in-


• Évalués a deux, et selon d'autres a trois millions de floríns.




n'UN HOM1\fB D'ÉTAT. 9
discipline des troupes fran\aises, OH par la crainte
d'une subversion totale. D\m autre coté, les zé-
latellrs de ce qu'on appelait le bonheur commun,
accouraient, au nom de la liberté, rendre hom-
mmage a Custine, et lui apporter l'assurance que
l'opinion en Allemagne était généralement favo-
rable a la cause de ses armes, et en assurerait le
triomphe: ils étaient les organes, assuraient-ils,
d'une association nombreuse, au nom de la-
quelle ils lui promettaient dévouement et fidé-
lité. Parmi ceux-cÍ se faisait remarquer Ikehmer,
professeur a Worms, natif de Grettingue, homme
adroit, instruit, impatient de jouer un role. Il
presse Custine de venir s' emparer de W orms,
ville qui s'est rendue coupable, dit-il, envers la
France, en donnant asile aux émigrés et au prince
de Condé. Le lendcmain, 30 octobre, un déta-
chement se porte sur W orms, et les magistrats
viennent eux-memes apporter les clefs de la viIle.
L'armée reste campée, le quartier-général a Rei-
delsheim. Brehmer ayant ainsi capté laconfiance
de Custine, ce général l'auaehe a sa personne
avee le titre de secrétairc, et lui confie la diree-
tion politique de ses intelligences secretes dans
le pays allemand. Stamm, jeune patriote de Stras-
bourg, qui partage av{'c Brehmer la confiancc du
général, rédige sa premiere proclamation, dans
laquelIe Custinc introduit cette rnaxime mise




10 ::IrlbrOlRF.S


en vogue par les démagogues de Paris : Guerl'é
allX palais ,paix aux challmieres. C'étaient sur-
tout le peuple et les paysans quc voulait s'atta-
cher le général fraw:;ais, en leur montrant que
la guerre n'était dirigée que contre le dergé, les
grands et la noblesse.


Le ton sur lequel il écrivit au ministre prin-
cipal de l' électeur de Baviere, pour le gouver-
llcment du Palatinat, fit penser que d'un TIlO-
ment a ]'autre on verrait les Fran~ais demander
lcur entrée dan s Manhcim. l\fais sa dómarche
n'avaít ponr objet que de sc procurcr indirecte-
ment unc explication nouvelle sur les dispositions
de la cour palatine a l'égard de la France. Hne
se fiait qu'a demi a la neutralité promisc par l'é-
lecteur. n craint, dit-il, que ce prince ne réu-
nisse ses troupes a celles du landgrave de Hesse-
Darmstadt 1, et il presse le ministre palatín, qui
dirige les affaires en I'absence de son maitre,
de s'expliquer. Sa lettre est fiere et presqne me-
na«;ante. La réponse lui donne l'assurance de
l'amítié et de la neutralité constante de l'élec-
teur.


Le landgrave de Hesse-Darmstadt, dont les
forces ne s'élevent qu'asixmille hommes, voyant
qu' elles ne peuven t etre renforcées par les troupes


I LoWs VII, ne le 14 juin 1753, ct qui avait succédé, le 6 avril
17901 ii son pere.




n'r:v JIOMME n'.ÉTAT. JI
c!'ancun des princes, ses yoisins, juge que ses
moyens militaires isolés ne sanraient protéger ses
possessions contre l'agression d'un ellllemi puis~
santo CeUe sollicitude était naturelle dans un son~
verain renommé ponr la dOllceur de son gouyer-
nement et l'amour qu'il portait á son peupIe. n
vloigne aussitot ses troupes, et les dirige sur
Giessen. Le 5 octobre , les membres de la régence
annoncent aux haLitans qll'une colonne fran 4
<{aise, mena<:ant le pays de Darmstadt, des dé-
putés out (~I{' ellYoyés au gélléral Custíne, afin
d'obtenir de luí le respect pour les propriétés;
que d'ailleurs si les Frauc;-ais se présentent, il suf~
fira de protester contre lenr passage, tout en
se conduisant amicalemcnt a leur égard.


Au milien de ces sueees, le nombre des adhé-
rens grossissait a yne d'ceil au quartier-général.
Ils flattent Custine qu'il reeevra ineessamment
les. députations de plusieurs villes; qn'il est
attendu ayec impatienee par une nation lasse
dn joug et qni soupire apres la liberté. Tous
l'assurent que s'il se porte sur Mayence, eeUe
ville sera bientot en son pouyoir, l'esprit des
ehefs de la garnison étant déjá ébranlé OH séduit.


Toutes les forees de l'éleeteur formaient a
peine troÍs mille hommes, répartis dans les for-
teresses de Mayenee, d'Erfurt et de Konigstein;
mais quant a des généraux, il en avait douze,




12 MÉl\fOIRES


Olltre six conseilllers de guerreo Sa garde per-
sonnel1e était de cinquante hommes. Il avait (ra-
bord en le projet de mcttrc Mayence a rabri d'un
coup de main par de nouveanx onvrages; mais
le couronnement de l'empereur avait tont fait
snspendre. Depuis, on avait cru plutot a sa conr,
a l'invasion de la France, qu'a celle de I'Allema-
gne, et les travaux n'avaient pas été repris. Ce-
peudant l' électeur, s' étant lié par des engagemens
avec la coalition, deux mille hommesde sestrou-
pes joignirent le corps d'armée du comte d'Er-
bach, et iI n'était resté dans sa capitale que sept
on huit cents hommes, grossis par cinq on six
cents soldats d'Empire, tirés de divers petits
états voisins. Telle était la défense militaire de
Mayence, quand, le 2 octobre, s'y répandit la
nouvelle de la prise de Spire par une armée fran-
¡;aise d'invasion. L' électeur, avec sa conr, remet-
tant le pouvoir a la régence, prit aussitot la fuite,
et se retira successivement;l Francfort et a \V urtz-
bourg. Dans ce premier moment de troubles, on
fut rédnit a armer les citoyens et les étudians. Le
chancelier baron d' Albini fit un discours éner-
gique aux habitans réunis, afin d'exciter lenr
courage; mais reffet en fut détruit par le bruit
répandu parmi le peuple, que déja les fourgons
du chancelier venaient de passer le Rhin, et que
Mayence allait etre abandonné.




n'us HOllIl\fIl n'.ÉTAT.
Cependant Custine avait hésité a s'en appro-


cher, dans la crainte que les Autrichiens, qui
occupaient le pays de Treves, n'arrivassent avant
qu'il ne fnt maltre de cette elef de l'Allemagne.
Enfin iI s'était mis en marche.


Le 5 octobl'e, an premier bl'liit de son appro-
che, on assemble dans la ville un conseil de
guerre, ou ron manifeste l'intention d'abandon-
ner les ouvrages extérienrs. Le major du génie ,
Adolphe Eickemeyer, qui n'était pas sans in-
lluence sur l'esprit dn gonverneul', bUl'on de
Gymnich, remit, contre cette mesure, une note
au consei!. Au meme moment urrive un officier
de hussards, annon(,;ant que déja les FralH;ais ne
sont plus qll'a quelqlles milles de la 'place. On
tire aussit6t le canon d'alarme, et a ce premier
signal de guerre, une compagnie de troupes
d'Empire prend la fui te , la ville est en proie a
la confusion, et les troupes montrent peu de
fermeté. Le conseil, ayant décidé que les ou-
vrages extérieurs seraient abandonnés, le gou-
vcrneur communique le résultat de la délibéra-
tion a la régence, qui l'improuve, et adoptc lc
plan de défense du major Eickemeyer.


On apprend le 9 que les Fran(,;uis se I'cti.'cnt.
Qui le croirait? sur un faux bruit, sur un rap-
port inquiétant et contronvé, Custine avait ré-
trogradé avec la prrsquc totalité de son arméc,




~IÉMOIlms
pour aller se remettre sous la protection du canon
de Landan. Honteux de sa méprise, il revient
sur ses pas, enconragé d'aillenrs par les suffrages
que la convention nationale donne a ses premie-
res entI'eprises, et par la joie folle et outrée qu'en
témoignent les Parisiens.


Des ce moment il ne balance plus; iI se décide
a ten ter un coup de main sur Mayence, oú ses
émissaires vont s'aboucher avec les adhérens de
la cause fr:m(;aise. un professeur de Strasbourg,
nommé Dorsch, élait l'intcrmédiaire de la cor-
l'espondance qui, par les mains de Dcehmer, al'-
rivait jnsqu'a Cnstine. Bcchmer et Stamm osent
nH~me se remIre en secret á Mayence pOllr y
conférer avec les affiliés. Ils rapportent an gé-
néral en chef un apcrc;n circonstancié de l'état
ou se trouve la place, et de nouvelles directions
pour le succes qu'il médite.


On renollvelle en méme temps les instauces
les plus vives ponr l'engager a occuper aussi
Manheim, de gré OH de force, ce qni le renclrait
maltre de tont le cours dn Rhin, clan s tont l' es-
pace qn'il parconrt depuis la Snisse; mais Cus-
tille persiste a s'y refuser, allégllant la neutralité
si récemment renouvclée et promise de la part
de l'électeur palatino Cest vers Mayence qu'il vn
diriger son attention et toutes ses forces. Le 15
octobre il s'y porte ayec SOl1 arméc. « J'ai l'es-




D'UN HOl\I;\fE n':ÉTAT.


» poir de me rendre maltre de Mayence, écrit-il
» au général Biron 1; je suis sur du nombre de
» troupcs qui l' occupent, et je suis instruit des
» moyens d'attaque par les intclligences que je
») me suis ménagées. Déji.t l'armée que je COlU-
») mande viellt d' exécuter une marche d'une ra-
» pidité incompréhensible; j' en ai dirigé une co-
» lonne le long des montagncs, par la ronte de
» Turckeim et Alzei. CcUe marche en impose
» non-seulement a vVorms, mais atonte cette
») partic de l'Allemagne; ello nw met en mesure
» d'y semer nos décrets, et des écrits qui y pré-
» parent la l'évolutiOll del'riel'e les armées de 1105
)) ennemis. »)


Le meme jour arrivait a Maycllce un escadron
de hussards autrichiens, et la régellce apprc-
nant qu'un détachcment de huit a neuf cents
hommes, égalemcnt Autrichiens, travel'sait
Francfort poar aller joilldre l'armée, obtint que
ces troupes vicudraient rcnforcer la gal'lliSoll.
Mais elles furent mal vues des habitans, qui, ]a
plupart, redoutaicllt un siége.


Le 18 octoLre l'avant-garde de Custinc, mar-
challt san s aucune conllaissance du pays, se
trouva tout a coup, et sans s'y attendl'e, ú la vue
des ouvrages extérieurs. Le gélléral allemalld,
qui en avait la défense, prcuant les Fraul,'ais


1 Lettre dl! 18 octobrc.




:lIJhIOIRES


ponr des troupes de sa nation, ordonne de ne
pas tirer, et ne revient de sa méprise que lorsque
les Franc;ais, reconnaissant enfin qu'ils sont de~
vant Mayence, commencent a faire gronder leur
artillerie.


Le lenclemain daus la matinée, la ville, assise
sur la rive gauche du Rhill, et défcndne par des
ouvrages tres-forts, se trou ve comme investie
par l'arrivée subite et combillée de plusieurs co-
lonnes de l'armée frallc;aise. Custip.e fait d'abord
paradcl' ses forces, cherchant a fasciner les yeux
des Mayen<¡ais pal' des mouvcmCllS de troupes
qui semblent en multiplicl' le nombre. n charge
ensuite le colonel Houchard, remarquable par
sa stature martiale, de porter sa sommation au
gouverneur baron de Gymnich. JIouchard est
introduit, et il remet hti-meme la sommation;
elle était cOIH;;lle en ces termes: el M. le gouve1'~
» neur, les troup~s anxquelles vous commandez
» ne peuvent suffire pou!' garantir votre cité
» de sa destruction; 11e la livrez pas aux ho1'-
») reurs d'une attaque de vive force; vous en
» répondriez, et votre tete serait sacrifiée. Pell
» d'instans vous sont laissés ; si vous hésitez, de-
» main vous ne se1'cz plus; cette cité, riche ct
» heureuse" sera détruite. Vous avez a choisir
») entre la destrllction et la fl'aternité que Hans
» VOUS offrons. De nombl'eux, de braves défen~




J)'UN HO;lIJIE n'ÉTAT.


» seurs saurOl1t bien sOllstraire votre ville a l'im-
» puissantc rage dcs despotes conjurés, qui ne
» traInent plus apres eux que des moribonds:
» lcurs armé es sont anéanties ..... J'attends votre
» réponsc, et n' en re~ois allcune de dilatoire. »
Le gouverneur répond verbalement qu'il est
dans l'intention de se défendre; qu'ii réfléchira
sur la sommation qui lui est faite; mais qu'il
demande quelques momens pour se décider.


Custine, a qui on a représenté sa tentative
. ,


comme un coup de main infaillible, s'inquiete
J'un délai; prompt a se décourager, il hésite, il
ne sait s'il doit s'éloigner : on le conjure de per-·
sévérer jusqu'au lendemain. Dans la nuit meme
un billet apporté de la ville par un émissaire,
change ses inquiétudes en espérances nouveIles.
Il était adressé an professeur Brehmer, qui re-
connalt l'écriture. On lui mande que le gouver-
neur, apres avoir exprimé a la régence et aux
habitans l'intention formelle de se défendre, avait
ordonné des dispositions en conséquence; mais
qu'on saurait rendre nuls tous ses prépa~atifs,
et que rami qui possédait sa confianc~, cmploi-
rait tont au mondc pour lui démontrer l'impos-
sibilité d'une l'ésistance militaire;' du reste que
rien ne pourrait opérer plus efficacement que
]a menace de l' escalade.


Jusque-la on s'était borné de part et d'autre a
u.




lI1ÉMOIRES


quelques volées de coups de canon, hors de la
portée des troupes; mais eette nuit meme on
inquiéta ceHes qui gardaient les ouvrages exté-
rieurs ,et parmi lesquelles le mécontentement
se manifestait. Le lendemain, Custine annonc;ant
une atta que de vive force, et faisant promener
sous les remparts des ehariats remplis d'échelles
enlévées aux paysans des cnvirons, renouvelle sa
sommation, qu'il rend plus mena~ante. « Je dois-
» a la gloire de ma république, dit-il, qui jouit
" de l'impuissancc des dcspatcs qni voulaient
» r opprimer, et qui les voit fuir devant les ensei-
» gnes de la liberté, de ne plus enchalner l'ardeur
» de mes braves grenadiers.» Il écrit anssi sur
le me me ton aux magistrats : «' J'ai tous les
)} moyens de réduire votre ville en cendres, leur
» mande-t-il; grilles pour tirer a boulets rouges ,
» obus d'artifice pour incendier ... Votre électeur
» a partagé les fureurs de nos enncmis; mais la
)i république fran(Jaise, danssa justicc, distin-
» guera le vreu de vos concitoyens, de ses projets
» insensés. Ce vreu : ne peut se manifester que
)} par une~arque promptc de l'alliance que ~ous
» consentirez a contracter avec nons : comptez
» sur la frater;úté que je vous offre. »


Le temps quis'écoula entre les deux somma-
tions, fut employé a intriguer dans la place: on
y avait travaillé l'esprit du gouverneur. 11 de~




n'UN HOll'IlI'IE D'ÉTAT.


manda la réunion d'un conseil civil et militaire
pour délibérer. Le comte de Hatzfeld et le baron
de Stein 1 , envoyé de la cour de Prusse, furent
appelés a la confércnce. La, le gouverneur, dé-
peignant sa position teIle qU'oIl la lui avait faít
voír, se montra disposé a une reddition prompte.
Il déclara que l' électeur, en partant, luí avait
recommandé, de la maniere la plus solennelle,
de ne point avoir égard a ses intérets particu-
liers, mais bien aux intérets des habitan s , dont il
n'entendait pas exposel' les propriétés, et qu'il
fallait surtaut s'attacher a obtenir la meilleure
capitulation possible. Le baron de Stein se rangea
de l'avis clu gouverneur, en observant que, d'a-
pres les informations qui lui étaient parvenues,
il n'y avait pas la moindre espérance de recevoir
allcuns secours extérieurs. Certes, il fallait bien
que les esprits fusscnt profondément frappés de
]a triste issue de l'cxpédítion de l'al'mée combi-
née en Champagne, pour qu'un:envoyé de Prusse
et un ennemi tres-prononcé des príncipes de la
révolutíollne montratni plusd'énergie ni plus de
corifiance. L'opinioll contraire, pour la défense de
Mayence, fut soutenue avec fermeté par le haron
de Fechenbach, l'un des dignitaires du chapitre
cathédral; par le chancelier baron el' Albini, et


1 Frere de eelui qui, vingt-un ans plus tard, s'est rendu célebre
en l'russe el en AUelllagnc.




20 lUÉMOIRES


par le conseiller intime de Kalkhof. Mais le gou-
verncur s'obstina; la place lui étant confiée, son
sort, dit-il, devait dépendre de lui seul, apres
toutefois qu'il en aurait référé a un conseil de
guerreo Ille convoque sur-Ie-champ, et charge
le major Eickemeyer d'en ten ir le protocole.
La majorité du conseil se décide pour la reddi-
tíon de Mayence, en alléguant, tantot la crainte
d'un bombardement, tantot les suites de l'es-
calade. Le gouverlleur et la régence acquies-
cent a la délibération, et Jonnent an major
Eickemeyer la mission de se rendre au quartier-
général de Marienborn pour entrer en confé-
re~ee avec le général en chef Custine. Le major
s'y rend sans délai, et se montre disposé a ca-
pituler, pOurVll que la neutralité des états de
l'électellr soit adoptée pour base de l'arrange-
ment. Cette proposition embarrasse d'abord Cus-
tine; il observe ensuite que la France ne veut pas
faire de conquetes; qu'il n' est pas vcnu pour
inquiéter les habitans paisibles; qu'il ne s'agit
que de réprimm'les'efforts d'un prince insensé,
ennemi dll peuple fran<;;ais. « Je me trouve a la
» tete d'une armée victorieuse, ajoute~t-il, la
» faiblesse de votl'e garnison, le penchant des
» habitans pOlIl' nos principes, mes intclligences
» dan s la ville, ne me laissent aucun doute sur
» le succes de mon entreprise; mais si contre




D'GN rIOJnIE D'ÉTAT.


» toute attente, je devais échouer, jallnerais
J) mieux en etre responsable devant la conven-
)) tion, quc d'adopter ]a proposition que vous
» me faites, et qni, d'ailleurs, étant plus diplo-
» matique que militaire, est ho1's du cerde de
») mes fonctions de général en chef.))


Eickemeyer rentra dans la place pour rendre
compte de sa conférence au gouverneur. Dans
la nnit meme iI revint au quartier-général, ac-
compagné du conseiller de KaIkhof et muni de
pIeil1s pouvoirs pour signer. Dans cette seconde
entrevue, Custine len1' vanta les victoires rem-
portées contre les coalisés en Champagnc, et le
courage irrésistible des troupes fran<;aises: Pas-
sant a la situation de la France, iI leu1' dit que
Louis XVI ne pouvait plus occuper le trone,
ayant perdu la confiance de la natíon; mais qu'il
espérait qu'en attendant la majorité da prince
royal, OH formerait une régence qni gonvernerait
constitutionnellement, et ferait donnor a l'hérí-
tier dn trone une éducation nationale. TelIes
étaient les idées de Custine, OH du moins ceHes
qu'il croyait devoir exprimer. Il ~ongédia les
deux commissaires, en les prévenallt que le gé-
néral Meusnier irait le lendemaill régler la capi-
tulation. Elle fut signé e en effet le :2 1 octobre, et
le meme jour les troupes fraIlc;aises prirent pos-
session de Mayence.




22 llIlÍ~IOIRES
Le détachement des troupes autrichicnnes",


indigné, et refusant avec éncrgie, par l'organe de
son chef, de participer a la capitulation, effectua
militairement sa retraite, par le pont du Rhin,
sur l'autre ríve; dans la nuít meme, un déta-
chement fran<;ais, passant aussi le Rhin, se di-
rigea sur Francfort, ce qui fut eonsidéré eomme
eontraire a la capitulation. Ainsi, a l'étonncment
des habitans et de l'armée fran<;:aise elle.meme,
l'importante forteresse de Mayence, la" principale
c1ef de l' Allemagn~, fut enlevée par un coup de
main, par suitc de la faiLlessc <Iu gouverneur,
du déeouragement de la garníson, et de la désa-
fection des Mayen<;ais pour leur prince. Un refus
énergique et péremptoire a la sommation de Cus·
tine eút suffi pour salIver la ville. Enflé de son
succes, Custine vint s' établir an palais électoral,
et de la, annon(,;ant avec emphase sa conqnete
a la convention, il ne se borna point a un ex-
posé modeste, qni n'étant que l'expression de
la vérité, n'eút point exalté les tetes; iI sup-
posa des circonstances fabulenses, telles qu'une
canonnade de qnarante-huit heures san s re1ache;
un feu de mousqueterie terrible, glissant sur
les impressions morales, sur les prcstiges et les
séductions qui venaicn t de lui ouvrir r Allemagnc.


Le major Eickemeyer, ayant accepté aussitot
le grade de colonel dan s l'armée fralH;aisc, et en-




n'UN IrOJUlIIE n'ÉTAT.
voyé sa démission a son ancien mattre, pass a gé-
l1éralement pour avoir le plus contribué en se-
cret au succ{~s des opérations de Custine.


La sCl1sation que la reddition subite de
Mayence fit dans tout le pays allemand, fut
d'autant plus vive, qu'on y étaít généralement
persuadé que eette clef de l'empire aurait pu
résíster meme a une attaque réguliere. L'effet
que produisit cet événement fut prodigieux
au quarticr-général du roí de Prusse, et par-
ticulierement sur l'esprit de Frédéric - Guil-
lanmc, aigri déja par les circonstances de sa re-
traite. Le duc de Brunswick en con«;nt descraintes
si exagérées, que, s'imaginant voir ses commu-
nications avec le Rhin coupées par les colonnes
envahissantes, il fit partir son argenterie, en
poste, pour ses états.


Il n'était plus possible que l'armée alliée rest;h
inactive sous le canon de Luxembourg, quand
l\1ayence se trouvait an pouvoir des Fram;ais, et
que le général Clairfayt, rappclé en Bclgique,
marchait pour la défendre contre l'expédition
ouvertement proclamée par Dumonriez. Le roi
jugea qu'il n'y avait plus de terme a la guerre,
et que s'il ne s'agissait plus d'envahir la France,
il fallaít an moins garantir et sauver l' Allemagne.
TeI fut l' objet du conseil ten u en sa présence, le
28 octobre, par ses généraux et ses ministres.




24 1I'IÉlUOIRES
Toute leur sollicitude se tourna llaturellement
sur Coblentz, qui devenait le point décisif de
la retraite et du ralliement de l'arméesur le Rhin.


On arreta dans le conseil que le corps d'ar-
mée du prince Hohenlohe-Kirchberg, couvrirait
Luxembourg, et qne l'armée prussienne, se ha.-
tant de repasser le Rhin a Coblentz, chasserait les
Fran<;ais de la rive droite, et reprendrait Mayence
aussitot apres avoir re<;u des renforts de l'inté-
rieur de la Prusse.


Transportés sur des chariots, les Hessois pri-
rent les devans, pour sauver, s'il en était temps
encore, la forteresse d'Ehrenbreitstein. Le reste
de l'armée les suivit, et se porta en sept marches
a Coblentz. Le passage du Rhin, ne pouvant s'ef-
fectuer que sur un pont volant, dura douze
]ours.


Cuc:,tlne, ma\.t!e de M'd)'ence, p .. wu.t Q''.\bQ~o.
eomme absorbé dans sa nouvelle conquete, et,
heureusement ponr la coalition, il ne comprit
pas que l'occupation de Coblentz était encore
plus décisive. Les illusions, les prestiges, et, en
un mot, les mcmes causes qui luí avaient ou-
vert Mayence, luí auraient assuré la possession
de Coblentz et du fort qui la domine, s'il eut
agi avec résoluUon et promptitude. En prolon-
gcant ainsi son établissement sur le Rhin vingt-
quatre 'lieues au-dela de Mayence, iI eut mai-




n'UN HOllIMt n'ÉTAT.
trisé le cours du fleuve par la position inexpu"
gnable d'Ehrenbreitstein. Cette fameuse eitadelle
était tellement dénuée de tout moyen de défense,
soit en munitions, soit en vivres, soit en hom-
mes, qu'un détachemcnt de troupes légeres s'en
serait ~isément cmfJtaré; iI n'y avait d'ailleurs
aucun obstade a surmonter sur la route pour'
y arriver subitement. L'nne et l'autre rive du
Rhin offrait une eomrnunication faeile, et Oll
n'y eut pas rencontré un seuI homme a com-
battre. En se hatant, Cusline ne pouvait avoir
l'inquiétude d'etre prévenu par les Prussiens,
qui en étaient encore a trente lieues, cheminant
avec lenteur, affaiblis par les fatigues d'une cam-
pagne pénible, appesantis par les transports dif-
ficiles de l~urs malades et de leurs bagages, a tra-
vers un pays montueux, et par des chemins
abimés dans une saison rigoureuse.


Custine, d'ailleurs, aurait en a sa disposition,
a Coblentz, les approvisionnemens prussiens,
les seuls qu'ils eussent derriere leur armée. Pressé
alors par Kellermann d'nne part, et par Custine
de l'autre, Frédéric..Guillaume n'aurait eud'autre
retraite possible qu~en Westphalie, en s'y réfu-
giant par Wesel. La, iI eut fallu donner le temps
a son armée de se rallier, de se remettre de ses fa-
tigues, de ses pertes, et de JJourvoir aux besoin~
du momento Les Autrichiens eux-memes, pris




lIfÉMOrR'ES
en flanc, n'auraient plus osé res ter sur la rive
gauche du Rhin. Qucl immense avanlage dans
le résultat militaire de l'irruption de Dumouriez !
La conqueto de la Bclgique cut été complete et
décisive. Custine et Dumouriez, agissant de con-
cert, eussent produit sur 1'turope l' effet le plus
extraordinaire, et amené l'événement le plus
marquant d'une guerre qui, des son début, abon-
dait en variétés nellves et inattendlles. La répu-
blique franc;aise, a sa naissance, maltrisant, de-
pnis la Suisse, le cours dLI Rhin, aurait tenu le
flellve bordé par l' arméc de Biron jusqu'a W orms ,
par les armé es de Custine et de Kellcrmann jus-
qu' a Bonn, par l' armée des Ardennes j llSqU' a Dus-
seldorf. Alors Dumouriez, pouvant disposer de la
totalité de ses forces, eut opéré a son gré eontre
la Hollande, oú ancnn moyen de défense n'était
préparé; ill'eút cnvahie et révolutionnée sur-Ie-
champ. La partie de l' Allcmagnc qui est sur la
rive gauche du Rhin étant ainsi au pouvoir des
Fran<;ais, la forteresse de Luxembourg aban-
donnée a elle-meme, cut été forcéc de se rendre
par l' effet d'nn simple blocus, de3 que sa gar\¡.-
son eut consommé entierement ses vivres. Tel
eut été le résultat gigantesqne de eette premiere
campagne de la révolution, qui, manquée d'a-
bord par le dnc de Brunswick, dan s les plainos
de la Champagne, par la non· occupation de




D'rrN HO'MlIfE D'tT,\.T. 27
Chc1lons, s'évanonit dans son dénouement par
la négligence dp, Custine a s'emparer de Coblentz
et d'Ehrenhreitstein.


Au premier bruit de la prise de l,rayence, on
fut si généralement persuadé a. Coblentz de la
prompte arrivée des Fral1(;ais victorieux, que
l'électeur lui-meme, son ministre, son gouver-
ncment, ses employés, frappés de l'état de dé-
nuement de la forteresse, et convaincus que
toute résistance serait inutile, rassemblerent a
la hate ce qu'ils avaicnt de plus précieux, et
mirent a couvert, par la fuite, leurs personnes
et lems richesses . .&insi abandonnés par le sou-
verain, les états du pays, cédant a la crainte
de tomber dan s les mains des Fran<;ais, a titre
de conquete, et redoutant les ex ces qu' on au-
raít pu motiver sur la protection accordée par
l'électeur aux princcs frul1(;ais et aux émigrés,
ellvoyerent leur syndic eh déplltation a Custine:
i1 était chargé de lui proposer la remise de Ca-
blentz et le paiement d'une contribution, au
moyen de laquelle la ville eút été préservée d'ex-
torsion, de pillage et de violence.


Mais Custine, sourd aux sollicitations de ses
amis, de son état-major et de ses généraux, se
refusa obstinément a couronner ainsi son heu-
reuse irruption en Allemagne. n témoigna la
crainte de s'affaiblir en se prolongeant jusqu'a




lUÉlIrOIRES


Coblentz, et soutínt que son colleglle Keller-
mann, ehargé de poursuivre les Prussiens, était
plus a portée d'obtenir le résultat qu'on atten-
dait de lui seul; raisonnement san s justesse,
cal' pouvait-il eroire que les Prussiens, qui se
retiraient méthodiquement, sans etre entamés,
négligeraient de faire oeeuper Ehrenbreitstein a
la hate, par un eorps léger qui préeéderait le
gros de leurs force s ?


Au lieu de deseendre le Rhin, Kelle~ann
prit ses eantonnemens entre. la Moselle et la
Sarre; et Custine, a peine maitre de Mayenee,
se sentit attiré par l'appat du butin vers Frane-
fort, ville riche et florissante, animée par un
grand eommeree d' entrepot de la Franee al' Alle-
magne, qui servait eomme de lien aux deux na-
tions; elle était d'ailleurs gouvernée par une
magistrature munieipale, et jouissait, a l'abri de


• ses loís, d'une grande liberté civile et politiqueo
On a vn que la premiere pensée de Custine, en
entrant dans Mayence, avait été de pousser un
fort détachement de ses troupes vers Francfort.
Les habitans attribuent d'abord eette marche en
avant, au projet d'une incursion dans les états du
landgrave de Hesse, ou de l' éleeteur de Mayence,
avee lesquels la république franc;aise est en
guerreo Régis eux-memes par un gouvernement
républicain, ils incJinaient a fratel'niser avec les




n'UN H01UME n'ÉTAT. 29
patriotes fram;ais, dont ils n'attendaient que des
sentimens de concorde réciproque.


On était a Francfort dans la plus grande sécu·
rité, lorsque, le 22 octobre, le général fran<:ais
Neuwinger se présente devant la porte de Saxen·
hausen, et demande qu'on lui en accorde l'en·
trée. Une députation des magistrats survient, et
cherche a le détourner, avec instan ces , d'occu-
per militairement la ville. Neuwinger, loin de se
laisser fléchir, fait avancer les cauons, et pénetre
dans Francfort an bruit des instrumens guer.
riers.


Quelle n'est pas la surprise des habitaus, lors.
que le colonel Houchard s'étant présenté au
Romer 1, remet aux magistrats un écrit du gé-
néral en chef Custine, portant que l'assistance
qu'a donnée la ville de Francfort aux aristocrates
fran<;ais, justifie sa nation .si elle la traite en en·
nemie; que l'empereur et le roi de Prusse y ont
d'aillcurs en dépót de grosses sommes d'argent,
et que la nation fran<:aise, ayant j llré de tirer
vengeance des coalisés, exige des Francfortois
une contributioll de deux millions -de florins, en
réparation de ses propres dommages!


Une telle conduite était en opposition directe
avec le projet qu'avait la France de séduire les peuo
pIes de l' Allemagne, et de multiplier les prosélytes


I L'¡,ótel-de-ville.




30 1IfÉl\IOIRES
de son nouveau régime. En vain les magistrats
établissent que les griefs qu' on impute a leurs con~
citoyens sont imaginaires; que par leurs actions
et leurs paroles, ils se sont toujours montrés dé·
voués a la révolution franc.;aise. Tout ce qu'ils
peuvent obtenir, c' est la rernise de cinq cent
rnille Gorins. Custine vent surtout que la contri-
bution soit payéc uniquement par les riches, et
proportiormellement a lenrs facultés, ajoutant
a la rigueur des concussions les semences de la
discorde. Il fai!: arre ter et retellir en otages sept
personnes entre les plus riches de la ville, et
les retient jusqu'au 1 cr novembre, que le pre-
miel' million se trouve soldé en totalité.


On avait regardé la contribution imposée a la
ville de vVorms, comme étallt motivée sur le sé-
jour qu'y avait fait le prince de Condé et les émi-
grés armé s contre leur patrie; mais quand on vit
les Fran(;ais exiger deux millions de florins d'nne
ville neutre dont le gouvernement était républi-
caín, qui meme avait rec;u des louanges de l'as-
semblée de Paris sur la condnite de ses magis-
trats, l'ivresse eut un tenne, et l'amonr de l'argent
rcprenalltson empire, changea en haine les pré-
ventions les plus favorables.


Custine ne se !Jorna poiuta la prise de Mayencp
eta sa course intéressée sur Francfort; iI fit S0111-
mer le fo1't de Konigsteiu, commis a la g-ardc de




D'UN nOM1UE D':ÉTAT. 31
quelques invalides des troupes mayen~aiscs, cts' en
empara. Les possessions du landgrave de Hesse,
comme comte de Hanau" étant a sa portée, il as-
pirait aussi a en faire la conqlH~te, ce qui l'aurait
rendu ma!tre des deux rives du l\Iein; mais il y
renon<;;a, en apprcnant que Hallau était défendue
par un gouverncur plcin de couragc, et par des
soldats dévonés a leur prillce. Quant a ses mélla-
gemens a l'égard du pays de Darmstadt, il les
motivait, en apparence, sur la neutralité de ce
souverain; mais en réalité, sur ce que le mar-
grave tcnait a Gicssen six miJle hommes', qui se
seraient déclarés contre la France. Or, Custinc
se vit réduit a tourner ses vues sur Friedherg,
ville voisine des salines de Nauheim, appartenant
au landgrave de Hcssc. Il y détache d'abord une
partie de ses tronpes, qit'il fait précéder d'unc
proclamation adrcssée an nom de la natío n fran-
<;;aise aux peuples d' Allemagne...... « Déclarez-
» vous, lenr disait Custine; que la réunion des
» deux nations soit un exemple effrayant pour
» tous les despotes; une espérancc consolante
» pour tous les peuplcs qui gémissent sous le
» Jong.»


Les salines de Nauhcim tomherent en son
pouvoir, mais apres la plus glorieuse résistallce
de la part d'une poignée de Hessois. Custine se
htlte alors d'acll'esser aux solclats de I1esse-Cassel




lIIÉ1\WIRES


une proclamation ou illeur signale leur souve-
rain eomme un tyran qu'il faut renverser de son
trone, et qu'il apostrophe ainsi : ce Monstre! sur
» lequeldéjadepuislong-tempss'étaicntentassées,
» semhlables a des nuages noirs, présages de la
)l tempete, les malédietions de la nation alle-
» mande! ..... » Continuant sur le mcme ton, et
provoquant a la défeetion les propres troupes du
landgrave, il ajoute : ce Tes soldats, dont tu as
» fait un usage abusif, te livreront a la iuste ven-
l) geanee des Fran<;ais; tu ne le u!" échapperas pas !
» eomment serait-il possible qu'il y eut un peu-
» pIe qlli aeeordat asile a un tyran tel que toi? .. »
Cette brutale et injurieuse proclamation fit juger
que Custine redoutait surtout les souverains qui
montraient de ]a fermeté.


Le jour memc qu'il faisait plaearder a Franc-
fort ses menaces contre le landgrave, ilapprit que
les Hessois étaient entrés la veille a Coblentz, et
que les Prussiens les suivaient de preso Voulant
éviter le reproche de n'avoir pas ocellpé eeUe vilIe
si importante par sa position, iI adressa a la eon-
vention une pIainte formelle dirigée contre son
collegue Kellermann, qlli, disait-il, eut pu faci-
lement s' opposer a la marche des Prussiens. ce S'il
J) avait passé la Mosclle et la Sarre, ajoutait Cus-
» tine, il se serait rendu maltre de Trhes et de
» Coblentz, san s comba!, et y aurait pris les




33
» magasills de !'cnnemi. ) Cctte: dénonciation pa-
rllt si déraisonnablc ;'t Kellermaun, qu'il la re-
poussa, en la (plaliflaut de prodllction cnfantée
dans un acd~s de démencc ou dans un momcnt
d'¡vresse.


KellermanIl ayant été rappelé, sa retraite
laissa les aHiés en possession de Coblentz et de
Trevcs, et le prince de I1ohcnlohc -Kirchberg,
maltre paisible de la forteresse de Luxembourg.
Ainsi fut manqué le plan de campagne que s'at-
tribuait Dumouriez, et qní, seloll ce qu'il en
dit lui-meme, ullrait terminé la guerreo


Toutefoislesalliés n'étaient point en état d'em-
pecher qll'illl'entreprit la conque te de la Belgi-
que, a laquclle il subordonna tout le présent
et l'avellir, tant il Úait avide de rellommée.


De son coté, Custine, si convaincu de ren-
tier délaLremeut de l'arméc prussienne, la crllt
dan s l'impossiLilité de rien entreprendre; aussi
ne fut-il nullcment inquict d'ahord, quand il
re<;ut l'avis que les Prussiens occupaient en force
CoLlentz, et venaicnt d'intercepter la navigation
clu Rhill.


Les habitans de Francfort étaient déFl in-
formés f{u'ils allaient :1' oir des Yengeul's. En
effet, le roi de Prusse s'était monlré encare plus
sensihle á la prise de Fr:lllcfol't qu':'!. ceUe de
:;\IaY('l1cc. Pen de jours élupara\'aul, ct pleiu en-


1I. 3




34 AIÓIOIRES
core du souvenír des cOIlvcntiOI1S stipulées dans
les plaines de la Champagne, son conseil avaít
semblé croirc que la Pnisse n'avait plus qu'Ull
intéret indirect a la guerre, depuis surtout que
le but commnn de l'invasion était manqué. 1\1ais
quand on vit le cours du Hhin oecuré par les
armées fi'aIH;aises, quand OH vit les c1cfs de la
Germanic entre leur~mains, et tonte une ville
impél'iale et commel'~ante ,cnvahie et soumisc
a des contributions onéreuses, le roi, bien plus
(lue 5011 cOllscil, jngea, comme mcmbre de
r(~mpíre, qu'il ne poU\~ait plus posel' les armes
avcc hOlllleur, el Jaiss.-er ses alliés aux prises
avec un cnnemi vainqueur ct conqu(~rant. n
s'cngagea des-Iors h ne point se séparer de la
cause commune, que l'enncmi commun ne [lit
repoussé, et que le cours du Hhil1 ne fút af-
franchi. Tei fut le sens des déptkhes, datées de
Coblentz, qu'il adressa d'abord a Vieullc, et dans
les principales cours d'Allemague.


Le roí, de concert avcc le duc de Rrnllswick
et le landgl'uve de Hcsse, prépara aussitot ses
moyens d' exéclltion. Il d0l111a l'ordrc á cinquante
mille Pl'nssiens et Hessois de se rasscmbler sur
la ri \'c droite de la Lahn, ponr une expéditioIl
offensive, et co~bina en secret les mesures ué-
cessai'res pon!' I'epl'clldre Frallcfort. Plus brillante
que difficilc, cette opération deyait l'assurer I'AI-




, " D UN HOMlUE D ETAT. 35
lemagne et remIre la confiance ame armes prus-
siennes.


Cependant Dllmouriez, aiguillonné par rheu-
reuse diversion de Custine, était lui -meme a
la veille de couronner ses desseins par l'inva-
Si~ll de la Belgi(lue. Le 6 novembre, il vint at-
taquer, avec quarante mille hommes, les Au-
trichicns rctranchés, au nombre de vingt - cinq
mille, a Jemappes, sons les ordres du dnc Albert
de Saxe·Teschen. Les redontes, défcndues par
les grenadiers hongl'ois, et par une artillcric
formidable, furcnt atta qué es de front, tournées
par la gorgc, et emportées avec une grande hra-
, oure, par des bataiUolls llovices , mais qu' exal-
!ait l'esprit répnblicain. n y cut la un grand
carllage, l'auaque ayant Né meurtriere et la
défaite sanglallte. Cinq mille h0111111es, de part et
d'autre, resterent sur le chaml) de bataille,
quoüplC le del'llier (~tage des redoutes opposées
au centre de l'attaque eút été pell défendu. Telle
fnt la premiére victoire, en bataille rangée,
rempoJ'tt:c pal' les al'mécs fran<;:aises clans la
guerre de la révolution.


Ici non s ferons deux rapprochemens (plÍ 1'f'5-
tel'ont pellt-etre gravés dans les esprÍts ; ]e 21
septembrc, apres la canoIlnade deValmy, la
l'ptl'aitc des armées coalisées ayant été cMciclée,
la l'épuJ)licplC fut pl'oclamée, et la royanté auolie




36 ::UÉJUOIRFS
en Franee. Le G llovembre , jour de la hataillf' de
J emappes, s' ouvrit, á la convelltion, ce pro ces
terrible qui signala dan s Paris la derniere ca-
tastrophe de la royauté.


A la nouvelle de la dé faite des Autrichiens,
toute l'Allcmagne s'émut. On jngea la défensc
impossible, quand Oll vit le gonvernement des
Pays-Bas, peu de jours apres la bataille, aban-
donnel' sa capitalc, se retirer de Bruxelles a
Ruremonde, et tontes les routes se convrir de
royalistes, d'émigrés, de pretres frau<;,ais, allant
chercher un asile, soit en Hollande, soit cn An-
gletel're, soit an fond de l'AlIemagne. Mons,
Ath, Toul'nay , Niewport, Ostende, Bruges Oll-
vrirent d'abord leurs portes aux vainquenrs,
et les magistI'ats vinrent an-elevant des généraux
fran<{ais leur en offrir les clefs. La prise mcme
de Bl'nxelles ne couta qn'un léger engagement
entre Carricre-garde autrichienne et l'ayant-garde
fl'al1(;aisc. Maltl'e de cctte capitale, Dumouriez
fit ses dispositions pour ~ichever la COIl(ItH~te de
toutcs lt's provinces Bclgi(lues.


Ccpenclant le duc Albert, ou pluttlt le général
CI::tirfayt, mcttait dalls sa rctraite autant de len-
teur que de fiel'té, disputant chaqllc positioll,
quoique l'armée autrichicnne fút l'éduite 11 quinze
mille hommes, encore plns par la désertioll <J.ue
par les cmnbats. Le duc pro posa néanmolns uue




, " n F'i JIOTlIl\IE D J<:TAT,


suspension el'armes, motivée su r la rigneur de la
saisoIl; DUlllouriez luí fit la meme réponse qu'an
roi de Prusse, « ({lúl ne pouvait traiter avalll
» quc l' ennemi eut repassé le Rhin, »


Mais le Rhin n'était plus une barrierc pour les
Fran.¡ais; il n'y avait plus moyen de poursuivre
la chimere de la paix; partont, aux approches
des arlllécs républicaines, et des leur premier
contact, les liens qui attachaient les peuples a
leurs anciens gouvernemens, se reHtchaient OH
sc rompaient,


A l'arrivéc de CllslÍne ú l\Iayeucc, tOllS les mé·
contens '. el en assez granel nombre, de jeunes
ecclésiastiques, pressés dc s'affranchir de la sé-
vérité de lcurs vrenx, se l;allierent aux illuminés
et aux partisans déclal'és du régime franc::ais.
J~es habitan s des campagucs ellx-mt.'mes se mon-
trerent disposés á un changement, dans l'es-
poir d'etre affranchis du paiement de la dIme et
des cOl'vées. POlIr donno1' plus ele consistanc~
aux adhérens des FralH::ais, el pon1' míenx assu-
rer leur inllllence, on imagina de les réunil', et
el'en former, a Mayence, une société a rinstar de
ceHe des jacobins de Paris. Custinc IUÍ-meme
en fit Youvertnre (bns nne des sall~s dn ch~tean
électoral. Le professeUl' Bochmer en clevint 1'ame
et le président.


Le général en chef, donnaut allssi l'essodt son




38 lHÚfOIRJ'5
apostolat el vique, mit an jour sueeessivement
un grand nombre de proclamations. « Puisse
» Maycnce, disait-il, devenir le boulcvart de la li-
II berté dc tous les peuples de l'cmpire germani-
II que! » Ceux de ses adhérens qui fondalent
toutes leurs espérances sur lc nouycl ordre de
choses qu'ils se flattalent d'introdllire, regal'-
daient Mayence comme leur établissement prin-
cipal. 11s porterent aisóment Custine a en aug-
Iñenter les moyens de défcnsc par de nouveaux
oU'\-rages. Cassel, de l'antre coté dn Rhin, en de-
vint plus formidable. « .Ríen ll'enlevera a nos al'-
» mées, mandait Custinc a la convcntion, la def
)} de ceHe forteresse qui domine le B.hin, et tient
» l'embouchure du Meill.»


Voulant éyiter de brusquer leurs innova-
tions , les chefs de la société patrio tique et leurs
nouveaux prosélytes 5'abstinrent d'abord de ré·
clamer la destruction totaJe du régime ancien;
ils présenterent seulement des projets de ré-
forme, qui paraissaient favorables an bien gé-
néral. Custine avait fait choix, parmi ses prin-
cipaux affidés, de ceux qu'il avait jugés lcs plus
entrcprenans et les plus enthousiastcs; illeur
avait confié, sous sa surveillance personnelle, la
dire~tion des reuvres de la propagande démocra-
tique. L'adjudant Stamm était le principal adepte
de ce laboratoire. La désorganisatioll des armées




, " ':t 1J UN nmI'lIE ]) rr_\ T. J9
allemandes fut l'objet da premie!' écrit de la
composilion des affJJiés. lIs commen<;,aient ausbi
á répanclJ'e des émissail'cs dans le p!at pays,
ayant. slIrtout e11 vue de changer l'nnioll II10-
narchique an~c l'cmpire d'AHcmagne contre
une alliance répnhlicaille avec la Frunce. D'a-
bord Ikehmcr se chal'ge dll soin de préparer
les esprits ~I l'idée d'nn changement prochain,
et dll SCill de ]a société patriotique, ii déclame
contre les anciennes institutions d cOlltrc tous
les sonverains de I'Europe.


D'accord avec les affi1iés, Custine, vOllIant
amCller les haLitans a rejeter l'ancien régimc,
indique a cet effet une assemLlée des sections
ou asscmblées primaires; elles se formen t, mais
la pluralité des voix y exprime le vceu de con-
server l'union avec l'empire et le gouvernement
monarchic¡ue, tontefois mitigé et plus limité
qu'auparayant.


D'un autre cóté, lesdéprédations etIa COllsom-
mation de l'armée, la guel're enfin avaient amené
Hne pénurie de ressources illquiétante ponr 1'a-
venir. Les marcht',s, quí, d'ordinaire, étaient
'abondammenl ponrvus, se trouvaiellt dénups de
toutes sortes de denrées, et les pays:ms s' en
éloignaient de plus en plus. Ces premiers symp-
tomes n'annon~aiellt rien moins qu'un entralllC-
ment général.




40 llIÉilIOIRJcS
Mais toujoul's plein de l'idée que l'armée prus-


sienne est hol's d'état de ríen elltreprendre,
Custine se livre dans Mayenee aux donceul's de
la paix, a la jonissance des plaisil's ele l'amonr et
de la table, cal' la contincnce et la sobriété n'é-
taient pas au nombre de ses vcrlus. Ce fut au
miIieu de eet eni vrement, eansé par ses sueces,
qu'il apprit, le 7 novembre, que ces memes
Prussiens, elont les tetes ele colonnes étaient
parvenues le 4 a CoLlentz, se répandaient sur
la rive droite du Hhin, en se rapprochant des
bords de la Lahn; qu'en meme temps le land-
grave de Hesse, mitre les troupes qu'il avait
déja sur pied, meUait en mouvement les chas-
seurs de ses forets, et faisait de nouvellcs levées
de soldats.


Custine lit aussítot réunil' ses détaehemens
épars, et abandonna la plupart de ses cantonne-
mens, qu'il dirigea sur la posítion de Limbourg.
Ilécrivit en memc temps an ministre de la guerre
que si les Prussiens l'attendaicnt, iI seraít bieutot
aux prises avec eux. C( Faites des v~ux, lui dit-iI,
» pour que la fortune soit favorable aux trollpes
» de la république. Je n'ai d'autre moyen d'em-
) pecher l'ennemi de me cerner, que de tenter le
» sort des eombats. »


Cependant les Prussiens occupaient, au-dessas
de Limbourg, une éminence avec un grand ravin




, " J) UN II02lIlIIE D ETAT. 4r
devant eux. La, le général Eben avait rassemblé
environ quinze cents hussarrls et trois mille hom-
mes d'infanterie. Attaqué vivernent par le colonel
Honcharel, iI se retire el' abord, est poursuivi, et
abanelonne la ville.


« Je voudrais, mande Custine au ministre,
» n'avoir jamais que el'aussi bonnes nouvelles a
» vous elonner, et que la fortnne secondat tou-
» jours nos entreprises; mais la fortune est une
» femme, et rnes cheveux grisonnent. » En effet,
cette capriciellse déesse venaít de le faire jouir
de ses dernieres faveurs.


Custine négIigea d'occuper avec intelligence
les gorges pres de J ,imbourg; de 'la il aurait pu
retarder et meme inquiéter la marche des Prus-
siens, et leur réunion avec les troupes hessoises
vers Montabaur : tont annon~ait de leur part
une expédition cornbillée. Le roí de Prusse était
décidé a forcer les FralH;ais d'abandonner Franc-
fort, et a les renfermer dans Mayence, dút-il en
cotiter une bataille.


C'était au momentoú la nouvellede la victoire
remporlée a Jemappes par Dumouriez sur les
Autrichiens, parvenait a Custine. Des-Iors iI lui
parut impossible que les monarques coalisl~s par-
vinssent a vaincre la république. Ccci le décide
a cécler aux instances des cluhistes Mayenc;ais :
on lui persuade que la régence est le seul oh-




42 21IÚIOIRÉS
stade qui arre te le penchant décidé qu'ont les
habitans pour le régime républicain. Custine, qui
s'intitnle commandant en chef des armées de la
républiqlle fraw;;aise, sur le Haut et Bas-Rhin ,
au point central de l'Empire et en Allemagne, ren-
verse aussitot la régence et le vicariat électoral, et
installe a sa place une administration provisoire.
Dorsch en est le président; parmi les adminis-
trateurs, figure le célebre Georges Forster, voya-
geur et savant naturaliste, que l'électeur de
Mayence avait choisi pour son premier biblio-
thécaire, el qne son ardenr pour les principes de
la révolution, jeta chns]e partí frall/,:ais. Les
ponvoirs des nouveaux administrateurs s' éten-
daient sur plusieurs districts, jusqu'alors séparés
et illdépendaus les uns des antres, tels que
la partie des {~vechés de vVorms et de Spire,
situés sur la rive gauche du Rhin; la ville et le
territoire de Bingen, appartenans au chapitl'e
de la cathédrale de Mayence; et le comté de
Falkenstein; ces différentes possessions se trou-
vent des-lol'S réunies pour ne former qu'un seul
et meme état.


La suppressiQn de l'ancienne régence, porta
l'électeur retiré a Achaffenbourg, a Jonner lui-
meme de nouveaux administrateurs a la partie de
ses états qui n' était point occupée par les Fran-
«;ais; ainsi, des territoires qui j usqu'alors avaient




D'UN HOJlnTE ))'á,\T. 43
formé un tout flll'ent sÉ'parés, et d'autres qui
avaient été séparés se trollverent réunis.


Des contradictions qu'entralnent presquc ton-
jours tont ordre Ilouveau, signalerent l'admi-
nistration impl'ovisée sous l'influence fram;aise.
Tont en proclamant la liberté, et en vantant les
charmes des nOllveIlcs institutions, elle pro-
mulga deux arl'ctés, dont l'un donllait des bor-
nes re~serrées a la liberté de la presse, et l'autre
interdisait, 50US des peines rigoureuses, ton te
correspondance verlxde OH par écrit, tendante
a discréditer te l'égime franc;ais.


Cepcnclant la Convcntion, éblollie par la prise
de Mayence et de Francfort, et par la conquete
de la Belgiquc, s'imagina qu'illlli suffirait pour
accomplir la révulution sociale de lancer son
fameux décret du 19 novembre, promettant pro-
tection et secoul'S a tOl1S les penples qui von-
fh'aient renverser lcurs gouvernemens.


Cette déclaration fut intempestive, cal' ceux
qui la faisaient n'avaicnt pas encore abattu la
puissance de l'empereur et du roí de Prusse.
Comment ne vircnt-iIs pas, d'ailleurs, qu'ils
aHaient exciter a entrer en lice les gouverne-
mens qui s'étaient tenus jusqu'alol's a l'écart,
tc1s que ceux d' Angleterre et de Hollande, ainsi
que la plupart des sonverains secondaires de
l' Allemagne? Mais telle était la disposition d' es-




44 lUÉMOIRES
prit des chefs de la Convention, que ceux du
parti de la Gironde disaient tout franchement
a Dumouriez qu'ils regarderaient sa conduite
comme impolitique, s'il for~ait trop prompte-
ment les puissances ennemies a demander la
paix: ils motivaient lenr sentiment, a cet égard,
sur ce qn'on serait tres-embarras sé du reto nI'
des armées fran<;aises dans l'intérienr, avant
l'aclH~vement de la constitution républicaine.
Ces députés étaient ceux memes qu'on quali-
fiaít d'hommes d'état, et qui, dans le dessein
de pactiser, auraient voulu sanver les jours de
Louis XVI. Quant a leurs adversaires, connus
sons le nom de Montagnards, e'était par l'exagé-
ration, par la terreur, et par le suppliee du roi
de Franee, qu'ils croyaíent pouvoir tríompher
des faetions domestiques et de tous les rois de
rEurope. En voyant les habitans de Niee, ceux
de la Savoie, de la lklgique et de Mayence,
se prononeer plus Ol! moins eH favenr de la ré-
volution, ils ne douterent plus du sneees de la
propagation des principes démocratiques, du
concours et de l'agrégation des peuples. La re-
prise de Franefort ne put meme lenr ouvrir les
yeux.


L'empire d'Allemagne, arreté par les formes
lentes des délibérations de la diete, n'avait pas-
eneore (Melaré la guerre a la France, un mois




, " D UN HOl\Il\IE D ETAT. 45
apres l'íllvasioll de Custine. La diete déccl'na
a!ors la levéc du triple contingent, ou de cent
vingt mille hommes, le 23 novembre, et trois
jours aprcs, :Frédéric-Guillaume, comme élec-
teur de Brandebourg, annon\a qu'il allait aussi
faire marcher une seconde armée sur le Rhin.
L'avis ne fut ratifié et changé ainsi en candusum
on loi formel1e, que le 22 décembre : la guerre
avait déja sept mois de durée.


Custine , ín~truit que les troupes prussiennes
se rassemblaient en force vers Montabanr, et
que tout annon~'ait de leur part une expédition
combinée avec les Hessois, écrivit a Biron de lui
envoyer sans délaí un détachement de douze
mille hommes. Ce renfort se mit aussitot en
marche, et arriva, le 13 novembre, a Mayence.


D'nn autre coté, Custine s'était formé la plus
haute idée de l'audace et du courage du général
BCllrnonville, qui venait de remplacer Keller-
mann sur la Moselle. Illui mande de passer sur
le ventre du petit corps d' Autrichiens qui défend
les passagcs du pays de Treves, et de se porter
vivement sur le Rhin, pour y faire une diversion,
espérant mettre ainsi les Prussiens entre dcux
fenx. Ce plan était approuvé par le conseil exé-
cutif, qni en prcssait rexéclltion.


l\-fais 11ne entreprise cOlltre Trcves n'avaít plus
la meme ímpol~tance, et ll'offl'ait plus les memes




46 ~IÚIOIRE5
chances favorables, depllis que l'armée prus-
sienne, dégagée de tonte crainte, rcprellait 1'0f-
fensive et se concentrait pres de Francfort.


Non-seulemellt TIeurnonville ne put chasser
les Autl'ichiens ([ni occupaiellt les hauteurs et
les gorges des envirOllS de Tl'eves, mais iI fut au
contraire repoussé avec perte dans toutes ses
attaques.


Quant a Custine, déjit rejeté sur la dtifcnsive,
il s'était retiré de Hombourg ~l Künigsteiu,
comrnc s'il cút chel'ché á évitcl' le choc de 1'3.1'-
méc prussienne. Le roi, rcnforcé pUl· le contiu-
gcnt de Bessc-Darmstadt, par plllsienrs COl'pS
de IIesse-Casscl, et se Yoyant á la tete de <.:in-
quante mille hommcs, avait résolu de ne plus
c1ifférer de rf'prendre Francfort, e t d' expulser les
Franr;:ais de ]a ri \~e droite du 11hiu; il Y trou vait
le llouble avantage de redouuel' á son arrnée
quelque lustre, et les q ual'tiers d'hi velO dont elle
avait un besoiu ul'gcnt. Le roí inclinait pour
marcher vivement par vVisbadcn sur l'extrcme
gauche des cantoIlnernens fi-anr;:ais, qn'oll et,t
ainsi coupés du Rhin et de ~layence. lUais le due
de 13rnnswick, lH~ voulallt opércl' (PW par des
ll1oU\cmcus lents et méthodiques, fit décider
qu'Oll marchcl'ait de front, en se dirigcant par
la <troite an lieu d'attaquer par la gauchc.


Le 25 no\embrc, l'arm~c prnsslcnl1c I tÓl'méc




, " D UN HOJUi\IE D },TAT. 47
de plusieurs divisions combinées, el dont la re-
serve était aux ordres du prince royal de Pl'Usse,
comment;'a son mouvemellt offensif, et rassa la
Lahn.


Custine s' étallt replié, se retrancha del'riel'e
la Nidda. l\lais au líen de eouvi:ir Franefort, il
faisait fa ce ú la vilIc, et pretait ainsi le Dane anx
Prussiens.


Il l'ésulta de la que la garnison frant;'aise,
s' élevant tout au plus a deux mille hommes ,
se trouva eomme aventnrée clans !lne viII e d'lln
dé\'c101Jpemcnt immense, peuplée de quatre-
vingt miUe :ll11CS, et dont les habitans, mal
disposés, étaieni armés et formés en milices. En
outre, Cnstine en avait rctil'é. l'artil1erie, n'y
laissant que deux seules pieees de Latailloll.


Ces dispositiüns étrangcs, regardées eomme
des fautes graves par les historien s militaires de
l'époqlle, out donné lieu a ce dilcmme : Si Cus-
tine était hors d'état d'aeeeptel' la bataille, iI de-
vait se l'epliel' SOllS le canon de l\layence; s'il
voulait eombattre il deYait aller au-dcvant de
l' ennemi, ou d11 moins établir sa ligne de maniere
a se liel' a Francfort. Loin de El, il prit tontes ses
mesures comme ponr sacrifier la garnisoll.


Nous sommes a portée de soulever le voile
qui cache depuis si long-temps les vrais mobiles
de la cOlldu1te de Custil1e. Le tIue de Brnl1swid ,




:IT ÚlOIRJcS


inclínant pCIl, par Cal'3ctel'C, a lívrcl' batail1e
quand il s'offl'ait a luí quelqlle moyen de l'évití'I',
avait établi son plan ponr la reprise de Fram:-
fort sur des combinaisolls qui devaient lui épar-
gner d' en venir á un action générale. Il soupsonlla,
ou plutot il acqnit la certituclc, que Custine était
lui-meme tout aussi pen disposé a courir lcs
chances d'un combat, pour sallver une viUe sans
défense réguliere. Il s'agissait seulcmentde ~avoil'
s'iI en ordonner:üt l'évacuatioll a l'approche des
Pl'ussiens, et s'il irait se renfermer dans Mayence
sans conp fél'ir. Voici ce qui arriva :


Le général Kalkl'enth qui, avec sa Jivísion,
avait tourné les mOlltagnes, s'était dirigé vers
Bergen, comme s'il avait en l'intention de con-
per l'avant-garde de Cllstine, commandée par
Honchard, qui se trouvait a Ilombonrg. Mais


.,celni-ci s'étant retiré avec précipitatíon derriere
la Nidda, Kalkreuth se porta aussitot en avant
jusqu'á Bockenhcim, sur la chausséc oc Franc-
fort. La, il détacha le lieutenant-coloncl Pellet,
porteur de sa sommatiop, et cet ofScier aHa la
remettre au général Van Belden, commandant
de la ville; Van Helden envoya la. sommatioll et
S3 répollse a Custine. « Si la ville oe Fl'ancfort
» bouge, lui mande lc g(~nél'al cn chef, mettez le
» fen a la ville, ciésarmez. les habitans, et réaJisez
») si ('1Ie bouge. Je lúümc pas les partis violens,




49
» et j'aime encare moillS les etl'cs l:khes et pn-
» sillanimes; ils rampent devant la force; eh
» bien 1 il faut en mantrer et faire ramper les ca-
» pitalistes Francfartois. ))


Mais toute cette colere, qui s' exhalait en écrits
et en paroles, n'était qu'un jeu; p~s un homme
de l'armée de Custine ne bougea ponr la défense
de Fraucfort. Custine fils eut alors une entrevue
secrete avec le duc de Brunswick prcs de Ko-
nigstein : il lui était particulierement connu,
comme on doit se le rappelel'. Familial'isés l'un et
l'autre avec lcs arrangemells politiques clan des-
tins, iIs s'entendirent aisémcnt. Le meme jour,
le jeune Custine se rencl a Francfort aupr~s du
commandant Van Helden, pour lui faire une vi-
site amicale, máis sans etre chargé, luí dit-il, de
commission de la part de son pere. La conversa-
tíon s'engage, et Custille, jugeant Van Helden
dans uu grand embarras, lui exagere le danger
oú iI se trouve, en lui aVOllant qu'il a été oLligé ,
afin de parvenil' jllsqll'a lui, de percer a travers
l' enuemi, et que déja la ville est entierement
cernée sur la rive dll Mein. EH pesant sur ces cir-
cOllstances, illui insilllle de prendre le partí de
se retirer la nuit sui vallte avec tont son monde;
mais en meme temps illui déclare (lue ce n'est ni
UIl ordre, ni un conseil, venant <le son pere,
qn'ílIui dOllIlC. Une parciUe insinuation 11e pou-


u. 4




50 lIIÚIO IR ES
vait qu'ajouter aux perplexités du commandant,
qlli pourtant n'osa prendre sur sa rcsponsabililé
une résolution contraire aux ordres qu'il avait
rec;us de son général. D'un autre coté, si le jeuue
Custine n'était pas censé cmployé uans l'armée,
il n' en marchait pas moins, ponr sa sltreté, sons
uneescorte ele cavalcrie, et il n'en était pas moins
le fils du général en chef. Quant a ce dernier, il
al1ait et venait de Mayencc a Francfort, et sa con-
duite contradictoire semblait meme inexplica-
ble, cal' d'nn coté il pl'Olncttait allX magistrats de
Francfol't de nc pas exposcl' la vílle aux horra¡.rs
d'un siége, et de l'autre ilcnjoiguait au conunan-
dant de se défenclre.


Les Prussiens, continuant d'approcher avec le
gros de leurs forces, le magistrat envoya clans la
nuit meme 1 une députationau général Kalkreuth
pom le supplier de l1lónager la. ville. II répondit
qu'il n'entreprendrait ríen encore coutre la gar-
nison franc;aise, ponr He pas exposer Francfort;'
l'effroi et aux dangers d'uue attaquc de vive force;
qu'il accorelel'ait volontiers ala garllison la rctraíte
libre avee ses équi pages, si le général franc;ais
consclltaita. évacuer avec sa tronpe, avant le len-
demain a mini, Vll que le roí de Prnsse, ani-
vant avec le corps d'armée, rien ne dépenelrait
plus alors qne de la volonté personnelle du roí;


• Du 28 au 29 novcmbrc.




, " DeN HORlIfE D ETAT. 51
que pl'ovisionnellement, pour gener le moins
possible la l'etraite des Fran<;ais, il venait de
l'esserrer ses avant-postes, et qu'il ne serait pas
faché qne le général Van Ilelclen en fút informé,
et prit ses mesures en conséquence:


On en fit part au commandant fran<;,ais, an
retour de la députation; mais il était maitrisé
par les ordres précis de Custine, et ne put tirer
aucun parti <le cette ouverture. Jusqu'au 2. dé-
cembrc, tenue fort prolongé au-dela de celui
qn'avait fixé le général pI'USSiCll, Oil He tenta
rien conlre lui.


Mais enllo le roi de Prusse, excité par les
principaux habitans de Francfort, et instruít des
dispositions dn peuple, qui avait assez exprimé
son opinion a l'al'rivée Un Farlementairc prussien,
voyant d'aillellrs que la garllison ne faisait aucnn
mouvemeut de retraite, déclal'a qu'il ne souffri-
rait plus de délai, et onlollna l'attaque. Le due
de Brunswick en redigea lui-nH;;me i'ordre dé-
taillé et avcc une exactitude minntieusc. On
forma la di vis ion hes sois e en quatre colonnes,
dont l'une effectuant le passagc du Mein, devait
s'emparer dn faubourg de Saxenhausen, tandis
que deux autl'es, soutenues par quc1ques esca-
drons de cavalcrie, attaqucl'aieut la porte de
Tous les Saints et la Porte lVew'e. Enfin un ba-
taiHoll, monté sur des batcaux COUVCl'ts, devait




J\IÓWIHES


descendre le l\Ieill, s'emparer des quais, et pren-
dre les ouvrages á revers. Tcl était le plan uu duc
de Brunswick. Quant ~l l'armée prussienne, elle
allait restel' rallgée en bataille son8 les armes,
et en observution.


Les premieres attaques furellt dirigées sur la
Porte .llleuve et snr ceHe de Tous les Saints. Du
hant des remparts qui couvraient cette partie de
la ville, la garnisoll franc;aise fit d'abord plenvoÍl'
un [en meurtrier de mousqueterie sur les assail-
lans. Mais quaud le g{:ll{'raI Van Helden, voulant
ajonter a ses moyens de défense, ses deux seules
pieces de canon, braquées deyallt son h6tel,
donne l' ordre de les trall1er sur les remparts, le
peuple ameuté s'y oppose ayec violence; il barre
le chemin aux t1'ollpe8 de la réserve, détourne
les cheyaux, tlétele l'al'tillerie, en orise les affuts,
el>'Courant, d'Ull antre cúté, désarmer la garde
de la porte de Tvus les Sainls, abat les ponts, et
ouvre ainsi un pas8agc aux troupes hessoises, qui
pénetrent ayec une grande rapidité dans l'inté-
rieur de la ville. Des ce moment iI ne fut plus
q uestion de défense. La cavalerie fram;aise et
une partie de l'infanterie prit la fuite précipitam-
l11cnt par les portes de Mayence et de Hockein-
hei111. Le reste [ut poursuivi, taillé en pieces OH
fait prisonnier de gueITe. Le général Van IIcldcll,
qui n'ayait montré ni pn'H(Oyallce ni ('ucrgie, fut




, " ]) T::V IfO:IC\JE D ETAT. 53
fait prisonllicr avec la plus grande partie de
ses soldats : trois ccnts avaient été tnés OH bles-
sés. Les Hessois pcrdiren t environ deux cents
hommes.


Le roi de Prusse et le dnc ele Bnmswick firent
immédiatement lCHI" entrée dans Francfort. Re-
C;:IlS commc des lihérateurs, ils s'cmpresserent
de mettre fin au carnagc et de couvrir les Fran-
c;:ais de leur protection. Le roi, les princes et
les généraux qui l'accompagnaient, traveI'serent
la ville SHllS s'arn;tcr, pour aIler s'assllrcr dcs
passages de la N ielda.


Le géuéral KaIkreuth rencollt¡'ant ravallt.gardc
fran<;aise, il n'y eut de part et el'autre qu'une ca-
nonnatle insignifiantc. Le lendemain Custine,
qui n'avait pas livré bataillc pour sauver Franc-
fort, se montra encore mOlns disposé a en venir
aux mains apres l'avoir penlu. Dans la nait meme
iI leva le camp d'Hochs, et se retira sur Cassel
et silr :c\Iayellcc, n' OS311t pas meme combattre
sur un tcrrain qu'il Hvait choisi avcc réflcxion
et retranché HVCC soin, abandollnant ainsi sur
la rive dl'Oite tout le pays allemand, a l'excep-
tion dn fort de Klinigstein, Olt il jeta cinq on six
cents hommes.


Le 3 décembre, tonte l'arm('8 combinée se
mit ú la poursllitc de rarm(~c franc,'aise, Custinc
ayant fuit sa rentrée dans Mayencc, attrihua la




5[~ lUh'WInF.S
perte de Francfort an déf:U1t de nerf et de pré-
caution du général Van Heldell. Mais pOUl'qllOi
lni-méme n' était - il pas arri vé it temps pour le
soutenir, ou ne prit-il pas la résolntioll de livrer
bataille pour reprendre la ville? On en counait
maintenant le motif secreto 11 accusa allssi les
habitans de Francfort, et surtout la, clalise des
bouchers, d'avoir livré la ville aux IIessois,
cherchant meme á accréditer la fable que dix
mille poignards avaient été distribués a la po-
pulace. Dans sa lettre ú la cOllvention nationale,
iI ne balan(,'a point ú imputer ofíiciellement la
reprise de Francfort á la trahison; el on y trou\'e
raven qu'il y perdit onze cent cinquante-huit
hommes. A la vérité Custine avait peu á craindre
alors pour lui-meme, le conseil exécutif lui étallt
favorable, et approuvant ses ménagemens étu-
diés envers le monarqne prnssien.


Son aide-de-camp Stamm s'étant permis de
publier une relation injuriense an roi de Prussc,
Cnstine exigea de lni la déclaration publique
qu'il n'avait point parlé au nom dn général en
chef, mais en son propre nom et comme citoyen.
{( Ce qni prouve, ajouta l'aide-dc-camp, que je
» n'ai parlé qu'en mon nom, c'estl'expression de
») ma fa~on de pE'l1ser particllliere sur le compte
» de Frécléric-Gnillaume, qui certainemcnt n'est
») ras eeHe du général, dont les príncipes ne lui




n'rrx IIO:II1\TE D't~T,\ T. 55
» permettellt pas ae con[oudrr: le roí de Prusse
» ave e un certain laml!!rave de IIesse-Cassel. »


u


Le 14 déccl1Ibre Custinc llécbra l\1ayenee en
état de siége, destina dix mille hommes pour sa
défcnse, ct repassant le Rhin, cantonna la plus
grande pal'tic de ses trollpes entre Bingen et
Frankendal. II ne laissa sur la rive droite qn'ul1e
avant-gal'de á Hocheim. Ce jour-Etmeme, le roi de
Prusse quiavait résolu de le resserrer dans Cassel,
ponr s'assurer le repos de ses ql1artiers d'hiver,
ordonna les approclles de l\Iayence. Ses troupes
tomlJcTent inopinément sur le poste de Hocheim,
tuérent, blesserent OH firent prisonnier un assez.
granel nombre de Fran~ais. Le reste se replia
dalls la ville, et l'armée combinée prit ses c'ln-
tonncmcns.


Le 2 1 d(~cembre, on l'e(;ut il J\Iayence le pre-
miel' avis du décret de la convention, qui pl'O-
nonc;ait la r{~lUlioll des pays conquis au corps de
la républiqne. Le 26, Custine fit promulguer le
décret, en y joignant une proclamation recligée
clans ]e desscin de capter les suffrages du peuple.
Les asscmblécs primaires ayant été convoquées,
pas un vingtieme des habitans qui avaient droit
de voter n'y parLlt; on n'en fit pas moins ehoix
des magistrats et des .députés.


Le 1 pr jallvier 1793, 011 Yit arriver les trois
commissaircs de la convention, Rewbell, Haus-




56 ::IIJbIOIRES
semann et Merlin de Thionville. Custine, vou-
lant se donner un air d'alldace ü leurs yeux,
envoya aussitOt un détachement s'emparer de la
position de Hocheim, au milieu meme des can-
tonnemcns prussiens. Six jours apres, les Prus-
siens vinrent ren chasser.


Tel fut le résultat de la campagne sur la rive
droite du Rhin : elle releva l'honneur des aigles
prussiennes, sans faire oublier néanmoins les
suites graves de la retraite de Champagne, qni
faillirellt livrer le continent au pouvoir des armes
et des doctrines de la révolntioll.


Les revers de l'armée dn nhill ll'arrcterent pas
l'élan victorieux de Dumouriez. Liége, Anvers ,
Aix-Ia-Chapelle étaient tombés successivement
en son ponvoir, et toute la TIelgique paraissait a
la veille de subir un révolntion complete. Alors
furent en proie aux alarmes, a La Haye, tout le
parti de la maiSOIl d'Orange, dont les intércts se
haient a cenx de l' Angleterrc; une invasion fran-
pise y fut regardée comme prochaine, tralnant
asa suite un complot tOllt formé pour substituer
an stathouderat, le régimc démocratiquc 50n5
l'influence dll sénat de Paris. Alors aussi se ma-
nifestercnt, par contre-coup, les inquiétudes du
gouvernement britannique sur le subit et pro-
digieux accrois5ement d'un pouvoir quí jetait sur
le continent rcffl'oi et la confusioll.




, " J) UN HO'lf1lT"E D loTAT. 5,/
Déja la France et l'Angleterre, dont les riva-


lités avaient franchi les siecles, se trouvaient
vis-a-vis rune de l'autre dans une situation poli-
tique inquiétante et meme hostile, dont nous
a110ns résumer ici les causes, afin de répandre
un plus granel jour sur un sujet qui n'aura bien-
tot plus de bornes que le monde.


Ce que redouterent le plus d'aborel les hommcs
d' état el' Angleterrc, ce fut l'inflllence morale
des príncipes réformateurs et une commotion
sociale a l'instar de la révolution de Frauce.
La nation anglaise avait vu généralement d'un
ceil favorable les prenüers efforts des Franc;ais
pour anéantir le pouvoir arbitrail'e, et se donner
une constitution fOlldée sur les memes principes
qu'elle-meme avait jadis si heurellsement reven-
diqués et núilltenus. Mais les violences qui ac-
compagnerent. ces cfforts et la sllbversion de
toutes les institutions monarchiques, commen-
rerent a renclre la conduite des Fran<;ais un sujet
d'aversion et d'alarme, principalement ponr tous
les défenscurs habituels dll pouvoir de la cou-
ronne. D'uu autre coté, les am1S des réformes
civiles et religieuses, dont l'attente avait été si
souvent de<;ne, se réjouissaient, la plnpart, d'un
événement qui consacrait la puissance d'unc na-'
tion usant de toute son énergie, et ils appelaient
de tous lcurs va::ux la propagation des doctrines




58 :lf1(21fOIRES
de la démocratie, commc devant amener une
périooe nouvelle et plns henreuse ponr la con-
dition du genre hnmain. Alors l'exemple de la
France fut imité au point qn'il se forma, dans
les principales villcs de la Grande-Brctagne, des
sociétés patriotiques 7 amies des princi pes de la
révolution fral1<;aisc : elles se mireJlt anssitot en
relation avec les sociétés populaires de France.
L'enthousiasme des théories nouvellescommen<;a
meme á saísir non-selllement un certain nombre
d';\llglais, mais plusicurs des pCl'sonnages les
plus influcns de ce pays.


Cependant un assez grand nombre d'hommes
éminens, tels que Pitt, le duc de Portland,
Rurke, Wimlham, qui jusqu'alorss'étaicnt occu-
pés de divcrs plans de réformc intérieurc, etqni,
a l'égard de la polltique extérieure, ne s'étaient
montrés alarmés que de l'agrandissement de la
Prusse et de l'ambition de Catherine U, s'arre-
tant tont a coup eleyant les progrcs de la révo-
lution, changerent dc maximes comme de po-
litique.


Les esprits s'étant aínsi partagés sur les prín-
cipes et les effets de cctte grande commotion
socialc, elle devint l'objet de débats parlemen-
taires animés entre les principaux orateurs de la
chambre des communes.


Le célebre Fox la mel1tionna en termes d'ap-




, " J) (iN JIo~nIF. D ETAT. 59
prohation. RlIl'k.e, son aneien ami, doné cJ'unc
éloqnene~ forte, mú par des passions vives, plus
tard par des sentlmclls reJigieux, et qui d'ail-
leurs s'était signalé comme lui dans les rangs de
l'opposition, prit une route contraire; il saisit
la pi emiere occasion qui 5' offrit a lui ponr ma-
nifester la haine violente que lui inspirait une
r8volution si terrible meme a sa naissance. Cette
occasion se présellta des le mois de février 1790
dans un débat de la chambre oú il s'agissait de la
réduction de l"annéc. Fox YOlllait epl'on témoi-
gnAt une noble cOllfiance dalls les nouveaux ré-
glllatcurs de la Fr'anee. Burke, faisant écIater
une opinion diamétralement opposée, dé clara
hautement qu'il rompait avec Fax tous liens d'a-
mitié, etemployant tonte la puissance de son élo-
quence a répandre le bltlme et meme l'opprobre
sur les doctrines et Sllr les scenes de la révolu-
tion, fut tres-applaudi. Pítt, qui, avant l'age
mur, se trouvait a la tete de l'administration par
l'ascendant de son talent, lui exprima les sen ti-
mens de l' obligation que lui devait sa patrie, ponr
la cause qu'il venait d'cmbrasser.


Dominé pal' un attachement vrai pour les in-
stitutions politiques et religieuses de l'Angle-
terre, Burke publia bientot apres son fameux
ouvrage intitulé : Réjlexion sur la revolution
franr;aise, dans lcquel il employa toute la force




MktUOIRES


tle son esprit et de sa logique a blamer et a ridi-
culiser ce granel changement et les principes qui
l'avaicnt amené. Son livre eut un débit pro di-
gieux. Il y a vait aussi entremelé beaucoup di ob-
servations tres~apres contre les sociétés et les
écrits favorables, dans son pays, a la révolution ,
contribuant ainsi puissamment a ralIier ou a for-
tifler le parti qui lui était contraire. L'éloquente
philippique de Burke donna líeu a un grand
nombre de répliques et de critiques que méri-
taient, a plusieurs égards, la violen ce et l' exa-
gération de ses attaqnes. Les amis raisonllables
de la liberté regrettaient que dan s son úle a
renverser les abus qui dérivaient de l'application
des principes outrés de la révolution, il eut em-
ployé des argumens qui pouvaient se tourner
contre la résistance a la tyrannie la plus absolue.
Parmi ses antagonistes littéraires, Thomas Paine,
publiciste démocrate violent, mais conséquent,
contribua le plus par sa réponse, qui parut sous
le titre de Droits de l'homme, a répandre en
Angleterre, avec les doctrines démocratiques,
l'esprit de réforme, et a provoquer des rapports
de fraternité poli tique entre les novatellrs des
dellX pays.


Des le mois el' octobre 1791, la société consti-
tutionnelle des Wighs de Londres applaudit aux
principes fondamelltaux de la révolution, dan s




, " 1) [JN IT02\DIE D :El'AT.


une déclaration publique : elle fut adressée a
París au président de l'assemblée nationale. Tous
les membres de la société anglaise y prenaient
l' engagement commun d' cmployer au besoín lenr
vie et lenr fortune ponr repousser les efforts du
pouvoir despotique qui tenclraient á enchainer
le peuple fran<:ais. Cette cause paraissait alors si
populaire en Angleterre, que les ministres, mal-
gré la haíne profonde de Georges In eontre la
révolution, malgré l'impulsion donnée par ee
prinee aux mOllarques allemands ponr la com-
hattre, n'eurent garde de choquer l'esprit na-
tional, en prenant une part active á la coalition,
dont les premiers nreuds s' étaíent formés á Pavie


<1:".


et a Pilnitz. •
Ces rapports sympathiques entre deux peuples


que les plus sanglantes rivalités a,'aient tenus
jusqu'alors en défiance, porterent les eonstitu-
tionnels de Paris, quamlla guerre fut résolue sur
le cón tinen t, á chereher une alliance et des appuis
parmí les Anglais. A cet effet, le projet d'une am-
bassade constitntionnel1e destinée pour Londres,
a l'instar de l'ambassade qu'on avait envoyée a
Berlín, fut mis en avant par la coterie du ministre
Narbonne et de Mme de Stael, avec des Vlles plus
profondes et des résultats plus probables. L'élite
uu par ti eonstitutionnel s'en mela, et alors parut
pOlIr la prcmiere foís sU\' la scene diplomatíquc,




JUÉAIOInES


mais san s caractere avoué, le personnage flexible
qui s'est acquis depuis en Europe tant de célé-
brité en se jouant tour-a-tour de tous les prin-
cipes, de tons les partis, de tous les cabinets,
de toutes les formes de gouverncment. On de-
vine sans peine qll'il s'agit de rancien éveque
d' Autun, Talleyrand-Périgord, qlle ses amis et
ses créatures présentaiellt comme le Iégataire
des vues diplomatiques de Mirabeau, dont iI Cut
l'admirateur et le collegue a l'assemblée consti-
tnante.


En décl'et de ceLle assemblée ne permcttant
a aUCUll de ses memhres d'accepter, pendant
quatre ans , aueune place a la nomil1ation du pou-


....


voir exécutif, on suggéra an n'inistre des affaires
étrangeres, de Lessart, un biais po nI' élnder la
loi en favenr de l'éveqnc législateur et diplomate.
011 proposa ponr la mission de LOIHlrcs le mar-
qnis de Chauvcliu, qlli ~lYait succédé a son perc
dans la charge de maitre de la garde-robe dll roi.
01', M. dc Chauvclin étallt pcrsollnellcmcnt dés-
agréable a Louis XVI a canse de ses opinions, et
de ses relations, ce princc saisit avec cmpresse-
mellS l'occasion de l'étoigner de sa cour. Il était
convcnu que le novicc ambassadeur aurait un
mentol'; et l'anejen éveque d'Autun se ehargea
de le précéder a Londres, et la de le diriger duns
toutes ses opérations diplomatiqucs. On regar-




, " D UN HOl\nrE D ETAT. 63
dait a la cour cet arrangcment comme une in-
trigue, une concession faite a un parti encore
puissant.


Talleyrand-Périgord arriva le 25 janvier 1792
a Londres, avec le clue de Biron, son ami intimc;
il ét:tit porteur d'uue leUre eonfidentielle, obte-
nue de LOllis X V 1 pour le roi d' Allgletcl'l'e; sorte
de eommnnication qui parut une nouveauté en
diplomatie, et d'une sineérité au moins sus-
pecte. n s'empressa de proposer au ministre Pitt
une aHianee défenslvc cutre les dcnx pays, négo-
ciation difficile, mais <lu'il ne désesperait pas de
faire réussil', en offrant des mmlifications avau-
tageuses an traité de eommeree existant, et toute
sécurité, a l'avenir, ponr les vastes possessions
anglaises de l'Inde. Dans sa premie re confércnce
avec Pitt, apres les lwnnetetés d'llsage, il mit en
avant, ponr entrer CH matiere, l'estime que la
nation fran<;,aise faisaitd'nn td nlÍnistre; le désir
presque génl~ra~, parmi les Fran<;,ais éclairés, de
voir arri ver le moment d'une alJianee, les avan-
tages qui en résulteraient bientot ponr les deux
llatiollS, dans l' état présent de rEurope; enfin la
gloiredestinée an ministre qui Eigncrait un traité
entre deux peuples libres. - « II sera bien heu-
» reux ce ministre, répondit M. Pitt; je vou-
» drais bien l'<~tre encore dans ce tcmps-Ia.--:-
» Est·ce M. Pitt, reprit Talleyrand, qui croit




G4 l'nhIOTRES
» ectte époque si éloignée ( - Cela dépend du
» temps ou votre révolution sera finie, observa
» 1\1. Pitt, et ou votre constitution pouna mar-
» eher. » Insensible aux cajolerics du négocia-
teur, Pitt éluda toute espece d'cngagemens avec
la France, comme étant impraticablcs dans
l'état perpétuel de crise intéricure oú elle était
plongée. Il ne fut pas difficile á Talleyrand de
pénétrer que sa négoeiation n'était pas VllC d'un
reil favorable, ni par le ministere, ni par les
hautes classes de la nation; et encore moins par
le parti des émigrés, qui metlaÍt tOllt en reuvre
pour décrier le négociateur. OH se servit des
gazettes pour insinuer que le ministre Pitt l'a-
vait mal re«;u. M. de Talleyrand fit publier an
contraire flue M. Pitt l'avait l'e<,~u avec lous les
égards convenables. Apprenaut que des agens
secrets du ministre de Lessart, et entre autres
M. Monis, l'avaient suivi á Londres, pour y
travailler dans un sens contraire a ses vues, iI se
servit de la voie des journaux pom déjouer les
manreuvres de la cour de France, et se concilier
l'opinion publique. « M. de TaUeyrand n'a pas de
» mission a¡Jouée, disait-on, mais comme la natíon
» franc,aise ne saurait rien faire de mieux que de
» rechercher l'alliancc de l'Angleterrc, il a bien
» faUu ne pas s'opposer Ollvertement a ce qu'on
» ne pouvait pas empecher .... II y a d'aillcurs en




n'UN IIOlUl\fE n'ÉTAT. 65
» France un parti qui sert la maison de Bourbon
» bien par.deIa l'intéret natíonal; ce parti ne vcut
l) pas s,ouffrir l'alliance de dcux peuples libres.
» La constitutioIl lui pese; en criant qu'il la dé-
» fcml ill'opprime et la mine sourdemcnt .... C'est
» de Paris que 110US viellt tont le mal qu'on est
» convenu de débiter sur 1\1. de Talleyrand. La
» c~lomnie a la mode est de le dire effrontément


,


» partisan des dellx chambres .... oil ne cesse de
» répéter que le ministre des affaires étrangeres


1 F ' , , » (e 'rance n ayant pu s opposcr a ce voyage
» de Londres, saura bicn ülire échouer le voy a-
» genr.»


La mise en accusation du ministre de Lessart,
et l'avcllement de Dllmouriez au ministere, pla-
cerent MM. de Talleyrand et de Chanvclin dans
une position plus favorable. Talle} ranel put né·
gocier concurremment avec Chauvelin, et OH
le rcgarda tellement comme son mentor, qu'on
ne sat pas d'abord leque! des deux était le vé·
ritable ambassadeur.


La gnerre ayant été déclaréc a l'Autriche, iI
s'attacha dan s ses conférenccs avcc les ministres
et les personnages illíluens, á développer les mo-
tifs qui avaicnt déterminé la l"rance a pl'écipítel'
]a rupture. 11 soutint qu'une conspi,'ation avait
été formée en Europe contrc la constitutioll llOU-
vcll~, ct que les puissanccs alliécs avaient 111a5-
~ . 5




66 M.IhWIRES
qué pour un t{3mps leurs préparatifs 50US une
pitié insultante et sous un faux zele ponr l'au·
torité royale. Enfin, iI manifesta fintentiol1 de
11roposer a r Angleterrc d'inkrpose'l' sa mécliation
cntre la Franee et l'Autl'iche, en la motivant sur
son droit d'ainesse clan s l'exercice de la souve·
l'aineté du peuple. Des notes dans ce sens ayant
été adressées au ministere anglais, la réponsc se
nt att{3ndre long-temps.


Les ministres étaient persuadés que Taney-
rand tenait aussi dan s ses maios les fils d'une
négociation mystérieuse; que ses démD.rches se·
ere tes avaient pour principal objet <l'étendre et
d~ fortifier les liens qui attachaient le partí de
l''Üppositio~ d'Angleterre aux constitutionnels
de France, et de populariser ainsi, de plus en
plus, parmiles Anglais, la cause dela révolution.
Telle était en effet l'arriel'e.pensée de Talleyrand
et de ses amis. 11 devait en réslllter une situatioll
politique telle que le ministcre anglais se trouvút
dans l'impossibilité de se joindre aux cabinets
hostiles, selon 18 vmu persollucl <le Georges lII.
A cet égard un exemple récent cncouragcait les
négociateurs : personne n'avait cncore oublié
que l'unuéc précédcnte l'opinion nationalc avait
forcé le ministre Piu á renonce!' á la gucl'l'e
projetée contre la Russic. C'était le móuc résul~
tat qu' OIl youlait obteni!'.




n'ui'/" IIOl\BIE V'liTAT.


II est de [aít que le chef de l'arnbassade s'était
méllagé des relatíons dandestínes avec les me-
nenrs de l' oppositioll anglaise ,fl)ioit par des con·
férences, soit par des illtermédiail'es intelligens.
Tout alla d'abord au gl'é de ses espérances el de
ses desseins. Nourri par la révolution ae France,
l' esprit d'innovation en Angleterre avait tellement
séduit l'opinionpublique, que l'idée cl'une ré~
forme parlementaire commen¡;ait a germer dans
les meilleures tetes. On se flattait d'ouvrü' par la
une large issne aux inllovabons qni prévalaient
en Frauce. Plusieurs associations s' étaient for-
mées á Londres a cet effet, rune entre autres
sous le nom d' amis du peuple : on y comptait une
trentaine de membres du parlement. L'und'eux,
1\1. Grey 1, anuolll;a dans la chambre des com-
munes, vers la fin d'avril, son intention de pré-
sen ter le projet d'unc réforme parlementaire.


Mais Pitt, s'élevant avec chalenr contre la
motion de M. Grey, dé clara qu'il avait changé
d'opinion sur ce point, depuis que l'expérience
lui avait maniré le danger de moclifier les formes
du gouvernement tenes qu'ellcs étaient établies.
Pour décourager toutes les tentativcs de ce
gcnre, il parut, le 31 mai, une pl'oclamation
royal e qui sonnant l' alarme sur les prillcipes de la
révblution franc,aisc, avait essentiellcment pour


• Aujourd'hui 101'(! comte Grey, ¡neaü>l'c de la cha¡n~re des pairs.




68 MÉ~fOIRES
ohjet de prévenir les manrenvres des nonvelles
associations et l'émission des écrits séditieux.
Des poursuite"urent commencées contre pIu-
sieurs de ces écrits, et les deux chambres vote-
rent une adresse selon les intentions de la con-
ronne.


Cette direction nouvelle donnée 3nx affaires
contraria l'ambassadc constitntionnelle, qui en
revint a ses premi(~res notes. Press{~ de s'expli-
qnel' sur la médiatioll réclaméc, le ministcre an-
glais flt C0l111altrc qnc l'intcrvcntion de S. M. B.
ne pourrait avoir líen, a moillS qll'elle ne ftit de-
mandée par toutes les parties. Ayant ainsi échoné
sur les points les plus importans de sa nJÍssion,
l'ambassadc se vil forcée de battre en re traite
sur le terrain mouYant de la neÍJtralité. Alors
redoublercnt scs tcntat~ves ponr s'étayer de 1'0-
pinion popnlaire et de l'ascendant du parti de
]' opposition parlementaire, telltatives qlli exci-
tCl'ent de plus en plus la défiance des ministres
contre les denx envoyés fran~ais. Depnis ron-
yerture de la guerre, OH les taxait plus qne ja-
mais de jacobinisme.


Alors Dumouriez fit publier Sllr la légation
l'article suivant, sous la rubrique de Londl'cs:
il en avait tiré les élémens de la correspon-
dance ll1(~me des deux llegociateurs : (e Les en-
» ncmis de la révolutioll se SOl) t achal'l1és, di-




n'UN rrOj'\JlIIE l/~TAT. 69
» sait - OIl, a employer tons les moyeIls qu'ils
» out crll pOllvoir nuil'c au sacces de la négo-
» cíation dont ils redoutent les suites pour leurs
» sinístres projets. Des· bruits ridiculcs el ca-
l) lomnieux ont précédé l'arrivée de MM:. de Tal.
» leyrand et de Chanvelin : les papiers anglais
» sont remplis de relations absurdes sur l'objet
» de Icor mission et sur les moyens qn'ils se pro-
» posent d'employer; on cherche ici a tromper
» l' opinion publique, comme on cherche aillenrs
» 11 tromper les rois. OH se sert sl1rtout du repl'o-
» che ballal de iacobinisme, mot qnc l'al'ístocra- '
» líe, dans tontc l'Europc, parait avoir choisi
» pour envclopper oans la memc proscription le
» faux prosélytisme Oll une lieence eoupable, et
» un ardent amour de la libertó, dan s le dcssein
» de les remIre suspects aH gouvernement et
» odieux a une nation dont la ficrté n'attend pas
» des étrangcrs une réforme qll'eIle saura faire
» elle~memc lorsqu'elIe en sentira le besoin. Au
» reste, les patrio tes estimables qui sont chargés
» d'une mission aussi imp0l'tante que dólicate,
» bien loin de se Mcouragcl' par les vains cfforts
» d'une malveillancc ml~prisable, ll'ell poursui-
» vent qu'avcc plus d'ardeur le but auquel ils es-
» perent atteindre, et qui par l'nnion des dell~
» pays différemment mais également libres, doit
» préparcr la paix gónérale de rEurope. En meme




» temps qn'ils respectent le sysh~me de la consti-
» tution anglaise, et qu'ils ménagent les opinions
» du pays ou ils se trouvent, ils montrent avec
» franchise et professent avec énergie l'attuche-
» ment qu'ils ont ponr la constitntioIl de lenr
» patrie. C'est sous ce rapport SlU'tout, que la
» condnite de M, de Chauvelin est digne d'éloges.
» Jusque dans les moindres démarches il s'étudie
» a se montrer patriote fran<;ais, eL entierement
» dévoué a la cause qll'il sert; iI se eonsole aisé-
» ment de l'accueil asscz froid que lui ont fait
» eertaines personnes de la conr et du ministerc.
« Quelquefois de 'petites dIoses ne laissent pas
» que de tirer a eonséquence. C'cst ainsi, par
» exemple, qu'il a trouvé l' occasion de parler an
» roi et a la reine d' Angleterre, du roi des Fran-
» flais et du prince royal, et il y a toute apparcnce
» que e'est pour la premiere fois, que dan s le
» palais de St.-James on a donnó cette dénomi-
» nation eonstitutionnelle au Darplzifl, et a Sa
» Majesté Tres;;Chrétienne. »


L'hahileté de Dumouriez et la dextérité de
1\1. de Talleyrand porterent le ministere anglais
a user de ménagement; la nation, d'ailleurs,
n'était pas entierement désabusée sur ses rap-
ports avec la France; 01' les ministres déciderent
le roi a proclamer la nentralité de son gouver-
nement clans la guerre qui veuait de s'aUumer.




n'n:\"" JIOi1nlE D'ÉT.U.


Les deux négociatelll's tirerent vanité d'un
pareil acte, en s'attl'ibnant ce qui u'était qne
le résultat du systeme adopté par M. Pitt. Voici
en quels termes leul's organes s'exprimerent a
ce sujet : ( Ce n'est tlollc pas sans fondemcnt
)) que nOllS avous donné des cspérances sur
)) nos négociatcnrs aupres de la conr de Lon-
» dres. Les llombreuses contrariétés que l'in-
» trigue leur a suscitées sous les précédcns mi-
» nisteres, ne nons inquiétaient que faiblement.
» Tous ces obstacles dcvaicnt etre lcvés par le
» úle éclail'é et franc de ]\1. de Chauvelin, notre
» ambassadeur. On verra par la telleur de la pro-
l) c1amation, de qnelle maniere la demande de la
») cour de France a été faite et présentée; on
» y reconnaltl'a la prudente habileté qui a ton-
») jours si heureusement serví le patriotisme de
» M. de Talleyrand. »


En dépit de ces pompeux éloges, le Times
continuait á représenter les négociateurs comme
intimement lié s avec les membres les plus mar-
quans de l'opposition, et mcme ::tvec les Thomas
Paine, les Horne-Tooke et mitres chefs du parti
populaire, qni sembIaient donner les maius aux
révolutionnaires de France.


Et cependant les deux envoyés constitution-
neIs n'agissaient déja plus de concert. M. de
Chauvelin prétendait mener tout seul son am-




lII:EMOIRES


bassade, snns aucune espérance de succes. Non-
. sC111emcnt íI ayait contre luí les émigrés de
tontes les nuances et de toutes les classes, ses
propres coopérateurs, soninexpérience des af-
faires, mais encare les préjugés de la nation el
dn roi d' Angleterre lui-meme, le plus animé de
tous les rois contre les príncipes de la révolution.


Les événemens sinist1'es dont Paris était alors le
théatre, ne faisaient d'ailleurs qu'augmellter les
dófiances du gouvcrnement anglais et ses disposi-
tions peH Ül.yorables, 50it ponr les négociateurs
persol1l1ellement, 50it pOlIr la nation fral1l;aise
elle-meme. Dans ces entrefaites, M. de Talleyrand,
apres lajournée du 20 juin, voyantl'état critique
oú se trouvait son parti, que débordaient les ré-
publicains, fut attiré ~t París dan s l'espoir d'y faire
11uitre quelques chances favorables a ses intérets
el: It ses vnes. II sol1icita et obtint un congé du
ministre des affaires étrangeres, sous le prétexte
de venir lui l'endre compte des uouvelles OlIver-
tures faite s par la légation fran(jaise an ministcre
anglais.


Ces ouvertures se réduisaient a une note re-
mise par M. de Chauvelin, dans le courant de
juillet, pon!' engager le roi d'Angleterre a ne
prendre aucune part a la ligne formée contrc la
France. Lord Grenville, ministre des afTaíres
étrangeres, se borna dans sa répollse, a protester




n'UN rrOllIME n':ÉTAT.
de l'attachcmcnt de sa cour a la personne de
Louis XVI. La déchéance de ce prince ayant été
prononcée a la suite de l'événement du 10 aoút,
lord Gower, ambassadeur d'Angleterre a París,
fut aussitot rappclé. La lettre remise par lord
Gower au ministre Lebrun, an nom de Geor.
ges 111, cxprimait le vif intéret que ce monar·
que portait a la famille royale.


Dans sa réponse officielle, le ministre Lebrun
ne dit pas un seul mot sur les sentimens ma-
nifestés a l'{~gard du roí de France. S'adressant
moins au gouvernement qu'au peuple anglais,
qu'illlattait sur sa révolution, sur sa liberté et
sur la gloire qu'il avait eue de donner le premier
I'exemple de soumettre les mis a la souveraineté
nationale, il termiuait sa note en ces termes:
,( Le eonseil exécutif se flatte que la réeiproeité
» sera entiere de la part du gouvernement bri-
» tannique, et qu'ainsi ríen n'altérera la honne
» intelligence entre les deux peuples. » Isoler le
gouvernement anglais de la natíon, tel étalt le
but évídent des tentatives du eabinet franc;;ais a
ectte époque.


Malgré ,le rappel de lord Gower, M. de Chau-
velin, ministre de Fral~ce a Londres, y resta,
mais n'y fut plus reeonnu eomme revetu d'un
caractere publico A peine la royan té cút-eIle été
abolie e~ France, qne sa missioll fnt considérée




lIIÉlIlOlRES


par le ministerc anglais eomme ayant cc~sé par
le fait, et son séjour a Londres n'étant pluf> que
toléré. Su position fut d'autant plus embarras-
san te , qu'ayant l'ordre de ne pas quitter YA n-
gleterre, il n'avait plus M. de Talleyrand pour
guide. Dé<;u dan s son attente , et devenu sospect
a París, comme la plupart des constitutionnels,
M. de Talleyrand fit ses dispositions pour repasser
a Londres. Inutilement se mit-il a postuler, avant
son départ, aupres du conseil exécutif provisoire,
une nouvelle mission qUÍ pút l'accréditer aupres
du gouvernement anglais : elle lui fnt refusée a
l'unanimité par le conseil. Maís on lui 6t entre-
voir que ses observations comme homme privé,
pourraient fixer Yattention des ministres et du
comité diplomatique. A peine fut-U de re tour en
Angleterre, qu'un décret d'accusation fut porté
contre lui a la suite de la découverte de papiers
qui indiquaicnt ses relations clan destines ave«
Louis XVI, dans les intérets de la cour. Sa jus-
tification, a laquellc il donna la plus grande pu-
blicité, f"lt peu favorable an caractere semi-di-
plomatiqne qn'il déployait encore aux yeux du
ministere anglais.


La diplomatie d'ailleurs prenait alors une con-
leur sombre comme cene des événemens. Les
revers de la cmi.lition, marqués, en dernicr heu,
par la perte de la hataille de Jemappes, la red-




ditian de Mayence et l'inyasion de la Bclgique,
avaient tellement alarmé le ministere anglais sur
le sort futur de la Hollande, qu'il résolut d' es~
sayer de remonter la machinc désorganisée de
la cOalition, eH faisal1l lin appel a la constance
et a l'éncrgie de la COUl' de Yienue. Il s'agissait
plus particnlierement de porter les deux cours
alliées d'Autriche et de Prusse a combiner avec
promptitude un systeme de déiense militairc
capable de préserver les Provil1ces-Unies, et de
rccouvrer ensuite les Pays -Ras. Le cabinct de
Saint-James, dans la crise ou se trouvait rEn-
rope, se mantrait luí-meme disposé á concon-
rir, dan s l'intéret de la défense commune, a ce ré-
suItat nécessaire. Tt'ls furent l'esprit et le sen s
du mémoire diploma tique qu'un courrier anglais
apporta, le 2.5 novembre, a M. Stratton, chargé
eles affaire s britanniqües pres la cour de Vienne.
Le courrÍer était aussi porteur de dépeches conte-
nant, sur ce meme sujet, des instructions partí-
culieres. M. Stratton demanda aussitot une confé-
rence au vice-chancclier, corote de Cobenzel, et
lui remit le mémoire de sa cour. On tint a Yienne,
le 30 et le jaur suivant, deux conseils de canfé-
rence, dans lesquels la communÍCation du ca-
binet de Londres fut mise en clélihération. Dans
une seconde eonférence donnée a M. Stratton,
le 4 décembre, le vice-chancelier d'état luí fit




~IÉ.i\IOIRES
• l' ,. d connmtl'e que « empercur n avalt pu pren re


)) encore aucuue résollltion sur les propositions
) qui lui avaient été faites, avant d'en avoir ré-
)) féré a son allié le roi de Prusse; qu' enconsé-
») quence il lui en avait fait part, et que Sa Ma-
)) jesté, avant de s'cxpliquer, devait attendre la
)) manifestation des sentimens de ce prinee, et
) s'assurer qu'ils étaient conformes aux siens sur
» l'objet en question; qu'en attenclant, l'empe-
» reur regardait les ouvertures de l'Angleterre
)) eomme une marque partieuliere d'amitié de
» S. M. britannique; amitié dont il faisait un eas
» infini, et qu'il tacherait eonstamment de euI-
» tiver.» La cour de Londres ne sut que plus
tard a quoi s'en tenir sur l'objet de son mé-
moire. Ayallt été mis sous les yeux du roi de
Prusse, ce prinee, ti' apres les délibérations de
son cabillet, s'était déjá 'décidé sur le parti a
.prendre relativement a la défense de l'Allema-
gne, eomme on l'a vn par ce qui précede. Mais
des qu'il eut la eertitude que l'Angleterre eom-
men<;ait ses armemens, il eonsentit a eoneourir
a la défense de la Hollande par l'envoi d'un corps
auxiliaire. Toutefois ce ne fut qu'a la fin de dé-
cembre que le eabinet de Londres rec,:ut, tant
de l'empereur que dn roi de Prusse, les réponses
favorables a ses propositions, et dont l'unifor-
mité marquait assez que l'harmonie ll'avait pas




n'UN lIOl\DlE n'ÉTAT. 77
cessé de régner, ou s'était rétablie complétement
entre les cleux souverains. Le cabillet de Prusse
crut meme qu'elle se manifestcrait encore da-
vantage par la nomination du marqnis de Luc-
chesini pour remplacer, pres de l' emperenr,
comme ministre plénipotentiait'e, le cOlIlte de
Haugwitz, appelé an ministere du cabinet.
Ainsi, e'est clan s la communication faite a la
cour de Vienne, par M. Stratton, du mémoire
envoyé par la cour de Londres, qu'on trouve la
premiere déma¡'chc de ce cabinet pour ranimer
et fortificr la coalition cOlltre la France.


Aucune négociation franche pour éviter la
guerre n'était plus praticable d'ailleurs depnis la
promulgation du décret dn 19 novembre. Par ce
décret, quiavaitfait :\Londres la plus grande se11-
satíon, la convention déclarait formelIement, an
Hom de la nation, qu'elle accorderait fraternité
et secours a ton s les peuples qui voudraient re-
COllvrer lenr liberté. Ainsi ceUe assemblée, fiere
tl'avoil' sous sa main, en quelqlle sorte, une
grande nation pour levier, entreprcnait de sou-
lever le monde. Par plusieurs décrets subséqnens,
elle réunit a la France le pays de Liége, la Savoie,
le comté de Nice, annon<;ant la prochaine l'éu-
nion de la Belgique entiere. Ces agrégations
avaient pour objet, selon les hommes d'état de
la convention, de balancer le systetlle coparta-




:mhuoInts
geant créé par l'Autriche, la Prllsse et la Russie,
<lans les démembremens de la Pologlle.


Prévoyant aussi que la condamllation de
Louis XVI, qu'ils étaient a la veille de pronon-
eer, raUicrait peut-etre coutre la France les
puissances resté es neutres, ils curent l'idée de
prévenir une coalition générale cn frappant tous
les souvcrains de la crainte que bientot touOO ¡'Eu-
rope nefut érigée en républiques. Tel avait été en
partie le butdu décret du 19 novembre. Son mo<le
d'exécution et les instrnctiolls que réclamaient
les généraux SUI' la conduite qu'ils devaient te-
nir dans les pays conquis, donnerent lieu a
un second décret non moins remarquable. Il fut
rendu a la suite d'un rApport préscnté a la séance
du 15 décembrc, par le cOlwentionnel Cambon,
chargé de la direction des finances. Organe des
comités réunis des finances, militaire et diplo-
matique, Cambon dévoila sans détour, a la tri-
bune, la politiquc de la conventiOll.


«( Dumonriez, dit-il, en entrant dans la Belgi-
» que, a annoncé de grands principes de philoso-
» lihie; mais il s'est borné a faire des adresses
» aux peuples. Ilajusqu'ici tont respecté: nobles,
» priviléges , féodalités, corvées, tont est encore
)} sur pied; lons les pr& jugés gouvernent encore,
» etle penplc n'est ríen; c'est-a-díre que notlS lui
» avons promis dele déhvrcr de ses opprcsseurs,




n'CN H01Ul\IE D'iTAT. 79
» mais que nons 110ns sommes bornés ~l des pa-
) roles. Il faut que nons 110ns déclarions pouvoir
)) révolutio11naire claus tons les pays uD. HOUS péné-
» tro11s; il serait inutile de déguiser notre marche
» et nos principes; déja les tyrans les connais-
» sent ... Ainsi donc, si nons sommcs pouvoir ré-
» volutionnaire, tout ce qui existe de contraire aux
) droits du peuple doit etre abattu des que nous
) entrons dallS un pays. Vos comités pensellt
» qu'aprks en avoir expulsé les tyrans et leurs sa-
» tellites, les généraux doivcnt supprimer sur-Ie-
»champ la dime, les droíts féodaux, et toute
) espece de scrvitude. Cependant, vous l1'auriez
») ríen fait, si vous vous borniez aux seules des-
» tructions. L'aristocratie regne pal'tout : il faut
» done détruire toutes les autorités existantes.
» Rien ne doit survivrcau régime aneien, 10rs-
» que le pouvoir révolutionnaire se mOl1tre; iI
» faut quc le systerne populaire s'établisse, que
) les peuplcs soient eonvoqués en assemblées
» primaires; qu'il nomme des administrateurs et
» des juges provisoires. Ce n'est pas tont : en en-
) trant dan s un pays, qucl doit etrc notre prc-
» miel' soin? de prcndre pour gage (tes frais de
» la gnerl'e, les biens de nos ennemis. I1 fant done
) mettre sons la sauve-garde de la natío n , les
») bicns, mcuhles et irnmeuhles appartenans au
))fisc, aux princes, a leul'S fautcurs, adhércns,




80 l\fÉl\fOIRES
» participans, a leurs satellites volontaires, aux
» eommunautés laiques et régulieres, a tous les
» compliees de la tyrannie ....


» Il ne serait pas prudent d'abandonner a lui-
» meme un peuple peu aecoutumé a la hberté; il
» faut l'aider de nos eonseils, fraterniser avec luí,
» et des que ses administrateurs provisoires se-
» ront nommés, iI faudra que la convention luí
» envoie des commissaires pris dans son se in , et
» le eonseil exéclltif des commissaires nationallX,
» pour entretenir, avec le peuple conquis, des
» rapports de fraternité .... Mais vous ll'aurez en-
» eore rien fait, si vous ne déclarez halltement la
» sévérité de vos principes contre quiconque ne
» voudrait qu'llue demi-libel'té ..... Il faut donc
» dire aux peuples qni voudraient conserver des
» castes privilégiées : vous étes nos ennemis, et
J) les traiter comme tels, puisqu'ils n~ voudraient
» ni liberté ni égalité. Si, au contl'aire, ils pa-
» raissent disposés a un régime libre, vous de vez
» non-seulement lenr douner assistance, mais
» leur garantir une protection durable. Déclarez-
» leur solennellement que vous ne traiterez ja-
» mais avec leurs anciens tyrans, et que nous
» périrons tous plutot que de capituler avec les
» oppresseurs du peuple. »


La loi rendue sur la proposition de Cambon,
composa, avec le décrct du 19 nOVC111VrC, tout




n'UN JIOMiUE D':ÉTAT.


le systcme poli.tique de la convention a l'égard
des nations étrangeres.


Dumouricz s'éleva avec force contre ces mesu-
res violeutes, par lesquelles on aliénait les Belges.
Unenuée de commissaires nationaux étaitvenue
fondre sur lenl's provinces, s'emparant, comme
des oiseaux dc proie, de tout le numérairc, dc
tonte l'argcllteric des églises, et de toutes les
caisses. En uu mot la république avait vaincu,
mais elle tralnait partout asa suite la désorgalli-
sation, qui gagnait de proche en proche, et me-
llat;;ait meme la IIollande.


Ainsi l'Allgleterre, frappée d'étonncment a la
vue de ces prcmiercs conquctes de la révolution,
se crut donblcment compromise, soit par l'intro-
duction dans son Hc des principes de la dérno-
cratie purc si oppo'iéc a son régime intérieur,
soit par la crainte de voir bientot la Hollande
envahie. Il était passé en maxirne d' état, dans
le cabillct britanllique, de préserver la RoHande
de toute atteinte de la part de la France. La SOll-
mission de la Flamlre el la déclaration de la
convention qui rcndait libre la navigation de
l'Escaut, avaient porté ce cabinet a offrir de
suite des secours aux Pl'Ovinces-Unics.


Au milieu d'un si grand trouble, ce qui exci-
tait tOlljollrs le plus particulieremcllt la sollid-
tude dcs ministres, c'était l'appl'éhension d'unc
~ 6




l\IlbWIRES


commotíon sociale intérieure, provoquée par la
convention et par les clubs franc;ais.


Aux différentes pétitions que recevait et des
clubs et des communes de France la convention,
au sujet du proces du roi, vinrent se meter des
adresses approbatives de quelques Anglais et Ir-
landais résidans a Paris, et de deux clubs nouvel·
lement établis a Londres, l'un sous le titre de
Société constitutionnelle; l'autre sous celui d(~
Société des amis de la rél'olution de 1688. Ces
communicatiollS fraternclles avaient pour objct
de célébrer les succes des armées frall~aises, et
de féliciter la conventioll sur des événemellS d'un
aussi favorable augure pom les peuples qui vou-
draient devenir libres, et qui nourrissaient l'es-
pérance «(que les soldats de la liberté ne poseraiel1t
» les armes que lorsqu'il n'yaurait plus de tyrans
» ni d'esclaves sur la terreo »


L' oratenr de la Société cOllstitutionnelle, ayant
parn a la barre, annonc;a « que de pareilles so-
l) ciétés se formaient actllellement dans toute
» l'Angleterre; qu'elles s'occupaient a rechercher
» les ablls du gouvcrnement, ct les moyens d'y
» rémeclier; que d'apres l'exemple que venait de
» donner la France, les révolutiolls allaient de-
» venir faciles, et qu'il ne serait pas extraortli-
)) naire que dans un COllf't espace de temps iI af'-
» rivat anssi des félieitations ~l une conventioll




D'UN' HOl\IThIE n'ÉTAT. 83
» nationale britannique. » Ces hommages et ces
prophéties politiques exciterent dans les tribulles
et dans l'assemblée les transports de joie les plus
vifs. L'éveque Grégoire, qui présidait la conven-
tion, fit a ces députatiolls des réponses qui ne
furent pas moins applaudies. « Vous etes ici an
» milieu de vos freres, leur dit-iI; la royauté est,
» en Enrope, détruite ou agonisante sur les dé-
» combres féodaux; et la déclaration des droit8
» de l'homme, placée a coté des trones, est un
» feu dévoral1t qui va les consumero Estimables
» républicaills, félicitez-vous en pensant que la
» fete que vous avez célébrée cn l'honneur de la
» révolution franc;aise , est le début de la fete des
» nations ! .... »


Cependant le ministere unglais nc se manqua
point a lui-meme, et son énergie répondit a la
gl'andeur du péril. l)(~ja &e form'aient sous son
inlluellce d'autres sociétés qui se vouaient an
mainticll de la liberté et de la propriété, contre
les tentatives des républicains et des niveleurs.
Ces associatiollS se multiplierent dans différentes
parties du royaumc. Le 1 cr décembre une pro-
clamation dn roí allllonc,¡a le danger que courait
la cOllstitution, en blltte a des malintentionnés,
qui, agissant dé concert avec dcs affiliés dans l' é-
tranger, excitaieut cet esprit de sédition et de
désordI'cs, qni s'était manifesté par des émeutes




l\lÉlUOIRES


et des insurrections. Georges III montrait l'in-
tentionformelle de mettre son gouvernement en
état de pourvoir a la sureté publique.


