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1810
Ilr<>lls (It, rCl'l'tIULlellLlII el ue truuucliüll réservé>






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A. \l.A.N rr-PRO 1) O S


Le public se rappelle peut-etre que l'ouvrage qu'on


va líre, tiré, d:ms l'été de 1861 a un petit nombre d'exem-


pI aires lilhographiés, fut saisi chez l'imprimeur par la


police. Mon pere s'étant adressé au tribunal pour obtenir


la restitution des volumes saisis, une poursuite fut inten-


tée contre lui en poli ce correctionnelle, puis promptement


terminée par un arret de non-líeu.




-II-


Le juge d'instruction, en abandonnant l'accllsation,
s'appuya principalement sur ce motif que l'ouvrage


n'ayant re¡;u aucune publicité, ne pouvait 6tre incriminé.


Ce motif était mieux fondé peut-ctre que le m:lgistl'at lui-


mcme ne le pensait. Cal' non-~;elllement les Vues sur le


GOllvernement de la France n'avaicnt pas été publiées,


mais elles n' étaient pas destinées a l' ctre, et mon pere


n'avait jamais songé a en donner communication meme a
ses amis personnels. On reconnaitl'a ce caractcre d'une


pensée solitail'e ala sévérité de certains jugements sur les
faits ou sur les personnes, tracés sous l'impl'essiun d'évé-


nements encore récents, et que l'auteur eút cel'tainement


rectifiés ou atténués, s'il eltt soup('onné que son écrit dÍlt
figurer au nombre des documents de l'histoire contempo-


raine.


Je n'essaye pas de suppléer a ce travail de révision, j~
craindrais de ne pouvoir me dégager, dans l'accomplisse-


ment d'une te11e tache, de mes opinions personnelles, ditfé-


rentes sur cCl:tains points de celles de mon pere. J'aime


mieux laisser sans aucune altération, a cet ouvrage vl'ai-




- III -


ment original, les qualités qui feront ruo de ses principaux


mérites aux yeux de ses lecteurs : la sincérité parfaite des


scntiments, la franchise du langage et l'absence de toute


l'ccherche soit de la popularité, soit de la faveur.


ALllERT DE BROGLIE.


lUa.i 1870.






INTRODUCTION


Il s'est écoulé plus de soixante et dix ans depuis le jou!'
oü Louis X VI a convoqué les états généraux a Versailles.
La France n'avait pas alors de constitution écrite; son


gouvernement, au dire des jurisconsultes et des publi-
cistes, était purement monarchique ; le roi ne relevait que


de Dieu et de son épée; en lui seul résidait l'autorité sou-
veraine. Dans la réalité, néanmoins, l'exercice de cette
autorité rencontrait plus d'un obstacle; nos annales en
font foi, de page en page, et nous la monteent tantót tem-
pérée par le concours, tantOt limitée par la l'ésistance


d'une foule de corps intermédiaires dont les prérogatives
variables, indéterminées, et, par cela meme, élastiques,
grandissaient, tour a tour, au gl'é des circonstances, ou
fléchissaient sons l'asccndant des influences pcrsonnelIes.


1




II VUES SUR LE GOUYEHNEME:\T DE L.\. FRANCE


Un peut apprécier tres-diverselllent un pal'cil ordre de


choses; quand un gouvernement a longtcmps dmé, son


histoire est celle des langues d)l~sope ; ríen n'~gale le
mal qu'on en peut díre, ü juste litre, sí ce n'est le bien;
ríen n'égale le bien qu'on en peut dire, ü hOll drolt, si ce


n'est le mal. Tout compensé, rancien l'égimc avait fait


son ceuvre et son temps. Jl comlltait, non sans gloire, plu-


sieul's siecles d'existence ; il s'était formé, réfol'lné, trans-


formé graduellement aycc la natiun clle-mcnH' ; ill'avait


portée et maintenue au premier l'ang ell Emope; il avait


déposé sur notre sol, les germes d'ulle prospérité sans


cesse rcnaissante, en d(~pit eles prodigalités et des dé s-
astres, en dépit des guerl'es étran~;l'l'es et des discordes


cIviles; il est tombé devant le progrt.'s des lumieres,


devant ce mouvel11ent des esprits, des idées, des opinions


qu'il avait lui-l11eme gélléreusG'ment provoqué, honora-
blel11ent secolldé ; s'il n'a pas laissl\ de regrets, il a laissé


de bons souvenirs.


Du D maí 1789, date notre premiere révolution.
Nous en sommes a la treizieme.


Nous avons passé successiyement de la monarchie pme


a la monarchie démocratique; de celle-ci a la pl1l'C oclilo-




lNTRODLCTION III


cratie; pUlS est venue la I'épublique proprement dite


puis le gouvernement militaire sous trois formes diffé-


rentes, le consulat républicain ou soi-disant tel, le con-


sulat il vie, sorte de monarchie élective et enfin l'Empire;


l'Ernpil'e a fait place a la Hestauration, et 1'a supplantée


au Dout de quclques mois; la Rcstaul'ation n'a pas tardé
Ü lui l'endre la pareillc; en 1830, la maison d'Orléans a


remplacé la branche ainée de la maison de llourDon; en


'l84~, la maison d'Orléalls a succombé devant une nou-


vcllc république, et, cdlc-ci dcvant un nouveau consulat.


lequel préludait, sous le nom de présidence, a l'avéne-
ment d'un nouvel empire.


Nous avons ainsi traversé rapidement, et, pour ainsi


dire, au pa~~ de course, toutes les formes. connues de gou-
vernement, hormis une scule, la république fédérative.


En s'asseyant au pouvoir, chaque partí s'est fait une


constitution il sa propre image. Le l'ecueil en est déja
volurnineux. A la monal'chie démocratique correspond la
cOllstitution du 14 septembre 1791 ; a l'ochlocratie, la




constitution du 2·1 juin 1 iD;3; ü la répuDlique propl'e-
ment dite, la constitution du f) fructidor an 1Il; au eonsu-


lat a temps, eeHe du ~2 fl'imaire an VIII; au eonsulat a




IV VUES SUR LE GOUVERNEME~T DE LA FRANCE


vie, le sénatu s-consulte du 1 G thermidor an x; a l' Em pire,


celui du 14 noréal an XIl. Louis XVIII h son avénement


nous a octroyé la charte du 14 juin '1814; Napoléon, a
son retour de l'ile d'Elbe, 1 'acte additionnel aux constitu-


tions de l'Empire t ; dUI'ant le coms de la seconde Restau-


ration, la charte a subi plusieurs modifications impor-


tantes ; en 1830, on l'a reprise en SOUS-ffiuvre, on l'a


remaniée tant et si bien, que, dan s le partage des pouvoirs


publics 2, la prépondérance a passé de l'autol'ité royal e a


l'autorité populaire.


NOlls ne comptons que pom mémoire la constitution


inutilement offerte a Louis XVIII 3 pal' le sénat impérial,
et la constitution inutílement préparée, en 1815, par la


chambre des représentants, enfant mort-m;. d'une mere


qui ne lui a pas survécu.
Nous comptons enfin pour presque aussi peu la consti-


tution de 1848 qui a tué la sienne du premier coup, et la


soi-disant constitution du nouvel Empire, qui n'est, a vrai


dire, et sauf quelques variantes sur lf'squelles nous l'cvien-


1 22 aHil UU;) ,
2 9 aout 1830.
3 9 avril 1814.




lNTRODUCTION


drons, qu'une édition posthume des sénatus-consultes de
l'an x et de I'an XII.


S'il fallait pl'ononcel' sur le mél'ite respectíf de ces
divel's gouvernements d'apl'es l'accueil ·qu'ils ont recu,
ehacun ü son tour tt a son heure, chacun pendant sa lune
de miel, tous auraient été également excellents, également
nécessaires, également appelés par les vamx de la nation;


il n'en est aucun, en effet, qui ne se soit établi aux accla-
mations d'ul1 partí vaínqueur dont la voix étalt seule a se
üüre entendl'c; s'il falIait en j uger d'apres les malédic-
tions et les invectives dont leurs adversaires, devenus
vaínqueurs a leu!' 10m, les ont poursuivis, run apres


Cautee, au fur et a mesure de leur chute, tous auraient


été également détestables, également détestés, également


traitres envers le pays. lUais ces alternatives d'enthou-
siasme unilatéral, et d' exécration posthume, ne prouvent
qu'une ehose : e'est la toute-puissanee du vent qui souffle


sur une population nivelée jusqu'au sol, et réduite en
poussicrc individuclle, c'est la domination absolue de la
capitale dans un pays oil la ccntralisation a fait disparaitre
jusqu'aux demieres trace~ d'indépendance locale. Cela est
si vraí, qu':lIl nomhre ele ces gouvcrnements, ohjets, tour




VI rUES SUR LE GOrVERNEMENT DE LA FRANCE


a tour, d'une admiration passionnrc, et d'une animadvcl'-


sion sans mesurc, iI cn est qui ont passé par unc double


épreuve en moins de q uelques mois.


La durée relative de ces dfvel's gouvernements, tous,


hélas! plus ou moins éphémcl'cs, sCl'ait pcut-etrc un mcil-


leur critérium. Aucun gouycrncment, en ef1'et, n'a chance


de dUl'el' qu'a la condition d'drc ayoué, jUSqU'il un cer-
tain point, par lc pays, de satis1'aire, a cCl'tains égards,


ses VCBUX légitimcs: ses intél'ets réels, de ne lc point
heurtel' trop ouvertement dans ses penc]¡ant~, dan s ses


sentiments. A ce compte, yoici clans quel ol'dre iI con-
viendrait de les ranger :


La monarehie constitutionnelle a duré teente-quatre ans,


savoir: seize sous la branche ainée de la maison de Bour-


bon 1, et dix-huit sous la bl'anclte cadettc~.
La monal'chie militaire, en eompl'enant virtuellement


sous eeHe dénomination les deux consulats, a duré qua-


torze ans 3.


La République propl'ement dite a duré environ cinq ans ¡.


I Du 14 juin 1814 au 30 juillct 1830,
:! Hn 9 aoul 1N30 au 2i fúvrier IN48.
:; Du i déccmbro li99 an 2 aHíl 1Nl i,
4 Du Q fructidor an III au 18 JJl'IlInaifl~ 8.1l VIll; la sl'conde répll-


bliqllo a (luré troj:; ans, úu 24 fé\ri('rINí', :m 2 dt'CerIlIJl'I' IN;.1.




INTHODUCTIOX VII


L'oclJiocl'atie a duré t1'ois ans l.


La mona1'chie démocratiqlle a duré un an 2.
Si nous consultons maintenant le vrai c1'ltérium, le seul


qui soit Mcisif et qU! porte coup, si nOllS examinons en


quel ¡'tat chaque gouvel'l1ement a t1'ouvé la France, et


dans quel état il l'a laissée, voici ce que l'histoire nOlls


apprend :


La monarcllie délllocratique, il son avénemcnt, a trouvé


la Franee en paix avec [oute "Euro pe; sous l'aneien 1'é-
gime, l'ordre intéricul' régnait dans toutes les parties du


rO~'aullle; l'adlllinistration était il'l'églllie1'e et sujette it de
grands abus, m:1is elle ~rara11tissait la sécllrité des pee-


sonnes et ceHe des propriétés; le pays prospérait; la


liberté de pensel', d' éeri1'e, d'agir, était extreme; les


tinanees étaient obérées, mais le déficit, apres tout, ne


dépassait pas quelqlles dizaines de lllillions. La 1110na1'-


chie démocl'atique a tout détl'Uit sans rien fonder; elle a


délrllit pÜle-ll1l~le" rahus et le bon usage, le prlvilége et le
droü, l'exaction et l'impo!, la fiscalité et le crédit, le fond


éternel des choses e[ leu1' fomle transitoire ; elle a laissé


¡ DH :.!1 seplrmbre li!!:.! au :.!Ij ~L'Jllrmbre n05.
2 Du 14 se¡llcrnbre li!!I au 21 septembre li9:.!.




VIII VUES SUR LE GOUVERNE~IENT DE LA FHANCE


pour héritage a la Convention. c'est-a-dire ill'ochlocratie, .
la guerre générale au dehors; au dedalls, la guerre civile ;
pour administration, l' anarchie; pour flnances, la banque-
route et la planche aux assignats.


La Convention s'est montrée digne de cet héritage, et
l'a cultivé sans relclche; tout ce qui restail encore debout,
si peu que ce fut, tout ce quí portait encore figure de
soeiété humaine est impitoyablement tombé sous ses
coups , elle a livré le pays a des convulsions effroyaLles ;
elle l'a inundé de sang et couvert de ruines; de fureur en
fureur, elle en est venue a se décimer, a se dévorer elle-


meme; mais on lui doit cette justice qu'elle a défendu
notre territoire contre l'étranger, poussé la guerre avec
vigueur et imprimé il nos armées une impulsion glorieuse.


Le gouvernemcnt républicain, personnifié dans le Dil'ec-
toire, n'a pas meme eu cet unique mérite. MaUre, a son


avénement, d'une partie ae l'Europe, disposant des plus
vaillantes armécs et des plus vaillants capitaines dont
I'histoire ait gardé le souvenir, arbitre, un moment, de la
paix du monde, que le monde entier, sans en excepter
l' Angleterre, lUÍ demandait avec instance, il a si bien fait
qu' en moins de cinq ans, nos conqueLes étaient perdues,




lNTRODUCTION IX


nos alliés envahis, nos armées anéanties et notre territoil'e
entamé. Au dedans, l'état de choses le plus déplorable, le
spectacle le plus dégoutant: des discordes íncessantes ;
des coups d'État perpétuels; la déportation remplaGant
l'échafaud; l'emprunt forcé pr6tant main-forte a la ban-
queroute; partou t l'incurie et l'imprévoyance; partout la
débauche effrontée, la rapine san s frein; la fortune pu-
blique au pillage; une société aux abois; une actminis-


tratiolrpoul'rie. Tont était bon p(wr en finir. Le premier
consul est arrivé; il ne lui en a coúté que la peine de se


baisser pour mettre la république dans sa poche ; tont le
monde a battu des mains ; el, selon l'éternel lieu commlln
des révolutions, le pouvoir a passé de l'écritoirc au sabre;
l'anarchie nous a valu la dictature.


On pcut tout exa~,'(;rer, excepté les services que le prin-
cipe monarchique, reconstltué d'abord sons un nom d' em-


prunt, puis bientot apres sous son nom véritable, nous a
rendus a cctte époql1e.


A la voix du nouveau Césal', sous sa m~in puissante,
tout s'est relevé comme par enchantement.


Il a rétabli la socit\té domestique, la sainteté du ma-
riage, l'esprit de famíllc, l'autol'ité paternelle.




x VUES SeH LE GOUVEBNElHENT lJE L.\ FIUNCE


Il a rétabli la so~iété civile, le respcct des pel'sonnes~
l'ascendant de la justice, la foi des contrats, les dl'oits de
la pro¡.;riété ébranlée par les confiscations, dévastl~e par


les réquisitions, tantót amonceléc, tantót éparpillée, au


hasard, par les flots mouvants du papier-ll1onnaie.


Il a rétabli l'administration en lui imprimant un carac-


tere d'unité, d'uniformité hiérarchique, un deg¡'é d'acti-


vité, d'énergie, de prévoyance inconnu jusllllC lil, ell la
projetant sur notre territoirc commc un vaste réseau dont
les maílles solides et serrées ont seules contenu, plus


d'une fois, l'ordre social pres de se dissoudre.
11 a rétabli les finances, en instituant un systctl1e de


contrilmtions bien choisies, bien répal'ties, heureusement


combinées, un sysU~mc de recouvrement intrgre et sévere,
un senice de trésorel'ie i Ilgénieux, souple, j'(ícond en
ressources, en posant les J)ases de notl'e admirable sys-
teme de comptabilité actuel.


JI a rendu a la civilisalion, en France, son essor el sa


splendeur, en lui rend;mt ses garanties: les ci1t~s assainic5


et embellies, les voiL~s de cOlUnunic:ltion dcrenues sftres,
multipliées, cessant ti' étre enf1n des prJci pices et des


coupe-gorge; les plael's puhlillllcS se COU\Tant (ILO 1110IlU-




lNTIWDL:CTlON '\1


ments; pal'toul des porls, des bassins creusés a grands


fl'ais; [lat'tout des canaux sillonnant le sol en tous sens; des
montagnes aplanies, percées, ou surmontées par des tra-


vaux el'art pleins de hardiesse el de magnificence; partout


l'empl'einte d'une activité inépuisable, et d'un incompa-


rable génie.


Enfin, cctte soeiété fl'aJ1(;aise qu'il avait en quelque sorte
tiréc du boul'hiel' et dégagée de ses décombres, pour la


réédifiel' sur les bases élel'l1elles de la natul'e, de l'équité


el de la 1'aison, il l'a eou1'onnée d'une gloire immortelle,


ill'a prise par la main el l'a promenée vietorieuse dans


toutes les contrées~ dans toutes les capitales de rEurope;
il s' est assis a sa tete sur tous les t1'ones, il l'a fait recon-


naitre el honorer par tous les souvel'ains, il l'a fait admi-


rer et envier par tous les peuples.


C'en était trop, sans doute, et la Franee a payé che1' ce


qu'il y a eu de tt'Op en cela; elle l'a payé du plus pUl' de


son sang et du plus clail' de ses ressources; elle a connu


les revers apres s'etre enivrée de succes; a son tour, elle
a subi l'invasion, elle a pel'du ses acquisitions les plus


préCieuses, elle est rentl'fÍe dans ses anciennes limites, dé-
trompéc, dépeuplée, épuisée d'hotntlles et d'argcnt, implo-




XII VüES SUH LE GOUVERNEMENT DE LA FRA~CE


ral1t 11 grands cris ce que la dictature militaire ne pouvait
lui donner, la paix au dehors et au dedans, la libertl\ seule
garantie efficace contre la manie des conquetes.


La monarchie constitutionnelle lui a donné 1'une et


l'autre.
La monarchie constitutionnelle, c' est-a-dire le gouver-


e


nement fondé sur la division du pouvoir en trois branches


distinctes, sur la hiérarchie des conditions sociales, et l'i-
négalité des droits politiques, la monarchie constitution-


nelle nous a donné trente-quatrc annécs d'une paix non in-
terrompue, d'une paix due sans doute, dans les premiers
moments, a la lassitude de tous les peuples, ill'expél'ience
des vicissitudes de la guerre, a l'affection des souverains
pour la branche ainée de la maison de Bourbon, mais qui
n'a pas tardé 11 trouver sa véritable gal'antie dans I'équi-
libre dA l'Europe, dans le progres des moours el des lu-
mieres, dans la satisfaction des intérets, dans la muItipli-
cité des rapports internationaux.


La monarchie constitutionnelle n011S a donné ce que
nous n'avions pas encore cOlmu, la liherü\ politiquc, la li-
berte vraie, sél'ieuse, efficace, celIe qui se fonde sur le
droit réciproquement respecté ou régulil~reml'nt l'evcn-




INTRODüCTIOl\' XIII


diqué, et non sur la tolérance du pouvoir ou sur la licence
de la multitud e ; elle nous a donné un tres-haut degré de


liberté politiqne, sans briser l'unité nationale qui fait notre


foece et notre grandeur, sans demander a notre gout pour
I'égalité de trop rigoureux sacrifices; point de fédéralisme;
point de primogénilure, de substitutions, de priviléges
personnels, de juridictions seigneuriales.


Sous eette double influence d'une paix indéfinie, et d'une


liberté réglée, la Franee a respiré, elle a pan sé ses plaies
et 1'aít promptement du sang nouveau; toutes les exis-
tenees, toutes les positions, tous les intérets ont gouté la
séeurité; -la séeurité, santé de 1'ame ; - la séeurité, ce


premier des biens, dont on ne eonnalt tout le prix qu'a
l'instant oü on le perd. Sa prospérité s'est développée avec


une l'apidité, une abondanee, une énel'gie dont l'élévatíon
du erédit, l'aecroissement eontinu des impots indireets, l'im-
mensité des travaux publics, la magnificenee du luxe privé
ne donnent qu'une imparfaite idée. Sans prendre un pareil
essor, ses institutions ébauchées en 1814, se sont graduelle-


ment étendues, épurées, fortifiées. Ses progres politiques
ont été ee qu'ils devaient etre, laborieux mais constants,
mesurés mais déeisifs; henreuse si ses m~urs, ses habitudes




XIV VUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FHANCE


constitutionnelIes avaient marché uu meme pieu, si cette
patience viril e qui sait se résigner aux obstacles et sup-
porter les résistanees, si cette pcrsévél'ance éclairée qui


ne veut rien devoír ü la surprise, moins encore ü la vio-
lence, avaient définitivement surmonté les tl'aditions révo-
lutíonnaires; heureuse si l'exemple des coups d'I:~tat un
Directoire, si le souvenir dn 20 juin et du ¡lO aoút, o'a-
vaient pas entrainé tour a tour, le pouvoir en 1H30 et ses


adversaires en 1848.
La durée plus ou moin~ longue de ces divers gouverne-


ments s'explique, on le voit, tres-facilement par la con-


duite qu'ils ont tenuc, par leul' sagesse ou leur folie, pal'
les services qu'lls ont rendas ou les fantes dans lcsquelles
iIs sont tombés. Et ceei s'explique a son tour, non moins
faciIement par la llatUl'e meme de chaque g'ouverncment.


Chaque arbre a porté ses fruits.


La monarchie démocratique, soit qu'oll la fasse dater da
jour ou les états généraux se sont érigés en assemblée
nationale, soit qu'on la fasse dater du jour ou la consti-
tution de 1 í9t a enfanté l' Assemblée législative; la mo-
narchie démocratiqu.e n'était et ne pouvait étrc qu'un duel
a mort entre deux príncipes. Il en sera toujours ainsi, sa-




INTRODLCTIO~ xv


chons le bien, toutes les fois qu'on placera une assemblée


ullique faee a face avec un pouvoir exéeutif indépendant ou
soi-disant tel, une assemblée dépositaire de toute la puis-


sanee virtuelle, de toute la force morale du pays, un pou-


voir exécutif dépositaire de toute sa force active, matérielle.


Point de paix, point de treve, tant que l'un des deux n'aura


pas suhjugué l'autre et ne l'aura pas réduit a l'humble
condition de serviteu1'.


Une assemblée, en etfel, une assemblée, produit vivant


de l'élcction, agit néeessairement sous l'impulsion des in-


térets prédominants sous l'influence des passions qui l'ont


1'ait noml11er; elle en a l'ardenr, l'impaticnce; tout ce que


veulent ces inlérets, ces passions, elle l' exige sans ména-


gements, sans délai; elle s'indigne des obstacles, des ré-


sistanees. 11 ne faut ni s'en éLol1ner, ni s'en plaindre ; cela


est dans sa natn1'e; il faut pIutót s'en félieiter quand


eette ardeu1', cette impatience tl'ouve, dan s le méeanisme


constitutionnel, un tempérament et un contre-poids ; e' est
le sel de la tene; e'est le levain qui fait lever la pateo


La nature du pouvoil' exéeutif, en revanehe, - du pou-


voirexéeutif, quel qu'il soit, individuel on eolleetif, mo-


nardüque OH l'épublieain, e'est la résistance; il vise au




XYI YLES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


statu quo tant qu'il peut; Je maintiendrai! voilil sa de-
vise; et, en effet, pour maintenir, il a déjil fort a faire. Il
vil en présence des faits ; il se mesure sallS cesse avec les


réalités; il ne se berce point d'illusions; il a conscience des
embarras et des périls; la responsabilité pese sur ses


épaules; refuser, temporiser, patienter, tel est son role ha-
bituel; il ne faut pas s'en plaindre non plus; malheur, trois


et quatre fois malheur au pays ou le pouvoir se montre


enthousiaste, faiseur, coureur d'aventures.


Entre ces deux prédispositions contraires, mais égale-
ment naturelles, entre ces deux tendanees également néces-
saires mais opposées, s'il n 'intcrvien t pas a chaqae instant,
des transactions, des compromis ; s'il u'existe pas un tiers
arbitre qui les départage et les concilie; si la sagesse du
législateur supreme n'a pas ménagé un médiateur, - un
médiateur qui, participant tout ü la [ois, par le fond meme
de sa nature, :mx instincts conservateurs du pouvoir exé-
cutlf, et, par son role, par sa forme extérieure, au mouve-


ment d'une assemblée délibérante, modere et retienne d'un
coté, en éveillant, en excitant sans cesse, de l'autre; alors,
la lutte est certainc; ]e conflit est inévitable. Quand les
dcux adversaires sont d' égale force, ou a pen prcs, la




INTlWDUCTIO~ XVfl


g'uerre civile éclate et se prolollg'e plus ou moins. Quand
l'un des deux l'ernporte, il s'en sert pour aeeabler l'autre
eles armes qui lui sont propres.


Apres dix :lns de discordes, dans un pays épuisé, di-


visé, désabusé, Cl'omwell entre a la tete de ses janissaires
puritains dans la chambre des Communes, devenue, a


elle seule, le long parlement; il fait main basse sur qui


lui résistc; il expulse, il disperse tout le reste. Plus de


Parlernent.


Le [Jouvoir exécutif usurpe et absorbe en luí-mérne le
pouvoi!' légisIatif.


A l'aurOl'e de notre révolution, pOt'tées par le vent de


l'enthousiasme populaire, l'Assemblée eonstituante, l'As-


sembl,íe législative assiégent :1 euups de déerets, l'autorité
royale, la dérnembt'ent, la démolissent, pieee a pieee; dé-


truisent dans la justiee, toute indépendance ; dans l'admi-
nistl'ation, tout príncipe de subordimtion, de hiél'arehie ;


dans l'armée, toute discipline; tarissent, a l'envi, toutes les


sources du revenu public, jusqu'a ce qu'enfin eeHe auto-
rité rivale, sapée dans ses fondements, privée de tout


nerf et de tout ressort, succombe et se rende :1 dis:..
crétion.




XYIII \TES SUH LE GOUVEHi\ElUEl\T DE LA FHAl\CE


Plus de royauté. Le pouvoir l¡ígislatif usurpe et absorbe


en lui-meme le pouvoir ex.écutif.


L'antagonisme étant donné, l'un ou l'autre doit aniver.


Ceja est fatal. Au lieu et place de 1:1 l'oyauté, suppósez
une magistratme l'épublicaillc, un pOllvoil' nl~ d'hier el


f;lit il la main; pour peu qu'il affecte d'indépendancc, pou r


peu qu'il prétende cntrer cn pa1'Llge, traitc!' cl'égal a égal,


I'aire ses cUllditiollS, etre, en un mot, lluelque chose, ~on


s01't sera pareil. Simplement, ji y faudl'a mojns d'appl'ets
el moins d'cfful'ts; il ne sera pas nécessaire pour le l'é-


duil'e, de le désarmcr, de l'enchainer, dc le trainer enfin,


pieds et poings 1¡(5s elevant son vainquem. Il suffira ele
peser sur lui, pom qu'il fasse amendc honorable; et l' As-


semblée législative poul'ra s'érjg;er en Convention S:lns
avoir besoin d'en passel' par le 10 aoút.


La Convention nationale, gouvcrnant par ses commis,


sans partage. sans contrOle, n'a élé, comme l'Empíre, dix


ans plus tarel, qu'une dictature pure el simple. (~'a été un


despote a huit cents tetes, un tyl:an multiplíé einquante


ou soixante foís par lui-mcme. Ríen ne lui a I'ésisté, non


plus qu'a Napoléon; ríen ne leut' pouvail faire tete il l'un
ni h l'a!!t"r. f.rs loís. JI'S 1'OI'llH'S (~x.t(íri(·l¡rCS du ~ouvel'ne-




INTHODt:CTION XIX


men!, de l'adrninistt'ation, de la justiee n'existaient que
~ous leur hon plaisir; e'étaient des toiles d'araignée h
lravers lesquelles leur volont(\ pouvait sans obstacle se
préeipiter sur sa pl'oie.


Mais un eonquét'ant, élevé au rang supl'cme pal' la


g:loit'c el par le g¡ínie, porte naturellemcnt, dans l'exercice


du pouvoir, les qualités qui I'ont fait ce qu'il est. JI aime


I'orelre et le cultive, paree qu'il a de l'avenir, paree qu'il


voit de loín et de haut. [1 honore et maintient la justiee,
pat'ce qu'il s:lil que l'hahitude de l'obéissance est h ee


pI'ix, et que les violences sont des empl'llnts usuraires, 1\


protége le" personnes et les choses, paree qu'apres tout,


protéger, e'est commander, et qu'il a I'instinct du eom-


mandement. Il ménage les intérets paree que les intél'cls


sont les allié . ..; du pOllvoir. 11 se plait aus grandes entre-


pl'ises, pan~e qu'il est grand lui-meme, paree qu'il est la
dans son élément. Et, s'jl arrive que l'orgueil l'enivre, si
la toute-puisscnce lui porte a la tete, s'il doit, tUl ou tard,


y II'ouver sa ruine, ee n'est qu'apres en avoir fait un


usage qlli l'absout :'t quelqucs rgards, ce n'est qU':lpres


l'<lvoi1' employ(j, eomme les demi-dieux de l'age héroi'qlle,
~l Jomplcr les ll10nstrcs el les éléments, a faire l'entrer,




xx V[ES SeR LE GOrVERXEYENT DE LA FRA~CE


dans leur lit, les torrents déhordés, a ncttoye!' la soclété


de l'écume qui la souille, et de Lt lcpee qui la l'onge; ce


n'est qu'aprcs avoie posé tl'cs-avant dans le sol les fonde-


ments d'une société pmifiée, rajeunie, l'égénérée.
[,a dictatme d'nne ASSelllhl¡íe est la pire eles instÍln-


tions.


C'est le fléau dont la dictatme militairc est le l'emede;


ou plntót c'est, tout ü la fois, la filIe el la mt'l'c de tons les


fléaux dont la dictatlll'e mílitaÍl't' a pour mission de pnr-
gel' 1 e mOllde.


OEuvre de violence, appdée ü l' cxistencc p:Jr le dés-


ordre des révolutions, par le tnmulte des passions popu-


laires, fourmili('I'e d'ctrcs inconnns qui naissent de la dr-
composition du corps social, une Convention vit de


violences; illui faut alimenter, propagel', perpétuer l'état


révolutionnaii'e sous peine de l'cntrel' dans le néant.


Exempte de toute responsalülité positire, puisque ton s les


pouvoirs lui appartiennent, exernllte de toute l'cspollsabi-


lité morale, puisque ses actes sont collectifs et pal'tant


anonymes, elle emporte tout ele haute lutte; elle trancbe,


pele-rncle, les questions el les existencl's; elle foule aux


pieds les droits, les in1rl'(\ts, il mesurr illl'elle les J'en-




IYfIW ¡¡t:eí J 0\ '.\1


contrc SUI' son chemin. Sans passé qui l'encadre el qui la


,'ontienne, sans avenir qui la dirige et qui la modere, sub-


sistant d'expédients, et au JOUl' le jou!', tout lui est hon;
point d'administl'ation, point de finan ces, on prend oü on


peut; point de justice; iI fmt sauver la patrie tous les
jours, et a toute heme, renfermer la Constitution dans
1 'arche sainte, voiler la statue de la liberté; iI Y a des


phr<lses pOUl' toutcs les sottiscs, pour toutes les folies,


pou!' tous les forf<1its.


Quand cette colme passionnée poursuit un meme but
ave e une ardeur unanimc, rien ne 1'3rre1e; elle frappe a


coups redoublés; ses déci'ets se succedent d'urgence,


d'enthousiasme, comme on porte des toasts dans une 01'-


gie; en temps de guel'l'e, elle peut level', tout a la fois,
tous les hommes en état de porter les at'lnes; mettre a


contribution tous les magasins pour les ~ctir, vider toutes
les bourses ponr les solder, et les précipiter sllr l'ennemi


eomme un ouragan; quand elle se divise, la majorité nu-
mérique opprime, sans hésiter, la minorilé ; la minorité,


sans aucun SCl'llplllc, appclle la rue i1 son secours, et se


fait majorité a coups ele poillg, a coups de sabre, ou de
crossc de fusil; puis cel te majol'ité factice se di rise, a son




XXII Vl'ES sn~ LE GOCVEB~EME~T 1)1·: L.\ FH.\:\C E


tour, ct se· subdivise, puis lcs ll1inorités succcssircs unt


recours aux memes pl'océdés; l'Asscll1bléc s'cxploite~
clle-meme, en courc l'égl(~e, jusqu'a ce qu'cllfin lesdél)l'is
ell'S fractions vaincues, faisant tl'eve, nn moment, a leUl's


animosités réciproques, Sl~ rénnissent pOllt' ée!'asel' les


demicrs vainqueUl's, les livre!' a l'indignation publique,


rt trouvcl', a ce prix, gt'ace dcvant elle.


Le gouvernell1cnt répubicai!, fOlldé par la cOllstitutioll


de l'an IlI, n'a point mérité, en théol'ic, du IlIoins, de tels


reproches.


Les auteurs de cette constitution étaient des hommes


honorables, ll1odé!'és, cou!'agcux; des pl'oscrits dc la Con-


vcntion, victimes de ses fUl'eurs, décidés a en pré-


veni!' le retour. Leurs principes étaient sains, leurs in-


tClltions excellentes; mais l'enta, dit un jll'overbe, est
pavé de {}()}lnes inlentions. Cela est vrai StII'tout en po-
litique.


Ces hommes avaient a résoudl'e le plus difficile peut-


l"(re de tous les prohlemcs; ne nous hfttons point de dit'C
le plus insoluble; mais un pl'oblcll1c enfin ([ni n'a [las en·
eo:'e dé ré~olu; iIs ilvaicllt il romIer lt~ gouvcl'tlcment ré-


puhlicain dans 1I1l ~-',t';¡lld Il:l~'s, sous Ll tripk c,)lltlitioll de




IN mODeCTION XXIII


conservel' l'unilé nationale, de maintenie l'ordee, et de ga-


rantÍ!' la liberté politiqueo
Ils ont échoué.


Que cellli quí fera mieux lem jette la prernicre pierre.
Jusqu'ici, le gouvernement républicain n'a réussi qu'aux


petits États. 11 convient :1 leurs rnceurs simples et a leut'
modeste ambition. Il leur est facHe et naturel.


Sépal'ez du reste de la France, l'un de nos départe-


Illcnts. Étendez un peu les proporlions et les attributions
de son conseil général; que ce conseil élise le préfet, le


conseil de préfecture, le tribunal du chef-Iieu; que chaque


conseil municipal élise son maire. Supprimez, comme des


rouages superflus, les sous-préfets, les conseils et les tri- .


bunaux d'arrondissement; que le tribunal du chef-líeu soit


souverain ; que le pl'éfct commandc la garde nationalc et


corresponde directement ayec les maires; que le conseil


général dispose de tous les impots levés sur les contri-


buables; vous aurez a peu pr8s fait, de ce département,


un canton suisse ou ¡'un des États de l'Amériqlledu Nord.
Protégé par la l'ivalité des puiss:mces acljacentes, par les


...


traités qui reconnaitront son existence, protégé surtout


par sa propre illsignifiance, il pouna subsister, pendallt




XXIV VCES scn LE GOUVERNEMENT DE LA FRA\CE


des sH~clcs, indépendant en dl'oit, libre et heureux en fait,
comme la cité de Hamboul'g, ou la république de Saint-


Marin.


Poussez plus loin l'hypothese, opérez dans le meme sen:-;


sur dix ou douze autres départements. Que ces nouveaux
États, pour se soustraire au protectorat des puissances qui
les environnent, pour veiller par eux-memes sur leu!'


propre indépendance, sur leul' propl'c sécmité, fOl'mcnt
entre eux une association, un pacte, un traité d'alliance ;


qu'iIs constituent une autorité fédérale ;1 laquelle ils déle-
guent la direction de leurs l'apports ayec l'é(ranger, et la
disposition de leurs force s défensives, selon la naturc de
cettc autorité, selon l'étendue et le choix des attributions


qui lui seront dépal'ties, on comptera plus ou moins avec


elle; ce sera la Diete helvétique, ou le Congres des États-
Unís.


Et si cette autorité fédérale a le bon sens de se retran-


cher. comme la Diete helvétique, del'l'iere un principe de


neutralité perp(jtuelle, ou tont au moins de profcsser,
comme le Congres des J~tats-Unis, le principe absolu de
non-intervention dans toutes les querelles de la vieille


Europe; SUl'tOut si chacun des mClllhre:-; de la confJdél'ation




INTRODUCTION xxv


se tient satisfait pour son compte, d'une existence purement
municipale, d'une condition douce et paisible, m:üs étl'oite,
humble, ignorée; s'il ne lui en coute pas trop d' échanger
les grandes aventures contre l'aul'ea mediocritas du sage,
ríen n' empeche qu'une lene conféd(~ration ne s' établisse et


ne prospere meme a peLit bruit. Le démembrement volon-
taire de la Franee en pourrait enfanter plusieurs; reste
simplement 11 savoir ce qu'on ferait de Paris.


Jlais conserver la France tout entiere et telle quellc,


- conservet' 11 la France le rang qu' elle occu pe, l'in-
tluence qu'elle exeree en Europe depuis des siecles; la
maintenir h la tete du mou vement général des idées et des
atfaires dans le monde eivilisé; et, pou!' cela, conserver ü
la capitale, ü París, le rang qu'jl occupe, I'influence qu'il
exerce en France, continuer d'en faire a la foís la tete el,
le creur de ce vaste empire ; la tete, ou vient se concentrer,
comme en un foyer toute l'aetivité intellectuellede la nation;
le ecem, oh wient aflluer, par mille canaux, tout ce qu'elle a
de sang, de vie, de substance, pour refluer ensuite, par
d'autres eanaux, sYlllétl'iquement dísposés, el, se distribuer


dans toílt le COl'pS au poids et a la mesure; subordonner ~
la capitalc toutes les divisions, touLes les subdivisions du




xx\"! \TES sun LE GOUYEH;\':':I!~NT DE LA FRA.\CE


terl'itoire, de teIle sorte qu'clles ne soient plus (lue eles
circonscriptions administl'ativcs, jueliciaires, militaires,
uniquement destinées a faciliter, a régulariser cette alter-


native d'action et de réaction entre le centrc et la circonfl~­


rence; ouvrir a toutes les ambitioIlS individuellcs ou collce-


tives un champ sans limites; les provoquer, lesgl'oupcr, s'il


est permis de s'expl'imel' ainsi, autour d'un mat de cocagnc,


au sommet duq uel se tl'ouvent exposés tous les principaux
objets des désirs de l'llOmme, richesse, puissancc, l\~­
nommée, el, en meme temps, fl'une part, maintenil' I'ordl'c


général, la tranquillité publique, la sécUt'ité privée; de
l'autre, fonder et garantir a lous les degrés la libl1rt<S po-
litique, en faisant rouler inexol'ablement sur toules les tetes


le niveau de l'égalité, en faisant passel' inccssammcnt tous


les pouvoirs, depuis le plus humbk jllsqu'au plus élevé,
par le crible de l'élection périodique, encore un coup, c'c~t


une entl'eprise sans pareiUe en difficultés, et saos excmplc
dans l'histoire.


Le gouver.nement républicain se ¡¡rete a I'l'gl'ct aux


conditions de l'ordee; il est par natnrc inquiet, tul'lm!cnt,


poUt'suivant en tout, avant toul, plus que tout, l'égalité, --


l'tígalité dalls le" deoils el dans les nlO'lIrs, - l'i'galité daos




INTlWDUCTlO,\ XXYlI


les fortunes et dans les relations privées; il en veut d'in-


stinct auXe situations faíles; iI répudie les intél'ets consel'-


vateurs et les inOuences pacifiques. Cette hiérarchie na-
.


turelIe qui se forme dans un granel pays, inelépendam-


ment de toute législatíun, par la seule puissance eles tra-


• ditions, p3r la simple eliversité des éléments sociaux ; cette
gradation qui s'établit d'elle-meme, qui nait sans effort, de


la répartition des propriétés, de l'illustratioll ou de la nota-


bilité des f;lIlJilles, de la continuité des emplois; qui dis-


tribue la société par groupes et par couches, qui s'éltwe,


par assises, par échelons, de la base au sommet comme une


vaste pyramidc, tandis que la monarchie constilulionnelle


se place a sa tete, la prot~ge et lui rellell'appui qu'elle en
re~oit, le guuyernement I'épublicain l'attaque sans relache;
ce qiIe font cuntinuelIement la nature et le temps, le


gouvernement républicain le déf,dt; achaque instant, a


chaque degré ele l'échelle, il découvre des légitimité5 a
détruire) et des royautés a détronef'. Pour entretenir de
bas en haut cette guerre sourde, mais incessante et géné-


rale, il fait constamlllcut appel aux. sentiments de haine et


el'envie, aux. jalousies, aux prétentions dé(',ues, aux. vanilés
blessées; il lui faul reuoneer par eonséquent il fonder




XXVIII VVES :-;[l{ LE GOVVERNEIUE~T DE LA FHANCE


l'ol'dre public sur le cours naturel des choses, sur les 1lI-


slincts paisibles, sur les habitudes de discipline el d'obéis-


sanee, fomentant lui-meme ct sans cesse le désordre, iI ne
peut venir a bout de son propre ouvrage qu'a coups


de force et par le déploiement de l'aulol'ité.


Mais l'emploi de la force, pou!' t~tre efficace, a besoin •
.,


d'unité et d'ensemble; mais l'autol'ité, pour domine!' les agi-


tations locales ou généraIes, a besoin d'ascendant el de


subordination dans ses agents.
Oil peuyent se !'cncontrer l'en~ell1ble, l'unité'! quel


ascendant, quelle subordination peut- 011 espérer sous


un l'égime qui li\Te a peu prcs iúdislinctement toutes les


fonctions publiques a l'élection? Sous un I'égime oü


ceux qui sont censés commander, et ceux. qui S(lnt
censés ohéil', indépendants en fait les uns des :mtres,


dépendent réellement, ehac:un dans sa sphere, des pas-


sions de leurs électeul's, exposés qu'iIs sonl a partag'el'


ces passions; obligés qu'ils sont, du moins, a pactisel'


sans cesse avec elles?
Élective ou non, d'ailleurs, armée ou non el'une force


effective, disponible" l'autorité pour garder son eang d
remplir son role, ne saueait se passer d'intelligence el




Ii\THODUCflON XXIX


de pl'obité ; elle ne salll'ait se passer de bon renom, de


eOl1sidél'ation, de l'espect; 01', e'est le malheur du gou-


vernement républieain, pl'écisément paree qu'il se re-


garde eomme l'adversail'e perpétuel des posiLions faites,


des existenees héréditaires, des influenees de fortune


OH de farnille, e'est pl'esque sa fatalité, de ne eonfier les


emplois publics qu'aux aventuriers et aux intrigants;


aux 110m mes nouveaux, sans antéeédents, sans garantie,


allx hommes quí n'ont ríen it perdre. Des 101'S, tout péri-


elite, le navit'e fail cau de toutes parts; l'ínexpérience


engendl'e le désordre; le désordre, la eorruption; le
gouvernement ;t tous les degl'és tombe dans l'impuissanee,


el s'amüsse sous le mépris des honnétes gens; les élee-


tions lui éehappent, et, pour se maintenil', il n'a plus


que la violcnec.


C'estl'histoire du gouyernement républicain de l'an III.


Fondé pal' des homllles d'une intégl'ité irr(~pl'ochable,


tcls que Daunou, Lanjuinais , Boissy-d' Anglas, il a livré
les finan ces aux eharlatans el aux fripons, l' existcnee de


nos armécs aux dilapidations des fournisseurs, toute I'ad-


ministl'ation a l'impéritie des démagogues de fauhourg ou
de villngr.




xxx VUES SrI\ LE GOUVEH:\'E '\IE1\"r IIE LA FHA~CE


Fondé par des amis sinceees de la liberté, il ;1 vécu de


coups d'l~tat.
Fondé par des adversaires décidés du régime révolution-


naire, iI est tombé tenant d'nne main l'emprunt forcé f't


de l'autre la loi des otages.
OC-


Cela n'était pas inévitable, peut-etre, mais cela était


naturel. TlJut régime a son g(~nic, ses tendanecs, son ca-
raetere. Meme dans les eantons suisses oil l'inégaliU; des


conditions est si peu de chosc, Oil les fonel ions publiques


sont purement municipales, il y a révolte perpétudle


contre la supériorité de la lJourgeoisie sur la elassc ou-


vricl'e, et des professions libérales sur les professions in-


dustrielles; meme dans le pays des \Vashington el des


Franklin, des Adams et des Maddison, l'esprit démoct'a-


tique exet'ce un ostracisme inexorahle eontre les h(~ritiel's
politiques de ees grands eitoyens, contre lous les hommes


dont la tete s'éleve de quelques pouees, pend:Hlt quelques


minutes au-dessus de la foule, et dont le nom traversc les


mees.


Mais, si le gouvernement républieain répugnc, en géné-


fal, aux eonditions de I'ordl'c, dans un grand pays, parce


qu'il répllgne au res¡wct, ;IU maintien des inégalités so-




IXTRODlTCTIO:\" XXXI


cialcs, a leu!' emploi dans l'intél'et commnn; il répugne


peut-ctre encore davantage, dans un tel pays, aux condi-


lions de la liberlé politiqueo


La liberté n'est pas, pOUI' lui, la soumission de la force


au droit, de quelque natul'C que soit la force, en quelques


mains qu'elle réside; c'e~t la lutte du nombl'e, de la force


inol'ganique, de la multit ude contl'e la force organisée,


avcc allernative de tyt'annie et d'oppression pour l'une et


pour l'autl'e.


Dirision dans le pouvoir Iégislatif; unité, responsabi-


lité dan s le pouvoir exécutif, telIes sont lé3s conditions de


la liberté poli tique d:ms un gl'and l~tat.
Si le pouvoÍl' lé~islatif n'est pas divisé, s'il ne se forme


pas d'éléments distincts sans ClI'e opposés, homogenes


sans ctre identiques, et qui se contiennent, se controlen!


Illutucllemenl, tOlll en se pretant appui I'un a l'autre, il


y a dictatu:'e.


Si le pouvoir exécutif, en l'cv:mche, es! ou peut etre di-


vi~é contre Iui-meme, si la Iumierc se concentre dans plus


d'un foyer, et se reflécllit dans des dil'ections différentes;


si les impu lsions se croisent, se neull'alisent ou se con-


tral'Íl'nt; si J'ar,tioll sorialt' JW ~TavitP P;¡S :mtnlll' el'un




XXXII VUES SUB LE GOUYEHNE3TENT DE LA FHAi\'CE


point fixe; il Y a tiraillements, et bientot anal'chiC'.


Si le pouvoir exécutif enfin n'est pas responsable, -


responsable chaque jour, ü chaque hcure, potlr chacun de
ses actes, -- responsable réeIlement mais régulierelllent,


et sans qu'il soit ne!Soin, pOUl' en avoir raison, de briser 011


de forcer les resso1'ts du gouvernement, il y a tyrannie.
Ce sont la des vérités élémentaires; ou plutÓ! ce sont


la des lieux communs.
Mais ces vél'ités él(;mentail'es, le régime l'épublicain ne


permet guere de les appliquel', de les faire figúrer autre-


ment que de nom, et pro !()rma dans l'agencement du m¡;-
canisme constitutionnel.


L'élément populaire, l' élément démocratiqnc, ceIui
qui doit représenter, dans le Corps législatif, I'al'-


deur des passions en jeu, l'activité des intél'ets rn
progres, en ascendant, celui-Jil, rour l'obtenir, il suffit


de lui faire appel; mais I'élémellt conservateur, mo-


dérateur, sénatol'ial, celui qui doit représenter la pru-


dence, la stabilité des intéréts permanents, ce lest


des vaisseaux, ou le trouver sous un régime qm
tient pO u!' suspects ,et désigne a l'animadversion publique


toutes les notabilités permanentes, toutes les fortunes ae-






]~TRODUCTlON XXXIII


quises, toutes les existencees entrées au pon et mises a


l'abri de l'orage.


On en est réduit, comme les auteurs de la constitutioll


de l'an 1II, a n'établil', entre les deux branches délibél'antes


du pouvoir législatif, que des distinctions illusoires, teIles
que la différence d'úge, par exemple, ou des distinctions


pernicieuses, telles que l'inégalité des droits, la diversité


des attributions. Dans le premie!' cas, point de controle,


point (c temps d'arret; ce sont deux corps animés d'un


IlH~me esprit; ce sont dcux f()rce:~ qUl frappent il coups re-
doublés, dans le mcmc sens; dans le second, point d'en-


tente, point d'harrnonie; ce sont des forces hétél'Ogenes
<{ui s'ent1'avent, et se contrecarrent mutuellernent.


)Iemc embarras pour déeou\Tir, pour élever sur le pa-
vois, cet Ctre unique, en lluí doit se personnifier 1'Ilnité


meme de 1'l'Jat; qui doit siégel' seul au gouvernail, domi-


ne!' toutes les situations individllelles OH collcctiyes, trai-


ter, de puissance il puissallce, ayec lous les organes du


pays, ayec tlJutes les confédérations d'intérets légalement


l'epréscntés; ('tre, en un mol, tout ensemble, la tete et le
llras du corps social.


Existe-t-il, pellt-il subsiste)', ('et etre-lil, dans une so-
3




XXXI\' VrES SUR LE GOUYERl\'E~IENT DE LA FRANCE


ciété régnlierement, périodiquement décapitée, dans une


société qui pratiqne, au pied de la letlre l'adage, que tout


ce qui s \;lcve sera abaiss(í; oil les ~rancls noms et les
grancls talents sont également tr:lÍt(ís en usurpateul's; ni!
ron proscrit le sang royal meme vet's() pom la l'épubliquc ;
oh ron I'éduit le vainqueur d' Areole it s'exilcr en J~gypt(',
oh I'on fauche, pele-mele, Maleshel'bes el Barnave, Pich('-
gru et Custine, André Cluínirr et Lavoisier ?


Quand tout est de niveau, tout se parlage, c'l'st le lmt
meme de l'égalité; pel'sonne n'impose ~t ne s'ímpose il
personnc; le pouvoÍl' tombe en cOllllll'Omis, les médiocrités
rivales s'en al'rangent, l'ajustcnt il lem taille, et l'exploi-
tent de compte a demi.


Nous ayons subí, en trois ou quatt'e ans, t!'Ois ou quall'e


fournées de dil'ecteul's; qui pOUtTait aujourd'hui r(~citer
leurs noms '? Tout ce 4.u'on en sait, c'('st leu!' sottise et
nos miseres; c'est qu'ils n'ont SIl úiec ni la pais ni la


guerre; c'est qu'ils ont proscl'iL le seul d'entre ellx qui sút


[aire la guerre, Carnot, le seul d'entt'e eux qui sllt faÍl'e la
paix, Barthélemy; c'est qu'ils onl l'éplldí(~ tom ü tout'


toutes les causes, celle de 1'01'(11'e et cclle du c](ísonlt'e, C:1-
ressé et violenté loutes les faetions, foulé successiw-




lI\TRODUCTIOX xxx\'


ment aux picos lonles les institutions, toutes les lois,


toutes les garanties, décimé le Corps législatif, brisé les
presses, (léport(~ COllp sur eoup tous leurs adversaires,


sans que tant d'arbitrai1'e ait valu ;\ la Franee une heure


oe repos, et, de plus, sans qu'aucun d'eux ait été appelé :1
I


l'cnc1re compte, elevant auenne autorité réguliere, d'aueun
de ses attentats.


Point de responsabilité, en effet.


Point de rcspoLlsabilité, e'est la, sinol1 le pil'e, du moins
le pll1s Cl'iant des vices inlH:l'ents au ré~dme 1'épublicain.


Point ele l'eSllOnsabilité, paree que la responsahilité n'y
sait Oil se prL'ndre el n'y peut exister que sur le papirr.


A qui s'adresse1' sous un tel l'égime?


Au pOllvoir supl'eme '~


Si ellétif qu 'jI soit. i l est trop haut plac(i.
A ses ministres?
Cest se moquero Ses ministl'es sont eles commis.
Couvl'ir du manteau de l'inviolabilité royale einq


1J0mmes, t1'ois hommes, un seul homme, si ron veut,
sorLis hiel' de la foule poUt' ~r rentrer demain, et pour-


s11iv1'e g1'avement, en lem lieu et place, leurs pr(~tenc1us
eonseillers, cela ne serait pas pris au sérieux. Les pour-




'\XXYI VUES SUR LE GOnYERNE~IE~T DE LA FR.\l\CE


suivl'e eux.-memes, les envoyer en prison, entre deux gen-
darmes, suspendee le pouvoir supreme, ce serait entrer


en révolution. Cln ne jette point l'ancl'e dans un tel cou-
rant; quand le pouvoir supl'cme est pl'is, corps a COl'pS,
iI y va de tout autre cllose que du maintien des lois et


uu cours de la justice.
La monarchie constitutionnelle a réponse a toutes les


difficultés que rencontre, dans un grand pays, l'établis-
sement du gouvemement répubUcain ; elle y a réponse, et
dans l'intél'Ct de l'ordre public et dans l'intéret de la
liberté. C'esl livIe secret de sa longue duréc en Angle-
tene, de sa durée comparativement longue en France, et
de la prospérité qu'elle a répandue sur les deux pays.


La monarchie constitutionnclle con sacre el pCl'sonnifie


l'amvre du temps, le libre développell1cnt des supériorités
naturelles dans une grande société : la royauté en est


e <


l'expression la plus haute et le \Tai couronnement. POUl'
lIue ces supél'iol'ités se dessinent et se consolident, il n'est


pas nécessaire de lem accordcr des privil(íges; elles pour-
raient meme tres-biell se passer de titl'CS et de disünctions
honorifiques. C'est naturellerncnt que la ricllesse se di s-


tribue, sur un "aste territoire, dans des proportions




lNTHODlCTlO:\ XXXYII


variécs et gl'aduées; c'est naturellement que les grandes
entreprises suscitent les grands talents, marquent la dis-


tan ce entre les hommes, portent len1' récompense, et la
perpétuent; c'est natmellement que l'illustration des
peres passe aux enfants, que la considération publique
s'attache aux pO'litions bien acquises, et la notabilité aux
établissements durables; e'est naturellement que se
fOfment les cadl'es (l"uncsociété réguliere, cadres au sein
desLluels les prdentions illdividuelles, les ambiUons impa-
tientes se tronvent contennes sans eLre enchainées, et
réduites it fait'e leurs preuves, avant de monter d'un degré.
Une telle société s'appule naturellemenL sur la stabilité
des choses et sur le respect des personnes, sU!' la satis-
faction des intérets et sur la puissance des habitudes. Le


bon ordre est son état normal, continu; le désordre n'en
est que l'accident ; et, pour le pl'évenir, ou le répa»er, la
royallté trouve aisément sous sa main tous les auxiliaires
dont elle a besoin.


S'agit-il du remaniement des finances ~


Les grands capitalistcs, conflants dans l'État qui les
honore et qui les protége, s'empressent d'associer leul'
erédit aa sien, et de tenir ;l sa disposition ce lerier tout-




XXXVIII rUES ~rR LE GOUVERNEl\JEl\T IJE LA FIUi\CE


puissant sallS lcquel rien de considérable ne s'entrcpl'cnd


de nos jours. Les 110mmes enriehis pa¡' l'agrieultur!',
¡'industrie, le eommerec, s'estiment heureux de déposel'


au Trésor une partie de eette fortunc labol'icuscmen t


gagnée, pour obtenir le dl'oit de eonsacrer' au l'eCOU\TC-


ment et a l'emploi régulicl' des dcniers publics leur pl'O-


hité el leuI' exp:>rience.


S'agit-il de l'administI'ation des a!faiI'es '!


Partout oh se I'encont¡'e l'aisance, l'indépcndanec el,


il leur suite, le loisÍl" l'éducation, les lumieres, \'f~lat
peut choisir.


Les fortunes a fail'e vaquent a leurs propres intérets ;
leb existences raí tes appartiennent au puhlic.


II se forme: clans toutes les cireonscl'iptions de quelque


étendue, dans tOlltes les viHes de queltlUe ilt1pOl'tallce ;


des familles dévouécs, par tradition, au culte deS lois, au


sacerdocc de la justice ; ef, sous l'ailc de ces familles, croil
el s'éleve une jeunessc stuclieuse, aux mrenrs graves el
simples, aux hahitud(~s d'esprit solides el sévercs, une


pépiniere de magistrats, di~nes de portel' la to~e et quí
l'honorent en la recevant.


L'deetion, clans un tel ordre de ehoses, rcstl'eintc all\




l~TIWDCCTION XXXIX


limites (Iue lui assigne sa pl'Opl'C nature, s'al'rcLe oü finit
la délibération.


Dans l'action, touL est au choix.


Le príncipe d'unité s'!' refINe il tous les degl'és. L'infé-
eieUt' ~' rel(wc du supérieUl', en droít et en faiL Le com-
mandement descend de la cime aux extrémités, rayonne
du centre h la cil'conf(~rence, sans se briser nulle paet,
sallS s'infléchir OH s'alanguit'. Memes vues, meme but ;
meme impulsíon, memo dírection. Tout se meut comme


un seul 11oml11e.
Un gouvel'l1ement ainsi fait est également bon pour la


paix et pour la guerreo 11 est apte a conduil'e, avec persé-
vérance, des négociations délicates et compliquées, paree
qn'íl a de la discrétíon, de la prévoyance et de la durée,
paree qu'il est maIlre de sa position a l'intérieur; paree
qu'il ne vit pas, au jour le jour, ballotté a tout vent de
faction, de sédition. 11 est capable de conduire avec vigueur
et dJcision de grandes opérations militaires, paree qu'il a
de l'entente et de l'ensemble; il peut errer, parce qu'il ne


eraint pas, au Jl10inclrc revers, cl'etre accusé de trahison.
Mais oü il excelle) avant tout, c'est a garantir, au plus


hant degré, la liberté politiqueo




XL VVES SUB LI<: GOUVERNEME:\T DE LA FRA:\CE


II en remplit toutes les conditions, simplement, sans
artifice, sans combinaisons mensongcres, par la force
meme des choses, par l' expression de la vérité.


Le pouvoir souverain est diyisé.
Sur le premie!' plan, une famille personnifiée dan s son


ehef; une famille) la [lremii're entre toutes~ qui domine
toutes les atItres, comme la capitale domine le pays, une
famille hors de paír i:t tel point que rien ne la peu! bit'e
1'entrer dans la foule. Cesse-t-elle de régner, on la pro-
scrit; point de milieu, pour elle, entre le treme et l'exil.


.A ses cotés, sur les m:t1'ches de ce trone oh siége, "iyante


et couronnée, l'unité meme de la nation, deux Chambres,
deux conseils, deux corps délibérants, obligés de compter
sans cesse l'un avec l'autre, ne pouvant fíen l'un sans


l'autre, égaux en droits, également soumis au freio du
véto royal; deux Assemblées, puisées;l des sources diffl\-
rentes, mais également fécondes et qui se confondent dans
les entrailles du sol; deux Assemblécs : l'une composée de
tout ce que I'histoi1'e nationale offre de noms iIlustres, a
divers titres, permanents, durables, comme l'illustration
et la richesse; l'autI.'e électlVe, représentant, au vil' et au
vrai, l'activité des idées nouvelles, le mouvement des




INTRODCCTION \LI


partis, le pl'ogl'es des intérets nouveaux ; plus puissante


que sa rivale, s'jl faut lutter, corps a corps, mais mobile
comme le flot qui la porte, passagere comn)e l'opinion dont
elle est l'OI'gane, et qu'un mot suffit pOUl' désarmer en la
dispersant.


Entre le pouvoir souverain et le pays, un ministere, un
pouvoir exécutif.


Un ministere choisipar le l'oi, désigné par les


Chambres.
Un pouvoir ex.écutif unique, en ce sens qu'i1 n'est autre


chose que la royauté elle-meme, la royauté passant ele la
puissance de l'acte, sans s\ épuiser ni s'y compromettre,
la royauté se pretant au vceu de l'opinion qui prédomine
unique encore en cet autre sens, que les hommes dont la
royauté s'entoure, solidaires de l'opinion qui les lui in-
dique, forment un faisceau qui se dissout des qu'il se
divise,


Un pouvoir exécutif responsable, vraiment, sérieuse-
ment responsable, cal' e'esL lui, e'est réeIlement lui qui
gouverne; en s'en prenant ele tout ü lui, a luí seul, on


est elans le vrai et elans la justíce; mais un pouvoir exécutif
qni n'est pas, néanmoins, le pouvoir supreme ; qu'on peut


I




XLII YUES SUB LE GOCYEHl\'EiHENT DE LA FI\A~CE


attaquer sans porter atteinte au pOllVOÍl' supreme, qU'Oll
peut renverser sans tl'oubler la sécurité de rÉlat; qU'OIl
peut, remplacé qu'il est, sur-lc-champ, mettre en juge-
ment saus que l'action générale de l'autorité en soil sus-


pendue ou ralentie.


Admirable mécanisme qui n'esl )las fait de malll
d'homllle; simple développement eles conditions atla-


chées, par la Providence, aux progrcs des sociétés ci\'ili-


sées; appareil ou dlaque organe se trouve a sun ran~,


pt'esque sans qu'i! ait été hesoin d'y pounoir; oil chaque


fonetion s'aecomplit par l'énergie de sa propre nature; oil


toules les forees du corps social s'entl"aielent en se limi-


tant réciproquement; économie facile et puissante Oil tous


les intérets sont placés sous la garele de tous les droits.


Serait-il vrai que ce gOllvernement modele n'efll qu'un


temps etqu'une patrie? Qu'ailleurs qu'en Angletrrre, il
ne put s'établir solidement, définitívement 't Serait-il Vl'ai


que ce beau systeme trollv¿ dans lts bois t dut retombel'
promptement dans la barbal'ie, que la lllonarchie consti-


tutionnelle, ee rl'gne du deoi t, abo u lit nécessaircmen 1 a Il


triomphe du nombre, a la démocl'atie, COllltlW l:l démo-


I Montesqni81l.




INTlWDUCTIOl\ XLIII


cratie aboutit néeessairement a l'oligarchie, et celle-ei a


la dictature? Les sociétés humaines seraient-elles eon-


clamnées l't l'ouler sur elte8-mémes dans un cercle l1el'pé-
tl/el el san s re¡JOs 1, passant alternativement de l'anal'chie
au despotisme, a travers quelques courts instants de


liberté et de bonheur?


Il ést permis de rnieux espércr.


Les tristes événcrncnts auxquels nous assistons n'auto-


risent pas, du moins, ce pessimisme politiqueo


Si la monarchie constitutionnelle a fléchi, une pt'emiere


fois, en 1~30, pour se relever l'instant d'apres; si nous
l'avons vue succomber, en 1848, ce n'est pas a elle-meme
qu'iI convient cle s'en pl'enure; sa clestinée n'était pas


éCl'llc dans sa natul'e; elle a péri par accident, ou pIutót


elle a péri de suicide.


Pour qu'un gouvernement subsiste, en e1'1'el, il faut,


dans ceux qui le dirigent, une eel'taine close de sens COl1l-
mun; ce n'est pas trop exiger.


Qu'un homme se creve rceil, de gaicté de eceur, dans
l'impatiencc d'en extraire un gl'ain de poussjcl'e, c'est sa
faute apparemment, ce n'est pas la !'aute de son ceil, qUl,


1 Paseal.




XLIV rUES SUR LE GOUVERNE~IENT DE LA FRANCE


livré a lui-meme, s'en serait débarrassé au bout de qucl-
ques minutes.


Qu'un autre homme avale, a longs traits, du poison,
non point par ignorance ou par mégarde, mais fante de


savoir supporter, pendant quelques jours, une indisposi-
tion réelle ou imaginaire, s'il en meurt, cela ne proure
rien contre son corps qui était sain et bien constitué .


.A la place de Charles X, supposez, sur le tronc, en
1830, non pas un homme extraordinaire, mais le prcmier
venu, non pas un grand roi, mais Louis XVIII, le prédé-
cesseur de Charles X, ou le dauphin, son héritier p1'é-


somptif, la Franee n'aurait jamais entendu parler ni des
ordonnances de juillet, ni de la révolution qui s'en est
suivie.


Les ordonnances de juillet ont été un effet san s cáuse)
c'est M. Royer-Collard qui l'a dit.


Charles X s'est pl'is de dépit contre le mouvement
électoral, bien innocent, en vérité, de 182i ; :lU líeu d'at-
tendre l'instant de la réaction qui ne pouvail tarde!',
l'exemple de 18221c p1'ouvait de reste, il a clécllire, de ses
prop1'es mains, la constitution, et joué sa COUl'onne ponr ~e
passer une fantaisie.




JNTROnUCTION XI.V


A la place des Chal'les X de l'opposition, en 1847, it la


tele de ces banquets li\Tés désormais au jugement de
l'histoire, supposez des hommes tant soit peu patients, tant


soit peu clairvoyants, la révolution de 184H n'aUl'ait pas eu


licuo


Comme la révolution de 18aO, la r(~volution de 1848 a
été un cffet sans cause, une fantaisie désespérée.


A tOl't OH a raison, que youlait-on ?


La réformc électol'ale?


C'ét:lit a veu pd~s cause gagnée. La majorité de la ma-
jorité, dans la Chambre élective, était, plus d'a moitié
vaincue, ou convaincuc,


Un roi qui régnal un peu plus, et gouvernat un peu
. ? moms,


Le COUI'S ue la nature ucvait 1;üre passer, avant peu, la


cOUl'onne sur la tete d'un enfant.


Pour obtenil', quelques joUl's plus t6t, quelques noms
de plus sur les listes élcctorales, pour accélérer quelque


pell ce mourement oscillatoire, qui fail passer, tour a


tour, uans les pays libres, la prépondérance d'un pouyoir a


l'autre, des hommes sinccl'cment attachés a la maison ré-
gnantc ont admis dalls leul's rangs tous ses ennemis,




XLYI YUES seR LE GOUVERNEMENT DE LA FIL\NCE


qucls qll'jls fussent; des hommes sillcerement dévoués 311
gOll\'ernement monarchique ont admis dans leurs rangs


tous les républicains de cceur et de 11l'ofession; des


hommes sincrrement amis de I'ordre ont aclmis dans lems


rangs ces fanatiques auxquels tont ot'dl'c est insnppol'-


table; des hommes exemplaires dan s leurs relations do-
mestiques et sociales ont admis dans leues rangs ces lltO-


pistes et ces charlatans qui prétendent changel' I(~s condi-


tions de la l'amille, de la pl'Opriét(), d cOl'i'Ompellt I('s
classes laboriellses en les enivrant d'espér:mces insensées.


Que] (~tablissement politique, SUl'tOUt s'il est noureau,
pourrait résister ~l un tel assallL?


QlIelIe citadelle pourrait tAnit' SI la garnison en OllVI'e
les portes aux assiégeants?


La monarchie a suecombé.
En la perdant, la Fl'ance s'est retrollYée, aprt's cinquante-


six ans, aux prises avcc la difflculttí de fondel' un gourcl'-


nement républicain, et cette difficulté, lJ'cs-grande en tout


temps, s'aggl'avait, il faut bien le reCOI1lW it re, en raison


des eirconstances meme qlli nous l'imposaienl.


En 1 i9~, la Franee enti(~re, moins \'éllli~Tati()n eL la
Yend,íe, (ítait répúhlieainc. C'en éla;t fait des constitlltion-




J~THO\)I:CTJON XLrl1


n!'!s de 1,89, d(~cimés et dispersés par le 10 aoút. Tout
ce qui n'avait pas pris les armes contee la R(~volution était


républicain, sinon de Il)CBUrS, au moins de principes, de
VCBllX, d'espérances. Préparé par les erreurs de l' Assem-
hlée constituante et par les crimes de l'Assemblée législa-


tivc, porÍ(~ par la m:1rée montante de J'opinion populaire,


le mouvement républicain débordait de toutes parts, et


lrouvait, dans tous les l'angs de la société, non-seulement


des csprits soulllis, ll1ais des CCBllrs pleins d'ardeUl', d'cll-
thollsiasmc, d'illusíOIlS.


1\ n'cn (~ta¡t pas ainsi en 1848.


Les (;vénements de févl'ier sont, en quelque sorte, tom-
hés sur la France comme un coup de foudre. Ils ont pris


au dépourvu ceux qui les ont faits au moins autant que


,'ellX qui les ont subís. Du soir au lendemain, d'un bout


de la France a rautl'e, on s'est révcillé r¿publicain sans


bil'n comprend¡'e comment ni POUl'quoi. Le réveil a été


lugubl'e. Le mot a sonné aux oreilles comme un tocsin
d'alal'me. Les souvcllirs effroyables de la Terreur, les sou-


rcnirs désastreux du papicr-monnaie, des confiscations,


des réquisitions sont rentl'és, it 110ts pressés, dans tons


les esprits; et, si SOllS l'asr.endant el'un fait ;}I'eompli, la




XLVIII VUES Sl'R LE GOUVER:\'EMENT DE LA FRANCE


résignation publique a courb¿ la tete, aucun cri de joie
n'a salué cette aurore d'un nouvel avelllr.


De la tant et de teIles différences entre la conduite des
vainqueurs du 10 aout, et ceIle des vainqueurs de févriel'


1848.
Les vainqueurs du 10 aout, confiants dans l'assentiment


du pays, 1'ont laissé libre de prononcel' entre la monarchie


et la république.


Les vainqueurs de fé\Tier se sont h:ltés de prononccJ'


pour luí.


Les vainqueurs "u 10 aout, en conyoquant une Gonvell-


líon nationale, ont respect<; le systerne électoral alors en


vigueur, bien que ce systeme fut fondé sur le principe du


cens, et u'ont en besoin d' exercer, sur les élections, au-


cune influencc.


Les vainqueurs de févricl', en conroquant une Assem-


blée nationale, ont imposf\ ~l la France un systeme électo-
ral de lem cru; puis, cela fait, iI ont procédó a I'égard
des électeurs, par voie d'intimidation, avec une audace


sans cxemple jusqu'ici, et ne se sont pas f,lit faute de signi-
fiel' aux élus, que, s'ils se mont1'aiel1t l'l;calcitt'ants, on em-


ploierait contre ellX la force armée dcstinéc:1 les protéger.




I~TRODUCTIU.\ XLIX


Les vainqueurs du 10 aoflt, se sont contentés de sus-


pendre le roi, et de rappeler au ministere des hommes,
qu'a lcur avis, le roi en avait injustement écartés, lais-
~:mt, d'ailIrurs, tOlltes choses en l'¡ltat, jusqu'a la réunion
de la Convention na tionale.


Les vainqueurs ele fé\'riel' se sont rllés sur le pouvoil',


pour leur propre compte, et l'ont exercé comme un iu-
strument de rav;¡gt', réglant tout, bl'ouillant tout, s'éveJ'-
tllant, de concert, a peofiter de l'intel'rl'g:ne pour précipi-
ter la Frallce dans des roles irrévocables 1.


Les vainqueul's du 10 aout, enfin, attaqllés par
l'Eul'ope, prets a succombel' sous l'invasion étrangere,
Il'ont pensé qu'a la repousser, et, s'il8 ont commis pour


I Voir la circuJaire un M. Leuru-Rollill, mini"lre de l'intéricur,
du 11:; mars 184S, aLlrc,~(;e aeí\. cOlllmissaircs du gouvcrnemcnt
yroYisoi1'e :


« ••••• Quels sont vos pouvoirs? - ils sont illimités. Ageut
» (l'une auto1'ilé l'évoluliollllaire, vous eles 1'évoluLionnaire aussi.
» La Yictoire du pcuple vous a imposé le manual de faire 131'0-
)O c1ame1', de consoliut'1' son ceU\ re. Pom l'accompli,;sement de
» l:elt8 tache, \'ous ('tes in\"l'sti de sa souycraincté, vous ne 1'elevez
» que de \(Jlrc conscience, vous ueyez 'aire ce que les ci1'con-
» s lances exigclJ t puur le salu t puLlic.


J> , ••••••••••••••••••• ' •••• .Tusqu'ici, vous n'avez eu 11 briser
» ancullc rl'si~;[ance ~('rieusc el '0115 avez pu demeurer calme
» dalls \otrc force; il IJe faut }Jourlal!t pas vous faire illusian
» sur I'état du pa.\s. Lps ~f'ntimpnts répnLJicains y doivent etre


4




L VUES SVR LE GOUVERNlmENT DE LA FHANCE


cela un épouvantable forfait, que rien ne saurait jllSti-
fiel', excuser, ni pallier, le but, ::m moins, était légi-


time.
Les vainquenrs ele fénier, en p:ux aycc l' Enrope,


maitres du tel'l'ain, ne rencontrant ancune résistance,


n'ont pensé qu'a susciter en Franco la guetTe ciyile, plus
meme que la {j'uelTe ciyile, plus qwim cÍl'ilia bella, la
guerre sociale, la gucrre entre les riches eL les pauYl'es,


entre les propriétaires et les prolétaires, entre les capita-


listes et les ouyriers.


Compl:1isants envers les folles élllculJratiolls de ees
rcvcul's,ele ces romancicrs qui pcursuivcnt, ü elivers


degrés, la régénél'ation uu monde par b C0ll111111nauté des
biens et la eonfusion eles famillcs, ils en ont fait un


theme de préclication officielle ; ils ont installé symboli-
quement sur des chaiscs emules les al'tlsans, les ma¡;ons,


leur enseignant, e.'r catiledrá, que la société, telle qu'elle


)) \ivement excilés, el, pour ceL1, il faul ollJil'r toutes les fonélions
» l,olitiqucs :'t Jes hommes sü]'~ et syml)allJlrlue~.


)) .......................... Scu'lj(~z lJil'll que, pour briguer
)) l'hollucur Je siégcr i l'AssemlJlée naliollale, il f:mt etl'C pUl' des
JI traJitiolls du pJ.~sé.


J) Que votre mot J'ol'dre soit partouL: des ¡lOmmes noU\'eaux el
)) aulallt que pos~j}Jlc' sortan! dn llGuple. ))




[~TRODUCTIOX LI


a existé, de tout temps, n'est qu'un monstre d'iniqujté, et
que leu1' tour es t enfin YeDU; leur 1l1'0mcttant, au nom de


J'État¡ d'abol'Cl du [l'¡\raíl en fluantité toujoms égale, puis
ele 1'o1't5 salaires pom lleu de tl'arail, pllis les profits eles
capilalistes; pl'oclamant qu'en fait de gouvernement,
l'éducation est du supel'fiu, que tout homme esl bon


pour toute cIlose, cl prctant ainsi fOl el hommage a


la force brute, Ü la toute-puissance du nombre et des
flomgs.


Imbus eles détestablcs doctrines quc p1'opagc, depuis


nombre d'années, eette bl'anche de notre moderne litté-
eature (Iu'On pOUl'rait nommcl' l'Apologétique du 1'é-
gime réroIullonnaire, iIs ont cal'essé, accucilli, adopté


mcmc les ehefs des sociétés autrcfois secretes, cyniques
llél'iticl's de l\Iara1, faronches 11éri1ie1's de Babcuf; et, non
contcnts de lem llvrcr h pl'esse et la rae, ils leur ont
ouyert l'acces ües e111p10is; ils lcur ont pcrmis de puiser,
:1 pleines mains, elans le TrésOl' public et dan s les arsenaux
de l'Itlat; ils lcut' onl constitué et organisé, dans les pré-
tcndlls aleliers natiollaux, une armée qui s'est trouvée
pretc an combat, ü jou!' fhe ct Ü p01nt n0111111é ..


e'est au scin el'un lJal'eil désordre, c'est sous le coup de




Ul rUES SL'R LE GOL\' lm:\Ei\1El'\T DE LA FHA~CE


ces an~écédents formidables tIue l'Assembléc nationa[e
s'est trouvéc appelée 3. triomphcr d'un prohlcme qui s'est
joué jusqu'ici de la sagessc des sages, elont les théoriclens
eux-memes n'ont encore pu vcnir ü lJOllt, par lIypothrse


et sur le papier qui se pretc a tout.
Sa tache, il fauL le cUre, (Stait'lout alltre que n'était la


tache ele la Convention nationale, en 1 i92, et, sinoll plus


eífrayante, elu moins plus m'dne, plus épineuse, plus se-


mée el'écueils, plus héri:-isée cl'c!nlnrras el de complica-
tions de tout genl'e.


La Convention na1ionale avait pou!' mission ele consti-


tuer en répuLlique unc nation passionnée alors 130m ecUe
forme de gouvernement, résolue 11 10ut sacriflcr pour l'oh-
tenir et la conserver, prcte ü mou!'Ír pom la eléfendre;
l' Assemblée nation:tle arait pour mission ele constituer en
république une natíon qui n'y pcnsait gu¡)re~ six mois au-


paravant, qui n'acceptail cctte forme de gouvet'llement


qu'avec cffroi et répugmnce, qui tl'cmblait a l'idée d'avoir


a lui faire le moindl'e sacrifice. Obligée de COlllptcr avec


les préjugés, bien ou "mal fondés, de ménager les Ílllagi-
nations craintives, de dissouclre, a petit bruit, des résis-
tances sourdes, mais univel'selles; obligée, tr;mehons le




r~THOD[CTION L1Il


mot, de conserver le plus possible dll régime antc~rieur
afin de donner aux institutions républicaines un aspect un


peu rassurant, iI lui falIait, en meme temps, faire hon-


neur, tan1 bien que mal, aux engagemcnts insensés pris,
au nom de l'I~tat, pnr le gouvernement provisoire; se pre-
ter, plus ou moins, anx vicilles sottises que la résurrec-


tion des clubs, et le dl~vcrgondage de la presse avaient
remises en créclít; illni fallait surtout meller a bonne fin
la guerre sociale clont elle avait reen le triste héritagc, et,
pom' cela, faíl'e appel au hon sens el au patriotisme des
vaincus de f(~vl'ier contre les passions ful'Íeuses que les
vainqueurs avaient déehainées.


Si done la Convention n::ltionale dont la position était
simple, dont le terrain était libre, qui ne relevait que
d'elle-memc, quí eombaltait se" propres ennemis, l'étran-


gel', I'émigration, la Venelée avce se" propl'es soldats, n'a
pu réussir qu'au bout ele trois ans, apres des efforts inoui's,
a tr~lYcrs d'épouvantables connllsions;l donncr an pays
une constituüon telle qucHe, si m0me elle a été forcée de
s'y l'cprendl'c Ü dellX fois, et d'l~IllClTel', de ses propres
mains, son premier-né, avant d'cn vcnir au sccond, faut-il


s'étonnel' si l'Assemhlée nationale de 1848, dans la posi-




LIV VL'ES SUR LE GOUVERXEME~T DE LA FHA~CE


tion que nous venons de décrire n'a pu donner, en tl'ois
mois, a la France, une constitution viable?


Elle trouvait le suffrage uniyersel, l'élcction par d(~par­
tement et le scrutin de liste décrétés et en pleine vigueur;


elle en était elle-meme le premie!' produit. n n'était ni
dans sa volonté, ni dans son pouvoir de renoncer a ces
conquetes révolutionnaires.


Elle trouvait l'idéc d'une Assemblée unique et soure-
raíne accréditée dans la plupart des espl'its, chez les uns
par principe eL en théol'ie, chez les autres par nécessité.


La noblcsse était abolle, l'illustl'ation suspecte, la richesse


dénoncée, la propriété en qucstion.
Oil chercllel' les éléments d'une Chambre des pairs, cl'un


Sénat, d'un corps essentiellement COllSCl'r;1tcm?
Elle trouv;1it la diyision du pouroir e:\écutif just'Jment


décl'iée par les souyenirs da Dil'ectoÍl'c, plus justcmenL
encore P;11; les folies et les sottises du gouvernement pro-


vísoire; de toutes parts on réclamait un pl'(~siclent, h l'in-
star du président des États-Unis; on scntait bien que, si ce
président était (~lu par l' Asscmhlée elle-meme, et rJvocable
a sa volonté, il ne serait autre chosc que le chef pass;1ger
des majorités mobiles et successives; que l'ombre meme




INTRODUCTlO:\' LY


d'un partage quelconque entre les pouyoirs publics dispa-
l'aiss~mt, toute gal'imtie, toute pl'otection contre le despo-
tisme de la majorité cln jour et de l'heme s' évanouirait en
droit et en fait.


L' Assemblée de 1S{S, l'assemblée dite Constituante a
donné pou!' eonstitution a la Fl'anee :


10 Une Assemblée unique formée au suffrage universel,
investic ele la plénitude du pouvoü~ législatif, e'est-a-dire
toute-puissante en dl'oit;


2° Un présülent, investi de la plénitude elu pouvoir exé-
cutif, e'est-a-c1ire tout-puissant en fait.


On raconte qu'en terminant ce beau chef-d'reuvre, l'un
ele ses autcurs elit tout has a son voisin : (( Avant un an, ou
l'Assemblée législative envena le pl'ésident 11 Yincennes,
on le présiclcnt eha~gera l' Assemblée législative 11 coups
ele baYonncUes. »)


Il ne faIlait pas Nre granel sorcier pour le deviner.
Il ne faIlaít pas non plus etrc grand sorcier pou!' devi-


ner que le sentiment lllonarchique étant, en France, uni-
versel, OU, du moins, pl'édominant, sous eeHe distinction
que les elasses supél'ielll'cs étaient, en général, dévouées
a la branche ainéc de la maison ele Bourbon, les elasscs




Ln V(ES SLlt LE GOUVERNE:\IENT DE LA FHANCE


moyennes a la branehe eadette, et les classes inférieures
a la mémoire de l'empereur Napoll~on, ce serait un Bona-
parte que le suffragc universel pOl'tel'ait a la présidenee,
et que la présidence deviendrait, pour lui, le marchepied
du trone impérial.


