ŒUVRES COMPLÈTES k4
}

A 3 /i .2, (14 15,1


ŒUVRES COMPLÈTES k4
DE


P. ROSSI
PUBLIÉES SOUS LES AUSPICES DU GOuvERNEmENT ITALIEN


COURS
DE


DROIT CONSTITUTIONNEL
PROFESSÉ A LA FACULTÉ DE DROIT DE PARIS


RECUEILLI
£,)


PAR M. A. PORE


• +.3
', Ri:ci:Ali: D'UNE INTRoo/cc.rzoru


PAR M. C. BON-COMPAGNI
)111STnY. PLÉNIVOTENTIAIME, DÊ.PUTÉ AU PAntlisIENT


TOME QUATRIÈME


DEUXIÉINIE ÉDITION


PARIS
LIBRAIRIE GUILLAUMIN ET CIE


Éditeurs du Journal des Économistes, de la Collection des principawe Économistes,
du Dictionnaire de l'Économie politique, du Dictionnaire du Commerce


et de la Navigation, etc.


RU E rticliELIEU, 14


1 877
116




COURS
DE


DROIT CONSTITUTIONNEL


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Les députés sont les représentants de la nation entier° et non pas seule-
ment du département qui les a nommés. —Mandat impératif. Il existe
en Suisse, où domine le principe de la souveraineté locale; il n'existe
pas en Amérique. — Cahiers des Etats généraux. — L'unité nationale
exclut chez nous toute idée de mandat impératif; les députés n'ont
qu'une responsabilité morale vis•à-vis de leurs commettants. — Irres-
ponsabilité légale du député pour ses discours et ses votes : Décret
de l'Assemblée nationale en 1789; Constitutions de 1791 et de l'an 111;
loi du 18 mai 1819. — Inviolabilité personnelle du député. — Luttes en
Angleterre pour établir ce principe. — Dispositions des Constitutions
de 1791 et 1793. — Articles 43 et 44 de la Charte. Effet de l'autorisa-
tion de poursuivre donnée par la Chambre.


MESSIEURS ,


Nous l'avons déjà vu, la mission de celui qui a eu
l'honneur d'être élu député est de concourir comme
membre de la chambre des Députés à la discussion
des affaires générales du pays, en d'autres termes, de
concourir à l'exercice du pouvoir législatif. Il est
député pour les affaires générales de la France, il
n'est pas député d'une localité, moins encore man-




2 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


dataire spécial d'une localité. Le principe avait été
formellement énoncé dans la constitution de l'an III,
à l'article 52 : « Les membres du Corps législatif ne
» sont pas représentants du département qui les a
» nommés, mais de la nation entière, et il ne peut
» leur être donné aucun mandat ». Ce principe est
vrai en tout temps, toutes les fois qu'il s'agira d'un
gouvernement unitaire, du gouvernement d'un pays
qui jouit du grand principe de l'unité nationale. Que
serait, en effet, un mandat particulier et, plus encore,
un mandat impératif qui serait donné par chaque
localité, par chaque arrondissement, à son député?
Comprend-on les 459 députés arrivant à la Chambre
avec 459 mandats impératifs? Ce serait la destruc-
tion immédiate de l'unité nationale de la France.
Donner un mandat impératif suppose le pouvoir, le
pouvoir suppose l'indépendance. Ainsi une localité
ne pourrait donner ce mandat qu'autant qu'elle se
regarderait comme puissance indépendante dans
l'État ; en d'autres termes, ce serait la puissance lé-
gislative déplacée; l'exercice de cette puissance ne
se trouverait plus confié pour une certaine partie à
la chambre des Députés, mais aux colléges électo-
raux. On conçoit les mandats spéciaux, les mandats
impératifs même, dans certains gouvernements fédé-
ratifs, c'est-à-dire dans ceux des gouvernements
fédératifs où ]e principe de la souveraineté locale
l'emporte sur celui de la puissance nationale. Ainsi,
dans la confédération suisse, qui est précisément et
qui malheureusement est restée complétement une
de ces confédérations où la souveraineté locale l'em-
porte sur la puissance nationale, il y a mandat impé-


SO I X XNTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.


pératif sous le nom technique d'instructions. Qu'ar-
rive-t-il donc dans la confédération suisse lorsque la
Diète s'assemble chaque année ? Les députés de
chaque canton s'y rendent. Mais qu'a-t-il fallu au-
paravant? Il a fallu que le Directoire fédéral commu-
niquât à chaque conseil de canton les points qui
seront discutés. Le conseil de chaque canton discute
ces questions, et ainsi se forment les' instructions
données à chaque député. Chaque député est chargé
seulement de faire valoir la décision de son canton, à
moins, et cela dépend de la confiance que le député.
inspire au canton, à moins, dis-je, que le canton ne
lui donne sur quelques questions ce qu'on appelle des
pleins pouvoirs. Alors le canton honore son député, il
le laisse délibérer comme sa conscience et ses lumières
le lui suggèrent. Mais cela ne se peut qu'en vertu
d'une décision spéciale; autrement le député ne peut
voter que conformément aux instructions qu'il a
reçues. Mais, encore une fois, cela est ainsi parce que
la Suisse n'est autre chose qu'une confédération où
le principe de la souveraineté locale l'emporte sur le
principe de la puissance nationale.


Dans l'Amérique du Nord, les choses ne se passent
pas ainsi, parce que, quoique l'Amérique du Nord
soit aussi un gouvernement fédératif, c'est un gou-
vernement fédératif où le principe de la souveraineté
locale n'a pas l'énergie souvent fâcheuse qu'il a en
Suisse. Il y a en Amérique une portion d'affaires qui
a été enlevée aux souverainetés locales pour devenir
le patrimoine plein et entier de la souveraineté natio-
nale. Dès lors, d'après la dernière constitution fédé-
rale, celle dans laquelle cc principe unitaire a fait le




COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


plus de progrès, les représentants ne sont plus les
représentants des localités qui les ont élus; mais les
hommes de l'Union, les représentants de l'Union, et,
en conséquence, ils ne reçoivent pas d'instructions
ni de mandat. Sans doute, l'État qui les élit peut bien
leur demander d'appuyer telle ou telle mesure, mais
ce .sont là de simples conseils, il n'a aucun ordre à
leur donner.


Depuis quelque temps, il s'est bien élevé en Amé-
rique une opinion qui, si elle prenait racine, pourrait
ramener la confédération américaine au point où elle
était avant la dernière constitution. Vous savez que
le congrès américain se compose d'une chambre des
Représentants et d'un.Sénat. Le nombre des membres
de la chambre des Représentants est proportionnel
au nombre des habitants de chaque État, et ce sont
ces députés qui sont les hommes de l'Union et non
d'un État. Mais, à côté, il y a un Sénat, et dans ce
Sénat n'existe pas le principe de la représentation
proportionnelle à la population (le chaque État ;
chaque État, que sa population soit forte od. faible,
envoie le même nombre de sénateurs, c'est-à-dire
deux pour chaque État, et c'est alors comme si les
sénateurs votaient par État comme en Suisse; car en
Suisse on vote, non par tête, mais par canton ; il n'y
a qu'une voix pour chaque canton, quel que, soit le
nombre de députés. Or, au sénat américain, on a
tenté de ramener chaque vote à un vote par État. Dès
lors, il y a eu quelques personnes, quelques États
même qui, en partant de cette analogie, ont pré-
tendu qu'on pouvait, à la rigueur, charger les séna-
teurs de prendre telle ou telle mesure, de soutenir


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
5


telle ou telle proposition, système évidemment con-
traire à la constitution des États-Unis, système qui
ramènerait la constitution américaine à toutes les
faiblesses des constitutions fédératives dont nous
avons parlé.


Ainsi donc les mandats, et surtout les mandats
impératifs, sont concevables dans ces gouvernements
fédéraux où le principe de la souveraineté locale est
le principe dominant. Mais dans les gouvernements
fédératifs où ce principe n'est pas dominant, l'usage
des mandats ne peut coexister avec l'unité, et les dé-
putés, en conséquence, n'ont pas la responsabilité
légale de leurs votes devant leurs commettants . Ainsi,
en Amérique, il y a des représentants ; en Suisse, il
y a des envoyés ; le nom même signale la différence
des positions. En Amérique, point de cahiers; en
Suisse, des instructions, et ces instructions sont ou
peuvent être des mandats impératifs. En. Amérique,
le député n'a pas de compte obligatoire à rendre :
il est sans doute moralement responsable, il peut
cesser de mériter la confiance de ses électeurs, il est
sous l'action de l'opinion publique ; mais il n'a pas
de compte légal, obligatoire, à rendre à ses com-
mettants:; il ne peut être inquiété, ni interrogé en
raison des discours prononcés et des opinions émises
dans la Chambre, pas même par l'État qui l'a en-
voyé; tandis qu'en Suisse, le député a un compte
à rendre ; lorsqu'il retourne de la Diète dans son
canton, on examine si ses votes sont conformes au
texte de ses instructions : on lui accorde un bill d'in-
demnité s'il a bien agi, comme il est exposé au blâme
dans le cas contraire.




cocas DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Enfin une dernière différence : en Amérique, les
députés ont des indemnités payées par le Trésor des
États-Unis ; en Suisse, ces indemnités sont payées
par chaque canton.


Vous voyez que la différence des deux systèmes se
retrouve jusque dans les moindres détails. Et vous
la retrouverez mieux encore clans les résultats, car
dans l'un des deux pays tout marche, tout se déve-
loppe, dans l'autre tout s'arrête et rien ne se termine.
Dans l'un, la question posée bien ou mal se décide,
dans l'autre elle peut rester dix ans, quinze ans avant
d'être décidée, parce que les instructions données
par vingt Corps législatifs ne se rencontrent en au-
cune façon et qu'on ne peut s'entendre. Et puis, quand
ces instructions se rapprochent, toute décision est
impossible; il y a, non pas deux, mais dix ou douze
avis, ou même davantage. Alors, celui qui n'a pas
d'instructions prend l'affaire ad instruendum; celui
qui a des instructions, mais ne peut voter la mesure,
prend la question ad referendum, ; un autre prend la
décision, mais ad ratificandum, un autre se réserve
le protocole ouvert pour que son canton puisse voter.
C'est ainsi que des affaires durent vingt ans. Il y en
a d'autres qui sortent du cercle parte qu'il est im-
possible de les terminer.


En France, lors de la convocation des États géné-
raux, chaque ordre, chaque bailliage donna ses cahiers
d'instructions ou, comme on disait alors, des cahiers
de doléances, de plaintes. Étaient-ce des mandats im-
pératifs? Comme, depuis une longue suite d'années,
les réunions de ces Etats généraux n'avaient pas eu
lieu, il n'y avait aucune règle précise, rigoureuse ;


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
7


les précédents variaient selon les temps et les cir-
constances ; tout était incertain, irrégulier, et le prin-
cipe de ces cahiers était une dérivation féodale d'une
part et communale de l'autre. C'était un fait anti-
unitaire, un reste de ce malheureux morcellement où
la France s'était trouvée.


Aujourd'hui évidemment l'unité française, l'unité
nationale exclut toute idée de mandat impératif. Le
principe de la constitution de l'an III est toujours
vrai et toujours applicable. Ainsi que nous l'avons
vu, les collées électoraux ne peuvent délibérer ; ils
ne peuvent donc donner de mandats impératifs ; pour
donner un mandat impératif, il faudrait connaître les
questions qui seront présentées, comme cela se fait
en Suisse. L'idée du mandat impératif serait donc
contre la nature même de notre système; les députés
n'ont pas de responsabilité légale, ils n'ont pas de
compte obligatoire à rendre ; encore une fois, les
électeurs les désignent comme les hommes qu'ils
croient les plus capables de traiter des affaires du
pays, mais il n'y a pas de responsabilité légale
des uns vis-à-vis des autres.


Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait point de
responsabilité morale ; ce qui ne veut pas dire que,
chez nous, comme en Amérique, le député ne puisse
pas se rendre indigne de la confiance que les élec-
teurs lui ont accordée ; ce qui ne veut pas dire que
les électeurs ne puissent s'informer non-seulement
du caractère moral et du talent, mais aussi des
opinions de l'homme qu'ils veulent porter à la
Chambre. L'homme qui se présente comme candidat,
peut très-bien faire connaître toutes ces circons-




8 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


tances, mais tout cela constitue entre les électeurs et
l'élu un rapport moral et non un rapport légal,
obligatoire, tel que les uns aient le droit de donner
des ordres à l'autre, et que celui-ci ait un compte
obligatoire à leur rendre. Rien n'empêche que les
opinions ne se manifestent avant l'élection, que le
candidat ne soit interrogé et ne réponde ; mais ce
n'est pas là ce qui constitue le mandat impératif : car
ou le candidat n'a pas cru devoir manifester avant
la discussion devant la Chambre quelle sera son
opinion définitive sur telle question, et rien ne lé
gêne ni légalement, ni moralement ; ou bien il aura
jugé à propos de manifester son opinion avant
l'élection, et alors il a contracté une sorte d'enga-
gement moral envers ses comrnettants, et si, plus
tard, il a changé d'avis, il y a là une question d'hon-
neur, et il y a toujours un remède que la loi ne lui
refuse pas. Rien ne l'empêche de donner sa démis-
sion, de se représenter devant ses électeurs et de
leur dire en homme honnête et loyal : « Vous avez
» cru en me nommant que tel serait mon avis ; il
» était tel, en effet, à ce moment, mais j'en ai
» changé par tels ou tels motifs : je me présente
» devant vous, voyez maintenant si vous voulez ou
» non me réélire ». Ce sont là des questions de
moralité, des questions d'honnêtes gens, mais ce ne
sont pas ces questions-là que nous traitons ici ; nous
sommes au point de vue légal, et, sous ce point
de vue, il ne peut pas y avoir mandat impératif, ni
responsabilité du député vis—à-vis de ses com-
in


Ainsi, le premier devoir du député, c'est de veiller


SOIXANTE-DIX- SEPTIÈME LEÇON. 9


aux intérêts généraux du pays en consultant ses
lumières et sa conscience.


La loi lui accorde-t-elle pour l'exercice de ces
hautes fonctions quelque protection spéciale ? Oui,
et ces concessions de la loi sont de deux natures. La
première, dont je viens de parler incidemment, c'est
l'irresponsabilité légale du député pour ses opinions
et ses votes dans la Chambre. La seconde, c'est
l'inviolabilité, dans les limites tracées par les arti-
cles 43 et 44 de la Charte constitutionnelle. Quant à
un traitement ou à une indemnité, les députés
français n'en ont point. La loi électorale de 1831
porte en propres termes, article 09 : « Les députés
» ne reçoivent ni traitement ni indemnité ».


Je dis donc premièrement que le député est irres-
ponsable légalement pour ses discours, ses opinions
et ses votes dans la Chambre, comme membre de la
Chambre. Ces mêmes dispositions se trouvent dans
plusieurs autres Constitutions, dans la Constitution
des États-Unis, article 1", section « Ils ne
» pourront non plus être soumis nulle part à un
» interrogatoire pour discours ou opinions pronon-
» cés dans l'une ou l'autre Chambre ». Que serait,
en effet, un député qui pourrait craindre de voir ses
paroles, ses phrases, ses opinions incriminées ?
Évidemment il se sentirait constamment gêné, et
cette crainte continuelle paralyserait la libre action
législative.


Je sais bien que le Parlement anglais n'a conquis
que peu à peu cette irresponsabilité de ses paroles.
Même encore sous Élisabeth, la chambre des Com-
munes demandait à la couronne, au commencement




«


10 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de chaque session, la liberté de la parole pour les
Communes, c'est-à-dire qu'elle lui demandait, en
d'autres termes, de ne pas être appelée devant ce
fameux conseil privé qui ne respectait pas môme
l'indépendance du juré et du membre de la chambre
des Communes. Mais à mesure que, sous les règnes
d'Élisabeth, de Jacques Pe et de leurs successeurs,
le Parlement anglais a grandi, son droit d'irrespon-
sabilité a grandi aussi, et a été formellement
reconnu, sauf la responsabilité que le membre peut
encourir vis-à-vis de la Chambre elle-même.


En France, le principe de l'inviolabilité du député
rappelle une grande époque, un jour célèbre clans
les fastes de l'histoire française. C'est en 1789, dans
la fameuse journée du 23 juin, que le principe de
l'inviolabilité du député fut proclamé et sanctionné.
Vous vous rappelez les députés aux États généraux
trouvant fermée la salle de leurs séances et se réunis-
sant à la salle du Jeu de Paume. La séance royale,
annoncée pour le 22 juin, n'eut lieu que le 23. Les
États 'généraux rentrèrent dans le lieu ordinaire de
leurs séances. Là leur fut lue une déclaration qui
n'ôtait pas d'accord avec les résolutions qu'avait
prises le tiers État, désormais assemblée nationale,
et vous vous rappelez qu'à la fin de cette séance il
leur fut, en quelque sorte, enjoint de se retirer pour
délibérer chacun dans son ordre, et vous vous rap-
pelez la réponse de Mirabeau. Or, ce jour-là même,
cet homme puissant qui, disons-le, avait trouvé un
moment".A.ssemblée soucieuse et lui avait donné cette
impulsion à laquelle nul ne peut résister, cet homme
se leva et parla ainsi : « C'est aujourd'hui que je




SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
11


• bénis la liberté de ce qu'elle mûrit de beaux fruits
» dans l'Assemblée nationale. Assurons notre
» ouvrage en déclarant inviolable la personne des
» députés aux États généraux. Ce n'est pas mani-
» l'ester une crainte, c'est agir avec prudence, c'est
» un frein contre les conseils violents qui assiégera
» le trône ». Après un court débat, cette motion fut
adoptée à la majorité de 493 voix contre 34, et "As-
semblée se sépara après avoir pris l'arrêté suivant :


L'Assemblée nationale déclare que la personne de
chaque député est inviolable, que tous particuliers,


» toutes corporations, tribunal, cour ou commission
qui oseraient, pendant ou après la présente session,


» poursuivre, rechercher ou faire arrêter, détenir
» ou faire détenir un député, pour raison d'aucunes
» propositions, avis, opinions ou discours par lui
» faits aux États généraux, de même que toutes
» personnes qui prêteraient leur ministère à aucun
» desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent
• ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation


et coupables de crimes capitaux. L'Assemblée
nationale arrête que, dans les cas susdits, elle


» prendra toutes mesures nécessaires pour recher-
» cher, poursuivre et punir ceux qui en seront les
» auteurs, instigateurs ou exécuteurs




» Tel est
le décret rendu en 1789 sur la proposition de Mira-
beau, portant le principe de l'irresponsabilité légale
du député pour tout ce qu'il peut dire et faire dans
la Chambre dont il est membre.


Dans la Constitution de 1791, le même principe
se trouve consacré; c'est au titre III, chapitre le,
section 5, article 7 : « Les représentants de la nation




12 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» sont inviolables : ils ne pourront être recherchés,
» accusés, ni jugés en aucun temps pour ce qu'ils
» auront dit, écrit ou fait dans l'exercice de leurs
». fonctions de représentants». Le même principe se
retrouve dans la Constitution de 1793, à l'article 43 :
» Les Députés ne peuvent être recherchés, accusés
• ni jugés, en aucun temps, pour les opinions qu'ils
» ont énoncées dans le sein du Corps législatif ». De
même encore dans la Constitution de l'an LU, à l'ar-
ticle HO : « Les citoyens qui sont ou ont été mem-
» bres du Corps législatif ne peuvent être recherchés,
» accusés ni jugés en aucun temps, pour ce qu'ils
» ont dit ou écrit dans l'exercice de leurs fonctions ».
Enfin, dans la loi sur la presse du 18 mai 1819, loi
que nous avons déjà expliquée, vous trouvez à l'ar-
ticle 21 cette disposition : « Ne donneront ouverture
» à aucune action les discours tenus dans le sein de
• l'une des deux Chambres, ainsi que les rapports


ou toutes autres pièces imprimées par ordre de
» l'une des deux Chambres ».


La deuxième garantie de l'indépendance et de la
libertérdu député, c'est son inviolabilité personnelle.
Elle se trouve aussi dans la constitution américaine
au même article que j'ai déjà cité. « Ils (les sénateurs
• et représentants) ne pourront, dans aucun cas,
» sauf pour trahison, félonie et violation de la paix
• publique, être arrêtés durant leur présence à la
» session de leurs Chambres respectives, ni pendant
» l'aller et le retour. » Telle est la disposition de la
Constitution fédérale des États-Unis.


En Angleterre, l'immunité de la chambre des
Communes ne s'établit que peu à peu après des luttes


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
13


prolongées. Nous trouvons des traces de ces luttes
et sous Henri "VIII, et sous Élisabeth, et sous
Jacques l e'. Du temps de Jacques Pr , on avait arrêté
un membre de la chambre des Communes, il avait
été arrêté par un créancier. Les Communes voulu-
rent le ravoir ; mais il n'y avait rien de statué à cet
égard, aucune règle écrite à suivre, les précédents
même manquaient, et, dans un pays formaliste
comme l'Angleterre, l'embarras étai t grand. Les Com-
MUMS se demandèrent : « Comment pourrons-nous
obtenir que le député soit rendu? » Intimation
adressée au geôlier de le mettre en liberté, refus du
geôlier, qui cragnait d'être obligé de payer la dette.
Proposition de marcher en force pour briser la
porte de la prison. Mais on fit observer que la Cham-
bre pourrait se compromettre gravement par cet
acte de violence. Alors on envoya le geôlier à la Tour.
11 s'y laissa mettre, mais ne mit pas le débiteur en
liberté. Enfin les Communes s'avisèrent de demander
l'intervention du roi. Cette espèce de compromis fut
adopté ; il paraissait faire perdre la cause aux Com-
munes, mais il ne fut pas sans résultat, car alors un
statut fut rendu pour rassurer les geôliers dans un cas
semblable. Bref, après d'assez longues contestations,
le privilége de l'immunité personnelle des membres
de la chambre des Communes a été reconnu en An-
gleterre. Il était même énoncé en termes fort larges,
car il était dit d'une manière tout à fait générale
qu'aucun membre de la Chambre ne. pourrait
être traduit devant aucune cour sans la permis-
sion de la Chambre, et il y avait là évidemment un
grand ab us. Aujourd'hui, les choses se passent en




14 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Angleterre comme chez nous, c'est seulement au
criminel que l'immunité est réclamée.


On comprend que plus les garanties de la liberté
individuelles sont faibles, plus il importe aux as-
semblées délibérantes de réclamer une large immu-
nité ; car on peut emprisonner un député non parce
qu'il a fait telle chose qui mérite l'emprisonnement,
mais aujourd'hui pour l'empêcher de voter, demain
pour l'empêcher de parler. Mais en Amérique, par
exemple, il est moins nécessaire que le principe d'im-
munité Fsoit bien large, car dans un pays où la li-
berté sous caution est facile, le député ne serait pas
souvent empêché d'exercer-ses fonctions.


La Constitution de 1791, guenons avons déjà citée.
reconnaissait aussi cette prérogative au titre III, cha-
pitre l er , section 5, article 8 : « Ils pourront, pour
» fait criminel, être saisis en flagrant délit, ou en
» vertu d'un mandat d'arrêt ; niais il en sera donné
» avis, sans délai, au Corps législatif ; et la pour-
» suite ne pourra être continuée qu'après que le
» Corps législatif aura décidé qu'il y a lieu à accusa-
» fion ».


Vous trouvez de même à l'article 44 de la Consti-
tution de 1793 : « Ils (les députés) peuvent, pour fait
• criminel, être saisis en flagrant délit ; mais le
• mandat d'arrêt, ni le mandat d'amener ne peuvent
» être décernés contre eux qu'avec l'autorisation du
» Corps législatif ».


La Charte actuelle distingue la contrainte par
corps, c'est-à-dire l'emprisonnement en matière ci-
vile et la poursuite en matière criminelle. Article 43.
» Aucune contrainte par corps ne peut- être exercée


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON. 15


contre un membre de la Chambre durant la session


et dans les six semaines qui l'auront précédée ou


suivie» . Article 44. «Aucun membre de la Chambre


ne peut, pendant la durée de la-session, être pour-
» suivi, ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas


de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis


sa poursuite ».
Ainsi, défense absolue d'exercer la contrainte par


corps pendant la session et six semaines auparavant
et six semaines après, ce qui fait trois mois, et si la
session dure six ou sept mois, cela fait neuf ou dix
mois. Ne nous en plaignons pas, désirons seulement
que ce privilége soit accordé à tout le monde. Quant
à la poursuite en matière criminelle, elle n'est per-
mise pendant- les sessions qu'avec l'autorisation de la
Chambre ; il n'y ;a d'exception que pour le flagrant
délit.. Je ne vous dissimulerai pas que la définition
du flagrant délit, telle qu'elle se trouve dans le Code
d'instruction criminelle, donne une assez grande
marge. Rigoureusement il y a flagrant délit quand
lhomme est pris sur le fait; mais il y a aussi flagrant
délit quand il est poursuivi immédiatement, et encore
lorsque, dans un temps voisin du délit, il est trouvé
saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant
présumer qu'il est auteur ou complice ; la définition,
comme vous voyez, est assez large. Quoi qu'il en soit,
il faut nous soumettre à ce que veut la loi. Mais,
encore une fois, en matière de contrainte par corps,
il y a défense complète pendant le temps indiqué ;
en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit,
la poursuite n'est permise pendant la session que
lorsque la Chambre, après information, l'a permise.




16 COUPS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Ces dispositions ont été appliquées même tout ré-
cemment. En 1835, on a demandé à la Chambre l'au-
torisation de poursuivre deux de ses membres ; la


• Chambre a donné l'autorisation pour l'un et, l'a re-
poussée pour l'autre. Et de cette jurisprudence
résulte une dernière observation. L'article 44
parle de poursuite et d'arrestation en matière cri-
minelle. J'ai déjà dit que ce privilége de ne pou-
voir être ni poursuivi, ni arrêté, doit s'entendre
du correctionnel comme du criminel proprement
dit.


Quel est l'effet de l'autorisation donnée par la
Chambre? Rien autre que de faire disparaître un obs-
tacle. Quand on se présente devant la Chambre,
on lui expose que tel député est prévenu ou accusé
de tel fait. La Chambre peut refuser l'autorisation de
poursuivre, elle est dans son droit, elle n'a de compte
à rendre à personne à cet égard. Accorde-t-elle la
permission qu'on lui demande, elle ne fait autre
chose qu'ôter un obstacle, elle replace le député
cxactdment dans la position où il serait s'il n'était
pas député. Dès lors, il est traduit devant la juridic-
tion devant laquelle il serait traduit s'il n'était pas
député, il est poursuivi dans les mêmes formes, l'in-
tervention de la Chambre ne change rien à l'état de
la législation générale sur le droit de poursuite et
d'arrestation. Seulemett il y avait un obstacle résul-
tant de la qualité de député combinée avec l'actualité
de la session. Cet obstacle écarté, on agit comme
s'il n'avait pas existé.


Voilà quelle est la mission du député, quels sont
ses rapports légaux avec ses commettants, les privi-


SOIXANTE-D1X-SEPTIÈME LEÇON.


17


léges dont il est investi afin qu'il puisse exercer ses
fonctions législatives avec fermeté et indépendance.
Quelles sont maintenant les obligations imposées au
député? Nous en dirons quelques mots au commen-
cement de la prochaine séance.


IV.
2




SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Obligations du député. — Comment cessent les fonctions de député. —
Perte de la qualité de français; perte des droits civils et politiques.
— Quid en cas d'interdiction temporaire ? — Quid en cas de perte ou
de diminution du cens pendant la législature? Option en cas de nomi-
nation par plusieurs colléges. — Démission expresse ou tacite ; la
démission expresse ne peut être reçue que par la Chambre. — Les
députés qui acceptent des fonctions salariées sont considérés comme
démissionnaires et doivent être soumis à la réélection. — Luttes en
Angleterre pour l'établisscmont de ce principe. — Tentative faite
en 1828 pour l'établir en France. — Il est consacré par la Charte
de 1830 et par la loi du 12 septembre 1830. — Réponse aux objections
qu'il a soulevées.


MESSIEURS,


Nous avons à parler des obligations imposées au
député en cette qualité. Nous ne parlons pas ici de
ses obligations morales. Investi de la confiance des
électeurs, chargé d'une des missions les plus hono-
rables, il a sans doute l'obligation de vouer son
temps et ses talents à là chose publique, à l'étude
consciencieuse, à l'examen approfondi (les questions
sur lesquelles il peut avoir à voter, et ce serait mécon-
naître la nature de sa mission que d'imaginer qu'un
zèle tiède peut suffire; le député ne remplirait pas


SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON.
19


bien sa tâche s'il ne s'e consacrait pas tout entier.
Mais il ne s'agit pas ici de ces devoirs moraux, qui
ne sauraient découler des prescriptions mêmes de
la loi positive, et ne sont imposés à l'homme que par
sa conscience, nous parlons de devoirs spéciaux,
d'obligations particulières que la loi impose et dont
elle ne permet pas de s'affranchir.


Ces obligations commencent pour le député dès
que son élection est consommée. Dès que la Cham-
bre est convoquée, il doit s'y rendre. L'ordonnance
du 28 juin 1814 portant règlement sur les relations
des Chambres avec le Roi et entre elles dit dans son
article : « La convocation des deux Chambres est
• faite par une proclamation qui fixe le jour de l'ou-
» verture de la session. — Tous les députés sont
» tenus de s'y rendre... — Les députés des dépar-
» tements sont convoqués par des lettres closes du


Roi et adressées à chacun des députés et contre-
signées par le ministre de l'intérieur ».
Le premier devoir positif du député, c'est donc


de se rendre à son poste ; le déuxièrne, c'est de ne
pas s'absenter sans une permission de la Chambre.
(Article 91 du règlement de la Chambre.) Une troi-


e
sième obligation positive, c'est la prestation du ser-
lent. La loi du 31 août 1830 a prescrit le serment


que doivent prêter tous les fonctionnaires publics
ainsi que les membres de l'une et de l'autre Chambre.
Dans cette même loi, article 3, vous lisez : « Nul ne
» pourra siéger dans l'une ou l'autre Chambre, s'il
» ne prête le serment exigé par la présente loi ». Un
deuxième paragraphe ajoute : « Tout député qui
» n'aura pas prêté serment dans le délai de quinze




20 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» jours, sera considéré comme démissionnaire ».
En effet, le député qui ne prête pas serment ne pou-
vant pas siéger dans la Chambre, c'est un député qui
ne remplit pas sa mission, qui rend illusoire l'opé-
ration de son collée électoral, qui prive la France
d'un de ses représentants dans la chambre des Dé-
putés.


Cet état de choses ne peut donc pas être toléré. La
loi a accordé un délai de quinze jours ; si dans ce
délai le député ne se rend pas à son poste, il est
censé démissionnaire et l'on procède à une nouvelle
élection.


Enfin, le quatrième devoir positif du député, c'est
de se conformer dans l'exercice de ses hautes fonc-
tions aux règlements de son corps, aux règlements
de la Chambre. Quels sont ces règlements? Quelle
est l'autorité de la Chambre sur ses propres mem-
bres ? Nous en parlerons plus tard quand nous ver-
rons l'action de la Chambre. Je passe à la dernière
partie de ce sujet.


Nous avons vu comment on pouvait être élu dé-
puté, par qui, à quelles conditions ; nous avons vu
quels sont les droits et les obligations particulières
du député. Il nous reste à nous demander comment
on cesse d'être député.


Je ne parle pas du moyen le plus irrémédiable,
je ne parle pas du décès du député, de sa mort
naturelle. Il est clair qu'un député venant à décé-
der, on convoque le collége électoral dans un cer-
tain délai pour remplacer le député qui vient de
mourir.


Un deuxième moyen, c'est la perte des qualités


SOIXANTE-DIX-FlUITIÈME LEÇON.,
21


absolument nécessaires pour être député, c'est-
à-dire pour exercer une fonction politique en
France. Ainsi, celui qui perdrait la qualité de Fran-
çais cesserait évidemment d'être député , qu'il
perde la qualité de Français par sa naturalisation
en pays étranger ou autrement : — celui qui n'est
pas Français ne peut siéger dans une Chambre fran-
çai:


elais on peut ne pas perdre la qualité de Français
et perdre cependant la jouissance des droits civils et
politiques. Je l'ai dit dans une autre occasion. Celui
qui aurait eu le malheur d'encourir la mort civile
perdrait la jouissance des droits civils et politiques.
Mais perdre ainsi d'une manière absolue la jouissance
des droits civils et politiques, c'est être frappé aussi
d'une incapacité absolue irrémédiable, substantielle.
Ainsi, nul doute, ce me semble, que celui qui encour-
rait la mort. civile ne perdit la qualité de Député.


On en peut dire autant de celui qui subirait la dé-
gradation civique. Mais qu'arriverait-il de celui qui
ne serait pas frappé de mort civile, qui ne subirait
pas la dégradation civique, mais serait par un tri-
bunal correctionnel, pour un délit, frappé d'une
intediction temporaire, celui dont les droits civils
et politiques seraient suspendus par l'effet d'une
condamnation ?' Vous le savez par vos études, la
condamnation aux travaux forcés à perpétuité, à la
déportation, emporte la mort civile. Vous savez
aussi que, parmi les peines infamantes, sont le ban-
nissement et la dégradation civique. Or, la dégra-
dation civique, d'après l'article 34 du Code pénal,
consiste entre autres effets « dans la destitution et




22 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» l'exclusion des condamnés de toutes fonctions,
» emplois ou offices publics, dans la privation du
» droit de vote, d'élection, d'éligibilité et, en géné-
» ral, de tous les droits civiques et politiques». 11 est
évident que vous ne ferez pas de cet homme-là un
député et que, s'il est député, il doit cesser de l'être.


Mais parmi les peines en matière correctionnelle,
vous avez celle-ci : « Article 42. Les tribunaux ju-
» geant correctionnellement pourront, dans certains


cas, interdire en tout ou en partie l'exercice des
droits civiques, civils et de famille suivants :


de,
• vote et d'élection, 2 0


». Vous remar-
quez ces mots interdire en tout ou en partie l'exercice
des droits civiques. Le condamné ne perd pas les
droits civiques, mais pendant un certain temps l'exer-
cice lui en est défendu. Quelque délicat qu'il soit de
reconnaître que le fait d'un autre pouvoir puisse •en-
dre la chambre des Députés veuve d'un de ses mem-
bres, il serait difficile cependant de ne pas dire que,
dans ce cas-là, le député cesse d'être député comme
dans te cas où il cesse d'être Français. On pourrait
dire seulement que c'est à la Chambre de décider s'il
est ou non dans ce cas.


Une autre garantie, c'est que, si le fait à lieu dans
les circonstances prévues par l'article 44 de la Charte,
c'est-à-dire pendant la session, le député ne peut
être poursuivi ni arrêté qu'après que la Chambre a
permis la poursuite.


Mais dans le cas où il y aurait simple suspension,
pourrait-on dire que le député doit cesser de faire
partie de la Chambre ; ou bien, en prenant l'article
à la lettre, doit—on dire : Non, il n'est plus éligible,


SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON. 23


mais il est élu, il est membre de la Chambre, il n'y a
pas là une incapacité essentielle ?


Mais si, comme il est arrivé quelquefois, le tribunal
interdisait pendant cinq ans, cela aurait beau être
appelé une suspension, le député ne pourrait remplir
ses fonctions. Cependant, lorsqu'il s'agit d'avoir une
opinion positive sur pareille matière, il faudrait un
texte précis pour dire d'une manière absolue que
l'homme placé dans ces conditions cesse d'être dé-
puté. Or, je ne connais pas ce texte.11 y a, au contraire,
le précédent d'un député qui avait subi une condam-
nation, et qui pendant le temps qu'a duré sa suspen-
sion n'a pas été remplacé; on serait donc conduit à
adopter l'interprétation littérale de l'article du Code
pénal, et à dire que la disposition ne s'applique pas
à ceux qui sont membres de la Chambre. Au surplus,
s'il s'agissait d'un cas se présentant souvent, on
pourrait dire qu'il y a là quelque chose à faire. Je me
contente de vous signaler ces petites difficultés, aux-
quelles je n'attache pas d'importance. Mais, en réalité,
il n'Yea pas une déclaration législative tout à fait pré-
cise sur la matière. Quand il s'agit d'exclusion, l'in-
terprétation doit être la plus favorable. En pratique,
la Chambre reste maîtresse de décider le cas.


Nous arrivons à une autre espèce. Pour être dé-
puté, il faut être Français, jouir des droits civils et
politiques, avoir un certain âge et payer cinq cents
francs de contributions directes. Qu'arrivera-t-il si
un député payant aujourd'hui six cents, huit cents,
mille francs de contributions directes, n'en payait pas
cinq cents deux mois après l'élection, parce qu'il
aurait perdu sa fortune, ou pour d'autres raisons?




COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Dirons-nous que c'est là une des causes qui font
perdre la qualité de député? je ne le pense pas.
Quand nous disons que celui qui perd la qualité de
Français doit cesser d'être député, qu'il en est de
même de celui qui subit une peine infamante, de celui
qui perdrait la jouissance de ses droits civils et po-
litiques, nous supposons des cas où le député perd
une des conditions qui, dans tous les temps, dans
tous l es pays, seraient toujours nécessaires pour être
député. A coup sûr, vous n'imaginerez pas un sys-
tème où l'on appelle à délibérer sur les affaires d'un
pays des hommes qui ne sont pas de ce pays, ou des
hommes qui seraient morts civilement. Il „y a là perte
des qualités essentielles, indispensables, qui sont et
seront toujours exigées. Mais la condition du cens
n'est pas de même nature. D'abord le cens est exigé,
non comme qualité directe, mais comme présomp-
tion d'antres qualités. Le cens était de mille francs
avant 1830, il est aujourd'hui de cinq cents francs ;
il peut augmenter ou diminuer demain. Le cens
d'éligibilité, même dans le système de la Charte, n'est
pas une condition sine qua non., et la preuve, c'est qu'il
peut y avoir des députés qui ne payent pas cinq cents
francs. Nous n'examinerons pas ici la convenance du
cens, ni de sa quotité, nous prenons les lois telles
qu'elles sont, etno us disons que nous sommes conduit
à ne pas mettre sur le même rang la qualité de Fran-
çais jouissant des droits civils et politiques, et la
qualité d'homme payant tel ou tel cens. Or, cette
distinction étant admise, nous ne croyons pas que la
qualité de député soit perdue parce que l'on ne rem-
plirait plus la condition de payer le cens légal. Que


SOINANTE-DIX,HUITIÈME LEÇON. 25


trouvons-nous, en eff8t, à l'article 32 de la Charte?
« Aucun député ne peut être admis dans la Chambre
» s'il n'est âgé de trente ans et s'il rie réunit les autres
» conditions déterminées par la loi ». Ne peut être
admis dans la Chambre. Mais ici nous parlons d'un
député admis dans la Chambre, qui en fait partie, et
qu'il s'agirait d'exclure. Et la loi de 1831 dit, ar-
ticle 59 : « Nul ne sera éligible à la chambre des
» Députés si, au jour de son élection, il n'est âgé de
» trente ans et s'il ne paye cinq cents francs de con-
» tributions directes » Je veux bien, car il ne
faut jamais employer de mauvais moyens d'interpré-
tation, je veux bien que les mots au jour de l'élection
se rapportent seulement à l'âge de trente ans. Mais
une fois député, peut-il être exclu et renvoyé de la
Chambre parce qu'il aura cessé de payer cinq cents
francs de contributions directes ? Pourrait-on dire
aux électeurs : « L'homme que vous avez choisi


remplissait toutes les conditions quand vous l'avez
élu, mais il est arrivé un changement dans sa




fortune, nous ne voulons pas de votre élu, procédez
» à une nouvelle élection ?» Où mènerait ce système?
Ne mènerait-il pas à une espèce d'inquisition perma-
nente sur la fortune de chaque député? Quand les
députés arrivent après une élection générale, l'As-
semblée, dans la vérification des pouvoirs, est indul-
gente, et l'expérience a prouvé que presque tous les
corps politiques, dans ces vérifications de pouvoirs,
s'attachent plutôt à des questions de bonne foi qu'à
des questions légales. Il y a peut-être aussi un peu
de cette considération qu'aujourd'hui c'est nen tour
et que demain ce sera le vôtre, qu'il s'agit de vérifier




COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


les pouvoirs des uns et des autres. Mais d'ailleurs, à
cette première arrivée, les discussions politiques ne
se sont pas encore élevées ; si la guerre peut se
pressentir, elle n'a pas éclaté. Mais lorsque plus tard
les opinions se sont formées, que la Chambre s'est
partagée en deux, trois ou quatre divisions, lorsque,
au milieu de tous ces débats, s'est révélé le tantcene
animis ecelestibus irce, vouloir alors exercer une espèce
d'inquisition sur la fortune de chacun, cc serait mé-
connaître l'esprit de l'institution, et sans aucune
utilité ; car, quand il arriverait que, sur 459 députés,
il y en eût une dizaine qui ne payassent pas le cens,
y aurait-il là un bien grand inconvénient ? Que pour-
rait-il arriver d'ailleurs ? On voudrait, sinon exclure,
du moins inquiéter le député qui ne payerait que tout
juste le cens ; on lui ferait un dégrèvement de quelques
francs, ne fût-ce que pour faire naître un débat. Et
tout cela sans aucune utilité réelle ; ce serait toujours
un Français jouissant des droits civils et politiques,
qui était parfaitement en règle au moment oà il a été
admis, etqui réunissait toutes les qualités essentielles
pour pouvoir continuer à siéger dans la Chambre.
Ces considérations me font penser que le change-
ment dans la fortune du député n'entraînerait pas la
cessation de ses pouvoirs de député pendant la légis-
lature à courir.


Un cinquième moyen, c'est l'option. Nous avons
déjà dit qu'on ne pouvait être député que par l'élec-
tion d'un collége électoral. Si donc un député est élu
par plusieurs colléges, la loi lui enjoint d'opter pour
celui des colléges qu'il préfère. C'est la disposition
de l'article 63 de la loi de 1831. Ici, c'est une perte


SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON.


de la qualité qui n'est pas absolue, le député renonce
seulement à ce qu'il a de trop.


Je passe à un moyen plus important, la démission.
Et la démission peut être expresse ou tacite.


La démission expresse ne peut être reçue que par
la. Chambre elle même. « La chambre des Députés,
» dit l'article 66 de la loi de 1831, a seule le droit
» de recevoir la démission d'un de ses membres ».
Les motifs de cette disposition ne sont pas difficiles
à deviner. D'abord il ne faut pas oublier que chacun
de ces grands corps de l'État doit être, pour ainsi
dire, maître de lui-même quant à la présence ou à
l'absence de ses membres. Qu'arriverait- il si la
Chambre n'était pas seule chargée de recevoir la
démission de ses membres ? C'est qu'on pourrait
agir dans l'ombre sur les députés pour obtenir des
démissions, et que la Chambre saurait seulement
par la convocation d'un collége qu'elle va perdre un
membre et en recevoir un autre. Cela ne serait pas
conforme au principe d'indépendance des trois pou-
voirs. Il faut que la Chambre puisse vérifier si la
démission a été libre, si elle est. appuyée sur des
motifs raisonnables et suffisants. Il n'y a pas ordinai-
rement de discussion à cet égard, parce que la
Chambre connaît d'avance les motifs de la démission.
Mais, si un doute s'élevait, si l'on pouvait penser
qu'une démission a été obtenue par des suggestions,
ou n'est pas fondée sur des motifs suffisants, la
Chambre pourrait refuser de la recevoir.


J'ai dit en second lieu que la démission peut être
implicite. Nous en avons déjà vu un exemple da ns le
député qui ne prête pas serment. Il y a un autre




28 COURS DE DROIT CONSTIT:TIONNEL.


moyen qu'il faut bien connaître : je veux parler de
l'acceptation de fonctions publiques salariées, je
veux parler de la loi du 12 septembre 1830. C'est une
conquête du système représentatif en France. « 'fout
» député qui acceptera des fonctions publiques sala-
» niées, sera considéré comme donnant, par ce seul
» fait, sa démission de membre de la chambre des
» Députés ». Voilà le principe et ce que j'appelle
une conquête de 1830.


En Angleterre, l'établissement de ce principe a
été l'occasion de longues luttes. Là aussi les fonc-
tionnaires publics, et en particulier les sinécuristes,
dont l'Angleterre abondait plus qu'aucun autre pays,
envahissaient la chambre des Communes. Tous les
efforts faits pour obvier aux inconvénients de ce
système avaient été inutiles lorsque dans l'Acte de
seulement, d'établissement de la couronne dans la
maison de Hanovre en 1702, on prit un parti, en
quelque sorte désespéré : on établit que tous les
fonctionnaires publics en masse seraient exclus de la
chambre des Communes. C'était une mesure vio-
lente, une mesure de réaction amenée par l'inu-
tilité des efforts qu'on avait faits même après la
révolution de 1688, même sous Guillaume III, pour
améliorer cet état de choses. Après cette réaction
arriva enfin une mesure d'un autre ordre. En 1706
fut établi le principe que ceux qui seraient nommés
à des fonctions publiques après leur nomination à la
chambre des Communes, devraient se soumettre à la
réélection. Voilà le principe de réélection établi en
Angleterre en 1706. Et cependant, comme le système
de corruption au moyen des emplois et des sinécures


SOIXANTE-DIX-IIUMEME LEÇON. Z)


n'avait pas cessé, car vous savez qu'il y a vers le
milieu du xvin° siècle le règne de Walpole, on revint
à un nouveau bill portant que ceux qui occuperaient
tels ou tels emplois publics ne pourraient pas être
députés.


En France, la question s'était aussi présentée. Une
tentative fut faite entre autres, pour établir le même
principe, en 1828, et il y eut alors une brillante dis-
cussion que je signale à ceux qui aimeraient appro-
fondir ce point spécial de droit constitutionnel.
Entre autres faits cités à la chambre des Pairs, on
établit que sur 1,500 députés qui avaient siégé en
France clans les différentes Chambres, on en comp-
tait plus de 1,200 qui avaient été fonctionnaires
publics. Cependant la mesure ne fut pas adoptée.


Dans la Charte de 4830, à l'article 69, il était dit :
« Il sera pourvu successivement par des lois sépa-
» rées, et dans le plus court délai possible, aux
» objets qui suivent : 3° la réélection des députés
» promus à des fonctions publiques salariées ». La
loi du 12 septembre 1830 que je viens de citer
n'était que l'accomplissement de cette promesse de
la Charte. Et certes, je crois qu'il serait superflu
d'insister sur les motifs de cette disposition ; la
démission forcée du député qui -est promu à des
fonctions publiques salariées, en d'autres termes,
l'obligation de se soumettre à la réélection tient à
des motifs trop manifestes. C'est le seul moyen de
garantir la sincérité des candidatures et des élec-
tions. Je dis de garantir la sincérité des candida-
tures, et j'entends par là de s'assurer que l'homme
qui aspire aux fonctions de député, quand même il




30 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


serait mû par des motifs d'ambition, d'intérêt per-
sonnel si vous voulez, n'a pas conçu le projet d'arri-
ver à la députation uniquement, exclusivement pour
faire dans la Chambre ses propres affaires et ne
prendre aucun soin des affaires du pays. Et alors les
élections comme les candidatures gagnent en sincé-
rité et en patriotisme. Non-seulement alors le gou-
vernement gagne en dignité, mais il trouve dans la
loi une protection contre lui-même et contre le
dévergondage des sollicitations. Il peut dire, en effet,
aux députés solliciteurs : « Si vous êtes nommés à
cette place, vous ne serez plus députés ». Et ce qui
importe encore plus, c'est que la Chambre augmente
par là son autorité morale. Si elle a clans son sein
des fonctionnaires publics, ce sont des fonction-
naires que les électeurs connaissaient quand ils les
on nommés ou renommés; ce ne sont point des fonc-
tionnaires qui ont demandé les fonctions de député
uniquement pour avoir des places. L'autorité de la
Chambre y gagne donc.


Lors de la discussion de 1828, on disait : « C'est
là une loi injurieuse, vous supposez donc des inten-
tions basses, coupables.». Mais c'est là, Messieurs, le
système représentatif, c'est là tout le système de ga-
ranties. Croyez-vous que toutes les garanties du
monde ne sont pas exigées par le motif qu'on se
méfie de quelque chose? Est-ce que la publicité des
tribunaux n'a pas quelque inconvénient, est-ce qu'elle
est à l'abri de tout. reproche? Qui voudrait cependant


renoncer? Pourquoi tout le monde la ? Et
pourquoi telles condi lions d'éligibilité, pourquoi
telles conditions imposées aux fonctionnaires publics


SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON. 31


eux-mêmes? Il n'y a pas un article de la Charte qui
ne soit motivé sur des raisons de méfiance. Ainsi,
soumettre à la réélection le député promu à des fonc-
tions publiques salariées, c'est lui montrer de la mé-
fiance, mais c'est une sûreté qu'on demande alors
comme touj ours.


De même, et je termine par cette observation,
c'était un raisonnement faux que celui qu'on faisait
en 1828 lorsqu'on disait : « Mais vous renvoyez le
même citoyen devant ses électeurs ; donc vous recon-
naissez que le corps électoral est un corps en quel-
que sorte permanent, que le député a un compte à
rendre à ses électeurs, vous marchez au mandat im-
pératif». Mais non, Messieurs ; la loi dit que celui qui
accepte une fonction publique salariée est censé dé-
missionnaire. Quand il y a démission, on convoque
le collége électoral de l'arrondissement qui n'est plus
représenté, le fonctionnaire se présente comme tout
autre citoyen, il n'est plus que cela. Supposez qu'il
y ait plusieurs vacances à la fois, le fonctionnaire
peut se présenter devant un autre collége que celui
qui l'avait nommé : ce n'est pas là une affaire jugée
par les mêmes juges. Vous avez été nommé dans telle
ou telle position, tels étaient vos rapports avec le
pouvoir. Aujourd'hui, par votre choix, ces ,rapports
sont différents, votre position a changé par votre fait,
par votre volonté. Eh bien, l'élu doit être avant tout
un honnête homme.


Nous disions, dans la précédente séance, que si,
après avoir montré à ses électeurs telles et telles opi-
nions politiques, il lui arrivait de bonne foi de chan-
ger d'avis, d'adopter d'autres opinions, il devait obéir




32 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


sans cloute à sa conscience ; mais il doit en même
temps donner sa démission et se représenter devant
ses électeurs : le législateur a appliqué cette même
règle à la nomination à des fonctions publiques sala-
riées, e c'est une disposition qui rend hommage à
la morale, comme elle garantit la pureté des fonc-
tions de député.


SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME LEÇON.


SOMM IRE.


Applications diverses de la loi du 12 juillet 1830 sur la réélection des dé-
putés qui acceptent des fonctions publiques salariées. — Exception
pour les officiers de l'armée de terre et de mer promus àl'ancienneté.
— Durée de la législature. — Question du renouvellement intégral
ou partiel de la Chambre. — Inconvénients des législatures trop
longues. — Objections contre le renouvellemeut intégral ou partiel
trop fréquent. — Systèmes divers adoptés successivement en Angle-
terre et en France. — Dissolution de la Chambre. — Une Chambre
peut-elle être régulièrement dissoute avant d'avoir été régulièrement
constituée? Examen de cette question. — La dissolution doit être né-
cessairement suivie de la convocation d'une nouvelle Chambre dans
le délai de trois mois.


MESSIEURS,


Quelle est la portée de cette disposition de la loi
du 12 septembre 1830 : « Tout député qui acceptera
» des fonctions publiques salariées sera considéré
» comme donnant par ce seul fait sa démission de
» membre de la chambre des Députés »? Ce sont là
des expressions générales, et la loi ne fait qu'une
exception en faveur des officiers de terre et de mer
qui recevraient de l'avancement par droit d'ancien-
neté. Que les fonctionnaires soient inamovibles ou




34 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


révocables, que les fonctions soient temporaires ou
définitives, qu'elles soient anciennes ou nouvellement
créées, qu'il y ait nomination ou simplement promo-
tion, avancement, la loi doit être appliquée, il y a
lieu à réélection. Toutes ces questions ont été discu-
tées devant la Chambre, qui les a résolues de la
manière la plus large, et a même appliqué le principe
non-seulement aux fonctions donnant des émolu-
ments, des traitements proprement dits, mais à
celles qui donnent seulement lieu à des indemnités.
Ainsi, un membre de la Chambre avait été nommé
par intérim procureur général à Alger. La question
était de savoir si les émoluments qu'il avait perçus
temporairement devaient être considérés comme un
traitement ou comme une simple indemnité; si la loi,
en parlant de fonctionnaires publics salariés, voulait
parler seulement de fonctionnaires permanents, ou
si elle entendait par là tous ceux qui recevraient un
salaire à un titre et pour un temps quelconques. La
Chambre a résolu la question clans le sens de la géné-
ralité de la disposition ; elle a considéré. le député
dont il s'agissait comme démissionnaire, et, en con-
séquence, il a dû, conformément à la loi, se sou-
mettre à la réélection, et il e été réélu.


Dans la même séance, une autre espèce se présen-
tait devant la Chambre. lin membre du corps diplo-
matique français avait passé d'une ambassade à une
autre ambassade. Son rang n'avait pas été changé,
il était ambassadeur comme auparavant. Seulement,
comme les dépenses de l'ambassade à laquelle il
venait d'être appelé étaient plus considérables que
dans l'ambassade oii il était précédemment, il tou-


SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME LEÇON. 35


Cilait, un traitement plus fort, comme indemnité,
comme accroissement pour les dépenses et frais de
représentation. La question était donc de savoir s'il
y avait lieu à l'application de la loi, et la raison de
douter était qu'il n'y avait pas, disait-on, une pro-
motion véritable, puisque le député était déjà ambas-
sadeur, qu'il ne devait pas être autre chose qu'am-
bassadeur dans son nouveau poste, et que la différence
de traitement ne faisait que compenser la différence
dans les frais de représentation. Mais la Chambre a
décidé que la disposition de la loi était générale, et
que, dès qu'il y avait changement dans la position du
député, il devait être regardé comme démissionnaire
et soumis à la réélection.


Ces décisions sont conformes Ma lettre et à l'esprit
de la loi. Qu'a voulu la loi? Que le député qui avait
reçu une marque de confiance des électeurs, et qui
acceptait des fonctions publiques salariées, fût soumis
à la réélection. Qu'importe que les fonctions soient
provisoires ou définitives, que la somme reçue comme
émolument porte le titre de traitement ou d'indem-
nité?


Mais il est une classe de fonctionnaires publics dont
la promotion n'est, en quelque sorte, à leur égard, que
l'accomplissement d'une dette. Ce n'est là ni l'effet de
sollicitations, ni une marque de faveur. Je veux parler
clos officiers de terre et de mer qui sont promus à un
grade supérieur non par choix, mais à l'ancienneté,
d'après la loi sur l'avancement. Vous savez sans doute
que les promotions dans l'armée se font à un double
titre : une portion est due à l'ancienneté, une autre
portion est laissée au choix de la Couronne. Pour la




36 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


portion qui est laissée au choix de la Couronne,
l'officier promu à un grade supérieur est soumis à
la réélection ; mais pour celui qui n'arrive au gracie
supérieur qu'en vertu de la loi sur l'avancement, par
la réalisation d'un droit attaché à sa position, il n'y a
point là de faveur possible, il n'y a rien là que les
électeurs ne sachent d'avance. Ils savent bien d'avance
que s'ils nomment député un lieutenant, un capitaine,
le lieutenant doit au bout d'un certain temps devenir
capitaine, le capitaine devenir chef de bataillon. Il n'y
a spontanéité ni dans celui qui confère ni dans celui
qui reçoit ; la promotion n'est que l'acquittement
d'une dette. Voici donc la disposition de l'article 3
de la loi : « Sont exceptés de la disposition contenue
» dans l'article 1 en les officiers de terre et de mer
» qui auront reçu de l'avancement par droit d'an-
» cienneté ».


Comment s'exécute cette loi sur la réélection ?
Dans le cas où un député est appelé à des fonctions
publiques salariées qu'il accepte, cesse-t-il à l'instant
même de siéger clans la Chambre? Que se passe-t-il
à cet égard ? Le député qui accepte des fonctions
publiques salariées est censé démissionnaire; mais le
législateur n'a pas cru cependant qu'il fallût priver
immédiatement l'arrondissement électoral de son
représentant dans la Chambre ; il y a là un intervalle
de temps nécessaire entre l'acceptation des fonctions
salariées et la réunion du collége électoral qui doit
procéder à la réélection. Il est clair que ce sont là
deux choses qui ne peuvent avoir lieu le même jour.
Il faut, une fois les fonctions publiques conférées et
acceptées, publier l'ordonnance de convocation du


SOIXANTE—DIX—NEUVIÈME LEÇON.
37


collége électoral ; cette ordonnance doit précéder
d'un certain nombre de jours la réunion du collége ;
il y a donc là un intervalle. de temps pendant lequel
le député reste dans la Chambre. Il ne cesse de faire
partie de la Chambre que le jour de la réunion du
collège électoral ; ce jour-là, il n'est plus député, et
s'il est réélu,.car il est rééligible, son droit part de la
nouvelle élection. Ce sont les dispositions des arti-
cles 2 et 4 de la loi. « Article 2. Néanmoins il cotai-
» nuera de siéger dans la Chambre jusqu'au jour fixé


pour la réunion du collége électoral chargé de
l'élection à laquelle son acceptation de fonctions
publiques salariées aura donné lieu.—Article4. Les


• députés qui, à raison de l'acceptation de fonctions
publiques salariées, auront cessé de faire partie de


• la chambre des Députés, pourront être réélus ».
Jusqu'ici nous avons parlé de la perte de la qua-


lité de député dérivant. de faits personnels, indi-
viduels, et sur cette matière il importe de répéter
l'observation générale que nous avons déjà faite, que
le seul et unique juge de ces questions est la
chambre des Députés elle-même. C'est la Chambre
qui est le seul juge des questions qui peuvent
s'élever sur la validité du mandat d'un de ses mem-
bres. Son indépendance comme corps politique
n'existe qu'à cette condition. C'est la Chambre seule
qui est juge des atteintes que la capacité d'un de ses
membres peut avoir subies après son admission,
comme elle est juge de cette même capacité au
moment de 1 Al


.'-ec-on. Cette compétence pleine,
exclusive, de la Chambre sur ces matières ressort
clone de la nature même de son institution. En même




38 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


temps, elle découle positivement des articles 45,
§ dernier, 62 et 66 de la loi électorale. Enfin, cette
compétence pleine et exclusive a reçu une confir-
mation éclatante par les précédents que je viens de
vous faire connaître à l'occasion de deux fonction-
naires soumis à la réélection.


Je passe maintenant à deux autres manières de
perdre la qualité de déput&'qui ne sont plus des faits
individuels, je veux parler de l'expiration du temps
pour lequel le député est élu et de la dissolution de
la Chambre. La Charte, dans son article 31, dit :
« Les députés sont élus pour cinq ans ». Ainsi, an
bout de cinq années, la mission du député est expi-
rée. Cet article décide une des questions les plus
graves et les plus importantes du droit politique
spéculatif. Ce fut toujours un sujet d'étude et de
discussion que de savoir comment les Assemblées
délibérantes électives seraient renouvelées. Les uns
préfèrent le renouvellement qu'on appelle intégral,
les autres préfèrent le renouvellement partiel. Le
renouvellement est intégral lorsque tous les députés
cessent de l'être-au même moment, et qu'une réélec-
tion générale a lieu; le renouvellement est partiel
lorsque, chaque année, une partie. des députés sortent
de la Chambre par un système de rotation et sont
remplacés au moyen de nouvelles élections. De même,
les uns regardent comme utile, comme indispensable
que la même Chambre puisse siéger pendant une
longue suite d'années; les autres considèrent comme
une sauvegarde essentielle de la liberté le renouvelle-
ment fréquent de la Chambre au moyen des élections;
les uns désirent un Parlement septennal, les autres


SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
39


regardent comme seul utile et légitime le Parlement
annuel; et il y a eu des Assemblées annuelles, il y en
a eu de bisannuelles, de triennales, etc.


La discussion purement théorique de cette belle
et grande question ne m'appartient pas. Cependant
chacun de nous, par quelques instants de réflexion,
peut facilement deviner les raisons de l'une et de
l'autre opinion. Supposez une même Chambre sié-
geant pendant de longues années, qu'arrive-t-il ? Le
député ne songe plus à son origine, et l'électeur finit
par oublier complétement, son député. Dès lors,
dit-on, vous avez une Assemblée délibérante oit se
livrent sans scrupule des luttes d'ambition, parce
qu'on n'y redoute guère le jugement des électeurs,
Ou vous avez une Assemblée qui se relâche et s'attié-
dit tous les jours parce qu'elle manque de stimulants.
Le député donc, livré ainsi d'un côté à lui-même, de
l'autre aux séductions dont il peut être entouré,
devient de jour en jour moins propre à remplir ses
hautes fonctions avec zèle, courage, dignité ; il s'af-
faiblit tous les jours, parce qu'il n'a pas, comme le
géant de la Fable, retouché le sol électoral pour
y puiser de nouvelles forces.


Quelles sont les objections opposées à ceux qui
voudraient non une Assemblée de sept ou de neuf
ans, mais une Assemblée annuelle ou tout au moins
biennale ? Une pareille Assemblée, disent les parti-
sans du système contraire, n'offre aucune espèce de
base à un gouvernement quelconque. Avec une
Assemblée annuelle vous avez de deux choses l'une :
ou des élections fausses, des élections auxquelles le
pays n'attache aucune importance, et le système est




40 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


faussé par sa base; ou si vous avez des élections sin-
cères, vives, senties, avec les Assemblées annuelles
vous avez la fièvre électorale en permanence dans le
pays. Le gouvernement ne peut s'occuper que d'élec-
tions de députés, il ne rêve qu'élection, et tout le
monde perd son temps. Et ce système ne serait pas
corrigé par une rotation, par un renouvellement
annuel non plus total, mais partiel. Les inconvénients
ne seraient pas écartés, parce que vous auriez tou-
jours cette même difficulté, que le gouvernement
serait forcé de s'occuper toute l'année d'élections,
qu'une partie de la Chambre et du pays lui-même
serait toujours préoccupée de cette pensée.


Les uns et les autres allèguent des faits, et peut-être
les uns et les autres ont-ils en réalité des faits à allé-
guer, quoique la question soit beaucoup plus com-
plexe qu'elle ne le paraît au premier abord, car elle
touche à l'essence même du gouvernement. Mais, en
thèse générale, il est vrai que, si, d'un côté, les
Assemblées annuelles rendent lm gouvernement ex-
trêmement difficile, de l'autre, une Assemblée qui ne
se renouvellerait que trop rarement tomberait dans
cet attiédissement dont on a parlé.


Le renouvellement partiel a été appliqué en France,
nous le verrons dans un instant, je crois qu'il fut
essayé dans l'intention d'affaiblir la Chambre; le
résultat ne répondit pas à l'intention, la Chambre ne
fut pas affaiblie. Mais, il faut en convenir, si d'un
côté la Chambre n'en fut pas affaiblie, d'un autre côté,
il est excessivement difficile qu'aucun plan de gou-
vernement, que des projets ayant besoin de quelque
suite puissent se réaliser lorsque, à chaque instant,


SOINANTE-DIX-NEUV1EME LEÇON. 41


les éléments dont la Chambre se compose viennent
se modifier. Un corps délibérant finit toujours par se
partager au moins en deux partis, le parti du gou-
vernement et l'opposition. Le renouvellement partiel
annuel vient continuellement jeter un élément nou-
veau dans la Chambre. Or, tous ceux qui ont quelque
expérience du système savent que, lorsqu'on aborde
une Chambre composée d'éléments nouveaux, ce
n'est jamais qu'après quelques mois qu'on peut se
rendre un compte exact de l'état de cette Assemblée
et qu'on peut concevoir quel est le plan du gouver-
nement possible avec elle. ll y a donc beaucoup de
temps perdu.


Quoi qu'il en soit des arguments qu'on présente
ainsi de part et d'autre, arguments, je le répète, que
nous ne voulons pas juger d'une manière appro-
fondie, la Charte actuelle a adopté le terme de cinq ans.


En Angleterre, on a été un peu plus loin clans la
première Révolution, car en 1641 il a été porté un
bill pour rendre le Parlement anglais triennal. Ce
statut fut aboli plus tard sous la Restauration, sous
Charles II; en 1664, les royalistes le regardèrent
comme une atteinte à la prérogative royale, dans un
moment de réaction. Les choses restèrent ainsi
jusqu'à la Révolution de 1688. Alors, sous Guillaume,
la question du Parlement triennal fut reprise avec
force, quelquefois avec amertume, et la Couronne,
quoique portée par Guillaume, résista à l'innovation.
Il y eut donc une sorte de lutte parlementaire ; mais
en 1694 le statut du Parlement triennal fut rétabli,
pour être de nouveau aboli lors de l'établissement
de la maison de Hanovre. La première année de




42 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Georges le', le Parlement consentit à révoquer le
statut du Parlement triennal, et l'on établit alors le
système du Parlement septennal. Et Blackstonr, en
terminant le chapitre où il rend compte de ces chan-
gements, dit, avec cette bonhomie apparente qui le
caractérise : « Voilà une preuve du pouvoir immense
» du Parlement anglais , car cette chambre des
» Communes, qui n'avait été élue que pour trois
» années seulement, eut cependant la puissance de
» continuer elle-même sa propre vie et de se trams-
» former en Parlement septennal ».


En France, la question du renouvellement des
Assemblées électives a été diversement jugée selon la
diversité des temps et des constitutions. Dans la
Constitution del 01, le renouvellement était à la fois
intégral et triennal. En 1795, ainsi que dans la
Constitution de 1709, on introduisit le s ystème du
renouvellement partiel; il était annuel par tiers dans
la Constitution de 1795, et par cinquième dans celle
de 1799.


La Charte de 1814 adopta le renouvellement quin-
quennal mais partiel, c'est-à-dire s'opérant chaque
année par cinquième. 11 y avait donc chaque année
élection pour 50 députés, la Chambre étant de 258 et,
je le répète, je crois qu'on frappe juste en pensant
que ce système avait été adopté dans la croyance
qu'il affaiblirait cette branche du pouvoir; que le gou-
vernement, ayant une majorité toute faite dans la
Chambre, le cinquième qui y entrerait n'aurait pas
assez de force pour changer la majorité. Ce calcul,
s'il était tel en effet, fut complétement trompé. Ainsi,
vous savez qu'on voulut. y remédier par les lois de


SOIKANTE-D1X-NEUVIÈME LEÇON. 43


1820 et de 1824. Par la première, on établit le double
vote dont nous avons déjà parlé. On doubla ou à peu
près le nombre des députés et l'on établit les doubles
colléges. Et puis, en 1824, on supprima le renouvel-
lement partiel et quinquennal pour établir le renou-
vellement intégral et septennal, et l'on aurait pu
appliquer à la Chambre de 1824 la réflexion du juriste
anglais.


La Charte de 1830 a, d'un côté, conservé le renou-
vellement intégral, mais au lieu de sept ans, elle a
adopté le ternie de cinq ans. Nous avons donc le
renouvellement intégral et quinquennal. Mais re-
marquez que, quand on dit sept ans, on ne dit réelle-
ment que six ans, et que, quand on dit cinq ans, on
ne dit réellement que quatre ans, et voici pourquoi :
Si le gouvernement attendait la dernière année, il
s'exposerait à courir la chance des élections, quel que
fût l'état des esprits ; il n'y aurait pas moyen de re-
culer. Or, l'expérience a prouvé que le pouvoir n'ac-
cepte jamais cette position extrême, il ne consent
jamais à s'acculer ainsi au terme extrême. Cela est
vrai en France comme en Angleterre. De sorte qu'il
préfère abréger d'une année la durée de la Chambre
pour faire arriver les élections dans un moment qu'il
croit plus propice à ses intérêts et aux intérêts du
pays, plutôt que d'attendre un moment où il faudrait
subir les élections, quel que tilt l'état des événements
et des esprits.


Et ceci m'amène à parler de la dernière cause par
laquelle se perd la qualité de député, je veux dire la
dissolution de la Chambre. C'est une des prérogatives
de la Couronne, sanctionnée par l'article 42 de la




44 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Charte. « Le roi convoque chaque année les deux
» Chambres; il les proroge, et peut dissoudre celle
» des Députés ». Le roi donc peut dissoudre la
Chambre. Comment s'opère cette dissolution? Elle
s'opère par ordonnance royale, et d'après le texte et
l'esprit de la Charte; si la Chambre est réunie actuel-
lement, au moment où l'ordonnance royale est portée
à sa connaissance, elle doit se séparer à l'instant, elle
a cessé d'être un pouvoir de l'État.


Mais, pour que cet effet s'ensuive, il faut cepen-
dant que quelques conditions se vérifient; il faut que
la dissolution soit opérée régulièrement, légalement,
conformément à la lettre et à l'esprit de la Charte
constitutionnelle. En conséquence, et en premier
lieu, l'ordonnance doit être légale, je veux dire que
ce doit être une ordonnanceroyale contre-signée par
un ministre responsable, car la dissolution de la
Chambre est un des faits graves de la responsabilité
ministérielle.


Nous croyons en deuxième lieu que la Chambre,
pour être régulièrement dissoute, doit avoir été au-
paravant régulièrement constituée. Je m'explique :
Les élections se font; il y a 459 députés élus ou
quelques-uns de moins, s'il y a de doubles ou de
triples élections. Ce sont là des députés, ce n'est pas
la vérification des pouvoirs qui donne cette qualité;
la vérification des pouvoirs écarte tout cloute qu'on
pourrait avoir sur l'élection, mais la qualité de dé-
puté est conférée le jour où le scrutin les a faits
députés. Or, les élections une fois faites, si le gou-
vernement ne les trouvait pas conformes à ses désirs,
pourrait-il régulièrement dissoudre la Chambre?


SOINANTE-DIX-NEUVIEME LEÇON. 45


Ce fait s'est présenté : une des ordonnances de
juillet1830 prononçait la dissolution d'une Chambre
qui n'avait pas été constituée. Les élections étaient
faites, mais - la Chambre n'avait pas été réunie.
Aussi, lors des événements de juillet, que disaient
les députés résidant à Paris, clans leur protestation
du 27 juillet? Ils disaient : « Les soussignés, régu-
» fièrement élus et résidant à Paris... attendu, d'une
» part, que la chambre des Députés n'ayant pas été
» constituée n'a pu être régulièrement dissoute....
Ils reconnaissaient donc qu'il n'y avait pas dissolu-
tion régulière d'une Chambre qui n'avait pas été
constituée. Je crois qu'ils énonçaient là une opinion
conforme à notre droit positif.


Et d'abord, si l'on voulait se contenter d'un argu-
ment purement logique, il n'est pas difficile à trou-
ver. La Charte dit : Le roi peut dissoudre la
chambre des Députés. Qui dit Chambre, dit Assem-
blée, dit corps politique délibérant. Or, qui dit
corps dit nécessairement une organisation, une
constitution de ce corps. Avant l'organisation, il y a
les éléments de ce corps, mais pas le corps lui-
même. S'il n'y a pas le corps lui-même, il est impos-
sible de le dissoudre. La Charte ne dit pas qu'on
peut rendre nulles les élections, elle dit qu'on
peut dissoudre la Chambre. Or, dissoudre la Cham-
bre avant que la Chambre soit constituée en corps
délibérant, c'est anéantir les élections, mais non
dissoudre ce qui n'existe pas. Aussi, en 1830, vous
voyez ce que disaient les députés dans le document
dont je viens de parler : La Chambre n'a pas été
constituée, donc elle n'a pu être régulièrement dis-




46 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


soute. Que disent-ils dans l'autre document? « La
» réunion des députés actuellement à Paris a pensé
» qu'il était urgent, elle a senti la nécessité ». Mais
ils ne disent pas : « Nous sommes une Chambre ».
Vous trouvez plus tard une ordonnance du lieute-
nant général qui convoque la Chambre.


Les députés de '1830 envisageaient donc la ques-
tion comme nous le faisons. Mais pour ceux sur
l'esprit desquels un argument purement logique n'a
pas suffisamment prise, pour ceux, et nous sommes
du nombre, qui encore plus que la logique aiment la
raison intime des choses, pour ceux-là la raison in-
time des choses conduit ;:à la même .conséquence.
Qu'est-ce, en effet, que dissoudre une Chambre ?
Ce n'est pas satisfaire un caprice, c'est faire un acte
de haute politique, c'est faire un appel au pays avant
l'époque oit l'on doit nécessairement recourir à lui.
La Charte. dit : « Tous les cinq ans vous reparaîtrez
devant le corps électoral, tous les cinq ans il y aura
un appel fait au pays au moyen des élections ».
Dissoudre la Chambre, c'est anticiper cet appel.
Ainsi le gouvernement ne peut plus marcher avec la
Chambre, un ministère perd la majorité. Au lieu de
se retirer, il veut en appeler au pays. Si le pays ren-
voie les mêmes députés, c'est que le pays a jugé que
la Chambre avait raison ; il y a donc là un hommage
rendu au pays. Or, comment le pays exprime-t-il sa
pensée? Il répond à cet appel par l'organe des
députés, par la majorité de l'Assemblée ; c'est la
majorité de l'Assemblée qui est censée expliquer
le résultat de cet appel au pays. Or, dissoudre la
Chambre avant qu'elle soit réunie, c'est refuser


SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
47


d'écouter le pays ; c'est dire : « Envoyez-moi quel-
qu'un pour expliquer votre pensée », et puis mettre
l'envoyé à la porte, ne pas même lui accorder d'au-
dience ; c'est vouloir imposer certains hommes aux
électeurs. Sans doute, lorsque la Chambre sera
constituée, lorsqu'elle aura pris la parole, le pou-
voir peut dissoudre encore, et le pays peut encore
renvoyer les mêmes députés. Je ne pousserai pas
plus loin ces hypothèses. Mais il faut que la voix de
la Chambre ait pu être entendue.


Dans le cours régulier des affaires, dans la forme
de gouvernement sous laquelle nous vivons, com-
ment les choses doivent-elles se passer? Le gouver-
ment est ici un gouvernement de persuasion, de
raison, de débats, d'arrangement plus ou moins
durable. Ainsi, dans le cours ordinaire des choses,
comment les affaires doivent-elles se traiter? Il y a
dissentiment ; le pouvoir doit essayer de persuader
la Chambre, de lui montrer qu'il est dans une voie
rationnelle, dans une voie qui doit lui mériter une
majorité. Et la Chambre doit essayer d'éclairer le
pouvoir, si elle croit qu'il se trompe. Or, dans tin
gouvernement pareil, l'idée de dissoudre la Chambre
avant .qu'elle soit constituée est en contradiction
directe avec la forme du gouvernement. Lorsqu'on
veut donc aller au. fond des choses, le résultat est
absolument le même que celui que donne la logique.


Te disais donc que la dissolution doit être faite
par les voies légales, que l'ordonnance doit être
contre-signée par un ministre responsable ; je (li-
sais, en deuxième lieu, que pour être régulièrement
dissoute, il faut d'abord que la Chambre ait été régu-




48 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


lièrement constituée. Une troisième condition tex-
tuellement écrite dans la Charte, c'est que la dissolu-
tion doit être suivie de la convocation d'une Chambre
nouvelle dans le délai de trois mois. C'est là mie
condition sine qua non, une condition telle que, à
mon avis, si dans les trois mois une Chambre n'était
pas convoquée, la dissolution ne serait pas valable,
et que la dernière Chambre devrait reprendre son
existence. QUATRE-VINGTIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Question des deux Chambres. — En Angleterre et aux États-Unis,
comme en France, on n'a eu qu'une seule Assemblée délibérante
lorsqu'il y avait une révolution à faire, on en est revenu aux deux
Chambres pour organiser les résultats de la révolution. — La coexis-
tence des deux Chambres est pour les uns un principe d'organisation
sociale fondé sur l'inégalité des conditions; pour les autres, elle
n'est qu'une règle d'organisation purement politique, un moyeu de
donner à la discussion des lois plus de maturité. — La Pairie anglaise
est une réalisation du premier système; elle ne représente pas le
pays, mais se représente elle-même. Vote par procuration; droit de
la minorité de protester contre les décisions de la majorité; Pai-
resses. — Le Sénat américain réalise le second système. — Ancienne
Pairie française absorbée peu à peu par la royauté; ce qui en restait
disparaît en 1789. — Tentatives de la Restauration pour donner à
la nouvelle Pairie française quelque chose de semblable à la Pairie
anglaise. Ordonnances du 19 août 1813 et (lu 25 août 1817: hérédité de
la Pairie; titres de noblesse et de majorats attachés à chaque Pairie.
— Abolition de l'hérédité en 1830. La Chambre des Pairs n'est et ne
peut être qu'une magistrature politique.


MESSIEURS,


La Charte dit dans son article 14 : « La puissance
» législative s'exerce collectivement par le Roi, la
» Chambre des Pairs et la Chambre des Députés ».
Et dans son article 20 : « La Chambre des Pairs est
» une portion essentielle de la puissance législa-


iv.




50 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


tive ». Nous avons donc maintenant à faire, sur la
Chambre des Pairs, la même étude que nous venons
de faire sur la Chambre des Députés.


De toutes les questions du système représentatif
qui ont préoccupé les publicistes et les hommes


. d'État, il n'en est pas qui ait donné lieu à des opi-
nions plus divergentes et à des discussions plus ani-
mées que celle de savoir s'il est dans l'intérêt général
d'avoir une seule et unique assemblée délibérant sur
les affaires publiques, ou s'il vaut mieux que deux
assemblées coexistant l'une près de l'autre soient
appelées nécessairement , comme branches dis-
tinctes du pouvoir législatif, à donner leur concours
pour la confection (les lois. Chacun a cherché dans
l'histoire des faits, des exemples, des résultats à
l'appui de son système, et il est irrécusable que le
fait le plus général dans le système représentatif,
c'est la coexistence de ces deux corps délibérants.
Nous les trouvons en Angleterre, aux États-Unis, en
France, et dans le plus grand nombre des constitu-
tions représentatives plus ou moins pâles, plus ou
moins imparfaites qui se sont établies dans d'autres
pays de l'Europe sur le modèle de leurs aînées en
civilisation et en liberté. Tels sont le Portugal, l'Es-
pagne, dans la constitution nouvelle qui a succédé à
celle des Cortes, l'Allemagne, au moins dans la plus
grande partie. Le seul exemple remarquable du con-
traire est celui de la Suisse, oà il n'existe partout
qu'une seule assemblée délibérante, soit pour les
affaires générales, soit pour les affaires cantonales.
Il ne serait peut-être pas difficile d'en rechercher et
d'en donner une explication historique ; mais cette


QUATRE-VINGTIÈME LEÇON. 51


digression en dehors de notre travail nous mènerait
trop loin.


Une autre observation qu'on a faite et qui n'est
pas sans importance, c'est que, soit en Angleterre,
soit aux États-Unis, soit en France, on a senti le
besoin d'une seule assemblée délibérante, lorsqu'on
avait une révolution à faire ou à parachever, et
qu'on est revenu ensuite aux deux Chambres pour
organiser les résultats de la révolution. Ainsi, en
Angleterre, lors de la Révolution de •640, la
Chambre des Lords disparut pour être rétablie plus
tard. Aux États-Unis, dans la première Constitution,
celle de 1776, lorsque les États-Unis n'étaient encore
que des insurgés combattant contre le gouverne-
ment de la mère patrie, il n'y eut qu'une seule
Chambre ; le système des deux chambres ne fut
adopté que dans la réorganisation de 1787.


Le même fait s'est vérifié en France. En France,
les États généraux furent convoqués en 1789, et
alors éclata la Révolution qui était déjà depuis long-
temps préparée dans les esprits et dans les mœurs.
Vous connaissez les trois ordres dont se compo-
saient les États généraux. L'ordre de la noblesse et
l'ordre du clergé allèrent, sous l'action dela Révo-
lution, se fondre dans une assemblée unique, l'As-
semblée nationale. Cet état de choses fut sanctionné
ensuite par la Constitution de 1791, qui institua une
seule assemblée ; il fut maintenu par la Constitution
de 1793. Mais déjà, en 1795, le pouvoir législatif se
partage en deux branches , en deux assemblées
délibérantes, le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil
des Anciens. Et plus tard, dans la Constitution de




COURS 1)E DROIT CONSTITUTIONNEL.52


l'an VIII, vous avez le Corps législatif et le Tribunat.
Je dis que c'est là un fait historique très-remar-


quable. En effet, une assemblée unique dans les
circonstances dont nous parlons était une sorte de
dictature délibérante et agissante, et, il faut le dire,
l'instrument le plus propre à atteindre le but qu'on
se proposait, but qui ne pouvait être atteint qu'au
moyen d'une grande force, d'une grande puissance,
d'une grande rapidité et d'une absence à peu près
complète de contrôle sur les opérations de l'Assem-
blée. C'était un levier puissant qu'une assemblée
unique. Aussi vous voyez l'identité de fait. Et certes,
dans ces cas-là. ce ne sont pas de pures vues théo-
riques qui dirigent les hommes, c'est l'empire des
faits. Dans les trois pays, le fait a été le même. Les
Américains, Anglais d'origine, d'habitudes, de tra-
ditions gouvernementales, Anglais au point que
leur législation civile, leur législation pénale et, au
fond, toutes leurs institutions étaient calquées sur
les institutions anglaises, les Américains, lorsqu'ils
sont en révolution, ne suivent pas du tout la tradi-
tion anglaise des cieux Chambres, ils n'ont qu'une
seule Chambre. En 1787, le fait. est accompli, le
levier a opéré, il s'agit de régulariser. Ils reviennent
alors à la tradition des deux Chambres.


11 en est de même en Angleterre. La Chambre des
Lords, qui a des racines si puissantes, une autorité si
ancienne, tombe devant les mêmes exigences ; elle
disparaît à peu près sous l'action de la révolution.


En France , sans doute , les États généraux
n'avaient pas cette grande autorité morale clans le
pays qu'obtient une institution qui agit tous les


QUATRE-VINGTIÈME LEÇON.
53


jours, qui se reproduit dans ses effets régulière-
ment, qui a une liaison intime avec les idées de la
nation ; les États généraux n'avaient pas été con-
voqués suivant les traditions anciennes. Ils ont trois
ordres qui prétendent représenter trois grands faits
sociaux. Sous l'action de la Révolution, ils se
fondent en une assemblée, et ce n'est qu'en 1795
qu'on songe à une division du pouvoir législatif en
deux Chambres.


Mais , si vous étiez curieux d'approfondir ces
recherches historiques, et de vous rendre un compte
encore plus exact des faits que vous y rencontre-
rez, il serait utile de vous faire remarquer que,
au fond, ceux qui soutiennent la nécessité de la
coexistence de deux assemblées délibérantes ne se
rattachent pas tous à un même principe organisa-
teur. Les uns rattachent la nécessité des deux
Chambres à un principe d'organisation sociale, les
autres n'y voient qu'une règle d'organisation pure-
ment politique.


Je dis que les uns rattachent le système des deux
Chambres à un principe d'organisation sociale.Voici,
en effet, comment ils raisonnent : L'inégalité des
conditions, disent-ils, est un fait social nécessaire,
inévitable, permanent ; à un degré plus ou moins
grand, avec des variétés plus ou moins saillantes,
vous le retrouvez partout et en tout temps. Dès lors,
il semble à la fois juste et utile, pour le maintien des
libertés publiques, de faire dans l'organisation une
case à part pour les sommités sociales. Cela est
juste, car ces sommités sociales, par leur nature de
sommités sociales, excitant contre elles de grandes




54 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


jalousies, il est équitable de leur donner un moyen
particulier de se défendre. Cela est utile au maintien
des libertés publiques, parce que, ces sommités
sociales étant investies d'un grand pouvoir social, si
on ne leur fait pas une case à part dans l'organisa-
tion politique, elles useront de cette influence pour
envahir rassemblée unique, et s'emparer exclusive-
ment à leur profit du maniement des affaires pu-
bliques.


Vous, voyez que, dans ce système, on attache le
fait de l'existence des deux Chambres à un principe
d'organisation sociale. En d'autres termes, clans ce
système, l'existence des deux Chambres n'est autre
chose qu'un accommodement, une transaction entre
l'aristocratie et la démocratie. L'aristocratie et la
démocratie siégent dans les deux Chambres, se
placent l'une à côté de l'autre, et par cette juxtapo-
sition essayent de vivre en paix. En d'autres termes
encore, il y a une Chambre haute et une Chambre
basse, comme disent les Anglais, une Chambre aris-
tocratique et une Chambre populaire ou démocra-
tique.