Le parlement, convoqué pom le 18 décembre,
s'ideutifia au discours de la comonne', dans 1e-
quel le mouarque avait parlé des dispositious a
la sédition, en termes semblables á ceux de sa
proc1amatiou royale. Le roi ajoutait, quant al/X
affaires cIu continent, qn'il avait eu. soin d'ob-
server la plus stricte neutralité dans la guerre
actuellc; que, s'étant abstenll constamment d'in-
tervenir dans lcs tl'oubles íntériem's de la Francc,
iI ne pouvait voir néanmoins san s la plus sérieuse
inquiétude les symptomes qui annon(;'aient l'in-
tention d'exciter des troubles, llon-seulemcnt
en Anglctcrre, mais dans d'autl'cs états, de fon-
Jer aux pieds les droits des nations nentres, et
de ponrsuivre des projets d'agrandissement.


Malgré les observations éloquentes de M. Fox,
l'adresse d'adhésion passa a une immense majo-
rité, Il n'en proposa pas moins eJe prier le roi
d' ouvrir toute espece de négociation honorable
pour prévenir la guerre contre la Franee. Son
mnendement ayant été rejeté, ille reproc1uisit
le lendemain sous la forme d'une motion. Fox
proposait d'envoyer un ministre a Paris, aupn\s
des personnes qui y exerl,,'aient les fOllctions da
pouvoir exécntif, ponr traiter avec elles des




85
points qui pouvaient ctl'C en discussion entre
les alliés du roi et la nation fran<,;aise. Mais tille
négociation ave e la France, dansl'état ou se trou-
vait ce memc pays, fnt condamnée et rejetée par
la majorité clans les termes les plus énergiques.
LapopularitódeFoxenrcl{utmeme un échec. On
vit alors cIairement (Ine le parti de l'opposition
était considérablement affaibli par la défection
d'une foule d'ancicIls wighs frappés de l'idée des
dangers que les principes et les projets franyais
faisaient comir á la constitution de la Grande-
llretaguc.


Des mesures indiquant les dispositions hos-
tiles des ministres se succéderent. Un 1ill sur
les étrangers les pla<;a son s une surveillance sé-
vere, en investissallt le gouverllcmcnt du droit
de renvoyer hO/·s du royaume ceux qu'il jugeait
a propos d' expulser.


Ces symptomes d'nue prochaine ruptUl~e ne
pouvaient échapper aux deux négociateurs fran-
c;ais; on pensait mcme'généralement que le mi-
nistere saisirait la premiere occasion de leur faire
l'applicatíon du bill, comme étant l'un et l'autre
plus ou moins suspectés d'intrigues, soit avec le
parti de l' opposition, soit avec certains meneurs
populaires d'un rang plus subalterne.


M. de Talleyrand eut des conférences avec les
ministres, et dan s ses dépeches confidentieHes,




86 MJÍl\fOIRES
lit connaitre a Paris les griefs qui scrvaient de
motifs a leurs préparatifs hostiles.


Ces griefs se reduisaient a trois principaux,
savoir : 10 l'ouverture de l'Escaut; 'i0 le décret
de fratcrnisation du 19 novembrc; 3° les projets
qu'oIl supposait a la France contre la Hollande.


Au nom du conseil exécutif, le ministre Le-
brun fit répondrc, sur le premier point, que la
France s'attendait que l' Angleterre garderait a
l'égard de l'ouverture de l'Escaut, le meme si-
lence qu' elle avait gardé en 1785, lorsque la
meme questíon avait été ag"it{~e 110stilement pár
l'emperenr Joseph II; sur le second grief, qLle
l'exécutíon dn décret da 19 novembre était
d'une justice incontestable a l'égard des peuples
sous la domination des puissances ennemies de
la France; maís qn' a l' égard eles pays neutres, il
était clair que l'intention de la convention n'a-
vait jamais été de s'engagcr a faire de la cause
commune de quelques individus étrangers, ceHe
de toute la nation fran¡;aise; enfin, qu'il serait
a désirer, au sujet de la Hollande, que le mi-
nistere britannique ne se fút jamais plus melé
du gouverncment intérieur de ceUe république,
qu'il avait contribué a asservir, que la France
ne vonlait s'en meler actuellement.


Lebrun, en rendant compte a la convention
de la naissallce de ces différends, ajouta : . « Du




n'UN HOl\fllIE D'ÉTAT. 87
» reste, fai autorisé, en derniel' lien, le ministre
)) de France a Londres, de déclal'er an nom de la
)) l'épubliqne fraw;:aise au ministere britannique,
)) que si, contre tonte attente, l'intention du ca-
» binet de Saint-James était d'amener une rnp-
" ture a tont prix, comme alors nons aurons
») épnisé tontos les explications propres a démon-
J) tl'el' la pureté de nos vues et notre respect pour
» l'indépendance des antres puissances; comme
) iI serait évident que ceUe guerre ne serait plus
» qu'une guerrc uu seul ministere britannique
)) contre nons, nous ne manquerions pas de faire
» un appel solenncl a la nation allglaise, et Je
» porter an tribunal de sa justiee et de sa géné-
» rosité l'examen J'une canse dans !aquelle on
») verrait une grande nation soutenir les droits
) de la nature, de la justice, de la liberté, de l'é-
» galité contre un ministere qui n'aurait engagé
)) cette querelle que par des motifs de pure con-
) venance personllelle; qu'ainsi nous établirioIls
» la nation anglaise juge entre lui et IlOUS, et que
» l'examen de ce proces ponrrait amener des
) ~mites qne le cabinet de Saint - James n'avait
» pas prévues. )


Ce ton mCllal',;ant n'était pas propre a rétablir
la bonne intclligence entre les deux nations.
M. de Chanvclin, qui prenait le titre de ministre
plénipotelltiaire de l"rullce, 'ldressu, en eeUe qua-




~n~J1roIRES
lité, le '27 décembre, une note a lord Grenville,
au nom de son gouvernement. Dans eette note,
il interpellait lord Grenville, au llom du peuple
fran¡;;ais, sur la question de savoir si la France
devait regarder l' Angleterre eomme une lmis-
sanee neutre ou ennemic. ]\1. de Chanvelin s'H-
fort;:ait en meme temps de jnstifier SOll gOUVCl'-
nement sur les différcns griefs qu'avait (~lev{>s le
cabinet de Londres.


Lord Grenville, par su réponse, lui exprima
cbns les termes les plus formeIs qu'il ne lui re-
connaissait d'autre caractere public que eelui de
ministre de S. 1\1. Tres-Chrétienne; et il ajouta
que la proposition de recevoir un ministre ae-
crédité de la part de quelqu'autre autorité bu
pouvoir en France, serait une question nouvelle;
que S. M. britannique aurait le droit, si elle se
présentait, de décider d'apres les intércts de ses
slljets, sa propre dlgnité et les égards qu'elle
devait a ses alliés aiIisi qu'au systemc général de
I'Europe. Quant aux cxplications données par
l\'l. de Chauvelin sur les différens griefs dn gou-
vernement anglais, lord Grellville observait
qu'elles se réduisaient a trois points : le prerhieí.·
avait ponr objet le décret de la convention du
19 novembre, dans les expressions duquel toute
l'Angleterre avait vu la déclaration formelle d'ull
dessein ce de propager partollt les 11011VeaUX prin-




)) cipes de gouverncment adopté5 en France, et
)) d' encourager le tl'ouble et la révolte clans tous
») les pays, meme neutreS.)i Si eette interpréta-
tlOli, ajoutait lord Gl'enville, que vous pl'éSell-
tez comme injurieuse a la conventioh, potl\ait
paraih;e doutcuse, la condnite de la convention
elle-mt~me ne l'a que trop jnstífiée; et l'applica-
tion de ces principes aux états du roi a été dé-
montréc par la réception publique accordée aux
séditieux de ce pays, anssi bien que par les dís-
cours qU'Oll len!' a teJlIIS, préeisémellt daIls le
temps de ce décret, et depuis a plusieurs re-
priscs.


Quant a l'explication donnée par M. de Chau-
velin a cet éganl, lord Grenville observait qu'elle
u' était 1'1e11 moins que satisfaiSélrlte, et que l'An-
gleterrc ne trouvait aucune súreté claus les ter-
mes d'une explication qui allllonc,;ait encore aux
séditieux de toutes les natiollS queIs étaient les
cas dans lesquels ils ponvaient compter d'avance
sur l'appui et les seeours de la France, et qui
réservait a la France le droit de s'ingérer dans les
affaires intérieures de l' Angleterre, au moment
ou elle le jugerait a propos, et cl'apres des priü-
cipcs incompatibles avec les ínstitutions publi-
ques ele tous les pays de l'Europe. Person'ne ne
peut se dissimuler, ajoutait lord Gi'anville, com-
bien une parcille déclaratioll est proprc a en-




90 MÉMOIREi
courager partout le désordre et la révolte; per~
sonne n'ignore combien elle est contraire au
respect que les nations indépendantes se doi-
vent réciproquement, ni combien elle répugne
aux príncipes que le roi a suivis de son coté,
en s'abstenant toujonrs de se meler, de quelque
maniere que ce flit, de l'intérieur de la France;
et ce contraste doit seul suffire pour démontrelo
non-seulement que l' Angleterre ne peut pas con-
sidérer comme satisfaisalltc une pareille décla-
ratio n , mais qu'elle a tout lieu de la regarder
comme un llouvel aven de ces dispositions qu'elle
voit, de la part de la France, avec une si juste
inquiétude et jalousieo


Lord Grenville passait ensuite aux deux autres
points concern~nt les dispositions générales de
la convention a l'égard des alliés de la Grande-
Bretagne, et la conduite de ses officiers au sujet
de l'Escauto


(La promesse faite an nom de la France, disait
le ministre anglais, de respecter l'indépendance
de l' Angleterre et de ses alliés, et de ne' point
attaquer la Hollande tant qu'elle observerait une
exacte neutralité, est d'autant moins rassu-
rante, qu'au moment meme ou la déclaration
en était communiquée, un officier, se disant cm-
ployé au servicc de France, violait ouvertement
le territoire et la lleutralité de la république des




D'UN nOJlfllIE n'ÉTAT. 91
Provinces.Unies, en remontant l'Escant ponr al-
taquer la citad elle d'Anvers. La France n'avait
cependant aucun dl'Oit d'annuler les stipulations
des traités relativement a l'Escaut, a moins d'a-
voir aussi le droit de mettre pareillement de coté
tous les autres traités entre toutes les puissances
de l'Enrope, et tons les autres droits de l'Angle-
terre et de ses alliés. Loin d'adopter les prín-
cipes que la France veut ainsi établir, l' Angle-
terre est et sera toujours prete a s'y opposer
de toutes ses forces; fidCle aux maximes qu'elle
a suívies depuis plus d'un siecle, elle I\e yerra
jamais d'un ceíl indifférent la France s'ériger di-
rectement ou indirectement en souveraine des
Pays-Bas, OH arbitre généraie des droits et des
libertés de l'Europe; que si la France désire
réellement conserver l'amitié et la paix avec l'An-
gleterre, il faut qn'elIe se montre disposée a
renoncer a ses projets d'aggression, a ses vues
d'agrandissement; et en un mot, il fallt qu'elle
s'en tienne a son propre territoirc, sans outra-
gel' les autres gouvernemens, san s troubler leur
repos, san s violer leurs droits.ll


Au sujet de l'appcl que ÑI. de Chauvelin se
proposait de fatre a la nation anglaise, lord
Grenville observait que cette nation, d'apres
la constitution qui assmait sa liberté, sa pro-
spérité, et qu'clle saul'ait maintenir contl'e




1\IÉlUOIRES


toute attaque directe OH illdirectc, n'aurait ja-
mais avcc les puissances étrangeres ni relation
ni correspondance que par l'org~ne de son
roí, d'Ull roi qu'elle chérissait, qu'elle respec-
tait, et qui n'avait jamais séparé un instant ni
ses droits, ni ses intérets du bonheur de son
peuplc.


On voit ici clairement, par la connaissance
des points de la discnssion, que des l' origine on
nourrissait en France l'espoir si soavent renou-
velé et de/{tl dcpuis de détacher la nation de
son gouvernement, pOLlr la précipiter dans une
révolution démocratique.


Dumouriez ne partageait pas ces illusions :
les conséquences de la rupture avalent frappé
son esprit. eomme il n'avait alors en vuc que
¿e s'affermir dans la conquete des I)ays-nas, il
était d'avis que si on prétendait s'y maintenir, iI
fallait d'abord se conserver la neutrahté de rAn-
gleterre et de la HolJande. Tel était aussi le sen-
timent de Talleyrand-Périgord, fort en état d'ap-
précier la politique d'u cabinet de Saint-James,
et les véritables dispositions de la nation anglaise.
En voyant Dumouriez fixeI' 1'attention de l'Eu-
rope, autant par son habileté a la tete d'une
armée victorieuse, que par la fermeté qu'il ap-
portait a résister anx vues de la faction désoI'-
ganisatríce qui, du sein de París, sernait partout




, " D UN H02liME D ETAT. 93
la confusion et le désordre, Talleyrand et ses
amis conc;urent le projet d'empecher ou de re-
tarder la rupture par une négociatiC!n dé tour-
née. Soit que Pitt n'en saisit l'idée que pour se
donner le temps de fairc passer eles secour:'. a la
Hollande, soit que Dumouriez lui-meme ne l'ait
suggérée que dans la vue de mieux réunir ses
moyens d'attaque, soit enfill qu'on eút déja la
pensé e d'amener ce général sur le terrain de la
défection, des ouvertures importantes lui furent
portées.


1,e ministre de France a La Haye, M. de Maulde,
qui lui était redevable de sa légation, arriva en
tOllte httte, dans les premiers jOllrs de janvier, á
París, ou se trouvaÍt alors Dumouricz; illui dit
que sí OH désirait garder la neutralité avee la
Hollande et l'Angleterre, ríen n'était plus facile;
qu'a la vérité, les ministres des denx cours ne
voulaicnt ni reconnaltre la convention, ni traite!'
avcc le ministre Lebrun; mais qne le grand pen-
sionnairc de Hollande, Van Spiegel, et l'ambas-
sadenr d' Angletcrre, milord Auckland, l'avaient
chargé d'annoncer qu' on traiterait volontiers
avec le général Dumouriez. En meme tcmps ra-
gent secret Benolt, qui arrivait de Londres, dit
an ministre Lebrun, de la part dc Talleyrand,
de Talon et des autres émigrés constitutionnels
qui avaiellt des rclations avec le millistere anglais,




94 l\IÉMOIRES
que Pitt et le conseil de Saint-James ne deman-
tlaient pas mieux que d'assurer la neutralité,
pourvu que le général Dumouriez fut chargé de
la négociation, et passat en Angleterre pour la
terminer.


Les ministres Lebrun et Garat furent d'abord
les seuls du conseil exécutif dan s la confidence
de eette ouverture. Dumouriez vit aussitot le
parti qu'il pourrait en tirer; comme il jouis-
sait d'un certain crédit dans les comités et dans
le conseil, il obtillt que l'affaire y fút portée
avec la proposition de l'envoyer lui-meme en
ambassade extraordinaire a Londres. Mais les
ministre Clavieres, Pache et Monge s'y oppo-
serent par principe d'inimitié et de jalousie,
sclon Dumouriez, mais plutot paree que déja
il eausait de l'ombrage, et qu'on redontait
son ambition. Dumouriez s'étant concerté ave e
Lebrnn et Garat, il fut eonvenn qu'on suivrait
l'affaire sans bruit, qu'il n'en serait plus qnes-
tion clans le conseil, et qu'on attendrait qu'elle
fut dans tonte sa maturité pour la faire réussir.
On renvoya M. de MauIde a La Haye avec une
leure pour milord Auckland, clans laquelle on
lui aUllon<;ait que Dumouriez se trouverait a
Anvers le le< février, et que la g'ouvriraicut les
conférences. M. de MauIde était aussi chargé de
pourparlers cOllfldelltiels.




n'VN HOl\fME n'ETAT. 95
En meme temps on.décida que 1\1. Maret t, qui


avait déja fait plusieurs voyages en Angleterre
comme agent diplomatiqne, y serait envoyé pour
savoir de Pitt si réellement il souhaitait traiter
personnellement avec Dumouriez. Dans ce nou-
vean plan, M. de Chauvelin devait etre rappclé
et M. Maret oeenper sa place.


Mais toutes ces petites combinai~ons s'éva-
nouirent devant la marche grave des événemens,
et par reffet des grandes passions de l'époque.
Comparativement a la eonvention, le conseil
exécutif était un ponvoir trop secondaire pour
qu'il osat s'engager dans une négociation si im-
portante, sallS l'adhésion et le concours des co-
mités diplomatique et de défense générale. La
dominait Brissot, président du premier de ces
comités.


Pour peu qu'on médite les fragmens que nons
allons tirer de sa correspondan ce confidentieUe
avec Dumouriez, immédiatement apres la ba-
taille de Jemmappes, on pourra se former une
idée du systeme politique des hommes d'état de
la convention.


((C'estici, mandaitBrissot angénéral vainqueur2 ,
{( c'est ici un comhat a mort entre]a liberté et la
») tyrannie; entre ]a vieille eonstitution germani-


• Aujourd'hni duc de Bassauo.
~ Lettl'e dll 28 nov€lDhrc 1/92.




96 lIu111'IOIRE5
» que etla nutI'c. Avecdes Hé}mphlcts alle1nands et
» des baiPnnettes tout s' arrangera ... Pas un Bour-
» bon ne doit rester sur le treme ! ... Ah! mon cher!
» qu'est.ce qu'Alberoni, Richelieu qu'oll a tallt
» vantés? Qu'est-cc que leurs projets mesquins,
» comparé s a ces sonlevemens dn globo, a ces
» grandes révolutions que HOUS sommes appelés
» a faire ?" .. N e nous occupons plus, mon ami,
» de ces projets d'alliance de la Prusse, de l'An-
» gleterre, misérables échafandages; tout cela
» doit disparaitre : NOIJus rerwn nasGÍtul' ordo.
» 11 fant que rien ne nons arrete. J'aime a crüire
» que la révolution de la Hollande ne s'arrt:tcra
» pas <levant le fantume d'illumines r, et qu'iluc
» sera pas pour vous le sta sol. Une opinion se
» répand ici : la république f1'anc;aise ne aoit
» avoir pour bornes que le nhin2 .»


Aux yeux de tels hommcs, professantde telles
opiniolls, aucune négociation ne pouvait trou-
ver grace, pas meme avec l' Angleterre, qn'il eut
été si important de mettre ho1's de cause. I1 ne
fut pas difficile a Brissot de ramener a son avis le
ministre Lebrun, en mettant en jeu son amour-
propre par ses insinuations. Lehrtl1l, voyant
que les membres des principaux comités se


, Vraisem11ablement l·'l'édéric·Guillaume.
• On yoit '¡ue de uonne hcul'c (e fut comme une inspjl'~tjon na-


¡ionale.




n'UN rrO~fJ\m n'.ÉTAT.
croyaient offensés de ce qu'Oll refusait de né-
goder ayec la conyention, fut piqué lní-meme
de ce que la cour de Saint-James ne voulait pas
traiter ayec lui comme ministre de la république.
01', il était peu probable que, clans aucun cas, la
négociation que désirait Dumonriez pllt réussir.


Lebrnu dOJllla le 7 jallvier lIne 110te offieieUe
an nom du pouyoir exécutif de France, en ré-
ponse a la note de lord Grenville; i1 Y répétait,
d'une maniere plus détaillée, les explications déja
pl'ésentées sur les motifs de plaintes {~h~\ées par
l'Angleterre; i1 {jnissait pas Jire que si les efforts
tentés pour éviter J'en veuir a UIle rupture
étaient inutiJes, on combattrait avec regret,
mais sans craintc, la nation anglaise qll' on esti-
mait. Une note de la meme date, de M. de
Chauvelin, contcnait des rcprésclltatiolls tres-
vives an sujet de l'actc des étrangers, afien ael,
comme étant une mesure hostile dirigée par ti-
culiercment eontre les FraIH;ais. Lord GrenYil1e,
en réponse, envoya la note comme absolument
inadmissible, M. de Chanvelin prcnant un ca-
ractere qni n' était pas recorinu; ensuitc, passant
a la forme el' une communication extra-officieIle,
il insista sur l'insuffisance des explicatiolls don-
nées précédemment, et assura cl'une maniere
positivc que l'Angleterre continuerait ses prépa-
ratif-; hostiles, afin de se mcttl'C en {tat de pro-


JI. 7




98 m.É¡UOIRES
tégel' sa súreté et ses droits, ainsi qne cenx de
ses alliés. 1\1. de Chauvelill demanda alors une
cutrevue a lord Grenville, qui la refnsa.


C'était an moment memc oú le proces de
Louis XVI se présentait accompagné des plus
fc'tcheux présages. DallS ces terribles débats, la
question fat envisagée, par quelques orateurs
de la cOIlvention , sous le point de vne des motifs
d'état. Salles de la Meurthe, développant les
considérations de haute poli tique qui devaient
¡)Orter la cOllvcntion á lllénager le roi, s'exprima
en ees termes:


..... « Si Louis meurt, tontes ses prétentions
» lni sUl'vivent. Déposées sur une antre tete, elles
» seront plus nuisiblcs a la rt'~publique; de tous
» les membres de sa famille, iI est aujoul'd'hui le
» moins a eraindre .... N'est-ee pas une chose bien
» surprenante que le silellce des rois dans des
» circonstanees si grayes? Croirons-nous, paree
» qu'ils se taisent, qu'ils sont indiffércns sur le
» sort d'un de Iellrs scmblables? Non, iIs ont des
» vues plus profolldes. Ce n'e5t pas Louis qu'ils
)) veulent sauver, e'est la royauté. Le sllpplice
» de Louis, je n'en fais pas le moindre donte,
» est nécessaire a lenr systeme. 115 veulent sa
» mort; cal' si le sang d'un roi coule sur l'écha-
» fuud, ils poul'l'ont espérer de souleve!' leurs
» peuples contre la llatioll qui aura souffcrt ce




, " D UN II01U~fE D llTAT. 99
» supplicc; ils pomront se créer des armé es et
» nons combattre plus súrement. Les puissan-
» ces étrallgeres désirent que Louis meure afin
» d' affectcr sur son sort une fe in te douleur, afin
» d'élcver contre vous un cri de. vengeance uni-
» verseBe, ponr conserver leurs trones, pour
» étouffel' la l'évolution, pOllr vous donner un
» roi. Et ne demalldez pas quel serait le roi
» qn' elles vous proposeraicnt ponr vous dompter
» plus sÚl'ement; elles ne craindraientpas de flat-
» ter le peuplc cn désignunt celui qui lui plairait
» davalltage. Qu'importcrait alors leur haine
)} contre te! OH te! chef de parti? Que le plus vil
» d'clltre CllX leur promette une chance de plus
)) cn favenr de la royauté , et le soin de lenr trone
» en üüt a l'instaut leur allié. Les émigrés meme,
» pOLIr leur intéret aussi, oublieraient leurs que-
» relles, s'iI en existait entre enx et le nonvean
» 'yran; ils deviendraient ses premiers valets, si
» celui-ci croyait tlevoir faire sa paix avec cnx
» pour assurer sa puissance; iIs le serviraient s'ils
» pouvaient en espérer une vengeance et la res-
}) tauratioll de lCllrs titres .... Il n' est qu'nn moycn
) d' éviter de granels maux, e' est que la conven-
» tion renvoie an peuple la questíon poJitique
» qu' orfre le prod~s de LOllis .... »


Ces cOIlsidérations l'enferment une prophétie
d'autant plus rcmarquahle, qu'Oll l'a vue plus




IOO lIIÉMOIRES
tard s'accomplir dans toute son étendue. Quant
aux dispositions des puissances a l'égard du pro-
ces de Louis XVI, ce serait mentir a la fidélité
de l'histoire, que d'ac1mettre, autrement que
comme moyens oratoires, les asscrtions de rora-
teur conventiollnel.


Nul doute cependant que la politique ne v1t
s' ouvrir, par le trépas du roi de France, une
chance a de nouvelles combinaisons, et il est
vrai de dire aussi que Louis ne fut que faible-
ment réclamé par tres-pea de pnissances encore
neutres. Quant a la Prusse, si elle avait épuisé
inutilement tous les gellres de négociations, n'é-
tait-ce pas pour sauver ce mouarque? La Prusse
et I'Autriche, d'ailleurs, étaient en ótat de gnerre;
ne ponvant faire que des menaces, l'expériencc
lcm en avait montré l'inutilité etmeme le danger.
L'Angleterre tit quelques démonstratiolls vaines.
Les principaux chefs de l'opposition, tels que
Fox, Shéridan, Grey, dans la voe cl'embarrasser
le ministere, et de se réhabiliter eux-memes daus
l'opinion de la nation, sommerent, au nom de
l'humanité, le ministre Pitt d'intervcnir. Sur leur
motlon, la chambre des commnncs avait voté 1
une adl'(~sse an roi, dans laqucllc elle cxprimait
l'indignation et l'hol'reur de toute la nation, sm
l'illjusticc et la barbarie de la catastrophe qui


• Le 20 dél'Clllbrc J791.




n'UN HOllI1lIE D'ÉTAT. 101
mena<;ait le roi de France. Lord Lansdown avait
meme demandé que les ministres fissent aupres
dn conseil cxécutif de France, une dcmarche
officielle pour témoigner l'intérct de S. M. bri-
tannique et de la nation au sort. de Louis.


Mais Pitt, combattant l' opportunité d'une dé-
marche direetc et précisc, avait éludé les in-
stauces des membres du Lord opposé. Ses ar-
gumens pOUl' ne pas compromettre la dignité
du. gouverncment, étaicnt d'autant plus pé-
remptoires, qne le f..'lmeux Barrere s'était déja
exprimé en ces termes á la eonvention : (( L'An-
)) gleterre arme; I'Espagne, exeitée, prépare une
)1 attaque; ces deux gouverllemens tyrauniques,
») peu satisfaits de persécuter les patriotes de leurs
)) états, croyent peut-etre illl1ucneer le jugement
» que nous allons prononcer sur le tyran de la
) FraIlee; ils comptent pellt-etl'e HOUS cffrayer.
)) Non, le peuple qui a conquis sa libert{~, ce
) peuple qui a chassé du sein de son territoire,
)) jusqu'al1x r¡ves les plus éloignécs dn nhin, les
») formidables Lataillons de l'Autriche et de la
») Prusse, ce peuple 11e recevra les or<1rcs d'Ull-
) cun tyran. »


Toutefois le roi d'Espagnc fit off¡'ir par le che-
yalicr Ocariz, son chargé d'affaires a París, sa
nentralité pendant la guerl'e, et la promessc de
retirer les troupes dont la frol1tiere d'Et;pagllc




102 l\IÓUOJRES


était garnie, son s la condition que la Franee
prendrait de son coté les mcmes engagemens. Il
fit déclarer en meme temps au ministre pléllipo-
tentiaire de France a Madrid, «( que le motif qui
») avait déterminé S. M. Catholiqlle it se rappro-
" cher de la France, était de pOllvoir influer sur le
» sort du ci·devant roi son cOl1sin. » Le chevalier
Ocariz, de son coté, fit la meme déclaratioll an
gouvernement frauf,"ais, avec des expressions
modérées, mais positives. Il était chargé de si-
gnifier que ce granel proces ne pouvait ctre ét)'an-
ger an roi son maltre. « S. M. Catholique, dit.il,
» ne sallrait etre accusée de vouloir se meler des
» affaires intérieures de l'état, lorsqn'elle vient
» faire entendre sa voix en favenr d'nn parent,
» d'ull allié, d'Ull prince malheureux, du chef de
» sa famille..... Si je ponvais, par ma réponse,
» ajoutaitl'envoyé espa;:;Ilol, annoncer an roi que
» les désirs de son crenr ont été rcmplis, heurcux
» d'avoir été ragent d'une négociation aussi hu-


• , » maine, aussi glorieuse; heureux d'avoir bien
» servi ma patrie et la votre, ce jour serait le
» plus beau, le plus consolant <le ma vie. »


Ce ne fut qu' en se faisant une violeuce extreme,
que le parti ardent de la convention se soumit
a entendre la lecture de cette communication
diplomatiqllc. Danton s'indigna de l'audace du
gouvernemcnt e~pagllo1, qui He voulait pus re·




103


connaltre la répnhliqne, et prétendait lui dicter
des lois. «Loill de Hons toute influence étrallgtTe,
)) s'écric Thul'iot ! ..... NOllS d(~von:,¡ pro11011ce1'
») avec la fCl'meté qui cOllvient iJ dc vl'ais répll-
)) blicaim .... Gardons-nons de cécler a des iclées
)) combinóes par le crime et la scélératesse .....
)1 NI' sonffrez pas surtout que les ministres des
» eoul's étrangcrcs puissent former iei un con-
)) gres pour 1101lS intimer la décbration des hri-
») gands couronnés. re demande que la conven-
)) tion dérrcle (Iue, (I'lCls (IUC soient les mémoires
)) qui pourraicnt lui ctre adressés relativernent
) an granel proces qui lui est sournis, aucun
)) ne sera In avant qu'on ait statué sur le SOl't
» de Louis Capet.) A eeUe motion suecede un
projet de décret portant qne les agens fram;ais
ne pourront tl'aiter CJu'a vec les tetes courOIlllées
qui auront reconnu solcnnclIcmcnt la républi-
qne. (( Nous ne traiterolls plus avec les roís, <lit
)) un rnemhre de la convention; rnais avec les
») peuples. )) Et la rnajorité se réunit a l'avis de
passer á l'ordre du jon!' sur la lcttre ele l'envoyé
d'Espagnc, et de n' en point achever la lecture.


Ainsi déjouée d:lns ses dérnarehes diploma-
tiques, la cour de Madrid cmt pouvoir sauver
Louis XVI en achetant des voix en sa faven!';
ct a cet effct dcux millions fnrent mis a la dis~
positioll d'Ocariz. 11 ::;'agissait de faire prévaloÍl'




104 lII:É:'\WmES


dans. la convention la proposition de l'nppel au
pcuple, qui cut ouvert a Louis la seulc chancc
favorable. Mais on conduisit avec aussi peu d'in-
telligenee que de bonheur eette négoeiation dé-
licate. L'un des plus ardcns agitateurs de la
révolution, 1l01111né Chabot, s'étant mis en re-
lation avee Oeariz, traita lLli-nl(~me pour les
deux miHions: on devait les eompter a quatre
des principaux meneurs de son parti, qui s'en-
gageaient a faire changer un grand nombre de
votes ponr la mort en votes ponr l'appel au
peuple. Mais tl'ompé par drs donn(~es fausses,
et se croyant súr de la décision, Ocariz réserva.
la somme ponr influencer en dernier ressort les
assemblées primaires. Quand iI vit son attente
trompée, iI rssaya d' employer une partie de l'ar-
gen t de l'Espagne a produire un mou vement dans
Paris; ce fut illutilemcnt : tous les élémens en
étaicnt déjá assnrés dans d'autres maills et dalls
un sens contraire; Chabot n'était la et dans la
convention que l'émissairc chnrgé de connaitre
et de déjouer le plan qu'il paraissait favoriser.


Les dangers d'une guerre générale n'arrt3te-
rcnt point la convention : le 21 janvier vit con-
sommer le régicidc. Les cabinets ne s'étaient pas
fait illusion sur le sort de l'auguste victimc, pas
plus qne Louis ne s'était abusé lui-meme sur sa
destinée, Céll' ce n'étaient pas les lumü~res qui




n'UN rrOl\UfE D'ÉTAT. lO5
avaient manqué a ce prínce : mais dans les grandes
affaires d'état, le roi c¡ui veut et qui ordonne ne
s'était trouvé nulle parto Le dévouement d'un de
ses fideles serviteurs, au moment oú la hache
était levé e sur sa tete rople, donna occasion a
Frédér·jc·Gui11:mme de faire éc1ater ses propres
sentimens sur cette grande catastrophe. Voici le
trait tel qu'il znérite d'etre recueilli. Aucune
crainte n'avait pn arre ter 1\1. d'Aubier, l'un des
gentilshommes ordinaires de Louis; n'ayant pas
quitté son maltre au 10 aout, et cherchant de-
puis sa súreté hors du royaume, il voulait dé-
men tir, a ses risques et périls, l' accusa tion par
laquellc on cherchait a exciter la popnlace des
faubourgs a demander la mort du roí: on pré-
tcndait que Louis avait, le 10 aoút, signé l'ordre
de massacrer le peuple. :M. d'Aubiel' établissait
(Iue c'était le maire Pétion qui avait signé 1'01'-
dre de repousser, aux Tllileries, la fOI'ce par la
force. Le temps pressait, et il flt cnfln parvenir'
sa déclaration a J\Ialesherbes, l'illustre défen-
seur de Louis : ille suppliait de lui procurer les
moyens d'arriver á París, pour y etre confronté
avec les aCCllsateurs. « S'ils me font massacrer
)) ensuite, lui mande-t.il, la justification du fait
)) que je veux mcttre an granel jonr, n'en sera
)) que plus constante ponr le publico On ne croira
)) jamais ql1'un homme SOl'te d'un asile siu', et




106 I1IÓUOIRES
II vienne jouer sa vil' ponr soutcnir un men-
» songe.» Malesherbcs lui PJ'orligue les assurances
les plus honorables: « Le roí, lui répond-il, me
» eharge de vous mander de sa part qu'il vous
» conjure de ne pas vous compromettre. On re-
» jetteraít votre témaignage, comme cclui d'un
II homme a qlli son attaehemellt ne permet pas
« d'etre impartíal. »


ectte lettre 1, M. d' Anbícr la rc~oit par le
eourrier qlli lui apprend le trépa., de Louis; et
eamme oula lni avait écrite par dllplicata, il en
était també une copie entre les mains de Frédé-
rie-Guillaume. Le manarque prnssicn, tauehé
des marques de dévouement qu'il venait de don-
ner a son roi, voulut le voir, et ehargea le
eomte d'HerviIly 2, qui était a Dusseldorf, de le
lui eonduire a Franefort. La, M. d' Aubier lui
est présenté. Le roi, apres plusieurs questions
sur la vie privée de Louis XVI, sur ses malheurs,
sur la journée da 10 aout, sur l' emprisonnement
de la famille royale, lui propose d'entrcr a son
serviee. M. d'Aubier répond qu'il n'est pas mili-
taire. Le roi lui demande a quoi il pourrait l'em-
ployer. - « Je ne me erois bon a rien. - Vous
» etes le premier qui m'ait parlé de la sorte, »


, DIl I2 janvier I793.
• Le mcme qui avait dCfcndllle chiÍtiau au 10 aQút, el !,luí trOIl".


llllll.ort en 1~U5 iltQuHmol!.




J)'CN IIO'lnIE J)'kr A T.
s'écrie Frédél'íc-Guillaumc; et le lendemaill le
fidele servitcllr de Louis rc(;oit la leUre sui-
vante:


{( M. d' Aubíer, des sentimens pareils a ceux
» dont vous avez faít foi envcrs l'illfortuné mo-
l) narque que vous avez servi, sont toujours súrs
» de mon estime. La persounc qu'il honora de la
» sienne a d'ailleurs, par cela seul, des droits
» chers a mon cren!', et toutes les fois que je
» pourrai réeompenser en elle les services que
» Louis XVI IH' put acquitter, je croirai offrir un
» dernier tribut a la mémoire de ce souverain
» respectable et malheureux. Je vous donne ma
» del' de chambellan; jc vous la donn.c comme
» un gage du tend1'e souvellir que je conserve a
» votre maltre, et j'y joins une pellsion de six
» cents écus sur la caissc de la conr, ponr qu'a
» l'abri de l'infortune qui poursuit les compa-
» gnons de votre cxil, vons puissiez consacrer
» des jours plus tl'anquilles a sa mémoire, a
» ceUe de ses vertus, de ses bienfaits , de ses mal-
» heurs; et sur ce je prie Dien qu'il vous ait en
» sa saiute et digne garde.


» Signé FRllnÉRIc-GuILLAmIE. »


A la nouvelle de la catastrophe, le roi d'An-
gleterre fit intimer a M. de Chauvelin l'ordre de
tiortir uo Londres 50UlI vingt·quatre hcures, et




lO8 l\'IÉMOIRES
du royaume sous huit jours. Lord Gl'enville
invité depuis, dans la chambre haute, a s'expli-
quer sur les vrais motifs de cette injonction su-
bite, le fit en ces termes l : « La vérité est qu'aussi
» long-temps que M. de Chauvelin s'est conduít
» avec circonspection, iI a été traité avec indul-
» gence; mais lorsqu'apres des évéllemens sur
» lesquels l'imagination ne peut J>'arreter san s
» horreur, une faction diabolique se fut emparée
» du pouvoir, iI n'est pas de moyen de corrup-
») tion que M. de Chauvelin n'ait essayé, par lui
» ou ses émissaires , ponr séduire le peuple, l'in-
}) disposer eontre le gouvernement eL coutre les
» lois du pays. »


Débarquant a Douvres, dans ces memes cir-
constances, et avec de llouvelles instructions,
M. Maret rc(,;ut de son coté l' ordre de se rembar-
qucr sur-le-champ. La rupture paraissait désor-
mais inévitable. Cependant lord Grenville, dans
une de ses dernieres notes, avait declaré qu'il
se prtherait volontiers a des explications, dans
une forme non offtcielle, sur la totalité des ob-
jets mis en discussion : c'était laisser encore la
voie ouverte a une conciIiation possible; c'était
une derniere ressource pour essayer de conserve!'
la paix en éIoignant la guerre des Pays-Bas, et en
conservant a ces provinces une espece de neu-


• Séance de la challlbre du pairs, dll 17 févl'ier 1;93.




D'UN HOll'fl\IE D'ÉTAT.
tralité, j usqu' a l' arran gemen t définitif des affaires
générales de rEurope.


Voila pourquoi Dumouríez se montra décidé,
meme apres le renvoi de M. de Chauvelin, a se
remIre en personne sur les fronieres de la Bol ~
lande, ponr sllivre la négociation entamé e a La
Haye. A son arrivée de París, dans les derniers
jours de janvier, M. de Maulde, envoyé de France,
était alIé porter a lord Auckland la lettre de Du~
mouriez; lord Auckland lui en avait témoigné
toute sa satisfaction. II lui ayait dit que les
intérets de la Hollande et de l'Angleterre étant
communs et inséparahles, iI communiquerait
cctte Ollverture au grand pensionnaire Van-
Spiegel, avec leque! ill'ahoucherait. Van-Spiegel
adopta le projet d'ulle conférencc entre DmllOU-
riez, lui et lord .Auckland, quí dépecha tl'ois pa~
quebots de suite a sa eour. De son cOté, le mi-
nistre de France envoya son secrétaire á Anvers
an-elevant du général Dumouríez.


Non-sculement lord Auckland et le grand pen-
sionnaire, mais l' envoyé de France lni-meme,
manifesterent une profonde horreur sur l'évé-
nement qui venalt de répandre le denil dans
toutes les cours de l'Europe. Comme on savait
que Dllmouriez partageait les memes sentimens,
il ne PUI'ut pas qu'une si cmelle circonstance
nuirait a la négociation projetée. 011 COl1vint




110 111 ÉilIOIRES


meme qu'aussitut (Ille lord Auc1dand aurait ref,(u
les réponses de sa cour, les conférences s'ouvri-
raient au M(X~rdick, sur les yackts du prince el'O-
range, qu'a cet effet on préparait pom rccevoir
Dumouriez.


Mais, dans l'intervalle, le ministre Lebrun pré-
cipita le rapport du renvoi de M. de Chauvclin
par ordre du roi d'Angleterre, afin d'opposer a la
négociation un obstade inSl1rmolltable. La sen le
reponse a un tel procédé ne pouvait etre, de la
part de la COllvclltion, qu'une déclaration de
guerreo On l'attribua aussi a des mobilesse-
crets que nons allons fairc couualtre. On assurc
que la fermentation du peuple angIais s'était ac-
crue a un tel point depuis le renvcrse111cnt de
la royauté en Frauce; qu' on apcrccvait a Londres
tous les symptomes d'un gralld mouvement; que
Pítt, hésitant de déclarcr la guerrc a la Francc,
avait fait somIer les dispositions du peuple, et
qu'un cri gélléral d'opposition s'était élevé;
qu'une inscriptioll affichéc sur les mms du palais
du roí avait appris a Georges III que le signal de
la guerre serait celui de sa chutc; qu'aussitut le
ministere anglais avait imaginé d'employer des
1110yens el'intrigues, afin de porter les conseils de
]a Franee a se charger de l'initíative ele eeHe non-
velle déclaration de guerre ; et que par-la OH avai t
1m en imputel' tout l' odieux a la France, aux




111


yeux des AngIais; que tout avait étú ainsi cal·
cuIé, et que tandis que 1\1. de Talleyrand était
accueilli, protégé, et avait meme encore des
entretiens avec les ministres, 1\I. de Chanvelin,
a qui on ne pardonnait pas d'avoir notifié au ca-
binet de Londres le l'ésulLat de la journée du 10
aout, était insulté et finalement renvoyé avec
morgue; qu'au meme moment la France étant
travaillée par les intrigues que Piu avait prépa-
rées, Oil écrivait presque sons sa dictée, a des
membres influens de la conventioll, et llotam-
ment ú Bl'issot, que la (hkJaration de gucl're se-
raít le signa! de la révolution anglaise, et que
tout était (lisposé a cet effet.


Plcin de eette idée, Brissot, organe des comi-
tés diploma tique et de défense générale, monte
a la, tribune le 1 el' de février, et fait tUl rapport
virulent sur les actes d'hostilités de l' Augleterre;
iI annonce que la guerre qni va s'engager affran-
chira l'Irlallcle du joug britannique. « Le sta-
») thouder de IIollande, ajoute Brissot, fait cause
» comnmnc avec le cabinet de Saint-James, dont
» il se moutre le Slljct plntot que l'allié : ii par-
)) tagera son sort. » Le projet de dédaration de
guerre au roi Georges et au stathonder est aus-
sitüt mis au voix et adopté a l'unallimité.


On ne saurait révoquer en doute la confiance
présomptucllse inspirée ú la cOllvention par les




112 ¡UÚIOIRES


victoires de Dumonriez, et par les fauss0s d011-
nées vennes de Londres; toute la France parta-
geait aussi l'idée qu'il y avait en Angleterre un
granel nombre de mécontens qui, dans le cas
d'nne rupture, et avec le moindre appui auxi-
liaire, y renverseraient le gonvernement établi.
Une leUre officielle de Monge, ministre de la
marine, adl'essée a ton s les amis de la liberté
clans les ports de mer, contenait le passage
snivant, que Pitt cita, entre plllsieurs mitres,
clans la chambrc des communes ; (e Le roi et
JJ le parlcmellt ont dessein de nons faire la
» guerre; les républicaills anglais le souffriron t·
» ils? Ces hommes libres témoignent déja non-
» seulement lenr mécontentement, mais leut'
» rppllgnance a porter les armes contre leurs
» freres les Fran«;ais. Eh bien! nons volerons a
» leur secours; nous ferolls une tlescente dans
» leu!' ile; nons y jettcrons cinquante mille bon-
» nets de la liberté; Hons y plantcrons l'arbl'e
» sacré, et HOUS tendrolls les bras á nos freres
» les répnblicaills : ce gouverncment tyrannique
» sera bicntot détruit. »


Voili.t qni explique pourquoi l't'~lil.e de la na-
tion anglaise, comprenant les persollnes atta-
chécs an gouvernement, et tous les hommes
qui exer~aient clans l'état une influence par len!'
rang et lcm fOJ'tunc, avait COlH;l1, a tres-peu




, " D UN H01UlIfE D j'TAT. II3
d'exceptions pres, Ulle sorte d'horreur pour les
príncipes et les pratiques des républicains fran-
~ais. Les c1asses élevées de la nation devaient na-
turellement s'opposer a la propagatioll des prin-
cipes du nivellement démocratique dan s un pays
dont le régime social repose sur une aristocratie
organisée quí participe au gouvernement, et
meme qui le dirige.


Aussi les classes supéricures s'étaicnt- elles
montrées impatientes de voir cesser toute com-
munication entre les deux pays; redoutant
moíns les maux d'une guerre ouverte que les
machinations d'une poli tique insidiense, elles
espéraient d'ailleurs qu'une confédératioll gé-
nérale des principales puissances de l'Europe flní-
rait par triompher J'un gouvernement livré a la
frénésie et aux factions; 01', il serait Jifficile de
dire laquelle des deux nations mit plus d' cm-
pressement a précipiter la rupture.


D'un autre coté, depuis l' occupation de la Bel-
gique, il s'agissait aussi entre la France et l'An-
gleterre d'une question de puissance qlli faisait
de ce conflit non - selllement une guerre de
príncipes, mais une guerre politiqueo La ri-
valité des deux nations se ranimant avec un
surcrott d'animosité, les cOl1séqucnces d'ulle pa-
reille gnerre ue pOllyaicnt plus ctre calcnlées par
les sClllcs pré\'isiollS des hOllllllCS d'état. Enfin la


ll. 8




~rÉ~fOIRES
guerre s'offrait dan s l'intéret du ministerc anglais
fluí est la véritable autorité exécutive de la na-
tion : on devait meme s'attendrc qu'il en tirerait
un sUl'croit de prépondél'ance en Europe, en
achetant des ennemis a la France dans toutcs les
cours militaires, et pouvant s'assurel' par SI'S
subsides la direction et les fruÍts nl(~mc de la
guerreo Quancl Pitt vit la convclltíon n'en pas
craindre l'initiative, iI pl'eta l'oreille a ccux flui
regardaient la France, en proie a une l'évolu-
tion terrible, comme n'ayant ni finan ces , ni
armes, ni gouvernement, eL nlt~me pas d'al'-
mées régulieres. Il savait que ses forces navales
no consistaient qu'en soixante-six vaisseaux de
ligne, quatre -vingt- seize frégates et corvettes,
et que la marine franc;aise, par l'effet de 1'é:-
migration, était veuve de ses officiers. Au con-
traire, la marine d' Angleterre, forte de ccnt
cinqual1tc-hnit vaisseaux de ligne, de vingt-dcux
vaisseaux de 50, de cent yingt-cinq [régates et
de cent huit cuttel's, était an complet de ses oi-
ficiers et de ses éqnipas'es. La Hollande pouvait
aussi armer pour la cause cornnnme cent yais-
scallX dc guel'l'c de différcntes grandenrs. Ainsl
la supériorité navale était assurée a l' Anglc-
terre, seloll ]e vocu et la yolonté de la natíon.
ltctranchée dans son He et saisissant le sceptrc
des mcrs. elle aIlait devenir par la meme le pivot




n'lJN IIOM1I'1E D'ÉTAT. 115


d'une longne et éncrgique résistance, pentlant
Jaquelle, par l'influellce de ses armes et de sa po-
litique, elle susciterait dans les dellX mondes
plus d'uue catastrophe.


Cepenuant les circonstances graves qui ve-
naient de prélucler ida déclal'ation de gnerre, n'a-
vaient rien changé aux dispositions des négocia-
teurs de l-Iollande. Lord Auckland, dan s une
seconuc leUre auressée a Dumouriez, et qu'il
remit an ministre de France a La Haye, se féli-
citait d'avoir enfin rec;u de sa COllr l'autorisation
d'ouvrirlesconfércnces qui resterent fixées pour
le 10 [évriel- au M(x~Tdick. L'envoyé de France
s'ótant rcnda le 9 a Allvers, en toute hate, y
joignit DllIllouricz qui, le serrant dan s ses bras,
lui dit: ({ Vous avez fait un miracle; l'avellir le
» consacrcra; mais le préscllt le repousse. J'ai
» ordre de faire la gW;I'l'e. » DllmOul'iez em'oye
aussitot un courrier a 10rJ Auckland, et lui
mande qn'il n'est plus qucstion de négocier; ({u'a
la vérité la ch"daratioll de gucrre était un pen
brusqnc, mais que le millistere anglais y avait
donné lieu, en ne rendant pas deux vaisseaux
chargés de grains, arre tés dan s les ports d'An-
gleterre, et en chasS<1nt ignominieusement de
I~ondres et du royaume le ministre de France
(:hallycLin, au moment J'une négociation; enfin
en faisant puhlier par lni, lord AucklanJ, le




116 JIIJÍl\fOIRES
2 février, une note aux états-généraux, outra-
geante pom la ~ation fran<:;aise. Il y a erreur
dans cette derniere eitation de Dumouriez, telle
qu'illa présente dans ses mémoires. La note de
lord Aucldand, a laqueUe il faisait allusion, ne fut
publiée, eomme on le verra, que sous la date du
5 avril; a eette époque on était en pleinc guerrc,
et on ne ponvait done plus en faire l'objet d'un
grief. Du reste Pitt, sclon Dumouriez, n'avait
en vue, dans eette négoeiation ,..que de se don-
nel', ainsi qn'aux JIolJandais, le temps de se pré-
parer a la défensive. Ainsi il n'y aurait eu de
bonne foi de part ni d'autres, eomme il cst vi-
sible qu'il y a eu des torts et des proyoeations
des deux eatés.


Mais eette brnsqne décIaration de guerre dé-
eretée par la cOllvention, n'en donna pas moins
a la France, engagée dan s une négociation
avollée, un air de perfidie que les Anglais furent
en droit de lui l'eprocher avec une apparcnce
de fondement.


Le 11 février, un message du I'oi Georges
annon<;a la déclaration de gnerrc aux deux
ehambres : le roi ajontait qu'il eomptait sur leul'
assistance ponr résister a une attaque non {>l'O-
voquéc, et pODI' maintenir l'honneur de sa cou-
ronIle et les droits de son peuple.


Les millistrC's, clans les débats qni s'élcverent,




J)'rTN HOlUlIfE ))'ÉT A.T.


ne laissercnt pas sans r(~ponse les motifs allegués
par la France ponr jnstifier la rupture. (( Ce qui
)) reste a prouver aujouru'hui, dit lord Gren-
» ville a la ehambre des pairs, e'est qne l'agres-
» sion a en lieu du coté de la France, et qu'elle a
» été aussi brusque que destituée de motifs suf-
» fisans; 01', eette guerre de notre part est une
» guerre de justiee et de nécessité. La preuve de
» ce que j'avance est établie dans les papiers dé-
» posés sur le bureau. Il en résulte qu'an moment
» ou Bríssot fit son rapport, suivi du déeret pour
» uous déclarer la gnerre, la cour britannique
» s'était pretée a l'ouverture d'une négoeiation.
» Lord Auc1dand, ambassadeur a La Haye, ayant
» re<;u une proposítion du général Dumouríez,
» qui lui demandait une eonférence, dans la-
» quelle il espérait trouver les moyells de con-
» server la tranquillité entre les deux pays,
» cnvoya uaturellement cette proposition en
» Angleterl'c. Quoique les ministres du roi eus-
JJ sent le plus grand droit de se refuser a toute
» communication ultérieure, d'apres ce qui ve-
» nait de se passer avee M. de Chauvelin, a la
» suite de ses instances si déplacées pour etre
» reconnucommeambassadeurd'unerépublique,
» toutefois les ministres, ne voulant négliger au-
» cune occasion d'éviter les calamités de la guerre,
» envoyerent a lord Aucklalld des illstructions




118 MÉMOIRES
» pour accepter les propositions dll généraI Du-
» mouricz, et entrer avec lui en conférence.
)) Qll'est-ce que la chamhre pellse avoir été le ré-
» suItat de ces avances de la part des Franc;ais, ct
), de notre coté? Lc jour que le général Dumou-
» riez fit sa proposition, ce jonr-Ia meme un
») embargo fut mis sur tons les hátirncns anglais
» et hollandais dans les ports de Franee; et ce
» mcme conseil exécutif qui avait autorisé le gé-
) néral Dumouriez a porter des paroles de paix,
» lui envoya presque en meme temps les ordrcs
) de commencer les hosti]it('s. QuelJe preüve
» plus daire pent-on avoir qn'il n'y avait de la
» part de ce gouvernement aucun désir recl et
1J sincere de conserver la paix, et que tont l' en-
») semble de sa conduite a eu évidemment pour
» but de nons tromper, en nous faisant croire a
l) des dispositions pacifiques, dans le temps meme
» qu'il ordonnaít une invasion déja méditée? En
)) isolantmeme ce fait de tant d'autres circon-
» stances, quí prouvent qn'on répondaít a la
) loyauté avec laqnelle nons observiol'1s la neu-
) tralité, par desmanégcs ct des tentatives secrets
») dans la vue d'excitcr parmi nons des troubles
)) domestiques, an moment meme ou des desseins
)) révolutionnaires recevaient leur exécution sur
» le continent, je demanderai si le message du
) roi a tort d'appelcr l'agression frau.;;aise témé-




n'UN HOMl\lE n'ÉTAT. 119
» mire el non provoguée? 11 Y a plus, elle est
» peT:fide; cal' de nous attaqnel', de s'cmparcr de
» nos vaisseaux, de faire nos mal'ins prisonniers
II Icjoul'meme'lu'on nOlls[aisait proposer parun
» homme te! que le gÓllól'al DUl110Fl'iez, des con-
» fél'ences conciliatoires, n' estoce pas la de la tra-
» hisvlZ? n' estoce pas la de ]a p('lfidie? Illú~St au-
J) Clln l11embre de la chambre, j' en suis sú1', qui
II Hons voyant traités ainsi, ne sacrifiat volontiers
» ses biens et sa vie pour mailltenil' la dignité de
» la couronne et vengcr l'honnelll' de la nation.
» Je ne [ais meme allCllll doute que le pays entier
)l Ile se leve pour venir an scconrs de la patrie:
» atJcun Anglais digne de ce beau noro, qui ne
» SO!t pret a verser la derniel'e goutte de son sang
» pOut' une auss! be1le cause. )l


Le lendemaill Pitt elltretint aussi la chal11bl'e
des communcs de l'objct du message : il exposa
les circonstances qui depuis le renvoi de M. de
Chauvelin avaicnt précédé la déclaration de
guerl'e, et il examina également les divers motiís
allegués par la convention al'appui de cettedéda-
ration. Il fiuitpal'proposerllneadresse en réponse
au message de la couronne. Fox, cluns le débat
qui suivit, s'opposa fortement a ce que la cham~
bre énon<;at que les ministres n'avaient fourni
ni motifs ni pl'ovocation de gnerre, et il proposa
un ameudement qui fut rejeté. Faisant un del'nier




120 21IÉMOIRES


effort a la séance du 18 février, pour que son
systeme contraire a la guerre prévalut, iI insista
particulierement sur ce que les ministres n'a-
vaient pas communiqué explicit('ment a cenx de
France, dan s tont le COllrs de la négociation, les
conditions auxquelles i1s attachaient la conclu-
sion de la paix. « On lenr a déclaré, dit-il, qu'ils
» devaient se renfermer dans lenr propre terri-
» toire; mais comment le pouvaient-ils, attaqués
)J par dcux armé es , qui ne se retirerent dans les
» pays voisins de la France que ponr réparer lenrs
» pertes, et se préparer a une nouvelIe aUaque?»
Fox reprocha aux ministres le ton hautain qui
respirait, soit dans lenrs notes, soit dans leurs
discours an parlement, tout en blamant les in-
vectives pen mesurées que s' étaient permis contre
la nation anglaise, des membres de la convention;
mais il n'en était pas moins vrai, ajouta-t-il, que
dans le temps meme que les ministres traitaient
avec le gouvernement fran<:,ais, ils envenimaient
la plaie par la dureté de leurs réponses ministé·
rielles et de leur langage parlementaire. (e Enfin,
» dit-il, les ministres alleguent pour motif justi-
» ficatif de la gnerre, l'esprit nsurpateur des
» Fran<;ais et leur systeme de se soumettre tous
» les peuples voisins, sons prétextc de leur don-
» Iler la liberté; mais n'est-on pas en droit de
» taxer les ministres ellX-n1(~mcs d'une indiffe-




12.1


» rence coupable a l'égard de la Pologne?» Et a
cette occasion, Fox esquissa avec des traits frap-
pans la conduite des puissances envers une na-
tion qui n'avait eu d'autres torts a leur égard que
d'avoir voulu assurer son indépendance, et se
donner, san s leur participation, par une révolu-
tion paisible, douce, et scelée du sceau de l'ap-
probation nationale, une constitution a laquelle
tous les vrais amis d'une sage liberté en Enrope
avaient applaudi. Fox n'épargna nH~me pas la sou-
veraine du norel qui, deux années auparavant,
avait vouIn placer son buste a coté de celui de
Démosthene, ponr avoir empeché, par sa forte
opposition, que l' Angleterre n'intervint a main
armée clans ses différends avec la Porte. Il parla
avec encore moins de ménagemens des procédés
du roi de Prusse, qui, apres avoir encouragé les
Polonais a se rendre indépenelans de la Russie,
faisait occuper militairement une partie ele leur
pays pour avoir suivi ses conseils. Il termina un
eliscours pIcin de fen et de vivacité, par proposer
une suite de résolutions ayant pour objet de dé-
clarer que la gu~rre avec la France, d'apres les
motifs allegués, n'était compatible ni avec l'hon-
neur, ni avec l'intéret de l' Angleterre; que les
ministres, dan s lenr derniere nógociation avec
le gonvernement fran~ais, n'avaient pas em-
pIoyé les moyens cOllvenables pour obtenir




122 lIrÉMOIRES


un redressement a l'amiable des griefs dont ils se
plaigllaient, et qu'il était de lenr devoir de con-
seiller au roí de ne pas prendre d'engag'emens
qui pourraient empeeher une paix separée.


Bur}¡e fut le premier a s'y opposer. Il COl11-
men(,;a par félieiter son aneien ami sur ce qu'il se
répétait, sans néanmoins causer aucull ennui
a ses auditeurs : on pouvait dire de ses haran-
gues, quoique toujours sur le ~me sujet et
l'enfermant les memes argumens, decies repe.
titer placebit. A la vérité, y trouvait - 011 trop
souvent une ressemblallce merveilleuse avec
les discours de certains membres de la conven-
tion frau(,;aioo. Burke, dé~ignant avcc ironie
Brissot et Condorcet, en prit occasion de s' é-
lever contre les liaisons de certains orateurs du
parlement ave e ces personnages, liaisons dont
ils s'étaient glorifiés. n s'attacha spécialement
a réfuter la partie du discours de Fox, conO;
cernant la Pologne. Il n'excusa ni ne justifia les
procédé~ qu'ul1e politique peu honorable tenait
a I'égard des malheureux Polonais : il fallait en
convenil', (lit-il, les nations devaient etre justes,
mais les nations ne devaient pas se meler de faire
réparer toutcs les injustices. La question était
done uniquement de savoir si l' Angleterre avait
intéret de faire réparer les injustices commises
envers la Pologne? Si cet intéret était le meme




n'mr HOl\lME D'ÉTAT.
que cclui de réprímcr les injustices des Fran\,aís,
et de se meUre en garde contrc leurs projcts de
révoltc et de trouhle? Quant a la premit~re ques-
tioÍ1, jamais l'Angleterre ne s'était melée ni n'a-
vait cru devoir se meler des affaires de la Polo-
gne. Stanislas avait été autrefois mis sur le treme
par Charles XII; la Russie l'avait chassé; elle
anít mis Auguste a sa place, et les Anglaís
étaient restés tranquilles spectateurs de ces
événemens. Les ínjustices de la France, selon
Burke, étaient cJ'ulle autre nature : elles tcn~
daient el envabir non-seulcment tous les pays
voisins, mais encorca renverser tous les gouver-
nemens de l'Europe. Un membre de la conven-
tion nationale n'avait-il pas dit en pleinc assem-
blée, et ne l'avait-on pas imprimé, :« que non-
» seulement les ministres de Georges IlI, mais
» Georges nI luí-meme dcvait por ter sa tete sur
» I'échafaud?» Ce langage était peu extraordi..,
naÍt'e en France .... ,


Tous ces débats fnrent tres-animés; les prin.
cipau-x orateurs de part et d'antre y intervin-
rent, et jamais opposition au parlement ne fut
plus vivement soutenue : elle succomba néan-
moins devant une majorité qui imprima auxhos-
tilités le ~aractere d'une guerre llationaJe , selon
le vreu de la cour, des grands et dés ministres.


Des ce moment se manifesta la poli tique du




JlrÉl\WIRES


cabinct anglais an dehors, non-senlement par sa
prompte coopération ponr la défense des Pro-
"inees-Unies, par les efforts de ses ambassadeurs
a resserrer le nceud de la eoalition récemment re-
lachée entre la Prusse et l'Autriche, mais eneore
par son traité d'alliance avec l'impératriee de
Russie, et par les subsides aceordés au souverain
d'Italie, réputé le gardien des Alpes.


Elle avait été profonde, l'impression qu'avait
faite a la conr de Catherine II, la nouvelle des
premiers triomphes militaires remportés par la
révolution franc:;aise, et de la mise en jugement
de Louis. A peine a-t-on rec,;u l'avis, a Saint-
Pétersbonrg, de la catastrophe du 21 janvier,
que l'impératrice, rompant le traité de commerce
de 1786, par lequel les Franc,;ais étaient traités
dans son empire a l'instar des nations les plus fa-
vorisées, défend toutc relation entre la Russie
et la France. En meme temps elle ordonne a tons
les Franc:;ais de sortir de ses états dans le délai de
trois semaines, a moins qn'ils n'abjurent formel-
lement les principes de la révolntion, et ne re-
noncent, dans leur patrie, a toute correspon-
dance et toute liaison avec leurs amis et leurs
familles. La czarine fait meme publier officielle-
ment ql~e sa grande fIotte, portant quarante
mille hommes, se réunira au printemps aux
flottes d' Angletcrre.




n'UN HOl\fME n'ÉTAT. u5
Nulle tete eouronnée n'avait annoncé avee


plus d' énergie le dessein de faire la guerre a
la Franee des l' origine de ses troubles. En se
réconciliant, en 1790, avee Gustave In, roi
de Suede, Catherine s'était flattée de lui pro-
curer l'honneur et la gloire d' opérer la eontre-
révolution. Immédiatement apres la paix de
Jassy elle avait parlé d'envoyer une armée sur
le Rhin, quoiqu'elle n'eut alors d'autre idée
que d'engager l'Autriehe et la Prusse dans eette
guerre soeiale dont elle espérait recueillir tons
les fruits. Ses armées se tenaiellt pour ainsi dire
en masse derriere les armées allemandes. Atten-
tive a leurs entreprises, et aíguillonnant sans
eesse les deux cabinets de Vienne et de Berlín,
elle paraissait en qnelque sor te a la tete d'un corps
immense dont l'Autriche et la Prusse n'étaiellt
réellement que les bras. Si Cathcrine tenait a la
fois les yeux attaehés snr les deux révollltions
de Pologne et de France, qu'elle eonfondait dan s
unanatheme commun, c'était contre la Pologne,
qu' elle eonvoitait eomme une proie facile, qu' elle
s'était réservé d'agir de concert avec la Prusse.
eomment l'efferveseence polonaise qui allait
toujours croissant, en dépit des bataillons russes,
n'aurait-elle pas été taxée alors de jacobinismc
par la stupeur des cabinets?


L'entréc des troupes prussiennes en Pologllc




12.6 l\IÉMOIRES


fut accompagnée d'une uéclaration de Frédéric-
Guillaume, en date du 16 janvier 1793; elle
commenc;ait ainsi :


(e Il est cOllnu de toute fEurope que la révolu-
» tion arrivée en Pologue, le 3 mai 1791 , a l'iusu
» et sans la pal'ticipation des puissances amies et
» voisines de la république, n'a pas tardé d'exci-
» ter le mécontentemellt et J'opposition el'une
)1 grande partic de la nation .... )) Le roi, apres ce
préambule, faisait l'éuumél'ation des motifs qui
avaient porté l'impératrice de Hussie ~l faire cn-
trer ses armées en Pologne, et de cellX qui le
déterminaient lui-meme a suivre son exemple.
Il s'agissait d'arreter, dans la vue uu bien-e,tre de
la nation polonaise, les progres de I'esprit dé-
mocratiquc de France, qlli s' était introdnit en
Pologne; d'empecher les clubs révolutionnaires
de s'y former, et de réprimer les malveillans qni
v fomentaient les troubles et l'insllrrection. Fré-
.,


déric-Guillaume, en faisant entre!' su!' le terri-
toire de la républiqüe, notamment dans pln-
sieurs districts de la Grande-Polognc, un corps
de troupes dont le commandement en chef était
confié a son général d'infanterie de l\Iollendorf,
avait ponr hut principal, d'aprcs sa déclaration,
de convrir ses provinces limitrophes, d'empecher
la contagion moralc d'y pénétrer, de rétablir, de
maintenil' l' ordre et le repos publies en Pologne,




n'UN IIOJUME n'ÉTAT.


et d'assurer anx habitans bien intentionnés une
protection efficacc. Sa déclaration finissait ainsi:
( Le roí aime a se llatter qu'avec des dispositions
») aussi pacifiques, iI pourra compter sur la bonne
») volouté d'une nation dont le bien-etre ne san-
}} rait lui etre indifférent, et a laquelle il désire
» donner des preuves de son affection et de sa
) hienveillance. 11


J\1ais ce Iangage de la dipIomatie n~ pOllvait
colorer les intentions réelles du cabinet. En don-
nant l'ordre au génél'aJ Raumer de former le bIa-
cus de la ville Je Dantzic1" le roi fit paraitrc une
secande déclaration sous la date du 24 février,
et que rcndaicnt d'autant plus rcmarqllable les
deux paragraphes suivans :


« Lesmemes raisons qui ont engagé S. M. prus-
» sienne a faire entrer un corps de troupes dan s
» quelqucs districts de la Grande-Pologne, la
» mettent aujourd'hui dans la néeessité de s'as-
» surer de la ville et du territoire de Dant-
» zick. »


« Sans parler des intentions peu amicales que
») eeUe ville, depuis une longue suite d'années,
») n'a cessé de m:mifester envers la monarchie
» prussienne, on se contentera d'observer que
» e'est dans le sein de eeUe meme vilIe que s'est
) formée eeUe odieuse, et eruelle séquelle qni,
» marchant de crime en crime, cherche aüjonr-




lIÉl\'lOIRES


» d'hui , a l'aide de ses abominables adhérens, a
» se répandre de toutes parts .... »


C'estainsi que laczarine d'une part, etFrédéric-
Guillaume de l'autre, dominaient militairement
en Pologne an commencement de 1793, les
Russes aV arsovie et les Prussiens dans la Grande-
Pologne et aux portes de Dantzick. Qu'on ajoute
au développement des forces de ces deux puís-
sances, le renversement total de la constitution
du 3 mai, et on yerra qu'on était alors fondé a
croire entierement comprimée ou étouffée cette
révolution, réputée la sa::ur cadette de celle de
France.


On était loin d'thre si avancé a l'égard de cette
derniere. Frappés de ses progres rapides, qui
semblaient menacer toote8 les puissances, les
cabinets de Pétersbourg et de Londres, apres
tant de froideurs et de mécontentemens mutuels,
mirent en oubli leurs anciens différends, pour
conjurer l'orage en associant les intérets de lenr
ambition aux projets de leur politiqueo Ils avaient
réciproquement en vue ele préparer la ruine de
cette meme révolution, contre Iaquelle les deux
graneles monarchies allemandes ne comLattaient
qu'avec eles vues trop vagues, des projets inco-
hérens et des moyens incomplets. Une ligue an-
glo-russe pouvait seule offl'ir des desseins plus
systématiqucs et des efforts plus cfficaccs. 011




, " D UN HO~Il\fE·D ETAT.


s'en était sérieusement entretenu dans les com-
mUllications diplomatiques récentes qui venaient
de rapprocher les deux conrs. La suspension du
commerce franc;ais, en Rnssie, ayant été le pre-
miel' sacrifi_ffert par Catherine 11 a l'avidité du
cabinct de Saint-James, des ce moment le com-
merce anglais put se flatter d'y retrouver la favenr
et les privilégcs auxquels les vues poli tiques des
czars l'avaient jadis accoutumé. Catherine parut
également disposée a sacrifier les droits des nen-


ó tres, a reffet d'interdirc tonte espcce de négoce
avec la France, soit pour en accélérer la ruine
au profit de l'Angleterre, soit pour mettre la
France hors des relations européennes. Mais en
formant ce nouveau nreud avec l' Angleterre,
Catherine avait aussi d'autres vues moins appa-
rentes et d'une ambition adroitemcnt calculée.


Se h:ltant de transmcttre ses instructions par-
ticulieres au comte de Woronzoff, son ministre
a Londres, elle l'autorise a négocier directement
avec lord GrenviUc, secrétaire d'état, un doublc
traité dont l'un se rapportait au commerce, et
l'autre au concert des deux 'puissances qui vou-
laíent opposer une barriere aux principes et aux
entreprises de la révoll1tion. Les deux ministres
sont bientot d'accord sur les bases des deux
tl'aités dont la cor61ation, qllant aux conséquen-
ces politiqllfs, va se révélcnlalls les stiplllations


JI. 9




lIrÉlIIOlRES


récipl'oquement consenties. Le projet relatif au
traité de commerce passa le premier. L'ar-
ticle 4 cachait un sens profond : il était dirigé
contre le commerce des neutres, le cabinet de
Londres, dont les flottes couvraillt les mers,
prévoyant que la convention de France renon-
cerait t6t ou tard a son systeme prohibitif, et
consentirait a laisser participer les neutres au
commerce de ses colonies. 01', les deux puissances
s' engageaient non-seulement a fermer leurs ports
au commerce fran(;;ais, mais encore a 'unir tous .
leurs efforts pour empecher d'autres puissances
non impliquées dans eette guerre, a donner une
protection quelconque au eommerce ou a la pro-
priété des Fran«;;ais, en mor ou dans les ports ,
soit directement, soit indirectement, en con sé-
quence de leur neutralité.


Sous le point de vue poli tique , les deux pUlS-
sanees, serrunt encore plus leur nouveau líen,
promettaient de s'assister réciproquement dan s
la guerre actuelle, afin de garantir désormais la
tranquillité el la sureté de l'Europe; elles s'en-
gageaient en outre a ne désarmer qu'apres leur
consentement mutuel, et apres uvoir obtenu la
restitution de tontes les conquetes que pourrait
faire la France sur l'une ou l'autre des deux par-
ties contractalltes~ ou. sur telle autre puissance
amie ou. alliée.




n'UN HOJUlIIE n'ÉTAT.


Ces deux traités ne furent conclus et signés
que le 25 mars, et bientOt la czarine qui pa1'ais-
sait si animé e cont1'e les Franc;ais, abandonna
aux Anglais et aux Hollandais le soin de les com-
battre; elle profita de l' embarras que la guerre
suscitait a ces deux puissances et a l'Autriche,
pour effectuer, san s avoir ríen a craindre de
leur part, ses projets contre la Pologne, qu'elle
présentait aux divers cabinets comme un autre
foyer de révolution, qu'il fallait se hater d'é-
touffer.


Ainsi tout le poids de la guerre faite a la révo-
'lution, Sur le continellt, aUait encore tomber
en partage a l' Autriche et a la Prusse, qui tou-
tefois changerent de role. L'Autriche pressée
par l'Angleterre de l'éconquérir les Pays-Bas,
considérant la nouvelle position de la Prusse,
qui semblait vouloir s'attacher plus particu-
lierement a préservcr l' Allemagne, devint, mi-
litairement parlant, puissance principale, et se
chargea de la conduite de la guerl'e offensive;
elle promit de [aire des effort:; proportionnés a
l'intéret majcur qu'elle avait a la soutenir. On
convint que les forces des deux puissances agí-
raient séparément et sous leurs p1'op1'es chefs:
cecí, en excluant le grand principe d'unité, qui
seul aurait pu imprimer aux opérations une
marche l'upide et sure, allait fairegermcr de nou-




1I1Él\fOJRES


velles semences de désaccord et de dissension. Il
fnt tlussi question d'éluder la formation d'une
armée d'empire, en distribuunt les contingens
des différens étuts germaniques, soit dans l'armée
untrichiennc, soit dans l'armée du roí de Prusse.
La con!' de Berlín en fit elle-meme la proposition
a la conr de Vienne. Dans ce nouveau plan, il ne
devait y avoir que deux armées principales, l'une
autrichienne, l'autre prussienne, partagées en
plusieurs corps, selon les occurrences. A l'armée
prussienne se joindraicnt les trollpes saxonnes,
hanovriennes et hessoises; aux forces de l' empe-
reur se réuniraicnt les contingens de l'électeur
palatin de naviere, du duc de Wurtemberg,
ainsi que des autros princes ou états des cerdes
de Souabe et de Franconie. Par la on évitait la
formation d'nne armée d'empire, masse incohé-
rente, qui n'avait jamais rempli l' oojet de sa
destination ni l'attellte de I'Allemagne, et dont
la Ilnllité n'avait été que trop prouvée dans la
guerre de sept al1s. On évitait surtont l'inconvé-
nient de la nomIllation d'un commandant en
chef des force s de l'empire.


Ce projet ne rencontra aucnne difficulté de la
part de la chancellerie d'état de Vienne; mais il
ne fut pas accueilli dan s la chancellerie auli-
que de I'Empii'e. L'incorporation des contin-
gens dan s les armé es autrichicllues et prU5sicn ¡




D'UN HOl\Il\IE n'ÉTAT. 133
nes, y fut l'cgardée eomme pen conforme a ran-
cien usage et a la digllité un corps germanique.
Les princes d'Allclllagne s'alarrncrcnt en voyallt
I'Empil'c forcé, pour ainsi dire, de se plie!' au
joug militaire de deux 1l1onarclücs pnissalltes,
qui semblaicnt s'arroger le aroit ele disposel' a
leur gré des force s communes et de s'en parta-
gel' l'emploi.


Mais le plan de la Prnsse ayant prévalu en
partie, Yunité d'action qu'on n'avait ras su diriger
dans l'intéret généraI, fut rampue san s retour,
el entraina succcssi"ement tous les malhcurs de
I'Allemagllc dans cettc ere nouvellc.


Toutcfois l' empereur s'était chargé de stimlller
le úle patriotiquc des cerdes : il leur adressa
des circulaircs pl'cssantcs, patlr les exhorter a
la plus prompte prestatian de IeUl's engagemens
et devairs envers I'Empil'e; il insista sur les obli-
gatiolls q u'ils avaienl contl'aclécs par le traité
d'alliance et de garantie mutuelle, san s aucune
exception ni restriction, clans l'intéret d'un pré-
tendll 8)'slhne de neutralité. En cffet, c'était a
l'ombre de ce systeme que dif{i'~rens princes et
étals, qlli rcdolltaicnt presque antant les vues
ultél'ieures de l'AuLl'iche et de la Prusse que les
cntreprises de la revolntion, se flattaient d'é-
chapper a la participation direcLe d'une guerre
dont les conséquences paraissaient de nature a




:'!\nhroIRES


eomproinettre leur sÍLreté et leur aVénir. D'ail~
leurs, eomme dans toutes les guerres, ce n'était
que par des sucd~s décisifs qu'on ponrl'ait dé~
terminer ce concours, cet entrainement général,
qui d'ordinaire accompagne la victoire. Malheu-
reusement ponr la coalition, les conseils de r em-
perenr n'offraicnt pas un seul ministre capable
de former un plan politique dant la conduite
de la guerre St partie. Et paurtant l'empereur,
sallicité par les états de Brabant, de venir a leur
secours, et stimulé par l'Angleterre, jugea qu'il
devait répondre sans délai a ce clouble appel. Il
était redevable des dispositions favorables des
Belges a la constance et a l'énergie dn général
Clairfayt, qui, apres lahataille de Jemappes, avait
effectué avec lenteur et hahileté une retraite
difficile devant une armée quatre fois plus nom~
brense, et qui s'avanc;;ait comme un torrent·
Clairfayt avait mis a profit tout l'art de la guerre,
pour ,opposer des obstacles a Dumouriez, en
prenant des positions favorables, ponr le décon-
certer par de fausses manreuvres, afin d'assurer
aux débris d'une armée ruinée, ses quartiers
d'hiver sur la rive gauche du Rhin. D'ahord iI
s'était retiré a propas dcrriere l'Herfte, puis iI
était al'rivé a Berghcm, a soixante lienes du paillt
d'oú 11 était parti, et il y était arrivé ave e vingt
mille hOUlmcs, sans que Dml1ouricz, quí le




, " D UN II01lJIIrE D ETA.T.


poursuivait et qui pouvait disposer de cent mille
soldats, ait pn l'entamer OH le détourner du hut
qu'il vonlait atteindre. l\Iais aussi c'était au mo-
ment oú le eonseil exéentif, ne ponvant diriger
les armées frall(;aises, é tait forcé .de laisser agir
des généraux envieux les uns des antres, en état
permanent de rivalité, se genant et se contra-
riant dans leurs opérations; cal' si la eonvention
se défiait des ministres, les ministres se défiaient
des généraux.


A Berghcm, Clairf.1yt ne s'était tronvé sé paré
de la nombreuse armée de Dumouriez que par la
petite rivú~re de la Roer, et par Juliers, tres-mé-
dioere fortercsse. Mais eette légere barriere n'a-
vait pas été fl'anchie, tant le général autriehien
en avait imposé anx troupes de Dumouriez, pen-
elant une retraite de SoiX:lllte licues. La constanee
de Clairfayt a tcnir sa position avec une armée
désorganisée, manquant de tont, et frappée de
la rapidité de la conqLH~te de la Belgique; son ha-
bileté a leur rendre l' ensemble et la discipline
qu'elles avaient perdus dans une si longue re-
traite, préparerent les succes qu'un antre général
ne lní aurait pas ravis, si le commandement en
chef eut été clonné au talent et au mérite, et non
a la favenr des cours. Il n'était pas el'ailleurc aisé
de trouver dans les armées ele l'Autriche un gé-
néral en état de eombiner de grandes opérations




136 JlIÉl\IOIRES
stratégiqucs, et d'en assnret l'exécution. Le choix
de la conr de Vienne tomba sur le prince de
Saxe-Cobourg, issu d'uue maison alliée il quel-
ques-unes des grandes dynasties de rEmope.
Ce choix ll'était pas heurenx. Déjil feld-maré-
chal, le prince de Cobourg avait fait ses pre-
mieres armes avec queIque distinction dans
la guerre de sept ans; et depnis, iI n' avait
commandé en chef que dans les dernieres cam-
pagne des impériaux contre les Turcs. Sa répu-
tatíon ne s'était meme établie que sur queIques
faits d'armes van tés outre mesure, et restés im-
perceptibles pour l'hist~ire. A la vérité iI avait
partagé avec Suwarow , génie émillemmellt guer-
riel', l'honlleur des victoires de F oczani et de
Rimnisk, sans que néanmoins iI fút capable de
profiter de tols exemples. Il appartenait plutot
comme tacticien a l'école retrécie et abatat'die
des Lascy et des Landoll, devenus, dans ces
derniers temps, les orades d'un conseil aulique
incapable de discerner ou d'apprécier le véri-
table géllie militaire. Le prince de Cobonrg, ill-
férieur, en outre, au due de Brunswick sons le
rapport de la théorie de l'art, n'avaiten politique
ni plus de caractere, ni une plus forte dose d'é-
nergie; en un mot, il n'était doué d'aucunc des
qualités propres a jouer avec succes le róle écla-
tant auquell'empereur venait de l'appelel' sur le




thé.1tre de eolto gnel'l'e sociale; et pOtlrtaht la
fortullo, dans ce Ilouvcan début, allait répandre
sur lui ses favcurs a pleines mains.


Dumourioz n'ayant pn ponsser jusqu'á CoJo-
gne, et force1' Clairfayt á repasser le Rhin, n'a-
vait conservé pondant tout l'hiver que la ligne
de la Roer et de la MOl/se, quoiqu'il eút réunie
a son armée l'armée Jes Ardennes, eommandée
par le général Valence. D'un autrc coté, ',de
nouvclles troupes arrivaient eontinucllemcnt
el' Allemagne pour renforcer l' armée autrichienne,
a ]aquelle elairfayt, pendant l'inaction des Fran-
~ajs, avait rendu le cOllrage et la eonfiance. Tont á
coup Dumouriez mit un terme a eette inactioll,
par son invasion sur le territoire des Provinc'es-
Unies, aussi brusqne pour le moins que la dé-
claration de guel'l'e an gouvernemellt anglais.


La coalition n'avait done pas de temps a per-
tIre, si ello voubit prondre l'offensive. Le prinee
de Cohourg vint en touto ha te , a Francfort,
combiner avec le due de Brunswiek un plan d'o-
pérations pour les armécs alliées. Qu'on observc
qne le gélléral on ehef dos armées impérialos
allait entrer en eampaglle avee cent donze mille
hommes. A la suite de quelques entretiens eOll-
fidentic1s, les deux généranx en chef arreterent,
le 14 février, les bases d'un plan eommun. Il
eonsistait a repousscr les Frallc;ais sur la rive




'133 MÉMOIRES
gauche de la Meuse 'pour dégagcr l'importante
place de Maestricht, et l' opération terminée, a
prendre pos1tion derrü~re la Meuse meme; la on
devait rester stationnaire et ajonrnerladélivrance
de la Belgiql1e jusqn'a la prise de Mayence. Le dnc
de Brunswick insista singulierementaupres da roi
de Prasse, présent a la derniere conférence, sur le
danger qu'il y aurait a dépasser Liége aussi long-
temps que Mayence serait aH pouvoir des Fran-
<{ais. Ce plan pusillanime, qui eút anéanti l'offen-
sive en réduisant a quatre armécs d'observation
les forces des alliés, ne pouvait etrc propasé et
adopté que par deux génies étroits, ennemis de
la guerre a outrance, la seulc qui, en révolution,
condnise a des résultats. On pouvait regarder ce
plan comme le second tome de celni que le dnc
de Brunswick avait fait prévaloir dans sa guerre
de parade et d'intrigues sourdes en Champagne.
Ce plan, du reste, cachait des intentions politi-
ques : il eút paralysé les forces de l'Autriche en
renvoyant la délivrance de la Belgiqae a la prise
éventuelle de Mayence. Rien n'était plus con-
forme aux vues de Dumouriez, qui avant d'i'tre
forcé d'attaqucr la HoUande, avait projeté de
disposer lni-meme de la Belgique, et. de traiter
avec l' Angleterre .. N ni doute que le duc de Bruns-
wick , DumOll riez, et meme le prince de Cobourg
ne fussent moralement disposés a s'cntendre sur




D'rm JIO::lfllIE n'ÉTAT. 139
le~ conséquences poIitiques de celtc guerre
compliqué e : les faits l'établissent san s qu'on ait
besoin de recoul'ir anx conjfó'ctures. Cependant
ici la force des cItoses l'emporta d'abord, et des
l'ouverture de la campagne, le plan de Francfort
fut abandonné; mais l'esprit dan s Iequel iI était
con<;u finit par prévaIoir soit dan s les conseils
soít dans les camps de la coalition.


Le général Clairfayt avait tout préparé, a Ber-
ghem, dans un sen s coutraire aux conférences
de Francfort. Instruít des désordres et de la dés-
union des chefs de l'armée fran(,'aise sur la Hoer
etsur la :Meuse, et de la mauvaise disposition des
lroupes, iI avait médité dan s le silence un retonr
brillant de fortllne, par une prompte el vigou-
rense offensive. Il en avait drfó'ssé tous les plans,
de sorte que le prince de Cobourg, arrivant a
Bcrghem le le. mars, trollvant son armée réu-
nie, tous les généraux impatiens de combattre,
le frere de l'empercnr, le prince Charles, égale-
ment impatient de s'élancl'r clan s la carriere des
armes, qn'il devait tant illustl'er depnis, donna
son approbation aux dispositions du généraJ
Clairfayt, et ordonna l'auaque.


Ce meme jour, le< mars, la Roer est franchie:
trois redoutes sou\ forcées a Aldenhovcn, et les
Autrichiells pénetrent, sans rencontrer d'obsta-
des, dans les quartiers des Frall(;ais, qui se re-




luÉl\romÉs
plien!: sur Liége, clans la plus grande confusion
et sans combats.


Dumouricz absent, ses licntenans Miranda et
Valencc pcrdent la tete. Le premier, qui for-
mait le siége de Maestricht, le leve aussitot, et
prelld sur lui d'abandonner la l\1euse. Le prince
de Cobourg entre triompbant dans Maestricht,
des le troisieme jour. L'impulsion était donnée :
les impérianx snivent leur victoire, passent la
Meuse, enlrenL dans IJiége, oú ils s'emparent
des magasins que les Fraw:ais commenc;:aient
a rassembler.


CeUe retraite subite Iaissait en possession de
la Rasse-Mense le corps auxiliaire prussien, ac-
couru a la défense des Provinces-Unies, sons les
ordres uu prince Frédéric de 13runswick. Il pou-
vait traverser la Campine, et venir tomber par
Anvers et 13ois-le-Dllc, snr les derrieres de l'ar-
mée qui opérait en Hollande avec Dumouriez;
mais le prince perd d'abord un temps précieux,
et permet ainsi a son adversaire de mettre eeUe
partie du pays a couvert.


D'un autre coté, la marine hollandaise s'é-
tant renforcée, les Prussiens s'avancent alors
par Bois-le-Duc, de 50rte que Dumouriez est
bientót obligé de baure en retraitc sur Anvers.
Ainsi se termine son cntrcprise sur la Hollande ,
au grand détriment des transfuges, dont i1 avait




, " D UN nOJlUfE D E'l'AT.


déjit formé un comité directeur, ponr le succes
d'une entreprise qui peut-etre aurait réussi san s
la déroute d' Aix-la-Chapelle.


A la nouvelle des pt'ogres de l'armée autri~
chienne, Dumouriez accourtdes rivages du Mo::r-
dickauxrivesdelaN ette, et ramassant sur sa route
les garnisolls de tontes les villes, il arrive dans les
plaínes de Nerwinde ponr arreter l'ennemi et lui
arracher la victoire. Une bataille gagnéc pouvait
rétablir ses affaires, et le prince de CObOurgll' osait
pas en ten ter llli-meme I'événement. J"e prince se
laisse attaqner' dalls ses positions, don t le pla-
tean dn village de N enviude était la def. Le~ deux
armées s'étendaient sur un front de plus de deux
lieues. La bataille s' eugagea le 18 mars, et l'ac-
tíon dura dans toute sa force depuis sept henres
du matin jnsqu'a Cillq tlu soir; aussi fut-elle vi-
vement dísputéc. Mais qnand Miranda, qui
commandait l'aile gauche de Dumouriez, cédant
a une terrenr panique de ses troupes, orJonna,
de son chef, la rctraitc qui devint une déroute,
tout fut pertILl. Clairfayt décida ensuite la vic-
toire, en faisant donner la cavalel'Íe autrichienne
de réserve; elle pénétra dalls le centre de l'ar-
mée fran(¡aise, et le traversa en tont sens; le dés-
on1re y fut alors sans remede. Toutefoís l'armée
llattue se retira avcc asscz ele tranqllillité. Mais a
Tírlemont, DllmOlll'icz YOUlallt tenir, dans 1'es-




1IlÉlIIOIRES


poir d'y rallier ses troupes, fut défait de nouveau
par Clairfayt, et son opiniatreté rendit encore
Clairfayt vainqueur a Louvain, ou Dumouriez
essaya inutilementde se maintenir, dans la crainte
d'etre coupé de Malincs et de Bruxclles. Ainsi la
Belgique, perdue quatre mois auparavant dalls
une seule bataille, était reconvrée de meme.


lci Dumouriez se voyant dans une sitllation
désespérée, demasqua son plan de défection,
et ce plan ~tait tellement hardi, quil n'aurait
guere pu réussir que S011S la main d'un général
victorieux. Las de lutter contre l'anarchie qui
dévoooit la Franee, en butte aux défianccs de la
convention, qui, du sein des orages, s'efforc;ait
d'organíser un nouveau pouvoir, Dumonriez as~
pirant a la dictature, crut la saisir an milieu de
ses revers par un re tour subit a la monarchie
constitutionnelle. Il avait pour lui dans l'armée
les troupes de ligue, et dans la nation une
récente et grande renommée qui semblait
se soutenir encore. Mais déja répudié dans la .
convention par les girondins et les monta~
gnards, iln'y trouvait d'appui que dans un troi-
sieme parti, le plus faible de tous, le parti d'Or~
léans, qui, se couvrant d'un masque emprunté,
n'avait el'influence dans l'état que par des moyens
de corruption et d'intrigues. La connivence ele
Dumouriez avec ce parti douna líeu de pré-




n'UN nOllIlIIE n'ÉTAT.


j ugerque e' était dan s la personne du jeune duc de
Chartres qu'il avait en vue de rétaLlir la royauté.
Le duc, qui combattait alors dans les rangs de
son armée, se distinguait non-sculement par
sa valeur, mais encore par des principes d'une
moralité solide, qui contrastaient avec l'af-
freuse célébrité du prince dont iI tenait le jour.
Pressé par la gravité des événemcns, Dumou-
ricz en vicnt a brusquer sa défection. C'est a
Paris qu'il veut marcher avec son armé e pour y
dissoudre la eonvention, el rétablir la monar-
chie, aprcs avoir arreté les alliés sur les fl'on-
tieres, en leur imposant une neutralité offi-
ciense. Par la, il se flatte de soustraire la France
a l'anarchie, et de la sauver d'un démembrement.
Lors meme qu'il ne pent plus compter sur l'al-
liance de la victoire pour l' exécution de ses des-
seins, iI n'cntcnd pas du tout les abandonner.


Le lendemain meme dn combat de Louvain,
le 21 mars, pendant le désordre de la retraite, il
envoie au quartier-général du prince de Cobourg
le colonel MOlltjoie, en apparence chargé de trai·
ter de l' échange des prisonnicrs, mais au fond por-
teur d'ouvertures importantes. La,.il s'abouche
avec le colonel Mack, chef de l'état-major de l'ar-
mée impériale, que le conseil aulique, sur sa ré-
putation d'habile tacticien, avait donné pour
mentor au princc de Cobourg, et qui, dans cette




nrÉlIwmES
campagne, commen~ait sous d'heureux auspices
une célébrité qui, plus tard, s'évanouit dans des
revers déplorables. L'envoyé de Dumouriez lui
représente cambien il seraitavantageuxauxdeux
armées de convenir d'une suspension d'armcs, et
n'oubliant rien pour le persuader, dissimule le
désordre de la retraite, et exagere les ressources
de son général. Le colonel Maek promet d'entre-
tenir de ceHe ouverture le prince de Cobourg'.


IJe lendemaín 22,' Dumouriez, apres avoir de
nouveau réfléehi sur la position et les dan-
gers de son armée, renvoie le colonel Montjoie
inviter le colone! Mack a venir s'aboucher avec
luí, au sujet de la proposition qu'il luí a faite.
Mack arrive le soir meme dans une maison
isolée situé e sur la ~Iontagne de fer pres Lou-
vain. La il trouve Dnmouriez, qui s'ouvrant
en peu de mots, sans toutefois lui faire con-
naitre toute l'étendue de ses projets, l'amene
a consentir a une premiere convention sur
les trois bases suivantes : ID Que les impé-
riaux ne feront plus de grandes attaques, et que
Dllmouriez, de son coté, ne cherchera point a
livrer bataille; 2° qu'en vertu de cet armistice
tacite, les FI'an<,:ais se retireront sur Bruxelles,
lentemcnt, en bon ordre et sans etre inquiétés ;
30 qu'apres l'évacuation de Bruxellcs on s'abou-
chcra dc nouvcau pour convenir des úlits ulté-




, " D UN HOM)lE D ETAT.


rieurs. Cette premiere convention entre les deux
généraux fut purement verbale. Le prince de Co-
bourg s'en félicita, d'autant plus qu'elle opérait
sans autl'~ combat l'évacuation de la Belgique.


Dumouriez assure que le pl'ince ignorait le dé-
plorable état de son:armée, les ombres de la nuit
ayant caché aux Autrichicns I'extreme désordre
de la retraite; cal' depuis Louvain, toute l' éner-
gie que l'armée avait montrée dans les combats
précédens était détruite. Il avoue meme que le
prince aurait pu en profiter pour achever de la
disperser et de l'anéantir.


Ainsi le chef des armées impériales était si mal
servi par ses espions, et meme par ses éclaireurs,
qu'il n'avait aucune: connaissance, trois jours
apres l'évenement, de la.désorganisation complete
de l'armée qui lui était opposée, circonstance
tellement visible néanmoins, qu'eHe ne pouvait
échapper a aucun habitant du pays sur toute la
ligne de retraite. Crut-il que c'était uniquement
pour l'avantage de l'armée impériale que Du-
mouriez lui avait demandé un armistice, et que
la contre-révolution allait s'en suivre comme un
coup de théatre? Le propre de la médiocrité est
de se laisser abuser. Que d'exemples n'cn au-
rons·nous pas a rapporter encore!


Jugeant nécessaire d'avoir un corp.s d'élite,
soit pou!' agi/', soit pour en impose!' allX· Autri-


11. JO




l\IIÍMOIRES


chicns, car l'accord des deuxgénérauxn'était pas
connu encore, Dumouriez forma une arriere-
garde de vingt-cinq bataillons de ligne, de toúte
la cavalerie et d'une forte divisioil d'artillerie.
A vec ce corps cYenviron donze mille hommes ,
le seul qui resUlt organisé, il couvrit la retraite
ou plutot la fuite des débris de l'armée qui ren-
traient en France par bandes et en désordre. n
prit son premier camp sous Bruxelles, le 24, et
le lelldemain fit évacuer la ville, avec ordre et
sans cxces ni pillage. DumourÍez avait aussi
pourvu á la re traite des autres parties de son
armée, qui s'étendaÍent depuis Gertruidembel'g
jusqu'a Namur.


Le 25 mars, r archiduc Charles, qui venait de
se distillguer a la bataille de Nerwinde, et a qui
l' empereur destinait le gouvernement général des
Pays - Bas, fit a Bl'uxelles son entré e publique,
accompagné du prince de Cobourg et d'une suit~
nomhreuse de généraux. En su qualité de com-
mandant en chef de l'armée impériale, le prince
de Cobourg donllu une proclamation qui révéIa
le point de vue politique sous leque! la cour de
Vienne, dans ce retour de fortune, envisageait
la situation des Pays-Bas, relativement a la
France. Voici ce document :


«( Sa Majesté l'empcreur et roi, persuadé que
)) l' oppressiOIl sous laquelle gémisscnt les pro-




D'UN HOIUME D'ÉTAT.
» "inees Belgiques) depuis l'invasion du moís
» de Ilovembre dernier, a dévoilé aux yeux de ses
» plus fideIes sujets, par une trop funeste expé-
» rienee, la perfidie des prlneipes destructeurs ,
)) a J'aide desquels la faction fimzqaise, sous le
» prétexte d'une liberté chimérique, a cherché a
) fond(~r ses progres, ne saurait douter de toute
» l'horreur qu'inspirent aux citoyens honnetes
» les indignes menées de eeUe faction également
» ennemie de la religion, des mrenrs et de tout
» ordre social. S. M. est aussi convaineue que ses
II sujets Belgiques désirent sincercment le réta-
» hlissementde 1'ordre constítutionnel et de leurs
» loís fondamentales, attaquées par eeUe faetion,
)) et dans la jouissallce dcsquelles ces provinces
» ont trouvé depuis plusienrs siecleslenr bonheur
» et leur prospérité. Dans un tel état de ehoses,
» le rétablissement de cet ordre et de ces lois
» étant l'unique objet des efforls de la pnissante
» année que S. lVI. a envoyée an sceours de ses
)) fidCles sujets, elle s'attend qn'ils s' empresseront
» de COllcourir a ce but salutaire, certains d' etre
» soutenus et protégés dans lenrs efforts de toute
» sonautorité et de sa puissance souveraine; S. M.
» déclarant de son coté que ce~lxqui, contre tonte
» attente, oseraient agir en sens contraire, en
» se montrant partisans de eeUe meme faction,
» seront traités, en toutc rigueur, comme re~




l\fÉJ\fOIRES


)) belles a lenr sonverain et ennemis de la pa-
)) trie. »


La retl'aite de l'armée frall<;aise s'effcetuait,
quand le surlenclemain de l'occupation de
Bmxellcs par les impériaux 1, le colonel Maek
se rendit a Ath ponr s'abolleher de nouveau
avec Dumouriez : le général Thouvenot, le duc
de Chartrcs et le colonel Montjoie assisterent
a eette conférenee. San s rien éCl'ire, OH Y arreta
une seconde convention plus formelle que la pre-
miel'e. POlIr cacher anx deux armées la eon-
nivcnce entre les génpl'allx, on eonvint que
l'armée fralH¡aise s'arreterait quelque temps
~ur la· frontiúe, dans la position de Mons,
Tournay et Courtray, sans etrc inquiétée. Du-
mouriez ayant révélé au colonel Mack son projet
tont entier de marcher SUl' París, on convínt
également qu'il réglerait lui-meme, quand il en
serait temps, les monvemens des impél'iaux '1ui
n'agiraient que eomme auxiliaires; que s'il n'a-
vait pas besoin de sccours, les impériaux res-
teraient sur les frontieres sans s'avalleer, et que
l'évacuation totale de la Belgique sel'ait le pl'ix
de ceUe eondescendanee; que si, au contrairc,
Dumoul'iez ne pouvait pas opére~' tont seul, non
pas la eontt'e-révolution, mais la réformation,
e' est-a-dirc le rétablissement de la l110narchie


, Le 2' Inars.




D'VN JIOlIfllfF. D']~TAT.
constitutionnclIe, il indiqllerait fni -memc le
nombre et respece de t1'oupes dont iI aurait be-
soin pour réussir dans son projet, et qu'on ne
les ferait marcher que SOllS sa direction. Il fut
enfin décidé que 101's dn monvcmcnt de DnmOll-
riez su r Paris, la place de Condé serait remise aux
A utrichiens, ponr lier les opérations entre les
deux parties d'armécs impériales du prince de
Cobonrg et du prince de Hohenlohe-Kirchberg;
mais comme place de garantie, et avec la condi-
lion qu'clle serait rcnduc a la France apres la
guerre, el apres le reglement des indemnités;
que d'ail1curs tontes les mItres places, si le parti
constitutionnel était dans le cas d'avoir bes01n
de seconder les impériaux, recevraient garnison
mi-par tic sons les ordres des Fran<,;ais.


Ainsi c'était pour aider Dumouriez a renverser
la secte des jacobins, et a rétablir laconstitutioll
émanée de la révolntion de 1789, que le prince de
Cobourg COllscntait a n'agir que comme auxi-
liaire. Dans les conseils tenus a Bruxelles, on ne
vit d'abord cet arrangement secret que sous le
point de Vlle de l'assurance de recouvrcr toute
la Belgique sans coup férir, et peut-etre meme
de terminer la guerreo On s'y raUia.


Mais ce plan d'une demi-contre-révolution,
auquel on a fait a tort: le reproche d' a voir été mal
cow;u et mal combiné, demandait un secret




150


profond et une cxécution prompte, tant les cir-
constanccs étaient pressantes, el les défiances de
la cOllvention allaient croissant sur les desseins de
Dumouriez. Denxjours s'étaient a peine écoulés
depuis son acconl avec le prince tle Cobourg
qu'il eut l'imprndence de reccvoit' á Tournay 1
troi.s émissaires da ministre des affaires étran-
geres Lebrun, tons trois affiliés a la société des ja-
cobins :ils se nommaient Proly, Pereiraet Dubuis-
son. Dans la chalenr de la confércnce, Dumouriez
lenr dit que la convention et les jacobins étaient
cause de tons les rnaIheurs publics; mais que dut·
on l'appclcr Cósar, Cromwell ou Monck, il sau-
verait la patrie. A ppeIant régicides les membres
de la convention sans distínction, iI ajouta qu'ils
n'anraientbicntotplusd'autoritéque dans laban-
lieue de Paris, etjnra qu'il ne souffrirait pas l'exis-
tence d'un tribunal révolutionnaire; il leur dit
aussi que depuis la bataiHe de Jemappes iI avait
pleuré de tous les succes qn'íl avait eus pour une
aussi mauvaise cause, et qu'il rétablirait laconsti-
tution de 1791 avec un roi; il leu!' annoni,;a meme
qu'il avait entamé une négociation avec le prince
de Cobourg, et qu'il ferait la paix lui seul. « C' est
» mon armée, dit-il, que j' emplorai, oui, l' armée
» des mame]oucks; elle dira qu'elle veut un rOÍ;
» les présidens des districts seront chargés de le


• Le "9 marso




v'UN IIOllIlIIE ¡j'ÉTAT.


» faire accepter, cal' plus de la moitié de la
» France en veut un. » Sur l'observation que ce
plan l'exposait a des dangers, ii répondit qu'il ne
craignait pas les décrets d'accusation au milieu
de son armée; qu'au reste, i1 n'avait qu'un temps
de gaIop vcrs les Autrichiens ,dont il semit
bien re<;ll; et qu'il aurait agi plus ouvertement,
s'il n'eút craint ponr les jonrs de la reine et de sa
famille; enfin il leur dé clara sans détour qu'il
marcherait sur París, et l'affamerait au cas de
troublcs. Les trois agens disputerent peu, pro-
mirent a Dumouriez de re\'enir, et allerent le
dénoncer aux sept commissaires tle la conven-
tion réunis a Lille.


Etpourtant il ne ponvait espérer aucunsucces
de son entrepríse, sans l'occupation militaire
préalable de Lille, de Condé et de Valenciennes
par des troupeset des généraux dévoués a sa cause.
Ces trois pIaces allaient lui échapper du moment
que· son plan de marcher sur París, de dissoudre
la convention et de rétnblir la monarchie était
connu et divulg(¡é avantmeme qu'il n' en eut com-
meneé l' exécu tíon. Déj a une foule d' ém issaires en-
voyés dans son camp lui aliénaient les bataillons
devolontaires et de fédérés, qui étaient d'ailleurs
excités par les clubs. Un déérct de la convention
rayant mandé a la barre, iI refusa d'obéir, se
croyant soutenu encare par l'affection de pIu-




lIIÉlIIOIRES


sieurs hataillons de ligne, de la eavalerie, et de
qnclques offieiers - généraux; eeux- ei voyaient
lenr sort clans eelui qu'on préparait a leur général
en chef, et ne se montraient que plus disposés
a se rallier a sa cause. Mais d'autres en plus grand
nombre, qui entrevoyaient dans sa disgrace la
p~ssibilité de le remplacer, fomentaient tout ce
qui pouvait accélérer sa chute. Voila ce qui lui
fit manquer Lille, Con dé , Valenciennes, place s
sans lesquelles il n'avait aucun point d'appui
pour opérer dan s l'intérieur.


L'arrestation des qnatre commissaires de la
convention ( et du ministre de la guerre Beurnon·
ville, chargés de s' assurer de Dumouriez lui -meme
a son quartier-général, fut le dernier acte d'auto-
rité au-dela duquel vint expirer le pouvoir de ce
général, et s' évanouir tons ses plans. Les com-
missaires tombés dan s ses mains furent remis,
le 2 avril, au général Clairfayt, transférés de
Tournay áMons, puis a Bruxelles, et enfin a
Maestricht. La on leur sigilifia qu'ils étaient re-
tenus comme otages de la sureté des prisonniers
de la famille royale gardés au Temple.


Immédiatement apres ce grand écIat donné a
sa défection, Dumouriez aurait dit ne pas diffé-
rer d'agir en faisant déclarer son armée : elle lui
étaitdévouéeen partie, ets'attachantasa fortune,


• Ca¡nns, Bancal, Quinette et Lalllarqne.




n'UN 1I01'tfME n'ÉTAT.
aUl'ait obéi a ses ordres, s'iI eut montt'é dans ses
démarchesautant de promptitude qu'iI y apporta
de harcliesse. Pellt-l.~tre eút-il entrainé par la quel-
qlles-uns des corps qui luí étaiellt opposés. J\iais
par suite de sa dernieré convention avec le prince
de Cobourg , il se trouva pour ainsi dire enchalné
dans le moment décisif. On était convenu dans la
conférence d' Ath, que le prince de Cobourg,
l'archiduc Charles et le baron de Mack, se ren-
draient, le 4 avril au matin, entre Bossu et Con dé,
00. Dumouriez viendrait aussi de son coté, et que
la on combinerait les mouvemens des deux ar-
mées autrichiennes et fraw;aises réunies. Ainsi
quarante-hui t heures se trouv aien t perd ues, et en
révolution c'est l'a-propos qui décide du succes.


D'un autre coté, par suite de la meme conven-
tion entre les généraux, un congres des ministres
des puissances coalisées venait d' etre convoqué
a Anvers. Sur l'avis de sa prochaine ouverture,
Dumouriez, au lieu d'agir militairement, selon
que l' exigeai t l' occurrence, s' engagea dans le dé-
dale de la diplomatie dont il connaissaít tous les
détours; il fit partir le général Valence pour
Bruxelles, afin de le mettre a portée du congres,
el dans la nuit meme composa un court manifeste
ou il rendait compte des motifs de sa défection.


Elle parut d'une si haute importance au dnc
d'York, récemmcllt débarqué avec des troupes




1\1'É1\rornEs
anglaiscs cnvoyées a la défense commune, qu'il
en expédia en toute h:lte la nouvelle a Londres.
A l'arrivée du courrier les ministres jugcrent
que l'événement était d'une nature si décisivc,
qu'on pouvait contremander les préparatifs de
l'embarquement tie plusieurs régimens: d'infan-
terie et tic cavalerie destinés pon!" le continent.


Quant au congres, voici comment et chns
quelle vue en fut précipité l'ouverture. Le
comte de Mettcrnich r, ministre plénipoten-
tiaire tie l'empereur aupres des Pays-Bas, crut
devoir, d'apres la convention consentie a Ath
entre Dumouriez et le prince de Cobourg, in-
viter les ministres des puissances coalisées qui
se trouvaient a La Haye, a se réunir le 8 avril en
confércnces clan s la ville d'Anvers, pour y déli-
bérer sur les circonstances politiques qui se mé-
bient a la conduite de la guerreo Instruit égale-
ment que la réunion des deux armées devait etre
reglée le 4, dans une conférence des générallx,
iI jugea que les événemens seraient dans toute
lcur maturité, du 4 au 8, et que le con gres
n'aurait plus alors qu'a donner sa sanction dí-
p]omatique aux arrangemens déja consentis de
part et d'autre.


" Pere du prince de Metternich actuel: il avait remplacé le comte
de Merey aupr'" du gouvernement des Pays-Bas; en I803 iI fut élevé
a la diguité de prince, etmournten rSrS.




D'aN HOAf2IfE D'~TAT. 155
Avec quel vif empressement, vu la gravité des


conjonctures, les différens ministres se porterent
allX conférences de ce eongres improvisé! Le
stathouder, le prinee héréditaire d'Orange, et Jc
due d'York, manifesterent l'intention d'y assis-
ter. Lord Aucldand, ambassadeur d' Angleterre a
La Baye; le eomte de Starhemberg, et le eomte
de Kel1er, ministres de l' empereur et du roí
de Prusse a la meme eonr, étaient les prínei-
paux. diplomates qui devaient y délibérer avec
le eomte de Mcttcrnich. QU'OIl y ajoute le gé-
néral prussien de Knobelsdorff, et le eomte
Taucntzien, major au service de Prnsse, el on
aura au juste la compositíon de ce eongres, que
devait eompléter la présence du prince Cobourg
et de son chef d'état-major baron de Mack.


Veut-on avoir une idée de l'esprit qui animait
la plupart des ministres appelés a Anvers? qu'on
lise la note présentée par lord Auekland et le
eomte de Starhemberg aux. états-généraux des
Provinees-Unies le 5 avril, trois jours avant l'ou-
verture des eonférenees. Elle était eon~ue en ces
termes:


« Hauts et puissans seigneurs!


» Il est connu que ver~ la fin du mois de sep-
)} tembrc de l'année derniere 1, S. M. Britanni-


• Septembre ¡ 792.




156 lIIÉlIfOIRES
)} que eL V. H. P. ont donné de concert l'assn-
}) rance solennelle que, dan s le cas ou le danger
)} imminent qui mena~ait des-Iors LL. MM. Trés-
}J Chrétiennes et leur famille, se réalisat, S. M.
)1 et LL. lIH. PP. ne manqueraient pas de pren-
» dre les mesures les plus efficaces pour empe-
» cher que les personnes qui se seraíent rendues
» coupables d'un crime aussi atroce, ne trouvas-
» sent aucun asile dan s leurs états respectifs. Cet
}} événement, qu'on pressentait avec horreur, a
)} eu líen; et la vengeance divine parait ne s't~tre
» pas long-temps faít attendre. Quelques.uns de
)} ces détestables régicides sont déja dans le cas
» de pouvoir etre soumis au glaive de la loi l. Les
» autres sont encore au milieu du peuple qu'ils
)} Ollt plongé dans un abime de maux, et auquel
» la famine, l'anarchie et la guerre civile prépa-
)) rent de nouvelles calamités. Enfin tout ce que
» nous voyons arriver, concourt a nous {aire re-
)} garder eomme prochaine la fin de ces miséra-
)} bIes, dont la démence et les atrocités ont pé-
)} nétré d'épouvante et d'indignation tous ceux
)) qui tien;nent aux príncipes de religion, de mo-
}} rale et d'humanité.


)} En conséquence, les soussignés soumettent
)} au j ugement éclairé et a la sagesse de vos hautes


, Les qnatre commissaires de la conYentioo arr~tés trois jourI
aYao! par Dllmouriez.




V'UN HOMME n'ÉTAT. 157
» puissances, si elles ne trouveraient pas eonve-
» nable d'employer tous les moyens qui sont en
» leur pouvoir, pOUl' uéfenure l'entrée de leurs
» états en Enrope ou de leurs colonies a tous
» eeux des membres de la soi-disant eonvcntion
» nationale, ou du prétendu conseil exécutif,
» qni ont pris part directement ouindirectement
» audit crime, et s'ils étaient déeouverts et arre tés,
») de les livrer entre les mains de la justiee, pour
» servir de le<;on et d'exemple an genre humain.


)) Signé AUCKLAND, LOUIS, eomte
» de Starhemberg. »


Il est clair, d' apl'cs le eontenu de cette note,
que les ministres signataires croyaient toucher
au renversement de la convention. Nous pou-
vons affirmer que les mItres ministres et géné-
ram:, ainsi que les trois prinees qui venaient
assister au congl'cs, étaient dans la meme attente.
l\1ais il est une chaine d'événemens que toute la
prudenee humaine ne peut ni calculer ni prévoir:
e'est Dumouriez qui s'exprime ainsi en rappelant
dans ses Mémoires, mais d'une maniere ineom-
plete, les circonstanees de sa défeetion. D'apres
son planil devait s'approeherdeLille, et remettre
aux impériaux la place de Condé, eomme garant
du tmité; mais des le 4 avril, jour OÚ iI était con-
venu que de part et d'antre OH en commencerait




158 MÉMOIRES
l'exécution, Dumouriez cessa d'etre obéi. En
s'approchant de Condé pour aller conférer avec
le prince de Cobourg et l'archiduc Charles, il fut
assailli par trois bataillons de volontaires qui vou-
lantle tuer lui tirerent des coups de fusil. Dumou-
riez leuréchappa en faisant un détot1r, ctmanqua
3insi son rendez-vous; le soir seulement il par-
vint a joindre le colonel Mack, passa une partic
de la nuit a faire entrer cet officier dans ses vues,
en luí dissimulant l'état réel de son armée, et ré-
digea de concert une prodamatioll, au nom du
prince de Cobourg, pOUI' étrc imprimée et pu-
bliée le lendemain a la suite de son Adresse ti la
nationfranfaise. CeUe adresse était une sorte
de manifeste contre la convention, et contrc les
jacobins, oú DumOllriez annonc;:ait le rétablisse-
ment, sous les auspices de toute rEurope, de
la constitution jurée en 1789, 90 et 91.


Mais il ne suffirait pas d'indiquer ou d'analy-
ser l'autre piece historique dans un ouvrage
particulierement consacré a remonter auxcauses
des événemens. Or, voicí dans ton te sa tenenr 1
la proclamation approuvée, sigl1ée et pub lié e
le lendemain par ]e prince de Cobonrg.


1 Le texte en est pea connu, et ne se trouve dans aueUDe de
nos histoires de la révoltition.




D'UN HOMME D'ÉTAT.


tE lI'IARÉCHAL PRINCE DE SAXE-COBOURG, GÉN,ÉRAL
, ,


EN CHEF DES ARlUEES DE S. 1\1. L mlPEREUR ET DE


L'ElIJPIRE, AUX FRAN,;9A1S:


« Le général en chef Dumouriez m'a commn-
» niqué sa déclaratiol1 a la nation franc;;aise. J'y
» trouve les sentimens et les principes d'un
» homme vertueux, qui aime véritablement sa
» patrie, et voudrait faire cesser l'anarehie et les
» calamités qui la déchirent en lui procurant le
» bonheur d'une constítutíon et d'un gouverne-
» ment sage et solide. Je sais que e'est le vreu
» unanime de tons les souverains, que des fae-
» tieux ont armé contre la. France, et príncipa-
» lement cclui de S. M. l' empereur et de S. M.
» Prnssienne. Rempli d'estime encore pour l'en-
» semble d'une nation si grande et si généreuse,
» chez laquelle les principes immnables de la jus-
» tice et de l'honueur furent jadis sacrés, avant
» qu'a force d'attentats, de bouleversemens et de
» prestiges, on soit parvenn a en égarer et en
» eorrompre eette portion, qui, sous le masque
» de l'humanité et du patriotisme, ne parle plus
}) que d'assassinats et de poignards; je sais aussi
» qne ce vreu est eclui de tont ce qu'il y a en
)J France d'honnete, de sensé, de vertueux. Pro-
l> fondément pénétré de ces grandes vérités, ne
» désirullt que la prospérité et la gloire d'Ull pays




160 MÉMOIRES
» déchiré par tant de convulsions et de malheurs,
II je déclare par la présente proclamation que fe
II soutiendrai de loules les fOl'ces qui me sont
» cOlifiées, les inlentions Cénéreuses et bienfm··
l) santes du général en chef Dumouriez, et de sa
» bral'e armée. Je déclare en outre que venant
» récemment, et a plusieurs reprises, de nous
» battre en ennemis vaillans, intrépides et géné-
» reux, je ferai joindre, si le général Dumouriez
)) le demandait, une partie de mes troupes ou
)l toute mon arméc a l'armée frant;:aise, pour
II eoopérer en amis et en cómpagnons d'armes,
.)) dignes de s'estimer réeiproquement, a rendre
l) a la Franee son roi constitutionnel, la cousti-
» tution qu' elle s' était donnée , et par conséquent
» les moyens de la reetifier si la nation la trouve
» imparfaite, et ramener ainsi en Franee, eomme
» dans le reste de l'Enrope, la paix, la eonfianee,
» la trallquillité et le bonheur. Je déclare par
» conséquent ici, sur ma parole d'honneur, que
» je ne viendrai nullement sur le territoire fran-
l) c;ais pour y faire des conquétes; mais unique-
II ment et purement aux f¡ns cÍ-dessus indiquées.
» Je dé ciare aussi, surma parole d'honneur, que
» si les opérations militaires exigeaient que l'une
» on l'autre place forte fut remise a mes troupes,
» j e ne la regarderai jamais an tremen t q!le comme
» un dépót sacré, et m'engage ici de la mamre




n'UN JIOllfl1IT:: n'ÉTAT.


