DISCOURS POLITIQUES DE M.GAMBETTA ·1 IMPRtMERIE EUGENE HEUTTE ET el., A...
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DISCOURS POLITIQUES


DE


M.GAMBETTA
·1




IMPRtMERIE EUGENE HEUTTE ET el., A SAINT-GERMAIN.




DISCOURS POLITIQUES
DE


M. GAMBETTA


DEUX LETTRES A UN CONSEILLER GtNtRAL


Bnrrlr)aux. - Saint-Qurmtin. - An¡.rel'R. - Havre.
- Aux nrd';gn¡':R rle ]'Alsace. - AnniverRaire de
TI (wh l' (1:-\'7:2).-T ,;( Fedr·-sous-.) oualTo.-Commission
rles ?lIardl<:';. - Grenohlo - Anneey. - Sur la
Dis.'iOlntio'l do L\ssemhlée. - Sur le Projet de Loi
rjos Tmnte. - Bdleville. - Nantes. - Anniversaire
de Hoeho (18i3\. - A propo~ des nouvelles Couches
sociales. - Sur le Droit (le Réunion. - Périgueux.
- Chátellerault.


PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR


28, RUE BONAPARTE, 28


1874 í·',
¡ ( -,' o
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\






AVERTISSE~lENT


Cette nouvelle édition des différents discours prononeés par
M. Gambetta, depuis le 2 juillet 1871, a été entreprise pour
répondre aux nombreuses demandes parvenues a l'éditeur.
Les discours de M. Gambetta, livrés au publie dans les eo-
lonnes de la République {ran9aise, sont, pour la plupart, re-
produits in extenso par la presse républicaine, des les premiers
jours de leur publication. A cette immense publicité vient
s'adjoindre celle de la propagande par brochllres populaires
a bon marché. Tous les discours que nOllS réimprimons icí ont
d'abord paru en petites brochures séparées, dont le tirage a
été souvent renouvelé, et qui ont meme eu plusieurs éditions,
notamment celle qui contient le discours prononcé a Bordeaux,
le 26 juin 1871, au moment ou M. Gambelta est venu repren-
dre sa part dan s les travaux el les efforts du parti républicain.
Ces différentes brochures réunies formaient une collection au-
jourd'hui épuisée, qui était fréquemment demandée a l'édi-
teul' et qu'il importe de rendre all public républicain sous une




6 A VERTISSEMENT.


forme plus durable et plus compU~te que les brochures sépa-
rées.


On trouvera do~c dans le présent volume les dix-neuf discours
que M. Gambetta a prohoncés depuis le discours de Bordeaux
jusqu'au récent discours d' Auxerre, depuis le 26 j uin :1871
jusqu'au 3 octobre 1873. La sympathiqlle attention avec laquelie
le parti républicain a toujours 6couté la parole de M. Gam-
betta prouve assez l'intéret de ces allocutions. Les voyages
entreprig par M. Gambetta dans toutes les contrées de la France
peuvent compter au nombre des plus sérieux services qu'il lui


. a été donné de rendre a la cause de la démocratie républicaine.
L'orateur républicain s'est exprimé lui-meme sur ce sujet en
des termes qui ne laissent plus rien a dire : il avait vouIu
reconnaitre l'état vrai de l'opinion publique en France; ii s'est
mis en route; il est alié du nord au midi, de l'est a l'ouest, et
partout iI a trouvé que la France était unanime dans sa vo-
lonté de fonder la République comme gouvernement définitif
de la démocratie, unanime dans son espoir de trouver enlln le
repos apres tant de révolutions, la prospérilé apres tant de
désastres, la fierté et l'honneur apres tant d'humiliations et de
hontes, a l'ombre d'institutions libres) larges, ouvertes a tous
les hommes de bonne foi, capables d'assurer l'ordre véritable
et de favoriser tous les progres politiques et sociaux que
peut souhaiter un grand et généreux pays comme le natre.


Les discours de M. Gambetta, prononcés devant des audi-
toifes si différents, traitent de bien des sujeLs, et la variété le
dispute a l'ampleur dans ces harangues qni oot obtenll, non-
seulement en France, mais en Europe, un si profond et si légi-
time retentissement. Toutefois, il ne serait pas difficile de re-




-- +.\-,2ijPiiiiii


A VERTISSEMENT.- 7


connaUre qu'une pensée commune anime tous ces discours et
en fait comme une reuvre unique que ron pourrait appeler
}'reuvre de la constitution du parti républicain a l'état de partí
de gouvernement. Cette pensée se retrou ve a. toutes les pages
du présent volume, el c'est, a proprement parler, l'inspiration
maltresse de celte éloquence qui, par un singulier privilége,
éclaire encore les intelligences apres qu'elle a cessé de remuer
les cceurs. NulIe part d'ailleurs la politique proposée au parti
républicain par M. Gambetta, politique toute nouvelle par la mé-
thode autant que par l'inspiration, n'a été plus largement, plus
complétement exposée que dans deux Lettres a un Conseiller
général, écrites par M. Gambetta, l'une au lendemain des élec-
tions d'octobre 187f, l'autre a la veille du renouvellement
par moitié des Conseils généraux en octobre !874. L'éditeur a
cru devoir donner place a ces deux leltres dans ce recueil de
discours. La derniere, la plus récente, revient sur toute la po-
litique conseFlée par M. Gambetta, et suivie par le parti r~­
publicain depuis trois ans, la caractérise, la développe, en
signale les bienfaits el les heureuses conséquences. C'est
comme une récapitulation de tous les événements de notre
histoire intérieure. L'éditeur l'a mise en tete du présent vo-
lume, dont elle est la meilleure préface. Quant a la pre-
miere, celle qui a été écrite en octobre 1871, elle devait aussi
trouver place, a sa dale, parmi les discours que nous publions,
entre celui de Bordeaux el celui de Saint-Quentin. On la trou-
vera immédiatement avanl la série des discours. Les lecteurs
[juront plaisir a se convaincre que l'auteur des lettres, comme
l'orateur des discours, reste fidele a lui-meme, soit qu'il
écrive, soit qu'il parle; que sa pensée suit un cours depuis
iongtemps tracé, et que loutes leS' idées qu'il ex pose successi-




8 AVERTlSSEMENf.


vement devant le pays ne sont que le développement néce
saire d'idées antérieurement émises et sur lesquelles il rame
volontairement la réflexion de ses auditeurs. On sent, a pa
~ courir c~s pages, que l'oratellr est a la poursuite d'un ut


et noble dessein', et qu'il s'est proposé un but élevé dont el
cun de ses discours et de ses écrits le rapproche, sans ~
jamais le découragement, la Jassitude le gagnent.


C'est en vue de concourir a l'exécution du plan politic
que M. Gambetta s'est tracé, que cette série de disco
est aujourd'hui réimprimée. L'éditeur ose compter que ~
entreprise sera cOIllprise et appréciée par le parti républica
dont ce livre, qui a déja porté tant de fruits excellents, PI
encore servir utilement la cause, a la veille des prochaine~
inévitables élections générales.


París, octobre f87~.


L'ÉDITEUR •
.




LETTRES


A UN CONSEILLER GÉNÉRAL


L






LETTRE


A UN "CONSEILLER GÉNEiRAL


Consllltéa l'oeeasion du renóuvellem~nt 'par 'moitiédes
Conseils généraux dans toute la Franee, )1. Gambelta ",ient
d'adresser a un de ses amis, président et membre sortant du
Conseil général dans 1'un des départements dll centre, la lettre
suivante :
Pari~, le 24. septembre l874.


A lJ;/. C ... , président et membre sortant du Conseil général
dudepurtemént de l' Allier.


Mon cher ami 1


Vous voulez bien 'me rappeler qu'il ya tl'oÍs ans, 11
pareille époque, j'eus l'occasion, apres l'imposante mani-
festation é'l~ctórale qui ouvrit la porte des Conseits géné.
raux a tant de républicaiIls, d'exprimer mon opinion
réfléchie sur \-e caractere et la mission des Ilouveauxdélé-
gués de la démocratie l'épublicaine. Á la veille du renou-
vellement par moitié des Conseils des départemen'ts, vous
me demandez de faite connaiÜ'e l' appréciation que me




12 LETTRE


suggere cette nouvelle et importante opération du suffl'age
universel. Je défere d'autant plus volontiers a votre désir
que les circonstances de la poli tique générale imposent aux
élections partielles qui vont avoir lieu un caractere de
luUe politique, et attachent par avance au scrutin du
4 octobre l874, une signification qu'il est nécessaire de
bien marquer pour faire justice des critiques et des accusa-
tions que l~s adversaires de la République ne manqueront
pas de diriger contre la conduite de nos amis. Je vais done,
puisque vous m'y invitez, m' expliquer sur la nature des
élections qui vont avoir lieu, sur le role spé~ial que les
élus du 4 octobre devront s'efforcer de prendre dans l'ac-
complissement de leur mandat, enfin sur les conséquenees
politiq~es qui doivent, a mon sens~ en découler dans un
prochain avenir.


I.


Au lendemain de la signature du traité de paix arraché
par la force triomphante a u~e nation que l'abandon de
sa propre souveraineté aux mains d'un seul avait eonduite
aux extrémités du malheur~ la Franee se préoccupa de
créer des institutions qui pussent la mettre a l'abri, dans
le présent et dans l'avenil', des aventures et des folies du
gouvernement personnel : elle demanda la reconnaissallce
et l'organisation du gouvernement de la République
franQaise. Les députés qu'elle avait choisis, dans un mo-
ment de trouble et de confusion, refuserent obstinément
d'écouter la voix du pays, et cherchel'ent dans les combi-




A UN CONSEILLER GiNiRAL. 13


naisons les plus tortueuses ]e moyen de déjouer le voou
national en faveur de la République. Surpris et meme
irrité de ce qu'il considérait comme une violation de pro-
mes ses solennelles, dont le recueil des professions de foi et
des engagements des candidats aux élections du 8 fé-
vrier 1871 demeure l'irrécusable témoin, le pays s'empara
des lors de tous les moyens légaux laissés a sa disposition,
,pour signifier hautement qu'il n'entendait pas etre dé pos-
sédé de sa souveraineté et qu'il poursuivait avec persévé-
rance l' établissement du régime républicain. C' est ainsi
qu'il faut expliquer le spectacle si intéressant que donne
depuis trois ans la nation, ne perdant, ne négligeant
aucun moy~n, aucune occasíon de faire éclater ses sympa-
thies, ses vooux, ses légitimes exigences. Quí ne se rappelle
avec émotion cet admirable mouvement municipal qui,
des le mois d'avril 1871, remua toutes les communes de la
France? Le pays sentait des lors le besoin de ne laisser
planer aucun doute sur ses résolutions el sur ses volontés,
et iI couvrit la France d' Administrations et de Conseils mu-
nicipaux répubIicains. Les élections municipales furent
politiques et républicaines.


Vinrent les élections des Conseils généraux en octo-
bre 187 f . Les politiques de la monarchie éta.ient restés
sourds aux réclamations du suffrage universel : le 'sufl'rage
universel parla plus haut encore, et, pour la premiere fois
depuis trois quarts de siecle, on vit, sur toute la surface
du territoire, la démocratie républicaine prendre par! aux
~lections cantonales et remporter un succes éclatant,
gage précurseur d'une prise de possession définitive de ~es




H· LETTRE
allCieus postes dont la réaetion avait pour habitude df
faire eomme autant de eitadeHes, et d'ou elle savait so
~ l'heure propice pour refouler la démocratie. L' échee
rude et signifieatif pour les partisans du régime des da'
dirigeaÍltes; ils étaient battus par la démocratie sur 1
terrain le plus favorable. On remarqua l'instinct el la I
cision qui avaient dirigé les eoups du suífrage unive
sur la personnalité des membres de l' Assemblée na
nale les plus engagés et les plus eompromis dans les in
gues monarchiques. « C' est un grand pas, vousécrivai
alor8, le plus eonsidérable peut-etre qui ait été fait ,
l' établissement et l' organisation de la République. » O]
vit bien, par les événements qui ne tarderent pas ~
dérouler. La révolution parlementaire du 24, Mai ay
renversé du pouvoir l'homme qui, le premier dans le ca
monarehique, avait entendu et recueilli les vmux de
Franee, les ardeurs royalistes ne rencontrerent plus dan
pouvoir ni obstaele ni frein ; elles éclaterent ouvertem{
et la Franee ni l' Europe n'ont oublié les prétentions in
lentes d'une faetion qui annon.;ait la résolution d'imp(
au pays, malgré la résistance du suffrage universel.
monarehie héréditaire a une voix de majorité dans le 1
lement. C'est a ce moment de crise supreme, d'ou
guerre eivile pouvait sortir achaque heu1'e, que les esp
rétléehis purent apprécier l'utilité des ehoix faits dans
serutins rnunicipaux et cantonaux d'avril et oetobre 18
Le pays rnanifesta, d'une extrémité a l'autre de ses fr·
tieres, ses répugnanees et son aversíon pOUl' une politic
qui ne tendait a ríen moins, eornme on l'a dit avec aut




A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 15


de force que de justesse, qu'a prendre une revanche SUl'
la Révolution de 1789; et c' est a l'intervention calme,
loyale, résolue des représentants des assemblées locales
que la France doit certainement d'avoir échappé a une
llouvelle commotion, qui aurait été « ]a plus effroyable de
toutes. »


Délivré aujourd'hui du fantome de la restauration mo-
narchique, le pays n'en reste pas moins exposé a toutes les
inquiétudes et a toutes les craintes qu'inspirera toujonrs
un gouvernement incertain sur la nature de ses pouvoirs,
dépourvu d'un príncipe de droit capable de mettre fin aux
compétitions des partís.


Aucun Cl'eux, en effet, n'a renoneé ni a ses espérances
ni a ses ambitíons; la bande du 2 Décembre elle-meme
ose reparaitre pour tenter de nouveau la spoliation du
pays, et ce n' est pas un gouvernement sorti de la coalition
de ces faetions rivales qui peut trouver en lui seull'auto-
rité et l' énergie nécessaires pour les dominer et assnrer au
pClys la direction et la conduite de ses propres affaires.
C'est pour donner a ce pouvoir la force et le crédit dont il
ne peut se passer, qu' on réclame de toutes parts qu'il soít
entouré d'institutions nett~ment définies et capables de lui
sarvivre. Ces institutions, le pays seul peut les indiquer.-
En faeB d'une Assemblée qui s' est pl'oelamée constiluante,
el dont fimpuíssanee manifeste a remplir un tel mandat
est depuis longtemps établie, il faut que la France parle;
el c'est la la raison supérieure et invincible qui exige que
les éleetions du 4 octobre 1874, pour le renouvellement
partiel des Conseils g~néraux, soient eomme ceHes d'octo-.




LETTRE


bre i87 i, des élections politiques, partant républi·
cames.


JI.


Au surplus, une fois élus, les républicains qui iront s'a
seoir dan s les Conseih~ g(~néraux n' auront qu' a persévér<
dans la ligne de conduite suivie par nos amis depuis 1
moís d'octobre f871. Les esprits les plus pr'évenus cont]
la démocratie frall(;aise sont oblígés de confesser aujoUl
d'hui l'injustíce de leurs accusations contre les élus d~
derniers scrutins. Outre la vie, l'activité dont les Consei
généraux ont fait preuve, on a constaté le zele, l' aptitud~
la compétence croissante des nouveaux venus dans le mani~
ment des affaires départemen tales. C' est une véritable tran!
formation qui s' est opérée dan s le r()le de ces Consei
locaux. Au líe u de ces banales et rapides sessions qu' o
baclait lestement sous les anciennes monarchies, OIl a v
les Conseils tenir a honneur de consacrer tout le temps ql
leur est imparti par la 10i a la discussion publique et a
reglement des plus graves intérets. L'intervalle des sessior
n'a pas été non plus un temps de loisir : il a presque pa]
tout serví a la préparation de rapports circonstanciés St
les branches les plus importantes de la vie départemental~
sur l' état des services publics au point de vue de la voiri,
du régime pénitentiaire, de I'hygiene, de l'assistance pl
blique, des chemins de fer, des exploitations minieres, d~


.canaux, des débouchés et des tarifs pour la productio




A UN CONSElLLER GÉNÉRAL.
Iocale; mais l'honneur par excellence de ce grand déve·
loppement d' activité et de zele pour le bien public, e' est la
passion que les ConseiIs généraux ont montrée dans toutes
les questions qui touchent a l' éducation nationale. Les
yceux que soixante-cinq d' entre eux ont fait publier, avec
les discussions théoriques et pratiques a l'appui, révelent
mieux qu'aucun autre genre de travaux l'esprit de pro-
gres et de justice, pour tout dire d'un mot, le patriotisme
qui anime ces représentants de la France moderne. Répu":'
blicains et hommes poli tiques, nos conseillers généraux se
sont séverement interdit la poli tique pure, l'ingérence pas-
sionnée dan s les querelles des partis. lIs ont admirablement
compris que bien étudier, bien gérer les affaires de leurs
électeurs, c' est, au vrai sen s du m"ot, faire de la bonne
politiqueo


En effet, la politique, pour la démocratie contempo-
raine, ce n'est pas une luUe plus ou moins brillante con·
centrée tout entiere dans l' enceinte des assemblées na-
tionales : c' est l' élabora tion sur pláce, dan s chaque
communauté administrative de la France, de toutes les
qnestions qui touchent aux droits, aux intérets, aux be-
soins, a l' émancipation morale et matérielle de tous les
membres de cette grande démocratie dont on suit le lent
et douloureux aflranchissement a travers notre histoire,
mise hors de tutelle par la Révolution de 1789, investie
de tous ses droits par celle de 1848, et qui, apres 'lvoir
été constamment asservie, refoulée ou trompée par des
maUres divers, veut aujourd'hui faire elle-meme ses
atIaires, par l'intermédiaire d'hommes sortís de son seín


~ .




J8 LETTRE
et décidés a ne j«mais séparer ni leur cause ni leur fortuw
de celtes du peuple.


La politique ainsi comprise, dans la grande majorité de
Conseils, a eu pour pl'emier avantage de faire res50rtil' au;
yeux de tous la capacité de ces élus d'une démocratil
que le travail a créés, que le travail maintient, développ
et grandit tous les jours : ils apportent naturellemenl
dans les fonctions et les charges dont ils sont revetus, cett
forte application, cette patience obstinée, ce scrupule €
cette attention, fruits de leur existence laborieuse, qui leu
permettent de se trouver a la hauteur de toutes les exi
gen ces et de toutes les difficultés. C' est ceUe démocratie
petite bourgeoisie, ouvriers et paysans, que j'ai appelée u
jour les nouvelles couches sociales, et c' est entouré d
conseillers généraux nouvellement élus que rai sllué 50
avénement.


Cette initiation des nouvelles couches sociales au ma
niement des affaires publiques a exercé la plus salutait'
influence sur l'esprit démocratique. Rapprochés de la réa
lité des choses, aux prises avec les difficultés qui naisser
pour toute réforme de l' entrecroisement et de la multipli
cité des intérets, de la résistance" et de la coalition des pr(
jugés, la partie représentative de la démocratie a prompt(
ment pu faire un juste départ, dans ses aspirations, entI
les idées mures, pratiques et réalisables, et celles qui sor
encore incohérentes, prématurées ou chimériques. L' exp(
rience, cet Ol'gane supérieur de l' acquisition de la véril
dans le dom aine de la science, n' est ni moins nécessaire 1


"


moins féconde dans la sphere de la politique, et nul prc





A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 19


gres au monde n'est plus désirable pour la démocratie
que de s'instruire, par elle-meme et par la gestion de la
commune et du département, des regles et des nécessités
du gouvernement de l'État. Ainsi se formera une nation
nouvelle, véritablement libre et libérale, assez sure d' elle ...
meme, assez jalouse de sa dignité pour etre respectueuse
des droits de tous et ne faire de l'État que le garant des
liberté s publiques. Ainsi peut-etre, grace a ceUa édueation
expérimentale de la démocratie, finiront les cruelles et
dangereuses guerres de mots, l' esprit public cessant de se
repaitre de vaines formules. Je regarde, en effet, ce qui se
passe autour de nous, et je crois découvrir que nous
avons déja fait de notables progreso Il me semble que par-
tout s'est répandue une notíon juste et vraie, dont nous
verrons plus tard se produire les heureuses eonséquences :
e' est qu' en somme, les abus, les exces, les entraves, les
infériorités de toute nature dont patissent fmeore, en dépit
de la Révolution franc;aise, les innombrables eouches la-
borieuses de ce pays, ne dépendent pas d'une solution
théorique, uniforme, capable de les effacer et de les
abolir, comme une formule d' algebre sert a résoudre une
équation. L'idée d'une telle solution, abstraite, insaisis-
sable, la démocratie la perd infailliblement au contact de
la réalité et, comme on dit vulgairement, en mattant la
main a la pateo Par contre, la démocratie acquiert simul-
tanément une notíon non moins préeieuse : c'est que
toute plaie sociale, tout. vice social a ses racines dans une
des dépendances de la législation politique, commerciale,
judíciaire, administrative, éconornique du pays; mais que




20 LETTRE
ce mal doit etr.e considét'é en luí-meme, pris a partie en
quelque sorte, et qu'iI doit etre combatlu avec les moyens
et par les procédés meme qui ont aidé et facilité sa propa~
gation dans le corps social, de teIle sorte que, pour ceux
de nos amis qui les étudient de pres dans les affaires, iI y a
autant de problemes soci~ux, divers, variés qu'il y a df
conditions politiques, administra ti ves ou économiques diffé·
rentes, et pour chacun desquels iI faut chercher un pro-
cédé spécial de solution, ce qui fait que toute question
dite sociale se résout en fin de compte, et par l'action im-
médiate des mandataires du pays, en question d'ordre po-
litique.


Ce sont les résultats d'une si prompte et si efflcace édu·
cation qui me font désirel' ardemment de voir s'augmentel
le nombre des membres de ces nouvelles couches sociale~
qui, dans tous les corps électifs clu pays, pourront s'ini~
tier a leur tour el la connaissance et a la gestion des inté-
rets vitaux d'une démocratie qu'ils composent pour la plm
grande parto Un pareil progres ne va pas sans le progreE
meme de l' esprit de légalité clans les rangs du suffrag€
universel. Si dure que soit la légalité, si genante que la
fassent parfois des interprétations captieuses, notre démo-
cratie a compris admirablement que c' est par le respect
systématique de la légalité qu' elle forcerait ses adversaire~
a se découvrir, pour apparaitre a tous les yeux comme deE
provocateurs et des violents, et qu'elle ne tarderait pas,
pour sa part, a gagner la contiance des véritables conser-
vateurs, des esprits vraiment modérés. C'est pour faire
cette démonstration que nos élus, a l'exemple de leurs




A UN CONSEILLER G~;NÉHAL. 2t
commettants, :;ont restés fermes el impassibles depuis
trois ans, sous les injures, les intimidations, les menaces,
les rigueurs, se eouvrant a leur tour de la légalité qu'ils
avaient respectée en toute occasion et l' opposan t aux arti-
fices et aux empiétements d'agents qui se proposaient de
les pousser a bout. lis ont rempli leur tache dans les con-
ditions les plus difliciles, défendant hautement les droits
et les intérets de leurs électeurs, en dépit des sévérités de
eet arbítraire légal, l'état de siége, établi contre l'étranger
et maintenu eontre l'opinion. Les nouveaux élus persévé-
reront dans eette conduite si sage et si patrio tique. Ils con-
tribueront a maintenir, en faee des ardeurs et des partís
réactionnaires, cette union, eette concorde, cette inalté-
rabie patience de toutes les fractions de la démocratie ré·
publieaine; ils prépareront par la le tríomphe, lor8 des
élections générales, des défenseurs de la démocratie dans
tous les départements.


lB.


e'.est, en effet, une vérítable préparation aux élections
générales que tous les partís s' aceordent a voir· dans le
scrutin du 4 octobrc.


La conspiration monarehique a' épuisé, pendant ces
quatre dernieres années, toutes les ressources dont elle
disposait pour surprendre la Franee et luí imposer la
royauté. Impuissante a ramener le régime de ses vooux,
elle est également impuissante a retarder bien longtemps




LETTRE


,encore l'établissement définitif de la République, et e'est
avec terreur qu'elle envisage le moment ou il lui faudra
avouer·publiquement sa défaite et rendre la parole au pays,
Ces réaeteurs ont cherehé a se débarrasser du suffragf
universel : ils n'ont réussi qu' a le molester et a le rendr(
plus vigilant et plus hostile. lIs ont frappé d' ostracism{
toutes les munieipalités républicaines, et ils n' Ollt réuss
qu'a donner, dans toutes les eommunes de la France, UI
chef et un guide a l' opposition démocratique en faveur de~
franchises muni~ipales. lIs ont chassé de leurs postes tom
les fonctionnaires suspects d' esprit républicain ou mem(
libéral, et ils n'ont réussi qu'a eonstituer une administra·
tion divisée, hétérogene, inerte, quand elle n' est pa!
tpaeassiere. lIs ont combattu sur le terraill électoral tom


. les candidats républicains, et ils n' ont réussi qu' a rassem
bler, qu' a concentrer toutes les forces républicaines daIl:
un meme faisceau. lIs ont presque partout porté la maÍl
sur la presse républicaine, et ils n' ont réussi qu'a suscite
le zele et l' activité des citoyens, obligés de suppléer al
silence forcé des journaux par un redoublement d' efrort:
personnels. I1s ont afl'ecté le pQuvoir constituant, et il:
n'ont réussi qu'a mettre en lumiere ceUe idée, depuis long
temps en possession de l' opinion publique, que la Francj
seuleest de taille a se donner des institutíons. Ils sont ¡
bout de ressources. Les vacan ces exagérées qu'ils se son
données prendront bíentót fin, et il faut qu' a leur retour
on les mette en présence du plus récent et du plus signifi
catif des verdicts du suffrage universel.


Grace a ces élections du 4 octobre, qui vont mettre el




A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 23
mouvement la moitié de la France, sous l' aUention pas-
sionuée du reste du pays, on peut faire parvenir a Ver-
sailles une grande et décisive parole. Chaqu& canton, con-
voqué au scrutin du 4. octobre, doit tenir a honneur de
faire connaitre sans équivoque, par l'intermédiaire d'un
homme ferme et convaincu, que son choix est faít, et qu'il
attend désormais, du gouvernement de la République aux
mains des républicains, la protection de ses droits, la sé-


; .


eurité de ses intérets. Nul des serviteurs de la démocratie
n'a le droit, en pareille conjoncture, de décliner le mandat
qui luí serait offert par ses concitoyens. Les raisons pri.
vées, fes refus tirés des gouts et des convenances domes-
tiques ne sauraient etre accueillis, quand il s' agit d' un
service que le pays est en droit de réclamer de tous ceux
qui s'intéressent a son relevement et a sa prospérité. Les
adversaires de la démocratie ne manquent pas d' objecter
que cette préoccupatioIl politique, de la part des républi-
cains, esto une nouvelle cam·e d'agitation pour le pays ; et
certes oui, e' en est une. Mais a qui la faute ? Si l' Assem-
blée de Versailles a vait mieux compris les intérets de la
patrie, si elle avait voté cette dissolution que rendaient
nécessaire ses avortements successifs et la situation péril-
leuse de la France, nous n' en serions pas réduits a tenir
un tel langage. Si meme elle avait, au dernier moment,
dans un élan de bon sens et de clairvoyance, adopté la
proposition de M. Casimir Périer, le pays, rassuré sur le
sort de la République, ne seraít pas forcé de se servir d.e
tous les mOytms pour aflirmer sa volonté de l'adopter pour
forme de gouvernement. Oui, e' est une agitation; mais




24 LETTRE
elle est légitime, elle est salutaire; tous les bons citoyens
doivent désirer qu' elle serve enfin a mettre un terme a la
politique de résistance et de combato Ellfin, il est souhai-
table que les triomphes électoraux, que le zele et l' activité
des républicains s'efforcent d'obtenir, éclairent et dissip~nt
les dernieres hésitations de ce groupe de députés qui,
sans aversion marquée pour le régime républicain, n' ont
pas osé se confier encore au gouvernement de droit de la
démocratie, et qui ont chercqé, dans un expédient poli-
tique san s prestige et sans assiette, les garanties d' ordre et
de sécurité qu'ils ne peuvent trouver que dans la satisfac-
tion des vceux de la France.


Le besoin que la France ressent depuis tantot quatre
ans de se donner un gouvernement définitif pour mettre
fin a ses divisions intérieures et vaquer, san s souci du len-
demain, au développement de ses merveilleuses ressources
naturelles, est, pour ainsi dire, surexcité encore par les
appréhensions redoutables qui lui viennent du dehors. La
France ne peuL pas s'accommoder plus longtemps de la
situation précaire, fragile, périlleuse, ou elle est aujour-


• d'hui. Sa politique extérieure, sans dessein ni plan arreté,
soumise aux tiraillements des partis les plus divers, expo*
sée a toutes les surprises, reste a la merci des évéllements:
elle ne retro uvera de direction précise qu'avec un principe
précis et fermement adopté dans le gouvernement. L'his'
toire ne voudra pas croire qu'apres les malheurs qui on1
assailli la FraIlce, les terribles le()ons qu' elle a re()ues d(
la fortune, elle a pu passer quatre ans, grace a l'impiét(
des partis l sans institutions, sans direction et par con sé-




A UN CONSElLLEH GÉNÉRAL. 25
quent sans diplomatie véritable. Jamais les heul'es n' ont
été plus précieuses, jamais on ne les a plus témérairement
gaspillées. Qui oserait dire cependant, dans l'état d'arme-
mentou SOlÚ les divers peuples de l'Europe, au milieu des'
haines et des convoitises surexcitées de toutes parts, qui
oserait dire que le temps nous sera donné pour réparer les
fautes du passé et HOUS trouver, le cas éehéant, en état de
porter le drapeau. de eet.te nation a qui l'Europe n' a
jamais retiré son admiration '?


La responsabilité en pesera tout entiere sur ces hommes
de parti qui, moins préoeeupés de l' avenir de la patrie
que de la satisfaelÍon de leurs passions poli tiques, auront,
pal' leur détestable eonduite, retardé tout ensemble, mais
heureusement sans pouvoir y éehapper ni l' empeeher,
l'avénement de la République et le relevement de la
Franee.


Pendant que ces partis s' épuisaient dan s leurs dis-
sensions intestines, la démocratie, grandissait, s'instrui-
5ai!, trav~illait, se diseiplinait, en un mot prenait posses-
8ion du pays, en raisant sortir tous les jours de ses rangs
les meilleurs de ses fils, pour les installer a tous les degrés
dans les Con'3eils éleetifs ; elle prépal'ait ainsi le nombreux
personnel r;,écessaire au fonetionnement des institutions
qui réaliseront réellement le gouvernement du pays par
le pays, la Hépublique. C' est ce personnel que la démo-
crat.ie doit toujours avoir en vue dans les diverses manifes-
t.ations électorales. Le serutin du 4 oetobre 1874, j' en ai
la fel'lllC aSSUl'allee, augmen tera ce brillan t et solide
efl'ectif.


2




26 LETTRE A UN CONSEILLER GÉNÉRAL.
C'est d'ailleurs, mon cher ami, l'espoir que j'enten&,


partout exprimer autour de moi, et e' est mon excuse de
cette longue lettre.


Salut fraternel.


I




LETTRE
A UN CO,NSEILLER GÉNÉRAL


Consulté sur la conduite a tenir par les élus de la démocratie
dans les Conseils généraux, 1\1. Gambe!ta vient d'adresser a un
de ses amis, nommé conseil!er général dans l'un des départe-
ments du centre, la lettre suivante :


París, le 16 octobre 1871.


A "~1. C ... , membl'e du Conseil général du département
de l'Allier.


Mon cher ami,


Au moment d'aller prendre votre place au Conseil géné-
ral, vous voulez bien me demander mon opinion sur les
élections qui viennent d' avoir lieu et sur la conduite que
doivent tenir les élus de la démocratie républicaine dalls
ces nouvelles assemblées. Comme la maladie me faíl
actuellement des loísirs forcés, je vais m'expliquer libre-
ment et complétement avec vous sur cel important sujeto
J'ai beaucoup réfléchi aux avis que je vais vous donner,




'28 LETTRE


sur votre propre demande; vous verrez d'ailleurs, a la
leeture, que mes l'éflexions ont un earaetere personnel et
qu' elles s9nt toutes inspirées de eette pensée : que ferais-je,
que proposerais-je, si j'étais membre d'un Conseil géné-
ral? C' est done la regle de ma propre eonduite que je prends
la liberté de vous eommuniquer.


I.


Les éleetions qui viennen t d' avoir lieu dans tonte l' éten-
due de la République doivent elre envisagées a plusieurs
points de vue, si l' on veut en bien saisir le earactere et
l'importanee.


Le premier, le plus .apparent et le plus grave de ces
points de vue, ,e'est qu'elles ont été des élections poli-
tiques. Le pays, fatigué d'intrigues monarchiques dont les
unes sont audaeieuses et impudentes l et les autres dis·-
eretes et perfides, quelque peu irrité, d'ailleurs, de voir
l' Assemblée de Versailles rester sourde aux manifestations
de la volonté nationale dans les serutins des 30 avril el
2 juillet, a voulu affirmer une fois eneore sa résolution de
se rattacher a la République, de mettre un terme au pro-
visoire et a l' équivoque et de confler a des mains républi-
eaines le soin d' administrer et de relever ses affaires. Ce
sentiment s' est fait jour de deux mani(ll't~s, a la ville et a
la eampagne, par l' éehee que le suffrage universel vient
d'infliger llon-seulement aux monarehistes avérés ou hon-
teux, mais aussi aux républieains légitimement suspects




A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 29
de tiédeur et de mollesse. Done, sans nous laisser aller a
aucun entrainement, nous pouvons conclure que les élec·
tíons sont politiques et qu'elles sont républicaines.


Le second point de vue, moins éclatant que le premier,
mais a coup sur aussi consolant et. aussi décisif, e' est
que ees élections des Conseils généraux qui étaient
souhaitées et préparées par la réaction comme un moyen
sur et déja éprouvé de ressaisir la France, de refou-
ler le parti répubhcain hors de toute administration
publique, d' organiser. el de hater, grace au coneert des
influences locales savamment aeeouplées, le renverse-
ment meme de la forme républicaine, ees élections ont
tourné a la eonfusion de toutes ces espérances rétrogrades.
Désormais~ les Conseils généraux, ees assemblées locales
qui, depuis trois quarts de siecle, n'on1 serví que de point
d'appui a tous les despotismes, au centre eomme aux
extrémités du eorps social, vont échapper a la direction
exclusive, soit des agents du pouvoir central, soit des repré-
sentants des monarchies déehue,s. Elles ne seront plus,
comme par le passé, des instruments doeiles aux mains,
soit des préfets du gouvernement établi, soit des fauteurs
de restauration. C'est un grand pas, le plus considérable
peut-etre qui aít été fait vers l' établissemen t et l' organi-
sation de la République.


Le troisieme point de vue sous lequel je considere ees
élections me parait pouvoir etre indiqué d'un seul mot :
Elles sont profondément démocratiques. Par la, elles mar-
quent jusqu'a quel.point ]e suffrage universel prend tous
les jours une plus grande possession de lui-meme. La


2 .





~o LETTRE
lumiere se fait dans ses couches les plus profondes. Il est
visible qu'il est résolu a écarter les vieilles lisieres, a rom-
pre avec les traditions ínintelligentes et serviles du passé
et qu'il ~'affranchit des influences locales que ne légitime
pas une supériorité d'intelligence ou dedévouement. Le pen-
pIe, petite bourgeoisie, ouvriers et paysans, con~oit de jour
en jour plus clairement l' étroite relation de la politique el
de ses affaires; il veut etre représenté pour lui-meme; iI
se représentera bientót lui-meme : c'est une Révolution.
Dans un grand nombre de cantons, le sufl'rage universel a
repoussé 'le vieux personnel politique de tous les partís,
personnel épuisé dans sa moralité ou dans son inteHigence,
et il a porté ses choix de préférence sur des hommes nou-
veaux dont les déclarations sont empreintes de l'esprit
démocratique le plus net et le plus novateur. Ce n' est pas
un des moindres enseignementst de eette période électo-
rale que d' observer la différence du langage tenu par les
candidats prétendus eonservateurs el par les eandidats
républieains. D'un cóté tout est équivoque et dissimula~
tíon; sauf de tres-rares exeeptíons, il n'y a pas eu un
candidat de la monarctúe qui ait osé l' a vouer. De l' autre
coté, tout est franchise el loyaulé. Les républicain~ déda-
rent hat:ltement leurs préférences, }eurs dévouements a la
Républíque dont ils veulent llon-seulement la proclama ..
tion nominale, mais toutes les cOIlséquences politiques et
sociales; et ils le disent. Ds entreront dans les Conseils
généraux. ave e l'autorité que dorlIle un mandat publique-
ment débattu et déterminé. Leur origine leut' assure d'a-
vanee, s'ils y l'estent fideles, une influence qui ne fera




A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 31
qu'aller en s'accroissant; par leur exemple, ils encoura m
geront le suffrage univer8el a persévérer et a s'avancer
dans sa nouvelle voie, et le jour n' est . pas éloigné ou la
démocratie, qui est évidemment le nombre, sera le pou-
voir. IIlui suftlra de prendre ses représentants a tous les
degrés dans ses propl'es rangs, et c' est ainsi qu' elle chas-
sera de la politique les oisifs et les intrigants.


Je ne vous parle pas,. mon cher ami, si ce n f est pour
mémoire, de la défaite des députés compromis dans la
Chambre par leur hostilité excentrique aux idées modernes,
La déroute de ces champions du passé n' est Jaite ni pour
nous. émouvoir ni pour nOUi; étonner. Créatures de la su\, ...
prise et de la peur, ces 'pseudo-mandataires du peuple
devaient rentrer dans le néant d'ou le peuple ne les a tirés
que par erreur. Leur échec n'avance pas la question de la
dissolution SUl' les halles de l' Assemblée, mais 011 peut
dire que le pays vient de la prononCel'. En face d'un tel
arret, messieurs les. élus du 8 février n' ont plus que le
choix entre une uSUfl)ation el la retl'aile. Mais je n'insiste
paso Et apres avoir établi les divel's cal'acteres des scrutins
des 8 et 15 octobre, j'ai hate de vous dire comment je
compl'ends la conduite des élus de la démocratie dans les
cOllseils des départements.


II.


Tout d'abord, je m'interdirais ,'ié\'~rement toute ingé-
rencc sur le terrain oe la poli tique générale. Et ne voy~z




32 LETTRE
pas de contradiction entre ce ferme propos et le jugemen t
que je portais tout a I'heure sur le caractere politique des
élections. Nommé comme républicain, je ne croirais pas
pour cela devoir altérer la nature et la compétence du
Conseil. Plus que jamais, je chercherais a sépal'er l' admi-
nistration de la politiqueo .le me garderais de confondre
les attributiol1S et de transformer les conseils généraux en
assemblées législatives au peti~ pied. Ce serait a la fois
commettre un empiétement et donner un mauvais exem-
pIe. Je ne réclamerais done ni la dissolution de l' Assem-
blée de Versailles, ni la proclamation de la République,
ni toute autre mesure de politique générale. Je concen-
trerais tous mes efforts sur le terrain de l' administration
et des intérets locaux. Je me considérerais comme l'homme
d' affaires de mes cornmettan ts; la tache est déj a assez
lourde: heureux ceux qui pourront y suffire I En effet, que
de questions a étudier', que de détails a connaitre' que de
solutions a rechercher et a faire prévaloir' Je voudrais me
réunir et m'associer préalablement avec mes collegues, et
arreter de concert avec eux une méthode de travail. Car le
temps est passé des sessions rapides et stériles, ou I'on en-
registrait a la hate les projets du préfet, ou 1'0n donnait
lecture de quelques rapports rédigés dans les b~reaux, oü
le diner a la préfecture était la grande affaire de la session!
Ce n'est point ainsi qu'on va procéder. Il ne faudra plus
se con ten ter d' enregistrer les déclarations préfectorales,
et l'examen sommaire du budgetdépartemental ne saurait
suffire. Je comprends et je me fais en esprit un autre
role pour les élus et les interpretes du suffrage universel.




A UN CONSEILLEn GÉNÉRAL. 33


Il faudra qu'ils portent leurs investigations et leur-s études,
non-seulement sur tous les services établis, mais encore
sur tous les éléments économiques, politiques, sociaux,
dont la réuniori forme le département.


Nos élus doivent demander et faire eux-memes des en-
quetes approfondies sur l' état de la population, ses divi-
sions, son développement, son hygitme, son bien-etre, ses
ressources, ses miseres; ils doivent mettre en premie re
Jigne de leurs travc:.ux l' enquete sur la situation scolaire,
sur le nombre des écoles existantes, l' état des édifices, la
qualité des maitres, la nature des prograrnmes, et indiquer
toutes les réformes, tous les progres que réclame eette
qucstion qlli, pour le peuple, prime toutes les autres ; ils
doivent tracer également un fidüle tablea u de la situation
agricole du pays, décrire miI1utieusement la condition
des propriétaires de tous rangs et des manouvriers, indí-
quer quelles améliorations peuvent etre apportées par le
crédit ou par la science au sort des populations labo-
rieuses qu'ils représentent : ils doivent encore exposer le
régime industriel de leur département, et nous donner sur
ses intéréts, sur ses besoins, tant au point de vue des ou-
vriers que des patrons, des rens8ignements circonstanciés
et surs; ils doivent dresser le hilan exact de~ revenus el
des dettes du département, étudiel' ses forces contributives,
analyser les conséquences économiques ou sociales des di-
ve1's impots, et rechercher, san s autre préoccupation que
celIe de la justice, les réformes financieres qui, sans
portel' atteinte aux ressources nécessaires a l'État~ pe1'met-
tl'aient cependant de répartir plus équitablement le fardeau




34 LETTRE
des contributions publiques; ils doivent mettre a l' ordre
du jour de leurs plus instants travaux les questions rela-
tives aux indigents, aux invalides, aux abandonnés, 1'e-
prendre de fond en comble les institutions de secours,
hospices d' aliénés, asiles départementaux, etc., et propo ..
ser la refonte complete du systeme actuel d'assistance pu~
blique; ils doivent s' enquérir, par des inspections meme
. personnelles, de l' état des routes et des chemins, des ri-
vieres et des canaux, et dresser une statistique critique de
tous les moyens de communication que le département
possede ou réclame : en un mot, et ceci n' étant qu'une
ébauche, je voudrais qu'a force de travail el de zele, nos
élus ouvrissent et réalisassent une enquete approfondie sur
le département, qui permettrait de voir, dans l'ensemble
comme dan s les détails, l' état vrai de ses ressources et de
ses besoins,' Cette étude nécessaire et préalable leur per-
mettrait alors en toute sécurité de proposer, pour ces
nombreuses questions, les solutions démocratiques.


Une telle investigation, quelque laborieuse et difficile
qu'elle paraisse, s'impose aux nouveaux Conseils géné-
raux : premierement, paree que leurs attributions, par une
récente loi, se sont singulierement accrues; el seconde-
ment, paree que le parti républicain entre, pour la pre-
miere fois, d'une poussée aussi générale dans ces assem-
blées locales j usqu'ici fermées aux représentants de la
classe la plus nombreuse et la plus pauvre, et paree que
le partí républicain doit y apporter, avec son gout lradi-
tionnel du libre examen, le souci d'intérets jusqu'a présent
relégués au derniel' rang des préoccupations administra-




A UN CONSEILLER GÉNÉRAL. 35
tives. C'est un monde nouveau qui arrive. Il a le droit et
le devoir de prcndre connaissance~ sous bénéfice d'inven-
taire~ de la succession léguée par les régimes antérieurs.
Quelle lumiere, quels enseignements sortiraient d'une sem-
blable enquete, entreprise et poursuivie par chaque Con-
seil généraJ, dans tous les départements de la République!
QueIle éducation pratique en retireraient les hommes qui
y auraient pris part r Quelle occasion de se produire pour
les inteIligellces et les aptitudes de tout ordre, sans
compter que la France n'aurait jamais possédé de plus
complets ni de plus sinceres renseignements sur elIe-
meme!


Vous voyez, Ilion cher ami~ que la tache est rude et que
les sessions dont la durée a été trop parcimonieusement
mesurée par la loi nouveIle seraient vite remplies. Sous la
pression de l' opinion publique qui ne manquerait pas de
s'intéresser a un pareil travail, le Conseil général pren-
drait vraiment le rÓle et l'importance qu'il doit avoir: Il
devÍendrait la pépiniere des administl'ateurs et des hommes
poiitiques du pays. La \'ie locale reprendrait son éclat et sa
féeondité, et cela au bénéfice commun de la France et de
la République ..


lll.


Il va sans dire, mon cher ami, que cette route est
longue et semée d'obstacJcs. II faut d'abord que tous nos
ami s s' entendent, se disciplinent et se dévouent au travail ;




36 LETTHE
qu'ils se partagent le fardeau, et se distribuent, d'ap1'es les
gouts et les aptitudes de chacun, leul's divel'ses besognes.
Et tout ne sera pas faíl. Il faudra faire pl'évaloil' les solu-
tions déja trouvée.s, en propose!' de nouvelles. Vous ren-
contrerez dans les Consei!~ des l'ésistances Opílli:1Lres, mais
ne vous découl'agez paso Hes tez surtout en communication
incessante avec le suff1'age uniyersel; faítes-Ie consta m-
ment votre arbitre; adressez-lui des communications im e
primées sur les sujets importan ts; qu'il sache que vous
agissez, que vous luttez, que vous peinez pour luí, et
chaque jour vous ferez un progres de plus dans l'opiníoll.
Les populatíoIls au milieu desqueHes se produiront ces
effo1'ts se rapprocheront de plus en plus ,de vous. En vous
voyant laborieux el dévoué3, soucieux de ses affaires, ja~
loux de ses elroits, le peuple saura faire justice des ca-
lomuies et des redites miséralJles dont le partí républicain
est pour~)uivi par des advel'sail'cs de mauvaise foi.


L'ambition de ce parti est de demolltrer, en etfet, par la
pratique, en se faisant, a tous les degrés de la vie sociale
comme de la vie publique, le défenseur de tous les intéréts
légitimes, en se pl'éparallt a cette BoLle taehe par l' étudc
et le maniement meme de ce" intérets, qu'il ne cOIl<;oit la
politique que comme uu moycn de protégel', de dévúlop.
per et d'assurer les dl'oits de tout ce monde du travail,
boul'geoisie et prolétal'iat, qui faít le fond de la démocl'atie
fran<;aise. Cette cOllceptioll de la politillue démocratique
est la traditioll meme de la Hé\'olutioll) qui n'a roulu
changer l'état politiquc de la Frailee que pOll!' donller le
sol, le capital el l'outil, a ecux qui, jus(lu'a elle, soit aux




A UN CONSEILLER GÉ~ÉRAL. 37
champs, soit a l' atelier, ne possédaien t ríen, n' acquél'aient
rien et ne eomptaient pour rien dans le monde. Nous
devons nous maintenir dans eeUe tradition; et, quand
patiemment, laborieusement, 1l0US aurons donné de notre
aetivité et de nos aptitudes des preuves réitérées et eer-
taines9 le concours assuré de cette démocratie, pour la-
quelle nous aurons livré sous ses yeux tous nos combats,
nous sera unanimement acquis. La démocratie haussera
les épaules aux paroles de dénigrement et d' outrecuidance
de nos adversaires, qui sont aussi les siens, et elle se ehar-
gera, d'un coup de scrutin, de remettre toutes ehoses et
toutes personnes en leur place. Il ne sera plus possible de
retarder bien longternps son avénement dans les institu-
tions et dans les lois; elle ne voudra plus se contenter
d'une fa<;ade républicaine; elle voudra élever de ses
propres mains son propre temple. Ainsi s'évanouiront les
impertinentes théories polítiques qui parlent de fondel' la
République sans les républicains.


e'est a eette ceuvrc, mon eher ami, que vous etes eonvié
et que vous pouvet apporter un ú utile eoneours ; el e' est
paree que cette reuvre expérirnentale est éminemment
politique que je irouve superflu, pour ne pas dire péril-
leux, d'aborder, au Conseil général, les questions de po-
¡itique pure, meme sous la forme la plus indirecte. En
faisant ce que je propose, il me semble que nous aurOIlS
plus efficacement servi la République que par des discus-
sions passionnées et absLraites. lmitons ce Conseil muni-
cipal de Pari~ qui, bien qu' élu sous l' état de siége, au
lendcmain des plus cruelles épreuves , eompte dans ses


3




38 LETTRE
rangs des citoyens et des politiques ardents. II a volontai-
rernent écarté les incidents de la poli tique générale eL
confondu, par la sagesse et l'intelligence de ses actes)
toute la tourbe des insulteurs a gages qui avait prédit que
l'avénernent de pareils hornrnes serait la consommation de
la ruine de Paris. L' enquete qui est sortie de ses études a
mis en lumiere deux choses dont nous devons profiter,
l' excellence de la ligne de conduite adoptée et l'utilité. de
premier ordre qu'il y a pour des gens qui entrent aux a~­
faires de se rendre compte des besoins et des diflicultés
avec lesquels il!t vont se trouver aux prises.


C' est la politique qui se préoccupe surtoul et avant tout
de l'étude des questions el de leur solution démocratiquc 1
qui est la politique du parti radical. En effet, le radica-
lisme n' est pas un vain mot; ce n' est pas une nuance :
c'est un parti et une doctrine. A la différence du parti ré·
publicain formaliste qui se contente d'une pure devise,
qui a conservé jusqu'ici toutes les institutions monarchi ..
ques, et qui s' accornmode de compromis et d' allianees
souvenl coupables, toujours funestes, le parti radical se
préoccupe avant tout des institutions organiques qui ne
fassent plus de la démocratie un mensonge et de la Répu·
blique un leurre. Donnez donc, dan s ces Conseils géné.
raux, l'exemple du travail ; démontrez votre compételÍce
dans le maniemenl ~es affaires publiques; répandez par-
tout vos idées et vos principes, et le pays saura bien vous
appeler a les mettre en pratique, le JOUl' ou les solutions
radicales seront COllllues de Lous ceux qui Ollt intéret a les
appliquer.




A UN CONSEILtER GÉNÉRAL. 39
C'est par l'application suivie d'une pareille méthode a


l'intérieur que la démocratie parviendra a mettre en
ceuvre ses admirables ressources et les trésors de force et
de puissance que recele notre grand pays, el gu'il sera
donné a la France de reprendre sans précipitation, sans
aventures, le rang qui lui appartient dans le monde, de
ressaisir les provinces violemment arrachées et de faire de
son intégrité restaurée le gage de la paix européenne.


Pardonnez-moi, moD. che!' ami, ces longs développe.
ments. Je crains cependant de n'avoir pas assez dit sur un
aussi grave sujet. Pensez-y vous-meme et faites-moi con-
naitre vos impressions.


Salut fraternelo






DISCOURS POLITIQUES


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DISCOIJRS
PRONONCÉ A BORDEAUX


L(, 20 Juin 1871


MESSIEliRS ET CHÉRS CONCITOYE~S,
le n'ai pas voulu remettre le pied sur le sol d'ou j'étais parti,


apres les fatigues qlle vous savez; .le n'ai pas voulu rentrer en
France 'pour y prendre ma part de responsabilité et d'efforts
dans les travaux du parti républicain, sans m'arreter a Bor-
deaux.


J e devais vous exprimer, a vous qui représentez l'union
faite dans le parti répubJicain, tout ce que, de loin comme de
pres, je vous garde de sympathie et de reconnaissance pour
les sentiments que vous m'avez toujours témoignés, et aussi,
pourquoi ne le dirais-je pas? j'ai voulu, 11 propos des élections,
11 propos de la situation si grave oll se trouve le pays, vous
dire, san s aUCllne arriere-pensée personnelle, puisque je ne
suis pas eandid(}t dans ce département, ce que j'e:::pere, ce que
je désirerais accomplir. (lci l'oratellr est interrompu par les
npplaudissements; iI reprend :)


N'applaudissez pas, messicllrs? L'hellre est beaucoup trop
solennelle pour que nous ayons, les uns et les autres, d'autres
paroles que eelles de l'estime et de la confianee réeiproques.
(Tres-bien !)




DlSCOURS


La situation actuelle de la France, quand on l'examine df:
tres-pres, quand on est animé, pour cet examen, de la passio!l
de la justice el de la vériLé, c'est-h-tlire que 1'0n a, pOllr se
garalltir des illusions du cceur, les regles de la raison, est bien
faite pOLI!' nous inspire!' les plus profundes tri:-;lesscs, mais nom;
invite aux mesures les plus viriles et 1l0LlS interdit le découra-
gement; éludio[ls-la, et nous arriverons á celle condusion que
si le parti républicain veut, il peut, et que s'il sait, il parvielldra
a régéllérer ce pays et á y ronder un gOllvernement libre l ;1
l'abrí des surprises, des réactions el des d(~failjances.
C'e~t celte démonstration qll'll est uLile de faire aujourd'hui;


et qu'il importe surtout de faire en face des compétitions des
partís monarchiques, non-seulement pOllr llmeBer le triompho
des prillcipes auxquéb nous sommes attachés, mais surtout, iI
ne faut pas cesser une minute de le répéter, ponr donner 11 la
France son salut.


A l'hellre ou nOllS sommes, qlle voit-on dans le pays? 011
voit les hornmes ql1i, dans tOllS les temps, ont rnéclit de la clé-
mocratie, qui l'ont elle en haine, ou par igool'(lIlce ou par in·,
térét personnel, exploiter iJ leut' profit la eréclulité et la paniqlle,
défigl1rer systématiql1ement les hommes et les cllOses, et s'cf-
forcer d'atlribuer les exces des derniers mois a la Répl1blique,
a laquelle ils doivent cependant de n'avoir pas été em-
portés.


El je tronve qll'il y a entl'e la situation actllelle et la sitlla··
tion qui se dérolllait au mois de mai 1870 une analogie plcine
d'enseignements.


Al! Illois de mai 1870, la France a été interrogée; vous savez
par qui et comrnent. ~Iais il n'en est pas moins \irai qu'elle
étaÍl investie dll droit de prononcer sur ses de.stinées.- A }'aide
de la coalition de toutes les pellrs, snrexcitéc par une presse
stipendlée, a l'aicle de la coalitioll des intéret3 les plus bas -
intéréts dynastiql1es, inll~l'éts de parasites - on a sllrpris la
France, 011 a surpris son vote; mai:; elle n'en a flas moins pro-
noncé son arrét, et, avec une rapiclité fOllclroyante, trois mois
apres, l'arrél s'accomplissait: el elle était punie, chfitiée tm




A BOnDEA r '\. 45
dela de tonte jl1slice, pOllr s'{'tre alJandonnée al1X mains crimi-
llelles d'un el1lp(~rellr.


On lni po~e alljollnl'htli, SOLlS des norns divers, la meme
question : v811t-elle, IUle [ois cncorc\ abdiquer el verser <1an3
l'orniere des dynasties ?


De quelque notll qu'on dégnise les choses, VOllS le voyez,
c'est tOlljours la quesLio!l de savoir si la France veut se gOLl-
verner Jihrement, Oll ~i elle ,>eut se livrer, el si la terrible ex-
périence d'otI elle est sortie saignante et mutilée lui a enfin
appris ü se condnire senle et par rlle-meme.


Chose consolallte, malgré les 8Xct~S qui ont élé commis~ et
les crimes qlli ont marqué la chute de la Commune a Paris,
malgré le COllrant de ca lomnies qlli a \'3it élé déchainé contro
le parti réplIblieain, en pleine guerre civile le pays a conservé
son sang-froid; les éleclÍons ll11lflicipalt:s ont atl(:~slé qu'au len-
demain de celle effroyable erise, le pays ne se laissait pas alle1'
a la réaclion. 11 y a la une espérance qui doit nOLlS inspirer la
patience el la sagesse clans \'actioll poJilique. Je erois que, grace
a l'unioll faite rntre les diverses nllances de l'opinion n~pllbli­
caine, nOllS pOLlVOIlS donner ~lla Franee le spectacle d'un parti
discipliné, ferme en ses principes, laboriellx, vigilant et ré::iolll
a lout pOlIr arriver a eOl1vainere la France de ses faeullés gou-
vernemenlales. EII un mul, un parti acce{Jtant la formule: Le
pOllvoir au plus sago el au plus diglle.


II falll dOllc etre les plus sages. Eh bien 1 cnla ne nous cou-
tera pas, par ceUe excellenle raison qu'il n'y a de politiqlle
vraiment sage, vrailllcllt fécünde, que eelle du partí républí.-
cain. (Tres-bietl 1)


I1 faut ne llons lai~ser détourner dll droit chemill ni par les
calomnies ni par les illjures; et j'ai la conviclion que si nous
voulpl1S tenir bon eL re:,lcl' au poste. si noüs vOlllons inct'ssam-
menl, sllr toules les qn8stions rosées, produire les solutions
répubJicaines, IlOUS arriverolls a démonlrer !JienU'¡t, par voie
de cumparaiSCl[] et de conlradiclioll, allX préletltieux qui nous
Jédaignellt un llOliS iglloreut, ql1e IlOllS va!OIlS mieux que les
ilJjllres, que naus somrnes un parli de gouvernemeut capable




46 DlSCOURS
de diriger les affaires, ]e partí de l'intelligence et de la raison,
et que c'est parmi les homm€ls se réclamant de nos principes
qu'on trouv"era vraiment les garanties de seienee, de désinté-
ressement el d'ordre, sans lesquelles un gouvernement n'est
qu'une affaire aH profit de quelques-uns.


11 faut done maintenir et appuyer notre gouvernement, la
République, en fait et en droit. Sans diseuler sur les nnanees
puériles, permettez-moi de vous elire qu'un gouvernement au
nom duquel on fait des lois, on fait la paix, on leve des mil-
liards, on rend la jllstiee, on domple des émeutes qui aurúien t
suffi a emporter dix monarchies, est un gouvernement établi
et légitime, qui prouve sa force et son droit par ses actes
memes. Ce gouveruement s'impose au respeet de tous, et qui-
conque le menace est un factieux. (Bravo! bravo!)


Aux plus sages! aux plus dignes! Parfaitement! C'est une
gageure qu' on doit aeeepter. Ce n' est pas une formu le nouvelle
pour des républicains; e'est leur dogme, de ne voir attrilmer
les fonctions publiques qu'au mérite et ü la verlu. C'est a ce
respeet du mérite et de la moralité que nous avons vaiuement
rappelé l'Empire; c'était meme paree que la rnorale s'oppose a
toute transaction avee un pouvoir fondé sur le crime et main-
tenu par la eorruption, que n-otre opposition était alors irré-
conciliable et révolutionnaire.


Aujourd'hui, l'opposition, sous le gOllvernement républícain,
change de caractere et modifie sa nature et ses plans de con-
duite; elle doit presser el controler, et non détrllire. OIJi, nous
serons respectneux de volre autorité, respeetueux de votre lé-
galité, respectueux de vos eboix, mais nous n'abandonnerons
pas le droit de critique el de réforme ; et, eomme nOllS n'avons
jamais demandé de fa veurs 11 persollne, ÚOtlS laissEwons le suf-
frage universel prononeer entre cellX qlli nous dédaignent et
cellX qui ont eu la patience et la constance de lutter pour la
République et la liberté. (Vifs applaudissements.)


CeUe eoneeption du role de l'opposition sous la République
tient a des différences d'fige et de temps. II esl eertain que l'age,
je dirai hérolqlle, chevaleresque du partí, est passé depuis la




,\ fl()RDEAli\.


réalisation d'llne partie de ses espérances. Et nous avons, au-
jourd'hui qu'il s'agit de développer l'application de nos prin-
cipes, le devoir d'etre aussi froids, aussi pD tients, aussi me-
sur~, aussi habiles, que nous a vons été enthousiastes,
véhéments, alors qu'il s'agissait de rejeter dans le néant les
contrefaGons du Bas-Empire. (Tres-bien!. tres-bien!)


Oui, sous un gouvernement qui, pour m aintenir l'ordre, a
été obligé de se récJamer de la légalité de la Républiqlle, il
faut savoir patienter, s'attacher a une chose ; il faut que cette
chose soit immédiatement réalisable, et se tenir a elle jusqu'a
ce qu'elle soit réalisée.


Et, messieurs, permettez-moi de vous le dire, plus nous
spé'cialiserons, plus nous centraliserons nos efforts sur un
point donné, plus promptement nous sllsciterons des auxiliaires
Mvoués dans les rangs dl1 suffrage universel, qui prononce en
dernier liel1, et plus nons abrégerons les délais qui nous sépa-
rent du succes. L'unilé, la simplicité dll but, tel doit etre le
mot d'ordre; mais il ne sl1ffit pas d'avoir le ferme propos de
faire du parti républicain un parti a la fois de principes el
pratique, un parti de gouvernement ; il fant a ce parti un pro-
gramme net, précis, ennemi des utopies, ennemi des chimeres;
surtout il ne faut se )ais~er détourner par rien de sa réalisation,
el ne jamais se rebllter ni se lasser dans la lutte entreprise
pour refaire le pays, refaire ses mmurs, et, en le ravissant aux
intrigants, l'empecher d'étre conslamment ballotté entre le
despotisme et l'émeute provoquée. Il filut faire disparaitre le
mal, cause de tous les maux: l'ignorance, d'ou S'ortent alter-
nativement le despotisme et la démagogie. Pour combattre ce
mal, de tous les remedes qlli peuvent solliciter l'attention des
hommes politiques, il en est un qui les domine et les résume
tons: c'est l'éducation de tous. Il faut savoir a l'aide de quelles
mefoiures, de quelsprocédés~ au lendemain de nos désastres,
qui sont imputables, non-seulement au gouvernement que nOllS
avons subi, mais encore a la dégénérescence de l'esprit pnblic,
nous pourrons nous garantir des chutes, des surprises, des'
erreurs, des infériorités qui nous ont tant couté. Étudions nos




48 DlscnUHS
malheurs, remontons allX causes, a la premiere de toutes:
nOllS nous sommes laissé distancer par d'autres pel1ples, moios
bien doués que nous-memes, mais qlli ont marché pendant
que nous restiulls stationnaires. '


Oui, on peut élablir, preuves en main, ql1e c'est l'infériorité
de notre édllcatioll nationclle qui 1l01lS a cOllduits aux reverso
Nous avons étl~ battl1s par des adversaires qui avaient mis de
leur coté la prévoyance, la discipline eL la science: ce ql1i
prouve, en derni0re allalyse, que meme dal1s les conflits de
la force matérielle, c'est l'inlelligence qui reste mallresse. Et
a l'intérieur, n'esL-ce pas l'ignorance dans laqllelle on a laissé
croupir lns masses qui engendre, presql1e Ü époque tixe, ces
erises, ces exp!osions elrroyables qui appar'aissenl dans le cours
de notre histoire comme une sorte de mal chroniqlle, a ce
point qu'on pourrait annrmcer ü 1'a vanee l'arriv(~e de ces vastes
tempétes sociales?


« Oh ! il fallt nOllS débarrasser du passé. Il faut refaire la
Franee. » Hlqas ! tel fut le cri qlli, au lenJernaÍn de nos désas-
tres, est sorti de lOllles les poi trines. Pelldant trois mois on a
entendu ce cri sacré, illlltllination slluile d'un peuple qui ne
voulait pas périr. Ce cri\ 011 11e I'entend plus. On n'entend
plllS parler éllljOUrcl'hui que de complots et d'illtr'igues dynas-
tiques; il ll'est plus qllestion que de savoir quel prételldant
s'atlribllera les débri::; de la lJatrie en péril. I1 fallt que cela
cesse; il [aut écarter résolúmellt ce:-l scalldalcllses cOllvoitises
et ne plus pell~er qll'i! la Ft'dllce. 11 fallt se retollrtler vers les
ignorants et le::i déslj(~lité::i, et faire du sufft'llgC utliversel, qui
est la rorce par le llO m !.He , le pUllvoir éclairé par la raison. Il
fallt achever la Révollltion.


Ouí, qllelqlle c,¡)ornniés que soient aujourd'hui les hOffimes
et les principes de la Hévolutioll franc;aise, 11011S Llevons haute-
ment lp,s revendiquer, pOllrsuivre 110tre cellvre, qui ne sera
terrninée que IOfsque la Hévollltion sera accomplie (Applalldís-
sements); mais j'entends, messieurs, par ce mot: la Hévolu-
tion, la diffLlsion des principes de jllstice et ele raison qui l'ins-
piraient el je repousse de loules mes forces l'assimilation




,\ nORDEAUX.


perfide, calculée, de nos aclversaires avec les entreprises üe
la violen ce . La Révolution a vOlllu garantir a tons la justice,
l'é~alité, la liberté; elle proclamait le regne du travail, et vou-
lait en assurer a tous les légitimes frnits; mais elle a subí des
retards, presq1l8 des éclipses. Les conqlletes malérielles nOllS
sont reslé'es en partie, mai::; les eonséql1eoces morales et poli-
tiques sont eocore ti venir pour les pI lIS nombreux : les ollvriers
et les piJysans; ces derniers, sLlrtollt, n'en ont retiré que des
bénéfices matériels, précieux assllrément, dignes de tous nos
respecls el de toute notre sollicitude, mais insuffisants tonte-
[ois ¿l en faire de libres et eomplets eitoyens.


Aussi, rien ele plus logique, de plus naturel que les votes et
les actes eles paysans doot 00 se plain t quelquefois, sans vou-
10ir tenir compte de l'état d'infériorilé inlelleetuclle Ol! la
société les maintient. Ces plaintes sont injustes, elles 50nt mal
fondées, elles se retournent eontre ceux qui les profereut ;
elles 80nt le fait de l'organisation d'une société imprévoyante.
Les paysans sont intellectuellement en aniere de quelques
sieclcs sur la partie éclairée du pays. Ouí, la dístance est
énorme, entre eux el nous qui avolls reC;ll J'éducation elassique
et scientiflqlle, m8me imparfaite, de nos jours; qui avons
appris ti Jire dans notre histoire ; nous qui parlons notre lan-
gue, tandis que, chose eruelle ~l dire, tant de nos compatriotes
ne foot encore que la balbuLier. All ! ce paysan voué au travaiJ
de la terre, qLli porte ~i courageusement le poios dll jour, saus
autre consolation que de laisser ti ses enfants le champ pa-
ternel allongé d'lln arpent, tOLltoS ses passions, ses jaies, ses
cl'aintes sont eOllcenlrées sur le sort de ce patrimoine. Il ne
pcrc;oit· elll monde extérieur, de la société Ol! il vit, que des
fllmelll'S, des légelldes; il est la proie des trompeurs et des
habiles; il frappe sans le savoir le sein de la Révolution sa
b:enfaitrice ; iI donn8 loyalement son ill1pot et ~on sang ti une
suc:été pour laquelle il éprollve alltllnt ue crainte que de res-
pect. Mais la se borne son role, eL si vous lui parlez principe,
il ignore, et naturellement il vous répond intéret! C'est jus-
tice ! C'est elone aux paysans qu'il fallt s'aelresser sans relache,




50 DISCOURS


c'est eux qu'il faut relever et instruire. Les mots, que les partís
ont échangés, de ruralité, de Chambre rurale, il faut les rele-
ver et ne pas en faire une injl1re.


Ah ! il faudrait désirer qu'il y eút une chambre rurale dans
le sens profond el vrai de ce mot, car ce n'est pas avec des
hobereaux que l'on faít une Chambre rurale, c'est avec des
paysans éclairés et libres, aptes a se représenter eux-memes;
et alors, au lien d'étre une raillerie, cette qualitication de
Chambre rurale serait un hommage rendu aux progres de la
civilisation dans les masses. Cette nouvelle force sociale serait
utilisée pour le bonheur général. l\111heureusement, nous n'en
sommes pas la, et ce progres nous sera refl1sé aussi longtemps
que la démocratie fl'anºaise ne sera pas arrivée a démontr'er,
a démontrer jusqu'a l'évidence, que l'intéret vital des classes
supérieüres, si l'on veut refaire la patrie, si on veul lui rendre
sa grandeur, sa puissan\:e el son génie, c'est prédsément
d'élever, d'émanciper au moral ce peuple de travailleurs qui
tient en réserve une séve encore \'ierge et des trésors inepl1i-
sables d'activité et d'aptitudes. II faut apprendre et enseigner
aux paysans ce qn'ils doivent a la société et ce qu'ils peuvent
exiger d'elle. (Applaudissements.)


Le jour ou il sera bien entendu que nous n'avons pas d' am-
vre plus grande et plus pressante a faire, que nous devons
laisser de coté, ajourner tontes les autres réformes, que nous
n'avons qu'une tache, instruire le peuple, répandre l'éducation
et la science a flots, ce jour, une grande étape sera marqllée
vers notre régénération; mais il fallt que notre action soit
double, qu'elle porte sur le développement de l'esprit et du
corps; il fallt, selon une exacte définition, que dans chaque
homme elle nous donne une intelligence réellement servie par
des organes . .le ne veux pas seulemellt qUe cet homme pens8,
lise et raisonne, je veux qu'il puisse agir et combattre. Il faut
mettre partout, a c()té de l'instituleur, le gymnaste et le mili-
taire, afin que nos enfants, nos soldats, nos conciloyens,
soient tous aptes a tenir une épée, a manier un fusil, a faire
de longues marches, a passer les nuits a la belle étoile, a sup-




porter vaillamment toutes les éprenves ponr la patrie. (Mou-
vement.) Il faut pousser de front ces dellx éducations, car
3utrement vou~ ferez une cruvre de lettrés, vous ne ferez pas
une cruvre de patriotes.


Oui, messieurs, si l'on nons a devancés, oui, si nous avons
subi cette supreme injure de voir la France de Kléber et de
Hoche perdre ses dellX plllS patriotiques provinces, eel1es qui
contenaient a la fois le pllls d'esprit militaire, commercial,
industriel, démocratiqne', notls ne devons en accuser que notre
infériorité physiqlle et morale. Aujollrd'hui, l'intéret de la
pélf.rie nous commande de ne pas prononcer de mots impru-
dents, de clore nos levres et de refolller an fanel du cmllr nos
ressentiments, de reprendre a pied d'reLlvre ce grand ouvrage
de la régénération nationale, c}'y meUre tout le temps néces-
saire, afin de faire reuvre qui dure. S'il faut dix ans, s'il fallt
vingt ans, iI fal1dra meltre les dix années, les vingt années;
mais il fallt commencer tout de sllite; il f:tut que chaqne année
on voie s'avancer dans la vie une génération nouvelle, forte,
intelligente, aussi amonrense de la science que de la patrie,
ayant an ccellr ce double sentiment qu'on ne sert bien son pays
qu'en le servaot de son bras et de 8a raison.


NOllS avons été élevés á une rude école; nous devons, si
cela est possible, nOllS guérir du mal vaniteux qui nous a causé
tant de désastres.


Nous devons prendre aussi cooscience de ce qui nous revient
;1 lous de responsabilité, et, \;oyant le remede, nous devons
tout sacrifier a ce but immédiat : nous refaire, n6us reconsti-
tuer; et ponr cela, rien, rien ne doit nous couler; nOllS ne
produirons allcuoe réclamation avant celle-la: l'édueaLion la
plus complete de la base au sommet des connaissances hnmai-
nAS.


Natureliement, il fnuL que ce soit le mérite reeonnu~ l'apti-
tude révélée, <5prollvée, ql1i monte eette échelle ; des jllges
integres eL ill1p:¡rtiaux, choisis librement par ICllrs conci-
toyens, en décideront Plluliquemen t, de telle sorte que le
mérite seul ouvrira les portes. Rejetons eomme les auteurs




52 DISCOURS
néfastes de tous nos maux cellX qui ont mis la paroJe 11 la place
de l'action, tous ceux ql1i ont mis le félVOl'itisme 11 la place du
mérite, tous ceux qui se sont fait dll lllétlcr eles arrlles non Ull
moyen de protéger la Frailee, rnais un mOyE'n de servir les
cap rices du ma1Lre et qllclquefois de se fajf(~ les compiices de
ses crimes. (Applaudissements.)


En un mot, rentrons dans la vérité, et que, pour tout le
monde, il soit bien entendu que lorsqu'en France un citoyen
est né, il est né un soldat; et que quieonque se dérobe a ce
double devoir d'inslruction civile et militaire, soit impitoya-
blement privé de ses droits dA citoyen et d'électeur. Faisons
entref dans I'ame des générations actllelles et de celles qlli
vont naitre la pensée que quiconquc, dans une société démo-
cratique, n'est pas apte a prendl'e sa part de ses dOLllellrs et
de ses épreuves, n)est pas digne de prendre part 11 son gou-
vernement. (Appla.udissemeots.)


Par la, meSSieUf:i, je le répNe, vous relllrez dans la vérité
des príncipes démocratiqnes, qui est d'honorer le travail, qui
est de faire du travail et de la science les deux éléments
constitutifs de toute société libre. Ah ! quelle natioo on ferait
avec Ulle telle disciplitle, religiellsement suivie pendant des
années, avec les admirables aptitudes de fiotre race a pro-
dllire des pensellrs, des savants, des héros el des libres es-
prits! C'est en pensant a ce granel slljet qu'on s'éleve vite au-
dessus des tristesses du préseut pour envbager l'avenir avec
cOllfi:mce.
~lessieurs, je le dis avcc orgueil, sur le terrain de la


science, la France peut souteuir la rivalité avec le monde eu-
tier ; et, malgré l'affaiblisselllent dll ni vea u de l'esprit public
que j'ai dú constater tOllt a l'heure, jI est constamment, grace
au cíel, resté dans notre pays Ulle élite d'hommes qui, tous les
jours, ont reculé les limites de la scieuce, qlli, tous les jours,
out avancé les progres de l'e~prit hUlllaill; et c'est par la qtle
la France, quels que ~oient, quels qll'aient élé les désastres
qui ont accablé le pays; reste le guicle du monde. (Sensa-
tion. )




A BORDEAU:\:.


Savez-vous ce qU'on disait, pendant la guerre, a l'élranger?
« 11 n'y a plus de livres 1 » Et, en effel, tout enliere occupée
11 sa uéfense, la France ne prodllisait plus rien pour l'intelli-
gence des pellples. (Mouvernent.)
~Iais, messiellrs, ce que je demande, c'est que de la science


sorlent des Iivres, ues bibliotheques, des académies et des
instituts ; je demande qlle ceux qui la détiennent la prodiguent
a cellX qllí en ont besoin ; je veux que la science descende sur
la place publique, qu'elle soit clonnée daos les plus humbles
écoles.
OlJi~ faisons appel ;-¡ux savant3; qll'ils prennent l'initiative :


c'est eux qni doivent lltlter le plus puissamment notre restau-
ralion morale et nalionale. Mais si nOllS voulons que la régé-
nératioll soil rapide, il faut ne plus se dé(ier des intelligences
Ü peine éveillées; il faLll ne point craindre de distribuer dans
les colléges et clans les écoJes tOllte la vérité .. I1 faut résolu-
ment ~avojr et résolliment pratiql1er que ce sont les vérités su-
périeures de la science et ue la raison qui saisissent le mieux
les jellne3 intelligences; et c'e::;t pOLlt' cela qu'un des grands
penseurs de ce siecle, A ugllste Comte, faisait commencer I'ins-
truction Ijar les science.:; eXrlctes. 11 a été fait des expériences
nombreuses ü cet égard, C¡lli ont donné tOlljours le m8me ré-
sultat, a savoir que les plus jeunes ont tOlljours le miel1x re-
cucilli les cnseignements meme les plus élevés qui s'offraient
a r~lIes : elles n'élaient pas encore faussées par des habitudes
de paresse ou d'erreoc !


Mais vous comprenez que ce n'est pas ic,i que nOllS allons
discnter un programme d'éuucation. J'ai dit ce que je tenais
surtout a dire devatlt vous, paree que ces qLlestions nOllS ont
un inslant arraché aux diflicllltés et aux amertumes de la si-
tuatioll présente. Je vOlllais vous entretcnir de l'avenir. J'ai la
conviction que le parti démocratique, ayant la sagesse et la
résolution de ne pas demallder autre chese, mais de l'exiger
infatigablcment, arriverait bientót a montrer au paysan, qui
le considere comme hostile, qu'il est son plus sincere ami;
oni, nOLlS arriverions vile a lui faire comprendre et retenir que




DISCOURS
nous avons conscience de nos devoirs enver~ lui. Nous som-
mes des freres ainés, et nous seriOllS des freres ingrats si nous
quittions la vie sans avoir assuré son émancipation matérielle
et moraIe. (Vifs appIaudissements.)


Messieurs, ces idées ne m'appartiennent point. Elles 80nt
familieres 11 tous les penseurs, a tous les patriotes. Le propre
de la politique est de s'emparer de ces idées essentiellement
justes et de les fixer dans les lois. Oh! les politiques qui in-
venteraient, qui auraient la prétention de fa"ire des choses
inopinées, imprévues, ne seraient pas des politiques I Qu'il y a
d'années que l'ignorance est cambatlue : et qu'elle est encore
épaisse et terrible! Nous offrons au monde ce spectacle d'avoir
été le peuple qui a le premier revendiqué les droits de la rai-
son, et d'étre encare réduits a ne les point pratiquer eL ensei~
gner pour notre propre compte. (Vi ve sensation")


Nous ne pouvons cependant rester plus longtemps insen-
sibles a ce qui s'accomplit sous nos yeux, et ne pas avouer
que tOlltes nos crises sociales viennent de l'ignorance. Com-
ment admettre que des hommes qui ne connaissent la société
que par le coté qui les irrile, que par la peine et que par le
travail, un travail sans lucre suflisant, sans récompense légi-
time, ne s'aigrissent pas dans les miseres, et n'apparaissent
pas a un jour donné sur la place publique avec des passions
effroyables? Aussi, je déclare qu'il n'y aura de paix, de repos
et d'ordre qu'alors que toutes les classes sociales auront été
amenées a la participation des bienfaits de la civilisation et
de la science, et considéreront leur gouvernement comme une
émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme
un maUre jalonx et avide" Jllsqlle~ la, en persévérant daos la
voie funeste oll nous sommes, vous ferez des ignorauls, tantót
les sOlltiens des coups d'Úat, eL tantot les auxiliaires des vio-
lences de la rue, et nous resterons exposés aux fureurs impies
de multitudes inconscientes et égi1rées, portant la main sur
tout ee qui en vironne, sans respect méme pour les choses de
leur tradition, paree qu'elles ne peuvent arriver a la satisfac-
tion d'appétits impossibles, et qui cherchent a se venger en




A BORDEAUX.


accumll1ant des ruines. Alors il est bon de se rappeler le mot
de I'Américain Channing: (( Les sociétés sonl responsables des
tatastrophes qui éclatent dans leur sein, comme les villes mal'
administrées ou OIl laisse pourrir les charognesau solei1 sont
responsables de la peste. )) .


Eh bien! c'est mon sentiment.
Il faut, par conséquent, que l'homme poli tique, dans l'ac-


complissement de sa tache, s'attaque vivement a celui de tous
nos maux qui engendre les autres, a I'jgnorance, sans laquelle
il serait établi qu'il n'existe pas de gouvernement qui con-
vienne plus a ]a lwtúre, a la dignité, au bonheur de l'homme,
que la Républiqu8. Et quant a l' erreur pratiqu8 chez le pay-
san, elle a la me me origine que eelle de l'ouvrier: toujours
l'ignorance. Qu'est-ce quí fait que le paysan est comme in-
cliné aujourd'hui, par exemple, vers le parti bonapartiste? Et
pourquoi, aujourd'hui que la lutte est ouverte entre les partís
monarchiques, voit-on les partis bourboniens se tourner vers
les paysans, déguiser leur monarchie et leurs prétendants,
tandis que les autres ne craignent pas d'accuser qu'ils veulent
]e retour de l'empereur? Cela tient, je crois, messieurs, a un
étal mental particulier an paysan. On lui a dit, on lui a répété
que sa propriété avait été instituée et maintenue par Napoléon.
Le paysan n'est pas un homme a fines fluances, a fines dis ..
tinelions; il méle et confond Bonaparte et la Révolution; il
n'a pas l'esprit de distinction et de critique; mais il a la per-
ception des gros résllltats, et il sait que cette terre, que son
grand-pere :lvait acqnise, ill'a gardée sons Napoléon Ier, et.
qu'a la suite de l'invasion on amenacé celte terre, pour la
défense de laquelle, sous la République, iI a versé héro'ique-
ment son sang, sauvant du me me coup son bien et la patrie.


Le paysan sait ces choses. Il voit meme, toutes les fois. que
la Restauration, l'ancien régime reparaH, que la Restauratiou
menace 8inon la détention immédiate de la terre, du moins son
morcellement. Il y a queIqlles jours a peine - et nous ne
sommes pas encore SOllS les fleurs de lis - une proposition a
été introduite a l'Assemblée pour rétablir le droit d'ainesse et




54 DISCOURS
ses conséqUfmces. Vous pouvez etre cert.ains que le paysnn,
qui est a l'affUt, a parfaitement reconnu l'ennemi impitoyahle
et traditionnel, et qu'il sait non moins parfaitement qu'il n'a
rien de bon a . attendre de pareils restaurateurs et de pareils
sauvellrs de sociétés.


D'un autre coté, grace a une éql1ivoque et a une altération
perfide des principes de la Révolution, Bonaparte lui apparait
comme le protectellr naturel de ses intérets. C'est ainsi, je
vous le disais tout a l'heure, qu'il attribue a Napoléon le Code
civil, qui est le bouclier, l'arche sainte ou il a trouvé la ga-
rantie de son domaine.


II n'est pas loin de croire, sinon de dire, avec madame de
Stael, que Napoléon, c'est « Robespierre a cheval! » Eh bien!
il faut démonter ce ea valier. 11 ne faut pas permeltre a Napo-
léon, ni dans son passé, ni dans sa descendance, de bénéficier
de eette admirable conquete du sol que nous devons a la Ré-
volution. Il faut rompre ceUe tradition; prouvons, au contraire,
au paysan que c'est a la démoeratie, a la Républiqlle, que c'est
a nos devanciers qu'il doit, non-seulement la terre, mais le
droit; que par la Révolution seule, il est devenu propriétaire
et citoyen. Son esprit ne s'éleve pas encore au-dessus de la
propriété matérielle, qui doit devenir le moyen de son progres
moral. La Révolution et la justice ne séparent pas ces deux
progreso


Il faut que cette propriété qu'il possede soit moralisatricé;.
qu'a I'aide de cette indépendance acquise par le travail et la
possession, il puisse arriver a une autre indépendance : l'indé-
pendance de l'esprit. La société le lui doit; et alors, quand il
saura d'oü lui vient son accroisscment de bien-etre et de di-
gnité, il pourra etre visité et fréquenté par les gens qui veulenl
créer de lourds impóts, fonder des majorats et rétablir des no·,
blesses : il ne se laissera plus ni séduire ni tenter.


Présentons-nous done a luí comme ayant subi sans amertume
les coups qu'il nous a portós, l'aimant dans la bonne comme
dans la mauvaise fortune, soucieux de son a venir, soucieux de.
son bien-etre. (Tres-bien! tres-bien n




A BORDEAUX. 57
Aussi bien, pour ma part, je ne me défie nullement de ce


qu'on a appelé l'antagonisme des villes et des campagnes. Et
vous le voyez bien, puisque, loin de croire a la prétendue
perpétuité de cet antagonisme, je ne m'attache jamais dam;
mon esprit qu'a le [aire disparaitre. Je dis qu'il n'existe pas
d'hostilité, ni d'antagonisme; iI existe seulement des hommes
qui exploitent l'ignorance de ceux-ci et les passions de ceux-
la. L'antagonisme, il est la création des partis dynastiqlles, il
est une invention, une spéculaÜon de nos ennemis; l'antago-
nisme, iJ disparaitra devant une opération d'arithmétique loya-
lernent faite. n suffirait qu'a cóté du dénombrement électoral
on voulilt faire la place des personnalités urbaines, et leur as-
surer leur juste part d'influence et de représentation.


Nous pourrions rentrer ici dans l' examen dll programme de
la décentralisation. Et quoique la question soit brillante, elle
pourrait étre traitée sans inconvénient et avec modération par
des esprits qui savent toujours s'élever et maintenir les prin-
cipes au-dessus des exces des hommes; mais pour aujourd'hui,
je crois avoir suffisarnment indiqué la tache a poursuivre par
le parti républicain, soit dans les assemblées, soit dan s la
presse, soit dans les réunions publiques et privées, par les
correspondances et les livres, par tous ces mille moyens de
propagande et d'éducation quisont ouverts, dans un pays libre,
a la libre initiative des citoyens.


Je voudrais, dis-je, pour me résumer, que notre opposition
HIt une opposition de gouvernement; je voudrais n'y apporter
d'autre préoccupation que celle de faire le bien ou de forcer
les autres a le faire (Bruyants applaudissements) ; car je con-
nais une passion plus vive que celle d'exercer le pouvoir : c'est
de surveiller avec équité, avec fermeté, avec bon sen s, un pou-
voir loyal (Applaudissements), et sous la simple pression des
idées et de l'esprit public, de voir accomplir par d'autres mains
que les siennes les réformes les plus éclatantes. (Applaudisse-
ments.) .


Quant a moi, je m'ernploierais parfaitement, je l'avone, a
cette tache, sous un état politique dans lequel la Républiquo






58 DISCOURS
serait acceptée comme le gouvernement de droit; car, contre
le droit, il ne saurait surgir que des prétentions illégitimes, et
il ne peut pas se faire qu'on nous oppose, pour l'abattre et lo
fouler aux pieds, ni un consentement surpris a l'ignorance et
El la faiblesse, ni un coup d'État de prince, ni un complot de
la rue.


C'est en ce sens qu'on a pu dire du droit républicain qu'il
est au~dessus des attentats de la force et des caprices de la
multitude. Si la République est le gouvernement de droit par
excelifmce, est-ce que tous les partis ne peuvent pas s'y don-
ner rendez-vous? Est-ce que ce n'est pas le seul gouverne- .<"
ment ou l'acces du pouvoir soit ouvert a tous ceux qui, sous
l'reil de l'opinion publique, ont le mieux affirmé leurs talents
et leurs vertus? (Applaudíssements.) Et des lors, est-ce que
nous ne pouvons pas nous tourner vers ceux qui out professé
des opinions contraires a la République, et leur dire : Ah!
vous voulez gouverner la République, vous voulez la fonder,
eh bien! nous ne vous demandons qu'une chose, e'est d'abord
de la reconnaitre. Mais une foÍs que vous l'aurez reconnue,
nous admeurons parfaitement votre passage aux affaires. Car
nous voulons présenter au pays ce spectacle de républicains de
naissaoce qui restent dans l'opposition, en face de monar-
chistes convertis, et forcés, par la cohésion du parti républi-
caín et la légitimité de la République, d'accomplir les réformes
qu'elle demande. (Applaudissements.)


Ce ne serait pas la, messieurs, un médiocre triomphe, et,
dans tous les cas, la chose, puisque nous en sommes aux essais,
mérite d'etre tentée. Le jour 00. 00 entrerait dans cette méthode
politique, la République ne serait pas en péril, meme avec des
hommes qui ne lui auraieot pas toujours été dans leur passé
des amants bien fideles.


Mais il faut pour cela que le parti républicain soit d'une ah-
soIue sévérité sur les principes; et nous le déclarons ici : auí,
nous serons indulgents pour les personnes; oui, nous nous
montrerons faeiles a ouvrir la porte, mais nous demeurerons
implacables sur les príncipes. Nous admettrons que des hom ..




A BORDEAUX. . 59


mes se trouvent éclairés; nous admettrons que d'autres, sans
etre ene ore tout a fait convaincus, mais a cause des nécessités
d'une situation sociale exceptionnelle, acceptent de bonne foi
les conséquences du principe de la République. Sur le devoir
seu} nous ne tranbigerons point.


10utes ces choses sont possibles, si toutes ces choses sont
loyalement pratiquées. Je disseulement qu'en pareille maliere
il ne faut pas s'en tenir aux déclarations; et au jour et a }'heure
ou la contradiction se produit entre les actes du pouvoir el ses
déclarations publiques, iI faut la relever et en faire le pays
juge.


Si on fait cette garde sévere autour des institutions, soyez
convaincus que nous maintiendrons ]a Republique beaucoup
mieux ave e une minorité républicaine, ferme, énergique, vigi-
lante sur les actes de la majorité, qu'avec une majorité d'hom-
mes inconsistants et tiedes, qui serait exclusive des person-
nes, el facile aux eompromis sur les príncipes.


Apres ceUe prenüere ligne de conduite, je voudrais qn'on
démontrát, par les raisons que j'indiquais tout a t'hcure, au
pays tout ent~er, qU'Qn lui démontral qu'il n'y a pas possibilité
de ten ter aujourd'hui autre chose, en fait de réforme, que
l'éducation et l'armement national.


En voyant aecomplir eeHe double réforme : élever et armer
la nation, .le prendrai patience de ne pas voir Jégiférer sur
d'importantes qllestions quí peuvent aUendre, qui ne sont que
des questions latérales, subordonnées a la réalisation de ces
premieres et capitales nécessités.


Il s'agit de refaire le sang, les os, la moelle de la France,
entendez-le bien. Il faut tout donner, le temps et l'argent, a
cet intéret supreme. Le peuple, soyez-en surs, 11e marchan-
dera pas les millions pour l'édllcation de ceux ql1i sou1frenl et
qui ignorent; illes marchanderait pour eeux dont les desseius
ne tendent jamais qu'aux restaLll'ations monarchiques, aux dé-
pllllses [a:-,tueuses et a I'écrasement du pays; et, en passant,
ynilü, messieurs, une des raisons qlli démontrent qll'il n'est
plus possible de reh.wer la mouarchie parmi nous: nous ne




60 ' DISCOURS A BORDEAUX.
sommes plus assez riches pour la payer. (Tres-vifs applaudis-


..


sements.)
En conséquence, nous urions résolu, par la, le plus vital


de tous les problernes, que)\:l ésurne ainsi : égaliser les clas~
ses, dissiper ]e prétendu antag 'srne entre les villes et les
campagnes, supprirner le parasitiSIlle, et, par la diffusion de
la science pour tous, rendre au pays sa vigueur morale et po-
li tique.


El ainsi vous mettriez a une double caisse d'assurances :
l'une, contre les crimes de droit commun, par l'élévation du
niveau de la moralité; l'autre, contre les risques de révolu-
tion, en donnant satisfaction el sécurité aux droits acquis des
uns, aux aspirations légitimes des autres. (Applaudissernents.)


Tel est le prograrnrne a la fois radical et conservateur que la
République seule peut accomplir. Et alors, dans le monde e11-
tier, les arnis de la France pourront. se rassurer: elle sortira
régénérée de ces grandes épreuves, el, sous les coups memes
de la rna.uvaise fortune, elle apparaitra plus grande, plus
prospere, plus fiere que jarnais. (Triple salve d'applaudisse-
rnents.)


L' Assemblée se sépare aux cris de : Vive la République!




DISCOURS
PRONONC~ AU BANQUET COYhlBMORATIF


DE LA DÉFENSE DE SArNT-QUENTIN


Le 17 l'\oyembre 1871.


MESSIEUHS)


Vous avez raison c!'associer le retollrdLl patriotisme au relour
meme d~ la République, eL je désire avatlt de nous séparer, et
SOLlS le coup des douloureux et héro'iqL18S SO~l venirs de la j our-
née du 8 oct0bre, tirer des événelllents qui ont fondu sur nOLlS
la leG r)l1 qu'ils cornportent, afin d'y puiser la résolutiol1 qui
nOLlS est nécessaire ponr nous meltre a l'muvre de la régénéra·
tion de la patrie.


En effet, on a pu se demander ce qui serait arrivé si tontes
les villes de FranceavaienL slli vi l'héro'ic¡ue exelllple de Chateau-
dL111 et de Saint-Quentin; si elles avaient eu, eomllle ces deux
Yilles, désormais smurs, la volonté de mourir plutót que de céder.


Les pellples sont eornrne les individus, a ehaque erise qui se
produit dans leur existence, ils ne peuvent la traverser qu'avec
les [orees de réserve qu'ils ont su accutnuler, el quand ces ré-
serves manql.18nt, ils tornbellt Ilnlgré leur eourage, victirnes de
leur imprévoyatlce. Quand nons nous SOllltDeS trouvés faee a
l'ace avec celte invasion germaüique que l'on préméditait de-


"




62 DlSCOUH::.


puís cinquante ans, quelles étaient ~les pOVISlOl1S mut':des ct
matérielles que nous avions faites? Pendant Villgt ans on 1I0US
a vus courbés sons la main d'un seul homme, obéissant 11 tous
ses caprices, El toutes ses volontés, ollblieux de notre dignité de
citoyen et de notre sécllrité de Fram;ai::;.


Eh bien, il faul nons l'avouer a nous-mGmes, au lendemain
de l'effroyable chute de Sedan, au lend'2main de ces capit111a-
tions que vous connaissez, nous n'élions ras dans un état mo-
ral, dans un état ~ocial et militaire qui permet a un peuple de
se le ver tout entier.


Et cependant il n'est pas bon: il n'est pas juste de répéter
que la Franee s'est abandonnée elle-1118me. Non, la France, au
contraire, s'est vue, en face de cetle guerre préméditée depuitl
cinquante &n8, savélmmellt conduile, admirablement préparée
par les homllles d'État les plus sllbtils, les plus altentifs et les
plus sérieux, et par les militaires les plus expérimentés; elie
elle s'est vue tout a coup en face cl'ennemis qilÍ avaient tout, el
elle n'avait rien. Elle a ré:·;isté pendant six mois, et sa capiLalc
n'a succombé que par le concours rél1ni de la famine et de
la ... Je ne répéterai pas le mot, mais je dirai de la mollesse.
(Oui! Ollí ! ExplosíOll d'applalldissements.)


El, au dehors de Paris~ le pays n'a rien négligé; il a tout
donné avec générosité, son sang, son 01', ses ressources maté-
rielles de toutes natures. Ce qui a manqué, c'esl ce qui manque
a tous les peuples qni se sont laissé a~servil' trap 10ngtfJrnps,
c'est la foi en eux-memes et une haine sL1íllsante de l'étranger.


Mais lOlltes ces choses, ces défaites, ces capit111ations., cet;
lamentables résulta,ts, sont les frllits d'une politiquc dOlH un
n'avait pll mesurer l'effl'oyable corruption. Pendant vingt an::l,
un pouvoir indigne s'était a~taché ü abaisser les ames, a avilir
les consciences; et, le jour ou il a fallu faire des cfforts, l'e1Jort
était po~sible, mais il n'y avait plus entente, ni énergie? ni ef-
ficacité en faveur du pays : on l'avait garrotté trop longtemps.
Lesconséquences de l'empire étaieut toutcs ütlale::5: elles étaient
inévitables.


C'est a 110US a 110US pénétrer de cel enseignement. 11 faut 1'e-




AU BANQUET DE SAI~T-QnE;\,TI~. 63
commencer, non pas un penple, non pas notre existence natio-
nale, gnlce a Diüll, ca!', si nOllS sommes malheureux el chatiés
au deta de toute mesure, la France compte encore dans le
monde, a vec ses admirables ressources ele toute espece, avec la
force ascenclante ele son peuple, qlli a toutcs les séves et toutes
le~, richesses, et qui n'a IJesoin que d'ul1 peu cl'ordre, el'un pen de
calme, el'une organis:Jt:on politiclue appliquée a sessentiments,
rJOur réparer avec une rapidité prodigiense les pertes doulon-
reuses qn'clle a esslJyl~es. Avec un tel peuple, il n'ya pas ~ clé~
sespérer . .:\lais il {aut que la France soit constamment penchée
sur cptte reuvre de régénération. IIlni faut un gouvernement
qui soit adapté 11 ses besoins du moment et surtout a la néces-
"ité qui s'ímpose ü elle de reprendl'e SOI1 véritable r61e dan s le
monde. Lil-clessus, messieurs, soyons tres-réservés, ne pro-
1l0nqons jamais un mol téméraire; cela ne conviendrait pas a
notro Jignité de vaincll, qnancl ii est tombé victime du sort et
non pas de sa propre fallte. (Applaudissements prolongés.)
Soyons garcliens de cette dignité, et ne parlons jamais de l'é-
tranger, mai:; qlle ron comprenne que nOllS y pensons ton-
jom::; ... (Nou\'caux applaudissements); alors vous serez sur le
chemin de la revanche, [J:1rce que vous serez par venus a vous
gouverner et ~l vous cOlltenir vous-memes.


Que faut--il pOL1r eela? Quand on a la satisfaction morale
d'appartenir au p:1rli répuhlieain clémocratique, on ne doit
avair qu\me :1mbition, e'est de lui gagner des adhérents,
d'augmenter sn puissance, afin qa'il exprime par le suffrage
universel et son esprit et sa volnnté indiseutable.


Eh bien, le suffrage universel, c'esL vous; vous l'avez, il est
ü votre disposition. Seulement il fant donner de votre con-
duite, de vos idées, de volre mOl':11ité, de votre valenr políti-
que, de votre aptitnde aux affaires, une preuve telle devant
]'opinion publique, que celte délllocraLie, que vous avez cons-
titl1ée, impose ~l tOlls, pi1r le sn[frage universel, sa force et sa
puis.-:ance. (Appiaudi::;senlellts.)


Voyez, en effet, les progres accomplis depuis six mois, d'un~,)
man¡(';re tour, ;1 fait réelle et lout ;1 fait praLiqne ; le parti dé~:.


l .• '


~. ~ :~~.:~.¿. -




64 DISCOURS


mocratique, dans toutes ses nuances, est entré dan~ les COI1-
seils locaux a tous les degrés, et a donné dtll1s tOlltes les As-
semblées l'exemple de la modératioIl sans ri(~n c(jder sur les
principes; ce qui démontre que, si 1'0n voubit poursuivre
avec entente, avec úle, cette ffiuvre de perslIasion dOilt je
vous parle, eh bien! les fréquenlations démocratiq1l8s am2ne~
raient a nous ceux, encore trop notllbreux dan s les villes
comme dans les campagnes, qni llourrissellt contre les institLl-
lions répuulicaines des préventiolls et des pr(~jl1gés qui lem ont
été glissés dans l'esprit, de fausses idées qlÍ'Oll leut' él incul-
quées et qu'ils répetent sans trop s'en rendre compte. Si vous
tous, qui eles placés dans le milieu de cette démocratie rl1rale
.et qui pou"ez vous faire ~l vous-memes cette démonstration~
que ce n'est jamais eu vain qu'un appelle le pellple a discuter
sur ses intérrts, vous vouliez vous cllargel', entre vous et pou!'
vous, de ceUe pro¡lagande nécessaire, vous ¡le tanleriez pas a
voir les fruits naitre SOLlS vos mains, el chaque scrntin vous
apporlerait une récompel1se, un éncouragement et une vic-
toire. (Vifs applauclissements.) Cal', enlendez-le bien, ce qui
assme alljouru'hui le triomphe du parti dérnocratiqtle, c'est
qn'il a raison; ql!and 01) a ce granel avantage pOUI' soi, il fliut
parler, il fant agir, ne se laisser déconcerLer par aucune intri-
gue, arreler par aUClln obstacle, il faut se dévoller patiemment
a faire la conquete de l'opillioll, se tenir ferme sur les prin-
cipes, élre tres-tolérant sur les persollnes, ne donner jamais
son opinion que comme un moyen d'accroissement dll bien-
étre généraJ, et aJors t:e faire pour soi-méme une sorte de
lnernento dans leqllel on inscl'it, pour les réclanlel', les réfur-
mes, les progres, les institutions que le peuple est en droit
d'attendre de la Répllblique démocratique. (Approbation pro-
longée.)


l\Iessieurs, ne craignez pas que j'oublie l'objet principal de
notre réunion, c'est-a-dire le sa.:::riflce hérolqne par leque!
vous vous eles immolés et oú vous avez perdu des héros iu-
connus, mais des héros. Non, jl.~ ne les oublie pas, ces morts
qui vous sont si chers, mnis c'est ;t clessein que je ne veux




AU BA~Q[)ET D1'~ SAI~T-QUE~Tl:\. 65


IJIllS parler de ce qui pourraít aviver les plaies de la patrie.
J'aime mieux vous inviter a nOllS recueil1ir, a nous replier sur
nOlls-memes. Il fallt que nous exarninions nos qnestions inté-
rieures et que nOLlS n'ayolls d'alltre ambi tion que celle d'un
peuple qui veut vrairnent se refaire Jui-meme. Car, sachez-Ie,
vous ne serez véritablcment en état de vous faire respecter en
Europe que le jour Ol! vous serez puissants á l'intériellr; et
quand je me demande qnelle est la plus pressante, la plus
urgente de ton tes les réforrnes, j'en reviens á considérer que
rien ne sera fait, .que rien ne sera fructueux, que rien ne
pourra pacifier les funes, rapprocber les clas~es, - cal', rpal-
gré la loi, il Y a encore des classes, quoi qu'on en dise, -
comrne une bonne sornrne d'éducalion, d'instruction bien dis-
trilmée, obligatoire, graluite, et, perrnetlez-moi le mot, quoi.
qll'il ne soit pas fort á ·la mode, absolument laIque. (Applall-
díssernents. )


En effet, si I'on faisait une vérilable éducation nationale,
celle éducation était dOllnée d'une maniere véritablelllent mo-
deme, v8ritablemcnt délllocratique, on aurait résoln le pro-
bléme de l'harmol1ie dans la société, et assuré le re tour dl!
notre illlll1ence au cll'l1Ors.


r.lais ouvrez les livres d'histoire: \"OllS y verrez malheu-
rel1sement que toujours le c1erníer progres accolllpli, c'est le
progres de }'édLlcalion publique. lis comp·rennent, en effet,
cellX qui ont illtéret a exploiler les hommes et a perpétuer
leur halle daos la confusion, ils comprenoent que toules les
fois qU'OIl failul1 lecteur, OIl lellr fait un ennemi. (Applaudis-
semenls.)


Et ce n'est pas, a mon sens, par l'enseignement prirnaire,
sur }'étendue duquel il fauc1rait eucore s'elltendre, - donué
graluiternent et re<;u obligatoiremeut, que ce progres doit
s'accomplir : c'esl sLlrtout par l'ensei3nemellt secondaire, par
ce qu'on appelle l'enseignemenL sLlpéri(~llr, ('ar c'est de I'élé-
v2tion de ce niveall de la science qu'il fauL se préoccuper, si
j'Ol! vcut que l'éducaLion fasso un pi u::; gl'and llombre d'hommes
jusLes, libre::; el forts.


4.




66 DI SCI)[J!: S
C'est pourquoi, dans ]e programme républicain~ comme


premiere réforme, j'ai toujours p]acé l'enseignement dll peL1~
pIe; mais cet enseignement a besoin d'étre, avant tOllt, imbu
de l'esprit moderne civil et maintenu conforme aux loís et
aux droitE: de notre société.


La-Jes-sus je vOlldrais VOllS dire toute ma pens6e. Eh hien,
je désire de toute la pllissance de mon ame qu'Otl sépare non-
seulemenl les églises de l'Etat, mais ql1'on sépare les écolcs de
I'Eglise. (Vifs applaudissements.) C'est pon!' moi une nécessité
d'ordre poJitique, j'ajoute d'ordre social.


D'abord, je reponsse compléternent l'objection apparcmte
opposée a ceux qui sont parlisans de l'enseignement lalque.
On leur dit : Vous voulez faire des athées) et vous voulez in s-
taller dans les éeoles un enseignement anti-religieux.


Messieurs; ma conviction est qu'il n'y a rien de plus res-
pectable dans la personne humaine que la liberté de cons-
cience, et je considere que c'est a la fois le plus odieux et Ir
plus impuissant des attentats que d'opprimer les cons-
cienees.


Non, je ne suis pas hoslile 11 la religion : c'est meme pour
cela que je demande la séparation de J'Église et des écoles . .Te
suis convaincu que c'est paree qU'llll parti clominant dans l'l~:­
glise s'est arrogé Le clroit presque exclusif de distrilmer l'en-
seignement dans nos écoles, de pélrir et former l'enfant, ponr
saisir l'homme et 18 citoyen, pOUl' arriver ;t l'(:tal lui-ménw,
que le clergé a cessé d'étre un grand corps religieux pour
tomber au rang el'une faction politique; e'est paree qn'on cst
sorti de l'Église, que l'Église a beaucoup perclll du respeét
qu'on porlait aux ministres des culles, qu'on le~ él vus cesser
d'etre des apólres ponr devenil' les instrurnents du pouvoir I
sons les régimes les plus corrompus et les plus llsurpateurs.
(Applaudissements.) C'est ainsi qu'on les a VllS eux·mernes
perdre le senliment de lem propre dignité, au point de n'étre
plus que des agents passifs entre les mains d'un pOl1voir oc-
culte et étranger, s'habitl1ant á ne plus Sf) considérel' camme
des eitoyens de France, se faisant 1l01l1lelll' d'¡ltre les serviteurs




AO BANQ\lET DE SAI:\T-Ql1E~TI:'\. (ji


de la puissance théocratique qui leur envoie ses dogmes et 8es
ordres. (Profonde sensation.)


C'cst done il. la fois remlre le sacerdoce II sa dignité et
l'homme a S1 conscience, que de dire aux ministres des cul-
tes: Sortez de ce milicu de col(~re et de passion, oll vous
n'étes plus l'l~glise, el QLI vous n'Ctes C[U'lll1 pat'li politique?


Est-ce a di re qlle le clergé sera destitué de tOllle influence
sociale? Est-ce ¿t dire que la religion sera sacrifiée? Nulle-
mCllt, messiellrs; mais chaeun reslera dilns son r6le, ehacun
sera maitltenu dan s ses attríbl1tions; la moral e sera enseignée
lalC{uement, et la religion sera enseignée dans les endroiLs
consacrés a la religiotl, et cbaque pere de famille choisira
pour son enfant le culle quí luí conviendra, chrétien, juif ou
protestant; mais rcnon<:;ons a cooüer allX divers clergés l'édu-
caLioo eles ellfants si nons vOlllons, avant tont, en faire des
ciloyens fran<;ais, si nOllS voulons en faire des hommes chez
lesqllels l'idée de jllstice et de patrie domine. A l'église, ils
recevront l'enseignement des dogmes el apprendront tout ce
fui est du domaine de la foi. A l'école, on lem enseignera les
vérités de la sci~nce, dans Ieur rigllenr et lem simplicité ma-
jestlleu:,o; et aiusi vous allrez concilié lo respecL de la liberté
de conscience avec le devoir , qui ost imposé Ü l'État, de pré-
parer des citoyens dont l'éducalion, dont les principes ne


. soient pas roufernll;s dans des elogmes théologiques, mais
tiennent ü des bases sur lE~squelles repose notre sociétl~ tOllt
8nti(~re.


Happelez-vous qu'il y :l déjil. sept ans, a la suite de grancls
efforts de la libre penséc franG·aise, le pape a jugé opportun
de passer en revue tous les príncipes modernes d'ou découlent
nos loi:::; civiles et poli tiques : b constitution de notre famille,
de notre propriété, de notre l~tat, les g-randes séries de droíts
qui font l'indépendance de chacun de nous, la liberté d'exa-
lflen, ln liberté d(~ la presse, le droit de réunion, d'assoeiation.
Eh bien! sur c]¡aCllll tIc ces droit~, le pape a crié anaLheme.


Esl··i! concev,lblc, qlland le pOllvoir religieux s'exprime
Rvec cette franchise, ave.c celte loyauté, qu'on abandonne




68 DIscouns
I'éducation des générations futures a des hommes qui, par
Ieur conscience, sonl engagés a se faire les propagateurs de
semblables doctrines 't (Bravo 1 bravo 1) Si vous leur confiez
I'éducation, qlldnd vous aurez a faire :1ppel a l'éncrgie
d'homm8s élevé:; par de tels malLres, quand vous voudrez
mettre en m~)llvement ce pellple tout entier, qlland vous lui
parlerez de ses devoirs de citoyens, qLland vous vouurez
exciter en lui les idées de sacl'ilice, de d~voueme!ll a la pa-
trie, vous vous troLlverez en présence d'une espece humnine
amollie, débilitée, résignée a sllbir toutes les inforlLlnes comme
des décrets de la Providence. (Profonde sensation.)


C'est la, messieurs, le plus grand péril que plli~se cour1r la
société de 8\), dont nOllS somrnes les llériliers el les représcn-
tants. La société de 89 a pour principal objectif de fairE:! dé-
pendre le sysleme politique et social de I'idée de la sllpré-
matie de la rai:-:on sur Id grac8, de l'idée de la supériorité de
l'état de citoyen sur l'étnt d'escla ve. All lien ue la doctrine
romaine, qui hnbitne l'esprit a l'idée d'une Proviucnce mysté-
rieuse qui a senle ll~ secret ele ses fa veu rs ct de ses disgraces ;


. qui enseigne que l'homme n'é:'t d;ms la main de Dieu qu'un
jouet, la Révolution enseigtl8 la souvcl'aineté ele la Raisoll,
l'autorité el la responsabiliLé des volontés humaines, la liherté
de l'action, et trouve la canse des souffrances, dos rnalht~nrs
de J'humanité, elans l'ignorallce OL! les [aules des hornmes.


Depuis qllatre-vingts ans, ces ueux systemes sonl en pre-
sence; ils se sont partagé les c:,prits et Otlt etltreLenll au CCBllr
meme de la société un antagonismo, une guerrc acharnée qlli
explique pourquoi, faute d'ullité dans I'enseignement, nOLl::;
roulons, sans jamais pOLJvoir nOllS fixer, de la révolte ü la com-
pression, de l'anarchie a la dictalmo.


JI fallt effacer cette contradictioll, dissiper ce trouble des
illtelJigences; et il n'y a qll'lln moycll, c'esL dl~ se désinté-
resser dans l'éducatioll publiquc d'ulle LIGon absoilllllcnt illl-
parlialL) de Ulules les doctrilles, ele tous les systerne.;, de
touLes les sectes, de tOlltes les cOlllll1unil)ilS : C'C:-it de lai:-iser
all libre choix ou meme au cap rice l'enscignclllcnt des doc-




AU BANQUET DE SAIl\'T-QUE:\"TI:\'. 69
trilles religieuses, c'est de réaliser la séparation de ces deux
mondes: le monde civil et politiqlle et le monJe reJigieux,
pOlll' lequel je conc;ois d'aillellrs qu'on ait infiniment de res-
pect. Celui pour lequel nOllS sommes faits, pOLlr lequel nous
devons tout donncr, n03 facultés~ nos efforts, notre vie,
c'est le monde moderne; le monde qlli repousse la domination
théocratique, le monde qlli entend, non pas satisfaire senIe-
ment les intérets matériels, mais les intérets politiqlles, c'cst-
a-dire ne relever qne d'nne autorité de droit hllmain; le
monde qui a soif de science, de vérité, ele libre arbitre, d'éga-
jité, ce qui arrive a la déc!aration el 11 lél pratique des devoirs
sociaux par I'émancipation et la glorification de la personne
humaine eonsidéréo dans le plus humble eomme dans le plus
élevé. (Applauelissements.)


Mais ceUe réforrne dans l'édllcation et eette distinction a
apporte¡' entre I'enseignement religiel1x et I'enseignement
lalque se relient elles-me mes a la solution d'un antre pro-
bleme depnis longtemps posé: la séparation de l'Église et de
l'État.


Je ne trollve pas opportun de nous entretenir des phases
dífférentes qlle ceUe qlíestion a pareourues; mais je veux, en
passant, appe1er votre attention de répllblicains intelligenls
el pacifiques sur le coté démocratique de la question du
clergé.


11 y avait 'antrefois dan s la vieille monarchie franGaise un
gr:md clergé, fidt~18 a des traditions d'indépendance religieuse
el nationale. L']~glise df~ France avait toujours su se tclt1ir au-
dessus eles prétenliOl'lS ultramontaines; par la, elle avait im-
pOS(~ le respeet au monde entier.


Eh bien! ceUe Église a elisparu, paree qne, sous prétexte
de lutter cOlltre les principes de la Révolution, mais en réalité
par instinct de dornination, le llallt clergé s'est, peu a pell
d'abord, mais bient6t exc1llSivell1otlt, reeruté parmi les repré-
S(.ntal1t~j de la doctrine roma in e toute pllre; de sorte ql1'all-
jOllrcl'lll1i il n'y él réellelllcnt plus ele clergé fran<;ais, au moins
dans ses rangs sllp~rietlrs. TOlllerois, jI resle encore une por-




70 DI:">COflns
tion dn elergé qui pourrait nOl1S donner une ldée de celui llc
l'aneienne France : c'est le úas clergd. Le has clergf~! On 1'a
appelé ain::3i paree que, eomme un eselave entre les mzlins df~
ses maUres, il est tout a fait en bas : c'est le plus humble, le
plus résigné, le plus modeste des clergés. Le bas c1ergé,
« c'est' un régiment, - a dit en plein Sl~nat un hautain car-
dinal; - quand je parle, il fallt qu'il marche. » os


.le n'ai jamais lu sans un mOllvement de colere celte impé-
rieuse parole. OLli, je suis ccquis 11 la libre pensée, je ne meh
rien a l'égal de la science hllmaine, et cependant je ne puis
m'empécher d' etre saisi de reSp8et et d'émotion quand jc
songe a ces hommes dont on parle avec tant de hautellr et qui
constitllent le bas clergé. Non, je ne suis pas froid ponr
l'humble desservant, pour cet homme qui, apres avoir rc<;u
quelques notions tres-collrtes, tres-incom pIeles, tres-obs-
cures, rentre au sein de ces robustes et saines populations ru-
rales dont il est sorti. Tenant a la fois du paysan et du prétre,
iI vit au milieu d'elles, il voit lems luttes difliciles et rudes
ponr l'exist.ence. Sa mission est d'alléger lenrs souffrances;
il s'y empIoie de toute son ¡'tm e; il le~ assiste et les console.
Dans les dangers et les périls de l'invasion, j'en ai vu se mon-
trer patrio tes ardents et dévoués; ils appartiennent a la
démocratie, ils y tiennent, et s'ils ponvaient se laisser aller
aux confldences, plus d'un se reconnaltratt démocr:1te et répu-
blicain.