Les autres ne fondent pas la coexistence de deux
Chambres sur les mêmes données, ne la font pas
remonter au môme fait social. Ils ne voient dans
cette institution qu'une question de convenance et
d'arrangement rationnel du pouvoir législatif. Il faut,
disent-ils, deux Chambres pour donner à l'action
législative plus de lenteur, à la discussion des lois
plus de maturité, et, ainsi, à l'intérêt général plus
de garanties. Dans ce système, on ne s'embarrasse
pas essentiellement de savoir de quels éléments


QUATRE-VINGTIÈME LEÇON.
55


seront composées les deux Chambres. Ce qu'on veut
avant tout, c'est qu'il y ait deux assemblées, pour
qu'il y ait double discussion, double délibération. Ce
qu'on veut, c'est qu'une Chambre ne puisse pas
même imaginer d'exercer une sorte de dictature,
sachant que l'autre pourrait s'y opposer. Ce qu'on
veut avant tout, c'est qu'une Chambre ne puisse pas se
livrer à des mouvements désordonnés. Dans ce sys-
tème, il n'y a pas une Chambre haute et une Chambre
basse ; il y a cieux assemblées, deux magistratures
politiques qui se contrôlent l'une l'autre, et se forcent
ainsi réciproquement à un examen approfondi de
toutes les questions, à une délibération des affaires
mûre, sensée, profitable à la chose publique. Il n'y a
pas là une question de rang, de prééminence, parce
que l'organisation des deux Chambres n'est qu'une
pure organisation politique. Et si les défenseurs de
ce système préfèrent composer la deuxième Chambre,
comme le Sénat américain, d'hommes plus âgés, plus
expérimentés, même plus riches, c'est uniquement
parce qu'il est utile de conserver dans toute sa pureté
d'un côté l'élément progressif, de l'autre l'élément
conservateur des sociétés civiles.


J'explique leur système. Prenons l'exemple des
États-Unis. Vous avez la chambre des Représentants,
composée de membres qui sont ou peuvent être plus
jeunes que les sénateurs. C'est là, dit-on, où siége le
principe de vie, le principe de progrès, le principe
d'impulsion pour les efforts sociaux. Et il faut cette
chambre-là, cette chambre qui représente le principe
du grand progrès, la chambre qui doit donner l'im-
pulsion, pour qu'il n'y ait pas stagnation sociale. Et




56 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


puis, vous avez à côté une autre chambre qui est
composée d'hommes plus âgés, d'hommes qui ont
déjà pris part au mouvement des affaires, d'hommes
plus expérimentés, si vous voulez même d'hommes
placés dans une position sociale plus fortunée et plus
intéressés à conserver ce qui existe. Eh bien, voici,
dit-on, ce qui arrive : Nous avons une chambre à
principes progressifs, l'autre à principes conserva-
teurs, l'une qui a mission de donner l'impulsion,
l'autre qui a mission de régler cette impulsion; l'une
pousse, l'autre retient clans une juste mesure, et c'est
ainsi que, par la combinaison de cette double force, la
société marche sans courir et que vous réalisez l'idée
d'un progrès sage et continu.


Telles sont les deux théories capitales, essentielle-
ment distinctes l'une de l'autre, comme vous le
voyez, qui aboutissent l'une et l'autre au fait de la
coexistence de deux. chambres, mais l'une à la coexis-
tence de deux chambres représentant des éléments
sociaux décidément distincts, comme une Chambre
aristocratique et une Chambre démocratique, l'autre
à la coexistence de deux Chambres représentant
l'une une action plus vive, l'autre une action plus
réfléchie, plus mûre, mais non un élément diffé-
rent.


Et enfin, comme le droit public aussi à son éclec-
tisme, vous trouverez (les publicistes qui prennent
les principes et les bases de l'un et de l'autre système,
qui veulent les amalgames. Et ceux-là arrivent à
l'institution des deux Chambres, soit, disent-ils, parce
que dans toute société le fait de l'inégalité des con-
ditions existant, il importe de le régler, soit parce


QUA.TRE-VINGTIEME LEÇON.


que, quand même cela n'existerait pas, il faut deux
Chambres pour la confection des lois.


C'est avec la connaissance de ces principes divers
qu'il vous sera maintenant facile de faire ce que nous
ne pouvons pas faire ici cependant, étudier cette
belle question dans les faits, dans l'histoire et vous
rendre compte du but véritable des différents systè-
mes. Car, encore une fois, l'un et l'autre système
peut s'appuyer sur l'autorité de faits historiques.


Ainsi, évidemment la pairie anglaise est une réali-
sation du premier système, ou, pour mieux. dire, on
a fait ce que les auteurs des arts poétiques ont fait, il
les ont tirés des poèmes existants. De même le pre-
mier système a été tiré de l'étude de la Constitution
anglaise, le deuxième de l'étude de la Constitution
américaine. La pairie anglaise, en effet, n'est pas
une représentation du pays, c'est la chambre des
Communes qui est une représentation du pays; il se
pourrait que la chambre des Pairs fût une représen-
tation du pays prise dans d'autres élements, mais, à
proprement parler, elle n'est pas une représentation
du pays; non, elle se représente elle-même, elle déli-
bère pour son propre compte. En voici la preuve :
Un pair anglais a le droit de voter par procuration.
Ainsi, il peut ne pas aller à la Chambre, ne pas assis-
ter à la discussion, ne prendre aucune part à la déli-
bération, et, au moment du vote, donner pouvoir à
un de ses collègues de voter pour lui. S'il était là
comme représentant du pays, son premier devoir
serait d'assister à la discussion. Il vote par procura-
tion parce qu'il exerce un droit tout personnel. Il y a
plus, quand la chambre clos Lords a pris une résolu-




58 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


fion, quand elle a, je suppose, adopté un projet de
bill, les pairs qui se sont trouvés en minorité peuvent
protester et faire insérer leur protestation dans le
procès-verbal de la séance. C'est dire : « Nous ne
nous soumettons pas à la majorité ». C'est là un fait
particulier à la chambre des Pairs anglaise qu'elle
soit obligée de recevoir la protestation des dissi-
dents, fussent-ils trois ou quatre seulement. C'est là
encore une conséquence de ce fait que la pairie an-
glaise se représente elle-môme.


Enfin, une troisième preuve plus frappante encore,
c'est qu'il y ait des pairesses, qui ne sont pas des
femmes de pairs, mais sont pairesses par elles-mêmes
e(; qui, en cette qualité, jouissent des priviléges atta-
chés à la pairie, c'est-à-dire entre autres qu'elles ne
sont justiciables que de la chambre des Pairs. Or,
comme les femmes n'assistent jamais aux assem-
blées, comme elles ne délibèrent pas, vous voyez que
le titre de pair est autre chose qu'un titre politique.
S'il était un titre politique, il n'y aurait pas de pai-
resses qui ne fussent femmes de pairs. De môme, on
ne voterait pas par procuration. Enfin, on n'aurait
pas le droit de protester légalement contre la déci-
sion de la majorité. Ces faits seuls prouvent que la
pairie anglaise est autre chose qu'une magistrature
politique. Les pairs anglais, une fois investis des
droits et prérogatives de la pairie, siégent à la
Chambre jure proprio. Ils représentent la pairie an-
glaise, mais ils ne représentent pas le pays.


Aux États-Unis, au contraire, le Sénat peut dire
qu'il est aussi représentant du pays. Qu'importe
qu'une Chambre soit prise parmi ceux qui payent


QUATRE-VINCTIÈME LEÇON.
59


un cens plus élevé ou qui sont plus âgés ? Ils sont
là pour délibérer sur les affaires générales du pays
comme l'autre Chambre., et ils ne peuvent pas faire
ces actes purement personnels de puissance indi-
viduelle que fait un pair anglais. Le pair anglais,
avec cette différence que la marche de la civilisation
a introduite, représente un peu le seigneur féodal
qui dit : « Vous payerez cela si vous voulez, moi
» je ne veux pas, et ma raison la voici », ajoute-t-il
en brandissant son sabre. Aujourd'hui les formes
sont un peu changées ; mais quand on vient pro-
tester contre le voeu de la majorité, quand il y a
des pairesses jouissant des droits de la pairie,
comme dans certains pays des femmes jouissaient
des droits du fief à défaut de mâles, on peut dire
qu'il y a là une chambre des Pairs représentant
non le pays, mais elle-même.


En France, d'autres vous expliqueront mieux que
je ne pourrais le faire l'institution de l'ancienne
pairie, l'organisation des États généraux. Il y eut
d'abord ces sept grandes pairies qu'on pourrait
appeler les pairies de la France. La Couronne fort
heureusement les absorba peu à peu dans ce grand
travail d'unité française que nous avons vu. Enfin,
la pairie française était devenue en fait une lettre
patente qu'on obtenait du roi, et qui vous donnait
des priviléges plus honôrifiques que réels. Et si
vous en doutez, ouvrez l'historien peut-être le plus
original que la France ait eu, ouvrez les Mémoires
de Saint-Simon, et lisez ses plaintes amères sur la
décadence de la pairie; ces plaintes ont leur
éloquence.




GD COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


La pairie donc était réduite à un titre que le
roi absolu conférait. De. même l'organisation des
États généraux comme représentation d'un ancien
fait social comprenait trois ordres, le clergé, la
noblesse et le tiers état ; tout cela disparut sous
l'action de la grande révolution. Tout ce qui restait
de féodal fut complétement aboli en 89. Les privi-
léges du clergé disparurent comme ceux de la
noblesse, le principe de l'égalité civile fut établi,
et, en conséquence, ces titres, qui étaient déjà bien
pâles, bien effacés, disparurent complétement du
sol de la France.


Arrivons en 1814. En '1814 la Charte consacra
l'institution de deux Chambres délibérantes, l'une
sous le nom de chambre des Pairs, l'autre sous
le nom de chambre des Députés des départements,
et je vous ai fait déjà remarquer que cette addi-
tion (les départements a disparu dans la Charte de
1830. Ainsi, chambre des Pairs et chambre des
Députés. Évidemment, ce nom de pair ne représente
plus ce qu'il'a pu, à une autre époque bien éloignée,
représenter en France, et il ne représente pas même
ce qu'il représente en Angleterre. La chambre des
Pairs, sous la Charte de 1814, n'était au fond et
ne pouvait être, et le principe général du système
français rie permettait pas qu'elle fût autre chose,
qu'une magistrature politique, et le nom de pair
ne pouvait, avoir d'autre signification que celle qu'il
pouvait tirer de l'article 34 de la Charte de 1814,
devenu l'article 29 de la Charte de 1830 : « Aucun pair
» ne peut être arrêté que de l'autorité de la Cham-


bre et jugé que par elle en matière criminelle ».


QUATT1E-YINCTIÈME LEÇON.
61


ll y eut, à la vérité, sous l'empire de la Charte
de 1814, une sorte d'oscillation, et puis un travail
pour faire de la chambre des Pairs quelque chose
qui ressemblât davantage à la Chambre anglaise, et
qui lui donnât peut-être un caractère autre que
celui de haute magistrature politique. Que trouvons-
nous, en effet, dans les lois et ordonnances de ce
temps-là ? D'abord l'article 27 de la Charte de 1814
s'exprimait ainsi : « La nomination des pairs de
» France appartient au roi. Leur nombre est illi-
» mité : il peut en varier les dignités, les nommer


à vie, ou les rendre héréditaires, selon sa
» volonté ». Plus tard, une ordonnance du 19 août
1815, s'appuyant sur la faculté accordée au roi par
l'article 27 de la Charte, disait : « Article l er . La
» dignité de pair est et demeure héréditaire de
» mâle' en mâle, par ordre de primogéniture, dans
• la famille des pairs qui composent actuellement
» notre chambre des Pairs. — Article 2. La même
» prérogative est accordée aux pairs que nous
» nommerons à l'avenir. — Article 3. Dans le cas
» oit la ligne directe viendrait à manquer dans la
• famille d'un pair, nous nous réservons d'autoriser
» la transmission du titre dans la ligne collatérale


qu'il nous plaira de désigner; auquel cas le titu-
» laine ainsi substitué jouira du rang d'ancienneté
» originaire de la pairie dont il se trouvera revêtu




»
— Article 4. Les lettretspsaoteuisitelesquel


sera


i)ortieri:sotni_t
• toutes collation d'un titre
• tuée chaque pairie. — Article G. Ces titres seront
» ceux de baron, vicomte, comte, marquis et duc ».


Mais ceci n'aurait pas suffi ; car on peut concilier




62 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


ces cieux idées, magistrature politique et droit héré-
ditaire. Ce ne sont pas là deux idées incompatibles.
H y eut alors quelque, chose de plus; il y eut l'éta-
blissement des majorats. « A l'avenir, dit l'ordon-


nance du 25 août 1817, daris son article l e' , nul
ne sera par nous appelé à la chambre des Pairs,
les ecclésiastiques exceptés, s'il n'a, préalable-
ment à sa nomination, obtenu de notre grâce
l'autorisation de former un majorat et s'il n'a


» institué ce majorat ». Vous savez déjà que la
législation des majorats avait été établie sous le
régime impérial.


L'ordonnance du 25 août 1817 institue trois clas-
ses de majorats de pairs : ceux attachés au titre de
duc, qui ne peuvent être composés de biens-pro-
duisant moins de 30,000 francs de revenu net; ceux
attachés aux titres de marquis et de comte, qui ne
peuvent s'élever à moins de 20,000 francs de revenu
net, et ceux attachés aux Litres de vicomte et (le
baron, qui ne peuvent s'élever à moins de 10,000
francs de revenu net. Les majorats doivent être
constitués en immeubles libres de tous priviléges et
hypothèques et en rentes sur l'État, après toutefois
qu'elles auront été immobilisées. Enfin, les majorais
de pairs sont transmissibles à perpétuité, avec le
titre de la pairie, au fils aîné, né ou à naître, du
fondateur du majorat, et à la descendance naturelle
et légitime de celui-ci de mâle en mâle et par ordre
de primogéniture, de manière que le majorat et la
pairie soient toujours réunis sur la même tête.


il y eut donc, vous le voyez, quelques tentatives
pour faire .. de la pairie nouvelle quelque chose qui


QUATRE-VINGTIÈME LEÇON.
63


eût quelque ressemblance avec la pairie anglaise.
C'était là lutter contre le nouvel ordre de choses, et,
en conséquence, lutter inutilement.


La chambre des Pairs actuelle, je le répète., est
une magistrature politique. Dans la Charte de 1830,
la chambre des Pairs a été maintenue, mais elle n'est
plus héréditaire. C'est la disposition du 29 de
la loi du 29 décembre 1831, qui forme l'article 23
de la Charte. Dans la révision de la Charte, en 1830,
on avait dit : « L'article 23 de la Charte sera soumis
» à un nouvel examen ». Il fut en effet soumis à la
révision, et l'une des dispositions de la loi, qui est
devenue l'article 23 de la Charte, porte : « Leur
» dignité est conférée à vie, et, n'est pas transmis-
» sible par droit d'hérédité ». Mais, je le répète,
quand même la pairie serait héréditaire, elle n'en
serait pas moins une simple magistrature politique.
Ce sont les souvenirs des traditions féodales qui ont
donné à la chambre des Pairs anglaise ces préro-
gatives dont je viens de vous indiquer quelques-
unes. Dans un pays où la féodalité a empiétement
disparu, dans un pays où le principe de l'égalité
civile est le principe dominant, il est évident qu'il
n'y a et qu'il ne peut y avoir, dans l'organisation du
pouvoir, que des fonctions politiques, des fonctions
très-élevées, mais toujours et uniquement des fonc-
tions politiques.


Après ces faits et ces notions générales, nous
allons faire, sur la chambre des Pairs, le même
travail que nous avons fait sur la chambre des
Députés. Nous allons examiner comment on devient
pair de France, quelle est la mission du pair de




64 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


France, quels sont ses droits particuliers en tant
que pair de France, et enfin comment on peut perdre
la qualité de pair de France. Alors nous aurons les
éléments des deux Chambres, et nous pourrons
constituer ces deux. branches du pouvoir législatif.
Nous nous poserons alors ces deux questions : Quel-
les sont les attributions de l'une, quelles sont les
attributions de l'autre de ces deux branches du
pouvoir législatif ? Enfin, question dernière et finale,
comment chacune de ces deux branches du pouvoir
législatif exerce-t-elle les attributions que la loi
leur confère ? Vous voyez le cadre complet de notre
travail à cet égard.


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Conditions d'admissibilité à la Pairie. Loi du 29 décembre 1831 intro-
duite clans la Charte comme nouvel article 23. — Notabilités parmi
lesquelles le Roi peut choisir les Pairs de France. Elles doivent être
rangées sous trois chefs distincts : services rendus au pays (§ 2 à 18
et § 20 de la loi); notabilité intellectuelle (§19); notabilité de fortune
combinée avec certaines autres conditions (§ 21 et 22). — Droits
et prérogatives du Pair de France. — Les Pairs ne peuvent être
arrêtés pour quelque cause que ce soit, même en matière civile,
qu'avec l'autorisation de la Chambre et ne peuvent être jugés que par
elle en matière criminelle. — Aucun traitement, dotation ni pension
ne peuvent être attachés à la dignité de Pair. — Dotation du Sénat
impérial; efforts du Sénat pour la conserver; dispositions prises par
la Restauration en faveur des anciens Sénateurs.


MESSIEURS,


L'hérédité de la pairie ayant été abolie par la loi
de 1831, il n'y a aujourd'hui qu'un seul moyen de
devenir pair de France. Ce moyen, c'est la nomina-
tion, l'élection, si vous voulez, et cette élection est
confiée à la Couronne. « La nomination des mem-
bres de la chambre des Pairs, dit le de l'ar-
ticle 23 de la Charte, qui est aujourd'hui la loi fonda-
mentale de la pairie française, la nomination des


IV. 5




66 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


membres de la chambre des Pairs appartient au
roi ».


Le nombre des pairs de France n'est pas limité.
Le § 28 de l'article 23 établit en propres termes que
le nombre des pairs est illimité. Mais le roi n'est
pas libre de conférer la dignité de pair à toute per-
sonne quelconque. La loi a posé des conditions,
a tracé des limites dans lequelles le droit de la Cou-
ronne doit se renfermer. 11 faut donc satisfaire à
certaines conditions pour pouvoir être promu à la
dignité de pair de France ; la volonté royale ne suffit
plus depuis la loi de 1831, les pairs doivent être
pris clans certaines catégories. Et les catégories de
personnes aptes à être promues à la dignité de pair
peuvent être rangées sous trois chefs distincts. Les
unes tirent leur capacité des services rendus au
pays, les autres de leur notabilité intellectuelle, s'il
est permis de s'exprimer ainsi, les autres enfin de
leur fortune, de leur notabilité pécuniaire combinée
avec certaines autres conditions..


Je dis que les uns tirent leur capacité à pouvoir
être nommés pairs de France des services rendus
au pays. Ce sont les personnes désignées dans
l'article 23,
2 à 18. Ainsi : « Le président de la


» chambre des Députés et autres assemblées légis-
» latives ». On a dit aussi « et autres assemblées
» législatives », parce qu'il pourrait exister des
hommes qui 'auraient présidé les anciennes assem-
blées législatives autres que la chambre des Députés.
» — Les députés qui auront fait partie de trois
» législatures, ou qui auront six ans d'exercice ;
»


— les maréchaux et amiraux de France ; les


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON.
67


» lieutenants généraux et vice-amiraux des ar-
» mées de terre et de mer après deux ans de
» gracie » ; c'est la condition qui les distingue des
premiers, il leur faut deux ans de grade; « — les
» ministres à département ». On dit ministres à
département, pour les distinguer de ceux qui
auraient pu être nommés ministres sans porte-
feuille. Ainsi, vous pouvez vous rappeler qu'après la
révolution de Juillet, le premier cabinet se trouvait
composé de ministres à portefeuille et de ministres
sans portefeuille. Eh bien, ici on dit ministres à dépar-
tement, c'est-à-dire ministres placés à la tète des
départements ministériels entre lesquels se divise
l'administration générale du royaume. — « Les
» ambassadeurs après trois ans et les ministres
» plénipotentiaires après six ans de fonctions D.
Vous savez qu'il y a une hiérarchie diplomatique.
Tous les agents diplomatiques n'ont pas le même
rang ; le premier rang appartient aux ambassadeurs,
viennent ensuite les ministres plénipotentiaires et
les envoyés extraordinaires, puis les ministres rési-
dents, etc. ; cela finit par le simple chargé d'affaires.
Ainsi, pour être apte à devenir pair, il faut être
ambassadeur ou ministre plénipotentiaire et remplir
ces fonctions depuis trois ans dans le premier cas,
et dans le second depuis six ans. « — Les conseil-
» lers d'État après dix ans de service ordinaire ;
» les préfets de département et les préfets mari-
» times après dix ans de fonctions ». Vous savez
que la France n'est pas seulement divisée en dépar-
tements administratifs ; il y a sous d'autres rap-
ports des divisions différentes ; sous le rapport




68 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


militaire il y a les divisions militaires, sous le rap-
port judiciaire il y a les ressorts de cours royales,
sous le rapport maritime les préfectures maritimes.
» — Les gouverneurs coloniaux après cinq ans de
» fonctions ; — les membres des conseils généraux
• électifs après trois élections à la présidence ; -
» les maires des villes de trente mille âmes et au-
» dessus après deux élections au moins comme
» membres du corps municipal, et après cinq ans
» de fonctions de maire ». On veut que l'opinion
publique ait rendu par ces élections réitérées hom-
mage à la manière dont les fonctions ont été rem-
plies. « Les présidents de la cour de cassation et de
» la cour des comptes ; — les procureurs généraux


près ces deux cours après cinq ans de fonctions
» en cette qualité ; — les conseillers de la cour de
» cassation et les conseillers maîtres de la cour des


comptes après cinq ans, les avocats généraux
» près la cour de cassation après dix ans d'exer-
» cice ; — les premiers présidents de cours royales
» après cinq ans de magistrature dans ces cours ;
» — les procureurs généraux près les mêmes


cours après dix ans de fonctions ; — les prési-
» dents des tribunaux de commerce dans les villes


de trente mille âmes et au-dessus après quatre
» nominations à ces fonctions ». — Il faut y ajou-
ter, g 20 : « Les citoyens à qui, par une loi, et à
» raison d'éminents services, aura été nominative-
» ment décernée une récompense nationale ».


La deuxième source de capacité pour la nomina-
tion à la pairie dérive, avons-nous dit, de la nota-
bilité intellectuelle. Elle se trouve au g 19 de Par-


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON.
69


ticle 23: les pairs de France peuvent être choisis
parmi « les membres titulaires des académies de
» l'Institut ». Je dis des académies de l'Institut, le
texte dit : des quatre académies; or, vous savez qu'au-
jourd'hui il y en a cinq : l'Académie française, l'Aca-
démie des sciences, l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, l'Académie des beaux-arts, et enfin
l'Académie des sciences morales et politiques ; je
nomme celle-ci la dernière, parce qu'elle a été insti-
tuée ou rétablie en dernier lieu et. depuis la loi de
1831. Mais il est évident que c'est celle-là surtout
qui peut fournir des hommes ayant la notabilité
intellectuelle pour arriver à la chambre des Pairs.


La troisième source de capacité pour la nomina-
tion à la pairie dérive de la fortune, d'après les g 21
et 22 du même article 23 de la Charte. Les pairs de
France peuvent être choisis d'après le g 21 parmi
• les propriétaires, les chefs de manufacture et de


commerce et de banque ayant trois mille francs
de contributions directes, soit à raison de leurs


» propriétés foncières depuis trois ans, soit à raison
• de leurs patentes depuis cinq ans, lorsqu'ils auront
» été pendant six ans membres du conseil général,
» ou d'une chambre de commerce ». D'après 1e§22,
» !es propriétaires, les manufacturiers, commer-


çants on banquiers , payant trois mille francs
d'impositions, qui auront été nommés députés ou


» juges des tribunaux de commerce, pourront aussi
» être admis à la pairie sans autre condition ». Entre
les deux paragraphes, la différence se réduit à ceci :
comme règle, lorsqu'on réunit les conditions de for-
tune requises, il faut avoir été membre d'un conseil




• t


70 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


général ou d'une chambre de commerce pendant six
ans, il ne suffirait pas de posséder des propriétés
depuis trois ans ou de payer sa patente depuis cinq
ans. Le paragraphe suivant fait une exception ; ces
conditions ne sont pas nécessaires lorsqu'on aura
été nommé député ou juge d'un tribunal de com-
merce.


Voilà les conditions de capacité nécessaires pour
pouvoir être nommé pair de France. Il y a dans ces
articles au fond, surtout dans les deux derniers, et,
disons mieux, dans les trois derniers, il y a toute
l'histoire du pays. Chacun raisonnera à sa guise pour
savoir si les conditions sont trop larges ou trop
étroites ; personne ne niera qu'en fait il n'y ait là
l'histoire du pays, quand on lit en l'an de grâce 1836
que, pour pouvoir être membre de la chambre des
Pairs, il suffira d'être membre d'une académie ou
d'être chef d'une grande maison de commerce et de
payer un impôt à raison de la patente. Certes, si un
ancien pair de France, si Saint- Simon venait à
ressusciter et à voir pareille chose, il en perdrait la
tête.


j'ajoute deux dispositions à celles que je viens de
vous montrer. Toujours dans cet article 23, qui est
terriblement long, il est dit, 23, que « le titulaire
» qui aura sucessivement exercé plusieurs des toue-
» Lions ci-dessus, pourra cumuler ses services dans
» toutes pour compléter le temps exigé clans celle ou
» le service devrait être le plus long D. Ainsi je sup-
pose un homme qui avait été avocat général près la
cour de cassation. En cette qualité, il aurait besoin
de dix ans d'exercice. Eh bien, s'il avait été aupara-


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON.
71


vant maire, préfet, etc., il pourrait cumuler le temps
passé dans ces fonctions avec celui qu'il aurait
passé dans celles d'avocat général pour constituer
ses dix ans.


Telles sont les conditions d'admissibilité à la pairie
décrétées par la loi du 29 décembre 1831. Elles ont
été introduites dans la Charte et forment aujourd'hui
partie intégrante de la Charte constitutionnelle,
mais avec la clause expresse que « ces conditions
d'admisibilité à la pairie pourront être modifiées
par une loi ». C'est le texte même du 'g 26 de la loi
de 4831.


Vous voyez donc qu'au fond la chambre des Pairs
aujourd'hui est aussi une Chambre élective, puis-
qu'on n'y arrive plus par droit de naissance, si ce
n'est les princes du sang (article 26 de la Charte).
C'est là la seule exception à la règle qu'on arrive à
la chambre des Pairs par nomination royale.


Parmi les conditions d'admissibilité, je n'ai l'ait
aucune mention de l'âge, et en effet il est à peu près
inutile d'en parler, car quelles sont les personnes
qui peuvent arriver aujourd'hui à la chambre des
Pairs clans l'âge de la jeunesse ? Il n'y a que les
princes du sang ; quant aux autres, c'est à peu près
impossible, car ce n'est pas à vingt ans, ni à vingt-
cinq qu'on peut avoir été dix ans conseiller d.'État,
préfet, avocat général, etc. Les conditions d'admis-
sibilité impliquent donc d'une manière générale un
âge assez mûr.


Il y a pourtant un article de la Charte, c'est l'ar-
ticle 24, qui dit : « Les pairs ont entrée dans la
» Chambre à vingt-cinq ans, et voix délibérative à




72 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» trente ans seulement ». C'est la reproduction d'un
article de la Charte de 1814, et en 1814 cet article
avait une grande importance, puisque la pairie était
héréditaire et qu'on pouvait être pair de France en
naissant. Aujourd'hui, c'est un article à peu près
sans application . ; il ne concerne que les princes du
sang. Il a été conservé tel quel, d'abord parce qu'il
n'a aucun inconvénient, et ensuite parce qu'il avait
son application lors de la révision de la Charte de
1830. L'hérédité de la pairie n'a été abolie qu'en
décembre 1831. Il pouvait donc y avoir, même après
la révision de la Charte, des pairs arrivés par droit
acquis avant l'abolition de l'hérédité de la pairie ; il
pouvait y avoir, et il y avait en effet, des fils de pairs
qui n'étaient pas encore reçus, mais qui avaient un
droit acquis.


Quoi qu'il en soit, s'il arrivait par extraordinaire
qu'on fût nommé pair avant, vingt-cinq ans, on ne
pourrait avoir entrée à la Chambre qu'à cet âge,
et l'on ne pourrait avoir voix délibérative qu'à
trente ans.


La nomination des pairs de France se fait par or-
donnances royales individuelles (5 26 de l'art. 23).
Ces ordonnances sont, comme toutes les ordon-
nances royales, contre-signées par un ministre, et
elles sont ensuite vérifiées par les chambre des
Pairs. Le règlement intérieur de la chambre des
Pairs porte : Article 74. Lorsqu'un pair a été


nommé, et que l'ordonnance de sa nomination,
accompagnée des titres justificatifs, est parvenue


D au président, celui-ci en informe la Chambre dans
» sa plus prochaine séance ». Voilà une opération


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON. 73


qui a quelque ressemblance avec la vérification des
pouvoirs dans la chambre des Députés. « Article 75.
» Trois pairs désignés par le sort sont chargés de


vérifier l'ordonnance de nomination. — Cette
commission fait son rapport séance tenante. --


» S'il n'y a point de réclamation, le président déclare
» que le nouveau pair sera reçu dans la séance sui-
» vante D .


Qu'est-cc que cette vérification de l'ordonnance
royale? La nomination des pairs appartient à la Cou-
ronne. La loi constitutionnelle a tracé les conditions
d'admissibilité, la Couronne doit se renfermer dans
ces conditions. Le 5 27 de l'article 23 de la Charte
porte en outre que les ordonnances de nomination
» mentionneront les services et indiqueront les titres
» sur lesquels la nomination sera fondée ». La véri-
fication dela chambre des Pairs portera sur l'âge du
pair de France, puisqu'il ne peut voter à la Chambre
que s'il a vingt-cinq ans. On vérifiera si les titres
qu'il produit sont d'accord avec l'ordonnance qui
le nomme.


Qu'arriverait-il si l'ordonnance nommait pair de
France une personne n'ayant pas les conditions d'ad-
missibilité? Il arriverait un des cas où l'assemblée
et le gouvernement ne sont pas d'accord. L'assem-
blée a l'obligation de recevoir le pair de France, si
sa nomination est légale et régulière ; elle n'a pas le
droit d'examiner la nature de ses services, elle n'a
qu'à voir si la nomination est faite conformément
au 5 27 de l'article 23 de la Charte. Dans ce cas, elle
n'arien à dire des mérites intrinsèques de la no-
mination. Dans le cas contraire, elle peut suspendre




74 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


l'admission d'une personne qui se présenterait. ainsi
porteur d'une nomination irrégulière.


La mission du pair de France est de remplir cons-
ciencieusement les doubles fonctions législatives et
judiciaires qui lui sont attribuées. Or, quels sont les
droits particuliers dont le pair de France est investi
en sa qualité de pair de France, dans le but de le
mettre en état de bien remplir les fonctions parti-
culières auxquelles il a été appelé ? Nous avons vu
quels sont les droits et prérogatives particuliers du
député en tant que député. Faisons la même chose
pour le pair de France en tant que pair.


Le député, avons-nous dit, n'a pas de responsa-
bilité légale. La même règle, par les mêmes motifs
de raison et de droit positif, s'applique au pair de
France. Il n'a aucune responsabilité légale pour ses
opinions, pour ses votes. Autrement la chambre
des Pairs ne serait plus une branche indépendante
du pouvoir législatif. Je ne reviens pas sur ce que
j'ai dit à cet égard.


Les députés ont en outre une espèce d'inviolabi-
lité personnelle. Et nous l'avons expliqué également
en expliquant les articles 43 et 44 de la Charte. Il en
est de même des membres de la chambre des Pairs,
et leur inviolabilité est plus étendue. L'article 29, en
effet, porte que: « Aucun pair ne peut être arrêté que
» de l'autorité de la Chambre, et jugé que par elle
» en matière criminelle ». Telle est la disposition
de la loi, et je VOUS ai fait remarquer, au commence-
ment de la dernière séance, qu'au fond le titre de
pair aujourd'hui n'a pas d'autre signification que
celle qu'il peut tirer de cet article, c'est-à-dire de


QUTRE-VINGT-UNIÈME LEÇON. 75


la garantie que la loi accorde aux pairs de France,
et qui consiste à ne pouvoir être jugés que par leurs
collègues.


Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité
de la Chambre, et jugé que par elle en matière cri-
minelle. Cette disposition doit être entendue d'une
manière assez générale, et les précédents sont d'ac-
cord avec cette interprétation. Aucun pair ne peut
être arrêté que de l'autorisation de la Chambre,
pour quelque cause que ce soit, même en matière
civile. Ainsi, la contrainte par corps ne peut être
exercée contre un pair de France, si ce n'est avec
l'autorisation de la Chambre dont il fait partie.
Quant aux deputés, ainsi que nous l'avons vu, il -y a
une disposition expresse pour la session et pour les
six semaines qui la précèdent ou la suivent : il n'y a
pas de limites pour les membres de la chambre des
Pairs, la disposition est générale.


De même, quand on dit que les pairs ne peuvent
être jugés que par la Chambre en matière crimi-
nelle, il faut entendre par là en général tout ce qui
n'est pas matière civile. Ainsi, qu'il s'agisse de faits
criminels proprement dits ou (le faits correctionnels,
peu importe, le pair de France ne peut être traduit
devant aucune justice pénale que celle de la Cham-
bre elle-même. Telle est la garantie, telle est la pré-
rogative attribuée au pair de France par l'article 29
de la Charte.


Ainsi encore, d'après les règles de compétence,
si un pair de France se trouvait, dans une affaire
criminelle, avoir des complices, il les entraînerait
avec lui devant la chambre des Pairs.




"i COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Une troisième prérogative qui, pour le dire en
passant, appartient également aux députés, c'est
que les pairs de France peuvent se dispenser du
service de la garde nationale ; c'est une disposition
de la loi sur la garde nationale.


Quant aux services comme jurés, ils peuvent être
excusés dans certaines circonstances.


Voilà les prérogatives du pair de France. En a-t-il
d'autres? Aurait-il quelques avantages matériels,
pécuniaires, comme pair de France? Non, Messieurs,
et il y a à cet égard une défense expresse dans la
Charte, toujours au même article 23: « A l'avenir,
» aucun traitement, aucune pension, aucune dota-
» tion, ne pourront être attachés à la dignité de
» pair ».


Pour ceux de vous qui sont jeunes, cet article
peut être énigmatique; il demande quelques explica-
tions historiques. A l'avenir, dit cet article. Donc,
pour le passé, il y a eu des dotations, des pensions,
des traitements attachés à la qualité de pair. Ceci
nous ramène au Sénat impérial.


Le Sénat impérial avait été doté et richement doté
par l'Empereur. Non-seulement il y avait ce qu'on
appelait les sénatoreries, ce qui rappelait un peu
les commanderies des anciens ordres de 'chevalerie,
mais il y avait une dotation. Pour abréger, il suffit
de savoir que cette dotation, à la chute de l'Empire,
se trouvait de six millions et quelque chose de reve-
nus, dérivant de sources diverses : prélèvements
sur les forêts, rentes. sur l'État, etc. Cette dotation
était régie par l'administration du Sénat., les reve-
nus étaient versés dans la caisse du Sénat, tout cela


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON. 17


était distinct et séparé du trésor de l'État. Les séna-
teurs ont eu d'abord 25,000, puis 36,000 francs.


Le Sénat impérial, qui n'avait jamais ni dominé,
ni dirigé les événements, et qui était moins maître
des événements d'alors, s'avisa tout à coup de
donner signe de vie lorsque l'heure de sa mort
venait de sonner. Vous savez qu'il imagina, lui
aussi, de faire un projet de constitution. Un des
articles de cette constitution, l'article 6, portait
entre autres dispositions : « La dotation actuelle du


Sénat et des sénatoreries leur appartient. Les
» revenus en sont partagés également entre eux, et


passent à leurs successeurs. Le cas échéant de la
mort d'un sénateur sans postérité masculine




directe, sa portion retourne au Trésor public. Les


sénateurs qui seront nommés à l'avenir ne peu-
» vent avoir part à cette dotation ». la consti-
tution du Sénat n'a jamais été une constitution de la
France ; elle mourut bientôt avec ses auteurs, et l'on
eut la Charte de1814.


Cependant, l'auteur de la Charte de 1814 parais-
sait lié d'une certaine reconnaissance envers le
Sénat impérial, et il rendit, le 4 juin 1814, une
ordonnance ainsi conçue : « Article te . La dotation
» actuelle du Sénat et des sénatoreries est réunie
» au domaine de la couronne... — Art. 2. Les mern-
» ores du Sénat, nés Français, conserveront une
» pension annuelle de 33,000 francs, et leurs veuves
» une pension de 6,000 francs, après toutefois, à
» l'égard des veuves, que nous aurons reconnu que
» cette pension leur est nécessaire pour soutenir
» leur état. Article 4. Au fur et à mesure de la




78 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» mort de chaque membre du Sénat, la portion du
traitement qui lui était assignée sera définitive-


» ment réunie au domaine de la Couronne et confon-
due avec ce domaine ».
Arrivèrent bientôt les désastres de 1815 et les


réactions de cette époque, et alors il y eut encore
des pensions, il y eut des traitements ; mais, en der-
nier résultat, et pour abréger une histoire qui n'est
pas d'une grande utilité aujourd'hui, toute cette
affaire se trouva livrée en quelque sorte à l'arbi-
traire. Il y eut des sénateurs qui eurent des pen-
sions plus ou moins fortes, et des pairs de France
qui n'avaient pas été sénateurs eurent part à ces \
préférences royales. 11 y eut même des procès:
quelques sénateurs prétendirent qu'ils avaient un
droit propre à ces pensions. Mais leurs prétentions
furent repoussées par les tribunaiix. Au fond, les
tribunaux décidèrent que la dotation n'appartenait
nullement aux sénateurs individuellement, mais au
Sénat considéré comme corps constitué, comme
corps politique, comme un des pouvoirs de l'État;
qu'en conséquence, le corps politique ayant cessé
d'exister, la dotation devait revenir à l'Étal, qui
l'avait accordée, et que les sénateurs n'avaient pas
le droit, comme les membres d'une société, de se
partager le fonds social. C'était une dotation qui
avait été accordée au Sénat non en tant que réunion
d'hommes, mais en tant que corps politique, d'après
les idées de ce temps, où l'on croyait qu'il fallait
avoir 30,000 francs de revenu pour faire les affaires
de la France. Les tribunaux ajoutaient que, en con-
séquence de ce principe, il était libre à l'auteur de


QUATRE-VINGT-UNIÈME LEÇON. 79


l'ordonnance de la modifier, de la changer, parce
qu'il avait été libre de l'accorder ou de ne pas l'ac-
corder.


Voilà fort en abrégé l'histoire de ces traitements,
de ces dotations, de ces pensions. Quoique bien
incomplète, elle suffit pour vous faire comprendre le
sens de cet article de la Charte. En 1830, on a voulu
couper court à l'idée de faire de la fonction de pair
de France un titre à des dotations quelconques, et
l'on a dit : « A l'avenir, aucun traitement, aucun pen-
» sien, aucune dotation, ne pourront être attachés à
» la dignité de pair », comme on avait dit ailleurs
que les députés ne recevraient aucun traitement de
l'État.




Obligations des Pairs de France. — La qualité de Pair de France ne
peut se perdre que par la perte de la qualité de Français, par la perte
des droits civils et politiques, ou par la démission.


Constitution des deux Chambres. — Convocation par le Roi. — Les
Chambres ne peuvent être convoquées séparément, sauf le cas où la
Chambre des Pairs doit siéger comme Cour de Justice. — Elles
doivent être convoquées chaque année. La sanction de cette impor-
tante disposition se trouve en France dans le vote annuel de l'impôt et
du contingent de l'armée, comme elle se trouve en Angleterre dans le
vote annuel de l'impôt et du rizittiny-bill.


MESSIEURS,


Nous avons vu quels sont les prérogatives et les
droits particuliers des pairs de France à raison de
la haute magistrature dont ils sont investis. Voyons
maintenant quelles sont les obligations que les mêmes
fonctions leur imposent.


La première est sans cloute de remplir exactement
la mission dont ils sont investis, de se rendre en
conséquence à la convocation des Chambres faite par
la Couronne. Nous avons déjà parlé de cette convoca-
tion en parlant de la chambre des Députés, nous


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
81


avons cité l'article 42 de la Charte constitutionnelle,
ainsi que l'article et le titre 1 er de la loi réglemen-
taire du '12 août 1814. Les députés sont convoqués,
ainsi que nous l'avons dit, par des lettres closes du
roi, adressées à chacun des députés et contre-signées
par le ministre de l'intérieur. Les pairs de France
sont convoqués également par des lettres closes du
roi, visées par le chancelier de France, parce qu'il
y avait alors un chancelier de France, qui était en
même temps garde des sceaux, et ces lettres de con-
vocation sont transmises à chaque pair de France
par le grand référendaire de la Chambre. Il importe
seulement de faire remarquer, dès ce moment, que
les pairs peuvent être convoqués soit pour remplir
les fonctions de Chambre en tant que branche de
pouvoir législatif, soit pour remplir les fonctions
judiciaires, quand la chambre des Pairs siége comme
COUP de justice, ainsi que vous pouvez le voir à l'ar-
ticle 28 de la Charte. Il en résulte, quoique la règle
ne soit écrite nulle part, il en résulte, par la nature
même des choses, que les pairs qui veulent remplir
consciencieusement leurs fonctions ne doivent pas
prendre de congés arbitraires pendant les vacances
de la chambre des Pairs. Les passe-ports des pairs
leur sont djivrés par le grand référendaire.


La deuxième obligation pour les pairs, comme
nous l'avons expliqué pour les députés, c'est la
prestation de serment. La loi du 31 août 1830 ne
concerne pas seulement les foctionnaires publics,
elle concerne également les membres de la chambre
des Députés, elle concerne également les membres
de la chambre des Pairs. Ainsi, à l'article 3, après


1V.


6


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON


SOMMAIRE




82 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


avoir dit : « Nul ne pourra siéger dans l'une ou l'autre
» Chambre s'il ne prête le serment exigé par la pré-
» sente loi », on ajoute : « Tout pair qui n'aura pas
» prêté serment dans le délai d'un mois, sera consi-
» déré comme personnellement déchu du droit de
» siéger dans la chambre des Pairs ».


Cette expression : « Sera considéré comme person-
nellement déchu, etc. », a quelque chose d'énigma-
tique aujourd'hui ; on se demande pourquoi le légis-
lateur n'a pas dit tout simplement : Le pair de France
qui se refuse à la prestation de serment est censé
démissionnaire ou perd sa qualité de pair de France.
Mais c'est que la loi dont je parle est du 31 août 1831
et que la loi qui abolit l'hérédité de la pairie est du
mois de décembre 1831. Lorsque fut rendue la loi
de 1830, on avait bien dit dans l'article 69 de la
Charte que l'article 23 serait revisé dans la session
de 1831, mais on ne pouvait savoir encore quel serait
le résultat de la discussion qui devait s'élever en 1831
et si l'hérédité serait ou non abolie. Si l'hérédité
n'était pas abolie, l'article ne présentait aucune
obscurité, le pair de France qui refusait de prêter
serinent était personnellement déchu sans qu'il fût
porté atteinte au droit de son héritier. D'ailleurs,
môme lorsque l'hérédité de la pairie fut abolie, ainsi
que je vous l'ai fait remarquer dans la dernière
séance, il y avait encore quelques pairs qui arri-
vaient à la Chambre par le droit héréditaire; il pouvait
se faire qu'un pair de France, ayant refusé de prêter
serment, mourût avant la loi qui devait statuer sur
l'hérédité, et d'après la loi de 1830, le refus du père
ne préjudiciait pas au droit du fils. Les termes de la


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
83


loi s'expliquent donc par ce fait qu'elle a été rendue
lorsque la question de l'hérédité de la pairie était
encore pendante.


Enfin, une dernière obligation particulière du
pair de France, en tant que pair de France,
c'est celle de se conformer au règlement de la
Chambre.


Il me reste maintenant à dire quelques mots sur
les circonstances en vertu desquelles on peut perdre
la qualité de pair de France.


La pairie est inamovible, elle a cela de commun
avec les fonctions de l'ordre judiciaire, elle est
conférée à vie. Cependant il est évident qu'on n'est
pas pair de France si l'on n'a pas les qualités substan-
tielles que cette magistrature politique exige. Si
l'on perd la qualité de Français, on cesse d'être pair
de France ; un étranger ne peut être pair de France,
puisque même un étranger naturalisé ne peut l'être
s'il n'a pas des lettres de grande naturalisation.


Ce que je dis de la perte de la qualité de Français
doit nécessairement s'appliquer à un fait quelconque,
par lequel uni pair de France serait privé de la jouis-
sance des droits civils et politiques. Il est évident
qu'il ne pourrait plus remplir aucune fonction
publique, à plus forte raison ne pourrait-il plus
remplir une fonction politique.


Mais, ces deux cas exceptés, perte de la qualité de
Français et perte des droits civils et politiques, il
n'y a guère d'autres cas dans lesquels on puisse
perdre la qualité de pair. Nous avons vu, parmi les
conditions d'admissibilité, la fortune, la qualité de
membre de certaines corporations scientifiques ou




84 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


littéraires. Eh bien, supposez qu'un homme, après
avoir été nommé pair de France, vienne à perdre
cette fortune qui a été une des conditions de son
admissibilité; supposez que, par une circonstance
qu'on ne peut guère prévoir, il perde sa qualité
de membre de l'Institut: eh bien, il ne cessera pas
d'être pair de France, pas plus qu'un député, une
fois admis dans la Chambre, ne perdra la qualité de
député s'il cesse de payer le cens.


Peut-on cesser d'être pair de France par démis-
sion ? C'est là une question importante clans la cham-
bre des Députés, parce que la chambre des Députés
doit être composée d'un certain nombre de personnes
et que, quand il vient à en manquer une, le collége
électoral qui l'avait nommée a le droit de la rem-
placer. Dans la chambre des Pairs, la question a
moins d'importance. Comme le nombre des pairs est
illimité, le roi peut nommer dix pairs sans qu'un
seul meure ou se retire. La question de la démission
à la chambre des Pairs n'a, au fond, aucune impor-
tance pratique; celui qui refuse de prêter serment
après avoir été nommé pair de France, donne par là
implicitement sa démission, si l'on peut appeler
démission le refus de remplir des fonctions avant
d'avoir commencé à les remplir; celui qui refuse le
serment s'abstient plutôt qu'il ne donne sa démis-
sion. Quoi qu'il en soit de la question de mots, peu
importe, il est clair que le refus de serment est une
espèce de démission, et quelque opinion qu'on
veuille avoir sur la démission explicite, il est certain
qu'un pair de France qui ne veut pas remplir ses
fonctions ne peut pas y être forcé.


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
85


Enfin, il est certain que les autres moyens par
lesquels on perd la qualité de député, ne sont pas
applicables au pair de France.


Voilà ce que nous avions à dire sur les éléments
dont se composent les deux assemblées délibérantes
qui partagent avec la Couronne le pouvoir législatif
dans le système français. Voilà les éléments dont se
compose la chambre des Députés, voilà les éléments
dont se compose la chambre des Pairs. Mais jusqu'ici
nous avons considéré ces éléments, si je puis parler
ainsi, dans leur individualité. Nous avons cherché à
connaître comment un citoyen français peut être
élevé à la dignité de pair de France ou appelé par la
confiance de ses concitoyens à la chambre des Députés
et quels sont les devoirs et obligations particulières
que ces fonctions imposent à ceux qui en sont inves-
tis. Mais nous n'avons pas encore une chambre des
Députés et une chambre des Pairs, puisque, ainsi
que nous l'avons dit à l'occasion d'une question
constitutionnelle assez curieuse, un corps n'existe
pas encore tant qu'il n'est pas constitué. Quelle est
donc l'organisation de ces deux branches du pou-
voir législatif, la chambre des Pairs et la chambre
des Députés ?


C'est avant tout la convocation qui donne nais-
sance à la constitution des Chambres, et en parti-
culier à la constitution de la chambre des Députés.
La convocation, nous l'avons déjà dit, c'est l'action
de la puissance royale par laquelle les deux Cham-
bres sont appelées à se réunir, à se constituer, à
concourir à l'exercice de la puissance législative.
L'article 42 de la Charte dit : « Le roi convoque




86 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» chaque année les deux Chambres ». La convoca-
tion des Chambres est donc un droit de la Couronne
comme leur prorogation, comme la dissolution de
la chambre des Députés.


Mais ce droit de convocation, ce droit de la puis-
sance royale, est-il sans limites, sans règles, sans
conditions ? Non, Messieurs ; la Couronne à seule le
droit de convoquer les Chambres, mais première-
ment la Couronne ne peut pas convoquer une
Chambre sans l'autre. Ainsi, l'article 21 de la Charte
nous dit : « Elle (la chambre des Pairs) est couve-
» quée par le roi en même temps que la chambre
» des Députés. La session de l'une commence et fi-
» nit en même temps que celle de l'autre ». Ainsi,
toute tentative d'une branche de la puissance légis-
lative de fonctionner sans l'autre est prévue et dé-
fendue par la Charte. Ni la chambre des Pairs, ni la
chambre des Deputés ne peut siéger seule; tout
acte de puissance législative qui émanerait de l'une
ou de l'autre, quand môme il aurait la sanction
royale, ne serait pas une loi. Mais il y a plus ; le légis-
lateur n'a pas môme voulu que les cieux Chambres
siégeassent successivement, qu'on pût porter un
projet de loi devant la chambre des Pairs, la
chambre des Députés n'étant pas assemblée, et puis
clore la session de la chambre des Pairs et con-
voquer la chambre des Députés, pour n'avoir
qu'une chambre délibérante à la fois. Le légis-
lateur ne l'a pas voulu ; il a voulu que le gouver-
nement eût à traiter à la fois avec l'une et avec
l'autre. L'article 42 parle de la convocation et de la
prorogation comme de choses s'appliquant en même


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON.


temps à l'une et à l'autre Chambre. Voci maintenant
l'article 22 : « Toute assemblée de la chambre des
» Pairs qui serait tenue hors du temps de la ses-
» sion de la chambre des Députés, est illicite etnulle
» de plein droit »*. Il n'y a qu'une exception: c'est le
cas où la chambre des Pairs siége comme cour de
justice et uniquement pour remplir des fonctions ju-
diciaires. Mais, hors ce cas, il lui est défendu de sié-
ger sans la chambre des Députés, et les actes qu'elle
ferait alors seraient nuls de plein droit.


Pourquoi cette défense est-elle énoncée sous le
chef de la chambre des Pairs plutôt que sous celui
de la chambre des Députés? Par une raison toute
simple, c'est que la chambre des Députés, une fois
dissoute, n'existe plus. Une fois que l'ordonnance de
dissolution a paru, il n'y a plus ni président, ni se-
crétaires, ni députés. Mais la chambre des Pairs
n'est pas dans le même cas ; il y a toujours des pairs
de France, ils sont les mêmes, ils sont inamovibles,
ils ont leur président, leur grand référendaire ; c'est
un corps qui n'est pas réuni, mais qui peut l'être
d'un moment à l'autre, tandis que la chambre des
Députés peut s'ajourner, peut être prorogée et dis-
soute. Quand elle ne faitque s'ajourner, c'est comme
si la Chambre existait toujours. C'est une chose qu'il
ne faut pas perdre de vue. Quand il n'y a qu'ajour-
nement, la session dure toujours ; quand il y a pro-
rogation, il y a la Chambre qui termine une session
et commence une autre session quand elle revient.
Voilà pourquoi la défense dont je parle a été mise
sous le chef de la chambre des Pairs plutôt que
sous celui de la chambre des Députés.




88 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Ainsi donc une première limite posée par la Cons-
titution au droit qu'a la Couronne de convoquer les
Chambres, c'est qu'elle ne peut pas les convoquer
séparément.


Une deuxième lim ite plus importante encore, c'est
que la convocation des Chambres doit être annuelle.
La Couronne peut convoquer les Chambres, une,
deux, trois ou quatre fois dans un an ; elle ne peut
pas laisser passer l'année sans les convoquer. C'est
le texte précis de la Charte : « Le roi convoque cha-
que année les deux Chambres », dit l'article 42.
Ainsi ce qui est arrivé souvent en Angleterre, où les
rois sont restés quelquefois plusieurs années sans
convoquer les Chambres, ne peut se retrouver chez
nous. Mais quelle est la sanction de cette disposi-
tion de l'article 42? Si une sanction était nécessaire,
si cc n'était pas là une de ces dispositions pour les-
quelles l'opinion publique a le plus de force, vous
trouveriez la sanction dans la Charte elle-même. Voici,
en effet, cc que dit l'article 41 : « L'impôt foncier
» n'est consenti que pour un an ; les impositions in-
» directes peuvent l'être pour plusieurs années ».
Les impôts sont décrétés annuellement. Qu'arrive-
rait-il donc si les Chambres n'étaient pas convo-
quées? C'est que, à l'expiration du temps pour lequel
les impôts auraient été décrétés, on ne pourrait plus
percevoir l'impôt ; les contribuables pourraient re-
fuser de les payer, et les tribunaux ne pourraient
pas les y forcer. Voilà la sanction, et une sanction
des plus efficaces du système représentatif, le vote
annuel de l'impôt, et, en l'absence de ce vote annuel,
illégalité de tout impôt, culpabilité de tout juge, de


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 89


tout fonctionnaire public qui se prêterait aux mesures.
prises pour faire payer des contributions qui ne se-
raient pas légalement imposées. Vous voyez donc
quel concours de volontés préventives il faudrait
pour qu'un pareil système pût exister môme momen-
tanément. Il faudrait des citoyens au milieu desquels
il ne se trouverait pas un seul liampden, un seul
homme qui osât refuser l'impôt; il faudrait des fonc-
tionnaires qui osassent se prêter à cette exaction,
des tribunaux qui osassent prononcer de pareils
jugements, et une force publique qui osât les faire
exécuter.


L'article 69 de la Charte disait : « Il sera pourvu
» successivement par des lois séparées, et dans le
» plus court délai possible, aux objets qui suivent..:
» 4° le vote annuel du contingent de l'armée ».
Impôt d'hommes comme d'écus, vote annuel. Or, ce
voeu de la Charte de 1830 a été réalisé par la loi du
11 octobre 1830. Cette loi a établi que le contingent
annuel de l'armée serait voté chaque année par la
Chambre; il ne pourrait pas être voté pour deux ans.
Qu'arriverait-il donc si, une année, les Chambres
n'étaient pas réunies? Il n'y aurait pas d'impôt qu'on
pût légalement percevoir, et l'on ne pourrait pas
légalement appeler un seul homme sous les armes.
Les soldats dont le temps de service serait achevé
auraient droit à leur congé, et pas un seul conscrit ne
pourrait être forcé de se rendre sous les drapeaux.
Il faudrait, pour avoir de l'argent et des hommes,
commettre une double illégalité.


L'Angleterre nous avait précédés dans ces faits et
dans ces institutions dont la France a été longtemps




00 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


privée, et elle y a trouvé les moyens de résister aux
entreprises du despotisme. Plus d'une fois, les rois
d'Angleterre avaient essayé de gouverner de longues
années sans convoquer le Parlement ; lorsque le
Parlement se montrait difficile pour voter les sub-
sides, lorsqu'il y avait quelque brouillerie entre les
rois et le Parlement, les rois essayaient de gouverner
sans le Parlement.. Ils le pouvaient jusqu'à un cer-
tain point, tantôt parce que les perceptions en argent
que faisait la Couronne ne lui étaient pas allouées par
le Parlement, de sorte qu'il y avait un certain revenu
qui était indépendant des subsides du Parlement..
Vous savez de quels moyens odieux s'étaient servis
les rois d'Angleterre pour se passer des subsides de
la nation, et comment ils n'avaient pas rougi de se
mettre à la solde de l'étranger. Quelquefois aussi ils
avaient essayé, par des interprétations abusives de
la puissance royale, de lever des impôts sans le con-
cours du Parlement.


Aussi, lorsqu'enfin éclata la grande Révolution
de 161.0, il y eut une réaction même sous ce point
de vue, une réaction telle qu'on adopta des moyens
violents pour obliger le roi à convoquer le Parle-
ment. Ensuite les choses rentrèrent dans une voie
régulière, et en dernier résultat, après la révolu-
tion de 1688, l'Angleterre a garanti la convocation
annuelle de son Parlement par deux moyens tout
à fait analogues à ceux qui sont en vigueur chez
nous. Le premier, c'est le vote annuel de l'impôt.
Toutes ces perceptions indirectes abusives de la
Couronne ont été supprimées ; la Couronne vit des
allowauces que lui vote le Parlement, et comme Cou-


QUkTIIE -YINGT-DEU XIÈME LEÇON. 91


ronge, c'est-à-dire pour sa liste civile, et comme
gouvernement.


L'autre garantie est cc que les Anglais appellent
le mutiny bill, le bill sur la révolte, sur l'insubordina-
tion des troupes. L'armée anglaise vit, comme toutes
les armées du monde, sous une loi exceptionnelle,
sous une justice particulière. Les délits militaires
sont du ressort des cours militaires, et pendant
longtemps la législation des cours militaires a été
abandonnée com piétement au pouvoir arbitraire du
gouvernement. Mais par ce qu'on appelle le mutiny
bill, il est statué que ce bill, qui autorise la justice
des cours militaires, qui légitime leur procédure,
donne le droit deer les déserteurs sous lesramener
drapeaux, ainsi que de punir tous les actes d'insu-
bordination dans l'armée, n'est qu'un bill annuel, et
qu'au bout de l'année, si le bill n'est pas renouvelé,
toute cette juridiction militaire disparaît. Ainsi, le
jour où le mutiny bill ne serait pas renouvelé, toutes
les troupes pourraient déserter ; il n'y aurait pas un
seul tribunal militaire qui pût siéger sans crime, et
les juges militaires qui condamneraient à mort un
soldat pour délit militaire seraient jugés par les
autres cours comme assassins.


Il est arrivé, il y a peu de mois, que le ministère
anglais avait oublié le jour où le mutiny bill expirait ;
il s'est trouvé obligé d'avoir son bill en quarante-
huit heures. Si l'oubli avait duré quelques jours de
plus, il y aurait eu quelque temps pendant lequel
l'armée anglaise n'aurait été retenue sous les dra-


qu'il est nécessaire que le Parlement voyez donc
peaux que par sa bonne volonté. «Vous


anglais soit




1
92 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


convoqué tous les ans. Autrement, on risquerait de
n'avoir ni argent ni armée.


Nous n'avons pas le mutiny bill, niais nous avons
quelque chose qui en tient lieu dans le vote annuel
du contingent. Si ce vote n'avait pas lieu,, nous au-
rions bien encore une armée pour le moment, mais il
n'y arriverait plus de conscrits, tandis que les soldats
ayant achevé leur temps pourraient s'en aller. Le
moyen anglais est plus fort que le nôtre, niais le
nôtre est suffisant.


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Constitution de la chambre des Pairs. — Président nommé par le Roi.
— Modes divers suivis pour la nomination des commissions chargées
de l'examen des propositions et projets de loi; cette nomination est, à
la chambre (les Pairs, donnée facultativement au Président. — Police
de l'Assemblée. Attributions du Président lorsque la Chambre est
formée eu Cour de justice. — Le Président est officier de l'itat
civil pour les princes et princesses de la famille royale. — Grand
référendaire. — Division de la Chambre en bureaux. — Publicité
des séances.


Constitution de la chambre des Députés. — Bureaux provisoires ;
doyen d'âge. — Président nommé par la Chambre. — Divisions eu
bureaux; ce sont les bureaux qui nomment les commissions. —
Questeurs.


MESSIEURS,


Les formes de la convocation des deux Chambres
ont été déjà indiquées. Le roi convoque les Cham-
bres par une ordonnance qui fixe le jour *de l'ou-
verture de la session, et alors les pairs reçoivent
des lettres closes ainsi que les députés. Il y ace qu'on
appelle la séance royale, dont les formes vous sont
sans doute connues, et que vous trouverez détaillées
dans les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 du titre "I" de la
loi réglementaire du 13 août •814.


Quand l'ouverture a été faite, le garde des sceaux




94 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


annonce que la session est ouverte. La session est
ouverte, niais les Chambres, et en particulier celle
des Députés, ne sont pas encore constituées.
Voyons donc comment les Chambres se constituent,
s'organisent pour pouvoir ensuite vaquer à leurs
fonctions, entreprendre les travaux qui leur sont
confiés.


L'organisation de la chambre des Pairs suppose
une présidence. Il y a un président, des vice-prési-
dents, un graud référendaire. Le président de la
chambre des Pairs est nommé par le


« La
chambre des Pairs, dit l'article 25 de la Charte,
est présidée par le chancelier de France et, en
son absence, par un pair nommé par le roi ».


Sous la Restauration, il y avait un chancelier de
France; aujourd'hui il y a seulement un président de
la chambre des Pairs. Il y a, en deuxième lieu, des
vice-présidents, en troisième lieu, un grand référen-
daire, dignité créée par l'ordonnance du 4 juin 1814,
par la même ordonnance qui a affecté le palais du
Luxembourg et ses dépendances à la chambre des
Pairs.


Enfin, il y a quatre secrétaires. Au moment où la
Chambre commence la session, les quatre pairs les
plus jeunes remplissent provisoirement les fonctions
de secrétaires. Le bureau provisoire se compose du
président, qui n'est pas provisoire, et des quatre
pairs les plus jeunes présents à la séance. Ils for-
ment le bureau provisoire. Ensuite on procède à la
formation du bureau définitif, c'est-à-dire à la nomi-
nation des quatre membres qui doivent remplir
pendant la session les fonctions de secrétaires.


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON. 95


Quelles sont les fonctions, les attributions du pré-
sident de la chambre des Pairs? Elles sont nombreu-
ses. Premièrement : « Le président maintient l'ordre
» dans la Chambre et fait observer le règlement ; il
» accorde la parole, pose les questions, proclame le
» résultat des votes, prononce les décisions de la
D Chambre et porte la parole en son nom Ce sont
là les fonctions que lui attribue l'article 1 er du règle-
ment de la chambre des Pairs.


Secondement, et en cela il se distingue du prési-
dent de la chambre des Députés, il a une autre attri-
bution très-importante, et qui offre chez nous une
double solution à une des plus belles questions du
mécanisme des assemblées délibérantes, je veux.
parler de la nomination des commissions.


C'est une chose d'une haute importance que la
nomination des commissions auxquelles une assem-
blée délibérante renvoie l'examen des questions et
des projets qui lui sont présentés. L'influence que
ce premier travail exerce sur la délibération est
très-grandè. C'est une question qui a vivement
occupé les publicistes voués à l'étude pratique du
système représentatif que de savoir quel est le
meilleur moyen d'arriver à un bon choix. de commis-
saires. Les uns ont pensé que les nominations
devaient être faites par la Chambre elle-même, à la
majorité ; les autres ont répondu qu'il y avait là une
perte de temps très-grande, et ce mode de nomina-
tion des commissions leur a paru présenter un autre
grand inconvénient, c'est qu'il n'y aurait jamais dans
les commissions aucun membre de la minorité.


Je m'arrête un moment sur cette question, parce




9G


COUDS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


que je la crois assez importante. Le système de la
chambre des Députés est un système mixte. C'est
bien la Chambre qui nomme les commissaires dans
un certain sens conforme à la majorité, mais elle les
nomme dans les bureaux. La Chambre est partagée
en bureaux tirés au sort. Sans doute, il peut arriver
que le sort distribue les éléments dans le même
ordre qu'ils doivent avoir naturellement, mais cela
n'arrive qu'avec le temps. C'est là ce qui perd ordi-
nairement les joueurs qui se fondent sur cette espèce
d'équité du sort. Il est bien vrai que celui qui joue-
rait en doublant toujours son enjeu finirait par
gagner. ; mais une nuit ou un jour peuvent ne pas
suffire, parce que les chances de probabilité ne se
balancent qu'à la longue. Il y a donc du hasard dans
cette opération isolée qui fait qu'on tire les mem-
bres des bureaux au sort. Si les membres de la mi-
norité se trouvent ensemble dans quelques bureaux,
la minorité aura des commissaires dans les com-
missions ; mais s'ils sont distribués comme la Cham-
bre elle-même, on tombe dans l'inconvénient que je
viens de signaler.


Tirer les commissaires au sort ne serait pas chose
sérieuse.


Il y avait un dernier mode, et c'est celui que la
chambre des Pairs a adopté. « Si la Chambre décide
• que la proposition ou résolution sera renvoyée à
• une commission, le président la consulte pour


savoir si elle entend la nommer elle-même ou en


confier le choix au président. — Dans le dernier


cas, le président désigne et proclame, séance
touante, les membres de la commission. — Dans


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON.
97


premier,le la Chambre fixe le jour où il sera pro-»
» cédé, dans les bureaux, à leur nomination ». (Ar-
ticle 16 du règlement.) C'est le mode anglais et aussi
le mode suisse. On a laissé, non obligatoirement
mais facultativement, la nomination des commis-
saires au président de l'Assemblée. Avec cette
réserve, que la nomination ne lui est .donnée que
facultativement, on n'a guère à redouter que le pré-
sident fasse ses choix avec partialité, parce qu'il
pourrait craindre de voir la Chambre lui refuser
pour l'avenir l'exercice de cette faculté.


On peut ajouter qu'il n'y a d'efficace que la res-
ponsabilité individuelle. Quand la Chambre tout
entière a nommé, il n'y a de reproche à faire à per-
somme. Il arrive ce que j'ai vu dans un procès jugé, à
mon sens, d'une manière tout à fait inique. Je m'a-
dressai à tous les juges individuellement, et je n'en
trouvai pas un seul qui reconnût avoir fait partie de
la majorité. ll n'y a donc pas de responsabilité lors-.
qu'elle n'est pas individuelle. Mais quand la nomina-
tion des commissaires est confiée au président, la
responsabilité est très-grande. Eu Angleterre, on
s'est toujours bien trouvé de ce mode de procéder;
c'est une chose qui n'excite là à aucune espèce d'ob-
servation. On met ordinairement dans la commission
les membres qui ont le mieux parlé pour ou contre
la mesure, et il y a des membres de toutes les opi-
nions. Dans l'Assemblée dont j'ai fait partie, la même
méthode a été employée avec succès.


Vous voyez donc les systèmes divers en vigueur.
Nomination directe par la Chambre à la majorité
absolue ou relative, — nomination avec mélange du


1V. 7




1


98 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


sort, — enfin nomination confiée au président non
d'une manière absolue, mais facultativement; c'est-
à-dire que, chaque fois qu'une commission est à
nommer, le président pose cette question : « La
Chambre veut-elle procéder elle-même à la nomi-
nation de la commission? » Et sur la réponse néga-
tive il reprend : « Dans ce cas, je désignerai Mes-
sieurs tels et tels ».


Il y a donc, en France, une sorte d'éclectisme
pour la nomination des commissions. En fait, la
chambre des Pairs n'a trouvé jusqu'ici aucun in-
convénient dans le nouveau mode de procéder
qu'elle a adopté. La chambre des Députés , au
contraire, paraît éminemment d'avis que la mé-
thode qu'elle emploie est celle qui lui convient le
mieux. Les deux propositions peuvent être égale-
ment vraies.


La troisième attribution du président de la cham-
bre des Pairs, c'est d'entretenir les communications
que la Chambre peut et doit avoir avec le roi et avec
la chambre des Députés. La loi réglementaire du
13 août 1844 dit au titre V, article 1' : « Le roi com-
» munique avec la chambre des Pairs, et cette
» Chambre communique avec le roi par le chance-
» lier, et en son absence par le vice-président.


Article 3. Les Chambres communiquent entre elles
» par l'intermédiaire de leurs présidents, dont les


lettres sont portées par les messagers d'État, pré-
» cédés par deux. huissiers ».


Une quatrième fonction est la présidence de tou-
tes les députations de la Chambre, grandes et petites
(articles 2 et 3 du titre VI de la même loi). C'est le


«ÂTRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON.
99


président qui porte la parole et s'exprime au nom de
l'Assemblée.


Il signe la minute de toutes les propositions de
loi adoptées ; cette minute est déposée aux archives,
et c'est à son texte qu'il faudrait recourir s'il s'éle-
vait une contestation sur l'authenticité d'un texte de
loi. Il n'y a pas longtemps qu'une erreur s'étant glis-
sée dans la copie d'une loi,. il fallut recourir à la
Chambre pour en obtenir la rectification d'après la
minute authentique.


C'est au président enfin qu'appartient la police de
l'Assemblée. Cette fonction délicate lui est confiée
par ies articles 21, 22, 23 et 24 du règlement. « Un
» pair ne peut prendre la parole sans qu'elle lui
» ait été accordée par le président ». (Article 21.)
« Le président interrompt l'opinant qui enfreint
» quelque disposition du règlement, qui s'écarte de
» la question, ou qui blesse les convenances ».
(Article 22.) « Le président rappelle seul à l'ordre


l'opinant qui s'en écarte.:.. » (Article 23.) Si un
membre de la Chambre trouble l'ordre, il y est rap-
pelé nominativement par le président ». (Art 24.)
Voilà le résumé des fonctions du président, en


tant que président d'une Assemblée législative. Mais
lorsque la chambre des Pairs exerce des fonctions
judiciaires, il se trouve, en quelque sorte, trans-
formé en magistrat judiciaire, en président de cour.
Ainsi, c'est lui qui dirige l'instruction, s'il n'aime
mieux en commettre le soin à un autre membre de la
Chambre. Il préside la Cour et dirige les débats ; il
est investi de tous les pouvoirs donnés aux prési-
dents de cours d'assises.




100 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Le président de la chambre des Pairs a une der-
nière attribution qui n'est pas une émanation néces-
saire du rôle législatif, ni du rôle judiciaire de la
Chambre, mais qui provient des anciennes fonctions
de chancelier, c'est qu'il est officier de l'état civil
pour les princes et princesses de la famille royale.
Ces fonctions attribuées par l'ordonnance royale du
23 mars 1815 au chancelier, qui présidait la cham-
bre des Pairs, sont restées au président de la cham-
bre des Pairs, lorsqu'il a cessé d'être chancelier.


L'autre grand fonctionnaire de la chambre des
Pairs est le grand référendaire, dont les fonctions
sont déterminées par l'ordonnance du -4 juin 1814
et par les articles 76, 78, 80, 81, 82 et 87 du règle-
ment intérieur de la Chambre. Il a la garde du
palais, celle des archives, le service des messagers
d'État et des huissiers ; il transmet les lettres de
convocation, appose le sceau de la Chambre sur les
actes émanés d'elle, fait partie de toutes les députa-
tions, introduit les pairs nouvellement nommés,
délivre les passe-ports et les certificats de vie aux
membres de la Chambre, etc....


Enfin viennent les quatre secrétaires, qui, avec le
président, forment le bureau chargé de constater le
résultat des épreuves. « Les secrétaires sont spécia-
» lement chargés de surveiller la rédaction du pro-
» cès-verbal. — Ils observent et constatent dans
• les délibérations les résultats des votes. — Ils
» tiennent note des suffrages dans le dépouillement


des scrutins de nomination. — Ils font lecture
» des projets de loi et autres pièces qui doivent être


lus à la Chambre ». (Art. 6.)


QUATRE-VINGT-Tnisibln LEÇON.
101


Voilà donc l'Assemblée organisée ; une fois la ses-
sion ouverte et les secrétaires nommés, on dit que
la Chambre est constituée, et les travaux législatifs
peuvent commencer. Mais il ne faut pas croire que,
chez nous, les Assemblées délibérantes travaillent
toujours en corps. Pour préparer le travail, on est
dans l'usage de diviser l'assemblée en un certain
nombre de bureaux, et si nous consultions l'histoire,
il nous serait peut-être possible d'y trouver la
source traditionnelle de ce mode de division.


La chambre des Pairs se divise par la voie du sort
en sept bureaux, chacun composé autant que pos-
sible d'un môme nombre de pairs (Article 59). Aus-
sitôt après sa formation, chaque bureau choisit,
parmi ses membres, un président, un vice-prési-
dent, un secrétaire et un vice-secrétaire (Article 60).
C'est une organisation semblable à celle de la Cham-
bre elle-même, c'est une Chambre au petit pied.


Cette division de la Chambre en bureaux est indis-
pensable. Ainsi, le gouvernement présente un projet
de loi. Avant de former la commission qui en prépa-
rera la délibération, il faut que ce projet de loi soit
examiné d'une manière sommaire, sans doute, mais
qui permette de s'en faire une idée plus nette que
celle qu'on reçoit d'une simple lecture, et alors on
peut procéder avec plus de maturité au choix des
commissaires. Dans d'autres assemblées on procède
d'une manière différente. Il y a réunion de la Cham-
bre, et là s'établit une discussion générale sur la
valeur du projet de loi, ce qu'on appelle en Angle-
terre tour (le préconsultation. Chacun dit son opinion,
s'il en a une à exprimer, et cette première discus-




102 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


sion décide du choix des membres de la commission,
en indiquant ceux qui paraissent le plus éclairés sur
la matière ; c'est le président qui fait la désignation,
mais il la fait alors en connaissance de cause. Chez
nous cette discussion préalable n'a pas lieu en pleine
assemblée, elle a lieu, ou plutôt elle est censée avoir
lieu dans les bureaux. Elle est indispensable si ce
sont les bureaux qui nomment les commissions ; on
peut la considérer comme moins nécessaire si la
nomination est remise au président, qui ne peut
évidemment assister à toutes les délibérations des
bureaux.


Malgré la différence dans le mode de nomination
des commissions, la chambre des Pairs est divisée
en bureaux comme la chambre des Députés. Cela
vient de ce que, dans l'origine, les deux Assemblées
s'étaient organisées sur le même patron. Plus tard,
la chambre des Pairs a modifié son règlement, et
toutes les dispositions ne se sont plus trouvées en
complète harmonie. II semble que, l'Assemblée lais-
sant à son président le choix des membres des com-
missions, l'examen préalable des projets de loi
devrait être fait en pleine assemblée et non dans les
bureaux. ll ne faut pas perdre de vue, toutefois, que
la nomination des commissions par le président n'est;
que facultative, et que la Chambre peut décider
qu'elle aura lieu dans les bureaux. Cela peut expli-
quer le maintien de l'ancienne organisation.


« Dès que la Chambre est constituée, le bureau se
» rend auprès du roi pour l'en informer. — La
» Chambre fait également connaître par un message
» à la chambre des Députés qu'elle est constituée ».


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON.
103


(Article 4). C'est dire que la. Chambre est prête à
commencer ses travaux législatifs.


Une dernière remarque importante, c'est que,
d'après l'article 27 de la Charte, les séances de la
chambre des Pairs sont publiques comme celles de
la chambre des Députés.


La Charte de 1814 disait dans son article 32 :
« Toutes les délibérations de la chambre des Pairs
» sont secrètes », tandis qu'elle disait dans son
article 44 : « Les séances de la chambre (des Dépu-
» tés) sont publiques ». Il y avait là une singulière
anomalie, et il est difficile d'en trouver un motif
rationnel. Refuser la publicité à tout le monde, c'est
un mauvais système; mais c'est un système qui a pu
être bien ou mal défendu, tandis qu'il est. difficile
d'expliquer et même de comprendre pourquoi, en ac-
cordant la publicité aux tribunaux et à la chambre
des Députés, on la refusait à la chambre des Pairs.
Voulait-on ainsi protéger la Chambre ? C'était un sin-
gulier mode de protection que de lui ôter un de ses
plus puissants moyens d'influence. Voulait-on l'affai-
blir`? C'était une grande maladresse. La pairie n'était
plus cette aristocratie féodale contre laquelle la Cou-
ronne avait autrefois soutenu des luttes séculaires.
Redouter son influence, c'est commettre une sorte
d'anachronisme. La publicité, puissante garantie de
lumières, est en même temps une puissante garantie
pour l' assemblée. Là où les assemblées délibérantes se
sont peu à peu développées, elles l'ont fait en deve-
nant publiques, contrairement à la règle primitive-
ment établie, comme on l'a vu en Angleterre, où la
publicité s'est établie malgré les lois qui la défen-




104 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


(laient. C'est une preuve du progrès de la liberté
dans un pays que cette admission de la publicité
dans les délibérations sur les affaires de l'État.


L'organisation de la chambre des Députés est ana-
logue, quoiqu'il y ait des différences notables. Ainsi,
nous trouvons à la chambre des Députés quatre
vice-présidents, quatre secrétaires et deux ques-
teurs au lieu d'un grand référendaire.


Le président est nommé par la Chambre, c'est
encore là Une des améliorations de la. Charte de 1830.
D'après la Charte de 1814, le président était nommé
par le roi sur une liste de cinq membres présentée
par la Chambre. Il est élu à l'ouverture de chaque
session et non pour la durée de la législature. Il reste
bien président quand il n'y a qu'ajournement; mais
s'il y a prorogation, il y a commencement d'une
session nouvelle et élection nouvelle de président.


Les quatre vice-présidents, les quatre secrétaires
et les deux questeurs sont nommés par la Chambre,
les questeurs sont nommés pour toute la légis-
lature.


Mais ici, comme dans les colléges électoraux, il
faut d'abord une organisation provisoire pour arri-
ver à l'élection du président, des vice-présidents et
des secrétaires. C'est à quoi pourvoient les deux
premiers articles du règlement de la Chambre.
« Article l er: A l'ouverture de la session, le doyen


d'âge occupe le fauteuil. — Article 2. Les quatre
plus jeunes députés font les fonctions de secré-
taires ».
Ce bureau provisoire n'est


• pas chose de pure
forme, car c'est sous lui qu'à lieu la vérification des


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON. 105


pouvoirs, opération très-importante et qui peut don-
ner lieu à des débats très-animés. Il est clair qu'on
ne pouvait nommer le président avant la vérification
des pouvoirs. D'abord son élection comme député
peut être annulée; ensuite, s'il n'était nommé prési-
dent qu'à deux ou trois voix de majorité el, que la
vérification des pouvoirs fit annuler quelques élec-
tions, il n'aurait plus eu la majorité. Il était donc
rationnel de ne nommer le bureau qu'après la vérifi-
cation des pouvoirs.


On a donc un bureau provisoire et, pour le for-
mer, on a recours à l'âge ; c'est un moyen sage et
d'une exécution facile. Cependant, à cet égard, des
difficultés peuvent s'élever, et il y en a une qui s'est
élevée en 1834. Les députés ont une réunion prépa-
ratoire la veille de l'ouverture de la session; mais la
session ne s'ouvre que le jour de la séance royale, et
la Chambre ne commence ses opérations que le len-
demain. Or, le député le plus âgé était venu à la
réunion préparatoire et présidée ; mais il ne
vint pas à la séance royale, et il fut remplacé par le
député le plus âgé après lui. Il se présenta le lende-
main, et de là deux questions : La présidence appar-
tient-elle au doyen d'âge d'une manière absolue, ou
celui qui a commencé à remplir les fonctions de pré-
sident doit-il les continuer? Et alors la deuxième
question: Quand ces fonctions commencent-elles? La
Chambre, sur la première question, a décidé en prin-
cipe que, lorsqu'une fonction provisoire a commencé
a être remplie par celui qui avait alors qualité pour
la remplir, il doit la continuer ; c'est là un principe
en matière de fonctions provisoires. Sur la deuxième




106 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


question, il fut décidé que les opérations (le la
Chambre commencent non à la réunion préparatoire,
mais à l'ouverture de la session, c'est-à-dire à la
séance royale.


Quant aux fonctions du président de la chambre
des Députés, elles sont analogues à celles du prési-
dent de la chambre des Pairs, sauf les fonctions ju-
diciaires et celles d'officier de l'état civil pour la
famille royale. Il ne nomme pas non plus les com-
missions.


Les deux questeurs ont des fonctions analogues à
celles du grand référendaire de la chambre des
Pairs.


La Chambre se divise en neuf bureaux, dont l'or-
ganisation est absolument semblable à celle des bu-
reaux de la chambre des Pairs. Nous n'avons qu'une
remarque à faire à cet égard, c'est que ce partage de
la chambre des Députés en bureaux est décidé par la
Charte. « La chambre (des Députés), dit l'article 39,
» se partage en bureaux pour discuter les projets qui
» lui ont été présentés de la part du roi ». Il est
assez singulier (le trouver dans la Charte cette dispo-
sition purement réglementaire. Il serait assez difficile
de dire pourquoi elle s'y trouve. Peut-être les auteurs
de la Charte de 1814, d'où vient cet article, ont-ils
cru amortir les discussions en les fractionnant.


D'après l'article 38 (le la Charte, « les séances de
• la Chambre sont publiques; mais la demande de
• cinq membres suffit pour qu'elle se forme en co-
» mité secret ».


QUATRE- VINGT-QUA TRIbIE LEÇON


SOMMAIRE.


L'importance des assemblées délibérantes dépend à la fois de leur
organisation et de leurs attributions; mais elle dépend plus encore.
de l'organisation que des attributions. Une assemblée vigoureusement
constituée acquiert aisément les attributions qui lui appartiennent
rationnellement et qu'on aurait voulu lui refuser. Chambre des
Députés sous la Restauration; droit d'initiative acquis indirectement
par l'extinction du droit d'amendement; examen minutieux des
affaires de l'État au moyen de la discussion des adresses au Roi; de
l'examen des pétitions, etc.


Attributions de la chambre des Députés : vérification des pouvoirs.
Élection des fonctionnaires de la Chambre. Autorisation de pour-
suites contre des Députés. Droit d'accorder les congés, de délivrer
les passe-ports, de recevoir les démissions. Droit de police sur ses
membres et sur elle-même comme assemblée; comparaison des
moyens de police de la chambre des Députés avec ceux de la chambre
des Communes d'Angleterre.


MESSIEURS,


Si les corps délibérants n'ont pas en eux un prin-
cipe de vie, si leur organisation est faible, s'ils ne
trouvent pas en eux la vie et le mouvement, les
forces leur manqueront pour exercer les droits qu'on
aura paru vouloir leur accorder. D'un autre côté, si
leurs attributions sont trop restreintes, si leur action
est circonscrite dans des limites trop étroites, ils




108 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


n'exerceront aucune autorité sur les affaires du pays.
L'importance de ces assemblées dépend donc à la
fois de leur organisation et de leurs attributions. Si
l'organisation est faible, on a les anciens États géné-
raux qui n'ont pas empêché le pouvoir absolu. Si les
attributions sont restreintes, on aura des assem-
blées comme il y en a dans quelques pays de l'Europe
moderne soumis encore à l'absolutisme, chargées
de la répartition de l'impôt, mais sans puissance
réelle, et qui ne sont qu'un vain simulacre de nos
Chambres.


Mais s'il est vrai que l'importance des assemblées
délibérantes dépende à la fois et de leur organisation
et de leurs attributions, il est également vrai qu'elle
dépend plus encore de l'organisation que des attri-
butions, et voici comment : La raison le dit et l'expé-
rience l'a constamment prouvé, là où l'organisation
des assemblées délibérantes est faible, là où cette
force vitale dont je parlais manque, là bientôt les
assemblées délibérantes perdent même les attribu-
tions qu'on a voulu leur accorder. La loi écrite les
leur garantit; mais qu'est-ce que la loi écrite, lorsque
l'assemblée qui devait exercer ces pouvoirs n'a pas
trouvé en elle-même la force suffisante pour s'en
saisir, les exercer et en garantir la possession?


Mais, en revanche, la raison dit et l'expérience a
prouvé que là où les assemblées délibérantes avaient
une organisation suffisamment forte, un principe
de vie réel dans leur origine et dans leur constitu-
tion, leur action, leur influence ne tardaient pas à se
développer et à s'étendre; lors même que, dans le
principe, on n'avait voulu leur accorder que des


QU AT R n-VINGT-QUAT RIÈME LEÇON. 109


attributions extrêmement hornées , lors même que,
dans le principe, on avait voulu les circonscrire dans
des limites très-étroites, ces limites n'ont pas tardé
à s'étendre et l'action de l'assemblée à se dévelop-
per. C'est dans la nature des choses. Toutes les
fois que vous aurez une assemblée délibérante qui,
par son origine, par son organisation, par l'appui
qu'elle trouvera dans l'opinion publique, aura la
conscience de son importance et de sa force, les at-
tributions qui lui apartiennent rationnellement, elle
les aura bientôt ou par la loi écrite Ou par les précé-
dents. Enfin, lorsqu'elle est née vigoureuse et bien
constituée, elle grandit promptement et brise aisé-
ment ses lisières.