» la plus expresse et la plus positive de la rendre
» aussÍlót que le gouvel'nemellt qui sera établi en
» Franee, ou le brave général avec lequetje vais
» faire cause commllne le demandel'ont. J e dé-
» cIare enfin que je donnerai les ordres les plus
» séveres et prendrai les mesures les plus vigou-
» reuses et les plus efficaces, pour que mes trou-
») pes ne commettent pas le moinure exces, ne
») se permettent pas la moinul'e exaction ou la
» moinure violence, respectent partont les per-
» sonnes et les propriétés sU!' le territoire fran-
» ~ais; et que quiconque dans mon armée oseraít
» contrcvenir a mes ol'dres, serait puní sur-Ie-
» champ de la mort la plus ignominieuse,


» Donué a mOll qllartier-général de Mons, ce
» 5 avril 1793.


» Signé le prince m: C0130URG. »


A peine eette proclamatíon est-elle l'édigéc,
que Dumouriez , an point un jour, monte a
chcval et se porte avec une escorte de cinquante
cavaliers antrichiens vers le camp de Maulde
pour y rallie!' son armé e et commencer le mon-
vement qn'il médite sur Lille. Maís l'escorte
étrangere, destillée a sa sureté personnelle, a
cause des événemens de la veille, choque telle-
ment les soldats fran~ais, qu'ils s'ínclignent de
voi¡' lem' général en chef $OUS la garde des en-:


11. 11




lUÉ:ClfOIRES


nemis. Toutefois on le re<:oit encore avec affee-
tion aux avant-postes du camp de Maulde; mais
a son approche du camp de Saint-Amand, il ap-
prend la désertion de son artillerie, qui Lientut
entralne la presque totalité de son armée.


Il ne lui restait plus, pour se soustraire ~t
la pl'oscl'iption (cal' la convelltion venait de
mettre:,;a tete a prix), que la triste re:,;sonrce de
la fuite et de l'exil. Voyallt arl'iver l'henre de
céder a sa destiné e , il remonte a choval suivi de
quelques ami:,; liés a sa fortllne, ct se rend a
Tournay sous l'égiele alltrichicunc. L't environ
quinze conts hommes de son armée, tant á pied
qu'a choval, vieunent le joindre, ameuant avec
eux et eseortant les équipages de son état-
maJor.


Ainsi flnít le revo brillant de ee guerrier lliplo-
mate, qui partan t de Parí:,; a la fin de janvier, et
lai:,;:,;ant Paris en proie aux faetiol1s et aux désor-
dres, voulut conquél'ir la lIollantlc, changer l'état
politique ele la Belgique, et rétablir la monarehic
en une campagne. lUodifiant son plan se10n ]os
circonstanees, il avait eu un moment l'idée de
s'ériger en due de Brabant, sons la proteetion de
l' Augleterre, afin de jouer avee plus de sltreté et
environné de plus de foree et d' éclat, le róle de
Monek en Frunce; mais en y établissant la mo-
narchie constitutionnelle. La pertü de la bataillc




D'VN I101lIl\IE D':ÉTAT. 163
de Nerwinde lui ravit presque toutes ses chances
de succes. Peut-etrc cut-il réussi néanmoins dans
la derniere partic de son plan, a l'aide de l'armée
impériale, si n'effarouchant passa propre armée,
il eút montré plus de discrétion ct dc prudencc
et apporté plus de promptitude au moment
décisif. Ríen de plus sensé d'ailleurs, et de plus
juste, que la réflexion qll'il laisse échapper
lui-meme au sujet de l'abandon de son armée:
c' est sa propre cOlldamnation. « Le príncipe qiü
» a détaché si Lrusquellleut, dit-il, les soldats
) fralH:ais d'Ull général qu'ils adoraiellt, a un coté
)) ¡onaLIe en lui-meme : ils combattaient ponr la
» liberté de leur patrie; ils ont vu ce général
» trai ter avec l' cIlllemi; ils se sont crus trahis;
» ils ont passé de l'amonr a la haine. » Ainsi, mal-
gré son habi1cté, sa cOIluaissallce des hommes et
des affaire s , Dnmouriez ll'apel'l;ut pas que sa
cOllnivcllce avec le prince de Cobourg n'aurait
pas dú se réveler avant qu'il n'eút fait déclarer
son armée et qn'iln'eút effectué son mOllvement
snr les tr01s places qui devaient lui servir de
point d'appui. Voyons comment il condamue
son impuissance politique dans eette entrcprise
m:mquée : le passagc cst curieux. « La secte des
») jaeobins, dit-il, ne pouvait etl'e anéantie que
») par un plus grand seélérat CJll'enx OH par le fer
)) étl'anger.... II fallait déployer des vices supé~




lUÉ1HOIRES


» rieurs a ceux qu'on avait a combattre. » Enfin
Dumouriez observe, et lIon sans raison, que sa
treve avec le!; Autrichiens fut le salut des fron-
tieres, et que si les impériaux n'y eussent pas été
fiddes, et eussent marché sur les deux camps
franc;ais 1, dans lajournéedu 5 avril, ils auraient,
au mílieu de tout ce désordre, détruit entiere-
ment l'armée et pénétré san s obstacle dans l'in-
térieur de la France .


. Voici un faít positif : Apres meme que l'armée
s'étant déclarée pour la convention, cút forcé
Dumouriez a s'éloigner, le prince de Cobourg
respecta la suspension d'armes, et ne pronta
d'aucun de ses avantages. Qu'on ne s'en étonne
pas : lui, son chef d'état-major baron de Mack,
et le colonel Fischer, son secrétaire et aide-de-
eamp général, s'étaicnt tellement identifiés aux
idées et aux plans de Dumouriez, que deux jOUl'S
apres sa fuite ils comptaient encore sur l'effet de
la pl'oclamation qu'avait rédigée ee général au
nom du prince, et sur l'interventioll des armé es
impériales comme auxiliaires; et pourtant iI était
faeile de reconnaltl'e que la proclamation n'avait
produit aucune impression, ct que l' esprit na-
tional l'uvait dédaignéc! Mais le prinee et ses
dcux eonseillers y tenaient telleIl1ent, qu'ils re-
gardaicnt tont ce qu'avait fait Dumouriez dcpuis


• Oe M~111d~ el ~e Saint·Aw8IH!.




D'UN JIOlIl\IE D'ÉTAT. 165
sa Ievée de bouclier, comme en quelque sorte
leur ouvrage.


Or, ce fut dans ces dispositions que le prince
accompagné de son chef d'état-major, se mit
en route du quarticr - général de Mons, le 7
avril, ponr se rendre au congres d'Anvers. La
toutes les illusions nourries par les vastes projcts
que Dumouriez avait dcmasqué, vcnaient de se
dissipcr comme un songe. On savaitdéja depuis
trois jours que cette armée de Dumouriez, qu' on
s'était ílatté de conquéril' en lni parlant de son
général, de son roi, de la constitution, avait
assez prouvé, en se battant des le lendemain
pour la république, que l'influence de Du-
mouriez était nuUe. On se retrouvaít encore
une foís en présencc de la ligne des forteresses
fran<;aises, avec le regrct de n'avoir pas agi vi-
goureusement ponr clétruire les débris de 1'ar-
mée battue a Nerwiude, a Tirlemont, a Louvain.
Vainement clans les conférences qui s'ouvrirent
le 8 avril, le prince de Cobonrg et le colonel
Mack s' efforccrent de motiver et de justifier leurs
engagemens poli tiques , et donnerent-ils encore
quelques espérances pour l'avenir. Un chall-
gement brusque s'était opéré dalls les idées des
princes et des ministres qui étaient venus pren-
dre part aux délibérations. Le systeme d'une
demi·contre·révolution s'étaut éCl'oulé a leul'5




166 lIIbIOIRES
yeux, ils tomberent d'accol'd qu'il fallait revenir
sur la déclaration du 5 avril, se hAtel' de rompre
la trcve, et pénétrer dans l'intéricur de la France
par la force des armes, an nom de la coalitioll
et de l'empereur, qlli s' en trotlvait naturellement
le chef. Le princc de Cobourg cssayainutilement
d'opposer quelques objections á ce changcmcllt
de systcme trop subit, se10n lui, et qlli, en pri-
vant les alliés de tout point d'appui llans l'inté-
rieur, dOllnerait aux (lesseills des puissances
une apparence de versatilité, et ;t lui-meme,
a l'ég:ud de Dumouriez, et comme signataire
de la proclamation du 5 avril, un ai" d'incollsé-
quence et peut-etre meme de mauvaise Coi dont
il ne pourrait soutenir l'idée ni le reproche.
Mais lord Auckland, qui paraissait rame <Iu
congres, et le comte de Metternieh, qui vint
á l' appui de l' opinion de ce t ambassadenr, re-
présenterent au prince, au sujet de Dumonriez,
que tant qu'on avait pu compter sur son armée
pour rétablir le bon ordre en France, les alliés
avaient pu consentir a se déclal'er neutres, ct
meme á l'aider par l'adjonction d'Ull corps de
lcurs propl~es troupes; mais qne l'arméc fran<;:aise
ayant abandonné son général, et se montrant
tonte prete a combattre les forces des puissances
alliées, e' était au nom de ces memes puissances
qu'il [allait désormais agir et combaLtre; qu'il ne




n'riev rrOMME n':ÉTA.T.
s'agiss:1it plus maintenant que de savoil' comment
011 s'y prcllclrait ponI' rédllire lcs Franr,ais, soit
par la force, soit par l'opinion, et que le con-
gn~s aurait a délibérer sur cet objet important;
mais qn'av:mt de s'entendI'e sur. eette double
question ainsi pos{>c, il fallai! décider celIe du
moment qui était une puro qllestioll de fait; que
rarm{~e franc;aise rentrant dans l'état de guerre,
et brisant elle-memo tous les liens de la treve, il
fallait se remettre soi-meme cn état de guerre,
afin de 11e pas pcrdre tons ses avantages. Voila
clans quel esprit cMlibéra le congreso Tonte idée
de contre-révolution étant mise de coté, lord
Auckland et le comte de Metternich firent memo
entendre les mols d'inrlemnitéspour le passé et
de sltrelé pau]' l'avenir, mettallt ainsi cn avant
le droit de conque te. lJn arre té pris par tons les
ministres des puissances intervint le meme jour,
8 a vril, portant qne le prillce de Cobourg révo-
querait elltierement sa proclamation du 5, et spé-
cifierait express(~ment qu'il allait opérer pour le
compte de son souverain, et prendrait posses-
sion, ti litre d'indemnite et de conquétes, de toutes
les places dont iI ponrrait s'emparer; que ce
principe, sanf les modifications qui seraient
j llgées nécessaircs, recevrait son application
en particnlicr :\ l' égard de chaque puissance
agissante, solon que le permettraient les cir-




lWÉMOIRES
constances politiques et les chances de la guerreo


De retonr a son quartier-général, le prince de
Cobourg, le crenr navré, s'occupa le lendemain
d'annuller sa premiere déclaration, et a cet effet
publia, le 10 avril an matin, sons la date du 9,
la piece suivante.
LE l\IARÉCIIAL PRINCE DE SAXE-COnOUllG, GÉNÉRAL


, ,
COlUl\lAJ'iDANT EJ'i CHEF LES ARl\H:ES DE s. l\r. L E:ll-


PEREDR ET DE L'E1UPIRE, AVX FRAN<;AIS :


(( La dédaratioIl que j'ai donnée de mon quar-
» tier-général de Mons, le 5 avril 1793, est un
» témoignage public de mes sentimens pr'rsollnels
» ponr ramener le plus tot qne possible le calme
J) et la tranquillité en Europe. J'y ai manifesté
» d'une maniere franche mon va:u particulier
JI pour que la nation fraur;-aise eut un gouverne-
» ment solide, durahle, qui reposat sur les bases
» inébranlables de la jllstice et de l'humanité,
» qni donn:h á l'Enrope la paix, et a la France le
) bonheur. I\Iaintenant que les résultats de cette
» déclaratiou sont si opposés aux cffets qu'eIle
» devait produire, et qui ne prouvent que trop
» combien les sentimens qui l'ont dictée ont été
» méconnus, il ne me reste qu' ~lla révoqncr dans
» toute son étendue, et a déclarer formcllement
» que [' étal dc giterre qui subsiste entre la cou/'
» de F'iclllle, lespulssallces coaliséesel la France1
}) se tl'oupe des a pl'e'*sentmalheul'eusemcnt rétabli.




n'UN lIOl\{l\fE n':iTAT.


)J Je me vois done forcé par l'empire des cireon-
J) stanees, que des hornmes profondément erimi-
)J neIs se sont obstinés a diriger vers le boulever-
J) sement et le malheur de leur patrie, d'annuller
)J compléternent ma déclaration susdite, et de
) faire eonna1tre que eet état de guerre sifuneste
)J se trouvant rétabli, j'ai donné les ordres né-
)J cessaires ponr y donner suite, de coneert avec
)J les puissances coalisées, avec toute l'énergie et
)J la vigueur dont les armées victorieuses sont
» susceptibles. La rupture de l'armistice est la
J) premiere démarche hostile que la funeste com-
» binaison des événemens m'ait forcé de faire. Il
) ne subsistera done de ma premiere déclaration
)) que l'engagement inviolable que je renouvelle
» ici avee plaisír , que la discipline la plus sévere
») sera observée et maintenue par mes troupes
)) sur le territoire franc;ais; que toute contravcn-
)) tion sera punie avee la derniere riguenr.


») La franchise et la loyanté , qui de tout temps
J) ont été le mobile de mes actions, m' obligent
» de donner a ceUe nouvelle adresse ti la nation
))franr;aise, tonte la publicité dont elle peut etre
» susceptible, ponr ne laisser aucun doute sur
» les suites qui pourront en résulter.


)) Donné a mon quartier-général de Mons, le
» 9 avríl 1793.


» Signé LE PR.INCE DE COBOURG. »




1\IÉl\WIRES


Le lendemain, Dllmouriez se rend chez le
prinee, tenant a la main sa proc1amation de la
veille, etle dialogue suivants' établit entre les deux
généraux : ( Monseiglleur, dit Dumouriez, j' ai
» re~u ce matin eette déclaration qui m'étonne
» et m'afflige. Ce n'est pasla ce que vous m'aviez
» promis, et je viens demander á votrc altesse la
» cause de ce ehangement. - Ce sont les ordres
») que j' ai rec;us, 1 ui répond le prince, et que j e
» suis obligé d'exécnter. J'en suis bien faché moi-
» meme, général; mais les cil'constances justi-
» fient ces ordres, et je dois obéir. - Mais, mon-
» seigneur, notre convention et vos engagemens
)) sont viúlés. Ilme semble qu'en représentant au
» congres ce dont nous étions convenus, vous
» anricz changé sa résolution et prévenu Ices 01'-
» dres. - Je 1'ai fait, mais on m'a répondu avec
» raison, que notre positionn'est plus la memc.
») Quand vous comptiez sur votrc armt>e pour
)) rétablir le bon ordre en France ,nous avonscon-
) senti a rester nentres, et m{~me a mettre a votl'e
») disposition un corps de nos troupes; mais au-
l) jourd'hni que votre armée vous abandonne, et
)) se dispose a nons combattre, e' est a l' cmpereur
» a diriger les opérations, et e'est en son nom
» que nous devon's conrir les chanees de la guerre
» qll'on lui fait. - Le eas ele l'abandon d'une
» partie de l'armée a été prévu dan s notre con-




» vcntion, puisquc ce n'est qne pon!' avoir le
» droit de commander les tl'oupes de Sa J\1ajcsté
J) impériale que j'ai accepté le grade de général
») d'artillel'ie. - Mai5 ce n'esl plus seulement un
») corps de nos tl'oupcs que nous devrions mettrc
») a votre disposition, pnisql1c Hons ne pouvons
» agil' qu'avec toutes nos forces. - Ce n'est pas
)) le commandementque jeviens réclamer, mon-
» seigneur; je ne veux que protester, en vous
}) rappelant vos promesses, contre tonte partici-
)} pation aux mesures annoncécs dans votre pro-
» cIamation d'hicr, etvous dire que jevais quitter
» votre armée. - Comment ~ - Oui, monsei-
)) gneur; ma présence aupres de vous déposerait
» contre moi : je me la reprocherais moi-meme.
» Je m'en vais. -Je sen s plus vivement, général,
») ma position délicate par la résolntion que vous
» prenez .... ») Les instances du prince ponr rete-
nir Dnmouriez furent inntiles : trompé dans ses
espérances, proscrit clans son pays I, fugitif sur
une terre ét1'angere, Dnl110uriez se condamna
avec dignité a l'obscurité et a la ret1'aite.


Le colon el sir James I\Iurray, arrivé le JO
avril an matin a Douvres; en huit honres de
trajet d'Ostende, vint donner connaissance a la


• Lc 3 ovril, sur la motion de Tburiot, la convcntion I'avait dé-
cIaré traltrc a la patric et mis bors la loi ; trois cent mille livres staient
accordées a fJuiconque le Iivrerait mor! ou vif.




cour de Londres, de la part du duc d'y ork, du
résultat des conférences tenues a Anvers le 8
avril. Aussitot l'ordre fut réitéré pour I'embar-
quement des troupes dont on avait contremandé
le départ. On comment,;a meme a agiter dans le
conseil des ministres, la question de savoir s'il ne
conviendrait pas d'opérer une descente sur les
cotes de France, pour y porter secours aux
royalistes de la Vendée.


Quant au prince de Cobourg, mécontent du
congres d'Anvers, et éprouvant d'ailleurs une
sorte de répugnance a péllétrer en conquérant,
chez une nation qu'il aurait préféré ne pas combato
tre, il n' en fut que plus refroidi dans la conduite
de la guerreo On ne le vit mettre aucun empresse-
ment a écraser les divisions éparses de l'armée
fran<;aise qui, désorganisées, se retiraiellt préci-
pitamment dans la direction de Bouchain. Il leur
laissa tout le temps de s'y rallier au nombre de
vingt a vingt-cinq mille hommes, qui furent bien-
tot renforcés par huit mille hommes de l'armée
des Ardennes. Ce dernier détachement oecupa la
foret de Normal ponr de la eouvrir le Quesnoy et
A vesne. Aueun de ces mouvemens de retraite ne
fut inquiété.


Soit que le prihee de Cobourg nourrlt eneore
l'espoir de réveiller dans l'intérieur les restes du
parti sur lequel Dumouriei avait paru comptcl',




P'UN HOlarE P'ÉTAT.
soit qu'il n'eÍlt en vue que de s'ouvrir une voie
a des n{~gociations ultérieures, il adressa, par un
parlementaire, aux eommissaires de la conven-
tion, alors a Bouchain avcc Yarmée, sa déclara-
tion rclative a l' adresse de Dumouriez, joignant
a son envoi un exemplaire de ceÜe adresse. Les
eommissaireslui fircnt la réponse suivante ,Idatée
de Bouchaiu, le 1 1 avril: f


« Monsieur, Dumouriez a trahi la natíon fran-
» <;aise, a laquelle il devait toute son élévation :
» Vous ne pouvez estimer un traitl'e; la loyauté
» défend de lui donncr asile, et vous n'auriez pas
» dri recevoir les membres de la conventiou qu'il
» vous a livrés. Les Franc;ais auraient abhorré
» cclui de votre nation qui auraít commis une
» pareille bassesse, et vous auraient renvoyé des
)) otages que le droit des gens défend d'accepter
» ~en pareil caso Nous vous adressons les exem-
» plaires des décrets de la eonveution rendus
» dalls eette occasion, et nous y joignons les
» différentes proclamations que IlOUS avons faítes
» a l'armée. Un général brave et ami de l'hon-
») neur doit savoir la conduite que la justice



» eommande; et nous vous assurons que la na-
» tion fran~aise périra toutc entiere ou qu'elle
» sera libre. »


Signés LEQU1l.'\IO l COCHON % BELLEGARDE.




lUÉMOIRES


« Je n'ai point regardé le général Dumouriez
» comme un traitre, leur repliqua le prince r;
» il n'a jamais parlé chez nous que du bonheur
» de la patrie : e'est sur eeUe base respectable
») qu'areposé sonentreprise; e'est d'apresce vceu
» que je l'aí re¡;u et que vous devriez le juger.
» Vous différez d'opinio11, voila tout son crime.
» Ses principes le rappclaient a cette constitutio11
» qui fut votre ídole; il Y voyait le bonheur ele la
» France et le repos de l'Europe. Il n'y a pas de
» quoi le livrer a l'infamie et a la mort des scé-
» lérats. Il ne s'est jamais entendn avec 11ons, el
» nous nons sommes battus de m:lllicre Ú pI'OU-
» ver que nous n'étiollS pas d'intclligl'llce. Vous
» l'accusez duns vos proclamations d'avoir vouIn
» li vrer sa patrie : La premie re condition, des
» qn' on s' est rapproehé, et que luí et les généranx
» qui l' out snivi, Ollt solellneIlement posée, « e' est
» qu'ils 11e conseuLil'aiellt jamais que d'antres
» puissances se mclassent de l' orgauisatiol1 inté-
») rieure de votre gouycrnement, et qu' on en-
») tamát l'intégrité de la France. )) lIs ll'out pas
» varié clepnis. Quant aux epwtrc commissaires
)) de la convention, leur sort ost entre vos mains.
» J'en appeIlc sur tous ces objl'ts des resolutiolls
») violentes, tyralluiques ct passionnées de cjl1l'l-
») ql1cs-uns des membres de votrc assem}J]ée, á


, Leltre datée du qual'tiCl'-général de TIOS5U, le r ¡ avril,




D'VN IIOJlBIE D'ÉTAT. 175
» cenx qui parmi vous aiment véritablemellt leut'
» patrie. Puissent-ils trouver les moyens de faire
» cesser les convulsions qui déchirent la France
» et bouleversent le reste de rEurope! C'est la
» mOll vreu autant que le votre.» .


Signé COnOVRG.


Deux nouvcaux commissaires, Dubois-Dubay
et Driez, étallt venus dans l'intervalle remplacer
leurs trois collegues a Valenciennes, écrivirent
aussi an prince de Cobourg, une lettre sons la
date du 12 ayri!, dans laquelle, persistant á regar-
del' Dnmouriez comme un traitre, ils s'en rappor-
taient d'aillenrs, quant au sort deleurs quatre col-
legues livrés par lui, a la loyauté de leurs ennemis
meme. La conventioll ayant eH connaissallce de
eette sillguliere correspolldance, la regarda
comme une cont1'ove1'se scandaleuse, et dHendit
d'y d0l111e1' suite, attendll qll'all conseil cxéeutif
seul appartcnait le droit de négocier avec les
puissallces étrallgeres.


Le priuce de Cobourg perdit alors tout espoir
d'ent1'er en négociation. Excité par les gélléraux
de 5011 armée, il fit enfin, le 13 avril, un mou-
vemellt en avant, maís circonspcct et calculé.
La division du prince de Wurtemberg vint hlo-
quel' Condé, et celle <Iu général Latour alla
campcr devant l\1aubcuge. Lcs autres corps <lU~




176 :Ui.i1'IOIRES
trichiens fonnerent, selon leur coutllme, un
cordon OH ligne militaire étendue, quí semblait
menacer a la fois Condé, Lille et Valenciennes.
Le général Chancel, commandant de emulé,
ayant été sommé de rendre la place et de re-
connaitre la constihltion de 1791, se mit en
devoir de soutenir un siége.


Les corps épars de l'armée fran<;aise avaient eu
le temps de se reconnaltre; le général Dampierre,
qui en avait pris le commandant sous l'égide des
commissaires de la convcntion, les ramena, des
le 15, au camp de Famars sous Valencíennes, en
fa ce des Autrichiens; cette démonstratioll offen-
sive releva la confiance des troupes. Du reste, il
n'y eut plus des deux cotés, jusqu'au mois de
mai suivant, que des cscarmouches sans ré-
sultat.


Pour motiver ou colorer son inaction, le
princc de Cobourg sollicita de la cour de Vienne
un renfort de trente mille hommes, qnoiqu'il
pút disposel- de cent vÍligt mille combattans,
déja en ligne entre la lUeuse et la mer, et qu'il
n'eút alors devant lui que trente mille Fran~ais
encore étourdis de la défection de len!" général.


Ainsi apres un délmt glorieux, le général en
chef des armé es impériales en revenait, de lui-
meme, dans les plaines de la Flandl'e, au systeme
de guerre lente et méthodique, qui dalls les




D'CN HOlVIME D'ÉTAT. 177
plaines oc la Champagne avait fait manquer au
duc de Brunswick le but de la campagne précé-
dente. Les circonstances se trouvaient a peu pres
les mcmes, cal' Paris et la convention étaicnt en
proie aux plus violentes agitatiolls, aux convul-
sions de l'anarchie, qll'agravaiellt cncore les dan-
gers de l'insurrection vendéenne, et la retraÍte
de Custine devant les force s du roi de Prusse.


A l'ollverture de la campagne, Frédéric-
Gllillaume n'avait pas attendu, selon le plan du
dnc de Brnnswick,l'arriyéedu parcdesiége etdcs
renfol'ts destinés a complétcr ses tronpes, pour
donner l'impulsion aux opérations. Au premier
avis des succes dn prince de Cobourg a Aix-Ia-
Chapelle, le rOÍ, 11' écoutant que son ardenr guer-
riere, résolut de passer le Rhin et de rejeter
Custinc en Alsace, afin d'investÍr l\1aycnce saw;
plus de délai. Dans un conseil de guerre tenu en
sa présence, a l<rancfort, on agita la question de
savoü' Sllr (pIel point le passage da Rhin aurait
lieu. Les UllS opinaient pom Manheim, d'autres
pour Bacharach Ol~ Reinfcldt. Les premicrs sou-
tenaient que les cabinets de Bcrlin et de Vieune,
reprouvant tout systernc de neutralité de la part
des princcs d' Allemagnc, dcvaient, dans l'intérct
nH~mc de la cause générale, exiger la promplc
accessiOll de l'électcur-palatin de Baviel'c, et par
suitc l'occllpalioll de Manheim. Si ce priucc s'y


JI.




l\Uiru:OIRES


refuse, dísait-on, il ne faut pas halancer a se
saísir d'une place d'ou les Prussiens, pouvant
déhoucherpar Spire, préviendraient Custine sur
la route de Kaiserlautern, tandis qu'un corps
d'Autrichiens le menacerait sur la ligne de la
Sarre et le mettrait dans la position la plus péril.
leuse. I~e due de Brunswick, de son coté, fit sentir
l'avantage qu'il yaurait á passer le rrhin en jetant
un pont ver s Bacharach, ce qui éviterait de com-
battre l' ennemi, et d' employer des moyens vio-
lens a l'égard d'uu pl'ince pom lequel il était
préférable de conserver des ménagemens. Cet
avis prévalnt, et du 10 au 12 mars les ordres fu-
rent expédiés en conséquence.


L'armée prussienne, a la veille de se mettrc
en mouvement, venait de réparer les pertes faite s
en Champagne, par l'arrivée de la hrigade des
gardes, de six hataillons de ligne et des dífférens
dépots tirés de la Westphalie et de la Silésie. Les
Saxons étaíent en marche, Bt le roi allait avoir
sons son commandemcnt immélliat einquante
mille hommes effectifs, tant Prussiens qu'alliés.
Le succesparaissaitd'autantmoins douteux, que
Custine ayant éparpillé ses forces, ne pouvait
manquer d'etre jeté sur la défensive.


Quand a la fin de la campagne précédente, les
commissaires de la convention s' étaiellt emparés,
á Mayence, de tous les pouyoirs, Custine n'a-




n'lJN IIOllIlUE n'f.TAT. 179
vait trouvé d'nutres moycns de se soustraire a
1eur tuteIle qu'en prétextant d'aller visiter les
places fortes de l'AIsace. La iI obtint l'auto-
risatíon de venir présenter aux ministres a
París son plan de campagne : il se trouva que
ce plan n'était qu'un composé d'entreprises in-
cohérelltes. Les ministres inquiets des grands
préparatifs de gllerre dont retentissait l'Alle-
magne, mirent alors en délibération l' évacuation
de Maycnce. Custinc, au contraire, proposait de
faire une invasion a Hatisborme, pour y pro-
pagel' l'esprit ele liberté et d'égalité. C'était uni-
quement dans la vue de He pas se laisser surpasser
par Dllmouriez, quiannol1c;ait alorsla prochai~e
conque te d'Amsterdam. On résolutseulement de
défendre 1\layence, et Custine retourna en toute
hate a son armée, n'ayant plus d'autre plan que
de couvrir la ligne du Rhin. A son retour, iI
apprit la reddition du fort de KOlligstein, qni,
cerné, avait aé pris par famine. (e Il ne fant ce-
» pendant pas désespérer du salut de Mayence,
») mallde-t-il au couseil exécutif; j' en ai confié la
» défense an général Doyré, dont le talent est
» conuu; je laisse a Casselle général de brigade
» Meunier, dout le talent et le civisme SOl1t re-
) commandables. Je vais COllvrÍr les départemells
» da Rhin, et j'espere me saÍsÍr bientot d'une
» positiou qui les mettl'a a l'aLri. »




180 lIUbIOIlU:S


C'était au momcnt meme oú le roi de Prusse
prenant l'offensive se faisait précéder sur la rive
gauche par un corps volant. A l'arrivée du cour-
riel' qui vint annoncer au quartier-général prus-
sien le gain de la bataille de N erwinde, le roí
accélera le passage <Iu Hhin a I3acharach. Deux
eombats partiels, le 27 et le 28 mars, a Bengen,
préludcrent a des mouvemens plus décísifs. Cus-
tine, fortement menacé suda Nahe, et craignallt
(l'etre tourné, se replie J'abord sur Alzey, lmis
sur la PÍi'im. Le roí, passant la Nahe a sa pour-
suite, s'avance en forces sur Sclz, coupe a Cus-
tille la ronte eJe :i\Iayence a vVorms, donne sur
quelques bataillons républicains et les disperse.
Cnstíne ne montre plus qu'embarras et irrésolu-
tion; il aballdonne ses magasins a Dengen,
Creuzenach et 'Vorms; arretc pourtant avcc son
col'}?s de bataille, le duc de Brunswick a Ober-
flersheim le 30 mars; mais se voyant débordé, se
retire sons Lancha sans que le duc sauge á l'in-
quiéter. La, tombé dans un elltier découragc-
ment, et ne se erayant poillt encare en súreté,
il se replie tout-a-fait derriere la Lauter, et sallge
meme a l'abandon de ces ligIles pour se réfngier
sons le canon de Strashonrg.


En rénnissant ú son armée l'armóe de la ]\Io~
selle, on mit SOllS ses ordres plus de soixante
millc lwmmes; nwis Custinc llC snt en tirer au~




eun partí, et ne reprit poillt l'offensive. Ainsi,
quarante mille Prussiens, pour s'etre portés vi-
goureusement sur l'extréinité de la ligne fmn-
(,iaise, semerent l' épouvante j llSq u'aux portes de
Strasbourg. Bientot renforcés, mais ne s'occu-
pant plus qu'a formel' le siége ele JUayence, ils
s'étendirent, ponr le eouvrir isoIémcnt par bri-
gacles, depuis le revers des Vosges jusqu'a Lau-
terbourg, en présence meme des républicains.
Ceux-ci avaient soixante-dix mille hommes entre
Sarre-Louis oí Bcsalll;:ün, que Custine ételldit
aussi paralleIemellt aux Prussiens, renforcés par
le corps d'armée du général comte de \Vurmser,
qui du ser vice de France était passé au service
d'Autriche, avec une réputation de bravoure et
d'habileté. C'était un gentilhomme alsacien qui
avait fait avec distinction la guerre ele sept ans.
A la paix, il avait obtenu de Louis XV la permis-
sion de passer au ser vice de l' emperear. Appelé
a eommander en chef l'armée antrichienllc elu
Rhin, iI cut d'abord á y dévorer des contradic-
tions et eles dégoúts. En prenant congé de l'cm-
pereur a Vienne, il avait re\,u ele ce monarque
l'assurance qu'il agirait seul en Alsace avcc une
armée indépcndante. l\'Iais a son arrivée a Franc-
fort, iI apprit que le duc de Brnnswick et le prince
deCobourgavaient subonlonné son corps d'arméc
a l'armée prussiennc, dout il devait couvrir raiIe




~IÉ~rOIREs
gauchc sur le Rhin, ~ommc le pl'incc de Rohen-
Iohe.Kirchberg devait aussi couvrir l'aile droite
avccquarantemille Autrichiens. Wurmscrrcfusa
de commander sons les ordres dn duc de Druns-
wick : on prit alors un Liais d'apres lequcl ii dé-
pendrait uniquement des ordres émanés dn roí
de Prusse, ce qni au fond rcvcnait an meme.
n n'ent d'abord que douze mille hommes, for-
mant un cordon de Basle a Gcrmensheim. Qlland
le mouvement commel1(:a, il passa aussi le Rhin
a Ketsch, entre Spire et Manheim, laissant une
partie de ses troupes dalls le Brisgaw, et n'amenant
en ligne que huit mille Autrichiens et Hessois,
auxquels le roi de Prusse adjoignit le corps prlls-
sien du prince de Hohenlohe. A ccUe arméc auxi-
liaire de Wurmsel' vint égaJement se joindre le
corps d'émigrés, connu sons le nom d'armée de
Condé, le seul qui cut résisté a la dissolntion
apres les revers de la premie re campagne. Il
fallait une révolution pour voir un prince du
sang de France aux orclres d'un gentilho]TIme al-
sacien, né sujet du roi, et qui avait bit la gucrre
de sept ans dans un grade subalterne, sous le
prince de Con dé lui-meme.


Le duc de Brunswick avait eu l'intention de
prendre une position d' observation plus rappro-
chée ducorpsd'arméechargé dusiége de l\1ayence;
il aurait appuyé sadroite an l\Iont-Tonnerre et sá




D'UN HO'VIME D'ÉTAT. 183
gauchc au Rhiu; mais l'ardent Wurmser, impa-
tient de délivrer son aneienne patrie du joug de
la eonvention, et se défiant de la circonspection
du dllC de Brunswick, insista tcllement aupres
de Frédéric-Guillaume, pour que les Prussiens
prissent ]eurs po si tion s a portée de Landau,
qu'il en 6t donner l'ofllre. Cependant tout alIait
se réduire, u'apres le plan du duc de Brunswick
et du prince de Cobourg, d'un coté aux lenteurs
du siége de Valenciennes, et de l'autre au blo-
cus et au siége de Mayence, défendue par une
garnisan de vingt.deux mille hommes : il fallait
dane cillquante mille assiégeans pourrcconquérir
ce houlevard de l' Allcmagne. Or, il était visible
que cette guerrc de révolution n'était envisagée
qu'avec le eoup-d'reil d'une tactique rétrécie; le
génie capable d'en embrasser l'ensemble et de lui
imprimer un earactere politique, n'existait point
encare, OH du moins les cabinets ne savaient pas
le découvrir, et meme étaient incapahles de le
faire naitre.


Les changemens qui eurent líeu vers cette
époque dans le pcrsonnel du ministere autri-
chien, n'éleverent point la politique de la cour
de Vicnne a la hautenr des graves circonstances
ou l'Europe se trouvait engagé.


Le prince de Kaunitz, qui depuis si long-temps
dirigeait ce cabÍnct, touchait aux glaces de l'age,




jlIÚIIOIRES


et d'aillcul's sa vieillc réputatiol1 d'habilelé s'é-
tail: comme évanonic dcvaut l'ere nouvellc de la
révolution. 11 n'avait réussi lIi dans sa guerre
de plume ni clans ses prévisions contre la secte
politique des jacobins, qu'il s'était flatté de fuer
apee de la patience .... Il n'avait pas mieux calculé
ses ménagemens envers le par ti constitutionncl,
dont le vide était alors démontré par l'issue
malencontreuse de la connivence récente du
prince de Cobourg avec Dumouriez.


Kaunitz avait rcconnu lui-meme que la vieille
routinc des cabinets serait impuissante pour
combattrc ecUe subversion sociaIe; il n'aspirait
plus qua flnir, an sein des honneurs et toujours
investi de la présidence de la chancellerie d'état,
une carrierc laborieuse et enviée, en abandonnant
a d'aiJtres le timon des affaires, que ses mains
défaillantes ne pOllvaient plus soutenir. Dans la
nouvelle combinaison adoptée secretemcnt par
l'empercur, le vice-chancelier d'état comte Phi-
lippe CobentzcI, el le baron de Spielmann, les
deux ares - boutans des affaires étrangeres, de-
vaient etre également écartés de leur direction;
mais avee tous les égards et les ménagemcns
qu'apporte dans les révolutions intérieures de
son cabinet, UllE) cour ou rien ne change que
d'apres des erremens compassés et méthodi-
queso


I


I
\




D'VN IIOllBIE D'IÍTAT. 185
Tout a coup un homme jusqll'alors peu connu


et qui n'avait figuré que dans les rangs secon-
dair'es ue la diplomatic, le baroll de Thugllt, de-
vint le pivot sur lequel allait rouler la politique
autrichienne, aux temps les plus épineux' de
sa luttc avec la révolution frall(:;aise. Fils d'un
pauvrebatelierdc Lintz , quiréussit pourtant ale
placer comme éleve au collége des langues Ol'ien-
tales formé a Vienne, iI s'y était distingué par
son application. Un jour Marie.Thérese, visitant
l'établissement, flltsifrappée des progres dujeune
éIeve, qu' elle changea son nom de Thunigut, qui
en langagc vulgaire signifie vaurien, en celui de
Thugut, qui veut clire fais bien. Elle le recomo
manda en meme temps au directeur dn collége.
Cette circonstance décida de la carriere fnture du
jenneThugut. Attaché des l'age de quinze ans a
la légation deConstantinople, il fut troisans apres
nommé interprete de l'internonce autrichien.
Lui-memc, apres avoir réussi dans des négocia-
tions importantes, devint successivement rési-
dent et inteqlOnce. Envoyé au congres de
Fockzana, en 1772, il Y montra de l'habileté
de meme que dans d'autres missions qlli lui fu-
rent confiées. n re¡;ut en récompense, de Marie-
Thérese, d'abord le titre de baron, puís la croix
de commandeur de Saínt-Etienne. Thugut se
relldit ensuite, par ordre de sa sonveraine, au·




186 ~I:ÉMomES
pres de SéS deux fiHes les reines ele France et de
Naples. En 1778, elle l'envoya a Frédéric II,
dan s son camp de Boheme, avec la mission
secrete de lui faire des ouvertures pacifiques
et dé couper court a la guerre que la suc-
cession de Baviere venait d'allumer entre la
Prusse et l'Autriche. Mais Frédéric s'en défia.
Thugut entra néanmoins en conférence ayec les
ministres Herzberg et Finkenstein; elles furent
rom pues le lendemain, Herzbcrg ne voyant dans
l'enyoyé autrichien el'autre intention que de ga-
gner du temps et de faire manquer la campagne.
Thugut fut pourvu alors de la légation d'Autrí-
che a Vársovie; et en 1788 on le chargea de
l'administration générale des provinces de Mol-
davie et de Valachie, occupées alors par les ar-
mées austro-russes. La paix avec le divan ayant
{~té concluo en 1790, iI manifesta un désir ex-
treme de se rencIre a París, ou venait de s'ouvrir
la grande scene de la révolution. Le comte de
Merey, ambassadeur impérial, rayant demandé
rour adjoint avec le titre de ministre plénipo-
tentiaire, eeUe destinatíon le ravit, et iI accou-
rut a París remplir ses nouvelles fonctions. La,
d'apres des ínstructions particulieres, il observa
la marché des événemens, le caraetere des diffé-
rens chef s de partí, eut· des confÚ~nees secretes
ayec la reine de France, et contribua meme,




n'lJN' HOllIME D'ÉTAT.
aidé par le comte de Lamarck, a mettre Mirabeau
et ses amis dans l'íntéret de la cour.


Les rapports confidenticls qu'il adressa a son
cabinet influerent depuis cette époque sur les
détermínations de l'Autriche a l'égard de la
France. Du reste aimant París, ou il avait placé
des sommes considérables, Thugut paraissait
avoir l'intention de s'y fixer quand on le rappela
inopinément a Vienne : on le regardait comme
tres au fait des événemens de la révolution, et
pouvant eLrc utile dans les affaires secretes au
cabinet. On croit meme qu'il y fut attiré alors
par un pouvoir occulte et puissant qui servait en
seeret la révolution, dont Thugut n'aurait été que
l'ennemi simulé et apparent. D'un autre coté, il
est certain qu'ayant été consulté apres la mort de
l'empereur LéoPQld, iI détermina Franc;ois II, son
suceesseur, a prendrc une part active au projet
d'invasion en France, soit 'qu'il y entrevlt un
moyen de plus de capter la confiance du jeune
monarque, en le poussant a un parti qu'il savaít
etre cluus son inclination; soít que la guerre étant
inévitable, il cnit devoír céder au torrent.
Quoi qu'il en soit, entrant tous les jours plus
avant dans la confiance intime de l'empereur, ce
fut lui qui détermina plus partieulierement le
choix du prince de Cobourg comme général en
chef des armées impériales; iI avait connu ce




188 1I11Í1\IOIRES
prince pendant ses campagnes contre les Turcs,
et depuís était resté avec lui dans des relations
intimes. L'empereurconsidérant désormais Thu-
gut comme l' oracle de son cabinet, n' eut plus de
reposqu'il nefut a la tete des affaires. Voicicom-
ment s'opéra ce changement, préparé en secreto


Deux jours avant qu'il ne fút rendu public,
Thugut rec;ut un billet du cabinet de l'empereur,
qui lui notifia son intention de lui conférer la
place de directeur-général du bureau des a.fJaires
étrangeres. En meme temps le vice-chancelier
comte de Cobentzel, en futprévenu par un autre
billet. Thugut ayant, le lendemain de sa nomina-
tion, porté ses remercimcns an monarque, dé-
clara a sa majesté (ce qui était concerté a'a-
vance) (( qu'il ne pouvait mieux prouver son úle
» pour le bien de l' état, et son respectueux atta-
») chement a la personne de son souverain, qu'en
» consultant sur toutes les affaire s son tres-digne
» ministre le prince de Kaunitz. ») De son coté,
l'empereur écrivit au prince un billet portant en
substance, « que pour l'avantagedc son scrvice et
») la plus prompte expédition des affaires, iI avait
» resolu de partager le département d' ¡talíe et celui
» des affaires étrangeres entre différeptes person-
» nes; qu'en conséquence il avait déchargé le
JI) comte de Cobentzel dece dernier départcment,
» en lui laissant les affaires de la Lombardie autri-




D'UN HOlInfE D'ÉTAT.


» chienne, et en lui conservant sa place de mi-
») nistre de confércnce, ainsi que son traitement
») en cntier; qu' elle n' avait mieux su le remplacer
)) dans le département des afTaires étrangeres,
» que par le baron de Thugut, qui, disciple du
)) prince de Kaunitz, avait été formé par ses ins-
» tructions; qu'ainsi elle l'avait placé a la tete de
» ce département avec le titre de directeur gé-
») néral; Sa Majesté se flattant en conséquence
) que ce changement ne serait pas désagréable
» a M. le prince de Kaunitz, d'autant plus qu'elle
)) avait chargé M. de Thugut de lui communi-
» quer, comme on I'avait fait jusqu'a présent,
» toutes les affai~es dont M. de Kaunitz souhai-
» tcrait d' etre particulierement informé. »


L'cmpereur ne garda pas les memes mé-
nagemens a l'égard du baron de Spielmann,
ministre de conr et d'état, ayant le titrcde ré-
férendaire privé, a qui on imputait d'avoir fait
avOI'ter les principales résolutions du cabinet
clan s la gucrrc actucllc. On lui offrit la place
d'~djoint an baron de Borié, mini.stre d'Autriche
a la diete de Ratisbonne; mais iI se montra peu
disposé a échanger le poste de ministré cffcctif
avec celui d'nn ministre subalterne cmployé a
l' étranger; il préféra l'alternatívc qui lui était
laissée de se retirer taut-a-faít des affairesavec sa
pcnsioll de l'ctl'aite.




tgo lIfÉl\fOIRES
Quantau eomte Philippe de Cobentzel, sa dis·


gr;ke fut adoucie par la disposition qui lui con-
férait le département de la Lombardie autri-
chienne, de meme que le département des
Pays-Bas avait été précédemment détaché de]a
chancellerie de cour et d' état pour etre confié
a l'ancien ministre plénipotentiaire comte de
Trautmansdorff. C'était un précédent que Thu-
gut sut saisir a propos, afin de rester cntiere-
ment le maltre de la direction des affaires étrall·
geres.


Ce changement qu'on pressentait dcpuis plu-
sieurs mois fut anuoucé, de la part de l'empe-
reur, a tous les membres du corps diplomatiqu~
en résidence a Vienne, par la note suivante dl!
vice-chancelier comte tIc Cobclltzel l.


« L'empereur ayantjugé avalltageux pour son
» service de séparer ]e département d'/talie de
» cellli dcs affaire s étrallgeres, et m'ayant fait ]a
» grtlCe de me nommel' son challcelier de la Lom-
») bardie autl'ichiellllc, Sa Majcsté a daigné con·
)} fiel' le soin des affaires dn deh~rs it 1\1. le barón
» de Thugut, en qualité de directeur-gémjral c/u
» úureau des affaires étrangcres. C'est done á ce
» ministre que vous voudrez bien, monsicur,
» vous auresser ¿il'avenir pour toutes les affaires


'Sons la date da 28 mars 1793.




n'IJN IIOlUll'IE D'ÉTAT.


» dout vous ser~z chal'gé; et c'est lui qui vous
» [era part de tout ce que Sa Majesté lmpériale
)1 et Royaie vOU<.lra faire parvenir a votre con-
» naissance.


» Agréez, etc.


» Signé J. P. COBENZEL. »


Dn reste, on applaudit a la cour de Viennc,
SclOll l'usagc, au choix du nouveau ministre
qu'on vanta dans tous les cercles comme un tra-
vailleur consommé claus la ca¡riere poli tique , et
n'étaut J'ailleurs redevable de l'estirne et de la
lIante confiance de son maltrc qu'a ses talens et
a ses qualités persollnelles. SOUS de telsauspices.
Thugut, quoique hornme nouveau, cal' on 1'a-
vait vu débutcr dans la carriere des emplois
eomme simple sous-commis dans la chanccl-
lerie ,(Yétat, put aspirer á devenir le régulateur
de la poli tique d'une puissance, qui alors meme
s' emparait d u premier role militaire dans la guerre
de la révolutioll. JVIais soit dans les conseils de
1'état, soit llau:,> les conseils de l'armée, rien n'an-
llon<¡a en lui le génie capable de diriger les res-
sorts d'une coalition qui, ehaque jour, se com-
pliquait davantage, et devenait en apparellce d:
plus en plus formidable. Tout le corps germani-
q!le y allait prendre parto


Les longucs délibérations de ses représentans




lUÉlUOí:RES
sur la guerre d'Empire eontre la Franee étaient
enfin terminées, et l'avis de la diete fQrmée a ce
sujet d'apres les conclusums des trois collegues "
ordonnait (( le renvoi ou l'exlmlsion hors de l'AI-
» lemagne de tous émissaires, agens, ou autres
» personnes, Fran<;ais de naissanee ou attachés
» a eette nation, qui ne pourrait roint donner
» de raisons suffisantes de leur séjour dans l'Eu:!-
» pire, et en apporter légalement la prcllvc de-
» vant les magistrats ou jugcs de lcur résid~nce,
» ponr en obtellirll permission de le eontinner.
» Toute eil'eulation, importation et cours de tons
» assignats ou billets de crédit fran<;ais, était
» défendns, ainsi que toutc négociation pOUl' l'a-
» vantage et l'appui de la nation franc:aise, toute
» correspondance suspecte avec elle, de meme
» que la vente et le débit de tont papier public
» ou nouvelles yennes de France, de toutc bro-
» chure ou éerits qui s'y publicnt, ponr exciter
» les peuples a la sédition et a la révolte. Quant
» au commerce innocent, licite et ordinaire, iI
» restait permis aussi long-temps qll'il ne serait
» point interrompu du coté de la Feance; toutc-
II fois il était recommandé de surveiller soigneu-
» sement les communications par leures, afin
» qu'elles ne pussent servir a entretenir des rela-
II tions traitreuses et pcrfides. La diete tléc1arait


, Donné le 22 marso




D'UN HOJ\IME n'ÉTAT.
» en outre qu'attendu la maniere injuste dont
}) les Fran(,lais avaient rompu la paix par leur in-
» vasion sur le territoirc de l'Empire, le corps
/) germanique, de son coté, ne se croyait plus
» obligé ni tenu par la paix de· ~hmster, ni par
» aucun des traités ou iI avait été stipulé des
» avantages en faveur de la France, sauf néan-
) moins les droits d'un tiers; en cOllséquence il
» n'était plus permis a aucun état ou membre
>J de l'Empire, de garder la neutralité sous quel-
» que 110m ou quelque prétexte que ce fút. »


Mais par ménagement pour les états les plus
exposés a l'irruption des Franc;ais, la guerre qui
lenr était déclarée était regardée comme pure-
roent défensive, et nullement comme une guerre
d'agression qui aurait pour but de s'immiscer
dans les affaire s de la France. On cherchait ainsi
a mettre a l'abri de ses armes le duc deWurtem-
berg et l'électeur-palatin de Baviere dominé par
son ministere a Munich. L'empereur, comme
chef de l'empire, n'admettait aucun principe de
neutralité quant a)a Baviere et an Palatinat, sur-
tout, comme état indépeudant. On reprochait a
la cour élcctorale de s' etre opposée en dernier
lieu an passage du corps d'armée du général
comte de Wurmser sur le Rhin a Manheim, et d'a-
voir sauvé ainsi l'armée de Custine, qui, dans sa re-
traite, aurait pu etro coupéc par les Antl'ichiens


IL 13




1I0hWIRES


du coté de Landan, tandis que les troupes prus-
siennes et hessoises le for(;aient d'abandonner
Worms et tOllte la rive gauche du Rhin jusqu'a
Spire. Déjil meme, par suite des réclamations et
des efforts du eomte de Lehrbach, ministre
impérial a Munich, on s'attendait que le minis·
tere bavarois ne balancerait plus a fournir au
moins son cOlltingent ill'armée autrichiellne sous
les ordres de Wurmser.


La note remise par le vice-chancelier de l'em-
pire, prince de Colloredo, au ministre palatin de
Baviere 1, ne laissa plus a la cour élcctorale pala-
tine aucun moyen dilatoire de se maintenir dans
son systeme de nentralité et de demi-mesllres.
Invoquant les 10is fondamentales et constitution-
neHes du corps germanique, la note impériale
rappelait la cour de Ml1nich a l'exécution du
décret rendu par la diete le 23 novembre dernier,
qni avait statué la prompte réunion des forces de
l'empire. « L'empcrenr, ajoutait le vice-chance-
» lier, n'a pu voir qu'avec peine et indigllation
» qn'on ait préféré l'intéret particulier a l'mtéret
» général; qu' on ait adopté des plans fondés sur
» une convenance particnliere, an mép~is de
)1 ses devoirs constitutionuels, qui exigeaient de
» voler an secours de ses co-états opprimés, avec
)1 des forces pl~oportionnées il ses facnltés; et


1 So liS la date de Vienne, le 30 avril 17U3.




, " D UN HOl\DIE D ETAT.


» qu'enfin, séduit par des insinuations, on ait
)) établi sa propre sureté sur une poli tique et sur
)) des principes de neutralité diamétralement op-
JI posés a la constitution germanique. Mais ce qui
)) a frappé encore bien plus S. NL c'est de voir
») qu'on n'a point hesité a opposermille obstacles
)) aux disposítíons faítes par la diete de l'empire
)) pour la conservation et la défense de la patrie
)) menacée, afin de paralyser on de rendre in-
) fructu~uses les opérations contre reuncmi
» commuu, an plus granel préjudice de la boune
» cause.») Rcjetant toutes les offi'es dilatoires
faites par la cour électorale, le vice - chancelier
déclarait «( que le coutíugent militaire a four.
» nir par les états de l'Empire serait porté an
») triple sur le pied re<;;ll et agréé par la dicte
» générale en 1681 , et par le décret du 22 mars
») dernier, qui déclare la gucrrc a la France ...
» Gllidée par ces consícMrations, S. M. impériale,
» en agréant et approuvant le plan d'opératíons
») concerté avec S. M. le roi de Prusse, a jugé a
» propos d'unir et d'incol'porer ces memes trou-
») pes avec les armées qui tiennent la campagnc
) contre l' ennemi commun, ponr les faire agir
» conjointement avec ces dernieres, partout oú
) les circonstances le requerront. ... Or, S. M. im-
» pél'iale se promet, de la part de S. A. électorale,
» qu'elle fera de sérieuses.réflcxionssur les obli.




196 lIIÉlIIOIRES
» gations que lui impose sa qualíté de membl'e
» de l'Empire germanique, dont elle a juré de
» maintenir la conservation; qu'en eonséqnenee
» elle ne tardera pas a preter son assistance a la
» patrie menaeée de sa ruine; et qu'enfin elle ne
» voudra plus se refuser, sons des prétextes qui
» répngnent aux lois fondamentales de l'Empire,
» a fournir. en plein non-seulement son contin-
» gent, mais encore celui que les dernieres ré-
» solutions prises unanimement par les états de
» l'Empire lui prescrivent dans les conjonetures


, e' " e » presentes. en est qu en s y eonlormant pone-
» tuellement et sans perte de temps, que S. A.
» éleetorale peut effaeer les facheuses impressions
» que sa conduite n'a pu manquer de [aire sur
» l'espritde ses eo-états et sur celui de tout le pu-
» blic germanique .... »)


La cour Bavaro-Palatine n'hésita plus des-Iors
a ordonner la prompte réunion de son cOlltin-
gent, formé de huit mille hommes tant Palatíns
que Bavarois, qui un mois apres joignirent l'ar-
mée combillée devant J\1ayenee. La on lcur
donna le poste d'honneur, c'est-a-dire le plus
dangereux a la poínte dn Rhin. Les autres COllrs
allemandes en rctard eéderent a l'impulsion, el:
tout l'empire germanique s'étant eonstitué ainsi
en état de guerre, augmellta la masse déja
énol'me des ennemis de lu Franee.




n'u?{ H02VIlIfE n'ÉTAT. J97
Elleparaissaitalorsala plupartdescabinetsdans


un état de eonflagration telIe qu' on se crut fondé
a regarder comme inévitable sa proehaine disso-
lution comme eorps politique; tout semblait la
mettre a la merci des puissances réunies de nou-
veau contre elle par l'active interposition du mi-
nisterc anglais. Cette grande eoalition se montrait
meme plus redoutablc que ceUe que le ministere
Whig avait élevée, sous la reine Anne, cOlltre la
prépondéranee inquiétan te de Louis XIV. Mais il y
avaitalors a la tete des armées alliées deux grands
hommes de guerre, unis et agissant de eoncert,
:Marlborough et le prince Eugene; au lieu que
dans la guerre aetueUe les cabinets en étaient ré-
duitsa eonfier la direetionde leurs forees audue de
Brunswiek et au prinee de Cobourg. On ne sentit
pas assez l' énorme différence qui se révélait, sous
le point de vue politique et militaire, entre les
deux ehefs de la fin dn dix-septicrne sieclc, et les
deux ehefs de la eoalition formée a la fin du dix-
huitieme. Pourtant il s' agissait de lutter contre un
nouvean pouvoir bienautrement rude a combat-
tre et a soumettre que le pouvoir de Louis XIV.


A la vérité, la répllblique franf,{aise ne reposait
encore que sur un gOllvernement provisoire et in-
forme, dont la convention était a la fois la base etle
foyer, sons l'inflnenee des clubs, des comités révo-
lutionnaires et meme des comités d'insurrection.




Jg8
La convention en était asservic Oil en til'ait sa
force, selon l'alterllative de succes et de revers
des partis qui la divisaient. Toutefois, malgré
leur animosité, les girondins et les montagnards,
c' est-a-dire l<>s deux factions principales de la
plaine et de la moutagne, n'en avaient pas moins
le meme intéret a élcctriscr la natíon pour re-
pousser l'étranger qui mcna<,;ait les frontieres.
Des le 24 février, une lcvée de tl'ois cent mille
hommcs avait été décretée, afill de porter l'ar-
mée a l'effectif de cinq ccnt mille soldats; cal' la
convel1tiol1 n'avait Oilvert la campagne qu'avec
dcux cent cillquaute mille combattalls répartis
dans six armées différel1tes, et trente mille dans
l'intéricur.


La nouvelle de la défaite de Nerwinde et de
la retraite de Dumouriez luí était arrivée au
momcnt meme Ol! la guerre civile éclatait dans
la Vendée, ou le peuple se soulevait dans
plusieurs départemens du centre; et OU Lyon
s'agitait contre l'oppression des clubs et des sec-
tateurs d'une démocratie sanguinaire.


Quand le ¡er avril le voile qui couvrait les
desseins de Dumour~ez fut déchiré, l'agitation
augmenta a mesure que les dangers se succéde-
rento La défaite. de Custine sur la Nahe, les suc-
ces extraordinaires des paysalls vendéens, et les
~roubles de la Corse, mirent le combIe a la désol'''




n'fJN nO~fl\1E n'ÉTAT.
ganisation des autorités et de la force publiques.
Presquc toute l'armée de Dumouriez s'étant dé-
bandée dans i'intéricur, iln'en restait plus pour
ainsi dire qu'un noyau, qui vint se mettre a eou-
vert sous le canon de Valeneiennes.


Quoique divisés, les chefs de la eonvention,
montrerent une grande énergie, mesurant d'un
reil ferme les dangers dont ils étaient menaeés
et qui compromettaiellt l'indépendance de la
nation. Des le 4 avril de grandes mesures fu-
rent décr{~tées pou!' parer aux suitcs de la dé-
fection dc Dnmolll'icz. On pressa la levé e des
trois eent mille hommes; on envoya des députés
militaires avee des pleins pouvoirs a l'armée du
nord; on décreta la formation d'une armée de
quarante mille hommes, spécialement destinés a
couvrir París, et une lcvée de trente mille cava-
liers montés etéquipés. Toutes ces mesures déno.
tarcnt combien les frolltieres étaient dépourvues,
et combien, daus eemoment de crise, unemarehe
compacte et rapide des coalisés sur París cut peu
reneontré d' obstacles. La erise fut marquée égalc-
ment par une mesure d'une plus haute impor-
tance encore. Soit que la marche timide et lente
du conseil exécutif provisoire ne favorisat pas
assez l'élan natiollal au gré des chefs de la con-
vention, soit par défiance de ce conseil, soit enfin
avidité de s'emparerde toutel'action du pouvoir~




200 l\rÉMOIRES


la conven tion institua, le 6 a vril, un comité de
salut public de neuf membres pris dan s son sein,
délibérant en secret, avec mission de prendre
toutes les mesures que réclamait la défense gé-
nérale extérieure et intérieure; en un mot, te-
nant dans ses mains le timon de l'état, puisque
le conseil des ministres lui était subordonné.
Telle fut l'origine de ce terrible comité 1 , qui se
fortiflant en proportion que s'accroissaient les
dangers publics, flnit par effrayer le monde en
subjuguant la France, et en combattant rEurope
par la terreur. .


En outre la convcntion pronon<;a la peine de
mort cohtre quiconque proposerait de négocier
avec les puissances belligérantes, avant qu'elles
eussent reconnu la république. Puis comme si
toutes ces mesutes ne donnaient pas encore une
assez juste idée de la résistance qu'elle était dé-
terminée a opposer aux efforts de la coalitiol1 ,
elle dé clara , dans un manifeste adressé a tous
les peuples et a tons les gouvernemens, qu'elle
s'ensevelirait plutót sous les ruines de la capitale,
que de souffrir qu'aucun cabinet s'immis<,;atdans
l'administration intérienre de la France. A la
vérité, sur la proposition de Danton, elle avait


• Dans sa premiere formation, voici quels Curent les mcmbres qui
en firent partie: llarrere. Delmasj CalDbon, Jean Dellry. Gnyton-
Monean, Treilhard el DeJarroi".




n'UN HOMME n'ÉTAT. 2.01
décreté qn'eIle ne se melerait plus du gouverne·
ment des peuples ses voisins, chez qui elle pour·
rait etre dans le cas de porter les armes. C' était
positivement annuller ses propres décrets des
19 novembre et 15 décembre précédens; mais
ce repentir tardif n'était pas inspiré d'ailleurs
par un esprit de conciliation.


Enfin, le 30 avril la convention compléta ses
moyens de défense, en déterminant l'organisa-
tíon, les pouvoirs et la répartition de soixante
de ses membres, qu' elle délégua aux armées,
avec le titre de représentans de la nation. La
prit son origine ce nouveau proconsulat, arbitre
du sort des généraux, et disposant, au nom da
pcuple, des bras, du sang et de la fortune de la
population entiere de la Fr:ll1ce : tous ces repré-
sentans en mission déployerent la plus redou-
table énergie.


Et ce fut en présence d'un tel pouvoir, que
les généraux et les hommes d'état chargés de le
combattre procéderent comme s'ils n'avaient ni
prévoyance, ni jngement, ni aucune étude des
affaires humaines, tant la marche de la révoIu-
tíon déconcertait la routinc des esprits lcnts et
étroits. Les conférences de Francfort venaient
d'en donner la mesurc. Rien ne manquait .ce.
pendant pour agir avec vigueur, ou pIutot tont
manquait, puisqu'iI y avait absence de caractere




202 lIIÉlIlOIRES


et d'énergie morale dans les conscils. On devait
done s'attendre qu'aucun cffort vigoureux et
prudellt ne serait tenté par ceux qui étaient
ehargés de la direction des foreesde rEurope.
n n'yavait d'ailleurs aucnne uniformité de vues
et d'intéret entre les eoalisés, ce ql1i rendait plus
sensible enCQre le vide d'hommes éminemmens
gnerriers et politiqnes, qui se faisait sentir dans
leurs camps et dans leurs conseils. Or, aUCUll
plan dont l'exécution eut pu remédier aux dan-
gers des circonstances, ne pouvait sortir d'un
tel état de choses. La ligne de conduite la plus
sure et la plus commode parut etre ccHe de tout
abandonner a la fortune, sans rien entreprendre
pour s'en assurer les faveurs.


Ces dispositions ne furent pas inconnues aux
comités de la convention, au moment meme ou
sa cause paraissait désespérée, et oú il n'y avait
aucunes forces capables de résister a une vigou-
re\lse et brusque offensive. L'un desreprésentans
venus de la frontiere du nord 1, donna au co-
mité de salut public des détails qui confirmerel1t
ce que d'autres avaient écrits de Lille, en ces
termes: l( Les étrangers ne veulel1t point nous
» attaquer; ils esperent tout de l' esprit de dis-
» corde qui regne parmi nous. »


Le prince de Cobourg s' en tint en erfct a des
I Puhe¡n,




n'UN lJOllBlE D'{TAT. ~03
mouvemens insignifians ou a des opérations par-
ticUes et par cOIlséquent nulles, dans une guer1'e
a la fois nationale et politique.


La cou1' deVienne, d'ailleurs, s'oeeupait moins
a101's a renforeer ses armées qu'a s'affermir clans
ses provinccs BeIgiques, en rendant aux états
du pays tons leurs droits, en nommant gouver-
neur-général de cesprovinces l'arehiduc Charles,
qui fit en eette qualité, a Bruxelles, son entré e
publique. Tout le mois d'avril s'écoula sans que le
prince clcCobourg eonsentlt a ríen entreprendre;
il adopta le plan du eolonel Mack, qui renvoyant
les opél'ations offensives a la fin de mai, laissait
jusque-Ia les Fran({ais tmnquilles sous la pl'otee-
tion du canon de Lille, de Valenciennes et de
Maubeuge. Ainsi Maek ajournait a un mois l'at-
taque du eamp retranehé de Famars, le siége de
Condé et de Valenciennes, pour de la en venir a
l'attaque du camp retranché de Dunkerque, puis
a la conquete de eette derniere ville, qui devait
amen el' ceHe de Lille avee plus de séeurité. On
voit dans cette eonception inspirée par le eongres
éphémere d'Anvers, le dessein positif de faire la
conquete méthodique de la Franee , sans risquer
aucun grand mouvement stratégique, aueune
bataille générale, eomme si on eut été sur qu'un
grand pcuple, dans un état violent de fermen-
tation 1 laisserait tout entreprendre contre lui-




MÉi\fOJRES


meme. Ce plan, en un mot, semblait faire abstrae-
tion et de la nation qu' on avait a combattre, et du
caractere de sa révolution intérieure. On ne pou-
vait rien proposer de plus favorable aux intérets
de la convention, qui allait avoir ainsi tout le
tcmps de respirer, de répal'el' ses revel'S, de
faire toutes ses levé es , et de complétel' sa dé-
fensive.


Elle fit plus encore; au milieu meme de ses
déchiremens elle en imposa aux alliés par de
l'audace, en ordonnant au général en chef de
l'armée du nord de débloquel' Condé, devenu le
point central des opérations. Dans un conseil de
guerre tenu a Valenciennes, une attaque géné-
rale pour dégager Condé fut résolue et fixée au
1 Ir mai. L'armée impériale fut attaqU¡e ce jouro
la meme sur toute sa ligne, mais san s succes. Les
républicains en pleine retraite, apres cette jour-
née sanglante, furent poursuivis jusqu'au camp
de Famars, laissant deux mille morts et une
partie de leur artillerie. Des ordres réitérés et
pressans n'en contraignirent pas moins le géné-
ral en chefDampierre a combiner une nouvelle
attaque : il y répugnait, car les comptes a rendre
a la convention lui paraissaient plus inquiétans
que le canon des Autrichiens.


Leurligne s'étendait de Maubeuge a Saint-
Amand, sur plus de dix licues d'étendue. La ré-




n'UN HOMME n':ÉTAT.
serve était restée aux ordres du général Clairfayt,
et ce n'était pas sans dessein qu'on le tenait a
l'écart du quartier-général impérial, qui devenáit
un foyer de petites intrigues.


Averti que l'armée franljaise se disposait a une
nouvelle attaque , le prince de Cohourg ne chan-
gea rien a ses dispositions défensives. Son front
était couvcrt par des bois retranchés avec des
abatis et des redoutes; et il avait assuré ses
flanes par le cours de l'Escaut et de lá Scarpe.
Dampierre hésitait an point qu'il donna et retira
trois foís IJ)l'dre d'attaquer; cnfin recevant lui-
meme le signa!, le mouvement commen~a le 8
mui sur la droite en avant de Maubeuge; cinq
fois les troupes retournerent a la charge. Dam-
pierre ma~cha en personne contre la réserve au-
trichienne postée a Vicogne, ou les impériaux et
les Prnssiens commandés par Clarfayt s' étaient re-
tranchés dan s les bois. Voulaut forcer le$ abatis,
il renonvela plnsieurs fois rassaut, mais sans
succes. Le désespoir s' empare alors de son esprit,
dont l'ardenr approchait du délire. A la vuc de
son avant-garde criblée par une batterie ennemie,
il court dessus a cheval, a la tete d'un détache-
ment qni en est lui-meme foudroyé. « Oú con-
» rez-vous, mon pere? lui dit son fils, qui lui
» servait d'uide-de-camp; vous allez a une mort
» certaille. -Oui, mon ami, lui répolld-il, j'aime




~.w6 l\IÉMOIRES
» mieux monrir au champ d'honneur que SOl1S
» le couteau de la guillotine. )} A peine a-t-il
proféré ces mots, qu'un boulet de canon lui
emporte la cuisse. Toutes les troupes cnga-
gées se retirent, et l'attaque est abandonnéc
sur tous les points. Dampierre subit l'amputa-
tíon et ne put y survivre. Ce llonvean revers
décída les commissaires de la cOllvention a reste!'
sur la défensive.


C'était pour les alliés le moment d'agir,
d'antant plus que l'armée dn p"ince de Co-
bourg venait d' etre renforcée par les Anglais,
les Hollandais et les Hanovriens. Dans un con-
seil tenu au quartier-général ímpérial, le duc
d'Y ork et le généraI Clairfayt repr~senterent
qu'il fallait se hater de prendl'c l'offensive, pour
ne pas voir la campagne s' évanonir en atta-
ques de places et en affaires de postes; qu'une
armée deux fois vaineue ue tiendrait c.as clan s
ses positions, et que d' ailleurs un sucees eom-
pIet livrerait Con dé , laisserait Valeneiennes in-
vestí, et ouvrirait le chemin vers la capitale. Le
prince de Cobourg et le colonc1 Mack jugcaicnt
préférable d'attendre l'issue des troubles sus-
cités dans París, afin de rechereher un nouveau
point d'appui dans l'intérieur, sans lequel íls
n'ét~ient pas d'avís qu'on marchát en avant. Une
atta que généralesur le campde Famars futnéan-




n'ITlV HOJUlIfE D'ÉTAT.


moins résolue. Ce camp, situé entre Valenciennes
et Maubeuge, avait son flanc droit protégé par
!'Escaut, sa gauche appuyée aja riviere de Ronelle,
et son front couvert par des redoutes. En avant,
sur les hauteurs d' Ansin, et a la gauche de Va-
lenciennes, avait été formé aussí UIl camp avancé.
Le 2.3 maí tons les postes fran<;;ais furent attaqués
sur tout le front de la ligne. Quatre eolonnes
principalel eommandées par le prince de Co-
bourg en personne, le uue d'York, les généraux
Latour el Clairfayt, agirent en meme temps. Le
général en chef de l'armée impériale, qui dispo-
sait de plus de qnatre-vingt mille eombattans, et
qui n'avait devant lui que einquante mille répu-
blicains disséminés et découragés, manreuvra
san s vigueur el sans intelligence, se perdit dans
une multitude de petites attaq ues accessoires, et
ne forc,;a point le camp de Famars. Mais le duc
d'York tourna la droite de la ligne fran<{aise,
et le général Ferrari emporta les redoutes en
de(;a de la !loncHe; alors les républicains éva-
cuerent le camp et se replierent sous le canon de
Bouchain, apres avoir jeté un renfort de dix mille
hommes dans Valenciennes: Le eamp avancé
d'Ansin ne fut eonquis que le lendemain, apres
quele général Clairfayt l' eut tourné avec un corps
d'Autrichiens ctd'Anglais, eten eut formé l'atta-
que par le hois de Raimes; elle fut meurtriere




2.08 }IÚMOIRES
mais décisive. En meme tempsl'abbaye d'Hasnon
fut forcée par le corps auxiliaire prussien; alors
Valenciennes se trouvant investí, les alliés, mai-
tres des hauteurs d'Ansin, jeterent le jour meme
des obus dans la citadelle. Le prince de Cobourg
laissa sans l'inquiéter l'armée frant;aise opérer
sa re traite et prendre tranquillement la posi-
tío n du camp de César, au líeu de la poursui-
vre sans reh\che, de la forcer a se jeter dans
les forteresses, ou de la disperser, avec la réso-
Iution décísíve de marcher par Guise sur París,
a la tthe de quatre-vingt milIe fantassins et trente
mille chevaux, en laissant des corps d'observa-
tion sur chaque flanco Douze jours de marche
serrée . sur la capitale auraient suffi pour venir
occuper les hauteurs qui la dominent, chasser
la convention et ses adhérens, et s'emparer ainsi
de ce granel foyer des actes et de l'armement
de la révolution. La, revenalit uu plan de Du-
mouriez, et unissant la sagesse a la force, on au-
rait pu niettre un terme, peut-etre, a cette crise
sociale, en traitant avec la nation sur des prín-
cipes qui auraient concilié sa dignité et son'"
indépendance avec l'intéret général de !'Europe.
Mais de si grands résultats, et les moyens d'y
arriver, n'étaient pas meme entrevus dans les
conseils de Vienne, de Berlín et de Londres. Le
génie capable de mettre fin a la guerre par un




semblanle dénouemC'ut ne s'éleva point au mi-
líeu de cette divergence d'opinions et d'inténhs,
qui divisant et énenant la coalition, la privait
de ce earaetere d'unité et de gralldcur qui au-
rait pu la faire triompher.


Les alliés, toujOlll'S clan s l'attente de quelque
cléchircment intérieul' qui amenerait la dissolu-
tíon de la convention, perdirent de vue qu'il ne
pouvait y avoir d'événemens décisifs qu'a la fron-
tiere du nord; ils se bornerent done a fairc
méthodíquemcnt le si<"ge de Valenciennes, qlli
ne leur promcttait qne de minees résllltats, lais-
sant aillsi de plus ell plnsála eonvention le temps
de rellforeer ses armées, et de pourvoir a tous
ses moyens de défense.


Qu'on ne perde pas de vue que eette in con-
cevable illertie de la part des alliés coincida pré-
eisément avee l'explosion cJ'un déchirement inté-
ríeur prévu et annoncé, mais qui n'amena point
la dissolution de la convention. Il s'agit des évé-
nemens du 31 mai, 1 er et 2 j uin, Ol! la minorité,
secondée par le club des jaeobins, par la com-
mune de Paris et par les uernieres classes du peu-
pie, subjngllalamajorité, en renversant la faetion
de la Gironde, et en faisant prévaloir eelle de la
montagne. Alors fut illSlitué ce gonvernement ter-
rible par les formes, terrible par les effets, la dic-
taturc eolleetive, en un mot le gouvcrncment ré-


l[. 14




210 lUÉl\WIRES


volutionnaire. Mais illui fallut encore trois mois
ponr S' établir et se fortifier au milieu des déchire-
mens et des orages, et ces trois mois furantégale-
ment perdus par les coalisés. En brnsquant les
événemens íIs pouvaient marcher directcment
sur París, avant. que les levées de la convention,
en fin organisées et poussées palo l'enthonsiasmc
de la liberté, ne vinssent lenr opposer 1m ob-
stade invincible. C'était l'opinion de Dumou-
riez, dont le poids ne saurait etro dédaigné
par l'impartiale histoire, et yoici commcnt iI
s'en exprime: « Il Be rcstait de ressources á la
» convention que clans les débris de J'arméc
» franl,;:üse, échappée du camp de Famars, et
» réfugiée dans le camp de Cósar sous Cambray.
)l On s'occupa exclusivement du siége de Valen-
» rieunes. Si le dllc d'York avait été promp-
» tement détaché par le prince de Cobourg
» contre le camp de César avec la moitié de son
» armée, il1uI serait resté assez de troupes ponr
» continuer ce siégc, et le sort du camp de César
» aurait décidé celui de la .France, en rejetant la
» défense, de ce coté, an-dela de la Somme, qui
)) serait redevenue frontiere de la France comme
)) da temps de HeIll"i IV. Mais l'armée alliée fit'a
» memc fante que le roi de Prllsse en Champagne
» devant V crdun : elle resta tonte entierc devant
» Valencienncs. Le siége fut long; la défense fut




, " D EX IIOlUME D ET AT. 2II


») opini~\trc et glorieuse. Les armées fran<.:aises
)) eurent le temps de s'organiser. On a perdu du
») temps a faire une gncrre méthodique. Les
)) Fran<;:ais ont en celui de se remettre; ils sont
)) devcnus plus forts et plus nomhreux, et ils se
») sont aguerris. La France a été sauvée. »)


Bien (pIe les délibérations diploma tiques d'An-:
vers n'enssent révélé par aucun acte patent la
polit iqne des principales puissances délibérantes,
il ~l'en était pas moins ;L la connaissance particn-
liere du cahinet de Berlin que l'Angleterre et
l'Autriche ayaient en vue de s'nppliqm'l' des gages
d'inclewnités et de súretés ponr l'avenir : ceeí
ehangcait entieremcnt l'objet de la guerreo En
('ffet, il s'agissait 11101n5, (hns l'application d'un
tel príncipe, de n'~tablir l'ordre en Franee que
de commencer par la motiler en la dépouillant
ele ses provinces frontieres et de ses eolonies.
Pal' sa positioll géographiqne, la PrU5se se trou-
vait llaturelleml'ut hors de la sphere d'une tcllc
partici.pation, et sans allenn poids assuré dans
un équilibrc éventucl de l'Eul'ope. La suite des
(~vénemens fera voir que cette avidité de eon-
quete devint un des principaux obstacles au dé-
nouement possible alors d'ullc:guerre sanglantc et
ruincusc, qui se prolongea an contraire, soitpar
] e dd;! 11 td' en sem ble'Jallsj: es opérati ons offensi ves,
soil pat' les desscius eontradietoires des cahinets.




212 M Él\IOIRES


En voyallt le ministere de la Grande-Bretagne
prendre part aux délibérations des puissances
continentales, et entrer avec elles dans des liai-
sons plus intimes, on fut d'abord fondé a croire
que Londres aUait devenir le centre d'une négo-
ciatíon relative a la France. L'arrivée dans cette
capital e , et avee une suite nombrellse, du comte
de Merey-Argenteau, aneien ambassadeur de la
cour de Víenne a París; ceHe cIu comte de Star-
hembcrg, quí allaít y remplacer le comte de
Stadion, en qualité de ministre plénipotentiaire
de l' empereur, apres avoir assisté , ave e le mcme
caractere, aux délibérations d' Anvers; et enfin
le retour a Londres de lord Auekland, qui, de la
pairie d'Irlande, venait d'etre élevé a ecHe de la
Grand~-nretagne, apres avoir été remplacé a La
Haye par lord Spencer, tout ce mouvcment de
la diplomatie semblait avoir pour objet les inté-
rets généraux de la coalition.


On s'en occupa également an qnartier-général
du roi de Prusse, et on y résolut d'envoyer a
I~ondres le marquis de Lucchesini, déja désigné
ponr l'ambassade de Vienne, mais dont la des-
tination fut ehangée. Le cabinet prussien l'anrait
présenté anx puissanees respeetives , comme un
diplomate capable de travailler en Angleterre a
concilie!' les divers intérets et a régler le sort de
l'Europe. Mais l'Anglcterre et I'Autriche, par




D'UN HOllfl\m D'.ÉTAT. 213
des vues intéressées, prirent le parti de laisser
dauslc vague la politique de la coalition, pOllr en
diriger plus exclusivement les rcssorts; ainsi
Lucchesini resta au quartier-général prussiell, et
il fut évident que la conduite de la guerre man-
quait de boussole et de regle fixe.


On y sut bientot que l'Autriche avait résolu
d'occuper en son nom les places fortes dont
elle formait le siége sur la frontiere du norel, et
que les ministres anglais ayant mis en délibéra-
tion s'ils emploieraicnt une parLie de leurs forces
de tcrre ct de mer á seconril' les royalistcs de la
V cndée, ou ~l s' emparer des colonies fran<;:aises
des Indes occidentales, s'étaient décidés pour ce
dernier parti.


On voit a présent pourqlloi les avantages
qui avaient signalé le début de ceUe seconde
campagne, furent suivis de trois mois d'indéá-
sion et de langueul'. Toutes les forces que les
coalisés aváicl1L mises en action, et ayec les-
quelles ils auraient pu attaquer la France avec
sucd~s, clan s le foyer meme de sa révolution in-
térieure, vinrent pour ainsi dire s'absorber dans
les lenteurs de deux siéges, celui de Valenciennes
et celui de Mayence, (pi ne pouvaient conduire
á des résultats prompts et décisifs, quoique l'une
de ces places fermat aux Fran<;:ais l'entrée de rAl ..




lIIJbro IR ES


lemagne, et que l'antre pal'út ouvrir á la grande
anllée alliée l'entrée de la France.


Dans l'ensemble de la gnerre, Mayence deve-
nait l'objet d'une diversion utile a la France, eu
ce qu'elle retenait éloigllées de la frontiére en-
valúe une grande par tic des troupes coalisées.
L'importance (Ine le caLinet prussicll attachait
a la conqUt'te de ce boulevard de l' Allemagllc ,
tenait aussi a des considérations politiql1es aux-
quclles les circonstances dn momcnt donnaiellt
encore plus de poids : il en ll'evoyait ce (IU'il avait
déja pressenti, que les int<"réts de la Pl'usse se-
raientillutilement compromis dans ecttc guerrc;
et voilil pourqnoí iI aurait voulu marcIuer la
possessíon de Mayenee comme le but et le terme
des tl'avaux de l'armée prussienne. Diverses né-
gociatiolls fnrent entamées a ce sujet. A la fin
meme de 1792, Riron étant général en chef de
l'armée dn Rhin, avait en avec Lucchesini lIne
entrevue secrete a Oggersheim, cbns le dessein
de travailler aux préliminaires d'un rapproche-
mento Mais ces ponrparlers qui se ressentil'cnt
des vÍcissitudes de l'invasion clans le pays alle-
mand 1 dcmeurerent sans résultats, comme ceux
qni avaient en líen précédemment avec Dnmou-
riez et Kellermann. Le cabinct prussien ne pou-
vait songcl' a la paix tant que Mayence serait entre




n'UN HOllurE D'.ÉTAT.


les mains des Fran<;,ais, et tant que les Pays-Ras
ne seraient pas nmtrés sous la domination de
l'Antriche. Cette dcrniere comlition ayant été ac-
complie par la force des armes, le gouverne-
ncment prussien jugea des-Iors qu'il ne serait
peut-etre ras impossible d'ubtenir Mayence par
la voie des négociations, á laqllelle les Fran<;ais
scmblaient n'avoir pas entierement renoncé.
Custine s'y était Im~té clandestinement pour
l"rancfort; on crut qu'il s'y preterait également
a l'élrard de l\Iavellce, en lui offrant toutefois


u •


pour perspecti ve, sinon la dófcction de la Prusse,
c/u moillS des dispositions de sa part a un ae-
commodement praticable. On lui fit, par l' entre-
mise de Lucchesiui, des ouvertures qu'il re<,¡ut
avee timidité et une grande réserve, tant ii re-
doutait de se compromettre vis-a-vis de la con-
vention. II en référa au conseil des ministres,
en lui présentant le sacrifice de lVlayence comme.
ntile pour la ddense géllérale et pressante des
frontiéres, et mClllC comme pouvant décider la
retraite de la Prusse; mais les ministres n'oserent
prendre sur leu!' respoIlsaLilité d'en donner 1'0r-
dre; ils se contenterellt ü' envoyer a Custine carte
blanche pour agir miiitairement. Le 26 avril il fit
accompagner un pariementairc prussien par un
de sesofficiers, porteurdedépeches par lesquelles,
témoignallt la crainte de ne pOllvoir ríen tenter




216 l\fÉlIIOIRES


pour sauver la place, et rappelant que le conseil
exécutif avait en l'intention de l'abandonner, il
engageait fortement les chefs de la garnison a
écouter les propositions du roi de Prusse,
apres avoir préalablement exigé la libre sortie
de leurs soldats, dcs éqnipages et de tout le
matériel. En meme temps le parlementaire prus-
sien demanda une entrevue pour le géllérul Kal-
]ireuth avec les représentans du peuple, com-
missaires de la conventíon. Elle fut accordée,
resta secrete, et les attaqucs conLimlerent. Deux
jours apres, on demanda une autre entrevue
au commissaire Rewbell, qui s'était montré le
plus récalcitrant : iI la refusa. Ces conférences
inquiétaient la garnison qu'animaient l'ardenr
patriotiquc des généraux Doyré, Meunier et
Aubert.Dubayet. Plus capables que les ministres
et que Cnstine lui-meme, d'apprécier l'impor-
tan ce d'un boulevard tel que Mayence, ils con-
voquerent de concert ave e 1\:'5 commissaires de
la conventíon un conseil de gllerre ponr déli-
bérer sur le double message, lurent tontos les
lettres en plein conseil, et firent rejeter a runa-
nimité les propositions émanées du quattier-gé-
néral prussien.


Le roi était a Darmstadt pendant cette négo-
ciation. Il y était arrivé le 24 avril, accompagné
du prince royal et dn prince Louis, ses deux




n'UN HOlUlUE n'.ÉTAT.
fils alnés. La avaient eu lieu les cérémonies des
fian<;ailles des deux jeunes prinees avec les prin-
eesses Frédérique et Louise, filles du due de
Mecklenhollrg-Strelitz. Le due et la duchesse des
Deux.Ponts,le prince Maximilien des Deux-Ponts,
le duc etla duchesse de Saxe-Hildebourg-Hausen,
le prince héréditaire de la Tour-et-Taxis, et la
princesse, son épouse, sreur des deux princesses
fiancées, assisterent a eette solennité brillante
et aux divertissemens dont eHe fut suivie. Les
graces et l'amabilité de la princesse Lonise cap-
tiverent tous les creurs. 1 On décida que ce douhle
mal'iage se céléhrerait a Berlin, apres la cloture
de la campagne. Le roí et les deux princes re-
tournercnt le 26 au quartier-général de l'armée
combiné e , qui était alors a Ediclwfen, a denx
licues de Landau. La Frédéric-Guillaume apprit
que la négociation relative a Mayence avait
échoué. Il jugea, d'apres la réponse donnée a
son parlementaire, qu'il ne restait plus el'autre
parti a prelldre que de transformer le blocus
en un siége el)" régle. Ayallt d'en commencer
les travanx, le roi voulut visiter les lignes de
l'armée autrichienne sous les ordres ele Wurm-
ser, et elont l'armée de Condé faisait partie.
Le prince de Conelé re<;ut le roi a la tete el'un
bataillon de gentilshommes. Le monarque prus-
sien tint son chapean a la maill tant qu'il fut




~:H8 lIIÉlIIOIRES
devant ce bataillon; il ne se couvrit qu'en arrí-
vant aux troupes de ligne, et alors se horna a
saluel' les officiers. Le prince de Condé ayant
représenté au roí qu'il manquait d'artillerie, le
roí mit aussitOt a sa disposition huit pieces de
canon qu'il venait d' enlever aux répuhlicains.
« J'espere, lui dit-íl, que je pourrai voír un jour
» ces canons a ChantiUy. »


Cependant ríen n'étaít préparé pour aUaquer
Mayence en regle; on ll'avait pas meme d'artillerie
de siége. A l' exception de Wese!, le roi ue pouvait
disposer d'aucun nutre arsenal sur ce théútre de la
guerre, et Wesel n' offrait ni assez d'artillerie ni
assez demunitions pour une aussi grande entre-
prise. L' éloignement des principaux arsenaux de
la monarchie remlaiellt d'un transport trop lent
et trop difficile les ressources qu'on aurait pu en
til·er. On eut l'idée cl'ycmployer les superhes
équipages des AutrichicllS venant de Vienne;
mais ce cabinet qui se souciait pea d'accélérer la
reddition d'une place de l'empíre, préfera s'ap-
proprier Valcncíennes pour cOllvrir ses provinces
Belgiques, et refusa d'adhérer aux installces du
roi de Prusse; on fit ainsi parcourir a cet im-
mense attirail cent vingt lieuesde plus ponr aner
assiéger Valenciennes. Il allait en résulter un re-
tard préjudiciable a l'entreprise sur Mayence.
Le roi cut alors recours aux élats.généraux,




n'llN IIOllDIE D'.ÉTAT.


et en obtint, apres une négociation préala-
ble, l'artilleric et les munitiolls qui lui étaient
nécessaires et qní furent tirées des places du
Brabant hollandais. Le trallsport en pouvait etre
effectué aisémeut par le Rlún, en. remontant le
íleuve. Dans l'iutervalle le roí s'était transporté
a l\Ianh"'Ím, oú il :lvait fait des disposítions mi-
litaircs, et de El il était re tourné a l'armée de-
yant Mayence. Le 3 maí, iI fit attaquer le vil-
lage de Kostheim sur la l'ive dl'oite; il faUut re-
nouvcler l'attaquele 8; le poste futalors emporté,
mais oune pul s'y maintenir. Lesdeux partis res-
terent assez long.temps daus une surte d'inactioll
com;enue; mais continuellement sur le qui-vivc.
Tamlis que l'année J'investissement perfectíon~
nait ses lignes, la plus grande partie de la gar-
llisOll se tenait campée entre la ciLadelle et les
forts extérieurs. Vers la fin de mai sculement,
la garnison pamt se réveiller par deux entre-
prises, ¡'une sur les Hes de la pointe du Mein ,
l'alltre du coté de Monbach; elles furent san s
résultat, commc toutes les sorties de ce genre.


L'armée d'investissement s'étenclait sur les
deux rives du Rhin. Toutes les hauteurs qui do-
minent Mayencc sur la rive gauche, étaient cou~
vertes par des retranchemens ou des redoutes. A
la rive droite devant Cassel, les hauteurs de-
puis Hocheim jusqu'a Mosbach étaient occu-




220 lUÚroIRES
pées aussi par les troupes de bloCllS et défendues
par des retranchemens. La défensivc active des
assiégés devait prolonger nécessairement la du-
rée du siége.


Cependant Custine qui s' était retiré avec toutes
ses forces dcrrierc la Lauter et dan s les Vosges,
ayant devant lui l'armée d'observation du duc
de Brunswick, fut appelé an commandement de
l'armée du nord, vacant par la mort de Dam-
pierre. Il crut devoir mettre sa responsabilité a
couvert par un simulacre d'attaque en faveur de
Mayence, avant son départ. N'ayant pas le projct
de délivrer la place, il voulait seulement cnlever
un corps isolé de l'armée combinée, afin de pa-
raltre a l'armée dunord précédé par une victoire.
Un sucd~s n'était pas improbable. Le duc de
Brunswick avait en se conde ligne les corps de
W urmser et de Condé sur les deux rives de la
Queich. Répartie sur un front immense, et par
division, l'armée combinéese trouvait coupée,
vers son centre, par les V osges et par la place de
Landau, ce quí l'aurait exposée a une re traite
périlleuse, si Custine était ven u l'accabler sur
un point faíble par un mouvement stratégíque
vigoureux. Il en était peu capable. C'était la
gauche des Autrichicns, commandés par Wurm-
ser, qu'ilavait en vued'assaillir. Les mouvemens
incohérens de ses colonnes d'attaque vinrent




n'UN HOl\'nm n'ÉTAT. 221
échouer, le 17 mai, dcvant une défensive assez
bien entendue. Les Autrichiens, soutenus par
une partie de l'armée de Condé, culbuterent la
tete de colonne du principal corps d'attaque.
Les escadrons chargel'ent, et l'alarme s'étant ré-
pandue dans la colorme entiere, Custine, mis
en déroute, rcgagna Weissembourg, et partit
immédiatement pour Cambrai, sans emporter
á l'armée du Nord aucun trophée de son com-
mandement sur le Rhin. L'armée fran'taise resta
solJ.s le commandement d'Alexandre Beauhar-
nais, qui avait figuré a l'assemblée constituante,
comme un des coryphées de la minorité de la
nobIesse.


Quant a Wurmser, ne voulant pas s'exposer
:'t une nouvelle attaque, iI replia ses troupes
derriere la Queich, commc iI en avait re<{u 1'or-
dre du roi de Prusse, au moment meme ou
Custine avait commencé son mouvement.


Il n'était pas probable qu'apres un tel échec
l'armée fran<:;aise du Rhin vInt troubler de sitot
les travaux du si~gc de Mayence. Déj:'t les trou-
pes qui en formaient l'investissement étaient
en possession du cours du Rhin par la prise
des lles qu'il fo1'1ne au confInent du .Mein, et
par ceHe du village de Weissenau, qui est
situé vis-a-vis de son cmhouchure. Toutefois les
assiégés étaicnt encare les ma!tres des dehors




2.2.2. M::É1UOIRES


et des environs de la place; des combats jonr-
naliers avaient lieu sur le terrain qui s('~parait
les retranchemens prussiens des ouvrages fran-
~ais. Dans une de ces rcncontres le chef d'une
troupe de cavalerie défia l'officier de cavalerie
prussiennc á un combat singulier : « et si je Ye-
» uaís a ·vous comme ami? lui dit le Prussien. -
») Je vous recevrai comme te] ,)) f'("pondit le Fran-
t;'aís. Ils se tendirent la main, el fil'ent avertíl'
l'un le général Kalheuth, l'autre le représen-
tant Merlin de Thionville, PPu éloignés t:les
avant-postes. Merlin s'était fait remarquer en
donnant l'exemple da courage militaire, SOll-
vent meme a la tete des trollpes cbus les sOl'ties.
Il y ent la un pourparler, et un déjeuner ponr
le lemlemaill fut COllvellU avec le représentant
Rewbell et le princc Fcrdina.nd de Brunswick,
cal' on cspérait tonjours, an qua.rtier -général
prnssien, obtenir Mayence par un arrangcment
tacite. On croyait y parvcnir il la faveur de la
franchise d'un repas militaire : il eut licn CH
présence des troupes, qui rcstácnt éJoignées.
Le prince y déploya tonte l'aisance de son carae-
ter e et de ses manieres. Dans une conversation
souvent interrompue, OH ne put s' entendre sur
la reddition. Rewbell insistait pour que la répn-
blique fút prl'alablcment rcconn lle, et pOllr qlln
le roi de Prusse se séparút de la coalition. Déja




, " n UN HO::\lME D ETAT.


un pas cn avant avait été fait a ce sujet depnis
le siége : le premier cartel pour l'échange des
prisonniers portait en titre : Le roi de Prusse
el la républiqlle franqaise. C'était en quclque
sorte la reconnaitre le premier. Les procédés et
les égards réciproques se maintinrent entre les
deux armées, jnsqu'an moment d'nne sortie gé-
uérale et inattendue.


Lcs assiégés avaient formé le projet d'enlever
du quartier-gén{~ral de l\Tarienborn, le général
Kalkreuth, commandant le blocns, et le prince
Louis - Ferdinand de Prnssc quí s'y trouvait
égalemcnt. Six mille hommes de la garnison
divises en trois colonncs, se mirellt en marche
dans la nuit <Iu 30 an 31 mai, conduits par un
espion, et au moment meme oú une fansse at-
taque portait l'attention des assiégeans vers
Monbach. La principale co!onne pénétra sans
obstacIe dans le camp prussien, au moyen du
mot dn guet qui avait été trahi. Mais les premiers
coups de fnsil avaient mis toute la ligne sons
les armes ~t en défense. Les Prussiens repon s-
serent les assaillans, quí, au milien de la sur-
prise, avaient déjá emporté les premiers retran-
chemens et tué les chevaux de la g'arde du


'--


qnartier-général : la pcrte des Franc;ais fnt d'en-
,iron dcux ccnts hommcs.


Jusque lit tout s'était borné a. une gucrre de




l\fÉ~WIRES
postes extérieurs. Le lendemain les assiégeans
firent fen de tontes leurs battel'ies contre la
place. Le meme jonr le général frant;'ais Meunier
vint aUaquer la grande ne du Mein et fut blessé a
mort. Par un sentiment qui honora sa mémoirc,
autant que les Prussiens eux.memes, une treve
de quelques heures fut consentie pendant qu'on
lui rendrait les honneurs funebres. Les Prussiens
se porterent en armes sur lcurs lignes, et ré-
pondirent par une salve généralc a la monsque-
terie dont les Frant;'ais saluerent la tombe de
leur guel'rier, placée a la pointe du bastionde
Cassel qu'il avait défelldu.


Mais le roi qui s'était vu aUaquel' personneIle-
ment et surpris dans son quartier, fit cesser des-
10l'S tous les ménagemens politiqnes, ne sonM
geant plus qu'á pousser le siége avec vigueur. Il
en prit le commandement en personne. Fatigué
des délais qui n'avaient en que trop d'in{lucncé
sur la suite des opérations, iI fit décider en con-
seiI qu'on procédérait immédiatemcnt a l'aUa-
que réguIiere de Mayence, et que l' ouvcrture de
la premiere parallele aurait lien an plus taru
vers le milieu de juin. Le roí chargea le colonel
Lahr de dit'iger le siége, á l'aide d'un conseil
compasé en partie d'émigrés, et présidé par le
général Querlonde.


La tranchée fut ouverte, apres trois nnits de




, " D UN HOl\IME D ETAT.


combats, en présence dn roi, dans la lluit du
18 au 19 juin, et on en perfectionna les tra-
vaux san s que la garnison essayat de les trou-
hIel'. Le front d'attaque embrassa tont le coté
de la place oú est situé la citadelle, depuis
le nhin jusqu'aux ouvrages avancés du fo1't Phi-
lippe. Dans ia lluit <1n 24 an 25 on établit, a
huit cents pas des palissades, la véritable pa-
raUde, et on y const1'llisit plnsieurs batteries de
mortiers. Différentcs sortics· furent rcpoussées
avec vignenr. Le 28 les Prnssiens attaqucrent et
cmportel'ent la reuoute du Yilbgc de V cissenan.
L'achevemcllt des batteries imprima an siége la
plus grande viva cité , et le bombardemcntdcvint
terribIe.ll se passait pon de jours et de nuits qu'il
l~'éclatat dans la place des inceudies violen s ; un
tiers des maisons et plusieurs magasins furent
écrasés par les bombes ou uévorés par les flammes.
Le 2 juiUct les chcfs de la garnison cnvoyerent un
trompctte an général Bischoffswerder, avec un
message pour le cartel d'échallge, en apparence,
mais ayant réeIlcment pour objet de rcccvoir des
propositions, tont en üüsant annoncerque les
troupes et les clubistes persistaient a lle pas
voulBir se remIre. Bischoffswnder fit offrir, an
110m du roí, a la garníson, sa sortie libre. Oll
en resta I~I. Les Prussíens s'emparerent le lende-
maill de la del'uiel'e Lattel'ie fI'GIH;aise, pl'es de la


u.




226 lILÉMOIRES


reeloute ele Saint-Alban, et commcncerent, clans
la l1uitdu4au5juiUet, ahattrcenLreche: lefen
se manifesta de nouveau dans plusieurs quarticrs
de la ville. La redoutc de Zah:bach, plusieurs [ois
emportée et reprise, fut cnfin cnlevée et dé-
molie par le général Klcist, du G au 7 juillet., apres
deux tentatives illfruct.ucllses l'une faite par le
général Manstein, l'autrc par le prince Louis-
Ferdinand de Prusse. Enfin les troupes comhi-
n(~cs, se pal'tageant en différcntes colonnes de
Saxons, de Bcssois et de Prnssicns, entourerent
Kosthcim, et l'cmportercllt l'épóc a la main,
apres avoir taillé en pie ces les postes avancés.
VoiHl. comment les Fran<;:ais se vircnt successi-
veroent forcés d'abandonner les ouvrages qui
défendaient le corps de la place. La ville essuyait
jour et nuít le fen le plus violent, et on y lan-
c;;ait une immense quantité de bombes.


Au camp on s'attendait a la reddition ponr
la fin de juillet. Dans cet état de choscs, arriva
au quartier-géuéral da roi un négocíateur an-
glais, lord comte de Beauchamp, chargé pat'
son cabinet de pl'oposer un traité d'allianco
:m cabinet de Prusse. eette démarche était une
conséqllence da systeme adopté par la cour de
Londres depuis. qu'elle se trouvait engagéc {hus
une guerre généralc contre la France. En mnlti-
pliant, sur le continent, ses alliances, elle se




, " J) UY IIOJBIE D 1::TAT.


flattait d'cxcrccr su!' les différens cabillets une
influcnce ([ni, dqmis pr¡~s de deus sieclcs, était
l'objet consbnt de son ambition. Non-sculement
l'Augleterre s'était li<"e par un dauble traité avec
la Russic, mais elle :wait déj;t passé, dans le
courant <l'anil, deux traités de subsides, l'un
:wcc le Ialldgr:r;e ele He::se-Casscl, l'mltre avee le
roi de Sardaigue l. Elle venait aussi, par un
traité asec la cour de Nbclrid 2, de se substi-
tuer en quelqllc sorto au pacte de famillo (PÚ de-
puis Loui'; XIV identií:ail. la poliliquo des dcux
hranches de la maison de BOllrbon. Le pacte
de Ünnil!e vcuait d'(~tl'e auéanti par la guerre
(ín'avai ¡ d{~clal'é la Franco it l'Espagne, et que
cellc-ci avait pl'moqnée á la l1lort de Louis XVI.
Soixallte a quatre-viílgt millo Espagllols étaicnt
déjil aux prises avec del1x al'mécs fralli,'aises <-bns
toutc l'ótcndue des Pyrénécs, dcp~lÍs llayonne
jUS(!ll'it Pcrpignan. CeHe nonvclle alliance avec
i'Espagne était (l'al1!:mt p1us pl'ofitablc a la puis-
san ce de l'AngIctclTe, que la 1\Iédücrranéc valait


f I.Ol't1 Elgin avait eOllcln, le ro avril, un traite de sU]isiJes avcc
la Hesse, pOlll' huit mil!c 110Il1r:'h;s. T,Oi'll Gt'cnv,il1c avait si3né, le ?G
UU ml~mc mois, un tl'ait,; p1r1s ÍlHl)ol'tant avee le eOIule de Fl'ont, }nÍ-
nisLre uu roí tIc Sanlaignc. Par ce tr.iitt~) Victor-AuH!uéc s'eng:tgcait a
teniz' son annéc sur le pird de ci.nclui1llte ruine lIOUllliCS, moycnnant
le p:¡ienwlIt ~¡ilIll1d tIc cilHl1T,i1iiün:~.


:1 Tl'aité t.ignc le 2:; lll:\i, cntre ]onl. Sai~~t ... ]h~lcn~~ el le dile cr.Aleu-
dia, devcllu dl'p~üJ bi. [,Ill,l'¡l:';: :)úns 1<..' 110m tIc l'rillC\! (~C la Paix.




:!II.Él\ro IRES


au COl11mercc anglais pres d' un mili ion sterliug;
01' iI s'agissait oe repousscr des cotes d'Espagnc
et d'Italic le pavillon fran~ais, dcvcnu l'objet
d'nne vive inquiétude de la part du ministere
britanniqne, depuis que b flotte sortie de Tou-
Ion, avait menacé Naples, attaqllé san s succcs
l'ile de Sardaigne, et fait t1'embJel' les petits
princes d'ltalie. Lord Hood ayant cinglé an mois
de mai avec un escadre clan s ]a Méditerranéc,
son apparition fit rentl'er clans Tonlon la fioue
fraIH;;aise. Jusqnes-Ia rucllacées et frappées de
terrenr, les puissances italiennes cherchantun
refuge, trouverent len!' súreté sous l'aile bl'itan-
niqne.


Pour compléter son inflncncc dan s la Méditel'-
ranée, la cour de Londres faisait aussi négocicr
une alliance avec la COHr de Nap]es 1, en meme
temps qu'elle ellvoyait 1m négociatellr au camp
devant Mayence, pon!' traiter ayec le roi de
Prusse.


Elle n'était pas sans avoir une connaissance
particnli(~re des dispositiOllS du cabinet pl'llS-
sien, et de la répugnance des gt"néraux et des
ministres ~l continner une gnel'l'e qui leur pa-
1'aissait n'avoir déjit plus ponr la monarchie
aucun hut ni aUCUll int{~ret poli tique, surtout


, Ce traité fut concln le 12 juillet par le chevalie¡' H¡¡miltoll avec le
chenlic¡' Acton, mini,t\,c da ¡'oi de Naples,




n'UN HOl\OrE n':ÉTA T.


depuis que l'Autriche y remplíssait a elle seule le
IJremier role militaire. La mission de lord comte
de Reauchamp avait donc ponr objet de ratla-
cher le cabinet prussien aux intérets de la coa-
lition, en s'adressant directcmcl)t ou roi, et en
lui présentant le projct {f'alliance comme prépa-
rant les voies á un traité de subsides. Le roí
personnellement y était porté, et iI chargea
I,llcchesini de terminer la négociation.


L'alliance entre l' Angletcrre et la Prnsse fu t
conclue et sigllée par les deux négociateurs, le
14 juillet 1, an camp meme devant :Vlayence. On
y arreta que les deux puissances contractantes
apporteraient tous leurs soins a établir et a en-
tretenir entre elles ]e plus parfait concert et la
plus intime confiance sur tous les objets relatifs
a la présente gucrrc, stipulant en outre la ga-
rantie respective de leurs états contre la France.
Leministere anglais, par la conclllsion de ce
traité, eut particulierement en vue de s'assurer
qu'apres la rcdelition ele la place, l'armée prus-
sienlle contilluerait de peser de tout son poids
dans la balance de la gnerre.


La reddition était toujonrs regardéc comme
tres-prochaine, el le roí luí-meme ne négligeait
ríen pOli\' en accélérer le terme. Plusieurs batte-
.t;ies venaient d'etre élevl~es sur la rÍve droite par


, 179.3•




230 1\Ikuonn:s


le gélléral Ruchcl, dans les Hes dll J\Tcin; et clu
cóté de IIockeim, une forte battcric de mortlcrs
avait été égalemellt établic avec Ulle grande cólé·
rité. Le 16 juillet , le fen redoublant, le labol'a-
toire des artificie!'s de la garnison salita, el:
causa meme l'iucendi.e d'rm m¿tgasin de fonrra-
ges. Dans la nuit le prillcc Lonis· Ferdinuud de
l)russe, dirigcant rallaql1e (k la fleche du fOl'l
1talien, dont I'importance se faisait sentir cha-
que jou!' davantage, l't>wpmta el la tit raserapres
une actioll tl'es-Yi ve, oú ce jeulle prince, dt~­
ployant une grande valenr, fut a:;sez gt'it~vemcüt
blessé.


On sút au quartier-gélléral du roi que l'ill-
cendie de la veille, joint á la destruction de
quelques monlins, augmentait la pt~nurie de la
garllison, aggrav(~c par la disette de viande qui
régnait dermis plus d'Ull mois : la garnisoll man-
geait ses chevanx. Le défant de ffi0clicamcns dalls
les hopitaux s'y faisait égalemcnt sentir. I~a dé-
tresse était telle, surto11 t parmi les habitans, qu~
le commandantde la place, cédallt mlx plus vives
sollicitations, pel'mit á un asscz granel nombre
de vieillards, femmes, cnfans, malades, de soe-
tir de la ville, en les prévenant toutefois qu'ils
ne seraient vraisemblablement pas re~us pas
les assiégeans. Environ deux mille de ces illfol'-
tunés, prcssés par le beslJiu et par la craillte, se




préscnterent an camp allemand. La, reponssés
par une politique impériew;e et dure, et au re-
tou!' refusés vers la place, ils se virent clans la
cruelle nécessité de passer la nuit sur le ter-
rain meme qui 5('pal'ait les combattans, et expo-
sés au feu des denx al'rnées: plnsieurs cl'entre eux
fllrent tm"s; et alllever dn soleil on apcI'<;ut des
soldats fran~ais qni rapportaient dans les pans
de leurs hahits des enfans Llessés ou abandonnés.
Vaincus paree spectacle, les chefsdcla garnison
firent rouvrir les pOI 'tes ú ces malheurenx émi-
grans, el anssit<'lJ l'attaque et la défense repri-
rcnt toute lenr vivacité. Vingt batteries armé es
de plus de deux cents bouches a feu, portaient
la mort et la destl'llction dans la vilIe, Tene
était la vigneur de la garnison et la force de la
place, que malgré tant d'efforts rune et l'autl'c
semblaient en etre pen altérées. L'ollverture de
la troisÍ!~me parallelc allait commencer, il est
vrai; mais il y avait encore loin de la a la chute
de l'enceinte extérieure, á la descente du fossé
et au logement su!' les hastions. On jugea que
c'était par des causes étrangeres a I'art qu'il fal-
lait presser la reddition. On y travaillait au quar~
tier-général, en réitérant ü propos, et par des
voics détournées, la proposition d'une capitula-
tion honorable. On savait ql1f' la discorde s'était
mise entre la garnison; c¡ue les anciennes troupes




UÚIOIRES


r{~g1écs aYaicnt des querelles fréqnentes avcc
les gardes riationaux; et que dans le conseil de
défellse les avis étaient partagés. Ceux qui
ne vou]aient entendre a aueune eapitulation,
'alléguaient que la gamison avait dn pain en-
core ponr quinze jours, uu grain, et des mu-
nitions de gnerre ponr trois mois, et du vin
en abondance; (lU'il était Tnthne impossiblc, d'a-
pl'es les informations qu'on était parvenu a faire
passer au comité de salut public, que l'armée du
Rhin ne fi.t pas une prochaine et vigoureuse
tentative pour délivrcr la place. Ceux qui sontc-
naient un avis contraire, et ils avaient la ma-
jorité ,observaient que la viande, les médica-
mens et le fourrage manquaient absolument;
que la garnison avait mangé ses chevaux, que
les moulins étaient détruits, et que le gl'ain res-
tant serait bientot consommé; que c'était se
bercer de chimere que d'attendre des secours
du dehors, tandis qu'aucun mOllvement ne se
manifestait en favenr de la place, le siége étant
couvert d'ailleurs par deux armées d'observa-
tion; ils observaient aussi qu'une plus Jongue
résistance forcerait dix - huit mille braves a
mettre has les armes; et qu'cnfln la défense
d'une place allemande ne méritant pas un si pé-
nible sacriflce, il était tcmps de capituler ponr'
conserver ála patrie un si précieux lloyau d'armée.




D'UN HOl\BIE n'ÉTAT.


On en était lá, quanel le comité de salut
public, aHachant le plus granel prix a la con-
servation de cet important boulevarel, réitéra
aux généraux de l'armée du Rhin et Moselle,
l'ordre impératif de voler a son secours en atta:~
quant avec viguenr les armées co"mbinées. Beau-
harnais, qni avait refnsé le ministere de la guerre,
et s'était chargé, apres beaucoup d'hésitation,
du commanelement de l'armée du Rhin, tempo-
risait, vu la démoralisation des trollpes, ctse
défiant des nOllvellcs levées; mais au fond, chú-
chant a élucler la pénibJe tutelle des commis-
saircs de la convention, qui ne lui laissaient
aneun pouvoir réel. Il redoutait par dessus tout
une défaite, et différait un dénouement qui pou-
vait le conduire a une catastrophe, s'étourdissant
a son quartier-général par des divertissemens et
des fetes dont sa jeune femme, devenue si céle-
bre clepuis, était le principal objeto Pourtant il
faIlút obéir, et l'armée fran<;aise sortit des lignes
deWeissembourg pour se rapprocher de Landau,
tandis que l'armée de la Moselle, conduite par
Houchard, devait opérer sur l'antre versant des
Vosges, et attaquer l'armée de Wurmser. Épar-
pillées dans une longue chaine de postes, les
deux armées d' observation n' offraient nulle part
une forte masse capable de s'opposer a l'irrup-
tion d'une armée de secours habilement con-




jlIÉl\lOIRES


duite, pel'('ant avec vigueUl' la ligne des Vosges
entre Lalldau et Mayencc, et rénnissallt la ma-
jellre partie des force s assaillantes pou!' écraser
l'un des corps isolés. Le mieux eút été de pren-
dre l' offensive, mais le duc de Brunswick, placé
a Edickhofen et á Keiserlautel'n, avec une réserve
centrale, redoutait tont antant que Beauharnais
une bataille générale; íI serésigna en conséqnence
a recevoir sur sa ligne faible et disséminée, le
choc de l'armée de sccours quí avait un asile
assuré sons le canon de Landau on dans les
ligues de Weisscmbourg. vVurmser se vit forcé a
l'egret de prendre le meme partí a l' égard de
l'armée .de la Moselle, qui venaít aussi l'attaquer.
Cette attaque eut lieu le 19 juillet, an moment
meme ou l'armée de Beauharnais commenc;ait a
opérer au versant oricntal des Vosges et duns la
vallée du Rhin. Wurmser combattit sur une li-
gne de trente licues, san s ancnn résultat mar-
quant; mais néanmoins sans pouvoir etl'e en-
foncé .malgré troís attaques consécntives.


A peine en est-on ínstruit au quartier-général
du roi, qu' on fait passer dans la place l'avis,
par des jnifs, que les armées alliées ont rem-
porté, le 19 juillet, pres de Landau, une victoire
signalée sur une armée de quarante mille Fran-
<,;ais, qui a fait un dernier effort pOUl' dégager
l\1ayence; que cctte armée est yel1UC jusqu'a




n'VN nO)TlIrF. n'.ÉTAT.
trois [ois ú la chargc avec la derniere fureur
pOli!' p{'!l(~tl'er; que le général \Vurmser, avec
l'arméc autriclJicune, a soutenu vaillamment
l'attaquc sur teois poillts différens; qu'il a d'a-
hord été ohligé de eMcr du terrain; rnais que
l'armée pl'Llssiennc, aux oreIres dn due régnant
de BrulJswick, t'~tant \'enu immédiatement a
son SCCOUl''j, les Fran~ais, mis a10rs cntre deux
feux, ont été repoussés avec perte jusqu'a Weis-
sernhourg. CeUe derniere circonstance était
évidernrnent cOlltrouyée, rnais calculé e ponr
faire impression sur les chcfs de la garnison.
En méme temps le roi, ponr la derniere fois, fit
sonnnel' la place. Le cornmandant demanda un
délai pour s'assurer s'il n'avait plus allcun se-
COl1l'S Ú attemll'e.