Il ne fallait pas entin etre grand sorciel' POUl' deviner
q u'il en serait de eette l'cstauration commc de toute autre;
qu'en l'elevant le trone impérial, on remettl'ait sur pied
l'ancien régime ímpérial, que nous l'everrions la souve-
raineté mise aux voix par ouí ou par non - un cll1percur
l'eprésentant du peuple - un sénat, instrumenlum l'egni
- un Corps législatif, au petit pied - un conseil d'État,
se1'viteu1' pou1' tout f3.il'e - des ministres en nom et
point de ministel'e - bref, pou!' tout gouvernement, des
commis - pour tout ressort, pOUl' tout principe d'action,
l'cmpressement a servir - pour condition sine qua nOll,
le silence et la soumission.


« J'ai cherché (ce sont les p1'op1'es parolcs du restaura-
teur de ce nouvel ancien l'égimc) j'ai chel'ch(~ quels étaicnt,
dans le passé, les ex.emples les meillcUl's ;1 suivl'e t.


1 Proclamations des 14-22 janvier 1802.




..


I\'TIWDUCTION L \'11


» J'ai pris pour modeles les institutions politiques qui
déja, au eommeneement de ee siecle, dans des circo n-
stances analogues, ont raffermi la société ébranlée, et
élevé la France a un haut degré de prospérité et de
grandelll'.


» J'ai pris comme modele les institutions qui, au líeu de
dispal'aitre au premier soufl1e des agitatiolls populaires,
n'ont été renversées que par l'Europe enticre coalisée


contre nous. »


Il est certain que ces institutions n'ont succombé qll'en
présencc et sous le coup d'une eoalltion européenne, mais
il n'esl pas moins ccrtain, en revanche, que eette eoalition


était leur ouvrage; qu'en déchainant sur l'Enrope l'ambi-
tion effrénée des conquétcs, en faisant des hasal'ds de la


guerl'e l'uniquc préoccupation des esprits, el de la dé-
pouille des vaincus le pain quotidien dcs vainqlleUl'S, en
tenant incessamment II tous Jes princes, a tous les peuples


le picd sur la gorgc, le ré~;ime impérial a, par deux fois,
livré la France aus représailles de l'invasion étrangcre.
e'est 11 Ce prix. qu'il a donné, pOU1' un temps, le change


aux agitations populaires. Son autenr le savait de reste.
luí qui se plaisait tant a dire et redire :




LYIII YCES Srrt LE ~~OCVERNEMEl\'T DE LA FRAl\'CE


«( J'ai mis le signet ~l la Ré,'olution, voila tout. Aprcs
moi, la République ou les COs;tqlles. »


Il est de mode aujourd'hui de s' en prendre a lui plulot
qu'a son oouvl'e, a ce qu'il était plutot qu'u ce qu'il a fait;
mais son oouvre et lui-meme, ce qu'll a fait et ce qll'll


était, v'a été tout un. Le héros a faít le despote, le despote


le despotisme, le despotisme ~Ioscou, Leipsick, Saintc-


Hélfme. Au lieu et place de 1'homme de génic, supposez


un hommo ol'dínaire, an lieu et place de l'homme de


guerre, un homme de loisir et de plaísirs, ríen de pareil


ne serait alTivé san s dOl1te¡ mais ríen, non plus, de pareil


au régime impél'ül n'eút éuS impo'l~ ü la Franco.


~ous sommcs en droit de l'affirmcr puisque, meme au
lendemain de J 802, meme au plus fo:'t ele I~l n;aclion anti-


socialiste, lllell1e an plus vif ífllnc popllhriti; Junt la gloire


ap¡-(~s tout fatale dll p1'cmíe1' elllUel'CUr f;¡isait tous les


frais, il n'a pas pal'U possihlc d'Cx.llulllcr rancien Empire,


tel (IUel; puisqu'il a par u nécessaíl'e de l'a/ruble!', vaille
que vailIe, (]'un faus se.nbLmt de libéralismc.


Entre rancien Emplee, en effet, et le nouveau, telle est,
au veai, la différenec.




INTRODUCTION LIS


Le premier marchait dl'oit au but, nommait les choses


par leut' nom, conp:1it comí :mx difflcnltés, en désal'mant


d'avance toute oPl'osition, en supprimant toute résistance.


L'autl'e procede ü mois couverts; s'él)IÜSe en détours ;
donne et retient en mcme tem13s; admet, en principe, ce
qu'il s'efforce d'écarter en réalité; promet, dans l'avenir,


la liberté poue couronne a la servitude; exploite, en


attendant, les faiblesscs du momcnt présent, la penr, le


découragcmcnt, l'imprévoyancc, et foncle ainsi, chose


étl'ange en Vél'ité, le pOUYOil' absolu Sl1l' un sable mou··
vani l.


Combien peut durer cet établissemcnt, ou plutót cet
échaf~1Ulbge inl'ollérent, bizarl'c, et précairc) de l'ayen


tion p:l!' des clJi!fl'cs; il ne l'e~t p:1S de p:':;sumcr qu'un tel


élat de rIloses ne s:tUl',lit gU~j'Q dm\~r ¡1Ius longtemps que


l'état de:; csprits qui I':l rcndll possiblc. La pOimlarité d'un


110m n'a qn'nn tcmps; on se faít 1.l la penr; les N'íl"}litains,


1 DiscCJurs ú l'ouvcrture de la :-;essioll de 18"i2 \Ann. ducl. hist.,
p. '108).


2 Proclamalion des 14-~2 .i unvicr l852.




LX VUES SUR LE GOUYERNEl\IENT DE LA FRANCE


au pied du Vésuve, réparent leurs habitations avec lcs laves
de la derniere éruption. On peut bien, dans un acces de
dépit ou de dégout, renoncer a la politique, se réfugier, de
guerre lasse, dans la vje privée, imiter ces grands sei-:-
gneurs de l'ancien régime qui d01ivraient un blanc-seing
11 leur intendant. l\1ais tont passe; si parfois l'agitation
fatigue, l'inaction ennuie, 11 la longue; on rougit de se
laisser nourrir au biberon comme les enfmts, et fouetter
comme les écoliel's.


Au demeurant, et quoi qu'Il en arrive, ce qu'on peut
aflil'mer, san s craindre d'étre démenti par l'expérience,
c'est que la constitution nouvelle, bien différente en cela
des constitutions de l' Empire, ne saurait subsister qU'il
la condition de rester lettre morte, et de ne pas etre mise
a l'épl'euve; car, poul' peu que la servilité volontaire luí
fasse défaut, pOllr pen que les institutions qu'clIe cl'ée


entrent en jeu sél'ieusement, pOUl' peu qne les corps qu' elle
met en pl'ésence excrcent réciproquc:ncnt et pour tout de
bon, les droits qu'elle leu!' confcl'c, la n1:1chinc s'arretcra
court. e'est un charjot qui nc peut rouler que sur unc
pelouse bien unic; c'est un navire qui ne peut voguer
qu'an ti! de I'eau et le vent en poupe.




INTllODrCTIOL'í LXI


Alma, l'ancien Empire se réclamait, comme le nouveau,


du suff1'age universel; ll1ais, plus avisé, il entendait s'en
por ter le fils uniqnc, eL l'héritier définitif. Le premie1' yote
obtcnu, ou plutUl enlevé, au ton moment, plus de regis-
tres ouverts dalls les mairies, plus de boile au scrutin,
plus d'élcctions de bas en haut. - Le nouvel Empire, au
contraire, garde sur pied la landwehr électorale, la passe
en revuc, la Uent en réserve et lui liv1'e, en coupe réglée,
les élections généraleseL locales. Fort bien -- fo1't bien,
s'entend, sous toutcs réserves - mais gare le premier
suuffle des agilalions pOIJlllaires! gare le premier levain


de mécontentemenl qui fermenlera dans les masses, quí
gagnera des atelie1's dans les boutiques et des villes dans
les villages. Quand le suffrage universel cessera de prendre
<lyeuglément le mot d'ordre a la sous- préfeclure, oü le


prend1'a-t-il? Ce ne sera point aupres des gens sensés, des
hommes éclail'és; noyés partout dalls la colme, p3rtout
objet d'enYie et de méfiance, ces gens-Ht n'auront, nulle
part, yoix au chapitre. Quand le suffrage unirersel déserte
le drapeau de l'autorité, il déserte a l'ennemi.


Ainsi, rancien Corps législatif, était muet - officielle-


mcnt muet. On plaidait dcvant Ini et il opiuait du lJonnet.




LXII VUES SUD LE GOUVERNE!'I'IENT DE LA FRANCE


C'était un lit de justice, en permanencc, ou les édits
s'enregistraient sans mot dil'e. - Le nouveau Corps légis-
latif, au contraÍl~e, a la pa1'ole, il déllbi'l'e, et meme en
public; sauf, toutcfois, a ne l'a~ élcvcr la voix plus haut
que ne le comporte une soul'uine lllli l' deint, au dedans,
et l'intercepte, au clehors. Port bien encore; mais gare
le jour OLl il prenara fantaisie ü ce Corps législatif, issu
du suffrage universel, de parlel' pour el1'e cnlcnclu, de
s'adressel' librement a ses comll1ettants, cl'éveiller les in-


térets, d'échauffcr les passions! qui l'en eml)üchel'a? son
reglement! un l'cglement n' est qu'un clliiron ; la Chambre


des communes est ccnsele délibérer ü huis clos. Qui fera
tete ü l' opposition, qui conduil'a, 1'alliera la majorité'! Ce
ne seront point les ministres, les hommes d' t:tat, les


perS0l1113ges politiques. La Constitution les exclut, en
propres termes, clu lieu oil se font les 10is el se votent


les 1mpots.
11 était écrit sur le mur, en grosses leUres, dans le


grand Conseil cl'une petite république :


Exeant sapientes quía deliberanrlmn.
Ainsi de tout le reste.
L'anden Conseil d'État, c'était l'cmpel'cur IUÍ-meme;




l~TR.ODUCTlON LXlII


c'était son mil el son bras; c'était son cheval de bataille


il I'inlérieur; il le montait et le maniaiL; il lui faísail


sentir, 10m il tour, le frein et le fond; point ue l'~sistance


possible; l' emporcur écoutait, sans pl'endl'c lcs vois. - Le


nouveau Conscil d'ÉLlt, an contl':1Íl'e, est l'aller ego,
plutOt que l'instrumcnt du maltre; en l'absence de ce qui


n'existe plus, Dien mel'cl, en l'absence d'une tete et


d'une vel'ge de fel', en l'ausence de l'homme qui savait
tout - vOlllait [out - pOllvait tozll 1, le nouveau Con-
sci\ d'¡~tat n'c l'úlhc gnei'c que dc lui-memc; escr~allt, de
pie in c1l'oit, commc l'ancien, l'inilbtire, cn tontes cIloses,


cour d'appd oü t'cssOl'lit l'adminlsll'alion tout entiere,


supérieUl' aus ministres, supél'ieUl' au Corps l(;gislatif-
premia rOllage de notre ol'[Janisation 1lollvelle 2; s'illni
convicnt, son conconl'S étant indispensahle, de le preter


011 ele le rcfusor, h VOIOllté, (['¿llfccLCi' les [tlImes cl'ul1c as-
semblée uéli])ér~mte, qn'arrivera-t-ll, et qn'en fel'a-t-on?


Il a dlSjil falln l'épmel', faudra-t-il le dissolldre?
L~aneien Sénat, c'était la Constitntion vivante: iI avait


le veto sur les lois; le veto sU!' le." actes du ponvoil' exé-


i Sicy('s.
~ Proclamation des H·~~ jall\ir,r lSG~.




/.XIV YUES SUR LE GOUVERNEME~T DE LA FRA:\Cg


cutif; gardien du pacte social, it ce nom, tout, en appa-
rence, fléchissait devant lui; il pouvait l'interpréter, le
suppléer, le réformer, au bcsoin; 11 en pouvait étendl'e
ou 1'estreind1'e l'empire; mais, d'une part, son veto n'était
que suspensif, ct, de l'aut1'e, il n'entl'ait en aclion que sur


l'appel, et sous le bon plaisi1' de l'empereur; - le veto du
nouveau Sénat, au contraire, est péremptoire; 11 peut
agir propl'io motu, sous la sanction, apres coup, du
suffrage universel. Que lui manque-t-ll pOUl' devenir,
dans l'occasion, le grand justicier d' Aragon ?


Point de ministt:re, point de ministres.
• De simples agents d' exécution qui ne sont responsables


qu'envers celui qui les emploie, qui ne sont l'expression
d' aucune politique, qui font leu)' méticl', chacun pou!'
son compte, sans se concerte]', ni s' entendre 1; ce sont
des chefs de ]mreau et rien de plus; telle était, sans
doute, la condition des ministres sous l'ancien Empire;
mais, en découvrant par la, pleinement, ct de tous points,
le chef de l'État, en laissant remonter jusqu'a lui et fscr
sur sa tete les actes de ses agents, la Constitution de
l'an VIII n'avait garde d'ériger le fait en principe, el d'en


t Proclamations Jes f4-~2 janv. 1852.




I:\THODúCTIOi\ LXY


gloritier la consé4uence. II était réservé a la Constitutioll


actuelle de proclamer, en tout autant de termes, le chef


de l'État responsable - responsable de tout - respon-
sable cnvers tous, el de conférer, tant aux autorités con- .


stituées qu'aux simples citoyens, le droit de le prendre


directement, personnellement a partic, de le placer sur la


sellette, de fairc, cn Ull lUot, de l' appel (tu peuple, une
institulion r~gulicre et pcrmanente 1.


Enfin, pour couronner l'édifiee, el achevel' le parallele,


en fait ele puLlicité, l'ancien Empire élait sans quartiel'; il


t'aisait maill basse sU!' tout ; joul'l1aux, pamphlets, rcuilles
\'úl:lllles, liVl"_~'; de toule origine, de toulc nature, de toute


dimension, depuis les in-1'olio en langues orientales,


jusqu'aux cartes de restaurateul' étaient inexorablement
soumis a la censufe. - Le nouycl Empire, au contraire,


maintient la liberté de la pressc; il la maintient, en prin-


cipc, sauf 11 la chal'ger d'entraves; a la livrer, picds et


poings liés, a la poliee ; á l' encombrer de fOl'malités me-


napntes, qui lui feraient, 4uant á pl'éscnt, bénir la cen-


sure; quant Ü [Jl'éscnt, ma1s pat:enee: que le ,'cnt de la
réactiull s'élcve, el, Wt Oll tard, il s'élevcra, el plus il


5




LXVI VlJES srH. LE l;OLVERNE~lENT BE LA FIUNC¡':


aura tardé, plus il sera vif; qu'il souffle a travers ces
toiles d'araignée; que la presse retrouve appui dans
l'opinion, qu)llui rentre au ereur un peu d'ardeur, un
peu d'entrain, un peu d'espoir, et l'on verra beau jeu;
que les cheveux repoussent il Samson, i 1 brisr.ra les
cardes neuves des Philistins, déerorhera les portes de
Gaza, et les chargera sur ses épaules.


Encore un tOUp, plus on rénéchit sur la nature et les
condilions de cet établissemenl, soi-disant monarchique,
soi-disant eonstitutionnel, soi-disant conservateul' que le
cours des choses, plus peut-etre que la volonté de
l'homme, úous impose aujourd'lmi, plus on demeure eon-
vaincu qu'il ne tient a ¡'len el lI'a lloint d'avenir; qu'uni-
quement fondé sur l'utopie d'une paix perpétuelle ti l'in-
térieur, sur l'abnégation universelIe et indéfinie, sur
l'acwrd parfait el permanent entre les pouvoirs publics -
entre le pouvoir et le public, la moinu re pierre d'achop-
pement lui sera fatale; qu'allx. approches du premier


orage, des premiers embarras sérieux., du premier revers
de fortune, si le chef de l'J~tat n'a pas la -sagesse de faiee,
de bonne heure et par prévoyance, ce que l'empereur,
premier en d:1te, n'a 1'ait qu'au del'l1ier moment et par






I :'\:T}WDUCTIOI'Í LXVII


nécessité, s'il ne rclegue pas la nourelle Coni:ititution de


l'Empil'e dans l'ossuaire oil gisent les autres, s'il ne se


hite pas de la remplacer par un acte additionnel, conGu


dans des principes el sur un plan tout' différent, pour ne


pas clil'c tout opposé, nous I'cntl'erons, a pleines roiles, en


l'évolution; nons velTons cette Babel cl'oulel', a son tour,
par la confusion des langues, par la discorde et la dis-


persion des ollvricl's qui l'ont élcvée.


Quand 1l0US en se1'ons lit; et nous, bien entendu, c'est
la France, c'est le pays, au nom duque! agil'ont, ou seront,


du moins, ceusés agir eenx qlli disposel'ont -de nos desti-


nées - il n'est ici question ni de te) ou tel parti politique,
ni de telle fanüIle l'oyale - quand nous en 8erons la_, si


les hommes sensés, si les lJons citoyens, si les vrais amis


du pays peunnt quelque cllOse, qUl' ferol1s-nous"/
Essayerons-nüus de fondee I~e qU'on nommait, en 1848,


la république honncte et modérée? Essayerons-nous,
comme en 1796, de constitUCf', en France, un gouverne-


ment républicain raisoIHwble, sensé, conforme aux prín-


cipes dn droit pubIie, aux Ie<;ons de l' expérience, aux


maximes des sages du nouveau mOllde?


~ous faudra-t-il, encore une fois, en passel' par la dic-




LXVIII VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRAl'iCE


tature militaire, déguisée sous un nom quelconque, tem-
pérée par quelqucs institutions batardes, oü les conLlitions


essentielles de la liberté politiquc, maintenues, par pu-


deur, et en apparence, seront, en réaliu.>, énervées, étn-


dées, sacrifiées a l'intél'et supl'emc de l'ordre (!
En l'eviendrons-nous a la monarchie constitutionnelle,


ébauchée en 1814, achevée en 1830 ?
L'esprit de parti peut trancher, des ü présent, ces


questions. L'esprit de parti est avellgle, impaticnt, té-
méraire; íI va dl'oit devant Iui, d ne volt tI ne ce qu'iI veut
voil'. Le bon sens est plus n'sct'vé, íl bit la p;¡l'l des eÍl'-
constances, et large il la fait dans un tt:~mp,.;; ttl (lue eeluÍ-
ci, dans un pays teI que le nutre. Les eircoIlstances en
décideront. Si ron cut dit au roí Louis-Philippe, en 1847,
au sOl'tir des dCl'nieres élections, qn'en mollls de dix-huit
mois, son lrone SCl'uit l'envcl'sc', il ne l'aul'ait pas cru, el


tout le monde eut été de son avis. Si ron eút dit aux
vainqueul's de f~Yl'iel', le z3 au matin, que, le 24, la
France sel'ait république, ils De l'auraicnt pus cm, et
tout le monde cut été de leut' avis. Si on leut' eüt dit,
le 2ñ, qu'au bont de quatl'e mOis, une moitié d'cntl'c eux


serait a Vincennes, el que l'autl'c lHoitié écrasel'ait Pal'i~




I~TRO()rCTlO:'\ LÁIX


sons le~ obus et la lI1itraille, établirait l'état de siégc et


suspendrait la lihel'té de la presse, a coup sur, íls ne


l'auraient pas Cl'u.


Qni peut pl'évoit', qui peut [)l'édire l'état des espl'its, en
France, il l'issue de la Iutte dans Iaquelle nous sommes


engagés?


Des troi~ hypotlleses qui viennent d'étl'e indiquées,
néanmoins, el qui semblent éplliser notre avenir, si nous


avons un avenir, iI en est une, la seconde, qu'on doit, ce


sembIe, Jcartcl', de pl'itne abol'd; non qu' elle soit impos-


sibIe ou chimérique; elle n'est. héIas! que trop possible,


que trop vraisemblable; mais par l'espect pour soi-meme


et pOUl' son pays. On pellt subir le despotisme; il ne faut


ni le pl'livoi:' ni s'y résignel'. Quant aux deux autres, voici
ce qu'on cn peut dire :


Si nOlls Clltcnc10ns í'onder, en Francc, un gouvel'nement
I'épublicain: pou!' qlle ce gouvemement soit, d'une part,
libre et rl~guliel', pOlll' qu'iI soit, d'une autre part, l'éeI,


durable, définitif, iI faut qu'iI se soumette aux conditions


suivantes :


1° División du pouvu!r délibél'ant eH deux COl'pS, dont


run représente I'ascendant des idées el des inlérets en




LXX 'TES SrH LE GOUVERNEl\IE~T DE L\ FH,\NCE


.. progres, l'autre la stabilité des intérets conservateurs.


2° Unité du pouvoir exécutif.
3° Participation du pouvoir exécutif 11 la législation par


l'initiative et le véto, soit absolu, soit, tout au moins. sus-


pensil'.
4° Responsabilité du pom'oir exécutit - l'esponsabi-


lité matérielle et moral e - /'esponsabilit(; effeclirc el
continuc.


5° Respect ¡\ la pl'opl'iété, dans son pl'incipe et dans


tontes ses consfÍquences: tréve a toute tentative d'en
arreter le eléveloppement, de l'anc;onnCl' les riches, de les


désigner a l'animadvel'sion publique.
6° Respect a la fa mili e , dans son principe et dans


toute5 ses conséquences~ ü la notabilitü, ;1 l'illustratioll. a
la pel'pétuité des distinctions pl1l'ement morales.


7° L'administl'alion aux honnetes gens. Point ele patrio-


tisme qui Lieulle lieu de probité et de lumi¡~res, d'indé-
pendance el d'exp!Srlence.


n faut, en un IiIOt, que le gouvernement I'épublicain,


pou!' s'établil' solidement dans un grand pays, abdique ses
tendances antisociales, les sentiments étroits, envieux.


haineux enyers loute SUpél'iorité quelconque, qui lui sou!




IXTRODCCTlON LXXI


naturels; il faut qu'il se rapproche, autant que sa


nature le comporte, de la ·monarchie constitution-
nelle.


Cela se peut-il? qu'on l'essaye.
Si cela ne se peut, qu'on ne l'essaye point. Ce serait


folie et ruine.


Dans le cas, an contraire, oü nons reviendrions a la
monarchie constitulionnclle elle-meme, il faut que la famille


appelée a nígnel' sur nons, quellr qu'elle soit, abdique,
s'il y a líen, en reprenant le pOUYOlt' supl'eme, toute pensée
de restamation; qu'elle en écarte jusqu'a l'apparence,
jusqu'a l'ombre la plus fugitive.


La pire des révolutions, a dit 1\1. Fox, e'est une res-
tauratíon.


L'entrepl'ise de rdablir, au hout d'un cel'tain laps de
temps, dans un pays l'aY3gé par les commotions politiques,
les personnes et les choses telles qu'elles étaient a une au-
Íre époque, de les rétablil' uniquement parce qu' elles étaient
ainsi; de prendre sa revanche, de demander compte du
passé, de l'étl'ogradel' d'un seu] jOUl'; cette entreprlse,
poui' ({ui la tente, est un arret de mort.


Une monal'chie nouvelle, sinon quant a la famille rp.-




LXXII VDES SUB LE GOUVERNE~IENT DE LA FIU~CE


gnante, du moins quant au caractere général du gouver-
men!; nouvelle, quant au nom et ü la formation des corps
constitués; nouvelle, quant a l'extension et a la limite des
droits politiques; nouvelle, enfin, quant aux institutions


locales que l'é!at actuel de la société J>éclame; c'est El
désormais la seule monal'chie qui puisse convenü; a la
France.


Disons tout, tranchons le mot ; allons jusqu'au bout de
la pensée: il n'y a pas, quant au fond rncme, et illa vérité
des choses, deux gouYCrnemenls possi]¡l(~s, d:ms le mcmc


temps et dans le müme pays. Cne l'épubliquc qui touche ;1


la monarchie constitutionnelle, une monarchie constitution-
uelle qui touche lIla république et qui n'en dilfere que par


la constitution et la permanence du pouyoir exécutif, c'est
la seule alternative qui rcste aux amis de la liherté.


Toutc aulre république, c'est la Convenlioll, toute autre
rnonarchie c'est rEmpire; la Ciil1vcntiun san s enteainrmcnt,
sans enthousiasme, sans l'excuse aclmissihle, ou non, de
la néccssité; l'EmpÍl'e sans le Code civil, sans le COl1cor-
dat, sans Austcrlitz.


Chcrchcl', en supposant termillée la crise actuelle, lt~s


esprit s apaisés ou détrompés, et la société rentrée dans




INTlWlIUCTIO;\ LXXII!


ses VOl es , queHe organisation politique pourrait désor-


mais convenir a la France, sous la double condition de luí


conservel' tous les biens qu'elle a si cherement payés de-


puis soixante ans, et d'en conliel' la gal'de a des instifu-


Hons solides, durables, plus solides, du moins, plu5 dura-


bles que celles qui ne nous ont point suffi jusqu'ici, teI
est le but de cet éCl'it. Il est coneu dans une intention


sincere, non sans regrcls peut-etre, mais certainement


saos arriere-peoséc, dans l'intention d'offril' au gouverne-


ment l'épublicain, s'il sunit aux oragos que soo apparition
souleve, toutes les chances raisonnables de s'établir, et a


la monal'chie, si Ll mon:m:hiu se rcli've dr s~ chute, fous
les moycns d'¡:ehappei' au plus dangl'l'eux ues (~(:neils


Répuidir:ains 011 J'o~'alisícs, ¡:tudions le j,;(s:-"é; il a des
le~ons pou!' loul le i110\l,ie. La:ssons lü ton! ce (llli passe,
les pl'l\iu¡!,¡\s, les ic1éc'~ e\agfífl~es, les dogmcs arbitl':üres,


les distinctiolls pm:l'ílcs, les costnmes, les dénomin:ltions


fantasques; ell1pnllltons·-Iui tout ce qui ne peut passer,


tout ce qui est immuablc comme ia l'aison, éternel comme
la vél'ité. N'ouhlions pas, en nH~ttle temps, que tout éta-


blissemelll polit ique a ~on cóté faible; que toute constí-
tution présuppose, dans ¡'exercice des droits qu'elle con-




LXXIV VUES SeR LE GOUYER~EMENT DE LA FRANCE


fere, un certain degré de discemement, de modération, de
discrétion. N'aspirons pas a l'impossible. On peut, on doit
pouyoir abuser de tout. Des droits dont on ne pourrait pa~
abuser ne seraient pas sérieux. Toutefois, si les peuplés
ou les pouvoirs~ si les gouvernants ou les gouvernés en-
tendent pousser, en toute occasion, jusqu'~ l'extreme,
l'abus de leurs droits, on marche néccssairement, quelle
que soit la forme de gouvernement, ü des catastrophes,


ou plutót, ce qui est pis encore, on tomhe successivement
de catastrophe en catastrophe, sans jamais se relever.
L'empire romain passant de main en main, aux acclama-
tions tantól d'une soldatesque effl'ontée, tantOt (rUnC po-
pulace hébétée, et venant aboutil' ill'illvasion des barbares,
et au partage; de nos joUl'S, le Mexique passant de l'état
de vice-l'oyauté a l'état d'elllpil'e, puis de l'empil'e ;1 la
république, puis altemant entre la l'épublique fédérative
et la l'épublique unitaire, puis enfin devenant la pl'oie
d'une poignée d'aventuriers bien disciplinés et bien com-
mandés, voila le sort des nations qui nc savent ni se gou-
verner elles -mémes, ni se rési~ner a etre gourernées;
voilil l'avenir des nations qui se livrent, sans cause légi-
time, par fantaisie. par laisser allel'. faute rl'énergie et de




INTRODUCTION L'<XV


temps d'al'ret, 3U jeu terrible des révolutions. Sur cette
pente fatale, tout devient pierre d'achoppement; chaque
pas est une chute; a chaque chute, le corps tombé rebon-
dit moins haut ; son élasticité diminue jusqu'au point oÜ.
l'inertie l'envahissant tout a fait, il roule au fond de


l'abime.


Facilis descensus A verni ;
Nocles alque die~ palet atri janua Ditis;
Sed revocare ¡.rrarlnm superasque evadere ad auras
Hoc opus, hic labor es!. . . . .




..




VUES
SUR LE GOUVER'NEMENT


DE I~A FR.A.NCE


e H A P 1 T H E P R E NI 1 E R


D E ~ e o i\! ,\1 U .\ E ~


La Franee est divisée en départements; les dépal'tements
en at'l'ondisselllents ; les arrondissernents en cantons; le~
cantons en communes.


Isolés OH groupés a titres distincts, les départements
forment des dioccses, des ressorts de justice, des acadé-
mies, des divisions militaires, des préfectures maritimes.


Dalls chaque lH'anche d'administration, le service d'in-
speCtion découpc, a son tour, notee tel'ritoire en compar-
timents qui se croisent.




::! \TES SUR LE GOUYER~E;\lE\T DE LA FI{\:\CE


De ces diverses eil'conseriptions, la premiere, en ordre
de date, la premiere également en ordee logique, si 1'on
prend pOUl' point de départ, non l'État; mais l'individu,
c'est la eommune. C'est, en memc temps, la moins artifi-
cielle, la moins arbitrail'e. En génél'al, les cornmunes se
forment ct'elles-memes, peu 11 peu, pal' voie d'agrégation
naturelle. Lenl' origine remonte souvent ü des temps tres-
reculés ; leur existence a devaneé loule interrention de
l'autorité; en les constituanl, un s'est borné it les recon-
naitre.


11 n'en est pas ainsi des autres cireonscriptions.
Disposées sur un plan symétrique, elles 80nt, pour ainsi
parle!', faites a la main; O?uvres de l'I~tat, elles n 'existent
guere que dan s leurs rapports avee lui.


Si, ce qu'a Dieu ne plaise, l'Etat, en Franee, venait a
périr, t011tes tes grandes et moyennes circonscriptions
disparaitl'aient du müme coup. 1/ l'esterait des villes, des
bourgs, des villages, des hameaux ; les hahitations rurales
persistel'aient a se rattadlel' aux populations agglomérées
les plus voisines, tout au moins, par un licn moral, et
par un éehange continuel de uons offices. Pl'atiquement
et en fait, les communes sUl'vivraient. Ce sont des etres
réels.


Il existait, autrefois, sur notre territoire, dellx sorte5
de r,Olllmunes: les UlWS ;¡vaienl obtl'llu, :\ date!' du X¡e




\)E~ CO~IMlJNES '"
"


siecle, des chartes d'affranchissement 1 ; les autres
avaient été successivement établies par leUres patentes
emegistrées au Parlement. Leur constitutiorr était tres-va-
riable. Le décret du 14-18 dlicembre .1789, contirmé, en
ce point, par la loi du 28 pluviose an VIII 2, les a re-
modelées sur 1lI1 plan nouveau, el soumises ;l. un régime
uniforme, Avant comme apres cet événement, l'histoire
des communes, en France, alteste, d'époque en époque,
une luttc COllstante entre les tendances du gourernement
central el l'instinct de~ communes elles-memes. Le gou-
vcrnement central s'est toujours appliqué a etfacer touLe
distinction entre la circonscl'iption communale, el les cir-
conscriptions pUl'cment administra tires; ü transforme!' les
magistl'ats comInunaux en simples clélégups de l'autorité
supérieure. Les communes se sont toujou!'s efforcées de
conserver, :lutant que possible, lcur indiridualité pl'opre,
native, et la part d'inMpendance qu'elle comporte.


Cette lutte a eu ses vicissitudes.
Sous le l'égime impél'iaP, le principe d'assimilation


.


avait a peu pres gagné son proceso Sous la Restauration,
le príncipe contraire s'est un peu relevé. Sous le dernier


I Leber, JI isloil'e critique da POUVOi1'1I1I1IliciJial, de la condi-
tion des cU/s, des ¿,/!les pt des boul'gs depuis l'o1'igine de la mo-
lIarcltie jusqu'r¿llos jours. ~ Parí", 1828, }J. /G.l.
~Leber, p,4tH.
~ De 1804 Ú 181 L




! VUES SUR LE GOUYERNEJIENT DE LA FRANCE


gouvernement, il a fait des progres notables, néanmoins,
la luUe subsiste. Qui n'a pas oui parler, depuis trente ans,
des résistances opposées par les conseils municipaux a
l'actíon de l'admlnistration ? Quel conscil g(~nél'al n'a pas
été le théatre de combats désespl;l'és reBdus, d':mnéeen
ann0e, p:lr les comumnes, eontre la pl'éleution d'opérer,
sU!' elles, cumme sur une matiel'c hrute, de uriser leur
existenL:e, de les fonclre rune dans l'autre, ou de l'ema-
niel' leur topogl'aphie, Ü dire d'experts et pom le plus
granel bien du serviec ?


Puisque. nous entel1l1ol1s fonde!' Ull gOl1vcrnement,
sinon républicain, du llloins tres-lib(íral, il no saurait
etl'C question de rÍen rdl'andlel' ill'ílldévendal1l.'e rclaL1ve
que les cornmunCs ont r{:(.;uuvrée .. \Iais ecUe part d'índé-
pendance leur suftit-elle clésol'lllais ~ BOÍL-on laisser sub-
sister l'antagonisme entre les tendanccs naturdles du
guuvt'l't1elllCm central, eí les t'!;Sist¿illce~, i11SÜJ]('1 ircs eles
communes? Doit-o)j waíntt.'!J!I' ! s COllllllUlléS, pe lites
ou grandes, dans un état de minol'ité perpétuelle ~
Demeureront-elles soumises, non-seulement a la sur-
veillance, mais a la dircction habituelle, et a l'approbation
préalable de l'autorilé supérieU!'e, clans la gcstion de
leurs moinclres intél'cts '? C'est une (lUeslion aSSl'Z délicate.


l)'une part, íl ne faut pas se dissimulel' 4.ue celte per-
sévél':mce de l'Elat a SUpjJl'iIlWI', dans son sein, toutps les




:,


('xistences individuelles, toutes les indépendances, voire
meme toutes les distinctions locales, que ce travail d'ab-
sorption el d'assimilation, c'est , au fond, l'histoire meme
de la France. Réduil'e a l'unité tous les éléments dont
s'est formée successivemcnt la monarchie fran¡;aise, en
faire bon gré mal gré les parties aliquotes d'un meme
tout, ou, si ron veut, les articulations d'un meme animal,
G'a été, depuis six siecles, I'CBl1Vre, patente ou cachée, de
nos rois d'aborJ, puis de nos assemblées délibérantes.
Salls entrer sur ce point uans de granus détails, iI suffit
de I'appeler id que la tr:lllsformation des provinces eH
départements, et l'introcluction d'un régime communal
uniforme ont marché précisément du meme picd en 1789;
I'admínistratioll n'ayanl faít, depuis 101's, que poursuine,
Ü petit bruit et dan s ses dernieres ramitications,une en-
trepl'ise presque achevée, a eeUe époque, a\'cc fracas eL
sur une vaste échclle; prétencll'e désormais, par une opé-
raLlon inverse, constituer nos communcs en petites répu-
bliques sui jllris et ne rclcvant que d'elles-memes dans
la sphere de leurs intérets locaux, ce sera, si on le lente,
aller contre un coul':int d'autant plus rapide qu'il víent de
plus loín et tombe de plus haut.


Il ne faut pas se dissimuler non plus que, dans ses at-
taques dirigées contre le maintien de certaines communes
et dans ses efforts pour conserver, sur 100ltes, une tutelle


ti




ti YVES ~UR LE GOUVER;,,\E~lE~T DE LA FIU~CE


sévere, l'administration obéit a de lres-bons motifs et se
fonde sur d' excellentes raisons.


Il est tres-vrai qu'un tl'cs-grand nombre de communcs
rurales échappent par l'exiguité de leurs proportions, par
la rareté de leur population, par l'ignorance de leul's ha-
bitants, a toutes les conditions d'un gouvernement muni-
cipal tant soit peu raisonnable; que leur existence a titre
d' étres distincts, individuels, met a leuI' charge des édifices
qu'elles sont 1101'S d'état d'entretenir convenablement, des
établissements qu'elles sont 1101'S d'état ele bien gél'er, et
qu'en travaill~mt a réanir deux ou plusieurs pe tites com-
munes en une seule, l'aelministration supérieure agit réel-
lement dans leu!' intérct.


II est tres-\'1'ai que la meme oilla fOl'tllation d'un bon
conseil municipal n'est pas impossible, les querelles de car-
1'efour et de coin ele rue, beaucoup plus apres que les que-
relles de nation a nation, h~s jalollsies, les inimitiés, les ani-
mosités, beaucoup plus intraitables entre voisins qu'entre
gens qui ne se connaissent que de nom et qui ne logent
pas porte 11 porte; les brigues, les cabales, plus actives et
plus multipliées sur un petit que sur un grand théatl'e,
permettent rarement aux noms les plus recommandables
de sortir de l'urne électorale.


Il est enfin tres-yrai qu' en supposant un gouverne-
ment municipal 11 peu pres bOll, il peu pres satisfaisant,




DES COmWNES i


s'il est affranchi de la tutelle de l'administration supé-
rieure, s'il n'est pas surveillé el'en haut, étroítement, con-
tinuellement, il ne le sera point du tout et courra risque
de se corrompre. Poiot ele sUl'veillanco réelle, en effe!, de
la part eles administrés ; point el'opinion vraiment publi-
que elans les localités restreintes; point de public en état
d'exercer un contrüle éc[airé impartial; il n'y a guere,
il ce niveau, que des personnalités en .ieu, dn babil el des
commél'ages.


Mais, d'un autre coté, maintenir, dans notre nouveIle or-
ganisation politique, toutes les communes de France sous
un régitlle exclusivement paternel, ·e'est donc a dire qu'on
entendrait ne rel:'tcher en ríen, ni nulle part, les liens de
la centralisation; cal' oil [e pourrait-on faire plus facile-
ment et ayec moins de danger? On continuerait de faire
pesel' sur le nouveau chef du pouvoir exécutif, quel qu'il
fÚl, la responsabllité de toutos les décisions, de lous les
actes, de toutes les transactions qui se consomment sur
tons les points de notre territoire, rien ne s'y pouvant dire
ou faire sans son ordre, ou san s sa permission! on le
laisserait exposé a toutes les exigences qu'un pareil état
de choses comporte, el, par suite, en butte a tous les mé-
contentements, a toutes les criailleries que ces exigences
enfantent.


N'l;t30t ni Louis XIV ni :\f3polron, n'rt:1nt plus meme




ni Louis XVIII ni Louis Philippe, il lui faudrait Jire en-
core et toujours, encore et partout: « L'}1:tat, c'est moL 11


Cela se peut-il?
Aux États-Unis, le président est entierement étranger


Ü l'administration intérieure de la Virginie ou du Mas-
sachussets, et n'en répond a aucun degré. C'est le gouvel'-
neur de chaque petite république qui est responsable.
Le gouvrrneur, a son tour, est entierement étranger a
l'adminisration intérieure de chaque ville, de chaque
bourg, de chaque township, et n'en n;poncl ü ;mcun degré ;
ce sont les magistrats loeaux qui sont responsables. EL le
chef du pouvoir exécutif en Feanee continurrait d'!ldminis-
tre1' lui~l1léme, dil'cctement, par des agents qu'il couvre de
sa garantic, les tl'entc-sept mille COBlillunes dont la Fl'ance
se compase, et ü répondre personllel1ement des méfaits
de chaque maiee, de chaque garde champetre.


S'il est roi, que ses ministres puisent c1ans des institu-
Hons vigoureuses l\;ner~;ie qui leul' est nl'cessaire pom'
suffil'e a cette tache, a la bonne heurc. L'inviolabilité
royal e COUVl'e, 310rs, le pouvoir suprcme, et le pouvoir
ministériel se tl'ouve de force a lutter, quelque temps,
contre les orages. Mais, s'i! n'est pas roi, ou, si l'étant,
ses ministres ne sont plus armés de toutes pieces, a titre
d'hédtiers du régime impérial, il faut s'attendre a voir
le pouvoir supreme, pris á partie d'instant en instant. tré-




DES CO.\l~IU:.\"ES 9


buchcr, achaque pas, ou bien il fallt s'arranger pour que
foute responsabilité ne soit qu'un mensonge et n'existe que
de nomo


En politie¡ ue, comme en mécanique, quand on affaiblit
le suppo!'t, on doit alléger le fardeau, on doit restreindre
la sphere d'actioll qlland on réduit la pllissance.


D'autres considératiolls encore viennent a l'appui de
celles-ci.


Cel état de minol'ité pel'pétuelle c¡uí s'étend, en France,
a ¡olltes les conm1lmes, s'étend ¡\ (ortiori, ;l toutes les
autres circonscriptions territoriales. Achaque degré de
l'échelJe, la gestion, et, par suite, la responsabilité de
tOll8 les intérets sociaux appartient exc1usivement aux
agents de l'autorité. Les citoyells sont entendu~ llt'S qu'ils
le demandent, directemellt ou dan s b personnc de leurs
manclataires; souvent ils sont consulfés; quelqllefois ils
ont l'initiative de certaines propositions, d'autres fois le
véto; mais ils sont toujours élrangers h l'action, Ü la COIl-
duile, a la dírection principal e ou secondaire. Quand les
rhoses tournent mal, ils ont droit de se plaindre, et ne
sont jamais tenus, en bonne justice, de s'imputer a eux-
memes tout ou partie du mauvais succes.


Rien de mieux, dans une rnonarc]lÍe puremcnl admi-
nístrative, telle que l'ayaient con<;,ue M. Turgot et M. Nec-
knr Ollfant son prenlier ministel'e, telle c¡ne l'empereur




I


10 VUES SUR LE GOUVERNEME~T DE LA FIUXCE


Napoléon l'avait, a peu pres, réalisée. C'est un état de
dIOses logique, régulier, et, bien qu'un pell limide, un
peu routinier, favorable, somme loute, a la pl'otection des
in térets matériels.


Mais vienne la liberté politique se gl'effer sur un tel
état de choses ; que le droit de se plaindre tonne, au lieu
de s'exprimer a voix basse; qu'il s'arme de la presse et
monte a la tribune; que les mécontentements, bien OH
mal fonllés, sérieux ou frivoles, acquierent le droit de se
grouper en partis, de s'enrégimcnter en factions; que cc
soit la le chernin des honneurs, du pOllvoir, de la fortune,
qu'arrive-t-il ?


Il arrive ce que llOUS voyons depuis trente ans.
Une nation dont tOllte l'activité politique se réduit ü


fronde!', á critiquer, a regarder faire en se croisallt les
hras, perd promptement tout bon sens. toute retclluC,
toute justice dans l'appréciation des actes de l'autorité:
rien ne l'avel'tit de la mesure, de l'exacle proportion des
choses; rien ne lui apprend ü distinguer la vérité d11 men-
songe, la réalité de l'exagération ou de l'appal'ence; elle
s'indigne, sans motif, ou se livre en pure dupe aux pro-
messes les plus folles, 3UX espérances les plus chiméri-
ques; elle contracte des habitudes intraitables de UIOhilité
et de turbulence. Son gOllvernement, quel qll'il soit, s'é-
puise en vains efforts, ponf la satisfaire ou pour l'édairer.




DES COMl\1U~ES 11


Les ministl'es succedent aux ministres; les révolutions
aux révoluLions; le malade se retourne altcrnativement
d'un coté sur l'autre, sans y trouver ce qu'il cherclle. A
chaque phase nouvel1e, on annonce des merveilles; mais
ces merveilles, des qu'on en approche, ce sont des batons
floltants; en arrivant au ponvoir, les nouveaux venus y
rencontl'cnt des diflicultés qu'ils ont ignorées ou mécon-
nnes, précisément les memes difficultés sous le poids des-
quelles leurs prédécesseurs ont snccomiJé. Ce qu'ont fait
leurs prédéccsseurs, ils le font :\ lenr tour; et, ü ¡eur tour,
ils en portent la peine; on le~ traite d'apostats, de rcné-
gats, tandís qu'ils ne sont que des étourdis allxquels les
écailles tombent !les yeux.


e'est, en tres-granJe pal'tie, Ul lc secl'et de nos misel'es.
On ne pellt, dans un pays librc, dan s un pays divisé en
partis, oü la pres'ic cst san s enlraves, ou la tribune est
toujours ouvcrtc aux attaques Jirigées contre le pouvoir,
Oll ne pellt assigncr á ccs attaques cel'taines limites
J'équité et Jc raison qu'en assocíant, plus ou moins, les
assaillants eux-memes allX embarras et a la responsabilité
des affaires, en leur faisant comprendre par leur proprc
expéricncc, el, s'illc fant, ü lcurs Jépens, que fíen ne ya
tout seul en ce mOlldc, qu'il ya telle chose que des obsta-
eles, telle chose que des passions et des résistances, telle
chose que de~ impossibilités; et, partant, que, dan s




12 VUES SLJk LE GOUVER:\'EME:'\T DE LA FIIA:\CE


l'exercice de l'autorité, iI faut faire la part large aux mé-
comptes, aux méprises, et savoir, le plus souvent, se con-
tenter de l'a peu preso


L'avenir est a ce prix.
Si nous voulons qu'a l'avenir quiconque se mele de


politique, petite ou grande, générale ou locclle, s'en mete
a bon escient; si nous voulons transformer enfin des en-
fants gatés, des enfants hargnellx et criards en véritables
citoyens, en hommes CJui sachent, tant soit peu, ces trois
choses sans lesquelles 011 n'es1 hon :1 ríen ici-has: - com-
mander, - obéir - et se l'ésigner virilemenl aux incon-
vénients du parti qu'on a préféré, il faut, cotite que coúte,
initier, a certain degré, les administeés, a la partie actÍ\'e
de l'administration, eL leur faire échanger le role facile el
paresseux de pllrs critiques, tout au moins, contre le role
un peu plus laborieux, un peu plu; chanceux cl'ama-
teurs.


Si 1l0US voulons eníin. el e' cst IJL' ti ¡ -etre i ci la raiso 11
quí domine toutes les autl'cs, si nons voulons que la
France, sans cesser d'etre Ulle, c'est-a-dire sans cesser
d'etre elle-meme, s'appartienne cependant ü elle-meme,
qu'elle cesse d'étre inféodée a sa capitale, corfls et biens,
ame et conscience, comme un humble sel'f, corvéable et
taillable, a merci et miséricorde; si nous voulons que nos
rilés, qlle nos c3mpagnes aient lem rOle dans les grand~




DES COMMCNES 13


événements, et leur mot uans les résolutions nationales,
qll'il ne suftise plus d'occnper París a maín armée, ou
d'enlever les Tuileries, ou simplement de s'emparer du
Télégraphe, rue de Grenelle, pour s'imposer, soi et les
siens, a trente-quatre millions d'ames; si nous voulons,
tous tant que nons sommes, etre avcrtis et entendus, lors-
qu'il s'agit de transférer, tour a tour, notre allégeanee des
Bonapartes aux Bourbons et des Bourbons aux Bona-
partes, de nous faire passer de la république a l' empire,
de l'empire ü la monarchie, de la monarchie a la répu-
blique; si nous voulons rendre un peu de paix á la eapi-
tale elle-meme, ear, il faut bien le savoir, les révolutions
ne lui Iaisseront ni paix ni trevc, tant qu'il suffira de lui
mettre le picd sur la gorge ponr erre maitre partont a la
fuis; si nous vouJons cela, et, en ,'érité, ce n'est pas se
montrer trop cxigcants, le seul moyen, e' est de rendl'e aux
Joealités un peu de vle propre, un peu ¡j'existenee per-
sonnelIe, e'est d'obliger le gouvcrnement central a traiter
avee elles, a les compter pour quelque ChOSé; e'est, en un
mot, de lenr restituer, a leurs p(>rils et fortune, tant soit
peu de libre arbitre.


Ponr en venir la, il faut commeneer; pour opél'er avee
prudenee, il faut eommeneel' sur le plus petit de tous les
théatres.


Dans I'enceinte df' la commune, les intérels loc3ux se




14 HjES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE
distinguent des intéréts généraux, plus nettement, plus
faeilement, plus eomplétement que partout ailleurs. Dans
la gestion des intérets purement loca UX, les torts, les fau-
tes, les malversations meme, toujours tres-facheux pour
la localité, e'est un point qu'il importe de ne jamais
perdre de vue, He portent cependant il l' ensemble de la
sOGiété qu'un préjudice a peine appréciable.


e'est la commune qu'il convient d'émaneiper la pre-
miere, sauf a remonter progressivement et avee précau-
lion, de la commune au canton, du cantoll Ü l'aITondisse-
ment, de l'arrondissement au département.


Le premier pas, dans cette route, ce doit etre de garan-
tir désormais, de maintenÍl' a l' abl'i de toute atteinte,
l'existence et l'intégrité de chaque commune.


Sous rancien régime, nulle comrnunauté (['habitan!::; ne
pouvait etre établie sans l'autorisation du roi 1; il Y élait
pourvu par leUres patentes enn:gistrées au Parlement, eL
l'autorité royale qui fondait ces communautés demeurait
maitresse de les moditler ou de les détruire.


L' Assemblée constituante, en déclarant que toutes les
municipalités du royaume2 , soit de ville, soit de campagne,
sont de méme nature, el placées sur la méme ligne dans
l' ordre de la Constitution 3, réservait au pou voir législatif


I Leber, p. 46~.
~ lntroductíon sur le décrel c/u tí dél'embre 17H9, ? 2.
:; Constitution ¡Iu 3 septembre f7~1. tit. 1I, art. VIII.




DES CO.iIIMUJ.\"ES 15


le droit de statuer sur les círconscriptíons communales.
La luí du 21 nivóse au YI, conférait aux administra-


tions départementales le droit de procéder, selon leu!'
discrétion, 11 la réunion de deux OH plusieurs municipalités
en une seule.


Depuis 1 , il Y a été pourvu par ordonnances royales.
Aujourd'hui, Loute proposition ten dante 11 moditler les


circonscriptions communales, soit par voie de réunion, soit
par voie de distraction, doit etre, avant tout, soumise 11
une enquele. Les conseils municipaux2 intéressés, assistés
des plus imposés de chaque commune, en nombre égal
aux conseillers municipaux, donnent lem avis. Les con-
seils d'arrondissement et de département sonl entendus.
Cela fait, si la müdification donl il s'agit, affecte la com-
posilioll d'Ull canton, d'un arrundisselllent, Oll d'un dépar-
tement, elle ne pcut etre vrononcée que par une loí.


Il en est de meme lorsllu'il y a dissentilUl'nt de la p:u't
d'un ou de plusiwrs des conseils lllunicipaux intéressés ;
dans le cas contl'aire, il suffit d'une silllple ordonnance 3.


Toutefoís, si le canseil municipal qui refuse son assen-
Liment représente une commune composée de moins de
trois cents .tmes, l'orc1onnance de réunion peut etrc rendue
sur' l'avis du conseil général du département.


I Jurisprudence du lIlinistere de l'intél'ieul' ILeber, p. -W11.
2 Loi rlu 18 juillet lH3í, tit. 1.
, Décrel.




16 VUES SUR LE GOUVERNEME~T DE L.\ FRANCE


Cet état de choses tres-sage, d'ailleurs, 11 plusieurs
égards, laisse, néanmoins, comme on le voit, l'existence
de toutes les communes, grandes ou petites, 11 la merci de
la loi, et eeHe des communes de moins de trois cents
ames, c'est-a-dire les plus menacées, a la merci de l'or-
donnance. Tant qu'il subsistera, la lutte dont iI vient d'élre
parlé tout a l'heure persistera. Pour la faire ces ser, le
moyen est simple, e'est d'exiger, dans tous les cas, eomme
eondition sine qwl non de toute réunion, ou distraction
queleonque, l'assentiment de toutes les communes ou frac-
tions de eommunes intél'essées; de renoneer a la coaction
la ou la persuasion ne suffit pas, et d'accepter franchement
alors, les inconvénients du statu quo.


Apres tout, le mal, quoique réel, n'est pas bien grand,
et, si la souveraineté des peuples doit (~tre respectée quel-
que part, jusque dans ses capt'ices, e'est assurément ¡a
ou le dommage n'alteint que ceux qui le veulent subir, eL
ou elle tient de si pres a l'indépendance individuelle.


Tel était, au reste, l' esprit des instructions rédigées
par l'Assemblée constituante l.


Le second pas, dans la voie de la réforme, ce doit etre


1 « 11 pent etre a la convenance Je plusieurs communes de Se
réunir en une senle municipalité : il cst dans l'esprit de l'Assem-
blée llationale de favorise.r ces réuniuns, eL les corps adminislratifs
doivent tendre a les provoquer el a le~ mnltipli!'r. » (Instruction du
'2 antit 1700, ~ 3.)




DES COMMlrNES li


de séparel' efficacement, prati4.uement, définitivement (e~
intérets locaux des intérets généraux.


Toute commune, en ellet, peut etre envisagée sous
deux points de vue tres-différents.


10 C'est une simple fraction du territoire national, dans
l'enceinte de laquelle les lois générales et les décisions
plus ou moins générales de 1'3utoritl~ supél'ieure doivent
t~tre ponctueIlement exécutées.


2° C'est un etre collectif qui a son mode d'existence
propre, ses besoins spéciallx, ses voies et moyells pOlIr y
pOUl'voir.


La loi dn 18 juilld 18a7 pose elle-meme cette dis-
tinction I :


Le maire est chal'gé sons l'autorité de l'administl'3-
tion supél'ienre:


De la puhlication et de l' eXi'cntion des lois et l'e~:Ie­
ments;


Des fonctions spéciales qui lui sont attl'ibuées par les
loís;


De l'exécution des mesures de snreté générale.
Le mail'e est chargé sous la surveillal1ce de l'adminis-


tration supéricure '! :
f o Etc., etc.


t An 111.
~ An x.




1R VUES SUR LE GOUVER~EMENT DE LA FRAi\CE


Ce dont le maire est chargé, SOtiS r autorité de l'admi-
lIistration supérieure, c'est ce qui concerne la commune,
en tant que simple fraction du territoire national; ce dont
le maire est chargé sous la surveillance de cette meme
administration, c'est ce qui concerne la commune en tant
qu'etre collectif mais l'éel.


Il suffit, par conséquent, de consulter la jurisprudence
administrative, a titre de com mentail'c des articles 9 et 10
de la loi actuelle, pour opérer le départ entre les ueux
ordres de fonctions, avec une précision )'jgonreuse 1.


Sous l'ancien régime ces deux ol'dl'l~s de fonctions
étaient non-seulement distincts, mais confiés a des magis-
trats différents; la publication des lois et rcglements, leur
exécution, la police, les mesures de slll'eté gérHSrale, la
grande et meme la petite voil'ie ressortissaient exclusive-
ment aux offieiers du prince, a ceux des cours de justice
et des seigneurs. La compétence des corps municipaux
était exclusivement limitée aux officiers de la commune.


Il en est encore ainsi en Angleterl'e.
Le territoire de la Grande-Bretagne est divisé en pa-


roisses. Chaque paroisse a sa petite administration a
part, et regle elle-meme ses propres intél'ets, sans aucun


1 Il Y aurait lieu néaj1ffiOins de revoir avec so in la distribution
faite par la loi ¡)u 12 juillet 1837, entre lrs deux orJrrs (l'attrihu-
tions des maires.





DES COMi\IUNES


controle. l1lais l'exécutlon des lois générales et des lois
< ~


locales est eonfiée aux ofticiers de cOl1lté - lord-lieu-
tcnant, - shérifs - juges de paix, lesquels sont nommés
par la couronne. Les villes, pourvues de chartes d'incor-
pOJ'ation qui les eonstituent en petites républiques indé-
pendantes, ne font point exception ü cette regle.


Depuis notre pl'el1lierc révolution 1, les deux ordres de
fonctions sont eonfondus dans les l1lcmes maios:2, réunis
~ur la llleme tcte, et, selon que le pl'incipe 3 démocratique
a tour a tour pré\'alu ou Iléehi devant le principe mo-
narchiL{ue, lantol c'est I'homme du gouvernement qui a
exercé les druits de la COllJl1l1lne, tantOt c'est 1'1l0mme
de la communc qui a exercé les droits du gouvernement.


En 091 4, en l'an 1lI, l'administration municipale était
collecti ve, et le COl'pS munici pa 1 tout entie1' était élecLif 5;
c'étalent les hommes de la commune qui exer~alent les
dl'oits du gouvernement.
~


Sous le l'églmc introduit par la 10i du 28 pluvióse
an VlIl G, l' administration s' est parta~ée entre un conseil
exclusivement délibémnt, et un maire exclusivement


t Loi du 14 décunbl'e 1789, arLi3, 50 el 51.
2 Loi du ':H aoút 17VO, tito XI.
" Loi du 22 juillet 1791, tit. 1, arl. 46,
• Luí du 14 JécemLre 1789, art. 23 eL 41.
1, ConstilutiuJI dI' I'all 111, art. 179 el 1St.
{, Arl. 15.




chargé de I'actíon, mais I'un et I'autre également Ilommés
par la couronne. C'était l'homme du gauvernement qui
exerí;ait les droits de la commune.


Cet état de choses s' est maintenu saus l' Empire et sous
la Restauration.


Sous le dernier gouvernement 1, on avait pris 1m moyen
ferme. Le conseil élait électif; le maÍl'e était nommr. par
le roi, mais choisi dans le sein du conseil.


Tant que la confusion subsistera, il sera décidémcut
impossible d'émanciper les communes.


Sous un régime militail'e, on ne peut, ní ne doiL oblige.'
le gouvernement central a confier l'exécution des lois,
l' exécution des mesures générales placées directement
sous sa responsabilité, il des agents qui ne seraient pas
de son choix, et révocables a sa volnnté. C'esL (Ha, pour
lui, une tres-grande difficulté de t I'uuver Ull af!,'enl COllVC-
nable dalls le sl'Ín de chaque cOllseil mUl1il~i)l:¡J t;¡cdif; el
l'obligatio], pOUl' cet agent, d'ohtenir et de conserver, cn
tant que magistrat communal, la majorité dans le conseil,
apporte, en maintes oceasions, des entraves réelles a
l'accomplissement de la volonté da législateul'. Si cet
agent était imposé au gouvernement central, s'il était
irrévocable, le ~'ouvernement central lJ'alll'ait plus d'action


i LQi du '21 mar'i 1831, lit. 1, art 3,





DES COJU~mNES


sur lUi, et l'exécution des lois demeul'erait a la merci de
lous les caprices de chaque localité.


Cela se peut allx (~tats-Unis.
Sous UD résime fédératif, il est de principe que le


centre ne communiqlle pas directement avec les extré-
mités; l[ue l'autorité fédérale n'a d'aetion que sur les
Étals, et que les États n'ont d'action que sur les autorités
intel'médiail'es; l'affaiblissement général qui résulte de
ces solutions de continuité, cst la conc1ition acceptée de
eette forme ele gouvemement.


« Parmi nous, dit JI. de Tocquevllle, le gonvemcment
central pretc ses agcnts ¿l la commUllC. En Amériquc, la
eotlnnune prde scs fonctionnaircs :m gounrnemcllt '.
Cela seul fait comprendec, aquel point les dcux sociétés
dlfferent. »


Saos doute, et e'est pl'écisément paree qu'elles differcnL
it re degl'é, que cc llui r,~~t possible de l'autre cé'ltt; ue
l'Atlantique ne le sel'aÍt pas de ce coté-ci.


Au demeut'ant, nous en avons dt'j:l fait l'épreuve,
en '1791 et en l'an IlI. l\lalgré toutes les précautions pl'ises
;', ces deux époques pou!' maintenil', entre les adminb-
tl'aliuns locales ct l'administr;¡tion supérieure, un peu de
subol'dillatlUll, Lll1archie complete n'a pas tardé ;l s't\ta-
hUI' sur tuus les points du tel'l'itoil'e.


I f)dmIlCl'n/il' ¡JI' la 1'(;pllbliqIlP 1'1/ A 1I11;,lql(l'. t. r, p. 80.




22 YUES SUR LE GOUVERNEME~T DE LA FHA]';CE


Séparez, de nouveau, les deux ordres dc fonetions;
retirez aux magistrats COmtllUnaUX la quallté d'agents du
gouvernement central; placez, ainsi qu'il sera expliqué
plus tard, au cheJ-lieu de canton, le siége dll fOllctionnail'c
pulJ!ic chargé de tCl11r la main, uans l'intét'icUl' des com-
Humes, il l'cxécution des lois génél'ales, des reglements
généraux, des décisions de l'autol'ité SUllét'jeul'e, vous
poul'rez alol's abandonnel', non salls inconv1íllient, mais,
du moins, sans d~mgel' public, le !l;aniemellt des int¡jrcls
communaux allX élus de la comllllllle.


Il est d:ms la nature de ces inttíl'ds de se !JmPMliol1flet'
assez ex;¡ctenwnt it la gt'andelll' el it J'ill1purtalll:e des
localités. Immenses h París, il Lyon, il Bonleaux, ils sont
médiocres dans les petites viih's et dalls les IJourgs, mi-
nimes dans les commnnes rurales.


Ch:lque localité ne contíellt pJ~, h lJeaucoup pres, et
c,'est l'une des difficultés de l'état de dwses actllcl, de
bons fonctionnaires publics, dans tOllte la valcm de et~
terme, des hommes en état de pénélrer dans l'esprit des
¡oís générales, (bns l(~ caraelerc t'L la portée des m'snn~s
de l'admínistration supérielli'l', et d'cn a~SLlrel' l'cxécil-
tion avec illtelligence el discrétíon; mais chaquc localité
petite ou grande, renferme de~ hommes en él at de gérer
slIffisamment lcs intérets purcmcnt locaux, eL d'cn ;lSSUllWI'
la responsahilité il la déclwl'(,!:e du gOIlV(TIH'IllCt 't ccntr31.




DES COl\IMUNES 23


Reste á examiner sous qucUes eomlitions eette respon-
sabilité doit etrc acceptée par les élus, et exereée par les
commettants; et d'abord quelle doit etre la composition
des corps munieipaux? quel doit etre le régime inté-
rieur de la commune, petite, moyenne ou grande?


1 - Doit-on pcrsister dans le systeme d'uniformité
introduit par l' Assemblée constituante et soumettre au
meme l'égirne in térieur tou tcs les cornrnunes de Franee,
aussi bicí1 les grandes villes dont les revenus dépassellt
l(~ budget de certaills royaumes, que nos communes rura-
les 1 dont les rewnus s'élcyellt ü peine Ü quelques
centaines de fraIlcs '? ou bien doit-on revenir a l'aneien
svstemc? doit-on étalJlir une lig'ne de démarcation trau-


e ~


dlée entre les COll11f1UneS urbaines et les communes rura-
les!


Autl'dois 2, le:'l simples paroisscs formant commu-
nauté d'llabitants, étaient administrées par Utl syndic avee
le coneours de tOllS les chefs de famille qui se réunis-
saient ~\ des époques déterminées pour délibérer sur lcurs
intérets communs; tandis que les villes et bourgs qui
comptaient pll1s de 2,000 ames étaient aclministrés par un
c.orps municipal :! plus ou moins nombrcux, plus Ol!


1 37,321, communC',; : ;;3,000 ayallt moins do 1,500 hahitants;
~,G23, moins Je :WO Ita}¡itant~: 013, moin~ Je 100.


2 Ll·llrr. p, 47í.




~4 YUES SUR LE GOUVERNElUENT DE LA FRANCE


moins diversement composé selon le degré tI'importance
de chaque loealité.


En Angleterre, d:ms les simples paroisses, le eorps des
habitants - vestry - n'agit point par voie de représenta-
tion; il se rassemble pour délibérer, el chaque vestry-
man a le droit d'en provoquer la réunion; e'est dans ees
réunions que sont choisis el ap~jelés a rcndre leurs comp-
tes les officiers de la paroisse - marguilliers - inspee-
tenrs des paroisses - inspecteurs des routes - greffiers,
ele; tandis que la plllpart des yilles de quelc¡ue importance
sont incot'porées, et 011 t ehacune lCllI' petite cllat'le, cal-
quée ~Ul' la constitution du royaull1e; dcux Chambres
(un boanl of aldemen, un common cOlmcíl); un pouvoir
exéclltif (lord maire ouprovost); un juge splíeial (l'ecur-
de/') , enfin tous les aecessoires tI'un gourernell1ent :w
petit piell. -


De meme aux États-Unis.
Les villes les plus importantes ont, en général, ti Il


eorps municipal, divisé en deux Chambres, et un rnaire;
lem constitution intérienre est l'ohjet d'une loi spéciale;
les COU1munes (townships) se gouvel'llement dil'ectement
elles-memcs 1 ; C{ le corps des éleelcllr::;, apl'cs avoil' élu ses
magistrats, dont les UDS (select-lIlell) sont i¡¡vestis d'attl'i-


I Tocqneville, t. 1, p. xo.




DES CmIMUNES


butions générales , et les autre<.; d'attriblltions 1 8-péciales,
les dirige lui-mcme tI'lBs tout ce qui n' est pas l'exéeution
pure et simple des lois de l'J~tat».


Ajolltons qu'en France, sous la constitutioll de l'an III ~,
on avait considéré comme nécessaíre de revenir sur le
príncipe d'uníformité établi par I'Assemblée constitllante;
toute commllne dont la population n'excédait pas D,OOO
habitants était administrée par un agent el un adjoillt;
la réuuion de ces officiers municipaux, au chef-líen de
canton, constituait une mUllicipalité de canton; les
ville,~ dont la popuL!tion dépassait o,000 ümes étaient
pourvues d'un corps municipal.


QueHe que soit l'alltorité de ces exemples, quelquc
sage, ou, du moins, spécieuse ({¡le la distínctioll entre les
communes urbaines et les communcs rurales puisse parai-
tre; au premier aspect, il ne serait pas a pro pos d'y aroíl'
égard,


L'expérience tcntée en l'an III n'a pas l'éussi, Il est
des choses peut-etre honnes en elles-Illemes, qu'on peut
regrettee jusqu'ü un certain point, mais qu'on ne saul'ait
rétablir (jllaud le tcmps et les événements les ont détruÍ-
tes. On !le fait gUl'I'C (le variété i\ priori, Partollt oil


1 La circonscri ptioIl mI) ~ cllnc tl' ti n 1010 nships est de Sepl \ieuos,
celle d'uIle commUliC franc;tÍsc c.,t (le trois quarts de lieue,
~ CUllstitution de l'an III, art. 17~), 180, 181.




26 VUES SUR LE GOUVER~ElUENT DE LA FRANCE


l'uniformité a, bien ou mal a propos, passé son niveau, il
y a moins d'inconvénients a la subir qu'ü tenter d'y faire
breche. Si J' on essayait d' enlever aux communes rurales
lem conseil municipal, elles se regarderaient comme dé-
pouillées, et jetteraient les hauts cris. Le régime qui pré-
vaut en Angleterre et auxÉtats-Unis p~raltrailtrop ~jmple
pom les petiles comlllunes, trop compliqué pOllr les gran-
des.


I\ vaut mieux ne pas ¡lIllore!'.,
II - A plus forle raison faut-iI maintenir le p!'incipe


d'org:1l1isation posé par la loi du 28 pluviose an nu, UH
conseil municipal exclusivel11ent délibérant, HU lltaire
exclusivement chargé d'exécuter les mesures arretées
par le consei!.


Divise!', cómme en Angleterre et auxÉtlts-Unis, le pou-
voir délibérant en dellx branches, d'origine tlifférente, ce
sCl'ait transporte!', sU!' le thétltre étroit de la clllnmune,
J'1~tat llli-méme, et surcharger l'expédition des atfair'es de
plus d'entraves que I'intérét des administrés ne l'exige.


Diviser le pOllvoir exécutif entre plusieurs mains 1,
soit qu'on en chargeat, COlllme en 178D et en l'an lH::l,
un CO\'PS collectif, soit qu'an distl'ihutlt, comme él! An-
gleterre et aux l~tats-Unis ~\ lcs clinú'cllles branclJes de


1 Loi llu 14 décembre :1789, art. 26, 27, 32, 31, 3.') et 3G.
~ COllsütution de l'an IlI, art, lS3, lS1- ol 18.').
:; TocfJucville, t. 1, p, 71 el 7:1.




27


service entre un cert;\in nombre de personnes distinctes, ce
serait priver l'administt'ation communale de toute harmo-
lIie, de Loule régularité, dc tout ensemble; ce serait
amoindrir, sillon annulcr tout [} fait L! respoIlsabilité.


Confondt'e, comme autrcfois 1, le pouvoir délihérant ct
le pouroir cxécutif, et répartir cnsuitc ce pouvoil' mixte,
hY])l'ide, informe, entre un corps de notables eL un corps
de villc, ce sCl'ait cumulc!' les vices et les ineonvénients
de tOllS les systcmes.


Xotre systcmc actucl e~t décidémcnlle IHeilleut'.
IIJ. Les conscils rnllniGipaux sont el deillcmcront élec-


Ül's, mais commcnt scrunHIs élns ?
Fallt-il maintcnil' Il~ principe du suffrag'e universel,


tel qu'il a dé introduit, en France, par la révolution de
février?


Faut-i1 en revenir :2 au systeme des plus imposés, tel
qu'íl était établi par la loí de "J831'!


Faut-il poser un eens fixc 3, saur h le üüre deseendrc
au minilllllll1 indiqué par I'assemblée consLiluante, trois
.iournées de travail.


Faut-il, COmr¡1C cn Anglelcrre l posel' un ecns variable
Ull pou plus élevé tlans les eommuncs urbaines, un pou
tnoil1lirc l1ans les COHllllUI1Ci; rurales?


1 Lebcr, ji, 487.
~ Lui <lu ~l m.l!": 1'-::)1, arlo JI.
3 lns!ruclioll pOll\' la lui !lu 11. r]I"I'em]¡re 17119, ~ .).




28 VUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FRANCE


L'unique m(í.rite du suffrage universel, c'est d'étre placé
sur l'extreme limite qui sépare le dmit pur et simple de
la force ¡Jure et simple. Par delá le suffrilge universcl, les
l'adicaux, les déIl1agogucs n'onl rit'Il a réclamél' cn fait
d'extension des droits politíques. Quiconque ne se soumét
point 3U HBU de la majol'ité, non plus présurnée mais
numérique, au vreu légalement, réguliercment, paisible-
ment exprimé de la majorité positive; quiconque résiste,
en pareil cas, ü la puissance <les chiffres, se place en de-
hors dcs conditions de la société; il en appelle ü la force;
e'est il la force a lui l'épondre.


En se résignant au su1Trage universel, on ne court done
allClln risqne d'étre forcé dans ce dernier retranchement
par les attaques de la tribune ou de la presse. Voilh l'avan-
tage, il est réel; mais e'est le seu!.


Po ser en principe que les droíts sont absolus, qu'ils
n' oot pas pour regle et pour 1 imite la capacité de les
exercer convenablement, autant dire que les droits de
l'hom me fait appartiennent a l' enfant, et ceux de l'homme
raisonnable a l'insensé.


Admettre que tous les homllles, paneDus a l'[tge de
discrétion, son: également capahles dl' faire, avec UlI égal
dcgré d'indépcndance, d'intdligence, de discemement
tous les choix. possihles, delmis le plus humille jusqll'au
plus élevé, depuis le plus simple jusqu'all plus délicat, al!




DES CO~1l\IUNES 29


plus périlleux, jllSqU'~t r.elui dont dépend le sort des géné-
rations, la destinée des empires, c'est une proposition a
tel point dépourvue de bon sens, que ceux memes qui la
soutiennent, a grands cris, n'auraient garde de s'y sou-
mettre dans leurs affaires pri vées, et de faire aussi bon
marché des intérCts de leur ménage que des intérets de
l' État.


Quel est l'homme qui, dans les relations habituclles,
dans les transactions de chaque jour, considere un domes-
tique a gages, comme indépcndant du maitre qu'il sert)
un apprenti, un ouvl'ier a la journée comme indépendant
du pateon qui l'emploie, un ~olclat sons les armes comme
indépendant de l'officier qui le commande et dispose de
lui ad nutum ?


Que! est l'homme qui regarde le premier venu COlllme
aussi en état que tout autl'e pour lui ehoisir un bon avo-
cat, s'H a un proces, Ol! un bon professeur, s'il veut mettre
son fils en pension '? quel est cel ui qui n' estime pas qu'un
choix important exige plus de précautions qu'un choix
ordinaire?


Ouvrir il Lous les citoyens indistinctement l'acces des
d1'oits poli tiques, - cOllférel' ces d1'oits ü tous ceux qui
sont en état ele les ex creer convenahlemcnt, - chercher
dans les antécédents, dan s la position sociale des garan-
ties de capaGité, - proportionner ces ga1'anties a l'im-




30 VUES SUH LE GOUVERNEMENT DE LA FIU~CE


portance du choix, c'est une iclée si simple eL si raison-
nable, qu'il faut, en vérilé, vivre dans le temps oh nOlls
"ivons pour l'entendre contester.


Toutefois, on doit dire du suffrage univcrsel ce qUl a
étiS dit, tout á l'heure, du príncipe d'uniformité dan s 1'0r-
ganisation des conseils municipaux. JI existe, il e~t le
meme á tous les degl'és de l'échelle. Pour lui suhstituür,
sur nouveaux frais, un systeme de gradation dans la ré-
partition eles droits politiques, il fauell'ait, d'échelon en
éChelon, priver de ces droits des hommes qui !le 50nt p:l<":
tres-contents ele les posséd.er, qui se dispensent déj;'¡ de
les exercer, mais qui seraient tres-mécontents de les
pcrelre. Tant que l'expél'ience n'aura pas démontré que le
suffrage universel soit incompatible avec le maintien dll
bon ordl'e et les intércts esscntiels ele la société, mieux
vaut chercher ~l en conjurer les dangers, les inconyénients,
que de lUÍ livrer bataille en regle, et de renelre, en cas de
victoire, aux ennemis ele la paix publique, un drapeau á
déployer, une idole a invoquer.


D'ailleurs, dans le naufl'age actuel de tons les principes
du droit, de tous les préceptes de la raison, de tOIlS ces
axiomes, de tons ces lieux communs de sel;s eOtlllllUn sur
Iesquels [es socíétés humaillcs rCpOscllt, dcpuis six IlIille
ans, le respect de la minorité pour la lllajoriLé étant le
seul qui subsiste, le seul que les factions se crojent en-




DES CO~mUNES 11


core, p:\r pudeur, obligées de profcsser du bout des
lcvres, le seul quc notre scepticismc étourdi n'ait pas eu-
care cité á son tribunal, íl importe de le ménager dans
son demier refuge, et de ne rien faire qui puisse en
ébranler la solidité, Oll en obseurcir l'éviclcnce.


Les inconvénients, les clangers d" suffrage universel,
sont, en premicl' lieu, l'ignorance absolue d'un tres-grand
nombre d'électeUl's, ignorance qui, les rendant incapablcs
de se décicler avec réflexion et discemement, les livre, en
avellgles, SOit.;l leurs propres passions, 100'squ'ils en ont,
soit, plus soU\'cnt encore, aux. lllanceuvres des intri-
gants; c'est, cl'autre part, l'indifférencc profoncle qu'in-
spire, en temps orelinaire, á ces masses cl'électcurs igno-
rants, une opération C{u'ils exécutent sans en comprendre
ni l'esprit ni. la portée; et par suite le caractere bizarrc,
inconséqucnt, pl'esquc aléatoire des élections qui eUl'é-
sllltent; la majorité changc, ü chaque instant, dans le~
colléges électOl'allX, par les raisons les plus frivoles: selaB
le vcnt qui souffle, ou le temps qu'il fait, selon l'éloigne-
ment ou la proximité d'un jour ele marché, les candidats
réussissent ou ne réussissent pas a pousscr par les épaules
les électcUJ's récalcitrants; c"est cnfin l'étroite et rigou-
reuse dépeuelancc oü cCl'tains (~lccteUl's se tl'ouvent placés
Yis-a-vis d'autres élcctems, dépendance 11 laquelle les
pn'miers ne peuvent guere échappel' sans se constituer,




32 VUES SUR LE GOUVERNEJ\lENT DE LA FHANCE


a l'égard des derniers, dans un état d'hoslilitl~ sourde qui
trouble profondément soit la société domestique, soit l'in-
térieur des ateliers ou des corps.


De ces divers inconvénients, le dernicl' cst le seul qui
mérite attentíon dans les communes rurales. La, les Mec-
teurs, quels qu'ils soient, savent tres-bien ce qu'ils font,
et qui ils élisent; par cette raison, ils prcnnent a l'élection
un yéritable intéret, et, n'étant point obligés de se déplaccr,
il ne faut pa-; lJeaucoup d' effol'ts pour lcs réunir IOUS daus
le sein du collégc électoral. Mais la se manifeste, plus
clairement peut-etre que sur un plus gl'and thé;1tt'c, la
conséquence des rapports naturels entre le scrviteur el
le maltre. Tout chef dc famille dispose d'autant de yoix
qu'i! a dc personnes a son sp,rvice; un manufactllrier qui
compte quatre ou cinc¡ cents ouvriers dans son établisse-
mant est le maitre de l'élection.


A cela deux remedes.
Le premier, c'est de suspendre l'exercice du drOlt élec-


toral, a l'égard des individus placés dans une position ma-
nifestement dépendante, savoir :


Les militaires en activité de service;
Les domestiques a gages;
Les inscl'its aux bureaux de charité;
Les mendiants de profession; nos constitutions I les


1 Constitution du 14 scptembre 1791, t. IIl, chapo 11, art. 2,
sect. 2; constÍlutiun de l'an IIJ, art. 13.




DES COlUlUUNES


plus démocratiques n'hésitaient point ~t ee sujd.
Le second, e'est d'e:l:prunter a la 10i du 3'1 mai umo,


la disposition 1 qui fait dépendre l'exercice actuel et local
du droit éleetoral, de la justifieation d'un domicile de trois
ans consécutifs dans le meme canton, ou dans la me me
eommune; disposition éminemment sage, profondément
1l10l'ale, qui, tout en maintenant en prineipe, le droit po-
litique Ü tous ll~s eitoyefls, saos distinction de rang, de for-
tune, de position sociale, place, néanmoins, l'exercice de
ee droit sous la condition ¡l'une résidcnee fixe, d'un éta-
blissemcnt de famille, d'un toit domestique, exclut, a
chaque élcction, dans chaque localité, les vagabonds, les
ouvriers amlmlants, les gens sans aveu, les gens sans feu
ni lieu, qui lle partagellt ni les intérets, ni les charges, ni
la destinée de la commune oú le moment de l'élection les
surprend; en un mot, toute eette partie flottante de la
populatioll qui !le présente ü la société auenne gar:mtie,
et que la jeunesse laborieuse ne traverse qu'en passant,
a\'ec l'intention d'en sortír le plus t6t possible.


Dans les C0Il1111uneS ul'baines, pour peu qu'elles soient
. de quelque étenuue, tous les inconvénients du suf;'rage
llniversel se produisent, a la fois : impo~sibilité pour la
plllpart des électeurs, perdlls dans une grande ville, étran-
gers les uns anx autrcs, de choisir, a bon escient, vingt,
~ .\rt. 2, ? 1.




34 VUES SUR LE GOUVERNE~IENT DE LA FRANCE


trente, quarante représentants; indifférence inéyitable
pour une opération qui se réduit h déposer mécanique-
ment, dans l'lIme électorale,u ne lisie re~ue de confiance;
incertituue complete sur le résult;Jt de l'dcction, selon que
tels ou tels électeurs répondent ou ne répondent pas il
I'appel; on a vu récemment, le meme collége é!ectoral
nommer un joul' :.\1. Thier.;;, et le lendemain 1\1. Proll-
tIllon.


De td~s-bons esprits se figurent que le remede, ici, se-
rail (}'en revenir á l'élection il deux degrés, lelle qn'clle
élait pratiquée sous l'anciell régimc, dans les COllllllUlleS
urlJaines, [eHe qu'elle était admise par la constitution
de 1/91 et par ccHe cle ¡'an II, ill'égar,l des corps admi-
nistralifs el clll corps législatif.


Sous l'ancien régime, clans les bourgs dont la populalioll
Il'excédait pas cleux mille funes, les notables élaient élus
IJar des députés, élus enx-memes par qHartiers, dwqlle
boul'g étant divisé eu trois quartiers égaux l. Dans les
viHes dont la population excédait denx mille funes, les
électeurs étaient élus clans le sein des diverses cOl'pora-
tioIls d'olt le corps des notahles devait dl'c lirr.


Sous le régime de 1791, et sous eelui de l'an IlI, tous
les citoyens actifs, c'est-ü-cllre tOllS ceux qui I'emplissaient
les conditions const.itutionnelles, se I'éunissail'nt lln as--


1 Lcber. p. 479.




DES COM~lUNES


semhlécs primaircs 1; it l'effet d'éliee un certain nombrc
U' éll\cteurs, auxqucls l'élection des représentants était
conliée.