Nous avons, je crois, près de nous un exemple de
ce que je viens de dire. Déjà avant la révolution
de 1830, la chambre des Députés exerçait de fait des
pouvoirs et des attributions que sa loi constitutive
ne lui avait pas donnés. Seulement, là où elle ne pou-
vait pas atteindre par les voies directes et régulières
de la loi constitutionnelle, elle s'efforçait d'y parve-
nir par des voies indirectes et par des moyens dé-
tournés. L'étude de la Charte de 1814 nous force à
reconnaître que, dans ce système, les Chambres fran-
çaises n'étaient pas destinées à prendre une part
très-active dans l'administration générale des affaires
du pays. Dans la pensée de l'auteur de la Charte,
elles ne devaient concourir qu'aux grandes mesures
de législation générale, voter l'impôt et peut-être,
dans la pensée première, ne voter l'impôt qu'en
masse et prévenir par leur existence ces grandes di-
lapidations de la fortune publique qui avaient été si




11


110 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


funestes à une époque peu éloignée. C'est là la con-
clusion à laquelle on arrive par l'étude de la Charte
de 481/4 ; car vous remarquerez que, dans le système
de 1814, les Chambres n'avaient pas l'initiative, elles
ne pouvaient s'occuper que des matières que la Cou-
ronne leur donnait à examiner. On avait évidemment
prévu comme un cas ordinaire l'existence d'un mi-
nistère dont les membres n'appartiendraient pas à la
Chambre. Cela est tellement vrai qu'on avait imaginé
qu'il serait nécessaire de nommer des commissaires
étrangers à la Chambre pour y défendre les projets
de loi présentés par le gouvernement. Or, quand on se
place clans les idées du système représentatif, à quoi
sert tout cela? Si les ministres doivent être membres
de la Chambre, inutile de prévoir la nécessité de leur
réserver dans la Chambre des places officielles. Tout
au plus aurait-il fallu le dire pour introduire dans la
chambre des Pairs des ministres députés et dans la
chambre des Députés des ministres pairs ; car, en
Angleterre, les ministres membres de la chambre
des Communes n'ont pas le droit d'entrer dans la
chambre des Pairs, et vice versa.


Ainsi point d'initiative, envoi de commissaires
pour défendre les projets de loi, tandis qu'un gou-
vernement qui a la majorité ne doit point manquer
de défenseurs dans la Chambre ; enfin, rien sur le
droit d'interpellation. Les Chambres n'avaient d'an-
tres attributions que l'examen des projets de loi
et les adresses ordinaires à la Couronne. Évidem-
ment, dans ce système, on n'avait pas prévu de
discussions sur les affaires générales du pays;
rien de pareil ne se présente à l'esprit quand on


QUATRE-VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 111


veut se renfermer dans les limites de la Charte
de 1814.


Et cependant, même avant la révolution de 1830,
les Chambres ont interpellé les ministres. L'idée de
prendre des ministres hors des Chambres ne s'est
guère présentée; il n'y en a eu, je crois, qu'un seul.
Et puis comme, lorsqu'on n'a pas de moyens directs
et réguliers, on cherche des moyens détournés pour
arriver à discuter les affaires générales du pays, on
faisait arriver des pétitions sur tout, on discutait à
propos du procès-verbal, etc... Ii en était ainsi,
parce que l'organisation de la Chambre était bonne
et que la Chambre était forte de l'appui (lu pays;
les attributions s'étendaient au delà de la loi écrite,
parce que la Chambre trouvait une force dans son
organisation. Ainsi elle arriva à l'initiative indirecte-
ment, en étendant beaucoup le droit d'amendement ;
il y a eu, en 1820, une loi électorale tout entière
qui est sortie d'un amendement. La discussion des
adresses au roi lui donnait l'occasion de faire un
examen minutieux des affaires de l'État. Bref, même
avant 1830, elle avait eu assez de vigueur pour
exercer une influence très-réelle sur les affaires du
pays.


J'ai donc eu raison de dire que, pour une assem-
blée délibérante, la question d'attributions plus ou
moins étendues a beaucoup moins d'importance que
celle d'une bonne et solide organisation.


Nous avons suffisamment, je pense, -or'léupliqex
ganisation actuelle de la chambre des Députés et de
la chambre des Pairs ; il nous reste à aborder la ma-
tière importante des attributions des deux Chambres ;




112
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


il nous reste à connaître cette partie si essentielle de
notre droit constitutionnel : quelle est la part qui
appartient aux Chambres dans le gouvernement de
la France?


Aujourd'hui, les attributions des Chambres sont
plus étendues qu'avant 1830, non-seulement en fait,
mais par la loi écrite. Et d'ailleurs, même en dehors
du texte de la loi, même au delà de la lettre positive
de la loi, les Chambres, par des précédents, ont
établi la plénitude de leurs droits comme assemblées
législatives.


Il importe de se faire une idée exacte de ces attri-
butions. Il n'est pas nécessaire de vous dire que
c'est par la connaissance de cette partie essentielle
de notre droit public qu'on apprend comment et à
quel degré le gouvernement français s'écarte des
gouvernements absolus. C'est ensuite par la connais-
sance exacte de ces attributions qu'on se forme une
idée nette de la part d'influence, du rôle de chacune
des branches du pouvoir, et qu'on voit comment
les conflits entre ces pouvoirs peuvent et doivent
être évités, quel est le domaine de chacun, et. com-
ment, par leur réunion, ils forment l'unité du pouvoir
français.


Je distingue les attributions et les pouvoirs des
Chambres en deux grandes sections : les attributions
et les pouvoirs qui concernent les affaires spéciales
aux individus, aux personnes, et les attributions et
les pouvoirs qui concernent les affaires générales
de l'État. Je dis qui concernent directement, car indi-
rectement, tous concernent la masse générale des
affaires, comme en droit pénal, lorsqu'on distingue


QUATRE-VINGT-QUATRIÈME LEÇON.
113


les crimes privés cet les crimes publics, on met sous
le premier chef les crimes qui s'adressent directe-
ment aux personnes, et sous le second, ceux qui
s'adressent directement à l'État, bien qu'indirecte-
ment les premiers comme les seconds intéressent la
société tout entière.


Les attributions des deux Chambres ne sont pas
complétement les mêmes ; il y en a de communes et il
y en a de particulières à l'une et à l'autre Chambre.
Je commence par la chambre des Députés, parce
qu'il y a des attributions particulières à la chambre
des Députés qui sont pour ainsi dire le début, le
commencement de l'affaire qui se termine à la cham-
bre des Pairs. Ainsi, par exemple, la chambre des
Pairs ne peut pas voter la première une proposition
de loi ayant pour objet un impôt ; le vote de l'impôt
doit commencer à la chambre des Députés et être
porté ensuite à la chambre des Pairs. C'est la chambre
des Députés qui a le droit de mettre en accusation
les ministres, et la chambre des Pairs qui a le droit
de les juger ; mais l'affaire ne peut commencer que
par la mise en accusation portée à la chambre des
Députés. Je commence donc par les attributions et
pouvoirs de la chambre des Députés, en conservant
la division que j'ai établie il y a un instant, attribu-
tions et pouvoirs relatifs à des affaires particulières
aux individus, attributions et pouvoirs relatifs aux
affaires générales. Et je commence par vous en faire
une simple énumération.


Je range sous le premier chef (et vous verrez qu'il
y a là des choses dont nous avons déjà
vérification des pouvoirs


parlé) : 101a
irs (les députés ; 2° l'élection


1v. s




114 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


des fonctionnaires de la Chambre ; 3° la juridiction
de la Chambre relativement aux poursuites qu'on
voudrait exercer contre un membre de la Chambre ;
4° la police sur ses propres membres et sur elle-
môme comme assemblée ; 5° la police sur les étran-
gers qui assistent aux discussions de la Chambre ;
la répression des offenses dirigées contre la Cham-
bre ; le droit de suspendre la publicité de ses
séances ; le droit, d'accuser les ministres; le droit de
recevoir, discuter et renvoyer des pétitions particu-
lières.


Relativement aux affaires générales, les pouvoirs
et attributions de la Chambre peuvent s'énumérer
ainsi : 1° son concours est indispensable pour la for-
mation de toute loi, cc qui comprend discussion,
amendement, adoption ou rejet ; 2° elle a le droit
d'initiative, en vertu de la Charte de 1830; 3° elle a
le vote de l'impôt, avec cette circonstance qu'elle ale
droit de voter l'impôt, la première, avant l'autre
Chambre ; et du droit de voter l'impôt résulte le
droit de voter la loi des comptes et les crédits
extraordinaires et supplémentaires, et comme garan-
tie des droits de la Chambre en matière d'impôt, le
droit d'obtenir chaque année tous les documents
nécessaires à l'appui de la loi de finances ; ainsi, par
exemple, le rapport sur la caisse d'amortissement,
l'état de la caisse des invalides de la marine, celui
de la caisse de la Légion d'honneur, etc.; enfin,
toujours du même principe fondamental du vote de
l'impôt, résultent d'autres règles législatives que
nous mentionnerons en temps et lieu, et qui ont
pour objet de garantir le droit de la Chambre en


QUATRE-VING17QUA.TRIÈME LEÇON.
115


matière d'impôt ; 4° elle a le droit de fixer la liste
civile à l'avénement du roi ; 5° elle a le droit de faire
des enquêtes, droit qui n'est pas-écrit dans la Charte,
mais dont il existe aujourd'hui un précédent irrécu-
sable ; 6° elle a le droit. d'adresser des interpella-
tions aux ministres, aux agents du gouvernement
qui se trouvent dans le sein de la Chambre. Remar-
quez que je dis : droit d'adresser des interpellations ;
quant au droit d'obtenir les réponses, nous verrons
en temps et lieu ce qu'il en est ; 7° elle a le droit
de communiquer directement avec le roi et avec
l'autre Chambre ; 8 ‹) elle a le droit, partagé par la
chambre des Pairs, de recevoir le serinent du roi à
son avénement à la couronne. Tels sont les droits,
attributions et pouvoirs de la chambre des Députés;
telles sont les matières dont il importe de se faire
une idée exacte.


Je reprends la première section.
J'ai dit : i° vérification des pouvoirs. La Chambre


est le juge suprême et définitif de la vérité des élec-
tions ; nous l'avons déjà démontré ; 2° c'est à la
Chambre qu'appartient exclusivement aujourd'hui
le droit de nommer ses propres fonctionnaires ;
3° c'est la Chambre seule qui peut autoriser cer-
taines poursuites contre un de ses membres, aux
termes de l'article 44 de la Charte, que nous avons
déjà expliqué ; 4° c'est la Chambre seule qui a le
pouvoir d'accorder à un de ses membres un congé,
c'est elle qui lui délivre un passe-port, c'est elle
qui a le droit de recevoir sa démission. Voilà quatre
chefs que je rappelle uniquement pour mémoire;
5° droit de police sur elle-même, police de l'Asscm-




11(3 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


blée, police des membres de l'Assemblée. J'ouvre le
règlement de la Chambre à l'article 19, et j'y trouve :
« Aucun membre de la Chambre ne peut parler qu'a-
» près avoir demandé, de sa place, la parole au pré-
» rident et l'avoir obtenue ». Qu'arriverait-il si un
membre s'écartait de l'ordre, si, au lieu de discuter
avec dignité et avec toute la gravité qu'exige l'exa-
men des affaires du pays, il se livrait à des digres-
sions inutiles, à des divagations ? « Le président
rappelle seul à l'ordre l'orateur qui s'en écarte »
(Article 20). Mais rappeler un homme à l'ordre, c'est
le juger, c'est lui infliger une sorte de censure.
faut donc lui accorder le droit. de se justifier. « La
» parole est accordée à celui qui est. rappelé à l'ordre,
» s'y est soumis et demande à se justifier ; il obtient
Dseul la parole ». (Même article.) Mais qu'arrive-
rait-il si un esprit indocile, ou emporté par la cha-
leur de la discussion, résistait à ce premier avertisse-
ment? « Lorsqu'un orateur a été rappelé deux fois à
» l'ordre dans le même discours, le président, après
» lui avoir accordé la parole pour se justifier, s'il le
» demande, doit consulter la Chambre pour savoir
» si la parole rie sera pas interdite à l'orateur pour
» le reste de la séance, sur la même question. — La
» Chambre prononce par assis et levé, sans débats D.
(Même article.) C'est ce qui est arrivé il n'y a pas
longtemps.


Voilà donc un pas de plus. En premier lieu, rappel
à l'ordre ; et encore, lorsque le président exerce ses
fonctions avec calme et dignité, il commence par
donner un avis à l'orateur. Puis second rappel à
l'ordre, et enfin la Chambre peut décider que la parole


QUATRE-VINGT-QUATRIÈME LEÇON.
117


sera interdite à l'orateur pour le reste de la séance
sur la même question. La Chambre vote sans débats,
et vous en concevez la raison; si la Chambre se livrait
à des débats sur l'incident, le désordre s'en augmen-
terait. «'foute personnalité, tout signe d'approba-
« fion ou d'improbation sont interdits » (Article 22).


« Si un membre trouble l'ordre, il y est rappelé
« nominativement par le président » (Article 23).
C'est là l'aggravation de la peine, c'est ce nom propre
articulé tout haut par le président pour rappeler le
membre à l'ordre; il y a là une grande nuance, et
c'est là précisément une loi faite pour un pays où
ces délicatesses sont senties. Après avoir été rappelé
nominativement à l'ordre par le président, « s'il
» insiste, le président ordonne d'inscrire au procès-
» verbal le rappel à l'ordre. En cas de résistance,
» l'Assemblée prononce l'inscription au procès-ver-
» bal avec censure » (Même article). Alors ce n'est
plus la censure implicitement comprise dans le rap-
pel à l'ordre, mais la censure prononcée explicite-
ment par la Chambre et mentionnée au procès-verbal
de la séance.


Enfin le désordre, au lieu d'ètre individuel, peut
devenir tant soit peu général. « Si la Chambre
» devient tumultueuse et si le président ne peut la


calmer, il se couvre. Si le trouble continue, il
• annonce qu'il va suspendre la séance. Si le calme
» ne se rétablit pas, il suspend la séance pendant
» une heure, durant laquelle les membres de la
• Chambre se réunissent dans leurs bureaux respec,-
» tifs. L'heure expirée, la séance est reprise de
» droit ».




118 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Voilà les moyens de police de l'Assemblée sur ses
membres. Il est assez curieux de les comparer avec
les moyens anglais, qui sont le signe et le symptôme
de la manière de voir et des moeurs du pays. 11 y a
en Angleterre quelque chose de plus décisif, pour
ne pas dire de plus brutal. Le règlement de la cham-
bre des Communes n'a jamais été officiellement
écrit., mais une rédaction en a été faite par un homme
célèbre que l'Angleterre a eu le malheur de perdre
il y a quelques années, Samuel Romilly ; ce règle-
ment a été imprimé en 1789 et publié par Mirabeau.
En voici quelques dispositions : « Quand un mem-


bre parle sur une question, on doit l'entendre
jusqu'au bout. Personne n'a le droit de l'inter-


» rompre, si ce n'est l'orateur (président), dans


quelques circonstances, ou lorsqu'il parle de
• choses que la Chambre ne veut pas entendre.
» Si quelqu'un se sert de paroles offensantes, toute
• la Chambre criera : C'est contre l'ordre. Si quelques
• membres parlent avec mépris contre le Prince ou


contre le Conseil privé, on les interrompt, et il
» est môme arrivé que la Chambre a proposé de
• les envoyer à la Tour et les y a envoyés ».


La censure, en cas d'indocilité, peut aller jusqu'à
l'exclusion de la Chambre, jusqu'à l'emprisonne-
ment. Nous en avons vu récemment un exemple.
Deux membres de la Chambre, dont un était minis-
tre, s'étaient combattus trop vivement à la tribune,
et ils devaient, au sortir de la séance, se battre en
duel. La Chambre envoya les deux adversaires aux
arrêts, et les y laissa jusqu'à ce qu'ils eussent promis
de ne pas se battre.


QUÂTR E-VINCT-QUATRIEME T.ECON.
119


La réprimande, au lieu d'être, comme elle l'est
chez nous, entourée de certaines formes, est faite
souvent d'une manière très-désagréable. On a été
jusqu'à exiger des excuses, et des excuses faites à
genoux. Le célèbre Sheridan encourut un jour cette
humiliation, et on se rappelle que, se relevant et se
frottant les genoux : « Je n'ai jamais, dit-il, vu de
» Chambre aussi sale ».


Le droit, avons nous dit, va jusqu'à l'expulsion
d'un membre, et ce droit est exercé; mais si la
Chambre poussait les choses jusqu'à expulser un
membre, il n'est plus contesté par personne que ses
électeurs ou d'autres électeurs pourraient le réélire ;
l'expulsion serait regardée comme une peine
qu'on aurait voulu lui infliger, mais non comme une
incapacité de faire désormais partie de la Chambre.


Quant à l'emprisonnement, il peut se 'prolonger
selon le bon plaisir de la Chambre. 11 y a cependant
un terme, c'est la dissolution ou la prorogation du
Parlement ; le pouvoir de la Chambre de tenir un
homme en prison n'est reconnu qu'autant qu'elle
siège, et si elle ne donne pas l'ordre de le mettre en
liberté au moment où elle se sépare, il a le droit de
réclamer son élargissement. Cela s'applique même
aux étrangers ; la police sur les étrangers s'étend en
Angleterre jusqu'au droit de prononcer l'emprison-
nement. Mais si la Chambre ne donnait pas l'ordre
de les relâcher au moment de sa dissolution, ils ont
le droit d'invoquer l'Habeas corpus.


Au surplus, il est très-rare, aujourd'hui du moins,
que la Chambre anglaise aille à ces extrémités.
Cependant j'ai cité un fait récent ; mais, comme




120 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


vous le voyez, la Chambre a eu recours à l'arresta-
tion de deux de ses membres, non pour leur infliger
une peine, mais parce qu'on ne voulait pas que
faire eût les suites que l'on craignait.


Chez nous, ces moyens-lit ne sont pas admis, et je
me souviens d'avoir entendu discuter, au commen-
cement de notre système représentatif, sur ce qu'on
appelait l'insuffisance du règlement français. Le
fait a prouvé que ces moyens suffisent. Il faut faire
ici la part des habitudes, des moeurs, des suscepti-
bilités. Il est très-rare, et je ne crois pas même qu'il
soit jamais arrivé qu'on ait inséré au procès-verbal
un rappel à l'ordre avec censure. Les mesures du
règlement actuel, qui a déjà une existence de plus
de vingt ans, doivent être regardées comme suffi-
santes.


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON;


SOMISIAIRE


Publicité des séances et des délibérations des Chambres anf . :afses; elle
existe en fait, mais non en droit : ce n'est qu'une simplet:cd& a ce. —
Police de la chambre des Députés sur les personnes êtra. tgères à
l'assemblée. — Juridiction sur les personnes coupables d'injure ou
d'offense envers l'Assemblée ou même envers un ou plusieurs de
ses membres à raison de leurs fonctions. — Infidélité et mauvaise foi
dans le compte rendu des séances ; loi du 25 mars 1822 et loi du
8 octobre 1830. — Mode de procéder de la Chambre quand elle
exerce elle-même les poursuites; questions sur la manière de voter.


Examen des pétitions : ordre du jour, dépôt au bureau des renseigne-
ments; renvoi au ministre compétent ; ce l'envoi n'a et ne peut avoir
(l'autre objet que de recommander au ministre un nouvel examen de
l'affaire qui a donné lieu à la pétition.


'MESSIEURS,


Le droit de police qui appartient à la chambre
des Députés ne s'applique pas seulement aux mem-
bres de l'Assemblée elle-même, il s'applique aussi,
clans des circonstances données, aux personnes
étrangères à la Chambre.


Premièrement, la Chambre a le droit de limiter,
de suspendre la publicité de ses séances, droit
garanti par l'article 38 de la Charte. constitution-




«


122 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


« Les séances de la Chambre sont publiques ;
» mais la demande de cinq membres suffit pour
» qu'elle se forme en comité secret ». Voilà donc
une première mesure de police que la Chambre a la
faculté de prendre.


En second lieu, la juridiction de la Chambre s'ap-
plique plus directement encore aux personnes étran-
gères à l'Assemblée, dans deux hypothèses: 1° dans
l'hypothèse où les délibérations de la Chambre se-
raient troublées par quelques personnes étrangères
à l'Assemblée, et assistant à ses délibérations ;
2° dans le cas où des personnes étrangères à l'As-
semblée offenseraient la Chambre par un des
moyens de publication prévus par la loi de 1819
sur la presse.


Examinons brièvement ces deux différents pou-
voirs de la Chambre.


Quant aux personnes qui troubleraient les délibé-
rations, c'est. dans le règlement de la Chambre elle-
même que nous trouvons les mesures qu'elle ale droit
d'appliquer; il y a un chapitre exprès, c'est le cha-
pitre 13 du règlement de la Chambre : « La police
» de la Chambre lui appartient. Elle est exercée en


son nem par le Président, qui donne à la garde de
service les ordres nécessaires (Article 97). — Nul
étranger ne peut, sous aucun prétexte, s'intro-
duire dans l'enceinte où siègent les membres de


» la Chambre » (Article 98). Ainsi, nul ne peut
entrer dans l'enceinte où siégent les députés ; il est
défendu de faire ce qui se pratique habituellement
en Angleterre ; mais la pratique anglaise, bien loin
de devoir être considérée comme une extension de


QUATKE-VINCT-CINQUIENE LEÇON.
123


la publicité, n'est qu'un moyen d'éluder un règle-
ment qui, dans son esprit et dans sa lettre, s'oppose
à toute espèce de publicité. « Pendant tout le cours
» de la séance, les personnes placées dans les tri-
» hunes se tiennent assises, découvertes et en si-
» lente » (Article 99). Voilà la loi : ne pas pénétrer
dans l'enceinte, demeurer dans les tribunes, assis,
découvert et en silence. Voici maintenant la dispo-
sition dont je parlais : « Toute personne qui donne


des marques d'approbation ou d'improbation, est
sur-le-champ exclue des tribunes par les huissiers
chargés d'y maintenir l'ordre » (Article 100).
Tout individu qui trouble les délibérations est




traduit sans délai, s'il y a lieu, devant l'autorité
» compétente » (Article 101).


Je dis que les choses ne se passent pas de même
en Angleterre. On entre dans l'enceinte où siége la
chambre des Communes ; à droite et à gauche de la
porte d'entrée, il y a deux bancs exactement les
mêmes que ceux sur lesquels siègent les membres
du Parlement, et les étrangers qui ont un billet sont
introduits dans cette même salle et placés sur ces
mêmes bancs. Il y a en outre une galerie fort petite
dans laquelle un très-petit nombre de personnes
peuvent être admises.


C'est qu'en Angleterre la publicité des délibéra-
tions de la chambre des Communes n'est pas un
droit positif. Il suffirait de la réclamation d'un
membre du Parlement pour faire cesser la publicité
des séances ; ce membre du Parlement, en effet, ne
viendrait pas demander une exception temporaire à
la règle, puisque la règle, au contraire, est l'absence




124 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de toute publicité. Les étrangurs qui se trouvent là
ne s'y trouvent que par pure tolérance, on est censé
ne pas les voir, et dès qu'un membre des Communes
veut les voir, il n'a qu'à demander l'exécution du
règlement pour les faire sortir. La défense a été
prononcée par le règlement de 1650, portant prohi-
bition à tous étrangers de s'introduire dans la
chambre des Communes, sous peine d'emprisonne-
ment immédiat.. Et vous croyez peut- être que ce
règlement, pris dans un moment d'orages et de
troubles civils, n'a jamais éte renouvelé ? Ce serait
une erreur; il a été renouvelé sept fois , et la der-
nière fois en 1719.


Il est en de même pour la publication des actes
de la Chambre. Il y avait défense sévère, non-seule-
ment aux personnes étrangères à la Chambre, mais
aux membres de la Chambre elle-même, de rien
publier des actes de l'Assemblée sans l'autorisation
de la Chambre elle-même. Et cette défense a été re-
nouvelée treize fois, dont la dernière en 1738. Voilà
le droit anglais, de sorte que lorsqu'on vantail la pu-
blicité anglaise, c'est du fait qu'on parlait et nulle-
ment du droit.


Ces résolutions prohibitives n'ont jamais été révo-
quées, et, comme vous le voyez, elles ont été renou-
velées en dernier lieu, l'une en 1719, l'autre en 1738.
C'est donc la force dès choses, ce sont les besoins
du système représentatif, c'est le développement de
l'opinion publique qui ont ouvert les barrières dont
les membres de la chambre des Communes avaient
voulu soigneusement s'entourer, et la publicité,
comme vous le voyez, n'était qu'une simple tolé-


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 125


rance. Le Parlement anglais pouvait admettre tout
au plus deux cents personnes. On avait entrée à
l'aide d'un billet ou sur la présentation d'un des
membres du Parlement, ou bien moyennant une
couronne donnée à un huissier de la Chambre.


Pour la chambre des Lords, c'était la même chose,
et c'est la môme chose encore aujourd'hui, du moins
je le crois; non-seulement on n'y était admis que
par tolérance, mais on ne pouvait pas même s'y
asseoir. Il y avait une barrière qui séparait t'enceinte
ou siégent les pairs d'une petite enceinte livrée au
public, et là, il n'y avait aucun moyen de s'asseoir ;
il n'était pas permis de s'asseoir devant la chambre
des Lords, et il n'y avait aucune exception à cet
égard.


La juridiction de la chambre des Députés s'ap-
plique, en outre, aux personnes qui se rendraient
coupables d'injure envers l'Assemblée par des moyens
quelconques de publication. En effet, l'article '11 de
la loi du 17 mai 1819 porte : « L'offense par l'un
» des mômes moyens envers les Chambres ou l'une
» d'elles sera punie d'un emprisonnement d'un
» mois à trois ans, et d'une amende de 100 francs
» à 500 francs ».


Il faut combiner cet article avec la loi du 9 juin
1819, relative à la presse périodique, ainsi qu'avec
la loi du 18 juillet '1828, qui se rapporte également
à la presse périodique. « L'offense... envers les
Chambres ou l'une d'elles », dit la loi du 17 ruai 1819.
Il peut s'élever, il s'est même élevé une question,
la question de savoir si, pour être passible des pei-
nes portées par cette législation, il faut se rendre




126 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


coupable d'une offense envers la Chambre considé-
rée comme corps moral, comme corps politique pris
dans son ensemble, ou, du moins, s'être rendu cou-
pable d'offense envers une fraction de la Chambre,
par exemple, de la minorité, de la majorité ; ou bien
si l'on peut être passible de ces peines, lors même
que l'offense aurait été dirigée contre un seul ou
plusieurs des membres de la Chambre et non contre
le corps pris dans son ensemble. Cette question s'est
présentée dans la session de 1835, où des poursuites
eurent lieu en raison d'une offense qui paraissait
adressée plutôt à quelques membres personnelle-
ment qu'à la Chambre tout entière ou à une de ses
fractions. Dès lors on chercha à établir la distinc-
tion dont je viens de parler, et l'on disait que la loi
(le 1819 étant une loi pénale ; d'après les principes
généraux en cette matière, il ne fallait pas l'appli-
quer de manière à lui donner plus de portée que la
lettre même de la loi n'en donnait, qu'en matière
pénale les interprétations doivent être plutô restric-
tives qu'extensives. Telle est la distinction qu'on
cherchait à établir. Le président de la Chambre sou-
tint, au contraire, que l'attaque purement indivi-
duelle contre un des membres de la Chambre pou-
vait, dans certains cas, offenser aussi complétement
la Chambre que si elle s'adressait à la Chambre
entière ; qu'attaquer, par exemple, un député qui se
rend à la séance ou qui en sort, l'attaquer en raison
de ses votes peut constituer une attaque à l'indé-
pendance de la Chambre elle-même. On ne peut
donc admettre, disait-il, une pareille distinction.
Cependant l'auteur de la proposition contraire in-


QUATRE-VINGT- CINQUIÈME LEÇON. 127


sista, soutenant que la distinction qu'il faisait n'était
pas une distinction arbitraire, qu'elle était fondée
sur la lettre de la loi qui dit : Offense envers les deux
Chambres on l'une d'elles; qu'elle était fondée, en
deuxième lieu, sur la raison. On a bien voulu, disait-il,
accorder une protection extraordinaire à l'Assem-
blée elle-même, en la constituant juge, mais cela ne
doit pas s'étendre à des attaques contre les membres
de la Chambre. Enfin, il demandait qu'il fût pris
une décision ainsi conçue : e La Chambre, après


avoir entendu le prévenu dans ses explications,
» considérant que les outrages renfermés dans Far-
» ticle incriminé ont un caractère personnel contre


plusieurs membres de la Chambre, la Chambre
» déclare qu'il n'y a pas lieu à donner suite à la
» plainte, réservant aux députés outragés et au
» ministère public tous droits ». C'est ainsi qu'il
formulait définitivement sa proposition ; c'est en ces
termes qu'elle fut soumise à la délibération de l'As-
semblée, et elle fut rejetée à une très-grande majo-
rité. En conséquence, d'après ce précédent, la
Chambre peut se considérer comme offensée et appli-
quer la loi dont il s'agit, lors même que l'offense
aura été dirigée personnellement contre un ou plu-
sieurs de ses membres, surtout si l'attaque a eu lieu
en raison de leurs votes ; il faut bien, au moins, que
l'offense ait été faite en raison de leurs fonctions de
députés.


Dans ce cas, lorsque le délit d'offense, ainsi expli-
qué, envers la Chambre, se réalisera, la Chambre a
deux moyens ouverts pour parvenir à la répression
et à la punition de ce délit. L'article •5 d.e la loi du




128
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


25 mars 1822 dit: « Dans le cas d'offense envers les
Chambres ou l'une d'elles par l'un des moyens
énoncés en la loi du 17 mai 1819, la Chambre
offensée, sur la simple réclamation d'un de ses
membres, pourra, si mieux elle n'aime autoriser
les poursuites par la voie ordinaire, ordonner que
le prévenu sera traduit sa barre. Après qu'il


» aura été entendu ou dûment appelé, elle le con-
» damnera, s'il y a lieu, aux peines portées par les


lois. La décision sera exécutée sur l'ordre du
président. de la Chambre ».
En vertu de cet article, qui a été explicitement


maintenu en vigueur par l'article 3 de la loi du
8 octobre 1830, vous voyez que la Chambre a devant
elle deux moyens, l'un de faire traduire le prévenu
à sa barre et d'appliquer elle-même la loi pénale,
l'autre de le faire poursuivre par les voies ordi-
naires, c'est-à-dire par le ministère public, devant
les tribunaux. Et ici, remarquez-le, Messieurs, le
ministère public n'a pas le pouvoir qu'il a ordinai-
rement en matière pénale ; il ne pourrait pas pour-
suivre de son chef, c'est une des restrictions que la
loi a apportées à l'exercice de l'action pénale par
le ministère public ; il faut, pour qu'il puisse pour-
suivre, une délibération préalable de la Chambre.
Cela résulte d'abord du texte même de l'article 15 de
la loi du 25 mars 1822, que je viens de vous lire :
Si mieux elle n'aime autoriser les poursuites par la voie
ordinaire; la loi n'a pas dit : Si mieux elle n'aime laisser
poursuivre ; mais cela résulte d'ailleurs du texte
littéral de l'article 2 de la loi du 26 mai


•1819 : « Dans
» le cas d'offense envers les Chambres ou l'une


QUÀTRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 129


» d'elles, par voie de publication, la poursuite
» n'aura lieu qu'autant que la Chambre qui se
» croira offensée l'aura autorisée ». Vous voyez
donc qu'il faut l'autorisation (le la Chambre, et que le
ministère public ne peut agir de son chef. Et la rai-
son ici est d'accord avec le texte. Il ne peut appar-
tenir à un agent du pouvoir exécutif de se constituer
juge des convenances d'un des pouvoirs souverains
de l'État ; il ne peut appartenir à un agent du pou-
voir exécutif de dire, je suppôse, que la chambre
des Députés a été offensée, ou qu'elle ne l'a pas été.
C'est elle seule qui doit décider s'il lui convient ou
non de poursuivre.


Mais qu'arriverait-il si une offense à la Chambre
était commise le jour de sa dissolution? Dans ce cas-
là, la Chambre ne pourrait plus autoriser les pour-
suites, ni poursuivre elle-même. Est-ce à dire que la
Chambre nouvelle qui arriverait pourrait exercer le
droit de la Chambre qui viendrait d'être dissoute?
Je crois que, dans ce cas, la Chambre n'existe plus ;
une fois la dissolution prononcée, ce corps politique
contre lequel l'attaque a pu être dirigée a cessé
d'exister, et il n'y a plus de poursuite possible.
Si l'écrit contient des injures personnelles contre
quelques membres, on peut poursuivre individuelle-
ment, mais la Chambre nouvelle ne saurait pour-
suivre pour une attaque qui ne la regarde pas.
Remarquez d'ailleurs qu'une Chambre succède à
une autre, mais ne lui ressemble pas toujours. Ce
qui pouvait être considéré comme offense par l'an-
cienne Chambre, serait peut-être méritoire pour la
Chambre nouvelle, ou, au contraire, ce qui pouvait


9




130 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


être regardé comme méritoire pour la Chambre
ancienne, pourrait être regardé par la Chambre
nouvelle comme une offense. Il est clair que les
comptes doivent, se solder pour chaque Chambre le
jour de sa dissolution, et c'est d'ailleurs le cas
de dire que, le fait 'n'étant pas prévu par la loi, il
n'y a rien à. faire.


L'offense contre la Chambre n'est pas le seul cas
où sa juridiction puisse s'exercer. Il y en a un
autre, prévu par l'article 7 de la loi de 1822, c'est
l'infidélité et la mauvaise foi de la part des jour-
naux et écrits périodiques clans le compte qu'ils
rendent des séances des Chambres. Et ici vous
remarquerez que la législation a réuni cieux chefs :
infidélité et mauvaise foi . Il paraît hors de doute
qu'il faut prendre les deux mots cumulativement ;
l'ignorance seule ne ressortit pas à la justice pénale.


La juridiction de la Chambre, quant à ce deuxième
fait, est tracée par l'article 16 de la loi de 1822. « Les


Chambres appliqueront elles-mêmes, conformé-
» ment à l'article précédent, les dispositions de


l'article 7 relatives au compte rendu, par les jour-
» naux, de leurs séances »; l'article 16 a été expli-
citement maintenu, comme l'article 15, par la loi du
8 octobre 1840. Cette loi de 1830 a réalisé la pro-
messe faite par le g 1" de l'article 69 de la Charte
de 1830 : « l'application du jury aux délits da la
presse et aux délits politiques ». Voici en effet son
article Pr . « La connaissance de tous les délits coin-
» mis, soit par la voie de la presse, soit par tous
» les autres moyens de publication énoncés eu l'ar-
» ticle 1°' de la loi du 17 mai 1819, est attribuée aux


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
131


» cours d'assises ». Mais elle a posé quelques excep-
tions au principe général. Elle dit, article 2 : « Sont
» exceptés les cas prévus par l'article 1.4 de la loi
» du 26 mai 1819 ( délits de diffamation ou d'injure


contre des particuliers) », et article 3 : « Sont pa-»
» reniement exceptés les cas où les chambres,
• cours et tribunaux, jugeraient à propos d'user
• des droits qui leur sont attribués par les articles
• 15 et 16 de la loi du 25 mars 1822 D.


Ici s'est élevée une question, qui a été portée
devant les tribunaux, question de savoir si la loi du
8 octobre 1830 n'avait pas été une loi inconstitu-
tionnelle. La Charte, disait-on, a posé clans son ar-
ticle 69, 1 °", qu'une loi pourvoirait à ce que les
délits de la presse et les délits politiques fussent ren-
voyés devant les cours d'assises, c'est-à-dire devant
le jury ; voilà un des objets que la loi doit régler.
Mais la loi a introduit des exceptions ; or, ces excep-
tions, disait-on, sont contraires au voeu exprimé par
la Charte.


Cette question a été portée devant les tribunaux,
et jusqu'en cour de cassation. Et la cour de cassation
a rejeté le pourvoi, « attendu que la loi du 8 oc-
» tobre 1830, délibérée et promulguée dans les
» formes constitutionnelles prescrites par la Charte,
» fait la règle des tribunaux et ne peut être atta-
» (Tuée devant eux pour cause d'inconstitution-
» nalité n.


Voilà donc les deux faits pour lesquels la Chambre
peut-elle même exercer la juridiction pénale. Com-
ment procède-t-elle pour exercer cette juridiction ?
Nous pouvons ici consulter des précédents. La




1:32 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Chambre, depuis 1830, a appliqué ces articles, et,
en vertu de ces précédents, nous pouvons dire que
la Chambre se reconnait le droit, sur la motion d'un
membre, soit d'appeler directement le prévenu à sa
barre, sans autre mesure préalable, soit de renvoyer •
l'affaire à une commission chargée de l'examiner
préalablement et de lui faire un rapport. Ainsi, dans
la première affaire qui a eu lieu après la révolution
de Juillet, la Chambre renvoya à. une commission la
connaissance de la dénonciation faite par un de ses
membres. Dans la dernière affaire, la Chambre n'a
pas renvoyé à une commission, mais elle a décidé
qu'elle procéderait immédiatement à la poursuite.
Ainsi, vous voyez qu'elle se regarde comme pouvant
procéder d'une manière ou de l'autre.


Soit que la Chambre poursuive immédiatement,
soit qu'elle renvoie l'affaire à une commission, elle
mande le prévenu à sa barre : il comparaît, accom-
pagné de ses défenseurs. La Chambre entend les
observations du défenseur et du prévenu lui-même.
Elle passe ensuite à la délibération et au scrutin.
Mais, ceci vaut la peine d'y réfléchir un instant, il n'est
pas toujours facile dans les corps nombreuxd'arriver
à une délibération en matière d'application d'une
peine. La question de culpabilité se résout par oui
ou par non. Mais lorsqu'il s'agit de l'application de
la peine, cela n'est plus si facile. Nos lois ont fixé en
gros l'emprisonnement et l'amende. Mais il y a des
degrés différents; ainsi le scrutin sur la quotité dela
peine à appliquer n'est pas chose facile dans une
assemblée nombreuse. Il s'était, en effet, présenté
un fait de cette nature. La Chambre avait délaré la


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
133


culpabilité d'un prévenu ; or, des députés avaient
chacun écrit pour la peine leurs votes qui compre-
naient à la fois leur opinion sur la quotité de l'em-
prisonnement et sur la quotité de l'amende par le
même scrutin. Alors que peut-il arriver? C'est qu'un
député peut dire : Je veux une amende assez forte,
mais presque pas d'emprisonnement. Et un autre
député peut envisager la question sous un autre point
de vue et vouloir beaucoup d'emprisonnement. et
presque pas d'amende. On peut ainsi exprimer des
opinions très-diverses si l'on prenait dans chaque
bulletin l'amende et l'emprisonnement, et si l'on fai-
sait un dépouillement pour l'amende, et puis la
même chose pour l'emprisonnement, on arriverait à
un résultat vrai arithmétiquement, mais faux comme
expression de la volonté de l'Assemblée. Quand je
condamne à un mois de prison et à 3,000 francs
d'amende, on ne peut prendre d'un côté mon mois
de prison et d'un autre côté mon maximum de
l'amende, puis prendre à un autre, d'un côté le maxi-
mum de l'emprisonnement, et d'un autre côté le
minimum de l'amende. Mon opinion est chose indi-
visible. Autrement il peut arriver que le prévenu soit
condamné à deux ans de prison, contre mon avis, et
à 3,000 d'amende à cause de mon vote. Le résultat
donc pourrait être une forte amende et un long
emprisonnement, tandis que les députés qui vou-
laient un long emprisonnement ne voulaient qu'une
faible amende, et que ceux qui voulaient une forte
amende ne voulaient qu'un court emprisonnement.
Aussi une discussion s'éleva dans la chambre des
Députés. Le premier tour de scrutin n'avait heu-




«


134


COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


reusement donné la majorité à aucune opinion. Le
lendemain un député présenta des réflexions sur la
question et démontra le danger d'expliquer, comme
on l'avait fait, les intentions des votants. La
Chambre alors décida qu'elle ferait deux scrutins
séparés sur l'emprisonnement et sur l'amende. Cha-
cun vote d'abord comme il l'entend sur la première
nature de peine, et il voit ensuite à régler son
deuxième vote sur le résultat du premier.


Une autre question s'était élevée. Dans un premier
tour de scrutin on n'avait eu aucun résultat, et cela
arrive souvent dans des cas semblables. 11 se trouva
que la majorité des vetes pour la peine était au-des-
sous du maximum; il y avait minorité pour le maxi-
mum. On éleva alors la question suivante. On disait
en faveur du prévenu : Il y a pour lui vote acquis
contre le maximum ; le maximum doit être exclu
parce que, dans le premier scrutin, '153 suffrages,
sur 300, ayant proposé une peine inférieure au maxi-
mum, ont déclaré par là qu'ils ne voulaient pas du
maximum. La question n'avait pas été posée en ces
termes à la Chambre ; mais, disait-on, l'intention est
évidente. La question fut discutée. Voici comment
elle fut résumée par le président de la Chambre :


Je ne crois pas que je puisse poser à la Chambre
» une question dans ces termes. Ce serait convertir
• le résultat négatif d'un scrutin en résultat positif,
» et il ne doit y avoir qu'une affirmation. Ce peut
• être la matière d'une puissante considération, mais


non une proposition sur laquelle la Chambre soit
appelée à voter directement... Je ne puis mettre
aux voix le résultat d'un scrutin ». L'interpréta-


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
135


Lion du Président fut admise par l'auteur de la pro-
position, qui se borna à livrer à la conscience de ses
collègues cette considération, que, s'il n'y avait pas
eu majorité numérique sur un chiffre spécial de peine,
il y avait une sorte de convention, une majorité
morale pour ne pas dépasser six mois de prison.
Le résultat du scrutin donna le minimum de l'em-
prisonnement (un mois) et le maximum de l'amende
(10,000 francs).


Un autre droit de la chambre des Députés est le
droit (le mettre les ministres en accusation. Nous en
parlerons quand nous traiterons des agents du pou-
voir exécutif et de leur responsabilité.


Nous avons à dire quelques mots sur l'exercice du
droit de pétition. Nous en avons parlé déjà, en tant
que nous l'avons considéré comme un des droits
publics des Français. Nous supposons donc la péti-
tion présentée ; mais que devient-elle ? La Chambre
a le droit de la recevoir, de l'examiner, de discuter
la question qui lui est soumise, de prononcer sur la
pétition, soit par l'ordre du jour, soit par le dépôt
au bureau des renseignements, soit enfin par le ren-
voi au ministre compétent. Pour cela la Chambre suit
certaines formes qui sont tracées dans son règlement,
et qui ne sont pas sans importance, puisqu'elles
règlent l'exercice d'un des droits publics des Fran-
çais.


La Chambre a une commission qui se renouvelle
tous les trois mois, mais qui est permanente, pour
l'examen des pétitions : c'est ce qu'on appelle la
commission des pétitions. Chaque bureau nomme un
de ses membres pour former la commission des




1:36 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


pétitions ; cette commission, formée de neuf mem-
bres, fait chaque semaine des rapports à la Chambre.
Cependant la Chambre reconnaît qu'elle a le droit
de déroger à cette habitude. Le rapport sur chaque
pétition se fait en séance publique, à moins que
cinq députés ne demandent la discussion secrète.
Voilà ce qui regarde la forme.


La pétition est renvoyée à un ministre. Que si-
gnifie ce renvoi ? Il signifie tout simplement que la
Chambre estime, après examen et discussion, qu'il y
a lieu pour le ministre d'examiner de nouveau l'af-
faire qui fait l'objet de la pétition. Je dis de l'exa-
miner de nouveau, parce qu'une pétition ne parvient
guère à la Chambre que lorsqu'on a épuisé les re-
cours par les voies ordinaires. Aussi arrive-t-il sou-
vent que le Chambre, voyant que le pétitionnaire n'a
pas suivi les règles ordinaires, passe tout simple-
ment à l'ordre du jour. C'est donc un recours ex-
traordinaire qu'ont les citoyens. Si la Chambre croit
que l'affaire mérite d'être examinée de nouveau par
le ministre, elle le déclare par son renvoi. Le renvoi
ne signifie pas et ne peut pas signifier autre chose,
car, s'il signifiait quelque chose de plus, lés pou-
voirs seraient évidemment confondus, et la Chambre
gouvernerait directement. La Chambre serait défini-
tivement corps administratif, si elle pouvait faire
autre chose que prononcer le renvoi de la pétition
dans le sens que j'indique.


Mais, direz-vous, si les ministres se faisaient une
loi de ne donner aucune attention aux recommanda=
fions de la Chambre, le droit serait dérisoire. non,
car une fois que la Chambre s'apercevrait de cette


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 137


intention, elle a de nombreux moyens pour que ses
pouvoirs, à elle, soient respectés et pour que les
ministres ne se mettent pas en hostilité directe avec
elle. C'est donc une recommandation qui a du poids
lorsqu'elle émane de la Chambre. Mais il n'est pas
moins vrai d'un autre côté que, si c'était autre chose
qu'une recommandation, le pouvoir exécutif n'exis-
terait plus ; la Chambre exercerait elle-même les
fonctions de maire, de préfet, de ministre, elle exer-
cerait enfin les fonctions du pouvoir exécutif.




QUATRE-V1NGT - SIXIÈME LEÇON. 139


.4


QUATRE-VINGT-SIXIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Droit d'initiative. Il doit appartenir aux trois branches du pouvoir
législatif, et lorsque les Chambres ne l'ont pas directement, elles
essayent d'y arriver par tous les moyens; mais le pouvoir exécutif est
le mieux placé pour l'exercer, et quand il appartient à tous, c'est
presque toujours lui qui l'exerce en réalité. — Dispositions des Cons-
titutions de 1191, de 1193, de l'an III, de l'an VIII, de la Charte
de 1814 et de la Charte de 1830. — Mode de présentation de proposi-
tions par les membres de l'une et de l'autre Chambre.


MESSIEURS,


Les attributions générales de la chambre des
Députés, nous l'avons déjà dit, sont la part qu'elle
doit prendre à la confection des lois, et le vote de
l'impôt. Ce ne sont pas ses seules attributions, mais
ce sont les principales.


La loi est la manifestation de la volonté de l'auto-
rité suprême sur les affaires du pays. Il faut pour
cela plusieurs opérations distinctes. Il faut d'abord
concevoir la loi, la formuler et la proposer ; elle doit
être alors soumise à une discussion, à un examen
dans telles ou telles formes, d'où il résulte qu'elle


peut être amendée, c'est-à-dire rendue meilleure ;
enfin, amendée ou non, elle est adoptée ou rejetée.
De l'ensemble de ces opérations résulte la formation
de la loi, en ce qui regarde du moins la chambre des
Députés; la loi, d'ailleurs, n'existera que par le con-
cours des trois branches du pouvoir législatif.


Il faut d'abord, disons-nous, concevoir, proposer
la loi. C'est là ce qu'on appelle le droit d'initiative.
Or, c'est là un de ces droits qui constituent le pou-
voir souverain, et, d'un autre côté, c'est un droit
bien important que de pouvoir attirer l'attention du
pouvoir législatif sur une matière, ou de pouvoir
empêcher la délibération sur cette même matière.
Il faut, en effet, considérer le droit d'initiative sous
son double point de vue, positif et négatif, pour en
apprécier toute l'importance. Et il n'est pas éton-
nant que cette question ait vivement préoccupé les
hommes d'État et les publicistes. Faire une loi, c'est
donner la sanction du droit positif aux besoins du
pays. Ainsi, philosophiquement parlant, l'initiative
véritable est dans le pays même, et c'est ainsi que
souvent les moeurs, les habitudes, suppléent aux
lacunes du droit positif ; c'est ainsi que le système
des assurances terrestres, inconnu lors de la rédac-
tion du code de commerce, s'est introduit dans les
habitudes, dans le développement industriel du
pays.


Quand le législateur veut procéder d'une manière
rationnelle, c'est sur cette initiative nationale qu'il
fixe son attention, pour coordonner la législation
positive avec les vrais besoins du pays. De là cette
règle si souvent répétée, que celui qui veut trop




190 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


devancer son temps se place, en quelque sorte, hors
du pays, comme celui qui, sans tenir compte des
faits sociaux, s'obstine à ne voir la société que
comme elle était jadis. L'un fait des lois qui n'ont
aucunes racines dans le pays ; l'autre les fait avec
des racines qui existent encore, niais tombent déjà
en pourriture et ne peuvent plus rien soutenir.


Ainsi, demander à qui doit être confié le droit
d'initiative, c'est demander qui connaît. le mieux les
besoins du pays, ses besoins matériels et moraux,
ses instincts, son but, son avenir, et qui offre le plus
de garanties pour cette oeuvre si grande, pour cette
sorte de sacerdoce social, la proposition de la loi.
Il faut que ces deux conditions soient réunies pour
qu'on puisse se flatter d'arriver à la solution du
problème.


Eh bien, en ne considérant que la première de ces
deux conditions, on serait amené à se dire que le
pouvoir exécutif, que le gouvernement est toujours
le mieux placé ; celui qui a les moyens de se pro-
curer en un instant tous les renseignements possibles,
auquel aboutissent tous les faits du royaume, est
évidemment mieux placé que des particuliers qui ne
connaissent bien que leur localité.


Mais la deuxième condition du problème se résout-
elle de la même manière`? Connaître n'est pas tou-
jours vouloir, et où est la garantie que le pouvoir
exécutif, investi seul de l'initiative, saisira le pou-
voir législatif de toutes les propositions néces-
saires, qu'il proposera des innovations qui diminue-
raient son autorité ou seulement dérangeraient ses
habitudes ? Il ne faut donc pas qu'il soit investi seul


QUATRE-VINGT-SIXIÈME LEÇON. 141


de ce droit, qui devient alors, à la fois , positif et
négatif. C'est là la raison capitale, l'argument sans
réplique, pour prouver que le droit d'initiative ne
doit pas être confié exclusivement à une seule bran-
che du pouvoir législatif, mais doit appartenir à
toutes les trois. C'est pour que le droit d'initiative ne
devienne pas un veto préalable sur toutes les ques-
tions. Les autres arguments sont secondaires.


Aussi, les assemblées qui n'ont pas l'initiative
directe essayent-elles d'y arriver par tous les moyens,
en allant même quelquefois jusqu'à repousser des
lois dont elles approuveraient d'ailleurs le principe.
Ce droit est si conforme à la nature des choses,
qu'il existe dans tous les pays où le gouvernement
représentatif s'est compléternent développé. C'est,
de plus, un moyen d'éviter les hostilités entre les
diverses branches du pouvoir législatif, et, en fait,
lorsqu'il est, attribué à toutes, c'est presque tou-
jours le pouvoir exécutif qui l'exerce réellement.


Chez les peuples anciens, l'initiative n'apparte-
nait. guère aux assemblées délibérantes. Les peuples
anciens, nous l'avons déjà dit plusieurs fois, ne con-
naissaient pas le système représentatif. Leurs assem-
blées ne siégeaient pas d'une manière permanente,
régulière. Dès lors, le premier venu ne pouvait
avoir l'initiative ; elle appartenait à un magistrat
ou à un conseil permanent et moins nombreux.
De même, au moyen âge, dans plusieurs républiques
et dans les cantons démocratiques de la Suisse,
l'initiative était exercée par un petit conseil. Ainsi,
à Genève, le conseil général n'avait ni l'initiative, ni
le droit d'amendement. Aujourd'hui môme, en Suisse,




COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


le droit d'initiative n'appartient7guac aux assem-
blées délibérantes. D'abord, nulle part, il n'y a deux
assemblées, et le pouvoir exécutif n'y a pas de veto,
en sorte que si l'assemblée unique avait l'initiative,
elle serait à elle seule tout le pouvoir social.


En Angleterre, si l'on remonte seulement jusqu'à
Élisabeth, on voit le speaker demandant à la reine la
libre parole pour la chambre des Communes. 11 y a
loin de là au droit plein d'initiative. Ainsi alors, sous
Élisabeth, on envoyait en prison les membres de la
Chambre qui faisaient des motions qui déplaisaient
au gouvernement. Et cependant, même alors, il y
avait chaque année des motions : la chambre des
Communes n'a jamais complétement cessé (le résister.
Aussi, le droit d'initiative a-t-il fini par appartenir
aux deux Chambres, et l'on peut dire même que le
gouvernement ne présente jamais rien. Mais il ne
faut pas s'arrêter aux apparences ; les ministres an-
glais font des propositions comme membres du
Parlement.


En France, le droit d'initiative a passé par de nom-
breuses vicissitudes depuis 4789. La Constitution
de 1791 confiait le pouvoir législatif à une assemblée
nationale qui l'exerçait sous la sanction du roi.
L'assemblée avait seule le droit d'initiative : le roi
pouvait seulement inviter l'assemblée à prendre un
objet en considération. Ainsi on avait fait le contraire
de ce qui se fait dans les autres pays où il n'y a qu'une
assemblée délibérante.


La Constitution de 4793 confiait le pouvoir légis-
latif à une assemblée délibérante, et de plus aux as-
semblées primaires. Le Corps législatif proposait la.


QUSTRE-VINCT-SIXIÈME LEÇON.
143


loi; le projet était imprimé et envoyé à toutes les
communes de la République, sous le titre de loi pro-
posée. Quarante jours après l'envoi de la loi proposée,
si, dans la moitié des départements plus un, le
dixième des assemblées primaires de chacun d'eux
n'avait pas réclamé, le projet était accepté et deve-
nait loi. S'il y avait réclamation, le Corps législatif
convoquait les assemblées primaires, et elles votaient
par oui et par non pour ou contre la loi, comme à
Rome et en Suisse.


Dans la Constitution de l'an III, le Corps législatif
était composé d'un Conseil des Anciens et d'un Con-
seil des Cinq-Cents. La proposition des lois apparte-
nait exclusivement au Conseil des Cinq-Cents. Il
appartenait exclusivement au Conseil des Anciens
(l'approuver ou de rejeter les résolutions du Conseil
des Cinq-Cents. Les résolutions du Conseil des Cinq-
Cents, adoptées par le Conseil des Anciens, s'appe-
laient loi. Le projet de loi rejeté ne pouvait plus
être présenté par le Conseil des Cinq-Cents qu'après
une année révolue.


En l'an VIII, la scène change compléternent. 11 y
avait deux assemblées (lui votaient, le Corps législatif
et le Tribunat, mais aucun n'avait l'initiative. « Il ne


sera promulgué de lois nouvelles, dit l'article 25
de la Constitution, que lorsque le projet en aura


• été proposé par le gouvernement, communiqué au
• Tribunat et décrété par le Corps législatif. — Les
• projets que le gouvernement propose sont rédigés
• en articles. En tout état de la discussion de ces


projets, le gouvernement peut les retirer ; il peut
les reproduire modifiés (article




Le Tribunat




144 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL<




discute les projets de loi, il en vote l'adoption ou
• le rejet. — Il envoie trois orateurs pris dans son
» sein, par lesquels les motifs du voeu qu'il a exprimé


sur chacun de ces projets sont exposés et défendus
• devant le Corps législatif (article 28). — Le Corps
» législatif fait la loi en statuant par scrutin secret,


et sans aucune discussion de la part de ses mem-
» ores, sur les projets de loi débattus devant lui par


les orateurs du Tribunat et du gouvernement (ar-
» ticle 34 ».


Le Tribunat fut supprimé en 1807, et l'initiative fut
concentrée dans le gouvernement.


La Charte de 1814 maintint ce principe. « Le roi,
» dit l'article 46, propose la loi ». Les Chambres
n'avaient donc pas l'initiative. L'article 19 leur
donne seulement « la faculté de supplier le roi de
» proposer une loi sur quelque objet que ce soit
» et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que
» la loi contienne ». Le roi, d'ailleurs, est libre
de tenir ou de ne pas tenir compte de cette de-
mande.


C'est un des changements remarquables de la
Charte de 1830 que l'initiative attribuée au deux
Chambres comme au roi. « La proposition des lois,
» dit l'article 15, appartient au roi, à la chambre
» des Pairs et la chambre des Députés ». Mais on a
jugé convenable de soumettre l'exercice du droit
d'initiative à certaines formes qui en sont la garan-
tie ; on n'a pas voulu que des propositions trop bi-
zarres ou inopportunes pussent être soumises aux
Chambres. Voici ce que dit à cet égard le règlement
de la chambre des Députés : « Article 41. Chaque


QUATRE-VINGT-SIXIÈME LEÇON.
145


membre qui voudra faire une proposition la si-
gnera et la déposera sur le bureau pour être coin-


» muniquée, par les soins du Président, dans les
bureaux de la Chambre. Si trois bureaux au
moins sont d'avis que la proposition doit être dé-
veloppée, elle sera lue à la séance qui suivra la
communication dans les bureaux. — Le président
de chaque bureau transmettra l'avis de son bu-
reau au président de la Chambre. — Article 42.
Après la lecture de la proposition, suivant l'ordre
dans lequel elle a été déposée, le membre propo-
sant annoncera le jour on il désire être entendu.
— An jour que la Chambre aura fixé, il exposera
les motifs de sa proposition. Article 43. Si la
proposition est appuyée, la discussion est ouverte
et le Président consulte la Chambre pour savoir si
dile prend en considération la proposition qui lui
est soumise, si elle l'ajourne, ou si elle déclare
qu'il n'y a pas lieu à délibérer ». Le règlement de


la chambre des Pairs contient dans son titre V des
dispositions analogues au sujet des propositions
faites par un de ses membres.


Quand la proposition a été prise en considération,
elle est imprimée et distribuée, et l'on procède à son
égard comme pour les projets de loi présentés par le
gouver,IGMerlt.


Nous devons faire observer, en terminant, que la
proposition ainsi faite et prise en considération ap-
partient à la Chambre. Si celui qui l'a présentée
croit devoir la retirer dans le cours de la discussion,
un autre peut la reprendre en son nom, et la délibé-
Lion continue.


iv.




QUATRE•VINGT-SEPTIÈME LEÇON


.SOMMAIRE


Du droit d'initiative attrihué aux Chambres par la Charte de 1830
dérivent rationnellement le droit d'interpellation et le droit d'enquête.
— Au droit d'interpellation se rattache la question de l'entrée des
ministres dans les Chambres. Erreur commise à cet égard par l'As-
semblée constituante en 1789; opinion de Mirabeau. — Comment
s'exerce en France et en Angleterre le droit d'interpellation. — La
nécessité des enquêtes moins grande en France qu'en Angleterre;
précédents qui ont consacré le droit d'enquête pour les Chambres.


Discussion des projets de loi et des propositions; discussion générale
et discussion des articles. — Avantages du mode anglais des trois
lectures. — Droit d'amendement.


MESSIEURS ,


Nous avons dit que l'initiative appartient à tous les
membres de la Chambre. Mais prendre ainsi l'initia-
tive, c'est dire que l'on est en. état de présenter des
idées dignes d'être adoptées par le législateur; c'est
dire que l'on possède les connaissances non-seule-
ment spéculatives mais pratiques, les connaissances
de fait nécessaires à la bonne législation. Il suit de
là que, si une Chambre est investie du droit d'initia-
tive, elle est investie par cela même du droit de se
procurer les moyens d'exercer cette initiative ration-


QUÀTRE-VINGT—SEPTIÈME LEÇON.
147


nellement et en connaissance (le cause. De là nais-
sent pour la Chambre deux autres attributions qui,
pour n'être pas écrites littéralement dans la Charte,
n'en sont pas moins incontestables : 1° le droit
d'adresser des interpellations aux ministres ; le
droit. de procéder à des enquêtes.


Le droit d'interpellation consiste à adresser, sur
telle ou telle affaire, telle on telle question aux
membres du cabinet, pour les inviter à donner à la
Chambre les explications qu'ils jugeront convenables.
Là s'arrête ce droit, qui est consacré par de nom-
breux précédents. Il découle de la nature même des
choses, et l'on pourrait, au besoin, y puiser un argu-
ment pour justifier la disposition de l'article 46 de la
Charte qui donne aux ministres entrée dans la
Chambre dont il ne sont pas membres. Nous avons
vu qu'en Angleterre il n'en est pas ainsi : les minis-
tres députés n'ont pas entrée dans la chambre des
Lords, et les ministres membres de la chambre des
Lords n'ont pas entrée dans la chambre des Commu-
nes. Cependant, les Chambres anglaises usent, et
usent même largement, du droit d'interpellation. Les
interpellations sont annoncées à l'avance ; c'est un
acte de courtoisie et de loyauté parlementaire, c'est
un moyen d'éviter des surprises peu dignes de la
gravité des assemblées et de présenter le combat à
armes égales.


Les ministres en France n'ont pas eu toujours
entrée dans les Chambres. La première assemblée
délibérante, en 1789, les repoussa. Il y avait là une
erreur qui s'explique facilement par l'état de choses
d'où l'on sortait. On avait eu longtemps le gouver-




148 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


nement ministériel le plus despotique, le plus
absolu ; on regardait naturellement avec méfiance et
même avec une sorte de crainte le pouvoir minis-
tériel, et l'Assemblée croyait assurer son indépen-
dance en lui fermant ses portes. Elle décréta même,
le 17 novembre 1789, qu'aucun de ses membres ne
pourrait, pendant la session, devenir ministre, et, ce
qu'il y a de remarquable, c'est que cette résolution
fut adoptée contrairement à l'avis de Mirabeau, qui
avait fait la motion directement .opposée d'admettre
les ministres dans l'Assemblée avec voix consultative.
L'Assemblée soupçonnait le grand orateur d'aspirer
lui-même au ministère, et crut voir un but person-
nel dans sa motion. Sa motion fut donc rejetée, et
serait difficile de calculer tout ce qu'a produit d'in-
convénients et d'embarras ce malheureux vote.
Représentons-nous cette assemblée n'ayant aucunes
communications faciles avec l'administration, au
milieu du mouvement si précipité des choses et des
événements. « Je ne puis imaginer, disait Mirabeau,
» qu'un des moyens de salut public parmi nos voi-
» lins ne puisse être qu'une source de maux parmi
• nous ; que nous ne puissions profiter des mêmes
» avantages que les Communes anglaises retirent de
» la présence (le leurs ministres ; que cette présence
» ne fût parmi nous qu'un instrument de corrup-
» lion ou une source de défiance, tandis qu'elle
» permet au Parlement d'Angleterre de connaitre à
» chaque instant les desseins de la cour, de faire


rendre compte aux agents de l'autorité, de les sur-
» veiller, de les instruire, de comparer les moyens
» avec les projets et d'établir cette marche uniforme


QUATRE-VINGT-SEPTIÈME LEÇON.
149


» qui triomphe de tous les obstacles ». Voilà les
paroles de Mirabeau, qui joignait aux vues spécula-
tives les considérations pratiques.. Il ne fard pas
perdre de vue, en effet, que l'action des assemblées
délibérantes sur la marche des affaires publiques
n'est pas seulement l'action directe et immédiate
qu'elles exercent en faisant les lois et en votant le
budget. Il y a l'action indirecte, qui est bien autre-
ment efficace. Que de choses que le pouvoir ne fait
pas et n'imagine même pas, parce qu'il y a une dis-
cussion publique, parce qu'il y a un droit d'inter-
pellation ! Ainsi, il est vrai, en principe, que les
Chambres n'administrent pas ; mais elles exercent
un contrôle sur toutes les branches (le l'administra-
tion ; on sait que le Parlement est là, et cette action
est bien autrement tutélaire pour la prospérité et la.
liberté du pays que les quelques lois qu'on fait et le
budget qu'on vote.


Le mode d'interpellation, en France, est à peu
près le même qu'en Angleterre. Si l'affaire est grave,
l'orateur qui veut user du droit d'interpellation de-
mande à la Chambre la permission de le faire. On fixe
le jour ; le membre de l'assemblée explique le sujet
de ses interpellations. Et quelle est alors l'obligation
du cabinet? Est-il forcé de s'expliquer? Non. Il est
parfaitement libre, il peut répondre ou ne pas répon-
dre. Et il n'y a là rien de dérisoire. Le jour oit l'on
établirait que le cabinet doit répondre à toutes les
Gl ue ' Hns qu'on lui adressera, la séparation des pou-
voi:s serait détruite. Le ministre peut donc répondre
ou ne pas répondre. S'il refuse de répondre en s'ap-
puyant sur de bonnes raisons, la Chambre, proba-




130 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


blement, se contentera de ces raisons. Sinon elle
aura recours à l'ultima ratio des Chambres, elle lui
refusera son concours. Le ministre exerce donc son
droit à ses risques et périls, et l'on conçoit, du reste,
que, dans un grand nombre de cas, il aura des rai-
sons suffisantes à donner pour justifier son refus de
répondre aux interpellations.


Nous avons dit que du droit d'initiative découle,
en second lieu, le droit d'enquête. Les enquêtes
sont un fait presque nouveau chez nous, niais elles
sont fréquentes en Angleterre, et il n'est presque
pas de grande question intérieure qui n'y donne
lieu. Vous connaissez toutes celles auxquelles a
donné lieu la question des pauvres. Et il y a des
enquêtes en Angleterre qui sont des modèles d'in-
vestigation.


Il ne faut pas cependant s'en exagérer la nécessité,
et il ne faut pas croire qu'elles soient aussi néces-
saires en France qu'en Angleterre. Dans ce dernier
pays, elles n'ont été souvent qu'un pis-aller. il n'y
existe pas cette uniformité et cette centralisation
administrative qui existent chez nous, tant s'en faut.
Il n'y a pas là cette organisation administrative qui,
à de très-faibles nuances près, est la même dans
toutes les parties du royaume. Tout ne part pas d'un
centre et n'y revient pas avec la même exactitude et
la même régularité. Aussi le gouvernement anglais
manquait souvent de renseignements qu'on trouve
ici dans tous les bureaux. L'enquête y était donc une
nécessité pour suppléer aux lacunes de l'administra-
tion. Voilà pourquoi nous disons qu'elle était souvent
un pis-aller.


QUATRE-VINGT-SEPTIÈME LEÇON. 131


Le besoin en est moins grand chez nous; elle peut
être facilement remplacée par d'autres moyens.
Cela ne veut pas dire pourtant qu'on ne doive jamais
y avoir recours chez nous, et l'administration elle-
même a reconnu qu'elle pouvait être utile. Ainsi
nous avons eu la fameuse enquête commerciale, où
l'on peut puiser de nombreux renseignements, non-
seulement pour la science économique, mais même
pour l'étude morale de l'homme. La même chose
peut être faite par la Chambre. Il existe un pré-
cédent dans l'enquête de 1835 sur la culture, la fa-
brication et la vente du tabac. Un avait déjà ordonné
une enquête en •831 sur la situation du Trésor
public, mais elle avait été provoquée par les mi-
nistres eux-mêmes. De même pour l'affaire du
caissier central Ressuer; mais le ministre y avait
donné son assentiment, tandis que le précédent
de 1835 dégage la question de toute incertitude. Le
principe d'ailleurs n'a été contesté par personne ;
vous pouvez voir, à ce sujet, les séances de la
chambre des Députés des 15 et 16 février 1835. On
doit regarder le droit comme établi. Si maintenant
quelques difficultés d'exécution se présentent, il
faudra que la Chambre y pourvoie par quelques dis-
positions réglementaires.


La libre discussion est un autre droit de la Chambre;
nous ne sommes plus au temps où le Corps législatif
faisait la loi « en statuant par scrutin secret et sans
» aucune discussion de la part de ses membres ».


Toute loi, dit l'article 16 de la Charte, doit être
• discutée et votée librement par la majorité de
» chacune des deux Chambres ». Et ce droit s'exerce




0


152 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


• sur toute proposition, qu'elle qu'en soit l'origine,
qu'il s'agisse d'un projet de loi présenté par le gou-
vernement ou d'une proposition d'un membre de la
Chambre.


Mais discuter une proposition dans une assemblée
nombreuse n'est pas chose facile. Lorsqu'il ne s'agit
que d'une proposition simple et, isolée, la question
se borne à savoir si l'on dira oui on non ; mais ordi-
nairement les propositions sont plus étendues, plus
complexes, elles comprennent des questions nom-
breuses, et alors il est plus difficile de régulariser
la discussion. Il y a chez nous deux sortes de débats :
la discussion générale sur le principe et l'ensemble
du projet de loi, puis la discussion des articles. La
Chambre a le droit de clore l'une et l'autre quand
elle se trouve suffisamment éclairée. Pourquoi cette
double discussion? Pour examiner la convenance,
l'esprit, l'ordonnance générale du projet de loi avant
de descendre dans les détails. Mais l'usage a aujour-
d'hui fait cesser, à peu près, les discussions géné-
rales, à la chambre des Députés du moins ; on ne
les écoute plus, elles sont sans influence sur les dé-
cisions de l'assemblée, parce qu'elles ne sont pas
suivies d'un vote et parce que, d'ailleurs, dans la
discussion des articles, on a toute latitude pour
placer même les observations générales qu'on au-
rait à présenter.


En Angleterre, comme dans notre Constitution
de 1701, il y a, pour les lois, trois lectures. La pre-
mère est un débat général sur la convenance de la
proposition. Si la solution est affirmative, la Cham-
bre se forme en comité général pour procéder à un


QUATRE-VINGT-SEPTIÈME LEÇON.
153


autre débat où l'on discute, paragraphe par para-
graphe, et oit chacun intercale, sous le titre d'amen-
dement, les modifications qu'il croit utiles. Mais il
n'est pas probable qu'il résulte de là un projet bien
combiné et bien rédigé, sans contradiction aucune
entre ses diverses parties. Entre la deuxième et la
troisième lecture, la commission a le temps de faire,
du projet amendé par les différents membres de la
Chambre, un travail homogène et bien complet. De
cette façon, chacun des points de vue sous lesquels
une loi doit être examinée est successivement sou-
mis à l'assemblée, et la discussion ne s'égare pas
en embrassant plusieurs ordres (l'idées à la fois. Cc
système a aussi l'avantage de donner aux lois un fini
qu'elles ne peuvent avoir lorsque l'on clôt le débat
sur les articles après une discussion qui a introduit
souvent dans le projet des amendements incohérents
entre eux ou en désacord avec quelque autre partie
de la loi.


Nous avons parlé des amendements. Le droit
d'amendement est le complément du droit d'initia-
tive; c'est un des plus précieux. La. Charte de 1814,
qui refusait, l'initiative aux Chambres, avait sinon
retiré du moins restreint le droit d'amendement.
« Aucun amendement, disait l'article 46, ne peut
» être fait à une loi, s'il n'a été proposé ou consenti
» par le roi, et s'il n'a . été renvoyé et discuté dans
» les bureaux ». Cette disposition était conséquente
avec celle qui refusait l'initiative aux Chambres.
L'amendement, en effet, est une modification au
projet de loi. Un principe tout à fait étranger au
projet de loi n'est plus un amendement, c'est une




154
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


proposition nouvelle, mais la distinction est souvent
très-difficile en pratique; il y a là un moyen indirect
d'arriver à l'initiative, et c'est ce que la Charte (le
1814 avait voulu empêcher. Mais il n'y a pas de loi
qui puisse résister à la marche des choses, et l'ar-
ticle 46 n'était point exécuté.


Aujourd'hui que les Chambres ont l'initiative, la
question a beaucoup moins d'importance ; tout ce
qui résulterait de l'adoption d'un amendement qui
changerait le système d'un projet (le loi, c'est que
la Chambre exercerait son droit de proposition d'une
manière peu réglementaire.


La suppression de l'article 46 de la Charte de 1814
a été la conséquence de la disposition qui rendait
l'initiative aux Chambres. Le droit d'amendement
est réglé par les articles 47 et 49 du règlement
intérieur de la chambre des Députés. La seule con-
dition pour qu'un amendement soit admis à la dis-
cussion, c'est que, après avoir été déposé et déve-
loppé par son auteur, il trouve au moins un membre
de l'Assemblée qui l'appuie.


QUATRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Vote des lois. — Formes diverses du vote à Rome, en Angleterre et en
France. — Vote public (par assis et levé) et vote secret (scrutin). —
Nombre de votants nécessaire pour la validité du vote. — Les déci-
sions ne sont pas motivées. Différence à cet égard entre les décisions
du pouvoir législatif et celles du pouvoir judiciaire; motifs de cette
différence. — Les propositions rejetées ne peuvent être représentées
dans la même session. — Reprise des projets arrivés à l'état de rap-
port clans la session précédente. — Vote de l'impôt.


MESSIEURS,


Après la discussion et l'amendement arrive le droit.
de suffrage, c'est-à-dire le droit (l'accepter ou de
rejeter. Ici se présente la question de la forme du
vote, qui a beaucoup occupé les publicistes. Le vote
doit-il être secret ou public? Les usages parlemen-
taires ne sont pas uniformes à cet égard. L'une et
l'autre forme ont été suivies à diverses époques et
dans divers pays. Quelle est la forme préférable en
soi? Les publicistes sont aussi divisés là-dessus que
sur le vote électoral.


11 est impossible d'avoir, à cet égard, une opinion
absolue a priori, car, dans ces questions où il s'agit




15(i COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de faire la somme des avantages et des inconvénients
de deux systèmes, la solution dépend beaucoup des
circonstances du pays ; il faut savoir s'il y a assez de
courage civil pour qu'on ait les avantages du vote
public sans en avoir les inconvénients.


En Angleterre, la chambre des Communes ex-
prime ses votes à haute voix. L'orateur (président)
demande que ceux qui sont d'avis d'accepter l'article
ou le projet disent oui, et que ceux qui sont d'avis de
le rejeter disent non, et l'on crie oui ou non, selon le
cas. Le bureau apprécie la force du bruit que font
ces non et ces oui. Mais, comme il est quelquefois
assez difficile de mesurer ainsi l'éclat des voix, on
peut demander et l'on demande toujours, pour les
affaires importantes, la division de la Chambre. Ceux
qui sont pour une opinion sortent, les autres restent.,
et les scrutateurs comptent les membres qui se trou-
vent dans l'une et l'autre pièce. C'est un mode de
voter assez bizarre, el, qui a le grave inconvénient
d'interrompre à chaque instant les travaux, et de
causer une sorte de tumulte par ces promenades
continuelles.


A Rome, dans le Sénat, on avait un mode assez
analogue de recueillir les voix. Les uns allaient, d'un
côté de la salle, les autres de l'autre; de là les ex-
pressions pedibus ire in sententiam, pedibus sentention
referre. C'est une forme un peu plus simple, mais
qu'il aurait été difficile de suivre en Angleterre, à
cause de la petitesse du local.


Nous avons chez nous les deux formes de vote, le
vote public et le vote secret. D'après l'article 32 du
règlement : « Toute proposition ayant une loi pour


QU ATRE-VINGT-HUITI E LEÇON.
157


» objet , est votée par la voie du scrutin secret.
A l'égard des autres propositions, la Chambre vote,
par assis et levé, à moins que vingt membres


» n'aient demandé le scrutin secret, ou ne le de-
» mandent après une première épreuve ». Ainsi,
toute proposition ayant une loi pour objet est votée
au scrutin secret; à l'égard des autres, le vote par
assis et levé est, en général, suffisant.


L'ensemble des propositions de lois est voté au
scrutin ; mais pour les diverses dispositions de ces
lois qui doivent être successivement discutées et
adoptées, avant qu'on arrive au vote sur l'ensemble,
on vote ordinairement par assis et levé ; le vote au
scrutin, dans ce cas,. n'a lieu que par exception. Or,
il ne faut pas perdre de vue que, dans un projet de
loi, il y a toujours quelque disposition fondamentale
qui est, pour ainsi dire, l'âme du projet. Ainsi, sup-
posez une loi électorale, et supposez qu'il y ait dans
cette loi quarante articles. Il y en a un qui dira :
« Le cens électoral est de tel ou tel chiffre », ou bien
« La capacité électorale découle de telle ou telle
qualité ». Évidemment, voilà une disposition qui
domine le projet tout entier ; la grande bataille
s'établira sur cet article. On votera par assis et levé,
et, au fond, ce sera voter la loi, puis il y aura scrutin
secret sur l'ensemble de la loi. Eh bien, il est possible
que le scrutin public (par assis et levé) donne un ré-
sultat et que le scrutin secret en donne un autre.
Voilà ce qui peut résulter de ce mode de cumuler
deux manières de voter. Mais, d'un autre côté, si l'on
votait au scrutin secret chaque article, il faudrait
des mois, des années pour voter une loi un peu




158


COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


étendue. Le vote public est donc une nécessité, dès
quetoeuvre législative est un peu étendue.


Mais quel est le nombre de députés requis pour
qu'une délibération de la Chambre soit efficace ?
C'est là une question de droit public qui suppose un
fait : c'est que les mandataires ne déploient pas un
zèle extrême dans l'accomplissement de leur mandat.
Ainsi on a remarqué, en Angleterre, que, sur 680
membres, on pouvait regarder comme chose établie
qu'il en manquait toujours pour le moins un tiers ;
et je dis dans les cas graves, car dans les séances
ordinaires il manquait souvent la moitié ou les deux
tiers. Mais cela n'arrive pas seulement dans les mo-
narchies. Ainsi, dans plusieurs des petitesrépubliques
suisses, où la loi demandait un nombre de députés
fort élevé, il a été impossible pendant longtemps
d'avoir une séance et de délibérer. Et cependant ce
sont des États où, dans les plus vastes, on peut en
douze heures, ou tout au plus en vingt-quatre heures,
arriver à la frontière, et il a fallu se contenter d'un
moindre nombre de votants.


L'expédient, que quelques publicistes ont suggéré,
d'une mesure pénale contre les députés qui ne se
rendent pas à leur poste, n'.a pas grand résultat.
D'abord la Chambre est un tribunal qui n'est pas
très-disposé à se montrer sévère dans ces cas-là. Les
amendes sont également de peu d'effet. Chez nous,
il y a un moyen de police auquel on a quelquefois
recours, c'est l'appel nominal et l'insertion au Moni-
teur des noms des absents, ce qui n'empêche pas
que la Chambre ne soit quelquefois fort dégarnie.
Mais, quoi qu'il en soit, il est parfaitement vrai que,


QUA.TRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON.
159


si l'on exigeait que la Chambre fût au complet, il n'y
aurait jamais de discussion, il faut donc toujours
compter sur un ensemble composé d'un nombre
moindre que le nombre total.


En Angleterre la latitude est immense. Sur une
chambre des Communes de 680 membres, on peut
délibérer avec 40 membres seulement, et certains
bills même, qu'on appelle trial bills, peuvent être
faits par 15 membres, mais il faut au moins 40 mem-
bres s'il y a réclamation.


Cette nécessité d'avoir . un nombre fixe pour déli-
bérer était comprise même clans les temps anciens.
Vous avez vu dans les lettres de Cicéron : numera
senatum. Quel était ce nombre? On ne le sait pas
trop ; on a prétendu qu'il était primitivement de
100 et sous Auguste de 400, mais cela n'est pas cer-
tain. Ce qui est certain, c'est qu'il fallait un certain
nombre de sénateurs.


De même, en Angleterre, vous avez le numera sena-
tum; mais on ne le dit jamais, parce que, si l'affaire
est importante, il y a toujours assez de monde, et
que, si l'affaire est peu importante, personne ne
s'inquiète de savoir si le nombre y est ou non.


L'article 1.6 de la Charte porte : « Toute loi doit
être discutée et votée librement par la majorité


» de chacune des deux Chambres ». Sur cet article
il pouvait s'élever deux questions : la première, de
savoir si les expressions : par la majorité de chacune
des deux Chambres, s'appliquaient également au mot
discutée et au mot votée, ou simplement au dernier
mot. Ce passage a été interprété par l'article 38 du
règlement, comme ne s'appliquant qu'au vote. « La




160


COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» présence de la majorité des députés est nécessaire
» pour la validité des votes de la Chambre ». La
Chambre peut donc d iscuter, mais ne peut pas voter
sans être eu majorité.


Quand nous parlerons de la chambre des Pairs,
nous vous signalerons une deuxième question, celle
de savoir si le mot majorité veut dire majorité des
membres de la Chambre, ou majorité des membres
présents à la séance; dans la- chambre des Députés,
il faut la majorité des députés.


Supposons maintenant le vote prononcé ou par'
assis et levé ou par le scrutin secret. Le résultat est
proclamé par le président en ces termes : La Cham-bre a adopté, ou la Chambre n'a pas adopté,. rien de
plus. La Chambre ne motive pas ses délibérations,
elle discute, entend les raisons pour et contre, niais
elle ne prononce que par vote pur et simple, par
affirmation ou par négation. Cela est dit formelle-
ment dans la loi du 13 août.1814, titre Il article 3 :
« Les Chambres ne motivent 1


.1i leur acceptation ni
» leur rejet ; elles disent seulement : La Chambre a
» adopté, ou n'a pas adopté ».


Et, en vérité, il n'est pas nécessaire de vous indi-
quer les motitS de cette disposition. Que les déci-
sions d'un homme ou d'un petit nombre d'hommes
puissent être motivées, cela se conçoit, surtout
lorsque, comme dans le cas du pouvoir judiciaire,
la mission est d'appliquer, non de créer la loi.
Qu'est-ce qu'un jugement ? C'est nu syllogisme dont
les prémisses sont le fait, et la loi ; mais le pouvoir
législatif est lancé, pour ainsi dire, dan sl'espace, il
a devant lui tout ce qui est possible, il n'est pas


QUATRE-VINGT-11U1TIÈME LEÇON.
161


enfermé dans l'enceinte du droit positif. Sans doute,
le pouvoir judiciaire est quelquefois appelé à rem-
plir une lacune, à interpréter une loi, mission très-
délicate, très-difficile, et dont nous ne craignons
pas, quant à nous, l'exercice grand et large. Mais
toujours est-il qu'il n'est pas connue le pouvoir légis-
latif. Dans le pouvoir judiciaire, d'ailleurs, il y a
plusieurs ressorts, et il est bon que la juridiction
supérieure connaisse les motifs de la juridiction in-
férieure. Dans le pouvoir législatif il n'y a qu'un res-
sort; chacune des trois branches de ce pouvoir est
l'égale des deux autres, et n'a aucun compte à leur
rendre. Elle n'a qu'a manifester sa volonté, et les
motifs de sa décision se trouvent dans l'ensemble
de la discussion qui a précédé le vite. Si la Chambre
rejette, il n'y a rien à faire, tout est fini. « La loi qui


n'est pas adoptée, dit l'article 4 du titre III de la


loi du 13 août 1814, ne dorme lieu à aucun mes-
» sage ni à aucune mention sur les registres de la
» Chambre D. Une proposition non adoptée n'existe
pas, il n'y a lieu à aucun message, car de quelle utilité
serait un message; il n'y a rien à faire. Si, au contraire,
la Chambre adopte, il faut qu'elle fasse connaître son
adoption, soit afin que la chambre des Pairs puisse
à son tour délibérer, soit pour que la Couronne déli-
bère si elle sanctionnera ou non ce qu'ont voté les
Chambres. Alors la proposition suit sa marche ou
devant l'autre Chambre ou devant la Couronne.


Mais lorsqu'une proposition a été rejetée, ne peut-
elle se reproduire ? Oui, sans doute, mais cependant
concevriez-vous cette lutte obstinée et, en quelque
sorte, injurieuse? On viendrait demain présenter à


1v.




162 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


la Chambre la même proposition, comme si l'on pou-
vait espérer de gagner les hommes du jour au len-
demain et de les faire changer d'avis. Ce serait un
moyen de déconsidération pour les pouvoirs publics,
ou de choc entre les diverses branches du pouvoir
législatif. Aussi, une proposition rejetée ne peut être
reproduite dans la même session. C'est là une dispo-
sition insérée dans la Charte elle-même, à l'article 17 :
« Si une proposition de loi a été rejetée par l'un des
» trois pouvoirs, elle ne pourra être représentée
» dans la môme session ». Par l'un des trois pouvoirs;
donc par la chambre des Députés, comme par la
chambre des Pairs, comme par la Couronne, c'est
le même résultat. Et aujourd'hui surtout que l'initia-
tive est commune aux trois pouvoirs, il est d'autant
plus important de prévenir le choc qu'il y aurait eu
si l'on pouvait revenir immédiatement à la charge.
Il faut que les esprits se calment ; les membres de la
chambre des Députés, rentrant dans leurs foyers, se
rapprochent de leurs électeurs, peuvent se retremper
dans l'opinion du pays et voir s'ils ont eu raison de
rejeter la proposition présentée par l'un des autres
pouvoirs, ou de présenter la proposition qui a été
repoussée. On revient après avoir fait des réflexions,
et une nouvelle discussion peut avoir lieu alors saris
les mêmes inconvénients que si elle eôt eu lieu dans
la session précédente, au moment où la proposition
venait d'être repoussée. C'est donc, au point de vue
de la marche des affaires, une disposition plus im-
portante qu'elle ne paraît l'être au premier abord
que celle qui défend de reproduire dans la même
session une proposition rejetée.


QUATRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON.
163


Il s'était élevé une autre difficulté dont je dois
vous dire un mot, parce qu'elle a de l'importance,
surtout depuis que l'initiative a été attribuée aux
Chambres. Il se commençait une affaire, une propo-
sition était présentée, les bureaux l'examinaient
préalablement et en permettaient la lecture; la lec-
ture était faite, et tout cela prend plus de temps
qu'on ne se l'imagine, l'auteur était admis à en déve-
lopper les motifs, et la Chambre la prenait en consi-
dération. La proposition était renvoyée dans les
bureaux, une commission était nommée et examinait
l'affaire, un rapport était fait et lu à la Chambre, puis
la session était finie, et quand la session recommen-
çait, on disait : Il n'y a plus rien. Il y avait ainsi du
temps et du travail perdus. On a cherché un remède


cet inconvénient, et voici la disposition qu'on a
adoptée. « hors le cas de dissolution de la Chambre
» ou d'expiration du pouvoir (le ses membres
Aujourd'hui vous comprenez toute la portée de ces
expressions ; il est clair que lorsque les cinq années
pour lesquelles les députés sont nommés viennent à
expirer, tout est fini. « Hors le cas de dissolution de
» la Chambre ou d'expiration des pouvoirs de ses


membres, les travaux législatifs commencés et in-
terrompus par la clôture de la session pourront,
à la session suivante, être repris dans l'état où ils,
sont restés. — Cette faculté, applicable seulement
aux projets sur lesquels un rapport aura été fait,
sera exercée en vertu d'une décision de la Chambre,
prise sur la demande d'un de ses membres ». Cette


disposition a été appliquée plusieurs fois, et la
Chambre y gagne du temps.