13eauharnais, qui manceuvrait avee l'armée
dn Hhin, n'avait pas bougé depuis le 19 juillet;
et la perte de deux jours devint une cireon·
slance décisivc, cal' an moment ou il l'eprenait
son mOllvement offensif, Mayence en vint a
capituler.


Le bombardemcnt avait duré jusqu'all I9' Le
lendemain le cOU1U1andant fran~ais envoya un
projet de capitulabon qui ne fut pas accepté. Le
bombal'dement reeomU1ent;:a le 21 et le 22. Ce
jOllr-Iá mcU1c on convint d'un armistice. Le COU1-
missail'c de la convention, Rewbell, ayant mani-




l\llÍl\I o !RES
festé l'intention de se remIre lui·meme an quar-
tier-général de Marienborn pom traiter de la ca-
pitulation, le roi fit répondre « qu'on ne con-
» naissait ni Rewbell, ni la convention, et qu'on
» ne traiterait qu'avec le général commandant la
» force militaire. » En conséquence le général
fran({ais Doyré vint au quarticr-général. Son airo
libre et martial, et ses manieres réussirent; il
régla et signa la capitulatíon avec le génél'al
comte de Kalkl'euth. En vertn de la capitulation,
la garnison devait se mettre en marche avec ar-
mes et bagages pour rentrer en France, et sans
autre condition que ceHe de ne pas servir d'un an
contre les alliés : sa force était encore de seize a
dix-sept mille hommes. Rien ne fut stipulé a
l'éganl des clubistes ou habitans de Mayence qui
avaient serví le parti fram:ais; iI fut seulement
C0nvcnu qll'on fel'merait les yellx sur l'évasion
de ceux qui se meIeraient a la garnison, et s'éloi-
gneraient ayec elle.


Le meme jour, 22, les Prussiens occuperent
les forts extérieurs. La garnison sortit tambonr
battant jusqu'aux glacis, oú elle déposa les ar-
mes. Son départ fut retardé le Ielldemain par
suite d'une contestation pécuniaire; mais tout
, I'" 1 (, , s arrangea. ~ evacuahon commen<:;a e 2Lf apres


micli ayec des chariots couyerts, escortés par de
la cavalerie prussienne. Une colonne de :Marseil~




, , ,
D UN 1I0Ml\fE D ETAT.


laís ouvraít la marchc; venaient ensuite les trou-
pes régnlieres, les chasseurs a cheval et une
musique nombrcuse, jouant l'air national connu
sons le nom de Marseillaise. La se lit remarquer le
représentant-cornmissaire Merlin de Thionville,
en habit de hussal'd, et entouré d'officiers. Le
peuple ayant reconnll un eluDiste, fit entendre
aussitot des clamenrs. l\Ierlin lui imposa silence,
en appela a la dignité d'un républicain fran<;ais,
déclarant que toute vengeancc donnerait líen a
des rcprésaillcs; iI conscilla an peupIe de se rnodé-
rer; cal', ajouta-t-il, ce n' est pas la derniere fois
qu'on yerra ici les Fran<;ais. Merlin s'adressant en-
suite aux officiers prnssiens, lenr rappela les pro-
messes du roi. Les colonnes passerent alors sans
etre inquiétées. Il n'en fut pas de rneme le len-
demain : 011 arrt!ta plusieul's clubistes. Une pro-
clamation du nouveau gouvcl'neur recornmanda
de n'cxercer aucunc vcngeance particulicl'e. Tel
était d'aillem's l' esprit des officiers prussiens,
que dans les auberges ils demandaient qu' on
chantat la J1IIal'scillaise.


Voila commen t rentra dans le giron de la patrie
allemande la ville de Mayence, apr(~s avoir été
llcnf mois conqnise á la liberté, sclon le langage
des Frall(,~ais et de leurs adhérens : jamais elle
n'oubIiera une époque marquéc par la destruc-
tion dc ses plus beat1X quartiel's, la mort de




:mil\WIRES


plnslours de ses habitans, ot la rllino de tomo
Le jour meme de la eapilulation, j':1rm~e (In


Rhin, reprenant l' offensive, s' était portée sur
Burweiler et Weyer, et y avait livré an duc de
llrunswick un eomDat qui pal'aissait le prélude
d'une action généralc. l.e dile, pl'essé Sllr sa
dl'oite par l'al'lnée de la Moscllc, (pli gagnait la
Glan, et de l'autre par I'al'méc dn Rhill, (lui me-
na\ait son unique eommunicatioB sur Nc"wstadt,
s'y repliait déja précipitarmnent, et en proic ~l
toutes les perplexilés de la gLlcrre, ql1and la
nouvelle de h rcdclilioH de J'lbycncc vint le cal-
mer et pcut-étl'c méme luí épargllcl' mI rcYcl's.


L'armée fran~aise était encore, le ~ r; juillet,
dans ses memes positions, pleiue d'esp6rauce et
animée d'unc sorte d'cnthollsiasmc, quand la
meme nouvelle la jeta dans le découragemcl1t.
Un cOllseil de guerre, convoqué anssitot par le
général en chef, décida qu'il scrait clangcrclIX:
de passcr outre.


En effct, une marche llltéricllrc (kFmnit
sallS but, non-seulemcut par la pl'ise de J\Iaycncc,
qu'on avait youin saaver, mais encore par la
rénnion inévitable de l'armée de siéGc ave e cene n
d' observatioll.


Cependant \Yurmser, qUL avait b1aml~ 11:111t('-
ment l'inaction dll dile de Brnnswicl" cOlnbinant
á lui seul un mouvcmcnt tóm{Tail'e, mais que






, ." D UN IIonntE D ETAT.


luí inspira son c::mrage, "int donller le 27 sur le
corps fran~ais aux orores du général Ferrieres,
et le chassa successi"cment de Rilsheim et de
ReIlheim jusqn'~r Jockrim. Instruit a temps de
cet échec, Beauharnais suivit le mOllvement
rétrogradc de son lieutenallt, et tonte l'arméc
fralH;,aise se replia 011 tontc hate sur vVeissem-
hourg et Lauterbourg.


La reddition de Mayencc consterna le comité
de salut public , qui sortait d'une erise intériellre.
Exposé á de grayes reproches, 011 ayait meme
imputé a son incapacité les revers qu'ayaient
éprouyé les armé es , el: notamment celui de h
prise dll camp ¿le Famars; de sorte que la con-
vcntion "cnait oc rellouvelcr le comité en entier
dans sa séance du 11 juillct l. Il se trollva com-
pasé a10rs des mcmbres les plus énergiques dn
parti de la montagne, pen disposés a s'attirer
les memcs reproches que leurs deyanciers. llar-
rere, qlli en avait oéjit fait partie, en était le
rapportcur habitud. Chal'gé J'annoncer a la con-
vention la perte de J\Iayellce, iI s'exprima en ces
termes au nom de ses collegnes : «Nous venons,
» dit-il, de recevoir des nouvelles alarmantes
» pour tout autre que pour des hommes libres;


• J.es membres nornmés alors Curent Jean-llon-Saint-André, Bar-
rere, Gas!,arin, COllthon, 'fhudot, Sainl-JLlSt, Pl'Í8ur de la Marne,
Héreault de Sécúellcs, HoLer! Lindrt.




J\IÉNCOIRES


) mais elles ne serviront qu'a enflarnmcr le cou-
» rage des républicains, qui savent que l'empire
) de la liberté ne se fonde que sur des reverso En
) conséquence le comité m'a chargé de vous
» communiquer les dépeches qu'il a re<;ues ce
» matin des rcprésentans du peuple Maribon-
» Montaut et Soubrany pl'eS l'al'mée de la Mo-
» selle. Elles contiennent ce qui snit I : « Citoyens
» collegues, lorsqne ces jours derniel's nous vous
» entretcnions de nos succcs et de nos espéran-
» ces, nons étions bien éloignés de penser qu'ils
.1) seraient sitot détruits par la plus infame tra-
J) hison. Mayence s'est rcudn le '.d au momellt
» ou deux armé es victoricuses s'avanc;;aient a son
) secours, ou la garnison avait encore du pain
» pour plusienrs jours, et enfin lorsque la place
~) n'avait encore re<;u aUCllne breche. Nous ne
~) pouvons vous dire combien ce revers est fu-
» neste et dérange la position de nos armées.
»Houchard, apres avoir déliYré Maycnce, de-
» vait prendre les Autrichiens pal' derriere, et
)) les forcer d'évacuer les départemens du nord.
)1 Custine s'est toujours opposé á cette expédi-
» tiou, en disant qu'il He fallait s'avancer sur
» Mayence que vers le I5 aoút. Ce général pCI'-
» fide triomphe : voiUt l'effet de ses trahisons :
» iI voubit livrer Valellciennes et COl1llé en mel1le


, Datée du (!unrticr-geuérnl de Landau, I~ 26 juillet.




n'Tí}'{ JIO::lBIE O'i:T.\T,


)1 temp~ qne Mayence, Nous aVOllS appl'is qu'íl
» existait I1n Lillet Sigll{~ Cusíiuc, Ol! 11 cngageait
» Doyd~, commandómt de Mayencc, ~llivrer la
» place aux Prussiens. LIle antre preuve de sa
» trahison c'est qu'Hohcnlohc s'informait sou-
» vent si Custille avait tonjollrs une grande in~
)1 flllence sur l'année et sur la garnison. n faut se
» défier de cet cnncmi de la république, qui n'a
» ponr tout talent qne sa jactance. N ous vous
» envoyons copie de la capitnlation. » Apres en
avoir donné lecture, Barrere commlllliqua deux
antres lettres; l'une écrite de Casscl, pres
Maycllce, portait (( que plusieurs jours avant la
» reddítion ele la place, le général Doyré s' était
» trouvé a une confércllce en présence du roí de
» Prusse , oú assista également un agent de Cus~
» tine, qui l'emít alors á ce commanc1ant de la
» garnison le billet dont parlent clan s leur lettre
» les représentans du pellple l.» La se conde dépl~­
che était clu général ]louchanl, qui commanclait
l'armée de la J\Iosclk : en jetant les plus violens
SOllp~ons sur Cllstine dont il était néanmoins la
créatnre, il priait la COIlyelltioll de le faire arretel'
sur-le-champ. [( Sans ses pel'fidies, ajoutait IIon-
» ehard, j'étais avant huit jonrs a Mayence, etje
) délivrais la place. ») Comme si toutes ces accn-


, Le lait etail ici alteré; le roi de Prnsse n'élail ras a la conference.
comme OH I'a vu par ce qui précede.


H.




l\IÚrOIRES


sations ne suffisaient pas encore, Barrere, a
l'appui des leUres qlli les contenaient, cita plu-
sieurs bits a la charge de Custine; entre autres
l'ordre donné par lui, en dernier lieu, d'enlevel'
de Lille soixante-seize pieces de canon pour dé-
garnir la place; unc lettrc qu'il avaÍt écrite an
commissaire Levasseur, membre de la conven-
tion, dont il releva cctte phrasc : (( Je vous aban-
» donne les Autrichiens et les IJessois, mais da
» moins gracc pour les Prussieus. » Tant de griefs
servirent h fonder facte d'accnsation porté
contrc Custine, an milicu des applancIissemens
des tribullcs, et l'ordre de lIlcttre en état d'ar-
restation le commamlant de Mayencc et tous les
officicrs de son état-major.


Custine qui avait remplacé Dampierre á rar-
mée du nord, n'v avalt montré ni résolutioll


,¡ •


ni caractere. On l'arréta au milieu de son campo
Transféré duus les prisons de Paris, et traduit
au tribunal révolutionnaire, il portasa tete sur
l'échafaud, et mournt san s conrage.


Egalement menacés de la vengeunce natio-
nale, pour avoir trop précipité I'évacuation de
Mayence, les chefs de la garnison trouverent
hcurcusement de puissans défenseurs clans les
commissaires de la convention, Rewhell eL ::\Ier~
lin de ThionvilIe. Appelés devant le comité de
saJut public pom y discute!' les griefs élevés




, " D FN HOM1fE D ETAT.


contre les généraux Doyré, Aubert-Dubayet
et Kléber, ils les sauverent par des témoigna-
ges honorables donnés a leur valeur et a leul'
dévoucment. La responsabilité qui avait pesé
sur leur tete, fut dirigée tont elltiere contre
Beanharnais, accusé d'avoir marché trop tal'd et
avec trop de lenteur au secours de la place. Il
paya seu} de sa tete ceUe fatale hésitation, lais-
sant uu nom Jans l'histoire moins illustré par ses
faits d'armes que par l'éclatante et haute for-
tune de sa veuvc l.


Sur la frontiere du nonl, des résultats égale-
ment sinistrcs pon!' la convention, précéderent
et suivirent la rcprise de Mayence. Le 12 juillct
la garnison de Condé, réduite par la famine,
avait capit ulé et s' était rendnc prisonIlit~re. Valen-
ciennes attaqué depuis le 30 mai, battu pendant
pres de deux moís par plus de deux cents bou-
ches á fen, qui avaient jeté dans la place quatre-
vingt-quatre mille boulets, ViIlgt mille obus el
quarante mille bombes, sommé de nouveau, le
26 juillet, par le duc (}'York, capitula le 2.8 apres
une valeureuse défensc. Cette clef de la France,
fortifiée avec soin par le célebre Vauban, se
rendít apres quarante jours de tranchée ouvertc.
La garnison, qui s'élevait a pres de sept mille


, Alexandrc neauharnais fut destitué el anclé en I793; mais iI De
l)érit rlu'eIl r:-u~·




lJÉrrIOIRES


hommes, obtint les honnenrs de la guerre, et
déposant les armes, fut libre de rentre1' en
France, a la senIe conditíon de ne plus servil'
contre les alliés.


leí vont se manífester, avec la politique dll ca-
binet de Vienne, les conséquenccs intéressées
des délibérations d'Anvers. A peine Condé eut-
íl ouvert ses portes, que le prince de Cobourg
donna la proclamation suivaute :


« Les ville, fortercssc et distl'ict de Candé,
» ayant été soumis au pouvoil' de l'empereul' et
» roi, par les valeurcuscs' troupcs quc fai l'hon-
)) neur de cómmandcr, je déclare par la présente
» proclamation que j'en prends possession au
» nom de S. AL impériale el ],()Jale, et que j'ac-
» carde a tous les habitans paisiblcs des pays
» conquis toute sÚl'eté et tonte protection. Je
» déclare que je ll'emploierai l'alltorité (Ille
)) j' exel'ce en yertn clu droÜ de conquéte, que
II pour maintenir 1'o1'(ll'e pnblic et la sÚl'eté des
» pel'sonnes et des propriétés; et voulant prcll-
» elre les mesures nécessaires paul' atteilldre ces
)) objets impartans, jedéclare aussi que j'entends
)) que tous clubs et tonte assemblée non auto-
l) risée, quelles fin' elles puissent etre, vieunent á
» cesser snr-le-ehamp, étant dans la ferme réso-
» lution de les faire dissoudrc et réprimer par




, " JHTN HOM'lm D ETAT.


» tous les moycns qui sont entre mes mains, et
» de faire ¡lUnir sévcrement, militairement et
» exemplairement tous ceux qui tiendraient ces
)' assemblécs on ces clubs dans leurs domiciles,
» ceux qui les provoqueraient ct cenx qni y as-
) sisteraient; ceux quí de fait on par paroles in-
" sulteraient ou injUl'ieraient quelque personne
») que ce soit, en 11n mot tons ceux qui d'une
») maniere quelconque troubleraient l'ordre 011
» la tranquillité publique.


) Fait Ji mon qual'ticl'-généraf a Hérin, le 13
» juilIet 1793.


)) Signé PI'. COBOlTRG, F.-M. ))


Outl'e cctte prise de possession militaire, les
agens antrichiens, d'aprés les illstrnctions du
baron de Thugut, étabJil'ent a Condé une junte
impériale et royalc, chargée, de par l'empereur
d rOl, de l'aclministration eles pays complÍs. Des
le 20 j lliIIct, la junte donna sa pl'cmiere déclal'a-
tion, en Vel'tll de Iaqnelle toutes les autorités
constituées depuis la 'réyollltioll de 1789, furent
abolies et remplacé es par des magistrats proyi-
soires. Elle rétablit les lois l'elatives a la po-
lice générale et aux propriétés, tclles qu'elles
existaient avant la révolution; elle abolít le cours
légal des assignats, autorisa la réintégratioll des
corps religieux et ecclésiastiques, ordonna, la




lIIÉ~fOIR:ES
levée du séquestre sur les biens des émigrés,
san s permettre toutcfois a aucun d'entre cux de
séjourner dans les lieux conquis, a l' exception
de ceux qui yavaient eu jadís des propriétés OH
leur domicile.


La révélation publique de cette politique im-
prudente, porta nn coup sensible a fa moralité
et aux succcs de la coalition. Elle aliéna singu-
lierement a la cause des alliés le cceur de tons
les FraIH:ais sans distinction d'opinion, soit con-
stitutionllcls, soit meme royalistcs purs. En sa
qualité de régent de "France, 111onsical', ftere
ainé de Louis XVI, emoya sa protcstation a
tous les cabinets contre tont dém(~mbrement du
royaume. Ce prince qui, apres les rcveI'S de la
premiere campagne, trou\"a un asile dans la
petite ville de Ham, en Wesphalie, sons la
protection prussienne, avait essayé, a la mort
cruelle de son frere, de faire revivre san s armée
et sans aucun appui au dedans et au dehors, le
principe que le roí ne meurt jamaís en France.
Des le 28 janvier 1793, iI anit mis au jourune dé-
claration par laquelle il reconnaissait roí le dau-
phin Louís·Charles, alors détenu dans la tour du
Temple, annonr,ant que lui-meme allait agir en
vertu du droit· que lui donnait sa naissance et
les loís fondamentales du royaume, comme
régent pcndant la minorité du roi, son neven el




, " n TJN HOllf1\IE D .ETAT.


SO uvera in scigneur. RecoIlIlu comme tel par toute
la noblesse de France refugié e en Allcmagne, en
Hollando, en Suisse, en Italie, en Angleterre et
meme en Espagne, et par l' armee de Condé réunie
alors a Villingen en Souabe, il ne trouva dans
les cabillets (Iu'un silenee mor11e sur la légiti-
mité de ses dl'oits. L'impératriee de Russie fut
la seule des tetes couronnées qui, dan s ses in-
térets, le reconllut comme régent du royaume
de France. :Frédéric -G n illaum e ne s'y serait
pas refllsé, mais la politiqne de I'Angleterre
et de l'Autrichc en décida autrement. Le ca-
binet de Saint-James alléguait les ménagemens
auxqucls il était tenu a l'égal'd de son parlement
et de sa nation, qui auraient improuvé tOllt
systeme de contre-réYolution amené par la force
des armes et la volonté expresse des aUiés. Il fit
valoir les memes motifs au pres de Catherine II,
en lui refusant les subsides nécessaires pour
l'expédition et la descente projetée des troupes
russes sur la cote de France. Pitt croyait alors
venir a bout de la France par le seul concours
de l'Autriche et de la Prusse, sans y faire inter-
venir, a main armée, la Russie, qu'il tenait au
contraire éloignée de la scene ponr ne pas trop
compliquer le nceud de la coalition. Voila éga-
lement ce qui avait porté les ministres anglais, a
l'ouverture de cette seconde campagne, a incli-




ner pom le rétablisscmclIt du systcmc cOllstitu-
tionnel.


La prise de possession des places fortes au nom
de l' Autriche, vint détruire toutes les illllsions.
L'impression enfnt telle,quedans Bruxelles meme
on vit tout-a-conp les mnrs se couvrir de pIacards
ou l'on invitait (desémigrés fralll;~ais a prendre les
» armes pour cm pecher le d émembremen t ele len r
» infortunéepatrie, pret a s' effectner comme celui
» de la malhenreuse Pologne par les pnissances
» coalisées.» Ces affiches fllrent d'abord arra-
chées, et on fit des perquisitions sévercs, mais
inntiles, ponr en déconvrir les auteurs. On soup-
c;onna Dumouriez et ses amis de ne pas y Ctre
étrangers. L'ordre de s'assurer de la personne de
Dnmouriez fut donné ; mais averti á temps, il se
dé roba á tontes les recherches, et s' éloigna de
Bruxclles. Des officiers de police se transporte-
rent chez le sien!' Lasonde, son ami, et y ellle-
verent tous les papiers :qu'il y avait laissés au
moment de son départ fllrüf. Deux généraux qui
avaient serví sous ses ordres, Marassé et Berne-
ron, furent arretés. On les accusait d'avoir cher-
ché, conjoilltement avec des mécontens de la
Belgique, a y exciter ele nouvean les esprits a la
révolte; ma~s ces accusations resterent sans
preuves. Toutefois le gonvernement autrichíen
ne ponvait pas se dissimuler que l'union et la




n'PN HOJlBIE n'Ó'AT.


tranquillité qll'il s'ótait flatté d'y faire rcnaitre,
ne pouvait pas s'y natnraliscr. L'ancien esprit de
partí s'y rallllmait; et malgré tons ses ménage-
mens, le cabinet de VieUlle ne satisfaisait ni les
états de Erabant et leur3 adhérens, ni les défen-
seurs du systemc de Joseph n. Le baron de
Thugut n'en opinait que plus fortement dans le
conseil pour l'emploi ferme et constant des
moyens miIitaires, et pOllr les prises de posses-
sion par droit de conqtH~te.


Le cabinet de Prllsse vit alol's clairement ce
qu'il n'avait qn'entrevu jusques-IA : les desseins
de l' Angletel're et de l'Autriche a l'égard de la
France; iI jugea que réduit désormais a une
sorte de nullité poli tique , iI ne serait que 1'in-
strument subalterne de '1eux puissances co-par-
ta~eantes. Mais le cabinét se tl'ouvait lié par le
traité du 14juillet, que l'ordre du roi l'avait forcé
de conclnrc, presque a la veille de la manifesta-
tíon de la polili(plC envahissante de l'Autriche.
Que pOllvait-il d'ailIellrs alléguer au moment on
lúi-meme' venait de se mettre en possession de
Dantzick et de Thorn? Que pouvait aussi aUé-
guer la czarine en faveur du systeme de contre·
révolution intégrale que son cabinet s'efforc:ait
defaireprévaloir, tandisqu'elle se mettait en pos-
s('ssion effective de la presque totalité de la Po-
logue, ou dominaient ses armes et sa poli tique ~




250 lIIÚWIRF;S


L' Anglctcrre ayant clécJiné le paiement d'un
subside pour l' cmbarquement d'une expédition
russe qui eút été portée sur les cotes de France,
la czarine se borna, aux termes de sa derniere
convention avec la conr de Londres, a [aire sor-
tir de ses ports, au mois d'aout, une fioUe des-
tinée á croiser clan s la Baltique et dans la mer
du nord pon1' concourir a interdire le commerce
des neutres avec la nation fram:aise. Ce concert
entre les deux conrs était fondé sur ce que la ré-
publique franc;aise, ayant sentí le hesoin de se
procurer des grains et des l1mnitions navales
par la voie des neutres, la senIo qui luí fút en-
core ouverte, avait publié au mois d'avril une
proclamation promettant protection et assistance
aux capitaines et équipages des vaisseaux danois
et suédois qui se renclraient dan s ses ports. Cette
proclamation avait fait son effet. Mais la cour de
Londres renversant par sa déclaration du 8 juin
les príncipes du droit des neutres, consacrés en
1780, avait ordonné a ses vaisseaux d'enlever
tous les bihimens destinés pour la France. En
communiquant sa déc1aration aux puissances
neutres, le cabinet de Saillt-James essaya de
justifier ce qn'elle renfermait d'inusité par la
considération "que ron ne pouvait pas regarder
le gouverncment fran({uis comme légitimc ct éta-
bli, puisque meme les puissances qui n'étaient




n'UN HOJU1\IE n'iTAT.


point entrées dans la coalition pou!' le combattre,
se refusaient a le rceonnaitre, et que la nature
de eette gucl're différait de eeUe de toutes les
antres, en ee qu' elle n'intéressait point le sys-
teme du droit publie établi entre. tous les sou-
verains, mais le bien - étre général de toute
l'Emope. Tel fut le sens et l'esprit de la note que
M. Hailes, ministre d' Angleterre a la cour de
Copenhague, adressa le 17 juillet au comte de
Bernstorff, ministre des affaire s étrangeres de
S. M. danoisc.


Au moment meme ou:i'II. Railes faisait au gou-
vernement danois eette commission, M. Keen ,
chargé d'affaires britanniques a la cour de Stock-
holm, en donnait eonnaissance au baron de
Sparre, chancelicr de Suede, qui, peu de temps
apres, fit exprimer au ministere britannique la
satisfaction que ce réglement avait donné au roi
son maltre.


Le roi de Prusse ayant accédé pleinement anx
principes de la cour de Londres et anx demandes
présentées par lVI. Hailes, ehargea le comte de
Goltz, son ministre a la conr de Copenhagne,
d'appuyer par une Hote celle dn ministre d' AH-
glcterre. Ce fut l'objet de la déclaration que
l' envoyé prussien adressa le 21 juillet au comte
de Bernstol'ff, et dOllt yoici les principaux
passages : {( S. M. le roi de Prusse ,qlli Jl'a




:lUJ; l\fO IR F S


)) qu'un intéret COmmlll1 avec S. 1\1. le roi de la
» Grande-Rretagne, en tont ce qni peut cOlltri-
») bne1' aux sllcces d'une guerre a l'íssue de la-
) quelle toutes les nations doívent prendre nn
») grand intéret, ne sauraít s'éearter en ríen des
») príncipes que les cil'constances ont fait adopter
») ala cour deLonrlres, l'elativement au commerce
» des nations nentres avec la France pendant la
» guerre actueUe ..... Le sonssigné, en accédant
» en rleiu et sans exception aux demandes faites
») par le ministre de S. M. britanníque, s'acqllitte
» aíllsi des ordres de sa cour de la maniere la
)) plus solennelle et la plus propre a prouver le
» conce1't qui 1'egne a cet égard, comme a tous
» les autres, entre S. M. le roi de Prusse et S. M.
» le roí de la Grandc-Bretagne .... L'empressement
») avec leqllel S. M. le roí de l)l'usse conconrt a
II l'appní de ces demandes, 11C pl'ouve pas moillS
II la confiance qu'íl met dans la sagesse dn goa-
» vel'nement danois et duns la justice résultant
» des príncipes qní font la hase de la présente
» démarche, confiance qui est faite pour cimcn-
» ter la bonne harmonie et la parfaite intelligence
) qui subsistent si heureusement entre les deux
)) COllrs. J)


Mais le cabinet de Copcnhague avait un si
grand intéret a ce que les snjets danois, profi-
tant de la guerre pl'csque géllérale, contínuas-




D'UN HOl\IME n'i:TAT,


sent ~l faire le commerce si lucratif avec la
France, que le comte de Bernstorff, loin de re-
connaitre les principes des cours de Londres et
de Berlin, défendit avec une noble franchise
ceux de la neutralité qll'avait adoptée son gou-
vernement; iI adrcssa en conséquence, SOllS la
date dll 28 juillet, une note an ministre d'An-
glcterre, qu'il.accompagna d'uu mémoire sur le
meme objct. Lá s'évanouirent en quelque sortc
les raisonnemens captieux de l'envoyé britanni-
que, deval1t la logique vietoricuse dll ministre
(l'état danois, et elevant les droits imprescripti-
bles des nations.


Cependant a cette contl'OVCl'se poli tique vint
se joindre le haron de Krlldner, envoyé extraor-
dinaire de la czarine; il rernit au comte de Berns-
torff, le 10 aoút, une note d'antant plus rc-
marqnable, qu' elle faisai t connaltre sons qnel
roint de vue le cahinet de Saint- Pétersbourg
envisageait l'état de la France; son style tran-
chant paraissait d'aillellrs ll'admettre aucun
moyen de se soustrairc a l'cffet du concel't des
Puissances. L'envové de ltnssie 'annoncait d'a-.J •
bord que conséquennneut a ce concert, l'impé-
ratrice venait de faire sortir de ses ports une
fIotte de vingt-cinq vaisseanx de ligne et de qneI-
ques frégates, clont la destina tion était de croiser
clans la Baltiquc et la mer du NOl'd, ce pOUl' y in-




lIfÉMOIRES


» tercepter, disait-il, la navígatioll et le com-
)) meree des rebelles fraIH;,ais, et protéger eontre
J) leurs pirateries et brigandages les cotes de ces
» mers. Les instructions dont le commandant
)) de eette fIotte est muni, ajoutait-il, lui pres-
» erivent de saisir tous les vaisseaux sons le
)) soi-disant pavillon national fran«;ais, et sur
)) tont antre qu'ils oseraient arborer, ainsi que
)) d'arreter dan s sa route tout bfttiment neutre
)) frété et ehargé ponr les ports de France, 1'0-
») Lligeant de reLrousser chcmin OH de gagncr
)) qnelqne port nentre selon la convenance .....
» S. M. ímpérialc, continuait l\I. de Kmdnel', ne
)) peut pas etre sonp<:onnéc de vouloir :déroger
)) an systeme bienfaisant qni assnre le droit des
)) nentres en temps de gnerre, attendn qu'il n'est
») llulleII1Cnt upplicableá lacirconstance pr6sente.
» Ponr démontrer et constater eeUe assertion, iI
)) suffit de dire que les usurpateurs <.In gouYerne-
») ment de France, apres avoir tont houIcversé
)) ehez eux, apres uvoír trempé leurs mains par-
») ricicles dans le sang de leuI' roí, se sont déclar(~s
) par un décret solennel les amis et les protec-
)) tenrs de tous ceux qui oseraient entreprendre
)) des attentats et des erimes semblables aux lelll's
)) dans les autrcs -états, ct leur ont nOll-sculement
)) promis tOllt secollrs et toute assistancc, mais
») ils ont en effct attaqné ü main armée la plllpart




D'UN HOl\IME D'ÉTAT. ~55
yJ des puissances qni les avoisinent. Par la meme
» ils se sont constitués de la maniere la plus di~
) recte en état de guerre vis-a-vis de ton tes celles
» que rEmope renferme; et des·lors la neutralité
» n'a pn avoir lien que la oú la prudence obli~
» geait de dissimuIcr le partique l'intéret général
») dictait. Mais ce l110tif n'cxistc plus depuis que
» les puissances les plus formidables se sont réu-
») rúes entre elles pouI' faire cause commune con-
» tre l'ennemi de la súreté ct du bonheur des
» nations. S'il en est anxqnelles leul' sitnation ne
» pormet pas Jes effol'ts aussi efficaccs et aussi
») décÍsif" que ceux que ces puissances déploient,
) iI est juste qu'elles venillent bien y concourir
» par d'autres moyens qui sont absolument en
») leur ponvoir, et nommémcnt par celui de l'in-
» terruption de tout commercc et ele tOlLte com-
J) munication avec les perturbateurs elu ropos
J) publico S. M. impériale se croit d'autant plus
» permis ele proposer cette mesure, qll'elle a
» été la premie re á en elonner l'exemple en l'a-
» doptant elans ses états, nonobstant le préjudice
) passager qui en résnIte ponr le débouché et le
» débit des proeluctions de son empire. Elle a
» trop bien senti les inconvéniens anxquels l'in-
» téret général serait exposé si ron fomnissait a
» l'enncmi commun la facilité d'alimenter el de
» prolonger les troubles au moyen d'un lihre




256 J\lÉlIIOIRES
» transport de vi Hes et de munitions navales,
» pour balancer sllr le sacrificc de quelques
» profits momentanés ..... ») L'cllvoyé cxtraordi-
naire de Russie demandait, en conséquence,
que la cour de Danemarck prescrivlt a son ami-
rauté de rcfuser des cOllvois de gnerre a ton s
les vaisseaux danois destiné s pOlIr la France.


La réponse mesurée du comtc de Berustorff,
du 23 aoút, en exprimant le regret qne les prin-
cipes du gouvernement de H.ussie différasseut de
ceux du gOlIvernemellt danois, faisait cOllnaltre
que le roi de Dancmarck était décidé á nepas
accorder de convoi á ceux de ses yaisscaux des-
tinés pour la France, et que S. M. !le prétellclait
pas s'arroger le droit de porter clans ce pays des
munitions navales.Qllant au cornmcrce des grains
c'était un objet presque uui, selon le comte de
Bernstorff, pour la cause qne la H.ussie avalt em-
brassée,maisqui nel'étaitpas pour le Danemarck.


Tont se passa en échallge de notes entre les
puissances du nord; et la Dotte l'lIsse anx ordres
des amiraux Kruse et Tschitschakoff, apres
ayoir croisé pendant qUc!(!'lCS semaincs «<tns la
Baltiquc, rentra dans les ports de Russie. Ainsi Ca-
therine, en paraissant sanctionner la législation
maritime de l' Angleterre, écarta les difficultés
qu'aurait pu apporter la cour de I~omlres a
l'accomplissement de ses projets sur la Pologne;




, "
1) UN rrO:lTMr. Il j'1'.\T.


elle tint en l'cspect en meme temps les deux
puissances du llord qui aUl'aient pu 11uire a sa
prospérité.


Ql1ant aux Ang]aís, ]eu1's armateurs c011ti-
llUerent a mettre rigoureuscment a exécution
l'instruction du 8 juin; et l'amiral Hood, com-
mandant la tIotte britannique clans la J\'[éditer-
ranée, déclara meme de bonne prise tout bati-
ment, de quclque 11atio11 qu'ilfut, destiné ponr
un port franc;ais OH sor ti de la, sans égard a la
nature de sa eargaison.


Mais si l'AllgIeterre marchait franehement a
son but dans l' exercice de sa prépolldérance ma-
ritime, les puissances continentales engagées
dans une mcme ligue, avaient d'autres intérets
et chacune leurs vues partíeulieres. An camp
et dans le cabinet prussien, par exemple, un sur-
erolt de répugnanee se déeélait cluns la pour-
suite d'une guerre qui, des son origine, avait
en eontre elle, les préjugés et les inclinations des
personnages les plus intIuens de la monarchie.
Maycnce pris et la Pologne occupée, on montra
le désir d'cn res ter lá, et les faísenrs disaíent hau-
tement an qual'tier-général de Turcheim, qn'il
ne fallait pas aller plus loin. Si l'aide-de-eamp
géuéral Mallstein, l'ami intime du roí mon-
trait plus de réserve, iI n'cn était pas de mcme
du major Von Phull, avec le génie duquel on


lI. 17




:mhroIRES


disait que Mansteill s'était associé, et qui jouait
le role d'un souffleur militaire : il pronolll;ait tont
bas et derriere la toile, les paroles que Mans-
tein répétait an roi ponr le porter a se conlellter
d'¡~tre le san veur de l' Allemagne.


Ou menait d'ailleurs la prise de Mayence d'une
part, de Condé et de Valenciennes de l'autre,
quand la grande armé e combinée s'obstinait á
res ter stationnaire daus ses lignes?


Pendaut les événemens dn siége de Valen-
ciennes, le prince de Cobonrg n'entreprit rien
dans l'intén~t général de la guerre. On le vii se
borner a garder les routes et les avenues depuis
Luxembourg jnsqu'il Nieuport : deux mois en-
tiers s'étaient passés en escarmouches ou en
combats insignifians.


A la vérité l'armée fran~aise du llord se borna
aussi a etre témoin i¡:npassible de la capitulatioll
des places 1'ortes de la 1'1'011 tic re , q 11' elle ne pOl!-
vait plus <.léfendre. Mais .le retard des nouvelles
levées, les gal'l1isons que réclamait la frontiere
dégarnie, les bataillons envoyés en tonte l1<1te
pour combattre les royalistes de la V endée, et
les renforts plus considérables qu'on :avait fait
passer iuutilement au secours de Mayence,
ton tes ces causes réunies s'étaient opposées a
l'accroissement de l'arméc républicainc, et a ce
qu'clle put ,rien entreprendrc. Custiue l'a-vait




n'UN H0111ME n'.ÉTAT.


cornmandée un moment, et il avait résisté aux
m'dres impératifs d'Ull pouvoir qui n'éeoutant
den, voulait a tout prix sauver les pIaces assié-
gées, s'imaginant triompher des armées les plus
aguerries de l'Enrope avee des masses dé sor-
données.


A une tc11e impatience, Custine n'avait répondu
qn'en faisant de ses lignes un camp d'exercice; il
prétemlait, disait-il, rétablir avant tout la con-
fiance et la discipline parmi les troupes, au lieu
de conduire a la boucherie des soldats mal armés
et sans la moindre idée de leurs devoirs. Cctte
froide raison, si tardive de la. part de Custine ,
et surtout sa résistance, parurent un crime aux
yeux dn comité de salut public, par l'évélle-
ment de la reddition de Condé et de la prise de
Valenciennes. On lui imputa également, eomme
on I'a vu, la perte de ::\Iayence, qu'il paya de sa
tete.


Si sa timide eirconspection sur la frontiere du
nord lui devillt funeste, elle ne le fut pas pour
la France, qui avait alors moins d'intéret a sau-
ver deux pIares fortes, qu'a eonserver un noyan
d.'armée qu'un revers eút détruite. En lui don-
Bant le temps de se ren[orcer par des levées
générales, et de se pénétrer de l'énergie que la
convenlioll imprimait aL1X opérations, ,cette ar-
ml'<.' put enfln défcndrc llon-se111ement le sol et




~tÉMOIRF.S
garantir l'indépendallce de la nation, mais en-
core prendre elle-meme l'offensive. Elle eut a.
subir auparavant une derniere erise, mais peu
dangereuse, a cause du caractere des généraux
de la coalition, et de l'avcuglement de leurs
conseils.


Valenciennes, Condé et Mayence pris, les
alliés qui, depui~ B:'!le jusqu'a Ostende, comp-
taient pres de trois cent mille combattans,
ayant enfin une base militaire d'opérations, au-
raient dú poursllivre avec viguear les restes
des armées fral1<;,aises ; il suffisait de deux fortes
masses qui se seraient avancées de Valenciennes
sur Soissons, d'un coté, et de Mayence sur
Reims de l'autre. En douze OH quinze marches
le prince de Cobourg pouvait arríver sur Paris
ave e eent quatre-vingt mille hommes, eomme
ill'aurait pu avec moins de forces encore des
le moís d'avril. Donner une seconde fois a la con-
vention le temps de se reconnaltre et de rallier
ses forces , e' étai t manquer á jamais le Lut que se
proposaient les alliés. Sous le point de vue mili-
taire, le mouvement sur París eút été d'autant
plus opportun a10rs, que des Py rénécs aux Alpes,
dn Rhin a l'Oeéan, du Hhúne anx ríves de la
l .. oire, les Lataillons républicains rétrogradaient
soit devant les forees nombreuses et mal dirigécs
des cahinets, soit devant les rassemb1cmcns des




fédéralistes dn midi et des paysans vendécns.
Une triple guerre étrangere, clépartementale et
royaliste consumait la France. La ligne im-
mense des frontieres du norcl ne fut meme
gardée pendant toute ecUe erise que par des
eamps défensifs isolés, dont les "troupes eneore
déeouragées et désorganisées n'avaient aueune
direetion eentrale qui pút offrir une masse de
résistanee imposante. Sous le point de vue po-
litique, les eireonstanecs étaient tout aussi fa-
vorables anx coalisés. Bellegarde venait de suc-
comber sous les armes espagnoles; Perpignan
me11le était menaeé, et la rr~sistallce a la conven·
tion armait I,yon , Bordeanx, J\1arseille, :Caen et
meme Brest. Les '\ustro-Sardes frallchissaient les
Alpes, prets a clonner la main aux insurgés de
Lyon et dll midi; et en{in dans le reste de la
:France on se montrait partout disposé a se sous-
trairc a la domination de la Convention; partout
les armées inférienres et désorganisées, sans
chefs expérimentés, ni capables, semblaient at-
tendre le dernier choc qui devait amcner leur
dissolution.


TeIle était la situatioll de la France a la fin
de juillet, lorsquc lc cabinet de Londres, fa-
tigué des lCllteurs du prince de Cobourg, in-
sista fortement ponr l'cxécntion du plan adopté
a l'ouverture de la campagnc, et qui comprena.it




• 1\ImlfOIRES


la conqu<~te de Dunkerqllc. JI s'agissait de diyiscr
les forces des alliés en opérant sur dellX ligues
différentes. Tandis que le prince de Cohourg
marcherait agauche pour alter s'emparer de la
ville du Quesnoy, le duc d'York se dirigeaut a
droite, irait assiéger Dllnkerqne. Ce plan suggéré
au colonel Mack, a son retonr d'Anvers, sem-
blait avoir été abanc10nné depuis que cet officier,
légerement blessé a l'affaire de Famars, et quit-
tant la direction de l' état-major général, s' était
retiré en Allemagne, moins a canse de sablessure
que eles tracasseries auxquelles iI se trouvait -en
butte dans un état-major envieux de son in-
fluence.Du reste, s'il était regrétaLle quaut á la
direction des détails minutieux da scrvice, ill'é-
tait moins comme militaire capable de mener les
opérations en granel. Mais le projet que faisait
revivre la cour de Londres contrariait singulie-
ment le prince de Cobourg; aussi s'cffor<;a-t-il de
détourner le duc d'York de l'entreprise sur Dun-
kerque, non qu'il en prévit fissue, mais uni-
quement paree qu'une grande partie des troupes
dont il réglait lesmouvemells albient passer sous
un autre chef, et qu'il ne serait plus á lui seul
l'arbitre de la guerreo Cédant en partie aux in-
stances dn prince, le dnc d'York consentit á
différer et en référa a sa cour. Les généraux des
armées alliées ayant été convoqnés en conférence




, "
.D UN HO!lBIE n l.TAT.


a Valencienncs, il Y fut décidé, le 3 aOtlt, qu' on
se portcrait á l'attaque du eamp fran<;,ais entre
PaillallCOUl't et Bouchain : c'était l'ancien camp
de César, derricl'e l'Escaut, oú était retl'anchée
J'armée fraIH:aise, alors sons les ordres du gé-
néral Kihnaine. Le prillcc de C~bourg imagina
eette 0p{'ratíon inattcmlue dans l'idée de faire
ahandonner tout-a-fait l'entreprise sur Dunker-
qne au duc (fYork. J.e duc, participant a l'at-
taque générale, se mit en marche le 6 aoút a la
tete de ,'ingt-deHx millo hOlllmes. Le prince de
Cobonrg ne partít que le lendemain de son camp
de Hérin avec le gros de l'armée impériale, etfit
:lllssitót sommer Cambray.


Kilmaine et les commissaires conventionnets
qui réglaient ses mOtn'emCllS, ayant été avertis
par leurs intelligcIlces secretes an camp impé-
rial, qn'ils allaient avoir tonte l'armée combinée
sur les bras, prirent le jour meme la prudente
résollllion de quitter le camp de César et d'opé-
rer immédiatement leur retraite. Ainsi, au mo-
ment meme Ol't le prince ele Cobourg se remettant
en marche, arrivuit slll'le cump fran<:ais, l'armée
républicaine commeIl<;ait sa retraite le 8 aoút au
point c1n jom.


La seulc al'rierc-gal'dc en vint aux mains avec
les cscadrons de l'armée impérialc; mais déja le
gros de l'arméc était ~l l'abri derriere la Scarpe.




:'IIÓWJIlES


Plus de fidélit(~~ au ({llal'tier-général, plus d'acli-
vité ct d'élan de la part du prince de Cobourg,
et eette armée oút été facilernent entarnée ; peut-
etre alors, qu'enhardis par la victoire, les alliés
ellssent renancé tout-ü-fait á l'entreprise sur
Dunkerque pOllr obtonir uu avantage plus solide
et plus décisif.


Bien que le princo de Cobonrg cút laissé échap.
per l'armée fran<:aise, le carnp de César u'on fut
pas moins occupé pal' lino division antrichienne
qni passa l'Escaut. Le duc d'York vint camper a
Bonrlon. Ainsi tontos les forces des alliés se tron-
vaient aux portes de Cambray et de Saint-Qllcn-
tino L'arméc qui senIe défellclait la ConyentioJl
tenait la derniere position eu avant d'Arras, et
il ne rostait plus ni position á prendre ni place a
défendrc jnsqu';\ Paris. Hans sa ligne nOllvelle,
l'armée franr:aisc commuuiq lIaitel: avec AlTas et
avec Douai. Cambray se l:rouvait investi et Ca-
toau-Cambresis était an pouvoir des aIliés dont
les partis pénétraient jusqu'a Pérol1lw eL it Ba-
peaume. Ils prirent meme un camp entre Pé-
ronne et Saint-Quentin, á la suite d'un combat
dans la foret de l\1ormale; 01', il ne restait plus
á disputer que le passage de la Somme, barriere
faible et insuffisante.


Déjá les représclltalls commissaires auxarmées
du nord proposaient de ütirc refIner les babi-




D'm, IfOllIlIn, D'ETAT.


tan s , corps el: hicns, ve1's l'intérieul', les urmées
ne pouvant plus te11i1' la eampagne qu'en 1'étro-
gradant sans ecsse <levant les mOlwemens pro-
gressifs des alliés.


On en était lá quand a1'riva un due d'York 1m
courrier de Londres, portenr des dépcehes ciu
minislere, qui écartant toutcs les objeetions, re-
eommanclai t la p1'ompte exécution de l' entreprise
sur Dunkerque. Piu s'était fortemcnt prononeé
dans le conscil pour qo' on n'y apportat plus aucun
retardo Il voyait dans la pr1sc de Dnnkerque le
prix eles efforts et des saeriftces pécuniaires que
farsait le gOllverllcmellt anglais á la cause com-
mune. En conséquence le due d'y ork, a la tete
de l'armée anglo-hanovrienne, renforcée d'un
corps auJriehien nombl'eux eommandé par le
feld-maréehal Alvenzy, se mit en marche le 18
aoút, prcnant la dil'eetion de Furnes. De son
coté le p1'ince de Cobourg 1'ep1'it le jour IIH~me son
aneienne position de Hérin, laissant son avant-
garde an eamp de César. LiBe fnt masquée par
l'armée hollaw1aise, qui occupait ]a position
de Menin. Le gros de l'armée impériale se mit
alors en monvement ponr assiéger le Quesnoy
et s'emparer de la fOl'et de Mormale, sur la
rive gauche de la Sambre, entre le Quesnoy et
Mauheuge.


Ainsi au momcnt meme oú duns les conscils




266 lUÉJ1IOIRES
des alliés, on n'aurait dú songer qn'a disperser et
a détruire les restcs encore organisés dcs armécs
frant;;aises, on n'employait les forccs immenscs
de la coalition qu'a des opérations acccssoires:
un pareil systeme ne pouvait jamais influel' que
tres-faiblemcnt sur les dcstillées de ]a guerreo


Que]ques officiers -généranx d'un coup-d' reí!
plus súr et d'un caractere plus ferme, avaicnt
ouvert l'avis, dan s les conférences, de mettre
enon un termc a cette gucrre insignifiante, et
de marcher droit a París. C'était aussi l'expres-
sion de la peusée publique. Lc prince de Co-
bourg, ou plutot l'état-major ({ui le dominait,
se servit de la voie des journaux ponr repousscl'
une opinion qui s'accréditait d'alltant plus que
chacun en devenait l'organe.Unc réfqtation in-
directe parnt en ces termes a La Raye et a
Bruxelles : ee Il est des gens qui croient voir claBs
)) les dispositions des armé es alliées lc dessein
» de s'ouvrir un passage jusqu'a París, en laissant
)) des corps considérables ponr hloquer les viHes
)) frontieres dont on ne pourrait pas se rendre
» maitrc; mais les difficultés que préscnte une
») telle entreprise de la part d'une 3I'mée affaiblie
» par les COl'pS restés en arriere ponr sa sureté,
» et l'exemple d'.<üllellrs de ce qUl s'est passé l'au-
)) tomne derlliel' clan 5 la Champagnc, sout des
») raisons suffisantes ponr don ter de l'avantage




])'V~ HO:\UIE D'"ÉTAT.
» d'nn td projet.» Ainsi OH s'appuyait de l'exem-
pie des [autes meme qlli avaient [ait échotlcr la
premiere campagne, ponr s'autoriser a ne rien
entreprendrc de décisif; c'était avouer en quel-
qne sorte qu'on agissait d'apres les memes mo-
biles.


Il n'{tait pas possible qu'une assemblée qni
ne rt'gnait quc par des moyens violens, nc saislt
pas ce IllOment de répit ponr essayer de faire
lever la nation en masse. L'évacuation dll camp
dc César et l'apparition des partis autrÍchiens
jusrpt'aux portcs dc' Saint-Quentin et de Pé-
ronne, ayant jeté l'alarme au sein meme du
comité de salut public, Barrere vÍnt déclarer, en
son nom, qu'iJ faHait encare une fois que París
se lev,h ponr blorluer l'enncmi devant Saint-
Quentin, sans qnoi la patrie était perdne. Danton
fit décrétcr la peine de mort contre tout volon-
taÍre qui, pendant le danger,· quitterait son
poste. A l'occasion d'une proclamation, qui con-
tenait un appe! an pcuple, iI lona le rapport
fait a ce slljet; mais décla¡'a en meme temps qlie
le comité de salut public n'avait pas tout dit. « Si
» les tyrans mettaient notre liberté en danger, s'é.
» cria Danton, Hans les snrpasserions en audace,
» nons dévasterions le sol fran¡;ais avant qu'ils
» pussent I(~ parcourir; et les riches, ces vils
» égolstes, seraicnt les premiers la proie de la fu-




2.68 ~r:ÉJrOIRES
» reur popnlail'c. » Enfin le 23 aoút, Barl'ere vint
a la tribune proposer en ces tCl'mes de décréter
la levée en masse des Fran<,;ais., ou la réquisition
des force s nationólles : (( Jusqu'an moment ou
» les enllemis allront été chassés du territoire de
» la république, tous les Fran<;ais sont en réqui-
» sition permanente pour le service des armées,
» Les jeunes gens iront au combat, les hommes
» mariés forgeront les armes et transporteront
» des subsistan ces , les fcmmes feront des has,
» des habits, et serviront dans les hopitaux; les
» enfans mettront le viel1x liuge en charpie; les
» vieillards se fe¡'ont porter sm les places publi-
» ques pour exciter ]e conrage des gllerriers, la
» haine des rois et l'unité de la république. Nul
» ne pourra se faire remplaccl' dans le service
» pou!' leqnel il sera requis; les fonctionnaires
» pnblics resteront a lcm poste. La levée sera gé-
» nérale; les citoyens non mariés OH veufs sans
» enfans, de dix-huit a vingt-cinq ans , marche-
» ront les premiers. Les l'cprésentans du peuple
» régleront les appels et les marches. Le batailloll
» quí sera organisé dan s chaque c1istrict se réu-
» nira sous une banniere porfant ccUe inscrip-
» tion : Le peuplefranqais contre les tyrans. »


La reste du décret portait : ({ 11 Y aura une fa-
)J brication extraordinaire ll'armes de tout genre.
» n sera frappé des contributiol1s en nature ponr




n'eN IIOllDIE n':ÉTAT.


» former de grands approvisionnemcns. Les édi-
» tices nationaux deviendl'ont des casernes, les
» places publiques des ateliers d'armes. Les caves
» seront lessivées pour l'extraction du salpetrc.
» II y aura une réquisition illimitée de che-
» vaux.»


La convelltion adopta toutes ces mesures par
acclamations, et la France ne fut bientot plus
qu'un 'laste campo


Peu de jours apres, la convention déc1'éta «( que
» jusqu'a ce que l'indépendance de la république
» ait été 1'econHue, laFrance était en 1'évolution.»
Et en conséquence la constitution que le peuple
venait d'accepter I fut voilée, mise a l'écart el
ajonrnéc. Ce décret p1'éalable préparait le gouver-
ncment révolutionnaire qui, sans déguisement,
érigea la dictatnre collective en loi de l'état. On
vit alo1's les mesures l'évolutionllaires se succéder
et se compléter. Un emprunt forcé d'un milliard
frappa les plus forts contribuables; il Y eut des
visites domiciliaires, et une force armée révolu-
tionnaire mobile, destinée a parcourir les dépar-
temens, trainant a su suite, avec de l'artilleric,
Yinstrumcnt de mort appelé guillotine. La déno-
mi.nation de suspect fut légalement inventée pour
alimenter les prisons. On imagina les certificats


t Appeléc constitution de 1793, et dont les hases élaient elltiere-
ment d':lllocratiques.




:nrÉMOIRES


de civisme, qui soumircnt les employés et les
magistrats a l'épuration des clubs et des comités
révolutíonnaires. Dans chaqu~ commune il y eut
au moins un de ces comités, composé de six
~embrcs affiliés a la société des jacobins de
París, a~socíation qui devint ainsi un corps poli-
tique dan s l'état, exer<;ant une censure géné-
rale sur les autorités publiques et sur tous les
citoyens.


La convention qui gouvernait souverainement
vingt-cinq millions de Fran<;ais en révolution, et
qui sans finan ces , sans commerce et san s cré-
dit, était aux prises avec presque toutes les
forces de rEurope, se trouva tout-a-coup, par
droit de réquisítion, riche et puissante comme
elle s'était rendue redoutable par sa farouche
énergie.


Cependant l'entrée des Anglais et des Espa-
gnols dans Toulon, vint reIever les esp(~rances
des alliés. A Toulon comme a Lyon et a MarseilIe,
la majorité de la population, bien qn'cllc ne flit
1):1S ouvertement royaliste, nc vouJait plus du
joug de la convention ni de ses adhérens. Ils
étaient réduits a TouIon a une poignée d'arti-
saus, d'ollvriers et de marins qui exigeaient du
pain sans travaU, et des emplois sans capacité
pour les rempIir. La résistance de :;\,Iarseille et
de Lyon était dcyenue conlagieuse pour les Tou-




n'UN rrOl\fl\IE n':ÉTAT.


lonnais. L'approche d'un corps de troupes chargé
d'y faire triompher laeonvention, et les effets de la
disette augmclltée par le blocus maritime, dé-
terminerent la erise. Les Toulonnais placés entre
la floUe de blocus commandée par l' amiral Rood ,
et les, commissaires Barras et Freron, qui, dé-
voués á la faction de la montagne, étaient a
leurs portes avee tout l'appareil de la terreur,
tOUrIH~rent lenrs regards vers l'amiral anglais.
Convoqués en assemblées de sections, ils négo-
cierent lenr délivrance par l'entremise d'un co-
mité géné/'al quí s'était saisi des afIaíres. La do-
minaient des officiers-génél'aux royalistes, tels
que les contrc-amiraux Trogoff et de Grasse, et
le eapitaine de vaísseau baron d'Imbert, l'un
des agens des princes franc;:ais dans le midi. L'a-
miral Ilood, instruit par le comtié général des
dispositions elcs Toulonnais, lenr ellvoya d'a-
bord uu biltirncnt parlernentaire avee une dé-
claration et une proclamation. La déclaration
préliminaire était con<,;ue en ces termes: {( Si on
» se cléclare franehement en faveur du gouIJer-
» llement monarchiqlle; si on se décide a mettre
» le port a ma disposition, le peuple aura tons
» les secours que l'escadre anglaise pourra luí
» fOllrnir. le déclare qu'illle sera touché ni aux
» propriétés ni aux personnes; toutes seront
)} rcspcctées et protégécs; nous l1e voulol1s que




JlIÉiUOIRES


» rétablíl' la paíx. Lorsqu'clle aura lieu nous rc-
» l11cttrons le port, la floue a la France, d'apl'es
») 1'inventairc qui en sera fait. ))


La proclamation de l'amiral étuit adressée a
tous les habitans du midi.


« Depuis quatre ans, lenr disait-il, vous etes
») livrés a nne révolution qni vous a conduits a
» l'anarchic, et vous a fait plier sons le joug de
» quelques factieux : apres avoir détruit tout
» gouverllemcnt, rcnvcrsé toutcs les lois, assas-
» siné la Vel'ttl, préconisé le crime, ils ont cher-
» ché a propager clans tOllte l'.Europc leursysteine
» anti-social. Sans cessc ils VOllS ont padé de li-
» bertépour vous la ravir; sans cessé ils ont
» parlé de respcct pour les personnes et les pro-
» priétés, partout ils les ont violées. Ils ont dé-
» clamé contre les alms de la royauté, ponr
» établir leur tyrannie sur le sang de votrc légi-
» time sOllverain. Votre commCl'ce est anéanti;
) les bras sont arraehés á l'agriculture; la famille
» vous menacc. Une positioIl aussi affl'euse a dli
)} atTIiger les puissances eoalisées; elles n'y ont
) vu de remede que dans le l'établissementde la
)} monal'clzie. Je viens vous offrir les forces qui
» me sont confiées, pour écrasel' les factieux et
}) rétabJir la royauté. Prononcez·vous définitive-
» ment; reposez-vous sur la générosité d'une
)} natíon loyale; parlez, je vole ú votrc secours




, " D UN HOl\Ii\JE D .ETAT.


» pom VOUS déli\Ter des fers dont vous etes ac-
J) cablés. »


Ce message du 23 aoút était adrcssé aux sec-
tions de Toulon assemblées dap.s les formes ré-
publicaines: elles en délibererent et y donnercnt
lenr adhésioll. l!.Io!'s UllC scconde déclaration fut
notifiéc aux habitans en ces termes : « Attendu
» que les sections de Tonlon, par les commis-
» saires qu' elles m' ont envoyé, ont fait une dé-
» claration solennelle en favcur <in gouYerne-
» mellt monarchi(ILH~; qll'elles ont proclamé
» Louis XVII, fils de Louis ~y 1, lell!' Iégitime
JJ roí, et ontjul'é de le reconnaltre, aillsi que de
» ne pas sOllffrir plus long-temps le dcspotisme
» des tyrans qui gOllvernent uctnellement la
)1 f'rance; mais qu'ellcs feront tous leurs effo!'ts
» pour établir la monarchie telle qn'ellc a été
» acct'ptée par le défunt souyerain en 1789, et
» pOU!' remIre la paix a lcnr patrie, si malheu-
» !'cusement d{~chirée, je répete par la présente
» ce que j'ai déjh déclaré an peuple dn midi de
» la Frunce, «( (lue jc prends possession de TOI1-
» Ion, et le garde uniquement comme un dépot
» ponr Louis X VlI, jusqu'a ce que la paix soit
» rétablic en Vl'ance, époqlle que j'espere etm'as-
» sure etre prochaine.


» Donné a bord du yaisseau de S. M. B. le
» FictOl:)', a la hauteur de Touloll , le 28 aoút. »


U. 18




Ccs trois píeces portaient la signature de l'a-
wira1.


Par l'arrangement qui venait d'etre conclu,
1'escadre fran<;;aise, Corte de dix-hüit vaisseaux,
dc\'ait etre llésarmée dans le port, et les hatteries
dc la rade retiré es ~t terrc. Mais quand la notte
anglaise, qll'accompagnait deux cscadres, l'une
cspagnole et l'autre llapolitaincs, se mit en de-
voir de pénétrer dan;; la rade, a10rs une partie
de la fIotte fran<;aisc, commandée par le contre-
amiral J (llien, que les marillS dévoués a la eOll-
venlion, avaient recomm pOllr chef, voülnt
s'opposer a l'entrée des Anglais. Les Latteries lle
terre menacerent aussitot de tirer sur les vais-
se3UX récalcitrans. Julien, abandonné par pln-
siellrs capitaines, mit a la voile et s' échappa avec
les éql1ipages de sopt vaisseanx; tont le reste se
rangea au pouvoir des Allglais, quí, pénétrant le
2tl aoút dans la rade, (kbaI'(flil(~rent et fureut
rc<:;us comme des libérateurs. Ils prirent posses-
5ion du [ort Lamalgllc et de la ville an nom du
roi de France : le drapean Llanc y remp1a<,~a le
drapeau tricolore.


N'ayant que trois mille hommes environ ponr
la gardc d'ulle place qui en exige an moins dix
mille pOllr 5a défense, l'amiral Hood invita l'amiral
espagnol Langara a mcttre a terre les trollpes de
marine a ses ordres, qu'il appelait a faire le ser~




n'L'N JIOl\Il\1E n'ÉTAT.


vice conjointemellt ave e les siellnes. Un l'enfort
de l'arméc cspagnole clans le Ronssillon, amené
promptement par quatre vaisseanx espagnoIs, et
fonnallt quatre mille soldats de eette nation, suivis
el'autant de Napolitaim et de Piémontais, débar-
qua dans les premiers jours de septembre. Enfin
dellx régimens d'infanterie anglaise arriverent Jo
Gibraltu¡', et aussitot les alliés prirent possession
non-seulement de tous les forts extérieurs qui en-
vironnent et ceignent TOlllon, mais encore ils s'é·
tablirent militairement el I'issue des gorges J'01-
lioules. Lá iI s'agissait de s'opposer aux troupes
de la convention, quí apres avoir buttn les fédé-
ralistes de Marseille et. occupé violemment cette
ville, se dísposaient a déboncher ponr se porter
en forces sur Toulon et cn formel' le sié!!c.


'-'


A 'peine la cour de l,onclres apprit·elIe l'heu-
l'eux événemcnt quí luí livrait san s coup ferir,
avcc la plus forte place dn midi de la France, une
grande partie de la marine fram;aise , que les mi-
nistres épl'ouverent le regret de n'avoir pas
sOllgé á donner it ramiral Hood des instrnc-
tions préalablcs. lIs étaicnt loill toutefois de
vouloír troúLIer la joie publique pa¡' le dé-
saveu des conditions (lu'avait stipllló l'amÍral,
dont la politique de circollstance n'était pas
tout-ú-fait conforme a leurs vues nlté¡'ieures. Nc
voulant ríen préjuger ni précipiter, ils l1om-




merent a Toulon une commission royale com-
posée de l'amiral lui-mt'me, de sir Gilbert-
Elliot et du major-gélléral O'lIara, avec des
instl'uctions particulieres.


Toulon, livl'é aux cscadl'cs combiné es par
une population mécontente, qlle des meneurs
royalistes avaient soulevéc, était, au milieu de
tant d'autl'cs revers, un évblCmcnt qui eút attéré
toute autre assemblée que la convention, et tout
antre pouvoir qnc eelui du comité de salut pu-
blic. Le comité n'en fit que tendre plus fortc-
ment les ressorts ele sa dictature impitoyable.
Quand eeUe nonvelle luí pal'Vint, Hohespierl'c
qui ne faisait partie du comitó que dcpuis pel!,
mais qni le maltrisait dl~j~l par sa popnla-
rité , clit qu'il fallait d'aborcl incendie!' et rasc¡'
LYOll, pnis marcher sur TOlllon et le repren-
tire. Le comité expédia ses ordl'es en consé-
quence.


Son atten tion alors l'tait plus fortemcnt ch-
rigée sur les frontiéres de la Flalldre, d'oú les
revers se faisaient plus imml:diatement sentir a
Paris. Le comité, par ses illtelligcllces au dehol's,
avait eu connaissallce llcs résllltats du granel
conseil de guerre ten u a Valenciennes, et dc la
prochaine entl'eprise sur Dunkerquc par ]c dllC
(l'York Voulant aussitot improviser un pJan el'at-
taqHi', i! adopta celni ue Carnol, d'a}m:s Jequel OH




n'UN HOJlnlE n'ÉTA.T.
devait réUllir sans délai une force capable de prcn-
dre l'offensive ponr déhvrer la place menacée.


Camot, ancien capitaine du génie, avait une
instruction militaire solide. On l'avait vu d'abord
figurer a l'asscmblé législativc dans.les rangs des
plus challds pal'lisans de la révolution. EIll ~l la
convention, il Y mm'qua aussi sa place parmi
les répuLhcains les plus arclens et les plus
décidés, s' oCcllpant des armées, aUan t en mis-
sion aux frontiercs, proYoquant la rl~lll1ion des
pays cOllquis, tl'ayaillaut S311S relache an comité
militaÍ! e, et lit consultant les mcilleurs rnérnoires
du déput de ]a gllcl'l'e SOllS la monarchic, et les
officiers d'unc capacité éprouvée soit clans les
théories de 1'art soit dans leHr a13plicatíon. Aielé
par la réunion de ces diyers élémens, iI présenta
le plan qne lui aHít demandé le conlité pour
sccollrir Dunkerque. C'était all 1110111ent lllcme
oú de nombrenscs levées se pn~paraiellt dans
l'intél'ieur ,1 rcnf'orcer les arl1lées al1X fron-
tiel'es et á les mettre sur un pied tcllemcnt for-
midablc, qll'on pút y ba);mcer Illlmériqnemclltla
force des arrnées combinées. Sur la connai~;sallce
exacte de ce qui se passait dans le camp ennerni,
Carnot avait COlH;ll riMe de profitcr dc la dis-
persion des forees du prinee de Cobourg pour
frapper un coup quí l'allenttt an moins les entre-
I'rises des alliés, ct qui pútfairc gagner du temps;




MÉl\'[ OIR F.S
car ríen de plus précíenx a la gncrrc, que le temps
quand on sait l'abréger clans 1'attaqne et l'alloll-
gel' dans la défense. Le fond du plan de Carnot
consistait a faire arrive1' en poste a l'armée du
nord, des renfo1'ts tirés des al'mées du Rhin et
de la Moselle, et d'en formel', ayec les troupes
disponibles, une armée expéditionnaire de cin-
qnante a soixante mille hommes, ayec laqueUe,
par une marche rapide et habilement combinée,
on irait attaquer et accabler l'armée du due
d'y ork. 5elon Carnot, les armé es du Rhin et
Moselle pouvaient etre alors affaiblies san s incon-
véniens, leur défensive étant assurée, el l'élan des
Prussiens peu a redouter depuis la l'cddition de
Mayellce. Il pn!senta aussi des Vlles génél'ales sur
la grande guel'l'e ou se trouvcrellt déposé les
germes qui, se déyeloppant depuis, ont opéré
dans la tactique moderne cette révolution dont
la France a tiré long-temps un si grand avan-
tage.


Les membres infIuens du comité furent si frap-
pés de l'énergie de ce plan qu'apres l'avoir adopté
par une délibération du 12. aout, ils firent ad-
joindre Carnot lui-meme, le snrlendemain, a
leurs redoutables fonctions. Introduit ainsi dans
le gouvernemént, et initié dans ton tes les eom-
binaisons militaires, Carnot y apporta assez de
talent et de suite pour faire triompher avec l'un




n'UN JI02l'Il\fE n'ÉTAT.
des plus grands leviers de la race humaine, une
nation armóe pour son illclépenclauce, contri-
buant ainsi plus que tout autre a ébranlcr l'Eu-
rope; en un, mot, pIncé au comité de salut
public, Carnot devint le Louvois·du regne de
la terrenr.


En tr:1l1smettanthHouchard, qui venaitderem.
placer Custine a l'armée dn nord, rordre d'aIle}'
combattre le el He d'y ork a Dunkerqne, le eomité
s'expliqna en ees termes: {( Ce n'est pas précisé-
» ment sons le rappol't militaire que ee point cst
» import:mt, e'est paree que l'honneurde lanation
» est la. Pitt He peut se soutenir qu'en indemni-
» sant le penple anglais par de grancls sueees,
» antrement la révolution est inévitable en An-
» gleterre. Portez des forces immenses clan s la
» Flamlre, et que l'enncmi en soit chassé.)J


Tout semblait eOHeourir au sueces de l'entre-
prise: lcs fantes meme des alliés. L'armée anglo-
hanovrienne s'était mise en marehe sur Mellill
des le 10 aDut. Elle fut jointe en route par un
corps de Hessois et par douze mille Autrichiens
sous les orclres dn feld-maréchal Alvinzy; sa
force totale fut alors de plus de trente-six miHe
eombattans effectifs. Trois eamps retranehés
eonvraicnt Dunkcrque et présentaient une foree
de dix-sept mille hommes, qni pOllvait meme
etre grossie par les garnisons voisines. Ce qui im-




280 1Ilt:MOIRES


portait le plus était de marcher en toute hate
avant qn'on ne vint au secours de la place;
mais le duc d'York, qni attendait l'arrivée a'une
flottille anglaise et du train de siége embarqué
sur le canal, campa d'abord sur trois colonnes á
:Furnes. La floltillc ne paraissant pas, iI se remit
en marche, cliyisant son armt'e en deux corps,
l'un d'observatioll et l'autre de siége. Le premier
était commandé par le maréchal Freytag, 1'autre
par le duc en persoune. Chargé de couvrir 1'ar-


, ¡ . '1' " bl" , R 1 r mee ( e sIege, ; reyt[lg seta It a . os Jruge .. ,e
due d'York, apres avoir bit replier les corps
fraI1l;ais qui eOllvraient la place, la fit sorumer ;
et tel était encore son délabrement, que si la
flottille de bombardement avait pam alors, DllIl-
kerque eút été infailliblcment cmporté. Mais
ríen n'arri vait, et HOllchard cut le temps el'y
jeter des troupes fra1ches. Il releva ainsi le con-
rage de la garnison. Le poste de RosendalI,
d'aLord mal attaqllé, fut enfin empol'té apres
une dHense opiniatre, ct le meme jour, 24 aoút,
la tranchée fut ouverte malgré les difficultés que
présentait un sable mOllyant et l'ean qU'OIl troll-
vait a Jeux pieds de la snrface du sol. L'armée
assiégeante occllpait un granJ espace sablon-
neux, appelé l'Estrang, dont les dunes OH élé-
vations étaient favorables allX approches ele la
place. Ce camp, dépQurvu meIUe d'eau potable f




I)'{jN II01UlIIE D'ÉTA.1'.


était couvcrt a son flanc droit par la mel', et a su
gauche par des marais appelés le Sand-Moer.
Des tours de Dunkerque on découvrait et an
signalait les mau vemcns de l'armée anglaise, qui
attendait impatiemment l'artillerie de siége. Au
lieu de son escaore, elle vit arri ver une flottille
de huit canonnieres et autres batimens de guerre
fr.1n«;;ais, qlli, cmbossée sur le flanc droit du
camp, le battait en écharpe avec du gros calibre.
Cependant sept batteries de siége s'éle\'aient, et
on sc disposait ú les armer avec de l'artillerie de
marinc, la fIottille de l'amiral Mackbrige ne ve-
Ilant pus, bien qnc plusieurs officiers anglais
fussent passés en Angleterre ponr en presser l'ar-
rivée. On garnissait les premiers batteries, quand
on apprit le 5 septembre, que le général Hon-
chard s'aval1(:ait contre le corps d'observation.
Des le lendemain Ilollchard et Freytag étaient
déja aux prises a Rexpoede. Freytag blessé et
pris un moment, fut délivré par Walmoden qui
se fit jour : les deux généraux raUierent leurs
forces a HOlldscoote, SOllS la protection de nom-
breuses batteries. Le 8 septembre s'engagea la
bataille ou plntot le combat d'Hondscoote, aú
lesdeuxarmées se tl'Ouverent engagées de front.
L'immense supériorité des Fraru;ais Ieur permit
d'attaqner a plusieurs reprises les retranchemens :
ils les cmp0l'tercnt. Walmoden qui I'enlpla¡;ait




1I1Él\IOIRES
Freytag hors de combat, ordonna et opéra sa
re traite sur Furnes.


Pendant la bataille , la garnison de Dunkerque
avait renouvelé aussi ses attaques, ponr retenil"
les renforts qne le dnc d'y ork aurait pu opposer
a l'armée de secours. A peine le dnc a-t-il con-
naissance de la retraite de son corps d'obser-
vation, qn'il convoque dans la soirée nH~me un
conseil de guerreo On y décide qll'on ne s'expo-
sera point an risque d'etre coupé uniquement
pour sauver une artillerie de fer lourdc et cm-
barrassunte. Le siége est levé a minuit; on se
met en marche, et le lendemain l'armée opérant
sa jonction avec le corps hanovriell, campe a
Furnes, toute réunie et sanvée.


Houchard ne pouvant plus rien entreprendre
contre le duc d'York, qui présentait une masse
de trente·trois mille combattans, marcha pour
attaquer les Ilollandais a Menin ; il Y obtint d'a-
bord un avantage sur le prince d'Orange; mais
qlli, renforcé deux jours apres par le général au-
trichien Beaulieu, remporta sur lui une victoire
complete. Les bataillons fran<,;ais, al' aspect d'un
corps de cavalerie autrichienne qui vint charger
leul" flan e gauche, saisis d'une terreur panique,
prirent en désordre la route de Menin, abandon-
nant équipages et artillerie, et courant se mettre
a couvert sons le canon de Lille.




n'UN HOMM~ n'ÉTAT,
C'était an moment meme ou le prince de Co-


bOlll'g s'empul'ait du Quesnoy arres quatorze
jours de tranchée ouverte, et a la suite el'une
capitulation qui retint la garnison prisonnierc.
Bien que l'attentioll principule du.comité de salut
public eut élé fixée sur Dunkerque, il avait pres-
crit aussi les plus grands efforts pour sauver le
Queslloy : on s'y prit trop tard, et les attaques
furent repoussées.


Maís ni l'avantage remporté a lVIenin ni la prisc
uu Quesnoy ne pouvaiellt balancer, clan s une
guerre de révolution, ou l'opinion est un si
puissant véhicule, l'effet qu'avait produit non-
seulement en France, mais dans le reste de rEu-
rope, la lcvée subite du siége de Dunkerque.
Les suites de cet événement changerent la face
de la guerre, et décidercnt memc du sort de la
campagne. J~e bltune qu'aurait pu s'attirer le
prince de Cobourg par I'inaction de ses forces
principales pendant les mois d'aout et de sep-
tembre, se reporta des-lors sur l' entreprise de
Dunkcrque.


La responsabilité des généraux de la convention
était d'une alltre naturc : elle avait une te in te pu-
nique. Houchard fut voué a la mort pour n'avoir
pasfaitpasscr l'arméedu duc d'York sousles four-
ches cauclines, c'est-a-dire pour n'avoir vaincu
qu'a demi, et s'etre ensuite fait battre a Menin.




1tIÉnIOIRES


D'apres le plan attribué a Carnot, il aurait du
rél1nir cinquante mille homrnes, accahler d'a-
bora le corps d'observation du maréchal Freytag,
se jeter ensuite sur le dnc d'York, et revenir
écraser les Hollandais. Carnot lui-meme était
parti pour l'armée avec ce projet d'opération,
qui ne re<:ut qu'une exécution ímparfaite. Dans
les reproches sanglans adressés a Ilouchard par
llarrere, au nom dn comité de salut public I , on
trouve des traits qni signalent l'el1trée de Carnot
au comité, et l'impulsion qu'il dOl1nait déja aux
opératioIlS militaires. « Depllis JOllg-temps, dit
») Barrere, le premier principe pOllr tirer parti dn
» couragedu soldat,leprincipe établi par Frédéric,
» et celui de tous les grands généraux, est d'avoir
» de grandes arrnées en masse, pIutot que de par-
» tager ses forces; an contraire vous n'avez eu
» que des armé es disséminées, morceIées; meme
» lorsqu' on les rassemblait en masse, des géné-
» raux ignorans ou pedides les divisaient et les
» faisaient battre en détail, cnles opposant tou-
» jours a un ennemi supérieur. Le comité a ap-
» perc;u le mal; il a écri t a tlX gélléraux de se
» hattrc cn masse. lIs ne ront pas fait : vous avez
» eu des reverso »


Cette déclaration contenait la critique la plus
lumineuse des opérations des dellx armécs qui




n'UN 1I0l\l.!IfE n'iTAT. 2.85
combattaient l'unccontre l'autre. Mais changeant
en6n de systemc, les armées républicaines al-
laient s' ouvrir un vaste champ de victoires; les
alliés, an contraire, soit aveug]ement, soit im-
péritic, perpétuercnt leurs défaites, et en vinrcnt
aux catastrophes.


Quant aux armées combinécs vers le Palatinat
et les Vosges, elles se tenaient, depuis la redditíon
de Mayence, dans une irnmobilité inexplicable,
qui faisait l'étonnement de l'Europe. Cependant
l' armée de siége avait augmcnté de quarante milI e
hommes les forces qu'on aurait pu meltre en ac-
tion immédiatement claus la vallé e meme cluRhin.
Qu'on juge ce qu'aurait pu cent mille hommes de
troupes aguerrics, qui se seraient pOl'tés soit an
revers des V osges, sur la gauche des Fran(;ais,
soit dans les plaincs du Palatinat contre le front
de lcur ligne ! Au lien d'accélél'cl' la mise en
action de ces [orces redoutables, on avait éta-
bli les deux armées comLinécs parallelement
aux denx armóes républicaines resté es sur la dé-
fensive. L'armée prllssieullc s'était divisée en
quatre corps principaux. Le roi en personnc
avait conduit le premier a Turckcim et á Edick-
hofen; le duc de Brunswick se trollvait a la tete
dll second;l Kaiserlautern; le troisicme, sous les
ordl'cs C\U princc de lIohenlohe, a vait pris po si-
tion ~t Lalltl'cc1,; el le qnatl'iemc s'était {:tabli a




lUÉ;\IOIRES


Krelltznach, sous le général Kalkreuth. Le roí
avait en OlItre rappelé des Pays-Bas le corps prus-
sien du général de Knobelsdorff, qui depuis l' OH-
verture de la campagne faisait partie de l'armée
du prince de Cobourg. 11 était en marche, et le
roi, en attendant, semblait vouloir se contenter
de garnir la frontiere de l'Empire contre une in-
vasion. L'opinion qu'illlC se passerait ríen d'im-
portant de ce coté, s'était meme tellement accré-
ditée au quartier-gélléral prussien, que le comité
de salut publie, instruit de I'état des choses, n'a-
vait pas hésité d'affaiblir, ponr son expédition
de Dunkerque, une partie des trollpes fran-
t;aises sur la Moselle, et vcrs la partie inférieurc
du Rhin.


De son coté, le général W llrmscr, renforcé
d\me partic des Autrichiens et Bavarois employés
au siége de Mayence, comptait, depuis la reddi-
tion, sous son commandant immédiat, quarante
mille hommes y compris l'armée de Con dé. TI
frémissait d'etre réduit, par l'inaction des Prus-
siens, a garder la ligne de la Qllcich jusqu'a
Spire. Actif, hardi, bien qu'affaibli par ragc, il
proposa différens plans que le duc de Brunswick
('ca~'ta commc téméraires, ne voulant se preler
a aucnne opération qui n'émancrait pas imm('-
diatement de son état-major ou <In caLinet meme
du roí. MaIgré les instanccs et les représenta-




, " D UN HOJ\ll\fE D l'TAT.


tions de Wurmser, les deux armées n'étaient
plus employées qu'ensímulacres d'attaques, sans
but et sans concert, depuis Sarrelouis jusqu'an
Rhin. Le vieux général, ne gardant plus de mé-
nagemens, en écrivit a Vicnne. Déja les causes
secretes de l'inaction et de la froidenr des Prus-
siens suscitaient des débats entre les deux cours.
D'une part on s'inquiétait des prétcntions affec-
tées par r Autriche sur quelques place s et pro-
vinces fralll;;aises; de l'autre on récriminait an
sujet des vues 'ouvertement manifestées par la
Prusse sur une partie de la Pologne. Le cabinet
prussien, d'ailleurs, sentait déja tout le poids de
la guerre, et voulaít en etre allégé ; le roi envoya
1\1. de Cresar a son ambassadeur a Vienne, M. de
Jacobi, pour lui <lonncr des explications a ce Sll-
jet; el'apres l'avis de son cabinet, il refusa de ríen
en treprcndre avan t que les difficultés qui s' étaien t
éJevécs ne fussent aplanics. Le général prince de
Waldechvintsuivred'aboru an nom de l'Autriche
la négociation elltamée qui fut continuée plus
tal'd par le comte de Lehrbach. eroyant mettre un
terme ~l ces débats, la cour de Vienne chargea le
génél'al Ferraris, vice-président du conscil auli-
que, (\'a11cr -discuter dircctement ses intércts au
quartier-général du roi de Prusse.


Ces premicrs nuages entre les dcux cours sau-
verent la Franco a sa frontierc de l'est, commo




l\IÉl\IOIRES


les tatonnemens et les lenteurs dll pl'ince de Co-
Lourg venaient de la sauver sur la frontiere du
nardo


Cependant Wurmser, plein d'ardeur, et s'in-
dignant de l'immobilité de ses alliés, es saya dé dé·
loger ayec ses troupes seu les les Fran<;:ais de leurs
lignes. Ses attaques de la fin d'aoút n'aboutirellt
qu'a des scenes de carnage sans résnltats. Ses
tentatives partielles sur les Vosges, duns les pre-
miers jonrs de septembre, ne furent pas plus
heureuses. Mais iI mettait par la en évidence la
non coopération des P1'llssiens. Sollicitant du
ciuc de Bruns\vick l'adoption d'un plan commllU
d'opérátions offensiyes, il lui Pl'oposait ou de
s'ayancer sur la Lorraine, tamlis rpúl percerait
llli-meme en 'Alsace, ou de se lier franchement
a lui dans cette derniere entreprise.L'aigl·ellr
se melait aux rcIations des dcux g{'nérallx al-
liés, quand les commissaires de la convention,
plus d'accord et enhardis, se cOllcerterent pour
faire prcnch'e l'offcnsive aux annécs du Rhin et
Moselle. Dans un conscil de gllcrre convoqué
par ellX, une attaque génl~"ale pOllr le J? sep-
temhre fut r{~solue; elle devait (~tre précédée par
dcux tentatives ponr le passagc du !thin, l'une
clcyant KehI, l'autl'e au fort Vauban : toutes
<1eux échouerent. Mais se repliant sur le COl'pS
autricllien du général Piaczewitz qlli occupait




, " 8 D UN H01Ul\lE D JiTAT. 2 9
les Vosges, Ulle partie de l'armée fraIH;aise em-
porta ses retranchemens, et le poursuiYit jus-
qu'a Bodenthal. Le dl1c de Brunswick s'était
cngagé a le soutenir. Il fut lui-meme attaqué
a Pirmasens par un gros détachement de 1'a1'-
mée de la Mose11e, q lle commailClait le géné-
ral Morcaux, qu'il ne faut pas confondre avec
le célebre Morcan, devellll plus tard général
en chef de l'armée du Rhin. Partí de Hornebach,
le 14 septcmbre, avec douzc mil1e hom]lles,
Moreaux se dirigea sur le camp du dne de BrUllS-
wiek par la valléc de DI llm cls. Il fondait l'espoir
du sucd~s sur UIle snrpl'ise, la position des Prus-
siens (~tallt d'aillcllrs étendlle et moreelée. Maís
le dne instruit a temps que les républicains s'a-
van<;aient, prit d'exeellentcs dispositions au mo-
ment meme OH trois eololllles d'auaque faisaiellt
mine de lui enlever Pinnasens. Tombant sous
le feu d'une artillerie nombreuse et bien servie,
ellesfurent mitraillées sur lenrs flanes, débordées
ensuite par la cavalerie, et leur re traite dégénera
bienlot en déroute. Tout se mil a fuir dans la
plus grande eonfusioll pOUl' regagner Hornbach
apres une perte de quatre mille hommes tllés,
blessés ou prisonniers, et de vingt-deux pie ces
de canon. Si le tILlC de llrllswick, apres un teI
avantage, avait réuni ses divisions éparses, et
pris l'offensivc immédialemcllt, il eút ehassé les
l~ 19




l\f.É3rom:ES


Fra11t;ais de la vallée de la Lanter, et tourné
les lignes de vYeissemLourg. ~'Ia¡s outre que sa
circonspection n'était pas compatible avec Ull
pareilélan , il fut arrelé par les memes motifs qlli
jusqu'alors avaient conmw enchalué les forces
prllssiennes. Toutcfois, iI acheya de relever s~m
Cl"édit au (Iwu'tiel'- g(~ll<:''l'al du 1'01 par ce derniel'
sueces qui faisait revivl'c l'esprit belliqneux des
Prussiens, et meme excitait leni' enthousiasmc;
iI aUl'aÍt 1'u imprime)' anx. afÜtires uno faee nou-
velle. Tont pal'ut meuw eoncol!l'ir, un mo-
ment, a rétablir I'hal'IllOlJie entre les deux COllrs
par l'espoir de plus gl'awls avalltages ¡)oHl' la
canse eommllne. Le corps de Kllobdsdorf ve-
naitde rejoindre l'armée, et le gélléral Ferraris
arrivant sur ces entretaites, an (1 uartier-général,
vit le roi, négocia a\(~c Lucchl'sini, et ftt valoí!'
les intél'ets de 1';\ lltrieh() ell méllJgcant eeux ele
la PruSSl'. Il fit sentir <lu'il était telnps d'étollíTer
¡J'ancienlles prévclltiolls natiOlI::1]CS pour faire
prévaloir uc plus gl':lmls intél'ets, quí étaient
ceux de toutes h:s courol1ll(~s.lUais le roi attendait
toujours de l'empereur une réponse catégorique
et définitive a son dcrnicl' offiee. L' Allgleterre villt
cnfin s'interposer, Lord, Yal'mouth parti de Lon-
dres ayec une mission ponr l' Allemagne, sortait
de passer avec la cour de Hcsse-Cassel un nou-
veau traité de subsides ponr qllatrc millc hom-




n'UN IIOIU2IIE D'ÉTAT.


mes " et en négociait un autre pour trois mille
avec la cour de Hesse-Darmstadt. S'étant mis au
fait des causes quí tenaient les armées combi·
nées d'Autl'iche et de Prusse immobiles, il en fit
parl asa conr; et en l'e\ut l'ordre de se rendre,
avec le titre de ministre pléllipotentiaire, aupres
un roi de Prusse, afin de raviver son ardeur lan-
gnissanle pour la. cause générale. Le plénipoten-
tiaire anglais vint trouver le roí, et conjointe-
mcntavec son frere lord George Conway, montra
un gmnd zdc pour le succes de sa missioIl. Ses
rcprésclltations lle furellt pas sallS effet aupres
de Frédéric·Guillaullle. D'abord illes fonda prin.
cipalement sur les engagemens réeens contrae-
tés par le cabil1et prussien avec sa eotir; puis il
[lt valoir avee habileté une considération d'un
plus graml poids dans la balance des intél'ets
poliLiques. n obsena qu'il rallait surtout que la
Pl'usse évitat de mécontenter l'impératrice de
n.ussie, et pat' ht de eompromettre les chances de
ses agrandissemcus en Pologne. Ce langage frappa
le roi, qui en Eit part a Luechesini, d'autant plus
qne dans le mcme moment, comme si tout eutété
concerté cutre l'Angleterre et la Russie, un cour~
riel' déplkhé de Gl'odno par le ministre prussien
de Bueholtz, anpres de la diete, vint annoncer
que la signature du traité de cession était atta-




11'lÉIIIOIRES


chée a des conditions et a des clauses qui éqlli-
valaient a un délai indéfini. Les affaires de Polo-
gne étaient dans un état de erise. Dans le conseil
qni eut lícn a ce sujet en présence du roi, 011 ar-
reta entre autres mesures: 10 l'envoi a Saint-Pé-
tersbourg d'un courrier extraordinaire, p~ur ré-
clamer l'exécution immédiate des conventions
stipulées entrc lcs deux cours a l'égard du nou-
veau partage, avec l'assllrance que le roi rem-
plira, comme il en a toujollrs eu l'intention, ses
obligations el1vers ses alliés;


2 0 Donner satisfaction a I'Allglcterre et a la
Russie, en prenant de concert avcc lcs Autri-
chiens l'offensíve contre les armées frallcaiscs


)


du Rhin et de la Moselle;
30 Mais cn meme temps rappeler, par une dé-


claration franche aux principales puissances
confédérées, l'insinuation quí lem a déja été
faitc sur l'impossibilité oú est la Prussc de con-
tinuer avec ses propres ressources Ulle guerre
si éloígnéc de ses propres frontieres, et quí en-
traLne des frais si considérables; cnfin prcs-
ser les puissances, et notal11l11Cllt l'Autrichc et
l' Angletcrre, d'aviser prol11ptcment aux moyens
d'indcl11niscr lc gouvcrnemcnt prussiell ;
[~O Effectller le prol11pt départ du roí pour ses


nouvelles possessions en Pologlle, san s UllCUlle
annOllce préalablc.




Un secrétairc des postes fut enyoyé aux bu-
rcaux de la Saxe el de l'Empire, ponr faire tenir
prcts les rc1ais sur t011tc la route que clevait par-
comír le roí. En meme temps on expédia au
collége supreme de guerre, des oro res en ycrtn
desquels les régimells de la Silésie devaient se te-
nir prcts a marcher au premier avis pouí' aner
joindre l'armée de Pologne commandée par Meel-
lendod!. Meme ordre était adrcssé a la garnison
de Berlin et an rt~giment du prince de Prusse a
Potsdam. Ces tl'Oupes étaient destinées a entrer
dans les palatinats de Cracovie et de Sandomir:
la décisioll dépendait du retonr du courier que
le cabinet de Prussc venait d'envoyer a Saint-
Pétersbourg. Enfin l'ordre fut donné a M. de
Bucho1tz de rcfuscr pl~remptoirement les clauses
et conditions que renfermait l'injonction du 2
septembre, et de n' entrer dalls aucune cOllfé-
rence ni ponrparler a ce sujeto


Les motifs qui semblaient devoÍ!' déterminer
le départ du roi avaient été saisis avec adresse
par Lucchcsini a la satisfaction ele tout le cabi-
net et des alenloul'S, qui désiraient mettre le roí
hors de la surveillance des ministres étrangers,
notamment de ceux el' Angleterre et de Russie,
dans la condllite de la guerre contre la France.
Le duc de Brlll1Swick allait en redevenir l'arbitre.
On savait d'aillot1l's que drpuis long-.temps le roi




JIJ:ÉJrornrs
étaít fatigué des s:lcl'ifices contimlS (Jll'il faisait
de ses goUts privés et de ses habitudes:\ la cause
commune, et qu'en le portant a s'affranchir de
la chalne trop lourde des camps, on flatterait a
la fois ses inclinations et ses penchans secrets.
Tout fut conduit a ce but avec une sorte de roa-
nége et de mysterc.


On avait décidé que le départ du roí auraÍt
lieu sons les auspices d'Ull monvemcnt offensif
sur toute la lignc fra11(;,aise. Le roí se rendit, le
22 septembre, á Pirmasens. Lit il y eut pln-
sieurs conseils en sa pl'ésence ; le I'oi snivit les
premiers monvemens des trois COl'pS d':lrmées
du général Kalkreuth, dn prince de Bollen-
lohe et du duc de Brtmswick, avec le dcsseill
de forcer les Franl,;ais a ahandonner lenr camp
de Hornebach. Le 26legénéralKalkrenth poussa
.une de lenr colonne jusqa'á Bliescastel, cxcel-
lente position oú ils llC pnrent tenir. Le )en-
demain ils se lrouverent pris á dos (bns leur
camp de HorneLach par le corps da général
prince de Hohenlohc. Le roí alTiva dans ce mo-
ment meme anpres du prince, et il eut la satis-
faction de yoir qt.le par ses manrenvres et par la
marche du dnc de Brunswick sur le front des
Fran~ais,' cenx·"ci abandonnaiellt pl'l~ciritamment
lenr camp fortifié pour se retirer SOtlS le canon
de la place ele Bitchc. Le princc de IJohcnlohe





j)'ux lIO"lBLE D'¡.:T\T.
campa le '27 Slll' la hallteUl' de Eichweiler, ou
le l'Oi l'rit son q uarticl'-général dans le village
mémc. Le ICl1l1emain l'arm(~c campa pres d'Esch-
weiler, ayant 1t dos Ilornebach el Schweigcn.
Le 29 le duc de Brunswick vint a Eschweilel',
et Y re\,ut les del'lliers ol'dres dll roi, quí vers
midi quilla l'armée accompagllé de J\Ianstein,
son aide.de-camp gélléral; il prit la route de
FrallcfOl't et d'Erfurt, pour de la se diriger sur
la Prussc mt~ridionaIe. Ne voulant etre accom-
pagué dans S011 voyage d'aucun des ministres
étraugers qui l'avaieut suividurallt la campagne,
iI préscrivit á Lucchesiui, chargé pres de sa per-
501111e des fOllCtiollS de premier ministre du cabi-
nct, de leur (lOllller connaissancc de son déi)arl
et des motifs qui y avaient donné lieu.


La note suivallte kur fut aussitut envoyée.
« Sa l\1ajesl(~ le roi de Prnsse étallt obligée de


)) s'éloignt'r de l'armée qu'elle commandait en
» pcrsouuc conlre les enllemis de I'Empire et
» de ses hauts alliés, pom aller se Iuettre a la
» tete des troupes ({u'elle s'cst trouvée duns la
)) nécessité d'assclllblcr sur' ~es frontieres de
» Pologne, le soussigné est chargé par le roi
» son maltl'e de vous en prévellir. S. A. séré-
» llissime monseiglleur le due de Brunswick,
» jouissant ~l si j.~lste tilre de l'entiere confiance
) de S. M., l'cpl'cndra, apl'es le départ du roi! lo




:'\1]2 ~roIR F.S
» commandemcllt des troupes prussiellnes qm
» resteront ici. Le roi regrette qu'une nécessité
» urgente le rappelle de ces contrées dans ce
» moment, et que son départ immédiat l'em-
» peche de vous donner cette nouvelle de vive
» voix, et de vous assurcr de la parfaií:e satisfac-
» tion que S. 1\1. a eue de vous avoir vu aeerédité
» anpres de sa personne, et en quelque-sorte
» eomme témoin, de la maniere dont elle a rem-
» pli la tache qu'elle s'était imposée.


» Le marquis de Lucchesini, destiné a sllivre Sa
» l\lajesté, vous prie de vous adresser désormais,
» pour les affaires militaires, aS. A. S. monsei-
» gneur le due de Brunswick, et pour les objets
» politiques au ministere du roi a Berlin. Le
» soussigné se flatte que vous voudrez bien re-
» cevoir avec honté l'assnrance de sa haute con-
» sidération.


» A Kaiscrlautern, le 30 septembr~ I793.
» Signé marquis DE LUCCIIESINI. »


A peine le roi était-il en route qu'un courier
venant de Grodno le joigllit, et luí donna l'im-
portante nouvelle tIue le tmité de eession a la
Prusse avait été signé le 25 septembrc, an nom
du roí et de la républiquc de Pologne. On s'était
servi, il est vrai,.de l'appui de l'am.bassadeurrusse,
qui avait fait investir le chateau Je Grodnopar les
ttoupes de sa nation. Les notes rcmises quatre .




n'[TN HOl'lBrE n'krAT.


joursauparu\ant par les deux ministres', avaient
été accompagnées de représentations confiden-
tielles propi'es á faire sentir aux Polonais qu'ils
se flatteraient désormais en vain d'un change-
ment qllelconquc en lenr faveuÍ', et qn'il n'y
avait plus d'autre parti a prendr,e que de se dé-
sister des clauses COl1tellues dans leur injollction
du 2 septembre.


On vit alors le concert qui subsistait entre les
deux conrs et leurs ministres, par la. mention
que fit M. de Sievers de la note remise le meme
jour par l'envoyé de Prusse, et OU M. de Bu-
choltz déclarait «que le roi son maltre était las des
)) entraves et des difficultés que l' on cherehait a
)) faire naitre pOU!' l'accomplissement des arra n-
1) gemens immuablerncnt arre tés entre les deux
1) cours alliées pour le bonheur et la tranquillité
)) future de la Pologne. )) Ainsi le seeond partage
fut consommé al' exclusion de l' Autriehe, qui ne
resta speetatrice tranquille. de ce qui se passait
sous ses yeux, que dans l'idée qu'elle jouirait
bientot de eertains dédommagemens qui luí
étaient assignés ailleurs. Mais telle n'était pas
l'intention de la Prusse, et la résidait le seeret
de son eabinet.


Les dépeches que le roi re<;ut dans sa route t
tant de M. de Bucholtz que du général Mrellen-
dOl'ff, fil'cnt hlentot dispal'aitre toute démonsu'a-




uÉJ\rOIRES
tío n hostilc envers la Pologne. Le collége supreme
de guerre eut ordrc de faire connaltre aux régi-
mens de la Silésie et de la garnison de Berlin,
que les motifs qui avaient donné lieu a leurs
préparatifs de' départ venaient de ee5ser.


Cependant la guerre en AIsacc et dans les V 05-
gesavaitpris un peu plus d'activité, en (U'pit dusys-
tememéthodique et lentdontle duede llrunswick
était loin de se départir. Les mouvemens de 1'ar-
mée prnssienne avant le départ du roi avaicllt
forcé les Fra11<;ais d'abandonner toutcs leurs po-
sitions entre Saarbrouek et Ilitehe. lls s'étaient
jetés en partie daus ectte deruiere fortcrcsse et
au-dcla de la Sarre. l,ord Yarmouth et le général
Wurmser, d'apres les promesses du roi, espé-
raient que les troupes prussiennes, tirant parti de
ces derniers avantages, agiraient de concert avee
l'armée impériale pourforeer les lignes fran\~aises
entre 'Veissembourg et Lauterbourg. Ces ligues
qui du Rhin vont se terminer aux montagnes des
Vosges, ferment ainsitoute la plaine qui dé-
bonche des pays allemands sur 1'uncienne AIsace.
Depuis quatre mois l' armée fraw]aise d tL Hhin
les oceupait, et y avait ajouté toutes les forti-
fications de fart. Mais d'abord le dne dd Bruns-
wiek déc1ara qu'il regardait eomme a peu pres
impossible de pereer par les gorges et les défilés
qu'il lui faudrait franchir. Vaincu en fin par les




instances de lord Yarmouth, il eonsentit a coo~
" t ' '1' A perer a une a taque gcnera e, s engageant meme


a marcher sur la gauche de5 FranC;ais par les
Vosgcs, pour contenil' au moins toute eette
aile et l'empeeher de porter des troupes au
centre, oú devait se bire la principale attaque.
De son cutIS, le prince de Waldeck passant
le Rhin avec un corps de dix mille hommes,
devait tOU1'ncr la droite des Fran<fais. Ce passage
effeetué, Wurmser, an point du jour le I3 octo~
bre, attaqlla le ce11t1'e des lignes, et [rOliva tres~
peu de rl~sistallce, les deux ailes étallt déja tour~
Ilécs. ,Les corps d'émigrés franc;ais Gombattirent
avec une yalcur qui détermina en partie le suc~
ces : ils emportcrent successivement plusieurs
redoutes, et s'emparcrcnt de dix-scpt pieces de
canon. Non-sculement Lauterbourg fut évacué,
mais vcrs le milieu de la jonrnée, Weissembourg,
qui n' était plus occupé que par un corps d' al'riere-
garde, fut prís de vive force. Tous les postes se
tl'Ouvant alors enIevés, la retraite se fit précipi~
tamment ('t en désordre sur Geisberg. L'armée
autrichienne était trop morcelée pour recueillir
tout le frllit que promettait un succes aussi ra-
pide. D'aillenrs les monvemcns des Prussiens au
revers des Vosges n'avaient rec;n qll'une partic
de lenr cxécution, le duc de Brullswick n'allant
pas plus loin que Mastadt. Gra.ce a sa tiede coo-




300 l\TJ~l\roIRF.S
peration, l'armée fran<;:aise nc perdit pas mille
hommes dans une déroute oú ellc allraÍt pu etre
alléantie. Wurmser campa le 16 sur les hauteurs
de Sulz, et la fit célébrer clans son camp, par
des salves d'artillcrie et des réjouissances, les
avantages signalés rcmportés par l'armée iinpé-
riale. Le duc de Bnmswick vint y assister, rnoins
pour participer a ces réjouissances et conférer
avec le général autrichien, qu'afin de pénétrer
ses projets SUl" l'Alsace. Le duc lui annon<;:a qu'il
rnarchait sur Saverne, et occllperait l'elltrée des
défilés des Vosgcs, pour effectucr sa jonctioll
avec l'armée·impériale. Le lendemain Hag~lCllau
ouvrit ses portes. Ut Wurmser se trouvait dans
sa patrie et dan s ses anciennes propriétés d'hé-
ritage. Cédant an plaisir d'y établir son quartier-
général, il laissa l'armée républicaine, sans la
poursuivre, se réfugier, toute désorganisée et
abattue, sons le canon de Strasbonrg, ou les
Impériaux avaient un partipret a se déclarer.


En.fin les alliés victorienx foulaient de nou-
vean le territoire de la république. La nouvel1c
en parvint rapidement en Angleterre : lord
George Conway qui avait accompagné Wurmser
dans son expéditioll, arriva le 21 octobre a
Londres, et remit a lord Grcllville une dépechc
de son ffere lord Yarrnouth, datée de W eissem~
honrg) qui rend,lit COlllpte de In prise desliglleg,




n'UN IIO~IME D'ÉTAT. 301
ou tont, mandait-il, fut victoire pendant seize
beures de combats, d'a~taques de redoutes, de
batteries et de retranchemens. L'effet de ces
nouvelles fut bientot tempéré par les événemens
qui se passaient sur la Sambre.


Lord EIgin, commissaire aux· armées de la
Grande-Bretagne uans les provin~es belgiques,
et ministre plénipotentiaire anglais pres le gou-
verncmcnt des Pays-Bas, s'était efforcé, par ses
représentations et par ses instances, de faire
sortir le prince de Cobourg de son inconce-
vable systeme de guerre sans résultats. Le prince
rejetait la cause de son peu de progres sur les
suitcs facheuses de l'entreprise imprudente for4
mée contre Dunkcrqne. Cependant il avait été
question d'en reprcndre le siége dans les conseils
a Londres: c'était aussi le sentiment du due
d'Yorlc Mais le prlnce de Cobourg et quelques-
1ll1S des principaux officiers de l'état-major an-
glais lui représenterent qne la saison était déja.
trop avancée et le temps trap variable, ponr
qu'on put s'exposeranx longueurs del'entreprise
d'un siége en regle et a tous les accidens qui pou-
vaient le traverscr. Le prince de Cobourg ob-
serva que d'ailleurs les armé es étaicut fort affai-
hlics tant par le nombre de tnés et de blessés
qu'cIlcs avaient en dans les actions multipliées
de la campagne, que par les muladies devcnues




MÉ2\IOJRES


tres·communes dan s une saison malsaine et sous
un climat qui n'était pas celui de la plupart des
troupes alliées; que d'un autre coLé le graml
théatre de la guerre étant a Maubeuge et au
Quesnoy, il ne fallait pas affaiblir par des diver-
sions les forces de l'armée principale. D'aprts
ces motifs, il était d'avis qn'oIl renoIl(;at an
projet de pénétrer plus avallt sur la fnmliere de
l"rance, et qn'on renvoy;h a la prochaille cam-
pagne les entreprises qu'on s'était flattés d'effec-
tller clans celle-ci. Dans cet état de chose, le duc
d'York, tres-affecté de l'issne de son expédition
contre Dunkerque, et de voir ('n outre que la
campagne a11ait s'évanonir, demandait a l'ctour-
ner en Angleterre apn'~s s' Ctre fait remplacer clans
le commandcment des troupcs britanniques par
le général sir Williams Ersl,ine, qui aurait eu sons
lui le géllt~ral Dundas. Le duc insistait d'autant
plus qu'il savait positivemcnt que lcs renforls
destinés d'abord ponr son aI'mée, devaient passer
en partie á TOlllon et en partie aux lndes occi-
dentales, ou l'Angleterrc ambitionnait d'étendre
ses conquetes. l\Tais le cabillct ele Saint-Janws
combattit sa résolntion, et se servit de l'aütorité
dll roí ponr l'y faire rcnoncer, désirant an con-
traire que les ·opérations dans les Pays.Ras fllS-
sent poussées avec plus d'activité ct acquisscnt
plus d'importance s'il était possiblc. II s'en était




n'UN HOl\E\IE D'ÉTAT . 303
. sérieusement oceupé dans ses délibérations. Pitt,


éc1airé déja par les messages du dne d'York, et
par la eorrespondance cOllfidentielle de lord
Elgin, sur la nullité du prince de Cobourg et sur
le pen de confiance qne devait inspirer son état-
major, avait employé la voic des insinuations
diploma tiques ;'t la conr de V ienne, pour détcr-
mine!' l'cmpcreur a s'aller meUre, a l'imitation
du roi de Prusse, a la U~te de son armé e des
Pays-Bas; iI eroyait par la déjoucr le systéme qui
paraIysait les opérations ,et en imprimant a la
guerre un monvement plus rapiele, amener
des résultats plus satisfaisans. L'empereur, cé-
dant aux instanees de l' Angleterre, prit la ré-
solntion de se remIre a Bruxelles au commencc-
ment de l'automnc, accornpagné de ses ministres
d'état le haroll de Thncut et le eomte de Traut-


c]


mansdorff, ce dernier l'tant a nH~me de donner
an monarquc les éclaircissemcns les plns utiles
sur l'état des affaires dans les provinees belgi-
(lues. On assurait mcme que l'impératrice dcvait
sui vre l' empereur. Les pl'l~paratifs se faisaieut
avec diligcncc, ct 011 avait vu partir un transport
de chev<1ux pour les relais, quand tout.a.coup le
voyagc fut cOI).tremandé a la cour.· L'empcrcnr
I.l'ouv:mt dans son cabinet une oppositioll systé-
matiCJuc, crut devoir y déférer clans l'intéret de
l'état. Une sourdc coalition s'y était fOl'méc entre




304 l\IÉ~IOIRES
le prince de Cobourg, qui était :'t la tete des ar-
mées, et le Laron de Thugut, qui déja maniait a
VOIOllté les ressorts du gouvernement. Cobourg
n'agissait que d'apres l'impulsion du ministre di-
rigeant, dont les arriere-pensées lui étaient
connues. L'un et l'autre se sonciaiellt peu de voir
l' empereur a la tete de ses armóes dcs Pays-Bas,
oú 11 sel'ait obsédé par les ministrcs d'Angle-
terre, et exposé aux iuOuenees de la diploma tic ,
eomme' aussi aux importlluités de quclqnes-lllls
des généraux autriehiens en cl'édit, qu'on sa-
vait vouloir pousser la guerre dans un nutre sys-
teme. Thugut mit done tont en ccnvre ponr dé-
tourner l'empereur de se rendre a l'armée. I1!tú
représenta d'abord que ce qui se passait a Grodno
entre la Russic et la Prusse, qui semblaient vou-
Ioir disposer de toute la Pologne, devait éveiller
la sollicitudc de l' Autriche, et la porter a ne pas
concentrer tous les efforts de sa politique et de
ses armes uniquement sur les affaires de France;
que d'un autre coté la campagnc sur la frontiere
des Pays-Bas était presq ne manqnée par reffet
de la malheureuse expéclition de Dunkerque ,
dont tout le Llame devait etre imputé aux con-
seils de l'Angleterrc; que la saison était d'ail-
leurs trop avancée pour Cfll'on pit': cntreprcuul'c
autre chosc que d'hiverner dans la ligne des for-
teresses, dont 011 s'était déja emparé, et lit at-




n'mv rrO:n1l1m n'Ú'AT. 305
tendrc l'issue de la grande affaire de Pologne,
en conservant intactos, autant que possible, les
forees autriehiennes; que e' était plus partieulie-
rement vers l' Alsace qu'il fallait pousser ses avan-
tages afin de s'y établir; que d'un autre coté il
était d'autant plus prudentde reme1:tre le voyage
des Pays-13as a rouverturc de la campagne pro-
ehaine, que de plus puissantes consülérations
commandaient, pour ainsi dire, la présence de
l' empereur a Vienno; que ces considérations te-
naient a l'état intérieur de la monarehie, oú des
monées avaient été pratiquées pour y semer le
trouble, OH tout au moins pour diviser le cabinet
et s'y créer des appuis; qu'il ne pouvait plus y
avoir de doutes depuis que l'examen attentif des
papiers saisis sur les agens frar}(~:lis Sémonville
et Maret, avait offert assez de traces et d'indices
a cet égard. Mais ceci demande une explication
historique á part. Dans le courant d' :lOút, les négo-
ciateürs Sémonville et Maret s'arriht~rent á Coi re ,
capitale des Grisons, le premier avec le projet
de passor par l'état de 'Vcnise ponr se rendre a
sa destinatioll á Constantinople, l'autre a11ant á
Naples avee le titre de ministre plénipotentiaire.
On soupc,:onna qu'ils avaient aussi la mission se-
crete de pratiquer des menées en Autriche, et
(pl'ils s'effor<,:aient de la masquer par leur desti-
nation officielle. S'étallt mis en route, le gou-


1I. 20




306 JlIÉJllOIRES
verneur de Milan les fit enlcver, au mépris du
droít des gens, sur le territoire meme de la Val.
teline. A vec eux furent aussi arre tés , commc
faisant partie de leur suite, le général fraw:ais
Mongeroult, Mergez et de la Mar e , secrétaires
d'ambassade. On les trallsféra de suite a Gra-
vedone, pres dn lac de Come, sous Lonne es-
corte, et de lá dans la forteresse de Mantoue.
lis étaient porteurs de soixante -quatre milI(~
louis d' 01', et de plusieurs caisses de hijoux,
parmi lesquels figuraicllt plusieurs bcaux dia.
mans de la COUr0l111e; et on les trouva saisis éga-
lement de papiers qu'oll l'cgarda comme ¿'une
tres-grande importance. Mais au fond iI ll'étaÍt
gnere possible d' en tirer autre chose, guaut
a la révélation des maU03llVl'es secretes, que des
índices inquiétans sur les affiliations existan tes
au sein meme de I'Autrichc, et sur la presque cer-
titude que des intelligcnces étaient pratiquées
entre les affiliés des deux pays. Ou en forma
une espece de trame, a la suite de laquelle
plusieurs personnes furent arretées a Vicnne
el dan s les états héréditaircs. [Le nom meme
du comte de Cobenzcl se trouva compro-
mis daus l'examell des papiers. Ce ministre
avait fait a GOl'ice ct a Clagenfurth un voyagc
qui semblait avoil' cOlllcidé, soit avec les démal'-
clles des émi~saires, ~oit avec l' époquc de la sai~ic




n'IiN rrOJU~IE n'ÉTAT. 3°7
de leut' correspolldance. Le bruit se répandit
aussitot a Vicnne qu' 011 y avait trouvé dcs lettres
tIe plnsieurs ,hauts personnages de l' Autriche
avec les chcfs jacobins, et que le comte de Co-
benzel, ministre d'état au département de ]a
Lombardie, gravcment impliqué ,avait été mis
aux fers el conduit au chitteau de Kuffstein; 011
s'était aussi assuré de quatorze antrcs personncs
dc moindre rango Le ministre, pressé de faire
lambel' les bruits dont iI était l'objet, se l1<1ta de
revenir a Vienne, et donna lui-n1t~me a l'empe-
reur les éc1aircissemens propres, dit-OIl, a dis-
sipcr tous les SOllP(;ÜllS et Lons les doutes. En
meme temps les négociateurs fran<;ais firent
lIue déclaration tendante aussi a mettre a l'abri
les personncs cOInpromises; iIs donnerent ras-
surance qu'ils avaicnt été chargés par le mi·
uistre des affaires étraugercs Lcbrun, d'accepter
la médiation offerte aux puissauces bclligérantcs
par les cours de Naplcs et de Toscane, et de traitcr
immédiatemcnt de la liberté de la reine et de la
famillc royale.


Le comte de CODcnzcl se servit alors deJa voie
de l'impressioll pour insinner l' explication sui·
vante: «Les bruits singuliers qui s'étaientrépan-
» clus sur les découvcrtes faítes uans les papiers
» de l'émissaire Sémonville, sont absolument
» tomb6s. Si 1'011 a lieu de croire que l'examen




308 llIÉ1UOIllES
» qu'on en a fait a jeté du jou!' su!' plusieurs faits
» peu connus, et sur les liaisons secretes que les
» affiliations procurent aux jacobins daus divers
» pays, il n'est pas moins certains qU'oll a mal
» a pro pos impliqué dan s ces relations suspectes
») des personnages que leur état, leurs qualités
» et leur propre interet, doivellt mettre au-dessus
» de soup¡;;ons de ceUe espece. Le comte de Co-
n benzel, instruit des bruits que la malveillance
» se plaisait a répandre a son sujet, s' est ha.té de
» revenir á Vienne du Yoyage qn'il avait fait a
» Gurice et ú ClagenfUl'th : son re tour a fermé ]a
» bouche a ses ennemis. »


Quant a fenlevemEmt des négociatcurs fran-
t;ais, les plaintes les plus ameres se firent en-
tendre a ]a convf'ntion sur la viohtion dn droit
des gens, eommise par l'Autriehe dans lem per-
sonne. A ]a séance du 12 aout on avait lula
lettre que lc ministre Def(wgues, qui rempIa¡¡ait
Lebrun, avait adressée: {lUX' l'epl'dsentans du
pelple composant le comité de salut public, pour
leur rendre compte de cet évéllement. On y rc-
marquait eeUe phrase : ( que la maison d' Au-
») triche venait (l'offrir a la république fran<;aise
)) un nouvel outrage a venger, et a tousles peuplcs
)) de l'Europe un nouveau crime a punir. »


Si en effet les deux l1égociatenrs enlevés par
ordre de la cour de ViCllne rer,Ul'Cl1t du ministre


.