Si l'électioll il dcux degrés était une' élection véritable,
au licu d'alténuer les illcollvénients du suffrage universel,
die le~ aggraverait. II cst á peu pres impos~ihle, pou!' la
plupart des citoyens, de drtlsser réellemcnt, personnelle-
ment, en COllnaiss:mce de cause) une liste de trente OH
qltaraute rcprésentants; illell!' sel'ait tOllt ü fait ünpnssible
de dresscl' réellem:ut, pei'sollllellement, en conllaissance
de callse, ulle liste de trois ou quatl'c cents électenrs. L~l
difficultó serait décupléc; l'opél'iltion se!'ait clix fois plus
illu:,oil'e et plus dérisoil'C, dix lois plus fallacieuse et plus
fastidieusc, dans la seconde hypothesc que dans la pre-
miere. Mais l'élection il tleux degrés est pis que cela. Ce
n'est [las m]r, élection, e'est IIne líliminatiOn; c'est une
épul'atiol1 des listes électorales, par voie ele retranchement
volontaire; les neuf dixiemes eles citoyens se trouvent
appelés a eft'accl', de leu!' proprc main, leul' propre nOIll,
sur ces listes; il pt'oclamer, par leur proprc bOliche, leut'
{Jl'oprc incapacité; il se dlícilllcr cux-rnerncs, a pi'ononcer
COlltI'C eux-mellle.s une sorte dl; dégradation civiquc, \}roit


1 (~on~titulion ue 1791, chapo 1) sect. 2 el 3 (1 éleclcu (' pom
100 cito)elJs aClifs); COllstitulil)1l di' l'an 111, li!, ::¡ I't 4 (1 élerteur
pom '::WO ei lo yells al'lil's 1,




~G VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


le plus étrange, en vérité, ¡Jont on ait jamais gratifié des
créatures humaíncs, misérable expédient également in-
digne eL du légblateur qni le met en reuvre, et des dupes
qui s'y lai~sent prendre. 11 faut choisil', iI faut savoir ce
que ¡'on veut, et faire ce que l'on dit. On veut ou OIl ne
reut pas du sufl'rage universel. N'en veut-on pas? A la
bonne heure; qu'on ne porte point aIors sur la liste élec-
torale des l:oms qui n\ figurent que pour en CLre retran-
chés. En Yeut-on? il faut le vonloir sincerement arec ses
conditions et ses chances, sauf il lui faire d'ailleurs aussi
beau jeu que possible. On reganle, OLl 1'on nc J'cgarde pas
tous les citoyens comme égalell1cnt artes ~l tous les genres
d'élection. Si l'on n';} pas cette opinion, il faut le dire et
en revenir au sy5teme du cens, aux garanties de j·,apacité.
Si l'on croit a l'aptitude universelle, il faut se réglel' sur
eette croyance, et s'appliquer simplemcnt á rendre l'éIee-
tion aussi réelle, de la part dc chaque élecleur, aussi sé-
riense, aussi vraie que faire se peut.


Il est, ce semble, en pareille matit;re, quatre principes
dont on ne doit jamais s'écarter :


t o Chaque élecleur doit etre appelé a votel', sans dépla-
eement, dans le Heu meme de sa résidcnce;


20 Chaque électellr doit étre tenll de voter, s:mf, tOllle-
fois, les cas d'exception valablement présentés et régulie-
rcment admis;




DES COMMUNES 37


3° En these générale, le vote de chaque électeur doit
porter exclusivel11ent sur une seule personne ;


4° Chaque électeur doit etre éclairé et dirigé, dans son
yote, sans néanl110ins etre contraint.


Le premier de ces quatre príncipes est de toute justice
envers les classes laborieuses.


On leur confere le droit électoral; on ne doit pas leur
il11poser l'obligation de l'exercer a leurs dépens, aux dé-
pens de leur pain quotidicn et de la subsistance de leurs
fal11illes. Tont déplacement est nécessairement dispen-
dieux; tout déplacement entraine, au moins, la perte d'une
.;ournée de travail. Sous un régime républicain ou quasi-
républicain, les élections 80nt fréqnentes, les élections
sont nombreuses. Quel est l'homme vivant a la sueur de
son front qui puisse impunément échanger, chaque année,
dix a douze jours de travail, contre dix a douze jours de
dépense? C'est d'ailleul's ouvrir la porte la plus large au
plns grand péril du suffrage ulliversel: ]a corruption des
électeurs indigents. Chacun sait que c'est sous la forme
de facilités ou d'indemnités offertes pour les dépiacements
que la corruption pécuniaire s'exer/iait autrefois, et s'exerce
encore aujourd'hui, en Angleterre, sur une échelle tres-
vaste.


Le second principe est de toute justice envers la
sor.iétr.




38 VUES SUR LE GO[VERNEMENT DE LA FRANCE


Le droit éleetoral n'est point un droit exclusivement
personnel, l'un de ces droits de na tu re que l'État l'eeon-
nalt sans les créer et qu'il garantit aux individus, en leur
laissant la faculté d'en user ou de n'en pas usel', voire meme
d'en abuser, selon leur bon plaisir; e'est un droit social,
un droit institué dans l'intél'et de la communauté; la COlll-
munauté y doit avoir l'ceil et y tenir la main SOllS l'empire
<Iu suffrage universel. L'expérience prouve, chaque jOUl',
que, la meme oi! l'élection s'opCl'e sans déplacemellt,
tantót les majorités s'abstiennent, par paresse, par négli-
gence, laissant ainsi le terrain aux minorités, souvent
meme aux minorités les plus mininws ; tantot elles repa-
raissent,3 l'impl'oviste, aiguillonnées tont a coup par
quelque circonstance particuliere. Chaque colh>ge élec-
toral devient alors un champ de manceuvres ponI' les intri-
gants, un tapis vert oü les sllrpriscs, oh les coups de dés
se multiplient.~e sachant sur qui ni sur quoi compter,
les influences naturelles, légitimes, se retírent et quittent
la partie. Les candidatures les plus étranges ont leurs
chances, et le hasard c1ispose de tout. Le remede, e'est de
tenir, a tout prix, le eollége électoral au complet; de trai-
ter l'électeur comme le juré; d'exigel' de lui, sous la me-
nace d'une amende sommai1'ement prononeée, qu'il ré-
ponde a l'appel, ou justifie des motifs de son abseuce, le
bureau du (~ollége r('stant j l/gIl de la validitÁ des exeusrs.




DES CO~nrUNES 39


Dans un colIége élector;1l au complet, il n'y a point de
surprise 11 craindre, rintrigue est en présence des in-
nuences légitimes; la corruption n'es1 point a redouter
lIon plus, OH ne corrompt gUCl'C les masses.


Le Il'oisieme des quatre príncipes est le plus impor-
tant.


Il abolit le scrutin de liste, vrai guet-apens, en matiere
d'(~lection, le scrutin de liste, mensonge effronté, de la
part des uns, sotte duperie de la part des autres.


Demandez a l'homme le plus éc!airé, le plus intelligent,
le plus rdléchi de se ehoisir simultanément vingt ou trente
représenlants, de porter simultanément sur son bulIetin,
ringt ou trente noms, iI y sera fOl't embarrassé. Sur ces vingt
ou trellte noms, iI yen aura peut-Hr,~ un tiers qu'il adoptera
de confiance ou de complaisance, peut-etre un autre tiers
qu'il n'adoptera qu'il titre de transaction, de compromis;
e'est tout au plus s'il y en a einq ou six quí soient vérita-
blement l'objet de son choix. Imposez la meme obHgation
a des électeurs ignorants, ü des éleeteurs illettrés, e' est-3.-
dire, sous le régime du suffrage universel, a la tres-grande
masse des éleeteurs, ils voteront en aveugles. Le premier
intrigant venu, le moindre courtier <l'éleetions fera roter
la plupart des électeurs eomme il lui plaiI'a. Qu'il ait
simplement la préeaution de plaeer, sur le bulletin qu'il
offl'e :1 chaque fíJecteur, un nom, un seul nom qui con-




40 YUES SUR LE GOeVERNEMENT DE LA FRA~CE


vienne il celui-ci, l'électeur ne lui en dem:mdera pas da-
vantage, c'est le vrai moyen d'al'l'iver ü ce résult:1t que les
neuf dixiemes des élections s'operent contre le gró des
neüf dixiemes des électeurs; contre le VfPU qu'ils :m/'aient
exprimé s'ils avaient su ce qn'ils faisaient.


Divisez l'élection; en revanche, établissez autant de eol-
léges électoraux, ou de sections de colIéges électoraHx
qu'il y aura de représentants a élire; qUt~ chaqlle électelll'
n'ait qu'un seuI nom a porter sur son lmllctin; iI cllOisira
lui-meme; il choisíra bien OH mal, mais il choisira; il n'y
a pas d'éleeteur qui n'ait, au moins, lIne pn;rérenee. N'exa-
gérons ríen, néanmoins : eelte prée:llltioll, indispensable,·
dans les grandes villes, dans les communes mbaines, ne
l'esl pas d:ms les communes rurales 1, oú tout le monde se
conna1t, et oú les ehoix sont néeessairement limítés. 11
faut diviser les villes en quartiers; on peut laisser suh-
sister le serutin de liste dans les lJo\ll'gacks el daHs les
villages, sons eette eondition que le nomln'e des ~onspil­
lers municip:mx a élire sera lui-meme tres-restreint.


Le dernier principe a pour bul de régulariser les ca1l-
didatures.


Toute élection suppose des eandidats quí se propasent
e ux-memes OH qui sont proposés par certaines rrunions,
p el' certains comités électorauxaux suffrages des élccteurs .


. 1 Yvy. la Ivi un ~l mars 1831, chap. 1Il, sect. 2, art. 43 el 47.




DES COl\Il\IU~ES 41


Sans la mallifestation des candidatures, et le eoncert
préalable qui en résulte, la divergence des votes ren-
drait, tres-souvent, toute élection impossible.


Ces manifestations, ces réunions sllfftsellt sous un l'é-
gime qui n'aumet que des électeurs édairés, intelligents,
de Ioisil', des éIccteurs personnellement engagés dans les
voies de la politiqlle, au fait des questions qui divisent ou
préoccupellt simplement les partis. Elles ne suffisent
point SOllS un régime quieonvoque l'universalité des ci-
toyens. Les grandes masses d'électeurs ne lisent point
les professiülls de foi; ü peine savent-elles lire ; elles n'as-
sistcut point aux comités électoraux; le travail absorbe
tous leurs momcnts. POllr que leur vote soit éclairé et
dirigé, daos une certaine mesure, pour qu'iI soit eneadl'é,
con ten u entre certaines limit(~s qui préviennen t l' éparpil-
Ielllcnt, la dissémination a l'intlni, iI faut que ces limites
soient posées, et ces indicatlOns données par quelque au-
torité, sellli-Iégale, sellJi-offieielle, digne de respect en
position d'inspircl' confiance, et dont l'indépendance par-
faite soit ü l'abrí de toute contestation.


Supposcz qu'llnc ou plusicurs plaees venant a vaquel'
dalls un conscil municipal, toutes les persollnes qui, dans
le ressort de ce conseil, oecupcnt 011 ont occupé, dt'puis
vingt ans, soit des fonctiolls declives, soit des fonctiollS
inamovibles fussent appelées a se réunir en comité élec-




42 vrES SeR LE GOUVERNEMEN"T DE LA FRANCE


toral pour entendre débattre les titres des prétendants, et
qu'a l'issue de la discussion, elles arn'\tassent, a la lllu-
ralité des voix, une liste de cinq candidals, pour chaque
place vacante, liste qui serait affichée dans la commllne,
liste purement indicaLive, en dehors de laquelle, chacun
demeurerait libre de choisil" a coté de laqueIle cllaque
autre comité électoral, demeurerait libre de placer la
sientlt', il y a tout líen de penser que la plupart des élec-
teurs, étrangers pal' leur POSi-tiOll, par lem tlNaut d'é-
ducatioD, par leUl's occupations journalieres h la lutte des
partis, aux controverses ¡]u momenl, s'arl'eteraient plu-
tot a la liste semi-officielle, qu'ils ehoi~;it':lient sur cctte
liste plutót que sur toute autre, el que l'influence qu'elle
exercerait naturellement, sans contl'ainte, sans faire vio-
lence a rien ni ;l personne, porterait un 'grand poids dans
l'éleetion du coté de l'impartialité et de la modération.


Sans une précaution de ce gelll'e, les (~ledellrs illettl'és,
c'est-a-dire la tres-grande masse des électeurs, ne POLl-
van! ni se concerter ni s'entendre, perdront leurs voix
en les dispersant, et les minorités bien unies demeut'c-
ront maitresses du terl'ain. Ajoutons que l'existence de
ectte lbtp semi-officielle, offril'ait, au iJ(~soin, un utile
point d'appui aux électeurs placés dans une position dé-
pendante, contre l'ascendant que leurs sllpérieurs pré-
tendraient exercer sur eux. 1'Olls les choix faits SUI' cette




DES CO~DIUNES 43


liste auraient pour eux la présomption ; les maitres, les
patrons y regarderaient a deux fois avant d'en fail'e
l'objet d'un reproche, envers leurs ouvriers et leUl's sel'-
viteurs.


SOllS ces diverses conditions, le suffrage universel peut
etre loyalement et I'égulierement essayé. Il y a lieu d'es-
pél'el' que l'expérience lui serai.t favorable.


Le nombre des conseillers municipaux sel'ait naturelle-
ll1ent réglé par la population meme de chaque commune 1
dcpuis le ehiffl'e de si x, en mínimum, jusqu'a celui de
tl'ente-six qui ne sel'ait dépassé dans allClln cas. Le mí-
nimum de dix fixé par la loí de 1831, parait trop élevé
pour les tres· petites COl11munes,


Les conseils municipaux sel'aient renouvelés par tiers,
chaque année, COll11l1e les membres des common councils,
en Allgleterl'e 2. Le renouvellement intégral ne convient
point aux corps administl'3tifs ; il ost nuisible au maintien
des traditions, et eourt risque d'interrompre brusquement
la marche des affaires. Le renouvellement par moitié
tel qu'il est établi par la loi de 18313" tel qu'il l'était par
la loi de 1789 l , et par la constitutioll de l'an m\ a


I Loi du 21 mar:> 1831, arto V.
~ Bouyer, p. 39H. (Le hoard lles alJermer est renouvclé par moi-


lié tOllS les am, c'est le C01/llllOn council qui l'élit.
;; Loi du 21 mars 1831, art. 17,
4 Loi du 14 scptcmbre1789, arto 42.
:; Constitution de l'an III, art. 18;).




44 V[ES SeR LE GOUVERNEMENT DE LA FRA~CE


le meme inconvénient, bien qu'a un moindre degré.
Le maire et les adjoints seraient nommés directcment


par le corps municipal 1 ; la séparation des deux ordl'es de
fonctions rendrait inutile toute intervention de l'autorité
supérieure.


Nous disons le corps municipal et non le conseil mll-
nicipal; on sait, en effet, qu'aux termes de la loi du
13 mai 18182 , l'une de nos lois fonelamentales en matiere
ele finances, lorsqu'il ya líeu de pourvoir, en sus et p:lr de-
la le budget annuel, a des elépenses extraordinaires, les
plus imposés de chaque commune, en nombre égal a
celui des conseillers municipaux, sont appelés a elélibérer
sur ces dépenses; disposition tout a fait sage, quí tempere,
dans les cas graves, ce qu'a nécessairement d'un peu ha-
sardeux l'omnipotence de l'élection populaire, en la sou-
mettant au controle des contribuables les plus éclairés eL
les plus intéressés au bon emploi des ressources COI11-
munales; disposition d'autant plus nécessail'e que l'élec-
tion ·est plus populail'e, et qu'il faudrait illtroduire, a
nouveau, sous le régime du suffrage universel, si la pr(~­
voyance du législateur ne l' avait pas devancé.


i Sous l'ancien régime, le roi choisissait b maire enlre les lrois
candidats présentés par les noLahles eL le corps de ville ; sous b
loi de 1831, le mairc était choisi par le roi dans le conseil muni-
cipaI.
~ Art. 39 et 40.




DES CO:\nlU~ES '{'5
.


01', dll moment queJ'intervcntion des plus imposés est,
en p3reil cas, tenue ponr indispensable, comment leur 1'C-
fuse!', en Donne logique, le dl'oit de veiller, par eux-me-
mes, ;'1 l'exécution des délibérations par eux prises, en
commun, avec le conseil municipal? comment leul' refu-
ser le dl'Oit de concourir:lu choix du magistrat chargé
d'exécuter ces délibél'ations, et plus tal'd, en fin d'année,
it l'examen, a l'apurement des comptes présentés par ce
magistraL?


En revanche, s'il parait juste et nécessaire de protéger,
dans certains eas, et ü certain dcgré, contre le gaspillage
des deniel's communaux, une classe de contribuables que
la jalousie démocratique exclut trop souvent du conseil
munieipal, il ne paraitrait ni moins juste, ni moins rai-
sonllable de protéger, dans les memes cas, el au mellle
degré, les classes que leul' position exclut temporairenlCnt
dll droit de suffrage, les indigents, les domestiques et
jOllrnalicrs á gages, les ouvriers sans domicile Hxe. A cet
effe!, il paraitrait juste et nécessaire, chaque fois que les
plus imposés seraient appelés Ü siéger dans le cOllseil
mUllicipal, d'y appeler, en nombre égal, d'une . part, des
délégués des comlllissions d'hoSllicc, des lmreaux de


f eharité~ des établissemcnls de hienfaisance; cJ'une autre
part, des délégués des conseils de prud'holllilJeS, l~l oü il
en existe, des société" de secours et Il'assist:lllce mutuels




46 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


dont l'existence serait reconnue par 13 loi, et les statuts
régulierement autori~és, le nombre proportionnel de
chaque classe de délégués dépendant des lieux et des
circonstances.


Le corps municipal, ainsi composé, siégerait ll¿cessai-
1'ement a l'ouverture eL a la clóture de chaquc année fi-
nanciere, incidemment, chaque fois qu'il y aurait líen de
voter sur des dépenses on des impositions cxtraordinaires.


Le maire et les adjoints seraíent élus par lui, comme le
lord-maire l'est a Londres 1 par le common council, el non
comme ils l'étaient, en France, SOllS l'empire de la ¡oi
de 1789; en faisant élire le maíre, en (,Iehors du conseil
municipal, par. les électeurs eux-memes, on constituerait,
en face l'une de l'autre, deux autorités antagonistes,
tandis qu'i1 importe, au contraire, que le corps municipal
soit cOllstamlllent, et autant que possible, associé ü l'action
et il la responsabilité dll ·maire. e'est la force et la ga-
rantie dont le maire aura toujours besoin.


L'élection serait renouvelée tous les trois ans, mais
confirmée chaque année, en ce sens qn'a l'ollverturc de la
premiere session annuelle, la réélection pourrait etre
proposée. Le maire, ains.i, ne se trouverait jamais, en
minorité.


I Bouyer, p. 398.




DES COMl\lU~ES


11 aurait le droit de COJ1voquer et d'ajourner le conseil
municipal.


Le droit de dissolution serait réservé au pouyuil' exé-
cutif, dans le cas ou les conseils municipaux, dépassant
lelll'S attributions, empiéteraient sur le domaine de l'ad-
mipbtl'atioJ1 générale Olí de la politique.


IV. L'autorité muoicipale étant aillsi constituée, la
force publique doit etre il ses ol'dres.


La g:Jrde nationale relevant exclusivement du pouvoir
civil, et comptant dans ses rangs, tous les hommes va-
lides de dix-huit ;1 soixantc ans, serait organisée de telle
sorte que cllaqllc commune rurale ait sa compagnie; que,
dallS chaque commune urbainc, chaque quartier ou section
représentée par un conseiller municipal eut, :m moins, la
sienne, sauf a former, dans les grandes villes, des batail-
Ion s par la f(junion de plusicUI's cOll1pagnies, des légions
par la réunion de plusieurs hataillons d'lln ll1ell1e quar-
tier, les sOlls-officiers, officiers, chefs de bataillon et de
légion demeurant sOllmis a l'élection.


Ces compaguies, bataillons, légions correspondant aux
diverses communes ou sections de commune, constitue-
raient la garde na Lionale s~den tail'c, la garde nationale
proprement ditt\ dont le service ne pourrait etre exigé
hors de l'cnceintc de chaque commune.


La garde nationale sédentaire serait armée et équipée




-iR YUES SUR LE GOUVER~EME~T DE L\ FR.\NCE


aux frais de chaque commune, armée et équipée progres-
sivement, au fur el h mesure des rcssources qu'offrirait le
budget, chaque conseil municipal demeurant ch3rgé de la
distribution des armes et des effets d'équipement, en
tenant compte du zcle, de I'activité et des sernces de
chaque individuo


Indépendamment de la garde nationale sédentaire, il y
aurait dalls chaque commune, selon la force de sa popu-
lation, un OU plusieurs llelotons de garde nationale mo-
bile, composée :


10 De volontaires, al'més et éqllipl~S it leurs frais;
20 Des jeunes gens de vingt ü vingt-sept ans appel(~s


par la loi de recrutement, mais favorisés par le sort, et
restés dans leurs foyel's.


Ceux-ci seraient armés et équipés aux frais de I'État ;
ils seraient réguW~rement instruits, et soumis h des
exercices fl'équents, périodiCfues. Réunis:Iu canton, ces
pelotons formeraient une compagnie; réunis au chef-lieu
d'arrondissement, ces compagnies cantonales formeraicnt
un bataillon; réunis au chef-lieu du dépal'tement, les ba-
taillolls fOl'meraient lIne légion. Achaque degré de
l'échelle administrative, l'autOl'it(~ supél'icure disposerait
de ectte troupe civique, dans l'étendue de son ressol'L.
Les compagllies, les bataillons et les légions scraient
commandés par des ofliciers en retraite; ils seraient soldés




DES COl\lMUNES 49


aux frais du Llépal'tement, ch:,¡que fOÍs que leur sernce
les appellcrait hors dc IcUl's communes respectives, et
soumis alors aux regles de la discipline militairc.


Ainsi organisée, ainsi commandée, ainsi disponible, la
garde nationale séLlentaÍl'e ou mobile, semblerait infini-
mcnt plus propre que la milice de la Grande-Bretagne 1 :.


I Le maintirn de I'orure matériel, uc la paix, ¡Je la tranqnillilé
pulJlique es L confié pn Angleterre :


1" Aus gramls pt pclils cOl1slables;
L'uniqur' diffl~reIlc(, entre les uns et les autres est dans I'étendue


de len!"s n's~urh !'I'~l)edifs; le~ petiLs con~tahll's n'e'\ercent leurs
[f)I1('lions IIW: dalls I'ellceinte ¡l'un di~tritt tres-limité Itilhing,
tUlL'Ii.\hijl, jlUr/slll. Les grands constalJles les exercent (lans ['en-
e .. illte J.'Ull dislricl moills circonscrit I.hllnrlred!. Les uns el les


.


aulres sont aujourd'llUi nommés eL revocables par le juge de paix;
deux jU;jes de paix, au moills, tloiycnt concourir a la llominaLion
el á la révol:alion; les constalJles sont de purs agents d'cxécution,
sous l'aulorilé des juges de paix; ils veillent au maintien de
I'ordn'; lrurs émo!umenls se reglent sur les actes dOIlL ils sont
cIJargés, cllmme cen'\ des huissiers, en France. JJ s se choisissent
IJUlIl' <lnxiliaires des watcl1men, tlOlJt 11) nombre est tléterminé par
la coulume de c)¡aqlw liell. Ilans les circonstances eXlraordinaires,
les magi~lrats fOlJt appel á la bonnu voJonté tlcs ciloyens et les
admet!ent teJllporairement au raIlg de cOIlslalJles spéciaux.


2° Aux corps spéciaux de pulÍl:e (policemen) institués par des
statuts parliculiers, et soumis ú l'autorité tlirecte du sous-secrétaire
d'État de l'inlérieur.


3° A la milice.
La milice esL une force armée éventuelle, en disponibilité dans


chaque eomté.
Elle est formée par voie de tirage au sort sur la liste des habi-


lants .lu comté, entre tlix-huit et quarante-cinq ans. La quotité
par comlé, est délermilll"e lou~ les dix ans, par le conseil privé.
La tlllrée (le tnmps de sen ice est de cinq ans; le rE'rnplacement
ílst admis; il Y a des moLifs ü'esception plus ou moins nom-
J¡reu x. L' organisa tion du corps est cünfiée aux députés-Jieu lellanls




50 VUES SUR LE GOUVER~EMENT DE LA FRA~CE


dispenser de toute mtervention de l'armée de ligIle, dans
les temps ordinaire~, et it seconde!' cette intervention,
dan s les grandes circonstances. Parlout, dans les cam-
pagues comme dans les úlles, les magistl'ats el les corps
armés, chargés de veillcr au mainlien de la tranquillité
publique, trouvel'aient, en cas de besoin, une force auxi-
liaire considérable, et levée en masse régularis(~e, et dont
l'avant-garde serait prete a répondre au premie!' signal.


V. Les fonctions de pouvoir municipal se divisent na-
turellement en trois catégories ;


La police;
L'administration des propriétés comrnunales;
L'adminístration des intérets généraux de la commune.


du comté; le commandement au lord-lieutenant; c'est crllli-ci qui
nomrne tous le~ officiers: ils SOllt pris llarmi les principaux lJro-
priétaires du comté, et soumis ft des comlitions de fortune légale-
ment détermillées, sauf les cas d'inYasioll !lu rO~'aulUe, ou Je ré-
bellioIl dans le royaume. Les milit:iens ne lJeuvellt ólre appelés a
senir hors de leur comLé. Dans ancuII cas, ib ne peuvl'nt eLre
appelés a servir hors du royaume; ils sont exercés a des époques
déterminées, et soumis a la loi marliale, ('n lell1ps Je service actif;
ce temps de service, en général, lI'exce(le p~lS yingt-huit jours par
an; ils sont alors payés comme la troupe ue liglle; les Pllllitions
ne peuvent s'éterHlre jusqu'a la peine calJilale. Dans les circon-
stances extraoruinaires, la <':Ollronne peut aplleler muitié en sus uu
contingen t.


4,0 A la milice locale.
Force armée de meme nature que la Jlliliee. réguliere, formée sur


le meme prillcipe, mais dont le sen ice t'st plus resLreiJlt et plus
spécial.


5° A dés corps de volontaires, infanterie et l'avalerie (yeolllunryl.




DES COJ\'IMUNES ~1


La police municipale et rural e 1 appartient exclusive-
ment au maire.


En présentant la loi du 18 juillet 1837, le gouverne-
ment avatt proposé de ranger cette attrjbution au nombre
de ecHes qui n'appaetiennent point au maire, en taní que
magistrat municipal, mais qui lui sont simplement délé-
guées par l'autoríté supérieure. eeHe propositíon n'a
point été admise; on a maintcnu la disposition de la loi
du 16 aoút 17HO l. C'est une décisíon sur Iaquelle il faut
revenir si ron ycut affranchir le maire de toute dépen-
dance envcrs l'administration propremcnt dile. La ligne
de démarcation entre la poliee générale, et la police locale
est impossible, soit a priori, soit meme a posterioTi. Les
conflits entre l'une et l'autrc deviendraient inévitables et
journaliers si le droit de sta/uer en pareille matiere par
voie d'arretés Ol! de reglements était confié a deux auto-
rités distinctes, indépcndantes l'une de l'autrr., et, par
cela meme, antagonistes.


Ce droít doit etre cxclusivcment réservé au délégué du
gouvernement central. Le maire ne doit conserver que
eclui de rcquérir la force publique pour protéger les CI-
loyens et faire cesser le désordre matériel.


i Loi du 1X juillel 1X31, arto 10, ~ 1; arto 11. ~ 1 el 2.
:2 Tilo XI.




5~ VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


La conservation et l'administratioll des propriétés com·
munales 1 appartient au ¡naire.


Le conseil municipal regle lui-meme, elirectement, sur
la proposition du maire 2, le moele d'administration et de
jouissanee de ces propriétés, et les conditions des baux
'--lui n'excedent pas dix-huit ans pour les biens ruraux et
neufans pour les autres, le préfet ay:mt qualité ponr annu-
ler les délibérations du eonseil mnnieipal, pu'U/' violation
([es lois et l'eglements, ou en cas de l'éclamalion; eomme
il s'agiL ici (['une simple q nestion de droit OH de fait, á
savoir s'il y a en violation de quelque texte, ou lésion
de quelque intéret privé, rien n'empeche de substituer le
tribunal ele '1 re instance an préfet. Ce ne serait point une
intervention de la j nstice dan s l'administration. Le pouvoir
municipal, en pareil C:lS, ll'administre pas, c'cst-a-dire
n'agit pas de pllissance a su}et. C'est simplement le syn-
dicat el'une société de co-propriétaires qui gt~re leurs
affaires en restant soumis ~l l'ohligation ele suivre certai-
nes regles.


Le conseil municipal délibere sur les acquisitions :1, ven·
tes, échanges el partages des propriétés communales, sur
les condítions de haux qui l'xcl1dcnt dix-llUit ans pom les


I Loi du 18 juillet 1831, art. 10, ~ 2.
~ Loi uU IR juillet H;31, art. 17 etlH.
5 Loi Llu 18 juillet 1831, 3rt. 19, ~ ::, 4, :; el 9; art. 4G, 47 el 49 .





OES COMlUUNES 53


hiens ruraux et neuf ans pour les autros biens, et enfin
sur les baux des biens pl'is Ü loyer pour la commune, et
sur l'acceptation des uons et legs qui lui seraient faits;
ces délibérations sout rendues exécutoires par un arrcté
du préfet en conseil de préfecture, lorsqu'il s'agit d'une
valeur qui n'excede par 3,000 franes, pour les eommunes
dont le revenu cst au-dessous de 100,000 francs, eL de
20,000 francs pour les autres communes.


S'i1 s'agit d'une valeur supérieure, 1l y est statué par
ordonnance royale.


Commc iI est ici q uestion d'un simple acte de protec-
tion tonte pareille ü eelle qn'excrce, ~¡ l'égard des biens
des lllineurs, la justice ordinaire, nul obstacIe, ce semblc,
;1 considérer le maire comIlle le tuteur de la COll1IllUne,
prise en tant que propriétaire; le conseil municipal,
comme un conseil de famille, et ü rempIacer, soit l'arreté
du préfet, solt l'ordonnance royale, par une homologation
du tribunal de 1 re instance, rendue en chambre du conseil,
sur les condusions du ministere public, conformément
aux art. 4~n et 4t)8 du Code civil.


Par les memes raisons, on peut faire l'application des
regles de ce meme code aux actions judiciaires a intenter I
OH Ü sOllten1r par utle COlllllllllle et aux tt'ansactions ~l


1 Loi flu lRiuillet 1831, art. 19, ~ 10: art. SO et .')9.




54 VeES SUB LE GOUYEBNEMENT DE LA FRANCE


consentí!' en son nOlll, eL remplacer, soit I'autorisation
uu conseil de préfectul'c, soit I'ordonnancc royale ~art. ñ9)
par Illl avis de trois jUl'iSCollsllltes 1, et une hOlllologa-
tion du tribunal de 1 r" instan ce, nmdue sur les conclll-
sioos du ministere publico


En transférant aiosi la prolection el es intérets fonciers
immobiliers de la commllne d'une main dans une :mtre
main, de l'admitlistt'atioll supérieure Ü la justice ordinaire,
OIl n'échange pas un joug contre un autre joug, ü Dieu
ne plaise. Au/ant l'illtervelltion de l'administl'ation supé-
rieme, en pareille matiCl'e, est néce~sairemelll iJlquisitive,
milluticllse ct tracassirre, autant (~dle des trilHlIlallx sera
natnrellement libérale et réservée. L'administration fait
arme de tout pour étendre sa mainmise SUl' toutes les pal'-
líes de la gestion communale, et transfurme!' la commune
a son image. La justice orJinaire sera désintél'essée el in-
différcute; garantir ce Illineur-Ul comme toul autre cOlltre
l'imp(;ritie, la précipitation Ol! les m:dYcl'sation~ de son
tuteur, c'est la seule idée qui la pllisse préoceuper.


A l'égard des alltres objets énollcés dans l'art. 19 de
la loi da 1t{ juillet 1831, les déli!J('rations du conseil mu-
nicipal seraicnt ob'i~:;at()ires par ell("-Illt'mes, el sur la
simple :-;ignature du maire,


I CoLle civil, art.íG4 el 407.




DES COl\lMUNES


En ce qui touche l'administration des intérets généraux
de la commune, tout aboutit aH budget, lout en définitive
se résout en dépenses el en reeettes.


Les dépenses sont obligatoires ou faeultatíves.
L'objct de chaque dépense obligatoire est déterminé par


la ¡oi l. Quand un eonscil municipal omel de porter ~l son
hudget quclque dépense de cette nature, le préfet l'y
inscrit d'OmeA, en regle le montant sur la moyenne des
trois dernieres années, et impose, s'il le faut, sur la
eommune une contrilmtion extraordinaire, pour y faire
face.


Ces d ispositions qui posent a I'indépendance absolue
des conseils mun icipaux une limite fixe. et légale, sallS
rien donner :t l'arhill'aire de 1 'administration, do;vent
6tre maintenues. En laissant, sur tout autre objet de dé-
pense une entil~re liberté au pOllvoir municipal, on l'é-
mancipe véritablement, OIl l'affranchit de l'obligation de
recourir, ~l chaqlle iustant, a l'autorisation du pouvoir
central; on lui confere, dans les grandes villes, un ma-
niement d'affaires et de deniers pellt-etre excessif. 1\1ais,
encore un coup, il en fallt comir le risque. Dans cet af-
franchissement de tOut controle:2 seraient. comprises les
constructions nouvelles e)les-memes, et les reconstruc-


I Loi un 18 juillel lR3t, arto 30, 39 et 40.
~ Loi du 18 juillct 1831, art. 45.




;S6 VUES SUR LE GOUVERNEl\iENT DE LA FRANC~


tions ellW~reS ou partielles, sauf l'obligation de soumettre
les plans et devis, lorsqu'ils dépasseraient la somme de
30,000 fraIles au conseil des bttLiments civils 1, et le droít
réscrvé au préfet de prononeer, en cas de dissentiment
entre ce conseil et le conseil municipal.


Les recettes des communes doivent etre arretées 2, en
principe et en limites, par la loi générale des finances;
dalls l'enceinte de ces limites, le vote du conseil muni-
pal sera it libre.


Rien a changer quant aux emprunts 3. L'avenir des
communes doit demeul'er pUtcé sous la garantie de la foi,
ou, tout'au Ilv}ins, des reglelllents rendus en conseil d'l~lal
avec les solennités requises.


Rien non plus 1 quant ~t 13 comptabilité. Plus on ac-
corde de liberté au conseil municipal, plus il importe que
la partie purel11ent l11atérielle de sa gcstion soit claÍl'c et
réguliere; et l'intervention de l' adl11illisll'ation sllpéricure,
sur ce point, en garantissant le mainticn de l'orJrc, ne
porte aucune attcinte a l'inúépemlance úe l'ordonna-
teur.


VI. Parmi les objets de dépenses obligatoircs, doirent


i Loi du 18 juillct 1.R31, arlo 45, e 2.
~ Loi du 18 juillel 1831, art. 31.
~ Art. 41. .
• Art. tiO et 69.




DES COMMUNES 57


étre rangés, a l'avenir, rangés dislinctement, positivement,
expressément :


10 Les étahlissements de bienfaisance ;
2° Les établissements d'éducation ;"




3° Les établisscments qui tiennent, en quelque sor:e,
le milieu entre les établissements de bienfaisance et les
établissemcnts d'éducation, tcls, par exemple, que les
salles d'asile et les ouvrOÍl's.


Parmi les objets qui doivent exercer, á l'avenir, la
sllrveilIance active !lu pOllroir municipal, il faudra com~
prendre les conditions impos(~es aux établissements in-
dustriels.


VII. Reste a traeel' sommairement les regles ne la rcs-
ponsabilité ~ui doit pesel' tant sur le mail'e, les adjoints
el leurs auxiliaires subalternes, tels que gardes champe-
tres et autres, que sur le conseil municipallui-meme.


Dans un ordre de clloses ou tout est (lonné á I'élection,
la responsabilité purement mora!e, celle qui s' cxerce par
l'aetion de l'opinlon publique el qui doit trouver sa sanc-
tion dans le droit meme d' élif(~ OH de réélire, eeUe res-
ponsabilité-Iü doit jouer le premier role. L~ 10i ne peut
rien pour la fortifier, si ce n'e~l de rendl'e les éleetions
fréqucntes el sinceres; elle sera réelle dans ~les commu-
nes urbaines ; dans les comnmnes rurales, ainsi qu'il a
été dit ei-dessus, il est h crainurc qu'elIe ne s'exerce ja-




58 VUES sen LE GOUVERNEJIENT DE LA FHANC 1,:


mais que sous des conditions mobiles ef c3pricieuses.
La responsabilité purement administrative, celle quí


s'exerce du supérieul' a l'inférieur et (-luí trouyc sa sallC-
lion dans la crainte du bl;hne on ..Je la uestitutioll, iI Il'y
faut pas penser; dans un tel ordre de choses, ;\ parle!'
rigoureusement, les magistrats électifs n'ont point de Sll-
périeurs 1; ils ne relevent que du pubIie; tOllt al! plus
peut-oll réserver au pouvoir central:2 le droit de sllsllCll-
dre un maire ou dc dissou(lre UIl conscil municipal dans
des circonstances extremes; mais c'est un droít pél'illeux
dunt le' pouvoir central [era s;¡gement de n'l.lser qu'avec
beaucoup de mesure.


La responsabilité jllridique doil donc remplacer, a cer-
tains égards, la responsabilité administrative.


Il en est ainsi en Angleterre ;
Il en est ainsi aux Etats-Unis.
En Angletel'rc, le COl'pS des juges de paix réunis en


session trimestrielles, et au-dessus d'eux la cour supremc
du bane du roí ont la haute main SUl' les magistrats élec-
tifs. Sur la plainte de toutc partie léséc, sur la dénoncia-
Don de tout ~imple citoyen Oll du gralld jury, ces trihu-
UdUX inten)enllellt, non-sculement po u!' pUllir les tlélils
tommis par les magistrats électit\ mais pOUl' les eQIl-


I Constitution de 17() 1, chapo IV, scclioll 0, arlo ¡j.
::'! Constitution de l'an 111, arlo H):~ et sui\.




DES COl\mUl\E~


traindre il l'emplil' leu!' devoir, et pOUI' I'épal'cl' memo,
au besoin, leurs llégligences, leurs omissions.


Aux Etats-Unis, les Cours de session, et autres Lribu-
llaux de meme naturc, sont investies de pouvoirs peut-etre
encore plus étendus.


Nous ne saurions alter jllsque-Ul. Les tribunaux, ell
France, nc sauraient prononcer que su!' des délits, des
contraventions nettement définis, exactement caractérisés.
lUaís cela suffit pleinemeut ; le droit étant maintenu :mx
préfets d'inscl'ire, d'office, sur les buugets communaux,
toutes les dépellses olJligatoires qui ll'y seraicnt pas por-
tées, et la l'ésistallee devenant alors, de la part du maire,
ou du conseil municipal, une contravention punissable,
on a, contre toutes les négligenccs, contrc toules les omis-
sions de quelque importance une garantie suffisantc. Ce
qu'il fauL e' est ouvrir an minisU~l'e publie, soit d'office,
soit sU\' la plainte des parties lésées, une libre action il
l'égard de~, magistrats mllnicipaux. Les ll1agistrats muni-
cipallx ne sauraicnt désormais resler a couvert, sous la
garalltie ad.ministrativo, contre les ponrsuites de la justicc.
La garantic admillistl'ative, c'est-a-dire l'interdiction de
tOllte poursuitc jusqu'ü autol'Ís:ltion dn conseil d'f~tat, n'a
de sens que dans un systcmc hiér:lrehiquc, ou l'agent
d'exéclltioIl esL censé II 'avoir rien fait que sous l'impul-
sion immédiate et pl'ochaine du ministre dont iI releve.




60 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


C'est en ce sens seulement qu'il est raisonnable et régu-
liel' de COllstituel' le ministre en demeure, ou de désavouer
son agent, et de l'abandonner a la jnstice, ou de pl'endre
a son compte le fait incriminé, et d'en répondre lui-meme
dcvant le pouvoir législatif. Dans le plan qui vient d'etre
exposé, les magistrats municipaux ne relevant d'aucun
supérieur hiérarchique, agissant motu 11roZJrio, doivent
répondre direetement, devant la j ustice, et pOUl' eux-
memes et poar les officiers suhalternes qu'i1s nomment et
qu'ils emploient.


Toutefois, afiu de les tenir á l'abrí de toul es pOl\l'suites
incessantes, muItipliées, tl'acJssiercs, afin de les protéger
contre les petites animosités locales, il conviendrait, ce
semble, le cas échéant de poursuites dirigées soit contrc
un maire, soit me me contre un conseil municipal tout
entier, de faire l'application des príncipes posés par le
code d'instruction criminelIe, titre IV, chapitre I1I, sect. 1
et 2.


En transportant soit le jugement, soit simplemcnt
l'instruction de l'affaire, selon la gravité de l'imputation,
du tribullal de 1 re instance a. un tribunal d'un ol'dre plus
élevé, on aurait la certitude qu'aucune plainte ne sera
légerement accueillie, et aucun arret rendu sous l'influencc
de préventions facheuses.


Ces dispositions mettraient le sceau á I'indépendance




DES COMMUNES 61


réelle, mais mesurée, pratique, raisonnable, du pouvoir
municipal, en France.


Le territoire de la Franee, au lieu d'etre, cornme a pré-
sen t, pulvérisé en individus, - en individus sans liens,
sans cohésion, sans résistance personnelle, - en indi-
vidus que les vents enlevent, tour a tour, comme autallt
de brins de paillo, se trouverait couvert d'étres collectifs,
- d'etres animés, pleins de vie cl de séve, pleins d'acti-
vité et d'cntTain - d'étres infiniment divers en grandeur,
en plIiss;mee, depllis le nain jusqu'au géant, depuis París
mcme jusqu'ü la plus hllmble commune, - d'ctres avec
lesqnels le ponvoir central serait, sans cesse, obligé de
compter, sans que son action directe sur les citoyens, en
ce qui eoncerne les droits de l'í~tat, les intérets généraux
dc la société, fUt ni réduitc, ni meme altérée.


e'est ce qui reste maintenant a démontrer.






CHAPITRE 11


DES C¡\:-\TONS


Les cantons, en Francr, sont, [¡vant tout, des cirCüll-
sCl'iptions judiciail'es ; iI sont en 111 e 111 e temps, a certains
égards, des cireonseriptions administratives.


Un eanton est le ressort ti'un juge de paix.
Les jugcs de paix sont nornmés pae le pOllrvoir exéclI-


tifo
lis sont eévocables.
En mati(~re cril11inelle, ils connaissent des contravcn-


tions de simple police, concurrel11ment avec les maires
des communes, et, dans eertains cas, exclusivemcnt.


En maticre ciyile, il connaíssent de toutes les ~lcLiollS
[lcrsonnelles eL l110bílieres et de toutes les actions posses-
soires, sans appel, jllsqu'il concurrence de 100 franes; a
eharge <l'appel, jnslJII'a concurren ce de 200 francs.




64 VUES SUR LE GOUVERNE~IENT DE LA FR,\NCE


lis connaissent, en outre, de certalnes maW~res spé-
ciales.


lIs sont en toutes causes, sauf les exceptions portées
par la loi, des conciliateurs obligés.


lIs sont enfin chargés de certains actes de juridiction
non contelltieuse.


On ne voit, en tont ceci, qu'une chose ü réformer. Do-
rénavant, les Juges de paix doivent connaitre seuls des
contraventions de police. e'est une attribution qu'on ne
peut laisser aux maires. Point de juges électifs; point
d'appels a l'autorité municipale, en ce qui touche les
choses d'orJre public, l'exécution des ¡ois, les intérets
• généraux du pays.


Par la merne raison, les maires 1 doivent etre remplacés
dans leurs fonctions d'officiers de police judieiaire par les
gardes champetres cantonanx dont il sera p::lrlé ('i-apres,
et par les assesseurs ou suppléants du juge de paix, dans
leurs fonctions éventuelles d'officiers du rninistere public
pres le tribunal de simple police 2. En revanche, et afin de
ne pas multiplier sans nécessité les innovations, OIl peut
leur laisser les fonctions d'officiers de l'état civil, bien
que ces fonctions n'aient rien de véritablernent municipal.
ÁUL:un acte de résistance aux injonctions de la loi n' est,


I Codo d'instruction úüninelle, arto 9 eL 15.
~ Code d'instruction criminaBe, ar!. 144.




DES CANTONS 65


sur ce point a craindre de lellr part, et tout désordre se-
r:üt directement réprimé 1 par l'intervention de l'autoriU;
judiciaire.


l\lais, si le canton, considéré comme circonscription
judiciairc, doit demeUI'cr ce qU'Íl eS1, ou a peu pres;
considéré commc circonscription administrativc, il doit
prendre, ou plutót reprendre un certain degré de dévelop-
pement.


SOI1S la constitution de l'an I1I, ainsi qU'on 1'a rappelé
nagucre, le canton était le siége de l'administration muni-
cipalc. Chaque commune rurale était administrée par un
silllplc agent, et la réllnion dc ces agents au chef-lien de
canton formait la municipalité cantonale 2. Cet état des
choses, bien qu'il n'ait duré que cinq ans, et qu'il ait dis-
}JafU depuis cinquante ans, a laissé qnelques traces dans
les faits et dans les esprits. Sans elrc le supériellr officiel
des mItres maires, le maire du chef-lieu de canton est leur
guide, leur conseiller, c'est au canto n que s'accompli8sent
les opéraliolls administratives qui s'étendent a toutes les
communes du 1'e8sort, le tirage au SOft des jeunes gens
appelés par la loi de recrutement, l'organisation des ba-
taillons de la garde nationale; c'est par canton que le C3-
<lastre procede; c'est le canton qui est représenté dans les


1 (;ouc ci-vil, arto 50 el ;'i4.
:! COIl~titution ¡JI' l'al! 11/, art. 144.




n(i VUES SUR LE GOUYERNE1UENT DE LA FRANCE


tonseils génél'aux, et dan s les conseils d'arl'ondissement;
c'est, en général, au chef-lieu de canton que réside le
principal ageut de chaque administration financiere. Le
chef-líeu de canton a seul un CUl'l) - un vrai curé - ina-
movible, nOl1lmé par le eOllcours des dellx autol'Ítés ecclé-
siastique et civile; tandis que les autrt's commuues uu
ressort n'ont que des desservants, nommés par l'éveqne,
et révocables a yolonté. On ne fera donc ríen d'extraor\ i-
naire, rien qui ne soit conforme allX habitudes u'esprit dt-'s
popnlatiol1s, eL aux tendances natnrelles de lous les sel'-
vices publics, si l'on donne plus d'exteusion:\ la sllpério-
rilé adminísLrative UIl chef-líen de caníoll, sur les COIll-
munes du ressort, si I'on y faíl siéger le magistral ehargé
de tenil' la main, dans chaque commune, ü I'exécution des
loís de l' ttat et des mesures de l' admillistratiull sU]Jé-
rieure, a I'exacte observation des regles de la polite géné-
rale et locale.


Mais quel sera ce magistrat, et quel IlOll1 portera-t-il?
Est-il bien nécessail'e d'en instituer un nouveau, et de


Illi donner un nouveau nom? Pourquoi ne pas confier ees
importantes fonctíons au juge de paix llli-meme, saur ~\
lui donner, selon l'étendue du canton, un nombre plus 011
moíns grand de suppléants ou d'assesseurs '?


Le jllge de paix, qu'on veuille bien le rcmarquer, n'est
pas un simple juge. La m:lgistraturr dont iI est investí,




DES CANTONS (ji


e!'t de natllre mixte; il tieut beaucoup du juge, mais un
¡Jeu déjil de l'admillistrateur; toutes ses attriblltions ne
sont pas juridiques. Indépendamment de celles qui vien-
nent d'étre indiquées, il exerce d'autrcs attributions tout
;1 fait extra-judiciaires qlli lui sont déférées soit par ¡lOS
eodes 1, soit par des lois spéciales, et c'est précisément
pour cela qu'ü la différencc des simples juges, il est révo-
cable ü volullté.


Puisqne les maires actuels sont juges en meme temps
qu'adllJinistr ateurs, pourquoi les juges de paix, ü l"avenir,
!le seraient-il~ pas administratellrs en meme temps que
j ugcs? La confusion des pouvoirs ne serait pas plus grande
dans un cas (lue dan~ l'autre; el, au \'rai, le principe de la
distinction des pouvoir.s He saurait etre rigourcusemcllt
maintcllu que dans les dcgrés intermédiaires de l' échelle
poli tique ; ¿lUX extrémités, les lJOuvoirs se touchent néces-
sairemellt, el se pénetrcnt plus ou moins. En haut, sur le
premier plan, il faut que le pouvoir législatif participe,
jusqu' a un eertain point, au pouvoir exécutif par la dési-
gllation des ministres, eL au pouvoir judiciaire par le droit
ele les accLlser et de les juger ; il faut que le chef, quel qu'il
soit, uu pouvoir exécutif participe, jusqu'a un certain


·f Voy. le code civil, le calle lle commcrcc et le code forestier;
\(JY. les lois sur I'cllrt'gisll'cment, les domaincs, les COlltribulions
inc1ircr:les, I~ garde natiollall', les c!Jrmins vieinau\:, Irs aliénés, elc.




68 Y tES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FRANCE


point, aH pouvoir législatif, par l'j¡Jitiative et le véto, el.
au pouvoir judiciaire, par le droit de gr:lce; en bas, sur
le dernier plan, la ou la loi passe de la puissance il l'acté,
et entre en contact avec l'individu, il faut que le magistrat
chargé d'en assurer l'exécution pour lui aplanir les voies,
exerce, il cerlain degré, le pouyoir législatif, qu'il ait le
droit de prendre des arretés, de faire des reglements, de
disposer par voie générale; i1 faut qu'il exerce a certain
uegré le pouyoir judiciaire) qu'il ait le droit de réprimer
lui-meme, directcment, immédiatement, les premiers
symptómes de résistance, les premieres apparcllces de
désordre. Dans l'organisatioll de l'j~tat, la confusion des
pOllyoirs absolus, et a tous les degrés, ce serait la tyrannie ;
la distinction des pouyoirs absolus et a tous les degrés,
ce serait l' anarchie; entre des pouvoirs toujollrs séparés,
toujours en présence, toujours sur le qui-vive 1'un vis-;'¡-
vis de l'autre, viyant réciproqllement sous 1'inflllence
exelusive de l'esprit de corps, l'anlagonisme serait habi-
tuel, et les conflits de tous les instants.


Cela posé, en transférant du maire au juge de paix les
fonctions de délégué de l'administration central e dans les
communes du ressort, on ne ferait den d'anormal; eL il y
allrait double av:mtage pour l' ordl'e; l'autol'ité des jllges
de paix, déja reconnue et respectée dans toute l'élendue du
can ton , profiterait a ses fonctions nOl:velles; avanLage




DES CANTONS 69


pOllr la liberté; le j lIge de paix porter:üt, d:ms l'exercice
de ses attributions administratives, la gravité, la régula-
rité, la eircollspection de ses habitudes judiciaires. Il se-
r'ait soulagé, daus le surcroit de trayail qu'elles lui impo-
seraient, par l' accruisselIleut du nombre de ses suppléants
auxqüels il en dél~gnerail une partie, en se réservant
principalemcnt les opérations qni touchent a ¡'ensemble
dll canton et al1X rapports de" communes entre elles. Il
dumincrait, de toute 13 tete, les maires des commllnes
rurales, comme l'l~tat dont il serait le repré~entant domine
les Iocalités, COllune riotéret général domine les intérets
particuliers.


Les juges de paix eL leurs suppléants demeureraient
au choix du pouvoi)' exécutif, el révocables a vo-
lonté.


Leur qualité d'agent de l'administration centrale l'exige;
maj~, pOlll' tempérer, dans l' intéret de l'indépendance lo
cale, l'exercice de ce droit inhérent au pouroir exécutif,
il paraitrait a propos de rétahlir' une institlltion sur la-
quello reposait, eu f{uelque sorte, tout l'éditice de la COl1-
stitutiOIl de Can VIII et que la dictature consulaire u'a pas
tarJé a faire disparaitl'e, apres s'en etre affranchie des le
premier jour.


Aux termes de la Constitution de l'an VIII, il était
forIlll;, J<ll1S chaqw: al'l'Ondissement communal, une liste


10




70 \TES SCR LE (~OlJVERNE~IEi\T DE LA FHANCE


de notables, dan s le sein de laquelle devaient Ctl'e choisis
les foncl ionnaires locaux l.


Réduile au di xi eme, pal' yoie d'élimination, la liste
d'arrondissemcnt devenait une liste de Ilotabilités dé parte-
mentales 2.


Le lmt, ou, tout au moins, la cons0quence o'une selll-
blable institution était :


10 De circonscril'e d:ms un cercle détel'miné le dlOix
du pouvoir exécutif, de re.;treimIt'(' son action ;


2° De localisel', s'jl est permis de s'exprimer ainsi, les
fonctions publiques; de faire en sorto que cilaque localité,
non-seulement posséddt, mais ('OZl7'ilU ses fonetionnaires;


;)0 De rendre les pl'olllotiollS plus lentes el plus régu-
lieres; plus lentes, lo champ Jc l'aYancemeut se trouvant,
cIu llloins, pour les grades iuférieurs, limité au départe-
ment, au líen de s'étendre a tonto la Franee; plus régll-
lieres, les titres ele l'av:mcement doren:mt sur placl' plus
fadIes a apprécicr ;


4° Enfin, de remIre les révocations plus rares et plus
difficiles, en obligeant le pouvoir exécutif a tenir compte
de l'effet qu'elles produisent sur l'opinion Iocale. La des-
tilution d'llll étranger passe ignorée, m~is non pas celle
tI'UII concitoyen.


I Art. 7.
~ ;\d. 8.




OES CANTONS


Tont ceci était bOll en soi ; c'étaient des entraves, mais
des entrave~ lltiles, salutaires, et dont le despotisme seul
avait intéret a ~e dég;lgcr.


Il f:mt saus dOlllt', que le pouvoír ,cxécutif soit libre
dans ses elioíx, ct, p(llll' qu'il soít vraiment libre, il faut
qu'il se meuve dans un ccrele dont l'étendll~ soit Sllftj-
sante. l\Tais tout anondissement renferme et peut pré-
sen ter lln nomhre ~ufli:-:ant ele eancliclats aux places de
jugt~ de paix el ele sllppléant, de percepteur et de eontl'ó-
lcm du eadastl'c, d'entI'CpOSellr, tle 1 ece\'eur, soít a pied,
soit á chcval, des cOlllrilJUtíons indll'cctes, de I'cceveur de
I'enregi::,tl'cmeut, de dircclcm OLL de préposé aux bureaux
de poste, d'agcllt \'oyel' cantonal, ctc. Tout département
¡,enferme et pent pl'ésL'ntcl' un nOIl!hl'c de candidats suf-
f1s:m1 aux place s de som;-pl'éfet, de juge, ou d'officier du
ministere llublic dans un trihllIlal de premiere instance,
de recc\eur particulicl' des contribu!ions dil'ectes Oll indi-
rectes, de conservatcur des hypothequcs, d'agent voye!'
d' al'rond issemcnt.


Il sufHrait, si l'on en I'evcll~!it au principe posé par la
Constitution de l'an YlII, (lue les ~ünctions locales fnssent
assul'écs aux candilials locaux, pOllr que les candiJ:ltures
se fOl'll1assent naturellement; el, d'un alltre cuté, le nombre
des '{;mplois ü conférer dans chaque arrondissement, dans
l'ilaquc tlépaJ'I(~IlH~nt, ét~lJlt lil!Jité - ostensiblement, ma-




i2 VVES SUR LE GOUVEHl\EMENT DE LA FRAl\CF.


uifestement limité - le nombre des canclidats se rrglerait
Ilaturellement Sllr les chances raisannables de succes; on
ne verrait plus, eomme 011 le voit elcpuis cinquante ans, le
territoire tout enlie!' ele la Fl':mce ouyerL, eomme un
cllamp S:lllS bornes, h tous les gelll'es d'alllbitioll; on ne
verrait plus tous les jeunes gen::; qui out l'C~u tant soit
peu cl'éduealion, se me!', pele-1ll0Ie, et ;'1 l'enyi les uns des
:1Utres, sur les p!;¡CCS; I:l fOllle des aspiLlTIts assiéger a
flots pressés toutes les avenues du pOllvoil'; la foule des
éconcluils se transforllle!' en méconlents de profession, en
adversaires de l'ordre social, en inslflllnenls de dommage
au service de toutes les fllctions.


La localisation des fonctions publiques aurait un autre
avantage non moins réel.


L'état namade en quelque SOl'te que 1'0n fait en France
aux foncliollllail'cs pllblils, l'hahitlllle de les dépayser a
('haque instant, ele les faire Yoyagcr sans ccs~e d'un bOllt
du territoin: it l':l!ltre, les place inévitahlemcnt dans 1':11-
ternative QH d'une scrvilit6 ab:;olue, OH d'unr, insuhord'l-
natíon blamable. Entiercment a la dispo:;ition uu chef qui
peut non·,seulemcnt Ics révoquer, mai..; les déplacer sclon
son bon plai:;ir, el, el] lts déplapnt, améliorer Ol! aggra-
ver leur condition, les favoriser Ol! les ruine!' ; dégagés de
toule responsabilité vis-ü-yis d'UIl public qui change sans
ccsse pour eux, el qu'il~ ne I'Cncolltl'Cnt qll'en passallt,




DES r,A\TOX~ i3


s'ils ne songent qu'a leur petite fo l'.tu n e , le pouvoir
trouve, en eux, des instrllments d'une docilité qui dépasse
les besoins du service, ils devicnnent des agents poli-
tiques, des serviteurs de tons les mtnisteres successifs.
S'ils veulcnt échapper a eette elépendance humiliante, il
leur faut cherche!' dans l'opposition le point d'appui qui
leur manque, en appelet', contre leur chef, a la polémique
de la pressc, ne point reculer elevant le scandale.


Un fonctionnaire IHlblic qui a ses raeines dans le líeu
meme oü iI réside, qui vit entouré des sien~, sous l'ceil
de ses proches~ de ~es amis, ele ses rivaux, est naturel-
lement enclin, et, au besoin, forcé ele se respecter lui-
meme. S'il ahuse de l'aseendant que lui donnent ses
fonctions, iI y a récri contre lui de tontes parts et ses con-
currents en profitent a son détriment. S'il se renferme,
au contraire, dan s la ligne de son devoir, il est approuvé
et devient bientót inattaquable; l'opinion honnrte, du-
rable, éclair¿e le protége. Regle généraIe, tOllt homme,
chez soi, pom pell que la condition soit honorable, eSI, a
certain degl'é, indépcndant et ami de l'ordre; 1'homme
<lépaysé, df2raciné, si ron pent ainsi parler, appartient a
ses intél'ets et aHX circonstances, tour ü tour souple,
complaisant, Ol! turlJUlcnt, selon le vent qui souffle autonr
de Iui.


Est-il besoin de rlire que la presque impossilJilité des






. -


74 YUES SUB LE GOVYEHNE)]EXT DE LA FHANCE


passe-droits, la régularité des promotions, la lellteur gra-
duée de l'avancement, la raretr eles destitutions arbi-
traires, en imprimant aux fonetions publiques le c:lrac!ere
paisible et régulier des professions libérales, en leur en-
levant le caractere .aventul'eux, aléatoire de carriere a
franchir au pas de course, de loteries dont les gros lots
sont au prix des sollicitations, de la faveur, d'un jeu de
hasard ou les dés sont pipés, l'adnlÍni~tratiün y gagnerait
en honneur et en sécurité aufant que la vie intéricure
des Iocalités en consistance, en mouvemcnt, en aclivité
réguliere, sans que le Gouvernement, ~Ihdiqu:mt I'ubiquitr
GU patronage, y perdit autre chose que des facilités po-
litiques plus dangereuses qu'utiles, des abus d'influence,
véritable emprunt usuraire, dont les intérets retombent,
tóL ou tard, lourdement a sa charge.


Aupres de ces grands et inestimables avantages, que
serait, s'il existait, le dangel' d'un peu de mollesse, d'un
peu de laisser aIler de la part des fonctionnail'es locaux,
d'un pen de complaisance, d'un peu de eamaraderie, vis-
a-vis de leurs concitoyens? En admettant, pon\' ce ([u'il
peut valoir, cet illconvénient, le senl qu'on puisse alléguel'
contre le systemc de la Iocalisation des fOllctions pu-
bliques, a peine s'il en fauu\'ait tenil' complc. Ce sCl'ait
d'ailleul's, aux préfets, aux chefs de service, dans chaque
département, aux insfJecteurs généraux et particulier:;,




/.,


tous choisis sur toule 1:1 surfare de la France, a faire leur
devoir el a rrprimcl" arce llllC juste sérél'ité, toutes les
négligences, tous les torts, tous les désordres.


Les jugcs de paix ct leurs suppléants seraient choisis
sur les premicl'cs listes d'arrondisscment; mais, pour
arriver ¡tIa forlllatioll de ces li:-tes, il faudrait se gal'der
d'employer le pl'oe~dé indiqué par la Constitution de
I'an VlIl. Ce procéclé t'onsistait a convoquer itms les ci-
toyens dont se composait l'al'l'ondissemcn t, en les invitant
a se l'édlliJ'(~ CllX-lIlrlllf'S au di\il~mc, par voie d'élimination
volont:lil'e. Une telle irl\"ilalion n'aurait a eoup sur rien
d'attrayant pOllI' personnc. Qui voudrait se dél'anger de
ses affJires pour eléclarer publiquement sa propre incapa-
cité? QueHe confiance pourrait inspirer le résultat el'une
sernblable opération? Le vrai lH'océdé serait celui-ci :


La loí poserait des cOllditions de calldidatures pour
chaquc branche de service admini:-tratif OH jucli-
ciaire.


Dans ehaqllc communc, le maire, en c.onseil municipal,
dl'esserait la liste des habitants de la commune qui réuni-
raient en lcur personne telles ou telles de ces séries de
conditíons.


La liste serail aftichée.
.. Le conseil municipal prolloncerail, le cas éehéaut, sur


les réclallJations.




76 YUES SUB LE GOUVEHNE.\IENT DE LA FRANCE


La réunion des listes communales formerait la liste
d'arrondissemen t.


Les juges de paix choisis sur ccHe liste, seraient sala-
riés comme· ils le sont aujourd'hni. Les suppléants se-
raient gratuits. Cela permettrait ¡J'en appeler un plus
grand nombre. Ce serait un noviciat administl'atif el judi-
ciaire ouvert aux jeunes gens dont 'l'éducation libérale
aurait été, comme elle l'est d'ordinaire, complétée par
un cour de droit.


• •


Pour maintenir l'ordre d:ms toute l'éten(lue du canton,
le juge de paix disposel'ait de la brigade de gendarmerie
la plus voisine; mais, comme la dbtribution et l'empla-
cement des brigades de gendarmerie ne correspond
pas toujours exactement a la division des cantons, et
comme l'iusuffisance en nombre de ce corps excellent
est partont I'objet de plaintes, de réclamatlOns conlinuel-
les, il convienclrait de créer, dans chaque canton, IIlle
brigade de gardes champelres cantonaux, armés, éqlli-
pés et sotdés aux frais dn département, et investis, en tant
qu'officiers de poliee judiciaire, des memes aHributions
que la gendarmerie.


Le département serait amplement dédommagé de cette
dépense par la vigueur et la régnl:lf'ité ~vec laqllclle la
poliee serait désonnais exercée dans loute l'étendue de
son territoire. Tout le monde sail combien l'institutioll


...


~
. .. ... .


. f .• ,
.. 1




...


DES CANTO:\'t' 7i


des gardes champetres purement communaux est défec-
tlleuse. Ce sont des hommes illettré~, hors d'état, pour la
plllpart, de drcsser eorrectement un proces-verbal. Ne
recevant qu'une tres-modique rétrilmtion sur le budget
communal, ils sont forcés de donner la plus grande par-
tie de leur te111ps Ü ['exercice d'une profession privée;
leur intervention, lil oü iI y a désordre, est de tres-peu
de poids; ils manquent ¡j'alltorité morale sur la popula-
tion. Il en sel'ait tout autrement d'une brigade, composée
d'hommes hien choisis, et bien commandés , dirigés par
le juge de paix, et ses suppléant", uniquement consacl'ée
an maintien de l'ordre, sorte de gendarmerie a pied, qui
seconderail et suppléerait la gendarmerie a cheval. L'exis-
tence d' un tel COl'pS, réduisanl les gardes champétres
communaux au service purement munieipal, metlraít
d'accord lem capacité el leul's fonctions, cm grand aV:lI1-
tage de la société. Ce serait étendre a touLe la France, le
bienfait de ces corps de ]Jol icemfl?, dont la création a
fait tant" d'honneur a sír Robert Peel. JI va sans dire que
ce COl'pS pl'endrait un autre nOlll dans l'intérieur des com-
munes urbaines, et pourrait recevoir une organisation
différentc, plus étendue, plus compliquée.


Indépendamment d~ la brigacle de gendarmerie, et de


I Bowyer, eOll/mellta/re 011, the COlIslitutiOlllld law of England.
- LOlldres, 1846, p. 390.




7R 'TES SUR LE GOUVER\Em:NT DE L.\ FHANCE


la brigade de gardes champetl't's calltonaux, les juges
de paix allraient a leur disposition la compagnie de gal'de
nationale mobile dont il a été fait mention all chapitre
précédent; force considérable, puisque l'institution de ces
compagnies ne tendrait a rien de moins que constitller
une armée intérieure, égale en nombre, et presquc égale
en consistance militaire a I'armée active elle-meme.


On sait, en ef1'et, que chaque année CnVil'Oll 310,000
jeunes gens atteignent I';ige de villgt ans ;


Que, sur ces 3;(0,000 jeunes gens, el1\'iron 170,000 sonl
rléclarés exempts du servic(~ par des mol ifs dircl's :


Que,sur les 140,000 qui restent, environ ";'2,000 entrent
dans l'armée active, déduction faite des exemptions et des
non-valeurs' ,


Qu'enfin, el par suite, 68,000 restellt Jans leurs foyers.
Ce sonL ces 68,000 jeulles gen~.; augmcntes el'un nOIll-


bre indétennjné de rolontaü'és armés et éqllipés á leurs
frais, qui formeraient, ainsi qu'on I'a expliqué plus haut,
des pelotons elans chaque commllne, des compagnies
rlans chaque canton, de garfle nation:¡]e Illobile.


Disponibles penelant un nombre (l'anTltcs égal h celui
du servico actif; anlluellcmcl1l rccrlltócs par UIl contin-
gent égal aux libéi'atiotls armuelles; eOIllLllallUeCS, clw-
cune, par un capit~iTle en retraite, leq ud aurait le choix
des ofllcicrs et eles sotls-offielel's, et s'entourerait naturel-




DE~ CA~TONS iO


lement des jeunes gens les plus intelligents, le~ mieux
élev¡ís; soldées et soumises aux lois militaircs. toules les
fois flu'elles srraienf employées hors de leurs cümmunes
respectiYcs, régulierement exercées, ces compagnies équi-
vauuraient, pOUl' le service illtérieur, aux traupes de
ligu c.


L'institution auralt te lllél'ite de rendre plus égale la
charge du reclulemenl ; de faire travf'rsp,r, a loute la po-
pulation active, la pt'ofession des armes, sans en enlevel'
plus de la rnoitié "au\: pl'ofcssiollS civiles; de donne1', des
leur jeunessc. an, claso;;rs ouvrieres eles habitlldes el'or-
dre, ele disr.iplioe, d'obéissance légale; d'exel'cer les classes
aisées au maniement des armes, et de tenil' constamment
sous la main du premier magistrat de chaque canton
une force en état de dominer toutes les tentatives de dés-
ordre.


Ghaque canto n serait l'cprésenté au conseil de départe-
meo1 par l'un de ses habitallts.


A cet effet, les maires de loutAS 1e8 communes, réllnis
sous la présirlence du doyen d':'tge ;¡ II chef-lieu du cantan,
formeraicnt un comilé électol';:¡l semi-ofliciel: ;:¡pres :lvoir
entendu les compétit CUl'S, ce comité arreterait une liste
indlcative de cinC] candidats qui serait artichée tlans chaqlle
commune.


L'élection aUl'ait lieu, uallS chaque commune, aux me-




80 VUES SCR LE GUrVERSE~lENT DE LA FHANCE


me~ condition&, et dans les memes formes que l'éleclion
des conseillers municipaux.


Le recensement des votes seraít raít publíquement, au
chef-lieu de cmton, par le jugc de paix.


Un canton ainsi constitué, composé de communes indé-
pendantes dans la sphere de leurs intérets munieipaux,
mais sOllmises a raetion direcle de l'administration supé-
rieure dans la sphere des intérets g-énéraux de l'í~tat et du
département; - ceHe action exclusivemcnt exercéc,uans
chaque branche el'administration, par un Oll plllsieurs
fonctionnaires publics selon l'étcndtw de Ieurs ressorts
respectlfs; - fonctionnail'es auchoix du pouvoir exécutif,
révocabIes a sa volonte, mais fonctionnaires lncaux, appar-
tenant a eles familles connlles, dont les titres seraient
constatés et vérifiés sur les heux; - en tete de ce corps
de fonctionnaircs locétuX, un magistrat soumis aux memes
c'onelitions, sorti des memes rangs, administrateul' el j uge
tout ensemble, entouré el'assesseurs choisis elans le~ fa-
milles honorables de 1:1 Iocalité, disposant el'une milice
civique, mais bien disciplinée, bien rommandée; - un
canton ainsi constilué serait, dans l' ol'ganisme el e l' É-
t(1 t, un organe vigoureux, vi rnec, efíicace; un premiar
centre d'action, réunissaut, ,1. un haut dcgré, les deux
conelilions de tout régime légal, l'autorité morale, l'as-
cendant, sans lequel il n'y a point ct'obéissallce eligne ui




OES CANTONS RI


durable; l'autorité matérielle, la force, sans laquelle illl'y
a point d'obéissance régullere et ponctuelle.


L'institution des jugcs de paix, tant en Angleterre qu'aux
États-Unis, se rapproche, ü quelques' égards, du plan qui
vient d'ctre indiqué, mais elle en differe essentiellement
sous d'autres rapports. On s'cst efforcé d'en approprier
les 3v:mtages ~l notre ótat de choses actuel, en évitant les
graves intol1Yénients que les Anglais et les Américains
eux-memt:s sont forcés d'y reconnaltre.


En .\ngletcrre, COlllme dans les ]~tats tlu Nord de l' A-
lJIérique, il n'existe, entre la paroisse, la cité, le township,
n'importe le llom, et l'État lui-meme qll'une cireonserip-
tion tcrrilol'iale, le eum té l. Dans l' ellceinte de chaque
romté, la plus grande par tic des pOllvoirs, tant judiciaires
qu'administl'atifs, est dévollle au corps des juges de paix.


En Anglcterre, tout propriétain' qui jouit d'Ull revenu
libre de 100 lines stcrliug, OH d'une expectative, par
voie de succession, de 300 li\Tes sterling', peut etre porté
a litre de jllge, c1ans la commission de paix ele son comté 2;
illui suffH de faire offre de ses services au chancelier, par


i Plusieurs CO:11tés ll'Angleterre sont cli\isés en seclions ¡riding)
pour la facilité du ,:cr\'Íce. Les Sl'SSiOllS lrimestriclles se tenaient
altcrnativement llans clwque sl?cl.ion.


Tous les comtés étaicnt autl'cfois divisé s en circonscriptions ju-
diciaires auxqucllcs correspoIlllaiellt de petils trihunaux dont la
juridiction esto dcpuis longlemps, tomb~e en désuétude .


• Blackst, 1Ge {'dil.. t. 1, JI. 3~.1 pt 352; Bo\\yer, p. 387.




82 VUES SUB LE GOUVERNEl\IENT OE LA FRA:\CE


l'entremise du lieutenant de comté, et de preter serment,
en recevant son aete de nomination; ii est tres-rare que
eeHe offre soit refusée; plus rare encore que la nomination
soit révoquée; il faut, pour cela, [es 1I1Otifs les plus gra-
ves, et la commission générale elle-memc ll'cst renou~
velée que dans certaines eirconstallces spéeiales, telles que
l'avénement el'un nouveau roi, par exemple. TI ~' a, dans
chaque comté, plusieul's centaines de juges de paix. Leurs
fonctions sont gratuites.


Aux États-Unis, les juges de paix sout nommés direc-
tement quelLluefois par les élecleurs, quelqllefois par le
gouverneur 1; dans ccrtains ÉtaLs, ils sonL réélus tous les
ans, dan s d'autres tous les sept ans, mais l'esprit de l'in-
stilULion est le meme qu'en Angleterre.


« Lejuge de paix, dit NI. de Tocquerillc, tient le milieu en-
tre l'homme du monde el le magistrat, I'administrateur et le
juge. Le juge de paix est un citoyen (;elairé, mais qui n'est
pas néeessairement versé dans la connaissance des lois.
Aussi, ne le eharge-t-on que de la police de la société,
chose qui demande plus de ton sens eL de droiture que de
science. Le juge de paix appolle dans l'administration
lorsqu'il y prcnd part, un certain goút des formes et de
la publieité, qui en fait LID illstrument fort genant pour


I Connecticut Swift, t: 1, p. 105. Massachussets, Tocquevilll·. t. 1,
p.96.




DES CA:'1"TONS S3


le despotisme, mais il ne s'y 1110ntro pas resclave de ces
superstitions légales flui rcndent les magistrats peu capa-
bies de gou verner. »


Ni les juges de paix anglais, ni ceux des États-Unis
n'ont de ressort propre il chacun deux; tous excrcent, OH
concurrel11ment 0[1 conjointenwnt, dan s toute l'étendue dn
cOl11té allqurl ils appartiennellt l.


Les attributions des juges de paix, en qualité de juges
ciYils, sont, en Angleterrc, tr~s-limitl~es 2; en Amérique,
elles sont plus étenducs, du moins dans certains États, el,
,'essel11IJlcllt, jns4u'f¡ un certain point, aux attributions de
nos j iI ges de paix.


En lllatierc crimindlc les jllges de paix instruisent, ;\
l'rgard de tous h's cldits 3 et de tous les crimes; i1s sont
juges ele lOus les elélits et de tous les crimes qui n'offrent
paq un tres-hant degré de graYité 4. En Amérique, les
attrihutions des jugcs dc paix, rn tant que juges instruc-
tellrs, sont les memcs qu'cn Auglctcrre; en tantque juges
propeement dits, elles sonL moins 6tendues 3.


En matiere u'administration, de police, de voirie, etc.,
les atll'lbutions des juges de paix., soit anglais, solt ~mé-


I Swift, t. 1, p. 10J.
\! Cottu, De la .Tustice c1'iminelle en Allgleterre. - París, 1822,


p. 2~. - Connecticut, Swifl, t. V, p. 107-109.
:; Cotlu, p. 26.
4 Bowyrf, p, 333 et 334.
; Swift, t. ~, p. 303 el 305.




S4 VUES SUR LE GOUVER~EMENT DE LA FRA~CE


ricains sont infinies. Ces attrilmtions ieur ont été sucees-
sivement déférées par une multitude de lois spéciales;
l'énumération en remplit les cinq énormcs in-4° de Burn i .
Ils exercent, en Angleterre et al1\ États-Unis, ü peu pres
toutes les fonetioÍls que remplissent, en FraIlee, les sim-
ples commissail'es de poliee, les commissaires génél'aux,
les maires considérés eommc déJégués du pouvoir CClI ~
tral, les sous-préfets, les préfct3, les eonseils de prun'-
hommes, les inspectcllrs de tous les senices, les chefs de
division de tous les bureaux. Souyent toutefois la loi,
en autorisant telle ou telle cntreprise, L1nc route, par
exemple, ou un canal, en confie l'cxécution a une com-
mission spéciale qu'elle désigne, et qui agit aloro5 souve-
rainement, dans les limites du mandat légal.


Les juges de paix :mglais ou américains, exercent leurs
fonctions direrse~, tant adlllinistratives que judiciaires,
non pr>int. hiérarchiquement mais !fradatim. Les fonctions
les plus simples sonl excrcécs pal' des j llges de paix iso-
lés; eeHes qui 80nt un peu plus difficiles, un peu plus
compliquées, le sont par deux ju¡.;cs ue paix, réunis en
petites sessions; les plus importantes sont exercées par
le corps enlier des juges de paix, complet ou non, mais
uument convoqué, en sessions trirnestrielles; telle est


1 Buril, Juslice o/ the jJwce.




DES CANTONS " .. -.a


du moins la regle en Anglelel're; aux I~tats-Unis, l'épo-
que des grandes sessions et le nombre des jugt~S qui les
composent t vari:mt, e'est aux scssions trimestriflles que
sont pOl'tés les appels des décisions rendues, soit en ma-
tiere administratire, soit en matiere judiciaire, par les
juges de paix, procédant isolément, ou réunis en petites
sessions.


Au-dessus uu corps d,es juges de paix, il n'existe aueune
autorité qui soit appelée a les dirigrr par ses instructions,
OH h les ¡'edresscr lorsqu'ils tombent dans queIque faute.
Les juges de paix encourent simpIement, charun POll¡'
son compte, le danger d'etre poursuivi devant lfs tribu-
naux supérieurs, en raison de leurs méfaits per-
sonnels.


Au-dessous des juges de paix, iI n'existe quedes con-
stablcs, simples agents d'exécution, unique force dont les
juges de paix disposenl; car la milice n'existe que sur le
papier, ('t, s'il arrivait qu'elle fUt mise réellenJent sur
pied, elle serait aux ordres du Iieutenant du comté
seul.


Les grands constabJes (high cOl1stables) sont nommés
par le corps entier des juges de paix, aux sessions trimes-
trielles, les petits cOllstahles d:ms les petites sessions,


! Tucque\ille, t. 1, p. 36.
11




Ro VUES SUR LE GOUVERNEl\lEl';T DE LA FRANCE


par deux juges de paix seulement. En principe, la diffé-
rence entre les uns et les autres consiste uniquement
dans l'étendue de leurs ressorts respectifs t ; en príncipe,
les uns et les autres, sont des agenls gratuits ; mais, en
1'aít, les pelits constables sonl clésormais subordollnés aux
grands, et lous égaletlJellt soul salariés~. Par deux actes
assez récents, les jug'cs de paix l'éUllis ('n sessions tri-
mestrielles out été autorisés a orgauiser, SOllS l'approba-
lion du secrétaire d'r~tat de l'intérieur, un régime de po-
lice l'éguliere, hiérarchique 3 .pmstabula/'lj /'urce) , qui
tienne lieu, dans les call1pagnes, des corps de poli-
cemen, établis ~l Lonures el dans lJeaucoup de grandes
vilIes.


On yoit par cet ex posé rapille, en quoi le plall qm
vient d'etre indiqué ressemble au systeme qlli prévaut
en Angleterre et aux l~tats-Unis, et en quoi il en
differe.


Confier, dans l'étenclue d'un canton, circonscriplion
lres-inférieure en superficie aux comtés de I'Angletel'l'l'
el de l' Amériquc, circonscription hiéral'chiquemcllt suhol'-
donnée a dellx autres circonscriptiollS tcnitol'iales - con-
fiel', disons-nous, clans l'éten(lue d'llIl eanton, j'admillis-


1 Bowyer, p. 389.
2 2 el 3 Vict. C. ÓII; 3 ell Victo C. L\IlI.
¡ Bo\\'yer, p. 390.




DES CmIMIJNES Si


tration publiquc il des fondionnaires exclnsirement choisis
parmi les familles les plus honorables uu lieu, fortifieI' le
gouvernement en l'associanL it leur intlucnce morale ; 1'0'-
hliger, en meme temps, ele respecte!', á certain uegl'é,
¡cur indépendance; placer, en tete de ce corps de fonc-
tionnaire's locallx, un magistrat ill\'esti de la meme auto-
¡'ité moralc, protégé par la meme foree de situation, réu-
lIissant, danoS sa personne, aux qualités du citoyCll
éminent, les tl'01S altl'ibuls ele la puissance supreme -
I'aulorité législative - l':lIlforité judiciail'e - l'aufol'itt~
exécutive - mais les I'éunissant au de~l'é le plus limité,
disposant, dalls l'intéret d(~ la loi el de l'administratíon,
d'une force pUl'cment ciyile, et d'une force civique, mais
militairement organisée, voilü, sous tOlltes les distinctions,
allditiollS, suppressions qu'on apercoit d'un coup u'reil,
tou! ce qu'il semble possible d'empnmter utilement au
systeme anglo-américain.


Nos mceurs répugllel'aient ave e rai~on Ü l'idée de l'e-
connaitre, dans tout homme possédant une cet'taine for-
tune, le droit de s'al'l'oger Ü peu pres llécessail'ement une
magistl'ature importante, et de s'y établir a peu pres aussi
solidemcnt que dans son domaine; nos habitudes d'ordre
et de régularité l'cculeraicllt, avec raison, devant l'idée de
cumuler, dans une seule m:lgistrature, une variété indé-
l111ie de pouvuil's, lous d'une extreme étendue. et de 'per-




S8 VUES SUR LE GOUVERNE~IENT HE LA FHANCE


mel tre á un nombre indéfini de magistrats u'exercer tous
ces pouvoil's, concurremrnent, simultanément1 dans l'é-
tendue d'un meme ressort; nous ne concevrions ni judi-
cature, ni admiuistration ~ans biérarchie; nous ne CO\l1-
pl'endriolls pas comlllcnt le:-; memes luagistrats, réunis en
nombre différent, a ues époques difl'érentes, pomraient,
sans pOI ter attcinte il tous les principes, ou se déjuger
eux-memes, ou se rdormer mutucllcment; l':lUtorité de
la Ioi n' est ma lheureusemenl pas assez pllissallle, chez
nous, pOLlr que la baguelte d'ull constable, d'un simple
omcier ministél'iel, pUlsse nOllS tenir líen (Jc fOI'ce armée;
enfin, il IlOUS ser:üt pl'csque impossihle d'admetlre, h coté
u'une extreme facilité a poursuivre, pour la moindre
fallte, les simples agents d'exécution, l'irresponsabilité,
sinor. complete, du moins presque entit_'re <les magistrats
qui les ernploient. Les juge:" de paix anglais JI'ont point
de supérieur légal ayant droit de leur ucmander compte
de leur gestion, de les rcdressel', de les répl'imallllcl', de
les ré\'Oquer meme, au besoin; et s'ils son!, en principe
général, exposés, le cas ééhéant, a des poul'suites devant
les tribunaux de ¡'ol'dl'c le plus élc\'é, ils tl'Ollvellt, dans
les formes de la procédure, modifiées a lcur profit, une
prote~tion efficace, et toute facilité lcm e~t ménagée, ou
pour s'affraIlchir il peu de frais dc ccs poul'suites, ou pour
y échapper sains et saufs; conS()queIlt'e im)vit~ble du




DES CmUlUNES


sysleme. Comment demander a de simples propriétaires,
a de simples gentilsholllmes, un compte sévere de fonc~
tions si nombreuses, si importantes et si diverses, que
In magistrat de pl'ofession, le plus exi)érimenté et le plus
habile, en serait accablé?