164 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Ces droits de la Chambre, ces droits qui consti-
tuent l'essence des gouvernements libres, s'appli-
quent, comme je viens de le dire, non-seulement aux
lois proprement dites, mais à toute résolution de la
Chambre, car la Chambre ne délibère pas seulement
sur des lois, mais aussi sur autre chose que des lois.
Le champ de la législation, de la loi proprement dite,
est vaste. Ainsi, toutes les fois qu'il s'agit de mo-
difier notre organisation, ou politique, ou civile, Ou
criminelle, (le statuer sur les impôts, sur la force
publique, sur les colonies, pour toutes ces choses il
faut des lois. En général, il faut des lois toutes les
fois qu'il ne s'agit pas simplement de l'exécution des
règles existantes. Lorsqu'il ne s'agit que de faire
exécuter ce qui est, nous sommes clans le domaine
de l'ordonnance. Quand il s'agit de prendre l'initia-
tive sur quelque chose, c'est le domaine (le la loi;
et alors il faut une loi proprement dite, à moins
que, par mesure d'exception, il ne s'agisse d'objets
retirés du domaine de la législation et laissés au pou-
voir exécutif.


Mais, indépendamment de la loi, la Chambre prend
d'autres résolutions. Ainsi elle peut statuer sur son
règlement, le modifier, comme elle l'a fait plusieurs
fois ; ainsi elle exerce certaines juridictions. Tou-
jours elle procède par voie de proposition, discus-
sion et vote.


A plus forte raison, ces formes s'appliquent-elles
au droit de voter l'impôt, ce droit qui, vous le savez,
est un des plus beaux du système représentatif, le
vote de l'impôt, le vote annuel de tout impôt quel-
conque. De sorte que, pour répéter ici les paroles


QUATRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON.
165


qui se trouvent à la fin de chaque budget, tou te per-
ception d'un impôt non autorisé par la loi proprement
dite serait une concussion de la part de l'agent ou du
fonctionnaire quelconque qui la ferait ou y prêterait
les mains. C'est là, je le répète, un des bienfaits du
système représentatif.
• Je ne veux cependant exagérer aucune idée. Vous
avez, sans doute, entendu dire souvent qu'un des
moyens les plus certains de résistance de la part de
la Chambre serait le refus du budget. Mais ici un
grand publiciste a fait remarquer qu'il ne faut s'exa-
gérer aucun moyen. Sans doute, le refus d'une allo-
cation, le refus d'une certaine quotité d'impôt peut
se concevoir comme un moyen qui n'aurait pas be-
soin de circonstances tout à fait extraordinaires pour
être employé ; mais le refus du budget veut dire que
la force publique ne serait pas payée, qu'aucun
fonctionnaire ne serait payé, que la dette publique
ne serait pas payée, que la machine gouvernemen-
tale enfin s'arrêterait tout court. Or, vous concevez
comment il a pu arriver que des Chambres, quand
même elles se trouvaient en présence d'un pouvoir
exécutif qui ne leur inspirait pas de confiance, ne
sont pas arrivées cependant de prime saut au refus
du budget. Ce n'était donc pas sans raison que le
publiciste dont je viens de parler disait qu'il ne. fal-
lait pas s'exagérer la possibilité d'avoir recours à ce
moyen. 11 n'est pas moins vrai que la Chambre a le
droit de refuser l'impôt, comme elle a le droit de
repousser tout. projet de loi quelconque. Mais c'
le summum jus, et les conséquences qu'entraînerait


est là


une pareille mesure sont trop graves pour qu'on




166 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


l'emploie légèrement. Mais quand nous parlons des
droits de la Chambre, nous pouvons dire que le
droit de voter l'impôt est une chose essentielle; car,
sans en venir à l'extrémité dont nous parions, le
vote de l'impôt fournit bien des moyens d'exercer
une action sur le gouvernement.


Mais que serait-ce si le ministre, arrivant tous les
ans à la Chambre, lui présentait une espèce de tohu-
bohu et lui disait, par exemple : Il nous faut un mil-
liard? Le vote serait dérisoire; car il arriverait que
quand on voudrait abuser de la force armée, on lais-
serait en souffrance un autre service et qu'on porte-
rait tout l'argent sur l'armée. Ce vote en bloc, pour
tous les services du pays, serait donc une dérision ;
les Chambres n'auraient jamais le moyen de voir
clair dans les affaires du pays. Or, l'importance du
vote de l'impôt, c'est sans doute la protection de la
bourse des contribuables, mais c'est surtout le droit
d'investigation dans les affaires du pays. Or, si vous
supposez un vote en bloc, cela n'a plus aucune espèce
d'im portance.


Si, au contraire, il fallait que chaque ministre vînt
devant la Chambre et lui dit : Non-seulement je ne
vous demande pas de voter en bloc, mais je vous
demande de voler tant de mille francs pour le
papier dont on fera usage clans mon ministère, tant
pour les plumes, etc. ; si le ministère de la guerre
devait venir demander non 50,000 francs pour répa-
rer une forteresse, mais 1,000 francs pour telle
chose, 1,000 francs pour telle autre chose, il arri-
verait d'abord qu'on n'en finirait pas et que la
Chambre ne porterait aucune at


QUATRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON.


167


bien il arriverait que la Chambre administrerait le
pays à livres, sous et deniers, et que les ministres
n'auraient plus aucune action, ni aucune responsabi-
lité. Or quelle pourrait être la responsabilité de la.
Chambre ? Aucune ; car elle ne peut pas avoir de
responsabilité légale.


Voyez clone combien la question de l'impôt est
difficile. Faire voter les impôts en masse, c'est une
dérision. Faire descendre la Chambre dans les dé-
tails, c'est déplacer cornpléternent la responsabilité
ministérielle, et faire de la Chambre un mauvais
corps administratif. 11 y a donc là un problème à
résoudre, un moyen à chercher pour que le vote de
l'impôt ne soit ni dérisoire pour la Chambre, ni sans
protection pour le pays, pour qu'il y ait sauvegarde
pour le pouvoir administratif, et en même temps
sauvegarde pour le pays. Or, il faut reconnaître
qu'on a fait de grands pas dans cette question. Je
crois qu'aujourd'hui nous avons trouvé la solution
véritable.


tention au vote ;




QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON. 169


.11


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Règles à suivre pour que le vote de l'impôt ne soit ni dérisoire par une
trop grande généralité, ni destructif de toute administration par une
spécialité excessive. Tableau des prévisions du budget pour chaque
nature de recettes et de dépenses, classification qui doit être faite
d'après les caractères essentiels de chaque objet. — Compte rendu:
double nature d'investigation judiciaire et politique, l'une s'appliquant
plus particulièrement aux comptables, l'autre aux ordonnateurs.
— Douzièmes provisoires. — Principe de la spécialité par chapitres.
— Crédits supplémentaires et crédits extraordinaires. — Loi des
comptes.


MESSIEURS,


Le vote de l'impôt est une des plus précieuses
prérogatives et une des plus puissantes garanties
de notre droit constitutionnel. Mais, pour atteindre
le but sans le dépasser, il faut que, par sa généra-
lité, il ne soit pas dérisoire et que, par une trop
grande spécialité, il ne dépouille pas l'administration
de son droit et de sa responsabilité, en 'confondant
les pouvoirs. Si l'on étudiait le problème en lui-
môme, abstraction faite des usages et des précé-
dents, on reconnaîtrait assez facilement les règles
générales qui doivent dominer la matière.


Pour que le vote de l'impôt ne soit ni dérisoire
par une trop grande généralité, ni destructif de
toute administration par une excessive spécialité, la
raison et le bon sens nous disent qu'il faut établir
comme règle qu'il sera présenté chaque année, par
l'administration, aux assemblées délibérantes, un
tableau préalable des dépenses ,présumées, des
recettes présumées, et cela pour chaque nature de
dépenses et de recettes.


Je dis que la raison et le bon sens pourraient le
dire. Quand on regarde, en effet, la manière dont
un homme sensé règle ses affaires domestiques,
pour peu que ces affaires aient quelque étendue et
quelque importance, se conduit-il autrement`? Lui
aussi, avant le commencement de l'année, se de-
mande quels sont ses revenus, et, pour connaître
approximativement ses revenus (le l'année suivante,
il examine une à une les diverses sources de ces
revenus. S'il a des revenus fixes, il cherche à se
faire une idée de leur chiffre approximatif, en jetant
un regard sur l'avenir, pour savoir s'il y aura ou
non des circonstances qui puissent influer sur la
marche des choses de manière à modifier la si-
tuation de l'année précédente. De même, pour son
budget des dépenses, il n'arrivera pas à se faire
un compte minutieux de chaque objet dont il pourra
avoir besoin dans le courant de l'année, mais il dé-
terminera la dépense de la nature des objets. il
saura, par exemple, que, pour le loyer et l'entretien
de la maison, il faut tant ; qu'il faut tant pour la
nourriture, tant pour l'habillement de la famille, etc.,
sans se demander pourtant quel sera le prix de




170 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


chaque chose qu'il aura à payer. Eh bien, il en est
de même des dépenses publiques. Le bons sens
nous dit que cette évaluation préalable et approxi-
mative, peut et doit se faire pour chaque nature de
dépenses et de recettes. Et ici, remarquez-le, sup-
posez une excellente division (lu travail administra-
tif; car au fond qu'est- ce que l'administration, si ce
n'est un grand travail susceptible d'une division
utile, comme celle qu'on applique dans les autres
travaux sociaux? Supposez, dis-je, une bonne divi-
sion du travail administratif, et vous avez la division
de votre budget toute faite.


Dans le travail gouvernemental est comprise l'ad-
ministration de la justice. Voilà un des objets fonda-
mentaux de l'ordre social. L'administration de la
justice forme donc une grande section du travail
gouvernemental. Ét puis cette section se subdivise
elle-même : vous avez la justice civile, la justice
criminelle, la justice commerciale, la justice mili-
taire, etc. Or, supposons que, dans un tableau des
prévisions du budget, nous trouvions ce qui con-
cerne la dépense des tribunaux de commerce au
chef du ministère du commerce, parce que ces tri-
bunaux sont composés de commerçants : eh bien,
nous dirons que ce n'est pas rationnel, que les tri-
bunaux de commerce sont un fragment de l'adminis-
tration de la justice, et qu'il importe peu que la
justice commerciale soit administrée par des com-
merçants ou par d'autres juges ; qu'elle:fait évidem-
ment partie de l'administration de la justice. Ainsi,
nous n'hésiterons pas à dire que, si nous trouvions
cette section au budget du commerce, nous la décla-


QUA.TRE-;VINCT-NEUVIÈME LEÇON.


171


rerions mal placée, parce que le point capital n'est
pas la qualité de commerçant, mais l'administra-
tion de la justice. Or, quand un objet se présente
sous deux faces, la logique veut qu'on le classe
d'après son caractère dominant.


Les règles de classification sont les mêmes pour
toutes choses, pour toutes les branches des con-
naissances humaines. Ainsi, en histoire naturelle,
est-ce qu'on s'attache à des caractères accidentels?
Ce serait une confusion à ne pas s'y reconnaître. On
s'attache aux caractères essentiels; cela est telle-
ment vrai, qu'on néglige souvent des caractères
apparents pour prendre des caractères qui ont
besoin de connaissances anatomiques pour être
connus.


La raison donc, indépendamment de toute expé-
rience, nous apprend qu'il faut faire d'abord un
tableau par prévision des recettes et des dépenses
d'après chaque nature d'objets, et en voici une rai-
son plus intime encore. Je l'ai présenté jusqu'à pré-
sent comme une pure convenance de classification
et de méthode; mais il y a plus. Quand vous formez
le tableau des dépenses générales de l'État renfer-
mant tous les objets qui y rentrent naturellement :
justice, guerre, marine, travaux publics, etc., à, qui
appartient-il de dire : Dans cet ensemble pour
tel objet, pour atteindre tel but spécial, je ne veux
dépenser que cette somme? Qui a le droit de résoudre
cette question? Par la raison même de la question
prise en soi, il est évident que c'est une question à
laquelle le législateur seul a le droit de répondre ;
parce que c'est une question à laquelle on ne peut




172 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


répondre d'une manière rationnelle que par une
appréciation générale de tous les besoins possibles ;
c'est une question à laquelle vous ne pouvez répondre
exactement qu'en faisant, une évaluation approxima-
tive de chaque objet dans des circonstances données
ou probables.


Ainsi, faites la question en l'appliquant à quel-
ques objets particuliers. Imaginez un budget comme
les Anglais font les bills, c'est-à-dire; avec les chiffres
en blanc. Guerre, nombre d'hommes en blanc,
armes, quantités en blanc, et, à côté, travaux pu-
blics également les chiffres en blanc, etc. A qui
appartient-il de remplir ces vides, à qui appartient-
il de dire : Mettez tel chiffre plutôt que tel autre?
Au législateur. Mais est-ce uniquement par la nature
des pouvoirs ? Non, c'est par la nature même de la
réponse. En effet, comment fait-on pour dire : Je
puis retrancher dix millions sur la guerre et les
reporter sur les travaux publics? Comment fait-on
pour arriver à cette réponse? Il faut être en état de
faire une appréciation des circonstances du pays,
d'apprécier l'importance relative de chaque objet
dans les circonstances probables de l'année pro-
chaine. Il faut une haute prévision politique. Ce ne
peut donc pas être une réponse confiée uniquement
à l'administration ; elle doit être confiée au pouvoir
suprême du pays, à la puissance législative. Ainsi,
comme vous le voyez, même par le seul raisonne-
ment, vous arrivez à poser la règle que nous avons
indiquée.


Une fois le but spécial signalé pour chaque chose,
pour chaque objet, une fois la somme approximative


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON. 173


fixée pour chaque nature d'objets, alors le rôle direct
du législateur cesse ; il s'agit alors d'encaisser les
sommes prévues et de les employer comme le légis-
lateur l'a indiqué. Voilà où la responsabilité de l'ad-
ministration arrive ; en thèse générale, cela est du
ressort et de la reponsabilité de l'administration.


Je dis en thèse générale, car il est vrai que quel-
quefois le choix des moyens est d'une telle impor-
tance que le législateur l'indique par la loi. Quelque-
fois aussi le meilleur moyen à employer est un
moyen contraire aux lois existantes, et alors il faut
une loi pour autoriser l'administration à s'en servir.
Ainsi, il se peut que, pour atteindre le but de la
défense de l'État, il faille employer des moyens que
l'administration ne pourrait employer d'elle-même.
Il peut donc 'y avoir des cas où le législateur doit
indiquer et voter même les moyens.


Les moyens, enthèse générale, do i vent être indiqués
et appréciés dans la discussion des lois de finances
comme des arguments. Supposons une assemblée
délibérante votant une place forte. On lui représente
qu'il y a tel point de la frontière qui est dégarni.
Eh bien, l'assemblée vote l'établissement de la place
forte sur cette frontière. Comment la discussion se
fera-t-elle? Dans la discussion, non-seulement on
prouvera que la frontière est découverte, mais, de
plus, que la situation des lieux est telle, qu'elle offre
les moyens de construire. avec succès. On fera plus,
toujours comme argument. On demandera quatre
millions, par exemple; mais pour obtenir cette somme
on donnera une idée de la place qu'on entend cons-
truire, on dira si c'est une forteresse, un fort, un




174 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


camp retranché, etc. On indiquera les moyens dont
on entend se servir. Ce sont des moyens d'argumen-
tation pour obtenir le vote.


Ainsi, il est dans la nature même des choses que
la nature des objets soit déterminée par le législa-
teur. Le choix des moyens, les mesures réglemen-
taires, le choix des hommes appartiennent à l'adminis-
tration, quoique, quant aux moyens, il puisse y avoir
des exceptions à cette loi générale, et que d'ailleurs
le développement des moyens s'emploie toujours
comme argument dans la discussion.


Voilà une premier règle. Supposez maintenant ce
tableau de prévision discuté, volé. Y a-t-il garantie
suffisante? Mais si les objets que le législateur avait
en vue n'étaient pas remplis, si les sommes allouées
étaient employées à d'autres objets que ceux pour
lesquels elles étaient volées, bref, si la loi n'était
pas exécutée, le vote serait dérisoire. Il y a donc une
autre garantie, il y a un compte rendu, la raison le
dit. Mais ici, si l'on étudie bien la nature du système
représentatif, on ne tarde pas à reconnaitre, que,
relativement au compte rendu, il se présente un
ordre double d'investigation, c'est-à-dire qu'il se
présente l'idée d'une investigation en quelque sorte
judiciaire et l'idée d'une investigation publique. Je
m'explique.


Quand on vote l'impôt, on vole de l'argent, de
l'argent à encaisser et de l'argent à dépenser. Si l'on
vote de l'argent à encaisser et à dépenser, il faut
qu'il y ait des hommes qui encaissent cet argent et
des hommes qui ordonnent de le dépenser de telle
ou telle manière ; c'est ce qui résulte de la nature


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.


175


même des choses. Lorsque le contribuable arrive, il
faut qu'il trouve quelqu'un à qui remettre son ar-
gent ; et puis il faut que ceux qui ont reçu payent à
ceux à qui il est dû à raison des dépenses que
l'État doit faire. Or, comment se fera ce rapproche-
ment? Voici l'argent et voici l'homme que je pré-
sente comme créancier de l'État. Il faut quelqu'un
qui les mette en rapport, il faut quelqu'un qui
ordonne de payer, qui donne une ordonnance de
payement. Il est clone dans la nature des choses qu'il
y ait deux classes d'hommes qui s'occupent ;de cette
affaire, les ordonnateurs et les comptables. Quel est
leur rôle ? Le comptable qui a payé et qui a les
mains vicies doit pouvoir dire à la fin de sa gestion :
« Ce que j'ai reçu, je l'ai donné à qui je devais le
» donner D. Voilà le rôle du comptable. — « Mais
vous avez payé une dépense mal faite, vous avez
payé quelqu'un qui n'avait pas fait la chose comme
il devait la faire ; vous avez payé une dépense qui
n'a pas profité à l'État ». — « Cela ne me regarde
pas, dira-t-il, je suis un banquier qui paye sur des
bons que vous avez donnés ». Lorsque votre tailleur
se présente avec un bon de vous, le banquier ne
s'inquiète pas de savoir si vos habits sont bien
mal faits, mais si le bon qu'on lui présente porte
bien votre signature. Il y a donc une vérification,
qui se rapporte directement au comptable, qui
consiste surtout à voir si la gestion a été exacte,
fidèle, conforme aux règles, si tout s'est payé
conformément aux règles établies.


Mais supposons maintenant que tout se soit bien
passé à cet égard; est-ce à dire que l'ordonnateur




176 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


ait administré avec zèle, avec intelligence, avec
dévouement, en se pénétrant bien de l'objet spécial
que le pouvoir se proposait, • et en employant les
meilleurs moyens pour atteindre le but? C'est là mie
autre question, question d'un ordre supérieur ; c'est
même une question qui ne peut pas être appréciée
sainement, équitablement, si on l'étudie dans un
seul cas particulier, quand on veut apprécier la ges-
tion de ce grand mandataire, parce qu'il se peut que
sur un point il n'ait pas bien régi, mais qu'il ait bien
régi sur l'ensemble. Je laisse de côté toute question
de fraude, de dilapidation. indépendamment de cela,
il y a une appréciation en quelque sorte politique.
Est-il un administrateur capable, intelligent, zélé,
dévoué ? Et sans doute, quand le contraire serait
reconnu, la question pourrait aller plus loin. Y a-t-il
matière à accusation ? Et cette accusation même,
comme nous l'avons vu, appartient à la chambre des
Députés.


Ainsi, vous voyez qu'il y a, au fond, deux ordres
d'investigation, l'une qui s'applique plus particuliè-
rement aux comptables, la seconde qui s'applique
aux ordonnateurs. La première consiste à voir si
tout a été régulièrement fait ; l'autre pose une ques-
tion plus générale, celle de savoir si l'administration
a été capable, dévouée, intelligente. Dès lors, il est
clair que vous ne pouvez pas confier les deux inves-
tigations à la même autorité, car la première, de sa
nature, participe de l'action judiciaire, la seconde
est une investigation politique.


Voilà comment on arrive aux règles générales par
le simple raisonnement. Pourquoi n'est-on pas


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
177


arrivé tout de suite au même résultat dans • la prati-
que? Les raisons seraient nombreuses ; mais, en
dernier résultat, pourquoi ? D'un côté, parce que les
gouvernements proprement dits avaient l'habitude
de gérer, et de gérer sans contrôle. Dès lors, quand
on a établi des assemblées délibérantes, on s'est
plié difficilement à l'idée qu'elles pourraient porter
leurs investigations sur ces matières. D'un autre
côté, les premières assemblées délibérantes ont un
peu dépassé le but, et indépendamment de ce rôle
que la raison leur attribue, elles ont voulu adminis-
trer par détail et supplanter l'administration pro-
prement, dite. Dès lors, elles avaient excité des
défiances, et l'on craignait de voir le pouvoir admi-
nistratif absorbé par le pouvoir législatif. Voilà
pourquoi, en 18t4, ces principes n'ont pas été em-
piétement appliqués, et même ce n'est que tout
.récemment qu'on en a fait une application à peu
près complète.


Voici maintenant comment les choses se passent :
La première règle que nous avons indiquée est exé-
cutée par la présentation de la loi annuelle de finan-
ces, en d'autres termes, du budget, expression qui
vient, comme vous le savez, d'un vieux mot qui veut
dire poche ou sac. Le budget se compose de deux
lois, la loi des dépenses et la loi des recettes. La loi
des dépenses, c'est ce tableau de prévision des dé-
penses dont j'ai parlé, comme la loi des recettes est
le tableau approximatif des recettes.


Le tableau (les dépenses doit donc évaluer approxi-
mativement les dépenses ponr l'année suivante. Le
tableau des recettes doit également évaluer approxi-


I V. 12




178 • COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


relativement le produit des divers impôts dont la loi
doit autoriser la perception. N'oubliez pas que tou-
jours la loi du budget se termine par un article qui
déclare concussion la perception d'un impôt non
voté par la législature. Ainsi, régulièrement parlant.,
nul objet de dépense ne peut être abordé par le pou-
voir administratif, s'il n'est pas compris dans le
tableau des dépenses ; nulle recette ne peut être
faite, si elle n'est pas prévue dans le tableau des
recettes. Dans le premier cas, il y a dépense irrégu-
lière ; dans le second cas, il y a concussion. Voilà
la règle générale.


Mais ne peut-il pas y avoir des cas tellement
extraordinaires que la législature ne puisse pas,
même avant le commencement de l'année financière,
avoir le temps de voter le budget? Cela s'est pré-
senté après la révolution de Juillet. Ainsi, le 31 dé-
cembre, qu'est-ce qu'un gouvernement qui n'a pas
de budget pour l'année qui va commencer ? C'est un
gouvernement qui n'a pas le sou. Alors on a eu
recours à un expédient. On a demandé aux Cham-
bres de voter des douzièmes provisoires. Voter des
douzièmes provisoires, c'est dire que provisoire-
ment, sans autre examen, on maintient pour un,
deux ou trois mois, les impôts sur le pied où ils se
trouvent alors. Mais ce sont là des mesures extra-
ordinaires, et un gouvernement qui, hors de cir-
constances tout à fait extraordinaires, se laisserait
ainsi acculer à la veille de l'échéance de tout le bud-
get voté, pour demander des douzièmes provisoires,
manquerait à ses devoirs les plus essentiels.


On présente donc la loi des dépenses. Jusqu'à une


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
179


certaine époque, on présentait un budget pour chaque
ministère. Mais qu'arrivait-il? Dans chaque budget,
il y avait bien des chapitres; ainsi, le ministre de la
guerre venait demander 200 millions ; il y avait bien
divers chapitres, cela était regardé comme des indi-
cations pour rendre la discussion plus claire et plus
facile ; mais le principe était que le ministre pouvait
se mouvoir librement dans l'enceinte de son budget.
Cela voulait dire, par exemple, que les 200 millions
pouvaient être dépensés autrement que les indica-
tions du budget ne l'énonçaient. Les Chambres
n'avaient donc, dans la division par chapitres, qu'une
pure indication pour faciliter la discussion ; cette di-
-vision n'était pas obligatoire pour le ministre. 11 était
dans son droit, pourvu qu'il ne dépensât pas plus
(lue ne donnait l'ensemble de son budget. Une ordon-
nance du 1" septembre 1829 commença à établir le
grand principe qu'on appelle la spécialité, la spécia-
lité dans le vote des dépenses, c'est-à-dire que chaque
ministre devait partager son budget en sections ; les
Chambres votaient section par section, et dès lors le
mouvement ministériel était moins libre, c'est-à-dire
que le ministre pouvait se mouvoir encore, mais
seulement dans la section, et non dans le budget
tout entier.


Ce n'était cependant qu'un premier pas de fait,
parce que les sections étaient assez complexes elles-
mômes. La spécialité ne paraissait pas suffisante.
C'est après la Révolution de 1830 qu'on a établi net-
tement le principe. La loi du 29 janvier 1831 dit
« Le budget des dépenses de chaque ministère sera
» à l'avenir divisé en chapitres spéciaux; chaque




180 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» chapitre ne contiendra que des services corrélatifs
» ou de même nature ». Voilà le principe. Ainsi,
chaque chapitre ne peut contenir que des services
corrélatifs ou de même nature. Ces phrases sont un
peu vagues ; on peut soulever la question de savoir
quand un service est ou non corrélatif à un autre, et
c'est par les précédents que ces questions spéciales
seront résolues ; mais, une fois le cadre bien fait, cela
ira tout seul. Il y a déjà de ces précédents ; peu à
peu l'expérience viendra résoudre les questions qui
peuvent s'élever à cet égard.


Ainsi, chapitres spéciaux composés d'objets corré-
latifs et de même nature, sans droit de transporter
des sommes d'un chapitre à l'autre, voilà la règle
établie. Que peut-il arriver par des circonstances
extraordinaires et impérieuses ? Il peut arriver deux
choses ; veuillez ne pas confondre les deux choses
que je vais vous indiquer. Il se peut que l'admi-
nistration soit obligée d'élever la dépense au-dessus
des sommes allouées dans le budget. Ainsi, je sup-
pose, dans la crainte d'une invasion, on a alloué un
million pour un camp retranché prés de la frontière:
il est arrivé un événement de force majeure, l'ad-
ministration a dépensé trois millions. De même, il
peut arriver que, dans des circonstances extraordi-
naires, il se présente un objet auquel on n'avait nulle-
ment pensé, une dépense imprévue dont le budget
ne parle pas. Il s'agit ici, non d'excéder une dépense,
mais de faire une dépense nouvelle. Ainsi, la crainte
d'une invasion ou bien une maladie épidémique
éclatant tout à coup obligerait le gouvernement à
faire une dépense complétement imprévue. Qu'ar-


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
181


rive-t-il dans ces deux cas ? De deux choses l'une :
les Chambres sont en session, ou elles n'y sont pas.
Si les Chambres sont en session, le gouvernement
doit immédiatement leur porter une loi particulière
pour obtenir un crédit qui, dans . le premier cas,
s'appelle crédit supplémentaire, et., dans le second
cas, s'appelle crédit extraordinaire.


Je dis un projet de loi particulier, ce qui veut dire
que, lorsqu'il sera à la veille de présenter la nouvelle
loi du budget, il ne pourra pas venir glisser la de-
mande de crédit supplémentaire ou extraordinaire
dans le budget de l'année prochaine ; il faut qu'il
vienne présenter une loi spéciale, particulière, pour
l'objet en question.


Mais, ordinairement, les Chambres ne sont pas
assemblées quand ces circonstances se présentent.
Alors il faut une ordonnance du roi, laquelle sera
soumise aux Chambres à la session prochaine, pour
être, s'il y a lieu, convertie en loi. C'est dire en d'autres
termes que, dans le cas où les Chambres ne sont pas
là, si le ministre fait la dépense, il la fait sous sa res-
ponsabilité, il met en jeu sa responsabilité. Si la
Chambre approuve la dépense, elle vote et lui accorde
cc que les Anglais appellent un bill d'indemnité. Si la
Chambre rejette la dépense, alors la dépense a été
faite irrégulièrement, et nous verrons plus tard
quelles sont les conséquences de ce fait.


Remarquez que, avant l'année 1833, on n'exigeait
de loi spéciale que pour les crédits extraordinaires,
on n'en exigeait pas pour les crédits supplémentaires.
Aujourd'hui, on ne peut plus faire ainsi ; il faut une
loi spéciale avec un exposé des motifs ad hoc et une




182 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


discussion expresse pour les crédits supplémentaires,
aussi bien que pour les crédits extraordinaires ; il y
a une garantie de plus quand le ministre, au lieu de
glisser un chiffre dans son budget général, est obligé
de présenter une loi particulière et de subir une dis-
cussion uniquement Sur ce projet. Enfin, une dernière
garantie, c'est que les ordonnances du roi qui ac-
cordent des crédits ne sont pas exécutoires pour le
ministre des finances, si elles n'ont été délibérées en
conseil des ministres.


Vous voyez donc comme nous nous sommes, dans
la pratique, rapprochés des vrais principes de la
théorie. On peut affirmer aujourd'hui que la France
est peut-être le pays où ces règles fondamentales
sont le mieux appliquées et le plus complétement
réalisées dans le droit positif.


Je ne dis qu'un mot sur les antres garanties.
Il faut un compte rendu ; le ministre est obligé de


présenter ce qu'on appelle la loi des comptes, pour
régulariser les dépenses faites les années précé-
dentes. On voit là ce qu'on a dépensé, et comment
les dépenses ont été faites i et là, les Chambres
peuvent exercer cette investigation double dont je
parlais. L'examen de la Cour des comptes porte spé-
cialement; sur les actes des comptables, mais les
deux choses se touchent, s'engrènent.; il se peut très-
bien que des investigations de la Cour des comptes
sortent parfois des éléments pour l'investigation
politique des Chambres. Aussi, la. Cour des comptes
a le droit de faire des observations, et ces observa-
tions sont communiquées aux Chambres; et ce n'est
pas le seul document présenté aux Chambres; il y a


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
183


beaucoup d'autres rapports de la Cour des comptes,
il y a le rapport de la commission près la caisse
d'amortissement, etc.


Je ne prolongerai pas davantage ces détails, mais
vous voyez comment les trois garanties se réunissent:
discussion du budget avec spécialité par chapitres,
loi des comptes et communication des documents
les plus importants, pour que la discussion puisse
être fondée en raison et sur examen des faits. Cet
ensemble constitue un système, système qui approche
singulièrement, je crois, de ce que la théorie peut
exiger. Il se peut qu'il reste encore quelques disposi-
tions (le détail susceptibles d'être amendées un jour
ou l'autre; mais je crois que le voeu qu'on doit former
n'est pas tant d'aller au delà que de voir ces dispo-
sitions diverses, ce beau code financier, politique et
administratif à la fois, réunies dans un ouvrage ou
dans une loi.




QUATRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Attributions de la chambre des Pairs. Elles sont les mêmes que celles
de la chambre des Députés, sauf l'initiative dans le vote des lois
d'impôt. — Manière de procéder dans l'examen des propositions de
loi, (les propositions relatives à des dispositions purement réglemen-
taires et des autres propositions faites par les pairs. — Droit d'inter-
pellation et d'enquête consacré implicitement par l'article 58 du
règlement. — Police de la Chambre. — Renvoi (les projets de loi aux
commissions, après le vote des articles, pour en coordonner les dis-
positions avant le vote définitif sur l'ensemble. — Majorité nécessaire
pour le vote; moins élevée qu'à la chambre des Députés. — Les pairs
de France n'ont pas, comme les pairs d'Angleterre, le droit de pro-
tester contre une décision de la Chambre.


MESSIEURS,


La chambre des Pairs est une des branches du
pouvoir législatif, la chambre des Pairs est une as-
semblée délibérante appelée à s'occuper des affaires
générales de l'Êtat. Il est donc dans la nature des
choses que les attributions de la chambre des Pairs
soient assez analogues à celles de la chambre des
Députés, et il serait superflu de faire un historique
détaillé de chacune des attributions de la chambre
des Pairs, puisque nous serions, par la nature même


QUATRE—VINGT—DIXIÈME LEÇON.
185


des choses, entraînés à répéter une grande partie de
ce que nous avons dit relativement aux attributions
de la chambre des Députés.


Il y a cependant des différences plus ou. moins
importantes, soit parce que la chambre des Pairs
a des attributions particulières, soit parce que cer-
taines attributions analogues se trouvent modifiées
dans leur application à la chambre des Pairs. C'est
donc essentiellement de ces différences que nous
aurons à nous occuper.


Nous commencerons par signaler les différences
qui se rencontrent dans les attributions des deux
Chambres, en ce qui touche les affaires générales
et en particulier, la formation des lois.


La première, nous l'avons déjà vu, c'est une
grande restriction qnant au droit d'initiative. D'après
la Charte de 4830, le droit d'initiative appartient
'également à la chambre des Députés et à la chambre
des Pairs; il n'est plus la prérogative absolue de
la Couronne. Mais il y a un point essentiel, une
partie capitale des affaires publiques sur laquelle la
chambre des Pairs ne peut prendre l'initiative nous
voulons parler des impôts. Nous aurons occasion
de parler de cette restriction à la fin de la séance.
Je me borne ici à la signaler. L'article 15 de la Charte
dit : « Toute loi d'impôt doit être d'abord votée par
» la chambre des Députés ».


L'initiative, dans les limites où elle lui est accor-
dée, est exercée à la chambre des Pairs de la même
manière qu'à la chambre des Députés ; chaque mem-
bre de la chambre des Pairs peut faire une propo-
sition.




186 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Le règlement de la chambre des Pairs a nettement
distingué trois natures de propositions : les propo-
sitions de lois, les propositions de dispositions pure-
ment réglementaires pour la Chambre elle-même,
et qui, en conséquence, n'ont pas besoin du concours
des autres branches de la puissance législative; enfin
les propositions de toute autre nature, les proposi-
tions qui ne sont ni des propositions de loi, ni des
propositions réglementaires. Cette distinction se
trouve au titre V du règlement de la chambre des
Pairs, portant cette rubrique : Règles particulières
aux, propositions faites par un des pairs. Lorsque la
proposition d'un pair de France a pour objet une
loi, lorsque le droit d'initiative est, en conséquence,
exercé dans sa sphère la plus élevée, il est soumis
dans son exercice à quelques règles, à quelques
garanties particulières, analogues à celles que nous
avons déjà examinées en parlant de la chambre des
Députés. 11 n'est donc pas permis à un pair de
France, pas plus qu'à un député, de contraindre,
en quelque sorte, l'assemblée à s'occuper d'une
proposition quelconque qui lui aurait traversé l'es-
prit; la lecture de la proposition doit être permise,
l'examen fait dans les bureaux, et la Chambre décide
si elle la prend en considération (Art. 50 à 53).


La disposition du règlement de la chambre des
Députés qui attribue à tout membre de la Chambre
le droit de reprendre et de faire sienne une proposi-
tion qu'un autre membre 'abandonne après l'avoir
faite, se retrouve également dans le règlement de la
chambre des Pairs (Art. 54) ; c'est une extension du
droit d' in itiative.


QUATRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.
187


Quant aux propositions purement réglementaires,
elles sont également soumises aux garanties et aux
formes que nous venons d'indiquer, et cela en vertu
de l'article 57 du même règlement.


Mais il peut y avoir d'autres propositions qu'un
membre de la Chambre peut faire, autre chose qu'une
loi ou une modification au règlement : il peut propo-
ser une adresse à la Couronne, il peut proposer une
enquête, il peut proposer une interpellation au mi-
nistère sur telle ou telle question d'une haute impor-
tance, même une interpellation telle qu'elle entraîne-
rait clans la Chambre une espèce d'examen sur l'état
général du pays. Il peut donc y avoir, en dehors des
propositions législatives et des propositions régle-
mentaires, d'autres propositions, même d'une grande
importance, et embrassant les affaires générales du
pays dans presque toute leur étendue. C'est de ces
propositions que s'est occupé le règlement à l'ar-
ticle 58 : « Lorsqu'un pair croit devoir appeler l'at-


tention de la Chambre sur un objet étranger à
l'ordre du jour et ne rentrant point dans les pro-
positions prévues aux articles 50 et 37 précédents,
il dépose sur le bureau une demande indiquant le
sujet sur lequel il désire obtenir la parole. Cette
demande est lue immédiatement par un des secré-
taires, et si elle est appuyée par deux membres,
le président consulte la Chambre, qui décide, s'il y


D a lieu, le moment auquel le pair sera entendu ». Il
y a donc ici d'autres formalités essentielles que celle
de rédiger la demande par écrit., de la déposer sur le
bureau, et d'obtenir l'approbation de la Chambre.
Quand le pair ne trouve pas deux personnes qui




188 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


l'appuient, il faut que la proposition soit bien insi-
gnifiante ou peu digne de l'attention de la Chambre.
C'est donc la forme anglaise, faculté de proposer à
la Chambre un sujet de discussion quelconque, sauf
l'assentiment de la Chambre elle-même. C'est tou-
jours ce principe que la Chambre est juge de l'ordre
de ses délibérations, qu'elle est le juge unique et
souverain de son ordre du jour.


Le droit d'interpellation est évidemment compris
dans cet article, car l'article parle de propositions
autres que celles prévues aux articles 50 et 57 du
règlement. Et il faut reconnaître que le droit d'inter-
pellation, qui ne se fonde guère à l'autre Chambre
que sur des précédents, a été prévu à la chambre des
Pairs par cette disposition de l'article 58, et c'est
même le cas qui doit être le plus fréquent pour les
propositions qui ne sont ni législatives ni réglemen-
taires. On ne propose pas souvent une enquête ou
une adresse ; la proposition qui est la plus difficile a
faire et arrive le plus immédiatement au but qu'on
désire atteindre, c'est l'interpellation aux membres
du gouvernement. Ainsi, loin qu'on puisse dire que
le droit d'interpellation n'entre pas clans les attribu-
tions de la chambre des Pairs, il faut reconnaître que
ce droit est prévu par l'article 58 de son règlement,
où il est parlé de « toute autre proposition que les
propositions législatives ou réglementaires ».


J'en dirai autant du droit d'enquête. En ce qui
concerne le droit d'enquête, il n'existe pas pour la
chambre des Pairs un précédent aussi net, aussi
positif que celui que j'ai indiqué pour la chambre
des Députés ; mais le droit d'enquête découle du


QUÀTRE-VINGT-DIX I EME LEÇON. 189


droit d'initiative; l'enquête est un moyen de s'éclai-
rer pour savoir s'il y a lieu ou non d'exercer telle ou
telle initiative, soit l'initiative proprement dite, soit
le droit d' amendement..On ne peut pas supposer à un
corps délibérant l'intention de faire une enquête
uniquement pour faire une enquête ; s'il se déter-
mine à une enquête, c'est que, dans une question
qui doit bientôt l'occuper, il juge qu'il ne possède
pas tous les faits nécessaires pour l'éclairer. Si cela
est, le droit d'enquête appartient de sa nature à
l'une comme à l'autre Chambre, l'une et l'autre étant
une branche de la puissance législative, ayant le
même droit de s'éclairer sur les questions qui lui
sont présentées. Or, quoiqu'on dise et quoique je
reconnaisse que les précédents ne sont pas nom-
breux, on ne peut contester ce droit d'enquête ;
ce serait un peu tard aujourd'hui que l'enquête a été
faite, que le rapport a été présenté à la Chambre, et.
que ce droit a été reconnu et exercé nemine contra-
dicente en tant que droit, car ceux qui ne voulaient
pas l'enquête ne contestaient pas le droit, mais seu-
lement l'opportunité. C'est là une question de fait,
de-convenance, qui n'a rien de commun avec la ques-
tion de principe. Ainsi, quand nous aurions un fait
législatif contraire, nous reconnaîtrions que le droit
d'enquête existe, et parce qu'il découle de la nature
même des choses depuis que les Chambres ont l'ini-
tiative, et parce qu'il existe un précédent que nous
ne pouvons regarder comme illégal. Si donc le droit
d'enquête est irrécusable, il appartient à une Cham-
bre comme à l'autre.


Nous n'avons pas besoin de répéter ici que, tout




190 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


en reconnaissant le droit d'enquête, nous recon-
naissons les premiers qu'il reste encore beaucoup à
faire pour régulariser le droit de la Chambre. 11 peut
se présenter tel ou tel cas difficile à résoudre. Ainsi,
aucune des personnes qu'appelle la Chambre ne
voudrait se présenter, la Chambre aurait-elle des
moyens de coercition, ou bien aurait-elle seulement
le droit de recourir au gouvernement pour obtenir
ces moyens, ou bien serait-elle obligée de renoncer
à l'enquête? Voilà de quelle nature sont les ques-
tions qui pourront, un jour ou l'autre, se présenter,
et qu'il faudra décider ; mais il ne dérive pas de là
que le principe en lui-même puisse être contesté.


La chambre d.es Pairs jouit donc du droit d'ini-
tiative d'interpellation et d'enquête comme la cham-
bre des Députes, sauf la restriction que nous avons
indiquée.


Elle jouit de même du droit de libre discussion,
et, quant aux formes à suivre à cet égard, elles sont
également décrites, détaillées, dans le règlement de
la chambre des Pairs ; l'exercice du droit, comme à
la chambre des Députés, est soumis à certaines for-
mes pour la régularité du débat et la plus grande
clarté de la discussion. Il y a même une certaine dif-
férence entre les mesures, je dirai de police, pour la
discussion dans la chambre des Députés et pour la
discussion dans la chambre des Pairs ; le règlement
de la chambre des Pairs est moins prévoyant, sans
être d'ailleurs insuffisant. 11 prévoit moins le cas de
trouble, de désordre, d'agitation, que le règlement
de la chambre des Députés. Ainsi vous avez vu dans
le règlement de la chambre des Députés que, sans


(AUTRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.
191


arriver à la sévérité des usages et des précédents
du Parlement anglais, sans arriver à menacer les
membres (lu Parlement de la prison, il y a cepen-
dant quelques règles de discipline assez sévères:
rappel à la question, rappel à l'ordre, rappel à
l'ordre motivé, insertion au procès-verbal avec cen-
sure, enfin suspension de la séance et la parole refu-
sée à un membre qui a abusé de la tribune. Vous
ne trouvez pas tout cela dans le règlement de la
chambre des Pairs; les dispositions se bornent à
exiger qu'on demande la parole au président (art. 21),
à permettre au président d'interrompre l'opinant
s'il enfreint quelque disposition du règlement, s'il
s'écarte de la 'question ou s'il blesse les convenances
(art. 22); enfin, comme maximum, de rappeler
nominativement à l'ordre le membre qui trouble
l'ordre (art. 24). C'est à cela que se bornent les
dispositions du règlement de la chambre des Pairs,
et elles sont suffisantes. Il ne faut pas s'en étonner :
la chambre des Députés est, par la nature des
choses, un peu plus exposée à une sorte de vivacité
dans la discussion, soit parce qu'elle est plus nom-
breuse, soit parce que la chambre des Pairs est
naturellement composée d'hommes la plupart assez
âgés et ayant, en général, une longue expérience des
affaires ; ils sont tous, ou en grande majorité du
moins, sortis de l'armée, de la haute magistrature,
des hautes fonctions publiques ; cela donne à une
assemblée plus de calme, moins de disposition à
s'agiter, et ceux mêmes qui, par leur âge, pourraient
se trouver dans les circonstances où se trouvent
placés les députés, sont retenus davantage par cette




192 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


assemblée d'hommes âgés, ayant une longue habi-
tude des affaires politiques, qui se trouvent dans la
chambre des Pairs. Et il en sera toujours ainsi tant
que l'article 23 de la Charte sera en vigueur ; car,
comme nous l'avons fait remarquer, on ne trouvera
guère dans la chambre des Pairs des membres de
25 ou 30 ans. Il peut ici s'élever la question de
savoir si cela est bien ou mal, la question nous
importe peu ; mais, en fait, la moyenne d'âge tendra
toujours à être supérieure à celle de la chambre des
Députés.


Les formes de la discussion dans la chambre des
Pairs sont parfaitement analogues à celles qu'on
observe dans la chambre des Députés. Dans la
chambre des Pairs aussi il y a deux discussions, dis-
cussion générale et discussion sur les articles, et
j'ai déjà fait remarquer que la plus grande différence
entre les deux Chambres se trouve dans la maniere
de nommer les commissions, les commissions de la
chambre des Pairs étant la plupart du temps nom-
mées par le président.


Mais il y a, dans le règlement de la chambre des
Pairs, un article que je tiens à signaler à votre
attention ; il mérite d'être remarqué. C'est l'ar-
ticle 30. La chambre des Pairs a le droit d'amende-
ment comme la chambre des Députés ; il peut donc
se présenter à la chambre des Pairs aussi, dans la
discussion d'un projet de loi, plusieurs amende-
ments, beaucoup d'amendements même, pour peu
que le projet de loi soit un peu étendu. Or j'ai déjà
fait remarquer que c'était là l'avantage essentiel de
ce qu'on appelle en Angleterre les trois lectures, c'est


QUATRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.
103


que, dans le premier débat, on a la discussion géné-
rale, dans la second la discussion (les amendements,
et puis, dans l'intervalle du deuxième au troisième
débat, la commission peut revoir le tout., et, à la
troisième lecture, le projet a toute la netteté, toute
la pureté de formes, d'expressions, de rédaction
nécessaires pour que la loi soit digne d'une société
civilisée et éclairée.


La chambre des Pairs n'a pas les trois lectures,
mais voici l'article 30 de son règlement : « Lorsque


des amendements ont été adoptés, la Chambre
peut prononcer, après le vote des articles, le ren-
voi du projet de loi à la commission, pour qu'elle
en coordonne les dispositions avant qu'il soit sou-


» mis à la lecture, qui, dans ce cas, doit précéder
le vote de l'ensemble du projet ». Ainsi, à la


chambre des Pairs, on a discuté un projet article
par article, le projet est surchargé d'amendements,
et l'on craint qu'il n'y ait quelque trouble, quelque
désordre dans la rédaction ; eh bien, quoique la
discussion soit terminée, on renvoie le projet à la
commission, qui procède, en quelque sorte, à un
troisième débat et rapporte le projet à la Chambre.
L'article dit, à la vérité, que la commission se borne
à le lire; mais qu'est-ce qui empêche que la Chambre
ne fasse des observations et ne renvoie une seconde
fois le projet à la commission? On se rapproche donc
autant que possible du troisième débat sans le dire ;
seulement, cela n'est pas toujours nécessaire ; c'est
là le remède porté à l'abus de faire toujours un
troisième débat. L'article du règlement de la chambre
des Pairs a cela de bon, qu'il pose le germe d'un


13




104 COURS DE DROIT CONSTUUT1ONNEL


troisième débat, mais d'un troisième débat alors
seulement qu'il est nécessaire, lorsque le grand
nombre des amendements en a fait sentir le besoin.
La chambre des Députés, dira-t-on, peut bien faire
la même chose, quoiqu'elle n'ait pas cette disposi-
tion dans son règlement. Elle le peut sans doute ;
mais ce sont là des démarches qu'on fait plus facile-
lement lorsqu'un article du règlement les a indi-
quées. Je crois que la chambre des Pairs, en plaçant
cet article dans son règlement, a apporté un véri-
table perfectionnement à la manière de faire les lois.


Le droit de -vote de la chambre des Pairs est le
même que celui de la chambre des Députés ; elle
aussi est parfaitement libre d'adopter ou de rejeter,
elle non plus n'est pas tenue de donner les motifs de
ses adoptions et de ses rejets. L'article 16 de la
Charte porte : « Toute loi doit être votée par la ma-
jorité de chacune des deux Chambres », et je vous
ai fait remarquer déjà qu'il pouvait s'élever la ques-
tion de savoir si, en disant par la majorité de la
Chambre, on voulait dire par la majorité de tous les
membres qui composent la Chambre, ou bien la ma-
jorité des membres présents au moment du vote. La
chambre des Députés, par son règlement, a appliqué
l'article dans le premier sens ; elle a pris la majorité
de la Chambre, c'est-à-dire la majorité des membres
ayant droit de siéger et de voter, ce qui fait que,
quand cette majorité n'est pas présente, la Chambre
ne peut pas délibérer. La chambre des Pairs a pro-
cédé autrement ; elle n'exige pas la majorité des
membres de la Chambre, elle se contente de la ma-
jorité des membres présents; mais, comme cette


QUATRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.


]95


interprétation pourrait avoir pour résultat une loi
votée par quelques pairs seulement, la Chambre a
déterminé la quotité nécessaire pour que la délibé-
ration soit valable ; elle l'a déterminée à l'article 48
de son règlement en la fixant au tiers. «,La Chambre
» ne peut prendre une délibération ni procéder à
» une élection que lorsque le tiers des Pairs ayant
» voix délibérative est présent ». Ainsi, s'il y a
180 pairs sur le registre de la pairie française, il faut
que 60 au moins soient présents pour que la délibé-
ration soit valable; s'il y a 300 pairs, 100 au moins
doivent être présents ; alors, sur les présents, il faut
la majorité.


Les deux Chambres procèdent. donc différemment,
elles ont appliqué d'une manière différente le même
article de la Charte. On peut trouver peut-être des
raisons pour justifier ces applications différentes.
La chambre des Députés est un corps composé d'un
nombre fixe et déterminé, dont chaque unité corres-
pond à une unité de la division administrative de la
France; les députés, sans cloute, sont les députés
de la France et non les députés de leurs arrondisse-
ments ; mais il n'est pas moins vrai que l'assemblée
des députés donne le résultat des élections des di-
vers arrondissements, puisqu'il n'y a pas un seul
arrondissement en France qui n'ait un député. Or;
le pays, en s'appliquant à lui-même la règle que la
majorité représente le total, se trouve représenté
lorsque la majorité de ses députés siége. La chambre
des Pairs n'est pas.-composée d'un nombre fixe de
membres, le droit de la Couronne à cet égard est
illimité. Dès lors, le nombre constitutif de la majorité




COURS96 DE DROIT CONSTITUTIONNEL.1


à la chambre des Pairs ne pourrait pas avoir la
même importance que le nombre constitutif de la
majorité absolue à la chambre des Députés. A cette
raison, qui paraîtra peut-être un peu subtile, on peut
en ajouter une autre : c'est que plus nous avancerons,
le système de l'hérédité étant exclu, plus la chambre
des Pairs sera composée de vieillards, qui apporte-
ront des lumières, mais ne pourront pas apporter
autant de santé que les députés. On s'expliquera
ainsi que la chambre des Pairs exige un moins grand
nombre de membres présents pour la validité des
délibérations.


Quant aux formes du vote, elles sont les mêmes
à peu près que dans la chambre des Députes, c'est-
à-dire qu'il y a vote public et vote secret, vote par
levé des mains et vote par scrutin. « Sur les quel-
» tions d'ordre et de priorité, sur la question gréa-
» fable ou d'ajournement à une autre séance, sur la


proposition de délibérer ou de prendre en consi-
dération, sur la clôture de la discussion et sur
toutes les autres questions qui ne sont que pré-
paratoires ou incidentes, les pairs expriment leur
vote en levant les mains (art. 37). — Si l'épreuve


» est douteuse, elle est renouvelée. — Si cette se-
» coude épreuve laisse subsister le doute, les mem-
» bres pour se lèvent et sont comptés ; les membres


contre se lèvent ensuite et sont pareillement comp-
» tés. — Nul ne peut prendre la parole entre deux


épreuves (art. 38). — Dans toute délibération, si
» quinze pairs réclament le vote par scrutin, soit


avant toute épreuve, soit après une première ou
une seconde épreuve douteuse, ce mode est néces-


QUXTRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.
197


» sairement adopté (art. 40). — Les articles des
» projets de loi et les résolutions de la chambre des


Députés peuvent être votés dans les formes éta-
blies aux articles 37 et 38 ci-dessus. — Sur l'en-


» semble du projet de loi, il ne peut jamais être voté
qu'au scrutin (art. 41) ». Ainsi, vous voyez que le


scrutin secret est de nécessité pour l'ensemble des
projets de loi, comme à la chambre des Députés.


Le résultat est proclamé de la même manière, et
l'article 49 du règlement de la chambre des Pairs
dit : « Toute protestation contre une décision de la
» Chambre est interdite ». Pourquoi cet article ?
On a craint probablement que la similitude des mots
ne fournît quelque fâcheuse analogie. Vous savez
que les pairs anglais ont le droit de protester contre
une décision de la Chambre. Ainsi, on a voulu décla-
rer formellement que toute protestation est interdite,
que tout pair, comme tout député, doit se soumettre
à la décision do la majorité et n'a aucun droit de
protester, et on l'a dit formellement dans le règle-
ment, comme une délaration que la pairie française
aujourd'hui n'est autre chose qu'une magistrature
poli tique.


je termine par quelques mots sur le vote de l'im-
pôt. Le vote de l'impôt appartient à la chambre des
Pairs comme à la chambre des Députés. La chambre
des Pairs, comme je l'ai dit, n'a pas l'initiative à cet
égard; l'impôt doit être voté d'abord à la chambre
des Députés ; mais, sauf cette restriction, lé droit
de la chambre des Pairs est le même que celui de la
chambre des Députés. C'est là une différence avec
le Parlement anglais. Aucun bill ayant pour objet




198 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL


un impôt ne peut être voté d'abord par la Chambre
haute, et il y a plus ; un money bill ne peut être
amendé ; les pairs peuvent seulement adopter ou
refuser ces bills, mais ils n'ont pas le droit de les
amender. Si le temps le permettait, il ne serait pas
difficile de remonter aux origines historiques de ces
faits. Ces origines historiques remontent à la féoda-
lité elle-même. Ce sont des faits qui n'ont rien
(l'étrange en Angleterre tant que l'ensemble des
institutions reste ce qu'il est. Chez nous, ces
règles ne seraient pas applicables; il y a des raisons
pour justifier le refus d'initiative à la chambre des
Pairs, il n'y en aurait aucune pour lui refuser le
droit d'amendement.


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Attributions de la chambre des Pairs en ce qui concerne les affaires
particulières : — Vérification des ordonnances de nomination des
pairs. — Pétitions. — Droit de police sur les personnes étrangères.
Jugement des délits d'offense contre la Chambre. — Juridiction
exclusive de la Chambre sur ses membres; ils ne peuvent être arrêtés
que de son autorité et jugés que par elle en matière criminelle.
— Jugement des ministres mis en accusation par la chambre des
Députés.


Juridiction de la chambre des Pairs pour les crimes de haute trahison
et les attentats à la sûreté de — Arguments présentés pour
établir la nécessité de confier à une juridiction plus élevée que la juri-
diction ordinaire le jugement des crimes politiques. — Haute Cour
nationale de la Constitution de 1191. -- Haute Cour de justice de la
Constitution de l'an III. — Haute Cour de la Constitution de l'au VIII.
— Haute Cour impériale. — liante juridiction donnée à la chambre
des Pairs par les Chartes de 1814 et de 1S30. Procédure établie par
les précédents.


MESSIEURS,


Les attributions de la chambre des Pairs, en ce
qui concerne l'administration des affaires du pays,
ne diffèrent guère de celles de la chambre des Dé-
tés. Les différences les plus notables existent en ce
qui concerne les affaires particulières. Vous avez vu
quelles sont à cet égard les attributions de la
chambre des Députés. Je signale rapidement
aujourd'hui les différences qui existent sous ce




200 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


rapport entre les attributions des deux Chambres.
Et premièrement, par la nature même des deux


institutions, il est évident que la chambre des Pairs
n'a pas de vérification de pouvoirs à faire; elle vé-
rifie seulement l'ordonnance de nomination, ainsi
que nous l'avons déjà expliqué, c'est-à-dire qu'elle
vérifie si l'homme qui se présente pour siéger
comme pair de France est véritablement porteur
d'un titre régulier qui l'autorise à siéger dans la
chambre des Pairs.


De même quant-à l'élection des fonctionnaires de
la Chambre. Vous savez déjà que la chambre des
Pairs n'a pas la nomination de son président ; la
nomination du grand référendaire appartient égale-
ment à la Couronne; la Chambre n'a que la nomina-
tion de ses secrétaires.


Le droit de pétition peut être également exercé
devant l'une et l'autre Chambre, et, à cet égard, les
attributions de l'une et l'autre Chambre sont les
mêmes ; l'une et l'autre ont également le droit de
recevoir les pétitions et de les discuter, soit pour les
renvoyer aux ministres, soit pour les écarter si elles
ne paraissent pas clignes de la recommandation de
la Chambre. Je n'ajoute rien à ce que j'ai dit à ce su-
jet en parlant de la chambre des Députés ; je me
borne seulement à vous dire que les formes régle-
mentaires de la chambre des Pairs sont, en cette ma-
tière, fort analogues à celles de la chambre des
Députés; qu'il existe là aussi une commission chargée
d'examiner les pétitions et d'en faire le rapport à
la Chambre; et ce qu'il y a de particulier à la cham-
bre (les Pairs se résume en ceci que, tandis que le


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON.
201


plus souvent les commissions sont nommées par le
président de la Chambre, la commission des péti-
tions est nommée par les bureaux; il y a, pour les
pétitions, un comité composé de sept pairs, parce
qu'il n'y a que sept bureaux, et le comité est renou-
velé tous les mois (article (33 du règlement).


Il y a une autre disposition particulière, qui se
trouve à l'article 64 du règlement. Le comité ne
s'occupe que des pétitions adressées à la Chambre
dans le cours d'une session, et dont les signatures
sont suffisamment constatées.


Enfin, au lieu de faire un rapport toutes les se-
maines, le comité n'est tenu de faire un rapport que
tous les quinze jours (article 65).


La chambre des Pairs exerce, comme la chambre
des Députés, un droit de police. Elle a d'abord la po-
lice de l'assemblée elle-même nous avons eu déjà
occasion de parler des mesures adoptées à cet égard,
et nous avons vu que, sans aller aussi loin que celles
qui ont été adoptées par la chambre des Députés,
elles peuvent être regardées comme parfaitement
suffisantes.


Elle exerce également un droit de police sur les
personnes étrangères à la Chambre, sur les personnes
qui assistent à ses séances, les séances de la chambre
des Pairs étant publiques aujourd'hui comme celles
de la chambre des Députés. Ainsi, « pendant tout le


cours des séances, les personnes placées dans les
» tribunes se tiennent assises, découvertes et en
• silence.—Toute personne qui donne des marques
» d'approbation ou d'improbation est sur-le-champ
» exclue des tribunes par les huissiers chargés d'y




202 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


» maintenir l'ordre. — Tout individu qui trouble les
» délibérations est traduit sans délai devant l'auto-
» rité compétente » (article 83).


Elle exerce un droit de police également par le
droit qu'elle a, comme la chambre des Députés, de
suspendre la publicité de ses séances, car l'article 27
de la Charte de 1830, qui consacre le principe de la
publicité des séances pour la chambre des Pairs, dit :
» Les séances de la chambre des Pairs sent publiques,
» comme celles de la chambre (les Députés ». Or,
que dit l'article 38 de la. Charte relatif à la publicité
des séances de la chambre des Députés? Il dit qu'elles
sont publiques, mais que, sur la demande de cinq
membres, la Chambre se forme en comité secret.
En conséquence, la chambre des Pairs, dont les
séances ont la même public,ité que celles de la chambre
des Députés, peut aussi se former en comité secret
sur la demande de cinq de ses membres.


En troisième lieu, elle a, comme la chambre des
Députés, le droit de réprimer, par des jugements
prononcés par elle-même, les offenses contre la
Chambre prévues par la loi de 1819. C'est exacte-
ment le même droit que celui que la loi accorde à la
chambre des Députés.


Un droit particulier à la chambre des Pairs, c'est
la juridiction exclusive qui lui appartient sur les
membres de la Chambre. Ici, l'analogie entre les deux
Chambres n'existe plus. Vous le savez, en effet, l'in-
violabilité des députés est restreinte dans certaines
bornes. Le député ne doit rendre compte à personne
de ses actes, de ses discours, de ses opinions émises
comme député ; la contrainte par corps ne peut être


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON.
203


exercée contre lui durant la session et dans les six
semaines qui la précèdent ou la suivent; enfin, aucun
membre de la chambre des Députés ne peut, pendant
la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en
matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit,
qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
Telles sont les garanties dont la loi constitutionnelle
a entouré la personne des députés.


Les pairs de France ont une garantie plus étendue.


Aucun pair, dit l'article 29 de la Charte, ne peut


être arrêté que de l'autorité de la Chambre, et jugé
que par elle en matière criminelle ». il n'y a là


aucune limitation de temps, ni aucune limitation de
cause; avant, pendant ou après la session, aucun
pair ne peut être arrêté, pour quelque cause que ce
soit, que de l'autorité de la Chambre, et il ne peut
être jugé que par elle en matière criminelle. Et nous
avons déjà expliqué qu'il faut entendre par les mots
en matière criminelle toute poursuite pénale quel-
conque ; qu'il s'agisse d'un crime proprement dit,
qu'il s'agisse d'un simple délit, dès qu'il y a une
action pénale à intenter contre un pair de France,
les juridictions ordinaires sont incompétentes, la
chambre des Pairs est seule compétente.


Il y a donc là une attribution particulière à la
chambre des Pairs, juridiction pénale exclusive sur
ses propres membres ; et c'est ainsi que nous disions
que la seule disposition législative constitutionnelle
qui donne aujourd'hui un sens rationnel à l'expres-
sion de pair de France, c'est que le pair de France
ne peut être jugé que par les pairs, par la Chambre
dont il fait partie.




204 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Une autre attribution particulière et exclusive de
la chambre des Pairs, c'est le droit qu'elle a de juger
les ministres mis en accusation par la chambre des
Députés. La chambre des Députés a le droit d'accuser
les ministres et de les traduire devant la chambre
des Pairs, qui seule, dit la Charte, a le droit de les
juger. Mais la responsabilité ministérielle, la mise en
accusation des ministres, la juridiction exclusive de
la chambre des Pairs, sont des matières dont je me
réserve de traiter lorsque, dans quelques jours, je
parlerai du pouvoir ministériel.


Enfin, une dernière attribution particulière de la
chambre des Pairs, c'est sa juridiction en matière
pénale, pour connaître des crimes de haute trahison
et des attentats à la sûreté de l'État, d'après l'arti-
cle 28 de la Charte. La chambre des Pairs a donc
une juridiction qui ne frappe pas seulement les
membres de la Chambre, et qui s'applique à des
faits autres que ceux qui peuvent constituer un
délit d'offense contre la Chambre elle-même. Les
attributions judiciaires que nous avons déjà signa-
lées se rapportent, en effet, à trois points. Le pre-
mier, c'est la qualité des personnes, comme la juri-
diction de la Chambre sur ses propres membres ; le
second, c'est la nature du délit dirigé contre .la
Chambre elle-même, comme ta juridiction de la
Chambre quand il s'agit d'offenses dirigées contre
elle ; enfin, la troisième juridiction, celle qu'elle
exerce sur les ministres en tant qu'ils sont accusés
par la chambre des Députés, est une attribution qui
dérive à la fois de la qualité des personnes et de la
qualité du délit. Les ministres sont traduits devant


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON. 205


la chambre des Pairs parce qu'ils sont ministres et
parce qu'ils sont accusés d'un crime ministériel.
Voilà pour les trois juridictions que nous avons
signalées jusqu'à présent.


La quatrième est évidemment fondée sur un autre
ordre d'idées. Il ne s'agit plus de la qualité des per-
sonnes, puisque la disposition s'applique à toute
personne quelconque ; il ne s'agit plus des délits
dirigés contre la Chambre ; il ne s'agit plus des délits
commis par des fonctionnaires publics et dénoncés
par la chambre des Députés. L'article 28 de la Charte
donne donc à la chambre des Pairs une attribution
fondée sur un autre ordre d'idées.


Ce n'est pas une idée nouvelle que cette idée de
renvoyer certains crimes et certains accusés devant
une juridiction particulière, devant une juridiction
regardée comme étant d'un ordre plus élevé que les
juridictions ordinaires. A tort ou à raison (c'est là
une autre question), cette idée a souvent préoccupé
les esprits des hommes d'État plus encore que les
publicistes, quoiqu'il y ait aussi un certain nombre
de publicistes qui se sont occupés de la nécessité
d'imaginer une juridiction plus élevée que les
juridictions ordinaires pour un certain ordre de
délits et de personnes. Et il serait assez curieux
de chercher l'origine et la marche de cette idée.
Mais, pour ne pas trop allonger et pour me borner à
la France, cette idée d'un corps placé au-dessus des
tribunaux ordinaires préoccupait les esprits au com-
mencement de, la Révolution.


En général, ceux qui ont eu recours à ces juridic-
tions ont été dominés par trois faits principaux. Les




206 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.
uns ont craint que les juridictions ordinaires ne se
trouvassent, en quelque sorte, trop faibles devant
la haute influence et le rang élevé de certains ac-
cusés; d'autres ont pensé qu'il y avait des crimes
qui, de leur nature, étaient à la fois des crimes
proprement dits et des faits politiques. Par exem-
ple, je parle ici d'une manière générale, c'est une
des considérations qu'on a fait souvent valoir pour
la juridiction en cas de crimes ministériels ; on a
dit que, pour apprécier ce genre de crimes, il fal-
lait se livrer à des considérations plus élevées que
pour apprécier les crimes ordinaires. Enfin, d'autres
ont trouvé la raison d'une juridiction différente
dans l'étendue des crimes et dans le nombre des
accusés ; ils ont craint que les juridictions ne se
trouvassent trop faibles pour administrer la justice
devant un grand nombre d'accusés. Ce sont là les
trois ordres de faits qui ont dominé l'esprit de ceux
qui se sont préoccupés de ces juridictions extraor-
dinaires et élevées.


La Constitution de 1791 portait, titre III, chapi-
tre y, article 23 : « Une liante Cour nationale, for-
» mée de membres du tribunal de cassation et de
» hauts jurés, connaîtra des délits des ministres et
• agents principaux du pouvoir exécutif et des cri-
» mes qui attaqueront la sûreté générale de l'État,
• lorsque le Corps législatif aura rendu un décret
• d'accusation. — Elle ne se rassemblera que sur
• la proclamation du Corps législatif, et à une dis-
» tance de trente mille toises au moins du lieu où
» la législature tiendra ses séances. » Ainsi, on ren-
voyait devant la Haute Cour nationale, qui était en


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON. 207


dehors des juridictions ordinaires, non-seulement
les personnes accusées de délits ministériels ou de
délits de fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonc-
tions, mais les accusés de crimes qui attaquaient la
sûreté, de l'État, lorsque le Corps législatif aurait
rendu un décret d'accusation. C'était évidemment
une action politique. On conçoit bien l'accusation
du Corps législatif quand il s'agit de délits
ministériels : mais, ici, l'intervention du Corps
législatif pour mettre en accusation un citoyen,
par cela seul qu'il est accusé de crime contre
la sûreté de l'État, c'est donner à la poursuite
le cachet de la politique. Un citoyen accusé par le
plus terrible de accusateurs! Et comme il n'y avait
alors qu'une seule Chambre, vous . représentez-vous
l'accusé traduit (lobant une Cour qui, pour s'appeler
Haute Cour nationale, n'en était pas moins au-des-
sous de l'accusateur?


Et comment était composée cette Haute Cour na-
tionale? Elle ne fut pas organisée immédiatement.
Aussi, un décret de l'Assemblée constituante, du
13 mars 1791, en attendant l'organisation de la
Haute Cour nationale, institua un tribunal provi-
soire pour juger en dernier ressort les crimes de
lèse-nation, ainsi que toutes les affaires criminelles
sur lesquelles l'Assemblée déclarait qu'il y avait lieu
à accusation. Ce tribunal provisoire se composa de
quinze membres qu'on tira des quinze tribunaux de
district les plus voisins d'Orléans, parce que le tri-
bunal devait siéger à Orléans.


Ce tribunal provisoire et tout à fait extraordinaire
fut supprimé par un décret du 20 septembre 1791,




1


'DO8 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


car on avait organisé, par un décret du 15 mai, la
Haute Cour nationale. Elle devait se composer de
quatre juges et d'un haut juré (on disait alors juré
au lieu de jury). Comment les hauts jurés étaient-ils
élus? Voici évidemment le cachet politique de


: ils étaient élus par les électeurs, et élus
aux élections de chaque nouvelle législature; en
même temps qu'on nommait les membres de l'As-
semblée, on nommait les hauts jurés, et on les pre-
nait parmi les électeurs au Corps législatif; chaque
département en nommait deux. C'était donc là une
opération politique ; les mêmes vues devaient do-
miner les électeurs clans les deux élections ; c'était
la majorité qui nommait l'Assemblée comme le haut
jury.


La Haute Cour ne se formait que sur un décret
d'accusation lancé par le Corps législatif, lequel te-
nait lieu de prise de corps et pouvait être rendu
après audition des témoins. Ainsi, le Corps législatif
pouvait entendre des témoins et décerner un man-
dat d'amener. Il était à la fois chambre du conseil et
chambre d'acusation, et sur une accusation lancée
par un corps si redoutable, l'accusé paraissait de-
vant la Haute Cour nationale.


Le haut jury était composé de vingt-quatre mem-
bres pris sur la liste générale de cent soixante-six,
deux par département. Sur les cent soixante–six, on
en prenait vingt-quatre, plus 'six adjoints, et cette
poursuite qui dérivait du Corps législatif était sou-
tenue par deux membres de ce corps que l'Assem-
blée désignait ad hoc, et qui prenaientle titre de Pro-
cureurs de la nation. 11 n'y avait pas de recours en


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON. 209


cassation ; c'était .une cour souveraine qui, comme
vous le voyez, n'agissait que sous l'impulsion de
l'Assemblée législative. C'était évidemment une
Haute Cour politique.


La Haute Cour nationale n'exista pas longtemps ;
le fanatisme et le crime vinrent l'un et l'autre cou-
vrir d'un voile lugubre l'aurore si brillante de la Ré-
volution. Les prisonniers qui devaient être traduits
devant la Haute Cour nationale furent transportés à
Versailles et massacrés. Le 25 septembre, la Haute
Cour nationale fut supprimée ; elle ne suffisait pas
elle-même aux exigences épouvantables de l'époque.


Dans la Constitution de l'an III, cette idée d'une
Haute Cour en dehors des juridictions ordinaires
préoccupa de nouveau les esprits. Aussi en trouvez-
vous les traces dans la Constitution de l'an HI : « Il
» y a, dit l'article 265, une Haute Cour de justice
• pour juger les accusations admises par le Corps


législatif, soit contre ses propres membres, soit
• contre ceux du Directoire exécutif ». Mais ici vous
voyez une grande restriction, ce n'est plus qu'une
exception pour certaines personnes, c'est une com-
pétence spéciale, ratione personw, et non ratione mate-
ric c; c'était donc une immense modification aux dis-
positions


de la Constitution de 1791.
Cette Haute Cour était composée de cinq juges,


de deux accusateurs nationaux tirés du tribunal de
cassation, et de hauts jurés nommés également par
les assemblées électorales. Les assemblées électo-
rales nommaient chacune un haut juré ; le haut jury
était composé de seize membres, quatre adjoints et
quatre suppléants. Sur chaque question, l'opinion de


14




210 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


quatre hauts jurés (sur seize) suffisait en faveur de
l'accusé.


La Haute Cour ne se formait qu'en vertu d'un
décret du Corps législatif ; le décret d'accusation
était rédigé par le conseil des Cinq-Cents.


Le 4 thermidor an IV, le conseil des Cinq-Cents
convoqua la Haute Cour à Vendôme, pour qu'elle
eût à prononcer sur une accusation lancée contre
Jean-Baptiste Drouet, membre du conseil des Cinq-
Cents.


La Constitution consulaire de l'an VIII contient
encore la même idée. (c Dans le cas de l'article pré-
» cédent, dit l'article 73, le Tribunat dénonce le


ministre par un acte sur lequel le Corps législatif
» délibère dans les formes ordinaires, après avoir


entendu Ou appelé le dénoncé. Le ministre mis en
jugement. par un décret du Corps législatif est




jugé par une Haute Cour, sans appel et sans re-
» cours en cassation. — La Haute Cour est compo-
» sée de juges et de jurés. Les juges sont choisis
» par le tribunal de cassation, et dans son sein ; les


jurés sont pris dans la liste nationale, le tout sui-
» vaut les formes que la loi détermine ». Comme
vous le voyez, c'est toujours la même idée qui do-
mine, plus restreinte encore ici que dans la Consti-
tution de l'an III, puisqu'il n'est parlé que des
ministres. C'est encore une juridiction spéciale en
raison des personnes. Mais c'est toujours, et cela
est remarquable, la même idée qui domine ; accusa-
tion individuelle portée par le pouvoir législatif, par
une assemblée délibérante, par un corps politique,
et puis cette accusation portée non plus devant


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON.
211


la justice ordinaire, mais devant une cour extra-
ordinaire.


Il y avait là quelque chose de remarquable : le
Corps législatif ne voulait pas juger ; il eût été mons-
trueux, en effet, qu'il voulût se constituer accusa-
teur et juge : il aurait fourni alors ce que les Anglais
appellent un bill d'attain.der, car il n'est que trop
vrai que l'Angleterre a souvent abusé de ce que les
publicistes appellent l'omnipotence parlementaire ;
c'est-à-dire que, lorsqu'on croyait que la justice
ordinaire ou la chambre des Pairs ne condamnerait
pas un homme que la législature aurait condamné,
on procédait par le bill of attainde • . Pour éviter donc
cet inconvénient, surtout quand. il n'existait qu'une
seule Chambre, on avait recours à la formation de
ce haut tribunal, qu'on appela tantôt Cour natio-
nale, tantôt haute Cour de justice.


C'est un exemple qui a été copié récemment dans
une Constitution qui n'a été que trop éphémère, je
veux dire dans la Constitution grecque. Là aussi, en
parlant de la responsabilité des ministres, ont avait
imaginé cette accusation portée par le Corps légis-
latif et jugée par un tribunal.


Or ce système aurait toujours l'inconvénient de
mettre en présence d'un tribunal quelconque un ac-
cusateur placé au-dessus du tribunal lui-même,
et d'établir devant cette juridiction qu'on appelle
une cour une lutte qui se présente dans des condi-
tions très-inégales entre l'accusateur et l'accusé.
Sous ce rapport, il y avait un vice radical dans le
système. Quand une Chambre accuse devant une
autre Chambre, c'est un égal qui accuse devant nn




212 COURS DE DROIT CONS'T'ITUTIONNEL.


égal ; mais quand une Chambre, et surtout une
Chambre unique , accuse un citoyen devant. une
cour composée de quelques hommes, l'acusation
se présente avec trop de supériorité. Aussi ces
dispositions constitutionnelles que je viens de
lire n'ont-elles guère servi clans la pratique des
affaires.


Mais lorsque de la Constitution du Directoire on
passe à la Constitution consulaire, et de la Constitu-
tion consulaire à la Constitution impériale, cette
idée d'une Haute Cour non plus nationale, mais im-
périale, devait frapper l'esprit des auteurs du nou-
veau système. Aussi elle se trouve développée fort
au long dans le sénatus-consulte organique du 28
floréal an XII (18 mai 180•) ; mais vous y trouvez
profondément empreint le cachet des idées du
temps. Il y- a une Haute Cour impériale ; et quelle
est sa compétence? il ne s'agit plus uniquement de
juger les ministres : « 'Une Haute Cour impériale,
» dit l'article 101, commit : 1° des délits personnels
» commis par des membres de la famille impériale,
» par des titulaires des grandes dignités de l'Em-
» pire, par des ministres et par le secrétaire d'État,
» par de grands officiers, par des sénateurs, par des
» conseillers d'État ». Voilà une compétence très-
étendue, ratione personce ; « 2° des crimes, attentats


et complots contre la sûreté intérieure et exté-
» rieure de l'État, la personne de l'Empereur et


celle de l'héritier présomptif de l'Empire ». Ici la
cour était compétente, quelles que fussent les per-
sonnes, c'était ratione materice ; « 3° des délits de
» responsabilité d'office commis par les ministres et


QUATRE-VINGT. ONZIÈME LEÇON.
213


les conseillers d'État chargés spécialement d'une
partie d'administration publique ; 4° des prévari-
cations et abus de pouvoir commis par des
capitaines généraux des colonies, des préfets colo-
niaux et commandants des établissements fran-
çais hors du continent, soit par des administrateurs


» généraux employés extraordinairement, soit par
» des généraux de terre et de mer, sans préjudice
• à l'égard de ceux-ci des poursuites de la juridic-
» tion militaire, dans les cas déterminés par les lois ;
» 5° du fait de désobéissance des généraux de terre


ou de mer qui contreviennent à leurs instructions ;
» 6° des concussions et dilapidations dont les pré-
» fets de l'intérieur se rendent coupables clans
• l'exercice de .leurs fonctions; 7° des forfaitures ou
• prises à partie qui peuvent être encourues par
» une Cour d'appel ou par une Cour de justice cri-
» minelle, ou par des membres de la Cour de cassa-
» tion ; 8° des dénonciations pour cause de déten-
» tion arbitraire et de violation de la liberté de la
» presse ».


Ici c'était à la fois ratione persona et ratione ma-
terice.


' V oilà la compétence de la Haute Cour impériale :
vous voyez qu'elle était étendue.


Dans la Haute Cour nationale de l'Assemblée
constituante siégeaient des jurés nommés à la vérité
sous une influence trop politique ; dans la Haute
Cour de justice siégeait encore ce qu'on appelait un
haut juré ; dans la Haute Cour impériale siégeaient
les princes, les titulaires des grandes dignités et
grands officiers de l'Empire, le grand- juge ministre




-214 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de la justice, soixante sénateurs, les six présidents
des sections du conseil d'État, quatorze conseillers
d'État et vingt membres de la Cour de Cassation. Le
président était l'archichancelier de l'Empire , le
procureur général était nommé à vie par l'Empe-
reur ainsi que le greffier en chef.


Mais il faut en convenir, c'était là du luxe légis-
latif, car quel besoin avait-on de se donner cette
peine, d'organiser cette Haute Cour impériale, lors-
que bientôt la France se trouva couverte de tri-
bunaux d'exception de toute nature et de toutes
dénominations, et lorsque, peu d'années après,
parut ce fameux décret dont les considérants seront
toujours une grande leçon : « Considerant qu'il est
» des crimes qu'on ne peut ni renvoyer devant un
» tribunal, ni laisser impunis, nous rétablissons les
» prisons d'État ». Vous avouerez qu'au milieu de
ce système, on n'avait guère besoin d'une Haute
Cour impériale pour pour poursuivre ceux qui
avaient ou mal exécuté ou non exécuté les instruc-
tions impériales, ou attenté à la sûretô de l'État ou de
la personne de l'Empereur. C'était une institution


• parfaitement inutile pour les uns, qui ne manquaient
ni de commissions militaires, ni de Cours spéciales
dont la procédure était beaucoup plus rapide, et
pour les autres qui ne manquaient pas de prisons
d'État.


Aussi la Haute Cour impériale n'a-t-elle jamais
siégé ; c'était un de ces ornements de luxe qu'on
étale à la condition qu'on n'y touchera jamais. Elle
est écrite dans le sénatus-consulte, mais elle n'a ja-
mais eu d'existence réelle.


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON.
215


C'est en cet état que les choses se trouvaient lors-
qu'arriva la Charte de 1814, où l'on trouve l'ar-
ticle 33, ainsi conçu : « La chambre des Pairs connaît
» des crimes de haute trahison et des attentats à la
» sûreté de l'État qui seront définis par la loi ». Et


..il est juste de reconnaître qu'une loi ad hoc, qui défi-
nisse ces crimes de haute trahison et ces attentats à
la sûreté de l'État, n'a pas été faite. La chambre des
Pairs, ainsi que le gouvernement, n'a procédé en
cette matière que par des précédents et par des ar-
ticles insérés dans les lois lois particulières. Il en est
de môme (Tuant à la procédure que la chambre des
Pairs observe lorsqu'elle siége en vertu de l'ar-
ticle 33 de la Charte 1814, devenu l'article 28 dans
la Charte de 1830.


Un député avait proposé en 1830 d'effacer de
l'article 28 les mots


qui seront définis par la loi.
Cette proposition a été rejetée, et la chambre des
Pairs a continué d'exercer sa juridiction d'après les
précédents. ll y a cependant des lois qui lui ont at-
tribué, dans certains cas, une juridiction expresse,
par exemple, la loi du 10 avril 1834, article 4, g 4,
qui renvoie, non pas nécessairement, mais facultati-
vement à cette juridiction. Il en est de même des
articles 1, 2 et 5 de la loi du 9 septembre 1835,
dont le système consiste dans la qualification d'at-
tentats à la sûreté de l'État attribuée à des faits qui,
antérieurement, étaient punissables, mais non à ce
titre.


D'après ces notions, on conçoit que, toutes les
fois qu'un fait est déféré à la chambre des Pairs
comme rentrant dans l'article 28 de la Charte, il


ai+




216
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


s'élève ou peut s'élever devant la Chambre une ques-
tion de compétence qui revient à demander si le fait
qui lui est déféré, constitue un crime de haute tra-
hison ou un attentat à la sûreté l'État. La chambre
des Pairs prononce à cet égard comme juge souve-
rain; son arrêt sur ce point est inattaquable comme
l'arrêt définitif.


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON


SOMMAIRE


La royauté, dans notre système constitutionnel, est le centre autour
duquel tous les pouvoirs viennent se coordonner pour former un seul
tout; elle n'est complétement étrangère à aucun des grands pouvoirs
de — Attributions législatives de la royauté : 1 0


attributions
indirectes :Nomination des pairs de France, convocation des collèges
électoraux, convocation et prorogation (les Chambres, dissolution de
la chambre des Députés. -- 2 0 attributions directes : droit d'initiative
exercé presque toujours en fait par le gouvernement seul. — Droit de
sanction ou de non-sanction. Question du veto. — Le veto était impos-
sible en 1789 avec une assemblée unique et ayant seule l'initiative.
Dans un système régulier, il doit être considéré comme un moyen
préventif plutôt que comme un moyen (l'action direct ; il empêche
toute proposition extravagante et prévient l'excessive multiplicité
des lois. Veto suspensif; il n'a aucun des avantages du veto absolu.


MESSIEURS,


Vous connaissez maintenant ce qui concerne les
attributions des deux Chambres, et vous aurez
remarqué que, pour ne pas trop morceler la matière,
c'est en parlant du pouvoir législatif que nous avons
énuméré ces attributions, même celles qui ne con-
cernent pas l'action législative proprement dite.
Nous l'avons fait pour ne pas trop morceler la ma-
tière, pour présenter à votre esprit des groupes qui




218 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


fussent pins faciles à saisir et à retenir. Une fois amené
à parler des attributions de l'une et de l'autre Cham-
bre, nous aurions jeté une espèce de confusion dans
les idées si nous avions renvoyé, par exemple, au
moment où nous nous occuperons de l'ordre judi-
ciaire, ce qui concerne les pouvoirs judiciaires de
l'une et de l'autre Chambre ; il nous a semblé qu'il
valait mieux grouper. Mais vous voyez que l'attribu-
tion dominante, fondamentale, de l'une et de l'autre
institution, c'est, l'attribution législative propre-
ment dite ; l'une et l'autre Chambre sont avant tout
et essentiellement deux branches du pouvoir légis-
latif, deux autorités dont le concours est indispen-
sable pour que la loi existe. C'est là, encore une fois,
l'attribution capitale, l'attribution dominante, et il
est essentiel de ne jamais oublier les articles de la
Charte si souvent cités, les articles 14 et •6 : « La
» puissance législative s'exerce collectivement par
• le roi, la chambre des Pairs et la chambre des
• Députés. — Toute loi doit être discutée et votée
• librement par la majorité de chacune des deux
• Chambres ». Il résulte de ces deux articles fonda-
mentaux, d'un côté, que le concours des deux Cham-
bres est indispensable à la formation de la loi, de
l'autre, que le concours des deux Chambres ne suffit
pas pour la formation de la loi, que le concours des
deux Chambres ne suffit pas pour qu'un projet, une
proposition, devienne une loi. Les résolutions, pour
employer le mot technique, les résolutions d'une
Chambre et môme les résolutions conformes de deux
Chambres ne sont pas des lois ; elles n'ont aucune
puissance, aucun droit à l'obéissance des citoyens.