D'nN IIO:\!lIfE D'LrAT. 3°9
Lebrun l'instrnction de traiter immédiatemcnt
de la liberté de la reine et de la famille royale, il
faut avoner que l'issne de eette tentativo de né-
gociation ne pouvait ctre plus tragique, el ponr le
ministre qni y avait donné les mains et pour l'in-
fortnnée reine qni on était l'objet : le ministre Le.
brnn, pelI de tomps apres, fut condamllé a mort.
(luant a Mario -Antoinette, depuis le supplicc
de Louis XVI, sa terrible destinée était pressen-
tie, et plusieurs ten ta ti ves secretes avaie:qt: ~~ 1ieu
(bns Paris pour la sauvcr, mais toujou.r-sjnuti-
lement. Sa translation a la COllciel'geJ'ie, le 5 sep-
tembl'o, pour de lá comparaitro au tribunal ré-
volutionnairc, fut regardée généralement comme
un arret de mort anticipé. A cette nouvelle, le
ministre d' Autl'ichc, camte de Mercy, alo1's a
llruxclles, dópecha un (~rnissail'e a Danton pour
l'engager a épal'gner l'auguste victime, s'imagi-
nantque ce chef de parti jouissait toujours d'un
crédit irnmense. Il s'abusait : Danton ne faisait
déja plus partie du comitp de salut public, et sa
popularité déclinait. Toutcfois on assure qu'il
promit son appui a la reine, et que meme il re"
jeta l'affre d'une somme d'argent considérable
pour prix d'un tcl service, ajoutant que la mort
de la reine n' était jamais entrée dan s ses ealculs,
ct qu'il consentait a la prott~ger sans auenne vuc
d'iutél'cl persol1l1el. Pleill de confiaucc duus la




3IO l\fE~rornEs
protection de Dantoll, le comte de mercy (,l'ut
¿¡'autant mieux qu'elle sllffirait a la sÚl'eté de
la reine que, pendant plus d'un mois , I'il1ustre
captive parut oubliée a la Conciergerie. l\1ais
on vit bientot tout le vide et l'ínefficacité de cette
négociation clandestinc. n parait certain que
Danton et ses amis chercherent a en tirer partí
dans des vues de domination particuliere. Dan-
ton s'étant concerté avec Hérault-dc-Sechelles,
ce de~bier se rendít mystériensement en Savoie,
et lajesérvit pour ses relatiolls au dehors de son
intimíté avec mesdemoiscllcs de Bellegarde; ii
cut meme avec Barthélemy, ambassadeur en
Suisse, des conférences que le comité de salnt
public, a qui elles furent révélées, regarda
comme suspectes. On répandit que Danton re-
vait a faire la paix, et aspiraít a etre régellt.
Peu de mois apres, lui et ses amis monterent
sur l'échafaud. Qnant a la reine, des les pre-
miers jours d'octobre, le comité de salut public
la renvoya an tribunal révolutionnaire, en la
laissant accabler d'outrages. En vail1 le comte
de Linange, retenn en otage a París, écrivit
au comité qu'il s' offrait pour aller a Vienne né-
gocier la paix dont la délivrancc de l'auguste
filIe de Marie-Thérese scrait la senle condition:
sa lettre resta san s réponse. Le comité, qui
avait pour maxime de frapper l'Enrope de stu-




, " J) fTN II01lTME D ETAT. 311


pCtll', fit tombcr la t{}te de la reinc sur l'(~ehafaud
tcillt encore du sang de LOllis XVI.


La gnerre en prit un moment sur les bords
de la Sambre plus d' énerg~e et un caractel'c
qn'elle n'avait pas en jusqu'alors. Le conscil
de guerre tellll vers la fin de sE'ptembrc an
qllarti(;l'-g~néral <In prince de Cohourg sur les
instances du due d'York et de lord Elegin, avait
en ponr résnltat de déeider que la grande ar-
mée alliée passerait la Sambre, qn'elle serrerait
de pres l\iallbeugc, et aWHluerait le camp re-
tranché ({lli cOllvrait cetle place dont la con-
quete dcyait compléter les opérations de la cam-


pagne. Les alli{~s eomptaient eent vingt mille
hommes dans r espace qni sé pare N amur de la
mel'; et ils avaicnt une cavalerie immense, tan-
dis que les troupes que leur opposait le comité
dc salut puhlic sur ectte frontierc ne s'élevaient
pas á plus de cent mille hommes. Le reste ne se
composait que de paysans en sabots , san s habits
et sans armes, appartcnant anx nouvelles levées,
et sc formant enx-mernes en bataillons. Mais les
FrulH;ais avaiellt ponr eux de nombreuses pIaces
fortes, bien pourvues, et qui a chuque mouvc-
ment offensif fOJ'!;uient les alliés a de nombreux
d étachemens; cnfin ils étaien t a proximi té de leurs
dépots. Exal tés d' ailleurs par l' amour de la patrie,
ils voyaient !curs force s s'accroitre journelle-




312 JlIÉjUOIRES
ment, tundís que eeHes des alliés diminuaient
d'une maniere sensible par des perles qn'il n'é-
tail pas possiLle de réparcr.


Le 2.9 scptemhre, l'arméc impériale passa la.
Sambre, ponr investir Maubcuge, que couvrait
un eamp de vingt miUe hommes, indépendam.
mcnt des troupcs de la gal'llison. Lord Elgin,
partí immédiatcmcnt apres l'issuc du conscil,
était allé donner á sa cour des éclaircissemcns
sur tlivers points de la plus grande impor-
tance rclatifs á la cloture de la eampagnc, et an
plan ultérieul' Ú adopte!' pour la poursuitc de la
guerreo Le prince de CODourg n' en commcn<;u
qu'avec plus de liberté son mouvement offcnsif,
avec la certitud e cette fois de ne pas etre con-
trolé par un surveillant incommodc. Au lieu d' 0-
pérer en massc et d'accabler les pctits camps de
la ligne fral1c,aise , iI mal1cruvra séparémel1t avcc
six colonncs, et n'obtillt d'autre avantagc que
celui d'investir le camp retranché par la rive
droite de la. Sambre. L'armée hollandaise, qni
avait quitté la Flandre, se réullit le 5 octoDre á
celle de siége, et forma l'investisscmen t sur la rivc
gauche. Des travaux iromcnses furellt commcn-
cés sur les df.!uX rives oú se trouverent réunis
soixante- cinq . rnille combattans.


0)1 ne dcvait guerc s'attendre que le comité
de salut public vCl'rait avec ~lldifférellce let) al ..




, " n GN HOiUJUE D };TAT.


Jiés assiégcr Maubeuge, en faire la conquetc, et
prendre tranquillemcnt leur quartier d'hivcr Sur
le territoirc franc:ais. Il ordonna en effet un ef-
fort général a Jourdan, qui venait de prendre Je
commandemcnt en chef ele l'armée du NOl'd : iI
fit aussitot ses dispositions pour attaquer. Ce gé-
néral, sorti des rallgs populaires, et qui s'était
[ait remarquer avantageusement clans ceUe cam-
pagne, avait obtenu, avec un avancement rapide,
tonte la confiance du comité qui enyoya Car-
not se CODccrter avec lui, et présider aux opé-
ratiollS. Carnot fit meLtre a la disposition de
Jourdan l'armée des Ardennes, afin d'en venir
a une hataille avec des forces capables de dé-
livrer J\laribenge. La petite ville de Guise fut
choi5ie pour le lieu du rendez-vous général. On
savait que le défaut de vivres se faisait déjil sentir
dans la place assiégée; que les troupes y étaient
réduites a moitié de la ration, et que l' abattemcnt y
avait succédé al1X prcmiers élans d' enthousiasme.
Les alliés d'ailleurs, démasquant Jeurs batteries a
proximité, y jetaient la terreur, et on pouvait
tout craindre de cctte dispo5ition des esprits.


Il n'y avait pas un moment a perdre si on
voulait délivrer la place. A la vérité 1'entreprise
pouvait etre regardée eomme téméraire avee des
soldats et des généraux réunis de la veille, ne
se.connaiSs;Ult pas, s'inspirnut peu de confiance,




JlIÉlUOIIlES


et aver de nOllvelles levées a peine organisécs
en bataillons. Si le prince de Cobourg, n' cm-
pll)yant qu'une quinzaine de millo hommes
pour masquer Maubeuge et couvrir ses commu-
nications, se jetait avec cinquante mille hommes
sur Jourdan, la défaite de ce dcrnier paraissait
certaine . .l\Tais on connaissait la factique pon ha-
sardeuse du prince, et on pouvait croire que,
restant elevant la place pour en maintenir l'in-
vestissement, il se contenterait de ne mett~e
en ligne que des corps d'obscrvation. Dans ce
cas, JOl1rdan ll'aurait pas a comlXlttre plus· de
trente a quarante mille hommcs engagés. Ce fut
ce dernier partí précisément que choisit le prince
généralissimc.


L'armée fral1(;aise s'étant mise en marche 01'-
ganisée en cinq divisions, Carnot et J ourdan, réu-
nis a Avesnes le 14 octobre, firent une reconllais-
sanee générale. De son coté Clairfayt, a ]a tete de
soixante escadrons, se porta au-devant des Fran-
¡;;ais; eette double reconnaissance se termina par
une canonnade. Au premier avis de ce mouve-
ment général, les alliés se déciderent a faire
marcher le duc d'Y ork de la Lys sur la Sambre :
le duc s'y dirigea en toute hate;; mais il lui fal-
lait au moíns deux marches pour joindre la
grande armée. Le lendemain, 15, l'attaque fut
plus séricuse sur toute la lignc contre les diffé-




n'ex nO.1lllfE U'iTAT. 315
rrns corps (]e Clairfayt, qnl ('tal!: poslé :1Vec sa
droite;l Barlaimont, et sa gauche vcrs le village
de 'Yattignies. Dégarnissant 1em centre, les gé-
néraux fran(¡ais porterent sur les ailes leurs plus
grands efforts. La en effct iIs e\lrent quelque
avantage; mais au centre l'artillerie nombreuse
dont le front de CIairfayt était hérissé, les fou-
droya; iJs regagnerent en désordre leur premiere
position. L'attaque dirigée contre la gauche des
Autrichiens, appuyée a Wattignies, fut poussée
avec plus d'opiniatretó. Cependant la anssi les
assaillans furcnt rcponssés avec perte, bien que
pal'tout i1s eossent comLattu avec cet enthou-
siasme que donnc le fanatisme politiqne comme
le fanatismo rcligimlx ; on 'les entendait chanter
lenrs airs nationaux an milien du carnagc et de
la mort qui les entonrait.


Dans la nuit Carnot, qui disposait de toute
]a puissancc du comité de salut puLlic, re~ut un
avis secret; il se concerta aussitot avec Jourdan
ponr attaquer de nouveau ]e lendemain le vil-
lage de Wattignies. Bien que ce fut la en quel-
que sorte la cld de la position des alliés, on sut
que le village était peu garni de troupcs, et hors
de la porté e d' etre promptement secouru. L' ordrc
fut donné au point du jour de se disposer a re-
nouveller la hatallle. L'armée fran«;aise, a la fa-
veur d'un brouillard épais, remarcha en avant




]\l.ÉJlIOIRES


formée sur quatre lignes; le brouillard étant levé,
les deux armées se tronverent en présellce, et le
feu recommelll:;a. n fut tel que de l'aveu des Au-
trichiens, jamais, meme pendant la guerre qu'ils
avaient faite récemment contre les Turcs, OH
Jl'avait entendu un si terrible tonnerre d'artil-
lerie, an milieu duque! retentissait dans les rangs
républicains les chants belliqueux et les airs pa-
trio tiques. On avait répandll dans l'armée fran-
((aise un propos attribué au prince de Cobourg;
on prétendait que le généralissime avaitdit:«J'a·
» VOlle que les Fraw;ais sont de fiers républicains;
» mais s'ils me chassent d'ici, jc me f<lis républi-
» cain moi-meme. » Les soldats fran<::üs jllraient
gaiement qu'ils le sommeraient de tenir parole.


Déja Carnot et Jourclan, qui avaient réuni
vingt-deux mille hommes sur leur droite, pré-
paraient une attaque combillée pour enlever le
village de Wattignies par un effort concentrique.
lIs avaient la facilité de s'en approcher a la portée
du canon par une foret immense, appelée la
foret d'Avesne, qui au besoin pouvait aussi as-
surer leur retraite. Ils tralnaient ave e eux une
grande quantité d'artillerie de fort calibre a la
lissiere du bois, et sous la protection de laquelle
ils aborderent le village. Ils y furent repoussés a
plusieurs reprises. Muis, conduisant cOlltinucl1e-
mcnt des tl'OUpCS fraiches a ce poillt d'attaque,




n'UN nOl\DIE n':ÉTAT.


et les huit bataillons qui le dMendaient étant dé-
tl'uits, le génél'al Clairfayt ordonna la retraite a
cinq heures du soir. A six heures l'extrémité de
sa gauehe, coupée de son centre, tourna la droite
desFranc;ais,quifurent ellfoneés parlesgénéraux
Haddiek et Chateler; on les poursuivit. Le géné-
raI Benyouski allait les prendre a dos: voyant la
bataille perduc, ils abandonnerent Wattignies.
Mais déj:\ sur le premier avis que le vilIage avait
été enIevé par eux, l'extreme prudenee du
prinee de Cobourg n'avait pu ctre rassurée
qu'en donnant J'orclre d'abandonner le champ
de bataille et de repasser la Sambre. On assure
que ce fut le prince de Hohenlohe I qui l'y ex-
cita: il avait remplacé le haron de Mack a l'état-
major général. Soit égarement de sa part, soit
qu'il eút cédé lui-meme aux suggestions d'un of-
ficier suisse d'état-major ll'un créclit suspect, il
allégua que la communicatioll se trouvant conpée
entre le corps dn général Clairfayt et celui du
général Latou!', ql1i observait le camp retranché
de Maubeuge, il n'y avait plus de remede qu'en
effectuant la retraitc au-dela de la Sambre pour
y reprendre les prcnlieres positions. Vainement,
a dix henres du soir, on apprit an quartier-gé-
néral que les Fran(;ais avaient abandol1né Wat-
tignies et se rcpliaient; que le général Clairfayt


, Kil'chberg.




:3IEl\IOIRES


victorieux voulait contremander la retraite; que
le général Bellegarde le voulait égalemcnt. Mais
a l'état-major Hohenlohe insista; fordre de re-
passer la Samhre ne fut point révoqué, et le
prince de Cohourg recula devant une victoire.
Dans la nui! le hlocus est levé, et l'armée alliée re-
passe la Sambre au moment mcme oú elle allait
etre renforeée par ledued'York.Au point dujour,
les répllbli.;ains s'étonnent dcvoir les positions
des Autriehiens ahullllounécs ; ce u'est qu'avec
une extreme précaution qu'ils vieUIleut les oecu-
per : la ils se livrent á toute la joie qu'exeite dans
leurs rangs la délivrallee de Mauheuge. OH s'était
hattu pendant quarante-huit heures, et dans ces
deux jours de carllage on avait pris et repris
huit fois le village de Wattignies. Tout le poids
de la bataille avait été supporté par Clairfayt,
tandís que le prillce de Cobourg s'était tcnu
immobile ave e son état-major. 11 avait eu, il est
vrai, tr015 a quatre mille hOlllllles tlH~S OH hIes-
sés; mais pas un canon ni llH'mc Ull caisson Be:
lui avait été pris, tandis qu'Oll avait fail aux Frau-
c;ais huit cents prisonnicrs, qu'on leu!' avait pr1S
deux obusiers et vingt-cluatre pit~ces de canon.
Quant aux homll1es tués ou blcssés, la perte des
Frallc,:ais était bi.en plus forte encore, étant venus
ála charge sous le feH des hatt~'ries antriclüennes.
En un mot, en ordollllant iucollsidél'ómcut la




n'UN HOllllUE n'ETAT. 319
rctraite de son ul'méc, le prince ue Cobourg avait
changé tous les uvuntages, qu'il avait remportés
jusque la, cn uncdéfaitemorale pire qu'un grand
revers, que peuvent réparer la constance et l'é-
nCl'gie. Les deux événemel1s, d'ailleurs, de la le-
vée du siége de Dunkerque et du déblocus de
Maubeuge, s'étaicllt succédé de si prcs, qu'il
ll'était guere possiblc que les FraIH;;ais n'en ti-
rassen t pas des avantages incalculables. N on-seu-
seulement on leur avait donné le temps de
s'aguerrir, mais de pl'ew]re dans leurs forces une
confiancc que ricn He poul'rait plus abattl'c.


En voulant fixel' la fartune sur les dcux rives
de la Sambre, le comité de salut public avait fait
soutenir son entreprise par une diversion sur
Ypl'es, Menin et Nieuport; mais la prompte al'-
rivée du duc d'York dans la West }<'lalldrcs et sa
jonction avec les troupes de sir Charles Grey,
débarrasserent bientút ecHe province de l'inva-
SiOlldcs n'~publicains. Forcés de le ver le siége
de Nicupol't, ils se replicl'ent sur Dunkcrquc,
Cassel, Lille et Donai.


D'lln autrc cuté as ('pl'ouvel'ent un sanglant
revers a Mal'chiellne, oú le général Kray, le 25
octobrc, attaqua avec une grande résolution la
division fralH;aise qni tcnait la ville. Les veuettcs
s'étaut laissées surprendl'e, il Y eut de l'ue en rue
un grand. carnage, dont l'obscurité augmenta




3~o lUÉMOIRES
l'horreu!'; peu de républicains se firent jour;
1,800 mirent bas les armes, et leur perte totale
fut de 3,000 hommes. Ce coup de main com-
menc;a la réputation du général Kray.
, Enflé par le succes <Iu déblocus de MUll-


beuge, le comité de salut public ordonna une
campagne d'hiver, et, cOlIte qui cotite, la déli-
vrancc du tcrritoire franc;ais. Il regardait son
crédit, sa fortune et sa gloirc comrne attachés a
ceHe espece d'engagement contracté avec la na-
tíon pour prix de ses immcnses sacrifices. Car-
not, qui allait san s cesse du comité a l'armée et
de l'armée au comité, ne parvint pas d'abord a
dissuader ses collegues. Des le 2.2. octobre, le co-
mité avait transmis l'ordl'e a Jourdan de conti-
nuer les opérations et de les porter sur la Basse-
Sambre, vers Charleroi, pour enfermer, disait-oll,
l'arrnée ennemie dans le territoire qu'elle avait eu
l'audace d'envahir. Il ne s'agissait de rien rnoins
que de franchir la Sambre, d' envelopper le pril1ce
de Cobourg, de reprendre Valencienncs et Condé,
de piller les magasins de Tournay et de Mons.
La défiance de Carnot et du général en chef pour
les Vlles du comité nc put vaincre son obstina-
tion.


Jourdan, s'étant avancé vers la Sambre, fit le
3 novembre la tentative d'llne attaqne gÉ'némIe,
mais sans aucune apparcnce de sncces. Enfin 1




, " 1> mI" HOiU1UE 1) l:TAT.


céclant allX repl'ésentations de ses généraux et
de ses commissaires, le comité révoqua ses 01'-
dl'cs précédcns, et l'armée prit ses quartiers d'hi-
ver. Le quartier-généralfut porté a Guise, oú un
vaste camp retranché fnt destiné a recevoir les
réquisitionnaires (luí afflllaient de toutes parts
aux armécs actives.


De son coté le prince de Cobourg mit aussi
ses troupes en cantonnemens dans les environs
du Quesnoy, de Valencienncs et de Condé, trans-
férant plus tard clans ceUe del'Iliere ville son
quartier-général pOI·té d'abol'd á Bavay. L'armée
anglaise, sous le commandement du dnc d'York,
prit ses quartiers aux environs de Tournai, et
couvrit ainsi la Flandre.


Les armé es franc;aises resterent aiusi en équi-
libre de forces et de SUCct~s avec la gl'ande armée
alliée. La levéc clu siége de Maubeuge avait
changé la face des affaires. Les opérations de
l' arrúée du nord, oú les périls étaient plus rap-
prochés de la capital e , y porterent la confiance
et firent oublier les rcvers essuyés par 1'ar-
mée de la l\Ioselle, d'une part, et de l'autre par
r armée <1n Rhin, forcée clans ses lignes de Vi eis-
sembourg. C'était d'ailleurs pour míeux réparer
ce double échec que le comité de salut public
avait consenti 11 laisser híverner l'armée du nord.
Dix mille hommes en furent immédíatement


II. 21




lIIÉlIIOIRES


détachés pOllr aIler rcnforccr l'armée de la Mo-
selle, ct quinze mille pour aIler por ter les
derniers coups aux royalistes de la Vendé e , qui
ve11aicnt de traverser la Loire. Parcouraut cn
vainqueur l'Anjou, une partie du Mainc et de la
Bretagne, ils se dirigeaicllt a10rs sur Granville,
avec l'espoir d'y ouvrir militairement une com-
municatioll avec l'expéditioll de lord J\Ioira,
desti11ée a leur porter des secours.


L'approche sur les cotes de Bretagne d'une
armée royaliste et l'occupatioll de Toulon an
110m de Louis XVII avaient porté le cahinct de
Londres a offrir la paix aux FraIH:ais (Jlli l'enon-
ceraient a l'anarchie actuelle . .1~n conséqucncc
S. M. hritannique JOBIla le 29 octobre une dé-
claration publique des vues et des principes qui
dirigcaient son gouverllcment (hus la guerrc
oú il se trouvait eng~wé contre la Franee.


'-' D


« Repousser Ulle agression injuste, contribuel'
» a la défense immédiate de ses alliés, Iem pro-
l) curer, ainsi qu'ú l'Augleterre elle-meme, de
» justes illdemnites, et pourvoir, autant qllc les
» circonstances le permcttrout, á la súreté fu-
» ture de ses sujcts et a eeUe de toutcs les autres
») natioils de l'Europe, tcls sont les pOillls
» ponr lcsquels S. 1\1. a jugé qu'ellc doit em~
)) ploycr tous les rnoyens qnc lui fOllrnissent les
) res¡sources de ses étals et l'amoul" de ses pcu-




n'UN HOl\IME n'.ÉTAT.


» pIes. S. M. voit avec le plus granel plaisir des
» circonstances qui lui donnent l'espoir ele pou-
» voir accélérer le rétablissement de la paix. Elle
» espere de rencontrer dans les puissances qui
» font cause communc avec elle des sentimellS
» et des vnes parfilitement analogucs aux siens.


» En prenant les armes, l'Angleterre ll'a en en
J) vue que de repousser une aggression injuste,
» et de travailler au maintien de la société civile
» telle qu'elle est heureusemcnt établie parmi les
» natioús de l'Europe. Le dessein d'ailleurs a été
)l hautemcnt avoué de détrnire partout l~s insti-
» tutions sociales, et d'étcndre a tous les peuples
) de rEmopc le bouleversement qui a fait le
» malheur de la Frauce. Cet état de choses ne peut
» y subsister sans impliquer clans un danger com-
)) mun tons les peuples qui l'avoisinent. S. M. ne
)) veut certainement pas contester a la France le
)) droit de réformer ses lois : elle ll'aurait jamais
l) dósiré d'iníluer par la force extéricure sur les
» formes de gouvel'nement d'nn état indépen-
)l dant. Ene 1Ie le désil'c actllellement qu'autant
» que cet objct est devenu essentiel au repos ct
ll'l1 la súreté des autres puissanees. Dans ces cir-
» eonstanees elle demande it la Franee, et elle le
») lui demande a juste titre, de faire eesser enfin
» un systeme anarchiquc qui 11'a de force que
» ponr le mal; elle lui demande d'établir uu




:MÚroIRES


» gouYel'nement légitime et slable ... S. M. sou~
) haite avec ardenr de pouyoir traitel' pour le
)) rétablissement de la tranc¡uillité générale avec
) un pareil gouvernemeut exen:unt une autorité
) légale et permanente, ayant le désir uu repos
) public et le p01woil' de fail'c observer .ses cn-
)) gagemcns. Le roi ne proposerait que des con-
» ditions équitables et moclérées ... S, M. se yerra
) avcc une satisfactioll inflnie dan s le cas de ne
» pas traiter comme ennenüs les habitans bien
» intentionnés de diverscs parties de la France,
) e0111me elle l'a déja [ait a l'égal'd de eeux de
)) Toulon. Elle promet d'avallcc snspension d'hos-
)) tilité, amitié, sureté et protection a tous ceux
») qui, se déclarant pour un gOllvcrnement mo-
)) narchique, se soustrairont au despotismed'une
) anarchie sanglante. S. M. appcllc tons les Fran-
)) <;ais a coopérer avec elle ponr se délivrel' de
)) eeUe oppl'essioll i noulc : elle les invite a se
») rallicl' a l'étendard d'une monarchie hérédi-
)) tail'c.)


Au moment meme OÚ ceLte déclaratioll pro-
~'oqnait les royalistcs fran::-ais de touLes les
lluances a se rallier clan s lcurs efforts, ils ét::tient
a la veille d'éprouver les rcvers les plus sallglans.
Des le 9 octobrc, Lyon, défcndn par des fédé-
ralistes, des constitutíonncls et un pctít nombre
de royalistes purs, quí n' osaicllt pas ll1eme affi-




, " n UN JIOi1C1IF. D :E'fAT.


cher leurs opinions, avait sllccombé apees un
siége de soixante-dix jOUl'S et une résistallce hé-
roique mais inutilc, ({tú signala ir jamais la
honteuse inertie des allil~s sur eeUe froutiere. Un
quart de la ville avait étú eonsumépar le [eu des
hatteries, et pClldallt les vingt derniers jO~ll'S de
siége ]a famine y avait aussi exercc ses ravages.
Plus terribles que la flamme et la faim, les vain-
queurs s'en étant emparés, avaient livré an pil-
lage les proprit,tés des notables, clévasté les
atcliers et ache"ú de ruiner les úclifices. L't, Col-
10t-d'JIerbois et FOH ché de N an tes, dúlégués de
la COll"cntioll et da comité de salnt public, COll-
[ondant tontes lef, opinions dans un meme a11a-
theme, firent mit)'aiJl(~r par masses hommes,
femmes, enfans, l'iches el pauvres : on élcve ¿l
ueux miUe, ce qni parait exagáé, le nombre
des personnes ({ni furent ainsi mises :\ mort de
sang-froicl.


La plus grande parlie des [orces employées
au siége de LyOll se dirigea :mssit6t sur Toulon ,
uont la reprise présel1tait encare plus· de diffi-
cultés. Les commissai res Barras et Fréron en
avaient désespéré; croyant mcme ne pouvoil'
conserver la Provence, a10rs en proie a la di-
sette, ils avaient pro posé an comité de salut
public de se replier derriere la Durance : le co~
JIlité avait réprollvé ce plan timide.




En arLorant le drapean blanc, Toulon avait
rcconnu par des actes pnblics la monarchie COll-
stitutionnellc en la personne de Louis XVII, et
appclé a la régence pendant la minorité (tu
jeune prillee, son royal oncle MONSlEUR, fl'cre
de Louis XVI. Une adresse fut envoyée par les
Toulonnais a ce prinee, avee instances et solli-
citations réitérées de venir se eonstituer dans
Toulon meme régent du royaume. MONSIEUR n'a-
n'avait pas hésité a quitter la 'Vestphalie, et, plein
d'espéranee, traversallt l'Allemagne méridionale,
s'était dirigé sur l'Italie ponr s'cmbarquer. Ason
arrivée a Turin, son propre bean-pere, par les
insinuations de la eonr de Londres, l'avait rc-
tenu sous différens prétextes.


Les habitans de Toulon étaient divisés, et
eette division ne fit que s' accroltrc par la défiance.
Les uns, et e'était le plus grand nombre, eon-
sentaient a se soumettrc an gouvernement royal,
mais pourvu que la eonstitntion de 17!)I fút
respectée; d'autres, et e' était la minorité, pen-
saient au eontraire que toute autorité eonstitu-
tionnelle devait etre abolie, a l' exception du
gouverneur militaire, de l'intendant, du mairc
et des éehevins. Dans ce conflit, le comité général
déeida sur la proposition du baron d'Imbert, et
par l'impulsion de l'admiral Hood, l'ajournement
indéfini de toutes les autorités. Les sections de




n'f'N TTO:;BIE n'krAT.


TonloH ayant d{'1ih(~ré dp revenir :~ 1':111ci('11ne
forme de' gOl1Yerncment, en rcdcmalldant MOl\"~
sn:lJn eommc régent, les émigrés, 1cm éveqlle et
lem ancienne ac1ministration royale, une députa~
tíon se présenta :mx générallxanglaiset espagnols
pOlU' leur faire parl de l'objet de ectte délibéra~
tion. Voici la répollse qu'ils re<;urent des commis~
saires plénipotentiail'es anglais le 28 novembre.
« l\lessieurs ... , la régence de France intéresse rEu-
» rope entiere, et surtout les puiss::mces coalisées,
n puisque dan s les Cil'CClllstanccs présentes rau~
» tül'ité da r(.gcnt , eomme eelle dll treme meme,
» ne pC'ut etl'e rétahlie qne par lenr secours, et
» par des cfforts immenses de leur parto Cet ob-.
» jet doít donc de toute nécessité, ai11sÍ que par
» toutes les obligations de la saine politique, (~tre
)l traité directcment avec les cours qui combat~
» tent les ellnemis de votre 1'01. Une affaire aussÍ
» importante, et qni embrasse des relations po-
» litiqucs aussi étendues et allssi combinées, ne
» pent (;tre terminé e avec avantage par une seule
» ville, respectable a la vérité a toute sorte de
)) ti tres , mais (lui est ponr le moment non-seu~
» lcmcnt isolée du reste de la France, mais ayant
» contracté ponr l'intérct du royaume comme
)) ponr son propre salut des relations récentcs et
» saCt'ées avcc une nutre pnissance. Il est évi-
» dent, dan s tons les cas, qne les ministres ele




328
) S. 1\1. B. doivent etrc Ilbsolllmcnt incompétcns
) a décidcr sur ccs objets san s avoir spécialemellt
») consulté leHr cour, et obtenu des pouyoirs di-
)) rects. Jusqn'alors nc nous tronvant poillt an-
)) torisés a compromettrc sa majcsté, sur la ques-
» tion de la régcIlcc, HOUS pouvons encore moins
)) consentir a la propositioll qui a eté faite d'ap-
» pele!' 1\1. lc comtc dc Provence a Touloll pOUl"
) y exercer les fonctions de régcnt, cal' ce serait
» dcstituer S. M. B., a"ant l'époquc stipulée, de
») l'autorité qui llli a été confiéc it Touloll ... ))


Les comrnissaires pl6nipotcntiaircs, voulant
mettrc fin á l"illccrtilllde qui lonrmcnlait les cs-
pri'ts, donnerellt aussi une dt~claratioll pulJliquc:
la, révélanten quclque sortc les vues poli tiques de
lenr gouvernemcnt, iIs posercnt préalablement
en príncipe la restitntion par la France de toutcs
les conquetes faites pendant la guerre, avcc
une juste compcnsation ponr les dépenses et
les pertes qui en avaicnt été la suite, et unc sé-
eurité convenable ponr l'avcnir. « S. M. B., ajon-
)) taient les commissaires, désire SiIlCererncnt le
» bonheur oe la France; mais ne prétcud Ilul-
») lement preserire a cet égard anCUIle forme par-
)) ticuliere de gouvernement. Le roi n'entend y
)) prendre partqne parce qne l'anarchic qui dé-
" chire aujourd'hui ce pays menace la tranqnil-
?> lité de ses proprcs sujets, et ecUe des autrc::¡




)) pUiSSUllCCS de l'.ElIl'ope, dont la súrcté et la paix
)) (U~pendcnt du rélablissement de l'onlre en
)1 Frullce, et d'un systeme régulier qui pllissc leur
» présenter un fondemcnt whde de négociations
)) amicales. S. M. n'hésite Fas un moment a d{~­
)1 clarer que le moyen le plus súr et le plus cffi-
») cace d'accomplil' ces vnes aussi justes que sa-
)) lutaires lni parait etl'e de rétablir la monarehie
)) clans la personnc de Louis XVII et des héri-
) tiers légitimes de sa COl1l'OllUe; systeme snjet
») allX modificatiol1s qU'OIl pOllrra y faire par la
) suite cl'llne maniére régu!iere el Iégalc quand
) la paix sera rétablie 011 France. »


Tollo était la situation de Tonlon lorsque trente
millerépublicains vinrent[ormer l'investissement
complet de la place; les alliés n'auraient pu éviter
d'y ctre resserrés qu'en portant unc armée de
vingt-cinq a trente mille hommes sur la DUl'anec;
mais, loin d'avoir une tcIle armée, ~l peine avaienl-
ils les force s nécessaircs pour sOlltenir un siége en
regle. Le plan de l'armée assiégeante fnt parfaite-
ment COnt;ll : il consistait á menacer les commu-
nications de la racle ponr décidm' les alliés a éva-
euer la place san s attcndre les derniercs extl'é-
mités. La, pendant les opérations, se fit remar-
quer le chef de bataillon Bllonapartc, commaIl-
dant en secolld l'artillerie de siége: teI fut le
berceau de son étonnante fortune. De menw




330 .71fÉluortnis
que le général en chef Dugommier, il proposa
de ten ter un coup de main sur la rcdollte an-
glaise, considérée comme la cIef de la pe tite rade.
C' était un ouvrage formidable. élevé sur la lan auc


• tJ


de terre appelée l'Aiguillette, et cIue les Analais tl
nommaient le Petit-Gibraltar. Un camp de cinC{
mille hommes, la plupart Espagnols, en couvrait
les retranchemens. Dans la nuit du 16 au 17 dé-
cembre, le camp et les ouvrages furent attaqnés el:
enlevés. Le lendemain , les forts de l' Aiguillettc et
de Balaguier tomberent aussi an pouvoir des assié·
geans. L'attaC{ue du fort Faron ne fut pas moins
henreuse. Une garnison de quinze milIc hommcs
qui avait la facilité d'etre renforcée et ravitailléc
par mer et par terre eut pu se défendre encore;
mais les chefs des alliés étaient peu d'accord. La
fIoUe anglaise d'ailleurs se tronvait compromise:
elle alIait etre exposée anx boulets rouges des
républícains, mal tres de deux forts qui plon-
geaient sur l'cntrée et sur la sortie de la rade.
Des lors, non-seulement l'évacuation, mais l'ill-
eendie de la fIotte fran~aise, furent résolus :la
consternation et 1a terreur planerent sur ectte
malheureuse ville. Tandís que douze mille habi-
tans éperdus, redoutant la vengeance des vain-
qucurs irrités, abandonnaient leurs foyers, et se
réfugiaient sur les escadres combinées qui met-
taient a la voile, Sir Sidney Smith, conformémellt




331
nux instl'llctiollS de son nmiral, mettait le fen
daus la nuit da 18 an 1 g décel11hre, aux vaisseaux
désarl11és dans la Darse, ainsi qu'aux l11agasills
de la mature. Un bruit sourd et lugubre avait
annoncé aux républicains le désespoir des Ton-
lonnais, el l'af[reux (lésordre qui régnait dans la
ville. A la vue des 11ammes, un cris d'indignation
rctcntit dans tout le camp fran(iais. On put juger
des lors que, semblable aux guerres puniques,
la rivalité de l'Angleterre et de la France ne s'é:
teindrait un jour qa'avec la pllissance et la gran-
deur de l'une des denx nations. Sur trente-un
vaisseanx de ligne et vingt.cinq frégates, seize
vaisseanx' et quinze frégates furent dévorés par
l'incendie; le reste, a l'exception de sept vais~
seaux et onze frégates, tomba au pouvoir des
alliés.


L'arl11ée républicainc reprit possession de
Toulon le 19 d(~cel11Lre; et la furent exercées les
memes harbaries qn'i:t Lyon et dans la Vendée.
Comment ne pas prévoir qne Toulon pris, les
armées de la répuhlique se précipiteraient sur
l'ltalie et sur I'Espaglle? Quant aux armées ven-
déennes, n'ayant pu s'emparer de Grandville
dans leur course d' outre-Loire, ni se lier a l' ex-
pédition de lord Moira, elles venaient aussi cl'etre
anéanties aU Mans et clans les champs de Save-
nay.




l\IÚIOIRJ<;S


La nouvclle de ces désastl'es retentit cúmme
un coup de foudrc dans toute l'Europe, et y ac-
eusa l'impuissance de la coalition. D'antrcs re-
vers essuyés en AIsace et sur les bords dn Rhin
ne laisserent bieutOt plus aucnn espoir de triom-
pher de la révollltion par la force des armes.
Remontons a la source de ces derlliers événe-
mens.


La prise des ligues de Weissembourg n'avait
pas eu ponr les alliés les avantages qu'ils au-
raient pu s' en promcttre, si les deux arm{~es de
Prusse et d'Autl'iche avaient continué de presser
les :Fran<;ais de coneert sur StmsDourg. En proie
a la confusion, l'armée fralll;;aise étaitalors sans
chef, et en la poussant vigoureusement, un
corps de cavalerie allrait pn entrer avec les
fuyards dan s la place. En laissant aux Fran<;ais
le temps de se reconnaitre, on manqua Stras-
bourg. Toutefois, le régime de la terreur y pe-
sait tellement, que les principaux habitans cru-
rent le moment propice pOllr s'en affranchir : iI
n'y avait a10rs dans la place (lu'unc faibIe garni-
son. Se croyant sur de la disposition des esprits,
les notables, réunis a l'élite des autorités civiles
et militaircs t envoyerent d'un commun accord
deux députés Qll général Wurmser, a Haguenau,
pou!' lui proposer de venir prendre posscssion
de la ville au llOro de Louis XVII. WurlTIser, in-




D'Vl'f HOllUIE v'lhAT. 333
struitdes intcntions de su cour, qui préférait I'oc-
cupation par droit de conqUt~te, éluda toute
responsabilité diplomatiquc en demandant un
délai, afin d'avoir le temps d'en référer au conseil
aulique sur les conditions de la reddition. D'un
autre coté, craigllant qll'une place si importante
ne vint á lui échapper, il engagea le dnc de llruns-
wick a marcher de concert dan s les défilés de
Saverne, pour couper ceUe communication a
I'armée battue, et la contraindrc par la d'aban-
donner Strasbourg a. ses propres forces. Mais le
dnc, pénétrant le projet de son alIié, et peu
porté á uOlluer les maillS aux prétentions que
semblait vouloir faire revivre la cour de Vienne
sur]a Lorraine et l'AIsace, dissuada Wurmser de
son dessein sur Strasboul'g, et lui donn.a le con-
scil de tou1'ncr ses armes coutle Lallaull et le
Fort·Louis. Luí-meme, sons prétexte da défaut
de vivrcs, n'aV:lIH;a poiut au-deIa de Lichten-
berg.


'\'u1'mser, contrarié, crut ponvoir se passer
de la coopération de l'armée prussienne : il lit
attaquer Saverne que couvrait l'armée fran<:aise,
el Hl une de ses divisíons ayant été repousséc,
il manqua une se conde fois Strasbourg, ou le
complot formé pour lui livrer la ville fut dé-
COllve1't et puni. Soixante-dix personnes qui y
avaicllt pris pal't, appal'tenant aux principales




334 MÉMOlRES
familles, dans la magistl'ature et dan s la noblesse,
porterent leurs tetes sur l'échafaud. Les repré-
sentans, délégués dll comité de salllt public,
Saint-Just et Lebas, firent planer la terreur sur
la ville, appelerent une garnison nombreusc,
renouvelerent les autorités, et mirent désormais
Strasbourg a 1'abri de ton te surprise.


Wurmser, désolé d'avoir compromis si cruel~
lcmcnt ses parens et ses amis, rejeta sur le dnc
de Brunswick la faute irréparable d'avoir man-
qué Strasbourg. Tournant alors ses armes contrc
le Fort-Louis, i! s'en empara apres quinze jours
de tranchée ouverte, et lit prisonnicre la gar-
nison, qui s'élevait a trois mille hommes. Ce
succes releva ses espéranccs, se croyant un mo-
ment secondé par le prillce royal de Prusse, qui
venait de commencer le bombarclement de Lan-
dan, réputé le bonlevard de l'AIsacc. S'abusant
aussi sur l'cxtn"me mécontentcmcnt des AIsa-
ciens contre le régime de la COllven lion, \Yurm-
ser lenr aclressa le I[~ novembre Ulle proclama-
!ion qui démasqua les dcsseins de l'Autrichc.
« Alsaciens, lenr rlisait-il, jetez YOS rcganls sur les
)) autres peuples d' AlJemagne; yoycz eomme ils se
)) réjouissent de pouvoir vous nommer de nOll-
)) veau leurs freres. Réjouissez-vons ave e cnx. 11
» n'est pas un de vous) pas un, jc le sais, qni
» se l'efuscl'a aH bonhcnr d' etrc Allcmaml ...... ))




n'UN HOMlIE n'ÉTAT. 335
Il prescrivait en outre le rétablisscmcnt de ror-
are, tel qu'il existait avant q89, comme du
temps ou l'Alsaee, disait-il, faisait partie de rEm-
pire, coníormément au traitéde W estphalie.Enfin
JI ordonnait aux habitans d'abjurer la constitu-
tíon franc;aise, et de pretel' serment aux puis-
sances alliées.


Mais clans aucun cas, le cabinet de Prusse ne
ponvait etre disposé a mettre l'Autriehe en pos-
session d'une province fran<;aise. Quand le due
de Brunswick cut dans ses mains le témoignage
des desscins du conscil aulique sur l'Alsace, il en-
"oya un de scs offieicrs demander aH roi quelle
regle de eondnite il devait suivre. Sa démarehe
était sccretement coneertée avee les conseillers
du cahinet, qui ne chel'chaient qu'une occasion
de miner ou de romprc l'allianee. Fréclérie-Guil·
laume, a son arrivée á Fl'ancfort- sur -l'Ocler, y
avait re<]u la plllpart de ses ministres, et, ponr-
suivallt sa route avee rapídité vel'S la Prusse
méridionale, iI était revenu par Breslau, ae-
compagné de Lucchesiui et de son aide-de.camp
Manstein. Finalement, aprcs une absenee de plus
de seíze moís, le rol était rentré á Berlín le 8
1I0vembre, et y avait repris toutes les habitudes
de scs affcctions privées. On s'aperc;ut que le
sceond ministre du eahinct, Haugwitz, eutrait
plus avallt dans su fayenr et dan s sa confiance,




336 MÉlIromEs
par l'inflllence seerl~te de la favorite ~ dont iI uvuit
su captiver l'aseendant.


Pendant le voyage du roi, le partí qui depuis
si long-temps eherchait a ruiner la guerl'e, l'a-
vait emporté dans son esprit. La mésintelligence
venant a écIater alors entre le dnc de Brunswick
et le général W urmscr, acheva de relacher les
liens qui depuis trois ans unissaient la Prusse a
l'Autriche. A sa rentrée a Berlin, Frédéric-Guil-
laume, rassuré désormais sur son lot en Polo-
gnc, et frappé 'des représentations unanimes de
ses ministres sur le dépérissement des ressourccs
de l' état, résolllt de rappeler ses troupes qni
agissaient contre la l"rance, á l'exeeption de son
contingent comme prince de l'Empirc. Le ca-
hinet de Vienne averti, récIama aussitot l'inter-
vention des deux COUl'S de Saint-Pétersbourg et
de Londres, ponI' faire revenir le roi el'une dé-
termination qui, réaliséc alors, eút gravemellt
compromis l'arméc du général vVurmser en A.l-
saec. Il paraissait impossible que les liaisous in-
times qlli subsistaient a ecUe époqlle entre
Frédérie-Guillaume et Catherine II, n'apportas-
sent pas un gmnd poids aux représclltations
que eettc impératrice était si disposée a faire
a son allié, en l' engageallt a renoneer pOlll' le
moment a un projet qui livrcrait ulle grande


, La cOllltesse do Lic[¡tcnau.




, ,
D UN HOllorE D ETAT.


partie de l'Europe aux entreprises de la révolu-
tíon fran~aise. Telles furent en effet les instances
qu'adressa la czarine an cabinet dePrnsse. Le
roi consentit a temporiser, mais en alléguant
de nouveau l'impossibilité de continuer a ses frais
une gllerre quí, en se prolongealú, épuisait ses
l'essourees et compromettait sa puissanee.


Dans les différens conseils qui se succéderent,
on décida que l,ucchesini serait envoyé de suite
a Vienne pour négocier un arrangement entre
les deux cours, d'apres lequcl l'empcreur se
chargerai t de fournir ann ueIlemen t tren te mil-
lious d'écus ponr l'elltretien de l'armée pru-
siennc, ou bien engagerait ponr sureté de la res-
titution de cctte somme la partie autrichienne
de la Silésie. Luchesini se mit anssitót en ronte
avec le titre d'ambassadellr extraordillaire.


Quant anx instructions que réclamait le dnc
de Brnnswick, on statua d'apres l'avis d'Haug-
witz, qll'on nc lui donnerait auenne dircction
qui pourrait amener entre les deux cours de
plus grallds motifs de l'efroidissement, et encore
moillS une rupture éclatante, qu'il serait impo-
litique de provoquer. On en inferra dans le COll-
seil qll'Haugwitz n' était qne l' organe de la volonté
particnliere dn monarque, qui flottait encore
entre les moycns termes.


IYapl'es ses cOllc111SiollS, la dircction de la
n.




338 MÚWIRES
guerre, sous le double point de vue militaire et
politique, fut laissée a la prudence du duc de
Brnnswick, sanf le reeours a la déeision royale
pour les cás extraordinaires. C'était tout ce que
pouvait obtenir le parti du cabinet, qui, n'o-
sant pas se déclarer ouvcrtement contre le but
avoué de la guerre, en minait sourdement les ré-
sultats.


Le due, a la réception de la dépeche, com-
men<,;a ses mouvemens rétrogrades, son atta-
que sur Bitche ayant d'ailleurs été manquée.
II tit cesser tont a coup le bomhardement de
Landau, en retirant les mortiers de lcurs Lat-
teries pour les ramener clans le campo La place
neresta meme bloquée qn'en pUl'tie, lagarnison
pouvant communiqner ave e les denx armécs
clestinées a la secourir. Non-seulement les Fran-
~ais se renforceren t alors sur la Sarre, mais ils
commencerent meme a manceuvl'cl' contl'C le
cordon des troupes prnssiennes, de sorte que le
dne put motiver son mouvement de retraite sur
Pirmasens, re traite qui relHlait la position df'S
Autrichiens encore plus préeaire, en exposallt:
leur droite. Les eantonncmens des deux armées
combinées avaient un front tellement étemlu
qu'elles se trotivaient par la meme exposées a
ctre pereées par le centre. L'armée autrichicullc
ayant d'aillems une grande riviere a dos, sa re·




J)'UN HOJlBfE D'krAT. 339
traite paraissait encore moins assurée. 01', c'était
plutot dans le courage des trollpes que dans
leurs positions respectives que les généraux al-
liés devaient chercher lem sécmité des que,
faute d'accord, ils suspendaient ·leurs mouve-
mens offensifs devant un ennemi qni sepréparait
au contrait,c h redoubler d'efforts et d'énergie.


Pleinement rassuré a la frontiere du Nord par
l'espccc de trcve qui s'y était établie, le comité de
salut public venait de porter toute son attcntion
sur l'AIsace el sur le RlÜll. Apres avoi1' grossi par
une forte division df>s Ardennes l'armée de la
MoselIe, il en confia le commandcment a un
jeune officier qui, au siége de Dunkerque, s' é-
tait fait remarquer par la plus brillante valenr.
Hoche, d'un caractcl'e núle et vigoureux, an-
non¡,:ait un de ces hommes rares qui, dans les
tl'mps de erise, doivent tont ú lenr génie. Son
élévation rapide fut marquée par des revers;
mais ses rcvers n}(~me attesterent son énergie
et son audace. Le plan qu'il tit adopter au co-
mité de salut pllblic consistait a réunir quarante
mille hommes eles denx armé es du Rhin et de
la 1\1ose11e , et pcn,:ant avee cctte masse le ceu-
t/'c des Al~trichicns ct <les Prussiens mal unis,
délivrer Landan a la snitc (l'unc bataille oú
l'on cOllservcrait l'uvantagc da nombre et de
l'initiutiyc.




lUÉJUOlRES


Soit que le duc de Brunswick fút informé des
dispositions offensives des Fran~ais, soit que,
cédant a la pensée qui le dominait, il eut déja
projeté de se replier sur l'Erbach, ü effectua son
mouvement rétrograde de maniere queWurmser
n'en fut informé que le lcndcmaiu. Exposé alors
a une attaque générale de l'armée dn Rhin, ql1i
lui était opposée, le gén(~ral ulltrichien jllgea
que le mouyement des Pl'ussiens sur Kaiserlau-
lern rlécouvrait trop sa droite, et il se décida a
se replier lui-meme Sllr la Lauter.


Hoche, débouchant alors de la San'e, múcha
le 17 novembre aux Prussicns, tandís qu'un
renfort tiré des Ardennes, filant sur Saverne,
mettait l'autre al'mée fram;aise en état d'agir of-
fensivement dans la vallée du Rhin. eette armée
était S011S les ordres de Pichegru, dont commeu-
c:ait aussi la célébrité militaire.


A11 lieu de marcher droit a Hoche, ct de le
battre ave e ses forces r('unics, le duc de llruns-
wick continua son monverncnt rétrograde. Pas-
sant ]a Blies et l'ErLacll, le gros de son urmée
vint se concentrer cluns la position reuoutable
de Kaiserlautern. La formant, avec sa ligne, un
angle saillant, couvert par les rives marécagen-
ses de la Lauter, iI appl1ya sa droife a ]a vi/le
meme de Kaiserlautern. Hoche, apres hien d('s
marches ct des contrcmarchcs, villt l'attaquer




n'FN IlO}HlIlE J)'ÉTAT. 341
le 28 novemhre. Mal engagé d'abord, il fut r€-
poussé; aucun obstade ne pouvaut le rebuter,
iI vint renouveler le combat le lendemain, et fit
un effort plus concentré par sa gauche. CeUe
aUaque dirigéc contre la droite des Prussicns
n' ohtint pas plus de succes; sa gauche s' égara, ne
prit aucune part au combat, et iI fut battu.


Loin de commander la retraite, Hoche se dis-
pose a une troisieme tentative. Le lendemain ,
la canonnade recommence avec furie sur le front
des deux armées. Revenant a la charge, les ré-
publicains sont rcp0tlssés tantot par les Saxons,
tantot par les Prussiens. Le duc de Brunswick,
jugeant des lors ses flancs bien appuyés, se dé-
cide a faire marcher sa ligue en avant; et les
Saxons, débordaut la gauche des républicains,
achevent lcur défaite. Hoche, qui avait eu pres
de trois mille hommes hol's de combat, se déter-
mine enfin a lacher prisco


Le 8 décembre arriva le lieutenant de Ziethen,
aide-de-camp du généraI Kalkreuth, envoyé en
courrier a Berlín pOllr annoncer au roí la déf.-üte
des FraIl(:ais. OIl estima la perte des Saxo-Prus-
siens a treize cents hommes clans ces clifférens
combats, OD. le généraL Kleist fut tué, et le géné-
ral Kalkreuth grievementblessé a l'épaule. ecUe
victoire fit peu de scnsation a Berlin, OD. la gucrre
n'était pas sonleuuc par l'opinion publique.




:mbroIH1'.s
Hoche dcya'tt ~'aUeJl(lr'e :\ payer dn sa ¡tite le


malheur el'avoir élé dd'ait; mais sa !émérit{~
memc le sauva. Loin d'óprouvcl' le p01<15 el'une
disgrace, et d'aillems protégé par Carnot, il 1'e-
-;;ut du comité de sal11t public des témoignagcs
de confiance et d'cncou1'agement. Le comité
l'exhortant meme á renouyeler ses tentatives,
soit vers la Sarre, soi t cbns la vallt'e du nhill,
luí promít de nonveaux rcnforts.


Hoche jugea que les Prussicns mcttaient le
soin de lenr réputation, et toute leur gloire, a
ne pas se laisser battre, mais que tel était Tu-
nique mobile qui les attachait cncorc a la coali-
tion; ilrésolnt de tourner tous ses cfforts contre
l'armée de Wurmser, qu'il espérait trouvcr plus
vulnéraLle. Il forme en conséqucnce le projet
de porter l'armée de la i\Ioselle par les Vosges
sur le ílanc de l'arméc impériale; son intention
est de la débordcr, et apres avoir déLloqué Lan-
dau, de la chasser au-cIcla du llhin.


eette armée avait aussi été attaquéeil plusienrs
reprises par l'armée de Pichegru. Mais "\'Vul"m-
ser s'était montré aussi ferme dans sa défense
que les républicains avaient. paru infatigables
clan s lcurs attaques.On s'était Lattu sur toutc
la ligne le I er et le 4 décemLre, mais sans aucun
succes marqué de part ni d'antre. Lc 8, le com-
Lat se renouvela avec le mcme acharnement. Les




D'V~ HOl\L',n~ D'JhAT.
forces allaient etre inégales des que Hache, re-
nonr,ant a forcer les Prussiens, venait se rabattre
par les V osges pour frapper dan s la vallée du Rhin
des coups plus súrs. Déja 'Wllrmser, instruit que
lés Franc,ais recpvaient journcllement des ren-
forts, et qll'il était menacé par la jonction de
leurs dcux armécs, avait dépeché un de ses ael-
judans a Vienne, chargé de prévenir l'empereur
qu'il ne pourrait se maintenir avec une armée
inférieure et des alliés tiMes ou douteux. Mais
que pouvaient de tds aVC'rtisscmens dan s l'état
d'incurie oú étaiellt plongés les cabinets?


"\Vurmser avait s0l111é aussi l'alarme dans le
camp da cIuc de Brnnswick : prévenir les Fran-
<;ais en prcnant rapidement l'offensive, tel était
son avis. Mais si parfois les deux généraux pa-
raiss,¡tient s' elltendrc, le moindre incident ou
des mouvemcns plus prampts de la part des ré-
publicains venaient dérangcr des mesures tardi-
ves et une exécution trap lente. Tont en conve-
nant dn danger qui menar,ait le centre de leur
ligne générale, ils ne purent s'accorder pour re-
pousser les Franr,ais. Enfin apres bien des mes-
sages, les dcux généraux prirent la résolution de
livrer bataille le 18 décembre. Un temps affreux
survint, et décidale duc de Brnnswick a ajourner
l'action. Mais aucun obstacle, pas meme cenx que
suscitaient les élémens, n'arretaient les Fral1(;ais.




ilI.Él\fOIRES


N ouvclles eonférences entre le due de Brun:
swick et 'Vllrmser pour combiner enfin une at-
aque décisive: naturellement lent et eompassé,
le due se trouva peu d'aecord avee un vieilJard
plein encore dn fen de laguerre. Hoche, qu'avait
joint les premieres colonnes venues :dcs Ardell-
nes, débouchait alors des Vosges avec le gros de
l'armée de la Mosello; il fit, le 22 déccmDl'e, une
aUaque déeisive sur Werdt et Frcsehwciler. La
étaicnt placécs en réservc les troupes palatines et
bavaroises que l'AuLriche avait eu tant de peine
a rallier a son al'mée du Rhin. Aa premier eoup
de canon elles prirent la fuite, tan di s qu'á la fa-
veur d'un brouillard épais Hoche, poursllivunt
ses sueces et variant ses attaqnes, emportait
plusieurs redoutes L'armée impérialc se trouva
en memc temps attaquée et coupée surtout.son
front; la retraite Jevint confuse, et finit dans
le plus grand désordre. Le due de Bl'llIlSwick et
Wurmser eurent llIlC explication vive sur le ter-
rain meme; etcette prenve publique de leUt' mé-
sintelligence précipita Jes revers, aggravés par
l'émigration désolante de plus de vingt milIe .11-
saciens, qui cherchaient a se soustraire au sort
cruel que leut' préparait la république pours'etre
déclarés ponr.la cause des rois. Le spectade
d'un si horrible désespoir porta le dernier coup
au moral déja ébranlé de l'armée jmpériale.




, " D UN rrOllDlfE D F.TAT.


Débordée sur la Surbach, elle prit le parti de
se retirer le 24 décembre sur le Geisbcrg, der-
riere Weissembollrg; elle y fut suivie par le gros
de l'armée de Hoche , a qui les représentalls
Lacoste et Baudot vellaiellt de décerller le
commandement en chef des deux armées fran-
~aises réunics. Une dernierc actioll allait dé-
cicler au sort de la campagne. Elle s'engagea
le 26 déccmbre, jour Olt les deux armées al-
liées, presque réunies, devaient attaquer de
concert l'armée fnU1~aisc: le aestin en décida au-
trement. lIoche marchant sur trois fortes colon-
nes se précipite a la rencontre des Allcmands
JOl'sque cCllx-ci commen<;aient a s'ébranler. Ses
troupcs étaient animées d\ll1 teI enthousiasme
qu'eUes n'avaient pas d'antl'e mot d'onlre que
Landau ou la mOl't: elles escaladent sur la gau-
che le Geisberg. Epuisés par trente-six combats,
livrés dans l'cspace de quamnte jOllI'S, décou-
ragés par des rcvcrs, écrasés ellfin par la vivacité
du feu des batteries fran~aises, les Autrichiens ne
donnent que mollement. En vain leur vieux géné-
ralse met lui-meme a la tete de la cavalerie : illui
est impossible de la ramener a la charge, et deux
fois il en est abandonné , au milieu du feu
le plus terrible. Navré et découragé, Wurmser
prit la résolution de repasser le Rhin san s ten-
ter de nouveaux hasards. Le passage s'effectua




346 lIIÚWInES
le 30 décembre sous Philisbourg et a Manheim,
sans qu'il voult'tt tenir un jour de plus, tant il
était indigné contre les Prussiens : il ne leur
donna pas meme le temps d'évacuer le duché de
Deux-Ponts. Restés senls sur la rivc gauche du
Rhin , les Prussiens se rep lieren t vers Mayence,
sans que Hoche les suivlt plus sóricusement que
n'avait faít DumOllriez an-dclá de l'Argonne. Le
quartier-général dn dncde Brunswicl< ne s'arreta
qu'a vVorms.


Il n'était que trop vrai : la prise éclatante des
lignes de Weissembourg ll'avait rien produit
que des milliards de coups de canon et de fusil
échangés, cinquante mille hommes tnés OH bles-
sés, trente mille proscrits de plus, des trésors
épnisés, et l'AIsacc rcnduc a la république.


Ces tristes résnltats ramenerent la sépa-
rafion des deux armé es et des deux nations
sur le champ de lJataillc. Wurmscr les attribua
a des circonstances peu honorables ponr le
dnc de Brunswick , qlli de son coté lui im-
puta les malheurs de la campagne. Ne l'avait-
iI pas averti qu'ilserait forcé dans ses posi-
tions, en s'obstinant a garder une ligne trop
étendue que ses pertes journalieres ne rendaient
pas tenable? :f~tait - il d' ailleurs responsable de ce
que les Bavaro-Palatins, surpris dans la matinée
du 22 décembre, avaient déeampé au premier




coup de fusil! l'cxp{~riellce ne lui avait que trop
démontré ce qu'il avait dit lni-meme a "\Yurmser,
qu'avec trente-quatre millehommes on ne garde
pas six lieues de front. A ces reproches, vV urm-
ser opposait un fait positif: quarante mille Prus-
siens et Saxons aaient resté s an revers des
VOf:ges dans une inaction complete, au moment
oú l' armée antrichienne, accablée dans la vallé e
<Iu Rhin par quinze jours de combat sur tonte sa
ligne, réclamait en vain l'appui de son allié. De-
·vait-on s'étonner qne cette armée ettt été for-
cée de rcpasser le fleuve et d'aballdollner ses con-
quetcs ~ Holze, 1'un des généraux de Wurmser,
fit la critique de la relation publiée a l'état-major
prussien sur la malhcureuse issue de cctte cam-
pagne; il dit que le général des troupes prus-
siennes se sonciait peu que I'AIsace reclcvint
aUemande anx termes de la proclamation de son
alIié, et que d'aillenrs ce n'était pas le 26 décem-
bre sur le Geisberg a l'extrémité de l'AIsace qu'il
aurait faUu se réuniret livrer hataille. L'animosité
fut teUe que les aute'-lrs de ces écrits en vinrent
a défendre leurs assertions dans des combats sin-
guliers: a la mésintelligence succéda le scandale.


A la désolanteévacllation de Toulon était vena
se joindre la déplorable retraite des Autrichiens
au-del;]' dn Rhin : on en fut frappé et consterné
non-seulement a la cour de Vienne, mais a




348 lIfÉ:t\fOIRES
ceHes de Londres et de La Haye. La conduite
dll duc de Brunswick en AIsace fut amere~
ment commentée dans des notes envoyées a
Berlin et rédigées sur les informations parti~
culieres de lord. Yarmouth. Espérant trouver
encore assez d'appui dans le cabinet; mais re-
doutant par~dessus tout de perdre le reste de sa
réputatíon militaire dans une guerre dont le suc-
ces lui paraissait désormais impossible, le duc
supplia Frédéric-Guillaume de lui donner un
successeur', accompagnant sa demande d'un mé~
moire sur les canses des revers de la coalition.
Ce document historique, daté d'Oppenheim,
le 6 janvier 1794, était con-;u en ces termes:


(e Les motifs, Sire, qui me forcent a demander
» mon rappel de l'armée sont fondés sur l'expé~
») rience malhellreuse que j' ai faite que le manque
» d'ensemble, la méfiance, l'égo'isme et l'esprit de
») cabale ont détruit durant deux campagnes de
» suite toutes les mesures prises, et fait échouer
) les dispositions concertées entre les armées
») combinées.


» Accablé du malheur d' etre enveloppé dans
» les fautes d'autrui, dans la situation tres- fa-
» cheuse oú je me trouve, je sens vivement que
)) le monde jnge.les militaires d'apres les sncd~s
» san s en examiner la canse.


)J La levée du blocus d.e I~andau fera époque




D'UN HOMME D'É1'AT. 349
» dans l'histoire de eette malheureuse guerre,
» et j'ai la douleur d'etre cruellement compro-
» mis; je ne m'aveugle pas assez pour me faire
» l'illusion que j'échapperai a la critique; je sens
») au contraire qu' elle tombera sur moi, et que
» l'innocent sera confondll avec le coupable.


» Malgré toutes ces adversités, je ne me serais
» point laissé aller a mettre a vos pieds, Sire,
» mon désir ponr quítter une carriere qui a fait
» la principale occupatioll de mes jours; mais,
» quand on a perdu ses peines, son travail, ses
» efforts; quand, a Mayence pres, les fruits de
» tonte la guerre sont perdus, et qu'il n'y a au-
» cun espoir qu'une troisieme campagne offrira
» des résultats plus avantageux, quel partí reste-
» t-il a prendre a l'homme le plus zélé et le plus
» attaché a Votre Majesté et a sa cause, que celui
» d'éviter de nouveaux malheurs?


» Les memes raisons diviseront les puissances
» coalisées quí les ont divisées jusqu'ici: les 1110U-
» vemens des armées en souffriront COl11l11C ils
» en out souffert; leul' marche en sera ralentic,
l) cl11Larrassée, et le retard du rétablissel11ent de
» Yarmée prussienne, politiquel11ent nécessaire
» peut-etre, deviendra la causc, d'un autre coté,
» d'une suite de l11alheurs pour la cm"npagne pro-
» chaine dont les conséquences sont incalcula-
» bles ... Votre i\Irtjcsté se rappellera peut-t~tre ce




350 MÉ:i\fOIRES
» que fai eu l'honneur de luí représenter le jour
» de son départ d'Eschweiler. J'ai prévu mes
» embarras, mes peines et mes malheurs; j'ai
II employé tous mes cfforts a remédier aux in-
») convéniens : malhcureusement ponr moi l' cffct
» en a prouvé l'insuffisunce.


» Ce n'est done que la persuasion intime que
» fai de l'impossibilité d'opérer le bien qui me
») dicte la démarehe de supplier tres-humblemellt
» Votre Majesté de me nommer un sueeesseur le
» plus tot possible. eette démarche, trcs-affli-
» geante pour moi, est eepeudant une suite des
» tristes réfIexions que j'ai fitites sur man sort : la
» prudence exige ma retraite et l'honneur la COll-
» seiPe. Lorsqu'une grande nation telle que la
» nation fran~aise est conduite aux grandes ac-
» tions par la terrenr des suppliees et l'cnthon-
» siasme, une meme volonté, le mt~me príncipe
» devrait présider aux démarehes des pnissances
» coalisées; mais lorsqu'au líen de cela chaque
» armée agit seuIe pOLlr elle-meme sans aueun
» plan fixe, sans unité, san s príncipe et sans mé-
» thode, les résultats en sont tels que nous les
» avons YUS a Dunkerque, a la levé e du bloens
» de l\'1aubeuge, an sac de Lyon, ~t la destructioll
») de Toulon et a la levée du bloeus de LUlldan.


» Veuille le cieI préserver surtont Votre l\Ia-
» jesté et ses armées de plus gl'uucls malhcul's!




n'UN HOlUl\IE n'ÉTAT.


» mais tout est a craindre si la confiance, l'har-
» monie, l'llnité de principes et u'actions ne pren-
» nent la place de sentimem opposés qui depuis
» deux allS sont la cause de tous nos malheurs.


» Mes vreux accompagneront s~ns cesse toutes
») 1 es_démarch es de Votre Majestó, et votre gloire,
») sire, fera mon bonheur.


» Signé CHARLES, DUC DE BRUNSWICK. »


On voit qu'il s'agissait moills dans ce mé-
moil'e ótuoié de justificr le systcme d'opéra-
tions qui avait signalé par tant de revers l'issuc
de la campagne, que de faire prévaloir des
considérations poli tiques déja mises en avant
ponr dótourner le roí d'unc gllerre OlI la Prusse
n'avait it recueillir ni gloirc ni profit. Retirer le
roi de la coalitioll bien plus que se retirer soi-
meme des armées, teUe était l'intention secrete
du cInc de Drunswick, á qui ses flattenrs répé-
taient sans cesse (( qne la Providence l'avait placé
» si pres un trone prllssien, qu'il était· évidem-
» ment l'esprit qui c1evait gllider ce treme.» En
un mot, c'était moins sa démission qu'un chan-
gement de systcme dans le cabinet que sollici-
tait ]e duc de Brunswick. n crut y arriver en de-
mandant sa démission, qll'il s' était persuadé qu'on
n'accepterait pas; mais il avait comre luí le som-
bre et impénétrable Manstein¡ favori du roi. Des




l\IÉlIIOIRES


qu'on l'eut pris au mot, ses regrets et son dés-
appointement furent tels qu'il dépecha en toute
hate le major Massenbach a Berlin, avec une
demi-autorisation colorée d'un prétexte spécieux
pour tacher de garder le commandement. Mas-
senbach, s' adressan t a Bischoffswerder, en re<;u t
la réponse qn'il verrait ce qu'il pourrait faire a
ce sujet. On en conféra dans le cabinet UU roi
avec Haugwitz; tout y fut balancé, et les inté-
rets politiques l'emportercllt, cal' rien encore
n'était múr a l'extérieur pOUl' risqller d'isoler la
Prusse par une défectioll prématurée quieút
accumulé sur elle tons lcs ressentimens de la
coalition. Trois jours apres, Massenbach ayant
vu Bischoffswerder, cet antre favori lui déelara
qu'il était vcnu trop tard, et que le maréchal
Mrellendorff venait de partir pour aller rempla-
cer le dnc de Drunswick


Le duc, trompé dans son attente, écrivit, le
24 janvier, au prince Louis de Prusse, la lcUre
suivante·, datée de Mayence, avec l'intention vi-
sible de la remIre publique. C'était d'ailleurs son
adieu a l'armée prussienne.


(( Votre Altesse Royale, mandait-il au prince,
» m'inspire la plus vive reconnaissance en <laí.
» gnant prendre part a ma retraite de l'anrlée
» du roí. 11 n'y a que des circonstances aussí
» hkhcuscs (lue pen communes, comme celles




353
» dans lesquelIes je me suis trouvé ~ enveloppé,
» qui aient pu me conseiller une démarche aussi
» affligcante poul' moí.


» II m'a été infiniInent flatteur d'avoir trouvé
» quelquefois l'occasion d'approcher V. A. R., et
» d'admirer en dIe les talens qui vont la mettl'c
» au rang des grands hommes du siecle. L'Eu-
» rope en a besoin clans une lutte OU pres de
» quatre cent mille hommes armés et quatre-
» vingts vaisseaux de ligne secourus par une
)1 guerre intestille ll'ont pu mettre un freill a la
» fédération de crirnes qui tyrannisc la France.
» Je m'cstime tl'es-heureux de ce que V. A. R. a
» daígné rcmarquer mon zeIe pour opérer le
» bien. Quel malheur que des dissensions intes-
)) tines et externes aient son vent paralysé le mou-
» vement des armées dans des époqlles ou la plus
» grande activité eút été néccssaire! Si apres la
» l'edditioll de Mayence on fút t0111bé sur Hou-
» clúnl, qU'OIl l'eút poussé et battu, l'on pré-
J) vCllait la marche des renforts á l'armée du
» Nonl, et par conséquent l'échec de Maubeugc.
» Sarre-Lonis, mal approvisionné et alors pres-
» que sans abrí COlltre les bombes, tombait vrai-
» scmblablement cn quinze jours. Des-lors r Al-
» sace sc trouvait toul'née par la Sanc. La prise
)} de la Lalltcrn eút été plus solide; et si l'armée
J) cnncmic d!l Hltin eút été p~l' tous ces moyens


11.
'1


:1.)




354 :u:É1\WIRES
» séparée de I'armée de la J\loselle, et que l' on
» eut gagné le point de Bouquenon, Phalsbourg
» était menacé et Landau tombait vraisem}5Iable-
» mento Pardonnez si je vous comIílunique mes
» regrets. Je sens toute l'inutilité des plaintes;
» cependant elles soulagent un momento Per-
» mettez que j'ajoute encore que si V. A. R. a
» quelque pouvoir sur mon succcsscur, qu' elle
» le conjure d'employer son crédit ponr pré-
» ~enir la trop grande subdivision de l'armée en
» divers détachemens : faible partout on est ré-
» duit a la défensive, ce qui est un défaut avec
» l'ennemi qui nous presse ... »


Le dnc terminait sa lettre en témoignant an
prince de Prusse tous ses regrets de quittor une
armée qui lui avait inspiré un si hant degré d'ad-
miration et d'cstime. Il pamt en effet tres-affecté
de cctte eireonstancc pénibJe de sa vie publique.
Sonsueeesscur Mrellelldorflétant arrivé le 3 I jan-
vi6l'a Mayence, il eut allssitüt avec lui une eonfe-
rence en présence dn général Kalkreuth et dn
général autrichien Browne : elle se passa en lieux
communs et en observations géuéralcs, AIcdlen-
dorff montrant, ainsi que le dnc, une grande
réserve. Le dile lui remít le commandement de
l'armée, et partit de Mayence d'abord avec l'inten·
tion d'aller passer quelques mois en Halie, mais
se décidant néanmoillS á rentrcl' dan::; se::; états.




D'r;]\t HOllDIE D'ÉTAT. 355
La réputation et le caractt~re tranchantdc MedIen-
dorff fi1'ellt augurer des sUCct~s poul' l'avenir. Telle
était son activité, qu'agé de soixante-scpt ans, il
n'en était pas moins levé tous les jours a quatre
heures et demia du matÍu, et des cinq heures
occupait déj,l deux scc1'étaires a ses cotés. Du
reste, J\Iccl1eIHlorff, étallt a1'rÍvé au quartier-gé-
néraI avec le secret du cabinct, paraissait per-
suaclé que ceUe guarre n'était plus qu'une affaire
de convenance poli tique.


Cependant l'Autriche se montra aussi tres-dis-
posé e a amortir les difIél'ends qui s'étaieut élevés
entre les deux généraux alliés; elle retira momen-
tanément le commandement en chef de son ar-
mée da Rhin ~l 'Vurmsel', qui se reudit a Vienne
pour renclrc comptc directement de sa conduitc a
rempereur. Par l'éloignementdesdenxgénéraux,
les deux cours se trouvercnt pour aiusi dire hors
de cause. D{~ja meme avant la rct1'aite des armées,
Frédéric- Guillaúme avaít envoyé a Vienne le
marqnis de Lucchesini en qnalité d'ambassadeur
extraordinaire, ave e la promesse de la part de
la Prusse de meUre en campagne un supplé-
ment de forces, si on la satisfaisait sur ses de-
mUl;ldes en indemnités ponr la poursuite de la
guerreo L'empereur, de son coté, avait, envoyé
le comte de Lehrbach a Berlín avec la mission de
proposer a cet éganl un moyen terme; iI s'agissait




356 IIIJ1lUOIRES
de s'entendre avec la cour de Prusse, tant sur la
conduite de la guerre a l'avenir que sur le mode
de défcnse qui conviendrait le mieux a l' ABe-
magne. L'alarme sy ét:üt répandue apres la re-
traite des armées aBiées sur Mayence et vers Man-
heim. Des le I cr janvier, 1'électeur de l\Iayence
s'était retiré a Aschaffenbonrg, redoutant une
nouvelle invasion de la part des Fran(,'ais.


Tandis que la coalition était a la veille de se di s-
soudre, par l' cffet meme de ses revers, la France
révolutiollnaire jetait le plus grand éclat au de-
hors et au dedans par le succes de ses armes.
Tont avait pIié sons le joug du comité de salut
public apres la réduction de Lyon, la rcprise de
Toulon et la destruction de la Vendée. Le co-
mité régnait par la terreur; c' était son systeme
unique, et jamais mohile n'ent un cffet si
prompt, si gérléral et si súr. La FraIlee était ell-
core bloquée, il est vrai; mais de sa capitale,
centre de sa circonférence, elle impl'imait pomo
ainsi dire le dévouement de la terreur sur tous
les rayons. Par la teneul', elle avait ramené,
dans les rangs de ses armé{~s, la Sup(\l'iorité du
nombre et 1'avantage de l'offensive. L'Allemagne
craignait une seconoe foís ponr ses frontieres;
ceHes de la France ("taient partont en súreté.


Hobespierre avait pressenti ce IrlOmcnt : on
l'avait Vll prpSl'lltCI' it la couvcntion, al! Hum du




n'UN JIO:i\IME n'ÉTAT.
comité de salut public qn'il dominait, un rap-
port rcmarquahle 1 dans lequel il embrassa la
situation politique de rEurope, relativement a
la république fran({aise. Il y développa d'abord
le systcme du cabinet de LOll.dres, parla ensuitc
de la ligue mOllstraeuse de la Pl'usse avec l'Au-
trichc, camme u'ayant allcnne base solide, et
parcourant les relations de la républiqne avec
les différcntes puissances, ne lui trouva que
dellx alliés, les Sllisscs et les Américains des
États-Unis. Riell que son rapport n'eút en appa-
rence pOllr objet que d'attester a tous les peuples
les principesqlli dil'igeaient la convention, et qui
devaient présider aux relations de toutes les so-
cié tés politiques, iI avait essentiellement pour
motif d'éviter que le nombre des ennemis de la
France ne vlnt á se fortifier par l'accession des
cantons suisses et des États-Unis d'Amérique.
Allssi appuya-t-il vivement sur les manreuvres
períides employécs ponr alarmer, sur les inten-
tions de la France, ses deux fideles alliées.


« Vous avcz sous les ycux le bilan de l'Europe
» et le votre, dit-il en se résumant; vous pou-
) vez déjil en tirer un gralld résultat ; l'univers
) est intéressé a la liberté de la France; sUppOSOllS
) la :France démembréc OH :llléantic, le monde
» politique s'écroule ..... ; le despotisme, comme


, Da 17 no.vemhe 1793.




358 :l\IlbrOIRES
» une mer san s rivage, se débordcrait sur la
» surface du globe ..... »


Un décrct rassurant sur les intentions dn co-
mité de salut pllblic, a l'égard des Suisses et des
Américains, termina le rapport : il s'étendait á
tOlltes les puissances allíées ou neutres.Mais l'artí-
ele 6 semblait destiné uniquement pour la Suisse:
il portait défense devioler le territoire des treize
cantons, Oll des pays qui lenr étaient unís par
des traités de conbourgeoisie OH cl'alliance.


Ce discours prodnisit un grand effet au dedans
et au dehors : on crut un moment pouvoÍl' en
tirer quelque espérance de moralité politiquc de
la partd'un des principaux chefs de la révolu-
tion dont on ne pouvait plus contester la haute
influence. 11 n'était d'ailleurs qlle trop avéré aux
ycux des cabinets mal unis que le comité de salut
public, dont Robespierre avaitété ici l'organe, te-
nait d'une main dure, mais assurée, le timo n des
affaires. Soit en Italie, soit dans les Pyrénées,
les armées républicaines cOllvraient la frontiere ,
et en éloignaient la, les Austro-Sardes, ici 1cs
Espagnols. Vers le Rhin, l'Allernaglle était de
nOllveau en péril. Au nord, ou les alliés avaient
réuni le plus de forces, ils ne s'étaient pas meme
trollvés en mesure de frapper un coup décisif.
Apres la réduction de Lyon et de Toulon, apres
les revers de l' Alsace, toute idée d'invasion




n'UN II01UlIIE n'liTAT. 359
commen<:ait á paraltre ehimél'iqne. Déjá meme
011 entrevoyait dans les eonseils tenus a Brllxelles,
ú Vienne et á Berlin, que le pl'ojct de changer,
par la force des armes, la forme de gOllverne-
ment qui existait en France éprouverait des dif-
ficultés incalculables si les habitans eux-memes
ne s'effon;aicllL pas de SCCOUCI' le joug de la eon-
vClltion. D'un autre coté, il restait peu d'espoir
d'arreter le terrible fléau de la guerre, si on at-
tendait une contre-l'évolution opérée dans l'ín-
térieur.


Ces réllexions étaient mises en avant daus les
conseils meme de I'Empcreur, ou les Thugnt, les
Lascy, les Colloredo déploraient la guerre apres
l'avoir mal conscillée et mal dirigée. I1s trouvaient
bien d'autres motifs de découragement lIans les
demandes et les prétentions du roí de Prusse, re-
produites avec importunité par son ambassadeur
Lucchesilli. Ces prétentions occupercnt fOl'te-
merít les trois cabinets de Vienne de Londres et
de Saint-Pétershourg, au eommeneement de
1794, et on vit arrivel' a Berlín trois amb¡¡.ssa-
deul's extraordínaires, le eomte de Leh,baeh, de
la part de l'Aut¡>ichc,lord Malmesbury, de la part
de la Grande-Bretagne, et le prince de Nassau,
envoyé par l'impóratrice Catherine ave e une let-
tre autographe de eette souveraine pOUl' le mo-
narque prussien.




360 JlnillIOIRES
Au milieu de ce dé dale de difficultés, le baron


de Thugllt s'imagina qu'il serait possihlc de par-
ler de paix, en prqposant l'ouverture d'une es-
pece de congres tenu a La Haye entre les mi-
nistres des pnissances belligéralltcs contrc la
France, et oú pourraicnt etrc aclmis des com-
missaires fraJH;ais; lui-meme y aurait assisté de
la part Je sa cour. Cot expc,diellt ayant été dis-
cuté dans le conscil de l'empereur , OH e11 vtnt
el des ouvertnres détournées faites en Suisse au
principal agent fran<;ais, au 110m des puissances,
et a la proposition d'une tr<~ve pcndant la dllrée
tle ¡aquelle la France étahJiraiL tUl gonverne-
ment avec qui on traiterait définitivernellt de la
paix.


Le comité de salut publie ne vit la qu'nne pro-
position insidieuse, lié e á des mallceuvres clans
l'intériellr, par lequelles on espérait diviser lacon-
vention, lui faire poser les armes, et laisser l'ar-
deur révolutionnail'c se refroidir. Le comité re<;ut
et rejeta avec hanteur la propositioll san s meme
daigner la soumettrc a la convention, qui n'en
eut connoissance, comme nons allons le dire,
qu'incidemmcnt et apres une décision négative.


Ol'gane du comité, lkm'ere, a la séance da
22 janvier, apres avoir contredit le brllÍt qui ve-
nait de se répandre d'un échec éprouvé a vVorms,
en prit d'abord occasion de faire voir combien se-




U'VN J-fOllIlIIE nYTAT. 361
raient pernicieux des projets de pacification dans
les circollstances oú se trouvait la république. Il
attriLlIa les l'éclamations qui commen<:aient a se
f~il'e entendre ace sujet, etlesadresses dója répan-
dues ponr demander la paix, d' abord aux ennemis
ex,tél'ieurs, ensuite anx ltristocrates, aux modé-
rés, aux l'idws, anx descenda12s des castes privile-
giées, aLlX aluis eles conspirateurs, aux times pu-
siHanimes et timides, aHX mauvais citoyens, anx
prétendus patl'iotes. « II faut, ajouta-t-il, la paix
») aux Blonarclties; iI fant /'dllCJ'gie guerrih'c d la
» république,. il {¡tul. la jlaix aux csclaves; il faut
» la ferlDcntation de la liherté anx républiques :
)J iI faut la paix aux gouvcrnemens; il faut l'acti-
» vité révolu tiollllaire a la république fral1<;;aise ... »
L'assemblée ordonna l'imprcssion et l'euvoi aux
armées du rapp0l't de Barrerc.


Ainsi la paix que le partí de Danton faisait pré-
COJJiscl' sous main, tandis que par ses écrits il
réclamait un sysÚ~mc d'iudulgcnce, le comité de
salut public la repoussait par ses discours, par
ses va~l1X, par ses projcts.
Barren~, revenan t sur cet objet a la séance du


Ter de fcvricr, s'expliqua plus clairemeut, sur les
propositions des puissances coalisées, dan s le
préamhule d'nIl l'apport relatif a h fabrication
des armes et des poudres : «( Un de nos agens dipIo-
» matiqucs, dit-iI, dans un pays neutre et voisin




1trÚIOIRES
» (la Suisse) nous a annoncé les propositions in~
)) sidieuses qui seraient faites pour la paix, afill
» de diviser l'opinion des patriotes et d'attiédir
» le courage des Fran~ais. lIs recorl1laltront (les
» coalisés) la répllblique; ils demane/eront une
» Ire(Je de deux ans: all bOllt de dellX années,
» quand nous aurons établi un gouvernement, on
) pourra traiter de la paix, el le traitd sera 80ll-
») mis d la ratification nationale.)) Apres avoir
commenté chaque membre de ces propositions :
(( Ombres fllnestes de Brissot et des fédéralistes
» suppliciés, s' écria Barrere, vous avez done
}) remplacé lenr génie conspirateur clans le COJ1-
» seil des tyrans de rEurope lo ..... » COlltilluant
sur le meme ton il s'effor~a de démontrer la
nécessité de s' occllper encare plus sérieuse-
ment des préparatifs pour la poursuite de b.
guerreo


De :<'Oll coté, le cabinet de Saint- James re-
gardait la paix comme impraticable avec la
conveiltion, et pa¡' conséquent il envisageait la
poursuite de la guerre corome une nécessité
pour la súreté de l'Europc. Toute su diploma-
tie n'était meme alors occupéc qu'a réchauffer
les conseils de la Prusse et a aiguillonner ceux
de l'Autriche, de concert avec le cabinet de
Saint-Pétersbourg. Il avait en meme temps une
tache toute allssi pénible a reroplir, celle dQ




n'IJN HOl\f2IfE n'ÉTA '1'. 363
]ustifier la guerre devant l'opposition parlemen-
taire des deux chambres.


Le parlement était rentré le 21 janvier. Le roí
George, dans son discours d' ouvertul'e, recom-
manda de poursuivl'e la guel're avec vigueur,
(( cal' de son succes, dit-il, dépend le maintien
)) de la constitution , des lois et de la religion de
)) la Gl'ande-Bretagne, ainsi que la sul'eté de toute
») société civile.» Le roi ajouta que les efforts de la
France n'étaient fondés que sur une usurpation
de pouvoirs qui rendait les gOllvernans actuels
de ce pays maltres absollls de la vie des peuples.
I~e systcrne révollltionnaire qu'avait adopté la
France fut représenté comme tendant l'apide-
ment a épuisel' ses ressources. Ce discours fut
vivement applaudi par les nombreux adhérens
du ministere dans les deux chambres; mais les
arnondernens proposés aux adresses pour prier
le roi de profitcr de la premiere occasion de con-
dure une paix honorable, firent naitre des re-
marques tres-séveres tant sur l'objet de la guerre
que sur la dernierc campagne.


A la chambre des communes, le comte Wy-
combe, fils du marqllis de Lansdowpe, dit qu'il
arrivait de temps a ::wtre de grandes révolutions
dans l' esprit humain, révolutions que la violence
et la force ne servaient qu'a múrir au líen de
les détruirc; iI en conclut qn'il fallait mcttrc fin,




364 )IÉl\roIRES
le plus tot possible, a cette gllerre désastrcuse.
Le colonel Tarleton observa que les ministres
avaient montré dans la conduite de la guerre la
plus grande incapacité ... « Si, au líeu d' entrer en
JJ Flalldre, ajouta-t-il, nouseussions débarqué une
» forte armee al' embouchure de la Seine , et mar-
» ché directement a Paris, nons aurions protégé les
» royalistes clans eette partie; et si nOllS n'avions
» pas tout fini, au moins cut-ce eté une diversion
» puissante en fayeur des allíes, tandis que nous
» n'avons ríen vu que des efforts vains de la part
» des tetes coul'onnées de l'Europe. » M. Conr-
tenay rcmarqua que ce n'était pas pou!' le roí de
France, mais pour les puissanccs, que Condé,
Valcnciennes et le Qucsnoy avaient été pris, et
que l'índignation qu'en avaient ressentie les
royalistes était telle, que l'abhé Maury s'était
écrié : « Pllisqu'il en est.ainsi, joignons-nons aux
» jacobins! »


Lord Mornington r répondit a M. Courtenay
que la paix, si I' on pouvait appeler ainsi un in-
tervalle illusoire d'hostilités, serait cent fois pire
que la guerre ... « eomment, d'ailleurs, ferions-
» nons des. ouvertnres a des gens qui ont dé-
» daré crime de haute trahison toute négocia-
» tion d.e paix jusqn'a ce fin' on reconnút l'unité et
» l'indvisibilité de la république, meme dans les


1 Depuis le marquis de WcJlesley.




n'UN HOllfME n'ÉTAT. 365
» départemens qu'ils avaient précédemment con-
» quis? Pouvons-nous leur offrir et leur garantir
» Francfort, Mayence, Liége et Breda? Et quand
» bien meme nous signerions une paix, la forme
» essentielle de leur gouverncment nous permet-
» trait-elle de jouir de la moindre sécurité? CeHe
» que Hons possédons ll'est due qn'a la barriere
») que nons avons mise par nos armes entre enx
» et nous. Ne vaut-iI pas mienx se fiel' el. ces
» memes armes qu'a la religion de Robespierre,
» dont le culte est le mcurtre des rois; qu'a la foi
» de Cambon, dont le systeme de finance est
» fondé sur la proscription de 1'01' et de l'argent;
» et qu'a la modération de Danton, qui déclare
J) trahison toute négociation tendante a faire res-
» tituel' les provinces conqnises sur nos alliés;
» enfin qu'a l'amitié de Barrere, qni, dans S011
» rapport SUl' Toulon, a prononcé hauteuwllt
) que la France ne devait s'arreter que lorsque
» l'Angleterre serait détrnite?))


M. Sheridan passa en revue toutes les opéra-
tiOIlS de la dernierc campagne, et iI le fit avec
IIne grande sévél'ité. Le secrétaire d'état Dundas
le refuta. Il fit l'essortir les avantages remportés
par l' Angleterre dan s les denx Indes, les ser vices
essentiels rendus par la fIotte de Torbay , la dé-
Jivrance de la Hollande, le coup décisif porté á la
marine franc;aisc ~l Toulon, les priscs nom}Jreu-:




366
ses fa.ítes en mer sur la Franee; iI en conc1ut
que c'était la campagne la plus heurcuse qu'eút
faite encore la Grande-Bretagne, et qu'il fallait
y donner suitc avec toute la vigueur et l'énergie
possible. Fox, an contraire, regarda la situa-
tion de I'Europe eomme halltement désas-
treuse et visiblement alarmante : un n'apcr-
cevait plus, depuis la reprise de Toulol1, que
de petits succes et de grandes défaites. Abor-
dant la question de l'objet de la guerre, iI ob-
serva que la déclaration du roi d'Angleterre an
peuple frall/;,ais, ainsi que eeHe qui avait étépu-
bliée a 'roulon, semblait anl10ncer eommc pré-
liminaire de toute paix le retour a la monarchic,
« Mais, dit-il, snpposez qu'au lien d'llne républi-
» que on établit une forme stable de gouverne-
» ment qlli ne fL\t pourtant pas une monarchie,
» qne deviendraient nos promesses a LouisXVII
» et an peuplc de Tonlon, si nons jugiol1S a pro-
» pos de traiter avec un tel gonverl1ement ?Quant
» a notre sécul'ité, allssitot que la France aura
» un roi, dit la décIaratiol1, nons cesserOl1S de
» lui faire la gnerre, et les Fran<,'ais pourront se
» mettre a travailler aux modifications de leur
») édifice social; mais eommcnt ces modifications
» se feront-elles? Sera-ce encore avec une garde de
) roval-allemand autour de la salle de lcurs dé-


" )) liLératiol1s? La France sera done précisément




D'UN rrOMlUE D'ÉTAT. 367
» dans la meme situation qu'en 1789, d'oú sont
» dérivés tons les malheurs qui, selon vous, re n-
}J dent aujourd'hui la guerre néeessaire et la paix
» impossible; ainsi la perspective que le ministre l .
» nous propose roule sur un eercle éternellement
» vieieux. Le ministre ou ses agens ont promis
» a Toulon de rétahlir la constitution de 1789,
» et dans le fait on l'a rétablie. Louis XVII, qui
)) ne l'avait pas acceptée, n'a pas été appelé roi
)) de Franee et de N avarre, mais roi des Franc;ais;
)l toutes les autorités constitutionnelles y ont été
») rétablies. 01', veut - on voir maintenant com-
» ment cela se comLinait avec ce qu'on appelle
» les puissances combinées? Le général Wurmsc1'
)) entrait a101's en AIsace, ou il rendait une pro-
l) clamation par laquellc iI chassait de Ieurs places
» tous les constitutionnels de 1789, et rétablissait
» jusqu'a nouvcl o1'dre rancien syst<~mc ... JJ


Passant aux événemens de la campagne, Fox
<.lit que, 10in de pcnser qu'on dót lui soutenir
qu'ellc cut été prospere ou glorieuse, iI s'atten-
dait au contraire qa'on lui aurait dit lorsqu'il
viend1':lÍt parle1' de la paix: \( Ce n'est pas négo-
» eier, e' est supplier qne de proposer la paix Io1's-
» que nous avons été battus a Dunkerque , que le
» prince de Cohourg a été reponssé a Maubeuge;
» que !lons avons été chassés de TOlllon d'unc


1 Pillo




368 "IE~roIRES
) maniere affligeante pour ne ras dire honteuse;
» que le général vYurmser a été mis en déroute
» en' Alsace; que le siége de Landau a été levé,
» et que les Prussiens peuvent a peine suffire a
)) la protection des villes allemandes du Rhin ...
)) Le secrétaire d'état 1 ,a dit , ajouta Fox ,
» que l'objet de l'Angleterre dans les lndes
») occiJentalcs est de nous assurer par nous-
» memes d'une indemnité solide et avantageuse
» ponr les dépenses de la guerre ... ; iI a dit en-
») core que les ministres avaient étó embarrassés
» de savo1r s'i1s auraient envoyé les forces qu'ils
» avaient a leur disposition anx ludes occidell-
» tales avec le général Gray, ou aux royalistes de
» France avec le comte de Motra. La réponse
)) était aisée. Leur guerre avec les chefs de la
» France étant, comme le disaient lesamis des mi-
» nistres, une guerre ~I mort, ils n'auraient pas dú
) hésiter á tout envoye)' aux royalistes. Pourquoi
» avo1r attendn si tard ponr l'expéditioIl du
») comte de MOlea, OH pou!' mieux dire pour
» faire bruit d'une tellc expédition? Etait-ce que
» l'on manquait de troupes? Pourquoi done le
» ministre avait-il fait tant de misérables allianees
» s'il ne pOllvait pas tirer de ses alliés assez de
» troupes pourmettre aexéclltion aucnn projefl ..
» Le ministre possede de grallds talens, UIle


, :\1. Dundas.




, " D UN IIO:;\IlIJE D .ETAT. 369
» grande éloqucllcc; la longue duréc de son mi-
» nisterc doit avoir considérablement augmenté
» le nombre de ses admirateurs; mais que ron
» rassemble trente de ses partisans, depuis ceux
» qui mangent jusqu'it cenx qui le servent ~l Sil
» tahle, en trouvera-t-on un seul qui ose lui dire
» en face qu'il est hon ministre de la guerre ? ... »


Pi.n se leva pour répondre : aprcs avoi1' rap-
pelé que l'opinion de la majoríté de la chamb1'e
et de la pluralité de la natíon avait considéré la
guerre comUle pnremellt défensive, et qu'on y
était engagé par devoil' et par nécessité, ilrépéta
ce qu'il ,nait dit a la dernicre session : qu'illa fe-
rait cncore tantquel'Angleterre ne recevraít pas
satisfaction pour le passé, et sécurité pour l'ave-
nil'. « Sí l'on suppose meme, ajouta-t-il, que
» nous ayons éprollvé des difficllltés et eles mal-
» lteurs dans le cours de cette guerre, ce n'est
» (lu'une raison de plus ponr rec10nhler d'efforts;
» et si les difficultés proviennent de la seule na-
» tare des cllOses, ce qui n'en est que plus [3.-
» chellx, combien les al'gumens cmployés coutrc
» les ministre~ ne se trouvcnt-ils pas des 10rs af-
)) faiblis ~ ... Mais, m'a-t-on dit, vous ne fécz done
» jamais la paix avec les jacobins? Il m'est ex-
» ll'~mement difficile de répondre a une tclle
» question , et il ne sCl'aít ni prudent ni raison-
» nable d'y donuer une réponse défillitivc clans le


ll. 24




:p,nhIfOIRES


» moment actuel. C'est une qucstion dont la so-
» lution doit dépendre des événcmens. Comme
» les circonstances peuvent changcr, il fandra
» nécessairement snivre différentes lignes de con-
» duite, et je n'anrai pas l'inJiscrétion de me luis-
» ser engager a un seul systcme. Quant aux cir-
» constances présentes, je n'hésite pas a déclarer
» que j'aimerais mieux perséverer dans la gucrre,
» meme au milieu des plus grands malheurs, el
» que je rcgarderais eette conduitc eomme beau-
» coup plus súre et plus honorable que de faire la
J) paix avec les meneurs de France dans lenrétat
» actuel::. On a dit que le rétablisscll1cnt de la
» royauté n'apporterait aucune sLIreté additiou-
» neHe a la solidité de la paix, et que les Fran<;ais
» seraient encore également formidables pour ce
» pays.l\Iais c'est une assertion étrange et dénuéc
» de fondement. La monarchie fralu:,aise dépouil-
» lée comme elle le sentit d'une partic de sa puis-
» sanee et affaiblic dans ses revenus, ne pour-
» rait etre aussi formidahte <\n~un s'Ssteme C\.Ul
» s'est montré plus dangcrcux que la monarchic
» clans la plénitude de son pOllvoil' et an sommet
» de sa grandcur. II est encore d'autres considé-
» rations qui s'opposellt a ce que nous trai-
» tions avcc la France. La convention a passé
» un décret qui défend detraitcr avec tout ennemi
» jusqn'á ce qu'il ait évacué le territoire de la ré-




· " V GX HOJlTJ\IE D :ETAT.


» publique; et le 11 avril on a décrété de plus
» la peine de mort contre quiconque propose-
» rait de traiter avec une puissance qui n'aurait
» pas rcconnu préalaLlcment l'indépcndancc de
» la natíon frarH;:aise, I'llnité et l'indi visibilité de
» la républiqllc fOlldée SlU' la liberté et l'égalité.
» Ainsi en proposant la paix, llon-seu]cmellt nous
» Hons soumettrions au déshollneur de l'humi-
) liatíon la plus vile, mais nous nons mettrions a
) la merci de nos ennemis; uons nons réduirions
)l á la nécessitó de reccvoir les conditions qu'il
» leu)' plairait de no lIS dicter. Voulez-vous done
» retirer vos armées? voulez-vons vous priver de
») la coopération de vos alliés? abandonner toutes
) vos acquisitions! rendre álaconvention, Condé J
» Valcnciennes, Le Queslloy, Tahago, Port-Lonis,
» et tOlltes les factoreries des lndes orientales?
) Qlland meme vous y conscntiricz; quand memo
» vous vous h;'\tericz d'envoyer un ambassadeur
) ponr traiter avcc la convention, il vous faudrait
» non-sculement reconnaltrc l'unité et l'indivisi-
» bilité de la n"pllhlique frau<;:aise, mais encore
) la reconnaltre dans le sens dc vos cnnemis ,
)) c'est-a-dirc, fondóo sur la liberté et l'égalité; il
» vous faudrait sonscrire á tout leu!' cocle, et
») par cet acte sanctionner la déposition de votre
) sOllverain et l'anéantissement de votre légis-
» laturc. En vain dirait-on qn'ils n'insisteront




lIIÉlIfOIRES


» point sur un aveu de cette étenclue. Qnelle
» qu'ait pu etre l' extravagance de Ieurs discours,
» ils ront toujours surpassée par lcurs actions.
» Nous n'avons aucunc espérallce de modé-
» ration, quel que soit le partí qui domille.
» Dans tOlltes les résolutions qui ont eu líen
» chez cux, lenr premier titre a la faven!' a
» été de recommandcr des hostilit(~s contre 1'An-
» gIeterre. Les plus violens ront toujOUl'S Cl11-
» porté l. La marque distillctive de leH [' caractel'e
» est un esprit d'entreprises militaires, non ponr
») satisfaire leur amhition, mais ponr répandre
») partout la désolatioll et la tel'reur ... Dans cet
)1 étatde choscs, qu'avons-nous de mieux á faire
» qu'il lenr résister jusqn'au temps oú la Provi-
» dence, bénissant nos efforts, IlOUS aura assuré
» l'indépendance de notre pays á laquelle se
» trouve lié l'intéret génc-ral de l'Emope? »


Leparlement adopta ullanimel11cnt l'uugmen-
tation de la marine britanniqne jusqn'á qnatre-
vingt-cinq l11ille hommes. Mais la propositíon de
portcr l'armée régnhcre á soixantc mllle hommes
fnt combattue, ct fü rellaltrc d'amcrcs ccnsurcs
de la derniere campagnc, En parlant en faveur
de l'augl11entation des forces régulieres, Pilt clit


J La discussion ét~it ou verte alol's a la société des jacobins sur la
constitution ullglai.sc et sur le I)rojet annoncé de la détrllÍl'e Illora]~:
mrnt et physique111cnt par la (li,CIISSiou et par une tlcscrntr,




n'fm ROllfllfE n' liTA T.
que la France avait été métamorphosée en une
nation arméc. Fox releva eette express ion et la
commenta. Pitt soutint n'avoir pas voulu dire
autre chose, sinon que le systeme de tyrannie
de la républiqlle avait armé des masses si con-
sidérables qu'il n'aYait pas été possible d'abord
de leur résistcr; mais que cela ne prouvait pas,
comme le disait son adversaire, que les Fran-
(,;ais fussent uuis : lIs ne l' étaicnt qne pat' la ter··
renr.


A la chambre des 10rds, le marquis de Lans-
downe, ::tla sllite d'UIl discours également rempli
de censures virulentes sur la condllite des minis-
tres, proposa 1 une adresse an roi, dans laquelle il
pcignit l'impossibil i té tres.probable de soumettre
un pays tel que la France; le pen de confiance
que devait inspirer la coalition; les pertes et les
fardeaux que la nation allgtaise anrait ü supporter
en persistant dans cette lutte, enfin la folie de
faire une gucrJ'c eontre des principes. Ces motifs
devaient porter la chambre á prier S. M. de faire
an plus tot cOIlllaItre qllcUe était prete á entrer
en négociations. Aprcs un débat tres-vif, eeUe
motion fut rejctée á une grande majorité.


On ne pourrait s'cn étonner que si l'on n'a-
vait anCUIle idée de la nature de cette guerre
vraiment nationale pour les Anglais en ce qn'elle


f Le. 1? fcrl'il>r.




donnait un immcnsc accroisscmcnt a lcurs ri~
chesses et a leur puíssance. Ces avalltages leur
étaient assurés, comme a une nation forte et
active qui régnaít sur les mers, et y exer(,'ait
pour ainsi dire le monopole du commcrce uu
monde. Les l'evel'S du continent, armé sous son
influcncc ~ étaicnt compensés chez cHe par des
conquetes marítimes. Jusqu'it la Corse venait de
lui tomber en partage ponr lui faire oublier son
cxpulsion de Toulon, oú ses amiranx avaient
porté le COllp décisif a une marine rivale.


Bien que les ministres fussent triomphans clans
le parlement, ils ne s'abusaient pas sur les diffi-
cultés de la guerre extérieure dans laquelle ils
étaient engagés. Le principal obstade dérivait
de la contradiction et de l'incohérence qui se
faisait remarquer clans les vues politiques des
deux cabinets de Vienne et de Berlin: il n'était
pas possible de les faire marcher de eoncert dans
la eonduite de la guerreo


L' empereur, ayant eu éganl aux instances de
l' Angleterre, était fortement résolu el' ouvrir une
Iroisieme campagne, que sa présenee, un sur-
erolt de forees, dé meilleures dispositions et plus
<1' éncrgie devaient rendre plus décisive. Ce prince
sentait lui-meIlle la nécessité de réparer les bé-
vues et les revcrs de Wattignies ct de Weissem-
houl"~·' o




\ " n UN HO:II1UE n :ETAT.


TI avait gouté les vues du eomte de l\1ercy-
Argentan, qui était á Bruxelles l'ame ,du partí
antl'ic1úen-belge. Le eomte de Merey sollieitait
avcc ínstance qu' on fh paraItre au milien des
Bclges le sauvcrain lui-meme, ponr vainere la
résistance tles états du pays aux demandes de
l'Alltrichc. En 011tre iI rcgardait eomme indis-
pensahIe qu' on s' occu pat á resserrer les liens de
l'aUiance avec I'Angleterre 1, et qll'apres avoir
augmenté la grande armé e , on pr1t immédiate-
ment 1'0ffcllSiye. A cct cffet iI dcmandait qn'on
remit le Duran de Mack á la tete de l'état-major,
camme étant seuI capable de eoneevoir un plan
d'opérations eombinées. L'empereur accueillit
avec une attention particulierc les projets que
tenait tont prets cet officicr, qu'on revit des-Iars
en favenr a Vienue. On savait qu'il serait agréable
aux Anglais et aux princes qui gouvernaient la
J3elgique. Telle était sa réputation d'habileté,
sans toutefais qll'il l'eut encore justifiée par
rien de pasitif, qu'a Brnxelles, a Londres et a
Vienne, on était persuadé que Manbeuge n'au-
rait pas éehappé aux alliés, si Mack n'eut été
remplacé a l' état-ma j 01' - général par ceux qui,
dans cette circonstance, avaient fait décider la
retraitc. C'était a son absence qu'on attribuait


I Un traité d'alliance avait été passé a Lonures entre l'E1lIrer~llr
rt la Gl'andt,-lIl'ctasnc, le 30 aoiü 1793.




::IIÉl\IOIRES


Ilon-seulement le sangla~lt échec de l\Iaubenge,
maís par suite les dé sastres de I'Alsacc et de la
Vendée, qu'une vigoureuse offensive allrait pu
prévenir. Il n'y avait qu'nne voix ponr son rap-
pcl a l'armée de Flanclre : le conseil anlique ful
cntrainé. Quallt allX llOUYe~lllX plans de l\1ack,
le ministre Thugut et les membres ínfluens du
conseil ne se mettaient pas en peine de les {aire
avorter, pour pen f!u'ils contraríassent leurs cal-
cnIs polítiques. Le comman<lcment en chef de
J'armée Be restait-il pas (bBS les mains dn princo
de Cobo!lrg, sí pon porté pon!' les projets har-
dís, et dont les mOll\:emcns se rl'glcraient ton-
jours sur les combinaisons lentes du cabinct? Dn
reste, dans le cOl1sC'il, le partí purement autri-
cbien, pen porté lui-meme pour ceUe guerre des
Pays-Bas, fllt forcé de d~del' á l'empirc des cil'-
const¡mces. Oncomptait ll'aiJIeurs, comme (laus la
précéc1ente campagne, s'approprier la prcmiére
ligne des places fl'Outih'cs de la FraIlee pour rem-
placer les forteresses {Jamal1des que Joscph II
avait fait rasero Stl'asbourg et Landau n'étaicllt
pas moins convoités par le cOllseil aulic¡ue, mal-
gré les dernicrs rcvers qll'OIl imputait aux PrllS-
siens; enfin le conseil opinait en meme temps
pour que du c6té de la Pologne on revendiquát
une partie des Gallicies.


Mack partit de Vienne cluns le conrant de jan-




J)'UN HOl\Il\m D':ÉTAT.


vicr, prcss(' tl'aller communiqner ses -plan s au
prince dc Cobomg et an cabinet de Londres. Il
venait remplacer a l'armée de Flamlre le prince
de Hohenlohe, général épais, qui, l'ayant sup-
planté llli-méme comme qllartie¡'-maltl'e-général
pres dl! prince généralissime, l'avait tant fait
regrettcr dans le camp antrichicn. ecHe fois,
par son nOllveau grade de major- général, les
fOlletlons de Mack a 1'armée etaient plus éten-
ducs; A son passagc a Francfort et a Mayence,
iI tronva encore tOllt dans le vague an sujet des
resolutions de la T'rllsse, qui n'étalent pas cncore
hien conll ues, tandís que ses projcts d'opérations
a la grande armée de Flandre, pénétrés a Vienne
par Lucchesini, parvenaient a la connaissance du
cabinet de Derlill, et Be contribuaient pas pell ~l
régler sa politiqueo


L'accneil que MacE: re<;,ut a Rruxelles était au-
ll'cfóis rés~rvé anx plus grandes capitaines, tant
on croyaít toncher, par son retonr, a une diree-
tion plus habile dans les opél'ations d'une guerl't'
inql1iétallte. L'arehiduc Charles voulut lui don-
He!' un appartement dans son palais meme.
Mack, adroitemcllt plus modeste, alla se loger
á l'hotel Bellcvne. Partout il faisait sensation :
au Pare, ~t la eomédie, OH le saluait par des
bracJos, des applaudissemcns unanimes, des
cris l't!pétés de vir'tJ JItad! vive l'empereul'! On




3IÉlUOIRES


voyait en lui l'ame de l'armée alltrichicnnc. Ce
qlli transpirait de ses plans dans les lettres de
Vienne et du Rhin donnait a entendre que la
grande armée alliée dans le Brabant serait portée
a deux eent mille hommos, et que les troupcs de
Prusse, eelles d'Empire, et les paysans armés,
garderaient les éleetorats. Le prineo de Cobonrg
entra aussitot en eonférenee a Bruxelles avee le
duc d'York, le prinee héréditaire d'Orangc, l'ar-
ehiduc, le général Clairfayt, et quelques mItres
généraux: on discuta le nonvean plan de eam-
pague pon!' en délcrminel' Jes moyens, et en
eoneerter l'exéeution. MM. de Merey et de 1\1et-
terníeh assisterent a ces différens conseils, qui
dnrerent quatre jours consécutifs, et a la suite
desquels Maek partit pour Londres, préeédé par
le due el'Y ork. n n'y resta que deux fois vingt-
qnatre henres, ayant mis presque le meme temps
a faire la traversée d'Ostenele a Douvres, dans un
paquebot es corté par denx frégates.


Présenté le 14 f('vrier au roí et a la reine
d' Angleterre, il dina le meme jour ehez M. Pitt
avee la plupart des ministres, avec le prince
de Galles, le duc d'York, lord MOlra et le mar-
qui ele Cúrnwalis, récemment arrivé de son gou-
vernemcnt" de nndc. Pendant le reste de la soi-
rée, il Y cut en qnelque sorte, chez le premier
ministre, un comité de salut puhlic de !'Europe.




n'CN IIOllIllrE n'JhAT.


La conférellce roula principalement sur les
pIan s de l\fack. On savait que, des sa premiere
campagne en Flandre, il n'avait cherché dans la
gucrre cIne le::; mayens de renvcrser la CQnven-
tion, et qu'il penchait par canspquent pour une
gucrrc hardie et prompte qu i pUf frapper la con-
ventioIl de terrcur. L'cxpéricnce lui avait dé-
mantré depuis qu'il n'y aurait de but et de terme
a la guerre qu'cn marchant droit a Paris. C'était
donc une campagne pllrement contre-révolu-
tionnaire qu'il proposait, et telle qu'clle lui avait
été inspirée par ses rapports avec Dumouriez,
l'anuéc précé<1eute. Ses idées a cet égard étant
arretées, ii y avait coordonné son plan de cam-
pagm~, dont le fon<1 consistait a prendre Lan-
drecies an centre de la ligne fraIH,:aise de défense,
et a' marcher cnsuite flirectement par Guise et
Laan sur Paris. Ponr assurer le flanc droit de
l'armée dan s ce grand mouvement d'invasion, il
propasait d'iuonder la Flanclre maritime, par
Iaquelle les FraIH,:ais ponvaient essayer de tourner
la. masse (\es forces assail\antes. 1\ destinuit ralle
gauche a restel' en observation vers Maubeuge,
Philippevillc et Givet, pour couvrir la Meuse,
oú iI était d'avis d'appeler les Prussiens, en les
dirigeant par Treves. Enfin il proposait, comme
divcrsion utile et forte, de joindre un corps
d'élite autrichiell a dúllZC mille Anglaís {)u




380 ;u.ÉllrOIRES
Hcssois aux or<1res de lord M01ra, pour' etre
débarqués dans la Vendé e , y raUier les roya·
listes, et marcher aussi, oe concert avec eux, sur
Paris:


Ce plan harcli ne parut pas absolument ím-
pratica.ble aux hommes d'état <l'Angleterre. En
cffet, il n'était guerc possible de mieux conce-
voír et de tracer sur une plus grande échellc
un projet oc contre-révolution par la force des
armes. l'dais il péchait par deux conditions es-
scntielles. ])'abord la coalition n'avait pas alors
un seul général en chef capable, moralement,
d' en assurer l' exécntion. Oil (~tait le granel homme
qui eút pu exercer la dictatnre militaire de I'Eu-
rope monarchique? Nulle part : l'anarchie ré-
gnait plutot clans les cabinets. En second lien,
Mack avait mal saisi le moment; il n'était plus
temps en 1794 d'essayer franchement l'invasion
de la France. Pitt l'avait dit a la chambre des
communes : la convelltion opposait aux forces
de la coalition une nation armée. Or Maek s'y
prenait un an trap tard, ce qui inspira a Riva-
rol, bel esprit célebre, alors á Bruxelles, ce jeu
de mot si vrai et si piquant : « Les coalisés sont
» tonjours en retard d'une idée, d'une année et
» d'une armée: })


Le plan de Mack péehait done par sa base:
011 le pressentit a Londres, ct il fut convenu,




D'UN HOlU1HE D'ÉTAT. 381
comme iI al'l'ive presqlle toujours clans les déli-
bératiolls graves oú iI est si difficile de s'entendre,
qu'on le modifierait selon les circonstallces. Mais
OH parut bien décidé a pousser la guerre ave e la
plllS grande vigueur.


De retour a Druxelles dans le courant de fé-
vrier, Mack s'élait mis aussitot a parcourir toute
la frontiere depuis Nieuport jusqn'aux Ardennes.
Il fit cette inspection avec soin, recueillant une
multitude de rapports d'apres IesqueIs il paraís-
sait constant que le comité de salut public oppo-
sait aux alliés sur la frontiere helgique plus de
deux cent mille soldats 1, la plllpart aguerris par
une on deux campagnes, par l'habitude des tra-
vaux et de la vie des camps, commandés d'ail-
leurs par des chefs sortis de leur rang avec le
génie de la guerre, et qui, servant un pouvoir
inexorable, se trouvaient ainsi plaeés entre la
vietoirc et la mort. S'exagérant les forces de la


v


convention, Mack fut effrayé de la faiblesse rela-
tive de l'armée alliée, comparée au complet im-
mense de l'armée répu1Jlicaine. On lui avait pro-
mis a Vienne dcux ccnt mille hommes, et á peine
la grande armée, y compris les contingens an-
glais, hollandais, hessois et hanovriens, s'éIevaít-
elle a cent cinquantc mille combattans effectifs.


, Ces infol'lllatiollS étnient cxagérées, Les forces francaisrs en liguc
ne clél,assail pas, COlDllle 011 le verra, 15í millc hOlDllles.




l\IÉl\IQIRES


Tel étaÍt le systcme de parcimonie du conseil an-
lique, que dans eette gnerre sociale, dan s eette
campagne qui devait elre si décisive, l' Autriche
ne pouvait pas mettre en ligne, répartis sur tous
les points ou elle voulait combattre, plus de eent
cinquante mille hommes. Mack, en apportant au
prinee de Cobourg le résultat de ses informations,
lui fit sentir qu'il devenait indispensabla ponr as-
surer l'exéeution du plan de campagne d'engager
le maréchal Medlendorf a porter einquante mille
Prussiens sur Trcves, afin de eouvrir la Mcuse
de eoneert avec les corps au trichiens établis dims
le Luxembourg. Le prince généralíssime signa
la leUre que J\1aek écrivit dans ce sen s a Mwl-
lendorf. Lorsque le duc de Brunswick déposa le
eommandement dans les mains de ce maréchal,
le gros de l'armée prnssienlle avait ses quarticrs
de cantonncmens sur les dellx bords de la Selz,
entre Oppenheim et Mayence : le maréchal s'é-
tait borné depuis a éteIlllre ses quartiers, bien
décidés a ne faire aucun mouvement offensif
sans un ordre spécial de sa cour. La lettre dn
prince de Cobourg ne le lit pas changer d'avis:
il y répondit le 14 mars ( qu'il ignorait la part
» que son gouvernement pouvait avoir prise au
» plan de campagne dont 011 lui donnait commu·
») nication; que le plan renfermait de honnes
» vues, et eút pu s'cxécuter; mais qnc dans l'état




383
» actuel des affaires il elltralnait beaucoup d'in-
» eonvéniens; enfin il ajoutait qu'il ne marehe-
») rait pas sur Treves pour ne pas compromettre
» Mayenee. »


eette lettre ayant été éerite au momcnt mcme
ou le roi de Prusse al1ait donner l'ordre a ses
troupes de se retirer, '1 reste a retracer ici les
circonstances qui amenercnt le roi a prendre
un parti qui fit dans le temps l'étonnement de
l'Europe.