Dans le plan qui vient d'etre indiqué, nos juges de paix,
en tant que jllges, dememeraient soumis, pour tout crime
ou déli t commis dans l' exercice de leufs fOIlctions, aux
dispositions des art. 483 et 484 du Code d'instruction
crill1inrlle; en d'autres termes, i1s demeurel'aient directe-
ment el saos llltermédiaire justiciables de la cour d'appel;
en tant qu'administrateurs, ils seraient soumis a la meme
condition el jouiraient des memes pririléges; mais, en
outre, aUClln mandat ne pomrait ctre décerné contre eux,
sans qn'au pt'éalable, la pl'océdure eut été conür uniquée
au préfet, et par eelui-ci au ministre de l'intérieur, lequel
serait maitre, on de laisscr un libre eours allx poursuites,
ou deles arrcte!', en assumant Stll' lui la responsabililé
du fait incriminé; l'affaire suivrait alors son cours, contre
qui de droit, devant qui de droit. C'est le systeme
qu'en 1835 le dernier gouvernemcnt proposait de substi-
tuer au systcmc actuel de la garantie administrative;- e' est
le seul qui soit, il la fois, libóral, juste et régulícr; libéral,
cal' il n'interrompl IJoillt !'adion de la justiee; juste, cal'
ji faH remonter la responsabilité jusqu'au vrai coupable'




90 Y[JE~ svn LE GOUVERNEMEl\T DE LA FRANCE


jusqu'á celui qui a onlonné le. cl'ime, ou qui l'a permis;
régulier, cal' iI assure l'obéissance hiérarchique de l'infé-
riem envers le supérieUl'.


Montons un nouveau degré.




CHAPITRE 111


IJ E:"; A H H O :\ lJ 1 S S E JI E :\ T ~


Apres le canton, l'al'rondissement. Le canto n est un
groupc de commnnes; l'arrondissement est un groupc
de canlons. ecHe cil'conscl'iption intermédiaire, établie
par l' Assembléc constituante L sous le nom de district,
supprimée i~1plicitement par b constitution de Pan III 2~
rétablie, sous le nom actuel, par ceHe de 1'an YIU 3, est
touL ensemble administrative, j udiciail'e et politique.


Nous l'étudierons sous ces t1'ois caracteres.


§ 1.


Les provinces de Franee, eelles du llloÍns q Ul


1 ConslÍlution du'H seplcmJJre 1791, art. lo
" Constitutiun du ti frllctidor an III, art. J.
~, Constitulioll du 22 frimairc an YlI!, ;Irt. l.




!:Ji VUES SUR LE GOUVElt~EMENT DE LA FRANCE


n'étaient pas pays d'États, étaient divisées, sous l'ancien
régime, en généralités.


Chaque généralité eorrespondait a la juridietion d'un
bureau des trésoriers de Franee, ou siégeaient deux re-
ceveurs généraux, exerGant alternativement, d'année en
année, et versant au trésor royal le produit des tailles et
autres impositions directes. Dermis le regne de Richelieu
- regne, e' est le mOL propre ! chaque génél'alité était pla-
cée sous la direetion supreme d'un intendant de justice,
de poliee e¡ de finanees qui tenait en main toutes les
branehes de l'administl'atioll publique.


Les vingt-deux généralités du royaume étaient sub-
divisées en cent quatre-vingt-une éleetions. On nom-
mait ainsi le ressort d'un tribunal fiscal chargé de veiller
a la répartition et au recouvrement des impots prélevés
dans les généralités, et de slatuer sur les réclamations
et contestations entre le trésor et les eontribuables.
Chaque éleetion comprenait un eertain nombre de pa-
rOisses, sous la direetion et la surveillanee d'un subdé-
légllé de l'intendant.


Lors done que l' Assemblée consLiluante 1, apres avoir
divisé la Franee en départements et sublli visé les dépar-
temenl~ en dislriets, a plaeé en tete de clwque district, un


i Décret du 22 décembre 1790, sec!. 1, arto ti; ibid., secl. 11'
arto 1 - 31.




DES ARRONDISSEMENTS


corps administratlf, divisé lui-meme en deux sections,
dont l'une, sous le nom de Directoire, était armée du pou-
voir exécutif; lorsqu'elle a cornmis a ce corps administra-
tif, le soin de pourvoir, sous la direction de l'autorité
supérieure et par l'entremise d'un procureur-syndic, a
toutes les parties du service publie, et notamment a l'as-
siette, a la répartiLion et au recouvrement de l'impót di-
rect, elle n'a fait, en cela, que l'égulariser sous des noms
nouveaux, el des formes llouvclles, un état de choses
p l'éeús tan t.


L'analógie, ou plutót l'identité est devenue plus fl'ap-
pante encore, lorsque la loi consulaire du 28 pluvióse
an VIII a substitué, au directoire de district un sous-pré-
fet, vl'ai successeur du subdélégué de l'ancien régime, et
au comeil de district un conseil d'arrondissemenl chargé
de la l'épartition de l'impót direct.


C'était l'établir les élections.
Toutes choses étant, depuís lors, demeurées au merne


état, convient-il de le rnaintenil', de le supprimer ou de le
modifier?


Convient-il, en particulier, de conserver les sous-préfets?
C' est IIne question que les théoriciens OIl t fréquemment


agitée. A quoi bon les Sous-pl'éfets, disent-íls? Leul'
existence n'est qU'Ullé supel'fétation, et leul' emploi qu'une
sinécure. Un sous-pnífet lI'est dans chaque alTondisse-




94 VUES SUB LE GOUVERNElUENT DE LA FIUNCE


ment que l' alter e(fo du 'préfet; il n' a que des fonetions
de seconde main; il n'a point d'attrihutiollS en pl'opre;
a I'égard des autorités locales, il n'esl qll'un agent de
transmission, la poste en remplirait l'offiee avee plus de
régularité et de eélérité; eomme agellts de surveillance,
des inspecteurs visitant les loealités, tantOt pél'iodique-
ment, tantot a l'improviste, offl'Í1'aient it l'administratioll
supérieure plus de garanties.


Ajoutons que ces considérations acquerraienl plus de
force encore, si l'on érigeait, t;omme nons le pl'OpO-
sons, les j uges de paix en mail'es de cantoll, quant a la
partie la plus générale et la plus importante des mairies.


On peut réponclre, toutefois, et, selon nous, 011 a raison
de répondre que de semblables ohjeetions ne prouvent
ríen,_ préeisément paree qu'elles prouvel'aient trop, paree
qu'on pourrait demander, au meme titre la suppression
des préfets, la suppression de tous les clegrés de hiéral'-
chie entre les chefs de service dans toutes les branclles
de l'administration, et les agents immédiats d'exéeution.


01', peut-on posel' un tel principe dans un sens abso-
Iu, quelles que soient l'étendue de l'État, la multipli-
rité des affaires, l:l diversité des intél'cts'! ne doit-on faire
aucnne distinction, sous ce rapport, eutre le royaume de
France, par exempl.e, et la répllblique de Geneve '?
I~vjdemment, cela serait absurclc. Exiger, dans un




l)E~ ARRONDlSSElHEN1 ~


grand pays, que les premie1's dépositaires de l'autorité
voient tout de leurs propres yenx et fassent tont de leurs
propres mains, qu'ils ne déleguent de degré en degré, au-
I~une portion de leur pOllvoir et de leur surveillance, ce
serait compromettl'e, ü plaisir, l'énergie et la régularité
des services publics. Cela saute aux yeux et n' a pas be-
süin d'etre démclltré.


Combien faut-il interposer, dans un grand État, d'au-
torités déléguées entre l'administration supérieure et
les dcrniers agents d'exécution; en d'antres termes, de
cümbien de degrés doit se composer la hiérarchie admi-
nistrative '!


Cela dépend mauifestement des temps, des circon-
stances et de la nature meme de chaque service. La ques-
tion, en ce qui concerne les sOlls-préfets, n'est done pas
de savoir s'ils sont, ce qu'effectivement ils sont, des pré-
fets au petit pieu, Illais si lem intervention est nécessairc
ou simplement utile au bien et ü l'expédition des affaires.


01', il cet égard, la question n'est pas donteuse, si 1'011
intenoge les gens du métier, eL, si l'on interrogeait les
administrés, il est permis d'avallcer qu'elle le serait en-
core lilOill s.


L'institutioll des sous-préfets dale de 1800; elle a par
conséquent pres de soixanLe allS d'existence, et n'a jamais
été attaquéc que SOllS un poinl (k Yllé pUl'emellt théol'ique.




96 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FHA~CE


Cela seuI, au besoin, suffirait pour répondre a ces attaques.
Ce qui durr Iongtemps :l sa raíson de durer, le mouvc-
ment se prouve en marchant. Ne fUt-elle pas d'ailleurs :l
l'abri de tout reproche, en principe général, une institu-
tÍon Iongtemps en vigueur a nécessairemer;t pris racioe
dans le sol; il s'est groupl', autonr d'elle, \lile diversité
d'intérél:" il s'est formé une multiplicité de rapports,
il ~'est ét<lbli une continuité d'habitudes qu'on ne dé-
payserait pas impunément, el o.ont il importe de telllr
grand compte. Ces rapports journalit>rs, ces intérets
en jelJ, ces habitudes contractées, ce sont les liells cott'e
les membl'es des petites sociétés dont la grande société se
compose; c'en est, pour ainsl dire, l'ame el la vle; et
ce sont, en meme temps, 1% moyeos légilimes et régll-
liers d'action sur ces sociétés partielles, les canaux par
lesquels un gouvernement sensé rail pénétrer se~ vues dans
les esprlts, el prépare leur adoption ; ce sont, en un mot,
ses moyens d'influence, et, quand il les brise ou les dis-
perse, il ne lui reste plus que la force, pour triompher
des résistances individuelles et conjurer les mécontentc-
ments qu'il a suscités.


Bien loill done de supprimcr les sous-préfets, Jont, au
surplus, ii n'est pas exact de dil'e qu'ils n'ont point d'at-
tributions en propre bien 1 ; loin de supprimcr ainsi, par


I Voy. I'Awl1laire du dépal'temcnt de ¡'Eure, allnée 1854, p.96.




DES ARRONDISSEME"TS 97


eontre-coup, les al'l'ondlsscments, comme on 1'a fait en
l'an IlI, cal' c'est dans son premier magistrat que 1'arron-
dissement sc personnifie; bicn loin de priver ainsi les pré-
rets d'auxiliaires locaux, qu'ils ne peuvent remplacer
qu'impal'faitement en accroissant lel1l's bureaux, et en
multiplian"t leurs commis; bien loin enfin de réduire
leií administrés il l'alternative OH de poursuivre leurs
intéréts, leurs réclamatiOIls, leurs démarches au chef-
lieu de la préfccture, ce qui ll1ultiplierait, pour eux,
les fttais el les déplacements, ou de les éparpiller
entre plusicurs cantons, et d'avoir affaire á plusieur:;
aoministralions diffél'entes; nous estimons qu'on fe-
rait sagement de donner aux sous-pl'éfets plus d'im-
pOl'tance et aux arrondissements plus de consistan ce,
en étendant, au'\. uns comme aux autres, ce prin-
cipe de la localisation des (oJlctions publiques dont
nous arons expliqué les avantages dans le chapitre pré-
cédent.


Ce principe, nous ne l'ignorons pas, est directement
conlraire ~l celui qui prévaut, en Fr~ll1ce, depuis long-
temps, et de plus en plus chaque année, de plus en plus
achaque nouveau gOllYernement, monarchie ou !'épubli-
que, Jl10narchie de l'ancien ou du nouveau régime. On
dirait que la Fl'ance est un pays conquis par son admi-
ni~tration: point de Iocalité oil les fonctions publiques







98 YUES SOH LE GOUVERNEMENT DE LA FHA~CE


soient gérées par des indigtmes; point de loca lité oh les
fonctions publiques persistent dans les mcmes mains
et se perpétuent dans les memes familles. Notre régime,
e'est l'opposé du sel{ government. ~os administrateurs,
ce sont les Anglais dans I'Inde, ou les Autrichiens en
Lombardie. Cela n'est ni bon ni sensé. Il l1'est POi11l
d'arrondissement, en Francc, ou ne se tl'ouve, pour peu
qu'on le cherche, l'étoffe d'un Don sous-préfet. 11 n'est
point d'al'rondissement, en France, oil ne pllisse se for-
mer un nombre suffisant de reCl'veurs particuliél's eL
de contróleul's des contributions indireetes, de dil'ecteUl's
el d'inspeeteurs de l'enregistrement, de COI1Sel'Vateurs
des hypotheques, etc., etc., et mcme, au bont d'Ull
certain temps, d'ingénieurs Ol'dinaires des ponts et
chaussées. Ce sont, apres tout, des fonctions modestes, et
qui n'exig'ent ni génie, ni talents extraordinaires. De la
probité, du bon sens, des habitudes laborieuses y suffisent
pleinement. Supposez des conditions de camlidatul'es sé-
verement déterminées par la loi, et, dans chaque dépar-
tement, une liste de candidats soigneusemcnt dressée par
le conseil général, sur les renseignements recueillis pal'
les juges de paix et les maircs ; supposez, pOU!' l'État,
l'obligation de choisir sur eeUe liste, VOIIS aurez, dan s
chaque arrondissement, un corps de fonctionnaires indi-
qués, sans etl'e imposés, permancnts sans ütl'e inamovi-




DES ARRONDISSElUENTS 99


hles, i'attachés aux principales familles du pays par des
¡'apports de parenté ou de société, préparant aux mesu-
res de l'administration l'assentiment et le concours des
administrés, rendant ;1 l 'au lorité l'appui qu'ils en re~oi­
vento AH líen d'une troupe d'oiseaux de passage, ras-
semblés des qllatre vents, p1'6ts a se disperse1' au pre-
miel' signal, n'aspirant, chacun pour son compte, qu'a
prcndl'e son vol pour un meilleUl' gite; au lieu c!'une
f('union d'llOmmes, tombl\S des nues, vivant, entre eux,
cmmne des royag;eul's qui dinent ü table u'hüte, eH atten-
dant í'lIeure ele la diJigenec, OH, tout au plus, eomme vit
une lt;gation en pa~'s drangcl', n'entretenant aree les na-
tmels du lieu (lue des relalions de set'viee ou de plaisir,
vous aurez un eorps de t'onctionnaires bien assis, ayant
feu et lieu, eonsicléré a son propre titre, un eot'ps ou cha-
CUll, ajoutant ses appointements :'\ son patrimoine, sera
a pcu prcs content de son so1't, et se tienelra pour dé-
dommagé de la pe1'spective d'un avaneement rapide, par
l'avantage de vivre au milieu des siens, et d'y ligurel'
comme primlls ínter pares.


Les sous-préfets y gagneraient en autorité morale, plus
qu'ils lle pel'draient, par l'indépendance eles communes,
a l' extension des juslices de paix. Chaque sous-préfet,
:m lieu cl'etl'e Ü pen pres exdusivement le délégué du
préfet deviendrait réellement le premier magistrat dn




100 VUES SUR LE GOUVERNEIUENT DE LA FRAi'lCE


pays, l'interprete de ses besoins, le défenseur de ses inté-
rets aupres de l'ad,ministration supérieure.


En revanche, il conviendrait de supprimer les conseils
d'arrondissement.


Ces conseils sont une vraie superfétation. Leur seule
attribution positive, e'est la répartition de l'impót direct
entre les eommunes, opération purement ariLhmétique,
el qui se résout en simple homologation el'un tl'avail de
bureau, puisque, d'une part, la somme ü répartir Ast tlxée,
sans leur concours, par le Corps législatif, et que, de
l'autre, la part proportionncIle de chaque comm!lne est
l'é~'lée d'avance par les résultats du cadastre.


Leurs autres attributions sont consultatives. Donner
des avis sur eertains ohjets; exprimer des vreux dans
certains cas ; voila leur 10t. II ést tout a fait inutile de dé-
ployer pour si peu, le formidable appareil de l'{~lection po-
pulaire; de mettre en mouvement le suffrage llniversel ;
e'est prendre la massue d'HercuJe pour écraser une mou-
che. Dans les temps paisibles, les eonscils d'arrondisse-
ments ne sont que superOus eL puérils ; dans les temps de
troubles, de famines, d'agitations politiques ou :.lIllres, ils
pourraient devenir tres-dangereux. DI,! eorps électif, puis-
sant par son origine, en possession du droit de demander
ee que bon lui sem~le, et rl'échauffer ainsi les esprits, les
espérances drs poplllations, sans avoir en main Ir, pou-




DES ARnONDISSEMENTS 101


VOil' de les satisfaire, maitre de rejeter sur d'autres la
responsabilité des embarras et des refus, pourrait devenir
une institution merveilIeusemcnt anarcllique et un tres-
commode instrument entre les mains des démagogues. En
réunissant deux fois chaque année, au chef-lieu ele chaque
canton, les maires des communes dont le canton se com-
pose, sous la présidence du juge de paix, eL en confiant
achaque assemblée can tonale le soin de remplir, pro
parte qua, les fonctions de con~eil d'arrondissement, 011
atteindrait le but, si but il y a, sans frafs, sans efforts, a
petit bruit, et peut-ctre plus complétement que par le
passé.


En retranchant a l'arrondissement une institution au
moins inutile, iI serait a pro pos de l'enrichir d'une autre
in~titution qui lui deviendrait tres-profitable et dont le
germe se trouve déjh déposé dans la loi du 28 juin 1833.
Aux termes de l'articIe 10 de eeUe loi, toute "ille qui
compte six mille ames de population doit avoir une école
primaire supérieure. e'est le nom qu'on donne en Franee
a ces écoles intermédiaires qui correspondent aux écoles
moyennes (mittelschuls) de l'Allemagne. On sait que ces
écoles sont destinécs a donner aux jeunes gens, outro
l'instruction primaire sur une grande échelle, tous les
éléments variés de l'éducation professionnelle. L'utilité
n'en t'st point contestée; beaucoup de personnes sensées


12




102 VUES SUR LE GOUVERNEllENT DE LA FRANCE


les regardent meme comme préférables aux eolléges com-
munaux de second ordre. Autant l'éducation classique,
en effet, est chose excellente quand elle est réelle, sé-
rieuse, complete, autant l' éducation classique, all con-
traire, est chose qui ressemble a du temps perdu, quand
elle est superficielle, tronquée, quand elle ne peut laisser
de traces durables dans l'esprit quí la re~oit.


Il n'existe jusqu'a pl'ésent qu'un tres-petit nombre d'é-
coles primaires supérieures. Bien peu de chefs-lieux d'ar-
rondissement se 80nt conformés a ux prescri ptions de la
loi, tandis que presque tous out, au moins, un collé~e
communal, soit de premiel', soit de second. ol'dl'e. -
Lais8anl aux communes chefs-lieux le soin de maintenir
ou de supprimer ces établissements quí sont exclusive-
mellt a leur charge, il convicndrait de ronder dans cha-
que arrondissement - de fonder aux frais et a l'usage de
l'arrondissement tOLlt entier -- une école primaire supé-
rieure qui devint, en meme temps, une école normale
pour les instituteurs ruraux.


A cet effet, une légere rétríbution serait inscrite, comme
dépense oblígatoire, au budget de chaque commune; le
maximum et le minimum de cette rétribution serait fixé
par la loi; le quantum en serait réglé, proportíon gardée,
au revenu de chaque commune, par les conseils canto-
naux. Les fonds seraient mis ü la disposition du comité




DES AHRO~OISSEMENTS


d'instruction primaire qui siége au chef-lieu de l'arron-
dissement (loi du ~8 j lIin 1830 - art. 19); ils seraient
exclusivement cons3crt's a la fondation et a l'entretien de
l'école primaire supérieure, le comité remplissant, a son
ég~lf(l, les mcmes fonctions que rcmplit, a l'égard ¡J'un
colIége communal, le bureau gratuit quí le dirige. Con-
formément a I'article 11+ de la loi ti u 28 juin, un certain
nombre de places gratuites seraient r(lservées dans I'école
primaire supérieure, et sLlccessivement accordées 3 cha-
que comll1une, sur la pl'Oposition du conseil cantonal,
de telIe sorte que chacune y pút, Ü son tour, faire élever
un jeune bomme intelligent, pris dans son propre sein,
et qu'elIe destinerait a deycnir son instituteur pl'imaire.


L'école amail alors 1In double avantage.
D'un coté, elle offrirait, pour un prix modique, une bonne


éducation professionnelle auxjcuncs gens qui se destinent
exclllsivemcnt a l'~lgl'icll\tllre, a l'iildustrie, au commerce;
de I'autre, elle assurerait a chaqlle commune rurale, un
instituteur suffisant a sa táche et satisfait de son sort.


Dans l'état actuel des choses, toute commune doit avoir
une école primaire 1; cclles quí sont trop pauvres sont
réunies, SOllS ce fapport, aux communes les plus voisines ;
les Íl}stituteurs sont nommés rwr les comités d'arfondis-


! Loi du 28 juill 1835, al'l. 9.




10-i YUES SL'R LE GOUYERNEl\lE~T DE LA FRA~CE


sement sur la proposition des conseils municipaux 1 ;
ils ne sont soumis qu'á deux conditions, un certificat de
bonnevie et mreurs et un brevet de capacité. M:1is la pro-
fession d'instituteur rural est si peu digne d'envie, que les
concurrents sont rares et que sOllvent meme, ils fe-
raient défaut, s'iI n'existait au chef-líeu de chaque dépar-
tement une école normale destinée a former de jeunes
maitres, en leur assurant certains ayanUlges, dont le prin-
cipal est l'exemption du service militaire. Ce sont, en gé-
néral, les écoles normales qui fourllisscnt lcs instituteurs
ruraux; 01', outre que le nom1Jre n'en est pas suflisant,
l'éducation qu'ils re<.:oivent daos ces écoles, laisse fort a
désirer; leur instruction est plus étendue que solide;
leurs prétentions ne cadrcnt guere ayec unc humble ré-
sidence, une destinée obscure, et dcs privations de tout
genre; ce sont des mécontenls flui propagent le mécon-
tentement autour d'eux, qui 11C prennent Ü leur petite
éeole qu'un tres-médiocre intér6t, et n'aspirent qu'a
sortir d'une condition qui leur semhle au-dessous {le Ieur
méritc.


Supposez que, cbaque arrondissement ayant son école
primairc supél'icure, chaque commune dispose, a son
tour, pendant deux OH trois ans, d'nne bourse dans eette


Loi du 28 juin 183:>, ario S:2.




DES AIUlONDISSElUENTS 105


école, eL qu'elle en gl'atifie le plus intelligent des éleves
de sa propre école primaire; toutes les fois que la place
d'instituteurvaquera, elle trouvera, dans son propre sein,
un ou plusieurs candidats nalurels qui seront empressés
a la demander, heureux de l'obtenir, et prets a s'y dévouer
pour toute leur vie.


Les écoles normales formeraient des maitres pour les
communes urbaines et pour les écoles primaires supé-
rieures; celles-cí des maitres pour leS communes rurales.
L'élendue de l'enseignement se réglerait sur les besoins
Iocaux; l'étendue des prétentions sur la diversíté des po-
~ilions, et ,'une des plaies de nos r.ampagnes se tronverait
a pen prb; extirpée.


I [


Passons maintenallt, a d'autres considérations.
n existe, dans chaque arrondissement, un tribunal de


premiere instan ce.
Ce tribunal est compasé de trois juges, au moins, et de


douze au plus, non compris les suppléants, dont +e nombre
varíe de troís a six.


Les tribunallx composés de plus de six jLlge~; :;c dirisellt




106 YUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FHANCE


en deHx cll~lmbres, le~ lribun::tux composés de douze juges
se divisent en trois chambres.


Un procureur royal ou impérial assbté d'un Ol! de plu-
sieurs substituts, remplit ::tupres de chaque tribunal de
premiere instance les fonction~ du ministere publico


L'un des juges, sous le nom de juge d'instl'Uction, est
exclusivement chargé de la préparation des affaires crimi-
nelles, concentrant ainsi en lui seul un ministere éparpillé,
si I'on pellt ainsi parler, en Angleterre et aux l~tats-Unis,
entre tous les j uges de paix d'un rncme com té, entre tous
les magistrats des "illes incorporées qlli 50nt juges de
paix par oftice ou par d¿légatioIl l.


Sur ce premier poiot, notre systcme est préfét'able et
doi t étre conservé.


Ce qui est l'affaire de tout le monde, n'est, en réalité ,
l'affaire de personne. Trente ou qU:1t'ante m'lgistrats exer-
~allt concurremment, dans un IlH~llle lieu, la Ill(~me juri-
dietion, ou se fient les llllS sur les autres) 011 s'entravent
mllluellemellt. Il n'en peut résuHer que négligence Oll
confusion, et, le pllls souvent, ['une et ['autre. Si 1'on
"eut de la vigilanee, de la régularité, de ¡'ensemble dans
la direction des poul'suites crimillelles, il f<tUl rél/nir tous
les fils dans la mell1e main, en faire peser toute la re~;pon­
sabilité sur une seule tete.


i Bowyer, p. 332 a 335; Swift, t. J, p. 10;J el 106.




DES ARRONDISSEl\IENTS 10i


En maW~re pénalc, les tribunaux de premíere instance
connaissent :


10 Des jugements rendus a charge d'appel, par les tri·
bunaux de simple police, maire ou juge de paix.


2° Des délits correctionnels; c'est-a-dire des faits que
la loi punit de l'emprisonnement OH de l'amende.


Sous ce double point de vuc, nos tribunaux de pre-
miere instance remplissent a peu pres les memes fonctions
que remplissent, en Angleterre, les juges de paix dans
leurs sessions trímestrielIes; surtout depuís que la tenue
de ces cours de session a été régularisée, et leur compé-
tence striclemen t définie par des statuts tres-récents l.
Mais les cours de session, en Angleterre et :H1X États-
Unís, ne prononcent qu'avec l'as:'listance d'un jmy, tandís
que les tribunaux de premiere instance prononcent, en
maW~re correctíonnelle, sans ]'assistance d'un jury.


Cette exclusíOIl du jury, dans tous les proces dont l'is-
sue n'entraine ni peine afflictive, ni peine infamante, re-
monte a l'Assemblée constituante 2, et le code du 3 uru-
maire an IV l'avait admise avant que le code d'inslructioll
criminelle impérial reut définitivement consacrée 3. Tou-
tefois, la breche est faite désormais. Ce príncipe, qui n'a


1 Bowyer, p. 332 a 336.
, Loi des 19-22 juillet 1791, tit. Il, arto 43.
¡ Code du 3 brumaire an IV, lit. 11. arl. ~fli




10R YüES SUII LE GOüVEIL\Em~:\T HE 1..\ FllAl\"CE


de fondement que dans la répugnance de nos juriseollsulte~
pou!' le jugemellt par jurés, et dans la répugnance plus
grande encore des citoyens pour les déplaeemellts et les
soucis qu'entratne l'exercice des fonctions de jUl'é, deux
sentiments qu'il faut combattre et non favoriser dans un
pays libre, ce principe est entamé, et, s'il plall a Dieu,
nous le verrons, chaque jour, lléchir, de plus en plus.
Sous la Restauration, la garantie du jugement par jurés
a élé rendue aux prévenus des délits eommis par la voíe
(le la prcsse 1; sous le gouvcrnement de la maison d'Or-
léans, elle a été étendue a tons les prévellus de (lólits po-
litiques indistinctemenL 2. Il fauL espél'er qu' elle le sera
suceessivement it ton s les Jm~Yenns sériellsement me-
nacés dans lenr honneuf, dans leur liberté, dans Jeur
fortune, quel que soit d'ailleurs, le titre de la préven-
tion.


Dans un pays libre, e'est le droit des citoyens, en tant
qu'aeeusés, de n'etre eondamnés que sur la déelaration
d'hommes qui représentent le bon sen s public, d'hommes
dégagés de toute sitnation oftieielle, de tout préjugé d'état,
de 10ute subordination hiérarchique, Je toutr solidarité
professionnelle; et e'est, en mcmc temps, a edte eondi-
tion, que les arrets de la justice puisent, dans l'assenti-


I SUPllr. loí du ~3 février 185:2, arL. :23.
2 SUppl'. ¡jan~ lc1 ronstillltioll de 1:-;';2.




109


meo pllblie, la force qui leur est nécessaire pour Oétrir
le mal en le l'éprimant, dominer l'incertitllue des esprits,
fortifier la mollesse des mceurs, imposer silcnce aux so-
phism~5, au\. clameurs de l'opposition"


Dans un pays libre, e'est le droit des eitoyens, en tant
que citoyens, ue participer eomme jurés, e'~st-a-dire en
leur propre nom, pour leur propre compte, a l'adminis-
tration de la justice; de mcme que e'est lem droit de par-
ticiper, comme députés, au gouvernement de l'État,
cOlllme conscilIers généraux ou municipaux, a la gestion
des affaires locales, eommc gardes nationaux, a la police
de la société. II n'y a d'hommcs libres, disait en badinant
l'abLé Galiani, que ceux qui se melent de ce qui ne les
regarde paso » Ce mot plaisant renfcrme un sellS trcs-Yrai
et tres-profond. « Il n'y a d'hommcs libres queceux qui
prennent part aux affaires publiques, sans sortir de la
condition privée, a titre purement personnel, et qui saeri-
Hent, dans ce but, un peu de leur tcmps et de leurs inté-
rets domestiqucs. Sous 13 monarehie admin!stratíve, telle
que l'avaient cOI1l;ue Louis XIV, Frédérie II ou Napoléon,
on pent etre fort Líen gouvcrné, on peut avoir séeurité
pour sa personnc et pour sa fortune; le pays peut pros-
pérer; les scicnccs, les leUres, les arts peuvent briller
d'un tres-\'if éclat; mais on n'est ras libre, on ne l'est pas
la oi! la nation ~e divise rigoureusément en administr¿l-




1.10 VUES SUR LE GOUVERNEl\lENT DE LA FRANCE


teurs (t en administrés, la OÜ l'homme public tient
l'homme privé cornrlétement en tutelle.


Le régime eonstitutionnel vaut mieux sans doute,
beaueoup mieux, mais e'est a la condition qu'il soit llli-
meme réel, eomplet; e'es!, en d'autres termeg , a la eon-
dition que les citoyens soient appelés, et, au besoin, con-
traints d'exereer leurs droits civiques, habituellement,
activement, a tous les degrés, SOtlS toutes les formes que
la gestion des intérets puhlics peut affeeler daos un grand
pays. Qu'on se rappelle ce qui a été dit a l'occasion des
institlltions municipales. Non-seulement le maniement
des petite~ affaires est indispensable comme apprentis-
sage, au maniement des grandes; il est surtout nécessalre
pour former un public aux hommes publics; il n'y a que
l'expérience personnelle des difficultés qui enseigne l'exis-
tence des difficultés; il B'y a que l'exerciee de I'autorité
qui enseigne le respect de l'autorité; 11 elle seule la liberté
de la presse ne fait que des bavards, a elle seule la liberté
de la tribune ne fait que des brouillons. e'est la partici-
palion aux pouvoirs publies, grands ou petits, d'éehelon
en échelon, sur toute la ligne d'attaque et de défense, la
partieipation libre, suecessive, a tour de role, qui forme
des hommes d'État pour gouverner, des hommes d'affaires
pour administrer, et des hommes de bon sens pour appré-
cier avec équité les efforts des uos et des autres, pOUI' les




DES ARRONDISSE:\IENTS 111


secondcr ou les combattre avec mesure et discernement.
On admire, et 1'0n a raison d'admirer, les grandes qua-


lités du caractere anglais, solidité de jugement, sobriété
de Yues, véracité, exacte appréciation des faits, respect du
droit el de la loi, décision dans les circonstances critiques,
persévérance contre les obslacles, habileté a perpétuer en
réformant, a grcffer ce <luí doit etre sur ce quí esto Toutes
ces qualités qu'on peut nom:ner, pour un peuple, les qua-
Jités viriles, les Anglais qllí les possedent a un haut degré,
les doivent prindpalement aux habitudes du sel! govern-
ment, a ees réunions continuelIes ou toutes les affaires
du pays SOllt traitées en commul1, peut-etre un peu péle-
méle, mais toujours SOtlS la forme juridique; a leur pré-
senee fréquente dans les cours de justice, non comme des
oisifs ou des hadauds, non ponr y chereher un passe-temps
et des émotions maladíves, mais comme juges, comme
j urés, comme témoin s, non comme spectateurs, mais
comme acteurs dans les drames judiciaires. Tonte la po-
pulation aisée de l'Angleterre, gentilshommes, simples
propriétaires, fermiers, négociants, mal'chands, tigurent
habituellement, a titres divers, da:1s les sessions trimes-
trielles; toutes les lois criminelles, civiles, administra-
tives, commerciales, leur passent successivement sous les
yeux; c'est en les appliquant qu'il-; apprennent a les bien
connaitre; c'est en considérant toutes choses sons un




112 VUES SCR LE GOUVERNEMENT DE L1 FRANCE


poillt de vue légal, qu'ils apprenncnt a les prendre au sé-
rieux, a peser leurs paroles, a ne den admettrc a la
légere; c'est en vivant dans un commerce intime, inees-
sant avec la législation de Ieur pays, qu'ils apprennent a
I'honorer jusques dans ses défauts, a lui chercher des re-
medes pratiques, a se contenter du possible, a ne point
faire coup sur coup, a tout propos, lable rase de tout ce
qui existe.


On est véritablement confondu quanel on se renel compte
de l'énorme consommation de simples citoyens que peut
faire, pour :linsi parle/', un comté el'Angleterre, donl la
population n'excCcle guere, en moyenne, eeUe de l'un de
nos arrondissements.


C{ Il y a dans ehaque comté 1, dit un témoin tres-digne
de foi, cent, deux cents, quelquefois trois cents juges de
paix effectifs, dont la juridiction s'étend 11 la totalité du
comté. »


« Le comté d'York, dit le meme auteu!' 2, cst partagé
en trois grandes diyisions ou rídings. Il se tient, dans
c}¡aque rüling six sessions trimestrielles, lesquelles exi-
gent, a raison de 48 jurés, par session, 8;:>4 jurés. Il se
tíent en outre quatre sessions, dan s chacune eles clix villes


I Cf!ttn. administra.tion de la justice crimincllc I'n AnglctNl'2,
p. 21.


2 P. 31 el :)2.




DES ARRONDISSEMENTS 113


du comté; lesquelles, ü raison de 24 jurés par sessíon,
exigent pour quarante ses~ions, DOO jurés. »


« Les deux grandes assises criminelles exigent, ü raison
de 48 jurés par 3:,siscs, 9(3 jnrés. »


a; Les deux assises civiles, ü raison de 00 jurés par
assises, exigent 120 jurés; sans compler environ 60 jurés
spéciaux, sans compler enfin les grands jurys ou jurys
d'accusation qui, pour dix-huit sessions trimestrielles et
deux assises criminelles, exigent, h raison de 23 jurés par
session, 460 jurés. »


En tout 2,~GO jurés.
Il ne faut rien attendre de semblable en France, ni de la


loi, ni meme du temps. Fonder est une chose amusante
et fadie, dont nous nous donnons volontiers le plaisir;
consacrer aux affaires publiques son temps et sa peine est
un sacrifice (IU'il ne faut pas nous demander trop souvent.
Toutes les fois fln'on a réclamé, au nom des principes, l'in-
tervention du jury dan s l'administration de la justice coro
rectionnelle, l'esprit de routine s'est appuyé, avec succes,
dans sa résistancc, sur l'insouciance et la paresse des
populations, sur l'impossibilité de réunir, ü des époques
rapprochées, un gl'and nombre de jurés. Pour en lriom-
phel', a l'avenil', il fant s'y prendre avec plus de ména-
gements, et ne pas prétendre tout emporter de haute
luUe.




1. U VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


La Charte de 1830 avait décidé que tous les délits poli-
tiques seraipnt sOllmis au jury; mais elle n'avait pas dé-
fini ce qll'il fallait entendre par délits poli tiques ; c'cst une
catégorie élastique qlJi peu t a yolonté ~e rcssener ou s' é~
tendre.


On entrerait pl~inement dans l'esprit de cettc constitu-
tion, si l'on posait en principe que les délits prévus au
eode pénal, S011S la rubrique: Crimes et délits cOlllre la
chose publique, sont eompris, sallf exeeptiun, Ilans la ca-
tégorie des délits politiques, et en ne réservant ü la juris-
dietion correctionnelIe que ceux de ces délits qui semhlent
plutót dirigés eontre la société en général que contre
l'État, contre la puissanee publique.


On ne ferait violenee ni a l'esprit ni a la lettre de eette
constitution, en eomprenant dans la eatégorie des délits
politiqueR, tous les délits, sous quelque rubrique qu'ils
soient plaeés, qui sont punis de l'interdiction des droits
civiques, eivils et de famille; les motif~ qui déterminent
les législateurs a rayer un homme de la liste des éledeurs
et des éligibles, de la liste du jllry et de la garde natio-
nale, a le priver du port d'armes, a l'exelllre de toute
fonction publique, a le déclarer indigne de témoigner en
justiee, a le dépouiller meme de l'autorité domestique,
doivent teDir de preso ou de loin a la politiqueo C'est le
maXlma capitis diminutio des Romains.




DES ARnONDlSSEME~TS 1.15


Ce premier point étant réglé, ~IU líeu de renvoyer,
eomme on l'a faít jusqu'a présent, le jllgement des délits
poli tiques aux cours d'assíses quí se tiennent, de trois
mois en trois mois, dans chaque tlépartement, on forme-
raíl, le cas échéant, une cour d'assises spéciale dan s l'ar-
rondissemenl ou le délit qll'il s'agirait de poursuivre au-
rait été comnlÍs. A cet effet, run des juges du tribunal
de premiere instance du chef-lieu, tribunal plus nombreux
que le tribunal meme de l'arrondissement, serait délégué.
Deux juges de paíx l'assisteraient. Les jurés n'auraient
qu'un tres-eourt trajet pour se rendre a lellr poste, et
qu'un tres-court séjour a subir hors de leur domieile. On
profiterait néanmoins de la réunion de eette eour d'assises
spéeiale pour traduire devant elle tous les prévenus dont
l'instruction serait complete et l'affaire en état, quelle que
fÚl, d'ailleurs, la nature du délit, la cour d'assises étant
en principe la juridiction de droit tommun, et le tribu-
nal correctionnel n'étant qu'une juridiction d'exception
qui peut étre régulil::rement dessaisie' au profit de la pre-
miere. C'est ce qui se voit tous les jours; tous les jours
les cours d'assises ordinaires prononcent iucidemment
sU!' des délits de toute nature.


C'est en exéculant ainsi, largement eL sans faiblesse, le
vceu de la Constitution, en introduisant peu a peu l'insti-
tulion des assises dans les arrondissements, en rappro-




116 vrES SUR LE GOUVERNEMENT DE L\ FR\NCE


chant la justice des juges et des justiciables, en allégeant
pour les citoyens le fardeau du jugement par jmés, en
habituan1 les prévenus a le réelamer comme un bienfait,
et le publk a le considérer comme un droit, qu' on peut
espérer de voir un jour la France faire quelques pas dans
la bonne voie, et y suivre ele tres-Ioin les l~tats-Unis el
l' Angleterre.


En m~tiere eivile, nos tribunaux de premiere instance
connaissent, a charge d'appel, de toutes les affaires
réelles, personnelles ou mixtes. Ils connaissent, en pre-
miel' et dernier ressort de toutes les affaires personneIles
dont la yaleur n' excede pas 1,000 franes en principal, et
de touLes les affaires réelles dout l'objet principal n'excede
pas flO francs de revenu.


A la différence des cours de justice d' Amérique et
d' Angleterre, nos tribunaux de premiere instanee pronon-
eent également sur les questions de fait et sur les ques-
tions dedroit. La proposition d'introdllire le jugement
par jurés dans l'admÜlistration de la justice civile n'a ja-
mais réussi en France. Elle a été faite, une premiere fois,
Ü l' Asselllblée constitllante par Adrien Duport, et rejetée
apres une discussion vive et brillante; meme a cette
époque de témérité, l'esprit novateur n'a pu triompher des
préjugrs juridiques. ·Elle a été faite une secowle fois a la
Convelltion par un juriseonsulte de premie!' ordre, C:¡m-




DES AnRO~DrSSEilIENTS 117


bacéres, depuis archichaneelier sous l'Empire; malgré
l'autorité d'un tel nom, elle n':) eu aueune suite. Récem-
ment, sur les instances de 1\1. Odilon Barrot, elle a figuré
dans le premier projet de Constitution préparé en 11818;
dans la seconde rédaction, elle a disparu. On tient, en
France, pour certain, que les citoyens se rcfuseraient ¡t
preter leur conCOllrs dans les arraires pllrement civiles,
el que Ieur intervention y serait Ulle source d'inextricable
confusion. On affirme qu'aux États-Unis ou en Angle-
terre, ceUe institutioIl ne porte pas de bons fruits, eí que
les gens sensés en désirent l'abolition.


Chose étl':mge, néanmoins; en présenee ele ces opiniolls
si répandues, si tranchées, voici ce qui se passe :


Dans toutes les villes de quatre OH cinq mille ames, iI
est formé un tribunal de commerce. Ce tribunal siége faee
a face du tribunal de premiere instan ce ; iI le dépouillc
d'une grande Jl10itié Je ses attributions, cal' iI pl'ononee
rxelllsivemeut 1 :


10 Sur tOllS les aetes OH faits de commeree, quels qu'en
soient les auteurs;


20 Sur toutes les eontestations entre négoeiants, han-
qlliers, marchands, etc., etc., quelle qu'en soit la nrltlll'e.


JI se compose d'un président, de trois juges, an moins,


I CoJo ue COlllmercr, art. (,3j. rl G37.
13




118 YUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


et de huil juges au plus 1, sans compter un nomhl'e 10-
détel'miné de suppléants; le président, les juges, les sup-
pléants sontexclusivement choisis dans l'orure des simples
citoyens, sur une liste de commel'¡;ants notables, dressée
par le préfet, approuvée par le ministre de l'intérieul' ;
ils soot élus par leurs pairs, a la pluralité des suffrages.


Le tribunal se renouvelle par moitié d'année en
année.


Cornme le tribunal de pl'emiere instance, le tribunal de
commerce pl'ononce également sur les q Ilcstions de fai t
et sur les questions de droit.


Ainsi, voilit de simples citoyens qui ne refusen! point
Ieur concours a la jllstice dans l'examen des affail'es pri-
rées, dont les UlIS, en nombre indéterminé, s'y pretent
incidemment, et de loín en loill; dont les autres, en
nombre détel'miné, s'y consacrcnt assidiunent, c{)nsécu-
tivement, pendant des jOUI'S, des mois, des années; voilil
de simples citoyens qui sont estimés capables de pro-
noncel', non - seulement sur des questions de faít et
d'usages, d'appl'éciatíons, d'intentions, toutes dlOses dont
les particuliel's ont plus l' expérience que les hommcs de
cabinet, que les jurisconsultes de professíon, mais sur
les questiolls les plus élev(~es, les plus épíucuses dn droit,


1 CoLle Jn COIllIllC'I'CL', :trI. Gli.




DES ARRONDISSEMENTS 119


en général, cal' le droit commercial ne dillere point du
droit civil, au fond et en substance; le uroit commercial
n'est que le droit lui-meme, en tant qu'appliqué ü une
cerlaine naturc de transactions.


Supposons mainlenant qu'an lien de délllembrer la juri-
diclion ordinaire, au líeu de créer deux triLunaux, l'un ex-
clusivement composé de magistrats, l' autre exclusivement
composé de simples citoyens, on se fút borné ü diviser le
tribun:ll de premiere instance en deux chambres, l'une
consacrée Ü l'expédition des affaires purement civiles,
I'autre a J'expédition des affaires commerciales; suppo-
sons qu'tl la tete de ecHe seconde chamLre on eut placé
un juge, - un vrai juge, - un magistrat versé dans
l'élude des lois, daos la connaissance des príncipes, des
regles, des formes de la jmisprudence, et qU'OIl eClt ap-
pelé, tour a tour, les citoycns inserits sur la liste de no-
tables drcssée par le préfct, en lcm confiant le droit de
prononcel', sous la direction de ce j I/ge, sur toutes les
questions de fait, les questiol1s de droit demeuraot réser-
vées au juge lui-meme; est-ce qne la justice, en matiere
commercialc, ne scrait pas mieux rendue? Le droit est
une science; nul ne la possCde sallS l'avoir étlldiée a
[onu, ex ]Jl'ofesso. Est-ce que le temps et la bonne volonté
des citoyens, ce temps qu'ils donnent gratuiternellt, aux
dépens de leurs propl'cs affaires, ne serait pas plus res-




120 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


pecté? Il est moins pénible el moins onéreux, apparem-
ment, pour un homme, de siéger deux fois l'an, eomme
juré, pendant quelques heures, que de siéger pendant
deux ans, eomme juge, lrois ou quatre fois par se-
maine.


Et si l'exemple était une fois donné, qui sait s'il oe de-
viendrait pas contagieux ?


S'il se reneontre tOlljOUl'S et partout, en matiere eom-
mereiale, des hommes assez intelligents, assez éclairés
bur lenrs véritables intérets, pOllr s'imposer un tel saeri-
fiee, a charge de réeiproclté, pourquoi n'en serait-il pas de
memc cn matiere purement civilc?


L'extension du jury en matiere pénale, est tres-diflicile,
paree que personne ne fail volontiers de l'ordre public sa
propre affaire, el ne prend grand intéret aux accusés de
crimes ou de délits; mais, si les propriétaires, les manu-
faeluriers, les hommes voués aux professions libérales, en
venaient a voir dans l'institutlon du jury ce que les com-
mer<;ants voient daus l'institutioll du tribunal de com-
merce, une garantie elficace de leurs intérets direets,
persoIlnels; si ehacun d' cux ell venait a peuser, comme
les commer¡;ants, que, daus l'ordre d'affaires qui le cou-
cerne, il est, lui el ses semblables, meilleur juge des
questions de fait, d~intenlion, d'appréciation, que les juges
eux-memes, qu'autre dlOse est la scienee du jUl'iscou-




DES AHRO~Dl~SEl\IENTS 121


sulte, autre l'expérience journaliere des transactions de la
vie, quí sait s'iI ne ferait pas comme les commer¡;ants,
s'il ne sacrifiel'ait pas un peu de son temps et de sa peine
pour obtenir cette garflntie?


On objectc a cela que la chose fUt -elle bonn'e en elle-
meme et les intéressés favorablement disposés, ce serait
folie d'y songcr; qll'en matiere purement clvile. I~omnle en
maW~re commerciale, la séparation des questions de fait
et des questions de droit est tout a fait impraticable, qu'elle
n'est possible qu'en maW~re criminelle, et qu'en con sé-
quence, e'es! en matiere criminelle seulcment que l'inter-
vention du jury peut elre admise ; que, hors de la, le juge
du droit, quel qu'il soit, magistrat ou citoyen, doit etre,
en meme temps, juge du fait, et réciproquement.


Si I'on disait exactement le contraire, on serait plus
pres de la vérité.


Il se rencontl'e, en etfet, quelquefois, quoique bien ra-
rement, dans la procédlll'e civile ou commerciale 1, qui
ne different en rien l'une de l'autre, des questions de fait,
pures eL simples, entieremenL dég;lgées de tout mélange
de droit; et des questions de droit, pures et simples, en-
tierement dégagées de tout mélange de fait; mais cela
n'arrive jamais dan s la procédme criminelle.


t Cade de cammerce, art. 642.




112 VllES ~Ult LE GOllVERl\"EiUEl\"T DE LA FRANCE


Les que:;tions soumises aux juré;, en matiere criminelle,
80nt des questions de culpabilité, questions mixtes, mé-
I:1ngées de fait et de droit; les questions soumises aux
juges en matiere criminelle, sont des questions relatives
a l'application des peines, a la portée des déclal'ations du
jury, aux incidents de la procédure, questions mixtes
mélangées de droit et de fail.


« Dans le langage des jurisconsultes, disait a la Charn-
bl'e des pairs, en 1831, l'organe d'une commission qui
comptait dans son sein lUM. Siméon, Abl'ial, Porta!is,
Sé¡:;uier et Lainé 1, on ne nomme pas seu1cment questions
de droit, les questions de droit pUl'es et simples, les ques-
tions abstraites, teIles, par exemple, que celle-ci: Un con-
tml entaché de (allx est-il nuZ ? On nomme qllestion de
droit, toute question ou l'objet meme de la recherche,
c:est le dessein, le vmu, la volonté du législateul', 10r5
meme que le juge ne peut se dispensel', en se livrant a
cette recherche, de prendre te1s ou tels faits puur point
de départ, d'en tenir compte, de les ayoir présents a la
penSl\e.


)) De meme, on ne nomme pas selllement question de
fait, les questions de fait pures et simples, telks que cel-
le-ei: Un tel a-t-il passé dans tel líen? On nomme


1 Happort d'une cUJl1missioc chargée de l'examen d'lln projet de
Joí relatif aux cours d'assi')8s el au jury, 7 févrie 1831,




DES ARROl\DISSElUENTS 1::23


question de faít toute question oü i'objet merne de ]a
recherche, c'est la réalité de quelque événement, c'est
la perpétration d'un acte quelconque, 10rs meme que cet
acte ne saurait etre constaté et appréclé, qu'autant qu'on
tíent compte du point de vue sous leque1 le législatenf
l' envisage et de ]a qualification qu'il luí donne.


)1 Que l'on pose, par exemple, au jury eette question :
({ Tel homme est-il coupable de faux'? »
» Avant de répondre, il faut que les jurés examinent :


f o si les faits imputés a l'accusé sont con stants; 2° si ces
faits, te]s qu'ils se poursuivent et comportent, constituent
le crime de faux, s'ils cadrent avee la définition légale de
ce erime.


)) Voila par conséquent une question mixte, une ques-
tion dont le fond mcme, dont l'objet essentiel git en fait,
mais qui ne saurait pourtant etre résolue, si ron ne prend
en considération, dans une ccrtaine mesure, la pensée,
la volonté du légíslateul', par fapport aux faits reeonnus
constants, c'est-a-dire le droit.


)) Eh bien, eette question mixte, on ne balance pas a
la ranger parmi les questions de fait, on ne bal~nce pas a
la classer, en raison de l'élément qui la domine, sans
égarcl a l'élément qui n'y joue qu'un role inférieur et ac-
cessoire: on ne balance pas a l'abandonner tout enW~re
aux jurés.





t~4 YUES SUR LE GOUYEI\NE'lENT DE LA FRANCE


») Que l'OH fJuse, en revanche, aux jurés, cette question:
» Tel témoignag'e sera-t-il admis? »
)) A \'ant de répondre, il fa ut que les j uges examinent :


i o quelle.s soot les exdusions prononcées par le législa-
teur, quel en est le príncipe, le motif d¿terminant; 2° si
le témoignage dont il s'agit rentre OH ne !'entre pas dans
l'une ou l'autre de ces exclusions.


11 Yoilh une autre question mixte, une qllesLioo doot le
f'onu meme, dont l'objet essenliel git en droit. Il s'agit de
déterminer ü quellcs conc1itions un témoignage est légal,
mais on ne saurait puurtant la résolldre, saos avoir égard
ü la nature des témoigoages cOlltestés, sans eonsidérer
quel est le témoin, ce qu'il a dit, ce qu'il a fait.


,) Cette questioo, les jurisconsultes la rangent, sans hé-
siter, parmi les questions de droit, ils la classent d'apres
l'élément dominant, sans s'attaehel' a l'élément suhordonné
et secondaire. »


On le roit done, si l'impossibilité d'étahlir une distine-
tion rigoureuse entre le droit et le fait suffisait pour ren-
dre impossible le jl1gemellt par jurés, e'est en matiere cri-
minelle, surlollt, qu'i! serait impossihlc; et si le criterium
qui vient tl'elre rappelé suffit, en matiere crimiuclle, pour
fonder une sage répartition des questions entre les juges
et les jurés, il suffiqit 11 (ortiori, en matiere civile et en
matiere commerciale.




DES .\RHO.\I)¡SSE'IE~TS 125


~'msistons ras, néanmoins; quand un préjugé existe,
quand il est universel, quand il est profondément enracioé
dans tous les esprits, ce n'est point a la loi, c'est au
temps, e'est :1 la raison et a la discussion qu'il appartient
d'eo triompher. Il y a plus de cent ([uarante aos que le
royaume d'Écosse est réuni au royaume d' Angleterl'e 1; il
n'y a guere plus de trente ans que le parlement du
Royallme-Uni ajugé que lemoment était venu d'introduire
le jllry dans la procédure ejrile d'f:cosse 2. Il Y a pres de
soixante :lns que la Louisiallc est entrée dans la confédé-
ration des lttats-Un'is; il n'ya gucre plus de vingt ans
que cet {~lat, d'origillc francaise, a adopté le jugement
par jurés en maticrp civilc; deux faits d'ailIclIrs qui ré-
ponl1ent suflisamment ill'assertion, dénuée de tout fon-
dement, que les Anglais et les Américains rlu Nord seraient
disposés a y renoncer, pour Ieur compte. Peut-etre no-
fre tour viendra-l-il tot ou tard; peut-etre le temps, la
raison, la cIiscussion nOlls viencIronl-ils, quelque jour,
en aicIe; s'il nons est jamais possible d'íntroduil'e le jury
dans l'administratiun de la jnstice ciYile, nous pOllrrons
songer alors 11 rcfondre, sur un plan nouvcau, notre sys-
teme d'organisation jucIiciairc, a récIuire considérablement
e nombre de nos trihunaux et ele nos jugcs, el surtout a


I 170i.
2 2 mai lf.:l"i" arL 55; Georg. lll, chap. XLII.




126 VUES SUR LE GOUVERNE~lENT DE LA FRANCE


simplifier, ;l rectifier notre procédure civile, quí n'est en-
core aujourd'hui, apres cent quatre-vingts ans, qu'une
nouvelle édition des traditions de Pussort et de l'ordon-
nance de 1667.


En attendant, la seule inllovation qu'on pourrait pro-
poser serait celle-ci :


Sans rien changer a l'organisation de nos tribunaux de
premiere instance, sans rien changer a l'organisation de
nos tribunaux de commerce, rien du moins d'essentiel,
on placeraít a la tete de chaque tribunal de commerce
un président permanent, salarié, gradué; on imposerait aux
électeurs l'obligation de choisir ce président dans les rangs
des hommes de loi, des jurisconsultes de profession. A
coup sur, il n'y aurait rien la de bien révoluliollnaire, ceci
ne porterait aueune perturbation ni dans les 'esprits, ni
dans les affaires, et pourtant, ce serait déja un pas de
fait; ce serait un jalon posé dans la bonne voie.


Par ce seul fait qu'un juge, un magistrat de profession
dirigerait les travaux du tribunal de cornmerce, non-seu-
lement les délibérations seraient plus méthodiques et les
décisions plus régulieres, mais il s'étaulirait natllrelle-
ment, presque nécessairement, une ligne de démarcation
entre les questions ou le droit prédomine el dont la solu-
tion exige la science du jurisconsulte, et les questions vll
le fait prédomine, oü la solution doit etre cherchée prin-




DES AR RO ¡\' JJlSSE~IENTS 1:27


cipalement dans la connaissance des usages locaux, dans
l'habitude des transactions commerciales. La distinction
porterait ses conséquences et l'exemple fructifierait peu a
peu. Nos tribunaux de commerce n~ seraient encore ni
les tribnnaux de l'Ang'leterre ni ceux des États-Unis; nos
juges de commerce ne seraient ni les judices, ni les recupe-
rat01'es de l'ancienne Rome, dans la grande époque de la
procédure romaine, mais ils ressembleraient assez aux
centumvirs, trihunal semi-permanent, composé de sim-
ples citoyens et dirigé par un pl'éteur.


Conserve!' nos ·4~)8 tribunaux de premU~re instance,
c'est s'imposer l'obligation de conserver nos 26 cours
d'appel; dan s un pareil ordre de choses) on n'en saurait
guere réduíre le nombre; c'est s'imposer en meme temps
l'obligation de conserver au-dessus de ces 26 cours
d',appel, une cour supreme, une cour régulatrice de la
jurisprudence des arrets; sans cela, poínt d'uníformité
dans l'interprétation eles loís; il Y aurait bientot autant
de endes civils que de ressorts de cour el'appel.


A raison de ñ juges par tribunal ele premiere instacne,
en nombre mayen, 4ñ8 tribunaux exigent 2,290 juges.


A raisoll ele 2ñ conseillers par cour el'appel, en nombre
moyen, 26 cours d'appel exigent 6ñO conseillers.


La cour de cassation se eompose de 45 conseillers, et
oe 4 présidents.




128 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


C'est en tout, 2,989 magistrats, soit 3,000 en nombre
rondo


Quand on songe que les servÍccs rendus, en France,
tant au civil qu'au grand criminel par cet immense ap-
pareil de j udicature, héritage de notre ancien régime,
sont rendus, en Angleterre, par 19 juges répartis entre
4 tribunaux 1 ; cela dorme a réfléchir.


Comment ces 485 uibun3ux de premH~re instance se
l'ecruteront-ils? Comment seront choisis, a I'avenir, ces
3,000 magislrats '?


C'est, a coup sur, une des questions les plus impor-
tantes el les plus difficiles qu'une constitntion ancienne
on nouvelle soit appelée a résoudl'e.


Il ne suffit pas que les juges soient probes, integres,
irréprochables, aux yeux de ceux qui les connaissent
personneIlement, il faut que leur position commande le
respect en les élevant au-dessus de lout soup.;on; il faut
que les juges marchent de paír avec les premieres allto-
rités du pays; il faut que l'ordre jlldiciaire tienne, dans
la société, le meme rang que la justiee dans l'État. En
Angleterre, le traitemellt des juges est égal fl celui des
ministres, s'il ne leur est supérieur.


1 Cour du hane du roi, 1 chief-justice, 4 jugc., pllJ~nés; (;our drs
plaids communs, '1 chi~f-justice, 4 juges pllisnés: cour de ,'éehi-
i{uier, 1 chief-justice, 4 j uges puisnés; euur de ehaneellel'ie, 3 vice-
chanct'liers, t maitre des roles.




DES ARRONDISSEMENTS 129


Que faire uans lID pays qui compte 3,000 juges?
En leur assurant le strict nécessaire, en leur donnant,


terme moyen, un traitement égal a cel ui u'un chef de
bureau dans une administration publique, ou d'un commis
d'ordre dan s une honne maison de banque, OIl greve
l'État d'une énorme dépense.


Il ne suffit pas que les juges soient des hommes bien
élevés, lettrés, gradués en droít, il faut que ce soient des
jurisconsultes éminents, des hommes dont le nom seul
fasse aUlorité, qui dominent, de toute la tete, le barreau
appelé a porter devant eux la parolc.


Comment espérer d'en arriver la, dans un pays ou le
cabinet d'un avocat tant soit peu en vogue, ou l'étude
tant soit peu achalandée d'un avoué, rapportent dix fois
plus que le poste le plus élevé dans l'ordre judiciaire ,


JI faut que les juges, dans un pays libre, pour conserver
leur indépclldance et la dignité de leur ca ractere, se tiel1-
nent en dehors de toutes les intrigues des partis, de
toutes les agitations de la politiqueo Les juges, en Angle-
terre, ne peuvent eLre élus ü la chambre des cornmunes.
Si l'un d'eux était surpris, particip:mt de pres ou de loin,
indil'cctement ou directement II quelque manceuvre élec-
torale ou :mtre, il s'éleverait contre lui un tel récl'i, qu'il
serait fOfCé de descendre de son siége. Tons résident á
Londres, ausorhés, chaque joul' el lout le jouf, sous les




130 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


yeux memes du public, par la grandellr et la diversité de
leurs travaux, par le flot grossissant des affaires. Les
provinces ne les connaissent qu'a titre de juges d'assises,
siégeant périodiquement, deux par deux, entourés d'un
pompeux cortége, ne s'arretant que deux ou trois joúrs
dans chaqu~ ville; et llt, comme a Londres, inaceessibles,
non-seulement au public, mais aux plaideurs, aux 3VO-
cats, aux procureurs, a toute sollicitation; quiconque
essayerait de parler a l'un d'eux d'une affaire quelconqlle
en instance devant lui, recevrait un accueil qui le dégou-
terait d'y revenir.


Cela se peut-íl dans un pays oú I'ordre judiciaire couvre,
en quelque sorte, tout le sol comme d'un réseau; ou les
tribunaux fourmillellt, ou les juges pullulent de petite
ville en petite ville, incessamment, inévitablement rnélés
a toutes les petites cotcries, a tous les petits tracas do-
mestiques ou poli tiques ?


II ne sumt pas enfln, d:.ms un pays libre, que les juges
soient indépendants a l'égard du public, indépendants de
l'opinion du jour, de l'influence des partis, iI faut qu'ils
soient indépenclants, ostensiblement indépendants a l'é-
gard du pouvoir; il faut qu'ils n'aient rien a lui demander
et a en altendre. Cela est facile et naturel la ou, le principe
de l'inamovibilité ét~nt admis, les tribunaux sont en tres-
petit nomhre et tres-haut placés ; lü ou ils résident dans




UES AnnOXDlSSEl\IENTS 131


le meme lieu, ou ils sont de meme rang; la oü les juges
qui les composent sont a peu pres égaux entre eux, et
tres en évidence. Qu:md une place vient a vaquer dan s
l'une des cours qui siégent :l Westminster-haIl, l'homme
qui doit l'occuper est tellement indiqué par sa position au
barreau, que le choix du Gouvernement est presque de
pure forme; el cela est encore plus vrai, lorsqu'il s'élgit
de faire monter, dans l'une des cours, l'un des juges a la
présidence. Le suecesseur désigné hérite presque de
plein droit.


ilIais, dans un ordre judiciaire immense, ou les tribu-
naux sont nombreux, oü i1s sont échelonnés hiérarehi-
quement sur toute la surface du pays, ou e'est déja un
véritable avantage, pour chaque juge, de résider ici plutót
que la, d'apparteniJ' a tel ressort ou a tel autre, chaque
jllge ayant, toute sa vie, quelque avaneement en perspec-
ti ve, qu' est-ce que l' inamovibili té? l' olllbre plutót que la
réalilé de rindépendance.


Pour échapper aux inconvénients qu'entraine l'exis-
tence d'un orure judiciaire vaste et hiérarchique, nous
avons, en Franee, a peu 1)r{~S essayé de tous les systemes.


Les ofHces de judicature, furent d'abord tenus par
commissioll sous le bOll plaisir du roi l. Louis XI les


1 OrdOlllJalll'C ¡JI' 14Gi, oJ'llollnancc de Hou.;sillon, édition de 1554.




132 YUES SUR LE GOUVERNE~lENT DE LA FRANCE


rendit inamovibles, el nomma sur présentation faite par
les corps eux-memes.


Peu a peu s'inlroduisit la véna!ité.
On mit oans les grandes extl'émités financieres, leS


offices a bail, en raison des émoluments qui en dépén-
daient; puis on les laxa a titre de pret, puis on les vendit
pllrement et simplement; et cet usage, apres avoir été
maintcs el· maintes fois aboli 1, s'étant toujours reproduit,
il fut enfin consacré par Fran<;ois ler en 1ñ52. Les offices
uevinrent alors des propl'iélés hél'édilail'cs, et transmissi-
bIes par voie de résignation, sous divcrses conditions
néanll1oins, tant fiscales ~lle réglelllelltail'es.


Un tel systeme, si tant est qu'on puisse donner ce nom
au résultat fortuit, étran ge, imprévu d'une série d' expé-
dients, aveuglément adoptés, un tel systeme avait de
grallds avan tages. Sans constituer l'J:~ta t en dépensc, en
lui procurant meme (p1'Oh pudor 1) des ressources pécu-
niaires, il a donné a la France un corps de maglstrature
parfaitement jndépendant UU pOllvoir et du publie; un
corps de magistra ture tres-haut placé dans la soeidé et
dans l'opinion, dominant par la science autant que par la
position toul l'ordre des gens de loi qui se pre~saient a sa
harre; un eorps de magistrature oil les verlus et les Iu-


i SOIlS les rois Jean; Charles VII, Luuis XI, CIlarles VIII el
Louis XII.




DES .\HIHl:\llISSDIE.:\TS 133


Illieres étaient, éll quelql1C surte, .héréditaires, comme la
propriété, el placées sous la gal'de de l'esprit de familIc.
)Iais comme toutes les grandes et étroites cOl'porations,
eette tribu de Lévi (ítait trop puissante pOllr se renfermer
dans le sanctuaire, pOllr ne ras aspirer a tout; pour ne
pas entrcpren<lre de gounrner le Gouvernement lui-
meme, faisant ainsi renlrer, non plus par voie de SOll-
mission, lll:1is par voie d'lIsurpation, la politique dans
l'exercice tlu lloU\'oir jutliciaire.


Un 110 ]'en~r/'a plus riel! de semblable; cela ne se refait
pJS; el le souvenir en doit laisscl', arres tOllt, plus d'ad-
miratian que de rcgl'ets.


En ti91, en l'aB I1I, taus les tribunaux furent élec-
tifs '.


Bien de mieLlx, quant;\ l'indépelldance envers le pou-
yoir'; rien de pire, quallt ~ l'indépendance envers les
parties, enyers le publil'. !Uen de pire égalemeut quant h
l'élévation de position el de caraeH~I'e.


Ces tribunaux élcctifs et soumis ü une réélection pério-
dique, sont tombé~, en ran VIII, SOll~ le COllp du mépris
et de l'animadversion publics.


Un en re\'int alo)'s h la nomination par le pouyoir exé-


I Loi des 1G-21, aout 1790, t. 11, 1 á ti, t. VI, 1. a 4; loi des
27 novembre el 1 cr uécembre 1790, t. lJ, 1 a 7; constitution de
1791, ciJ. v, arto 1 Ú 3; cOllstitution de l'an 111, t. IV, arto 41,


U




JiU VCES SUR LE ';OVVEH'\EME~T DE LA FR.\;\CE


cutif 1, et a I'inamodbilité, du moins en ce 'luí concerne
les tribunaux de premiere Instauce et le tribunal d'Appel 2,
le tribunal de Cassatioll étanl du par le Sénat et élisant
lui-meme son présidrnt, droit qui IlIi fut retü'¡j ~l la fun-
dation de l'Empire 3,


C'était relever la justice de la plus hllmiliante des si·
tuatiolls, la dépelldance enveJ'~ les parties, ce n'était pas
l'affranchir entierelllent dl~ tuute dl~pendallce envers le
pouvoil'; ce n'dait pas la relerer entit~remenL, non plll~,
de la eondilioI! relalivement :-llualtel'lle 011 la place la
nature meme de notre orgallisation judiciaire.


L'Empereur s'd'fOI'(3 d'y pOUl'voir par une institution
d'un cnractere tOl! t particllliet'.


Il eréa, d'abord. auprl's de chaqllc cOllr cl'appel ou
conr jtlJpériale t, une IH)piniel'e de jeunes juges sous le
nom de eonseillers anditeurs. Ces magistrals novices
étaient élus slIr Ulle triple liste préselltée pal' la COlll' ellc-
meme; 8,000 frallcs de rente, deux années de slage all
baITeau étaient les conditiol1s exigées. AI)pelés ~l siégel',
soit dans la eOU!' elle-meme, soit uans les tribUlJaux dll
ressort~ ils acquéraient VOIX délibérative ü trente ans,


t Constitulion de l'an VIII, art. 11 el li~.
2 Constitution lle l'an VIIJ, art. 20; loi du ':.!7 "enlose an VIII


arto 62.
:; Sénatus-consnlte du 28 floré:t1 an \'Il, art. 'l3;;.
4 Décret du 16 mars lX08, lui 1111 20 unil 1810.




DES ARHO:\'DISSE3fE:\'TS \.35


jusqlle-1l1, Jellrs fonctions se bornaient aux aetes d'admi-
nistratlOn, aux enquetes, :mx interrogatoires.


Leur traitement était reglé:llI quar!.!lu traitement des
juges en pie(l.


Le qnart eles vacan ces dans les eours d'appel, dans les
trihunaux de pl'emiere instance et dans les conseils de
préfect ore lem étail :lffcctr.


Plus tard 1, l'ElllpercuJ' cl'éa une classe de juges audi-
teurs destin(;e :1 dl~H'nir une pépinierc de conseillers au-
ditenr:;, cnmnle eell'í.-ci rlt:üent déjil UIlf' pl\pilliere de
lIlagistrats.


Les jllges auditeul's étaient nOl1ll1ll\S, comme les con-
seillcrs :lllditeurs, SIJl' 1Ine triple liste de présentation; ils
t'taient exempts de la condition de R,OOO franes de rc-
\'enn ~, une année de ~tage suffisait. lIs cOlltinuaient a
IJratiqller lant (lU'ils ll'étaient pas mis en aClivité, mais
ils étaienl h la disposition du ministre de la justice ql1i
pouvait les placer aupres des tribuoallx composés se1l1e-
llleot de trois juges, et les faire passer, il ,,'olonté, d'lll1
tribuoal h l'alltre.


Leurs fonctions étaicllt limitée~ eomme celles des con-
seillers auditcllrs, qu'ils élaient appelés ~l remplacer au
flll' et ü mesure des vacances.


1 Loi du 20 avril 1810, art. 14 f't slIiv.
~ D,;crpl <111 22 mars 1813.




136 \TE,'; SLn LE t;Orn:H\DIENT IW 1..\ FIUNCE


lis n'avaient aUClln traitement.
Le but de cette double institution était d'en revenir, le


plus t6t possih]p. a l'ancien régime, (l'essayer de eréer,
petit ü petit, des familles de magistrats, ulle sorle d'aris-
tocr'atíe judiciaire.


La Restauration, en maintenant ce! état <le clloses t, le
développa sur llne plus grande échelle. D'nne part, le
ministre de la justice fut autorisé a annexer des juges au- .
diteurs ü tOllS les trihllllallX de premiere instanre, quel
que fUt le nombre des juges siégeant dans chaqlle tri-
hunal 2; d'une autre part, les cOllseillers alHliteurs, el les
juges auditeurs quí, SOtIS l'Empit'e, n'étaicnt appelés a
prendre part aux délibérations des trilmnallx qu'en cas
de vacance el en qualité de suppléants, furent autorisés a
y prendre par!, en tout élat de cause et lors meme que
les tribunanx se trouvaient au complct. Enfin, a l'exemple
de l'Empereur qui avait doublé, par un décret, le nomhre
des conseillers audileurs 3, primiliyement fixé par la loi
du 20 avril 1810, le gouvernement de la Hestauration
doubla, par une ordonnance '>, le nombre des juges au-
diteurs.


:En résumé, le ministre de la justice se trouvait dis-
1 Charte constituLionnelle, arto 59.
~ Ordonnance uu 19 novembre 1823, ar!. g.
~ Décrel du 22 mars '1813, arto 1.


Onlonnance llu 11 février 1824. art. l.




/)E~ AIlHO~IJlSSEm::NTS 137


posel', dans chaque reSSOl't de COlll' l'oyaIe, u'un corps de
réserve judiciaire, composé de jeunes aspil'ants en expec-
tative, attenuant tout de luí, 11 commenccr par uoe po-
sition stable, donl iI pouvait accroitre le Hombre a vo-
lonté, el qu'il était maitre de transporter, a volonté, d'Ull
tribunal a un autre; autant clire qu'il était maUre de se
créer, dans chaque tribunal, L1ne majorité selon son bOIl
plaisir.


Céci n'aurait pu subsiste!', 101's meme que la Hestaura-
tion ~erait restée. La révollltion de juillet a enlrainé la
supprcssion des juges auditeurs et des conseillers audi-
teurs, Illais sans ;wiser a rien pour les remplacer. Anjonr-
d'hui, qll'apres avoir été menacés, pOllr la seconde fois,
ne tribunaux il l'élection, nOlls paraissons illcliner a de-
meurer, a pell prrs, dans le statll quo, avec ses inconvé-
nicllts d S('S avantagcs, iI ne faut pas douter. si l'ordre se
I'affel'lnit, qHe les tours de justice nc réclament, a grands
cris, la t'ésurl'ection de quelque chose d'analogue anx
conseillers auditeul's et anx jllges auditeur~. Ces cours
n'ont ¡¡as VlI, en erfet, disparaHre, sans de tres-vifs re-
gl'ds, dt:s institutions qui lell!' :1ssnraieut une certaine
part dalls lellr propl'c rccrntement, et des fonctions qu'elles
regal'daient, non sans quclque raison, comme l'apanage
des familles de m~gistratul'c. Toutcfoi..:, cmmne ce genre
d'institlltions scmhle plntól: de llatHl'l' ;) aggraver qu'h




138 VCES SUR LE GOLVEIGü':3IEN r lIE LA FHANCE


attélluer les vices de J'ordre de dIOses actuel, eomme il
semble surtout de lla: ure n mettre obstaclc ;m seul gr,nre
de remedes que cet ordre de clwses comporte, Oll crolt
dcvoir transcrire iei des réflexlons illsérées, sur re sujet,
en 1828, dans un recueil qui jouissait alor3 de <¡ueIque
célébrité. Apres vingt ans, on n'y trollve rien a ajouter
ni a retrancber.


«Nolls uemandolls aux ehambres, disait 1';¡uteUl' de ces
réflexions, de supprimer une foÍS pOUl' tontes les juges
auditeurs. Nousleur dem;iliuolIS plu~, encore, it savoir, de
supprimer, du meme couj), les conseillers audileurs; ell
un mot, de faire waill bas.'e sur tuus ces séminaires judi-
ciaires que le gouvememellt impérial a jllgé a propos
d'ouvrir aupr0s de chaque trib.unal pelit ou grand.


» A notre avis de semlJlable:; institlllion~ tl'Ollt (IU'UU
résultat; c'est d'aggraver el de 1l111ltiplier sans weSllre
les priucipaux inconvéllIents attachés it l'org~IJlisatioll
meme de notre magistrature.


)) On se plaint du nombre infini des jllges que t:ett6 01'-
ganisation ex.ige. L'institu¡ioll des cOllseillers allJitclIl'S
augmcntc du quart le nOlllLl'e des m~tgistrats qui sil~gent
dans les COlll'S royales. Celle (iL's jllges audilelil's aug'-
mellte de prb ck 800, le l1om¡jl'l~ des llJa~isLr,lt~ '1l11 s!(~­
gent daos les trihUlJallx de pl'emicl'e instance; le tUlIt,
sans nul avatl tage, lli pour le bien jllgé, ni pOllr l'ex.p(~-




j)E~ ,\ IUWl\lHSSEJUE.\TS 139


dition des affail'es, puisque ce sont des jeunes gens qui
yiennent lit pom faire lem a[lprenti~sagl', pour chercher
des lumieres, eL llon pOli\' en portero On s'afflige de la po-
sition subalternc Ol! laoguissent ks juges, en raison de
la moc1icité de 1cUf' traitcmcnt. Le; conseillers auditeurs
n'ont que le (fllart du traitement des conseillel's en pied;
les juges allclilellr~ n'eo oot aueuo_ C'est un objet de ri-
dic,ule pour les éfrangers, pour les Anglais, pour les t\.mé-
I'icains pal' cxemple, que eette nécessité imposée aux
pl:üdeurs, en France, ele s'adresscr cl'abord ü des jllges
Illédioeres, [mis de vellil', el! ;lppeI, devant des juges plus
éclail'és , puis de s'élevcl', en cassation, :\ des juges plus
éclairés Cllcore ; ils demandent nai'vemen t pourquoi tant
de caseade..-, il quoí hon (:lIlt de cif'cu;ts, aquel propos ne
pas s'adresscl' tOllt d'ahOl:íl aux magistrats les plus ins-
lruils el les plus en éridencc. Les ennseillcrs aucliteuI's,
les .illgcs :tllditellI'S, I'cmlent ecLle hizarreri(' eneoee plus
chO<Iuantl~ el! renant alllOilldri¡' de lem illcxpérience les
trihunaux les 1110illS cxpél'imentés. e'est \ln gJ'anct vice
que l'orc1rt~ jlltIieiaire soil chez nous hiél'archiqlle, qu'un
.iuge de premiere instancI' yiú) dans l'expccta tiye de de-
venir cOllseillcr di' ('Olll' J'oy;lle, nn conscillcl' ¡lalB l'ex-
[lcctati\-l' de devenir présidcnt de chambre, un présideot
dans l'exp~ctative ue devenir premie!' p!,(ísifli'nt ou con-
seillel' en cassalion; ce dernicr, 11ntill, f!;\I1S l'expectati\'e




HU VeES SUR LE GUUYER~DIEXT DE LA FRANCE


de devenir président dc chambrc dans cette conr. en tcl
ordre de choses détruit aux trois quarts les biellfaits de
l'inamovihilité; il tient constamment les juges dam la dé-
pendancedu pouvoir. L'institutioll des cOllseillers audi-
teurs, et eelle des juges auditeurs, ajoutent dClIx degrés
a eette hiérarchic déjü si longue. Enfin, autant c'est rIlose
excellente que des juges ambulants, IOl'sque tCS jllges sonl
comme les juges anglais, de grands per~onnages qui
viennent de 10ill eu loin tenil' les assises dalls chaqw'
localité, et <¡ui s'éloignent au bOllt <le quelqucs jours, salls
rapports ayer, les habitants de cllaque lieu, sans ¡¡oint de
contart aver les plaideurs; autant c'est ehose mchellse
que des jllges, COll1ll1C le sont trop SOllvClll les nOtrcs,
qui demement dans la meme ville, trois, quatre, cinc¡ ans,
plus ou llJoins, ll1ais assez !ongtcmps potlr contrae/er <lyec
les habitants des liaison s de toute espece, et c¡ui, cepen-
danl, ont en perspective de qui tte!' bientóL cetle I'ési-
dence, et ne sont pas obligés, par cOIlséquellt, de
prelldre beaucoup de sOllci de l'opinion de ceux qui
les enlourenl. Les conseillers auditeurs sont le 1ype
et comme le ]Jeau idéal de ceBe magistl'::l.ture sl>mi-
ambulante, semi-sédt'llt;¡ire ljui rtíUllít, a la lois, tous
les illconvénients de la Il'sidellCl' el tOIlS l:eUX de la
mobilité.


» 11 faut biell, dit-oll quelquefois, que les hommes




DES ,\H RONDl SSEME~TS 141


destinés ü devenir magistrats fassent leu!' app!'entissage
quelque part.


» San s doute, m:lis faut-il qu'ils Ir fassent au détriment
des justiciables, et aux dépens de la justice '? Quelle école,
bon Dieu, pour former des juges inoépendants, que cinq
ou six :mnées, les plus belles de la jeunesse, passées sous
les yeux el sous la main du llouvoir, il Ulcher de s'en
faire agréer et d'ohtenir de ['avancement. La pépinierc
naturelle des juges, e'est le barreau. Laissez se formel'
lihrcll1ent les hotl1ll1cs; lai~scz-lcs faire preuve d'expé-
l'ience, de lurnieres el de pl'ohité, et ¡mis apres, faites-en
des juges,


» JI y :1, dit-utl ellcore, telle localité reculée, tel petit
tribunal ou l':HTivéc d'un juge auditeu!' a pl'oduit le meil-
lem effet.


» Ccla se pettl, mais pourquoi ce petit tribullal était-il
si mal COl1lpOS(~ (IU'il eút it s'en f'aire l'emontrer p:lr un
cnfant ü peine majeur?


» Que la frl'quentatioll du 1):1I'l't~au soit l'apprentissage
naturel et néctssaire de quil'onquc se destine it la magis-
tratul'e, personne n'en (li~eo\lyient :¡ppal'cmment, Imis-
qll'lll1 stage plus ou moins long cst imposé tant aux con-
seillcl's auditclIrs qu'all.\ jugcs :lllditcurs; pllisque ccs
derniers sont lenllS de continuer;l pratiqucr, tant qu'ils
ne sonl pas mis Cl! um\Te par le ministre. Cela posé,




142 VUES SUB LE GOUVEllNE~IK~T DE L.\ FIUNCE


nous le demamlons, oü est done I'avantagc de les enlover,
a la !leur de l';lgc, des le dóhut d:lllS la carril'rl), h I'adi-
vité et a la liberté de cette nohle profession, pour les
confinel' au triste role de faiseur d'ellque!es, cl'interroga-
teu/'s d'office, pour les assouplil' au métier de solliciteul's?
üít est le bon sens de leur clonncl' le titre ele juges, le
litre de juges inamoyiblcs, longtemps ;JYallt de savoir
s'ils seront, quelque jour, en état d'en remplir les fonc-
tions ? Oh est la justice ele ICUl' li\Ter, elans cel'taines oc-
casions, le sort eles afLllfes, IOl'squ'ils n'ont poin! eneore
acquis la capacité d'en bien .iuger-:


» Ces réflexions ront, nOlls ne l'igno/'ons pas, contre un
préjugé tres-accrédité.