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON. 219


C'est que la loi ne peut résulter que du concours des
trois branches du pouvoir législatif. Ainsi le pouvoir
royal doit donner son approbation, il doit apposer sa
sanction ; le pouvoir royal aussi ale droit d'examiner,
le droit de délibérer; il est aussi libre dans l'exercice
(le ses droits que le sont l'une et l'autre Chambre.
Le pouvoir royal aussi a le droit d'examiner si la
résolution, telle qu'elle est sortie de l'une et de
l'autre Chambre, lui paraît ou non propre à contri-
buer à la prospérité du pays; il ale droit d'y donner
sa sanction dans le premier cas et dela refuser dans
le second. Si, d'un côté, le pouvoir royal seul est
impuissant pour produire la loi, de l'autre, la loi ne
peut jamais naître sans le concours de la puissance
royale.


Nous l'avons déjà dit, le gouvernement de la
France, tel que nos institutions fondamentales nous
l'ont fait, est un gouvernement monarchique. L'ar-
ticle 13 de la Charte constitutionnelle dit en propres
termes: « Le roi est le chef de l'État ». Or, lorsque,
pour reconnaître quelle est la royauté que la Charte
a fondée, on examine les données de notre droit
positif, on ne tarde pas à reconnaître que, dans le
système de l'unité française, c'est dans la royauté
qu'on a placé le centre autour duquel tous les pou-
voirs de l'État viennent se coordonner pour former
un seul tout. Si, d'un côté, ces pouvoirs de l'État
servent de frein et de limite à la puissance royale,
de l'autre, ces pouvoirs eux-mêmes trouvent dans
la puissance royale une limite et une impulsion. Les
faits de notre droit positif nous montrent que c'est
dans la puissance royale que le législateur a voulu




220 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


placer le lien qui fait tenir ensemble les diverses par-
ties du mécanisme politique, et qui sert en quelque
sorte d'engrenage à la machine politique. Si, en
effet, vous ouvrez la Charte aux articles 12, 43, 14
et autres, vous ne tarderez pas à reconnaître que
l'intention du législateur a été d'organiser les pou-
voirs divers, d'avoir des pouvoirs séparés et indé-
pendants, tels, par exemple, que le pouvoir des
Chambres et le pouvoir judiciaire, mais en même
temps de placer au sommet de cet édifice un prin-
cipe qui soit à la fois un principe moteur et conser-
vateur, qui lie toutes les parties ensemble.


Ainsi, le législateur a dit que *les Chambres pro-
posent, discutent et votent les lois; mais en même
temps il a dit que le roi aussi les propose et que le
roi peut seul les sanctionner et les promulguer; il a
dit : La puissance exécutoire appartient au roi seul,
l'administration générale opère et se meut sous l'au-
torité du roi, par le moyen d'agents que le roi
nomme et révoque; les forces de terre et de mer,
c'est le roi qui les commande; l'État, clans ses rela-
tions extérieures, c'est le roi qui le représente. Le
pouvoir judiciaire lui-même, dans sa haute et noble
indépendance, qui est une des plus solides garanties
des libertés publiques, le pouvoir judiciaire lui-
même, c'est le roi qui en nomme les membres. Les
actes du pouvoir judiciaire lui-même, le rei peut,
par l'exercice du droit de grâce, ou en corriger les
erreurs ou en modérer la sévérité. Enfin, vous
le savez par vos études sur le droit criminel, ce
sont des agents du pouvoir exécutif qui seuls, ou
presque seuls (car il y a un certain nombre d'excep-


QUATRE-V1NGT-DOUZIÈME LEÇON. 221


lions), exercent le droit de poursuite devant le pou-
voir judiciaire en matière criminelle : il ne faut pas
s'y tromper, les agents du ministère public, nom-
més par le pouvoir exécutif et révocables par lui, ne
sont que ses agents.


Tels sont les faits, les données générales de notre
droit positif, tels qu'ils sont consignés dans la Charte
constitutionnelle. Or, si vous réunissez toutes ces
données, si vous les groupez ensemble pour vous
faire, dès l'abord, une idée générale de la royauté,
vous concevez que la royauté de la Charte n'est,
complétement étrangère à aucun des trois grands
pouvoirs de l'État: pouvoir législatif, pouvoir exé-
cutif et administratif, et pouvoir judiciaire. Elle tient
au pouvoir législatif par l'initiative et la sanction ;
elle possède tout entier le pouvoir exécutif et admi-
nistratif ; elle tient enfin au pouvoir judiciaire par la
nomination des magistrats, par l'établissement du
ministère public auprès des tribunaux, enfin par le
droit de grâce. Le pouvoir royal n'est donc étranger
à aucun des trois grands pouvoirs de l'État, tandis
que le pouvoir judiciaire ne peut se mêler ni de
législation générale, ni d'administration, et que
les Chambres législatives, si elles peuvent influer
indirectement sur les affaires de l'État, n'ont pas le
droit de s'en mêler directement. Tandis que. ces
deux pouvoirs sont renfermés dans leurs limites spé-
ciales, le pouvoir royal, par cette triple intervention,
a été destiné par les auteurs de la Charte à servir
de moyen d'unité au mécanisme politique.


Telle est l'idée générale que nous donne de la
royauté française la Charte constitutionnelle.




222 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Comme vous le voyez, ce n'est pas là la royauté
militaire, ce n'est pas là la royauté féodale, ce
n'est pas là la royauté absolue, ce n'est pas là la
royauté du droit divin : c'est la royauté moderne,
c'est une haute magistrature nationale, c'est la
royauté constitutionnelle, c'est une forme de gou-
vernement qu'on a jugée la plus propre à consolider
l'union de deux grands principes si complétement
français, l'égalité civile et l'unité nationale. Telle est
l'idée générale de l'institution de la royauté fran-
çaise telle qu'elle a été fondée par la Charte consti-
tutionnelle.


Examinons maintenant de plus près les attribu-
tions législatives de la royauté ; nous examinerons
ensuite ses attributions comme pouvoir exécutif et
administratif, et enfin nous examinerons de plus près
ses droits relativement à l'administration de la jus-
tice. Alors nous aurons, pour ainsi dire, toutes les
pièces du mécanisme politique de la France, toutes
les données de notre droit positif, et vous pourrez
ainsi reconstituer la chose dans son entier, et voir
l'édifice avec son couronnement.


EL alors, car cette question purement théorique
nous la livrons à vos études , quand nous aurons
ainsi examiné en détail toutes les données du droit
positif, vous pourrez méditer sur une question spé-
culative qui a exercé l'esprit de plusienrs publicistes
distingués, sur le nombre de pouvoirs distincts qui
existent dans la monarchie constitutionnelle. Les
uns s'en tiennent aux trois pouvoirs que j'ai nommés ;
les autres, et il y a eu en. France un grand publiciste,
Benjamin Constant, qui a adopté cette manière de


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON. 223


voir fort ingénieuse, les autres veulent reconnaître
dans le système de la monarchie constitutionnelle
quatre pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir
administratif et exécutif, le pouvoir judiciaire, et un
quatrième pouvoir que les uns ont appelé pouvoir
royal proprement dit, les autres pouvoir neutre, les
autres pouvoir modérateur, pour employer l'expres-
sion qu'un auteur moderne a employée dans sa Cons-
titution, l'auteur de la Constitution du Brésil. Et
leur doctrine est fondée sur ce qu'ils reconnaissent
dans la puissance royale des droits, des attributions
qui ne rentrent proprement ni dans le pouvoir légis-
latif, ni dans le pouvoir exécutif, ni dans le pouvoir
judiciaire. Ils la regardent comme investie, en outre,
d'un pouvoir neutre ou modérateur, consistant à ré-
gler l'action des trois autres pouvoirs et à ramener
l'ordre, toute les fois que de violentes commotions
seraient à craindre. Ainsi, disent-ils, lorsque la
royauté, voyant une lutte entre les assemblées légis-
latives et le ministère, prend le parti de congédier le
ministère, elle n'agit là proprement ni comme légis-
lateur, ni comme pouvoir exécutif et administratif,
mais comme puissance neutre et modératrice. De
même, si, au lieu de renvoyer le ministère, elle dis-
sout la Chambre et en appelle au pays, c'est encore
exercer un pouvoir sui generis. "Je n'entre pas dans
de plus grands détails, je signale seulement la ques-
tion. Quant à nous, nous croyons qu'il y a là une
question de terminologie plutôt qu'autre chose.


En examinant en détail les attributions de la puis-
sance royale , nous examinerons en même temps
quelles sont les limites imposées à cette puissance




224 COURS DE phorr CONSTITUTIONNEL.
et quelles sont les conditions que la loi constitution-
nelle a mises à son mode d'action; car, d'un côté, la
puissance royale, et c'est là un principe fondamen-
tal, la puissance royale est limitée; la monarchie fran-
çaise est une monarchie constitutionnelle limitée; d'un
autre côté, non-seulement elle est limitée quant à
l'état des pouvoirs, mais elle a des conditions impo-
sées à son mode d'action, ce qui nous amènera à
parler du ministère et de la responsabilité ministé-
rielle.


Les attributions législatives de la royauté, nous
croyons qu'il importe de les diviser en deux classes :
en attributions directes et en attributions indirectes.
Nous appelons attributions indirectes la nomination
des pairs de France, la convocation des colléges
électoraux, la convocation et, la prorogation des
Chambres, la dissolution de la chambre des Députés
et, par là, appel au pays dans les colléges élec-
toraux. Les attributions directes de la puissance
royale en matière législative sont l'initiative et la
sanction, ou la non-sanction, autrement appelée le
veto.


Quant aux attributions indirectes de la royauté
en matière législative, nous en avons déjà parlé en
traitant de la formation des Chambres et de leur
organisation. Nous avons parlé du droit illimité de
nommer des pairs de France, pourvu qu'ils soient
pris dans certaines catégories; nous avons parlé du
droit d'appeler et de dissoudre la chambre des Dé-
putés, à la condition d'en convoquer une nouvelle
dans le délai de trois mois. Voilà comment la limite
se trouve toujours à côté du droit : nomination illi-


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON.


225


mitée de pairs de France, mais à la condition de les
prendre clans certaines catégories ; dissolution de
la chambre des Deputés, mais à la condition d'en
convoquer une autre au plus tard dans le délai de
trois mois.


Je ne m'arrête plus sur ces questions, je veux seu-
lement que l'on comprenne bien le sens de cet exer-
cice du pouvoir royal ; lorsque la Couronne dissout
la chambre des Députés avant l'expiration des cinq
années pour lesquelles elle a été nommée, le gouver-
nement est tenu d'appeler une Chambre dans le délai
de trois mois, il faut que le gouvernement convoque
les colléges électoraux. S'est-il élevé des difficultés
entre la chambre des Députés et le gouvernement,
comme lors de la fameuse Adresse de 1830, il n'y a
que cieux moyens à prendre : renvoyer le ministère
ou dissoudre la chambre des Députés et appeler le
pays à se prononcer. Si les colléges électoraux ren-
voient les mêmes hommes, le dissentiment est jugé
contre le cabinet ; si la majorité se trouve dissoute,
le dissentiment est jugé en faveur du gouverne-
ment. Et voilà précisément où les auteurs dont j'ai
parlé voient un pouvoir modérateur.


Les attributions directes de la royauté en matière
législative se trouvent dans l'initiative que le gou-
vernement partage avec les deux Chambres, et,
comme nous l'avons fait remarquer, l'initiative des
deux Chambres est une institution excellente dans ce
sens qu'elle détermine le gouvernement à prendre
les devants, à s'occuper des questions et à en saisir
les Chambres ; le pouvoir ne peut pas s'endormir
lorsqu'il sait que la proposition qu'il manquerait de


15




226
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


faire pourra venir d
'ailleurs. C'est donc un stimulant


indirect plutôt qu'un moyen direct d'arriver à une
bonne loi, car les projets de loi peuvent toujours
être préparés par l 'administration avec plus de
maturité, de connaissance, à l'aide d'un plus grand
nombre de faits, qu'ils ne peuvent l'être par despa


rticuliers. Mais vous remarquerez que, lorsque la
proposition d'un député est sur le point d'être prise
en considération, un ministre qui, peut-être, n'y
avait guère pensé jusque-là, vient, déclarer que le
ministère va s'occuper de la question. C'est ainsi
que le droit d'initiative agit indirectement comme
stimulant plutôt que comme moyen direct.


Le gouvernement a donc le droit d'initiative, et,
en fait, il l'exerce seul la plupart du temps.


Une fois discuté et adopté, avec ou sans amende-
ment, par les deux Chambres, le projet de loi
revient à la Couronne, et là arrive le droit de sanction
ou de non-sanction, qu'on a appelé autrement le


veto.
Si vous avez, comme je n'en doute pas, connaissance
de l'histoire de la Révolution de 1789 et des grands
débats de l'Assemblée constituante, il n'est pas un
de vous qui n'ait lu ou entendu beaucoup de choses
sur la question du veto ; c'est une des questions qui
ont le plus agité les esprits au temps de l'Assemblée
constituante : le veto, que les uns réclamaient pour la
royauté, que les autres lui refusaient, que les uns
accordaient absolu, tandis cime les autres ne vou-
laient l'accorder que suspensif. C'était alors le mot
qui circulait dans toutes les bouches. On s'occupait
tellement du veto, qu'il en était parlé même par ceux
qui n'avaient aucune idée de la politique. Les uns en


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON. 227


étaient venus à le prendre pour un impôt, d'autres le
prenaient pour un homme et voulaient le mettre à la
lanterne.


Indépendamment de tout ce qu'il y avait d'excu-
sable dans les méfiances d'un pouvoir nouveau, d'un.
pouvoir qui venait de naître en France, indépendam-
ment de ces circonstances qui ne pouvaient pas ne
pas rendre la question violente, terrible même, il y
avait une circonstance d'organisation politique qui
devait, qui pouvait, du moins, dérouter les meilleurs
esprits. Supposez, en effet, un gouvernement n'ayant
pas l'initiative, qu'arrivera-t-il ? Il surgira nécessai-
rement dans l'assemblée une foule de propositions et
de projets de loi auxquels le gouvernement sera
étranger ; cela arrivera surtout si une autre circon-
stance y concourt, si, par exemple, les ministres
n'ont pas le droit d'assister aux séances de l'assem-
blée, bref si le pouvoir législatif ou le pouvoir exé-
cutif sont non-seulement distincts l'un de l'autre,
mais matériellement séparés et sans communi-
cation l'un avec l'autre. Il arrive alors que le
pouvoir exécutif reçoit tous les projets élaborés par
l'assemblée, et par une assemblée unique. Et quel
moyen possède alors le pouvoir exécutif de détour-
ner les questions qui lui paraîtraient funestes ?
11 n'a que le veto; et qu'est-ce que le veto en
présence d'une assemblée toute-puissante? C'est un
moyen de pousser l'assemblée à briser toutes les
barrières.


Voyez comme les droits politiques se tiennent, et
comme il faut que l'un serve de contre-poids à l'autre
pour maintenir l'équilibre Placez un pouvoir comme




«


228 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


il était alors, le veto est impossible ; un pouvoir
exécutif dépouillé de toute action sur la législature,
n'ayant pas l'initiative, ne pouvant pas même faire
siéger ses agents dans l'Assemblée, comment peut—
il résister avec le veto ? Aussi, dans un pays que je
connais beaucoup, et qui pourtant n'est composé
que de petits États, il n'existe pas de veto, parce qu'il
ne pourrait pas exister, parce qu'il n'y a qu'une
assemblée, et que, quoiqu'il n'y ait pas là une situa-
tion agitée comme celle de la France en 1789, le
pouvoir ne serait pas assez fort pour exercer le
veto. C'est véritablement lancer au grand galop des
coursiers très-fougueux confiés à un homme assez
faible, et dire à cet homme qu'il pourra., quand il
le voudra, se jeter à la tête des chevaux et les
arrêter.


La question était donc alors une question dépla-
cée, et, quand on pense qu'on était dans toute l'ar-
deur d'une révolution, il n'est pas étonnant que la
question du veto hit déplacée. Mais dans un système
régulier, au contraire, le veto est une sorte de moyen
préventif, plutôt qu'un moyen d'action direct.
Aujourd'hni, en effet, d'après tout ce que nous avons
dit, qui exerce le veto? Ce n'est pas le gouvernement,
car, sur cent projets de loi, quatre-vingt-quinze au
moins sont présentés par le gouvernement. S'il y a
quelques amendements, le gouvernement a discuté
ces amendements dans les commissions ; il les a dis-
cutés dans les Assemblées. Si le projet est adopté,
c'est au fond le projet du gouvernement ; ceux dont
il ne veut pas décidément seront rejetés soit par la
première Chambre, soit par la seconde, et le pouvoir


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON.
:229


exécutif restera presque toujours en dehors. L'hypo-
thèse qu'on pourrait arriver au pouvoir royal avec
un projet qu'il serait obligé de refuser est une hypo-
thèse presque impossible.


Le veto existe en Angleterre, mais n'a presque
jamais été exercé ; il en est de même en France. Vous
voyez donc que le veto, dans un système bien orga-
nisé, est plutôt un moyen préventif qu'un moyen
d'action direct. Il est un moyen préventif en ce sens
qu'il décourage toute proposition extravagante.
Un projet de loi qui serait contraire aux principes
établis, on ne l'imagine pas, parce qu'on sait que,
quand même il passerait dans la première Chambre,
il serait rejeté dans la seconde, et que, s'il passait
clans la seconde, il pourrait encore être rejeté par le
pouvoir exécutif.


La question du veto a été traitée par les publicistes
les plus distingués, et celui que j'ai cité il y a un
instant a allégué en faveur du veto cet argument :
Il s'est demandé ce que deviendrait un pouvoir qui
serait obligé d'exécuter une loi qu'il réprouverait.


Un pouvoir obligé de prêter son appui à la loi qu'il
désapprouve est bientôt sans force et sans consi-
dération. 11, est sans force, parce que ses agents
lui désobéissent, sûrs de ne pas lui déplaire en
contrariant des ordres qui ne sont pas sa vo-
lonté. Il se déconsidère en employant son autorité
pour des mesures condamnées par son jugement ou
sa conscience ; aucun pouvoir n'exécute d'ailleurs
avec zèle une loi qu'il désapprouve. Chaque obs-
tacle lui est naturellement un secret triomphe.


» Il n'est pas dans l'homme de faire des efforts pour




220 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


vaincre une résistance qui est en faveur de son
Opinion. Empêcher les hommes d'agir est déjà
très-difficile : les contraindre à l'action est impos-
sible. Cette vérité s'applique aux individus mêmes
qui ne sont revêtus d'aucun puissance. A plus forte
raison s'applique-t-elle aux dépositaires d'une
grande autorité ».
Un autre inconvénient que le veto, toujours comme


moyen préventif, est destiné à prévenir, c'est l'ex-
cessive multiplicité de lois. Il est permis d'en parler
même chez nous, en présence de ce vaste arsenal où
l'on peut trouver des armes pour tous les combats.
Lorsque vous avez un pouvoir qui, seul, peut faire
In loi, alors arrive une véritable légismanie; car quand
un homme ou un corps se trouve exclusivement
chargé de quelque chose, on peut affirmer d'avance
qu'il y mettra un zèle abusif. Il est dans la nature
humaine qu'on aime mieux mal faire que de ne rien
faire; aussi, comme disait le publiciste que j'ai cité,


ceux quis ont chargés de poursuivre les vagabonds
sur les grandes routes sont tentés de chercher
querelle à tous les voyageurs. Quand les espions
n'ont rien découvert, ils inventent. Il suffit de créer
un ministère qui surveille les conspirateurs pour
qu'on entende parler sans cesse de conspirations ».


Lorsqu'un pouvoir croira qu'on n'a qu'à proposer et
à délibérer pour faire une loi et attacher son nom à
un acte législatif, on se partagera, en quelque sorte,
le pays; chacun se donnera sa province, s'évertuera
(le son mieux pour la remplir de ses lois, et l'on aura
cette maladie qui a été bien nuisible dans un temps
à la plus sainte des causes, à la cause de la liberté,


QUSTRE-VINGT-DOUZIEME LEÇON. 231


l'excessive multitude, la variabilité, l'inconstance


Aussi, nulle part, si ce n'est dans quelques repu-
des lois.


bliques de la Suisse, où l'on a suppléé au veto en don-
nant, au pouvoir exécutif l'initiative exclusive, nulle
part on n'a refusé le veto au pouvoir exécutif. La
question a été plutôt de savoir si le veto devait être
suspensif ou absolu. On appelle veto suspensif le
droit accordé au pouvoir de refuser un projet de loi,
mais de le refuser temporairement seulement ; c'est-
à-dire que, si deux ou trois législatures successives
persistent à lui présenter un projet de loi, le projet
de loi devient loi sans la sanction du pouvoir exé-
cutif. C'est ainsi que l'avait établi la Constitution
de 1791. Or, il faut le dire, le veto suspensif est un
assez mauvais palliatif, car que fait-il? Il ne fait
qu'éloigner un peu le but que l'auteur de la loi voulait
atteindre ; il ne désespère pas, il s'irrite de l'obstacle
temporaire qu'on lui oppose. Le veto absolu peut
prévenir une mauvaise proposition, le veto suspensif
ne le peut pas. « Le veto suspensif, a dit Benjamin


Constant, qui ajourne à un temps éloigné une loi
» que ses auteurs disent urgente, parait une véri-
» table dérision : la question se dénature, on ne
» discute plus la loi, on dispute sur les circons-
» tances ».


Le veto suspensif ne produit donc pas les effets que
. le veto est appelé à produire; il ne sert pas de-moyen


préventif contre les projets inadmissibles. Mais, je
le répète, dans l'ensemble de nos institutions, le veto
n'est guère appelé à deceluiquerôled'autrejouer
faire sentir aux auteurs des propositions que leurs




232
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


propositions doivent être plus réfléchies, parce
qu'elles pourraient être rejetées si elles n'étaient
pas raisonnables, mais il n'est presque pas mis en
usage.


QUATRE-VINGT-TREIZIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Sanction, promulgation et publication des lois. — Distinction néces-
saire entre les actes du pouvoir lé gislatif, (lu pouvoir exécutif et du
pouvoir judiciaire. — Réfutation de l'opinion que le pouvoir judiciaire
serait une branche de l'administration générale du pays confiée au
pouvoir exécutif. Véritable sens de la phrase : « Toute justice émane
du Roi ».


MESSIEURS,


La loi n'est parfaite :que par la sanction royale;
c'est un principe auquel la Charte ne fait pas d'ex-
ception. « Le roi seul, dit l'article 18, sanctionne et
promulgue les lois ». En 1791, il y avait quelques
décrets portant le nom de lois qui étaient dispensés
de la sanction royale. « Les décrets du Corps légis-
» latif concernant l'établissement, la prorogation et


la perception (les contributions publiques, porte-
» ront le nom et l'intitulé de lois.. Ils seront promut-
» gués et exécutés sans être sujets à la sanction, si
• ce n'est pour les dispositions qui établiraient des
» peines autres que des amendes et contraintes pé-
» cuniaires ». (Chapitre III, section m, article 8.)
Pour les lois soumises à la sanction, le roi était tenu
d'exprimer son consentement ou son refus dans les




).;


234 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


deux mois de la présentation du décret. Aujourd'hui,
il n'existe aucune restriction, aucune règle particu-
lière à cet égard. La sanction royale est nécessaire
pour tout projet, quel qu'il soit, et aucune limite de
temps n'est fixée pour l'accomplissement de cet acte.
Cette pleine liberté s'applique aux résolutions qui ont
pris naissance dans les Chambres aussi bien qu'à
celles qui viennent du gouvernement.


Les formes à suivre pour la sanction et la promul-
gation des lois avaient été réglées par; le titre IV de
la loi organique du 13 août 1814. « Le roi refuse sa
» sanction par cette formule : Le roi s'avisera ; et,


s'il n'adopte point les propositions et suppliques
qui lui sont faites, il dit : Le roi veut en délibérer.


• — Cette déclaration des volontés du roi est notifiée
à la chambre des Pairs par le chancelier, et à celle
des Députés par une lettre des ministres adressée
au président. — Le roi sanctionne la loi qu'il a


» proposée en faisant inscrire sur la minute que
» ladite loi, discutée, délibérée et adoptée par les
» deux Chambres, sera publiée et enregistrée pour


être exécutée comme loi de l'État. — Les lois pro-
» posées par le roi, sur la demande des deux Cham-


bres, sont publiées et sactionnées dans la même
• forme que celles proposées de son propre mouve-
» ment ». Ces formes, empruntées aux usages an-
glais, ont été modifiées par les usages français. Voici
comment les choses se passent, et il importe de se
faire une idée nette des trois opérations qui suivent
le vote de la loi : 1° sanction ; 2° promulgation ;
3° publication.


La sanction est un acte du pouvoir législatif. Une


QUATRE-VINGT-TREIZIÈME LEÇON. 235


fois sanctionnée, la loi existe, quoiqu'elle puisse
n'être ni promulguée, ni exécutée, car la loi en soi est
l'acte des trois volontés qui constituent le pouvoir
législatif; il y a loi en ce sens que les trois volontés
coopérant à la même oeuvre se sont trouvées d'ac-
cord ; mais il faut quelque chose de plus, il faut la
promulgation, qui est un acte de la puissance exécu-
tive seule. La Constitution de 1791, rédigée dans un
temps °il les idées théoriques dominaient les esprits,
établit nettement la distinction. C'est au chapitre III,
sous le chef du pouvoir législatif, que se trouvent les
dispositions relatives à la sanction, et c'est au cha-
pitre IV, sous le chef du pouvoir exécutif, que se trou-
vent les dispositions relatives à la promulgation de
la loi. « Le pouvoir exécutif est chargé de faire scel-
» ler les lois du sceau de l'État et de les faire pro-
» mulguer. — Il est chargé également de faire
» promulguer et exécuter les actes du Corps légis-
» latif qui n'ont pas besoin de la sanction du roi ».
(Chapitre IV, section article ler.)


Publier, c'est encore autre chose : c'est prendre
en fait les mesures nécessaires pour que la loi et sa
promulgation puissent être raisonnablement censées
connues de tout le monde, pour que nul ne puisse
prétexter ignorance. Voilà le but de la publication.


Les divers actes constitutifs de la loi sont mention-
nés dans la formule même de promulgation : « La
» présente loi, discutée, délibérée et adoptée par la
» chambre des Pairs et par celle des Députés, et
» sanctionnée par nous aujourd'hui, sera exécutée
» comme loi de l'État. — Donnons un mandement à
» nos cours et tribunaux, préfets, corps adminis-




236 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL,.


» tratifs et tous autres, que les présentes ils gardent
» et maintiennent, fassent garder, observer et main-
» tenir, et pour les rendre plus notoires à tous, il les
» fassent publier et enregistrer partout où besoin
» sera ; et afin que ce soit chose ferme et stable à
» toujours, nous y avons fait mettre notre sceau ».


Grâce à la publicité des débats et à la liberté de
la presse, les lois sont connues non-seulement lors-
qu'elles sont promulguées dans leur ensemble, mais
à mesure qu'elles s'élaborent. Toutefois le pouvoir
exécutif ne se contente pas de cette publicité, il leur
en donne une officiellement par la publication dans
le Moniteur, clans le Bulletin des lois, et par des affi-
ches apposées dans les lieux convenus.


La loi faite, l'oeuvre directe du pouvoir législatif
est finie; mais tout n'est pas terminé. Lorsqu'on a
établi en principe que le pays, pour pourvoir à sa dé-
fense, doit avoir une armée de terre et de mer et des
places fortes, il reste à organiser cette armée, à con-
struire ces places fortes, à entretenir les moyens de
défense; il faut exécuter les grands travaux que lè
législateur a ordonnés. Après qu'on a voulu, il faut
agir; après qu'on a posé des règles, il faut les appli-
quer. Mais l'action peut ne pas être l'accomplisse-
ment parfait, complet, de la règle qui a été établie ;
cela est encore vrai par la nature même des choses ;
cela est vrai, lors même que l'intention et l'action
sont concentrées dans le même individu. Quel est
l'homme qui, ayant eu clans sa vie quelque inspira-
tion d'artiste, n'a pas vu, n'a pas mesuré les diffi-
cultés qui s'opposent à la réalisation des conceptions
de l'esprit? Exécuter, c'est lutter contre la nature


QUATRE-VINGT-TREIZIÈME LEÇON.


237


matérielle, et dans cette lutte on est souvent vaincu.
Cette distance énorme qui se rencontre entre


vouloir et faire chez un homme, doit se retrouver
à plus forte raison quand l'exécuteur n'est pas celui
qui a conçu, et quand l'action doit avoir lieu contre
des individus et des passions rebelles.


Quoi qu'il en soit, la séparation des deux actes
vouloir et exécuter est une des plus puissantes ga-
ranties d'une Constitution conçue dans des idées de
liberté. Cette séparation, hautement recommandée
par l'auteur de l'Esprit des lois, avait été nettement
posée par la Constitution de 1791 dans son titre III :
» Le pouvoir législatif est délégué à une Assemblée
» nationale composée de représentants temporaires,
» librement élus, pour être exercé par elle avec
» la sanction du roi.... Le pouvoir exécutif est télé-
» gué au roi pour être exercé sous son autorité par
» des ministres et autres agents responsables.... »


Mais ce n'est pas tout. Vouloir, en législation,
c'est établir une règle générale, formuler un fait gé-
néral. Après vouloir, vient agir ; mais l'action doit
être, autant que possible, conforme à la règle établie,
et cela est vrai, non-seulement pour les agents gou-
vernementaux, niais pour tous les membres de
l'État. Or, lorsqu'il y a doute sur le sens de l'ac-
tion, lorsqu'il y a désaccord entre celui qui agit et
celui qui subit l'action, il faut faire cesser ce doute,
il faut rétablir d'accord. Il ne suffit donc pas de
vouloir et d'agir, il faut aussi juger, ce qui est un
acte également distinct des deux autres, tellement
qu'on peut faire chacun d'eux isolément.


L'acte de juger n'a pas les caractères généraux de




238 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


l'acte de vouloir, — la généralité et ; il les
exclut au contraire. Juger un fait général, ce serait
faire une appréciation philosophique de la loi ; le
juge procède par cas particuliers. Il ne commence
rien; lit oit il n'y a pas de droit il n'y a pas de juge.
Un jugement a trois éléments: appréciation du fait
particulier, comparaison avec la règle, déclaration
du droit. Le juge ne crée rien, il déclare ; il n'agit
pas, il dit comment il faut agir dans le cas spécial
qui lui est soumis. Il est donc étranger aux deux
autres dépositaires de la puissance sociale qui repré-
sentent la volonté et l'action ; il a son indépendance
et sa sphère d'activité à part; il doit l'avoir, du moins,
dans toute organisation politique rationnelle.


Ces principes ont été nettement posés clans la
Constitution de 1791, au chapitre V, dont l'article 1"
était ainsi conçu : « Le pouvoir judiciaire ne peut, en
» aucun cas, être exercé par le pouvoir législatif ni
» par le roi ». La même distinction a été maintenue
dans nos institutions actuelles. On a lieu de s'étonner
qu'un auteur moderne, M. de Sismondi, ait repoussé
cette doctrine, en ne voyant dans le pouvoir judi-
ciaire qu'une branche de l'administration générale
du pays confiée au pouvoir exécutif et n'ayant pas
des caractères propres et. séparés. C'est là une erreur
grave. Le pouvoir judiciaire est un pouvoir par lui-
même qui, clans sa sphère propre, a son indépen-
clance comme les autres ont la leur. D'où vient cette
idée qu'il fait partie du pouvoir exécutif? De ce que
sa mission consiste clans l'application de la loi et,
par conséquent, dit-on, dans l'exécution. Mais la
conséquence est fausse.


QUATRE-VINGT-TRE1ZIÈME LEÇON. 239


fait distinctes. Appliquer la loi ne veut pas dire se
mêler de l'exécution; c'est comparer un fait avec une
règle, et ce n'est pas le pouvoir judiciaire qui exécute
ses jugements. On invoque la phrase: « Toute justice
émane du roi ». Cette phrase, prise à la lettre,
signifierait seulement que le roi a une large part dans
le pouvoir judiciaire comme dans le pouvoir légis-
latif. Mais qui• ne sait d'ailleurs que le véritable sens
de cette phrase, c'est que la justice est nationale et
non plus féodale, que le pouvoir judiciaire ne se
transmet plus par legs ou par fidéicommis, que le
maitre de la terre n'est plus le maître de l'homme,
qu'enfin la justice n'est l'attribut d'aucune autre
puissance que de la souveraineté nationale, dont le
roi est le représentant? Mais, dit-on encore, le roi
nomme les juges et les institue. Qu'importe? Oui, le
roi nomme les juges; il nomme aussi les pairs, et la
chambre des Pairs n'en est pas moins une branche
indépendante du pouvoir législatif. Mais il faut voir
à côté de cela que les juges sont inamovibles et que
nul ne peut être distrait de ses juges naturels.


Sans doute, dans l'opinion de ce publiciste, il n'y a
là qu'une question de terminologie; mais l'opinion
n'en est pas moins erronée. Le pouvoir judiciaire
fait moins partie du pouvoir exécutif que le pouvoir
législatif, sur lequel le pouvoir exécutif exerce assu-
rément beaucoup d'influence. Au surplus, c'est là
une pure erreur de doctrine, et si nous avons tenu
à la relever, c'est que, sur une garantie si fonda-
mentale de nos institutions, la moindre erreur peut
avoir de la gravité:


Il y a là deux choses ton t à




4


QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.


SOMMAIRE.


Prétentions de la royauté an glaise au pouvoir supra-légal. Jacques il
el le pouvoir de dispense. — Article 14 de la Charte de 1314. Change-
ment de rédaction de cet article, sur les termes duquel s'étaient
appuyées les ordonnances (le juillet 1330. — Difficulté de déterminer
bien exactement en pratique le champ de la loi et celui de l'ordon-
nance royale. Exemples de matières législatives réglées par ordon-
nances et de matières administratives réglées par la loi.


MESSIEURS,


cç Au roi seul appartient la puissance exécutive »,
dit l'article 12 de la Charte. « Le roi, ajoute l'ar-


ticle 13, est le chef suprême de l'État ; il com-
» mande les forces de terre et de mer, déclare la
» guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de
» commerce, nomme à tous les emplois d'adminis-
» tration publique et fait les règlements et ordon-
» nances nécessaires pour l'exécution des lois, sans
» pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes
» ni dispenser de leur exécution ». Ce texte n'était
pas celui de la Charte de 1814, l'article se terminait
ainsi : « Le roi... fait les règlements et ordonnances
» nécessaires pour l'exécution de lois et la sûreté de


QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.
241


» l'État », et ce sont ces dernières expressions qui
ont servi de base aux ordonnances de Juillet. Dans
ce changement de texte se- trouve une des pages les
plus grandes et les plus solennelles de notre histoire
nationale.


Ce n'est pas chose nouvelle dans l'histoire du gou-
vernement représentatif que la prétention de la
royauté à un pouvoir supra-légal, comme disent les
Anglais ; ce n'est pas chose nouvelle que la préten-
tion de la royauté à se croire investie du pouvoir de
dispenser les autres de l'exécution des lois et de s'en
dispenser elle-même sous le prétexte du bien public
et des droits et prérogatives imprescriptibles de la
royauté. C'est ainsi qu'en Angleterre les Tudors
marchèrent au pouvoir absolu. Henri VIII arracha
au Parlement le statut de sa 3P année, portant que
les proclamations du roi en son conseil prononçant
emprisonnement on amende, et même peine capitale
en cas d'hérésie (car Henri VIII s'était fait non le
réformateur, mais le pape d'Angleterre), auraient
force de statut, c'est-à-dire de loi. Les nations som-
meillent-quelquefois, comme les individus, et la na-
tion anglaise n'était pas encore au point de ne pas
se soumettre à de tels attentats; cet acte étrange
n'excita point alors l'indignation générale. Cepen-
dant la nation n'était pas plongée dans un sommeil
éternel; elle se réveilla bientôt, et dans la première
année d'Édouard VI, l'acte d'Henri VIII fut rap-
porté.


Nous ne ferons pas l'histoire de toutes les tenta-
tives des Tudors pour usurper le pouvoir législatif.
Cette espèce de maladie atteignit plus fortement ell-


rv.
16




242 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


core la maison des Stuarts. Ce sont eux qui ont le
plus insisté sur le droit divin des rois. Tout prouve
qu'ils y croyaient, et que tous les droits nationaux
leur paraissaient n'être que des concessions que le
pouvoir royal pouvait reprendre quand il le jugeait
nécessaire à la chose publique. Au barreau, dans le
clergé, à la Cour, et partout oit les ambitions et les
cupidités humaines jouaient un rôle, il ne manquait
pas de gens qui confirmaient les princes dans cette
opinion. Le Parlement n'était pour eux qu'un conseil
que le roi faisait bien de consulter dans les circons-
tances ordinaires, mais dont il pouvait anéantir l'in-
fluence et détruire l'action, quand il le jugeait néces-
saire pour le bien du pays ; cette étrange doctrine
avait été appliquée plusieurs fois, surtout en matière
d'impôts ou pour dispenser des citoyens des peines
légales, moyen indirect d'anéantir la loi et l'influence
du Parlement. Le dispensinçj power était non le pou-
voir de grâce après condamnation, droit non con-
testé, c'était le pouvoir de placer un homme à l'abri
de toute atteinte de la loi.


Un des princes qui ont le plus essayé de mettre en
avant ces principes et d'en abuser a été Jacques II,
et il est douloureux de rencontrer cette question,
dans l'histoire anglaise, sur le terrain de la liberté
des cultes et de la tolérance religieuse. En appa-
rence, le roi voulait ce que nous voulons et ce que nous
possédons, la liberté religieuse, et le Parlement ne
la voulait pas. Mais, en réalité, le roi voulait détruire
le test cICt, non par amour pour la liberté religieuse,
mais pour confier toutes les affaires aux catholiques,
dans lesquels il voyait l'instrument du pouvoir




QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.
243


absolu. La question n'était donc pas posée d'une
manière sincère.


Mais, sous Jacques II, les choses ne pouvaient se
passer comme sous Henri VIII; Jacques II ne pou-
vait, comme Henri VIII, marcher despotiquement,
mais franchement. On imagina une ignoble comédie,
et l'instrument qu'on choisit pour la jouer fut le
pouvoir judiciaire. Un gentilhomme du comté de
Kent, sir Edward converti au catholicisme,
avait été nommé colonel d'un régiment d'infanterie.
Il avait exercé ses fonctions plus de trois mois sans
recevoir la communion selon les règles de l'Église
d'Angleterre. Il était donc passible d'une amende de
cinq cents livres sterling qu'un dénonciateur pouvait
réclamer en intentant une poursuite pour dette. Un
domestique, le cocher de sir Edward, devait jouer le
rôle de dénonciateur, il devait dénoncer son maître;
.on traduisait celui-ci devan t la Cour criminelle : il op-
posait à la justice criminelle la dispense royale, et
l'on espérait trouver les douze juges anglais assez
indignes de leurs fonctions pour déclarer que l'auto-
rité du roi avait pu dispenser de l'exécution de la
loi.


Ce n'était pas assez de trouver le dénonciateur,
il fallait trouver les douze juges, et le roi lui-même
consentit à servir d'instrument pour sonder la cons-
cience des magistrats. Les douze juges d'alors
n'étaient pas des hommes irréprochables. Loin de là;l


m
'un étaitqui n'avait le président des plaids conzuns,homme


, quelque cruelle amaet
i
servile


reculé devant aucune ac-


tionMontagne,


l qu'elle fû En




t. autreét it premier baron de l'Échiquier, dont





244 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


il suffit de dire qu'il avait accompagné l'épouvan-
table Jeffreys. Un autre était Charlton, connu comme
un royaliste outré, pour qui la prérogative royale
était chose plus que sacrée; un autre, Neville, juge
assesseur, comme Charlton. On comptait sur ces
quatre hommes en particulier; on ne doutai t pas d'eux,
grâce à leurs déplorables antécédents. Et cependant,
quand ils se trouvèrent en face, non plus d'une action
purement individuelle, mais en face de cette grande
question vitale pour les libertés anglaises, question
de savoir s'ils proclameraient ou non comme règle,
comme maxime, que le pouvoir royal pouvait dis-
penser de la loi, c'est-à-dire s'ils poseraient en prin-
cipe que le pouvoir royal était tout. et le Parlement
rien, ces hommes eux-mêmes reculèrent, et ils re-
culèrent dans un temps oà les juges anglais n'étaient
pas encore inamovibles, lorsqu'ils savaient que le
refus serait suivi de la destitution, de la destitution
des fonctions de grand juge d'Angleterre. -Et ce •
même sir Jones dit à Jacques II : «.Je ne m'affligerais


pas de ma destitution, elle serait un soulagement
pour un homme aussi vieux, aussi usé que je le




suis ; je suis seulement humilié en pensant que le
roi a pu me croire capable de rendre un jugement




qu'un homme ignorant et malhonnête pourrait


seul consentir à rendre ». Et le roi ayant répondu :


Je suis décidé à avoir douze juges qui soient tous


de mon avis sur cette question. Votre Majesté,


répliqua Jones, pourra trouver douze juges de son


avis, mais non pas douze jurisconsultes ». Jones,
Montague, Neville et Charlton furent destitués. On
ne trouva pas les douze jurisconsultes, niais on eut.


QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.
245


les juges, et la Cour pronça que le roi pouvait légale-
ment annuler les lois pénales dans des cas particu-
liers et pour des raisons spéciales de grande impor-
tance. Le jugement fut rendu à la majorité de onze
voit contre une, car l'ignoble comédie fut jouée
jusqu'au bout; et, pour que la délibération parût
libre, on voulut qu'il y eût un opposant : cet opposant
d'ailleurs, le baron Street, ne fut pas destitué de ses
fonctions. Il jouit un moment d'une immense popu-
larité; mais on découvrit le jeu hypocrite qu'il avait
joué, et il ne put jamais obtenir les faveurs de la ré-
volution de 1088.


La Charte de
• 814 portait : « Le roi fait les règle-


» ments et ordonnances nécessaires pour l'exécution
» des lois et la sûreté de l'État. » ; il n'y avait pas
autre chose. J'ignore quelle fut la pensée du rédac-
teur de la Charte de


• 814, et j'aime à croire que la
phrase était pour lui fort innocente par elle-même,
qu'il voulait dire seulement : Le roi fait des ordon-
nances pour l'exécution des lois, et, un événement
venant à éclater, il peut. prendre les mesures néces-
saires ; bien entendu qu'il convoquera aussitôt les
Chambres, et que ses ministres viendront demander
un bill d'indemnité. Et, certes, c'est le plus bel acte
de la puissance ministérielle que de ne pas hésiter à
compromettre sa responsabilité pour sauver le pays.
Mais de là à la pensé que sous les mots sûreté de l'Êta
serait renfermé le pouvoir de bouleverser d'un trait
de plume toute la Constitution d'un pays, et de
donner une nouvelle Charte autre que celle qu'on
avait s o lennellement jurée, il y avait une distanceinfranchissable, il y avait un abîme. Aussi, vous con-




24G COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


naissez l'histoire de nos jours, on tomba dans l'abîme.
Et maintenant, vous concevez pourquoi la Charte
de 1830 contient d'autres expressions que celle
de 1814. Ces mots, dont on avait fait un si déplorable
abus, ont été effacés, et l'on a fait plus. Pour qu'il ne
pût rester aucun doute sur le sens vrai de la loi
constitutionnelle, on a ajouté : « sans pouvoir jamais
» ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de
» leur exécution ». Voilà le dispensing power, voilà le
pouvoir supra-légal des Anglais formellement banni
de nos institutions constitutionnelles.


La séparation des pouvoirs est donc formellement
consacrée par le droit positif. Il ne faut pas cependant
s'imaginer qu'il soit toujours bien facile, en pra-
tique, de déterminer le champ de la puissance légis-
lative et celui de la puissance exécutive; il ne faut pas
s'imaginer qu'il soit toujours bien aisé de décider
quelle est la matière de la loi, quelle est la matière de
l'ordonnance, quel est le point où le législateur doit
s'arrêter pour ne pas se transformer en administra-
teur, quelle est la limite que l'administrateur ne
doit pas dépasser pour ne pas usurper le rôle du
législateur.


Nous pouvons rappeler ce que nous avons déjà
dit : si l'on considère la loi d'une manière générale, on
trouve deux caractères qui lui sont propres, initiative
et généralité. Sans doute, lorsqu'il y a une chose
nouvelle et qu'il y a à statuer sur cette matière, il y a
lieu de faire une loi. Il n'est pas moins vrai que,
quand on descend de ces hauteurs, souvent. on hési-
terait si l'on posaitla question : Est-ce matière à loi,
est-ce matière à règlement, est-ce un principe à


QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.
247


régler pour son exécution, ou y a-t-il quelque chose
de nouveau à statuer?


Heureusement cette question ne se présente pas
souvent, en pratique du moins. C'est que nous ne
sommes pas une société née d'hier ; c'est que les pré-
cédents et la coutume ont fait eux-mêmes ce partage;
c'est que, s'il reste quelques points sur lesquels le
doute puisse s'élever, rien n'empêche que tous les
jours ce partage ne devienne plus régulier. Ainsi
certaines matières, qui appartenaient jusqu'ici aux
ordonnances, ont &té soumises à l'intervention de la
loi. S'agit-il d'une loi existante qu'on voudrait mo-
difier, abroger, étendre, amender, c'est matière à
loi, car la loi ne peut être défaite que par le législa-
teur seul. Ainsi, vous le voyez, voilà déjà une grande
règle pratique dans une société ancienne.


Jetons pourtant un coup d'oeil rapide sur la ligne
pratique de démarcation, et vous verrez qu'en pra-
tique quelquefois la législation fait de l'administration
et que quelquefois l'administration fait de la législa-
tion, et cela, ou par des précédents, ou par la cou-
tume, ou par la volonté expresse de la législation
positive, c'est-à-dire par délégation.


Je dis que quelquefois le législateur fait de l'admi-
nistration. En voulez-vous quelques exemples? Rap-
pelez-vous ce que nous avons dit en parlant de l'ex-
propriation pom• cause d'utilité publique. Parmi les
conditions exigées pour que les tribunaux puissent
prononcer l'expropriation, il y en a une que vous
vous rappelez peut-être. C'est celle de l'article 3 de
la loi de 1833: « Tous les grands travaux publics ne
» peuvent être exécutés qu'en vertu d'une loi ». Il




248 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


n'y a pas là le caractère de généralité ; ce n'est pas un
fait général de savoir s'il y aura un chemin de fer
allant de Paris à Saint-Germain et partant de tel ou.
tel point. Ce n'est pas là un fait général, et cependant
c'est le pouvoir législatif qui a réglé ces choses. On
a posé en principe qu'il fallait une loi, puis on a délé-
gué une partie de ce pouvoir législatif au pou-
voir exécutif, car, lorsque les travaux ne sont
pas d'une grande importance, il n'est pas besoin
d'une loi.


Cela vous montre deux choses ; voilà une matière
qui, quoique non générale, ne peut être réglée que
par une loi, et puis une partie de ce pouvoir légis-
latif peut être exercée par l'administration.


De même, pour les pensions, c'est statuer d'une
manière générale que de dire qu'un militaire qui a
servi pendant tant de temps pourra obtenir une pen-
sion. C'est statuer d'une manière générale que de
dire que cette pension sera déterminée d'après telles
et telles règles ; c'est ainsi que sont faites les lois
sur les pensions. Et puis l'application de ces règles
aux individus est une affaire particulière qui regarde
l'administration. Cependant, si vous ouvrez la loi
de 1831 sur les pensions militaires, vous trouvez
l'article 23, qui dit : « Dans les cas non prévus par la
» présente loi, où il y aura lieu de récompenser des
» services militaires éminents ou extraordinaires,
» les pensions ne pourront être accordées que par
» une loi spéciale ». Voilà le législateur qui, par une
loi spéciale, statuera sur une personne ; c'est le
législateur qui examinera si cette personne a, en
effet, rendu des services qui méritent une pension.


QUATRE-VINCT-QUATORZIÈME LEÇON. 249


C'est un fait d'administration que le législateur s'est
réservé, vu l'importance de la chose.


Quand on rectifie les limites d'une commune, c'est
pour la commodité de l'administration ; on pourrait
bien regarder cette rectification comme un pur acte
d'administration. Eh bien, il faut une loi pour cela,
et il y a une foule de lois qui ont pour objet des déli-
mitations de communes.


Enfin, vous connaissez un grand nombre de con-
cessions qui sont faites directement par le législateur.
On demande si un chemin de fer sera sur la rive
droite ou sur la rive gauche de telle rivière. C'est là
un acte d'administration, cependant c'est la loi qui le
décide.


Maintenant prenez l'inverse ; le pouvoir exécutif
exerce quelquefois un pouvoir qui, à proprement
parler, est clu ressort de la législature. Ainsi, quand
les Chambres ne sont pas réunies, le roi peut faire
des ordonnances sur les douanes, ce qui veut dire
modifier un impôt. 11 est vrai qu'il devra en être
rendu compte aux Chambres dans la session sui-
vante, mais ce n'en est pas moins un pouvoir
législatif donné temporairement à l'administration
par une sorte de délégation de la loi.


De môme une autre délégation se trouve dans la
loi du 26 juin 1835 relative à la répression de la
contrebande dans l'île de Corse : « Des ordonnances
• du roi, dit l'article 2, pourront également :
» I° restreindre l'entrée et la sortie de certaines


marchandises aux seuls ports de la Corse qu'elles
» désigneront ; 2° déterminer les produits du sol et
» des fabriques (le la Corse qui pourront être admis




250 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.
sur le continent en exeinption de droits, etc.... »
Pour les places de guerre, matière très-impor-


tante, s'il y a urgence, une ordonnance royale peut
déclarer l'utilité publique, et cela en vertu de la loi
du 30 mars 1831.


Vous savez peut-être qu'en ce qui concerne l'ins-
truction publique, presque tout a été organisé par
décrets et par ordonnances.


De môme en ce qui concerne les avocats.
Les crédits supplémentaires sont d'abord auto-


risés, réglés par une ordonnance royale, qui ensuite
est soumise à la Chambre par un projet de loi
spécial.


L'organisation du Conseil d'État, elle-môme, est
due presque exclusivement à des ordonnances
royales.


Enfin, il y a une foule de matières dont le règle-
ment est renvoyé au pouvoir exécutif. ll y aurait une
longue liste à faire si l'on voulait énumérer toutes les
matières qui, à la rigueur, pourraient être du ressort
du législateur, et qui sont laissées à l'ordonnance et
au règlement. d'administration publique.


Je me résume donc. Le principe de la séparation
des pouvoirs est établi chez nous aussi nettement
que possible, en tant que principe. Dans la pratique,
la séparation existe encore ; cependant on peut
trouver quelques faits d'administration réglés par la
législature, et réciproquement quelques faits du
ressort de la législation réglés par l'administration.
Dès lors, et c'est à ce point que nous voulons arriver,
quand il s'agit de se poser la question : Quelles sont
les attributions du pouvoir exécutif? il faut répon-


QUA.TRE-VINCT-QIUTORZIEINIE LEÇON. 251


dre : 1° Le pouvoir exécutif exerce, dans certaines
matières, un pouvoir analogue au pouvoir législatif,
par une délégation explicite ou implicite qui lui a été
faite, comme le pouvoir législatif fait quelquefois des
actes d'administration, mais c'est là une attribution
pour ainsi dire exceptionnelle.


Reste maintenant à savoir quelles sont les attribu-
tions propres, inhérentes à la nature même du pou-
voirexécutif. Or l'administration de l'Étal peut être
considérée essentiellement sous deux points de vue :
dans ses rapports avec les citoyens, dans ses
rapports avec les nations étrangères. C'est sous ce
double point de vue que, dans les limites de notre


• enseignement, nous considérerons les attributions
du pouvoir exécutif.




QUATRE-VI.NGT-QUINZIEME LEÇON


SOMMAIRE


Règlements d'administration publique et ordonnances rendues dans la
forme de règlements d'administration publique. — Relations de l'État
avec les puissances étrangères. — Situation des divers États vis-à-vis
les uns des autres. Influence exercée sur les relations des nations
entre elles par le commerce, la science et la — Le dévelop-
pement du commerce, du crédit et de la richesse mobilière doit, en
faisant mieux comprendre les effets désastreux de la guerre, la rendre
moins fréquente. — Diplomatie, fait moderne qui s'est développé
progressivement comme la civilisation. Rôle important de la France
dans l'histoire de la diplomatie. — Droit de déclarer la guerre remis
au pouvoir exécutif. Discussion de cette grande question à l'Assem-
blée constituante.


MESSIEURS,


« Le roi, dit l'article 13 de la Charte,.... fait les
règlements et ordonnances nécessaires pour l'exé-


» cution des lois.... » Les ordonnances sont de di-
verses formes. Elles sont rendues sur le rapport
d'un ministre ou du conseil des ministres, ou déli-
bérées préalablement par le Conseil d'État, et, dans
ce cas, elles prennent le nom de règlements d'admi-
nistration publique ou d'ordonnances rendues dans
la forme de règlements d'administration publique.


QUATRE-VINGT-QUINZIME LEÇON. 253


La différence entre le règlement d'administration
publique et l'ordonnance rendue dans la forme de
règlement d'administration publique est assez diffi-
cile à saisir. La première qualification est donnée
aux ordonnances qui concernent des objets d'une
grande généralité. Ainsi, dans une loi, on laisse au
pouvoir exécutif le soin de statuer sur certains
points ayant un caractère général; l'ordonnance qui
statuera sera un règlement d'administration publi-
que. Mais s'il s'agit d'une affaire ayant un caractère
individuel, s'il s'agit d'autoriser une société ano-
nyme, il y aura seulement une ordonnance rendue
dans la forme de règlement d'administratisn publi-
que. Le fait essentiel, dans les deux cas, est la délibé-
ration du Conseil d'État.


Quels que soient d'ailleurs sa forme et son titre,
l'ordonnance n'est légale qu'autant qu'elle a été con-
tre-signée par un ministre responsable.


Un autre attribution du pouvoir exécutif est le
droit de régler les relations de l'État avec les puis-
sances étrangères. « Le roi, dit encore l'article 13
de la Charte déclare la guerre, fait les traités de
paix, d'alliance et de commerce ». C'est là une haute
attribution. Le roi représente complétement l'État
dans ses relations extérieures, il est chargé seul de
défendre les intérêts du pays vis-à-vis des étran-
gers.


Les nations diffèrent par leur organisation sociale
et politique, par les moeurs, par l'étendue de leur
territoire, par tout ce qui constitue leur nationalité.
Chacune d'elles est considérée comme une individua-
lité, comme un être libre, qui n'est sujet de per-




u


954 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.
sonne, qui ne reçoit de lois d'aucune autre indivi-
dualité politique. Entre les divers peuples il n'y a
point de juge ici-bas, autrement il n'y attrait pas
autonomie. On peut, dans certains cas, pour faire
cesser un différend, se donner un arbitre par libre
choix, mais ce n'est pas un supérieur. Les peuples
sont, à l'égard les uns des autres, grands ou petits,
forts ou faibles, égaux en droit. Les membres de
notre société française ne sont pas tous semblables,
il y en a d'habiles et d'ignorants, de forts et de fai-
bles, mais devant la loi ils sont égaux, ils ont tous
les mêmes droits. Il en est ainsi dans le droit naturel
des nations. Leur puissance ou leur faiblesse établit
entre elles des inégalités, comme il en existe dans
une même société entre les individus qui la compo-
sent; mais elles ne peuvent traiter entre elles que
d'égal à égal, elles n'ont d'autre juge que la raison,
elles ne relèvent d'aucun tribunal. S'il s'élève entre
elles un dissentiment, après que tous les moyens de
la raison ont été épuisés, il ne reste qu'un moyen
pour se faire rendre justice, c'est la force.


Les relations entre les États peuvent donc être
très-variées. Elles peuvent être dans l'état normal
de loyauté et de saine raison, à l'état de relations
pacifiques excluant toute idée d'hostilité. Elles peu-
vent être amicales; elles peuvent être plus encore,
elles peuvent être intimes, il peut y avoir alliance
dans un but commun; ces alliances ont été quelque-
fois appelées ligues. Ainsi vous connaissez clans
l'histoire ancienne la ligue achéenne et la ligue
étolienne; vous connaissez, dans les temps moder-
nes, la ligue de Cambrai, formée entre l'empereur


QUATRE-VINGT-QUINZIÈME LEÇON.
955


Maximilien, Louis XII, Ferdinand le Catholique et
le pape Jules II contre la république de Venise; la
ligue de Smalkalde, formée entre les Etats protes-
tants d'Allemage pour résister à Charles-Quint.
Quelquefois encore il y a plus qu'une alliance con-
tractée pour un intérêt éventuel et passager, il y a
une alliance durable, permanente ; c'est une confé-
dération où l'on renonce à l'exercice de certaines
portions du droit de souveraineté en le remettant
aux mains Îd'un pouvoir commun. Ainsi vous avez la
Confédération germanique, la Confédération suisse,
les États-Unis d'Amérique, etc.


Tel est l'état général du monde, tel est le code
généralement admis à l'égard de la coexistence des
diverses nations. Et il faudrait lire l'histoire d'une
manière bien superficielle pour ne pas être frappé
de la haute influence de la civilisation sur les rela-
tions des diverses nations entre elles. Et si, sans se
contenter de ce mot général et un peu vague, on
recherche les faits qui ont surtout produit ce résul-
tat, on en trouve trois surtout: le commerce, la
science, la religion, Ces trois grands faits civilisa-
teurs ont exercé une influence, non-seulement sur
les nations où ils se sont développés, :mais sur les
relations de peuple à peuple et sur le droit interna-
tional. Le progrès s'est réalisé, non-seulement au
point de vue de l'utilité, mais au point de vue du
vrai et du beau, non-seulement au point de vue des
fntérêts matériels et du gain, mais au point de
vue de la raison et de lajustice. C'est une chose bien
connue que les anciens ne voyaient guère dans
l'étranger qu'un ennemi. Leurs lois, les.débris de




256 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.
leurs monuments, leurs langues nous l'attestent, en
Orient comme en Europe. C'est un préjugé barbare
qui n'existe plus aujourd'hui ; c'est une chose rare
aujourd'hui que l'antipathie contre un homme, pro-
venant de sa qualité d'étranger, provenant de ce
fait seul qu'il n'est pas votre concitoyen. Il y a sous
ce rapport un abîme entre nous et le anciens. Et qui
oserait assigner une limite infranchissable à ce
développement du sentiment de fraternité humaine?
L'antiquité n'aurait pu prévoir l'état auquel nous
sommes arrivés, notre postérité pourra se trouver


• un jour en présence de faits qu'il ne nous serait pas
possible de pressentir. Toto divises orbe Britannos,
disaient les anciens. Que diraient-ils en voyant la
Grande-Bretagne associée moralement et matérielle-
ment au mouvement des esprits et surtout des affaires
dans le monde entier? Pour nos ancêtres, habitants
de la Gaule et de l'Italie, le Germain était un barbare
avide et violent, cherchant à détruire par la force la
civilisation romaine. Nous sommes avec les descen-
dants de ce Germain en communication intime, non-
seulement d'affaires mais d'intelligence. Cette Alle-
magne, qui semblait devoir être par son immobilité
l'Inde de l'Europe, a puisamment contribué par ses •
travaux intellectuels au progrès de l'humanité. Il
n'est pas de question qu'elle n'ait essayé d'appro-
fondir, pas de vérité qu'elle n'ait essayé de percer, et
c'est ainsi qu'elle s'est préparée à entrer dans la
sphère du monde actif et progressif. L'Amérique!
Nos communications avec elle sont plus faciles
que ne l'étaient autrefois les communications entre
la Gaule et l'italie. l l n'est pas jusqu'à l'immobile


QUATRE-VINGT-QUINZIÈME LEÇON.
957


Orient, isolé si longtemps au milieu du globe par
ses moeurs, par ses coutumes, par sa religion, qui
ne se dénature peu à peu, oà l'esprit de l'Europe
ne se glisse insensiblement. L'Égyptien songe à une
école polytechnique, et si le Turc, affranchi de son
vieux costume, présente aux esprits railleurs l'image
embarrassée d'un moine défroqué, c'est qu'il se pré-
pare à revêtir le costume de l'homme actif et le
vêtement léger de la civilisation moderne.


Voilà les faits auxquels nous assistons. Quelles
en seront les conséquences pour la paix entre les
nations ? Sans doute la paix perpétuelle sera tou-
jours une utopie, parce que les passions humaines
existeront toujours ; mais, sans tenir compte des
idées morales et religieuses (et assurément je n'ac-
corde pas qu'il ne faille pas en tenir compte), il est
évident que les luttes seront plus faciles à éviter, la
nécessité des transactions plus facile à comprendre,
lorsque les peuples verront combien la lutte serait
funeste pour les deux partis. Nous marchons vers
un état de civilisation matérielle tel qu'il sera de
plus en plus frappant pour tout le monde que la
guerre est un épouvantable fléau, amenant d'irré-
parables désastres pour tous les belligérants. A qui
devrons-nous ce gage nouveau de sécurité? A trois
grands éléments, au commerce, au crédit, à la
richesse mobilière, que les anciens ne connaissaient
pas, et qui tend à jouer un si grand rôle qu'elle lais-
sera la richesse immobilière au second rang. La
richesse immobilière craint sans doute la guerre,
elle peut en souffrir ; mais, après tout, le sol ne peut
être emporté, et au bout de quelque temps les plaies


17




258 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


sont cicatrisées. Mais quand les nations auront leur
puissance fondée principalement sur la richesse mo-
bilière, sur le commerce, sur le crédit, les désas-
treux effets de la guerre apparaîtront de plus en
plus et l'on sentira de plus en plus qu'on ne doit y
avoir recours que pour des motifs de la plus haute
gravité. Et ce progrès, toutes les nations ne le feront
pas en mème temps, parce qu'elles ne sont pas
toutes au même degré dans l'échelle de la civili-
sation, mais elles finiront toutes par le faire.


1)e là sort une autre conséquence, c'est l'impor-
tance croissante de la diplomatie. Cette branche de
l'administration, contre laquelle se sont élevées bien
des plaisanteries, bien des déclamations, s'est déve-
loppée progressivement, comme la civilisation, et en
raison de la civilisation. Les anciens ne connaissaient
pas la diplomatie comme nous. Ils s'envoyaient bien
de temps en temps des ambassadeurs, dans des cir-
constances données, et ils les entouraient de toute la
sainteté de la religion, parce qu'ils avaient besoin de
les rendre inviolables et sacrés aux yeux des peuples
chez lesquels ils étaient envoyés. Mais la diplomatie,
cette communication constante d'État à État, est un
fait moderne, qui est né et s'est développé après la
grande crise du moyen âge.


La France a toujours joué un rôle important dans
l'histoire de la diplomatie. Richelieu, Mazarin,
Louis XIV, savaient employer à la fois la . parole du
diplomate et l'épée du général. Le grand roi ne serait
pas jugé sainement si l'on ne fixait son attention que
sur les exploits militaires de son règne ; ses exploits
diplomatiques ne sont pas moins admirables. Il a eu


QUATRE-VINGT-QUINZIÈME LEÇON.
250


des ambassadeurs dont le nom, resté presque
obscur, ne figurerait pas mal à côté de ceux de
Condé, de Turenne, de Vauban, de Catinat. Mais il
ne faut pas s'étonner que, dans un temps où les noms
guerriers sonnaient si fortement aux oreilles, la
célébrité du diplomate ait pâli devant celle du
capitaine.


Nous allons donc à une époque où les relations
d'État à État deviendront de plus en plus multipliées
et en même temps moins exposées aux chances de
rupture et de guerre. On pourrait déjà, sans craindre
de se tromper, affirmer que, pour telle nation, des
luttes ayant telles causes sont devenues impossibles.
Est-ce à dire cependant qu'un gouvernement doive
licencier son armée, détruire ses places fortes et,
confiant dans ses principes, rayer de son bugdet une
si grande source de dépenses ? Non sans doute, une
nation qui renoncerait spontanément, systématique-
ment à la guerre, s'abdiquerait elle-même, elle abdi-
querait son indépendance.


A qui donc est. confié le droit de déclarer la guerre,
entre quelles mains est déposé ce pouvoir immense
de déclarer la guerre, d'interrompre le cours de la
prospérité publique, de faire peser sur nous le
double impôt de la richesse et du sang? C'est à
la royauté que ce pouvoir est remis par l'article 13
de la Charte..


Il y a là une des plus grandes et des plus bellesquestions d ' o rganisation politique, et si la tribunef
rançaise a des droits à la célébrité, c'est surtoutpar la gr


andeur (le la discussion qui y fut portée
sur cette question, en 1790. C'est là, qu'on trouve un


I




260 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


clos plus beaux monuments de l'éloquence française.
Mirabeau avait Barnave pour adversaire ; il ne par-
tageait pas l'avis de ceux qui voulaient dépouiller la
Couronne du droit de déclarer la guerre. Mirabeau
n'était pas seulement un orateur, un habile faiseur
de phrases, c'était un homme de méditation et un
homme d'État. Le premier des discours qu'il pro-
nonça sur cette question est un modèle de discussion
large et élevée ; le second est un modèle de polé-
mique. Dans l'intervalle d'une séance à l'autre, on
avait colporté par les rues un pamphlet intitulé :
Grande trahison du comte de Mirabeau. Il en tira
l'exorde de son dernier discours, dans lequel il
déclara qu'il ne quitterait la tribune que mort ou
victorieux. Vous connaissez sans doute cet exorde :


Moi aussi on m'a porté en triomphe, et pourtant
» on crie aujourd'hui la grande trahison du comte de
» Mirabeau.. Je n'avais pas besoin de cet exemple
» pour savoir qu'il n'y a qu'un pas du Capitole à la
» roche Tarpéienne ». Malgré tout le déchaînement
des passions du temps, l'opinion de Mirabeau fut
adoptée.


C'est donc le pouvoir royal qui déclare la guerre.
Jadis la déclaration (le guerre se faisait avec cer-
taines formes solennelles. Aujourd'hui, lorsque les
bonnes relations qui existaient entre deux peuples
viennent à cesser, l'usage veut que le commence-
ment des hostilités soit précédé de la publication
(l'un manifeste. C'est un hommage rendu à la fois à
la civilisation et à l'opinion publique. C'est l'exposé
des motifs de la guerre.


Mais cette déclaration de guerre faite par le roi,


QUATRE-VINGT-QUINZIÈME LEÇON.
261


est-ce un engagement sans remède, sans retour pos-
sible de la nation dans une entreprise qu'elle désap-
prouve peut-être ? La libre disposition de ses
richesses et de son sang appartient-elle au roi ? Non
sans doute. Il faut ici le concours du pouvoir légis-
latif, c'est lui qui donne l'argent et les soldats. Que
veut donc dire ce droit de déclarer la guerre attribué
au pouvoir exécutif? Il veut dire que c'est au pou-
voir exécutif qu'il appartient d'apprécier la néces-
sité d'avoir recours à ce grand moyen. On conçoit
bien que les questions de guerre et de paix ne puis-
sent être discutées à la tribune ; les plus petites
causes de mésintelligence pourraient ainsi amener
des ruptures; les accommodements, les transactions
seraient souvent rendus impossibles. C'est donc dans
l'intérêt du pays que le droit de déclarer la guerre
a été remis au pouvoir exécutif, mais les moyens de
faire la guerre appartiennent au pouvoir législa-
tif. La Couronne ne peut, sans le concours des
Chambres, lever un homme, ni lever un écu. Les
assemblées délibérantes ont donc aussi leur part
d'influence dans les questions de guerre. L'accord
du pouvoir royal et du pouvoir législatif est indis-
pensable sur ce point comme sur tous les autres.




QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Si le droit de déclarer la guerre appartient au pouvoir exécutif, c'est
le pouvoir législatif qui fournit et peut refuser les moyens de la faire.


Formes de la déclaration de guerre. Manifestes; communications
aux puissances étrangères. — Lettres de marque. — Droit de repré-
sailles. — Embargo. — Cartel ; — suspension d'armes; — armistice;
— trêve; — traité de paix. — Le droit de faire les traités appartient
à la Couronne, mais il trouve également sa limitation dans le droit
qui appartient au pouvoir législatif de discuter les clauses qui suppo-
seraient un impôt ou qui pourraient porter atteinte à quelques droits
publies.


MESSIEURS,


Ce n'est pas sous le système représentatif que
Charles de Lorraine aurait pu lever trente mille
hommes et les mener contre Metz, parce qu'un abbé
avait refusé de payer les droits au fisc pour un pallier
de fruits. Que de guerres acharnées n'ont pas eu de
causes moins frivoles ! C'est le duc de Buckingham
qui entraîne l'Angleterre dans une lutte contre la
France pour revoir la reine qu'il aime. C'est une
discussion entre Louis XIV et Louvois sur la hauteur
ou la largeur d'une fenêtre de Trianon qui aurait,
dit-on, fait déclarer la guerre à l'Allemagne. Sans


QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON.
263


doute, il ne faut pas chercher toujours la cause de
ces grands événements dans de si petits motifs. Je
crois qu'il faut voir les choses de plus haut. Certes,
les petites passions, comme les grandes, ont joué
leur rôle dans les questions de paix et de guerre.
Mais,. d'un autre côté, la cause de l'événement a pu
souvent n'être pas là où un auteur de mémoires,
esprit plus ou moins superficiel, a cru la voir ; elle a
pu être bien autrement profonde, quoiqu'on ne s'en
soit pas toujours bien rendu compte. Ainsi, si nous
prenons Louis XIV et que nous l'observions de près,
nous voyons un esprit de suite admirable, nous
voyons un projet toujours le même, suivi jusqu'au
bout avec une grande puissance ; et le résultat,
malgré les grandes erreurs de la fin de son règne, il
l'a obtenu, c'était de faire des peuples (le l'Occident
et du Midi une masse groupée autour de la France.
Quand on voit tous les faits tendre ainsi à l'accom-
plissement d'une pensée persévérant à travers
toutes les vicissitudes d'un règne, il est assez
difficile de croire qu'un des grands événements qui
ont servi au développement de ce projet ait eu pour
cause un défaut de dimension dans une fenêtre.


Quoi qu'il en soit, toujours est-il que, dans le sys-
tème représentatif, grâce à cette puissante garantie
dont j'ai parlé, le droit de guerre ne saurait être un
caprice. Vous en avez l'exemple et la preuve sous vos
yeux. La France a une guerre en ce moment ; à la
vérité elle ne préoccupe pas vivement les esprits et
même n'exige pas un grand développement des
forces nationales. 11 n'est pas moins vrai que la
France a fait une conquête en Afrique, et que là il y a




264 ' COURS DE 1)1101T CONSTITUTIONNEL.


guerre entre les peuplades indigènes et le con-
quérant. Or, dans ce cas comme clans les autres,
le droit de décider si la guerre aura ou non lieu
appartient à la Couronne ; mais il n'est pas moins
vrai que la question a formé le sujet d'une grande
discussion dans les Chambres. Les régiments fran-
çais n'auraient pas quitté la France, si déjà le cabinet
français n'avait pressenti quelle était la tendance de
l'opinion et quel serait le vote de l'assemblée, et ces
mêmes régiments auraient regagné les côtes de la
France, si l'assemblée eût refusé les fonds néces-
saires. 11 y a donc là droit d'un côté, limite et
garantie de l'autre.


Quant aux formes de la déclaration de guerre,
sans remonter à l'antiquité, l'histoire nous apprend
que jusqu'au xvue


siècle on avait assez l'usage de
déclarer la guerre avec une sorte de solennité ; cela
se faisait souvent par des hérauts d'armes ; la guerre
était regardée comme une sorte de duel, on s'en-
voyait un cartel de nation à nation, comme aujour-
d'hui on s'envoie quelquefois un cartel d'individu à
individu,. On employait un héraut d'armes comme on
emploie aujourd'hui une tierce personne pour ame-
ner une rencontre. Mais ce mode est tombé peu à peu
en désuétude, et la déclaration de guerre se fait
ordinairement par un manifeste. C'est un exposé des
motifs ; au moment de mettre la main sur le glaive,
au moment (le substituer la force au droit, on
éprouve le besoin de paraître au tribunal de l'opinion
publique européenne, et de lui montrer qu'on a des
motifs suffisants de faire la guerre. Je le sais, les
manifestes passent pour des tours d'adresse dans


OIITRE—VINGT-SEIZIÈME LEÇON.
265


lesquels la diplomatie trouve toujours d'excellents
motifs pour toute guerre quelconque. Mais il n'est
pas moins vrai que c'est un hommage rendu à
l'opinion publique ; il n'est pas moins vrai que même
les gouvernements absolus en éprouvent l'influence ;
eux aussi sentent la nécessité de paraître devant ce
tribunal, et n'osent pas le braver par un silence
dédaigneux.


On a l'habitude de communiquer les manifestes
aux gouvernements étrangers, et cet usage a de
l'importance en droit, parce qu'il s'est ainsi établi en
coutume que les conséquences de l'état de guerre
doivent partir à dater de la publication du manifeste,
c'est-à-dire de la déclaration de guerre, et que
l'agression qu'une des parties belligérantes ferait
auparavant ne serait qu'un acte brutal, incapable de
rien produire en droit ; qu'ainsi, par exemple, ce
qu'une des parties aurait enlevé avant la déclaration
de guerre n'est pas légitimement enlevé. Et cette
doctrine a une grande importance, surtout dans les
guerres maritimes ; c'est souvent une cause de doute
pour décider de la validité des prises faites par les
corsaires avant la déclaration de guerre.


Quant aux lois de la guerre, nous ne pouvons éga-
lement que vous renvoyer au droit des gens. La
guerre est un fait, c'est l'appel à la force ; mais
Comme la guerre est un fait de l'homme, elle est
soumisé, comme tous les faits de l'homme, aux lois
de la justice et de la raison. Et certes, la modifi-
cation des lois et coutumes de la guerre est un des
plus brillants témoignages de la civilisation moderne.


Ce que nous avons à en dire se borne à. cette simple




I


2GO COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


observation que, par cela même que le pouvoir royal
a le droit de déclarer la guerre et de la diriger, par
cela même il a le droit d'employer tous les moyens
licites, utiles à l'administration de la guerre, de
suivre les us et coutumes que le droit public européen
reconnaît en matière de guerre ; aussi, quand j'ai dit
licites, j'aurais dit dire tolérés par le droit public de
l'Europe, car je répugne, malgré les progrès que les
coutumes de la guerre ont faits dans le droit public
européen, je répugne à qualifier de légitimes certains
actes, entre autres les armements en course, l'emploi
des corsaires, non l'emploi des navires armés en
guerre pour attaquer les navires armés en guerre
de l'ennemi, pour rendre ses communications diffi-
ciles, mais j'entends les armements en course, l'au-
torisation donnée à des corsaires de s'emparer
des propriétés privées appartenant à des sujets
ou citoyens de l'État ennemi, ce qu'on appelle faire
des prises.


C'est là un usage qui nous est resté des anciens us
et coutumes de la guerre. Sur terre, cet usage est
abandonné ; sur terre, on se croirait déshonoré, cela
serait appelé brigandage ; on peut lever une con-
tribution sur l'État pour nourrir l'armée, on peut
prendre des garanties par des otages ou autrement,
on peut s'emparer des propriétés publiques, mais
les propriétés privées, on ne les attaque pas directe-
munt, on ne les livre pas au brigandage des particu-
liers. Cela n'arrive jamais que par l'effet du désordre,
et dans des cas tout à fait exceptionnels. Il y a peu
d'hommes de guerre, et plus on est homme de
guerre, plus on y répugne, il y a peu d'hommes de


QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON.


267


guerre qui •commettent de pareils actes sans de
grands motifs. Quand une armée se livre au pillage, ce
n'est aillais par autorisation formelle du gouverne-
ment : le gouvernement rte donne pas patente de
brigandage sur terre. Or, c'est ce qu'on fait en mer,
et cela s'appelle délivrer des lettres de marque, le
droit de se jeter sur les biens de l'ennemi hors des
frontières du pays. De sorte que, dans ce cas-là, il
existe deux sortes de pirates; les pirates officiels, on
les appelle corsaires, et ceux qui n'ont pas de lettres
de marque et font la piraterie pour leur compte
s'appellent forbans ou pirates proprement dits.


Je crois que l'utilité de cet usage est minime, je
crois que ce sont là des actes que rien au fond ne
justifie, et ce sont là des actes qui donnenf lieu à d'im-
menses difficultés. En voulez–vous une preuve?
A l'heure qu'il est, il y a encore chez nous des restes
de questions qui tiennent à des prises faites dans la
première guerre entre la France et l'Espagne, après
la révolution française. On autorise cette piraterie, et
puis, à la paix, le plus fort exige qu'on indemnise
ses sujets, du moins de certaines prises. C'est une
série de questions de fait et de droit qui n'en finissent
jamais. Voilà quel est le résultat le plus net d'une
pareille coutume. Quant à moi, je crois que le jour
viendra où la coutume des corsaires n'existera
plus, où la guerre maritime se fera seulement par
les navires de l'État, où l'on pourra courir sus aux
propriétés publiques de l'ennemi, mais où l'on ne
viendra plus exciter la cupidité des particuliers pour
en faire des brigands officiels.


Quoi qu'il en soit, tant que la coutume existe, celui




268 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qui a le droit de déclarer la guerre a le droit de
délivrer les lettres de marque.


Quant au droit de représailles, c'est aussi quelque-
fois un moyen d'hostilité, mais c'est aussi un moyen
que la raison n'approuve pas aisément, et pour que
le droit de représailles puisse être exercé avec des
motifs suffisants, il faudrait au moins qu'il y eût tou-
jours le concours de certaines conditions, que la
cause en fût juste, que justice eût été réclamée inu-
tilement, et que le fait des représailles fût licite en
lui-même. La dernière condition est de rigueur.
Est-il permis de commettre un crime parce que votre
ennemi a commis mi crime? Comment) il a massacré
des femmes et des enfants, et par représailles, vous
massacrez des femmes et des enfants '? Que votre
ennemi ait abusé des propriétés particulières, et que
de votre côté vous saisissiez dans la même propor-
tion des biens particuliers, jusque-là on peut vous
approuver, mais aller plus loin rie saurait s'excuser.


Au surplus, il est reconnu aujourd'hui qu'il faut
s'abstenir de représailles le plus possible ; même
lorsque les conditions que nous avons indiquées se
vérifient, c'est toujours un moyen dangereux.


Une troisième mesure, c'est ce qu'on appelle mettre
l'embargo; c'est interdire la sortie des ports aux vais-
seaux ou navires de la nation ennemie ou de telle
autre nation à l'égard de laquelle on veut commettre
un acte d'hostilité; cette mesure est employée quel-
quefois. Il est clair qu'elle entre dans les droits du
pouvoir qui a le droit de déclarer la guerre, mais il
faut lui appliquer les mêmes régies générales, et il
ne serait ni juste ni politique d'appliquer l'embargo


QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON. 269


aux navires d'une puissance avec laquelle on ne serait
pas en hostilité, et qui seraient entrés cirez vous sur
la foi des traités.


Comment la guerre cesse-t-elle? L'état de guerre.
peut cesser momentanément ou définitivement, c'est-
à-dire qu'il peut y avoir suspension d'armes, paix et
traité (le paix, ce qui nous amène au droit de traiter.
Mais, auparavant., je vous ferai remarquer qu'il y a
même certaines conventions qui ont lieu quelquefois
entre les parties belligérantes, sans que la guerre
soit suspendue : c'est ce qu'on appelle un cartel. C'est
une convention entre les deux puissances belligé-
rantes qui s'applique, par exemple, à un passage de
courrier, à un échange de prisonniers.


Il y a suspension d'armes lorsque les hostilités
sont momentanément interrompues. Ainsi, après une
bataille sanglante, il y a souvent une convention, une
suspension pour enlever les blessés, pour enterrer
les morts. C'est alors une pure suspension d'armes
entre les deux chefs d'armée; elle est momentanée,
limitée au besoin pour lequel elle a été demandée.


L'armistice est une suspension d'armes d'une
nature plus générale ; c'est une véritable suspension
des hostilités, qui adieu pour un temps fixe ou pour
un temps indéterminé ; mais, dans le dernier cas, on
ajoute cette clause, que l'armistice sera dénoncé tant
(le jours à l'avance ; et souvent mémo les parties
conviennent des positions qu'elles occuperont res-
pectivement pendant l'armistice. Mais l'armistice
n'est souvent aussi qu'une trêve partielle, restreinte
à certains lieux, à certains corps d'armée, et qui ne
fait pas cesser partout. l'hostilité. Il y a quelquefois




270 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


armistice entre deux armées, tandis que deux autres
armées continuent à se battre.


La trêve proprement dite est un armistice géné-
ral qui s'applique à tout le pays, à toutes les armées,
aux armées de terre et de mer ; c'est une véritable
suspension de l'état de guerre. La trêve donc est
quelque chose de plus général est de moins provi-
soire que l'armistice. Il y a eu des trêves qui ont duré
quarante ans. Après la longue et sanglante lutte des
Provinces-Unies contre l'Espagne, on fit une trêve
qui dura quarante ans, et ce n'est qu'à l'époque du.
traité de Westphalie qu'arriva la paix. C'est que la
trêve est souvent un moyen de ménager l'amour-
propre d'une puissance. Après de longs efforts, les
Provinces-Unies avaient enfin remporté la victoire ;
l'Espagne ne pouvait plus les soumettre, mais il y
avait un amour-propre de cour qui empêchait le
cabinet de Madrid de reconnaître ces provinces,
qu'elle appelait ses sujets. Et il ne faut, pas s'éton-
ner de cette misère humaine. Ceci se passait au xvi"
siècle, et savez-vous ce qu'au xixe


siècle disait encore
un Espagnol très-libéral en parlant d'un Hollandais
envers lequel il s'était montré très-peu gracieux,
pour ne pas dire impérieux ; savez-vous ce qu'il
répondit quand on lui fit remarquer qu'il avait des
manières presque grossières envers un homme qui
ne lui en avait donné aucun motif? « C'est, dit-il, un
» rebelle contre son roi légitime ». Il faisait allusion
à la révolte des Hollandais contre Philippe II au xvin
siècle. Ainsi, si un Espagnol, imbu des idées moder-
nes, a pu s'exprimer ainsi il y a vingt ans, il n'est
lias étonnant qu'au xvif siècle le cabinet de Madrid •


QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON. 271


se décidât difficilement à reconnaître l'indépendance
des Provinces-Unies.


La trêve entre donc déjà dans la nature des
traités.


Enfin la guerre cesse définitivement par ce qu'on
appelle un traité de paix. Or, d'après la Charte, le
droit de conclure un traité de paix ou de commerce
appartient à la Couronne. Vous savez ce qu'on
entend par traité de commerce. Seulement, ces con-
ventions. à mesure que les saines lumières en écono-
mie politique se répandront, deviendront à peu près
inutiles, car ce qu'on pourrait obtenir par un traité
de commerce, chacun comprendra qu'il est de son
intérêt de l'accorder.


Que la Couronne soit chargée de conclure les
traités, il est facile d'en comprendre la raison : il
serait difficile de conclure un traité en le discutant à
la tribune. Les pays les plus libres eux-mêmes ont
dû trouver les moyens de parer à cette difficulté.
Ainsi, en Suisse on négocie les traités par le moyen
de chargés d'affaires, d'envoyés ad hoc, ou de ce
qu'on appelle un comité diplomatique, et c'est seu-
lement la ratification qui est soumise au canton.


Mais, comme nous avons vu que le droit de guerre
rencontrait ses limitations, le droit de traiter aussi
en rencontre qui dérivent de la . nature même des
choses et des formes constitutionnelles qui nous
régissent. Un traité peut-il, par une de ses clauses,
se résoudre en impôt, la Couronne a le droit de le
ratifier, mais la clause qui suppose l'impôt est une
clause conditionnelle de sa nature ; on sous-entend
toujours la condition : Si la législature consent à l'ad-




272 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


mettre; cette condition est comprise dans le traité
par la force même des choses, et je n'hésite pas à
dire que, le gouvernement étranger qui soutiendrait
que cette condition n'existe pas parce qu'elle ne
serait pas exprimée, serait de mauvaise foi. Les
institutions françaises ne sont un secret pour per-
sonne, et personne ne peut croire qu'en France un
impôt puisse être établi par un autre pouvoir que
le pouvoir législatif.


C'est ce qui est arrivé récemment relativement à
un traité avec les États-Unis; il a fallu que la légis-
lature votât la:somme stipulée dans le traité. La lé-
gislature avait refusé d'abord. Le gouvernement put
représenter la proposition une seconde fois, comme
il peut représenter une seconde fois un projet rejeté
nne première fois.