Le zele de la Prusse ne répondait nullement á
l'ardeur que montrait l'Autriche pour la pour-
suite de la guerreo La lassitude et le décourage-
ment du eabinet de Berlin étaient au comble. Les
négociations que Frécléric·Guillaume venalt d'en-
tamer avec la conr de Vienne ponr etre indem-
nisé des frais de la guerre n'étaient pas encore
terminées. Il s' était teuu a ce sujet des conférences
C'ntrc Lucchesini et les mcmbres da cabinet im-
périal. On y calcula les sommes qui seraient né-
cessaires pour l'entretien des troupes prussien-
nes, et l'empel'ellr consentit a en supporter la
plus grande part, a condition que les autres
membres du corps germanique se chargeraient
du reste. Les deux cours firent aussitot des dé-
marches pour engager l'Empire a contribuer ef-
ficaccment a sa proprc défense, et á ll'en pas
laisser tont le fardcau aux deux puissances, dont




384 JlIlbrolItES
les armées combattaient ponr les intérets com-
muns, appuyés seulement d'un petit nombre de
lcurs co-états, tds que l'électeur de Saxe, le
landgrave de lIesse-Cassel et celui de Hesse-
Darmstá.dt.


Les agens prussiens ayant adressó aux mi-
nistres électoraux et a plusicurs princes de
l'Empire des notes en cOllséquence, la com'
d'Antriche dé clara de son coté « que, vu la né-
» cessité oú se trouvaicllt dalls ce momcnt les
» troupes prussiennes d'un prompt approvision-
» nement, et pou!' donncr une nOllvelle preüve
» de l'égard ami cal qll'elle avait pOli!' le roí de
» Prusse, elle consentait a ce que les états lui ac-
» conlassent la préfércnce. »


La cour de Vienne, avcrtic par les exigences
de la Prusse, et par la tiédeur qu'apporl:ait celte
puissallce clans la lutte, n'avait pas hésité de
provoquer l'armcment général de l'Empirc, con-
fOl'mément an plan de campagne qui avait rc(;u
l'approbation de l'empercul'. Le ducde.Wurtem-
herg dOllna l'implllsioll, ct le chef de l'Empil'c,
luí témoignant, par un décret, sa satisi;lction
particulÍ<~re, exhorta les autres états a l'imiter.


Aussitot le minislrc directorial de Mayellce
porta a la llictature H11 décret de commission im-
p{~riale proprc it excite!' les états gerrnaniques a
l'al'll1cment général (1 contrc uu clluellli, disait-il,




n'Ii~'i H03[JlIE DYrAT. 385
) qui, Jans une tl'oisiemc campagllc, pf'ut réllssir
)) a Jésolcl' de nouv('all la partie ele l'Allemagne
)) voisine de ses frontieres, si I'Empire ne ré-
)) prime vigonreusement ses efforts.)) Le ministre
directorial, apres s't~tre élevé contl'c ce qu'il ap-
pelait le soi-disant pouvoir réfJolutionnaire uni-
versel, en vCllait á caractériser les procédés de
la convention nationale. l( Ses dócrets tyranni-
) qnes ponr la levée en masse, disait-il, lui out
)) procuré une supériorité de forces, qui, avec
» une maniere tout-~t-fait nouvelle de gllerroyer,
» augmente les dangers el: les inconvéniens d'nne
) guerre OnéI'CllSC, et reml indispensable l'ar-
» melUcnt général de ton s les habitans de la fron-
)) tiác, it l' cxemplc de ce qui a été fait clans l' Au-
)) triche-AntéricUI'e, el: particuliercmcnt dans le
)) Brisgaw. ))


D'apres ces motifs, le chef de l'Empire récla-
mait de ses co·états l'armt'ment générul des habi-
tan s de la frontierc germaniqne. Le cerde de
Souahe rópondit le prcmi('I' a l'appel de l'empe-
reur. L'assemLlée de ses commissaires, tenue ;\
Ulm, expétlia á se& co-états une patente en verta
de laquelle tous ses contingens devaient etre ren-
dus complets ponr le le" mars, et les troupes ré-
gulieres du cerde augmcntécs de quatre mille
hommes. Mais ce renfort n'étant pas encore re-
gardé comme suffisallt dans le cas oú l'cnncrni


,...


n. 2:J




386 :mhIO IRIS
ferait une tentative sériellse pour pénétrcr en
Souabe, l'assemblée résolut, d'aprcs le lOllable
exemple de quelques états de l'Empire, non-seu-
lement de mettre sur pied, dans le cerele meme,
une milice provinciale, mais d'adresscr a tous les
habitans et sujets du cerele un appel général aux
armes.


De son cOté, l'empereur fit notificr officiclle-
roent a la diete que s'6tant décidé a rassemblcl'
sallS délai pour la campagne de ceUe année
une armée de l'Empire pl'oprement dite, il en
avait confié le commandcl1lent au duc ;\1bert de
Saxe-Teschen, ajoutant qu'i! poursuivrait, maJ-
gré toutes les difficultés, le pl'ojet de faire agit'
le corps germanique par llli-meme et ponl' S:l
propre défense.


Cette directioll d011née aux affaires occupa
singulierement la COUl' de Pl'usse : on tint a ce
sujet plusieurs conférences tant a Potsdam qu'a
Berlin. Tout le ministere se déclara COlltre la
mesure de la levée en masse : elle paraissait
tendre non-seulement á faire avorter les de-
mandes qu'on venait d'adresser a I'Empire,
mais encore a mettre 1'armement des co-états a
la disposition de l' Autriehe. Il en résultait uu
autre inconvénient pour les nombreux partisans
d'une pacifieation avee la Franee : c'était d'éloi-
gncr la paix en dOl1uant une nouvellc activité á




l)'U"l" rrO::lIl\IE D'ÉTAT.


la guerreo Saus tous les points de vue les intérets
de la Prusse paraissaient lésés.


On décida que tout serait mis en amvre par
(les négoeiations partielles avec les prillces les
les plus influens, pOllr faire aUlluler ou avorter
la mesure de l'armcmellt général.On devait aussi,
par les mcmes voies, s' efforcer de faire prévaloir
la proposition de l'entretien des troupes prus-
siennes aux frais de l'Empire.


eette n6goeiation délieate fut confiée a Hal'-
denlwrg, ministre dirigcant (es pl'ovinces pl'LlS-
siennes de Fl'anconie. n les admiuistrait avec un
t('] éc1al, qll'il avait conqllis pour ainsi clire les
suffrages et la confiance du monarque prussien.
C'était d'abord allpres de l'électeur de Mayence
eomme archiehancelier de l'Empire qu'il devait
ouvrir la négociation, eette cour lui étant parfai-
tement connne. Ilardenbel'g arriva le 14 février
a Mayenee, aeeompagné du ministre de la guerre
eomte de Schulenbourg, chargé de régler le mode
d'apres lequcl les différens membres du corps
germani(¡ue contribucraient a i'entretien des ar-
mées prussicnncs da Rhin. Il se rendit immédia-
tement a Aschaffenhonrg, OU résidait l'électeur
~ll'chiehancelier, qu'il trouva réservé et défiant
vis·a-vis Ju cabinet prussien, et enelin d'ailleurs
pon!' la mesure Je la levée en masse; mais la
lcttrc royal e dOllt lIaldenberg était porteur, et




388 ~JúromEs
011 le roi de Prusse indiquait llli-mcme it l'archi-
chancelier les inconvéllieus de ceHe mesure, ra-
menerent le prince en luí ínspirant plus de con-
flance dans les communications du négociateur.
La leUre du roí 1 était cOIH;ue en ces termes ;


( L'urgence extraordinaire des circonstances
)' actnelles me porte a t'cri re ectte !ettre a Y. A.,
)) dan s la pleine assurance Ol! je suis qn'elle COIl-
)) nait parfaitement la situation de l'AIlemagnc
» notre patrie. La crise dangereuse oú ce pays se
» tronve jeté par une guerre sans exemple avec
» un enllemi formidable, furieux et dévastatcur,
» quí menace déja les six cm'eles antérienrs de
» se déborder sur leur territoirc puur mcltl'C
» tout a feu et a sang; une pareille crise est
) trop connue de V. A., elle est trup manifeste
» ponr qu'elle ne juge pas de la nécessité la plus
J) indispensable de concourir a vec moi, et tOll t
J) co - état allim(~ d'un úle patriotique, aux me-
» sures les plus proprcs á óloigncr le danger.


» Parmí toutes les mesures que l'Empire peut
:» employer pour attcindre ce but, il n'en est
,» aLlcune quí paraisse plus insuf1.is:mtc et plus
)} ineffieace cOlltre nos cllllcmis, dunt le nom-
» bre ne diminlle jamais, qni oppose au combat
» un fanatisme furicux, les rcssonrccs de la tac-
}) tique et une artillcl'ie nomhrcu:>e : rÍell ll'est


1 Datéc de f,cr¡in.le JI jauviel' 179 ¡,




, " lJ EN rfO~ri\n: D .ETAT. 389
») plus insuffisaut, dis-je, que la levée en masse,
» et 1'armement da penple déja proposé a diffé-
) rentes fois. CeUc mesure, déja si dangereuse,
» et singnlierement délicate par elle-meme, est
» encore en cela seul d'autant moins admissible,
» qu'elle ne pent s'accorder en aucune maniere
) ayec la défcnse de l'Empire par mes tronp'es,
» et qu'eIle anrait et devrait avoir immanqua-
» blement pour suite leur l'etraite.


)J Comme il m'est impossible, des ce moment,
») de continuer de mes propres moyens une
» guerre aussi doignée des frontieres de mes
» états, et gui entraine des frais si considéra-
J) bIes, jo me suis déjá onvel't franchement, il
») y a quel(ptes mois, allX principales puissances
») (lui prenueut part a cette gncrre; et j'ai cn-
» tamé avec elles sur cet objet des nt~gociations
» gui, jllsqu'á présellt, n'ont pu etl'c encore te1'-
» mÍnées. C'est pOllrqnoi jo me tl'OUYC mainte-
» lIaut {eJrcé de dcmamler qlle l'Empire, au cas
» que mon armt~e doivc lui assurel' ultérieure-
»ment protection ct dóli:mse, se charge san s
» délai de SOll approvisionnernent. A la vérité,
» les ouvertnrcs lléccssaires a ce sujet vienncllt
» d' elre faites a la Jit~tü; mais que V. A. considere
» qu'il est impossiblc d'attcndre sa décision et
» l' exéclltion de ses dócrets. AillSi, la scnle chose
» <luí ro:;te ú faite, c'cst que fes six cerck~s anté-




39° 21IlhIOIRES
» rieurs qni ont le plus besoín de défense, en al:-
» tendant la cOllclusion de la diete, s' occupellt
» incontinent de l'approvisionnementprovisoire,
» s'assembIentel: se réuniscent a cet efIet le plus
» promptemenl: possible.


») Je prie en conséquellee V. A. de la maniere
» la'plus amicale et la plus pressallte, et pour le
» bien de l' Allemagne notre patrie, qu' en v(' rtu
» de sa qualitó d'archi-chancclier et de directeul'
» du cerele du Haut-Rhill, elle veuille convoqucl'
» incessamment les six cereles alltérienrs. Commc
» il n'y a que les amhassadcurs plénipotcntiaircs
:D de ces cereles qui soient appelés á U1W pal'eille
» assembIée, leur prompte réunion ne pn~selltera
» aucune difficulté.


» Cet approvisionnemcllt provisoire dont les
» six cereles antérieurs sn chargerollt , lenr con-
» vocation et rénnioll la plus prompte S011t les
» seuls moyens de SallVCI' l'Allemagnc daus eetl(~
» grande erise. Sans l'approyisioIlllcmcnt des
» cereles iI ne m'est p;:¡s possible de faire com-
») hattre plus long - temps mes tl'oupes contrc
» r ennemi. Je ne manqllerais pas, (plOique avec
» regret, de les faire rentrer dans mes états ponr
» leur propre défense, pt d' abandollner l'Empire
)) a lui·meme et" a son sort.


»C'est done entre les mains de V. A. que jo
» mets le salut de l'Empire ; et pIe in de confiancc




, . " DeN rrOllIllfE D:ETAT. 391
)) en sa sagessc et S011 patTiotismc, je m'attends
») qu'clle emploiera les moyens que lui donllent
)) les lois, de maniere que les vues dirigées vers
)) le bieJl de la patrie soient remplies, et que,
j) par l'approvisionllemcllt de mes troupes, je sois
J) lUis en ótat cl'assurel' lllt{~riellrcmcnt il l'Empire
) en dangel' la d{{cllse el la pl'otedion la plus
») eHicacc.


») Dans cctte attente jc sUls, etc.
») Signé FnúrÉfuc-GUILLAUlIIE. »)


Hardenbcrg cllgagca alls~¡tM de la maniere la
plus pl'eSsallte l'al'clüclwncelier a faire a la diete
la propositiOll formellc de l'cntretieu des troupes
pru SSiClll1 es.


D'un autrc coté, les autres ministres du roi
en Allemagne désapproLlvórent hautement et en
son nom la mesure de la levée en masse; ils fi-
rcut sentir nOll-seulement l'inutiIité de pareilles
troupes, et le dangers de tels rassemblemens ar-
més, mais en outre celui de la disette de vivres
qui en résultel'ait pour les armées régulieres. Le
comte de Soclern en exposa les incouvéniens
dans une déclaration qu'il adressa aux six cer-
eles qui y étaient intéressés; et 1\1. de Dohm fit
une déclaratiol1 a peu pres semblable, sous la
d:lte de Colo~nc , le ] 2 février, au cercle du Bas-
lUún ct de Westphalic, auprcs duquel il était




]\IÓlWIRES


accrédité. ( S. M. , Y disait-il, si l'on ne faít pas
» dmit a sa demande, se verra forcée de retirer
» sous quelques semaines ses troupes des frou-
» tieres de l'empire d'Allemagne qll'elle a jusqu'á
» ce moment si bien proti>gécs et défendues. »)


Mais la négociatioll la plus importante était
ceHe qu'avait ('ntaméc Hardenberg rtllpres de
l'électenr arclü-chancelier. II Y réussissait, lors-
qu'un incident viIlt eutraver sa négociation, et
porter á la moralüé de la Prnsse le plus grand
préjudice. Soit (Fl'On cherch~it dan s le cabinet de
Berlin á entre1' en llégociation ave e le comité de
salut puLlic, soit que le comité lui-meme, pro-
titant des circonstances particulieres oú se trou-
vait la Pru5se, saislt l' occasion de faire Hne tenta-
tive pour la détacher de la coalition, voici ce qui
arl'Íva au moment meme ou Hardcnberg entrait
en pourparlcr avec l'élccteur de Mayellce. Trois
commissairC's dn comité de salut public, nommés
Ochet, Paris et Fitterlllanll, firent IClIr entrée a
Mayence le 16 février son5 une escorte de troupes
prnssiennes, comme étant chal'gés de l'échange
des prisonl1iers de gllerrc, et d'apurel' la compta-
bilité de la garnison franC,'aisc <]ui avait défendu
cette ville pendant le sit'ge. A leur arrivée, le ma-
rpchal Mrellendol'ff lem ftt annonccr que c'était
avec le général Kalkreuth qu'ils devaient traiter,
ce génóral a yanl cOllclu llli-nl(~me la capitulation.




, " D UN JIOl\DIE 1) ETAT. 393
Sur eette déclaration, deux d'entre et~x se déci-
dcrent á aller s'aboncher avec Kalkreuth, que
ses blcssures retenaient encore a Francfort. Ils
se mirent en route clan s un beau carrosse ou
fIottait le elr" pean tricolore, et qni avait appar-
tenu aux écuries royales de Versailles : le bonnet
rouge en peínture y remplaQait sur les quatre
panneaux l' écusson de France. La les envoyés du
comité de salut public, escortés d'nn dé tache-
ment de cavaleríe prussienne, étalerent ton te
leur repr<'~sentation diplomatiqne. Leur appari-
tion a Francfort causa dll tro'.lble : le peuple,
excité par un agent de la Russíe, affecta de re-
garder le drapeau et le bonnet rouge dont íls
avaient décoré lenr voiture comme une bravade,
une insulte au bon sens germanique. On se se-
rait meme jeté sur cux si le général Kal1~reuth
n'était pas intervenu. Il apaisa la multitude at-
troupée, et procura meme satisfaction aux C0111-
missaires (IU'il re0ut avec ton s les honnenrs qn' on
est dalls l'llsage dc rendre a un caractere publico
Deuxsentinelles furent placées a leurporte. Non-
seulC111cnt Kalkl'cuth traita avec beaucoup d'é-
gards les agcns fran<;ais, mais illes admit nH~me
a sa tableo Ayant commencé lenrs confércnces
avec le général prussien, le bruit se répandit
anssÜot gélléralement qu'elles n'avaient pas seu-
lement pou!' objet un échange de prisonniers




394 lIr:ÉlIIOIRES
de guerre ~ en effet, les commissaircs úrenl á la
Prusse des ouvertures dont 011 garda soigllcuse-
ment le secreto


Leur arrivée seule avait fait jugcr qu'il s'opé-
rerait bientot un changcmellt dans la position
générale des affaires relativcment a la France. La
probaLilité qa' on en entrevit devillt plus grande
par lcm sójour prolongé á Francfort, par les
égards dont ils continucrent d't;tre l' oLjet, par
]e ton pacifique quc rcspiraicnt depuis pen tons
les agens de la conr de Berlin, ainsi que ton s les
écrivains politiques qui en dépendaient ou qni
étaient sons son influence. Aux suppositions ha-
sardées, aux conjectures vagues, succéderent
des rumeurs inquiétantes pour différens princes
de la confédération germaniquc. Le bruit somd
d'une prochaine sécularisation des évechés de
\Vurtzbourg et de RamLerg vint a s'accl'éditcr á
Francfort; on parla meme de Mayence, Spire et
\Vorms. On prétcndait que les deux premicrs
évechés étaient destillés á accroltre les domaines
prussiens dans la Franconic. Enfin on fillit par
assurer qne le roí demanderait, á titre d'indem-
nité ponr les frais de ]a guerre pendant deux
ans, non-scnlement ]a séclllarisation des états cc-
clésiastiques, mais encore la cession de ccrtaines
yilles impériales. 11 n'était pus facilo d'effacer de
tdlcs imprcssions. HardenLerg employa, pour




n'GN IIOM2IIE n'.ÉTAT. 395
rassurerTélecteur rle Maycnce, le langage d'nne
politique fmnche et ouverte, qu'il fit valoir ayec
l'acccnt de la persuasion. clans des communica-
tions confidentielles. Ce fut d'apres le contellu
de ses dé peches qlle le roi chargea ses ministres
aupres des cercles de désavouer les bruits ré-
pandlls clans le cmnr de l' Allemagne sur ses vues
ultériell res. Son ministre á Francfort les démentit
de la maniere la plus formelle clans une déclara-
tiOll adressée a l' assemblée des cercIes, et por-
tant en substance, « qne S. ;'11. pl'ussienne ayait
» appris avec dt'~plaisir le bruit si gén(~ralement
)) semé, comme sí S. M. avaít dessein de se remIre
)J maltre de divers pa)s de l'Empire; qu'elle dé-
» clarait expressément n'en avoir jamais eu l'in-
») tention, ni en général de porter la moindrc
JI aUeinte allX clroi ts des états germaniques, COll-
,) fédération Jont les líen,; lni seraient toujours
)) sacrés; mais fIue S. ¡VI. s'attcmlait en revanche
») que l'Empire ferait tous ses efforts ponr l'in-
» demniser des frais qu'elle avait faits et faisait
») encore pour défellfl!'c l'AlIcmagne contre un
») ennemi dangcreux ... »


Déja, sur les lllstances de HarJenberg, l' élec-
tenr de Mayence avait convoqué panr le ler mars
les six cercIes antérienrs les plus exposés a l'in-
"asían, tds que ceux de Bavicrc, de Souabe, de
Franconíe, du Haut.Rhin, du llhín élcctoral ct




396 :!'IÉluomÉs
du Bas-Rhin, a l' effet de statllel' sur les demandes
du roí. Hardenberg réussit également a porter
l'électeur a faire a la diete la proposition for-
melle d'y adhérer. Mais il cut bientot connais-
sanee de l'opposition formelle de qnelques-uns
des membres de la confédération, a la convo-
cation de six cerdes que venait de faire l'élee-
teur archi-chancelier. Voulant presser lui-meme
la décision pres le cerde da Haut-Rhin et sa
négociation étant terminée a AschaffenLourg,
il se rendit á Cassel dans l'espoir de por ter le
landgrave de Hesse a consentir a la mesure si
fort désirée par le roí son maltre, et a dé/er-
miner par son exemple les autres memLres de
la confédération a y aecéder. T,e roi lui-memo
s'était exprimé asscz clairement dans l'ouverture
qu'il avait faite a ce sujet aux états de l'Empire.
Hardellherg tint á peu pres le méme langagc
au landgrave: il luí observa ( que le roi, quoi-
)l que toujours (lisposé a contribncr a la défcnse
) de l'Empire, ne pouvaít voir sans inquié-
)) tude que l'écoulement continuel da numéraire
)) appauvrissait ses états; que ses moyens nclui
» permcttant plus de supporter d'aussi fortes d{~­
)) penses, il avait invité les síx cCl-eles les plus
» exposés a enti'etenir provisoirement son armée
)) jusqll'a ce qn'oll eut pl'is a Ratisbollnc une dé-
)) cision convenablc a cct éganl, et qu'il serait




J)'UN JIOJlIlIfF. n'J~l'AT.
)) forcé, en cas de refus, de l'appelel' dn Rhin la
)) plus grande partie de son armée. ))


Mais la pluralité des princes et états qlli eom-
posaientles cercles antéricurs préférant employer
leurs propres troupes a en entretenir d'alltres
qui ne seraient pas a leur dispositíon, refuserellt
de prendre sur enx la nOllvelie chargc que vou-
bit leut' imposer la ·Prusse. lis répliqllel'Cnt au
roi, « qu'il était difficilc de décider si la France
» avait mis plüs d'empressemcnt a [aire la guerre
)) a r Allcmagne que la Prusse á la Franee; qu'en
)) prenant les armes, le roi n'ayallt suivi que
») son propremouvelnent, pouvaitd'autantmoins
) prétendre que d'autres se chargeassentde l'en-
») tretien de son armée, que ses troupes n'avaient
») point garanti les pays limitrophes des tentatives
)) de l'clInemi, et que d'ailleurs ils ét:üent telle-
» ment épuisés par suitc de 1'oeeupation de leur
lJ territoire, qu'ils avaient eux-memes besoill
» d'assistance; qu' en gélléral, si l' OIl voulait exa-
») miner a qlloi aboutissaicnt les alliances des
») puiss:mces et compulser l'histoire des pellples,
») on verrait qne le protégé finissait toujours par
)1 devenir la proie du pro'tecteur; que ces actes
» d'injllstices commen<;aient par de légers em-
») pietemens, et se terminaient par la ruine du
)) plus faible; qu'enfin, tout bien eonsidéré, le
)) ll10ycll qui dans lcs conjonctlll'CS actllelles pa-




398 :mil1IOIRES
» raissait le plus honorable et peut-etre le moins
» dispendieux, serait de suivl'e l'exemple de la
» Franee en fai5ant une levée en masse, et !ais-
» sant a chacun le soin d'armer les siens.»


Le roi, que cet esprit d' opposition affectait,
répondit aVec humeu!' par sa déclaration donnée
vcrs la mi-mars : la se plaignant dul'cfus des cer-
eles, et considérant l'arrnernent des paysans
comme une mesure dangereuse et impolitique,
il annon<::ait qne, ne voulaut pas forcer I'Empire
ú aeeepter le seCOllrs de ses troupes, il avait
donné l'ordre á son armée de rentrer dans ses
foyers, á l'exeeption d'un eorps auxiliairc qn'il
devait fournir en ,"ertu des traités. Le roi pre-
scrivit en conséquence au maréchal Mrellendorff
de faire marcher l'armée prussienne surCologne,
oú devait etre établi provisoirement le quartier-
général; il ajouta qu'étant décidé a ne plus faire
agir dan s la guerre présente que 5011 contingeut
d'Empil'e, qui devait s'élevel' aH plus a vingt
mille hommes, il le pla<::ait sous les ordres dn
général Kalkreuth.


A vant meme de faire cOllualtl'e sa détermi-
nation a ses généraux, le roi en avait instruit le
prince de Cobourg par une lettre autographe,
sous la date du -1 1 marso Elle annont;ait en meme
temps au prince que ee ne serait qnc par divi-
sions, ct successivemcnt, que les troupes prus-




n'GN IIO~DrE n'.ÉTAT. 399
siennes se retireraient, afin qu'Oll pút prendre
les arrangemcns llécessaires pour la súreté des
pays alIcmands restés sans défense.


Vn courrier, cxpédié en toute hate a J\I. d'Ei-
11 off , envoyé de Prusse a Bruxelles, lui remit
la dépeche royale destillée au prince de Co-
bourg.l\1. d'Einoff l'ayant re<.;ue le 18 mars, partít
immédíatcment pour Valenciennes, et présenta
la dépcche an prince généralissime, qui a l'in-
stant meme convoqua un grand conseil a Ath. La
se réunirent, avcc le princc ct le major-général
]\lac1., l'archiduc Charles, le dnc d'York, lord
EIgin et le camte de :'\Ictternich. On y décida que
l'al'chicluc partirait incontinent pour Vienne et
lord Elgin ponr Londres, a feffet de porter les
deux cahincts á aviser saIlS délai aux moyens de
réparcr le vide immense que la 1'etraitc de l'a1'-
mée p1'ussienne alIait laisse1' dans les forces dc
la coaIition. Les ueux hants pcrsolluages s'étant
mis en routc, l'ordre fut donné an n1t~me mo-
ment pour qu'unc division antrichienne de 1'ar-
mée du Rhin v1nt remplacer les Prussiens clan s
la défeusc de Cohlentz et de l'électorat de Trevcs.
Déjil., ponr plus ele súreté, on avait transporté
de Búnn, en W cstphalie, les archives électo-
rales.


La déclaration par laquelle le roí de Prusse
annol1<;,ait a l'Empire la l'ésolution de retirer




!~oo émblOIIIES
son armée, et l'ordrc qui suivit presque imm~­
diatement de la mettre en marche, causerent en
Allcmagne la plus vive sensation, d'antant plus


I
quc depuis deux ans on était persuadé que les
engagcmens contractés par la convention de Pil-
nitz formaient la hase de l'intervention de ce
monarque dans la gnerre contre la France. Des
lors le nceud de la coalition pamt rompu ou á la
veille de l' etre.


Stimulé par les négociations et par les instances
d'IJardenherg, l'électeur de Mayence se montra
infatigable daus ses efIorts, pour procurer au
roi de Prusse une satisfaction capablc de le dé-
tourner de son dessein inattendu. L'électeur
engagea de nonveau les princes et les états
germaniques á des sentimens plus favorables
aux demandes du mi. Il en fit l'objet d'un
rescrit a la diete 1, par lequel (( iI .proposait a
») l'Empirc d'entrer cn négociation avec S. M.
» prussienne, a l'effet de l'engagel' au moyen du
» paiemcnt d'un subside a révoquer 1'0l"d1'e déj1t
» donné a la plus grande partie de son a1'mée de
» rent1'er dans ses états, et ;\ prendre ce corps
» prussien a la solde de l'Empiee. » eette pro po-
sition parut d'abord plus acceptable que ccHes
qui avaient été faites précédemment, et on con-
vint d'ell informer au plus tut les cours l'espec-
.. ' Pl'ésen~é le ~o mars par !e ~jni~!re éJectoml.




D'r:N HO~I~rE n'.ÉTAT. 401
I~e maréchal Mrellendorf, de son coté, sus-


pClldit pl'ovisoire~nent la marche des troupes.
On présuma des-Iors que, pal' suite des arran-
gemens auxqucls l'empercur aurait consentí,
1'armée contilluerait de s'cmployer a la défense
conllnune de l'Empire. En c[fct dans les premier::;
jours d'ayri! un courrier apporta de Berlín, a
l'armee et an maréchal, l'ordre de s'arreter. On
Cl'llt ceUe fois que c'était pour donner aux cer-
eles de l'Empire le temps de satisfaire aux de-
mandes du roi, sur lcsquellcs le ministre d'él:at,
de HardeuLcrg, u\'ait repris les négociatiolls in-
t~rrompues.


l;-nc autre cause plus dé terminante ramellait
les forces prussiennes sur le champ de bataille.
Le cabinet de Londres, cffrayé de la mena ce
dn roí d'abandoIlucr rEmpirc a ses propres
forces, avait jugé que la Delgique et la IIollal1l1e
seraient des 10rs O'raycmcnt compromises eL b ,
il s'6tait eufiu décidé, de concert ayec le stat-
houder, ~l offrir :m roi rappat d'un traité de
suLsidcs. La llollanck, OH p1utot le stathouder
et son partí, nc purent son gel' sans crainte au
sort futur qui les attendait, si la fortune con ti-
nuait a favoriser les armes frauc;aises. De son coté
l'Angleterre, victoricusc sur tontcs les 111crs, et
dans les deux lndes, sut apprecicr, a sa juste va-
lenr, l'immcnsc avantage que lui prücurait la


D. 26




lInhmIRES


souverainté maritime et un commercc exclusif:
l'une voulait éviter sa ruine; l'autre consolider sa
prospérité. Alimenter la guerre contre la France
devint pour toutes les deux une nécessité poli-
tique. Prévoyant les conséquences de la défection
de la Prusse, les deux puissances maritimes ne
halancerent pas a faire reflner sur le continent
une partie de rOl' qu'elles en retiraient sans cesse
par leur commerce, et toutes dCl1x fircnt au roi
des ouvertures ponr l'cngagcdl agir COllm~ auxi-
liaire. Des que lord Malmesbury se fnt assUl.: 'Iu
consentemcnt du roi, il rc\'ut de Londres, a la
sllite de divers conseils, les bases d'une négocia-
tíon conformes aux vues de sa cour.


Le roi s'empressa oc faire déclarer, le 7 avril,
;t la diete, qu' en considération des représentations
(IU i lui a vaient été adressées , et claBs l' cspérance
que les négociations enlamées ayec l'Angleterrc
auraient 1'effet désiré, il avait donné provisoire-
ment l'ordre de laissel' son armée clans les posí-
tions actuelles.


Son ministre aupres da cel'ele du Ilant-Rhin,
ayant remis une note semblablc, n'cn i11sista pas
moins itérativement pom le paiement des frais
du siége de J'vIayence.


Cependant IIaüg'sitz, s'emparant de la négo-
ciation, entra en pourparlers a Potsdam ayec
Malmcsbury; et tous deux résolurent de se reIl-




D'UN HOl\Il\'IE D'ÉTAT. 403
dre a La Haye pour terminer le traité auquel
la Hollandc devait prendre parto La Haugwitz,
Malmcsbury, le grand-pensionnaire Van Spiegcl
et le greffier des états-généraux Fagel, tom-
berent d'acconl sur les points .suivans : « La
)) Prusse et les puissances marítimes s'engagent,
» rune a mcttre en campagne, avant le 24 mai,
» une armé e de soixante-deux mille quatre cents
» hommes, et les autres a payer de suite 300,000
» livres sterlillg pour frais d'armement; 100,000
» a la fin de la guerre, 50,000 par mois, comme
» subsides, ~t corn pter du 1 cr avril j llsqu'a la fin
) de l'annéc, et en mItre une livre 12 schellings
» par mois pour l'entretien de chaque homme.
» Il est convenu que l'armée se portera et agira
» sur les points oú les intérets de l'Allgleterre et
JI de la Hollande réc1ameront sa présence. Tontes
» les conquetes se feront an nom des puissances
» mari times , et demenreront entre leurs mains
)} jusqu'a la paix. L'unc et l'autre auront un com
)} missairc dans le camp prussien, chargé des dé
» tails de la cürrespündance et des autres négo-
» ciations jugécs nécessaires.)


Telles fut'ent les bases <Iu traité signé le 19
avril a La Haye entre la Grande-Bretagne et les
états-généraux d'une part, et la Prusse de l'autre.
Les d.eux puissances maritimes s' engagerent ainsi
dans UllC traité onércux, cl'oyant par-la préser




l\IÉMOlRES
ver la I10llande ct l' Allcmagne des malheurs dont
elles étaient menacées.


Le comte de Ke11er, ministre plénipotentaire
de Prusse a La Haye, fut telleulent choqué d'avoir
été supplanté par Haugwitz dan s cette négocia-
tion, qu'il solJicita de suite un congé de sa cour.
On remarqna allssi, 10l's de l'échange des ratifi~
cations, que les deux plénipotentiaires hollan-
dais refnsercnt les présens d'usage remis par le
chargé d'afbires de Prussc.


Du reste, ce traité fnt réprouvé par les Prus-
siens eux-IIH~mes; ib Y "ireut le1l1' pays abjurer
son rang po u!' se rabaisser a llll rule secon-
daire. L'arméc de Mrellendorff se montrant hu-
miliée de passer á la solde britannique, le maré-
chal fit publier a l'ordl'e que c'était un bruitsaus
fondement, cn ajoutant toutefois : « que l'armée
» prussienne, bien qu'elle ne fút pas a la solde
» des puissances marítimes alliées, en recevait
)) néanmoillS Ull subside, d'apl'es l'excmple de ce
» qui s'était déja pratiqué dans la gucrre de sept
» a11S.»


Voió comment le traité fnt justifié;\ la chamLl'c
des pail's par lord Grenville l. Apri~s.avoir exposé
qnc l' Allgleterre combattait autrefois pour des lo-
calités, et que dans la gllerre actuelle iI y allait de
son cxistcnce sociale, il observa que jadis on avait


, Séance du 30 aVl'il [79:"




n'TlN JIOIIUfE D'ÉTAT. 405
a combattre contre des gouvernemens réguliers,
contre des armées constituées d'apres des regles
convenues généralement; « mais aujourd'hlli,
» ajonta ce ministre, IlOUS avons a nous défendre
») d'un amas d'hommes qni ont usurpé le gouver-
)) nement, qui disposent de tous les bras par la
») terreur, et qui dépensent, pour assouvir leur
») rage, non pas le revenu de la natíon, maís son
» capital entier. Dans des circonstances pareilles
» que faHait-il faire ;l Devait-on , ponr se Laure a
» armes égales, adopter de pareiI1es mesures?
)) Non, certaiuement. Que faHait-il done faire?
)) Employer toutes nos ressources, afin de nous
» mettre en main une force suffisante pour ar-
» reter ce torrent.


» Nous avons va que le roi de Prusse avait
» entretenu, ponr le meme oLjet, pendant denx
» campagnes, un corps considél'able, et qu'a la
» fin iI avait déclaré qu'il n'était plus en état de
» tenir sur pied d'autres troupes que celIes qn'il
» était oLligé par des traités de foumü' a l'Angle-
» terre et a ]a Hollande, savoir, trente-deux mille
» hommes, et qu' ainsi il devait en retirer trente
» mille de la cause commune. D'apres la quantité
» immense des forces de rennemi, il est clair
» que cette diminution dan s les forces rénnies
») contre la Franee uous ótait l'espérallce d'agir
) avcc antant de vigueur que nous devQn~ le




406 lIfÉl\fOIRES
l> faire; il a done faUn chercher les moyens de
» supplécr a cet ínconvénient. La Prusse pro-
» mettaít de ne pas se retirer, pourvu qn'on
» payat ses dépenses. Il nous a donc pam pré-
» férable a tout autre levée cxtraordinaire qu'il
»nous eut fallu faire, de sondoyer les soixante-
» deux mille vétérans que nous trouvions tout
)) porté s sur le champ de bataille, qui sont com-
» mandés par des générallx d'une réputation
» consommée, accoutumés á agir de concert avec
» Ieurs alliés, avantages que nous n'eussions cero
» tainement pus trouvés ni pour l'ensemble ni
» pour la qnalité des troupes, en faisant des
» traités avec les petits états de l'Empire.


») Apres avoir pris cet avantage en considéra-
») tíon, nous avons vn cncore que nous y trou-
» vions un bénéfice important par l' économÍe. Il
)) nous eút été impossible de mettre en campagne
» au meme prix, un nombre égald'Anglais,deHa.
») novriens et de Hessois. Le fait matériel est que
» le roi de Prusse recevra ponr le secours qu'il
» va nous donnel' 1,750,000 livres sterling jus-
» qu'a la fin de l'année; sur eette somme la Hol-
)) lanae en paie !~oo,ooo; ce qui reste a la charge de
»1' Angletel're estdonc del ,350,000.Mais,par notre
» traité précéderit, nous étions obligés de payel'
)) 400,000 livres stcl'ling pom la subsistance des
)} troupes que la Prusse était tenue de nous fom-




4°7
» nir; ainsi nous étions daBs l'alternative de choi-
» sir entre soixante-denx mille hommes de trou-
» pes parfaites et 950,000 livres de dépenses ex-
» traordinaires: n011S n'avons pas hésité. L'objet
» de la guerre, la sócurité de l' Angleterre, l'amour
» de la patrie, ]a paix de l'Europe, nous en fai-
n saient la loi.


») Si nOl'ls avions besoill de justifier notre con-
» Juite par des exemples, je rappellerais a vos
» seigneuries les subsides que n011S avons payés
» a l'impératricc Marie-Thél'ese pendant plusielll's
)) allnées, Lallclis que 1l0US faisions la guerre a
» I~olIis XV, et celui de 700,000 livres par an que
» nous payames au roí de Prusse pendant la
») guerre dite la guerre de sept ans. Nous avons
» de bien plus fortes l'aisons qu'alors pom agir
») aujourd'hui comme nous l'avons fait ... )


Le marquis de Lansdowne se plaignit de la
précipitation avee laquelle ectte affaire se trai-
tait; on n'avait pas le temps de la prendre en
considératioIl. Au premier aper¡;;u le traité lui
paraissait tout-a-fait nouveau et désavantageux
pour l'Angleterre. Nouveau en ce que les exem-
pIes cités ne pouvaient pas lui etre comparés. En
effet, dans les deux cas précédens, les puissances
avaient été en quclque sorte seeondaires, au lien
que dans le cas actuel c'était la Prusse qui avait
été partie premiere et principale dans la guerre,




408 1I1EJ\IOIRES
et avait déterminé memc S. M. I. a mettre son
armée son s les ordres d'un de ses généraux ( le
duc de Brunswick); an líen qu'uujourd'hni I'An-
glcterreprenait sa place, et le roi de Prusse aIlait
jouer le role qu'il faisait jouer aux autres il y a
deux ans ... On ne pOllvait jamais snpposer que ce
seraient ses meillcures tronpcs qu'il vendraitainsi;
cal', mitre que c'est une muxime conÍlne qu'une
arméc se fond en trois ans, la raison ordonnaít
de croire que les meilleures troupes du roi de
Prusse seraient employées pOllr son compte en
Pologne. « D'ailleurs, ajonta 10l'(l Lansdowne, la
» mésintelligence qui a toujOlll'S éc1até entre les
» troupes prussienlles et autrichienues ne parait
» pas annoncer des avantages bien ccrtains; en
» outre les rois ne sont pas liés par les memes en-
» gagcmens d'honneur que les particuliers; ríen
» ne garantit que le roí de Prusse ne commencera
» pas par prendre l'urgent, et ne refusera pas en-
» suitc son secours ... »


Malgré cctte cspccc de prophétie, qui devait
en qllelque sorte se réaJisC!' dan s un si court iJl-
tervalle, l'adresse approbative du traité passa
presque unanimement.


Tandis que l' Angleterre armait de nouvcau la
Prusse contre la France, une nouvelle sccnc de
révolut~on s'Quvrait en Pologne, et iI y avait á
peine six lUois que le second partage s' en était ef-




fectué par le concert de la Prusse et de la Russie.
Les troupes combinées s'étaient répandues dan s
les proYinces assujéties ou leurs cantonnemellS
pesaient sur les peuples. Dans la Wolhynie et la
Podolie s'étendait le COl'pS russe du comte Yvan
Soltikoff. Sur les frontieres de la Lithuanie, de-
puis Minsk jusqu'á Riga, commandait le prince
Repnin. Catherine avait confié an gélléral Jgel-
strom les provinces de la république laissées a
Stanislas; il occupait Varsovie', et le corps russe
sous ses ordrcs se liait aux deux divisions prus-
siennes du général Schwerin. Ce dernier gardait la
Prusse méridionale et les bords de la Narew. En-
fin un cardon prussien s'étendait le long de la
nOllvclle frolltiere jU5qu'a l'ancien royaume de
Prusse vcrs KOWIlO.


Les Polonais, qui avaient horrenr du joug
rnsse étaicnt décidés á ten ter un dernier effort
pour reconqllérir leur indépendance. Parmi les
principaux émigrés qui avaicnt quitté leur pays
101'5 de l'entréc des russes, et qui s'étaient re-
tirés a Dresde et a Leipsick, se faisaient re-
marquer Iguace et Stanislas Potocki, lIugues
Kolontay, Malachowski, Mostowski et Tha-
dée Kosci.uszko, le Philopcemen de la Polo-
gne. Fut-il le principal moteur de l'insurl'ection
de 1 79!f, comme il e11 fut ensuite le chef? Ce
qui est certaiu, c'est qu'en 1793 Kosciuszko




MÉMOIRES


voyagea d'abord a Constantinople, lmis en
France, toujours pénétré de l'idée J'affranchir
son pays. A la fin de l'année il revint aux en-
virons de Sandomir, soit pour murir ses projets,
soit pour sonder l'état réel de la Pologne; de la
il rejoignit ses amis a Leipsick. Ils reconnurent
bientot que l'impatience dn jong étranger, l'ef-
fervescence de la jeunesse, et le désespoir des
troupes nationales que la Russie voulait réfor-
mer, poussaient la pluralité de la nation a se
sonlever contre ses opprcsseurs. Déja des com-
munications secretes s' étaient établies dans toutes
les provinces; elles s'étendaient meme jusqu':\
Varsovie, qui devint le foyer principal de la
conjuration polonaise.


Le moment de proclamer l'insurrection pa-
raissait d' autant plus opportun que les puissances
militaires ne semblaicnt alors occupées qu'a re n-
verser par la force des armes le systeme révolu-
tionnaire de France. Ce soulevement était done
a la fois un acte de courage qui pouvait tourner
en faveur de l'indépendance des nations et une
diversion utile a la Franee, l'aIl.iée naturelle de
la Pologne.


Le Polonais Barss, qui avait pris une part ac-
tive a la rédaction de la constitution du 3 mai,
renversée par les puissances co-partageantes,
. remplissait alo1's a Paris une mission de la part




D'ITl't IIOMME D':ÉTAT.
des émigrés, ses compatriotes, réunis a Dresde.
Il venait de présenter au comité de salut public
le plan de la révolution qui devait s' opérer en
Pologne, et que le comité accueillit avec une
approbation générale et de grand~ applaudisse-
mens; mais il n'y concourut par aucun appui ef-
ficace, ni par aucune ressource importante; il
se borna sculemcnt a que1qucs avances de fonds
en papier-monnaie.


Cependant la conspiration nationale avait ac-
quis plus de consistan ce encore; elle n'était
inconnue ni a Vienne ni a Dresde, ou· elle fut
meme favorisée sous main. On se rappelle
que I'Autriche avait été passive 10r8 de la diete
de Grodno; qu'elle n'avait eu aucune part au
second partage, et que presque tOlltes ses forces
alors étaient tournées contre la France. Effrayée
de l' extension de la Russie et de ses vas tes des-
seins, eHe fomenta ou laissa attiser le fen de
l'insurrection. Quant a la Russie, elle était in-
quiete, et jusqu'a un certain point sur ses gardes.
Par sa poli tique , elle écartait la guerre dont la
mena<,;ait les Turcs. Les émigrés polonais réfugiés
a Dresde étant regardés comme les principaux
appuis de la constitution proscrite, le ministre
de Russie pres la cour de Saxe en demanda I'ar-
restation; mais l' électeur se montra pci.I disposé
arécompenser ainsi les défenseuts d'un ordre




MÉMOIRES
de chose qui l'avait appelé lui et sa famille au
trone de Pologne.


Le signal est donné : Kosciuszko, que les agens
des patriotes polonais étaient venus presser a
Leipsick de se mettrc a Icm tete, marche enfin
accompagné de plusieurs officiers et d'une petite
escorte; iI entre a Cracovie le 2.3 mars, y pro-
clame l'acte d'insurrection, puis va au·devant des
Russes, et les bat a Raslawice.


La fermentation a Varsovie était mena<,¡ante.
Ingelstrom ne s'abllsait pas sur sa position; il
re¡;:ut le premier avis de la déronte des Russes
au moment meme ou il découvrait les ramifi-
cations de la conspiration formée eontre eux
danstoute la Pologne; il n'était plus temps d'en
arre ter les effets. En proie aux inquiétudes et
aux alarmes, le général russe adressa le 16 avril
au ministre de la guerre a Pétersbourg une
lettre dont voici les passagas les plus remar-
quables.


« Toute l'armée de Pologne, disait-il, qui
» est forte d'environ dix-huit mille hommes, est
» en pleine insurrection ..... Les confédérés de
» Varsovie, de Sandomir, de Lublin, de Chehn,
» de Vladimir et de Luek sont organisés sur des
» principes jacobins. L'insurrection se renforee
» d'un mament a l'autre; sa marche est tres-ra-
)) pide, et ses progres effrayans ... Faites avancer




D'U!~ HOMl\ri D'ÉTAT. 413
) l'armée de Soltikoff, et tont sera bientot
» apaisé ... On ne peut pas compter sur les Prus-
») siellS et les Autrichiens; Dieu sait ce que leurs
» forces, regardées comme formidables, sont de-
» venues! Les Prussiens ne sont plus présente-
» ment ce qu'ils étaient sous Frédérie n. 11s sem-
» blent ne pouvoir se tenir que sur la défensive;
» iIs veulent etre méthodiques,et ont peur de tonto
» Jugcz d'aprcs cela de la triste situation ou je
» me trouve continuellement entouré d'ennemis
» et d'espions, et ne recevant de seconrs et d'ap-
» pui ni de nos alliés ni de nos tl'oupes .. , »


Le Iendemain I7 avril Varsovíe se souleva,
et lcs Russes en furent chassés.


En se développant, l'insurrection polonaise
parut avoir un but fixe, mais deux par ti es
distinctcs. La prel.niere était le reconvrement
des provinces démembrées l'année précédel1te,
la délivrallce du joug des troupes étrangeres
et I'anéantissement de tont ce qui avait été
fait par la violence a la dernierc dicte de Grodno.
Le secol1d objet compl'cnait le rétablissemellt
parfait et eutier de la constitlltion du 3 maí, qui
fondait le gouvernement représentalif.


A la nouvclle de cet événement, le roi de
Prusse n'hésita pas d' ordonner les mesures mi-
militaires convenables pour s'assurer la posscs-
sioll de ses llouvclles acquisitions en Pologlle. Il




l\fEMOIRES


sentit la nécessité d'agir en commun avec la Rugo;
sie, pour peu que cette puissance se montrat
d'accord sur les conclitions et les moyens de ce
concert. Le roi arreta dans son cOllseil que pour
ctre plus a portée de la sct'me qui venait de s'ou-
vrir, iI se rendrait bientot lui-meme en Posnanie.
Le prince de Nassau, qui était a10rs a Berlin,
en partit immédiatement pom Saint-Pétersbourg,
afin d'instruire l'impératrice des mesures que le
le roi était résoIu de prendre ponr réprimer,
d'accord :avec elle, les effets de l'insurrection
polonaise. En conséquence le coIlége supreme
de guerre expédia en Prusse et clans ]a Silésie
des ordres en vertu desquels l'armée de Po-
logne devait etre portée hientot au- del a de
soixante bataillons et de quatre-vingt-dix esca-
drons.


Le roi, mécontent du général Schewrin, dont
les rapports ayaient pl'ésenté l'insurrection
comme insignifiante, et qui d'ailleurs n'avait
preté aux Russes ::tucun appui réel, lui ata le
commandement. Il le confia an général Favrat,
qui eut ordre d'agir, en attendant l'arrivée du
roi, en combinant ses opérations avec les Rus-
ses. Le roi venait allssi de rappeler de Varsovie
son ministre, de Bucholtz, en l'autorisant a dé-
durer que M. Zablosl,y, résident de Pologne prcs
la conr de Prusse, n'aurait pas la permission de




n'uN' ROllIl\IE n'.ÉTAT.
qnitter Berlín avant que son ministre fút de re-
tour dans ses états.


Cette complication d' embarras et de guerre ne
pouvait manquer d'imprimel' a la politiqlle cIu
cabinet de Berlin, relativement aux affaires de
France, une direction plus incertaine et encore
plus ambigUl~;.


Tandis que les Polonais proc1amaient lellr
acte d'insurrection, et que la France y répon-
dait contre les alliés par les clispositions les plus
formidables, la campagll~ de 179[~ s'ollvrait
clans les Pays-Bas. Le prince de Cobourg n'at-
tClldait, pour attaquer Landrecies, que l'arrivée
de l'emperear.


Outrc la grande armée :mtrichienne qui se
rassemblait dans la plaille de Catean, cleux autres
COl'pS devaient agir sur les ailes. A la droite,
Clairfayt, avec vingt-cinq mille hommes répartis
dan s les camps de Tournay, l\1aucron et Laine-
J'Or, gardait la West-Flandre. A la gauche, Kau-
nitz couvrait Charleroi et la l\Tense, en meme
temps qu'il observait J\faubeuge et Philippeville.
Ainsi, d'une part, vingt.cinq mille hommcs étaient
compromis dans la West-Flandre, ou les Fran¡;ais
avaient montré tant de fois le dessein de s'enga-
gel', tan di s que la cléfense da vrai théatre de la
guerre, qui était évidemment ycrs Charleroi et
lal\Teuse, n'était confiée seulement qu'a un corps




MúroIRES


de dix-huit rnille hornmes. leí les plans de Macl~
et Jes desseins de l'Angleterre vont etre aux
prises, d'llne part, avec les embarras, les diffi-
cultés imprévues, la mauvaise volonté de la
Prllsse, et de l'autre avec les vnes étroites, les
combinaisons incertaines du prince de Cobourg
et les arriere.pensées des hommes qui dirigeaient
le fond de la politiqllC autrichienne.


Il y avait an eOlltraire unité de vues dans les
eombinaisons du comité de salut publie; iI VOll-
bit vainere franchcment les alliés et les ehasser
de la Belgique. Cent cinquante - quatre rüille
hommes, rassemblés par ses ordres, étaient ré-
partis en douze divisions sur toutc la ligne, de-
puis l\1aubeuge jUSqU'}l Dllnkerque, non eompris
les garnisolls cornposées de nouvelles levées. Le
commandement de tontes ces forces qui hor-
oaicnt la fronticre était coniié ~l Piehegru.


A la fin de mars tont s'appretait de part et
d'autre pOut' recommcnecr la lutte. L'emperellr,
accompagné de son ministre de cabinet comte
tIc Colloredo, du comte de Trantmansdol'ff,
chef oe la chancellerie beJgiquc, <In harcHl de
Thugut et de l'aide-de-camp Ro][in, s' était mis
en route de Vienne pour l'armée dans les pl'e-
micrs jours d'avril.


L'arri vée <Iu souverain fut précédée:'t Dl'uxelles
par une ol'donnance dll gouvcrncmCl1t bclgique




D'(T1V II01IBfF: n'lT.\T.


contre lesjauteurs da srsü~me jralU;ais, dOlluée
le 4 avril an nom de l'empel'eur; elle avait
été provoquée par le comle de Metternich,
cOllseiller d'état intime, et son ministre plt~­
nipotentiaire. Le pn"amhule en. énoncait les
motifs. ( RésolllS de maintcnir invariablement la
)) religion et la constitlltion, qni, depuis des síe-
» eles, font le bonhenr des flol'issantes provinces
J) belgiques, non s aVOllS tronvé, disait l'empe-
» renr, qn'il (~tait de notre sollicitude de seconder
)1 et d'appuyer, par une loi séycl'e, le vccu public
» si fortement et si générakmcnt prolloucé par
» l'horreur que le pays eutier a montrée pou!' le
» systeme des llovateurs fransais, et d'empecher
» que des factieux ennemis de l'état et de leur pa-
J) trie, émissaires ou complices de ceux qui, en
» France, ont usurpé tous les pouvoirs, n'intro-
» duisent, ne propagent et lle r:'pandent dans c(~
» pays, par des complots et des mcnées crimi-
» nelles, les principes du systelllo révolution-
» naire ji·all(¡ais. Y oulan t préserver nos fidCles
» sujcts de cdtc contagion, etécartercl'cux d'aussi
)1 gl'ands malhcllrs, nons avons, de l'avis de notre
» conseil privt~, elc ..... , statué et on]onll(' les
» points et articles suivans ..... ») Par le premier
article ql1iconque serait convainCll de conspira-
tion ou de complots tendant a introduire, ré-
pandre ou propager le systeme ft'all~ais, était {lr-


11.




:!\IÉiUOIRts


d,U'ó coupable d, ¡vmle trahison, et, comme te1,
puni de mort. La détcutiOIl, soit á perpétnité,
soit ú tenue, était réscrvée a tous ccux qni pro-
pagcl'aient, soit verhalement, soit par éCl'it, le
meme systemeo Une sllrveillance s{~vere et des dis-
posi tions réglemcn taires étaien t prcscrites contl'e
les associations COUllues sous le 110111 de clubs,
.'iOciétés litteraires OH tout au treo Des récompeuses
étaient atlribuées á tOllS ceux ([ui déllollcerairut
les coupables des crimes spécifiés dalls ladite 01'-
donnanceo


Le e01ute de .:\lettel'llic¡', partí le 8 dc Druxell<'s
avcc une (léputatioll des {~l.aLs lIlI Bl'aklllt, Villl
reeevoir le monar([uc a la frontiere. Le lcude-
main, rempel'(~nl' arriva en personue au miliell
de tOllS les sigues de l'allógresse pnhliflue, sa
préscnce proc111isant I'effet orclinairc de l'appari-
hon des gr:mds Sou\cl'aiuso Ce princc alla aussi-
tut visitcr CUlld{~, ValcncicllllcS, Le Quesnoy; il
examina ensuite les di[f{~l'elltcs positiOllS des
fol'cCS autl'ichicnncs o


Le IG, toute l'al'm{~e fuI: rasscrnhlée dans les
plaincs de Catean, an nomhre de quatI'C-villgt-
dix mille hommes. Le priucc de Cobourg, qni
allrait ¡la tomber SUl' les divisions fl'alH:;aiscs
éparscs, diyisa le lcmlcmain tontes ses forces
en huit COlOllllCS pOIll' re}loussel' sur alltant de
rnyolls divcl'gcns l'annéc <In NOl'd, (lui lui était
opposé(·.




\ " J)1Ij\ TIo:\nm DJ;TAT. 419
Il franchit la Sambre a Catilloll , attaqua, défit


la ligne fl'aw;aisc, et fit investir Lalldrecies par
le prince d'Orallge. L'empereur, présent a l'ac~
tiOll, écrivit du champ de bataille a Yienne Ull
hillct allnon~ant cctte heureuse ouverture tic
la campagne au conscil auEque (le guerre que
présidait le comte de Wallis. En partant de sa ca~
pitaJe, l'empereurs'était montré décidé h prendl'c
lni- meme le commandemcnt de l'al'méc alliéc.
C'eut été une tache immensc. Malheureusement
ce prince, dout- d'aiUcurs de "ertus royales, 11' cst
ni gncrriel' lli politique pl'OfOlld. Ses conscils, el
surtout Thugut, parVilll'ent aisément a le Llis-
snaclcl' de sa résolntion, qni eút réduit a la uul-
Jité le prince ck CoLourg, et remis par le fait la
direction de l'arm{~e an majOl'-géuérall\Iack. On
prit un tcr111e moyen, le pire de tons.


Un ol'dre impérial (btt'- de Bl'uxellcs le 2. I
[[vril fut eJl voyé au couseil alllique : il porlait
eH súhstallcc (ll!C (( S. M. avait pl'is elle-memc
») le commaudelIleut eH chef de l'année, de fa-
» ~ou qll'~l l'égard des objets l'eJatifs an service
» et á l'état des tl'oupes, ainsi qu'anx opéra-
) tlons de l'ul'Il1ée, S. J\I. en ferait exécuter les
» détails saus ses pl'opres yeux; mais que d'un
» autre coté, d'apres la conviction qu'eUe avait
» aC(l11ise des services l'elHlus jusqu'ici a elle et á
» l'état par le fdd-maréchal princc de Cabourg,




[po ALÉlIIOIR"ES
» et d'apn\s la confiancc entib'e qu'elle avait en
)) son attachement pOUl' sa personne, en son úle
» pour le service, et en son affectioll pour l'ar-
» mée, ce prince restait tOlljonrs le point central
» de rénnion Ol! uevaient s'adresser tons les 01'-
» dres de l'cmperenr et du conscil aulique. En
)) rneme temps S. 1\1. déclal'ait feld-zugmeister
» (général en chef d'infanterie) son fr(~re l'archi-
» clnc Charles, ainsi que les lieutenans- générallx
» comte de Kaunitz et cornte Francois de Kinslv.»


, "


Ceci laissait la directioll de la gllerl'e dans les
memes maills, et bOl'nait le voyage de l'cmpe-
reur a une royale apparitioll. Tont aIlait dépen.
dl'e, commepal' le passé, du conseil aulique, de
Tllllgut et da prince de Cobolll'g.


Par la trouée dont il venait de s'assurer, le gé-
néralissirne allrait pu refouler le centre de l'armée
C\U Norcl, et disperser les masses qui luí étaicllt
opposées. 11 n'en lit rien : persistant dans son
mcme systeme de guerre, il porta toute son at-
tention sur la misérahle place de Landrecies. A
Une autre époq ue, il est \Tai, Laudl'ccies avait
:ll'l'eté Charles· QUillt; le IH-iuce ElIgelJe dcpuis
y avait trouvé le tcrme de ses prospérités, et
cepclldant ces denx: redontables cnncmis de la
.France n'avaicnt pas en dev:mt eux unc natioll
({rmee.


A.u momcnt oú tont {;tisait }HÚnmCr la chute




n'UN IIO 111 lIf E n'J~TAT. 4::u
de Landrccies, les rópnblicains se disposaient a
une attaquc ponr sallver la place assiégée. Le
26 avril commell!,:a lenl' mouvemellt général de-
lmis les frontieres dn Lllxembourg jusqu'a 1'0-
céan. En meme ternps (Iue l'aile gauche devait
exécuter la diversion projetée SUl' Coul'trai, en
cnvahissallt la Flandre a trente lieues de Landrc-
cíes, la divisioll de Cambrai, commandée par le
général Chappui, et renforcée de dix mille hom-
mes, était destinee ü frapper an centre le conp
principal. Mais ce corps d'arméc, fOI'l: de trente
mille cOll1battans, essllya le plus sanglant re,'ers
elevant les redoutes de Troisville, défendues
par le duc d'YOl'k. Les républicains débordés,
échouant dans rattaqne des retranchemens,
perclirent trente-cinq pieces de canon, le gé-
néral Chappui faít prisonniel', et quatre mille
hommes restés hors de cowbat : on les pour-
suivit jusqu'á Cambl'ai. Les antres attaqne~
centrales, quoiqne moills sanglantes, n' enrent
pas un meillenr résultat. Les Fran<;ais ren-
trerent de tOlltes parts dans leurs premieres
positions. Mais iIs resterent victoricux, a lenr
aile ganche, en \Yesl-Flandrc. Le prince de Co-
bourg, s'inquiétant de ce mouvement si éloigné
de son point d'attaque, el dont il eut la pre-
miere information par les papiers tronvés sur le
général Chappui, y vit un motif suffisallt pou!' ne




MÉl\lOfRES
p


tire!' aucun fmit de sa victoil'c. Cne llOuvcllc len-
tative des républicains pOUl' délivrcrLandrecics
ayant échoué également le 29 avril, le princc
ll'en resta pas moins immobilc.


Le plan de diversion de Pichegru en Flandl'c
venait de lui etre révélé; 01", les dangers qui
mena\aient Claírfayt, abandonn6 á lui-meme,
étaient connus : on pOllvait y obvier SOLt en vo-
Jant á son secours, soit en accablallt le centre de
l'armée fran\aise, deux fois mis en d6route. Quel
par ti va prendrc le chef des aIliés ?


Rien ne peut d'abonl le détt'l'miner a envoycr
sur-le-:champ les rellwrts que réclame la posi-
tion f:kheuse de Clairfayt : ce général, essayant
en vain de premlre Courtraí, est défait pres de
Maucron.1\Ienin est pris; mais la garnison, coro-
posee de FralH;ais émigrt'~s, se faít joUl' l'épée a
la main.


Cependant Landrecies capitule, apl"cs un boro-
bardement infernal de ciuquaute hcul"es, qui
ne laissait plus que des ruines. Dans l'intervalle
uvait líeu a Bruxelles l'inauguration de l'empe-
reur comme duc de Brabant. Tout l'éclat de la
pompe de eette céréroonie f(~odale, toutc la joie
bruyante du peuple ne purent donner a unc telle
solennité le caractere d'une solide union en tl'C les
sujets et lc souverain. Lcs BrabaIl<;ons n'a.vaienl
(:'l!corc fourni a l'Autrichc ni hommcs ni al'.




, " 1) UN IlO2l1J\fF ]) ETA'j'.


gcnt, malgré t[lnt d'annonces prématur{~es de dé-
vüuemeut et de úJe, Süit que les états du pays
fnsscllt encore dominés par leurs habitudes récal-
citrantes, soit que le levain ¿'une révolntion r{~­
cente y eút aigri les esprits et attiedi les cocurs.
lis ne pouvai('rlt plus etre réchauffés que par des
sncces {'c1atalls que l'appareil de la guel'l'e et les
armes de l' ;\lllriche semhl:üent promettre.


Le prince de Cobourg cntrait a Landrecies en
vainqueur, et iI se bornait a d{~tachel' le dnc
ll'York v(~rs TOllrnai an süutiell de la Flandn',
Quant ~t Jni, disposaut de la grande arméc al~
Jiée, iJ )'('sra inactif anx environs de Landrecies,
quoique l'instant fút venu de songer a assurer
le succes de la campagne.


L'empereur en ollvrit l'avis sugg6ré par le
major - g6néral J\Iack : on délibéra Sl1l' la qnes-
tion de sa voir si Landrecies c!llevé, le moment
ne serait pas venu de pénétrer dans l'intérieur.
La trou(~c faite S[ll' la France n'était-elle pas sllHi.
samment élargic par la. posscssioIl llon-senlement
de Landrecics , mais de Condé, du Quesnoy et de
Valcnciennes? 1\Iack, revenant a son plan primi-
!if, pensait qu'on pourrait marcher en [[vant, si
on faisai.t un appel a toutes les passions hostiles
coutre la:convcntiol1. «Avec Cf'nt cinquante mille
) hommcs, disait-il, jc ponsscrai une forte avant-
» garue sur París; avec deux cellt mille hom~lw:;




::'IrÚrOIRES
)' je vous y ferai rester. » Deux grandes mesures
snppléaient dans son plan anx forces qui man-
quait a ]a grande arméc. Mack insistait tou-
jourspour qu' on inondat la West-Flandre; ce
qni non-seulcmcnt eút couvel't la droite des al ..
liés, mais encare eút rendn le corps d'armée du
gónéral Clairfayt disponible. Il demandait aussi
que l'armée prnssienne fút attiróe sons NamUl'
entre la Sambre et la Mense. Protégée de la sorte
sur ses flanes, la grande arméc pouvait encore,
sclon Mack, se diriger sur París avec rapidité,
a raíde d'une llombreuse et brillante cavalcl'ie,
sans s'illqlliétel' de ce qui se passerait dans la
nelgique.


Il est de la nalta'e des partís décisifs de 1'011-
control' des oppOSitiollS fortes, et celles qui se
montrcront icí a découvert ne furent pas les plus
détermínantes. Les Í'tats et les habitans de la
Flandl'e marítimo redoutaicllt encore plus l'inon-
datíon de la mer qu'uu débord(;meut de la part
des 1'épublicaíns. On disaít an qnartier- général
qne leur résistance ü cette grande mesure était
suscitée par Clairfayt lui.m(1me , qu' OH pl'éscntait
comme envieux dn crédit de J\Iack. Quant aux
Prllssiens, OH aUégua qll'on ne pouvaitles requé-
1'ir, en vertn dntraité de La Haye, que le 24mai,
ct non pour etrcplacéssous NamUl:, maisentre la
Sarre et la l\losellc, destination comenue en del'-




n'UN HOnI:lIE n'ÉTAT.
nier lieu. Il fut cependallt observé qu'il serait en-
core plus décisif de les attirer á la grande armée
autrichienne. Des conyenanccs politiques paru-


, l' ,'''o rent s y opposer, et emperenr ne s arreta pomt
a cet avis salutairc.


Au total, le plan de l\Iack fut sinon rejeté, du
moins paralysé; les alliés resterent dan s leur indé-
cision an milicu des dangers d'une défensive qni
ne pOHyait etre que faible OH incohérente contre
un ennemi formidable dont le nombre grossis-
sait de jour en jour, et qui agissait a couvert de
ses pIaces fortes.


Alors Tllllgut, dans ses commnnications ayec
I'empereur, commenc;a a jeter en avant combien
cette guerrc était sanglante et stérile; qu'il était
temps de songcr a y mettre un terme; que, lmis-
qu'il n'y avait plus moyen de faire impression
sur la France, ni de l'entamer ayec sécnrité ponr
l'ayenir, mieux valait ahanclonncr les llclges a
Ienr SOl't, et, a la fayenr d'nne trcyc, concentrer
les forces de la monarchie en Allemagne, ou se
tronyeraieut, ainsi qu'en Italie, des équivalens;
qn'il était temps d'ailleurs de s'oceuper de la
Pologne, que la Russie s'appretait a dévorel';
que jamais crise sociale ne s'était montrée plus
mena<]ante, et qu'avant tont il fallait préscrver la
monarchie, et savoir an besoin lui sacrifier des
provinccs qui n' en étaient qu'un anllexe plus oné-




M ÚlO UtE S


rCllX (In'utile. Thngut était icí r orgilllc un partí
pUl'cment autrichiell, qui, précollisan [le systcmc
de la mOllarchie compacte, rcuoutait tont con-
tact avec la révollltion fran<;aise, el n'avait pour
elle an fond ni haine ni m{~}1ris.


TOlltefois on ne parIait pas encare onvertement
d'alxmdonncr le champ de hataille; la trullsition
eút été trop brusqne; ii fallait combattre cucore,
Lkher de s'en tirer avec hOlllWUl', et ne pas cho-
quer l'Enrope, ni rompre tont lien avec l'All-
gleterre, tlont l'alliance pouvait devenir anssi
fructueuse qu' elle l'étaiUt la Pl'LISSC. Tcllcs {~taiellt
les pensé es d u cabinet.


Comment la guerre ne s'en serait·clle pas rcs-
sentie dans ses directions les plus essentielles?


On touchait a la mi-mai, et clepuis plus u'un
mois toute la frontiere depuis Luxembourg
jusqu'~t Nieuport était le théatre de marches et de
contre·marches, d'évolutiollS, de comhats mem··
triers, sans qu'il en sortlt aUCUll év6wmcut déci-
sif. Les généraux des (leux partis avaient si peu
l'idée de la grande guerre quc les différcns corps
d'armées s'entrechoquaient SOllveut au hasard,
et couraient sur toute la ligne pour n'obtenit'
que de minces avantages cherement achetés ..


l\1ais si rien de grand, rien de conclunnt, ne
pouvaitémaner des conscils d'une coalition si pea
il' accol'll dans ses vucs, iln' en était pas de memo




des délib(\l'ations dn partí contraíre qU'llnissaiellt
un meme esprit et Ull dallger cornrnUIl. l\Iédí-
tallt sur la cause des l'cvers qu'il venaít d'épl'on-
yer au centre de su Iigne, le comité de salut pu-
hIic, éclairé par Cal'l1ot, et instl'uit d'ailleurs du
motif des tergiversations du cahillet prussien,
uvuÍl jugé que c'{~tait sur la Sumbre qu'il faHait
frapper un grand eoup. n avait pris en consé-
quence, le 30 avril, un a1'reté destiné a avoi1' une
influence pl'odigiense sur l'issue de la campaglle.
Cet alTetó portai! I'ordre an général Jourdan,
conunandant eH chef de l'armée de la l\Ioselle,
de la rellforcer par qninze millf' hommes de
l'armée clu Rhin; puis, laissant un corps sul-
fisant pour COllVl'il' le versant occidental des
Vosges, et pon1' observer Luxernbollrg, de mar-
cher a la tete de quarante-cinq mille hornmes par
les Ardennes, afill de se rénnir au corps d'armée
sur la Sambre. Ce dernier corps opérait a]ors
la meme diversiou coutre le général Kaunitz que
celle que les générallx Sonham et Morean exécu-
taicllt avec l'aile gauchc contre Clairfayt dans la
Flanure, mais avec moins de succes et de bon-
henr. Le sallg ruissclait sur les rives de la Sam-
bre, oú Kaunitz rcpoussait toutes les attaques
des r{muhlicains .




Ces t('yor1>, loill ll'abattl'o lo comité de salut
llllblic 1 c{ui {~tait l'cprésenté ;1 l'armée pUl' les




lIIÉMOIRES


conventionncls Saint-J ust et Lebas, ne faisaient
que l'irriter; il n'en pressait que davantage Jour-
dan de marcher de la Moselle sur Charleroi.


Maisavant meme que ce général eut commencé
son mouvement, l'cmpereur et le princc de Co-
bourg, enflés de l'avantage remporté au centre de
la ligne fran~aise, et rassl1l'és du coté de la Sambre
par la contenance de Kaunitz, avaient déterminé
de marcher en force s a l'appui de Clairfayt pour
frapper un grand conp, et sauver la Flandrc : le
15 mai, le quartier-général de rempereur avait
été porté a Tournai. On avait en recours aux com-
binaisons militaires de J\Iack; et cet oftlder ve-
nait el'enfauter un projet qu'on appela plan de
dcstrllctioJl, en ce qu'il ne tendait a rien moins
qu'adétruire l'armée républicaine, aux ordresele
Pichegru.


II est eertain que la position de ce général
était critique. Quatre-vingt-quinzc bataillons et
cent trente-trois escadrons de la grande armée
alliée, formant quatre-vingt-dix millo combat-
tans, pouvaient couper la gauche de l'armée
fran~aise de Lille et de ses frontieres, et la forcer
de combattre avec la mer clu Nonl a dos, ce
qui l'eut mis clan s un péril imminent. l\1ais a
l'état-major et clan s le cabinet de l'empereur,
tous ceux qui, par leur infiuence, pouvaient dé-
cirler le succes de l'opération, n'étaíent pus uní·




n'UN JIOllll1IE n'IiTAT.


més d'une égale ardenr de vaincre. Le partí pu-
rement autrichicn ne cherchait an contraire que
l'occasion ou un pr(~tcxte de lacher prisco


On va voír avec combien pen de capacité
ct d'émulatioll fllt cxécuté le dornier plan de
Maek, que l'envie, la jalousie et d'autres passions
masquécs n'aspiraient qu'a faire évanouir. Le
prince de Cobourg dirigea six colonllcs con-
centriquement sur Tournai, avec l'intention
d'attaquer, le 17 maí, le camp fralll:;aís de Conr-
trai. n importait que les colonnes d'attaqllc al'-
rivassent a pOila llommé au rendez-vous; mais
l'une d'elIes, eelle de l'archidnc Charles, partait
de Saint-Amand , et une antre, celle dll général
Clairfayt, avait vingt lienes á faire ponr ainsi dire
a travers l'armée frau<,;aise.


Les différentes dívisiollS alliées mal'chaicnt
ainsi sans aucllne précision, quand les généraux
fl'an<;ais Souham et Morean, en l'absencc de
Pichegru, alors en tonrnée a son aile droite,
prirent la résollltion, au premier avis dn mouvc-
ment inquiétant du pl'iuce de Cobourg, de mal'-
che1' sUI'Tu!'coing, pou!' assurer Icu1's comnmni-
cations avee Lillc. Cctte habile manrruvre pon-
vait senle les sauve1'. n 11'y avait pas a balancer:
la masse des forees fl'alH;aises était conpée de
Lille si la jonction des forces alliées s'effectnait.
Dans eette erise, Morcan, Souham, Macdonald




430 ::IIÉJlWTRES
et Reynicr agirent avec vigueur, en occllpant la
position de Turcoing, ou les alIiés aUl'aient dú
etl'e en forces. Mais d'un coté Clairfayt était cu-
care a vVarwick, et de l'autre l'archiduc Charles,
ayant sa gauche hal'assée, était contenu par de
petits détachemeus. Tout ~t coup, le 18 mai, le
centre de l'armóe combinl'e se trollve, sur une
ligne tres-étendne, en face dn gros de l' armée ré-
pubJicaine. Les géllel'aUX franc:ais voulallt évitcr
d'etre attaqués simnltaul'ment par les colo11nes
qlli les pressent, ne perdcnt pas Ull moment;
ils accahlent d'abord le genéraI Qtto a Turcoing
et a Leers, tauclis que le COl'}!S du dIle (l'Y Oll,
marcelé dans Lannoy et Roubaix, pl'iv(~ d'ail-
lenrs d'une partic de sa ca valcl'ie, est cnveloppé
par dix-huit mille h0l11l1lcs. Le dnc d'York était
pl'is s'il eút tClIU; la vit(~ssc de SOl1 cheval ct
une centaine lle Hes sois (luí tiraillaient arar··
l'iere-garde le s;tlIVCrellt.


Tandis que ces deux corps ,dn CCll tl'C, t~P[¡ 1'-
pillés par brigades sur tl'OP de Jongueur étaiclIt
si aisément enfoncés el dispersés par UIle IlIasse
de soixante mille Fraw;ais, Jes deux divisions
de gauche, fartes de trente-uD hataillons et
de quarante-hnit escadrol1s, sous l'archidnc
Charles et le général KinsJ,y, restaient dans une
inaction complete, et <1ont les causes sont res~
tées incoullucS. Clairfayt hü-meme, ave e ses




, '> ]) UN IIOllf1\fE D ETAT. 431
vingt rnillc hornmes, ne prit pas an eombat une
part he!lucoup plus active. N'ayant passé la Lys
que Jalls la Inatinée, ii alTiva t1'Op tard, et se mit
en 1'ctraite sur son allcienlle POSitiOIl; rnais iI
avait repoussé la bl'igade Vandamme avecperte,
et amenait sept pieccs de canon et trois cents pri-
sonniers. Gótait une bien Ütihle compensation
de la déülitc du céntre des alliés, défaitc d'autant
plus grave qu'il en résultait pour les F1'an~'ais une
victoirc morale l'cmportée sur une armée supé-
rieure en HOlllbre, et (fui s'attenda.it elle-memc
a des t1'iomphcs.


Pichegl'll atTi"a le lcudemain; an lien de
comp!étel' la défaite d'une armée hattue, et
diviséc, en la poursnivant avee viguenr, il ne
rcprit son mouvemcnt offensi[ que le 22 mai.
Son intentioll était c1'invcstir Tournai, et de l'at~
taquer par le cóté de la Flandl'e, comIne étallt
le plus faíble, COll(llH~le d'ailleUl's pen néces-
cessail'e, mais qui eút óté un appui a la <11'oite
des alliés. Ce jollt'-l~l meme iI les trouva occu-
pant le tcrrain sons Touruai ~ depuis l\Iarqllill
jusqu'~1 l'Escaut. Apl'cS les premieres attaqucs
d'avant-postc, l'ardeLU' des soldats fran(,'ais les
porta trop en avant, et ii s'engagea une hataille
ql1i fut une des plus sanglantes ele ceHe guerreo
Pres de cent mille Fran(,'ais étaient amenés contre
l'aile ul'oitc des alliés, Jalls la vue de forcer, s'il




lIróroIRlis
était possible, le passage de J'Escaut, pour cerner
ensuite Tournai. Dans eette bataille imprévue,
l'opiniatreté ne eéda de part ni d'alltre. Comme
iI n'y avait pas en de dispositions calculécs,:a n'y
eut pas de manccuvres : chacun combatlit an
poste oú il se trouvait attaqué. L'action, com-
mencée an soleil !eY:lnt, se soutint sans interrup-
tion pendant tout le jl'ur, et avec pIns de eha-
leur encore, an village de Poutachin, qui fut pris
et repris. L'cmpereur était présent; 011 le vit
constamment a cheval pendant douze heures,
pal'conrant les rangs, et excitant les troupes qlli,
épuisées de fatigue, (~taient pri~s de snceomher.
II Com'age, mes amis! lenr eriait l'empereur;
» encore quelqnes instans et la victoil'e est a nous;
» eourage! nons aHons etre soutenus.» La voix du
monarqne releva le courage du soldat qui, tenant
ferme, continna de eombattre dan s ses posi-
tions. Enfin le <lllC d'York ayant forcé et 1'epris le
village de Pontaehin, la balonnettc hasse, eette
dernierc actioIl et la nuit YCIllle mirent fin au
carnage : vingt millc hommes étaiclIt hors ele
combat, et, de part et d'autrc, OH n'avait gagué
ni perdu un ponee ele terrain.


Dans ecUe bataille, les chefs des dcux partis
n'avaient en auelln plan fixe. Da cóté des A l/tri-
chiens, saIlS volonté de vainere, OH vonlait sen-
lcment ne pas etrc hattu. Leur gallch~, aux




, " ]) ¡¡y rrO}Il\IE D ETA 1". 1133
ordrcs de l'archiduc Charles, ll'avait en aUCUlle
part a l'action, et c'était pour la seconde fuis.
Ne survellait·il pas toujuurs quelque incident,
quclque malentemlll qni s' o pposait al' entierc con-
centration des forces alli{~es ? Les Fran(,~ais, il est
vrai, apres 1111e perte de dix úülle hommes,
se replierellt, pen'dant la nuit, dans leurs pre-
mieres p03itio11S. I\Iais les Impériaux, fatigués
d'ulle hataillc de donze henres, mal dirigés, n' en
tirt'rent aucun avantage. L'armée, affaiblie ct
frappéc clans son moral, se retl'ancha sous Tour-
nai, et y resta sur la défcllsive, en voyant ainsi
s'évanouir toutes les illusiollS enfalltées par le
plan trop vallté du major-général Mack. Le parli
pUl'emcnt autrichien prit aussitot le dessus clans
les cOllseils divisl~s de l'empereur.


On ollvrit en su présellce, le 24 maí, a Tour-
nai meme, un conseil privé a la foís militaire et
politique, Thugut en était l'tulle. Fais:lllt la guerre
a contrc-co:;ur avec seulement une partie des
fOl'ces de la mOllarchic, il nourrissaít le desseín
d'abandonner les provinC<_$ Lclgiques, malgré
unc massc d'intérets ct de préjugés contraires ú
ecUc résolutioll. A cet effet il a vait travaillé de
longue maín l'esprit de l'emperenr. On en vint
d'abord a traiter la question miJitaire, Les al1iés
furent représentés comme a découvert sur leurs
deux ailes, en prés(,Ilcc de dcux ccut mille C0111-
~ 28




434 nIlbIOIRES
hattansachal'l1és l. Lc centI'c seul offruit quclque
résistance d'apres l'occllpatioll des quatre pIaces
fran.,;aises. Ceci posé, n'était-iI pas éYident que
les alliés ne ponvaient former ni siége ni hIo-
cns devant un ennemi plus fort qll'eux, ayant
tont le loisir de se porter sur leurs flancs et sur
leurs derrieres pendallt qu'ils s'attacheraient a
<le telles entreprises? Il paraissait d'aillenrs im-
possihle de faire abandonner allX Fran(;ais kur
position cluns la West-Flandre. Des 101's la cam-
pagne était manquée. Le princc de Cobourg, qui,
entrant uans les vues de Thugnt, tendait par
ses opérations a les faire pl'évaloir, s'appuya Slll'
l'opinion connue de Mack : cet officier interpelM
avoua qu'il avait en effet annoncé que eette cam-
pagne serait la del'l1iere dans la Belgique; que
la guerre ne pouvant avoir qn'un seul but, la
contre-révolution dans l)aris, hors de la tont le
reste lui semblait inutile; (lU'il valait mieux certai-
llement abandonner ces provinces a elIes-memes
avec la totalité de l'armée que ele risquer d'en-
tener sans fruit la moitié eles forces de la mo-
narchie dan s les champs de la Belgique. leí Thugllt
demanda s'il faIlait sacrifier toutes les ressources
de l'état pour une possession si peu affectionnéc
au souverain_ Appuyé par Trautmansdorff, il re-


, Le général Jourdan n'ayait poiut encore opél'é sa jonction; or,
ccHe asscl'tion était au ¡¡loins ine;¡;acle.




D'UN JI02lIUE D'ÉTAT. 435
leva la condllite des états et le manque de foi a
lclll's pl'omesses. J\'avaient-ils pas offert hommes
et argent en janvier 1793 pour etre délivrés des
exactions de ]a convention et du débordement
de ses armées? On les en avait affranchis; et, an
1 ieH de réa]iscl' lenrs offres, les états avaient sus-
cité mille dimcnltés, mille chicanes. La conduite
des FraIH;ais était diamétralement opposée : tan-
dis que les Belges persistaient dan s leur parcimo-
niense opposition, les Fran~ais se levaient en
masse, et tont était prodigué par eux au succes
tle lenr canse. Que pouvait-on leur opposer de
semblable? Jamais une guerre de politique ordi-
naire, condllite par les procédés.ordinaires, ne
pourrait l' emporter sur une guerre <le révolution;
et qneHe révolution! extraordinaire en elle-meme,
extraordinaire par ses principes, par ses exces
et par le génie de ses auteurs. On ne devait pas
perch'e de vue les circonstances dans lesquelles
l'Autriche épuisait ainsi ses forces sans aUCUIl
fruit: c'étaitau moment ou le feude l'insurrectiorr
embrasait la Pologne, et mena«,;ait des provinces
aclhérentes an C(x~Ul' de la monarchie. La aussi iI
faHait prendrc les armes. Pouvait- on soutenir
ueux guerres oIll~rcuses a la fois? Laisserait-on la
Rnssie et la Prusse décider seu les de la destinée
d'nIl pays dont il fallait apaiser l'effervescence
ct étouffer les soulcvemells? Si, pretc á rompre




436 ::\fÉJ\fOrRES
le nreml de ses engagemcns, la PrllSSC avait con-
seutí a s'arrcter sur les bords dn Rhin, ce n'était
qn'au prix d'un riche subside, qui an moins al-
lait la défrayer. Les intérets de r Autriche dcman-
daient aussi qu'elle se phu,:at dan s la meme situa-
tion. Sil'Angleterre entendaít garantir la Delgiqne
et sauver la HolIande, c'étaít surtout á la puissancc
autrichienne qu'elle devait avoir recours. Désínté-
ressée dan s la guerre, ou plutot ruinée par elle,
ilIle resterait plus a l'Autriche qu'a s'éloigner, a
se replier sur elle-meme, en prenant la ligne de
la Mellse, si ce n'était pas celle du Rhin. Alors, et
l'affaire de la Pologne finie, peut-ctre se tl'ouYe-
raít-elle en mesure, secondée efficacement par
l' Angleterre, de reconquéril' une troisieme fois la
Belgique ayec de plus grandes forces : iI n'avait
faUu que soixan te millo hommes ponr en chasser
Dumonriez! .... D'nn autre coté, par l'effet memc
de l'abandon de ces provinces, l' Antriche resterait
encore plus libre sur le choix des moyens {{'en
balance!' la perte; cal' si la France, oú tout fai-
sait présagor une erise illtérieure, venait it offrir
une fOl'lne de gouvernement avec leque! on pút
traite!', il serait infiniment plus facile de s'en-
tendre en sacrifiant la Belgique,saufáen trouver
ailleurs une ample compensation.


Tont ayant été ainsi pesó, la majorit(~ du COI1-
seil regarda C0111111e contraire aux plus lmis-




, "
D UN JIOllTllrE D IcTAT.


sans intérets de l'État de continucr une guerre
ruineuse pom' une possession si peu affectionnée
et si lointaine. On décida néanmoins que, pOllr
mettre a couvel't l'honneur des armes de l'Au-
triche, on ne recnlerait pas elevant lIne batai11e,
et que de son issue dépendrait le liarti qui scrait
pris ultérieurcment, soit pour négocicr avec la
France, soit pour traiter sur el'autres bases ayec
l'Allgleterre; mais qu'au préalable l'emperellr,
se mettant hors de l'illíluence de ces chances di-
verses, retournerait a Vienne, s'y occuperait im-
médiatement des affaires de Pologne, et, voyant
se développer les événemens, y prelldrait part
selon que l'exigerait l'intéret de la monarchie.


On convint unanirnent que la délibération res-
terait secrete; iI importait en cffet au cabinot
d'Autriche que si la mcsnl'C de l'évacuation s'e[·
fectuait on n'y VJt pas reffet fI'une prémédita-
tion, mais une déterminatioll cornrnalldée uni-
quement par l'impnissance de continuer la
lutte avec av:mtage. Il s'agissait de ne pas trop
choquer les alliés, en gagnant du temps, car c'é-
tait le temps surlout qne l' Autriche avait ton-
jours su mcttrc a profit dans l'intéret de sa poli-
tique. Mais pOllvait- elle dérober ses intentions
secretes au cabinet de Londres, qui. ne cessait
de se plaindre de la fausse direction donnée a
cette guerre, ne s'abusant pus sur la t~édeur et




MÉl\IOIRES


l'incapacité du prince gpnéralissime? L'impéra-
trice de Russie était tout aussi hien informée de
ce qui se passait dans les Pays-Bas, ou cHe avait
envoyé le eomte de Langeron et le duc de Ri-
chelieu 1 servir comme volontaires a l'armée dll
prince de Cobourg; au fond iIs y étaient plutot
comme observateurs militaires: le eomte de Lan-
geron rendait compte directement á la czarine
des opérations des alliés.


Aux yeux des envoyés de Catherine et des
commissaires anglais, OH rejetait a l' état-major
du prince de Cobourg sur la manvaise volonté
des Prussiens 1'indécision des événcmellS de
la campagne et le peu de succes qu'on devait s'en
promettre, tant que le renfort auxiliaire, de-
mandé a la Prusse, n'arriverait pas sur la Meuse.
L'Autriche, s'étantrefns(~e a prendrc ancunc part
au traité de La Haye, laissaita l' Allgletcrre le soin
d'en requérir l'exécution.


Le cabinet eJe Londres avait envoyé des instruc·
tionsa lord Malmesbury, an sujet de l'arméeprus-
sienne, qui devait etre renduc dans les derniers
jours de mai sur la frontiere des Pays-Bas. Mal-
mcsbury étant parti de La Haye, prit sa route
pour Maestricht, d'otl il se proposait d'aller en-
suite an quartier-généJ'al de l'cmpereur. Des con-
férences s' ouvrirent aussitot a Maestricht, entre


• Le meUle '!ui depni3:t été ministre de Loui" XYIU,




, " D UN' H01\TJUR D ETAT.


cet ambassadeur, le ministre Haugwitz et les pIé-
llipotelltiaires hollandais. Leur principal objet
était de tirer des arm(~es du Rhin 50 et rrH~me
60 ~ni1le hommcs pour les faire aeconrir a la dé-
fense de la Belgique, d' OÚ dépendait le sort de
la Uollandc et cellli des plus grands intérets de
l'Angletere. Malmesbury et les envoyés de Hol-
lande s'appuyaient SUI' la dause du traité qui
stipulait la marche de l'armée prussienne ver s la
Sambrc. Haugwitz y adhéra et prit l'engagemellt
de requérir, an llOl11 de son cabiDot, le maré-
chal lVIrellelldOl.f de mettl'e sallS délai a exécu-
tion la stipulatioll rédamée par les deux puis-
sanees maritimes.


De son coté Mrellendorf s'était déja montré
décidé a rester sur le Rhin. La premiere ligne
de ses cantonnemens s'étendait a cette époque
depuis le Deuve jusqu'::wx SOllrces de la Nahe:
le reste de son armée était groupé antour de
Mayence.


Loin d'adhérer a la l'équisition diplomatique
d'Ilaugwitz et des plénipotentiaires alliés, le ma~
réchal prussien, informé presque en meme temps
que le génél'al Jourclan venait de se mettre en
marche vers la Sambre a la tete des forees princi-
pales de l'armée de la lVIoselle, n'eut pas la moin-
drc intcntion de le devaneer ni de le suivre. n
se h).ta au contl'aire, pour mienx dude!' lf,t




440 l\rÓrOIItES
réqllisition des puissanccs, de commenccr une
expédition sur la Sarre, en s'emparant de Kai-
serlautern, et en poussant ensulte sur Sarre-
Louis, cúmmc pour en faire le siége. Ses divers
mouvemens remplirent les derniers jOU!'S de maÍ.
L'armée franc;aisc du llhin ot les deux divisions de
la Moselle restées clans leurs anciennes positions
s'éta~ent mises en retraite aevant les Prllssiens,
qni avaient attiré quinze mille hommcs de l'al'-
mée da duc de Saxe-TescheIl sur la rive ganche
ponr concourir it l'offeusive. Tout a COllp :i\Iocl-
leudorf, satisfait de ce miuce avantage, au lieu
d'achever les dispositions quí devaÍent lUÍ assu-
rer la victoire, s' arre te an reycrs des Vosges, et
I~t, remettant l' épée dans le fourrean, s' engage
bientót dans un débat diplomatique avec les plé-
llipotcntiaires de l' Allgleterre et de la Hollande,
quí luí rappcllcllt avec force les conditioIlS <.In
traité de La llaye.


Que fait alors Haugwitz? apres avol" assisté ;'\
l\1aestricht aux confl~rcnces sur la poursllite de la
gnerre, instrnittrop tanl (les Íntcn tionsde sacour,
et se voyant personnellemcut engagé, il quitte
J\Iaestricht précipitammcnt pour se remIre a Ber-
lino n n'y tl'om'a plus le roi. Ce prince était parti
de Potsdam le'l!~ mai, allant par Fl'ancfot't·sud'O-
en Posnanie, accompagné du général llÍschofI:'
swerder, du colonel :\lallslein et de LucchesiriL




D'UN rrO:M:1\fE })'ÉTAT.
Les deux prinees ses fils et le ministre d'état de
Woss l'avaient précédé. On ne douta plus des
10rs que le roi n'eut réellement la volonté d'agir
contre la révolution po]onaise de concert avee
la Russie. A la veille de voir la Prusse prenure
part aux hostilités eommnncs, les deux favoris
UU roi con<:urent, de coneert avee Lucehesini, le
projct d'assembler en Posnanie un congrcs pour
régler et pacifier les affaire s de Pologne. Mais i]s
aequireut bientot ]a eertitude que telle n'était
pas l'intention de ]a czarine, quí ne voulait y
rien déeider que par la force des armes. Ce projet
n'uvait pas non plus l'assentiment des chefs polo-
nais, qni ne s'en promettaíent rien de satisfai-
sant s'il venait á se réaliser. Dans eeUe suppo-
sitian, ils regardaicnt comme indubitable que
Lucchesini assisterait au eOfigreS de la part de
sa cour, el c'était précisémcnt a ce ministre et a
la condulte qu'il avait tenue cn Pologne a deux
époqnes différentes qll'ils imputaient leurs der-
Hieres infortunes, comme on attribuait alors cn
Allemagne a su récente ambassade a Vienno ]a
défiancc qui régnait entre le cabinet impérial et
ccluí de Berlín.
c.~ Il ne fut plus question de congres, des que
les avantages que le roi devait retirer des se-
COUl'S acconlés a la Russie dans cctte guerre eu-
rcnt été réglés a Saillt-Pétersbourg. Le monarque




lIIÉlIfOIRES


prussien se mit aussitot a la tete de ses troupes,
qui s'élevaient a plus de vingt mille hommes.
Apres avoir opéré sa jonction avec les Russes, le
roi attaqua le 8 juin les forces polonaises COffi-
mandées par le général Kosciuszko. L'action cut
líeu sous Szezekociny, bourg situé al1X confins
ou palatinat de Siradie et de celui de Cracovie :
les Polonais y furent défaits.


La lettre que le roí écrivit lui-meme sur le
champ de bataille a son ministre du cabinet,
comte d'Alvensleben, portait que « le général
» Favrat, avec une partie des forces prllssiennes,
» s'étant réuni le 6 a un corps russe pres de la
» petite ville de Piliczka, le roí avait atta qué de
» l'autre coté l'armée polonaise aux ordres de
» Kosciuszko, entre Piliczka et Cracovie; que les
» Polonais avaient laissé deux mille hommes sur
» le champ de bataille, et perdu treize canon s ;
» et que le roi, qui s'était exposé, avait récom-
» pensé la bravoure de son second fils, le prince
)) Louis, en l'élevant an grade de général-major,
» grade qu'il avait également conféré a son aide-
» de-camp Manstein, qui avait eu un che val tué
» sons lui a ses cotés. ))


Cependant Kosciuszko qui, par sa retraite,
avait sauvé SOIi. al'mée d'une défaite totale, n'é-
tant pas ponrsuivi par les Prussiens, ralIia ses
1ronpes et l'ótablit l'ordre. Le roi cnvoya immé.




n'UN IIOl\flIIE n'ÉTAT.
diatemcnt le grand-écllycr de Lindenau a Saínt-
Pétersbonrg y porter la nonvelle de la bataille
dont l'issue était favorable aux intérets combi-
nés de la Prusse et de la Rnssie. I.e surlende-
main, le prince de Nassau et le .lieutenant-gé-
néral de Fersen arriverent an quartier-général
du roi pour y concerter la suite des opérations.
Peu de jours apres, la ville de Cracovíe s'étant
rendue a un corps prussien, le roi fit ses dispo-
sitions pour former en personne le síége de Var-
sovie.


Tonte la sollicitnde dl1 roi se portait alors
sur la guerre de Pologne, ce prince ne voyant
plus la poursuite des hostilités contre la France
que sous le point de vue d'une tache pénible dont
iI aurait voulu etre affranchi. Il résultait de ceUe
disposition qne le roi n'envisageait pas sans une
sorte de répugnance les nOllveaux engagemens
qu'il venait de contractel' avec I'Angleterre. Ainsi
ecUe troisieme campagne, dirigée contre la ré-
volution, et qui dcvait étre si décisive, cOJO-
menc;ait a peine, soit sur le Rhin, \ soit dans les
Pays-Bas, que les dcux princes, dont les armes
faisaient la principale force de la coalition, aspi-
raient mutuellement a sortir d'une lntte pour le
fioutien de laquellc il eút faUn déployer un plus
haut degr{~ d'énergic cru'ils n'étaient susceptibles
rl't:l! TllOl1l1'er !'tm el, l'autrc,




JlrÚIOIRES
Cependant rien n'était encore changé dans les


Pays-Bas, a la fin de mai, dans l'ensemble de la
guerreo Clairfayt occupait une position entre la
Lys et la mer, couvrant de la Gand et l'illtérieur
de la Flandre, dont Pichcgru, apres la bataille de
POlltachill, avait ponrsuivi l'invasioll. A l'autre
ailc de ce frant de bataille de quarante licues
d'étendue,ou tous les postes étaient occupés, on
en venait aux mains tous les jaurs sur les rives
de la Sambre vers Chal'leroi. C'était pour ainsi
Jire la clcf de ton te cette ligue: la devait se dé-
cider le sort de la campagnc par l'effet de la
jonction de l'armée de la Mosclle avec l'armée
des Ardennes et la droite de ceUe dn Nord : Jour-
dan était en pleine marche; il per<;ait par les
Ardennes, et Beanlieu, se trouvan t a découvert,
s'était retiré vers Namur. Un troisieme passage
de la Sambre avait été tenté sans sucet'~s le 26 mai.
Le 30, l'armée des Araennes et la droite de l'ar-
méc dn Nora avaient fait un nouveau mouve-
ment, et investi Charleroi : malgré plusienrs ten-
tatives infrnctueuses, les Fran~ais ne s'en propo-
saient pas moins el'en faire ]e siége. Les Autri-
chiens qlli leur Maíent opposés s'avancerent pour
délivrer la place: le prince héréditaire (fOrange
les commandait '. L'empereur lui-meme arriva


, 11 avait rcmplac" le general comte de Kaunitz, rappel': 11 la grande
armée par le généralissime.




D'VN HOl\nIE D'~TAT.
JI') _Ier juin avec le renfort partí de Tournai, et le
3 juín ulle vigourcuse attaque commen<;,u sur
toute la ligne. Les républicains, assaillis et hat-
tus, furent contraints de lever précipitamment
le siége, apres avoir perdu deux mille hommes.
Mais des le lendemain on vit paraitre tout-a-coup
les tetes de colonncs des quarante mille hommcs
de l'armée de la Moselle, conduits par Jourdan.
Quel renfort imposant ~ Réunis clans la main d'un
seul chef, ces trois corps cl'armées formerent l'ar~
méc de Sambre-et-:~Ieuse; eHe s'élevait a soixante-
scize milIe comhattans, non comprisqninze mille
hommes, q ni, sous les ordres du général Schercr,
garclaiellt la Sambre, de Maubenge a Thuin. Au
premier bruit de cette accumulation de forces sur
le point cssenticl de la Sambre, le conseil privé de
l'empereur décida qu'il était tcmps de rnettre ~t
cx.écntion les résolutions dólihérées a Tournai.
Un aide-de-camp fnt envoyé en toute hate au
prince de Cobourg, avec une dépeche écrite an
llom de l'empcrcur, pour qu'il vlnt au soutien
ue la Sambrc; il s'agissait d'cmpecher que les
COl'pS fran~'ais, dont la jonction s'était opéréc,
ne se portassen t de Charleroi, qu'ils n e cessaiCll t
<le menacer directement, sur Tirlemont, d'oú ils
intercepteraient la route de Liége, par laquellc
devrait s'cffectuer, selón .l'évcllcmcnt, la retJ'aite
des troupes impériales.




446 l\JÉ1\fOIRES
Sans laisser encare transpirer son intenlion de
. l' , l' qUltte¡' armee, empereur, partant pour se


remire de Malines á Anvers, se plaiguit avcc
amertume du retard, on plutot de la mau vaise
volonté que mettait la Prnsse ü conconrir a la
défense commune sur un champ de bataille, OÚ
elle s'était engagée par un traité formcl ue venir
combattre, et oú allait etre décidé le 50rt de la
guerreo L' empereur ajouta que la prodigicuse
augmentation des forces de l'enncmi ne lui lais-
sait que pen u'espoir de prolonger la lutte avec
succes, si des forces anxiliaircs n'arrivaient pas
e11 tonte hateo Le marquis d'lIert[ort r, l'un des
commissaires du gouvernement anglais, supplia
l'empereur de ne pas se départir de sa COllstance
glorie use ponr la défense commune, et de per-
sisterdans la juste confiance que lui avait inspirée
jusqu'alors l'appui de ses valeureuses troupes
qui ne pon ,aien t manquer de vainere, dan t di-
rigées par les memes sentimens dont elles étaient
animées. Il annon~~a ~l l'empel'cul' l'arrivée da
marquis de Cornwalis, chargé par sa conr de se
rendre en qualité de commissaire allprcs de 1'a1'-
rnée prussienne, qui, sur su réqnisitioll, ne tar-
derait pas vraisemblablement ü filer vers les
Pays-Ras. L'empereur témoigna sur les in ten-
tions du cabinet de Prusse des (loutes que celui


, Ci-devunt lord Yarllloutu.




n'rJN rrOllIlUE D'ÉTAT. 447
de Londres commen<;ait él partager. Pítt avait
!lonné an marquis de Cormyalis ]a mission de
vaincre les hésitations du maréchal :Medlendorff.
Le marquis avait fait le trajet de Londres a Os-
tende él bord d'une fI'(~gate anglaise, et il arrivait
presque au moment OU se termiriaient les confé-
rences de Maestricbt. Les engagemens qu'Haug-
witz y avait pris lui firent d'abord augurer qu'il
réussirait dalls l'objet de sa mission. Pressé de la
remplir, ii alla joinure á Mayence lord Malmes-
bury, signataire dn traité, et l'amiral Kinckcl,
que la HolIandc envopit de son cóté ~t l'armée
prussieuIlc avec UBe mission semblable. Lord
Malmesbury n'ayant pu déterminer Haugwitz a
yenir conférer ave e le man~chal Mrellendorff
pour la prompte exécution des stipulations de
La Haye, Hal'llenbcrg, sur ses instances, con-
sentit a reluplacer Haugwitz en sa qualité de
1l1iuistre du cabinet pl'llssien. Les conférences
curent lien vel'S la mi-juin, d'abord an chateau
de Kirchheimbohlanden, sur le Rhin, au picd du
mont Tonnerrc, puis HU quartier-général de
J\Icdlendorff: elles furent tres-animées. Les com-
missaires des puissances maritimes exigeaient
q lle les Prussiens, an lien el' agir dans la Lorraine
et l'AIsace, se portassent en toute hate sur la
Sambre, dans la vue de conserver la I~elgique.
(( Ce n\~tait pas gratuitement, disaiellt Corl1walis,




448 1\IÉlUOIRES
») Kinckcl et Malmesbury, qll'cIles payaient les
» subsides, ni pour que les auxiIiaires soudoyés
» employassent 1eurs forees a lenr gl·é. Les Prus-
» siens devaient done agir eonjointement et a
» la gnise des allíés, cal' telle était la premiere
)) eondition et la hase dll traité. Ces demandes
») d'aillcurs étaicnt si justes que le plénipoten-
» tiairc prussicll luí·meme y avait souscrit aux
») conférenecs de l\Iacst1'icht. »


Mcellcndorff ne erut pas dcyoir y obtcmpérer,
(lans la persuasion qu'eUes étaient incompa-
tibles avec ]a tliguité et l'illtél'(~t politiqllc de
son gouvernemcnt. n alIé gua flu'clles étaient
contraires au succes de la campague, et comme
il ne pouvait mettre en avant que ce derniel' mo-
ti!", ill'appuya avec beancoup dc chaleur et <1'é-
ucl'gie, rappelant d'aborcl: (( qu'cn se maintenant
») 1'hive1' entier sur la 1'ive gauche du Hhill, iI avait
) empeché l'ennemi de se maintenir luí-memc á
» Treves, et préservé la chute presquc inévitablc
» dcs Pays-Bas; que les opérations précoces de
») la campagne et l'attaque de la Lautcru n'a-
» vaicnt pas été moins utílcs en appclant une par-
» tic des force s fran\aises de la Sambre sur laMo-
» selle, ct facilitant ainsi la défellse de la Bclgique;


1 "."" 1 )) que llU moren n et:.\It meme a present p llS
) proprc a sauver ce pays qne de cOlltinuer d'at-
)) taquer e11 Dane la LorraillC ct l'Alsace; IJu'il




D'UN Hü:lIl\IE n'iTAT. 449
» falJaít s'uveugler soí-meme sur les vrais inté-
Ji rets des aIliés pour ne pas comprendrc que
)) rien ne pouvait etre plus agréable allX Fran-
)) ~ais (IUC la translation des forces prnssiellnes
)) sur la Samhre; que par-la Sarre-Louis et Lan-
) dau, actuellemcn t menacés, ti' auraient plus
)} rien a craindl'e; que le Rhin, dégarni dc tron-
) pes, resterait sans défense, et enfin que rien
») ll'empecherait plus l'armée du Nord de rece-
)) voir tous les antres renforts qn' elle désirait.»


Les commissaires nc virent dans ces alléga-
tions qne des sllbterfllges; ils réitéreren t leur
demande pércmptoire, en la motivant non-senIe-
ment sur le texte meme du traité, mais encore
sur la jonction des deux armt~es de la MoseUe et
du Nonl qni venait de s'opérer elevant Chal'-
leroi: elle donnait aux Fran<;ais sur la Sam-
bre un tel accroissemel1t de forces que s'il n'était
pas balancé par la promptc intcrvention des PrllS-
siens, la súreté de la Belgiqne serait gravement
compromise, de meme que la barriere de la
Hollande, que les puissanccs maritimes avaient
tant d'intéret a défendre. Mcellendorff persista
clans son rcfus, ell observant que le traité signé a
La Haye portait expressément qne l'al'mée reste-
raít rénllie sons un chef prussiel1; que d'ailleurs
elle n'était pas passéc positivemcnt a la solde des
puissauces maritimes, qui, par la conventioll dn


ti. 29




450 lIIÉilIOIRES
19 anil, fournissaicnt sculemcnt au roi oe Prusse,
pou .. continucr sa coopération, des moycnsdollt
ce mOllarque s'était privé par les cffol'ts qu'ilavait
faits précédemmcnt a ses propres frais sur les
revcnus de l' état. IlIle fut pas possible de faire
changer de résolution an yieux maréchal. L'ai-


'Al ., greur s ell me a, et on en vmt meme aux repro-
ches. Attaquant la bonne foí des PrussieJls, les
commissail'es observeJ'clIt que les alliés payaient
I'entreticll de soixante-deux mille homrnes, et
qu' OH savait néalllll()ins positivernent qu'a la bou-
Jangerie de l'ai'mée OH llC co1l1cctiounait du paill
que ponr trente·deux mille soldats. l\lcellcudorff
se récria, et nia l' exactitude de ce calenl. EnGu
TTardenherg, plus cOllciliant, et quí désirait
lUettrc un termc a eNtc péuihle discllssion,
proposa d'el1voyer uu officicr aupl'es dll roí
l'éclamer la dótermination de S. J\I. SlIl' la des-
tination llltéri(~ure de l'armée prussicnne. Le
marquis ,de Cornwallis, tout cn adhérant a cette
]ll'oposition, décIara q tiC les allit~s snspendl'aient
]cs paiemens du subside jusqu'a ce que cctte af~
faire fút arrangée, et les difílCldtl'S appJanies. On
se sépara : le majar de l\1eyerillck, aide-de-camp
de MccHcndorff, c t ~l fl ni ia dépeche fut confiée,
pl'it la route de Breslan, ponr de hl gagncr le
quarticr-général da roi en Pologne.


De son coté,!" empercur, r6signé a l'abandoll




, , ,
D VN IIO:lIl\IE D ETAT. 451


des provinces bclgiques, avait qllitté, le 9 juin,
l'arrr}(~e dll prillce de Cobourg, pour se rendrc
;l ,lllVerS; lmis, ton t a cou p, revenant sur ses
pas, et passallt le Rhill, il continua sa route
directement ponr ViellIle, laissant au comte de
Metternich le 50i11 de mettre les vues secretes
de son cabinet a exéClltion, quand i1 en serait
temps. Son retoursllbit a Vienne, aumomentoLI,
dans les Pays-Bas, le fen de la guerre paraissait
dans toute sa force, fit cbus cette résidencc et
dans les <llltres capitales de l'Europe la plus grande
sensatiou. c( L'empereur ne s'est pas si fort haté,
» disait-on a la cour et dan s les cerdes, sans quel-
J) que motif pressant.» Les hauts personnagcs
l)lns au fait des affaire s , COlllllle étant plus pres
du prince et des ministres, répondaient avec une
sorte d'affectation diplomatiquc que c( la pré-
) sellce du monarque allX I)ays-Ilas, l' expérieuce
J) q u'il y avait faite 1 lersollllellement des difficultés
J) qu'offraieut les coujollclllrcs présentes, et les
» connaissallces q ll'il Y a valt acquises sur les lieux
) memes, et qui étaicnt bien préférables a celles
» qu'on tirait de rapports éloignés, l'avaient con-
») dllit a un résultat que peut-etre on verrait se
» développer ualls peu; que du reste on parlait
» plus que jamais de mcttre un terme a l'effusion
» da sallg hnmain, et de laisser calmer, s'il était
» possiLlc, par le repos, cette agitation des es-




452 ilrÚlOlRES
» prits, de part etd'autre, qlli pIongcait l'Enrope
) dans les plus grands malheurs. »


La paix, Oll tont au moins une trcve avec la
:France, entrait réellement dans les combinaisolls
de Thugut, et par conséfIllenl dll cabinet impé-
ríal. D'apres les informations secr¿~tcs qu'on y re-
cevait de París, on s'attendait il un Ilollvel ordre
de choses en Franee, c'est-a-dire que le pouvoir
divisé y Lombel'ait clans une seule main. Robes-
pierre 6tait ce prochaiu dictateur. Se montrant
disposé a mettre un tenue allX exces révolution-
naircs et an I'egne de la tel'l'Cl1l', iI était allX yeux
des cabinets de VieUlle et de Londres le seuI
avec lequcl il fut possible de traiter. Ne s'était-il
pas opposé a la guerre dan s son origine, et depuís
n'avait-il pas anéanti la facLion de Brissot, qni,
en l'allumant, avait lancé contre l'Ellrope la
propagandc? N'avait-il pas abattu plus récem-
ment les factions anarchiqnes qui prechaicnt le
nivellement de tous les rangs et de tmItes les
fortunes, et qui, en aholissant le culte chrétien,
avaient nationalisé l'athéisme ? Dans un rappol't
sur la morale publique, iI avait tonné lui-memc
contre l'athéismc et les pI'o[~tl1at~ons_ Il venait
de faire plus : nommé pl'ésident de la conven-
tíon, il avaitfail proclamer l'existence de l'l~tre
supl'émc et l'immortalité de l':nllC l. Le gou-


, Le X juin 17,1\.




453
vernemcnt de Rohespierre commcn<;,ait, pour
ainsi dire , sous les auspices de cctte déclaration
religieuse, comme étant la so urce de toutc
moralc publique, premier principe de toutes les
Iois. Il promcttait aussi la liberté a tous les
cultes. N'était·il pas évident qu'il aspirait a ra-
mener les choses a un état d'ordre qu'on pút
supporter etqui pút etre durable ? Telle était l'idée
qu'on s'était formé de ce chef de la révolntion ,
llon-seulcment a Viennc et a Londres, mais en-
core aRome, a Turin, a lHadrid, oú l' OH pensait
avec raison qne le pouvoír finirait par appartenir
a ceIlli:m nom duqucll'ordre public pourrait se
rétablir en France.


Encore d':mtrcs indices semblaient jnstifier
les prévisions des denx principanx cabinets COll-
fédérés. OIl savait par cxemple á Vienne et a
Londres que c'était le frere de Robcspicrrc qui
avait faít suspendre l'in"asion du Piémont et de
]a Lombardie, prete a s' effectner par les Alpes
marítimes; OH n'ígnorait pas llon plus que, dan s
le comit(~ de salut public, H.obespierre luí.meme
ralentissait I'exéclltion des plans de campagne
proposés par Carnot, commc mena(>~allt I'Ell-
rape d'un débordement militairc. n se servait
de Saint-Just allX armé es ponr y balancer ou
y détruirc l'in{luence Je Carnüt, et il soutenait
Pichegru, qui lui était personnellement dévoué.




::\fÉ1\fOrRES


Plus restl'cint dans ses vues, il ne vonlait que
l'affranchisscment de la Hclgiepte, el rccouvrer
tous les pays réunis par la convention ~ la .Franee.
On n'ignorait pas non plus qu'au fond il re-
doutait la guerre et l'ambitíon des généraux;
enfin on le croyait tout-puiss:mt, paree qu'on le
supposait maltrc dn comité de salut public par
les jacobins, par la convention et par la eom-
mune. Dn reste les cabinets n'étaient poinl en
mesure d'avoir sur l'intérieur du comité de
salut public et sur l' état réel de la France, des
dOIlIlées assez précises pour appuyer d'une ma-
niere certaine leurs calculs politifJl1es; i1s ét:üent
alors absorbés dans leurs propres alTaíres.


N OIl - seulemen t ) es cours de Sain t - Pl~ters­
bourg et de Berlin, mais cneore ceHe ue Vienne,
avaient anssi a s'occupcr essentiellement ue l'in-
surrection de la Pologne: ce fut un (les motifs qni
ramcncrent l' emperenr d:lllS sa capitalc. Les notes
remises au nom de la czarine aux deux cahillcts
de Vienne et de Rerlin leur avaient représenté la
Pologne comme ayant ouvert une sceondc scene
de : révolution, qui, si ron nc réussissait a 1a
fcrmer bientót, pourrait entrainer les suitcs les
plus funestes, en perpétnant le fen de la guerre
dans cette partie de l'Europe. Le sentiment de
crainte généralc que eette commotion, destinée
a délivrer la Pologne du joug étrangcr, ne dégé~




455
nér:lt en lln0, imitatioll (k la l'óvolutioll franc;aisc,
avait saÍsÍ les hautes classes dans toutes les cOllrs
<In NOl'd; la czarine se servil tl'es-adroitcment de
ectte disposition df'S espl'its pour arriver anx 1'6-
sultats qn'cllc se proposait.


Dés qn'clle ent conllaÍssance des motifs qni
portaient 1'A utl'iclte au découragemellt dans les
Pays-Das, el de I'inquiétndc intércssée que dé-
cdait ecHe pnissancc sur le d{~nouement présmné
du drame de la T>ologne, elle regarda comme un
coup de parti de l'y [aire intervenir elle-l1H:'me;
il s' agÍssait de s' ell servir pom' halancer le poids
mililaire de la Prllssc, quí se pr(~sentait en Po-
lague avcc ele grantls ctesseins dont Catherine
entendait bOrIH'l' les dfcts tant elle était súre par
la ct'y jOller le premier role.