» Bcaucoup de personnes tres-éclairéc .. , et qui ne se dis-
simulen! point les Yices d'une organisalioll judiciaire telle
qlle la nolre, pensent néall1l1oins que, cette orgalliEatioll
étant donnée, il est ü pell prcs indispíiflsahJe dc fOllder.
sous une forme qllclconqnc, Hile sorte (1'ét'ole prépara-
toil'e dejllges.


» Nous ne p:trtageons pas e(' selltinH'lIl; 1l01lS pellsons
au conlraire quC' c'est précisémcnt parce que notre organi-
sation judiciail'e est ce qu'elle es!, que toutc illstitution de
eette llature doit erre ~oiglletl:-ement éyitéc_
<~


lXous comptúlls eo Fral1i'e dl~S juges 110n poillt pal' eell-
laines, lllais par millicrs. DC' ('C' simple fait, íl résulte que




143


nous ne pouvons avoir, eomUle nos voisins d' outre-mer,
un corps judiciail'e cumposé d'hommes de premier ordre,
de jUl'isconsultes consomml~~. nu 1)011 sens, une el'r-
taille connaissance des lois, acquise pIntót par l'expé-
rience, par l'hahitude des hommes et des affaires, que
par de fortes éludes et de profondes méditations, telles
sont les seules qualités que nous puissions espél'er et
que nous so~ons en droit d'exiger d'un juge fral1l;ais.
Vouloir pellpler nos tribunaux de jeunes juges, e'est done
rouloir les pellplel' d'hoIlIIIlCS auxquels, tenue moyen,
manquent a la fois el l?ette bantn (~apaLité qui n'est dans
les pays les plus civilisés tiue le parLlge du td~s-petit
llombre, et cctte solirlité de jugement, eeHe su reté de coup
d'reil qui ne s'acquierent que par le temps etpar le travail.


» Nos juges, prédsément en raison de leut' nombre, ne
l'c¡;oivent qu'un tl'aitement Il'es-mollique; réduit a ce t!'ai-
tement, ils sel'aient placés dans une pusition subalterne
el j)l'es(lue llUllJiliallte. 11 esl désirable, en cOllséquencc,
(Iue les hOlllllJCS voués a l'étllde de la lui n'entl'ent chez
llOUS, dans la magislratme, qu'¿llJl'eS s'tH!'c assuré, par
ictlrs ti':1\'allX ant¡'riCU1's, lllle eXlstence indépendante) eL
plUlút 1¡Olll' l'IIOIlIlCUi', pou;' la digtlité de la profcssion,
que pOli!' 1t.~s émoIlIllleuls qui s'y trouyc'nt attacbt;s.


) ~otre ~ysll'me j utliciaire enfin est hiérarcllique, ~lInSI
(Ilie nuus l'arolls remal'qw í plus hallt; en d'autl'es termes




144 VCES SCR LE GOl!VEl\~EJIE.\T DE LA FHA~CE


nous avons des tribunaux de divers degrés, superpo-
sés l'un sur l'autre, et dan::-; lesquels les pIares de juges
sont différemment rétl'ibuées, sallS comptl'1' que dans
l'enceinte de chaqut~ tribullal, il y a aussi inégalilé de
rang et de salaire ; gl'and danger, puisquc les juges POLl-
vant, durant tout le cours de [eLi!' vie, aspirer a s'éleYer,
de degré en degré, comme les orticiers dans lIn régi-
ment, tombent par li, plus Oll moins complétellJelll, sous
la discrétion de l'aulorité qui distribue l'aranceuH1nt.


» 01', pour paree ;, ceci, ce qu'il faudi'ait faire, <lutanl
tIue possible, ce sfll'ait d'onlonllel' les chns(ls de telle
sorte, que presque allclln juge lI'eflt l'espérance ou
llleme simplemeul la pensée de s'élever au (lelh du poste
qu'il occupe; de tdle SOl'te que, chaque tribunal,
petit Oll grand, se l'ecrutüt nalurellemellt el presque
forcémelll dans le barrean qui ¡'elllolll'e, bal'reau qui se
trouve toujours d'autallt plu~ habik el (l'~llilant pllls
éclair~, que le tl'ibunal est 11Ii-mellle placé il un !legré
plus él eré clans la hiéral'chie.


» Si ces véritll::-; sont, en quelquc sOl'le, éúdenles par
elles mellles, qui HC yoit que loute é(',ole ]Jl't'paraloire de
juges, de quclque Illanitm~ qU'üll l'ol'gallise, IOlll'llCl'a évi-
delllll1Cllt cOlltre le Imt qu'il e~t légililllc de se prupose!' '?
Qu'elle aura, de toule néces~¡té, pOli!' errel, de pellplel'
ks lrihunallx infl~riellrs, c'<,sl-:¡-dil'e les t;¡llq sixiclllCS dcs




DES AHRO~DJ~SE~JE:\'Tg


ll'ibUllaUX, de jeunes hOlllmes salls: existence personnelle,
sans fortune acquise, l'iches d'cspérances plus que de lu-
mieres, et d'ambition plus que (l'expél'ience, qui n'accep-
Leront ces places subalternes que pour mettre le pied a
l'étl'iel', s'i! est permis ele s'exprimer ainsi, luttant en-
suite, h l'emi, ['un contl'C l'autl'e,:l qui se saisira le
premier des emplois élevés, ~l quí montera le plus vite rt
le plus haut.


» Qui sait, entl'c les mains d'un gouvernement habile et
peI'Vel'S, ce que pouJ'rait derenir un ordre jucliciail'e ainsi
composé, surtoul IOl'sqll"on songe:l l'énorme p\lis~ance
lJ:ue les tribllnaux cxercent chez nOlls, lorsqu'on songe
lJ:ue nolre systeme de prol'édllre fait, de nos juges, bien
moins des juges proprelllent dit, bien moins d'inflexibles'
interpretes du droit, que des arbitres légaux qui, pour
le fond el la sf/])stance des jugements, décident, a peu
pres e.r ceqlW el bono, toutcs les affaires soumises a leur
examen.


» Tant que nos tribunaux, en effet, statueront en meme
/(lmps sur le droit et sur le fait, libres de faire tléchir le
droít, lorsque le faít est évident, ou de transiger sur le
faH quand le droit est trop claíl'; tant qu'íl sera permis
de slmtenir, devant eux, la meme cause par vingt ou
trEnte moyens différents, le plus souvent incohérents el
eontradicloires, qui sr dpIl'uisent I'un I'autre et sr pre-






146 YUES SUR LE GOUYERNEl\1ENT DE L\ FRANCE


tent, par conséqucnt, avec une égale facililé au pour et
au contre; temt que nos juges, au lieu d'opiner tout haut,
eomme desjuges angl:lis, an lien d'énoncerlenr sentiment
viva voce, a la faee du puhlic, en pJ'(~sence (}'un barreau
qui les écoute avec IIne cUl'iosité moitié maligne, m'oitié
respectueuse ct qui ne lenr passe ni une fausse citation,
ni un f:mx raisonncment; au lieu de résoudre toute ques-
tion de droit comme un mathématicien résout un prohleme,
011 eomme un savant élucide un point d'érudition ('onlro-
versé, se retireront pOllf délibérel', entre ('ux, il hnis-clos,
et les coudes sur la tahle, il arl'Ívera nécessairement ce
qni arrive chaque jou!', it saroir que, dans I'embarras de
S':H~cOl'der sur t:mt ele moyens tlistincts, dan s l'impossihi-
lité absolne d'en "enil' Ü une conclusion définitive qni soit
logiquement tirée du vceu de la majorilé sur chaqllc qucs·
tíon, i1s laissel'ont d e coté !Out ce rain fatras, et cherche-
font d'un commun accord qui a lort en réalité, qlli a raison
tout compte fait, oü est l'équité de la chose, el, apres
l'avoir trouvée, OH Ü peu pres, se feront des eoncessions
réeiproques sur la valenr respective des différents moyens,
sauf a les faire cadrer. tant bien que mal, avec leu)' déci-
sion.


» Tout cela est inévitable; mais des Iors, n'ayant de
garan tie réelle de J)otre honneur ou de nos fortunes que la
probité, la délicatesse, la honne foi de nos jugés, combien


"




DES AHnONDISSEm:::\"TS 147


ne sél'ait-il pas redolltable cl'ayoir des juges cupides, ser-
viles, ambitieux, souples SOIlS la 1l1ain du pouroir!


» Toule école pl'éparatoire de juges, nOlls le répétons,
a pou!' tendanee dirccte d,~ les rendre tels. Si elle n'\,
réussit /las, ce n'est pclS sa fante.


» Le bul qne l'on doil se proposer, au contraire, c'est
d'ell venir:1 ce point, que, dans chaque loealité, les fils des
familles les plus respectables et les plus respectées tl'a-
vaillent, Ulle premiere moitié de lenr vie, a se faire une
existente indépcndantc, el yisent, !orsqu'ils sont parre-
llllS Ü l';'\ge mllr, :'1 prendre l'ang dans la magistr3ture de
('ette rnernc !ocalité, sans ~lUtre ambition que I'honneur
attaché it remplir de telles fonctions, sous les yClIx de ]ellrs
concitoyens, et sous le controle d'llne opinion clairvoyante
el bienveillante tout ensemble. »)


-'Iais Ce but, comment y parvenir?
Le mode selon Jequel les juges sonl choisis, décide


en général et de l'ordre des personnes qui aspirent a la
magistrature, et des vues qui les cléterminent, et des es-
pérances qll'elles y portent. Ouvrez une longue carriere,
si vous voulez faire appe! :l la jcunesse et tenir les am-
bitions en haleine ; montrez les p!aces dont il s'agit, pe-
lites ou grandes, halltes on basses, comme un buL défi-
nitif, comme une honorable el clernicre récompense au
mérite, en proportion de son degrtí (]'éminence et de no-




141'1 H'ES sen LE GOüYER~E~I¡':~T DE LA FRANCE


tahilité, si vous voulez qu'on les Iwigue pOOl' les exercel',
et non pour les traverser a la hate, en levant les yenx vers
quelque poste plus avantageux.


Or, on peut concevoir troi~s ystemcs, ü ce sujet:
L'élection populaire;
Le choix par le tribllnallui-m¡imc:
Le choix par le gouvernement.
L'élection populaire aurait certainement l'avantage de


faire entrer dans les tl'ibunaux de ehaque lucalité, les hom-
mes éminents de eette meme localité, el, par conséquent,
de laisser, en m8me kmps, peu de eh~mees aux hommes
non tésidant,. aux amIJitions exotiques.


¡\lais d'abord la Charte s'y oppose; ne s'y opposat-t-
elle pás, il existe, dalls la p!upart des esprits, de grandes
répugnances fondées sur la funesle expérienee qui a été
faite de ce mode durant nos premiers troubles civils; et
bien que l' élection paisible et sage des j uges ele commeI'ce
prom"e, chaque jou\', que ces répugnances ne sont pas
exemptes d'un pell d'exagération, on doit convenir que la
parité n' est pas complete entre les juges de commerce el
les juges ordinaires, et qu'il serait fort it I'raindre q1le,
dans maintes occasions, l'esprit de parti lIe diet,!t la plu-
part des choix, chose assurément la pire llui se puisse
imaginero


Chargel' chaque tribunal de pourvoil' aux vacances qui




DES ARnONDlSSEi\1ENTS 1.49


surviendront dans son sein, la Charle s'y oppose égale-
ment, et, en véritó, ce ll'est point un mal. Un tel mode
serait souverainement vicieux. Le népotisme ferait le choix;
ce serait inféoder, a perpétuité, les charges de judicature
h certaines familles, sans égard pour le mérite et pour
l'indépendance du caractere.


Une si le choix rait par le gouvcrnement, le seul que
la Charte autorisc, cst aussi, tont compte fait, le meilleur
et le plus c(¡nforme aux príncipes, cependant, abandonné
Ü lui-meme, il a bien aussi ses incoilvénients et ses dan-
gers. C'e:·;t llD acte de la plus haute importance, un acte
dont dépendent la fortulle, la Yie, l'honneur eles citoyens,
et cepcndant auquel ne s'atlache aucune responsabilité
effeetive et presque ancune responsabilité mOl'ale.


n est hors d'exemple qu'nn ministre de la justice ait
été poul'suivi pour avoir fait un mauvais choix; iI n'est
meme gnere concevabJe qn'il puisse l'etre.


Lorsque le m;mvais choix ('st fait, les convenances ne
permettent guere d' en faire un sujet de discussion a la
tribune OH dans les journaux. Toute inculpation contre un
magistrat a par elle-meme un caractere si grave et si
offensant, que les gens de bien répugnent non-seuIement
a s'y livrer; mais á l'entendre, et que le publie, averti
par "un secret sentiment de bienséance, la voit en général
de mauvais mil. Depuis trente ans, sans vouloir désigner


HI




150 VUES SlR LE GOUVER~EJIENT DE LA FItA~C 1,:


personne, il y a eu a coup súr des choix de iuges mallifes-
tement répréhensibles, des choix de partí, des choix tout
a fait politiques, des choix meme trcs-révoltants eL tres-
odieux; personne n'a osé s'en plaindre, et nous-memes,
qui les rappelons en ce moment, Hons n'oserions nous
permettre l'allusíon la plus détournée.


Le moyen done de se na Her qu'un millistre de la justice,
ayant a manie1' un persollIlcl de deux ü tr¡lis mille juges,
dont il ne cOllllalt pas la centicme partic, et dont la cin-
quantieme partie n'est pas counnc l1u publie, en général,
ayant luí-memo, commc ministre, ([es inU~l't~t; de parti, des
amis, des adversaires; libre, d'aiileurs, de ('aire Yoyagcl'
les juges, de les transporle!' (l'un !Jout de la Francc il
l'autre, a peu pres comme le ministre de l'intéricur trans-
porte tel ou tel de ses prdels sur les borüs du Hhin, lors-
qu'il a fait trop de sottiscs sur les honls de la G;¡ronne
)Jour y pouvoir demeurer plus long temps ; maUre en Ull
mot, d'en faire a sa tete et d'ag'ir eO!1lllle lJon lui semble,
s:ms controle de la part de qui que ce soit, s'astreigne
jamais Ü choisir, dans cfl:1C[lle localit!~, pour chaqué place
vacante, l'homme de mérite, l'llOmll1C indépcudant par
position et par caractere, quelles que soient ses opinions,
celuí-Hl et non pas un antro, et s'alJsticnne soigllcusement
de céder aux demaprles, aux snllicitations, aux. impor-
tunités, de récompenscr le:;; services rcm[us ;'¡ !'opillioJl




DES AnRONDISSE~IEr-;TS 151


qui 1'a fait ministre, l'identité de conduite et de sentiments
avec lui-meme ?


Ce serait folie d'y songer.
Il falldrait donc que quelque choseTy contl'aignit ; iI


faudrait par un systeme de candidature bien mén~gé, en
venir a le placer dix-neuf fois sur vingt, face a face avec
l'objet légitime de son choix; il faudrait, pour ainsi dire,
l'encadrer ü tel point dans ce systeme, que ce devillt pour
lui un gral1l1 partí de nommer tout autre que le candidal
en évidcIlce; qu'il ne put s'y résoud1'e que par des molifs
puissants, des motífs qui s'expliquassent d'eux-memes,
sous peine d' excitcr un vif mécontement, et, dan s tous les
Las, son8 la condition de voir son choix séverement ex-
ploré.


Voici, sanf meillenr avis, un expédient fo1't simple, el
qui semblerait propre ::l mettre sur la voie el'un tel résultat.


En abolissant la corporation des magislrats auditeurs,
on prononcerait également la suppression des juges sup-
pléants, tels qu'i1s existent aujourd'hui, des juges sup-
pléanls it vie, perpétuels, nommés une foís ponr toutes.


Chaque année, au 1 er novemLre, époque de l'ouverture
de l'année judiciaire, il serait dressé par les soins du pré-
sident de chaque tribunal, a la diligence du ministere
public, le tableau des avocats et avoués qui auraient exercé
pres le tribunal pendant un intervaIle de temps détermi-




t52 VrES SUR LE GOUVERNE1U ENT DE LA FRANCE


né, dix ans, par exemple, plus ou moins, mais assez long-
temps pour que le dessein d'y fixer leur résidence mt
manifeste.


Toutes les fois qu'une place ele juge viendrait a vaquer,
il n'y serait pourvu qu'apres un Jélai de six mois.


Pendant cet intervalle, a chaque affaire, les parties
opposées seraient invitées, par le président, a désigner
sur le tableau dont il vient el'etre fait mention, un des
avocats ou avoués du ressort pour remplir l'officc de juge
suppléant; a défaut de désignation de lem pal't, on sui-
\Tait l'ordre d'ancienneté.


Il en résulterait de deux choses l'une :
Ou les parties intéressées laisseraient habituellement


l'ordre d'ancienneté prévaloir. Ce serait alors déclarer ta-
citement que le doyen d'age, parmi les gens de loi du res-
80rt' est, en meme temps, le plus habile et le plus expéri-
menté.


Ou, ce qui arriverait quatre fois sur cinq, l'un des avo~
cats ou avoués portés au tablea u , réunissant a un plus
haut degré que tous les autres la probité, les lumieres,
l'impartialité, serait habituellement désigné.


L'intéret meme des parties, et surtout l'opposition, la
contradiction entre leurs intéréts respectifs, seraient un
gag assuré de la bonté de leur choix. Ce n'est que par
ses bonnes qualités que le sllppl(;~mt préféré pourrait mé-




DES ARHONDlSSE~IENTS 155


riter de l'étre. Les défauts qui pourraient lui rendre favo-
ble une des parties le feraient infailliblement rejeter par
l'autre; mais toutes deux auraicnt un motif égal pour
éviter un doyen d'age ignorant ou tombé dans l'incapacité.


Soit daos l'un, soit dan s l'autre cas, iI y aurait ainsi,
pour chaque place vacante, et par la force méme des cho-
ses, un candidat naturel, un candidat légitime que cha-
cun s'attendl'ait a voir llommer, qui semblerait n'attendre
que ses provisions pour entre1' en fonctions a l'expi-
ration de la vaeance.


Le ministre n'aurait bcsoin de s' éclairel' ni par des rap-
ports, ni par des correspondanees secretes; il lui suffil'ait
de. se faire mettre sous les yeux le tableau des opérations
du tribunal pendant les six derniel's mois; iI saurait ce
qu'on attend de lui. Que s'il se décidait a ne pas nomme1'
un te] eandidat, s'il se décidait a lui substituer un juge
venu d'ailleufs, un ju~'e nouveau et inconnu au pays~ ce
ne pourrait etre que par des raisons puissantes, et dont
l' évidence fUt de natUl'e á frapper tous les esprits. Un
tel parti serait llécessairement l'objet d'une discussion
tres-vive, el le juge élu, lui-nH~me. arrivant sous de tels
auspices, sOl1mis au controle lJ.ui l'ésulterait de sa posi-
tion, serait obligé de valoir díx foís mieux que les autres
pour se concilier les suffrages de ceux au milieu desquels
il serait destiné a vivre.




15. ,"UES SUB LE GOUVEHNElUENT DE L.\ FRANCE


Ainsi, dans un pareil plan, les jeunes gens appal'tenant
aux meilleures familles de ehaque arrondissement, entl'e-
raient, de bonne heure, au barreau, au lieu de se pl'essel'
dans les bureaux de la justiee pOUl' brigucr des pIaees
de juges-auditeurs ou de substituts; ils répandl'aient sur
le barreau la eonsidél'ation qui s'attache a leu!' position
sociale; ils y feraient leal' apprentissage dans l'ind(;pen-
dance et l'exercice des vertas eiviques dont l'avocat a plus
besoin que toat autre, avec la pel'speetive de mon ter, un
jou!', sur le siége des juges, en vel'tu d'une décision
royale, rendue sur le libre témoignage de lcurs conci-
toyens; l'ordre judiciaire cesserait d' eLl'e une carriel'e.
pour devenir une noble pl'ofession; il se reernterait, sans
brigne, sans tumulte, sans passion, dans les rangs des
citoyens, au lien de se reeruter dans une milice de solli-
citeurs et de postulants.


On voit combien, apres vingt années, apres deux révo-
lutions, coup SUl' eoup, ces rén exions s'aeeordent avcr
l'ensemble des idées que suggerent les besoins actuels, de
la Franee, l'état actuel des esprits et des famillcs.


Ce qu'on proposait en 1828, parailrait llon a adop-
ler aujourd'hui.


Arrivons a l'al'l'ondissement considél'é e0111me circons-
cription politiqueo .




DES ARRON ¡HSSEl\1E~TS


§ 0.


Ll est, en politique, des principes qui n'ont pas besoin
d'elre démontrés. Ce serait [lire trop d'honneur a la sottise
'luí les méconnalt, 011;\ l'esprit révolutionnaire quí les traite
en ennemi~. Ne tlíles point 11 l'ayeugle-né qu'il fait jour
en plcin midi; n'oíl'I'{,,":: point des perles aux poul'ceaux,
de pCUi' qll'íls ue les {OIl!C¡¡t aliX pieds, el que, se .ietant
'>;/11' VOllS, ils 1?C vous déchii'l!lIt.


La nécessiLé, ebns un l\ays libre de partager le corps
ll~gislatif, l'autorité supreme, entre t1'ois pouvoil's, indé-
pendants l'un de l'aulrc :1 cert:1ins égal'ds, dépendants
l'un de l'autre sous cel'tains l'apports; entre t1'ois pou-
yoiJ's distiJlcts, sans ¿[re op]Josés, homo[/enes sans étre
identiqlles, et qui s'éc.lairent, se tempe1'ent, se limitent
1'éciproquement, eeile nJccssité, plutót hravée que mé-
connue par notre de¡'I1i(l l'c eonstitution, n'est ni contesta-
ble, en théorie, ni eonlest¡~e, en fait, partout ou le bon
sens et l'cxpériencc sont eomptés pom quelque chose.


On cst ég'alemcnt d'accol'd SUl' ce qu'il y a c]'essentiel
dans la natme el le cal'acterc de chacun de ces trois pou-
VOlrs.


l/un correspond eL doit sel'rir cl'ol'gane aux intél'ets




1.56 VUES SUR LE GOUVER~EMENT DE LA FRANCE


en progres, a l'acLivité des idées nouvelles, a l'ascendant
de l'opinion prédominante ; c'est, clans le corps social, la
force d'expansíon, le príncipe du mOllvement; e'est la
voile qui s'ouvre au vent du jour OH de la saison, et qui
fait eingler le navire; l'autre eorrespond et doit servir
d'organe aux sitllations faites, aux instlncts conseryateurs,
a eette puissance de temps d'arrct qui réside dans les t1'a-
ditions et les habitudes; c'est, dans le corps social, la force
de cOhésion, le principe de stabilüé; c'est le lest qUl
tient le navire en éCluilibre. Le tl'oisierne enfin, c'cst le
gOllvernail; c'est le gonvcl'Dement lui-meme; c'est ¡'eeí!
qui ,"oií, la tete qul con~oit, le bl'as qui exécllte. Quancl
un pays qui pl'étencl demcurer gl'and el derellir libre,
pOUl'ra se passer ou Ll'activité, on de stabilité, ou de cli-
rection, iI pourra sans péril', su p primer ou confond1'e ces
trois éléments intég'rants de l'alltorité sllpreme.


L' élément popul::lire dolt sor ti l' du peuple ; le corps ap-
pelé a seconcler, a personnifier, en qnclqlle so1'te le mou-
vement ascenelant des intél'Cts et des opinions, dolt Ctl'e
électif; puisque le droit électol'ctl est le seul que les mas-
ses pnissent exercer, san s confusion, dans un granel
pays l.


L'introduction dn suffrage unlversel a l'avantagé de


, La cOllstitution de 1793, ellc-méme, n'a\aít résené au pCilple,
en corps, qu'un vote facultatif en maliero de législation (arl. 5G-(0).




DES ARH.ONDlSSEMEXTS 157


couper court, OU a peu pres, a toute eontroverse en ce
qui con cerne le droit électoral, les conditions a exiger de
l'éleeteur ou de l'éligible. Il ne saurait plus etre question
désormais, ni du eens évalué en journées de travail tel que
l'avait réglé l'Assemblée eonstituante 1, tel qu'il se trou-
vait reprodnit dan s la eonslitution de r An III; ni des eol-
léges électoraux a vie, invention propre au régime impé-
rial, 2 maintenus par le sénat eonservateur dan s son pro-
jet de eonstitution 3, et rétablis par l'acte additionnel aux
constitutÍons de I'Empire \ ni du cens fixc de 300 franes
exigé des élCL:tenrs, et du eens fixe de 1,000 franes exig'é
des éligibles par la Charle de 1814 5, el réduit, l'un a
200 francs, l'antre a ñOO franes par la loi du 19 Avril1831 6 •
Il ne saurait etee non plus question ni d'un eens varia-
ble 7, comme en Amél'Íque, de province a provinee; ni
el'un cens variable, eomme en Angleterre, selon que l'é-
leeteur habite la vilIe ou la eampagne, selon le titre et la
condition de la propriété qu'il possMe ; ni d'un seens fa-
cultativemcnt variahle eomme en Bclgique 8. Il ne saurait


! Cün.;titulion uo 1iDl, ch. 1, s~ct. 11, arlo l-i, tit. IV, art. 35.
2 SI~nalus-consulLc UU 1u thermidor an X, tit. II et III, arto 4-38.
~, Arlo 9.
4 Arl. :¿i -31.
f¡ Art. ;iR-40.
¡; Art. 1-58.
7 StoJ')', Cominellliú/'(Js sur la c(Jllstitation {edérattl, t. 1, ch. VIlI,


é 29¡); Tocljueville, t. [, p. 304,.
8 Bowyrr, p. il, i 4 el i8; constilution de 1831, art.~i.




158 YUES SUR LE GOUVERl\'EMENT DE L\ FRANCE


etre en fin question de donner aux lettres, aux sciences,
de donner aux différents intérets des représentants di s-
tlncts, spéciaux, comme on l'avalt fait en !talie, SOUS la
république CisaIpino, comme on I'avait projeté, en France
dans la constitution i prépal'ée par la Chambre des re-
présentants, comme l\I. Sismondi le réclamait dam un
écrit 2 d'ailleurs tres-digne d'etro consulté. Le suffl'agc
universel simpliOe toutes choses; mais, en simplifiant
toutes choses, il incline a l'oppl'ossion ; il no laissc d'asile
a la diversité des intérets et dos opinions, que dans la
distributíon des circonscriptiolls élcctol'alcs. S'il (;tait pos-
sibIe en effot do fairo votor la totalité d'un pouple, par
scrutin de liste, sur la totalité de sos répl'ésentants, l'inté-
ret, supérieur en nombre, chez cos peupIcs-Hl, serait
seul représenté, a l'exclusioll de tous les autros ; en France,
ce serait l'agricultllro; en Angloterre; l'industrie; on
Hollande, le commerce, et, dans le seill de ceUe catégo-
rie privilégiée, l'opinioll poiitiquo, supérieure en nom·
bre, serait seule repl'ésentée, ¡t l'exclusion do toutos les
opinions en minorité. CL' sOl'ait la plus dure et la plus
irrémédiabIo des tyrannies. Ce ~erait la plus absurdc;
cal' de toutes les minorités, la plus cCl'tainClJlent exclue,
ceHe qui le serait toujours, et partoul, ee serait l'élite


I Art. 6S. Art. adJ., arto 3k.
! Éturll'S .~lil' les constifutions d '$ Jlw)Jles lib1'l's. l. 1, 1'. 8:).




UES AImOXOISSL'lEY1';:-; 15')


meme de chaque pays ; ce serait le pctit nombre d'hom-
mes assez éelairés poue etre impartiaux., pour tenir compte
de tous les intél'cts, de toutes les onininns, et pour n'en
épouser avcuglément aucune au détriment de toutes les
autres.


Rien n'est done plus important, sous le l'égime uni-
forme du suffrage univel'sel, que la nmltiplicité el la dí-
versité numérique des circonscriptions élcctorales; plus
le nombre de ces circonscl'iptions est grand, plus les mi-
norités OIlt de chances, plus elles sont numériquement
inégalcs, 1¡llIS il y a d'espércl' que les plus petites minori-
tés ne seront pas tou t ü t'aíl ex.clucs.


Le nombre des eirconscriptions électorales, dans un
grand pays, a nécessail'cment, ponr extreme limite, le
llombre meme ues représentants a élire; et eelui-ei a,
non moins néeessail'ement, pour extreme limite, le main-
ticn du bon ol'dl'e· dans l'Assemblée que ces représcn-
tants doiyent former. Or, l'exllériencc ayant clémontré
dcpuis longtemps, el démonlrant chaquc jou!', depuis
la révolution (le février, qU'llne Assembléc délibérante ne
peut guere comptl't' plus de qllatl'e :. cinc¡ cents mem-
hl'cs, sans (lue ses discussions ne deviennent confuscs,
violentes, tUl11ullueuses, dallE!', en Fr:mce , de qnatrc ü
cinq cents cil'eonscriplions électol'ales, ce sct'ait, tout en-
~I'mhlc, satisfairr, et :1 ce pl'incipe d'équité qui veut que




160 VGES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE L\ FHANCE


toutes les minorités soient propol'tionnellement représen-
tées, et a ce principe de bOIl sens qui veut que les élec-
teurs, en général, ne soient appelés a voter que sur un
seul député, OU, tout au plus, sur dcux, sous peine de
ne savoíe ce qu'ils font.


La division de la France en arrondissements commu-
nallx. remplirait naturcllement ce double but.


n existe dans notre pays trois cent cinqnante-hllil ar-
rondissements dont plusieurs ont pour chef-líeu de tres
grandes villes. En attribuant ü chaque arrondissement un
réprésentant, en distl'ibuant entre les tres-grandes villes
cinquante ou soixante siéges a la chambre élective, sauf
il partager ces villes en plusieurs circonscriptions ou
quartiers électoraux, on aurait une chambre des repré-
sentants de plus de quatre tents membres, dalls le sein
de laquelle lous les intérets vraimcnt distincts, toutes les
minol'ités grandes ou pctites seraient, selon touté appa-
rence, proportionnellcment rel1l'ésentés.


II est évident, en effet, que l'intéret agrícole prédomi-
nerait dans tous les arl'ondissements qui n'auraient pour
chef-lieu qu'nne petite ville dll troisieme ou du quatrieme
ordre, la population rurale l'emportant considérablcment,
en pareils cas, sur la population urbaine ; que l'intéret in-
dustt'iell'empOl'terait dans tuus les arrondissements qui
auraient pour chef-líeu une "i!le un peu considérable, une




DES ARRONDISSE~IENTS Ha


ville sítuée au confInent de grands cours d'eau, a la pro xi-
mité des mines et des houilleres; que l'intérét commer-
cial enfin l'emporterait dans tous les arrondissements
maritimes.


Iln'est pas moins évident que, sous un tel régime élee-
toral, la part qui serait faite a la diversité des intéréts -
des intérets généraux, légitimes, durables - n' excluerait
en fien la part qui serait faite a la diversité des opinions-
des opinions générales, légitimes, durables. - Les élec-
tions des grandes villes, essentiellement démocratiques,
appartiendl'aicnt naturellement aux opinions vives, ar-
dentes, décidées; ct:lIes des arrondissements I'Ul'aux
appartiendraient non moins naturellement aux opinions
paisibles, régulieres, circonspecles; le mél'ite éclatant
l'emporterait la palme sur les grands théatres;le mérite
noureau, modeste, a peine connu, se ferait jour a la faveur
des influeuces qui s'exercent dans les localités restreintes.


C'est, dit-on, pour détruire ce qu'il y a d'étroit, de
subalterne, dan s les choix qui résultent des intluences
pUl'ement locales, que l'on attaque les élections par ar-
l'ondissement; c"est afin que les voix se portent sur des
noms connlls qu'on réclame l'élection par département.


Connus! Connus de qui?
Des électeurs en général, des masses ? Mais a l'excep-


tion des quelques noms vraiment illustl'cS que peut pré-




t6':! VUES SUR LE GOUVERNE'IENT DE LA FRANCE


senter, achaque époque, chaque pays, les électeurs, sous
le régime du suffrage universel, ne connaissent que les
hommes qui vivent avec eux dansdes rapports habituels,
dans un échange constant de eommunications et de bons
offiees.


Connus du public qui lit le journal, des politiques de
café, des publicistes d'estamiuet? l\Iais le principal, si ce
n'est l'uniquc mérite du suffrage uniyersel, c'est précisé-
ment de réduire, de neutraliser l'importance de ces pel'-
sonnages qui sont également dépolll'vus et de lumieres
véritables, et du bon sens qui en tient lieu dans une
certaille mesure.


L'élection. par département, I'éledion de six, huit, dlx
députés au scrutin de liste n' est, aillsi que nous l'avons
expliqué plus haut, qu'une pure jonglerie; qn'ull procéclt~
subreptiee et perfide; qu'un moyen de faire passrl', a la
favenr d'nn nom - d'un senl nom connn des électeurs,
cinq, six, lmit noms d'hommes que les électeurs ne COll-
naissent pas, et qu'ils n'élil'aicnt pas s'ils les connais-
~aient; d'ouvrir, en un mot, racees tlu corps législatif aux
coryphées du jOllrnalisrne, aux rl'putations de coterie, il
ces ido les d'une popnlarité factice ft éphémcl'e, que le
jonr éleve et que le lendemain rellverse sur le sable mon-
vant de la (~apitale ..


L'élection par quartier dan s les grandes villes, dans les




DES ARRO:\DISSEMEl'T~ i63


grands centres de population, l'élection par arrondisse-
ment dan s les campagnes, l'élection directe, unique, ex-
clusive, est la seule qui soit sincere, la seule dans laquelle
le choix des électeul's s'exerce a bon eseümt, la seuIe dans
laquelle l'élu soit le représentant réel d'une vraie majo-
rité, d'une majorité victorieuse a l'issue d'une lutle Ioyale
et de bon aloi, pourvll toutefois que le procédé électoral,
que le mode institué et pratiqué soit lui-meme loyal, in-
telligent eL sérieux.


Confol'llIément aux principes exposés ci-dessus, dans
llotre prcmier c1wpitre, quime jours avan! l'élection, un
comité électol'al préparatoire serait formé; ce comité se-
l'ait composé :


10 Des juges inamovibles du tribunal civil;
'20 Des juges électifs du tribunal de commercc;
:jO Des memhres électifs du cOllseil général résiJant


da ns l' arrondissement;
4° De deux maires par canton, désignés par les assel1l-


blées cantonales.
Il dressel'ait la liste des prétcndants, recevrait leurs circu-


laires, les feraiL [JubIier, entendrait, au besoin, leurs dé-
clarations, lcurs explications, et présenterait enfin, pOUI'
chaquc yacancc, cinC! camlidats, au choix des électems,
sans exclme, néanmoins, ccux des prétendants qu'il ne
présenterait pas; la liste scrait purement indieatiyc.




164 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


L'élection aurait lieu dan s chaque COll1mune.
Le dépouillement des voix serait immédiat, public et


sur place.
Leur recensement serait fait au chef-lieu de l'arrondis-


sement par le comité préparatoire.
Aucune condition de domicile ne sCl'ait exigée du re-


présentant. Le cours naturel des choses, assurant, dix-
neuf fois sur vingt, la préférence Ü l'holl1111C de 1'31'-
rondissement, on pourrait, sans inconvénicllts, laisser
a ce sujet, pleine eL entiere liLCl'té, el 5' il en r(>-
suItait, pou!' les td~s-petils arrolldissements) pour les
colléges électoraux tres-pell nombreux, la nécessité de
choisir souvent en dehors de leur propre scin, ce se-
raient autant de portes ouvertes aux talcnts llouvcaux,
au mérile puremcnt personncl; de tels arrondissements
deviendraient, non les bourgs pourris de l'Angletcl'l'c,
puisqu'il n'y aurait Hl ni senilité, ni COl'ruption, mais des
asiles ourerts au génie a son début, au:\. capacités dé-
pourvues de fortune eL de position sociale. Ne fút-ce que
par cette raison, il faudrait bien se g'anler de réunir deux
arrondissements administratifs en un seul arrondissemenl
électoral; ce serait d'ailleurs sacrificr Dl'lltalement ~I la
puissance brutale du nombre, vél'itable danger, sous le
régime du sutfrag'e universel; il est trop heureux au con-
traire de trouver une occasion d'y résister ave e éclat, sur




~ES ARRONDISSEME~TS 1{i5


SOll propre terrain. L'al'rondissement, tel qu'il vient d'e-
t1'e décrit dans ce chapitre, tet qu'il existe, en Franee,
des aujourd'lmi, te1 tlU'il sera, s'il plait a Dieu, de plus
en plus chaque jou\', rarrondissement n'est pas une
simple eirconscription territoriale, l'arrondissement n'est
pas une simple collection d'individus juxta-posés dans un
rayon déterminé ; e'est un etre animé qui a non-seule-
ment son ol'gaIÜSaüon, mais son organisme; qui a sa
yie pt'opre, son existence pel'sonnelle; 01', a ce titre,
tout al'fomlissement gTalld ou petit en vaut un autl'e;
Le n'est pas sur la grandeu!' de la taille ou sur la force
des poings que s'apprécie la différenee morale entre un
homme et un autl'e hornme, et l'arrondissemenL est une
personne morale.


Auwne condition de cens ne serait, non plus, exigée
d lt représelltant; mais, en l'evanche, ses fonctions se-
raient g1'atuites ; et de plus il ne serait admis, durant le
COUl'S de sa rnission, a occupel' au.cun emploi salarié, sauf
toulefois ces postes d' ol'dl'e supél'ieur qui conferent un
siége dan s le cabinet et une part active a la responsa-
lJilité du gouvernement. Le but d'une semblable disposi-
Hon serait, sans doute, d'assurer l'indépenctance des
représentants; mais ce sel'ait aussi eL surtout de préparer,
par l'indépcndance meme des l'eprésentants, la formation
des partís l'éels et des majorités y¡;ritables. Quand les


Hi




166 VlIES SrH LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


membres d'une assemblée délibél'ante sont exempts
d'intéret personnel, quand ils sont par leur fortune, par
leur position sociale, par leurs habitudes, au-dessus
d'une ambition médiocre et de bas aloi, ils s'associent dans
des vues d'utilité générale; ils se rapprochellt en raison
de la conformité de principes et de sentill1ents; ces liens-
la sont solides et durables; et quand un pal'ti a1nsi formé
devient majorité, il impose au gouvernell1ent ses propres
chefs: illes établit au pouvoir, les y ll1aintient, et les y
défend. A ces conditions, la marche dn gouvernemellt
est ferme, résolue, persévél'ante; a ces conditions, les loís
obtiennellt le respect des peuples; elles exercent sur les
esprits un ascendant véritable; a ces conditions, les ma-
jorités durent, les changements de ministeres sont rares;
pour qu'une majorité tombe en minorité, il faut qu'un
changement réel, sérieux se soit opéré dans l'opinion pu-
blique; et, mell1e en ce cas, la minorité nouvelle con-
serve assez de force et de consistance, pour garder en
partie, son terrain, et pour protéger, plus ou moins, son
ouvl'age.


Quand au contr'aire une Assemblée délibérante compte
dans son sein un trcs-grand nombre de magistrats, de
fonctionnaires publics d' ordre inférieul', e' est-a-dire un
tres-grand nombre d'hommes qui profitent de l'influence
qui lenr est conférée par l'emploi qu'ils occupent ponr




DES AIUW="DISSEME=" ¡'S 161


entrer dans ectte Assemblée, el qui pl'ofitent ensuite de
l'imporlance qu 'ils acquierent par lil pour obtenir ou de
nouveuux emploi:i, ou de l'avancement dans leur carriere,
ce ne sont plus les majorités qui forment les minisleres,
ce sont les D1inisteres qui formellt les majorités.


Ces mujorités faites ~l la main, fondées uniquement, ou a
peu pres, sur des intérets personnels, sont fragiles comme
ces espérances el mobiles comme ces intérets. Tout
ministre quel qu'il soit ell dispose lant qu'il pcut les
salisfaire; des qll'il u'y sufl1t plus, il succombe sous la
coalition des intérets mécontents, des espérances dé.;ues,
et son successeur trom'e, en al'l'iyant, les memes hommes
prets 11 s'engager, aux memes conditions, dans des voies
nouvelles, l'l bnllel' ce qu'ils ont alZoré, ('¿ adorer ce qu'ils
ont brulé. Les lois sont sans force et sans considération;
les administrations éphémeres et chancelantes; tout
I:mguit, tout dépéril; il n'y a, dans le gouvernement, ni
stabilité, ni progres, deux choses qui s'impliquent mu-
tuellement el qui ne vont pas l'une san s l'antre.


La crainte de rencontrer dans un corps de représen-
tants indépendants par position et par caractere, de
représentants assez riches ponr habiter a leurs frais la
capital e pendant plusieul's mois de l'année, et pour donner
tout leur temps aux affaires publiques sans intéret per-
sonnel,sans émolnments d' aucune espece, des résistances




16R VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


fondées ou sur des intérets de localité ou sur des préju~és
re9us, cette crainte, dis-je, ne doit etre comptée pour ríen.
Quand ces intérets de localité existent, quand ces préju-
gés sont répandus dans la société, il n'y a que deux moyens
d'en triompher, la force et la persuasion. La force, 011 n'y
doit recourir, dans un pays libre, que ele loin en 10il1, ~l
la derniere extrémité. La persuasion, comment l'obtenÍl',
sinon en rencontrant, sur le terrain d'ulle discussion libre
et raisonnable, les défenseurs désintéressés de ces abus,
de ces idées étroítes et surannées, et, lorsqu'on est par-
venu a les détromper, eH employant lenr jnflnence non
suspecte sur le reste de la population. Que si ron n'y peut
l'éussir, iI faut savoir attendre, il faut savoir patienter,
temporiser, persévérel', revenir;\ la charge; il faut savoir
respecter les sentiments conservateurs, lors meme qu'ils
ont tort. Ce n'est qu'a ce prix qu'on peut bien {aire le
bien; or, iI ne faut jamais l'oublier, le bien mal {aít, ]e
bien manqué, le bien tenté maladroitement, mal a propos,
témérairement, le bien ü la fa<;on de Joseph II ou de
Pie [X, e'est, en politique, la pire ehose qui se puisse ima-
glllel' .




CHAPITRE IV


nES O~JPARTEMENTS


Dans le péllitellcit~r de Pentonville, ~ quelques lieues de
Londres, les prisonlliers perdent, en entrant, leur nom de
hapteme et leur nom de famille; ils ne sont plus désignés
que par Uft numéro d'or<lre. VetllS d'un meme uniforme,
'isolés dan s leurs cellules, eoiffés d'UIl bonnet qui se ranat
sur lcul's visages des qu'ils sortent, n'échangeant entre
eux aucune parole, ils passent des allnées les uns pre.s
des autres, sans se connaltre ou se l'econnaitre, ignorés
du monde, étrangers it toutes dIoses, IlOrmis leurs occupa-
tions presentes, n'ayant en vue qlle les chances de l'ave-
nir. Le but de l'institution e'est d'effacer, autant que pos-
sible, leur vie passée, leurs antócédents, ele la mémoire des
hommes et de la Iell1', de rompre, stlns l'elüur, leurs ha-
bitudes, de les prépal'er h une exisLence nouvelle.




170 VUES SUR LE GOUYERNEMENT DE L.\. FRANCE


e'est, ü peu pres, ce qu'a voulu faire) e'est ce qu'a fait
l'Assemblée r,onstituante, en abolissant ]usqu'au nom des
provinces dont l'assoeiation suceessive, ~ des conditions
différentes, avait formé notre ancienne monarehie -- en
Ilécoupant symétriquement notre territoire 'par comparti-
ments réguliers; en donnant a chacun de ees eomparti-
ments un nom topographique, - en rompant, autant que
possible, entre les habitants, tous les liens qni naissent
de la filiation, des mceurs, des dLlleetes. Effacer tous les
souvenirs du passé; dévouer l'aneien régime Il l'oubli, ou
pIutot a l'animaclversion; faire de la 'lalion fran~aise un
peuple d'administrés, rangés, cote ü cote, sous le niveau
d'une administration uniforme; préparer ainsi la forma-
tion d'une démoeratie ill'émédiahle 011, si ron veut irré-
vocable, tel est le but qu'on s'est proposé en 1789, el ce
hut, il faut en convenir, on l'a facilement et compléte--
meot atteint.


Le mal est fait, si e' eu est un.
POllr l'antiquaire Oll le voyageur, pOUl' le moraliste ou


le poete comique, il ex.iste encore, en France, des No/'-
mands et des Bretons, des Gascons et des Lilllollsins;
pOllr le législateur OL! l'hornme el' État, iI n'existe que des
groupes d'indiyidllS OH de famille,-" distrilmés en sections,
soumlS aux memes Iois, sujets aux memcs charges, régis
Val' des autorités pareilles.




DES D~PARTEMENTS 171


Bien qll'un tel ordr~ de eh oses ne date que de
soixante et quelques années, la plupart des Franc;ais
s'imaginent volontiers qu'il a toujours existé, et ne eom-
prendraient guere qu'il en put etre autrement.


Faisons ici comme eux, oublions comme eux, non-
sculement l'ancien régime qui n'a rien au fond de tres-
regrettable, mais ce que mainLient de liberté légitime et de
résistanee tutélaire, un peu de diversité dans l'économie
intérieure des l~tats. Exploitons, de notre mieux, la ré-
~ularité, l'llniformité, la symétrie, fussent-elles tant soit
pen artifirieIles et p0dantesques.


Le département, en France, c'est l'État en miniafure.
A sa tete figure, sous le nom de préfet, un magistrat,


président de eeUe petite république, ou si 1'0n veut pre-
miel' ministre de eeUe petite monarchie.


Autour de luí et sous sa direction, a eertains égards
du moins et dans une certaine mesure, sont groupés les
ehefs de service des administrations civiles et financieres,
militaires et maritimes;


- Ponts et chaussées, mines, instruction primaire et
secondaire, hospiees, établissements de bienfaisance;


- Contributions directes et indirectes, enregistrement,
postes, foréts;


- Garde nationale, gendal'mcric, intendance et sous-
in tendance, reerutement, remon te;




172 YUES SUR LE GOUVE1\~EMENT DE LA. FRANCE


Inseription maritime, ete.
Les chefs' de service demeurant, toutefois, sous les


ordrcs directs de leurs ministres respectifs, l'ascendant
que le préfet exeree, sur eux, est, comme eelui d'un pre-
mier ministre, plntót moral que pratique, et, s'il provient
de sa position, dépend, plus Oll mOins, de son cal'actere.


Sous le nom de conseil de préfeetnre, le prMet a, pre~
de lui, un petit conseil d'État, qui }'assiste dans la déci-
sion des questions épineuses Ol1 cnntentieuses.


Sous le nom de conseil généf3l, ii a, pres de lui un pe-
tit Corps Iégislatif, qui regle, dans sa session annuellc,
les intéréts du département.


En général, et sauf cxeeption, chaque département I
forme un diocese.


Il ne forme point une cireonscription judiciaire distincte
néanmoins ; le tribunal de premiere instance du chef-lien
prononce, en appel, sur les jugements rendus en police
correctionnelIe 2 par les tribunaux de premierc instante
des autres arrondissements.


Il ne forme plus aujourd'hui Hile circonseription poli-
tique.


Personne ne s'aviserait, en Franee, aujourcl'hui, de de-
mander s'j} convicnt de conserve!' les préfets, s'il ne


i 83 Jépartemenls, 66 dioceses.
2 Supprimé en 1856.




DES D~PARTEMENTS 17.3


vaurlrait pas mieux en revenir aux administr3tions élec-
tives el collectives de 179J et de l'an 111.


Ces administrations, composées en 1791 t, d'un direc-
toire et d'un procureur syndic; en l'an IlI, de cinq mem-
bres et d'un commissaire du gouyernement 2, ont laissé
it eeux qui les ont vues a l'reuvre des souvenirs déplora-
bIes, souvenirs qui sont sans doute entrés pour queIque
chose dans le hon accueil qu'a re~u, en l'an VIII, l'instilu-
tion des préfectures.


Ainsi vont les choses de te monde.
Le souvcnir des intendants de justice, de police et de.


Hnances, établis sous Louis XIII par le cardinal de Ri-
chelieu, avait fait le succes des administra tions provincia-
les de M. Turgot et de M. Necker.


Soyons juste toutefois.
L'ínstitution des préfectul'cs, muvre du Consulat, dan s


son meilleul' lcmps, est sage et bien concue.
Le préfct e'est avant tout le gouvernement au petit


pied, e'est le dépositaire responsable (Iu pouyoir exécutif
dans toute l'étenuue du département; e'est, en ce qui le
concerne, les droiis et les intérets généraux de l'État, la
VOIX ({ui commaude, l'mil quí surveille, et le bras qui
agit.


t Décl'et Llu ~::! JeccmJJl'C l7H9, sallctiU1Hlé en jauvier 1790.
!i COllstitution de l'an JlI, art. 1í7 et 191.




174 VUES SUR LE GOlJVERNEMENT DE LA FRANCE


11 est quasi-Iégislateur au second degré.
De meme que le gouvernemenl, proprement dit, as-


sure, ou, pour parler le jargon recu, procure l'exécution
des lois, par des décrets, ordonnance,; ou rcglements, le
préfet procure l'exécution des décrets, ordonnances ou re-
glements, par des arretés qu'il concerte au beso in pro
parte quá avec les divers chefs ele service.


n est également quasi-législ:Iteur, au second elegré, en
ce sens que les réclamations qui s'élevent tant contre ses
propres arretés que contre les décrets, orelonnances ou
reglements qui leur servent de fonelement, sont portées
elevant lui, ele meme que les réclama tions contrc les lois
elles-memes sont portées, par voie ele pétition, elevant le
Corps législatif.


Il prononce lui-meme SUl' ces réclalllations, en conseil
de préfecture, et sans appel au conseil d'État.


C'est ce recours contre l'application des lois, elans ce
qu'elle a ele discrétionnaire et de variable, e'est ce recours
des intérets froissés ou méconnus, sans que les droits
soient lésés ou compromis, qui constitue ce qu'on nomme,
en France, le contentieux administratif.


Ilestenfin ministreau second degré,ministre en ce qui con-
cerne les intérets partieuliers du département et des com-
munes, en ce sens qu'il prépare les travallx dll conseil gé-
néral et lui soumet les pro~)ositions sur lesquelles ce




DES D~PARTEMENTS 175


conseil est appelé a statuer, et qu'il surveille OH dirige la
gestion des mail'es.


La force armée est sous ses 01'<1:'C'<::, 0:lI1S les limites de
la loi.


Tout cecí est bon et sage; on n'y voit rien a reprendre,
sinon pellt-etre qu'il serait a pro pos d' étendre un peu et
de restreindre beaucoup la compétence du conseil de pré-
fecture, de multiplier les cas ou le préfet, en restant libre
dans ses décisioIlS, est néanmoins obligé de consulter le
eonseil et de s'éclairer, en reclleillant l'avis qui lui est
offert, et de renoncer pl'Ogressivement aux empiétements
tlu contentieux administratif sur la juridiction des tribu-
naux. Nous ne pouyons, il cet égal'd, que renvoyer a l'ar-
ticle sur la juridiction administralive inséré dans la Re-
vue rran~aise, tome III n° 6.


lUais en dépit de ces défectuosités auxq ueUes il serait aisé
de porte!' rClU()Ue, combien un tel ol'dl'e de ehoses ne sem-
ble-t-il pas pl'éférahle a celui qui pl'évaut en Angle-
terre '!


LIt, tout l'ensemble des fonctions qui vient d'etre indi-
(lué se pal'tage entre trois ordl'es de fonctionnaires.


Le shél'iff;
Le lord-lieutenant;
Et le corps des juges de paix.




17G "VES sun LE GOUVER:\ElHENT DE LA FHANCE


Le shériff est le premier du comté l.
Il est choisi annuellement sur une liste de trois per-


sonnages considérables formée par les juges dans leur::!
lournées trimestrielles.


Il ne peut refuser cet officc dispendicux 2, il ne peut
etre contraint a l'exerccl' plus d'une fois en quatre années.


PIacé légalement !tia tete ct'uIle tres-petite juridiction
qui n' existe gueres que de nom et sur le papier, le shériff
a pour vraie fonction le mainlien de l' ordre éxtéI'ieur,
l'exécution des lois et des décisions <le la justice; a ce ti-
tre il dispose de la force publique dans tOllte l'étendue
du comté; il veille également au maintien des droits ré-
gllliers et a la conservation des propriétés de la couronne.


Le lord-lieutenant est d'ordinaire un pair \ OU. ctu
moins, un grand personnage du comté. 11 est choisi par
la couronne, et ré\'ocable il volonté; son ofOee réel el di-
rcct Gst le eommandement de la milice:;; m3is, par une
sorte de courtoisie dégénér¿e en obligaLion, il est toujours
consulté sur la formation du corps des jugcs de paix. a
quí tombent en partage, comme nOllS l'avolls expliqué


i Bo\yyer, p. 3i6-3ii.
2 Bowyer, p. 377.
¡¡ Bowyer, p. 379 ..
4 Bowyer, p. 487 a Mm.
5 Bowyer, p. 4!)O; voy.: Bolf' al! eJ¡, 1 du présenl uUHage,




DES DÉPARTE~IE~TS 177


aillellrs1 , toute I'administration proprement dite, pele-
lUCIe avec toute la police et la partie active de la justice
correctionnelle.


Une telle confusion, qui ne vaut ríen nulle part, ne
serait pas supportée en Fran(~c ; on n'y trouverait, d'ail-
leurs, ni shérjffs, ni lords-lieutenants, ni juges de paix;
OIl n'y trouverait persnnne qui füt disposé a donner gl'a-
tnitement, pendant toutc l'année, son temps et sa peine,
moins encore it dépenser splendidemcnt sa propl'e fortune
pou!' le sen"ice publico Mais tout en maintenant bon gré
mal gré, la distinction, I'aisonnable pcut-etre, indestruc-
tible á coup s(¡r, entre les admillistrateul's de pl'of'essioll
el les admillistrés de cOlldition, entre les tuteurs et les
lJUpilles, c'est une grande question de savolr s'iI convient
ou ne convient pas d'appliquer, :1 ce degré de réchelle
atlministl'ative, le príncipe de la localisation des fonctions
publiques, de choisír excIusivemellt les préfets, les con-
~eillers de préfecture et les principaux chefs de service
dans l' enceinte de chaq ue département.


QU'a la rigueul', cela soit possible2 - qu'on le puisse,
aux conditions précédemment indiquées - qu'on le puisse
avec les memes avantages et sans plus d'inconvénients,


i Y. ch. Il dll pré~ent oU\'l'age.
!! Ch. n.




'17R VUES SUR LE GOUVERl"EMENT DE L.\ FRANCE


nOlls n'en faisons aucun doute t • L'administration étant
ce qu'elle est, en France, une machine qui va d'elle-
meme, bien ou mal, pIutot bien que mal, jamais tres-bien
ni le contraire, une bureaucratie omnipotente, réguliere
et routiniere, il y a vingt a parier, dans chaque occasion,
pou!' un systemc d'avancement fixe el modeste, dans un
cercle connu et limité, contl'C une enticre liberté de choix
livrée a tous les vents de la sollicitatioo, de I'intrigue et
de la fayeur. Toutefois, comme il ne faut rien pOllsser it
¡'extreme, commc il faut se t,ardel' surtont de trop heur-
ter de front des préjugés accrédités, on pourrait peut-etre
tendre au meme bul a l'aide de combinaisons moins di-
reetes, mieux ménagées, et plus fécondes en bons résul-
tals.


Les départements, pris d'ensemble, sont divisés :
D'une part, en trois classes, seloB leur étendue, lem


population, leur richesse, en un mot, lcur importan ce re-
lative;


D'une autre part, en groupes distincts qui correspon-
dent aux principales branchos de la haute administl'ation
- ressorts de cours d'appel - divisions militaires -
préfectures maritimes - rectorats académiques, etc., elL.


Sous le premier point de vue, 00 tienL en général, que


! Ch. IlI.




DES D~PARIEME~TS 179


les pf'éfets et les divers chefs de service doivent s'élever
graduellement de classe en classe, en débutant par la der-
niere; mais c'est un principe plutot qu'une regle, prin-
cipe habituelIement éludé, et qui ne sert gueres qu'a tem-
pél'er ou a payer d'une excuse plausible l'importunité des
solliciteurs.


Sous l'autl'e point de vue, él1 assignant Ü chaque br:m-
che de l'administl'ation supérieure, un groupe de dépar-
tements distinct, on découpe notre territoire en cerctes qui
s'entre-croisent sans Jvantage réeI, sans but apparent,
peut-etre uniquement pour suine, jusqu'au llOut, les e1'-
rements de 1791, pour l'éduire de plus en plus la Frallce
en etre abstrait, presque en etre de raison, dont les disjecti
membra ne tiennent ensemble qU'~l l'aide d'une table des
matieres ou d'un ordre de numéros.


Il vJudrait infiniment mieux, ce nous semble, réunir,
une fois poul' toutes, en groupes distincts, les divers dé-
partemellts qui composaient autrefois le territoire de cha-
eune de nos anciennes proYinces - il s'entend de ces
provinces dont le Hom est historique, dont les souvenirs
se mailltiennent encore, a certain de~ré, dans le caractere,
les mreurs, l'esprit des habitants - on placerait dans la
ville principale de chaque pl'Ovince, le siége de la cour
d'appel, de la division militaire, de l'académie, etc. etc.
- On divisel'ait en trois elasses les départements com-




J80 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


pris dans le ressort de ehaque provincc-Ie principe de la
localisation des fonctions publiques pourrait etre appliqué,
san s risque apparent ni réeJ, sans effaroucher la timidité
<le personne, dans les <lépartements de troisieme classe,
c'est-a-dire, dan s les rnoins impo1'lants, c'est-a-dire en-
core dans les plus nornl)l'eux. - Les pl'éfels, les chefs <le
se1'vice pourraienL, apres quatre années de stage cffectif,
passer des dépa1'tements de lroisieme urdre, dan s les
départements de second o1'd1'e, el de ceux-ci apres qualre
années de stage cifectif dan s les départements de pre-
miel' ord1'c. Ce seraient des IlOmmes <l'élite, des admi-
nistrateurs éprouvés, iIs deviendl'aicnl les hOl11tl1cs de leut'
province,apres aroit' été les 1l0ll1111eS de 1eur départcmcul.


e'est ainsi, qu'en ouvrant, dan s chaque localitl~, une
carriere honorable au mérite local, en assurallt aux
hommes íntegres, appliqués, laborieux. nn avancement
réguIier, sous les yeux, sous le controle de leUl's cOllci-
toyens, en dégageaut le gouverncment central d'une obli-
gation doublement clangercusc, l'obligalion d'accueillir ou
d'éconduire la multitude indéfinic des prétendants de 11a-
sard, des protégés de cour OL! de chamD1'es, 0/1 interrom-
prait l'émigration continue des localités re1's la capitale,
et la multiplication sans mesure des aspirants fonction-
naires, race égaIement féconde en séides et en mécon-
tents, en instruments doeiles on lll'aillards dc la t~Tan·




DES D~PARTEYENTS 1-;7


nie ou de l'anarchic, véritable fléau de l' ordre de choses
actuel, présent le plus funeste que puisse fJil'e aux peu-
pIes comme aux rois le fl;gime de l'égalité bureaucrati-
que.


C' est ainsi surtoll t qu'en forma nt ou plutót en laissant
se reformcl' naturellement p:mni nous de grandes asso-
ciations mi-partie ofllcielles el volontaires, des as socia-
tions fondées principaJement sur des données morales, sur
la cOI1l11mnauté des traditions, des hahitudes, des dialec-
tes, sur l'identité des pOSitiOlls et des intérets, sur la COIl-
[io'lIlté dcs tClTitoü't's 011 arrircrait sans porter atteiute ~ , ,
a l'indépendancc respcctirc des départemcnts, sans les
soustl'aire il l'aLtion di recte de l'autorité centrale, a ré-
duire quelllLle peu la prépondél'ance illimitée de París, il
rompre ce tete-a-tete écrasant, dans chaque occasion,
elltre (oüt l'ensemlJIt: des lJouvoirs lJubIles, el le pauvre
individu tapi dans son i50lement, a tempérer 1'omnipo-
ten ce qui résultc de cette Iutte inégale et sans espoir, om-
nipotence hydropique, si l'on ose ainsi parlel', et que l'é-
meute transmct, au besoin, avee le télégraphc, des mains
d'un areuwriel' dans celles d'un autrc.


Ce SOllt au reste El des id(;es que nous rctl'ouverons
bientót el plus d'une fois.


ecvenons aux dépal'lements.
Chacun d'cux a son conseiI général qui siége régulie-


17




lR2 YCES SUR LE GOUVERNE~IE~T DE L.\ FRANCE


rement unc fois l'an, pendant qllil1Zc jours au plus et plus
sou'-ent, s'il ya lieu.


Chaque conseil général cst composé d'un membrc par
cantono .


L'élection se fait au dH'f-lic:1 de cantono Tous les élcc-
teurs y concourent.


Rien il changc1' a cela.
~!émc ~ous le régime dn sllffrage ulliversel, en génél'al


les choix 30nt bons;¡ ce dcgré; chaqu8 élcctcur sait ce
qn'íl ÜÜI; ~on i::t!;ret l'éclaire et le contíent; le poste d'ail-
leUi's n'est p:;int assc'l, ~qeYé poue devenir l'occasion de
Drigucs, de COl'l'up:iol1. de ill:Uln'tl\Tes l;td¡ellscs ou cou-
pahles.


Les conseils généraux sont renou\'(~ll\s par tiel's, de
tr01s ans en t1'ois ans.


Lt urs s(Í;ll1Ct'S, eL \'umes puhliques, sous le régime ré-
pulllicain, SOllt redeYCnllCS secretes, sons l'Empire i, on
ne S~lit trop pomqlloi, c~1l',l1leme en 18W, 1850 d 1851,
la publicité n'ayait proc1uiL que delJons effets.


L8m compétence est tres-bicn n'glée et s'étend a des
matieres trcs-divel'ses.


1 o Challl1e:mnt~e, il répaTtissententrelesarrondissements
le contingrnt al'férent it ch:lque département dans les qua-
tre contributions dircctcs;


I Décl'et du 7 juiHet 185:1, art. 5.




DES D1~PARTE~IE~TS 183


2° lIs répal'tisscllt, entre les di\'ers services publics, le
foneis destiné par la l{jgi~latUl'e 3 solder cette partie des
dépenses d'intércl général llui s'effectue dans l'enceinte
metlle de t:haque d(ípal'lemcnt;


3° lis yotcnt, dans la limite fixée par la légblature, des
ccntimes dits ('Ilcllltati('s, Jcstinés a solde1' des dépcuses
d'intéret départcl¡¡c:d;¡l Jont ils SOllt arbitres et régula-
teurs;


.{o Ils donncnt m~cessaircme[]t len)' aVIS sur tous les
objets d'int(~ret d(íp:ll'lCIl1CIltal ou local que lcs lois défe-
l'ClIt I1 ¡CUl' examCll, et ilOlammcnl sur la direction des
yoies de comlllllllkatioll de toute natu1'e, et sur lcur en-
tl'elien' . ,


0° lis donllcnt facuttaliyelllent leur aVIS sur tous les
olJjets d'intéret tlépartcll1ental Oll communal que le préfet
lui-mcme défere il leur examen.


Bien non plus ;¡ changer ;¡ cela.
L'illstitution marche bien; elle a tenu et au delil tout


ee que le législatcur s'en (ítait promis; on peut, ayec avan-
tag-e, multipliel' ses attributions, il titre de corps consul-
tatit, et déférer~ entrc autl'es, it son examen la plupart des
questions sur lcslluelles on a rendu réccmment la déci-
sion des pn;fcts sotlrcraincs, en les dispensant de l'auto-
risatiolÍ ou de l'ap11l'obation du gouyernement central. Il
esl bon de d¿centraliser, sans Joute, puisque ce mut a




184- VVES SUR LE GOUYERNE~IENT nE LA FRANCE


passé dans la langue des affaires; mais e' est il la condition
que le controle et l'examen n'y perdl'ont pas ce qu'y ~a­
gne la célérité.


Ce sont a peu pres la tous les services qu'on en peut
attendl'e, du moins quant il présent, d:ms l'ordl'e excÍusi-
vement administratif. Mais, les conseils génél'aux ayant le
Llouble avantage d'une origine tout ü fait popuJail'e, et
d'une composition jusqu'ici tout ü fait aristocl'atique, c1ans
le meilleur sens de ee mot, on en pOllfl'ait, ce semble,
tiJ'el' un grand partí sous d'autl'~s rappol'ts.


10 On pourrait leur ('oníler, SOtlS la dil'ection de l'allto-
rité supérieure, le soin de foudel' \,1 de surrcillcI' les éta-
blissements d'instruction seconclaire de toute nature et de
tout degré que para111'aient récbmel' la pDsition topogra-
phique et les intérets généraux OH sp(~ciaux de chaque
département.


La législature fixerait, si ron ose ainsi parler, un mini-
mum en fait d'établi..;semcnts de ce genre; par excmple,
un collége de p lcill exe~'ciee, par dépaJ'tcll1l'nt, et une école
industrielle; laissant achaque conscil général le droit d'en
étendre le nombre, Ol! d'cn cl'éer d'ol'dl'e illfél'ieUl', et de
régler l' emplacemcnt des uns et dc~~ alltrcs.


Elle tiendrait a la disposition de chaque cOl1seil général,
les fonds destinés. a faire face aux dépenses des établis-
sements nécessaires, et lui laisserait la faculté de voter




DES DÉPARTElHENTS 18'i


les fonds destinés a soutenir les établissements de son
choix.


La surveilIance ue ces établissements de toute nature et
de tout degré serait exercée par un corrüté a la nomina-
tion du conscil général, et dont fcraient nécessairement
partie, le préfct, l' éveque et le présidcnt du tribunal de
premiere instance. On conservel'ait ainsi, ou plutót on l'é-
tablirait ce qu'il y avait de vraimcllt lltile et efficace dans
la loi du 1D mars 18DO.


Ce comité notnlllet'aít directement tous lecí agents dll
sel'vice économiq [le dans les divel's établissements, et se-
rait consullé, par rautorité supél'ieure, sur le choix des
pl'ofesscurs.


Chaque trimestre, le conseil général serait convoqué,
mais avec faculté de dé¡ibórer au quarl de f,esmembres,
pour entendrc le rappo!'1 du comité de snrveillance et sta-
tuer ce que de deoit et de raison.


Les colléges communaux, restant, comme aujourd'huÍ,
des établissemcnts mi-partie privés et mnnicipaux, seraient
placés néanmoins sous la surveillance du comité dépar-
temen tal.


2° Ces réunions Irimestrielles de clJaque cOl1scil général,
rcpl'éscnlé pál' le quart an lllOins des membl'es qui le


'-.


composent~ co'lnciclant, pour pen qu'on le veuillt', ayer.
les réllnions trimestrielles des assises, on pourrait en pro-




186 YUES SUR LE GOUVERNE}IENT DE L\ FRANCE


titer pour supprimer, dans les COl1rs d'appel, les chambres
d'accusa tion,


Les chambres d'accusation ont succédé, dans le code
d'instruclion criminelle, aH jury d'accusation tel qu'il ét:lit
établi par la loí du 16 septembre 1791, et par le eode da
3 brumaire an IY.


C'était, san s doute, une imtitution, tres-cléfectucllse,
m~tis qu'il :mrait mieux valu abolir tout 11 fait quc clénatu-
rll1' jusqu'all point de porter unc atteinte morteHe ;1 la pro-
cédure par jurés,


Dans l'état présent des cho-:cs, en clfc'!, "instruction
étant suivie régnliC'rement pw un juge wl 7/0(" sU!' la l'é-
quisition du ministere public, iI intenient un premier ju-
gement de mise en préventioil, prononcé par le tribunal
de premiere instanc·!, sur la pl'océduee écritc, ;1 huís clos,
sans entendre !'inculpé; ¡lUis la procétiurc tout entii're est
portée devant la clnmbl'e (l'accusation, h la cour cl'appc¡,
et, la, il intc'rvient un second jugemcnL égalcment it ltllis-
clos, également sur pieces écritcs, el e' est sous le coup
de ce double jJr~jugé que l'accusé comp:ll'ait derant le
juey, et tiue la procéclure ol'ale commence.


Faut-iI s'étonner de ['al'üeul', de l'olJstination, de l'a-
charnemeut avec lequel chaque Im;sidL'llt dc\ COUl' cl'ass~­
ses, s'efforce de fail'e prévaluü': conlt'c les acellsés, le ju-
gement pl'éalable de ses cnnfrel'cs de la chambre




DES DÉP.\Ri'EME~TS 187
d'aCCllsatioll, ü chal'gc de l'cvallchc, qUJud, il tour de role,
n en [era luí-memo partie ?


Faut-i1 s'étonner qlle la procédure ora1e, ne soit guere
qu'une pale eontl'c-épl'emc de la pl'oc:ídui'e éCl'itc, dont
toutes les pieccs uu a !leu pl'es passent sous les yeux des
jurés, et une confrontation de témoins intimidés et mena-
cés de poursuíles s'ils \'al'ient clans lcurs dépositions?


Combien les ciloses se pas~ent diffél'emlllent en Anglc-
terre!


L'inslruction est clil'igée par uu simple jugo de paix,
leque! n'est lIi llOillme ele loi, ni ltIa~istl\lt de profession.
Point de minislere publico Le j ugc de paix iutei'foge pu-
bliquement les témoins, en présellcc de ['aceusé, qui peul
les eonll'edirc el se ddl~lld['c. 11 n'interroge pOiilt l'accusé;
l'instruction est brhe el somnLire; des qu'ellc est ter-
minée, si les cllal'gcs paraissc;lt sufllsanlcs, l'accusé est
ellvoyé en prison, OH admis it Cau¡ioll.


A l'in81ant oil s'ouHent les assiscs, Oil réunít un grand
jmy de 23 lllemlJl'eS CllOisis parmi les pl;l'sOllnages les
plus considél'ables du COldé; OH leS consulte, nO~l sur la
tul pabiliü~ de I'accust\ mais Sl!l' la Qllcstio;1 de sJyoir si
la poursuitc ne ~er;lil pas l ~ll1él\lil'e o.u li!.llicieusc, ce qui
pcuL fürt bicll al'rivcl' lit ,ir, le miiJistere public Il'C:\ÍS-
tant pas, c'est, eil prillcí¡:c gt~llé!'al, 1:1 partie lésée qui
poursuit. A cct cffet, Ol! bit clltcllllrc au gt'~md. jUl'y [es




188 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRA~CE


témoins a charge, a l'exclusion des témoins a décharge,
et, si la poursuile parait fondée, jusqn'a preuve eontraire,
le grand jury l'autorise, et la procédure orale commenee
devant le vérítable jury.


Nous n'entendons pas di re que ce mode dr procédure
soit irréprochable; a notre avis, il ne présente pas a la
soeiété des garanties sllffisante~~; l'intervention d'un mi-
nistere public, ehargé de la poursuite, est nécessaire; iI
est néeessaire que l'instruetion soit eonfiée a un magistrat
de profession; qu'au premier degré, elle soit secrete; que
l'inculpé soit constitué, par un intcrt'ogatoii'c régulier, en
demeure de se défendre, sans etre averti de ee qu 'il doit
faire ponr éehapper a la justiee; que, lorsqu'il y a divi-
sion entre les deux magistrats sur la mise en prévention,
ce soit le tribunal qlli les départage. 1\Iais, cela fait, et la
société ayant pris largement ses suretés, e'est 11 !'inculpé
qu'il faut penser; e'est lui qu'il faut garantir eontre la
rigueur insouciante des habitudes j uridiques.


Cette garantie, on la trouverait dans le con:::eil général,
composé de simples eitoyens, mais de citoyens écIairés,
éminenfs, considérés, en un mot, tout pareils h ceux dont
on compose le grand jury en Angletci't'c. Le jU2"c d'in-
struction leur soumettrait un rapport cxad de chaque
affaire en réclama'n l l' a utorisation de passer outr(~ au
jugement.




DES DÉPARTElHENTS 189


Le conseil général, apres llvoir entendu le rapport, el
demandé, en tant que de besoin, des éclaircissements
qu'on ne pourrait lui refuser, accorderait ou n'aceorde-
rait pas l'autorisation, a peu pres comme aujourd'hui le
conseil d'État aeeorde ou n'aceorde pas l'autorisatiQn de
poursuivre un fonetionnaíre publico


Son intervention, en prévenalH, de loin en loin, quel-
ques poursuites inconsidérées ou passionnées, n'exerce-
raít sur le jury, dans le cas ou l'autorisation serait ac-
cordée, alleune autorilé, aueune influence dangereuse.


Point de prévcntions - point d'arréts préalables rendus
a huís clos, par des COl'pS entiers de m:1gistrature. D'un
coté, le ministere publie, d'accord avec le juge d'instruc-
tion; de l'autre, l'inculpé; entre eux le débat oral, pré-
sidé par un juge, en qui l'esprit de corps ne prédominerait
point, et qui n'auraít point a faire pr~valoir le sentiment
ele ses collegues; par un juge supél'ieur en degré au juge
instructeur et, partant, inclifférent a l'issue de l'accusa-
tion.


JI suflit, d'ailleul's, de jeter les yeux sur la loi du
16 ~eptembre tí91, et sur le cocle elu 3 brumaire an IV,
pOIlI' s'assul'CI' que le modo de procédcr quo nous propo-
SODS. nc l'CSSCJlJblc en rjcn :w syslemc de 1','JlJcien jury
¡j'aeeusation, lcqucl était, en quelque sorte, un jury préa-
labIo, rcndant UI! vcrdict préalable, apl'es un déhat préa-




190 VCES SUR LE GOUVERSEJIEST DE LA FRANCE


lable ; chose, en vérité, la plus dl~pourvue de sens qui se
puisse imaginer.


Le moindre 3vantage de ce moJe de procéder, et il
ser3it gralld encore, serait de supprimer, d' un trait de
plume, cent trente-cinq conseillers de cour d'appel,


IIl. Mais le vrai, le grand, l'immensc service que les
conseils gélléraux pourraient rendre it la socíété tout en-
W~l'e serait de l'assister dans le labol'ieux el uécessairc
enfantement d'un sénat, d'une chambre haute, n'importe
le nom, d'un corps destiné a remplir, au sein du gouver-
nement central, l'offiee d'élément cOllscrvateur, ou, si ron
veut, modératcur.


Les hommes, disons mieux, les personllages naturelle-
Illent appelés a former un tel corps, il tempél'cl' l' esprit
d'entreprise, a régler les brusques mouvellleds de l'élé-
ment progressif, a lui faire efficaceml'nt contre-poicls, a
l'arreter court au besoin, ces perSO!lllages existent, dans
lOute société quelconque, smtout dan:-, toute société atl-
cicllne et monal'chiqlle; ils existent en France, ü pou
pres autant qu'ailleurs, et, si le gouvcl'llemell t, qud qu'il
soit, avait persoilllcllement bonI1e intcntion, s'il ayait,
vis-it-vis de la sociét¿, ses couJées frJnche~, illes tt'OU-
verait sans beallcoup oc diWcull0s,


Il existe en FI':fllce, il existe en granu nomhl'e des
familles dUllt l'illlL"tt'ation esl hislo]'iqUl', d,lll[ les PC)'CS




DES DÉPARTE~IENTS 191


aneiens ou nouvcallx ont arquis une gloire Iégitime, en
rendant a l'État de gl'al1'ls services, soít sous l'aneien
régime, soit s(·us la Républlque et le premier Empire, soit
sous le GOllvernCll1Cnt cOIlstitutionnel,' des familles dont
le nom est a jamais assoeh~ aux grands sOllvenirs de notre
pays.


Ces fami [les, en général, sont les plus riches de Franee;
la meilleure partie des grandes propriétés territoriales
leur appartipnt.


Rien de plus aisó que dc trouvcl' ];), en choisissant avec
discememcnt, le premie!' lloy:m d'une chambre haute.


II existo; en France, dans l'industl'ic, clans le commeree,
dans la haute banque, un gl'imd nO:llh!'e de gl'andes
foetunes, honorablemcnt acqlliscs, et qui n'aspirent plus
qll'a se eonsolidcr, il se perpétuer, a prendre rahg parmi
les sit/lations flitcs et les sommités sociales. Les posscs-
sems de ces fOI'tune:;, les occllpants de ces sitl1alions, ;1
mesllrc qu'ils passcnt de l'aetivité au repos, dn h,lsard
des entrepri-;es a la sécurilé d'une existen ce rllrale, litté-
raiee ou simplement philantl'opique, offrll'aienl continuel-
lemenl des reCI'í1eS au prclllier nO~'au qu'OI1 vient d'indi-
quei'.


Il existe, en Fi'aIll~e, enfill, dans l'at'mée de tcrrc el de
mel', dalls la mai2,istl'alurC et dalls l'admillistration, des
hOll1mcs, en gralHl n()\llllre, qui sont parvenu~ all premj(:r




192 "UES SUR LE GOUVERNEMENT DE L.\ FRANCE:


rang par leurs travaux, par leurs services, par leurs belles
actions, qui ne peuvent plus s'élever paree que rien n'est
au-dessas d'eux et qui forment la pépiniere de l'élément
sénatorial, dans tous les pays libres, sous tous les gouver-
nements réguliers.


Encore un coup, rien n'est plus aisé que de trouver, en
France, les éléments d'une chambre haute considérable
par l'illastration de ses memhres, par leur fortune terri-
toriale, par l'éelat de lenr position héréJitaire ou person-
nelle, d'une chambre hall te indépenrlante et ami e de l'or-
dre, protcctrice écIairée de tout ce qui, sans elle, serait
exposé a faiblir ou a se laisser entrainer. l\'fais, en revan-
che, rien n'est pratiquement plus difficíle, que d'opérer un
triage effieaee et sensé dans les catégories oil ce corps
conservateur doit etl'e puisé.


Si le soin en est confié au chef de l'État, quel qu'il soit,
on peut etre certain que le choix sera raít dans l'unique
but de l'endre ce corps soupIe, dépendant, maniable.
Quand on se souvient qu'il n'a fallu rien de moins que la
révoIution des Cent-Jours pon!' arrJcher il Lüuis XVIII
l'hérédité de la pairie; quand on se rappclle l'activité et la
persévérance avec laquelle le roi Louis-Philippe s'est appli-
qué, en 1830, á abolir ceUe gal'antie, (lu"U :lyait tant d"in-
térét réel a sauyer· des griffcs ele la R~volution, il n'est
pas permis d'espérer que [e choix d'une chambl'e haute




DES D~PARTEMENTS 193


pul etre bien flit par la eouronne, et, le fUt-il, par impos-
sible, cette chambre y perdl'ait la moitié de sa valeur par
le mauvais renom qui lui en reviendrait.


D'un aulre coté, confler le choix d'u-ne chambre haute
au suffrage univcrscJ, voire me me au suffrage univel'sel
tempél'é par les pl'écautions que nous avons indjquées au
chapitrc Ier du présent ouvrage, voire meme aux électeurs
censitaircs des charles de ·1814 et de 'J 830, ee scrait aIler
directement cOl1tl'e le Imt; on obtiendrait infailliblement
deux ehambres puisées a la meme source, animées du
mcme esprit, accessibIes aux mcmes passions.


II se pent que, dans un petit pays, comme la Belgique,
dans tUl pays qui ne subsiste que sous la protection des
grandes puissanccs, et aux conditions d'une neutl'alité
qui écal'te toutes les grandes causes d'agitation et de tur-
bulence, on obtienne, par voie d'élection pure et simple,
un sénat aussi tranquille que la chamhre des représen-
tants; mais dans un grand pays, mais en Franee, l'un a
coup sur serait aussi violent que l'autre; ils s' exeiteraient
muluellement; une seule ehambre, en vérité, serait pré-
fél'able.


Pour arriver au but, ou du moins pour en approcher-
pour ex.tl'aire, en 4ue1que sOl'te, du sein de la nation, l'é-
lémént tout ensemble indépendant et eonservateur qu'elle
contienl Ü <.:oup sur, comme tOllte natioll de 4uel4ue au-




194 YUES SUR LE COUVERNE:~mNT DE LA FRANCE


tiquité et de quelque étendue, voici, selon nous, comment
il faudl'ait procéder :


00 dl'csserait, dan s chaque déparlemcnt, un tahleau di-
visé en trois colonnes.


On inscl'il'ait dans la 1 re colonne tous les chcfs de Ia-
mille, résidant dans le dépal'tcrncnt, oont le nom aurait
figuré, suit dans la chambre des pail's des deux monar-
chies eonslitulionnelles, soit enfin, dans le s(~nat du se-
cond Empire.


On v inscrirait é~alement lons lenrs dcseendants en li ..
v c.;


gne directe, quel qu'el1 fUt le nombre.
On inscrirait dans la 2e eolonnc tous les propriétail'cs


résidant dans le département, qui justifiel'aient de
10,000 franes de contribulions directes, ce qui suppose
de 60 a 80,000 livres de rente en propriétés foncieres.


On inscril'ait, enfin, dans la 3e colonne, toujours sous
la condition de résidence,


10 Les cardinaux et les al'chcveques ;
2° Les maréchallx et les lieutenants généraux ;
3° Les amil'aux et les vice-amiraux. ;
4° Les pl'emiers présidents des cours souveraincs;
5° Les ministres a départemcnt aneicns et actucls.
La réunion de ces tableaux, revisés sévercment, d'année


en année, comprend~ait manifestemcnt toul ce qui ex.iste,
en France, de noms illustres ü divers titres, de grandes




DES D~P~RTEllE~TS 195


fortuncs tccritol'iales, de positions éminentes el assurées.
Ce serait, en quelque sorte, le livre d'm de la France,
mais un li\Te d'or loujoms OUYCl't, toujoms accessible aux
illustrations, aux fOl'tuncs, aux position~ nouvelles.


Le soín de choisir, dans chaque département, sur le
tableau départemental, deux meml1res, au moins, et trois,
au plus, de la c!lambre haute~ sel'ait confié au conseil
génél'al, assistl; ele tOl!S les inscrits au tableau.


S'jl ne sOl'tait p'1S el'une élection pareille un corps éga-
lement indépenelant, par son ol'igine, elu pouvoir royal et
du pouvoir popnLtil'e, un COq1~ (;f~alt'mcnt en état, par sa
puis:;;ance mOI\¡]c, de rl;si~lcr aux empiélements de l'un,
aux entrainemenls de l'autre, un corps éclairé et vl'aiment
modél'atem, c'est qu'alors la Franee est dl5cidément ingou-
vernable; e'est qu'clle est condamnée, sans retour, a la
honteuse et désastl'cuse altemative de l'anarchie et du
despotisme.


Pour conserver á ce eorps son vrai caractere eL son as-
cl'ndant SUl' les esprits, tels qu'ils sonl faits, de nos jours,
il faudrait le mailltenir électif, en le renouvelallt par tiers,
a ehaque renOl! \'cllcment intégl'al de l'autre chambre, ce
qui suftlrait pOllr y entretenir le mouvement et la vie, pour
l'associer au progrcs des idées et des ('hoses, si progres il
y a, et pour pl'évenir de sa part toute résistance unique-
ment fondée sur 1'0pini:1lreté des intérets personnels.




196 VVES SUR LE GOUVEHNEMENT DE LA FRANCE


Il ne faudrait le rendre n~ viager ni héréditaire.
Un sénat viager devient tres-promptement un hotel


des invalides. Un sénat héréditaire ne s'improvise
point.


Louls X VIIT, dans la premiere fervenr de la Restaura-
tion, dans le conp ele fen, dans la lune ele miel de la légi-
timité, ponvait ressusciter l'ancienne p:ürie, la rajeunir
comme le vieil Éson, en lui infusant, a titre de s:.mg nou-
veau, ce qui restait du sallg versé dan~ les batailles d2 la
République el. de l'Empirc, et lui rendre rhérédité ; tout
éla it juste alors.


Louis-Pllilippe, trouvant la pairie héréditaire, debout,
reconnue, et meme justement honorée, pouyait la défendre
contre les criailleries des factions.


l\Iais, apres trente ans d'interruptiOll, un pl'ince nou-
veau, et plus encore, un prince de vieilIe roche, en-
taché d'ancien régime, aurait tort de s'y risquer. Le


.


principe de l'hérédité est bon, qnand il s'établit Je lui-
meme et par sa propre verta; il est exccllent quand
il a duré; mais une hérédité de pure fabrique, une
hérédité bftclée du soir au lendemain, autour d'un tapis
ve1't, serait pour l'instilution sur laquclle elle tombe-
rait des nues, cause de faiblcssc plutót que de force;
elle irriterait, sans profit, les mauvaises passions et prete-
rait a rire aux mauvais plaisants. Ne soyons pas envieu:r




DES D(:PARTfmEyrS I ~lí


dll temps \. S'il a quelque cllOse a faire, donnons-Iui le
temp-s. Sí l'hérédité de droit n'exisle pas dans la chambre
haute, telle que nuus la proposons, l'esprit d'hérédité
existe de rait dans le eol'ps électoral dont eeUe ehambre
procede, cal' l'illus!ration et la fortune sont naturellement
héréditail'cs, Natl1l'ellcment, si l'institution s'établit, par
le libre jeu ele l'électiun, par les alliances, par les t1'ans-
actions de famillc, le fils relll placera le pere ; cela arrivera
dix-neuf fois sur vingt. Que veut-on de plus? Dans l'état
aetuel des lllccurs et des esprils, plus que cela serait
en réalill; 1l10ins fluant ;tU lmt ([u'on se propose; si l'état
des mcems el des e-:131'its "icnl it ehangel', l'avenir prendra
soin de lui-meme.


La chambre haute demenrant élcctive, point de ma-
jorats; si l'on étend le droit de teste1', que ce soit dans
un intér(\t g(ínél'al el pOUl' tout le monele ; point de titres
nobiliaircs l¡;gaux et officiels; (lIle chacun prcnne ases
risques et pt~rils, le titre quí lui convient; qu'en cas de
contestation juridique, l't:tat n'intervicnne point; qu'il se
garde surtout de tonte ct'éation nouvelle, et n'attendeaucun
appui Llésormais de la y;mité des parvrnus greffée sur
celle des hoLereaux.


1 jI. J.'I\ecker.


18






CHAPITRE V


DES PHOVINCES


Notre territoil'e conlinental est partagé en vingt et une
divisions militaires. Chaque division a son siége dans l'une
de nos vingt et une plus grandes villes. Chaque division
comprend, dans son l'esso1't, plusieurs départements.
Chaque groupe de dépa1'tements co1'respond, a peu pres,
a I'allcienne prorince dont la ville chef-lieu était la capi-
tale; a peu pres, disons-nous ; l' exactitude 1'igoureuse est
ici de peu d'importance, et, pOUl' peu qu'on y tint, il serait
facile, par quelques t1'anspositions, de la sener de tres-
preso


Gn peut s'en a ssurer par le tableau suivant :
1 re division : - Seine, Seine-et-Oise, Oise, Seine-et-


Mame, Aube, Yonnc, Loiret, Eurc-et-Loir.
Pal'is. -- Ile-de-Fl'ance.




200 YUES SUR LE GOUYERNEMENT DE LA FHANCE


2e division : - Seine-Inferieure, Eure, Calvados, Orne.
Rouen. - Nonnandie.


3e divisian : - Xord, Pas-de-Calais, Somme.
Lille. - Flandl'e-Picanlie.


4e division : - Mame, Aisne, Ardennes.
Ch:1lons-sur-l\1ame. - Champa{jne.
De division : - l\Ioselle, Mellse, l\Ieurthe, Vosges.
Metz. - Lorraine.


f)e division : - Rls-Rhin, Haut-Rhin.
Strasbourg. - Jls(lrc.
7e clivision : - Dou]);.;, JUl'a, CÓle-d'OI', Haute-Marne,


Haute-Saone.
Besan~on. ~ Franche-Comté.


8e division : - Rhone, Loil'e, Saone-et-Loire, Ain,
Isere, Hautes-Alpes, Drome, Ardeche.


Lyon. --- Lyonnais.


ge division : - Bouches-du-Hhont\ Var, Basses-Alpes,
Vauc]use.


Marseille. - Provencf.


10e division : - Hérault, Gard, Lozere, AVl>yron.
lYlontpellier. - Gévaudan-Rouerglle.


11 e division : - Pyrénées-Orientales, Ariégc, Aude.
Perpignan. -- Boussillon.'




DES PROVINCES 201


12e division : -- Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Ga-
ronne, Lot.


Toulouse. - Languedoc.


1;)e division : - Basses-Pyrénées, Landes, Gers, Hau-
tes-Pyrénées.


Bayoune. - INal'n.


14c division : - Gironde,Charente-Inférieure, Charente,
DOI'dogne, Lot-et-Garonne.


Bordeaux. - Guyenne.


15e division: - Loil'c-Inférieure, Maine-et-Loire,
Deux-Sevl'es, Vendée.


Nantes. - Anjoll.
168 division : - IlIe-et-Vilaine, Morbihan, Finistere,


C0tes-du-Nord, l\Ianche, Mayenne.
Rennes. - Bretagne.


'17e division : - Corseo (Méllloire.;
18e division : - Indre-ct-Loire, Sarthc, Loit'-et-Cher~


Vienne.
Tours. - Touraine.


1ge division : - Cher, Nievre, Allier, Indre.
BouI'ges, - Berl'y.


20e division : - PII~'-c1e-D()mc, Haute-Loire, Cantal.
Clermont. - A uver{jlle .




202 VUES SUR LE GOUVERNE}JE:-Ir DE LA FRAl\'CE


21 e division : Hautc-Vienne, Creuse, Corrcze.
Limoges. - Limousin.
On voit qu'il ne faudrait pas altérer notablement la ré-


partition des départements entre les di visions milítaires,
vour faire cadrel' chaquc division avee l'une ou l'autre de
de nos anciennes provinces. ~1ais, encore un coup. peu
importe. Ce qui impol'te, c' est de rrndre ¿l chaque division
militaire le nom de la provínec qui lui corrcspond, et les
souvenirs que ce nom l'¿vcille; ce qui importe, e'est
d'ériger chaque provinee en ressort de gouvernement
dont raction s'étende il toutes lL's branches de l'adminis-
tratíon, qui dégage, grace au double pl'incipc de In loca-
lisation des fonctions publiques, et de la limitation des
avancements, le pOllvoir central de l'obligation de túul
faire par lui-memc, et qui retienne au loin, en la rédui-
8ant dans de justes proportions, la colme fall1élique des
sollieiteurs.


En rendant ~ chaque dívision militait'e le nom de la
prt)Vince qui lui eorrespond, on rendraít au lieutenant
général qui la commande le nom de gouvemeur.


On lui formerait un établissement conforme asa digniLl\.
A ses attributions natul'elles, il joindrait le commande-


ment de la garde nationale mobile, et la nomination des
officiers de ce eorps. t.


! Chapo 11.




DES PROYINCES :i03


Il s~rait consulté sur le choix des prtSfets, et des prin-
dpaux chefs de service, ce qui lui donnerait l'importancc
et l'attitude des lords-lieutenants de comté en Angletere.


Enfin, si le bien du ser vice ne s'y opposait pas, il nous
pal'a!t/'ait désirable que nos 25 légions de gemlarmerie,
nos 100 régiments d'infanterie, nos 02 régiments de ca-
valerie, nos 16 l'égiments d'arlillel'ie, fussent partagés,
quant a lcm l'ecrutemcnt seulemént, ti quant au siége de
leurs députs, en autant de eorps d'armée qu'il existcra
de pt'orinccs, de telIe sorte que ch;Hlue rl~gimcnt restant
mobile commc iI l'esL aujounl'hui, le corps entiel' cut,
néanmoins, une origine eL une dénomination commurJes.


On sait quelle importance attachait a cctte idée /l'une
origine el d'une dénominlltion communes, le maréchal
Saint-Cyr, qui s'y connaissait. II la poussait jusqu'a l'ex-
treme, puisqu'il voulaít un régiment pal' déparlement, ce
quí n'élait pas sallS inconvénients politiques. Dans le cas,
trop fréquent ü la gllerre, olI un régiment tout entier se
trouve détrllit, c'était porter la désolation dans une seulc
et meme localitó. Notre proposition n'aurait point cette
felcheusc conséqllcnce, puisque chaque l'égiment serait
rccruté dans toute l'étenduc d'llne province, et qu'en
tcmps de guerre, ou meme en temps de paix, les régi-
meÍlts appartenant aU meme corp:-. d'armée séclentail'c
pourraient etre répartis tmtrc des armées différcIllcs. ~OllS




204 VUES sun LE GOUVEHNEMEXT DE LA FRA:\'CE


y tenons paree qu'elle t~nd a donner, de plus en plus,
consisLance et autonomie, "ie et lllouvement Ü l'intérieul'
de la France, et a réduire, de plus en plus, cette promis-
cuité rléplorable et ridicule qui, sous le nom de centrali-
sation, attire a Paris, pele-mele, toutes les prétentions et
toutes les existcnces, dispose des hommes sans en teni!'
eompte, et se joue ele leu\' elestinée comme on combine
des ehiffres, comme on jette des dés ou des jetons sur un
tapis vert.


On compte, en France, vingt-sept ressort::-; de COUl'S
d'appel.


Il nI' serait pas difficile de les réduire á vitlgt et un
et de les faire rentre1' pleinement et de tous points dans
le cadre des divisions militaires devenues provínces.


On peut s'en assurer pal' le tableau suivant :


'1 er ressort " - 8eine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne,
Aube, Yonne, Eure-et-Loir, Marne.


París. - lle-de-France.


2e fessort : - Lot, Lot-et-Gal'onne, Gers.
Agen. - Guyenne-LanUlledoc-13éarn.


;)e ressort : - BouI'hes-du-HhoDr, Basses-Alpes, Val'.
Aix. - Provellce.


4e ressort " - Somme, Aisne, Uí~(:.
Amiens. - Pical'die-Cham¡Jagne.




DES PROVINCES


3~ l'eSsort : - Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe.
Angers. - Anjoll-l'ollraine.
6e ressort : - Corseo
Bustia. (ilIémoire.)
7e ressort : - Doubs, Jura, Haute-Saóne.
Besall(;on. - Franche-Comté.
8e ressort : - Gironde, Dordogne, Charente.
Bordeaux. - Gllyenne.


ge ressort : - Cher, Indre, Niiwre.
Bourges. - Berry.


10e l'essort : - Calvados, Oroe, Manche.
Caen. - IVormandie.


11 e l'essort : - Haut-Rhin, Bas-Rhin.
Colmar. - Alsace.


20ñ


12e ressort : - Haute-Marne, Saóne-et-Loire, Cóte-
d'Or.


Dijon. - BOlll'goyne.
13e ressort : - Nord, Pas-ue-Calais.
Douai. - Fla1líl/'e.
14e l'essort : - Hautes-Alpes, Drome, Isere.
Grenoble. - Dauplliné-Lyonnais.


USe ressort: - Corrcze, Creuze, Haute-Viennc.
Limoges. - Limousil1.




206 VUES SUR LE GOUVER.'\E~IENT DE L\ FHANCE


16e ressort : Ain, Loire, Rhonc.
Lyon. - Lyonnais.


17e ressort : - Ardennes, Moselle.
Metz. - Lormine.


18e ressort : - Aude, Aveyron, Pyrénécs-Oricntales.
Monl pellier. - Rouergue.


H)e ressort : - Meurthe, Meuse, Vosges.
Nancy. - Lorraine.


20e ressort : - Al'clcche, Ganl, Lozere, Vauduse.
Nimes. - Provellce.


21 e ressort: - Indrc-et-Loire, Loit'-ct-Chcr, Loiret.
Orléans. - Touraine.


22e ressort : - Landes, Basses et Hautes-Pyrénées.
Pau. - Béarn.


23e l'essort . Chal'ente-Infériclll'e, Dcux-Scv/'cs,
Vendée, Vienne.


Poitiers. - Poitou.


24e ressort: -Cótes-du-~orcl, llle-et-Vilainc, Finistere,
Morbihan.


Rennes. -- Bretagne.


2¡)e ressort : Allier, Cantal, Haulc-Loirc, Puy-de-
Dome.


Riom. - Auvergne.




DES PROV1~CES


26 e l'eSsort : - Eure, Scine-Infél'ieure.
Rouen. - Nonnandie.


207


27" ressort : - Ariége, Haute-Garonnc, Tarn, Tarn-et-
Garonnl~.


Toulouse. - Lan[jlledoc.
Sans doute un remaniement pa!'tiel serait ici néccssaire,


puisqu'il s'agirait, tout ensemble, et de réduire le
nombt'e des eour~, et (le faire coincide!' leut' siége ave e
celui des tlivisions militaires. i\Jais ce t'emaniement se-
raít, il notre ~n is, n¡ícl'ssai!'e en tonto hypothese, par
les r,ti:-lons que nous allolls exposer.


Réduire-réduirc de plus en plus, réduire a tout prix,
en Fr2r;.cc, les membrcs de l'ordre judit:iaire, c'est, !lOUS
l'avons J.i', le hut que le législateur doit se proposer, si
1'on vellt relever l'ordre judiciaire et le composer de
magistl':lts éminents par lem savoi!', p1.r Ieur considération
personnelle, si l'on veut assurer ;1 ces magistl'ats une
existence en rapport avec la dignité de leur ministe1'e.


Nous avons fait un pl'emier pas dans eette voie en
suppl'imant, dans chaque eour d'appel, la t:hambrc cl'accu-
sation qUÍ n'occupe jamais 111oin5 de cinq eOnSl\i!lel'S, il
toUt' de role. Ce serait, sur Ut>O conseillel's Cl1vÍnlll, en
retraucher 130.


Nous en proposons maintenallt ut! second qui serait
infiniment plus sérieux et plus décisif.




208 VUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FftANCE


Nous proposons qu'a l'avenÍl', les appels ne soient re¡;us,
en toute maW~re, qu'aux conditions OlI sont rec;us les
pourvois en eassatioll par la cour qui porte ee nom ; e' est-
a-dire exclusivement sur les questions de forme et sur
les questions de droit, en tenant pour bien et définitive-
ment jugées par les tribunaux de premiere instance toutes
les questions de fait, et toutes les questions mixtes oh le
fait prédomine1 , exactement comme si ces queslions avaient
été résolues, dan s tous les cas, par des jurés. e'est, en
effet, en tant que jurés que les juges, a tous les degrés,
apprécient les questions de fait et les résolvent. La
seience du juriseonsulte ne leur est de ríen daus cette
opération, et leurs habitudes juridiques y nuisent plus
qu'elles n'y servent en leur créant des préjugés de profes-
sion. 11 !l'y a la par eonséquent aucun moti{ d' appel, au-
eune raison de présumer que le second jugement sera
plus éclairé, mieux fondé que le premier.


En pronon<;ant sur les questions de fO"rme, chaque cour
d'appel renverrait, le eas échéant, renverrait en entier
Oil pro parte qua l'affaire soit devant une eonr d'assises,
soit devant un tribunal du l'cssort qui n'en aurait point
connu, ponr y étre statué au fomI ee (lU'il appartiendrait,
mais, sur les questions de droit, ¡'arret serait définitl


i Voy. chapo IIl.




DES PHOVINCES


et ne pourraít etre attaqué en cassatioll qu'en cas de di-
versité de jurisprudence entre les cours d'appe!.


Un roíL d'un coup d'reil combicn ce mode de procéder
simplifierait l'adion de la justice, co~}bien il la rendrait
ferllle, promple, déeidée. Ce n'est pas allel' trop loín
d'avancel' que lc nombre des appels serait l'éduit de moitié,
et, par suite, le nombre des chambres pourrait l'etre dans
('haque cour, le nombre des conseillers dans chaque
chambre, et le nombre des cours elles-memes.


1\ va sans di re que chaque cour se recruterait dans son
pl'opre bal'l'eau, ainsi q u'i! es! indiqllé )JoU}' les tribunaux
de premit>rc instance, au chapitl'e III dn présent ollvl'age,
et que l'avanCcl1lellt dans le sein de la cour serait réglé
selon l'ordre du t:lhleau, saur les exceptions prévues et
dé terminée8.


On compte, en France, seize académies dont les circon-
scriptions, 1'entrent, a beaucoup d'égill'ds, dans ceHes des
divisions militaires, el dans les reS801'ts de cours d'ap-
pe!.


Bouches-du-Rhone, BaSSeS-j
Aix. - Provence.


Alpes, Var, Vaucluse •..


. ¡ Besancon.
Doubs, Jura, Haute-Sa'tlne. e '


'omte.


- Fl'anche-




210 VUES SUR LE GOUVEHNElUENT DE LA FHANCE


GiI:onde, Dordogne, Lande--, \
Lot~et~Garonne, Basses- Bordeaux. - Guyenne.
Pyrenees ............ .


Calvados, Eure, JUanehe, I
Urne, 8a1'tbe, Seinc-ln- ,


\
férieure ......... , ... .


Puv-de-Dóme, Allier, Can-
o. I
tal , COfl.'~~e, Creusc, ~
Haute-Lon c .......... .


Cóte-d'Or, Aubc, Haute-¡
Mame, l\ihrc, YOllllC .•.


Nord, Aisnc, Ardennes,
Pas-de-Calais, Somme ..


Caen. - Normamtie.


Clermont. - A uvergne.


[)jjon. - BouJ'r/o(lne.


Douai. - Flandre.


Iser,e, naut.cs-Alpes, Ar- I
\ Grenoble. - Dauphiné. dechc, Drome ........ .


Rhóne, .Ain, Loire, saóne-¡
Lyon. - Lyonnais.


et-LOlre. . . . . . . . . .. ..


Hérault, Aude, Gard, LO-,
zere , Pyrénées-Orien- ~
ta les ........ ........ .


l\Iontpellier. - Bouergue.


Meurthe, Meuse, Moselle, l
Vosges .......... ' .... . Naney. - Lorraine.




DES PROVINCES


Seine, Cher, Eure-et-Loie,


21!


Loir - et - Cher, Loiret,
París. - lle-de-France.


Marne, Oise, Seine-et-
:Marne, Seine-et-Oise ...


VienIle, Charente - Infé-
ricure, Indl'c, Indre-et-
Loire, Deux - Sevres,
Vendée, Haute-Viennc ..


IlIe-et-Vilaine, Cütcs-du-
Nord, Finistere, Loire-
Infél'iellre, Maine - el -
Loil'e, :Mayénne, Morbi-
han.. . . . . . . . . . . . .. ..


Haut-Rhin, Bas-Rhin .....
Haute - Garonne, Arü'lge,


Aveyron, Gers, Hautes-
Pyrénécs, Tarn, Tarn-
et-Garonne. . . . . .. . .. .


Poitiers. - Poitou.


Rennes. - Bretar¡ne.


Strasbourg. - Alsace.


Toulouse. - Languedoc.


Algel' ................ o' 1 Ménwire.


Chaque académic se compose :
D'un recteur;
D'un consciI académique;
D'un corps d'inspectcurs) diyjsé en deux classes;
~~t de cinq facllltés au plus, a savoir :




212 VUES SUR LE GOUVERNEl\IK\!T DE L.\ FRANCE


Les facuItés de théologie, de sciences, ue lcttres, de
droit et de médecine.


Les facultés de théologie catholique sont au nombre de
six 1. - Les faculté s de théologie protestante, au nombre
de deux 2.


Il ya scize facultés des sciences et scize facultés des
leUres.


Les facultés de droit sont au nombre de neuf 3.
Les facultés de médccine sont au lIombre de trois 4 ;


mais il existe dix-sept écoles pl'éparaloires de médecine
et de pharmacic.


L'académíe de París est la seule q ti i !'éuuisse, en son
sein, les cínq facultés.


Les académies d' Aix, de Caen et de Tou]ouse en ont
quatre.


Les académies de Bordeaux, Lyon, Dijon, Grenoble,
Poitiers, Rennes, Strasbourg, Montpellier, en ont trois.


Les académies de Besancon, de Douaí et de Nancy n'en
ont que deux.


Il est difficile de rien imaginer de plus absurde et de
plus déplorable qu'un pareil état de choses.


1 Aix, Bordeaux, Caen, Lyon, Pal'is, Toulouse.
2 Strasbourg, lUontauban.
:; Aix, Caen, Dijon, Grenoble, Paris, Poitiers, Rennes, Strasbourg,


Toulouse.
4 París, lUolltpellier, StraslJourg.




DES PRorl~CES ~13


« II est inou), disait en 1840, }!. Cousin, dans son ex-
cellent rapport sul'l'instl'uction publique en Allemagne 1,
de voir, en Francc, h's diverses facultés dont se compose
une univer~itrS aHell1ande, sépat'IScs les Ulles des autres,
et COll1ll1C pet'ducs elalls l'isolement. lci des facultés de
sciences oh se fonL des C()Ut'~ ele physique, de chimie, d'his-
toire natut'elk, sans qll'il y aít ü coté une faculté de ll1é-
decine qlli en pt'oflte; lit des facultés de clroit, sans fa-
culté des kttl'Cs, c'est-il-dit'c s:lt1S histoil'e, sans litté-
t'atme, el S:llIS pllilosophíe. Ea \"jritl;, si ron se pro-
posait de dOl1lll"l' ill'esprit une cultmc exclusive et faussl'j
si I'on voulait fait'e des let trés t't'ivoles, tlt's saranls saIlS
Iumi¿,t'es g(~néralcs, el(,S pt'ocmeuI's ou des avocats au lieu
de jmiseonsllllcs, je ne pOlll'l'ais indiquer un meilleur
ll1oyen, poUt' atTiH'r Ü ce oeau t'(;sultat, que la dissémi-
nation et l'isolcll1ent des i'acllltl~s ... HtSlas! nous avons
une vingtaine de lllisl;t'allles facultés éparpilléC's sur la sur-
t~lee de la Franee san s aucun \Taj foyet' de lumiere ... Ha-
lonS-HOUS üe suostituer ~l ces paurres faeultés de pro-
v¡nee, pal'tout languissantcs ct mourantes, de grands
centres seicntifiques, ral'CS mais biett placés... lJuel-
ques uni\'ct'sil(~s, eomme en ~\llcmag'ne, avee des facultés
completes, se pt'l~lant rUlle ü LlUtt'e un muluel appllÍ, de
lllutnelIes )umii"re:-;, un mutuel mouvement. »


¡T. l. [l. til.
19




::!Ii \TES ~cn LE GOrYER:\EJIE.\T DE LA FIL\NCE


Nous n'cnti'cprcndrons p:1S de développcr, nous n'cs-
saycrons pas meme d'incliqucr tout ce qu'il y a de sagesse
et d'étcrnelle vl'rité dans ces idécs, tout ce qu'il y avait
d'impol'tancc et d'urgcn{'e clans ccs eonseils si pcu suivis
en Icm tcmps, si vde oU}llié:, depui.;. 11 ~- fauc1rait un vo-
11Ime; ce sel\lit (híp;¡s';Cl' !es limites de notl't' sujct; quel-
(IlIes rél1cxiolls suHiront.


lo seize: acac1cmil's, c'e::t moitié trop, tout au moins, si
1'on vcut f"l'dlCI', l'Olllil1e k dClll:lJl(le 1f. Cousin, (\C ¡l:l'ands
centres SciClltiJit¡lies, (le \"/\lis lo.\"\'l's de IUllliác. C'l'st
bcaucoup -:i ro:: VU'\-¡¡.'llt ;'¡ ¡(ti)!il' sm el' pil'd les ;¡('adé-
mies des l!llit [~I'im(L's dlis ({I!i, [itl' ieUI' illlpOl'larll:e ct
lClli' positio!1 géu;,;t'.llllliqlli , sLlulJlellt en quelql1e sorte se
partagci' la France :


Pal'is,
Caen,
Renl1es,
Dordeau'i.:


'1'ollloll';C,
_\ix,
L\OII.


Sll'aslJolll'g.
'"


En supprimant les huit :llltl'CS acadélllics, on ne suppri-
ll1crait ni la faculté de m0delinc dc l\Ionlpelliel', ni les fa-
cultés de droit de Puitiel's, de Gl'eno!dc d de OijOll; mais
011 les él'igeraH en écolcs SlH"ciales Ol! ces dClIx sliences
sera¡ent principalement cllsC'igllél's ~ous un point de vue
d'application pI'atique.




DES PROVf:\'CES


2° Il paraitrait indispcnsable dc faire subir une l'éforme
radieale a la distrilmtion ues facultés, empruntée aux
moyen ~lge, el san s I'appol'l aree l'état actuel des esprits
et des Illreurs.


L'expéricnce a prononcé contre les facuItés de théolo-
gie Latholique. M. Cousin l'a reconnu et démontré : jamais
le COl'pS épiscopal, clans un l'ays 011 ]'imll1ense majorité se
uit catholiqul', t't oil la majorité de cdte majorité l'est
effectivemcnt, jamais le corps épiscopal ne consentil'a a
laisscl' professcl' ses doctrines ou par deS Jales, OU par des
eeclésiasLiqu es soumi s ;1 1;¡ diece ti 011 el 'unc al! turité Ialq ue ;
jamais il ne pretera son apPlli ni sa sanction ü cet ensei-
gnemcnt; jamais iI ne li\Tcl':l les jcunes séminaristes a
la libcrté ullivcrsitail'c. Yaincmcllt on lui en ímposerait
l'obligatioll. L'olJligation SC1'a toujours ou méconnue ou
éluelée. Xapoléoll lui-mellle, au plus haut ütite ele sa lmis-
sanee, y a échoué. Les facuItés catholiques, en sup-
posant qu'on les maintienne ,ne scront jamais que
cc qu'elles ont été jusqu'ici, une leUre morte,
de vains simulacres, des salles désertes, quelques oisifs
qlli se presscnt en hirer autou!' uu poele, point d'étu-
diants, eles pl'ofesseurs dignes d'un ll1cilleur sOft, mal
vus de leurs supérieurs ccclésiastiques qui les autorisent
a regret, et toujours sur le point d'etre dénoncés pOUI'
un mol éclwpp¡' par Il1l;gaIUt' ou pcrfhlcment dénatul'é.




~16 VUES SUR LE GOUV~RNEME~T DE LA FRANCE


Nul doute qu'il ne faille supprill1er dan s les académies les
facultés de théologie catllolique, et meme, en génét'al, les
facultés de théologie, sauf ü cunserve!' sur le pied d'écoles
spéciales, telles qu' elles existent aujoul'd'hui, les facul-
tés de lhéologie protestante de Strasbourg et de Montau-
ban et ;J nég'ocier avec le saillt-siégc l'établissement~ pOU!'
toule la France, d'une Maison des hautes études catholi-
que, telle que l'avait cOlwue, en 1820, l'éveque d'Hel'-
mopolis, alo1's ministre des culles, )laisoll qui ser:üt pla-
cée sous la direction et la sUl'veillance du COl'pS épiscopal
régulierement rcpréscnté.


En supprimant ks facultés de llH~ologie, on diviserait
en deux clüsses les facultés des sciences:


Sciences nalurelles ;
Sciences mathématiques et physiques.
On diviserait en deux classes les facllltés des lettres :
Littératllre;
Philosophie.
On diviserait en deux classes les Jacultés de droit :
Droit naturel ;
Législation ancienne et moderne.
Pl'es de chaque académie, ou, du moins, a proximité,


seraient placées une école spéciale de nlédecinc, et une
éeole spéciale de d1'óit positif. L'école spéciale de ll1édeeine
p[acée, ou plutoL maintenut' Ü Montpelliel', sllffir:lit pour




DE~ PHOVL\CE~ 217


les académies de Toulouse et d'Aix: l'école spéciale de
droit maintenue il GI'enohle suffit'ait pou!' l'académie de
Lyon.


Chaque faculté set'ait pourvue d'lln nom bl'e de chaires
cort'espondant il chaque branche d'enseignement sérieuse
et distinctc.


Le cours d'étlldes ~erait de tl113t1'e alls.
Les deux premie1'es années seraient obligatoit'es pour
tou~ les cours, pour tous les grades, et pour tous les
étudiants.


C'est 11 I'Íssuc de la deuxierne année que les étudiants
subit'aient nécessail'ement les examens du baccalauréat
es Iettres, facultativement cenx du baccal:mréat es scien-
ces, et du baccalauréat de d1'oit.


Les deux années suivantes ne seraient obligatoires, dans
chaque faculté, que pou!' les grades de licencié el de doc-
teur.


Deux années pass~es soit a l'école spéciale de droit, soit
a l' école spéciale de mé(lecine, compteraicnt pour ces
grades au líeu et place des coues de faculté.


C'esl ainsi que l'éducation dite secondaire, eeHe qm a
pOlll' lJut de pl'épat'er aux pl'ofessions libérales et ~1UX
fonctions publiqul?s, serait récllement, efficacement COll-
ronnéc par dcux <l!lI1/jes de vél'1table instruction supé-
rieme, d'nne instruction supérieure oü les cléments essen~




~18 VUES SeH LE GOU\'EH:\EHE:-iT IlE LA FlU\'CE


tiels de toutes [es sciences, marchant de front el se
donnant la main, développeeaicnt les intelligenees sous
l'influence bénigne des leUres, 11 la clal'té de la phi-
losophie. L'instruction supérieul'e ne deviendrail pro-
fessionnelle et facultative qu'a la troisieme année; c'est
alors seulement que commencerait le soul enseigne-
ment qui se donne alljomd'hui dan s les facullés de
droit et de médecine.


3° Tout étant ainsi l'églé, ce serait il r exeellence meme
du professorat a faire le reste.


Mals, ponr assurel' aux facultés un pl'ofessol'at dj~ pl'e-
miel' ol'dre, plnsicul's conditions seraicnt Ilécessail'cs.


La pl'emicl'e serait de renoncer tout ensemble et 11 la
nomination dit'ecte par l'autorité centrale, telle qu'elle est
étaLlie depuis 18;)2, vrai moyen de tout donnor a la mé-
diocrité, il la sel'vilittl, a la faveur; et au concours, tel
qll'il était établi par le décl'et de '1810, vrai moyen d'ex-
clme tout homme d'un áge mUl', el cl'une réputation faite;
eL mellle au choix su!' présentation par la faculté, tel qu'il
se pratiquait a l'égal'd de la faculté des letti'cs, tonte pl'é-
sentation étant illusoire, et no laissant a l'antci'ittj contrale
aucuno altel'nati ve réellL~.


II faudrait} ce semble, laisser le clloix dil'eét [\ la fa-
culté elle-meme, en résel'vant h l'autot'Íl(j contrale, d'une
part, la confirmation Oil le refns, et, Ü'lllle antre part, le




DES PHOVJNCES 219


dl'oit dc placel' prl's ele chaque titubire un pl'ofesseul'
adjoint de son choix, lequel 3mail tonte liberté pOUl' ou-
vrir un cours, en conCUlTCI1Ce arce le titulairc. Il fallelt'ait
enfin instituel', dan s cllaque faculté, un collége d'agl'égés,
clont les places seraient donnécs au concours, et qlli au-
raient le dt'oi! d'onvl'il' des C'Ollt'S, sous l:t suneill;¡nce da
conseiJ acadc;l1liquc, et de fail'c ail1si COllCUlTcnce au pro-
fesscul' titllLlil'c eL au prol'l:sscUl' adjoint.


Ces cours libre:; eomptcrajenl poue les grades, et se-
raient, de la p:ll't eles élt'res, l'obj[~l d'une rétt'llmlion 1'12-


Tel esl l'usag'(' en A lknu..:.llC ;. JI. CuvÍer el JI. COUSill ( (,
I'ont vivcment 1'éclamé pour la F1'ance.


« Reste iI parler, dit le premie!' dans son l'apport sur
l'éducation en Hollande 1, (les l'éti'ihutions des élcves.
C'est, commc nons l'avons di!, un 1110])ilc si pllissant et
si utile pOUl' l'éllluLlIion des pl'OfCS~CllI'S, d pou!' attacher
les élc\'cs h IcUt' élud6, que, si nous diollS ajJjlcl¡j ~
proposel' des ~lll}(;.¡i(Ji'aiium c];¡ns l1utl'l' S::st~:llC, nons n'llé-
sitcl'Íons pas il pl'OpOSC'i' !l!t'un ét:1])W ces n;[¡'jlJUtions p:Il'-
ton!. ))


(( C'cst i'llllúlue mo:,'e:l, eH )L Cuusin, CLlyoir des pl'U-
fcsseur;-; z(~l~s, el des :müilelli's ¿~s::,il;u~. i\:uHu inyenlion
ne peut remplace\' eettc con:1i¡ion lunh!ueilLtle ... La


f P. 1:;0.




2'20 VUES SlJn LE GOrVERNE)(E:\'T DE LA FBANCE


vraie dbcipline d'un cours, la vraie gal'antie de l'assiduité
est dans la rétribution eles l~levcs. C'est li! qu'i! faut eher-
cher la garantie d'un auditoire sérieux qui ré;¡git, a son
tour, sur l'enseignernent. Alors, plus de cours de luxe,
plus de déclamations, ele clivagations, d'cxeursions perpé-
tuelles hors du sujet. Tout cela, loin de repousser la jeu-
nesse,l'attire naturellement 10l'squ"ellc peut venir écou-
ter tout cela pour rien, et uniquemcnt pOUI' son plaisil' ~
mais si, pour son argent, on ne lui donDc que des phr;l-
ses, les plus belles, si elles sont vides, ne suffirollt plus.
Le professeur qui vouclra un nomhl'cux auditoire, dans le
double intéret de sa renornmée et ele sa hOUl'se, fera elforl
pou!' etre solide, substantiel, instruclif, comme aujour-
d'hui, je sais des professeurs capables de donner un tres-
bon enseignement, et qui se tourmentent l'esprit, pour
faire, contre nature, un enseignement llígcl', it la portt~e
de leurs bénévoles aucliteurs. »


4° Les place s de profe~seLírs et d'agrégés, en pt'incipe,
seraient inamoribles, sauf les ras oil intCl'viendrait, apl'tlS
une instrul'tion régulicre et contl'adictoit'l', une décision
du conseil acaclémique.


Ce conseil serait cOll1posé :
D'un recleul' nonlln:~ par le conseil llli-lt)(~tllc, SIIl' l'al1-


pl'obation clu gouyernement, L'1 l'enouHh~ de trois :tJlS eu
troi8 ans ;




DES PROVINCE~ 2~t


Des doyens des facultés nommés pa'r le~ facultés elles-
memes et renouvelés de troi~ ans en trois an~;


Du gonverneur de la province;
De l'arcllcveque du dioce~e archiépiscopal;
Dn président et du procureu!' général de la COUl' d'ap-


pel;
Du présidcnt du consistoil'e ¡wotestant;
Dll préfet ct du mairc du chef-lieu;
Bu COl'pS des inspecteurs génél'aux nommés par le con-


seil, sons l'approbation dn gouverncmcnt.
n ne sel'ait riel! Cll~ttlg'l; aux attributions des conseib ,


académiques,
Le corps des inspccteUl's généraux veillel'ait, sous l'au-


torité et la direction du conscil, sur les colléges de l' État
el sur les institutions privécs, en laissant a celles-ci une
elllil're liberté qllaut ;l Icut' ol'ganisation intérieure et au
cours eles étudcs, eL en n'CXCl'¡;ant leur sUfvcillance qll(~
sur la partic morale de l'instruction et de la discipline,


Q\lant aux collégl's de 1'¡:Jat, nous avons indiqué ci-
('essus dans queb rapports ils dcnaient ctre placés vis-a-
vis dcs conscils gl;nl~r;tnX; le:~ profc'sseurs seraient choi-
sis par le t'ccteUl',souS l'approi)ation t1u conseil académique,
el nc POUlTLtlCnt di'e l'évlj(lUés qne par décislOll de Ce
conscil SUl' une inslruclI0!1 rét.!:ulicl'c el contl'aclictoil'c. Le
- "


courstl"(;tl1des sCl'ait de ¡mil ~lliS; a l'expiration dé la qua-




222 VUES sun LE GOCVEB\E'IE\T DE L\ Flüi\'CE


trieme année, c'e:-;t:h-rlire it l'issue des classes de gram-
maire,leséleves subiraienl un examen sél'ienx, dont Ic n~slll­
tat serait officiellement communiqué aux pal'ent~, afin de
les engag€r a retirer les élercs incapabll's OH peu st IIdieux
sans toutefois les y contraindl'l'. L'annéc de philosophie
serait consacrée a l'explication des pllilosophes gl'ecs el
romains, en les con~idél'ant principalelllcnt SOllS le rap-
port littéraire. La philosophie De sel'ait enscignée ex 1'/'0-
{'esso que dans les facnltés. C'es! Ull enscignctllent qui
doit etrc libre, et qui 11C comporte pas l'autoritt~ que le
maltre exel'l~e el doit cxcrccl' Slll' l'éll've.


On suppl'imerait tout pCllsionnat dalls les ~olléges de
l'État.


Il ne sied point a I'État d'entrel' sur ce poillt en l'lVa-
lité avec les institutions privées. Il llli sied enCOl'e moins
de se charger de l'édllcation Pl'OIJl'Cll1Cut dile. TI assume
par la une responsabilité qui le COlllpl'Ol1Jct ~ans pl'Ofitcr
a la société. Les colll)ge~ ;1 pellsionnat raleilt micux, sans
doule, que beaueoup d'illstítutiotls pl'i\'ée~; Ilnis ils (k-
couragent, par la COllClllTenee el lc bon marl'hé, les lllcil-
lcures, el, en particuliel', les ins¡itutiuns 1'0lH1I'ps et tenllCS
par des ecclésia~tiques, les seules qlli pllisSL'nt dO!Juel' ulle
éducation vél'itallle, et Cx.el'eCl' su!' les enl'ants une :IU 10-
rité paternelle.


II ex.iste, en FraIlee, enfin, qllinzc al'chcv(~('h'(;~ :




DES PROY1.\'CES 1.,.)9') --~,


P:lris. Rheims, Auch,
Cambrai, Tours, Toulouse,
Lyon, BOllI'O'eS r, , Aix,
Rouen, Alhi, . Besan¡;on.
Sens, Borcleaux, Avignon.


Sur ces quinze archcvechés, il en est cinc¡ dont le siége
correspond aux académies de París, LyOlL Toulousc, Aíx,
Bordeallx. Les titulaíres de ces cinc¡ archevechés siége-
r:licnt naturellement dans le conscil de chacllne de ces
:lcadéll1ies; l'ardlCrCtIuC ele Rouell prendrait pl3ce dans le
conseil ;¡ctcléliliqlle de Caen, l'arclJereqne de ToUl's clans
le 'coll~eil acaclémique de Relllles, et l'archeveque de Be-
san<;on <lans le conseil académiCfu(~ de Strasbourg. n ne


t'allclrait pas songcr ccrtainement ¡¡ touchel' aux circon-
sCl'iptions ecclésiastiques sans le concours clu sainH:iége;
mais, en faisant pOlI!' le clcrg(~ catholiqne ce qu'il convient
de faire, en tout cas, Oll s'a:-;sul'cl':lit son concours sur ce
point, cOll1mc sur bien d'autres, dans l'intéret de la reli-
gion et (le I'État.


Nous ~. r,'vicllllrons plus tal'cL






CHAPITRE VI


DU PRINCE


On donne ce nom, dans la langue du droit public, au
pouvoir exécutif, quel qu'il soit, au pouvoir exécutif, quelle
qu'en soit la nature ou la durée, qu'il soit unique Oll mul-
tiple, électif ou héréditaire.


Nous l'employons ici, afin de garder, coute que coute,
la neutralité entre les chances diverses que l'avenir ré-
serve a notre pays. Tout en persistant a regarder la mo-
narchie comme le plus noble des gouvernements, celui
q ui répond le mieux aux vues de la Providence, et aux
progrcs de la civilisation, le seul qui convienne aux grands
I~tats, le seul qui promette a la France de la grandeur et du
l'epos, nous n'oserions affirmer qu'elle ne soit pas réduite
encore une fois, a traversel' l'épreuve périlleuse dll régime
républicain.




226 VUES sen LE GOrVERNE3rENT DE LA FHANCE


Poue que la monarehie s' établisse ou se rétablisse, en
effet, ill'issue d'une longlle série de troubles ciYiJ:.;, il TIC
suffit pas de la préfél'er ü toute :111tre forme ele gouvel'ne-
ment; il faut rencontrer il point 110mmé un 1Iomme hors
de pair, un homme appelé au trone par les circonstances,
el digne du trone par son illnsti'ation hél'éditaire ou per-
sonne11e; un homme qui soit, comme on l'a dit, avec une
nalve énel'gie, clu boís rlont on {'mt les mis.


Si cet homme Ul n'existe pas, il faut l'attclIdre, et don-
ner du temps au temps.


Et s'il arrive au contraire, ee (lui 110n plus n'est
pas impossilJle, s'il Jrrive que plusieUl's prétendants
se rencontl'ent, plusieurs prétendants inégaux en ti-
tres, aux yeux de la raison et de l'hisloire, mais,
égaux, ou :1 peu pres, en chances ele succes, dans ce cas
encore, il sera sage de préfél'el' la RépulJlique a la guerre
civile; ce sera, dans ce cas encore, le gouvernemcnt qui
divise le rnoins, et qui permet le mieux a l'esprit public
de se former, a l'ascendant kFitime de ~randil' et de
tl'lomphcr en définitin;.


Soil dans l'un, soit dans l'autl'e eas, il sera done au be-
süin sage de s'y résigner; mais il sera sage en me me
temps, de ne considércr le 1'1!gime l'épublicain que comme
un pis aIler, comme. un état de tt'ansition, et de ne saeri-
fiel' a l'esprit répulJlicain, ~l sa jalou~ie, a sa turblllcnce,




DU PHI~CE 217


de ne sacrificr surtout au maintien, it la perpétuité de la
RépulJliquc auenne des garantics de l'ordre au dcdans,
:lucune des conditions de la sécurité el de la grandcur au
dchors.


Un chef;


UIl seul chef, - point dc gouvemcment a plusieurs
tt~tcs ;


ün chef invioTablc, quoi qu'i1 en puisse coútcr ~ la res-
pon~ahilité effeclive ;


Un cllt'l' iIlH~~!i de IOlls le:-; aUrilm(s de la l'oyauté,' --
I'illitialive el le Yt5to, - - 1'L'xécutiOil des luis, - la dil'ec-
lioll de [';¡(hllinisti'ation dans toutes se~ hl'anclies, - la
nOll1inatioll ~l tous les clllplois, aux eonditions h;gales, -
le commandement eles armées de tene et de nwl'.


Un cltef roi, sauf le nom el la dmée.


Si ce c]¡ef cloit clercnie mi, l'n eléfinitiv(~, iI importe
que la transition S'op(~t'e nalmellement, 1'acilement, par le
pl'ogres des esprits, avec le COIlCOU1'S l'égulier elcs pou-
HJirs Pllhlics; s'il enll'cprend d'usurpel' le t1'one, il im-
porte de ne lui laisscr lli excn~e ni pl'étexte, de le ré-
duil'e it la Yiolente, cl'anne1' la résistancc ele tous les elroits
de la ju~tice et de la raison. En llmtilant entee ses mains
le pOllvoil' ex.éwtif, on n'obtiend1'ait pas, en garanties
contl'c son ambition, ce qu'oll lui donnerait de sujets de




22H VUES SUR LE ~OUVERNEME~T DE LA FRANCE


plaintes, de récriminations légitimes, de motifs plausibles
ponr tout osero


Quant a la durée de la premiere magistrature, il impof'-
terait de la fixer avec lal'geul' el précaution, dc laisser a
l'épreuve un temps suffis:mt, de lle poiut tenir perpI'tuel-
lement le pays sur le qui-rive d'une réélection, et de lais-
ser, néanmoins, al! Corps législatif le pouvoil' d'arrelel'
toute tentatlve d'usurpaliOll, pour peu q u'U en dí poindl'e
les approche'-\, Di'\. ans s\'raicnt UIlL' cllJi'ée l'aisonnable , le
Corps 1(~f!'isJatif restant maitl'e de provorlucl' ;\U besoin la
réélection ¡¡ Ll fin de la Cin;¡llii'llle amé',


Quant an nom, celui de tlil'ccteUt' litant j!lstement d¡;-
crié, celui de consu! empnmté au temps oil la Hépublique
fraw;aise s'afl'uLlait des dénominatiolls rcmaines ct rappe-
lant d'ailleul's un sOlivenlr de g'oUVCl'l1Clllcnt alJsolu, de
dictature militaire, cellli de pl'ésident pal'aitrait pl'N(;ralJle,
si, toutefois, on ne trouvait IYIS (Iue le nom de régent ex-
primerait plus exactemenl l'exerrirc dll ponvoir royal du-
I'ant un temps limiU'.


Quant au mode d'élcction, eeHe pielTe d'achoppement,
la plus redoutable de celles LJ.ui sc rcncontt'cnt achaque
pas sous la rouc du chal' j'¡;publicain, il falldl'ait se ganlcl'
d'imiter l'exemple clu gouwrncment dc~~ j:=tats-L;nis, plus
encore celui de nolre .derniere RépubliLJ.lle, el pl'esque au-
tant celui de la premit~l'e. ..




BU PRINCE 229


Aux États-Ullis, le président est nommé de quatre ans
en quatre ans, par un corps électoral dont le nombre est
tres-limité; ce corps est composé de sections ou fractions
proportionneIles au nombre de sénateurs el de représen-
tants que chaque État envoie au congres; il est nommé
lui-meme par les électeurs qui, dans chaque État, nom-
ment la législature; mais sa nomination est précédée de
réunions électorales illofficielIes qui correspondent a la di-
vision des partis, et donnent a leurs députés des mandats
impératifs. Cet arrangement, combiné avec le renouvelle-
ment quadI'iennal a pour résuItat certain de tenir le pays
dans un élat d'excitation perpétuelle, et de conférer régu-
lierement la présidence aux candidats médiocres, insigni-
fiants, improvisés de guerl'e lasse, la coalition des parLis
ne pouvant se former que par l'exclusion réciproque de
leurs chcfs.


Sous la derniere Hépublique fr~m~aise, le président était
élu par le suffrage universel, universeIlemcnt recucilli
dans toutes les communes de France. Son origine était
par conséquent plus populaire que ceHe du Corps légis-
latif, dont chaque membre n' était élu que par une fraction
du suffrage universeI.


Il n'avait point d'égal, et qui n'a point d'égal est le
maltre ou ne tarde guere a le devenir.


Sous la premie re République, le Oirectoil'c était élu par
20




~3U VUES SUB LE GOUVEHNEMENT DE LA FRANCE


le Corps Iégislatif. Rien de mieux; iI est conforme aux
principes, dans un État républicain, que le pouvoir exécu-
tif ait extérieuremellt le caractere d'un serviteur et soit
inférieuren autorité morale an Corps législatif. Mais, aux
termes de la constitution de fan m, le conseil des Cinq-
Cents présentait, pOUl' chaque place de directeur, dix can-
didats au conseil des Anciens. C'était déférer excIusive-
ment le choix a la portion turbulente du Corps législatif,
au préjudice de la portion modératrice, puisqu'i! dépen-
dait du conseil des Cinq-Cents de rendre toute alternative
illusoire en ne présentant qu'un candidat sérieux.


On pourrait, ce nous semble, en conservant le principe
qui est bon en lui-meme, tirer de ce principe un meilleur
partí, el le dégager a peu pres de tous ses inconvé-
nients.


Ainsi, les deux branches de la légisIature, le Sénat,
d'une part, de l'autre, la Chambre des représentants, éli-
raient, chacune dans leur sein, une commission de cinq
membres.


Ces deux commissions égales en nombre, égaIes en au-
torité, se réunil'aient poul' former, a la majorité des voix,
une liste de cinq candidats. '


Le Corps législatif, réuni dans une meme assemblée,
pour ceUe fois seulement, choisirait sur cette liste le pré-
sident et le Yicc-président de la Républlque.




Dt: PHll"CE ~31


Chaque membl'c ne voterait tlue sur un seul nomo
Celui des candidats qui obtiendrait le plus de voix serait


président; celui qui en obtiendrait le plus apres celui-Ia,
se1'ait vice-président.


Sans etre en nombre égal, chaque Chambre étant sinon
ll(~cessaírement du moins habituellement divisée en partís,
et la majorité du Sénat pouvant, en se réunissant a la mi-
norité de la Chambre des représentants, faire pencher de
son cQté la balance, l'élection du président serait a peu
pi'CS décidée par l'ascendant de la supériorité personneIle,
eL la vice- présidence appartiendrait inévitablement au parti
qui n'aurait pas triomphé dans la présidence.


On obtiendrait ainsi une double garantie contre l'ascen-
dant exclusif de la populal'ité, et l'entrainement de l'esprit
de factíon, dangers ordinaires du gouvernement répuhli-
cain, et 1'0n pourrait rendre cette doublc garantie plus
efficace en déférant, de plein dl'oit, la présidence du con-
seil d'l~tat :tu vice-président, en lui confiant la direction
du COI'pS chal'gé de prépal'er les lois et les grandes mesu-
res de gouvernement.Ce se1'ait intl'oduire, a un cel'tain de-
gré, la divisÍon des pouvoirs dans le sein meme du pouvoir
ex.écutif, et ralentir le mouvement de la roue, sans l'ar-
reter en définitive, puisque le chef supreme conserverait
la décision eL le dernier mot.


Heste enfin le problcme de la responsabilité, plus ardu




23:t YDES SUR LE GOUYEBNEMENT DE LA FflAl\'CE


peut-etre, en théorie, que celui de l'élection, mais moins
important, de moindre conséquence en réalité.


Aux États-Unis t, le président, le vice-président et tous
les fonctionnaires de l'ordre civil peuvent etre poursuivis
par la Chambre des représcntants devant le Sénat, pour,
tl'ahison, concussion, et meme pour ces cl'it11es d'lttat de
second ordre que la législation anglaise nommc high cri-
mes ancl misdemeanors et qui conferent ü la Chambre
des communes le droit de traduirc un simple citOy~l de-
vant la Chambre des lords.


Le Sénat ne prononce que sur la fCH'faiturc.
Le fonctionnaire, privé de son emploi et réduit ü la con-


dition de simple citoyen, tombe alors sous la jUl'idiction
des tribunaux ordinail'es.


Sous la constitution de l'an lIT, en France ~, les mem-
bres du DirecLOire exécutif étaient placés sous la meme
g;,.rantie que ceux du COI'PS législatif. Délloncés par le
conseil des Cinq-Ccnts au conseil des Anciens, celui-ci
prononGait, le cas échéant 3, la mise en jugement et défé-
raít l'accusé devant la haute Cour de justíce.


Les ministres 1-, respectivement et non solidairement


1 Const. Art. 1, sect. '2 -3; arto 2, secl. 4.
II Art. 1~;8.
;¡ Art. 113-114.
4 Art. 152.




...


DU PRINCE 233


responsables de l'incxécution des lois, ne participaient
point a celte garan tle.


Sous notre derniere constitution républicaine 1, le pré-
sident, ses ministres et tous les dépositaires de l'autorité
publique étaient responsables, chacnn dans sa sphcre, de
tous les actes du gouvernement et de l'administration.


Toute entreprise du président contre le pouvoir légis-
latif, qualifiée de haute tl'ahison, entl'alnait, de plein droit,


.


et sans procédul'e pl'éliminaire, la cléchéance, et le livrait
a la haute Cou!' de justicc.


Tout acte du président devait etl'e contre-signé par un
ministro :2.


Une loí postél'icul'e devait détel'll1iner les cas de respon-
sabilité, les formes et les conditions de la poursuite.


Il y a, dans ces divers exemples, queIque chose a
pl'endl'e el beaucoup il évitel'.


Ainsi, le président ou régent, inviolable, comme s'il
était roi, inviolable meme apres l'expiration do sa magis-
trature, inviolable, quant a tous les actes de son adminis-
tratiun, couvert, commc s'il était roi, par la responsabilité
de ses ministres, ne pourrait, selon notre plan, etre a tta-
qué et pris it pal'tie que pour tentativo d'usllrpation. En
ce cas, mais en ce seul cas, toute autot'ité civile ou mili-


i Arl. 6S.
:l Art. ü7.




234 YCES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


[aire, toute force armée serait tenue de lui refuscr obéis-
sance.1l serait déposé, lui et se~ complices, par le Corp~
lrgislatif délibérant dans les formes ordinaires, et non
dans les formes juridiques; il serait déporté et empri-
sonné, pour la vie, dan s une colonie, au delü des mers.


Ses ministres, solidail'ement el l'espectivement respon-
sables, pou!' tous les actes de son administration, seraient,
le cas échéant, poursuivís par la Chambre des représen-
tants devant le Séuat, lequel prononcerait, commc aux
États-Unis, la simple forfaiture, et renvcrrait le ministre
destitué par-devant une haute Cour de justice composée
ainsi qu'il était prévu par la constitution dc l'an IIJ, ou par
celle de 1848 f.


Laissons la maintenant cette éventualité de la Répu-
blique; aussi bien notre Républi~ue, si Répllblique y a,
differe si pelI de la monarchie, que ce n'est gllcre la peine
d'en tenir compte autrement que po u!' mémoire.


Revenons au vrai, au définitif, a la monarchie réelle et
nominale.


Les attributs de la prérogative royale sont énutlJérés
et définis dans les a/'licles 12, 13, 14, iR el iD de la
Charle {le 1830; nous ne voyons rien qu'i1 soit Iléeessail'c
d'y ajouter; rien, non plus, qu'il soit ü propos d'en re-


1 Art. :266; art. 9::!.




DU PRINCE


traneher. Les tenant done comme accordés, nous nous
bornerons a présenter quelques réflexions sur plusieUl's
points qui ne 50nt pas, a nos yeux, sans importance.


1. - C'est un príncipe de notre droit public, principe
qui n'existe guere qu'en Franee, dn moins au degré de
rig'ueur et de préeision que nous lui reconnaissons, e'est,
disons·nous, un principe de notre droit public, que le roi,
en montant au tr6ne, réunit, ipso (acto, et de pIein droit,
au domaine de l'État, tous ses biens présents et a venir,
qu'il ne peut plus rien posséder ni acquérír personnelle-
ment de son chef.


Ce principe qui, sans doute, a pris naissance, dans
l'idée un peu déclamatoire, en tout temps et en tout pays,
que l'État et le roí ne font qu'un, qu'ils sont inséparaples
l'un de l'autre, a, de nos jours, et surtout en France,
quelque chose de dérisoire. Comment la concilier arec
cette aulre idée, de bien plus haute portée, que les nations
disposent d'elles-mémes, et sont toujours maltl'esses de se
donner, a leurs risques et périls, le gouvernement qui
lcur convient? eomment la soutenir sérieusement dans un
pays qui comptc, depuis soixanle ans, dix. on douze ré','o-
lutlOns, et, en ce momcnt meme, trois familles de préten-
dants au tróne?


Pour qu' au temps ou nous vivons, un tel príncipe ne
soit pas un príncipe de pure confiscation, il faudrait ad·




236 VUES SUH LE GOUVEHNE~IENT DE LA Flt\NCE


mettre qu'a chaque révolution, il y aura restitution onver~
le prince déchu et sa famille; 01', cela élant, ne mt-cc que
par respect pour la justice, il vaudrait mieux lui laisser
son bien.


Mais la justice n'est pas ici seule iutéressée. Ce qU'elle
exige, la politique le conseille. Dans l'état actuel des es-
prits, en tout pays, et surtout en France, rien n'est plu~
important pour un prince qui monte au trone, qu'un cer-
tain degré d'indépendance, qu'une situation telle, qu'il ne
soit point réduit, en faisant tete aux factions, a la déplo-
rabIe altomative de tout souffrir ou de tout oser; de meme
que ses ministres, dans les circonstances ordinaires, sonL
et doivent etre toujours en position de lui meUre le marché
a la main, et de déposer le pouvoir en rentrant dans la vio
privée, il faut que lui-meme, dans les cil'constances ex-
tremes, soit et demeure toujours en position de meUre ü
la nation le marché a la main, en déposant la COUI'onne; el
pour cela, il faut qu'en rentrant dans la vie privée, iI y re-
trouve une existen ce 'entourée de consiclération et de res-
pecL L'histoire ancienne ou récente Hons apprend que c'est
ainsi, el seulement ainsi, qu'ü l'issue des troubles civils,
le chef el'un établissemenl nouveau peut s'imposer hono-
rablcmenl ü l' espril révolutionnaire. Quand Henri 1 V est
monté au trone de France, apres l'assassinat d'Henri III,


.'.'"tj¡. bien lui en a pl'is de demeurcl' rol ele Navarre, dc IlC Jloint




BU PHINCE 237


réunir immédiatemenl son petit royaume réel il son grand
royaume en expectative, et de trouver dans le premier
un point d'appui contrc les factions qui lui disputaient le
second. Quand Guillaume HI est monté· au trone d' Angle-
terre, en 1688, bien lui en a pris de rester stathouder de
HOllande, et de mena~er sans cesse wihgs et tories de les
abandonner a leurs folles passions et a leur dissensions
perpétuelles; enfin, de nos jours, si le roi des Delges n'a
pas été dix fois détroné, iIle doit peut-etre a l'élablisse-
ment qu'il conserve a Claremont, et au regard d'envie
qu'il tourne continuellement, et trcs-sinccrement de ce
cOté. Ce qui menace l'existence d'une royauté nouvelle, ce
ne sont pas d'ordinaire les adversaires qui s'efforcent de
la renverser, ce sont, surtont les amis inconsidérés qui
prétendent la conserver en lui imposant leurs caprices, en
grimpant sur les épaules du nouveau roi, en l'assiégeant
de leul's prétentions sans mesure, et de leurs appréhen-
sions imaginaires.


n. - La seule objection contre cette idée de laissel' au
prince régnant la propl'iété de ses biens persollncls, et la
possibilité de les aceroitre par une sage économie, ce sc-
rait la cl'ainte de le yoír détourner vers ce but une partíe
de sa liste cívile, au détriment du but meme pour lequcl
eeUe liste civile lui est allouée. l\Iais, en supposant que
eette crainte ait quelque cllose de fondé, le mal ne serait




238 yrES SUR LE GOUVERl\'EMENT DE LA FRAl\'CE


pas grand. Il faut choisir en effet désormais entre les deux
systemes de royauté qui prévalent en Europe ; ou la royaulé
hautaine, splendide des héritiers de Louis XIV, des rois
d' Angleterre, des empereurs de Russie, ou la royauté
simple, modeste, familiere des empereurs d'Autriche
desroisdePrusse, des souverains d'Allemagneou d'Italie,
et, dans le choix, notre préférence est pou!' ce derniel'
systeme.


Une l'oyauté exhaussée sur les échasses de l'etiquette,
une l'oyauté rehaussée de pompe el de magnificcnce n'a
de vraie gl'andeur qu'autant qu'ellc n'est pas née ou I'C-
nouvelée d'}¡icr et faite ~ la main. L'antiquité seulc en-
noblit la domesticité, prete un caractere honorable aux
actes serviles, et jettc un voile symbolique sur l'appareil
d'un eérémonial dont l'origine rachete en partie la frivolité.
Hors de lü, e'est la frivolité qui demeure. Du sublime all
ridicule, il n'y a qu'un ]las, surtout quand le sublime
n'est pas de trop hon aloi.Il faut qu'un souveraín nou-
veau, fflt-il meme de race royale, soit un ofticiel' de for-
tune, sons peine de n'etre qu'un parvenu; toute la
gloire d'Iéna, de Friedlalld et de \Vagram ne suffisait pas
a couvrir le ridicule de la cour impériale; J'cxil, les pl'i-
sons d;í~tat étaient nécessail'es pOU!' lever sur le faubourg
Saint-Germain une cOllscriptioll de chambellans et de
dames du palais; et, quant ü la seconde cour impériale, on




DU PRINCE 239


pcut, ü eoup sur, lui appliquer, sans étre démenti par 1'0-
pinion, le sarcasme de Praxitele: Tu as bien {ait de COll-
vl'ir ta V¡;nus d'o}' et rl'ivoire, ne }Jouvant la {aire
belle.


01', s'il est vrai que, dans l'avenir qui nOlls est résené,
un étalJlissement royal grave et modeste, un établisse-
ment royal tout de plain-pied, un établissement royal en-
ncmi du faste, du clinquant el des oripeaux d'une {ausse
gralldeur soit désormais celui qui eonvient, encore un
coup le danger de voil' la liste civile un peu détournée de
son but ne serait pas bien mena<;:1llt ; mais il y aurait, en
touí ca s, un bon moyen de le prévenir; ce serait de faire
oellx pal'ts de la liste civile: l'une provenant des biens
affectés a la dotation de la couronne, et dont le revenu sc-
rait consacl'é a l'exploitation de ces bicns, a l'entretien
des paJais, ehateaux, pares, et autres établissement~
royaux; l'autre provenant direetement des fonds du Tl'ésor,
restant pour toutes les autres dépenses h la disposition de la
couronne; les eomptes de la premiere partie seraient ré-
gulil~rement publiés, sans etre, néallmoins, soumís a la
discussion des Chambres ct ü I'examcn de la COlll' dl.'s
comptes ; les comptes de la seconde ne le scraient qu'au-
tant el dans la mesure qui conviendrait au prince; cela
seul suffirait pour rendre illlpossible tout détournement de
quelque durée et de quelque imporlanee.




2iO VUES SUR LE GOUVERi.\'EMEi.\'T DE LA FRANCE


Mais un avantage plus sérieux, plus considérable, se-
rait attaehé, ce nous semble, a ce role el' officicr de {or-
tune, nous répétons le mot, parce qu'il exprime vivement
notre pellsée, a eette attitude simple et fiere que nOlls
prendrions la liberté de eonseiller, le cas échéant, a tout
monarque nouveau venu.


nI. - En nous l'eportant, par la pensée au rcgne du roi
Louis-Philippe, il nous paraH impossiblo do no pas attri-
buor une partie des difficultés qu'il a rencontl'éos, tallt
dans la politiquo extérioure que dans la politique inté··
rieure, aux efforls qu'il a faíts, des l'orígine, pour ell'o
admis, sur un pied de eonfraternité parfaite dans lo eol-
lége des rois do l'Europe.


Des le lendemain de la révolution do 1830, avant meme
la formation (lu nouveau gOllvernement, le corps diplo-
matique accrédité pres do Charles X, dé.libérant sur la
question de savoir s'il quitlerait París, arait .tres-sage-
ment résolu de ne pas s'éloignor, el d'atlendre de nou-
velles instruclions. 11 n'y avait par conséquent aUCUllC
nécessité de multiplier les instanccs pour le retenil'.


Des le lendemain de la formation du nouveall gouvor-
nement, des aides ue camp ayant été expéuiés dans toutes
les cours do l'Eul'ope, le nouvcau gouvcruoment avait été
reeonnlJ. II n'y avait par conséqucllt nulle nécessité de
tenir comple de l'aceueil plus Otl llloins gracieux que teI




DU PRINCE


ou tel messager avait pu recevoir de la part de tel ou tel
prmcc.


Cela étant, si le roi élu des Frant;ais, au lien d'inci-
denter sur ces questions de protocQle si clleres aux
péelants de chancellerie, au lien el'altacher trop de
prix h ces formules de cour'toisie qu'échangent entre enx
yolontiers les roi8 de pUl' sang, et qu'ils n'accordent qu'a
bonnes enseignes aux rois de fraiche date, si, elisons-
nous, le I'oi élu eles Fran<;ais avait pri~ pour modele Jean
Sobieski, roi élu eles Polonais et libérateur de l' AlIe-
magne, dans ses elémClés el'étiqnettc avec l'empereur
Léopold; s'il s'était [ait honnenr ele eléclarer que appelé Ü
la plus hante, ü la plus périlleuse des missions, appelé :l
préserver la France et l'Europc de l'invasion révolutioll-
113ire, il entendait n'envisager la royauté qn'en ce qu'elle
a ele sérieux, et faire bon marché de tOllt le reste, en
maintenant, bien entcndu, dans tous les rapports offkiels,
le droit de parfaite réciprocité, ü coup sur, les rieUl's au-
raient été de son coté, et, ele l'autre, l'embarras n'aurait
pas été mMiocre.


De meme, résolu comme iI l'était, 11 maintenir la paix
générlllc, a respecter la foi des traités, a se conformer aux
rt~gles de hon voisinagc, a s'abstenir de tonto propa-
gande révolutionnairc, mais, en rcvanche, ü repousscr
énergiquclllPnt toute insulte el toute agrcssioll, ~I ré-




'iU VUES sun LE GOUVEIU,EMENT DE LA FHANCE


pondre a toute attitude mena¡;ante par une attitude pa-
reille, a lous préparatifs hostiles par des préparatifs égaux
et de meme nature, s'il eut, des le jour de son avénement,
réuni dans son cabinct le corps diploma tique tout entier,
et que, Ul, en présence des présidents et secrétaires des
deux Chambres, il eut exposé ses intentions dans un Ian-
gage mesmé mais ferme, grave et décisif, en ajoutant que
le jour ou cette politique lui deviendrait impossible, il dé-
poserait la couronne; s'il eut consigné cette déclaration
par écrit, et que avertissant séverement, par l'entremise
du corps diplomatique, les gouvernements étrangers et
lems chefs des dangers que la moindre imprudence, ou la
moindre insolence, de leul' part, ferait courir a la cause
commune, il les eut rendus responsables de l'événement,
il les aurait a coup silr, grandement intimidé8, et, des
101'8, il allfait pu s'épargnel' des conversations qui l' ont
souvent compromiso


Pour un roi nouveau venu, den de plus dangel'eux, dans
ses rapports avec les gouvernements établis, qn'un faux
semblant d'intimité et de confiance. Tous sont, au fond,
ses adversaires ; les uns travaillent a l'affaiblir en l'hu-
miliant, les autres a exploiter, dans 1eur intéret, ce que sa
position a de critique et de précaire. De leur part, les
conseils sont suspeGts, les confidences sont des piéges, et
les ménagements des prets usuraires. Ce qu'il y a de miellx




DU PH1NCE


a [aire, c'est d'elre, avec ellx, tres-sincere, et, pOUl' etre
tI'es-sincere, d'etre tres-réservé, de tenir leurs représen-
t:mts a distancc, de ne se point laisser serrer de lrop pres,
de ne leur point livrer le seeret de ses difficultés intérieures,
de ne laisser jamais échapper devallt eux son dernier mot.


e'est clans ulle position pareilIe qll'il faudrait Invente!',
si l'Angletel'fe n'en offrait pas déja le sage exemplc, eeUe
regle que le roi d'un pays libre ne doit commllniquer avee
les :lmbafSadeurs étrangers que par l'entremise de son
propre ministre; qu'en les admettant a sa table, en les re-
ccvant a ses fetes, il ne doit s'entretenir avee eux que sur
demande d'audience, et en présence de son organe offieiel,
qu'il doit les écouter sans leur répondre direetement, et
ne jamais leur permettre d'ouvrir la bouche, devant lui, sur
lcs affaires de son-pays.


Ce serait, il eoup sur, le meilleur de tous les moments
pour inaugurer une tclle regle, excelIellte d'ailleurs dans
lous les temps et dans tous les pays, que l'avénemcnt el'un
peince élevé par la fortllne sur le pavois populaire ou mili-
taire; mais il faudl'ait pour cela, bien entendu, que ce
pl'ince fUt assez sage pour renoncer sans regret a toute fa-
miliarité d'emprunt avee les tetes couronnées, a tous com-
pliments, ü tonte visite; en un mot, au líeu de tendre a se
confondre avec elles, il faudrait qu'il mit du prix a s'cn
d istingucl'.




:H4 VUES Sl!H LE (;OrVERNEMENT DE LA FRANCE


.\OUS ne pousscrons pas plus loín ces rétlexions qm
nous ont peut-etr~ écarté de notre sujct ; mais nous avions
:t Cffiur de les indiquer. 11 n'est guere possible de sé-
parer entierement, dans ~a pensée, les institutions des
hommes, les hommcs de leurs actionj, et leurs actions de
leurs préoccupations habituelles. De l'idée qu'un roi nou-
veau se formera de la royauté dépendra, plus ou moins,
l'ensemble de sa conduite, et de sa conduite le succes du
nouvel établissement. Assez, désormais, de pompes et
d'étalage; assez de formalités surannées et de formules
vermoulues ; assez d'adresses et d'hahits dix fois retour-
nés. Choisissons dans le pas~é ; en Iaissant durel' ce qui
dure encare, n'imitons plus ce qui n'est plus. En poli-
tique, comme en architecture, il faut qu'un nouvol édifice,
tout en rostant fhll~le :mx regles de l'art, soit de son
temps, serve a son bUl, réponde ü son origine; iI. faut,
sous peine de sottise et de ridicule, que chaque chose
s'explique d'elle-meme, et ne prétende pas s'adresser a
l'imagination ou Ü la mémoire, sans y trouver a qui
parlero Quand, aux jours de notre premiere Hépublique, le
peintre David affublait d'une toge le dos hossu de La
Réveillere-Lepeaux, il ne faisait qu'une mascarade;
tandis que, aux yeux des Amérieains les plus sensés, le
costume simple et ~évere de Washington, son grand habit
de velours ooie fait corps avec sa grande figure, el que,




DU PRI:'iCE


chcz nous, malgl'é le saCl'e et le pape, malgré le gout
peut-otec et 1:1 cOllvcnancc, lc petit rh1pcau et la pctite
rec'ingotc dc Kapoléon ont détroné, SllI' la colonne, le
globc, lc sccptre et la robe de Chal'lemagne.






CHAPITRE VII


[) E S l: O 'í S E r L S n e f{ (1 I


Le Corps législatif se compase du rol et des dellx
Chambl'cs.


Toute loi, toute mesme de haute politique ou simple-
menl d'intérel général exige leur concours soil direct, soit
indirett.


En Ilu"se géu(írale, l'iniliative arp~lI'tient conClll'rem-
menL :m roi et :1 C]¡:-Hjlln IIH'1l1hl'e eles dellX Challllll'es; il
est lléanmoins des loíS 1 le budgel, pal' cxcmple, el des
mesures, p:1l' excmple l;:¡ paíx Oll la gllCf'I'C, don! ,'illilia-
tire apparticnt au roi, nétcssail'Clllellt el par la furce
Illeme des rhoses.


L' exécution u'appartient fln';l lui.
}Iais le roi n'excrcc directelllcnt et par lui-meme ni \'í-


niative dont 1:1 cunstilulion !'investit, ni m0mc aucun «lIS
droits illhérL'llts ;1 la prérogalive royale ; illes exerce tous




~i'\ rUES sun LE (;uurEn;\,EME~T OE LA FR \lW:E


illdistinctcment par I'CJ1tremise et sous la rcsponsahilité
de ses conseillers, lesc¡uels, agissant tantot séparémcnt,
t3ntot réunis en corps, tllltot répartis entre plllsieurs con-
scils dont les attributions sont diverses, couvrent la
royauté sallS l'eHacer, en assumant, sans l'usurper, la
di rection des affaircs.


Rien n'étant plus imporLant, sous un régime constitu-
tionnel, que l'agencrment et le jcu de ce m(ícanisme, iI
vaut la peine de s'y arreter qllelque peu.


En Angleterre. I'organe principal el essenticl de la
royauté, c' est le conseil privé.


Le conseil privé, c'e:;{ ce qui sllbsi·;te encore :llljOur-
d'llUí de celte conr féodale en qui se rénnissaient et se
confondaient primitivernent tous les pouvoirs, el, dont la
marche des événements a successivement démembr(~ :


10 Le parlement ;
2° Les cours de justice;
3° Le nwgllllm cOllcilillm, exclusivemenl, composé des


pairs du roy;mmc, conseillers héréditaires de 13 couronne,
institution surannée donl, il ne subsiste plus que le droit
inhérent h ch:H¡Ue p:ür d'obtenir audience du roi, et de
,'entl'etenir sur un sujet quelconque ;


4° La Chambre étoilée, el la Cou!' des requetes, sup-
primées en 1G40, par la pétition eles dl'oits.


Le conscil privé se compose des dix premiers person-




DES CONSEILS DU ROl i49


mges de l'État 1, dont le rang demeure légalement fixé
soit que leur titre corresponde á des fonctions réellcs, soiL
qu'illle corresponde plus qu'a des fon.c:tions honorifiqucs,
et ele tous les sujcts auxqllcls le roí confere et maintient,
sa vie dmallt, le litl e de eonseiller privé.


Ce titre, en effct, est rérocable, et le conseil pri vé c:;t
re .. ouvc1é intégralement Ü chaque vaeance dH trone.


Il suit de lit que toute personne qui occllpe un poste de
quelqlle importlllce est, sinon nécessairement, du 1l1oi1lS,
naturellcmeIlt conscillel' privé, el demcure tel Illellle
lorsqlle les vicissitudes de la pulifique, en l'éc31'tant clu
pouvoir, le font passel' dans les r:mgs de I'oppositiun.
Etre rayé du conseil privé est une elisgrace dont il y a pou
d'exemples.


On se poul'\'oit derant le conseil privé contl'c cerlailles
décisiollS de la COII!' de chancelIerie, contro les 3l'l'Cts des
cours ecdésiasliques, de la haute Coue de l'an1Ír;lUlé el
des tribunaux nos colollies; et, dans ces cas puremcllt
jUl'idil¡ues, le conseil statue par l'entl'emise el'une COlll-
ll1issioll Oll siégent les magistrats les plus hauts placés du
royaume :2.


I Tl!p lord clnncel!or, t'~e Ionl trrnsurcr, the lord president, the
IUill' l'ri\) sl·al.!l1t) lord cilamJJérlaill of ElIgland, tlIC lorJ ilígl!
('(JIJ:<I;¡]Jll', lhe lo!',1 ma!'sklll, tlj(' lord ltigll a¡]mir,tl, llw I()rd ;;lew
ard of llIC huu~dlOlJ, thli lord chamherl:l i n of the housellUld.


e TilP lord kr:1pCI' (lf Ihe great '1';11, the lnrd chid jnsticp oí [t\,>




2ZiU YCES SCR LE GOCVEIL"Em~:\'T DE LA FIUi'iCE


Uue autre commissiOI1 composée de neuí' eonscillers
privés, assistés de deux secl'élail'es, ~'occup~ de ccrtaines
affaires relatives aux colonies, au commeree, aux chemins
de fer.


Mais ces attl'ilmlions, queHe que soit lem importancc,
ne font qu'ajouter au poids et il l'autOl'ité politique du
conseil priyé, considéré, ain~,i qu'i! a élt~ dit tout a
l'heure, comme l'orgalle essentiel de la royauté. Cesl
dans ce conseil que le roi est censé traiter, de ¡'avis el
SOLlS la respunsabilité des mpllJbres qui le composenl,
tomes les ilffaíres de l'État. C'est en son Ilom que SOllt
promulguées les proclamatiolls el autl'cs acles de l'aulorité
royale. l\Iais, ce conseil étant tres-noml)l'(~llX et composé
d'éléments tres-hétérot;i:~nes, il a prévalu gt'aduellemen! :


10 Qu'allcuu conseiller priré n'assisterait allx seances
dll conseil sans avoir été nO[J]inatlvement COI1Yoqué;


2° QII'aucun cOllseil1er privé lle scrait respollsable des
acles auxquels il n'aurait poillt participé par sa préscllce
et son aYis ;


3° Que les seuls conseillers pl'ivés convoqués, saur ex-
ception, seraient les membl'es de la haute adnlÍnistration,
formant ce qu'on nomme le cahinet, la cOlllposition du
callinct restant indéterlllinée et nl'iable ;


KiJ ¡¡j' s Belle]¡. the master 01' the Holls, tile vi(;c-ch~lncetlor, tl!"
düd' Ddl'UI1 uf the e\.c]¡cql!('l'.




DES CONSEILS DU HOI 2:;1


~o Que les séances dll conseil privé, meme ainsi rédllit,
Jj'auraient d'alltre objet, d'ordinaire, que d'obtenir offi-
ciellement J'approbation du roi a des mesures déja concer-
tées avec lui ;
~o Que ces mesures ne lui seraient soumises qu'apres


3voir été communiquées ü tous les membres du cabinet,
de telle sorte qn'aucun d'eux n'en puisse prélextel' cause
d'ignorance, ni décliner 1:1 réponsabilité.


JI suit de lit quc ce qu'on nommc, en Franco, le conseil
des ministres, est en Angletert'e la tete d'un grand corps,
v~néré par sa haute :llltiquité, compLant dans son sein la
plupal't des llOlllllles consídérahles du royaume, excrttant
directement des attributions importantes, el pretallt
;¡ l'administration (fui le dirige son éclat et son
arpIli.


JI s'cnsuit égalomeut que l'intel'vention de ce corps llt'
~ene en rien la libl'e aetion du cabillot qui en cst la téte,
le cabiuet demeurant l1Iaitre d'appeler ou de ne pas ap-
peler, seloIl l'occurrence, tout OH pal'tie de ses collegues
it ses délilJérations préparaloires ou définitives.


Il s'ellsuit, enfill, que les séances du conseil privó
étant, en quelque sorte, formeHes, les délibérations du
cabinet se poul'suívent et se tCl'minent 1101'S de la présence
du roí qui n'est illformé de leut' teneur, de leur progl'es
r,t de leu/' issue que pat' les comulUnieations personnelles,




VUES SUR LE GOUVEH.\'El\I~~T DE LA FRA:\CE


tant ayec le chef du cabinet, qu'avee clwque memlH'e etl
particulier.


Ajoutons qu'en these générale, eltaque membre du ca·
binet est lui-meme chef u'un comité (lJoa1'll) compos(
de rélite de l'administration, qui l'assiste Le ses cunseil~
et partage S1 l'esponsabilité.


On le yoít, en cecí comllle en toutes cllOses, dans l'heu-
reuse et sage AnglelCl'l'e, le passé fonde le présent, et le


.


présent reclifie le passé. L'institution dans son état actuel,
est le procluit d'innovations suecessircs greffées, d'épuque
en époque, sur un fund solide et ill1mémorial, eL, quelq~le
défectucuse qu' elle reste encore, Ü plusieurs égards, il sc-
rait difi1cile d' en COllceyoir une qui concilie mieux rauto-
rilé de la couronne et la liberté de ses serviteurs.


Nous procédollS autl'ement en Franee; la France est
l'ennemie de son passé, il lui ldait de tout recommcucer
S1t1S cesse ab ovo, de tuut détruil'C pour Lout rcfait'c, duL-
elle s'attrape!' elle-n,emc, donner de llouveaux nOllls aux .
"iei1los cllOses, l'edressel' el replútl'er des lllatériaux de
démolition.