Je n'hésite pas à dire que ce qu'on dit des écus
doit s'appliquer aux hommes, et que s'il y avait un
traité qui, par impossible, promit des hommes, la
levée d'hommes devrait être votée comme la levée
des impôts ; le pouvoir exécutif ne pourrait pas
lever plus d'hommes que la législature n'en aurait
voté.
• Enfin, une troisième limite se trouve dans la loi
constitutionnelle et les droits publics des Français.
Nul n'a le droit d'y porter atteinte que la puissance
législative. Ainsi, si, par une hypothèse impossible
et que je n'imagine que pour expliquer ma pensée,
le pouvoir exécutif concluait demain un traité avec
la Cour de Rome et stipulait, que le culte protestant
ne serait pas permis en France, cette clause serait
nulle de plein droit. De même une clause qui per-


QUATRE-VINGT-SEimblE LEÇON.
273


mettrait de supprimer la liberté de la presse. On no
peut pas faire l'un plus que l'autre.


Ainsi, vous voyez comme toutes les parties de
notre édifice politique se soutiennent, s'étayent mu-
tuellement est se fortifient l'une l'autre. Sans doute
l'action unitaire est mieux appropriée à ce qui con-
cerne la guerre et les traités de paix, d'alliance ou
de commerce, mais cette action rencontre des limites
dans les droits des autres corps politiques.


Les précédents sont parfaitement d'accord avec
ces principes. Je vous ai cité l'exemple d'Alger, je
vous en ai cité un autre relatif aux Étais-Unis. Les
choses se passent exactement comme je l'ai dit. La
déclaration de guerre et la direction de la guerre
appartiennent à la Couronne; mais la Couronne s'est
présentée aux Chambres par l'intermédiaire de ses
ministres, la question a été traitée à fond, et, si
l'opinion des Chambres avait été contraire, la Cou-
ronne aurait pris une autre marche que celle qu'elle
a suivie. Pour les États-Unis, on a conclu un traité;
la conclusion de ce traité était dans le droit de la
Couronne. Mais il y avait une somme à payer, et cela
regardait le pouvoir législatif; il a donc fallu une
loi. Encore une fois, les faits sont d'accord avec les


. principes.
Enfin, la guerre a des résultats quelquefois fu-


nestes, quelquefois brillants; nous connaissons les
uns et nous avons connu les autres. Ces résultats
appartiennent au pays ; la guerre n'est pas faite
pour le compte de qui que ce soit, elle est faite pour
le compte du pays ; c'est le pays qui fait la guerre,
c'est au pays qu'appartiennent les résultats de la


1v. 18




274 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


guerre. Ainsi, y a-t-il un pays conquis, il appartient
à la France; y a-t-il des trésors enlevés à l'ennemi,
ils appartiennent à la France. Il n'est plus question
ici de domaine extraordinaire, ni de domaine privé :
c'est la France qui fait la guerre, les résultats appar-
tiennent à la France. La puissance exécutive a le
droit de veiller à ce que la guerre ne soit faite que
lorsqu'elle est nécessaire aux intérêts de la France,
à ce qu'elle soit conduite comme il importe aux
intérêts de la France, mais les résultats appartien-
nent à la France.


QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Administration intérieure de l'État. — Distinction (les intérêts. La
coexistence d'intérêts particuliers avec l'intérêt général est un corol-
laire de la formation des sociétés civiles, qui résultent de l'agglomé-
ration d'unités primordiales ; il faut donc une administration générale
et une administration locale. — Division du travail nécessaire dans
l'administration comme dans l'industrie. Principes dirigeants pour
arriver à une bonne division du travail administratif.


MESSIEURS,


La dernière attribution de la puissance exécutive
est l'administration de l'État, non plus dans ses rap-
ports avec les nations voisines et étrangères, mais
l'administration intérieure. Je prends ici le mot ad-
ministration dans son sens général, l'exécution de
toutes les lois, l'administration de la chose publique
dans son ensemble et dans chacune de ses parties.
Il est superflu, sans doute, de vous faire remarquer
combien est complexe et varié le fait général que
nous exprimons par les mots administration de la
chose publique. Il n'est pas un de nous qui, en jetant
un coup d'oeil autour de lui, n'aperçoive à l'instant




276 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


même les branches diverses qui viennent se réunir
pour former ce grand ensemble de l'administration
intérieure de l'État.


Il convient de chercher à démêler quels sont,
quels doivent être les principes régulateurs de l'ac-
tion qui s'applique à un fait si varié et si complexe.
Il faut, en d'autres termes, appliquer au fait géné-
ral dont nous parlons deux principes importants, la
distinction des intérêts et la division du travail.


Je dis d'abord que, pour bien saisir le fait dont
nous parlons, pour en bien apprécier toute la por-
tée, il faut y appliquer le principe de la distinction
des intérêts. Y a-t-il, en effet, un seul et unique
intérêt, ou y a-t-il des intérêts divers? S'il n'y a
qu'un seul et unique intérêt, il n'y a pas à distin-
guer par rapport à ce chef. S'il y a des intérêts
divers, sous peine de tout confondre, il faut s'en
faire une idée nette, il faut les distinguer les uns
des autres.


Y a-t-il des intérêts divers. Nous l'avons souvent
dit, souvent répété, et nous ne craignons pas de le
répéter encore, car c'est à la fois un fait et un prin-
cipe capital pour le pays, pour la prospérité, la force
et l'avenir de la France : la France est une, le prin-
cipe de l'Imité nationale est un principe établi, con-
sacré, fondement de nos institutions. C'est là l'in-
térêt principal, c'est là l'intérêt dominant, c'est
l'intérêt devant lequel tous les autres intérêts doi-
vent fléchir; qui dans ses nécessités et ses exigences
ne saurait rencontrer d'autre obstacle que les règles
de la justice ; clans les limites du droit et de la jus-
tice, dans les limites du bien et du vrai, c'est l'in-


QUATRE-VIN CT-DIX-SEPTIPTE LEÇON.


01—
_ I


térêt capital devant lequel tous les autres doivent
fléchir.


Mais, tout en reconnaissant non-seulement l'exis-
tence, mais aussi l'importance et l'utilité de ce prin-
cipe, est-ce à dire qu'il soit absolument exclusif,
est-ce à dire que l'intérêt général, l'intérêt unitaire
français, doive absorber absolument, d'une manière


complète, tout autre intérêt? L'unité nationale
n'est pas une- individualité primitive, elle est un
résultat, c'est là un fait capital qu'il ne faut pas
perdre de vue. Nous ne le développerons pas, car
nous l'avons développé dans la première partie de
ce cours en vous faisant voir, aussi bien que nous
l'avons pu, comment l'unité française s'est formée
peu à peu, et comment enfin elle a été définitivement
fondée par le fait de la Révolution de 1789. Je ne
fais donc que me résumer, et je me résume claire-
ment, pour ceux qui ont suivi ce cours, en disant
que l'unité française est un résultat, non un fait pri-
mordial. Au reste, il en est ainsi de toute unité
nationale, parce que les choses se passent ainsi pour
la nation elle-même. Le principe générateur de
l'unité nationale, c'est l'individu physique, ou peut-
être, pour mieux dire, l'élément primordial et géné-
rateur, c'est la famille, c'est l'agglomération, et,
avec l 'agglomération, l'organisation des familles ;
voilà la société, et avec la société naît l'unité natio-
nale plus ou moins forte, plus ou moins compacte,
plus ou moins digne de ce nom ; car, comme nous
le disions, il y a unité nationale au fond, partout où
il y a cette organisation commune. Mais cette orga-
nisation se trouve quelquefois si Vidie, qu'on peut




4


2:78 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


y voir une absence d'unité nationale, et c'est seule-
ment dans ce sens que nous disions : il y a plus
d'unité nationale en Amérique qu'en Suisse, mais
il y en a bien plus en France qu'en Amérique.


Avec la société s'est donc formée l'unité nationale,
et avec l'unité nationale se forme l'intérêt général,
l'intérêt dominateur dont nous parlions ; cet intérêt,
dans les limites du bien et du juste, prime tous les
autres, mais il y avait des unités primordiales dont
la société est le résultat, donc des intérêts spéciaux,
et ces intérêts spéciaux, ces intérêts particuliers ne
sont pas étouffés par l'intérêt général, mais ils se
subordonnent à l'intérêt général, et ne gardent de
leur activité propre que la part que l'intérêt général
peut leur laisser sans compromettre l'association,
sans compromettre l'existence et le développement
de la société.


Ainsi la coexistence d'intérêts particuliers avec
l'intérêt général est un corollaire de la formation
même des sociétés civiles qui résultent de l'agglo-
mération d'unités primordiales, et ces unités pri-
mordiales ou ces personnes morales ont nécessai-
rement leurs intérêts particuliers ; ces intérêts
particuliers entrent dans l'organisation sociale
comme l'unité elle-même à laquelle ils se rattachent,
mais ils doivent se coordonner avec les autres intérêts
particuliers et avec l'intérêt général.


Jusqu'ici ces idées sont, en quelque sorte, élé-
mentaires, et si l'on passait toujours d'une manière
immédiate de l'élément primordial, la famille, au
résultat définitif de la société, il y aurait peu de con-
tradictions, peu de difficultés dans la connaissance


QUATRE-YINCT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
279


des intérêts divers et dans leur coordination. Ainsi,
dans un État comme la république de Saint-Marin,
on conçoit des familles et la société civile ; dans
quelques principautés d'Allemagne, on conçoit égale-


\ ment des familles et la société civile. Là on n'éprouve
n pas le besoin d'autres intermédiaires ; là la première
\ agglomération est, pour ainsi dire, la dernière ; elle
peut tenir lieu de tout, et, à coup sûr, si vous étiez


' demain chargés d'organiser un petit État composé
de quatre ou cinq cents familles, vous n'éprouveriez
aucun besoin d'intermédiaires entre l'État et les
familles. Trois ou quatre cents familles peuvent à la
'rigueur se connaître entre elles, connaître leurs


térêts communs • et faire la part des intérêts de


é
hacun, tout cela est possible à la rigueur. Mais


l tendez maintenant la sphère de votre opération. Au
m


ieu de trois ou quatre cents familles, ayez-en trois
ille, trente mille, trois cent mille, trois millions, et


4onnez à chacune un territoire, formez un État. Est-
,; Ce que dans ce cas vous trouverez la même facilité


pour passer de l'élément primordial, la famille, à
l'État? 11*


vous arrivera ce qui arrive à un construc-
teur qui voudrait mettre ensemble des choses tout à


. .


fait isolées l'une de l'autre sans l'aide du ciment ; il
vous arriverait ce qui arriverait à celui qui préten-
drait faire une grande voûte et retenir tous les maté-
riaux nécessaires par la seule force de la clef : cela
n'est pas possible. Lorsqu'on a affaire à une si grande
masse de matériaux, il faut auparavant les réunir
par portions, il faut qu'ils tiennent partiellement
entre eux avant de pouvoir être liés dans un seul
système général ; sans cela il n'y a pas de lien




280 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


possible. Et, s'il était permis d'employer ici le
langage des physiciens et des chimistes, on pourrait
dire qu'il faut solliciter les affinités particulières
avant de songer à placer ces corps sous les liens de
l'attraction générale. C'est exactement ce qui arrive
dans le travail des sociétés civiles, non par des
projets a priori, niais par le travail naturel de
l'humanité. Ce sont d'abord des rapports de familles,
puis des rapports de voisins, puis des rapports
d'intérêts communs à un certain nombre d'agglomé-
rations partielles ; puis on s'élève peu à peu à l'idée
de l'intérêt général, à ces idées qui, certes, ne sont
pas celles d'un peuple dans l'enfance ; les affinités
particulières jouent avant qu'on saisisse le grand2
système.


C'est ainsi que se produisent, pour employer les
mots qu'on adopte ordinairement, c'est ainsi que
se produisent la commune ou telle autre aggloméra-.
tion, puis la province, puis l'État. Il y a donc des
affinités subalternes, dont l'ensemble forme l'unité
nationale, et par conséquent il y a des intérêts par-
ticuliers dont l'ensemble forme l'intérêt général.


Et ici ne nous faisons pas illusion, mais, au con--
traire, empressons-nous de reconnaître la haute
utilité de ces faits qui, d'ailleurs, il faut le dire,
utiles ou non, seraient des nécessités historiques ;
empressons-nous de reconnaître la haute utilité de
ces faits historiques : premièrement, et je le répète,
ces premières agglomérations deviennent un ciment
très-fort entre les éléments de ces mêmes agglomé-
rations, et en conséquence des matériaux plus faciles
à réunir, à consolider dans le système général ;


QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
281


secondement, les intérêts particuliers sont mis en
relief par ces agglomérations secondaires. Et quand
je dis que les intérêts particuliers sont mis en relief
par ces agglomérations secondaires, il ne faut .pas
regarder ce fait comme un mal; car si ces intérêts
particuliers n'étaient pas ainsi mis en relief d'une
manière régulière, ils n'existeraient pas moins, mais
mal connus, mal appréciés, difficilement appré-
ciables, ils seraient alors un germe latent, mais
constant et actif, de mécontentement et de malaise.
C'est un point capital pour l'administration de la
chose publique que tous les intérêts secondaires
soient parfaitement connus et appréciés, car le
progrès social et la tranquillité publique n'existent
qu'à la condition que ces intérêts soient réprimés en
ce qu'ils peuvent avoir d'hostile, et satisfaits en
ce qu'ils ont de profitable et d'innocent.


En troisième lieu, c'est une grande utilité pour
l'administration de l'État que l'existence de ces
agglomérations secondaires, parce que cela facilite le
travail de l'administration générale : il y a là des
points d'appui pour l'administration générale de
l'État.


Ainsi donc, nous sommes amenés à cette première
conséquence pratique : en appliquant à l'organisa-
tion




sociale le principe de la division des intérêts,
nous reconnaissons qu'outre l'intérêt général, il
existe des intérêts secondaires, subordonnés, mais
cependant réels ; l'harmonie doit être entretenue
entre l'intérêt général et ces intérêts secondaires.
Donc, il y a une division de l'administration, parce
que chaque intérêt demande à être administré, pro-




• 282 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


tégé ; chaque intérêt a droit, non d'être écouté dans
toutes ses prétentions, mais de se faire valoir dans la
mesure qui lui appartient, de jouer le rôle qui lui est
réservé dans l'État. Il y a donc une administration
générale et une administration locale. Voilà la consé-
quence première.


J'ai dit en second lieu qu'il fallait appliquer le
principe de la division du travail. Il n'y a pas
d'homme aujourd'hui qui ne sache , en gros du
moins, ce qu'on entend par la division du travail: et
certes, nous ne voulons pas exagérer, et nous ne
sommes pas ici pour affirmer que la division du tra-
vail appliquée à l'oeuvre gouvernementale puisse pro-
duire tous les résultats qu'elle produit appliquée à
l'oeuvre économique, mais il n'est pas moins vrai
que la division du travail est un principe salutaire et
fécond, quelle que soit l'oeuvre à laquelle on l'ap-
plique, et assurément, lorsqu'on l'applique à un tra-
vail aussi complexe et aussi varié que l'administration
générale d'un grand État. Ne serait-il pas, en effet,
souverainement absurde qu'en se trouvant en pré-
sence d'une oeuvre aussi variée, aussi difficile et
aussi complexe que l'administration d'un État comme
la France, on se donnât le plaisir de multiplier les
hommes pour cette oeuvre complexe, en laissant
toutes les parties du travail confondues l'une avec
l'autre, plutôt que de s'appliquer à. diviser le travail
selon les capacités ; car là où il y a variété, il y a
exigence de spécialité, là ou il y a complication, il y
a nécessité de démêler les faits divers? Nous trouve-
rions ridicule, dans nos propres ménages, de ne pas
partager le service entre les personnes dont nous


QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
283


avons demandé le concours, et le service de l'État
est bien autrement varié et complexe.


Sans doute on vous dira que les anciens étaient
capables de toutes choses; on vous dira que Cicéron,
le premier orateur de Rome, en avait été en même
temps le premier magistrat civil, qu'il avait com-
mandé des armées et fait la guerre. Cela est vrai ;
cependant, si la célébrité de Cicéron se bornait à ses
exploits militaires, je cloute fort qu'il fût bien cé-
lèbre aujourd'hui. On a cité récemment d'autres
exemples, on a cité César. Il paraît vraiment, en
lisant de pareilles citations, que les génies extraor-
dinaires sont jetés à pleines mains par la nature
clans les sociétés civiles, et qu'on a des Césars comme
on a des préposés de douanes.


Il est vrai que, chez les anciens, cette division du
travail qu'ils connaissaient si peu, même dans les
matières économiques, n'était pas bien appliquée
aux matières d'administration publique, surtout la
division des pouvoirs, la séparation des pouvoirs
étant inconnue. Mais quand on pense aux progrès
qui se sont faits en toutes choses, il n'est pas dou-
teux que, si ces mêmes hommes, quel que fût leur
génie, reparaissaient aujourd'hui, ils trouveraient
absurde de ne pas profiter, en mainte occasion, des
spécialités. Cicéron faisait la guerre, oui, mais com -
manderait-il une division aujourd'hui? Pourrait-il
aujourd'hui se mettre à la tête d'un corps d'armée?
La guerre aujourd'hui est une science très-com-
pliquée, très-difficile, tellement compliquée, telle-
ment difficile, exigeant tant de génie naturel et de
talent acquis, qu'après quarante ans de batailles, le




284 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


nombre de grands généraux qui existent aujourd'hui
en Europe n'est pas bien grand. La guerre, au-
jourd'hui, est une des sciences les plus difficiles à
connaître.


L'administration des finances, chez nous, pour-
rait-elle se faire comme elle se faisait à Rome? Au-
jourd'hui, pour connaître seulement les ressorts du
crédit et les moyens de les faire jouer, pour savoir
ne pas les laisser inactifs, et, d'un autre côté, pour
ne pas risquer de les briser par une action trop vio-
lente, il faut non-seulement une aptitude spéciale,
mais de longues études et une grande pratique.


Ne nous en laissons donc pas imposer par quelques
faits, par quelques citations prises, les unes dans
une époque qui n'a point de rapport avec la nôtre,
les autres chez des hommes qui étaient des génies
extraordinaires. Aujourd'hui, la division du travail
est une nécessité, et si, aujourd'hui encore, il faut
admirer l'homme qui peut réunir des qualités di-
verses, quand il s'agit de règles générales, il ne faut
jamais calculer que sur la moyenne, et la division du
travail est nécessaire pour que chacun puisse, en
règle ordinaire, suffire à sa tâche.


Il y a un autre avantage qu'on n'a pas fait assez
ressortir, et qui vaut la peine d'être remarqué. L'af-
fection des citoyens pour la chose publique dépend
de plusieurs faits, de plusieurs données; mais il y en
a une entre autres, c'est l'intelligence de la chose
publique elle-même : on s'attache à ce que l'on com-
prend, et je vous demande si, dans notre système
social, si varié, si complexe, si difficile à démêler, il
serait donné aux masses d'en saisir toute l'étendue,


QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.


de saisir toutes les variétés et l'importance relative
de chaque fait, sans aucun secours. Par la division
du travail, vous faites, en quelque sorte, un cours
de science administrative pour le pays tout entier ;
par cette grande division du travail, chacun a (levant
soi une preuve patente, irrécusable, de l'étendue de
la chose publique, des branches diverses qui la com-
posent, de leurs rapports, de leur importance res-
pective, et, encore une fois, connaître est un élément
nécessaire pour aimer.


Mais cette division du travail, comment y parvenir,
comment l'opérer? Y a-t-il quelques principes (Uri-
geants, ou bien est-ce matière à expériences et à
tâtonnements ? De quoi s'agit-il? D'appliquer la divi-
sion du travail à l'oeuvre de l'administration de l'État
et aux affaires générales de la société. Demandez-
vous ce que c'est que la société, quel est son but,
quelle est sa mission, et vous arriverez à la division
du travail.


La société, on doit avant tout la considérer en elle-
même, comme un être moral ayant son existence
propre, son territoire, ses moyens, son droit de se
défendre; car la société n'est pas un accident, la
société est pour l'homme une nécessité, une obliga-
tion morale, puisque, sans la société, l'homme ne
pourrait non-seulement être heureux ici-bas, mais
même se développer ni physiquement, ni moralement.


Il faut ensuite considérer la société dans ses rap-
ports avec les individualités dont elle se compose,
d'après ce que nous venons d'expliquer. Or, la
société considérée dans ses rapports avec ces indi-
vidualités a une double mission à remplir. La pro-




286


COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


mière, qui est une obligation essentielle, cette obli-
gation qui légitime la société elle-même, c'est de
protéger le droit, c'est de prêter force et assistance
au droit de chacun, du faible comme du fort. La
deuxième mission, qu'on peut appeler la mission des
sociétés perfectionnées, des sociétés avancées en
civilisation, c'est non-seulement de protéger le droit,
de lui prêter force et assistance, mais de seconder
le développement intellectuel et moral. Ainsi dé-
fendre et seconder, protéger et activer, voilà la
double mission : l'une de nécessité, et telle que sans
elle la société ne serait rien, car une société qui ne
protége pas est un moyen sans but ; l'autre, qui est
une nécessité non surérogatoire, mais mission dont
on ne doit s'occuper qu'après avoir assuré la pre-
mière.


Or, s'il en est ainsi, toute société a d'abord une
fortune publique qui se compose de son territoire,
qui n'exclut pas la propriété particulière, du domaine
de l'État, du trésor public avec les droits qui l'ac-
compagnent, droit d'impôt, expropriation pour
cause d'utilité publique, fortune publique ; et puis
un deuxième élément, qui est la-force publique. En
d'autres termes, il n'y a pas de société qui n'ait ses
choses et ses hommes; le territoire et le peuple font
le pays. Il y a donc une fortune et une force publi-
ques; avec cela la société est, elle peut se défendre,
elle doit protéger, c'est-à-dire qu'elle a mission de
police, je prends ce mot dans le sens ancien et gé-
néral, police qui est de deuxnatures: police préven-
tive, qui empêche par sa surveillance le malheur
d'arriver ou le crime de se commettre; police répres-


QUATRE-VINCT-DIX-SEPTIÈME LEÇON. 287


sive qui poursuit la réparation du mal et punit les
coupables. Voilà la première mission.


Mais il en est une autre : seconder le développe-
ment intellectuel et moral. Un des moyens les plus
puissants, c'est celui qui se rapporte à l'instruction,
et par là je dis la religion, l'enseignement des lettres,
des sciences, des arts, ce qui ne veut pas dire que
l'État doive imposer une religion, une instruction ;
mais il entre dans le rôle de l'administration publi-
que de favoriser ceux qui veulent développer ces
moyens, de les développer directement, si l'intérêt
général l'exige.


Enfin, il y a ce que j'appelle des moyens acces-
soires pour le développement intellectuel et social.
Les récompenses sont un des grands mobiles de
l'homme; l'État peut donner des exemples de bonne
culture, de belles constructions, puis il y a les fêtes,
les solennités publiques. Ce sont des moyens qui
peuvent contribuer au développement intellectuel et
social.


Vous avez donc, en dernier résultat, huit grands
chefs de travail : affaires étrangères, fortune publi-
que, force publique, police préventive, police répres-
sive, instruction, culte, enfin, administration sociale,
dans ce sens que, tous les intérêts particuliers de-
vant se coordonner avec l'intérêt général,
l


l'admi-
iloicstaleration générale doit surveiller l'administration


Et je dis qu'au fond, dans cette division, tout est
compris. Qu'y a-t-il d'omis, en effet? Peut-être le
commerce avec l'étranger; mais le commerce avec
l'étranger est une affaire étrangère, cela rentre dans




288 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


ma division des affaires étrangères. Les travaux
publics, les 'constructions de routes, de ponts, de
canaux, de ports, sont des augmentations de la for-
tune publique. Les douanes sont un impôt, et quand
on sera revenu aux véritables principes sur la ma-
tière, on verra que les douanes ne sont qu'un impôt.
La justice est la police répressive, ainsi que nous
l'avons dit. Il y a donc, comme vous le voyez par
l'étude de la nature même du sujet, moyen d'arriver
à une division rationnelle du travail, et celle que je
viens de vous indiquer n'est absolument qu'une sorte
d'essai que je vous ai présenté pour montrer com-
ment, par l'étude du sujet, ou peut arriver à la divi-
sion du travail. Mais ce n'est qu'un exemple et pas
autre chose; on pourrait très-bien prendre les
choses par un autre côté et arriver à une meilleure
division du travail.


Voilà donc comment il faut appliquer à l'adminis-
tration les deux principes, distinction des intérêts
et division du travail. Ces deux applications ont-
elles été faites? Oui. Comment? Voilà ce qui nous
reste à examiner. Nous devons passer maintenant
de cette division générale aux applications particu-
lières, mais j'ai cru que ce coup d'oeil général vous
faciliterait l'étude des détails.


Q TRE- VIN GT -DIX-HUI TIÈME LEÇON.


SOMMAIRE.


Applications du principe de la distinction des intérêts. — La commune
occupe une place intermédiaire entre la famille et la société. — Le
fait de la commune a survécu à tous les changements, à toutes les
révolutions. Division de la France en départements substituée à la
division en provinces. Naturalisation rapide de cette nouvelle division,
qui était la consécration de l'imite nationale. — Division des dépar-
tements en arrondissements subdivisés en communes. — Le change-
ment de délimitation d'une commune, moins important au point de
vue politique et administratif que le changement de délimitation d'un
département ou d'un arrondissement, pourrait avoir des conséquences
plus douloureuses pour les administrés s'il était fait arbitrairement.
— La division par cantons n'a d'intérêt qu'au point de vue (le l'admi-
nistration judiciaire. — Divisions territoriales aux points de vue mili-
taire, ecclésiastique, judiciaire et universitaire.


MESSIEURS,


La distinction des intérêts, la division du travail,
tels sont les deux principes qu'il faut appliquer pour
arriver, dans l'administration de l'État, à des résul-
tats satisfaisants et tels qu'ils puissent également
contribuer à la prospérité de l'ensemble et de cha-
cune des parties qui le composent. C'est là ce que
nous avons essayé de démontrer dans notre der-
nière séance d'une manière générale, théorique, en


IV.




290 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


quelque sorte, pour partir ensuite de ces considéra-
tions générales et examiner les faits de notre droit
positif, l'application plus ou moins complète de ces
principes.


Le bon sens nous indique et l'histoire nous ap-
prend que les éléments primitifs dont se composent
les sociétés civiles sont réellement les communes.
C'est la commune qui est, en quelque sorte, l'élé-
ment générateur du pays, de la société civile: la
commune, qui, à la vérité, est elle-même une sorte
d'embryon d'une société civile, puisqu'elle est une
agglomération et une organisation d'un certain nom-
bre de familles. Lorsqu'on étudie la commune dans
son origine, dans sa nature propre, on s'aperçoit
qu'elle occupe une place intermédiaire entre la famille
et la société, non-seulement intermédiaire d'une
manière matérielle, mais intermédiaire par son orga-
nisation, par sa nature propre, par sa nature intime,
La commune se rapproche, sous un certain point de
vue, de la famille, sous d'autres points de vue, de
l'organisation politique des sociétés. Elle a quelque
chose qui rappelle la famille dans ces intérêts qui
sont. susceptibles d'être traités en commun, même
rigoureusement sans l'intervention de la représen-
tation, dans cette organisation qui s'occupe ou peut
s'occuper non-seulement des choses générales, mais
encore de petites espèces, de petits détails. Et puis
elle a quelque chose qui participe de l'organisation
politique proprement dite, parce que, dans la com-
mune aussi, on peut. appliquer le principe électif, le
principe représentatif; parce que, dans la commune
aussi, on peut, jusqu'à un certain point, trouver un


QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON.
291


intérêt général qui domine les intérêts particuliers
de chaque famille. Tout cela est à un degré fort infé-
rieur à ce qui arrive d'analogue dans les sociétés
civiles; mais enfin la commune, sous un certain point
de vue, est, en quelque sorte, une miniature de la
grande société civile, comme, sous un autre point
de vue, elle se rapproche de l'administration de la
famille. Aussi le langage paraît-il avoir consacré
cette observation. Dans les petits États, dans les
États qui se rapprochent de la commune, on dit,
même, à la différence de ce qui se passe dans les
grands pays : Nous sommes en famille, nous traitons
nos affaires en famille. On peut le dire de la France,
de la Russie ; mais c'est une expression tout à fait
métaphorique, tandis que, dans ces petits États,
l'expression peut être prise à la lettre. A plus forte
raison, la commune proprement dite éprouve-t-elle
ce sentiment de relation intime qu'éprouvent les
membres d'une même famille. La commune, encore
une fois, occupe non-seulement matériellement, mais
moralement, une place intermédiaire entre la famille
et l'organisation politique de l'État.


Ceux de vous qui m'ont honoré de leur attention
dès le commencement de ce cours peuvent se rap-
peler ce que nous avons dit dans la première partie
sur l'origine et la formation (le la commune, et cette
partie si importante et à. la fois si attrayante de l'his-
toire, cette partie bien étudiée, nous amène à la
même conséquence, c'est-à-dire à reconnaître dans
la commune cet État intermédiaire dont je parle.
Quand vous voyez un certain nombre d'hommes
ayant un même intérêt, intérêt de s'opposer aux




292 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


violences de la force brutale, intérêt de protection
pour leur travail, pour leur industrie, se réunir,
mettre en commun les fonds nécessaires pour élever
des murailles , pourvoir à leurs moyens de dé-
fense, etc., tous ces petits faits bien étudiés vous
retracent, en quelque sorte, une organisation de
famille, mais qui a en elle-même les germes d'une
organisation politique. Et quand vous suivez l'his-
toire de la commune dans ses développements, vous
voyez qu'ici l'esprit de famille prédomine, et que la
commune reste commune, que là l'esprit politique
prend le dessus, et que la commune devient en quel-
que sorte un État, une république du moyen âge,
une république qui s'agrandit, s'étend, fait des con-
quêtes. Mais comme cet esprit de famille y domine
toujours, et que l'esprit politique n'y est jamais
arrivé à une haute puissance, comme elle ne peut
pas se dépouiller de cette qualité intermédiaire dont
je parle, quand même elle s'élève au rang d'État pro-
prement dit, elle conserve toujours des traces de
son origine ; c'est toujours une municipalité qui peut
faire des conquêtes, mais qui ne cesse jamais d'être
une famille. Ainsi, dans le monde ancien, c'est la
municipalité romaine qui fait des conquêtes, et
dans le moyen âge, Florence et les autres villes
d'Italie n'étaient que des familles.


En France aussi, c'est la commune qui a été l'élé-
ment générateur de l'ordre de choses nouveau. Nous
avons déjà expliqué comment la féodalité d'un côté,
la commune de l'autre, se sont trouvées en présence,
comment le pouvoir royal a servi de frein aux uns,
d'appui aux autres, et comment peu à peu s'est for-


Q UATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON.
293


mée l'unité nationale à:laquelle nous sommes arrivés.
Et c'étaient toujours ces mêmes communes ; les dé-
limitations ont pu changer partiellement, leur orga-
sation a pu être modifiée, mais ce fait primitif de la
commune n'a jamais cessé, il n'y a jamais eu d'in-
terruption. ,La France a souvent changé de gouver-
nement, la monarchie n'a pas été toujours la même ;
eh bien, le fait de la commune; est toujours resté, les
limites de quelques-unes ont pu changer ; les formes
et l'organisation ont pu être modifiées, mais le fait
de la commune a survécu à tous les changements, à
toutes les révolutions possibles.


En même temps qu'arrivait-il ? L'unité nationale
se faisait par l'agglomération, l'incorporation non-
seulement de communes, mais d'États. Ainsi, vous
le savez tous, la France actuelle est le résultat de ces
agglomérations, de ces incorporations. Et ces États
qui venaient se réunir à la France, et ces grands fiefs
qui s'incorporaient à la Franco, ont fini, à la vérité,
par perdre leur unité politique propre, ils ont été
heureusement incorporés dans l'unité française ;
mais cette incorporation n'a jamais été tout à fait
absolue, absolument complète, pas même après
Louis XIV, qui a si puissamment contribué à la fon-
dation de l'unité nationale. Vous savez tous, en effet,
que la France était divisée en provinces dont chacune
rappelai , le travail historique de l'unité nationale
fle rappelait ou par ses coutumes, ou par
la législation qui était en vigueur, ou par les pri-
viléges qu'on lui avait accordés lors de l'union. L'or-
ganisation n'était pas la même dans toutes les pro-
vinces, l'organisation politique, celle qui concernait




294 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


les impôts, les lois, les coutumes. L'unité nationale
était fortement préparée ; il restait cependant un
grand travail à faire, un de ces travaux qui complè-
tent l'ouvrage et font disparaître les dernières
traces, je ne dis pas historiques, mais légales de ces
diversités.


Eh bien, sous le rapport du territoire, ce grand
travail fut accompli en 1790. L'idée en est attribuée
à un homme célèbre. Siéyès fut l'auteur de la nou-
velle division territoriale française, et il a ainsi atta-
ché son nom à une des plus grandes opérations poli-
tiques qu'on ait jamais accomplies. Mais, tout en
rendant justice à la hauteur des vues, à la hardiesse
des conceptions de l'homme dont Mirabeau disait
que son silence était une calamité publique, il est
également vrai, comme cela arrive toujours dans la
réalisation de ces grandes vues politiques, que le fait
de la nouvelle division territoriale était écrit dans les
premières pages du grand événement de 1789, était
le résultat de tous les précédents de l'histoire fran-
çaise. Et pourquoi? Parce que tout, depuis long-
temps, tendait à cette unité ; tout, depuis longtemps,
tendait à la réalisation de ce grand fait social et poli-
tique, une seule France, une France unique, quelles
que fussent d'ailleurs les origines des diverses parties
(lui composaient l'empire. Sans doute, quelques siè-
cles auparavant, les rapports entre l'Alsace, l'Artois,
la Provence, la Bretagne, etc., étaient à peu près
nuls, c'étaient à peu près les rapports qu'il y a au-
jourd'hui entre la France et le fond de l'Allemagne ;
mais cependant la fusion était commencée depuis
longtemps, elle était fortement préparée par des


QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON.
295


hommes d'une haute puissance (lui avaient profité de
tous les événements qui pouvaient développer ce
fait politique. Et sans doute, quelques reproches
qu'on puisse leur faire d'ailleurs, ce sera toujours,
tant qu'il y aura une France dans ce monde, et dans
le souvenir des hommes une histoire française, ce
sera toujours un titre de gloire pour la mémoire de
Louis XI, de Richelieu, de Louis XIV, d'avoir si
puissamment travaillé à la création de l'unité fran-
çaise. Or, cette création supposait que la démarca-
tion des provinces était effacée, que ces parties de la
Franco qui avaient leurs délimitations et une partie
de leur organisation dans une autre histoire que
l'histoire française, finiraient un jour par dépouiller
cette robe différente pour revêtir la robe française.
Eh bien, cela a été réalisé par la loi du 4 mars 1790.
« La France sera divisée en quatre-vingt-trois dépar-
tements ». Tel était le texte de la loi du 4 mars 1790.
11 n'est plus question là ni de Bretagne, ni de Pro-


, vence, ni d'Alsace, ni de Poitou, c'est la France ;
elle ne sera pas divisée selon telle origine, selon
telle provenance, elle sera divisée en quatre-vingt-
trois départements. La Bretagne fut divisée en cinq
départements, la Normandie en fournit cinq, l'Alsace
cieux, et ainsi de suite ; les dénominations étaient
nouvelles et tirées de faits constants, impérissables,
de montagnes ou de rivières ; l'imagination de la
génération nouvelle n'était plus appelée à se fixer
sur les origines diverses, mais sur des faits indiffé-
rents de leur nature, et communs à tous. Nous som-
mes aujourd'hui en 1836 ; il y a donc quarante-six
ans, c'est-à-dire moins d'un demi-siècle, et cepen-




296 COURS DE DROIT CONSTÉLUTIONNEL.


dant, quant à moi, j'ai toujours été frappé, quand
j'ai parcouru la France, de voir combien la nouvelle
division territoriale est familière aux Français de
toutes les classes. C'est au point que si, dans une
province, on s'adressait aux personnes qui ne font
pas de l'histoire leur étude et leur occupation, si l'on
s'adressait aux paysans et aux simples travailleurs,
on trouverait des hommes ne sachant pas quelle était
leur province, tandis qu'ils savent très-bien quel est
leur département. C'est une division qui s'est rapide-
ment naturalisée dans le pays. Cela n'arrive que
lorsqu'un fait n'est pas la pure invention d'un homme,
une idée plus ou moins spécieuse ou brillante qui
naît dans une tête ; lorsqu'une loi est ce qu'elle doit
être, le résultat de l'histoire du pays, l'expression des
besoins réels de ce pays, elle a beau contrarier des
habitudes établies, elle se naturalise rapidement. Il
y a dans ce monde telle institution, telle loi qu'on
pourrait citer, dont l'établissement remonte à qua-
rante,. à cinquante ans, et qui est complétement
étrangère aux habitudes et à la vie commune des
peuples. Quand les lois réussissent, c'est qu'elles
étaient bien le résultat de l'histoire de ces mêmes
peuples et l'expression d'un besoin. Il y a des insti-
tutions au-devant desquelles on allait pour les adopter
et pour en faire son droit commun.


Le principe fut adopté en 1790; il n'a jamais été
altéré depuis. I l a seulement été modifié légèrement.
La Constitution de 1791, au titre II, article l er , con-
sacre constitutionnellement le principe de la loi
de 1790. « Le royaume est un et indivisible; son ter-
» ritoire est distribué en quatre-vingt-trois départe-


QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON. 297


» ments, chaque département en districts, chaque
» district en cantons . ».. C'étaient là les premières
dénominations. La Constitution de l'an III consacre
le même fait et le même principe, titre I, article 3.
La Constitution de l'an VIII les consacre pour la
troisième fois, seulement elle dit que la France sera
divisée en départements et arrondissements com-
munaux (titre I, article l e`). Ainsi, vous voyez que la
modification est de peu d'importance ; le principe
est toujours le même.


C'est là ce qui distingue l'ancienne division terri-
toriale de la nouvelle ; l'ancienne était un fait histo-
rique accepté par le pouvoir, la nouvelle est un fait
que le pouvoir a créé, parce qu'il a saisi pour le créer
le moment où l'ancienne division historique était,
pour ainsi dire, effacée et où la nation allait au-devant
du nouveau principe.


Je laisse de côté d'autres lois et arrêtés qui sont
sans grand intérêt aujourd'hui. Je vous rappelle
seulement la loi du 17 février 1800, qui réalisait le
principe de la Constitution : « La France sera divisée
» en départements et arrondissements communaux ».
La France avait alors 08 départements, nombre qui
s'accrut ensuite par les diverses réunions de pays
italiens, allemands et hollandais.


Aujourd'hui le même système existe, c'est le sys-
tème de 1800. La France administrative est encore
partagée en départements et arrondissements com-
munaux, 86 départements, qui se divisent en arron-
dissements, qui se subdivisent en communes. C'est
à la commune qu'on s'arrête. C'est l'élément généra-
teur, c'est le seul élément qui reste toujours par les




298 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL'


raisons que nous avons indiquées au commence-
ment de la séance, On fait des provinces comme on
veut, mais non des communes ; la commune n'est pas
un fait de main d'homme, et tout serait bouleversé
si demain on allait à plaisir bouleverser la déli-
mitation des communes.


Cependant la délimitation d'une commune n'est
pas chose tellement invariable que nul ne puisse y
porter la main. Ces associations sont fondées en
grande partie sur l'homogénéité des intérêts ; le
mouvement des affaires industrielles ou agricoles,
l'établissement de cours d'eau artificiels, le dévelop-
pement de l'industrie, tous les faits variables de la
société peuvent produire pour les communes la con-
venance d'un changement de délimitation, mais
vous remarquerez toujours une grande différence.
Vous avez le département, l'arrondissement, la com-
mune. Modifier le département, c'est une opération
qui n'a, en dernier résultat, qu'une importance poli-
tique et administrative, du moins c'est là l'impor-
tance principale de cette opération. Sans doute il
peut y avoir aussi un certain intérêt personnel ; il est
clair que si vous donnez pour chef-lieu une com-
mune très-éloignée, vous rendrez à certaines com-
munes un mauvais service, mais ce sera rendre un
mauvais service au gouvernement lui-même. Ce que
je dis du département, je le dis de l'arrondissement.
Changer les limites du département, de l'arrondis-
sement, c'est déplacer les électeurs ; mais arrivez à
la commune, la commune n'offre plus les mêmes
points de vue politiques et administratifs; vous vous
trouvez en présence de cet intérêt qui participe de


QUATRE-VINGT-DIX-HUITIEME LEÇON. 299


l'intérêt, de l'esprit de famille qui domine dans la
commune. Or, détacher une partie de la commune
pour l'attacher à une autre commune, est une opé-
ration qui, si elle était faite arbitrairement, pourrait
avoir les conséquences les plus douloureuses pour
les administrés; elle viendrait séparer des familles
qui, depuis des siècles peut-être, ont l'habitude de
former son agglomération, de traiter les mêmes affai-
res, entre lesquelles s'est formé ce ciment de la vie
commune; ajouter cette même fraction de commune
à une autre commune avec laquelle elle n'était pas
dans ces rapports d'intimité, c'est véritablement
une opération qui ressemble au brisement d'une
famille.


Ainsi, si, sous les rapports politique et adminis-
tratif, le changement de limites du département et
de l'arrondissement est, sans doute, bien autrement
important que le changement de limites d'une com-
mune, il n'est pas moins vrai que le changement de
limites d'une commune, si on l'envisage sous le point
de vue sous lequel nous venons de le présenter, peut
frapper les individus plus que le changement de li-
mites du département et de l'arrondissement.


On ne peut pas cependant, établir en principe que
les divisions territoriales seront inviolables à tout
jamais. Quand il s'agit d'y apporter quelque chan-
gement, la raison veut qu'on s'entoure de toutes les
lumières nécessaires, que tous les intérêts divers
soient entendus ; aussi n'y procède-t-on jamais sans
consulter auparavant les parties intéressées, les
conseils communaux, les conseils d'arrondissement
et de département, et, en outre, on s'entoure de




300 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


grandes garanties pour se préserver de toute erreur.
S'il s'agit de changer les limites d'un département.,
d'un arrondissement, d'une commune placée partie
sur un département et partie sur un autre départe-
ment, ou partie sur un arrondissement et partie sur
un autre arrondissement, il faut l'intervention *de la
loi proprement dite. Quand, au contraire, it ne s'agit
que de changer la délimitation de deux communes
situées dans le même canton, on y procède par
ordonnance du roi, délibérée en conseil d'État. Je
n'hésite pas à regarder cette opération comme a p -
partenant à ce que nous avons appelé le pouvoir légis-
latif délégué, plutôt que comme un pur et simple
acte d'administration.


J'ai nommé le canton, quoique la division générale
dont j'ai parlé soit la division par départements, ar-
rondissements et communes. C'est que cette division
même n'aurait pas répondu à tous les besoins du
pays ; elle satisfait aux besoins administratifs propre-
ment dits, mais elle n'aurait pas satisfait à tous les
besoins. Il y a les besoins (le l'organisation judi-
ciaire, de l'administration militaire, de l'organisa-
tion ecclésiastique, de l'organisation universitaire.
Toutes ces diverses administrations exigeaient cer-
taines divisions territoriales appropriées aux besoins
spéciaux. Vous savez déjà qu'il y a des divisions
correspondant à chacune de ces administrations. Il
y a vingt-sept cours royales, qui comprennent cha-
cune plusieurs départements ; vous avez ensuite les
tribunaux d'arrondissement, tribunaux de première
instance, et puis vous avez dans chaque canton un
tribunal de paix. Voilà la division par cantons ser-


QUATRE-VINGT-DIX-HUITIÈME LEÇON. 301


vaut à l'organisation judiciaire. Le canton est une
fraction de l'arrondissement qui réunit plusieurs
communes. Donc, sous ce point de vue, des com-
munes on forme le canton, ides cantons l'arrondis-
sement, des arrondissements le département.


De même l'organisation ecclésiastique ne répond
pas à l'organisation politique. On a eu l'idée de
conformer la division ecclésiastique à la division
départementale. Cependant on n'y est pas arrivé
tout à fait dans la pratique. Vous avez d'abord les
archevêchés. Les archevêchés peuvent être repré-
sentés comme des juridictions supérieures, il y en a
quatorze. Dans ces quatorze divisions métropoli-
taines vous avez soixante-sept évêchés. Ainsi vous
voyez qu'il n'y a pas autant d'évêques que de dépar-
tements, quand même vous compteriez les arche-
vêchés comme évêchés.


Vous avez une troisième division pour l'adminis-
tration militaire. Vous n'avez pas vingt-sept divi-
sions, comme dans l'administration judiciaire, ni
quatorze comme dans l'administration ecclésiasti-
que ; vous avez vingt divisions militaires. Chaque
division est administrée par un lieutenant général,
et dans chaque département se trouve un maréchal
de camp.


De même l'administration universitaire se fait par
académies ; la France est partagée en un certain
nombre de divisions académiques.


Il y a donc des divisions appropriées aux services
particuliers dont il s'agit. Mais, encore une fois, la
division fondamentale est la division par départe-
ments.




QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Application du principe de la division du travail : départements minis-
/ tériels. — L'administration en 1791 divisée en six ministères: justice,


intérieur, contributions et revenus publics, guerre, marine, affaires
étrangères. — Commissions substituées aux ministères par la loi de
germinal an — Retour au système des ministères en l'an IV. —
Modifications diverses clans la composition des ministères. — Minis-
tère du Trésor. — Ministère de l'administration de la guerre. —
Ministère des cultes. — Ministère de la Maison du Roi. — La création
et l'organisation des ministèrés appartiennent au pouvoir exécutif,
sauf l'approbation des Chambres pour les augmentations de dépenses
qui peuvent en résulter. — Il faut distinguer dans l'action gouverne-
mentale l'action pure et simple et l'action qui doit être précédée d'une
délibération.


MESSIEURS,


Nous avons fait remarquer que le principe de la
distinction des intérêts est conforme à la nature des
choses. Si son influence dans certaines limites est
nécessaire et juste, le principe de la division du tra-
vail est également une nécessité lorsqu'on songe à
la grande variété des matières qu'il faut régler dans
l'administration. H fallait clone, avant tout, diviser
cette énorme masse d'affaires en grandes sections,
ou, pour employer un mot souvent adopté en pa-


302 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Voilà donc le premier résultat de la distinction
des intérêts, qui sert en partie à l'application de
l'autre règle, la division du travail. La distinction
des intérêts, vous la trouvez essentiellement dans la
commune, et puis dans l'arrondissement, et puis
dans le département : voilà la part que la loi fait à
la distinction des intérêts. Il ya là des intérêts que
le législateur veut subordonner à l'intérêt général,
mais que cependant il ne veut pas effacer. Il leur
trace la limite dans laquelle ils doivent exercer leur
action, il leur fait leur part dans la division territo-
riale, il la leur fait dans la création des pouvoirs
politiques et dans l'administration.


Il y a donc l'administration générale et l'adminis-
tration locale ; et par administration locale nous
n'entendons pas l'action des délégués du pouvoir
central sur les différents points du territoire, nous
entendons uniquement les intérêts spéciaux de la
localité. Ainsi, quand le ministre envoie un préfet à
Marseille, quand ce préfet fait la conscription, orga-
nise la garde nationale, etc., c'est l'administration
générale, ce sont les intérêts généraux du pays. Mais
lorsque ce même préfet prononce sur les budgets
des communes, lorsqu'il examine un arrêté du maire
de telle ou telle commune, lorsqu'il s'occupe des
établissements de bienfaisance, etc., il fait de l'ad-
ministration locale. Il y a souvent dans nos fonction-
naires publics une double qualité ; elle est frappante
dans le maire, qui est à la fois un agent de la com-
mune et un agent de l'autorité centrale. Personne ne
peut la révoquer en doute, mais nous le verrons
mieux encore plus tard.




304 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


reille matière, en plusieurs départements. Ce travail,
dont nous avons essayé une sorte d'esquisse théori-
que dans une autre séance, a toujours été fait, d'une
manière plus ou moins heureuse, car jamais dans un
grand État on n'a pu concevoir l'idée d'administrer
toutes choses pêle-mêle, sans aucune distinction.
Mais nous ne voulons pas remonter très-haut dans
la recherche des faits historiques qui se rapportent
à cette matière de détail. Je me borne à vous signa-
ler l'essai fait par l'Assemblée nationale, car il a
servi, en quelque sorte, de base à tous les travaux
postérieurs, et il est encore aujourd'hui la base de la
division du travail administratif, avec les modifica-
tions que le temps et la marche des choses et des
idées y ont apportées.


L'Assemblée nationale s'occupa de ce travail dans
la loi du 27 avril-25 mai 1791, et elle décréta la divi-
sion des affaires en six ministères : justice, intérieur,
contributions et revenus publics, qui a pris plus tard
le nom de finances, guerre, marine, affaires étran-
gères. C'est là, en effet, une division plausible ; s'il
s'agissait d'un État de moyenne grandeur, on pour-
rait la regarder comme suffisante, car si elle pèche,
c'est par la section intitulée intérieur. Cette section,
dans un vaste État, devient une immense partie du
tout, il n'y a plus d'harmonie entre elle et les autres.
A la place de la France, imaginez un État comme le
royaume de Sardaigne, prenez un État de quelques
millions d'habitants, cette division sera suffisante.
Mais, dès qu'on dépasse une certaine dimension, la
masse des affaires croit pour le ministère de l'inté-
rieur dans une proportion effrayante, et il se trouve


QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
305


surchargé, tandis que les autres ministères ne crois-
sent pas dans la même proportion.


11 y a ensuite une autre observation. En 1791,
certains faits sociaux ne s'étaient pas développés
encore, ils ne frappaient pas les esprits, ils n'atti-
raient pas l'attention comme ils l'ont fait depuis,
comme ils le font de nos jours. Ainsi, le fait de l'ins-
truction générale, le fait de l'industrie nationale, les
moyens de commerce et de transport, tous ces
grands faits matériels et moraux qui méritent d'oc-
cuper une si grande place dans l'administration
générale de l'État, comme ils l'occupent aujour-
d'hui dans la société, n'étaient pas développés alors
comme ils le sont aujourd'hui. ils n'étaient donc
pas appelés alors à jouer dans l'administration géné-
rale le rôle qu'ils sont appelés à jouer aujourd'hui, et
voilà comment l'Assemblée pouvait croire, au pre-
mier aperçu, que le cadre qu'elle avait adopté était
pleinement suffisant, quoique ce fût un cadre qui
ne devait pas tarder à paraître trop étroit.


Plus tard, en germinal an II, une idée malheureuse
s'empara des esprits. Dans ce temps de grandes
révolutions, de bouleversements, de désordre, l'idée
(le substituer le système de la polysynodie au sys-
tème de l'agence individuelle n'était pas une idée
nouvelle , elle avait même été pratiquée déjà en
France, sous la Régence. Ainsi que le mot le dit, il
s'agissait de substituer à des ministres, à des agents
individuels, des colléges, des comités, des coin-
missions, et par là de détruire en quelque sorte le
principe. de la responsabilité, si ce n'est de la respon-
sabilité légale, au moins de la responsabilité morale,


20




306 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


la puissance de l'opinion, le ressort du mérite et du
démérite personnel appliqué à la chose publique.
Quoi qu'il en soit, ce système fut adopté dans la
loi du 12 germinal an II, mais alors on imagina une
antre division des affaires générales. Au lieu des six
départements ministériels que l'Assemblée nationale
avait imaginés, on en forma douze, et comme ils
étaient presque tous mis en commission, car il n'y
.en avait que deux ou trois où il y avait un commis-
saire et deux adjoints, vous pouvez imaginer le grand
nombre d'agents supérieurs qui se trouvaient en
action pour l'administration de la chose publique.
On imagina donc une commission des administra-
tions civiles, police et tribunaux, une de l'instruc-
tion publique, une de l'agriculture et des arts, une
du commerce et des approvisionnements, une des
travaux publics, une des secours publics, une des
transports, postes et messageries, et puis une des
finances, et puis une de l'organisation et du mouve-
ment de l'armée de terre, une de la marine et des
colonies, puis une des armes, poudres et exploita-
tion des mines, puis enfin une des relations exté-
rieures.


Il est inutile de faire remarquer que si le plan de
l'Assemblée nationale péchait par trop de sobriété
dans la division, le deuxième plan péchait par un
excès dans ses divisions. Il y avait là quelques idées
heureuses, comme la séparation de l'instruction pu-
blique, de l'agriculture, du commerce. Mais un mi-
nistère à part pour les postes, pour les armes, les
poudres et les mines, c'était multiplier à plaisir les
rouages supérieurs, c'était pécher par excès dans


QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
307


une matière où il faut toujours une certaine mesure,
car l'expérience apprend qu'il n'est pas aussi facile
de réaliser en pratique que d'écrire sur le papier ces
divisions qui sont toujours plus ou moins artifi-
cielles. Vous ne pouvez jamais éviter un certain con-
tact et par là un certain frottement entre les diverses
parties de l'administration publique ; vous avez beau
faire un ministère de la guerre, il aura des rapports
avec le ministère de la justice dans certains cas;
vous ferez un ministère des finances, il aura des
rapports avec le ministère de l'intérieur, avec le mi-
nistère de la guerre; l'instruction publique aura éga-
lement des rapports avec les autres ministères :
c'est clans la nature des choses. Or, dès qu'il y a
contact non-seulement avec les choses, mais néces-
sairement entre les hommes, il y a toujours une
chance plus ou moins grande de frottement et par là
de froissement. Ainsi, il est bien essentiel que la
division représente l'état des besoins actuels, mais
il ne faut pas pousser la manie des divisions à l'excès,
parce que la division n'empêche pas le contact. Or,
il est vrai, dans la mécanique politique comme dans
la mécanique matérielle, qu'il faut se résigner aux
frottements inévitables, mais qu'il ne faut pas les
multiplier à plaisir.


Aussi ce système n'eut pas de succès. Dès l'an IV,
on revint au système des ministres uu lieu de com-
missions, on revint aux six ministères ; mais le
12 nivôse de la même année on ajouta un nouveau
ministère, le ministère de la police générale de
l'État.


Je ne suivrai pas les nombreuses variations qui




308 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


sont arrivées dans la division des diverses branches
de l'administration, je citerai seulement trois faits
qui me paraissent remarquables et de nature à vous
fournir plus tard quelques idées utiles aux affaires
de votre pays. Je dis trois faits, et les voici : En 1801
il fut créé un ministère du Trésor public indépen-
damment du ministère des finances, et cette mime
règle d'administration, lorsque l'administration fran-
çaise passa les Alpes, fut appliquée au royaume
d'Italie, c'est-à-dire que la pensée relative au mode
de percevoir les revenus de l'État, l'ordonnancement
général des sommes appartenant à l'État, le manie-
ment des grands ressorts financiers de l'État étaient
placés dans une main, et que le maniement des
sommes, l'encaissement, le transport des sommes, la
comptabilité financière proprement dite, étaient
placés dans une autre main. Je ne puis pas m'arrêter
à vous expliquer à fond cette distinction et ce sys-
tème, je ne puis que le signaler en passant et ajouter
seulement que c'est là un fait digne d'attention, fait
sur lequel il a paru des écrits d'une grande impor-
tance. Ce ministère fut créé en 1801.


Un autre fait digne d'attention est celui-ci. En '1802
on créa un ministère de l'administration de la guerre,
autre que le ministère de la guerre. Dans la guerre,
il y a deux grandes parties, la guerre proprement
dite et, lorsqu'on n'est pas en guerre, il y a la guerre
proprement dite dans ce sens qu'il y a la formation,
l'instruction, la discipline, le mouvement de l'armée,
ce qui comprend les nominations, promotions, etc. ;
puis il-y a l'administration de la guerre, car la guerre
est un des ministères qui demandent la plus large


QUATRE-ViNGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
309


part dans la fortune nationale, et la guerre a besoin
de certains faits très-nombreux, très-importants, qui
sont au fond des faits civils plutôt que des faits mili-
taires. Je m'explique : On ordonne une levée de tant
de mille hommes, c'est une chose importante de
savoir comment ils seront armés, équipés, comment
ils seront instruits, où ils seront dirigés, etc. Mais
quand la guerre a décidé que ces tant de mille
hommes seront repartis tant dans l'infanterie, tant
dans la cavalerie, qu'ils seront, en conséquence,
habillés de telle ou telle façon, il faudra passer des
marchés, acheter du drap, de la toile, faire une
quantité d'actes qui sont de purs actes d'adminis-
tration. Il y a donc, comme vous voyez, deux grandes
branches dans cette partie de l'administration
publique. Le premier Consul fit du ministère de la
guerre deux ministères : le ministère de la guerre et
le ministère de l'administration de la guerre.


Enfin le troisième fait que je signalais eut lieu
en 1804. Les cultes n'étaient alors qu'une branche
du ministère de l'intérieur ; ils en furent détachés et
l'on créa un ministère des cultes. Cependant, remar-
quez-le, sans cloute la liberté des cultes existait,
mais elle n'était pas alors consacrée en principe
constitutionnel comme aujourd'hui.


A la Restauration, il y eut aussi des changements.
Les ministères du trésor, de l'administration de la
guerre et de la police générale furent supprimés,
mais on créa un nouveau ministère, le ministère de
la maison du roi. C'est là une administration et non
un ministère. Le roi a le droit de faire administrer sa
liste civile comme il l'entend ; pour les domaines, il




310 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


y a des lois, mais le ministre est responsable vis-à-
vis du roi et non de l'État. C'est donc avec raison que
ce ministère a été supprimé.


Aujourd'hui nous avons huit ministères-en appa-
rence et neuf en réalité, car les cultes font un minis-
tère particulier, bien qu'ils soient confiés au garde
des sceaux ;- il y a là deux ministères réunis en un.
seul. Nous avons aujourd'hui la guerre, la marine,
l'intérieur, les affaires étrangères, l'instruction pu-
blique, le commerce et les travaux publics, les finan-
ces, la justice et les cultes ; ce qui fait huit ministres
et neuf ministères. Nous sommes donc dans un état
intermédiaire entre les deux systèmes que j'ai signa-
lés au commencement de cette séance, nous avons
trois sections de plus que dans le système de
l'Assemblée nationale et trois de moins que dans
le système de germinal an II.


L'énumération exacte des attributions de chaque
ministère appartient au droit administratif plutôt
qu'au droit constitutionnel. Le nom de chacun
d'abord vous donne une idée générale à peu près
suffisante, sauf pour le ministère de l'intérieur.
Ministère de l'intérieur, cela paraît ne pas signifier
grand'chose, mais cela veut dire que ce ministère
est chargé de toutes les affaires qui ne sont pas du
ressort des autres ministères ; c'est le ministère qui
réunit en lui ce qui n'a pas été délégué à d'autres
pour les affaires intérieures du royaume.


11 y a eu plusieurs ordonnances qui ont modifié le
nombre et les attributions des divers ministères.
C'est aujourd'hui un principe admis que la forma-
tion, le nombre et la modification des divers minis-


QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
311


tères sont du ressort de la puissance royale, mais
vous ne pouvez pas oublier ce que nous avons fait
remarquer pour d'autres questions. Un nouveau
ministère peut être créé demain, comme on a créé
dans le temps le ministère du commerce et des
travaux publics ; ce ministère existera légalement,
les autres ministères devront lui céder la portion
d'attributions qui lui aura eté donnée par l'ordon-
nance royale. Mais le nouveau ministre arrivera
bientôt aux Chambres pour leur demander les fonds
nécessaires à l'administration de son département.
Les Chambres accorderont ou refuseront les fonds,
et indirectement le sort du nouveau ministère dé-
pendra des fonds accordés ou refusés par les Cham-
bres. Mais il n'en est pas moins vrai que toutes
les modifications qui peuvent être faites dans le
système , si elles n'exigent pas une demande de
fonds, sont entièrement du ressort de la puissance
royale.


Il ne faut pas croire non plus que lorsque, en pra-
tique, on établit cette division, les lignes de démar-
cation soient toujours tirées avec une exactitude
extrême. J'évite les détails ; cependant, pour donner
un exemple, on peut citer une grande branche de
l'instruction publique, l'École polytechnique, qui se
trouve entre les mains du ministre da la guerre,
parce qu'elle fournit beaucoup d'officiers. De même
vous avez un autre établissement d'instruction
publique dans Paris, le Conservatoire des arts et
métiers, qui se trouve dans les attributions du
ministère du commerce et des travaux publics. Il y a
donc des faits qui, selon le point de vue sous lequel




I


312 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


on les envisage, doivent être placés dans tel minis-
tère ou clans tel autre.


Arrivons maintenant à une autre division. L'ad-
ministration générale est ainsi divisée en plusieurs
départements. Il faut exécuter et administrer. C'est
essentiellement le rôle de l'action qui est dévolu à la
puissance exécutive, ainsi que nous l'avons dit en la
distinguant du pouvoir législatif et du pouvoir judi-
ciaire. Cependant il n'y a jamais rien d'absolument
mécanique là où l'homme intervient. Cette action
n'est pas une action purement matérielle, brutale
comme celle d'une force quelconque; cette action
peut même, dans certains cas, exiger une délibéra-
tion, non, qu'on ne s'y trompe pas, une délibération
initiale, celle-là appartient à la législature. Je re-
viens à un exemple que j'ai déjà cité : Cent mille
hommes seront levés. La délibération ne peut jamais
porter sur la question de savoir s'il est bien ou mal
de lever les cent mille hommes. Une loi dit qu'il sera
ouvert telle route, la délibération du pouvoir exécu-
tif n'a pas pour objet de savoir si l'on fera ou non la
route. Ce n'est donc pas de cette délibération initiale
que nous voulons parler. Mais, quand le principe est
voté, quand la loi même entre dans quelques détails,
il n'y a pas moins une foule de manières d'exécuter
les travaux. Il y a donc dans l'action une distinction
à faire; l'action pure et simple, et l'action qui doit
être précédée d'une discussion, d'un examen, d'une
mûre délibération.


Ce n'est pas tout. Là où la délibération pourrait
ne pas être nécessaire dès l'abord, elle peut le deve-
nir à la suite de l'action même. L'agent peut s'être


QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON. 313


trompé, l'agent peut avoir pris le parti le moins .
utile, ou bien il peut avoir, en agissant, nui à quel-
qu'un. Il peut s'être trompé ; est-ce à dire qu'il ne
réparera pas sa propre erreur s'il la reconnaît? Non.
Est-ce à dire que, s'il peut faire quelque chose de
plus utile au pays que ce qu'il a fait jusque-là, il ne
le fera pas ? Non. On peut clone s'adresser à lui-
môme. Il a alors besoin de délibération pour savoir
s'il s'est trompé ou non. Il peut avoir pris le parti le
moins utile, il peut avoir porté préjudice à autrui,
il peut avoir porté atteinte au droit d'autrui.


Et ici vient une distinction capitale : de cieux
choses l'une, la puissance exécu Cive, l'administration
générale de l'État, sous peine de ne pas être un pou-
voir dans l'État, doit avoir dans ses attributions,
avec les garanties de la loi constitutionnelle, son
action .


propre, son droit propre, son indépendance
de pouvoir exécutif et administratif. Nous avons déjà
expliqué comment les divers pouvoirs de l'État for-
ment sans doute un seul tout et agissent indirecte-
ment les uns sur les autres, mais ont chacun son
droit et sa limite ; supprimez les droits propres d'un
des pouvoirs de l'État, le pouvoir n'existe plus, le
système est cornplétement bouleversé. Ainsi, quand
il s'agit de faits qui sont dans la nature des faits
d'administration, vous ne pouvez pas admettre un
autre pouvoir intervenant comme juge suprême
de la question. Le jour où il interviendrait comme
juge suprême de la question, c'est lui qui serait
administrateur : si vous lui avez donné le pouvoir de
décider d'une manière absolue que tel ministre,
dans une chose de sa compétence, doit agir de telle




314 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


manière et non de telle autre, c'est lui qui est le
ministre.


11 y a clone des faits pour lesquels, quand il y a
erreur, c'est à l'autorité même qu'il faut s'adresser.
Mais ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille tout
livrer à son caprice. On peut les soumettre à des
règles d'examen ; et puis reste toujours la grande
garantie de la responsabilité ministérielle dont je
parlerai plus tard. Ici la loi peut dire : Vous vous
croyez lésé par tel arrêté ministériel, voyons. Est-ce
matière sur laquelle on puisse donner compétence
au pouvoir judiciaire, elle sera renvoyée au pou-
voir judiciaire. Est-ce matière pour laquelle on ne
peut donner compétence au pouvoir judiciaire,
examinons encore ; il peut y avoir recours à l'auto-
rité même, ou bien la chose peut être soumise à
l'autorité d'autres personnes. Il y a donc différentes
espèces de délibération dans l'action même du pou-
voir exécutif et administratif, une délibération préa-
lable pour laquelle l'agent peut s'éclairer des lumières
d'autrui, et puis une délibération post factum propre
ou avec le concours d'autres personnes, mais tou-
jours dans les limites de l'administration. Si vous
sortez des limites de l'administration, alors renvoyez
cela au pouvoir judiciaire.


Il y a un corps où se rencontrent la délibération
préalable, la délibération post factum et la délibéra-
tion judiciaire. Mais il ne faut pas croire que, parce
que le même corps exerce les trois pouvoirs, ce soit
la même chose.


Reste à savoir s'il est bon qu'un même corps soit
chargé de ces trois opérations. Si nous examinons


QUÀTRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME LEÇON. :315


le conseil 'd'État, nous y verrons les trois manières.
Resterait donc alors une question théorique, c'est la
question de savoir si ce mélange d'attributions est
ou non utile.


Donc, je le répète, dans l'exercice de la puissance
exécutive il y a action et délibération, délibération
de nature diverse, non initiale, car la délibération
initiale est le rôle de la puissance législative. Com-
ment, dans notre système, a-t-on fourni à la puis-
sance exécutive les moyens d'action et les moyens
de délibération? C'est ce qu'il nous reste à examiner.




CENTIÈME LEÇON


SOMMAIRE.


Action proprement dite du pouvoir exécutif. — Hiérarchie administra-
tive. — Centralisation. — Agents dépendant de plusieurs départements
ministériels. — Subordination nécessaire des agents à leurs supé-
rieurs hiérarchiques. La destitution facile du pouvoir exécutif agis-
sant est une des conditions essentielles du gouvernement représen-
tatif. — L'agent supérieur a le droit de réformer les actes de ses
subordonnés, qu'il s'agisse d'intérêts généraux ou d'intérêts parti-
culiers.


MESSIEURS,


L'action, avec la délibération dans certaines limi-
tes, appartient à la puissance exécutive et doit se
développer sur toute la surface du royaume pour
les affaires générales du pays. Voyons maintenant
quels sont les instruments de cette action, les agents
de la puissance exécutive, de l'administration géné-
rale.


Nous trouvons au sommet de la hiérarchie les
ministres entre lesquels sont répartis les départe-
ments de l'État, comme nous l'avons expliqué dans
la dernière séance. Chaque ministre à portefeuille
est préposé à un des départements de l'État. Cette
dénomination de ministre à portefeuille est inutile


CENTIÈME LEÇON.


317


au''i n'yuqhuio rdj a pas ce qu'on appelait desl '
ministres d'État, des ministres sans portefeuille; il
y en a eu, ainsi que j'ai eu occasion de le dire déjà,
avant et après la révolution de Juillet ; le premier
cabinet, après la révolution de Juillet, se composait
de ministres à portefeuille et de ministres sans por-
tefeuille. Les ministres à portefeuille contre-signent
seuls les actes de la puissance royale, et donnent
seuls les ordres d'exécution dans le royaume ; ils
sont les vrais agents de la puissance exécutive, les
véritables administrateurs du pays ; les autres sont,
des conseils, des membres du cabinet en tant que
conseils, mais ne sont pas véritablement des agents
de l'administration. Ainsi donc chaque ministre à
portefeuille a un département et, quelquefois, par
des raisons particulières, on a pu réunir deux minis-
tères sous un seul chef.


Au-dessous des ministres se trouvent d'autres
agents. Mais ici il importe pour nous de généraliser
nos idées. On est dans l'usage de considérer comme
agents secondaires les préfets, les sous-préfets, les
maires, etc. Nous ne pouvons pas, nous, envisager
la chose sous le mème point de vue, parce que nous
avons égard à l'organisation générale du pays plutôt
qu'à l'organisation spéciale de certaines branches
de l'administration. Or, comme organisation géné-
rale, chaque ministère est le centre d'une grande
branche de l'administration de l'État, et de lui par;
tent et se ramifient toutes les agences secondaires
qui sont distribuées sur toute la surface du royaume.
Ainsi, du ministère de l'Intérieur partent, pour
ainsi dire, les préfets, les sous-préfets, les maires,




318 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


les commissaires de police, etc.; du ministère de
la Justice, les procureurs généraux, les procureurs
du roi, les commissaires de police en tant qu'officiers
de police judiciaire. Toute cette hiérarchie remonte
au ministère de la justice, c'est là la branche de
l'administration publique qui exerce la puissance
exécutive sous le rapport de la poursuite des crimes,
délits, etc. Ainsi que je l'ai dit, ce sont là des agents
de la puissance exécutive, ce ne sont pas des mem-
bres de l'ordre judiciaire ; aussi ont-ils la qualité
essentielle des agents de la puissance exécutive, la
révocabilité, sans que le chef de la puissance exécu-
tive ait à donner les motifs des révocations qu'il
croit devoir prononcer.


De même prenez la guerre. La guerre a toute sa
hiérarchie sous le rapport du commandement de
l'armée. Le ministre de la guerre est le commandant
général de l'armée du royaume, et sous lui com-
mandent les lieutenants généraux, maréchaux de
camp, colonels, etc. Voulez-vous l'administration
proprement dite? Vous avez les intendants et les
sous-intendants militaires. L'intendant militaire, qui
au fond est un administrateur, dépend du ministère
de la guerre, comme le colonel sous un autre point
de vue, sous un point de vue spécial.


Ce que j'ai dit de la,
guerre, je le dis de la marine.


Le ministre de la marine commande les forces na-
vales de l'État ; sous lui commandent les officiers
généraux de la Marine, les amiraux, les vice-ami-
raux, contre-amiraux, capitaines de vaisseau, etc. ;
et de n'âme il y a là, à côté du commandement mili-
taire, l'administration des ports, c'est-à-dire la hié-


CENTIÈME LEÇON.
319


rarchie des préfets maritimes, des commissaires de
marine, etc. Tout cela aboutit au ministère de la
Marine, comme, dans l'armée de terre, les com-
dants des divisions militaires, les commandants des
armées, les intendants militaires aboutissent au mi-
nistre de la Guerre.


Le ministère des Finances a aussi sa hiérarchie;
il y a sous le ministre des administrateurs généraux,
des directeurs, des receveurs : tout cela compose
une hiérarchie qui finit au dernier préposé.


Le ministère de l'instruction publique a ses res-
sorts académiques, ses fonctionnaires subordonnés,
directeurs des académies, doyens des facultés, pro-
viseurs des colléges, etc.


Le ministère des Affaires étrangères n'a pas, ri-
goureusement parlant, d'agents dans l'intérieur du
royaume; ses agents subordonnés ne sont dans le
royaume qu'accidentellement. Tout le personnel des
légations, des consulats, vient aboutir au ministre
des Affaires étrangères et forme deux grandes divi-
sions, la division politique et la division commer-
ciale.


Tout cela, encore une fois, remonte pour chaque
branche à un ministre. C'est là ce qu'on appelle la
centralisation, c'est là l'unité pratique appliquée à
l'administration générale de l'État. Ainsi il est par-
faitement vrai que le ministre de l'Intérieur, qui est
pour ainsi dire l'administrateur par excellence, il
est parfaitement vrai, dis-je, que le ministre de
l'Intérieur, si le soleil le favorise, si le mauvais temps
n'interrompt pas les communications télégraphiques,
peut, en quelques heures, faire parvenir ses ordres




320 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


et établir, par conséquent, son action sur toute la
surface du royaume.


Il faut remarquer cependant qu'en fait il n'y a pas
cette régularité et cette symétrie qu'on pourrait ima-
giner. On ne peut pas dire que chaque ministère ait
son ordre exclusif d'agents subordonnés ; il y a des
agents de l'administration qui servent à plus d'un
département de l'État, dont le travail est commun
à plusieurs départements, qui sont, par conséquent,
les subordonnés (le plusieurs ministres. Cela est vrai
pour les préfets ;


cela est vrai pour les maires, et,
disons-le franchement, cela est trop vrai pour les
préfets et pour les maires. Peut-être ces fonction-
naires sont-ils chargés de trop d'opérations et de
missions trop diverses. Dès que, dans une loi, on ne
sait trop à qui déléguer une fonction, on la donne
au préfet ; s'il s'agit d'une commune, c'est au maire
qu'on la donne. Ainsi le préfet a l'administration, la
garde nationale, la police ; il fait la conscription, il
s'occupe de travaux publics, il a mission relativement
à l'instruction publique. Il n'y a pas de ministre qui


.ne puisse tirer à boulet rouge sur un préfet ; tous les
ministères peuvent lui donner des ordres. Il en est
un peu de même des maires, avec une difficulté de
plus. On peut trouver quatre-vingt-six hommes qui
aient à la fois la capacité, le dévouement et, si vous
voulez, la noble ambition que l'exercice de ces fonc-
tions exige. Mais trente `et quelques mille maires
capables de toutes les fonctions qu'on leur donne,
c'est moins facile.


Mais enfin voilà deux exemples de fonctionnaires
qui n'appartiennent pas à une branche exclusive de


CENTIÈME LEÇON.
321


l'administration. De même, les commissaires de
police, qui obéissent tantôt au préfet, tantôt au pro-
cureur du roi. Enfin, pour le ministère de la guerre,
la gendarmerie appartient sous un point de vue au
ministère de la guerre, sous un autre point de vue
au ministère de l'intérieur, et sous un autre point de
vue au ministère de la justice. Il ne nous appartient
pas de discourir sur les avantages ou les désavan-
tages de ce système. Il y a, sans doute, des inconvé-
nients à multiplier les fonctions diverses du même
homme, soit quand ces fonctions sont trop . diffé-
rentes, soit lorsque le nombre en est excessif. Mais
il y aurait aussi des inconvénients gravés à trop mul-
tiplier les agents de l'État. Il y a une mesure à garder ;
l'expérience pratique des affaires peut seule signaler
au législateur et aux admistrateurs en chef quelle
est la limite à respecter.


Cet ensemble constitue les hiérarchies propre-
ment dites. Les agents subordonnés doivent être, en
effet, soumis hiérarchiquement à l'agent supérieur,
sans cela, point d'administration possible. Il y a donc
une liaison hiérarchique nécessaire entre les agents
secondaires et l'agent supérieur, ce qui n'est pas une
servitude, car l'agent subalterne est toujours libre
de quitter ses fonctions quand sa conscience y ré-
pugne, et comme l'histoire honore le refus d'un
officier qui ne voulut pas faire la Saint-Barthélemy,
elle honorerait tout fonctionnaire qui refuserait
d'exécuter un ordre injuste. Mais il est impossible
que l'administration exerce convenablement son ac-
tion s'il n'y a pas subordination de l'agent subalterne
à l'agent supérieur. Par cela même, ii est évident


21




392 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qu'on ne pouvait pas ne pas écrire dans la Charte le
principe posé à l'article 13 : « Le roi nomme à tous
» les emplois d'administration publique ».


Non-seulement le fonctionnaire est nommé, mais
il est. révocable en thèse générale, parce que, en
thèse générale, on ne peut pas admettre que l'agent
supérieur, qui est responsable, doive nécessairement
maintenir en fonctions un agent incapable ou qui
résisterait à ses ordres. Ainsi, que ferait un ministre
avec des préfets qui n'exécuteraient pas ses ordres,
qui contrecarreraient l'administration centrale? 11 y
aurait iniquité à faire du ministre un agent respon-
sable, puisqu'il n'agirait pas comme il voudrait. Et
c'est là une des principales prérogatives de la puis-
sance royale, car elle s'applique, comme vous savez,
à tous les fonctionnaires, y compris les ministres.
Ainsi, le pouvoir exécutif en action peut être d'un
instant à l'autre destitué par une application de la
puissance royale.


Un des plus grands publicistes modernes a fait re-
marquer que cette facile destitution du pouvoir
exécutif agissant est une des conditions essentielles
de la monarchie représentative. Si vous consultez
l'histoire, en effet, vous trouvez des troubles, de
l'agitation, des révolutions même, pour obtenir ou
pour conserver la puissance exécutive, pour l'obtenir
ou pour la conserver malgré le roi ou malgré le voeu
public. Le moyen d'arriver à la destitution facile du
pouvoir exécutif a toujours été un des embarras des
anciennes constitutions. Aujourd'hui même, vous le
voyez, la nomination d'un président aux États-Unis a
été plus d'une fois le sujet non de révolutions, mais


CENTIÈME LEÇON.
323


d'agitations assez fortes pour effrayer. Dans les ré-
publiques suisses cela n'est pas arrivé, d'abord parce
que ce sont de très-petits États qui n'ont rien qui
soit propre à exiger des candidats de grands sacri-
fices. Quel est l'habitant de la Suisse qui pourrait
donner, je ne dis pas cent mille, mais seulement
mille livres pour être fait landamman ? C'est plutôt
par dévouement qu'on accepte, car la place n'offre
pas de grands avantages. Mais, dans un grand État,
la question se présente avec des éléments tout à fait
différents. Eh bien, dans notre système, l'action di-
recte, immédiate, matérielle, appartient au ministère.
Ce sont donc les membres du ministère qui consti-
tuent ce degré supérieur de grands fonctionnaires
révocables. La royauté a le droit de les destituer, et,
au moment même où leur révocation est prononcée,
leur autorité devient nulle, parce qu'ils n'ont pas une
force propre, parce qu'ils ne sont pas, pour ainsi
dire, les maîtres du pays, parce que tous ceux qui
leur devaient l'obéissance hiérarchique la doivent à
leurs successeurs. Aussi vous n'avez jamais eu en
Angleterre rien qui ressemblât à quelque trouble pour
que le pouvoir restât à telle ou telle personne. Les
questions personnelles perdent ainsi toute leur im-
portance, et l'homme le plus hautement placé dans
l'imagination du peuple ne conserve pas cette force
propre qui pourrait le rendre dangereux. L'Angle-
terre en a fourni un grand exemple. A coup sûr, il y
a un général heureux qui était placé très-haut dans
l'imagination du peuple, qui aurait été, dans une
autre forme de gouvernement , un homme d'une
puissance incomparable. Il a été ministre, il a fait




394 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


un acte pour lequel il faut lui rendre justice, et qui
certes vaut bien toutes ses batailles ; je veux parler
de l'émancipation des catholiques ; et puis, comme
étonné de ce pas en avant, il est retombé dans des
idées que l'opinion publique ne partage pas : eh bien,
il a quitté le ministère et a perdu toute puissance, et
bien certainement aujourd'hui, et même lorsqu'il est
rentré en Angleterre couvert de lauriers aux yeux du
peuple anglais , il n'aurait eu aucune force pour
troubler l'ordre établi en Angleterre, parce qu'il est
dans l'essence du gouvernement représentatif de ne
pas attribuer aux agents du pouvoir cette force per-
sonnelle qu'ils obtiennent dans d'autres formes de
gouvernement.


Voilà donc comment, en fait, les pouvoirs exécu--;
tifs et administratifs sont distribués chez nous. Mais,
veuillez ne pas l'oublier, la puissance exécutive n'est
pas seulement une puissance d'action immédiate,
c'est une puissance complexe dont il importe de ne
pas perdre de vue les diverses attributions. Ainsi
agir en sens propre, c'est-à-dire exécuter et faire
exécuter les lois, pour cela, surveiller les agents, les
instruire, les diriger, voilà l'action directe, immé-
diate. Ces agents peuvent se tromper, ils peuvent
se tromper volontairement ou involontairement, par
incapacité ou par fraude, par inintelligence ou mé-
chamment ; l'agent supérieur a, par la nature des
choses, le droit de réformer les actes de ses subor-
donnés dans les limites de la loi et de l'intérêt
général. Mais non-seulement il a ce droit-là lorsque
les subordonnés auront fait un acte contraire aux
intérêts publics, mais il a nécessairement ce droit


CENTIÈME LEÇON.
325


lorsque les subordonnés auront fait quelque tort à
des intérêts particuliers. Un préfet dans l'exercice
de sa puissance législative déléguée blesse les inté-
rêts d'un individu, il appartient au ministre de réfor-
mer ce qu'il a fait.. Enfin, si l'agent subalterne pous-
sait le mépris de la loi jusqu'au crime, il est dans le
droit de la puissance supérieure de faire toutes les
démarches nécessaires pour qu'il soit poursuivi et
puni, cela est dans le droit de l'administration. Cette
remarque est d'une grande importance. L'adminis-
tration n'a pas seulement le droit de diriger, d'in-
specter, de surveiller, d'instruire, mais le droit de
réformer les actes, et, s'il le faut, de faire traduire
les agents devant l'autorité compétente.


Et je vais plus loin. Je dis qu'elle a le droit propre
de réformer les actes de ses subordonnés. Or cela
peut arriver de deux manières. Ou il s'agit d'inté-
rêts généraux, ou il s'agit d'intérêts particuliers.
S'il s'agit d'intérêts généraux, l'agent supérieur peut
agir proprio motu. Ainsi un préfet a fait une chose
préjudiciable à la chose publique, l'agent supérieur
peut réformer cet acte sans être sollicité par per-
sonne. S'il s'agit d'intérêts privés, la partie qui se
croit lésée réclame, l'autorité supérieure examine la
réclamation et la repousse ou y fait droit. Enfin ii
peut arriver une discussion entre cieux particuliers :
je parle toujours d'actes qui appartiennent à l'admi-
nistration. Eh bien, il est du droit du ministre d'in-
tervenir et de donner une décision.


Enfin n'oublions pas que, quoique, en genéral,
dans le système français, l'administration soit con-
fiée à des agents uniques, il arrive quelquefois qu'elle




326 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


est confiée à des corps qui interviennent comme de
véritables agents exécutifs et non comme conseils
seulement. Ainsi, par exemple, les intendances sani-
taires sont des agents collectifs qui agissent comme
un individu. Il en était de même lorsque, au lieu de
préfets, on avait des administrations départe-
mentales. La règle générale aujourd'hui, c'est que
l'agent administratif et exécutif est un individu,
règle qui a, quoi qu'on en dise, ses immenses avan-
tages, surtout parce que la responsabilité morale est
très–forte lorsque l'individu agit seul. Mais il y a
cependant quelques exceptions.


Voilà le tableau fort abrégé de tout ce qui est
employé chez nous pour l'action en matière de puis-
sance exécutive et administrative. Mais j'ai dit que
l'action souvent doit être précédée ou suivie d'une
délibération d'une certaine nature, que pour cela la
loi a établi des conseils. J'en parlerai dans la pro-
chaine séance.


CENT UNIÈME LEÇON


SOMMAI RE


Conseil des ministres. — Ancien conseil du roi. — Conseil d'État. —
Rôle important du Conseil d'État sous l'Empire. — Réorganisations
diverses du Conseil d'État. — Nécessité incontestée de cette institu-
tion; difficultés que présente son organisation.


MESSIEURS,


La puissance exécutive, l'administration générale
de l'État, a souvent besoin de recourir aux conseils
de corps plus ou moins élevés. Nous allons jeter un
coup d'oeil rapide et général sur cette matière du
droit administratif.


Nous avons d'abord le Conseil des ministres. Le
nombre des départements ministériels peut varier ;
mais si chacun formait à lui seul un tout à part, si
chaque ministre, renfermé dans sa spécialité, n'avait
pas à s'inquiéter de l'administration générale de
l'État, et n'y prenait aucune part, nous n'aurions pas
ce principe de l'unité do l'administration que nous
avons reconnu utile et nécessaire. C'est par la réunion
des chefs des grandes branches de l'administration
que cette Imité est maintenue, et ce Conseil existe en




328 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


fait môme dans les pays du gouvernement absolu où
les questions de responsabilité ne compliquent pas
l'administration. Il y a, en effet, dans chaque branche
de l'administration, des questions de détail de
nature diverse, que chaque ministre peut régler seul
et dont il n'a pas besoin d'entretenir ses collègues,
car ce serait détruire le principal avantage de la
division du travail; mais il en est d'autres sur les-
quelles il faut qu'il y ait concert. Ainsi, par exemple,
le ministre des -finances ayant étudié les ressources
et les charges de l'État, juge qu'il convient d'aug-
menter ou de diminuer un impôt, de faire un em-
prunt ou d'entamer telle on telle autre grande
opération financière : pourra-t-il seul proposer cette
mesure, même avec l'assentiment de la Couronne?
Non, assurément, car ce n'est pas là un acte parti-
culier, c'est un acte général ; ce n'est pas là admi-
nistrer le département des finances, c'est gouverner
l'État. Pour lever un nouvel impôt, en effet, il ne
suffit pas de connaître les ressources matérielles, la
situation économique du pays , il faut connaître
les dispositions du pays, l'effet que produira le nou-
vel impôt sur notre commerce avec l'étranger. Il en
sera de même de certaines mesures que pourrait
prendre le ministre de la guerre ; le déplacement
d'une partie de l'armée peut causer des inquiétudes
et amener des complications politiques très-graves.
Il y a donc des questions générales, qui sont des
affaires de gouvernement et qui intéressent tous les
ministres. L'institution d'un Conseil des ministres
est donc une institution qui découle de la nature
des choses. Dans ce système, il n'y a pas un seul


CENT UNIÈME LEÇON.