Son ambassadeur a Vicnne, comte de Rasu-
mowski, avait re(:u d'clle, pendant l'aLscnce de
l'cmpcrcur, des dl'p~c1ws pOUl' les rellletlre e11
ll1ain pl'oprc ~t e" princc. L'amhassadcllr s'était
mis aussitut en route; mais arrivé ~l Ratisbonnc,
apprenant qnc l'cmpc!'eur retournait a Vierme,
il était alIé :1 sa rcncontre jusqu'á Fl'ancfort. Ul
il n'avait pu le joindrc, l' empereur ne s'y étant
point arreté. Imml'diatement apres son arrivéc
dans sa capi.tale , ce princc envoya au général
comte d'IIarIloncourt l'orclre d'cntrer avec SOll
corps d'arml:c dalls la Pctitc-Pologne. C'était le




456 2UÉ:VIOIRES
résultat des résolutions adoptées par son cabinet
avant le départ de la Belgique. Jusqu'alors la
conr de Vienne s'était tenue en observatian;
mais apres l'occupation de Cracovie par les
troupes prussienncs, nc voulant pas se priver
des avantages d' Ull nouveau démembrement j ugé
inévitable par la réunion des forces de la Prusse
et de la Russie, elle n'avait pas hésité a prescrire
l' occupation de la Pctite-Pologne. L' ordrc en était
donné quand Rasumowski remit ses dépeches:
elles avaient pour objet de mettre les affaires de
la république de Pologlle en liaison avec ceHes
de rEurope en général; et c'était au prix de
l'accession de la cour de Viellnc aux projets
des cabinets de Russie et de Berlín qne la czarine
offrait a l'empereur un arrangement plus étendn
sur la destinée fnture de la Pologne. Par lá l'im-
pératrice avait également en vne de reprendl'e
son influence sur la conr de Vienne.


Le général d'Harnon court s' éta i t mis en marche,
précédé par une procIamation annonc;ant qu'il
entrait sur le territoirc poJonais avec le corps
d'armée qui était sous son commandement pour
éJoigner par cette mesure ton s les dangers aux-
quels les frontieres de la Gallicie pourraient etre
exposées par sulte des troubles qni venaient d'é-
dater en Pologne.




, " D U::V HOMME D ETAT.


Les Autriehiens y pénétrerent sans opposi-
tion, et te! fut l'aveuglement des Polonais qu'ils
n'admirent pas la possibilitéque la eou!' de Vienne
eut l'intel1tion de preuclre une part directe á
cctte gLlerre au momcnt meme oú, par l'inter-
vcntion de la Russie, I'Autriehe se réservait pour
son lot dan s le nouveau parlage les palatinats de
Chelm, Lublill, Sandomir et Cracovie.


Pendant cette double crise, dn cote de la
Pologne et dn coté de la France, on vit á la
cour de Viennc le nestor des ministres quittcr
la triste scene des affaires humaines alors si
agitée et si coufuse : le vicux prince de Kaunitz
dcscendit au tombeau l. La diplomatie le sur-
nommait l'ancien cacher de l'Eurape : en effet,
pendant pres d'nn derni-siecle il avait pris a la
poli tique européeunc 11ne part a laqnclIe il fut
encore plus redevablc ~t son úle sans bornes
ponr la maison d'Autriche, qu'a ses talens comme
homme d'état, tale11s dont on avait exagéré les
proportions en raison de la perpétuité de son
pouvoir. Depuis deux ans il s'éteignait, et iI
mOUl'ut d'ull dépérisscment de forces dan s la
quatrc-vingt-quatrieme année de son age. Il fut
le régulatcnr pendant qllarante ans de la puis-
sanee autrichienne, dont il arreta moins le dé-
clin qu'il ne le pallia. Pcu de joiLrs apres sa mort,




458 :IITJhrorm:s
Tlmgut revint a Viennc, de retonr des Pays-Bas :
il relcvait de malaclie, et avait fait le voyage pal'
can depuis Ratisbonne. L'emperenr luí eonfóra
la place de ministr'e effeetif des affaires étran-
geres; jusque la iI n'en avait en que la directioll
par pure défé!'ellce pOU\' le viCl1X Kaunitz, qu'il
n'avait pas cessé de consulte!' pOOl' la forme.
L'empcreul' l'ayant nommé ógalement chancelicr
de com' et d'état, des ce moment Thugut occupa
1'h6tel de la chancellC'rie, et fut Ilon-senlement
de fait, mais de droit, J'arbitre des affaires. Plus
tard 011 yerra sur le bord de qucl ablnle ses COlll-
binaisolls poussc!'ent la maison d'AlItrichc.


Au retour de l'empereur le sort de la Helgigue
était déjit fixé politiquement. C'était une suite du
concert sccret établi entre Thugut, le comte de
Wallis, chef du conseil auliqne, et le prinee de
Cohonrg. Les mouvemens plus 011 moins calcu-
lés du géllé1'alis"ime n'eurent plus au fout!
d'antre ohjet que cl'amencr et de motivc1' l'a-
LancIon de ces p1'ovinees; il c1'nt en masquer
l'arriere-pensée par la Yariété des opérations ('t
par la multiplicité des comhats. Placé entre la
Samhre et la Lys, le généralissime tantot se met-
tait eu marche pour la délivrance d'Ypres, que
Pichegru tcnait assiégé; tantot il revenait sur ses
pas vers la Samb1'e, avec l'iutention de dégager
Cha1'lcroi; et, par une incertitude fcinte ou




n'ul'f TTOJ\I1\m n']~TAT.
récllc, iJ laiss:lÍt aggraycr le tlanger. A Hoogleclc,
Clairfayt combattit pOli!' la cinquieme fois, sans
I'ceevoir aaenn renfort, tandís que trente mille
Autrichiens restaienl dans l'iuaetion á Tournai.
Les premicrs frllits de ces íluctuations furent d'lln
c(lté la prise d'Ypres, (lui se rcndit a l'armée de
Pichegrn r, et de l'antrc nn qnatri(~me passage de
la Sambre par l'armée de Jourdan, qui vint avec
ton tes ses forces couvrir le siége de Charleroi.


On a vu que c'était sur la Sambl'e que les
Fran<.:ais se proposaicllt de porter les plus grands
coups : la iI n'y avait pas de temps ~l perdrc si OH
vonlait d{jOllCI' les desseinti du comité de salut
puhIie, que Jom'dan, aiguillonné par Saint-J lIst,
t-tait chargé de mettre a exéeution. Sans etre
intimidé par la sllpériorité des forces qu'il a11ait
avoir a combattre, le prince héréditaire d'O-
range, qu'animait le génic de la ~uerre et une
ardenr trop pen imit{~c pour la cause commune,
repoussa, le T (j j llin, avec quarante mille solclats,
les quatre - vingt mille h0111l11es de l'arméc de
Jourdan, qni avaicllt {,t<'~ mal engagés. Menant
lui-meme an fCH l'élitc de ses troupes, le jellllc
guerrier se jeta sllccessivement sur les divisions
fran<.:aises du centre, en position sur un espace
de trois licues: il1es accabla l'une apres l'autre.


Au lieu de se joilldrc au priucc d'Orange pour
¡ Le 17 juin.




460 lUÉ2IIOIRES
compléter la défaite de Jourdan avec l'armée
qu'il tenait en réserve a Tournai, le prince de
Cobourg parut vouloir persister a por ter des sc-
cours a Clairfayt, tonjours inutilement compro-
mis. On s'attendait qll'il prendrait enfin un parti
décisif; mais il ne se dé termina pas plus a volcr
sur la Lys, pour repousser Pichegru, qu'a venir
frapper un coup plus important sur la Sambre.


Qlloique battue le ;6, l'armée de Jourdan, ou
Saint-Just imprimait la ten'cUl' en demandant
hautement la tete des généraux, passa la Sambre
le snrlendemain pour la cinquieme fois, etpour
la troisieme bombarda Charlcroi, ave e la rt'-
solution d'en venir, si on l'attaqnait, a une ba-
taille décisive. Sur cet avis, le prince de Cobourg
as~emblc un conseil a Tournai, et la déelare
qu'il ne s'agit plus de songer a sauver la r"landre,
que c'est sur la Sambre qll'il fáut marcher en
tonte ha te pour y arre ter les progres des troupes
fi'awiaises qni s'y montrent formidables; que
tontes les positions entre cette riviere, les places
fortes et la mer seraicllt comprornises si on ne
prenait pas la résolution de voler a l'instant memc
au secours de sa gauche. Cecí posé, iI dé termine le
duc d'York a res ter avcc les divisiollS allglaises
et hanovl'iennes sur l'Escaut, ponr se liel' au
besoin avec Clairfayt; et il marque cette pre-
mierc séparation l1ationale pl'éméditée, en faí-




J)'UN' IIOi\nrE n'ÉTAT.
S:111t diriger sur Bruxelles les administl'ations et
les équipages appartenant a l'armée impériale.
De son cotó Metternich, voyant les progres des
Fralll;:ais dans la Flandre et sur la Sambre, adresse
aux états des provinces bclgiques l'exhortation
la plus pressante pour un al'mement général de
la natioll. Par lá on mettait daus leur tort les
Belgcs que ríen 11e pouvait émouvoir en faveur
de l' Autriche.


Le p1'incc de CoLourg, partí le 20 juin de
Tuu1'nai avcc tont ce qui s'y trouvait de trollpes
alJtrichicnncs disponibles, se porte a Ath le
lendemain, et arrive le 22 a Nivelles, ou iI se
l'éunit enfin á S011 aile gauche. Alors le p1'incc
d'Orange et toute l'al'mée ne dontellt plus qll'il
ne vienne pou1' secanrir Charleroi, et livrer une
granue bataillc. Ce motif était u'ailleurs haute-
ment avoué a l'état-major; mais au fonel le géné-
ralissime 11'a1'1'ivait que pou1' p1'esser le dénoue-
111ent de cc granel dramc. Vainement le prince el'O·


tI' t "1 td'" l'angc e ( an res generallx e pressen en vemr
aux mains san s dif('~l'el'; il perd quatrejours en hé-
sitatioos, Lien CJu'il n'y eut plus aucun doute que
Cha1'leroi, vivement attaqué depuis sept jonrs,
llC se t1'ouvat réduit a la dcrniere extl'émité.


Enfin il annonce qu'il attaquera le 26 les lignes
de l'année assiégeantc. Vn conseil de gucrre
cst tenu la "ciHe ú llraine.le"Comtc, oú assiste




111Él1IOIRES


Metternich. La le princc d'Orange ohserve que
ucpuis vingt-quatre heures le canOll a ccssé de
se faire cntenure uu coté de Charleroi, et qu\l
est possible que la place ait déja succombé.
« Cela est convenu pOlI!' ménager les muntiolls, ))
répond le prillce de \Valdeck, qni, dcpuis la se-
conde re traite de :¡VIaek, faisait les fOllctions de
major-général. Dans la matinée meme, la place
avait en effet capitulé, tO~ltes ses Latteries ayan!:
dé réduites au silence.


A] tt t ' , ·t· , l' 't hl me ,ra- -011 qll 011 11 en ~H' 1'len su a e at-
major, que les illfoJ"l1lalioWi secretes y aient été
llulles, qu'on ait voulu s'cxposcr a pcrdl'c une
grande bataille pour sontcnir une vílle déjil prise
a si puu de disLauee de l'arnH~e et presqne SOllS
ses yeux? 1ci l'évéllcment scrait a la fois fnueste
et singnlier : 011 irait se hattre ponr uue ville
qui la veiHe s'était rendue a la sourdillC. Nul
doute que la redchtioll étaut connuc du prince de
Cobourg, ii se réscl'yait d'y trouver un prétexte
ponr commencel' sa marche rétrogradc: une par-
tic dc son artillerie filait déj;'t sur les d('rri:t~l'es.


Qlloi qu'il en soit, l'atlaque Ulle fois résolue
amena le :.\6 juin dans lcs mcn"les champs de
I"leurus, déja célebres par la victoirc rcmportée
sur les alliés, sons Louis XIV 1 , HIlC scconJe
hataille de Flcllrus, ([ont la convcutioll cl ses


, Pa¡' le lllarechal de Lu",embourg le premio' juillet 1 G'JQ.




lJ'UN HOl\l'IIE D'ÉTAT. 463
écrivains ont cxag{~ré les trophées et les résul-
tats. Voici l'événement réduit a ses proportions
historiques.


L'armée répnblicaine tenait anton r de Char-
lCl'Oi une position dcmi-circulaire. La, Jonrdan
voulant se rnaintcnir se décide a recevoir dans
ces n1t~mes lignes l'attaque eles alliés, bien que
son armée eút une riviere a dos, et que son dé-
veloppement, qui était de dix lieues enviro n ,
offr1t tous les inconvéniens d'une ligne pal'alleIe
a la Sambre, pour peu (1 ue l' cllnemi en vlnt a un
cffort vigourcux contre une de ses cxtrémités.
1)e son cúté , le princc de Cobourg forma cinq
corps subdivisés en neuf colonnes d'attaque,
qui, disposées sur un dcmi-cercle extérieul',
présentaient encore moillS d'ensemble et de force
que la ligne fl'an<;aise, la sienne étant de dix
lieues d'étcmlue pour soixaute-dix mille JlOmmes.
Il prenait ainsi l'incollcevable résolution, au
mépris de tanl de sévcrcs lc<;on5 re<;nes dans la
précédeute campaglle, (]'aLonIcr l'arméc fran-
~aise sur tous les points. L'action s'engagea le
:lG jUill a la pointe du jour~ .


La tache imposée aux tl'oupes sons les ordres
(1n pl'ince héréditail'c d'Ol'ange par la dispositioll
généralc fut d'abord complétell1ent remplie : les
attaqucs de l'aile droitc et du centre obtinrellt
un td succcs que presquc partout les FraIH.;ais




ilIÉlIrOIRES


furent repoussés avec perte, et obligés de re-
passer la Sambre, malgré tous les abattis qn'ils
avaient pratiqués dans les bois; déja meme le
prince d'Orange occupait l\1al'chienne-au-Pont.
Mais raile gauche des Impél'iaux, ou se trou-
vait le généralissime, ne parvint pas aussi rapi-
dement a forcer la. ligne quí lui était opposée,
cette ligne étant pOllrvue d'ulle llombreuse ar-
tilleríe qui couvl'ait la droite des Frau<;,ais, et
renforcée d'ailleurs par le corps d'armée qui
sortait de faire le siége de Charlel'oi.


Cependant á l'extreme gauche lcgénéralBeau-
líeu poussait dé jil quc1qucs COUrClll'S le long de la
Sambre jusqu'il Charleroi meme, qa'il cl'oyait
débloquer. Le canon de la place et le~ drapean
tricolore qui y flottait l'avcrtil'ent qu'eUe n'était
plus au pouvoil' des Impériaux.


La prise de Charleroi, connue déjit par les rap-
parts unanimcs des priSOIlUiel's, étant ainsi COll-
statée, le pl'ince de Cobourg ardonllc la re traite ,
et se tient pou!' battn quallll la victoire cst en-
care dans ses mains. En eEfet, la droite de Jour-
dan, auxordres du gélléraI Mal'ccau , venaitd'al'C



cullmtée de l'autre coté de la Sambre; et sa gau-
che, sons le général Montaigu, défaite également,
avait repassé presque entierement eeUe riviere,
tandis qu'une partie du centre, forcée de meme,
avait pris positioll en arriere de la ligne. Deux




ou tl'ois divisiollS sCllkmeut étaicut ('neGro en-
gagécs contl'c les COIOllllCS imp(~riales d'attacftw
qui les poussaicnt devant elles, et kl qui tout it
coup pal'vint l'ordre formc1 de se retirc!'. Il était
six hcnres dn soir quand le l)l'ince héréditairc
d'Orangc rC(;llt dll prince de Coboürg une IcUre
qui l'eugageait a aoalldonller tOllS les avantages
de la jourllée, lui-méme, disait - il , se voyant
dans la nécessité de se replier, el'apres la sllpé-
riorité de l'ennemi et la reddition ele Charleroi.


L'année aUiée daus l'étonnemcnt fit lIne
premiel'c halte, pOlIl' reposer l'in{~Ultel'ie, et
opéra ensuite sa retr'~:¡e cn bOIl OI'dl'c S1!l' Ni-
veiles. L'al'lnée fran<;:aise qui était rentréc d:ms
ses positions retrallch('es n'ell sortit que 101'5-
qn'on eut rcconnu le lendcmain que le pl'ince de
Cobourg était e11 pleine re traite.


Telle fut la bataille de Fleurns, dOllt toute
l'importance consiste dans son issue, qui n'véla
l'illtcurion qu'avaiellt les Impériallx de s'éloigncr
du théútre de la guerreo Une lettre dll marquis de
Hertfort 1, en date de ~ iyeHes le 2.6 juin, tiolina
le premie!' avis au gouyernement anglais de la re-
traite du priuce de Cobourg. Couyranl d'abonl
llruxclles, il occupa entre Nivelles et Braine-
le-Comte la fOlte position de Hall et de la foret
de Soigncs, sans dissimulcr davantage l'in.-


, C'i-,lc\ant (C>¡lIle d'Yal'lllOn¡I"


11. ')




l¡66 UÉJ\IOIRES
tention d'abandonner la Belgiqne á son so1't.


Le marquis de Cornwallis, arrivé á Bruxellcs
le 28, vcnant de l'armée prussicnne, se rendit le
lcndemain avec le comte de Metternich an quar-
tier-g~néral impérial, et la il protesta hautemellt
cont1'e l'exécution d'ordres al1ssi contraires aux
intércts pour lesquels les alliés avaient agi jus-
qll'ici d'un commun accord. De son cóté le lwillce
d'Orangc représenta que l'évacuation de la Helgi-
qne allait découvrir la Hollamle, et la livrer aux
armées fran~aiscs, clont l'irrnption serait ülcilitée
par le partí anti-stathoudéricn.


Le prince de Cobourg <Melara qll'on ne pon-
vait plus résistcr aux masses de la conventioJl el
qu'il ne connaissait aucun moycn de s'opposer;t
lenr débordement dans ces proviuces; qu'ell
ontre, mena<;:ant la ligne de communication Ji-
recte des Impérianx avec lenr base du Hhill, il
ne lui rcstait plus q u'ú se meUre a COtlvert der-
rit~re la Meuse ponr y attelldre des renforts.
Tontes les représenlations [urent inntiJes; rien
ne put le porte1' a concentrer imméJiatcment
toutes ses force s en appelant ;\ Ini le cInc d'):ork
et Cla.irfayt pon1' livrcl' une bataillc géné1'ale.
Son plan de monvement rétrograde étant arretó,
a ne s'agissait plus que de le mettre á cxócutiOll,
en se séparant non-sculemellt des Anglais, mais
des Ilollalldais.




n'UN HOl\Il\IE n'JÍTAT. 467
Apres plusieurs combats d'arrierc.garue et di-


vers projets mis en avant dans la confusion ue
la retl'aite avec intention de resserrer la liguc,
19 prince de Cobourg abandonna Bruxelles; il se
repIia sur Tirlemont, Ol! Clairfayt vint se joinure
á luí, ayant laissó la Flanure sans défense, d'a-
pres l' ordre qu'il en a vait re<,;u.


Libres aillsi de marcher en avant, les deux al'-
mécs républicaines du Nord et de Sambre-et-
J\Ieuse, ll'avan<,~ant néanmoins qu'avec circon-
spection, eH'cctucrent, pen de jours apres, leur
jOllctioll 1, la gauche á Vilvorde, le centre a
HmxeHcs memc, et la droite vers Namur. Il
u'était déjit plus temps de gagncr les communi-
cations de l' armée impériale, dont la re traite
était assurée par Tirlcmont sur Liége.


La mésintelligenco qui régnait déja entre les
généraux aUiés s'accrut au milieu ues vicissituues
de la rctl'aite : elle s'exhala en reproches amers.
Selon les .Anglais et les Hollandais, le prince de
Cobourg ll'avait eu ni la volonté ni le courage
de vainere. Une telle irritation et un tel uésac-
con1 ne pOllvaiellt manquer d'amencr une sépa-
ration complete. Les Autrichiens ne songeaient
(!ll'~l se rapprochcr de Cologlle et de Coblentz,
lIecuus de !cut' commullicattoll avec l'Allemagne.
Le dile d'York et le pl'illCC d'Ol'ange 110 vuulaient


I Le (J jlliJld.




/,GB 1\IÚ:UOIrtrs
all conti'ait'c que présel'ver la nollaudc. 1!cn{{)l'cé
pUl' le corps dll pl'lncc d'Orange, le dllC d'Yol'k
ganla prcs de cinquante mille cOlllbattalls pOUl'
cOLlYl'ir le BraLallt hollandais. Le prillce de Co-
hourg, déciclé il se séparer de l'armée anglo-hol.
lanclaise, et snivi d'ailleurs par Jourclan, qni ve·
uait: ele s' emparer de L¡l~ge ct de TO;lgI'CS, passa
la i\Iensc il l\1acstricht; pl'enallt aussitut des
positions pon!' g::mlel' ceHe 1'i \iere, ii ponssa v(;rs
H lll'Cmon(1e son extreme droite, (~tal)lit son
cenlre ú ?lIaestricht, el sa gauche ~l la Clial'll'ClIse
de Llé.oC'. L'armée al1!.'io-hollanc1aise cuwl)ade1'-o ,-/
riere OsLenYick et Dl'cda.


Commc par llll aecol'll secrct, le comiré de
salut pubIie presel'ivit aux généraux Pichegl'u et
JOllrdall de ~/arrCtel> aussi derriere la Mense, eL
I,'t, fOl'luant une liglle fL\nvel's it Nanml', de sns-
pendl'c la ponrsuitc de l'cl1lJcmi jUSCpt'Ú la rcd-
ditlOll des quall'O places fl'<lllljaises COJ1qllis('s par
les alliós. CeUe espeee de suspeltsioll (['armes
tCllait ~t des OnVCl'tUl'CS secretes dont le COl11te de
!\Ieltel'1lich et le p1'luce de COhOlll'g ~naieut la
del', lll:lÍs (1 ne les éyénemCllS llIth'lc[I]',; d(''jouc-
l'l'ut Ual'J'cl'e, l'appOl'tclll' uu. comité, _apn~s
le l'ócit fait ü la convelltioll, de tant el de si
iwnor1ans sncc¿~s sur toutes les fl'ontiel'es dll
. . 1


lH;l'd ct de I'cst ele 1:1 FraIlee, s'écl'ia : c( AillSi




) cOI'(lllni\'cl'srl : Oll dirait (iu'iln'y a (Jn'un g{:-
» ll\~ral qni commandc el qn'ul1c a1'm('<:, (lnl SP
)) hat; OH dil'::tit qn'il n'y a qu'un 11'iomphe: t('1
J) esl: le r('sal tat de l'unité du pcnple fl'an<;ais ~ .... ))


POUl't:mt il y avait divisioll dans le comité de
salnt pulJlic. La erise n'('tait qne sourde encare;
mais ['e'\plosion se pr¡"parait en secreto Le regne
de fa terreur el ks mesures ontrécs touchaient ';1
!cm' terme, rCXC(~S du mal commen<;;ant i1 faire
sentil' que les moyens violen s el: l'exaspératioll
11 '¡~taient ph,s 11('CeS5ai1'(,s apres l'affrauchissc-
menl: du lerriloil'c. 011 conccvait que la crainle
de ]"l·tranger eút tout füt supporter pom la dé-
f\:11se nationalc; mais le dangel' (3xtérieur en s;é-
loignant laissa voi!' le ghivc de la tcrrcur encore
suspendu sur toutes les Í(~tes ; on pcnsa dés 10l's
qu'apr(~s avoil' vainen la eoalilion iI seraitpossihll'
de vaincrc (~galemcut cette hll'onche ocltlocratic
qni d('~vorait la France : c'élait seulerncnt ~1 ce
pl'ix qn'on pouvait se flattel' de' reste!' maltre da
pouvoir et (le sa dircctioll supremo. Tellc était
l'arricrc-pensée de Itobcspierre, qni visaÍl SOUl'-
dement ú la sOl1Ycrainet('~ p:11' des moycns Ol'¿t-
toires, et par conséqnent incertaillS. Aycc lui
sel'll, a cause !le sa popuLarité et de ses manifcs-
tal[0115 r(~eentcs,' le cabinet d(~ V ¡enne cntrc-
voy:üt la possibilité de n(~gocicr, ou tont au moills
d'Cll venir ~l un armisticc réclam6 par la erise




ellrQP6cllllC, dcycll1le si men:H:antc (PU' le m:-
nistél'c brltanniclue llli..meme en était llOu-seuIc-
ment déconcerté, mais alarmé.


Le peuple anglais, ii est vrai, se trouvait e11core
sous le charme (le la victoire navale rcmportéc
par 10rdHowe sur la flotte fran<,¡aise qui était sortie
de Brest.Les denx armemens s'étaicllt trollvés en
présence des le 28 mai sur la cúte de J3/"ctagnc.
Apres <1iffércntcs évolutions quí fircnt gagncr }p
vent a 101'<1 Howc, on en vint a combattrc en ligne
dans la matinée du 1 el' juin, les ¡\ nglais ayant
vingt-cinq vaisseaux tlc hauts bords, et Jes Fl'an-
«;Iais vingt-six. Ceux-ci soutillrent l'aLtaquc avcc f
fermeté; mais moins d'une heme apres que lc
centre eut été engagé, lcm amiral, quí avait pour
adversaire lord Howe, sur la Ileille Charlotle,
s' en alla atontes voiles, et fut suivi par la pln-
part des vaisseaux de son avant-garde I •. Parmi
ceux qui resterent désemparés, l'un fut coulé
has, et sept fllrent pris. 11 y cut un grand car-
nage des denx cútés. Ce comhat naval parllt
tn~s- gloriellx po nI' l'amiral anglais et pour sa
fiotte; on en apprit en Anglcterl'c· la nouvcll(~
avec d'autant plus de joie el meme d'enthou~


, La fioUe républicaine était commandée par l'amiral ViIlaret-
Joyeuse, mai. Pordre de retr~ite fut donne Far Jean·Bon-Saint-
André, membre du comité du salut public > qui élait a bord du
vaisseau amiral.




, " DEN TTOiHJlfF: n l;TAT.


siasmc qnc par-El on venait de triomphcr sur
mer d'Ull Cllllcmi formidable que scs vícloi¡'cs
sllr le continrut rendait la tcrrcul' des COll-
ronllCS.


Au milicu dc tons les signes de la joie natio-
nale le ministh'c anglais fllt pl'csque conp sur
COllp frappó de deux nouvelles foudroyantcs qui
ruiJlaicnt sa politiqnc; l'une lui annon<:ait que
le maréchal prussien Medlendorff se refusait a la
n'~quisitiori que lui avait faite le marquis de Corn-
wallis, en vertu (111 lraiLé d'an~ance el de celui de
subside; l'autre no lui Iaissai~plus allCUll doutc
sur la relraitc des trol1pes impériales jusqu'a la
Meuse, et sur lenr prochaine séparation d'avec
Lous les antres alliú.


n rt~stlltait de la correspondance du marquis
<le Cornwallis et du mal'f{llis d'IJerlfort que d'ulIe
part on ótait encore dans l'attente de voir se déve'-
Ioppc!', par le retour dn COLtl'l'icl' cxpédié au roi
de P1'IIsse, 1cs vrais motifs qui avaient déterminó
le rcfus du mar('dlal l'I1a~Uclldorff de marcher
a l'appn ¡des alliés claus les Pays-Bas, et que dn
l'autrc l'(~vacl1atioll sllccessive, opérée par les trono
pes impérialcs de tons les Pays-Bas antrichiens
sans coup férir, tenait moins a une trap grande
infériaritécleforccs qu'a des arrangemenssecrets.
Selon les dcnx commissaires ceci donnait líeu dans
les provinces belgiqucs a l'idée d'une paix pro-




::III~::\l o IR ES
chaine entre les Impél'iaux et les Fr::m¡;:ais,
OH da moins a une snspcnsion d'hostilités
provisoire. Ils rcgardaient aussi a pen pr(\s
comIne avéré (Ille les mouvemens rétrogradcs
faits volontairement par les forces impérialcs
étaient le résultat d'instrllctions contennes dan s
les dl"p(~ches parvenncs réccmment de Vienne,
an cmnte de l'Ifetternich, et qn'íL s'était httté ele
cnmmlllücFlCr au prinye de Cobourg.


Le marquis de Cornwallis décIarait avoir pro-
testé contre l'exécution de pareils ordl'es, et re<:u
pom' r{'ponsc que l'emperenr abandonnait les
Pays-Bas ~l leut' sort comme des proYÍnccs réfrac-
taires qui ne vou1aicnt contribucr en ríen ú lell!'
propre défcnse. « r; II peuple engoné des prin-
)J c¡pes jacobins, lui avait dít le COIDte de J\Iel-
» lCl'nich, qui, malgré plusieurs exhortat~olls
» pressantcs ele conrir aux armes ponl' défendre
)J sa rcligion, sa sOllveraíneté et lui.meme, I'CfllSe
» de s'armel', et se présente au joug de l'ótl'an-
)) gel' en chant:mt : ('a ira, est un phénomene ré-
» servé a nos jours de désolation. »


Enfm les deux eommissaircs brit:1lmiqnes re-
gardaient comme á pen pres certains que les ar-
mées impériales seraient cmployées á former uu
cOl'don sur le Uhin, soit pourprotéger l'Allemagne
eOlltre toute invasion de la part des FraIH,;ais, soit
pOU!' faciliter avcc eux un arrangement pacifique;




ils }'araissaicnt croire <'-galemellt que remperenr
avait en vlle de s'indemniscr par la posscssion de
la BavÍóre et d'llnc partie de la Polognc; enfin iIs
ne cloutaient nnllcment quc le résultat de ectte
doublc défcetioll de la Pl'usse etde l'Autriche
ll'entralnút l'occupatioll de la Delgique entiere
par les Fran~'ais, et par suite l'invasion de la Hol-
lande, oú ('c1aterait illfailliblement une róvolu-
tion en leur faveur. Telle était ¿l leurs yenx la
désorganisation 111Ol'ale dn continent, qu'il n'y
:lyait plus (pIe ]leu de faneIs h faire SLlt' les cahi-
nels; flue ministres et générallX taus paraissaicn t
frappós de pusilIanimité et d'aveuglement, et
que si on remontait á la premiere canse de cette
dófection politi(plC et militaire, on la trouvait
dans les inexplicables 0p"'rations dn prince de
Cobonrg pendant les dellx <lemieres campagnes
qui ycnaient de s'éconlcr : rien SUl'tOut n't"tait
comparable dans l'histoire á ce qui s'était passé
dans la Helgiqne et sur le Rhin depuis trois mois.


Ün peut juger par la natnrc de ces dépl~ches,
et par la dircction que prenaient les événc-
mCIIS, combien la rcsponsabilité clu ministere
lwitannique devenait délicate et se tronvait com-
promise.


Piu a10rs imagina de se fortifier OU parti
dont le duc de Portland était censé le chef,
c'e:st-a-dil'c de l'élite des aneicns whigs, qui, sc-




::IrÉluorRES
Ion l'expression de lord Chatham r, forment dcr~
riere le trone quelque chose de plus que le tn,ue
meme. Procluire ainsi tout a coup un ministere de
coalition, plus porté encore a soutenir la guerrc,
et disposé seulement a en changer le systeme,
c'étaitannoncer beaucoup de courageetungrancl
caractere au milicu de l'affaissement général.
Comme on n'en pouvait concevoir aucnne espé-
raBce (le paix, le parti de l' opposition ne tira
que plus d'avantagcs des reversqllise slIccédaient
COllp sur coup pour attaquer les opérations du
premier ministre, et jeter le' bltnne sur sa po-
litiqne. On était alors a la vcillc de voir terminer
la sessiOll du parlement.


Le 7 jnillet, le dnc de Norfolk observa clans la
chambre des pairs que (( la sitnatioll des affaircs
» sur le continent avait pris la tournurc la plus
» critique et la plus fichcuse, non-sculemcnt par
» les progrós des farces supérieures des Fran\,ais
» dan s les Pays-Bas, mais plus particulicremcnt
» encore par la résolutioll d'uBe puissance qui,
)) étant tenue d'assistcr l'Angleterre en vertn d'ul1
» traité d'alliance et un autre de subsidc réccll1-
» ment concIus, lui refusait cette meme assistance
)) ponr laquelle elle était payée, tandis qn'une
» autre grande pnissance prenait la détermi-
)) natioll de retirer toutes ses troupes de Flan-


I PCre de Piu.




, " 1) r:'i' TIO:lf'\rE n };TAT. 475
») dl'c; que dans ceUe conjoneturc pl~rilleuse il
)) était néccssairc que le parlement restát assem-
» LIé, et qu'ainsi iI avait le dessein de faire la
» motion d'llne adres se an roi a cet effet. »


A la chamLre des communes M. Shéridan fit
un dernier effort al/ssi pour appol'ter quelque
changemel1t au systcmc politiqnc du ministere.
II observa que les événemeus arrivés depuis
six semaines sU!' le continellt étaicnt te1s que les
ministres devaient convenir eux-memes que leur
lmt clans la préscnte guerre était ausolumC'ut
impraticaulc. «( Il ya six semaines, dit-iI, qu'ils
)) sont Ollvertcmcnt CüIlvenus que ce but était l' cx-
)) termination du présent gouvernement a Paris.
» Apres les derniers événemens, je suis tres-fort
)) en droit de leur demander s'i1s nourrisscnt en-
» corc le meme llcsscin. )) leí M. Shéridan récapi-
tula plusieurs assertions des ministres sur les es-
pél'ances qn'ils croyaicnt pouvoir former, et qni
tontes avaient manqué sans que néanmoins on
put l'attribuer au rcfus de sontien de la part
du parlcmcnt qni avait tont aeeordé. Il appuya
particuliercmcnt sur le traité de subside eonclu
avec le roi de Prusse. « Si les ministres alleguent,
» ajot.«a-t-il, qu'ils ont été trompés a cet égard,
» eette allégation ne peut les dispenser de nous
» donner des éclaircissemens, et ce ne sera pas
» leur demander trop que de savoir si ce lIlO-




:\I].bromEs
» narqnc a rClju le sllbside pl'omis, ct qucHes
)) troupes il a faurnies en eanséquence. La-dcssus
)).ic eroirais que ce serait un scandalc si la cham-
)) brc se séparait san s reccvoir quelque informa-
)) tíon. Certes, le ministre ne dira pas que le roí
)) de Prnsse remplit les engagemens de l'alliance,
)) en soumettant les Falonais et en assiégeant
)) Yarsoyie; iI ne <lira pas que la eh ose est arrivée
)) contrc son attente : nous l'en avons averti el'a-
)) vanee. )) 1\1. Shéridan parla aussi de la défee-
tion de l'Autriche, défection qni dn moíns n'ayait
cucare d'antrc garant que Je bruit }Jublie, et de
la. disposition ~t mettre un ~l la gncrrc, clan s la-
queHe on supposait cette puissallce en com-
mell(;:ant par un armistice ave e les :Fran~ais. L'o-
rateur passa de lit a la nouvellc allianee poli tique
([ni venait de se former par la coalition dn duc
de Portland et de ses amis avec le présent minis-
terco Il tira de quclqncs exemples la eanclusion
qlle cette coalition était un nouveau signal de
gucrre pour ne point poser les armes avant que le
pd~sent gouvernement fran¡;ais fút détruit, quand
meme l'Angleterre ellc-nH~me dút périr dans la
tcnlative; par conséquent c'était un nouveau IDO-
tif pour la chambre de s'informer quelétaif encore
aujourd'hui l' objetdes ministres clans la poursuite
de la gnerre. Le second sujct d'information était
le traité de subside avec le roi de Prusse ...




, " D r:N nOl\nm D .ET)cT. 477
M. Greyayant secondé la Ulution, le nüuislre


Pitt, en luí l'épondant, ÍÍxa a tl'ois points l'objct
du díscours de M. Shéridan, et ii jngea que les
devoirs de sa place ne luí permettaient de s'ex-
plíquer que sur le premier de ces.points, savoil'
quel est l'objet précis de la guerrc dans la situa-
tion ou nons sommes actuellement placés? Il nia
formclIcmellt que «( l'objet de la gnerre fút de
» conquérir la France ou de la soumettre allX
» armes étrallgercs. M. Jcnkinson 1 avait, il cst
» vrai, cmployé une foís l' expression de marcllel'
» el Pal'is; mais jamais les ministres da roí n'a-
» vaient eu l'ílltelltion de faire de cette gllerl'C
» entre les deux nations un bellum ad intel'necio-
» nem, beaucoup moins de conquérir la France.
» Leu!' vél'itable et unique lmt était la destruc-
» tion du systeme jacobin, et par cOllséquent l'é-
» mancipation de ]a nation fruD/;:aise d'1Il1 pou-
» voir qui la gouvernait de la maniere la plus san·
» guinairc et la plus violente. C'cst ponr cct objet
» tant dc fois répété, annoncé par S. M. uans tous
» ses discours, adoptés, sanctionnés par le par-
» lement, c'cst-ü-dire la destruction du systeme
» jacobin, seu1 moyeIl de rétablir l'ordre et la
» prospérité en France, et par Iá la paix et la sé-
) curité de l'Europe; c'est ponr cet objetcpte
») nous continuons UBe guerrc :;aCI'L'C et lléccs-


r D"l'IÜS lord Liverpolll.




1\IÉlUOIRES


) saire; et ce hut-Ia des diff1cultés ternporaires et
» des échecs passagers ne doivent pas le faire
» abandonner, cal' si les obstacles se multiplient,
» e' est a nous a redouhler d' énergie et de vigucur,
» au lieu de nous laisser Iachernent abattrc.


» Apres avoir prouvé, ajouta lVI. Pitt, que r ob-
» jet de la guerre est toujours le meme, je dois
» dirc que je regarderais lcs ministres du roi
» comrne coupables d'llne grande pnsillanimit(~
» et el' une timidité déshonoraute, si, dans la situa-
» tion critique et pénible oú un conconrs de clr-
») constances a mis tous CCllX qui out quelque
» part aux conseils de la patrie; si, apn~s avoir
» engagé notre foi a notre souverain aux )eux
» du monde entier, les mauvais succes de qucl-
» ques semaines, et la perte momentanée de quel.
)} ques provinces, qui, tontes précieuses qu'ellcs
» peuvent etre, ont tOlljonrs été, par leur posi-
» tion militaire, possédées Ol! perdnes ú la suite
» d'nn avantage accidentel, si ces mauvais succes
» devaient éteindrc notre arcleur, l'alenlir BOS
» efforts, et HOUS faire perdre de vue les vérlta-
» bIes intérets de notre pays. Ce lI'est pas dans
» UBe aussi grande cause d'ou dépend notre exis-
» tence et celle de tonte l'Europc qu'il faut s'a-
» bandonner aü désespoil', et sollicitl'l' basse-
)) lllcnt la paix allX conditioIls que l' l'Illlemi Votl-
) dl'ait y mcUre ... .le suis f;\ché d'aVOllCl' qnc




, " D UN nOl\fl\fE D .ETAT. 479
» j'ai été en dernier lieu extremement dé<;ll 1, et
» tres-mortifié de plusieurs parties de la conduite
» de 110S alliés; mais quand meme cette conduite,
» qui mérite une épithete plus forte que celle
» d'incol2fJellable, aumit étú encore pire, et ses
» conséquences dix fois plus désavalltageuscs a
» la cause commune, et plus décourageantes,je
» n'hésüe pas ~l dire, une fois pour toutes, qu' elle
» lle produira jamais la plus légere variation de
» selltimens sur une guerre á laquelle nous som-
) mes engagés par tons les liclls de l'honneur et
» du devoir ... La chambre doit se l'appeler que
» jamais ni les ministres de S. M. en générallli moi
» en particulier ne luí aVOl1S promis que nos ef-
» f01'ts seraient coul'oIlnés de succes. Nous saVOllS
» trop Lien qu'il n'y a rien ele plus incertain que
» la fortune de la guerreo Dans ce moment-ci je
» Be tiendrai pas le langage de respérance ni de
)) la confiallce; mais au milieu des revers f,khcux
» de la crise actuelle, jc me gardcrai bien de dire
» que tout soit.désespéré. Jü présume qn'il resle
» encore parmi les puissClnces de rEurope un fonel
») suffisant pOUI' accomplir ce que je crois etl'e
) indispensable a leur súreté personnelle. Je He
)) pensc pas assez mal oe ces puissances et de
) ccux qui sont a la tete de leul's conseils pOlIr
)) imaginer qu'ils ccssellt 1eurs cfforts: cellX qlli


, D¡sappúi/lt~d.




» dirigcut iei les conseils de S. M.les sccomlerollt
» ccrtainement :lYCC úlc et alacrité. »


Quant aux difficultés SUl'veuues au sujct du
tl'aité de subside avec le roí dePrusse, Pítt, ayant
l'éclamé la nécessité du sccrct, ajouta : « Je lle
)} crains pas de dire qu'il n'existe pas dans ecUe
») chambre un senl hommc affectionné a la cause
») eomrnune qni clésil'e que ron discute si les
») troupes prussiennes auraicnt ét(~ plus utilemcnt
») employécs aillelll's qne lit oú elles le sont. Une
» tclle cliscussion serait cxtremement [nueste dans
») les eircoIlstanees présentes, et je m'y opposerai
» de toutes mes fOl'ees. »


M. Grey prit occasion de eeUe explieatioll é\a-
sive du premier ministre pour r{'péter les ohser-
vations faites déjá préeédemment plus d'une fois
sur les prétcndus secrels necessaires .1\1. Shél'i(lan
l'épJiqua aussi clans le meme sens.


Le lcndemain 1 1 juillet, le roi fit la clüture de la
session, et ce jour-la memc la nouveIle coalitioll
des ministres commelH"':l ses fonctions. Les cil'eon-
stances étaient graves, ctmcme tl~cs-alarmalltes.
On avaitagitédéja dansnn précédcllt consellprivé
les conditions de eette coalition, et les mesures
~l adopte!' relativement á la guerreo L'arriv6c ~l
Londres, d:lllS ces entrefaitcs, des commissail'cs
et négociateurs anglais, mal'fluis de Cormvalli:.;,
nw\'(plÍs de HertJort et de l'hoHorablc l\I. Dl'uce,




D'UN IIOll[iUE D'~TAT.
venant de l'armée <In princc de Cobourg, ne
pouvait etre plus opportune : ils furent aussitót
consuItés et entendus , tous les ministres présens,
et rcnuirent compte de ceUc retraite de cent
vingt mille hommes devant cent soixante-dix
mille, comme étant á leurs yeux un °mystere po-
litique et militaire, que' le temps seul pouvait
éclaircir. Ils étaientsurs, par exemple, que l'éva-
cuation d' Anvers était ]a suite d'un ordre :émané
de la cour de Viennc. Le résultat de leurs infor-
mations eonfirmait les premiel's avis: la position
des armées alliées était redevenue la meme,
apres vingt-sept mois de combats et de dépense ,
qu'a l'époqne Ol! Dumouriez mena~ait la Hol-
lande. Pitt n'en parut ni abattu ni découragé.
« Que cela soit dti a la faiblesse de quelqnes gé-
) néraux, dit-il, aux intrigues des camps, aux
» jalousies des cabinets, pen importe; le fait existe
» malheureusement, et il faut sauver de nouveau
» I'Europe. Il est encore un fait certain, e'est
» que nous avons sur les vues et sur les inten-
» tions de nos prillcipaux alliés des doutes qu'il
» importe d'éclaircir. » Pítt fit alors la proposi-
tíon d'envoyer le comte Spencer a Vienne, et sir
Arthur Paget a Berlill ; on déciderait ensuite,
d'apres leurs informations, les mesures qu'il
eOllvicndrait d'adopter relatívement a la pour-
suite de la gnerrcfl Commc on nc pouvait plus


n. 31




l\IÉl\fOIRES
trop eompter sur la Prusse, iI était d'avis qu'on
s'assurat d'abord des intentions de l'Autriche, et
si elle n'était pas décidée a se retirer tout-a-fait
de la lutte de porter eette puissanee a la recom-
mencer, moyennant un subside. Le marquis de
Cornwallis observa qu'il fallait en ITlthne temps
déterminer l'empereur, par d'adroites insinua-
tions, a oter le commandement en chef aa prince
de Cobourg, si on YOlllait arrivcr cnfin a 11l1e
guerre franche et ouverte; ee fut aussi le senti-
mentde tous les ministres.


A peine installé dans la place de garde-dll-
sceau privé, le comte Speneer cut done la mission
d'aller sonder les intentions de l'empereur et
de ses ministres dans eette erise alarmante .
toute espeee de latitude lui fnt laissée , u'ayant
d'autres instruetions que eelles qLte devaient sug-
gérer les intérets dn pays et l'état de la guerreo
Recommencer la luUe dans les Pays.nas, et pré-
server la Hollande, tel était au fond l' objet de
son ambassade. Quant au subside, iI pouvait en
élever la propositioll a trois millions de livres
sterling par ano Le comte Speneer partit pour le
continent le 21 juillet, accompagllé de sir
Thomas Grenville, 111cmbre du parlemeIlt, et
frere de lord Grenville, ministre secrétaire d'état
des affaires étrangel'es.


Apres une travcrsée heurcu'sc et prompte, ils




D'UN HOl\BiE n'TAT. 483
se dirigerent en toute ha te au quartier-général
du prince de Cobourg a Fauron-le-Comte, et y
arriverent en meme temps queMo Fagel, greffiel'
des états-géneraux. La ils trouverent le généra-
lissime des troupcs impériales, qui s'appretait a
abandonner la place de Macstricht a son sort, pour
se retirer derriere le Rhin, ce qui jetait une grande
consternation en Hollande, et surtout a la cour
de La Haye. Voulant justifier cet abandon subít
de la ligne de la Meuse, il venait d'envoyer a
Vienne, anpres du conseiJ auliquc, le major-gé-
néral Fiseher, son aicle-cle.camp et sa créature.
Tout ce qui aurait pu le decider a changer de ré-
solution fut mis en avant par les envoyes anglais
et hollandais; mais leurs instances eussent été
vaines si rempereur, sur une note que lui avait
remise M. Stratton au nom du roi d'Angleterre,
n'avait doúné l'ordre an comte de Metternich,
pret á partir de Dusscldorf pour Vienne, de se
rencIre au quartier - général impérial, de ne le
point quitter, et de faire rapport a sa cour de
tons les événcmcns.


Le comte de Mettcrnich, intcrprétant l'inten-
tion de son souveraill,et entralltdans les vues des
trois negociateurs, joignit ses represelltations a
lcurs il1stanccs; il fit plus, il protesta eontre toutc
re traite ultéricure, et en rendit le prin~e de Ca-
bomg responsable. On apporta daus. ces confé-




484 MÉlIfOIRES
rences d'antant plus de chaleur a le retenir que
tont semblait indiquer que les armées fl'an~aises
n'avaient pas le dessein de franchir la Meuse.
Cédant a cette masse imposante d'oppositions
motivées, le généralissime écrivit au prince Fré-
déric de Hesse-Cassel, gonverneur de Maestricht,
qu'il venait de prendre la résolutioll de défendre
les bords de la Meuse, aussi long-temps que des
événemens pressalls ne l'obligeraient pas d'en
venir a d'autres mesures ¡ il donna en meme temps
l'ordre an génél'al Kray de rester devant Maes-
tricht avec six hataillons: I.,c comte Spellcer et
sir Thomas Grenville plus rassul'és alors, contí-
nuerÉmt leur route pour Vienne.


D'un antre coté, le comte de Mercy-Argen-
teau, apres s' etre abouché avec les négociateurs,
passa lui-memo a Londres;: et, en traversant
Maestricht, s'exprima ainsi en parlant de la
retraite de l'armée : « Elle ne sera pas éter-
}) neHe; nous reviendrons clans peu avec deux
) cent mille hornrnes. Je vais en Angleterre, et
» vous verrez ... » On en illféra qu'il restait clans
une partie des conseils de I'Autriche l'arriere-
pensée el'un retonr possible.


Les conseils ele la Prusse étaient moins divisés,
il est vrai, quóiqne tOlljours incertains a plnsieurs
égards; mais ceci tenait a la position pal'ticulicrc
de Fréd~ric.GtlillallInei {lui bisait, malgré luí, a




D'UN rrOj\Lut n'ÉTAT. 485
une tres-grande distan ce , deux gnerres a la fois.
On a vu que les commissaires anglais avaient eu
reeours a ce prinee ponr vainere la résistancc
qu'apportait le maréehal Mrellendorff a l'cxéeu-
tion du traité de La Haye. Mais le roi y était d' au-
tant moins disposé que le maréchal prussien n'a-
vait fait que suivre l' esprit de ses instructions; le
roi ne voulait voir clans aucun cas ses armées
subordonnées an prince de Cobourg ni au due
d'York. Le cabinet de Berlin d'ailleurs s'était
constamment refusé a donner les mains a l'exé-
cution des plalls arrétés entre JVIack et le gouver-
nement anglais, et il était encore plus éloigné
d'y adhérer depuis que les armées fraIl(;aises se
trouvaient en mesure de le déjouer, et que déja
meme ce plan était mis de coté. Au premier
avis de la retraite <lu prince de Cobourg, le
maréchal Mcellendorff ut observer a lord Mal-
meslmry que l'armée prussicnnc ne serait ar-
rivée SLlr la Sambre qll'apres l'abandon d'une
par ti e de la Bclgiquc, et qu'elle aurait pu y etre
gravement compromiso. Illui laissa meme entre~
voir qu'il ne luí serait peut-etre pas possible de
conserver ses positions a vancées dans les Vosges.
En effet, un courrier venant d' Allemagne arporta
::mx ministres a Londres des dépeches de lord
Malmcsbury, annon<;;ant que les 13 et 14 juillet
le maréchaI JVIcellcnclorff, assailli clans sa posi-




'ILÉJWIJíES


tion de Kaiserlal1tern, et apres :1VOil' repollssé
deux oa trois attaques, avait dil céder enfin an
nombre et a l'impétuosité des troupes fran~aises;
qu'il s'était replié sur Mayence, et que de son
coté le duc de Saxe-Teschen avait fait repasser
le Rhin, a la partie de l' armée impériale, qui s' é~
tait combinée avec les Prussiens. Ainsi les alliés
étaient chassés du Palatinat et rejetés sur Man-
heim. Le commissaire anglais aperceva.it dans le
résultat de ces événemens le contrccoup dumou-
vement opéré par le prince de Cobourg, qu' on ne
supposait pas aa quarticr-général prussien devoir
s'arreter seulement derriere la ilIense.


Toutefois iI commen¡;ait a transpirer, dans Jes
différens quartiers-généraux des troupes con-
fédérées, que les mouvemens militaires seraient
subordonnés désormais aux nouvelles négocia-
tions qu'allait ouvrir l' Angleterre avec les deux
cours principales; celles que le comte Spencel'
était chargé de suivre pres le cabillet de Vicnne
occupaient plus généralement les esprits. On
pouvait déja pressentir que deux sentimens con-
traires se manifesteraient dans les conseils d'une
coalition ébranlée par les revers : les uns pen-
cheraient pour la continuation de la guerre,
d'autres pour la paix; les uns seraient portés a
s'avouer vaincus, les autres n'hésiteraient pas a
recommencer la luttc.




, " D UN rrOllDIE D JéTAT.


Ce momcnt d'inccl'l.itude et de crise fnt assez
adroitement saisi par i'ancien. ministre Hertz-
berg, pOllr faÍl'e encore entendre les accens de
sa vieille expérience d'homme d'état dans le ca-
binet du monarque prussien. Observateur atten·
tif de la grande convu]sion européenne qui me-
na~ait toutes les couronnes, il adressa au roí,
campé alors devant Varsovie, dont les Prussiens
formaient le siége, deux mémoires poli tiques ,
l'un sur le partage de la Pologne, qu'il désap-
prouvait, l'autre sur la guerre contre la France. Si
ce dernier l11(~rite plus particuliere1l1ent la men-
tion de l'histoire, e' est qu'il renferme réellement
les apert;;us et les vues d'un homme d'état qui a
certains égards voyait juste dans un temps de
confusion et d'alarmes.


« Sire, disait Hertzherg au roi, je ~njure
» Votre Majesté de lire eette lettre d'nnWont a
») l'au tre; elle ne eoneerne pas ma personne,
» maís votre état ... J~a monarehie prussienne est
» menaeée d'un trop grand danger pour qu'nn
)) aneien ministre qui l'a servie dans des temps
» plus henrcnx pendant cinquante ans ne se
» sente pas poussé, par sa conscienee patrio-
») tique, a exposer a v. M., dans tont son jou!',
» l'imminenee de la catastrophe, si ron ne
» change, sans perdre de temps, les plans qu'on
» a suivis jusqu'a présent, et si V. l\I., avant la




488 ~IL:lrOIRES
}) fin de la campagne, n'embrassc pas le seul
» moyen qui lui reste ponr prévenir sa ruine en-
» tiere, que des ministres trop circollspects ou
» trop timides n'osent lui annoncer. Voici les
» dangers, Sir e , qui paraissent inévitables. Tan-
» dis que les Fran~ais triomphent en Italie et en
») Espagne, ils ont, par des victoires non inter-
» rompues dans les Pays-Bas (de la conquete des-
» quels le salut de l'Europe dépend actuellement),
» si fort diminué les forces des Autrichiens, sur-
» tout depuis la rédllction d'Ypres et de Charle-
» roí, que, ne trouvant bientot plus de places
») fortes a prendre dans ce pays, ils le conquer-
» rontsous pen, et repousseront les alliés jus-
» qu'an Rhin. 115 inonderont en meme temps la
» Hollando, oú les denx tiers des habitans sont
» pré..,1Us en leur fa veur, et enleveront de ceUe
» mamerc a l'Angleterrc toutes ses liaisons avec
» le continent de l'Emope, que V. M., par la ré-
» volntion en Hollande, lui avait procurées; et
» la nation anglaise ne pourra plus HOUS envoyer
» ni les troupes ni l'argent llécessaires. La maison
» d'Orange sera chassée de la Hollande; et, par
» la perte d'Amsterdarn et de la navigation sur le
» Rhin, V. M. sera privée de la facilité de pour-
» voir a son propre approvisionnem(~nt; elle sera
» forcé e de se défel1dre, par l'armée du feld-ma-
» réchal Medlendorff derriere le Rhin, pres de




f) j N HOlUlIfF. D'iTAT. 489
» Wesel, place peu forte par elle-meme. Si V. M.
» n'envoie pas cette armée entiere, ou du moins
» en partie, au secours des alliés dans les Pays-
» Bas et en Hollallde , ou il sera toujours tres-dif-
» ficile de soutellir le choc des forces immenses
» des Fran<;ais, l'Angleterre ne voudra plus vous
» payer les subsides dont on est convenu dans le
» dernier traité, et si cela arrive, V. M. sera dans
» l'impossibilité, apres l' épuisement de son trésor
» et de ses provinces, de supporter le fardeau de
» la guerrc, etmeme de payer ses troupes. Si V.M.
)i n'envoie pas son arméc dans les Pays-Bas, les
» Fran~ais inoncleront la Haute-Allemagne,
» passeront le Rhin, reprendront de nouveau
» Mayence et Francfort, et s'empareront des cer
» eles de la Souabe et de la Franconie; de fa<;on
» que, nos alliés, divisés, mal gouvernés, n'ayant
» plus de forces suffisantes pour s'oppüser au
» torrent des Fran<;ais, V.I\I. sera obligée de faire
» tete partout, aux Pays.Bas, au Rhin, dans la
» Haute-Allcmagne et en Pologne, ce qui surpasse
» ses forces et ses moycns. J e veux bien croire
» que V. M., ave e le secours des Russes, subju-
» guerales Polonais;mais dans un pays si étendu
» eette expédition exige du temps, et en ce cas
» vous ne pouvez pas envoyer un corps de trou-
» pes au Rhin pour arreter les Fran<;ais. En gé-
» néral, je ne vois pas d'ou V. M. tirera ses res-




490 :1Il1~IOIRES
l) sonrCt~s, les frais et les sommcs n{~cessaires a
» une nOllvelIe campagne, n'ayant plus ríen a es-
» pérer de la part des Anglais, et ne pouvant pas
») tirerdevos états épuisés les sommes suffisalltes,
» tandís que les Fran~ais partout victorieux, et
» se permettant tous les crimes, nc manqueront
» jamais de ressources, et demamleront un jour
» a V. M. qu'cllc rende la Prllsse méric1ionale, et
») rétablisse tout en Pologne sur l'ancien pied .....
» On pourra m' objecter qu'il est facile d' énoncer
») tous ces dangers; mais que faut.ilfaire, dira-t-on,
» pour les détourncr? J'ayoue qu'apres les fantes
») énormesqu'oIl acommiscs detous cótés cela est
) présentement tres-difficile, sinon impossible;
») mais V. M. me parait etre la seule puissance
») en état de prévenir le bouleversement total de
» l' ordre social en Europe, si elle se hate, tandis
» qu'elle est encore sur pied, tandis qu'elle a une
») armée intacte qui a conservé sa réputatioll, et
» qu'elle n'est pas encore détestée des Fran<;ais,
) comme le sont les Autrichiens et les Anglais, si
)lelle se h:he, dis-jc, de prendre les mesures quí
» sont encore en son pouvoil' pour offri1', par sa
» médiation armé e , un armistice aux puissances
)) belligérantes, et meme la paix définitive sur le
» pied dustatu qua, tel qu 'il a été avant la guerreo
» Pour y parvenir, Votre Majesté devrait com-
» mencer par démontrer aux cours de Londres




49 1
)l et de Vienne l'impossibilitl' absolue d'anéantil'
» la nouvelle république fran~aise, et par eonsé-
}) quent la nécessité de la reeonnaltre; de plus
» leur montrer les dangers pressans, tant inté-
)J rieurs qu'extérieurs, auxquels elles s'expose-
» raient en eontinuant la guerl'e, et le grand inté-
» ret qu'a l'Angleterre de sacl'ifier ses conquetes,
» et de les rendre a la France pour sauver le reste
» de l'Europe. Il est fort vraisemblable que si
» V. M. faisait I'offre a la république fran<;aise de
» la faire reconnaltre par ton tes les puissanees de
» rEurore, eHe y donnerait les mains, et qu' elle
» en aurait tonte l'obligation a V. M. Dans le eas
» opposé, on pourrait la menacer de la eoalition
)} de toute l'Europe et d'une nouvelle eampagne.
» V. M. pourrait meme obtellir, en récompense
» de cette médiation, quelque avantage essentiel
» du coté de la Pologne, et de cette fa<;on, loin d' a-
» bandonner vosalliés, vous lenr procureriez une
» paixqui lenr est aussi néeessail'e qu'a la Prusse.


»On dit ordinairement: avee qui doit-on faire
» la paix en France? C'est toujours avec eelui qui
» a le pouvoir en main, et qui ne se laissera pas
» vainere par toutes les puissances eoalisées. Si
» V. M. approuve eette idée, je m'offre de la
» mettre a exéeution avee eette activité qui m'est
jl propre, par des hommes que je ehoisirai et par
)) des mémoires que je rédigerai patIr les diffé-




492 :1IIÚroIRES
» rentes puissances belligérantes. Je lcur propo~
» serai un eongres général eomme eelui de la
» paix de Westphalie, avec un plan de paeification
» dan s lequelles intérets essentielsde toutes les
» puissanees, surtout de la Prussc et de la Russie,
» ne seront pas négligés ... »


Cette confiance intrépide du vieil homme
d'état de la Prusse, dans sa capacité et dans ses
lllmieres, s' explique par les antécédens. Hertzberg
fut arraché en 1791 au sysÍ{)me eréé par Fré-
déric-Ie-Grand; iI avait hérité pour ainsi dire
de sa poli tique énergique. Jamais il ne perditde
vue l'abaissement de l'Autl'iche, puissanee qu'il
aurait meme voulu eomhattre avee la révolu-
tion fran<;aise qu'iI regardait comme une suh-
version éphémere; ilne considérait pas assez que
les monarehies de rEurope se trouvaient alors
dan s un état de découragement et de lassitude
tel, l'Angletel're exceptée, que l'accord ne pou-
vait pas plus régner dans les cabinets pour la
paix que pour la guerre; en un mot iI aurait faUu
s'entendre d'abord pou!' la guerre, si on voulait
en venir ensuite a un con gres. D'un autre coté,
Hertzherg posait en príncipe qu'on elevait faire
la paix en France avcc celui qui tenait le pouvoir
dans ses mains. J\1ais pl'esque a l'instant meme
ou son mémoire parvenait sous les yeux du roi
de Prusse,l'homme, regardé alor5 par tous les!ca-




D'UN HOMME D'ÉTAT. 493
hinets comme le chef principal de la révolution ,
Robespierre enfin, était renversé par ses colle-
gues et ses propres complices. Sa chute de-
venant le signal de la ruine du regne de la ter-
reur, l'autorité n'était déja plus dans les mains
de personne; elle alIait etre exercée par une
assemblée divisée, n'offrant aux puissances au-
cun point de conciliation ni aucune garantie
pour l'avcnir,entrainée d'ailleurs par une nation
divisée elle-meme, en pleine révolution, et
cédant a l'impulsion de la victoil'e donnée a
oouzc ccnt milIe hommcs répartis en quatorze
armées. Tel était l' état de la F'rance a la fin de
juillet, au moment meme ou elle frappait le reste
de rEurope de stupéfaction.


Les représentations et les avis politiques
d'Hertzberg, parvenus dans le cabinet, furent
suspects au roí et a ses ministres; uu roi
qui se rappelait avoir élojgné Hertzberg des af-
filires, comme trop partisan de la France et de
ses innovations, a la veille de cette meme guerre
dont il désapprouvait le but et les motifs; aux mi-
nistres qui n'étaient pas d'humeur a se laisser
supplanter par un vieillard , éclairé sans doute,
mais pIe in de morgue, d'entetement, et dont les
projets d'ailleurs paraissaient impraticables. En
conséquence il re~ut du roí la réponse suivantc:


« Il fut un tcmps oú vous remplissiez un devoir




494 l\fÉMOIRES
» en me soumettant votre opinion sur les affaires
» que je confiais a votre zele. Aujourd'hui que
» votre carde re diploma tique est finie, j'eusse
» tenu compte d'une discrétionquim'eut épargné
» des conseils dont je ne fais cas qu'autant que jo
» les demande. Laissez aux ministres que ma con-
» fiance a mis a la tete des affail'es, autrefois com-
» mises a vos soins, de recevoir mes ordrcs et de
» les exécuter. Je sais appl'écier le patriotisme,
» et j'aime a croire qu'il a seul inspiré vos offres.
» Il serait cependant possible que l'amour-propre
» en eut pris les formes ~l vos yeux, ct vous eut
» abusé sur vos vrais motifs; je seraÍs charmé
» que eeUe idée vous mlt assez en garde contre
» vous-meme ponr vous renfermer désormais
» dans le cerde lle vos devoirs actuels, et me
» sanver le désagrément de vous en répéter sans
» cessc le conseil. Dn reste, je pric Dicu qu'il
» vous ait en sa sainte et digne gardc.


» Signé FRÉDÉRIC-GUIUAUl\IE. »
Malgré cette lcttre si dure, Hertzberg ne


se tint pas pour battu, poursuivit ses idées, et
mourut satisfait dix mois apres \ cmportant au
tombeau les prémiccs de la paix de Basle.


A la mi-juillet 1794, rien n'annonc,:ait encorc un
pareil dénoucm(~nt. Frédéric-G uillaumc était :1101'5
Llevant Varsovie avec quaraute mille PrussicllS.




· n'UN HOl\'[l\'[E n'ÉTAT. 495
La, combiné avec dix mille R usses, il cherchait a
enfermer les Polonais sur la rive gauche de la
Vistule dans leurs trois camps retranchés, d'ou,
avccune trentaine de mille hommes, Kosciuszko
couvrait la ville. Les premiers efforts du roi tom-
berent sur le village de Wola, a une lieue de Var-
sovie; il s'en empara, et y établit son quartier-
général. L' armée ¡russienne campa sous ses yeux
aux environs de Wola De nombreuses batte':'
ríes s'élevcrent ponr fondroyer le faubourg et
le camp poJonais de Czystc. 1.e5 premieres atta-
ques sérieuses commcncerent le 27 juillet : rare-
mentlcfell était suspendu. Cependant lesbombcs
fiüsaient peu d' effet sur Varsovie, !.es batteries se
trouvant trop éloignées pour nuire. Le 2 aout,
le roi fit sommer la ville avec menaces en cas de
refus. Iladressa le meme jour la lettre suivante an
roí Stanislas-Augustc, qui était en qnelque sorte
gardé a vuc par les insurgés dans Varsovie meme.


« l\1onsieur mon frere, la position qu'occnpent
» les armées autour de Varsovie, et les moyens
» efficaces qu' on commence a employer pour l~
» réduirc, moycns qui avancent et augmentent
)} 11 mesure qu'on prolonge une résistance inutile,
» doivent avoir convaincn V. 1\1. que le sort de
» cette ville n'est plus douteux. Je m'empresse de
» mettre celui des habitan s entre les mains de
» V.M. Une 11l'ompte reddition, et l'exactedisci-




496 l\IÉl\IOIRES
» pline que je ferai observer a mes troupes des'
» tinées a entrer dans la ville, assureront la vie
» et la propriété de tous les habitans paisibles
» de eette résidence. Un refus a la premie re et der-
») niere sommation que mon lieutenant-général
» de Schwerin vient d'adresser an commandant
» de Varsovie entrainera immanquablement, et
» justifiera meme toutes les extrémités affreuses
») auxquelles on expose une ville ouverte qui
» provoqnerait, par son opiniatreté, les horreurs
») d'un siége et la vengeance de denx a\mées.


» Si, dans la position oú V. M. se trouve, illui
» est permis d'informer les habitan s de Varsovie
» de cette alternative, et si on les laisse maltl'es
» de leurs délibérations, je prévois d'avance, avec
» un plaisir extreme, que V. M. deviendra leur
» libérateur. En cas eontraire, je regretterai d'au-
» tant plus l'inutilité de eette démarche que je
» ne serais plus dans le eas de la répéter, quel-
» que vif que soit l'intéret que je prel1ds a la eOl1~
» servation de -V. M. et de tous eeux que les liens
» du sang et leuI' dévouement ont appelés aupres
» de sa personne.


» Que V. M. veuille agréer en tous eas l'ex-
» pression de la haute estime avec laquelle je
» suis 1 Monsieur mon frere, de V. M. le bon frere.


» Signé FnÉDÉRlc~GUlLLAUl\IE. »
Du camp de Y! ola, l~ 2. aoút 1794.




n'CN rrO:iVIl\fE D'.ÉTAT.


La réponse suivante fut suggérée a Stanislas,
qui l'envoya le lendemain au roi de Prusse.


( L'armée polonaise du généralissime Kos-
» ciuszko séparant Varsovie du eamp de V. M.,
» la position de Varsovie n'est pas eelle d'une
)J ville qui puisse disposer de su reddition. Dans
» eette situation, ríen ne justifieraít les extrémi-
» ttJS dont me préviellt la lettre de V. M.; cal'
)) ecUe ville n'est ni dans le eas d'aceepter ni dans
» le eas de refuser la sommation qu'a fait parve-
J) nir le lieutcllallt-gélléral de Schewerin au eom-
» mandant de Varsovie.


J) Mon cxistence ne m'intéresse pas plus que
» eelle des habitans de l:ett~ capitale; mais puis-
» que la Providcnee a voulu m'élcvcr au rang qui
» me permet de manifester a V. M. les sentimcns
») de fraternité, je les invoque pour la détourner
» des idées de eruauté et de vengcance si eon-
» traires a l'exemple que les rois doivcnt aux
» peuples, et, je le pcnse sinceremcnt, tout aussi
» opposées a votre caraetel'c pcrson11e1.


») Signé STANISLAS-AuGn-STli.


» V arsovie, 3 aoút 1794. ))
La résistance des Polonais commen¡;ait a re~


buter le roi, déja tracassé et contrarié soit par
les plaintes que lui pOl'tait le eabinet de Londres
au sujet de l'inexécution du tmité de La Haye,


n. 32




4g8 lII:Él\IO rR ES
soit par les réclamations pressantcs du corps ger-
maniqueo


Cequiimportait leplus a l'Allemagne c'étaitdc
voir les arméesalliées maintenir leurscommunica-
tions a vec le Rhin, en gardan t les r.on tes de Luxem-
bourg, de Liége et de la Hollandc. IL s'agissait
surtout de défendre Tt'cves, a la vérité non
fortifiée, mais dont la position ost trcs-avanta-
geuse sous le point de vne militaire. Immédiatc-
ment apres le passage dll comte Spencer an
quartier-général impérial, oú cette question avait
été agitée en présence du comte de Metternich,
le major-général pl'ince de Heuss avait été cnvoyé
par lé prince de Cobourg au quartier-général de
l'armée prussienne a Monzenheim pour se con-
certer a ce sujet avec le maréchal MmIlendorff.
Lase trouvaient en memc temps rél1nis les pIé ni-
potcntiairesdes Provinces-Unies et d'Angleterre,
lord MalmesLlll'Y et l'amiral Kinckel. Dans une
conférence tenue en préscncc dcJ\Imllendorff, on
pro posa de concerter un arrangement avec le duc
de Saxe:Teschen, en vertu dUqllclle gros de l'ar-
mée prllssicnnc ferait un mouvemcnt sur Tl'eves
et Coblentz, afin d'etre en mesurO d'appuyer
raile gauche de l'armée autrichiennc sur la
Meusc, ct de secomler ainsi la défcnse de la
Hollande.


Il y eut a cet effet une mItre confércnce á




D'UN HOl\1l\IE D'ÉTAT. 499
Schweitzingcn eutre les généraux autrichiens et
prussiens, á la suite de laquelle il fut décidé que
l'armée impériale, sous les orures du uue dc
Saxe-Teschen, ehercherait a se maintenir sur la
rive gauche un Rhill, tandis que les Prussiens
occupant lc tcrritoil'c entre la Nahe et la Mo~
selle, empecheraicut l'eunemi ue s'emparer de
Treves. Le général Kalkreuth se mit aussitot
en mouvement avec un corps de vingt mille
hommcs, qlli s'avaw;a vers le I-Iundsrnck et la
1\1oscUe.1\1ais iI futpr(~vellU, pat' l'extn\mepromp-
fitude du géuéral Morcaux r, commandant l'ar~
mée fl'au\,aise de la Moselle, qu'un avis secret
avaitaverti du mouvement desPrnssiens,et agis-
sunt d.'ailleurs d'apres des instructiollS venues de
l)aris. Ce général,s'avan~ant par Rennich et Gre~
vcnmarchcn, emporta, le 8 aout, le pont fortifié
ue Couzer, a peu de distallce de Pollcugen,
tourna les retranchemens des Autrichiens qui
occupaient la 1l10ntaglle verte, et occupa Treves
le jour suivant. Dans le rapport que le général
Kalkreuth envoya au l11aréchal Mrellenuorff, il
s'exprimait aillsi : « Toutes les démollstrations
)} que fai faites clan s le desseill oe sallver Trevcs
}) ont été infructueuses, biell qu'aumoyen oc mar-
)) ches forcées, par des chemins pl'esque impra-


, Dont on a deja faillllentiuu, el qui a'e.1 pas le meme que le celebre
MOl'eau, employé alyr~ it l'a{jlIée dll Nor~ a~~¡¡ J;'iQbegru;




500 MÉlIWIRES


)) tícables, j' aíe arret{~ une colonne ennemie, et
») fait sur elle quelques prisonniers; mais les
)) troupes impériales ayant été obligées tl'aban-
») donner le poste de Pollengen , il ne m'est
)} resté d'autre partía prendreque deme retirer.)


Ainsi la route de Luxembonrg se h'ouvant in-
terceptée, et les Frunc;ais pouvant cernel' cette.
forteresse, toutes les p!aces de la Belgique qui
tenaient encore ll'eurent plus d'appui ni de se-
cours a espérer; 01', l'armée de la 1\loselle put
favoriser les opél'ations ultérieures de Joun]an
contre l'arméc impériale snr la l\leuse. La perte
de Treves excita en Allemagnc une iudignation
générale : on s'accordait a dire que la Prusse sa-
crifiait et patrie et alliés.


Les Prussiens répolltlaiellt, pOlll' se laver de
ces imputations : ({ Qn'ils s'étaicnt emprcssés de
)) se porte!' au seCOllrs de Treves, bien que ectte
)) ville se trollvat située hors de la ligne de dé-
») fense, et qll'ils avaient fait plus que leur de-
) voir exigeait; que si les Autrichiens avaicnt
» abandonné trop tut ectte position importante,
)) on ne devait s'en prcndre qu'a eux. ))


Tandis qu' on récl'iminait, on négligeait d'agir.
La diete germaniquc ayant résolu, le 5 mai et
le 14 juin précédent, de payer le eontingent de
l'armée prnssicnnc, croyallt avoir assez fait,
réitcl'a ses doléallccs aupres du roi sur ce que




n'UN rr01\Orr n'ÉTAT. 501
l'Empil'c 11'Cn reccvait ras des sccours plus effi-
caces en sa qualité d'élccteur de Brandebourg.


On fitvaloir les motifs les plus pressans pres du
monarque prussicn, tcls que le líen qui unit tontcs
les partics de l'Empirc, les décrets de la diete, le
danger devenll plus imminent, la force qu'aurait
l' exemple de la Prllsse ponr les antres états .... La


. réponscfaiteaunorndu rois'cxprimaclansles ter-
mes les plus négatifs, et la guerre de Pologne fnt
une des raisons sur lcsquellcsFrédéric.Guillanme
insista le plus. (( Le roi, disait la note émanéc de
)) son cabinet, était loin de s'attendre á de pa-
)) reilles rcpréscntations. S. 1\1. a fait des sacri-
J) !ices qui sont bien au-elessus eles frais d'un con-
)) tingent; ses troupes ont renelu des services si-
)) gnalés. 1,es elépenses qu'a exigé la reprise de
») Francfort et ele Mayence ne sont pas encore
» remboursées. Il n'existe ras d'armé(~ de l'Em-
» pirco On ne pcnt dOllner ce nom an pen de
)) conLingcns mis en campagl1c; encare consent-
) on que ces levé es soient rachctécs a prix lI'ar-
» gent. Mais ce qui contrilme le plus a dégager
» le roi de toute obligation a cet égard, est la
») guerrc suscitéc en Pologne par l' cnnemi COID-
» mun, pon\" se vengcl' de S. M., ct l'cmpecher
» de défendre l'Empir~. Les Polonais, saisis du
» délire révolutionnaire, font la guerrc avec fu-
» renr, et S. M. se trouvc dalls la nécessité de




¡) prot(~ger ses états menacés. Sa sitllation est la
)) meme qw') ceHe du graml- éIecteur, qui, se
) battant en 1675 contre r ennemi sur les rives
») duRhin, se vit subitement appelé pour s'op-
») poser a l'invasion des Suédois, excités par I'cn-
) nemi de l'Empire. Ce prince, loin de fOllrnir
)) son contingent, demanda d'étre inclenmisé.
)) Pour ce qui est de l'exemple, S. M. doit pou-
» voír dire que, sí tous les états en faisaient
» autant qu' eHe, la patrie serait sauvée. »


Apres un refus si fortement prononcé, apres
tant de difficultés suscitées pour compléter
l'armée destinée a défendrc l'Empire contre
un ennemi si souvent vietorieux, il ne restait
plus qu'a attendre reffet des représentations in-
stantes con tenues dan s le décl'ct impérial dicté
a la diete vers la fin d'aoút : c'était le cri de dé-
tresse.


Mais jusqu'alors rien ntavait pu distl'airc le
monarque prllssien du sü~ge de Varsovic; il lui
causait la plus vive impatience, surtout depuis
que la discorde avait t·claté entre ses généraux
et les généraux rllsses. Quand M. de Taucnzicll,
que le roi avait nommé son ministre a Saint-
Pétersbourg, était vena prendre ses ordrcs an
camp prussien, iI y avait otrouvé les troupes des
deux. uations ne {I)rmant gn\me tlcnle ct memo
al'mée. Tont avait chang6 de facc en tres-pen de




n'ciV H02lTlUE n'ETAT. 503
temps. Les Russes cherchant a contrarier et a
cntraver les opérations, le f~lvori du roi, Man,..
stein, futbientot en querelle ouverte au quartier~
général avec le général Fersen et le prince de
N assau : ce dernier paraíssait plus particulierec
ment chargé par la czarine d'épier les démar~


- ches et ]a politique du roí. Les opérations da
siége se ressentírent de cette mésintelligence,
et le dénouement sembla des 10rs échapper a
toutes les comhinaisons da cahinet prussien. On
en était)a lorsqu'on apprit tont a coup au quar-
tier-général, que les provinces échues a la Prusse
dans la grande Polognc, par le partage de Grad-
no, venaicnt aussi d'entrer en révolution. DallS
tous les palatillats l'insurrection avait éclaté pres-
que en meme temps le 21 et le 22 aout. Les in-
surgens attaquerent d'abord avec succes un corps
prussien, pres de Fraus!aiit, et le forcerent a
faire su retraite sur G]oPv. Ils se rflldirent
maltres de Kalisch et de Posen; ils interccpte-
rent le convoi de munitions et de vivres qui
était conduit de Brcslau au camp prussien, de-
vant Varsovie. Enfin, un de leurs détachemens
pénétra jusque dans la Silésie supérieure.


Ces différens rnouvemens, opérés sur les der-
rieres de l'arrnée prussienne, alarmerent Frédéric-
Guillaume ct ses conseillers intimes. On détacha
d'abord de l'ul'mée un corps de quatre mille horn-




504 lIIúroIRES
mes ponr l'éprimer les insurgcns. Le roi se mono
frait el'antant plus inquiet de leurs progres qu'il
apprenait que dans le meme moment les armées
fran~aises avanc;aient de nonveau vers fAllema-
gne. Ses états se t.ronvaient par conséquent
menacés par deux ennemis a la fois qn'unissait
une cause commune, et qui pouvaient s' elltendre
contre ses intérets et su puissance. II n'arrivait
plus que des nonvelles facheuses an quartier-
général.


Un courrier venant de la Prusse occidcntale
anl10lH;a la prise de Bromberg par le général
polonais Madalinski. Non-seulcment on crut
Dantzig menacé, mais TItorn, Culm, Graudcnz
également, et. meme la Poméranic. On s'exagéra
tellement le danger qu'on prit clan s le cabinet
dn roí la résolution cl'abanelonller le siége de
Varsovie, et de se _rer des Rnsses commeen
ChamjJlgne on s' éta.paré clesAutrichiens.Cettc
détermination humiliantc prit sa so urce clans
l'irrésolution et le découragement clu roi. Mais
avant el' en venir a ce parti extreme,l'aide-de-camp
Manstcill, répétant la memc ten tative quí luí avait
si mal réussi clan s les pIainos de la Champagne,
aIla demander une conférence an général polo-
naís Zayonczck : de memc qu'avec Dumouricz,
le sortdes prisonniers prussiens servit de prétexte
a Mansteill. De SOll coté, pour ne dOllner aucun




J)'UN nmnIE D'ÉTAT. 505
ombrage ::mx Polonais, Zayonczek cut soin de
ne pas se trouvcr seul avec Manstein. Apres
quelqucs phrases préliminaires, ce dernier lui
demanda s'il n'y aurait pas moyen de faire
cesser les hostilités et de s'entendre. Zayon-
czek donna pour réponse que, le roi ayant man-
qué au traité conclu avec un peuple qui recher-
chait sincerement son amitié, on ne pouvait plus
avoir confiance ni se fiel' a sa bonne foi. Man-
stein se retira confus san s faire aucune autre ou-
verture.


Le roi, apres sept scmaines de fatigue et d'ef-
forts inntilcs, fit lever le siége (lans la nuit du
6 au 7 septembre. Les Prussiens, partagés en
trois colonnes, prirent lenr direction vers la
Prusse méridionale et firent leur retraite avec
précipitation.


CeUe levé e subite du siége de Varsovie par le
monarque prussien, qui avait son s ses ordres
une arm(~e de quarante mille hommes, répandit
dans l'armée polonaise et parmi les habitans de
Varsovie antant de joie que de surprise. L'Eu-
rope en fut aussi dans l'étonnement; on s'épuisa
en conjcctures sur les véritables motifs de ce
dénouement imprévu.


Il fut reffet de plnsicurs causes réunies. Fré-
déric-Guillaume rentra tres-mécontent dans sa
capitale, et avec la persuasion que les Russes,




506 lIflÍllIOIRES
par leurs contrariétés et leurs intrigues, l'avaient
empeché de se rendre maltre de Varsovie et de
pacifier la Pologlle. eeUe campagne infructueuse
l'indisposa singnlierement contre les divers ca·
binets. De retour le 2.6 septembre a Potzdam, et
Jevancé par les deux princes ses fils, le roi as-
sembla son conseil , et y montra, de meme que
ses ministres, le plus granel désir de se retirer
sans retour de la coalition. Si l'état de la guerre
paraissait alors peu favorable pour faire des OH-
vertures ala convention, d'un antre cóté les ehan-
gemens qni venaient de s' opérer dans le régime
intérieur de la France de¡mis le rCllvcrscment dll
despotisme hypocrite de Robespierre semblaieut
permeUre de has arder un rapprochement.


On croyait ponvoir s'y preter san s trop cho-
quer les esprits; tel était l'avis d'Ilaugwitz. On sa·
savait dans le cabinet, par la correspondan ce
de Hardenberg, que, dans toute la partie de
r Allemagne qui avoisine le Rhin, le décourage-
ment y était tel qu'on y aspirait ouvertementala
paix. Des instructíons confidentielles fÍ)rent
adressées en conséquence au maréchal Mcellcn-
dorff ponr qu'il cut a saisir tontes les occasions
de faire ou de recevoil' des ouvertures prélimi-
naires. En m.eme tcmps un courrier fut envoyé
an chal'gé des affaíl'cs de Prusse a Vienne. M. de
eresar re<;ut le 15 septembre l'ordl'e d'adresser a




n'UN HOllf1lIE n'ÉTAT. 507
la cour d'Autriche la déclaration que S. M. prus-
S1enne se yoyait dans la nécessité de rappeler a
la fin de la campagne la plus grande partie de ses
troupes qui étaient sur le Rhin pour les faire
servir a la protection de ses propres états du coté
lle la Pologne. L' agent pl'ussien en flt le lendemain
l'objetd'nne note, qu'il rernit au baron deThugut.


Ces nouvelles dispositions de la cour de Ber-
lln étaient aussi une conséquence de sa position
incertaine vis-a.-vis de l' Angleterre. Le cabinet de
Londres avait payé, il est vraí, les subsides con-
venus, dans la C1'ai11tc que la Prusse ne se reLi-
d.t tout-a-fait. La frégate anglaise l' Iris, ar-
1'ívée a l'cmbouchure dé l'Elbe dan s les premiers
jours de septembre, avait porté le dernier paie-
ment du subside, et les sommes mises aterre ar-
riverent a Berlín. Mais tont indíquait que désor-
mais l'Angleterre nc se résoudrait a continuer
les paiemens qn'avec des gal'anties effectives.
Il n'étaít pas vraisemblable d'ailleurs que la cour
de Londres voulut soudoyer a. la foís les armées
de la Prussc et de l' Autriche, et il était notoire,
quant a ceUe del'niere puissance, que tel était
le but de la négociation du comte Spencer.
Cette ambassade d'un membrc du minish~re
britannique attirait alors l'attention de tous les
tubincts, el: jetait une sortc d'inquiétude dans
celui de Berlín. Lucchesini fut renvoyé de suite a




508 ~r:EMOIRES
Vienne pour épier la négociation, et en faire con-
naitre le résultat.


Dans les circonstances graves oú était l'Eu-
rope, et dans la crise militaire oú se trou-
vait l'Autriche, l'arrivée d'un tcl négociateur
a Vienne n'avait pu manquer d'y produire une
grande sensation. l,e comte Spencer obtint im-
médiatement une audience particlllit~re de rem-
pcreur a Laxembourg. Illlli exposa l'objet et le
but de sa mission : elle consistait dans l' offre d'UIl
subside annuel de trois millions de livres ster-
ling, faite au nom de son gonvernement a l'Au-
triche, pendant deux ans, a la seule condition
de consentir a reprendre l' offensivc dans les
Pays-Bas. Le gouvernement anglais insistait aussi
pour que l'empereur Elt passer le command'ement
de la grande armée alliée des mains da prince de
Cobourg dans ceUes de 1'archiduc Charles. Val'-
ehiduc aurait eu pou!' eonseils les généraux
Clairfayt et Beaulieu, auxquels le généralMack
eut aussi été adjoint. Les insinuations du comtc
Spencer, sur les motifs de eeUe demande, frap-
perent l'empereur : elles tenaient aux causes
inaper<,;ues du facheux résultat de la campagne.
Quant aux propositions de l'Angleterre, l'em-
perenr dit au comte Spencer qll'il prendrait
l'avis de son conseil, et qu'il ferait connaitre,
le plus promptement possible,. les ré:mltats de




n'UN HOMMl! D'ÉTAT. 5°9
ses délibérations. L'audience finie, iI manda
pres de lui le feld-maréehal de Wallis, et fit
tenir en sa présence une eonférellee secrete avec
le ministre IThugut et le conseiller aulique de
gllcrre Turekeim. La fut d'abord décidé le rappel
du prince de Cobourg, a qui Thugut et Wallis
se virent forcés de retirer leur appui, tout en
observant que les principales allégations portées
contre le généralissime devaient retomber sur
les officiers de son état-major qui avaient abusé
de sa confiance, partiClllierement sur le colone!
Froissard, Suisse de nation, qui fut représenté
comme un intrigant malintentionné. Le ma-
jor-général Fischer, que le prince de Cobourg
venait d' expédier a Vienne, dans la vue sans
doute de détourner le conp qni le mena/{ait,
cut l'ordre de s'abstenir de rejoindre l'armée sur
la Mense. Mack, d'nn autre cóté, qui, depnis su
seconde re traite , se tenait uans ses terres en Bo-
heme, re/{ut une tabatiere d' 01' avec le portrait
de l'emperenr, entouré de brillans, le tout ae-
compagné d'nn bil1et de lamain meme du prinee,
dans les termes les plus graeieux.


Cependant les négociateurs anglais, ne per-
dant pas de vue l'objet de lenr mission, cher-
chaient a se ménager le crédit des principaux
ministres et des personnages influens a la conr.
Ils conférerent avec le président du conseil au-




JUÉMOIRES


lique et ave e Thugut, en les pressant l'un et
l'autre de prendre des engagemens pour la pour-
suite de la guerre, sans pouvoir rien en tirer que
des réponses dilatoires. Les ministres autrichiens
avouerent qu'il fallait de grands renforts a l'al'-
mée impériale pour repremlre l' offensive avec
quelque espoir de succcs; ils dounereut l'assu-
rauce que les lettres circulaires pour un reCl'ute-
ment de soixante mille hommes allaient etrc
expédiées. D'un autre coté ils regardaient comme
douteux que ces renforts pussent arl'iver avant
la fin de la campagnc. Tout alIait dépendre, di-
saient-ils, de la l'ésistancc qllc[feraicllt les pIaces
assiégées, et des résolutions de la Prusse, qui, loin
d'adhérer a une participation effective, annon-
~ait de nouvcaul'intention de retirer une partie
deses troupes;or,on neponvait, pour le moment,
songer a ancnne opération offensivc. Tontefois
le général Clairfayt, destiné a remplace}' le princo
de Cobourg, continuerait de ganler la ligne de
la Meuse.


En effet ce général avait p1'is, le 28 aoút, ~I
Fauron-le-Comte, le commandemellt en chef de
l'armée impériale que lui avait remis le prince de
Cobourg, dont le départ fit peu de sensation.
Rentré en Allemagne, ce prince retomba jusqu'a
sa mort 1 danli l'obscurité ct meme dans un oubli


, EJl 1815,




D'UN HOll'IlUE D'ÉTAT. !JI!
total, n'ayant rien fait de mémorable que de
laisser triompher la révolution, qu'il avaitacom·
LaUre.


I/armée républicaine, commandée par le
général Jourdan, cantonnait en face de Yarmée
impériale entre Liége et Maestrieht; le général
Pichegru observait en avant d'Anvers l'armée
<lu due d'York, tandis qu'une armée de siége
achevait de réduire les quatre places fran~aises
de 1.andrecies, le Quesnoy, Condé et Valen-
ciennes. Le comité de salut publie, vOlllant
en presser la l'eddition, avait fait sommer les
commandalls de se soumettre dans les vingt-
quatre hemes, sous peine d'etre passés par les
armes. A la fin d'aoút, ces quatrc places, qui
avaient coúté aux alliées tant de travanx et de
sang, étaient déja reconquises. Carnot vint l'an-
noncer a la convention ; iI avoua que la néccs-
sité de les repl'endrc avait fait recomír a l'em-
ploi des l1l0yens révolntionnail'cs ... ,. « Ainsi,
» ajouta-t-il, les succes éphémeres de l'Europe
» produit que honte pour elle, et gloire pour
» nous. Quoi! toute l'Enrope ne pent conquérÍl'
)) la France? ce pays qu' on dit n't~tre qu'une la-
» cune sur la carte de l'EUl'ope ... ! Répandez dans
» votre marine la meme énergíe qui anime vos
» armées! Arrachez a la Grande-Bretagne le
» sceptre de la mer, et que la liberté de la France




512 llUÍlUOIRES
» ne soit que le prélude de la liberté da monde. »


Des que l'armée frall(;;aise de siége cut rejoint
l'armée principale, Jourdan fit ses dispositions
pour attaquer Clairfayt, dont les forces étaient
réparties depuis Ruremonde jusqu'a Liége. La
communication d'ailleurs se trouvait coupée
avec Luxembourg depuis l' occupation de Treves
par les Franr;ais, tandis que les Prussiens se te-
naient toujours inactifs sur les rivcs de la Nahe,
leur principal objet étant, disaient-ils, de cou-
vrir le Haut-Rhin, Mayence et Manheim.


A la mi-septembre recommellcerent les opéra-
tions offensives. Les instructiollS de Clairfayt lui
enjoignaient de ne pas fisquer de bataille géné-
rale, et, si les Fral1<;ais étaient trop en forces, de
se replier au-dela du Rhill. Un corps de trente mille
républicaills ayant passé la Mense entre Rure-
monde et VenIo, concourut avec 1'armée de Jour-
dan a mettre les A utrichiens entre deux feux. Pen-
dant la uuit, CIairfayt quitta son camp de la Char-
treuse, ainsi que tou tes ses autres positions, et
gagna en toute hate la ligne de la Roer. Dans l'in-
certitude des événemens, iI Y avait [ait élever
quelques ouvrages. Sa retraite précipitée s'effec-
tua avec confusioll et désordre. Jourdan, ayant
concentré toutes ses forces, marcha aussitot pOUl'
le chasser de ses nouvelles positions. Le 2 octobre
l'armée francaisc s'ébrm;;la en colonncs serrées


, -




n'CN HO;Vnm n'krA T.


par bl'igades, et, ~e bronillul'd s'étant dissipé,
offrit 1e spectacle de cent mille hornmes réu-
nis, manreuvrant ayec autant d'ordre que de
précision, et prets a charger les Autrichiens.
L'attaqueducentl'ecommenc;a un peuuyant celle
des ailes. Bien que Clairfayt tiut les hautenrs sous
la protection de son artillerie, et qu'il fút couvert
par des redoutes sons lesquelIes sa nombreuse
cavaleric se tU'ploya, il ne put sontenir le choc,
cleyant la rnasse des assaillans, et, menacé d'etre
tourné soit a Coblentz; soit a CoJogne, il se mit en
retraite, et abandonna la Roe:r. N e se eroyant en
sureté qll'an-dela du Rhin, ill'epassa le flellve le
5 octobre. Nlll donte qu'en mettant ::tinsi le Rhin
entre les Fl'am,¡ais et les Impériaux, il n'ait en
pour objet de remp]ir les vnes de sa cour. Le
bruit se répandit aussitot que deux commissaires
de la convention avaient passé aussi le Rhin, se
rendant a Vienne, accompagnés du général
autrichien Khevenhllller.


Voici le fait expliqué par ses antécédens. Les
maximes de modération qui avaient succédé en
France au régne de la terreur, devaiellt tot OH
tard conduire á parltr (le paix. Les comitós de
gOllvernement tirés de la conventlOll en sentirent
le hesoin et s' en occllpercnt, tuut en poussant au
dehors leurs conCIllétes. IIs ne se promirent pas
d'abord, il est yraí, une paix générale, qni d'ail-


1I. 'B




lIIÉl\IOIRES


leurs á leurs yeux n' eut pas été sans danger, si
douze cent mille hommes fUSSCllt rentrés simulta-
nément dans rintérieur, ou leur désccuvl'emeut
pouvait etre a craindre. Maís ils se flattaieut (}'a1'-
river, par la terreur de leu!'s armes, a une paix
partielle avec la plupart des puissances du COll-
tinent, avec l'Espagne par exelllplc, la Prusse el
la Sardaigne. L' Autl'iche ue tlcvail pas 11011 plus
etre exclue des négociations.


Le comité de salut puhlic ayanL jelé les
bases principales de ses vues pour la paix,
autorisa 1\1. Barlhclcl1ly, son alllbassacleul' C11
Suisse, a pressenti1' ÍlHlirecteulCl1L les disposi-
tions des puissances.


Ses illstructions furcnt tin':es du travail pré-
paratoire da comité, et clout voici la substallce :
« Nous Be proposerons pas la paix aux puis-
» sanees; c' est á elles á la demander; Hons lle
» nous montrel'OllS pas les tyl'ans des :llltrcs
» -peuples; 110ns n'imitel'OllS pas l' Ol'gueil des
» Romains; nOllS jouiroIls des dl'oits de la Vle-
l) toire, mais nons n'Cll ~d;nscrons pas: elle nons
» donne le droit de tont cxÍaCl', lnais }111II5 l1'exi-


t:l
» gerons que ce quif'<¡t raISOlllJable. Cenx qui
» voudront entrer en n6gociation avec nons,
» devront eon1menCel' par reeonnaitre la some-
l) raineté ct l'indl~p(,l1danc(~ de la nation {'rau-
) r;-aise; e' est l~de pl'í.''iimiuail'c de tout tl'aité de




, " J) lí:'< nO;\[i\JE D l:TAT. 515
» paix. Les f~··an<.:ais ayant fait la gnerre pour em-
), pecher (ju'on He porte atteinte a leurs dl'oits et
») (Iu'on u'altere la forme de gouvernement qu'il
») leu!' convient <.1' établir, ils respecteront chez
)) les autrcs pcuples un uroit qu'ils feront tou-
)) jours respecter pour ellx-memes ; or , ils ne se
) meleront en aucnlle manicre de l'administra-
) tion iutérieure (les autres llations; ils recon-
) llallront tont gOllverncment qui a en sa faveur
» le conscntelllcnt formel Oll Lacite des peuples.


Des rclatiolls secrctes ponl' arriver a une pa-
ci.ficatioll flll'Clll pl'eSrIlle allssitót établies avec
la pluparl des cabillets coutl'e lcsquels la France
(~tait eH guerreo L'Espagne et la Prusse étaient
les denx puissauces que les comités de gouver-
nement croyaicnt détachcr de la coalition avec
lc plus de facililé. Les froidcurs des comités pour
la cause polollaise et le rcflls de lui accorcler
aUClll1 secoul's direct ou indiJ'eet, attestaient les
ménagemens qu'Ol1 avait pour la Prusse, ave e
laqllclle OH était dans l'attellte d'un traité séparé.


Quaut ~l l' A utl'iche, ~l se présentait des diffi-
cultés plus sél'i.cuses. C'était un armistice qu'elle
s' cfforc,;ait. d' oLteuil' par les demandes détournées
<le scs émissail'cs. Maís les comités qui des 10rs
mt~llle euteuclaicnt s' emparer de la ligne do Rhin,
ne vmda¡ Iltrailer qlte sur eette base,n' admettaient
aucuuc suspcllsion d'arllles. Eugagcl' l' Autricbc




JlLÉIIIOIRES


et la Pl'usse dans une paix sépal'ée on tont an
moins les y elltralner l'une p~U' l'ulltre en excitant
lenr l'ivalité , tel était le hut des chefs de la con-
vention. A cet effet, ils détacherent un agent
secret a Thugut dans les premiers jours doc-
tohre, le meme que le gélléral Khevenhuller ac-
compagna jnsqn'a Vienne. On le nommait le
marquis de Poterat; il avait avee lui un secré4
taire. Ce Potcrat était un ancien militaire, hommc
délié et capahle, enfoneé pal' goút (bns les intri-
gues de la diplomatie avant et depnis la révolll-
tiOll; jI connaissaÍl: d'aiHeurs Thugut, avcc qui
on l'avait déja mis cn reIation politiqnc , satIS
le précédent comité, pendant le eours de eette
campagne; on croit meme qu'il ne fut pas étral1-
gel' a ]a détermination de l'évaeuation de la Bel-
gique. eeUe fois il était ehargé de por ter Thugut
a entamer des ouvertures de paix sérieuses; en
meme temps iI avait la mission d'épier les inten-
tioús de l' Autriehe et de pénétl'er les résuItats
des négociations dll comte Speneer,


C'était an moment meme oú les négocia-
teurs allgIais sollicitaient á Vienne une réponse
catégoriqne du ministere d'Antriehe : iIs atten-
tlaient la tenue d'un grand conseil d'état, qui de-
vait décider les termes de ectte réponse, et quel
systcme polítique OH suivrait désormais. Thngut y
apportait du retard a desseill. Enfin la eonfél'cnce




cut licule 1 er octobrc. 'fans les membres dll minis-
tere y assistcrent sans exception, ainsi que tout
le conscil anliquc de guerreo L'empereur le pré-
sida en personne. Les demandes des ministl·CS
ponr reprendre 1'offellsive allerent bien-an-
dela de ce que les commissaircs~négociateurs
étaient autorisés a promettrc. La trop prompte
reddition des forteresses faisaÍt renoneer Ji
l'espoir de reconquérir la ljelgique. Thugnt ne
cessait de répéter qll'il n'y a vait pas moyen de ré-
sister aux masscs de la cenvcntion. D'ailleurs la
retraite du g(~nél'al Clairf,lyt, dont on l'cccvait les
premie!"s a \' is, ne laissait plus aucunc espérance
ponr l'issuc de eette cumpagllc; et, comme le
80l't des armes continuait á etre f~lVOl'uble aux
Fran<.;uis, les idées de paix et le désir du rétablis-
sement de la tranrlnillilé généralc sel1lblaient
prévaloir meme dan s les conseils de l'Autrichc.


Ainsi la négoeiation n'eut aUCUll sueces, uu
moinsqnant a la propositioll principale d.e-
prendre immédiatcment l'offensive. Aucun traité
ne fnt conelu entre les c1ClIX pnissanees; mais les
l1égociateurs, qui n'étaicnt pas sans appui, soit a
la cour, soit dans le conseil, avai{~nt obtenn
que vingt-einq mil!e Autrichiens, aux ordres au
général Alvinzy, passcl'aient ;\ la solde anglo-ba-
tave, et COllcoul'I'aient a la défense de la IIollandc,
en se combinant avec l'arm6e du duc d'York.




518
Dans 1'in lervall e, le cabinetcle Londres, itlsll'uit


du mouvement rétrogradc de Clairfayt , cnvoya
en tou te hate de nouvelles instrnctiollS;'¡ ses com-
missaires a Viennc; illeur était recommaudé de
renouveler les plus fortes instan ces auprl;s de
l' empereur, afin el' en chtcnir les onlrcs les plus
prompts, et, ql10i qn'il en pút cotlte)', ponr la
conservation de l\Taestricht. Les commissaircs
remplirent ave e zele et chalenr, avant h~nr dé-
part, eette partie de knI' mission, mais sans ap-
parenee de tirer de l' Alltriehc anCUlI antrc secours
que eelui du COl'pS ll'armée da felcl-mal'écbal Al-
vinzy.


AussitOt que le eabinet de Prnssc vitl'lutriehc
abandonner successivenwllt la rive gauche du
Rhin, iI jl1gea qne tOll t(~ cctte partie dcl'Allemagnc
deviendrait bielltot la proie des Fl'an(,'ais. Pénétré
des diffieultés que préscntaient les graves eir-
constances du momeut, il avait á eraindrtl
el'u'ti eoté pour ses possessiOlls eH POIOgllC, et
de l'autre ponr ses provinecs de \VestpltaJic.
Allait-il bl'usquer ses O1ücrturcs próliminaires
vis-a-vis de la France pOli!' el! venir it une
négociatioll ostensible? Rien 11' ótant déeidó
en Pologne, ou il fallait porte1' dc nouvel.les
forees, iI importait au cabinet de BerIin,
pour masquer ses dispositiollS secretes á J'égard
de la Franee, el' étrc encore regardé eommc partie




dans la gnrl'rc ele la coalition. Mais d'nn antre
cóté, l'A ntriche ay;mi: donnó clle-meme le signal
de la rrtraite derrierc lc Rhin, YOJ'clre fut expé-
dié de Berlln, vers le mil ien d' octobre, an ma-
réchal J\lcelll'llc1orfI, de nc plus prodiguer inu-
tilemcnt CH llouyclles atta(lues ]e sang des
solebts pru:-<;[C'ns; rn un mot oc se replier aussi
sur la rivc clroitc, et lit d' cn vClIir, avec la légation
fran({aise en Snisse, a dcs ouvertnres sérieuses,
ponr n"concilicr les del/x nations. D'autres mo-
tifs qne cclui de h gnelTc de Pologne déterminc-
rCllt la PI'l1SSC I1 ccrLc sépal':Ttion manifcste de la
,ansc cmmmme : les puissanccs maritimes rcfn-
saiclIt de sondoya!' plus long -temps son inac-
tion. ParYmrír an rótablisscment des affaire s des
alliés sur les fl'onti(~rf's de la Hollande, oú était
ancore appcl{~c !'armóe prussiennc, paraissait
impossihle. Agir pOll!' son p1'oprc compte eút été
pen ~:lgc, apres de si fúchcllscs eXp(~ricllces. Enfin
la Prusse aval! alors En hesoin récl elc s'occuper
cxcl nsivemcllt a faire ren(~urir scs finances, son
industrie et son commercc. A ces considérations
se joigllait t'espoir dn conclnrc avcc la France
une paix avall!agcnse, quc la disposition actuelIe
dcs esprits pcrmettait ele justifier. Les ancicns
comités de gouVCl'llCrnent avaicnt été renverséE
ou renouvclés en partic; un systeme moins ty~
rall¡lÍqllc succédaitáun régime de sang, mais 110n




J20 :UÚWJRES


pas sans hésitation et saus trouhlcs intél'ienrs.
D'un antre coté les longucs sOllfIrances de la
gucrl'e avaient calmé les passions, et anéanti les
orgueilleuses espéranccs uont les alliés s'étaient
bercés si long-temps.


Le 14 octobre, apees la réception dn courrier
venu de Berlin, :YIrellendorff fit pnblier a l' ordre
que « le traité de subside avec l' Angleterre ne
» subsistant plus, tout ce qui se faisait actuelle-
» mont ne servait plus qll'a 1'honnelll' des armes
» prussiennes et a mailltenir leur ancienne gloire;
» que, si l' ennemi essayait quelqlle entreprise
» contre l'armée, l'armée se hattraitd'autantmieux
» que son général en chef pouvait lui aSSUl'er de
» hons quarüers cl'hiver et une paix prochaine. »
Rappelant aussitut ses divisions avancées et ses
détachemens, Mrellelluorff les concentra tout-a-
fait sons les murs de ~Iayencc entre Oppcnheim
et pzingen. Déjá il venait de remplil' les vues de
sa cour an sujct ues ouvertures préliminaires
qu'il était chargé de faire á la France.


Depuis quelque temps, d'apn~s d'anciennes in~
structions de son cahinct, il tellait, sur les fron-
tieres de la Snisse, un habitant de Cl'utzenach ,
l10mme Schmerz, connu des généraux prnssiens,
et quí s'était mis en rapport avec l'd. Bacher,
attaché ~l la lé[Y)atioll fraucaise. Bacher résidait a , ,
Bale, d'oú iI entretenait une concspondauce se-




, ,.
J) eN lIOlIDlE ]) }:TAT.


crete avec1cs agens et les amis que la France avait
en Allemagne. Il était al1ssi en correspondance
directc avec le comité de. salut publico Le comité
l'avait autorisé a continner ses entretíens avec
l'émissaíre de la Prusse, et a saisir toutes les oc-
casíons de lenr donDer plus de consistan ce.


LOl'sque les ouvertures de ce dernier eurent
pris un certain caractere de solidité, Bacher
écrivit au maréchal Mrellendorff pour le presser
d'envoyer á París une pcrsonne súre avec la
mission spéciale de porter directement au co-
mité de salut public les propositions de sa cour,
lui donnant l'assu~'ance qll'elles s~raient accueil-
lies. I"e maréchal transmit an eabinet de Berlin
la lettre de l'agcnt fralH;;ais. Telles furent les
premieres ouvcrtures qui amenerent la paix de
Bale.
. EH aUendant la détermination de sa conr,


l\Iocllendorff fit repasser le nhin a toute l'armée
prussienne; il établít son qual'tier-général a Roc-
heim. Les Allcmands ne cOllserverent sur la rive
gauche qne Mayencc et ses ouvrages avancés.
Les plus clairvoyans considél'aient déjá eomme
perdues les contrées qu'on venait d'évacuer, et
que la France avait toujours ambitiollné pour
hmites.


Nc songeant plus des 10rs qu'a la guerrc de
Pologne, Frédéric-Guillaume tira de son armée




:l\JJlJ\I o IR F 5


dn Rhin vingt mille hommes, qu'il appch ~Ul' les
hords de la Vistule pour angmcnler les forces
df'stinécs a sonmettre les Polonais COlltl'C 1cs-
gncls la czarine faisait marcher de nouvellcs al'·
mées, commanclées par Snwarow .Le dé tachcmen t
prussien s'étant mis allssitót en routc sons les
ordres du pl'ince Hohenlohc, j] ne resta plus ~,
Mrellcndorff que quarante mi.llc hommcs, ct cc-
pendant les Frau<:,ais avaient pl'is Coblentz, ct
obtenu, par une hontctlsc capitulation, la for-
tcressc de Rhcinfcls, appartcnant an landgravc
de lIessc. l)'un antr0 C('¡t(\ "Iacstricht, invcsLi
par suite de b. re traite des AutricIticlIs, et fou-
droyé par l'artillerie fransaise, s'était l'elldll le
[~ novembre. Apr{\s cet l~Vl'l1('ment et la reddi-
tion de Rhcinfels, ilne rcst:üt plus an'\. allil~s sur
la rise gauche du Rhin que les places de Luxcm·
hourg et de )Iayel1cc. '


Voila oú la mésintelligencc des cahillcts avait
condLlit les affaires. Les 1\ uLrielúclls, mécontclls
du roí de Prussc, ne youlant plus por ter seuls
le poids principal de la gl1crre, s'étaicnt d'abord
retirés sur la Mense, el:, eH c:x:posant ainsi la
Hollande, en laissant it l'armée anglaise rem.
barras de la défenclre, n'avaient eu en vuc que
d'inquiéter le "cabinet de Londres, e t el' en tirer a
leur tour des subsidcs. Tout lenr rénssiL d'abord
au-deUl de lcurs souhaits. Mais commc il arrive




n'(íN JIOllJ:llfF: n'.ÉTAT.


presqnc tonjonrs (Jlw.ncl on n' est pas súr demaltri-
ser les év¡'.nemens, le cabinet de Vicnne se trouva
entralué au-deUtdn butqu'il se proposait.Lc comte
Spcncer ne lui fit que des offres conclitionnelles:
ce n'était pas ce qu'il dcmanclait, Ne se croyant
pas en état de reprcncl¡'c l' offel1sive, ou ne vou-
lant pas expusel' le sort dc son armée, l'Autriche
accnsa son impuissance en complétant sa re traite
derriere le Rhin. A la vérité, Clairfayt pouvait se
réunir ue llonvean au duc d'York, en marchant
dH c(¡t(~ de \ ¡r (sel :n'cc ~(~ gros des tl'oupes impé-
rialcs; mais le conscil :luliquc, pdjngeant qu'on
He fcraít par lit qlH' l'clarder la perte du stathou-
del', éluda eonstammen t el' cnvoyet aucun autre
renfort que cdll i cln g¡"néral A lvinzy se joindre
aux trollpes anglo - hollal\t1ais(~s, qui, apres la
perte de :L\Tacstl'ieht, s'l~tabljl'ent dans un camp
rctranché SOllS NÍlm~gllc.


Cepcnrlant, h la rayenr des yrcllX manifestés
universe.llement ponr unE' paix générale, le
cabinet de Berlin crnt pouyoir masquer ses
négocíations cí cOllvrir le traité qu'il se propo-
sait de cOllclnre ayec la répuhliquc fran<,:aise.
Des les prcmicrs jours d'octobre, on y avait
arrété de donner au corps germanique l'im-
pulsion pacificatrice, tandis que les émissaires
de la Franee s'attacheraient a imprimer un
mouvcmenl semblable aux pays allemands




:mbIOlRES


qui étaient a leur portée. Hardenberg du coté
de la Prusse se chargea d'in{luencer dans ce
sens les cerc1es de Franconie et du Bas·Rhin. Du
coté de la France, ragent Bacher agit principa-
lement sur le Palatinat et sur la Baviere. '


La voix électorale palatinc se fit cntendre la
premiere a ]a diete, en y énon<,;ant le vreu d'une
paix honorable. L' électeur de Mayence, excité par
son coadjuteur, le haron Dalberg, saisit cette ou-
verture, eten qualité d'archi-chancelier de l'Em-
pire,ilenfitl'objet d'nne proposition formelle. Il
observa d'abord que le vreu manifesté par la cour
électorale palatine méritait d'autant plus d'atten-
tion, et une délibération d'autant plus sérieuse,
que S. M.l'empereur avait déclarédanssondécret
aulique, ponr l'angmentation des contingens de
l'Empire an quintuple, qu~elleétait prétedécouter
touteslesautresnulJerturesqtt'onvoudraitjáiresur
les moyells de sauverla patrie germanique. «( VEm-
» pire, aj outait l' archi-chancclicr, a dó prendre
» fait et cause ponr ses co-états lésés dans l'Al-
» sace et la Lorraine; ii a fait la guerre jusqu'a
» présent uniquement a ce sujet, c'est-a-dire ponr
» obtenir la réintégration des choses dans l'état
» oa elles ont été garanties par la France elle-
» meme dans le traité de 1648, devenu fonda-
» mental ponr le corps germaniqne, et nullement
» pOllr s'immiscer dans les affaire s intérieures de




n'UN HOl\fME n'ÉTAT.


» la France. Cependant, au lieu d'atteindre ce
)) but, I'Empirc a perdu un pays apres l'autre;
» et celles memes de ses provinees que l' en-
») nemi ll'a point occllpées, ont également souf-
)) fert. Il parait done a touségards utile et
) lléeessaire que daus le temps qu'on se pré-
)) pare infatigablement a une nouveIle eampagne
») plus heureuse a ce qu'iI faut espérer, 011 montre
» au paisible citoyen allemand qu'oll a sérieu-
» sement intention de procurer la paix a l'Em-
» pire. Le corps germanique peut déclarer, sans
») hésiter, a la nation franc:aise, qu'il n'a en vue
» que sa propre conscrvation, et non pas son
») agrandissement; que d'ailleurs iI n'a aucune in-
» telltion de s' embarrasser de ce qui se passe en
») France. La nation fran~aise apprendra par la
» qu'il ne dépcnel que el'elle d'avoir la paix avec
)1 l'Empire ..... ») L'archi-chancelier pl'oposait en
conséquence ele recourir ála médiation eles cours
de Suede et de Dancmarck, restées neutres dans
la présente guerre, et de les prier ele s'interposer
efficacement pres de la nation franc;aise ponr une
paix acceptable.


Les ministres de Cologne, palatin de Baviere
et de Brandebourg, aeeéderent de suitc a cette
proposition, ainsi que la pIupart eles ministres
du collége des princes. On convint unanimement
de travailler a un armistiee qui pút conduire it la




3I.E3IOJRES


paix durant l'hivcr. A cet cffet, le coadjuteur de
Mayence, barol1 Dalberg, et le général Thomp-
son, au servicc de r électeur palatín, se rewlil'ent
a Bale pour y fairc aux agens fl'an~ais les pre-
míeres ouvertures sur la négociation dont le
coadjuteur seraít ult{~rieuremelltchargé. On s'at-
tendaít que Ieurs príncipes connns et lenrs sen-
timen s personnc1s, bworables a la Fl'<l1H;c, contri-
hueraient efficacement au succes de lenr mission.


Mais le sort de la propositioll pacificatrice
allait dépendre en grande partie de la mauíere
dont la considén:rait la cour de Viellue. 11 était
hors de dOllte qU'Oll y désirait i:iiuCel'Cmcllt la
paix; máis on n'y était ras fixé sur ~es ]~lOyCllS d'y
parvellir. Le ministre Thugnt, a l'alTivée du mar-
quis de Poterat,élait entró de suite en conférepce
avec cet émissaire, qui le pressait de se déc1arer
ouvertement en faveur ele la paix, et par la de
s'assurer l'avantagede ['initiative, pour ne pas €tre
devaneé par laPrnssc. Thugut de SOll coté demau-
dait que la France nt d'officc les prcmieres oli-
vertures, et consentit atine suspension d'armes.
En brnsquant une affaire si importante, et en
cllOquant les sentimens particuIicrs de l'empc-
reu1', íl craigllait de comprQmettre son crédit
dans le cabinet oú son inílucllce l~tait halancée
par ceHe de Colloredo, qni pellchait pOli!" Je
mainticn de l'alliance anglaisc.