01'iginairement, en France cümme en Angletert'l', le
conscil du roi avait l'éuni t011S les p011\'oirs; originail'l:-
mcnl, en Frallce conJlnc en Angletcl'l'e, on en arait dé-
membré, d'époque en épollue, les principales institlltioll:->
de Id lllOn:lrchie: états généraux, parlements, cours




DES CONSEILS DU ROL 2J3


des comptes, cours des aides, etc., etc.: néanmoins,
sous Louis XIV, sous Louis XV, meme aux approclles
de la Révolution, l'ancien rond du conseil uu roi, nommé
pl'imitivement conseil étroit 011 privé subsistait encore,
bÍen que morcelé SOllS de3 noms différents : conseil des


• dépéches, cOl1seil des finances, conseil des parties,
etc. Il cOllservait la haute main sur tous les grands corps
de l'I~tat, el les seerétaires d'État, les clercs dll secret,
l:omme on les nornrnait ü l'origine, éLaient plutOt l'mil el
le bras du rOÍ, eH son conscil - en son conseil oú tout
vcnait alJoutir - que des millistres proprement dits.


La Bé\'ollltlon a rait main bilsse sur ceci, comme sur
tout le reste, et i'elllpcreur a rétabli ccei, comme tout le
reste, mais en lui donnant, comme toujours, un nom
mi-partic anden eL llouveau, et UBe forme plus réguLerc.


Le conseil d'J~tat impérÍal, en elfet, était, sinon de
clroit, du muills de fail, le premier corps de l'État; excr-
(ant l'illitiative, eu ce llui [ouche les proposítions de lois
et de sénatus-consultes, il avait la haute main sur le corps
législa!if eL sur le s(~\lat; arJitrc des conflits entre la cour
de c3ssation el les cours impél'iales, entre la justice et
['administra/iun, iI avait la haute main sur 1'une eL sur
l'autre; il tl'll~lit en brille le clergé par les appds comme
d'ablls. Di\'i~é en aul:lllt de sections qu'il existait de
ministeres, char~é cl'assurer rexécution eles luis par des




2Ji YUES sen LE GOUVERNEMENT DE LA FRA~CE'


décrets et des ecglelllcnts, appelé ~l prollollcer sur le mé-
rite des plaintes pOt'tées contee tous l(~s agents d'cxécu-
tion dc uegl'é en degré, il arait la hallle maio SU!' le mi-
nistcre tout entiel'.


En un Illüt, c'était pOllr l'empercue un véritable instrll-


men t mn rC{j7Z i.
Le régill1e repl'¿'selllatif a fait descendre, snr tow; ces


points, le conseil d'État du premier au second rango
Cela était inéyilable.
b:mancipallt, du IlIcme coup, le~ Challlbl'cs cl le minis-


Lb'e, il a paJ'tagé cntrc eus. l'initiali\'c. JI a l'cstitu:; ;'t la
cUlIe de cassation l'autorilé supreme en maticre jut'idi(ltlC.
Plat;'aut indistinctelllcllt tous les acles, loutes les mesu-
res d'exéculion, sans en exceptee ni le:-: apllcls comme
d'ablls, ni les conllits, ni la l1li:.;c Cll j ugemcnl des fonc-
tionllaircs publics, sous la responsab¡lité des ministres, ti
a réuuit lc cOllseil d' I~t:lt all ¡'(¡le de ClJl'pS silu plellwnt
consultad!', el dOllt, en príitcipe si Cl~ Il'est en fait, ks ads
meme u'avaient rien d'o])!igatoire.


Des 10rs, il y avaiL pOUl' le ministere, pOlll' lc gOllYCI'-
nCllH':Ilt dll l'oi, líen d'optci' cutre dCll:\ partís, s:l\'oir :
d'amoluclrir de plus elllllus le cOllseil d'I::L;tl, du le fair~
de plus cn1Jlus relJtrcl' dans 1'0lubre, dc n'en fain~ qu'lI!1
sÍlu pIe el ub:-icul' 1'0liage d'admil1lstl'atiot1, ou du lui lllain-
kIlir, SillOl1 son l'all¡,!;, du 1l1OltlS son jJlljJül'lancc, t!'ílllíiel'




DES CONSEILS DlJ ROl


en cela l' Allgletcl're, lHutatis Jnut([}ulis, de protlter ele
son rcnom, de se placer á sa t(~t0, ercn faire son corps de
hataille el son point d'appui.


011 pl'it le premiel' partí.
11 passa graducllcll1Cllt eH principe qu'aucune qucstion


politiquc Ile sCl'ail dll rcssort du conseil d'l~tat; qu'aucull
personnagc poliliquc n'en ferait partic; qllC lc corps scrait
exclusircmcut composé d'hoillmes sp,jciaux, de chefs de
divisioll des millistcres, (out au plus de qud4.ues membres
sccondaircs des lll~ljOI'j(és llllIlistáieIles auxlluels on en-
lellllrail fail'c Ulle pu,ili Jtl; qu'il s'o::;cupei';Ú exclusi\'c-
ll1cnt :


10 De la prépal'ation des lois et des mesures d'intél'et


2° De la IwJpal'alioIl des décrds el reglcmcuts ü rendre
1:11 cxéculion d~ ces lois et dc ces mesurcs;


3° De l'cx.amen des difíícnllés que rencontre et eles ob-
jectiolls q llC soulhe l'applicalioll de ces décrets et re~le- .
lllellts;


4° Dcs :lppels cotnme d'alms, des conllils et de la mise
l'll Jugemcllt des fOllCliolllrlires lHlJJlics;
~;(' Dcs diversl's qUl'stiolls que chaque dépal'tCl1lcllt mi-
IJi.~téricl iU!2:el'ait ;\ })I'0lJOS de lui déférl'l'.


" Cj


C' éLai t encorc bcaucou 11 tl'Op, si l' on pl'étcnuail l'anl1ulcl',
e;l1', selol1 llUS príllcipes el HOS habitudes, c'était lui laisscr




256 YUES SUR LE GOUVEnNfDIENT DE LA FRANCE


une part d'aulorité consiclér,lble, ainsi llU'íl sera expliqué
tout ill'hcurc, m~ís une pal't d'autorité plus réelle qu'ap-
paren te plus de fait que de droít, eí par l~, plus faeile a
attaquer qu'a j t1sUier.


Le eonseíl d'l~t:1l dcmcure done un corps lIybride, d'un
taraetere éqnivo'llle, conservant tout le foncl eL un pelllcs
formes de Lllibl'(, Mlibération, suspect éga[elIlenl, sous
ee rapport aux C[Jamhrcs et ~\Ux ministres, souvent mis en
questiJn, toujours mollcmeut ddcllllu, el ne renuant P~¡s,
~t beaucoup pl'es, lOUS les seníces ({u'on serait en elroít
el'en espérc!'.


On aunit mieux rait, ;l notl'c ;i\'is, dc pl'cndrG [c partí
contcail'e; on ~lUl'ait miellx fait de posel' en principe :


i o Qlle toute loi, que toute mesure de quclque impor-
tance politlqllc, adminhtrati\'c Oll autre, serait préparée
ct ai'l'etée en cOllseil d'l~tat;


2° Qne le conseil d'État serait furmé sur un plan qUl
compl'cnul'ait l'élile ncs IlUlllmes ll'ÉLat, l'élite des
homllles d'affail\'s, l'élite eles hOlllllles d'actioll UU pays ;


3° Que L' ministerc en cxercice en fel'ait tOlljOlll'S p~l'lie
intégrantl~, et el! disposerait, commc la tete dispo~e du
Cdrps el des mcmbl'cs.


Voici, dans ce s"s!cmc, C0l1111H'llt alll'ail'nL l,té, l't si nos
idées \'enaicnt jamai·s a PI é":1loil', cOllllllcnt sCLlicllt 01'-
rlonné n " toules ehoscs.




DE~) Cu'iSEILS De nOl


LL' conseil d'État scr~lit composé :
D,~ tous les ministres passés OL! acLucls ;


~57


De tous les ·titlllaire~, passés OH actuels, des gt'andes
3mbassalles;


Des rhefs jll'inripaux, pas-és ou :1ctllcls, de la jllStiC~,
de l'atlministl'ation eL des t1nances;


Des chef:; prillcipallx, passés Otl actuels, des aflilées de
terre Oll ele me!'.


11 sei'ait divisé en SC1'Vlce ordinaire el en senlce ex-
traordinairc.


CharIllC mitlist;'l'e en exel'cice dlOisil'ait librellJcnt el
formerait, selon ses vues, le service ordinail'e, écartant
ainsi, par voie de prétél'ition tons le; ll1émbres dl1 conseil
qui ne part:lgeraient puiot ses sentiments politiques. CeHe
exclusion natul'elle n'aurait den de blessant, et, néan-
moins, la rénnion ostensible dans un meme corps, l'asso-
ciatioll SOllS un m0me titre de tous les personnagqs consi-
rlérables du pays, rendl'ait a petit bruit bon serrice a
tons les intérets sociallx, en maintcnlnt entre les chefs des
divers pal'tis un peu (]'harmonie, en tempérant, a un cer-
tain dcgl'é, les l'ivalités, les animosités réciproqués, en
facilitant, dans les circonstancescritiqués, le~ rapproche-
ments el les compromiso


Le service ordinairc serait divisé en quatrt~ conseils :
Conscil privé,





:!\8 VUES SUR LE GOl'YER~E~IENT DE LA FHANCE


Conseil de législation,
Conseil d'administration,
Conseil du contenticux.
Il serait placé pres de chaque ministre un comité spé-


cial, composé de maitres des requete~, ct présidé par un
conseiller d' État, pour l'expédition des affaires couralltes
et de détail, sallf référé au conseil d'administration, en
cas de difficulté.


Le conseil privé serait composé :
10 Ou minislcl'c en exercice;
2° Oc tous les pCl'sonnagcs hallt placés sur la li~tc


du servicc ol'din:lire, lJ.Uf' le minisl¡\fl) en exercice jll-
gcrail il propos d'y :lppelrl', sllivant I'ocr;\sion, ct salls
qU';l cet égard, h conyoeation fflt olJligatoire.
C'e~t en conseil privé que sCl'aíent délibél'écs et alTclée~


toutL's les mesures de haute politiflue, soil p:ll' le /lll·'
nislcre seul, ce qui 5c/'ait le C:IS [e plus onlinail'c, soit
par les conscillers qu'íl juger;¡il iI propos ele s'assodcl'.


C'est en conseil pri\'é que seraien! cldlnilivcmcnt ar-
relés et rcvelus de l:l signatUl'c rople les lois, actes, I't
mesures prépal'és dans le sein des :mlres conseils.


Ces séances d\t conseil privé étant solennelles et d'ap-
para t, il conviendrait de les rendl'e régllliel'es, pérjodiques,
de teUe sorte que, présupposant des l'éunions liures el
fl'équentes entre les mjnistl'es~ et des c0Il1I11unirations ar ..





DES CO~SEILS DU nOI


ficicuses entre les ministres el le roi, ríen n'y fUt d¡q¡-
hér(' l{ll'a argllments comll111niqllés, ni décidé que pro
(ormll.


C:'est ainsi que les clloses se passent· en Angleterre.
Ríen ne concilie mieux, d'une part, la liberté et ]e secret
des discussions préparatoirls, et, de l'autre, la gravité el
]':llItorité des résolutions définitivp,s.


Les trois :mtres conseils excl'ceraient séparémenl les
troís grandes fonctions attribuées aujourd'hui au corps
enticr du conscil d'J~tat: la pl'éparation des lois; la
préparalion des déet'cls, ordonn:ll1ces, actes d'exéeution,
qllclque nOlll qu'on 1eut' ¡Jonne: l'examrn et la solution
des queslions contentícnscs.


L'attl'ilmtion r(;gulicl'c, distincte, de ces ti'Ois brallCIH's
de service pulJlic au pouyoir central, au pouvoir respoll-
salJle, étant un raít d'orgallisation poliliq lln parliculirre a
la Franee, inconnll 011 méconnu en Anglererre, el c¡u'il est
permis de com:id(ín'l' conmle 11ll rll'ogT('S vérit alJle dan s
I'art du gouvernemcnt, et pl'l'squc dans la philosophic du
Ul'oit public, quclqucs 1ll0ts sur ehacun de CfS points ne
~eront pas inutilcs.


L - En France, les ministres exercent l'initiative royale
.


uircctement et au nom du roí. En "\ngleterre, ils l'cxercent
En lelll' pl'ojll'e nOI1l, OU S011S le nom d'ull membl'c du
pal'ti minisLJl'iel.




2iJO '"VES SlH LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


Ce mode de procéder quí témoigne encore, apres tant
de siccles, qu'ü I'origine le droit du l'arlement n'(~tait
qu'un droit de pétition, ce mode de procéder, disons-nnus,
a certainement l'avant::lge de ne point compromettre la
couronne dans les déLats et u:ms l'issue des proposiUons
ministérielles; mais cet ::Ivantage n'est qu'apparent; pcr-
sonne n'esl dupe de la fiction. Notre mode' de procéder rst
plus simple et plus franc; s'il faít comí!' quelque risque
a la couronne, il a l'avantage d'armer de tout le poicls de
la royauté les propositíolls ministérielles, avantage consi-
dérable el qui n'es1 pas le seu!.


En eft'ct, la pl'oposition royale, d:lns notre systeme, se
présente aux ChamLres, préllarée, múrie, complete; ré-
c1igée, s::luf amendement, dans son état définitif; elle sr,
présente, forte d'unc pl'emH~I'e épl'euve qu' elle a subir,
dans une disclIssion libre, entre gens du métier, entre
gens uniquement préoccupés ele la purger de ses c1éfauts,
de la porter ::IU degl'é de pel'fection qu'elle peut atteindrc;
elle se présentc, en un mot, artm\e de toutes pieces, tan-
dis que, dans le systeme anglais, le propo:-.;ant, ministre
ou pseudo-ministre, p:lrlant en son propre nom, ne peut
gllcre préscnter qU'l1ne esquisse, plus ou moins éconrtée,
réduite aux traits principaux, ÍlIdiquée d'ordinail'e, sous
forme de résolutions génér:lles; ce n'est qu'aprb; avoir
oblenu un premier, voire meme un second assentiment






DES COi\'SEILS DU ROl %1


de la Cllambre devant IaqueIle elle comparait, que la pro-
position ministérielle obtient d'rtre rcnvoyée devallt un
comité ou siégent des jurisconsultes, des hommes pl'3ti-
que5, pOU!' y recevoil' sa forme officielle.


JI e:;t aislí de yoír, cl'un cnup d'ceil, Ieque! des dctix
systcmcs assul'C le mieux. la pl'épondé1'311Ce de la préro-
gativ~ 1'0yaIe; 01', eOlllmc de nos jours et dans l'état de
nos mce U1'S , SOllS un régime de liberté réelIc, e'est la
prérogative qui faiblit (l'ordinaire et qui périclite, c'est
elle ql1'il fant fortifIer, p0111' maintenir OH rétablil' l'équi-
Jihre.


tI. - Mais e'est peu.
En pl'incipe, les lois proprement Jites ne Jisposent el


ne uuívent uisposer que par voie générale. }1tlis, dans un
gTand pays, entre les prescriptiollS de la loi, et les üLli-
gations du eitoyen, il se 1'ellcontl'e, et doit nécessait'ement
se l'CnCulltl'er lln inleryalle, plus ou muins vaste a combler
pal' des ~ór¡es ü'aetes el de mesures intermédiaires. POtlr
ulÍeux faire eomprendre notre pensée, qu'i! nous soit pcrmis
Je reproduire id ce que Hons avons publié, en u'autres
temps, su!' ce sujct 1 :


{( Oa115 l'cnccinte d'un tres-pctil pays, 011 peut conce·
voil',"a la rigueur, le législatcul' en ti tt'c , l'emplissaut lui-


{ flevue fl'((lIf((i~e, llO VI, no\". 1828, p. (;9.






2ti2 YCES SCH LE GUCYEl\'-'E:\IE.\T DE LA FrL\~CE


meme toutes les fonetions lllle la nature des clloses lui
assigne, {'aisant, en quelque sarte, dc ses pl'Opl'eS mains,
la répartition individ lIelle de t01lS les droits, de toutes les
chal'ges, de toutes les oLligations, p1'escrivant Ü chacun
ce qu'il est tenu d'acCOmIJlil'.


» 1\lais, dans un granel pays, sur un vaste ter1'itoi1'e, la
chose elevient impossible. ....


» Il est sans lloute telle maliere oil les regles a poser
sont el'une po1'tée uníverselle, exemptes, ou Ü peu pres
esemptes el' exceptions, susceplibles de recevoir leHr
application dans tous les cas, et ú l'égard ele ({lIi quc ce
soit; en droit puremcnt civil, par esemple, en el1'oit crimi-
nel. La aus~i, le législateur clispose lui-meme, dispose
seuI, ne réclame aucnn allsiliaire eutre luí qni comm:mde
et le eitoyen qni obéit ; mais il esl, en l'cvanche, d'antres
matieres, et iI en est en fouJe, oü l'application des regles
a posel' se trouvc hérissée u'cxceptiol1s, assaillie de difn-
cultés, réduite ü varie1' imléfiniment suiv,1I1t les licux,
les temps, et les personl1es; OLt elle ne saurait etre faite
avec l'ombl'e de jllstice et de r:lison, qu'au!;ll1t que l'au-
torité ([ui dispose, sera en mesure de bien connaitre les
détails afférents ü chaque affaire, et de teni1' compte des
incielents, des cil'constances, des spécialités locales.


J) Dans de pal'éilles matieres,que peut faire le législateuI"
sinon s'arrCícr dalis les limite5 du possible, poser des




DES CO.\SEILS 1m nOI ::?63


priilcipu.; gi~tlét'a!lx el régulatellJ'S, puis ewmite ddégucr
son propre pOllyoil', le pOllvoil' dc disposel', de prescrire,
d'ol'donncr rJl!i n'apparlictlt (lU'Ü lui, le déléguer, di~ons­
nons, il des JII[ol'ilés inférieures qui, placées, plus prcs
des cllOscs d des homlllcs, soient a portée d'agir en con-
n;lissanct2 de cause, de déter-mitlel' )'application eles prin-
cipes, scloB le V02lt des priltcipes memes, eL d'at:hcver ainsi
l'a:uvrc commcncée par l'autorité souveraine, sanr ü ré-
pOlldre devant elle.


» Ce dépalt cutre les choses qne le l¡ígislateur est habile
I'on-sclIlcIllent a COl1lmel1(:CI', m:1is Ü mettre llti-lllCme il fiJt,
et eelles dOllt i! se n)it forcé de eommettl'e l'aecomplisse-
IHent SOllS ecrtaincs eonditions ü de;;; pOllyoirs subordonnés,
s'opcre et se laisse voir, p!us ollmoins, dans tOllS les pays,
eL SOllS toutes les formes de gOllvcrncmcnt; lnais, plus le
pays est raste, plus les amürcs sont eompliquées; plu~
sllrtout lclll' eenlralisatiull est completc, plus en éelatc la
ltécessité, plus s'en multip!ient les occasions. Dans une
pClite républiqllc, nons yenons ele le dil'l', dans une pctite
pnncipauté, lc législalcur est pIacé pres ele toulle monde
el de tOtlles cIloses; dalls un gOltverncment fédél'atif qui
n'esl qu'une aggrégation de pe tites républiques, vi\'ant
sousunc tlltelle commune, les législatul'es sont égale-
mcnt situées ü proximité dc toutes les cUfficultésdc dé-
tail el la législature fédérale HC s'occupe que des points




264 VUES SeR LE GOUVERi\EMEi\T DE LA FIUi\CE


les plus géné1'3UX de l'ordre public. Dans une grande
monarchie meme, si les communes sont fortement orga-
nisées, si elles existent d'une existen ce indépendante,
elle assument, plus Oll moins en elles par la ~force
meme des choscs, et sans qu'il soít besoin de le leur
départir a priori le role de substituts du législateur
san s, toutefois, que, sous aucune dc ces formes de gOll-
verncment, la nécessité d'une scmblable délégatíon cesse
de se faire sentir, a quelque degré. i\Iais, dans un f~tat
jJuissant, riche et pOpUICllX comme la France, d'oil toute
organisation fédérative a complétement disparu, oü toutes
les subdivisions locales sont arbitl'aires et rapportées
au pouvoir central, oil ce qui figure encore SOllS le nom
de commune n'est guere autre chosc qu'un derniel' an-
ncan de 1'immenso réscall aLlminbtratif quí cOllvrc toulle
sol, cette nécessité pour le légíslateul', de se Llémettrc,
plus OL! moins, de la partie acti\'c el topiquc de ses tone·-
tions, de se substituer, de dcgré en degré, des auxiliaires
qui reprenllcnt son cemTc en sous-ceuvre, se préselltc a
lous les instants, se fait écouter sons mille formes, et sur
millc objets dífférents ...


» Voici donc le gouvernement qui nous apparait, en
France, et, plus uu moins, dans tous les pays, non plus
~l titl'e de pouvoit' exécutif proprcmcnt dit, c'cst-h-dire
commc tcnant la force au sCl'vice dcs lois et des tribunallx




D!~S CONSEILS DU ROl 265


qllí les appliquent, non plus a titre d'administl'ation pro-
prement dite, c'est-a-dil'e eomme l'homme d'affaires de la
soeiété; mais eomme un 1(; gislatellr aH petit pied, qUÍ,
sous certaines conditions, et dans une certaine latitud e ,
constitue des droits, irnpose des obligations, détermine
des prélcvements, les rép11'tit, preserit, défend, régle-
mente.


» Quelle cst préeisément la limite, entre le domaine ctu
législateur en titre, et le domaine du législateur au seeond
negré ? Oa, pour parler le langage du jour, entre le do-
maine de la loi et le domaine des ordonnances, des arre-
tés, des reglements?


» En droit positif, eette limite est eeHe q\le le législatenr
en titre a tracéc. Le gouvernement, en tant que substitut
du Iégislateur, ne dispose que Jil oille législateur lui pres·
crit de disposer.


)) En príncipe el en raison, ceUe limite varie selon les
matiE~res, les lienx et les temps. Le Jégislateur seul a le
droit d'imposer aux eitoyens des obligations ; íl n'en a le
droit que paree qu'il en a la mission; eette mission JI doit
la remplir d~ns la 11ll'SUre de ses forces. Partont Oil il
roít clail', pal'tout Ol! il peut mesurer la portée et les con-
séquences de ses injonctions, il doit statuer lui-lllcme; la
oiI sa vue se trouble, üu les détails le pressent; oh il l'Ís-
que d'agir au hasard, Íi noif s'arl'eter, poser les point~




2()() VLJES SUR LE GOCYEnNEME~T DE LA FR.L'\CE


fondamentaux, régler les pr(~calllions ;1 prendl'e, indique!'
les procédés Ú sUÍ\Te, et, céla fait, délégller le surplus de
ses pou VOlrs ...


» Dans les diffél'ents pays, ~elon le génie des diff¿l'cn ts
peuples, se1011 la n~turc des diff¡Jrents gOllvel'l1cmcnts,
les deux dOlwünes, h savoir : celui dn législatcur en titre.
et celui du gouvernement en lanr que législateur de se-
cond ordre, cmpietent, plus Ol! moins, l'un Sllr 1':111Ire.
En France, le domaine du gOllverncment cst tres-étellclll,
trop a notre ayis; nos lois sont tres-généralcs, et ren\'oient
aux ordonnances une foule de matieresqll'elles pourralcnt
et devraient n;gler eIles-lllemes; de plus, lous les actes
ou a peu pres, qui Ollt ponr objet quelquc cllose cl'isolé
et de spécia1 80nt laissés au gOll"crnement. C'est le COll-
lraire, en Angleterre; !es 10is sonl lh td)s-clétaillí~es, tri's-
minlltieuses, ce qui les expose ü fmee!' souvenl la nature
des choses, a disposer, en aV(~llg1c, sur dl's pOl11tS impos-
sibles a régler d'avance. En outre, il passe peut-clre a
chaque session du Parlement plusiclIrs centaines de bilis
privés, de lois renducs dans des intérets individucls Oll
trcs-spéciaux, quisont provoqllées par les inléressés eux-
memes, préparées par eux, d'ordinail'e sans cOlllradiclion,
dans les comités, et qui traversent le Parlement sans que
personne ait eu la. possibilité OLl l'envic d'y rcg:ll'IJer, SOll-
vent au grand détriment ele la justl~e el da bien publie,




DES COXSE:ILS DU nOI %7


» 11 Y a done ici, comme en tout, une juste mesure a
ganlcl'. Le conlrole des Chambl'cs est tres-précieux, la OÜ
ícs Challlbres sont en mesure de controler; lit oü elle ne
le pellvent, il en fallt ehcrcher quelque ,autre. »)


Au premier of[lL'e qne doit rempEr et remplit effcetive-
IlIcnt le conseil d' I~tat actuel, celui de prépa1'er la rl~dac­
lion eles loís ú interyenir, succede donc un second office,
celui ele pouryoir ü l'application des lois renclues, soit en
réglant, par yoie générale, l'exécution des elispositions de
dlStail, dans {(mle l'étcnduc du to1'ritoi1'c; c'est ce qU'on
nomme des J'(~[!lcm('}lts d'administration publique, soiten
tcnant comple eles cireonstances locales par des ol'don-
nances et déerets particuliers; soit enfin en déléguant, '
saus des conclitions détcrmill(Ses, aux autorités locales, le
soin de pourvoÍl' aux intércts intlividuels par des. arretés .


.\01IS tenons cet o)'drc de eh oses pou!' infiniment préfé-
rabie ü eclui (luí préraut en .\ugleterrc; lllais nous esti-
Illons que chacun de ces deux omces, clistinets en cux-
memes, doit etre cxcl'cé par deux conscils elistincts
el. toujours sous la condition quc le travail de chaquc
conseil sera distinctellwnt soumis ü l'approbation du COIl-
seil priré.


Il faut, selon nous, COllservcr Ü chaque conseil spécial
son propt'e earacLere el S:l propl'e mission; il faut bien
se g'al'clCl' dc dUIll1Cl' il dt'S r¿lIníol/s JJléllieres llu conscil




268 YUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


d'État, en corps, l'apparenee et les formes d'une assem-
blée délibérante, apparences et formes qui ne tarden!
guercs a devenir des réalités.


111. - Ce n'est pas 10ut enfin.
Quand une loi est rcndue, elle oblige égalcll1Cllttous


ceux qu'elle attelnt, et les tribunaux n'ont pour missioll
que d'en maintenlr, envers et contl'e tOlls, I'exécutlon in-
telligente et sincere.


n se peut que cette 10i froisse certains iniéreis; il se
peut qu'elIe les froisse avec exces et injustement ; elJe n'en
clemeure pas moins obligatoire pOlll' les cifoyens qui I~
subissent, eL pour les juges ehal'gés el'y tenil' h mail1.


Le seul rccours ouyert en pareil cas n'est ouvcrt que
devant le législateur lui-meme; e'est Ü lui qu'jI conYienl
de s'adresser pour obtenil' redressement, l'éparation; e'est
devant lui que les inlérets en sou ffl'(}llCe , d'une part, d,
de l'autre, s'il y (} lieu, les intére.ts favorisés par la loi
dont il s'agit, doivent portee eL lllai,ler leur cause.


Ce qui est vraí de la 10i, en géneral, ('s1 \Tai des regle-
ments d'administl'ation publique dont le tut est d'en as-
surel' l'exéclltion sur 10tlte l'étcndue du tCl'l'Íloire _. est
~


Yl'ai des Ol'donnances dont le ]mt cst ti'en as~ul'CI' l'exé-
eu lion dans cel'tain es locali té~" da IlS cCl'taines cil'con-
stances - est \Tai des arrCiés dOllt le but bt d'en faire
1'application aux cas indiyiduels.




DES CONSEILS DU ROl 269


Contre ces divers actes, ce n'c~t point elevant la jllstice,
qui n'a point qualilé pom les réformer, e'ost devant l'ael-
ministration, autellr dll mal, si mal y a; c'estdovanl I'au-
torité qui les a rendus, dovant le préfet, statuant en eOll-
seil de préfecture, s'il s'agit de simples anetés; elevant le
ministre, statuant en conseil tl'j~tat, s'jI s'agit de l'cgle-
ments ou d'orelonnances, qu'il faut réclamer.


C'est cette branchc du service publie qn'on nomme, en
France, le contentieux de l' administration, illStitUtiOIl,




110US l'avons dit, partículicre ü la France, en tant que
Jislillctl' de tOllte mItre, en tant qu'aJmisc h son propl'c
litre, l'égulicrement OI'ganisée, el pourvue eles garantíes
qui lui SOl1t pl'opres; instiluLÍon excellentc, en ello-meme,
pOurVll qu'on n'on abuse point, ot qu'on la rcnferme elalls
ses naics limites, en respectant rigoureusemont la juridic-
lioH dos ll'ilmnaux.


1'oule quostiOl1 qui trollve 5a solntion dan s lo texte
memo des 10Ís, des reglcmelJts, eles orelonnañces et des
aITctés, relcv~ de la jllstice ordinaire. Toute question qlli
ne truuye sa solution qlle dans la réforme éventllelle eles
luis, des reglements, des ordonnances et des 31'1'Ctés relere
:lll premie!' chef clu légÍslateur en titre, an sccond che!
de l'administl'ation qui le seconde et le supplée.


" YOllil la re;.';Ie.
En transportant au conseil du eontentieux, tel que !lOUS





,:!'jü "UES seR LE GOUYEnNE}lE~T DE LA FnA~CE


l'avons indiqUl' plus kHlt, les :ltt!'i])l[tions du comité uu
contentienx aCluel, il famlrait avoil' granel soín u'en retran-
elle!' tout ce qui dépasse eette regle, tout ce qlli l'excede
ou ({ui la fausse, eL ee nc serait pas pCll de chose, cal' les
empiétemcnts de l'administr,ltíon sur la justice sont; de
nos jOHI'S, aussi fréquents, et :l\Issi gr;Jves qne l' l'taiclIt,
sous l'aneien régime, les' ernpiétements des parlernents
SUl' l'administratioll.


Il faudeait en écarter, en outl'e, tout ce qlll n'y tient
ni de prcs, ni de loin, tout ce qlli se réfcl'e aux conrrits,
anx pl'ises Ill1ritimes, au:\. appcls C0Il1tl18 d'ahus, ~t la ll1isc
en jugemcllt des fonctioJ111ail'cs ¡mlJlics, questiolls trl'~,­
délicaks eL tres-importalltes dont nOllS aut'ons it nous
occuper dans le prochain chapitre.


Nous te!'lllinerons celi.li-ci en insistant su!' les idées qni
s'y trollvcllt consigtlécs, sU!' lcm impol'lance praliquc, sur
ICllr cOl'l'élation arce les divcrscs diffknltés q lIe pl'ésente
la constitution du poU\"oir ex.écntif, tlaus UIl pa~"s libre, el
dans le temps oú nOlls vivolls.


Le problcmc est celui-ci :
f~tant donné ll~ l'égimc rcprésentatif - l~tant dUllné ce


régimc oü le pouvoil' passc alternatiycmcnt des mains'
d'un pal'ti aux. mains d'un aulre partí, Oi1 le pouvoir s'ac-
quicl't plnlót pal' le caraClel'C el le dUIl de la parole q llC
par les c:ulllltissances pl'atiques l:l l'llabillldc eles ¡¡[(aires,




DES CONSEILS DU ROl 2il


tcnir a la disposition dc cllac¡uc ministh'c précisémellt ce
qui lui llJanque, savoir un corps auxiliairc, riche d'cxpé-
l'ience et dépositaire eles traditions - un corps auxiliaire
qui r éclaire sans l' ent ra rer, qu i l' élcre an-dessus de la
tlllclle rOlltinil\re des Imreaux, qui lui prete appui contre
le tripotap,'e des faiscms et les cxigences des brouillollS,
qui s'as~ocie sincercment ü ses YlleS, dans la mesure de
rutile et dll possihle·- qui fasse, pour lui, et dans son
iutéret ce qu'il est 1101'S d'état de faire, OH, du moins ele
bien faire par lui-m~me, qui réunisse, 'en un mot, les
q ti;) lités con t radictoi¡'es :


L' a lltol'ité et la flcxi J¡ili té;
La mobilité et la permanencc.
NOlIs estimons que la sollltion de ce problcmc est scnéc


d'allt'si pres que pos-sihle dans le plan que nous proposons.






CIL\PITHE VIII


DU CORPS L:f:GISLATIF


Sclon l'ordre de nos idécs, le Corps législatif - c'est le
nom que nous adoptons, celui de parlement n'ayant plus
de sens - sera composé :


Dn roi en son conseil;
Du Sénat; c'est le nom que nons préfél'ons, celui de


Chambre des pairs n'ayant plus de sens, et celui de Cham-
bre haute courant risque d' étre pris en mauvaise parl;


De la Chambre des représentants; e' est également le
nom que nous préférons, comme le plus simple el le
plus vrai.


. Avant d'étudier, dans leur action ou commune ou réci-
pro(Itlc ces tl'ois éléments distincts du pouvoir social, rap-
pelolls et résumons, en peu de mots, ce que nous avons




:27 i rOES sen LE GOCYEHl\'L'lEi\T DE L\ FIUl\CE


dit de leul' origine, de leul' naturc, d de Ielll' r61e rcs-
peetif.


1. - Qu'il hérile dn trone ou qu'iI y monie de son proprc
chcf lp roi reo'ne et uou,'crne il rl'O'ne en ce "('ns CIU'il , '-' ¡,-, ~ , ~, . ,. ",
ocellpe le rang supreme, cl qu'íl en exclut, de son vivan!,
tonte autre pel'sonne; a :::a mort, toute autrc personne que
son héritier légal. II gouycmc, en ce sens, que ríen, dans
nttat, ne se fait que de son avell. En matit1re de légísla-
tíon, de politique, d'intéret général, il part;lgc, de droit,
aree les Charnbres, l'initiativc; ÍI l'excree de fait habí-
tueIlemenl. En toutes ehoses, I'¿¡ction releve de lui; mais
il n'agit que par ['entremise, c'est-ü-elire Slll' la proposi-
tion et sous la responsabilité de ses conseillérs.


Telle est la regle; tels sont, sons le régimc l'epl'ésen-
tatif, les postulats, les p l'incipcs tellus pou]' aecordés.


Selon nous, le conseil du roi, serait composé :
En elr oit, de tous les hommes publics qui ocnlpont OH


ont occllpé une haute posítion dan s l'etat;
En 1'aíl, de tous ceux d'entre eux qui dirigcnt ou par-


tagent, d'époque en .épOqlll', l'opinion pl'édominante.
C'est en tomé eles uns ct des autres Cju'il oU"l'il'ait cha-


que sEssion, qn'il apparaitrail uans chaqu0, solenlliv~ pu-
blique. Ce serait lil sa cour et son corté~c, les gens de
COU/', propl'ement dit~, les officÍers ele la maison, tombant
désol'mais, allx ycux du pulJlic, dans le l)]uS parrait ridi-




DU COHPS Ll~GISLAT[F


culo, ues qu'ils ('s:~ayent tic s'élevcl' al\-des~lIs du simple
sen ice pcrsonne!.


A la teto uu conseil, ou, pOli.!' parlor plus exactement,
ue la portion aclive un conseil, serait, . 1imi que nous l'a-
vons indiqué plus haut, pIacé le conseil priyé, composé
pl'incipalotllent, sinon exclusirement, de ministres secré-
taires d'l~tnt, assistés, chacun ebns sa sphel'e, u'un co-
mitl!, compJsé lui-mcme u'un conseillel' u'État, et de
plusieurs maitl'cs des rcquetes.


Le nombt'e et les atlributions des secrétail'es u' État
sel'aient l'églés par lo roi; la raison et l'nsage relldent,
sur ce point, en France, l'intcrvention <.le la loi inutile.


Ce serait en conseil pl'iv(~ que toutes les n:esures de po-
litique, de législatiotl, uo haute atlministration et cl'aumi-
nistration contentieuso , pl'épal'ées sépal'ément dans les
autres sections clu conseil, rcce\'falent détiuitivemellt la
sallcliotl el la signature royales; séparément, disons-nolls,
afin que jamais lo consed in pleno n'atl'ecte les furmes
extéricurcs d'ul1c asscmblée uélilJérante, que jamais il ne
dcvienne, comme en '1817 el 1818, un quatricme llOUyoie
dans I'État, que les pJssions, les intér~ts, les rivalités d'é-
loquenco n'y fassent point pénétl'er la divisioIl, et que lc
secret, dans une juste mesure, n'y dovienne pas impos-
si!Jk.


Toutc autro réuuion des ministres cntl'c eux. el des mi-




~7tj YDES SeR LE GOUVERl'IEl\IENT DE LA FRANCE


Ilistres avec le roi, demeureraÍt libre et inofficielle.
11. - Quelque nom qu'on assigne au corps appelé ü se


porler médi3teur entre la royauté régulicrement établie, et
la nation loyalement représenlée, il doit parliciper, ¡¡
cerlain degré, des conditions de ['une et de j'autl'r.


II doit, comme la royallté, prendl'e appui dans le passé,
aspirer a la slabilité, tenil' l'innovation pour suspecte, in-
cliner a la modération, heureux partage de qui vient de
loin et voit de hallt; mais il doit, tn meme temps, YÍHe au
sein du pays, partager, en l'épurant el le tempérant, 1'es-
prit qui l'anime, se pretor avec disecl'nemcnt et précaution
all mourelllent progressif des idées ct des intérets, 1'cs-
sentir, en lui-meme le contre-coup de I'opinion et l'ascen-
dant de l' éloquence.


Tolle cst la regle, tels sont, sous le régillle représcll-
latif, les principes tCllUS poar acco1'dés.


Selon nous, le Sénat serait électif.
]serait cllOisi sur une liste oil figul'ol':lient toutes les


vraíes et durables illustratíolls du pays, tons les prc-
miel's en ol'ure dans toutos les cal'ricl'es pllblirlues, toutes
les fortulles considérables et consolidées, toules les cxis-
tenees assises, elltrées au porto


Sur ceUe liste, tous les éligi bIes seraient élccteul's, et
tous les élus indéfinimcnt l'ééligibles.


c'h:tqlle d(~p:trtement cllOisirait deux s';nateul's, au




DU CORPS L1~GISLATIF in


moins, et quatre, au plus, en tout, environ deux cents.
Le corps entier se!'ait soumis 11 la I'éélection par tiers,


de six ans en six ans.
Rien n'étant plus important, sous un .régime de liberté,


et dans l'état de nos mceurs, que d'assurer au sénat, vis-
a-vis de l'autre Chambre, en dmit, l'égalité, en {ait, la
prépondérance, pour atteindre ce double but, deux choses
semblent nécessaires :


10 Attribuer au Sénat, en maW~re de finan ces, un pri-
vilége égal, au molns, a celui que l'usage assigne a l'autre
Chambre, et dont on ne saurait la-priver;


2° AS80cier a certain dcgré le Sénat a l'action du gou-
vcrncment, a la direction des affaires.


e'est un usage re<;u el presque un principe que le bud-
get doit etre soumis a ceHe des deux Chambres qui repré-
sente directement l'ensemble du pays, avant de l'étre il
eeIle qui n'en rcprésente que l'élite et les sommités.


C'est un usage re<;u el presque un principe, qu'en ma-
liere de recettes et de dépenses, le vote de celles-ci est
obligatoil'c pour celles-Iú. lO


C"est un usage re~,u, sans etre un príncipe, que toutes
les rccettes et toutes les dépenses de I'État puissent etre
remise~ en question chaque annéc.


Nóus verrons bientót comment et jusqu'a quel point
il est possible de restreindre tI de l'ectifiel' ce dernier


23




~7X 'TES Sl'H LE COUYEI\~El\lE:\T DE LA FH.\:\'CE


)lsage; nWis, en le supposant l'éduit aux plus stl'it.:tes li-
mites, on ne saurait méconnaitre l'énom1e prépondérance
qu'assure, a l'une des cleux Chamhres sur l'allll'e, l'initia-
tive et l'omnipotence qu'elle exerce dans la discussion du
budget; initiative qu'en théorie on ne peut guere lui
contester; omnipotence qui dél'ire de l'initiative, tout
amendement de la part de 1'autre Chambl'e pOllvant ctre, Ü
la rigueur, re~;ardé comme ulle réeiprocit(S d'initiative
contraire a l'esprit sinon a la lettre de la constitution, et
se réduisant nécessairement, en tout cas, VtI l'époque oll
le hudget parvient a l'autre Chambre ü un coup de déses-
poir, in eJ.~tl'emis, Ü un e1'fo1't dépourvu de toute chance
de succes, telu7n imbelle sine ¡etu.


Pour rétablir l'équilibre entre les deux Chamhres, S3ns
essayer inutilem~nt d'enlever :1 ceHe des 1'eprés. ntants un
privilége que la force mcme des choses lui rcndrait lJoil
gré malgré le \Tai moyen, ainsi que nous l'avons indiqué,
se1'ait d'attribucr au Sénat un privilégc de mCIlJe natul'e,
un privilége égal sinon supéricUl' en importance réelle.


Selon nous, les loís de douanes et les lois relatives allx
travaux publics seraient portées, en premief(~ instance,
au Sénat.


Ne fut-ce que pour 1'ail'e contre-poids, pour fortifier
l'action du Sénat, pom lui restitucr l'égalité d'influence ü
laqllelle il a droit, ce serait déjü chose exccllentc, Illait'




DU COB.PS LÉGISLATIF ':!iJ


nell, d'ailleut's, Be ~erait plus sensé el plus utile.
Les lois de d01l1nes Jorsqu'elles sont dictées par les


príncipes fl'une saine éeonomie politique, lorsqu'elles sont
conformes aux rrais intérets, aux intérets gélléraux et
permanents du pays, :mx VCBUX, aux besoins légitimes
des consommateurs, rencontl'eut inévitablement de tres-
grandes difficullés dans le süin de la Chambre élective
1):"1r excellence, de la Chambre ou sont représentés les
intéreis dn moment, dans toute la vivacité de feurs exi-
gences, oh prédominent les ten dances actueHes du com-
merce, et les habitlldes de I'induslric.


Aulre serait nécessairement I'ac~lleil réservé il ces lois
c1ans une Chambre affranchie des intél'ets du jour et de
]'heure, étrangere aux spéculations eng:lgées et en cours
d'exér,ution, élevée, par sa position sociale, par ses lu-




mieres, par son expérience, au-dessus des erreurs vul-
gaires et des préjugés professionnels. C'est dans le sein
d'une telle Chambre que ces lois seraient véritablement
discutées, et, 101'sque le gouvernemtnt se présenterait
<levant l'antre; fort de l'influence que ces discussions;
auraient exercée sur l\)pinion, il sel'ait eH bonne position
ponr ~e faire écouter; armé de l'assentiment d'une moitié
du COl'pS législatif, il :mrait plus facilement raison de


l'au11'e moitié.
Autant en fau t-i1 dire des lois destinées a l'égler 1'0lJ-




280 HES SUR LE GOUVEli~E.UENT DE LA FIL\~CE


verture et la direction des lra\'aux publics. 11 surtit, en
pareille matiere, d'avoir assisté, en d'autres temps, aux
débats de nos Chambres des députés, pour savoir a quoi
s'en tenil'. Dans un corps essentiellement illlpl'é~né d'es-
prit de IocaUté, ou les circonscriptions inférieures du· ter-
ritoire sont représentées, ou les électeurs tiennent les élus
sous leur dépendance, toute discussion de cette nature
tombe inévitablement sous le coup de malluats impératifs,
el dégéllere en véritable curée. Chacun tire a soi; chacun
veut sa part au gateau. La répartition s'opere el les uircc-
tions s'infléchissent au gré des petites coalitions d'intérets
pl'ivés. On raconte, qu'un jour, ü l' AssemLlée constituante,
Mirabeau, témoin de l'une de ces scencs, se leva, tout a
coup, en s'écriant : « 1\1ais, si je comprends bien ces rnes-
sieurs, ils veulent faire de nos grandes roules aulant .de
culs-de-sac. » L' éclat de rire fut univel'sel, moindl'e Cé-
pendant que l'éclat de ri1'e homél'ique qui 1'etentit, plus
tard, lorsque 1\1. Dupin, du haut de sa chail'c de présidcnt,
et de son ton le plus gogucna1'd, mdtait aux voix la pl'O-
position suivante :


« l\I. Durand (de Romorantin) demande que le chemin
de feí' passe par Romorantin. »


Rien de pareil ne serait ü eraindre dans un corps élec-
tif, sans doute, mais a pen prcs SÚl' de sa réélcction, l'C-
p l'ésellta nt les grandes eirconscriptions d ti tcrri loil'C, com-




DU CORPS L(~GlSLATIF 281


posé d'hommes, la plupart propriétaires dans plnsieurs
régions différente~, habitués ü considérer les affaires d'r~tat
sous un point de vue général¡ moralement responsablr,s
de leur langage eL de lellr vote par l'élévation meme de
leur position.


Les travaux approuvés, les direetions arretées dans un
pareil corps, :l I'issue de discussions vives, longues, nom-
breuses, approfondies, formeraient un préjugé considéra-
ble, et déconcerteraient d'ayance toutes les petites intri-
Q"ues d'at'l'ondissement et de cloche!'.
<J


Mais qu'il llOUS soit permis de le dire: ce ne serait lá
¡¡eut-rtre que le moindre des avantages inhérents au plan
que nous proposons; lleut-etre meme que I'avantage de
rétablir entre les deux Chambres l'égalité constitutionnelle
ne serait pas le plus grand; le plus grand, ce serait de
donner aux disLUssions dll Sénat l'activité, le mouvement
et la vie, d'attirer et de fixel' sur ces discussions l'attention
publique, de placer, en un mot, le premie!' corps de l'État
au premier rang dans i'opinion.


Personne n'igtlore combien, sous notre anden gouver-
nemcnt, les discusslons de la Chambre des pairs étaient
languissantes et peu slliyirs: la pairie a10rs était viagere,
il eSr vrai; mais cllt' (~tait héréditairc sous la H.estauration,
et se..; Jéhals manquairnt, ;\ peu prrs an memc dcgré,
d'elltrain al! dedans lt de I'dclltissement an dchors. l\Ieme




"-


282 \TES SrR LE GOUYERNE.\IENT DE LA FRA:\'CE


en Angleterre, la Chambl'e des pairs selllble frappée d'un
peu d'engourdisscment. Lorsque Walpolc, élevé a la pairie
en tombant du pouvoir, rencontra ponr la pl'emiere fois
Pulteney, wn illustre riyal, élevé lui-meme a la pairie :
« Eh bien, milord, lui dit-il, nous voici devenus les pel'son-
nages les plus insignifiants des tl'ois roya limes. » Quand
lord Grey, a la mort de son pere, en tl\l 11 la Chambl'e
haute: « Il me semble, s'écl'ia-t-il, que j'entre au sé-
plllcre. ))


Cet exces d'attention qui se porte nalureIlement ver s
l'une des deux chambres :m dí;lrimenl de l'autre tienl
sans doute a plus d'une cause. L'une est populail'e a cer-
tain degré, l'autre affecte a cel'tain degré I'aristocratie. [ri
le mouvemellt; la le temps d'al'ret; d'un coté, l'ardeu!', la
passion; de l'autre le discernement, la mesure; il ne faut
pas s'étonner si Ir. public, li\Té a lui·méme, se montre
plus al110ureux d'émotions que de bons cO!lscils. l\I;tis la
néanmoins n'est pas la vI\tie C3use du mal.


La vraie cause, la cause pratique, c'est la faiblesse ha-
bituelle, ou plutót, c'est la timidité natul'clle du pouvoir
exécutif qui s'efforce de désarmer les résistances al! lieu
de travailler virilement a les su1'montel'. Les embarras
pour lui sont d:ms la Chmllbrc électivc; lIt cst lc foyer des
rivalités, des prétenti911~. des ambitions; lü I'esprit de
parti, la Yivacité des intéréls, l'obstinatioll des pl'éjugés.




DlJ COHPS LÉGISL.\TlF 233


Au lieu de s'appuyer sur l'antre Chambre, pour leul' faire
tete; au líeu de leur faire la guerre a deux contre un, il
fléchit le genou, reconnait un maUre, et se fIatte de trou-
ver grace devant lui, en lui offrant les prémices de toutes
les mesures de quelque importanee, en les lui livrant pour
etl'e taillées ~l merci et miséricorde.


La conséqucnce mévitable d'une telle eonduite, e'est
d'annulcr dans le Corps législatif, l'élémcnt éclairé, pré-
voyant, impartial, l'élément politique, dans le vrai sens
du mot, au profit des errClIl'S et des entrainements ele l'au-
tl'e; c'est de tout hasarder, de tont compromettrc. Quand
les lois et les mesures de quelque importance Ol1t traversé
les orages de la Chambre élective, le mal est fait, et, d'or-
dinail'e, il est irn'parahle; les queslions sont épuisées, les
partis sont pris, les intérets engagés, l'opinion est four-
royée, I'attnntion publique est ailleurs; le plus souvent,
le gouvcl'l1ement lui-ll1l~me a transigé; il fait alors cause
commune aree ~on advel'saire naturel, eonlre son allié n:1-
tmel; il supplie son allié natnrel de ne point lui preter un
secours qui n'cst plus de saison, de ne point rouvrir le
champ des discussions; el eelui-ci, devenant inutile ou 11
pen pri~s, ne tarde pas ;\ tomber de la complaisance dans
l'indolcnce et de l'incIolencc dans le clécri.


C' est alin de rompre celte habitude déplorable que nOlls
cntendons imposcr atl pOllroir exéclltif l'obligation de po\'-




284 VUES SUR LE GOUVEHNEl\IENT DE LA FRANCE


ter, de prime abord, devant le Sénat, les lois les plus
épineuses, si l'on ose ainsi parler, celles qui, par nature,
éveillent le plus de prétentions. Nous entendons, encore
IIn coup, que, sur ce terrain , il n'aJ)orde la Chambl'e des
représentants qu'armé de toutes pieees, aguerri pae un
premier combat, fo1't d'un premier SltCCCS, et secondé par
le vent de l'opinion. Les difficultés qu'un tel mode de pro-
céder lui épargnerait, l'ascelldant qn'i! acqucrrait en le
pratiquant ne pourraient manquer de l' encouragel' Ú persis-
ter dans la meme voie, it s'y etlgagl'r de plus en plus
par choix, apres y etre entré par nécessité, h répartir, rlé-
sormais également, entre l('s deux Chambres, eeUe ini-
tiative qu'il exerce, de fait, a pen pres exclusivement.


Par cela seul, l'attitude respective des pouvoirs publics
serait chang~e, et les ressorts du gouvernement recou-
vreraient, SOIlS un rapport essentiel, l'énergie et l'activité
qui leur manquent.


Reeollvreraient, disons-nous; cal' cet état d'illt'érioritl'
relati ,'e ou se trouve aujourd'hui l' élémeut conser-
vateur vis-a-vis l'élémellt progressif, en Angleterre ,
en France, dans toute l'Europe, sous toutes les formes de
gouvernement, ne remonte pas bien llaut; le telllps n'est
pas bien loin oi! l'élat contl'aire pl'évalait partout, menw
SOllS le régime républicain de la Suissc el de la Hollando:
Oll l'autorité, le poids, le maniemcnt des affaires appal'lc-






DlJ CORPS LÉGISLATlF 285


naient principalement aux positions é!evées. Ce grand
changement provient fIu mourement ascendant des socié-
tés civilisées qui rapprochant progressivement les classes
inférieures des classes moyennes et celles-ci des classes
supéricures, grandit proportionnellement l'importance du
nombre, en réduisant ecHe du rang et de la fortune. 11
n'y a ríen la sans doute que de naturel; mais, quand,
dans l'ordee des pouvoirs constitués, un tel résultat porle
atteinte il leur équilillrc et déplace la prépondérance, Hl.
ou la prépondél'ance est légitimc, il y a lieu d'y porter
remede.


e'est ce qu'ont fort bjen tenté les sages du nouveau
monde.


Allx Élats-Unis, le Sénat représente l'individualité des
États, ct non l'indi vidualité des citoyens. Chaque État y
est rcprésenté sU!' un pied d'égalité; quelles que soient
sa force, sa population, sa richesse. Le Sénat est élu par
la législature de chaquc État; et non par le suffrage uni-
versel dans chaque État, lllais indépendamment de ces
distinctions caractéristiques, le Sénat des États-Unis est
associé, sou~ plus ti'un rapl'ort, au pouvoir exécutif; il
intcrvient activement dans l'admillistration des affaires.
Bon exemple qne les gouvernements monarehiques feront
bien de suivre ü l'aveni,,: pourvlI) toutefois, que ce soit
avec choix et discernement.




286 VCES SUR LE GOUVER~E:\mNT DE L\ FRAl"CE


11 s'en faut, en ('fíet, qu'en concevant une ictée ~age et
féconde les auteurs de la constitution des ]~tats-Unis en ..
aient fait une heureuse application; qu'en associant l'ac-
fion tlu Sénat a ceHe du pouvoir exécutif, ils aient cher-
ehé les points oü leurs attributions respectives se touchent
et tendent :l se confonelre; qu'en étendant, a cert:ün de-
gl'é, les aUributions du Sénat, ils aient consulté la nature
el les aptitudes d'un eorps délibé1'ant, et tenu compte des
exigences de la responsabilité.


Le Sénat des Etats-Unis inlervienl dans la conclusion
des traités. Xulle convention diplomatique n'est définitive
qu'autant qu'elle a obtenu l'assentiment des deux tiers
au moins du Sénat, lequel peut ou l'aelmettre, ou la rc-
jeter, et la modifier en tout ou en partie, ele telle fa<:on quu
son so1't esi a la merci de la minorité d'une Assembl('e
délibérante.


Pour posel' un pareil principe dans la constitution de
son pays, il fail bon n';¡voir pas de voisins; iI fait bon n'c-
t1'e vulnéralJle sur aucun point de &011 territoire; il rail
bon ne couri1' aucun risque cl'aucul1e espece, et n'avoit'
jamais de parti a prendre dans des circonstallc~s clifticiles.


Le Sénat des ~]ats-Unis intenicnt, a la majorittS sim-
ple, c1ans la nomination de tOIlS les cmplois de l'ordl'e pu-
bIic Oll civil, judiciait'c ou militail'e, de tous ceux dont le
mode de nomination n'est pas l'églé par la lui.




De CORPS LÉG:SL,\'j IF 287


(~' a meme été une question vivement débaltue, a l'ori-
gine, de saroir si le pl'ésidcntdes Étals-Unis avait le dl'oit
de révoquer, sans l'assentiment du Séuat, un fonction-
naire nommé avce l'asscntiment du Sénat, et, si eette ques-
tion a élé l'ésolue par l'inl1uenee de \Vashington, en fa-
reur de l'ex.éelltif, reste tOlljours á se demander ce que
deviennent, d'llne part le pouvoir, de l'autl'e la respon-
sabililé, lorsque l'une de~ deux branches de la législa-
ture peut imposer au chef du gouvernement des agents,
animés de scntlments eontraires aux siens, et marehant
en sens opposé de sa politiqueo


Nous ne proposons rien de pareil a Die u ne plaise;
mais de meme qu'il existe toujours et partout, entre les
États limitl'ophes, des tel'1'itoires eonlestés donlla posses-
sion peut et1'e revendiquée, de part et d'autre, el devient,
all besoin, l'objet de transaetions, de eompromis, - de
meme, il existe loujuurs et par/out, entre les pouvoirs pu-
blies, des :1ttl'ibutions eontestées, des attributions d'ordre
mixte dont la sagesse cln I(:gislateul' pcut disposel', sclon
les temps el les circunstances, au }1l'ofit de l'un ou de
l'autre, sans porter atteinte a aucun prineipe essen··
tiel.


Ain,i, nOlls avons établi, :1U ehapitre préeédent, que
l'un des ortiees dn pouyoir cxéeutif, en France, c'est de
pOUl'voir par des r¡1l({si-lois, par eles I'e(/lemellt,..; d'(ulmi-




2S8 yeES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FUANCE


nistratio/l publique, a l'application des loís générales,
dans toute l'étendue du terrítoit'e. e'est lit manifestement
une attribution semi-Iégislative. Nous estimons qu'il se-
raít bon, avant de rendl'e ces l'eglements obligatoires, de
les communiquer au Sénat, et de l'entendl'e rlans ses oh-
servations. Leur autol'ité en set'ait plus grande; plus


,


grande la responsabilité du gouvernement s'il persistaIt
contl'e l'avis du Sénat; et, dans le cas contrail'e, elle en
sel'ait plutót allégée qu'affaiblie.


Ainsi nous avons établi, au meme chapilre, que tOllt
recoul'S des intérets lésés, soit par les rL1glements d'ad-
ministration publique, soit par tous ;mtrcs actes rendus
en exécution des 10is, doit etre porté devant l'adminislra-
tion auteur de ces actes, tandis que tout recours contre
la fausse application eles 10is, des reglements, des actes
quelconques de l'administration doit etre porté devant les
tribunaux ordinaires.


De la résultent entre l'aclministratio!l et la justke, des
questiolls de compétence, ou, pOllr employcr l'exprcssion
technique des con/lits d' attl'ibll tions qu'il es! de regle, en
France, de 1aisser décicler par l'administratiol1 elle-meme,
laquelle, a10rs, juge en sa pl'opre cause, se fait ou pellt
se faire la paet OU lioll.


e'est ce qu'ollt statué, et la loí du í el L í oclohl'c L/UO 1,
1 Art. 3.




DI: CORPS LJ~G[SLATlF 28H


et la loi du 21 frucliuol' au III 1. Les 4 ueslions ue cOllflit
I'essortissent au conseil u'État, en vertu ue l'arrété du
o nivose an VIlI 2. Tour a tour attribués a la seetion de
législation et a eelle de l'intérieul', ils ont été dermis
1813 aUrilmés au comité du conlentieux qui les retient
enCOI'e aujourd'hui 3, le~ dispositions de la eonstitution de
1848 q ui créait un tribullal des conflits ayant péri sous
eette constitutiun elle-mcme.


Qui ne voit uu premier coup d'reil, qu'un corps politi-
que tel que le Séuat, supérieul' a tons les corps judiciai-
res, supérieul' a ['auministration proprement dite, ineli-
llant, par nature, du coté uu pouvoir, mais habitw í ,
néanmoins, a lui résister, a le contenir, serait iei bien placlí


pOlIr faiee a ehaeun sa paet légitime, pour interdire les
usurpaliolls réciproques, pour décider si les questions
qui foement la maticre d'un conflit, sont ou de l'ordre
~emi-Ilígislalif, ou de l'onlre exclusivelllent juridique.


Autl'es el plus eOllsidérables pat' leu!' nature, quoiquc
UC moilldre importance par leut' nombre et lcUl' eOllsé-
4UCllCCS, sont les eonOits qui s'élevcnt, de loin en 10il1,
entre l'auluelté ecdésiastique eL l'autorité civile sur l'é-
telldllc el les limites de leur domaine respectif, el sur


1 Art. 27.
~ Art. 11.
:; Décl'et Ju 18 février ¡:-':;2, arl. '1; constitution de 1848, art. 89-90 ;
l()i~ du 3 mars 1S<49, art. (B, I't ¡]ll ·1 fé\-ier 1S50.




':190 'TES sen LE GOUYEH~EMEl'\T IJE LA FHA;\,CE


l' application á ces matieres, des principes dn droit canoll~
des maximes cIu dl'oit civil, et des dispositions des COll-
cordals entre l'État et le saint-siége.


La connaissance de ces conflits, déférée aux parleml'nts
par l'a ncien régime, Ir:lllsférée 3U conseil d'État par la
loi du 8 avril 1802 1, rendue pas~agerement aux tribu-
naux, a deux reprises différentes 2, appartient désormais
au gouvernement, le conseil d'État entendu, sur le rap-
port du comité du contentieux.


II ne faut s'en plaindre.
Bien que juge en sa pl'Opre cause, le gouvernement)


en pareille maW~re s'est toujoUl's montré plus éclairé el
plus réservé que les tribunaux, en proie il )'esprit de
corps, entl'ain~s 11 répondre aux empiétements du clel'gé
p3r de s empiétemenls contraires; mais ce qui lui manque
c'est l'autorité morale, c'est l'ascendant sur les esprits.


Les déclarations d'abus, rendues uu sur l'appel de
l'acJministl'ation, ou sur la réelamation des parlies J(~­
sées, n'étant placées sous la gal'3ntie d'aucune sanclion
pénale et n'entrainant exéculjon par voie coercitive
qu'a l'égard des écrits (brefs, mandcments, lettres pas-
torales, etc.), jamais 11 l'égard des pCl'sonnes, n'étant,
en un mot, qu'un hlüme légal, qu'un averlisscmcnt solen-


1 18 prairial an x ..
2 11 juill 1817 ('1 ':::) mar~ IR1K.




De COHPS LEGlSLATIF 291


ne!, lJ.u'une protestalion a telles fins que de l'aison, ont
besoin pOUl' produire lem effel, pou!' atteindre efficace-
menL des ecclésiastiques conslilués en dignité, de tom-
ber de hau!, et d'6tl'c dégagées de tout soup¡;on de pal'tia-
lité, de rivalité; le gouvel'nement, en pareil cas, est jug;e
et partie; son conseil d'{~tat pl'oeede-a huis clos; pou!' le
publie, les Jéelal'ations d'abus n'ont point de sens; elles
sont aecueillies avec indifférence et trop souvent meme
aree dérision.


11 en sel'ait autl'ement 11 coup SUl' si les appels comlllo
d'abus (ítaient pOl'lés devant le premie\' corps de l'État,
devant uce juridiction indépendante et supreme, délibé-
I'ant, porte~ ouvertes, en présence des dignitail'es inti-
rnés, en pl'lSsence de ceux de leues collegues dans l'épis·
copat que l'élection amait élevés an l':1I1g de sénatelll's.


TOllt icí reprendl'ait son rango; l'appel comme J'abus
porlet'ait coup, el 1'0n cessel'ait de s'en jOllet'.


La del'niere entln, et peut etre la plus impol'tante de ces
attrilmtions placées sur la limite entl'e deux pOUVOll'S,
e'est la connaissance des pl'ises mat'itimes.


On s~lit que la pleine mer cst un territoire cornmun a
lOutes les nations, 0\1 toutes les nations exercent concul'-
l'ell1tHent juridiction, a leur risques et pérlls; on sait
qu'cn temps de paix la police qu'elles revendiquent en ma-
liere de pil'atcl'ie, de contrchande, Ol! de cabotJge cngen-




:292 VUES ~UR LE GOUVER;'iEME;\T DE L.\ FHANCE


dre souvent des difficultés intel'llation:1les; on sait qu'ell
temps de gueere, les uroits réciproques des belligérants
et des neútres, en maticre de lJlocus, de course, de con-
voi, etc, en soulcvent achaque instant de plus redouta-
bIes encore; on sait enfin que ces questions qui releven!
lOut ensemble, el des regles du droit des gens, el tic.",
dispositions conventionnelles insérées dans les traités, ont
besoin d'etre entamées et conduites, soit avec I'autorité,
soit avec les ménagements qu'impose la politique du mo-
ment, et la situation respective des parlies intércssées.


En Angleterre, toutes les calL,es qn! prennent nais-
san ce en pleine mer, ressortissaient alltrefois a la haute
cour de l'amir:mté, tribun[ll d'ordre supérieur ou siégc
en droit le lord grand amiral, et en réalité son député, ma-
gistrat inamovible, et choisi parmi les j urisconsultes COll-
sommés.


Cette cour ne siége point il \Vestminster-Hall, elle siége
uans un édifice (doctors'common s) réservé a cel'tains tri-
bunaux d'exception qu'on nommc eoUl'S ecch~siastiquL's,
non qu'ils soient affectés aux dignitail'es de l'Église, mais
paree qu'ils suivent la procédure canonique de préférence
a la procédure de droit commun.


En maticre civile, la haute cour de l'amirauté suit les
mémes regles de procédure 1, sauf la faculté qu'cIle tíent


1 3 el 4, VieL, c. 6J, sect. XI et XIIJ.




DU CORPS LÉGISLA TlF 293
.


d'un statut récent de déférer les questions de fait a l'exa-
men d'un jury.


En maW~re críminelle, sa juridiction, longtemps uni-
verselle, es! maintenant restreinte aux questions de prises
maritimes, toutes les autres étant renvoyées aux trilJu-
naux de droit commun.


L'appel des décisions de la haute cour ressortissait au
conseil privé.


rJ. Aux États- Unis, dit Story i, la connaissance de toutes
les captures jure belli, ou, comme on dit plus habitué 1-
lement de toutes les questions de príses ... appartient ex-
clusivement aux tribunaux du pays capteu!' ... elle est ex-
cl~sivement confiée a des tribunaux d'amirauté, en
premiere instance et en appel. .. Si justice n'est pas re n-
due, la natíon elle-meme, devient responsable envers les
parties lésées, et, si toute réparalion est refusée, la nation
¡]e la partie lésée peut examiner si elle fera valoir ses
droits par la voie pacifique des négociations, on par la
voic des armes.


¡) Les tribunaux d'amirauté sont des cours fédérales. »
En France, la connaissance des qnestions de prises ma-


l'itimes fut longtemps an nombre des attributions dn
grand amira], chef supreme de la navigation, et ne passa


1 T. n, p. 362.




2!) ~ VUE~ SrH LE COUrEnNEME~T DE LA FRANCE


que vers le milieu Oll xrw siecle au conseil du roi. Les
lois ou 3 brllmaire 1 el du 8 floréal an IV 2 en investirenL
momentanément les tribunaux de commerce, en premien:,
instance, et les tribllnaux de département, en appel; la
loi du 26 ventase an VIII les en dépouilla au profit d'un
conseil des prises, institué par l'arreté du 6 germinal de
la meme année, et soumis depuis Ü l'appel au conseil
d'État.


Ce conseil fut suppnme, et remplacé, sous la meme
condition d'appel :


En 1815, par le comité OU contenticux ;¡;
En 1839, par le comité de législation i;
En 1849, pae les comités r(\unis de la guerre et de la


marine :¡;
En 1802, par la section de législation, de justiee el des


affaire s étrangeres ().
Puis enfin, iI a été rétabli en 18ñ4 í.
On le yoit done, tandis que cllez les nalions librps qu
~ont, en meme temps, puissanees mal'itiml~s, les questions


I Art. 15.
1 Art. 1.
:> Ordor:nances du ~2 juillet 181J el un ~) jamier de J:¡ meme


3l1née.
Onlonl1,lllee du '22 srpternhre 183Q,


,., Réglernent (lu 3 mars 1849,
D(>eision du 30 'jallYier 1S;¡:2.


7 Déeret du 48 juilll't Hi54.




HU CORPg LÉGISLA TIF ~95


délicates qui naissent de la police que ces puissances
exercent sur les mers, a leurs risques et périls, sont ré-
süIues par un corps mi-partie juridique et politique, mais
oü l'élément juridique prédomine et garde la haute main,
cüuvrant a cerlain degré la responsabilité du gouverne-
ment, en Franee, ces ques1ions ressortissent exclusive-
ment au gouvernement lui-meme, et leur solution pese
sur lui, de tout son poids, soit vis-a-vis des parties mté-
ressées, soit vis-a-vis d~s puissances étrangeres.


Cümbien ne serait-il pas préférable d'en mvestir le
Sénat, - le Sénat tel que nous le concevons, - le Sénat,
sous un régime de haute liberté légale, - le Sénat, eorps
juridique et politique tout ensemble, également indépen-
dant du pouvoir exécutif et de toute influence étrangere;
assez juridique pour offrir aux parties inléressées pleine
garantie, assez politique pour fenir compte des difficultés
du moment et de l'état des relalions internationales.


A la vérité, si les regles du droit des gens maritime,
récemment insérées dans le traité de Paris, réussissent a
s'établir, et sont réellement, sincerement observées, si la
course, par exemple, est définitivement abolie, le nombre
des questions de prise sera proportionnellement réduit, et
si la condition que les États-Unis semblent mettre a l'adop-
tioH de ce principe, savoir l'abandon réciproque du droit
de saisir en mer la propriété privée, était jam~lÍs admise,




:Bfi VVES SUR LE GOeVEHNEl\fENT DE LA FRANCE


ces questions Jisparaitraient presque entierement.
Mais nous ne sommes pas prcs d'en venir lü. Ni la


course, ni le droit de saisir en mer la propriété privé e nc
courent la chance d'etre jamais définitivement abolis. A
chaque guerre maritime, on les verra renaitre, peut-etre
sous d,;autres noms, peut-etre sous des formes moins
acerbes, mais toujours et pour tout de bono Tous les
traités du monde n'y feront (Buvre ; aucune puissance ma-
ritime du second ordre n'y renoncera,. sous peine de se
couper bras et jambes, de se rendre a discrétion.


La guerre de surprise, la gucrre de parlisans, la guerl'c
au commerce, voila pour les marines de second ordre,
l'unique chance de succes, de succes durable, le vrai
champ d'attaque et de défense; en hataille rangée, t01 ou
tard, leur perte est certaine.


D'ailleurs, la guerre est la guerreo Il faut, sans doute,
la rendre humaine autant que possible, iI fauL ménager,
:mtant que possible la propriété privé e ; mais, en cela
comme en tout, on n' est tenu qn'au possible, cela est vrai
sur mer comme sur terre; sans ses guérillas, véritables
cOl'saires de terre ferme, jamais l'Espagne ne serait venue
a bout des armées fran{;aises; on ne pout vivl'c longtemps
en pays conqujs sans réquisition~; le blocus affamc les
villes; le bombardement détl'uit les maisons; un ehamp
de bataille est un champ de ravage autant qu'un champ




DU CORPS LÉGlSLATIF 297


de ~arnage; tant que les hommes se battront, la violence
sera de la partie, et le pauvre peuple en patira ; tant qu 'H
y aura des guerres maritimes, il y aura des prises mari-
times.


III. - En face d'un Sénat soliclement établi, d'un Sénat né
de l'élection, puissant par le pl'estige des souvenirs et l'élé-
valion des posilions sociales, puissant par les attributions
qu'il partage et par les prérogatires qui lui sont propres,
une Chambre ues représcntants née du suffrage universel
pOllrrait, selon IlOllS, cxcrcc1' son ascfl,nelant naturel, sans
courir risque d'cn almser.


Que si, toutefois, ce lllol de suffl'agc univl?rst:~ ~nspil'ait
encore des apprélJensions trop vives, si le suff;.zge uni-
rersel bien réglé, soumis aux conditions que nOLlS avons
pl'is soín d'indiquer, scmblait encore trop un épouvantail,
si ron tenait absolument ¡'t le tempércr en recourant au
systcme eles eleux. cleoTés le vrili moven ce nous semlJle
. D'. , ,


de conjmer les inconv(iníents de celui-ci, ce serait, en
maintenant dans clwliue commune l'élection ues conseil-
le1's l111111Ícipaux. p:lr le suffl';lge universel, de confier' aux
cOllseillers nmnicipaux, .réunis ü l':urondissement, l'élec-
lion des rcprésentants. Les conseillcl's municipaux, en
effet, seI'aicnt hien réellcmcnt eles électeu/'s élus, des élec-
teurs réellement investís de la confiance de leurs commet-
tants, des electclIl's élus en connaissance de cause, par







29~ VUES SUR LE GOUVERNEl\fENT DE LA FRANCE


des motifs personnels, des produits d'une élection oh la
négligence ne serait pas ü craindre, ou la brigue extérieure
pénétrerait difficilement, oilles entrainements de l'opinion
ne se laisseraient point appréhender.


II est bien entendu qu'on n'admettl'ait a l'élecLion des
représentants que les conseillers municipaux., c'est-a-dire
que les membres élus du corps municipal, et non le corps
municipal tout entier.


Que si enfin, me me tempérée par l'éleclion indirecte,
l'influence du suffrage universel sur la Chambre des re-
présentants paraissait eIlcore trop puissante, peut-etre
ne serait-i1 pas impossilJle de lui trouver un contre-poids,
en accroissant d'autant l'ímportance et l'aulorité du Sénat.
Il suffirait pOUl' cela, sans en altérer les éléments consti-
lutifs, de l'ériger en représentant des provinces, au jieu
de le laisser simple représentant des clépartemcnts. On
réunirait, achaque élection, au chef-líeu de chaqu'e pro-
vince, tous les conseils généraux et tous les inscrits au
tablea u de chaque département compris dan s le cercle
provincial. 11 est aisé de voir que, le collége électoral étant
intlniment plus nombreux, le príncipe électif en deviendrait
plus actif et plus efficace, et que chaque sénateur, ayant
ponr commettants plusieurs dépal'tements au líeu d'un
seul, en deviendrait un personnage plus élevé en dignite,
plus puissant, plus considérable.




DU CORPS LÉGISLATlF ~99


Quelques mots, maintenant, tant sur l'action commune
des trois pouvoirs que sur leur action distincte, et leurs
l'apports mutuels.


Il n'appartient qu'au roí de convoquer Ol! d'ajournel' les
Chambrcs, de fixer l'ouverture et la clOture de chaquc
sesslOn.


JI doit les ~onvoqller chaque anllée, et plus souvent,
si le bien des affaires le requiert.


• Les deux Chambrcs sont convoquées, en meme temps;
dans leut' capacité législative, aucune des deux ne peut
si('geI' ell l'absellce de l'aulre. Dans sa capacité semi-ad-
lllinistralive, le Sénat, non plus, ne peu! siéger seul;
mais il doit, dans l'iotcl'valle eles sessions, déléguer ses
pouvoirs, en instituant une commission i otermédiaire,
eomrne font, en temps de vacances, les tribunaux et le
conscil d"::tat.


Les Chamhres eléliherent et volent séparément.
La loi de finan ces doit etre annuelle.
Tels sont, en ceci, les postulats; les principes que nous


tenons pour accordés, toutefois sous les réserves sui-
"antes:


Il Il'appartient qu'au roi de convoquer les Chambres,
mais iI ne doit point etre interdit aux membres de chaque
Chambre de s'adressel' au roí, pour obtenír de luí une
r,onvocation d'urgence, pOUl'Vll que leut' demande, quel




300 VUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FRANCE


que soit le nombre des signatures, soit individuelle, per-
50nnelle, et ne soit jamais convue en nom collectif.


Les deux ehambres siégent et déliberent séparément,
malS elles doivent communiquer par voie de message, et
peuvent communiquel' par voie de conférences. e'es"t par
voie de ll1essage que les projets de loi sont porté s d'une
Chambre a l'autre; bien entendu que, meme a l'égard des
propositions de la couronne, la sanction royale reste libre
jusqu'au dernier moment, le moindre changement intro-
duit dans un projet de loi pouvant déterminer le roi a re-
tirer son assentiment. Rien n'était plus bizarre et plus
facheux, dans les premiers temps du gouvel'nement re-
présentatif en France, que l'obligation imposée au gOll-
vernement de porter lui· mell1e, d'une ehambre 11 l'autre,
les projets all1endés et de se prononcer, d'avance, sur le
sort des amendements. e' est par voie de confél'ences
qu'on doit essayer de concilier les différends entre les
ehambres, chacune d'elles llommant a cet effet des com-
missaires. Cet usage consacré en Angleterl'e, el dont
quelquefois le parlement s'est bien trouvé, doit lui ctre
ell1pl'unté, sans qu'il soit a propos touterois de conférel',
en pareil cas, au Sénat des priviléges honorlfiques qu'on
peut conserver quand on en jouit depuis nombre de sie-
eles, mais qu'on I1'inventerait pas dans celui-ci.


La Ioi de finan ces doit étre annuelle; mais il ne s' en




DU CORPS LÉGISLATIF 301
suit nuUement comme on l'a jusqu'ici pensé et pratiqué
en France, que toutes les dépenses et tous les impóts
doivent etre mis en question chaque année; toutes
les dépenses, disons-nous, sauf la liste. civile votée pou!'
toute la durée de chaque regne.


Rien de plus absurde, rien de plus feicheux qu'un pa-
reil usage. Tantót illivre les choses essentielles a l'insta-
bilité et a la surprise; tantót il habitue a voler de con-
fiance ou de guerre lasse.


En Angleterre, plus des deux tiers des dépenses pu-
bliques ne sont point soumis au vote annuel du parle-
ment, et ne figurent, au budget, que pour ordre et pOUl'
mémoire. n en doit etre de meme en France. A quoi
bon soumettre au vote annuel la deUe publique, le traite-
ment des membres du clergé, de la magistrature, de rad-
ministration réguW~re, la solde des armées de terre et
de mer, etc, etc. Chacun de ces objets doit, san s doute,
etre réglé par une 10í, et chaque loi, a ce rendue, doit de-
meurer révocable el réfol'mable; mais tant qu'une telle
loi n'est ni révoquée ni réformée, la dépensc qu'elle regle
doü elre tenue pour obligatoire; le sort des services né-
cessaires et le contrat implícite entre I'Élat et ses servi-
teurs ne doivent point ~tre exposées au hasard d'nn vote
inconsidéré, rendu peut-elre daos une veine d'humelll'
et de caprice.




302 YUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FR.\l\'CE


En di,,-isant, au conl raire, le budget, ou, pour parler
plus exactement en proposant a r ouverture de la session
deux budgets distincts, un budgct pOllr ordre ou seraient
1'eproduites, d'année en année, les dépenses nécessaires,
les dépenses 1'églées par des lois permanentes, un blldget
réeJ, ou seraient proposées les dépenses mobiles, varia-
bles, annueIles par nature ou par destination, non-seule-
ment on abrégerait de moitié le t1'avail des eommissions,
et les discussions de l'Assemblée; non-seulement OH af-
fermirait le crédit publie et la eonfiance générale, en im-
primant a tous les serviees essentiels un dcgré de stabilité,
a tous les serviteurs utiles un degré de séeurité inconnue
jusqu'iei ;non-seulement on réduirait, d'autant, eette om-
nipotence financiere de la Chambre des représentants qui
n'est qu'un abus inévitable, mais on rendrait le vrai dé-
bat, sur les vraies questions, plus approfondi, plus réel,
plus efticace, au grand avantagc de tous les intérets légi-
times et sans dommage meme pou1' la Chambre des repré-
sentants qui y gagnerait en considération plus qu'elle n'y
pe1'd1'ait en pou voir.


Il en serait de meme, a plus forte raison, du budget des
recettes.


Bien n'est plus absurde et plus dangereux. que dC'
remettre, ehaque année, ne tút-cc que virluellement,
en questlOll tout le systeme des ünpóts, leul' nature, )eur'




DU CORPS L~GISLATlF 303


répartition, la quotité de celui-ci, le tarif de celui-la.
« Sur un milliard trois cents millions de franes que le


Royaume-Um per<;oit en revenus f, un seul article, eonsi-
stallt en un droit sur le sucre, produisant environ 75 mil-
liúns, a besoin de la sanction annuelle de la Jégislature.
Ce droit cst un aide ou supplément de reSSOUl'ees que le
pal'lement aecorde, chaque année, sans difficulté. Tous
les aUÍl'es impots publics sont permanents. Il peut arrivel'
que l'opPol'tunité ou la quotité d'une contribution soit
l'objet d'une proposition tendante a la modifier ou a la
supprimer ; mais ces questions s'agitent indépendamment
du budget, d'ordinaire avant sa pl'ésentation, et n'exercent
aucune infiuence sur la perception qui eontinue, d'année
en année, tant qu'aucune loi spéciale n'en a ordonné au-
trement.


») Depuis environ un demi-siecle que la permanence des
lllpositions publülues a été consentie, leur produit a été
réuni en un fonds commun Oll consolidé. Ce fonds est
affecté, d'abord, au payement de la dette inscl'ite, ensuitc
il celui de la liste civile, des dotations, de certaines pen-
sions, puis du personnel de la diplomatie, au traitemcnt
des magistrats dans les hautes cours de justice, a ceHe
de la monnaie. 1'outes ces dépenses sont permanentes,


I Bailly, Adminütt'atinn d!'s finances du RO!Jattm~-(Jlli, t. 1.
p. ~t




3J4 VUES SUR LE GOUVER~EMENT DE LA FnA~CE


CJmme le~ taxes qui doivent y pourvoir, et de meme que
celles-ci exemptes du vote annuel. »


Un tel exemple, pratiqué depuis si longtemps, dans un
tel pays, est, a coup sfIr, tres-bon a suivre, et, quant ü
l'impót dont on ferait choix pOUl' senil' de garantir, en
tant que de bcsoin, a la convocation annuelle des Cham-
bres, on pourrait choisir celui qu'on voudrait, rien ne
serait plus indifférent.


V. - Quelques mots enfin sur deux ou trois poiuts
particuliers.


L'adresse en réponse au discours clu trone cst dans les
deux Chambres, de droit et de convenancc. II est natul'cl
qu'elIc soit discutée; il est bon que, dans ceLte discussion,
la politique générale du gouvernement soit passée en ro-
vue; mais précisément paree que cette discussion n'a poin t
d'objet fixe, précisémcnt paree que le champ en est inllé-
fini, il est nécessairc qu'elle soit lill1itée par le temps, ne
pouvant retre autrement. En AngIeterre, iI est d'usage,
sinon de regle absolue, que l'adresse doit etre yotée dans
la soirée du jour oü le discours du trone a été prononcé;
point ele commission; e'est un membre, et d'onlinaire un
elébutant qui propose l'adresse, apres s'étre concerté sans
Joute avec ses amis politiques, lllais ele son propre chef;
et la discussion ne pouvant guere Ctre reportée d'un jour
sur l'autre, l'heul'e en avan~ant en presse l'issue; ehacun




DU COHPS LÉGISLA TIF 305


le sait et se le tíent pour dit. Le plus souvent l'adresse est
votée a l'unanimité; lorsqu'il y a líeu a division, on a
grand soin de ne la réclamer que sur un amendement
unique Ol! vient se concentrer le principal point du débat.


Tout cela est sage, pratique, et mérite d'étre imité.
Le droit d'interpeIlation, eette autre occasion de dés-


ordre et de divagation doit également etre réglé. Il ne
doit etre adressé d'interpellation aux ministres qu'avec
l'autorisation de la Chambre, laquelle, en l'accordant,
doit fixer le jour et l'heure, de concert avec le ministre.
Toute interpellation doít aboutir a quelque proposition en
forme, qui tombe sous la compétence de la Chambre et
puisse etl'e mise :mx voix.


Point de discussion en l' air, san s dénoument régulier,
saos conséquence immédiate ou prochaine.


Tout projet de loi doit subir au moins l'épreuve de
trois débats.


Le premier sur son principe, sur l' ensemblée de ses
dispositions, et celui-lil doit se terminer par un vote sur la
([uestion de s~¡voir si ron cntend passel' a la discussion
des articles; cal', si le príncipe n'est pas admis, a quoi
bon?


Le sccond sur les articles.
Le troisieme sur l'état définitif du projet de loi, car qui


sait ce qu'en auront f<lit les amendcmcnts ?




306 VUES SUR LE GOUVERNEl\IENT DE LA FRANCE


Le simple bon sens, l'expél'ienee de l' Angleterre el
des États-Unis prouvent, sans qu'il soit hesoin d'y
insister, la sagesse de eette regle, et notre propre ex-
périenee, l'intel'minable eonfusion de nos débats dans
les deux Chambres, le prouve, s'il se peut, encore· da-
vantage.


Poiní de tribune, une salle disposée de telle sorte que
ehaeun parlant de sa place, soit entendu de toute l'assem-
blée. Une tribune aux harangues est faite pour la place
publique, pour l' Agora. pour le Forum; e' est un anaehl'o-
nisme, e'est un épouvantail pour les espl'it~ droits et sim-
pies; e'est un théatre pour les doeteurs el les déclama-
teul'S de profession.


En parlant de sa place, on doit s'adresser a l'assemblée
dans la personne de son président. Cela importe a la li-
berté de la diseussion; en s'adressant au président, on
peut tout dire sans offenser; en s'adressant direetemenl
il l'assemblée, on s'adresse bon gré mal gré a son adver-
saire, et ron se trouve bicntót plaeé cntre la rétieence el
la personnalité.


Point entin de diseours éerits. üne assemblée n'est pas
une aeadémie; elle u'a que faire d'entendre des disserta-
tions et des mémoires. Que eeux qui n'ont point le don
de la parole composent des brochul'es ou des articles de
journaux. Parle qui pellt parler. Le grand nombre, en ceei,




DU CORPS Ll~GISLATIF 207


est plus nuisible qu'utile. Jnmais le parlcmenl d'Angle-
terre n'a été plus grand, ct la nation plus puissante qu'il
I',ípoque oh la pléiadc de ses oraleurs n'en comptait pas
quinzc en possession d'etrc écoutés.




..




CHAPITRE IX


DE LA HAUTE coun DE JUSTICE


La Chambre des pairs est, en Angleterre, la cour de
justice supreme, tant en mat1ere civile, qu'en m3tlere
criminelle; en maticre civile, elle a j uridiction, par VOle
d'appel, sur tous les tribunaux de premier ordre ; eu
matiere criminelle, elle a de plus jurieliction directe sur
ses propres membres, el sur les accusés que la CnamOl't
des communes lui défcre.


Cet ol'ell'e ele choses nous p:lraH utile et sage. Nous pro-
posons de l'illtroduire en Franco, sous certaínes conOl-
tions.


Essayons de l'expliquer et de le bien faire compren are :
1. -- Antérieurcmcnt a la conquete, l'asscmbléc natio-


nale, bien connue des anti<luaires SOtlS le nom de ~Vitte­
n age-nwt, se réunissait périodiquement, en Angleterrc,


2.)




31 U YDES SUH LE COUn:BNE~JEr"l DE LA FHANCE


dans lous les líeux oh le roí célébrait les grandes retes de
l'année, el connaissait de toutes les affail'cs, tant publi-
ques qlie privées, et de toutes les causes civiles, crimi-
neIles ou ccclésiastiques.


Guillaume le Conquérant abolit le lVittenage-mot, et le
remplaGa par une Aula regia, composée des grands offi-
ciers de la' cOllronne, laquclle expédiait les affaires, el
rendait la justice civile et criminelIe, les causes ecclé-
siastiques étant toute1'ois portées llevant une alltl'e juri-
diction; chacun des grands officiers, chancelier, grand
chamhf.'JJan, high steward, grand trésol'ier, grand maré-
chal, etc., etc., y cOllnaissait des causes affél'cntes ü son
d épartement, avec l'assistance d'lln ccrtain nombre de
juges.


L' Aula regia tout cntiel'c, pl'ésidée par le grand justi-
cier. le second pel'sonmge dll l'oyaume, formalt avec les
barons une sorte de COlll' d'appel, devant laquclIe étaient
púrtécs les qll( sqons importantcs et difticiles.


ecHe illstitution ne se malntint pas longtemps dans son
intégl'ilé Del' l'époque du roi Jean, el par une disposition
formelle consignée au onziemc ehapitrc de la grande
Chartc. un premicl' démcmbl'ement de Llula regia, fut
établi el~ perJl1ancnce a \Vestminster, sous le nom de COlll'
des plaüls COmmll1lS, et chargée de rcndre a tous les su-
jets dv royaume la justice civile.




DE LA HAUTE COTm DE JUSTlCE 311


La cou l' des plaids eommuns, composéc d'nn pl'ésident,
(chie{ justice) et de quatl'e juges (¡J!lisne8 jwlge8)existe en-
core aujoUl'd'hui en pleinc aetivité.


Sous J~dollard Ier, le démembrement . se poursllivit;
chaque grand omeier de la eouronne eut S3. conr de jlls-
tice; le gl'and mal'éehal eut la sienne; le grand chambel-
lan, la sienne. Sous la pl'ésidenee du lord gl'and trésol'iel',
la COUl' dite de l' Échiquier, composée d'un juge pI'incipal
(chie{ baron) et de trois juges ordinaires (bal'ons) exer~a
sa jUl'idietion sur tout le contentieux de l'administratíon
des finances, et l'étendit succcssiyement ü toutes les ac-
tions civiles purcment pel'sonnelles, sous conlell!' de fic-
Lion de droit, le demandeur, dans ces actions, étant, pOUl'
la forme, supposé comptable envers la COUl'onne.


Entre la cou!' des plaids commllns et la cour de rf~chi-
.


quier, la cour dll bmlc dll roi est censée exercer, comme
supreme émanation de ]'Allla regia [oute l'étendue de la
juridiction qui n'appal'tient ni á l'une, ni a l'~lItl'e. Elle
~e compose tI'un président (eMe( justice) et de quatre
j uges ol'dinail'cs (puisne judges) ; elle cst ccnsée siégel'
partout oille roi réside.


Cette cou!' excrce une juridictlon exclusIve en matiel'e
cl'iminelle; une juridiction concurrcnte cn maticre civile
avec la COUl' des plaids communs et la eoul' de l'I~chi­
(luier, comme conséquenec de ce qu'il y a (l'universe~




312 VUES SUR LE GOUVERNE~lENT DE LA FRANCE


dans ses atlributions. Elle a, en e1'fet, la haute main sur
tOllS les autres trihunaux, sur toutes les magistratures,
sur toutes les eorporalion~ sur tous les offices civils ; elle
a mission, qualité et pouvoir pour mainteni1' chaque tri-
bunal dans les limites de S1 compétence, et pour sommel'
chaquc m:lgistraturc ou chaque offieier de rcmplir leurs
devoirs, 3U besoin meme pour les y contraindre.


Elle connait, en appel, mais non en dernier 1'essort,
des décisions de toutes les COllrs sur lesquelles s'étend S3
juridiction.


En dehors de ce cercle, el latéralement a ces t1'ois cours,
une eour dite d' équité, la COLll' ele cl13l1cellerie rend la jus-
tiee, en matiere civile, dans certaines affaires, et selon
certaines formes &péciales; c'est de la nature meme de
ces formes et ele ces affaires qu'elle tire son nom, ear,
dll reste, elle prononce suivant la riglleur du droit; elle
est composée du ellancelier, le premier personnage de
l'f)at depuis l'extinction de la charge elu granel justicier,
et de quatre juges, un maltre des rOles et trois vice-chan-
celicrs, qui ne statuent qu'en pl'emiere instance et sous
l'autorité du chancelier.


La cour de l'Échiquiel' avait aut1'efois une juridiction
d'équité, equity süle, récemment abolie ou plutot transfé-
rée a la cour de chancellerie.


Ces dix-neuf juges, répal'tis entre ces quatre cours,




DE LA HAUTE COUR DE JUSTlCE 313


f01'ment l'ordre entier de judicatul'c en Angletene, les
tribunaux inférieurs, étant, pour la plupart, tomhés en
tlesuétude, et n'existant guere que de nomo


Toute la justice, tant civile que criminelle, est de lcur
ressort, sallf toutefois les réserves qui snivent :


'10 Les qucstions de fait, tant en maW~re civile qu' en
maticre criminelle, sont décidées par des jurés; ü cet effe!,
les juges vont, quatre fois l'an, deux par cleux, tenir des
assises de comté en comté;


2° Les causes correctionnelles (misclerneanors) sont
d(~cidécs pnr des j urés sous la direction du corps des
juges de paix ele ch;\que comlé;


3° Les prises mari times ressortisscnt, ainsi que nous
l'avons dil pl'écéelcmmcnl, it la haute conr de l'amirauté
composéc (J'un seul juge;


·i" Les causes elites ccclésiastiques ({ui relevent du droit
canon sont rcnroyécs h des tribunaux spéciaux.


Les questions de droit étant senIes dll ressbrt des jugos,
appeI <lésigné, el1 AngIetefl'e, SOllS le nom de lVrit o(


error, éljuivaut ü notro pourvoi en cassatioll. A cet égal'd,
chacune des trois grandes cours de droit commun releve
des dcux antres; c'est-a-dirc qn'on se pourvoit contre les
décisinns de la cour des plai(ls c0Il1111unS devant les cours
du bane du roi et de I'J~chiquier réunies en challlhre de
I'J~chiquiel'; contrc les décisions de la COIll' dll vane du




31& VCES SUR LE GOUVERNEME~T DE L1 FR~NCE


roi, devant les COllrs des plaids communs et de l'f~chi­
quier I'éunies en chambre de l'í~chiquier ; eontre la eoUl'
dc l'éehiquier, cnfin devant les COuri; du bane du roi el
des plaids eommuns.


Les arrets rendus par la eharnbre de l'f~ehiquier, alter-
nativement composée de deux des trois hautcs eoul'~, SIII'
pourvoi contre les décisions de la troisicmc, 11C sont poinl
rendus en dernier ressOl'L On se poufvoit contre ses a/'-
rets devant la Chambre des pairs, et c'est aussi devanl
ellc qu'on se pourvoit contre les arrets renu lIS en ehancel-
lerie. C'est la Chambre des pairs qui slatue sans rceours,
qui fixe définitivement le sellS des lois et la j urisprlldence
supreme.


En principe, c'esL la Chambl'e tout entiere qUl prononcc,
et chaque paiI' y a yoix délilJél'alive. En fail, le ehaneeller,
assislé d'lln nombre indétel'miné de pairs, élcvés it eette
dignité du sein de 1[1 magistl'alnre, se porte t'ort IJollr la
Chambre dont il exeree les droits.


En matiere erilllinelle, la Chambl'e des palrs eounait
dil'celement de toule aecusation (impeachment) intentée
d¿vant elle par la Chambre des communcs, quelle que
soit la qllaliLé de la personne, ou la natUl'C de l'action.


11 a paru tlouteux, pcndant quelque temps, que la
Chambre des p'ail's eut juriclidion SUl' un simple citoycn
pOli\' crime capital, mais I'artirmatire a prévalu. Un ti




DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE 315


iongtemps soutenu, qu'en cas de haute trahlson, l'accusa-
lion intentée contre un pair rendait nécessaire la nomina-
tion, par la couronne, d'un présiclent ad hoe, sous le nom-
de lord hig h stewanl; ceHe idée est abalidon née.


La chambre des communes procede a la mise en accu-
sation, selon ses form~s ordinaires, et sur des preuves
recueillies par les voies ordinaires. Elle n'a p:ts le droit
d'instruire juriJiquement ni d'entenelre des témOll1s sous
serment. Elle dl'essc les artides ou chefs (l'accusation, et
députe des cOIl1lllissaircs pour les soutenir:


A la slIitc de longs eléhats, il a prévalu.
lo Que l'accusalion suryivait ü la Chambre accusatrice


él pass:üt il la suívante;
20 Que le parelol1 royal ne couvrait point l'accusé;
3° Que la condamnalion n'éteignait point le or01t de


grace.
La Chambre des pairs ellfin a juridiction sur ses pro-


pres membres, loes n~ell1e qu'ils ne sont point poursuivis
par la Chambre eles communes. Ton1 paír est son justi-
ciable, pOll1' rail ele 1rahisol1, de félonie ou de mísprision
de l'un ou de l'autrc; on désigne sous ce nom, la pal'li-
cipation il1Llirecte an fait crimillel, principalement par
yoie de non-révélation.


Hors ces cas, les pairs sont justiciables des tribunaux
oJ'dillaires.




3Hl VUES SL'R LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


L'instruction se poursuit conlre ellX, en toute matiel'C,
par la voie réguliere, e'est-a-dirc dcvant lcsjuges ele paix.
La mise en accusation est pl'Ononcée contre eux, en toute
ma!iere, par le grand jllry. Qlland l'acte el'accusation ré-
gulierement aelmis cst porté devant la Chambrc des pairs,
elle pr'Jnonce en corps, sous la présidence el'uu lorel higll
steward nommé ad hoc par la couronue, et elont ll's
Douvoirs sont elifférents, selon que le pro ces a lieu duraJlt
la session, ou en dehors de la session. Dans le pl'emrcr
ras le lord high stewanl dirige simplement les débats;
les juges, c'est-a-dire les vairs, pronoIlcCllt sur le fait el
sur le droit; dans le second, les pairs prononcent cxclu-
SlVcment sur le fait; le lorel high stewanl est juge elu
droit.


Dans l'un comme dans l'autre cas, les j lIges dll bane
dll 1'01, des plaids communs et lle I'I~chiquier, assistcnt
au DrOCeS, et donnent, 10rsflll'i1s en sont requis, leur avis,
pOllr le point de droit.


SI nous sommes entrés dans ces elétails, peut-ctre
un peu longs, et f01't aridcs a coup sur, ce n'est point
avec 1ü dessein de proposer a la France, comme un mo-
dele a imiter de point en point, le mécanislllc juridiqlle
oc I'Angletcrre; c'est simplcmcnt afin d'inuiqllcr quelle
p_ace occupent dalls ce mécanisme, lcs uellx ou tmis rcs-
sarts qu '11 nous paraitrait Don de lui cm pl'U11 te!'.




DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE 317


11. - Nous estimons qu'en matiere de droit, tout arret
qui fixe définitivement la jurisprudence, en d'antres ter-
mes, tout arret qui ddel'mine, sans recours, le sens et la
portée d'une loi, engage plus ou moin's l'une de ces ques-
tions d'ordre mixte, placée sur la limite réciproque des
pouvoirs, et qu' on peu t, sans blesser aUClln príncipe,
atlribuer, (Iaos l'intéret public, soit a l'un, soit a
autrc.
Lorsque deux OH plusieurs cours de justice, égales en


rang, et premicres en ordre, ne peuvent tomber d'accorl.
sur l:l v%llfé du législateur, qu'on le dise ou non, enréa-
lité il Y a doute, et ce doute ne peut etre levé régulicrc-
ment que par l'intervention- d'une alltorité qui tienne,
tout ensemble, du législateur et du juge, par une autorité
qui réforme, en l'éalité, la loi, en l'interprétarit.


Sous notl'e ancien régíme, de telles qllestions étaient
décidées par le roí en son conseil, le roi étant, a ceHe
époque, l'unique législateur et le juge supreme.


Il en était de meme, mais a tort,' sous le premier Em-
pIre.


Lorsque, apres deux arrets consécutivement rendus sur
une meme question de droit par la cour de cassation, le
conflit se trouvait régulicrement étahli entre cette cour
et les cours royales, cctte question était portée devant le
conseil d'Étal, c'est-a-dil'e devant l'empereur eH son




318 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


eonseil, et, la, définitivelllent déeidée quant au. cas donné
et a tous les eas semblables a l'avenir.


C'était attribuer a l'empereul' deux qualités que les
eonstitutions impériales ne lui reeonnaissaient pas, eeHe
de législateur unique, et celle de juge supreme.


Sous le régime véritablement eonstitutionnel, on s'éleva,
de bonne heul'e, contre eette uSllrpation de pouvoirs. On
proposa d'abord de déférer les questions dont il s'agit
a la législatul'e, de les tranférer du conseil d'État aux
deux Chambl'es. Rien de mieux quant Ü la partie législa-
tive de la déeision. C'est a la législature qu'i1 appal'tient
de l'éformer les lois imparfaites; mais, eomme, en rendant
eette décision, les Chambl'es pl'onol1(;aient sur un eas dé-
téterminé, c'était leur attl'ibuer l'autorité judiciaire.


Par ce motif, la proposition fut écartée.
Apres beaueoup d'hésitations, de t:ltonnements, d'essais


avortés, on s'est ancté, de guerl'e lassc, ~IU plus singu-
liel' des expédients ; on a déeidé que, dan s les eas dont il
s'agit, le seeond al'l'et rendu p31' la eour de cassation
ferait loi pour la eou!' roya!e a laquelle la queslion serait
renvoyée, mais pour eeHe question seulement.
(~'a été transférer l'autorité législative ü la Cour de


eassation, tout en laissant subsister la diffieulté pou!'
}'avenir.


On ne saurait ríen imagine!' de plus contraÍl'c Ü tou~ les




DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE 319


prmclpes de notre organisation judiciaire et a toutes les
regles du bon sens.


Nous estimons qu'en donnant pour couronnement a
'organisation judiciaire dont nous avons esquissé le plan


dans les chapitres III el V du présent ouvrage, non plus
une cour de cassation, institution désormais superflue,
mais le Sénat, le Sénat, régulierement investí par la con-
stitution d'une autorité mi-parlie législative et judiciaire,
le Sénat, premler corps de l'État, et haute cour de justice
politique, on atteindrait le but, rationnellement, au grand
ayantage de public et des parties intéressées.


Nous avons en effet propasé, comme on peut le voi!'
en se reportant aux deux chapitres qui viennent d'étre
i ndiqués :


10 Que toutes les qllcstions de fait, tant en matiere
ciyile qu'en maticre criminellc, c'est-h-dil'e toutes les
questions oü le fait prédomine, oh la vérification des faits
est l'ohjct memé de la recherche, fussent décidées, soit
par des jurés, soit par des juges de premiere instance sta-
luant en qualité de jurés, et décidées sans appel, sauf le
cas oh les formes de la pl'océdure n'auraient pas été régu-
lierement ohservées.


;20 Qu'en ce cas, l'appel sur le point de forme fúl porté
dcvanl la eour l'o,\'ale du I'CSsOI't, et l'examcn lks faib




320 VUES SUR I .. E GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


renvoyé, par elle, s'il y a lieu, devant un autre tribunal
du meme ressort;


3° Que toutes les questions de droit, c'est-·a-dil'o touto~
les questions oi! le droit prédomine, oil la vérification du
droit est l'objet meme de la l'echerche, fussent portécs,
en appel, devant la cour royal e du ressort, et, par elle,
décidécs définitivement.


Ce mode de procéder simple, clail', régulier, conforme
a tous les principes d'une saine organisation judiciail'c,
supprimerait déja, pour plus des trois quart~, l'offico uc
notre cour de cassation, laquelle n'est, a vrai (lire, qu'un
moyen détourné, bizarre, dispondioux, u'obtenir le ron ..
voi d'une affaire jugée en appel, devant une secondo
cour, puis, éventuellement devant une troisieme, multi-
pliant ainsi les fraí--, les délais, les déplacomonts, le tout,
~ans une gal'antie de plus pour le bien jugé; cal' pourquoi
la seconde cour <fappol mériterait-ollo plus de confi;mce
que la premiere, et la troisitm18 que la seconde, toutes
trois étant égales en rang, el partant en présomption ele
lumieres et d'expérience; el si c'est l'avis de la cou!' de
cassation qui doit pl'évaloir, en eléfinitive, pourquoi pas du
premIer coup ?


1\Iai8 re8tel'ait, pour en tinir avec notro systcme de ca5-
satíon, échafaudage presque aussí compliqué, dans sa
prétention métaphysique, presque aussi enchevetl'é J'aliées




DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE 32l


et de venues inutiles que le systeme anglais, toul fabriqué
de pieces et de morceaux, resterait, disons-nous, le der-
nier cas, le cas supreme, ce cas rare sans doute, mais
moins qu'on ne le pense, oh sur un meme point de droit,
deux arrets de cour d'appel se trouvent en contradiction
directe; oil, sur une meme et identique question, la
meme loi étant interpl'étée en sens opposé, dans deux res-
sorts diffé1'enls, la diversité de jurisprudence menacerait
de rompre, en France, l'unité de la législation générale.


e'est en ce cas, mais dans ce cas unique que l'inter-
vention du Sénat pourrait, devrait meme etre invoquée.


Le premier rendu des deux arrets, étant maintenu en
force de chose jugée, le second pourrait et1'e attaqué pat'
la partie inté1'essée, et, a son défaut, devrait l' etre par le
ministcl'e publico Le Sénat prononcerait définitivement,
apres débat contradictoire, et son arret ferait loi, pour
toutes les cours d'appel, sans préjudice, bien entendu des
droits de la législature a réformer toute loi quelconque
par une disposition nouvcIle.


A cctte attl'ibution supreme réservée au Sénat on pour-
rait joindre sans inconvénient les attributions incidentes
qui competent, de loin en loin, a la cour de cassation,
tenes que les reglements de juge, en cas de conflit entre
deux cours d'appel, les renvois d'une cour a une autre,
pour cause ele sCtreté publique, ou de suspicion légitimc,




322 VUES SUB LE GOUVERNEMENT DE LA FHANCE


la mise en accusation des memhres des cours d'appel.
Afin d'imprimer, dans ces cas divers, a l'action du Sé-


nat, l'alltorité et la régularité, iI serait formé, par élcction
dans le sein du corps, un comité, comité préparatoire, ou
chambre des requetes, auquel les pourvois seralcnt
adressés, et qui disposerait l'ordre du travail, instruÍl'ait
chaque affaire, en ferait rapport et propo~erait l'arl'et.


Le Sénat délibérerait a la majol'ité des VOlX, so liS la
condition sine qua non d'un quol'um déterminé.


Habituellement ce serait I'avis du comité préparatoil'e
qui prévaudrait, mais, de loin en loin, ce seralt I'espnt
législatif qui l'emporterait sur l'esprit juridique, el le plus
souvent avec raison.


111. - Mais, quelle que soit la valeur de ces idées,quelque
accueil que ret;oivenl, aupl'es des bons esprits, les pl'OpO-
sitions que nous venons ¡J'indiqucl', il est un poinr que
nous tenons, d'avance, pOllr accordé, il est un principe
qui ne fait pas question.


Sous une monaI'chie repI'ésentative, la Chambre haute,
sous quelque nom qU'OIl la désigne, doit etl'e, en matiel'e
d'(~tat, la haute cou!' de justice cl'iminelle.


Ce n'est pas trop des deux Chambres, l'une commc
accusatrice, l'autre comme juge, pouI' avoil', au besoin,
raison du pouvoir exécutif, dans la pcI'sonne de scs
agents.




DE LA H.\UTE COGR DE .IUSTICE ::!23


Ce n' est pas trop des deux Chambres, l'une eomme
accusatrice, l'autre comme juge, pour réprimer les entre-
priscs des factions, quand ces entreprises menaeent la
sécurité de l'État.


Qu'il appartienne 11 la Chambre des représentants de se
portel' accusatrice a l'égard de tout crime ou délit commis


. par un ministre dans l'exercice de ses fonctions-, personne
ne le conteste; et que toute poursuite dirigée contre
l'agent d'un ministl'e, a quelque degré qu'il en releve,
tombe néces~airement, et de plein dl'oit, 11 la charge de ce
ministre, si celui-ci ne désavo~e pas son agent, et ne le
Iivre pas lui-meme a la justice, c'est ce que personne ne
peut ni ne doit contester; e'est tout ce qui doit subsiste!'
de la famense gal'antie administr'ative inventée par la
constitution de l'an VIII.


De deux choses l'uue, en effet :
Ou l'agent inculpé a suiri les instructions de son chef,


et e'est h celui-ci d'en répondl'e;
UU l'agent inculpé s'est écarté des instruetions de son


chef, et, dl'S 101's, il en doit lui-m0me compte a la justice.
Ainsi, quand une poul'suite seraitdirigéecontre un agent


quelconque de l'autorité, J'affaire suivrait son cours jus-
qu'au prender mandat a décerner ; parvenue a ee point, la
p¡,acédure scrait ~ommuniql1ée au ministre dont cet agent
rde\'e, soit directement, soit par la flliere hiérarchique.




324 VUES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


Si, dans un délai déterminé, le ministre n'avait point pris
fait et cause pour son agent, l'instruetion serait reprise de
plein droit, et l'agent serait traduit, le cas échéant, devant
la justice ordinaire; dan s le cas contraire, l'affaire serait
dMérée, en l'état, a la Chambre des représentants, pour
etre donné suite contre le ministre, et, par elle, statué ce
qu'il appaitiendrait.


En cas d'accusation, chaque Chambre réglerait, pou!'
elle-meme, son mode de procéder.


Toute la partie de notre code pénal qui traite des délits
commis par les fonctionnaires publics dans l'exorcice de
leurs fonctions aurait besoin d'ctre revlle avec soin,
remaniée uans ses définitions, et comprise sous le
nom de malversations qui laisserait aux pouvoirs poli-
tiques un certain degré de Iatitude dans l'intéret de
l'État.


Quant aux poursuites dirigées contre de simples ei-
toyens, elle ne pourraient tomber sous la juridiction des
Chambres, que dans le cas de haute trahison el d'attentat
a la sureté de l' État. Ce serait, dans ces cas exelusive-
ment, a la Chambre des représentants a voir s'il lui con-
vient de saisir la justice ordinaire OH de porte!' l'accusa-
tion devant le Sénat, lequeI demeurerait malt1'e u'accepter
ou de décliner la compétence.


L'instruction serait faite par la justice ordinaire,¡ mais




DE LA HAUTE COUR DE JUSi ICE 3~5


sous la surveillance d'une commission nommée par la
Chambre des représentants.


Le Sénat serait lié par la Ioi pénale, mais avec entiere
latitude, quant aux circonstances attéIiuantes.
. Le Sénat, enfin, doit entourer ses propres,membres d'un
certain degré de protection. Il doit etre Ieur juge en ma-
tiere criminelle, mais uniquement en matiere crimineIle ;
en matiere correctionnelIe, iI n'y a nulIe raison pour des-
saisir la justice ordinaire.


Il en est ainsi en Angleterre.
l\Iéme enfin en matiere criminelle l'instruction doit etre


faite, et l'accusation dressée par la justice ordinaire.
La Chambre des lords, en Angleterre, est saisie par la


déclaration d'un grantl jury, contee I'un de ses membres.
L'aristocratie élective ne doit }las se mOl~t rer pllls (>xi-


ge:mte que l'al'istocratie héréditaire.










CHAPITRE X


DU CONSEJL ROYAL DE L'INSTRUCTIO:'{ PUBLIQUE


Al/X chapitres ur etV du présent ouvrage, nous sommes
enLrés dans de grands détails sur l'organisation de l'in-
struction publique dans les cornmunes rurales et dans les
communcs urbaines, dans les arrondissements, dans les
départements et dans les provinces. Si nons vivions, en
France, sous un régirne moins démocratique, on pourrait
peut-Ctre s'en tenir la, on pourrait laisser exister libre-
ment, sans controle, chacun pour son compte, ces centres
d'enseignernent que nous nommons académies, et qu'on
nomme universités en Angleterre, en Allemagne, dans
presque toute l'Europe. La rivalité leur serait utile, et la
1 iberté y serait sans danger.


Mais, dans un temps tel que le notre, dan s un pays tel
que la Frallce aduelle, dans un lemps, daos un pays oi!




3:28 VUES SUR LE GOUVER~El\IENT DE LA FHANCE


le niveau de l'égalité, apres avoir passé rapidement sur
toutes les tetes, tend a passer graduellement sur toutes les
fortunes, ou la classe moyenne, c'est-a·dire la classe ac-
tive et prépondérante, se recrute chaque jour largement
dans la classe supérieure par la division des hérltages, et
dans la classe inférieure par l'accroissement de l'aisance, oü
chaque homme a, pour ainsi dire, sa fortune a faire, ou a
refaire, ne fUt-ce que pour la conserver; dans un tel
temps, disons-nous, dans un tel pays, il existe inévitable-
ment un courant continu qui tend a faire descendre l'édu-
cation libérale au rang de l'éducation professionllelIe, a
réduire la science a l'industrie, et la théorie it la pl'atiquc;
ce que le pere de famille demande a l'enseignement pu-
blie, c'est de lui rendre ses ent'ants de bonne heme, puis
de les lui rendre dégrossis pour quelque occu!)ation lu-
crative.


Ce courant, abandonné a lui-meme, conduirait, par une
pente eertaine et prochaine, a l'abolition, dans l'ensei-
gnement public, de toute la partie désintéressée, c'est-
a-dire supérieure des études littéraires et scientifiques.


Cinq et quatre font neuf; otez deux, reste sept.
C'est bien di!; Ya, tu sais tout ce qu'il faut savoir!


deviendrait notre devise; la société fran~aise se partage-
rait entre les gens de métier, les gens dA loi, et les gens




De CONSEIL ROYAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE 329


d'affaires. Les études qui prennent ~u temps et ne menent
a ríen, e'cst le mot, tombées dans le déeri, ne subsiste-
raient, tout au plus, que comme un privilége de la ríchesse
oisive ou une fantaisie de curieux.


Que nous soyons rapidement entrainés sur eette pente,
héIas ! qui peut en douter?


A. quoi bon les études elassiques, les prétendues huma-
nités? Qu'a-t-on a faire de gaspiller huit ou dix ans a se
barbouiller de grec et de latin ? A quoi bon les mathéma-
tiques pures, la physique transcendante ; la science pour
la sciencc?


Les savant~ ne sont bons que pour precher en chaire.


Passe pour la chimie appliquéc aux a1'ts, pour la mé-
canique appliquéc :1 l'industrie, pour l'astronomie nau-
tique. Que I'École polytcchnique se borne a former de
bons ingénieurs, des officiers d'artillcrie qui sachent diri-
ger une batterie, des officiers de marine en état de faire le
point; plus de droit romain, n' avons-nous pas le Code
civil? n'en apprend-on pas cent foís plus en griffonnant
six. mois dans l'étude d'un avoué, qu'en palissant sur
(;alus et sur les Pandee tes ?


C' est la ce que nous cntenclons clire et redire, a qui
míeux míellx, de toutcs part~, chaque foís que, pour son
malheur, notl'e pallvre enseignement public est remis sur




330 VUES SUR LE GOUVEltNE¡UENT DE LA FRANCE


le tapis. Achaque révolution nouvelle, et Dieu sait que
les révolutions ne nous font point faute, la tendance don t
il s'agit fait un pas de plus; apres le 2 Décembre, elle a
fait meme une telle enjambée, que, par pudeul' et pour le
mOUlent, iI lui faut reculer un peu.


Isolées et livrées a elles-memes, nos modestes académies
ne seraient pas de force a lui faire tete. Elles se laisseraient
entrailler, qui plus, qui moins, mais toutes et vite, a la
popularité, a l'esprit du jour, aux instances des peres de
farnille; pour résister avec efficacité et persévérance,
quelque élévation, quelque consistan ce qu'on s'cffol'¡;at de
lcur dOllner, il leur faudrait un point d'appui ; iI leur en
faudrait meme plus d'un; ce ne serait pas trop des trois
grands ressorts de l'organisme social, la loi, l'action de
l'administration centrale et l'esprit du corps.


Il nous paraitrait done sage, apres avoir réformé l'in-'
struction primaire et l'instrllction secondaire sur le point
que nOlls avons indiqué plus haul, de placer les académié~
sous l'autorité d'une loi généralf', qui, tout en laissant
liberté enWwe aux institutions privées, réglerait large-
ment et sans minutie, mais aussi sans faible&5e, sans fluc-
tuation, sans va-et-vient perpétuel, l'ordl'e, la répartition,
les conditions des études dans les facultés et dans les
colléges.


n nous paraitrait sage de placer le maintien de cette




De CONSEIL ROYAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE 331


lui, et son exécution uniforme sous la direction d'un mi-
nistre ad hoe, et sous la surveillance d'un corps d'in-
specteurs généraux, choisis parmi les plus expérimentés
et les plus actifs des anciens recteurs et autres principaux
officiers des académies.


Ce COl'pS d'inspecteurs généraux fournirait le premier
noyau d'un conseil général de l'instruction publique,
composé a peu pres comme il l'est aujourd'hui d'hommes
du métier consommés, eL de la'iques éminents, savoir :


Tois membres du Sénat;
Trois membres du conseil d'État;
Cinq archeveques ou éveques ;
Trois membres des cultes non catholiques ;
Cinq membres de l'Institut ;
Huit inspecteurs généraux ;
Deux membl'es de l'enseignement libre;
Sous eette unique mais importante distinction que les


membres du conseil, au lieu d'Ctre choisis par le gouver-
nement el renollvclés d'année en année, seraient élus pour
einq ans par les corporation auxqueIles ils appartiennent.


A ceUe condltion, on pourrait, sans inconvénient et
meme avec avantage, laisscr au conseil tout l'ensemble
des attributions f]u'il excrce aujourd'hui, attributions qui,
d'ailleurs, n'oIlt rien cl'cxcessif. Les instincls de l'élément
lalque tempérant, modérant les préjugés de l'élément péda-




332 VUES SUR LE GOUVERNE~lENT DE LA FRANCE


gogique, et l'expérience de celui-ci éclairant, rectifiant les
tendances de l'autre, on obtiendrait en ceci, ce qu'il faut
chercher en toutes ehoses, ce qui fait eomme le fond et
l'essence des institutions libres, l'action en commun des
experts et des amateurs, c'est-a-dire l'influence constante
et réeiproque de la théorie sur le bon sens et du bon sens
sur la théorie.


Il nous paraitrait sage enfin de conserver a la réunion
des académies le nom commun d'université; c'est un
nom qui sonne bien, e'est un nom auquel se ralta-
chent des souvenirs honorables; c'est un nom cher a
tous les membres du corps enseignant, et qui, main-
tenant entre enx un certain mélange de solidarité et
d'émulation, imprimant a tont l'enseignement un caractere
d'unité, d'harmonie et de vigueur, engagerait, ainsi que
nous l'avons indiqué, l'esprit de corps, c'est-a-dit'e ce
qu'il y a de plus résolu et de plus vivace, a la défense
comrnune.


Ce serait la, sans doute, Oil reproduire ce flui est, ou
tout au moins, lui donner une sanction nouvelle. ~Iais
pourquoi non, si ce qui est a beaucoup de bon ? Pourquoi
t Ducher a rien sans nécessité ?


Quieta ne moveas.




CHAPITRE XI


nE LA LIBEHTE DE L.\ pnES~E


Ou royait sur les tréteaux de la foire, dans le bon temps
oil le bon ton n'interdisait pas de les fréquentcr, Arlequin
distl'ibucr a ses enfants des flutes, des trompettes, des
tambours de basque, en leur disant :


« Mes petits amís, <lll111SeZ-VOus bien; ne faites pas de
bruit. »


Arlequín, c'est le législateur qui prétend introduire
dans son pays la liberté de la presse, la liberté réelle
s'enteIHJ, el pour tout de bon, en la renfermant dans les
limites de la décence, de la justice et de la raison.


On abu~e de tout en toute chose; on abuse plus OH
moins de chaqüe chose; n'est lihre, logiquement et en
fait, que qui pouL abllser; et, d'ordinaire, la législation
pénale prévient, a peu pres, l'abus de l'ablls, en le visi-




334 YlJES SUR LE GOUVERNEIUENT DE LA FRANCE


tant selon le dommage. Mais l'abus de la presse fie con-
nait de limites que sur le papier; il cst dans sa. nature de
se porter de pIein saut, de prime abord, a la derniere
extrémité, et d'y persister continuellement; il est dans sa
nature de s'attaquer au bien plus qu'au mal, aux choses,
aux personnes dignes de respect plus qu'a celIes qui nc
le sont paso On raconte qu'un peintre grec, ayant J':lssem-
blé ses ami s pour leur 1110ntrer l'un de ses tahleaux: Tirez.-
le rideau, lui dirent-ils. - Le rideau, répondit le peintre,
c'est le tableau. En [ait de presse, l'abus, I'extreme abus}
c'est la chose meme, et la répression en est habituellen}ent
ilIusoire. Qui ne sait pas cela, et veut la liberté de la
presse ne sait ce qu'il veut, et qlli, sans s:1Voir cela, l'in-
troduit, ne sait ce qu'il fait.


La question n'est done pas de savoir ~ quel systcme de
précautions el de répression jI convient d'avojl' recours
pour conjurer les périls et les méfaits de la liberté de la
presse; re ve d'utopiste que tout cela, coup d'essai de no-
vice; la question est ele savoir, si la presse libre étant ce
qu'elle est, une prostituée privilégiée, chal'tered libertillc,
ainsi la qualifiait lord Chatham, et la perfection, la mis(J-
rable perfection des institlltiolls hlOnaines, :'oc réelllisant,
comrne l'a elit M. Royer-ColIard, il fairc, tout compcnsé,
plus de bien que ele mal, la libcl'té de la pressc, pousséc
continucllement a l'exces, habituellerncnt impunic, n'étant




DE LA LIBERTÉ DE LA PHESSE 335


jamais sérieusemcnl réprimée, vaut, pourtant, tuut com-
pensé, mieux que son contrail'e.


A eette question, nous répondons oui, sans hésiter.
oui; mille foís, oui; et cela, par une'l'aison tres-simple;
point de liberté de la prcsse, point de liberté politiqueo On
ne peut cnchainer la plume en déliant la langue; on ne
peut réduirc l'une et l'autre, qu'en ayant pour complices
la peur du public et sa bassesse, ceHe abjeeta servienlíunl
palientia qui soulevait de dégout rame de Tibcre .


.


Le silence d'aillcurs n'cst plus de ce monde. La liberté
de la pl'esse existe toujours ponr qllelqu'un et pOUl' quel-
que chose. Quand ce n 'es1 pas pOUl' tout le monde, c'est
pOUI' le plus fort, ses instruments eL ses valets; quand ce
n'est pas pele-mele, pour le bien et le mai, c'est pour le
mal exclusivement. J'aime mieux;' a dit un homllle d'État,
le régime Ozl. la vertu est calomniée, que eeluí oil. le vice
est pl'otégé el glorifié.


Il faut done la lihert(~ de la prcsse, il la faul plcine et
elllicl'e; puur les paItlphlets comme pour les livres; pOUI'
les journaux comme poul' les pamphlets; pour les jour-
naux quolidicns comme pour les feuilles hebdomadail'es.
Il faul que les gouvernants el les gouvernés s'y aguerris-
sent, cot11me on s'aguerrit aux intcmpél'ies des saisons,
au froid et au chaud, au beau temps el a la pluie; qu'ils
la respil'ent, en quelquc sorte, dans l'ail" comme on res-




336 VUES SUR LE GOUVEH~EMENT DE LA FRANCE


pire, sans y preter atteution, des odeurs de toute es-
pece, comme on avale dans une goutte d'eau, des mil-
Hons d'animalcules. 11 faut que les exces habitnels de la
presse trouvent habituellement leur contre-poison dans le
mépris qu'ils inspirent, dans l'indifférence des hommes
publics el des gens de bien; JI ne faut songer a les répri-


. mer que de loin en loin, quand la mesure est comblée,
quand l'indignation devient générale, quand le pllblic, le
vrai public crie vengeance.




e'est en ce sens, c'est en vue de ces idées, c'est sous
l'empil'e de ces conditions que toute législation sur la
presse doit etre conQue et réglée. Elle doit tendre résolu-
ment a ce double but de rendre les poursuites rares, et les
condamnations certaines; d'habituer au feu quiconq'le s'y
trouve exposé naturellement ou par hasard, et s'il vient, au
dernier moment, a rendl'e COllp ponr coup, de le placer
dans une position inattaquable, d'en faire le défcnseur de
la société, de la morale, de la justice pIutót que de lui-
meme. •


A cet effet, la premiere mesure a prenclre, selon nOll~,
ce serait de rendre 11 l'imprimerie et a" la lilH'ail'ie, ces
deux grancls instruments de toute publicité, la liherté lé-
gale, en supprimant la condition du brevet, sauf indcm-
nité, s'il y a líeu, envers les titulait'es :leluels, mais en
maintenant les conditions morales, savoir :




DE LA LIBEIlTÉ OE LA PRESSE 337


Les dédarations officielles ;
Le serment professionnel;
Les examens de moralité et de capacité; en rendant


meme tout il fait sérieux ces deux examens, qui ne 1'0nt
poiJlt été jusqu·'ici; en exigeant, d'une part, un certificat
de bonne vie et mreurs délivré, apres enquete, par le
tribunal civil, et, d'une autre part, un diplóme de bache-
Iier es leUres.


Cela faH, libre a tout imprimeur, libre a tout libraire de
se porter éditeur d'un éerit quelconqne, périodique OH
non, livre 011 simple pamphlet, isolément ou eonjointe-
meut avcc un éditeul' en titre, mais il charge de répondl e
devant la justice du contenu de l'éerit, personnellement,
direetement, en tout eas, au premier chef, sans préjudice
de la responsabilité de l'auteur s'il est connu, mais sans
recherche, s'il ne 1'est pas.


Rien de plus régulier que ce mode de proeéder.
En matiere de presse le vrai délit, ce n'est pas l'éerit


llli-meme quel qu'il saÍt, c'est le publicateul'; et le publi-
cateur nécessaire, c'est l'imprimeur qui met sous presse,
e 'est"'le libraire qui débite; le publieateur simplement pos-
stble, e'est I'édileur s'il y en a UIl, c'est l'auteur s'il se
fait connaitre.


En outre, rien de plus juste.
Du moment que la prof('~sion d'imprimeur et celle de





338 VrES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA FRANCE


libraire seraient rendues a la ConCUI\fence et llégagées de
toute entrave arbitraire ou pécuniaire, du moment que la
loi n'exigerait de l'imprimeur et du libraire que ce
qu'elle exige de tout citoyen, d'étre homrne de bien et de
~avoir ce qu'il fait qnand ce qu'il fait peut compromettre
l'ordre public, ou porter dornrnage a autrui; du moment
que la loi ne leur imposerait que ce qu'elle ¡mpose a qui-
conque exerce une profession libérale, avocat, avoué,
n otaire, professeur, instituteur, médecin, chirurgien,
p harmacien; a que! titre se plaindraient-ils d'etl'c dé-
c1arés responsables de ce qu'i1s font volontairement, en
pleine connai:;:sance de canse, de re qui n'advient que de
leur fait?


Rien de plus sage enfin.
L'impl'imeur, le libraire exerceraient s!Jr les érrits,


dans l'intéret de len!' sécu!'ité pcrsonnelle, une cemure
éclairée, impartiale, tutélaire, une ccnsure étrang()l'c --
étrangere autant quc faire se peut, dans un pays libre, -
au qésordre des partis, au fIot mouvant de l'opinion, aux
animosités privées ou poli tiques; et, s'il en était autre-
ment, si l'imprimeur uu le libraire pl'enait pcrsonnelle-
meot fait et cause; s'il se faisait hornme de parti, homme
de faction; s'il dcyenait un artis3n de sédition, un instru-
ment de calornnlc; s~ns excusc, alors, devant la justice,
ne pouyant alléguer, pour sa défense, ni l'entrainement




DE L.\ LIBERTÉ DE LA PRESSE 339


de la lutte, ni la légilimilé des représailles, sa eondamna-
lion deviendrait presque inévitable.


Mais c'est peu.
Le lrgislateur aurait dans ce systel:ne, contre l'impri-


)}leur et le libraire, des moyens d'action qu'il n'a pas el
ne saurait avoir contre l'autenr, ou le simple éditeur. II
pourrait dans les cas graves, en cas, par exemple, de pro-
vocation au crime, pI'Ononcer, en sus de la peine légale,
la cOIlfiscation des instruments du crime, c'est:-a-dire du
matériel de l'établissement; les príncipes généraux du
d roil pénal l'y autorisent. - Il poul'rait, dans des cas
moins graves, interdire pOUl' un temps limité, a l'impri-
mellr, au libraire l'exel'cice de sa profession; si mieux
n 'aimait l'un OH l'autre, soumeltre pour ce meme temps
son élablissement a la censure d'une autorité légalement
constituée. Ces mesures rigoureuses, mais régulieres en
elles-memes, ne seraient sans doute employées par la jus-
tice qu'a son COl'pS défendant, et dans les cas extremes;
mais, dans les cas extremes, elles pOllrraient l'etre, et leur
efficacité ne sanrait alors etre contestée.


Hien a changer, rien du moins de bien important, dans
la partie purcment réprcssive de notre législation sur la
pl'€sse; tout au plus quelqtles définitions a rectifier, qllel-
ques pénalités a modifier. Mais, quant a la procédure, il
lle fauclrait pas hésiter a rétablil' la disposition de la loi de




340 '"VES SUR LE GOUVERl\'EMENT DE LA FRAl\'CE


181.9 qui soumet a la preuve des fait8, en cas de plainte,
le fonctionnaire Pllblic attaqué. eeue disposition tient au
fond méme, et comme a l'essellce de la liberté de la
presse; c'est presque, a nos yeux, une disposition consti-
tutionneIle. II faudrait meme aIler plus loin, selon nous,
il faudrait étendre la disPQsition aux plaintes en matiere
privée, distingue~ entre la calomnie, c'est-a-dire l'impu-
tatíon de fails faux, et la simple diffamation, c'est-a-dire
l'imputatíon de faíls vrais ou faux, mais injnrieux, en
Jaissant a la parlie plaignante le choix de pourslIÍvre sous
l'un ou sous l'autre chef, mais a chal'ge pa¡' elle, 101'8-
qu'elle poursuit en calomnie, de sIIpporter la preuve des
faits, et de confondre le calomniateur en le mettant au défi.


Ce serait, tout a la fois, rendre les poursuites rares et
les condamnations lriomphantes; ce serait restituer a
l'homme innocent lous ses avantages, et rendre circon-
spect cellli qui ne se seut pas de force a supporter le grand
jour.


Quant a la juridiction; Ilul doute que toute8 les pour-
suites, en matiere de presse, soit crimes, soit simples dé-
lits, n'appartiennent de pIein droit, au jury, mais aquel
jury? au jury ordinaire? Au jury qui prononce en these
géné rale sur lous les genres de crimes OH de déiits?


Pourquoi non, dans les cas ordinaires? Pourquoi néce~­
sairement et dans tous les cas?




DE LA LlBERTI~ DE L.\ PRESSE 341


En Angletcrre, on admet deux sortes de jury : le jury
ol'dinaire, lejmy spéeial. Le jury spécial peut etre demandé
el ohtcnu dans lous les ~as difficiles, s~uf toutefois la haute
trahison et la félonic 1. C'est ordinairement en matiere de
presse qu'il esL demandé; e'est la eour du bane du roí qui
statue sur la demande.


La liste des jurés spéeiaux est formée, ehaque année,
en meme temps que ecHe des jurés ordinaires; on n'y
com prend que des hommes bien élevés (gentlemen) ,
tuut au moius du rang de squire, des banquiers, négo-
Liallts, de. Le jul'y lui-meme est tiré a11 sort sur ectte
Ilstc.


C'est un exemple qu'il serait hon de suivre, ce nous
semble, et qu'on pourrait transpl~llltel' en Franee, sans te
moindre scrupule; personne en effet, jusqu'ici du moins,
ne s'est avisé d'étendre au jury le príncipe du suffrage
uoiversel; personne n'a pl'étendu que tout hornme, par
cela seul LiU'íl est homl11c, soit apte ü devenir jucé; et les
plus faualiqucs, en ce genre, ayant élé jusqu'ici, lcs pre-
miers a reconnaltl'c qu' OH doit teni1' eomptc, dans la for-
mation d'une liste des jurés, de la capacité personnelle,
de l'éducatiun, de la respeclabilité (qu'on nous pass e le
néologismc, ou, si ron veut, l'anglicisme) pourquoi, ou
plutOt commcnt ne pas admettre que la présomption doit


i 0, GC0r'f., IV, ch. L) sec!. xx:\:,




3i:! YVES SUB LE GOUVERNEMENT DE LA FHA.\CE


se l'égler sur l'exigence des cas, sur la difticulté et la
délicatesse des questions a résoudre, et qu'il est plus aisé
de prononcer sur la réalité d'un acle de violen ce, que sur
le sens des passages qui l'ont provoqué,


Nous estimons done qu'il serait il propos de dresser,
chaqlle année, deux listes de jurés, ¡'une ordinaire, l'autl'e
spéciale; on porterait Slll' la liste s péeiale, dalls chaque
loca lité :


1 ° Les propriétaires, nÜ.lllufacturiers et négoeiants
payant un eens déterminé, 000 franes par exemple;


'20 Les pel'sonn es exen;ant, depuis un nombre dl alllléps
détermíné, einq ans, par exelllple, ulle protession libéralt;


3° Les membres des soeiétés savantes, éeonomiques o II
littéraires;


4° Les titulaires passés ou pl'ésents de fonctons élec-
tives.


La loi réglerait l'emploi facultatif du jury spéeial, selon
la nature des pOUl'suites; il serait de plein droit, sur
la simple demande de l'une ou l'autre des parties ou de
toutes deux. Il va sans dire qU'en matiere de presse,
l'exeeption deviendrait la regle, dans tous les cas de
quelque importanee.


Resterait en fin la juridiction des ChambI'es, en défensc
d'elles-memes. H eonviendrait de la maintenir, mais en
supprimant toute procédllre, tOllte pl¡ljdoierie, c'cst-h-(]irr,




DE LA LIBERTÉ Uf<: LA PRESSE 3 ~~


toute oecasion o1'1'erte au prévenu de renouveler son
offense, et de se livrer a des bravades.


La dénonciation dans chaque Chambre serait faite di-
rectement par l'un de ses membres. Si ceUe dénonciation
était accueillie, iI serait pris jour pour en délibérer; le
prévenu présenterait ses explications par écrit; elles
seraient imprimées et distl'ibuées. Si, dans une Chambre
divisée, nécessairement divisée en parti~, il ne s'élevait
aueune voix pour le défendre, e'est qu'il aurait dépassé
tOüle mesllre et seraÜ absolument sans excuse.





..




CHAPITRE XII


De DROIT DE nÉUNIO:\' ET D'ASSOCIATIOX


Ce qui vient d'etre dit de la liberté de la presse, il faut
le dire du droit de se réunir, soit aecidentellement, soit
périodiquement pour délibérer dans un but déterminé; il
fant le dire du droit de s'associer pour travailler a ce but
quel qu'il soit. C'est une faculté naturelle qui doit demeu-
rer libre dans un pays libre. C'est la liberté de la parole
et de l'action ; e'est un droit plns périlleux, dans ses eon-
séquenees, que ne l'est celui de publier sa pensée en l'im-
primant; e'est un droit qui, non plus que l'autre ue
comporte de regle el de limite que sur le papier; l'abus
s'y confondant perpétuellement avee l'usage, et l'extreme
abus avec l'abus.


Ce droit existe en Angleterre t ; il e3t inserit en propres


1 Story, eh. L, 2 1038.




316 VCES SCR LE GOUVERl\'EMENT DE LA FHANCE


termes dans la constitution des État-Unís. Dans l'un
comme dans l'autre pays, la faculté de se réunir ne tombe
sous le coup de la loi qu'en devenant sédition, et la faculté
de s'associer qu'en devenant conspiratíon f. Quand la
réunion devient séditíon, l'autorité la disperse; s'il y a
résistance, elle prend le nom d'assemblée illicite 2, un
laU'{ul assembly ; s'jl y'a commencement d'exécution, celui
de rout; s'il y a violence, celui de riot, et sous ces diver'i
chefs, la pénalité suít la proporlion de l'offense. Quand
l'association devient conspiration, l'autorité la dissout;


. s'il y a persista~ce, elle est poursuivie sous le nom un-
law{l/l combination and confiederacy 3 eL punic, selon la
gravité du eas, ou d'une peine pécuniaire 4, ou d'une peine
corporelle qui peut s'élever de deux ans d'emprisonnement
11 sept ans de déportation 5.


Ni l'une ni l'autre faculté ne sont soumises a des me-
sures préventives, sous eette exception, sí e'en est une,
que les lieux publics oh ron est admis en payant, cafés,
cabarets (ale hOHse (i) cabinets de lecture, etc., ne peuvent
etre ouverts et tenus qu'en vertu d'une licence annuelln
signée de deux juges de paix.


1 Burn., t. V, p. l.'j.
2 Swift, t. U, p. 339.
~ 39, Georg., lB, c. 79.
4 Burl1., V, p. 27.
¡; Burn., p. 33.
§ Burn., p. 30.




DU OROn DE RÉU~IO:'i ET [l'ASSOCIATIO'" 347


L' Angleterre el les États-Unis exislent sous ce régime
et tout compte fait s'en trouvent bien, malgré les em-
barras et les désordres qu'ils en éprouvent quelquefois ; en
Franee, ee régime, que nous nommerons, pour abréger, le
rrgimc des clubs, drs sociétés populaires, a laissé depuis
les premiers jours de notre révolution de si terribles sou-
venirs, que, ehaque fois qu'il essaye de se reproduire a la
faveur des événements, la société proprement dite, le pays
tOllt entier jette les hauts cris, et contraindrait au besoin
le gouvernement ti maintenir le régime directement con-
traire, le l'égime de I'rtufnri .. ;afirm préalable, imposé a peu
pres sans exception ni dhlinction h tou t exercice dll droit
de se réunir ou de s'associcr.


Entre la liberté pure et simple et l'arbitraire pUf et
simple, ne saurait-on concevoir un moyen terme ?


011 serait la difficuIté, par exemple, d'exiger, SOllS des
peines sévcl'cs, de tonte assor,iation qui se forme, de toute
réunion projetée, lorsCJII'ellp affcrtel'ait un degré quelconque
de pnblicité, d'en exi~cr, disons-nolls, un avertissement
préalahle, donll(', en temps IItilt~, a l'alltorité ; une décla-
ntion oü se trollveraient énoncés le but de l'association,
le nom et le nombre de ses membres, ses conditions
d'existcnce, con organisation; une déclaration oü se
tl'ollvcl'aient énoncrs le huI dr la l'éunion, le lien, le jour,
l'hrure, rte. ? L'autol'it" demclIrerait libre d'exercer, SUl'




34R 'TES SL"R LE GOUYERNEMENT DE LA FHAl'ICI<:


chaquc association ainsi déclaréc, SUl' chaque l'éunion,
telle surveillanée qu'elle jugerait nécessaire, et de dis-
soudre l'une, de disperser l'autre, au besoin, par un ar-
rété motivé, qui pourrait de plein droit etre déféré aux
Chambres par voie de pétition.


A ces conditions, l'essai du régime si redouté des clubs,
des sociétés populaires pourrait, ce nous semble, etfe
risqué de nOLlveau, sauf i1 se rl1hkher pen 3 pen' sur ¡L'~
précautions, 11 mesure que s'aguerrirait le bon sens lm-
blic, ou bien, au contraire, ~l revenir, par voie d'exception
temporaire, au régime de l'alltol'isation préalable, si le
danger devenait manifcste el pressan t.




CHAPITRE XIII


De nos jours) la liberté de conscience, ou, pour parle1'
plus exactement, la liberté de croytlllCe esl pleine el en·
tiere. Point d'inquisition ; nul n'a droit de péndtrer dans
l'intél'ieur des familles, rt de demander compte des con-
victions pel'sonnelles ou des hahitudes domestiques.


Extérieurement pl'ofessée, la lillel'té de eroyance ne
reH;ve que de la HlOl'ale. e'es! uniqucment aux droits de
la morale, et sans regarcl au clogme que la loi punit la po-
lygamie et prohibe le rlivoree. e'est par respect pour les
mmurs et pOU!' le bon ordl'c que la loi réprime l' outrage
eLl'injure envers un euIte quclcon que.


Extériemcmcnt pl'ofcssée 11. titre de culle, c'pst-a-díre.
rl'assoeiatioll régulicl'c, ou simplemcllt de réullion pé/'io-




37)() \TES SUR LE GOLVE¡~i\Em:i\T DE LA FHA~CE


diqne, la lih~rté de Cl'uyallce a droit, tout nu moins, aux
garanties du droit commun.


Un avel'tissement sincere donné en temps utile a l'au-
torité ;


Une slll'\'eillance contrarlictoiremcnt réglée ;
L'ohligation de se disperser ou de se dissoudre,:1 la pl'e-


miere ~ignif¡ca tion d'un arTété moti vé, dont la "ages~c et
la justice puissent éLre attaquées elevant les Chamhres ;


Telles seraient, selon nou~, les seules conditions im-
posées, de droit commun, en temps orclinail'e, atonte
association, a toute réunion quelconque, et, partant, allx
associations et réunions religiel1se~. En temps de troubles
civils, et, s'il y avait lieu de recourir temporairement an
régime de l'autorisation préalable, il convienclrait, scloll
nous, d'excepter de l'exception, les associations et réu-
nions religieuses, sauf a faire usage, au bcsoin, du dl'oit
de dissolution ou de dispersion.


On n'aurait point 11 craindre, pom elles, en temps orcli-
naire, l'ablls d'un l'égime purement rfpressif; on n'aurait
point a crainclre cl'eIles en temps de troubles, l'exel'cke
d'un droit dont elles ne ponrraient abuser sans y re-
noncer.


Toute Église, c'est-a-dire tout gronpe d'associations
rehgiruses, agissant en nom collrctif, et soumise hiérar-
chiquement a des regles communes, aurait droit, seloIl




..


DE LA LIBERTÉ DES CüLTES 301


nOllS, a demander d'etre reconnue par l'État, comme l'É-
glise catholique, a débattre librement, par des délégués,
librement élus, les conditions d'un concordat, h obtenir
une subventioll pour ses pasteurs, des établissements
pour son cuIte, a devenir une personne civile, une corpo-
ration apte a contractor, a posséJer, a recevoir par dona-
tions entre vifs, ou par testamento


L'Église catholique, eIle-meme, enfin, devrait, selon
nous, ctre affl'anchie, sur ces divers points, des entl'aves
qui pt;sent sur rIle, des pro11ibitions auxquelles elle est en
butte, de la tutelle élroite et ombrageuse du conseil d'f=-
tat, en ce qui touche ses rapports avec le saint··siége, la
faculté de se réunir en synodes diocésains, ou métropoli-
tains, ceHe de fonder des comnmnautés d'hommes el de
femmes quel qu'en fUt le caractere, fút-il pnrement con-
templatif. Tont cel appareil ultra-réglementaire, établi,
ou pIutót f(~tabli p:-ll' les artides organiques annexés au
concordat de 1801, sur les errements tyranniques et su-
rannés de 110S ancie:1s pal'lements, aurait besoin d'etre
remanié dans toutes ses parties. Cela n'est plus de notre
telllps. QueI est l'économiste qui redoute aujounl'hui de
VOlt' la mnltiplication des couvents nuire aux progd~s de la
population ou ceIle des biens de mainmorte aux progres
de I'agriculture? QucI est le jurisconsulte qui ne voit
rl'auÍl'cs rrSSOUl'ces a la captation des testaments que la




3;)~ VUES seR LE GOUYEHNEMENT DE LA FltAi\CE.


suppression des ordres religieux? Quel est l'homme d'État
qui tremble de voir le pape délier les sujets du serment de
fidélité ? Les libertés de I'Église galJicane sont choses ex-
cellentes, sans doute, mais a la condition de n'et1'e pas
des servitudes et nous pourrions d'autant plus facilement
remanier les articles organiques, sans toucher a un iota
du concordat, qu'ils ont été l'muvre il moiLié sub1'eptice
dll pouvoir civil, et l'objet constant des protestations du
saint-siége.




CHAPITRE XIV


lJ L ~ E H ~I E :\ T P O LIT 1 Q U E


'\uus termínel'ons cet essai, {eop long, s'iI doit res1el;
iuulile, tl'Op COUl't, s'il peut un joUl' devenir bon a quelque
cbosc, llar l'examcn d'une question (lui semble aujour-
u'hui préoceuper et partager de tres-bons esprits.


La Frallf:e a subi, depuis environ soixante et dix ans,
bien des gouvernements différcnts. Tous, un seul exeepté,
ont imposé aux hommes publies, éleeteurs, élus, servi-
teUl'S de l'État, sous quelque titre que ce soit, l'obligation
du serment. Beaucoup de serments, coup sur coup, beau-
COllp de parjures; OU, si le mot parait dur, tout au moins,
beaucoup d'indifférence a la religion du serment. On de-
mande s'il convient le cas échéant, de persévérer dans eette
voie, s'il ne serait pas préférable d'imiter, en cela, en celn
l;f1lllement, la Républiquc de '1818. d'exempter désOl'mais




351 VUES SrR LE GOUVEHNEMEl\'T DE LA FR.\.NCE


les hommes publics, ne fUt-ce que par respect pour la foi
j Llrée, d'un engagement qui n'en est plus un, d'un enga-
gemenL dégénéré en pure formalité.


Nousreconnaissons que le mal eXIste, qu'il n' est que
trop réel, et, s'il était désespéré, s'il était san s retour et
sans remede, peut-étre ne resterait-il plus qu'a s'y rési-
gner et a passer humblement condamnation. Humblemenl
disons-nous, car quoi de plus humiliant pour un peuple
que de prononcer contre lui-meme une sorte de dégrada-
lion civique, que d'érre de son propre aveu, a ses propres
yeux, un siulple 3grégat d'hommes san s convictions
personnelles, 'sallS affection pom l'état qu1ls servent,
d'hommes toujours préts a prendre en vain le nom de Dieu,
a changer, selon le vent, de principes et de drapeau, a se
livrer donnant donnant, au premier, ou, si l'OIl veut., an
dernier venu!


lUais, avant d'en arriver a ceUe malencontreuse ex-
trémité, il serait bon, ce nous semble, d'y regarder a deux
fois.


L'exemple de '1848 n'est ici dc rien. S'il prouve, c'est
contre la these. Le gouvernement républieain ne s'est
point halé d'abolir le serment poli tique, dans la craintc de
le voir profaner par un elll pressemen t servil e ; il n' étai 1
pas si timoré; iI s'est hfHé de l'abolir, au contrail'c, dans
la craintr. clr. Ir. voir univpr!'el1ement refusé et u'en étrl~






1JU SEn~JEi'11 I'OLlTJQUE


réduit, pour tous adhérents, a quelques poignées de
brailIards.


L'indifférence aduelle, t'indifféren(;e apparente ou réelle
pou!' le serment poli tique ne proU\'e ríen, non plus, seloll
IlOUS, et lle prou\'era rien tant que le serment politiquc
restcJ'a ce qu'll est, ce qu'il a été jusqu'ici, tant qu'il sera
con~u dans des termes tels, et compris par le public, dalls
un sens tel qu'illl'engage persónne a rien envers pel'sonne,
et qu'il peut etre preté par tout homme quelconque a lout
gouvcmement quelconque, sans scrupule de conscience ;
Jisons mieux, tant qu'il restera tel que tout honnefc
homme, si, par hasard, illui est déféré, ne puisse ~U(lI'C
le l'efuser sans encourir le blame des gens de bien et de
bOll sens, et sans s'exposer justement a la sévérité des
loís.


Tout honuete homme, en effet, quelle que puisse etre
son aversion pour le gouvernement sous JequeJ il vit,
quelqlles vreux qu'il forme, au fond de son creur, quelquc
espérallce qu'íl con<;oive de le voil', LOt ou tard, remplacé
par un meilleur, tout honuele homme, disons-nous, est
tenu, tenu eu conscicllce et au fol' intérieur, de ne point
conspirer contre ce g-ouvernemellt, de ne point travailler
a le rrnverser par trahison ou par vioJence, et, s'ilmanque
ü ce devoir de simple probité, il mérite d'étre blamé, i I
J)]rritr d'etrr pllni.






:~~Hi VUES SUR LE ¡;OLJVEHNEMEl\T DE LA FHANCE


Tout honnete homme, queIque jugement qu'il porte SUl'
les loís el institutiollS de son pays, 10rs me me qu'il les
trouverait, sous plus d'un rapport, injustes ou absurdes,
tout honnete homme est tenu, tenu en conscience et au
for intérieur, de s'y soumettre, en attendant mieux, de
ne provoquer ni preter main-forte 11 la rébellioll et, s'il
manque a ce devoir de simple prohité, il mérite d'etre
blamé, iI mérite d'étre puni.


Or, il est bon qu'on le sache, le serment politique, tel
qu'il est conGu, tel qu'il estcompris de nos joms, n'engage
11 rien de plus; de so1'te que, s'il plais~üt demain 11 notre
gouyernement de t'exiger ele chacuo de nons, cela, sans
doute, paraitrait puél'il, mais aucun de nous n'amait all-
cune raison vatable pom s'y refuser.


Le serment politill ue élabli ou plULót l'établi, en
l'an XIII Ü la chute de la premicre Hépublique l, confirmé
par le sénatus-consulte du 2~ Iloréal an XII, l'epl'oduit
en 1830 2, établi Oll plutClt ¡úabli eu t~~2 :>, il la chule
de la seconde République, le scrmeut politique se ródllit
j IIsqu'ici a ce pClI de llJOis :


«( Je jure fidélité au chef de l'État (n'importe le titre,
consul, président, roí ou empereu/'),


1 Loi du 21 ni'óse,
~ Art. 14, loi du 3'1 aoút 1830.
~ ConsliLution du 14 jall\'il'l' IR:;:?, 8.rt. 1.1.




DU SERMENT POLlTlQUE 357


» Je jure d'obéir a la constitution et aux lois. )}
Et, selon l'interprétation re¡;ue, universellemen 1 re.;uc,


il suffit pour eLre tidele au chef de l'État, de ne pOint
conspirer contre lui ; il suffit pour se montrer obéissant a
la constitution et aux lois, de ne point résister a l'action
réguliere de l'administration et de la justice.


Cela posé, faut-il s'étonner qu'en passant périodique-
mcnt, comme il nous arrive, d'un gouvernernent a un
autre, de cclui-ci il un truisierne, et ainsi de suite, l'obli-
gation de preter un pareil, serment, soit, a tout prendre,
eomptée pour peu de chose, qu'elle ne fasse guere obs-
tacle, soit a la conservation, soiL a l'acceptation des fonc·
tions publiques, el n'est-il pas surprcnant, au contrail'e,
que eeUe obligation bénigne répugne encore a tant
d'hommcs qui, d'ailleurs, auraient horreur de la trahison,
eL aversion de la violence ?


e'ost (lu'en fout ccci, il y a pIlItol perversion d'idées
et de príncipes, que perversion de conscience; c'est
qu'on se méprend étrangernent sur la natllre du ser-
ment poli tique , ou qu'on en restreint arbitrairernent la
portée.


Pourquoi l'impose-t-on aux hornrnes publies, et ne
l'irnpose-t-on pas allX simples citoyens? Apparemment
paree que les hornmes publies ont des devoirs dont les
,;m1Ples cÍtoyens sont cxempts ; et e' est précisément a cet


28






358 VUES SUR LE G()[VERNEME~T DE LA FRANCE


ol'dce de Je\oil's don t le:; simples eiloyens sotlL exempls
que s'adresse, que se doil adresser le serment poli tique,
qui transforme en parjure, ~l leur égard, ee qui, chez le
simple citoyen, ne serait qu'un tort plus ou moins grave,
peut-etre meme qu'un sentiment licite.


L'homme privé, le simple citoyen, u'a, vis-u-vis de
I'Élat, que des devoirs passifs, négatifs; ne point en-
freindre la loi, ne point résister a l'autoriLé; cela sumt
pour qu'il soit dans l'ordre, et qu'il ait droit a la protec-
lion; il ne doit compte a l'État ni de ses affections, ni de
ses regrets, ni de ses vomx, ni de ses espérances.


L'homme public, le Iégislateur, 10 magistrat a des de-
voirs actifs, positifs; iI a les devoirs de sa charge, et l'État
a droit de lui demander comp~e des sentiments qm
l'animent, et sans lesquels ces devoirs ne sauraient elre
remplis ayec la ferveur de zele, avec la plénitude d'activité
qu'ils réclament.


Le serment politique, c'est la profession de foi de ces
sentiments.


Entrer dan s les conseils du prince ou du pays, prendre
part au pouvoir exécutif, a la direction, u la responsabilité
des affaires, c'est, en quelque sorto, s'associer corps et
biens a11 gouvernement que ron sert, c'est épouser sa
cause, c'est avoir les memes ami s et les memes ennemis,
c'est tl'availler a le IIwintenir, a le faire tl'iompher, c'est


r




DU SERMENT POLlTlQl:E 359


s'engager a part:lger sa destinée, a ne lui résister que par
devoir, ou dans son inLéT'et; en un mot, c'est devenir l'un
des siens, devenir, comme on l';1 dit énergiquemcnt, la
chail' de sa chair, et les os de ses os.


Que le serment politique aille j usque-Ia ; qu'il exprime
cette profession de foi assez clairement pour qu'un honnete
républlcain ne le puisse preter a la monarchie, ni un
honnete royaliste a "la répllblique; pour qu'un honnete
Jégitimiste ne le puisse preter au roi Louis-Philippe, ni un
honnete orléaniste a I'empereur Napoléon III, et l'on yerra
si. le sermen.t poli tique manque d' efficacité.


Ji en manquerait si peu, qU'~l notre avis, il ne faudrait
l'employer qu'avec ménilgernent et discrétion, de crainte
de diviser la nation en partis et de donner aux partis trop
de relief et trop de consistance; qu'il ne faudrait I'imposcr
qu'aux membres de la législature, et aux chefs principaux
de l'adrninistration, de la magistrature, des armées de
terre et de mer, en se bornant a n'exiger des rangs infé-
rieurs, de degré en degré qu'un serment professionnel,
c'est-a-dire uniquemellt rebtif aux devoirs de leur état
respectif.


A ces conditions, le sennent pulitique peut etre honora-
blernent et utilement conservé; a ces conditions, selon nous,
iI 110it l'etre. Hol's de la, nous l'avouons, la mort dans
Lime el la l'ougeur au front, iI vaut mieux le supprilllcr.







CHAPITHE XV


CONCLUSION


Derniel'es vI/es de politfque et ae {illances offel'les a La
nation {l'at/{:aise, tel est le titre que donnait, en 1800,
1\J. Necker, au livre qui couronna sa noble carriere·
d'homme d'Éta1 et d'homme de bien, de publiciste et de
moraliste.


Nous n'ayons nul droit de parler d'aussi haut; n01re
humble écrit d'ailleurs en fflt-il digne, nous n'aurions
garde, dans I'état aetuel des esprits, de l'offrir a nos con-
citoyens. Si cet état doit durer, s'il doit devenir, apres
tant de vicissitudes, l'état permanent de n01re pays, si la
Franee de 1780 et de 1830, apres avoir traversé 1848,
doil se fixer a 18~2, si nous devons dater désormais de
ectte époque néfaste, que tout soit dit, que cet écrit aille
rejoindre dan s l'oubli l'honneur de notre passé, le nom de




36'l VVES SUR LE GOUVERNEl\lENT DE LA FRANCE


nos peres, leues travaux et nos espéranees; lasciale ogni
speranza, voi ch'intrate.


Mais a Dieu ne plaise! quelque avenir qui nous soit
réservé, point de blaspheme. L' espoir nous reste; l'espoir
est une vertu eivique, non moins qu'une vertu théologale ;
il est im posé au citoYAn comme au chrétien. L' espoir nous
reste et meme prochain, car, s'il est v¡'ai que les extremes
se touchent, nous devons toucher ~l l'extreme de la liberté.
Tachons, eette fois, de nc pas dépasse¡' le but.


Fonder un gouvernement libre, approprié a la France
actuelle, a la France teHe que nous 1'0nt faite le génie na-
turel des peuples qui l'habitent et les événements de leur
histoire ancienne, moderne, récente, voila le but, voila du
moins celui que nous nOtls sommes proposé.


Or, a cela deux conditions :
10 Tenir compte sincercment, sévcrement de l'état des


hommes et des choses, de la disposition des esprits, de
la direction des idées, faire largement la part des droits
acquis, des intérets engagés, ménager les habitudes,
traiter discrctement avec les préventions et les préjugés ;
hors de la, rien qu'utopie; qui ne sait pas vivre dans le
vraí de ~on temps et de son pays, qui Be sait pas aspirer
au possible et s'en contenter, n'est, en politique, qu'un
amateur ou un songe-creux.


2° Maintenir, CII rcvanche, maintenir a tout {Jl'ix el a




CO~CLUSlO:'\


tout risque, malgré la disposition des esprits, et la direc-
tíon des idées, en face des dl'oits acquis et des intérets
engagés, en dépit des préjugés et des habitudes, les prin-
cipes essentiels de la liberté, et ne les faire fléchir que
devant l'inflexible nécessité ; hors de lü, 011 ne ticnt rien;
le vase fuit, 13 barque fait cau. Qui ne sait pas, la ou ces
príncipes sont en jeu, faire tete a l'orage, aborder résolfl-
ment les difficultés, eL les surmonter pied a pied, par la
persévérance t~t la patience, n'est, en politique qu'un bel
esprit ou un bl'oui11ol1.


e'est ce double probleme que nous HOUS sommes
efforcé de résoudre, SUl' le papier, ce qui est facile, en
attendant que d'autres, plus jeunes et plus vaillants, soient
appelés ¡lle résoudre sur le terrain.


lIs auront fo1't a üúre, hélas! cal' rienn'est plus
contraire au caractere frau(:ais, en général, et, surtout au
caractere de notre temps, plus révollltionnaire que réfor-
mateur, rien ne lui répugne autant que de regarder 11
ce qu'il fait, de gravil' péniblement la montagne au lieu de
couper au plus court h travers les précipices, de dénouer
les nmuds gordiens au lieu de les trancher a la faGon
d' Alexandre. TOllt abolir d' un seul coup, ou coup sur coup,
passer l'éponge sur le passé, faire table rase de ce qui
existe, et reCOInmencer tOlltes choses ab UVO, COlllllle au
lendemain de la Création, telle a été jusqu'ici llotre fuueste




364 YUES SUB LE (~OUVER~E'llE~T DE L\ FHANCE


habitude; el puis, lor:;que le pa"sé tient bon, lor:,que ce
q lli existe subsiste et rJsiste, se déconragcr a la premH~l'e
difficulté et jeter le manche aprcs la cognée.


({ Il n'y a rien de si rare au monde, disions-nous en
184í 1, Ü la Chambre des pairs, que d'etre de son avis;
il n'y a ríen de si diflicile que de vouloit' ce que 1'on vcut
J'appelle voulolr ce que ¡'on veut, le vouloir avec tan tes
ses conséquences bonnes ou mauvaises, agréablcs ou [:1-
cheuscs; j' appellc erre de son avis, accepter san s mur-
murer les inconvénicnts du par ti q u'on a préféré. »)


Avis a nos futurs légíslateurs.
Avis surtout il la nation ele les encourager, de les sou-


tenir, deles seconder dans lcurs effoI'ts, de les relever
dans lcurs défaíllances. Avis :'¡ la nation, cal' c'est el1(',
commc toujours, comme partout, qui tera sa dcstinéc.
Les nations ont ilb longue le gouvernement qu'elles mé-
ritent; pas plus pour elles qne pOUl' leurs chcf~, les con-
slitutions ne soot des lentes dressées ]JOU), le s01nmcil ~\
n'est libre que qlli vcut l'etre, pour tout de bon, que qui
consen t il payer la libel'té en labcurs, en soucis, en risq ues)
en privations, ct 1t ne goúter le [ruit de l'arhre qu'aprcs
l' a voir planté de ses mains et arrosé de ses sueurs.


« Je vois bien, disait naguere, l'un de ces llOmmes


I Séancc du 19 janvicl'.
1 Royer-Collal'd.




CO:\TCLUSION


d'élite 1 que la France penl el ne reproduit plus; je vois
bien que, quand les peuples sont mal eoncluits, ils con<,;oi-
vent volontiers le désir de se gOllverner eux-memes, mais
eeUe sorte d'amour de l'indépendance qui ne prend nais-
sanee que clans certains maux particuliers et passagers
que le despotisme amene, n'est jamais durable; elle passe
avec l'aecident qui 1'avait fait naitre ; on semblait aimer la
liberté; il se trotlve ,qu'on ne faisait que halr le maUre.
Ce que halssent les pcuples faits pour etl'e libres, e'est le
mal meme de la dépendance.


» Je ne erois pas non plus que le vél'itable amour de la
liberté soit jamais né de la senlo vne des lJiens matériels
qu'elle procure, cal' eeUe seulo vno "iont souvent a s'obs-
curcir. Il est bien vrai qu'h la longue la liberté amene tou-
Jours, a cellX qui savent la retenir, l'aisance, le biel1-etre et
sou\"ent la l'ichesse ; mais iI y J eles tcmps ou elle tl'ouble
lllomentanément l'usage de pareils lJiens, iI yen a d'autres
ou le despotisme seul peut en donner la jouissance passa-
gcrc; les 11ol11mes qui ne prisent que ces lJiens-Ia en elle
ne 1'0nt jamais conservéelomgtemps.


» Ce qui, dans t01lS les temps, lui a atlaché si fortement
le CCBur de ccrtains hOlllll1eS, ce sont ses attraits memes,
~on charme proprc, inc1épendant de ~~cs bienfaits, e'est le




366 VUES SUR LE GOUVEBNElUENT DE LA FHANCE


plaisir de pouvoir parler, agir, respirer sans con-
trainte, sous le seul gouvernement de Dieu et des Iois. Qm
cherche dans la liberté autre chose qu'elle-meme est né
pour servir.


» Certains peuples la poursuivent obstinément a travers
toute sorte de périls et de miseres. Ce ne sont pas les
hiens matériels qu'elle leur donne que cellx-ci aiment alors
en elle; ils la cOllsiderent elle-meme comme un bien si
précieux et si nécessaire, qu'aucun autre ne pourrait les
con soler de sa perte, et qu'ils se consolent de tOllt en la
goutant. D'alltres se fatiguenl d'elIe au milieu de leurs
prospérité, ils se ]a laissent arraeher des mains sans résis-
tance, de penr de compromettre par un effo1't ce meme
bien-ctre qu'ils lui doivent. Que manque-t-il. a ceux-lh
pour res ter libres? Quoi? Le gOllt meme de I'etre. Ne
me demandez pas d'analyser ce gout sublime; iI faut
l'éprouver. Il entre de lui-meme dan s les grands crel\l'S que
Dieu a préparés pour le receyoir, il les remplit, il les en-
tlamme. On doit renoncer h le faire comprendre aux ames
médiocres qui ne l'ont jamais ressen ti. »


Qu'ajollter a ces nobles paroles? Un mot de pllls les
affaiblirait. Ce gout sublime, e' est le sel de la terre ; si le
sel perd sa saveu1', avec quoi le salera-t-on ?


Toute nation qui ne l'a pomt en soi, n'a rien de mieux
a faire que de chereher un maitre, et, quand elle l'a tl'ouvé,




CONCLUSlON 367


eequi ne lui manque guere, qlle de s'y lenir, cal' lous les
maUres se valent a la longuc, el ce son! les viclIx soulicl's
qui blessent le moins les pieds perclus.


« Athéniens, criait Démosthenc, pourquoi courir aux
nouvelles? qu'importe ce que devient Philippe! si le cíel
vous en délivrait, de l'humeur dont vous etes, vous vous
en seriez bientót fait un autre. »)


Paris, 17 mn.i ·185!l.




?...-:-- ------- --


T ABLE DES lVIATIERES


ruges.
INTRODUCTION •••• ti •• , •••••••••••• A , •• I ••••••• I ••• .. .. • .. •• • • 1
ChapitreI.


11.
111.
IV.
V.
VI.
VII.
VIíI.
IX.
X.
Xl.


- Des communes .••••••••....•.•.•.•••....
- Des canton" ..•.•...••••....•...... " •..•.
- Des arrondissements .••...•.•••••..•.....
- Des départements •.•••..•.••••••.•...•..•
- Des provinces ....••...•..•••••.•.•.......
- Du prince .......•. .............•........
- Des conseils ..•.•....•... , ••••••••.•.•...•
- Du corps législatif ......... o ............ .
- De la haute cour de justico •••••.•••• : •..•
- Du conseil royal de l'illstruction publique ..
- De la liberté de la presse ................ .


1
63
91


169
1D9


247
2i3
309
327
33:)


XII. - Du droit de réunion et d'associalion.,... .. 34ti
XIII. - De la liberté des cultes.................. 349
XIY. - Du sermellL poli tique. ....... . .... .. .. ... 353
XV. - Conclusion ...•.••..•• , •••.......•...••. 3Gl


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CLICUY. - IllIp. I\Y, LOIG~ON, P. Dl'PO~T eL Ci(', fue du I:ac-ll'AslIil'feS, 12.