:329


ministre responsable, le pays a pour garantie la res-
ponsabilité de tout le Conseil. Aussi y a-t-il des cas
où la loi exige formellement que les ordonnances
soient contre-signées par plusieurs ministres ou par
tous. Il y a donc une distinction à faire, distinction
trop négligée par les publicistes, entre les actes de
pure administration qu'un ministre peut faire seul et
les actes de gouvernement pour lesquels il faut la
délibération commune.


Dès que les ministres sont réunis, ils forment un
corps, une sorte d'assemblée, et voilà pourquoi il y
a un président du Conseil, spécialement chargé de le
convoquer et de diriger ses délibérations.


Une autre assemblée législative, qui a rendu de
grands services au pays, c'est le Conseil d'État.
Il n'est pas cependant en jouissance paisible de ses
attributions. Son existence a soulevé, récemment
encore, de grandes discussions, et il y a là, en effet,
des questions graves, compliquées, difficiles, qui
méritaient peut-être une solution plus directe et
plus prompte qu'elles ne l'ont obtenue. Nous avons
parlé de la nécessité pour le pouvoir de s'éclairer
par des conseils, lors même qu'il existe une législa-
ture organisée; cette nécessité a toujours été recon-
nue; partout il a existé des corps consultatifs près
de la puissance exécutive, sous des formes et des
noms divers. En France, avant 4789, il y avait le
Conseil du roi. Le pouvoir monarchique alors était
absolu, il rencontrait des simulacres d'obstacles
qu'il surmontait avec plus on moins de facilité; mais
il était absolu pour l'administration politique et
générale du pays. Il y avait cependant un conseil,




330 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


le Conseil du roi, pour l'exercice pratique des vo-
lontés royales. Le roi pouvait ne pas le consulter,
mais il s'en servait habituellement. Ce conseil créé
pour interpréter les lois, les refaisait, en quelque
sorte, nommait des juges dans une foule de cas, évo-
quait des affaires, cassait clos arrêts, etc. Aussi se
partageait-il en plusieurs sections. L'une, dite
Conseil d'État, qui n'avait aucune analogie avec le
Conseil d'État de nos jours, était un Conseil de
cabinet qui s'occupait surtout des affaires exté-
rieures. Une autre, dite Conseil des dépêches, citée
si souvent dans les mémoires du temps, s'occupait
de l'administration provinciale. Venaient ensuite le
Conseil des finances, le Conseil de commerce ; enfin
le Conseil des parties ou Conseil privé, qui avait
surtout empiété sur le pouvoir judiciaire proprement
dit.


On conçoit qu'il dut s'opérer de profondes innova-
tions en 1780, surtout lorsque l'Assemblée consti-
tuante eut posé le grand principe de la séparation
des pouvoirs. Il n'est pas moins vrai que l'Assemblée
posait là le germe d'un nouveau Conseil d'État, en
défendant aux tribunaux de s'immiscer dans les
affaires de l'administration, car il était facile de
prévoir qu'on sentirait bientôt la nécessité pour
l'autorité administrative de s'éclairer des lumières
d'un Conseil pour l'examen des questions difficiles et
importantes qui viendraient à naître.


C'est surtout sous l'Empire que le Conseil d'État
grandit et se développa. Le principe avait été posé
dans la Constitution consulaire de l'an VIII : « Sous
la direction des Consuls, dit l'article 52, un Conseil


CENT UNIÈME LEÇON.
331


d'État est chargé de rédiger les projets de lois et
les règlements d'administration publique, et de ré-
soudre les difficultés qui s'élèvent en matière admi-
nistrative ». « C'est parmi les membres du Conseil
d'État, ajoute l'article 53, que sont toujours pris les
orateurs chargés de porter la parole au nom du gou-
vernement devant le Corps législatif ».


Un règlement du 5 nivôse an VIII fixa l'organi-
sation et les attributions de ce Conseil, et établit les
deux modes de délibération en sections et en assem-
blée générale.


Le sénatus-consulte organique du 16 thermidor
an X modifia déjà, dans ses articles 66, 67, 68, ces
conditions d'existence et ces attributions. Enfin
vinrent les décrets du 11 juin et du 22 juillet 1806,
qui sont le point de départ de l'organisation actuelle,
et dont plusieurs dispositions sont encore en vi-
gueur.


Personne n'ignore le rôle important que le Conseil
d'État a joué sous l'Empire ; et il faut le dire, parce
que la vérité historique l'exige, il renfermait alors
une réunion remarquable d'hommes joignant à de
grandes connaissances une expérience consommée
dans les affaires. Ce sont eux qui ont préparé la
législation qui .nous régit. Dans cette œuvre immense,
on peut retrouver et suivre les périodes diverses du
travail, les principes différents qui ont inspiré suc-
cessivement les législateurs, suivant le progrès de la
puissance impériale ; mais elle ne reste pas moins
comme un monument impérissable de ce temps si
glorieux, et il faut ajouter, pour être juste, que le
chef de l'État apportait souvent dans ces discussions




332 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


les lumières quelquefois si imprévues qui jaillissent
du cerveau de l'homme de génie.


En 1814, la Charte ne parlait pas du Conseil d'État,
et l'on se trouvait en présence de celui de l'Empire.
Il y avait là une question grave qui fut sur-le-champ
posée, et, dès le 29 juin 1814, il parut une ordon-
nance dont le préambule reconnaissait la nécessité
d'un Conseil d'État en harmonie avec les change-
ments survenus dans la forme du gouvernement et
dans les habitudes du peuple français. Mais ce
préambule fut vite mis en oubli, et en 1815, comme
en 1814, ce fut une ordonnance qui réorganisa le
Conseil d'État. Il y avait là usurpation sur le domaine
législatif. L'organisation da Conseil d'État touchait
au principe de la responsabilité ministérielle, elle
devait donc être réglée par une loi. Quoi qu'il en soit,
on maintint à peu près les attributions données au
Conseil par le décret de 1806.


Le 19 septembre 1815, une ordonnance institua
un Conseil privé « pour discuter devant le roi des
affaires de nature importante, et spécialement celles
de haute législation ». Ce Conseil, composé de prin-
ces du sang, de ministres et de ministres d'État, en
nombre indéterminé, ne s'assemblait que par con-
vocation spéciale et ne discutait que les affaires qui
lui étaient spécialement soumises.


Une ordonnance du 19 avril 1817 établit des
Conseils de cabinet « appelés à discuter, sur toutes
les questions de gouvernement, les matières de
haute administration ou de législation qui leur
seraient renvoyées ». Ces Conseils étaient composés
de tous les ministres secrétaires d'État, de quatre


CENT UNIÈME LEÇON.


333


ministres d'État au plus, et de deux conseillers
d'État désignés par chaque Conseil.


Le Conseil d'État fut encore réorganisé par l'or-
donnance du 2G août 1824 et par l'ordonnance du
5 novembre 1828.


La révolution de .1830 promit une loi organique
assurant au Conseil d'État la place qui lui est due.
Cette loi est encore à faire. Le projet a été présenté
aux Chambres ; il renferme les principes de la ma-
tière, et sera prochainement, sans doute, adopté.
Jusque-là les choses restent ce qu'elles étaient avant
1830. Deux ordonnances cependant, celles du 2G
février et du 21 mars 1831, ont apporté quelques
modifications à l'instruction des affaires contentieu-
ses, et ont donné notamment la garantie de la plai-
doirie orale et de la publicité.


En résumé, l'institution du Conseil d'État est à
nos yeux non–seulement utile, mais nécessaire.
Dans le gouvernement de l'État, comme dans les
affaires humaines en général, il y a deux éléments :
l'un politique et variable, l'autre constant, progres-
sif sans doute, mais traditionnel, c'est-à-dire ratta-
chant le présent au passé : c'est le véritable élément
administratif. Or les conditions de notre système
représentatif veulent que l'autorité royale ne soit
pas limitée dans le choix des ministres ; ce sera tou-
jours et ce doit être un acte essentiellement politi-
que, et la durée des cabinets ministériels dépend
non-seulement de la capacité gouvernementale et
administrative des hommes qui les composent, mais
des circonstances politiques. Là est l'élément poli-
tique et variable ; tel.système l'emporte aujourd'hui,




334 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


tel autre demain, whigs et tories se succèdent au
pouvoir ; mais faut-il, à chaque changement minis-
tériel, changer de fond en comble l'administration
de l'État? L'État doit-il être l'anima vilis sur laquelle
on fera l' eeperimentum ? Non, évidemment, et voilà
pourquoi il faut un corps conservateur, composé
d'hommes mûris dans les affaires, dans les mains
desquels se trouve le dépôt des traditions adminis-
tratives. C'est là une des raisons principales qui jus-
tifient l'institution du Conseil d'État.


Il y en a une autre. Un ministre, quels que soient
ses talents, n'est qu'un homme ; il n'aura jamais le
temps de tout voir et de tout faire par lui-même.
L'organisation des bureaux ministériels supplée sans
doute à cette insuffisance ; il se fait là un travail bien
utile et bien peu récompensé, sans gloire, sans éclat,
qui a été souvent l'objet d'épigrammes et de raille-
ries imméritées. Le ministre, ne pouvant tout voir,
tout étudier lui-même, est obligé, dans bien des
cas, de s'en rapporter à ses bureaux ; il en résulte-
rait pour ceux-ci une sorte d'omnipotence si le
ministre ne trouvait une sorte d'égide dans les déli-
bérations du Conseil d'État, souvent facultatives,
quelquefois obligatoires.


Enfin, et ceci est encore plus grave, lorsqu'il s'agit
de prononcer sur des recours contre des actes admi-
nistratifs qui ne peuvent être renvoyés aux tribu-
naux, il faut que l'examen puisse en être remis à un
corps conservateur des traditions et des faits gou-
vernementaux.


La nécessité de l'institution no saurait donc être
sérieusement contestée. Où gît la difficulté? Au


CENT UNIÈME LEÇON.
335


fond il n'y a que trois difficultés sérieuses. La pre-
mière est d'organiser le Conseil d'État de manière à
ne point paralyser la responsabilité des ministres,
qui est une des bases fondamentales du système
représentatif. La seconde est de tracer une limite
bien nette entre les attributions administratives con-
tentieuses et les attributions judiciaires proprement
dites. Le Conseil d'État est, je crois, revêtu aujour-
d'hui d'attributions judiciaires qui pourraient être
renvoyées aux tribunaux. C'est ce qui fait demander
par beaucoup de personnes que le Conseil, pour
cette partie de ses attributions, réunisse toutes les
conditions d'un tribunal, qu'on y trouve l'inamovi-
bilite et les autres garanties données à la magistrature.
11 serait plus simple de renvoyer ces affaires aux
tribunaux. Mais quand les questions ne sont pas
judiciaires, quand elles sont administratives par leur
nature, c'est le Conseil d'État, conseil administratif,
qui doit statuer, et peu importe qu'il y ait des inté-
rêts particuliers en conflit, comme, par exemple,
s'il s'agit de statuer sur une demande en concession
de mine : ce n'est pas là ce qui caractérise la ques-
tionre. judiciaire. Mais on voit qu'il y a un triage à
faire


Une troisième difficulté, c'est la masse d'affaires
qui de toutes les parties du royaume viennent abou-
tir au Conseil d'État et qui, par suite des progrès
de l'industrie, du développement commercial, aug-
mentent constamment. Ih.y a une différence capitale
entre le système judiciaire et le système adminis-
tratif. Les questions judiciaires se décident presque
toujours dans la localité ; la plus grande distance




336 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qu'elles puissent parcourir est celle du tribunal de
première instance à la Cour royale; il arrive à la
Cour de cassation peu d'affaires relativement à la
masse générale. Mais le Conseil d'État n'est pas une
Cour de cassation, c'est un tribunal d'appel pour
tout le royaume en matière administrative. Aussi la
ruasse d'affaires s'augmente-t-elle chaque année, et
il y a là une difficulté à laquelle il faut pourvoir, soit
en augmentant le nombre des sections du Conseil
d'État, soit eu recourant dans les localités à un sys-
tème analogue au système judiciaire, c'est-à-dire en
donnant aux autorités locales le droit de prononcer
en dernier ressort, et en réservant au Conseil d'État
le rôle de la Cour de Cassation.


Voilà donc trois points sur lesquels doit s'arrêter
l'attention du législateur : que la responsabilité
des ministres reste entière ; 2° que le pouvoir admi-
nistratif n'empiète pas sur le pouvoir judiciaire ;
3° que la masse des affaires ne soit pas au-dessus
des forces des hommes chargés de les expédier.


Je ne m'arrête pas à vous expliquer l'organisation
des autres Conseils dont la puissance exécutive s'aide
et s'éclaire ; je vous renvoie pour cela au droit admi-
nistratif. Les Conseils de préfecture sont ceux qui
jouent le rôle le plus important, parce que, dans les
matières qu'on appelle contentieuses, ils exercent,
en quelque sorte, une juridiction en premier ressort,
ainsi que nous l'avons dit en mentionnant le droit
d'appel au Conseil d'État.


Telle est donc la marche que suit la puissance
exécutive dans l'exercice de ses attributions propres,
soit dans son action, soit dans les délibérations que


CENT UNIÈME LEÇON.
337


son action légitime exige. Mais la puissance légis-
lative et la puissance exécutive ne forment pas seu-
les l'ensemble du pouvoir souverain de l'État. Il en
est une troisième que nous avons Souvent mention-
née, c'est le pouvoir judiciaire. Nous nous en occu-
perons dans la prochaine séance.


1v.
22




CENT DEUXIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Pouvoir judiciaire. — Attributions civiles et pénales. — Difficulté de
séparer exactement, en pratique, les attributions du pouvoir judi-
ciaire de celles du pouvoir administratif. — Examen des articles 48,
53 et 54 de la Charte. — Changement important de rédaction dans
l'article 63 de la Charte de 1.814, devenu l'article 54 de la Charte
de 1830. — Comment doit être entendue la phrase :Nul ne pourra être
distrait de ses juges naturels. — Inamovibilité des juges; exceptions
à ce principe. — Grands juges d'Angleterre. — Magistrature fran-
çaise. — Jury. — Publicité des débats judiciaires. — Participation
indirecte de la puissance royale au pouvoir judiciaire : nomination
des juges; droit de poursuite; droit de grâce. — Droit d'amnistie; à
qui doit-il appartenir? — Lé gitimité et nécessite du. droit de grâce et


de commutation de peine.


MESSIEURS,


Nous avons déjà expliqué la nature du pouvoir
judiciaire. 11 ne lui appartient pas de prendre l'ini-
tiative sur quoi que ce soit, ni, en conséquence, de
prendre aucune délibération générale relativement
au gouvernement des affaires sociales ; il ne lui
appartient pas non plus de se constituer exécuteur
proprement dit de la loi et administrateur de l'État.
Mais il lui appartient d'intervenir lorsqu'il s'élève
une contestation sur les droits appartenant aux ci-


CENT DEUXIÈME LEÇON.
339


toyens ou à l'État, lorsqu'il s'agit de décider si un fait
est ou n'est pas conforme aux principes du droit, et
si la force publique doit légalement, légitimement,
venir au secours de l'un plutôt que de l'autre, soit
que la contestation ait lieu entre deux particuliers,
soit qu'elle ait lieu entre la société et un simple par-
ticulier.


Les attributions du pouvoir judiciaire se distin-
guent, comme vous le voyez, de celles des autres
pouvoirs. Ainsi que nous l'avons dit, son caractère
éminent, c'est la comparaison des faits particuliers
avec la règle générale, soit que la règle générale se
trouve dans ce que nous appelons le droit écrit, soit
qu'elle se trouve dans les principes généraux du
droit. Certainement, je n'ai pas besoin de dire à des
hommes qui ont déjà étudié le droit que la manière
de procéder n'est pas toujours la même et que si,
dans certains cas, les tribunaux peuvent s'aider des
principes généraux du droit, dans d'autres ils doivent
s'en tenir strictement au droit écrit.


Les attributions du pouvoir judiciaire se divisent
ordinairement en attributions civiles et en attribu-
tions pénales, et les attributions civiles se réfèrent
essentiellement soit à l'état des personnes, soit à la
propriété des choses, soit à des droits acquis sur
les choses ou obligations. Ces trois branches d'attri-
butions civiles et les attributions en matière pénale
constituent essentiellement les attributions du pou-
voir judiciaire.


Il en est cependant de ces attributions, comme je
l'ai déjà fait remarquer pour d'autres branches du
droit général, qu'au fond elles se touchent toutes et




340 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


que jamais les divisions ne sont rigoureusement
vraies. La séparation exacte des attributions du pou-
voir judiciaire de celles du pouvoir administratif, je
m'empresse de le répéter, est une des choses les plus
difficiles à réaliser en droit public pratique. Il y a
encore un desideratum, même chez nous, où cepen-
dant ce grand travail a fait plus de progrès que dans
beaucoup d'autres pays. J'ai dit en parlant du Con-
seil d'État que, à mon sens, s'il agit dans le plus grand
nombre de cas comme conseil administratif, comme
un complément de l'action administrative, il y a des
cas où il décide de véritables questions judiciaires.
Alors la question peut être de savoir s'il convient


-
que ces questions lui soient dévolues ou s'il ne vau-
drait pas mieux qu'elles fussent renvoyées aux tri-
bunaux, s'il est bien qu'il agisse aujourd'hui comme
conseil, demain comme tribunal. Ce sont là des
questions spéculatives dignes sans cloute de la plus
haute attention, mais c'est en même temps un fait
qui prouve combien l'exacte séparation des attribu-
tions administratives d'avec les attributions judi-
ciaires est délicate et difficile.


Quoi qu'il en soit, il est, à mon avis, irrécusable
qu'il existe un troisième pouvoir dans l'État, le pou-
voir judiciaire, ayant ses attributions propres, son
domaine 'à lui, domaine dans lequel il exerce le
même droit de pouvoir indépendant qu'exercent
dans le leur les deux autres pouvoirs. La Charte dit :
« Article 48. Toute justice émane du roi ; elle s'ad-
» ministre en son nom par des juges qu'il nomme
» et qu'il institue. — Article 53. Nul ne pourra être
» distrait de ses juges naturels. — Article 54. 11 ne


CENT DEUXIÈME LEÇON.
341


» pourra, en conséquence, être créé des commissions
» et des tribunaux extraordinaires à quelque titre et
» sous quelque dénomination que ce puisse être ».
Voilà les dispositions fondamentales.


La première, j'ai eu déjà occasion de le dire, la
première, qui porte : Toute justice émane du roi, n'est
évidemment qu'une phrase historique. Dire aujour-
d'hui : Toute justice émane du roi veut dire : il n'y a de
légitime dans la société que la justice publique, il
n'y a de légitime que la justice sociale ; les justices
particulières, justices féodales, justices seigneuriales,
sont à jamais bannies du sol de la France ; ce grand
acte, l'administration de la justice, est un fait du
pouvoir national.


Elle s'administre en son nom; c'est encore une ex-
pression qui n'est pas rigoureusement exacte, ou,
pour mieux dire, le mot administrer ne doit pas être
pris là dans le sens qui pourrait s'offrir le premier à
l'esprit du lecteur. Sans doute tous les jugements
portent l'intitulé que vous connaissez, c'est la for-
mule exécutoire, c'est la formule de la puissance
exécutive. Ainsi la justice s'administre au nom du
roi, c'est-à-dire que les délibérations de la justice se
réalisent et s'appliquent par l'action du pouvoir
exécutif. Mais quant à l'administration de la justice
en elle-même, quant à la déclaration du droit, c'est
le fait du pouvoir judiciaire, nul n'y intervient ; c'est
ce fait dont le pouvoir judiciaire ne doit compte à
personne, c'est le fait sur lequel tout juge a droit
de répondre comme une cour répondait au lieute-
nant de Napoléon, qui lui reprochait de ne pas avoir
prononcé un jugement capital dans certaine affaire :




:342
COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


« La cour ne doit compte de ses jugements qu'à
Dieu et à sa conscience ». Sans doute, tout homme
répond aussi de ses actes devant l'opinion publique,
mais de responsabilité légale, il n'y en a pas, et il ne
peut pas y en avoir. Pour le pouvoir judiciaire ce-
pendant, il y en a dans certains cas bien déterminés
par la loi, mais jamais dans ce qui concerne le bien
ou mal jugé.


Ainsi toute justice émane du roi, c'est-à-dire qu'il
n'y a plus de justices particulières, qu'il n'y a qu'une
seule justice, la justice publique, la justice sociale.
Elle s'administre en son nom ; oui, les décisions indé-
pendantes émanées du pouvoir judiciaire, c'est le
pouvoir exécutif qui a mission de les soutenir, c'est
le pouvoir exécutif qui a mission de prêter main
forte au droit.


« Nul ne pourra être distrait de ses juges natu-
» rels. — Il ne pourra en conséquence être créé des
» commissions et des tribunaux extraordinaires ».
En 1830, on a ajouté : « à quelque titre et sous quel-
» que dénomination que ce puisse être ». La Charte
de 1814, article 63, plaçait là une limitation en fa-
veur d'une institution qui certes ne méritait pas cet
honneur : je veux parler des cours prévôtales. « Ne
» sont pas comprises sous cette dénomination les
» juridictions prévôtales, si leur rétablissement est
» jugé nécessaire ». Les cours prévôtales, en effet,
ont eu encore un moment (l'existence et une malheu-
reuse célébrité sous la Restauration. Les cours pré-
vôtales ont disparu de la Charte de 1830.


Ainsi donc, nul ne peut être distrait de ses juges
naturels. Mais il ne faut pas, habitués comme nous


CENT DEUXIÈME LEÇON.
343


le sommes, dès qu'on nomme le pouvoir judiciaire,
à porter nos regards sur l'ensemble des tribunaux
ordinaires civils et criminels, il ne faut pas croire
que par les mots juges naturels on doive entendre
exclusivement ces mêmes tribunaux communs au
civil et au criminel. Évidemment le législateur n'ayant
pas voulu renverser ce qui existait, ayant dit, au
contraire, à l'article 59 de la Charte : « Le Code civil
» et les lois actuellement existantes qui ne sont pas
» contraires à la présente Charte restent en vigueur
» jusqu'à cc qu'il y soit légalement dérogé », le
législateur à voulu entendre par juges naturels les
juges appropriés aux différentes matières. Ainsi un
garde national, en tant que garde national, est tra-
duit devant son juge naturel, le conseil de discipline;
le militaire a son juge naturel dans le conseil de
guerre, le marin dans le tribunal maritime, le civil
dans les tribunaux civils, et ainsi de suite. Qu'a-t-on
donc voulu dire en affirmant que nul ne pourra être
distrait de ses juges naturels? On a voulu proscrire
les juges extraordinaires, quel que fût leur nom,
commissions, cours spéciales ou autres, les juges
constitués post factum, constitués ad hoc, pour juger
dans tel ou tel cas, pour s'emparer des accusés,
quelle que fût d'ailleurs la juridiction naturelle à
laquelle ils appartenaient. Mais vous ne pourriez pas
sérieusement admettre qu'il fût conforme à l'ar-
ticle 53 de la Charte de renvoyer l'armée tout
entière devant la cour d'assises ; ce serait la consé-
quence forcée si, par juges naturels, on entendait
les juges ordinaires. Or, sans doute, il n'y a pa s
d'homme qui pût affirmer sérieusement que, tant




1


344 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qu'il y aura une armée, il n'y agira pas des tribunaux
militaires, que ces corps armés, qui se trouvent
placés dans des circonstances tellement différentes
de celles des autres citoyens, ne doivent pas être
soumis à une discipline bien autrement sévère que
les autres citoyens, et vous ne pourrez pas imaginer
que, l'armée étant en même temps un corps mobile,
un corps pouvant se mouvoir par masses, non-seu-
lement dans l'intérieur de l'État, mais même hors des
frontières, on doit, si un crime se commet, renvoyer
les soldats coupables devant les juges civils ; ce
serait dissoudre la force publique. Donc, tant que
vous aurez une armée, vous aurez une juridiction
militaire.


C'est donc, comme vous voyez, une phrase qu'il
faut prendre dans un sens plus large que celui qu'on
serait tenté de lui donner au premier abord. Nous
avons les juges communs à tout le monde, et puis il
y en a d'autres qui sont appropriés à certains faits
et à certaines qualifications de personnes : les unes
plus ou moins durables, les autres plus ou moins
momentanées. Le citoyen qui endosse l'habit de
garde national se trouve par ce fait soumis à une
certaine juridiction ; hors de là, il appartient à la
juridiction ordinaire. Le militaire quitte l'armée et
rentre dans la vie civile, il est soumis à la juridic-
tion ordinaire ; mais tant qu'il est au service, il appar-
tient à la juridiction militaire.


Sans doute il y aurait aussi des distinctions à
faire; on pourrait peut-être demander une sépara-
tion plus rationnelle des délits militaires. Je ne veux
pas affirmer que notre législation ait atteint le degré


CENT DEUXIÈME LEÇON.
345


de perfection dont elle est susceptible, je suis con-
vaincu du contraire ; je suis convaincu que la légis-
lation militaire est susceptible de grandes réformes,
non-seulement dans l'intérêt de tous, mais dans
l'intérêt même des hommes qui constituent l'armée
de terre et de mer; car si, d'un côté, la société a le
droit de les soumettre à une discipline plus sévère,
d'un autre côté, eux aussi ont le droit d'être proté-
gés comme les autres citoyens. Je suis donc con-
vaincu que l'une et l'autre législation ont besoin
d'obtenir et obtiendront un jour des réformes essen-
tielles, c'est uniquement du principe que nous nous
occupons ici. -


L'organisation judiciaire, je n'entreprendrai point
d'en faire ici un.


tableau, l'enseignement de la pro-
cédure civile, de l'instruction criminelle, a sans doute
été précédé des notions nécessaires pour vous expli-
quer quelle est l'organisation d'un bon système
judiciaire, soit en matière civile, soit en matière cri-
minelle. Mais nous rappellerons les bases de cette
organisation qui sont textuellement consignées dans
la Charte, ces bases fondamentales que le législateur
a voulu fixer dans la loi constitutionnelle elle-même.
Ces bases sont aux articles 49, 50, 51, 52, 55, 56 et
59 de la Charte. -


Le premier porte que : « Les juges nommés par
» le roi sont inamovibles D, inamovibles en général,
c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas être révoqués ad
libitum par la puissance royale. C'est là la règle gé-
nérale de notre droit public; en général, le juge est
inamovible en France. Cette règle a des exceptions.
Par exemple, les juges de paix, d'après l'article 52




:340 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de la Charte elle-môme, ne sont pas inamovibles.
Pour les juges des tribunaux de commerce, il se fait
une rotation, de même dans les tribunaux militaires.
Mais, tout en tenant compte de ces exceptions, la
règle générale est l'inamovibilité des juges ; c'est là,
dans notre système, une des bases fondamentales
d'une existence propre et de l'indépendance du pou-
voir judiciaire.


je dis dans notre système. Je ne veux pas recher-
cher ici si cette base-là ne pourrait pas être suppléée
par telle ou telle autre, je dis que c'est là une base
fondamentale de notre système. L'Angleterre a fait
avant nous, et il est juste de profiter de son expé-
rience, elle a fait avant nous l'expérience des deux
systèmes. Il n'y a pas longtemps que le juge anglais
est inamovible ; auparavant, lorsqu'on ne s'était pas
encore rendu un compte exact de l'existence et des
attributions de ce pouvoir de l'État, les juges étaient
regardés, en quelque sorte, comme les serviteurs de
la couronne ; ils pouvaient être destitués à volonté,
et il n'y a pas longtemps que je vous ai cité ici un
essai de séduction et de corruption sur les juges an-
glais, que l'on menaçait de destitution. Aujourd'hui
le juge anglais n'est plus destituable à volonté, il est
nommé pour rester tant qu'il se conduira bien, et
pour le destituer, s'il se conduit mal, il faudrait un
jugement du Parlement. B est donc non révocable,
il n'y a pas d'exemple du contraire, et l'histoire nous
apprend que l'esprit de la judicature anglaise est
changé depuis lors ; elle a acquis de plus en plus les
qualités qui doivent distinguer le pouvoir judiciaire,
l'élévation des sentiments, l'indépendance des opi-


CENT DEUXIÈME LEÇON.
:347


nions, elle a résisté à toutes les séductions. Sans
doute, ce sont des hommes dont les opinions peuvent
être quelquefois erronées, les préjugés peuvent être
quelquefois enracinés, les passions quelquefois
éveillées. Mais quand, dans l'histoire, on compare
les juges anglais de l'ancien temps à ceux du nouveau,
on est contraint de rendre justice aux derniers.


Jl est vrai, car avant tout il ne faut pas dissimuler,
il est vrai que la constitution du pays à cet égard
n'est pas exactement la même. En Angleterre, il y a
douze juges, ce qu'on appelle les grands juges an-
glais. Trois tribunaux, composés chacun de quatre
juges, Échiquier, Banc du roi, Commun pleas. Ces
douze juges, en conséquence, occupent une position
sociale éminente, par cela seul qu'il n'y en a que
douze. Leurs émoluments les placent non-seulement
au-dessus du besoin, mais au-dessus des tentations,
cinq, six, sept mille livres sterling (125, '150, '175
mille francs). Aussi jouissent-ils dans le pays d'une
haute considération. Quand les assises s'ouvrent,
l'arrivée du juge chargé de les tenir est une espèce
d'événement. Toutes les notabilités du pays, fonc-
tionnaires et habitants, vont au-devant de lui pour
honorer en sa personne le représentant de la justice.
Par la même raison, il n'y a guère de promotions
dans l'ordre judiciaire anglais, parce que , je le
répète, ils ne sont que douze et qu'il n'y a guère de
hiérarchie. Il y a bien dans les trois tribunaux un
président, ce qu'ils appellent un ehief justice, ou pre-
mier baron de l'Échiquier, mais la différence entre
le simple juge et le président est peu de chose, et
d'ailleurs l'usage n'est pas de faire passer le juge à




348 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


la place du président quand elle devient vacante. Il
n'y a donc pas ce mouvement perpétuel de déplace-
ments et de promotions qu'il y a chez nous.


Chez nous, le royaume est couvert de juges ; tout
arrondissement a un tribunal, et il faut le dire à la
gloire de la magistrature française, contre laquelle
la calomnie, même la plus dévergondée, n'a jamais
osé élever dn soupçon, c'est peut-être la magistra-
ture de l'Europe qui a la réputation d'incorruptibi-
lité la mieux établie. Et cependant il y a des juges
qui ne reçoivent pas plus de 1,800 francs de traite-
ment, et les premiers magistrats de France, les
membres de la cour de cassation ont à peine 500 livres
sterling, le dixième ou le douzième du traitement
d'un juge anglais ; ils ont par an ce qu'un juge anglais
a par mois. Or, l'inamovibilité est ici un principe
général ; mais il y a des promotions, des déplace-
ments, des changements de siége et des avancements
en rang. Tous les tribunaux ne sont pas de même
classe, de sorte qu'il suffit de changer de siége pour
être un peu mieux placé ; c'est là un affaiblissement
du principe d'inamovibilité; le juge peut avoir besoin
de tourner ses regards vers le pouvoir, tandis que
là oh, avec l'inamovibilité, est combinée l'immo-
bilité, cela n'existe pas.


Les articles 50, 51 et 52 de la Charte ne sont pas,
au fond, des dispositions nouvelles; ils se bornent à
dire que ce qui existait est maintenu. s« Article 50.
» Les cours et tribunaux ordinaires actuellement
» existants sont maintenus ; il n'y sera rien changé
» qu'en vertu d'une loi. — Article 51. L'institution
» actuelle des juges de commerce est conservée. —


CENT DEUXIEME LEÇON.
319


» Article 52. La justice de paix est également con-
» servée. Les juges de paix, quoique nommés par le
» roi, ne sont point inamovibles ».


L'article 56 est d'une haute importance : « L'insti-
» tution des jurés est conservée. Les changements


qu'une plus longue expérience ferait juger néces-
saires ne peuvent être effectués que par une loi ».


C'est là une disposition précieuse, car clans l'institu-
tion des jurés , dans son existence ou dans son
abandon , il n'y a pas seulement une modification
dans l'organisation judiciaire, c'est un changement
complet de système, c'&st l'existence ou l'abandon
d'une des garanties fondamentales des libertés pu-
bliques. Ainsi, il était capital que l'existence du jury
fût maintenue par une disposition de la Charte cons-
titutionnelle.


Nous avons parlé avec assez (le détails du jury,
lorsque nous avons parlé des services exigés des
citoyens et de la chose publique, et je ne m'y arrêterai
pas davantage.


L'article 55 contient également une garantie capi-
tale qu'on doit se réjouir de voir consacrer par une
disposition de la Charte, c'est la publicité des
débats. « Les débats seront publics en matière crimi-
» p elle, à moins que cette publicité ne soit dange-
» yeuse pour les moeurs, et, dans ce cas, le tribunal
» le déclare par un jugement ». On ne voit pas pour-
quoi le législateur a mis cette restriction : en ma-
tière criminelle. Cette remarque, d'ailleurs, n'a pas
grande importance pratique ; lorsque les débats
sont publics en matière criminelle, il n'y a rien à
redouter. Probablement, le rédacteur de la Charte a




350 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


été retenu par une crainte : c'est que, en réalité, tous
les débats ne sont pas publics en matière civile.
'Vous savez, entre autres, que la preuve testimoniale
en matière civile ne s'administre pas en séance
publique. Si vous demandez cinq francs de dom-
mages-intérêts devant un tribunal de police à la
suite d'une contravention à votre'charge, vous aurez
un débat, vous ferez comparaître (les témoins qui
déposeront en public. Si vous demandez 500,000 fr.
directement en matière civile, vous ne ferez pas en-
tendre les témoins publiquement; si vous agissez
par la voie criminelle, vous pourrez faire entendre
des témoins, vous ne le pourrez pas si vous agissez
par la voie civile. Il n'y a aucune raison à donner de
cette différence, c'est un tribut payé à de vieux usa-
ges. On dit qu'il ne faut pas donner de publicité aux
affaires de famille. Singulier secret, vraiment, lors-
qu'un moment après l'avocat (le la partie adverse
vient conter tout haut ces affaires. Les témoins, dit-
on encore, craindraient de déposer. Et ils ne le
craignent pas en matière criminelle. Il n'y an fond
aucune raison plausible à donner, à mon avis. Aussi,
dans un pays voisin, qui a conservé la législation
française, mais a apporté- surtout au code de procé-
dure civile des modifications [utiles, l'enquête se fait
devant le tribunal en matière civile comme en ma-
tière criminelle, et cela n'a présenté aucun de ces
inconvénients qu'on a tant redoutés, quoiqu'il se
soit déjà- écoulé seize ans depuis le temps dont je
parle.


Telles sont les dispositions fondamentales, les ga-
ranties capitales données par la Charte relativement


CENT DEUXIEME LEÇON.
351


au pouvoir judiciaire. 11 nous reste maintenant à -
examiner la part que la puissance royale a relative-
ment au pouvoir judiciaire. Or, le pouvoir royal par-
ticipe aussi d'une manière indirecte à la puissance
judiciaire : d'abord par la nomination des juges
(article 48 de la Charte); secondement par le droit de
poursuite ; troisièmement par le droit de grâce que la
Charte lui attribue dans l'article 58 : « Le roi a le


droit de faire grâce et de commuer les peines ».
Je dis premièrement par la nomination des juges.


Les juges sont nommés et institués par le roi. C'est
là la règle générale; mais cette règle générale, comme
celle de l'inamovibilité, admet cependant quelques
exceptions quand vous prenez le mot juge dans toute
son étendue : ainsi, dans les juridictions militaires,
dans la garde nationale, dans les tribunaux de com-
merce, il y a des modifications au principe de la no-
mination par le roi. Les uns sont nommés par rang
d'ancienneté ou par tour de service, les autres sont
nominés sur une liste de notables commerçants, par
voie d'élection. 11 y a donc des modifications, mais
la règle est générale pour les juridictions ordi-
naires.


J'ai dit, en deuxième lieu, le droit de poursuite,
et je prends ici ce mot dans un sens tout à fait géné-
ral. 11 existe près des tribunaux une autorité, le mi-
nistère public, qui appartient à la puissance royale.
Le ministère public ne fait pas partie du pouvoir
judiciaire, aussi lui manque-t-il le cachet distinctif
de l'inamovibilité; il est révocable comme le pré-
fet et le sous-préfet. Il a des attributions diverses,
droit de poursuite en matière criminelle, obligation




352 GOURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


de venir au secours des faibles, même en matière
civile. Ainsi un homme a le malheur d'être en état
habituel de démence, de fureur ou d'imbécillité, le
ministère publie peut provoquer l'interdiction, -ci
même en l'absence de fureur, s'il n'y a pas de pa-
rents, et cela non-seulement dans l'intérêt de la so-
ciété, mais dans l'intérêt de l'individu lui-même. Le
ministère public est entendu quand il s'agit de mi-
neurs, de femmes mariées, de corps moraux, de com-
munes, c'est un poids mis dans la balance en faveur
du faible; il plaide pour eux devant le pouvoir judi-
ciaire, qui, dans son indépendance, admet ourejette,
car vous savez que le ministère public ne peut que
requérir ou conclure ; il est donc partie. Tant qu'il
ne fait que cela, il est dans ce que j'appelle le droit
de poursuite. Il poursuit les déclarations de droit
qu'il croit conformes à la justice. Le jugement est-il
prononcé, alors il prend un autre rôle, alors il se
charge de l'exécution. Il a demandé; a-t-il obtenu
d'une manière ou d'autre, il fait exécuter. Voilà com-
ment la puissance exécutive se lie au pouvoir judi-
ciaire. Le ministère public peut même, vous le savez,
recourir à l'autorité judiciaire supérieure, indépen-
damment de tout intérêt actuel, dans l'intérêt de la
loi, comme on dit. S'il croit erronée l'opinion des
juges, il peut, dans les formes tracées par la loi,
déférer le jugement au pouvoir supérieur. Mais là
encore il ne peut que requérir.


C'est ainsi que le pouvoir exécutif intervient dans
les actes qui préparent les jugeynents ou dans
les actes nécessaires pour l'exécution des juge-
ments.


CENT DEUXIÈME LEÇON.
353


Enfin le dernier droit, c'est le droit de grâce. Le
droit de grâce présente quelques questions très-
graves. Et d'abord nous avons parlé du droit de
poursuite. Mais la poursuite est-elle un droit, une
faculté, ou est-elle obligatoire? En d'autres termes,
le droit du noli prosequi, reconnu en Angleterre à la
Couronne, ce pouvoir appartient-il au gouvernement
chez nous ? Enfin, si vous voulez que je traduise en-
core ma pensée en d'autres termes qui nous sont
familiers, le gouvernement a-t-il le pouvoir d'am-
nistier avant jugement? Des faits arrivent qui ordi-
nairement sont déférés aux tribunaux criminels. Les
faits mêmes sont déférés aux tribunaux., les person-
nes sont traduites devant la justice; peut-on arrêter
l'action du pouvoir judiciaire, et, si cela se peut, à
qui appartient ce pouvoir? Ce qui veut dire en d'au-
tres termes, faut-il pour cela une loi ou une ordon-
nance? Si l'action judiciaire est épuisée, si la con-
damnation est prononcé, qu'y a-t-il de possible? Il
n'y a de possible que la remise de la peine en tout
ou partie, c'est la grâce ou la commutation.


Or la première question est une de ces questions
sur lesquelles les avis ne sont pas uniformes. Vous
savez sans doute qu'elle a été débattue tout récem-
ment. Y a-t-il droit d'amnistie, et. à qui appartient
ce droit? L'opinion qui exige une loi se fonde essen-
tiellement sur un article de la Charte : « Le roi fait
» les ordonnances nécessaires pour l'exécution des
» lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-
» ?aines, ni dispenser de leur exécution ». Or, dit-on,
une amnistie est un moyen de suspendre l'exécution
des lois et ne peut se faire que par une loi. C'est là,


iv. 23




354 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


je crois, en droit positif, un des arguments les plus
forts parmi ceux qu'on a fait valoir. Dans l'autre
système, on allègue avant tous les faits. En réalité,
il est incontestable qu'il y a eu des amnisties par
ordonnance, même après la révolution de Juillet,
sans aucune réclamation. On ajoute que le droit de
poursuite a été donné au pouvoir social dans l'inté-
rêt de la société elle-même. On ne poursuit pas
pour poursuivre, la justice sociale n'est pas la justice
morale, n'est pas la justice éternelle; ce n'est pas
une justice d'expiation, mais une justice qui a pour
but immédiat l'avantage de la société. Ainsi, s'il est
vrai, d'un côté, que la justice sociale ne peut à aucun
prix, sans se dénaturer, s'écarter des bases de la jus-
tice morale, d'uni autre côté, il n'est pas nécessaire
qu'elle les applique rigoureusement lorsqu'elle n'y
a pas d'intérêt. Ainsi, combien de faits immoraux
dont la société ne prend aucune connaissance, parce
que la poursuite de ces faits serait plus nuisible
qu'utile! Si c'est le principe de la poursuite sociale,
il en résulte comme conséquence que, même dans les


• cas particuliers, lorsque le pouvoir croit qu'il n'est
pas utile de poursuivre, il peut arrêter les poursuites
déjà commencées.


Je ne me charge nullement de vider la question,
mais on pourrait ajouter un autre argument, un ar-
gument pratique. Il faut songer non-seulement aux
intérêts généraux, mais aussi à l'intérêt des prévenus
et des accusés. On peut bien ne pas rendre leur con-
dition meilleure, mais l'équité veut avant tout qu'on
ne puisse pas la rendre moins bonne. Or, quand le
gouvernement délibère sur une amnistie, le public le


CENT DEUXIÈME LEÇON.
355


sait ou ne le sait pas, et quelle que soit sa délibéra-
fion, quand même le public la connaîtrait, cette déli-
bération de la partie poursuivante n'a aucune influence
sur le pouvoir judiciaire. Lorsqu'on procède par
loi, au contraire, il faut porter la question devant
des assemblées délibérantes, la question doit être
débattue publiquement. Or, que dira-t-on pour
savoir si l'amnistie sera ou non accordée? On discu-
tera sur les faits mêmes de l'accusation, sur l'intérêt
que les prévenus peuvent ou non mériter. Qu'arri-
vera-t-il donc si l'amnistie est. refusée par l'assemblée
délibérante? C'est que probablement il se sera mani-
festé dans l'opinion de la majorité une grande défaveur
pour les personnes accusées. Et alors ces personnes
paraîtront devant le pouvoir judiciaire sous le poids
de cette opinion défavorable, et cela avec toute
l'influence et l'autorité morale des assemblées déli-
bérantes.


D'un autre côté, il est vrai, on peut ajouter pour
l'opinion qui exige une loi que c'est un grand pou-
voir que celui qu'on a reconnu à la couronne d'An-
gleterre par le noli prosequi, que celui de pouvoir
arrêter le cours d'une procédure criminelle.


Voilà les raisons pour et contre. Le droit en lui-
même ne peut être, à mon avis, sérieusement con-
testé. Aucune société du inonde ne peut se priver
d'interrompre une procédure qui lui serait nuisible
ou qui n'aurait aucun avantage pour elle. Car ,
encore une fois, il est de la nature de la justice so-
ciale de n'être pas une justice expiatoire, mais de
procéder selon l'intérêt de la société elle-même.
Reste donc la question de savoir quel est le pouvoir




356 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qui peut faire une amnistie. Je vous ai indiqué les
arguments produits de part et d'autre ; j'en ai ajouté
un qui n'avait pas été présenté, mais qui, je crois,
a de l'importance.


Quant au droit de grâce, il appartient à la puis-
sance royale par une disposition formelle de la
Charte : « Le roi a le droit de faire grâce et celui de
» commuer les peines ». Le droit de grâce a été
l'objet de beaucoup d'attaques de la part de nom-
breux publicistes qui raisonnaient ainsi : « Ou la loi
» est bonne, ou elle est mauvaise; si elle bonne, il faut


l'appliquer, si elle est mauvaise, il faut la révo-
» quer. Ou la grâce répare une injustice, et elle est


insuffisante ; ou elle ne répare pas une injustice, et


elle ne doit pas avoir lieu ».
Eh bien, c'est là un pur sophisme; c'est une preuve


nouvelle que, même dans les questions d'applica-
tion, on se trompe, et souvent, lorsqu'on n'a pas
soin de remonter laborieusement aux principes. Si
l'on s'était rendu un compte exact de ce que c'est que
la justice sociale, l'argument n'aurait pu être sérieu-
sement produit. Car, dans le droit de grâce, il y a
plusieurs éléments. Avant tout, l'application de la
peine ou sa durée peut-elle être nuisible à la société
elle-même? La société a le droit de la faire cesser,
toujours par ce principe constant que la justice
sociale n'est pas une justice d'expiation, qu'elle ne
peut pas, encore une fois, s'écarter des principes
du juste et du bien, mais qu'elle n'est tenue de les
appliquer que dans les limites de son intérêt,
sans cela il faudrait ajouter bien des articles au code
pénal. Donc toutes les fois que la continuation de la


CENT DEUXIÈME LEÇON.
357


peine peut être nuisible à la société ou ne pas lui être
utile, la société a dans le premier cas l'obligation, et
dans le second cas le droit de la faire cesser.


En second lieu, la justice humaine, quelle que soit
son organisation, peut-elle s'élever à la hauteur de
la justice morale, peut-elle s'écrier : « Et moi aussi
» je suis infaillible et impeccable? » Cet orgueil ne
lui.


appartient pas, elle n'est ni infaillible, ni impec-
cable. Mais il est cependant dans la condition des
choses humaines que toute chose ait un terme, une
fin. Lorsqu'un homme a épuisé tous les degrés de
juridiction, que faire? Il faut que la justice s'arrête ;
le pouvoir judiciaire a épuisé ses moyens, et cepen-
dant il peut être constant, notoire, ou il peut le
devenir après coup, que l'action de la justice s'est
égarée, ou du moins a été exagérée. Si vous en fai-
siez un moyen ordinaire de recours, pas un procès
qui pût finir. Mais, quand il s'agit de faits qui peu-
vent porter aussi gravement atteinte aux droits d'un
individu, qui peuvent produire tant de maux parti-
culiers, faut-il, de gaieté de coeur, se priver des
moyens de réparation extraordinaires? C'est le droit
de grâce. Il a donc deux sources également légitimes
l'une et l'autre : l'une remonte à ce principe que la
justice sociale est un moyen et non une nécessité ;
c'est un moyen qui ne doit être exercé que dans les
limites du juste et du vrai, mais c'est un moyen; or,
quand ce moyen n'est plus nécessaire, le pouvoir
social a le droit de le faire cesser. La deuxième rai-
son, c'est que la justice humaine n'est pas infaillible
et que, cependant, il faut une fin à tout et que le
pouvoir social ne doit pas se priver du moyen de




358 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


réparer un mal. Par cette raison, non-seulement le
droit de grâce n'a rien d'illégitime, mais il faut affir-
mer que toute justice sociale où n'existe Pas le droit
de grâce ést une justice téméraire, orgueilleuse, im-
morale.


11 est donc nécessaire que ce droit existe. Sans
doute, il est également nécessaire qu'on n'en abuse
pas, on peut en abuser comme de tous les droits
possibles. C'est alors une question de garantie, de
responsabilité. Il est bien plus facile encore d'abuser
d'une armée, d'un grand trésor, ou du droit de
poursuite, que du droit de grâce. Cependant per-
sonne ne s'avise de dire : Point d'armée, point de
trésor, point de police, etc. Il faut des garanties
pour les uns comme pour les autres ; c'est une ques-
tion de responsabilité dans un cas comme dans
l'autre. Tout se résume dans ces deux mots : garantie
et responsabilité.


Ainsi, maintenant que nous alibi-1s vu comment sont
distribués les trois pouvoirs, comment le pouvoir
royal participe à la fois des trois pouvoirs et sert
d'engrenage à la machine politique, il nous reste à
voir comment cette action s'exerce par ses agents
supérieurs : c'est dire qu'il nous reste à nous occuper
de la grave question de la responsabilité ministé-
rielle.


CENT TROISIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


Serment imposé à la royauté. Déclaration de Louis XVIII; serment
prêté à Reims par Charles X; serment prêté par Louis-Philippe
devant les Chambres. — L'inviolabilité du roi trouve son complément
et sa garantie dans la responsabilité ministérielle. — La responsa-
bilité légale des agents du pouvoir n'a rien que de rationnel. Tout
l'édifice constitutionnel repose sur cette garantie. — Danger plus
grand d'abus dans le pouvoir exécutif que dans le pouvoir législatif
ou dans le pouvoir judiciaire. — Nécessité de concilier avec des garan-
ties sérieuses pour le pays l'indépendance dont il a besoin dans la
sphère de ses attributions.


MESSIEURS,


Il fallait des garanties pour l'exercice des pou-
voirs confiés à la royauté par la Charte, et notam-
ment pour le pouvoir exécutif; il en fallait dans
l'intérêt de la Couronne elle-même, dont les agents
auraient pu abuser de leur pouvoir: La Couronne
elle-même doit au pays la garantie du serment. « Le
» roi et ses successeurs, dit l'article 6 de la Charte,
• jureront à leur avénement, en présence des
» Chambres réunies, d'observer fidèlement la Charte
» consti tutionnelle ». Il y a ici une grande innova-




361360 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


tien historique. La Restauration avait ressuscité
l'ancienne coutume du sacre dans l'église de Reims,
et c'était dans cette cérémonie que le serment devait
être prêté. Louis XVIII ne formula pas de serment
officiel, mais voici ce qu'il disait à la Chambre le
4 juin 1814, en terminant la lecture du préambule
de la Charte constitutionnelle : « Sûr de nos inten-
» tions, fort de notre conscience, nous nous enga-
» geons, devant l'Assemblée qui nous écoute, à être


fidèle à la Charte constitutionnelle, nous réser-
» vant d'en jurer le maintien, avec une nouvelle


solennité, devant les autels de celui qui pèse


dans la même balance les rois et les nations ».
Charles X, lors de la solennité de son sacre, prêta
serment en ces termes : « En présence de Dieu, je
• promets à mon peuple de maintenir et honorer


notre sainte religion, comme il appartient au roi
» Très-Chrétien et au Fils aîné de l'Église, de rendre


justice à tous mes sujets, enfin de gouverner con-
» formément aux lois du royaume et à la Charte


constitutionnelle que je jure d'observer fidèle-
» ment; qu'ainsi Dieu me soit en aide et les saints
• Évangiles ».


Louis-Philippe a prêté le serment constitutionnel
devant les deux Chambres, et conformément à l'ar-
ticle (35 de la Charte, le 9 août 1830, en ces termes :
« En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement
• la Charte constitutionnelle, avec les modifications
• exprimées dans la déclaration, de ne gouverner


que par la loi et selon les lois, de faire rendre
• bonne et exacte justice à chacun selon son droit,
» et d'agir en toutes choses dans la seule vue de


CENT TROISIÈME LEÇON.


» l'intérêt, du bonheur et de la gloire (lu peuple
» français ».


La garantie capitale, quant à l'exercice du pouvoir
exécutif et administratif, se trouve dans le principe
fondamental de la responsabilité des agents du pou-
voir exécutif et, en particulier, des ministres. C'est
une des bases de notre système. La personne du roi
est inviolable, cette inviolabilité trouve à la fois son
complément et sa garantie dans la responsabilité
ministérielle. L'inviolabilité de la personne du roi
sans la responsabilité des agents serait le pouvoir
absolu. Il n'y a rien d'irrationnel dans cette respon-
sabilité des agents. Les agents du pouvoir exécutif
sont des êtres raisonnables et libres ; nul n'est forcé
d'être ministre ni d'apposer son contre-seing sur
un acte du roi qu'il croirait funeste ou illégal. Dès
lors l'homme qui, étant ainsi libre de son action,
étant maître d'accorder ou de refuser son consente-
ment, l'accorde à un acte contraire à la loi ou aux
intérêts du pays, cet homme foule volontairement
aux pieds les lois, et il n'y a rien que de très-ra-
tionnel à ce qu'il soit responsable de cet acte. Quand
on a parlé d'un ministre comme d'un instrument, on
s'est écarté de la réalité des choses. Il est libre de
déposer la robe ministérielle, et comme il fait pres-
que toujours partie d'une Chambre, il peut y venir
combattre cet acte funeste au pays. Ainsi, quand
même une partie de la responsabilité morale devrait
peser ailleurs, il ne peut échapper à la responsabi-
lité légale, il est codélinquant et complice, mais codé-
linquant et complice d'une nature particulière, parce
que, s'il ne signait pas, l'acte serait. impossible.




362 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Cette garantie est éminemment nécessaire, car
tout l'édifice du système représentatif s'écroulerait
à peu près complétement si elle disparaissait. 11 y a
entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judi-
ciaire, une différence essentielle, au point de vue des
dangers qu'un abus de pouvoir peut faire courir aux
libertés publiques et aux intérêts du pays. Le pouvoir
législatif trouve des limites à MI omnipotence et
offre des garanties par la nature de ses attributions,
car il s'occupe essentiellement dc questions géné-
rales ; dès lors son action ne se dirige pas sur des
individus connus et désignés. Il est dans la nature
de l'homme de céder trop facilement à une mauvaise
passion, et l'on conçoit qu'un agent du pouvoir
exerce un acte de vengeance contre un individu qu'il
connaît ; mais une assemblée n'érige pas facilement
une mauvaise passion en principe. On a bien vu des
lois iniques, mais C'était à des époques tout à fait
anomales, ou bien lorsque l'organisation du pou-
voir législatif avait été altérée, par exemple, lors-
qu'il n'y avait plus de contrôle d'une Chambre sur
l'autre. Il y a bien, sans doute, le danger que le
pouvoir législatif demeure quelquefois trop étranger
aux faits particuliers et devienne par là même injuste,
Mais la loi peut être adoucié dans l'exécution, tandis
que le pouvoir exécutif peut dénaturer une bonne loi.


D'autres garanties résultent de l'organisation en
deux chambres d'origine différente, et qui se con-
trôlent l'une l'autre. D'ailleurs, les actes du pou-
voir législatif ne peuvent pas s'improviser comme
ceux du pouvoir exécutif, ils sont connus et discutés
d'avance.


CENT TROISIÈME LEÇON.
:303


Le pouvoir judiciaire n'est pas appelé à statuer
d'une manière générale, et, s'il déclarait une iniquité,
ce ne serait jamais à son profit, ce serait au profit
d'autrui. A cette garantie, qui résulte de sa nature,


fi


il faut ajouter celles qui résultent de son organisa-
tion, soit des divers degrés de juridiction, soit de la
publicité des débats, soit de ce que le pouvoir judi-
ciaire ne peut exercer aucune action initiale, et ne
peut agir que lorsqu'on a recours à lui.


Il est donc évident que, sous le point de vue des
tentations de mal faire, le pouvoir exécutif est celui
qui offre le plus dé- dangers. C'est lui qui dirige et
commande les forces militaires, qui manie les deniers
de l'État, qui applique les lois, si l'on peut s'exprimer
ainsi , chose par chose et homme par homme. Il
fallait donc, contre les abus possibles de ce pouvoir,
contre ses erreurs, une garantie plus forte qu'il
n'était nécessaire à l'égard du pouvoir législatif ou
du pouvoir judiciaire. Sans cloute, dans la sphère de
ses attributions, il a besoin d'indépendance, autre-
ment la séparation des pouvoirs disparaîtrait. Mais
cette indépendance doit se concilier avec des ga-
ranties sérieuses pour le pays, parce qu'il a le plus
de moyens matériels de commettre des abus. La
responsabilité morale, indirecte, à laquelle l'homme
n'échappe jamais, ne suffit plus ici, il faut la respon-
sabilité légale; elle se concilie et forme un tout avec
le principe de l'inviolabilité royale, qui se trouve
d'autant plus à l'abri que la responsabilité ministé-
rielle est plus fortement établie.


De ces notions générales, il résulte qu'aucun acte
de la puissance royale, quel qu'il soit, ne peut être




364 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


exécutoire que sous la responsabilité d'un ministre.
Mais qu'entend-on par ce mot responsabilité ? La
responsabilité s'applique-t-elle aux actes d'adminis-
tration individuelle, ou seulement aux mesures de
gouvernement général? Frappe-t-elle le ministre seu-
lement, ou peut-elle quelquefois atteindre l'homme
lui-même? Qui accusera, qui jugera les dépositaires
si puissants de l'autorité royale? Quelles seront les
formes de la procédure, quelles seront les peines ?
Voilà de quels éléments se compose ce grand et dif-
ficile problème, dont la solution n'est pas encore
aujourd'hui complétement trouvée.


CENT QUATRIÈME LEÇON.


SOMMAIRE


La responsabilité peut être individuelle ou collective. Tous les membres
du cabinet sont responsables des mesures générales de gouvernement,
et, s'il y a lieu à accusation dans ce cas, on doit les y comprendre
tous, sauf à faire ensuite la part qui revient réellement à chacun. —
Faits qui rentrent dans la responsabilité ministérielle : actes minis-
tériels proprement dits; actes qu'un ministre peut commettre comme
ministre, mais qui ne sont pas proprement des actes ministériels;
actes qu'il peut commettre comme simple particulier. En pratique,
tous les délits ministériels doivent être réduits à deux classes, les
délits privés et les délits contre la chose publique. — Responsabilité
politique, responsabilité criminelle, responsabilité civile. — Difficulté
de faire une bonne loi sur la responsabilité.


.


MESSIEURS,


Le principe de la responsabilité des agents du
pouvoir est un des principes fondamentaux de la
monarchie constitutionnelle. Il est la garantie d'un
autre principe également fondamental, l'inviolabilité
du roi. De ce principe nous avons tiré la conséquence
que tout acte de la puissance royale, en matière de
gouvernement et d'administration de la chose pu-
blique, n'est exécutoire que sous la responsabilité
ministérielle. D'où il résulte aussi que la personne




366 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qui s'aviserait d'exécuter un acte qui n'aurait pas le
contre-seing d'un ministre, qui n'aurait pas la garantie
de la responsabilité ministérielle, deviendrait néces-
sairement responsable elle-même de l'exécution de
l'acte.


La responsabilité ministérielle peut être indivi-
duelle ou collective, par cela seul qu'il . y a une admi-
nistration générale de l'État et une administration
particulière de chacun des départements de l'État,
par cela même qu'il y a, en d'autres termes, des
ministres particuliers et un conseil des ministres,
des ministres particuliers et un cabinet.


Nous avons eu déjà occasion de faire ressortir la
différence qu'il y a entre les mesures de gouverne-
ment général et les actes particuliers de chaque
ministre. Je crois opportun d'insister sur cette re-
marque importante; un exemple achèvera d'expliquer
ma pensée : Le cas se présente de déclarer ou de ne
pas déclarer la guerre. Voilà une des questions les
plus graves, les plus fécondes en conséquences utiles
ou funestes, dont les résultats peuvent être les plus
imprévus. La question se présente au cabinet. Faut-
il déclarer la guerre, y a-t-il justice, nécessité, de se
mettre en état d'hostilité avec telle ou telle nation ?
Voilà une résolution qui appartient à la puissance
royale, en vertu d'une disposition de la Charte, et
voilà aussi une résolution qui n'appartient en par-
ticulier à aucun ministre, pas plus à celui de la guerre
qu'à celui de la marine, qu'à celui des affaires étran-
gères. C'est une résolution de cabinet, une résolution
générale. Sans doute , quand la guerre aura été
déclarée, quand on passera les frontières pour se


CENT QUATRIÈME LEÇON.
367


rendre sur le territoire ennemi, alors arriveront une
série d'actes particuliers qui seront plus spéciale-
ment dans le domaine de tel ou tel ministre. Sans
doute, ce sera alors le rôle particulier du ministre de
la guerre de prendre toutes les mesures nécessaires
pour que, aux époques convenables, les corps
d'armée soient portés sur tels points, les forteresses
mises en bon état, les fonctionnaires de l'armée
rendus à leurs postes, etc. Sans doute, il appartient
plus particulièrement au ministre de la marine de
prendre les mêmes dispositions à l'égard de l'armée
de mer. Sans doute, il appartient particulièrement
au ministre des affaires étrangères de donner des
instructions relatives à l'état de guerre à toutes les
ambassades, à toutes les légations, de prendre tous
les renseignements nécessaires pour que les intérêts
français soient respectés. Sans doute, le ministre des
finances a aussi là un rôle particulier et important à
remplir. Mais la mesure générale, cette grande ré-
solution : — il y aura guerre, — est une mesure de
cabinet. Ainsi, si une déclaration de guerre se trou-
vait être un acte de trahison et pouvait donner ma-
tière à accusation, c'est le cabinet tout entier qu'on
devrait accuser. On ne pourrait pas dire : « Il s'agit
de guerre, accusez le ministre de la guerre ou le mi-
nistre de la marine »; non, c'est une résolution de
cabinet, et c'est le cabinet tout entier qu'il faut
accuser.


Mais, dira-t-on, et on l'a dit, vous voulez donc
nous exposer à commettre des injustices. Sans doute,
en général, les membres du cabinet doivent être
responsables des mesures de cabinet ; niais cepen-




368 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


dant, par cela seul qu'on est membre d'un cabinet,
est-on réellement coupable de toutes les mesures
funestes du cabinet? Ne faudrait-il pas, 'au moins,
prouver que chaque ministre a réellement participé
à l'acte incriminé, et voulez-vous voter une accusa-
tion contre un homme par cela seul qu'il a fait mo-
mentanément partie du cabinet? Il faut que vous
apportiez le contre-seing du ministre que vous accu-
sez et qui prouve qu'il a participé à l'acte incriminé.


Je me permets de croire qu'il y a là une sorte de
malentendu, et qu'on n'a pas poussé l'analyse de la
question assez loin. Certes, ce n'est pas nous, nous
qui pouvons en appeler à noK faibles écrits sur la
matière ; ce n'est pas nous qui voudrions faire des
coupables par des accusations téméraires; ce n'est
pas nous qui voudrions asseoir une culpabilité sur
de simples présomptions. Mais il ne faut pas noir
plus, par une faiblesse de raisonnement, ouvrir la
porte à l'impunité, lorsqu'il peut s'agir de crimes
énormes. Le cabinet est un corps qui a son organi-
sation, son président: ses membres sont obligés de
suivre les séances, d'assister aux discussions, de
prendre part aux délibérations : voilà un point qui ne
saurait être contesté. Ainsi, prima facie, l'acte du
cabinet est l'acte de tous les membres du cabinet,
parce que tous en faisaient partie, et que chacun
d'eux avait l'obligation d'assister et de prendre part
aux délibérations. Il y a présomption contre chaque
ministre, membre du cabinet, pour toutes les mesures
générales, pour tous les actes de haute administra-
tion que le cabinet a délibérés, la présomption est
contre lui, la mise en accusation a son fondement.


CENT QUATRIÈME LEÇON.
369


Qu'il 'prouve ensuite que réellement il n'a pas pris
part, qu'il n'a pas assisté à la délibération, qu'au
lieu d'approuver ' la mesure il l'a combattue, certes
on ne le condamnera pas comme coupable de la me-
sure que l'on condamne. On pourra lui reprocher sa
faiblesse, on pourra lui reprocher de n'avoir pas
rompu sur-le-champ avec un cabinet qui prenait une
mesure grave contre son avis, et d'avoir continué à
faire partie de ce cabinet. Car le principe de la res-
ponsabilité repose sur cette base que nul n'est tenu
d'être ministre, que c'est là un acte de pure volonté,
et que, s'il y a des chances Mcheuses à courir, on les
court parce qu'on le veut bien ; c'est une responsa-
bilité librement acceptée. On pourrait donc, dans le
cas dont je parle, reprocher au ministre de la fai-
blesse, on peut lui reprocher de ne pas avoir rompu
en visière à ce cabinet. Mais, j'en conviens, on ne
pourrait pas le déclarer coupable d'un fait auquel il
n'aurait pas participé. Or, ceux qui veulent la res-
ponsabilité collective ne soutiennent pas d'autre sys-
tème que celui-là.- C'est donc la présomption qui
est contre lui, présomption qui pourrait suffire pour
le mettre en accusation, mais ne suffirait pas pour
le faire condamner. Mais s'il fallait, pour tout acte
de haute administration, apporter la signature de
tous les ministres, ce serait renverser le principe de
la responsabilité ministérielle.


Telle est la nature générale de ce principe ; mais
j'aborde ici une autre question non moins impor-
tante : Quels sont réellement les actes, les faits
qui rentrent dans le domaine de la responsabilité
ministérielle?


`).4




370 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


La question est très-importante, parce qu'il y a
une juridiction spéciale chargée de connaître des
crimes ministériels. Il y a donc une question de com-
pétence pour la solution de laquelle il est bon de
savoir quel est le crime ministériel. Tous les faits
coupables d'un ministre ne sont pas des crimes mi-
nistériels. Quels sont donc, encore une fois, les
actes, les faits qui rentrent dans le domaine de la
responsabilité min istérielle ?


Je crois qu'il faut distinguer les faits d'un ministre
en trois catégories : les actes ministériels propre-
monts dits, les actes qu'il a Mission et devoir de
faire, voilà ce que j'appelle actes ministériels. Ainsi
le ministère de la guerre est chargé de tout ce qui
concerne le recrutement, l'armement, l'instruction,
les mouvements de l'armée, la manutention, l'ap-
provisionnement des places fortes, etc. Tous les actes
qu'il accomplit dans cet ordre de faits sont des actes
ministériels proprement dits, qu'il les fasse ou les
omette; l'action et l'omission peuvent être égale-
ment coupables. Ainsi, chargé de défendre une fron-
tière, s'il envoie le corps d'armée dans la direction
opposée, ou s'il ne donne aucun ordre pour qu'il se
rende sur le point menacé,, il est coupable comme
s'il avait donné à l'ennemi les clefs d'une forteresse.


Il y a d'autres actes qui ne sont pas proprement
des actes ministériels, mais qu'un ministre peut
faire cependant en sa qualité de ministre. Ainsi un
ministre correspond avec l'ennemi, c'est un acte de
trahison : remarquez-le, c'est un acte de trahison que
tout homme peut commettre . Correspondre avec
l'ennemi, il n'est pas nécessaire d'être ministre pour


CENT QUATRIÈME LEÇON. :37
le faire, un général, un officier, un simple citoyen
peut le faire. Lui le fait étant ministre, et le résultat
de cet acte sera le même que s'il avait pris une me-
sure ministérielle funeste au pays. Cependant c'est
un acte qui ne ressort pas de ses attributions minis-
térielles. Quand le ministre de la guerre, au lieu de
faire marcher l'armée vers le Rhin, la fait marcher
vers les Pyrénées, c'est un acte ministériel ; mais
quand il correspond avec l'ennemi, ce n'est pas à
coup sûr dans ses attributions. C'est donc une autre
classe de faits.


Enfin il y en a une troisième. Ce sont tous les
actes qu'un ministre peut faire comme simple parti-
culier, tous les délits qu'il peut commettre et qui
n'ont aucun rapport direct avec sa personnalité de
ministre. Ainsi que nous l'avons vu récemment en
Angleterre, un mari plus soucieux de l'esprit de
parti que de sa famille ne craint pas de traîner sa
femme devant la justice, en l'accusant d'avoir entre-
tenu avec le premier ministre. de coupables relations.
Le fait reproché au ministre n'est pas un acte
ministériel, c'est un acte purement privé. Il en serait
de môme d'un acte de vengeance particulière com-
mis par le ministre.


Voilà trois classes d'actes bien distinctes, bien
séparées l'une de l'autre. On se demande, et la ques-
tion a été agitée par des publicistes distingués, on
se demande à quels actes s'appliquent la responsa-
bilité ministérielle et la juridiction particulière qui
connaît des crimes ministériels. Et la réponse rigou-
reuse serait qu'elles s'appliquent à la première
classe. En logique rigoureuse, on se bornerait à la




372 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


première classe, c'est là le crime ministériel ; c'est
lorsque le ministre de la guerre, au lieu de faire mar-
cher les armées au nord, les fait marcher au sud
pour laisser entrer l'ennemi. C'est lorsque le cabinet
engage la guerre à tort; c'est lorsque le cabinet
prend la résolution d'attenter à la Constitution.
Mais quand un ministre, parce qu'il est ministre de
la guerre, livre un plan à l'ennemi, il commet un acte
particulier. Sa qualité de ministre peut rendre le
crime plus grand, mais ce n'est pas un crime minis-
tériel, tandis que c'en était un dans le premier cas.
Ainsi, rigoureusement parlant, on devrait dire que
la responsabilité ministérielle n'embrasse que la
première série des faits dont nous avons parlé.


Je crois cependant qu'il y aurait là quelque chose
de trop absolu. C'est une opinion dont je puis d'au-
tant mieux faire bon marché, que je l'ai moi-même
soutenue et que je la soutiens encore comme pure
théorie. Comme principe, il est vrai que ce sont là
les seuls actes ministériels proprement dits ; mais si
l'on voulait introduire la distinction en pratique, les
difficultés surgiraient de tous côtés.


Revenons toujours aux mêmes exemples : Le mi-
nistre de la guerre donne un ordre funeste à un géné-
ral d'armée, c'est un crime ministériel. Le même
ministre de la guerre s'entend avec un fournisseur
polir qu'il fasse manquer les approvisionnements,
c'est un acte de trahison ; dans quelle classe le pla-
cerai-je, dans la première ou dans la seconde? Vous
pouvez dire: Le ministre de la guerre a mission
(l'approvisionner l'armée, il a fait le contraire, donc
c'est un crime ministériel ; mais vous pourrez dire


CENT QUATRIÈME LEÇON.
:373


aussi : Faire un accord avec un fournisseur pour que
l'armée manque de vivres, c'est un crime que tout
particulier peut commettre. Il est ainsi facile de voir
que cette distinction, vraie spéculativement, lors-
qu'on arrive aux applications, ne ferait que nous jeter
dans une masse énorme de difficultés ; il serait im-
possible de séparer les juridictions. Tout serait
mêlé. Et comment envoyer le même homme devant
deux juridictions pour des faits qui se tiennent si
étroitement?


Je crois donc qu'il faut, en pratique, réduire tous
les actes ministériels à deux classes ; les uns sont les
délits privés, les autres sont tous les actes qu'un mi-
nistre peut faire contre la chose publique. Je vous
ferai voir un peu plus tard que c'est là, en effet,
l'idée à laquelle notre législation paraît vouloir s'ar-
rêter, et je crois que c'est là la seule idée praticable.


Maintenant, nous connaissons donc le principe de
la responsabilité, les formes principales de son ap-
plication, les actes auxquels elle s'applique ; il nous
reste encore cependant deux observations générales
à présenter.


La responsabilité n'est pas toujours réalisable de
la même manière. Un ministre ne travaille pas; livré
au plaisir, il néglige la chose publique ; des ques-
tions graves se présentent, il ne les approfondit pas ;
les administrés réclament, il néglige leurs récla-
mations : son département est dans une sorte de
désordre. Ou bien, au contraire, un ministre est très-
actif, mais, dans son activité, il ne prend pas grand
soin de la chose publique, de la Charte constitution-
nelle, des libertés publiques, sans qu'on puisse




374 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


articuler contre lui aucun crime ministériel propre-
ment dit. Ou bien il ne paraît pas ménager suffisam-
ment la fortune publique, on bien il ne paraît pas
ménager suffisamment les relations extérieures de la
Franco, etc. Y a-t-il là lieu à accusation ? Non. L'ac-
cusation contre les ministres est un des actes les
plus graves du système représentatif, c'est une sorte
de révolution politique ; ce n'est pas seulement, on
se tromperait fort si on le croyait, ce n'est pas seu-
lement un acte judiciaire, c'est un acte éminemment
politique, et vous le comprendrez mieux encore
quand nous verrons le mode de poursuite ; c'est un
système de gouvernement qu'on veut déplacer, et
qu'on veut déplacer de manière à rendre son retour
impossible. Ainsi on se tromperait sur cette espèce
d'ultimo ratio des gouvernements représentatifs, si
l'on n'y voyait qu'un acte judiciaire et non un acte
éminemment politique. L'Angleterre a eu bien des.
vicissitudes, et cependant., même en tenant compte
des époques anomales, le nombre des accusations
ministérielles a été très-limité.


Que faire donc dans les hypothèses que j'ai énu-
mérées? Faudra-t-il se résigner à une administra-
tion faible, qui inspire la .méfiance, qui ne satisfait
pas aux besoins du pays ?


il y a lieu alors à la responsabilité purement poli-
tique, à la responsabilité 'morale et politique, sans
arriver à la responsabilité judiciaire. Les Chambres
peuvent la réaliser, le roi plus facilement encore.
Quand il paraît au roi que le cabinet ne satisfait pas
aux conditions d'un bon gouvernement, libre de le
nommer, il est libre de le destituer. Quand il semble


CENT QUATRIÈME LEÇON.
375


aux Chambres que le ministère ne remplit pas les
conditions d'un bon gouvernement, leur droit est (le
refuser leur concours à ce ministère, de lui refuser
leur appui.


Une Chambre témoigne sa désapprobation de
plusieurs manières . Lorsqu'elle veut frapper un
ministère de désapprobation formelle comme gouver-
nement, elle peut. le faire dans son adresse à la Cou-
ronne. C'est ainsi que procéda la chambre des
Députés lors de la fameuse adresse des 221. La
Chambre déclara loyalement à la Couronne que son
concours n'existait pas, qu'il ne pouvait plus exister;
tout en protestant en même temps très-explicite-
ment de sa fidélité à la Couronne, elle refusa tout
concours au ministère. La Chambre ne fut pas enten-
due, on ne tint aucun compte de son langage, mais
ce langage fut positif.


La Chambre peut aussi témoigner sa désapproba-
tion par le refus de la majorité dans les lois néces-
saires. Ainsi une mesure bonne en elle-même est
proposée par le ministère dont on a à se plaindre; la
Chambre la repousse, c'est une manière de dire aux
ministres : « Je ne veux pas de vous ». La Chambre
peut ainsi rejeter une mesure importante présentée
par les ministres, et c'est les renvoyer. L'histoire
même de nos jours présente des exemples de cette
manière de procéder. Je vous ai cité l'adresse
des 221. Dans d'autres cas, la Chambre a refusé son
vote à certaines mesures. Ainsi, récemment, la
Chambre a refusé son vote à une mesure financière,
et, à la suite de ce refus, plusieurs ministres ont
résigné leurs portefeuilles.




376 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Voilà la responsabilité politique, susceptible,
comme vous le voyez, do nuances très-grandes et
très-significatives. C'est par ces nuances que l'har-
monie entre les diverses parties de l'État se soutient,
c'est ainsi qu'on évite que la lutte ne devienne un
brisement. Plus ces nuances se multiplient, plus
l'administration devient délicate, et l'on peut dire
que le gouvernement représentatif atteint sa per-
fection lorsque ces mêmes modifications dans les
rapports mutuels des pouvoirs de l'État deviennent
de moins en moins sensibles.


Cela ne suffit-il pas, ou bien un crime ministériel
vient-il suspendre les pouvoirs de l'État tout à.
coup ? Alors, si le moyen indirect, si le moyen plus
doux devient insuffisant, alors il y a lieu à la res-
ponsabilité criminelle.


Mais quand on a parlé de la responsabilité poli-
tique et de la responsabilité criminelle , a-t-on
épuisé toutes les formes de la responsabilité ? Non,
il y en a une troisième. Car il en est du crime
ministériel comme de tous les autres crimes. Indépen-
damment du mal moral, les crimes peuvent pro-
duire un dommage matériel appréciable en argent,
soit au préjudice de l'État, soit au préjudice de
quelque particulier. Il peut donc y avoir lieu à des
dédommagements, en d'autres termes, 'à la répara-
tion civile ; c'est là la règle générale lorsqu'il s'agit
de crimes et de délits. Cette règle générale est-elle
applicable à la responsabilité ministérielle ?


Si l'on part du fait en soi, le doute n'est pas per-
mis. Il est incontestable que le ministre concussion-
naire, prévaricateur, en même temps qu'il commet


CENT QUATRIÈME LEÇON.
377


un mal moral, produit aussi un mal matériel et ap-
préciable, et, par la nature des choses, est respon-
sable du dommage causé. Mais la responsabilité
civile, dans l'application, offre de graves inconvé-
nients. Le premier, c'est que plus le crime est grave,
moins il y a de chances d'obtenir un dédommage-
ment. Quel dédommagement obtiendrez-vous d'un
ministre qui, dans des intentions de trahison, aura
engagé l'État dans une guerre funeste, dans une
guerre qui aura coûté deux ou trois cents millions,
et jeté le deuil dans une foule de familles? Quel dé-
dommagement voulez-vous obtenir d'un ministre
concussionnaire ; car, pour l'honneur de l'espèce hu-
maine, il faut croire que, si un ministre se ravale
jusque-là, il le fera pour des sommes considérables,
Eh bien! quel dédommagement pouvez-vous obtenir
d'un ministre qui a dilapidé des millions ? Sans
doute vous pourrez bien faire payer à un ministre
deux cent mille francs employés abusivement à la
décoration d'une salle à manger; mais vous ne pour-
rez pas lui faire payer cinq, dix, vingt millions qu'il
aura follement dissipés. Et, d'un autre côté, si vous
ouvrez la voie à la réparation civile, même vis-à-vis
des particuliers. , il peut y avoir des séries innom-
brables de procès, et de procès téméraires.


Vous voyez donc que la responsabilité civile, vraie
en principe, est très-difficile comme chose d'appli-
cation. Faut-il donc.


l'abandonner empiétement et
proclamer l'impunité sous ce rapport?. Nous ne
sommes pas ici pour résoudre des questions théori-
ques ; cependant je ne crains pas de dire en passant
qu'à mon avis, on va trop loin lorsque l'on conclut




378 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


qu'il faut supprimer tout ce qui concerne la respon-
sabilité civile. Je crois que c'est une action dont
l'exercice doit être soumis à certaines conditions
pour rendre cet exercice possible, et pour ne pas
exposer les ministres à des poursuites qui les empê-
cheraient d'agir. Mais, tout en reconnaissant la né-
cessité de cette limite, partir de là pour dire qu'il
n'y a jamais lieu à la responsabilité civile, je crois
que c'est pousser les choses trop loin. La responsa-
bilité civile est un frein utile, et tel homme qui ne
reculerait pas devant l'immoralité de certains actes,
reculera devant l'idée que ces actes peuvent com-
promettre non-seulement son honneur personnel,
mais l'avenir de sa famille.


Telles sont les notions générales que nous de-
vions vous présenter avant de vous donner une
idée des bases que le législateur paraît devoir
admettre pour faire une loi sur la responsabilité
ministérielle.


Une loi réglant la responsabilité ministérielle. Mais
une loi est-elle nécessaire, est-elle possible, est-elle
convenable? Voilà la question qui a été agitée parmi
les publicistes. Et ici je n'hésite pas à dire que, dans
deux écrits différents, j'ai été au nombre de ceux
qui n'ont pas regardé cette loi comme nécessaire ni
utile ; je m'explique, je parle de la loi définissant
la responsabilité, et non de la loi qui punit. La
Charte, dans son article 69, pose la nécessité d'une
loi sur la responsabilité des ministres et autres
agents du pouvoir. J'ai toujours reconnu la nécessité
d'une loi organisant la procédure et prononçant la
peine ; la question contestée était la convenance et


CENT QUATRIÈME LEÇON.
- 379


même la possibilité d'une loi définissant la respon-
sabilité.


Au premier abord, l'opinion de ceux qui se per-
mettaient de douter de la nécessité de cette loi
paraissait absurde. Car ne faut-il pas une loi spéciale
pour appliquer (les peines ? N'est-ce pas l'usage de
définir le crime ou le délit qu'on veut poursuivre?
Assurément; mais la première règle, disaient les pu-
blicistes qui se permettaient le cloute, la première
règle, c'est de vouloir ce qui est possible. Or, est-il
possible de faire un code de la responsabilité minis-
térielle, est-il possible de définir les crimes de la
responsabilité ministérielle? Dire à un ministre :
« Voilà les actes que vous ne pouvez pas faire »,
dire à un cabinet qui a entre les mains tous les
moyens imaginables de force, d'influence, de ri-
chesse, dire à ce cabinet : « Voilà les actes particu-
liers que vous ne pouvez pas faire », n'est-ce pas
comme si on lui disait : « Il faut vous y prendre de
telle ou telle autre manière », car les définitions
exactes paraissent seulement des avertissements
pour indiquer d'autres moyens. Et, si j'ose le dire,
quand on a essayé de faire la loi, n'a-t-on pas en
réalité prouvé la justesse de cette observation ? Est-
ce définir les actes coupables d'un ministre que de
dire : « Sera coupable de trahison tout ministre qui
aura fait ceci et ceci » ? ll n'y a pas là de définition, il
ne peut y en avoir. La position d'un ministre est
chose toute particulière ; le crime ministériel, si
vous exceptez quelques faits qui sont presque incon-
cevables, est un fait complexe. C'est une réunion
d'actes dont chacun pris isolément ne signifie rien.




380 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


C'est un crime constructif, comme disent les Anglais,
c'est-à-dire un crime qui résulte d'un ensemble de
choses, d'actes, de tendances, de directions ; et voilà
pourquoi la poursuite d'un ministre sera toujours un
acte essentiellement politique, parce qu'il demande
une appréciation politique de sa vie ministérielle.
Or, comment faire des lois sur pareille matière?


Mais, dit-on, peut-on condamner sans loi ? La loi
est exigée comme garantie. Or, ceux qui voulaient
s'en tenir à la distinction générale de la Charte,
crimes de trahison et de concussion, voulaient sup-
pléer à la garantie des définitions par les garanties,
bien autrement essentielles, de la procédure elle-
même, par la lenteur de la procédure, par le soin
qu'il fallait mettre à éviter les entraînements politi-
ques, par le rôle purement accusateur auquel devait
se borner la chambre des Députés, et enfin par la
nature de la peine, par la défense d'appliquer au-
cune peine qui fût irrémédiable, parce qu'il s'agit
d'actes qui le plus souvent peuvent induire en erreur,
oà le jugement résulte d'entraînements politiques.


Telles étaient quelques-taies des raisons qu'allé-
guaient ceux qui ne croyaient pas à la possibilité
d'une bonne loi sur la matière. Et certes la loi n'est
pas facile, car il y a vingt ans qu'on y travaille, les
projets se sont, succédé, et il ne faut pas croire que
ces retards proviennent uniquement du manque de
vouloir, ou du faible vouloir clu gouvernement en
cette matière. Non, les retards sont venus aussi de
la difficulté inhérente à la matière elle-même. Cepen-
dant aujourd'hui la loi se fera, elle doit se faire,
parce que, aujourd'hui, c'est mie obligation imposée


CENT QUÀTRIÈME LEÇON. 381


par la Charte. La question a été décidée en 1830.
On a décidé qu'on ferait une loi sur la responsabilité
des ministres et autres agents du pouvoir. Ainsi,
quelle que soit la valeur des opinions théoriques que
j'ai exposées, ces opinions doivent s'incliner aujour-
d'hui devant le mandat impératif que la loi fonda-
mentale a donné aux pouvoirs de l'État. La loi sur la
responsabilité des ministres doit être faite, soit pour
la partie qui concerne la loi pénale, soit pour la par-
tie qui n'a jamais été contestée, la procédure.




CENT CINQUIÈME LEÇON


SOMMAIRE


Dispositions de la Charte de 1814 et de la Charte de 1830 sur la 'respon-
sabilité ministérielle. — Examen du projet de loi adopté en 1836 par
la chambre des Pairs. — Bases générales de la loi. — La responsa-
bilité criminelle appliquée aux cas de trahison, concussion et préva-
rication. Définitions de ces trois cas de responsabilité, — Proposition,
non adoptée, d'ajouter à la responsabilité politique et à la responsa-
bilité criminelle la responsabilité civile. — Formes à suivre par la
chambre des Députés pour la mise en accusation. — Commissaires
chargés de soutenir l'accusation. — Jugement par la chambre des
Pairs. — 11 ne doit pas être appliqué des peines irrémédiables.


Résumé de la dernière partie du cours; conclusion.


MESSIEURS,


Le principe de la responsabilité ministérielle était
déjà écrit dans la Charte de 1814. Après avoit dit :
« La personne du roi est inviolable et sacrée »,
l'article 13 ajoutait : « Ses ministres sont respon-
sables ». Et l'article 55 disait : « La chambre des
Députés a le droit d'accuser les ministres et de les
traduire devant la chambre des Pairs, qui seule a
celui de les juger ». « Ils ne peuvent être accusés,
disait l'article 36, que pour fait de trahison ou de


CENT CINQUIÈME LEÇON.


383


concussion. Des lois particulières spécifieront cette
nature de délits et en détermineront la poursuite ».