D'mv IIO¡UlIIE n'ÉTAT.
Ce confident intime de l'empereur était entre-


tenu dans ses dispositions contre la F'rance et
contl'C la paix, par son correspondant poli ti-
que l\1allet Dupan. Aprcs la seconde invasion
de la 13elgique par les Fran~ais, ce publiciste
avait quitté llrnxelles, et s'daitretiré a Berne,
oú il avait des amis pllisSéiUS. La il avait trouvé
plus de facilité qll'it Brllxelles pom entl'etenir
des relations avec Paris. La Suisse était a ceUe
époque le théátre de beaucoup d'intl'igues, et
le centre de plusieul's correspondances secretes,
soit coutrc, soit 'eH fayenr de la révolutioll.
C' était (l'aillcms une sorle de citaclelle, d' ou
ron pouvait observer tous les mouvemens de
I'Emope. l .. c8 prillcipaux cabinets voulurent y
avoir un COlTcspolHlallt, et Mallet Dupan fut
chargé d'envoyer a ViCllue et a Berlín le résul-
tat de ses obscnatiolls. n était entré a cet
effct en relation directc avec CoIloredo d'unc
part, el de l'autrc avcc Harc1euberg. Ayant ma-
festé des l'origine une désapprobation complete
au sujet des négociatio~ls entamées par la Prllsse
ave e ]a France, ecUe opposition lui fit perch'e la
correspolldaucc de la cour de Berlill, mais sans
rien affaiblir de son illtcrvcntion dans les affaires
diplomaticlues de la conr de Vienne. Colloredo,
(~cJairó par ses observatiollS et ses aper(:us, se
trollvait par lá presque toujours cn mesure




lIIÉi\IOIRES


de détourner OH de combattre avec avantage
dan S le conseilla politique captieuse et louche
du ba1'on de Thugut.Ce ministre avait Lean dire
qu'iln'était aueune puissance aetuellement en
guerre avec la France quí n'eut fait des pel'tes
dans cette guerre, aucune qui y eut gagné, a
l'exception de l'Angleterre, et que c'était aussi
la seule dont les dispositions ne fllssent point
en harmonie avec les intérets du continent;
on lui objectait que les dispositiollS de I'Anglc-
terre n'étaiellt point encore connlles au sujet
de la qucstion importante qlli occupait le corps
gel'manique et le cahinet autl'ichien. L'inccl'-
titude ou ron était a cet égard retínt Thugut,
et il n'osa envoyer que des instructions pro-
visoires allX ministres d'Autriche a Ratisbonne
sur ]a proposition de l'électcur de Mayence.
On ne vaulait ríen décider a Vienne avant le
retour d'un COllrrier expédié a ce sujet a la
COUI' de Londres. Ces délais influcrcllt sur la
réponse de l'empcrellr, attendue avec impa-
tience par la diete: elle lui fut communiquée
an eornmencement de novembre. Vempereul'
y témoignait sa surprise ({ de ce qu'une pro-
» position de si grande impol'tance que celle tl\me
)) négociationde paix eút été porté e si publique-
)) mellt a la connaissance de l'Empil'c, saos aucnll
)) concert préalable, ni avec son concours eH




, " J)T!Y HO;II~m VETAT.


» qualité de chef dll COl'pS germaniqnc, ni avcc
» celui des grandes puissances impliquées dans
» eeUe guerre; il aurait eru ne pas dcyoir s'at-
» tendre a ce manquc d'éganl duns sa double
» qualité de chef de l'Empirc ct de puissance bel-
» ligérante; il rappe1ait que le but qu'on se pro-
» posait d' obtcllir, c'cst-a-dire Ulle paix désirablc,
» et par la le bien-ctre général de l' empire, aurait
» cxigé qu'on n'c(lt point fait une démarche de
» eeUe llatUl'C a l'insu des antres puissanccs, par-
)) ticuliéremcllt de la cour britm1llicIlle. Toutefois
» il déclarait, comme chcfc1n corps germaniqnc,
» qu'il n'y mettrait LlllClIll obstade, et qu'il at-
» tendl'uit a cc sujet la résolutioll de la diete;
II mais qu'en sa qllalité dc co-état il était d'avis
» qu'on ne mlt en délibération qne la scule ques-
» tíon, s'i[ jaut faire la pr¡ix ? ne jugeant pas
» que provisoil'cment il cOllvlnt de s'expliqner
» sur la question relative a la maniere de la faire
}) noÍl plus que sur ceHe de la ll2édiatioTl. »)


Le roi de Prusse, an contraire, chargea le
ministre de Brandbourg de déc1arer provisoil'c-
ment que la proposition de la paix luí ayant t'~té
commulliquée, il avait été sensiblcment affecté
de la sitllation dangereusc et tcrrible de la patrie
germaniquc; qu'ainsi iI pouvait aisément eoncc-
voir fIne ectte sitnatioll rcndit si nécessaire et si
ardent le désir de la paix; qu'il en agréait tr(~s-


lI.




530 l\rÉJ\fOIRES
volontiers les propositions, prenant une part
tres-véritable a la conservation de la patrie
et faisant des vreux bien si.nceres ponr que
la divine Providence accordit cet arrangement
préalable; qu'en attendant la róponse des autrcs
co-états, il donnerait a son ministre des ordres
conformes aux scntimens qui l'animaient.


L'électenr palatin, cclui de Saxe et le due de
Wurtemberg adhérerenUda proposition. Lema/'-
grave de Rade jugea qu'il falbit attcndre, avant
de se déc1arer, la l'ésoln tiOll <le la COtll' de Vienne.
Allié depuis pen par mariagc 1 it la COUI' de Saint-
Pétersbourg, le margrave opina meme pOllr que
d'autres médiations, nommément eeUe de Russie,
fussent demandécs.


L'électeur de Maycnce et d'antl'es eo·états de
l'Empire insisterent si fortement sur la nécessité
de l'approcher l' époquc oú la paix serait pro posé e
a la Fl'anee, qllC les ministres de l'empereur a la
diete, d'arres les instl'uctions confidentielles da
haron de Thugut ,accéderenHt un moren terme;
01' on convint que le protocole sCl'ait ouvert di's
le 5 décembre, mais que l'ouvertnre formelle
des délibérations de l'asscmblée n'aurait líen
que le 19 du meme mois. Gétait un termo de six
semaines que prenait l'empcrellr pou!' répondl'e


, De sa petítc-fllle ave~ le grand-uue Alcxantlre de Russie, dcpuis
empercar.




, " ]) UN nO;\nm D l:T 11'1'.


définitivemcnt, et ce délai était destiné a prendre
l'avis clu cabinet britanllique.


Cepelldantlecomité de salutpublic, long·temps
abusé par les ouvertures clandestines que le cabi-
net de Berlin avait presq~le toujours tenues en ré-
serve vis-a-vis de laFl'ance, s'était d'abord montré
peu cOllfiallt au sujet des dispositions pacifiques
mises en avant pal' ord1'e UU roi de Prusse; mais
il ne lui fut bicntot plus possible de Íes révoquer
en doutc. Toutes les info1'mations provenant de
sa légation en Suisse était pél'cmptoires. Elles
fUl'ent confirmées par tons les avis secrets venant
d'outre-Rhiu. eomme les comités de la conven-
tion se ressentaient dans leur composition nou-
velle un systemc modéré qui prévalait depuis
peu dalls les formes du gouvernement révolu-
tiollnaire, iis u{~siraient ardemment s' onvrir la
wie des paix pa1'ticlles, et en faire la premiere
application a la Prnsse et á l'Espagne, qui mon-
traicllt aussi k désir de négocier.Le comité de salut
public demandait en conséqnence que la Prusse
llonmli'tt un dipiomatc accrédité, afin d'entamer
et de snivre la lJ(~gociation, désignant de son
coté, camme son ministre plénipotentiaire,
M. Barthélemy, qui, par son caracterc honorable
et conciliant, s'était attiré au-dehors l'estime
générale. Le comité manifcsta aussi le vreu que
la l1égociation cút lieu a Paris, et a sa portée,




.iUÚfOIRJ1S


afin el' en écartcr lui-meme les difficultés, et el' en
accélércr la concJusion.


Malgré l'extreme désir du roi et de ses mí-
nistres, d'arriver le plus promptement possihle
a ce meme résultat, ponrtant la position de
la Prusse, SOU5 le point de vue politique, ne
lui permettait pas encore de précipiter le dé-
nouement. Le roi attendait deux choses ponr
passor des onvel'tUl'es secretes ;{ une négo-
ciatíon patente; il voutait connaltre le résultat
des vc.eux de la diéto germaniqne an slljet de la
proposition pacificatrice et l'issue }lrochaine de
la guerre de Pologlle, qni ajoutait a ses perplcxi-
tés. Du reste il fit annonce1' qu'illlommerait pOllr
son plénipotentiail'e le comte de Goltz, qui avait
long-tcmps résidé comme son envoyé á París,
et que le major de l\Ieyrillck, (l<~já (~mployé par
le maréclral Mn:llcndodJ' au x [ll'emicTcs OllYer-
tures, arrangerait et tiendrait prets les pr{~limi­
naires de la négociation.


Quant an comit(! de salut public, n'ayant
d'autres vues que d'arrivc¡· it des paix particlles,
iI n'cntendait traiter que sur la hase de l'occllpa-
tiOll de la rive gauchc dn H.ilill. Anssi, des la fin
d' octobre, avait-il renvoyé aux armées dn Rhin ct
Moselle MerliIi de Thiollville avec des ponvoü's
illimités pour traiter sur tous les objets, c'est-a-
dil'e pour htvoriser ~tl:l. fois les pl'ojets el e m"goeb-




533
tions et une cntl'cpl'isc méditée cont1'e Mayenee,
oú 1'on a Vil fine Merlin avait figuré pendant le
siége.


Tandis qn'on préparait tout il Paris poul' l'ae-
complissementde C(~ grand dessein qni emb1'assait
aussilaconquétc de laIToJIando, b gU1Te dc Po-
lognc' touchait a son tenue fatdl. Des le 4 octobre
Koscillszl~o ayait été vainCLl et pris a la bataille
de Maciejowice, gagnée par le général rnsse 1·'01'-
sen. L'illSllrrectiol1 de Polognc fut des 101'S sans
chef et sans espérance. En effet j] y avait Ulle dif-
férencc éno1'mc cutre les deux l'évolutiolls qui
étaient aux pl'isf's :nec les tt; les COlu'ol1uées. Tonte
nationale, la 1'évolution de France n'avait aUCUl1
bosoin de la dictatnre militaire pour se maintenil';
an contraire, ceHe de Pologne, oú la masse de la
nation était encore dans le serv;¡gc, ne pouvait
se sOlltenir que par un chef uniqne; et une ha-
tailJe perdlle la lai~sait sans rcssourccs. Si trente
rnille Prussiens se trOllYairnt a vingt licues de
Varsovie, quarante milJe Husscs les devalH:aient,
marchant sur eette capitaJe, l'unique foyer de la
révolution; ils ('taicnt conduits par Suwarow.
Les troupcs poJollaises qui venaient a sa ren-
contre étaient débiles sllccessivcmcnt. L'éncr-
gie de Sllwarow était imlomptahle, el son coup
d'ccil militairc súr.


L'éloignement des Fl'alH,'ais remlait d'aillellJ's,




534
maIgré Ieurs SUCct~s éclatans, toutc diversion im-
possible cn fayem' de la malheul'cuse Polognc.
Tandis que lenr révolution prenait une exten-
sion formidable, celle des Polonais allait s'éva-
nonir. Le 2. novcmbre, Smvarow parut devant le
fanbonrg de Pragnc; le!¡, il k prit d'assaut, et
s'y baigna dan s le sango Le surlendcmain Varso-
vie se rendit par capitulation. Pen de jOUl'S aprés
tonte laPologne fut soumise. Les tl'Ois pnissances
n'y rencontrant plus d'obstaclcs, la Rllssie y do-
mina, et la czarine rcdevint l'arhitro d~s affaires
du Nord.


A la satisbctíon qu' éprouY:l Fr(~déric-GlIiI­
laul11e de voir la Pologne enfin subjuguée, so
mela 10 d{~plaisir d'y avoir si pen conconru.
Non-scnlement les forces prnssicnnos avaicut
{~ChOllé dans la memo cntreprise, mais les l{usses
venaÍent de l'accomplir, vito ct hourcusement,
san s avoir élé secnl1cl{: par les Pl'llssions, qui,
non contens de I'cntl'or en possession des pro-
vincos dél11el11br<~es (l'ü len!' {~taiont éclmes en
partage, montraient la prétcntion d'avoir une
plus grande part au démcmhJ'emcnt final.


Le corps d'armée de Hohcnlohe que le roi
avait appelé sur les bords de la Vistllle, ou iI
n'était plus nécessaire, était parvenu jusqu'a
Leipsick quand il rec;ut l'ordrc de joindre de
nouveau 'NIocllenLlorff sur le l\.hin, et d'y coneou-




f)'UN Jro1U~r:E D':ÉTAT. 535
rir ~l défendl'c Mayencc ct le fort de Cassel. Le
roí et son conscil jllgáellt ne pas devoir quitter
encore tout-~l-fait le théatre de la guerre au lTlO-
lTlt:ut oú les lfranc;ais dirigeaient leurs cfforts
contre les points retl'allchés de Manheim et de
l\Iayence, qne les alliés défendaiEmt encore sur
la rivc gauche. La rctrail:c successive des Prus-
siens et la cOllnaissance de leurs dispositions paci-
fiques avaient tellcment encouragé les généraux
fl'anc;ais de farméc du Rhill et le cornmissaire
1\Ierlin de Thionvillc, qu'ils formerent une attaque
sérieusc contre l\laycnce. Le le' déccmbre, le
gént-ral Klé]wl' prit d'assaut la redoute de Sals-
bach; mais il en fnt chassé par les Autrichiens et
les Prussicns r{~lmis. Ce fut le dernier combat
que ceux-ci sonlinrent dans cette gllerre, et le
dernier service qu'ils rcndirent a la patrie aUe-
mande. La défcnsc (le l\Iayence fut dévolue de-
pllis aux Antrichiens.


Les priucipaux efforts des Franc;ais se tour-
naient alors contrc le stathoudcr.Toutes les places
de la FlalHlre-ITollandaise étaient déja en leUt'
pouvoir, et ils se disposaient a attaquer le camp
retranché de Nimóguc. La fortune et la ter-
renr de leurs armes les en dispenserent. Le dnc
d'York et le prince d'Orange évacuerent le camp,
et par suite la place. Ne voulant pas compro-
mettrc leurs troupes dans les garnisons, ils ne




536
purent défendl'c Nimegue et Bois-le-Dnc, ni san-
ver Grave.


Ces événemens achevercnt de balayer la rive
gauche dn Rhin et du Waal, qni, apres la prise
de Nimegue, offrit assez de sécurité a l'armóe
fran~aise po u!' qu'elle pút y goúter un moment
de repos; iI ne restait plus aucune entreprise a
sa portée que de soumettre Bréda.


De son coté, le dnc d'York, ayant mis ses
troupes en cantonnemens entre l'Y ssel et le Rhin,
partit le 2. décembrc pour l'Angleterre, laissant
an général Walmoden la tache p(~nible du com-
mandcment en chef. Les tl'onpes anglaises res-
terent, sons les ordres du général Harcourt, clans
une sorte d'indépendance, tandis qu' Alvinzy, a
la tete da corps autl'ichien, nc vonlait se preter
qu'aux opérations susceptibles d'entrer elans les
vnes et les convenances de l'armée impériale.
Qu'attenclre d'lln tel état de choses elevant les
cntreprises des répllblicains victOl'ienx sur tous
}('s points du cercle immense de la gncrre?


Dans ses premiel's momcns cJ'alarmes le cabi-
net de La Haye s'était adrcssé directement a Ja
conr de Berlin ponr réclamer l'appui des stipüla-
tions du traité de 1788, c'cst-a-dire la garantie de
la constitution des Provinces-Unies et de l'héré-
dité du statholldérat. l\lais c'était ÍllVOC!Uer les
transactions d'un ordre de choses tombé par le




fait eH désuétwle devanl une crise sans exempIe.
Comment Frédéric-Guillaul11c aurait-il pu sauver
la Hol!ande au mOl11ent oú iI étaitrésolu de s'en-
gagcr vis-a-vis de la France dans des négociatioll s
dont le résultat était cncore üicertain? PIein du
désir sincere de la paix, iI ne pOHvait marcher
au seconrs des Provinces-Unies san s recommen-
cer une guerrc qui ne lui inspirait que dégOl\t et
décoaragement. On ne fit a Berlin que des ré-
ponses dilatoires an stathouder.


Depuis que l'armée impériale avait ahandonné
la rivc gauche da Rhiu, la coar de La Haye nc
s'était pas dissimulé le danger de sa position. De
son ct)té le gouvernement anglais, frappé de l'é-
tat critique de la Hollande, avait envoyé a La
Haye M. 'Vyndham, réccl11l11ent entré dans le
l11illistere pour aviser avec le stathonder aux
moycns les plus efficaces de préserve~ les Pro-
vinces-"Gnies de 1'invasion dont elles étaient me-
uacées. Tont hien pesé, et vu l'état de la guerre,
M. Wyndham se rallgea en partie de l'avis- des
conseillers du stathoudcr, qui demandaient qu' on
OllVrlt, de concert ayec l' Angleterre, des négo-
ciations avcc la France. M. Wyndham pensait
que la Rollande pouvait négocier avec l'assenti-
ment de l'Allglcterre, maís séparément. En con-
séquence M. Fagel, greffier des états-génél'aux,
partit pour Londres, accompagné de son frere.




538 lIIÉl\fOIRES
La, entrant en conférences ave e les ministres
Grt'nville et Piu, il leur proposa el' entamer des
négociations pour la paix. La réponse de la cour
de Vienne, rapportée par le comtc Spencer et
par sir Thomas Grenville, n'était pas, a bcaucoup
pres, contraire a cette proposition. Toutefois les
ministres objecterent qll'ils attenelaientM. Wynd-
ham, afin de prendre a ce sujet une résolntion
définitive. A son re tour ,M. Wyndham passa pres
de deux henres avcc le roi, auque! il fit un rap-
port clétaillé de sa mission. Il en résultait que,
sans le prompt secours cl'une armée auxiliaire
de cinquante a soixante millc hommes, la Hol-
lande ne pouvait etre préservée. M. Wyndham
concluait, dans le cas oú il ne resterait plus aucun
espoir el'y attirer soit l'armée impériale, soit 1'ar-
mée prussienne, a laisscr la conr a La Haye
libre de faire á la France des propositions de
paix sépat6es. Quant á l'appui des Autrichiens,
le ministere anglais savait á C[uoi s'cn tenir, et
n'y éomptait plus, du moins a l'égard de la Hol-
lande. La correspondance de lord Malmcsbury
ne lui laissa bientot plus d'espoir sur aucune
coopération tardive de la part clu gouvernemcnt
prussien. Malmeshury , ne soup~onnant pas en-
care ses véritablcs íntcntions, et s'imaginant que
Frédéríc-Guillaume, pour se mettre a COllvert vis-
a-vis de l'Angleterre, avait donné carte' hlaIlche a .




n'UN rrOllfJlm n'ETAT. 539
Mrel1cndorff, prévcnait sa COUi' qu'il avait averti
lc marpchal pruSSiCll que la conservation de la
Hollande serait de la plus hante importance pour
la continuation de la guerrecontinentale; mais
qne Medlendorff était tcllcment étrangcr a tout
ce qll'on appelle politiqlle qu'il ne l'avait pas
scntí, ct s'était frustré lui-meme de la gIoire
de décider du sort de l'Europe. (( D'ailleurs, ajon-
» tait Malmesbury, iI est Jas de la guerre, et
») m'en a fait rayen. D'un 3.11tre coté, l'adjudant
») principal, ('n rpü il mct le plus de confiance \
» a fait, pon\' le servlcc de l'armée, avec une
» compagnie de juif.; berlinois, des contrats
» qni ne permettcnt point une prompte cxpé-
» dition en Hollande. Qu'elles sont petites quel-
» quefois les causes dont l'influence, d'abord ina-
J) per<;:ue, décide du sort des nations! Ainsi un
» maréchal de Prnsse cst assez mauvais poli tique
) pour n'avoir pas la moindn~ idee des intérets
) de I'l~urope.1\Iais ce qu'on imaginerait encore
») moins, e'est qne l'adjudant affidé de ce mare-
» chal ait pnssé avec des juifs des contrats qui
)) n'auraicnt de validité que pour certaines pro-
l) vinces, et qui cnfermerait l'arm(';c dan s les
) bornes tracées par la cupidité.


») Qu' on suppose l' al'mée anglo-batave recevant
» un renfort considérabIc, commandé par un gé-


J Le major Meyerillck.




J\IÉJ\IOIRES


» néral expél'imenté, livrant sur les bords du
» Waal une bataille qui forcerait a la retraitc les
» Fran~ais vainqueurs; qu'on suppose]a conquete
» de la Hollande empechée; qu'on se rappelle l'é-
» tat de désorganisation et de réactíon morale ou
» se trouve a présent Ja France; qu'on songe bien
» que la convention n'a pas la moindre garantie
." de son existcnce, et puís qu'on calcule la dirce-
» tion que prendraient les événemens si on se
» décidait a reprendre vigoureusement l' offen-
» sive ... Mais le mal'échal l\1cellendorff n'est pas
» destiné á marquer les bornes a la révolutioll
» fruw;:aise. »


1'els étaíent les raisonnemens du diplomate
anglais, qui, malgré sa dextérité et sa vieine ex-
périence, s'abusa au point, jllsqll'all dernier mo-
ment, de ne pas vouloir admettre que le maréchal
avait l'instruction de ne plus rien entreprendre
contre les Fran~ais. Quand le bandeau fut tout-a-
fait déchiré, Malmesbury, quittant le quartier-
général prussien, aillsi que son poste d'ambassa-
deur extraordinaire, en prévint sir Arthur Paget
a Berlin, et reprit la route dc Londres par ]a
Hollande.


Cependant Frédéric-Guillaume n' attendait plus,
pour donner a~ eomte de Goltz ses instructions,
que de connaltre le résultat des vreux de la
diete germaniqne an sujet de la proposition




n'UN HOl\fJ\fE n'LTAT.


pacificatrice. Le 5 décembre était le jour inté-
ressant pour l'Allemagne, ou l'ouvrage de la
paix devait etre mis sur le tapis dans les trois
coUéges de I'Empire. Le commissaire impérial,
baron de Hügel, fit des efforts inutiles ponr
que les délibérations fussent encore différées. Le
suffrage le plus positif et le plus ample en fa-
vem de la paix fut celui de l'électeur palatino Le
suffrage électoral de Brandebourg vint naturelle-
men tal' appui de la proposition ee comme étan t ac-
» tuellement de la plus haute nécessité, et comme
» pOLlvant servir d'onverturc a ponrsuivre uIté-
» rieurcmclltla paix lorsqu'on saurait, ~lcetégard,
» les sel1timcl1s de l'empereur. » Mais le chance-
hcr aulique n'avait donné que des instrllctions
préliminaires; et par leu)' telleur on pouvait j uger
qne la cour de Vienne désirait gagncr dn temps
pour combiner d'antant mieux ses négociations
avec les vues des autres puissances en guerre avcc
les FraIl(;ais. An total, dans ectte premiere eléli-
bération, cinqnante-sept voix se déclarerent pOUi"
la paix, et trente-six elemandcl'ent le roide PrllSSC
ponl" médiateur. On attendait avec impatience le
suffrage dn Hanovrc et ele l' Autl'iche.


Le roi de Prusse vit donc avec plaisir, dans le
vcen émis par la plupart des prillces, l' occasid'n
favorable de poursuivre ouvertement les né~o­
ciations secr'etes qu'il avait eutamées, négoci!l-




lU:Él\WIRES


tions dans lesqnclles, (1' apl'es le meme vreu, il
était fondé a jouer le role de médiateur. Le 8 dé-
cembre, il signa les pleins pouvoirs du comte de
Goltz sans trop presser son départ pour Bale;
cal' bien des motifs, dans les circonstances ou s~
trouvaient l'Emope, pol'taient le cabinet de Ber-
lin a procéder avec lcnteur. Les disposítions de
l'Autriche et de la Rllssie l'inquiétaiellt an sujet
du partage final de la Pologne. 011 allait d'ailleurs
reprendl'e a la diete les délibérations sur la pro-
position de ~la'yence, et y l'ecueillir les suffrages
en retardo


Cclui qui fat le plus cOlltrait'e.:t la paix émalla
de Bl'unswick-Hanovre. La réponse apportéc
par cstafcttc :m ministre électora.l, baron d'Omp-
teda, conteuait en snbstance : « Qll'il ll'apparte-
» nait point á l'électel1r de J\layence, mais a l'cm-
» pereur, comme chef de l'Elnpire, de faire une
» proposition de ceHe uuture; qu'cu seconcllieu
» la conjoncture présente ne pcrmettait point de
» parler d' ouvertlll'es de paix; ql1 e bien plntot il
» faUait se préparer á une nouvel1e campaglle a
) forces rénnies, forC{~s qu' OH dcvait ll1cmc aug-
») menter de concert. »


Enfin le sufIrage, objet de tant d'impatiencc
ei de curiosité; fut donné le 19 décembre pon!' la
Boheme et r Antriche, suffrage tl'cs-étendu, plus
modéré que celui de Drunswick-Hanovre, et




, " D UN rrOl\Il\I"E D llTAT.


presque semblable a celui de Treves, auquel il
se rapportait pal'ticulierement quaut a la clause
du statu quo, c'est-a-dire au rétablissement des
possessions respectivessur le pied de la paix de
Westphalie.


11 y avait loin de la aux prétentions ouverte-
ment affichées par les chcfs de la convention qui
n'entendaient traiter que sur la base de la ces-
sion de la rive gauche <In Rhin.


C'étaient ces memes projels de conqu€tes, dé-
veloppés du coté des Franr,::ais, qui avaient porté
obstacIe aux Ollvertllrcs préliminaires de I'Au-
triche avcc la France. L'El11pire ne pOllvait pas
plus y consentir que la cour de Viennc. A la vé-
rité, Thugut inc1inait ponr nn parti mitoyen, en
revenant sur l'ancien projct de l' Autriche de
s'emparcr de la Bavicre en {>change des Pays-Bas.
« n craignait, disait-il, (Iu'ull des motifs les plus
» déterminans pour eH vcuir ú une prompte pa-
» cificatioll De fút l'impuissance absolnc de conti-
» nuer la gnerre saBS la ruine des peuples, im-
» puissance communt: aux Fran~ais. » Ces idées
illes jctait eH avallt pou!' les faire gcrmel' dalls
le conseil.


Toutefois les préparatifs de l'Autriche an-
JloDf:aicnt un prochain conccrt avec le cabinet
hritanniquc. Vers la mi-novembre ce cabinet
avait nommé sir lVIorton Edcll envoyé cxtraor-




544 ;uli.iU o fRES
dinairc et ministre plénipotcntiail'c pres la cour
de Vienne, avec la mission cxpl'esse d'aller
lui offrir un subside de six millions de livres
sterlillg, masqué sous le llom cl'emprunt, avec
la garantie de la contilluation des hostilités. eeUe
offre, étant basée d'ailleUl's sur les pl'étentiolls
qu'avait élevées le ministere antrichien 10rs de la
négociation du comte Spencer, mit fin aux ter-
giversatiolls de la chancellerie et du conseil au-
lique. Moyennant ce nerf de la guerre, Thugut
fléchit, et l'Autriche prit l'eugagement óventnel
de se maintenir en état de défensi ve armée le long
dll Rhill. En Italie elle clevait prendl'e l'oEfensive.


On touchait au moment oú la Prussc allait
manifester ses véritables inteutiollS. La pluralité
des membres dn COl'pS germaniqlle s'était déclaré
ponr l'avis de priel' le mOllal'{lue prllssiell d'in-
terposer ses bons offlccs en favenr d'ulle pacifi-
cation entre l'empire el la France',


Le brnit s'étantrépandll que des négociations
étaient ouvertes avec les }i'ran<;ais, pOllr lenr re-
mettre Mayence, a la cOlldition flu'i}s ne passc-
raient pas le nhin, qnoiquc ll1altrcs de la place
comme ils s'y engageaient de llJÓne pour Man-
heim, le dnc de Saxe-Teschen fit au maréchal
Mrellendorff la .proposition d'attaquer les Fran-
<;,ais ponr les COlltraÍlldre d'abandonncr les ap-
prodlPs de ces denx viHes. l\IccUendorff d{·d:.u'(l




J)'cx lJO:IIl1'rI\ D'..ÉTAT. 545
qu'il croyait clevoir consnlter 5a cour á ce sujeto


Il y cut alors a l\IuJ'cllce meme, entre l'archi-
cIuc Charles, le duc de Saxe~Teschell, Mrel-
lendorff et Clairfayt, des conférenccs, a la suite
desCIncHes Mrellendorff publia un ordre dll jour
po1'tant que l'anuéc prussieuue agirait, si les
FralH:ais attaquaicllt :i\1ayencc. Ils y renoncercllt,
et une espece d'armisticc tacite s'établit.


])ans cet état de choses, les négociations pa...;~
tentes villrcllt a s'onvrir entre la France et
la Prussc apl't~s quelques Cil'COllstances préli-
minaircs que uons allous cl'ahord rapporter.
Vers la fin de décembre, lc major Meyrinck et
M. Schmcrz se relldirent a naden r, résídellce du
ministre plénipotelltiail'c Harthélcmy, pour lui
annonccr l'arrivéc pl'oehaillc du eomte de Goltz,
et pOUl' s'enLeudrc en meme tcmps sur tout ce
(lui pourrait accélércl' l'ouverturc et la marche
des con[{~l'enccs. Dans ecUe clltrevue tOLLt fut
traité d'apres les regles ordinaires de la dipIo-
matico


Le pléuipotentiaire prussien arriva le 28 dé~
ccmbrc ¿t Bale. La jI descendit chez le magistl'at
Ochs, dircctcul' ele la challccllerie 2 , don t les re-
lations avcc le ministre de France, de meme que


Z En Suisse.
• Ochs fut plus tard l'un des directeurs de la Suisse, apres la révolu-


!ion qni y fut opérée en 1708; il resta altaché au parti fran<;ais jusqu'a
1"'porjuc de I'Empire.


Ir. 35




jUÚIOIRES


lesvoyagesdumajorde l\leyerinck un camp prus-
sien en Suisse, avaicut ouvert et aplani les voies
a la négociation. Les instructions donnécs an
comte de Goltz étaient vagues et bornécs. Ce n'é-
taient en qllelque sorte que des instrnctions pré-
paratoires.


Haugwitz, qui les avait l'ét1ig(~ps, s'était pt'~­
nétré de l'esprit du roi, qni ne voulait pas sc clt',-
partir de son systemc de circonspcction, a cansc
des incertitlldcs que prl'scutait la qlH~sljon dll
démembrcmcnt final de la Polognc, dont OH al-
tcmbit dc jour en jeHer la :,oJution ;\ Berlin. L'état
de la France était aussi uu lllotif d'illdl'cision. Le
ministerc prnssicn s'aUachait surtont a faire SCIl-
tir qu'il ne s'était dé terminé pour la lXÜX avec
quclquc cspoir de succes que lorsqu'il ayai t vu
lajllstice, reprerHlre sur la France l'cmpirc qnc
la terreltr y avait cxerc{'c précédemment. L'ar-
ticle n de ces iustructiollS ótait surtout remar-
quable; en voici la substance :


(( Le plénipotentiairc prust-,icll, disait I1allg-
» witz, n'aura pas de peine a díssiper l'injuste
» sOllp~on dout le sienr OCh5 a fait Jl1clltion vis-
» a-vis dn major de :illt"ycriuck, eomme si l'on
)) ne manifestait ue dispositions pacifiques (lile
» dans la vue de faire échoner les négociatiolls,
» et de rejeter cnsnitc sur le gouvcrnemcut frau-
D c,:ais l'odieux de la poursuite de la guerreo La




n'UN nOMl\U: n'lETAT.


» loyanté géIl(~ralemcnt rccomuw dn caractere
» de Sa Majesté suffirait senle pour démontrer
» le pell de fondcment d'nne idée pareille. Le
:1) comte de Goltz, en s'appliquant a l'écarter,
» trouvcra l' occa.siOll d' cntretenir et d'affermir
» les sentimens qnc la fayon de penser du roi,
)) son amonr pour s<~s peuples, SOll clésir de faire
» lenr bonhenr out de tout temps inspiré ponr
» lui a la nation franyaise, et dont elle a méme
» quelquifois donné des marqlles pendant le
» cours de ceLte guerreo Il sallI'a lenr faire sentir
» qll'tlU pl'incc doné d'nne ame de eette trempe
» n'avait pn qu'etre révolté des horreurs qui,
» surtout sons le régime affreux de Robespierre ,
)) out marqué l'époquc de la révolll lion fran<;aise;
» que, loin d'en vonloir a la natioll meme, loin
» d'avoir VOUlll la snbjllguer OH décider de ses
» mesures, le roi n'avait désiré qne lni voir re-
» trouvcr le bonheur qn'clle avait perdu clans
» des convulsioIls intestines, dont le triste spec-
» tade l'avait toujours pro[omlément affligé; que
» S. M. , charmée da chaugement décisif qui pa-
» raissait (~tre Slll'VCllU dans ses principes et dans
» la marche de son gouvernement deruis la chute
» da parti jacobin, en tirait le plus heureux au-
» gure ponr lc rétablissement de sa tranquillité;
» qu' elle désirait sil1cerement le retour de la
» paix, et q u'ambitionnant meme, si les circon-




548 JlIÉmOIllF.S
» stances s'y pretaient, le heau role de pacifica-
» teur d'unc grande partie de l'EuJ'ope, auquel
» elle se cl'oyait appelée ponr les scntimens d'é-
» quité et de justice impartiale qu'elle tl'ouvait
» au fond de son cccur, ce tte vue sal n tairc devait
» etre garante de la r6alité de ses dispositions pa-
» cifiques. »


Une difficulté incidente se pl'ésenta tont d'a-
bordo Le comité de salut public, soit inqlliétudc,
soit cléfiance, avait témoigné le désir que la négo-
ciation se passat en quelque sorte sons ses yeux,
al1égualltles obstacles (llle l' éloignement des lieux
de la conférence el les formes diplomatiques de-
vaient naturellement faire naltre_ Il tel1ait aussi a
cette vue par ün motif plus grave. En dominant
luí-meme les conférellces, le comité espérait que
l'invasion de la Hollande, dont il hésitait de don-
ner le signal, n'en amcnel'ait pas la rupture; il
lui importait en llll mot de sOJl(ler adroiternellt
les dispositions réelles de la Prnsse;t cet égal'd. En
conséquence iI avait demandé que le comte de
Goltz se rendlt a Pari:;; avec le plénipotelltiail'e de
France, chargé de négocier la pacificatioll.


Voulant l'emplir les vnes da comité, M. Bar-
thélemy s' abstin t d'abortl de se rcncll'c ~l Búle,
et fit pressel'~I. de Goltz de venir clresser les ar-
lides du traité ~l Pal'is, oú les demandcs f~lÍtes sur
place (;vitcraient les lcnlcnrs (!iplomatiques, et




549
abrégcraicnt la rédaction eles dépeches. Non-
seulement le plénipotentiail'e prussien n'y était
pas antorisé, mais ses instructions meme lui
prescrivaient de négocier a Bale. Vainement
1\1. Barthélemy revint plllsieurs fois a la charge.
Voió comment iI rendit compte au comité de
salut public du pen de succes de ses instances a
ce sujeto « Un de mes premien; soins, clit-il r, avait
» été de faire entendre a lVI. de Goltz que nos né-
» goeiations auraient néeessairement une marche
» plus rapide et plus efficaee, si le siége en était
» transporté a París, pnisqn'alors chaque article
» pourrait en qucIquc malliere se traiter sous vos
» yeux, ce qui abl'égerait infiniment les discus-
» sions inséparables d'une affaire aussi épineuse.
» Ce ministre pléuipotentiaire m'a répondu que,
» quelquc vif qlle fút son empressement de re-
» taurner a París, iI me forait cepcndant quel-
)) ques observatiolls, qu'i! me priait de vous sou-
» meltrc, dan s l'cspérance qu'elles vous frappe-
» raient, de meme qu'el1es avaient faitune grande
» impression sur le roí de Prusse et sur son minis-
» tere.La premicrc porte sur l'impossibilité de s'iso·
» ler a París et de s'y prémunir contl'e l'iníluence
» des insinuations et des intrigues inévítables dan s
») une ville ou l' esprit de parti regne encore; en
» second líen qll'on ne peut se dissimuler qu'il


J Lettre da 24 jallvier.




550 llÚrúIRES
» existe jusqu'a París lIne qucue du comité autri-
» chien, qui, bien qu'elle se soit n"pliée sur clJe-
» meme, s'agiterait nécessairement dans tous les
» sens poul' entravel' la llégociation, et la faire
» échouer. »


Le fait estque ces motifs de pure invention di-
plomatique n'avaient rien de commnn avec celui
qui décida le roi a ne pas porter le siége de la né-
gociation a l)aris. Le roí crut devoir se refuser a
eeUe marque de déférencc trop éclatantc euve1's
la convention. Mais d'nn antre cuté, sur l'avis
d'H:mgwitz, ii eIlvoya le consciller de légation
Harnier au comité de salot public, en le cha/'-
geant de lui donner les assurances les plus po-
sitives de ses dispositions hienveillantes et de son
intention expresse d'écarter t.ontes les difficultés
qui pourraient ent1'avcr ou arre ter les négocia-
tions.


En sortant du cahillct du roi, TTarnier ret{ut
dn ministre Haugwitz des directioI\s verhales et
confidentielles qui l'autorisaicnt a tranquiliser le
comité au sujot desdeux point5 les plus épineux
de la négociation : la destillée fnture de la Hol-
lande et la cession des proviuces prussiennes Sur
la rive gauche du Rhin.


Harnier arrive l~ 2 janvier a París. Présenté
immédiatement au comité de salut pnblic, il en
est accueilli avec distinction. D'abord il se borne




n'UN TIOl\DiE n'ÉTAT. 551
a [aire cOl1m.ltre les dispositious fayorahles du
roi ponr l'apl:missement de toutes les difiicultés
qui pourraicllt survenir. ?\laís pressé de s'expli-
quer autrement que par des généralités, notam-
mrntau sujet d(~ la Hollalldc et de la riye gauche, il
déclare qu'il ticnt (la ministre Haugwitz que la
Prnsse ayait Ull tcl clésil' de la paix qu'une révo-
lution en Hollancle et l'aholition du stathoudérat
n'y apportera aucun obstacle réel. Quant a la
ccssion des possessiolls prussiennes de la rive
gauchc,ic roi 1te se refllsera pasá consentir qu' elles
soient occnpécs proYisoirernellt par la France,
renvoyaut :1 la P,l1X généralc toute cession défi-
llitiye, p:ll' la seulc raison qu'il n'entend pas
que l' Autriche, dan s le cas oú le sort des armes
la favoriserait, puissc s'emparer et disposer de
ces p/'oyiuces, comme appartenant a la répu-
hlique franc;aise.


Pleincment l'assuré par cctte déclaration con-
fidentiellc, le comité de salut public, encore par-
tagé sur les destiné es de la Hol1ande; ne balance
plus a en consommcr la conq w~te. Remontons·,
avant d'cn rctracer les circonstances, aux évé-
llemens qui y pl'dnderellt.


Le départdu clúcd'Yorkavaitassez révélé que
le cabillet britanniq ne lui-meme regardait la si-
tuatioll de la HQllande comme désespérée. Alors
Carnot, qui était encore chargé au comité de




.552 1\f ku onlES
salut public de la partie militail'c, avait observé
que la Hollandc n'étant plus qu'une proviucc
de l'Angleterre, il ne fal1ait pas manquer 1'oc-
casion de l'arracher a la moderne Cartbage. Son
avis, quoique ne réunissallt: pas tous les suf-
frages, avait prévalu par la raison que les partis
opposés qui partagcaient alors le comité comme
la convention sentaient que lcurs forces provc-
naient des victoires; 01', ils s'accordaient presque
toujours sur tout ce qni ponvait donner plus d'é-
clat aux armes de la républiqlle. En conséqucnce
l'ordre avait été donné aux commissaires pres
l'armée du Nord ponr faire marcher contre le
stathouder, aussit6t que la solidité des glaces le
permettrait, une armée de quarante mille hom-
mes, qu'on publierait partont sur la frontiere
s' élever a quatre-vingt mille.


Baser le plan de la conqncte de la Hollande sur
l'intensité du gel, y sacrificr l'occasion d'enlever
le stathouder 11 l'alliance anglaise, et par la d'ar-
river plus promptement a la paix avec la Prusse,
dont les véritables intentions n'étaient pas con-
nues encore, n'était pas un parti dicté par la
modération, ni nH~me par la pl'udence. Mais la
majorité du comité, et particulierement Carnot,
penchaient pour les premiers projets de Rrissot
et des chef s de la Gironde; ils étaient impatiens
de transformer le gouvcrnement de la Hollande




553
en répuhliqlle démocratiqne i c'était Hne révo-
lution qu'ils clltenc1aient y opércr. Des le 15 dé-
cembre on entendit a la tribune de la conven-
tlon Dubois de Crancé déclarel' qu' on allalt avoil'
une campagne d'hiver pOllr assnrer le tl'iomphe
de ]a république et háter la chute des tyrans.
Tont était disposé par les ordres du comité, ponl'
lé passage du Waal, des qne la glace y sel'ait
affel'mie. L'al'mée anglo-batave n'y avait plnsque
ses avant-postes, ayant pris déja une nouvelle
ligne ctel'riere le Rhin. Ses généraux, aJal'més et
divisés, ne pouvaient pas plus s'entendre pon!'
l'attaque que ponl' la défense.


Une gelée plus rigoureusc que toutcs ecHes
qu' on avait éprouvées depuis bien long - temps
enEuropc,ayant commencé vers lemiliell meme
de déeembre, les Fraw;::l.Ís purent faire passer a
leur armée le Waa! sur la glaee, et avant la fin du
mois ils cmporterent tous les postes de rHe de
Eomme!. Uneattaque de huit mille Anglais, sons
les ordres du général Dundas, les for<{a, il est
vrai, a repasser le Waal avec perte; mais ce ne
fut qu'nll succes éphémere. L'hiver, les glaces,
fesprit de division et l'esprit de parti, ce fléau de
l'Europe, lenr ouvraicnt la Hollande.


La maison d'Orange avait déja perdu tout es-
poir de trouver dans cette erise le moindre ap-
pui dans la maison de Prusse. Le baron de Reede,




554 lIIÚfOIRES
envoyé de Hollande a la Cour de Berlín, mandait,
dans ses dernieres dépechcs, l'iuvraiscmblance
et meme l'impossibilité que le stathouJer put
s'attendre a quelques secours de la Prussc pour
muintenir son pouvoir, l'intérét de S. lJJ. prw-
sienne ne le lui permettarzt paso


01' il ne restait plus a la cour de La Haye d'autre
moyen que d' essaycr de Útire a la franee des pro-
positions d'accammodcment. L'Angleterre y avait
eonsenti. En eonséqucnee JU. Gerard llrantscn,
qui avait été ambassadellr extraordillaire des
états-généraux en France, el I\L Oeker Rcpelaer,
nommés commissaires de 1.. n. P. pou!' ailer né-
gocier la paix, se mirent en route pou!' se rCll(Ire
a Paris par Dais-Ie-Duc. N'ayant pu convenir a
Bois-Ie-Duc d'un armistiee avee les commissaires
et les généraux fl'an<:ais, ils se dirigerent aussitot
sur Paris. La les deux négociateurs offrirent, au
nom de leur gouverncment, au comité de salut
pubIlc, de reconnaltre la république fransaise,
et de payer deux cent millions, en différens ter-
mes, dans le délai d'un an. Le comité délibéra
sur ces propositions, et n'y cnt aucnn égard,
s'imaginant que le stathouder ne cherchait qu'a
gagnel' du temps pour attendre soit l' effet du
dégel, soit les secours de ses alliés. II était d' ail-
leurs déja rassuré alors par la connaissance des
dispositions de la Prusse.




n'ux lIOj)flIIE D'ÉTAT. 555
L'arméc anglo-hollalldaise s' effor<;;ait encore de


se maintellir sur le vVaal; mais le nombre et les
malH.ruvres des Fran<,;ais rendaient toute résis-
tance vaine. Un grand conseil de guerre fut te¡lU
a Utrecht le 7 janvier, auqucl assisterent les deux
princes, fils du stathouder, l¿s généraux Wal-
moJen, Alvinzy, Harcourt, l"ox, ainsi que lord
Saiut-Helens. On essaya un mouvement en avant,
mais qui n'eut aucun succes.


Sous ces tristes auspiees venait de s'onvrir le
parlemel1t d'Angleterre le 30 déeembre. Le roí in-
sista dans son discours sur la nécessité de ponr-
suivrc la guerre sallS rl't\che etavec vigueur, mal-
gr(~ les reverséprouvésdans lademierecampagne;
il parla de l' état de la France, comme montrant le
d.éclin progressifet rapide de ses ressources, ainsi
que l'instabilité du sysh~me violent et extraordi-
naire qu'elle avait adopté. Il fit mentíon de la né-
gociation pour la paix, que les embarras des Pro-
vinces- Unies avaient obligée d'ouvrir avec la
Franee; mais iI observa qu'aueull gouvernement
régulier ne pOHvait tirer de sécurité réclle d'une
llégociation suívie dans les circonstances ac-
tuelles, et que l'Anglctcrre notammcllt n'en pou-
vait pas entamer, sans sacrifier a la fois son hon-
neur et sa súreté.


Quoiquc la perspective peu satisfaisante de la
guerre engageat quelques membres du parlement




556 lUÉl\IOIRES
qui l'avaicnt soutcnue dans l'origine a combattre
une résolution tcndante a sa continuation in-
définie, cepcndant les majorités en favcar des
adresses n'éprouvereut pas une dimillution
essentielle.


Sur ces entrefaites parvinrent a Londres, a
Berlín et a v ienne les prcmicrs avis dc l'irrup-
tíon des Fran<;ais dans lcs Provinces-Unies, a la
faveur d'unc congélation sans exemple dans les
annales contcmporaines.


Le 9 janvier une partie de l'arméc du Nord,
sous les ordres de Pichcgru, effectua le passage
du Waal san s opposition, SCl'raut de pres les
troupes anglaises en pleine re traite par lc Lech.
Walmoden, essayant ele prelldrc position entre
Nimegue et Arnhcim, y fut atta qué , et forcé de
se retirer avec perte de ses équipages de campa-
gne. La retraite que fit ensuite l'armée anglaise,
sur Dcventer, a travers une bruyere déserte,
sans une tente ni une hutte pour s'y abriter, par
un froid glacial, et tandis qu'l1n vent du nord
impétueux chassait sur elle des flots de neige,
surpassa en désastt?e ]a plupart des scencs de ce
gen re , décrites par les historiens.


Aa premier avis de l'irruption des Franc;;ais, sir
Arthur Paget, qui de Berlin s'était rendu a Pir-
mont, se dirigea sur Osnabruck. La il écrivit en
ces termes, sous la date du 15 janvicr, a la com-




tcsse de Lichtcnau, dont iI croyait s'ctre ménagé
le crédit anpr"'s de Frédéric-Gnillaume: « Je me
» vois daus la nécessité absolue de me rendre, sans
») dé/ai, en AnglctelTc. Les nouvelles de la Hol-
» lande sont des plus clésagréables; on n'entrevoit
») presqlle plus la possibilité de salJVcr cette répu-
» blique. Rien qu'une forte dégeléc pent écarter
» l'abime univcrsel qui nOllS menaco; et la Pro-
;) vidence paralt indisposée á preter l'oreille a
» nos prieres, ou pIulut dIe veut nons punir
J) pOllr notre conduito illsensée et incohérellte.
») J e pars dOlle d'ici, clJel'e "\Yihelmiue, dans l'in-
)) certitude si jc pourrai arriver jusqu'á La Haye.
)) Jc me rendrai d'abord au quarticr-général. » La
sir Paget écrivit a la comtesse une secondc lettre l :
« IJa tournure que prennent les affaires, lui man-
») dait-il, est incalculable; an llom de Dieu ,fitites
» agil' le roí: les maux publics et particuliers aux-
)) ({uels on est soumis sont trop graves ..... n me
) reste loujonrs la consolation, chere 'Yilhelmine,
) de pouvoir compter sur vous. »


Les souffrances que l'inclémence du tcmps
avait bit éprouvcr allX Anglais, tonjours pour-
suivis val' lcurs vainqueurs, et l' inhospitalité d'Ull
pays non moins hostile ponr eux, ne ccssercnt
qu'a lem arrivée a Breme. La iIs firent lems dis-
positions pom (luitter le contincnt, oú la vaIcur


, Dll la jallvicr.




558 lIfÉJUOIRES
britannique n'avait plus un champpour s'exercer.


JJes Franc;aisétaient déjamaitres d'Utrccht ctde
Rotterdam, et les états-généraux avaicnt lMputé
aupres des commissaires de la convention a Dois-
le-Dnc r le baron Spaen de J~iljoen, et M. Royer,
secrétaire des états de la Holbnde, ave e la mis-
sion d'entrer de suite en arrangel1lent. JUais cctte
derniere tentative, qni avait pom objet d'arri)tcl'
les progres des Franc;ais par des négociations,
resta égaJement sans allClln cHet. Le stathonder,
saIlS espoi1' de se maintcnir, et ne l'ccevan L au-
cune répol1se de Paris, se l'cnd le 16 janvier a
fassembJée des états-gén{~raux. Lá il d(~mande la
démissioIl des dcux princes, ses ftls, de toutes
les charges militail'cs qn'ils rcmplissent al! ser-
vice de la l'épublique. Le 1endcmain il réclarnc et
obtient pOUl'lui.memc de pOllvoir s'absenter du
pays. Abandonllullt allssitut sa résidence de La
lIaye, il se renel a Scheveningcn, et s' embarque
avec sa famille, mais toujours dan s l'attente de
recevoir de Paris une réponse ~t ses proposiLions.
Il differe encore de rncUl'e a la voile. Ellfin, le
memcjour, 18 janvie1', arrivclll anx ótats-géué-
raux les dépeches drs commissaires Brantson et
Repelaer, portant qu'on n'oLtiendra allcune ces-
sation d'hostilités, á moins qu'au pl'éaIablc toute
la famille stathoudéricnnc n'ait qnitté le tcrri-


1 Ramel. Cochon et Richard.




U'UN HOl\Il\IE n'ÉTAT. 559
toire de la répuhlique, et que les états ne consen·
tent a un traité d'alliance et de commerce. Dans
ce cas seulement tout resterait provisoiremel1t
in statu qua jusqu'a. ce qu'il ait été fait des arran-
gcmens ultérieurs.


Dans le meme paquet se trouvait une leUre
adressée au stathoudcr; elle luí parvint a son
hord a Schcvenillgen. A l'instant meme, il fit
mettre a la voile, et aborda le 20 janvier en An-
gletel'l'e.


N'él)J"ouvaut plus anCllue résistance, le géné-
1'al en chcfPicllcgrlll'cc;ut bicntot des états J'invi-
tation fOl'l1lclJe de se portcr a Amsterdam. Il y fit
son cntrée le 29 janvier, et y proclama, an nom
de la Convelltion, la liberté ot l'iuclépendance
des Provinces-UllÍes. Un gouYcl'nemont provi-
soire fnt organisé aussilot par les soins de j ur1S-
consulte Schimelpcnninck, qni régla lni-meme
toute cette révolution. Les vainqueurs re\~urent
snccessivemcnt ]a soumission eles sept Provinces-
Unies. Une assembléc de représelltans ayant été
convoquée SOtlS l'illllucnce fraw;;aise, le partí
démocratiqne y domina: il reconnut par aecla-
mation la souvcraillcté du peuple, fit une dé-
claration des droits de l'hommc, abolit le stat-
houclcrat, annula les seutenees portées contre
les paLriotes, et rappcla les exilés; en un mot on
défit tout ce qU'rlvait fait la Prusse el} 1787.




560 1\1 É.t1IO mES
A peine ce granel évéllcmcnt, qnc l'Ellrope


jugea du premier ordrc, fut-iI accompli qu'on
t!ut un conseil J' état extraordinaire ú Vienne, a
l'issue Juquel des couriers furent expécliés al1X
cours de Saiut-PétersDourg et de Londres, L'An-
triche sentit le besoin Je rcsserrer les liens qui
l'ullissaiellt aces deuxcours en voyant se dévclop-
per ainsi, un coté Jes Fransais, des projets de
conque te qui tendaient á ajonter il lcur répuhli-
que tous les pays situés sur la rive gauche du
Hhill,


De son cúté, le roi el' Allglcterre envoya, le
26 janvicl', aux COHUllIIUCS, lBI mcssage rdatif a
l'emprunt de six millions sterling, onvcrt sous la
garalltie dn gonvernement aa proflt de l'em-
pereur. Pitt ne díssímllla point, dans la discus-
sion a laquelle ce message donna líeu, ce que le
roi ]ui-nH~me avait déja insinué, qn'il yavait ac-
tuellemellt (Ícs u{'gociations sur picd entre la
Franee et quelques-unes des puissallces en guerre
avec elle. Mais cette considéralíoll, dit-il, ne 1'af-
fectait point. Il s'appuya au contraire sur la dé-
claration faite la veille palo l/He grande majorité
de la chambre, « qn'il était impossilJle, dans les
)) circonstallces ou se trouvait l'Angleterre, de
» fixer les bases d'une paix solide et permanente.»
Il en conc1ut qne la chambre n'lH~siterait pas a
~Hloptel' des mesures vigüurellses pour forcel' les




D'UN HOMME D'ÉTAT. 56r
Fran~ais a consentir a des bases qui puisscnt enfin
garantir le repos de l'Eul'ope, et consolider la
tranquillité de r Angleterre. Pitt s' étendit beau-
coup sur l'exemple qu'on pouvait tirer de la
HolIande, « envahie, dit-il, au moment méme
») ou elle négociait pou!' la paix ; et sur la fidélité
» de l'empereur a remplir ses engagemens, fidé-
» lité que M. Shéridan avait attaquée. » Pitt en fin ,
soit pal' la force de ses raisonnemens, soit par
l'effet de l'esprit national, réussit an gré de ses
désirs : le mcssage royal fut accueilli avec appro-
bation. Dans le courant de 111a1'5 deux courriC1'5
anglais appol'tcrcnt á la cour de Yienne l'aetc
par lequclle parlement avait ratifié et confirmé
a stipulation passéc entre elle et le cabinet bl'i-


tannique ponr l'emprunt de six millioIls de Jivl'es
sterling, ouvert en Angleterre aH nom de l'em-
percur. N ul doute, d'apres ce nouvel índice, que
I'Autriche et l'Angleterre De fussent cl'accord
ponr ne pas poser les armes.


De son coté, Carnot, principal motenr dn
l'expédition de Hollande, qui venait d'affermir
le pouvoir de la convention, fut amené a en
faire l'apologie á la tribune. Il s'exprima en ces
termes, an nom du comité de salut pnLlic, inter-
pelé sur le fond de sa poli tique : ( La révolution
» hollandaíse, dit-il, s' est opérée sans' secousses,
») sans effüsion de sango Nous avons acquis des
~ 36




:r.rÉMOJRES
» ports, une marine nombreuse, enlevé une
»vaste province au despotisme britannique; le
» noyiLU de la coalition s'est brisé. »


En effet, avec un prince du caractere de Frédé·
ric-Guillaume, la conquete de la Hollande, la fui te
du stathouder a Londres et l'abolition de cette
magistrature héréditaire, que le roí avait luí·meme
garantie , loin de rompre les négociations de Bale,
ne firent qu'applanir les difficultés qui auraient
pu en entraver la conclusion. Le roi, au fonel de
l'ame, se trouvait avec un embarras de moins, et
sous ce point de vne son ministre Haugwitz ne
s'était pas mépris dans la dil'cctÍon de sa diplo-
matie confidentielle. Le conseiller de légation
Harnier revint a propos de Paris apporter la sub-
stance des articles qui devaient servir de base a
la pacification, et dont I1augwitz avait en préa-
lablement connaissance par une voie détournée.
Le compte que Harnier rendit de sa mission for-
tifia le roí dans ses dispositions favorables. Har-
nier était porteur de la déclaration des comités
chargésde négoeier an nom de laconvention.« Les
» comités, dit-il an roi, n'ont exprimé aucun doute
» sur la conclusion de la paix, d'autant plus que
» le gouvernement fran(;ais s'attache lui-memc
» a en applanir les voies par le retour aux prin-
» cipes, san s lesqnels aucun état ne peut subsis-
» ter «ans l' ordre politiqlle, et par la suppression




n'UN HO:rvnIE n'ÉTAT. 563
)) totale du systeme jacobin, qui a faít le malheur
» de la France.)) Ce langage acheva d'entrainer le
roí.


(( Bien que les comités aíent témoigné un vif
)) désir de voir transférer a Paris le siége de la né-
)) gociation, toutefois, ajouta Harnier, des que
) l'intention du roi leur a été connne, ils n' ont
)) plus insisté sur ce point, et le pIénipotentíaire
)) de Franee, resté -a Bade, vient de receyoir ponr
)) instruction de se rendre a Bile, et d'y ouvrir
)) les conférenccs. ))


M. de GoItz en cffet n'attenclait plus que l'ar-
rivée de M. Barthélemy. Il avait souvent, ainsi
que le major de J\Ieyerinck, don t iI était accom-
pagné, des confércnces préliminaires avec le se-
crétaire d'ambJssade Bacher. Voici ce qne le gé-
néral autrichicn Hotze, qlli des environs de Bále
observait la négociation d'un reil jaJollx, man-
dait a ce sujet : (( TI Y a souvent des diners entre
)) les Prussiens et les Fran<,'ais, ou les Prussiens
)) portent des toasts a ]a prospérité et a la gloire
)) de la république franc;aise et vice versa; au mi-
)) líen de tont cela on oubIie le bon roí Guil-
)) lanme.))


Le 12 janvier seulement arriva M. Barthé-
Jcmy. Déployant son caractere de ministre plé-
nipotentiairc pour la pacification, iI échangea,
des le lendemain, ses pleins pouvoirs contre ccux




564 MElI-rOIRES
du comte de Goltz. On commcn<;;a aussitot les
conférences : elles avancerent peu.


La demande d'un armistice préliminaire, l'éva-
cuation de lVIayenc par les Prussiens, l'occupa-
tíou des possessions prussiennes sur la rive gauche
du Rhiu, la ueutralité de la Prusse, comme état
d'Empire, el eufin l'établissement d'une ligne de
démarcation pour le uord de l' Allemagne, teHos
étaient les principales djfficultés qui se préscn-
taient. Le comte de Goltz, bien .que ses disposi-
tions pour la France fussent conuues, se montra
minutieux, difficile meme dans les conférences,
et réservé dans les communications confidell-
tieUes. L'indétermination de ses pouvoirs et ses
instructions verbales l'arretaient évidemmeut;
car, si le cabinct de Prusse était sincere dans
son elésir de la paix ,ilu' en avai t pas moins en vne
de n' en pas trop presser la conclusion. Un fkhenx
incident vint tont a coup interrompre les confé-
rences. Le 6 février, le comte de Goltz, atta qué
d'une maladic grave, en monrut peu de jonrs
apres , et fut inhumé a Baje a vec tous les honneurs
dus a son caractere publico En arretallt tout-á·fait
la uégociation, cet événemcnt inattendu allait
donner le temps a I'Autrichc et a l' Augleterre d'a-
gil' ponr détourner le roi de faire la paix. Les bat-
teries de l'Autriche étaicnt déja toutes dressées.
Elle ne s'était pas mépris sur les pl'éparatifs qll'a-
vuit f'lit la Prussc pOUI' une nouvdle campagne,




D'rrN JIOl\lllrE D'ÉTAT. 565
et. qui n'était qu'une simple démonstration. Le
ministere autrichien n'y avait eu aucune con-
Gance. Depuis trois ans il avait appris a eonnaltre
l'amhiguité de la politiqne prussienne. Il avait
envoyéaBale le comte Deodati, qni n'y parut sous
aucun earacterc pubJic, ne s'attaéhantqu'aohser-
ver la conduite diploma tique des négociateurs.


Dans eette circonstanee, prenant un biais tres-
adroit vis-a-vis du cabinet de Prusse, I'Autriche
fonda ses dómarches sur le vceu manifesté par la
pluralité uu corps germanique. l,e prince de
Reuss, ministre de l'empereur a Berlin, présenta,
le 14 févriel', a IIaugwitz, un mémoire qui avait
poul' objet d'inviter S. M. prussienne a conconrir
conformément au vceu de l'EmpiI'e avec S. M.
impériale aux Ollvertures nécessaires, afin de
parvenir a une négociation avec la France. L'in-
tention était facile a saisir: il s'agissait d'cmpe-
cher la Prnsse de faire une paix séparée. La dex-
térité d'Haugwitz fnt iei mise a l'épreuve. Voici
comment il sen tira.


La réponse prussienne, datée du 26 févríer,
ne fut re<;Uf~ a Vienne que le 14 mars; et, tandís
que cette réponsc elle-meme était cow;ue dan s les
termes les plus froids et les plus réservés, tandis
qn'on n'y montrait aucune disposition ponr le
concours demandé, le meme cabinet expédíait,
le 28 févricr, des plcins pouvoirs pour le nouveau
négociateur, qu'il ellvoyait a Bale remplacer celui




MÉ:M:OIRES


dont la mort était alléguée dans la réponse comme
le motjf de l'interruption des onvertures de paix
faites a la France.


Les tentatives de l'Angleterre, quoique d'unc
nature différcntc, n'eurent pas plus de sucees.
Son cabillet avait le plus granel intén~t a reten ir
la Prusse dans la coalition, et pcut-etre aurait-il
réussi un mois plus tot. Mais le ministere anglais
s'apen,;ut trap tard que la négociation de Bale,
d'abord désavouée, n'était que trop n:~elle. Il fit
partir en tonte hate lord Renri Spencer, ministre
plénipotentiaire á Stockho]l11, qni, revetu de la
qualité d'al11bassadeur extraordinaire a Berlin,
se rendit dans ceUe capitale avee des pouvoirs
tres-étendus pour détourner la Prusse, s'il en était
cncore templt, de conclure avcc)a France sa paix
particuliere. Se défiant des ministres, lord Spcncer
dirigea ses batteries sur la favoritc, comtesse de
Lichtcnau, qui tous Jes jonrs avait l'occasion de
voir ie roí.. Il lui écrivit et lui demanda un en-
tretien particulier pour une affaire de la plus
haute il11portance. La comtesse le rec;ut le jour
meme, a sept henres du soir. Débntant par des
cajoleries diplomatiques, l'ambassadcur en vint a
traiter le point important : il dit il.lafavorite qll'il
savait, d'unc maniere posítive, que le roi était
dans l'intention de faire la paix avec la France, et
¡llui peignit, avcc les conleurs les plus vives, le
tort qu'une pareille alliance pouvait faire a la




567
Prusse; il lui confia que sa cour se proposait d'of.
frir au roí un subside de plusieul's millions, poul'
le déterminer a ne pas ahandonner ses alliés na·
ture1s, appuyant cette assertion de raisonnemens
politiques. Madame de Lichtenau, voulant élu-
del' une pareille ouverture, dit a lord Spencer
qu'elle ne se melait pointd'affairesd'état. Il ne se
tint pas pour battu, et la pria non-seulement. de
lui faire oh tenil', a l'insu des ministres, une au-
dience du roi, mais de le servir de tout le pouvoir
qu'illui supposait sur son esprit pour le détour-
ner de se réconciliel' avec laFrance; iI ajoutaqu'il
était chargé, dans le eas ou eette négociation tour-
nel'aÍt suivant le désil' de sa cour, de lui offl'ir a
elle-meme cent mille guinées, en témoignage de
reconnaissance; démal'che qu'il faisait d'autant
plus volontiers qu'il n'ignorait pas que le roi ne
s' était pas encore occupé de son avenir; il con-
clut en lui assurant qll'eJle pouvait, sans seru-
pule, acceptcr ce clon magnifique, puisque l'An-
gleterrc ne demandait rien qui ne dut tourner a
l'avantagc et a l'honncur de la Prusse.


L'ofEre d'unc somme si consídérahle parut sus-
recte a la favol'ite , qui s' en montra meme offen-
sée. Pourtant elle promit a l'ambassadcur de de-
mander pour lui au roí une audience particu-
liere. En efEet, le lendemain, elle rendít au roi un
comptc exact de la conférence qu'elle avait eue




568
avec lord Spencer. Le roí sourít, et lni dit qu'il
accorderait l'audience, mais qll'il ne changerait
rien a ce qu'il avait résolu. II tint parole: les
offres· tardives de lord Spencer ne purent le dé-
tourner de ehanger de politiqueo Le roi y était
poussé d'ailleurs par de nouveaux motifs de res-
sentiment.


Le sort de la Pologne était enfin déeidp. Le
roi Stanislas-Auguste, détroné par eette meme
Catherine qui l'avait eouronné, venait de quitter
Varsovie, ou régnait, avec un pouvoir absolu, le
général russe Buxhrewden. Les trois cours étaient
convenues de se partager cctte immense dé-
pouille; iI s'éleva naturellement des difficultés
sur la part de chacune des puissances. La conr
de Saint-Pétersbourg et eelIe de Vienne tran-
cherent le nreud par une conventioll eonclue
entre elles le 3 janvier l. Le lot de ehaeunc des
trois puissanees y fut déterminé 2. Celui de la
Prusse renfermait la ville de Varsovie, mais seu-
lement une partía du palatinat de Cracovie. Fré-


:r 1795 ..
• Celui de la Russic se composnit de dCllx mille trois cents ca !Tés


géographiques, nyant cent soixante-seize nlille dnq cent quatre-vingt-
dix-hl1ít babitan,; l'Autricbc cut buit cent trente-quatrc mille carrés
géogl'apbíques, et un millíon trente-sept mille sept cent 'l"arante-deux
habitans. La Prasse neuf cent (juatre-vingt-dix-sept mille carrés géo-
grapbiques, et neuf cent trente neuf mílle deux cent qlutre-vingt-dix-
sept babitans.




n'mt HOM}!E n'.ÚAT. 569
déric-Guillaume, tres-mécontent de la conven-
tion de Saint-Pétersbourg, persistait a garder
Cracovie, dont iI était en possession, se montrant
disposé me me a s'y maintenir par la force des
armes. Dans de teIlcs dispositions qn'entrete-
naient Haugwitz et Manstein, le roi ne balauc;a
plus a conclure la paix avec la France.


Le conseiller Harnier, apres le dé ces du comte
de Goltz, avait été chargé de continuer les négo-
ciations, mais en se conformant aux instl'uctions
du premier négociateur; ainsi que nous l'avons
dit, ellcs étaient vagues et limitées. Enfin le roí
fit choix d'un nouveau ministrc pléllipotentiail'e,
qui, par le poids de sa considération et de son
rang, ne deviüt plus rien laisser en suspens sur
l'objet de sa haute mission. Dans les premiers
jours de mars, Hardcnbcrg rc~ut de Berlin de
nouveau pleins pouvoirs, daté s du 28 févricr,
pour continuer ,ct fiuir les lll~gociations cnta-
mées hUaIe. Ses instructions étaient teIles, qu'il
n'y avait plus qu'a mettre la derniere main au
traité qui d'ailleul's ne présentait an fond qll'une
senle difficulté séricuse.


Déja les al'mécs des deux puissances en négo-
ciation s' obscl'vaicnt, ct ne se battaicnt plus. Dans
le courant de févl'ier, Mocllendorff avait re«;u
l' ordre de se porter,. avec la plus grande partie
de l'armée prussiennc, sur la Lippc, pour cou-




Mlhu:OIRES


vrir la Westphalie. Le reste des troupes, qui for-
mait un corps de dix mille hommcs, resta dans
les environs de Francfort, sans sortir de l'inac-
tion, bien que les Franc;ais parussent toujours
menacer les remparts de Mayence. La marche de
Mcellendorff 6.t croire un moment que la Prusse,
mécontente et alarmée de la conqllete des Pro-
vinces-Unies, rompant les négociations, allait
porter le théatre de la guerre dans la Nord·Hol-
lande: on était dans une grande crreur. Le mou-
vement de Mrellendorff était plus diplomatiqll€
que militaire. Au moment de l'exécuter, il dépe-
cha le major de Meyerinck an général Moreau,
qui cornmandait a La Haye les troupes fran{aises,
pour le prévenir qu'il he devait pas se méprendre
sur le mouvcrncnt tout-a-faitinoffensif de l'armée
prussienne. Il lui faisait en meme temps la de-
mande d'une suspension d' armes; elle fut accneil·
líe sur-le-champ, et il n'y cut plus des lors ancune
hostilité entre les deux nations.


An premier avis qu'un nouveau négociateur
était envoyé a Ba1e, ie comité de salut public s' oc·
cupa de faire régler, par la convention, ses pro-
pres attributions relativement aux rclations ex-
térieures, et spécialement quant aux articles se-
crets des traités. Son rapporteur Cambacéres r
déclara que le comité négociait actuellement,


• Séance du 3 marso




n'm.¡ rrOl\fME n'ÉTAT.
au nom de la répnblique, des traités de paix et
de commerce; il représenta en meme temps que
le secre! était nécessaire au succes de certaines
opérations dont la publicité pourrait etrc nui-
sible.


En faisant l'énumération despuissances qui
s'opiniatraient a la guerre, iI passa sous silence·
la Prusse et l'Espagne. (( Il en est, dit.il, dont l' or-
» gueil préférerait s'ensevelir son s des ruines
» pIutot que de remIre hommage a l'égalité et a
J) la liberté. L'Angleterre aspire a la possession de
» l' empire des mers ; l' A utriche et la Russie veu-
» lent maltriscr le continent, et prétendent, au
» milieu d'un bonleversement gélléral, établir
» leur domination. Antour de ces puissances sont
» groupés les autres états de l'Enrope, enchalnés
» par des intérets diverso Quelques-nns s'applau-
» dissent d'une neutralité sage , mais insuffisante;
») anmilieu d'eux s'éleve le pcuple fran({ais, centre
» de ton tes les affections et de ton tes les haines.
» Des négociations importantes sont entamées
» on pretes a retre : iI est indispensable de faire
» des paix partielles ponr arriver a une paix gé-
» néra\e ... La républiqne triomphante, prete a
» valer a de nouveaux triomphes, veztt la pai,y :
» elle la voudra universelle, telle qu'elle puisse
» assurer pour jamais le repos et le bonheur du
» monde. Mais si vous jetez un coup d'reil sur




l\IÉnfOIRES


)) rEurope, il vous apprcndra que la tache glo-
)) ri.ense des défenseurs de la patrie n' est pas
)) linie. ))


Montl'ant les sentimens peu pacifiques qui ani-
maíent l'Angleterre, l'Autriche et la Russie, le
rapportenr parla des conditions que la France


. pourrait exiger ou offrir pour remIre la paix uni-
verselle permanente, conditions qui auraient
pour base de tracer les li.mites naturclles de la
républi(lue; « de fa<:on, dit-il, a luí. assurer les
») fleuves, qui, apres en avoir arrosé qllelqucs
) dépal'temcns, vont prendre leur cours ve1's la
)) mer, clans les pays sOllmis aujonrd'hlli á ses
») armes.))


leí se révéla toute la force de la révolution
qui posa clle-nlt~me ses premíeres limites. Dans
cette discussion, qui dura plusieurs jours, sur
la maniere de diriger et de former les relations
extérieures de la France, on entendít presser la
nécessíté de la paix, comme le seul moyen de
parvenir a Ol'ganiser enfin dans l'intérieur un
gouvcrnement définítif. I.a diseussion se termina
par un décret qui proclama les principes sur les-
qnels la France réglerait désormais ses transac-
tions avee les puissances étrangeres. Ce décret
décida qu'il pourrait y avoir dan s les traítés des
articles secrets, pOurVll qu'ils ne détruisissent
pas les articles patells.




n'UN HOM1'trE n'iTAT.


Le code diplomatique de la convention se
trouva aiusi tout réglé quand Hardenberg reprit
le fil de la. négociation, interrompue par la mort
du comte de Goltz. Avant de se rendre a son
poste il était allé prendre de nouveaux ordres a
Berlin, ce qui avait retardé son arrivée en Suissc.
On commen<;ait meme a désespérer de la paix
en France, lorsqu'enfin, le 18 mars, le nouveau
plénipotentiaire prussien fit son entré e a Bale. n
était porteur de pouvoirs beaucoup plus étendus
que ceux qu'avait emporté de Berlin son prédé-
cesseur an mois de dccembre dernier; mais iI al'-
rivait précédé d'une réputation inquiétante pour
la légation fran<;aise: on l'avait représenté comme
zélé partisan du systeme poli tique de l' Angleterre.
Toutefois Hardenberg était encore plus atta-
ché a Frédéric-Guillaume, dont il connaissait les
intentions et la volonté. Fidele a ses instructions,
il apporta, dans la négociation qu' on l'avait chargé
d'amener a tenue, autant de facilité qu'il montra
d'urbanité et de franchise clans son langage et
dans ses manieres, en s'expliquant sans dét,our
sur ses sentimens personnels.


Les confercnces furent repriscs, et sllivies
avec úle et activité. Hardenberg s'étl1dia d'abord
a conduire la négociation de maniere a détacher
de la coalition tous les princes d'Allem~gne qui
désiraicut la paix, en leur procurant l'occasion




lIIÉMOIRES


de traiter séparémcnt avec la France. Il désirait
lui-meme sincerement que cette paix. partielle,
qu'il était chargé de condure, fut l'acheminement
a une pacification générale.


Animés des memes sentimens et mus par ]a
meme bonne foí, les deux négociateurs s'enten-
dirent, et eurent bientot levé tons les obstades.
Les bases de la négociation étant déja pasées, ils
déterminerent ainsi les stipulations du traité : de
la part du roi de l)russc, par l' engagement de vivre
en bonne amitié avec la républiquc, tant comme
roí de Prusse que comme mcmbre de l'Empireger-
manique;dcnepointfournirde seconrs ni decan-
tingent, a quelque titre que ce fUt, aux ennemis
de la France, et de Iaisser aux Franc;ais l' occupa-
tion des possessions prussiennes,situées sur la rive
gauche dnRhin, en ajournanttout arrangement
définitif a l'égard de ces provinces jusqu'a la pa-
cificatlou géuéralc cntre la France et l'Empire. De
son coté la France prenait l'engagement de re-
tirer ses troupes des posscssians prussiennes si-
tuées sur la ríve droite du Rhin, d'accueillir les
hons offices du roi de Prusse en faveu!' des princes
de l'Empire, et de ne pas traiter comme pays en-
nemis les états dudit Empire, situé s sur la rive
droite du Rhin, et pOU!' Iesquels le roí prenait
intéret.


Telles furent les stipulatiollS du trait(~ patent :




D'UN lIOMME n'ÉTAT.
les deux négociateurs penserent avoir rempli
également les vues de la Prusse et de la France,
en soumcttant la partie septentrional e de l' Alle-
magIle a l'influence prussienne, et en débarras-
sant les Franc;;ais de toute crainte du coté du
Nord.


Le traité fut signé le 15 avril. Il énonc;;ait dans.
le préambule le désir de mettre fin ti la f)uerl'e,
et dans l'article VII l'intention d' en éloif)llel' le
thédtre de l' A llemagne. En promcttant par l' arto II
de ne fournir aucun secours contre la république
franc;;aisp, Frédéric-C uillaume se dégagea de son
aIliance avec l'Autriche. Par I'articIe III, l'une des
puissanccs contractantcs ne pouvait accorder
passage sur son territoire a des troupes enncmies
de l'autre. Cette stipuIation allait gener singu-
licrement les opérations de l'armée autrichienne
sur le Rhin, en empechant les renforts qui ve-
naicnt de la Bohemc de travcrscr la Franconie, a
moins de faire un grand détour.


Restait a dégager les Franc,'ais de toute inquié-
tude a l'égard de la lIo11allde, et a reconnaitre,
en faven!' de la Prusse, le príncipe d'une indem.
nité pour la ccssion de ses posscssions sur la rive
gauche. Voila ce qui amcna les articles secrets
de Bale que nous allons enfin dévoiler l.


, Marlens dans son l'ecueil des traités, n'indique quelques.uns de
ces articlc5 que par Imuspimlioli ou ¡JiU' conjectul'e. J amais on ne le,




lIIÉlIfOIRES


Par l'al'ticle I er le roi de Prttsse s'engageait a
ne former anenne entreprise hostile eontre la
Hollande, ni contre aueun pays oecupé par les
troupes fran<;aises.


L'article II promettait d'indemniser la Prusse
dan s le cas ou la France porterait a la paix ses
limites au Rhin.


La républiqne franc:aise, afin d'éloignc,' le
théatre de la guerre des frontieres des états
prussiens, consentait a ne pas pousser les opéra-
tions militaires dan s les pays au-cIela de la ligue
de démal'catioll indíquée.


Le comté de Sayn et i\ Itenl..:irchen se trou-
vaient compris, pal' l'article IV, dans la meme
ligne.


Enfin, dans le cas oú la France a la paix éten-
drait ses limites au Rhin, et resterait en posscs-
sion des états du une de Denx-Ponts, elle consen-
tait par l'article v á se chal'ger de la garantie de
la somme de 1,500,000 rixdallers (enviran
5,250,000 francs), prctée par le roi de Prusse au
dnc de Dcnx-Pbnts.


A peine le traité fut-jl candil que les denx
négaciateurs travaillerent activemcllt a donner
une garantie militaire á la neutralíté du llord de
l'Allemagne, stipuléc par l'article VII du traité


avait divulgué, complétement eomme on le f.it ici u'apr~5 des docn-
WClls alJ~lllaud~ tl'e~~a"thcntique5:




n'mv IIOllBIF. n'ÉTAT.
patento La con!' de Bedin :lttachait le plns grand
pl'ix a eette neutralité qui, relativement a la
France, mettait la Hollalllle a 1'abri des entre-
prises des Anglais et des stathoudériens, dont les
forces avaient encare un foyer en .Westphalie et
dan s le pays d'Hanovre. n en résulta un acte
nouveau et additionnel, ou plutot une con ven-
tion définitive que tes deux ministres plénipo-
tentiaires signerent a Dale te 17 mai.


Par cette convelltion, les deux part.if\s con-
tractantes établirent une ligne de démarcation
renfermant les ccrcles de Westphalic, de la Basse
et Haute-Saxe, de la Franconie et la partie des
(1(mx cercles du Rhin, située sur la l'ive droite
du Meill.


La républiquc frall~aisc promettait de regar-
del' comme neutres tous les états situés derriere
ct'tte ligne militairc, a cOlldition qu'ils observe-
raient, de leur coté, une stricte lleutralité.


Le roi de Prusse s'enaaaeait á la faire obser-b b
ver a tous les états situés sur la rive droite du
Mein, et de garantir qu'aucune troupe ennemie
de la France 11e dépassel'ait eette partic de la
ligne.


A peine le tl'aité patent avait-il été signé le [)
avril, que le comité de salut puLlic l'avait porté
a la ratifieatioll de la COIlVClltioJl, qni, pen de
jours aupnr:rv:ull, yrnait (l'appronver le traité


D.




1\iÉMOJRES


ele paix conclu avec le gr'and-duc de Toscane,
frere de l'empereur. Ce princc avait le premie)'
reconnu la république fran({aise.


c( Vous etes a la veille, dit Rewhell au nom du
» comité, de recueillir les fl'uÍts de vos travaux.
» ~Les puissances coalisées, qui semblaient avoil'
» juré la perte de la l'l~puhlique, se sont cm-
» pressées de vous demander la paix, depuis que
» vous avez prouvé que la jw,tice et l'humanilé
» 80ntvéritablementa l'ordre dujour. Le comité
» de salut publlc ne fait que suivrc vos inten-
» tions en llégociant df's paix partielles : jI offre
)) aujourd'hui a votre ratificatioll cellc qu'il
» vient de conclure avec le roi de Prussc l.
» Nous n'avons pas oubJié un iustant que si les
)) vceux du pel1ple sont ponr la paix, c'est ponr
» une paix glorieusc, conforme a la dignité et
» aux intérets de la républjque. Nous avons cru
» qu'il importait oe rétablir' les rdat10ns com-
» mercialesentre la Prusse et la France, et meme
J) de les étendre, en doignant du nord de l'Al-
» 'lemaglle le théatrc de 1a guerreo Quallt á ce
)) quí regardc les limites, llOllS n'avons riea faít
) quí puisse contrarier YOU'C vreu; mais nons
» avons cru qu'il était hon qu'unc puissancf',
)) qui redeveriait notrc amie, jouit dalls l'cm-
) pire germanique cl'une prépondérullcc qui


, A ces mots, la ~all~ r~telltit d';lpplauuissemens,




n'üN rrOl\IME n'¡';TAT.


)) pellt devenir tres-utile a la république. Nous
») nous y sommes prétés d'antant plus volontiers
) que toutes les relations prouvcnt que la llation
J) prussienne n'a laíssé échapper aUCltue occa~
)) sion, dans tout le cours de cette guerre) de
J) nous dOlllzcJ' drs Lémoignages d' affection el
») d'estime qU'Ull intérét mal entendu n'avait pu
») parvellir ti altérer l. Nous n'avons employé
J) dan s eette négociation d'autres armes que
JI eeHes de la franchise el: de la loyauté. Cette
,) paix, ajouta Bcwbell, n'est pas la seule qui
j) soit l'ohjet des méditations de votre comité;
)) mais nos plus acharnés cnnemis ,instruits des
») v~ux pacifiques de plusieurs gouvernemens,
») mettent tout en ~uvre pOLlr elltraver les né-
)l gociations, pour exciter des monvemens et
)) faire naltre l'anarchie dan s notre intérieur 2 .»)


Telle fut la paix de Bale: l'Enrope en Illontra
d'autant plus d'étonnemellt que c'était l'ouvrage
a'un prince qui, arres avoir ambitionné le titre
d' Agamcmnon de la ligue forméc contre la révo-
lution de France, pactisait le premier avee eette
meme révolution triomphallte. Mais c'était ce
me me prince qui, fatigué de la vil' des camps,


, eette phrase soulignée, rapprochée de plusiems cil'constances,
anrait pu servir de clef anx historiens, ponr expliqner la plnpart des
événemens de cette époqnc.


, L'existence de la convelltion était alors menacée par des moave-
mens popnlaires dan. Paris.




580 JlrÚlroInFS
et revenu des illusions qUl l'avaient accompagné
daos les plaines de la Champagne, jugeant (l{~­
sormais la contre-révolution impossibh>, avait
<lit á ses ministres: «( Faltes ce que vous vou-
» drez; mais dt~barrassez-moi de la guerre avec
» la France. » En signant la paix de Bale, il
abandonnait la maiSOll d'Orange, sacrifiait la
Hollande, et, ollvrant ,l'Empire' aux invasiolls
fran~~aises, préparait la ruine de l'ancienne con-
5tltution germanique. Au mépris des le<{ons de
I'histoire, ce prlllce mettait en oubli qu'au si-
gnal des dangers de la Hollande une ligue de
tous les états de l'Emope s'élait formé e a la
fin du' 1 6e siecle pour mettre Un frein á la lmis-
sanee de Louis XIV. lei au contraire ceUe meme
invasion, effectnée 50n5 la bannit~rf' de 1'esprit
républicain, amenait la rupture d'une coalition
de rois contre la liberté des pcuples. De ce mo·
ment les trune5 furent dépouil1és de la majesté
qui les entourait. On yerra plus tard á qlloi
tint que la révolutÍon nniversellc n'ait pas été
effectnée apres la paix de BMe.


Admettolls que Frédéric- Guillaume, animé
dll g~llie de Frédéric -le-Graud, out négocié
l'olive d.ullemailletl.épéedel.autl.c.et
que, préservant la Hollande, il l'eut faít com-
prendre dans la ligne de son protcctorat mili-
taire. N e se serait-il pas élevé par le fait an role




, " D UN HOJ\OIE D ETA.T. 58I
non-seulement de médiateur, mais d'arbitre de
l'Europe, en balan~ant ainsi le despotisme ma-
rÍtime ct le despotisme continental? Quelle haute
et sublime mission !


Mais la paix, concIne dans des vues rétré-
cies, et au mépris de l'intéret commlln, fit
perdre a Frédéric-Guillaume de sa propre cou-
sidération, et a la monarchie prussiennc de son
prestige de gloire. Ajoutons que si, dix ans
plus tard, la Prusse fut tout a coup précipitée
dans l'ablme, on doit l'imputer a sa perservé-
rauce outrée daus un systeme impolitique, fruit
de la paix de BMe.


FIN DU DImxIk:~IE VOLUME •


..




,,'


,~


.. "


, ....


'"


,




ERRATA.
Page 172. Jigne 23: occnpa la for~t de Normal, lisez de Mormale:
P. 383, l. 7, 'i reste ¡, retracer ici, Iisez il reste a retracer icj.
P. 400,1. derniere, les conrs respec-, Ijsez les conrs respectives.
P. 430, 1. I~ ,le général Ouo, lisez le général Ott.
P. 5Il, 1. 22, les suece. éphémeres produje que honte, lisez n'ont


prodnit qne houte, etc.
P. 538, l. '7, ¡, la conr a La Haye, lisez a la conr de La Haye.
P. 561, l. 15, et confirmé a stipnlation, lisez la stipulation.




1
1
1
1
1
1


.1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1




EXTRAIT DU CATALOGUE
DE LA LIBRAIRlE


PONTHIEU ET CIE~
A PARIS, PALAIS-ROYAL, ET QUAI l\1ALAQUAIS, NO 1 ,


ET PONTHIEU, MICHELSEN ET ClE,


A LEll'ZIG.


AGRAVIADOS (les) D'ESPAGNE, avee une Nolie!' surles prinei-
paux Personnages qui ont joué un role dans les affaires d'Espagne.
ln-8". _ _ . . • _ . _ _ _ _ _ . • • •• .•...... 2 fr.


APER<;'U SU1\. LES HIÉROGLYPHES D'ÉGYPTE, el les Progres
faits jusqu'a présent dans leurs déehiffremens ; par lU. Brown,
trad. de l'angla;3; ave e un plan représentant les alphaLets égyp-
tiens. Un vol. in-8·, grand-raisin. 1827_ . • • . .• 4 fr. 50c.


ANNALES BIOGRAPHIQUES, ou Complément annllel et eonti-
nuation de toutes les Biogl'aphies ou Dictionnail'es historiques,
contenant la vie de toutes les personncs remarquables en tout'
genre, mortes dans le coma de chaque année. 2 vol.in-8". en quatre
parties. 1827. . • • • . . . • • • • • . • • • . • • • .• 20 fr.


ANNUAIRE ANECDOTIQUE, 011 SOllvenirs contcmporains.
L'année 1826, 2" édition, in-18. 4 fr.
L'année 1827, 2" édition, in-18. . . . • . . • . .. 4 fr.
L'année 1828, 2" édition, in-18. . . . . . . . . .. 4 fr.


ANNUAI1\.E NÉCROLOGIQUE, ou Complément annuel et eonti-
nllation de toutes les Biographies et Dictionnaires historiques,
contenant la vie de tous le~ hommes remarquaLles par ¡eura actes
ou par leurs productions, morta dans le cours de chaque année ,
ú commencer de 1820; rédigé et publié par A. lUahul. In-S',
orné de portraits.


1'0 année, pour 1820.
2" année, pour 1821.
3" annéc, pOLll' 1822.
4' annép" pOllr 1823.
5' année, pour 1824.
l;' année, pour 1 l:!2 [i.


'.


5 fr. ))
7 fr. 50c.


50e. 7 fr.
8fr. - "
8 fr.
8 fr.




ADOLPllE El' JULlE, Oll Lcltl'es de Jeux Am<lus habitalll 1""
hOl'ds du Dniester. DClIx vol. in· 12. . . . . . . . . . .. 51'1',


AlU (\') DE JOUER ET DE GAGNER A L'ÉCARTÉ, ('llseignc'~ en
huit let;OIlS; par Teyssedre. 1826. Un vol. in-18 •... " 3 fr.


ATLAS DES ROUTES DE LA FRANCE, ou Guide des Voyageurs
dans toutcs les parties du Royaume; dressé par A. lU. Perrot,
mem.bre de plusieurs Societés savantes. 1826. In - 12, ~a.r-
tonne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I,)/r.


llARRICADES (les), se/mes historiques. Mai 15g8. 1826. 3' édit. ,
UIl vol. in-S". . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. tifl'.


lHOGRAPHlE DES CONl'ElUPORAINS; par N~polí~on. d~26.
Un yol. in-8° ...•................. '. ti fr.


CÉCIJ.E, OLl les Passiolls; par ;\1. E. J ouy, de I'Académie l·'ranl(ai;:e.
;; vol. il1-I:.!. 1S27' .... , . . • . . . . . . • . . . .. 15 fr.


CHANTS DV SIECI,E, par J.\I. Ad. Nicolas. La v. in-S", (1 fr. 50 c.
COU.ECl'ION DES 1\1J~~lOmES SUR L'ART DllAJIATIQlJE ,
(~()ntcnalll des M¡~moircs de [\lile ClaÍl'on, de Dumenil, (le 1\10-
liere, de BeHmny, ele I.ekaiu, de lU olé, de Préville, de Dazin-
comt, d'Iflalld , de Gohloni. de llrandes, cte. ; J'ublié.~ par
l'ILil. Andrieux, Barriere, 'Félix Bodin, Després, Eval'blc Du-
moulin, Dussault, Étienne, l\lcrle, l\loreau, Picard, Talma, el
Lúon Thiessé. Ir¡. vbl. in.So ......•....... " 84fr.


COl\ITESSE (la) DE }<'ARCY, par 1\1'" de Souza. 4 vol. in-12. 12 fr.
CONSIDÉRATIONS HlSTORIQUES El' POLITlQUES sur l:l


Russie, l' Autriche, la Prusse et I'Angleterre ; sur les rapporls de
('es pubsances aree la France; pm·]U. J. AubernOll. 1827' 3' édil.,
I'evue et augmentée. Vn vol. in-So. . . . . . . . . • •. 4 fr.


CONSPII\.ATION DE RUSSIE, rapport de la Comrnission d'en-
quele de Saint-Pélersbourg a S. lIJ. l'cmpel'eur Nieolas le" sur
lea soeiétés secrel~s découvertes en Russie, et prévenlles de cons-
piratioll contre l'Etat; sur leur origine, leut' marchc, le dévelop-
pement 5uccessif lle lenrs plans , le dcgrí~ de participation de leufs
}lrincipaux membres :i Icurs projets et ti ICllrs cntrcpriscs, ainsi
que sur les acles individuels de chaCllu d'eux, et sur ses inten-
tions avérées. IS27' 2' édit., in-So. . . . • . • • . • • •• :> fr.


DERNIER(le) CHANl' DU PEJ.ERINAGE DE CHILDE-HAROLD;
par Alphonse de Lall}artine. 4" édit., iU-18, grand-raisin, avee
gravures. . . • . . . . . • • . . . . . • • . . . .. ·4 fr.


Le meme ouvrage, in-8°, 3e édit. ...•.••• " 4 fr.
DICTIONNAIRE BIBLIOGRAPHIQUE, ou Nouveau Manuel un


librait'e et de l'amafcur de livres., contenant l'indication et le prix
de tous les Jivres, tant anciens que modernes ,qui peuvent trouver
leur place dans une bibliothCque choisic, etc. ; pl'écédé d'un Essai
élémenlaire sur la lliblio[~I'aphic; par M. Pseaume, mcmbre dr
plusicut's Sociétl'S ~avantc~. 2. vol. in-S'. il dCllX CI)IOI1I1C:'. ¡t5l'i




3
DICTIONNAIllE G~OGltAPHIQUE rORTATIF, contcuaut Ll


description génél'ale el p.'ll'ticllliere (les cinq Pal'lies dll Monde
connu. Revu avee soin , el précédé d'un Vocabulaire de mot~
génériques scrvant ¡'¡ expliquel' le sens des mots géographiques les
plus importans dans les principales langues , par 1\1. l\1alte-Brun ,
auteur du Précis de Géographie universclle , etc.; augrnenté de
plus de 20,000 artieles qllí ne se trouvenl duus aucune éditioll
des Oietionuaires dits de Vosgien, par i\1. le docteur Friéville et
lU. Félix Lallemenl; et cnriehi de neuf cartes. Ouvrage entiére-
ment neuf. 1827' 2 vol. in-16, imprimés en mignonne, ú deux
coIonnes, sur papo vé!. eavalier. Brochés, 9 f¡0.; eart., 10 fr. 50 c.


DlCTIONNAIRE HISTORIQUE, ou Biographie univer~elle c1as-
siqne, onvrage enticl'ement neuf; par 1'1. le général Beauvais,
et par une Société de gens de lcttres; revu et augmenté, ponr la
par ti e bibliographiqne, par 1\1. BUl'bier, et par l\1. Louis llarbíer ,
fils alné. Un seul vol. in-So de 2500 pages. Papo fin, satiné. 4S fr.
- Sur papo vélin satiné. . . . . . . . . . • . . . . .. 64 fr.


DICTIONNAIRE DE CHIl\lIE, e~ntenant les principes , les théo-
ries nouvelles de celte seicnc!:! • el les applicatíons ú b médceíne ,
aux lIrts et aux mauufaetllres; pUl' G. Bl"Ísmoutiel', II. Leroq et
lloisduval, ctc. etc. Un vol. in-12. 1826. . . . . . . .. 7 fl'.


DJCTIONNAIRE UNIVEJlSEL DE GEOGJlAPHlE PHYSIQUE,
POLlTIQUE, etc .• DES CJNQ PAJlTIES DU 1\IONDE; par
!\laecal'lby. Quah'e vol. in-So .......•.•..... lS fr.


T.e premier a paru
I~LISABETH, par 1\1100 Cottin. Nonv. údit. Un V. in-IS. I fl'. 50 l'.
El\lTLm ET ALPHONSE; par 1\1,,;0 de Souza. 2 vol. iU-12.. 5 f.,.
l';~PRIT DE L'ENCYCLOP~OIE; p,n' Henncquin. 15 volu~n~s


In-So ..............•.....•.... '. 7;) 11'.
krABLISSEl\1ENT (de 1') DES TURCS EN EUJlOPE, el de la


Décadenee tIe lcur Empíre; ou vrage attribué a lord John Jlussel;
tmduit de l'anglais. Un vol. in-So. . . . . . . . . . . . .. :3 fr.


I::TATS (les) DE llLOIS, ou la 1\1ort de MM. de Guise, seene::;
historiquelJ. Décembre 1588; par l'auteur lles Barricadcs. 3" étIi!.
Un vol. in-S", avee le plan de lllois. . . . . . . . .. 7 fr. 50 c.
¡~l'AT (de 1') ACTUEL DE J~A NAVIGATION El' DU COi\1i\IERCE


DE L'ANGLETERJlE, Discoul"s de M. Huskisson, presidellt dn
nUfCan de eommerce, le 12 mai IS26, traduit par [U. Pichon,
conseiller-d'Élat; accompagné de diverses pie ces justificatives, el
Sllívi dll Diseours de 1\1. Huskisson sur le commercc des Colonie5,
}Jrononce dans la séauce dn 22 mai 1825. Un vol. in-8°. .. tI fr.


FAIH,ES, par A. V. Arnault, de l'ancíen Inslitllt de Frailee. 1 fb;.
2 yol. iu-IS. . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . '. (i fr.


jo',\nLES DE FtORIAN , ,uivc;; rlc:, l'oi.;mcs de llulh, dc 'fobi(, c(
I.lu ~Cl'~dll1\Iont-.~I;l'a. {Tn "ni. in-K", rapo véJ. ~alin(:" .Jit c~vatieJ',
'.rllA: d un f(lrfTal!. ,. ,...,... < , • • •• 'i fr. 50 '.'.




4
FAllLES HE LA FONTAINE, nouvelle édit. 2 vol. in-52, orñé~


de jolies gravures. . . . . . . ...•..•...... , 6 fe
FRANCE (la) ET LA GRANDE-BRETAGNE UNIES. In-S·. J fr.
GUERRE DES VENDÉENS El' HES CHOUANS CONTRE LA


RÉPUBLlQUE FRÁNctA1SE, ou Annales des départemens de
l'Ouest, pendant ces guerre~. 4 vol. in-S·. . . . . .. 28 fr.


HISl'OIRE DES CAl\'lPAGNES DE lS14 et 1S15 en France; par
le général Guillaume de Vaudoncourt, auteur de I'Histoire des
campagnes d'Annibal en Italie, de celle des guerres de Russie,
en 1812, d'AIlemagne, en ISI3, el d'Italie, en 1813 el 1814,
directeur du Journal des Sciences lllilitaires. 5 vol. in-S·, orní~s
de 4 plans. . . . . . • . • • . • . . . • . . . . . 35 fr.


mSl'OIR.E DES CROISADES; par M. Michaud; 4" édit., S vol.
in-S·, avee cartes. •. . . . . . • . . . . . , . .. . 641'1'0


I1ISTOIRE DE LA VIE El' DES OUVRAGES DE MOLlimE , par
M. Taschereau. Un vol. in-S·, orné d'un portrait gravé d'apr~s le
dessin de Dévéria, d'nn cul-de-Iampe, par Thompson, et d'uD.
rae simite de l'éeriture de Moliere et de sa femme. IS26. Prix,
papier superfin satiné, avee portrait. . . , . . . •. 7 fr. 50 e.


HISl'OIR.E DE L'Él\lIGRATION, de 1789 a lS25; par 1\lonlrol.
In-S·, 28 édit .. , . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. G [¡r.


IUSl'OIRE DE l\'lURAT, par l'auteur de l'Histoire de Napoléon
d'apres lni-mcme. Un vol. in-S·, orné d'un portrait. • .. 7 fr.


HISTOIRE DES EXPÉDITIONS lHARITIMES DES NORMANDS,
et de leur établissement en France au dixieme siécIe ; par Dep-
ping: ouvrage qui, en IS22, a remporté le prix a I'Inslitut de
France. 1826. 2 vol. in-So, . . . . . . . . . . . . . .• 12 fr.


mSl'OIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON HONAPARl'E, de sa
vie privée et publique, de sa carriere politique et militaire, de
son administration el de son gouvernement; par l'auteur des l\lé~
moires sur le Consulat.
Cet ouvrag~ formera environ 12 volnmes in-So, qui pal'aitront par livraison


de deux volumes tous les deux mois : prix de la livraison. . . .. 14 fr.
IUSl'OIB.E DES RÉPUBLlQUES ITALIENNES DU ¡UOYEN AGE~


par Sisllloude de Sismundi; nouveIle éditioll, revue et corrigéc.
IS25-26. 16 vol. in-8°. . . . . . . . . . . . . . . .• 112 fr.


HISTOIRE DES R.ÉVOLUTWNS POLITlQUES F;l' LlTTÉ-
RAlRES DE L'EUROl)E, AU DIX-HUITIE1UE SIECLE ; par
F.-G. Schlosser, professeur d'histoire a l'Université d'Heidel-
berg, traduite de l'allemand, par W. Suekau. 2 vol. in-S·. J;) fr.


I1ISTOIRE PHYSIQUE, CIVILE ET MORALE J;>ES ENVIRONS
DE P ARIS, depuis les prcmiers temps eonllUS jusqu"i nos jours,
contenant I'histoire et la description du pays et de tous les licux:
rcwarquables eompris dans un rayon de vingt a vingt-cinq licues
autour de la capitale ; elll'iehie de plnsieurs carIes, el d'un grnllfl
nombre de gravurcs représcntant les principaux édificc&, tcb




qu'églises, palais, cháteaux, lllaisons de plaisance, "Vues pitto~
I'CSqIlCS, canaux, etc.; par l\I. J.-A. Dulaure, lllclllbre de la
Société royal e des Antiqunires de France. Sept vol. in-S", arnés
de quatre-vingt fig. . . . . . . . . . . . • . . . . .. 105 fr.


HISTOmE DE JEAN VI, ROl DE PORTUGAL, depuis sa nais-
sance jusqu'a 8a mort, en 1826; avec des particularítés sur sa
vie prívúe el sur les principales circonstances dc son ri~gne. IS27'
Un vol. in-S". . • . • • • • • • • • • . • • . . • • . •• 5 fr.


INTRODUCTION AUX lUÉIUOIRES SUR LA RÉVOLUTION
FRAN<;AIS:E, on Tahleau comparatif des mand~ts ct pouvoirs
donnés par les provinces ú leurs députés aux Etats-Généranx
de 17S9; par F. Grille. 2 vol. in-S". . • . . • . . . . .. 15 fr.


ISIHALIE, ou I'Amour et la Mort, roman-poeme, par 1\1. le vicomte
d' Arlincourt. Dellx vol. in-So. . • . . . . . . • . 10 f¡·.


Le meme, 5° édit. Deux. vol. in-EJ. . • • . . 6 fr .
.JÉSllITES (les), MARCHANDS, USURIERS ET USURPA-


TEURS. In-So. . . . . . . . . . . • . . . . . . . .. , 6 fr.
LETTRES DE LA MARQUISE DU DEFFAND A HORACE WAL-


rOLE, dcpuis comle d'Orford, écrites dan s les années 1766
Ú 1780, auxquelles sont jointes des leHI'es de Mmo du Defl'and
a VoItaire , écrites dans les années 1759 a 177 5; publiées d'apres
les-originaux déposés a Strawberry-HilI. Nouvelle édition , aug-
mentées des LeUl'es d'Horaco Walpole. 1 S27' 4 vol. in-So, por-
traít. . • . . • • • • . . . . . . . . . . . . • . . . .• 24 fr.


LETTRES DE SAINT PIE V, sur les afl'aires religieuses de son
temps, en France, adressées á Charles IX, i Catherine de
iUédieis, a l'hilippe JI, au due d'Anjou, etc., etc:.; traduites
dI! latín par de Polter, auteul' de I'Espl"it de ,C Eglise. J 826.
In-8°. . . . . . . . . . . . . . . • . . • . . . . .. 5 fr. 50 e.


LETTltES SIJR L'HISTOIRE DE FRANCE, pour servir d'ín-
tl'oduclion ú ceUe Histoire; par Angustin Thierry. auteur de
I'Il~stoire de La Conqu¿tc de t' Angteter're. 1827' Un vol.
in_S". . . . . . . . . . . . . . ......... " 7 fr. 50 e.


LOISIRS (les) DE lUONSIEllll DE VILLENEUVE, ou Voyngc
d'un hahitanl de l'al'Ís it l'Est de la Franee, en Savoje et en Suisse ;
publiés par J.-J. Lemoine. 1827' Un vol. in-S". . . • .. 7 f~.


MANUEL DIPLOl\lATIQUE, 011 Précis des droits et des fonctions
des ngens dipJomntiques, suivi d'un Recueil d'actes et d'offiees-,
pum servir de guide a ceux qui se desHnent a b carriere diplo-
matique; par le baron Charles de l\larlens. Un vol. in-So. Ü fr.


MARIE DE BRABANT, poeme en six chants; par 1\1. Ancelot. 5° édit.
In-18, grand-raisin, papier fin, orné d'une heIle gravure et vi-
gnettes. . • . . . . . . . . . . . . . . . . • • . . . . .• 41'1'.


iU.ElUOIRES DE TILLY, aneien page de la reine 1\brie-Antoínetteo
Dcux ~-ol. iu-S", . . . . . . . . . . . . . . . _ . . •. 15 1'1',




()
MÉiUOIRES sur la Convention el le Direcloirc; par A. C. Thihall'


deau. IS213. 2e édit. :.l rol. in-S". . . . . . . . . . . .' 12 fr.
1\IÉl\lOIRES sur le Consnlal, 1799 á 1804, faisant suite allx 1\lé-


moires de Thibcaudcall. 182G. Un vol. in-S". . . . . •. 7 fl·.
l\lÉ~lOIRES SUR LA GltECE ET L'ALBANIE, pClldant le gouver-


nement d'Ali-Pacha; par Ibrahim-Manzour-Effendi, eornnull1(lanl
du genie, an serviee du visir. On vrage pouvant servir de complé-
ment ú celui de l\l. de POllqlleville, ave e portrait. 2° éllit. IfI2j'.
Un vol. graiHI in-So.. . . . . • . • . . . . . . . . . . .. 7 fl'.


l\l¡:;lUOIRES INÉDITS DE LOUIS-HE~RI DE I,Ol\lJ~NIE, eOlnte
de Brienne, secrétaire d'Etat sous Louis XIV; publiés sur les
manuscrits autographes, avec un Essai sur les 1\loours et les llsnges
du XVIII" siéele; par F. Barriere. Denx vol. in-8°. .. 15 fr.
l\lÉ~lOIRES TIRES DES PAPIERS D'U~ I1o:mm D'lh'AT,


sur les Causes seeretes qni ont déLeflllinc la Politiqne des Cabi-
nets dan s la guerre de la Révofulion, dC{JUis lj'!)2 jusqll'en 1815.
Quatre vol. Ín-So. • . . . . . . . • . . . • . . . • .. 30 fe.


l\tILLE (les) ET UN JOUllS, contes orientanx, traduits dlllure,
du persan et de !'arabe; par Pclit-de-Ia-Croix, Galland, Car-
donne, Chawis et Cazotte, avee lIne N otiee , par M. CoJlin de
Planey. 1 tb6. 5 vol. in-So, ornés de dix belles gravures, dessin6cs
et gravées par nos premiers artisles. . . . • . . . . . .. 33 fr.


l\IORALE (la) EN ACTION , ou Choix de filits historiqucs et d'ancc-
dotes instructives; nouvellc édit. Un voL in-12, lig. 2. fr. :)oc.


OEUVRES CHOISIES DE PARNY, précódées el'une NOliec histo-
rique sur Srt vie. 1826. Un vol. in-S". • . . . . . . . .. 8 fr.


OEUVRES D1lAiUATIQUES DE DESTOllCHES, \louvell" étlition,
précédées d'une Noticc SUl' la vÍe et les ouvrages de ect rtuteul'.
Six vol. in-S", avee portrait. . . . . . . . . . . . . .. 42 fr.


OEUVRES DE J.-B. IlOUSSEA U, nOllvelle éditiou , avee un Com-
menlairc historiqlle et littéraire, précódó tI'un nouvel Essai sur la
vie et les éerits de l'auteur. 5 vol. in-8". . . . . . . .. 351',..


OEUVRES COMPLETES DE CHAM1'FORT, reeucillies el puhliées.
avee une Noriee historiquc sur la vie et les én'its de l'autenl'; P;lL'
l' .-R. AUb'uis. 182G. 5 vo!. in-S". • . . . 30 fr.


OEUVRES COMPLETES DE VOLTAIllE. 75 vo!' in-S", papo fin.
4° édit. l'fix de la souscriptiOll, le vol. . . . . . 3 fl'. 50 e


OEUVRES DE LAUOCHEFOUCAULD, eOlltcnant les iUóllloires.
les ~bxill1cs, avee les notes d yariantes, et la COl'rcspoHdaucl'.
Un "01. in-8°, orné ¡}'un portrait, papo 5upel'fin satint~. j' fr. 50 e.


OLIVIA. lS2n. Un vol. in-12. • • . . . . • • • . • . . .. :) fl'.
ONCU~ (1') ET LA NIECE. In-12. . . . . . . . . • . .. ::; fr.
I'ANOllAl\IA DE PARIS, 011 Guille de 1'."lranr;-el' ;'t Paris; exll'.lit


liLtéralel1wlll ,le I'llisloire ,J,. l';)ri,; l':n' .l.-A. \)ulaul'(,. In-l~ ,
orné de '.lollie yíglll'lte:; .. , . . . . . . .. . .. ,. l'\ 1',




7
l)JU~CIS DES CUElUtES DES lWSSES CONTI\.E LES TUllCS,


par l\ug. Laeosle. Un vol. in-S", avec quall'c planchcs. .. '} fr.
l'IUtCIS DU DROIT DES GENS JUODEllNE DE L'EUROPE, fondú


sur leS traités el J'usagc, pOUl' scrvir d'introduction ú un Couro')
poliliqlle et diplomatiqnc; par G.-F. de Martens. 5" édit. Un vol.
in-8".. . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . ., fr.


rmNTEMPS (le) D'UN I'I\.OSCIUT, poeme en ¡¡natre ehanls,
slIivi de i'enlevement de Proserpine. et de l\lélanges en pro~e ;
p:u' M.)lich:lUU, ue l'Académie Fl'anQaise. Un vol. ill_~o; papo vél.
~uperfin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. '} fr. 50 c.
rI\.OTf~STANTE (la), ou ,Ics Cévellllcs au commCllcement dll


X VIII' sierle. (Roman.) Troís vol. in-12. . . . . . . .. 9 fr.
])ROVERBES DnA~lATIQUES, par M. J. B. Sallvage. Un vol.


ill-8" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. (j fr. 50 C.
l'YRENEES (les) El' LE :lHIDI DE LA FI\.ANCE; par Thiers.


Un vol. in-8° ...............•. o . . 4 fr.
QUATRE (les) ÉVANGILES, précédés du Diseoui's de Mareel,


curé du village de ***, el d'un Avant-Propos; par Cauchois-
tcmail'c. I8ül. In-18. . . . . . . . . . . . . . .• :5 fr. 50 c.


I\.A1'1'01\.1' dn Comilé d'EnqllCte á S. A. 1. J\'Ig' le grand-duc
Ccsarewitsh, commandaut eIl chef l'armée polonaise. Un vol.
in-8°. . . . . • . . • . . . . . . • . . . • • . .. 2 fr. ~5 c.


RELATION ¡lp,s Événemens qui ont précédé et suivi le licellcie-
rnent de la Garde nationale de l'aris. Un vol. in-8D•• 2 fr. 25 c.


SAINTE-PÉIUNE, Souvenirs contemporaillS; par 1\1. Valery. 1826.
1n-12. . . . • . • . . . . . . • • • . . . . . • . . • .• t, fr.
Sl~Cn.El' (le) DE TRIO~¡'PHEl\ DES FE~UIES. ET DE LES


]<'{ XER; par Saint-Angc. U n vol. in-lS. . . . . • .• 2 fr. 50 C.
S]~Dn1, ou LES NEGRES, poeme en tl'ois chants; par 1\1. Viennet,


2" édit. 182G. In-18, papo satiné. . . . . . . . . • . .. 3 fr.
SIX l\lOIS EN RUSSIE, Lettrcs écrites á l'oeeasion du couronne-


lIleut dc l'empercur Nicolas 1"'; par NI. Ancelot. 2" édit. IS2'}.
Un vol. in-So.. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. '} ft·. 50 c.


SOUVENIRS El' i\lÉtANGES liltéraires, politiqlles et biogra-
phiqucs; par L. de Rochefort. IS2G. 2 vol. in-~o ..• , 14 fr.


TABLEAUX DE LA NATUI\.E, ou Considérations sur les Déserts,
su!' la Physionomic des V ég(~taux, ele.; pa¡' N. de Humboldt.
Trad. de l'allcl11and par ]U. Eyries. Del1x vol. in-So .. " 12 fr.


TABLEAUX HISTOI\.IQm~S DE I:ASIE, depuis la monarchie de
Cyrus jusqu'ú nos jours; par J. h.laprolh. Un vol. in-4°, avcc un
atlas de vingl-sept cal·tes in-fol., cart. . . . . . . • • .. 85 fr.


"\il)E GÉNÉIlALE DE L'HISTOIRE DU GENI\.E HUJUAIN; par
.Tean ue Muller. IS27. lkux vol. in_So. . . . . . . . .. 12 fr.




íillrt9 t11 {anguca étranger tS.
BIBLIOTECA DI PROSE ITALIANE, scelta e pubJicata tia A. Bat-


tura. 10 vol. in-lb, papo véI. et portraits. . . . . . . .. 30 fr.
Cette coIlection se compase de


Boccaccio. Novclle seelte .....
Scelta di prose d'autori antiehi ..
Machiavelli. Storia di Fi1'enze ..


1 vol.
1
3


-- TI rrincipe . . . . . . . . . 1
-- 1 discorsi. . . . . . . . . . . . . . .. 2
Scelta di Guicciardini, Davila, Galilci ed


altri prosatori di quest' epoca. . . . . . .
Scelta di prose di autori moderni. . . . . . .


Chaquc Ouvrage se vend séparément.
Cette collection cst destinée a faire suito a celle qu' a


publiée 1\1. Lefevre, pour la poésie.
GRAl\Il\IAIRE ALLEMANDE, par feu lU. 1, H. Schuchardt. Un


vol. in-8°. . . . . . . . _ ............ " G fr. 51l c.
JOURNAL OF THE CONVERSATION OF LORD B Y1WN, nOled


dtlring a residence with his Lordship at Pisa, in the ycars 1821
and 1822; by Thomas !\loare. París, 2 vol. in-12, fig. ,fr. 50 c.


l\lATILDA A TATE OFTHE DAY; by lord Normanby. Un vol. in-18,
satiné .........•............... " 4fr.


NOVELLE DI CASTI. Parigi, 4 vol. in-12. . . . . . .. 15 fr.
THE LIVING POETS OF ENGLAND. Specirnen oC the living


british poets, with biographical and critical notices and an cssay
oC engli5h poetry. 2 10"15 vol. in-So. . . . . . . . . . ] 8 fr.


COOPER.'S AMERICAN NOVELS. l}rinted by Oidot :
THE SPY. :5 vol. in-12 ..
THE PILOT. 3 vol. in-12 .... .
THE PIONEER. :5 vol. in-12 .. .
SIR LIONEI, LINCOLN. ;) vol. in-l2.
THE PRAIRIE. ;) vol. in-12 ..... .


13 f,·.
13 fr.
13 fr.
13 fr.
151'1'.


SCELTA di Alcune commedie del Coldoni, per uso de' dilettanti
?ella Jingua italiana. UltiIpa edizione, corretta da J,. l'io. UII ,vol.
In-12. . . . . • . . . . . • . . • . . • . . . . . . . .. !.J fr.


NOUV A SCELTA di poesie italiana, trutte da' piu celehri autore
antichi e moderni, con hrevi notizie sopra la vita e gci 5critti di
Clascheduno. Da P. S. Constantini. 2 vol. in-l2. . • .. G fr.


PAR1S. - LE flOHl\1Al\T FJLS, n~pr.IMEUH. nu nOI,
rt1~ di' Seiue J nO 8.