Eh- bien, messieurs, c'est ce elergl~ des eampagnes qu'il
faudrait éJever, qu'il faudrflit affrancbir, qn'il faudrait érran-
ciper, dont il ffludrait former le clergé tout entier, aün de
l'arracber au rule et a la ser\'itude que dé~ignc ce mot cruel
bas clergé. Vous voyez done bien que, loin d'etre les enllemis
du clergé, nous ne demandons qu'a le voir revenir aux tradi-
tions démocratiques de ses ainés de 1:1 grande Constituante, et
s'associer eomme le reste des Franc;ais ala vie d'une 113tion
républicaine.


Je le répete, je jette cette i(lée en passant.
Je n'prenrl-;~ (~t j(~ d¡~ q!l'~ ]';¡\"¡)l1ir dl~!)(,ll:l c!Jpz r)¡')lh díl




numbre des écoles, de la ql1alilÓ des maltres, de la fréqllenta-
tion obligatoire des écoles, d'un programme étendu et varié;
de telle sorte qu'all lieu u'une science tronquée, on dispense a
l'homme tOllte la vérité, el que ríen de ce qui peut entrer dans
l'espriL humain ne lui soit caché. Mais eeUe tache réclame
beaucoup d'effu1'ts, uu trlVail el ele la persévé1'ance : le t1'a-
vai!, c'est la ¡oi lllemn de la démocratie, el c'esl a substituer
le regne uu travail un regne de l'oi"üveté ruineuse que con-
siste tout l'elTort un parti républicain. 11 y a maintenallt une
poJiliqlle dn lravail : c'est l'opposé de l',wcienne poli tique de
la guerre eL de la conqll8le. Ne séparons pas cette politique
LlU lravail de l'idée me1l18 de la granelellr et de la richesse de
la palrie.


Pourql1oi cléso1'mais le pellple sera-t-il prét aLl elernier sa-
criflce, qu;:md il croira l'hclll'e clll sacrifice venlle? Ce sera
pour sau ver les conqueles clu tra va il, pour ne rien laisser
perelre de eette richesse créée ü force ele labeur el d'épargne,
pour ne pas laisscr porler atleinte a eelle eivilisation dont on
l'aura rendll eapable ele goüler tous les fruits, el a laquelle il
sera redevable elu capital par excellence, ql1í est le capital in-
tellectuel. (Vive approbation. - Applaudissements,)


Mais eet avénement elu monde du travail, ce triomphe de
l'idée de justice, dans l'aceomplissement des clevoirs ~ociaux,
n'est possible - et c'est pOUf cela que 110US a vons foi
elans l'idée républieaine - que .dans la République, et c'est
ainsi, messieul's, qu'a la question du progres ~es mas~es se
rattache la grande solution des problemes sociaux, insolubles
hors eeUe forme par excellence, Ol! tous les partis peuvent se
mesurer et conquérir le pouvoir sans avoir recours les uns
conlre les autres aux entreprises de la force. (Vifs applaudis-
sements.)


C'est sous ce gouvernement, seul digne de ce 110m, ou
cllacun comparait armé de son bulletin de vote et ayant un
droit égal a cellli de ~on voisin, que l'on peut créer des regles
durables, fonder des institutio11S qui n'out pas besoin d'étre
violemment détruites, paree qu'elles ne sont pas faites au profit




DISCOUHS


d'une famille ou d'un seul, que tous prennent part au gouver-
nement et a la sOllverainelé, que l'ordre véritable découle de
la capacité de chaclln et de la volonté de tOLl~, et ou le pouvoir
toujoLlrs surveillé et reslreint ne ten te méme plus les ambitions
factiellses, súres d'aillcurs du ch~l.liment.


Cette idée de République pure et simple n'élait tombée que
dans la tete de gens que ron considérait comrne des reveurs;
mais quand on a vu tOllles les monarchies iustaliées depuis
cinquante ans s'écrolller les unes sur les aulres; 011! alors, iI
a été nécessaire de pemer allX institutions républjcaines, non
pas d'une maniere platonique, mais pour elles-memes, ponr
leur ver tu propre.


On a, il est vrai, laissé de coté les hommes qui s'en étaient
faits les défenseurs; mais on a abordé la question dans ses
profondeurs, et I'on s'est demandé si la République n'était pas,
apres tout, le régime sous Jequel OH pOLlvait b la 1'ois maillLenir
le plus longtemps la stabílité et en merne temps assurer le
développelllent des droits de tons. Et alors vous ilvez vu des
hommes qui avaient passé leur jeunesse a traiter de pur so-
phisme l'a vénemenl de la Répllblique slen faire les plus sérieux
partisans, devenir ses défenseurs ofliciels, défenseurs d'autant
plus autorisés que leur pa::-sé ne les prédisposait pas a jouer
un tel róle. II faut s'en réjouir; mais il 1'aut les harceler sans
cesse, il faut veiller sur eux sans treve ni repos; jI faut recon-
naiLre avec eux que leur cOllversion peut elre sincere, que
rien ne nous serait plus profltable que leur acquiescement, et
qUA, par conséquent, nos griefs se réJuil'aient a cecí : l'ache~
vement d'une conversion bien justiflée, et l'amélioration de
l'État républicain.


NOllS ne sommes pas, en effet, dans la situali~n ou nous
élions autrefois, el notamment a la veille du plébiscite de mai
1870. NOllS n'en sommes pas au désespoir ni a l'impatience;
nolre <'une, au conlraire, est pleine de couflallce, pleiue d'es-
poir. Ollí, nOlls avons la conviclion qu'apres les le<;ons rÉpétées
de la fortune, s¡wf le sinistre coupe-jarret de Décembre, il
n'est pas de prétendant qui puisse tenter par la force une




AU llAN(JUET DE SAL\T-(JUEt-;TI\. 73
re~tallralion lllonarchique, (Applaudip.~ell1enL~ prolongés.)


Non, nOllS n'3volls aUCIlne inqllidude sur la consolidation
de la Républiq\le; mais pour qn'el\e ne prrd,~ pas la raveur
pnplllaire, qll'on ne pui:>:;e nous la dl~rober, il fallt qll'elle soit
fé;:onde, qll'elle soú agis~ante, et que ce soit SOllS son égide
qll'on voie s'accomplil' le progres ; c'e:;t ponl' cela~ messieurs,
qu'on nous tr(luve si ardellts cOlltre lout ce qui est un obstacle
a I'accomplissement de ce pl'ogramrnc que j'ai repris et exposé
devant VOilS; c'est pOUf cela qu'en face d'une Assemblée qui
s'obstine a relanlel' la cOllstitulion de la Hépublique, qui re-
fuse al! pays sa capitale, et qlli af[ectc de tenil' comme provi-
soire, comme norninale, la forme de gouvernemeut qui llOUS
régit, nous sommes portés a critiquer ses actes et ü les dénon-
cer au r/.Ys comme U\le vél'itable uSlIrpalion.


C'est pour cela que nOllS invilolls tOllS' nos arnis ü se réunir
a nOl1S pOllr demander., non pas dans un intérét de parti, mais
Jans un intél'et exclusivement national, qu'une Assemblée nou-
velle, une 1l13jc,rilé itlcontestable et cerlaine prenne en mains
la préparation de toules ces réformes.


Que pellt-on objeclel' a cette condllite ? QlIe le pays s'est
prononcé? Non 1 non! car le moinure examen de ses votes et
de ses sCfutins démontre jUSqU'll l'évidence que la volonté du
pays, c'est de [andel' la République. (Applalldissemeuts eL ac-
clamaLions.) ~Iais en dehors meme des scrutins solennels, il ya
un fait qui s'in1pose et qlli cst cncore plus signiticatif, si c'est
possible, c'est 1'i1l1pllissallce de l' Assemblée elle-me me h rien
oser, il rien tenlel' de cOtltl'adictoire a ces récents arrélés de la
yolo[lté nationa le. (Sensatioll.) Quoi, lorsq ue, d'une part, la
nation a ordollnc, et quc, de l'alltre, l' Assemblée a reconnu
qu'elle ne pellt contredil'e ceUe yolonté, pourraiL-on plus
longtemps, sans commettre un vérilable dl~ni de jllstice en-
ver3 le pays, sans compromelLre ses intéréts matériels et
morallX, pourrait-oll ajourncr ellCOl'e, se tralner plus long-
temp~; dans le provisoire, refllser de résollllrc aLlcnne questioll
et dire obstinément : Nous avons l'e<';ll un mandat et des POll-
\¡oirs Don limités; toutes les manife::;tatiolls éleclorales poslé-




rieure::; n(; peuvent rien conLrc ce titri'; primitif dunl llC:ll:' :;I)!\-
me::; revetns ; la FrilnC(l n'll P(1S lf~ dl'Oit dp p;I1'lel' ; lWUS a!lc;lh
clécícler de s(¡n ::;ort? (Pl'oLJild 1l1~)lI\('!Il(:Ill.)


l-I o'111'l'\¡";C.'¡)"t1L 'j"'l') l'" 1~1 ,'l"'lrl' "'('''1 ","1',,1' 1)["1;(';(,1 r! ¡;u'i \...., , \~ 1 ,J' \ 1 ~ j' -' 1 ... L ,1 (¡ _) '_' ~. _,1, !. \. l' U \ [~ • , '-' l
De S(~l'<i ríell Lit., lll(;jll~ d~~ ti ¡):,I'L (k:~; pi·', ,;l'de!íl~) pi,'lr r',":l-
li~(~1' de k]:.; d:~[js :1 1:1 SU\l'.'('l'ailll'll'~ llélli()ln!(;. C[)lid~¡jn!¡(;, :t
1)imp¡liss(lnr;8, \'OI;I"S, par h CUíllplhiti()/í lil(::IIW dl~ 1',\<';"IlJIJI.,;I"
aux llít,tes slériies eles pat'tís, le:-; t!¡;i>l¡:t,:i cOtll!ll'lcllllroi¡L Ci,L-
mel)](l:; qu'il esL telllp:-- di, ~¡)rlír du cu CiJ.ill:i et de relldrc :i:¡
suffrilge universd la li:,lre di:::.posiLioll de j'lt'juJme. (Applaucli:,
sel1l81l ts )


Et d'ailleurs, mpssi(~ur:). ce sacriftcr> (;:-;t-il done si ]Jériblc,
et est-ce, t'n vérité" (~xis:,cr par tro('l d(~ Lt n:lI.llre hlllllaii1l~ que de
réelamer un aete de sag(.;sse el v(~rjtablenwllt Iwliliqllu? ExCl-
minolls la qi18sti(,11.


An moi~; de mai 1870, llU trW!ll(~ilt oú, S(jl1S b pre:;~i()ll ([8-)
, ,1 '\. " 1 " a.geu(s ele louL Ofure d a ¡'a¡ril' (tl: t(illt(;~; m:lillf:tIVI'(é,'" I Cill-


pire !'urpn'líaiL la cOllllallC(; dL: h i<'r;lllcr:. J:¡ !l'(illipll!IL il 1 :lÍclc
d'une question crtplicl!:;u, (¡llL(;¡l:liL :~ix mlilol]", de :'illi'i'¡::¡;l:s,
six !lli:lioIIS de ~óliÍrr.,o(':,; <¡uí d(;llla!l'l:I~;;¡!t :;1 ;i¡í.\) eL d qr,i Oll
a t!011ll8 la gllelT(~; :;!X :ll¡I¡'O~h qll¡ di:-i:iic,,L :-il:lhi!iL0, el ql!(ill
a voués;1 la n!illf:; :;ix illiilioll~~ !f'li di:---,I,líilL (I!'[[[I', d ~wr k~j-"
(1\1"1,,, (JI} :> ,11~C;I);,Al"i{; '1";' l'j'¡'¡")\','j'!)¡',n 1('!I))\;",!'!·' c'IV P~I'I"¡()"" \'-"('(' 1 G I....J ,-'l U V ~ d , v •.• ' '-' \ J ,~ " • : ',_, .", '_' fi.. . 1 ~ I • \.. . 1.1 ,1'
voulaiellt (Ure 'sullicilud\: dt~ !'i!lt(~r0t llaiiulJ(ll. e!. .:I¡;;q'¡('J:.; OH
répol;dait ¡'cu' un deli il):i8lLÚ eL erimiilt~i ; CLlt' le d(~:';f)(¡L(~ avalL
l 'l'SI)':"""1Co C"III)'ll)I,-" , [, [l'l)l'¡""l' ¡J'l'}>" 1"" ¡'J"'''''''I..; ,ji' !'1 "lll'>""'-' "'"t ........ JU1 '.~ u


1
t jV\ ~· Vv ·" l.)l~_ .... ..l.~LUl< ).'t(r) ,11\ ....


un l'aj(~lIIJi:S(,lli~tlt dL: r();~e(~s q\ii p(:nllÍL UI:l,I)J'(', ulle fui:, (fóLllilf.,·
fer le pays. C'(~trtiL UlJCU)'C ¡" t.raJJLioll di; B~)[ltiparL8 :,i~lléltlt
l'actf; addit.ionnl'l (~L di:';;¡llt: « ;'\;ous V!::IT()liS a[lri~s la victu¡re. f)


Vous sa\'cz ce ql1'il I)1)llS en a r,o('¡l(~; sl;[lletlll;nt il est jWU;,-
etre utile de ti¡\,,:r du péhliscite ]ui-ll1ütne el Je~~ événetlleut.::
qll¡ I'OilL s!:i .. [ l,n nUlIvl!1 clhcglk)!lll:nL.


Au lCtldc:maili dc, celle calaslroplw de Se i éli 1. COl1}mc tn¡¡-,
J'Ollf'" 'lt"'I'lij'" !,1'I''': ,l'll11 Sl'( ... '¡'(:\ (¡"l"" CI~ ~','\',' 1"1 1'1"11'1'" ("1':: :, , l l ... J i ~_.) d. .. _..1'-'..1 (.1 .. ) v i"(J . ." ( . ( .1,-,,0 I ,d.lo..' (.
de'ux dujgl~ de Si ¡¡erte, la Ikpllbliqdu ;1 :-.urg-i; die est ~i()l't¡L:
de la couscieuce populaire eL U(:S uéce;')sllés du salut l1atiolwl ;




75
elle hérite J'lln passé c:t d'uue sllccession que rien ne pcut
liquider, et ses adversaires la vOlldraient rendre responsable
des dés:lstres a:1lE~nés par la lllollarchie.


Celle pcrfIdie ne trompera pas le pays.
Pour la tr()isiellle fois, et par les memes mains, l'existence


naliollale était menacée, el. ~llljourJ'hllil j'ose dire qu'a l'heure
oü la Répllbliqlle rama~s:tlt le pOLlvoir au tllilieu de l'épuise-
ment de toutes llOS reSSOUrC8:-i l elle seule pOllvait vaincre; mais
trahie par la fortlllle et les ]¡ommes, elle a sauvé le bien le
plus précieux des llations : l'hollneul'. (Appllllldissements.) "


Ell bien, ceUe lh~pllbLiqlle, que le sLltl'ray;e ulliversel parait
ele pllls en plus (li~;posé Ü cOllsoliJer, esl au-desslls des dis-
cussions el des attaqlles; et je llle demallde en déunitive d'Ol!
pnWlellt un si gralld résnlt;lt. Iln'est pas dü selllemcnt a l'ac-
tivit.é et tI la sagesse dll parti rép'lblicain; il vient de plus luin,
et si VOllS le vOlliez, nOllS allons décomposer l'enselllble de ces
six millíons de sullrages qui se sont rellcontrés dans l'llrne
plébiscitaire.


J'admettr(1is que, en debors des excitations, des manCBllvres,
des praliqucs de toute surte auxqnelles se livraient les (lgents
de l'elllpire, il y ait eu une certllille fractio11 de voix acquises,
col1te qne coúte, ali gOllvernem8nt impérial; mais le reste, 011
pellL le dl~COlllposer en denx parts, dont la plus considérable
- au llloins quatl'e millions - représenUlit, sous l'empire
meme, ce qu'on appl~lait la démucralie césarienne, qui voulait
l'iusta ller dans le pays, et qlli croyait 11 ses progres, a son 01'-
ganisaLion, par la main d'U11 maUre, au dedans et meme au
dehors.


Erreur fondamentale qui a coúté 11 la France l'avilissement
Ll(~ ses mCEnrs et ses deux plus belles et plus fieres proviilces.
011í, ces électenrs conliallts el trompés dernandaient le déve-
]oppement des principes de ~m, inscrits au frotltispice de 1 . ,'NlJ
COllsLit.ution. L'ell1pil'e, lui, les réclamait pour les exploit .;.:~~~;:::~~
pOlir sédníre les /llasses, garder les ouvriers el garJer les a-y_"G: .. ~.
;;éllIS! Mais ii les réclamait uéatltIloins. :'~' .


, .


Je tlis et je répete qne, parmi ces voix plébiscitaires, ils




76 D1SCOUHS


étaieot nombreux les esprits hoonétes, loyaux, qui ont été
abnsés, cal' ils voulaient la suprématie dl~s príncipes de 89
dans la société clémocratiqlle; ils vOlllai('llt l'égalité devant la
loi; ils voulaient l'instruction assllrée, I'impót dll sallg obliga-
loire, la diminution des priviléges du clergé, el la répartiLion
équitable des charges publiques: c'étaient des gens trolllpés
qui croyaient a la suite de la Hévolutiotl, et qui croyaient pos-
sible l'alliance adultere de l'empire et de la démocratie. Par
conséquent, nous avons le droit de les revendiquer. Illslruits
par le malheur, débarrassés des suggestiolls napoléoniennes,
ils sont de droít, de sentiments, acquis ~l la cause de la Répu-
blique et de la démocl'atie. Olli, j 'ai eette eonviction qu'a part
la han de dorée des parasites qui depuis vingt ans avait mis Ja
France en con pe réglée, a part ces eonductellrs de la rnasca-
rade impériale (Rires), le 8uffrage universel, dans ses masses,
H'est laissé trom pero


Ainsi done, soyons avee eux d'une parfaite toléranee pour
le pass.é, ne récriminons pas; qu'ils elltrellt dans nos rangs, el
poursuivons ensemble la réalbation d'idées qui n'onl eouru de
périls que par leur égarement, aujourd'hui dissipé.


Et a coté de eette force immense que le parti républicain a
le droit de revendiquer el de metll'e en CBllvre, il ne re:ite
guere qu'un partí dont les prétentions SOllt COntllleS, ce sont
les hommes du passé. Leur r61e est de représenler l'anc¡en
régime; mais le démembrement de ce parti est un [ait accom-
plj. Il reste a ses repré~;entants a se péuétrer des aspirations
contemporaines, a renoucer a un idé,d usé et quj él disparu á ja-
mais. Nous n'ollblierons pas, pour 1l0Lre part, les glorieuses pa-
ges que Jeurs alellX ont éCl'ites dalls 1 'histojre de France, el cela
meme les invite a s'adapter, a l'heure qu'il est, aux intéréts de
la Fratlce moderue. PQur~uivre plus 10llgtemps, quatre-vingts
ans apres 89, le retollr d'un régillle qui a disparu SOtlS les forces
réunies de la société fran<;aise, e'est se vouer a l'impuissance
et a l'isolement san s espoir.


lls n'ont qu'un seul par ti a prelldre, c'est de cOllsidérer que
le pouvoir républicain est le plus libéral de tous les pouvoirs;




AU BAl"QUET DE SAIJ\"T-QUENTIN. 77
que leurs aptitudes, lenrs talents, lellr éducation, doivent lellr
y faire jouer un róle important, et qu'ils y seront cornme la
parure de l'État.


Quant a ceux fluí se dísent conservateurs-líbéraux, ceux-Ih
n'ont pas d'idéal, ni en avant ní en arriere. lis ont des prín-
cipes, ce sont de pures maxirnes; ils ne praliqllent point; ils
n'ont, a vrai dire, ancune préférence de ccenr : le ccenr ne tient
pas grande place dans lellr politique. (Applaudissements.) lIs
oot des inU~r6ts, ils les défendent; je ne trouve pas cela mall-
vais, quand les intérüts sont Jégitimes et respectables.


Je suis tres-disposé 11 classer en del1x parls les homrnes de
ce par ti : cellX qui sont d'une parfaite indifférence pour tout
ce qui n'est pas lem bilan, et qui, pendant vingt ans, ont
dúnné nes bJanc-seings ~l ce famel1x sau venr qui répondait de
!'ordre, nalfs et sceptiques tout ensemble, qui son L tOllt sllrpris,
a l'expiration de ce hail, de se trollver plus rnen1cés, un peu
moins fiches et plus troubJés qu'aupúavant. (Hilarité et ap-
probation. )


TOl1t celn pon\' n'avoir pas pris eux-memes la protection de
leurs intél'ets, et pour s'obstiner a ne concevoir la société qlle
comme une nssocialion en commandite Ol! le gérant se charge
de foumir les soldats, les preLres et les gendarmes. (00 rit.)


Ce soot El des illstitutiollS utiles, messieurs, nécessaires,
mais qlli ne samaient remplacer la force morale, seul fonde-
ment de l'alllorit(~; et vous en avez un lriste et récent exemple.


II y a auss.i parmi ellX de véritables et sages conservatellrs ;
ce sont d'lltiles contradicteurs. Dans le systeme démocratiqur,
iI faut dellx partis, se combattant an plein jour et luttant pom
le pouvoir saos violence, avec les armes de la raison et de la
science. Il faut un parti ues réformes, le parti novateur; un
partí plus particulierement préoccllpé des progres et des amé-
lioraLions, ql1i prend la tet(~ de la société, qui a l'impatience
de la jllsl.ic8, l1lais qui pourrait se jeter hors de l'orbite, s'il
n 'était retenll el. J)]ürnc retanlé dallS sa marche par un second
partí non rnoills ntkessaire qui lui sert de frein. JI faut done
un autre parti plus calme, plus timide, toujours résistant,




7R DISCOllRS Al! BA~QUET DE SAI:\"T-QTlE:\"TI:'\.
mais qui sache eéder a la voix de l'opinion et accomplir les
réformes qui sont múres. C'est dans I'équilibre de ces deux
fractiol1s politiqnes, sous la proteclion des lois el la garantie
des droits que je place yéritablernent le fonctio!1nemeut tlu
gOllvernernent républicain et la cOllllitioll de I'ordre.


Mais, dll rnoment que l'un veut Oppril11er l'autre par la force l
c'est la guerre sociale organisée, el vous n'éles plus des COl1-
servateurs.


AillSi done, nons pouvons nous séparer en affirmant que la
France s'est définitivement ralliée a la République, et Cfu'avant
peu il faudra bien que totÍs les partis se rel1ouvellent; les plé-
biscitaires désabusés, les conservateurs instruits par I'expé-
rience, cornprendront tous les jours mieux le5 garanties d'or-
dre et de liberté qu'offre seul le gouvernern8nt républicain. Il
nous sera peut-etre donné, et je tiens a exprimer meme c6lte
espérance dan s le deuil meme qui nous a réunis, d'assister,
avec le conCOllrs de tOtlS les citoyens, a la fondation du grand
parti républicain national, qui n'a Ü'(llltI'8 ;unhitioll que de ré-
tablir la prospérité du pays, de sceller l'uniot1 de lous les Fran-
~ais par la reconnaissance et l'h:1rllIOllie de tous les droiLs.
Alors la nalion, ramassant tOlltes t'es forces, llllie l't lihre)
pourra se tOllrner vers I'Europe, se faire rt'ndre ce qui I [Ji (jp~
partient et la place qui lui est due. (Vives acclamatiolls et
cris : Vive la République! Vive GamoetLa!)




nTsconIlS


p n o ~ o N e ]:~ A A N G E R S


tI! i Ani 1 J Ri:?


Il m'pst p~rtic!lli(~t'e!lJent don\: de: me' trollver (li! milieu
d'une démocratie [{¡ii a de:-; j'()!.m::-wLill1ls COllllll('l cellX qni
sont a:;sis iI cet k tah!(\; i I m'l>sL pa!·til'll!ifTerlll~llt dou\: de selllir,
datls J'"ccliel! qne VOilS lile [aiL(~s, qlJl~ vous il\8Z vOldl! SUi'tOUt
d¡stillgl:l'r le s\'llliIlH~llt, le z,.:h~ aVI~C 11~sqlll'l:-; il m'a éLI~ dOl1né
d'unir, ü',i1li8l' 8llSeltlble le drapl'.au de Lt H(:publiqlle a celLli
de la Fr,l nee.


Car ce SOtlt (le vérilables calo i lll1iateur:-;, des détractenrs du
passé eotnme de J'avenir, cellx ql1i prétendelJt qne, pelldant
une seule mit1llte, ~1 lll)(~ (ip()qll(~ qUt;!e()!l(FI8 de notre hlsloire,
nOl1S ~'t()ns mis en opposilioll OLI ell halallt:e l'illléret du pal'ti
et I'intéret de la Frailee. (Tres-bien! tres-bien ~)


NOll, pas pll1s ((II') nOllS ll'avons sépani le sut'frage llniversel
de la Rl~i)ublique, no u::) u'avolls jalllais séparé la Fr:1!lee de la
Hépubliq118.
C't~:;!. avec le presfige de cc:lle indi~s()ll1bilité que le parti


n:puiJlicaill a droil de se pn;sellter devallt les factions rivales
í~l <levant le lllo l 1de ('nli(~J' ; c'est dan s C{~...; -;cnti!lleul:-i de soli-




RO DISCOURS
darité~ d'union indissoluble que nous devons toujours nOllS
placer, pour la contradiction~ en face de cellx qlli disputent
encore a la France la constitution permanente et défln!tive dn
gouvernernent répuhlicain. (Applaudi ~se !l¡c;nt~.)


Je vous en prie, .mes amis, vous disiez louL ü l'!wure : Vive
Garnbetta ~ et plusieur~ d'elltre vous fai~aiellt dominer. (~t
avec raison, le cri de: Vive la Républiqll8 ! eh bien, ce que je
vous demande, c'est de ne p:1S me prodiguer des applandisse-
ments qui, cert:1inement, partent chez vous ue celte profoncle
affection que je vous ai vouée, et que vous me rendez, -
mais qui sont inutiles entre hOtlllneS libres. (Tre.:l-bien! -
Marque llnauime d'assentiment.)


Eh bien! puisque nous voici réunis, jo peux bien profiter de
la circonstance et de l'occasion~ en réponse élUX excellentes
paroles que vous avez enteIldu prolloncer tout a l'heure par
mon excellent ami, et votre vétéran dans les luttes poli tiques
de ce pays, l'honorable M. Guillon alIJé -' je peux bien, elis-j e,
profiler ele la circonstnnce pour vou~ dire toute In:1 pensée.


L'honorable .i\I. GuiLtOll ainé vous exposait quelles sonl nos
espérances et quelle est, au vrai, notre situnti()n~ et il vous
monlrait COllHnent noLre poliLiqu8, - la polilique républi-
caille, - que 1'on eloit présenter avant tout comllle une poli-
tique nationale, esl a la fois protecLrice de l'ordre, de 1:1 liberté,
et de tons les intéréts, S3.11S distinctioll atIcune, qui out le droit
d'avoir leur place au ~018il.


Oui, je mnintiens ({ll'aUCUn alltre parti ne se présenle all
pays avec une poli tique cOlllportaut les memes avantages) -
et je fais, croyez-Ie bieIJ, ({uane! je parle des partis, des dis-
tinctions entre Cí~UX qui méritent de figurer dans l'arene et
ceux qui eloivent en étre constamment exclus.


J'estime donc que llOUS sornmes arrivés a une période parti-
culiere de l'bstoil'8 de la Hévolution fran~aise, et je tíen::; ce
langage al! lenelellJain ele ces désastres sans nom qUI ont mu-
tilé la Frallce, qui ['únt act.:ablée, mais qlli ne l'ont pas ruinée,
entendez-le bien! car, ele tous les cótés, on voit elistinctement
les germes de la vitalité reparaitre, les cmllrs se refaire,




A AXGEDS. 8i
I'avenir se dégager, en sorle qllO l'on peut prédire, 11 eoup sur,
que eelte llalioll, qlli a su S<luver son honneur, sama repren-
dre v'érilablernent le rang qni lni nppartient dans le monde,
(Oni! oui ! - Longs appl:lUdissements.)


C' est, en effd, par la' conserva tion de l' honnellr que ~e COl1-
servent les peuple~. Les peuples no périssellt jamais par des
convulsions intériellrcs, p:lr des luttl~s de partis; non, ils ne
périssent que lorsqlle, autollr d'eux, les autres peuples font le
silence, que lors({u8 tous signes de vie parliculiers, toutes
communic,ltions voisines lour sont interdiles, ou bien lorsque
ces relations avec leurs voisins no peuvent avoir liel! que le
jOllg sur la teLe. Oh! c'esl alors que tOllt cst cCllllpromis el que
tout va périr. (Sensation.)


C'est par l'expansioll, par le rayotlnoment do la vie au
dehors, par la plac(~ qu'on prend dans la famille générale de
l'humanilé que les nations persistellt et qu'elles durent. Si
ceUe vie s'arrétait, c'en serait fait de la France, mais cet arret
est impossible, j'en alleste le besoin qu'on a d'elle dans le
monde I (Bravos et applalldissements.)


Revenons aux paro les qll'on a prononcées, el, el ¡'hellre ou
je peux me trollver en commullicatioll intime avec vous, mes
chers cOllcitoyens, laissons de coté ces grands slljets de phi 10-
sophie poliliqlle et callsons de nos affaires, cornme dans une
véritable démocratie, entre égaux, avec 18s senles différences
que créeut le travail et l'illtelligence, ces illstruments supé-
rieurs de l'activilé Immaine, que l'on a le droit d'invoquer
el de faire valoir, pour parlor ~l des hommes. (Approba-
tion.)


Eh bien, s'il falll que jo vous dise ma pensée, j'ai été attiré
vers vous, messieurs, surLout par un besoill de visiter une
parLie de la France ({\le \'on méconnait, que ]'on rabaisse, et a
laquelle on !le rend pas toute lajustice quí lui est due, la jns-
tice dll patrio! isnw.


Ouí, vous sa v(:'z bien de qui et de f}l1oi je veu Xc parl'~r. On
cnusideCl' COllsl.11Il1111CI¡t celle partiu de b France, circOllscrite
par la Loire el par l'Oc~an, comllle lIne espece de forl.eresse,


Q.




82 DISCmlRS
de citadelle que les préjugés gardent ponr en empl~eher l'ncces
a toutes les idées autre~ qlle les idé(~s dll passé !


Et I'on ~~joute : (( Que parlez-voLls ue H(~p\lblirrlle, d'illlérets
démocratirples dans ces Inys? ce SOilt des lal\des, des ~teppes
habitées par des esprits mal [aits et chágrins; ce sonl Jes popu-
lations abandoonées : c'est la Vt'l1clée, c'est le Bocagf\ c'est le
Maine-et-Loire ... c'esl fini, c'est une terre pour laquelle loute
culture est inllLile! »


C'est souvent ce ql1i arrive en France. 00 Fa dit avec
raisotl : 00 ne voyage pas assez en Fl'ance, et ce que nons
connaÍ:-;so[1s le llloins~ c'est notre propre géographie. (Vive
approbation. )


Autrefois ces pays étaient le terrain des privilég8s par
excellence; e'est la que se (irent les grandes attaqtleS et les
lOllglles résistances, c'e~t la qu'il en a le plus coCtté pour
installer les bienfaits de la Hévolntion franGaise: mais c'est
précisément it cause dé ces luLtes qllf-J vou:;; gardez le souvelllr
de ce::; bienfails avec plus dc~ piéUj et de ferveur; et parce que
vous ll'avez pas pu proflter de la vivaciLé du courant éner-
gique el rapide qlli a etltralné d',1Utres poplllalions de Botre
pays, qui n'avaient pas á secouer élUtant de siecles d'illiqnités
que vOlls-memes, ce ll'est pas une rai:-;on pour qn'il soit permis
de dire que vus popllJatiolls n'Ol!t pas un CCBur véritabJement
fran¡;;ais et répllblicain. (Marque~. unanimes d'assenlimcnt. -
Bravos.)


Vous en avez d'ailJeurs donné de mémor:lbles témoignages.
Je ne rappellerai pas votre pas~é, pélrce qne je crois qn'il
n'est pas bon de rappeler le pllssé C¡Llltnd JI s'appelle la gl1erre
civile. (Tres-hien ! tres-bien 1) Jt) préfere rappe!er vos lllani-
festatiolls plus voisines ele nous, tO\ltes n~ct'J1tPs, depllis le
jour oú il vous a été dOl1l1ú de pratiqtler la lilwrté él(~ctorale,
depuis que vous avez cessé d'etre plac(~s s011s le conp des
jnciLations de l'empire: de cet empire malldil. donl le 110m ne
devrait étre pronotlcé qu'avec IIne sorte de d(~¡;oúl. physique,
de cel empire qui a vait eu l'irnpudellf el l't~trallge fOrl.Lllle. -
souten~l par les moyens de corruption de toute nature que




83
vous savez, - de recomí!' anx voix (Itl plébiseite, de cet empire
([ni ()~ait soutcllil' derni(~renwnt qn'íl avait été renver~é par
lltl\~ érne¡ILe, ([101':-; qu'iI a étli l~\p\li:-:tj par une sorte de hoql1et
pll!l1ic. (D)lI]¡ll~ S;¡\V(! d'aPl'lllutllSSl::meuts. - Illlerruptioll de
quelq118:; Ithla!lts.)


En bieu) cI'L elllpire a\'aÍl: interroglS, consulté le ~t1ffrage
universel ; il avaiL mis atlx voix llon-se111elll8llt son pr()pre
aff'et, ¡lIais I'al'rüt de L1 patrie; et, cllose inoLlle, ('hose unique
dans lIJistf)Il'I~,1 t(()js illois [lpres le vote de ce pellple, qui
él-rait livré sa fortlllle, s;¡ destinéiJ, le palrimoine de sa gloire
passée, se:; frnntieres, la g(\l'tl(~ de snn lInité a un a ventllrier
pal'jllre et crimillel, - trois moi3 apres le vote, cel implacable
arreL :-;'exécllt3.it, el c'éLait S()lIS le toup du plébi'cite que
nous perclions l'Alsaco et la Lorraille! (Sellsatiun pro-
!ongú~.)


QIJJlld je dis : n0l13 !1é.nlions ¡'A lsace et la Lorraine, je
m'elltellds el je ll'iu."i:-;Le pas, vous me cOlllprellez aussi,
nOllS llU les aVOllS ni perdlles ni céüées. (AdhésiollS una-
nirnt'3.)


.M;lis sur ce sujeL il i'aut étre sobre. Ce n'est pas iei, dan::;
celLe (\sselllhl(~e, oü je vuis des h()lllnH~S qui out si Iloblement
et si fieremcllt rait leur devoir pemla:Jt ];1 gllerre" CJlI'il convitmt
de dire qlle ¡tur Sélilg él cuulé en vain pour la dérense de la
Frallce. (Gravo;3 cllthollSia'ites.)


QllHIIJ je suis V(~!lll chez vous, messieurs, je savais bien que
je ll'étais P;¡S sur la terr'l~ slérile el iucolllllle dont je parlais
tout a rllel1re, ji; savai::i bicll que j'allab dans une ville ou le
Conséil JUlluicipal, uú la Illairie, oü les antori~és voisines de
Sauruur, uu Ballgé et d'autres eIldroils, ~;ünt dans les mains
nOll pa~ tle gens de parti~ mais de rna!ídataires libres, loyaux
et rl>:-;pollsables, choisis par la majorilé de Il~Llrs cOllcitoyells,
diglle:) de ]l~urs m:lndants el a la halltl::ur de leul' mandat.
(Ap p !all! 1 i~Sl~Il1\:! lJ ts.)


Et ai(Jrs, peUda¡lt f[118 le..; un;;; !lle font voyag-er an deja des
l'roilLiere;i (Hm:)s), que d'itlltl'CS i!lU prolJleu8ul ;tu milieu des
púpulaLlolls du Midi, que (]'autres euüll me cOlltestent meme




H4·


le droit de me déplacer (Nouveaux rires), je me suis dis que le
meilleur moyell d'utiliser les qllelque::; jours de vacan ces que
les Conseils généraux font á PAsscmb/(:e de Versaiile~, c't~t~li!.
de venir parmi vous, pour v(~rilier une fois de plus aquel point
l'Asselllblée de Versailles ne repl'éSellte plus le pays C\pplau-
dissernents prolongf's), rneme dalls les elldroits d'ull étaiellL
venus les plus arrogatlts de ses rnernbres (Bires), lesqlleb, el
l'heure qu'il e8t, !le représentellt plus qu'eux-memes, et,
en vérité, ce n'est pas assez 1 (Nouveaux rires d'approba-
tion. )


Eh bien, je suis fort sati:-:fait de mon voyage, et veuillez
croire, messieurs, que je n'ajol1le rien de lrop personnel dans
cette satisfaction. le ne suis pas seulement éditlé sur les dis-
positi~)l1s que vous avez biell voulu me manifester, rnais je
trollve qu'il y a une telle cOllcordance, ulle lelle alliatlce entre
vos idées et les idées des populatiotls qui sonl de l'autl'e cóté
de la Loire, qui SOllt sur les bords du Hbótle, SUI' les bords du
Var, qui bordent toute la Méditerranée, qlle je me dis : 11 est
percé a jour ce calcnl de nos adversaires qni consiste a repré-
sen ter uue partie de la Franc(~ comme étrangere a l'autre,
c.eux-ci a ceux-la. Non! c'est tOlljours le memc e:-;prit, parlout
homogene et partout selllblable a lui-meme, qni anime, qui
enflamme et qui réunil UJutes les parlies de la France et, au
Ilom oes illtéréts répulllicains, je salue l'unité morale de la
patrie. (Applaudi:-;sellletlLS proIOllgés.)
. C'est, en t~jfd, Ull des cakuls le:-; plus llallÍtuels de nos dé-


tracleurs en face des poplllatiolls difT8rellLes dll Nord, dn Cen-
tre ou de I'Onest de la Frallce, - populatiolls qlli unt gal'ct(~
par devers elles, él II milieu de la uationalité fratlQaist~, llue
empreillte particulióre, llll air de race, des mccurs, des habi-
tL1des, des praliques qui. dans J'admirable fai~ceau de J'unilé
franGaise, conservent une variété harnlOniellse, - c'est le
calcul de nos détracteurs, proíitanL de cette divprsité, de Jire
par exemple aux ProvenQallx : Si VOllS saviez comme telles
populations sont alonrdies, comme elles Ollt peu l'inslinct du
progres, comme elh~s vous sout étrangercs et indi1férentes 1




Et aux populations dll Nord ou de 1 'Ollest ils disent, en par-
lant du \lidi : C'est une poplllation absol11ment' vo1canique ;
on n'y parle qlle ele s'égorger; c'est une race indiseiplinée et
impossible a gon verner; c'est UI1 peuple de démons!


Et voila eomment 011 prrsente les deux freres ¡'UI1 a l'autre!
(Hires.-- Applaudisscments.)


Or, messieurs, a voyager, a visiter les différentes localités
des pays, on aequiert ectte conviction, toujours grandissante,
que la République est la me me partout, que les populations
obéissent Ü leurs tempéramellts qui sont différents : les unes
la réclament, les antres la préparent; les unes la pressent l
d'autres l'altendent, d'autres enfin·l'exigent. (Vive approba-
tíon.)
~Iais toutes ces variétés, - n'en déplaise aux moroses et


aux chagrins de la rnonat'chie, - ne signifient qU'llne chose :
llons aVOllS la République, 110US voulons la garder, nous vou-
10lls la développer. (Olli! oui! - Bravos.)


Et c'est a ce travail de consolidation, de développement,
d'accroissement, que chacune de ces factions de la nation ap-
porte son contingeot spécial et personnel de lurnieres, d'acti-
vité, d'aptituues. Et c'est par la que je cooc;ois qll'il déplaisc
beaucoup a certains e~prits de vous voir voyager, paree que
ce qu'ils r~doULent, c'est le contact, parca que quand 00 se
voit, ¡'on se compte et I'on s'unit, et parce que notre union
fait notre force. (Approbation.)
Oui~ c'est l'union qui, jusqu'íei, a fait voLre force, c'est l'u-


nion qui vous a permis de vous relever d'llne chute qui, pour
etre glorieLls8, n'ell a pas été moins profonde; c'est l'union
qlli vous a permis, COlJltlle on l'a rappelé, .de traverser les
mauvais jours, qui vous a permis d'attendre que l'heure dll
rappel eL de la jusLice sonn;lt; et c'est cette union sacrée, a
laqueIle il faut faire tons les sacritices, ceUe union, gage eer-
la in du triomphe prochain, c'est elle qui vous permet aujonr-
d'hui d'assister l'mil tranquille, l'observation pal'faitement sa-
gace, a la pulvérisation des partis adverses ; cal' si votre union
est consommée, si votre pacte est fait, si, laissant de coté




86 DISCOüRS
résolument les dissidences d'origines et de théories que cOtn--
porte tOlljol1rs, dans un gralld parti cornrne le nutre, la di,-·
Cllssion des idées, nOllS nons trnuvOl1s ratn8ués, avec une in,"
flexible riguelH' de rné111ode, dev~ltlt l'lIrLW ékeLnrale, si tont ~c
monde est d'(H~corü pOllr dL~Il13nder Cl~ que lWllS dpvons récla-
mer, nous vaillcrolls. A ce titre, dans ces COlldil1ons, mais a ce
titre seulement, et dans ces conditiolls sellles, HOllS vaincrons,
et pOllr toujollrs.


Vous avez déjiJ. vu les premiers fruits de la vicloire : ils ont
été doubles. Non-se111ement vous avez pll faire apparaitre un
persollnel, dans notre parti, ü tous les degl'(~s ele l'échelle SI)-
ciale 011 admillistrative ~ mais, par votre lllliun, vous aVHZ
immédiatement jeté le désordre, la COllftlSio!l et l'illcoIJérellc8
dans les rangs de vos ad vt~r~aires, et (:'est depllis que vous
étes llllis qu'ils ~e divisenL (Vive apprubaLion.)


Ell effet, oll en sOllt-ils ces nd,'ersaires ?
II Y a, COITlm8 vons le sétvez, un partí qlli, je m'cmpresse


de le dire, est compos(~ de gel]S beaucollp plus illllOCéllh qne
mechanls, de gens apparteuant a une édllcatioll de classe, de
religion, de fortulle qui explique illlellecluellement d psyclw-
logiquetnent lems a1Tt'ctiollS illtimes ; milis ce n'cst pas de CLl?
qll'il s'agit; il s'agit de 8a\'oir ce que veul ce paI"Li et oú 11
nons menerait.


Eh bien, ce parti, qui ne tient aUClln compt.e des événe-
mellts accoll1plis dl'pllis pre:-; d'un siecle, qui n'en tient compte
ni ici, ni la, ni c:n Frallce, ni en Europe, ni en _\mériqlle, ({ni
ne tient compte lli des faits qui se sout produits depuis le fl:3-
tour de ia Restauration, ni du sysl(~llle g,:m~r;Ll politiqlle des
gOl1vernemenLs, ni des principes de I't~COllOll1ie soci:de, Ili des
cOllquetes de l'psprit d't;Xillnen, ni de celles de la sciL~n,;tj,
s'ob.~Litle iJ. del1leurer atlacllé a lous les élérnents ql1i onl, dis-
paru les llns apres les alltn~s. De tell(~()rLe que, si llOUS V()!l-
liollS luí céder, ii [H~ s(Jrait pas plus ulfIicile de l'illlll'ller p~li'llli
nOllS n'illlpurte ql!elk~ civilisatiotl (~leilJte depuis dl~s siec]e:;
que SUll systeme disparu dl~puis :178D. (ApplalldisS8tneuts .. -
Tres-bien! tres-bien!)




A A:'i(;ERS. R7
Ce parti est compo~é d'hommes qui croient que des obliga-


tion:-; de ccrl1l', qll'une cerLaille !lobles:-;eJe caraetere, qu'une vé-
ritable gétl(~rosit(~ de S(~!llillWllL~ ](0:-) obligetlt il JOLlcr, all rnilieu
de no; re société, ce rule de paiadills inCOIlV(~rLi:-;sablt,)s.(O 1 rit.)


Ne l~nr parlez pas rniso/l, ils lle c()olla¡s~(~llt cr11e la roi; ne
1em parlf'z pas de ces[orct~S, Ü la [ois terribles et nouvelies, qu'on
appelle les [orces de la dl~Illi)Cratie; ne leu1' dites pas que, dé-
sormais, il est irnpo:;sible de faire l'elll1'er SílllS lerre ce flellve
qui no cl('horde pas, m:lis qlli ('ollle il pleios lJots d'lIt1 cours 1'é-
glllier et ~tlr; /le chercIJez pas ü lellt' [¿¡ire corn prellC)re que la
terre aux mains de..; paysülls, qlJ(~ l'atelierall\: bras d(~ l'ouvrie1',
que les capitallx 8UX-lllÜtr,,'s, (!lH~ I'on a réll~~i il acqlléril' par
des efforts ;tCCllntllks, allx mitins c1u C:1píl:11iste et uu 1irlélllcler,
ce sont Ips forces de la démncratie ; IW leut' dites pas CjLH: llul ne
doit échaplwr aLlX charges de la sociéLé, ce qui e~L lllíe des lois
de la d(~ill()Cr;Hie; I1P lellt' diles Pi);; q'ie ¡':1rmée elle-meme
repréS(~llte litle vuste fO!Jctiull socia!e it laqllellt~ chaq¡iU citilyen
dnil cOllcouri1', ce qlli csL ellCO!'l; lllle loi de la dI.SIll()c¡'atie; ne
¡enl' dites pas que l'arlílée dt~ 1797 COlllme celie de 1832 SOllt
des institlllions défllocratlcllles; lle leu1' dites pas tout cela, ils
'ne vous COlll!lrelldrait'lll pas : ils VOllS dí1'aienl que vous etes
des SiiCI':lt;g('s eL ils vous :ll:cllseraiellt de vouloir attenter ü leur
foi. (Approb;¡tilln.)


VOllS nu pOli vez discnLcr ;IV8C el1X~ ils se servent de leur
latlglle et de leuresprit, mais il:; dél¡'stH1t la raison; il:; ont de
vérilahles gráces d'Ét:lt : ce sOtlllt's naifs ; c'est lit, permeltez-
moi le mol, la (illi' j1t~l1r dl¡ parti légi limiste . .J e leS re,specte
inilniij](ml; ih onl le g()út de I;¡ traditioll, et ils la cléfenrJent,
l1lais ils ne la colllprellllent paso


Ce lI'esl p:IS, ;t C()I1P Sll[', Qll'il f:Jille rayer de nott'e histoire
le nJélglliliqlit~ d(~H~¡Oppl~illellt de la mOllarcl!i(~ qlli a l'ail la
Fr;¡rlce aV(Jc le C()!lCOllr:·~, aVI~c les c[fOI'[,S a~s()ciés <Iu peuple,
de la bOllrg'eíiisie el de]a i1()b\e~sl>'. (Vive appl'Oba[!oll.) :\Iais
ce p;;ssé a 1'1)111'lli sa car/'i(~re, c'u~t l1ne [orce (~pllis(~l~ dOIJt la
su urce (~st !arip eL qui doit disparallre pOUf [élire place a un
monde non veaL1 qui commence.




88 DISCOURS
En conséquence, - et qne nnl ne se trompe a mon langage,-


s'ils se cl'oient les continuatetlr~ de la lradition, c'est une errellf ;
cal' si celto civjli~ation dispLlrne 3yait j1u convenir an Jéve-
luppement de la démocl':1tie, elle se fút associée elle-memo
aux nécessaires progres de celle force moderno. Col équilibre
a été tenu, 011 a essayé de faire un pacte el, apres I'expérience,
il a ftillu se posel' ce dilomme :. Oll il n'y a pas de sOllveraill ou
iI n'y en a qu'un soul, et c'e~t le peuple. (C'est cela! -
Tres-bien 1)


Alors la monarchie a apparu sous deux aspe~ts: une fuís, elle
s'est posée en maitre du pel1ple; une autre fois, elle a été
son serviteur subjugué; dans l'nn et ¡'autre cas, elle a dü
dispara1tre.


Toutefois, ceux qui se croient les servitelll's de la tradition
sont sorlis comllle par hasard, comrne par smprise, du fond
de je ne sais qnelles gelltIlhommieres, i1s sont arrivés, se sont
présenlés a la France, et la France tle les a pas reconnllS ; ils
le saveat eux-mell1es aujourd'hlli, et c'est pour cela qll'ils ne
veulent pas 8'en aller. (Hilarité.)


Car, remarquez-Ie bien, si I'on passe en reVlle Lons les ar-
guments pour on contr2 la dissolution, au fond on voit qll'il
n'y en a qu'un: c'est la certitude de revenir ou de ne pas re-
venir. Messieurs, je ne veux rien Jire de désagréable, ll1:1¡s je
suis convainCLl qn'il y en :1 Ull hon nombre, ii l'Assemblée de
Versailles, qlli SOllt íix-és a cet Jganl.


Du reste, ils ont qllelqne raison d'etre fix0s, cal' le 8 février
1871, - époque a ¡aquel le ils ont été nOll1més, je dis cecí entre
parenthe:,es, non pas seulemelll comm8 des députés et lies lé-
gislateurs, mais comme des p:1rle¡Jl(~ntaires, permeuez-moi ce
mot,:entre dellx armées,-a cette époqlle, dis-je, ils a vaíeut [me
mission spét.:iale et limitée. Le sufl'rage universel !le s'y d;¡it
pas trompé: il se trompe fort rarement, et il sait lre~-bie¡l ce
qu'il veut bire. A ce mornent il voulait faire une cerLaine
chose: cette chose a été faite, obtelllle, et, lors(ftl'clle ti élé
termillée, tout le monJe a cOll.sidéJ'(! (lU'il Il'y a vait plus ríen a
faire pour ceux qui en a vaient été chargés.




A ANGEnS. 89
C'est tellement vrai qll'aussitót qll!on a VOulll consulter a


non vean le suffrage uni versel, que s' est·il produí t? le suffrage
universef consulté, sous quelqllc forme que ce soit, :1 quelque
degré de la hiér~lrchie qu'on se place., a répondu d'une faGon
ulliforme ; il a <lit: Relldez-moi ma souveraineté ! (Applaudis-
sernents prolongés.)


On I'a conslllió pour les élections municipales, et il a donné
la un ¡erveilleux exemple, bien nouveaLl, bien rassurant; iI
s' est pronoocé au milieu de la guerre civile, au bruit des dé-
clamations dirigées contre le parti républicaill, sans émotion,
avcc un sang-froid imperturbable, sur tOllS les points de ]a
France. Et qll'est-ce (pli a triomphé elans les élections munici-
pales, leur espl'iL gagnant de proche en proche, de la eom-
mune au chef.lieu de catlton, du chef-lieu de cantan an chef-
lieLl d'arrondi:,s81l1ent, qu'est- ce qlli a triomphé? le parti ele la
Répllbl ¡que, le parti de la paix sociale, le partí qui voyait dan s
ces électiüns une manifestation politiql1e, - peut-etre h tort,
- mais enfin 00 disait que c'étaient des élections politiques.
Nos adversaires avaient placé la lutte sur ce terrain, et vous
lesavez exclus. lis ont été I?attus et vous avez triomph~.


Vous savez rnieux que moi, messieurs, de quels noms on se
serv;¡it alors, de qllels reproches et de quelles calomnies on
assaisonllaiL les discllssions. VOllS avez triomphé par le sllffrage
universel qlli a dit: II n'y a QU'lll1 Illoyen de ramener la paix
sociale, c'est de [aire une autre Chambre. (OLli! olli! - A pplau-
clissemen ts.)


Et I'affirmation qLli se lradllisait ainsi s'est reprodllite p1us
tard naos d'autres actes dll suffratje universel. Elle s'est renOLl-
velée dans les élections allX Conseils généraux, assemblées
réllnies a l'heure actnelle. Le sucees a été tel qlle véritable-
ment 011 ne se lasse pas d'envisager les conséquences fruc-
tueuses, les conséqllences, permetLez-moi de le dire, incal-
culables ponr nos idées, de ees élections aux Conseils géné-
raux.


Happelez-vous, messieurs, dans quelles circom:tances elles
ont en liell .




90 DISCOURS
On disait - c'est une théorie qu'on n'oserait plus faire au-


jourd'hui, - qu'il y avait une eentral:sation trap forte depu is
longtemps, qlle les préfl~ts avaient trop d'acLion, qu'iI f¡lllait
les mater, - c'est qu'on était en Rt"PllbliqI18, vous comprenez
bien! (Bires) - car, SOLlS une bonlle Ilíonaretie héréditaire
Oll quasi héréditnire, on n'ellt pas (Sté si pressant; mais iI y
avait la une dérnoeratie, un suffrage universel qni montait
toujours et dont les flots finissellt par engloutir tont ce qui
reste des anciens pl'iviléges.


On regardait monter le flot et l'on disait : NOl1s ne trouve-
rons done pas le moyen d'endíguer ce flot débordant; il fau-
drait pel1t-étn~ mettre la main sur les départements.


Et alors on organisa ceHe petite loi que VOllS connaissez, qui
ne paraissait etre rien ; qui avait un air iUllocent : i'lle renCOll-
tra, dans la discussion, hien des diflicull0s, bien des ré:ii~­
lances, mais enfill elle fut voLée et on arriva ~t l'exécutiol1.
C'était fort simple, il s'agissait de faire en sorte que les chefs"
que Jetlfs amis, que l'état-major qni avait prép~ré la loi,
fllssent nommés conseillers généraux, etllrassent dans b for-
ter,sse, en prissent les elefs el les rnissent dalb ieur poche.
Intervif~nt alors le suffrilge universel, et il choisit ses Lllau-
datain~s départetn(~ntaLlx avec IIn tact parfait, el ~t l~O dépu-
tés, appartenallt ~l ee parti rétrograde parfai tement rounll, -
je ue veux pas citer ele noms, parce que jelle vellX pilS [aire
de personnalités, - Otl a opposé des répllblicains, quelqllefois
des n~pllblieains de la l111anCe la plus ilccenLuée. El qlle s'est-
iI passé? Ce sont les fils des croisés qlli ont mordll la pOLlS<
siere. lRires. - Bravos.)


Or, voil~l celte loi des Conseils génf'raux C[ni, an lieu d'élre
une loí agréable, uLile, deviellt une loi tout J f;l.it c1étestable.
En éffet, a quoi se!t-elle ? a rnettrc en lllmierG les progres ae-
cornplis par le sllfTrage utli\'er:-iel dan.; lOlltes les cOtlclJes so-
ciales, a faire arl'iver dans I(;s Consf;ils gélléraux - qllÍ n'a-
vaient été jllsque-El que des foyers de réactlon - des IJOrnmes
dé\'oués, sinceres, apportant, dans la disCl1ssion des intérets
(le It~nrs commetlants, des intentions droit(js, connues et unR




conscience pure. Ces hommes se SOllt assis, la plup;-trt pOllr la
premiere fois, devant le tapis vert de la taLle dn Conseil, el
:je Joi~ dire qu!il:; ont dOlln(~, par leur activité, par lenr zele,
par !t~lIr compétellce, un éC!lltant"8Xelllple de ce qll'ils pen-
venL faire.


Ces COllseils ont été b grande consolatiol1 de lJ FI'ance alors
que, de tOLlS c6!(~s, on cherchait sur qllcls hommes, ~llr quels
grollpes on pOllrrait s'appllyer, si des moments de détresse se
représ81llaient, ces COllseils se sont offerts cornme une véri-
taLle force pOllr le pays, et l'on a parraitement senti qu'avec
une démocraLie aillsi pr¿parée, llon-seulemcllt pUllr l'ordre,
mais pour la pratiqlle des aff;¡ires, la situation changeait et
que la n~pl1bliqlle s'était élevée au-dessus des aUeintes des
partis. (Applauuissell1(~tJts.)


Tout le monde l 'a compris ainsi, et sO\-ez convainclls que le
dé~arr(li qui s'est mis chez les uns et certaines fé1cilités qui se
sont produites chez les autres 118 yiennent pas d'aillpurs que
de cette expérience récenle, qlle de ce tl'ait de lumiere, que de
eeUe volonté dt;uX fois répl~tél~ du pG ys, manifestée cl'ulle fa-
¡;on illtime, perSOtlllelll~, loule locale, Sllr Cl~ terrain rétréci de
la l!lLte <fans les Cil!ILOllS, lulle d()nt lc~ n~:-;ult(tt a été de faire
savoir aux llOilltlle:-i de ],Assc:m1l1ée qll'ils n'avaient pas re¡;u
le llvwdat de collspi[,(:T conlre l;-t nl:publiql18. Ces membres de
l'A~SellJbl~~u SOllt venus devant lt~S l~!ectellrs en lel!r demalldant
un mandat local, dép;lrLernelltnl, el ils out échoué la (Júleur
inf1uence pa~;saiL pOllr la plus cOllsid(~rable et pardissail. le
mieux assi~e. Aussi f)llt-ils cotllpris le 80rt qlli leur était ré-
servé s'ils telltaicnt d'aboruer une arene plus large. (Appro·-
bation.)


1Iais il ne f;¡nt jamais trop triompher, il ne faut jamais
cueillir prémalurt:11l8!!t le fruit de sa vícLoire. Qilatlt i, \lOLlS,
nous n'avoos pas eSpl~r\~ qll'il sllfllrait de ces dellX manifesta-
tio!!s pour amener la cOllvictiun, la persuasion daus certaíns
c:sprits. Les sinl pIes, les gl~ns qili croient que les affaires Pll-
bliques sont tOllj()\1fS Ulelll~e~ de lJonne foi par jl:S partis, ['oot
(~SI)(';['(~ quelql1rs in~t.(1llts ; leur d(~si\ll1sion a été prumpte.




DlSCOUHS


A peine avait-on enregistré ce double résultat des élections
aux Conseils municipaux et généraux que les partis sont entrés
véritahlement en sceoe, et alors nOllS avoos Vll le parti légití-
miste - non pas préciséf'nent cellli UOllt je parlais tout a
I'heure, - mais le parti légitirniste Ll'une antre nllance el le
parti orléaniste se mettre a l'reu vre. 11 y a bien eu en sdme
allssi le partí bonélpllrli~te, mais de celui-la nOllS n'en parle-
rons pas, si vous le voulez bien. Car ce n'est pas un parti
politiqlle, c'est une bande, c'est une horde, et rien de plus.
(Rires. )


Ces partís ont rnanifestement jllgé que, devant eette répul-
sion dn pays, il y a vait qnelque chose a tenter pOllr rétablir
lellrs affaire:;.


Ce quelque chose, c'était d'aller chercher un roi. 00 a con-
sidéré qu'il fallait pellt-étre lui demander quelqlle chose. On
a rédigé Ull programme, ql1elque chose comme une Charte, et
l'on a cherché ü y rallier lous les partisans de la monar-
chie.


Tout cela s'est passé en pleine Répllblique - remarquez-le
bien, - alors que nous sommes, nous républicains, des hom-
mes de désordre, des hornmes d'agitalion, des hommes qui ne
cherchent qu'il exciter les passions. C'est en pleille Hépu-
blique qu'on a fait cette chose tout ü fait simple et mQrale
d'aller a l'étranger chercher un roi pour le ramener et l'ins-
taller a la place du gouverrtement actuel, car, je le pense,
c'était pour Ini donner la place qui était si bien remplie. El
cela ne s'appelle pas conspirel" cela !le s'appelle pas menacer
la fortllne et la paix publiques, se Iivrer ü des manrenvres
coupables! agir ainsi sous l'reil de l'étranger qui campe sur
notre territoire, est-ce mal? non! vous vous trompez, c'est le
parti des honnetes gens flui se conduit aillsi, et ce qu'il fait
s'appelle chercher ü garantir l'orure. (Applaudissements ré-
pélés. )


OLli, c'était ponr affermir l'orure, pour le sauver (lans le
présent et dans l'avenir, que I'on se livrait ü ces menées et iJ.
ces voyages.




A ANGI::nS. 93
~lais il est arrivé qUG le nombre des prétendants élait lrop


considérable. (Hilarité.) JI y avait trois prétendanls qui s'of-
fraient pour sallver I'mdre. lis ont en leurs représentants dans
le sein de l'Assernblée el, au dehors, on ~l parlementé, on a
échangé un premiel' progralllrne, pllis un secolld, pllis il s'est
meme tro.lIvé Ull esprit sllbtil qui en a fait un troisieme.
(Rires.) Enfitl 3prcs avoir rédigé, voyagé, modiflé, on a abouti
~t eeLle déclaration magnifique:


Que le parti de l'onlre élail divisé en trois, qll'il y avait
trOls cornbinaisons : I'ordre avec la monarchie traditionnelle,
l'ordre avec la monarchie constiluLionnelle, l'ordre enlin par
une certaine combinaison tOllt~ nouvelle appelée le stathou·
dérat. Ces trois combinaisons ne s'entendaient entre elles, ne
se ralliaient que sur Utl point : faire un acle décisif de con ser-
vation el d'ordre, supprimel' la Réjlublique.


Mais, des qll'il s'agissait de savoir au profit de qui serait
fait cel acle de conservation si régulier, si loyal ; quand il
fallait résoudre cette question, chacun tirait son prétel1llant,
c'est-a·dire son épée.


Donc, on ne s'est pas entendll. Et I'on peut dire qu'a me-
sure que les explications continuent entre les prétendants, le
uésordre s'accl'olt el1Lre leurs partisans. (Vif assentiment.)


Pendant ce ternps, que faisait le parti de la Hépllbliqlle ?
11 aurait pu, cétlant a de légitill1es soup<;;on::l, demander et,


au besoin, réclarner publiqllement qu'on mlt un terme a ces
menées. II aurait pu, lui aussi, saisir son sOllverain de la ques-
tion; il amait pu s'atlresser au pellple~ au pays; il aurait pu,
lui <Jussi, faire son voyage en France pendant que d'alltres fai-
saient le voyage tl'Allvers. (Vive approbation.)


II n'en a rien fait et il n'a voulu en rien faire. Il a trollvé
inl1niment plus sclge, plus expédient de démontrer aux regards
ue tous qu'il était véritablement le parti de I'ordre, et que
cellX qui faisaient SOllller si haut ce mot l\'élaicnt que de vul-
gaires el impuissants agitateurs. (Applaudissements pro-
longé~.)


Et den que par son silence, par la correclion de sa con·




DbCOUlb


<Juite, en pl'etanl au g,mvernetnent établi, ü l'homm8 ql1i est
a la tete de ce gOllvernement son concours et son applli, -
appuí de de!IX sor tes : appui par olllissiotl el applli par ac-
tíOll, - il él dOt1i:é Ü gUiCOllqu8 a lItl e~;prit el t'118 con:-:cience
dans ce pays Ir! clémoi1slralioll glli restait il fail'l\ 1 savoir qu'il
était Ull parti avant taut dévouó aux iut(;rels suprcllles du
pays: a !'érnancipalioll, ü 11 déliv!'ance de la patrie et ü la
paix sociale. (.l\oLlvelle apprnbatioll.)


Il l'a dl~ll1ontt'é, el il y <1V:Iit a faire celte dérnonstration
pln..; qU'llll int(~ret, il y avait une véritó il sallver, - ce qui
vaut l1liellX ql1'un illlél él, - iI fallait qn'il a1lirmAt qlle, mi-
norité par hasard uans l'Assemhlée, il élait la Illajorité dans
le pays. (Oui! olli! - Applalldissern8ilts.)


II fallait qll'il aflirmüt qu'il d<1Ü la J1lajoritr~, entenclez-le
bien, dans ce qLli e:iL la force, dill1:~ ce qui est la vie) dans ce
qlli est le tllOtlVement.


Par cOllséq11811t il a diL : NO'!S laissons pa~~er vos itllrigu8s,
nOllS les surveillons, mais elles nl~ llons émeuvent pas, paree
qu'elles parnisspnt ridienl(ls 11 la France. (Sensation.)


Cclte \ériLó, ii railait la ll1etLre ell lllllliel'e, elle y est elésor-
mais, cal' VOllS YOyt'Z de qtlC~lle bUllche. tOlllbent aujomcl'hlli
les aflirmatioll::i et les apo:;llopiles. Vous S81Hcz que ce n'est
pas pOlll' riel! qll'aux yeux des bommes itltelligents se dérollle
un pLlreil ~;pectacle. OLlÍ, voilil ce qu'a faít ce pllJ'ti qlli a mis
sou hOllli8Ul' et sn gloire, depuis IR HévoluLÍUl1 [ratl~aise,
chaque fuis qu'il l'a cm uécessélin~, Ü lH~ Illarchandel' aUC'Jl1
sacrilice illa calise du droit; voilú ce qll'il a fait, paree qn'il
connait ht siLualif)ll ele la F'ranc(\ pllree Cju'il sait qLle la Hépu-
bllque e~t un urp6t dotlt 011 a juré la restitutioll, paree qu'j¡
veuL que ce dép6t sacré soit gardtí allssi fideleIlleut et aussi
facilemellt que possible. Il a cOllflance ; et il 11e craint pas ele
le manifester a vee Ulle Joyauté qll'il serait crilllinel de trom--
per, et dan::; sa conüallce jI peut regarder faire ses el1l1emis,
COllilll8 il peLl t UOlllJer a :-es <ltllis ces eonseils de s~lgesse et di3
discipline qui n'excluellt en rien ni la résoluliüll ni la vigi-
lance. (Vif assentimen t.)





.\ ,L\l;'JmS.


Ce n'Est pas pOlll' ríen qU'llll peuple a lraversé d'aLlssi
crllel1Hs éprellvcs. C'(~st que le pnrti républicain, notarnment,
l'OI\Í\'P l(~qllel, en délinilive, depllis qllarante-cillq ans, se sont
eXYl'cées LOllles les Illesurcs n~ple~sives, a grandi, s'est dé ve-
lu, p(~, 8mhrasse ;¡lljounl'lllli l.otlLe la natioll. Cal' a-t-on a~sez
pad(~ des peJ'~i;C()Li()tls, des viulenees donL il était I'allteur!
Q~¡el pc'rpélud Illelllf'! ü dú,:!allJalwtl! ~lais Ol1vrez dOllC l'his-
luire depuís qll,¡r,\llLC-cillq ans, eL c!l'mandez-vous qui 011 a
fr:i ppl~, elllpri:-:()tl:)(~, pro:--criL el dl"porté? ClH'rcllez si ce sont
le.:; sellsilJl\~s qui S't~llll~lI\elll, Oll si ce ne sont pas eux qLli,
:1 vec la. sctlsihilité la plus grande, ont tOLljours impitoyable-
Dknl frapp(~ sur IlOliS? 1)3ensatioll.)


;.;())], llOLlS ne SOllltllCS [las le jJ,lrli de la violence, le parti de
l' émeuie, ce n'e:,t pas vrai ! (Tres-bien!) Ce qui est vrai, c'est
que la Rlhollltion fr((nc:ai~;e a applirté l'ordre dans ce pays
dt'puis qu'eJle y a raíl son cntréH avec son cnnége de bienfaits,
qui, s'íb (~laíellt CO[)IH¡S par cellX 1ll(~Ill,~ qlli en jouissent et
en piotitl'nt, la n'lldr,\i('nt íllaltaqllable el ltlvincible.


OUt, la rk~vollll iOll fl'ail<.;ai~e, lll"puis Cjll'elle a cornmencé, a
appllrLé 1'01'<1l'e: JO le rtpde, p;¡rce que je sais combien ii y a
d'espri ts tilllidl's, dé[Jalll.s, circonvelllh, ü qui l"on jette,
tutnme un H:lJin délestable, que I'esprit de la Héplhlique
(;~:t un esprit de clúsordre, un esprit 3ulisocial; c'est Ulle ca-
lumnie et Oll le Sllit.


On dit que llOUS sommes les 8nne!1lis ou plLltót que notre
parti Illellace la propriúté, la famille, la liberté de cUllscieuce;
c'e:::t la une calomnie qu'on coi porte de chaullliere en chan-
rniere.


Nutre parti, l'ennemi de la propriGté, de la liberté de con s-
ciellce, de la famille! O triples ml~nsollbes, et triples vi peres
qlli colportez ce Il1Cllsongc! Le parti républicain, le p:,rli de
la lú~v(Jllltion frall(,faise seraiL relln8tlli de la proflriété: lui qui
l'¡;, introdllite da!]s lo mO:lde t'rllli<jals! Llli qui a pris le:.: deux
:;";''-', de la [ortunc publique, qlii 118 pay;¡icul riell, qui étaient
,;dP;ll!S par les maius que vOU:j savez, pOllr les donner ~:ll tra-
,¡,id par la divisiol1, par l'industrie, et qui a fait qu'a la place




96 DISCOOHS
du domaine du roi, qu'a la p1ac:e des majorats, il y a eu la
propriété individuelle! La Hévolution frallGaise, la Répnbli-
que. c)est elle qui a donné la terl'e au pay~an, qni l'a arruché
de l'esclavage, qui l'a pris dans le limon, 1'a enlevé au-desslls
du sol, qui en a fait un propriétaire et Ull citoyen, qui en él [ait
un hOll1me ! (Applaudissements prolongós .)


Vaila, mes amis, ce qu'il faut vous attacher a dire si jamais
vous vous trouvez en face ti'imposteul's, Oll de viclimes de
l'imposture, dites-Ieur que c'est la Hévolution franc;aise qui a
constitué le dogme de la propriété indiviuuelle par le travail,
et que le parti républicain ne considere pas selllement la pro-
pl'iété comme un avantage matériel, mais comme une force
intr.llectuelle qui est doonée a l'homme, uont elle assure la
liberté d'esprit et garantit l'indépendance mol'ale.


lis disent encore que nOllS SOillmes les ennemis de la liberté
de conscience, que nous persécutons les consciences. C'est
encore une calomnie; nons sommes, an contl'aire, les cham-
pions tÍe la liberté de conscience, de la liberté des cultes; cal'
j'imagine que, lorsqu'ils parlent de la pensée rel igieuse, ils ne,
peuvent nous assujettir a la défense d'ulle seule religion, la
leur, de cette religion qu'ils veulent imposer ü l'exclusion de
toutes autres, de ceHe religion el laquelle ils ajoqtent chaque
jour de nouveaux dogrnes qui révoltent les plus sinceres d'en~
tre eux, et dout il:) ont le dessein de faire un baillon sur toute
bOlIche loyale, de cette religion qui, se10n une parole célebre,
voudrait faire de chaque atlilié comme un baton dans la main
du voyageur.


Ou ils n'ont pas le droit de parler de religion, ou la liberté
de conscience permet a chacun de s'exprimer sur les canses
pl'emieres et finales du monde et de dire ce qu'il a appris ou
ce dont il doule.


CeUe liberté de conscienL-e, sous q'lelqu8 forme qu'elle se ~
produise, de priere, de culte, de réunion OlI, au contraire,
qu'elle soit la négation de toutes ces choses, est-ce le parti
républicain qui 1'a jamais poursuivie ?


Ouvrez vos annales et vous verrez quelle quantité d'hommes,




A ANGERS. 97
se réclamant de notre opinion, onL payé de leur sang, de leur
vie, la revendication de cette liberté! (Applaudissements.)


Voila comment 1l0US summes les ennemis de la liberté de
conscience !
, El quant a la famille, oh 1 ici~ permettez-moi de le dire,
avec une sorle de révo!le, comrnent 1 est-ce C{u'il y a eu quel-
que part un dogll1e de la farnille nié par la Révolll~ioll frall<;aise?
C'est elle qui a affr,ll1chi l'holllme par le mariage civil; c'est
elle ql1i a arrllcM, qui a déli vré tons ces parias de l'atlcienne
société - juifs et ¡irotestants - donl on ne faisait que des
ad ultérins, quand l' Église n'intervenait paso (A pplaudisse-
ments. )


N'est-ce pas encore la Rl;.voll1tio!l franGaise qui a détruit le
privilége jusque dans les successions, en declarant I'égalité
des enfants uans les partages, faisant ainsi disparilitre cet at-
tenlat, qui consistait a dépouiller les uns au profit d'un seul,
dans les familles, pour sa tisfaire l' orgueil de la raee ?


Voila les hommes qui attaquent la famille !
Non! non! II n'e~t pas permis de soutenir ces aecusations


sérieusement. Des dOCllrnents, des preuves, on pourrait en
apporter par millíers ; mais si I'on vous en demande, répQlldez
avec l'indignation légitime d'holl1mes qlli c~nnaissEnt ces
grands faits, quand vous vous trouverez en face d'ennemis
qui, les connaissant, les nient parce qu'ils vivent de la sottise
humail1e,


En bien, cette Révolntion fral1<;aise, elle n'est pas achevée,
et c'est la le malheur dont vous souffrez; elle n'est pas ache-
vée, paree qu'il s'est mis á la traverse des dynasties, des rois,
cl(~s prétendallts, des aventnrier~, des scélérats qni ont marqué
'['une tache de satlg la plus belle page de notre histoire ; mais)
ü caLlse de cela, doit·on rnécounaitre l'esprit de la Révolution
frat}(;;ai~e? Doit-on repollsser l'égalité dn travail, I'égalité
devaut la jllstice, devant les charges, l'égalité dalls la famille,
dans les successions, 1.1 substitlltiot1 de la raison et de la jus-
tice aux caprices, aux falltai::,ies, aux vengeances et aux absur-
dités de la rnonarchie? Faut·il tout abandol1ner au bénéfice de


6




DISCOU[{:; A A~UEnS.


gens qui n'auraient mem8 lli le la 18nt, ni J'énergie, ni le C;lr~1C­
a~re de nOllS ramener a rancien r8gj'llt~?


Cette Révolution fralH;aise a été Ilwllaeéc, elle 1'28t lOlls les
jours; Oll se livre contre elle a des attaqllcs, h une sor le de
fabricatioll mellsungere, maisdernandez all paysan, a l'OllVriel',
au bOllrgpois, a tOllS C811X ql¡i Ollt le senliment de la \'él'ite,
demandez-Ieur s'ils veulent lOllt laisser rompromettre par un
ramassis cl'impuissants et d'incorrigibles? (Applaudi-,semeuts.)


Ce qui fait que j'ai foi dans l'avenir, c'usL que ce serait trop
odieux et que la démocratie est tellement le sol Sllr lequel
nous marchons et )'air que nous respirons, q!le tOllt cela est
comme non avenll. EnrIO, pourquoi ne le dirai-je pas? ce qui
ajonte a ma roi dans l'avenir, c'esL C¡1¡'il me; seilible qlle celui
q,li est ü la tete dll gOllvernell1ellt ne p 'lll oublier son origine,
ni ses études l ni h;s leGons de l'expérience; il sait, il doit
savoir q!l'i1 y a quelq,¡e cilose de plus beaa que d'avoir écrit
les annales de la Révollltion fralJc<lise, C'(,st cll3 l'achever, en ,
COllronllalü son ffitlVre par la loyauté Et la sincérité de son
gouvernement. (Applandissements prolo'lg('>S. - Cris répétés
de : Vive la République 1 _. Vive GambeLta !)




DISCOURS


PHONONCÉ AU HAVRE
Lo 18 Ayril 187.2




~jESSIEURS ET CUERS CONCITOYENS,


Les p3.roles que vient .de m'adresser en votre llom le chef
de votre mllnicip;1lité sont, perm(~ttez-moi de vous le elire,
trop Haueus8s pOllr moi; el je ne voudrais pas qu'en venant
parmi vous m'enql!éril' SllI'tout de vos sentiments répnbli-
cains, l'on put m'acclIser de vous [[¡ire commetlre Ulle véritable
faute, en vous fOllrnissant I'occasion Je flatteries personnelles.
Eh bien! je dois vous dire qll'une Jes choses qui m'embarras-
sent le plus, c'est le véritable regrel que j'éprouve de n'avoir
pll fairedavantage, et ce qui me cause une émotion profonde,
c'est de sentid!. qnoi m 'engagent et m'obligent de pareils sen-
timents el une reconnaissance qui a trap tat commencé.


On vous disait tout a l'heme qu'il ne fallait pas faire de dis-
cours. Ce ne SOl1t pas, en erfet, des discours que nOllS devons
!lons apporter mutuellement, ce sont des conseils, des avis et
des impressions. Il faut que, lorsque nous nOllS sommes vus,
visj¡~s., fréquellV~s, nOLlS nous sépclrions un pell plus forts,
meillcl1rs et plus instruits. (Applaudissernents.)


La lMpllhliqllC que vous acclamez, C{~tt8 HépllhJiqne ctéfini-




100 DIsconRS
tive, selon l'interruption partie ele la tont 4 l'heure, cette Ré-
publique qlle nOLlS lellons en príncipe, qll'il !le s'agit qtW
d'afferl1lir et de développer, cloil COlmnOI1Cer d'aboru par ~W3-
rir la France du plus détestable de ses défallts : la. prOtllp-
titllde ave e laquelle elle s'abandollllc Ü la l1atterie el ü la scrvj··
lité. (Brilvos!) Et, puisque vous m'en avez fOllrni l'oceasiot1,
laissez -moi vous le déclarer une fois pOli r tou tes: je dis ce que
pense; el sauf dans les occasions oú, moi allssi, j'ai mes ern-
porlements que je regrelte .•. , je pense exacLement ce que jo
dis.
Messielll'.~, apres les ruines malérielles qui Ollt ponr ainsi


clire COll\ert le" sol de notre Illalheureusc patrie et qlli, g-race
au ciel, graee au zele ele véritables p:llrioLcs, al! conc(~rt et a la
concorde des intelligellces vraiment fran<:;:lises, cOll1mcncen t it
s'effacer, apres ces ruines rnalérielles, ji reste les ruines mo-
rales; et c'est all specLaele de eelles-la, malheurellsememt, que
nons pon vons elire que nOLlS ne sommes pas assez séveres pour
nons-memes.


An lendemain ele eette immense chute de I'empire, qui a vilit
élé amené par le crime de qllelql1eS-llt1S ([ni ont obéi au par-
jure d'un maUre, mais qui avait été mainlenll longtemps al1s:-ii
par la complicité, par la servilité, par l'esprit de convoitise
qui dorninaietlt et pouss'¡ient an sCl'lIlin les masse i!.j'rwralites,
dont on entretenait el encollrageait I'ignorance, qlland 011 n'en
surexcitait pas les vaines terreurs (fllterrllptioll d'applaudisse-
ments) ... apres nos désastres, une itlée doit sortir dominallte
ele nos fréquentalions : e'est le c6t(~ moral de nos ruines, c\~~t
la répal'ation de l'honnellr fran<;ais) e' esl la pt'tltique des V81'-
tus· répllblieaines que nous lle devons pas perdre ele vue un
seul instilnt.


Les ruines matérielh~s n'ont ríen d'irn~rarahle dans un pays
aussi riche, qui dispose de ressources :lllssi cOl1sidérables, oú
domine l'esprit d'épargnc, de travail, d'accumulation. Ollí,
rnessjeurs, il n'y a rien ele plus simple, dalls un tel pays, que
de guérir ces blessllres SOllS un gouvenH~ment qlli aSSllre I'or-
dre.




AU IIAVRE. '101
Mais ce serait la llne restnllrntion, une rég(Snération menson-


gere, si l'on n'allait pn'i plus h:ll1t dans la recherc]¡e du mal,
afin de déeollvrir le vl1rit:¡ble remede.


01', il faut le reconlJaitrc, la France ne s'est laissée llller uu
bord de cet ablmu que paree qll'elk~ avait pcrdll les vérilables
sentiers de la 1l100'al(~ en pulitiqLle. Pcrmettez-moi el'ajouter
que sí le gOllvernemellt républicain a parll, 3ll milieu ele ce~
désastres, comme le seul possible, c'est qlle seul il s'est trollVlS
deIJollt en face du danger. Car, au Illoment ll1eme de ]'itnmen-
sité de la calastrophe, nlll n'a pellséü un autre gOllvernement.
Oil étaient les prdeudants? Qui donc s'est présenté ell lenr
nom? qui s'est fait jUllr au milien des rangs de nos acÍ\'ersaires
pOllé disputer ce qlle I'on appelait le pOLlvoir, et ce qui n'était
que le fardean des IH~rils 't


Qui? personne! Un a attendu a !'écart, avec patience, mais
cette patience étnit doublée cJ'un certa!n remards, le remords
clu plébi~cite! Ol} a assisttS a des etrorts auxC¡llels on !le s'est pas
assocíé. Et ieí, laissez-l11oi vous expl'ill1er tOllte la reconnais-
sanee que la France doit il une populatioll f:Ol11me la vatre,
qui~ elle, ll'a jannis lllélrellandú lli son argellt, ni son travail, ni
ses hommes, et qui n'a pas rm~connll les Lraditions patriotique,)
reGlles de ses 'Ileux.


Messiellrs, ce n'est pas un reproche qne je veux adresser ~l
mon pays, ca!', meme lorsqu'il se trompe Oll qu'íl tombe, je le
respecte. Mais n'est-il p:IS vrai qlle sons l'inf]uence d'excita-
tions détestables, on a systémaLiqu8ment atlaqué les cfTorts de
la défense'? En voulez-volls UI! eX8111ple elltre lllille? Ces atla-
qnes se sont tournées allssi ver:.; ]'llOmltlC quí est ü coté de moi
(l'oratenr désignallt ~1. .Tules Le Cesne)~ qui fllt al! jau!' du
péril votre député, et qni doit le redevunír all jOllr de 1;1 répa-
ratioll. e'est par son activité, SOIl itltellig(~nce, son zele, qu'il
nous a été donné de mettre en tre les mains de la Frallce les
:lfIl1es qll'il avait su arracher a la concurrcnce étrangere, alors
que l'e1lJpire avait fui ell ne nons laissant que des arsenaux
vid(~s.


Que n'a-t-on pas dit! que de calomnies, d'illjUI'CS, o~:8I'ai-j8
(l.




DISCOlms
di re que d'ordures! n'a-t·on p:1S jetées sur la réputation de cet
honorable, de ce z(~lé, de ce granel cituyetl, qlli, en lmUe 11 ces
illfamies, mais furt de sa CO/lSCietlce, lI'a Ih~chi ni un jour
ni ulle heure, et qlli a fait son devo!!' jusqu'au l!Out? (Salve
d'a pplaudissements.)


Ces attaqlles, elles se reproduisent, elles se reproduiront
encore; elles sont UeVetllle:-i le seul refllge lks partis impuis-
sants. Car le., partis savellt bien que ce ll'cst pas par les raisons
de théorie, de príncipes, (lt~ d(¡ctrine, lli cl'expf~rimenlaLion,
qu'ils peuvellt avoír quelque iuf1llence Oll qllelql18 prise sur
l'opinion; c'est pOllrqlloi ils se rejettel1t lOllt eutiers sur la
diffamation, et forgent sur les autres llOmtneS de lloLre opiniou
des lJiograpllies du genre ue celle que vous cOllIlaissez sur
celui-ci.


illais, messieurs, délollrnons nos regards de ce que je
pourrals appeler les dernieres exllalaisons de l~llr chagrill et
de leur hUIl1i1iatioll, et revenons a IJOtre vél'ilahle I'erullclir,
qui est la reprise de nos qllalités héréditaires, la réful'lllation
de la ll10ralité nationale; et alor:-3, qllalld 1l011S llOllS serons
bien retrollvés, le resle 1I011S sera unnné par sUfcfolt. Il faut
done songer ü ce que j'appelle les plaies sociales.


Eh bien t d()minant tUlltes les aulres call~es de nos défail-
lances, de nos désaslres, il y a l'igllorallce, cetle igllorance
particlllierc, eelle ignnrdllce double, <¡ui est propre a la Frailee.
Cal' IlOllS avons l'igllorallce de CCllX qlli lJe savcllt rien, ma:;se
ob:;cure, qui cllallg(! brusquelllent de direcLion et 1'1 'lIle lant.0t
a droite, lautOt ü gauche, sallS sOllci dl~ la digt)it(~ IlUll1étille)
dont 01) se faít Ull cOllpable jBu; celle ignorílllce quí fait que'
l'holllllle qui en est aveug](! obéit sans s'ellquél'ir des !l1olifs
de son obéissallce : c'est Jü l'igllor;1Ilce merte, p;ls~ive~ presquc
heureuse daos ::-;a dncilité. II y ell a tille aulre plllS uallgereu:,c,
c'est la uellli-igllorallce, passiO:li](~e, violellle, qUl croit ü ce
qu'elle dit\ qui le répete avec véllémeUCf, qlli col porte tOllte
ealoll1nie, qui se llourrit c1/]s légelides déUgu/'allt la tradition
répllblicaiue, qui a 1101'1'8uI' d(~ la "éri té, pUl'ce qu'clle est ün-
propre it la reeueillir, et pélrc(~ qlle In passioll, le parLi pris,




AH H:\.VRE.


tout s'y oppose. Ce sont ces demi-ignorants qui garnissent les
l'allgs de nos ad versaires.


Celte double i;morance, il fUllt en nvoir raison par un véri-
table syst.eme d'éducation nationale. Jusqu'il présent, CtJ qui a
paru aux réformaleurs de tOllS les tetrlps comme la recelle par
excellence pOllr cré{~r des esprits, former les consciences,
diriger les intelligences, éclairer les volontés, c'est de fortifier
la raison publique. Celte raison, OLl elle est inerte, OLl il moitié
développée, ou nOllrrie de sophismes, ou pleine de théories
adultérées, Oll encornbree de contrefélGons de la vérité, ou
absolllment dóréglée, lItopiqlle et chimérique.


Qlli peut avoir raison de toules ces plaies de l'esprit? C'est
l'éducaliotl 1111tiUlJale.


Ce n'est pas ü vous, qui avez pris, SOllS l'empire,Yinltiative
(1"un grand mOllvelllellt de propilganuc en fa \'eur de I'ensei-
gnelllcllt populaire, que j 'ai besolll de rappeler ces vérités.
Rien a tent~r, rien il espérer, rien ;1 fonder, rien il tirer de la
dél110cratie et dll suffrage universel sans Ulle éducation distri-
buée a pleines mains, répalldue ú flols.


Et, sur ce terrain, qu'on ne nons parle. pas d'économie\ il
frlUt trollver l'argt'nt ; car c'est plus que l'alfranchissement du
tcrntoire, c'est l'arfratlchissement du génie nationa!. (Applau~·
flissemen ts 1I11 il[~itnes.) .


Cetle ~dllcatiüll, il faut la faire absolument civile ; c'est le
caractere [lleme de l'État. Et qu'on ne crie pas a la persécu-
tion! r;Úat laissera al1X cl¡Jtes la plus grande liberté, et nos
adversaires seront les premiers il le reconnaltre. L'État ne
peut avuir aucune compétellce ni aUClllJe action sur les
dogmes, ni sur les doctriues philosophiqu8s. II faut qu'il
ignore ces choses, on bien il devient arbilrail'e, persécLlteur,
Íntolérant\ el illle peut pas, ilu'a pasJe Jroit de le devenir.


Ti fant que l'enseignement ndtional soit conforme an prin-
cipe rnerne des süciétés, de toute~ les sociélés\ qllel que soit
lcut' mécallÍ.::ime, nutl-seulernctlt (h;s sociétés démocratiques,
mais aussi des sociétt~s aristocratiqll8s. Qui dit société dit
rt~llnion d'hommes voulant défeudre leurs droits, remplir




104. DISCOlTRS
leurs devoirs et protéger par l'association leurs intérets~ Cf~
qlli est une chose libre, civile, laIque par excellenee. L'Ét:ll..
dans bs matieres religieuses, lle pourrait intervenir QU',I\1
bénéfice de la majoril()~ et par conséquent ú l'oppJ'ession dt:
queJqucs-uns. l\'en mt-il qll'un seu!.) eellli-Ll sufllrair. pOllr
démontrer CIliO cette intervention· est clo;:.;potiqlle et arbi-
traire.


CeUe édueation eiviJe, il faut la donner avee passion, la
poursllivre avec ardeur ; jllsqu'a ce que la nation en soit p(~nc~­
trée, rien no sera fait, rien no sera oruonllé, rien ne sera
réglllier. Yous n'allrez pas de repos, vous serez toujollrs en
présence de ces dCl1x périls irnrnellses, ou l'exploitation d'un
peuple par des illtrigants, des avclltllriers, des dictatellrs, des
coupe- jarrets, Oll quelque chosc de plus grave encore, l'explo-
SiOll imprévllc d'lllle masse enJ1ammée qlli tout a COllp obéit a
ses avcugles eoJeres.


Ni l'un ni I'autro, n'est-ce pas ! Et e'est l'illstruetion pri-
maire seule qlli pellt protéger le pays contre ces deux eXc\js.
Comrnetlt n 'a-t-on pa~ comprjs qll(~ le premier degré de ¡'i!ls-
truction lle doit pas etre un point d'arrét, constiluer la stéri-
lit(~ de l'intelligence, mais qn'ellc doit éveiller un désir de
progres constrtnls et sllccessifs? L'instrllction primaire doiL
etre complete, je vel1X dire qll'il [aut la rendre capable, en
1ant que prirnaire, de donner des llotions exactes, sinOt~
aehevées, des druits et des devoirs dn ciloyen. Elle doit It\¡
apprendre ql1elle est sa dignité, dan s quelle soeiété jI vil et.
quelle est sa place, qllel est son lien ele solidarité avec cell\.
qlli l'entourent ; elle doit lui Jl10ntrer qu'il él SOIl rallg dalls b
comrnllne, dans le départelllellt, dalls la patrie; elle doit lui
rappeler surtout qu'il est un etre mor:!1 él l1c{lw I il fallt tout don-
ner, tOllt sacrilier, sa vie, SOll avenir, sa ramille, et que ceL
étro ... c'est 1:1 Franci2. (:\pplauclissemellts oIllhollsiasles.)


C'est cela quej'llppelle l'édllcalioll primaire l1atiOll<lle.
~lais il ne faut pas s'arreter la; il fallt aborder I'édllcatioll


secolluaire, arracller la jellIles~e aUK études slériles, ne pas
trop l'attarder dans un passé antiquo qüe l'on connait a




AU IJAVBE. 105
peine, dont, al! bout de quelql1es années, elle est incapable
d't~peler 1:1 Janglll:, et (rOll elle sort les orcilles pleines et
l'esprit vide. Jl fauL que la jellnesse pnise dans l'enseignement
de 1'11:la t, vigoureux et hlllnaill, les noLiuns des sciences
modernes.


Prenons garcle de donner lihre carriere Ü I'imagination, a
des futilités el des fantaisi8~ dont l'exagération maladive pro-
duit ele véritables difformilés morales. Il n'y a qll'llne chose
qui fündu les vérilables soci(~tts, qui éleve l'l1ol11me, C'8st la
seiellce; il faut l'appret1dn~, la boire a longs traits. LCl science
est le patrillloine de nos devanciers que 1l011S devons tenir h
!1nnneur de tri1t1smettre, agramli et amplillé, aux générations
ql1i llOLlS su i ven t.


Ce n'est pi1S tout; il faurll':1 encore monter plns hant, il
fauul a abonle!' l'enseignell1ellt supérieur. A celui-la, la
liberté, le droil (l'enseigner tontes les tht~ories. N'ayez pas
pellr de ¡'esprit, fiez-vous a la raison pOllr Lúre justice des
sophismes du passé, des chirneres ; fiez-;volls a la raison pour
éviter les écarls d'imaginations quí, par llne précipitation
déréglée a marcher en avant, nous ramelleri1iet1t au contraire
aux premiers ftges de la nature ; fiez-vous ~l b noble émula-
tion qui nalt etltre les savanls. Que I'arene soit Ollverte a
tOUI', qll'il ne soit pi1S n(3cessi1ire de faire par ti e d'llne cotcrie
ou d'ulle l~glise pou!' arriver a S8 faire un nom et ü l'illserire
dans les pages de l'histoire des décollverLes de l'esprit
hl1main.


Ah! messieurs! c'est surtout quancl on veut refaire l'éduca-
tiol1 primaire qu'il faut a voir en 'v'lIe la rMorme ele l'en~eigne­
ment supérienr. C:lr, en dernil~re analyse, c'est le nOlllbru
des savants, c'est le respect que 1'Oll a pOllr eux, c'est la liberté
qu'on leur donne, la dignitó dont on les entoure, qlli l'épan-
d,311t les lllmieres jllsque clans les couches profondes de la so-
ciété. C'est par' la valem c~t le nombre des savants que vous
formerez des itlsLituteurs et des élóves.


Jo n'ai tonché lit f1n'lIn coté, le plllS noble, ~l coup Slll', de
notr;~ n~gúh~rnli()i1 nlOralc~ 111:1i'1 ce c(¡té se l\1ttacl1c inlimc!11811t




106 Dfscmms


au reglme républicain, car VOllS savez bien que, lorsqn'tm
passe en revue les partis et les hommes, on distingue bien vi¡e
a leur zele pour l'instruetion cellX qui sont pour et eeux qui
80nt eontre le régime rrpl1blicain.


Il est hor:3 de doute que, selon que vous allfez en faee de
vous un gouvernement répuhlicain séricux, sillcerc, sage, or-
dOllné, mais ayant le sentiIllenL qu'on ne fonde un gOllverne-
mem ql1'avec le concours de ceux qui sont acqllis ~t ses prin-
cipes, vous au1'ez la possibilitt.~ de réfo1'me1' te l'égime tout.
entie1' de l'éducation natiollale.


Si au contraire vous étes en présence d'un régime mona1'-
chique et dynasli(!ue, s'appnyant sur la division des opinions
el des classes, il ferlllera la porte a l'éducation sllpérieu1'e pour
a8SUff)r sa domination sur ceux qui sont en baso (Bravos
répétés. )


"CII ais, messieurs, dan s un pays quí a le suffrage universeJ,
ou la démocratie non-s8ulement coule a pleins bords, comrne
on l'a dit il y a quar~tlle-eipq :1ns, ll1ais constitlle la nation
elle-meme, il n'est plus lemps de faire des expériences mo-
narchique~;. JI n'est pa:-;de llli)!l(Jl'chie, dl'spnlique ou telllpérée,
qui puisse tetJir tete ü la déll¡ncratie, il la Hépllblique, qui a le
vote lllJive1'sel a sa dispositioll, d qui poursuit toute sOllverai-
neté artiílcielie pour s'illstaller JégitillletllCnl ¿l sa place, jJ n'y
a plus de cOllciliatinn pos:-;iülu entre ce l'égime qlli a nivelé le
sol, qui a abattu tous les priviléges, ql1i a fait disp:ml1tre tout
ce qui constitue les déments des aristocraties et des monar-
chies, plus de 'conciliation possible avec les pretentions dynas-·
tiques.


Si I'on veut rever un gOllvcrnement en dehors du gouverne·
ment républicain, qui ait qnelque chance de durée, il faut
d'abord porter la main sur le suffrage universel, soit en le
re8treignaut, 80it en en faisallt U!le délégaLion dll pOllvoir
royal. POLlr dure!', pour etre stable, il n'y a plus que la délllO-
cratie libre associée, organi:iée, ;Iyant le SI I ffrag-e dans sa main
pour moye¡¡ c11~ cO!ltrólp, c'rs!-:\-dire la H('.pllllllqlle. Nous som-
mes (,C:\I\~ (fui pC'll',ellt :::('[11:: ;¡:~Slll'('r I:¡ ~t:d)ilitt', et !(~ ]elldC:itiai!l.




AU 1L\ \ltE . 107
. \vec nOllS il n'y a pll1sü'incUllllll. SOllS le rl;r;itl~(~ mOtlal'chiqlle,
le sufl'rage se pose COmll18 UIl rival qlli doit le raire dispa-
ralLl'p.; c'esL üOlle la Hévolution, le désordre, l'instabilitó érigés
el) lllstilutiotl.


Aussi, lllessi(lllrs, les eonservatel1rs qni s'attarctent a rever
i\ une reslallralion mOlíard1ique ele quelqne ea l(![.!orie qll'elk
':)oit, líe SOtlt- ils P;lS des cunservaleurs au sens élev(~ de ee
mol: ou ils s;'tv(~nt ee qll'ils fOllt, et ,¡]ors ce sont des factipux;
GU ils ne le sav8ut ras, el alors ¡Is sont des. dupes dan s les
rnains qUÍ les mencnL et de:::; simples dont on abuse. Voila la
vérité.


11 nOllS apparlient. done, ü nous qn} avons la convietion de
l'alliance inlillle qni est rOtlltne la relatiotl de Cé1llSe a effeL
enLre le suffrage et la nl~puhliqlle, JI nOllS appartiellL de nous
pn~::-;enter' comme assul'allL I'ordre el la :-,tabilité.


En dé';Ilitivp, Olt d()t1c pDU1Tl1it se trollver un parti ql1i eút
l'antorilé el la [()['ce sllfIballLe pum retlvel'set' \ln État polrtiqllc
ou tout le mOllde ust s(Juverain, oü tout le ll1cmde e~t la loi, Ol!
tOltt le mOtlcle es!. gOllvernement?


L'bistoire, rnelt¡e )a plu:-i récente, llémol1tn~ qur, la Hépu-
bliqtle a loujollrS rait t'aee anx tentalive~; révolllliollnaires les
plus grosses, aux lempet.es sociaks les plus terribles, par cela
llleme qll'elle est le gOllvemel1lent de tont )e monde.


Considáons dOlle ce premier plJint comme élabli : le parti
républicain non-selllement ne pellt pas etre taxé de facLiellx,
et ce n'est pas un parti de révolution, mais c'est un parti de
conservatinn, qui garalltit le lendemain, et qui assure le dé-
veluppement pacilique, légal, progressi[ de toutes les consé~
quences légiLimes dc la Hévolution t'ranc;ai:::;e.


Aujourd'hui, ce rait est déI1lontré par l'expérience. Car ce
u'est pas POU!' fíen que, depllis quinze a dix-lmil tllois, Yon~;
(lvez donné, soit dan s vos Con:;eils nhlllicipallx, soit dans vo::;
Ccnsl'il:::; déparLe!llCiltaux, soil datls vos réunion:::;, par des
:H;t!~S individuels Oll colleetif", cdte démOltstration que VOL1:;
¡"tes le parti de la p;,ix sociale, de l'ixdre, de !'uniOtL de ](¡
It;gí:llité, et que c'cst de l'autre colé que ¡'on l'cncqlltrd les




.'\08 ülscuuns
factieux, l'esprit d'intriguc, l'agitation, leS~'prí::ieS, le dé··
sordre et l'implli:3sance.


Aussi nous pouvons prelldre pOllr ce qll'elle~ valcllt les me··
naces de ccux qui se ¡] i:-:ent les hommes d'ordre. La Frailee a
déj~t donllé all [lélrtí rt:\plIulicain sa n~compen~e en prouvallt
qu'elle vellt etre gOllvernéc républicainelllent.


CeLte lllallifeslalJOll <..le la pensée de la Frailee n'a pas été
uníque i elle s'est pl'Odllíle au Jedans el au dehors de l'Assem-
blée. Vous en qJllnaissez les différentes phases, je ne 1 e s ra-
pelle pas, si ce n'est pour en tirer un enseignement : il faut
IIOUS arn~er d'alllant de patiellce que de conílallce. C'est pOllr
IllOi le résumé de notre situalioll politiqueo


Ouí, nous aVOllS cOllfiallce dan s ]'avl:'nir ele la Répuhliqu8¡
pour toutes les raísolls que nous vel10ns <l' expo~er. Mais il im-
porte que eeUe conllance 30it rét1échie, raisonnéc, il importe
que la condllite du pani républicain soit calme, sage, pré-
\'oyante, inspirallt le respect et l'estime aux illdifféretlts ellx-
ll1emes qui, vous le S3.Vez, forment tOlljOurS Ulle portion
notable de la majorité. Et alors, qlland l'esprit d'union,dec.on-
corde, qui se dégage tOllS les jour:-; un pcu plus des élus de la
démocratie, aura fait il1lpression sur I'opillion publique, lors-
que Icm aptitude, leur compétence aux affaires aura été dé-
lllontrée, alors soyez certains que vos dt~stillées seront aSSll-
rúes. La France ne se sép3rera plus de VOIIS, républicains,
cal' la F1'ance n'a jarnais demandé que dellx cllO::es Ü un gou-
vernem811 t : l' O J'dre el la Liball!.


Or, l'ord1'e, c'est vous qlli pouvez seuls I'assurer, non P;¡S
pOllr lln jau!', mili::; pOlll' tOlljours ; non pas par des mitrailles
Ull des chal'ges de ca valerie sur l~s boulevards (Applauuisse-
mellts) ; non pas 1'ordre qlli est le silellce et la peur (Bravos),
non! mais I'mure qlli repose sur la IC>;';:llité, une l{)gitimité
dablie par la volonté géllérale, sur le sentitllent qll'on es!:
en face du dl'oit et de la justice, eL llOll sur la pellr d'un
tyrau. (Applallcli~belllents.)


Et la liberté, messieurs, que de partis l'ont promise, qui,
aussitót arrivés allX affaires, l'out ravie! Pour ma part, je ne




AU IIAYHE. 109


connais qu'un partí quí ail demandé la liberté pour lons, non
pil:5 la liberté oligarchiqne et restreinte, mais la liberté com-
plete, integrale, sans restriction, la liberté en(]n" 11 n'est qu'un
parti qui ¡'ait voullle, au prix des pllls doulollrellx sacrifkes,
qui rait réclalllée; e.\ig(~e SOllS tons les régimes, au prix de sa
vie, de ses biens, de sa répu talion meme, et e'est le parti de
la Bépublique, ear seul il a défini la liberté qu'il a nppelée :
Jesdroits de l'homme et dll eiloyen.


Celle liberté poliliqllC, et qlle j'¡¡ppelle allssi sociale, parce
qll'elle s'étend aux plus hutnbles de la société fraIH;aise, vous
ne pouvez en rencolltrer le fOIletiotlnemeJlt el en reclleillir les
fruits que SOllS le régime répllblicain, cal' c'm'l le seul qui
pcut résister aux droils de réllnion, d'association, allX im-
mcnses aggloméralions de citoyens, libertés bien redoLltables
aüx monarchie~, puisque c'est sur (:es libertés qu'on porte les
ll1il.ins eles qu'il surgit un régime réactionoaire. (Applaudisse-
mCllts. )


Ce gouvernement républicain , 00 luí reproche souvent des
griefs sur Jesquel~ nOllS 11011S expliql1011s Sélns cesse. Nos ad-
versaires ne se lassent pas de les reprodl1ire ; nous 110US épui-
:::on5 a en avoir raison, mais nons ne nOl1s lassel'Ol1s pas d'y ré-
pondre : « Ollí, cerles, dísent-ils, voila un gouvernement qui
« se présente assez biell,· SOllS une forme acceptable pOllr
« I'ordre et la liberte\, c'est \"raí; mais íl c:lche derriere lui et
« traine ~ sa sllite 1m eorlége épol1vanlable de noirceur~. Ce
I( qll'il dit est pure comédic, artífices, rucnsonges! ce sonl des
:( dr;clnmaletlTS 1 )) .T'en sais qllclque chose, c'est avec ce .ha-
gage-Jil que je voyage!." (I~xplosion de rires approbatifs.)


II ya m8me des gpn." je pllis dire des hommes d'esprit, ma
roi! qui Ollt crll en faire preuve" ell m'appelant commis voya-
geul' 1 (Nollveallx applalldissernents.) Cela n'est pas fait ponr
m'humilier. S'i1s out cm tuuche!' en quoi que ce soit ma va-
llité ou mon ílmollr-propre, en f(~pélant eelle plaisllllteríe, ils
:-ie SOllt crlleJlement. .. j'llllai::; dire grússierement trompés! Je
n'ell rougis pas; je sui'"l, en eIIet, llll vnyageur et le comrnis de
la tlémocratie. C'est ma commission, je la tiens du peuple.


7




110


Tant pis pour ceux qui pas¡ent leur vie a débiter ces m¡-
seres.


(Double salve d'applaudissements. - Interruption.)
Partout ou je me suis présenlé faee il [ace avec la démoc.ra-


tie, 11 qui j'ai vOllé tout ee que j'ai d'itllelligenee et de fOl'Ct:;
je n'ai tenu qu'Utl langage ferrne, a eOllp súr régulier, légitime,
el je n'ai jarnais ehel'ché qu'une ehose : le bien de la Fl'ílnCe !
Eh que vOlllez-vous! si je ne le eomprends pas alltrement el
si je erois mon pays perdu en dehors de 13 République, íi
fallt bien que je le dise! e'est ma mission! je la remplis, ad-
vienne que pOllrra. (OLli! oui! Bravos enlhon~ia~tes.)


Que tralnons-nous done apres nous? cIuel est ce cortég-e
que nous réservons pour le jour dll triomplw ? Nos adversai!'b,
ne pouvant répondre, se rejetlent d'Ull aulre eóll~ el nous fOtlt
un reproche de tenir un langage qui leur pal'ctit. peu llOllvcau !
Ah oui! la liberté 1 les rev8ndicllliollS un droiL, cela n 'est pas
nouveau; les murmures dOlllourellx de cellX qui sOllffrent: hé-
las! qlloi de moins nouveall dalls le monde? Ce n'est pas 110U~
veau non plus d'étre républicain~d'élre l'ami de son pays. Non,
ce n'est pas nouveau, mais il faut que ce soit général. Il faut
que ce sentiment entre dans les rnceurs, dalls la vie de la na-
tion, qu'il soit Sil 101 el sa foi. Alors peul-etre eette ChO::i8 vie¡lis
deviendra J.éüni ti ye, et e' est UIl réslIllat que pOllr ma pa rt je COD-
~idere comme suftisant pOllr nos efforts. (Appblldis~emellts.)


A ceux qlli nOLlS suivrúnt dans unc génératioll ou deux, ii ap-
partiendra dassurer un développement plJS eompll~t de.notre
reuvre. Quant il moi, je borne mes vamx~ mes réclamati0llS,
mes exigenees, 11 ces deux eh oses : faire une nalion armée el
une natíon ínstruite.


Une nation instruite el armée, pOUf qll'elle relide a la famillc
fraHGaise des populations ql1i lui reviendrunt le jOLlI' oll la
Franee sera restaurée D.ll moral, réorganisée rnatériellernent,
relevée par les véritables applicatiolls de:;, lois éconoflJiques
qui dOfllleront 11 toutes les ressourees le pOllvoir de s'épllnouir.
Alors on assistera a un spectacle qui 11e sera pas une illusÍon.
qui ne sera pas un reve : la repri~e par la France d'une place




.\Íj 8,\ VHE. 111


que l1ulle autre natíon ne peuL rél1lplir, place nécessaire, indis-
pensable, non pas a nous seulement, mais a la civilisation du
monde. (Bravos enthousiastes.)


Bornons El nos exigences, ~t faire, je le répete, une nation
armée el instruite. Et je vois ici ma pensée bien comprise, en
exprimant ces idées devallt des hommes qui comptenl parmi
eux des freres de lJOtre patrie mUlilée, et des freres aussl d'une
Républiquf3 voisille, qui a été pour nous ce qu'elle devait etre
pour la France, une SCBur. (Bravos répétés.)


Ce n'est pas tout ; il ne faut pas se méprendre quand je de-
mande, comme base d'utl programme républicain, que dans
la Républiquc, au-desslls des atteintes des partis, l'on fasse
chacun soldat el instruit. Il faut que ce développement de la
réorganisation militaire et intellectllelIe du pays marche de
front avec le respect complet dll principe civil dans rÉtat, de
la liberté philosophique, de la réglllarité dans les finances, de
la liberté économique, de la liberté des cultes; cela me sllfiit,
et je suis convaincu que cela doit sllffil'e a la tache de la géné-
ration a laquelle nous appartenons.


Donnons a la Francc un gouvernement capable d'as5urer la
sécurité de la généraLion qui travaille actuellement, et de lé-
guer a celle qui monte le couronnement de vos efforts qui lu
permeltront de pOllrsuivre les conséquences les plus extremes
du principe de la solidarité humaine. Je m'explique : ce n'est
pas que je Die en allcune maniere les misel'es, les sOLlffrances,
les douleurs légitimes d'une partie de la démocrnlie. Ce n'est
pas ll10i qui méconna1trais jalllais ce qu'il y a de puissant dans
ce monde dn travail, fruit de la science, ele l'esprit d'associa-
lion et aussi de l'apparilion des lllcrveilles de la mécanique
el de ¡'industrie. C'est tout un monde nouveau insufIisamment
conllU, qu'il faut étndiel', el qui depuis trop longtemps sOllffre
et gémit. Oh! il faut se pencher de ce coté, jeter la a pleines
mains la liberté et la clarté. Mais tenons-nous en garde contre
les utopies de ceux quí, dupes de leur imagination ou attardés
(1:'111:) Jeut' ignorance, croient a une panacée, a une formule
qu'il s'agit de trouver pour faire le bonheur du monde. Croyez




112 DISCOUHS


qu'il n'y a pas de remede social, parce qu'il n'y a pas une ques-
tion sociale. Il y a une série de problemos a résoudre, de difli·
cultés a vaincre, variant avec les líellx, les climats, les habi-
tuues, l'élat sanitaire, problemes économiqlles qui changent
uans l'intérieul' d'un meme pays ; eh bien! ces probll'mes doi-
vent el re résolus nn a. un et non par une formule unique. C'est
par le travíiil, par l'étude, par l'association, par l'effort tOll-
jours constant d'un gOllvernement d'honneles gens, que les
peuples sont conduits a l'émancipation. Il n'y a pas, je le ré-
pete, de panacée ::,ociale, il y él Lous les jours un progres a
faire, mais non pas de solution immédiate, définitive et com-
plete.


Cela uit, nous ne demanuons pas plus, mais nous ne deman-
don::; pas moins. Ceux qui prélelldent que nOLlS jetons des pa-
roles dorées, derriere lesquelles se cachent des surprises cri-
minelles, ils mentont ou ils so trompent. Ce que je dis est
l'expression complete de ma pensée. Quant a ceux qui;soutien-
nent que nons n'apportolls pa::; d'élémenls Ilouveaux, qu'ils
s'en prennent aux gouvernemenLs, surlout allx générations
précédentes qui n'ont pas su nous préparer la jOllissance de
llouveaux biellfaits. Cette conquéte doit venir de l'association
énergique de nos volontés, ele la cohésion de loutes les forces
de la Franee républicaine, d'lIlle discipline volontaire d'autant
plus efIlcace que (',e sera une discipli[Je consentie. L'UIlioll, le
concert, l'entente, voilil ce qui fait le levier des réformes suc-
ces~ives et nécessaires.


Au premier rang de ces réformes; vous savez déja, mes-
sieurs, que je place l'élection d'un8 Assemblée républicaine. Je
me sllis déja. expliqué sur ce sujet élll début de I'excnrsion si
;nstructive que je viell.<1 d'nrcDnJpJir. J'ai parlé de la djssnJu-
lion partout ou je suis alié; partuut j'ai trollvé celte idée en
germe dans les esprits et prete a éclore.


La dissolution, voila done la premiere réforme qll'il faut
poursuivre !


Je n'attends rien de l' Ass8mblée ele Versailles. Elle montre
tout ce qu'elle craint en n'osant pas rentrer dans ce Paris,




AU HAVRE. 113
berceau de notre civilisation, boucIier de nos Iibertés publi-
ques, initiateur et gllide de l'esprit national, de ce París qu'on
peut dénoncer a la haine imbécile de quelques ruraux, mais
qu'on ne peut parvenir ni 1:1 abaUre ni ~l déshol1orer. (Applall-
d· t' , , \ Issemen s repetes.}


Ainsi, messieul's, il le faut; au milieu dll calme que nous
avons la volonté manifeste de rmiintetlir et de faire respecter,
sachons nous préparer a des élections qui devraient etre déja
arrivées, qlli arriveront, et qui doivent vous trouver prets,
unis et compactes, pleins de discernement, sachant qui vous
choisissez, qui vous nommez, a vec des candidats qui seront
hommes libres, faits pour représenter de...; hornrnes libres. Et
alors, vous aurez fondé la République républicaine.


N'exclllol1s pas les nouveallX venus, les républicains d'hier.
On a dit que nOllS représentons un parti fermé. Ce n'est pas
vrai 1 Ce sont les intrigants qui disent cela, parce qn'ils sont
excornrnuniés parmi 1l0US. Ceux qui ont failli par erreul', ils
peuvent venir a nous, nous ne penserolls jarnais a leur passé
si leur conscienceest pure, nous les recevrons comme des
freres si J'avenir lient ce que leur contrilion nous prometo


Une majorité républicaine, tel est notre premier besoin.
Nous encourrions devant la postrrité et devant nos contempo-
rains le reproche de défaillance (Oui! oLli !) si celle majorité
ne sorlait pas des urn8S. II faut qu'elle el) sorte, tat ou tardo


Un dernier mot : Quand nou:; insistons, qlland on nous voit
ramener eette qU8stion de dissolution de la Cllambre et lui
refuser le pouvoir constitLlant qu'elle est impuissante a
exercer, paree qu'elle est stérile, condarnnée a l'avortement,
eh bien, quand nOllS disons tout cela, on nOllS aCCllse d'etre
des esprils révolulionnaires, des agitateurs, des ambitieux qui
ne songent qll'au pouvoir. Non, non, je vous prends a té-
moin, si je croyais que les heul'es et les minutes ne fl1ssent
pas précieuses, si je croyais qlle l'on pút attendre, dans l'état
actl1el de ¡'Europe ... Attendre! ... npres b guerre étrangere,
apres la gllerre civile el les ruines qll'elles ont faites; - at-
tendre! quand I 'installt nOL1S presse d'agir, de sauver tout ce




-114 DISCOURS AU HA VRE.
qui reste de la patrie, mais est-ce que c'est possible l mes-
sieurs? (Non! non! - Sensatioll profonlle.)


Si nous avons hate, t:e n'est pas pOllr nous, ce n'est pas
pour le parti républicain; si nOllS avons hate, c'est que c'est
une qllestiol1 d'existence nationale. Les minutes nous font
perdre des siecles. Si cela dure trop longlemps, si nOllS nons
aHardons dan s ce provisoir~ qui nons énerve, qui lasse l'at-
tente du pays, nOllS courons les plus grands périls. Ah ! mes-
siéurs, n'hésitons pas! Quant a moi, ma conviction est faite,
et je l'exprime ici avec toule ]'ardeur de mon amOl1r pour la
France, entre la dissolntion de l'Assemblée ou la dissolution
de la Patrie, je vote pour la dissolnLion de )'Assemblée!




DISCOURS


PRONONCÉ A PARIS¡ LE 9 MAL


En l'éponse a l'Adresse suivante


DES DÉLÉGUÉS DE L'ALSACE


MONSIEUR ET CllER DÉPUTÉ,


Nous venons vous offrir, au nom des comités de la sous-
cription patriotique Alsacienm~, ce bronze dont notre éminent
artiste de Colmar a su faire le vivant symbole de nos lultes
contre l' étranger, de nos douleurs, de nos in vincibles espé-
rances.


Cctte reuvre traduit le sentiment des milliers de souscrip-
teurs qui, de nos villes et <In fond de nos campagnes, ont tenu
11 honneur de contribuer chncul1 de son abole au souvenir dont
nons vous apportons ici le témoignage.


Les Alsaciens ne cessent de vivre avec la Frauee : i1s lui
resteront fideles.


Vos nobles efforls nous out donné et nous donnent ehaque
jour la mesure de ce que nous pouvons attcndre d'elle et de
ce que 1l0US lui devons.


Que la France poursuive done, avec une foi entiere dans
ses destinées et dans le patriotistlle de l' Alsace, le travail de




• H6 DISCOUH,:-;
sa régénération ! Les Alsaciens ont confiance dans son avenir!
1Is sauront avoir la patience, comme ils ont la lénacité.


L'image, tOlljours présente a leurs yeux, de la Républiq1l8
relevant les ruines de la Patrie et préparallt la revanche ou
Droit sur l<t Force, nOLlS sollliendl'a: !lons ne f'aibltl'Olls point,


L'honneur national, que vou:::: uvez maintenu intact au milieu
des plus effroyables effundrements, est pou!' llOUS un gage
assuré que nous reviendrons un jour nous asseoir au foyer de
la grande famille franGuise.


Les délégllés des comités de la sOllscriplioll
Léon Gambella en A lsace.


l\f. GamLetta a l'emercié le;;; mellllll'és des comités, et pl'O-
lloncé les paroles suivante;;; ;


MESSIEURS ET CHERS COMPATRIOTES,


En recevant de vos rnains ce térnoignage des liens de solida-
rité indissolllble qlli unissent les lll1S aux alltres les membres de
la grallde famille franGaise, comme vous dites, hélas! momen-
tanément séparés, je ne sais vraiment qup,l est le setlLÍment
qui m'oppre:-se le plus, si c'est celui de la recolluaissanee ou
celui de la dOllleur.


11 m'est véritablement terrible de penser que c'esl al! jour oú
ron négocie a prix d'or - fiur et nécessaire aboutissemeut de
nos défaites - l'évacualioll de nos dl~parlemellts, sans que
cette évacuation pllisse eucore s'étellure El ce qlli esl le bien
merne de la France, de peuser que cet enseignement, ce He
exhortation ~uprerne nOllS sont donnés par l' Alsace.


Je sens bien tout ce qll'il y a de dOllloureux pOli!' vous a
étre oLli~és de eompter, de peser, d'ajollrner vos espéranees;
je sen s bien que vous lW(~Z besoÍn, COlllme nOL1s-memes, de
vous dire que vous ne failJlirez pas; je sens bien que VOll~
avez raison de vous répéter qlle Ill. ténacité est une des qua-
lités de votre raee. Ah! e 'est par la que nolre ebere Alsace
était partículierement nécessaire a j'uuité fron~ajse; elle




AUX DÉLÉGI;ÉS DE I:ALSACE.
représentail parmi nous, ü coté ue celte mobilité et de eette
lég{~relé qlli, malheureusement, a certains moments, déparent
notre carac:tere nationaJ, elle représentait l'énergie invulné-
rabie. El, sur ce granu chemin de l'innsion, elle s'était
toujours trollvée la premiere et la derniere a uéfenure la
Patrie!


Cest pOlIr cela que, tant qu'elle ne sera pas rentrée dans la
famille, ü propremcnt parler il n'y aura ni de France ni d'Eu-
rape.


Mais I'henre est grave et difficile, messienrs, et il esr bien ~l
craindre que, si nous ne pretions l'oreille qu'aux excitations
de not,re patriotismc et aux arners souvenírs qLli nous rame-
nent aux Illtles impossihles, an sentiment ue notre isolement'
uans le monde, a la mém~)ire des défaillances qui nons ont
accablés, - nous ne dépassions l:t mesure et que nOl!S ne
compromettions une cause que nous pouvons miellx servir.


OLli, ce qui - uans l'entretien que nous avons en ce moment
- doit etre reporté et redit a ces commettants qui m'avaient
choisi, qui avaient salué enmoi ll~ dernier proteslant el le
dernier defenseLlr de leur droit el de lem honneur, ce n'est
pas une parole d'excitatioll ni une paroJe d'enthollsiasme,
non! c'est une parole de ré:iignation, mais de résignation agis-
sante.


Il faut tenir compte de l'état de la France, il faut bien I'en~
vlsager.


A l'heure ou nous sommes, la République, que vous asso-
ciez, que vous avez tOLljours associée non-seuJement a la
défense de la patrie, mais it son relevement, 11 sa régénération,
la Républiqlle s'impose aux llns par nécessité, aux autres par
intéret, el a la généralité des gens sensés par patriotisme.


On commence a comprendre, en France, que tout cequi esl
arrivé a été le fait de.s monarchies successives, et que ce serait
a tort qu'on en ferait porter la re~ponsabilité uniqlle an der-
nier des uespotismes que nous avons traversés. Le mal dale
de loin, et, depuis le premier jour ou la Hépublique a succombé
son S le sabre d'un soldat, d'autl'es régimes se sont succédé qui


7.




118 DISCOURS


n'ont rien faH pour épurer et relever le cceur national et le
tenir a la hauteur des événements.


e'est par Ul, messieurs, qu'il est vrai de dire que le senti-
ment républicain est un sentiment véritnblement national,
paree qu'il faít comprendre que tout ce que la monarehie a
faít dans ce pays, meme dans un sen s lib6ral, que tOlItes ses
tentatives moyennes, toute::; ses demi -mesures, al! point de
vue d'un certain régime d'administralion~ de controle et de
presse, que tOlItes ces choses étaient équivoques, qu'elles
afTadissaient le sentiment national, paree qu'elles se faisaient
au bénéfice d'une classe, en laissant en dehors les autres, paree
qu'elles ne s'adressaient pas a tout le pays et qu'ainsi elles
tuaient en germe tout patriotisrne. Aussi quand il a fallu que
tous fussent patriotes, - ehose douloureuse a dire! - pI u-
sieurs ont manqué.


Aujourd'hui, sous le coup des événemenls et des grandes
luttes dont nOllS avons été victímes, on a compris, en Franee,
- au moins il est permisde le eroire apres les récentes et
décisives manífestations qui ont eu líeu, - que la République
est désormais eomme le gage commun de la renaissance des
forces rnatérielles et morales de nolre nalion.


Ce grand résllltat politiqu8 ne pouvait 8tre obtenll qu'it
force de réserve et de prlldence; la République ne pouvaít
gagner les espri ts, coneilier les intérets, progresser dan:; la
conscienee générale qu'a force de modération plrmi les répl1'.
blicains) qu'il force de démonstrations, faíles aux yel1x de la
majorité des indifférents, que de ce colé est l'esprit d'ordre, de
paixeivile, de progres, pacífiquement, rationnellement obtenus.


Cette démonstration, elle commence : il faut la poursuivre,
la continuer ; il fallt déterminer sllrtout ces convictions tardi-
ves a la manifestation desqllelles nOllS assistons depuis qUélque
temps, mais qlli déterminent~ a lellr lOUl', d'aulres convic-
Lions sur lesquelles on n'aurait pas compté, et qui, de proehe
en proche, sous l'influenee d'llne agitation républicaine conli-
nue, se transiorment, s'agrandissent, deviennent la eOl1viction
générale.




AUX DÉLÉGUÉS DE L'ALSACE, ,119


Le temps est a vee nous. Ce n'est pas a dire qu'il faut comp-
ter sur le t.emps pour tout faire, . mais nous devaos en tenir
compte, el. nOll8 en servir pou!' solliciter de tous l'esprit de
concorde, l'esprit d'unioll et, pensez-y bien, l'esprit de rési-
gnation et de sacrifico.


Ah! i 1 est bien cruel de demander a ces freres, durement
abandonn6s, ¡'esprit de sacrifice et de résignation, et eependant
e'est il eux que nous adresserons ceUe demande supreme de ne
pas troubler la patrie dans son travail de reconstruction. Et, de
meme que vous avez été le pays ou le plus de bras se sont ar-
més pour la défense nationale~ de meme que vous avez donné
vos enfants et votre or, de meme que vous avez supporté le
plus longtemps les halles, le feu, 'les bombes, les exactions de
l'ennemi J de meme, pendant cette triste paix, il Jaut que vous
clonniez a la France l'exemple d'une population qui sait
con'server ses sentiments sallS sortir de la mesure, sans pro-
vuquer une intervention.


Vous devez a la mere patrie eette supreme eonsolation de
lui faire savoir que, bien qu'elle soit impuissante il vous secou .
rir, votre erellr lui esl invinciblement altaché.


Eh bien, cette consolati.on, celte résignatiol1, VOtlS les luidonne·
rez : vous les luidounerez, paree que quelleque soit l'ardeur de
vos senlimen ls, VOllS n'a vez j amais fai t de votre eau~~e d' Alsaeiens
ql1'une cause fran<;aise, el c'est par la que vous avez donné
llne véritable marque de patriotisme, dédaignant, dan::; la plus
large mes me, vos in téréts personnels pour les subordonner
a la cause meme de la France. La France doit vous rendre ces
grands et nobles sentiments. Si elle étail assez oublieuse et im-
pie pour !le pas avoir constamment sous les yeux ceUe image
de votre Alsace sanglante el mutilée, oh ! alors vous seriez en
dtoit de désespérpr !


Maís tant qll'il y aura, en FréJnce, un parti natiollal, n'ayez
(¡lleUlle eraint.e. Et soyez surs que ce parti national se recom-
pose et se reconstitlle. L'esprit vrai de la France, saisie et li-
vrée Ü I'ennemi par k~ second empire, est mis en lumi~re au-
jourd'hui. De tous cotés, des publicatioIls viennent nous faire




120


connaitre le role qu'ont joué nos popl1lations, et l'on aper-
c;oit qne la France a été bien plus abatllle que battue, bien plus
surprise que prise. Et, en meme temps qu'apparéílt la vérit\~
sur les événerneots, la conscience du p:1ys retlalt. Vous voyez
déjil commencer uoe grande CBllvre, h~gitime qlloiqlle doul(Ju-
reuse, de réprobation et de f1étris:mrc; j'espere que vous assis-
terez aussi allX clütimenls nécessaires.


En meme temps que le pays, tous les partís se réuuissent
pOLlr réclamer la punition de ce crime de lese-France commis
sous leS murs de ~Ietz, et vous voyez venir daos nos rangs de
vrais patriotes, des hommes qlli, sans hésiter, saos discu-
ter, ont faít )eur devoir et Ollt été de véritables héros a )'ar-
mée de la Loire.


Ah! e'est que I'on sentait, parmi ceux qlli lllttaient, qu'il
n'y avait pas d'autre reSSOUl'ce et pas d'alltre honneur pour la
Frat1Ce que de faire du drapean de la R¿publique le drapeau
me me de la nation.


JI ya, dans ce spectacle, de quoi nous convier a nOllS replier
sur nous-memes, et a chercher dans uo nOllvd essor, dans une
nOllvelle impulsion, 11 imprimer 11 l'intdligellce fran<;aise les
véritables moyens réparateurs de 110tre gratldeLlr morale, de
notre grandeur scientifique, de notre pl'obité financiere, 1e
notre vaillatlce militaire.


El, qll1nd on aura, sur lons ces chantiers du travail de re-
eonstruction, reruit piece n piece la France,croyez-voLls qu'on
ne s'en apercevra pas ell Eurape et qu'on n'y regardera pas ü
deux fois avant de ratifler les violences de la force? Croyez-
vous que ce barbare et gothique :lxiome, qui a el! et qlli a en-
corecours : la forcepriIll8le droit, restera inscrit dan s les an-
nales du droit des gens?


Non! non!
Si un silence néfaste a pu accueillir une pareille théorie,c'est


paree que laFrance était abaltue. ~Iais il n'e8t pa~ un pays, en
Europe, qui ne pense qu'jl faut que la France se refasse. On ne
songe pas a l'rissister~ on n'en est pas 1:1 ; la force des armes a
réduit a cette position les plus bienveillanls et les plus sympa-




AUX DÜÉGUÉS DE L'ALSACE. ,121


thiques. NOHS n'avons fe<;U et nous ne recevrons de longtemps
ni aide ni concours, mnis le sentiment dll voisinage s'est fait
jour. On sent que l'orage, pour elre passé sur nous, n'est pas
entierement dissipé et qu'il pourra visiter d'autres eontrées,
visiter d'nutres peuples. Le sentiment ele la c,onservation géné-
rale surgit, on regarde du coté de la Franee et on voit le monde
occidental vide.


Montrons a eeux quí nOllS examinent notre moralité, notfe
puissance íntérieure, notre force, et non pas, cornme on
l'a trop fait jllSqll'a présent~ le spectacle de querelles dynasti-
ques OH de dissentiments sur eles chimeres.


Donnons ce gage a l'Europe, que nous n'avons p8.S d'autre vi-
sée que de prendre tout le temps qu'il faudfa pour arriver a
eeUe situation morale et matél'ielle Ol! I'on n'a pas me me be-
soin de tirer l'épée ; Ol! on rend au droit les satisfaetions qui
lui sont dues, paree qll'on sent que derriere ce droit il y a la
force.


Mais ne nous lais80ns aller ni a l'effervescence ni au décou-
ragement.


Prenons - e'est la une réflexion que vous me permeUrez de
vous soumettre en présenee du groLlpe que vous voulez bien
m'offrir- prenons ü la lettre la pensée qui a animé l'artiste et
le patriote : comme cette mere quí étend sur le cadavre deson
fils tombé et qui, sentant son sein pressé par son jellne enfant
encore impropre ü porter les armes, ne veut compter que sur
l'avenir, tenons la seule eonduite digne de gens véritablement
animés d'une pensée sage et ferme ; ne parlons pas de revan-
che, n8 prononGons pas de paroles téméraires, recueillons-nous.
Travaillons tous les jours a aeql1érir eeUe qualítéqui nous man-
que, eette qualité dont vous avez si admirablement parlé: la
patienee que rien ne déeourage, la ténacité qui use jusqu'all
tGmps lui-meme.


Alors, messieurs, qlland nous aurons passé par cette réno-
vation néeessaire, nous aurons mis assez de temps pour qu'il
se soít accompli des changements dans le monde autour de
nOlls. Car ce monde qui nOl1S environne n'est pas dans une




DISCOUHS


situation bien enviable; le brllit des armes l ponf avoir cessé
en Franc8, n'a pas cessé ailleurs.


II ne faut pas faire d'excursion bien lointaine chez ses voi-
sins, ponr s'apercevoir que, de tous cótés, on se prépare, que,
de tous calés, on tient la meche allllmée, et que la seu)e acti-
vité qui parait présider ü toutes les opél'ations des gouverne-
ments, c'est l'activité militaire,


Je ne clis pas qu'il faiBe tirer de la ni pronostics ni illusions;
il faut purement et simplernent compreoclre que le véritahle
prograrnrne de tout hon FranGais eSl, avant tout, de se disci c•
pliner chez lui, de se VOLler a [aire de chaque citoyen un sol-
dat et, s'il se pellt, un homme instruit, le reste devant úOus
arriver par sllrcrolt.


Nos ennemis nous ont donné, sm ce point, des exemples
que vous connaissez mieLlx que nous-memes; car, précisé-
ment placés sur les frontit~res, entre eux et llOUS, vous aviez
pris d'eux une culture intellectuelle plus grande, avec la re-
cherche des notions scientifiqu8s daos leuf application ~l la
conduite des intéréts de la vie, en meme temps que vous aviez
cette flamme, ceLte énergie, cetle viguem, qui sont le propre
de la race fran<;aise.


C'est a vec vous et comme vous qne nous voulons tra vailler,
sans nons laisser détourner de l1otr8 but par les conspirations
monarchiql1es. Vous pouvez répéter a vos freres el'Alsaee qll'i!
n'y a rien a redouter ele ce caté; eeUe crainte pOllfrait étre de
nature a alarmer singulierement vos espérances patriotique~,
Aussi bien, me.ssieurs, je tiens a elire encore - alors qne d€'
tous cótés il se trouve des sophistes ponr déclarer que si nous
restons en Républiql1e~ nous manquemns d'a'lliances au dehor:.;
et que nous ne trouverons aucun concours, al1cune aicle lhitb
les gouvernements ele l'Europe, - je tiens a dire que s'jl es!
un régime, un systeme de gouvernement qni ait.. avant tOllt,
I'horrenr de l'esprit de conque le el u'allllexion, c'est l"ordré
républicain.


Ce n'est pas, certes, que nons soyons ílssez pel! sOllcieux
des intérets de notre pays ponr n'accoruer nos préférences Ol!




AUX D1~LÉGUÉS DE l: ALSACE,
nos sympathies qll'aux peuples qui, au dehors, possedent telle
Oll telle forme de gOllvernement : la politiqlle extérieure doit
en tout temps se régler sur les intén~ts du pays, c10nt on veut
OH ml;ntenir OU feCOllvrer les droits, ce qui n'est d'ailleurs
que reprendre la vériLable tradition de notre plus grande as-
semblée : la Conventioll .


Est·ce que, d'ailleurs, le systeme républieain~ dan s notre
p8YS, n'a pas encore une nutre valeur, et fant-il parler de
l'impossibi!ité oll se trouverait toute famille d'offrir aucune
stabililé a l'alliance des gouvernements dll dehors? La ques-
tioo est jllgée alljollrd'hui : qui dira reslauration (lira révolu-
tion, el ql1i dit révolution dit incerLitllde et impossibilité de
contracter OLI noner aucunes relalions dnrables.


Voyez ce que produisent les intrigues monarchiques a nos
portes: il n'esL bruit que de fusillades, de l'autre coté des Py-
rénees. Est-ce que celn ne nOllS dit pas tres-clairement ce qui
arriverait chez nous si nOllS nOllS abnndonnions allX memes
aventures?


Toute 3utre combinaison poli tique que la République serait
la guerre civile et l'oecl1pation étrangere, et nons ne devons
avoir qu'une passion, qll'Ul1 bllt : nou"s débarrasser de l'étl'an-
gel'. NOllS devons répéter ce cri qui a fait l'Italie, qui n'avait
pas nos ressources matérielles et morales, qui n'était, dans un
langage cruel, mnis vrai, qu'tme expression géographiqlle; il
lui fallail des héros, elle en a trouvé a point nommé, et c'est
une minorité qui, ponr l't>aliser le granel programme de l'unité
el de la liberté de l'Italie, a pOllssé le el'i: « Dehors l'étranger! D


Mrtis un programme ne doit pas seulement eLt'e dans les
mots, il doit etre dans les faits, iI doil animer l'administration
publique, non pas seulement dans les acles ofIle iels, il doit en-
core présider a la conduite des citoyens qllí se réclament de
l'idée républicaine. A tons les degrt~s (le l'administralion, dans
la commune., all ranLon, an chef-Iíeu, al! centre eL pres dn
gOllvemernent, les citoyens doivent peser sur le gouvernement
pou r lui indiquer la vnie dans laquelle nous vOlllons entrer et
le but que nous voulons atteindl'e saos ímpatience : l'efaire




I Z4 DISCOURS AUX Dl:Ü:r,uf:s DE L' ALSACE.
une France, la France historique, la France qu'il nous fallt.
Un jour, messiellrs, rÉllnis alltollr du gouvernemenL republi-
caín, nOllS serons tous ,lllimés de la 1118me petlsée~ c'est la mon
pll1s ferme e;:poir. J'en attestc les efforls jrnmen~es el les res-
SOl1rces sorties d9s entrailles de ce pays oú, malgré le vide de
nos cadre~, - puisque tous nos ofilciers avaienl. élé livrés a
l'Allemagne, a l\1etz et a Sedan, -- des hommes qui n'avaient
jamais tiré un coup de fLlsil, chaque foís qll'ils étaient COffi-
mandés par un homme de cceur, par un ofllcier distingué, se
montraient de taille a ltltter contre les vieux vétérans de Fré·
déric-C har 1 es.


Soyez persuadés, soyez certains qu'avec un gouvernement
qui sera r8solu a suivre une politiqlle véritablement naLionale,
vous pourrez altendre eL ne jamai~ désespérer.


Quant a moi, vous savez les senliments que jo vous ai vOllés,
vous savez combien je suis vólre ; je n'ai d'autre ambition que
de rester fidele au mandat que vous m'avez donné et que je
considr,re comme la loi et l'honnellr ele ma vie.


Cela dit, messieurs, que ceux d'entr8 vous qui auront ]'hon-
neur doulollreux de se relrOll ver au miliell de vos compatriotes
veuillent dire qu'apres vous avoir vus je n'ai pas rencontré
dans mon ereur un seul mot qui pút traduire, je ne dirai pas
d'une fac;;on sllfilsante pOLlr moi-méme, mais capable de me
contenter, la reconnaissance profonde que je VOU:-l garde.




..




DISCOURS


PROXOXCÉ A VERSAILLES, LE 24 .rUIN 1872


POUR


L'ANNlVERSAIRE DU GÉNÉRAL HOCHE


MESSlEURS ET CHERS CONCITOYENS,


Apres les paroles que vous venez d'entendl'e, 011 a bien
VOUlll me demander d'ajoulel' qllelql1es molso Je serai aussi
bref que me le permeltra l'émotion que je ressens all souvenir
de J'homme illustrr que nous venons honorer ensemble. .


Et tOllt d',lbord, il faut bien qlle je me déeharge d'llne
dette que j'ai contractée envers vous depuis longtemps.


JeO dois vous remercier d'abord de ce que VOllS avez bien
voulll, dans eNte réunion a ¡aquelle assistent tous vos dé-
putés, eeux que vous avez nommés le 8 février comme ceux
que vous avez nomrnés depllis, me convier a ce banquet
d'union, de concorde, et d'ou vous avez exc1u tout esprit de
systeme. (Approbation.)


Je dois en outre vous remercier, ce que je n'ai pu faire en-
core personnellement, d'avoir bien voulu, a cette époque fu-
nebre Oll nous ramenent tous nos souvenirs, au momellt ou
1'00 procédait) sous les pas de l'invasion, a l'élection de l'As-




126 ANNIVERSAIRE


semblée~ me désigner pour député en face meme du quartier
général. (Nouvelle approbation. - Bravos.)


Je ne veux que passer sur ce fait, et croyez bien que je
serais profondément blessé qu'on viL dans ces paro les, "aucune
intention personnelle; mais je tiens a saisir I'occasion de di re
publiquement, et je voudrais que ma parole allM jusqu'au
fond de la France, de proclamer cambien a été hérolque,
noble et digne de ce fils gloricnx dont nons célébrons la mé-
moire, la ville de Versélilles, et les magistrats placés a sa tete,
en présence de l'occupation militélire étrélngere. (Tres-bien!
- Salve d'applaudissements.)


Je parle ainsi, qtloi qLl'i~ pl1isse en col'tter a la modestie de
ceux qui m'écontenl et dont le plus granel nombre ont été a la
fois témoins et victimes de l'occupation ele ces redoutables
ennemis, qni, grtlce 11 vous savez quelles eriminelles eléfail··
lances, ont pn venir camper, en regard de Paris, dan s eeUe
ville dont le passé rappelle la gloire de la vieille monarchie
déchue, comme aussi la gloire de la premiere République, qui
I'a chassée pour toujours. (Oui! - Tres-bien! - Applaudis-
sements.)


e'est que j'ai su, messieurs, e'est que j'ai connll par le détail
le role de M. Rameau pendant cette occupation; j'aí appris -
ce que beaucoup trop de gens ignorent - avcc quelle ardeur,
quelle sagesse, quelle prudence, avec quels sentiments dignes
d'un FranGais patriote, avec qllelles ver tus d'un magistrat in-
tegre et indépendant, il a lutté picd a pied en face d'un adver-
saire, - vons savez quel. il était!- il a eombattll jusqu'all
bout ponr votre di3"nilé et pour votn~ honneur. (Approbation
unanime. - Bravos.)


Je n'ai qu'un mot a dire 11 l'honneur de ceux qlli, groupés
autour de lui, associés a son cellvrc, compo3aient le Conseil
municipal. Ils se sont toujours tenus fermes devant l'ennemi
et ils n'ont pris aucune part, ni de pres ni deloin, a ces capi-
tulations qui, poue n'etre pas militaires, n'en étaient pas moins
indignes. (Nouvelle approbation générale. - Bravos.)


Aussi bien est-ce ici un ljeu véritablement bien choisi, une




DE HOCHE. '12i
occasion excellente a travers les amertumes et les tristesses
de l'heure actuelle, pour se retourner vers le passé, pOllr évo-
qner une image chérie et pour chercher, non pas ce que nous
úurait enseigné nagu(~re la satisfaction d'nl1 patriotisme 01'-
guei Ilenx, mais les le<;ons austeres qui nOllS permettront de
fonder enfin notre prospérité intérieure et de reprendre en
meme temps notre grandeur dan~ le monde.


Oui, Hoche fut tout ce que I'on vous disait tOtlt a l'henre :
un grand ciloyen, un capitaine d'élite, un homme d'État, un
hornme de guerre, un poli tique , un· ac1rninistrateur, une
grande conscience et un granel héros. Hoche est une des plus
nobles, une des plus radieuses, une des plus auirantes figures
de la Hévo1ution, et }'on ne saurait trop, dans le par ti répu-
blicain, revenir sans cesse a ce grand modele; non pas poul'
y chercher une imitation que ne comportent ni notre temps,
ni nos mcel1rs, ni le milieu ambiant qui nous entoure, mais
pour y choisir, avec intelligence, ce qui doit etre et rester
comme un enseignement permanent et profitable dans nos
sociétés modernes. Car, c'est la le but de cette réunion,
messieurs, et c'est dan s ce seul but qu'ilest bon de l'avoir
fondée. C'est afin que tous nous puissions nous retremper an
fen dll patriotisme d'lln héros comme le généraÍ Hoche ; c'est
ponf cela aússi qu'il est juste de lui donner, de lui l'econ-
naitre la maltrise souveraine et le premier rang dan s cette
fete.


Eh bien! messieut's, plli'3qlle nons ~ommes ensemble, re-
cherchons done sons I'influence dl~ quelles conclitions, avec le
concours de quel:; élémen ts cette fortune I qui semble fab111ellSe
et qui parait tenir du roman plus que ele l'histoire: est échue
a Hache.


On vous l'a dit : Hoche était le fils d'lln homrne attaché au
chenil de la monarchi6. (Explosion ele bravos et d'applaudis-
sements.) Il ('st bon que cette ville de Versailles offre ce con-
traste de réunir it la fols 'dans son histoire le passé et l'avenir,
ce qu'il y a de plus haut el de plus illustre dans la monarchie
et ce qu'íl y a eJo plus génércnx. de plns spontané el, disons




128 A~~!VEHS.\IRE


le mot dans la noble acception qll'il comporte, de plus nobJe-
ment révolutionnaire. (Bravos prolongés.)


Car, el c'est la I'enseignement que je vOlldrais sllr~out reti-
rer de la víe de Hoche, c'est que cel homme, qui flit a la fois,
comme on vous le disait, un grand capitaine, un diplomate,
un administral8ur c0nsommé, d'une moralité ~l. toute épreuve,
re~ut de la Bévolutíon qLli l'avait fait, de ses idées, de ses
príncipes, de ses aspiréltions qu'il conserva tOlljOut'S avec une
scrupllleLlse fidélit8, ~me autorité, un prestige, une inflLlence
qui, tOllt a l'heLlre, si vous me permettez de relracer les gran-
des lignes de sa vie, en feront un homme completo


Fils de la Hévolution, enfant du pellple créé par la Révolu-
lion, dont il faLlt savoir débarrasser toutes les merveilles des
emportements) eles aveuglements momentanés qlli ont pll la
ternir, par cette Révolution qu'il ne fauL voir que dans ses pro-
gres, dans sos grandeurs et elans son immense influence sur
l'humanité; - fíls de ceUe RévolLltion, mere des hommes
comme des peuples, Hoche lui resta toujollrs fidele, ce qni ne
l'empecha pas d'étre le plus modéré des hammes, le diplo~
mate le plus adroit, l'administrateur le plLlS habile et le plus
avisé des capitaines.


Tout jellne, Hoche entre dans les gardes franc;;aises; il assiste
et collabore a la prise de la Rastille, la plus grande date révo-
lutionnaire; iI ne se dr,ment pas plus tard, et d¿lns tOLltes les
jonrnées on le retrollve. A Tl1ionville, il f:lit des prodiges; a
I'armée des Ardennes, il inaugure le sysleme llouveau et hardi
des reconnaissances, qui le fait remarquer par le général Le-
veneur qui se l'attache ; on I'envoie ~l Dunkerque qu'il déblo-
que; puis il est désigné comme Sllspect et ilvi3nt se constituer
prisollnier. Croyez-vous qu'il s'en émeuye? Du lout: il reste
le fils de la Révolution. Il co;nparaít devant ses jllges, s'expli-
que, affirme nettem'2nt ce qu'il pense, saos rien rejeter de ses
idées, on l'acquiLte et on le fait brigadier.


On l'envoie immédiatement i1 l'armée de Moselle.
C~esC la q(('ll apparafC avec cette figllre (Cune sí étOlJnante


pureté, cette décision cl'esprit. eeUe promptitude de résolution




DE HUCHE.


qui en fout véritablement un homme nOLlveau dans des lemps
nouveaux. (Vifs applaudissements.)


En effet, dans quelle sitllation arrive-t-il prendre le comman-
dement de l'armée de MoscUe?


Ce qu'on appelait I'armée de Moselle, c'était une troupe
composée de H) a 20,000 hommes, mal armés, mal équipés,
avec l'indiscipline partout. Les chefs n'étaient pas obéis; les
::3oldats meLtaient, permeltez-moi le mot, le gaspillage jllsque
dans les vivres qu'on volait; partout enfin on ne voyait que la
confusion, le désordre et l'indiscipline.


Hoche arrive, el nous voyons aussitót apparaitre un des
symptómes les plus visibles de la grandeur de ce caracLere,
de la nouveauté de cette méthode révolutionnaire.


Des son arrivée, iI aborde immédiatement les soldats, inter-
roge les ofliciers, ouvre les rangs, se i'end compte de tout et
parle séverement quand iI le faut. C'est la qu'iI fit cet admi-
rable choix de lielltenants, parmi lesqllels Michel Ney.


Il questionne les hommes, les juge sur un mot, lenr donne
sa confiance, ou bien il reste impénétraple; iI fait sortir de
suite des rangs ceux dont il apprécie le mérite; il faIlait des
hommes nouveanx, il les improvise. N'élait·il pas lui-meme
un homme nOllveau, un chef improvisé, et iI rompt avec les
vieux représentants, avec les hommes attardés et les soute-
neurs des vieilles monarchies. (Triple sal ve d'applandisse-
ments.)


De ces soldats, iI fit de jeunes chefs, et ces chefs devinrent,
plus tard, les premiers hommes de gllerre de leuf temps ; ils
ont sauvé la France lllttant contre l'Europe entiere coalisée.
C'est a l'ame de Hache qu'ils avaient aHumé leur ame pour
soutenir ceUe lutte jusqu'a la mor!, jusqu'a l'immolation d'eux-
memes, el c'est ainsi que Hoche avait fait des armées républi-
cai.fles. Elles onl commencé par délivrer la France j oh les a
fait servir a conquérir le monde plus tard; enfin elles ont fini,
dénaturées el détériorées par un égolste ambituellx, par per-
dre la patrie.


Quand il eut ainsi encadré et formé ses brigades el ses di-




130 J::\:\IVEHS.\lRE


visiollS, quund Jl eut clwisi ses génér,llIx, quund il eut passé
deux mois a stimulel' le zele de tous, il élablir parmi ses sol-
dats la discipline pí.lr un travLJil coutinuel, il euL l'armée qu'il
voulait donner illa Hépubliq1l8 pOllr sa défense et sa gloire.


Cal' cel llOmtlle, ce flls de la Hévolut.ion, ce gétléral républi-
cain qui 11e s'est jamais démenti, metlait au- dessus de tOllt la
valeur de la regle et de la discipline, et c'est lui qui a dit ce
mol si vrai : Les armées qui n'ont pas de discipline sont tou-
jours baUues.


Respectuellx des droits de chacun, connaissanl la valcur
des hommes, il !le se laissait jalllais aller ni aux erreurs, ui
aux chirneres; il savait que les homtues ne valent pas seule-
meut paree qu'on ICllr a donné un fusil et un équipement, mais
encore par leur illSlruction, par leur abnégatioll person nelle,
par leur cohésioll ell rnasses, par leur discipline et par leur
esprit rniiitaire. (Bravos.)


Et, en eITet, apres qu'il eut préparé, pewlallt deux moís,
cette arlllée, que lit-il'?


100,000 Allemands- bordaient la frontiere. L'année dn Rhio j
SOllS Pichegru, élait neutraliséc; Hoche projette de se jeter
entre les Prussiens du Palalinat el ceux des Vosges, de les cou-
per, d'enlever les lignes de Wisselllbourg et de passer aL!
cceur de l'Allemagne.


C'ét,lit Hl un plan llardi, il l'exécllte el réllssit malgré la
mauvaise volonté de quelques-uIls et l'altitude de Picllegru.


H se couvriL, dans celte campaglle, d'ulle gloire illlllwrtelle i
il fut forcé par les envieux de revellir dans ses canlOllUell1ents ;
on le surveilLüt, mais COlllll18 on l1f~ pouvait pas le frapper aL!
milieu de son armée, Oll prit le par ti de 1'en arracher, on le
nomma général ¿¡ l'armée d'ILalie.


S'il eút VéCLI, le COUtS ele }'hisloire dn monde eút élé challgé j
cal' on n'eüt pas vu, a la lde de ceUe arlllée, l'hoLllme qui
s'est précipité sur l'ltalie COlllllle sur une pl'Uie, muis le plu3
incorruptible des héros. (Applaudissemenh prolol1g(~s.)


JI arrive i.l Nic8, et c'est Hll g(~llériJl, un 1'1'61'e d'an1l8s qui I'y
fail arreler. -- C'est moi que \'OllS faites arfi~ler, dit-il, vous




DE HUCHE. 131


etes donc un gendarme? C'était déja un premier averli:::se-
mento


Des qn'il fut arrété, il demanda 11 etre conduit 11 paris; il Y
arriva, et c'est iei que je veLlX repr:endre ce que vous di::ait
tout a I'heme rnon tres-cher ami M. Rameau sur la détention
de Hoche a la Conciergerie.


On l'interrogea pour la forme; il ne reste aLlcune trace de
cel interrogatoire.


Malgl'é bes pn~occl1pations constantes de l'étude, du travail~
de la m~ditation, sa nalure véritablement gauloise apparajssait
et lui faisait supporter sa situation avec une véritable force
d'al1le et une grande sérénité ; il se donnait a ses amis, s'arra-
chant a S{~S occupLltiollS, el il sav3it paJ'fllitem€nt, dans ses re-
lations avec eux, apporter la familiarité et toutes les t:5duc-
tions de I'esprit que pOllvaient avoir les gentilshommes de
l'ancienne lllonarchie. A teiles enseignes qu'il avait déja été
distitlgné pour SOll esprit, dans les garcles-fran<;aises, par des
dames qui voulaient le f:lire passer général. (Rires el applau-
dissements.)


Cet abandon charmant, il le retrouve a la Conciergerie.
Apres avoi1' lu Séneque, qu'il trouve insuffisant~ il se reporte


sur Montaiglle pour aller bienLót plus loin, je veux parler de
Rabelais. Il ra~sérélla son espriL; el llons avons de lui des ob-
servations, des peiutures de mCBLft's, qlli donnent de l'esprit
de finesse et de l'hlimeur de Hoche une idée qui ne serait pas
indigne d'un moraliste dn XVIILe siecle.


Il était nécessaire de dire comment il sllpporta cette cruelle
caplivilé. Le 9 thermidor vint le faire sortir de prison. C'~t
ici que je renconLre les plus nobles qualités de son cceur et la
preuve de sa fidélité imperlurbable a défendre les hommes de
la Révolution.


Apres avoir fait partie de ce pa.le troupeall dont parle Ché-
nler, un homme vulgaire se fUt reLollrné, l' injllre a la bouche,
cüntrc la Hévolutioll dont il fút devellu, de pres OH de loin,
U!! ennemi acharné. Ah! que vous connaissez peu cel homme !
Ln jour que, le faisant revenir sur son passé, Oll cherchait a




t3~ A.\NIVEHS.HHE
l'exciter contre ses perséclltetirs, il arreta rudement son in-
terlocuteur et lui dit : Monsieur, est -ce que vous n'avez pas de
patrie?


(Applaudissements prolongés.)
Eh lJien, c'est précisément dans sa prison que Hoche ;]


monlré la véritable trempe de son caractere; c'est la qu'il a
eflicacement médité sur ce qu'il y avait de jl1ste~ de sage,
d'irrésistiblement yrai dans l'reuvre révolutionnaire, sur ce
qu'il fallait en laisser, en dégager, en éliminer; et ce sont ces
méditatiolls et ces réflexions qui ont fait le gl'and homme de
guerre de la Vendée. C'est paree qu'il avait vn de pres ce
qll'il y avait an fond des pas~ions politiques; c'est parce qu'il
avait pu mesurer ces plaies sociales et politiques, et conllaltre
la vérité des accusations des llns, ainsi qne l'elIronterie des
autres, qll'il va tout a l'heure aI)porter toutes ses grandes
qllalités dans lo guerre civile et que vous allez le voie appa-
raitre la plus grand, plus sublime encore que devant l'étran-
ger. (Applaudissements.)


Oui, messieurs, a ce moment, la France menacée par l'ELI-
rope avait des ellfants assez dénaturés pour conspirer son dé-
membrement, sons l'mil meme de l'ennemi. C'élait le moment
ou la fIotte anglaise bordait nos coles; c'était le moment flu'on
avait choisi pour le ver le drapeau de la révolte dans une partle
de la France; dix générau~ en chef, cent cinquanle division-
naires, des eommissaires 8xtraordinaires étvaient passé dans ce
terrible pays de la chouannerie: tous avaient échoué! Les
guerriers et les politiques s'étaient déclarés impuissants; la
Convention, et plus tard le Direetoire, en étaient réduils a
traiter de puissance a puissance avec ces rebelles. Bonaparte)
entre autres généraux, y alla, mais il craignit de s'engager
dans une mauvais8-soie, il vit le pays, revint, el il ne fut
plus jamais possible de l'y réexpédier. (Sourires.)


Hoche e~t un autre homme, messieurs; et e'est préeisément
paree qu'il est mis en pré::-ence d'une immense difliculté, d'lll1
terrible probleme a résoudre, que, qllelles que soient les dif-
ficultés a vaincre, les tristesaes qu'il fauura surmollter, eL pro-




DE HOCHE. 133
bablemenl, dans S3 pensée, la méconnaissance des services
rendus a laquelle il faudra se résigner, il vouura se dévouer a
cette tache ingrate. JI fallt, dit·il, résoudre le probleme ou pé-
rir; ce probleme, il I'a résolll. Voici comment: il1'a résolu de
deux manieres, en général el en hornme d'Éta t; en général,
en sachant opposer a ces choua!1s, a ces bandes qui apparais-
saient au nombre de quinz e, de vingt, de cenl et de deux
cents hommes, qul fuyaient comme le nuage, qui fondaient
tout a coup sur les troüpes, qui étaient insaisissables, qui ap-
paraissaient partout et qu'on ne rencontrait nulle part ; en op-
posant a ces invisibles ennemis qui sortaienl des fossés et fai-
saient fen derriere les haies, qlli avaient recours au pillage et
11 ¡'incendie, en ¡eur opposant a la fois l'immobilité et la mo-
bilité, en faisant un grand nombre de camps retranchés el en
ciéant des colonnes moLiles. Des camps retranchés se reliaient
depuis le département de Maille-et- Loire j usqu'a la NOJ'man-
die, et, en merne temp3, parLaient comme les doigts de la
main, des colonnes mobiles chargées d'opérer contre les ban-
des; et alors, 8elon une terrible expres3ion, on n'accordait
que « la capitulat.ion des ba'ionnettes. »


Mais voici oLl son génie apparalt. Il dit: Ces rebelles sont
des Frall~ais) ce sont des freres, il y a parmi eux deux parts
a faire : il y a les pauvres, le~ paysans et ceux qui les exploi-
tent, et c'est la que 1'01l constate ce qu'il y avait dE: sensibi-
lité exqllise, de tendresse dém(Jcratique, de véritables en-
trailles plébéiennes dans ce superbe héros; en voyant cette
masse tIe paysans aveuglés, égarés comme un troupeau de
bmufs que pousse par derriere un patre irrité, il se dit: Non,
llon~ il faut leur faire grace; iI faut leur faire comprendre •
qu'on vient les délivrer de la dimeet de la corvée.


A cette politique qui allait au cmur du paysan, iI en ajouta
une autre bien alltrement hardie pour l'épúque ; il dit, il écri-
vit : ( Dans ce pays, vous n'anrez la paix, le calme a l'avenir,
qu'a vec la tolérance religieuse. )) II fit mieux que de le elire et
de !'écrire : iI mit ce principe en pralique. C'est la, dit-il) le se-
cret de la pacification. (Applaudissements.) Vous voyez par la


8




,134 ANNlVERSAlRE


comment cet homme, parfllitement révolutionnaire, véritable-
ment imbu des principes, des senliments, des aspirations de
la Révolution, a pu réussir en jOlgnant la modl~ration a l'in~
flexibilité. Il n'est pas inutile de feuilleter la vie de tels hom-
mes et de leur remire cet hommage suprcme que Tacite ré-
c1amait pour les grands citoyens, non des louanges, mais une
fidele imÍlation de leur conduité.


Cette vie~ on pOllrrait la retollrner dans fous les sens, elle
doil devenir le catéchisme des enfants dll département de
Sein'e-et-Oise, il faut leur apprendre l'origine, la vie de
Hoche, les efforts qll'il a faits pour ne pas res ter inférieuf aux
postes qu'il occupait. Car a mesure qu'il montait, son cerveau
s'agr3ndissait, s'élargissait, montait aussi, et il finissait par
honorer la fonction dont il était revétu, si élevée qn'elle put
etre. (Applaudissements prolongés.) El vous allez voir, meS-
Eieurs, aquel point iI était un homme sllpérieur, et cambien
nous avans besoin de nous inslruire it son école; apres avoir
dompté en six semaines la révolte et rendu a la République
l'Anjou, le Maine, la Bretagne, la Normandie, au moyen de
cette force combinée de la répression terrible et de la dau-
ceur, apr~s avoir proclamé l'état de siége, le lendemain du
jour ou il a vaincu, il proclame l'amnistie. (Bravo! bravo! -
Triple salve d'applaudissements prolongés.)


Messieurs, les regles de la politique sont éternelIes, paree
qu'elles reposent sur la morale et qu'il n'y a pas de politique
vraie, efficace, fructueuse, quand la force viole, meme mornen-
tanément et passagerement, les priucipes éternels de la jllS-
tice et de l'humanité. (Nollveaux applaudissements.) Cet
homme de guerre, qui a mis son honneu1' - c'est El certai-
nement sa plus grande gloire - non pas a s'appeler un grand
capitaine, mais a etre un pacificateur, cet humme moissunné
avant la saison, cet homme pouvait 1'endre a la France le plus
complet, le plus noble de tous les services, oui, iI pouvait
montrer au monde de quoi la France est capable, daIJs la paix
camme dans la gllerre, quand elle a des enfants dévoués, ré-
solus, que rien n'ébranle, qui ne veulent pas désespérer.




DE HOCHE. 135
('triple salve d'applalldi~sements.) En face de ces Anglais qu'il
avait vus~ - admirez la noblesse de cet homme, - qu'il avait
vus él Qlliberon canonner les royalistes acclllés a la presqu'He,
il avait conc,;ll contre ce pellple une aversion, une colere qui
sont heureusement passées de mode aujourd'hlli; il reva, non
pas ce reve insensé, que plus tard vOlllut réaliser, pour son
propre compte, un aventurier plus hardi, non, un réve désin-
téressé qui n'avait pas pour but d'écraser une nation libre,
mais d'affranchir une population noble et malheureuse, iI reva
cette expédition d'Irlande ; on la traitait de chimérique; mais
que ceux qlli en parlent san s avoir interrogé l'histoire, pellt-
etre, se fassent apporter les rapports, les travaux qui se ral-
tachen t a ce proj el.


Ils verront que Hoche, sans éducation premiere, par la
senle force de sa volonté, s'était trouvé a la hauteur de la tache
qu'il méditait d'entreprendre. Cette expédition avorta par la
fante de la vieille organisation de la marine; les anciens 9ffi- ,
ciers de la marine royale ne voulaient pas étre com-
mandés par un général de l'armée.de terre ; Hoche voulait tout
simplement étouffer la eoalition dans l'amf. PHt a eu a ce sujet
un mot éloquent et cruel: « L'armée franGaise et Hoche ne
nous ont échnppé que paree qu'ils se sont mis a l'abri sous les
tempétes. »


Hoche sentit qu'il n'avait échoué qLl'a cause de la haine, de
l'envie de rivaux qui ne le valaient pas.


Plus tard, il alla eommander l'armé~ de Sambre-el-Meuse ;
la, il fut ce vaillant héros qui poussa jusqu'a Vienne, qni, en
quatre jours, fit trente-cinq lieues a partir de la frontiere,
arriva a Francfort, passa la r¡viere, et la fut arre té apres avoir
gagné trois ou quatre batailles dont vous avez les nams sous
les yeux el que je ne rappelle pas, paree qu'il esL pénible de
rappeler des souvenirs de glairo, alors qne notre devoir,
a nons, nous condamne a ne rappeler que les dé sastres immé-
rités que nons avons du subir. (Vive émotion dans l'audi-
taire. )


JI llurait pu pousser jusque sur le Danube, il fut arreté par




136 ANNIVERSAlRE


Berthier, sur un ordre venu d'ltalie; Bonaparte venait de
conclnre un armistice, et Hoche, ce grand soldat, était telle-
ment resté civil, patriote, répllblicain, qll'j} n'eut, an sein de
son triomphe, qu'une seule parole: ({ Ah ! quel bonheur, nons
avons la paix, et nüus la devons a d'alltres. »


Vous ~avez, messieurs, qu'all retour de cette glorieuse cam-
pagne de quatre jours, dans laqllelle il avait enlevf~ 8,000 pri-
sonniers, des canons, et tontes les positions dé I'ennemi, il
fut récompensé par un ordre du jOllr qni declara qu'il avait
bien mérité de la patrie.


Il poussa la modestie, qlli est une autre qnDlité du guerrier
républicain, jusqll'a éloigner cette couronne et a faire un
rapport spécial ou il établissait que c'était aux autres qll'il
devait tout. Rare exemple, messieurs, qui devait se perdre
bientot dans les armées républicaines, car Oll vil, moins de
deux ans apres, tonLe l'habileté d'un homme s'appliqller, non
pas seulement a gagner des batailles, mais Ü vOllloir les a voir
gagnées tOllt seu!. (Applaudissements.)


Mais il ne faut pas parler senlement de Hoche comme mili-
taire et comme homme de gllerre, all point de vue spécial de
l'orgatlisation des armées, de cette sollir.itude du général qlli
veille sur les besoins les plus hllmbles du solda t, surveillant
tous les services, le sen'ice de sanLé, le service des vivres,
et par-dessus tOllt, gardallt le S8cret le plll~ absol u sur ses
opérations, dirigeantlui-meme cetle organisation de l'espion-
nage qu'on a laissée de coté, comme s'il sufllsait a certains
généraux, non pas d~ vnincre, mais d'étre surpris (Applau-
dissements et rires) , il t'aut encore relenir de cetle exisLence
cette qualité dominante, le civisme. Jl cOllsidérait la guerre,
non-seulement comme uu exercit~e des plus difikiles eL des
plus nobles facultés de rhomme, illa consiclérait aussi comme
un état passager, vioJenl, momentané, et il gardait, anssi loin
que le menait la fortune des armes, l'image de la patrie et du
foyer, ne séparant jamais la profession militaire des droits et
des devoirs civiqlles.


C'est par Hl surtout que Hoche est digne d'étre ·cité en




DE HOCHE. 137
exemple a une natíon quí, qllels qlle soient les pl'éjugés, les
résistances, les entraves, ou les intéréts qui se croiront
froissés, fera de tous ses ellfants des soldats el des citoyens.
(A pplaudissements.)


Je ne vous parlerai pas de sa mort; vous savez, messieurs,
combien elle fut sLlbite et mystérieLlse; il faut jeter un voile
sur les derniers moments de cette existence, car nons ne
sommes pas ici pour résolldre des problomes historiques, mais
ponr nOLlS inspirer des rares vertlls, des nobles qua li tés et du
gl'anJ caractere de notre héros, ponr nous dire qu'a son
exemple llOUS pouvons affiemel' hautement que la démocratil~
qui monte, qlli travaille, qui étudie, qui ne demande qlll~
l'ordre, la paix sociale, sent que lOl1S ses intéréts ne sero!; t
satisfaits yu'illa conditíon que la France soít grande et indé-
penqante comme nation. (Applaudissements.) De la, messimlr~,
le devoir de ne jamais séparer ces del1x buts, le relevement
moral et le reltwement matériel de la patrie, de telle sor te que
nOllS n'ayons d'autre préoccupaLion que de dOllner a no~
enfants, a la gén€fiÜion qui vient - car eelle qui exi~te, qlli a
subi le spectacle de lOlls ces désastres et le contact de toutC's
ces déf3illances, touL eo redoublant d'efforls~ ne peut plus
compter sur elle seule pOLlr rdaire la patrie - de confler,
dis-je, a la génératiofl ql1i vient aprt~s nons, a cellX qui ont
l'ame toute lleuve, les germes qlli devront s'épanouir plus
tardo C'est a eux qu'il fallt adresser ces gralldes leGons, iI n'ell
est pas de plus juste, de plus néeessaire a lellr répéter coos-
tamment que la loi dll travail, forrnulée dan::; cette devise de
Hoche que \'on vous citait tout a ['heure: Hes non verba.


Jeretiens uneautre formllle qll'il avait faite sienn8 apres avoir
lu la Vie d'un président de la République, de \Vitt: « Ago qLlod
ago, » je fais ce que je fais. Oui, faisons ce que nous faisons,
ne cherchons pas a lout résoudre, ne pensons pas qu'il existe
un moyen de rendre uniforme le bonheur gént':ral, de résoudre
tous les prob;emes a la fois, ago qLlOd ago. Que tous nos amis .
qui soot iei, que ceux qui sont en province nous donnent cet
exemple du tra vail a tous les degrés, dans les Conseils munici-


8.




138 ANNIVERSAIHE DE HOCHE.
paux, dans les Conseils générallx, dans tous les corps électifs ;
qu'i1s se souviennent de la grande formule avec laquelle Hoche
et d'autres délivrerent la France, qui enfanta tant de pro-
diges et qui nOllS inspire aujourd'hui la grande formule
moderne: (,( Du travail, toujours dll travail, et encore du tra-
vail. »


(Les derniers mots de l'orateur sont couverts de longs et
chaleureux applaudissements.)




DISCOURS


PRONONCÉ A LA FERTÉ-SOUS-JOUARRE, LE 14 JUILLET 1872


POUR


L'ANNIVERSAIRE DU 14 JUILLET


En me levant au milieu de vous, chers concitoyens, ma pre-
mH~re pensée est pour nos morts. Elle est pour ceux qui nous
ont permis, par le sacrifice de leLlr existence, de nous rassem-
bler librement alljollrd'hlli, ici, dans le département de Seine-
et·~1arne, non loin de ce Paris, qni doil rester, quoi qu'on dise
et quoi qu'on trame contre lui, l'initiateur de la France et la
capitale intellectuelle du monde. (Approbation générale. -
Applaudissements. )


OLli, c'est une pensée pieLlse avant tOllt qui nOllS rassemble,
non-seulement SOllS ces fragiles tentes, mais qlli, dans tOllte
l'étendue de .la France, réunit tous les républicains. C'est une
pensée pieuse que de féter eL célébrer la grande date de la
Révolution fran<;.aise en recherchant avec calme, ave e sang-
froid, avec résolution, ce qui a été commencé par nos peres,
ce qu'ils nous ont légué et ce qu'il nous resLe a faire, ce que
nous avons laissé d'incomplet et ~d'inessayé dan s leur héri-
tage.


Non -seulement nOllS devons rechercher a vec patience queIs




no DISCOUHS
ont été leurs mérites, mais nous devons encore nous exciter
par la comparaison en voyant cambien nous sommes en retard
sur eux et combien 1J0us a vons a faire ponr n'avoir p:}s a subir
une comparaison yéritablement fachense ponr nons.


Trois quart~; de siecle se sonl écoulés, el nons sommes en-
core a disputer, contre les souteneursdu passé, non-seulement
l'établissement de la justice et du droil, nO,ll-Selllement }'éman-
cipation rRelle et virtuelle de tous et de chacun, mais jnsqu'au
nom meme de la Républiqlle. (Applaudissements proloIlgés. -
Acclamations. )


l\Ies amis, iI est nécessaire que ces rénnions soienl des réll-
nions d'hommes libres, c'est-a-dire d'hornmes sachant contenir
let1rs sentiments. Aussi, queHe que soit la sympalhie avec la-
quelle ils venlent bien accueillir leur ami et, je pcux bien le
dire, lenr représentant, ils doivent, el pour lui et pour eux, lui
épargner des applaudisscments on trop prolongés on trop pré-
cipilés. (Marques d'approbation.)


Je tiens a le dire, ce n'est pas une pensée d'orgueil, ce
n'est pas une pensée de joie qui nons a réunis ici; non, c'est
une pensée presqLle triste. Ce doil etre pOllr nom, en effet, une
C:lUse de véritable tristesse qu'au lendemain de nos désllstres,
qui onL tons leur origine dans la violation des principes de la
Révolutioll franGaise, qll'au lendell1ain de ces effl'oyables mal-
heurs attirés sur ce pays par trois monarchies successives~
nous en soyons encore a dispuler sur le droil de nous réunir,
de nous assembler ; que nous soyons encore obligés de répon-
dre a ces accusations de désordre que nous fait cette presse
stipendié8, qui ne poufsuit, dans toutes les occasions et p~H'
lons les moyens, qu'un seul but : apeurel' la France, en voulant
1 uÍ faire croire que nOLlS sommes des forcenés ; cette presse
déshonorée qui, toutes les fois que nous cherchons a nous en-
tretenir de nos intéréts communs, qui sont los intérets memes
de la patrie, ose affirmer devallt le pays que nous ne recher-
chons que l'agitation et le désordre.


C'est pour cela, messieurs, que je vous demande le calme.
S'il était permis a ces oisifs de la presse dite- légére de venir




A LA FERT~-SOUS-JOUARRE. 1 41
parmi nous et de v0ir ce que c'est fIu'une rél1nion de travail-
l('nr~ qni profHent dll dimanche pOLI!' féter a l('l1r maniere cell1i
<lni doit tOlljours resLer le diell du travail et des sociétés mo-
c1eroes, c'est-a-dire le droit (Salve d'appblluissements.); si,
dis-je, illeur était donné d'étre an milieu de VOU~i, ils verraient
que ce quí vous a attirés ici, de trente a ql1arante lieues, ce
n'était pas la pensée de faire, au milieu cl'un champ, un ban-
qllet, dont les restes, qui sont la, térnoignent de votre sobriété.
lIs verraient que ce n'était p:1S pour venir faire sous la plllie
une réllnion tllml1ltlleuse et agitée. (Rires approbatifs. - Tres·
l,' , '1" b' ') IJlén • - res- len.


Allssi, messieurs, sernble-t-il nécessaire d'apprendre, par
notre ca]me ttllX ignorants, allX simples, aux illditIérents, qll'on
abllse et qn'on exploite contre nOl1s, que nOllS sommes murs
pOLlr l'exercice de toules les libertés, et qu'on peut, en France,
comme dans la libre Amériql1e, comm~ en Suisse, et comme
dans I'aristocratique Angleterre,. se réunir et discuter sans
qll'un chenil immonde d'aboyeurs de la p'l\esse vienne jeter le
trouble dans le pays. (Double salve d'applalldissements.)


Olli, ces réllnions sont bonoes, je dis plus, elles sont néces-
saires.


Elles sonl nécessaires h plusiellrs points de Vlle: d'abord
pour rapprocher les deux fractions de la société franGaise que
la Hévolution de 8D yvait·associées et réunies et que les trois
monarchies snccessives, épaves dll vieux monde, se sont ingé·
niées, depuis trois ql1arts de siecJe, a diviser, 11 séparel', a jeter
les unes sur les autres les armes a la maill.


En second lieu, ces réuuiollS ne sauraient étre trop mlllti-
[Jliées, sllrtollt au cmnr des campagnes; car 011 ne sanrait trop
souvent visiter face 11 face cüllli qui vit sur le sol, qlli le féconcle
de ses slleurs, ql1i manque de rnoyens d'information avec la
ville ql1'on lui représellte comme un foyer de sédition, d'anar-·
chie, cherchant ainsi, p<1r la division de classes semblables, par
la divisiol1 d'intérets cOl1c"iliables, a créer un antagonisme ql1i
e3t le fOlldement méme du despotisme.


Oui, jI fallt que ces réllniotls se ITIlllliplient, et, a travers les




14·2 DISCOURS
amertumes du présent, si j'ai une joie, une espérance et une
eonsolation, e'est de voir qu'au mépris de toutes les entravcs,
de tons les obstacles, il y a alljollrd'hui, dans tous les dépar-
tements fran<;ai5,. des assemblées pareilles oll l' on est persl1ad0,
que e'est par la rencontre, par la fréquentation, par la conver-
sation, que ces deux freres, le paysan et l'ollvrier, l'homme
de ville et I'homme de campagne, doivent etre réllnis et asso-
ciés par leur frere ainé, cellli qui appartieut a la bourgeoisie el
qui, grace a une fortllne antérieure ou a des sacrifices humé-o
diats, a obtenu une éducation qui doit en faire a la fois un in i~,
tia teur et un guide. (A pplaudissements prolongés.)


Je dis que des réunions semblables a eelles que nous avons
en ee moment ont lieu, a l'heme qu'il est, sur tous les points
du territoire" a .Marseille, a Bordeaux el a Lille, a l'ouest et au
sud, a l'est et an nord. Et si I'on a t.Ollt fai~ pour les empéeher,
si l'on a cherché a mettre l'administration eontre ces réunions,
si les timides et les apeurés dont on vous parlait tout a l'heure
ont tenté d'apporter des ob~tacles a l'éclosion de ceUe magni-
fique fédération morale, savez-vous ponrquoi? C'est paree
que, le jour ou, apres vous etre réunís, vous vous reconnal-
triez, il n'y aurait plus moyen de prolonger ni le provisoire.
ni les équivoqnes, et ce jour-la, le nombre :lurait Je droit.
(Applaudissements répétés.)


Eh bien, au 14 juillet 89, cette unité morale, sociale et po-
litiqlle existait en France. Elle était le fníit d'intérets recounus
égaux et qu'il s'agissait de faire triompher, el elle se fit jour ti
eette date, pour la premiere et pour la plus décisive fois, dans
ce glorieux París, initiateur du mouvement conlre Versailles,
qui réc1amait, avec ses franchises municipales, des libertés
politiques pou\' tout le pays, une Constitution nationale él
l'expulsion des hordes étrangeres. Paris alors était groupé!
entendez-le bien; Paris formait comme un faisceau ou le bour-
geois, l'ouvrier, le peuple, tout le peuple, ce que l'on appelait
le Tiers, concouraient sans division, avec une unité d'action
admirable, a I'ceuvre nfltionale de la Révolution franQaise, car
vous n'avez qu'it compter cell'\ [[ni Sf~ hattent pou!' prendre l:t






A LA FEHT~;-SO[J~-JOUAHHE. H3
Bastille el ceux qui les meneut dans ce granu jour~ vous les
trouvez tous réunis, depuis le penseur~ le ptlbliciste, l'ouvrier,
le garde-franGaise, l'électeur, le marchaod jusqu'au simple
tacheron! lis y sont Lous, Lous représentent )'unité franGaise
réclamant ses droits; tous assemblent leurs efforts contre le
Hoyal-Allemand, les Suisses et les lansqueQets et contre les
tyl'ans, non pas seulement ponr renverser une Bastille de
pierres, mais ponr délruire la véritable Baslille : le moyen age,
le despotisme, l'oligarchie, la royauté! (Salve d'applaudisse-
ments. - AccJamations !)


Eh bien I messieurs, e'est cette admirable, cette incompa-
rable ul1ité d'action qui a été dissoute, qui l'a été par les
efforts associés de l'Église et ele l'aristocratie auxquels se
joignit, plus tard~ un autre élément qui apparut en meme temps
que le triomphe inespéré, trop complet peut-etre, d'une pre-
miere couche dn Tiers-État : les intrigants!


On vit ceux qui avaient été les guides, les initiateurs, les
conducteurs de ce grand mouvement révolutionnaire, qui
n'éLait pas seulement la libération du citoyen, du FranGais~
mais qui était l'affranchissement mell1e de tont ce qui respirait
dans l'humanité~ de tOllt ce qui portait le nom d'hommes, on
les vit un jour s'arreter sans tinir leur reuvre.


Mais il faut voir aussi comment fut accueilli, par l'univers,
ce grand fait de la prise de la Bastille. Partout ou il y eul des
creurs générellx, coulerent des larmes de joie en apprenant
que la Bastille avait (~té prise, et que c'était le peuple de Paris
qui venait de détrnire celle forteresse de la tyrannie, ce sombre
el mena<;ant symbole de l'oppression morale el matérielle des
Fran~ais~ c'était partout l'allégresse; on s'embrassait daos les
rues de Saint-Pétersbollrg; en Allemagne, il n'était pas un
écri vain, pas un philosophe qui ne poussat un cri de joie el de
satisfaction; en Italie, c'était un ravissement j de meme en
SlIcJe, en Norvége, en Angleterre, el jusqu'au fond de la ca-
tholique Espagtle, les hommes s'ahandonnent allx memes pal-
pitatiol1s1 aux mAmes etfusions de bonheuf, a cette grande
nouvellc.: la Bastille est lombée.




DISCOURS


Pourquoi done cel ama:) de pierres disjointes c3usait-il tallt
de joie? C'est qne 1'0n sentait que le vieux monde était fini el
que la chule de la Da:,tille annonc;ait un monde nOllveau, ie
monde de la justice, dLl droit et de la digniLé il1dividuelle;
c'est parce que le mOllde civil el la volonté lalque apparais-
saient a tons el faisaient pour la premiere fois lellr entrée dé-
tinitive. (Bravo! bravo! - l\pplaudissements prolongés.)


Ah! il fallait a tout prix empécher une telle victoire el
surtout en réduire les effets, contenir l'expansion; ji fallait
I'empécher de gagner de proche en proche, 1 'empecher de
passer la frontiere et de se répandre sur toules les contrées de
¡'Europe 1 et alors une ligue infame commenc;a. Les vairlClls
uu dedans, trois jOUl'S apres la prise de la Bastille, les d 'Artoi:"
les Conti, les Condé, tOllS les privilégiés, tous les aristocrales,
les noblEs, les pretl'es, tous quiltellt la Franee el s'en vont
chercher l'étranger. (Explosion de bravos.)


Dans ce grand mOllvement qui venait de s'accomplir\ la
Hépublique était impliquée; ils I'aper<;urent, car ils étaienl
clairvoyants; 00 les a accusés de trahison~ el on a eu raison i
on les a accusés de sottise, et 00 a eu tort; ils comprenaient
bien que c'en était fait de leurs priviléges el de leur puissance ;
ils sentaient qu'on oe ramenerait jamais la France émancipée
sous le jOllg de la royauté, SOllS la tlltelle des pril1ces et sous
]a dominalion de cette lepre dévoraute du clergé (Bravo!
bravo 1), si I'on o'y mettait la main de l'Europe coalisée.
(Sensation.)


El voila comment les faits s'enchalnent, l'un entralnallt
l'autre! 11 est bien certain, eo effet, que le 1.0 Aoút, que le
22 Septembre, que les journées les plus décisives de la Révo-
lution franc;aise sont contenues, sont impliquées dans ce pre-
miel' fait qui les enveloppe : le 1.4 jllillet 1789.


Et voila pourquoi aussi c'est la vraie date révolutionnaíre,
celle qui a fait tressaillir b France; eelle qlli l'a fait lever
jusque dans la derniere de ses commUll8S; celle qlli a fait surgir,
comme par un COllp de baguütte magiqlle, un citoyen dan,:"i le
dernier des serfs, dans le plus humble, dan s le plus intime des




.\ L.\ FEI\T.E-~ULJ~-J(JU.\lliiE.


trl1vaillelll's. C'est pourquoi le 1'1: juillet n'est pas une date
monal'chique, et vous voyez qu'nn oe la revendiqtle pas de ce
r:üLé, qlloique ce grand fait ait eu lieu SOllS la monarchie ; on
comprend que ce jonr-Ia notro nonV8011 Testament 11011S a été
donné, et que tOllt doit en découler. (Oui! Olli! - Applaudis-
sements.)


I\'lais, messieurs, il ne sutlit pas de mesurer l'étendue et la
profondeur de cet immense év(~nemel1t; ji fant n011S rcganler
nons-memes el dn plus pres que nOllS le pourroi1s. 11 faut
nOllS expliquer a nons-memes pOl1rquoi Cl~L admiralllfl mOllV8-
ment s'est égaré en ronle, ponrqllni il él dc'crit, it ll'tl\er:"l notro
doulol1reuse histoire, un chemin si brisé et si torL118l1X; il faut
rechercher il quí incombe la responsahili té de tant de détours
et de l'etards, et si elle n8 doit pas elre sllpporté2 p::tr p!llsieurs.
11 faut, en UIl mol, que nOll:"l fassil)l1s noLre propre examen de
conscience; que llOllS sachiol1s pOllr l'avenir quels sont ceux
qui ont en des défail];lllces dans le passé, aUtl que, groupés,
unis, connaissant bien la route il sllivre, nous n'ayons plus ni
hésitation ni cOllardise. (Ollí! - Bravo! - Applaudissc-
ments.)


Eh bien! que s'est-il p;lssé apre:.; l'úmancipation légale des
citoyens, apres ce dOll milgnif¡que (le joyeu\ avénement de la
H.évolutio!l fran<;aise, qui prend dan:; son sillon, Ol~ il crOLl-
pissait comme une bete de SOlilll18, le paysan, qlli le redresse
et lui fait figure 11llmaine, - qlle dis-.ie, qlli lui rait figure civilc
el polilique et qui ¡Iti dit : CeLLe terre e::it i:t toi: c'est la passioll
dominante, tu l'aimes, tu la lravailles, III la f(~conde~; tu sens
la toutes les joies qlli appal'tienlJ811t a l'homme sur son propre
fonel; chaque jour tu omes ceUe ll1aitres~e, tu la slIl'v8illes
avec des soins jaloux, ne permetlant tl'empiétemellt 11 personne
mais cherchant tOlljOurS il l'agralldir, a l'alllplltler, mettant
conslamment dans cllaqlle pli, daos chaqu8 recoio, l'empreinte
de la personnalité avec ceHe de ton travail: eh bien, ce travail
de chaque jour, ce Iravail accll!nulé, ce lravail assocíé ata
perSO!ln8, c'cst ton bien, c'est ta propriété, il est a toi! (Sen-
~ation profonele. - K.;plosion tl'appIauüissemenls.)




D1SCUUHS


Voilb. ce qu'a faít la Révolution franc;aise pOllr le travailleur
des champs:


Eh bien, le voila livré a lui-meme sur ce morcean de terre.
Et ceux qui Ollt dirigé ce mouvement estiment qu'on a assez
fait pour la justice!


Qllant a lui assurer la compi'éhension de ces principes, pour
lesquels ()n vient de verser tant de sang, Cluanl a lui donner
l'intelligence de ses droits el de ses devoirs dans cette nouvelle
société,quant a faire de cet homme une comcicl~ceapres en avoir
fait un propriétaire (Bravo! bravo !), oh! ce sont la des soucis
ql1i ne mOl1 tent pas j Llsqu'a la tete de ces grands égolstes, OU, s'ib
y montent, ils les considerent comme dangereux et périlleux.


Et a1ors, depuis le Consulat jusqll'á aujourd'hui, on n'a plu!:l
en qll'une seule préoccupation, barn~r le chemio a ces intelli-
gences, refuser de les éclairer; car c'est la, puur ces égobtes,
que réside le véritable péril, c'est la qu'est pour eux l'effroya-
bIe danger. (Adhé~ion.)


C'est précisérnent, messieurs) paree que vous vivez dans un
pays Ol! le nombre est beaucoup, oü iI pellt f}llelquefois elfe la
force, ce qui importe peu, mais Ol! il pent etre la légalité, ce
qui est terrible; c'est pour cela que, tour a tour, vous eles pas-
sés de l'oligarchie de quelques-uns au despotisme d'un seul,
et que vous avez vu se ranger derriere César toute cette lJg'ion
de propriétaires qui ne cherchaient que la sécurité, et ib
a vaient raison; mais qui n'étaieu t nullement tentés par la di~
gnité personnelle~ qui restaient a l'écart de lout mouvemenl et
de tout travail des idées, qui, oublieux de leur honneur civi-
que, ne regardaient pas comme une tache Illora.le de donner
leur bulleLin a celui ([ni le sollicitait, et celui-lit, vous l'avez
bien connu, c'était toujolirs un (lgent du maUre I (Vive appro-
bation. Applaudissements.) ,
C'e~t la, messieurs, qu'est l'explicatiol1 de toutes nos déca-


dences, de tOllS uos dé~;astre::l; c'est dans l'esprit d'étroiLesse,
d'exclllsion, de diminution olig-archique de ql1elques-uns e!.
dans l'abémdon inintelligent du plus grand nombre dont OH
exploitait l'ignorance.




11.1


Il faut faire cesser celte silllalioll; comment? par la résolu-
lion, prise par CClIX qui ignorent, de vouloir s'illslruire; mais
iI ne faut pas qu'ils so bornent ú une résolulion platonique, il
faut qu'ils en exigenL l'exéculion par le meillclll' des moyeils,
en prenant des rnamlataires avec mandat impératif de l'obtenir.
(Tres-bien. -- Bravos.)


Car enfiu, iI falldrait se fixer sur les vérililb!es responsabi-
lités, comme jo le disais tout a l'heure, Eh bien, cst-il vrai, oui
ou non, qu'a ¡'heme oÍ! l]()US sommes, grüce á la condllite ha-
hile, illtelligentc: patriotique de llOS Ílltéréts par le président
Je la Hépublique, on va [aire un appel immense, inOUl an cré-
Jit par I'emprunt? EL cot Clllpl'llnt si lourel, si effroyable, que
cepeudallt il faut couvrit, avec empresserncnt, et, pour ainsi
dire, avec le meme élall viril quc s'i! ~i'(1gjs.3ait de faire une vé-
ritabIe action héfolquc, cal' JI S'Ll3it de ll1:Jiiltellir le erédit de
la France au-deSSllS du l¡air, cot ell1pnltlt ~Cr[lSLlDt n'est-il
pas une des Cot1s~qllences de 1:J guerre qui Ll été Jéclarée en
1870? Et ji n'y ama que de misérable:-i sophisles qui oseront
soutenir le contrairc en cherchant it faire c)ublier qll'il y él un
homme ([ni, sent;tnt l'opinioll qui le pressait) ~entant :-:a cou-
ronce éhranlée sur sa téle, et vOl1lanL :l lout prix la trammetLre
a un minen!' incapable, n'a p:1S cr;únt dn jeter ce Pdys dans les
aventure::. POlll' 6tolliTer le ni ues réclaU13tions populaires, il
déclarn la guerrc vous savez dans queiles conclitions; il nOllS
livra désannés ü un peuplc qili, depni:, soixante atlS, 110US
gnettait, el quí ltvait pris se~~ dispos¡tious, n(l[l pas pOUi' éviter
cl'étre surpri:-, mais pum nous :1 ccahler.


Cet hommc a víJulu la gllcrre sans le consc!ntement de la
nalion; la guerre a éLé soutcnl1e et prolongée~ fose le dire,
asee l'assenlimcnt de l'hollneur national. (Ouí! olli!:! Aujour-
li'hlli il faut payert Avec qlloí fant-i¡ payer? Il fallt payer avec
jc~ fruits dll travail, avec l'épargne, avec eet argent que tOllS
lps jOl1rs llmassellt péniblcmellt, diflicllltuellsement, ceux de-
Yllot qui je p~lrJe en ce momenL; car vous, qui éles des travail-
leur::;, vous savcz le prix de l'argent, vous sltvez ce qu'il cOlIte '
~l gagner, vous connaissez la peine qu'on éprouve a en di:)-




Dlscouns
traire, meme une petite partie, sur ce qui esl donné aux besoins
de la vie de chaque jour, et pout'tant VOllS y parvenez quand
il fallt subvenir a l'éd.ucation des Jils, aSSllree b dignité ainsi
que l'honneur de la famille. (Salve d'applaudissemcnts.)


Eh bien, messieurs, croyez-Ie, si ron s'était occupé de po-
litique, si le peuple, instruit comme il doit l'étre, avait été en
état d'en faire, la guerre ne ftlt pas venue (c'est vrai !), car la
guerre et ses conséquences effroyables, - ne l'oubliez jamais,
- ne sont sorties que d'une chose, d'une chose immonde, qui
n été présentée a la France comme une garantie d'ordre el de
sécurité, et qui n'était qu'un complot perpét.uel contre la
moralité publique, du plébiscite! (C'est cela! aLli! OLlÍ 1 ap-
plaudissements. )


A ce ll1oment, le bruit calJsé par une pIuie torrel1tielle
couvre la voix de l'oratenr.


Le temps ne nous permettant pas de poursuivre, nous allons
attendre. qu'il devienne un pen plus clément.


Pour vous rassurer, je vous dirai que ce temps est tradi-
tionnel, malheureusement (on rit), et qu'a tous les anniver-
saires dn 14, Juillet il a toujours pIu. Ainsi, le jour oü eut
lieu la grande Fédération, la pluie tomba tou!e la journée,
ce qui n'empecha pas Paris tout entier, hUlIll11eS, fenunes, en-
fants, de toutes classes et de toutes conditiollS, de rester im-
passibIes sous les injures du cieI, paree. qne, en ce jour, ji,
s'agissait de preLer serment a la Hépublique. (Bravo! - Vive
la République ! Vive Gambetta!)


Apres une intermption de quelques minutes, M. Galtlbett.a
.


reprend en ces tennes :
Messieurs, puisque le cOl/rage et la patience que vous mOll-


trez égalent au moins la sympathie dont vous voulez bien me
donner une nOllveUe preuve, je crois que je n'abllserai pas de
vous en terminant les observations que je tiens a vous pré-


, senter. (Non! non I parlez!)
Dans les paroles qlli ont été prononcées jusqu'ici, nous




A LA FERT~~-SOTJ~-JOliARRE. ,I~, !)


n'nvons fail qu'indiquer tres-sommairement le dessein général
ues antagonismes que l'on a cr8és, excités, et finalement
exaspérés dans la société fran(jaise.


Ces indications n'únt pas été difllciles a vous uonner, et
vous complétiez par vos sOl1venir::l~ en m'écoutant, ce que le
temps ne me permet pas de dire; vous saisissiez ce qn'il y
3.vait de nécessairement incomplet dans les allusions que je
faisais soít a l'empire, súít aL1X régimes OH aux dynasties qni
!'avaient précédé.


Cal' í! est de mode alljollrd'hui, et il fallt s'en expliqueL,
pllisq1l8 l'occasion esl bonne (sourires), de considérer qll'il y a


,dellx especes de monarchies : une monarchie exécrable,
enntre Jaqllelle le parti républicain pourtant a été le seul a
lulter, c'est l'empire, qlle cellX qui se décorent dn nom'd'es~
prils r:1fllnés, d'hommes composant le parti des honnetes gens,
veulent bien regarder anjonrd'hni comme une chose brutale,
11l1possible et indigne de lenr fréquentatioD j ollbliant d'ailleurs
ql1'ils avaient figuré en grande partie dan s les ministeres et
uans le Sénat de cet empire. (Bravos! - Rires et applaudis-
sements.)


Mais nOllS ne pouvons pas laisser s'accréditer eeUe opinion
qll'il y a deux especes de monarchies; celle-la, dont je viens
de parler, et une autre qui serait ue bon ton, honnete, modé-
rée, qLli aurait une véritable supériorité morale sur tout autre
gouvernemerlt et qlli serait de nature a faire excellemment les
affaires'du pays sans le pays, ayaut d'ailleurs de bonnes rai-
sons pour se défier de l'esprit d'égalité, de l'esprit d'envie, -
car c'est ainsi qu'ils appellenL cela, - qui est le fond. de la
démocratie. (Rires.)


Eh bien, non! il n'y a pas deux especes de monarr.hie; iI n'y
en a qu'une; on a Oll on n'a pas un maHre. (Applaudisse-
rnents.)


Qu\m le serve sans phrases, comme SOllS l'empire, ou qu'on
le serve avec des péripbrases, comme cela se passe sous les
deux nutres régimes, constitlltionnel et tr<lditionnel, c'est
toujours la méme chose : c'est la nation asservie all bénéfice




,1 :SO DISCOnl1S


d'un senl, Jequel veut bien associer 11 ses agl'éable,s représen~
tations un certaio nombre de collaborateurs privilégiés. (Rires
et applaudissements.)


Nous connaissons les troi~; furmes ele monarchie : la pre-
miere, la deuxieme el la troisieme; eiles se sont succédé a
des intervalles malheureusement trop rapprochés daos noLre


. cher pays.
Nous avons Vl1 la premier8 rentrer ü la suite de l'étranger,


qnoi qu'elle dise, et vous savez, - puisque nous sommes ici
dans un pays de culture et de travail agricole, - vous savez
quels r\vaient été, des l'r1bonl, les proc8dés, les Gspirations,
les ten dances et, finalement, les moyens d'exécuLion de ce
qu'on a appelé la Restallration ; son lmt éLait de supprimer la
Révolution 1 et de replacer les clloses ell l'état oü elles étaient
le 13 juillet 1789. Et il ne s'agissait plus seulement pOl1r elle
de recnnstruire la 13asLille sur son empbcement, mais son
désir, sn volanté était de mettre la France entiere dans une
Bastille. (Bires el applauclissements.)


Ün peut bien rampre le courant révolulionnaire, le faire
dévier, le perdre dans les sables, comme le flrent le Consl1lat
et le premier Empire, mais Otl ne supprime pas heurellsement
la trace et le gerrne qu'il a laissl~s clans la pll.trie fr~ll~;aise.
(Vives marques d'approbatiol1.)


Le génie de la llévolution parfois s'éclipse, jI "e voile un
moment, mais iI reparalt plus éelatant, plus radiellx que .ia--
mais et, en somme, aux hellres oü la patrie sOl1ffre, oü elle
est envahie, ou elle agonise, c'('st ce géllie ver:.., leqllcl on se
tourne poul' lui dieo: « Génie répal'ateul', Géllie müme de la
France, EspriL ele la Hévollltion : Au secnurs! au seCOllrs ! Crlr
les monarcllies m'ont plongée au fond de l'ah1111e ! »


Et, an milieu de ces cris d'angoissc, en face de ces exc1a-
mations d'lln peuple en clétresse, Sllvez-vous ce qui se passe?
C'est alo1's que le parti républicain, le parti de la Révolution
appal'alt et se met résolúrnent ü l'cellvre pour arracher le pays
au gouffre, ü l'alJlme pret 1, engloLlLir ce qui resle de la gran-
deur el ele la n:1tionalité fran<;:aise! (Sensation.)




A L\ FEl1T1~-SOUS-.TOUAnnE.


Ensuite, quand cette ffiuvre a réussi ou a été entravée, on
voit surgir de leurs taupiniEwes et des recoins ou ils s'étaient
cachés pendant la tempete un tas de mauvais citoyens, de
rnallv¡¡is Fran<;1is qui viennent dire : « Ces malheurs, ces dé-
sastres, c'est la Révollltion qui en est la cause! )


De t811e 80rte que c'est le médecin, que c'est le sauveur qui
esl acctlsé d'avoir donné la gangrene et le mal. (C'est cela!
c'est cela! - Appl:llldissements prolongés.)


Si je clis ces eh oses, ce n'est pas s8nlement pour rétablir la
vérité a l'honnCllr de ce parti républicain outragé, calomnié,
décimé, tr:lllsporté~ saos treve ni repos, depuis soixante-dix
ans, mais si viv;-¡ce, si plein de ressources, ayant des racines
si profondes dan s le CCBtlr des pellples qll'il n'a pas disparu de
la scene du monde, apres des persécutions qi.1i auraient tué
meme une idrG plus féconde, s'il en pouvait exister une!
(ApplaLldissements. )


Non! non! ce n'est pas pour lui, ce n'est pas poue reven-
diquer ce qui fait son plus gnnd titre de gloire, qui est de se
jeter, sans compter, a11 milieu des périls qui assiégent la
France. d'y VOLler son existence meme. convaincu qu'on peut
périr, et que, si l'honneur est s311f, on a aa moins devant les
hommes et devant l'immuable juslice des choses, devant sa
conscience et devant la souveraineté de la raison, l'excuse
d'avoir succombé et péri en glorifiant ses principes et sa propre
conscience! (Bravos. - Applaudissements répétés.)


Si je parle ainsi, messieurs, c'est parce qu'en somme Hl est
le sophisme qu'on ressasse et qll'on exploite depuis tantót trois
quarts de siecle; olli, c'est parce que la vieille monarchie
banquerolltiere ayant mené la France au déficit. .. (Rires.-
Salve d'applaudissements. - Mouvement dans une partie de
1 'auditoire.)


Olli, messieurs j cal' vous ne de vez pas oubliel' que, bien
que ces privilégiés, ces fumilles eussent mis la main sur la
France et qu'il n'y efIt qu'un cinquieme de terres libres et
réservées aux citoyens les cultivant de leurs propres mains.
- vous ne devez pas oublier, dis-je. que c'est par le déficit et




152 D1SCOCl\S
la banquerouLe qne la monarehie fut :leculée a la convoca-
tion des Etats-Généraux. (OLli! - Tres-bien! - Applaudis-
sements.)


Bone, je mainLiens i la !11onarcllie l'épitht~te de banquerou-
tiere. (Olli ~ - Olli ! -I\ollveaux applaudissctllcilt:i.)


Une intel'rllDtion se fait enlenJrt~ al! fonc1 cl(~ la ~alle.
I


Cris: ü la porte! ü la porte! - ;I!ouvemcllts diver:,.
J\on! non! messie¡¡rs, calmez-vollS! I1ULlS ne serions pas


des hommes libre" si nOl!S ue restiolls pas calmes.
Commellt! iI sLlt11r'ait d'nne jnlerruptioll, qlli est dans l(~


droit de tOl!t ie monde, (mtendez-h~ hien 1 pfll:r qll'imm(~diate­
ment la lbcussio!l ces:-;;'il? :\Iais, lllessil:urs, s'jl y a, -- eL
c'est préciSl~tnent ce qne je recherche dans les entretiens qll(~
nOllS avons ellsemble, --- s'il y él des cOlltradieteurs, .ie suis
pret ü lellr répondre l:t Ü c,:;sllyer de les convaillcre. (Trc's-
bien! trZ~s-biell! - A pplaudissements. - NOll velle inlerru ption.)


Je vous eu prie, ll\es amis, sOyt'z palieills ! Il faut bien 1l011S
habiluer it la contradictiol1, sans elle il n'y aurait Ullcune utilité
ü nos réllnions; si llOllS ne nOLlS rassemblions que pour nOlb
entendre de l'oreille et non pas de l'cspril, pOllr !lOllS applall-
di!' :,ans supporler aUCtlll dis~;el1linJellt, nos réuniolls !l'ama iellt
véritablement ;JUCUU caract(';re utile, ui, pel'ill\Jttcz-moi d'aj'Hl-
ter, digne de eitoyens lihres. (\pprob:lLi()ll1jl~tlérale.)


Il faut <lile [Jos réllllions!le soclellt jarnais (ln calme et eL'
la modéralioll, qlli :::ont le vél'itabll~ attrihllt de Ilotre parti,
cal', seuI, an milieu des pl'Ovocalious, des vj()lpn~es el tlt·s
olltrages dont on l'aeeable, iI reste impassible sous celte lJo]'-
dée d'injllres, résolu qu'il est it 118 pas abanuo11ner co sallg--
[ru¡el qui est la caraetéristiqlle tle ~a force.


Eh bien, réunissons-nolls toujours sans perdre ue vue eeUe
pensée, restons,y ilu(~le.3, el s' il y a des cJntradicLeurs~ - et
iI doit y en ayoir, il n'est pas possible qn'il ne s'en préseute
pas, - qu'ils illdiqlletlt les points obscurs, discutables de me"
paroJes, qu'ils m'arrétent pour me demander des explicatiol1:S,
des éeJaircis~emerJt<,:, et j'e~,Lime qu'i\ est de mOB devoir ~trict




A I,;\ FEBTÉ-SOUS-.TOllAHRE. 153
d'y répondre. (Tres·bien! tres-bien! - Applaudissements.)


Je reprends Ol! j'en étais resté il y a quelques instants.
Je disais, si je ne me trompe, que le procédé dont on avait le


plus usé el abusé contre la RévlIllllion et le partí républicain,
qui en. est l'agent désilltéressé et 'libre dans notre pays, que
ce procédé consistait ü mettre perpétnellement, passez-moi
l'expressioll, sur les ópallles, sur le dos de la Révollltion, les
fantes, les crimes et les désastres qui avaient été amenés par
le parti adverse.


On tombe ainsi dans le meme cercle viciel1x que ferait celui
qlli viendrait sOlltenir ce raisonnemellt, a propos j'lln homme
qui aurait mal faít ses affaire::;, quí Jurait fjté réduit it uéposer
son bilan, dont on auraít vendu les biens, expulsé la famille de
son toit pour la jeter dans la rue, - qui viendrait, dis-je, SOll-
tenir ce raisonnemellt: la- responsabilíté de eette situation
incombe au syndic qui a réglé les affaires etnoll pas a l'homme
perdu de LieUes, au creur et a l'intelligences dépravés, dont la
conduite vicie use est la SOllrce de ses propres iuforlunes et de
ceUe triste liquidation. (Sensatiol1. - l\pplalldissements pro-
longés.)


Eh bien! la Révolution est apparue, - jo poursuis eette
image familierc, mais qui est parfaitement de natllre ~i vous
faire saisir le fonu meme ue ce sophisme; - la Révolution est
apparue eornme le syndic, comme le CUl'ateur forcé, nécessaire,
qui a1'1'ivo lorsqn'oll a mené la F'rance all burd ele l'ablme, lors-
qu'on l'a jelée dans la guerre étrangere. Qlwnd la patrie est
envahie, ses armées confisquées, ses places Ji vrées OLl anéan lies!
aJors la révoluliotl illtervient, elle lutte et on luí dit : «( C'est
vous qui avez fait la gllerre, c'est vous qui avez livré nos ar-
mées, et c'est en votre nom qu'on a capitulé.


Et, s'i! ya des milliards a payer, c'est elle encore qui uevra
en supporter la responsabilité.


De plus, eomme on a bien eu süin, depuis soixante-dix ans,
ue ne pas cornpléter cette institutiou élérnentaire ues pays qui
veulen t non-seulemen t devenir, mais res ter libres, 1 'instruction
nalionalt\ íl se t('ouve qll'on a aillsi préparé d'avance un champ


9.




154 DISCOUHS
admirable pour fai1'e levar et fruetilier 1'erreu1' : VOiHl) mes-
sieuJ's, l'intéret politique qu'il ya, dans un pays oll le sufTrage
universel existe, ~l maintenir l'ignorance universelle. (Ex-
plosion d'applaudiss8ments. - Sellsation prolongée.)


Ah ! messieurs, nos ad vel'saires sa vent bien que, parlout oú
1'00 rait un leeteur, on allume lme intelligenee et 1'0n éclaire
une eOllseience ; ils savcnt bien que leurs sophismes ne ren-
cootreraíent pas deux heures de crédit sí on les pf(~sentait ~
des esprits capables de juger, de coneevoir et de réfuter; el
c'est paree qll'i!s le savent qn'ils font de la ealoml1ie un ins-
trument de domination. (Approbation.)


C'est :lÍnsi que, sllceessivement, depuis vingt a11S, 011 a amené
la oation a tout ratifier, ~l lout aeeept.er, en dépit des protesta-
tions dll parti républieain. Et finsiste sur ce dernier point,
paree que ce n'est pas seulcment u~e prellve ele J;-¡ clnirvoyance
de ce partí, Ull homrnage rcndll a Sil probité, mais allssi la
prellve, le gage de son patriotisI1W iualt(~rable.


Aussi, .le ne cesserai de le répéter, clu 2 déeembre 18;:>1 au
!f septembre 1870, il n'y a el! qll'tm partí dans ce pays qui ait
tenu hallt et illviolable le drapean de la revendieation des
droits dll pays contrc l'llsurpaliOll eL le crime, et ce partí,
e'est le nótre! (Olli! oLli! - Double salve d'applaudis.
sements. ).


S'il en est ainsi et si, m.algré les luttes de ce parti et malgré
son désintéresserne~1t. il est condamné perpétuellement ~l etre
battn et refou!l~, ¡DI' snite de l'(~eart, de la séparation, de la
distance. qui exislent elltre cellX qui unt les mémes intérets,
mais qlli les ignorent, qlli ont la meme origine, mais ([ni
la méconnaissent, qui onlla meme tel1dnne8 1 les memes aspi-
rations, In;!:s qlli ne s'en rendent pas compte, que nons faut-il
faire?


n oous fallt combler eet intervalle, celte séparation, ce
écart. Il faut que partout Otl il Y n un républieain, ee républi-
cain sorte de chez lui et aille s'ndresser, non pas a un nutre ré-
publicain comrne lui, mais que, soit individuellement, soit eol-
leetivement, en s'assoeiant, il se donne eette tflche d'aller




A LA FERTÉ-SOUS-JOTlAHRE. 155
visiter, fréquenter ceux qui, épars, disséminés sur tout le ter-
ritoire, sans !ien, sans contact, sans¡informations, sont la proie
désignée des sycophantes el des sophistes qui préparent ou-
vertement des restaurations. (e'est cela! Applaudissements
redoublés. )


Mais il ne sumt pas qn'Llne élile d'hommes dévouésse donne
cette tache de propager les paroles et les idées républicain3s,
en se VOllant a nn prosélytisme ince::;srtnt; non, cela ne sllffi-
rait pas, car le mal est plus hallt, el c'est plus haut qn'il faul
(lller le guérir.


II faut faire disparaltre cet antagonisme dont je parlais tout
it rheure, il fant revenir a la premiere, 11 la féconele pensée. de
117Rn, rétablir le faisceall qui a été détrllit par des mains scélé-
rates ; rapprocher le bourgeois de l'ouvrier, l'ouvrier dLl pay-
san. 11 ne faut pas qll'il y ait, comme anjnurd'hui, Jes épaves
el'aristocratie, des restes de secles jésuitiques; une haute bour-
geoisie oublieuse de ses origines, s'arrogeant toutes les domi-
nations, et s'in~pirant de tOllS les vieux dec;potismes; une classe
moyenne isolée, fermée, timide, peureuse~ préte a tout par penr
et par la plus inexplicable des peurs., se lwuchant les oreil-
les, fermunt les yeux, redol1tant tout contact· avec les
autres eJasses, n'ayant pas le souci de <lescendre vers elles et
de voir qn'il y a lü des freres elont il faut s'occuper, dont le
nombre conslitue une force, dont l'ignorance est un péril, et
dont l'intelligence éveillée donnerait ;1 la France une carriere
de gloire, d'honneur et de prosperité! (Bravos prolongés.)


Oui, iI faut faire cette fédératioll des intérets, il faut rallier,
associer dansun pacte d'égalité parfaite ceux qui ont le senti-
ment ele la justice et des vérités politiques, les plus ignorants
et les plus humhles, eeux qui ne pensent pas encore comme
ceux dont I'esprit s'est nourri de chimeres qui se dissipe-
raient d'elles-mémes ~lla pure lumiere de la science.


C'est sllrtout chez eux qu'il fdutporLer la persuasion, la con-
v¡clio!); c'est clevant eux qu'il faut séparer l'impossible du
possible, c'Mt 1t eux qu'd [aut monteer ce qui n'est pas encore
immédiatement réalisrtble par la pratique, et c'est flUX qu'íl




156 DI~COUI1';'


fam décider a l'ajo~r:le1'. I\lai" celle campagne J.oit Hre COI1-
duite et meditée avec intelligence, et elle doiL avoir pOll!' auxi--
liaires, pour coopérateul's, ces deux frllcLions J.u peuple :
l'homme qui travaille a la villü el l'lwrlllne qui trav;-lillc. aux
champs. (Oui! - C'est cela! - Bravo:;.)


Pour alteindrc ce bllL, une premiere condition esl indispen-
sable, sans laquelle tontes les autres ne sont rien j c'esL une
question de forme, dit-Oll ; oui, mais ici la forme emporte le
fond; c'6st une forme Sa!lS lLlqllelle on ne pellt résondre aUClll1
probleme, une fortue qui permeL de respecter les tlroits de
tous et de chacun : cette forme, c'est la forme ré¡iubli-
caine, sincere, loyale, <lUX mains cl'[¡omrnes qui ;¡ient le sOLle¡
de ne pas préseuter sans cesse Ulle promcsse, sans jamais Jil
tenir et la réaliser.


La pluie qui redouble COLlV1'8 de nouveau la voix de I'oratclll' .


.Te erois qu'il faut ellcore fllle nous complions avec les éit~­
ml~nts; nons alions atlendrc üe llOllveau ({lle 1:1 pIuie ceSS8.
(Oui! olli! - Heposez-vous!)


Au bOllt d'llll quart d'heure l l'orateur reprend son cliscol!t's
en ces termes:


1\1es cllcrs conc¡loyens~ je vais vons SOl1ll1ettre Ü une trol-·
siemeépreuve ~ ;ce sera la plus coul'le, et vous pOllvez VOIIS
rassurer : vous II aurez pas besoin de la ¡¡Iuie pOLif échapper
a)a prolongation de ces qlle¡qlle~ paroles. (Parlez! parlez ~)


J'éprollvu cepcndant le besoin de concJl1re, eL c'était pl'éci-
sément a cette (:onclu:iion que j'étais al'rivé lorsqlle j'ai ét(~
forcé de m'inlerrompre;


.le vous disais que c(~Ue cnl1cili:llioll Ilécessaire a vait hcsoill
pout réllssir d'lllle prerniere cOllditiol1 : la népubliqlle; el j'a-
joutais qu'il ne fal!ait songer en allcune malliere ~l la ~·.olutioll
d'aucun des graves problenles qui núus occllpcuL, si, LOllt d'a-
borll, 011 n'acceptait pas la forme républicaille comrne le
Illoyell précis, comme la formule scieutiíiCJue J l'aicle de la-
quelle 011 devra les résoudre. (Approbatioll générale).




.\ LA FEllT¡'i-SOlíS-.JOUAnRE.


1.:1 République n'est done pas pOllr 1l0LlS seulemenl une ques-
tion d'origine,tle sentiment, de tradition, elle est une nécessité
intellectuelle, eHe s'impose ü nOllS par les besoins meme de
l'esprit. NOllS ne pOllvons pas eomprendre l'ordre, l'équilibre
entre les divers intórets de la natioll, la paix sociale, cette né-
cessaire et allguste paix apres laquelle la France soupire, et
que j'appellerai la paix répllblicaine, ponr me servir d'une ex-
pres~;ioll :mssi majestncllse que la paix rom:Jine, 1lOUS ne pou-
vons pas comprendre ces choses et l'avénement définitif de ces
élémentsicssentiels de sécurité, de prospérité matérielle, de ré-
pal'atioll morale, de restauration, de grandeur de la patrie
sans la Hépublique. (Adhésionlllarquée.)


Et quand je prollonce ces mots de restallration de la patrie,
ah! permettez-moí de le dire, je les prononee avee une douleur
et Ulle angoisse profondes. Cette eharge immense qui pese sur
nOllS, Cét emprunt elevenll néeessaire, il fallt que l'épélrgne des
el13mps, que la ressouree dn petit, comme le supertlu dn riche,
eomrne le luxe des villes, y cOl1tribllent :lLl nom meme du salllt
de la Franee. (Oui! oui !)
~Iais, mes::iielll's, qualld on aura payé celLe ranQon, notre si-


t.t1atioll s~ra, sailS clOllt(~, allégéc, mais on n'aura pas refait la
Patrie ... (Sensation proi'ollde.- Interruption), el c'est ici qu'i!
no!)s f:mt prendr(~ la résollltion ferme de poursuivre cetLe res-
tauration dans SOll intégrité, en commen<,¡ant d'abord par nous
rdaire nous-meme. (Nouvelle sensatioll.)


Pour cela, il y a trois moyens qu'il faut que la RépubJique
nOllS dOlllle, cal' auLrement elle ne serait qu'Utl mensonge.


D'abord, tille éduc:ltion véritablement nationale, c'est-a-dire
une édllcaLion imposée a tous. (Bravos unanimes.)


Et qu'on lle viellne pas parler ieí de violation de la liberté
rlu pere de famille. Ce n'esl lit qu'un ridieule sophisme a la
portée de ceux qllÍ ont rait vrea de ne pas avoir ele farnílJe.
~\iVd approbation. - Applaudissements redollblés,)


Dooc, l'édllcatioll Jaiqlle, - l:li'que, je le répete, - c'esL-
;'t-dire une éducation faite pOllr des hommes qui v8ulent agir
AL se conduire en hommes qui vivent, pel1sent, commercen




158 D1scour:s
travaillent, luttent, combllttent et s'entendent dan s le domaine
des réalités, e'est-a-dire dan s le eontact de !'hornme en faee
de l'homme, en excluant tOllt ce qui n'est pas la réalité meme
des eh05es, e'est-~t-dire la vie socif1le.


Je ne veux fien dire de ce que, sllivanl eux, il faut laisser
en dehors de l'enseignement national; ce sont la des satisfac-
tions que peuvent reehercher certf1iús esprits et qui peuvent
plaire a certaines organisi1tions; je respecte infiniment toul
cela, mais ce qn'il nOllS faut, a nous citoyens libres d'un grand
pays libre, c'est une soeiété composée d'hommes devant vivrr
dans des conditions humaines et aY,il1t, par conséquent. des
facllltés de développement tirées du respeet de I'homme, de
sr¡ dignité, de sa sllprélllatie morale, de sa conscience hn-
mame,


e'est tout cela, messieul's, qui constitue celte haute notion
qll'on appelle la Justice, e'est la le dogme moderne de la
Justice. 1\'ou5 pensolls que e'est l'hornme qlli a faít le droit de
l'homme; aussi disons-nolls que c'e::;t l'110I11m8, le citoyen, le
pere de famille qLli doit enseigner le droit, p;-¡rce flue c'est lui
qui doitl'appliquer. (Vive approhation.)


Donc, en premiere ligne de toutes les réformes, une édu-
cation nationale pon!' tOllS! mais, cnlendons-uous bien, il nous
faut non pas seulemeLlt eeUe éducation qu'on appelle primaire,
que je vellX et que je récJame aussi; mais, pensez-y, ayez
nssez le respect de cette intelligenee que vous allez pénétl'er
pour la premiere fois pOUf lui donne!' des vérités et non des
erreurs, pOll!' lui donner un bagage, non pas complet, non pas
définitif, mais un bagage OtI il Y ait l'essentiel au point de Vl1e
de la patrie SurtOllt, l'essentiel au point de Vlle de la famille,
l'essentiel au point de vue des droits, et aussi l'essenliel au
point de vue des devoirs politiques.


Car, messieurs, le devoir, e'est la f:lce relournée dn droil;
je ne sépare pas le droít du devoir, el, jo ne sais pas ce que
e'est qu'une nation ü laquelle on n'apprendrait que des droits
sans devoirs. Les droils el les devoir:; associés enlre eux
m'apparaissent eomme une médaille avec sa face et son reverso




·\ LA FEnT~~-SOTJS-.lOl1A nRE.
Le corrélatif du droit, c'esl le respect un droit d'antrui , c'est-
a-dire le devoir.


• CeUe éducation nationale, il sera nécessaire de l'organiser
dans ¡'esprit que je viens d'indiquer, non pas senlement an
premier, mais an denxieme et an troisieme degré, car il faut
bien comprendre qu'il'n'y a qu'une maitresse dans le monde,
([u'une reine, qu'llne sOllveraine, digne v~ritab¡ement de nos
soumissions, de nos zeles, de notre souci et de nos recherches:
c'est la science! (Mouvement prolongé. - Applaudissements.)


Apres avoir fait franchir ce premier degré Ü l'hotntne) celui
de l'éducatiotl, et quand vous ¡'aurez ainsi préparé a prendre
sa place dans la société, alo!'s, croyez-Ie bien, il n'nura pas
seulement l'intelligence de ses propres droits, mais iI connaitra
eeux de ses ad versaire8, il pOllrra les discuter et les débattre ;
N, de ces discussions, de ces débnts. il résultera cle~ habitudes,
des mamrs nOLlvelles. NOlls acquerrons alors la llotion du
respect de::; contrats parmi les hommes, et la loi nous appa-
raltra non plus comme Ull inslrllment livré aux mains de
quelques-uns pour favoriser leur dornination sur les autres,
mais comme la manifeslatioll écrite, comrne la résultante des
contrats individuels. (Vi ve ,1 pproba tion. -- Applaudissements.)


Pllis il faudra armer cet homme\ ce citoyen libre et contrac-
tant librement avec ses cOllcitoyens. 11 falldrn faire passer
lout le monde sous le joug salutnire de la discipline de la nation
armée, car il n\y a pas, il 118 saurait y avoir de véritable
citoyen, s'il n'est cnpable, salir les cas d'infirmité physique,
parfailemenl eL légitimement consti1 lés, de donner non pas
seulement son sang, mais en meme lemps ·son intelligence
pour la défense de l<l patrie. (Bravo! bravo! - ApplauJisse-
ments. )


A ces dellx moyens, il sera nécessaire d'en joindre nn tríJi-
sieme qui sera, dans I'Btat, l'application rigoureuse de la
sOLlveraineté nationale, de telle sorte qll'il soit bien entendu
qu'on en a fini, soit avec les priviléges, soit avec les uSllrpa-
tioos d'nn jour, soit ayec les tentatives de conspiration. (Ouí!
ouí! ,- Tres-bien !)




·1 no m:-;COUHS


Je ne veux pas m'expliquer dav3nt;lgG~ mais iI [aut que la
sOllveraineté nationale soit seule maltresse. (Nouvelles mar-
'ques d'approbation.)


Cette souveraineté a le suffrage universel pour moyen d'ex-
pression. Ce 5uffrage uni versel doit vous commander l'intelli-
gence, l'entente, I'union, la uisciplinc. Il doit aussi vous faire
condamner la violence, parce que tant que le sllffrage universeI
est intact, nul n'a le droit de faire appel ~t la violen ce ni a la
sédition, cal' celui-la voudrait avoir raison contre tous, et il n'y
a pas, iI ne peut pas y avoir de souv8l'aineté individllelle et
particllJiere contre la souveraineté de la natiOll.


Que celte souveraineté soit r.éelle, c'est-a-dire qu'elle fasse
sentir son action partout, dans la commune, dilns le départe-
ment, dans l'État; qu'elle :lit des délégués sortant d'elle, des
fonctionnaires, des mandataires responsables dont le change-
ment, la mobilité, le caractere transitoire soient la garantie
meme de la {hité et de la permauellce de la voJonté de la na-
linn. Mais tOllt cela n'est possible que par la conciliation, que
par l'accord des intelligences que j'appelie de meme nature,
de meme origine; je vous les ai indiquées, ce sont ceUes de la
classe moyennü, de la classe ll10yenne vrailllent éclairée et re-
nonGaut a ses préjugés gothiques et surannés, a ses prétentions
et a ses errellrs embarrassanles, - qlli ne SOllt pas formidables,
rassurez-vous a cet égard, - qui retardent la marche du pro-
gres, mais qui sont ímpuissantes ü I'arreter. Queceux qui appar·-
tiennent a cette classe et qui ont vérilablement bon cceur, bonne
foi et bon jugement, se fassent les éducateut's, les propaga-
teurs des idées de conciliation et d'organisation républicaines
que je viens d'exposer. Dans ceLte lloble tache, ils devront
procéder par l'ouLJli ues injures, des divisiol1s et des rancunes ;
ils devront inaugurer enflll dans notre rnalheureux pays, si ~é­
chiré, une politique de conconte et de clémence. A cette ma-
gnifique, a cette adfllirable fédération qui a été la premiere
pensée de nos pbres et que je vous convie ü imiter, donnons
Utl frontispice, un préarnbule: }'amnistie de tous par tous!
l'amnistíe qlli est le fonu meme de la sagesse politique, lors-




A L.\ FEHT~:-~OLTS-.JOUARHE. ,1 (jI
qn'on a la force et qu'on peut braver la sédítion, d'oü qu'elle
"iennc. (Bravos et applaudissements prolongés.)
Voila~ mes chers amis, ce que .ie pllis vons elire aujourd'hlli~


mais n'allez pas cmire que ce ne soit la qn'une entrevue sur
le lenJemain. Non, je le rép~:te, il faut les lllulliplier ici et ail-
leurs. Partollt Otl il Y a un groupe de républicains, qu'ils fas-
sent la démoIlstration de leurs principes en plein soleil, en
resppctant tOlltes les lois, en donnant á la cause de l'ordre, á
la callse de la discipline, lons les gages, toutes les garanties
qll'on est en droit d'exiger ele büns citoyens ; qu'ils se réunis-
sent d'un bout ;1 l'anlre clll territoire, qu'ils expliqllent lenrs
doctrines et qn'ils démontrent comhien on vilipende, combien
Oll calomnie ecUe Hévolution et ce partí révolntionnaire en
disant, par exernple, qu'ils sont les ad versaires de la propriéL(~,
rruam1 il est si [aciJe Lle Llémontrer que celle propriété indi-
\·idlleJle, tello qu'dle existe llujounl'hui, aecessible a tous, est
pr,'eisément la el'éntion éminentc de In Hévolution fran-
~a¡se.


e'est, messieurs. redisons-le avant de nous séparer, c'est
la HévoJllliotl [ran\ai:-;e qlli a [ait la propriété individuelle, c'est
elle qui ¡'a débnrrassée de lOL1tes ses entraves, de lous les pri-
\ilégcs, de la conquete, de tons les vesliges de la [éodnlilé.
lJepuis le pigeonnier j llsqu'au [onr banal, depuis l'étang, le
marélÍs et le bois jusqll'au siJlon, c'est la Révolution qui a tont
émancipl~; c'est elle qui a eréé non pas seulernent des proprié-
¡aires, mais 1;1 propriélé elle-meme, au sens juridique eL pro-
fon.J de eeltt~ expressioll.


Et c'est le pnrli de la Révolution qu'on voudrait accuser de
\·ouloir entame!' la propriét(~ !


Ne l'oubliez pas, il y a deux faGOlB de porter atteinte a la
propriété : l'une, qui est corrupLrice au plus haut degré, et
qllí consiste ü la laisser sonmise a dHS lois de main morte,
ponr plnire it lles maUres paressellx; l'nutre, qlli est la vio-
l('!lee hrulale comme chez les snllvnges, et qlli consiste tt pren-
dll~ un champ ponr en ravnger les récoltes. Nous ne VOUlOIlS
ni de l'une ni de l'nutre; ce que naus elemandons, c'est que la




162 DISCOllns A LA FERTI~-SOllS-.JOUt\nnE.
propriété soit aceessible 11 tous, el surloul 11 ceux qui p811~ent
la féeond8r. (Applalldissements.)


C'est par une plus éqnitable répartilion des salaires et des
charges, probleme diftlcile a résouelre, mais qll'il faut aborder,
et dont une partie, on le sent, est déja müre, qu'on peut espé-
re1' cl'arriver a la solution ; c'est en rendant possible l'aecumu-
lation de l'épargne~ et, par s!lite, l':lcquisition da capilal-ter-
rain, qu'on augmente le capital-argent, et qn'on fetld la pro-
priété aecessible au plus granel nombre; cal' la Révolution
fran<;;aise a fail de l'acqllisilion de la propriété ulle condítion
morale autant que matél'ielle de la liberté des sociétés et de la
dignité du citoyen. (Bravos et applaudissements.)


Que nos ad verslires ne disent done pas maintenant que nous
sommes les ennemis de la propriélé. Je pourrais leur démon-
trer immédialement I'inanité de tous lcurs autres sophis-
mes et vous en faire apereevpir la méchaneeté, mais c'est assez
ponr un jour et, avant de nous séparer, je vous le répete:


Entendez-vous. Que vos champs, vos veillées, vos réuoions,
vos marchés, vos foires deviennent pour vous des oceasions
d'entretien et d'instruction. Quant a moi, je serai largement ré-
compensé qlland vous me direz de revenir parmi vons. (Bravos
et applaudissements prolongés. - Cris: Vive h Hépllbliqlle ' -
Vive Gambetta l';


,


M. GA:\IBETTA. - Vive la Républiql1e !
Cris répétés de : Vive la République!
L'oratenr est félicité par ies personnes qui l'enlourent et un


grand nombre des assistants viennent de lOllles les parties dr
1:1 salle pour lui sener la maín.




DISCOUllS


DE LA CO:VDIISSTON DES MARCHÉS


MESSlEUBS,


eomme ¡'honorable et arcl8nt oralel1r qlli descend de ceUe
ti'ibune,je pense, moi aussi~ que Jn respons,¡]¡ilité morale haisse
sensiblement dans notre pays; llllssi, C[u'jl me permette de luí
tlire que j'entends répondre a son discours par l'assentiment
rrne je donne aux pJroles par lesquelles ill'a terminé.


Je lui ferai observer aussi qLl~il n'a pas été tout a fait exact
lorsqu'il m'a preté ce role puéril, et je d.irai indigne el'un
membre de cette Assemblée flui, mis directement en cause,
pour la part qu'il revendiqne comme ministre dans les llégo-
ciations dont il a été question tont a l'heure, a pu dire : Cela
ne me regarde pas, et, dans un langélge presque enfantin : Ce
n'est pas moí! J'ai d'autres habitudes de langage.


M. LE DUC D'AuDIFFRET-PASQUlEB. - Je n'ai faít que citer
vos paroles textuf-llles : je les :li lues. (Ah! ah '! ü droite. -
BécJamations a ganche,)


M. GAl\IBETTA. - Vous avez cité, monsieur le tIuc, une pa-
role de moi; lnais VOlle; n'avez rappeJé ni les paroJes ql1i la




IGí DIscouns ,\ L' ASSE!\lBLt;E
précédaient ni celles qlli la suivaient, et c'e:;t pOllr cela que
je releve votre inexactitLlde. D'ailleurs, c'est lit un détail assez
indifférent.


Ce qui importe, ee qui est la question meme, c'est de savoir
si le Gouvernement dont j'ai [ail partie 3 bien ou mal at;i dans
les deux marchés l\Iaxwell-Lyle et Parfolt. Le m~mbre ele ce
Gouvernement qui a l'honneur de parler devant vous doit dire
dans queJles limites il a engagé sa responsahilité, et dan s
quelles limites il revendique ponr Ini, s'il y a lien, la plénitude
de ccUe responsabilitl~. (Tres-bien! sur quelqucs bailes ü g:Hl-
che.)


Je ne me laisserai pas aller a suivre ['orateur elans le déve-
loppement des considérations générilles auqllel il s'est livré;
il me semlller:lit que je méconllaltrais le curactere memo du
débat tel qu'ill'avait défmi lui-meme a une autre époque.


En effet, il vous avait dit il y él deux ll1ois, el je lll\~tais as-
socié a sa pensée, que nous aurions une disCLlssioll d'ensemblo
~ur les affaires de la délégatioll de Tours et de Bordeallx. All-
jourd'hLli on a changé de tactiqLle ... (Approbation ü gallc.he.
- Réclamations 11 droite.)


Un mem!Jre /¿ droilc. - On n'a pas besoin de tactique dp·
vant nOLlS! (Bruit.)


JI. GAl\IBETTA. -- Un membre m'interrompt pOLle ütre qu'il
n'y a pas besoin de lactique devant vous, messteurs.


fell prends acte et je désire que cet avertissement serve ~l
cenx qui en font et qlli en abus8nt. (Tres-bien! tres-bien! sur
qllel,ques bancs ü gallche. - Vives réclamatiollS Ü droite et
all centre.)


M. DE GAVAIWIE. - NOLlS no recevrolls jamais de leGon de
vous!


1\1. GA)IBETTA. - Je dis qne ]'on a changé de tactique, car,
apres avoir laissé de coté la discnssioIl générale, 011 vous pré-
sente un rail isolé l et ü propas de ce fait isolé, on instilue une
discussion générale. Nous vous suivrons dans la discllssion gé-
uérale comme d:lllS la discllssion parlicllliere; mais permet-
tez-moi de mettre en lumiere votre tactique et ses variations.




SUB LES l'UHCHE~. I H;)
Eh bien, je dis qu'on a introduit le rapporl sur les marchés


de la commission des moyens d'étlldes ; on l'a introduit d'llne
faGon isolée, cependant, 011 e~t venll rami1ier l'ensemble des
opérations dll gonvernement de la délégation de province, et
011 vous a eité et Lyon, et Lille, el Marseillc, provoquant ainsi
de justes réclamations ...


A d1'oite. - AlIons done! - Et les jugements des lrüm-
naux!


ñL GAMBETTA. - ... de la part des représentants de ce gon-
vernement qlli SUiV8tlt l'enqllele que vous avez ordonnée et qui
demandent qu'on ne jctte pas dans le pays~ pendant les trois
mois de vaeances que vous allez avoir, des implltations qu'ils
n'auraient pas le moyen de détruire.


M. LE }IARQUIS DE FI\A~CLIEU. - El les banquets ?
M. G.DI13ETL\. - Car, messieurs, il faut bien le dire, c'est·


le temps qui est, en pareille matiere, le seul auxiliaire des
imputations qui circulent dans le pays.


A droite. - Et les jllgemenls des tribunaux?
M. GA}I13ETTA. - En ef1'ot, vous savez tOLlS dan s quel état


eette commission d'armement, elont 8.ujOUrd'hlli on fait l'apo-
logie ...


Une voi:t. - Avec rai~on !
M. GAMBErrA. - Olli, avec raison, et j'en prends acte. rai


été le premier a le dire, j'~i élé acctlsé par les jOllrnaux qlli
représentent yotre opinion, par une parlie des nótres, par des
membres ele cette Assemblée, de m'etrt~ élssocitS aux monopo-
leurs, Ü ~1. Le Cesne, exploítant tons les marchés du. monde
pour m'enrichir aux dépens dn Trésor. Et c'est ceLle COlIl-
mission qll'aujourd'hni, graee a dix-huit mois el'étud8S, vous
etes obl~gés de prendre comme l'étalon meme de l'habiletó
commercial~, dn elésintéressement, de la moralité, c'est avcc
elle que vous jugez les autres.


Plllsieurs voi.'C Ú droite. - Qu'est-ce que ceJa veut dire ?
M. GA~mETTA. - Vous allez le savoir, et surtout ce que jo


vous demande! - cal' VOllS savez que le vrai mayeo de m'em·
pecher de parler dcvant vous, c'est ele m'ititerrompre, ele me




166 1)\::;COU1\::; A L' ASSEl\H3LEE


provoquer, de núrriter, - ce qne je vous demande, c'esL de
m'écouter en sílence, puisqlle vous voulez élre des juges.


Qu'est-ce que cela veut dire"? Cela veut dire, messieur~,
qu'on peut calornnier, dénigrer tout ü son aise des hommes
ql1i ont faít des opératíons, des achals) eles marchés~ d8S em-
prunts sous le gOLlvernement de la Ddense nationale, et que
tant que le discllssíon n'est pus VetlLl8, tant qu'on ll'a pas con-
tradictoirement établi a ceLte trilJllllC, - cal' vous avez l'ai:son
de traite!' ces choses devant le pays, - tant qu'on n'a pas
contradictoírement établi de quel cóté était la loyauté et de
quel cóté l'outrage, le temps pronte an:\. calomniatellrs, qui,
en semallt l'outrage, récülteJlL l'inuignation des honnetes gens
dont ils surprel1\~la bonDe foi ... (~ll1rmllreS Ü dl'oitc. -
Applaudissements ~l gauche.)


Et je dis alors que ceux qlli ne vculent pas cncourir le re-
proche de s'associer a ces diffilmalions, ne doivent pas pOl'ter
une accusation meme sur des coupables, s'il y en a, alor::;
qn'ils viennent iei remplir le devoir d'accusatellrs publics ...


Une VOi.T a ({roile. - Qll'esl-ce q~Ie cela vent dire?
M. GA~IBETTA •. - Cela vel1t aire que vous 11e pOlI vez pa:-5


parler de Lyon avant d'avoír eu connaissancc des úffaires de
Lyon, qne vous ue pouvez pas parler de Lille avanl. d'avoir el!
connaissanee des affaires de Lille, et que rOllS ne devez pas
parler de Tones et de BordeaLlx Umt que vous n'aurez pas
connaissance des affaires de Tour::; et ele Bordeallx. JL1sque-lü
vous etes des calomnillteurs ! (Violents murmures it droite. ~
Cris : A l'ordre! a ¡'ardee 1)


M. LE BAHOX CUAUHA:\'D j (W milieL~ dL6 Ol'nit. ~ 11 ya un jl1""
gement du tribunal civil de premien~ instance de Lyotl qui a
condamné M. Challemel-Lacour a i8H,OOO fr. de dornmages-
intéréts.


M. GA:\lllETTA. - 11essiel1rs, ce n:cst pus moi qui ai inlro..:.
duit les, cOllsidérations générale3 et passionnée:; dan s ce dé-
bat, mais mon deroir strict étai t de les relever. (Tres-bien 1
tres-bien! a gauch8).


Un membre. - En les passiol1nant davantage!




SUB L.ES JL\.llCIiE::i. loi


_\1. GAMBETTA. - Je ne sais pas ~i l'interrupteur a bien me-
::;uré la portée eles paroles qui ont été prononcées avant que
je monte a cette lribune. Qlle ll'a-t-on pas dit a propos de
ce marché, dont louL h l'hel1m je diseuterai hautement les
clauses, les phases, l' exécution !


Voixc¿ droite. - Disculez-le!
M. GAMBETTA. A propos de ce marché, n'a-t-on pas diL que


le pays pliait sou::; le faix de:) contributions, et n'a-t-oll pas
voulu aS~()Ciel., - rapplochetllent indigne de voLre élcquence
d de votre esprit, ll10tlsieur le duc d'AudiJfcet! - n'a-t-oll
pas voulu assocÍer l'affaire des canUDS ParoLt au payement des
l[ülliarcIs d'indemnité de guerreo


il!. LE Due D'AuDIFFHET-PASQUIEH. Pas d'artiüces oratoires! je
n'ai pas dil cela.


1\1. GAMBETTA. - Vous l'avez dit. ¡Bruit.)
M. LE DUC D' AUDlFFHET-PASQUIEIL - Non, je n'ai pas dit cela!


Vous le savez bien!
(En ee moment M. Challamel-Lacouf adresse avec anima-


tion quelqlles paroles a 1\1. le dnc d'AuditTretPasquier.-(Vive
l1gitation.)


M. LEPHÉSIDENT, s'adl'esscmt aUJ' memúJ'cs qLd stationnell{,
tlevant le úane de la commissioll, -- \Iessieurs, veuillez rega-
gner ,'os places et faire silence, il y a déjil beaucoup trop de
passion dans ce débat.


111. G,DIBETTA. - 11 est un autre point que je erois de-
voir relever dans les conclusiollS qui ont terminé le discours
de l'honorable M. ü' Audiffret - Pasquier; c'est eelui qui esL
l'elatif all retrait du texto prilllitif ues eonclu:iions de la COlll-
missioll des marchés, et permettez-moi de le dire, a la perma~
nence de l'esprit et de l'idée qui se cachaient sous la lettre
du premier dispositif et qn'on maintient tOlll de meme.


Je dis qu'il faut choisir.
Un la commi:-ision a eu raisot1 de libelier ses conciusion5


remme elle l'avilit fait tout d'abord, et elle les maintient dans
le premier cas; OLl elle les retire, alors illle fant plus le met-
tl'e aux voix. 11 faut trouver une rédaction qui les moditie, cal',




168 lHSCOUHS A L'ASS.E;\IBLÉE.


au point de vue parlementaire, :de deux choses l'une : ou vous
etes juges, OLl vous n81'étes paso


Si vous etes des juges, il fanL maintenir ces conclu~ions lel-
les qu'elles oot été formlllées d'abord; si YOllS n'etes pas des
juges, et tres-évillemmenL les altercaLions, la passion qui se
dégagent de ce cl¿bat prouvent qne \'Ol1S n'ell avez ni 'les llns
ni les [alltrés, le tempéramll1ent et le caractere. (Tres-bien!
tres-bien! agauche. - Mouvemenls divers), el cela s'expli-
qne, puisque nous sommes une Assemblée pnlitique ... (Olli!
aui! c'est vrai! - Bruit.) ... eL alors je demande que M. le dnc
d'Audiffret-Pasqllier ne consene pas le commentaire di¡ clis-
positif en en sllpprimant le texle. (Tres-bien! tres-bien! á
gaLtche. )


Cela dit) j'aborde la queslion dLl [oncl. Je le ferai cl'autant
plu-; rapiclement que le débat est aU::isi complet que possible
sur le point de ce délail. II ne me reste qn'ü relever ce qlli
est~personnel et ce qne je rejetteo


Jo commence par éliminer ce qui no I1QUS louche pas.;
comme par exemple la leUre el n colonel Deshorties.


Cette lettre, si je I'avais connue, si elle eút été écrite sous
mon administration, ce n'est pas a une As~;ernblée poJitique
que je l'aurai portée : c'est an ministre de la gnerrc j ([ni aurait
fait justice d'un fOl1ctionnaire qnel C{u'il soit, SDllS qnclqne ré-
gime que ce soit, qui se permel Jc dev811ir ]'avocat et 1'or-
ganisaleul' Ll'une résistance queknnquc contre le Gonver-
pement de SOIl pays. lTre::i-biel1! il gauche.) C'est une
théorie que je n'admeltrai jamais ni comme ministre ni comIlle
homme c!'opposition.


Voilil le premier point qu'il cOllviellt d'l~carter, el par con-
séquent, iI n'y a pas líen d'insister plus lotlgtemps sur la leLlre
inconcevable cl'un o1licier qui, non-senlement comme fonction-
naire, mais CüllHllC militaire, devait savoir aquel degré
ces titres I'ctlgagcaient a l'égard de l'État. (Approblltion 8t11'
divers bancs.)


01. l-IEf\Vl~ DE S.\blY. - Voil~l Ull llOlllme jeté it la mer.
M. G.\.\IBETT.\' - Re.:::[c le marchl) Maxwell-LyLe. K;t-ilué-




~UH LES MAHCHÉS. I()U
cessaire li'en pader? Ce marché n'a été qu'uoe hypothese. Dans
le déLail il peut 8Lre discuté, etre lllterprélé diversement; et il
l'a dé metne au seill de ]a eommissíot1, eOtllme le prouv8nt les
proces- verbaux ; c'est une heureuse fortuoe, eOIl1me on 1'a dit
irooiquement dan s le rapport; car on a mis beaucoup d'esprit
dans le rapport, mais pas cet esprit dont parlait ,tOllt a l'heure
M. ledne d'AudiífreL-Pasquier, ¡'esprit de la bOllne grace; non,
00 y a mis, permeLLez-moi tIe, le dire, un esprit de perfidie.
(Vives protestations a droite et au centre.)


OLli, messiellrs, je vais vous en clonn.er une preuve. Ainsí
voilit M. Maxwell-Lyte, un négociant honorable, qui a trouvé
des défenseLlrs jusql1e dans le sein de la eommission, des hom-
mes comme M. le cornte de Béthune, "pour eautionner son ho-
l1orabilité. Eh bien, M. Maxwell-Lyte a fait un contrat avec
l'I~lat. Ce contrat, vous le pl'étenclez mauvais, moi, je le pré-
tends bon, bien qu'il n'ait été qu'illllsoire. Il n'a pas exÍsté el
vous dites : Heureusement qu'il n'a pas été exécuté! Au fond
vous en etes m.chés; c'est un grief qui vous échappe.


Pourql1oi n'avoil' pas dit par qlli il avait été rompu? Vous
aviez sur ce point la déposition de M. Le Cesne, pourquoi ne
l'avez-vous pas mise dans le rapport? Vous la connaissie z,
puisqll'elle est clans les proces-verhaux. Pourql1oi n'en avez-
pa':l parlé dans votre rapport.


ú'n rnem,bre ((. !/allche. - Parce qu' on a v ou lu tromper le
pays I (Vives réclamatiol1s il droite et cris : A )'01' elre! a
]'ordre !)


.M. HAENTJESS. - On ne pDrlait pas ainsi quand iI s 'agissait
des ministres de l'Empire. On applaudissait alor~. (Bruit. )


M. LE PRÉSIDE.\T. - Si j'avais pu dislinguer quel est le re -
présentant qui a adressé a une comrnission cette imputatioll
Vous avez voulu tromper le pays! je l'aurais rappelé sévere-
ment a l'ordre. (Tres--bien! tres-Lien !)


Voix a clroite. A l'ordre! Qu'il se nomme! qu'il se nomme
M. LE PRÉSIDENT.-VOLlS n'avez pas de provocation a adresse


Ú vos collegues ; veuillez faire silence. Vous n'avez pas a v o u
immiscer dans I'exercice du pouvoir disciplinaire du présid el1t


:10




¡:.~~-~~~~:~~ ~'~


170 DlSCOURS A L' ASSE~mLÉE.
Parlez, l11Ul1sieur Gambetta.
M. G.BIBETTA. - Ce marché, messieurs, il avait été pré-


paré par la commissioll de défense, il m'avait été sOllmis, jo
l'avais ratiüé., M. Le Cesne s'y était oppo:-;é. J'avais consult(~
ces messieurs de la commission d'élude pOLlr savoie pourquoi
.1\1. Le Cesne avait résisté, et alors Oll s'tStait permis sur
1\1. Le Cesne, -' jo ne dis pas que ce fllssent ces mes~ieurs, -
mais des pe1'50nne8 s'éLaient permis sur ~1. Le Cesne, et ~
propos de ce refus de consentir au marché, de:3 ill1putations
tout a fait injLlrieuses<


J'eus la bonne idée de faire venir sans d\!semparer M. Le
Cesne aLl milieu de ce5' personnes, qni s'élaient faites ses
dénonciatricos ; j'ells le bonheur de constüter que c'était lui
qui avait raisan. Et je brisai le contrat


Jo crais que dans l'affaire qlte nous clisclllons, il eut pellt-
etre été uLile, en meme temps qU'OIl se fl~licitaiL de la rupture
de ce contrat, de clire a qui Oil clevait cru'íl eut été brisé et
inexécnté. (Assentiment agauche.) Je le regrette cl'antant plus
que j'aurais répondll par la ~t ceLLe (~[Ji[;['atr:me que nous a
décochée cn passant l'honorable ol'.::teur, que le gOllvememellt
de Tours était tres-bizarrc) qlle tout le lIlon:le y vi vait dans
une suspicion rivale, chacull de chacutl.


'< -


Messieurs, ce gouvernement de Tour~ était une chose
humaine ... (Rires ircniql1es sur plu:;ieurs ballcs Ü droile.) ¡¡
ne faut pas ~ller bien loin pour trollver des réunion:) d'hommes
qui ne savr.nt pas vivre sans se 'jaluu~er, el surtout saos ce
sentiment de mé1iance profonde et de suspicion outrageanle.
Et ce qui so passe aujollnl'hui e/1 8:-il llll UCC'i plus trístes
exemple:l, cal' apres tOlü, CSt-C8 <In'jI ne serait pas possible
que vous vinssiez dit;cuter hOIlllctemcnt, sallS parti pris, nos
actes, crítiqLler nos fantes? Esl-ce qu'illlC serait pas impossi-
ble qLl'a travers toutes ces t1ffaires, que dans plus de 20,000
marchés qui out été passés, il ne se trouvüt pas de fautes
lonrdes ou légeres '? Est-ce moi qui aurais la faiblessc de ne
pas le reconualtre? Non, je n'ai pas celtr~ prétention ridicule
a l'iufaillibilité. Mais qLland on demande tl'iutruduire la




loyanté dans ceLte disCllssion, c'est paree CInc, mt~ll1e entrr~
adversaires qui se dl~testent, jI y a une borne séparative de
moralité, ü'honneteté qui commande le respect toujours entre
gens Cjl1i s'estiment. (Approbatiol1 ~t gauche. -- Bruit iJ


. droite.)
M. R.\OuL-Duv.u,. - Je demande la paroJe.
11. GAl\rBETn. - Eh hien, je dis que, dan s totlte cette
affaire~ iI plane, gdce ü votre langage, je ne sais quelles
insinuatiolls, quelles allusions, quel esprit de dénigrement.
Et, eomme le clislliL tOllt ¿t I'ht3UCe \1. '\aqllot, ceLte oceasion
est bonne pou!' demander qn'il suit faít des désignations
directes, des accusaLiolls pn~cises, pOllf qu'ii n'y ait plus de
dell1i-mots, d() réticcnces, 'ponl' fIn'on diso - non pas pour
vous, messir,llI's, en t' [es esprits politiques ne s'y trompent
¡Xl.:; , habitu0s qll'ils sont ú tOl1Le:-; le;-1 nuauces de langage, -
mais pour le pays : il y a dans tout cela de gros mols; il est
qllestion de ~iO,ÜO() dol131'5 de pots-cle~vin, de concLlssions ;
tont cela dans le lointain des départernenLs paralt un outrage
qu'on exploiLe.


Je le dis, puisqu'un travail de l'tJgénéralion s'opere, puis-
qu'on voit renallre la moraliLé, puisqll'on vcut que l'habitude
de la responsabilité revive dan s le pays, il faut <1i1'e la vérité
entiere; on pilllrr;l aU('ill:1n~ ce ré,~~lILlít, IlEiÍS a 1::1. condition.,
entenc1ez-Ie bien, que vos jugement:1, q¡le vos décisions ne
soient pas inspin~s p:ll' l:l passion politiqne. (Tres-ilien! l~
gauche. )


en memurc de la commission. - Arrivons éll1X canons.
M. GA~IUETTA. - Sur le~, canons Parrott, je dis deux choses.


Je dis que j'ai donné l'ordre de les acheter; que j'aí signé
pour qu'on les achelút, pour qn'on les acheLül 7~,OOO franes.
Que ma respotlsabilité est la suivante : d'avoir pris la resolll-
tion d'avoir des armes, des canons surtout, qui nOl1s man-
quaient el qu'on ne me p¡,oposait P;¡s. Et je ll',lÍ pas, entendez-
le bien, a faire un reproche ü ~1. Le Cesne de ne m'avoir pas
olTert de canons, :1lors qu'il était pour ainsi dire convenu, et
dans k's habitudes de M. Le Cesne, de ne me fournir que




DISCOURS A L'AssEMnLlm.


des fusils et qn'il n'avait jamais songé it nous fOllrnir des
canons.


Et je dis qu'il était bien natmel ql:e la premiere foís que,
d'lln coté ou d'un autre, on venait m'offrir des canons, j'aie
signé un marché de canOllS. Rien de plus naturel.


Maintenant il s'est élev(~ Hne discllssion, qll'il faüt aborder
tres-nettement, sur la différence des prix. Jé vous dois toute
la vérité ; beaucol1p d'entrc vous la connaissent, pllisqu'ils ont
lu les proces-verbaux de la commissioll.


Je n'ai pas su qne les canons que j'ai achetés, eL dont j'ai
signé l'ordre d'acqllisition, vall1sscnt ll10ins de ni,OOO franes.
(Mollvement a dI'OÍle.) On m'a clit: Voilá des canons qui
valent n;,ooo franes. On m'a faif l'éloge de ces canons. Je
n'arJmets pas qlle nOllS u'eL1ssions pas pris toutes les préeau-
tions possibles ponr assurer la compétenee de la commission.
Ces canons rn'ont été présentés comme rayés, portant a 4,000
metres, comme étant un modele qui correspondait a peu pres
~t notre 7 franc;ais, canon s qni n'existaient pas encore dans nos
arsenallX, puisque ~l. Heffye était occupé a les construire. Je
!le ponvais les faire fabriquec en France, tons nos ateliers
étaient absorbés par les eomll1andes que nOtlS :wions faites,
les ateliers do !'industrie privée eOl11me les ateliers de
l'~tat.


Je considérais comme Ime bonne aubaine, au milieu de la
(lisette qui régnait dans tonto notre arrnée, alors qu'on voulait
revenir anx regles de balistiqlle des Prussiens,~et sur Jesquel[es
tablaient nos généraux, de donner 4. canons par mille hornmes;
je considérais, dis-je, comme une 1>onne anbaine de faire venir
des États-Unis des eanons auxquels il ne manquait absolllment
que les attelages.


On me dit: M. Le Ges~1e vous a prévellu ! Non! et si vous
vOlllez savoir mon sentimeut, je le regretle, je vous ai cité
un cas dans lequell\I. Le Cesne m'avait prevenu. C'est grace
a l'intervention de M. Le Cesne qu'on a pu briser le LraiLé
l\laxwell-Lyte. Si M. Le Cesne m'avait prévenu, j'aurais peut.
étre fait quelque ehose; je n8 d¡s pas que j'aurais cédé, je lle




SUB LES ~rAnCHES. 173


le erois pas~ je vais vous dire pourqlloi. J'aurais uit a 1\1. Le
Cesne : Pourquoi ne vous etes-vous pas empressé d'acheter les
canons qu'on est venn m'orrrir?


le n'ai pas su qu'ils lui avaienl été offerts. M. Le Cesne ne
me l'a pas dit, et en cela je le bl~llne ; je n'ai appris ce qu'avait
dit M. Le Cesne que dan s volre rapport.


Eh bien! voilü uonc daIls qlleUe di3position d'esprit j'étais.
M. Le Cesne, pCllllallt deux mois, ne me fournissait que des


armes se chargeant par la bOllche et pas de canons. Lorsqu'il
a surgí eles propositions de fusils, entenelez-le bien, de fllSils
chassepot se chargcant par la culasse, M. Le Cesne, provoqué
par ceUe concurrence, m 'a offert de me fOllrnir des canons.
Et vous rappeliez, monsieur le présideut de la cotllmissioll
des marchés, la circlllaire ULl 11 octobre, et la confrontIez
avec la circulaire lllini:;térielle du 28 llécembre.


Bien ele plus simple a expliquer.
Le llt; octobre que fait-on? On cnvoie une circulaire minis-


térielle a tous les prMets eles elép;-¡rtements pour qu'ils aient a
empecher les municipalités el'acheter eles armes a l'étranger.
C'est Ulle protectioll que le ministre ele l'intérleur veut
elonner ü la cornmissioll d'annement sur les fusils, eutendez-
le bien~ et non pas sur' les canons.


Et puis arrive le décret du~8 d~cembre, au moment Ol! il
m'était parfaitement avéré que ~r. Le Cesne était digne de la
mission qui lui aV;lit ~té conliée. Car elllin ji faut bien vous
donner aussi les Illütirs qlli ml L amellé ce décret du 2~ décem-
breo Il est certaill, pum le Gouvernement, que M. Le Cesne
était parfaitement 11 la }¡auLeur 'de sa tache; qu'il pouvait
remplacer les ]mreaux de la gllerre et la cOIlll1lission d'étude.
Vous avouerez bien qu'il me rallait ce telllps-H1 non pour me
raire un jugement personuel sur M. Le Cesne, iI était tout formé,
lllais pour vaillere les n~sistallces de toute nature que je trou-
vllis autou!' de moi, résistances qui s'étaiellt produites avec
une ardeur et avec une brut.alité, permettez-moi le mot, qui
avaient fait que j'avais été obligé ue supplier M. Le Cesne de
ne pas donner sa démission.


w.




174 DISCOURS A L' ASSE'\lBLÉE.
Il Y a dans cette Assemblée, siégeant sur d'antres bunes


que nous, des hommes an conrant de ces guerres intestines,
et le délégué des finances sait tres-bien que toutcs les fois
qu'il fallait donnel' de l'arger.t ponr ~I. Le Ce:-illC, c'daient ues
luttes tt'8s-vives ~ de véritables batailles ~l g;1gner. Et ces
membres aujourd'hui voient, apprécient, perdent !C'llrS pré-
ventions, éclairés qn'ils sont par la cornmission des m;¡rchés.


Oh! messieurs, il faut bien que J' Assemblée se garde de ju-
gel' les opérations qui (In t élé faites en ri valitl~ :1 vee jI. Le
Cesne\ pal' la lllmiere qll'elle a anjourd'llUi; il fllllt qn'elle ~je
reporte a la pensée qui l'auimait lorsqu'elle s'est n'~llllie. JI fout
qu'elle se reporte par l'imagination anx mille on-dit qui cir-
clllaient dans la presse et étaient accueillis dans cetle As-
semblée.


Je pOllrrais nommer un de ses membre:, accl1eill:mt celte
. tnission de 1'eche1'cher si J\I. Le Cesne n'était pas ll11 volenr.


Pourqlloi ne le nommerai-je pas? C'est votre rapporteur
lui-meme. Et alljourd'hui vous vOlllez faire une critique r~l·
tionnelle, exacte, en reprochant allX diverscs comrnissions fluí
fonctionnaient au min:stere de l'intérieur de n'avoir pas, d(~~
le premier jour, assuré le monopole ~l 1\1. Le Ceslle.


Mais songez done qu'all mois de décl:mb!'e, lOl'sCjue j'ai pri.s
cette décision d'assurer le tl}ol1opole ú M. Le Cl"SUC, il !l'y a
pas d'infa~ies qu'on 11' ait débitées Sllr son COIll pte N sur le mici!.


Un membTe. - A qlloi cela répollll-il?
M. GA:\lBETTA. - Cela répollli ú ceci, a la pn~\cJ1Liol1 gén(~­


rale dont la commission Le Cesllc était l'ohjel; cela répoud
parfait~ment a la disposilion d'c'sprit uans la(!twile d(~vait s!~
trouver la commissiol1 de défense, llC~ croyallt pas ü la sillcé-
rité de ¡'offre ele ::H5,OOO frílncs pum les C<l!l()l1S PnrJ'olt. Vnilil
a qlloi cela r¿pond, voiEl ce qu'íl faut justíliel'. 011 n'a ras cm
a }'offre de ~1. Le Ccsn'2, de fOllrtlir des callons Ü :3;'),ODO fl'anc:-i)
et on ne pouvait pas y croire. Voilil ce que jl~ Vl!ll 'C dire.


J'ajoute ceci. J'ai VOUlll interrogel' l'homlllc, Ü 1ll/)Jl sens, le
plus compétent de ceae commissi()l1, ~I. le commandant <IlI
génie Pontlevoy.




SUR LES :iL\RCHÉS. 175
M. RL\NT\ l'appoTteHT. - M. de Pontlevoy a déclaré qu'il


répondait de l'honneur de M. le colonel Deshorties comrne du
sien propre.


\i. GAMBETTA. -- Je lui ai dit : Comment se fait-il que, SOl1-
ge,mt. qu'on p0uvait avoir 103 hatteries de M. Le Cesne a
~:H),OOO franes, vous ayez eontraeté ü n-;,ooo franes? Et voici
la n~ponse qu'il a faite. ~lalheurellsement eeLto dépositioll a eu
líel! dans le cabinet [Jartieulier de ~1. Hiant~ devant M. le Tn~­
sor de Laroque, nous ne I'avons pas, mais j'afilrme la sincé-
rité ele la r0poflse sllÍvante; j'affirme qu'il lll'a été rúpondll
cocí: Les Céluons Parrott rayés, a 7;)~OOO ft'ClllC'::, apres COll-
tesLalioil avce ~\J. Le Ce~l1e, qui di:;ait prirnitivement qu'ils
il'étélient pas rilyés, nA Síltlt pas les memes et ils ne ponvaient
}las Mrl' les lllümes dalls llOtt'(~ esprit. Utécieuremenl ils sont
Jevellus les lllem8S. (nires ironiqllcs ~ droite.)


Messleurs, ~i vaus vouliez recucillir (['abonlles clépositiolB,
:lprí~s nons le,; cOllllnenLerions.


M. LE DCC D'AuDlFFIU\T-PA~QnmL - VOlllez·vous me per-
mettre de vous dire qll'elle est an dossier et que' le dossier a
(ttj communiqué ...
~I. GAMBETTA. - .le n'ai pas demandé ~l voir le dossier.
~I. LE DUC D'.\ UDTFFRET-PAS(HJIEl:. -Alors ne elites pas qu'elle


n'y est paso
~I. GUIBET'L\. - Je n8 di:; pas qu'clle ll'esl pas uu dossier,


jG clis que vous rw l'avez pas rnit connaitre ü ]'Assemblée.
M. LE DlSC j)'JÜlDIFFf:ET-PASQUIER. - Vous elites que vous en
:.·'L!~s priv(~, paree que la déclaration a été faite dans le cabinet
,le ;\1. Riant, en IJrésellCe de 11. Le Trésor de Laroque.


J'aHirrne devant l' Assemblée qne ceUe déposition est an dos-
:-'Íel' et que, non-sC'ulmnellt le dossier aété commllniqué Ü
\I. l\aquet., llwis ü ~I. Lepere, mais a quiconqlle Pa demandé.
Oll 'on !le dise pas que la piece lJ'y é tait pas, (Tres-bien! tres-
hit '!!! it lImiLe. _. ApplalldisSémellts,)


:\1. G.\.:\IBEI'TA. -- i\Iais je n'ai pas dit que la déposition ne
fút. pas ,1[1 dossier, jo n'ai jamais rien dit de pareil.


Je dis que VOlll' nOlls, il n'y avait que les dépositions pu-




DISCOUIlS A L'ASSE~mLÉEo
bliées, distribllées; et je He me suis jarnais oeellpé d'alltrc
chose, et je n'ai jamais demandé comml1nicatíon de votre
dossier.


M. LE DUC D' AUDIFFRET-PASQUIEH. - POllrquoi cela?
M. GAMBETTA. - Paree que le rapport me sufllt pour avoir


raison de vos allégations. (Oh! oh! 11 droite. - Tres-bien!
tres-bien! agauche.)


]\I. LE DTTC n'AnDIFFHET-PAS()UIEH. - Je demande ~l l'Assem-
blée s'ii était possible de faire imprimer trois ou quatre pa-
quets aussi volumineux que cellli que je lui rnontre.


M. GA;\IBETTA. - Je dis, lllessieurs, que cette déposition n'a
pas été imprimée pour l'Assemblée natíonale, comme c'étail
le devoir ponr la commission, el ne nous a pas été distribuée ;
et puisqu'on équivoque lü-desslls, j'ajoute que ce n'est pas la
sellle. (Interruption.)


M. LE uve D'AcDIFFRET-PAS()[JIEIL - C'esl VOllS qlli éql1ivo-
quez !


. \1. GA:\IRETTA. - Du tout, c'est vous qui éqllivoq1l8Z, cnr
c' est vous qtlÍ dile s « dossier! ) alors que j' a i di t: c( distri bll-
tion »). (Exclamations a druite.)


Et. pnisque nOllS en sommAS Sllr la pllblication des d8posi-
tions, je dirai que je regrette que la dépositioll de M. ~laurjce
Lévy, chargé de la directioll des balteries départemefltall~s, e t
dont on a invoqué le témoignage tnut ü l'heure pOlle raeonter
inexactement ... (Rumenrs ü druite.)
~lais, messieurs, c'est mOll droiL de rétablir la vériló, apre~;


tout. Qu'en savez-vous si cela ll'est pas vrai? (rnterruptiotls Ú
droite.) Mais enfin, une teUe intolérance est inouoie ~ ... "
(Parlez !)


Je dis que je regrette que la dépo:;itioll de M. :'laurice lAvy,
- et j'entends par la jllstifier les paroJes que j'ai prolloncées
lUlIt a l'heure, car je Liens que le premier de mes devoir.."
dans eeUe Assemblée, est de ll'allégller que des choses dont
je suis sur, - que la déposition ele :\1. Mamice Ll~Vy n'ait été
ni imprill1ée, ni distribuée, cal' vous y auriuz III que ce n'e . ,t
pas M. Maurice Lévy qui a appris) avantmoi, le prix desbatte-




sun LES ~rj\.l;Cfll~S. ,177


ríes Parrott proposées par M. Le Cesne a ~;:i,OOO franes: VOllS
'! audez appris égal0,ment que ce n'est pas M. Le Cesne qui a
demandé des garanties pOllt' réaliser le marché; vous auriez
appris tout l'inverse, ;1 savoir. ..


en mem,bre an bane de la cornrnission. -- Qu'est-ce que
cela veut dire?


M. GA~IBETTA. - Cel:l veut dire, monsiellr, que je releve
les inexactitlldes du disr.ollrs de l\f. le duc d' Alldiffret Pasquier,
lorsC[u'i¡ a dit qlle le lendemain du contrat, .l\!. Maurice Lévy,
rencontrJnt d;lllS les mes de TOllrs i\l. Naquet et M. Gambetta,
lellr llurait appris l'histoire des :3~),OOO francs par batterie~ et
qu'alors il srrait alié ... 11 Y a meme autre chose, il y a une
troisieme inexactitllde qui me revient a l'insLant ... Vous avez
raconté que le m(~me M;1llrice Lévyavait appris directement
et a\'ait reQl1 directement (le l\Bt Billing, Valentine et Saint-
Lanrent une proposition pOllr ces memes batteríes el obtenu
une réduction de 10,000 francs.


J'ai la déposition de 1\1. Maurice Lévy. Je ne vous en donne-
rai pas lectllre, puisqll'elle n'a été ni imprimée ni distribuée ;
mais elle dit tout le contrairc.


A cll'oÍle. - Lisez! lisoz !
l\I. GA:\IBETTA. - On va me la faire passer.
-;\I. LE DUC n'AUDIFFHET-PASQUlEIL - C'esl dans la déposi-


líon de M. Le CeStle quc VOi¡~l itnprimée. Vous confondez Le
Cesne el Lévy.


1\1. GA:\lBETTA. - Vous allez voir qu'il n'en est rien. « 1\1on
témoignage, dit M. Maurice Lévy, est cité dans le rapport que
1'llOnorable M. Hiant vientde déposer a l'Assemblée nationale,
relativement au marché de batteries Parrott conclu avec le
GOllvernement de Tonrs, sur la proposition de la commission
des.moyens de défeuse avec MM. Valentine, Billing et Saint-
Laurent.


« J'ai quelques rectifications a faire a la dépositioll de M. Le
Cesne reproduite daos ce rJpport, et comme ma propre dépo-
sitir¡n est résumée en Ulle phrase qui ne me parait parait pas
¡a renclrc, je vous srTni obligr, de m'¡1l1toriser Ü reprodllire mon




178 DIscouns A L' ASSEMBU~E.
opinion telIe que je l'ai donnée dt.:s le mois de juin di'} l'ann0(\
derniere, toutes les fois qu'oHiciellement ou ofllcieusement 1:1


. commission des marchés OLl quelques-uns de ses membrfs
m'ont fait l'honneur de me la dc.mander.


« Voici en résumé ce que j'ai dit:
« POUI' pouvoir apprécier sainement ce marclll~, il me paralt


de toute nécessité que la commission parlementaire velli!le
bien se reporter a l'époque oü il a été conclu; il faut qu'elle
se rappelle qu'á ce moment les nttaques répétées de la presse
avaient rencln la commissioll d'armernent et son prGsident~
M. Le Cesne, tres-suspects ü l'opinion publique.


« C'est ce manque de confiance dans les opérations de b
commission d'al'mement qui a en principe déterminé l'inter-
vention de la commission des movens de défense dalls la


"


conc.lusion d'un certain nombre de marchés d'armes, et qui
explique allssi comment la commission des moyens de défensl~
a pu tres-sineerement douter dll sérieux de 1'offre de M. Le
Cesne, d'acquérir les batteries Parrott a ;35,000 francs. »


PuiSqU'OIl recueille des témoignages, celui-Iá a son mérite,
car il émane d'un homme donl 011 ne dénie pllS la c()mpétence~
et dont la commission a pu apprécier la capacilé, la loyaulli.,
les services rendlls, d'lIn homme sur lequel on a pn~pé.lf(~ les
éléments d'Ull granel rapport ; il en existe lUl llon moins eonsi-
dérable émané de M. Dllrangel, directeur au ministere de l'in-
térieLlr, et on a pu voir également qllels ont élé le ll1l~rite, le
zele, les lumieres de M. Lévy. On veut des d~positions, en
voici une qlli ti. encore son mérite, cal' elle tombe d'une bOll-
che qui a la garantiede l'honneur etdela compét.ence. (Apprü-
bation agauche. - Réclamations a droite.)


Je pOllrsuis la lectllre de ceUe déposition :
( Je pllis ajollter allssi que les doutes sur la gestion de la


commission d'armement étaient si répandlls, qu'a rna COll-
naissance plusieurs membres de l' Assemblée nationnale sont
venus -a Bordeaux avec de sérieuses préveiüions contre 1'hono-
rabilité de son pl'ésident.


« Pour moi, il me parnt difficile qn':m prix de 30,000 fr. O!1




~UH LE:-i MAHCHÉS.
pút avoir Ulle batterie d'artillerie en état de servir. Cepen-
dant, comme h cette époque ~I. le milli~tre de la guerre tenait
a faire canon de tout, ii m'engagea a aller voir s'il y avait
n~eJlement quelque cllOse ü tirer de cette affaire. »


Vous voyez que ce n'e5t pas lui qui m'en a appris l'exis-
tenC8. C'est moi qui lni ai envoyé cette afIaire ; et vous avoue-
fez que c'eút été une SillSllliere conduite de la part d'un mi-
nistre de Lt gllcrrü de faire un premier marclll~~ et puis d'en
[aire un second qui fút juste la hase d'nne critique par compa-
r;lison avec le prcmior.


Évídemmctlt, si qlwlqne ebOS8 pellt attester su loynuté, le
hesoin dans JCClllcl il :;\~c:t, tronvé, c'est une pareille maniere
de proeéder. (Tre:1-bien ! il gaucho.)


« Pour bien remIre le sentimcnt avee lequel j'ai eonclu le
marché, qu'on me pCJ'll1etle de ciler le pas~;age suivant d'un
rapport, en d;lLe du i j uin 1871, (1lle j'ai adressé a la comrnis-
síon des marchés :


« Enfin, pOlll' ne négliger aucun moyen d'avoir des eanons,
j'allai trouver M. Le Cesne, flllí, comme il me le dit, ne crnt
p~s d'(\bord ¡na déll1al'clle sérieuse. »


'fout cela a éLé allégué dans les pr¿cédenls disconrs en
~'appl1yant sur l'autorité de r..l. Maurice Lévy. 11 est done né-
c,essaire de remetlre les eh oses SOllS leur véritable jour.


« Ponr lui indiquer qu'elle l'était, je luí déclarai que, si son
son orfre a ¡ni élait sl~rieu~e, je lui ferais oLlvrir le soir meme
un erédit de 1,200,000 fr. Mais comme j'étais eonvaineu que
cette ol1'('e devait pécher par l'exagéralion dn bas prix qu'il
annom;ait, j'exigeai que 1\1. Le Cesne prit SOLlS son entiere res-
ponsabilité la qllalitl~ de ce matériel.


« Je lui demandai s'il avait en Amérique des hommes spé.-:
cíaux pour l'examiner et le recevoir ; iI me répondit afllrma~
tivemcnt. Il est done lOl1t a fait illexaet que 1\1. Le Cesne m'ait
demalldé des g;¡ratllies, cornrne ji le prétend dans sa déposi-
liou. Cela, ell effd, cut f~l(~ tl'es-sillgLtlier, }JllÍSqUC C:est rnoi, /"
qui lt~ charóeais ti'Ull aclwl el qui avais par conséquent a lt{.;:r
en d',:lnlinder. /,~, (/~


f/
':S i/~~




,so DlSCOUltS A L' A~~E~IBÜE,
« Maintenant, le ll1atériellivré par 1II. Le Cesne a 30,000 fr.


était-il propre au service? C'est ce quc chacun a pu appn:-
cier, ce matériel étant reslé pendant plllsicllrs semaines sur Ja
place des Quim:onces, a Bord(~allx.


« En résumé, il ressol'tait de rna déposition :
« 1. 0 Que la commissiotl d'armemeut était sllspecte a l'opi~


nion publique, ce qui lit aUlllcLtrc le principe de l'interventiou
de la commission des moyens d't'~LlIde dans la conclLlsion d'utl
certain nombre de marchés d'armes ayant tons trait au service
d'artillerie ;


ee Qu'on a proposé al! ministre de l'intérieur et de la guerre
un marché de batteries ParrotL a 7;),0001'1'.; que ce prix étant
plus moaéré que le prix 1110yen d'lllle batterie fr¡¡n<;aise de
méme calibre, aucun homrne compéten t !le l' eút lron vé exhor-
bitant, a conuition que le matériel mt b()n. Le ministre a uone
dú approllver ce marché;


« 30 Que lorsque, apres l'avoir signé, il apprit que.M. Le
Cesne o11'rait le meme matériel u de meilleures condition~: il
s'empressa de m'en informer pour (Iue j'en 1isse mon protit
pour les batteries départementales. )¡


Eh bien, je trouve que cetLe Jépositioll qui émane <.l'Ull
homme qui n'était membre ni de la commission eles llloyen~
d'étude, ni de la commission d'annerncllt, ql1i cependant était
fonctionnaire, qui vivait en contactavec ces diverses commi:3-
sions, vous trauuit üdelell1ent, impartialelllent l'esprit qui a
présidé a la confection de ces marchés, et vous donne les deux
raisons que je retrouvais tout a ¡'heme dan s la bouclJe du
commandant Pontlevoy, á savoir qU'Oll n'avait pas pris au
sérieux 1'011're de 1\1. Le Cesne de velldn~ des batteries ParrutL
a :30,000 fr., et qu'en les payallt 7G,OOO fr., on He pouvait pa~
croire, au moment du marché, que ce put etre les memes.
(Interruptions. )


Qnelques voi~'. - Il í'allait télégraphier !
M. GA}lBETTA. - Il ne s"agit pas de lélégraphe. (t:xclama-


tions a droite.)
Si vous croyez qu'il soit commode ele discuter au milien de:::




181
illterrupliollS ! ... 11 ue ~;agit pas de télégraphier ... (Interrllp-
tions di verses.)


Qtlclqucs membl'es. - Continuez !
~1. GAMBETTA. - Je ne puis continller; j'ai entendu un


mot. .. Quelqu'lIn a dit. ..
Voix divcrses. - Continuez ! - On n'a rien dit !
i\1. GA~Il3ETTA. - QlIeíqu 'un a dit: 11 y a en des remises.


(!'\on I non !) Je ¡'ai enlendu. (Non! non !)
M. MAIlGAISE. - Je vous garantis qu'on n'a pas dit cela.
M. G,UII3ETTA. - ~Iollsieur Margaine, c2tte attestation me


sufllt de volre parto
Eh bien, ju dis qUt~ cela rencl raison de l'acceptation dn prix


de 7;),000 fr.
Et pllis, j';lLtire volre élttenlion sur ccUe explicatioll iout a


faiL lcchniqut' dll cOlllmandant qlli dit : NOlls ne pOLlviollS pas
supposer d'allcllu8 maniere, et allCllfl homm8 sérieux n'aurait
sllpposé plus que nOLlS qne les lJatteries Parrott offertes a
75,000 fr. fllssent les memes que les batteries Parrott a
35,000 fr.~ et voici pourquoi... (Bruit et interrllptiotls.)
Écoutez les raisons. Parce qll'il existe dans les arsenaux amé-
ricains, comme dans tons les arsenaux dll monde, un matériel
qui a des qualités différentes ; on peul avoir des lJatteries dont
18s unes out tiré 200 COLlpS, d'antres VOO~ d'antres i\vOO~ et
a10rs, selon le nombre de COLlpS qll'elles ont tirés, elles sont ou
búnnes, ou Illédiocres~ Oll an rebuto (Interruptions ou mouve-
ments divers.)


Ce n'est pas moi qlli invente cela, messieurs; ce sOllt des
raisons techniques données par un homme du métier.


Sur divers vanes. - Parlez ! parlez !
M. GAl\Il3ETTA. Si ce n'est pas vrai, un homme compétent el


-,pécial montera a cette tribune et me démentira: je n'aime
rien mieux que d'elre éclairé.


Cette raison m'a frappé; .le rai trouvée sage; je vous la
mets ~Ol1S les yeux, je vous I'apporte telle qll'oll me l'a donnée,
et rien ne me prollve qll'elle ne soit poillt vraie.


l\1aintenant, que les ÉLats -Ullis aient voulu vider leurs
H




482 DISCOURS
arsenaux, qu'ils aient l'habitude commerciale de vendre le
matériel de I'armée lorsqu'ils sont sortis de l'état de gllene,
je les en félicite, mais je ne voudrais pas les imiter en cela:
la position unique qu'ils occupent leur permet, apres la guerre,
de vendre tout ce qui pouvait la soutenir, ils ont meme poussé
le fanatisme commercial jusqu'a vendre leurs drapeaux.
(~xclamations a droite.)


Plusiettrs l1wmbres. - Comment! des républicains !
M. GAl\IBETH .. - OLli, messienrs, au lendem(1in, ils onL


vendu les fanions, ils ont yendll les canons, les fU::3ils, les vais-
seallX, ils ont vouiu proLlver par la qll'ils étaiellt un pel1ple
comrner<;ant et non pas UIl peuple militairc 1 el qll'ils voulaieuL
effacer jusqu'aux. instruments de la gllerre civile. Done i1s uut
pu vendre leurs a rsenallX .. (lnlerruptiollS et rires.)


Je déclare qu'il ne J11'est pas possible de continllcr puisque
je ne puis obtenir le silence. (A dernain I - Non! non!)


M. LE PRÉSIDE:\T. - Il est en effet difficile a l'oratenr de
continuer et de suivre un raisonncment all miliell de ces in~
terruptions incessantes.


Je demande ~l l'Assembléc de faire silence, autrement je
leverai la séance.


M. GAl\IBETTA. - Qlland je VOllS apporte les raisons d'homn18s
compéteuts, d'hornmes spéeianx, vous riez; de qU0i done
voulez-volls qlle je vous parle ponr la défellse des illtél'eh
don t j e suis eh argé "?


Eh bien, je dis qlle les arS811,II1X de:') États-üuis, al! leD(le~
main de la gllerre, contenaient des batteries Parrott, les unes
dans un excellent état, les autres dans un état médiocre, el
d'autres a }'éth t de rebll t; quelqll'un pelll-:l le nier? Eh biell !
ne comprenez-vous pas que des hommes spéciaux puc;sellt
off1'ir des batteries Parrott ~l 7~,OOO fr.) el cl'aut1'cs a :3;),000 fr,'1
e'est la la queslion.


Agauche. - Olli! oui! - Tres-bien! (\Iollvernenlscliver:3.
- Bruit de conversatiotls all fOllll üe la s,dle.)


:M. GA~IBETTA. - All moment ou ¡'on fai::iai l le con trD.t .. _
(Le bruit continue.)




SUR LES MARCHES. 183
M. LE PRÉSIDEN!. - Veuillez, messieurs, faire silence, ou


hien je vais vous en prier en vous indiquant nominativement.
(Tres- bien! tres-bien!)


Dans une discussion de cette nature, lorsque nos collegues
slexp\iquent, que leurs raisonnements vous conviennent ou ne
vous cOllviennent pas, vous devez les écouter en silence.
(Oui! oui 1- Tres-bien !)


Continuez, monsieur Gambetta.
M. GAMBETTA. - Je dis qu' au moment ou on signait le con ..


trat, les rai8011s que je rapporte étaient sérieuses et qu'elles le
sont encore alljourd'hui.


Je prévois l'objection; elle consiste a dire : « Mais ce sont
les mémes! »


Eh bien, mGssielll's, je la prends directement et je dis : Au
mOll1enL oú l'onfaisait le contrat, ce n'étaient pas les memes. On
ne puuvait pas supposer que ce fussent les memes; et il n'y
avait qu'un moyen d'établir la diHérence de leur valeur com-
parative, c'était d'envoyer aux États -unis des hommes capá-
bles de faire cette appréciation et de discerner entre un maté-
ri(J bon, un mat¿riel ll1édincre, et un matériel qui est hors de
service. C'était 11 ce cunLr61eur f3pécial que nous avons envoyé
ponr assurer l'exécuLiol1 J'llIl cOlltrat) qu'il appartenait de
dire : vous livrerez les canons dans les conditions suivantes
de tir, de calibre, de portée et d'état de conservation, et qlland
vous aurez livré ces batleries, nous les payerons 7;)~OOO fr. le
dis que c'est a ce mornent-la que l'on peut savoir si 1'on a fait
un bon marché ou un mauyais marché, si Oll s'est laissé duper
OH si, au contraire, on a assuré l'exécution loyale du contrato
Voila ce que je dis.


Eh bien, messieurs, quand on esl arrivé a l'exécution de
ce conlrat, qu'est-il arrivé? E:')t-ce que vous vous imagi-
llez qu~ j'ai la prélenlion de soutenir que l'on n'a pas bien
exécllté le conLrat et compromis le Trésor? En aucune ma-
lIiere.


Ce qui m'inr,ombe, ce qu'il faut que j'établisse, c'est la si-
gnalure du contrat, ce sont les circonstances qui l'ont précé-




DlSC()URS


dée, eeHes ql1i l'ont entourée, voilil ou en est ma respollsabi-
lité; el si j'établis que nul a ma place n'aurait pn substituer
une mesure, un procédé di) prudellce que je n'aje pris, je erois
que j'aural établi que je revendiqlle ma vraie responsabilité,
tout en la limitant. (Assentiment i.t gauche.)


Je erois vous avoir fait eeHe prcllve en vous démontranL
pourquoi la commission d'étllue était sortie de son role, quelle
était la qualité qui, dans l'esprít des hornmes spéciallx,
techniques de cette commission, tant au calibre el il J'état des
eanons que sur la portée. impliquait une diff~relJce r'elative,
el l'écart de prix elltre 75,000 fr. et 35,000.


El {.'uis, plus tard, qu'esl-il arrivé ? On llOLlS dit, - cal' rien
ne le prouve encore j usqu'ici, - on nOLlS dit : le matéríel qll'on
vous a livré, qui a été envoyé a Alger, qni est sur le quai d'Al-
gel', ce matériel est exactement le meme que celui que vous a
livré Le Cesne ; voili.t bien votre argurnent, et ce qui le prouve,
dite~-vous, e' esl la facture!


Ah ! messiellrs, il y:a qllelque chose qlli le prollve bien
mieux : c'esL la note du banquier Garrison qui, qlland il él
voulu transiger avec vous, vous a offert d'en prendre livrai-
son au prix de 31,000 [rancs. Et pourqlloi ne l'avez-volls pas
fait? Est-ce que e'est moi qlli vais etre responsable de ce r2-
fus de transaction? Voyons, messieurs, classons bien les dif-
férentes périodes de ce marché: il y a sa signature, il y a sa
eonclusion. Je vous ait décrit les roles différents qu'avaümt
joués soit M. Le Cesne~ soit la commission d'armement, SO!t Itl
eommission d'étude des movens de défense, soit le ministre;
la, je prends une grande responsClbilité. Puis, plus tard, il ya
des différences, des dépeches contradictoires, on ajourne, on
accorde des délais; toct cela, ce sont des exéeulions qui sont
:1rrivées a une date précise, le 13 février, ou le Gouvernement
résilie le traité. JI n'" pas été envoyé de traites, iI n'a,pas été
ouvert de crédits, on n'a rien compromiso


Le GOllvernemcut qui succede au Gouvernelllent de la dé-
fense nationale résilie le traité.ll a bien f(lit ; il fallait qu'il s'ell
tiut Hl. 11 ne s'y est pas tenu, et, sons I'inlluence, tres-proba-




sen LEs :'L\nCllí~~. ,1 S')
blement, des memes néce~sités par lesquelles nous étions pas-
sés nons-memes, la nécessité el'avoir clll canon, tant contre h
Cnmmuoe insurgée que contro los Arabes insurgés, il a subi
celle nécessiLé comme nOlls-memes. Je eherche eles raisons;
<.;a lle devrait pas etre mOll role; mais je ne vois pas pourquoi
jo n'appliquel'ais pas anx autres la me me regle de conduite que
je revendique pour moi-meme,


A gCluche. - Tres-bien!
M. GA~IHETTA. - Je dis que pendant que la commlSSlOn


des marchés siége, que tonte son atten lion e:;t éveillée,
qu'elJe doit tnut savoir, qLle déja elle él pll interroger M. Le
Ce-;ne, qu'elle a pn d(~eouvrjr que ce marché u'est pas ce
qll'll devrait eLro selol1 elle, je dis qu'elle a do parler aux
ministres de l'intérieur, des finatlces et lle la guerreo


Nullemenl, et iI se passe ce f,lit, qui l1'~ntaehe en rien la.
re::poosalJililé du Gouvemement, rnals qui, d:lllS tous les eas,
Jll'est parfaitomcnt étranger; vllici ce ({l1i s'est passé. A la
suite de j'inexéclIlioll des clau:;es linancieres, comme des clau-
ses de livraison matériellc, le GOllvernemenL fran<;ais avaitrési-
lié le traité qni le liait avec Saint-Lanrent, Billing et Valentine ;
il avait résilié ce tr(¡jtl~, et il se trouvait faee a faee avec un
M. Garrisson, batlquier, qui paralt offrir une certaine surface
a Ne\v- York, lequel dem:lndait a se meltre aux líen et place des
premier::; contractants. II uffrait an GOLlvernement fran<;ais le
projet de tl'ansaetiol1 suivant :


10 Prendre livraisol1 des batteries du premier marché an
prix coútant, soit 3i,DOO francs, c'est-ü-dire que c'était la
qu'on acquerrait la preuve que les battecies Le Cesne et les
batteries de la commission étaient bien les memes ;


2° Résilier le traité ponr le surpltls des fournitures" c'est-
3-dire ponr la vente des cinq batteries et des 71,000 fusils
Eufieltl ;
:~o Prendre les líeu et place des premie!'s cO:ltractanls, qlll


':' '(~vanouissaic~n t.


LA GOllVOl'llell1elll, qtli avalt n~siiié lc~ tr:liLl:, n':1¡}opla pas




186 D1SCOURS


cette transaction, et je dis en passant que le Gouvernement, qui
avait résilié le traité, n'avait pas a craindre un proces que1con-
que avec MM. Laurent, Billing- et Valentine, pllisqne, a ce mo-
ment-la, il était parfaitement détentellr de la corresponuance
du capitaine Gusman, correspondance qlli l'éclairait entiere-
ment sur la moralité et la solvabilité des prerniers contrae--
tants.


Par conséquent, le proces qll' on pon vait faire luire a ses
yellx pour l'intimider et lui faire admettre les prétentions de
ces premiers contractants \ ce proces était gagné d'avance,
c'est-a-dire que les étrangers n'auraient pas payé le judicatum
solvi.


Le Gouvernement ne se tient pas asa résiliation, iI n'ac-
cepte meme pas la trans1ction que lui propose M. Garrisson, qui
se met aux lien et place des premiers concessionnaires. Non, il
repousse cette transaction et il fait revivre le traité, savez-
vous avec qui? Avec les premiers contractants; ille fait re vi-
vre en l'augm8ntant de quantités et de prix, c'est-a-dire que
j'ai le droit de vous dire que je suis en présence d'un no u-
veau contrat, et que tout cela ne me regarde pas. (Assentiment
agauche.)


C'est la vérité.
Mais il est probable, el je prends ici l'argutnent qui sort de


cette nouvelle situation, que le nOllvean gouverncment n'a ras
trouvé aussi d¿risoire que vous youlez bien le dire le prix de
75,000 francs appliqué au premier contrato Ce prix, en etJet, i!
était tenu en sLlspens, il était vrai ou faux selon la qlJalité
de la batterie qui arriverait ~l Alger. On fait la transaction,
qlland? an mois de juin. On voit les canons quancH au mois
d'aout : par conséquent~ dans l'esprit des liquidateurs, les
batteries que nous avions achet8es n>,ooo fr. pouvaient les
valoir.


Ce n'est qu'apres coup, post {actLtm, lorsque la livraison
tardive a été faite, qu'on a pu constater qu'il ne s'agit que de
batteries de 31,VOO fr. Voila la situalion. Elle a été reconnue
et apurée par trois ministres: le ministre des finances, le mi-




SUR LES MARCHÉS. 187
nistre de la guerre et le ministre de I'intérieur, eL on vous pro-
pose a uj ourd' hui, qnoi ? non plbs de b 1 amer Naquet e t Deshorties,
rnais de renvoyer celte décoLlverte faite par la commission des
lllarchés sur le cOll1pte de liquidation, a qui ? aux trois minis-
tres qui l' ont consentíe.


Eh bien,je ne m\ oppose pas; et s'il m'était permis da for-
muler un V03U, savez-vous quel il serait? et ce V03U serait
sérieux : c'est que vous fassiez ¡me chose qui devrait etre le
devoir direct et prill1itif de In comlllission des marchés;
non pas ele venir Spl~clller sllr qllelql1es affaires ... (1 nter-
l'uplions diverses. -- R~cl¿l!l1ations ;lll ]);¡nc de la commis-
sion. )


M. DE CA YAHnlE. -- C'est vous ql1i etes un spéculateur en
Hépuhliquc! (Exclnm:ttions á gauche.)


i\r. G,DIBETTA ... mais de défércdt la jllstice, aux juges d'ios-
trllctiofl, a vos p;¡rqlleLs Lons ceux que, ele pres Oll de loin,
eussent-ils été chefs de gouvernement? vousaccusez de n'avoir
pas les rnains pures.


·VoiUl. comme je comprendrais le devoir de votre cornmis-
sion; mais que vous veniez ici, oLl iln'y a pas de juges, ou
nOllS avons de::; passions inconciliables et irréconciliables, agi-
ter sur le dos de tel Oll lel parti de véritables brandons de pas-
sions poli: iq¡¡es, je ne l'adlllets pas.


VOIIS disicz lout ;1 l'hl:ure, eL c'est un mot qui m'a profondé-
ment touché, car seul, s'il élait fondé, iI serait eapable de
chélnger nos eonvielions; vous nOl1s avez dit un jour que nous
uenlalldions la elis::;olulion; et v,)Us avez insinué, selon votre
méthode, que nous voulions la dissolution pour éviter de ren-
dre nos comptes. Ell bien! je vous propose un moyen expédi-
tif et sur de savoir la vériLé : c'est de nornmer une commission
de juges enqueleur::; qui yerra ee que nous avions quand nous
avons ramassé le pouvoir que d'autres désertaient... (lnterrup-
Lion) el ce que nou::; avons aujollrd'hui.


QUrlnt a moi, j'attendrai avec confiance le jugement du pays;
et j'aí la fl:flll8 conviclioll que ce jllgf:ment rendu par le seul
}uS'e, le Seul souverain que je reconnaisse, le suffrage univer-




DISCOllRS SUR LES MA RCl:lf~~.
sel, sera a la fois la réhabilitatíon de notre conullite et la con--
damnation de nos calomniateurs. (Appl:1uuissements répétés ir
gauche.)


L'orateur, en descendant de la tribune, est félicité par plu-
sieurs de ses colIegues.




DISCOUR,S


PRONONCÉ A GHENOBLE


Le 2/j Septembl'e 187:2


MESSIEURS liT CUEHS CO~CITOYE:.\'S,


Notre ami, M. f:tlouard Rey, a bien VOUIU me présenter 11
vous et me souhaiter la bicllvenlle dans votre ville. II a mis
dans les quelques paroles qll'il a prOllOtlCpeS, une émotion
qui, pour moi, m'a profOtHlément retnué et qui me pénetre
de reconuaissance ctlvers luí et etlvers vous qlli avez bien
voulu vous associer a lui par vos applaudissements.


Ouí, messiellrs, je setlS el je sais que je Sllís dans un pays
ql1i est, de longue date, acquis a la canse et dévoué a la défense
des principes de la Hévolulion franGaise, puisqu'il l'était, pOllr
ainsi dire, avaot que la France de 89 eul commencé a les bal-
blltiel'; je n'oublie pas volre ancien et persévérant dévoue-
ment a nos idées, el, si je pouvais l'oublier, l'accueil que vous
m'avez fait au rnoment (Ju j'ai mis le piea sur le sol de votre
ville, serait certainemcnt la plus énergique el};l plus pé-
nétrante leGon pOllr me rappeler tout ce que j'áí encore
11 faire pour etre digne de vous et de volre glol'ieux passé.


?\Iais j'ai bien ~cllti, messieurs, - et permettez que je me
rldEJIlde pubJiquemcllt uevant vous contre le reproche de tom-


H.




190 DISCOURS


ber jamais dans une confusion qui serait vraiment coupable,-
j'ai bien senti que ce que vous acclal11iez, vous saluiez, de cris
si ardents, si répétés, c'était la République et non l'homme,
(Bravo! - Applaudissements.)


Plusieurs voix. - C'était la RépubliqLl8 et j'homme !
M. GAMBETTA. - L'hornme VCiut ce que valent ses efforts;


mais ses efforts ne sont jamais que ro~treillts, et trop souvent,
~ iI n'y a jamais faiblesse a le reeonnaltre, -sujets a des va-
cillations et a des ineertitudes, paree qu'il n'y a pas d'homme
parfait, paree qu'il n'y a pas d'homme qui puisse se promettre
a lui-meme qu'il sera toujours a la hauteur des événements.
l\1ais cet homme que vous vOlllez bien reeonnaitre comme un
des vótres, comme le vótre, cal' il s'est donné tout entier a son
parti ... ((Olli 1 ouí! - Applaudíssemenls), a, au moios, pOllr
lui cette convietion qll'il n'a jamais mis dans son ereur aueLln
intéret, aueune passion, aueun mobile en baianee avec les in-
térets de la démocratie républieaine. (Bravos.- ~Iarques J.'as-
sentiment général.)


Tout a l'heure, on pronon<;¡ait un mot quí produit toujours
sur moi la plus vive impression ; on faisait allusion a ces dou-
loureux eL tragiques événements de la blll~rre, de ceUe guerre
que nous avons eontinllée alors qu'elle était llée du eaprice
d'un aventurier couronné, de eette guerre dant nOLlS avons hé-
rilé et que nous avons ponrsuivie arres l'avoir J.énol1eée et
eombattue, paree que nons sentions qu'il y allait de l'avellir et
de l'honneur de la Franee.


Hélas! citoyens, eet avenir a été eC)Jj]prumis; notre pays a
été enlamé dans son illtégrité. 1\fais ce n'cst pas a vous qn'í1
faut apprendre que la responsabililú en remonte tout entiere ü
l'empire et it ses complicos, ies conseillers de lons rangs pla-
eés <llltOUl' de lui. (OllÍ! olli! Bravo!)


!I1essieurs, laissez-ll1oi dire que rien ne me lanche davan-
tage que ce salllt habitucl qlli m't>,~t adressé partont Ol! je
passe et qlli rappelle les efforts uu gOllvernemellt de la Dé-
fellse llationale (Bravos), cal' i1 y a une cllOse qu'il faLlt tou-
jours répéter, paree que c'est rhotlneur de notre parti, qu'il




A GRENOBLE. 191
ial1t redire chaque fois que se produisent les attaqlles de nos
adversaire~, qu'il ne faudra jamais se lasser de prollver, pie-
ces en main, c'est que la cause °de la l~ral1ce et ce He de la Ré-
publique SOllt désorrnais unies et confondues, et que, entre
l'une el l'autre) ii y a une association indissolnble que rien
n8 pourra rompre. Messieurs, on nous a SOLlvent reproché
d'avoir raít passer ['lllle avant l'autre; je réponds que nOllS les
aVOllS toujollrs confondues, associées, réunies, et, pour moi
ql¡i ne comprends p;,s la Répllblique sans la France, je sens
qll'on ne pOllrra jamais séparer la France de la Républiqlle
sans cOllrir it des dl~::;astres plus effroyables encore que cellX
dont !lOUS sorLons a peine. (C'E-'st vrai ! c'est vrai! - Assenti-
ment général.)
~lessieurs, llotre ami M. Rey rappelait allssi tout tl ¡'heme


- et il faisait bien - que non s sommes dans un pays, dans
une ville qlli a été largement, complétement associée depllis un
siecle a llotre histoire natiotlale et ql1i, a desépoqlles si diffé-
relltes el si c0ntraires, a été le théatre - la ville et ses envi-
fons - d'évl~nements divers.et pourtant, a de certain~ points
de VlIé, semblables il ceux qui viennent, de se dérouler devant
n03 yeux, et pelll-élre a ceux qui se préparent. Aus"i bien, iI
n'ya pas de lieL1~ d'endroit, dans toutes les alltre~ parties de
la France, qui sniL plus arproprié pour faire entendre cerlaines
paroJes el {~voquer certains enseignements. C'est pOllfquoi,
me~sienrs, qllatl(l vos ami" sont venus a Chambéry, dans eeUe
noble torre de Savoie, si pen connlle, si ignorée, si diverse-
rnent jugée, el ou l'esprit répllblieain respire et sOllffie en toute
liberté, en dépit cl'lIne aclmiuistratio[} réactiot1naire et im-
puissante jll:-iqlle dans ses puériles tracasseries; qualld, dis-je,
ils SOtlt vellUS me chercher au miJieu de ceLte Sa \"oie répllbli-
caille, anti-c1éricalo, protondémollt fran<;;aise el qlli, qlloi qu'on
dise~ cQnfutHl ::lllflisamlllent par son attitllcle tOIlS ses calom-
niatellrs, jo n'ai pas pu r¿sister a Ipur Íl1Yitation, bien qne le
temps me !l1clllql1üt, et je suis venu a GrenobJe, mais ríen que
ponr IOllcher barn~ et dépl)ser on quelque sorte, une carte de
visite. En effet, j'ai le chagrin de vous quítterdes demain ma-




192 DlSCOOHS
tio, mais je me promels de revenir vous visiter plus tard, quoi
qu'il ad "ienne. (Tres-bien! - Assentiment général. - Ap-
plalldi~sements. )


Cepeodaot, puisque nOL1S voici réunis, et que, dans la soirée
qu'a bien VOUlLl donner 1\1. Vogeli a l'occasion de mon séjour
11 Grenoble ...


M. VOGELI. - C'est la démocratie tont entiere, citoyeo Gam·
batta, qni 111'a chargé de YOllS offl'ir cette soirée.


1\1. GA:\IBETTA. - Si YOllS a\'iez eu un pell ¡Jlus ele patience,
moo yiellX camarade, vous 311riez vite aper<;;u que nOllS som-
mes d'accord. (Oil rit. - Tres-bien !r


J'ai dit : Dans la soirée que M. Vogeli a donnée 11 l'occa-
sioo de mOll séjour ici, parce que nous viroos dans un temps
ou 1'00 en est réduit 11 empeclIer des hommes sinceres qui ai-
ment lenr pays, qui lI'ollt el'antre passion que la jllstice, ti'au-
tre désir que de s'éclail'er If~S UDS les antres sur la meilleure
marche ~l suivre dans le sens dll bien public ; parce que nous
vivolls dans un t8111pS Ol! c.es hOtlltnes sont conlraints de re-
courir a des précautions, a des expédienh, ti des biais derri(~re
lesqllels ils puissent á peLl pres regarder, sans aucune espere
d'appr¿hension, les fuudres du parquet et d'Llne administration
toujoLlrs préte h se dire : Dans l'arsenal de nos Jois, - et l'on
sait s'il est riche! (Rires) - il Y a des lois llOnaparLisLes
qui empéchent eles hornmes de se réunir pour causer
enlre eux sans aroir pris sept a huit précautioos préa-
Jables; (Nouveaux rires) si llOUS en USiOllS contre ces
hornmes ! (Interruptions! et hilarité géuérale.) C'est la ce
qui m'a fait dire, ml~ssieur~, que M. Vogeli nOLlS a off8rt une
soirée, et je cruis qu'il y a autant de vérité que de prudence a
le dire et a le répéter, mais je sais aussi, a ne pas m'y trom-
per, parce que je le vois et que YOllS m'en donnez achaque
instaut la preuve, que je :mis ici l'hute de tont le monde.
(Tres-bieu. - Oui! oui !)


Et naiment, cetle premiere rél1exion me per mettra peut-
eLre de répondre d'ici a certaines récriminations, a cerlaines
déclamations qui ont encombré ces jours dernier.s les colonue:-:




.\ (atE:\'OBLE.


d('~~ jüurnHllX... - .Mon Dielll comment di~aís-je? - des
j(J\lrnal1~ qlli sont dl~VOllés ;1 l'ordre I n'est-il pas entendu. en
cITt;t, dans ce lemps de c()llfll~ion ou les mots ont changé ab-
so!tllnent de sigllification, hien qu'on continue a toujours les
elllployer, n'est-il pos bien enlendll que nous somme~ a tout
jatnais le partí dll désordre! - NOllS, le parti du désordre,
liles,ieurs, nOllS qlli respeclons constammenl la loi, qui nOllS
asslljettissons rneme a salllcr et a !le pas 811freiudre ce'llps qui
OlJt été le fruit dll crime sorti de 1'1Isllrpation la plus odieuse;
llOllS qui avons fait cun linllellernent tOlltes les concessions,
talls les sacrificos, dcpuis dellx ans; qlli a vons donné partout,
clans lous les Conseils électifs de la France, dans lesqllels nos
cr¡!1citoyens nous ont constitués en majorilé, l'exemple de la
patience, de la modération; - nous, le parti du désordre!
qudle impudence il faut avoir pOllr le prétendre! 1\'Oll, me-
".¡eur:;, nous somme:3 le Hai par ti de l'ordre dans ce pays, et
fll cela nOLlS n'avolls qll'Ü nous remIre jllstice, qu'a mettre ell
ayant notre propre disciplille toule volontaire et par cela
meme efficace; nO\lS n'a-,'ons fourni, dans aucune occasion, le
prétexte d'intervenir a l'autorité, ou a des agents trop zélés
qui la comprométtent, et qlli cherchent tUlltes les occasiolls,
favorables ou non, de saisir le parti républicain en flagrant dé-
¡il ... On nous aCCllse d'étre des gens de désordre et de vio-
lellce! Et qlland ]lOllS HOllS cOlltentons de prendre notre droit,
de le mettre en lllmiere, quand nous fournissons toutes les
prenves de sagesse, que dit-on? On dit : Ah! si nons ne les
avions pas arrelés, a que!s exces, a quelles saturnales se se-
raient 1i vrés ces démagogues! Vous n'imaginez pas, ajoute-
t-on, a qnels actes ils se seraient portés contre les citoyens,
c:ontre les personnes, contre les propriétés, si une loi bonapar-
tiste - qu'on retroLlve lout expres (Rires) - ne leur a vait pas
f~té opposée a ternps et si nous n'étions pas venus la pour
SéHlver la société d'llll pareil calaclysme. Voila lenr langage.
Oui ! olli 1 c' est cela! - Bra vos.)


En sorte que, messieurs, nous somrnes dans cette situation
singuliere et fort difficile a soutenir, a sa voir que, qlland nOllS




DISCOORS


obéissons aux lois, c'est par impuissanee, et que, quand nou~
les critiquons, meme en nous y sOlllt1eltcmt, en nOllS bornant ¿1
faire remarquer leur triste~ lenf cl(ii(~L1se origine qui viole le droit
des sociétés libres, 011 llOUS dénonce. (Rire général.) Messieurs,
on devrait bien reeonnaitre enOI1 que la presse dite de l'llrrlre l
en se condllisal1t de eeUe maniere, l1e fait que un désordre,
et que ses agents ne recherchent qll'l1ne cllUsu, la provocatíon,
(Bravo! bravo! - Approbation uuanime.)


l\Iais je m'oublie a parler de cette presse S:111S nom, qui a
perdu toute estime et tOllte consiJération dans le pays. 11 vau-
drait Oliellx élever la questiol1 et dire une botloe fOlS aux hom-
mes d'État qui ont la prétentioll, dan s tOllS les partis, ele
chercher le régime sous lequella Franco, qni est une dél1lo-
cratie, doit se développer et produire; leur dire une bonne
fois : Avez-vous réfléchi it ce que C'(~:;t qlle la elémocratie? Et,
avant de la mettre a la gene, avant de ¡lIi imposer des lois mi-
sérables, avez-vous mesuré l'étendue dn mal qll'il faut faire
disparaitre? A vez-vous mesuré le,; besoins de ceUe société et
savez-vous bien dans quel pays, a quelle époqne vous vivez?
Car, enfin, messiellrs, ce droit qlle nous eXJJn,;ons ici 1 a hui~,
clos, et sous la surveiqance de cinq ~l six adminislrations dif-
férentes, il n'y a pas de pays libre qui n'etl revendiqlle I'exer-
cice et ou les hommes d'Élat ne se glorifient de le protéger; il
n'y a pas de pays libre ou 1'011 11e puisse, COlllme en Allgleterre,
pour citor l'exemple d'un pays monarclliqlle. n~llllir los élec-
teurs au llumbre ele ciuq 1 ::;ix 011 dix mille, en tOllS temps, 8n
tOLlS lieux, en pleill air; Olt les partis ne pnissetlt développer
lenrs lhéories, exposer lellrs prügra mmes, reIldre cumpLe de
lenr condllite, aCCllser ¡.es parlis hostiles, commencer et pour-
suivre des campagnes et, enfin, faire liLn3ment ce qui doit se
faire dans tonto société qui a qnelqlle souci de la digniLé de
ses membres. (Tres-bien! tre:,-bien! - Bravos.)


Eh bien, ce qlli se fait en Atlgloterre , ce que [ont les lord"
allglais, ce que [out les melllbres de la Chambre des commu-
ne~, se raít égalemetlt a qllelques pas d'iei, en Suisse, OU ron
comprend que la dénlC>cratie est un gouvernement d'opinioIl




A GRENOBLE.


par essence, que c'est a l'opinion puhlique qne dolt rester le
dernier mot, que c'est elle q\li doit Lout examiner, tout contro-
ler, tout vérilier, tout juger, afin de pouvoir loutchoisir. Aussi
les démocraties ne sont véritablement libres, n'offrent de sé-
eurité, d'avenir et ne fondent qllelque chose d'a~sis qu'a la
condition de provoquer la confiance des hommes libres qui les
composent; gu'a la condition do permettre ü tous d'aller, de
venir, de circuler, de se groLlper, de se réunir, de s'associer,
de se pénétrer. Qu'est-ce, en elIet, qlle la démocratie) si ce
n'est point le gouvernernent de tous~ si l'on est parqué, si c'est
le régime cellulaire'( Ce n'est plus la démocrlltie, c'est le sys-
tt~rne des castes sociales, c'est l'anciell régime. Comprenclre
a!llsi la démoeratie, l11essieurs, c'est olltragec la raison, et il faut
la peur pour expliquer les ll1isérables 6t odieuses mesures qu' 011
nOllS uppose. (Bravos.)


Qlland done prenclrons-nous des hahitudes "iriles? Lorsque
nous vivions sons la monarcbie, qu'el!e fút légitime - voila
encore UIl mot bien fait! - (Hire.,,), eomme apres 18H) , ou
son::; une monat'chie Ü poids el COtltro-poids dOtlt les uns font
(;quilibre aux autrcs, avec un horloger plus OLl moins éloql1ent
qlli se tlauait de fain') tonL marcher (C'est litli, cela! c'est usé!
rires universels.) - messiellrs, jo venx bien que ce soit Hl des
vieilleries, du !Jrie-ü-brac, Illais il y a des gens qui rév81lt ce-
pendalt le retour de ce systeme éqllisé; - lot'sqne, dis-je,
nous vivions sous l'ulle Oll ¡'antro tle ces monarchies, jo com-
prends que l'un et l'autre de ces régimes aient eu pellr du peu-
pIe, parce qu'ils ne sont pas des gOLLvemoments de démocra-
tie; el ils onl pellr du peuple parce qu'ils ne le conní1issent
pas, el que, ne voulant pas et ne pouvant pas l'apprécier, ils
n'ont trouvé qU'Ull moyen de le gOllverner; c'est de le clore
et de le tenir en c!lartre privée. (Rires d'approbation. - Ap-
plaudissements. )


l\lais, messienrs) ce n'est pas un régirne, un systeme politi-
que comme la démocratie actuelle, monde encare récent , qLli
dilto, COilHne origille, cornme naissancc, COtllll10 formule, de
17~m, et qLli, en sOU1me, ll'a pris pied parmi 110US, n'a mis la




J>ISCOURS


main sur les affaires, n'a été illV(~~tie ün moyen prOl.ectellf de
sa souveraiq."eté, mise en posse:-;sioll de la pléllil.ude de son
droit ql1'en 1~48 par le sulTl'age universel,-cc ll'est pas, dis-
je, ce monde nouveau de la démocraLie franGaise qn'on pellt se
t1aUer d8 gouverner, régler, cOllduire, instruirc par les procé-
dés, par les habitudes des quil1ze a vingt Ilahiles diseurs qui
gOllvernaiellt et concluisaient la ll10narchic parleltlentaire. (Non!
nOll! - Bravos.) 11 [émt aujourd'lllli descelldre dalls les COll-
ches, dans les rangs profonds de la s()ci(~lé; il fant cOlllprendre
que ce n'est que de la discllssion mani[esLéc, contl'cdite, et qui
rencontrera autant d'aflirnntions que de négations, que peut
se déóager l'opinion, - cal' la démocratie n'est pas le gOLlver-
nement ele l'uniformité ni de celte disciplille passive que ron
reve dans d'autres partis, dans d'autrcs 8ectes; c'est le gou;-
vernell1ent de la liberté de pCllser, de la libertA (lagir. De lil,
par cOlls~qllent, la mkessÍl{) (l'lllle perpl~Lllellc cOlllnmnicatioll
de tOllS les citnyens entre CllX, quand ils le veulenL et comllle
ils le veulent, a la seule cOlluitiún - condition unique - de
délibérer paciliquement, sans ;lfmes, aillsi qlle le disaient les
premiers législateurs de la Hévolutioll fran~aise, afm de ne pas
fOllrnir a quelqlles-uns la lentéltion de violer le druit des all-
tres. (C'est cela! - Tres-bien! tI"es-bien 1)


Et cependant, llles:iiellfS, il nOllS fallt slIpporter celte légis-
lation mallvaise, qui est éiujourd'llllÍ la llolre, ceUe usurpatioll
de notre droit, cet empiétement de l'alllorité pour en démon-
trer tOllS les jours l'illutilité. En étTet, il est bien sú!' que si
I'on ne peut se réllnir au nombre del ';)00 personnes SOllS le
prptexle qu'on formen ainsi ceUe r(~Llt1ion publique, on peut
se réunir au nombre de 300; et, ce qui aura été dit dans
cette réllt1lOn de 300 personnes sera r¡~pété, imprimé, pub lié ,
répandll, de sorte qu'ou ll'aura rien [ait, rien empeché, et que
le but que l'on se propos;¡it ne sera pas atteint: on aura simple-
ment mis la main sur la Ill:lliere , milis la lumiere aura passé a
travel's les doigts, malgré tous les obslacle-;. (AsseutÍlllent
unanime.) II faudrait , SOllS une Répllblique, abandonller ces
mesures, l'ejeter ces procédés qui n'ont d'alltre résultat que




A I~RENOBLE. 197
d'f:ngendrer le désordre moral, sinon le désordre matériel,
quand c'est précisément de l'ordre moral, avant tOllt, que
devraient se préoccuper les hommes d)État. Car, relenez-Ie
bien, messiellrs, sans l'()rdre moral il n'y él pas d'ordre rna-
tériel assuré; c'est l'ordre moral qlli regle tout, qui calme
tout , qui assoit tout et qui permet aux peuples rle tout raire
ponr se relever de leurs catastrophes. (Tft3S~bien ! tres-bien!
- Applaudi:;sements.)


Que voulez-vous? En France on ne peut pas s'babitller, de-
puis 45 ans, dans certaines cJasses de la société, a prendre son
parti, non-sculement de la Hévolution fran<:;aise) mais de ses
conséqllences, de ses résultats. On ne veut pas confesser que
la monarchie est {(nie, que lous les régimes qui peuvetlt , avec
des ll1odi{lcations différenfes, représenter la monarchie, sont
~galement condamnés. Et c'est daus ce défaut de résolution,
de conrage chez une notable parlie de la hourgeoisie fran-
Qaise, que je retrouve l'origine, l'explication de lous nos mal-
heurs, de toutes nos défaillances, de toul ce (!Lúl y a encore
d' incertain, d'illdécis et de lllal.:3ain dans la politique du
jout'.


On se demande, en vl~rité, d'üü peut i-lrovenir une pareille
obstination; ou se demande si ces homrnes ont bien réfléchi
SllI' ce qlli se passe ; on se demande comment ils ne s'aper-
<:;oivel1t pas des f;¡utes qll'ils commettent el comment ils peu-
veut plus longtcmps conserver ele bonne fui les idées sur
lesquelles ils prétendent s'appuyer; comment ils peuvent
rermer les yeux a un speclacle qui devrait les frapper. N'ont-
íis pas vu apparaltre, depuis la chute de l'empiro, une géné-
l'ation neuve, ardenle, quoique con tenue, intelligente, propre
aux affaires, amoureuse de la justice, soucieuse des droits
généraux? Ne l'ont-ils pas Vlle faire son entrée dans les
Conseils municipaux, s'élever, par degrés, dans les autres
(;onseils électífs dll pélyS, récJamer et se faire sa place, de plus
en plus grande, cb1ls les ltllles électorales ? N'a-t-on pas vu
'¡pparaHre, sur tOll!e la sllr[;lce dll pays, - et je tiens infini-
Illent a metlre en relief eette génératiotl !lollvelle de la dé-




198 DlSCOURS


mocratie, - un nouveau personnel politiqlle électoral, un
nouveau personnel du suffrage universel ? N'a-t-on pas vu le:)
travaillellrs dl~S villes et des carnpllgnes, ce monde dll lravail
a qui appartient l'avenir, faire son entrée dans le:; affaires
politiques '? N'est-ce pas l'avertissement caractéristique que
le P&ys - apres avoir essayé bien des formes de gouver~
nement - veut enfin s'adresser a une autre couche social e
ponr expérimenter la forme rép~lblicaine? (Olli! oui! Sen-
sation prolongée.)


Oui! je pressens, je sens, j'annonce la veOlle et la présence,
dans la poli tique ~ d'une cOlIche sociale nOllvelle (nol1ve:m
mouvement) qlli est aux affilires depllis t;mt6t dix-hllit mois,
et qui est loio, a coup sür, d'etre inférieure á ses devancieres"
(Bravos. )


Quand on l'a Vlle apparaitre, on no pouvait en noter, en
remarqner la naissance que par petits gronpes, que sur des
points isolés, a I\Iarseille, II Paris, a Lyon, an Havre, a Saint-
Étienne, ici et meme ailleurs; mais, par le rait meme de l'iso-·
lemen t de ces grou pes, qu' on ne réllnissa i t pas ponr les
SOllmettre a Ull examen, a une ;malyse véritablement sagac8.
on n'a pll se rendre un compte exact, élU début, des consé·
quences de celte apparition, J8 cdte illvélslon d'un élémeni:
social nouveau par lo slIffrage univer:-iel dalls les affaíres gé w
nérales de la nation. Et alors on a lrotln~ beallcoLlp plus facile
de déclamer contre ces cO!lseils éll~ctifs, de les accllser lle
toute espece de mauvaises passiU!1s, de les critIquer, de les
dénoncer, quoique, peu ü peu, ponr les observateurs atten-
tifs, il (lit apparu que ces conseib, tant díffarrH;s, devenaíent
chaque jour de plus en plus pr:lliqlles, expérimentés, aptes
aux affaires, prudents, sDges en politiquo, et que, tontes les
fois qu'ils émettaient un VCELl ou qll'ils prenaient uno décision.
ces vreux OLl ces décisions avaient un caractere particplier,
un accent spécial, qui doivent inflller sur la dil'eclion générale
des affaires de L1 France. On sentait que la démocratie acluelle
était sortie du sentimentalisme un peu vague qui a vait dé le
caractere dominant de nos devanciers; on sentait qu'il y a vait




A GRENOBLE.


El quelqlle chose de plus positif, de plus pratique, et, - pas-
sez·moi une expression qlle l'on critique quelqnefois, mais
qui senle peut rendre ma pensée - de plus scienlifique. Et
alors qu'a-t-on fait dans le camp de nos ad versaires ?


On a changé de tactique et, uu lien de considérer a l'ceuvre
ce personnel nonveau, au lieu de 18 jnger ou de se laisser
entralner dan s le counll1t, 011 a réfléchi, mais dans un mauvais
sens. La réaction et les partis coalisés de la monarchie, sons
quelqu8 forme qu'elle se présente, se sont mis en garc1e, en
éveil, el ils ont crié an radicalisme triomphunt. Partout ils ont
dit que le radicalisme était aux portes avec le cortége de spec-
tres, ele malhenrs et de catastrophes qll'il doit nécE'ssairement
tralner apres lui! (Hilarité. - Tres-bien! - Bl'avos.) On a
cherché ainsi a alarmer le p:lys, ce malheurellx pays que, de-
puis 7v ans, les partis rétrogr:ldes elominent et exploitent par
la peur. Car la peur, messiellrs, c'est la maladie chronique
de la France : la peur en politiql1e. En effet, autant la France
est brave, généreuse, ardentc, héroique, désintéressée sur les
champs de bataille, autant elle est timiele, hésitante, faciJe a
troubler, a tromper, a affoler, a effrayer dan s le domaine poli-
tique.


Et ils le savent bien, ceux ql1i depuis tantót quatre-vingts
ans nourrissent ce pays de calornnies, de mensollges et d'inven~
tions perfiJes. Ouí, c'est la pem qllí est le mal de ce pays, et
c'est de la peur qu'ils ont tiré leurs ressnurces, les réacteurs
de 1800, de 181G, de 1831; et de 18f¡,9! C'est de la pellr qu'il
a tiré sa principale force, le coupe-jarret de 18~1! (Bravo 1
bravo! - Applaudissements. ) C' esl SUl' la peur qu'ils ont établi
leur ascenuant ponr nous mener, apres vingt ans d'empire, a
la dégradation, a la mutilation! C'est de la peur qu'ils ont faít
sortir ce plébiscite fatal qni devait nons entrainer a la guerre !
C'est ele la pellr qn'est née cette impllissante réaction du 8 fé-
vrier 1871! C'est toujoms par la peur, avec la peur, en exploi-
tarlt la peUr' que la réaction triomphe! Oh I débarrassons-
l},JUS de la peul' politique! Chassons ces sycophantes, et dé-
montrons par nos résolutions, par nos actes, par notre attitllde,




200 DlSCOUHS


que jamais nous ne voudrons nons servir de la violenc:e, et qtle
c'est un misérable et odiellx caleul qu'ont faít nos adver~aire~;,
de compter tOlljours sur la peur éternelle ele la FranCf~! Et
pnisqu8 la peur est de'ienue l'expédient, la ressource de nos
ennemis, il faut que le partí répllblic<1iu, que le parti radical,
qui met ses satisfactions au-dessous de l'intéret général, se
donne la rnission de gL1érir la France de ceLle mala die de la
peur. Or, le remede, le moyen ü employer, quel est-il? Oh!
il est tOlljollrs le meme, et jI est toujours vaínqueur : c'est la
sagesse. (Tres-bien, tres-bien! - Salve d'applaudissements o
- Interruption prolongée. - Les l1louvements de l'auditoire
empéchent l'orateur de parler pendallt quelclues minutes.)


La sagesse, mes chers concitoyens, c'est le dernier mot que
je viens de prononcer. 11 fallt qL1e ce rellJede ait été cl'un elfet
singulier sur nos adversaires, cal' il sllfüt que nous ayons
prouvé llotre ~agesse, que nous ayons proclamé tres-haut que
ríen, qu':mcllne provocatiotl n'était capable de nons faire sortir
de eetle ligne de condllite iuflexible, ponr avoir provoqué dan;.;
leurs rangs une ¡rritation, une exaspération, qui tient de la
rage. Leurs jonrmwx, [eurs représentanlS ont, par lá meme,
dévoilé leurs plus secretes espérances. lis attendaient, a coup
sur, a en jllger par leur découvenue, quelque faute uu parti
républicaín; ils espéraiellt que, lassés par les illjllres, i"rités ü
son tour par tant de dénis de juslice, par tant d'outrages subís
et venant de coté:.; el 'ou il les atlenllllit le moins, ils espéraient
que le par ti républicain tornberait dans un de ces nombreux
piéges qu' on tend SOllS ses pas et qll'alors il s'ensuivrait quelque
émotion, de ci, de la, a I'aide de laquelle on pourrait réta-
blir l'ordre qll'on aurait ainsi troublé. (OLlí! oui! C'est cela!
Bravos.)


Eh bien, leurs espérances out été vaines, et la sagesse s'esl
trouvée, sinon dan s notre tempérameut, - c'est ceqlli f:lÍt
que nous avons plus de mérite qlle d'autres a la pratiquel', cal'
le spectacle de l'injustice nous révolLe, - elle s'est trollvée
dans nos VOlOlllés, dans nos intéréts; et c'est elle qui fait au-
jourd'llUi le triornplle 1lP, la c.all~e ;1 laquelle llOl1~ snmme!'




201
attachés. En effeL, SOIlS les aulres régimes que celui-ci, qlli~
aH moins, porle notre l1( l m, le régime rrpublicain : sons les
úl1tres régimes, diclalure césarienne, royallté escamolée sur
les harric:Jdes, OH mOllarchie se prétendant béritiere de
quatorze sieclL's, on comprend que le parti républicain, exclu
de l'arlme, chassé, décimé, proscrit et réduit ü I'impuissance
dans la carriere légale, se précipitat dans les aventures hérol'
qnes de-la rue. Pourquoi~! Parce qu'on ne lui laissait a!1Cllne
issut~ ponr vivrc, ponf respirer, et qll',tlors, a la force illégi-
time, iI opposait l'hérolsme de ses membres et la force du droit
pop111aire. (Assenliment.) Ces temps sonl. changés, messieurs;
~t ce qui élait de mise q'lémd nOlls n'éliolls qu'une mitwrité
opprimée, c'est-a-dire l'el1lploi de la force contre nll fl~gime
oppresseur, senit llll crimc sous un gOllvernemcnt qui se ré-
clame dLl suffrage universel, qlli porle le nom de RéplIblique
et qui est chargé d'agir, de gouvenler, de COJltl'élcler, d'em-
prunter au nom de la Hépublique. (Assentiment géuéral. -
Bravo::;.)


En conséquence, il 11e n011S reste qn'une chose el faire pom le
moment, c'est a nOllS conduire pacitiquemellt, lé¡plement, en
nous récJamant du sllffrage llníversel, dont on ne pourra pas
ajourner bien IOllgtemps la volontt~, la décision ; c'est a trans-
former ce germe, cet embryon de RépubJique, que nOllS de-
vons protéger et ch\fetJdre, a(in de pOllvoir assister bientót a
l'éclnsion d'une HéplIbJique sincere, défillitive et progressive.
(Applaudissements. - Vive la République! - Vive Gam-
bella !)


Oui, la sagesse consiste a dire que nons n'atteudons rien que
de la raison, que dn temps, qLle de la persuasion, que de la
force des choses, que de l'impnissance ou sont réduits les par-
tis monarchiques) que de leá stérilité et, s'jl faut le dire, que
de leur cOllardise. (OLli! oui ! - Bravos.)


C'est a eux, s'jl leur plait, d'avoir recours aux moyens
violents. QUí.lllt a nüus, nous n'en avons nul besoin (adllésion
gt~néralc~) ; le pays est avec nOllS (Olli ! Ollí !), et il le pruclar1l8
achaque occasioIJ qui lui esl dOllnée de le fairt~. NOlls avons




202 DISCOURS
done pour nous la loi, le titre, nous aurons la ehose bientót.
(Applaudissements répétés.)


Nous n'avons qu'a lalsser écouler les hemos et les minutes.
Tous les jOllrs on peut marqucr les pas fll1í sont faits vers le
but, et ce but, 011 y louchera bientot ; on y touche si hien Jéja
que nous assi::itons a un singulier spectacle depuis tanl6t un
lllOis et demi. Ces farouches représentauts du droit divill ou
du droit populaire, mais accomrnodé a la BonaparLe (Rires.
- Tres-bien !), se sont séparés et sont allés dans les divers
cantOlls 011 colléges qui les ont llornmé~. Se sont-ils mis en
eornmunicalion avec lenrs électeurs '? Bien peu l'ont osé faire,
mais la plupart ont observé, et, s'iis n'ont pas parlé, iis onL
adressó le résltltat de leurs réflexions ü des journ:wx slIfllsam ..
ment indiscrets pou!' qne nOllS soyons rcnseignés a merveille.
(Rires. - Bravos.)


Voyez le chel11in parCOllI'U : ia réaetion amrmait bien haut
la nécessité OÜ J'on était de restaurer immélliatement la 1110-
narchie avec fusidll~ elle abandonne ecUe illée pour pas'3cr
a la monarchie temp(~rée sans fusion ... , (Hilarité) pllis on
est passé tl ce qn'on a appelé fessai 10yal de la HépllbJiql1c,
mais ele la Répllbliq1l8 sans n'~publieaills. (l\ollvelle hilarité.)


Je l}'ai p~lS bcsoin de vous dire con1l11c:nl ib cntl:nc1ent ces
jeux:.Hl, YOUS le !'(lVt~Z allssl bien que llloi, et vous qui des
de Grcnoble et de J'bere, vous vous rapp(~lez une ;Idmin¡~i"
tr~itioll réCl~llte ... (Olli! úui! - i\larques d'asseuti1ll811t.)
Ains¡, l'css;¡i loyal de la n(~publiqlle, c'e::it Iú Ull mot par-
faiLcmcnt 1Jicu fait pUlir dire le cOlltraire de ce qu'il exprime.
(Rire:,. )
Apn~s l'essai luyal i!s sont nilés a l'essai de la Républiquc


cOllser\"türicc, e~ les "oila maintenant ql1i en ::>ont a la Hópn<-
bliqué con~Litutimlllelle. c\ la suile de certaines rél1cxiol1~',
de cerlaitles obsuryatious, les divcrs chefs ue.::; parLis 1l1011ar-
chique:::, apl'~5 avoir secoué l'arbre, - non P,iS pou!' le l\~ll­
yersel', oh! 110n, Ll'l n'était pas lcut' desseill (Hin::;), -- apre~
s'elre épuisés en cotllllinaisons loutes plus cmpuisonnóe~) d
plus chimériques les unes que les auLres eL apres avoi!' 1'8-




A GHENOBLE. 203
connu leur impuissance, mais smtout apres avoir con~taté
de visu, chez eux, en lems genlilhommieres (Hilarité géné-
raje), ou en sont UlljOUrc!'}¡lli les tlispositions du corps élec-
toral, et ayant apen;ll, Ü l'horizon, la République définitive,
-- les divers ehefs des partís mOllarchique~ se sont dit qu'il
ne leur restait plus qu'une chose a faire : e' était de faire la
Républiquc. (Rires prolongés. - Sal ve d'appIaudissements.)


(lnterruption de quelques instants.)
Yoilél Ol! nous en en sommes, mes chers amís. Pour le


moment, nO\1S sommes arrivés a cet état pnrticulier, que
110llS touchons a J'llnanimité en France. (Rire général.) Ouí,
il est probable que lorsqu8 le Pal'lcll18nl se réunira ~l Ver-
~;;li!les, - enC01'e bien que l'on anl.lonce de sa parL quelql1es
,"dléit8s de 1'entrer a P;::ris, afm S¿1l1S uoute de mieux mar-
quPl' l'état de conversion de ces bonnes ames, - il est pro-
bable que lorsqu'i1 rClltrera Ü VcrsHilles, il dira que, vérita-
blement, iI n'a pas une minute 11 perdre pour constituer la
Hépublique. Ou'est-ce q\ll~ cela signiüe?


Cela VCllt dire que 1'on scnt, quoi que Pon en ait, non pas
que la dissolution soit ¿l precher ni meme qu'elle soit it clé-
montrer, mais que la dissolution est faite; cal' si ron n'avait
prlS eeHe intime convictioll que la dissollltion est lá, comme
le fossoyeur, prete ü .i(~t81' Ulle ueruierc pelletée de lene StH'
le clldavre de l' Assemblée de Ver::iailles (Vive scns:üioll) ; si
l'on ne ressentait pas les affres de la mort, vuus pouvez emire
qll'on ne parlerait pas de se marier in e:rtl'ernis avee la Répu-
bEque. (Hil[lritó génél'ale. - Applaudissements répétés. -
Vive la Répuhliql1e!)


Eh bien, messieul's, sous celLe forme qui convient parfai-
tement d'ailleurs HU caractere tout a fait intime et tout a fait
ail1ical de nutre réutliull, je erois que je viens de mettre une
lutlliere sur Ull des écueils les plus perDJes qui bordent le
chemill de la Hf.pllbliqlle.


Et j'en V811X ici Jire franchement ma pensée et mon :1vis,
:,üin que personne, en en lisant l'expressioll? ne puisse con-




20], DlSCOURS
serV'::lr la mOinU1'8 obscurité dans son esprit SUl' ce pu i II L


La politiqLle, messieurs, surtout dans un moment CJl! k
monde qui finit et le monde qlli vieut se touchent et se heul'-
tenL par mille contradictiol1s et par mille intérets opp()sé~. lél
polilique qui a pour but ue satisfaire les besoins aruents d'ul1
grand peuple au poiut de vue de I:t liberté poli tique el de
l'égalité sociale, cette politiq\le a sin~ulierement besojn de
discréti0!1. Elle a besoitl de m0nagements pOllr les int0rets
qlli sont en échec, pour ceux quí disparaissent, pour ce qui
reste de vestigl's et dt~ tracl'S de l'allciell régime. Elle a be-
soin d'avoir certains accoml110demellh, rcrtaines facilité:) de
comprolllis, de lrans:}ctiollS, paree qUI~ jéllnais il n'est (lrl'iv(~
qU'Oll flt une bonne société el Ull b"n r(giJllc politiquc ell fal-
sant t"ble rase. Cellx qllí le Pl\;totldraiellt ll'011t pas /'(lgal'd(~
la réalité des choses. La Hévolulioll frall(;ais(~ elle-mellle, qui
a élé la plus radicale des révolutiotls, n'a pu faire et n'a pas
fait tabIe rase.
Qw~ o'ablls elle a laissé subsister! ~;ous d'antres noms, SOtiS


d'alltres formes, je le vellX bien, mais qui suhsistent encorí',
mais qu'il nOllS reste ü détrllire.


Mais, messiellr~, la polítiqlle dont je parle a hesoin tlus:-ii de
clairvoyance, de vigilance, de prllor,llc8, po Uf ne pas liHe]'
les destinées memes du peuple el de la cause fll¡'elle ddend
allX halJiletés, aux surprises, allX ambigll'ités et allX calcub de
ses ad ver~aíres.


Olli, le parlí rép~Jblicaill, :ll1jourd'hlli, - celui qui est r,om--
posé surtout d'hull1rnes souvent et durement éprouvés~ celt!i
qui compte dans ses rangs presquc autéJllt de victimes que de
serviteurs, c'est celui-lit dOllt je parle, paree que c'est celui
que je conllais le mieux et qnc c'est celui auquel j'appartien:-;,
- le parti républ:cain, qlli l'a tUl1jours éLé ou qui ne comple
que des membres qlli I'out toUjOUl'S éL(~, ce partí-la est tellu ~t
beaucoup de largeur de maín , il Utl gralld esprit de concilia-
tion et de concorde; il est teLlu ü se recruter largement et sans
rnesquins calculs J'amuur-proprc, oans tous le:-; rangs dn
pays, alin de devenir la ll1ajorité de }<:t nalion elle-meme. C'esl.




son devoir immédiat, el il n'y manquera paso (AssenlimenL
général. - Bravus.'


Ce parti doil avoir eependallt un eertaill eritérium ~l sa
disposition; il dóit pOllvoir distinguer enlre la nalveté des
uns et le caleul des autres, entre les nonveaux qui s'offrent á
luí et les anciens, eutre ceux qui viennent lui apporter ¡eur
eonC0UfS par suitc de convictions récentes et ceux qui ont des
actes ~t mettre derrii~re lems paro les; il doit enfin pOLI voir étre
mis á meme aussi de reconnaitre cellX qui, secouant une in-
ditrérellce, hélas! trop générale, velllent ell~rer dans la vie po-
litique. Ceux-Itl, messieurs, iI faut les accueillir ü bras Ollverts.
~lllis il yen a d'aulres, il y a les hommes qlli n'appartiennent
á aucun parti, qui les ont tous servis et tous trahis tour a tour,
qui SOllt des agents également dociles du despotisme clérical
OLl mililaire; il Y a ceux qllí prenncnt comme un masque la
formule a la mode, qlli se glissel1t <Ians les rangs a }'airle de
dóclamaLions plus hautes, plus vives et plus ardeutes que celles
d'auclln palriole éprouvé. 11 y a ceux encore qui, sous une
attitude plus GU moins l'éservée, agíssant comme si on leur
faisait ,'iolellce ou parce ({u'il n'y a pas llloyeo, pour le mo-
llJ8nt, de faire autrement, se déclarent républicains. (Tres-
bien! fres--bien!;


YOllS voyez, messiems, ü combíen de surprises, a combien
de pél'ils on peut St' trl)llVer exposé, ü combien d'illlrigues
de tous genres on peut, pour ainsi Jire, donnel' la complicité
de sa conscience. (Asseotiment g(~néral.)


Il faul donc que, sans etre exclnsifs, sans etre fermés,
HOllS soyons prudenls, vigilants, défiants, au nom mAme des
intéréts les plus sacrés de la Hépubiique. Cal' si nous recom-
mencions la faute qui a déjü été commise, il y a vingt--deux
ans, d'accepter sur signature, sur déclal'ation, ces prétendus
oll'vTiel's de la derniere heure, eh bien! 00 connalt la besogne
qu'ils recommenceraÍell¿ ¿¡ ¡eut toue : prendre la République,
id placer sur Utl char, ¡'omer de lleurs et la mener SOllS le
c'Juteau ele quelqne égorgcur de race. (Sellsalioil profonde.-


r
..


. \ pplaudissements.) ,
12




206 DISCOURS
Mais entendons-nous bien et ne laissons pas dire que nOliS


obéissons a un détestahle esprit de secte. Or, pour s'entendre,
quelle est la formule a trouver, si tant est que, dans une rna-
tiere qui réclame autant de tact et de mesure daos l'apprécia-
tion de tel ou te1 caractere, on puisse poser une regle ¡:;énérale
de conduite? Dessinons au moins quelque chose qui pourra
servir de comrneneement de regle.


Il Y a d'abord une prerniere remarque a faire, que voici :
S'il est vrai que le ~;uffrage universel pris dans sa masse ne
soit pas toujours assez renseigné, surtout dans un pays qui
n'est pas encore habilué a la République, qui n'est pas encore
formé aux mceurs républicaines, paree qu'elle n'a ras assez
duré, - et, si elle n'a pas duré, vous savez a qui en remonte
la responsabilité? (OLli! oui!) - mais enfin s'il est vrai que
le suffrage universel ne soit ras sutllsamment mur et aCCOll~
turné aux habitudes, aux plis, aux pratiques de la démocratie
républicaine, s'il ne sait pas a vee assez de précision - cornrne
on le sait, par exemple, dans la derniere bOllrgade de Suisse
- ce qui se passe, ce qu'on projette, ce qu'nn cloit faire ou
repousser, il n'y en a pas rnoins eles ll1ailllellant une pl'éoccn·..;
patian suffisante, dan s les rangs de la démocratie, de la con-
duite des hornmes politiques. 1\Iais iI n'y a qll'une certaille
partie de cette elémocratie qui ail la passion ét le souci des
eh oses et des acles des hornmes publics; c'e~t elonc a ces
bommes plus avisés et plus éclairés qU)11 appartient, elans une
cerlainc mesure, librement, saos pression, de se faire les in3-
tituteurs, les éducateurs, les gllides de leues freres moins
avancés du suffrage universel, de ceux qui ont moios ele loisir
et de lumieres. (Tres-bien! - Bravos.)


Ce sont ceux-lil qui doivent exercer leur jl1gernent, en pro·~
cédant a ce tri, a cette sorte de crible par Ol! doivent pas::;er
les conversions subites dont nous nOllS entretenons. Ce sout
eux qui doivent scruter la vie d'lln hOlll111e marquant, monal'-
chiste effaré qlli, tout a coup, se rallie a la République, sons
la double pression de la force croissante ele la République
et de l'irnll1inence de la dissolution j ce sont eux qui doi vent,




A GRENOBLE. :207
pour leurs amis, pour lenrs concitoyens, leurs coélecteurs
d'un collége, d'lln département, rechercher quelll-J est la
loyauté, 1;]. sincérité, la justesse et, enfln, ce je na sais quoi qlli
faít qu'on dit: « Celui-ei est un brave homme, 011 peut s'y
fier » ou: « Cellli-ci n'esL pas un hornme sCir, il ne faut pas
l'admeltre. »


Ce sont lades difIicultés qu'il faut résoudre sur place, a Paide
des mille impressions et renseignements que 1'on peut recueil-
lir, comparer et peser; il n'est pas possible, d'ailleurs, que 1'0n
soit sans relations qui permettent de faire ce travail, travail
délicat qui exige beallcoup de mesure, d'habileté et de pru-
dence et qui, par conséquent, doit étre faíL de pres, en y met-
tant beaucoup de temps et de soins.


Pour impirer ce travail, je voudrais vous donner un avis
personnel dont vous ferez l'usage qlli vous semblera Don, ear
il est parfaitement susceptible de modifleations, suivant
les caso


Messieurs, laissez-moi vous soumettre une idée a titre de
proposition générale, eapable d'étre réduite, qui comporte des
exeeptions 0\1 qui peut étreappliquée séverement, lors des
élections a la proehaine Assemblée, afln que le suffrage nni-
versel ne soit pas dupe et vietime, afin qu'il ait bien la certi-
tude que la République et ses institutions organiques sortiront
de l'urne, afln qu'il soit bien positif que les mandataires ne
pourront pas usurper sur les mandants, afln qu'il soil impossi-
ble d'assister a une abominable eonflscation de la souveraineté
nationale au profit de quelque prétendant. Je voudrais done
qll'il fUt bien entendu que, ponr les proehaines élections,
on ne put admettre, sur les listes républicaines, des hommes
qui nc présenteraient pas dans leur passé - vous entendez
bien - des garanties suffisautes ou, dans leur présent, les
memes garantiés nécessaires, garanties qui puissent nous aSSll-
rer que le dépót saeré qui leur sera confié, que eeUe voix SOll-
veraine au nom de laquelle ils auront autorité et mission de
parler, ü París, ear e'est li qLl'on rélluira l'Assemblée nationale
prochaine ... (Olli! oui! - Salve d'applaudissements. - Vive




208 DJSCOUR~
la 3épublique! - Vive Paris !) .•. né seronl ]'ohjet. de leur
part, ni d'nne diminution, ni d'llne con!iscaliot1.


Je voudrais encare qlle 1'on déclarat, al! point ele vue dn
parti républicain, que lons ceux qui ont été, ¡t un tlegré posi-
tif, dans les derniers jeux ues partis, tous cellX qlli ont été des
chefs avérés des intrigues et ues complots monarch¡ques, tous
ceux qui ont été les serviteurs des prétendants, ql1i out été des
agents de désordre anti-patriotique, je vouclrais que tous
cellx-la fussent exclus de nos listes répllblicaines. Je vOlldrais
ensuite qu'on distinguiH entre ces chefs et cellX qui les sui-
vaient, car ceux-ci pouvaient étre de bonne toi, ils pOllvaient
n'étre qu'égarés. A conp sur, le nombre des égarés ne serait
pas considérable ; et, dans tous les cas, OH n'accepterait parmi
eux que ceux qui n'auraient pas pl'is clevant leur pays et ü
l'encontre du suffrage universel, une positiotl compromettante.


Vous voyez, rnessiellrs, que rnon iclée e~.t celle-ci : séparer
les chefs de leur préteudue armée; l'armée pellt elltrer dan s
les raligs dll parti démocratique; quant aux chefs, il faut
les laisser encore, ainsi que faisaient les premiers chrétiens,
a la porte de l'église pOllr y faire pénitence. (Rires d'assenti-
mento - Applaudissernents.)


Cette condllite a suivre s'expliqlle par plusieurs motifs dont
le premier vous apparait nHtternent: il s'agit de sallvegarder
la sOllveraineté natic)nale, cal' il est bien clail', aujoLlrd'hui, que
le dllel est 3. peu pres réglé entre la Répllblique·ct la monar-
chie. La ll10narchie se dérobe. elle cache S~tl drapeall, elle
dépose ses armes et laisse la Hépubli(lu8 ma1tresse dn terrain:
il est donc bien certain que, si le pays llommait des pseudoft
répllblicains, des hommes n'ayant le nom de la RépubliqLle que
sur les lfwres, tandis qu'ils porteraient la monarchie au fond
du creur, ils ue tarderaient pas, une fois élns, a ollvrir la bOlI-
che pOllr fair'2 connaltre leurs secrets désirs, et consommer la
ruine de la Hépublique, comme le firent lellrs devanciers de
1848 qui dix-sept fois l'acclamereLlt pour mieux l'égorger en-
suite. (Bravo! bravo! - Vive la République !)


Par 0\1 vous voyez (1'118 si le sllflrage universel pouvait etre




A r.RENOBLE. 309
induit en erreur et qlle si, sous le prétext.e de faire une tran-
saction, on confiait le dépót de la Répllblique a de tels gar-
diens, c'est la souveraineté nationale que l'on s'exposerait a
faire confisquer.


Il Y a un autre motif qui n'est pas moins grave el qui est
décisif devant mon esprit.


C'est qu'il est néc:essaire qu'en politique on ait la responsa-
hilité de ses actes antérieurs. Il est juste et bon, lorsqu'on a
choisi un parti, lorsqu'on a été son tenant, lorsqu'on a joué un
certain role au nom de certaines idées, de certaines doctrines,
lorsqu'on s'en est fait le promulgateur et le défenseur, - h
moins qu'on ne justifie d'actes de résipiscence et de contrition
irrécusables, - il est juste et bon qu' on subisse la loi qu' on s' est
faite a soi-meme, et qu'on ne vienne pas solliciter du suffrage
universel, avec le concours clu parti républicain, une' récom-
pense dont on est indigne et qui a pu elre rnéritée par d'autres.
(OLli! oui! - Approbation.)


Je dis que c'est la une raison poli tique du plus haut intéret,
et d'une gravité capitale. En effet, estoce qll'il pellt y avoir
parmi les hommes quelque chose de plus sacré que l'opinion?
(Tres-bien! - Bravos prolongés.) Est-ce que nous ne devons
pas avoir un süin jalollx pour ne pas admettre dans nos rangs,
- non pas les hommes égarés qui se repentent sincerement: a
ceux-la 1l01lS devons ollvrir nos bras, - mais leurs chefs, ceux
qlli les ont trompés, ces chefs qui ont été les agents et les gui-
des des partis hostiles?


Messieurs, ce serait nous aballdollner nOlls-memes que d'agir
autrement, que de tenir une alllre condllite ; et cellX qlli nous
parlent de pareilles transactions ne S8 rient-ils pas de nOllS, et
ne serions- nous pas l'objet des moqueries de tous, si nOllS
avions jamais la faiblesse d'accepter d'aussi humiliantes pro-
positions?


Non, non, le parti républicain a le droit el le devoir d'elre
généreux tnvers ceux qui, reconnaissant le drapeau de la Hé-
publique et présentant toutes ses garanlies, demaudent a la
servir avec loyauté; mais jI commettra,it l'acle le plus im-


12.




210 DISCOURS


prévoyant et le plus fatal~ iI manquerait a 10us ses devoirs
s'il mettait a sa téte~ s'il plaQait de ses propres mains ses
pires ennemis sur les banes de la prochaine Assemb\ée.
dont les résolutions seront décisives, pOLlr le sort de la
Franee, pour sa grandellr et pour son avenir, ainsi que pour
les droits engagés, depuis soixante-qLlinze ans, dans la ¡Lltte
entre la RévolnLion franc;aise et l'Anden Régime. Ce serait le
eontraire de la bonne politique, et j'ajonte que ee sentit le
contraire de la morale, qu'il n'en faut jamais séparer. (Tres-
bien! tres-bien! - Applalluissements.)


Il me vient un sOllvenir a l'esprit, dont je désirerais vous
faire part avant de terminer. (Oui! oui! Parlez! parlez ! )


Nous sommes réunis, en ce moment, dans une ville qui a
dans son passé un mémorable souvenir qu'il me convient
d'évoquer pour vous prouver combien, en politique, iI est
dangereux de se fier aux imposteurs.


OLli, e'est dans cette ville qu'apres la premiere Restauration,
cet homme qui, an milieu de tant de gloire, avait apporté tant
de désastres a notre noble pays, remit le pied apres 1814.
Vous savez le jour préeis, car cette histoire vous est [amiliere :
elle vous a été contée par vos grand'meres, comme a dit le
poete. Quand il fut entré dans votre ville, c'est d'ici qu'il jugea
combien il lui serait facile de ressaisir la France, gra~e a la
haine qn'in~pir3it le retour des émigrés. La France de la Ré-
volution avait été mise en présenee de ces spectres et de ees
revenants, - n'est-ce pas un peu la situation Ol! nous sommes
aujourd'hui'! (Hilarité) - elle avait, cette FraQce démocra~
tique et paysanne, reculé d'horreur devant la réapparition de
l'ancien régirne. Eh bien, ce comédien, ce tragédien, cet
aventurier de génie, en remettant le pied sur le sol de la
France, que lui disait-il? II disait au peuple des campagnes el
des villes : Ouvriers, bOLlrgeois, artistes et paysans, me voila!
le re"iens, vous me reconnaissez; je suis le soldat de la Ré-
volulion; je viens défendre vos droits menacés ~ vos pro-
priétés sont en queslion, je vous les garantirai; les biens na-
tionaux, je vous les assurerai; je suis le fils de la Révolution ;




A GRENOBLE. 211


je suis la Révolution elle-mAme, vous le savez bien! je suis la
H(~voll1tion couronnée! Uní, j'ai en tort, je le recormais, mais
je vous apporte des libertés, toutes les libertés : liberté de
penser, liberté d'écrire, liberté de se réunir, de s'associer,
liberLe de la nation par la constitution d'un Parlement indé-
pendant. Olli! vous de vez avoir toutes ces libertés et vous les
aurez!


Toutes ces promesses Ollt étéfaites, toutes ces parOles ont été
pronol1cées, et aú? lCÍ, dans votre ville. Eh bien! ces pro-
messes n'étaient qu'un mensonge, ces paroles n'étaient qll'un
leurre, tOllt cela était un derniel' artifice de ce Corse aux
aLlOis. (Sensation. - Applalluissements prolongés.) Ces belles
pl'01ll8SSeS séduisirent la France, paree que ceUe France est
toujours confiante, toujours aruente, toujours généreuse; elle
se Jaissa prendre au mirage, el vous savez comment finil eeUe
lugubre tragédie. Vous savez aussi quelle fut la sincérité de ce
despote donl les coups de forr,e et les promesses fLlrent copiés,
plus tard, par son héritier, par Napoléon IlI. Celui-ci fit aussi
son COllp d'Úat liMral, son retour de 1'1Ie d'Elbe, son Acte
auelitionnel et ses promesses uu 19 janvier avec un Ollivier
pour Benjamin Constant. On clit a tous que cette chose gro-
tesql1e, que ces dellX mot" qui burlent ensemble, que l'em-
pire libéral serait la péJ.ix et la liberté. 011 organise le plébis-
cile, on le présente 311X populations, on le fait voter: ce qni
devait etre la paix clevient la guerre; elle est déclarée, la
France esl envahie : vous savez le reste! (Nouvelle sensa-
tion. )


Ah! défions-nous des promesses poJitiques. Soyons défiants.
Rappelons-nolls ce que nous únt couté notre conflance, notre
il1lprévoyance. Rappelons-nous aussi ce que nous disions an
peuple, en 1870, en J'écartant des umes. Nous lui disions que
voter Oui, c'était voter pour la ruine de la patrie. NOLlS l'aver-
ti~:,siuns que cet homme ne parlait si hallt de la paix que pour
filtre plus surement la guerre, qu'il ne parlait de liberté que
pOllr la conflsqucr el qu'il ne se faisait le dépositairc de la
soU\'eraineté uationale que pour la donner en dot a son fils.




DISCQURS


Voilil ce que nous disions an pl'uple en 1870 et vous vous rap-
pelez aussi comment 011 nous traila il cette meme époque.
Vous connaissez l'invention des complots qui devaient in-
fluencer les votes des campagnes; vous connaissez les men-
songes, les calomnies el les outrages dont nOllS fUmes l'objeL


Alljourd'hui, Oll veut rééditer les memes procéclés; on veut
employer les memes moyens que l'empire libéral. On vienl
nons dire que le parti mQnarchiqne a déelaré, da:1s une reu-
n¡on, qu'il vO'lllait la Républiqne, qu'iI aceeptait cette consti~
tntion nOllvelle de ia Franee. Ah! messieurs l pour notre hOll-
neur, pour Í10tre sécurité, pour l'honneur et la grandeur de
nolre patrie, gardez-vous de donner dans cetle ignoble eo-
médie! (Sen"ation. -- Applaudissements. - Vive la Rrpn-
blique!)


Il suffira d'ailleurs, mes chers coneitoyens, de faire pour
ces intrigues et ces machina tions ce que nous a vons fait pour
d'antres procédés de nos adversaires : nons les dénoncerons
a la France. Ne !lons laissolls pas surprendre; ne tombollS
pas daIlS les piéges qui nOllS sont telldus, suyons eonstamment
en éveil. Que si certaines entl'('prises de nos adversaires sont
a redollter, IlOllS aurons la force pour en faire jllstiee; qllant
aux surprises, nOllS avons notre raison et !lotre perspicaciLl~
pour les déjoller. l\;ous avons promís d'etre vigilallls, nOLi:-i
tiendrons llotre promes~e. 11 ne se passera pas UIle intrigue
que nO~lS ne criions au suffrage lluíversel : Veillez! ce sont
des trompeurs et des syeophilules !


Et qll'on ne nO'jS aeCllse pas d'cxclusiun et qu'on ne vielmp-
pas répéter toules leS vieílJes rediÍl~s sur ll"s partis; qU'OIl lle
HOIl::; traite pas de jacobius et de radicaux, ce ne sont la que
de:-; mols qLii sigtJilient, chaCLlll Ü SOl! hellre, des néeessités
poli tiques. Mais nOLlS sommes Je llotre heme et de Ilolre
temps, et nous apparlenuns ü la démocratie républicaine de
187:2. Oui, nOllS dénotlcerons toutes les rnachinations el luules
les intrigues alt suffrage ulliversel, cal' il est le maitre, en
détinitive, et ii saura faire jnsLice! (Oui! oní! - Applaudis-
semeuts.)




A GRE:"IOBLE. ·¡>13


\e renonGons dOllc pas ü I'excellenle méthode que 13 parti
républicain suit partout avec 1111 zele et un bonlleur croissants :
patience, fermelé el vigilance, c'est Hl llotre mot d'ordre.


Et mailltenant, permettez-moi de vous dire qUl~ si, pOlll'
alteindre notre bllt, nOllS devons atLendre ({uelques mois de
plus que nons.ne le désireriolls, la n'est pas la question. La 8ellJe
que:-;tion, la vraie questioll, c'e:-;t de COllsidérer qu'il n'y a
pllls ríen a esp~rer, qll'il ll'y a pllls rien il faire, qu'il n'y a
plus rien Ü I.enler avec les gens qni sont a Versailles. C'est
vers le slltfrage ulliversel qu'i! fllut désorll1ais se tOl1l'ner, c'est
h lllí (Jll'il faut parler, c'est ü lui qll'il falll proposer les vrais
noms, c'est lui qu'il faut inviter ü disculer, a se concerter en
petits groupes, a examiner les ]¡olllmes, a cltoisir les pro-
graml1les, it indiquer les rMormes, it frapper au l)U~, entin a
préparer, que dis-je, ü désigner ceux qu'il s'agira purement
et simplelllent, le jour élallt venu, d'cnvoyel' a Paris, Ü ce
Paris qui est vide de la rcpréselltatiotl natiotlale, ¿i ce Paris
que ]'on a VOUlll frapper, ouLrager apres n'avoir pas su le dé-
fendre (Salve d'applalldisselll,~nts); a ce Paris qui supporle
si dignernent les injures et les calomnies qu'on lui prodigue, a
ce Paris qni n'a .iamai~ perdu la conliance d~ la Fl'auce. (Non!
!lon!) Car, tontes les fois que son nOlll est prononcé en pro-
vince, jllsque dans la plll:-:' humble des lJourgades, ii est saIné
comme la teLe el le ccellr de la paLrie! (Explosion d'applau-
dissernents. - Cris répétés de : Vive Paris! - Vive la Répu-
blique ! - Vive Gambetta 1)






DISCOURS


PRO::\ONCÉ A ANNECY LE fe .. OCTOBRE f872


A L'OCCASION DU P ASSAGE DE M. GAMBETT A


dan8 cette ville.


Le mardi 1 er octobre 1872, M. Gambetta, venant de Bonne-
vilic, cst arrivé a Annccy, a quatrc heures du soir, accompagné
des adjoints au mairc de la ville ; il a fail une visite au l\lusée.
Pendant cclte visite, une foule considérable s'était massée dans
la cour principalc de cet établissement. A sa sortie du lHusée,
~I. Gambetta a élé accueilli par les démonstrations les plus cha-
leureuses et par les cris de : « Vive la Republique! )) M. Gam-
beLLa a remercié les personnes présentes de ce sympathique ac-
cueil, el prononcé les paroles sui van tes :


MES CHERS CONCltOYENS,


Je ne peux pas recueillir d'aussi fraternelles marques de
sympathie SJl1S vous en exprimer toute ma reconnaissance et,
surtout, saos vous dire combien je suis heureux de retrouver
eL de sentir, au milieu ueees acelamations, un sentiment
profond - parlout le me me dnns votre noble et patriotique
pays - de soJidarité avec le reste de la Franee et de dévolle-




216
ment a la cause de la Hépublique. (Bravo! bravo! -- Appl'u-
Lation générale.)


Ce voyage a été entrepris pOll1' me perll1ettre de eonnattre
dt~ plus pres volre pays en le visitant, ce fll1i cst la vraie m()-
niere de s'enquérir des choses qu'on ignore; car, malheu-
reusement, et c'est la un r~proche que nous devons adressec
aux di verses administrations qui se sont suceédé, malbeu-
reusement, dis-je, 011 a trop SOllvellt ignoré, en France, et
moi tOllt le premier, je le confesse, ce qll'était ee beau pay:"
ce que valaient ses populalions, f{uelles richesses il contient et
qllJ ne demandent qne des débollchés pOlll' leul' perll1ettre de
s'écouler, de se répandre sur le reste de la Franee .


.Te voudrais quc, c.Oll1me I1lOi, la plupart de cellX qui s'oc-
cupent des intérets politiques de L1 France pussent vous vi-
siter, vous conna1tre et ,vous révéler a notre nation tOllt ell-
tiere. Alors vous n'auriez plus de slljets de méeoll1ptes ni de
sllsceptillilités a l'égard de la France. Et, d'lln aulce coté, on
sentirait qtl'il y a des intérels matériels a développer~ et donl
iI f:mt s'occuper sans relache, la Répllblique étant, avant
tout, un gOllveruement d'orure et de légalité qui a le souci des
illtéréts généraux.


Messiellt's, si la Hépllblique n'élait p,-l:-J tOlll cela, elle lle
serait qu'lln mensonge, et ce qLle nons vOlllol1::i aVilut tout, ce
que nous pOllr::iuivOllS de tOll::i !lOS elTorts, c'est I'établi::isernent
d'un gouvernell1ent répllblicain qui aSSllre, dans ce pays, le
regne de la justice et de la Jégalité. NOllS avons donc pour
but de convaincl'c nos détracteul's que nOllS n'avolls d'aulre
passion que la passion de l'illléret gl:n6ral bien entendu, que
la pass ion do l'émancipation dn plu:; granJ. !lombre, en le
pOllsS;lnt 11 la pratique des vertlls civiqnes vers la liberté et
vers la Illrniere. (Aprlaudissemellts.)


La République est la grande cause qlli peut lOllS nons llllir.
Le gouvernement républicain est, avant tOllL l'espoir de notre
France rnulilée, ahattlle, déshollorée par les rnOll~lrcj¡i:ite:i.
(Uni! alli! - Applalldissetnents.) C'est it llOllS qu'il appnrticnt
de la relever, mais avec le COllCIJUrS de tOl1S, ane le d0voue-




A AX:\'ECY. ~17
lllHnL de tons, avec l'aide des forces vives clu pays et surtont
a\'ec l'aide de cette jellnesse qlle je rencontl'e Sllr tout IllOIl
ChelnÜ} et qui, partont, proteste il la fois de son afllour du
travail et de son amollr de la patrie.


Eh bien, mes chers cOl1citoyens, ne nOllS quittans pas sans
nous elre prornis de travailler ensemble, dan s j'inLéret de la
cause répllhlicaine, a la fOlHl2.tion dll senl gOIl\'erncment qlli
assure la distribution de la justice pour tOllS. En faisant aitlsi,
ce n'est pas an 110m d'un parti que nous travaillerotl", mais
au 110m des illtér6ts commllns du pays, au 1101ll des illtéréts de
la vé¡'jté et du progre:.;, c'cst-a-dire au nom dc ce qll'il y a de
plllS noble parmi les hornmes\ parce que c'est L: ce qni peut
a:i:-iUrer, paI'll1i ellx, le regnc de la jllstice. (Bravo! ))I'avo! -
A¡Jplaudissemenls. - Vi ve la République! - Vive Ga rn-
hetta! )


A six heures et demw, un diner privé, qui réunissait plus de
ccnt cinquanlc convives, a élé ofl'ert a i\I. Gambetla. On rcmar-
quait la présence, a ce dltler, de MM. Duparc, Silva, Folliet el Ta-
bedel, représentants de la Haute-Savoie, desmaires, des arljoints,
des mcmbres du Conseil municipal de la ville d'Annecy, de plu-
sieurs conseillers géuéraux el d'arrondissement du département,
d'un grand nombre de maires des communes voisines. La plus
franche cordialilé n'a cessé de régner pendant cetle réunion.
Les lsociélés musicales d'Annecy, fanfare et Orphéons, se sont
fait entcndre a plusicurs reprises, eL auxapplaudissements répé-
tés de toule l'assistance.


Au desscrt, l\J. Chaumontel, maire de la ville d'Annecy, el pré-
sident du ConsciL général de la Haule-Savoie, s'est levé eta porté
en ces termes la sanlé de 1\1. Gambetta':


MESSIEURS,


En votre nom, an nom eles n~pubJicains d' Annecy, je porte
un toast a l'homme iilustre que l10ns avons I'honneur de pos-
séder au miJieu de nous, an député Garnbetta.


Lorsque, il ya douze ans, non par droit de conqllete, mais
par notre libre volonté, nous ¡úons vOlllu revenir dans la


13




iH8 DISCOURS
grande famille fran¡;;aise, le sacrifico par nous raít a été grano.
Nous sommes revenus a la mere patrie an prix de tontes nos
libertés, c'est qu'avant tout nOlls élions FranGais ; c'est que,
faisant abnégation de notre inLéret personnel, nuus savion:3
tres-bien que le despotisme n'aurait qu'lln temps et qne la
liberté, tal OU tard, luirait de nouveau sur la Franco, sinuu
pOl1rnous, au l1loins pour nos Sllccesseurs. (Tres-bien! tn~~)­
bien! - Applaudis~emen ts prolongés.)


Depuis cette époque, iI est venu des jours malhellreux pour
la France; mais nos populations en ont profité pour faire voir
que si elles élaient jeunes Fran<;¡aíses ele fait, elles PétaieGt
vieilles de ceeur. (Bravo! bravo !) Elles ont répolldll ~ans
hé~itation a l'appeI de la défense natioualc et aux efforls dii
patriote courageux que la Frallce admil'ai t alor::; et allqllel
on OS8 reprocher aujourel'hui ele n'avoir pas perou confiance
dans sa patrie.


Je puis vous assurer, GambeLta, que si vos efforts n'ont pas
été couronnés de succes" du moins 011 (lira lOlljours que VOlH
avez été la suprérne expressiol1 de l'honneul' llational et di.!
patriotisme. (Ouí! ouí! -- Salve d'applaurlissements. ->- Vive
Gambetta !)


.Mais votre mission est loin \l'etre accOIllplie. Des jours plus
calmes ~ont venus; la liberté a rayonllí.~ sur les ruines de la
France; les passions des partis s'apaisent SOLIS le drape,ill de
la Républiqne; la paix pllbliqlle est rétablie, la prospérité
reviendra et la France reprendra le rang qui luí cst oll. Allssi
c'est a la déc1aration Il8Lte, c'e::it Lt la cOllsolidaLion de la Ró-
publique, en dehors de toute personnalité, que vous elevez
vos efforts, volee illíluence el YOS taleuls. Tout est etlcore il
faire. NOllS n'avons de 11 Hépubliqlle que le nom, nous en
demandoIls les illslituttous. (Tres~bien! - OLli! OUt 1
ApplauelissemenL3. )


En partant de chez nous, 'ous e111porterez l'admiration dll
passé el l'eSjjérllllCe úe ¡'avenir. (Xollveaux applaudissetíl(JlJts.)
Et~ en buvant a votre sallté, je bois a la Républil!,-w franGaiso,
(Bravo! bravo! - Cri~ répétés: Vivo la lh.~pLlblique fralJ(;aisc!




A AN]\"ECY.


- Vive Gambetta! - M. Ch(~umontel Ast félieité par tOlltes
les personnes qlii l' entouren t.)


M. GambeLta a réponclu :


MES CIIEBS CmIPATnIOTES,


Permet.tez-moi de vous dire qu'il y a longtemps que je n'ai
ressenti une jouissance allssi vive, un bonheui' aussi intillle
qll'en entendant les paroles qui viennent d'étre prononcées.


Olli, monsiellr et cher concitoyen, le langage si nobl2, si
tonchant, si désintéressé que VOllS venez de faire entendre el
de [¡¡ire accJarner pJr vos concitoyens cst de nature ü produire
non-seuJement ici) l1lais au dehors) la plus p1'ofonde émotion.
_. ~Iessieurs, ce n'est pas 1lou1' cé qui vient d'étre dit de moi,
elltenJez-le bien; éc,lrtolls Loutes les p()rsonnalités de ces
grandes queslions, eL velliJlez 118 jamais penser au serviteur
de la démocratie que vous ;rvez devant vous et ne nOllS entre-
tenons toujours que de nos idées communes.


Eh bien! c'est au nom de ces idées sacrées que j'éprouve le
J)8soin de remercier, daus toute la sincérité et dans toute la
libre expansion de mOll ame, l"llürnme qlli vient de parler ; car
iI Yient de parler en FrauGais, et en FranGais comme il ne s'en
est peut-etre pas assez rencontré, au jour du malheur, sur notre
sol ravag-é par l'enllemi.


Ah! mes amis, que cela rait dn bien d'entendre de telles
paroles dllns cette ville\ an cceur meme de la Savoie, de cette
Savoie ignorée, illcomprise, dénigréc~ traitée, vous l'avez rap-
pelé avcc raison, par Ull ell1pire détesté, comme une 80rte de
pays étranger au milieu de la rarnille fran\;aise h laquelle elle
s'¿wit d0l111ée avec une spontanéité, avec un désintéressement
liuxquels nOU8 ne puurrolls reudl'c jamais assez d'hommages !
Ot11, pClldant de longs jours, !lOUS aVCJIlS eu a supporler en-
semble une 11011Le et Ulle servitlllle COIllIllunes ; uui, vous les
<lYCZ conuus ce~ jOllrs de llliseres et de tristesse, mais ce qne
vous li vez toujours ignoré, c'est la défaillance! Et, <J1I jour


I




220 DISCOURS
du malheur, au jour de cette etTroyable crise dans laquello
nous avait précipités le malfaiteur sinistre du 2 Déeembre,
qu'est-il arrivé?


Il est arrivé qne ces Fran<;;ais d'hier, que ces Fran<;;al:í
volontairement annexés nOllS ont apporté ¡eur patriolÍsme,
leurs trésors, leur sang el qu'ils ont donné des le<;ons 11 eeux
qui avaient déja un long passé de nationalité et qlli avaient
pu l'ollblier pendant un momento Eh bien, si la République
fran<;;aise doit' etre, avant tont, un gouvernement de liberté
a l'égard de la Savoie, elle doit aussi etre en présence d'un
pays qlli parle comme vous le faites, monsieur et cher concí-
loyen, un gonvernement attenlif et reeonnaissltnt. (Tres-bieu!
tres-bien! - Long::; applaudissements.)


Qu'on ne nous entretienne done plus Je eeUe pensée sacri ..
lége et absoll1ment fallsse, qn'il y a, qll'il pourrait y avoir, :m
miliell de ees populations, je !le sais quel levain de séeession,
de scbisme avec la France! Qlli estoce qui pourrait nourrir
eelte idée dans ee pa1's ou tous ont soutenu la Franee, ou 10\1S
ont entendu son appel ilU milieu de la détresse oü elle était ?
Ce ne serait que le reve de la folie de vouloir la quitter, l'aban-
donner au moment OU elle rentre dans la carriere, al! mo-
ment Ol! elle revient a la j llstice, a la grandeur morale . .l\on !
non! écartons ces idées el reconnaissolls que nous sommes
les 111s de la meme patrie, placés sur Ull meme pieu d'égalité !
(Applauuissements. - Vi ve la République fram;aise !)


Et on le sent qnand 011 vient all milieu de vous: on a la ré-
vélation de ce qu'il y a de vraiment frane, de vraimeut rerme,
désintéressé, générellx dans ce peuple. Oui! c'est une ré\'t~la­
tion! Achaque pas, on y I'I~neontre de véritables explosions
de scntimeut¡ d'honneur et de loyauté. Mais on ne la COlln()1t
pas, eette Savoie ! Eh bien, je prends l'engagement, s'il ne dé-
pend que de moi, de la faire connaitre et-aimer comme elle le
mérite. Oui! mes chers eoncitoyells, soyez assllrés qu'a partir
de ce jour je sllis tOllt a vous, je vous appartiens, je sllis votre
hote et votre compatriote. (Bravo! bravo! - Applaudisse-
ments. - Vive la République !)




.A AN\ECY.


Olli! mes amis, vive la Répnliqne! comme vous le elites,
C3r, a coup sür, nons n'avons meme plus aujourd'hui ü nous
oceuper des fauteurs de monarchie et d'oppression, des 1'e::;-
tlmrateurs d'arbitraire que ponr les m:mdire ellenr tCJurner le
dos. 11 est certain, en effet, qu'ils joignent l'impllissance ~l la.
méchaneeté, et ce serait perdre notre temps que d'atlarder
nos réunions démocratiques ü discuter lellrs plans, Icm valeur
el leur port~e. Uui! la Rl'publiqu8, e' est désormais sous son
égide que nons voulons vivre; e'est sous eelle forme de gou-
vernement qui implique, eomme vous le savez, vériU!blement
parmi les hommes, le regne de la vérité, de la liberté, de la
soliJaritt'i humaine. C'est sons eelle forme de gouvernement
qn'il fallt désormais travailler tOllS r,nsemble, a vee un dé:-3in-
téressement que rien ne pourra énerver, a vee une ardenr que
rien ne pourra arréter, a la régl~l1l~ralion de la patrie, an releve-
ment de la Franee! Et savez-vous, JllCS (Imi::;, ce qu'iJ fant
entendre par ces paroJes? Je vais YOIlS le dire, aH risque de
troubler le -repos et les pensées de réeents victorieux : trél-
vailler au relevement de la Franee, e'esL lrayaillerü J'avaucc-
ment du genre humain, e'est travailler ~l la eivilisatioll gétlé-
raJe de l'Ellrope ! (Oui ! Ollí ! - Applalldissements répétés.)


C'est la la République lelle que nOllS la vOlllons, telle que
la veut ce géllie fran<:;ais, ee génie qui a l;té fait et faGouné
depuis des sieeles et dans la famille llllCJuel vous rentrez, cal'
vous lui avez toujours appartenu; eL, rameau séparé du tronc,
vous luí revenez aujourd'hui par une nalurelle soudure!
(Bravo! bravo!) Jamais nous n'avons élé divisés, séparés, que
par la tyrannie et l'oppression mona1'ehiqu2s; mais, de 10il1 el
tOl1jours, a travers la eaptivité eL les miseres, nous nOLlS
sommes reconnus eomme freres; et dn jour Ol! nOLlS nous
sotnmes reneonLrés pour luLLer ensemble conLre les mémes
ülllJemis, nous avons seellé de 11Ol1'e sang un indissoluble
pacte! (G'cst cela! - Tres-bien! - ApplaudissemenLs 1'é-
p(>[f~S.)


Eh bien, qU1nd Oll a signé une semblable allianee dans l'ad-
versité el les revers, vous pOtlvez élre convaiuclls, messieurs,




DlSCOURS,


qu'on ne pense pas a la rompre lorsque vont revenir lb
triomphes et la gloire ! (Salve d'applaurlissements. - Vive la.
République !)


Oui! crions : Vive la République! et recherchons, en dép¡t
de ses calomniateurs aveugles, ce que sera eelte Hépubliqu8
revée, désirée, préparée. Il n'est pas possible, en effct, qlle
nOl15 nous quittions sans échanger all rnoins c6tte consolante
pensée, que la République est faite désormais. Aussi bien,
quoiqu'elIe ne snit, a l'heure qu'il est, que trelllblotante et in-
certaine; et quoiqu'elle soit, COrntlle vous l'avez si bien dit,
monsieur et cher concitoyell, assez aigre encore envers les
républicains éprouvés, iI n'en est pas moins vrai qu'elle est
née de nos malheurs et qll'elle s'impose aux pllls méch;¡nts;
lesquels sont obligés d'en adopter les cOlllellrs et el'en confes--
ser la formule; il n'en est pas moins vrai qu'elle g;¡gne tou::;
les jours dll terrain a~ milieu de . , populatiolls. Les poplllalions,
en effet, lorsqll'elles sonL abatldonnées a leur s~ns naturel,
10rsqu'elles ne sont sollieitées par aucune pression, par allCllno
parole, par allClln ;¡ete, par aUCUlle manCBlIvre des partis bos-
tiles, lorsqll'elles n'ol1t pas a redouter, ~l subir les agissements
d'une administration tracassiere et vexatoire, savent distin-
guer admirablement ce ql1i doit aSSllrer leLirs inléróts, lem for-
tune, lenr avenir. "-


Des aujourd'hui, jeLez un regarcl observateur sur votre pay~,
non pas seulement sur votre pays, mais sur LonLes les part.h~s
de la France, que voyez·volls? On voit que c'est la classe
laborieuse, travailleuse, éparglleuse, qlli réclame l'ordre et la
liberté, et qui, ;¡pres tant de dé:,astres qui ont fondu sur nOIlS
et dont elle discerne parfaitement les causes, comprend (p'il
n'y a d'ordre véritablem811l assllrt~ que dans le véritable gOli.-
vernement de la loi, que dans la Hépublique. (Bravo! bl'a 'lO:'
- Applaudissements. - Vive la République! - Vive G:tm-
betta! )


Ce sont préeisément ces acclal11ations de : Vil/e la Ht)pu-
blique! que ron entend pOllsser tontes les [ois que le peuple
en a l'occasion, ce ~ont elles qui glacent d'effroi nos ennemis.




A Ai\"NECY. 223
les exasperent et les obligent a avoir recours a toute espeee de
libelles et de calomnies, lesquels nou~ }élissent impassibles,
paree que nous savons d'Oll tout cela viento Cela démontre ou
e~t le véritable intérót de ceux. qU! ont souei, avant tout, de
la réglllarité dans les (¡traires, de la pro"périté générale. Cela
démontre all~si, pOllr qui sait comprendre, qne toute tentative
prml' renverser la Hl~pllbliqne et po u!' in:itaurer a sa place un
régime monarchiqlle quelcouque, - soit au profit d'Ull seul,
so¡t :lU proflt d'nne caste, -- serait ie prélude d'une révolu-
tinn. OllÍ, messiellrs, guidés p:ll' le selltiment de 18ur intérét,
éclairés sur les eOn::iéqLlences véritables de la lulte, les hommes
quio, jllsqu'alof::i, étaiellt restés indifIérents en politiqt:e, qui
étai(~llt égarés el qlli avaient formé la grande masse plébis-
citaire, revi8ntJeut a la liberté; ils adoptent une conduite nou-
velle, et, soil pre;ssinn des événements, soit évidenee de leur
iIlLh'(~t, ils se jettent dalls les bras de la Hépublique comme
chns un port oú ils seronL assurés contre les tl'oubles des fac-
ti rll1s monarchiqlles. (Long::i applaudissernents. - Vive la Ré-
publique! -- Vive Gambetta 1)


Telle est, messieurs, la v¿rité, el ce ne sont pas la de vaines
paroles; ce ll'est pas Ull mot d'ordre, cornme se plait a le
répét.er une certaine presse qni continue l'empire sans l'empe-
rellr, c'est-a-dire la dépt'ilvation el la gangrEme morale dans
le pays. Non! ellcare une fois, ce ll'e::it pas un mot j'ordre!
car nOllS nons f;omllles donné ponr regle absolue de respeeter
la loi, et non s Iaisons de notre modération et de notre sagesse
non pas un calenl, -- cntendez-le bien, - non pas une lignc
de condnite paSS3gere~ mais une ligne de conduite fixe, ar-
rHée, définitive. Le parti républicain, c'esl-a-dire la masse
de la nation, cornpreud que les progres qu'il faut arracher au
puu voir, que les réformes qu'il faut installer, et qui exigent,
(tui réclament du temps, de l'argent, de la patience, des éco-
nomies, - que toutes ees choses enun ne peuvent s'aceomplir
que do.ns la paix s0ciale, qu'avec l'ordre.; el alors ce u'est pas
un mot J'orrlre que nous nous donnons, eest l'ordre meme
que nous voulons établir, }'ordre républicain par la paix so-




DlSCOURS


ciale. Ah! ceux qui nOllS dénigrent ne font que marquer lenr
dépit; ils sont démasqués et vaineus~ car il a suffi au parti
républicain d'apparaitre dans sa sineérité pour gagner la
conscience de la Franee! (C'est cela! - Bravo! bravo! -
Applalldissements. )


Mais on a bien quelque droit, au milieu des traeasseries et
des embarras qui semenl la route~ de glorifier la modéralion


" et la 8agesse inébranlables de ce parti. Ollí! on en a le droit,
et c'est surtout iei, dan s ce pays dont vous avez rappell~ les
senti rl1ents avec uue érnotion qlli, flOUf mui, a péllétré jll~qll'all
fond de BlOI1 ame, qu'il est botl de dire ce Cju'une H0puhiiqLl!;
ainsi comprise verserait d'honneur, de sécurité et de gloire
sur la Frallce.


Car, pensez-y llien, mes chers comp,ltriotes, la Franee e~t
une PT,lllCle el Iloble chose dans ll~ IllOflllp. Ellu u'e:-t pas sell-
lel1ltmt \Ine !lation ardente, gélll~rellse et vaillante; l~lle a, dtns
l'énumération de ses qualitl~s, unt} qualité qu'auclln Duln'
peup)e ne possecle : elle a le senliment, que c1is-je? le senti-
mellt, elle él la pa~sion de la jllslice géllérale dan:; le monde.
Oui! e'esL a la fois son aVllntage el son écueil d'elre tellelllellt
désilltéresséc, tellement portée al! culto de la jllsLice CjIIC ~(lIi
histoire, SI générellse et gloriell~e ¡ll~t()ire, e~t f:tite des sucri··
nces el des imrnolalions flLl'elle a fails d'e)le-rnetne au sen'icE'
des autrrs 1 (Bravo! bravo! - Sensatioll profullde.)


Et ponrquoi sou hisloire est-elle ainsi [aite? - C'est paree
qu'elle n'a pas élé égolste, e'est parce qu'elle n'a p:1S l'~t);
sournoise, c'tst paree qll'elle lÚl pas éié eouquérallte dans le
sens rnisérable et brutal de ce mot; c'est paree qu'au coo-
traire elle s'est donnée toute ü tous, paree qll'elle n'a eompris
le droit et la liberté que comme étant le patrimoine du genre
humain; c'est paree que, des le prernier jour oü elle a pu fo1'-
muler une Charte, elle n'y a pas illserít les droils seu)s des
Franc;ais, entetldez- le, mais les tIroils de l'homme et dll c¡--
toyen, exprimant el proclamant par la qll'ellc vOlllait encore
rnoins faire une révolLltion locale que réaliser l'émancipatioll
meme du genre humain lout entier! (Explosion d'applalldis-






A ANNECY. 225
sements. - Cris rép(jtés: Vive la Républil}ue franQaise!)


Yoilh la lllission de la Franco! Ah! oLli, son astre s'est
obscurci el la forLuno a tourné contre elle! Vous avez rappelé,
mOllsieur et cher cOtllpatl'ioté, les efforts tragiqlles dl~ cette
lutte désespérét~ donl un empire ignoble et lache nous avait
légué la llonte! NOllS élions Lien obligés de ramasser le tron-
<;()n d'épée qui seul nOllS restait pour combattre contre ceux
qui mentaiellt ü leur parole, puisqu'ayallt déclaré la guerre a
un César aventurier, il::; la continuaient contre un peuple qui
ne demandait que la paix! (Bravo! - Tres-Lien! - Applau-


, dissements.)
l\1ais éloignons ces souvenirs et rappelons-nous les efforts


de celte noble tene de Savoie qui: cümme vous l'avez dit, a
su faire des sacrifices et a su tel1l1ré la main ~l la France, a
travers les filets de celle police et de cette gelldarmerie irn-
périales qui étouffaient le pays. Derriere l'empire, vous avez
su apercevoir le cceur merne de la France et, malgré le dégout
qui vous sOlllevait le Cillllr, vous eLes renlrés dans la patrie!
C'est la, de votre part, \lne actioll qui nOllS engage, qui nous
lje pour toujours a vous, et I'Clll sent bien que, l'empire tombé,
rien ne peut plus nOllS séparer. (Non! non! - Bl;avos! -
Applaudissements. )
~lais, d'ailleurs, nOlls avons) ~t l'hellre <{u'il est, bien des


raisons d'eSp(~rér, et je trouve que les raisons de craindre ont
a peu pres disparu ; elles out di:-~paI'Ll, pell a peu, sous l'action
vigilante du surrrage uuiverse!. Les cOlllplots el les trames
des parlisans rnonarchiqucs ont élé percés a jour, ce qui était
les mettre a lléanl; aujollrd'hlli ils sout réduits a l'impuis-
sanee et l'on peut augllrer, prollostiquer, annoncer, apres la
session qui va s'ouvrir, l'avénernent de la RépuLliqlle défini-
tive dont les uns cherchent a faire un épouvant\iil el dont les
autres, par un jeu contraire'J muis tout aussi dangereux, cher-
cbent ü atténuer la portée, lout en l'acceptant.


Pourriolls-nolls rechercher ensemble, lres-rapidement, ce
qn'cnveloppe, ce que recele de vériLés et de promesses ce mol
de Hépubliqul~? La HélJuLlique cléüllitive! mais c'est le triom-


/ 13.




DISCOURS


phe méme du génie franGais ; car imaginez ce que serait dans
le monde un te} gouvernernent. En effet, nous avons eu des
périodes révolutionnaires, nous aVOl1S eu de véritables ba-
tailles, nous avons eu ues mélées que nous rappellent la
Convention et la Constituante de 1848; mais la République
pacifique et calme, s'organisant a son aise, all milieu de 1'as-
sentiment général du pays, formulant ses uésirs, établissant
ses assises, décrétant avec lenteur et sagesse les tables de
la loi, cette République, qui sera la n6tre, nous ne l'avons
pas encore vue~ mais nous so mm es a la veille de la volr.
(Applaudissements. - Sensatioll prolongée.) Cela dépend ele
vous, messieurs, et de vos freres dan s le reste du pays. Tous
les faits que l'on peut observer, surtout apres cette main·mise
sur tous les corps éleetifs de la nation par la nation elle-
meme, nous amenent a prédire que l'avénement de cette
République est inévitable et que les irnpuissants qui veulenL
endiguer ce flot redoutable devront bientót disparaitre ou
s'écarter devant le passage du fleuve. (Bravo! bravo! -
Applaudissements. - Vive la République! )


Eh bien, la République définitive, ce ne sera pas seulement
eette organisation démücratique du pays dans la COillmllne
d'abord, dans ]e département et au centre, de te11e sor te que
vous ne revoyiez plus, dans vos cheres communes, de ces
adrninistrateurs y arrivant eomme dans un pays conquis, des
gens ignorants de vos besoins, de vos aspiraLious et irrespec-
tueux de vos franchises. Non 1 la Républiqlle devra vous uon-
ner, vous donnera des agen ts fiueles uu pou voir central., dé-
légués parmi vous non pas ponr servír u'intermédiaires a Llne
oppression éloignée, mais poue faire vos affaires sur place el
SOLlS vos propreS yeux. (Tres-bien! tres-bien!)


Je n'insiste pas, messiellrs, cal' le temps me presse; mais ii
e~t bien entendu que si dans la Hépllbliqlle 1l0US réorganisous
l'État a tous ses degrés, llUUS uevrOllS aussi le réorganiser uaus
ses rapports avec tous et avec tous les iUléreLs sociaux,- l'ap-
porls eivils, messieurs, esscntiellement,-ce <lui est la vraie, IJ.
seule et libérale manÍl31'e ue régler notamm~nt ce Wte-a-WLe




A ANNECY.


difficile de l'Église el de l'État, dans lequel l'État a toujollrs
sl1ccombé jllSqU'a présent au proflt de la puissance ecclésias-
tique, - et ce qui fera que la politique l dan s la commune,
dans l'école, dans l'armée, dans l'adrninislration, sera débar-
rassée de cette domination occulte et étrangere qui pervertit
lout. (Tres-bien! - Vifs applaudissements.)


Dans la Hépubliqlle on organisera également une magistra-
ture véritablernent indépendante, une magistrature qui, pour
moi, constitlle l'arbre de couche meme de tout le mécanisme
social j car, dlll1S un pays, le premier des besoins, c'est la
justice, et le plus délicat des mécanismes soci:mx, c'est la
ma;;islrature. On 118 ~;aLlrilit y apporter trop de précision et
trnp d'impartialilé. 11 serait clésirable, en effet, que lá justice
fút l'intermédi:lire ilutorisé elltre le citoyen et le pouvoir;
mais pOLlr cela, vons sen tez bien qn'il faut introduire la, it
J-iJeins borels, le tlot démocratique. (Brayo! Bravo!)


Passons. Sous la Hépublique, il y aura vóritablement une
armée nalionale, une armée qui comprendra tOllt le monde,
une armée qlli sera la naLion elle-méme de~,;oLlt devant l'étran-
gel'; une artnée ou les droils de l'intelligellce et de la hiéral'-
chie sel'oilt parfaitement respeclés, et surtout ou la science
des armes\ ce triornphe de l'inlclligence appliqnée anx luttes
de la force, sera développ(íe, portée ü sa derniere puissance
avec tout ce qne comporte d'audJ.ce, L1'intelligence, d'hérobme
et ele grandeur, le génie meme des FranQais. (Bravo! bravo'
<~ Applandissemell Ls.)


Il faudra all~si dans cette République définitive une refonte
complete de tOlltes ces lois, de tout ce coLle administratif ou
il ya tant d'herbes folles, tant de reglements surannés, tant
de cllOses ~éJliles El gOlhiques ; il falldra beaucoup déchirer
pour beaUCOllp réformer dans ce Bulletin des lois; enfin il ya
des droits primordiaux, sacrés, itlaliénable,~ l impre3criptibles,
qu'il sera uécessaire de mettre a l'écart de toutes nos lutles
pulitiq1l8S, it }'abri des aLteinles de tous el mAme des corps
d8 l'ÉLat; cal', messiellf's, illl'y a pas et il ne sallraityavoirde
corps social, de ualion vraiment libre et civilisée, orga-




228 DlSCOURS
nisée pOl1r la bonne distribution de la justice et pour la dé-
fense des droits dll citoyen, ~i, an préalable, on n'a reconnu
certains droits supérieurs qlle I'on place dans une spllere
inacce~si:)le aux lulles des partis eL aux c11illlg-ements de pou-
\ioir. (Approbatioll g¿llérale.) Ell dehors de ce prillcipe l il n'y
a, il !le pelll y avoir que des abus que je n'éllllmérerlli pas,
Cllr vous les connaissez tous, et les relraC81' ici ce sCl'ait faire
1'1JÍ~toire de nos rui:-:eres poliliques et sociales.


M(iis, messieurs, vraiment il me semble que je réponds bien
longnement aux paroles qui m'ont été aclressées. (Non! non!
- Parlez! parlez!) Vous me le pardonnerez, messieurs; c'est
votre faute d'ailleurs, puisque vous m'écoulez avec tant de
sympalhie.


Ce que je veux dire encore, messiellrs, c'est qu'en meme
temps qu'on ferait cette besogne, on installera au milieu dll
monde nn gOllvernement sans précédent, un gOllvernement.
qni n'aura jamais eu' son pareil, la République fran<;aise!
Songez, messieurs, pendant quelques instants, a ce que ces
mots éveilIent d'idées de noblesse et de gralldeur.


Sans doute, il y a eu des pellples, il y en a encore, - et ils
nous entourent, -qlli ont la liberté, la plénitllde de la liberté
poli tique. Vous avez a vos portes un État qui est une Hépu~
blique~ un État qlli est libre, qui est sage et qlli peut nOlls
donner l'exemple de la pratique des mffiurs répllblicaines eL
de toutes les lihertés, l'exemple de la sagesse, de l'économie
et de la probité. C'est la Sllisse; mais la Sllisse est un État
fédéral; c'est un ememble de cantons associés. II n'y a pas lit
eette unité, ceUe pllysioGomie particllliere et spéciale qui se
délache en pleine lumiere, qui plane au-dessus de tous et qui
est la chose de tous; qui exprime les sentiments et les idées
de tons, et qui, cependant .. ll'usurpe sur personne. Ce n'est
pas non plus la réunion de provinces associées : ce n'est pas
la TOllraine unie a la Provence, ni la Picanlie jointe au Lan-
guedoc, ni la Bourgogne raLtachée h la Bretagne, comme sont
liés entre el1X les États-Unis d'Amérique. Non! cet ensemble,
eette unité, c'est la République fran<;aise, c'est-a-dire la chnsé




A Al'INECY. 229
la plus concentrée et la plus variée, la plus multiple et la plus
f,!ci)nde tout ellsemble! La Hépubliql1e fran<;aise! ce De serait
pas seUlemelJt la sagesse dalls les entreprises, comme furent
allLrefois les l'ays-Bas de IInllallcle qui formaient allssi une
n\~pllbl!cjlle, mais Oll eles frollemellls et des divisions engen-
üntient des dif!iculLés de tUl/Les sorLes. Ce s8rait, au contraire,
un pe'Jple tout entier se résumal~t dans une personne 111ora1e
(['Ilne gralldeur incomparable, et celle personne morale, cet
ütre noble el priviJégié, ce ser;¡it lél Hépublique fran<;aise pou-
\'<tuL avoir toutes les qualitt~s des divers pays dont je viens de
rappeler les nOllls, pOLlvantavoir la rude franchise de la Suisse ~
la probité, le sérieux et la ténacité des Hollandais; l'esprit
d'iuitiative, le courage individuel, l'audace, la célebre devise:
(;0 ahead! En avant! -- comme chantaient vos musiciens tout
h l'heure, - des États-Unis de l'Amériqlle, mais qui aurait
quelque chose en plus, quelque chose d'essentiellement propre
ir notre llation, qui anrait la grace et comme la fleur de la
civilisation et du goüt; qui serait - ce qu'OIl n'a jamais pu
nous enlever - la véritable initiatril3e du genre humain, qui
serait la recherche dans les arts, le iini dans les métiers, la
sl1périorité daIls les sciences, la ~ublimité dans les concep-
Lions philosophiques, la probité dans les affaires, la clarté
dans les inte!ligences, la Illllliere et la justice partout, et ql,i
eolin apparaitrait dans le moulle comme la plus haute expres-
sion de l'esprit humain. Voila, messieurs, ce que serait la
République fran<;éllse! (Salve d'applaudissements. - Bravo 1
bravo! - Vive la République 1)


Eh bien! tout ce brilUlllt avenir, si riant et si consolant, au
milieu des tristesses et des amertllmes qui nous désolent, mais
qlli doivent etre pour nous comme un incessant aiguillon,
Lout ce brillant avenir peut se réaliser. Grace a quoi? Grace a
une opération prochaine, les éleclions! Par quel moyen? Par
I'expression sOllveraille de la volonté du peuple. Quelques
mOls 1l01lS sépareul de ces grandes assises populaires. Eh
bien! messiellrs et c11ers cOllcitoyens, je bois a la continuation
de nos eIIorts pendant ces quelques mois; je bois a la volonté




230 DISCOURS
du peuple exprimée dan s ses comices. (Longs applaudisse-
ments. - Vive la R'épublique! - Vive Gambetta!)


Apres ce discours, 1\1. Folliet, député de la Haute.Savoie, a
pris la parole en ces termes:


J'aurais voulu, messieurs, qn'une paroJe éloquente répondit
aux nobles idées qui ont été exprimées, dans un magnifiqlle
langage-, par le grand orateur que vous venez d'entendre; mais
permettez-moi, du moins, de le remcrcier du juste et éloqllent
hommage qu'il a rendn aux sentiments républic;lins et patrio-
tiques de notre pays.


Républicains, assurément nous le sommes, el il est peu de
départements, en FranceJ Ol! l'idéc r0publicaine soit comprisl'
comme elle l'est dan s notre Savoie. (Tres-bien 1 tres-bien 1)


Et, en effet, depllis cinq siecles !lons avons des exemples
voisins qui nons permettent d'apprécier les av:mtages et lc~~
bienfaits de la Répl1bliqlle.


Patrio tiques, nos sentimenLs le sont nssurément aussi, et
notro pays l'a prouvé pendant ceLle guerre, aLLil'ée sur la
France par l'empire, oú il a ;lml'tlll~ sa fui républicaine et son
paLriotisme en fournissant 1D,OOO de ~es' enfllllLs ~l la IJdcnse
nationale ...


M. GAJIl3ETTA. -19,000 défel1seurs, et pas un réfeactuire!
(Bravo! - Tres-bien!) •


nr. FOLLlET. - Et pas un réfracLaire I comme le l'appelle si
bien Gambetta, (OllÍ! olli! - A ppluudissements.)


Eh bien, lor~qu'un pays a donné de pareillc~ preuves de
son patrioLi;:;me, on COlH;;Oit difllcilement une condui le qui
consiste aujourd'hui a délligrer les sentiments répulJlicains de
llotre pays, en les faisant passer poul' des senlituenls sépa ~
ralistes.


Messieurs 1 qn'est-ce qui nons a appris ~l aimer la France?
C'est la rtépllbliqlle! (Bravo! bravo! -Tres-bicl1:) Olli! c'est
la République qui nOll::; a appris a aimer la Frauee, eL c'est la




--


A ANNECY. 231
République encore qui nous a faits définitivement et a jamais
Franc;ais. (OLli! olli! - Vive la République!)


Permettez-moi dOllC, messieurs, en souvenir ue ce,tte union
qui a été sanctionnée sur les champs de bataille par le sang de
nos concitoyens, permettez-moi de vous proposer de porter
un toast : a l'union de la France et de la Savoie par la Répu-
blique! (Bravo! Lravo! - Applaudissernents répétés. - Vive
la Répllblique fran~aise !)


M. Félix Brunier, adjoint au maire d'Annecy, organisateur de
la réunion, a porté cnsuiLe le tOttst ci-apres, qui a élé tres-ella-
leureusement applaudi :


Je bois, messieurs, a Jeux grands citoyens de la République
franc;aise : « A T11iers et a G¡¡mbetta. »


e'est en vain qne, pom semer la division parmi nous, on
HOUS dit qll'il y a plusieurs especes de républicains. Non I
messieLlrs, iI n'y a qU'Lltle sorte de républicains, ce sont ceux
qui aiment la France et quí veulent que le peuple reste en
pleine possession de ses prérogatives, de ses droits, sous un
gouvernement issu de lui, ([u'il s'appelIe T11ier8 ou Gambetta.
(Brnvo I bravo!)


Quels que soi8nt les voies et nwyetls qn'ils emploient, ne
SOtlt-ce pas toujours les melues gells qui dénigrent ce qlli a
été fait de grand, de palriutique par le présjdent de la Hépu-
blique, ponr la recollstilutioll de la France, et par Gambetta
pour saLlver son honnellr. (Tres-bien! - Applaudissements.)


Oui, ce sont les lllellles gens, les memes ennemis qui at-
taquent ces deux grands citoyeus : l'un qui, apres avoi1' ranimé
le crédit et faít souscrire les 42 milliards de l'emprunt, paye
les deHes de la Fl'ance, et }'autre qui a fai.t les efforts que vous
connaissez tons et qui n'a jalllais désespéré du salut du pays.
Ce sont les memes ad versaires qui attaquent Thiers et Gam-
betta, et ¡b u;onL qu'uue pellsée : la destructioll du principe
républicain. (C'est cela. - Tres-bien! - Bravo!)


Olli! je le répóte, lllessieurs, Galllbetta a sauvé la Répu-
lJJique de la houte, el Thiers raye les uüllianls de nOlre rau-




232 DISCOURS
con; ils formeront tous deux un tout indivisible dans l'histoire , ,
de notre régénération.


Je bois a ces deux grands hornmes uni,:; SOl1S le dr;¡peau de
la Républiqlle! (Applaudissements. - Cris répétés do : Vive
la République!)


Apres M. Drunier, 1\1. Silva, député de la Hautc-Savoie, s'esf.
ex primé ainsi qu'il suit°:


MES CIIERS CO:\IPATRIOT.c:S,


Parler apres messieurs Chnumontel, Galllbetta, Folliet et
Brunier, qui ont tout dit et tout bien dit, doit vous paraltre
une entreprise téméraire, mais comrne, apres tout, nous
sommes ici en réunion de famille, je m'auwriserai de cette
circonstance pour causer sans faGon et vous Jire llla pensée a
pr0pos de ceLte fete.


Certainement, c'est un beatl spectacle que celui de ces
citoyens réunis pour féter un grand principe, le principe de la
liberté et, en meme temps, ponr accJarner ce grand citoyen
qui a rendu tatlt de services a ceUe noble cause. Mais enfin ce
serait une satisfaction stérile si de tout cela nons ne tirions un
enseignement et un proüt au bénéflce meme de eette grande
cause a laquelle nous sommes tous dévoués. .


Quel est done le profit de l'enseignernent que nons devons
tirer de ceUe réunion '? Gambetta vous a fait une description
magnifique de la République, et certes, apres lui, llul ne de-
vrait tenter une pareille enlreprise. D'aulres vous ont dit que,
quoi que l'on fasse, 1l0US vivrons, nous autres Savoyards, -
je dis Savoyards, et vous savez pourquoi, - (Oui! - Tres-
bien! tres-bien!) sous un régime républicain qui sera le trait
d'union illdissoluble enLre la France eL la Savoie.


l\lailltenant encore faut-il que nous établissions solidernent
la République, et pour cela le moyen est bien simple: c'est de
faire l'union entre les citoyens queb qu'ib soieut et a quelque
classe qu'ils appartiellnent; l'union fait la force, Llit le proverlJe,
mais il faut le mettre en llction. (Tres-bien! - Bravo!)




A A~i\'ECY. 233
La est la sagesse! Il nous faut donc faire l'union dans 1'es-


prit d'ordre, puis ¡'union dan s la modération, et nous nous •
rallierons ainsi les inJécis et les timides. NOllS répondrons
aussi, par cctte conduite, aux calomnies de ceux qlli nous re-
prochent de vouloir la révolution, c'est-a-dire la subver~ion
de 'tOllt ce qui existe. Nou~ laisserons a nos adversaires la sa-
ti:sfaction d'exhumer des souvenirs sanglants, nous contr,ntant
de leur répondre par le spectacle d'une population amie des
lois et de l'ordre; d'une population d'autant plus forte qu'elle
est plus sage et plus modérée. (Trb-bien! - Brayo!)


Car c'est ]ü qll'est la graIlde cause de Jeur colere! Si, en
effet, 1IOS ennel1lis nons voyaient nOl1s emporter en divaga-
tions, nOLlS diviser, ils ~e garderaient bien de nous injurier;
au contraire, ils battraieut des rnains;l ce spectacle! (Bravo!
- C'est cela! - Applaudissements.)


Ne donnolls pas dans le piége! Leur colere est le syrnp-
tÓlIle le plus évident de notre sagesse. (Nouveaux 3.pplaudis-
:::;ements.)


.l'ai ¿té frappé par une réflexion que m'a suggérée la lec-
tllre de certaines feuilles 'qui s'illtitlllent des feuilles 1'eligieuses.
J'ai lLl, d(lns ces feuilles, que nou:; autres républicains, nous
aiiuions ü évoC¡ller les souvellirs sanglants de la Hévolution et
il fder l' invasion ü main anuée de notre pays ; j'ai lu, dan s
ces wemes feuilles, il faut bien le dire, que Gambetta, notre
ami a tons, avait élé le désorganisateur de la défense nationale,
llli qui a tout tenté - el. vous savez par qU0ls effo1'ts - pour
sauver la France et qui, du moins, a sauvé notre honneur.
íOui! oui! - Approbation générale.)


J'ai lu - et toujours dan s ces mémes feuilles religieuses
(ri1'es) - que ce meme Gambetta était aceusé d'avoir enlevé,
aux peres et aux meres, leurs enfants pour les conduire a la
üéfense du pays envahi. Eh bien, apres avoir In tOllS ces re-
proches, toutes ces altaqLles, une chose rn'étonne, c'est le
granel el, chaleurellx ;lccueil qui a élé fait, dans nos départe-
lllCllts, a G;unbetla! (Tres-hien! - Rires. - Applaudisse-
m811!.s. )




234 DISCOURS
C'est que c'est la voix du peuple qui a accueilli, par ses


acclamations, ]e grand patriota; ce peuple, ql1i a pa~'é dl~ son
sang et de sa chair sa detta :1 la France, a compris qu'il y avait
dans Gambetta le souffie clu p~ltril)tisme el de la liberté. Olli !
nous nous SOl1ll11eS tous ullis de cmur ti t;ambctla, paree qu'il
représenLe la France, et, au nom ele la Sa 'loie, je propl)se de
boire :1 l'ullÍon de tons : de la RI)Publique, de la France el do
la Savoie! Je suis súr üe rencolltrer de l' écllO parmi vuus.
(Oui! oni! - Tres-bien! - Applandissemenls prolongés.)


M. Gambetta se leve au milieu des applauIlissements ct répond
a ces trois discours dans les termes que voici :


Messielll's, aprus tontes ces bonnes et 1l110S paroles aux-
qllellcs la franchise et un pen la Il1Jlice du pays De [ont qu'a-
joutor un chJrnw tOLlt parliculier, je bois plus que jamaís au
plaisir qlle j'aurai :t me reLrouvef' panni vous. (Bravo! bravo !)


Je lle peux cependant pas, avant de nous séparer, ne pas
ehercher a répOlldre u'un rnot aux diverscs alloclltions que
vous venez d'elltcndre.


J'ai été, pour ma part, extremement sensible a l'honneur
que m'a faít ce mcmhre si dévOllé, si zélé de yotre mlUlici o ••
palité, celui 3uquel 1l01lS uevollS, en grande paníe, le plaisil'
de la fHe qlli nOllS réunit en ce 1l10m cut, - M. Félix Bnlllicr,
- j'ai été extrernement sensible, dis-je, il J'holllleLlf qll'i! m'a
fait, en associant mon nom dalls lí~ toast (}ll'il a porté a
l'homrne émillent qui aura en ce mérite, si rare en France, ue
subordonner ses convictions antérh~lIres aux nécessités de la
patrie et a la 101 J.es évéllements. (131'a\o! - Tres-bien! tres-
bien J)


Et puisque eette précieuse fortune m'était réservée que,
dans une pcnsée supérieure de concorde et d'union, Otl pro-
n()n~~tt mon notll dans un toast porté a la sanlé un premier
magisLrat de la Répnblique, je cOIlsich~rerais COl1lll1e une grave
infractioll de ma part aux COllvenances répllhlicai1l8s de n8 pas
m'y associer plei1l8mellt. ~lessienrs, c'est le premier magi!:trat
de la Hépublique qui a étl~ l'objet <Iu toast porté par notre




-
-


A ANN'ECY. 235


ami M. Brunier. Or, restime que nous devons prendre cette
habitude rép'ublicaine d' entollrer de respect l'homme qui, siuce-


,rement et loyalemünt, tiendra les reneS' de l'État répnblicain,
- car l messiellrs, plus le président est le délrgué de la nation,
plus son pOllvoir est c()ntin~ent el passi1ger, plus nous devoos
considérer que la marque de son invesLitllre annonce et pro-
cI:lm!!l la sonveraim:1<~ nation;¡le et pllls nOL1S devons saluer en
lni la représent:ltion de la m;¡jesLé populaire. Il n'y a rien qui
soit plus républicain, qlli soít plus légitime. (Bravo! bravo!
- Tres«bien! - Applandissements.)


C'est lü, je le répele, une bonne habitude ü prendre dans
nolre Répllbliqlle. Elle conürmera, une fois de plus, ce respect
de l'mltorité ql.lC 110l1S cot1sidérons, SOl1S le régime républi-
cain, comme la vérit<tbh) :::auvegarde des institl1tions libres;
et, iCÍ 1 je rencontre Ulle observation de mnn ami Silva.


Jl nOllS disait que c'était Sl1rLollt sons la République qu~il
fl)llait l'ordre, et il avait raison. :'1ai::; j'ajoute que e'est par la
République qn'on établit l'ordre) et en voiei les rnotifs qn'il est
hon de dOllner :


C'est que, en dehors de l'onlre moral, de celui qlli s'établit
et qni dure chez un penplr, parfaitement illdépenc1ant et libre,
en dehors de cet ordre qui s'établit Jaus les intelligences,
dans les esprits, par la certitllde que nul membre dll corps
social ne ~era pas opprirné, en dehors de cet ordre moral, il
y a l'ordre matériel.


Eh bien, messieurs, l'ordre matériel, sous les régimes que
j'appellerai des régirnes de priviléges, qll'ils soient constitués
aux mains et au bénéfice d'un seul, ou qu'ils soient constitués'
aux mains et au bénéfice d'une caste, l'ordre matériel, on
arrive a l'établir, el rnerne a le maintenir. Mais par quels pro-
cédés et comment? Par la force brutale, par la compression
arbitraire, par les fusilladcs, par la transportation. l\1essieurs,
cet ordre-Hl n'est pas bono Il lJ'est pas suffisant, ii ne peut
nons 8atisfaire. Et ponrquoi ? Paree que cet ordre-Ia décou[e,
1)011 pas s8ulcmeut de la loi, mais trop SOllvent de l'intérét et
du caprice d'ull maitre. Ce ll'est pas ¡~t l'úrdre véritable, c'est




236 DlSCOURS


la servitude et le despotisme. Quand il s'agit de rétablir cet
ordre matériel, faux et mauvais, l'homme qui est a la tete dll
pouvoir, 80it en vertu d'une sorte de prestige héréditaire, soit
en vertu d'une usurpation consentie par Ulle cerlaine classe,
cet homme employat-il ]a loi, l'ordre vrai ne serait pas
rétabli, car la loi, ainsi employée, ressemble trop souvent a
la force mise au ser vice l1'un intéret de caste OH de dynaslie.


Sous le régime républicain, au conlraire, la loi n'est faite au
bénéfice de personne ; elle est l'exéclllion de la volonté gé-
nérale, et l'ordre matériel cOllrl d'autallt moins de périls, que
les meSlJres protectrices prises pOllr l'assurer, découlant de
la loi, sans ingrrence personnelle, sans caprke d'illllividu ui
de famille, empruntent leur force a la majesté du peuple.
(Tres-bien! tres-bien! - Bravo 1)


Voila pourquoi, messieurs, nous sommes al1torisés a dire
que, sous un régime républicaill, rordre est le fond meme des
choses. VOlla pourquoi aussi nous sommes fondés a répéter,
en facA de tous nos détracteurs et de tous les souteneurs mo-
narchistes, qu'il n'y a d'ordre vrai que cellli <luí s'exerce
impersonnellement au nom de la loi, et qu'll ll'y a qu'un
régíme qui protége l'exécutíon impersonnelle tle la loi, c'est
la République ! (Bravos et applaudissements.)


En conséquence, cela dit sur l'ordre répllblicain, jo reprends
les paroles qlle j'avais l'hontleur de vous adresser. Au num de
l'ordre, de l'autorité légale, du bon respect des formes répu-
blicaines et aussi, permettez-moi de le dire, al! 110m des ser-
vices rendus a la France par ce vieillard expérirm:nté, spi-
rituel, plein de ressources, si ramilier avec les ditliculté8 de
la poli tique, si étonnant de zóle eL d'activité pour la chose
pnblique, si prompt ü saisir les indications de l'opinion, si
~agace tlans les moyens qu'il propose pour résouclre les tlif-
fiCllltés ql1i se présentent ; et al1ssi, all 110111 des choses mé-
morables que le prÁsident de la Hépllblique a tl~ja accomplies,
et ü l'aide desquelles il a su si bieu servir les intérets gé-
néraux du pays, rien qu'en s'inspirant ue la volonlé uatiollale,
comme par UIle sor te d'intuition toute personnelle, et bien




A ANNECY. 23i
mieux, par exemple, - pardoonez-moi ce que je vais dire, -
que s'il eüt lrop éCOllt(~ la voix qll'on entend dans le dépar-
tement. de Seine-et-Oise! (rires et approbation génél'ale) ...
poul' toutes ces raisons réllnies, messieurs, je suis tr,\s-
heurellX de boire 11 la Hépubliqlle d'abord, et a son président
ensuite.


M. Gambetta, levant son verre: A la Hépublique et a son
président! (Tres-bien! tres-bien! - Applaudissements ré-
pétés. - Vive la République! - Vive Thíers! - Vive Gam-
belta !)


M. 'faherlct, député. de la Haute-Savoie, rcprcnd la parole a
son tour el prononcc le discours suivanl :


Messieurs, permettez-moi de porter un toast a la Répu-
bliq118 de 1792. CeHe date nous rappelle un grand souvenir ;
elle !lons rappelle que ce fut la Savoie qui, la premiere, en-
tendit et comprit le cri de délivrance pOllssé par la capitale
du monde civilisé.


C'est, en effet, le 24, septembre 1792 que le général Mon-
tesqlliou, a la téte d'llne armée franc;aise, était rec;;u abras
ouverls par la Savoie tout entiere. Nous pouvons dire que le
~oume puissallt de la liberté l'avait précédé dan s nos foyers ;
lous les ca~l1rs, toutes les funes avaient subi son irrésislible
élan eL, ce jour-Ia, le drapeau de la France républicaine venait
combler lous nos VfEllX, en nous faisant libres, en nous rendant
la paLrie de nos CfEllrS, notre patrie nalllrelle, la patde de
nos atTections, de lootes nos pellsées. (Bravo 1 bravo 1)


Alors une ere nOllvelle semblait s'ouvrir pour de nouvelles
destinées. Nous alliolls désormais faire partie de la grande fa-
mille franc;;ai~e, et, confondant nos efforts, tacher d'atteindre
au meme bulo Mais la France, apres avoir projeté sur le monde
entier des lorrents de lumiere, apres avoir dicté, d'une voix
Yerme, tous les éléments d'émancipation, de progres et de
civilisation des sociélés, parut comme épllisée sous ce gigan-
tesque effort; les monumenLs révolutionnaires, fEuvre de
cette grande époque, allaient s'etlondrcr SOLlS fépée d'un




238 DISCOURS


soldat ivre de sang et de tyrannie. Toutefois, peu d'années
sumrent ponr amener la chute de ce regne de folies, de erimes
et de victoires, et l'abai8semenl de la natioi1 qni s'élait Jaissé
trop faciiement ~urprendre. A cette époque, Ict F1'<111Ce payait
cruellement et son fol entétement ét sa faule impardonnahle
d'avoir abdiqué sa souveraineté entre l8s mains d'un seul.
(Approbation. )


Laissez-moi vous rappeler, messieurs, que, pendant tOllt ce
temps de délire, la Savoie fut digne, sur tOllS les champs de
bataille¡ dll drapean de Sil nOllvelle patrie, et, bien CJu'elle eút
scellé de son sang le plus pUf le pacle qtli l'unissait ~l ses freres
de France, on l'en sépara; 011 remit ses destinées en des lmins
nouvelles. Vous avez lJll apprenc1re el vous savez certaille-
ment si la Savoie d'alurs resla lDoillS frélllGaise peU' le CCElll\
p;:¡r le patriOli::3me, par les ~elitimcllts gúnéreux, par les
mmurs el par le langage, en un mot, par toutes ees alllniLés
qui rendl,¡lt freres les ciLoyens (l'ulle meme nation. La Savoie
fut obligée d'obéir a une loi nOllvelle, ll1ais les ames d'alors
disaient seulement au revoir! ~l la mere patrie, a la Franee !
(Tres-bien! - Bravo 1 - Applauclissement.s.)


Nos maUres nouveaux ne s'y tromperent paso lis se haterellt
de mettre a proflt notre bravoure, nolre intrépidité, notre
courage et allssi, disons-le, le fruit de nos labelll's. Mais, nous
pOllvons bien l'afflrmer, si !lOUS eussiollS pll prévoit' qlH;lle
serait la récoll1pense de nos e11'orts, comLien n'ellssent-ib
pas été plus gramls, plus considérables, cal' enfin cdle
récornpense c'était la c~llqllete ue llotr~ Lien, de la m(~re
patrie franyaise.


Ce haut prix nOU:3 nt bientót ollblier la grandeur de nos
saerifices, et pUiSQ1l8 nons a¡;ons presqlle le devoir de passer
légerernent sur les dates lléfü:-:,tes, perll1eLtez-moi de vous
demander d'Ollbliel' que nous avons été rendus a la Franee de
Bonaparle, de cet hOlllllle d'exéerabJe mémoire. (Tres-bien!
- Bravo! Applaudissemeuls.)


Eu J 860, la Savoie fut pour la Franee, pour ainsi dire,
l'hellreuse messagere de sa fuLure, de sa prochaiue délivrance.




.\ A:XXECY.


(Bravo! bravo! - jTarqtl8S d'appr(1)ation.) TOlltef'ois, ce que
n04s ne ponvons pas, <!e que llOll~ ne devons pas oublier, c'est
qu'all milicll memo de nos désastres~ de 1I:1S plus cruel les
ca\amilés, nous avon~ Vll surgir, comme cl'un laborieux eufan-
tement, la liberté républicaine.


Il semble que ccUe pens(~e doit nous rendre plus chere llotre
conquete el nous attacher a elle par des liensplu~ étroits, plus
indissolubles. La Hépublique doit maintenant devenir notre
hien propre, 110tre chose privée; c'est dans nos CfBllrs qne
11011S devons lui élever un temple lH1ql]('1 nOl1S donnerons pour
hase notre appui le plus énergiclu8, 1l0Lre amour le plus pUf et
le plus désintéressé, notre dévouement le plus absolu 8t, s'il
le fallt, jllSqll'Ü la derniere goulle de notre sango (Tres-bien!
lrl~s-bien ! - ApplalHlisseI1l8uLs.)


Messieur:-i, la FI':lJ1CC doit sal/oir ce cru'íl en cotite d'abdí-
quer sa sOllvl~raineté, d'aliúnel' Sil liberté, de se détaeher du
SOlil des atTaires publiqups et ~i, all.iourd'hui, nOllS devions
l'oublier, j'ose le di1'e, ce serait abanclonner honteusernent
llotrc honneur et le rruit di) nos laheurs; ce serait livrer le
~allg le pI us pUl' de la uatioll ~t eles mains qui ne se generaient
[las - nons en avons (les cxemples - pour le verser sur tous
Ins champs de batnille pour s:ltisfaire le moindre de leurs ca-
p1'ic8s. (Bravo! bravo! - Tres-bien!)


Il me 8emb! e elone que nOllS devnns faire llOUS-memes nos
:tífaires, 11 tout ¡¡rix ct~ d'ailleurs, la route ~ suivre nous est
toute tracre : c'est une Hépllblifllle sage, marchant d'llll pas
lerllle et mesuré datls la voie clu progres ; e'est EJ., je ne crains
pas de le elire, Ho[re dernit~re planche de salut. E::it-ce un reve,
e:iL-ce une lltopie, COll1me on veut en répanclre méchamlllent
le bruit. d:l.llS nos campa~~lles ? Non! non! eL si quelqu'ul1 dou-
taiL encore de la [lUiSSllllCC d'Uil lel ressort, je lui Jirais: Venez
vD¡r ce ql1i ~c pas~e 11 deux pas de votre pays~ venez voir de
vos Y(!LlX et cntenrlre ele vos oreilles ; veuez contempler cette
SlIisse ~.j s;¡ge, si prospere, sí graude de la vraie grandellr;
et, ql1aml l'évidcnse ;Illra cOllvaincu les plus incréclules, nOllS
chercherons tCJllS, eu Fratlce, 11 [aire produire les meme" effets




DISCOURS


allX memes causes; nous y arriverons san s peine, parce q!le
" nOllS saurons que la so urce de ceLle grandeul', <le cetle P~)S-


péritt\ e'est un modeste gOll\'ernement n~pllJ¡licaitl, (\sSllI',lIll
~l lous les eitoyetls, indistinctement, les biellfllits de l'inslrnc-
tion, de la sciellce, de l'orclre el ele la liberté.


Olli! c'est la, c'est en Suisse que nOllS de\"ons a11er cher-
cher des exemples féconds; c'est la qne la Savoie cloit a1\e1'
s'inspirer de cet esprit ele condllitc, de cette intelligence pra.-
tique des affilires qlli font les pellples grallels et pruspel'cs; mais,
pour atteinelre a ce résllltat, la Sllisse llOLlS di1'a qlle le levier
le plus puissant, c'est ]'instrllctioll gratuitc, obligat.oire et
laYque. (Tres-bien! tres- bien! - Applalldíssernents prolongés.)


Ollí, l'instrlletion doit etre répandn8 a IJots dans toutes les"
couches sociales. Aussi 1 ll1cssieurs, fallClra-t-il, désurmais, a
tOl1t prix, que l'instruetion, qlw la sci{~l)(-:e ueviennent ponf la
France comme une seeonde atmosplJere qui l'impregne, quí
l'enveloppe, qui la submerge, qui l'illonde de tontes parts ! le
dirai plus, je vouelrilis qlle l'Élat ne laissat a personne auLre
qu'a lui-meme le soin de déverser sur lc pays ceUe SOllfce
féconde et moralisatrice: ['ill::<truction et la seiellce qui doivent
devenir la base fondamentale, la base süre, cerlaine et solide
de la croyance de tous les peuples, ear, de meme que l'l~tilt
a le elevo ir et le uroit d'armer tOllS les eitoyens eontre l'ennemi
du dehors, il él. le droit et le uevoir - elroit et devaie impé-
rieux - de les armer tOll~ aussi eontre l'ennemi il1l(~rieur qui,
sans eesse, me~1aee l'ordre et la sécurité un pays. Cet ennemi,
vous l'avez nOll1mé, c'est I'igllorance el la sllperstition. (Bravo!
bravo! - Applaudissemcnts.)


Nulle autorité al! monde ne saurait contester ce droit de
l'État, car il a le devoir de veiller ~l la conservation de la pa-
trie, notre mere cornmune. Et, ql1ant a ceUe instruction, a cette
science que nous devons acquérir a tout prix, le moyen par
excellence d'y pilrve,nir, le seul, nous a élé indiqué a pll1siellrS
repríses par l'homme illustre que nous avons l'insignehonneur
de posséder aurnilieu ele nous. 11 ya peu ue temps, en effet,
retra<;ant dans un langage inimitable dont lui seul a le ~eeret,




A M\\ECY.


1'l1i5toire de l'immorlel Hache, il finis:;ait son éloquent discours
par ces mots que nO\ls devons retenir : Ce qu'il faut a la France,
c'e:::L du travail, encore dn travail el tOLlJOUI'S du travail ! (Tres-
bien! tres-bIen! - Approbation géllérale.)


Oui, messiellrs) c'est C\U travail fIU'il nons fallt, c'est par le
tra vail seul que nOllS referons la France g!'ande et prospere;
c'esl par lui seu! que tout homme, sur la terre, se meltra a la
banteur de sa mission en conconrant, el'une maniere efíicace,
~l. l'reuvre humauitaire. Cette parole féconele que vous avez
prononcée, l1CLlS elevons la garder dans nos ames comme nous
conservons dans nos Cffillrs le souvenir de vos patriotiques
etrorts, vous, clont le nom seul, pendant des mois entier8, a
électrisé et électrise encore la France; vous, clont le nom seul
a fité, pendant. des mnis 8utiers é111ssi, la terrellr de nos enne-
mis; Fhisloire le dira, el e'est la, je l'avone, une gloire et un
honneur suffisants pour un homme! (Bravo! bravo! - Applau-
dissements. )


Olli, 1'histoire dira que e'est a lui seul, que c'est a son in-
comparable aclivité, que c'est ~t son génie que la France a dCl
de conserver son lionneur llU miliell de ses plus tristes, de ses
plus déplorables reverso (Nouveaux applaudissements.)
~lessieLlrs, je bois a l'unlon de la France et de la Savoie, je


bois it la Hépubliqlle fran<:¡aise 1 (Oui! olli! -' Applaudisse-
ments. - Vive la République! - Vive Gambetta!)


Aprcs M. Taberlel,l\I. Dupare, député de la Haute-Savoie, pro-
noncc une eourte alloeutioll ainsi con<;ue :


i\Jessleurs, les oratenrs qui m'ont précédé vous ont dépeint,
en termes <-:halellrellx, l'utlion de la Savoie a la France en 1792.
En 17n~) en effeL les armées fran<;aises sont veI)ues no1.1s ap-
porter la liberté et notre émancipation. A·cette époque, une
Asscmblée, llOlllmée par nos communes , et qui prit le nom
d'Assemblée nation;lle des l\llohroges. se réunit a Chambéry el
norre pays se constitua alors en République indépendante sous
le nom de République des Allobroges.




DISCOURS


Eh bien, cette Républiql1e, par l'organe de son Assemblée
11ationále, vota l'annexion de la Savoie ~l la République fran-
Gaise. On nomma une députation qui porta ce vmu 11 la Con ..
vention j' celle-ci l'ayant accepté, nous fCltnes réllnis a la grande
République franGaise, sous le 110m de déparlement du ~Jont,
Blanc'.


Or, pendant tontes les guerres de la République et du pre-
mier empire, nos eompatriotes savoyarus se SOl1t comportés
en véritables FranGais j ils ont versé lcm s~mg sur tous les
ehamps de bataille, depnis les plaines de l'Égypte jusque dans
les neiges de la Russie, et, comme derniere prenve de lell[,
fidélité, e'est en Savoie, en 1811" Jorsque Napoléon abcliqllail,
et en 1810, lorsqu'il était "aincn de nouveau, ql1e les dernien.
eoups de canon étaient tirés.


En effel, eri 1814, nOllS combattions les .'\utrichiens a Alben":,
et, en 1810, 011 nous retrouvait encare au combat de Bonne·"
ville. On le voit, nOllS avons tOlljoUr:'i prouvé qne nOllS éliol1!':)
FranGais par le cmur. Aussi je bois ü l'union ele la Savoie et de
la France! (Tres-bien! tres-biell ! - Vive la Républiqlle fran-
Gaise! - Applaudissements.)


M. Gambett;t prend fa parole apres MM. Tabcrlet eL Dupare ,
il adresse a l'auditoire ses vifs rcmerclmcnls, pour les sen ti-


• ments exprimés a l'égard de la Franee. 11 s'est exprimé ainsi:


MES CHERS CO)IPATRlOTES,


Permettez-moi de terminer cette soirée en portant la santl)
du doyen des députés de la Savoie, de 1l101l vénéré collegue et
ami Duparc, qui vient de vous rappeler les ti tres de nationalité
de votre pays, eL qui l'a fait ulins un langage qll'il serait dif-
ficile de reproduire quand on n'a pas l'expérience qu'il a
acquise. Cal' il y a une éloqnence qui dépa~se tontes les alltres,
c'est l'éloquetlce des hommes qui Ont vécu. On sent dan s leurs
paroles, meme les plus simples et les plus modestes, je ne saÍs
queIle force secrete el conlerme quí fait que ce n'est pas seu le-
ment un homme, un simple individll qn'on entend9 maIS que




A AN;\'ECY. ]4,3


c'est la grande voix des générations passées qui parle. C'est el
ces générations qui vous rattachent a la France, et dont il
évoquait devant vous le sOllvenir, qne je reporte tont l'hon-
Dellr de cette soirée. erres-bien! tres-bien 1)


Olli, ce fnt une grande et mémorable époquc, un moment
ncomparable dans l'histoire du monde, que celui 00. une nation


jeune el arden Le, terrible a ses ennemis du dedans, victoriellse
an dehors, la France de Di, ilbattant les tranes, fallchant les
préjllgés et enlrant en libératrice dans la carriere du vieux
monde ponr inaugurer le regne du droit, s'arreta sur le sol
meme de votre patrie. Elle avait poue elle la force des armes
et le prestige de la victoire; elle avait le droit de dicter des
lois, si elle n'avait écouté que les conseils de l'ancienne poli-'
tique et si elle avait VOUlll se conformer aux traditions des
c'onquérants.


Mais la premiere Hépublique franc;aise, et c'est pOllr cela
qu'elle a laissé une trace impérissable dans la mémoire des
hommes, n'employait la force qu'au service des idées géné-
reuses. (Bravo! bravo! - Salve d'applaudissements.) Satis-
faite d'avoir cllllssé les soutiens de la tvrannie, d'avoir refoulé
devant ses lé~ions les soldats dn despotisme, glorieuse et
calme au milieu de la victoire, elle se tourna vers ce peuple
de Savoie el lui dit : Délibere en paix! choisis la forme de ton
gouvernement I tu es le maHre de tes destinées!


Et quanJ, touchés par tan t de noblesse et de générosité,
ces peuples, vos ancetres, d'lln unanime accord, envoyerent
une dépl1tation a la Convention nationale, ainsi que vous
l'avez rappelé, pou!' lui faire ce magnifique don d'un peuple
libre a un peuple libre, la Révolution par l'organe de ses lé-
gislateurs, la Convention nationale, déclara que c'était la une
affaire d'une gra·vité exceptionnelle, et qu'il y fallait du juge-
ll1ent et de la malurité.


Elle refusa de délibérer imrnédiatement sur une proposi-
tion allssi capitale et elle déclara qu'elIe ne reconnaissait pas
h; droit qui sortait de la [UlT8 victorieuse, qll'elle ne voulait
pas de surprise, CJu'elle refusait ce dOll d'lIl1 pellple libre qui,




DIscouns
peut-etre, n'obéis~ait qu'a un entrainement générenx La Con-
vention nationale nomma une eommission qlli délibéra 10L1-
guement, pendant UQ mois, et vous savez ce que c'était qu'un
mois de la Convention! Un mois de la Convention, e'est un
siécle d'aujourd'hui 1 car les jours de ces représentants héro'i-
qnes, lenrs nUÍts, Lons lenrs instants étaient remplis des soins
qll'iIs donnaient aux affaires publiql1es; c'était un déborde-
111ent d',lCtivité qui cnlrainait tOllt! TOllt y pas~ait : la gllerre,
la diplomatie, les üllances, la mor,tle, l'éducation, les sciences,
les arts, tons les progres! Un ll10is de la Conv8utiotl! .¡\Iai~
c'était tOllte la vie d'un pellple! (Bravo! bravo 1 - Applalldis-
sements répélés.)


Eh bien, la Conventioll délibéra p8I1dant un mois sur 1:1
question de savoi1' si elle aceepterait la réunion vololltaire de
la Savoie a la Franee! Et apres avoir mú1'ement débatlll la
question, apres avoir .formé une enquete, cnvCJyé des eommis-
saires, et reeherehé surtout si les généraux qlli étaient a la
tete des armées frarH;aises n'avaient pas exereé de pression
sur le pays, - et iei, je le dis en passant\ ce fut it l'oecasinn
de eette entrée en Savoie des FranGais, eommandés par Mon-
tesqlliou, que celui·ci lit cette belle proclamatioL1 si eonnue
dans votrc pays; - e'est apres avoir pris toutes ces précau-
tions que la Convention, qui généralisait tout, qni ne cher-
chait jamais a rien résol1dre par exp(;dicllt, mais qui preuait
corps a eorps les diíllcultés, les élevait et, de eet examell,
formait une regle générale, - c'est apres tout cela que la Con-
vention, dis-je, aeceptant de la Savoie ll~ don qu'elle venait
de faire d'elle-meme, fit un des plus immorl.els, un des plus
admirables de ses décrets, le décret dans lequel iI fuL sLatué,
pour servir de regle poli tique aux armées de la RI~pLlbliqlle
tOllt eutiere, que tOlltes les fois qu'un pays serait sur le poiut
d'étre envahi par une armée frac<;abe, les généraux réuni-
raiellt leurs trollpes, leur feraient preter serment de respecter
les propriétés et les personnes, de nc se livrer a allCUlle espece
de vexations, de saisies ou de pill<lge, eonvoqueraient les 1l111-
nicipalités, rassembleraient les citoyens dans leurs eomices,




.\ A:\':\'ECY. 24,5


sous la garaotie, SOllS la protection de Ieur épée, de telle sorte
que la présence de ces lrollpes n'était plus alms une menace,
mais, au contraire, une égide; puis, les peuples, ainsi convo-
qués, étaient appelés a délibérer sur leur destinée; la Con-
ventioll affirmait par El ceUe noble idée, depllis si cruelle"
mellt mécol1l1ue, qlle la République franGaise ne se battait pas
par e.,prit de cOllqllete Oll d'usurpation; qu'elle n'entrait sur
les lerritoires étrangers que pour yabattre le despotisme, et
que pour rendre les hommes et les citoyens a eux-memes.
(Bravo! bravo! - Applaudissements.)


Lorsqlle la force lriomphe dan s le monde el qu'on ose for-
muler ce cyniqlle axiome que 13. force prime le droit, on a le
devoir de remonter a cette époqlle et de rappeler que, quand
la Franee victorieuse prúmenait ses légions a travers ton tes
les capitales, elle avait une ligne ele conunite inflexible et que
c'était devant le droit qu'elle arretait tOlljollrs ses bataillons
victorieux. (Longs applaudissements. - Bravo! bravo!)


Otl a le devoir de rappeler qll' elle ne faisait pas de con-
quete, qu'elle ne prenait pas de territoires, comme on le fait
quand les poplllations sonl considérées comme un bétail;
qu'elle s'arretait uevant les mmurs" les tendances, les aspira .. ·
tions des peuples pour les respecter dans leur ensemble;
qu'elle savait et qu'elle disait que la force oe fonde rien et
QU'lll1 contrat devait toujours elre a la base de tout cbange-
ment, de loute modilication, - car la Révollltion fran<;aise
aura surtout cette gloire et cet honneur d'avoir substitué, dans
les affaires humaiues, l'idée de contrat a I'idée d'exploitation
el d~arbitraire. (\)ra\o ! bravo! - Applalldissements répétés.)


Aussi c'est avec un Vl\rit.able sentiment de joie que j'ai re-
cueilli les paroles du doyen de cette démocralie etque, m'y
associal'ü, lllOi llouveall vellLl parmi vous, mais, a coup sur,
celui que vous avez su le mieux eonquérir et le plus pénétrer,
je boís a votre itldéfectible avenir et a votrJe inelissoluble union
avec la France répllhlicail1e [ (Bravos prolongés. - Applau-
dissements. - Vive la République! - Vive Gambetta!
Vive le grand patriole!)


H.






DISCOURS


PRO~ONC}; A L'ASSEl\1BL1:;E, LE 14 DÉCEMBRE 1872


SUR LA DISSOLUTION


MESSIEURS,


Le débat qni s'engage dtlvant vous, bien qu'~l soit né a la
suite de pétitions qui ont déja un an de date, souleve une ques-
tiOD dont l'opinion s'est emparée h tel point, Jepuis quelques
jours, qu'il me sembJe nécessaire que, malgré la dale des pé-
titions rapporlées, nous entrions complétemeot dans les détails
de la grave queslion, certainemeot la plus grave qu'oo puisse
agiter daos une Assemblée : la question de soo existeoee poli-
tique.


Et, messieurs, je ne me dissimule pas avec que! sentiment
intérieur une grande partie de eette Assemblée me voit parai-
tre a cette tribune.


Je sais, par conséquent, si j'ai bien le souci des intéréts et
des dl'oits dontje suis le tres-hllmble, mais tres·ferme serviteur,
ú quelles précalltions de langage, a qnelIe modération de pa-
roll] me condamne ... (Légeres rllmeurs a droite. - Écoutez!
(;coutez!) la situalion qui m'est faite par mes honorables COll-
lradictellrs.




DIscouns A L' ASSE~IBLÉE
Mais, messicl1l'S, j'épl'ouve le be~oin de vous di re que) Si


depnis longtemps llons n'avon5 pas dl~ja apporté ~t celle lribune
la queslion, il faut biell qlle vous cOtlveniez que ce n'est point
du tout a notre chal'ge et Ú llotre respüllsabiliLé.


NOllS aVOllS déposé 1 des le tllois d'aoút 1~71, au moment
méme ou vous votiez la cünsLitution Vitet-Hivet, uue proposi-
tian signée par un grollpe de cette Assell1blée qui, contestant,
a raison de son origine, le rnandat cOl1stituaut de l'Assemblée,
vous demandait de pl'onotlcer vous-memes votre dissolutíon.


Cette proposition a été l'objet, de la pal't de deux de vos
cammissions J'initiative, d'uu rapport qui associait llotre pro-
pre demande au vren d'nue partie de cette Assemblée deman-
dant aussi la dissolution partielle de l' Assemblée el son renOll-
vellernent partiel.


Depuis un an et plus d'lln an que ces propositians out été
faites, i1 ne vous a pas (~té donné de les voir paraitre a l'ordre
du jour.


Un membre ü dToite. - 11 rallait le demander !
M. GA:\IBETTA. - Nous l'avons demandé a cinq reprises


différentes, comme le constate le Journal ofliciel. A divers8s re-
prises, M. QUlnet, M. Schrelchcl' SOllt venus a cette tribune vous
prier de mettre a votre ordre du jour les propositions dont il
s'agit. Je tenais a bien établir ces précédents , afin que le re-
proche qui nOLlS est fait par certains esprits dan S celte Assel11-
blée d'avoir provoqué, a l'heure actueJle , la discussion d'au-
jourd'hui 11e llOUS iút pas ~érjeusement imputable, et alls~i pour
faire ressorlir ce qu'il y a, permettez-moj de le dire, d'obli-
que et de détourné a posel' la question de dissoluLion sur des
pétitioIlS qlli ont U11 an de date, quand vous etes saisis régulie-
rement, par l'initi:üive parlementaire, el par le rapport de
l'honorable M. Princeleall, d'un projet de 10i qui pose la ques-
tian de dissollltiOtl. (Tres-bien! tres-bien! agauche.)


Mais, si je fais cette observation , ce n'est pas, a COllp sür,
pour ne pas proflter de l'occasion qLli nous est donuée , et,
pUiSqll'il s'ollvre, le débat veut qu'on l'acheve et qu'on
l'épuise.




SUR LA DISSOLUTION. 249
Et d'abord, jo erois bOll de nons expliquer sur le projet


meme de dissolution.
11 regne, en effet, dans l' Assemblée cornme au dehors, sur


les tendances des homrnes politiques qui se sont associés all
mOl1vement de dissolution: une série d'errellrs, tle préjugés,
d'inventions (~alomnieuses, qu'il est hon de uissiper.


On représente les partisans de la dissollltion comme des
bommes de violen ce , eomme des homrnes all10Ul'ellX ~ avant
tout, de provoquer le désordre , et d'arriver par une pression
violente, irréguliere, ayant meme recours ~ l'ernploi de la
force matérielle, a la séparation de eette Assemblée.


Je sais bien que ce il'est pas dans ceUe enceinte que je ren-
eontrerai des esprits sériensement convaincns d\Ule pareille
dispositioll de notre part, mais on nous }'attribue au dehors,
el par lil on essaye de trollbler l'esprit publie : on essaye d'en-
Lraver ce mOllvement qui se faít sur tons les points du terri-
toire el qui. obéíssant a des nécessités d'ordre publie, a des
considérations politiques de premier orclre, a rurgence meme
de la ~itL1alion, veut non pas infligel' une atteinte ni a la dignilé
ni a l'indépendance de ceUe Assemblée, mnis veut qll'on sorte
el'une situaLion inextricable, grosse peut-etre de troLlble et de
crise, veut que le ditIérencl qui s'agite ieí soit tranché. Et il ne
pellt J'etre par un antre arbitrage que par eelui du suffrage
universel, afin que tout le monde s'incline lorsqu'il se sera
prononcé. (Tres-bien! tres-bien! agauche.)


II est done bien entendll qne ce que nons réclamons, ce n'est
pas, eornme le craignent el COl11l1le se plaisent a le répéter
certaines persollnes, eertains écrivaius, ce n'est pas la disloea-
tío n de l'Assemblée, l'expllbiotl d'llne partie de l'As~~emblée,
ce n'est pas la pruvocation ni au pOllvoir d'en baut, ni ú la furce
d'etl bas, uo ~e porter ü un acle criminel, a utle tentativo vio-
lente contre les ponv()irs constilllés. i\Ol1! C'e:-:t le droit que
relienl et qll'exeru~ lout membrc du corps sOllverain par excel-
knce, le sOllveraitl électoral, de se prollollcer wr la concluÍte
dc~ ses mandatail'es, de juger de JCUI' politique, d'apprécier
Icur situalion deV¿lllt le pays, de dire nellemellt J ré::ioHHnent,




250 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
ce qu'il en pense, et s'il pense qu'il y a lieu, pour le bien géné-
ral, alors meme qu'il se tromperait, alors meffie qu'il errerait
s'ii pense, dis-je, que la di~soiution est la senIe isslle qui res le
ponr sortir des difficultés qui nous environnent, ii a plus que le
droit de le faire connaltre, il en a le devnir. (Tl'ej-bien! tres~
bien! agauche).


Alors, messieurs, il impose a l'As'lemblée un autre devoir.
C'est, nOll pas de considérer les pétitions quí arrivent 11 la barre
comme des injonctions, comme des ordres, comme jo ne sais
quelle affectation téméraire de violence dan s le parlement;
non, c'est de les juger en hommes politiques, avec le coup d'reil
d'hommes d'État, et de se demandAr: Est-ce que le pays Sl3
trompe? Est-ce que ces sympLómes qui se manifestent doivent
pour nOllS devenit' l'occasioll d'un jugement nOllveau sur la
polilique du 'Pays ?


Et ce n'esL pas an point efe VilO de ces reproches qu'on adresse
a certaines pétitions, que je n'ai pas lues, qui ponvaient etre
mal rédigées, qui pourraient émaner rneme de certains corps
collectifs qlli n'aul'aient pas eu légalement et strictement le
droit de les rendre, que je veux porter le débat. Non, jo venx
le localiser sur lo terrain purement polítique, purement par~
lementaire.


11 s'agit de savoir si l'opinion publique, si le suffrage univer-
sel, depuis le 8· février 1871, a modiflé, en prenant la these
qlli vous est le plllS favorable, - a modiüé ses sentiments sur
la marche des affaires, et si, par les actes sllccessifs auxquels
iI s'est livré, il él condamné volre politique et épuisé rolre droiL


Eh bien, je dis que, quand on remonte aux origines de l'As-
semblée, on peut établir de la fll(~On la plus daire que le man-
dat dont cette Assemblée a été investie par le suffrage llniversei
d'alors était un mandal limité, déterminé, caraetérisé, spécial;
que ce mandat a l'eQu son exéclllion, el que ce n'est pas la une
these de jnriste, que c'est l'instinct infaillible dll suffrage llni-
versel, qui lUÍ él dit en ce moment-Iá ce qn'elle avait a faire,
et quí lui dit aujollrd'hlli ce qll'illlli convient, ce qll'il estexpé-
dient de füire.




SUll LA D!5S0LUTION. 251
En effet, par quel titre avez-vous été convoqués, messieurs?


.le suis bien obligé de reprendrc les choses a l'origine, bien
qn'alljourd'hui 011 pourr;¡it Jire fIn'il s'agit encore moins de
vons disputer le pouvoir cOllstitnant que d'établir votre im-
puissance gOllveruementalc. Mais puisqu'on nous a provoqués
tUl débat, il faut qu'an dellOfs on sache de la faGon la plus
complete queHes sont les r;¡isons qui, a Inon sens, militent
pour la dissolution. NOllS dirons également, dut-on ne pas
nons les opposer ici, et avec la plus grande loyauté, parmi les
objections contre la dissolution, eelles qui ne sont que factices
et puériles et eelles qui sont plus élevées et plus spécieuses.
G'est a cette ulelle que je vellX me consacre1'.


Je veux établir cinq points différents. (Interruptions.) Je
n'ai pas la pn~tenlion de faire un discnllrs ní de passion ni de
polémiqllc : je vcux [aire Ulle clérnonstralion. Ce n'e~t pas pour
YOUS , messieuFs, que je VCllX la faire, cal' je sais ([ue malheu-
rellscment nous marchons ü un échec numérique. Je ne me
suis fait aucune ilbsion; jc sais parfaitement que, quand on
pose aux assemblées la qnestion de leur existence, elles se dé-
cernent ü elles-memes un brevut, non pllS d'immortalité,
mais de vitalité .. Par conséquellt, je V8UX purement et sirnple-
rnent Jégitirner le mouvement dissollltiouiste, en donner les
véritables r(\isons, le justilier, sur que, d'icÍ h quelques se-
maines, J'opinion saura bien, meme pOllr les plus incrédules
et les plus résistant:-;, Lrouver les moyells de conviction qui
s'imposent, (Rumenl's a droite.)


M. LE lIIAnQUJS DE DAMPIEBHE. - C'est de la menace!
M. GU1BETTA, - i\.Jessieurs, il n'y a aucune rnenace la de-


dans. (Mouvements diverso -- Parlez!) l1 Y a la prévision d'un
fait qui se réalisera lre~-cerlainernent, si 1'on en croit les symp-
tornes qui se manifestent depllis qualre jonrs dans le pays
(Exclamations a droite) ; c'est a savoir que la qtlanlité de listes
de signa tu res qni vous son t déposées vous prou veront que
vous etes en présence d'une rnanifestation vraie, profonde,
irrésisLible, uu suffrage universe!. (Rull1eurs a droite.)


Je dis qu'a 1'origine, au 8 février 1871, l' Assemblée a été




252 DlSCOUHS A L' ASSE~lBLÉE
coostituée en vertn d'uo titre qui ne laisse aucnne espece de
dmlte sur la llature des pouvoirs qu'entendait lui conférer le
snuveraio, le suffrage Iltliversel.


Yoici, en efl'et, dans quels termes ÉLait CO!1(:,tl l'acte qui OLl-
vrait les colléges :


« ArticJe t de la conventioll signée entre .l\I. de Bismark el
1\1. Jules Favre :


« L'armistice ainsi convenll a pOlll' but de permettre <.tu
gouvernement de la Défense nationale de convoquer une As-
semblée librement élue quí se prüllOllcera sur la question de
~a voir si la guerre doit etre con tin uée on it qllelJes conditi ons 1 (1
paix doit étre faite. ) (Vi ves réclall1atio[]s el lI1urmures Ü droi Le.)


Un rnembre. - Notre titre ne vient pas des Prussiens.
Un autl'e membJ'e. - C'est hontellx d'invoquer le trait!j


avec la Prusse !
M. GAl\I13ETTA. - Le décret qui convoque les électenrs r(~"


prodllisait textuellement les lignes que je viens de lire, et, si
on voulait remonter allX travallX I;réparatoires, si on peut
~lppt~ler ainsi les quelques jours flui furent consacrés ~t la pré--
jlllt'c¡ti()ll des lisLes et á la llolllination des callclidats, on lrouve-
raiL flllP c'ét,lit Hi l'opinion llllanime de ceux qui, depuis, se
sont considérés comme investís Ü'Ull ll1andat Ü la fois il¡imiLt~
et OlnnípotcnL.


El) effel, ~l cetLe époque les réllt1ions publiqlles éLaient em~
p&,c:léus et clltravées par la présence de )'ennemi; on avait eu
(l peine le temps de [aire cOlll1alLre, dalls IOlltes les localjtt~:;,
que les électiol1s all<lil'nt avoir lieu; il était impossible d'irn¡.H'i-
mer des listes que la poste pClt tr(l!1sport(~r pllrtout, puisqn8
les commut1ications postales était'nt 8utravées et interdites
dans cluarante-Lrois départemenls.


\'O:lS ]';lyeZ si bien compris que., lorsqne vous vous etes
réllnis, a Bordeallx, vous a \'ez vérilié les élections en partaut
d(:~ C',~ princi pe, que les élecLinns seraient v(~ri!lées ¡¡iSO /ilCIO~
par c(~la mcme, qn'il n'y auraiL pas ele prote~taLioll dans un
c(\l'laill dl~la¡; VOllS les avcz vél'iliées sur des dépeches lélli-
graplliques.




SU\{ LA DISSOLUTION. 253
Cela est tellemenL vrai, que vous serez, des assemblées qui


se sont succédé en Franee, depuis cent ans, la seule qui n'ait
pas d'archives; il n'existe pas aux archives, a l'heure qu'il est,
de proces-verbaux régllliers constatant par quel nombre
d'élect8urs, inscrils ou votants, vous avez été élus. (Réclama-
t.ions a oroite.)


M. LE l\UBQUIS DE DA:\¡PIEnnE. - Vous n'en savez rien,
puisque VOllS ll'étiez pas 1111 Vous étiez en Espagne!


M .. LE COl\ITE DE RES~ÉGUlEH. - 11 Y a des rapporls sur
chaque élt'cLiOIl.


1\1. GA'lBETTA. - Celle absence de coneours dl1 corps élec-
toral, á l'époqlle de vntre llomination, se retrollve encore dans
l'additioll des chitTres des sufTrages exprimés. En prenant dans
clJ3ql1e d(~lliJrtemellL les tetes de li~tes, on ll'arrive pas
a ;},iJOOOOO él(~clellrs ayallt pris part al1X votps. 01', VOllS con-
llaissez lechiffre de la populatioll électorale de France. Vous n'en
atteignez donc pas la moitié. (Nollvelles réclamatiotls a droite.)


J'ajoute que depuis le Illornent Olt on a constitué l' Assemblée
au 8 février, des électiolls successives ont eu le résultat de
consulter a pCll pres les trois quarts du suffrage llniversel, par
sLllte des renollvellements partiels qui ont eu lieu dans cer-
tains départements une fois, dans d'autres deux fois, et dans
ce:'tains trois fois, de telle sorte que le suffrage universel,
ayant envoyé un certain nombre de dépnu~s depuis le 8 fé-
vrier 1.871, on arrive 11 consta ter ce phénomEme particulier,
que presque toutes les élections, 110 a peu pres sur 13:{ ou 1.3<i,
ont amené des représentant:3 d'idées absolument opposées, au
point de vue de la forme politique, au point de vue des insti 4
tutions gouvernementales) aux députés qlli siégeaient en vertu
de l'élection du 8 février 1871, el qui excipaient du prétendu
mandat illimité pom fonder on organiser la monarchie. Je dis
qu'on tl'ouve dans eette simple comparaison, entre les élec··
1ions antérieures et les élecLiotls postériellres au 2 juillet 1871.,
la prenve que le suffrage universel, tOllt au"moins, a changé
absoiurnent sa maniere de voir au point de VU8 de vos pré-
teudus pouvoirs constituants.




254 , . DlSCOURS A L ASSE:\1BLEE
l\1ais j'ai peut-etre mieux que des argurnenls tirés de ce~


comparaisons entre les listes des candidats, entre les profes-
sions de foi, et c'est l'aveu meme de ceux ql1i représentent,
dans les éIeciions dn 8 février 1871, le parti auquel apparte-
nait la majorité de cette époque. (Interruptions a droite.)


Si vous voulez, je mettrai sous vos yellx un extrait des doc-
. trines et des aper<;;us qu'on trollvait a celle époque dans les
journaux qui représentaient précisément l'opinion que 1'As-
semblée ne pouvait etre constituante, paree qu'elle avait été
bflclée. (Réclamations et murmures il droite.)


M. LE PHESlDE:-IT. - Je ne [luis vous lai"ser elire cela.
fvI. GA;\IBETTA. - Cependant, c'est une indicatioll de fíJits,


qui me permettrait de mettre sous les yeux du pays el de
l'Assemblée ... (Mollvements dIvers.)


Quelques rnembres. - Laissez elire!
1\1. LE PHÉSIDENT. - L'orateur ne pellt pas ignorer et ne


doit pas oublier que l'Assemblée s'est prononcée par une réso-
lution formelle SUl' le point auquol iI touche. Et il ne m'est
pas possible de laisser remettre en question devanll' AssembJée
ses propres décisions. (Tre:l-bien! tres-bien! a droile et au
centre. )


J'invite l'orateur a quitter ce terrain.
M. GA~mETTA. - Messieurs, cependant iJ me semble abso-


lument impossible q/le vous admettiez la discussion sur la dis-
solution, et que vous n'admeltiez pas la discussioll sur l'ori-
gine de vos pouvoirs. (ParJez 1) Car, de qlloi s'agit-il'? Il s'agit
de savoir précisémellt, entre vous et les pétitionnaires, si, au
moment Ol! vous avez élé élllS, l1on-sculement le sllffra(~c uui-
versel entendait vous elonner le pouvoir constituant, mais sí
vous-rnemes, au moment Ol! vous sollicitiez les suffrages, vous
demandiez ce pOllvoir et si vous y croyiez.


A droite. - 0Lli ! oLli!
M. GAMBErTA. - J'entends bien que vous dites : on! 1 ...
M. LE PHÉSlDEÑT. - L' Assemblée a décielé, par un vote


formel et soJennel, qu'elle était conslituante. Tallt que cette
décision existe, tant qu' elle n'est pas rapportée par elle-méme,




SUR LA DISSOLUTlON. 255
mon devoir est de ne pas la laisser remettre en question. (Tres-
bien! tres-bien!)


1\1. Gambetta peut assurément introduire, p'tr une voie di-
recte, une proposition tendant a amencr l' Assemblée a rap-
porter sa décision; mais tant que cette décision subsiste, je
répete que le devoir du président est de la faire respecter.
(Tres-bien! tres-bien 1)


:M. GAMBETTA. - Messieurs, cependant. .. (Interruption a
droite.) Vous ne savez pas ce que je veux vous dire, et vous
m'interrompez I


Messieurs, cependant, permettez-moi de vous mettre sous
les yeux l'opinion qu'exprimait votre propre rapporteur, 1'110-
norable l\I. Vitet, précisémellt dans la journée ou vous mettiez
la muin flUr Je pouvoir constiluant. .. (Vives réclamations et
murmures a droite.) Voici ce qu'il vous disait. .. (Nouvelles
interruptions.) Je puis bieu citer un texte législatif, ce me
semble! (Parlez 1)


Messieurs, la question de savoir si vous étiez constituants
divisait a ce point l'Assemblée, que votre propre rapporteur,
ayant 11 s'expliquer sur l'emploi de ce pouvoir constituant,
vous disait: « San s doute il eut été plus simple, et surtout
plus commode, de fermer 1'oreil1e 11 toute transaction; nous
aurions pu vous proposer, soit un refus, soit un ajollrne-
ment; » - de la proposition qui était soulllise alors a l' As-
semblée - « nous avions dans la commission une majorité sufli-
sante; mais a l' Asselllblée demandez-vous ce qu'il y füt ad-
venu! Comptez les voix qui nous avaient nommés dalls les
bureaux et voyez cette Assemblée coupée en deux parts presque
égales; tout gouvefllement impossible, el les bons citoyens
eux-memes forcé s de prononcer ce mol de dissolution. Ce n'est
pas 13. ce qu'il faut a la Frunce: il lui faul une majorité, un
parti de gouveruement. 01', il existe, il est en germe dans
cette enceinte, il grandira. »


Voix ti droite. - OLli! oui!
trL GAMBETTA. - Vous devez en savoir quelque chose depuis


le mois d'aout 1871.


", '. \~'"
:.,;;::' .




DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
M. VITET. - Je VOUS remercie d'avoir répété mes paroles.
M. LE PRÉSIDENT. Lisez la résolution qui a été suivie, mon-


sieur Gambetta, et vous verrez .qu'il est impossible que \'OllS
repreniez le développement de celte these. (Assentirnent a
droite. )


M. LE GARDE DES SCEAUX. - Lisez le préambl1le de la réso~
lution, qlli déclare positivement que l'Assemblée 'est consti-
tuante. (Bruit agauche.)


M. ViTET. - Lisez les considérants !
M. GAMBETTA. - Il me semblait qu'cn abordant cette tri-"


bune, au milieu certainement de l'aversion générale pOUf la
these de la dissolution de cette Assemblée, par cela meme que
vous adrnettiez la possibililé dn débat, VOllS admettiez qll'on
pouvait porter cette démonstration sur tous les points qu'elie
comporte ...


Un rne1nbre a droite. - Parlez sur les pétitions.
M. GAl\IBETTA. - Eh bien, il est absolllment impossible de


suivre une discussion de cetle nature, qui demande des dé-
tails aussi ténus, au milieu des interruptions, des interroga~
tions et des rétlexions de tout le monde.


Voix diverses. - 011 ne vous interrompt pas! - Écoul8Z!
Parlez !'


M. GAl\IBETTA. - Vous prétendez que le vote du premier
eonsidérant présenté par M. Vitet Oll par la comOlission qu'd
avait l'honneur de pré~ider, vous a donné le pouvoir eonsti-
tuant. .. (lnterruption.) ,


Plusiett1's rne~nbres. - Comment, donné'l
M. LE PHÉSIDENT. - N'interrompez done pas!
M. GAMBETTA. - Vous a attribué.
De divers cótés. - On ne peut pas discuter cela!
:M. LE GARDE DES SCEAUX. - A reconnu!
~I. GA~IDETTA.- Vous a reeonnu, si vous voulez ... Mais e'est


vous-memes, messieurs, qui vous l'eles reconnu, et e'est Ll
précisément la question entre le pays et vous; vous vous
l'etes reeonnu.


Eh bien, quelles que soient l'aútorité el la valeur,:l \"OS




SUR LA DISSOLUTION. 257
yel1X, de la décision qui a été prise ce jour-la, il est impossible
que vous empechiez les pétitionnaires de remonter pour leur
llfopre compt.e a l'acle jnitial qui vous a constitué le 8 fé-
vrier 1871, et de vous mettre en présence des circonstances
qui ont présidé a votre nominalion et de vous dire qu'il n'est
illtervenu depllis, que je sache, aUClln nOllveall mandat. C'est
la (~émon'itration que je V811X faire, et je dis qu'il est impor-
tant d'écouter ce que disaient vos amis et dans que1s termes
118 parlaient de l' Assemhlée qui devait elre nommée.


Voici ce qn'il:; disaient :
« Cillq jours seúlemenL nous séparent du jour du vote, et


les comités cornmencent a peine 11 se constituer. Personne
n~est pret, personne ne sera pret. Une liste de quarante-trois
noms, dressée sans entente, sans díscussion préalable, sera
forcérrient confuse eL disparate.


(( Comment le public pourra-t-il etre éclaire et faire ses
cl10ix en connaissance de cause? II prenclra an hasard, sans
savoir ce qll~il [ait, et des éleGtions accomplies dans ces con-
ditions, c'est-il-dire i1 l'aveugletLe, manqueront de sincérité :
elles seron t tlépOll l'VU8S de tou te an tori té .


. « Ce temps bien court, trop court, mais que les c1allses de
l'armistice cOllclu par M. Jules Favre ne permettaient pas de
rendre plus long, sera sllflisant néanmoins, si le bon sens pu-
blic fixe J'avance i\ la prochaine Assemblée les limites qu'elle
ue dcvra pas fl'ancllir, lirnites renfermées dans l'examen de la
question de paix Oll de guerre.


« Il est évident, pour qui veut raisonner, pour qui veut
élre logique, pour qlli examine loyalement la situation de
plus ae trente de nos départements, 011 les électeurs ne pour-
ront que 1res-difficilement exercer leur droit de vote sans
presque aucune garanlie de liberté; pour qui se rend compte
de la faGon hative, précipitée, dont les élections auront líen
parlollt ailleurs, qne les déplltés élllS pourront an plus re-
cevoir le mandat de Lraiter avec la Prllss8.


« Or, ainsi restreint, le rnandat e3t facile a donner, car il
se réduit a ces deux termes: Y a-t-il possibilité de procla-




258 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
mer la défense ou nécessité de subir la loi dll vainqueur?


« Il n'en serait pas de meme si la fnture Assemblée devait
recevoir des pouvoirs eonstituants, si elle devait prononcer
sur la forme du gouvernement et disposer par eonséquent des
destinées du pays. Dans ce cas, le llélai qui nous est accordé
ne serait évidemment pas sllffisant. Une Assemblée pOl1rvue
de pouvoirs aussi étendus, aussi considérables, ne doit pas
etre une Assemblée baclée, nommée par surprise, au hasard
de la fourchette. » (Rires agauche. - Exclamations et mur-
mures a droite.)


1\1. GASLONDE. - Qu'est-ce qui a dit cela?
M. GAl\IBETTA. - Je vais vous le dire tont a l'heure, laissez-


moi achever :
« Pour l'élire d::ms les conditions d'honneteté, de loyauté,


de sineérité, san s lesquelles les institutions qu'elle fonderait,
- quelles qu'elles fussent, - seraient sans forcn, sans pres-
tige, san s durée,.en butte aux légitimes suspicions de l'opinion
publique, il importe qlle ]e pays ait le temps de ·la réflexion,
et allssi qll'il soit libre de toute autre préoccupation, qu'il
soit délivré enfin de l'invasion étrangere. (Interruptions di-
verses.)


ce e'est done a une mItre Assemblée élue plus tard, apres
la eondllsion de la paix, qll'il doit seulement appartenir de se
prononeer sur les questions de gouvernement et sur les autres
questions eonstitutiollnelIes a résoudre conformément aux
VffiUX de la nation sincerement, sérieusement et loyalement
consultée.


« Nous ne voulons pas que la prochaine Assemblée puisse
s'attribuer eelte mission, paree que nous ne voulons ni sur-
prise, ni eseamotage.


« La ql1estion ainsi posée, nos amis n'éprouveront aucune
diffieuIté a faire leur choix; ils inscriront sur leufs listes les
candidats qui prendront l'engagement de réserver 11 une autre
AssembJée toutes les solutions constitutionnelles, et ils rejet-
teront san s hésitation, quelque sympathie personnelle qn'iIs
puissent d'ailleurs Jeur inspirer, eeux qui réclameront les pou·-




SUR LA DISSOLUTlON. 259
voirs constituants en faveur de la prochaine Assemblée. ))


i\1. PRINCETEAU. - Qu'est-ce que cela nous fait? Nous avons
déclaré le contraire!


M. GAMBETTA.-- Qu'cst-ce qlle cela vous fait? Permettez:
cela vous faít retrollver la sincérité clll mouvement qui vou:;: a
portés a l'Assemblée. (llruyantes il1tL~rrLlption~ ~l droite. -
Assentiment agauche.)


1\1. FOUBEflT. - Lisez le décret que vous avez signé vous-
meme sur la convocation <.l'une Assemblée constituante au
16 octobre !


1\1. GA)lBETTA. -- Une semaine plus tard, le 7 février, au
moment du vote, le meme journal, revenant sur le me me
sujet, s'exprimait ainsi :


r( Ce sont ces conditions dans lesquelles s'accompliront les
élections de demain qui nous ont fait dénier a la future
Assemblée le pOllvoir constituant~ qu'eIle 11e saurait exercer
sans usurper un man,.lat qu'elle lle recevra pas certainement
d'llIl scrutin a ce poitlt dépourvu de sincérité, de liberté et
d'universalité.


« Qu'elle s'assemble vile et décide plus vite encare la ques-
tion de paix ou Je guerre, car il y a hate : cetle question
réglée, que le pays pllisse enfin prendre en main sérieusement
la directlOt1 ele ses destinées. »)


Sur divel's bancs. Dites la signature! L'auteur! l'autellr!
JI. DE TILLANCoiJRT. - L'alltellr, c'est 1\1. Janicot !
M. GAi\lBETTA. - L'auteur, messiellrs, je vais vous le dire ...


C'est la Gazette de France / (Rires agauche. - Exc1amations
a <lroite.)


l\I. LE ~[ARQUIS DE CASTELLANE. - Vous lisez l'édition de
Paris. Les rédactenrs élaient alors reofermés dans les murs
de la capitale ; ils ne savaient pas daos quel état vous aviez
Inis le pays.


;\1. LE :\L\HQUIS DE DAJIPIIWRE. - Je vous défie de lire la
date et la signature de cet article. Elles seraient la prellve
qu'i! s'agit d'un journal alors renfermé dan s Paris.


1\1. DEPEYBE, - VOllS venez de lire la Gazette de France




260 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
qui se publiait a Paris pendant le siége j lisez done la Gazette
de Tours et de Bordeaux ! Vous la eonnaissez bien!


M. LE PRÉSIDENT. - Veuillez donc, monsiellr, ne pas inter-
rompre; vous ne pouvez pas discuter de votre place. Vou~
monterez a la tribune: vous etes inscrit. .


M. GAMBETTA. - Je dis, messiellrs, 'que si je remonte a ces
détails, c'est pour bien établir qlle d:l!1S les deux camps, a ce
moment-lil, allssi bien du coté des répllhlicains qlle du cuté
des parti~ans des diversp~ monrlrchie~, 011 ~enlait ({tle le temps,
le calme, la précisioll f¡li~aiellL cléfallL ; l'ulliversalilé des (~lec­
teurs, surtout, faisait défaut pOllr organiser !lile assemhlée
capable de donner avec allloriLé an pay~ dl)S instilluions
fOlldamentales et vériLablement déünitives. (Sourdes rumenfS
a droite.)


Je di" qll'aussitot que l'Assemblée se [ut rétmie et qll'elle
eut 8lltrepris l'exérution dn rnandat bien (h~tf'rmillé et bien
circoll~crit qlJ'elle <lvait re(~,tl ... (~()tlvulle" rUllleur:;), il se
prnduisit dans le pays, prt~sqllt~ imrnédialellletlt, (~n face (}'1111e
préte'ltion qlle vous trollviez légitime, mais Pllfill qlle V()llS
me pernH'llrez bien de cOtlte~ter, en fnce d'1I11f~ préte:lli nl1
avotlée de faire la rnolJarchie Oll d'orWlIlisPf C()I1·,lillHiollnellé~·
mellt le pays, il se liL en Frallce un lllOllvem8tll de surpl'is='.


Les divers acles allxquels ['Assemlllée llatiollale, qui <lvaít
élé réllnie a BordeallX se livra, éclairerent le pays sur la natllfP
des intentions poli tiques de cette Assemblée, et le pays vit que
cette meme Assemblée, qui avait été nommée pour faire la
paix: ou continuer la guerre, voyait ou croyait voir, - je vel1X
ménager toutes les sllsceptibilités raisonm,bies, - loyalernent
s'imagioait, si vous le voulez, que son mandat était encore
plus complet, plus étendu, et que) comme vous le (lites tous
les jours~ vous étiez véritablemeut, complé,tement souverains,
et que vous pOllviez choisir entre telle ou telle monarchie
qu'il vous conviendrait de donner an pays.


Je dis qn'aussitot que ces intentions-la furent révélées~ el
qu'elles se traduisirent soit par des discours. soit par des acle",
soit par des rién1arches, soit méme prlr des propositions, im-




SUR LÁ. DISSOLUTION. 261
médiatement le pays, qui :mvait bien, lui, ce qu'il avait voulu
faire, qui conn3.i~sait bien qllcl genre de mandat iI vous avait
décerné, le pays se mit en rnesure de vous faire comprendre
par des manifestations légales, pacifiques, régulieres, que vous
étiez dalls l'erreur, et qlle le droit que vous vous attribuez,
me me tres-sincerement, il ne vous l'avait pas délégué. (Déné-
gations ü <Imite.)


Et c'est ponr cela qne vous eutes les élections municipales
dont le caractere répllblicain vous frappera universellemant ;
e'est pOl1r cela que, plus tard, vous eutes les élections du
~ juilleL qui envoyerent dans eette Assemblé8, d'nne faGon
presque unanime, les représentants les plus éprouvés de la
démocratie répllblica ine.


C'est pour cela qne, lorsqlle le pays fnt consulté au moment
des élections des conseils généranx, il nomma en grande ma-
jorité des répllblicains. (Oh! oh! - Réclamations a droite.)


Écoutez, messieurs, j':ü la liste des élus et, si vous le váulez,
je la lirai. (Non 1 non !)


Le suffrage univer¡.;el fit quelque chose de plus significatif
encore. JI voull1t donner un signe éclatant, manifeste, que la
poJitiql1e d'entreprise monarchique n'était pas sa politiqne ;
il voulut vous signilier légalement, pacifiqnement, et chez
vons, dans vos cantons, messieurs, sa volonté; et alors savez-
vous ce qu'il 11t ? Il nomma de véritables républicains dans les
conseils généraux.


Ponr la premiere foís peut-etre dequis 1789 , nous assista-
mes a la prise de possession dans les locaJités, dans les cantons,
par la démocratie des conseils locaux.


C'était un événement nouveau dont, pour moi ~ les consé-
quences sont a ce point henreuses et incalculables, que nans
ponvons dire que nons avons véritablement la Révolution ac-
complie, la Révolntion, qui pomra véritablement , ceHe foís,
renancer él l'esprit de désardre et d'agitation. (Ah! ah! -
Rires ironiques;, droite.) .
~\lessieurs, je snis bien étonné que des conservateurs ne


puissent pas écouter ces paroles. (Protestations a droite.)
it).




1i162 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
Enfin, messieurs, VOUS voulez etre des parlementaires, et


vous ne savez pas écouter un adversaire qui se fait modéré.
PlusieUTS mp,mbres a dl'oite. - Parlez! parlez!
M. MALARTRE. - Lorsque M. Gambetta <lit qll'on ne l'écoule


pas, il parle pOLIr l'effet uu dehors, car !lons l'écolltons atten-
tivernent, et, malgré la dbtance, nous ne peruons pas un mol
de son discours.


Sur divers bancs~ - N'interrompez pas!
M. GAMBErrA. - Je dis, messieurs, que l'accession dans les


conseils départementaux et cornmllnaux par le fonctionnement
du suffrage universel des gens qui jl1sqll'ici avaient été tenus a
l'écart des afIaires , lem entrée 10cale aux centres memes Ol!
leurs intérets immédiats s'élaborent, je dis q!le c'est la une ga-
rantie d'ordre, et que plus le suffrage universel entrera dans
cette voie d'application pratique et d'élaboration personnelle
de ses intérets, plus la foule qui en est le moteur sonverain
s'éc<frtera des voies irrégulieres et désordonnées. Je suis bien
surpris, pour ma part, qlland je vous dis : la victoire dn suf-
fruge universel dans les conseils généraux mettra une fin a la
révolution al'dente et brutale, je sllis bien étonné de VOllS voir
protester, car je ne connais rien au monde de plus conserva-
teur que rna proposition. (Applaudissements agauche. -
Rumeurs et dénégations a droite.)


Et savez-vous, messieurs, ce qui avait fait jllsqu'ici la faci-
lité avcc laql1elJe on pouvait susciter l'agitation, la passion, la
colere, I'effervescence populaire, c'est que dans le maniement
des affaires locales, iI n'y avait pas llne part sllffisante faite á
ceux qui oot besoin de voir de pres comment on gere leurs in-
téréts. (NoLlvelles rumenrs a droite).


Messieul's, j'en suis bien faché, mais plus nons ¡rons, plus il
falldra que vous vous habituiez au gouvernement de la démo-
cratie par elle-meme, et le vrai role, le role des conservateurs
éclairés, de ce qll'on appelle les hommes des classes d'élite,
ce n'est pas de s'écarter de ce mouvement, ce n'est pas de le
condamner sans le connaitre, c'est au contraire de s'en rap-
procher, de 8e plonger dans ce courant et de s'efforcer d'en




SUR LA DISSOLUTION. 263
diriger le cours. Voila quel serait peut-etre son véritable role.
(Applaudissements agauche.)


M. l\IALARTRE. - Lorsqn'on est plongé dans le courant, on
ne dirige pas, on est enlralné !


M. GAI\IBETTA. - An lien de traiter d'avance comme des fac-
tieux Oll comme des misérables, comme des gens de violence~
de pillage et d'assassinat ... (Brnil a droite.) Vous savez bien,
messienrs, a quoi je fais a lIusíon qllandje releve de semblables
paroles . .Te dis qu'an lien d'employer ce systeme qui a toujonl's
été le systC~me de la résislance avellgle, qui n'a jamais su céder
a temps, qui n'a jall1ais su se rendre I1n compte exact du milieu
poliliqlle clans lequel se développe la démocratie franGaise, il
vous convienclrait, Ü VOllS et ~l ceux qlli veulent véritablement
mériter le Dom de conservaleurs, -- et je ne vois pas ponrquoi
on nous l'oppose, -- il vous conviendraít, dis-je, de vous rap-
procher davantage de l'esprit clémocratiql1e, des représentants
de la sociélé démocratiq1l8, et <l'a VOller que, sons peine de voir
cet immense organisme dn snffrage uni versel devenir la source
de tOlltes les [antes, de lons les périls, il vous fallt, avec pru-
<lence, avec ménagernen t, vous servir de ce que vous avez eu
plus d'influence sociale ou dc ,culture intellectueJle pour les
guiLler, et non pour les rejeter et llon pour les condamner
d'avé1nce el pOllr II)s confondre avec les misérables qu'ils sont
les premiers ü flétrir , lorsqu'ils les rellcontrent eux-mernes.
(Ollí! oui! - Trós-bien! tres-lJien! et applalldissements a
gauche.)


.le dis que le sllffrage universol. faisant son apparition dans
les départements et dans les cantons , et VOllS donnant ce que
vous n'a viez pas encore Vll a un si haut degré , des ffiunicipa-
lités républicaines, des conseils général1x républic;l.ins, vous a
signiflé, par les choix qu'il á faits, que la République lui appa-
raissait comme le gOllvernellletlt natllrel de son princip~,_ que
par conséqllent~ cornme vous avioz manifesté d~s ten dances,
des opinions et des traditions monarchiques, il vous résistait.


Et voici la prcuve que j'en trouve dans les statistiques élec-
torales: c'est qu'a pell pres i':20 des députés les plus marqllants,




264. DISCOURS A L' ASSEMBLEE


de cenx qui dans cetle eneeinte sont véritablement les chefs
des diver~ partis motlarchiqlle~ et qlli se présen!aie~1t dan s
leurs canLons au lendem;:¡in d'acLes et de tentatives mOllarchi-
qtles, étaient battlls all siége tnerne de lel]r itlfluence, de leur
fl)rtllnt~, par des repré~enlants de la dém()cra~ie réplIblicaine.
(~Iollvelllellt en ~ens divers.)


Eh biell, je dis qll'il y aVilit la, prrmettez-moi d'y insister ,
un sigile visible de la volouté de la Fratlc-3.


On ne s'en est poiut tenn la. 11 y a eu dans les conseils gé-
néraux des actes. Vous vous rappelez qllelles séries de vc:eux
ils ont émis, queIs genres d'adresses ils ont écrites, quel lan-
gage ils ont tenu soit au pouvoir, soit au pays. Vous avez vu
presque partout ces adresses hors session, au chef de l'État,
le remerciant de son attÍtude patriotique, de ses efforts pour
empecher les partís de se précipiter les uns sur les autres,
disant, faisant bien entendre qu'il n'y avait que la République
qui put continuer a maintenir l'ordre, l'ordre matériel anssi
bien qlle l'ordre moral; car, en somme, il fanura bien, mes-
sieurs, quelque respecta bIes que soient vos convictions, il
faudra bien, lorsque la Franee aura prononcé, que VOllS fassiez
un abandon, an moins polilique, de vos préférences, pour
vous raBier au gonvernement en face duquel il n'y a que mi..,
norités impuissantes, le gouvernement de la République.
(Tres-bien! tres-bien a gallche.)


Et au fond si nous débattons aujourd'hui la question de la
dissolution de l'Assemblée ...


M. LE DUC D' AUOIFFRET-PASQUIER. - Je demande la parole !
M. GAMBETTA. - Il faut bien le dire avec franchise, c'est h


la suite des manifestations successives, non équivoques, du
suffrage universel, c'est a I'entrée dan s celte Assemblée d'ul1
nombre toujours grossis.3ant de représentants de l'idée r8pu-
blicaine, que nous avons dD de voir les questions se prédser
dalls la sphere du Gouvernernent et venir jusqu'a celte tri-
bune, ou, dans le langage si élevé et en' meme temps si réservé
qui convenait au prernier magistrat de la République, on a,
en 'définitive, posé la véritable question, celle que le pays seul




SUR LA DISSOLUTION, 26;) .
pel1t résoudre, mais celle qni, je le crains bien, vous divisera
tOlljoLlrs : la questioll entre la lllonarchie el la HéplIhliqlle.


El la vérité vraie, ce qui faisait. la gravité dll débat, ce qui
faisait son imporlance, ee qui en faisait la passion ou oeculte,
ou par moment explosive, c'est que chaeun sentait bien qu'a
travers lOtlles ces (lIle~tions persounelles, a travers toules ces
ClalrlellrS d'opilliollS, O!1 ne déhattaÍl qU'llne qllesti l Jt1 : la fon-
datioll de la Répllblique (Mouvernenls divers), et c~est pour
cela, messienrs, que vous avez lrouvé le vote du 28 novem-
bre si important, si grave, c'est paree qu'il tranchait la ques-
tiOll méme dans cette Assemblée. (Dénégations et réclama-
tions 11 oroite.) C'est mon opinion, je parle politique, je ne
veux pas vous blesser. Vous dites qu'il oe l'a pas tranehée:
eh híen, e'est préeisément la l'argument que je veux faire
vaJoir pour la dissollltion.


Évidemment, e'est paree que la question avait pris cette
gravité et cette importanee. et, pOllr en revenir aux expres-
sions de l'honorable 1\1. Vitet, dans SOl) rapport, c'est paree
que l' Assemblée s'était partagée en deux parts 11 peu pres
égales, car je ne suis pas de ceux qui eroient qu'avee des rna-
jnrités comme celle qu'on avait obtenue, majorités qui se fon-
dent le lendemain dans l'ombre des bureaux, et qui pourraient
rena11re le surlendernain a la lumiere de cette tribune, on
puisse ni fonder un gouvernement ni vivre, c'est préeisément
paree que je sens que le pays 1'a deviné, et qu'il a fait ce
mouvement de dissolutiol1 sur lequel je m'expliquerai tout a
l'hE'ure, que je erois pouvoir vous oire que quand vous aurez,
dan s le recueillement de vos esprits, rnurerneot· bataneé la
question entre la République et la monarchie, il arrivera· eeci :
ceux qui loyalement Ollt pu eroire qu'ils avaient regu le man-
ual de fonder la monarehie ne consentiront jamais 11 eonstituer
la République; lllais ceux qui, au eootraire, auraient pu avoir
cette tendallee, non pas par tradition, ni par une foi bien iné-
IJranlable, mais pal' relatiolls, par enh'ainement et peut-étre
par néeessité, se seront dit : Oui, nous nous accommoderons
de la monarehie, non pas de la monarehie traditionnelle, mais




266 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
d'une monarchie parlementaire, d'une monarchie entourée dr
toutes les institutions répL1blicaines~ bref, allssi peu monar-
chique que possible, ceux-la pourront ne ]las aller a la Répu-
blique dans le parlement, mais ils y viendront dans le pays.
devant le sufTrage univer~el.


Olli, je ne erois pas, qnels que soient les procédés parle-
mentaires que vous employiez, les ministres que vous fassiez,
la formule parlementaire a hqnelle vous ayez recours, je ne
erois pas que vous puissiez sortir ue cette impossibilité de
créer une majorité véritablemellt compacte, vériLablemellt
unie~ ayant des opinions politiques exactement les memes,
s'incarnant visiblement, d'une faGon absolument palpable uans
un cabinet.


Non, vous n'arriverez pas il la création d'une majorité
stable; vous ne c1onnerez, par eonséquent, an Couvel'lle-
ment aucune certitude sur son lendemain; la division S01'-
lira de tOL1tes les nmes, et par cílt1séquent vous ne ferez que
prolonger, qu'aggra ver, qu'exaspérer la erise que tra verse le
pays et "qui s'appelle : l'incertitude du lendemain! (Vive ap-
probation a gallche.)


Eh bien, fai pensé qu'il était bon de reeonnaltre cet état
politique, ici, dans cette enceinle; et llons, qui sommes ll~:~
repré~entants de la dérnocratie répnblicainc, et ({ui, par COil-
séquent, devons avoir une compl'éheusion uilT~rente d(~ la
vótre du mandat législatif, un m;¡ndal politique, nons avons
pensé, ¡lOnS pensons eucore, et !lOUS pratiquerons toujours"
sons ce gonvernement comme sons tout autre, cette mani(~re
de voir, que lorsque nos lectcurs, nos eOlllmettants, fatigl1(~s
de yoir se multiplier les signes mallifestes de leur volonté,
apres les semaines que vous venez de passcr, semaines d'ill-
certitude, de trouble, d'angoisses, jugeaient qu'iln'y avait pllls
fien a faire pour leLlrs élLlS que de reparaHre devanl ellx, nOllS
avons pensé que notre devoir strict était de nOLlS associer El
eux et de parler a notre tour, cal' nos mandants avaient parIr.
(Nouvelle approbation sur plusieurs banes a gallche.)


Je ne vois la, permettez-moi de vous le dire, rien qui puisse




SUR LA DISSOLUTION. 267
exciter les suseeptibilités d'aucune fraction de l' AssembIée.
(Rumeurs a droite.)


Nous sommes dans l'exécutinn striele et réguliere de ootre
mandat de déplltés, et íes poplllations ]'onl bien compris; car,
messieurs, je crois qll'a l'hellre oü nons sommes, saos nous
targuer du succes, le chiffre des signat ures obtenues est de
plus d'uo million ... (Dénégalions a droite.)


Nous vous le pronverotls, messieurs! La semaine prochaine,
nous vous les appnrterons; et permettez-moi de vous clire que
je vous trouve bien difIkiles en tnatiere de pétition ; 110ns vous
avons connus, laissez-moi vous le faire remarquer, moins exi-
gean~s. Car enfin Otl clirait que nons avons apporté a celta
tribune un fait parfaitement irfl~gulier et anormal, et que qnand
nOllS parlons d'un million de signatures, nll a le droit de se
redresser avee hautellr, et de c1ire : Qll'est-ce que cela signifie?


Eh bien, messieurs, il y a une grande Assemblée, une As-
semblée qui, certainement, comme lumieres, eomme patrio-
tisme, eu égard aux hommes qu'elle comptait dans son sein,
- et vous y étiez bien parlagés, messieurs (l'oratellr s'ac1resse
aux membres qui siégent a droite) - était plus considérable,
fose le dire) ql1e celle-ci; cepenclant~ investie d'un mandat
incontestable, en faee d'nl1 pays qlli lui obéissait pleinement,
elle 1fa pas hésité ou pllllot elle n'a hésité qne pour la forme,
eL pellc1ant quelques semaines a pejne~-a se dissolldre c1evant
les protestations de i7tl,OOO pétitionnaires.


M. DE TRÉVENEUC (Cotes-dll-r\ord). - Les sitllations ne sont
pas les metrles; la Constitution était faite; la Constituante
avait accompli son mandat.


¡\1. GAMBETTA. - Oh! je connais l'argument; j'y répondrai.
Il est vrai de dire qne les hommes politiql1es de ce temps .•.
~1. EH:'\EST PICARD. - Tout le monde sait cela!
M. GA~IBETTA. - Tout le monde sait cela, mais iI est peut-


etre pon de le rappeler, monsieUl' Picard!
M. EH~EsT PlCAHD. - Les paroles que j'ai prononcées ne


s'adressaient pas a vous. Votre interrllption ne porte paso .Te
ne répondais pas á ce que vous disiez.




268 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
~1. GAMBETTA. - Soit;· mais j'ai entendll ces paroles.
Il est vrai, messieurs, qll'~l cette époque on tenait pour


quelql1e chose les signes de l'opinion et qll'on ne s'arretait
pas tant au chiffre des p8titions, qui étaient l'objet des meme;:;
critiques que ron répétait tOllt a l'heure a ceUe tribune.


00 critiquail aussi les croix apposécs au bas des pétitions
en guise de si-gnatures, J'orthographe des pétitionnaires, l'uni.
formité de la contexture (b·; péLitions; mais tOllt cela dispa-
rais-sait devant les raisons d)l~tat, devant les raisons politiqlles,
devant les raisons (le confiance gouvernen'J.entale, qui, elles,
a la véríté, étaient eléveloppées par eles hommes comme
:MM. Montalembent, Dufaure ...


l\'1. DUFAURg, garde des scea1l.'IJ. - Comment?
M. GAMBETTA. - Je vous cíterai temt a l'heure, monsieur le


garde des SC8aux, n'ayant pas de meillellre ressource que de
reprodllire volre langage si éloquent de ceUe époqu.e.


On disait, a cette bpoque, que ce qu'il fallait a une Assemblée
pour se déclarer véritablement en puissance de rester, c'étaít
d'étre d'accord avec elle-me me , c'était d'etre d'accord avec
son gouvernement, c'était d'étre d'accord avec l'opinion du
pays.


Eh bien, j'estime que, dan s la situation ou nous nOllS trou-
vons, allcune de ces trois conditions n'est réalisée.


D'accord avec vous-memes? ... Vous en savez quelqu8 chose,
messleurs ...


SLtr divers bancs a droite. - Ollí! oLli! nous sommes d'ac-
cord.


l\I. GA~IBETT\A. - Vous me elites olli, messieurs!. .. En effet :
puisque dans la meme journée vous avez été tour a tour majo-
rilé et minorité, ce qui explique, que de l'autre cóté de l'As-
semblée, iI y avait la meme instabilité que de votre propre coté.
(Mou vemen t sur di vers banes au centre gauche.)


D'ol! il suit que vous n'etes pas d'accord avec vOlls-m.ernes;
qll'il Y a ici dellx partís parfaitement opposés, a pell pres
d'égale force, mais impénétrables l'un a l'autre. Mouvements
divers.)




SOR LA DISSOLUTION. 269
M. LE COMTE DE RESSÉGUIER. - Non! non I vous allez voir!
M. GAl\IBETTA. - Qu'est-ce que nOllS allons voir? Nous al-


lons voir peut-élre que sur la question de dissolution, vous
réllnirez beaucollp de voix. Mais qu'est-ce que cela prouvera?
Cela prouvera purement et simplement, non pas que vous etes
d'accord sur la politiqlle, non pas que vous etes d'aceord pour
organiser un gou vernement, non pas que vous etes d'accord
sur les réforrnes a entreprendre, mais que vous etes d'accord
pour ne pas mourir. erres-bien! tres-bien! agauche. - Rires
et applaudissements sur plusieurs baDcs.)


Je dis, messieurs, que, dans le sein de l' Assemblée, iI y
a absolument, pour les hommes impartianx, pour les esprits de
bOlllle foi, pour les gens d~gagés d'intéret personnel, impossi-
bilité de marcber : vous 6ll~s eondarnnés! Vous le dites vous-
memes, qnand la majorilé insaisissa ble et impalpab le vous
échappe, vous dites qu'on forme Ulle majorité de rencontre et
de llasard.


Qu'est-ce que cp.la? Est-ce qu'on peut vivre, estoce qu'on
peut [aire vivre un granel penple avec une rnajorité de ren-
cOlltre el de hasanl! .re ne Pl~IlSP. pas qlle ce soit la une poli-
tiql18 qlle vou:-; pl1i~siez illlposer plus longtemp:) a volre pays.


J'entellds bien que 110llS SOlllt1ll~S Ü Versailles, que nOl1S nOllS
iivrolls, avcc pllls ollllloins d'llabiletA, d'aptitude, de serénité
Ll'esprit, ü des combfnaisons entre la gallche et la droite, entre
l'extreme gauche et le centre droit ... entre l'extreme gauche
él l'extreme droite ... (On rit.) Eh bien, ces pratiques, le pays,
ne crait plus a lenr eHkacité. Le pays s'est dit: Le 28 no-
\embre, la qllestion a été nettemellt posée, le Gouvernement a
obtenu une majorité qui ne lui suHit pas pour gouverner. Et, le
lendemain, comme pour donner le commentaire eL la signi-
fication du vote de la vei!le, la majorité se dépla<:;ait a nOllveau.
(Mollvements divers.)


C'est a ce moment-la que l'opinion publique s'est décidée,
:-;ans provocation ...


A droite el (m ce'ntre droit. - Oh ! oh! sans provocation 1 ...
1\1. GAl\IBETTA. - Oui, messieurs, permettez-moi de le dire,




270 DlSCOURS A L' ASSEMBLÉE
sans provocation, et je tiens surtout a vous convaincre de
ma sincérité. (Rumeurs sur quelques hanes a droite et au centre
droit. )


M. LE PRÉSlDE~T. - Messienrs, ces interruptions oe sont
pas convenables. Laissez parler l'orateur.


M. GAl\IBETTA. - Je di:; sans provoeatíon. Remarquez bien
que je ne dis pas que nous ne prenions pas la responsabilité
de i'initiative de l'idée de dissolution, Il est certain, - il sumt
pour cela d'avoir purcment et simplement de la mémoire, -
que, les premiers dans le pays el dans eette enceinte, nons
avons réelamé la dissoJution de l' Assemhlée,


Mais, messieurs, ii y a une vérité que ton s les homrnes pn-
blies doivent connaitre, c'est qu'on n'est pas le maUre de
l'opinion, qu'on n'est pas le maitl'e des mouvemrmts d'un granel
pays.


Eh bien, nous avons posé iei celte qllestion de dissolulion.
Vous l'avez faít examiner par une COtlllllission que vous avez
nommée, et cette commission a fait un rapport. Vous n'avez
pas fait cas de la qlle:"tion, vous ne l'avez pas mise a· l'ordre
du jour. Pourquoi ? ~Iais tout simplement parce que le mOllVO-
ment n'était pas assez gros an dehors, paree qu'íl n'avait pas
abouti, parce qu'il n'était pas snflisamrnent menac;ant pOli!'
vous obliger a vous en occuper.


Eh bien~ dcpuis cejollr-liI, nous n'avons pas le moinsdu monde
adressé un appel au pays; nous n'avons fait aucune espece de
tentative pour organiser le pétitionnement. (Héclamations ü
droite. )


J'en donnerai les prellves si on conteste.
Mais savez-vous qui a organisé ce rnollvement, qlli l'a rendll


invincible? ... (Nollvelles réclamations a droite.) OLli, invincible ;
c'est une questiotl de semaine et je vous y ajollrne. Sa vez-von~
ce qlli l'a rendll invineible? C'est qll'apf(~S les déclarations du
Message qui a fait tressaillir le creur dll pays ... (Protestations
a droite et au centre droit. - Applaudissements sur plllsit'llr~
banes agauche.) Ouí! paree que celte poJi~ique lui avait donné
vél'itablement conflance daos l'avenir et sécurité dan s le pré-




SUR LA DISSOLUTlON. 271
sent. (Nouveaux applaudissements sur les memes banes de la
gallehe. )


Eh bien I le pays, par ses orgélnes colleetifs - je n'ai pas a
appréeier la question de légalité que vous avez soulevée dans
une de nos dernieres séances, - le pays, par ses organes col-
lectifs, a manifesté ses sentiments de eonfianee et de recon-
naissance au pouvoir, vous avez été ... - eomment dirai-je
pour ne pas contrarier vos susceptibilités? ... - VDUS a vez été
émus et, a la suite de votre (:motion, que je trollve légitime,
Pllisqu'elle est la contre-partie de l'instinct de conservation qui
vous anime ... (Hires sur divers bancs agauche), a la suite de
votre émotion, vous avez imaginé de produire une politique
contraire, vous avez aílirmé cette politique, vous lavez écrite,
et vous avez - autant qn'il él été en vous - blamé les accents
de reconnaissanee du pays. Alors, en faee de votre gouverne-
ment de combat, que VOllS proposiez par voie de réaetion, on
a organisé le mOU\emellt de pétitionnement partout. (Applau-
dissements agauche.)


C'est la qll'est la voix du pays, et eeUe voix, entendez-le
bien, ne se taira pas devant Ull ordre du jour. (Exelamations
et lllurmures a droite et au centre droit.)


Oh! non, messieurs, elle ne se taira pas, paree qu'elle ne
se [era pas entendre en dehors des formes protectrices de la
10i; elle ne se taira pas, paree que la dtkision que vous pOlI vez
prendre ici ne saurait etre qu'une décision d'influence, une
décision de contradiction, et non pas une décision pénale ...
(Mouvements divers), a moins que vous ne prétendiez frapper
d'une peine l'exercice du droit de pétition.


Messieurs, aussitót que le pays a été mis a meme de juger
les deux poli tiques : la politiqúe d'une partí e de eette Assemblée
appuyant le Gonvernement et la poli tique d'une autre partie de
j'Assemblée rejetantla politique du Message, - car on couvre
d'un grand amour de parlementarisme le fond des choses, -
aussitót que le pays, qui n'est pas au fait des finasseries par-o
lementaires ... (Vives rumeurs a droite), et qui n'en a pas des
instincts moins infaillibles pour cela, a vu que ce qu'on pro-




272 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE


posait sous le nom de gouvernement de combat, c'était un
combat contre la République, c'est-a-dire contre lui-meme,
il s'est levé ... (Exclamations a droite), et il s'est levé au nom
de ses intérets les plus légitimes et les plus impérieux ; il s'est
levé par instinct de conservation !


A droite et au centre droit. - Oh! oh!
Sur divas bancs agauche. - OllÍ! oui! - Tres-bien! tres·


bien!
M. GAMBETTA. - Messieurs, iI faudrait une bonne fois nous


meltre d'accord sur ce mot de « conservation. ]) Ce mol n'est
le monopole de personne .. , (Tres-bien! tres-bien! a gaucho.
- Exclamations a droite et au centre droit.) .


Si j'entendais dislinctement les interrnptions, je me ferais
un devoir d'y répondre.


Voix a droite. - On ne vous adresse aucune interruption!
l.1. G.UI13ETTA. - Eh bien, je dis que de ce mot « cnnserva-


tion » ne doit etre le mOl1opole de personne, car, Glltrement j
il serait la source de loutes les équivoques.


On nous appelle bien souvent, en nou:-; associant 11 ¡'espece
des voleurs et des hommes les plus décriés, Otl nous appelle
radicaux, et l'on prétend faire de ce mot I'étiquette el'une sorto
de secte anathématisée d'avance et vouée a J'exlkration pu-
blique. On cherche a agir sur l'imagination du p<Jys; mais
quant a nOllS di re ce que c'est que les radicaux, on s'en garue
bien.


Eh bien! messieurs, voici ce que c'est que les radicaux.
(Ah! ah! - Voyons! a droite.)


Les radicaux, - puisque le mot a été lancé et qu'il est au-
jourd'hlli, all point de vue des i.ntérets plus ou moios loyaüx
des partis, un instrument de tromperie et d'erreur; il est bon
de l'expliquer, - les radicaux sont simplernent des républi-
cains qui pensent qu'il n'y a pas de cornpatibilité entre toute
forme de gouvernement autre que la Répubiique et le suffrage
universel, qui le disent ; qui sont prets a s'inclinar tant qne le
pays ne sera pas avec ellX mais qui croient que si on consulte
le pays, c'est le succes de la République qui sortira de cette




SUR LA D1SS0LUTION. 273
consultation. Eh ce n'est pas pour eux qu'ils le désirent ..•
(Rires ironiques a droite.) l\Iessieurs, vous pensez bien que
c'est intentionnellement que je dis ces choses ; car si nous fai-
sions jamais le compte des partisans de toutes les monarchies
qui servent la République et des radicaux qui ne la servent pas,
je ne sais pas quelle est la liste qui serait la plus longlle. (Tres-
bien, agauche.)


M. DE GAVARDIE. - Si vous n'aviez pas été renversé, vous
auriez placé partout vos créatures.


Sur dive?'s banes. - N'interrompez pas! n'interrompez pas!
1\1. GnIl3ETTA. - Eh bien, sans m'arréter ~l une interrup-


tion que je n'ai paso ~ntencllle.
1\1. DE GAVAIWIE. - l\Iollsiellr le président, voulez-vous me


permetlre de la répéter '1 (Non! llon ! n'illterrompez pas l)
1\1. LE rHÉslDENT. - Ni le présiden t, ni le reglement ne vous


le permeltellt.
1\1. GAJIBETTA. - Je n'ai pas entendu l'interruption~ mais


j'en connais assez l'auteur pour penser qll'elle ne fera pas une
lacune demain au Journal officiel. (Rires agauche.) .


Eh bien, messiellrs, je disais que c'était par conservation
qne le pays, ou une fraction clu pays, prenait part au mou·
vement de pétitionnement, el que ce serait en vain qu'on cher-
cherait a répandre le bruit que nous sommes les ennemis de la
conservation, que nou~ sommes les ennernis de la République
conservatrice. Nou:::; aimons a ce point la République, nous lui
sommes a ce point dévoués (Rires a droite) que nous compre-
nons aisément qll'il est nécessaire, qn'il est bon qu'elle pénetre
peu a peu les intelligellces' et les consciences, qu'elle s'impose
par l'autorité de ses bienfaits. (Rires ironiques a droite.)


Messieurs, vous pouvez rire ... Rira bien qui rira le dernier.
IExclamations ~l droite. - Approbation et applaudissements a
gallche. )


Je dis, par conséquent, que ce n)est pas CDmme radicaux
que llOUS demandons la dis<solution, el que 1'0n a tort de vou-
Jc,ir répandre gllr la prochaine Assemblée, sur le caractere des
prochaines élections, jo ne sais queile imagination, quelle ap-




274 DISCOURS A L' ASSEl\fBLÉE
parenee effrayante qui fait que l'on a l'air de conduire la
Franee aux abimes, si eette Assemblée se sépare et renonee a
lui faire une eOl1stitutioll ll1onarchique.


Eh bien, j'ai la conviction que le pays a pris son parti, 8t,
dans la séauce du 29 llovembre, eette séanee, qui est eapitale,
qui est le poiut cLllmiuant de la erise parlementai('e~ a dater de
laquelle vous ne retrouverez ni majorité ni possibilité de dé-
tacher sérieusement et d'une fa~otl stable un groupe quelcon-
que pOLlr arriver a gouverner, je dis que, dans cette séance du
29 novembre, la France a Vll, le suffrage universel a Vll les
indications de sa véritable poliLique électol'ale. Et si le pays
demande la dissolution, c'est préeisément pOllr dessiner Ulle
ehambre sur le patron de ces 3üO et quelques députés ... (Rire~
a gallche.)


Par conséquent, je ne crois pas, pour ma part, tant s'en
faut, je ne erois pas le moins du monde que le pays pl'ete
l'oreille aux eonseils de terreur; et qu'OIl aura beau di re que
Je mouvement dissolutionniste est un mouvement mené par les
radicaux, on ne lui fera pas prendre le ehange. 11 sait tres-
bien, et il le sait paree que les pétitions se signent dans la
commune ...


Un membre a droite. - Daos le cabaret!
M. GA~IBETTA ••. que ce ne sont pas excJll~ivemellt des ru--


dieaux qlli en prennent l'initiati ve... (D'énégation~ a droi le,)
Messieurs, vou~ délibérez, a l'heure qu'd e~t, sur des péti--


tions qui ont plus d'ul1 an de date, et moi jo vous parle
de pétitions qui ont quatl'e .i ours; vou~ vériüerez et vous ver-
rezo 1\lais je dis que la vraie qllesLion politique, e'est la ques-
tion du jaur, e'est celle qui s'agite a l'heure oü nous sommes
daos toules les discus~iollS, daus tuutes les conversations qlli
ont lieu au dehors de eette eneeinte.


Eh bien, au dehors de celLe enceinte, voili:t ce qu'oo dit :-0
n'ya véritahJement qll'une senle quesLion en jeLl, c'est la po-
litique dLl J\lessage. Est-on pour, est-oll coutre la politique du
Message? Et eomme il n'y a pas iei une AssembJée v~~ritable­
ment en harrnünie avec cette politiLJ.ue, le pays coutinuel'a a




SUR LA DISSOLUTION. 271)
vous demander' la dissolution, jusqu'~ ce qu'il l'ait ob-
tenue.


Je sais bien que vous résisterez, messieurs, mais la résis-
tance des villes et des assemblées assiégées a un tenne. Ce que
vous demandez, elans en moment-ci, par l'orelre elll jour pnr et
simple, aux pétitionnail'es, au suffrage universel, au droit ele
dissolution qui s'exprime a cette tribune, c'est un répit, un ar-
mistic.e. Eh bien, vous pourrez voler cet arrnistice; vous
vous le serez donné a vous-memes; mais vous n'aurez pas
étei8t dans le pays le besoin d'llne Assemblée nouvelle, paree
que ce besoin, ji repose sur troi::; grandes considérations, qu'il
ne nous appartient ni a vous ni a moí de substituer.


La premiere de toutes est eelle-d. (Exclamations a droite.
- Parlez 1 p~lrlez ! a gaucJw !)


Ce sont les inléret~ Illiltl~riels, les intérets d'affaires. A quel-
que opinioll qu'on appartienne, qllelles que soient les préfé-
rences politiques qu'on nounisse, iI y aUlle chose bien c1aire,
sur laquelle tOllt le monde doit etre d'accord; e'est que l~s
affaire::; no peuvent pas se passer de eertitude, qu'elles ont
beso in d'un lendemain, de plus qn\1l11eudemain, d'lln horizoll,
d'une véritable écbéance qui les laisse tranquilles pendant le
temps intenm~diaire. Vous pouvez consulter au h::isard les
hommes d'affaires qui, je le reconnais, d'habitude ne sont
guere passionnés pour alleLlne forme politique ; ils ne sont pas
plus épris de la rnonarchie qlie de la Hépubliqlle; ee qu'ils dési-
rent, ce qu'ils veulcnt, ce qu'i1s appn~cient d'un estimable prix,
c'est la tranquillité et la sécurité. (C'est vrai! c'est vrai !) Et
ils ont bien raison, car l'argent peut abonder, les riehesses de
toute nature peUVe!lt eouvrir le sol, tout cela est absolument
inutile, si la conüatlce mélllq:ne. .


Eh bien, vous avez bean dire, vous aurez beau protester, il
n'ya pas de conflance. (Rumeurs et mouvements divers.)


Il n'y a pas de cOllfianee sur la possibilité de voie un orelre
véritablement stable, des instiLutions fO!lclionnant réelJement,
un gouvernemeuL bien obéi au dedans et capable de nous pro-
téger au dehors si vous n'avez pas résolu le probHm18 fonda-




276 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE


mental de tout gouvernement, c'est-a-dire son existen ce défi-
niti ve.


Eh bien, pouvez-vous cootester que les uns s'acharnent ~I
maintenir le provisoire et que les autres s'acharnent a dire que
c'est la un état ruineux, lamentable, indigne d'lln grand. pays
et snrtout d 'un grand pays qui épuise ses uernieres forces?
(Mouvements divers.)


Est-il vrai, oui OLl non, que ce sont cel1X qlli veulent le dé-
finitif, que ce sont ceux qLli vCLllenl en (lnir avec les agitatiotls,
avec les incertitudes, avec les inqLliélndes, avec lesangoilllse:
de toutes surtes, que ce sont c811x-la quí expriment les Iléces-
sités du cródit, les intéréts des gens d'affllires et, en sornme.,
le vo~u de la France ... (Exclamations ironiques a droite.- Ap--
plalldissements a ganche.)


Olli, je dis qu'a ]'lwllre actLlclle, il sullit de vouloir le main~
lien du provisoire pOLlr elre un adversaire des inlérets. Eh
bien, je le demande a la loyauté des mOllarchistes qlli sont dans
cette Assemblée, est-jl vraí, oLli ou non, ·qu'ils sont impuis-
sants a [airE: la monarchie? Est-il vrai , olli ou non, que vous
oe ponrriez rencontrer ni le monarque pour l'accepter ni le
pellple pour la ratifier ... (Tres-bien! tres-Lien 1 Applaudisse-
ments agauche. - Rumeurs a droite.)


Si cela 8:-,t vrai, si vous Hes impuissants a donner la monar<
chie a ce pays-ci~ est-il vrai que vos dernieres ressources sonL
de le faire piétiner sur place, de l'épuiser par la lassitude et
par l'attente et de l'énerver. (Tres-Lien! il gauche. - Vives
réclamations a droite), de l'énerver afjn que, de guerre lasse,
il se jette dans les bras d'un sauveur? Et entendez-Ie bien ~ ce
n'esl pas dans vos familles qu'il ira le chercher. (Nouvelles
marques d'approbation agauche. - Nouvelles réclamations b.
droite. )


Je dis donc que le pays veut du définitif. Ell'impuissance
ou se trouvent 1IOS adversaires de [aire autre chose que dn pro-
visoire dé:nontre réellement de quel coté est la sagesse , de
quel coté est le droit, de quel coté est le pays. (Tres-Lien!
tres-bien! agauche.)




SUR LA DISSOLUTIO~. 277


Un rnembre a ([¡,oite, ironiquement. - Parfait! parfait!
Bravo!


.M. GAMBETTA, se tOllrnant vers la droite. - Je voudrais
bien savoir que] est celui d'enlre vous, messieurs, quí a le bon
goClt de crie!' : Parfait: Bravo?


Un membre h droite, - 00 n'a rien dit!
TvI. GAMBETTA. - le l'ai parfaitement entendu. Probable-


ment ce doit etre un émérite oratenr ; je l'attendrai a la re-
ponse, el je l'écouterai en silence. (Rumeurs diverses.)


Je l'ai entendll ; je sais qui c'est, je le nornmerai a la pre-
miere foís. (Nou velles rumeurs.)


Je disais, rnessieurs, que le premier de tous les intérets en
jeu était celui de la prospérité matérielle du pays, et que la dis-
solution seule pellt mettre un tenlle aux difficultés dans les-
quelles vous VOLlS débattez, a la stérilité dont vous etes frap-
p¿s. Car vous ne ponvez rien faire, rien produire, non paree
que l'unanimité vous manque, mais parce qll'llne forte majo-
filé vous fera p~rpétuellement défaut.


Il ya un antre point de vue, c'est l'intéret de la France vis·
a-vis de l'étranger.


l\lessienrs, il n'est pas douteux qu'un pays, el surtollL un
pays cumrne la Fran~e, que ses rnalheurs peuvent avoir mo-
mentanément écartée du grand r61e qll'elle est appelée a jouer,
que les syrnpaLhies de I'Europe ont certainement suivie dans
ses malhellr::: et dans sa défaiLe, ne puisse, - et ici, je ne parle
pas commc homrne de parti, je me place au point de vue qui
est le vótre, - ne pu!sse ricn [aire ni rien nouer, puisqu'il n'a
pas la duréc, puisque son gOllvernement ne représente que l'in-
certain el le précaire.


Eh bien, est-ce qu'all point de vue patriotique, au point de
vue de l'il1téret de b France , au point dé vue de son unité el
! 18 son action extérieure, esL-ce que vous eroyez que l'Europe
pcut voir avec une sympalhie persistan le , de boo (pil , un
P,!ys fIni esl ellgagé daos les querelles qui nous troublent Lous
les jours: est-ce que vous pensez que l'Europe peut songer un
in:;tant, llOll pas ü intervenir dans nos propres affair~s d'une


i6




278 DIscouns A L' ASSEl\IBLÉE
fa<,;on active, mais a llOUS soutenir dans nos affaires extérieures,
alors que vous mettez en question lous les deux jours l'exis-
tenee meme du pouvoir, alors que le pays divisé, mais eertes
moins divisé que vous-memes~ a haulement répudié, dans des
éleetions suecessives, les doctrines dominantes dans eette As-
semblée? Évidemment non.


C'est done, au point de vue du palriotisme, une nécessité de
premier ordre d'assurer un véritable gouvernemeut qui ait de
la durée, qui ait de l'avenir, qui soit a assez long terme.


Eh bien, eomment le ferez-vous?
L'Europe a répondu d'une faGon ti. peu pres unanime; il n'y


a pas peut.etre un journal en Europe qui n'ait demandé la dis·
solulÍon de l' Assemblée. (Exelama ti0113 a droite.) Vous ei terez
eeux qui ne l'ont pasdemandée; les plus grands organes de pays
divers, surtout d'un pays ou a coup sur 011 pratiquc aussi bien,
sinon mieux qu'ici, le gouvernement parlementaire, les orga-
nes de la presse britannique ont été ü peu pres unanimes pour
dir8 qu'il n'y aurait pas d'antre moyen de sortir de la crise que
vous itfJposez au pays. Toule l'Europe dans le systeme d'éehan-
ges de cornmunicalions internationales, toute l'Europe subit
le contre-coup de toutes les genes, de toutes les anxiétés que
vous faites peser sur votre propre marché.


Et il ne faut pas s'étonner si, des lurs, dans ces pays de
libre diseussion, dans ces pays parlementaires, on n'a VlI
d'autre remede que la dissolution.


Et, messieurs, e'esL tellement vrai qu'entin il n'est bruiL, il
n'est conversation qui ne roule sur les incerlÍludes de la si-
tuation.


On parle de projets, les uns les plus criminels, les autres
les plus grossiers; mais en somme, vous connaissez comme
moi les bruits qll'on fait courir, les projets de pronuncia-
miento militaire qu' on a jetés. (Protestations sur UIl granel
nombre de bancs.) Je n'y erois pas, me:-;sieurs.


M. LE GÉ:\"ÉRAL DE CISSEY, ministre de la guerreo - Non!
non! il n'y en a jamais eu!


M. GAMBETTA. - Je le sais!




SUR LA DISSOLTJTION. 279
#


M. LE MINISTRE DE LA GUERRE. - Et s'il y en avait, de quel-
que coté qu'il vint, soyez assllré que j'y mettrais bon ordre.
(Tres-bien! tres-bien !)


M. GAMBETTA. - Dire et rapporter ... (Interruptions.)
M. L'Al\IIHAL SAIS:-iET. - Retirez votre moto C'est une injure


gratuite pour J 'armée! (Ouí! oui! - Tres-bien!)
Un membTe. - Ce n'est pas le langage d'un bon Fran-


G=1 is !
M. LE PRÉSIDEXT. - Veuillez done faire silenee et laisser


l'orateur s'expliquer.
M. BARAGNON. - Ce sont des souvenirs d'Espagne qu'il rap-


porte! (Rires a droite.)
M. GAl\IBETTA. - Il faut aVOller que les temps sont bien


ehangés. (Olli 1 olli!)
Oh! messieurs, si on ne peut pas dire une phrase sans etre


interrompu! ... (Nouve1Jes interrupt10ns.)
M. LA~IBERT DE SAINTE-CROIX prononce quelques mots au


milieu dll bruit.
.l\!. GAMBETTA. '- Vous dites, monsieur Lambert de Sainte-


Croix?
M. LAl\IBERT DE SAINTE-CROIX. - Oui, les temps sont bien


changés, ear on ne parlaít pas ainsi autrefois ª la tribune
franGaise. (Tres-bien! tres-bien! - Bravos et applaudisse-
ments sur un grand nombre de banes.)


M. GAMBETTA. - M. Lambert de Sainte-Croix a mal pris
son moment. .. (~on! nonl) Non? non? Qu'en savez-vous?
laissez-moi parler!oo. (Rumeurs a droite)oo. car il me dit les
temps sont hien changés, on ne parlait pas ainsi a la tribune
franGaise. (Nouvelles interruptions a droite.)


1\1. LE PRÉSlDENT. - Veuillez done faire silence, messieurs,
ces interruptions continllelles sont intolérables.


M. GA~IBETTA" - Or, ce que je vous disais n'était que la
préparation d'une citation que j'emprunte a l'honorable garde
des sceallX.


Jo disais ceci et je reprends textnellement l'expression :
On parle de coup d'lhat. Je me suis empressé de dire : Je n'y




.280 DIscor;HS A L' ASSEMBL}~E
crois pa~, et je relevais précisément la loyale interruption de
notre honorable collegue, M. Saisset. A coup sur, il a bien
raison de protester contre de pareilles éventualités; mais
enfin, dire ce ql1i circule, ce qui s'imprime ... (Rumeurs 11
droite.)


Un rnem,bre (l, di'oite. - C'est vous qui le faites circuler.
1\1. LE l\1ARQUIS DE MORNAY. ~ Il ne faut pas reproduire des


calomllies a la tribune.
1\1. GA)IBETTA. - Écoutez, mor.sieur, et vous verrez si ce


que je dis est sérieux et s8nsé.
M. LE rnÉsIDE:\T. - Laissez achever l' orateur! vous j ugerez


ensuite.
M. GAl\IBETTA. - Il Y a longLemps que je suis condamné


sur l'étiql1ette.
M. LE PRÉSIDE\T. - Laissez achever l'oratellr. Je no sais


pas encare quelle est sa pensée. (Exclamations.) Si vous la
connaissez, vous etes bien plus avancé::; que moi. (Hires sur
plusieurs bancs a droite.) Il n'y a pas d'ironie dans Ola pen~ée,
je ne voulais que vous recommandel' d'attendre, afill de miCll\
Jllger.


M. GA}I13ETTA. - Ce que I'on peut juger, messieurs, c'est
votl'e bienveillance et votre esprit de jllstice. (Tr~s-hien! et
applaudissements ~l gauche.)


M. VE:\'TE. - C'est contre vos insinuations qu'oll proteste!
M. LE PRÉSIDENT. - Puisqu'on a ollvert Ulle di~cussion sur


les pétitíons, iI faut l'enlendre. (OLlí! oui! - Tres-bien.)
1\I. GAl\1BETTA. - Je tiens a justiüer absolumeut les parole:,


que j'ai di tes ; et il me semble que, pllisqu'il s'agit de l'intér0t
de l'honneur national, vous pOllrriez sllSpellCIl'c vos mur-,
mures, au moins jusqll'il ce que j'aie achevé ma phrase.


Je disais que de mauvais propos circulent, qll'OIl les répeté,
que cela répand de funestes impressions dans cerlaines parties
de la société; et, en disant qu'il n'est pas bon qu'il en rú!
ainsi, je ne faisais que reprodllire ce qlli avait déjil été en-
tendu a la tribune franGaise, malgré l'expérience et les protes-
tations de M. Lambert de Sainte-·Croix, ü snvoir, ce que, dans




SUB LA DISSOLUTION. 281
ce tour serré qUl luí est habitllel, disait M. le garde des
SCAaux.


Il disait) quand on discutait la meme question en 1849 :
« Noo, ces bruits sont chimériques, et il n'est pas bon qu'iJ-s
se répandent~ il n' est pas bon qu'ils se glissent dans certaines
classes de la société, dans certains rangs, de fonctionnaires;
il n'est pas bon que cela se répele. Cela rappelle des temps
détestables qui ont commencé le 9 thermidor pour aboutir au
i 8 brumaire. »


Est-ce vrai, M. Dufaure '?
~J. DUFAURE, garde des sceaux. - Oui, je rai dit, et je ne


me repens pas de l'avoir dit.
M. GAMBETTA. - Je le crois bien.
M. u; GAHDE DES SCEAUX. - Je regrette qu'on ne l'ait pas


mieux éCOllté. "
M. GAMBErrA. - Et vous avez bien raison, monsieur le


garde des sceaux I
Une voix. - Eh bien, alors?
:M. GAMBErrA. - Alors? Je m'autorise de ceUe parole, eL a


coup SUl' quand je parle de ce qui se dit. ..
M. VENTE, et plusieurs mernbres a, droite. - On ne le dit


nuBe part !
:M. GAMBErrA. - Je vous mets au défi de justifier votre


interruption.
M. VENrE. - Je vous répete qu'on ne le dit nulle part, et


je vous défie de faire une citation a l'appui de ce que vous
avancez ! (Exclamations agauche.)


M. GAMBErTA. - On ne le dit nulle part., prétend M. Vente ...
M. VENrE. - Non! '.
Plusieurs voix a droite. - Non! non! Personne ne le dit !
M. GAMBETrA. - Mais, messieurs, permettez; on me faít


une interruption, j'y réponds; et vous répétez, non! Il est
impossible qu'une Assemblée véritablement digne ds ce nom
puisse s'abandonner a de pareilles pratiques parlementaires.
(Marques d'assentiment a gaucho.)


Eh bien, je réponds directeme'ut qu'il est a votre cOllllais-
i6.




282 DISCOURS A L' ASSEM"LÉE
sanee, n'est-ce pas, monsiellr Vente, que dernierement, pen-
daot cette période troublée qui.a succédé an vote du 2900-
vembre, il est a votre coonaissance, et vous l'qvez lu dans les
jouroaux, cela a été imprimé, répété... (Nouvelles ioterrup~
tions a droite.)


Mais, messieurs, je ne me fais pas responsable de ces
bruits ... (Parlez! parlez!) ,le constate la matérialité d\m
propos. (Parlez!) Vous savez tres-bien, aussi bien que moi,
monsieur Vente, qll'on a parlé d'un général dont on a cité cer-
taíos ordres du jour. (Exclamations a droite.)


Mais vous ne me lqissez pas achever. Je m'eo vais ,'ons dire
que je ne le crois pas, et que j'en ai pour garant l'interruption
meme de M. le ministre de la guerreo


Mais de quoi s'agit-il entre nous? 11 s'agit de l'mdstence de
la réalité du propos et des on dit, et je vous les cite.


Un membre a droile. - C'est dans vos journaux ql1'ils se
trollvent!


M. GAl\1BETTA. - Eh bien, je vous dis ql1'il n'y a pas eu un
journal en France ...


M. VENTE. - Je demande la parole.
M. GAl\IBETTA. - Pas un, entendez-le bieo, de quelque cou-


leur que ce soít, qui n'ail reproduit les accllsations, les insi-
nuations, les bulletins que l'on a fait circuler, an sujet, préci-
sément, de la démarche tOllt au moins imprudente el téméraire
du général auquelje fais a1lusion. (Mouvements divers.)


A droite. - Mais non! mais non!
Un membre a droite. - Ce sont vos journau4 qui }'ont jugé


ainsi! (Bruit prolongé.)
1\1. LE PRÉSIDENT. - Voila l'effet des interruptions!
M. GAMBETTA. - Par conséquent, la réalité des récits, san s


entrer dans leur exactitucle ,entendez bien, ne sallrait etre
contestée. Ce n'est pas a moi qu'il appartient de faire des en-
quetes, mais vous n'ignorez pas qu'il s'est dit qu'on fail des
enql1etes, monsiellr VHnte; vous voyez done bien C{l1'il en ;1,
été ql1estion.


M. VENTE. - Je vous répondrai !




SUR LA DISSOLUTION. 283
~I. GA:\InETTA. - VOIlS me réponclrez ! Il aurait miellX valu


alors ne pas m'interrompre. (Exclamations a droite.) C'est
(;viclent l il [allait r()[)onclre tont ele sllite.


Eh bien l je répele avec :\1. le garde des sceaux l qu'il n'est
pas bon que de lelles préoccllpalions pesent snr l'irnagination
publiqlle l qn'il n'est pas Don, ni pour vons, ni pour la sécurité
générale, ni pour le pays, ni ponr aUCllne espece d'intéret dont
YOllS ayez la ganle) j'affirrne qu'il n'est pas bon qu'un pareil
ét;¡t d'esprit s'accródite et se prolonge, que ce n'est que pour
cela que la France pétitionne, que c'est pOLIr mettre un terme
ti eeUe inqni<~tuele et a ceUe angoisse, qu'elle vous demande
de prononcer votre dissolution.


Eh bien! de tontes les considérations que ron peut in voquer
pour jl1stiller ]a dómarche des pétitionnaires et pour vous in-
viLer a les accueiJlir, non pas cornme des injonctions ni comme
des menaces, mais comme des VCEUX, comme des symptomes
de l'opinion, comme un avertissement donl des hommes po-
litigues, véritablement souciellx de ce titre, savent tenir un
granel compte, je sl1is en droit de conclllre et je dis en termi-
nanl que vous devriez penser an passé l faire un retonr sur
l'histoire de l'Assernblée constituante. Et en vérité, messieurs,
aux difllcultés que j'éprOl~ve devallt vous, je ne peux m'empé-
eher d'opposer le sOllvenir de la facilité avec laquelle, au con-
I,raire, dans CGtte Assemblée constituante dont j'illvoquais tout
a l'heme la graude image, les orateurs purent développer
a satiété, penclant de IOtlgues séances, l'acte d'accllsation de
l' Assemblée qu'ils avaient devant eux - ce que je n'ai pas fait
- dans des termes que vous n'auriez pas acceptés; ils ont pu
réclamer impérieusement et faire voter a une tres-faible majo·
rité, il est vrai, ele trois, quatre, cinq ou six voix allxquelles
vous serez bientót condamnés, la dissollltion de la plus grande
Assemblée qu'ait elle la France depuis la premiere consti-
tuante.


Si je remettais sons vos yeux les discOllfS ou les fragments
de discours des homrnés qni, a celte époque, représenLaient le
parti monarchique, el si je ne prenais pas la précalltion de




284 DISCQURS A L'ASSEl\IBLÉE
vous dire aquel orateur je les emprLlnte, vous avez si pen lL~
patienee, mes:-;ieurs, et l'esprit politiqne varie a un tel point,
que vous m'interrompriez et ne voudriez pas m'entendre.


M. MO~~ET. - l\Iais non; on vous éeoute tres-bien.
M. GAMBETTA. - Eh bien, je vais reproduire un des argu-


ments les plus décisifs et qui devraient toueher les esprits
loyaux de eette Assemblée, ne fUt-ee que pour meLtre d'aceord
leul' CQndLlite d'aujOLlfll"hui avee la conduite de leurs devan-
ciers.


M. de Monlalembert, dans un diseours qui e§t eertaine-
ment un des plus élevés et, en meme temps, un des plus inci-
sifs, un des plus mordant~1 qu'il ait prononcés, lui a qui l'ironie
était si familiere, l\1. de Monlalemberl disait en s'adressant á
l' Assemblée, le i 2 janvier 1849 :


C( 1lessieurs, il faut plaindre les pouvoir:-; et les sociétés qui,
dan s l'ordre moral Oll dans l'ordre politique, susciLellt oa
subissent la formidable puissance dll doute. »


Il eonsidérait qu'il suffisait que le mOllvement des pétitions
eut mis en doute la puissance el la compétence de l' Assemblée
pour qu'elle dut se retirer. Il ajoutait :


« Discuter le doute, savez-vous ce que e'est? C'est le cons-
tater. Eh hien, ne le diselltez pas, Jissipez-Ie.


« Pour le dissiper vous n'avez qU'lln rnoyen, e'est un ~ppel
au juge sOllverain, au tribunal arbitral et supreme, au sLllfrag(~
universel. »


M. AUDREN DE KERDREL. - Les radicaux n'en voulaient pas
alors!


M. GAMBETTA. - Je f:lis observer au membre de la droite
qui m'interrompt que e'est M. de l\1ontalembert qu'il inter-
rompt.


M. AUDRENDE KEHDHEL. - Je vous fais observer que les
radieaux ne vOlllaient pas alors du sllffrage universel !


M. GA~IBETTA. - M. de !\1onLalembert disait eneore :
« De deux choses I'une : ou vous représentez I'esprit actuel


du suffrage universel~ et, s'il en est aillsi, vous serez réélL:s,
vous viendrez reprendre votre reuvre retrempés dans le suf-




SUB LA DISSOLUnON. 285
fragc universel; Oll bien vous ne représentez pas l'esprit actuel
du suffrage universel et vous ne serez pas réélus, et alors, on
ünira par vous demander : De quel droit restez-vous ici. ))


Un mernbre ci droite. - C'est a vos amis que cela s'adres~
sait.


M. GA~mETTA. - Ah! messieurs! ...
Plusiwrs rnemlJl'cs. - Ne répondez pas ! Continuez! con-


tiOllCZ!
~1. GAIUBET'fA. -- Eh bien, messieurs, nous n'allons pas


311ssi 10il1, 110US ne disons pas : « De quel droit res tez-vous
ir:i? )) Nous reconnnissons votre droit.


Un membre a d'roÜe. - C'est bien heureux !
M. GAMB[TTA. -~ Nous reconnnissons votre droit; ce que


nous vous demandons, et ce que nous espérons, sinon pour
8ujourd'hui, au moins dans 11ll avenir plus prochain qu'on ne
pense, ce que nOllS usp8rons, c'est de voir vos convictions se
former par la constalation me me de l'impuissance dont vous
Hes atteillts, dont nOllS ~Ollltt1eS atteillts comme Assemblée
parlemelltaire, c'est que vous céderez a la pression de l'opi-
nion, et qu'ilvOllS restera encore un peu de patriotisme pour
abdiquer ü propos. (Vives réclamations a droite. - Comment,
encare! L A l'ordre !)


M. GAMBETTA. - Comment~ it l'ordre !
Plusieurs membres. - Retirez le mot c( eucore! .•
M. GA~IBETTA. - C0ll1ll1elll, 1ll8ssieurs, je suseite vos mur-


mures, je provoque vos interruptions, en exprimant catte con-
viction que vous finirez par vous convaincre et par vous· éclai-
rer vous-memes devant les événements, et qu'alors, ne vous
inspirant plus de mesquills illtéf(~ts personnels, vous aurez
as."ez de patrioLisme pour vous dissoudre et vous retirer.


Un membrc ü clJ'oile. - Ce n'est pas pOLlr cela qu'on a
réc.lami!
~I. G.U1BE'rrA. - En vérité, messieurs, on ne sait quellan-


g:1ge vous tellir.
Eh bien) moi) je vous dis qlle le jour n'est pas éloigné oü


\ OLlS vous résouclrez :\ celte immolatioll de vous-memes, paree




286 DISCOURS A L' !SSEMBLÉE SUR LA DISSOLUTION.
que les populations qui vous ont envoyés, vous avertiront
elles-memes; elles vous apprendront snrtout que le vote d'au~
jourd'hui et que les votes successifs que vous rendrez sur les
pétitions nouvelles qu'elles vous adresseront, seront les scru-
tins préparatoires des élections futures. (Vives interruptions a
droite et an centre.)


M. LE BARON DE BARANTE. - C'est une mena ce que nous
n'acceptons pas!


M. GAMBETTA. - Ce jour-Ia le suffrage universel saura bien
reconnaitre les siens, el choisir entre ceux qui auront retardé
et ceux qui auront préparé le triomphe définitif de la Répu-
blique. (Réclamations nombreuses il droite et au centre. -
Applalldissements répétés a l'extreme gauche. - L'orateur,
en regagnant sa place, est entoUl'é et félicité par un certain
nombre de ses collegues. - La séance demeure suspendue
pendant quelql1es instants.) .


,




COMMISSION DES TRENTE


DISCOURS


PRONONC~ A UASSEMBL~E NATIONALE


Le :28 Féniel' 1873


M. LÉON GUIBETTA. Messieurs, si on insistait sur la clóture,
ce que je ne erois pas ... (Non! non! - Parlez !)


Messieurs, quoique nOllS n'ayons pas encore en la satisfae-
tían de voir monter a eette tribllne un orateur ehargé de dé-
fendre le rapport et l'rellvre de la eommission des Trente, -
e'est la sans doute ee qLli avait fait un moment eroire que l'on
allail prononcer la clóture, - je viens a mon tour~ au risque
de vous fatiguer, parler contre le rapport, les eonsidérants, les
motifs el les propositions législatives qui l'aeeompagnent.


La diseussion si grave dont vous eles saisis, messiellrs, res-
semble trop a une revue des partis dan s eette eneeinte, pour
que nous puissions, sur les banes Oll je siége, laisser se fermer
la diseussion générale sans di re avec la meme loyauté et avec




288 DISCOURS A L' ASSEl\IBLÉE.
la meme franehise qu'y ont mises les orateurs qui représen-
tent ce c(¡té - la droite - ou une fraction d.e ce coté d.e
l'Assemblée, ee que nous pensons de l'muvre a laquelle on
eonvie l'Assemblée nationale.


Tout d'abord, la premiere penséB qui vient a l'esprit, apre.s
avoir pris eonnaissance du rapport de la commissian, c'est de
se demander si le projet de loi correspond aux préOccllpations
de l'opinion, si ee rapport nous invite a organiser cela meme
que l'opillion demande depuis le l\Iessage, ou si, au contraire,
il ne va pas nous entrainer a faire juste l'oppasé de ce que ré-
clame le pays, et a lui imposer, en les préparant trop p,H'
avance, des institutions qu'il repousse.


Je erois qu'un examen attentif du prajet, de 1'0ri8'ine sur-
tout de la queslion, des développements qu'elle a re<;us dans
le rapport, des commentaires qui l'ont accompagnée jusque
sur le seuil de eette eneeinte et qui passionnent Oll inqL1ietent
le pays, nous permettra de comprendre que I'CBllvre a laquelle
on nous eonvie esta la fois puérile et périlleuse.


C'est dans sa premiere partie que je trouve cette CBuvre
puérile. Elle a, en effet, la prétenlion d'organiser la respon-
sabilité ministérielle et, par eompensation, de donner an pou-
voir présidenliel plus d'extension et plus de garanlíes.


Eh bien, on peut dire, apres a voir lu le rapport el les ex-
plications qu'il donne, que le pouvoir du p[ésident de la Répu-
blique n'est ni augmenté ni dirninué ; on peut dire aussi que la
souveraineté de l'Assemblée n'est ni augmenlée ni dirnillllée.
Il y a un cérémonial plus compliqué, une procédllre qlli, a
l'usage, sera bientót supprirnée, paree que tout De passera
bienlót en éeritllres d'une extreme concision, d'une extreme
brieveté, et qu'ainsi le but que vous avez en vue ne sera pas
atleint. (Assentiment de divers calés.)


En effet, ii est certain que ce n'est pas garantir l'indépen-
dance de cette Assemblée que d'obliger le chef de FÉtat ~t
éeril'c a plusieurs reprises datls la meme discllssion oú 1'on a
reconnu tont a la fois son droit d'intervenjr et l'lltiJit(~ de SOll
intervention. A cet égard on n1a rien fait qui soil réellement




DISCOURS A L' ASSE:\lBLÉE. 28~1
sérieux, el je ne veux pas y insister. J' ai hate d'arri ver ~l ce
qui constitue pour moi le caractere dangereux de l'reuvre en-
treprise.


Cette reuvre présenle trois parties. Une premie re partie, qui
est une contradiction flagrante avec tout l'ensemble du projet
de loi, c'est le préambule ; une seconde, qui consiste dans ce
cérémonial compliqué et parfailement impuissallt, dont je vous
entretenais brievement, el !lne troisieme partie qui, a mon sens,
est périllellse ici pour tout le monde, pour tous les partis,
queis qu'ils soient, qll'ils se réclament de la monarchie légitime
Oll de toute autre forme de mOllarchie, ou qn'ils se récJament
d'une HépulJliqlle sillcere et Joyale, parce que les mesures qll'on
y propose cOtlstituent une aliénation de l'avenir et une vérita-
blc tlsurpation sur les pouvoirs destinés a sortir des prochai-
nes électiotls géllérales.


Messieurs, je sais, par expérience, combien il est difficile
de parler devant vous des sentiments, des aspirations dll parti
républi'cain; je sais que nous avons toujours a lutter contre
une prévention de vos esprits, qui consiste a nous préter des
idées, des intentions et des passions que nous avons beau dé-
savoueri vous nous interrompez quand nous voulons faire le
développement de nos véritables intentions, et votre prévell-
tíon subsiste.


Mais alljollrd'hui, comme il s'agit avant tout dedéfendre ce
qu'on peut appeler le bien propre de ehaque parti dans cette
enceinte, et comme il n'est besoin pour cela que de franchise et
de Ioyauté, et comme chacun en défmitive est intéressé a voir
cette défense se produire a cette tribune, je compte, sans me
départir en aueUDe maniere de la modération que réclame un
aussi périlleux débat, une 3ussi délicate discussion, je compte,
dis-je, aller jusqll'au fond des choses. (Parlez! parlez !)


Messieurs, il ya tOllt d'abord une impression singuliere qui
se dégage de ce débat : c'est de sentir le malaise, l'inqlliétude
qui occupe et remplit la plllpart des esprits dans cette en-
ceinte. ,Personne, al! fond, n'est content de ce contrat 'et de
cette transactio~, qui sont tout a coup intervenus entre la


17




DISCOURS A L' ASSEMBÜE


commission et le gOtlVHl1emeut; tont le l1londe, dans les cnu-
loirs, dans les conversations, daos les jOUl'l1allX, mllltiplie les
critiques, dénonce les ¡acunes, les vices et les périls d'une pa-
reille proposition. Et iei, all contraire, tout le monde paraH
résigné a se laisser aller a la dérive jnsqu'a la volation défini-
tive du projet de loi.


D'oll peut venir, messieurs, une pareille contradiction entre
ce que l'on pense intérieurement et la conduite parlementoire
a ]aquelle on parait résigné? Je erois que cela vient, mes-
sieurs, de ce que chacllll, en présence de cette solution obscllre l
éqllivoqlle, se dit: C'est un coup de dé, il ponrra pellt-étre
en sortir un avantage pour mon parti Ceux-ci disent: Nons
y gagoerons ceei .~ ceux-la se contenLent dire : Pélr cet ater·-
moiement, nous eonqllerrons toujours un peu de durée. Les
uns répetent: Nous refouloos ]a démocratie; les antres, au
conLraire: Par des voies obliques, couvertes, détournées, nous
arriverons tout de meme a la République.


Eh bien, messieurs, je erois que re double aspect si·contra-
dietoire de la question appara1t au <1ehors a l'opinion publiqne
comme quelque ehose d'incorrect, d'irrégulier et, perrnettez M
moi le mot, de malsain.


Ce que ce pays réclame avant tout, c'es!. la clarté. 11 y a
assez longtemps qu'on le maiotient, non-selllement dans le
provisoire, mais dans l'équivoque et dalls l'ambigu'ité.


Ce qu'il désire, c'est de voir clair devaílt lui, e'est de voir
OU on le mene, e'est de voir surtout si on le menera promp·-
tement a un abri oll il pourra sérieusement, avec la eertitude
du lendemain, vaquer a ses affaires et S'occllper de son re1e·
vernent matériel et moral. (Tres-bien! tres-bien! á gauehe.)


Car enfin, rne~sieurs, est-ce que vous n'éles pas frapp0.s
cornme moi du double et singulier langage que 1'on tient,
quand on veut défendre le rapport et le faire voter, selon que
ron s'adresse a tel Oll tel cót~ de ceUe Assemblée; ·croyez-
vous que I'on pourrait mettre tout le monde d'accord, i;i l'on
disait nettemeot et franchement ce qu'il ya au fonti clu prnjeí?
N'est-il pas évident que ce projet a te1le oq. telle ·importanc8:




DISCOURS A L' ASSE!\mLÉE. 291
qu'il pourra produire telles ou lelles conséquences, avoir lelle
ou te11e influence sur les destinées dn paysl selon qu'une fois
voté par vous, une fois devenll le statnt dn pays, il sera inter-
prété dans tel Oll tel sens par une pen~ée supériellre, par la
pensée qui lui donnera sa valenr véritable el sa force réelle.


Pour ma part, je ne demande pas mieux que d'étre fixé. J e
voudrais savoir a quoi on peut s'en tenir. Et e'est iei, mes-
sieurs, dans eette ellceinte, qu'il faut qu' on nous le dise. Quand
vous avez discuté la Constitution Rivet, nous aVOllS protesté,
- et vous nous pardonnerez de le rappeler, - eontre l'attri-
lmtion a l'Assemblée du pOllvoir constituallt. Nous vous avons
dit qu'étant données les origines de l' Assemblée, le peu de
temps qui avait été laissé pOLlr procéder, soit a la confection
des listes électorales ... (Légers murmures sur quelques bancs.)


Messieurs, je vous en prie ... (Exclamations sur plusieurs
!Janes.)


Plusieurs membres. - On ne vous interrompt pas! Per'"
sonne ne vous interrompt !


M. LE VICOMTE DE CmIOl\'T. - C'est un artifice oratoire!
Un membTe a droite. - Vous avez besoin d'interruptions.
M. LÉON GAl\H3ETTA. - Ne eroyez pas du tout, monsieur Gas-


londe ...
M. GASLONDE. - Mais je n'ai pas parlé! (C'e8t vraí ! e'est


vrai t)
M. GAl\iBETTA. - Ou M. Ancel.
M. ANCEL. - Je n'ai pas dit un moto (On rit.)
M. GAi\IBETTA. - N'avez-vol1s pas dit : e'est un moyen ora-


toire?
M. GASLONDE. - Ce n'est pas moi!
l\I. AXCEL. - Ni moi.
M. LE VICOMTE DE CUl\IONT. - C'est moi qui l'ai dit, et je le


mainliens.
M. LEON GAMBETTA. "- Croyez bien, messieurs, qne ce n'est


pas une précaution oratoire, et que ce que je désire avant
tout, e'est de pouvoir poursuivre le développement de ma
pensée. Vous devez cOlllprencll'e que, dans un débat aussi com"




DISCOURS A L' ASSE"MBLÉE


pliqué;¡ dans une sitllation aussi faussée, j'ai assez de peine a
pouvoir, san s blesser personne, sans compromettre atlcune
esp~ce d'intérét, me maintenir dans les limites précises que
je me suis proposé de ne pas dépasser. Par conséquent, s'il
m'arrive qllelquefois de prononcer un mot qui puisse toucher
vos suseeptibilités, OU meme si, voyant un murmure se pro-
duire, et, comllle tout ~l l'heure, dégénérer en une interrup-
lion ... (Non! non! - C'est inexaet !)


Un mernbre au centre. - C'est agauche qu'on a inter-
rompu.


Iv1. LÉo:\ GAi\IBETTA. - Si vous voulez, agauche Oll a droite;
mais veuillez croire qu'il n'y a la, de ma part, aucune espóce
d'artif1ce de langage, et que c'est pllrement et simplernent
pour abréger. (Rumellrs en sens divers.)


Eh bien, je dis que ce n'est pas nOllS qui avons créé la situa-
tion actllelle; je dis que eette situation remonte an Message
lui-mérne. Et, aün de faire bien comprendre l'unilé de notre
conduite, je rappelais toqt á l'heure qu'a l'époque ou on
disculait iei la Charte Rivet, nous avons.repollssé les propnsi-
tions qúi étaiellt faites; nous avons voté contre le préambule
de b Constitn tion nivet, paree qn'il contenait, all bénéfiee de
l'Assemblée, l'attributintl du pOllvoir conslituant.


Aujourd'hui, ponr rester logiqlle~ avec ceUe premiere pro-
testatioll, 110US sommes obl igés de protest(~r de nOll vean et de
repo1l8ser l'exercice de ce ponvoir constituant qui a ét.é attri-
bué a l' Assemblée. Il se présente alljonrd'hui SOllS une ;Jutre
forme; on prétend ajollter un 1l011VeaU eha pitre, dellx chapi-
tres, trois chapitres a ce livre dont l\1~1. Vitet et Saitll-Marc-
Girardin avaient, pour ainsi dire, coupé les feuillets el écrit
les pre.mieres pages.


Nons disions, a eette époquc, que vous oe pouviez pas faire
une Constitlltion, et notre argument élait tiré de l'état des
partis dans l'Assemblée. Nous disions qu'il était impossible
d'abolltir a la constitutioll d'llll pOLlvoir organiqlle sérieux,
durable, accepté par le pays; qu'oo ne pOllvait pas faire la
lllOnarchie, paree qu'on n'avait pas Ull roi á meltre sur le




DISCOURS A I,'ASSEMBLÉE. 293
trCme, ni un peuple pour accepter ce roi; qu'on ne pouvait
pas faire la République, parce que vous n'aviez pas mandat de
l'organiser; ·et nons maintenions ainsi une parfaite égalité
entre nos prétentions respectives.


Ponrquoi l'état des partis que nous décrivions alors serait-il
changé aujourd'hui? S'est-il done passé dans l' Assemblée,
entre les partis,queIque chose de nouveau? Il s'est passé
dans le pays, a la vérilé, une certaine manifestation de la vo-
lonté nationale qui a donné rai80n a ceux qlli avaient tenu le
langage que je viens de rappeler 101's de l'établissement de la
Constitution Rivet.


Du coté du gouvernement, que s'est-iI produit? Un fail con-
sidér.abJe, important, qui a eu, il faut le reconnaitre, de tres-
vives sympaLhies dans le pays, c'est la déclaration du gouver:-
nement h l'occasion du Message, par laquelle il a dit qu'il
fallait organiser la République et lui donner ses principaux re5-
sorts d'acLion. Alurs, messieurs, il s'est produit dans le pay~
un fait tres-considérable : l'opinion, avec une tres "grande
énergie, avec une tres-grande force d'expansion, s'est préci-
pit¿e vers le pOl1voir et a donné, etl grande llHijorité, son
adhésion a la politiqllé présideutielle.


El vous, messieurs, qu'avez-volls fait? Vous avez nommé
une commission. L'un de vous a pris )'initiative d'une contre-
politiqlle du ~lessage; on a étl~ dans les bureaux, on a discuté,
et alljourd'hui on réclame la vérité sur la contrat interven u
entre ceLlX qui ne voulaient pas déclarer la RépubIique, orga-
niser la République, el au contraire, le pouvoir qui avait dit :
Il n'est que temps de l'organiser, san s perdre son temps a la
proclamer.


Eh bien, il n'est pas possible que ceux qui ne voulaient pas
dn lIIessage pl1issent voter un projet qui serait, au dire de
cerlains de ses partisans, la réalisation de la politique du Mes-
sage. Si cela e::;t vrai, il faut le dire, il faut le déclarer, iI faut
qll'il n'y ait pas I'ombre d'un nuage sur une pareille solu-
tían.


Car ce que la Franee réclame", ce n'est pas deux Chambres,




'294 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.
messieurs, e'est de savoir si on la mime a la République ou a
la monarehie! (Tres-bien I tres-bien! agauche.)


n° faut donc s'expliquer avee une parfaite netteté sur ce
point. Et je dis que tous ¡es partis dans I'Assemblée y sont
égaJement engagés; car ce serait faire une ceuvre fausse, chi-
mérique, condamnée d'avance et peut-étre qui ¡rait dir;ecte-
ment contre le but que tous vous vOlllez poursuivre, but de
paix sociale, d'apaisement potitique, si vons vous mettiez a
organiser un gouvernement sans dire d'abord quel sera son
nom, quelle sera sa direction. (Tres-bien! a gallche.) Eh bien!
on ne 1'a pas dit, ou plutót on l'a dil, mais dans les camps les
plus opposés, les plus divers, si bien qu'on n8 sait a quoi s'en
tenir. Et on VOllS apporte aujourd'hlli une ceuvre hybride,
ambigue, innommée, Ol! chaClln triomphe eL Ol! chacun se croit
pris, ceuvre qui, comme on l'a remarqué, semble une protec-
tion pour chaque parti en meme Lemps qu'elle leur apparait
comme une chausse-trappe et un piége.


Eh bien, messieur:" t:e que nous réclamons tous, ce que
nous venons solliciter de l' Assemblée, c'est que nous ne
passions pas a l'examen de ces articks sans avoir obtenu une
déclaration précise, complete, apres laquelle il n'y ait plus
aucune espece d'obscurité sur les inlentions du gouvernement.


Nous voulons savoir si la politique du Jlessage est maintenue
ou non; si ce sont des institntions réptlblicélines qlli dOlvcnt
etre fondées; si c'est enfin pOllr rép0ll(lrc ü cette acclamalion
de l'opinion publiquc qui a salué le Message qu'a travaillé la
commission des Trente. (Tres-bien! tres-bien 1 agauche.)


11 Y a autre chose dan s le débat; il Y a plus que la question
du Message, iI y a le:-, institutions memes que l'on veut faire
sortir du contrat, de I'engagernent passé entre le gOLlverne-
ment el ce qui a été tour a tour la majorité et la minorité df\
la cornmission des Trente.


Et, a ce propos~ veuillez ne pas perdre de vue combien iI
nous a été dimcile~ pour des homrnes aussi peu renseignés
sur les intentionsde la rnajorité que nou~ le sommes, de pou-
voir nous expliquer la fin des travaux de la commission,




DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.
Il Y a eu un moment OU on comprflnait tres-bien ses rap-


ports avec le gouvernement. C'était une hostilité, c'était une
aggre3sion, c'était un refus. Olli, il était clair qll'on repoussait
le Message, qu'on voulait ubtenir comme une répndiation du
~]essage et remettre sous le jllug dn pacte de Bordeaux le
gouvernement qui s'en était affranchi. Qn comprenait tres-
bien: nous désapprollviollS cetLe politiqne, nous la trouvions
mauvaise, dangereuse; nous disions qu'il fallait lutter contre
elle; mais enfin c'éUlit une politiqne claire.


Puis, tout a coup, sans qn'on puisse rencontrer dan s le rap-
port ríen qllÍ soit plus de uature ~l calmer les susceptibilités
des anciens amis qu'a désarmer la critique des adversaires,
de la brouille on passe a l'accord.


On s'entend, 011 contracte, tout est pour le mieux; on se
trouve a l'entrée de la terre promise, et ce sont précisémeut
ceux qui ne voulaient pas d'abord y pénétrer qui en devien-
nent pour ainsi dire les observateurs et les découvreurs. (Rires
et rumeurs diverses.)


Une voix a droile. - Les découvreul's? C'est un mot nou-
veau.


l\T. LÉo;\, GA)IBETTA. - Les ínventeurs, si VOLlS voulez.
Messieurs, vou~ devriez remarquer que ce qui me préoccupe


surtout quaml je suis ~l la tribune, c'est de me faire com-
pre.ndre. Je tache que ce but soit atteint, mais je n'ai pas la
prétention de parle~ un lang:lge toujours correct et soutenu.
(Mouvemellts divers.)


Eh bien, messieurs, je dis que l~l aussi, de ce coté encore,
il nous faut une explication, il faut que nous apprenions ...
(Chuchotements.) Je crois, messieurs, que ce que je dis est
sllffisamrnent clair; vous me répondrez plus académique-
ment, mais j'igllore si vous me répondrez plus netLement .


.M. LE DUC DE BnOGLIE, rap}Jorleur. - A qui parlez vous?
.~1. LÉo~ GA~lBETTA. - Je réponds a ceux qui m'interrom-


pent.
Plusieurs membres au banc de la commission. ~- Personne


ne vous a interrompu.




296 DlSCOURS A L' ASSlnIBLÉE.
M. LÉON GA~IBETTA. - J'entends toutes VOS observations.


Si vous n'interrompez pas assez haut pOllr que vos interrnp-
tions soient au Journal ofliciel, cellli qui est a la tribune a le
plaisir de vous entendre; c'est trop de parler ueux a la fois.


M. LE VICOMTE DE CU;UOXT. - Je déclare que personne
parmi les membres .de la commission ne vous a interrompu.


1\'1. LÉON GAl\IBETTA. - Si vous ne m'avez pas interrompu,
vous causez assez hant pour que tOlltes vos rétlexions vien-
nent jusqu'a moi. (Exclamations sur un certain nombre de
boncs.) Mais on pellt hien se taire!


Je comprends tres-bien qu'on échange avec son voisin ses
impressions. (NoLlvelles exelal1lé\tiotls.) Mais il ne faut pas que
cela se passe au ballc de la commission.


Plusieurs membres. - Mais on ne vous a pas interrompu !
M. LltON GAl\Il3ETTA. -- Je ne me suis pas plaillt ~l tort, je


tiens a le constater.
M. LE PRÉSIDE:\T. - 11 ne faut pas attacher il ces obse1'-


valions plus d'itllportance qu'elles n'en lliérilellt.
M. LÉON GAMBETTA. - Eh bien, je dis qu'il IlOllS fallt aussi,


sur le changetnent a vue qui est resLé jusqu'ici itlexpJiqué, ue
véri!ables juslifications ; car vous savez tOllS JI'>S Jll"uits ((ui
ont COllrll, vous savez avec queJle sollicituue, guelle avidité
passionnée le pulJlic a suivi l'reuvre des Trente. 11 a vOlllu
se rendre compte de tout, et aujol1rd'hui il e::it tout a rait
dérouté.


Or, iI est impossible de vouloir imposer il une Assemblée
une entreprise aussi considérable, gui peut avoir de pareilles
conséquences, sans la mettre au courant, de la fa<;on la plus
nelte, de tout ce qui a pu amener une telle et si inespérée
con version.


Les propositions qui vous sont soumises présentent, au poinl
de vue spécial oll je suis pIncé comme répllblicain, des ob-
jections bien plus graves encore. Et d'abord, messieurs, la
proposition de créer, el l'eugagelllenL une fuis pris de créel'.
]a création d'ulle seconde Chambre me para1t tout it fait inac-
ceptable.




DISCOURS A L' ASSEMBLÉE. 297
On nous présente la eréation d'une seconde Chambre comme


nécessaire, pourquoi faire? Pour etre, dit-on, une Chambre
de résistance, - le mot 8st ilaliqué dans le rapport comme
une CiUtlion, il est vrai que la cilation me parait Jégerement
incomplelt; - (Illterruptions sur quelques bancs); car on
avait dit: «Une Chambre de résistance aux entrainements
possibles d'llne premiere Assemblée. »


Éviuemment le mol ainsi reslitué n'a pas la rneme signi-
ücatinn que lorsqll'nn <.lit: « Ch;llnbre de résistance » san s
ajouter le complément auquel je fais allusion. Ces mots:
« ClJambre de résistance)) rappellent a s'y méprendre les
mots « gOllvernement de combat ». Eh bien, au fonu, il pour-
r:lit bien y avoir entre les deux époques Ol! ces deux ex-
presslons ont été inventées, entre ces deux 1110t8, entre eux
mémes, une véritable corrélation. Qui sait? pellt-etre a-t-on
obtenu du chef du pon voil' exécutif ou de ses ministres l' auto-
risation de substituer celte expression « Gouvernement de ré-
sistance» a celle de « Gouvernement de combat». Mais
encore la-dessus faut-il s'expliquer, et j'espere qu'on n'y
manquera pas.


Mais, en attendant, messieurs, nous républicains, cornment
pourrions-nous consentir a ce qu'on examinat méme la créa-
tion d'une seconde Chambre dite de résistance. De résistance
a quoi? la résistance a une Assemblée qui· sera souveraine
comme la nótre est souveraine, dont le pouvoir sera aussi
indivisible que celui que vous détenez actuellement? Mais,
messieurs, vous l'a vez vous-meme compris, quand un de nos
collegues vous a pro posé de faire fonctionner des a présent
la seconde Chambre, en la constituant d'une certaine maniere,
vous avez compris que le dépót de la souveraineté nationale
que vous aviez regu était indivisible, et que, dans ce pays tel
qu'il est constitué, tel que les révolutions successives l'ont
fait, tel que ses mreurs et son tempérament le font aujourd'hlli,
il est absolllment chimérique de chercher a composer une se-
conde Chambre.


Une telle Ch:lrnbre ne peut-étre le produit que de la combi-
17,




298 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.
naison la plus artifieielle. SOtIS prétexte de résister ü la loi uu
nombre, c'est-a-uire ü la souverainetl~ nalionale, on cherehe
a orgauiser un frein, un moyen de résistance; en réalité, OIl
organisel'ait uue cause perpétuelle de con l1it l on créerait une
cause d'excitatiotl constante, et vous donneriez curriere a ces
violences de langage contre les inégalités ou contre les con-
ditions supérieures que vous vOlllcz éviLcr dans la politiqueo


C'est en créant une seconde Chambre que vous donll8z, ponr
ainsi dire, une cible et un but aux passions populaires.


Dan::; ce pays-ci, ou iI n'y a plus de trace u'une aristoeratie
héréditaire, ou iI n'y a plus de trace d'une constitution ditIé-
rente de la propriété, 011, dans la constitution de la famille, il
n'y a pllls d'ainés, de majorats, de substitutions, tOlltes ces
choses ayant disparu, VOllS voulez pre[]dre, au milieu de ci-
toyens qui ne se distinguent ni par des priviléges de naissance,
ni par des priviléges de situation, une collection d'hommes en
état d'exercer sur ceUe masse du snffrage universel un pouvoir
de résistance, un frein ! (Tres-bien !)


Non, messieurs, e'est une chimere. On l'a essayé dans ce
pays, et l'h1stoire des secondes Chambres, sauf peut-étre pen-
dant quelques années de la premiere restauration, paree qu'il
restait encore alors queiques deseendants ou qllelques repr'é-
sentants de rancien esprit monarchiq1l8, eelte histoire a tout
point est lamentable. Qnoi de plus déplorable que l'histoire
des Aoeiens, du premier Sénat de l'empire ? Je ne parle pas du
second; 00 l'avait oublié dans la toucmcnte du ~ Septembre.
(Mouvemenls divers).


M. HAENTJENS. - On n'a pas oublié M. Bonjean. (Excla--
mations agauche.)


M. GAMBETTA. - Si vous voulez que je vous dise ma pensée
sur M. Bonjean, je vous répnndrai que e'était eertainement,
daos le Sénat, l'hotnll1e qui avaiL té plus de eCBnr el ll'indé-
pendanee; on pellt Jire qu'il y brillait CülIlllle une perle iso¡t~e.
(Interruptiuns di verses a droite.)


Un membre aLt baile de lit COlHllússúm. - Aussi il a (:!t:
vietime'!




DlSCOTTRS A L' ASSEMRLÉE. :299
Un rnembre lb droite. - C'est pour cela qu'on l'a assassiné !
M. CHARLES ARBATUCCI. - Ce n'est qu'une phrase, et d'ail-


leurs vos électeurs l'ont tué !
M. LÉON GAl\lBETTA. - Messieurs~ j'ai eu l'occasion déja une


fois a cette tribune, a propos du meme nom et de h meme
personne, que j'avais }'honneur de connaitre~ de protester
contre J 'indigne assassinat dont il avait été victimA. Il parait
que vous avez la mémoire conrte. Du reste, ce n'est pas
r::J re chez les bonapartistes. (Rires et applaudissements a
ganche.)


M. CHARLES AmUTUCCI. - Nous n'avons pas oubJié votre
dictature, dont les conséquences peseront longtemps sur notre
pays. (BruiL)


M. LE BAHON ESCIIASSÉHIAUX. ~ Ni votre décret d'exclusion
de leurs candidats.


M. HAENTJENS. - Lorsque l'enql1ete du 4 septembre sera
publiée, vous verrez que nous n' oublions pas !


M. LE PH~:SIDEXT. - Veuillez ne pas interrompre. Vous
voyez que c'est bien inutile et que cela ne produit pas de bons
résultats. (Hilarité.)


M. GAJ\1BETTA. - Messieurs, nous disions qu'a aucnn degré
nOl1S ne saurions nous associer ü la création d'llne seconde
Chambre, qui ne peut s'expliquer, permettez-rnoi de vous le
dire, que par de tres-mauvais desseins contre le suffrage
universel.


En effet, pourquoi faire une seconde Chambre? Vous con-
sulterez un jour le prlys, VOl1S prouuirez, - et ce sera votre
droit, - vous prouuirez les uns et les autrcs vos professions
de foi, monarciliqlles ou f(~pLlblicaiLles. Vous coo;~ulterez le
pays, non pas par voie de plébiscile ou d'appel au peuple,
Hloyen jugé) expérimenlé, d l'oH peut dire cruellernent
(~prouvé par la France, mais par le véritable moyen de COtl-
sulter la nation, par le malluat de député, par le contral entre
rélecteur et l'élll. Et lorsque le pays allra répondu, lorsqu'il
aura cr~é une Asselllblée aussi souveraine que la v6tre, vous
vouiel que ceHe Assernblée pllisse rencontrer devant elle une




300 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.
autre Assemblée, antérieure, supérieure, investi~ avant elle
du droit de réviser ses décisions; de refoire ses lois, et peut-
étre, car on va encore plus loin, du droit de la dissoudrc.
C'est-a-dire que ce que vous n'avez pas VOUlll pour vous, ce
que ,'OllS a vez eu raison de repousser, ce que VOllS ne COll-
sentiriez jamais El faire, vous le décidez p~r avance pOllr des
él11S que vous ne connaissez pas, dont vous ferez peut-etre
partie. Coutre qlli prenez -vous vos préclllllions? contre la
France! (Assentiment a gaucha) contre la démocratie, contre
le sufTrage uni versel !


Eh bien, je le dis hautement, il peut y avoir dans eette en-
ceinte des gens qui agissent logiquement, eonformément a
leur conscience, eonformément a leurs traditions, en préparant
une seconde Chambre, en voulant mutiler le suffrage uni-
versel. Ceux-la, héritiel's ou représentants d'un passé qui a
la haine, l'horreur de la démocratie, ils sont conséquents avec
eux-memes.


Mais il en est, au eontraire, qui ne 80nt rien que par le
peuple ou pour le peuple ... (Rumeurs et interruptions El droite.
- Tres-bien! tres-bien! et applaudissements agauche), qui
sortent du suffrage universel, qui doivent le défendre, qlli
doivent en empécher la moindre lllutilation, paree qll'Otl ne
comprend, pas la démocratie sans le suffrage universel, paree
qu'on ne comprend pas la République san~ le suffrage ulli-
versel : ce sont deux termes indivisiblement liés l'lln a I'autre,
et livrer le suffrage universeJ, c'est livrer la République.
(Tres-bien! tres-bien! agauche.)


J'ai bien le droit de di re que convier les républicains a une
pareille entreprise et El une pareille reuvre, ce n'est eertaine-
ment pas préparer la paix politique ni la paix sociale : c'est
courir au devant des catastrophes. (Marques d'assentiment a
gauche.)


Et puis vous n'étes plus libres, j'ai bien le droit de le dire,
Messieurs de la droite, qui représentez la monarchie a tOI1:3,
degrés, légitime ou constitutionnelle ...


Ptusieurs membres j¿ droitf.. - C'est la ineme chose.




DlSCOURS A L'ASSEi\IBLÉE. 301
~1. LE MARQUIS DE DAMPIERRE. - La monarchíe légitime esl


en ~néme lemps constitutionnelle.
}.l. GAi\IBETTA. - Ce. n'est certainement pas pour blesser les


COll\'Ícliuns de pefSOtlne que j'emploie un langage qui est
connu et accepLé. C'e~t une formule faite. On distingue tous
les joufS la motlnrchie constitutionnelle de la monarchie légi-
time ... (Vives protestntions a droite.)


jI. DE LA HOCHEFOUCAULD, DUC DE DlSACCIA. - Nous avons
le druit de dire qu'elles n'en font qu'une. (Mouvements di-
vers.)


M. LÉON GAMBETTA. - Vous vous mettrez d'accord la-des-
sus, c'est votre affaire et non la mitmne; vous discutefez~
vous vous entendrez, je vous le souhaite; seulement, plus
vous faites d'efforts pour atteíndre ce but, plus vous vous en
!'>loignez.


11 est vrai que vous rencontrez des résistances qui peuvent
annoncer la fin de votre partí, mais flui, au moins, donnent a·
eette fin une grandeur que d'autres peuvent luí envier. (Assen-
timetlt agauche. - Exclamations ironiques a droite et au
centre. )


Je dis que vous pouvez, en effet, aujourd'hui, si cela vous
plait, si vous croyez que cela est profitabJe a vos intéréts, si
vous avez confiance, vous pouvez voter le principe des deux
Chambres, paree que, dans votfe passé, dans votre condllite,
dans vos príncipes, il n'y a rien qui y soit profondément op-
posé. Mais nous, qui avons, a plusieurs reprises, contesté a
cette Assemblée ... (Interruptions a droite.)


OUÍ, je le sais, nous avons été la minorité et nous reste-
rons la minorité jusqu'a ce que le pays nous fasse majoríté et
llOUS ne demandons, - qUOl qu'on en dise iei et au dehors,-
pour devenir cette majorité, que les armes légales de la dis-
cussion et de la persuasion. (Tres-bien! agauche.)


Et c'est parce que nous sommes parfaitement convaincus
que l'opinion est invincible et que nous n'avons absolument
rien a redouter de ses libres manifestations, que nou~ ne vou-
10ns pas d'une R{~publique de surprise, d'une République




802 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.


d'ambigu'ité Oil d'équivoque et yue nous sanrons attendre que
le pays la fasse telle qu'il la veut, c'est-~l-dire progressive et
libérale.


Eh bien, je dis que nous sommes engagés et nous ;)vons, a
plLlsieurs reprises, des l'origine de l' Assemblée, protesté contre
ses prétentions au pOllvoir constituant; et alljollrd'hui nous
lui reconnaitrions ce pouvoir?


Comment, a partir du 2 juiI1et 1871, il n'est pas entré un
républicain dans cette enceinte qui n'y ait été envoyé pour y
exprimer l'opinion de ses commettants; or, l'opinion ue ses
commettants républicains a toujours été de réclamer de vous
la dissoIution comme moyen poli tique, et non pas l'organisil-
tion déS pouvoirs pubIics. Et ces républicains le savent bien,
et la preuve qu'ils le savet)t, c'est que, lorsqu'on a discuté la
Constitution Rivet, ils ont voté contee le préambule.


lIs sont donc liés par cette politique, ils sont liés par ces
principes, par ces actes, ils son t liés par le vote de la Cons-
titution Ri vet, liés par le manifeste qll'ils ont signé a l'heure
des vaeances, dan s lequel ils déclaraient que l' Assemblée
actuelle ne possédait pas le pouvoir constituant 8t qu'il n'y
avait plus qll'une résolution a prendre, la dissolution l qu'ib
ont poursuivie par le vote du 14 novembre, par leur signature
apposée au bas du manifeste au dehors de ceLte Assemblée et
par leur voLe dans eeLte enceinle.


Et alljourd'hui~ nous pourrions consentir a changer toute
notre conduite, a désavouer tous nos actes! Par quelle grace
d'État? On nOLlS a done promis quelque chose? II s'est dunc
accompli dans le parlement, ou dans les régions du pOLlvoir
que!que chose de tellement inespéré, de tellement heureux,
.qu'on a pll, ne tenant plus compte ni du vote du 31 aout 1871,
ni des élections l'épétées, ni de la volonté cJairement mani-
festée des commetLants contre la proIongation des pouvoirs de
l' Assemblée, fonIer aux pieds tout cela, recOlmaltre le droit
qll 'elle a en l1on-seui6metJ t de consti tuer le pou voir exécll tir,
mais encore de créer l'organism8 de l'l~tat tout entier, sans
meme qu'Otl veuille consentir a déclrtl'er qun h~ pOllvoi,. cnnsti-




DISCOTJRS A L' A~SEMBLÉE. 303
tuant de l' Assemblée sera épuisé apf(~s qu'íl en aura été fait
Ulle pareille application; car il y a ceci de merveilleux dans la
loí, a laquelle on nOllS convie ; on constitlle, cela n'est pas dou-
teux, car, passez en reVlle ce qu'on a fait: on organise le po u-
voir exécutif, Sil durée, on dit s'il y aura une Chambre ou deux
Chambres, comment ces Chambres seront nommées, on établit
le régime électoral d'nn pays.


Or, toules ces choses, vous le::5 dite::;, vous faites tout ce que .
comporte une COllstitnlÍon dans tous les pay3 du monde; et
quand cela est fait, vous di tes : Le pouvoir constituant ll'est
pas enlamé.


l\Iessieurs, le pays ne peut comprendre ces choses; pou!'
moj, je sllis absolumeut incapable de pénétrer ces subtilités,
ces finesses, et je cOllnais un axiome de droit qui domine aussi
bien les contrats poli tiques que les contrats civils; vous ne
pOllvet pas constitaer et retenir le pouvoir constituant.


Si vous constituez, votre pouvoir constituanl est épuisé;
vous ne pouvez donller et reten ir: « Donner et retenir ne
vaut. » C'est une maxime gauloise qlli a traversé l'ancienne
monarchie, qlli doit s'appliquer sous la Hépublique. (Tres-
bien! ü gallche !)


Non, VOllS ne le pouvez pas; c'est Ulle contradiction fla-
grante, et ce préambllle, qui est la, qu'on a eLl tort de main-
tfmir, il est l'explicatioll, il est la véritablc glose qui dor\ne le
sens dt~ toutes ces habildés, de tOllS ces stratag"emes que con-
tiennent le rapport el le proJet de loi qui l'accompague.


La permanence, la survivance dll pOLlvoir constituant ga-
ranties aLl frontispice de ce projet de loi, mises au-dessus de
toules les applications que vons pOllvez en faire, !Dais cela veut
dire que l'reuvre a laqllelle on se livre n'a aucune valeur, au-
cune consislance, qu'elle esl éphérnere, qu'elle est, pour aHlsi
elire, une surte de Illoyen a ¡'aide duquel 011 gOllvernera au
jour le jour, ü l'aide duquel 011 préparera plus Oll IIlnins bien
Ja disparition de cette AS'iemblée, a l'aide duquel on fera les
t~lcctiollS. (Tres-bien! tres-bil~ll! ü gauche.)


EiJ biell, nons, nous ne croyolls pas pouvoir nons préter ü de




304 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE.
semblables accommoctements, la question !le se pose pas pOlI!'
nous de savoir qui fera les électiotl:-i. NüLlS n'avons qu'une
question a poser, c'est de savoir qUolld on [era les élection::-.
(Tres-bien ¡ agauche.)


Nous vous avom: dit, dans d'autres circonstances, pourqlIoi,
sous l'influence de quel principe, Je qllelle idée dominante
nOlls uemandions la di::-;sol~IliOll. La principale, c'esl qn'il nous


• semblait itllpo~sible qur, tbllS l'éiat acLlte! oll se trollvellt les
partís, illút véritablelllent prllticable et u'une oOllne poli tique,
conforme aux intéréts générallx du pays, de faire autre chose
que de régler le méllage de la natioll el de se retirer.


Vous ne l'avez pas pensé; vous nous avez donné tort.. Eh
bien, nOllS nous sommes résignés; le pays continue de réc!a-
mer la dissolution. (Mouvements et dénégations a droile et au
centre.)


M. DUSSAUSSOY. - Cela n'est pas vrai!
Un me?nbte. - Combien de sigllatures ?
M. MILLAUD. - Lisez l'O(ficiel ; nous déposons des pétitions


tous les jours.
. M. GAMBETTA. - M. Dussaussoy me fait l'honneur de m'in-
terrompre et de me dire : « Cela n'est pas vrai ! »


l\f. DUSSAUSSOY. - Non, cela n'est pas vrai! C'est une opi-
nioo, voila tout !


M. GAl\IBETTA. - Permettez-moi ele vous dire que rien n'est
plus vrai, et que vous en avez la preuve so u:; les )'eux tous les
jours ... (Interruptions.)


Permettez; c'est l'énonciation d'un fait; si j'ai tort, vous me
confondrez, et si j'ai raison, malgré vos dénégations, laissez-
moi l'établir.


Je dis que vous avez sous les yeux des prellves que le pays
ne cesse pas de demander la dissolution. Tou:-i les jours, le JOUT-
nal o(fitJiel contient une série de pétitions qui réclament la dig-
solmion. (Bruit. - LaisseZ dire 1)


Messieurs, j'irai jusqll'all bout, n'ayez aucnoe inquiétude.
Vous etes-vous donné la peine de faire la récapitulation ele


ces pétitions? Savez-vous que VOllS avez deux commissions de




DlSCOURS A L'ASSEMBLÉE. 305
pétitions dont chaql1e membre a pour sa part entre lo e
20,000 signatures a dépolliller,


M. TARGEr. - Au 15 février, iI y en avait 83~OOO, d'apres
les additions faites sur le Journal officiel. (Ah! ah!)


M. LÉON GAMBErrA. - Monsieur Target, vous m'inter-
rom pez pour me dire qll'au 10 février iI y en avait S3,000. Eh
bien, je vous interromps pOllr vous dire, moi, que M. Millaud,
qui est la, député de Lyon, pour son compte personnel, a la
date du 15 février, en avait dé posé ou re<;u 130,000.


M. TARGEr. - Ce n'est pas an JOLlrnal o/Jiciel.
M. LÉON GA~IBETrA. - Je dis, messieurs, et vous vérifierez


mon dire, qu'a l'heure qu'il est, il y a trente membres dan s
eette Assemblée qui 80nt chargés de dépouiller, chaeun pour
son compte personnel, 15,000 a ~20,,000 signatures; faites le
compte, et dites-nous si nous SOIllmes loin du million, c'est-
a-dire qu'a l'heure qu"il eS,t, vous avez dans vos eartons plm;
de 500,000 signatures, et que nous SOll1mes en mesure ... (Dé-
négations sur divers banes.) oui, ouí, e'est un faít, et que
nOllS sornmes en mesure de vous en apporter autant, ear nous
les avons.


Par conséquent, rien n'cst plus euntraire a la vérité quP. de
dire que le pays 11e réc1ame pas la dissolution. (Interruptions
á dmite.)


Au eontraire, on peut dire que e'e.::.t précísément en face
des résistances de l' Assemblée, de son impuissance et des
ceuvres comrne eelle qu'elle tente aujourd'hui que la dissolu-
tion est tIe plus en plus a l'ord1'e du jonr dans le pays. (Nou-
velles dénégations 11 droite.)


Je sais bien qu'iI me sera parfaitement impossible d'avoír
votre adhésion sur une aussi irritante matiere; seulement, je
tenais a rétabJir les faits, el comme daqs les discours que vous
a yez entendus hier 011 a répété plusiellrs fois que la eamp'agne
de d.issolution ~ vait avorté, je tenais, au eontraire, a vous faire
YO ir que la « campagne dissolutioIluiste, )) comme vous
disiez ... (Bifes sur divers banes.)


1"/1. membre ü droite, -- Le mot est exeellent!




306 DISCOURS A r: ASSEMBLÉE,
M. LÉON GAMBETTA. - Je ne dis pas que le mot ne soit


pas excellent, je le reprends, - « que la camp<lgne dissolll-
tionniste, » contre laquelle vous avez déchalné votre majo-
rité ... (Oh! oh!) et provoqué l'éloquence de ~I. le garde des
sceaux, que ce mouvement clisso]lIlionniste ne s'est pas ;-¡rrdé¡
qu'il cOlltinue, et qu'uo jonr vielldra oü vous en tiendrez
compte vous-memos, plus tat que vous ne pensez. (Ah! ah!
a droite.)


Dans lous les cas, ce qui importe, c'est de rétablir l'argll-
ment que je faisaís valoir tout :1 l'heme, a savoir que ceux qlli
se sont associés a ce mouvemen t ue dissolution 11e peu vent
pas, aujourd'hui, reconnaItre la compétellce et la capacité de
l'Assemhlée ponr organiscr deux Chambres, et c'est la tout
l'intéret de cette démonstration ü laquelle je me suis livré an
milieu de vos murmures. (Oh! oh!)


Maintenant, on peut allcr pius loin et se demander com-
ment ce projet, qui ne contente ni le:; parti~·;ans de la monar-
chie, ni les pttrlisans de la Répuhliqlle, peut cependant prendre
corps, vivre, se présenler dans cette Assemblée et etre a pen
pres assuré du succes. Il faul cep(~ndatlt qu'il se rasse au prollt
de quelqu'un. Je crois qu'en y regardant de bien pri)s, en
voyant quel est le Ilombre; la qllalité des personnes quí pro-
tegent le projet, qui en sont les tulellrs, les aulenrs, on pOllr-
rait trouver les bénéüciaire.s de cette combinaisoll pulitique,
oui, les bénéficiaires de la situatiol1 poJitiquu qui sortira pré-
cisément de la votatioll dn projet, votalioll qni me parait as-
surée, puisqu'il y a, pOLlr ainsi dire, une sorla de consente-
ment résigné entre les hommes qui représenlent des principes
parfaitement opposés a ce contrat, a le subir.


Par conséqllent, ii triomphera. les attaques que je dirige
contre lui sont a pen pres platoniques; elles ne peuvent dé-
ranger en fien absolument les sa vantes . combinaisons de la
commission des Trente; c'est purernent et silllplement pOlI!'
la satisfaction de nos principes, pour J'accomplissemellt ue
notre mandat que je viens exposer en toute loyallté les scru-
pules, les craintes, les défiances qu' inspire U!le pa reille (B1I 'vT8.




DlSCOURS A L'ASSEmtLÉE. 30i
Au nombre de ces craiotes, de ces défiances, ce qui nons


apparait, c'est qll'il pourrait parfaitement se faire que eet état
n'étant ni la 1l10narchie ni la République, et soutenu 11 la fois
par les plus tiedes d'entre les tiedes, qui sont sur la frontiere
de Pune ou de ]'autre de ces institutions·, ce füt. .. une sorte de
gouvernement slli generis qlli serait un gOllvernement de per-
sonue et nOtl pas un régime nalional... (Mouvements divers.)
a l'aide duquel cm dllrerait, OIl vivrait, on traverserait le
temps. On met, on cache SOLlS eles appareuees de grand esprit
de conciliation et d'apaisement, paree qu'on ne veLlt pas aller
droit au príncipe, cet l~norme besoin d'équivoque.


Eh bien nous, messieur~. llOUS ne pouvons pas nons y preter.
Que voulez-volls 1 NOllS somm8S tenllS par nos sOLlvenirs! Je
ne di" pas cela pOllr ériger en dogme la suspicion; non, je
erois t.res-volontiers aux conversions, je erois parfaitement
qu'ü y a des monardl:stes qui se disent: « La monarchie
ll'est pOillt possible tOllt de suite 0\.. elle ne sera possible que
uaos quelques lllstres\ alors que nou~-memes nous en aurons
accLHuulé beaucoup trop sur nos tetes, » (Snurires agauche.)
Et on Se décide ~t faire les affaires de SOll pa ys, un entre dans
une Constítution qui n'est pas assez républieaine pour effa-
rOtlChe(lln récent passé monarehique ; on se prete a la eom-
binaisoll, on aide la Hépllbliqu8 qU'Oll él appelée cOllservatrice ...


M. LE emITE DE lLulPO~. - C'est la DOlllle.
M. LÉON GA~1BETT~. - le n'ai rien a Jire conlre le mol ni


t::ontre les personnes qui entrent dans cette eomhÍllaison.
Je ne eomprenurais pas un régime qlli se ferait sans con ser-


vateurs; mais il ne faut pas qu'il se f;¡sse exelusi vemeot avec
des conservateurs, et surtout des conservateurs d'une certaine
cat(~gorie. Nons eomprenons la Hépublique autrement.


l'Ious ne vous en VOUIOllS pas~ nous ne vous en vouurons
jaulélis ele nOlls appeler des républicains radicaux, des répu-
blieains de la veille, des répnLlieains entiers ! ... ,Rires bruyants
el prolongés.)


fII, GA~lllETTA. -.le ne veux pas rechereher dans une dif-
fl~rellce de tempérllment. .. (Nouveaux rires.) l'explication tIe




308 DISCOURS A L' ASSEl\IBLÉE.


cette hilarité. L' Assemblée est sOllveraine, elle peut se per-
mettre toutes les allusions ... (Oh! oh!)


M. CLAPIER. - Passez sur cet incident.
M. LÉON GAI\1BETTA. - le disais que nous él vions un tres-


grand respect pour la sincériLé de nos collegnes qui se rallient
a la Répllbliqlle conservatrice. Selllement, llOUS sommes bien
obligés de déclarer, non pas par esprit d'exclusion, non pas
paree que nous SOl1lmes obsédés d'une tradition qll'OIl appelle
la tradition jacobine, et quí a pour principal caraetere d'exer-
cer le soupc;on, la défiance, le détligremeut, sur eellX qui ne
lui ont pas tüujours appartenu ; en auellne maniere; G'est p;;trce
que la dissidenee porte plus hallt, e'est paree IlOllS ne pOllVOllS
pas cotllprendre ce que c'est que l'organisatioll d'une Répu-
blique qui n'a d'autre progl'al1ltlle « que de refouler la llél1lo-·
cratie », qui ne eOlllprend d'autres institutions que des institu-
tions monarehiques, qui ne veut pas faire a ¡'esprit vraiment
républicain les coneessions sans lesque) les r.et te HépuDlique
n'est purel1lent et simplement qu'nne mise en ceuvre J.es abus
du passé; c'est ponr cela que nous sommes obligés de déclarer
que nous ne vouJ.rions pas J.'ulle Hépublique 8n dellOr:..: préeisé-
ment de cette souveraineté dn sllffl'age universel que vous
avez appeléc bien dédaignellsemeLlt la souveraineté, la brllta-
lité du nombre et que vous cOllsiJ.érez presque comme une
abjecte tyrannie.


Eh bien, derriere toutes ces Illenaces, tons ces gros mots de
grand seignenr a l'adresse J.Ll sulTrage universel, nous qui
n'équivoqLlons pas, et qni sommes pOLlr le sulTrage universel
dans son uuiversalité, nous nous sentons touchés~ blessés, et
nous vous disons : Si c'est la République conservatriec, ce ne
sera pas la RépLlblique. (A gauche : Tres bien! tres bien! -
MOllvements divers.)
l~OUS voulons la République avec ses libertés, c'est-it-dire ses·


droils primordiaux, de presse, de réunion, J.'a:isociation, mis
all-desslls des lois elles-memes... (Exclarnations en face et a
droite de l'oraleur.)


En qnoi, messienl's, une pareille déclaration pourrait-fllle




DISCOIJ!lS A L'ASSEMBLÉE. 309
vous alarmer'? Si In Répllblique existait, si elle était aux mains
des républicains, vous anriez tous un intéret primordial a ce
que ces droits fussent plaeés an-dessus des atteintes du légis-
lateur, a ce qu'ils fllssent placés dans une sphere inaceessible
aux entrepriscs des assemblées et des pouvoirs exécutifs ...
(Mouvements divers.)


M. DE LA BORDEIUE. - Et surtout au-dessLls des entreprises
des dictatelll's !


:\1. LÉo~ GA~IBETTA. -- Il est absolument impossible de dis-
cuter dan s ees conditions-Ia! (Parlez! parlez 1)


Pour¡ nOllS, dis-je, la République ne doit pas et ne peut pas
etre un leurre .•.


Un fnembre. - C'est la tbéorie du droit divin de la Répu-
blique!


M. Llto~ GAl\IBETTA •. - Ce n'est pas le droit divin de la Ré-
publique. - comme 011 me dit, c'est la mise en action meme
de la dignité et de la raison humaine!... (Interruplions a
droite.) C'est évident, car qu'est-ee qui fait la supériorité de
l'hornme, qu'est-ce qui fait sa dignilé, si ce n'est pas précisé-
ment que, dans la société, il ne puisse étre dépouillé, il ne
puisse étre di minué de sa somme de souverailleté et d'i.ndé-
pendance que dans la mesure précise que comporte l'intéret
général? (Ah !ah 1 voila.)


M. DE LA BOHDERLE. - Ce n'est pas le privilége de ]a HéjJu-·
blique.


M. LÉON G.UIllETTA. - Eh bien alors, pourquoi venir par-
ler de tbéorie de droit divin? Vous savez bien que e'est la un
mot qlli n'a aueune cspece de relation, de rapport avec nos
doctrines, avec nos priucipes, avec nos idées. Qu'il yait des
hommes qui honorent ce droit divin, c'est tres-bien. et je
comprends ces traditions. Mais pourquoi nous adresser ce mot
comme une injure, pourquoi nous faire eette injustice, lorsque,
courtoisement, dans toutes les questions, nous disons que nous
ne voulons, que nous n'attendons rien que du consentement
national,. et que c'est pour cela que nous sommes les défen-
seurs résollls dll suffrage universel qlli en est l'expression.




3,10 DISCOURS A L ~ASSEl\mLÉE.
(NotlveHes interruptions a droitc. - Approhation agauche.)


l\lessieurs, VOS interruptions m'éloigllent de cette descrip-
tion, que je vous faisais, des parrains et des bénéficiaires de
rCBuvre des Trente, et eependant. c'était la pré,:isément que je
tenais a arriver, paree que c'est dans le dénombrement des
personnes~ des hommes qui s'accommodent le plus aisément
de l'CBuvre des Trente, que se trouvent pour nous les princi-
pales raisons de défirmee.


J e comprends, messieurs, qu'on ait un principe rigoureux,
qu'on soit pour la monarehie, sans transJction, ou pour la
République radicale et loyale, mals je ne eomprendrais pas
qu'on s'aeeommoJát, en se réservant d'amener un jom, sinon
la monarchie, du llloins une sorle de mOllarchie qlli n'aurait
pas l'investiture, le prestige, les grandellrs de la l11onarchie)
mais qui en merne temps ll'al1rait pas rélec'ivité p(~riodiqlle
du pouvoir présidentiel, qLli ressemblcrait il une république
entre les maills d'un grand pensíonnaire a vie ou d'un sta-
thouder ... de race princiere. (Mollvements divers.) .


Ce n' est pas, messieurs, ponr le chef aetuel de l'État que je
parle; mes prévisions vont au del a de la sitllation actuelle, et
je erais que sans témérité je puis les apporter a cette tribune,
paree qu'elles sont au fond de vos conseiences, au fond de la
consciencc de nombre de braves gens qLli, tous les jours, ont
eette inqlliétude et qui clJerchellt, avec la plus grande patiencc,
avec la meineure boune foi, il appuyer les combinaisons gOll-
vernementales, mais qlli le fout avcc crainte et qui, ~ pour
emprunter une p~lrol~ forte el :.;agace, la parale d"un homme
dont vous n'avez jamais contesté lli la prévoyance, ni la sagesse,
ni la modération, dll présiJent répubJicain que nons avons
l'honneur d'avoir il notre telO, - qui ne veulent etre ni
« dupes ni compliees )}.


Eh bien, messieurs, c'est pour n'etre ni complices ni dupes
d'une sor te de combinaison qui, sallS etre la monarcllie, ne
serait pas non plus la HéplIblique, que, nons, 110US ne vOlllon~
pas nous associer a l'CCil He que vous l!lltrepreU8Z. l\oús ne
voulons pas UOLlS ct1ga~er dalls celle série de déUlés qu'on




j ,
DISCOURS A L ASSEMBLEE. 311


1W'.lS ouvre aujounl'hlli et (In 10ut de laquelle il ne peut y
avoir qu'nne grande déception pour le parti républicain. Voila
pourquoi ni áu point de vue des principes, ni au point de vue
ete nos actes, ni au point de vue de la souvernineté nationale,
que vous ne pou vez pas, pour ainsi dire, confisquer par avance,
nous refusons de nous preter a aueune des dispositions qui
vous sont soumises par la eommission des Trente.


le crois, en effet, messieurs, que ron nous eonvie a eom-
mettre une tres-grande faute, ear ~i cette Assemblée, qui voit
venir la libération dn territoire) legue, apres elle, i1 la France
un pouvoir qlli lui ressemble , c'est-a-dire nne représenlation
nationale dans laqucdle il y aura égalemellc des mona!'chistes
ré~oJlIs) des rúpnbJieaills inflexibles, pllis ces esprits illtermé-
diaires, oscillant, h(~sitant, Umt6t se portant d'un cóté~ tant6t
se portanl de l'autre, qu'est-ce qu'on aura fait pour rordre
pllhlic, qu'est-ce qll'on aura fait ponr la stabililé de nos insti-
lutlons? Je suppose ({lle, dans six mois, cIans Ull an, ces cIen:\.
Assemblées nouvelles soient en fonetions : I'une, sortie clu
suffrage universel, imbue de la volonté nationa1e, portée, si
vous voulez, aux réformes, les voulant, eroyatlt qLl'il ya asscz
longtemps qu'on les ajournc et qLl'on les retarde, - elle a
tort ou elle;} raison, je ne me place pas ü ce point de vue) -
imprégnée de l'opinion publique, ,\rdente, cIécidée a agir et a
faire; l'alltre, évidemment rivale, puisqu'elle aura été créée
a \ant la premiere pour la eombattre, pour lui résister; la
guerre va éclater LOllt d'auord. Commetlt se traduira eette
gllerre? Elle se traduira eomme se traduisent ici nos dissenti-
ments : par l'impuissance, par la provocation, par l'équi-
voque. La Chambre basse sera républicaine; la Chambre
haute sera monarchique, et on opposera ainsi les partis les
uns allX autres.


Ce qu'on vous propose d'organiser, c'est donc toujours le
provisoire, c'est-a-dire l'énervement, J'anémie a perpétuité.
(Approbation sur divers banes ü cIroite et ii gauche.)


Eh bien, je croi:-i, sallS aller an deJa, sans chercher si ces
rivalités et ces conllits resteront enfermés dans le cercle par-




DISCOURS A L' ASSE~lBL~E.
lementaire , - je ne veux pas, messieurs, VOUS attrister par
des prévisions trop lugubres, - je erois , et il est bien permis
de le supposer, que, dan s un pays aussi difficile, aussi mobile,
aussi frémissant que le nutre, il n'est pellt-étre pas bien sage
de dire a ce pays, avant de l'avoir consulté, avantde lui avoir
lai::;sé librement choisir ses élus, il n'est peut-étre pas bien
8age de lui dire : Nous t'avons nommé un geólier par avance.
(Mouvements en sen s divers.)


Je déclare que c'est la une provocation témeraire , et que
vous auriez bien tort, messieurs, de penser que I'on peut im-
punément adresser de pareilles provocations au" ~ntiment
publico


Messieurs, en somme, pourquoi IllUnns ·nous?
Lesrésistances que nous faisons au projet de la commissiün


des Trente ne sont pas seulement dictées par 1 'amour de notre
parti.


Il me parait, messieurs, que, bien que nous ayons un grand
intérét a voir rejeter les propositions ql1i vous sont soumíses,
nous ne sommes pas les seuls a avoir cet intérét, et que C":'lIX
qui, dan s cette enceinte, ont souci de la défense ,de la pro-
tection des intéréts propres de leur parti, peuvent, sans rc-
douter <;es reprüches de coalition ... (Interruptions sur quel-
ques bancs.) Eh oui! il faut tout dire! (Oui! oui! a droite. --
Parlez! parlez !)


Je reprends et j'ajoute qu'il y aurait une fausse habileté a
déguiser nos sentiments, a ne pas dire tres-hautement que
nous trouvons l'expédient constitutionnel qU'Oll vous propose
aujourd'hui mauvais pour tous, pour vous, monarc.hisLes ,
comme pour nons, républicains; oui il y aurait une fausse 11a-
bileté El ne pas reconnaitre que, sans abaisser ni les uns ni les
autres la dignité et l'indépendance de nos principes, nous
pOllvons parfaitement nous rencontrer d'accord dan s le vote~
nous pOUVOllS repousser, les uns et les aulre~), SOllS l'influence
de nos principes respeclifs le projet quí llOUS est présenté.


M. LE BARON CRA URAND et plusieurs attlres menlbres a droile.
- C'est vrai!




DISCOURS A L'ASSE~lBLÉE. :313
M. DE GAVARDlE. - Pas de eomparaison I (Exclamations di-


verses. )
M. LÉON GAMBETTA. - 1\1. de Gavardie m'interrompt pour


lile dire ... (Ne répondez pas I - Conlinuez!) que ce qll'il re-
doute, e'est la comparaison. 11 n'a qu'a s'abstenir; ce n'est pas
a ceux qui ont peur de la comparaison que je m'adresse.


Je dis qUE, nous avons , a quelque parti que I10US apparte-
nions, un droit de légitime défense a exercer, en repoussant,
chacun pOllr notre compte, un projet que je trouve puéril et
périlleux, je crois l'avoir établi ... (Assentiment sur divers banes
a liroite et a gauche,) que je trouve contraire au véritable in-
téret de la France, soit qu'on veuille faire la France républi-
caine, soit qu'on la veuille faire monarchique.


M. HERVÉ Df<~ SAISL - (Tres-bien! trés-bien! Exclamations
et rires sur divers bancs.)


M. DE GAVARDlE prononce qllelques mots qui se perdent
dans le bruit.


M. LÉON GAi\IBETTA. - II est bien diflicile de poursuivre les
développements de sa pensée, et cela, je dois le reconnaitre,
par la fuute d'Ull seul illterrupteur, mais je le supplie et je luí
promets de !le jamais l'interrompre, ce quí ne m'est pas encore
arrivé, je le supptie de me laisser aller jusqu'au bout. (Por-
lez!) .


. M. DE GAVAHDlE se leve et prononce de sa place quelques
paroles que le bruit empeche d'entendre.


Sur plusieurs úanes. - N'interrompez pas! n'interrompez
pas!


M. LÉON ÜAMBETTA. - Yous voyez, monsieur de Gavardie,
que je reconnais touLe votre puissance, j' espere que vous m' en
tiendrez compte.


Je disais qu'il était impossible qu'a qllelque parti qu'on ap·
parlienne ici, on puisse s'accomll1oder d'un expédietlt qui, per-
mettez moi de vous le dire, est un coup de dés; chacllll selon
son sort et selon la forlune pourra y trouver l1niquement son
avantage, mais il ne saurait vous convenir (l'orateur désigne
la droite), il ne s(}urait vous convenir de nons faire une Cons-


18




314 DISCOURS A L'ASSEMBLÉE.
titution, de nous livrer a un contrat aléatoire, el cependan t
on ne pourra pas nOllS accuser ni les uns, ni les antres , en
votant non, d'avoir porté atteinte ni a la solidité ni a l'autorité
du pouvoir exécutif.


En effet, toutes les fois que le pouvoir exécutif est venu dans
cette enceinte poser des questions meme graves, mais qui pre-
taient maliere allX concessions et allX transactions, non s n'avons
jamais ni compté ni marchandé ces concessions et ces transac-
tions. Mais quand aujourd'hui on vient nOllS demander, a nOllS
républicains, de porter la main, sous prétexte, sous couleur de
fondation nuageuse indéfiniment ajournée, oblique, de la Ré-
publique, quant on vient nous convier 11 porter atteinte nous-
memes au dépót sacré de l'intégrité du suffrage universe! et
de préparer des armes pour une oligal'chie el contre la démo-
cratie, nous disons en toute SéClll'ité de conscience, convaincl1s
que lJ.OUS sommes les véritables amis de l'ordre el dll gouver-
nement, nous disons : Non' (Sensalion prolongée 11 droite. -
Vive approbation et applaudissements 11 gauche.) - L'orateur
re«;oit, en reprenanl sa place, les félicitations de ses amis.




DISCOURS
• PRONONCÉ LEMARDI 22 A VRIL 1873


DANS


UNE RÉUNION PRIVÉE·A BELLEVILLE.


M. Gi:lmbetta, depuis longtemps invité par les électeurs de Bel-
leville, l\Iénilrnontant et Charonne, a se rendre au milieu d'eux
pour converser des affaires publiques, avait fixé cetle réu-
nion aux prernieres vacances. Par les soins de 1\1. Braleret, con-
seiller municipal pour le vingtierne arrondissement de Paris,
une réunion privée, projetée depuis plusieurs sernaines, avait élé
organisée pour le rnardi 22 avril. Six cents cartes d'adrnission
avaient été distribuées. M. Braleret, qui recevait les personnes
invitées, avait convoqué un grand nombre de ses collegues du
Lonseil municipal, qui ont presque tous répondu a son appel.


A huit heures du soir, la séance a été ouverte par 1\1. Braleret,
qui a adressé a la réunion les paroles suivantes :


CITOYENS,


Conqaissant le dé sir que vous aviez de vous trouver réunis
un jour avec M. Gambetta, notre député, j'ai . pris l'initiative
de vous ras~embler ici pour l'entendre dans ies explications
qlúl va.nous donner SUr la poli tique et les affaires de la démo-
catie républicaine. M. Gambetta n'est pas un étranger pour




316 DlsCDuns
nous. C'est nons qui 1'avons nommé les premíers dépnté a la
Chambre. Il est encore aujourd'hui notre représentant a l' As-
semblée. le n'aí ríen a vous dire de ce qu'il a faít depuis qua-
tre ans, et je me lüte de lui céder la paro le.


l\J. Gambetta a prononcé le discours qui suit :


MES CIlEHS CONCITOYENS I


J'attendais avec impatience, depuis plusieurs mois , l'occa-
sion de venir au milieu ue vous, pour nous entretenir ensemble
des affaires publiques, des intérets de la délllocratie et de la
politique qui a été suivie ~l'un comll1un accore! par vos repré-
sentants dan s l' Assell1blée.


le vous devais, ü vous spécialell1ent, électeurs du vingtieme
arrondissement, ce térnoi~nage particulier de confiance, de~­
tiné a marquer la solidarité qui llOU~ ullit; car je ne sllis pas
seulement ponr vous l'ancien député que vous avez Gnvoy6
siéger sur les bancs du Corps législatif de l'empire; je suis
toujours votre représentant.,


Laissez-moi ajouter que je suis resté le ll1eme homme que
celui auquel vous avez ouvert les portes de la vie publique lors
des élections générales de 1869. Depuis eeUe épogue, que ue
changements dans les IJOrnmes et dans les ChOSES !


Les événements qui se 80nt produits n'ont malheurensemenL
pas répondu a nos espérances. A cette dale de 1869, le granel
parti républicain s'était reconstitué : il avait formulé ses griefs
et il en poursuivait le redressement contre l'empire, dont plus
d'un symplóme faisait déj~l prévoir la t:hute. Elle apparaissait
imminen.le aux yeux de tous. Chacun comprenait que ce gOll-
vernement, condamné a périr, ne pourrait plus désormais ré-·
sister a l'épreuve d'un nouveau scrulin, et c'est pou!' ne pas
succomber dans une lutte pacifique contre le pays qu'il s'esL
lancé dans la guerreo


Vous vO'us rappelez combien fut unanime, énergique, ltt
protestation de la démocratie contre l'effroyable aventure dans




A BELLEVILLE. :317
¡[¡qllene allait s'effondrer ce pouvoir imprévoyant et cl'iminel
qui entralnait le pays dans les plus graves périls, sans avoir su
rien préparer, rien su organiser pour soutenir un pareil choco
Le parti républicain, vous 18 sa vez, apres avoir, par ses votes,
repollssé la guerre, fut obligé de la soutenir quand déja notre
défaite élait commencée. Et vous savez s'iI apporta a défendre
l'honneur nationalla metne énergie qu'il avait déployée a con·
jurer la guerreo En soutenant la France datls une lutte déses-
pérée, notre partí a sauvé l'honneur de ia patrie! (Ouí I oui!)
C'est la son honneur et sa récompense. (Oui ! olli ! - Applau-
dissemen ts prolongés.)


Je n'ai ríen a vous di re ici de Paris assiégé. Vous connaissez
mieux que moi cette histoire, qui s'est accomplie sous vos yeu x
et a laquelle vous avez pris part. Qlland j'ai quitté Paris, je
l'ai lais~é ardent, pret a tous les sacriflces pour une défense
héro"iql1e. Quanu je 1'ai retrouvé, il était vaincll, désolé, dé-
cimé, exaspéré par les efforts memcs de ce patriotisme qlli ,
san s ulilité pour la France, avait fait l'admiration du monde.


Mais tandis qll'il uonnait ce grand exemple d'llne résistance
gloriellse entre toutes, alors q\le, souffrant le froid el la faim,
il se débattait sous l'horrible poids de l'impuissance a laquelle
on le réduisait, la Franee entiere se relevait, faisait [ace a 1'el1-
nemi; la province n'avait qu'un cri: délivrer Paris!


C'est au milieu de ces tragiques angoisses qlle s'est seellée
l'indissoluble alliance, que s'est retalte la solidarité entre la
Franee provinciale. Non, quoi que di3ent nos adversaires, il
n'ya plus deux Frances que l'on puisse diviser au profit des
eonvoiLises monarchistes. 11 n'y a plus deux Frances, l'une re-
cevant un mol d'ordre hostile a Paris, l'autre se laissant égarer
par un sentiment de dédain ou d'aigreur contre la province.


Il n'y a plus qll'une sellle France, gloriellse llnité morale,
qui est le prix des immortels sacriüces de vingt générations
antérieures!


Vous qui vivez ici éloignés de nos lllttes journalieres , sachez
cependant qll' on cherche encore aujollrd'hlli a creuser un fossé
entre le travaillellr des champs el celui des villes. Ce sont ues
i~.




318 DlSCOURS


esprits méchants et pervers, ceux qui veulent ainsi diviser la
démocratie contre elle-meme.


De meme qn'il n'y a pas deux Frances, il n'y a pas del1x. dé-
mocraties; jl n'y en él qu'une seule, fonclée sur la concorde
et l'étroite solidarité de toutes les classes de la nation. (Ap-
plaudissements. )


Apres les dOllleurs du siége, alors que pendant l'insurrec-
tion París était livré en victime aux haines furiellses attisées
contre lui, vous avez eu le spectacle de tontes les communes
de France, grandes et petites, se jetant au milieu des combat-
tants, les adjurant de meltre bas les armes, essayant de faire
triompher les idées d'apaisement et de conciliation; vous avez
vu ensuite ceLte politique de solidarité et de concorde sanc-
tionnée par les élections municipales; et ce premier mouve-
ment d'indépendance locale apres la guerre a été le prélude
heurel1x de toutes les éleclions politiques partielles qui, depuis
le 8 février 1871, out été le"témoignage constant, répété, una-
nime de la volonté dll pays, de vivre désorrnais sons l'égidc
de la Répllblique,


Ce premier cri d'indépendance locale et d'attachement ~l la
Republique a été poussé par la démocratie qui, an milieu des
désastres de la France, avait pris définitivemellt conscience de
sa force toute-puissante et aussi des devoirs que la toute-pnis-
sance impose. Frappée, abaLtue, gisante, la France s'est re~
cueillie. Ce recueillement marque une date dans l'histoire de
notre pays. 11 faut refaire la France! ce mot se tronva sur
toutes les ltlVres comme il était dans Lous les CCBllrs républi-
cains. II faut refaire la France et la République s8ulc peut nous
y aider. Notre parti, messieurs, dOllt le patriotisme est a la
hantenr de la foi politique, résolut de se dévouer a eelte tache.
C'est SOllS ]'inspiratíon de ce graud et gécéreux dessein que
je suis rentrl~ dans la vie publique en juillet 1871; el c'est
vous encore qui m'avez rendll mon siége daus l'Assemblée.
Des ce momeut, j'étais en parfait accónl avec vous, avec loule
la dámocratie. Ne voulatlt ríen laisser au hasard, je saisi.., I'oc-
casio!l dr, rn'expli:¡l1er pllhliqllemellt <.levant les électellrs d'une




A lJELLEVJLLE. :3' 9
autre grande ville, a quí la République doit beaucoup, devant
les élecleurs de la ville de Bordeaux; a la veille des élections,
j'ai v0ulu exposer que11es :étaient, a mon sens, les conditions
nouvelles de l'action politiqlle de la démocratie.


Qu'ai-je dit alors ?
fai dit que, ayant un germe d'État républicain, il fallait le


développer, l'entourer de soins et de sollicitude. J'ai dit qu'a-
pres la surprise du suffrage universel au 8 février 1871, mo-
mentanément tenllS en échec par lui, il fallait nous attacher a
le gagner a force de rai:;on, de propagande~ de persuasion;
qu'il fallait renoncer aux moyens qui avaient illustré autrefois
le parti républicain, sous la monarchie et sous ¡'Empire, quand
on refusait au par ti républicain sa place au sole11. J'aí Jit qu'a
l'opposition systématique, militante, hérolque, chevaleresque,
que faisaient nos prédécesseurs, il 1'a11ait substituer une oppo-
sition légale, constitutionnelle, parlementaire, scientifique,
disputant pied a pied le terrain, établissant, au sein de la Hé-
publique, la Jutte pacifique des partís, qui n'est alltre chose
que la rivalité des idées. (Tres-bien!-C'est cela!-Bravos.)


Cette poli tique nous imposait bcaucoup de ménagements,
beaucoup de précautions, et enfin rem¡lloi d'une infinité de
moyens termes. Mais ou? Dans le Parlement, sur le terrain
naturel des transactions politiques, dans le, domaine réservé a
la confection des lois, a la triLure des affaires, dan s ce qu'on
peut appeler le ménage quotidien de la vie politique du pays.


Voila ou les concessions, de la part du parli républicain,
sont nécessaires, justes, souvent avantageuses pour nous, ton-
jours efficaces sur l'opinion; elles nous ont permis d'affermir
peu a peu ce pouvoir qui n'avait de la République que le nom,
et qlli, par une heureuse fortune, se trouvait aux mains d'un
homme plus digne qu'auclln autre de le dNenir, d'un hornme
aux lumieres, a la compétence~ a l'expérience, a la sagesse,
au renom dLlquel l'Europe entiere rendait hommage.


Eh bien~ nons ne nous sommes jamais départis de cette po-
Jitique : il le sait bien! et je suis súr que, lorsque les fumées
<.Iu combat sont dissipées, son regard revoit ces journées ou




DISCOURS


notre intervention a été décisive, non pas seulement en favellr
de l'un ou de l'autre de ses minislres, mais de l'exislence de
son propre gOllvernement. (Tres-bien! tres-bien! - Bravos.)
C'est 11 quatre ou cinq repl'ises - qui sont dans la rnémoire
de tous el que je n'ai pas besoin de rappeler - que, sans in-
cliner ni abaisser nos conscienc8s, que sans froisser la rigueur
de nos principes, mais certainement en ne nous conduisant
pas cornme des hommes de parti, nous avons apporté dU gou-
vernement un concours sans lequel il aurait péri. (Oui! oul!
- C'est vrai !)


Le pays a toujour,sapprouvé cette poli tique ; iI en a compris
toute la valeur aussi bien que ceux-lil memes qui en ont si sou-
vent ressenti les hellreux effets et recueilli les bénéfices. On
rapprécie, eette politique, 11 l'hellre du danger, croyez-moi,
messieurs, car iI arrive entre les gOllvernements el les oppo-
sitions, dan s leurs relations mutllelles, ce qui se, produit, dit··
on, entre les marins en détresse el les saints. Pendant la
tempéte, iI n'y a pas d'ex-voto qu'on ne promette, de prieres
qu'on n~adresse au sainl; puis, quand la tempéte est passée,
le saínt en est tres-souvent pour les services qu'il a rendus.
(Hilarité proIongée. - Applaudissements.)


.Mais nous, qlli n"avons pas la prétention d'assimiler notre
concours a rien qui ressemble a l'intervention de quelque per-
sonnage céleste (llouv8anx rires), nous qui nous conduisol1S
en simples mortels, nous continuerons a préter jusqu'au bout
ce concours 11 la fois nécessairc et désintéressé, parce que c'est
~l la fois rendre service a qui a droit qu'on lui en rende, mais
encore a la chose auguste entre toutes qu'il représente, a la
République. (Salve d'applaudissements.)


Une voi.1J. - Soütenez-le quand il a raison, résistez-lui
quand iI a tort. (Ollí! ouí! - Bravos.)


M. GAl\IBETTA. - Quand je dís que la République est chose
auguste entre túutes, je m'explique. Ce n'est pas seulement
paree que e'est la forme du gouvernement pour ¡aquelle nOllS
avons toujours lutté et qui représente, pour notre raison comme
ponr notre cmur, ce qu'il y a de plus noble, de plus juste,




A BELLEVILLE. 321
de plus grand d<;lns 'les relations humaines; mais c'est surtout
paree qu'il y a dans cette forme Je gouvernement plus d'ave-
llir pour la France; paree que, mutilée eomme elle l'est, ap-
pauvrie eornme on la laissera dans quelqnes jours~ menacée
eomme elle restera longtemps encore, il n'existe pas, en dehors
ue la Républiql18, d'autre moyen de lui refaire la foree maté-
ri'jlle et la forCe morale qui lui permettent ele redevenir ce
qll'ClJc: doit eLro et de reprelldre sa place (tu milioll du eonccrt
cllropéen, non pa~ en dorninatrice, - je n'ai pas de tel révc
pOLlr mon pays. - mais eomme une des alnées Jans la famillo
ues pellples. (Bravos.)


Messieurs, c'est comme patrio te qu'il [alldri;lit surtout etro
n"publieain. Autrefois, nos adversaires, contraints par la dis-
cl1ssiún, reeonnaissaient que la n.\~publique est la forme poli-
tique par excellenee pour donner le plus libre jell all mOllVO-
ment intelleetucl et maLériel du pay~-i; glle c'l~sL la forme Ol! 18
systeme éconoll1ique tout elllier peut elro le rnieux assl1l'é
cornme foneLiünnelllent el régulariLé, ou les agents ~ont le
mieux en état de rell1plir leur rnission avec des frais générallx
moindres. Messieurs, ee ne sont pas les seules raisons {[lli
doivent faire aimer la Répllblique et pour lesquelles on doive
la défendre, l'affermir et l'arnéliorer; c'est surtout paree que,
pOllr tout 110mme qui aill1e 8<1 patrie, qui veut lui rendre sa
prospérité, SOI1 lustre et sa grandellr, iI n'y a plus, il ne reste
plus rien en deh~rs de la HépubliCJuc. (Longs applaudisse-
ments.)j


Voilil pourquoi je dis qu'aujourd'hui étre patriote, c'est étre
nécessairernent républieain. (Tres-bien I - Glli! - Bravos).


La considératioll qui a dominé tOllte notee condllite politi-
que, c'él:;¡it de hüter la venlle de ce jour, - ah! 110n ¡Jas llll
jour dejoie! en peut-il (~tre encore au miliell dll deuill):ltio-
!lal? - mais de ce jour de sOlllagement 011 le sol serait évacl/l~
par l'éLrallger ; aLteindre ce but et voir ü l'horizon, - non pa:..;
ala frontiere, hélas! llOllS l'avons peruuc! (~loLlvelTI'~lIt.)­
\oír a .l'horizon disparaitre le dernier fusil 11 aiguille: telle
dad, I'image toujours préscnte a nos yeux dans les lravallx de:;




322 DlSCOURS
bureaux, au milieu des luttes de la tribllne, a l' Assemblée.
Nous ne pensions pas qu'il fUt de notre devoir de rien livrer
all hasard aussi 10ngtemps que le sol de la patrie ne serait pas
parfaitement affranchi.


Ce n'était pas la un calcul de partL Non, messieurs; car
eeUe politique ferme et prudente, nous voulons la continuer
apres la libération du territoire. Fruit de nos réIlexions, elle
est approuvée par la con'science du pays tout entier; elle n'est
pas seulemellt la vérité, elle est allssi la sagesse. Par consé -
quent, elle ne pellt pas etre accidentelle; elle ne doit pas du-
rer seulement pendant un, deux ou trois ans de session, Elle
doit se prolonger meme apres la fondation définitive de la
République. En effet, messieurs, c'est avec cette politiqne de
sagesse et de prÁvoyance qu'on pourra, au sein d'une liberté
républicaine, créer des mcellrs républicaines et établír, sans
chocs, salls violences, le jeu régulier de ces deux grands partís
qui doivent se partager les membres d'une société bien réglée:
le partí des esprits novateurs et progressistes, et le parti des
plus timides et des plus conservateurs. C'est dans le balance-
ment exact de ces clellx partis que pellt se rnaiu tenir le véri-
table équilibre qui faít seul fordre dans l'État. Telle est, mes-
sieurs, la politique que nOllS avons suivie, a laquelle nOllS
voulons rester fideles. Et íl est bien désolant, - laissez-moi
le dire, car il n'y a meme que cela qui soit désolant dans Jél
sitllation actuelle, - il est désolélllt et cruel de constater quc
cette pulítique n'a pas été comprise uu parti COllservateur et
de ses chefs, qu'elle soít encore calollmíée san::; treve ni
merci. A l'henre qu'il est, nous sommes dalls une de ces crisns
politiques Ol! nos adversaires, ne nous tenant allcun compte
de notre modération, do nos actes et de nos votes, veulent
nous traiter comme si nOllS avions été violents, Jgressifs, pas-
sionnés et injustes, et comme si nous pro[essÍons des théorie::i,
des projets de réforrne q!li seraient le renversement de tontes
les bases de la société. (Volx nombreuses : C'esl une illdi-
\tni té ') tl •


Eh bien! expliquons.nolls, messíenrs, ille faut. N'est-il pas




A BELLEVILLE. 323
"l"rilablement affligeant de voir des hommes que l'opinion de
LOllS les p(lrtis est Lahjtl](~e ü respecter, - j'éviterai de pronon-
((,l' des noms, si vous le permettez (oui ! oui !) - prendre dans
1l:S circonstances actuelles un r(¡le, une attitude, un langage
qui vériLablement él lien de surprendre ?


Savez- vous ce qu'on dit ~l l'heure actuelle '?
On dit ceci: Le moment est favorable pour protester contre


l'ldTectatloll dll partí répl1blica ill a ne vouloir que des républi-
C;,it1S de vieille date pOUf le représenter ; pour procéder contrc
certaines théori es excessi vrs, su hversi ves, dangereuses, COll-
damnées par l'expérience de Lous les temps, et enfin, mes-
siellrs, ron ajoute - parce qu'on arrive toujours a dire, dan s
la lutte, plus qu'on ne pense - le moment est favorable pour
opposer l'esprit d'ordre a l'esprit de révolution.


I\Iessicl1rs, pour juger de la valeur de ces déclarations de nos
adversaires, iI cst peut-elre lltiIe de revenir un peLl en arriel'e.
Que se passe-t-il dalls ce llays depuis tantót deux (lns ?


De tous les cótés, de tontes parts, toutes les fois que le
corps électoral est interrogé, qu'iI s'agisse d'une élection aa
Conseil municipal, au Conseil d'arrondissement, d'une élection
an Conseil général, d'une élecLion politique, - j'irai meme
plus loin, car la politique se mele ü tout a notre époque, -
qn'il s'agisse d'élections aux chambres ou aux tribunaux de
cornmerce, que voyo!1s-nous ? quelle est la premiere pensée
qui vient aux électeurs des villes et des campagnes? Nom-
mons, disent-ils, un candidat qui veuilIe en finir avec la persis-
tance des élus du 8 février a res ter au pouvoir; ql1i veuille en
finir avec l'incertitude, l'équivoque; qni veuille et sache noti-
1181' a tout le monde qu'il est temps, plus que temps, de con-
voquer le suffrage uni versel dans ses comices, de l'interroger,
de l'appeler a élire des mandataires, soit pour la monarchie,
Boíl pour la République, mais dont le titre, dont le mandat
soient absolument incontestables el a l' abri de toute discussion,
de toute critique.


Voila, dans le langage le plus modéré, et en meme temps
le plus précis et le plus exact, ce qui s'est passé dans les




324, DISCOURS


37,000 communes de France, (Oui! - Marques générales
d'approbation. )


En a-t-'on tenu le moindre compte? Avez-vous entendu diru
.que ces faits, qui se sont reprocluits partont dans le pays,
aient modifié le choix d'Ull préfet ou la nomination d'un juge?
Avez-vous entendll dire que ce qui ~'8St passé ait pu faire
supprimer l'état de siége dans un des oombreux départements
qui en sont frappés? Et, surtout, avez-vous enlendu dire que
l'Assemblée de Versailles ait songé it s'en aIler? ... (Hilarité et
bravos. )


Non, vous n'avez rien appris de pareil) hélas! et si j'avais
seulement le quart de cette bonne nouvelle a vous apporter,
je serais le plus heureux des hommes. (Rires.)


Le pays, alors, a vu qu'il avait beall manifester son opinion,
on ne l'écoutait pas! Le pays n'a que le sulfrage universel
pour faire connaitre ses idées ; encore les occasions de les faire
conualtre sont-elles laissées au hasanl de la morl quand il lui
arrive de fairedes vides dans l' Assemblée. C'est seulement
lorsqu'il y a un siége vacant que le suffrage llnivcrsel e::t
appelé 11 se prononeer; c'est selllemetlt le jour Ol! il faut y
pourvoir, et non le lendemain, que le sulTrage universel peut
manifester sa vulonté et son opini(Jl1, et donner une impul-
sion dans tel sens Ol! dans lel autro; e'est ce jour-Ia s8ulernent
que le cito yen, que l'éleeteur frallGú'; peut et doit faire COll-
llaitre au reste dn pays, Ult des élcctions n'ont pas liell, au
gouvernement, aux partís eux-memes, ee qu'il demande, ee
qll'il veut, ce qu'il exige; car il a le droit d·exiger. (Tres-bien!
- Bravos.)


Voila done ce sutfrage universel qui s'épuise en rnanifes-
lations absolument DllIles; il a beall lllultiplier ses arrets;
JI a beau chercber la formule la plus claíre; il a bean inven-
ter le rnandat le plus défini et le plus précis, le mandat illl-
pératíf, le contractuel ou le synallagmatiqne, tOllt y passc,
il s'évertue a trollver de nouveaux moyens, de nouveallx pro-
cédés; tous ces efIorts .n'aboutissent it rien; on n'elltend
rien, on oe veut fíen entendre de ce que dit le pass, ni él




A BELLEVILLE. 325
Versailles ni, permettez-moi de le dire, dans les spheres
dll pouvoir. (Bravos.) Rebuté dans tOl1tes ses tentatives,
mais non découragé, le pays s'est dit alors : Pcmt-etre existe-
t-il encore un nutre moyen, en dehors des élections générales
a l'AsssembJée) en dehors des éleclions aux Conseils munici-
paLlx, d'arrondisscment ou généranx, de manifester notre
volonté : nOLlS ponvons la manifester ~ par exemple, II l'occa-
sion de telle ou telle élection partielIe de déplllé. e'est ce qlli
a été fait. Mais qu'a-t-on oit? On a oit : Oh ! ce sont les gens
dn Var qui ont voté! mais ce sont la des gens exaltés, pas-
sionnés, ce SOllt des gens incandescents ! Or, comment vonlez·
VOLlS que nous réglions notre politique sur l'opinion décidé-
ment trop ardenlc des gens du Var? (Hilarité générale. -
Applaudissements. )


Apres cette réponsc, le pays) sans perdre patience, s'est dit
encore : Si, uans llne m:ll1ifestalion génél'ale, on pouvait avoir
l'expression collective) nniversclle, de l'opinion de la France
sur un point de politiqlle donné, un ne pourrait plus nOllS
objecter ce qlli s)e~t pnssé dans le Var, en Algérie ou ~üllenrs;
e'est alo1's, messieurs, qu'on a pensé au droít de pétition, et
qu'on s'est mis a l'exerccr.


On a reconnn que le droit de pétition était un droit sacré,
mais que s'est·il passé?


On a donné l'ordre aux agents infé1'iel1rs, - et vous savez
le zele que mettent les agents infériel1l's Ü exécuter les o1'dres
venus d'en haut (rires), d'empecher de se produire, non pas
la signatnre isolée, réf1échie d'un homme qui la donne dans
son cabinet ou son comptoir et qui l'expédie par la poste,
mais les signatllres collectives. On a dit al1X agents infériellrs
que, SOllS prétextc d'ororc public, il fallait empecher qu'on
se grollpttt pour signer des pétitions, empecher les réunions
clandestinos, et on eonsidérait comme te1l8s les réunions qui
avaient lien dans un café, dans un cabaret, ou sous le portique
des théfltres, daos tons les lieux publics onverts al1X cituyens
désireux de sigue1' et r~s()Jl1s ~l lt' raire. On a lllultiplié tous les
moyeus ü'jntimidaliotl; tOllf~ le monue s'y est mi::;, les magis-


19




326 DISCOURS
trats, le haut personnel des grandes compagnies, les direc-,
teurs des grandes administrations, la gendarmerie, les fonc-
.tionnaires de l'ordre civil, depuis les plus élevés jusqu'aux
secrétaires des mairies. Et puis l'état de siége, dont 43 dépar-
tements sont encore frappés, a joué son role anssi; sait-on
bien ce qui peut arriver sons l'état de siége? C'est ainsi, mes-
sieurs, que ce mouvement pétitionniste, commencé dans le
but de faire connaHre l'opinion du pays, a été entravé.


Mais, malgré tous ces obstac}¡~s, en dépit de ce mallvais vou-
loir, de toutes ces réglementations indignes d'un pouvoir sou-
cieux de recueillir les échos de l'opinion, Oil a pu atteindre le
chiffre d'un million de signatLlres au bas de pétitions deman-
dant la dissolution de l'Assemblée de Versailles. (Bravos.\
Parmi ces signatures, beaucoup ont été données au prix de
bien des périls, car il y a de braves gens - j'en connais, -
qui ont perdu leur emploi pour avoir signé la pétition de la
dissolution, qui ont été chassés de lenr administration apres
quinze aris de ser vices et qui ont ainsi perdu la ressource qni
faisait vivre leurs familles. Ces obstacles, ces entraves, ces
procédés vis-a-vis des signataires de la pétition ont dli singu-
lierement, vous le comprellez du reste, en arreter la propaga-
tion; il s'ensuit que ce million de signatures a un prix ines-
timable el que, pour les gens loyaux et sinceres, une telle
manifestation si imposantc et si nouvelle devrait etre décisive.
Or, savez-vous ce qu'on a fait a Versailles? On a voté un ordre
du jour par lequel ces messieurs ont déclaré - non pas en
propres termes, mais pen s'en faut - qu'ils ne relevaient que
de Dieu et de leur conscience. (Hilarité générale.)


Quant a la premiere de ces puissances, elle laisse com-
meltre tant de choses dans' ce monde que son invocation n'a
jamais été une garantie bien eflicace dans la direction des
affaires humaines. (Tres-bien! tres-bien! - On rit.) Qllant il.
la seconde, a la conscience dt~s hommes pllblics, perrneltez-
moí de dire que, U',rsqu'ils ::lont appelés ~l juger leu!' propre


. conduite politique, il leur est tl'es-diflicile toujours de se
donner tort. (Rires. - Bravos.)




A BELLEVILLE. 327
Tel a été l'accueil qui a été fait a cette revendication éner-


gique et autorisée du suffrage universel. Le pouvoir, par l'or-
gane d'un .de ses plus éloquents orateurs, s'est associé a l'in-
terdiction, en fait, de l'exercice d'un droit que lui-meme avait
reconnu et proclamé en théorie. Le pouvoir ne s'est pas con-
tenté d'agir ainsi, et c'est ici que j'entrerai tout a fait dans les
détails: puisque je vous rends le compte que je vous dois des
affaires publiques, je veux vous le rendre complet. (Tres-bien!)
Le pouvoir ne s'est pas contenté d'interdire en fait le droit de
pétition; il a compris que les gens dont le pouvoir politique
était menacé par les pétitions sentiraient tout le prix de sa pro-
tection, et que le moment était peut-etre venu de s'entendre
avec ellX pour les couvrir et les protéger. Aussi , messieurs,
c'est dans cette séance du f ~ décembre f872, ou l' on para-
lysait les pétitionnaires pour la dissolution de I'Assemblée, ou
1'0n résistait a la voix du pays, e'est dans cette meme séance
que malheureusemerlt le pouvoir, les ministres du gouverne-
ment de M. 'fhiers, ont conclu, avec les représentants de la
majorité de Versailles, un accord d'ou ést né le projet de loi
'des Trente. Vous le connaissez, messieurs, vous en avez suivi
la discussion, j'en suis sur, avec la plus extreme sollicitude.
(Marques d'assentiment.)


Ce projet de loi, je ne veux pas le jllger au point de vue de
ce qu'on a appelé les ehinoiseries qll'il eontient. (On rit.) Je
ne m'occupe pas de ce coté puéril et mesquin d'une aussi im-
portante mesure, et je vais droit a ce qu'il renferme d'impor-
tant, c'est-a-dire au pérille plus grave qu'ait encore couru la
cause de la démocratie fral1<;aise.


Qll'est-ce, messieurs, que le projet des Trente? C'est un ae-
cord intervenu entre une partie du gouvernement 8t la majo-
rité de l' Assemhlée de Versailles pour doler la Franee, et la
République, s'il y a líeu, comme disent ces messieurs , d'ins-
titutions particulieres de nature a assurer la sécurilé de l'av8-
ml'.


Il faut voir ce qu'il y a au fond de ce langage abstrait.
Eh bien! il Y a trois choses. Il y a d'ab'.:,nl'.me loi contre le




328 DISCOURS
suffrage universel ; ensuite~ l'établissement, par cette Assem-
blée de Versailles, d'une Chambre haute on d'une seconde
Chambre, - appelez-la eomme vous voudrez, - destinéea re-
fréner la Chambre future quand on raura nommée; el enfin,
brochant sur le tout, il y a, daos ce projet de loi des Trente,
une disposition qui permettra de régler l' organisation des
pouvoirs et du gouvernement de la République. En d'autres
termes, nommés pour faire la paix, ces messieurs pensent et
disent'qu'ils ont maintenant a faire autre chose ~encore. Ouí, ils
ont été nommés pour faire la paix et uniquement pOllr cela,
puisqlle c'est a peine si la qllestion de la guerre a continller a
été posée; le pays ne leur a pas donné d'alltre mandat; cal'
enfin, messieurs , on peut bien le dire , ce n'étaient pas de
vraies élections qui a vaien t eu lien, a en j uger pa r la confusion
et la bigarrure qui se manifestaient sur toutes les listes, Ol!
se trouvaient réunies et associées les opinions politiques les
plus contradictoires et les plus équivoques; e'était sons la don-
lourellse impression de la chute de la France, sons le poid;.;
des Prussiens, que ces éleetions s'étaient faites. On estim:-tit
qu'une Assemblée ainsi établie aurait le sens de se retirer apres
la eonclusion el la ratifieation de la paix. 11 n'en a rien été.
Pourquoi? Paree qu'elle poursllit un plan, paree qu' elle mé-
dite des desseins politiqlles que je veux vous exposer et qui,
selon moi, doivent aujourd'hui, dans la erise éleetorale que
nous traversons, nous déeider a prendre parti pour tel oa tel
eandidat. Ce plan, ces desseins politiques, quels sont-ils?


Messieurs, pour tous les esprits, me me pour les plus pré·-
venus, la libération du territoire doil mettre un terme aux pou-
voirs et a ]'existenee de cette Assemblée. Or , l'Assemblée de
Versailles veut éviter, si e'est possible, de tombel' sous le COllp
d'une pareille échéanee i elle veut reculer le tenne de eette dis-
solution exigée par le pays : c'est daos ee but qu'elle a affecté
de saisir le pouvoir constituant. Apres s'étre donné a soi-
meme, a une míljorité d'environ 1.00 voix, ee pouvoil' eonstÍ-
tuant, malgré la résistance et les protestations eles députés
libéraux el républieains, l'Assemblée afliche une autre pré-




A BELLEVILLE. 329
tention non moins andacicl1se, la prétention d'exercer ce pou-
voir eonstituant sans l'éplliser, la prétention , exorbitante et
scandaleuse, defaire aujourd'hui une chose, demain une autre
et, apres-demain, de les défaire toutes les deux , sauf 11 re-
commencer 11 nOllveau eeUe toile de Pénélope constitl1tionnelle.
(Bires.) Messieurs, au moment ou cette prétention sur le pou-
\'oir constituant s'est produite, ql1and bien meme elle aurait
été l'opinion de l'immense majorité de l' Assemblée, il me sem-
Lle - c'est mon opinion - qu'en présence des manifestations
si claires de la volonté nationale, le gouvernement ne devait
[las s'y associer. (De toutes parts : Nonl non!) C'est pourtant
ce que le gouvernement a fait. Il s'est associé a une pareille
prétention et c'est a ce moment meme qldl a conela l'accord,
passé le contrat contena dans la loi des Trente. Or, je vous
le 'demande, messieurs, est-ce que s'opposer 11 la réalisation
de ce contrat, qni n'est pas encore effectué, c'est faire acte
el 'opposition révolutionnaire, c'est faire acte d' exalté s ? Esl-
ce, en un mot, poursuivre le renversement du gouvernement
républicain? Témoigne-t-on d'une grande bonne foi, dans
le camp de nos ad versaires , ql1and on ne veut pas que nous
nous opposions a une tentative qui nous semble grosse
des plus grands périls. (Non! non I - Marques d'assenti-
ment.)


Non, évidemment non; en refusant au gouvernement de le
suivre dans celte politique , en lui déniant le droit de traiter
avec l'Assemblée d'une Constitution a" faire de concert avec
elle, nOllS ne faisons qu'exécuter notre mandat. Permettez-
mol de le diro personnellement, messieurs, le mandat que j'ai
re~u en juillet ft-;71 consistait a fonder la République, mals 11
l'aide du'snffrage universel de la nation, librement exprimé,
avec le concours d'une Assemblée républicaine, investie d'nne
autorité sllffisante pour orgéiniser un gOllvernement. Ce man-
dat d'alors se résllmait, comma cellli qu'aujourd'hui meme la
démocratie parisienne donne au candidat qu'elle a choisi, par
ces mots : Dissolution et Républiqlle. (Tres-bien! - Applau-
dissements unanimes.)




330 DISCOURS
Nous avons done résisté, nous résistons ene ore aujourd'hui;


et cQmme nous avons été vaincus a la Chambre, comme nous
y avons été en minorité, je vous demande qllelle doit etro
maintellant notre condllite, celle de ious les répl1hlicains qui
ont voté avec nOl1S et de tons ceux qlli Ollt Sigfll~ la demande
de dissollltion de }' Assem11ée. Celte condllite uoit·6Lrc - ou
je ne comprenc1s plus rien aux cllOses de la po1itiqlle - de de-
mander, au suffrage de son parLi, ai de, COllcours et assisLanee;
HOUS venons done vous dire : 1l01lS aVOllS été en minorilé; nou:::
avons été Délttus dans l'Assemhlée; mai8 l'opinion que nous y
avons s0l1tenu8, nous avons aH1rmé qll'elle élait votre opinion,
c'est vous qui avez aujounl'hui la parole; c'esL a vous qu'il
appartient de parler, Et maintenant que la qllcstion vous est
posée on ne voudrajt pas que vous tillssiez le meme lungage
que celui que nous aVOl1S rait entenurc, (;n votrc nOI11, a l'As-
sembJée! Et jI ya des hommes qui vous disent en Ce moment,
sous le prétexte mensonger que vous pourriez nuire ;m gou-
vernement répl1blicain , que vous ne devez pas vous prononcer
iJ.lljourd'hui cl'une faQon aussi énergiqlle! (C'est celal - Tres-
bien!)


QU,lDt a moi, je ne comprencls pas eelte politiqne, Je vous
l'ai déjil dit, messieurs : dans l'enceinte dn Parlclllent, j'ai
loujours été disposé a consentir aux transactions et aux com-
promis que comporte Ja ¡utte parlemenLlire, paree que, uans
le Parlement, il n:y a pas le pays, lllais s8111cmenL ses repré-
sentants, on peut, sur tel point, avec tel parti, avec tel groupe
parlementaire, amener, a l'aide d'un arrangement discuté,
d'un concert délibéré, tel Oll tel résultat qu'on désire, parce
qu'on le croit avanLagel1x au pays. l\lais quand 011 se présente
dans l'arene électorale, quanu iI s'agit de pl1iser ~l la SOUfce
meme de l'infll1ence tles partís et que I'on dcm;ll1ue all pays, Ü
la nation enti0re, de .f'aíre sentir un gOllvernetllent le poiLls
qn'ils pesent, vous vonlez qn'üll tr~l!1sige? ~Ie~sieurs, U1l8 pa-
reille transaclion ne serait qll'lltle mnrpaLion sur votre sou-
veraineté, ce 8€r;:tit uno part ue volrc jllsLe inf1uence ql1'on
VULlS déroberait et qLl'ollllol1t1crait Ü I'aüvl'r~a¡rc,




A BELLEVILLE. 331
Est-ce que nous pouviom nous preter a de pareils compro-


mis? (Non! - Jamais! - Tres-bien! - Bravos.) C'est la,
messieurs, un des premien; principes de la politiqlle, j'ose le
dire, cal' la poli tique, qn'est-ce, npres tOllt? C'est l'art de faire
intervenir Jes forces org-anisées d'Uil pays dans la direction gé-
11ér(110 de ses :-lffilires. Eh bien! je VOl1S le demande, vous avaz
(llW opinion, elle est représentée drpllis trois a~-:s et. elle n'a pas
triomphé. Or, de dOl1X cIloses I'une: on vous vous eles trompés,
et alor::; il faut le reconna1tre ; OU, au contraire, vous avez la
convictioil que vous avez donné le conseil le plus sage au gou-
vernem0nt et 1t la nation elle-meme, et alors il faut persister.
Cal', si vous ne persistiez pas, savez-vous ce qu'on dirait au
L:ndemain do l'élection? Les représentants da parti républi-
C~dll nous onl COllllj()ll!lS an nom de lenrs commettants, mais
Jeut' parti los n désavoués; an scrutin, d'ailleurs, ce parti a
éLé compté el trollvé sans inOuence et ~ans force. (C'est vrai t
- C'cst cela! - Bravo!)


Nous vivons dans un temps Oll ce qu'on apprécie au plus
ballt prix, c'est la force! C'est avec la force que I'on compte
;lV8C le moins de vergogne. Quand c'est la force matérielle, on
pcut lni résister fIllelque temps; on le fait tOlljollrs avec hon- .
nour, Quand, ancontrilire, c'est la force morale, Oil peut lni
résist~r allssi quelqne tomps, mais non sans cléshonneur; et,
rOllrvll qn'on ait la liberté de discllssion qLlelqne part, la honte
de cetle résistanco ne tarde P;IS it élre trall1ée a la lümiere du
jour.¡ et la force morale flllit par vaincre et par s'impaser. (Tres-
bien! tres-bien! - Salve l1'applam1issoments.) .


Apre" Lont, messieurs, sommeS-!1OUS donc si exigeants et si
excíusifs? De qlloi s'agit-il? Il s'agit ele faire, non-senlement
a Paris, -- car on no parlo, on ne s'occupe que de Paris, tan-
dis que nous ~aV()I:s tons qu'il y a des élections a faire dans
dOLlze départen.1ents : lmit le 27 avril et qllatre le 11 mai, -
ji s'agit, dis-jo, de faire non-sonJernent a Pari~, mais dans
dolllW c1<5p:uternents fran\;)is, des élections politiques. Il ne
:--:'agit llllllement ele faire acle de stratégie parlernentaire. C'est
})i(~n lcí qn'apPilralt la profonde t~rreur de' I'homme éminent




332 DISCOURS
qui est au pouvoir. Il s'imagine qu'il pourra transporler dans
le domaine électoralles finesses, les expédients, les procédés .•
les mille et une ruses qui lui réussissent si bien dans les COll-
lisses de Versallles. (Rires. - Marques d'approbation.) Il ne
veut pas voir que ceUe erreur sera pour luí la cause de j'échec
qui l'attend, paree que ces petits moyens ne valent rien dalls
le pays, paree que ce qlH-l demande la nation, ce 118 sont pas
des habiletés; ce dont elle a besoin, ce n'est lli de flllesse ni
de ruse. Que veut-elle? De la clarté, de la logique, de la sit1l-
plicité. (C'est cela! - Tres-bien! - Bravos.)


Ellene comprend pas toutes ces combinaisons, elle n' entre
pas dans toules ces minuties. Elle diL : jc vellX la République,
je ne veux pas d'équivoque, je demande la dissoIlltion de l'As-
semblée et je ne vellX pas consentir a ce que cette Assemblée
organise la Répllblique, non jamais. CeUe idée ne pourra pas
entrer dans ma cervelle, dit ce pays gaulois, qne vous fassiez
organiser la Républiqne par des légitimistes, par des bona-
partistes ou par des orléanistes qui peuvent tOllt organiser,
tont, excepté la Répllblique. (Ouí ! - Oui! - C'est cela! -
Applaudissements prolongés.)


Toute la science des hommes d'État, toute l'éloquence des
orateurs les plus consommés y passerait qu'on ne changcra
pas, grace au ciel! la nature de notre esprit; qu'on ne ~han­
gera pas ceUe soif de vérité et cet amonr de jnstice que notre
nation a de tout temps éprouvés et qu'elle éprollve aujourd'hui
plus que jamais. Non! on ne changera pas notre caractere
national en un jour, et ~l Paris moins qll'aillellrs. (Bravos.) Et
rassnrez-vous, messiellrs, vos freres, vos cornpatriotes de la
province parlent et agissent cornme VOllS parlez eL agis~ez
vous-memes; jIs ont voté comme vous dans le passé; iIs vote-
ront encore comme vous dimanche.'(Tres-bien I tres-bien! -
Marques unanimes d'approbation.) Prenez, en HIet, les élec-
tions ql1i se sont faites depuis deux ans. Elles ont en partout-
le meme caractere; qu'elIes se soient passées dans le départc-
ment du Nord, ou il y a 400,0000 électellrs, sur les coLes du
Finistere, dans les Bouches-du-Rhone, dans le Var on lTlé-




A JlELLEVILLE. 333


rault, dans le Gard ou la Gironde, dans les Vosges OH dans
}'Yonne ; sur tons les points, la Franee a été unanime dans la
me me réponse; elle a dit parto u t, et toujours avee la me me
formule, dans les memes termes, sur des noms d'hommes qui
ont une physionomíe semblable : ce que je veux, e'est la fin
de eeUe Assemblée et une politiq1l8 opposée ~l c811c qui a été
sui\'je jUSqll'Ú ce JOUI'. De plus, elle a p;lrtnut et toujours dit
au pOllvoil' : Ce n'est pas ponr vous ébranler, pour vous ren-
verse!', queje me pl'OllOnCe i1insi dans toutes les éleetions, c'esl
pour \OllS gagner, e'est ponr vous écJairer, e'est pour vous per~
suader; écolltez la voíx qui monte de toutes les communes de
France et votre pouvoir cessera d'etre a la díscrétion de qnel-
gues voix dans.l'Assemblée de Versailles, ii sera le plus fort
et le plus respecté des pouvoirs parce qll'il reposera sur la
majnrité dn suffrage universel, sur la majorité du pays. (Ouí !
-- C'est cela! - Tres-bien! - Salve d'applaudissements.)


Car, messíeurs, remarqnez-le bien. Sur le nombre de 1.63
dépulés qui sont entrés dans ceUe Assemblée de Versailles de-
fiUís 1871, voulez-vous me citer un député, un seul, - ah!
si, iI Y en a un, c'est M. Martín, d' Allray (Morbihan) (Rires.)
Mais apres celui-Ja, citez-m'en donc un seul autre, parmi ces
députés, ql1i représente la politiql1e de la majorité? Voyons !
qu'on nous le montre, qn'on nous le fasse voir. (Rires. -
Tres-bien! - Bravos.) Est·il sérieusement possibJe d'imposer
plus longtemps a un pays une politique et une administration
désavouée, répudiée, condamnée par tous les scrutins qui ont
été ouverts depuis le 2 jl1illet 1871? (e'est cela! - Bravos
répétés.)


Cependant iI ya terme a tOllt, et les nations, les pel1ples se
fatigllent. l\lessieurs, croyez-vous que ce soit une sage poli-
tique que de refuser systémaliquement 3. ce grand corps élec-
torall'ombre memo d'une satisfaction? Quant a moi, je trouve
ceHe politique téméraire et extreme; je disais qll'elle n'est
pas la politiqllO qui convient ~l un grand et noble pays, dont les
furces sont chancelantes et ([ui a besoin des plus grands mé-
nagements. C'est de la poliliqlle a outranee, a laquelle nous


19.




334· DlSCOURS
patriotes, dont la République est le gOllvernemrmt, llOUS de-
voos résister dans l'intéret meme de nolre gouvernement; et
quand nOllS parlons de résistanc8: nOllS De [aisons pas appel
a d'aLltres instruments de llltte que cellX qui nOllS sont assurés
par la loi; 110US 11e demandons pas d'autre :mxiliaire que la
loi devant laquelle, dans un pays libre et maltre de lui-meme,
nous devons tous nous incliner : von:,;, pouvoir, comm8 nous ..


. opposition. (Olli! - Trl~s-bien! - Bravos.)
CeUe grande démocratie, ql1i dans quelql1es mois, je 1'es-


pere, pOLlrra démontrer, en éLaút universellemeut consllltée,
qu'elle est la nation elle·ml~me (oLli! OLli !), cette d(Srnocratie,
que réclame-t-elle done? Quelles sont ces revendicalions?
quels sont ses griefs '? Que demallue-t-elle dortc, enlln, IJ{)UI'
gu'on ne r6po11l1e a ses représentants que J'injure a la bl)tJ(:he,
pOllr qu'on s'acl1arne a la caloll1uier dans une prcsse illlll10nde
qui denait avoie disparu, mais (1l:i :.celllbJe fleurir surtont dan::;
les pays d 'état de siége comme dans son clilnat natl1rel ?


Celte gr:mde d.émocratie, mais c'est tout simplement le
pays tout entier, el c'est le pays le plus travailleur, le plus
patient et le plus obúissant qu'il y aiL dans le monde; la dé-
mocratie chez nous) c'esl le LravailIelll' [ranGais, c'esL-il-dire
eelui qui cerLainement, de tons l(~s hommes <13sujcttis aux
charges el aux regles de tonle société organisée, discute le
moins et paye l'impClt avec le plus do régubrité el de facilité,
paree que, quelles que soient les c!largos dont on le frappe,
un sentiment profond le uomine, le senLiment de l'intéret na-
tiona!. (Tres-bien! -. ApplaudissemellLs,) N'a-t-il pas prouvé
son obéissance l son zelo, son paLriotismo depuis ces donloll-
reux événements de la guerre? Oll avez,vous vu le moindre
signe de résistance? Oll avez·-vous entendllla moindre plaiute
eontre ces charges qui venaient i'rapper 10 travailIeur [ran-
Gais? Ah! ouí, il ya en des plainles, mai::; eles plaintes intimes,
intérieures; on s'est resserré dans l'int~rieL1r du' métlaóe.
Mais oú, encore une fois, a-t-on dit que ces charges étaient
trop lourdes? Nulle parto C'est que ceLt.e nation est toutr~ au
travail. C'est qu'elle ne demande qu'a produire pour racheter




A BELLEVILLE. 335
:;;1 propre fautc. POllrqlloi faut-il, hélGs! que nous ayons a
pdycr aussi pOUl' le~ clTrophles crimes commis par ce pouvoir
que vous connaissez? (Olli ! - Tres-bien !) CeUe nation, hon-
"de et laboriellsc, qu';¡-t-elle demanelé <lll lendemain de la
gl1crre? On o~c parll~r ele bnulcvcrsemcnt social! Qllelle injus-
tire, mes~jcllr", dalls cetla accusation! H;lppelez-vons le cri
linanime l)()ll';Sl~ par celle nalioll all lenc1emain ele la guerre :
:\IJl1S a \'Ou::; litú vainclh par un peuple plus instruit que nons.
l!cs úco1es! DO!1UrZ-tlOllS l'instmclinn! Versez a flots la lu-
mi(\re Lt la scicl1ce! (Tres-bien! - Salve (l'applalldissements.)
Voi/a la passiclll subversive, la p:lssion stltanique de celte na-
!.ion. (Hin 's. ) 1':11l: dt'llLlnc1e dermis un siecle a ccux qui la
lll\;llcnt (k lu"¡ <ltll1iJ('l' l'ill,"l.rncLion, l'éLlllcation; elle lem de-
mallelo qll'on (JlIHO d('~; éc()]os, qll'on multiplie les maitres,
qn'oi1 lui clisLl'ibllC: :1 }l1'1:!'usinn la vérilé scinlltiflque. (Oui!
oui! - C'est vr~li !) DOflUis d:~lIx ans ct deilli quo 1l0S mal-
ll(~urs sont arrivés, a\C'Z-\OllS ;)PI,ris qn'on ait fait quelque
CliOS8 pour Ir:; t'!coles': AveZ-VOllS appris qn'on los ait allgmcn-
lúes? Al!! uni, jI y a des ll1Lllíicipali :és républicaines qui ont
Ol!vert ele uOllvcllcs úcolos et je ne tentcraÍ pns de vous ra-
conLor la sórie ele difl1cullés, ele proces, de destilutiol1s, de
supprcssiollS f[11C l'ollV'C;rlure de ces nouvelles écoles a en-
lraIllés. (On 1'it.)


Vécole, J'in.'llrucLion, cruol r0ve! et que nous en sommes
¡oin enl:01'O ~ Qll:mt l111 mol obiigatoire, on se rcfllse absolu-
nwnt h lc~ prollcllcer Ü Versailles. (Bires et marques unanimes
d'a pprob:lliol1.) "


A la v(~riL(J, ce pOllple a des exigGnces bien autrement in-
sCllséc'l! SJVPZ-vous bien ce qn'il ose demandor, ce pellple
;lppeJ(~ :{ vivre dalls une SOCil)lú libre el progressive, qui doit
6lrc jllg(~ par des ]}ot11ll1es, qni doit nommer ses fonctionnllires
en les recrnLallt dan s ses propres rangs? Il demande une éelu-
calion qlli soit de llalure it le rendre propre Ü l'exercice de
ses drnits et du ses dcyoirs de citoyen, qlli Illi d'lnne des
idécs appropril~L's it la ;-l()ciéLé clont les r:lpports sont civils et
la lqucs. Il demande uue cIlose qui est représentée par un




336 DlSCOURS


seul mot qui souleve tons les anathemes, il demande l'éduca-
tion Jaique. Qu'est-ce, apres tOllt, que l'éuucation laIque? C'est
tout simplement l'éducation des hornrnes par des hornrnes
dignes de ce norn. (Salve d'applaudissements.) Et a combien
s'éleverait la dépense pour établir gratuitement ectte édllca-
tion nationale? Quels sacrjfices exigerait-elle de ce pellple qui
a su trouver si aisémellt des milliarus pour les donner aux
barbares? Quelle somme faudrait-il s'imposer véritablement
pour former la taxe qui doit servir a proscrire et chasser ce
qui est plus funeste encore que les barbares, car c'est ce qui
enfante les barbares chez nous, l'ignorance? (Explosion d'ap-
plaudissements.) On n'a jamais osé aborder.ce probleme et le
regarder en face.


L'idée de la défense commune et oblig;¡ loife de la patrie
s'était associée tout naturellement a l'idée de l'jnstrLlction
gratuite et obligatoire, la nation a réclamé le ser vice obli3a-
toire.


Elle l'a réc1amé, d'abord pour empecher le re tour des
effroyables catastrophes oú elle avait failli périr; elle ¡'a ré-
clamé ensuite pour amener, dans un intéret supériellr de paix
sociale, la fusíon et le rapprochement des classes; elle 1'a de-
mandé pour que, a l'origine meme de la vie, chacun, étant
coude a coude dans le rang pour la protection clll foyer, ilpprit
que le sang de tons ses enfants est d'un prix égal poqr la patrie,
pour qll'on cess[lt enfin d' envoyer les uns combattre el mou-
rir a la place des autres. (Sensation. - Vifs applalldisse-
ments.)


A ce pellple qni formulait cel insensé programme (rires),
qu'a-t-on donné? On a donné une loi informe, mal faite et
contradictoire, qui vaut moins que le sysleme antérieur.


Dans l'ancienne législation, au moins, on ne pOllvait se ra-
cheter du service militaire qu'a prix d'argent, tandis qu'alljour-
d'hui la faveur en exemple au moins autaut que ¡'argento (Olli!
- C'est vrai! - Marques g(~néralcs d·assentimellt.)


Et, ponr établir ces dcux grandes réformes, l'école et le ser-
vice obligatoires? pour les nourrir, pour les alimenter, si roqs




A BELLEVILLE. 337


voulez me permettre cette expression, iI fallait de l'argent.
Pourql1oi hésiter - la nation ne le voulait pas - a entrer
dans une autre réforme pratiquée presque partout? n fallait
arriver a l'étabIissement de l'impót, je ne dis pas le meillellr,
mais de celui qui se rapproche le plus de I'égalité des charges,
a l'établissement de l'impót qui prend le revenu la ou il est
déja formé, et qui ne frappe pas la ou tOllt8S les ressources
50nt nécessaires pOllr arriver a la formation de ce revenu. OUÍ,
notre démoératie, imprudente et téméraire, demandait l'éta-
blissement de l'impót sur le revenu. (Rires. - Bravos.)


Que luí a-t-on répondu? On luí a dit que l'impót sur le re-
venu, c'était l'impót cln désordre et du socialisme. L'impót du
désordre! un impót qlli Existe dan s la féodaIe Allemagne, dans
l'aristocratiqllc Anglcterre, en Amériqlle, en Suisse, en Dane-
m:1fck, en ltalie. 11 n'y a que chez le Grand-Tlll'C ou il ne
soit pas appliqué! (Hilarité. - Bravos.) .


Et cependant vous n'avez pas llppris que ces pays, qlli ont
ainsi admis et pratiqué l'impót sur le revenu, soient livrés a
l'abominatiol1 dll désordre et de l'anarchie? (Rires.- Applau-
dissements. )


Il Y avait eucore d'antres questions dont la démocratie de-
m3ndait la sollltion : la séparation de l'l~glise et de I'État, la
réforme de la magistra ture, et d'autres encore que je n'énu-
mererai pas en ce mOll1cnt. Ivlais la démocratie, - ne nous
lassons pas de faire remarquer co caractere nouveau de ses
demandes, qui devrait bien faire rét1échir ses ad versaires, -
la démocratie no dit plus aujourd'hui : Tout ou rion. Elle ne
l1it plus: Si ce gouvornement ne m'accordo pas toutes les ré-
formes que jo lui demande, je le combaltrai et iI tombera;
il disparaltra s'iI ne me satisfait pas pleinement. Non, la dé-
Illocratic ne tient plus ce langage. Elle dit aujourd'hui : Pro-
cétlons par gr:1dation, faisons notre programme, commenGons
par le commencement, ne touchons pas a tontes les questions
11 1a fois, ne faisons pas table rase, procédons avec ordre et
enchainement. Tout d'abord, ajoutait-elle, iI faut etfe instrnit,
armé, el avoir des rm:sources assurées; et elle bornait son am-




:ns DIscouns


bition a ces t1'ois réformes également urgentes. Ponvait-on la
satisfaire facilement '? En anrait-il coúl(~ beallc,ollp de satisfaire
ü ces t1'ois demandes de )'opinion publiq\F~ ég;llement justes,
au lien de dépenscr denx ans et demi en luttes st(~riles, en
complots insensé3, en projets de restanration qui ;1l1lenerainnt
des catastrophes effroyables? Étail-il p055ible de (J(~,:n~ler
l'obligation el la laIcité ele l'(~cole) d'dablit' l'irnp6t sur le
revenu el de faire ulle armée quí eút (~[('; véritablement une
(~galilé du serv:ce pour lOllS? (Olli! - Olli! - Adhésion
géné1'ale.) POllrqnoi done ne )'a-t-on ras raíl? Pill' ilnpni~­
sallee, par mauvaís vouloir. l\[ous somlllCS hien foreés de le
constaler.


Des lors, messieur:~, le <1evoi1' strict, impérieux, qni s'im-
pose a tOllt homme sOlleieux non-selllemetlt de la forme répn-
blicaine. mai'i de 11 démocr:llie, c'est, clwqne rois (ju'i! dépose
Utl bnlletin de vote, d'y inscrire ces troi:; quesliolls, non pas
a Paris selll~rnent, l11:1is parlout Oll le ~crllLil\ est ouvert. .T llS-
qlI'a pn~senL la déll10cratie n~pllblic:1irw n'a pas manqllé a ce
dcvoir. Partout on a imposé anx divers candidals qlli ont été
élus depuis deux ans ce progr;lIm11(~ des trois qlwstions pre-
mieres a résoudre. I1s ont accepté le m:mclat, !11::is ils Ollt été
impuissants a réaliser les réformes. C'C::it ce qni fait dire ;l ccr-
taines personnes: A qlloi servil':1it-il de reCOI1l111el1Cer une
épreuve inutile ? De nOllveaux élus, cllLlrgés de réclamer h3S
memes réformes que lenrs prédéeessellrs, serollt-ils plus beu-
reux a Versailles pour les obtenir? Et, sons le prétexte quc le
nOll-rel élu de Prlris n'obtien:lr;¡it ríen, 011 vons engage, cm vous
it1\'ite a voler ponr un candi(lat qlli vcultout le contraire ue ce
qlle nOllS demalldons et ([ni prolongerait indéfinilllcnl celle si-
tuation éqnivoque, eeUe politique impnissantc el sLérilc. (Hires.
- C'est bien! - Applaudissements.)


Cette démocrati(~, flui a su borner ses réclamiltions, qui sur·
tout a su établir une gradatÍon dans ses rev81ll1icaliolls, est-
elle, comme on fie plait 11 le dire, exclusive, en\'ielN~ et dé-
fiante? Hépugne-t-elle, comme 011 le prélendait ces jOllrs-ci
dan::; une autre réLlnion, ü tonto supériorilé intc!lecl.lCllc et




A lIELLEYILLE.


sociale? II faudrnit cepcndant s'habitner a parler la langue des
llOrnmes, au lieu de chercher ir les effrayer avec des calom
nies, comrno on effrayc les enfants avec des croquemitaines,
(Tres-bien! Bravo!) Non! la démocratie n'a pas de défiancl'
J l'adresse des hnmmcs do bonne foi qui font amencle honora-
ble, qui recol1missent qlle leur passé monarchique a été une
erreur. Oü a-t-on vu que nOllS lIyons repoussé dans nos jOllf-
Ilaux, dans nos cercles, dans 110S réllUio:ls, des hommos do
bonne foí? Parmi cCllx-lü qlli n'étaient pas dans nos rangs,
beallcoup étaicnt éloignés de nous, parce qu'ils étaient trom-
pes. Vous n'imaginez pas, j'en suis certain, que les mil-
¡lons de oai qno l'empire sophistiquait et aUirait ~t lui par tous
Ic:s moyens, éulient tous déposés daos l'llme par des bonapar-
ti:~tes. (Non! non! - Ass81l!iment générll.l.) 1\'on, en effet,
c'dai811L simplement des homrnos étraugers a la polilique
qil'on enj6laít; qni croyaient it la paix quand 011 les conduisait
ü la guerro, qui c'royaicnt ~l l'économie dan:; les [¡llances dll
pays quand on les menait au déficit. lIs acceptaient de con-
{iallce tontes les promesses, et ils votaient sinceremcnt, uans
l'e~poir qu'olles se réalisoraient. Mais ils allaient a l'erreur,
parce qu'ils n'étaient pas éclairés. Ce que voyaient ces millions
d'électeurs dan s le gouvemoment impérial, c'étaient d'abord
l'égalité civile dans la. pratique du suffrage universol, et
c'iHait, a un point de vuo étroit et de peu de portée, la SéCLl-
rilé ]lOllf lenf épargno. L'orure au declans, ils le croyaient
assuré, el on les trompait encore sur ce point. AlljOurd'hlli,
ces hons et loyaux FranGais vicnnenl dire : Nlms !lOUS sommes
trompés et nous venons ü vous; nous aurions dú vous écollter
plus tal et voter avec vous, llOUS eussioos ainsi évité la muti-
lation de la France. Les avons-nous rejetés, les avons-nous
repoussés? Non! non! (Bravos. - Tres-bien !)


Ceux a l'égard desqnels ¡a démocratie se montre sinon dé-
nante, au moins exigeante, ce sont ceux qui ont changé de
Cill1p et de parti, ql1i ont approllvé toutes les doctrines; ce
S0111 cel1X qui olll su, il ya viugt-lrois ans, escamoter la Répu-
!Jlique, assurés qu'ils étaient, qu'apres avoir joué leur comé-




3íO DISCOURS
die, ils pousseraient eette République débil e et conflante dan s
les bras du prioee qui se ehargerait de l'étouffer. (Salve d'ap-
plaudissemen ts.)


Mais les temps sont changés. Nous ne redoutoos plus les
conspirations de l'Élysée. L'homme qui est 11 l'f:lyséc est un
honnete homme, un homme de diseussion, et voiia qui doit
rassurer les tímides et les inexpérimentés, ~l qui ['on voudrait
faire eroire que nous revenons 11 la sÍtuation de 1850 et 1801.
Ne perdons pas de vne cependant que la majorité de l'Assem-
blée de Versai!Ies est composée d'hommes qui parlagent les
passions de ceUe malheureuse époqlle, et qui tiennent le memH
langage qu'autrefois. Et l'on voudrait que, de pres ou de 10in,
nons eussions confiance dans leurs paro les et qne nOl1S con sen -
tissions a. supporter plus longtemps la menace qu'ils tiennent
suspendue sur la République, et qui vous le sentez bien, tarit
toutes les sourccs de la prospérite publique! (Oui! oui!) L'igno-
rance du sort qne nous réserve ceUe Assemblée, c'est la ce
ql1i fait qu'on ne travaille pas a longlle échéance, que les tran-
sactions' se ralentissent, que les eommandes deviennent plus
rares, qu'on est inquiet sur tons les marchés du pays. En
effct, les gens d'affaires ne recherchent dans la politique que
la sécurité, et ils ont raison. Mais qui estoce qui les mcnace?
Est-ce la Répllblique ? Non. Ce quí les mcnace et ce qui pro-
longe le marasme dans lequel sont les affaires, e'est la réac-
tion. (C'est cela! - Olli ! OllÍ! - Applaudiss8ments prolon-
gés.)


C'est la réaction qui a inventé ce langage qui consiste a dire
que la démocratie est l'ennemie des supériorités sociales; c'est
la réaction qui déclare que la démocratie repollsse les hom-
mes supérieurs et distingués. Messieurs, s'il y a une v(~rité
bien établie, c'est précisément le contraire de eette calom-
nieuse invention. (OLlÍ! - GLli! - Bravos.)


Ce n'est pas dans [lO pays qui s'est toujours placó 11 la tete
des peuples, par ses gouts artistiques, par un tra vail supérieur
dans tontes les directions et uans toutes !es branches de 1 'in--
dustrie, par une recherche constante de ce qui est beau et




A BELLEVILLE. 34,1


grand, ce n'est pas dans un tel pays qu'on peut dire que la
démocratie est jalouse du génie, envieuse du mérite, ennemie
des supériorités intellectuelles et morales. Ce n'est pas a Paris
qu'on peut tenir un tellangage, ni meme en France. Qu'on le
réserve, si 1'0n veut, pour d'autres nations dont leur jalousie
contre nOllS a fait tonte la haine. (Bravos répétés.)


Le suffrago universel est difficile a tromper sur eertains
hornmes, Il sait que tel qui se présente a lui comme le dé-
remenr de ses intérets, eomme le protecteur des idées répu-
blicaines, nJest pas vérilablement trempé pour remplir cette
mission; un seeret instinct l'averlit et l'éclaire quand les
hommes qui se présentent a lui viennent d'un eertain camp,
et, avant de se prononeer, il Jeur demande des gages, Le
parti démocralique fait, en agissant ainsi, ce que tous les
partis ont faIt et reront dans tous les temps. Messieurs, s'il y
a un parti qui, lOÜ1 d'eLre exclusif et fermé, n'a pas toujours
bien placé sa conflance, je peux le dire ici, dans cette assem-
blée, dans eetto réunion, c'est as~urément le parti démocra-
tique. Elle serait trop 10ngue et trop humiliante a faire, la
liste de teux qui sont venus ~l vous, que vous avez accueillis,
exaltés et poussés au premier rang, de ceux que vous avez
soutenus de vos "pplaudissements, de vos sympathies pen":'
dant des années et qui, au moment méme Ol! il s'agissait de
rendre les services qu'ils vous avaient annoncés et promis,
se sont dérobés subitement! (Oui! oui! - Applaudisse-
ments. )


Savez-volls, messienrs, quel est le danger spécial a la
démocratie, car tous les partis ont un coté défectueux, par
Jequel jis sont p1us malades que d'autres et plus exposés aux
défaillances? Eh bien! j'ose le dire, ce n'est pas le souPGon et
la détiance, ce nJest pas l'esprit de secte, l'exclusivisme non
plus, qui sont le mal de la démocratie, c'est bien plutot une
inclination trop vive et trop prompte a l'approbation, aux
applaudissements, c'est surtout celte déplorable tendance a
croire qn'lln hornmo pellt iBearner une idée. Ríen de plus faux
et de plus dangerellx. Quant a moi, je vous le déclare, je lut-




342 DISCOURS
terai constamment eontre eeUe eonfusion qui a été trap SOll-
vent la cause de nos plus eruels reverso (Bravos.)


Dans le monde, dans les salons, di1ns les réuoions intimes,
on entend SOllvent un mot qui est sur toutes les levres et qui
est le secret de toutes ces apostllsies que nOllS avons vues.
Lorsqu'lln homme est arrivé, porLé par le parti républicain, an
premier rang dans la vie publique, les hommes des autres
partis l'entourent, ils le voient, ils le pratiquent et le ca-
ressent, et ils lui laissent enLenclre que la clifféren<;8 est gri1ude
entre le point 00. il est parvenll et celui d'ol:! il est parti; 011


. lni faH comprendre qll'on pourrait s'entendre et traiter avec
lui; qu'il peut devenir l'agent et l'instrument des meillcures
réformes. C'est par la, mlllheureusement, qu'on agit, non pas
seulement sur les consciences ciéhiles, mais sur les consciences
malsaines; et savez~vous quel est le terme élégant dont Ol! se
sert dan s eeUe situation? On lui clit a cet homme que I'on
c};¡erche a corrompre par le subtil poison de la flatterie : pour-
quoi ne laissez-vous pas la ces gens qui ne vous vi1lent pas ?
On n'est pas un homme d'Élat quand on ne sait pas coupel' sa
quC'Llc. (Hilarité. - Bravos.)


Voila la langue de ces mcssienrs. 01', couper sa queuc, c'est
ql1itter son pi1rti, c'est le trahir. (Tres-bien! - Applaudis-
sements. )


C'est pourtant la ce qu'on vous engage, par mille moycns,
a faire. Mais, messieurs, qllaml an appi1rtiellt d'esprit et de
ereur a un parti, quand on s'y cst dévoU!J, qlland on l(l con-
naH bien, quand on est pret ü résister ü li1 foís a se3 faiblesses


. et a ses exces, quand on est sút' de ne pas plus se laisser aller
a ses emportements qu'a ses dMaillances, on eomprend alors
que la véritable place d'un homme d'Élat, c'est de re:"iter :!.l\ns
le rang, au milieu ele ceux qui vous ont porLé, qui vous ont sou··
tenll, pour les éclairei', les inslrnirc, les modérer ql1an<l ils
s'emportent, les exciter qlwnd ils l1cnlent conragc, pOllr les
gouverner enfin. (Profol1l1e sensation. - C'est vrai! - Vous
avez raison! - Vifs applalldis::iemcnts.)


Cal' les partis qui velllent gouverner doivent apprcmclre




A nELLEVILLE. 3i3
d'abord a se gouverner eux-mémes, et e'est a quoi leurs ehefs
doivent tout d'abord leur servir et s'appliquer. Tous ensemble,
les chefs et les partis, doivenL arriver aux affaires. Ce n'est
pas, messie\Jrs, ce qui nous est échu avec plus d'lltl homme
que nous avons poussé. A mesure qu'on le poussait, iI est ad-
venu que l'homme quitl;1it le partí, pour les affaires. (Rires .
. - Tres-bien! - Bravos.)


Heureusement pour la Répllblique, la plupart des hommes
qui, depuis trois ans, grüce a eette lutte terrible par laquelle
ils ont passé, ont surgi d;¡ns la province el a Paris, bien que
portés inopinément aux affaires, onL su les apprendre a force
de vouloir, de résollltion, de lé1beur, d'app!ication; anjour ..
d'hui ils les savcnt. Nous sommes le nombre, et, si nous vou-
lons nOllS appliquer a apprendre, ne seronS-I1OUS pas bientót
l'intelligence? 01', quand nous serons le nombre et l'intelli-
gence a la fois, le jour ne tardera pas a venir Ol! nous ferons
de la République, non pas une dérisoi're éliquette, mais une
réalité féconde. (Salve d'applaudissements.) Messieurs, je le
répete, parce que e'est ma profonde conviction~ on ne gou-
verne el on ne dirige son parti qu'a la condiLion de res ter au
milieu de lui, de partager ses malheurs et ses espérances, de
s'associer a ses sacrifices et á ses dévouements. Ce qui a em-
peché la démocratie franGaise de commander toujours le res-
pect aux alltres partis, e'est d'avoir créé trop de transfuges.
;\Iais qui les a faits, ces transfuges? Est-ce votre esprit de
souPGon OLl bien volre empressement a vous laisser séduire ?
Est-ce votre confiance trompée? N'est-cc pas pluL6t leur propre
ambition? (Tr{;\s-biel1! - C'est cela! - Applaudissements.)


Messieurs, ce qni s'agite aujourll'hlli dan s notre grande
cité répuLlicaine, ce n'est pas la lutte entre denx hornmes, ce
n'est pas une querelle éleclor3le, ce n'est pas meme une ques-
tioll purement parlementaire; ce qui s'agite a l'beure actuelIe,
c'est la question de savoir si on [era 11 la démocratie sa place
(bllS les affaircs du paJ'~). (Olli! ~- C'est cela! - Tres-bien!)
Ceux qui se el~corelJl dLl nom ele classes dirigeantes disent et
cherchent á faire croire que la démocratie esl sauvage, bru-




344 DISCOUHS
tale, inexpérimentée, incapable et inculte; qu'on doit la gou-
verner, mais qu'elle ne pOllrra jamais gouverner. Eh bien!
messieurs, rien de toul cela n'est vrai; je dis qu'il faut abjurer
ceUe idée fausse et dangerellse; je dis qu'il faut arriver a
comprendre cnfin que la démocratie, qlli est la force du pays,
uoit entre1' dan s la gestion des affaires de ce memo pays el y
prendre sa place et son role. (Applaudissements répétés.)
C'est ce que j'ai exprimé d'un mot dans un ue ces voyages
que j'ai faits en Frrrncc, non pas pour faire des discours,
comrno le disent de misérables rhéteurs, mais pour apprendrc,
sur place, a connaHre les populations qui composent notre
démocratie. A l'ouest, all nord, au sud, savez-vous co que
j'ai Vll, ce que j'ai constaté? Savez-vous ce qu'on no me par-
donne pas u'avoir dit? e'est que la France est partout la
meme, c'est qu'une unité admirable :ll1ime sur tons les points
le parti répl1hlieain, e'est que partout il entre allX affaires en
forc;ant la porle de ces' vieilles citadelles d'ol! il avait tOlljOurS
été exclu; iI est dans les Conseils municipaux, d'arrondisse-
ment et généraux, et, partout, il y gere aujourd'hui les inte-
rets du pays aussi bien que ses devanciers; demain, iI les
gérera mieux. (Oui! olli! nous en répondons. - 1l'res-bien!
- Applaudissements.)


Devant un pareiI spectacle, j'aí pensé, messieurs, qu'il ne
fallait pas rester muet; j'ai pensé qu'iI fallaít dire an p;:tys :
Releve-toi, car tes richesses 80nt inépuisables! Heleve-toi, car
il y a dans cette nati0n une seve, une force vierge que 1'on n'a
pas encore ulili~ée, et a quí la France devra la restauration
de sa prospérité et de sa grandeur! (Bravos enthousiastes.)
Avais-je l'intention de présenter ceUe force nouvelle comrl1e
une mena ce ? Nullement. Je la considérais, au contraire, et je
l'ai dit, comme un éIément d'ordre et de paciflcation, a la con-
dition que les politiques comprissent qu'ils avaient devant enx
non pas une révolution, mais une évoiution politique el sociaIe.
(Explosion d'applaudiss8rnents. - Sensation.)


C'est ce que fai désigné d'un mot, qui a eu, je suis 10in de
m'en plaindre pour notre cause, le plus grand retentissemeot.




A BELLEVILLE. 345
J'ai voulu dire etj'ai dit que partout on constate le meme phé-
nomene, que partout on assiste a la meme floraison magni-
fique et féeonde de la démoeratie. Les nouvelles couehes
sociales dont j'ai parlé, c'est le monde dn travail qui veut en-
trer dans le monde de la poli tique, paree qu'il en a le droit et
qu'il en est devenu cnpable. (Longs applaudissements.)


Ce sont la des ehoses justes, vraies, utiles a dire partout,
ntiles a dire surtout, iei, a Belleville, a Belleville le mal famé
(hilarité générale), a Belleville dont les ~cribes de la réaction
cherchent a faire un fantóme qlli n'excile plus que la risée des
populations. Apprenez-le done, mes amis, en Franee il n'est
plus un viUage, aussi éloigné qu'il soit du centre, oll 1'on 118
vous connaiSS8; il n'est pas un point en Franee, oil qlland on
parle de París, il ne surgisse, a ce nom si eher et si glorieux
de París, une immense acelamation de reconnaissance, de res-
pect et d'admiration. Ces sentiments si nobles, tous les Fran-
c;ais les éprouvent. Aussi, messíeurs, e'est ma ferme espérance:
quand on le voudra, la F:canee manifestera son admirable
unité, cette indestructible solidarité de toutes ses eomml1nes,
qui, npres tant de désastres et de deuils, nous rameneront a
ces grands jours ,dont 1l01lS ne devons jamais oublier le SOllve-
nir ni perdre l'enseignement, aux grands jours de la fédéra-
líon franQaise de 1790, oü tOllte la France vint a París se dire
le secret de ses indomptables espéranees. (Double salve d'ap-
plaudissements. - Cris répétés de : Vive la République! -
Y¡ve Gambetta !)


Apres ce discours, qui a causé uaTI3 l'auditoire la plus vive
impression, la parole a élé donnée a M. Marlin Nadautl, qui a
prononeé une chaleureuse allOculiol1 J pleine d'avis sages el pa-
trioliqucs sur la conduitc a suivre dans la IULte aeluelle. II a ter-
miné ecUe pelite haral1gue, a la maniere anglai~e, en rnetlant
aux voix la candidat.ure de M. Darodct. Elle a réuni l'unanirnité
des suffrages.


L'assemblée s'cst séparée ensuile dans le plus grand ordrC'i'"
ehacun versant a la sorlie son offrande pour subverJÍr auxmis .:;:.
de l'élection •


.,







DISCOURS


PRONONC~ A·NANTES


Le 10 Mai 187:~


MESSIEURS ET CIlERS CO:\CITOYENS,


Permettez-moí, en me lcvant, de boire aux progres de la
démocratíe nantaise, de hoire aux triomphes récents que le
suffrage universel vient de remporler ici et par lesquels iI
vient d'affirmer de la maniere la plus éclatante la solidarité qui
réllnit toutes les villes, - que dis-je, toutes les villes? toutes
les municipalités de France, - dalls la meme défense de leurs
franchises communes.


l\Iais une fois ce tribut payé a la municipalité de Nantes,
apres cet hommage rendu ü votre corps électoral, permettez-
moi d'aborder directement le sujet de notre entrevue.


Il y a plus d'un an que j'ai pris, a l'égard de vos amis,
l'engagement de venir vous visiter, de me rendre au milieu de
vous pour y recueillir vos impressions, ponr me pénétrer de
vos propres pensées, ponr étudier avec vous l'état. du partí
ft':publicain dans ce riche eL beall déparLement de la Loire-In-
f(rieure, a ql1i - Iai~sez-moí le dire - iI reste quelque chose
it raire s'il veut placer sa honne réputation républícaine d'au-
jourd~hlli a la hauteur de eelle que lui avaient faite vos devan-




348 Dlscouns
ciers dans la carriere et qui ele Nantes aVélit rait le premier
centre politique de l'Ouesl. 1Iessieurs, cette dette que j'avais
contractée a l'égard de vos amis, qui vous représentaient I'an-
née derniere a notre réunioll d' Angers, je suis bien heureux,
bien tOLlché de pouvoir la payer lllljourd'hui en allssi bonne et
en aussi nombreuse compagnie. (Tres-bien! tres-bien!)


Depuis cette époque, il s'est passé bien des événements en
France. Depuis un an, en effet, nOllS avons assisté au duel le
plus dramatique qui puis.se se rencontrer dans les annales d'utl
peuple. Nous avons vu une nation tout entiere, gagnée 11 la
cause de la démocratie et de la Hépubliqlle, procéeler lente-
ment, sagement, pacifiquement, légalement, a l'élimination'
lente, a l'expulsion progressive d'un systeme de gouvernement
politique que ceUe nation rejette et répudie paree que ce sys-
teme représente le passé. A partir du mois de jl.lillet 1871,
date a laquelle il faut toujours revenir, paree qu'elle a élé
comme l'aurore de la renaissance politique du pays (Bl'avos.
- Gui! oui!L nOllS avons vn le suffrage universel, tont d'un
coté, signifier modérément, mais résolument, a ces manda-
taires du premier moment qu'il avait envoyés en février 1871
siéger a Bordeaux, que, la paix étant faite et leur tache spé-
ciale accomplie au point de VLle politique, ils n'étaient pas en
harmonie avec la majorité de l'opinion. Le suffrage universel
a recherché ensuite toutes les occasions, dans les qU8stions
relatives aux intérets de la communc, du département on de
l'État, de bien démontrer, de bien établir que la France avait
résolu de mettre un terme au mandat qu'elle av;:lÍt conféré
apres la gllerre, sous le coup de l'invasion. Cette démonstra-
tion s'est poursuivie, depuis un an, avec un caractere pro-
gressif; et c'est la, messieurs, ce qni est surtout frappant. Les
premiers choix du suffrage universel n'avaient qLl'une signifi-
cation relativement et modérément hostile it l'Assemblée mo-
narchique de Versailles; mais a mesure qne la résistance de
l'Assemblée s'est accentuée et a mesure que l'on a vu se res-
serrer, devenir plus compacte et plus résistal1t aux volonté!:i
de la France ce noyau d'hommes qui, sentant tres-bien que le




A NANTES. 349
mandat qu'ils ont reQll est épuisé en leurs mains, qui, saeI1ant
le sort qui les altend lorsqu'ils eomparaitront devant leur jllge
naturel, ne veulent pas se déposséder de l'autorité qu'ils dé-
tiennent injustement; a mesure que le pays a vu eette résis-
tanee, eeHe inattention, cet aveuglement, il a voulu faire, il a
fait des ehoix de plus en plllS significatifs. (Olli, c'est cela!
tres bien! tres-bien I - Bravos.)


Messieurs, c'est le pays qlli a fait ces ehoix et llon pas,
comme ontosé ¡'inventer les journallx hostiles, un parti occulte,
clandestin, ténébreux. Non! messieurs, on ne remUé pas la
France a l'aide d'une organisation ténébreuse et qlli ne pour-
raít pas s'a vouer; non! on ne me t pas le suffrage uní versel
tout entier ell mouvement au moyen de complots souterrains.
(Marques d'adhésion. - Bravos.) .


Ce qui a faít que la France s'est prononcée pour la Répu-
blique, et qu'elle a choisi des candidats de plus en plus signi-
ficatifs, de plus .en plus miIitants, jI faut le répéter ~ans cesse,
messieurs, c'est que la France a vu que ses pr~miers avertisse-
ments n'avaient pas été entendus, que ses premiers avis avaient
été rejet~s; c'est elle qlli a cherché, qui a troul'é le moyen
de porter jusqu'a Versailles, ju~qu'all pouvoir, sa voix mécon-
nue, sa voix dangereusement méconnue. (C'est cela! - Tres-
bien' - Applaudissements.)


Et remarquez-le bien, messieurs, elle s'y est prise de telle
80rte que la légaIité, que la prudence et la sagesse sont restées
tout entieres du coté du corps électoral, c'est-a·dire du cót.é de
cette masse a qlli I'on reproche avec un déclain ridicule de
vouloir tOllt courber dans le pays sons la brutalité du nombre.
(Bravo! Bravo! - Salve d'applaudissements.) Oui, messieurs,
notre par ti vient de prouver une fois de plus par sa prlldence;
::a modération, par les choix haLiles et heureux qu'il a su faire
pour établir les légitimes grief"l du pays; il vient de prollver
surtout, par la sage restriction du mandat conféré allX derniers
élus, que notre édl1cation politiql1e accomplit chaque jour de
nouveaux progres el que nOlls. rnéritons de plus en plus la
conflance de la nation. Et }'on voudrait faire croire que tDus


20




350 DISCOURS


ces résultats or'lt été obtenus a l'aide d'une organisation se-
crete, ténébreuse? Messieurs, cela est impossible; ear a me-
sure que les éleetions se suceédaient d:111s le pays, on a pu
assister a une complete et magnifique úvolution des couches
les plus nombreuses et les plus profondes dll pays vers la Ré-
publique: a tel point, messieurs, qu'apres les dernieres élec-
tions, on a pu faire ce calcul, dont la conséquence, immense
et décisi ve pour nous, écrasante pour nos ad versaires, est que
si ron supprimaiL des listes électorales les élecleurs républi-
cains des villes, pOllr n'y maintellir a cóté de tous les électeurs
des campagnes qne ceux, dans les memes villes, dont les votes
sont réaetionnaires, nOllS triompherions encore, grüce a cette
sorte d'élan unanime qui s'est emparé de la race tout entiere
et qui entralne sans distinction les vilIes et les campagnes de
la France. (Bravos. - Applaudissements prolongés.)


Il est impossible, en présence d'ime démonstration aussi
rigoureuse et d'un triomphe au:::si décisif de la volonté natio-
nale, de fermer plus longtemps les yeux. On ne pourrait plus
di re maintenant comme autrefois : L'opinion est avec nous, le
pays nousasuit. Que parlez-vous des résultats de certaines
élections isolées? Ce sont HI. des agitations superficÍelles sans
aueun retentissement et qlli n'ont pas d'écho dans le fond de
la conscience nalÍonale. Non, on ne pourrait plus tenir un pareil
langage. La France entiere s'est prononcée. Alor5, messieurs,
voyant qu'on ne peut plus ralIier l'opinion ni lui faire ratilier
la politique de l' Assemblée ue Versailles, a quoi pense-t-on
aujourd'hlli? Il faut le dire tout haut, messieurs, paree que
c'est un devoir : on pense a se retourner contre ceux-lil dont
on tient son mandat, contre ceux-la qu'on a lrouvés parfaite-
ment libres, parfaitement eapables, parfaitement moranx en
février 187 L (Hilarité.) On se retourne contre le sulTrage uni-
versel et on lui dit : Pllisque tu ne veLlX plus sanctiollner notre
souveraineté, nous allol1s te uécapiter! (OLli! oui! - Applau-
dissements prolongés.)


Messieurs, nous n'en sommes encore qU'ilUX mcnaces; mais,
si des menaces OIl passait ü" l'exécuUoll, jI faudrait élever la




A NANTES. 301
voix plus haut encare et dénancer au pays une telle entreprise,
en l'appelant de son vrai nomo Or, a moins que la raison de
l'homme ne soit un vain mot, cela s'appelle, dans une langue
politique bien faite, une véritabJe usurpation, un véritabJe at-
lentat. (Oui! - C'esL cela! - Bravos répétés.) Car l'attentat,
c'est la révolte de celui quí doit obéir contre celui auquel
on doit .l'obéissance; et l'usurpation, c'est l'asservissement
d'une autorité légitime et légale par une autorité qui empiete
illégitimement et jJlégalement sur l'autorité premiere dont
elle émane. D'un c6té l iI y a l'universalité des cÍtoyens s'ex-
primant par le suf[rage universel; d'un coté, il ya la France
tout entiere revendiquéll1t l'exercice de sa souveraineté; et,
d'un autre coté, iI y a des mandataires qui n'ont d'existence
politique que ceUe que la Fr<lnce lellr a clonnée, 'lui n'agissent
et ne votent qu'en vertu cl'une clélégation antérieure du suf-
frage universel, le vrai et le seul souverain. Eh bien! je vous
le demande, lorsque ceux-ci venlent diminuer, amoindrir la
souveraineté de ceux-Ia, de quel coté est l'usurpation, de quel
coLé est l'entétement, de quel coté est l'attentat, de quel coté
est la tenlaLive révolutionnaire ? (C'est cela! - Tres-bien! -
Applaudissemen ts.)


Voila la vérité, messieurs , sur la situation ; el cette vérité,
toute la France l'aper<;oit anjourel'hlli. Ne nous lassons done
pas ele le répéler, puisque tout le démontre : la clémocratie est
li.yant tOlll, aujourd'hui, un parti d'ordre et de gouvcrnement.
Ce qu'elIe poursuit sans relflche, a tl~avers les revendications .
successives, c'est la stabilité, c'est la constitution da gouver-
llell1ent véritablelllCnt définiLif, et non pas de ces gouverne-
ments qui, sous prétexte de garantir, d'assurer l'ordre en
perpéLuant le pOl1VOÜ' entre les mains d'une meme famille,
out éL(~ impuissants h [aire antre chose gu'a pOllsser la France,
tons les ({uinze ans, comme par une sor le de hail contraclé avec
le malheur et les c2.tastroplles, soit dan s les crises des révolu-
lion"l soit dans les ablmes de la llonte! (Mouvement. - Mar-
qnes unanimes d'adh(~sion.) La Franee répuolicaine veut pré-
venir le reLour de ces révolutions périodiques, elle veut eu




352 DISCOURS


flnir avec ces mouvements passionnés trop souvent rendus né·
cessaires par les fautes d'un despotisme aveugle et malsain;
en finir ave e les erises violentes qui, entendez-le bien, ne cou-
tent véritablement qu'au peuple, cal' c'est lui, en définitive ,
lui seul, qui les paye de son sang, de ses chomages et , plus
tard, de sa proscription. N'est-ce pas le peuple, en effet, qui
est d'abord la victime sanglante des révolutions dans la rue, et
qui plus tard encore devient le transporté des pOlltons? (Olli!
Tres-bien! -- Vifs applaudissements. - Cris répétés de : Vive
Gambetta!) C'est done le peuple qui est le plus intéressé 11 ce
qu'il n'y ail plus de révolutions, puisque c'est avec sa subs-
lance qu'on les fait, et qu'il en paye toutes les conséquences.
II ne fant plus a aueun prix de ces révolutions stériles et vio-
lentes qui surgissent toul a coup eomme des forees spon tanées
et incoercibles, qui jaillissent du sol, hatives et prématurées ,
non préparées, non étudiées , sans personnel, sans réformes
pretes, sans garanties ni pour les droits, ni pour les intéréts.
Quel est le fmit ordinaire de ces tentatives désespérées ? Elles
amenent inévitablement ces sJuvages et éhontées réactions oü
le pays laisse sa bonne renommée, sa dignité morale en meme
temps que sa forLune. (Salve d'applaudissements.) Allssi bien,
messieurs) ne faut-il plus dan s ce pays qll'on dise que le parti
républicain est révolutionnaire, dansle mauvais sens de ce mot
dont on a tant abusé; le parti républicain a une trndition it ln-


. quelle il entend demeurer ftdele , puisque c'est it la fois son
honneur et sa force; cette tradition, c'est la Révolution f1'an-
Gltise! Oui, messieLlrs, nous sommes les héritiers et les eonti-
nuateurs de la Révolution franGaise, mais c'est tout autre chose
que d!étre des révolutionnaires de profession.


La Révolution franGaise , c'est purement el simplement la
loi nOllvelle parmi les hommes. Les efforts des siecles sont
venus aboutir a la Révolution fran<;aise, pour produire parmi
les nations des bienfaits plus grands que l'affranchissement
d'une Église, comme a fait la Réforme du xvrC siecle. La Ré-
volntion franQaise, e'est l'affranchissement de tOLltes les eréa-
tures vivan tes, non-seulement eomme irHliviJ US, l11élis cnmme




A NANTES. 353
membres d'une société collective. D!3 telle sorte, messieurs,
que, pour ceux qui poursuivent l'établissement de la justice,
iI n'y a rien en dessus ni en dehors de la Révolulion franQaise.
Elle reste pour nous le dernier mot des con quetes de l'esprit
politiqueo Anssi, que voyons nous depuis soixante-quinze ans?
Nous voyons l'esprit du passé s'épuiser a faire des révolntions
contre la Révolution fran~aise pour lui barrer le chemin et la
faire rétrograder.


Aujourd'hui' que nOllS sommes en possession de la forme de
notre gouvernement, qu'il ne suffirait pas a coup sur d'avoir
proclamée pour avoir résolu lous les problemes politiques et
sociaux qui nous intéressent, mais sans laquelle on ne peut les
résoudre, - alljourd'hui· que nous sommes en possession de
la forme républicaine qui n'est pas une solution , mais un
moyen, c'est avec cel outil, avec cet instrument supérieur a
tons ceux qui ont été employés jusqu'a présent, que nous de-
vons chercher a faire passer , dans la législature et dans les
mreurs, des idées et des doctrines depuis longtemps exprimées
er, premierement, cette grande et juste idée de l'égalilé civile
eL politique. (Mouvement d'adhésion.) Je n'ai pas dit, rernar-
qnez-Ie bien, une égalité niveleuse, jalo.use, ambitieuse et chi-
mérique; j'ai voulu parler de cette égalité civile el politique
qui nous a été promise il y a quatre-vingts ans , qui a été ins-
crite au frontispice de nos cOllstitutions comme sur le fronton
de nos édifices publics¡ et qui paralt un décor de théfüre, mais
que jamais 011 n'a fait réellement entrer dans nos usages ni
dans nos lois. (C'est cela 1 - Tres-bien! - Bravos pro Ion ~
gés,)
. C' est cette reuvre que le pays poursuit a vec une persévérance


el dans des cooditions de succes plus ou moins propices depuis
que le probleme est posé. Et si, en ce moment, vous le voyez
calme, réfléchi, attentif, c'est qu'il a la certitude qu'en luí lais-
sant le suffrage universel, qu'en lui laissant la République non ..
sculement comme gouvernement, mais aussi comme moyen de
gouvernement, il arrivera fatalement, par la force des choses,
a reprendre et ,a continuer pacifIquement l'ceuvre ioterromplle


!O.




35' DlSCOURS
de la Révolution franGaise. C'est dans ce but, messieurs, qu'il
demande d'abord a se débarrasser d'llne Assembléc qui n'ex-
prime nullement les aspirations de la France, oü ron ne trouve
meme plus de véritables partis politiques bien disciplinés et
bien groupés; d'une Assemblée 8nGn qui ne représente plus
qu'elle-meme, et, je l'ai dit et je le répcte, re n'est véritable-
rnent pas assez. (Rires. - Tres-bien! tres-bien!)


Il a été procédé, dan s les ql1atre cinquiemes du territoire
ele la France, par suite de renouvellements succe'ssifs, a plllS ue
170 élections de députés depuis la llomina tion de l' Assemblée
de Versailles. On a interrClgé des popula¡ions d'origine, de
mreurs, de tendances les plus différentes, et elles ont toujollrs
répondu de la meme maniere, elles ont loujours sui vi le mC1l18
programme, élu les memes hommes; car, on a raison de le
dire, rnessieurs, le parti républicain esl le parti impersonnel
par excellence, et, soit qu'on les trouve a la tele, soit qu'on
les tire du milieu de notre parti, les hommos qui le composent
se ressemblent, parce qu'ils partagent les memes idées, pro-
fessent les memes principes, Liennent le me me langage" et
qu'ils ont les memes mreurs en servant sons le meme drapean.
(Tres-bien! - Applaudissements.) .


La France ayant ainsi affirmé, S~lr tous les points de son
territoire, la meme polititiqlle, on devrait penser qne ces
mandataires de la premiere heure, investis par elle, dans des
jours cruels et néfastos, de son autorilé, vont entendre sa
voix, se ranger a son avis, comprendre ql1' on ne doit pas,
qu'on ne peut pas lutter contre l'opinion se manifestant ayec
tant d'unanimilé et d'énergie, qll~ c'est .folie de se meUre en
révolte contre le senlimer:t puhlic quand on n'est pas tém8.-
raire, quand on veut l'ordre, puisqu'on crie si haut qll~on veut
l'ordre. (Rires.) L'ordre, messieurs, l'ordre vrai et durable!
ou devrait-on le chercher aillenrs que dans nn accord sinc f3re,
dans une harmonie parfaite entre la volonté nationale netle-
rnent exprimée et cen.\' ql1i ont re<;\I la délégation de cette
rneme volonté? Ne devrait-on pas comprendre, en effet, que,
pour fonder }'ordre vérilable, la premiere condition est que la




A NA~TES.


volonté du pays soit suivie, respectée et exécutée par les fonc-
tionaires el par les hommes de }'État placés a la tete de la
nation? Si cette condition n~est pas réalisée, ce ne sera que
du désordre. Les pOlI1/oirs pulJlics seront en lutte contre la
natíon.


C'est la, messieurs, ce que j'3ppelle l'anarchie. (Oui! oui!
--- Marques d'assentiment.)


Je disais lout a 1'!Jeure que, dans tous les départements ou
les élections viennenl cl'avoir líeu, ]e pays s'est tOlljours pro-
1J0neé dans le memo sens. Quallll je dis tons, c'est une erreur.
11 Y a eu del1x départelllents qllí ont rompu ceUe bienfaisante
lIniLé et elllpecllé naire triomphe d'etre completo De ees deux
dép3rlements, l'un esL a vos portes: c'est le J\lorbihan; l'au-
lre, c'est la Cha1'ente-Infúrieure, et Nantes, qui se trouve entre
ces deux départemenLs, me semble elre un p3.ys excellent pour
y l)(ule1' de ce double échec.


Pourquoi avons-nous succombé dans le ~Iorbihan? Et tout
cl'abord, je reconnais que de pareilles défaites sont pleines de
fl1'0111es:;e5 lorsr¡I1(~, dans la luLtc, 011 s'est tonché ele 5i preso
Dans ele lelles comlitions d'insucces, on peut croire qll'avec du
zele et do l'énérgie 011 obLiellclra llrochainement la rnajorité.
Ce[:endélnt iI faut rccllercher pOllrquoi nous avons échOLlé a
de!lX l'eprises stlccessives dan5 le ~lorbihan, lorsque nous
avions pour candidat un homme aussi justement estimé que
l'honorable 1\1. Beallvais, et dont l'influenceest éLablie daos
son pays. A quoí donc aLLribuer ceUe défaite '1 Eh bien! je le
dis sallS détollrs, il fallt l'aLlribuer a cette circonstance que,
clans ce pays dn Morbihan, nous avons rencontré devant nous
le grand obstacle, l'influellce cl~ricale. (Olli! - Bravos.)


Ah 1 que rÉglise se consacre a ce qu'elle appelle ses devoirs,
qu'elle reste dans ses temples, qll'elle s'y livre a une propa-
gande purement religiense, qu'elle ne cherche qu'á diriger
des consciences dans le domaine surnaturel ou elle se meut,
j(~ n 'ai rien a oJ¡jecLer. Mais qll'elle devicune un partí poJitique,
qn'ellc se transforme en une faction qu'on trollve achaque
pus dans la vie civile, quí descellu cOilslamment uanS l'arene




356 DISCOURS
éleetorale ayant avec elle et pour elle les fonctionnaires qu'elle
pousse, qu'elle presse, qu'elle renverse ou qu'elle éleve a son
gré, voila, messieurs, ce que je ne comprends pas, et c'est
eependant ce qu'elle fait aujourd~hlli; elle se sert aujourd'hui
des fom:tionnaires comme elle se servait autrefois du bras sé-
enlier.


Dans l'ancien temps, l'Église disait : Ce n'est pas moi qui
verse le sang. Trop souvent, hélas! on 1'a versé ponr elle et
dans ses inLérels. Aujourd'hui elle dit encor8 : Ce n'est pas
moi qui rn'ingere dans la poli tique ; les aITaires temporelles ne
sont pas de mon domaine. Et c.ependant partout on y sent sa
présence, elle s'en occup~ et la dirige a SOll gré, mais par
procuration. (Oui! - Tres-bien! - AppIaudissemcnts pro-
longés.)


Messieurs, iI est de notre devoir de dénonc.er celte in ter-
vention occ.ulte, tout afait contraire a une saine politiqueo En
eITet, il n'est pas hon, iI n'est pas sage, il n'e8t pas profitable,
meme allX intérets religieux qu'on vent défendre, de transfor-
mer l'Église en un partí de combat dans l'État; il n'e8t avan-
tagellx pour personne, ni pour le gouvernement, ni pour la
société, ni me me pour les fideles pieux et sinceres, intelligents
et avisés d'une Église) qu'd y ait une faction la Ol! il ne de-
vrait y avoir qu'une association religieuse. (Tres-bien! -
Applaudissements.) CeUe action sOllterraine, intolérante; abu-
sive, tyrannique du cJergé, Ol! s'exerce-t-elle principalement
et sur quel terrain triomphe-t- elle? Vous le savez et vous
m'avez déja répondu. Il faut bien dire d'ailleurs que ces
triomphes de l'esprit clérical deviennent de plus en plus
rares. Vous avez assisté a des démonstrations Ol! l'on sentait
plutót le besoin de réchauffer un zele qui s'éteint que l'ardeur
d'une foi bien sincere. (Hilarité.) Malgré ces pelerinages et
ees miracles presque journaIiers et que l'on annonce (nou-
velle hilarité), le cJergé n'en voit pas moins décroitre de plus
en plus son influence électorale, el nous savons qu'il ne lutte
plus guere avec avanLage que dans les localités ou il n'ya
point d"écoles, point de presse et point d'esprit public; que




A NANTES. 357
dans les contrées ou I'on n'a Pis pris l'habitude de juger,
d'examiner les choses de la politique, que la enfin - car
l'Église fait fleche de tOllt bois el se sert de touS les moyens-
oú il Y a prédominance, dans la langue, du patois sur le fran-
Qais, et ou les idées générales ont plus de peine a pénétrer.
(Marques générales d'approbation.)


e'est en effet dans les contrées du pays couvertes de la tache
noire de l'ignorance que l'esprit clérical travailIe et triomphe,
et notre devoir se trouve ainsi tont natnrellement tracé. Il faut,
rnessieurs, rnain tenir énergiquement ceUe premiere revendi-
eation du parti républicain, qui réclame l'enseignement par-
tont. Oui, il faut partout installer le maitre d'école, mais un
certain maUre d'école, un maUre d'école sans costume romain,
un maitre d'école frall<~ais, parlant la langue des citoyens fran·
Qais, et non pas un maUre d:école parlant une langue dont le
véritalJle vocabulaire, le véritable dictionnaire est encore au
Vatican (Tres-bien! tres-bien! - Salve d'applaudissements),
un maUre d'école véritablementdévollé aux idées de la société
moderne, et non pas une sorte de prédicant ennemi de cette
société et croyant faire ffiuvre pie toutes les fois qu'ill'attaque,
qu'il l' ébranle, qll'illa décrie, qu'il la dénonce a la suspicion
des faibles et des ignorants. Tenons-nous done fermement
altaehés a la partíe de notre programme relative a l'instruction
gratuite, obligatoire et JaIque, si nous voulons faire disparaUre
cette tache électorale. e'est la qu'est notre devoir; mais ce
devoir, nous ne pourrons le remplir daos toute son étendue
[{lle lorsque nous aurons une Assemblée véritablement résolue
a entreprenure cette tache difIicile et a preter sur ce point son
concours a tous les bons citoyens. Jusque-Ia, mes amis, ayons
patience, puisque nous n'avons rien a attendre de l'État;
mais ne cessons pas d'agir dans le domaine de l'aetion per-
sonnelle et quotidienne. Il vous appartient individuellement de
franchir les limites de votre territoire pour vous créer des re-
lations dans le département voisin et pour y faire la propa-
g:1t1ue de vos idées. II ne faut pas rester cantonnés chez vous;
il faut aller clans le pays voisin pour y porter a volre tour la




DISCOURS


bonne nouvelle, car, nous aqssi, nous avons la honne nouvelle
a apprendre aux ignorants, aux déshérités qui gém5ssent en-
core sous le joug de l'ign6rance et de la peur. Ce joug funeste,
ils en sentent bien le poids si lourd, mais ils l1e peuvent ni le
soulever ni le secouer, paree qu'ils ne se s8ntent éclairés ni
appuyés par persontle : c'est ainsi qu'ils se résignent a le por-
ter et qu'ils trainent et finisscnt leur vie toujours courbés sur
le sillon, sans jamais lbver les yeux vers la lumiere. (i\Iouve-
mento - ApplaudissemenLs.)


Ce devoir de propagande appartient anx hommes qui m'é-
coutent; c'est a eux d'aller dan s les campagt\es: ils y feront
vraiment l'mllvre pie par excellence, celle qui consiste a émun-
ciper un homme. Cela, messieurs, c'est aussi une religion~ qllí
pourrait bien etre la véritable. Cette religion s'appliqlle a
prendre un homme ignorant, r.empli de préjugés, dMiant,
soup<;onneux, égolste, et, rien que par la persuasion, par la
douceur, par la pénétration, elle slapplique a l'amener a soi,
a l'élever, a lui faire comprendre ce qu'il y a de beau, ce qu'il
y a de grand dan s l'homme, et surtouL dans ses rapports avec
ses semblables au triple poinL de Vlle de la famille, de la cit(~
et de la patrie; dans cet échange de pensées, dtJ sentiments et
de services mntllels qlli est comme la véritabIe consécration
du sentiment de dignité que l"llOmme doit inspirer a l'homrne,
et qui est le vériLable fondement de la justice. (Mouv8ment. -
Applaudissements prolongés.)


Examinons maintenant ce qui s'est passé dans l'autre dépar·
tement ou nous avons échoué. Ah! il Y a des gens qllÍ mienx
que nous sont a meme de conl1llltre et d'apprécier les raisons
de l'insucces du candidat républicain modéré qui s'est présenté
dans le département de la Charente-Inférieure. C'est un fort
honnete et fort galant-homme, digne entre tous, qui a donné
des gages au parti républieain dans le passé, et parfaitement
apprécié par ses compatriotes. Il avait a lutter avec un COl1 M
current qui avait exercé dans le département sa profession
de .•. préfet a poigne. (Hilarité prolongée.)


Dans ce pays qu'il avait administrG, iI avait laissé des sou-




A JUNTES. 359


venirs, c'est certain (nouvelle hilarité); mais iI avaít surtout
laissé d'anciens subordonnés, d'aociens collaborateurs de celte
poli tique électorale de l' activ ité dévorante qui, lors du plé-
biscite, nous a causé un mal cruel dont nous nous souvenons
encore, puisque c'est ce fatal plébiscite qui nous a perdus!
(Oui! - Mouvement.) Tel était l'adversaire opposé a la dé-
m~cratie républicaine par la coaIition de tous les conserva-
teurs. Pour en parler en passant, cette coalition édifiante est
une sorte d'association a responsabiIité illimitée entre les re-
présentants des trois dynasties différentes qui se disputent la
tüche ele faire le bonheur de la France. (Hilarité générale. -
Applaudissements.) Dans cette coalition on trouve de tout :
des légitimistes, des orléanistes, des cléricaux, car pour ceux-ci.
tout est bon, pourvu que la sacristie regne et gouverne. (Tres-
bien!.- C'est cela! - Bravos.) On y trouve aussi des bona-
partistes, et ce sont meme ceux-la qui sont les gens d'affaires
de la société conservatrice ; ce sont eux aussi qui se présen-
tent lorsqu'il s'agit de faire quelque coup difficile. (Hilarité.-
Applaudissements prolongés.) Tout ce bel ensemble s'appelle
le partí conservateur ... (NouvelIe hilarité.) Les bonapartistes,
daos ce parti, portent, non pas le drapeau, car on n'est pas
d'accord sur cet imigne, mais le guidon. Le .guidon conser-
vateur fut remis celte fois aLlX mains de l'ancien préfel impé-
rial, de M. Bomnton~ pOlI!' le nommer, - cal' je ne saís pas
pOllrquoi on ne causerait pas politique dans une réunion
d'amis, 'comme on peut le faire clans les journaux de toutes
rmanees, comme' on le raíl dans l' Assemblée; il n'y a pas Hl
de secret, iI n'y a pas la de rnystere, et nous avons le droit,
en respectant les personnes, de promener notre investigation,
de faire porter notre examen sur tout ce qui intéresse les af-
raires du pays. lTres-bien! - Approbation générale.) La luLle
s'engage. Que va-t-iI se passer?


l\Iessieurs, 8'11 ne s'agissail que dn lriomphe ele 1\1. Boffin-
ton, a que]ql1es milliers ue voix de majorité, je ne vous entre-
licndrais pas de celte électiOIL; mais 110l1S allons y trouver, en
y regardani de pres, un grief des plus sérieux contre le gou-




360 DlSCOURS
vernement tont entier, contre l' Assemblée aussi bien que
contre le ponvoir exécutif lui-méme. Je ne le dis pas sans re-
grets; mais je dois le dire.


La facilité relative avec ]aquelle ]e candidat légitimisto-
orléanisto':'cléricalo-bonaparto-conservateur (hilarité prolon-
gée) a P?ssé ti~nt surtout a ~'app~i qu'il a r~ncontré dans¿e~
sympathIes actIves des fonctlOnnaIres du departement de la
Charente-Inférieure. En effet, comme je vous .1'ai dit, ]e can-
didat a retrouvé la, sanf le préfet qui tenait sa place, l'admi-
nistration qu'il y avait connue autrefois l et sur le dévouement
de laquelle il pouvait compter. :Mais, dira-t-on, el le 4: Sep-
tembre? n'est-ce done rien? Il ne s'est pas produit un certaio
fait a cetle date? L'objection est juste, messieurs; mais voici
ce qui est arrivé : Le 4 septembre, un tres-grand nombre de
fonctionnaires du département avaient été remerciés ; rnais la
réaetion est revenU8, la République sans républicains a fleuri,
et, grace a cette floraison, on a ramené les anciens fonction-
naires de divers ordres; on les a réinstallés dans les memes
places qu'ils occupaient, aux yeux des memes populations,
comme si Pon voulait bien établir qu'il ne s'était ríen passé le
4: septembre. Et aujourd'hui, dans ce département dont la
députation compte au moins un ministre, - un des plus émi-
nents et des plus importants, - et d'autres membres assez
sympathiques au pouvoir, iI arrive que ce ministre, qui a
charge de veiller sur le personnel des fonctionnaires, et que
les amis du pouvoir tombent en minorité devant M. Boffinton,
parce qu'on lui a restitué ses anciens collaboratel1rs. Voila le
fruit de la Républiql1e sans républicains, voila °a quoi on est
exposé quand on s'entoure de fonctionnaires hostiles au gou-
vernement que l'on sert l de fonctionnaires qui se réclament
de lous les régimes, qui se tiennent en r8serve pour toutes les
restal1rations, qui ont toute espece de professions de foi
prétes, sauf une profession de foí républicaine l a moins que,
par un coup vraiment miraculeux, un beau jour la Répu-
blique ne devienne tellement déHnitive, qu'i1s pllissent, san s
compromettro leur avenir. se déclarer convertis pour le reste




A NANTES. 361
de leur vie. (Hilarité générale. - Applaudissements répétés.)


Toutes ces choses, messieurs, quoique nous les disions
d'une faGon peut-étre plaisante, sont graves, tres-graves
meme, paree qu'elles prouvent que le pouvoir, malgré ses
déclaratiom¡ sineerement et loyalement républicaines, n'a pas
encore puisé en lui-meme une conseienee suflisante de sa
force et, de son prestige, une idée assez haute de sa mission,
de son role, de ses devoirs politiques et sociaux pour gou-
verner la Franee avec des fonctionnaires véritablement animés
de l'esprit républieain. Messieurs, eette contradietion cho-
quante entre les déclarations du gouvernement et le earaetere,
les pratiques, les diseours et la eonduite de ses fonetionnaires,
est un véritable danger politiqueo Elle justifie eomment il se
fait que la France se lasse et s'irrite. La France se dit en effet :
Quand donc cette situation cessera-t-elle? Quand done en
finirez-vous avec cette politique de rébus impossible a suivre
et a deviner, avee cette charade en aetion, ou le chef de l'État
se dit républicain et ou les fonctionnaires déc1arent qu'il ne
faut pas Jeur parler de la République, cet état précaire, pro-
visoire dont, ajoutent-ils, on nous débarrassera avant peu?
Comment voulez-vous qll'un pays puisse s'accommoder d'un
tel systeme de gOllvernement? Comment voulez-vous que le
jour Olt il trouve l'occasion de manifester sa pensée, il ne
le fasse pas dans les termes les plus explicites, dans les termes
les plus fiers, les moins équivoques, les plus fermes et les
plus aceentués ? .


El puis, quand un pouvoir rec;:oit de semblables avertisse-
ments, on dit qu'il hésite, on dit qu'il ne veut pas tenir eompte
des manifestations de l'opinioa publique. Messieurs, je ne le
erois pas, je ne veux pas, je ne peux pas le croire; je ne le
eroirai que lorsque je l'aurai vu, et alors je dirai tOllt haut a
mor! pays ce qll'il faut en penser. (Tres-bien! - Applaudis-
sements.)


Cette question du choix des fonctionnaires est maintenant
la vraie, la grave question, paree que e'est Ui que se trouve
pour les populations le signe visible de la sineérité républi-


21




362 DISCOURS
caine; elle est pour les populations la preuve vigible qu'elles
attendent, a savoir qu'on est véritablement entré dans l'ordee
républicain. En effet, les poplllatíon::; ne peuvent pas COlTI-
prendre qu'on soit, qLl'on vive en Républiqlle lorsqu'elles n'olll
sons les yeux, cllargés de la direction ti donner, que des
fonctionnaires notoirement con vaiucus d'a voir été toujours les
plus cruels ad\·ersaires de la République et des républicains.
La France, ce pays qui est un pays de logique, de loy;mté, de
sincérilé, ne peut pas supporter plus longtemps qu'on luí
présente l'étiquette sans la chose, et la signillcaLion des der-
ni0res élections n'a pas d'autre valenr, d'autre portée. La
France, par ces élections, a reclamé qlle SOllS l'étiquette 011
mil ellnn la chose. Le suffrage universel n'a point exprimé
d'autre V<:BU: Hépllblique d'abonl avec l'intégl'ité du suffrage
universel; République ensuite a rec des institutions démocra-<
tiques. (Olli! oui! Tres-bicu! - Bravos.)


Et maintenant, le sens des élections étant ainsi connu,
apprécié, examiné, criblé par tous les partis, par tous les
journanx, dans toutes les conversations, est-il nécessaire de
faire jusLice de ceUe campagne de la panique qui a été orga--
nisée, préparée; de celte terreur qui est sortie tout entíerc
des écritoires des scribes stipendiés de la réaction? B~t-il né-
cessaire, devanl des Fran(,tais, devant des honupes intelligents,
devant des gens de travail, de loyauté et d'honneur, qui exa-
minent sincerement les choses, de leut' Jire qu'on ne les mene
ni au pillage, ni au pétrole, ni ~t l'incendie? (Bires.) Ce serait
vous faire injure que Je faire devanl vous de pareiIles pro-
testations, et je vous demanJe pardoa d'avoir fait allusion en
passant a de semblables billevesées, lJo1111es tout au plus puur
des ellfanls. (Tres-bien! - Marq ues ullanirnes d'asscntitlleut.)
Messieurs, ce qui inquiete la France, ce qui inspire de::; craintes
aux homrnes d'atIaires, ce ne sout pas les dernieres lllanife::;-
tatíons du suffrage univer::;el, ce sUlll les des,-,eiJJs lJuutemeuL
avoués de la réactioll, ce sont les projets que FUIl préte it
certaills factieux, ce sont les doutes qu'inspirent cerLaius
hOl.llllleS, dont 011 cherche a péuétrer les inteutions. Vaiia




A NANTES. 363
pourquoi aujourd'hui, dans les comploirs du négoeiant. ne
regne pas la confiance la plus entiere, pourquoi 1'011 compte
eL reeompte les délais d'échéauee; pourquoi 1'0n mesure
6trictement ses dépellses persounelles, pourquoi les grosses
commandes sont ajoufllées, pourquoi la de'mande se ralentit,
pourquoi enfin la produelion est stagnaute. On se dit : Oui,
nous avons la Hépublique, mais elle est aux mains de conspi-
raleurs qui revent de la renverser, pour ramener la monar-
chie. Je ne parle pas, bien entendu, du pouvoil', du gouver-
nem,ent; je ne doute pas, je vous le répete, de sa sincérité
républicaine, vous savez bien de qui je parle? .. (Oui ~ oui!)
Je parle de ceux qui out juré une haine a mort a la Répu-
hlique, de ceux dont les espérances seront ruinées par l'éta-
blissemel1t véritable et déünitif de la République et qui, par
dépit, par entraluelllent, peuvent se trollver porlés 11 un
certain moment a prendre des résolutions désespérées el
violentes, lesquelles, sallS réussir, jetteraient dans la société
le trouble, le désordre et la ruine. (e' e::lt cela! - Bravo! -
Applaudissements.)


Voila ce qui inquiete les hommes rétléchis, les observateurs
politiques el les hommes d'aíraire::l. Et voila ce qui explique
pourqlloi vous voyez ce pays se tourner yers le pouvoir et lui
dire : ~Iais n'hé::liLez Lioue pas! n8 voyez~vous pas dans quel
abíme on va jeter la France j nous, répllblicains, nous allons
vers vous, venez avec nOllS; établissons de~ lois sages, res-
peclées, avec Ulle administration paciüque, mais véritablement
loyale, el non pas avec une admillistratioll corrompue et
dalls laquelle se trouvent lrop dereprésentants de ces régimes
antérieurs et que la Franee a définitivem.enl répudiés. Pour-
quoi doutez-vOlls du pays? Ce sutIrage universel, dont les
Liécisions répétées et ill1posantes semblent vous elfrayer,
qu'a-t-il voulu dire, qu'a-l-il rappelé? 11 a rappelé, il réclame
le Message du 13 novelllbre. C'est ce Message, voLre plus
grand titre de gloire, votre ceuvre la plus haute, celle qui vom~
met dan S )'histoire a la téte de vos contemporains, c'esl.ce
:\le:ssage que vous avez eu tort de lai::¡::¡er protester; c'e::¡t ce




364 DlSCOURS
Message, acclamé par 1 'Europe et la France, que le suffrage
universel a voulu ratifier; c'est votre pouvoir que les électeurs
ont eu l'intention de soutenir de leurs votes en envoyant a
l'Assemblée des républicains sinceres et dévoués. (Oui! oui!
de toutes parts. - Salves d'applaudissements. - Cris répétés
de : Vive la République ! - Vive Gambetta !)


Eh bien! messieurs) je dirai encore une fois, avec toute
l'énergie dont je suis capable, je ne peux pas croire, je ne
veux pas croire, quels que soient les hommes ondoyants et
divers qui entourent la personne respectée du chef de l'État,
qllels que soient les conseils perfides qu'on lui donne, les
prétentions absurdes ou dangereuses dont on peut l'entretenir;
quelles que soient les combinaisons parlementaires ou autres
dont on vellille l'effrayer, il ne me paraH pas, dis-je, en
présence d'un verdict aussi éclatant, aussi solennel que celui
qlli a été rendu par la France, que le sens pratique si exercé
de l'homme éminent qui préside a la République, que sa
grande expérience aux heures de crise puissent lui faire
défallt en un tel moment. 11 est impossible - du moins je le
erois - qu'il ne tourne pas la barre vers le point ou la France
veut marcher, c'est-a-dire vers la Répllblique définitive.
(Explosion d'applaudissements. - Cris prolongés de: Vive la
République! Vive Gambetta!)


Il n'en sera pas ainsi ; mais si ce malheur devait arriver, il
ne faudrait, mes chers concitoyens, ni vous alarmer ni vous
abattre; il faudrait, an contraire, redollbler d'énergie, vous
serrer les uns a coté des autres, abjurer toute espece d'esprit
d'amour-propre, de querelles de personnes et présenter com-
pactes, unis, invinciblement liés les uns aux autres, tous les
membre:, du parti républicain faisant face a l'ennemi. (Mouve«
ment.)
. "Oui! si le malheur voulait que le chef de l'État, par défail ...
lance, par complaisance, ou ne tenant pas un compte suffisaut
de l'opinion, se laissút glisser du coté de nos ennemis et que,
de" pres ou de loin, il pretat la complicité de son patronage á
des préteutions insensées, je dirai plus, criminelles, i1ne fau-




A NANTES. 365
drait pas désespérer, car, si érninent que soit un hornme,
quelque plaee considérable qu'il tienne parrni ses concitoyens,
un peuple ne périt pas si un homme vient a lui rnanquer.
(Tres-bien! tres -bien J - Salve d'applaudissernents.)


Il conviendrait alor5 d'apporLer dans les luttes politiques un
esprit de cohésion, un sentiment de discipline, un -sang-froid
et une fermeté dont nous avons déja donné bien des exernples
depuis deux ans; rnais l'heure approche ou peut-etre vos
chefs devront-ils exiger de vous de nouvelles prenves plus
répétées et plus continues. Citoyens, la session qui va s'ouvrir
sera grave et redoutable ; 'notre adversaire est dans la
situation du matelot qui sent son navire couler et qui préfere
se faire sauter pI utat que de se rendre. Ne laissons pénétrer
dans nos ames aucun rnouvernent d'impatience et observons
froidement notre ennemi. Attendons-le, ferrnes et silencieux,
ne nous laissons désunir par rien, subissons rneme tous les
défis san s y répondre. (Mouvemen t.) Et pourquoi ? Il ya, ne
l'oublions pas, un parti qui éprouve toujours le besoin de
rétablir l'ordre et de sauver la société. (Hilarité. - Applaudis-
sements.) Nous sornrnes payés pour connaitre les hommes de
ce parti, nous nous souvenOnS de leurs acles et nous nous rap-
pelons ce qu'est l'ordre qu'ils procurent. Nous savons de quoi
est fait ce parti et par quoi il est suivi; aussi ne lui donnons
jamais ni le prétexte ni l'occasion de sallver l'ordre. (Tres-
bien! trM-bien ! - Applaudissements répétés.)


Aussi, messiellr8, nous nous replierons sur nOlls-memes,
nous combattrons nos adversaires légalement et nous vous
dénoncerons, a vous, les membres du suffrage universel.
c'est-a-dire les vrais sonverains du pays, nous vous dénonce-
rons leurs piéges, lellrs combinaisons et lellrs calculs, et,
quand nous aurons dévoilé toute leur misérable stratégie, jeté
la lumiere dans leurs conspirations ténébreuses, quand la
France yerra c1air dans leurs intrigues, nous attendrons les
entreprises de ces messieurs el on en fera justice. (Bravos et
applaudissements prolongés. - Tres-bien! - Tres-bien !)


Telle est, messieurs, - et permettez-rnoi de finir sur cette




366 DISCOURS
parole, - ]a ligne de conduite qll'il faut adopter et snivre :
discipline, concorde. expectative. Jl1squ'ici les faute~ de nos
adversaires nous ont profit(;. On a pn voir en Fr:lOce, jour
par jour, de que] coté était le fanatismc, de quel cóté l'esprít
d'agitation et de désordre. lis n'ont ras fait une démarche,
allant queter un roi an dehors, faisant des programmes de
rest:mration, traitant la question dll drapean, proposant des
commissions exéclltives, ébranlant le pouvoir dll chef de l'f~t:lt,
trouhlant, par lel1rs propositions inconsidérées, I'muvre
patriotiql1e et nationale qll'il ayait entreprise, et qu'il él si
heureusement menée a bonne fin, la libératiCln dll territoire ;
(C!est vrai! C'est vrai !) pas une senle de cesf:J.utes: agita-
tions c]éricales, pétitions en favel1r du pOLlvoir temporel,
demande de répression contre ce qui ressemblait, de pres OH
de 10in, a l'exercice de la libre pensée, pllS une senle de ces
fantes, grace a l'attitllde dn partí répnhUcain, n'a manqué de
s'étaler aux yeux du pays, pleine, entiere et éclatante: et
c'est précisément par la comparaison respective ele la con-
eluite du parti républicain et ele cel1e des partis hostiles que la
France, en pleine liberté de jugement, a choisi et s'est pro-
noncée pour ]a démocratie répnblicaine. (Marques générnles
d'assentiment. - Applaudissements.)


Persévérons donc dans cette conduite; redoublons d'atten-
tion, de prudence, de s<lgesse; s<lchons enfin nous préparer
partout a toutes les éventllalités~ a ton5 les périls. Ji fallt que
les hommes qlli veulent jouer un role dan3la démocratie, que
les hommes jeunes surtout se mettent au travail et échangent
entre el1X le fruit de Ieurs étlldes; que le personnel répllbli-
cain qlli a apparu depui~ trois ans d;¡ns notre pays, qui a
envahi tous les postes électifs, se fortifie et grandisse, afin
qu'apres <lvoir dOIlné des exemples de son sage esprit d'ordre,
iI dorme maintenant des gages de sa compétence, de sa capa-
cité, de ses aptitudes. Alors vous Ile serez plus nn parti mili-
tant, vous serez la natiot1 entiere capable (le se gouverner
elle-meme. Et qlli pourra lutter longtemps contre la volonté
de la Frunce? Personne. l\lais, messienrs, il y á une condition




A NANTES. 367


indispensable, et sur laquelle 5e ne saurais trop insister, il
fallt nOllS abstenir partout de tout,e espece de désordre
matérie!, de tOllle agitation váine et inutíle. Qlliconq:Je, ayant
ll~ sufft'afle universel, sr, porterait soit a une violence, soit a
l1t1¡) exeentricité, serait un criminel et un criminel d'État, car
il eompromettrait la chose meme qui doit refaire l'État,
rt~~;énérer la Franee et la remettre; au dedans comme all
dehors, a sa vraie place; il compromettrait la République.
(ApplaLldissements prolongés. - Marques unanimes d'assen-
timent. )


Done, ponr nous résllmer, ayant conOance dans la sagesse
déja éprouvée et dans I'accord unanime du parti répllbJieain,
sin' tOllte la surface.du pays, messieurs, nOllS ne cesserons
pas de réclamer la dissollltion paree qu'elle est la préface
¡l(~cess:lire ele l'organisation de la République; ensuite nous
dénierons aux royalistes, nommés dans l' effaremen t de la
pem, le droit d'organiser cctte Répuhliql1e, car que serait une
Hépublique organisée par, des monarehistes ?


Citoyens, je le disais a Grenoble et je le répete a Nantes, ce
serait une ignohle cOtm~die! (r<:xplosion d'applal1dissements.
- Cris répétés ele: Vive ln République! Vive Gambetta!)






DISCOURS
PRONONCÉ A VERSAILLES, LE 24 JUIN 1873


POUR


L'ANNIVERSAIRE DU G I~NÉRAL HOCHE


MES CHERS CONCITOYENS,


Apres les événements ar.complis depuis notre derniere réu-
nion, apres les paroles si touchantp.s et si vraies, ou nous
avons tous reconnu l'accent de la vérité; sous l'empire de
cette émotion que communique seul le sentiment de la tradi-
tion et de la famille, apres les souvenirs qui nous étaient" rap-
pelés tout a l'heure par M. Carnot, n'attendez pas que je
revienne a mon tour sur la noble existence de 'Hoche~ sur les
exemples qu'elle contient, sur les vertus qu'elle fait éclater.
C'est une tache qui a été trop parfaitement remplie pour que
la pensée me vienne d' y rien ajouter. Comment ne pas vous
dire cependant, messieurs~ que si quelque chose est de nature
a frapper l'attention publique et a nous réconforter, - non-
seuJement nous lous qui sommes ici, mais tous ceux du
oehors, - a raffermir nos convictions, a fortifier nos espé-
rances dans la crise, plus bouffonne que redomable, que nous
traversons (bravos et rires), c'est, a coup sur, notre réunion


2L




370 A~NIVERSAlRE


lcí, sous le toit de eet homme de bien, de eet homme de CCBur
que son patriotisme rattaehe au drapeau de la Répnblique
(Bravos. -'Tres bien !), de ee digne eitoyen flui, dans Vel'-
sailles, depl1is de longues années et en [aee (In ponvoir avili~­
sant et corrupteur de cet empire ahhorré, que de misérables
impl1issants ne eraignent pas de laisser pllhliqllement réhabi-
liter, sans doute parce qu'ils s'en [ont les plagi:lires, a dévoué
ses etTorts a [aire revivre cette pure et grande figure de Hoche,
offrant ainsi a la France, au pays, J l'armée, la contemplation
d'un véritable Fram;ais qui a aonné son sang pour la patrie,
ql1i fut le plus grand eles eitoyens, le plus brave des capitaines,
le pllls générel1x des soldats, et a la mémoire elllqllella France
peut chaque année rendre hommage, S:lns amertume el sans
dissielences, et saos trollver, dans ]'existellce de ce héros, une
ombre, une tache quí ternisse l'écJat de sa gloire? (Bravos
prolongés. )


NOllS voila donc assemblés, mais non pas aussi nombreux
que nous l'eussions elésiré. Ce n'est pas, messieurs, que le
nombre nOllS eut fait défaut; le nombre ne nOL1S manque
jamais, et c'est précisément parce que nOllS avons pour nous
le nombre assuré, inévitable, e'est parce que ee n0mbre tant
redouté se montre, dans les eirconstances (lr,tllelles, atlentif et
recueilli que vous voyez éc!ater tant de haines, tatlt de provo-
cations impuissantes et désavouées ü l';lVance. Anssi, quand
nous nOllS réullissons en petit nombre., e'est qu'il nOllS plalt
qu'il en soit ain,si, e'est qu'il ne nons convient pas de [aire le
jeu el'auvers:JÍres ou trop nalfs, Oll trop roués. et de tomber
dans lenrs piéges éventés par avance. (Olli! - Tres bien! -
Bravos.) l\lais il noos suffit d'étre ensemble, dans cette mai-
son~ entre amis connllS les uns des autres, pOllr qu'il nous
plaise également de parler elu passé, du présRnt et de l'avenir
de nos iuées, dans ce Versailles qui appartient ~t la démocra tie
républica ine, qui est bien nótre et qui a tOlljours été nólre
depllis 89 jusqn'a ce jour, jU:-iqu'a la minute actuelle oü je
parle, sans s'étre jamais elémellti, car on dil'aÍt qu'il y él une
traelition d'indépenelance a laqnelle elles ne manquent j:lmais




DE HOCHE. 371
pour ces villes qui sont la résidenee des rois et qui, les voyant
de plus pres, eonnaissent mieux que toutes les autres villes de
France la vanité et les périls, la sottise et les dangers des
fastueuses monarehies. .


Ouí, messieurs, il est utile qu'on le saehe partont, ce Ver-
sai l1es que l'on eroit royaliste et réaetionnaire a toujours été
vibrant a ehaque vibration de la France ; depuis 84 ans, il n'a
jamais laissé a aUCUlle ville dans le pays l'honnellr et l'avan-
tage de le devaneer. Paris, lui-meme, qui est si voisin et si
semblable, Paris ll'a jamais devaneé Versailles. En 181.0, en
J830, en f8~8, en f870 (f), savez-vous ce qui est arrivé? II
faut le dire en faee de ces ineonscients qui l'ignorent. C'est
Versailles toujollrs, qtli, au milieu de tOlltes les ;mtres vilJes
de France, aeceptait et proc\amait le premier l'événement
général qui s'aecomplissait a Paris, de telle sorte que si l'on a
cru, en venant iei, se retirer dans une sorte de camp retranché
de J(1 réaetion, on s'est trompé, car vous tous, citoyens de
Versailles, vous eles tons des serviteurs tideles de la Révoln-
tion franc.;aise, vous tous, les présents et les absents. (Oui 1
ouí ! - Bravos.) Depuis trop longtemps le souPGon et la
défiance, la' calomnie et l'itljnre pesent sur' cette noble et
majestueuse cité. II faut qu'on sache que Versailles est a
l'unisson de toutes les grandes agglomérations qui ne vivent
et respirent que pour la République. On a fait de Versailles la
capitale cadeLte de la France, et il le méritait ; Paris reste son
ainé. Versailles est digne de venir immédiatement apres Paris,
cal' illl'a jamais marchandé ses efforts a la défense du droit et
de la patrie. (Tres bien! - Bravos.)


Messieurs, nous sommes a un an de date de cette premiere
réunion qu'on rappelait tout a l'heure et qui, au lendemain de
cette souillure si noblement supportée, - l'étranger env::lhis-
sant jllsquJa vos foyers les plus intimes, - avait été comme
une sorle de reprise de vous-memes, non pas cerles dans une


• (1) Le 4 ,eptembre i870, a dix heures du matin, le Conseil municipal
¡;Ju de Versailles proclamait la déchéance de l'Empire et la République.
(Extrait des proces-verbaux du Conseil municipal.)




372 ANNIVERSAIRE


pensée de revanehe, - ce sont la des mots ql1i nous sont pour
longtemps eneore interdits. - maiR eomme nne sorte de pllri-
fication patriotique de votre ville au lendemain du départ de
l'ennemi. (~louvemeqt.) L'an dernier, dans cet hótel des
Réservoirs, que de mesql1ines querelles de police nons fer-
ment aujourd'hui, ce que vous eherchiez en vous réllnissant,
ce n'était certainement pas a créer une agitation ni une sé di-
tion politiques capables de faire trembler nos adversaires;
vous teniez, au moment ou la France commenc;ait a se retrou-
ver libre, a lui montrer, pour ranimer son courage, la noble
et bienfaisante figure de Lazare Hoche, généraI des armées
de la premiere République, pacificateur de)a Vendée, le plus
ilIustre des Franc;ais nés dans volre grande et généreuse
ville de Versailles. (Applaudissements prolongés.)


Nous voulions eette année continuer ce cuIte du souvenir ;
nous aurions désiré, en nous retrouvant ensemble, nous con-
$oler des défaillances que nons subissons a l'heure actuelle,
échapper pour un moment a ces étreintes que subit la France,
a ce deuil qui nons pese et dont nous sentons, cependant, que
notre pays pourrait victorieusement sortir, si l'exercice de sa
sonveraineté lni était rendu. Nous ne vonlions pas faire acte
de parti; nous souhaitions simplement de- nous remettre en
présence du génie me me de la patrie, nous retremper au sou-
venir de cel11i qui en fut )'incarnation la plus pure ; nons vou-
lions parler de la France en rappelant la vie, en retrac;ant
l'histoire d'l1n des plus glorieux fIls de la Frunce. (Olli ! -
Tres bien 1 - Applaudissements.)


On ne I'a pas voulu, on ne l'a pas permiso Mais, messieurs,
puísque nons sommes réunis, il fant retourner la question et
savoir - ]'occasion est propice - pourquoi cette réllnioo)
qui avait été si faci\e, et qui avait paru si naturelle iI y a un
an, est aujourd'hui contestée, genée, embarrassée, empechée,
el pourquoi il y a une sor te d'acte dA courage, non de notre
part, mais de la part du digne ami qui a bien voulu offrir son
toit a des amis de vingt ans pour causer de questions qni inté·
ressent a la fois la patrie et ]a République.




DE HOCHE. 373
Que s'est-il passé depuis notre derniere réunion?
Messieurs, parIons ici sans passion, puisque nos adversaires


ont toujours le tort - volontaire ou inconscient, je l'ignore -
de naus représenter constamment aux yeux du pays, dans
1eurs journaux et dans leurs discours, comme des hommes de
passion, incapables de bien juger, incapables de se maitriser,
de réunir des faits, de les examiner, de rechercher les ensei-
gnements qu'ils contiennent, de se déterminer d'apres les regles
que ]e bon sens vérifie, que la raison accepte et que l'utilité
générale du pays commande. Et si je parle ainsi, ce n'est pas
pour vous, messieurs, c'est pour ceux qui sont, tons les jours,
les victimes de ces déc1amatians et de ces calomnies. C'est a
cause de ceux qu'on redoute et qu'on veut exclure, que 1'0n
cherche a mettre la main sur la bouche des hommes qui peu-
vent exprimer, sur les projetS' et les espérances de la démo-
cratie, des opinions régulieres, sensées, acceptables, parfaite-
ment scientitiques P.t justes, fondées sur la pratique de peuples
voisins et, par conséquent, démontrées par l'expérience. e'est
a l'adresse de ceux qui composent le nombre que ron a imaginé
de dire que tel serait un trouble-féte dans la nation qui oserait
parler, en dehors de l'Assemblée de Versailles, sur la politique
et les affaires de la France, et qui aurait la prétention d'en en-
tretenir les électeurs dans un pays de sllffrage universel, e'est-
a-dire dans un pays Ol! tout le monde non-seulement prend
une part effective dans le gouvernement de I'Blat par son vote,
mais joue constamment sa propre destinée dans les mélées
électorales, en ne pOLlvant en rendre responsable que lui seul,
quand le scrutin a prononcé.


Hé quoi! messieurs, on trouverait séditieux, factieux, qu'un
ciloyen, investi par le suffrage de ses concitoyens des p0U-
voirs nécessaires pour les représenter, sortit de }'enceinte ou
se font les lois pour alIer vers ceux a qui on doil les appliquer
el qui, seu)s, délegllent le pouvoir de les faire! (Tres-bien!
tecs·bien! - Vive approbation.)


On trouverait étrange, subversif - ce sont les expressions
qu'ori empIole - de voir ceux-Ia" qu'on appelle le parti ra-




374 ANNIVERSAIRE


dical, alter vers cenx qlli les ont créés, constitnés, commis-
sionnés, qui lem ont donné le mandat dont ils tiennent tous
leurs droits de représentants, ponr lem rendre compte du
mandat, de la commission, pour leur expliquer ce qu'on a
faít, en qnoi on s'est rapproché de lenrs voloutés, en quoi 00
s'eo est écarté, ce qu'oo a eu l'inteotion de faire soit en con-
formité avec leurs intérets, soit en contradiction avec leurs
désirs! Et ceUe conduite loyale, honnete, normale, pacifica-
trice, qui a pour hul d'apaiser les passions, de faire disparaHre
les idées fausses et de réduire les chimeres, d'avoil' raison des
utopies, de modérer les exces de zele el les impatiences, de
discipliner les élans, les ardeurs et les énergies, ce travail
régulier, légal, moralisateur et ordonnateur de 13 paix elltre
les classes et les hommes, on le traiterait de faction, de sédi-
tion, et 1'on voudrait l'interdÍl~e! Cela est impossible, mes-
siellrs, et nous ne saurions le tolérel'! (Tres-bien I - C'est
cela! - Applaudissements répétés.)


Aussi, messieurs, tOLltes les fois que j'en trouvel'ai l'oeca-
sion, qu'elle soit petite ou grande, - et je vous demande
pardon de me servir ,d'une pareille opposition dans les termes,
car il n'est pas de petite occasion pour dire la vérité, ne fút-ce
que devant un seul de ses semhlnhles, - je protesterai en
favellr du droit de compte-rendu et de propélgande. (Vive
approbation.) En effet, il u'est pas an monde de devoir plus
impérieux que de dire la vérité, que de consacrer sa vie a la
défendre et que d'y conformer sa condnite; et, n 'eut-oli
arraché qu'llne seule cOllscience ~l I'errellr, n'eút-on envahi
qll'une seule intelligence, olli, n'en eút-on ramené qll'une
seule a la vérité, au droit et au juste~ qu'on pourrait mourir
content, sans les pompes d'lln culte quelcotlque, .. (Salve
d'applaudissements. - Oui ! olli! - Tres-bien !) et défier les
diatribes de ses détracteurs : une seule intelligence ém:mcipée,
c'est une grande victoire sur I'errenr, et il n'en est pas ele
plus noble dans le monde! (Nouveallx applaLldissements.)


Voyons les choses de pres, rnessieurs. Au fond, comment
agissent nos adversaires? Est-ce que, dans ce monde qui !lOUS




DE HaCHE. 375
enviranne, vous n'entendez pas émettre, taus les jours, cette
opinion qu'il exi~te~ qURlql1e part, un pauvoir de constitution
divine, mais de repn'sentation humaine, ql1i a seul le dépót
de la véT'ité clans tOllte:-; les questions, qui a la plli3sance de
lier et de délier, qui opere sur les consciences, et qui ne
prétend a d'antre mission dans le monde que de sauver des
funes? Or, ce que font ceux qni émettent une pareille pré-
tention et qlli s' y disent autoriség) pourquoi ne nOU3 appar-
tiendrait-il pas de l'entreprendre, dans l'intéret d'une autre
cause que ceBe de nos adversaires~ d'tme cause non moins
sainte, non moins élevée, non moins sacrée et non inoins
juste, ql1e dis-je? de la seule cal1~e juste? Pourql1oi ne nons
appartíendrait-il pas de faire la propagande du prosélytisme
a travers toutes les entraves officielles Ol1 officiellses, d'aller
droit aux intelligence~ asservies et, nous retollrnant vers cette
doctrine qui a placé ses oracles au Vatican, de lui dire : Si tu
parles pour Diel1, je parle ponr l'homme; si tu combats pOl1r
lés eh oses surnaturelles, moi, je combats pOUf l'établissement
de la jusliee et la propagation du bonheur parmi les hommes?
Car, me:;sieurs~ ne l'oubliez pas, nous ne combattons point
pOllr des reveries, mais pour des faits; non pas pour des
idéalités, mais pour des réaJités; nous n'aspirons pas a faire
des saints, mais des citoyens l nOllS lllttons ponr donner a
notre pays des hommes libres, des patriotes, nou~ luttons pOllr
la Franee! C'est une assez grande chose dans le monde.
Pourquoi done ne jOllirions-nolls pas des memes droits que
eeux qui luttent pour l'Église romaine et pour Eles doctrines?
(Double salve d'applaudissements.)


Encare une fois, messieurs, plus que je.mais il est nécessaire
d'indiquer 1 de préciser cet antagonisme, d'opposer l'un a
l'autre ces dellx systemes d'éducation généra le; cal', soyez-en
certai ns, pllisqtl8 vous le voyez tous les J' OUfS, tout s'efface


. ,


tout disp~ralt aujollrd'hl1i en présence de ce grand et redou-
tabie conllit.


Les hommes lhenacent de se diviser en deux camps ainsi
tranchés: le camp de ceux qui s'inclinent sous }'obéissance




376 ANNIVERSAIRE
passive a un dogme que rien ne justifie, et le camp de ceux
qui ne se réclament que de la libre raison et de la dignité
humaine. Messieurs, dans ce grand duel qlli tient le monde
attentif, ils deviennent bien petits et bien mesquins, les inté-
rets de ces deux ou trois familJes qui prétendent avoir le droit
de commander a notre pays I Non, le bonapartisme, la légiti-
mité, l'orléanisme, etje ne sais quelle autre combinaison d'aven·
ture ne sont rien quand on les met en présence de ce combat
singulier si tragique et qui semble avoir pris notre pays pou!'
théatre, de ce duel de la raison contre l'oppression de la raison.
(Bravos prolongés.) Plus nous alIons, et plus la politique de ce
pays se dessine dans ce sens, et, si quelque spectacle est fait
enfin pour dessiller les yeux de la France hésitante, c'est
l'apparition de ce spectre du passé qui, loin de se déglliser,
s'avance a pas lents et calculés, mais ouvertement, de ce
spectre qui a la prétention de remettre la main sur la France
et de la replacer sous le joug du passé. (Jamais 1 non, jamais I
la France n'y consentira 1) Vous dites jamais 1 et vous avez
raison de prononcer ce moto Messiellrs, je peux rendre, a cet
égard, un témoignage absolument certain, car, dans les divel's
voyages que j'ai faits a travers la France, j'ai pu rencontrer,
sur quelques points du territoire, des divisions, des dissenti-
ments, des tiédeurs meme, au point de vue de la vraie politi-
que a suivre ; mais il y a un sentiment dans leqllel j'ai trouvé
la France toujours unanime et vibrante, toujours semblable h
elle-meme, toujours émlle et agitée par la meme antipathie,
soit que l'on s~ trollvat sur les bords de la Méditerranée Oll de
la Manche, ou bien au centre dll pays ; partout fai entendu,
pouI' peu qu'on descendit et qu'on pretat l'oreille, que ce fUt
sous la cabane du pauvre ou dans la mai~on d'un homme plus
aisé, le cri de révolte contre le cléricalisme, car le clérica-
lisme, c'est le retour de la France vers ['ancien régime, et la
France a rejeté l'ancien régime avec horreur et pour toujours.
(Oui 1 oui ! - Tres-bien! - Applaudissements.)


Ce sentiment d'antipathie, messieurs, est général et indes-
tructible. Aussi bien suffira-t-il que ceux qui ont jugé a propos




DE HOCHE. 377
de renverser du pouvoir l'hornrne qui, en somme, a accompli
la plus grande tache qll'il y eut a accomplir depuis deux ans,
l'affranchissement du territoire, - il ]eur suffira, dis-je, de
laisser entrevoir, aux yeux de la France attentive et clair-
voyante, l'arriere-peosée du cléricalisme pour qu'a 1'instant
meme~ sans discussions~ sans dissidences politiques~ ]a France
regarde du regard qui convient ces gens qui prétendent étre
les maUres chez nous, et pour qu'elle les attende, impassible
et de sang-froid, jusqu'au moment ou, pour réaliser Ieurs
détestables desseins, iIs chercheront a sortir de la légalité!
Jusque~ la, calme, immobile, elle pourra bien les"laisser faire
sans trop s'émouvoir en apparence; mais quand les fautes
auront comblé la mesure, le jugement de l'opinion se fera
entendre, et le suffrage universel, meme menacé, méme
sophistiqué, merne mutilé, de sa grande voix couvrira la voix
de ces misé rabIes rhéteurs qui peuvent l'injurier, mais qui ne
sont de taille ni a le b~lÍllonner, ni a l'asservir. (Applaudisse-
ments prolongés.)


Et s'il y a, messieurs, aujourd'hui, un enseignement a tirer
de la réunion qui nous rassemble, c'est que, si des change-
ments, des mutations, se sont produits dans les personnes, a
coup sur il n'y a rien de changé dans les eh oses. La France
n'a pas changé de volonté, le pays n'a pas changé de résolu-
tioo, les pouvoirs n'oot pas ehangé de noro, la légalité est
restée la méme. Les divisions des coalisés royalistes sont aussi
profondes, que dis-je? plus profondes ; car ~ a la veille de la
chasse, on est d'accord j mais quand le gibier est abattu, on
cherche a dépecer la proie, et ehacun en veut le plus fiche
morceau. (Hilarité. - Tres bien! - Bravos.) Messieurs,
envisageons la question avec sang-froid: en réalité, rien n'est
changé ; le pouvoir a passé dans d'autres mains, mais e'est an
nom de la République que eette transrnission dn pouvoir a en
líeu ; c'est la une déci8ive et soIennelle démonstration qui a
permis an pays d'apprécier la valenr de ee méeanisme répu-
blicain lant et si souvent diseuté. On a vn le pouvoir ehanger
de mains an nez et a la barbe, permettez-moi eette expression,




378 ANNIVERSAlRE


de quatre prétenrlants différents (Hilarité vive et prolongée.),
et cependant l'ordre n'a pas été troublé. POllrqnoi ? Paree que
le pouvoir était impersonneJ, paree qll'il ponvait chan~er de
mains, mais qu'il ne changeait pas de titre, el q\le ce titre
sumt pour assurer l'obéissance et le respect de la loi. (Mouve-
ment. - Tres-bien! - e'est cela.)


Ce qui se passe n'est done pas fait pour nO\lS abattre, et, a
coup s(¡r, nous n'avons pas meme a redo\lter la présenee au·
pouvoir du plus fragile des cabinets. (Rires.) Messieurs, je per-
drais mon temps a discuter la valeur personnelle des h~mmes
qlli le composent et l'on pourrait y voir des intentions de
satire ou d'épigramme fort éloignées de ma pensée. Je
prends les eh oses telle8 qll'elles snnt, et je dis, paree que
c'est la un jllgement qu'il convient de porter devant la démo-
cratie franGaise qui appréciera mes paroJe..:;, je <lis qll'il y a
dans la situation actllelJe deux éléments: d'une part, une
majorité légale, toute-pllissante, mais transitoire el passagere,
qlli est aujourd'hui a l'extreme, demain an centre et, apres-
demain 1 d'un autre coté; une mnjorité qui dépend de la
volonté de la natíon, que celle-ci peut changer par un contin-
gent nouveau de volontés nOl1velles et qlli, par conséql1ent,
est modiflable et changeap.te eomme signillcalion et eomme
caractere; et, d'autre part, au-dessLls de ceUe force légale
mais provisoire, légale mais commutable, un pouvoir ql1i est
le pouvoir présidentiel républicnin, et qui ne pellt etre que
répllblicain. l\Iessieurs, en parlaut de ce pOllvoir présidentiel
républicain, essentiellement républicain, j'ai le droit, en mon
nom et au nom de mes amis, de me réclamer des déclarations
solennelles dont celui qui en est investi a fait précéder la
prise de possession de la magistrature supreme. Il y a eu la,
en dehors et al1-dessus des pnrtis, un pacte ave e le pays tout
entier. Le pays a fait confiance a ces paroles, et j'ajoute qu'iI
y a la le plus sacré et le plus synallagmatiql1e des contrats,
qui ne pourrait etre brisé que par un eoup ele force d'en bas
OH par un attentat d'en haut. Eh bien! je crois que, de p;Jrt
et d'autre, la violence serait également coupable, et que le




DE HOCf!JI:. 379
monde et l'histoire jugeraient avee la derniere sévérÍté quiéon-
que sortirait de la légCllité pour entrer dans le crime. (Tres-
bien! tres-bien! - Applaudissements.)
l\Iessieur~, je ne suis pas assez nouveau-venu dans la vie


politique pour prendre le change que cherchent a nous otTrit'
nos adversaires. le les connais de longue date, je les ai vus a
i'muvre les uns et les autres; je vous fais grace du portrait et
de la description de leur earaetere, de leurs manCBuvres, de
]eurs méchancetés ordinaires ; je veux seulement dégager un
seul trait qui leut est eommun a tous, e'est eelui-ci :


lis affeetent d'entrevoir, dans les autórités constitllées du
pay~, les pouvoirs publics d'abord, l'armée ensuite, puis la
magistratllre et d'autres forees sociales, je ne sais quel com-
plot attendu pOllr qllelque détestable entreprise. e'est la nn
outrage a ceux dont on escompterait ainsi la collaboration
cOllpahle et, pour ma part, je renvoie cet outrage a ses auteurs,
convaineu, entendez-Ie bien, de la loyauté de celui qui tient le
pou voir supreme, convaincll Sl1rtout - et iei j 'entends dire
toute ma pensée - des sentiments d'honneur, de patriotisme
et d'obéissanee absolue aux intérets sllpériellrs de la loi et du
pays, qui animent tous les rangos de l'armée franGaise sans
distinetjon. Et san s servirdansce moment, je l'affirme en toute
concience, les intérets de tel parti plulot que cel1X de tel alltre,
je dis que, dans un pays aussi agité que le nótre, en dépit de


'quelques collisions savamment préparées par les eoupe-jarrets
de Brumaire et de Décembre, nOllS avons cette Sllprerne con-
solation que jamais j'nrmée n'a été et ne sera l'instrument de
pTonunciamientos politiqlles. (Tres-bien! tres-bien! - Bra-
vos prolongés .) L'armée est all-clessus de pareils actes et elle
n'a pas plus besoin de nos paroles que eles paroles intéressée~
qu'on lui adresse d'alltre part. Aussi, messieurs, je vous le
dis, n'ayez allcune inqlliétude; cúntinuez a vous servir des
10is pour la propagation de vos idées; continuez a démontrer
tous les jonrs i1 ce peuple qui vous environne l'excellenee et la
supériorité de la constilution républicaine; continuez a
démontrer par des comparaisons, par eles faits, les avantages




380 ANNIVERSAIRE DE HOCHE.
incontestables de la démocratie républicaine sur tous les régi-
mes dynastiques el monarchiques; prouvez a ce pays qu'en
face de I'Europe qui nous regarde, et qui s'appréte a profiter
de toutes nos faiblesses et de toutes nos défaillances, il n'y a
plus qu'un refuge, plus qu'un rempart, plus qu'un asile, non
pas seulement pour des républicains, mais pour des Fran<;ais:
c'est Ui'le République sincere et définitive, amie des sages pro~
gres et capable de résister a tOlltes les réactions; une Républi-
que, gouvernement sllpériellr de la démocratie, dans laquelle
la France - s'étant ressaisie elle-meme et ayant assujetti tous
ses enfants au service militaire et tons ses citoyens a des con-
tributions justes et également réparties, ayant réalisé l'im-
mense et nécessaire réforme de l'éducation nationale --
pourra, dans une heure décisive, présenter tous ses fils égaux
et régénérés comme un faisceall indissoluble devant l'ennemi.
(C'est cela! Tres-bien! tres-bien! - Salve d'applaudisse-
ments.)




DISCO'UR,S


PI\.ONONCÉ A L'ASSEMBLÉE NATlONALE, LE 12 JUILLET 1873


sun


LES NOUVELLES COUCHES SOCIALES


M. LE PRÉSIDENT. - La parole est a M. Gambetta.
M. GAMBETTA. - Messieurs, ce qui m'amt':me a cette tribune,


un peu tardivement, ce sont les paroles qui ont été prononcées
par l'honorable M. de Kerdrel. Quoiqu'il ne m'ait pas désigné
nommément, il s'adressait d'une fa~on tellement claire a celui
qui a l'honneur d'étre a cette tribune, que j'ai dú. les relever
et demander a l'Assemblée de me permettre d'y répondre en
quelques molso M. de Kerdrel lui-meme a reconnu, avec sa
franchise ordinaire, que c'était bien moi qll'il avait entendu
désigner.


Voix a droite. - Plus haut!
M. GA!\IBETTA. - Tout a l'heure, messiellrs. (Rires et mÚll-


vements divers.)
Tout a Pheure ... messieurs, je veux rester dans l'attitllde


qni convient quand il s'agit de donner des explications de doc-
trine politiqueo (l\1ouvemenl.)


M. de Kerdrel m'a reproché d'avoir jeté dans le pays une
expression qui, a son sens, ne contiendrait pas moins qu 'une




382 DISCOUHS A L' ASSE~lBLÉE
théorie de guerre civile, d'antagonisme et d'hostilité irrécon-
cIliable de diverses classes les unes contre les autres.


A droite. - On n'entend pas!
Agauche. - Écoulez, vous entendrez !
~\1. GAl\l13ETTA. - Et, généralisant son sentiment, ii n'était


pas loin de nous considérer comme représentant dan:::; la so-
ciété franc;aise un principe général de sédition, que nous por-
terions meme jusqu'aux colonies.


Messieurs, il y a assez longtemps que eeHe expression de
c( nouvelles couches sociales, ») de « cOllches sociales ditféren-
tes,» a été employée ici meme, et a vant moi, par di vers
membres de ceUe Assemblée, pour que, s'ii ne s'agissait que
du mot lui-meme, je n'eusse ni a le revendiquer, ni a le dé-
fendre.


Mais évidemment,puisque l' on me fait de cette expression
une application pe-rsonnelle, et que d'ailleurs on prétend en faire
sortir des tlJéories politiques de natllre a porter dans la société
le trouble et le désordre, fai du croire que l'occasion était pro-
pice, qu'elle était bonne pour exprimer ma pensée, poue la
limiter, pour ramener 3. leur véritahle valeur ces deux moL:::;
que l'on a défigurés par passion politique, par' entrainement,
par hostilité, par l'etfet de cette anlipalllie que certailles per-
sonnes conservent contre leurs ad versaires politiques, par
toutes ces prévcntions enün qu'on a uepuis tantot UCl an amas-
sées autour d'une express ion parfaitement simple en e1le-
méme, et qui, dans ma pensee, n'était que la traductioll exacte
des faits accomplis ou en tI'ain de s'accomplir sous nos yeux,
dalls le mouvernent du sutTrage universellui-melI1e. (Écoutez!
écoutez !)


J'aillrme done, messieurs, que lorsque je disais que 1'0n
peut déünir et partager la société frauc;aise en deux grandes
fractions, dont l'une s'obstinc ~t demellrer attachée au passé el
s'acharne a faire obstacle a l'avenir, el donL l'alltre marche de
plus en plus vers l'organisation d'une démocratie paciflque et
légale ; quand je parlais de la République, el que je la signalais
comme l'idéal parliculier du gOLlvernement des llouvelles cou-




SUR LES NUUVELLES COUCHES SOCIALES. 383
ches sociales, c'est":it-dire (k celles qlli out été créée¡.¡ par la
Révolution [ran<;ai::>e, fa vorisées dans leur développement par
l'application des idées, des tbéories et des luis de la Révolu-
tian fran<;aise, et qlli ont pris peu a peu, obscurément d'abord,
d'ulle faGon pllls sensible, plus claire, plus intelligente par la
suite, consciellce et possession d'elles-memes a l'aide du snf-
frage universel, j'allinlle que je ne faisais que décrire un phé-
nOlllene pulitiqu8 et social qlli s'accomplit en France dan~ les
couches profoudes de la société. (Assentirnent agauche.)


MessicLlrs, je pense, el je regarde ceLle opinion comme in-
contesLable, 'lu'a coLé et all-dessus de ce monde nOLlveau, de
ce mOllde qui est heureusemeut arrivé non-seulemenL au tra-
vail, a la propriété, mais a la capacité politique, il ya un autre
!llonde parfaitement respectable, san s doute; investi d'une
grande traditioll; ayant jOllé un role considérable dans la for-
mation premiere de la nalionalité fran<;aise, mais qui, plus
pénétré de cerlaines idées sur le gouvernement non-seulernent
de ses propres intéréts et, si vous le voulez, des intérets géné-
raux de la société, et meme sur la direclion el la conduite
de ces c1a~ses prélenuues inférieures, mineures et inCfJlnpé-
lentes, garde, a travers toutes nos vicissitudes révolutionnai-
res, une fa<;oll particuliere de comprendre la politique, les de-
voírs el les relations de l'État vis-a-vis des simples citoyens.


Je pense encore, messieurs, qll'il Y a la un monde qui Hnit,
mais un monde dont il faut tenir le plus grand compte dans la
balance des forces politiques, Céll' il a conservé, a travers nos
révolutions succes::iivcs, sinou des privilége:;" au moins une
suprématie po u!' laquulle il lutle, une prépondérance qu'il ne
\'l~lÜ pas se laisser arrucher. EL je ne lui en fais pas un repro-
che, rUlllarquez·lé bien. Je ne m'étonne pas de cette lutte, el
jG 118 suis pas tiloigué de trouver qll'elle peut étre expliquée
eL jU::iLiliée. Mais, messieuI's, ¡In'en reste pas moins certain
qlle) plus Oll étuuie la société qui ('st ~ortie du droit de suf-
Úage indiviuuel et uui versel, et plus on s'aper<;¡oÍl qu'i! y a
,lujonrd'hui COfIlllle deux Frallces : une France de l\l Révolu-
Liun fran<;aise el une Frunce, .. (Héclamations a droite.).




384 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
Plusieurs membres a droite. - Il n'y a qu'une France !
M. DE MARCÉRE. -- Deux Frances, c'est inexact!
M. GAMBETrA. - N'abusez pas d'un mot dont vous saisissez


parfaitement le sens. Je veux dire qu'il y a dans la société
franc;aise deux courants, deux tendances, qlli sont représentés
par des hommes, par des passions, par des intérets rivaux,
antagonistes ... (Non ! non ! sur plusieurs bancs:)


Pardon, messiellrs, vous répondrez ...
M. CÉZANNE. - Nous sommes tous Franc;ais et égaux ; iI Y a


des whigs et des torys, il n'y a pas deux Frances.
M. GAMBETTA. - Messieurs, il m'est absolument impossible


de répondre aux interruptions.
Quelques membres a droite. - Il n'y en a pas.
M. GAM~ETTA. - Si, il Y en a : l'honorable M. de Cézanne


m'interrompt pour me dire : « Il n'y a pas deux Frances; il Y
a des whigs et des torys; » il y a done, et je suis bien obligé de
les signaler, deux tendances 1 (Réclamation.)


C'est une interruption ! Vous ne l'avez pas entendue, mais
moi qui l'ai entendlle eL qlli tiens compte de l' opinion de mon
honorable collegue, je suis bien obligé de m'y arréter.


Messieurs, veuillez considérer que vous avez demandé l'ex~
plication de ma pensée, je vous la donne, non-seulement paree
ce que je vou::; la dois comme Assemblée polilique, mais pour
faire justice d'une série d'accusalions injustes, a mon sens, de
critiques et de réclamations hostiles qu'on a cherché a ex-
ploiter contre moi, contre le parti que je sers, en faisant de
ce mot «nouvelles couches sociales» un drapeau de désordre,
un brandon de discorde. C'est contre celte interprétation in-
juste que je proteste.


Ce que je veux établir, c'est que je n'ai fait absolument que
prendre acle de ce qui se passe dans ce pays-ci, depuis que
nous avons le suffrage universel. Le suffrage universel, en effet,
a eu pour principal résultat de créer une nouvelle couche so-
ciale et politique, car le propre de tous les régimes électoraux
est de créer ou de défendre des classes, ou de les étendre, ou
de les restreindre.




SUR LES NOUVELLES COUCHES SOCIALES. 385


Il est certain que dans un pays oo., comme sous la Restaura-
tion, le cens était restreint, 00. on était en présence non pas
d'une véritable aristocratie, mais d'une oligarchie qui gou-
vernait l'État, qui cherchait a faire rebrousser chemin a la
France, qui voulait remonter le cours des siecles ... (Exclama-
tions a droÍle.) Messieurs, ne protestez pas ...


Un membre a droite. - Cela n'en vant pas la peine.
M. GAMBETTA. - ... Il est bien certain que la moitié au moins


de ceux qui siégent sur les bancs du Centre droit, ou du moios
leurs peres, cenx qui renversaient cette Restauration ponr
installer la monarchie de 1830 (Applaudissements agauche),
croyaient a cet effort pour ramener la France en arriere.


Eh bien, je dis que le systeme électoral de la Restauration
avait fondé un personnel politique, une clas::ie politique parti-
culiere qui gouvernait l'État d'apres ses théories, ses intérets
et ses passions de classe politiqueo (Interruptions a droite.)
J'ajoute que la Révolution de 1.830, en étendant le systeme élec-
toral, a élargi le cercIe de eette oligarchie, mais qu'elle a eons-
titué, encore a l'état d'oligarchie politique, des classes gouver-
nantes, dirigeantes, comme vous le dites, monsieur de Kerdrel;
que la France était gouvernée, pour tout dire d'un mot qui ré-
sume toute ma pensée, a l'aide d'une .classe, d'un personneI
qui n'était ene ore a cette époque qu'une miílorité daos la na-
tion, car elle se composait de 281,000 électeurs sur 30 millions
d'habitants.


11 est done certain.que chaque systeme élecloral correspond
. a un systeme social, el que toutes les 1'ois qu'un régime électo-
ral fonctionne pendant deux, quatre, dix et quinze ans, il crée,
entendez-Ie bien, a son image, une nouvelle classe soeiale et
politiqueo Pourquoi Ue voudriez-vous pas que ce qui s'est passé
sous le systeme oligarchique, a vec le cens tout a fait restreint
ele la Restauration eomme avec le cens un peu plus élargi du
gOllvernement de Juillet, ne se fút pas accompli avec le régime
du suffrage universel, dont l'établissement sera l'éternel hon-
neur de la Révolution de 1.848. (Applaudissements agauche.
- Exc1amations 8ur quelques banes a droite.)




386 lJISCOUH8 A L' ASSHMJlLiü:


Une voix a droite. - Et l'empire?
M. GAl\Il3ETTA. - Vous elites: Et l'empire? Ah! ce mot-Ul,


on peut le relever sans craiule, car ce que je vais répéter ici,
je l'ai dit dans une autre enceinte, qlland l'empire était ue-
bout. Apres que la révolution du :24 Février a eu doté cllaque
Fran\ais de la capacité poli tique , COlllllle la Hévolution de 89
l'avait doté de la capacité sociale, il est vellU une A3semblée
réactionnaire, aveugle, atTolée par des mots comme ceux
qu'on fail aujourd'hui résonner aux oreilles de la France.
(lnterruptions 11 droite. - Applaudissemeuts a gauehe.)


Vous savez tres-bien ce que je veux dire, vous savez et tout
le monde sait par quel systeme de panique orgatlisée, de ter-
reur voulue el ::ümulée, on en est arrivé a porter la main sur
le suffrage universel ; comment l'empire s'est trouvé tout armé
pour mettre a la raiSOll eeUe oligarchie parlementaire impru-
dente, et comment il él trouvé, allx yellx. des nouvelles couches
sociales, paysans el ollvriers, je ne Jis pas Ulle excuse, mais
un prétexte pour le coup d'État. (Tres-biel!! tres-bien! et
applauJissements a gauch~.)


Par conséquent, l'interruption: Et l'empire! se retourne
contre celui qui 1'a faite. I\1ais ce n'est pas un mot oiseux qui a
é té'lancé ; il faut le relever et le méditer, cal' il peut devenir pour
vous tous, messieurs, que l'on aceuse de nourrir' de coupables
desseins contre le sulIrage lIniversel (Héclttmations a droite),
un enseignement dont vous saurez peut-etre protiter. (Applau-
dissements a l'extreme gauche. - Interr~ptiolls ¿t cJ:roile et an
centre.)


M. DE RESSÉGUlER. - Qu'en avez-vOllS faíL du suffrag8
universel quand vous étiez au pouvoir? Vous l'avez COll-


. fisqué.
M. DAHIREL. - Vous l'avez supprirné entierement.
1\1. DE RESSÉGUIER. - Vous n'avez pas le droit dE parler d.u


suffrage univel'sel. Vous.l'avez conlisqu.é.
1\1. LE PHÉSlDEiU. - N 'interrompez pas; cette discussion se


prolonge déja depuis trop longtemps.
M. GAMllETTA. - Je dis dOlle que le sutl'rage lIuiversel ayant




SUR L'ES NOUV~LtES COUCRES SOCIALES. :187
fonctionné depuís vingt ans, ayant fonctionné d'une maniere
plus Oll moins libre ... (Interrllptions a droite.)


M. DARIREL. - ~ra 19ré vous!
M. HE~nr FOTJR~IER ... et ayant été interrompu apreg le
~ Septembre.


M. LE VICOMTE DE LOnr;ERIL. - Qu'avez-vous faít apres le
~ Septembre? (Rllmellrs agauche.)


M. HENRI FOURNIEH. - Pourquoi n'a-t-il pas fonctionné
apres le ti Septembre ?


l\I. G.BtBETTA. - Le suffrage l1niversel a fonctionné ...
M. DARIREL. - Malgré vous! (Réclamations agauche.)
(Des interrupt.s ,sont échangées entre les membres ql1l


siégent a droite eL a gallche.)
M. GA:\IBETTA. - Le suffrage universel ayant fonctionné ...
M. DARIRELo - Malgré vous! (Nouvelles réclamations a


gauche.)
M. LE PRÉSIDE~T. -Venil1ez ne pas interrnmpre.
~l. GHIBETTA. - Le suffrage universel, je le répete, ayant


pend:mt vingt ami fonctionné sous l'empire, ayant fonctionné
a partir de la paíx ... (Interruptíon.)


1\1. DAUlREL. - Malgré vous!
~I. GAMBETTA. - Malgré moi, je vais vous le dire ; mais lais-


sez-moi parler.
Plnsicnrs rnembres a droite. - Pourquoi l'avez-volJs eon-


ti ' ? Isque.
l\I. GAl\IBETTA. - 1\1. Dahirel prétend que e'est malgré moi.
A droite. - Oui! ouí !
~. GA1\fBETTA. - Ollí! oui! Apres? Qlland vous le répétérez


cent fois I
Un membre a qauche. - On veut vous empecher de conti-


nuer; ne répondez pas !
Un autre membre a (lanche. - M. le président onblie de


rappeler a llordre les interrnpteurs. Si nons interrompions
ainsi, nons serions rappelés a l'ordre.


M. LÉON GAMBETTA. - Le sllfTrage universel ayant fonc-




388 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
tionné dans différentes circonstances, avant comme apres la
guerre, - non pend~nt la guerre, - et j'estime encore, mon-
sieur Dahirel, qu'il ne pouvait pas fonctionner pendant la
guerre ... (Exelamations ironiques a droite.)


M. DAHIREL. - Je demande la paraJe.
M. LÉON GAMBETTA. - Eh bien _, le suffrage universel... (In-


terruptións a droite.)
Un membre a droü,e. - Au líen de consulter le suffrage


universel, vous ,H'ez pris le pouvoir.
M. GAMBETTA. - Oui! il était enviable, le ponvoir, dans ce


moment-la! (Exc1amations a droite.)
Quelques membres a droite. - Pourquoi l'avez-vous pris ?
M. GAMBETTA. - Je ne I'ai pas pris. (Si!.! a droite.) En


ce moment, personne ne voulait se le disputer. (Nouvelles et
bruyantes interruptions a droite.)


Si vous vouliez me permettre de compléter ma pensée, je ter-
minerais brievement et je vous fatiguerais moins de ma pré-
senee.


Un membre a droite. - Oui! - Tres-bien!
Agauche. - A l'ordre! a l'ordre! Bruit prolongé.
M. TOLAIN. - Que l'interrupteur mette son nom a l'Officiel,


ann qu'on le eonnaisse.
M. SCHOELCHER. - e'est une inconvenance.
M. GA:\rBETTA. - Messieurs, je comprends toutes les impa-


tiences; mais vous pourriez renoncer a ce systeme de provo-
cations peu courtoises, cal' je sllis résolll a aller jusqu'au bout
(Tres-bien! tres-bien 1 agauche) et a ne pas manquer de pa-
tience, pour mon eompte.


Eh bien, messieurs, dans les observations que vos interrup-
tions ont si souvent eoupées, j'avais l'honneur de dire, apres
avoir esquissé tres-brievement les résultats naturels des di-
vers régimes électoraux, que le suffrage universellui aussi a
mis au jour dans ee pays-ci une nouvelle couche sociale, et
j'ajoute que e'est cette nouvelle eouche social e que depuis
deux ans on voit apparaitre partollt, sage, modérée, patiente,
maitresse d'elle-meme (Interruption a droite), capable de




SUR LES NOUVELLES COUCHES SOCIALES. 389
mettre la main aux affaires et de les bien diriger, répétant
chaque jour a ceux qui représentent l'ancien monde politique :
Voulez-vous enfin prendre votre parti de l'état démocratique
indestructible et inévitable de la France? Voulez-vous nous
faire une part dans la gestion des affaires du pays? Voulez-
vous qu'il n'y ait plus de baines de cJasses a classes? Recon-
naissez la démocratie! (Interruptions a droite. - Bravos et
applaudissements agauche.)


1\1. LE VICOMTE DE LORGERlL. - Ce que nous n'avons pas ••• ·
(Bruit. )


Agauche. - A l'ordre! a l'ordre !
M. GAMBETTA. - Reconnaissez la démocratie et la démo-


cratie avec sa forme de gouvernement, sa forme nécessaire
(Ah! ah 1), essentielle, la République! (Exclamations a droite.
- Applaudissements agauche.)


Aussi bien, messieurs des cJa-;ses dirige antes, comme vous
n'avez pas voulu preter l'oreille a un semblable contrat, il se
passe lous les jOllrs dans le pays quelque chose de plus consi-
dérable qu'une révolution soudaine, que ces journées plus ou
moins militantes dont on tíent les annales dans notre histoire
malheureusement, depuis quatre-vingt-quatre ans; i1 s'accom-
plit, en ce moment meme, non pas sous vos yeux, puisque
vous ne voulez pas le voir, mais sons les yeux de tous les ob-
servateurs attentifs et impartiaux, une véritable révolution
légaJe et sociale.


Partollt oil depuis soixante ans, entendez-vous bien, dans
les Conseils généraux, on n'avait pu faire pénétrer une mino-
rité appréciable d'hommes sortis des rangs du peuple, ayant
ses aspirations ... (Interruptions a droite), ayant ses aspita-
tions, ses idées et ses espérances; partout ou presque partout
le suffrage universel a écarté ... sans y mettre toujours des
ménagements, mais cela tient a ce qu'on n'a pas entendu les
paroles de conciliation et de transaction sur le terrain républi-
cain ... (Exclamations ironiques a droite. - Vive approbation
a gallche.) ..• Le suffl'age universel a écarté des gens qui au-
raient pu rendre de réels services, s'ils avaient compris le role


2i.




390 DISCOURS SUR LES NOUVELLES COUCBES SOCIALES.
qui ]enr était offert~ de tu teurs, d'édllcateurs et de guides du
peuplH. Le peuple lui-meme s'est installé aux affaires, et c'est
eette éelosion que, sous le nom de nouvelles eouehes sociales,
ffuit du suffrage universel, j'ai saluée a Grenoble! (Vifs ap-
plaudissements agauche.)


Et je dis. messieurs, que vous avez beau chercher a défigu-
rér ma pensée, a en faire une sorte de drapeau rouge, je dís
que vous ne parviendrez pas a égarer le bon sens de ee pays;
il"~8it tres-bien que je ne suis pas partisan des théories nive-
leuses, que je ne suis pas un homme de ehimeres et d'utopies,
et que si je demande l'aceession, l'avénement de la démocratie
aux affaires, e'est que je ne suis désireux que d'une eh ose,
relever la Franee par l'ordre matériel et moral. .. (Tres-bien!
tres-bien t - Applaudis5ements prolongés agauche.) Et si
quelque chose est fait pour donner a ce mot de « nouvelles cou-
ches sociales» sa conséeration, son véritable caractere, e'est
la politique que 1'0n nOtlS apporte et que I'on fait ici depuis
tantót deux mois, poli tique qui n'a qu'un nom~ que la Franee
eonnait, contre laquelle elle s'est déja prononcée, contre la-
qllelle elle se prononcera tOllj0urs, e'est la politique de ]'an-
cien régime contre la politique de la Révolution! (A l'ordre ! a
l'ordre! a clroite. - Nombreux et vifs applaudissements a
gauche. - L'oratellr, en retollrnant a son bane, est félicitp
par un grand nombre de ses collegues: de ce cóté de }' As-
semblée.)




DISCOURS


PRONONCJ:} A L'ASSl<DiBLEE NATIONALE, LE 14 .JUILLET 1873


suu


LA PRATIQUE DU DROIT DE RÉUNIO~


M. LE PRÉSIDENl'. - La parole est ü M. Gambetta.
M. LÉoN GAMBETTA. - Messieurs, le projet de loi pOllr Je-


quelle GOllvernernent réclame l'llrgence ...
Quelr¡ues voix a droite. - La cluture! la clóture!
A utres VOi.l~ du rnílme crJté. - Non! non! - Laisse z


parler!
l\l. LÉON GAMRETTA. - l'vIessieurs, le projet de loi que le


Gou vernement vient de proposer ...
Quelques 1)oi.r (¿ droite. - NOllS deman dons ]a cló-


ture!
Un membre á (Jauche. - Voilil la liberté de la tri-


hune!
;\1. LÉoN G.,umETTA ... et pour Jequel \1. le comte Jallbert ré-


r:la me l'urgence, a pri:i sons sa pnrDle sa véritable portée et sa
véritahle siguiflcation.


Avec M. le comte Jaubert on est presque toujours certain
(l'aprendre gaiement In vérité, qui, qllelqllcfois, se dissimule.
(On rit.)




392 DISCOURS A L' ASSEMBLÉE
M. GASLONDE. - Dites spirituellement.
M. LÉON GAMBErTA. - II a dit no)) sans justessc que c'était


moins la liberté de la tribune parlementaire qui était en ques-
tion qu'une autre liberté d'lll1 genre moins nouveau qll'il n'af·
fecte de le croire, qu'il a appelée la liberté du balcon.


M. DE RAIN~EVILLE. - Les deux. libertés, comme les deux
Frances!


1\1. LÉON GAMBErrA. - Et, messieurs, quoique .le ne
sois pas plus en cause qu'un autre en cette matiere •.. (Rires a
droite. )


M. AUDREN DE KERDREL. - Pas moins !
M. LÉON GAMBErrA ... je crois, messieurs, qu'il est peut-etre


bon de faire observer a ¡'honorable comte Jaubert et a bien
d'autres esprits qui poursllivent ici la meme politique que no-
tre honorable col legue, que la liberté du balcon a besoin d'é-
tre garantie et protégée aussi bien que la liberté de la tri-
bune. ( Olli! oui! Tres-bien agauche. - Exc1amations Ü
droite. )


Qu'est-ce a dire, messieurs? Mais ce n'est pas autre chose.
Et M. le comte Jaubert le sait bien, lui qlli a peiné quarante ans
de sa vie pour établir dans ce pays la monarchie constitution~
ne11e et le régime légal des Assemblées parlementaires, et les
luttes en plein soleil, et le (ai?' play des Anglais, la liberté do
discussion, le droit de ramener~1 soi les hommespar la persua-
sion, par la voie des réllnions, par tous les moyens légaux de
propagande.(Bruit a droite. -Tres-bien! tres-bien agauche.)


Que M.le eomte Jaubert me démemte si je me trompe! (Ap-
plaudissements a gauche.) Eh hien, messieurs, je dis que ce:;;
efforts ont été tentés pendant quarante-cinq nns dan s ce
pays, non sans quelques heures de prestige et de gran-
deur.


L'école a laquelle M. le comte Jaubert s'est rattaché, et dont
il a été un des plus brillants représentants, cette école, de
de quelles trnditions s'inspirait-elle? h quels souvenirs faisait-
elle appel? 00 ne disait pas, comme récemment: Passons
l' Atlantique! non, on ~nous con:viait a passer la Manche;




SUR LA PRATIQUE DU DROIT DE RÉUNION. 393
on nous fnisait le tablean véritabJement enchanteur de ce pays
oll l'aristocratie et la royauté jllxtaposées vivent sans secousse,
sans collision ... (Rumeurs a droite. - Parlez! parlez)! Sélns
collision, ou au moiDs sans conflits sanglants, avec un monde
allssi passionné, aussi Iaborieux, plus grossier et plus miséra·
hle a coup sur que les travailleurs fraoGais.


On disait aux hommes trop ardents de la dérnocratie fran-
<{aise : Prenez·la des modeles; imitez CE;S luttes légales;
voycz cornme en Angleterre les conflits se dénouent par la
propagande !


Et on citait les noms de Cobden, de Bright ; on nous invi-
tait a entrer dan s cette arene pacifique de contradiction, de
dialectique, ou le progres est la conque te de la raison et bien-
tót celle de lamajorité. (Tres-bien! tres-bien! et applaudisse-
ments agauche et au centre gauche.)


Eh bien, messieurs, qll'est-ce a c1ire?
M. LE COMTE DE MAILLÉ. - lis n'attaquaient pas la


Chambre!
M. LÉON GAMBETTA.- L'honorable comte de Maillé m'in-


terrornpt pour me dire : « I1s n'attaquaient pas la Chambre ! »
(Exclamations agauche.)


.Te fais appel a ceux de nos colIegues qui ont Iu les comptes
rendl1s de ces scenes presque violentes, - car il n'y a pas que
les FranQais gui aient le sang chaud et prompt; les Anglo-
Saxons ont aussi leurs emportements, leurs passions parfois
hrlltales,leurs manieres vives de trancher les questions, ou au
moins de se pousser un peu dans les réunions publiques, -
je fais appel allX souvenirs de ceux de nos com~gues qui ont In
ces récits. Il en est parmi nous, et jusque sur le bunc des mi-
nistres, qui les ont examinés de plus pres, qui les ont décrits,
ql1i en ont exposé, dan s une publication spéciale ou dans une
Hevue qui est presqu'une institution poli tique en France, des
peintures exactes et ju::;tement remarquées. Il en est quelques-
uns d'entre vous qui ont des sympathies pour un prince dont
vous connaissez les travaux et qui a eu pour but précisément
de mettre en lumiere, da~s un livre Ioué par ses amis et qui a




DISCOURS A L' ASSEMBLÉ'E
failli devenir la base d'une enquete spéciale de la part de l' As-
semblée nationale, la description de ceUe animation, de cette
lutte, de ceUe libertc~ d'association, de rénnion, de protesta-
tion, de propagande. De telle sorte que nons en sommes
a envier le spectacle de la liberté individuelle chez nos
voisins.


M. LE cmITE DE DOUIIET. - L' Angleterre est un pays
complétement organisé, tandis que la France ne 1'est pas !
(Bruit. )


M. LÉON GAM13ETTA. - A ¡'aide de quels procédés les An-
glais peuvent-ils pOllsser a la conqLlete légale des libertés etdes
droits qu'ils réclament? A l'aide de la liberté dn balcon, olli,
du baleon, dont vous parliez tout a l'heure, paree qu'ils ont le
droit de se réunir antour de plates-formes, sur les places pu-
f liques, dans les édifices construits par la munificenee des ci -
toyens qui appartiennent a I'aristocratie elle-meme, et qui, pll1s
soucieux ou plus intelligents de leurs intérets et comprenant
mieux lems devoirs, savent qn'il n'y a qu'un moyen de diri-
ger les démocraties dans les voies de la justice, e'est de leur
tendre la main, c'est de lenr ollvrir les portes de l'arene Jé-
gale,.c'est de les instruire par la pratiql1e meme de la liberté.
(Applaudissements agauche.)


En conséquence, permettez-moi de dire que cette liberté,
dont on croit se défaire par une épigramme, est la plus essen-
tielle de tOlltes dans une démocratie. Essentielle pour nOl1S
surtout, car, malheureusement, nous avons affaire a un peuple
auquel on a mesuré d'une faGon bien avare l'instrllction et la
scietlce ... (Réclamations a droite. - Approbation a gallche). á
un peuple qui ne lit pas, qni ne s'intéresse pas allX cellvres
écrites. I':t alors, le vrai drnit pour lni el le véritahle moyen.
non-selllement ct'apprendre, mais de se discipliner, de se gou-
verner lui-merne, c.'est le droit de réunion, c'est la liberté de
propagande. (Tres-bien a gallche.)


Plusieurs membres iL droite. - A la question.
M. LÉON GA'IBETTA. - Voila le droit :1Vec leql1el vous pOll!'-


reí': espérer distinguer ce qn'il y a de bon parmi les éléments




SUB LA l)BATIQUE DU D[{OlT DE nÉuNION. 395


confus qui bouillonnent dan" les déllloeraties, faire un juste
départ entre le:.; ehimeres el les idées réalisables. Par eonsé-
qllent, rnessieurs, délJarrassez-vous de ces super(iciellesfa~ons
de j uger les dIOses.


Allez au foud, el vous reeonnallrez que, de meme que la li-
b8rté de la tribulle est iei sacI'ée pour l'illstruction el la direc-
tíon du pays, de meme pouI' éclairer, pour moraliser les masses,
iI y a une liberté sacrée, nécessaire; c'est cette liberté que
vous raillez, et dont vous ne comprenez pas qll'il :vous appar-
LÍellt ~t vous·mernes de faire llsage pom instruire les .campa·
giles, poul' parler a vos électeurs. Usez-eu, mais faites-nolls
une liberté égale, suivez ces Anglais que vous vouIez imiter,
faites le {air play.


Voilil cornrI.1Jnt on gOllverne les démocraties. Si vous voulez
les Lfüllonner, de plus robustes bras que les vótres s'y sont
bl'isés déjil bien des fois, vous y périrez comme vos devan-
ciers, et vous ne laisserez que le souvenir d'une politique allssi
í nsensée qu'impuissante. (Applaudissements agauche. - .Ré-
clamations el murmures a droite.)




,




DISCOURS


l'RONONCÉ LE 28 SEPTEMBRE f873


AU BANQlJET


DONNÉ PAR LA VILLE DE PÉRIGUEUX


M. Gambetta avaU depuis longtemps pris l'engagement d'aller
visiter nos amis de la démoeratie républieaine du sud-ouest.
Mellant a profit la eordiale in"itation de M. du Bruel, aneien
représentant du peuple, consul général de France a Geneve,
révoqué par le gouvernement du 24 1\lai, M. GambeUa est arrivé
lundi, 22 septembre, accompagné de M. E. Spuller, au chateau
de Sept-Fonds, vaste maison de eampagne située a cinq kilo-
metres de Périgueux, et s'y est installé suivant le désir exprimé
par le propriétaire.


Dans ceUe résidence, pendant toute la scmainc, ~I. Gambetta
a re<;u de tres-nombreuscs visites des républieains de Périgueux,
qui stlllt venus a Sept-Fonds pour s'cntrctenir avec l'honorable
député de la situation présente du pays et des projets que la
réaction médite d'exécuter a la rentrée de l'AssembJée natio-
nale.


Jeudi, dans la soirée, il est alIé a Périgueux pour assister au
diller offert en son honneur par 1\1. le doeteur Guilbert, aneien
préfet du gouvernement de la Défense nationale, a toutes les
pcrsonnes qui, apres avoir aeeeplé el rempli des fonctions admi-
nislrati-ves dans "intéret de la République, ont été destituées
successivement pour plaire a la réaetioll. Apres le dincr chcz




398 DlSCOURS


~L Guilbert, M. Gambetta s'est rendu chez ~l. Fournier-Lau-
riere, ancien maire révoqué de Périgucux, quí avait réuni dans
50n salon tout le Conseil municipal de la ville, a l'effet de le
remercier de l'invitation qui lui a été adressée par le Conseil
d'assister aux feles municipales données par la ville de Péri-
gueux, a l'occasion de l'inauguration de la statue du général
Daumesnil.


Samedi, 27 septembre, au chateau de Sept-Fonds, l'aftluence
des visiteurs a été plus grande que de coulume. On peut évaluer
entre trois c~nt cinquante et quatre cents le nombre des per-
sonnes .qui sont accourues des divers points du déparlement,
des quatre arrondi.ssements de Nontron, de Bergerac, de Sarlat,
de Ribérac, pour s'entretenir avec M. Gambetta des affaires de
la démocratie. On remarquait, parmi ces visileurs, un grand
nombre de maires, de conseillers généraux et d'arrondissement,
dont l'intluence sur leurs concitoyens tÍent a leurs sentiments
républicains hautement profcssés et connus. La réceplion de
toures ces pcrsonnes n'a pas duré moins de quatre heures. On
s'était spontanément divisé par régíons, et l'on pénétrait dans
les appartem~nts par groupes de cinquante a soixante personnes.
Chacune de ces réceptions, marquée au coin de la plus sincere
cordialité, a donné líeu a un fratcrnel échange de pensées et de"
vues sur la situation. La conversation s'cngageait sur la poli-
tique, sur le présent et l'avenir de la République. Chacun y
prenait part, apporlant ses ob3ervations personnelles, faisant
connaitre ses propres opinions. M. Gambetta résumait, dans une
courte allocution finale, l'ensemble des faits examinés et des
déclarations produiLes, et terminait par des conseils dont la
fermeté autant que la prudence ont été justement appréciées.


La plus importante de ces réceptions partielles a été ceHe des
visiteurs venus des départements limitrophes. Elle se composait
de plus de eent personnes. Les visiteurs de la Charente et de la
Vienne ont été présentés par notre confrere et ami 1\1. Massi~
cault, rédacteur en chef de la Charente; ceux du Lot-et-Garonne
et du Lot, par 1\1. Louis Mie, avocat a Périgueux, dont !'infati-
gable dévouement a la démocratíe est si connu dans tout le midi
de la Franee; ceux de la Haute-Vienne, de Lillloges el de Saint-
Yriex, par M. Georges Périn, représentant de ce département a
l' Assemblée nationale; ceux de la Correze, de Tulle et de Bríves,
par ~I. l\Iaillard, avocat a la cour d'appel de París, en ce moment
en vaeallces parmi ses coneitoyens. Dans eette entrevue, lU. Gam-
betta, apres avoir entendu et reeueilli toutes les observalions





AU BANQUET DE I'ÉlUGUEUX. 399
communiquées par les visiteurs, a prononcé une allocu!ion quí
a embrassé rapidement toutes les questions a l'ordre du jour, et
l'assemblée s'est séparée avcc la conviction que la sagesse, la
discipline, l'inébranlable patience de la dérnocratie républicaine
sauront contenir et déjouer les projets trarnés contre les insli-
tutions existan les. Chacun a emponé la certitude que partout
l'ídée républicaine et démocratique est en progreso


La royauté du droit divin, qui arnenerait infailliblement la
dornination des prétres el des nobies, est en horreur aux popu-
lations. Lasse de tant de cornrnotions politiques, soucieuse avarIt
tout de se préserver de J'inévitable révolution produite par le
rétablissement de la rnollarchie, queIle que flit ce.tte rnonarchie,
et qui serait, cornme l'a dit M. Thiers, la plus redoutable de
loules, la France aspire a se reposer dans la République since-
rement libérale et démocratique de lant d'agitations funestes.
Le pays est las du provisoire; ce qu'il veut, c'est la République
défimtive el solidernent assise; or, celte République ne peut elre
constituée que par une Assemblée nouvelle, élue spécialement
pour cet objet avec un mandat parfaitemcnt dMini et a l'abrí
de toute contestation.


CeUe heureuse et féconde journéc laissera un long souvenir
.dans la démocratie du sud-ouest.


Dirnanche 28 septernbre, la Yille de Périgueux a solennelle-
ment inauguré la slatue du général Daumesnil. .De grandes fetes
ont été données a ceUe occasion. lU. Garnbetta avait été invité a
y assister.


Dans la soirée, un banquet a été offert par la municilalité de
Vincennes.


Cette réunion a eu un caractere essentiellemoot privé Aueun
des représentants de l'autorité n'était présent. Le banquet était
présidé par 1\1. Gambetta. Apres plusieurs discours, le maire
révoqué de Périgueux a porté un toast a M. Gambetta. Voiei en
queIs termes il s'est exprimé :


MESSlEURS,


Le toast que je vais porter sera certainement chaudement
applaudi par vous tous.


A Gambella !




400 DISCOURS
C'est-a-dire au citoyen illustre qui ne douta pas de la Franee,


et s'íl ne pul lui f:.lire obtenir la victoire, lui conserva dll moins
ce gloriellx privilége des heureux vaincus : l'honneur I


A Gambetta! Dans une République a peine sortie du berceau,
sur un sol disputé pas a pas a l'élranger, il sut établir un gou-
vernement sur la seu le base de la force morale et du patrio-
tisme de tous; il sut créer ces armées, qu'on est fier d'avoír
possédées quand elles peuvent écrire sur leur drapeau: Coul-
miers, les batailles de rEst et le siége de Paris.


A Gambetta I dont le nom, apres cette fete, restera uni,
dans 110tre admiration, a celui de Daumesnil; tous deux ont
aimé la patrie, tous deux ont tenu haut le drapeau tricolore.


A Gambetta ! enfin, le guide de la démocratie, son espoír
pour le jaur ou ]a République, solidement établie, débarrassée
des tfttonnements monarchiques, r::tdieuse et serrino, régnera
en France, assurant les droits de tous par les efforts de tous.


Messienrs, je remercie l'illustre citoyen qlli a bien vOlllu
venir nOllS visiter; je bois a son retour au milieu de nous, je
bois a Gambetta.


~1. Gambetta a répondu par le discours suivanL :


MESSIEURS ET CHERS CONCITOYENS,


Ce n'est pas sans émotion que 1'on entend de telles pa-
roles, et il fau.drait qu'au milieu des déceptions de la vie pu-
blique nune d'un républicain eút perdu tout ressort pour ne
pas vibrer jusqu'a se briser sous l'impression de semblahles
discours, qui traduisent des sentiments si bienveillants et si
généreux. Vos applaudissements, venant donner a ces paroJes
comme une consécration, me ]aissent profondément ému el
reconnaissant, mais tout a faít incapable d'y répondre comme
je le vaudrais; c'est-a-dire d'une faGon digne, non pas seuJe~
ment des hummes qlli sont ici, - car, apres tOllt, les hommes
sont peu ue chose dans la melée ues partís et en face de la
grandeur des idées qll'ils défendent - (applalldissements),




AU BANQUET OE PÉRIGUEUX.
mais dignefl surtout de la grande cause qui vient d'étre si no-
blement rappelée, et qne nous sommes tous résolus a défendre
jusqu'a notre dernier soupir.


M essieurs, dans le discollrs de notre ami, M. Lauriere, il
y a une assimilation que b postérité et l'histoire ont, seuIes,
le droit de faire, entendez-Ie bien. Quoiqu'elle ait été faite par
nn cmur sympathique et généreux, je dois la repousser. Mais,
puisqu'on veut bien reconnaitre que j'ai quelqlle droit de par-
ler au milieu des républicains, mes freres, et en leur nom,
qu'il me soit permis de ne point laisser s'introduire parmi nous
un langage trop complaisant, ou un homme quel qll'il soit tient
toujollrs trop de place, OÜ, peu a peLI, il refoule et écrase l'idée
qu'il représente. Citoyens, ne donnons jamais a penser que
cette auguste incarnation de la justice parmi les hommes, la
Républiqlle, c'est-a.-dire la verLn, devenant le Jevier du gou-
vernement des hommes (bravos), puisse dépendre de I'exis-
tence d'une personne, du hasard, de la maladie, des infirmités
d'un organisme, au líen de reposer, immuable et éternelle,
sur le droit eL la volonté respectée d'une nation toujours libre.
(Applaudissements proJongés.)


Permettez-moi donc, mon cher Fournier-Lallriere, ces quel-
ques mots de réserve et de correclion, apres les paroles que
vous avez fait entendre; d'ailleurs vous avez, ce jour-ci, mé·
ríté un honneur aupres duquel ne penvent compter pour rien
ni les applaudissements de vos amls ni la reconnaissance de
vos concitoyens. Que vous e8t-il donc arri vé ~ Le voici : toute
votre ville en est encore émue. Vous qui avez tout fait pour
eette ville, vous qui lui avez donné la lumiere et l'eau, la su-
lubrité et ]e bien-étre, vous qui, jour et nllit a la tache, avez
remis ici tout en ordre sur la voie publique comme dans les
finances, vous, le maire que toute cité devrait envier et que
ton t gouvernement devrait soutenir, au milieu de vos tra vaux,
daos votre rellvrede zele et de dévouement, IN'OUS avez été
tout a COllp frappé; suspendu, révoqué! au nom de quoi? an
nom de l'ordre ... mais de l'ordre moral. Et par qui? Par vos
ud versaires politiqnes. (Salve d'applaudissements. - Accla-




402 DISCOURS
mations.) Voila le grand honneur qlli vous est échu. (Nou-
venux applaudissements.)


Mais si vous avez enconru les arrets OH pIlltót le!; arretés
(rires) de l'ordre moral, le suffrage de vos concitoyens, - au-
quel est venu se joindre, des que la mesure qui vous fr{tppait
a été eonnue, le suffr0ge de tout le reste de la France, - vous
réserve la eompensation eertaine que la justiee et le bien ac-
compli rencontrent t6t ou tard dans ee monde. Car, messieurs,
laissez·-moi exprimer cette eonviction tout intime, e'est dans ee
monde que les reuvres re<;oivent leur sanetion ; quoi qu'on en
di8e, la justiee est parmi nous, elle arrive boiteuse ou rapide,
trop rapide souvent; nous l'avons bien vu apres notre irrépa-
ble faute du plébiscite; trop lente aussi quelquefois, elle ar-
rive surement; eette confian~e en la jLlstiee fait notre foree et
nous soutient. Pour moi, je n'en ai, je n'en connais poiot
d'antre! - (S8nsation et applaudissements répétés.)


Mes'sieurs, on rappeIait tout a l'heure eette époque fatale ou
le pays, abandonné, trahi par ceux-la memes qui; pendant
vingt ans, s'étaient fait, non pas ses guides, mais ses exploi-
teurs, ne reneontra, au milieu de désastres sans pombre, ni
armée réguliere, ni finanees, ni administration, ni diplomatie,
Tout s'était écroulé a la fois, et, la bande impériale s'étant re-
tirée, la France núe, garrottée et gisante, était réduite a subir
les injures et les souillures de l'étranger. Elle se releva, grace
a la République. (Oui! oui! e'est vrai.) Aussi, messieurs, je
ne laisserai jamais dire, sans protester, que notre pays a man-
qué de patriotisme. Non! il n'en a manqué a aueune heure,
et, des le lendemain de la eapitulation et de la défaite, iI a tout
donné, iI a tout apporté, des hommes, de l'argent, des ressour-
ces matérielles. Il a dit: prenez et employez ees ehoses, et on
les a employées. Si la défaite est venue, si la vietoire n'a pas
réeompensé les efforts et les saerifices, iI faut savoir le dire,
c'est paree qu'iI y a eu des hommes et des partis poli tiques
qui, tablant sur les revers de la Franee, ont tout énervé et
tout arl'été, préférant la capitulatios..,}a défaite, ]'abaissement
de la patrie· a l'abdication de leurs~onvoitises particulie-




AU BANQUET DE PÉRIGUEUX. 403
res. (Marques d'adhésion. - Applaudissements prolongés.)


Messieurs, je reviens sur tous ces faits dOllloureux pour éta-
blir deux points ql1i sont eonnLlS au dehors, que.l'univers sait,
eL qu'il faut que la France saehe bien a son tour: a savoir que
notre peuple ne s'est pas abandonné, que notre nati<>Il s'est
retrouvée, qu'elle s'est retrempée dan s l'extrémité meme de
ses malheurs, que les ames se 80nt élevées a la hautellr des
désastres éprouvés, eL que des efforLs inou'is ont été faits pour
résister a l'invasion, efforts dénigrés ehez nous, mais admirés
par ]e reste du monde. (Tres-bien! tres-bien! Applaudisse-
ments).


Ces souvenirs si tristes, citoyens, ont leur coté glorieux:
loin de moi la pensée d'en faire honneur a tel ou te1 parti.
C'est la Franee entiere qui s'est levée, c'est a elle qu'on faisait
appel, et e'est elle, elle seule qui a répondu. Ce n'est pas
nous, qu'on le sache bien, qui avons jamais distingué la cou-
leur des drapeaux qui marehaient a l'ennemi ; non, jamais, je
le déclare hautement, une pensée aussi impie ne m'est arrivée
a l'esprit! (Salve d'applaudissements.)


C'est pour ceja que je suis profondément humilié, pour
l'honneur et pour le rf'nom de ma patrie, de voir s'élever au-
tour des républieains qui ont servi la France, je ne sais quelles
sllsceptibilités jaloLlses, je ne sais quels ombrages mesquins
du genre de ceux que I'on témoigne aujourd'hui. Aussi, mes-
sieurs, en ce moment meme, si un devoir impérieux s'impose
a vous, e'est le souvenir de ceux qui 'manquent ici; c'est a
ceux-Ia qu'il fant porter un toast) non pas au nom d'un parti
politiqne, mais au nom du sentiment national, au nom de la
Franee tout entiere.


l\1essieurs, apres les défaites que nous avons essuyées et
qu'il faut maintenant réparer, le sentiment qui doit c10miner
dans nos creurs, qui doit nons exciter et nous soutenir, c'est le
sentiment de la patrie; et si j'avais pu croire que ma pré-
senee a ce banqnet, ou vous m'avez convié, devait avoir pour
effet d'en exclure les représentants de la vaillance franc;aise,
les défenseurs du drapean fran<;ais, ceux qui n'ont jamais fai-


..




404 Dlscouns
bli, ceux qui n'ont jamais capitulé, ceux qui n'ont jamais
rompll d'une semelle ... (Adhésion llnanime. - Tres~bien!
tres-bien! tres-bien! - Bravo. - Double salve J'applaudis-
semcnts. )


Si j 'avais pu penser, dis-je, que ma prése~lce pul entrainer
leur exclusion de ce banquet, oui, malgré la joie profonde que
j'éprouve a presser la main fraternelle de cette démocratie qui
est ici réunie, et a laquelle j'ai voué toutes mes forces, tout ..
mon intelligence, - je ne serais pas venu. (Sensation pro-
fonde.) Je ne serais pas venu, paree qu'il y a ql1elque ehose
qui m'importe plus que nos fetes répllblicaines: e'est le role,
e'est la mission, c'est la place de ceux ql1i représentent la
vaillance de la patrie devant l'étranger. (Explosion d'applau-
dissements. - Bravos unanimes.)


Ils seraient des calomniateurs tous cel1X qui interpréteraient
mes paroles autrement qu'elles Dé doivent l'etre. Je De les
prononce pas dan s un mesquin intéret de par~i; je les dis
parce qu'il y a quelque chose de supérieur a la Républiquc, de
sllpérieur a la liberté de la pensée, c'est la France, c'est l'in-
dépendance de la France, c'est la passion, c'est la religion de
la France! (Oui! oui! - Tres-bien! - Bravos et applaudis-
sernents répétés.) La France résume tout pour moi : liberté de
la raison, progres et justice, République; tout cela, c'est la
France; voila pourquoi il n'y a rien, il no pent rien y avoll'
au-dessus de la France. (Nouveaux applaudissements.)


Aussi j'ai le droit de dire, paree que e'est une vérité qui
s'impose a tous, que, désormais, il ne pellt plus etre fait de
séparation ni de rupture entre la France et le partí républi-
cain, entre la France et la démocratie. J'en atteste notre his-
toire. Est-ce que ce malheureux et noble pays a jamaís pu
irOllver une réparation ou un refuge eonlre les désastres ac-
cumulés par les monarchies suecessives, ailleurs que son s
l'égide et l'abrí de la Hépublique? Et lorsque cette Républiquc
s'était dévouée, quand elle s'était pour aimü dire sacrifiée,
apres qu'elle s'était soumise ü toutes les malédietions pour se-
courir la patrie, alors ses adversaires, comme une meuto




AU RANQUET DE PÉRIGUEUX. 4,05
aeharnée, se sont retonrnés contre elle, eriant, aboyant, hur-
lant ponr chercher a la rendre responsable des malheurs
qll'eIle s'était donné mission de réparer.


e'est ainsi qll'ils ont essayé de troubler l'esprit du peuple,
de pervertir la clairvoyance du paysan, eette création immor-
teIle de la Révolution fran<;aise (applau1issements unanimes),
el ceIle de l'ouvrier, cette aulre création de la science moderne
appliquée á la conqu8te de la nature. (Nollveaux applaudisse-
ments.) lIs sont par venus selllement Ü troubler l'esprit du bour-
geois, qui devait elre l'initiateur, le conducleur et le guide de
la famille franGaise, en lui fai~ant renier ses tradítions el sa
gloire, son génie et ses intéréts, pour le faire se précipiter,
tremblant, aux pieds d'un maUre.


Ils ne réussiront pas, messíeurs ... ; mais je ne suis pas ici
pour parler de notre politique intérieure, et une autre fois ...
(Tres-bien! tr~'s-bien! - Applaudissements répétés.)


A ce moment, l'orateur, en proie a une vive et profonde émo-
tion, s'arrete, s'assied un instant, se releve et contin~e :


Je vous demande pardon, messieurs, Au milieu de l'émo-
tíon qui me gagDait, j'ai oublié ce qu'on ne doitjamais oublier
dans des fetes analogues, c'est Paris et le souvepir de tont ce
qu'il a fait ponr la France. le ne serais pas son représentant,
son mandataire, si je m'asseyais san s constater la présence ici
de la municipalité de Vincennes, et pour nous, Vineennes, e'est
Paris, confondu dans une étroite solidarité avee la municipalité
de Périgueux, aftirmant, dans cet admirable culte de la vertu
nationale, leur intime union, démontrant que e'est l'esprit de
Paris, que c'est l'ame de París qui vil et palpite dans l'ame de
la province, et que c'est le sentiment del'unité fran~aise qui
rattache la province a ce Paris souffrant el glorieux, toujours
cher a toute la nation. L'union est si parfaite qU'Ol1 ne sait,
dans ce culte du dévouement, de l'hüolsme, a qui revient
J'initiative. Est;-ce au département de la Dordogoe, qui a été
le berceau de Dallmesnil, de ce héros simple et modeste, qui


23.




406 DISCOURS AU BANQUET DE Pf:RIGUEUX.
enseigne aux militaires d'aujourd'hui que, pour s'inscrire au
Panthéon des grands hommes, le génie n'e8t pas toujollrs né~
cessaire, et qu'il suffit simplement de faire son devoir! (Tres~
bien! tres-bien! - Applaudissements.) Ou bien cette initiative
appartient-elle a la municipalité de Vincennes, dont les repré-
sentants sont venus assister a la rete que vous donnez pour
perpétuer la mémoire de Daumesnil? Admirable confllsion
mutuelle qui nous rappelle ces premiers jours, jours superbes,
de la Révolution franGaise, ou, pour se donner le haiser fra-
ternel, pour se communiquer la me me pensée, les memes
freres, les memes FranGais envoyerent de tons les points du
territoire des délégués des provinces a Paris. e'est cette fédé- '
ration nationale, - 110n pas une fédération qlli implique le
désordre, ia division el l'anarchie, - qui nous a réunis tous
en un admirable faisceau, et qui a constitué la patrie fran-
c;aise; c'est cette fédération nationale qui a définitivement as-
soci¿ vos destinées les unes aux autres, et qui nous a vraiment
appris a tous qu'il vaut mieux mourir tous ensemble plutót
que de rien laisser distraire de notre admirable patrimoine
national. l\Iais, hélas! cruel retour sur nons-memes? ces pa-
roJes nous rappellent qu'il manque des verges ~lLl faisceau de
la République! (Profonde sensation.)


lVIessieurs, ~ la municipalité de Vincennes, qu'on pourrait
presque appeler la municipalité de Paris, el a la municipalité
de Périglleux; anx patriotes absents, a la France, a la Répllhli-
que! (Acclamations et applaudissements prolongés.)


L'auditoire se sépare, en proie a une vive émotion,




DISCOURS


PRONONCÉ LE 3 OCTOBRE i873


AD CHATEAD DE LA BORDE


pres Chfttellerault


En quittant Périgueux, M. Gambetta s'est rendu au chflteau
de La BordeJ pres Chatellerault, chez 1\1. Adolphe Esearraguel,
qui lui avaiL annoncé I'intention de réunir autour de lui les
membres les plus autorisés et les plus influents de la démocratie
républicaine du département de la Vienne.


Pendant les quatre jours qu'il a passés dans eette résidenee,
M. Gambetta a re¡;u de nombreuses visi tes : le vendrcdi 3 oc-
tobre, notamment, plus de soixante personnes sont venues a
La Borde pour apporter a 1\1. Gambetta l'expression des senti-
ments eL des vceux des populations ouvrieres des campagnes rela-
tivemen t aux intrigues monarchlques et a l'affermissement défi-
nitif des institution s républicaines.


., +


Le soil', un grand diner de vingt-cinq couverLs a été offert
par 1\1. Adolphe Escarraguel.


Au dessert, il a porté le toast suivant :


MESSIEURS,


Voulez-vous me permettre de porter un toa8t 11 un homme
qui, alors que l'empire gouvernait la Franee, a su, dans nos




408 DISCOURS
assemblées publiques, élever, devant cet empire autoritaire,
le drapea u de la démocratie avec un éclat remarqu:ible;


- A l'homme qui, plus tard, óux heures pénibles el doulou-
reuses de la France, alors que la ville de Paris faisait de si pa-
trio tiques efforts pour soutenir courageusement la lutte, con·
fiait sa personne et sa vie aux voies aériennes pour venir, dans
la ~'rance étonnée, apporter encore son énergie et sa résolu-
tion inébranlable ;


- A l'homme qui va dans l'Assemblée actuelle défendre
encore, avec l'énergie qu'il a développée dans les deux pre-
mi eres phases dont je viens de parler, et aussi a vec l' éloquence
qui lui est propre, les intéréts et l'avenir de la véritable sou-
veraineté, la seule légitime, la sOllveraineté nationale!


Je vous propose, messieurs, comme son hote et son ami, de
boire a la santé de M. Gambetta. (Assentiment général.
Tres-bien I - Tres-bien! )


l\L Gambetta, se levant, répond :


MESSIEURS, ..
le réponds allX cordiales et frat8f11elles paroles de notre hote


en buvant :
A la Républiqne !
A la démocratie franGaise!
A l'union de toutes les fractions du parti républicllin ! (Bravo!


bravo! assentiment général.)


IvIESSIEURS,
Si vous pouviez, comme je le peux, moi, tous les jours, voir


et connaitre de pres ce grand parti républicain, qui bientM
perdra le nom de parti pour devenir la patrie elle-méme
(Marques d'adhésion), si vous pOLlviez voir dans tOllS les rangs,
dans toutes les conditions, ce qu'il recele de trésors de bonne
volonté, d'esprit de sacrifice, de générosité native qui ne cal-
cule jamais, d'ardeur spontanée, toujoLlrs préte a s'élancer,
dall:', toutes les circonstances, vers qui lui tend les bras et qui




AU CHATEAU DE LA BORDE. 409
seprésente comme son défenseur, vous comprendriez le pro-
fanel respect, l'amoLlr sans bornes, le dévouement sans mesure
que doit inspirer cette démocratie franGaise a tous ceux qui ont
l' honnellr de la servir.


Pour ne parler que de nos récents malheurs, d'autant plus
cruels qu'ils étaient immérités, si vous aviez pi.l voir avee
qúelle générosité notre nation, surprise et éperdue, don-
nait, sans compter, ses enfants, ses richesses, ne réclamant
en retour que d'étre organisée, d'étre eommandée, d'étre uni-
fiée pOllr faire face a l'ennemi, alors vous comprendriez quel
sentiment d'humilité persoonelle, quel sentiment de circons-
pection et de réserve je dois garder au fond du ccenr, moi qui
ai bien vn que, dans ces grandes erises, onl homme ne peut se
Halter de gonverner les natioos, un sens étroit ou les sauvenrs
ue profession entenden t ce mol. Daos ces moments terribles,
messieurs, on est tont au plus l'interprete des nations ; on les
8::rt; on se dévoue a leur cause; on cherche, antant qne possi-
ble, a mettre au oet, a traduire la pensée supérienre qui les
agite; mais ne croyez pas qu'il dé pende d'un homme si ferme -
ment trempé, si résolu, si dévoné qu'il puisse se montrer, de
tout faire et de tout accomplir! Ne croyez pas que sa volonté
puisse a elle seule faire merveille.


11 n'y a de vrai et d'efticace que l'action de tout un peuple
ou les ci ~oyens pensent eL agissent. par eux-mémes, ou ils se
concertent entre eux, ou ils ne prennent ues hommes que
eornme des serviteurs, que comme des mandataires, sans les
laisser jamais empiéter sur les prérogatives souveraines et im-
prescriptibles de la nation. (Marques d'approbation. -Bravos.)


Tel est cependaot le spectacle auquel IlOUS sommes .. menacés
d'assister, car, enfin, ce ne serait pas répondre aux préoccu··
palions qui nOllS réunissent ici, que de ne rien dire de l'anxieté
qui nOllS est commllne avec toute la nation. Messieurs, pour-
qlloi !lOUS dissimulerions-nous a nOlls-mémes, en dépit de ces
:1irs de rele, de la cordialité de ce banquet, de l'éclat de ces
lumieres et da ces fleurs, de l'expansion qui HOUS anime sons
ce to.it hospitalier, que nOllS éprollvons, malgré tout, un senli-




410 DISCOURS
ment amer ; que nous nous sentons aux prises avec un ennemi
terrible qui nous tend des piéges, qui nous dresse des embu-
ches, et qu'il faut vainere a tout prix, si nous voulons que la
République demeure victorieuse et triomphante.


Voila ce qui nous agite. Comment de pareils attentats sont-
ils possibles encore dans ce pays? Parce que notre généreux
pays a tropsouvent commis la faute de donner aveuglément
sa confiance; parce qu'il a suffi, a certaines époques, qu'un
homme, ou qu'un groupe d'hommes, ou qu'un parti apparut
sur la sdme politique et dit au peuple franliais: Tu veux la paix,
je te l'assurerai, je te donnerai par surcroit la prospérité;
mais, avant tout il me faut un blanc-seing, il faut que tu t'en
rapportes toujours a moi, il faut que tu abdiques entre mes
mains. Et quand le peuple a consenti, dans un moment de stll-
peur et d'8garement, dan s une heure d'aveuglement, quand iI
a ainsi donné le blanc-seing qu'on lui demande, toujour8 le
chatiment arrive, prompt et inexorable, parce que, je ne me
lasserai pas de le répéter, toute faute est chatiée: l'arret, l'ar-
ret terrible apparait et s'exécute. (Sensation. - Marques d'ap-
probation. )


Oui, nous avons péri en septembre 1870 paree que la nati~n
s'était donnée au maUre, et paree qu'elle l'avait accepté, to-
léré trop longtemps. (Oui! - Tres-bien!)


Aujollrd'hui que nous propose-t-on encore malgré toutes les
leQons du passé? De nous donner un nouveau maltre. Mes-
sieurs, je le dis avec effroi, mais ave e certitude: si nous nous
remettons volontairement sous le joug de la monarchie, de
nouveaux chatiments, c'est-a-dire de nouveaux malhenrs, nous
attendent ... (Tres-bien! tres-bien! - Applaudissements.)


Messieurs, il faut que les épreuves que nous avons subies
profitent enfin a quelque chose. Au speetaele de la patrie mu-
tilée, ruinée, vidée d'argent par l'étranger, mais encore capa-
ble, par la concorde, par le travail, par le génie de l'épargne
qui luí est propre, de se relever de ses revers, il faut que la
France inspire a ses enfants le sentiment de leurs devoirs, en
leur assurant l'éducation, en leur conservant leur part de SOll-




AU CHATEAU DE LA BORDE.


veraine~é par le suffrage universel, en reconstituant l'armée
nationale, en dénouant avec sagesse, mais avec fermeté, les
liens qui rattachent l'Église a I'État, en mettant la réforme et
le progres partout ou est }'abus et la routine, en substituant
l'esprit d'ordre et de Jégalité a l'agitation impuissante et dé-
sordonnée, la Jégalité, messieurs, mais la vraie légalité, celle
qui s'inspjre du respect des droits de tous, non pas une légalité
hypocrite et menteuse, comme ceUe légalité a l'aide de la-
quelJe on prétend disposer, a une voix de majorité, d'une
nation comme d'un vil troupeau. (Tres-bien, tres-bien!)


Messieurs, ne nous lassons pas d'avertir ceux qui seraient
assez téméraires pour vouloir appliquer une ten e légalité, que
le peuple ne pourrait pas y donner son consentement. Reve-
nons sans cesse a cette these si profondément vraie, que les
peuples, pas plus que les individus, n'ont le droit de stipuler
1eur servitude; que les droits de ceux qui font partie d'une
nationalité ne s'alicnent pas et ne peuvent se transmettre,
cornme des hochets, de berceau en berceau. (Marques géné-
rales d'approbation. - Bravos.)


Quand on a proqlarné que le suffrage universel était l'ex ....
pression définitive de la souveraineté nationale, on a voulu
dire que tout citoyen franGais, par le fait seu1 qu'il av:lit pris
naissance sur le sol de la patrie et satisfait a tous les sacrifices
d'ímpóts du sang et d'argent, par le faít seul qu'il était par-
tie prenante dans les charges, devait etre partie prenante aussi
dans le reglement des affaires du pays.


Suffrage universel signifie que tout FranGais a une part de
souveraineté pour sa tete dans le Champ-de-Mai de la nation~
C'est ce quiJait que'notre souveraineté politique n'est sembla-
hle a aucune autre; nous avons cet honneur entre tous les
peuples que, malgré nos divergences passageres, nous avons
toujours tendn vers un état social et poli tique fondé sur le sen-
timent de justíce générale dans le monde; cela est si vrai que
lorsque les FranGais ont déclaré leurs droits, ils le¡¡; ont fait en
faveur de tous les hornmes et de tous les citoyens. (Approba-
tion générale. - Bravos.)




412 DISCOURS
~ C'est cette grande et noble¡tradition qu'il faut reprendre. Il
est temps de dire que la France républicaine 3, ~lle aussi, S3
tradition que trop de gens ouLlient. Voyons! qui a mis en cir-
culation dans le monde cette grande idée de la justice? Qui a
promulgué la déc1aration des droits? Qui afondé l'indestruc-
lible unité de lanationalité franGaise? Etaient-ce des démago-
gues; des gens inconnus échappés de ¡'atelier ou sor lis de der-
riere la .glebe? Ceux qui traGaient la nouvelle charle de la
France étaient des esprits distingués, oui, mais se réclamant,
a vant tout, de nombreuses générations, et de ces générations
épargneuses, travailleuses et intelligentes qui, s'emparant du
mot de Louis XIV, dirent : l'Etat, c'est nous t et installerent la
nation chez elle. C'est a la bourgeoisie que revient l'honneur
de celte émancipation du peuple tout entier ; c'est elle qui
s'est honorée en relégllant la royaulé a sa vraie place~ en la
subordonnant a la France et a la Loi, expression de la volonté
générale, ce qui était admirablement indiqué par la belle for-
mule: La nation, la loi, le roi; c'est elle qui, substituant le
droit national a la royauté, a supprimé le roí pour faire régner
la nation; c'esl elle qui, avec une puissance et un éclat incom-
parables, a refait la France entiere dans son unité législative,
administrative, financiere et militaire et qui, ayant groupé
toutes les force~~ nationales en un magnifique faisceau, ¡'a lan-
cée a travers le monde, battant la coalition et faisant la propa-
gande de la liberté. (Bravos répétés.)


Messieurs, que voyons-nous aujourd'hui ? On voudrait nous
ramener a l'ancien régime. Et qui médite cette entreprise? Les
hommes qui sont les indignes descendants de la grande bour-
geoisie libérale et nationale de 1789! Faut-il croire que le
regne politique de la bourgeoisie est terminé? On pourrait
presque le dire, a considérer le spectacle des intrigues monar-
chiques a l'heure actueUe; mais, heureusement, iI y a des
homme:) qui n'abandonnent pas leurs traditions, et, pour ma
part, j'en connais qui ne vont pas a Froshdorff, qui ne renient
pas les couleurs de leur drapeau et qui, sincerement, se sont
ralliés a la cause de la clémocratie. Ce sont ceux-Jil qu'il faut




AU CHATEAU DE LA BORDE. 4'\3
adj urer de rester fermes, et qu'il faut appeler a la défense des
principes proc1amés par leurs peres. Une heure solennelle va
sonner pou!' eeUe bOllrgeoisie.


Elle peut reprendre un grand ascenJant sur le peuple fran:-
~ais. Il dépendra de ses représentants a l' Assemblée de faire
un acte politiqlle qui, pour jamais, nOllS débarrasse de l'anar-
chie et.de la dictature. OLli, si ces bOllrgeois petits ou grands,
selon une formule récente, comprennent la gravité de l'lntérét
du moment, ils peuvent, en se ralliJ¡;t fermement autour du
drapeau de la Hépublique, en imposutlt silence aux conspira-
leurs et aux intrigants, ils peuvent S311ver de leurs propres
mains la Hépublique, c'est-i:t~dire assurer encore a eux eL a
leurs descendants de longues et bicmfaisantes années d'influence
sur la direction des affaires publiques, e'est-a-dire préparer et
cimenter l'union des cIasses ; e'est-a-dire fonder sur un pacte
d'indissoluble allianee, entre le prolétariat et la bourgeoisie,
le reltwement et la grandeur meme de la France! (Adhésioll
unanime. - Bravos).


Voila le role que ces hommes peuvent jouer. Pourquoi, mes·
sieul's, nous serait-il défendu d'espérer? Les nations ont allssi
leurs années de bonheur, et la notre a été assez épronvée
pour qu'enfin la fortune puisse lui sourire. POllrquoi nous se-
rait-il défenclu d'espérer que ·ces hommes eomprennent l'éten-
due et la noblesse de leur mission?


Revenus i:t Versailles, apr{~s avoir entendu et écouté les popu-
lations qu'ils ont visitées, ils rapporteront, eomme moi-méme,
une impression unanime, causée par une meme pensée irritée,
qui éclate de toutes parts, qui est semblable sur tous les points
dn territoire, et qui, partout, se traduit par ces paroles: Pre-
nez garde ! républicains, e'est le monde moderne qui est en
péril; mais prepez garde surtout, vous, conservateurs, cal' si
la réaction que quelques-uns préméditent venait a s'accomplir,
elle serait le prélude eL la préfaee de la plus terrible révolution !
Done les droits et les intérets sont iei d'aceord pour tracer une
ligne de e()nduilt:~ semblable a ceux qui sont les héritiers de la
Révolution fran~aise, aux clescendanls de eeUe bourgeoisie




414 DISCOURS
qu'on appelait autrefois le Tiers-Etat, et a eeux qui appartien-
nent a ces nouvelles couches sociales nées a la vie publique
depuis l'établissement du suffrage universel, qui ne demandent
ni injustices, ni désordres, mais qui veulent exercer leurs
droits.


11 faut que cette union se fasse en présence de eeUe Europe
qui nous épie, et qui s'apprete a nOllS faire eette supreme in-
jure de défendre, a la face de la Franee, la liberté de penser
que nous aurions laissés périr. Deviendrions-nous ce dernier
boulevard de l'esprit clérical, et assisterions-nous a ce spec-
tacle honteux pour nous d'une nOllvelIe Sainte-Alliance, dé-
fendant cette fois, non pas l'ancien régime, mais l'esprit mo-
derne et ses droits? Messieurs, je n'en puis , je n'en vellX pa:;
douter: les héritiers de la Révolution fran<;aise, les hommes
qui aiment leur pays écarteront de la Franee cet horrible
avenir. Est-ee que tout le monde ne s'est pas battu pour la
défendre? Est-ee que tout le monde, en Franee, n'a pas donné
pour panser ses blessures? Eh bien! I'égalité unanime des sa-
erifices implique aujourd'hui I'égalité définitive et ineontestée
des droits politiques, et je le dis bien plus au nom dn patrio-
tisme qu'au nom du partí républieain: la RépubliquG est né-
eessaire; il faut qu'elle soít forte et respeetée; elle ne pent
l'etre que par la concorde et l'action de tous les républicains.
Poussons done el l'union de toutes nos force s eontre l'ennemi
eommun. (Oui! oui! - Bravos.)


II faut qu'a la rentrée de l'Assemblée, tous ceux qui se ré-
clament du principe éleetif, qui reconnaissent que la monarchie
est un régime politique épuisé, qu'on ne pent plus faire vivre
eette grande, eeUe ardente, cette besogneuse démoeratie
sous la tutelle d'lln roi; il faut que tous ces hommes oublient
leui's querelles, leurs antagonismes, leurs divisions, et que tous,
réunis dan s une seule et meme pensée, remontant a 89, s'ins-
pirant de cet esprit qui réveilla, exalta et sauva la France,
disent ensemble: nous ne nous séparerons pas sans avoir
assuré la République dans ce pays pour nous et nos deseen-
dants.




AU CHATEAU DE LA BORDE. 415
A Punion de tous les répllblicains de la veille, de l'avanl-


veille et du lendemain; car, a l'hellre du péril, il n'est plus
de ces distinctions a faire; a l'union de tous les républicains
pour sauver la patrie! (Sensation. - Bravos et acclama-
tions.)






TABLE DES l\~ATIERES


A VERTISSEl\IENT. • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •


Lettrc écrite a un conseiller général, le 24 septembre i874


Lettre écrite a un conseiller général, le 16 octobre i87l.


Discours prononcé a Bordeaux, le 26 juin 1871. • • . . .
Discours prononcé au Banquet commémoratif de la défense de Saint-


Quentin, le i7 novembre 187L ••.•••
Discours prononcé a Angers, le 7 avril i872 ..


Discours prononcé au Havrc, le 18 avril 1872 .
Diseours prononcd a Paris, le 9 mai 1872, en réponse a l'Adresfe


des délégués de l'AIsace •••.•••....•••.•...


Discours prononcé it V crsailles, le 24 juin 1872, pour l'anniver:mire


.' ')


Ji


27


41


61
79


90


du général Hoche. • . . • . • . • • • • • • • • • • • • •• 12ñ
Discours prononcé hla Fcrté-sous-Jouarre, le 14 juillet :1872, pour


l'anniversaire du il¡, Juillet. .••••.•• '. • . • • . . .. 139
Discours prononcé a l' Assemblée nationahi, le 29 juillet i872, en ré-


ponse <lU Bapport de la Cornmission des l\Jarchés. . 163
Discours prononcé a GrenoLle, le 26 septembrc 1872. • . . . .. ISU




418 TABLE DES l\IATIERES.
Diseours prononeé a Anneey, le i el' octobre 1872, il. l'óeeasion . du


passage de M. Gambetta dans eette ville. " • ~; . • .'. . • . . 2:11)
Discours prononcé a l' Assernblée, le 14 décembre it>72, sur la Dis-


solution . . . . . . • • ~ • . . e e • • • • • • • • • . . .
Commission des Trente. - Discours prononcé a l'Asiiemblée natio-


nale, le 28 février 1~73. • • . . . • • • • . . . . • • . • . • 287
Diseours prononcé le mardi 22 avril i873, dans une réunion privée


a Belleville. • . . . . . • . . . • • . • 3H


Discours prononcé a Nantes, le i6 mai i873. • 3"'i


Diccours prononeé a Versailles, le 24 juin i873, pour l'anniversaire
du général Hoche. . . . . . . . . . . • • . . . • . • • , . 36~


Discours prononcé a l'Assemblée nationalc, le 12 juin i873, sur les
nou velles couches sociales. • . . • • . • . • . . . • • . • • 38!


Discours prononcé iJ. l' Assemblée nationalc,'le i4 juillet i~73, sur la
pratique du droit de réunion. • . . . . . . . . . . • • • • • 39J


Discours prononcé le 28 septembre i87a, au banquet donné par la
ville de Périgueux • • . . • • . . • . . . • • • • • • • •• 39~


Discours prononcé le 3 oetobre i873, au chateau de La Borde, pres
Chatellerault. . • • . • • . • • • . . • • . . • • . . • •• 40:


rlN DE LA TABLE DES MATIERES.