La Charte de 1830 a conservé les mêmes bases ;
elle a seulement supprimé l'article 36 qu'elle a rem-
placé par cette disposition de l'article 69 : « Il sera
pourvu successivement, par des lois séparées, et
dans le plus court délai possible, aux objets qui
suivent • 2° La responsabilité des ministres et des
autres agents d.0 pouvoir ». La Charte de 1814 ne
permettait d'accuser les ministres que pour fait de
trahison ou de concussion, délits dont la nature
devait être spécifiée par des lois. Je crois que
cette disposition a été souvent mal entendue. Elle
voulait (lire, non que la responsabilité ministérielle
ne s'appliquait pas à tous les actes de la puissance
royale, mais que la responsabilité criminelle devait
se borner à deux cas, la trahison et la concussion,
déclarant ainsi que, pour tous les autres faits, il y
avait lieu seulement à responsabilité politique. La
Charte de 1830 n'a pas fait cette distinction, elle a
laissé à la loi qui interviendra le soin de déterminer
tous les cas de responsabilité.


Plus d'une fois, depuis 1830, le gouvernement a
essayé de réaliser cette promesse de la Charte. Un.
premier projet de loi fut présenté en 1832 et rejeté.
On a renouvelé, l'épreuve en 1834 et en 1835, en pro-
fitant des observations auxquelles avaient donné lieu
les précédentes .discussions. La clôture de la session
a eu lieu cette année encore, en 1836, avant que la
chambre des Députés ait pu examiner le travail de
la chambre des Pairs. Je ne puis que vous engager à
lire les débats qui ont eu lieu à ce sujet à la cham-




384 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


bre des Pairs, au mois d'avril dernier. La' discus-
sion a été aussi riche de faits que de théories, c'est
une des plus belles discussions qui aient eu lieu
depuis l'établissement du système représentatif en
France.


Voici en quelques mots les principes qui, sans
être encore convertis en loi, paraissent désormais
adoptés par le gouvernement et par les Chambres :


Arrticle : Les ministres sont responsables de
tous les actes émanés du roi dans l'exercice de
l'autorité royale. — Article 2. Chaque ministre est
responsable des actes par lui contre-signés. —


• Tous les ministres sont responsables des actes due
• gouvernement auxquels ils ont concouru




Voilà
• les bases générales de la loi.


Maintenant, quel sera le partage entre la responsa-
bilité politique et la responsabilité judiciaire? En
s'écartant de la Charte de 4814, on a appliqué la
responsabilité judiciaire non-seulement aux cas de
trahison et de concussion, mais à la prévarication.
• Les ministres, dit l'article 3 du projet de loi, ne


peuvent être accusés par la chambre des Députés
que pour actes de trahison, concussion et préva-
rication commis par leur fait, par leur ordre ou
avec leur concours ».
Qu'est-ce que la trahison, la concussion, la pré-


varication? Ici se présentent les difficultés de défini-
tion que nous avons signalées dans notre précédente
séance, difficultés insolubles selon nous ; mais la loi
constitutionnelle commandait cette loi spéciale, et il
fallait la faire.


« Il y a trahison de la part des ministres, dit l'ar-


CENT CINQUIÈME LEÇON.
385


ticle 4, lorsque, par des ordres donnés, des actes
faits ou méchamment omis, des plans concertés ou
arrêtés, ils attentent à la personne du roi, du régent
ou des membres de la famille royale, à la Charte
constitutionnelle, à la sûreté intérieure ou extérieure
de l'État ». Voilà, ce semble, une énumération bien
complète ; elle comprend les faits et les omissions,
les ordres, les actes, les plans, et certes il n'y a aucun
doute que le mot de trahison ministérielle ne soit
applicable à tous ces crimes. Mais les termes ont et
doivent avoir une telle latitude qu'ils ne précisent
rien; c'est définir par des mots qui ont besoin eux-
mêmes de définition. On arrive à peu près au même
résultat que ceux qui se contentaient du mot trahi-
son ; c'est à peu près comme si l'on avait dit : Sont
coupables de trahison ceux qui trahissent le roi ou
le pays.


Voyons maintenant la concussion. « Il y a concus-
» lion de la part des ministres, dit l'article 5, lors-


qu'ils ordonnent des perceptions illégales, lors-
» qu'ils détournent directement ou indirectement
» les deniers de l'État, ou qu'ils abusent, dans un
» intérêt privé, du pouvoir qui leur est confié ».
Quelle latitude encore, dans ces derniers mots sur-
tout ; quel vague ils laisseront dans notre esprit !
Abuser clans un intérêt privé du pouvoir qui leur est
confié. Eh ! mon Dieu, ne peut-on pas le faire de vingt
manières différentes qui ne ressemblent en rien à ce
que nous rappelle l'idée de concussion? Tous les
partis, dans tous les temps, n'ont-il pas fait des mots
«abus de pouvoir » une application si étendue, qu'en
vérité ils ne représentent plus rien à notre esprit?


25




356 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


Mais poursuivons. « Il y a prévarication de la
» part des ministres, dit l'article 6, lorsque, hors
» les cas ci-dessus, ils compromettent sciemment
» les intérêts de l'État par la violation ou l'inexécu-
» tion des lois, ou par l'abus du pouvoir qui leur est
» légalement conféré ». Est-ce là une formule assez
générale, un cadre assez étendu, une pensée assez
vague?


Peut-on appeler de pareilles phrases des d-Yini-
fions? Sans doute on y reconnaît une pensée juste,
celle de ne pas confondre les actes qui seraieil le
résultat d'une faute grave, mais d'une faute, aved..,
ceux qui proviendraient d'une intention criminelle.
Les trois articles séparent soigneusement les deux
cas. Vouloir et ne pas vouloir le mal établit, en effet,
dans l'appréciation d'un acte, une notable différence.
Il n'y a pas de crime sans intention directe de le
commettre, c'est le principe et la base de notre lé-
gislation pénale. Mais, dans les mots mêmes de tra-
hison, concussion et prévarication, cette pensée
était comprise. Chacun d'eux emporte l'intention
criminelle, la connaissance, le vouloir du mal que
l'on commet.


Quoi qu'il en soit, voilà les définitions adoptées
par la Chambre et acceptées par le gouvernement,
et certes on ne peut se plaindre que la responsabi-
lité ministérielle soit restreinte dans des limites
trop étroites.


Reste une question qui ne me paraît pas encore
définitivement résolue. Précisément parce que l'on
doit toujours établir et constater l'intention crimi-
nelle du fait, des hommes d'une grande autorité et


CENT CINQUIÈME LEÇON.
387


de nuances politiques fort diverses avaient cru qu'il
fallait établir un quatrième cas de responsabilité
ministérielle ; qu'on devait non-seulement pouvoir
mettre les ministres en accusation pour des crimes
ministériels, mais aussi pour d'autres cas où il y
aurait non crime, mais faute plus ou moins grave, les
placer sous le poids d'une action civile. En d'autres
termes, ils demandaient trois 'responsabilités diffé-
rentes : '1° la responsabilité générale ou politique,
celle qui se résout en définitive pour le ministre par
la perte de son portefeuille ; 2° la responsabilité
pénale, c'est celle dont nous venons de nous oc-
cuper; 5° enfin la responsabilité civile.


Et, à ce propos, entendons-nous bien, n'allez pas
tomber dans une erreur dont quelques personnes me
paraissent ne s'être, pas garanties. La responsabilité
civile peut être conçue sous deux formes diverses.
Tout coupable est civilement responsable, et de tout
délit résulte une double action, l'action pénale et
l'action civile. Ainsi, si un ministre est traduit devant
la cour des Pairs comme coupable de concussion, la
cour pourra le condamner à la peine des prévarica-
teurs, à tant d'années de détention, et elle pourra
ajouter à cette peine des dommages-intérêts envers
le Trésor public,. Mais ce n'est pas là la responsabilité
nouvelle dont nous voulons parler. Ce qu'on a de-
mandé , c'est le droit d'intenter une action civile
en dommages-intérêts contre un ministre, lorsqu'il
n'y aurait pas lieu contre lui à une action pénale, dans
des cas enfin où l'on ne peut reprocher au ministre
une intention criminelle, mais seulement une faute
plus ou moins grave. Ainsi un ministre excède ses




388 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


crédits, soit pendant que les Chambres sont réunies,
soit pendant leur absence ; il vient demander un bill
d'indemnité. Je suppose que ce bat d'indemnité ne
soit pas accordé, parce que les motifs sont trouvés
insuffisants, parce qu'on reconnaît, non une inten-
tion coupable, mais de l'imprudence, de la légèreté
dans la dépense faite : pourquoi, dit-on, ne pas in-
tenter alors une action civile? Où est sans cela le
frein ? où est la sanction de cette défense de dépasser
ses crédits? On a répondu : « Si le but de votre
action civile est de condamner l'administration du
ministre, de lui faire perdre son portefeuille, de le
marquer, en quelque sorte, d'un sceau d'incapacité
pour la gestion des affaires du pays, vous n'avez pas
besoin pour cela d'une mise en accusation. La
Chambre refuse le bill d'indemnité, retire la majorité
au ministre, elle indique ainsi sa volonté et fait
tomber le ministre. La Couronne ne pourra continuer
d'accorder sa confiance à un homme ainsi flétri po-
litiquement.Veut- on aller plus loin,veut-on demander
au ministre un dédommagement effectif, matériel,
pécuniaire, ou prononcer une peine? line peine ne
peut être admise là où il n'y a pas dol, la destitution
politique est suffisante. Quant au dédommagement
pécuniaire, de quoi s'agirait-il? Les dépenses ainsi
faites dans un pays comme la France s'élèvent
presque toujours à des initiions. Un individu n'a pas
ordinairement une fortune suffisante pour de pareils
remboursements, et, s'il l'avait, il ne voudrait pas
être ministre, il ne voudrait pas compromettre son
patrimoine dans ces difficiles fonctions, en présence
de majorités incertaines ; vous n'auriez donc plus


CENT CINQUIÈME LEÇON.
389


pour ministres que des hommes de peu ou de point
de fortune, et alors à quoi bon la loi ? Pour qu'elle
eût un sens, il faudrait ne choisir les ministres que
parmi les millionnaires, et vous n'en trouveriez pas


».


Ces arguments, qui, pour moi, n'emportent pas
une entière conviction, ont prévalu dans la discus-
sion de la loi, et la proposition du gouvernement sur
la responsabilité civile a été repoussée. Il ne reste
donc dans le projet de loi que deux sortes de respon-
sabilité, la responsabilité politique et la responsa-
bilité pénale.


Quant au mode de procéder par la chambre des
Députés, lorsqu'il y a lieu à accusation, les formes
à suivre doivent être nécessairement déterminées à
l'avance, cette partie de la loi est indispensable.
La dénonciation de cinq membres de la Chambre
suffit. L'examen est ajourné à trois jours au moins ;
la proposition est développée, la Chambre peut la
rejeter immédiatement ; si elle l'adopte, elle ordonne
la formation d'une commission de neuf membres qui
entend les témoins et fait son rapport au plus tard
un mois après sa nomination. La discussion générale
ne peut s'ouvrir que huit jours après la lecture.du
rapport. Si la dénonciation est rejetée, il n'y est
donné aucune suite. Si elle est adoptée, la Chambre
nomme immédiatement cinq commissaires chargés
de suivre, soutenir et mettre à fin l'accusation. Tous
ces délais, toutes ces lenteurs énumérées dans le
projet de loi ont pour but d'amortir l'influence pas-
sagère de l'émotion publique et des passions du
moment.


L'accusation une fois admise, il s'est élevé une


1




390 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.


importante discussion. A qui appartiendrait-il de
soutenir l'accusation? La chambre des Députés en-
verrait-elle un ministère public pris en dehors d'elle
et auquel ce soin serait confié? Mais le fait dont il
s'agit est à la fois judiciaire et politique. Comment
d'ailleurs la chambre des Députés pourrait–elle s'en
remettre au ministère public ordinaire, c'est-à-dire
à des agents du pouvoir qu'elle attaque, du soin de
poursuivre et de continuer son oeuvre? Ira-t-elle
chercher des individus dépendant de l'administra-
tion et révocables ? Laissera-t-elle le soin de soutenir
l'accusation contre les premiers agents du pouvoir
aux agents subalternes de ce même pouvoir ? Un pa-
reil mode de procéder ne pouvait être adopté, et,
comme nous venons de le voir, on s'est arrêté au
choix de cinq commissaires. C'est la manière an-
glaise , et cela nous rappelle un des plus beaux
monuments de l'éloquence parlementaire, les dis-
cours de Burke et de Sheridan, commissaires des
communes, dans l'affaire de lord Hastings, dont les
vexations contre les malheureux Indiens avaient
soulevé des plaintes universelles; et qui était accusé
notamment d'avoir laissé envahir le sanctuaire do-
mestique des femmes indiennes, et commis des
actes de profanation inouïs en Orient. Vous trouverez
là un des plus admirables morceaux de l'éloquence
et de la parole humaine.


La chambre des Pairs est chargée de prononcer le
jugement; dans nôtre système représentatif, cette
attribution lui appartient sans qu'on puisse élever le
moindre doute, car il s'agit, comme nous l'avons
dit, d'un acte à la fois judiciaire et politique. On ne


CENT CINQUIÈME LEÇON.
391


peut apprécier la conduite d'un ministre dans tel ou
tel cas qu'en appréciant la tendance politique de son
administration. Un ministre ne met pas son contre-
seing à un acte évidemment criminel; de nos . jours
les choses de ce monde ne se passent pas ainsi ; il
faut donc extraire le crime ministériel d'un grand
ensemble. Un corps politique accuse, un corps poli-
tique doit juger, l'un plus impétueux, l'autre plus
calme, chacun a son rôle. La chambre des Pairs,
composée d'h'ommes dont la plupart ont atteint cette
époque de la vie où la violence des passions est
amortie, offre aux ministres accusés une garantie
qui leur est due et que seule elle peut leur offrir.
Rien de plus important, sans doute, rien de plus
nécessaire que le principe de la responsabilité. Mais,
parce qu'un homme est ministre, n'aura-t-il pas
droit à la protection de la justice, à ses formes, à
ses garanties? Rien de plus sacré que la position
d'un prévenu, et surtout (l'un prévenu poursuivi par
la chambre des Députés, seul contre un pouvoir qui
apporte dans la balance tout le poids de sa décision
et de son ressentiment. Il fallait donc un tribunal
qui offrît des garanties à l'accusé ; on s'est adressé à
la chambre des Pairs, c'est là la première et la prin-
cipale garantie. Viennent ensuite les récusations, le
nombre de voix nécessaire pour former la majorité
(il est des cinq huitièmes), le nombre des pairs qui
doivent être présents, le droit de descendre dans
l'échelle des peines. On, peut ,voit tous ces détails
dans le projet de loi.


J'insiste sur le dernier point, le droit de descendre
dans l'échelle des peines. Je ne mis pas que des




392 COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL.
peines irrémédiables puissent jamais être appliquées
dans de pareils procès, précisément parce qu'il
s'agit d'affaires qui ne peuvent jamais dépouiller
entièrement leur caractère politique, et que, quand
ils'agit d'affaires politiques, il est difficile pour tout
le monde de se mettre au-dessus des passions du
moment. Quel besoin d'ailleurs de recourir aux
peines extrêmes ? Un homme entouré de tout le
prestige que donne la puissance et qui tombe flétri,
ruiné, privé de sa liberté, couvert de la haine et du
mépris de ses concitoyens, ne subit-il pas un châ-
timent qui ne saurait. atteindre un simple particulier?
Est-il besoin de recourir contre lui à la dernière des
peines, à la peine de mort ? 11 faut qu'il vive au con-
traire pour subir sa déchéance, s'il est coupable. Et
s'il était victime d'une erreur, s'il tombait sous l'ac-
tion de passions violentes et injustes, il faut que le
malheur qui le frappe ne soit pas à jamais irré-
parable.


Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse du
projet de loi sur la responsabilité ministérielle, qui
a été présenté en 1836 et n'est pas encore définiti-
vement adopté. Les matériaux sur ce sujet ne man-
quent pas; on peut utilement les consulter, car
presque tous les rapports et exposés des motifs
contiennent et rappellent les principes fondamen-
taux (lu gouvernement représentatif.


Nous avons vu, Messieurs, comment tout s'en-
chaîne dans notre organisation politique, comment
les trois pouvoirs, le pouvoir législatif, le pouvoir
exécutif et le pouvoir judiciaire, libres chacun dans
la sphère de ses attributions, indépendants, sépa-


CENT CINQUIÈME LEÇON.
393


rés, sont loin cependant de vivre et d'agir isolément.
Ce qui leur sert de lien, c'est l'autorité royale. Le roi
participe dans une certaine mesure, soit directe-
ment, soit indirectement, aux trois pouvoirs, à leur
organisation, à leur action; d'un autre côté, ils ont.
les uns sur les autres une action mutuelle, un con-
trôle réciproque. Ainsi les Chambres n'administrent
pas, mais, pour obtenir les moyens d'administrer, il
faut. leur rendre compte, leur montrer comment on
administre. Le pouvoir judiciaire n'administre pas,
ne fait pas la loi, mais il l'interprète si elle est obs-
cure, il maintient l'uniformité de législation et de
jurisprudence, et ce qu'il décide doit être respecté
par tous.


Il y a donc contact perpétuel entre les diverses
parties de la machine, contact suffisant pour que le
mouvement soit commun, mais non ralenti. Le con-
trôle qu'exercent réciproquement les uns sur les
autres les divers pouvoirs de l'État ne peut ni ne doit
en aucun cas devenir une sorte d'usurpation de l'un
sur l'autre, une absorption de l'un par l'autre. La
chambre des Députés, par exemple, voit qu'un dé-
partement est mal administré ; elle ne change pas
pour cela le préfet, elle ne peut s'emparer d'une
attribution qu'elle serait inhabile à exercer: elle fera
tomber un ministre si elle le vent, mais elle ne fera
pas tomber, directement du moins, un préfet. L'ad-
ministration, de son côté, peut ne pas approuver les
résolutions des Chambres ; elle peut dissoudre la
chambre des Députés, mais elle ne peut ni nommer
les députés, ni se passer du concours des Chambres.
On est ainsi obligé à des concessions mutuelles, et




304 COURS DE pilori' CONSTITUTIONNEL.
voilà comment s'exerce le contrôle des pouvoirs qui,
indépendants au fond, subissent des influences de
diverse nature.


Voilà comment, dans l'état normal, agit, tra-
vaille, fonctionne le système représentatif; voilà
quelles sont les garanties de la liberté. Telles sont
les parties essentielles de notre organisation sociale
et politique. Nous pouvons en apprécier maintenant
la nature et l'étendue, voir de quelles modifications
elles sont susceptibles dans l'avenir et ce que le pro-
grès du temps peut amener.


En finissant, nous répéterons ce que nous avons
dit dès les premières leçons de ce cours. La France
travaille pour arriver la première, et comme l'éduca-
trice, en quelque sorte, des autres nations, à résoudre
un grand problème, à concilier la forme du gouver-
nement constitutionnel avec le principe de l'égalité
civile. Jusqu'ici tous les édifices politiques qui avaient
aspiré à l'unité s'étaient appuyés sur certaines iné-
galités sociales, admises comme nécessaires, et dans
lesquelles ils devaient trouver leur fondement et leur
force. Rien de semblable chez nous. La Révolution
de 89 a fondé en France le grand et immortel prin-
çipe de l'égalité civile, et sur cette hase immuable
doit être posé l'édifice de la liberté constitutionnelle.
C'est là le problème nouveau : il y a là une grande et
magnifique question. Si la France parvient à la ré-
soudre, ce sera un grand bienfait pour le monde
entier. Les tendances, les sympathies pour le prin-
cipe de française se répandent et se mani-
festent de plus en plus ; mais ceux qui seraient le
plus portés à l'admettre doutent encore de la possi-


CENT CINQUIÈME LEÇON. 395


bilité d'asseoir sur cette base le système constitu-
tionnel, et reculent devant d'autres conséquences qui
amèneraient des perturbations et (les désordres iné-
vitables. Appliquons tous les années jeunes ou mûres
de notre vie à la recherche de ce beau problème, que
je crois soluble. C'est la meilleure manière de nous
rendre dignes de vivre dans un pays comme le nôtre.


FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.




TABLE DES MATIÈRES


SOIXANTE-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
Les députés sont les représentants de la nation entière et non pas seule-


ment du département qui les a nommés. —Mandat impératif. Il existe
en Suisse, où domine le principe de la souveraineté locale; il n'existe
pas en Amérique. — Cahiers des États généraux. — L'unité nationale
exclut chez nous toute idée de mandat impératif; les députés n'ont
qu'une responsabilité morale vis-à-vis de leurs commettants. — Irres-
ponsabilité légale du député pour ses discours et ses votes. Décret
de l'Assemblée nationale en 1189; Constitutions de 1791 et de l'an 111;
loi du 18 mai 1819. — Inviolabilité personnelle du député. — Luttes en
Angleterre pour établir ce principe. — Dispositions des Constitutions
de 1791 et 1793. — Articles 43 et 44 de la Charte. Effet de l'autorisa-
tion de poursuivre donnée par la Chambre


3


SOIXANTE-DIX-HUITIÈME LEÇON.
Obligations du député, — Comment cessent les fonctions de député. —


Perte de la qualité de Français; perte des droits civils et politiques.
— Quid en cas d'interdiction temporaire ? — Quid en cas de perte ou
de diminution du cens pendant la législature? Option eu cas de nomi-
nation par plusieurs colléges. — Démission expresse ou tacite ; la
démission expresse ne peut être reçue que par la Chambre. — Les
députés qui acceptent des fonctions salariées sont considérés comme
démissionnaires et doivent être soumis à la réélection. — Luttes en
Angleterre pour l'établissement de ce principe. — Tentative faite
en 1828 pour l'établir en France. — Il est consacré par la Charte
de 1830 et par la loi du 12 septembre 1830. — Réponse aux objections
qu'il a soulevées .................. 18




398
TABLE DES MATIÈRES.


SOIXANTE-DIX-NEUVIÈME LEÇON.
Applications diverses de ia loi du 12juillet 1830 sur la réélection des dé-


putés qui acceptent des fonctions publiques salariées. — Exception
pour les officiers de l'armée de terre et de mer promus eancienneté.
— Durée de la législature. — Question du renouvellement intégral
ou partiel de la Chambre. — Inconvénients des législatures trop
lengues. — Objections coutre le renouvellement intégral ou partiel
trop fréquent. — Systèmes divers adoptes successivement en Angle-
terre et en France. — Dissolution (le la Chambre. — Une Chambre
peut-elle être régulièrement dissoute avant d'avoir été régulièrement
constituée? Examen de cette question. — La dissolution doit être né-
cessairement suivie de la convocation d'une nouvelle Chambre dans
le délai de trois mois 33


QUATRE-VINGTIÈME LEÇON.
Question des deux Chambres. — En Angleterre et aux États-Unis,


comme en France, on n'a eu qu'une seule Assemblée délibérante
lorsqu'il y avait une révolution à faire, on en est revenu aux deux
Chambres pour organiser les résultais de la révolution. — La coexis-
tence des deux Chambres est pour les uns un principe d'organisation
sociale fondé sur l'inégalité des conditions; pour les autres, elle
n'est qu'une règle d'organisation purement politique, un moyen de
donner à la discussion des lois plus de maturité. — La Pairie anglaise
est une réalisation du premier système; elle ne représente pas le
pays, mais se représente elle-même. Vote par procuration; droit de
la minorité de protester contre les décisions de la majorité; Pai-
resses. — Le Sénat américain réalise le second système. — Ancienne
Pairie française absorbée peu à peu par la royauté; ce qui en restait
disparaît en 1789. — Tentatives de la Restauration pour donner à
la nouvelle Pairie française quelque chose de semblable à la Pairie
anglaise. Ordonnances du 19 août 1815 et du 25 août 1817: hérédité de
la Pairie; titres de noblesse et de majorats attachés à chaque Pairie.


Abolition de l'hérédité en 1830. La chambre .des Pairs n'est et ne
peut être qu'une magistrature politique. 40


QUATRE-VINGT-UNLÈME LEÇON.
Conditions d'admissibilité à la Pairie. Loi du 29 décembre 1831 intro-


duite dans la Charte comme nouvel article 23. — Notabilités parmi
lesquelles le Roi peut choisir les Pairs de France. Elles doivent être
rangées sous trois chefs distincts : services rendus au pays (§ 2 à 18
et § 20 de la loi); notabilité intellectuelle (§19); notabilité de fortune


TABLE DES MATIÈRES.
399


combinée avec certaines autres conditions (§ 21 et 22). — Droits
et prérogatives du Pair de France. — Les Pairs ne peuvent être
arrêtés pour quelque cause que ce soit, même en matière civile,
qu'avec l'autorisation de la Chambre et ne peuvent être jugés que par
elle en matière criminelle. Aucun traitement, dotation ni pension
ne peuvent être attachés à la dignité de Pair. — Dotation du Sénat
impérial; efforts du Sénat pour la conserver; dispositions prises par
la Restauration en faveur des anciens Sénateurs




65


QUATRE-VINGT-DEUXIÈME LEÇON.
Obligations des Pairs de France. — La qualité de Pair de France ne


peut se perdre que par la perte dela qualité de Français, par la perte
des droits civils et politiques, ou par la démission.


Constitution des deux Chambres. — Convocation par le — Les
Chambres ne peuvent être convoquées séparément, sauf le cas où la
chambre des Pairs doit siéger comme Cour de justice. — Elles
doivent être convoquées chaque année. La sanction de cette impor-
tante disposition se trouve en France dans le vote annuel de l'impôt et
du contingent de l'armée, comme elle se trouve en Angleterre dans le
vote annuel de l'impôt et du mutiny-bill.


80


QUATRE-VINGT-TROISIÈME LEÇON. .
Constitution de la chambre des Pairs. — Président nommé par le Roi.


— Modes divers suivis pour la nomination des commissions chargées
de l'examen des propositions et projets de loi; cette nomination est, à
la chambre des Pairs, donnée facultativement au Président. — Police
de l'Assemblée. Attributions du Président lorsque la Chambre est
formée en Cour de justice. — Le Président est officier de l'état
civil pour les princes et princesses de la famille royale. — Grand
référendaire. — Division de la Chambre en bureaux. — Publicité
des séances.


Constitution de la chambre des Députés. — Bureaux provisoires ;
doyen d'âge. — Président nommé par la Chambre. — Divisions en
bureaux; ce sont les bureaux qui nomment les commissions. —
Questeurs


93


QUAT RE-VINGT-QUATRIE NIE LEÇON.
L'importance des assemblées délibérantes dépend à la fois de leur


organisation et de leurs attributions; mais elle dépend plus encore
de l'organisation que des attributions. Une assemblée vigoureusement
constituée acquiert aisément les attributions qui lui appartiennent
rationnellement et qu'on aurait voulu lui refuser. Chambre des




400 TABLE DES MATIÈRES.
Députés sous la Restauration; droit d'initiative acquis indirectement
par l'extinction du droit d'amendement; examen minutieux des
affaires de l'État au moyen de la discussion des adresses au Roi; de
l'examen des pétitions, etc.


Attributions de la chambre des Députés : vérification des pouvoirs.
Élection des fonctionnaires de la Chambre. Autorisation de pour-
suites contre des Députés. Droit (l'accorder les congés, de délivrer
les passe-ports, de recevoir les démissions. Droit de police sur ses
membres et sur elle-même comme assemblée; comparaison des
moyens de police de la chambre des Députés avec ceux de la chambre
des Communes d'Angleterre 107


QUATRE-VINGT-CINQUIÈME LEÇON.
Publicité des séances et des délibérations des Chambres anglaises; elle


existe en fait, mais non en droit : ce n'est qu'une simple tolérance. —
Police de la chambre des Députés sur les personnes étrangères à
l'assemblée. — Juridiction sur les personnes coupables d'injure ou
d'offense envers l'Assemblée ou même envers un ou plusieurs de
ses membres à raison de leurs fonctions. — Infidélité et mauvaise foi
dans le compte rendu des séances; loi du 25 mars 1822 et loi du
8 octobre 1830. — Mode de procéder de la Chambre quand elle
exerce elle-même les poursuites; questions sur la manière de voter.


Examen des pétitions : ordre du jour, dépôt au bureau (les renseigne-
ments; renvoi au ministre compétent ; ce renvoi n'a et ne peut avoir
d'autre objet que de recommander au ministre un nouvel examen de
l'affaire qui a donné lieu à la pétition 121


QUATRE-VINGT-SIXIÈME LEÇON.
Droit d'initiative. 11 doit appartenir aux trois branches du pouvoir


législatif, et lorsque les Chambres ne l'ont pas directement, elles
essayent d'y arriver par tous les moyens; mais le pouvoir exécutif est
le mieux placé pour l'exercer, et quand il appartient à tous, c'est
presque toujours lui qui l'exerce en réalité. — Dispositions des Cons-
titutions de 1791, de 1793, de l'an III, de l'an VIII, de la Charte
de 1814 et de la Charte de 1830. — Mode de présentation de proposi-
tions par les membres de l'une et de l'autre Chambre. . . • 138


QUATRE-VINGT-SEPTIÈME LEÇON.
Du droit d'initiative attribué aux Chambres par la Charte de 1830


dérivent rationnellement le droit d'interpellation et le droit d'enquête.
— Au droit d'interpellation se rattache la question de l'entrée des
ministres dans les Chambres. Erreur commise à cet égard par l'As-
semblée constituante en 1789; opinion de Mirabeau. — Comment


TABLE DES MATIÈRES. 401
s'exerce en France et en Angleterre le droit d'interpellation. — La
nécessité des enquêtes moins grande en France qu'en Angleterre;
précédents qui ont consacré le droit d'enquête pour les Chambres.


Discussion des projets de loi et des propositions; discussion générale
et discussion des articles. — Avantages du mode anglais des trois
lectures. — Droit d'amendement


146


QUATRE-VINGT-HUITIÈME LEÇON.
Vote des lois. — Formes diverses du vote à Rome, en Angleterre et en


France. — Vote publie (par assis et levé) et vote secret (scrutin). —
Nombre de votants nécessaire pour la validité du vote. — Les déci-
sions ne sont pas motivées. Différence à cet égard entre les décisions
du pouvoir législatif et celles du pouvoir judiciaire; motifs de cette
différence. — Les propositions rejetées ne peuvent être représentées
dans la même session. — Reprise des projets arrivés à l'état de rap-
port dans la session précédente. — Vote de l'impôt


155


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME LEÇON.
Règles à suivre pour que le vote de l'impôt ne soit ni dérisoire par une


trop grande généralité, ni destructif de toute administration par une
spécialité excessive. Tableau des prévisions du budget pour chaque
nature de recettes et de dépenses, classification qui doit être faite
d'après les caractères essentiels de chaque objet. — Compte rendu;
double nature d'investigation judiciaire et politique, l'une s'appliquant
plus particulièrement aux comptables, l'autre aux ordonnateurs.
— Douzièmes provisoires. — Principe de la spécialité par chapitres.
— Crédits supplémentaires et crédits extraordinaires. — Loi des
comptes.


108


QUATRE-VINGT-DIXIÈME LEÇON.


Attributions de la chambre des Pairs. Elles sont les mêmes que celles
de la chambre des Députés, sauf l'initiative dans le vote des lois
d'impôt. — Manière de procéder dans l'examen des propositions de
loi, des propositions relatives à des dispositions purement réglemen-
taires et des autres propositions faites par les pairs. — Droit d'inter-
pellation et d'enquête consacré implicitement par l'article 58 du
règlement. — Police de la Chambre. — Renvoi des projets de loi aux
commissions, après le vote des articles, pour en coordonner les dis-
positions avant le vote définitif sur l'ensemble. — Majorité nécessaire
pour le vote; moins élevée qu'à la chambre des Députés. — Les pairs
de France n'ont pas, comme les pairs d'Angleterre, le droit de pro-
tester contre une décision de la Chambre




184
I V. 26




402
TABLE DES MATIÈRES.


QUATRE-VINGT-ONZIÈME LEÇON.
Attributions de la chambre des Pairs en ce qui concerne les affaires


particulières : — Vérification clos ordonnances de nomination des
pairs. — Pétitions. — Droit de police sur les personnes étrangères.
Jugement des délits d'offense contre la Chambre. — Juridiction
exclusive de la Chambre sur ses membres ; ils ne peuvent être arrêtés
que de son autorité et jugés que par elle en matière criminelle.
— Jugement des ministres mis en accusation par la chambre des
Députés.


Juridiction de la chambre des Pairs pour les crimes de haute trahison
et les attentats à la sûreté de — Arguments présentés pour
établir la nécessité de confier à une juridiction plus élevée que la juri-
diction ordinaire le jugement des crimes politiques. — Haute Cour
nationale de la Constitution de 1791. -- Haute Cour de justice de la
Constitution de l'an III. — Haute Cour de la Constitution de l'an VIII.
— Haute Cour impériale. — Haute juridiction donnée à la chambre
des Pairs par les Chartes de 1814 et de 1830. Procédure établie par
les précédents 199


QUATRE-VINGT-DOUZIÈME LEÇON.
La royauté, dans notre système constitutionnel, est le centre autour


duquel tous les pouvoirs viennent se coordonner pour former un seul
tout; elle n'est complétement étrangère à aucun des grands pouvoirs
de l'État. — Attributions législatives de la royauté : 1 0 attributions
indirectes : nomination des pairs de France, convocation des colléges
électoraux, convocation et prorogation des Chambres, dissolution de
la chambre des Députés. — 20 attributions directes : droit d'initiative
exercé presque toujours en fait par le gouverktement seul. — Droit de
sanction ou de non-sanction. Question du veto. — Le veto était impos-
sible en 1789 avec une assemblée unique et ayant seule l'initiative.
Dans un système régulier, il doit être considéré comme un moyen
préventif plutôt que comme un moyen d'action direct ; il empêche
toute proposition extravagante et prévient l'excessive multiplicité
des lois. — Veto suspensif; il n'a aucun des avantages du veto
absolu. 217


QUATRE-VINGT-TREIZIEàlE LEÇON.
sanction, promulgation et publication des lois. — Distinction néces-


saire entre les actes du pouvoir législatif, & pouvoir exécutif et du
pouvoir judiciaire. — Réfutation de l'opinion que le pouvoir judiciaire
serait une branche de l'administration générale du pays confiée au


TABLE DES MATIÈRES.
403


Pouvo ir exécutif. Véritable sens de la phrase : « Toute justice émane
du Roi »


233


QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME LEÇON.
Prétentions de la royauté anglaise au pouvoir;supra-légal. Jacques H


et le pouvoir de dispense. -- Article 14 de la Charte de 1814. Change-
ment de rédaction de cet article, sur les termes duquel s'étaient
appuyées les ordonnances de juillet 1830. — Difficulté de déterminer
bien exactement en pratique le champ de la loi et celui de l'ordon-
nance royale. Exemples de matières législatives réglées par ordon-
nances et de matières administratives réglées par la loi. . . . 240


QUATRE-VINGT-QUINZIÈME LEÇON.
Règlements d'administration publique et ordonnances rendues dans la


forme de règlements d'administration publique. — Relations de l'État
avec les puissances étrangères. — Situation des divers États vis-à-vis
les uns des autres. Influence exercée sur les relations des nations
entre elles par le commerce, la science et la — Le dévelop-
pement du commerce, du crédit et de la richesse mobilière doit, en
faisant mieux comprendre les effets désastreux de la guerre, la rendre
moins fréquente. — Diplomatie, fait moderne qui s'est développé
progressivement comme la civilisation. Rôle important de la France
dans l'histoire de la diplomatie. — Droit de déclarer la guerre remis
au pouvoir exécutif. Discussion de cette grande question à l'Assem-
blée constituante .




252


QUATRE-VINGT-SEIZIÈME LEÇON.
Si le droit de déclarer la guerre appartient au'pouvoir exécutif, c'est


le pouvoir législatif qui fournit et peut refuser les moyens de la faire.
— Formes de la déclaration de guerre. Manifestes; communications
aux puissances étrangères. — Lettres de marque. — Droit de repré-
sailles. — Embargo. — Cartel ; — suspension d'armes; — armistice;
— trêve; — traité de paix. — Le droit de faire les traités appartient
à la Couronne, mais il trouve également sa limitation dans le droit
qui appartient au pouvoir législatif de discuter les clauses qui suppo-
seraient un impôt ou qui pourraient porter atteinte à quelques droits
publics


262


QUATRE-VINGT-DIX-SEPTIÈME LEÇON.
Administration intérieure de l'État. -- Distinction des intérêts. La


coexistence d'intérêts particuliers avec l'intérêt-général est un corol-




404 TABLE DES MATIÈRES.
maire de la formation des sociétés civiles, qui résultent de l'agglomé-
rationd'unités primordiales ; il faut donc une administration générale
et une administration locale. — Division du travail nécessaire dans
l'administration comme dans l'industrie. Principes dirigeants pour
arriver à une bonne division du travail administratif 275


TABLE DES MATIÈRES. 403
sant est une des conditions essentielles du gouvernement représen-
tatif. — L'agent supérieur a le droit de réformer les actes de ses


,séqu'il s'agisse d'intérêts généraux ou d'intérêts parti-subordonnés,
culiers.....................316


QUATRE - VINGT -DIX -HUITIÈME LEÇON.
Applications du principe de la distinction des intérêts. — La commune


occupe une place intermédiaire entre la famille et la société. — Le
fait de la commune a survécu à tous les changements, à toutes les
révolutions. Division de la France en départements substituée à la
division eu provinces. Naturalisation rapide de cette nouvelle division,
qui était la consécration de l'imite nationale. Division des dépar-
tements en arrondissements subdivisés en communes. — Le change-
ment de délimitation d'une commune, moins important au point de
vue politique et administratif que le changement de délimitation d'un
département ou d'un arrondissement, pourrait avoir des conséquences
plus douloureuses pour les administrés s'il était fait arbitrairement.
— La division par cantons n'a d'intérêt qu'au point (le vue de l'admi-
nistration judiciaire. — Divisions territoriales aux points de vue mili-
taire, ecclésiastique, judiciaire et universitaire 289


QUATRE-VINGT -DIX-NEUVIÈME LEÇON.
Application du principe de la division du travail : départements minis-


tériels. — L'administration en 1791 divisée en six ministères: justice,
intérieur, contributions et revenus publics, guerre, marine, affaires
étrangères. — Commissions substituées aux ministères par la loi de
germinal an 11. — Retour au système des ministères en l'an IV. —
Modifications diverses dans la composition (les ministères. — Minis-
tère du Trésor. — Ministère de l'administration de la guerre. —
Ministère des cultes. — Ministère (le la Maison du Roi. — La création
et l'organisation des ministères appartiennent au pouvoir exécutif,
sauf l'approbation des Chambres pour les augmentations de dépenses
qui peuvent en résulter. — Il faut distinguer dans l'action gouverne-
mentale l'action pure et simple et l'action qui doit être précédée d'une
délibération. 303


CENTIÈME LEÇON.
Action proprement dite du pouvoir exécutif. — Hiérarchie administra-


tive. — Centralisation. — Agents dépendant de plusieurs départements
ministériels. — Subordination nécessaire des agents é leurs supé-
rieurs hiérarchiques. La destitution facile du pouvoir exécutif agis-


CENT UNIÈME LEÇON.
Conseil des ministres. — Ancien conseil du roi. — Conseil d'État. —


Rôle important (lu Conseil d'État sous l'Empire. — Réorganisations
diverses du Conseil d'État. — Nécessité incontestée de cette institu-
tion; difficultés que présente son organisation




327


CENT IHHIXIEME LEÇON.
Pouvoir judiciaire. — Attributions civiles et pénales. — Difficulté de


séparer exactement, en pratique, les attributions du pouvoir judi-
ciaire de celles du pouvoir administratif. — Examen des articles 48,
53 et 54 de la Charte. — Changement important de rédaction dans
l'article 03 de la Charte de 1814, devenu l'article 54 de la Charte
de 1830. — Comment doit être entendue la phrase : Nul ne pourra être
distrait de ses juges naturels. — Inamovibilité des juges; exceptions
à ce principe. — Grands juges d'Angleterre. — Magistrature fran-
çaise. — Jury. — Publicité des débats judiciaires. — Participation
indirecte de la puissance royale au pouvoir judiciaire : nomination
des juges ; droit (le poursuite; droit de grâce. — Droit (l'amnistie; à
qui doit-il appartenir? — Légitimité et nécessité du droit de grâce et
de commutation de peine.




338


CENT TROISIÈME LEÇON.
Serment imposé à la royauté. Déclaration de Louis XVIII; serment


prêté à Reims par Charles X; serment prêté par Louis-Philippe
devant les Chambres. — L'inviolabilité du roi trouve son complément
et sa garantie dans la responsabilité ministérielle. — La responsa-
bilité légale des agents du pouvoir n'a rien que de rationnel. Tout
l'édifice constitutionnel repose sur cette garantie. — Danger plus
grand d'abus dans le pouvoir exécutif que dans le pouvoir législatif
ou dans le pouvoir judiciaire. — Nécessité de concilier avec des garan-
ties sérieuses pour le pays l'indépendance dont il a besoin dans la
sphère de ses attributions




359


CENT QUATRIÈME LEÇON.
La responsabilité peut être individuelle ou collective. Tous les membres


du cabinet sont responsables des mesures générales de gouvernement
et, s'il y a lieu à accusation dans ce cas, on doit les y comprendre




Résumé de la dernière partie du cours; conclusion. 382


FIN DE LA. TABLE DU TOME QUATBLEME ET DERNIEB.


1


400
TABLE DES .1i1ATItiRES.


tous, sauf à faire ensuite la part qui revient réellement à chacun. —
Faits qui rentrent dans la responsabilité ministérielle : actes minis-
tériels proprement dits; actes qu'Un ministre peut commettre comme
ministre, mais qui ne sont pas proprement des actes ministériels;
actes qu'il peut commettre comme simple particulier. En pratique,
tous les délits ministériels doivent être réduits à deux classes, les
délits privés et les délits contre la chose publique. — Responsabilité
politique, responsabilité criminelle, responsabilité civile. — Difficulté
de faire une bonne loi sur la responsabilité 365


CENT CINQUIÈME LEÇON.
Dispositions de la Charte de 1811 et de la Charte de 1830 sur la respon-


sabilité ministérielle. — Examen du projet de loi adopté en 1836 par
la chambre des Pairs. — Bases générales de la loi. — La responsa-
bilité criminelle appliquée aux cas de trahison, concussion et préva-
rication. Définitions de ces trois cas de responsabilité. — Proposition,
non adoptée, d'ajouter à la responsabilité politique et à la responsa-
bilité criminelle la responsabilité civile. — Formes à suivre par la
chambre des Députés pour la mise en accusation. — Commissaires
chargés de soutenir l'accusation. — Jugement par la chambre des
Pairs. — Il ne doit pas être appliqué de peines irrémédiables.


TABLE ANALYTIQUE


DES MATIÉRES CONTENUES DANS LES QUATRE VOLUMES,


A


Absolutisme. Le pouvoir absolu ne pou-
vait accomplir l'unité nationale, 1,
160 leçon.


Actes. Distinction entre les — des
pouvoirs législatif, exécutif et judi-
ciaire, iv, 93' leçon.


Administration publique. Règlements




et ordonnances d'—,
950


leçon.
— Matières administratives réglées
par la loi, 94e


leçon.
Adresse. Discussion de l'— au roi, Iv,


84 e
leçon.


Agents. Subordination nécessaire des
— a leurs supérieurs, iv, 100' leçon.
— Droits de l'— supérieur sur les
actes de ses subordonnés, ibid.— La
responsabilité des — fort rationnelle,
103* leçon.


Albigeois. Guerre des —, 11' leçon.
ALEXANDRE. Apporte en Grèce la pen-


sée de l'unité politique, r, 3° leçon.
Amende. Des — pécuniaires, nr, 63° leç.
Amendement. L'extension du droit


au droit d'initiative, iv, 84 e
leçon.


Amnistie. Le droit d'--; à qui il doit
appartenir, iv, 102e leçon.


Anciens. Les — ignoraient le système
de représentation, r, 5e


leçon.
Angleterre. Invasion anglaise en France,


1, 13* leçon.


Aristocratie. En lutte avec la royauté
avant et après Charlemagne, 1, 9eleç.


Armée. Mode de recrutement de l'—
française avant la Révolution ,
33,1eçon.—Armée de terre et de mer,
ibid. — Considérations, lois et dé-
crets y relatifs, 35° et 36° leçons.


Armistice. Nature et effets de l'—, iv,
96° leçon.


Arrestation. Les modes u, 41°,42°
et 43° leçons. — Les cas de flagrant
délit, 44' leçon. — Les —
ibid.


Association. Loi naturelle de l'huma-
nité ; a sa base dans le devoir ; est
le seul moyen de développement pour
l'individu et pour l'espèce, 1, l r° le-
çon. — Le droit d'— placé dans le
droit commun depuis 1790; règle-
ments divers, ni, 61' leçon. — Ar-
ticles du Code pénal, ibid.


Austrasie. Les coutumes et la langue
germaine dominent en—, 1,8 0 leçon.


B


Barbares. Invasion des —, 7° leçon.
— Caractère des peuples —; le
christianisme fond l'élément — et
l'élément romain, ibid.




408 TABLE ANALYTIQUE. TABLE ANALYTIQUE. 409
BARROT ((Milon). De son ouvrage sur


la centralisation, 1, Introd.
BASILE (S.) organise le monachisme


en Orient,
27e leçon.


BENOIT (S ) organise le monachisme
en Occident, Ir, 27e leçon.


BERRY ( duc ne ). Son assassinat ra-
mène le système préventif centre la
presse, tir, 56° leçon.


BONIFACE VIII. Sa lutte avec Philippe
le Bel, t, 12° leçon.


Bourgeoisie. Appelée aux États géné-
raux, t, 12


• leçon. — Réaction con-
tre la —, à la suite de la Jacquerie,
13° leçon. — Appel des bourgeois
au maniement des affaires, 15 e leçon


Bourguignons. Établissement des — en
Gaule, t, 8° leçon.


Bretigny. Traité de —, 1, 13° leçon.
Budget. Tableau du —, iv, 89° leçon.
Bureaux. Division des Chambres en —,


iv, 83* leçon.—Ils nomment les Com-
missions, ibid.


C


Cahiers de 1789. Énumèrent les abus
de l'ancien régime, t, 16' leçon, Ili,
77' leçon.


CALVIN. Sa réforme à la fois reli-
gieuse et politique, II, 48° leçon. —
Sa puissance à Genève ; supplice de
Servet, ibid.


Cantons. La division en — utile seule-
ment au point de vue judiciaire, iv,
98° leçon.


Capitales. Les grandes — t, 6* leçon.
Carlovingiens. Leur avènement, triom-


phe du principe germain sur le prin-
cipe romain, t, 8' leçon.


Carrières. Voy. Mines.
Cartel. Anciennement usité pour la


déclaration de guerre, iv, 96' leçon.
Castes. Système des —. Classes privi-


légiées; patriciens et plébéiens, t.
4' leçon.


CATILINA. De la justice romaine dans
la conjuration de 41° leçon.


Caution. La liberté obtenue sous—, ii,
42° et 43° leçons. — Rare en prati-
que, 45' leçon.


Cautionnement. Du—, 42' et 43* leçons
Cens électoral. Lois relatives au


Lu, 73° leçon.
Censure. La —; le système préventif,


le système répressif, employés contre
la presse, 51° leçon. — Suppri-
mée pour les écrits, maintenue pour
les journaux, 55' leçon. — Droit de
la — par ordonnance dans l'inter-
valle des sessions législatives, 56'
leçon.


Cent-Jours. La liberté de la presse ré-
tablie pendant les —,


55° leçon.
Centralisation. La —; les grandes ca-


pitales, t, 6' leçon. — La — admi-
nistrative en 1789, 16° leçon.


Chambre étoilée. Censure préalable,
en Angleterre, appuyée par la —, ilf,
51° leçon.


Chambres. Les — partagent avec le roi
le pouvoir législatif, nt, 72° leçon.


Chambre des pairs. Ancienne pairie
française. Modifications, ordonnan-
ces de 1815 et 1817; hérédité, titres,
majorats, iv, 80" leçon. — Admissi-
bilité; loi de 1831 ; droits et préro-
gatives des pairs, 81° leçon. — Obli-
gations des pairs; ils doivent siéger
comme chambre de justice, 82e leçon.
— Constitution de la —; règlement
et police intérieurs ; dignitaires, bu-
reaux, séances, 83e leçon.


Chambre des députés. Sa constitution,
iv, 83e leçon. — La — sous la Res-
tauration, 84e leçon. — Ses attribu-
tions, ibid. — Vérification des pou-
voirs, congés, démissions, règlement
et police intérieurs, etc., 84e leçon.


Charges. Égalité des — 23 e leçon.
CHARLEMAGNE. Arréte les invasions.


Son empire et sa pensée trop vastes
pour lui survivre , 1, 8* leçon. —
Contient l'aristocratie, t, 9 . leçon.


CHARLES V. Tourne les luttes de la
bourgeoisie et de la féodalité au
profit de la royauté, r, 13' leçon.


CHARLES VI. Triste état de la France
sous —, t, 13' leçon.


CHARLES VII. Termine la guerre du
fief et de la royauté, t, 13 e leçon.
Voy. Jeanne d'Are.


CHARLES VIII. Son règne impolitique
et désastreux. t, l4e leçon.


Charte. La — de 1814, I, Introd.—Ln


de 1830, ibid.
Chasse. 1.oi sur la —, itt, 67e leçon.
Christianisme . Seul capable de fondre


les éléments barbare et romain, t,
7° leçon. — Sa puissance sur les
barbares, ibid. — Du —, 46' et
47' leçons.


Civilisation. La différence de —, un
(les obstacles à l'unité, t, 6' leçon.


CLOVIS. Établit la domination fran-
que en Gaule, I, S e leçon.


Clubs. Décret de juillet 1793 en faveur
des —, 61° leçon.


Code pénal. De la théorie du — et de
la manière de classer les crimes et
délits, itt, 58e leçon.


COLBERT. Véritable fondateur des colo-
nies françaises, 19' leçon.


Colliges. Les — électoraux, In, 76e
leçon


Colonial (Système). Le —; esclavage.
Colonies anciennes et modernes.
Comment s'est établie la colonisation
moderne, t, 19" leçon.— Le—,ibid.
—État des colonies en 1789, 20' le-
çon. — La législation — de 1791
à 1833, 21 e. leçon. — La question du
— de 1793 à 1831, 22e leçon.


Commissions. Nommées par les bu-
reaux des Chambres, iv, 83 e


leçon.
Communes. Commencement des —, t.


9° leçon. — A qui est dû leur af-
franchissement, 10° leçon. — Leur
organisation ; bases générales, ibid.


ccoonètt—érdlioicLoctintaiiecteasii i—rloimsiner é laémeen tl,


égalité


nou ea uc
société, ibid. — Elle n'a jamais pu
prétendre au gouvernement du pays.
lie leçon.


Comptes. Lois des —,
89° leçon.


Conditions. Inégalités des —; difficile


17" leçon.
e. n6IL.,13côaùeln_elale,ihçrgeotelténms:.1 nétinriaai, é3egL3,ee:rict le


ù l ‘s;l,)


ces


ciale, ibid.


Congés. Les — de députés accordés par
la Chambre, iv, 84° leçon.


Conscience. Liberté de —, fait étranger
au législateur, II, 46e leçon. — Ce
principe étranger à la Réforme au-
tant qu'a l'Église, 48° leçon.


Conseil d'État. Son rôle et ses attribu-
tions depuis l'Empire, iv, 101' leçon.


Conseil du Roi. L'ancien — iv, 101' leç.
Conseil des ministres. Le rôle et la


responsabilité du — iv, 101° leçon.
Constitution. Ensemble des lois orga-


niques d'un État; loi des peuples li-
bres, pacte qui garantit les droits et
les libertés de chacun, t, 1




leçon.—
Principe fondamental de notre — :
l'égalité civile, 17' leçon.


Contraintes. Les — de police et les —
de justice, II, 29° leçon, — La —
par corps, 37' leçon. — Son carac-
tère dans les Codes français; son uti-
lité, ibid. — Loi d'avril 18:32 y rela-
tive, ibid. — Les — imposées dans
l'intérét social, 38' leçon. — Celles
imposées dans l'intérêt de l'adminis-
tration de la justice, 41" leçon.


Corporations. Causes des — monasti-
ques ; 27° leçon. — Partis à pren-
dre à leur égard, 28° leçon. — Leur
suppression en 1790, ibid.


Corps législatif. Formes diverses de
l'élection des membres du —, de 1791
à 1831, '73e leçon.


Couleur. Démarcation établie par la
différence de la — et de la peau, t,
20e leçon.


Cour de justice, iv, 82e leçon.
Crée-y. Désastre de —, 13' leçon.
Crédits. Les — supplémentaires et ex-


traordinaires, iv, 89' leçon.
Grimes. Les — de haute trahison défé-


rés à la Chambre des pairs ou à la
haute Cour de justice, 91e le-
çon.


Croisades. Leurs causes, leurs résul-
tats, t, 9e leçon.


Culte. Liberté des —; peut è,tre ré-
glementée, mi, 46° leçon. — Chez les
anciens, le — est le lien des familles,
des tribus, etc., ibid.




410 'LULU ANALYTIQUE.
TABLE ANALYTIQUE. 411


D


Décorations. Instituées pour récompen-
ser les services et les vertus civiles,
r, 18 0 leçon.


Découvertes. Grandes - du xv° siècle;
leur influence en France, r, 14° leçon.


Défense. Service public ayant pour ob-
jet la - du pays,
31 • leçon.


Délits. Classement des - de la presse
théorie du Code pénal à leur égard;
leur connaissance attribuée, sauf
certains cas, au jury, ni, 58° leçon.


DELOLME. Ses doctrines, t, Introd.
Départements. Suppression des pro-


vinces et division de la France en
1, 16° leçon , iv, 98, leçon.


Députés. Des
74e, 75e et 76e leç.


Détention. Peines contre les - arbi-
traires, 43' leçon. - La - pré-
ventive, 45° leçon.


DIOCLÉTIEN. La monarchie romaine
prend sous - une forme nouvelle,
HI, 71 , leçon.


Diplomatie. Relations de l'État avec
les puissances étrangères, 95e le-
çon. - La -, fait tout moderne ;
rôle important de la France dans
l'histoire de la -, ibid.


Dissolution. La - de la Chambre; dans
quelles conditions, iv, 79 e leçon.


Division du travail. Nécessaire dans
l'administration comme dans l'in-
dustrie, iv, 97* leçon.


Domicile. Le - réel et le - politique,
in, 74' leçon.


Douanes. Double but des lois de - ;
système protecteur, iir, 67 e


leçon.
Douzièmes. Les - provisoires, iv, 89e


leçon.
Droit. Le - de l'humanité, I, leçon


d'ouverture. - Le - national, ibid.
- Le - international, ibid. - Le
- privé, le - public, ibid. - Le -
positif, le - spéculatif, ibid. et il,
25e leçon.


Droit constitutionnel. Chaire de -
créée par Guizot en 1834, 1, Introd.
- Le -, ibid. - Deux grandes


sections du- : droits publics, droits
politiques, 1, i re leçon.


Droit pénal. Le -, sanction des autres,
t, leçon d'ouverture.


Droit public. Comprend le droit in-
ternational, ou droit des gens, et le
droit interne, ou constitutionnel , 1,
li e


leçon.
Droits publics. Une des bases de l'éga-


lité civile, 1, 17 ,
leçon. - Méthode à


suivre dans l'étude des -,
25° le-


- Sont la liberté mème garan-
tie par la loi fondamentale du pays,
ibid.


Droits civils et politiqués, 1, leçon
d'ouverture. - Sont une des bases
de l'égalité civile, 1, 17° leçon. -
Droits se rattachant à la liberté indi-
viduelle, 29




leçon. -Déclaration
des - de l'homme de 1791 à 1830
1, leçon d'ouverture.


Égalité. L'- civile principe de l'orga-
nisation sociale, 1, 6 e leçon. - Le
système nouveau éminemment fran-
çais fondé sur l'unité nationale et


- civile,' 16° leçon.- Conditions
de - civile, différentes de l' - des
conditions, 17 , leçon.- Fondements
de cette égalité ; elle est le principe
fondamental de notre constitution,
ibid.


Église. Puissance de - due à l'élec-
tion, à la hiérarchie et à de longues
luttes, 1, 7° leçon.- Elle soutient le
pouvoir royal, 11' leçon. -Situation


- vis-à-vis de la féodalité, 12e
leçon. - Elle devient féodale; hé-
rédité des fonctions ecclésiastiques,
ibid. - Ses désordres profitent aux
empereurs d'Allemagne, ibid.


Église anglicane. Intolérance de I'-;
oppression de l'Irlande catholique,
ti, 48° leçon. - Lois diverses, ibid.


Église gallicane. Libertés de l'
28, leçon.


Égypte. État égyptien, 1, 3e leçon.


Étigoiibit.lité. Conditions ni, 75' le-


Embargo. Nature et effets de l' tv,
96° leçon.Émigrés. Des lois sur les biens des -,
in, 696 leçon. - Milliard des -
voté en 1825, ibid.


Emplois. Admissibilité de tous les ci-
toyens à tous les - civils et militai-
res, 1, 23° leçon.


Enquêtes. Des - 87e leçon.
Enseignement . Liberté de l'-; son in-


fluence. - L'- public et privé ;
difficultés de la question; principes
généraux posés en 1791, tu, 59 • leçon.
-Lois et ordonnances diverses, ibid.


ERSKINE. Son célèbre plaidoyer à l'oc-
casion lin doyen de Saint-Asaph,
52' leçon.


Esclavage. Érigé en principe par le
philosophe et le jurisconsulte ro-
mains, 1, 4° leçon. -Chaque maison
de maitre était une prison, 41°
leçon. - Esclaves envoyés en
France ; marché d'esclaves à Paris,
r, 20° leçon. - L' - ou - quasi-
volontaire; voeux religieux. Re-
poussé par le Code, II, 26' leçon.


Espagnols. Découvertes des - au xv°
siècle, 1, 19° leçon.


État. Réalisation d'une individualité
morale, 1, I re leçon. - Organisa-
tion de ; pensée dominante, 2,
leçon. - De l'enseignement donné
par l'-, 59 , leçon.


États. Coup d'œil historique sur la for-
mation des ; tribus nomades. -
fédératifs, -unitaires; peuples juif,
phénicien; empire assyrien , mède
et babylonien , 1, 2° leçon. - Vice
de tous les - de l'antiquité ; absence
de justice, de droit, d'égalité civile,
4° leçon.


États généraux. La bourgeoisie appe-
lée aux -, r, 12° leçon. - Aux -
de 1789, attitude des trois ordres,
16° leçon. - Cahiers des -, iv, 77'
leçon.


Exil. Véritable mort civile pour un Ro-
main. 41 e leçon.


Expropriation. Principes, formalités et
garanties de I'- pour cause d'utilité
publique, 63° et 64° leçons. -
L'- de choses mobilières; les réqui-
sitions, 65° leçon. - L' - pour les
travaux militaires et pour ceux de la
marine, 66° leçon.


Famille. De la -, leçon d'ouverture.-
Asservissement de la - chez les
peuples sauvages et barbares et
mime chez les peuples civilisés, t,
4' I eeon.


Fédération. Les gouvernements fédé
ratifs moins favorables à l'unité que
les gouvernements uniques, 6° le-
çon.


Femme. Ce qu'elle était en Afrique et
en Asie ; la - romaine, s, 4 , leçon.


Féodalité. Son organisation. Toujours
mal vue des poti n lations,i, 9° leçon.
-Comprimée par Louis XI, 14' leçon.


Fiefs. Priviléges, impôts, t, 9* leçon. -
Formation des grands -, ibid.


-Le - disparaît en 1789, 18e leço .
Flandre. Insurrection des communes


flamandes; massacre de Rosebeke,
1, 13° leçon.


Force. Doit veuir en aide au droit, le-
çon d'ouverture.


Force publique. Nécessité d'une force
-; elle a sauvé la France après ses
défaites, 11, 33e leçon. - Elle doit
protéger le pays sans menacer ses
libertés, ibid. - La - dans l'anti-
quité, le moyen âge et les temps
modernes, ibid. - Son double élé-
ment, ibid.


Forêts. Servitude imposée à la propriété
forestière, ni, 67° leçon.


FOX. Provoque le bill de 1792, qui
rend le jury à la presse, ni, 52•1eçon.


France. Mère des idées politiques du
xixe siècle, 1, Introd.


Francs. Établissement des - en Gaule,
8° leçon.


Fronde. N'est qu'une parodie de la
Ligue, i, 15e leçon.




TABLE ANALYTIQUE. 413412 TABLE


G


Garde nationale. Un des deux élé-
ments de la force publique, it, 33 e le-
çon. — Essai de — en Angleterre,
ibid. — La — en 1789 ; lois et dé-
crets y relatifs, 34e


leçon. — Mobi-
lisée en 1812, ibid. — Ses divers
régimes depuis la Restauration, ibid.


Gaule. État de la — lors des invasions
barbares, t, 7' leçon. — Établisse.
ment des Visigoths, des Bourgui-
gnons et des Francs en —1, 8 e


leçon.
Germains. Victoire du principe — sur


le principe romain dans ravinement
des Carlovingiens, r, 8 «


leçon.
Gomaristes. Persécution des — contre


les Arminiens,
48' leçon.


Grâce. Le droit de — ; appartient au
roi, 102! leçon.


Grèce. Le génie grec contraire à toute
idée d'unité politique. Alexandre
y apporte cette idée, 1, 3 0


leçon.
GRÉGOIRE VIL Esprit de — ; sa lutte


avec l'Empire, 1, 12e leçon.
Guerre. Rendue moins fréquente par le


développement du commerce, du cré-
dit et de la richesse mobilière, tv,
95e leçon. — Le droit de déclarer
la — remis au pouvoir exécutif, ibid.
— Les moyens de faire la — dépen-
dent du pouvoir législatif, 96° leçon.


H


Habeas corpus. Luttes qui ont précédé
et consacré l'acte d' — , 42° le-
çon. — Dispositions de cet Acte,
43« leçon.


HALLAM. Ses doctrines, r, Introd.
HAMPDEN. Son courage civil, leçon


d'ouverture.
Hante Cour. La — nationale de la


Constitution de 1791, iv, 91° leçon.
— La — impériale, ibid.


Hérédité. L'— des terres suivie de
celle des charges et des offices, I,


9,
leçon. — Le principe de r —


maintient et consolide la royauté,
71° leçon.—Est un des caractères


essentiels de la monarchie fran-
çaise, 12e leçon.


Hiérarchie. La — administrative, iv,
100' leçon.


HOPITAL IL'). Son courage civil, leçon
d'ouverture.


Impôt. Légitimité de r—, 1, 23' leçon.
— Injustice des anciens —, ibid.


—Difficultés de l'application de l'—,
ibid. — L' — proportionnel et l'


—progressif, ibid. — L' — progressif
illimité; ses inconvénients, ses dif-
ficultés, 24e


— L' — foncier,
ibid.—De la variété et de la fixité des
—, ibid. — L' — foncier, ibid.


—Des meilleurs moyens d'arriver à
l'égalité d' —, ibid. — Vote de l'—,
tv, 88 e leçon.


Imprimerie. Révolution produite par
r — dans la manifestation de la
pensée humaine, ut, 51' leçon. —
Décret de février 1810 sur la police
de — , 54° leçon.


Imprimés. Dispositions sur les crieurs,
vendeurs, distributeurs, etc. d' —,


57° leçon.
Incompatibilités. Les — électorales,


75° leçon.
Incorporation. L'— politique d'un pays


impossible chez les anciens; pour-
quoi, I, 5' leçon.


Industrie. Le commerce et r — intro-
duisent la propriété mobilière, si im-
portante chez les modernes, tu,
62' leçon. — Restrictions à la li-
berté d' —; anciennes jurandes et
maîtrises, 67° leçon. — Autorisation
nécessaire pour certaines —, ibid.


Initiative. Le droit d' — lié au droit
d'amendement,
84 e , 86° et 87e leç.


Injures. Lois romaines au sujet des —
et des libelles, ni, 51' leçon.


Inscription. De 1 .
— maritime, II,


36' leçon.


Instruction. Interrogatoire par le juge
—; son rapport à la chambre du


conseil, 45' leçon. — Le système
— criminelle; ses garanties, ses


abus, ibid.
Instruction publique. Double principe


de r — et de la liberté de l'ensei-
gnement posé dans la Charte de 1830,
ni, 59, leçon. — Loi de juin 1833,
ibid.


Intérêts. Distinction des —; les —
particuliers et — général, iv,
91' leçon. — Applications de ce
principe, 98° leçon.


Invasion. Période de —; unité ha-
possible; essai tenté par Théodoric,
1, 8° leçon. — Les — nuitées par
Charlemagne, ibid. — Rendent tout
gouvernement fixe impossible, III,
60' leçon.


Inviolabilité. La personne du député
inviolable,iv, 77e leçon.


Italie. De . la révolution italienne, 1,
Introd.


.1


Jacquerie. La révolte dite la —,
13' leçon.


JACQUES II, d'Angleterre. Remet en
vigueur le statut de, 1662 contre la
presse, In, 52e leçon.


JEAN LE BON. La royauté aux abois
sous le règne de — 13 e leçon.


JEANNE D'ARC. Produit un mouve-
ment purement national, 1, 13 e leçon.


Journaux. Dispositions relatives aux —
déclaration préalable, gérant, cau-
tionnement, timbre, transport, etc.,
in, 57' leçon.


Juge de paix. Traduction immédiate
devant le — , it, 43, leçon.


Juré. Les fonctions de — ; droit poli-
tique et devoir, n, 30° leçon. —
Composition des listes de —, 31 , le-
çon. -- Les — volontaires agréés ou
désignés, ibid. — Quatre espèces de
listes de — , 52' leçon. — Peines
contre les — défaillants, ibid. —La
part qu'il faut faire au sort dans les
listes de jurés, ibid., voy. Préfets.


Jurisconsulte. Différences entre rom-
vre du législateur et celle du — ,
25° leçon.


Jury. Le — à Rome, ri, 30° leçon. —
Le — en Angleterre, aux Indes, à
Sierra-Leone, à Malte, ibid. — Éta-
lili chez nous en 1790 en matière
criminelle, ibid. — Consacré par la
Constitution de 1791, 31° leçon. —
Loi de septembre 1791, décrets de
1793 et 1794, loi de l'an IX, etc.,
relatifs au — , ibid. — Désagréable
au pouvoir impérial, 32« leçon. —
Lois, arrêts, questions diverses, re-
latifs au — , ibid. — Jury spécial de
1780, ibid. — Le — anglais connaît
des procès de presse, 52° leçon.
— Bill de 1702, ibid. — En France,
la loi de 1822 enlève ce droit au — ,
5e« leçon. — Règle les indemnités
pour expropriation, 64 « leçon.


Justice. Contraintes de—, ri, 20° leçon.
Deux systèmes d'instruction judi-
ciaire: orale et publique, — écrite
et secrète, 30 e leçon.


L


Langue. Diversité des —; obstacle à
l'unité nationale, 1, 5 , leçon.


Législateur. Différences entre l'oeuvre
du — et celle du jurisconsulte, ii,
25° leçon.


Législature. Durée de la —, tv, 79 e leç.
Libelles. Lois romaines au sujet des


injures et des — , nt, 51' leçon. —
Le — dans la législation anglaise,
52 e leçon.


Liberté. La — humaine; a trois formes:
— — de la pensée, —
de la propriété, 25° leçon.—De la
— individuelle et de ses rapports,
26° et 29' leçons. — La — indivi-
duelle et les exigences de la justice,
41° leçon. — Garanties données à la
— , cette —, 42 e leçon. — Mise en
— provisoire, 45 e leçon. — La —
individuelle appliquée à la manifesta-
tion de la pensée, iii, 51' leçon.


Listes. Les—électorales, ni, '74ti et 75e
leçons.—Les—de jurés, voy. Jurés.


ANALYTIQUE.




TABLE ANALYTIQUE.414
Locomotion. La liberté locomotive,


preuve de progrès, ti, 38e leçon. —
Dispositions de 1791, 39' leçon.


Lois. Sanction, promulgation et publi-
cation des —, iv, 93« leçon.


Lois préventives, u, 38° leçon. Les —
répressives, ibid.


Lois. Influence de l'opinion sur l'appli-
cation des — , I, 20° leçon. — Con-
servent l'ordre social et sont obliga-
toires, it, 29° leçon.


Loi salique, ni, 72e leçon. —L'avène-
ment des Valois consacre l'exclusion
des femmes de la couronne, t, 13 e leç:.


LOUIS LE GROS. Affranchit les com-
munes et affermit la royauté, t,
11° leçon.


LOUIS VII. Vos. Suger.
LOUIS IX. De ses É'iablissements, t,


leçon.
LOUIS XI. Jugements divers portés sur


—; le but et les résultats de son
règne, 1, 14' leçon.


LOUIS XII. Ami du peuple; trop ab-
sorbé par les conquêtes, t, 14" leçon.


LOUIS XIV. Exagérations dans les ju-
gements portés sur — , t, 15° le-
çon. — La monarchie ab s olue ac-
complit sa carrière avec —, ibid.


LOUIS XV. La monarchie absolue se
meurt sous — , t, 15° leçon.


LOUIS Déclaration de —, iv,
103' leçon.


LUTHER. Différence de la réforme de
— et de celle de Calvin ; est pure-
ment religieuse, 11, 48' leçon.


Al


MACAULAY. Ses doctrines, t, Introd.
MACHIAVEL. Son opinion sur les en-


rôlements volontaires, ti, 35' leçon.
Magistrature. La — française,. 1v,


1020 leçon.
Majorats. Des — , 18° leçon.
Mandat. Le — impératif, iv, 77° leçon.


— Existe en Suisse, ibid. — Exclu
chez nous par l'unité nationale.


Mandat d'arrêt. Du —, 43 0 et 44e leç.
Manifeste. Précède et annonce la dé-


claration de guerre, tv, 96c leçon.


Marais. Dessèchement des —; loi de
septembre 1807, ni, 65° leçon.


Marine. Armée de mer. Nécessité
d'une force navale importante; des
populations maritimes, de l'inscrip-
tion; lois, modes, etc, 36° leçon.


Marque. Lettres de —, délivrées en
temps de guerre, tv, 96° leçon.


Mérovingiens. Chute des —, victoire
du principe germain, t, 8* leçon.


Midi. Affranchissement du —, facilité
par les traditions romaines, l'exem-
ple des républiques italiennes et la
faiblesse du régime féodal, 1,10 e leç.


Mines. Loi d'avril 1810 sur l'exploita-
tion des —et carrières, iii, 66° leçon.
— De la propriété des — , ibid.


Ministères. Les départements ministé-
riels. Leur histoire et leurs attribu-
tions depuis 1791, iv, 99 , leçon.


Ministres. Des —, 1v, 86e, 87e et 91e
leçon.


MIRABEAU. Son opinion sur les enré.
lements volontaires, si, 35' leçon ; —
sur l'entrée des ministres dans les
Chambres, 1v, 87 e leçon.


MOLÉ (Mathieu). Son courage civil, 1,
leçon d'ouverture.


Monarchie. La — absolue complète
avec Louis XIV; se meurt sous la
Régence et sous Louis XV, t, 15° le-
çon.


Monastiques (ordres). Aristocratie et
démocratie dans les —, 27'


— Désordres ; accusations; lois
à leur égard, ibid. — Partis à
prendre, 28° leçon. — Leur sup-
pression en 1790, ibid.


Monopoles. Les — exercés par le gou-
vernement, In, 67° leçon.


MONTESQUIEU. Ses doctrines, I, Introd.
Ce qu'il dit de l'unité politique, 1,
5° leçon.


Mutiny-bill, ou bill sur la révolte des
troupes, iv, 82° leçon.


N


Nantes. Edit de —, t, 14' leçon. —
Révocation de l'édit. de —; ses causes
et ses effets, 15' leçon.


NAPOLÉON. Parallèle entre Louis XIV
et —, 54' leçon.


Nègres. Le commerce des — encouragé
et réglementé; le Code Noir, t, 20°
leçon. — Décrets relatifs à la traite
des noirs, 21 e leçon. — La traite


• é-
tablie en l'an X, ibid. — Expédients
des négriers, ibid.—Voy. Esclavage.


Neustrie. Les coutumes et la langue
romaine dominent en—, t, 8° leçon.


Noblesse. Abaissée par Richelieu, t, 1.5°
leçon. — A pour caractère cons-
titutif le privilége, 18' leçon. —
Trois sortes de — : spontanée, dé-
clarée, faite à la main, ibid..—Abo-
lie par la Révolution, rétablie sous
l'Empire, ibid. — La — sous la
Restauration ; elle n'est phis qu'un
it;ottrl e. , ibid.


Non-lieu. Ordonnance de — u, 45' le-


Nord. Affranchissement difficile; luttes
acharnées, intervention de la royauté,
t, 10 e


leçon.


Obligations se rattachant à la liberté
individuelle, it, 29' leçon.


Occupation temporaire des propriétés
bâties ou non bâties, ut, 66' leçon.


Offices publics. Cautionnement, III, 670
leçon.


Oligarchie. De l'—,
fie leçon.


Opinion. Influence de l'— sur l'appli-
ca


des lois, 1, 20° leçon,
Ordonnances. Matières législatives ré-


glées par —, tv, 94' leçon.
Organisation. L'— sociale est le lut,


l'— politique, le moyen, t, P"leçon.
Les lois conservent l'ordre social;
—comment il se maintient, If, 29', leç.


P
Pairs. La pairie anglaise, iv, 80° le-


çon. — La — française, ibid. Voy.
Chambres.


Paix. Traités de conclus et signés
par le roi, tv, 96° leçon.—En Suisse,
négociés par des chargé d'affaires,
ibid.


Pape. Lutte contre le —,
12' leçon.


— Caractère de cette lutte de la
royauté contre la cour de Rome, 13°
leçon. — Le — partage les décou-
vertes du xv' siècle, 19 e leçon. —
Du pouvoir temporel du—, t, Introd.


Parlement. Auxiliaire de la royauté, 1,
12' leçon. — De la puissance des —,
15' leçon.


Peines. Commutation des —; à qui ap-
partient ce droit, tv, 102° leçon.


Pélagie (Sainte-). Population de cette
prison de 1822 à 1828, ri, 37° leçon.


Pénalité Des divers degrés de —,11, 38e
leçon.


Pensée. Loi individuelle appliquée à la
manifestation de la —ou, 51° leçon.
— Révolution par l'imprimerie pour
l'expression de la — humaine, ibid.
— Manifestation de la — par la
presse, ibid.


Perse. Monarchie —; son organisation,
t, 3e leçon.


Pétition. Le droit de —, un de nos
droits publics, ut, 60' leçon. — Ses
embarras, ses dangers, ibid.—Lois,
statuts, décrets y relatifs, ibid.


—Législation actuelle, 61° leçon.
PHILIPPE-AUGUSTE. Prépare et as-


sure la suprématie de la royauté, 1,
11° leçon.


PHILIPPE LE BEL. Réforme le Parle-
ment au profit de la royauté, 1. 12e
leçon. —Sa lutte avec boniface VIII,
ibid.


PHILIPPE VI. Méconnait le rôle et
les intérêts de la royauté, 1, 13 e


leç.
Philosophie. N'est pas ennemie de la


religion, il, 46° leçon.
Poids et mesures. Conformité des —,


oeuvre de la Constituante, t, 16* leç.
Poitiers. Désastre de —, 1, 13' leçon.
Police. Contraintes de — it, 29' leçon.


Obligations des officiers (le .— judi-
ciaire ; sanctions pénales, ri, 44° le-
çon. — Police sanitaire. Rigueur des
lois de —; comment justifiée,
39 e leçon. — Lois à cet égard,
40e leçon.— Adoucissements dans la
loi de 1822, ibid. — La — des
aliénés, ibid.


à


TABLE ANALYTIQUE. 415




Propriété. Droit de —; son origine,'
son principe, sa légitimité, tu, 62e
leçon.—Législation actuelle, ibid.—
Limitations au droit de—, 63.1eçon.
Voy. Expropriation,.


Protection. Système protecteur, in,
63° leçon.


416
Portugais. Découvertes des — au xv°


siècle, t, 19e leçon.
Poursuites. Effet de l'autorisation de


— donnée par la Chambre, tv, 77'
leçon.


Pouvoir social. Du —, leçon d'ou-
verture, 68e leçon.


Pouvoir exécutif, tv, 100e leçon.
Préfets. Forment les listes de jurés,


31° leçon. — Désignent les jurés vo-
lontaires, ibid.—Le moment où ils
arrêtent ces listes; leur interven-
tion, 32° leçon.


Président. Le — de la Chambre des
pairs nommé par le roi, tv, 83° le-
çon. — Le —de la Chambre des dé-
putés nommé par la Chambre, ibid.


Presse. Manifestation de la pensée par
la voie de la —, , 51° leçon.
— Préoccupation des législateurs
vis-à-vis de la —. Systèmes di-
vers contre les abus de la —,ibid.—
Les mesures en vigueur avant 1648
et depuis en Angleterre; bill de
1792, 52° leçon. — La législation
française relativement à la liberté
de la presse, depuis 1789 : constitu-
tion, lois et décrets y relatifs, 53°à 57°
leçons.— Le Sénat chargé de veiller
à la liberté de la —, 51° leçon. —
Difficulté des questions de—, 57° le-
çon. — Examen dela législation ac
tuelle, ibid. — Classement des délits
de —; le Code pénal, le jury, 58° le-
çon. — Le système préventif contre
la — ramené par l'assassinat du duc
de Berry, nt, 56* leçon.


Prêtres. Célibat des —, 412° leçon.—
Du mariage des —, 28 . leçon.


Privilège. Idée dominante de Yann-
gilde ; obstacle à l'unité nationale, t,
5° leçon.


Procédure. La — secrète en France de
1539 à 1790, II, 30' leçon. — Éta-
blie devant le jury d'accusation, 31'
leçon. — Système mixte du Code
actuel, conciliant la — secrète et la
— publique, 45" leçon


Professions. Conditions de capacité exi-
gées pour certaines—, nt, 67° leçon.


çaise, 15' leçon. — Jugement sur
son administration, ibid.


Rame. État romain. L'esprit de — es-
sentiellement politique; imitateur en
fait de science et d'art, t, 3' leçon.
— L'empire romain au moment des
invasions barbares, 7° leçon. —Que-
relle de la papauté et de l'empire;
lutte entre la royauté française et la
cour de. — , 13° leçon.


ROUSSEAU (J.-J.). Ses doctrines, t,
Introd.


Royauté. En lutte avec l'aristocratie
avant et après Charlemagne, t, 9' le-
çon. — Mise en évidence, ibid.


—Intervient dans les luttes de la féo-
dalité et des communes, 10 e leçon.
— Ses accroissements, 1 1 e leçon. —
S'appuie sur l'hérédité; soutenue pu r
l'Eglise; protége les faibles, ibid. —
Sa lutte avec la cour de Rome; ca-
ractère de cette lutte, 13* leçon. —
Le peuple opprimé se jette dans les
bras de la —, — La — féo-
dale tourie à la monarchie absolue,
ibid. — Bile et attributions de la
royauté moderne,
92e leçon.


RUSSELL. Ses doctrines, t, Introd.


Secret. Mise au —, H, 45' leçon. —
Ses abus, ibid.


Sénat. Commission du — chargée de
veiller à la liberté de la presse, ni,
51° leçon. — Du —américain, tv, 80e
leçon. — Le — impérial, 81e leçon.


Senatus-consulte. Acquittement annulé
par un — , 32' leçon.


Séquestration. Peines encourues pour
— de personne, mi, 44' leçon.


Serment. Le — imposé à la royauté,
103' leçon. — Charles X le prête


à Reims, ibid. — Louis- Philippe
devant les Chambres, ibid.


Servage. Le czar Alexandre II abolit le
servage en Russie, 1, Introd., note.


SERVET. Supplice de Michel — à Ge-
nève, 11, 48° leçon.


Servitudes. Charges et — de la pro-
priété particulière au profit de la


chose publique, in, 67' leçon. — Les
— militaires, ibid.


SHERIDAN. Son corps saisi pour dettes
le jour de ses funérailles, 37° Ire.


Société. De la —, leçon d'ouverture.—
Se maintient par les services qu'elle
exige et les contraintes qu'elle im-
pose, 11, 29* leçon.


Soeurs hospitalières. Décret relatif aux
—, 28° leçon.


Sort. La part qu'il faut lui faire dans
les listes de jurés, it, 32° leçon.


Souveraineté populaire. De la —, I,
Introd..


SPARTE .Son gouvernement, t, 5' leçon.
STAEL (M m ° DE). Son livre a de l'Al-


lemagne n mis au pilon par la polire
impériale, in, 51' leçon.


SUGER. Rôle de ce miristre sous
louis VII, t, IP leçon.


Suisse. Le mandat impératif en —, iv,
77° leçon.


Synode de Dordrecht. Amené par la
querelle des Comaristes et des Ar-
miniens, it, 48e leçon.


T


Templiers. Leur puissance et leur fai-
blesse; leur destruttion,l, 12e leçon.


Tendance. Journaux suspendus ou
supprimés pour rause de — ; mons-
truosité de ce système, nt, 56° leçon.


Terres. Hérédité des —, suivie de celle
des charges et des offices. t, 9. leçon.


THÉODORIC. Son essai d'organisa-
tion ; ne pouvait réussir, t, 8' leçon.


Théocratie. Tentatives de— , 1, 12 . leç.
Tolérance. Amenée par la diffusion des


lumières, t, 6° — La — de
Rome vis-à-vis des cultes païens; son
intolérance vis-à-vis du christia-
nisme, 11,16 *


leçon.
Traités. Le droit de faire les — ap-


partient à la Couronne ; le pouvoir
législatif peut en discuter les clauses,
tv, 96- leçon.


Trève. Nature et effets de la —, tv,
96 leçon.


Tribunat. Du — créé l'an VIII, iv, 86e
leçon.


TABLE ANALYTIQUE. TABLE ANALYTIQUE. 417


R


Races. La diversité des —, obstacle à
l'unité nationale, t, 5° leçon.


Réforme. A envisager sous le point de
vue religieux ,philosophique, politi-
que, 1, 11° leçon ; — ses succès di-
vers en Allemagne, en France, en
Italie, ibid. —Religieuse avec Lu-
ther, politique et religieuse avec
Calvin, 48° leçon. — Intolérance
de la —; supplice de Servet à Ge-
nève, ibid. — Introduction de la —
en France; persécutions, guerres re-
ligieuses, Saint-Barthélemy, Édit de
Nantes, paix de la Rochelle, édit de
1787, 49 0 leçon.


Régence. La monarchie absolue se
meurt sous la —, 1, 15° leçon.


Religion. Une des conditions d'unité,
1, 6° leçon.—Guerres de—,14° leçon.
— Lutte entre le pouvoir civil et le
Pouvoir religieux, 11, 28° leçon. —
Longtemps envisagée comme un
droit, 46e leçon. Voy. Réforme,
Rome.


Représailles. Le droit de — réprouvé
par la raison, 96° leçon.


Représentation. Le système de —
ignoré des anciens, 1, 5' leçon.— La
nationale, 1, Introd.


Réquisitions. Les — en nature en
temps de guerre; règles à cet égard,
nt, 65° leçon.


Responsabilité. La — morale, la seule
du député, 77° leçon.


Révolution. La France au moment de
la — ; provinces, lois, coutumes, ju-
ridictions, classes, priviléges, 16'
leçon.


RICHELIEU. Ruine le parti huguenot,
abaisse les grands, détruit toute in-
dépendance, fonde l'Académie Iran-


IV. 27




418 TABLE ANALYTIQUE.


U


Unité. L' — absolue, I' — relative.
Exemples pris dans le monde phy-
sique et dans le inonde moral, I,
5° leçon. — L' — de l'État conciliée
avec l'activité propre de l'homme,
ibid. — Conditions internes et ex-
ternes de — nationale, ibid.


—Difficultés qu'elle rencontre, ibid.
—Les gouvernements uniques plus fa-


vorables à l'— que les fédérations.
6° leçon. — Impossible à l'époque
des invasions, 7. leçon. — Le sys-
tème nouveau fondé sur l' — natio-
nale et l'égalité civile, 16' leçon.


Université. Fondation de —
ni, 59° leçon.


Utilité publique. Limite le droit de
propriété, ni, 63e leçon. — Prin-
cipes, formalités et garanties en ma-
tière d'expropriation, ibid.


V


Veto. Le — suspensif, le — absolu, iv,
92e 'leçon.


Visi;oths. Etahlissement des — en
Gaule, 8° leçon.


Varus. Les — religieux ; causes diverses
de cet esclavage volontaire, 26° et


leçons. — Partis à prendre à
l'égard des —, 28' leçon.


Vote. Questions sur la manière de vo-
ter. Iv, 85 ., leçon. — Formes du —
à Rome, en Angleterre et en France,
8S' leçon. — Les — des Chambres
ne sont pas motivés, ibid.


Zones de défense, ou — ser-
vitude imposée au profit de la chose
publique,
67° leçon.


FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE.