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E L'ESPAGNE
SUR LES COLONIES;


DE LEUR IMPORTANCE DANS L'ORDRE :POLITIQUE , ET DE
LA GARANTIE DUE A CES DROITS.




DES DROITS


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SUR LES COLONIES


DE LEUR IMPORTANCE DA.NS L'ORDRE POLITIQUE, ET De
LA GARANTIE DUE À CES DROITS.


Justicia est constans etpezpetua volontes
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(TITRE Ier - Des institutes.)


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A PAR
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ET DELAFOREST,LIAloonn, nvE »Es rita.r.S-ST.^7110MAS , ?'. 7.


1825




•••,ftf.r •


AVERTISSEM EN T.


L'INVIOLA.BILIT1 des droits acquis est l'as-
surance de la société ; les maintenir est le
propre de la justice.


Mais si le droit solidaire des sujets ins-
pire à tous un intérêt si vif, il en est un
pourtant qui le domine, c'est celui des rois
qui le garantit.


Un peuple, au mépris du légitime pos-
sesseur , reconnaît l'émancipation d'un
monde; allié, dépouille un allié ; en paix
et sans motif, lui ravit ses états contre la
foi des traités l'Angleterre enfin enlève
par le fait à l'Espagne et à l'Europe un bien
commun à tous.


Cette cause, la cause du monde, mérite
d'être instruite au tribunal des rois , d'être
soumise au jugement des peuples.


Cette question politique, touche aux




vi
droits de tous : question universelle, en ce
qu'elle entraîne toutes les autres en principe
et en fait, et qu'elle renferme en soi celle
de la légitimité et des intérêts.


L'Angleterre se plaindra peut-être de
quelque rigueur ; qu'elle récuse donc l'his-
toire, ses déclarations, les actes de sa di-
plomatie et la publicité de ses débats par-.
lementaires.


L'Angleterre a des vertus, on se plaît à
le reconnaître; Rome aussi, et nous ne crai-
gnons pas que l'Angleterre s'offense de lui
être comparée, Rome aussi eut des moeurs
sévères et des vertus domestiques, et Rome
fut le fléau du monde, et Rome s'affaissa
sous le poids de la vindicte universelle.


,,,,,,,unnvontmtWommwttr.vtnwVwwwWvvo.VnNytVinwwwwvo.wnAVNVo4e,


DES DROITS


DE L'ESPAGNE
SUR LES COLONIES.


A u commencement du quinzième siècle , le
génie de la navigation se réveilla tout-à-coup
et reprit un nouvel essor.


L'Europe, long-temps occupée du soin de
repousser un ennemi commun, avait constam-
ment tourné ses efforts du côté de l'Orient,
où l'appelaient la gloire , le commerce et la
nécessité de combattre; long-temps la Mé-
diterranée ne vit voguer que les pavillons
de Gènes et de Venise : républiques jalouses ,
qui , placées au centre du monde connu, unis-
saient aux expéditions militaires les intérêts
de leur commerce , et trafiquaient b-la-fois
d'armes et de marchandises précieuses; niais.




( 8 )
Alexandrie et son port , Constantinople et les
marchés de la Mer-Noire, bornaient leur am-
bition et leurs courses.


L'union des villes anséatiques ne produisit
à son tour rien de . grand; contente d'assurer
ses profits, elle ne . tourna ses vues que da
côté de l'utilité publique, et ne hasarda rien
de périlleux ni de magnanime.


Il fallait remonter aux siècles les plus recu-
lés pour retrouver quelques-unes de ces entre-
prises héroïques que le siècle alors mettait eu
doute ou rejetait parmi les fables.


Les Espagnols et les Portugais, libres d'une
occupation étrangère , triomphans de leurs en.
nemis, pleins de cette noble confiance que
donne la victoire, placés aux limites de l'an-
cien monde, et sans cesse excités par la vue
d'un océan qui semblait les braver, tentèrent
les premiers de plus hautes et de plus glo-
rieuses aventures.


Déjà les Espagnols avaient pris possession des
îles Canaries.


xcif o. —Un prince de Portugal, don Henri,
doué du plus noble génie et animé d'un amour
généreux de la patrie , arme une flotte à ses
frais : le succès répond à ses entreprises; ses
vaisseaux ont touché Porto-Santo. Dix ans plus


•l 9
tard, Madère est aperçue et devient le prix de
ses efforts.


1446. — Une compagnie de négooians, exci-
tée par un si bel exemple, occupe peu après
les îles du Cap-Vert; les Acores, première es
pérance d'un monde inconnu , sont décou-
vertes, et l'intrépide Barthélemi Diaz a signalé
le cap des Tempêtes ( 449).


Parmi les gens de mer que le Portugal en-
tretenait dans ses ports , un étranger, déjà
connu par son courage et sa vertu, homme
éprouvé des tempêtes et de la fortune, naviga-
-leur également pourvu d'expérience et de sa-
gesse, Christophe Colomb, conçut, par la seule
force de sou génie, un dessein que repous-
saient à-la-fois l'esprit de son siècle, les préju-
gés et la timidité des navigateurs.


Un monde lui fut révélé, son existence dé-
montrée, et Colomb , depuis ce moment, ne
forma plus d'autre projet que de conquérir cet
univers, et de s'ouvrir une route, par l'Occident,
vers les bords qu'il embrassait déjà dans ses
vastes pensées.


Plein de ce glorieux avenir, Colomb se hâte
d'offrir à sa patrie les avantages de cette en-
treprise ; met à sa disposition, avec un monde,
les fruits de son génie et de son art • : Gênes
le refuse inconsidérément.




(IO )
Colomb rebuté, présente à son prince adop-


tif, Jean II de Portugal, le plan qu'il s'est for-
mé et dont il garantit le succès ; le monarque
le reçoit avec mépris. 11 fait plus, un vaisseau
est expédié dans l'espoir de ravir à Colomb
la gloire de ses projets. Inutile effort, son pi-
lote effrayé ne rapporte de cette entreprise que
la honte d'une trahison sans succès.


L'Espagne, encore occupée de combats, ne
reçut d'abord qu'avec froideur les offres de
Colomb ; le frère de celui-ci sollicitait la
protection de Henri VII d'Angleterre, qui l'ac-
cueillit avec distinction, quand soudain la for-
tune de ce grand homme prit une nouvelle
face.


Un prêtre, don Perez, Quintanilla et San-
lange ., tous trois dans la faveur de la reine
Isabelle, lui rendent compte avec chaleur du
projet de Colomb ; ils lui peignent ce qu'il est,
ce qu'il promet , ce qu'il espère ; la reine n'hé-
site plus, Colomb est appelé à la cour.


Les finances de l'Espagne victorieuse étaient
épuisées, ses triomphes ne l'avaient point enri-
chie; la reine offre ses diamans , veut les mettre
en gage : il s'agit d'une action magnanime et«
de la gloire de l'Espagne, une flotte est armée,
elle est prête, elle attend l'amiral.


( I )
Les instructions d'Isabelle furent celles de


la vertu et de la générosité ; et à quel homme
pouvait-elle mieux remettre sa confiance, qu'au
héros le plus humain comme le plus sage qui
fut jamais.


Nous ne suivrons pas l'amiral clans son expé-
dition glorieuse. On sait que parti de Palos,
et vainqueur de la révolte et de l'Océan, il
toucha les Lucayes et aborda à l'île de Baha-
ma, qui reçut de lui le nom de San-Salvador.
( 12 Octobre 1492.)


Son entreprise, soutenue par l'Espagne au
refus des autres états, achevée à ses frais et par
un équipage national , assure incontestable-
ment à cette puissance le droit de première dé-
couverte , qui fonde en principe celui de pro-
priété.


L'amiral touche Haïti et Cuba.
1493. —Dans son second voyage il découvre


]es Antilles et la Jamaïque, et, le premier des
Européens, prend possession du continent, en
abordant à la Terre-Ferme.


151o. —Un des compagnons de son premier
voyage , Janez Pinzon, visite la rivière des
Amazones ; Ojeda arrive à la côte Caramari
aujourd'hui Carthagène.


1511.---Par un effort incroyable de courage
et de p atience , Nunez de Balboa et Pizarro


f




( 1 2 )


traversent les terres et découvrent l'Océan-Pa-
cifique ; tout est merveille dans cette expédi-
tion. lin matelot, nommé Martinez , court au
rivage , se saisit d'une barque qui s'y trou-
vait par hasard , y entre, et se vante avec en-
thousiasme d'être le premier des Européens
qui ait navigué sur cet Océan.


Cordova explore les côtes de PYucatan , et
Grizalva découvre la Nouvelle-Espagne, qui
doit bientôt éprouver les armes de Cortez..


Les entreprises se suivent ; Jean Diaz de So.
lis pousse jusqu'aux rives de Rio de la Plata.


L'année précédente, Jean Ponce de Léon
avait découvert les Florides.


Alors paraît Magellan. Ce grand homme,
mécontent du Portugal dont il se crut mal ré-
compensé, imite Colomb et se voue à l'Espa-
gne. Ximenez, qui la gouvernait alors, entre
dans ses vues. Charles-Quint adopte ses mesures
avec chaleur. Magellan part de Séville (15 r9)
suivi de bous pilotes. Après avoir longé l'Amé-
rique méridionale, reconnu et. visité ses baies,
ses golfes et le fleuve de la Plata , plein du pro-
jet de trouver un passage pour aller aux Indes,
il se jette au 53e . degré de latitude, dans le dé-
troit qui porte son nom; et le pavillon espa-
gnol, le premier encore, s'empare des vastes


(r3)
mers qui séparent le Nouveau-Monde de l'A sie.


2G Avril 1521. — Magellan touche aux Phi-
iippines : la mort l'arrête. Sébastien Cano
achève ce qu'il a commencé, visite .Bornéo et
Tidor, et rentre en Europe après avoir doublé
le cap de Bonne-Espérance, et achevé, le pre-
mier de tous les hommes, le- tour entier du
globe.


Dans le nouveau continent, trois pilotes fa-
meux reconnaissent la Californie; et Fernand
Cortez, navigateur aussi hardi qu'illustre con-
quérant, donne son nom à la mer qui la baigne.


Valdivia entré dans le Chili, y fonde San-
Yago.


1542 (1). Les conquêtes se poussent au Nord
comme au Sud; Juan Rodriguez Cabrillo at-
teint à là hauteur du 44e . degré de latitude
septentrionale.


Francisco Gali reconnaît la côte nord-ouest,
et Viscayno une plus longue étendue de rivages
( jusqu'au 570


3o" ).
1595. miros et Mandana découvrent les


Îles de Mandana, de Santa-Crux, l'archipel
del Spiritu Santo, les îles Salomon, Otahiti.


D'autres capitaines, Gallego, Tuan,Fernati-
dez , Luis Vaez de: Torrez, visitent les pre-


(m) Cette même année , Gaetauo toucha lite d'Owhyliée.


-;yi;To"..›,,


,e, •




iff
/niers la côte septentrionale de la 'Nouvelle-
Guinée.


Parlerons-nous des voyages entrepris clans
les terres, sans compter la çélèbre expédition
de Balboa, qui eut pour but de constater l'exis-
tence de la Mer-Pacifique ?


unez et Pliamphile de Narvaez, débarqués
aux Florides , traversent toute l'étendue de la
Louisiane et arrivent au grand Océan par la
Souora.


Dans l'Amérique du Sud, même ardeur, mê-
me succès. Qui ne connaît les expéditions cou-
rageuses de ses premiers conquérans, de Pizarre ,
ire ses lieutenans les Quesada , les Salinas ?-


Qui n'admire les efforts victorieux d'Alva-
rado dans son excursion au Pérou ? ou qui ne
s'étonne au récit de l'aventure périlleuse qui
donna occasion au téméraire Orellana de des-
cendre et de reconnaître le Maragnon ?


Tant d'actions héroïques utiles au monde ,
et qui établissent des, droits certains, ne sont
cependant pas les seuls titres que puisse pro-
duire l'Espagne.


Mais pour mieux établir ces titres, qu'une
jalousie imprudente et intéressée essaie d'obs-
curcir, et dont l'ambition et la cupidité ten-
tent aujourd'hui d'abolir les droits, conten-
tons-nous (l'une question.


Quand l'Espagne achevait ces nobles eutre-


(I5 )
prises , que tentait le génie des autres nations?
qu'osait-il dans l'intérêt du monde ? qu'était
l'Angleterre alors ?


Un de ses plus célèbres écrivains va nous
répondre :


ss Les vaisseaux italiens , espagnols et por-
» tugais , dit Robertson, visitaient les ports
» des parties de l'Europe les plus éloignées,
5) lorsque les Anglais ne faisaient que se trai-
>5 nec sur leurs propres côtes. ss


En effet, nous voyons un monde découvert,
des chemins tracés autour du globe, et les
océans explorés, avant que les Anglais aient
songé à quitter leurs étroites mers.


Ce qu'est l'invention en fait d'art, la décou-
verte l'est en navigation. Ici la priorité assure
la gloire et la possession. L'invention et la
découverte sont 'les causes premières ; les sui-
tes n'en sont que des conséquences.


Partons de ce principe.
Sans nous arrêter au voyage du Vénitien


Cabot, dont rien n'est véritablement prouvé,
si nous examinons les entreprises de son fils Sé-
bastien, à peine encore nous restera-t-il un titre
certain à produire ; ce n'est que sur un ouï-
dire qu'on pense qu'il toucha les Florides; et
la découverte qu'il fit de Terre-.Neuve n'est
qu'une probabilité.


Ce ne fut qu'en 1575 qu'un Anglais, Forbisher;




( 17 )
Espagnol, l'avait visité dès le temps de Jac-•
ques li er., et Cook sous les auspices dé Geor-
ges III, ne put que renouveler cette action
glorieuse.


Aujourd'hui des monumens certains (i) at-
testent que ce nouveau continent, dont les
landais se sont attribué la découverte, et que
depuis les Anglais se sont appropriée , fut re-
connu, découvert et en grande partie exploré,
par ces Espagnols et ces Portugais dont le
monde semble oublier la gloire.


Aussi heureux que leurs prédécesseurs dans
leurs expéditions modernes , Juan Perez de-
vance le célèbre Cook dans la rade de N'out-


-Mb


) Cosmographies de Strabon, 1587
Cartes restituées par Joseph Banks.
La collection de John Rotz, 154.2.
Cartes de Jean Valard, 1552.


On voit clans ces cartes le tracé de l'Australasie; on y dis,
tingue sa forme ; on y lit des noms espagnols. Tasman, cd
lèbre navigateur hollandais, ne toucha cette terre qu'en ;642;
et Cook, eu 1 7 69


seulement , parcourut le détroit qui sépare
l'Australasie de la Nouvelle-Guinée. Malgré tant de faits, les
Anglais eussent voulu donner le nom de Nouvelle-Galles à toute
l'Australasie; et malgré tant de droits ils se sont constitués pos-
sesseurs de ce continent, des îles du détroit de Bass, de la terre
de Van-Diemen et de la Nouvelle-Zélande.


( r6)
entreprit Un voyage de quelqu'importance et
reconnut le Labrador; Drake, comme ses suc-
cesseurs , ne fit que suivre les traces et l'exem-
ple des Espagnols.


Le mariage de Philippe et de Marie ayant
uni pour quelques instans l'Espagne et l'An-
gleterrc, celle-ci s'instruisit à l'école de la
première.


1586. — Elisabeth enfin , fondant ses droits
sur l'ancien voyage de Cabot., tenta d'établir
une colonie en Virginie ; mais cet essai ne lui
réussit point. En un mot, en 16o3, pas un An-
glais n'était fixé au Nouveau-Monde.


Cependant les colonies espagnoles et portu-
gaises occupaient l'Amérique et ses îles; l'Es-
pagne et le Portugal y avaient fondé, y possé-
daient de vastes empires.


En tous lieux. ces peuples avaient devancé
les antres nations. La Californie et les côtes-
nord 7:t.% nouveau continent étaient signalées
long-temps avant que Drake n?y filit parvenu.


Près de deux siècles avant Cook et Wallis;
l'Espagne comptait au nombre de ses décou-
vertes les tics d'Ovvbyhée , Otahiti, les archi-
chipels du grand Océan et la -Nouvelle-
Guinée.


Le détroit dangereux qui sépare cette der-
nière de la grande terre australe, Touez, un




( r8 )


,
et Alexandre lUalaspina s'y montre le digne


émule de Vancouver.
Ainsi, et sur des faits, la justice établit les


droits , elle commande que l'Angleterre se
soumette à une grande restitution !


S'il lui plut de substituer, par une fraude (I)
qui blesse la conscience universelle et les
droits de tous les peuples, les noms de Nou-
velle-Albion à celui de Californie, d'îles de la
Reine . Charlotte à celui de Sauta-Ceux, deNou-
velles-Hébrides à. celui de Salomon, de port
du Roi-Georges à celui de San-Lorenzo, qui
ne sent d'abord l'injustice et le mensonge?


L'univers s'indigne de voir un monde privé


( ► ) Le droit des mers distingue la première découverte
réelle , des travaux de reconnaissance sur les découvertes; les
noms de première découverte doivent 'être conservés ; l'état
qui a fait les premières découvertes a fait le partage des
noms , la première découverte étant considérée comme pre-
mière occupation de souveraineté ; tel est le principe en fait
de navigation. Il serait donc utile, il serait juste de rétablir
l'ordre dans les droits. Si chaque peuple venait à revendiquer
ses titres, l'Angleterre, en exceptant l'Amérique du Nord et
quelques points vers le pôle-sud, se verrait exclue du globe,
l'usurpation diparaîtrait avec les noms , et ce travail satisferait
la vérité, la gloire et les droits.


Nous invitons quelques-uns de nos géographes distingués
à réaliser cette idée, sous le nom de Géographie restituée.


( 19 )
du nom de Colomb; ruais Vespuce reste inno-
cent de ce jeu de la fortune. Ici l'Angleterre,
non contente des richesses , veut usurper jus-
qu'à la gloire, fasciner les yeux du monde par
un artifice grossier, et fonder sur le mensonge
des droits qu'elle n'a point acquis.


Nous l'avons dit : s'il est un droit incontes-
table à la propriété , c'est celui que conquirent
le génie et le courage. La découverte de l'A-
mérique, l'union des océans, sont des faits
accomplis par l'Espagne, à ses dépens et sans
autre secours; l'Espagne a pour elle la prio-
rité eu tous lieux et sur tous les peuples; ses
droits sur ce point sont donc légitimes et in-
contestables; et je nommerai ce droit antérieur
à tous, le droit de première découverte.


Le second droit de l'Espagne sur les colonies
est celui de conquête : ce droit existe en fait.


Le droit de conquête, reconnu de toutes les
nations et pratiqué dans tous les temps, n'a
point recta d'abolition formelle; droit violent,
sans doute, mais en vigueur; droit souvent in-
juste, mais jusqu'ici maintenu; droit odieux
enfin, mais non contesté.


La prescription , selon Donat, est comme
une partie de la loi de nature, c'est sur elle
seule que se fondent la sûreté et la solidité de
la société.


2,.




( 20 )


«
L'intervalle de trois cent vingt-six ans a


5) légitimé la puissance de Ferdinand VII dans
55 le Nouveau-Monde, écrivait Lorrente ; des
>5 aventuriers établis en Amérique ne doivent
» pas être confondus avec la nation espagnole,


ajoute le même auteur (i).
Et Padilla , cité par Grégoire, dit fort Juste_


ment: « que le souvenir des cruautés ne ternit
» pas la réputation de ceux qui n'en sont pas


complices. »
Plus sévère que ces publicistes, je ne croi-


rais pas même le droit assuré par la prescrip-
tion, si l'autorité du vainqueur , d'accord avec
la justice, n'eût donné aux vaincus la liberté,
des droits communs autant que la sûreté le
permet, et ne leur eût garanti ces droits par-
l'effet de sa puissance même.


Le droit de conquête par les armes a été re-
connu, examinons un autre droit de con-
quête.


(s) Il ne faut pas croire que les cruautés des vainqueurs
restassent sans blâme, mime de la part de leurs complices.
Diaz de Castillo assure que l'armée de Cortez témoigna son in-
dignation lorsqu'il fit mettre à mort Guatimozin , et le grand
conquestador exprime dans ses dernières volontés des doutes
sur la légitimité de ses biens.


( 2 1 )
Les publicistes modernes, sans distinction


de l'usage et des temps, ont généralement par-
lé d':: ne manière trop légère de la donation du
Nouveau-Monde , faite par Alexandre VI à
Ferdinand et Isabelle, sous certaines condi-
tions qui y sont exprimées ; nous ne fonderons
pas les droits actuels de l'Espagne sur ce titre;
mais il est sage de l'apprécier.


Dans le moyen âge et au temps dont nous
parlons, il était reçu comme droit commun et.
universel, que le souverain pontife avait la fa-
culté de disposer des terres habitées par les in-
fidèles, et en particulier des îles. Sur ce fonde-
ment, la Sicile avait été inféodée aux princes
normands par Nicolas II; plus tard, les îles Ca-
naries érigées en royaume en faveur de Louis
de la Cercla,


L'Angleterre elle-même , l'Angleterre ne
possédait l'Irlande qu'à ce titre (r).


Dans le grand acte doute est question , les
rois seuls eussent pu revendiquer : ils ne re-•
vendiquèrent point. Les droits du pape étaient
tellement hors de contestation à cet égard,


(i) Henri II en reçut l'investiture d'Adrien IV. Alexan-
dre 111 la lui confirma, et te pape Urbain III lui en envoya,
la couronne.




( 22 )
qu'Henri VH, dans ses ineructions au pilote
Cabot, n'osa point les enfreindre, et qu'É-
lisabeth même, dans sa commission à Ra-
leigh (1686), lui enjoignit de réserver toute
terre occupée par une nation chrétienne.


3 Mai 1493. Le droit de l'Espagne, tiré
de la bulle d'Alexandre yI , était donc légitime
par rapport à l'Europe et à la chrétienté qui le
reconnaissaient universellement, quoique sans
nulle valeur à l'égard des habi'ans da i-Non-
veau-Monde , possesseurs naturels des terres
et empires qu'ils occupaient, dont aucune
puissance spirituelle ni temporelle ne pouvait
disposer à leur préjudice.


J'ai parlé cependant des conditions renfer-
mées-dans la fameuse bulle Alexanarine (r);
elles imposaient étroitement de faire prêcher
dans tous les pays conquis la religion catho-
lique, apostolique et romaine. Las-Casas, son
interprète, prouve que l'Église ne pouvait en-
tendre d'autres moyens pour accomplir cette.
conquête, que ceux que permet le christia-
nisme, la persuasion, la charité, la douceur


(i) « Et insuper mandatons xobis, in virtute sancta obe-
dienti sicut polticimini et non dubitamus pro vestrâ devo-,
tionc, et regia maguanimii.atc vos esse facturos ), ad terras fir-


( 23 )
et c'est ainsi que les rois et leurs successeurs le
comprirent.


Ce sont ces conditions remplies, autant qu'il
fut au pouvoir des souverains, non par cette
raison seule qu'elles sont contenues dans l'acte
de donation, mais bien parce que la loi, d'ac-
cord avec la religion, rendit le droit commun
aux vaincus, la liberté civile et celle d'acqué-
rir; ce sont ces conditions remplies qui don-
nent à l'Espagne un droit légitime et incontes-
table à la possession, et cette conquête morale
légalise celle de fait.


C'était le plan de l'Église de soumettre par
rEvangile et non par les armes. Qui n'avouera
qu'ainsi et par cet unique moyen devrait s'ac-
complir la conquête du monde? qu'elle est la


„ seule légale aux yeux de la sagesse ? et qui nie-
ra que le nouvel univers n'ait été ainsi con-
quis ?


Dès le commencement, l'uni té d'efforts et l'u-
nité de principes furent admirables dans cette


tuas et insulas predictas, vires probe.s Deum timentes, doctus
peritos, expertes ad instruendion insolas et habitatores pne•
fines in ride catliclica, et bonis moribits itnbuendurn destinare
debeatis, omnetn dehitam diligeutiam in pra?tnissis adbi.-
rentes. »




entreprise; l'accord du pouvoir ecclésiastique et
séculier ne fut pas moins merveilleux; et quoi
que la malveillance ose hasarder, le germe de
cette union se trouve dans le premier acte qui
intéresse le Nouveau-Monde. Quel eût été son.
sort , sans les conditions qu'il imposait et qui
dominèrent le pouvoir (i).


Laissons leurs crimes à quelques aventu-
riers : if Les malheurs des Indiens furent tou-


jours désavoués par le gouvernement et la
nation, dit Marmontel. »
ss Des missionnaires, protégés par le bras


55 séculier , firent entendre des paroles de
» paix.... La religion a plaidé la cause des in-
» digènes devant les rois ; elle a résisté aux


violences des commendataires; elle a réuni
45 des tribus errantes, écrit l'illustre Hum-
» boit (2). »


cs Les éloges donnés aux missionnaires, et
» répétés par Montesquieu , Genty, , Buffon ,


(i) Ici se distingue la différence des principes : Alexan-
dre VI , dont nul historien ne peut excuser les excès, comme
père commun des chrétiens, ne commande que justice et huma-
nité; Charles Ter . , monarque débonnaire et vertueux, ne porte
à l'égard de ses colonies que des luis d'injustice et d'orgueil.


(2) Essais politiques sur la Nouvelle-Espagne, dédiés.
à S. M. p, Char:es IV, roi d'Espagne et des Indes,


( 25 )
Robertson, ont reçu la sanction de la posté-


» ri té , s'écrie un publiciste de nos jours (1). »
En tous lieux se découvre l'action des deux


pouvoirs unis : un prêtre, Jean Boil , accom-
pagne Colomb dans sa première expédition.


Sur les plaintes du clergé, les rois désap-
prouvent le partage des Indiens et ordonnent
qu'ils soient rétablis dans leur liberté pri-
mitive.


Isabelle, clans son testament, recommande
surtout à .Jeanne sa fille et à Philippe son
époux , de ne point souffrir qu'on s'empare
(les Indiens ni de quoi que ce soit à eux , de les
bien traiter, de réparer le mal si on leur en a
fait , enfin de ne point s'écarter des lettres
apostoliques, mais de se conformer à ce qui
est prescrit et commandé.


Les ordres sont éludés par les conquérons.
Montesino et ses dominicains ne craignent


point alors de menacer hautement le roi d'Es-
pagne et ses conseillers de leur perte éternelle,
s'ils ne rendent la liberté aux Indiens. Montesi-
no ose en parler au roi devant la junte; Matieu-
zo , son confesseur, l'effraie eu lui faisant con-


(J) M. Grégoire.




( 26 )
naître leurs malheurs : le roi ordonne que le
testament d'Isabelle soit exécuté.


Le célèbre Ximenez , aussi sévère que la jus-
tice, envoie les hyeronimites avec plein pou-
voir de la rétablir.


Les conquérans, selon Herrera , refusaient
d'obéir aux injonctions de la cour.


Alors paraît Casas (1), dont toute la vie ne
fut qu'une suite de combats et de triomphes ;
il plaide devant Charles-Quint la cause de l'in-
fortune : le conseil des Indes prononce la liber-
té des peuples dont il se fit le protecteur :
soient libres comme des Castillans. Un évê-
que, Bamirez , est chargé de leur affranchis-
sement.


Charles-Quint défend que le mot de con-
quête soit jamais employé en parlant de l'A-
mérique; il fait même cesser le service per-
sonnel. Mendoze , premier vice-roi du Mexi-
que et l'ami de Casas, quels noms et quelle
alliance de vertus et de gloire ! Zummaraga
premier évêque de ces contrées, s'unissent
pour l'exécution de ces lois.


Les souverains pontifes ne restaient point


Las-Casas fit quatorze fois le voyage d'Europe en Amé-
rique, suis compter ses courses dans l'intérieur des terres.


( 27 )
étrangers à ces grands actes de l'autorité. Paul
III, à dessein de les hâter, expédie une belle
fulminante en faveur des indigènes. Malgré
les lois, on se croyait en droit de les réduire
en servitude s'ils restaient idolâtres. Chrétiens


ou non , il détend qu'on les rende esclaves.


Ainsi les deus pouvoi rs se prêtaient un mu-
tuel appui ; ainsi s'accoulnlis y ait, dans l'unité,
une conquête devenue légitime.


On ne pouvait trop vanter la douceur de la
législation espagnole, comparée au code noir ;
j amais m êa-ti e les lois espagnoles n'avaient été
favorables au commerce des Nègres (t).


Selon Robertson ,( Il n'y a point de code
» où l'on mcutre une plus grande sollicitude


et des précautions plus multipliées pour la
conservation , la sûreté et le bonheur du
people, que dans les lois espagnoles. »
Los couver ains avaient conservé aux natu-


rels leurs droits et priviléges ; toutes les me-
sures prises par la métropole étaient à l'avan-
tage des vaincus; les deseendans des caciques


(r) Il n'y avait presque point d'esclaves au Mexique: on en
compte un million dans la république des États-Unis. « C'était
chez les Espagnols et les Portugais que les Nègres étaient trai-
Os avec le plus d'égards. (13ourGoING.)




( 28 )
furent assimilés à la noblesse : on vit même un
Montézuma vice-roi du Mexique.


Non-seulemcnt il était permis aux Indiens
de posséder, mais aujourd'hui plusieurs de ces
familles sont connues par leurs richesses et
l'étendue de leurs domaines.


Je suivrai M. de Humboldt.« 11 n'y a, dit-il,
ni corvées ni servages dans la Nouvelle-Es-
pagne ; chacun y est maître de son temps et du
produit de ses travaux ; les denrées coloniales
y sont préparées par des mains libres, et leur
jouissance n'y laisse pas de remords. »


Les Indiens étaient exempts de l'Inquisition.
Les précautions de l'Espagne à l'égard des co-
lonies ont été si loin , que les bulles du pape,
avant d'y être reçues, devaient être approu-
vées par le conseil des Indes.


Ce fut surtout depuis l'avènement des Bour-
bons à la couronne d'Espagne, que s'améliora
la situation des naturels ; et depuis un siècle
leur population s'était singulièrement accrue.


Tels furent les effets de la puissance sécu-
lière dans le Nouveau-Monde : toujours armée
coutre l'injustice et la violence, ainsi la royau-
té y légitima son empire.


Dirai-je les miracles de la religion, insépa-
rable alliée du trône? Qui ne connaît les noms


( 29 )
des Casas, des Montesino , des Vasco? ou quel
ennemi des hommes oserait les calomnier ?


De leurs disciples, les uns se chargent des
fers de l'opprimé; ceux-là, sans autre ambi-
tion que de conquérir des âmes, traversent des
fleuves inconnus , s'ouvrent des routes neuves
dans les forêts, s'enfoncent et se perdent aux
déserts ; pour accomplir l'oeuvre de charité ,
ceux-ci renoncent au soleil, descendent vi-
vans dans la tombe. A leur voix l'Indien se ré-
concilie, cousent à pardonner et accepte le
ciel ; ces saints triomphateurs ont achevé leur
victoire : leur nom , Dieu seul le sait


Leur zèle cependant ne se borne point à ces
sublimes soins; l'agriculture s'étend où les
missionnaires s'établissent. « Les ecclésiasti-
» ques , surtout les religieux missionnaires,
» contribuent aux rapides progrès de l'indus-
» trie; les jardins des couvons et des curés
» ont été autant de pépinières d'où sont
» sortis les végétaux utiles récemment accli-
» matés. »


Les sciences et les arts deviennent leur do-
maine : le Nouveau-Monde retrouve en eux
d'autres Newtons et de nouveaux Orphées.


Une entreprise que l'état différait par des




( 3o )
vues de haute sagesse et de politique élevée,
la réunion des deux océans, un moine l'exé-
cute (r) à l'aide de ses paroissiens ; entreprise
modeste et sublime tout ensemble, et telle
peut-être qu'elle doit subsister pour l'intérêt
et le repos du mond....


Les jésuites avaient conçu le plus beau pro-
jet qui fût jamais : leur dessein était de réduire
en une langue universelle qui conservât en soi
le génie américain, les divers idiomes qui, de-
puis des siècles, séparent les peuplades sau-
vages et errantes ; ainsi ils effaçaient la divi-
sion et réparaient la folie de Babel.


Mais la plus grande merveille, parmi tant de
miracles, ce fut cette république fondée sur
les bienfaits et sur l'amour , que vit se former
le Para , véritable modèle de civilisation ,
exemple une fois seulement donné à la terre ,
comme pour lui rendre un four d'Eden , com-
me pour lui montrer ce que peuvent d'accord
la religion et la vertu.


Une fois le pouvoir oublia son alliance na-
turelle; les peuples, enfans soumis, fidèles
sujets , lui obéissaient dans leurs pères; les


(i) Le curé de Novita.


(3r)
pères furent bannis : que sont devenus les en-
fans ? (I)


Quoi qu'il en soit, le christianisme , inépui-
sable en acte de constance et d'amour , a ré-
paré l'imprudence autant que le pouvait la
sagesse.


De nouveaux ouvriers apostoliques se sont
partagé les travaux des premiers; de la Ca-
lifornie au Chili, du Callao au Carracas, le
plus saint, ]es plus vaste des projets s'achève
dans l'unité, se poursuit , se poursuivait,
hélas ! dans la paix que maintenai t le pouvoir.


Les saints héros, campés sur le bord des
fleuves, postés dans les déserts les plus pro-
fonds, marchaient incessamment à la con-
quête, et la civilisation s'avançait avec eux.


La marche de la civilisation par les mis-
» sions est sûre et uniforme.


Partout M. de Humboldt fut bien accueilli
» par les religieux, partout il vit les Indiens
» traités avec douceur (2). Philosophe , il
» avoue que ces instituteurs sont utiles aux


(I) Des arbres abandonnés et redevenus sauvages retracent
encore le passage des missionnaires au désert : image fidèle
et touchante des peuples aujourd'hui sans lois et dispersés.


(%) Philosophe éclairé, savant illustre.







( 32 )


Si progrès d'une société naissante; protestant
» que dans les communautés catholiques,
» l'indépendance des familles et l'existence
5> individuelle des membres de la société sont


plus respectées que dans les sociétés pro-
ss qui suivent la règle de Zint-
s, zendorf. 55


Maintenant , que l'on compare le plan de
l'Église et celui de l'intérêt humain : là, sur
la lisière des états , le chasseur américain,
aussi sauvage que ceux qu'il se plaît à nom-
mer ainsi , armé contr'eux , en état de guerre
habituel, ne se montre aux tribus iadic,ènes
qu'il repousse incessamment, que le fer et la
flamine à la main.


hile prêtre du Dieu de paix ne marche qu'en
attirant, ne parle que pour unir, ne triomphe
que pour le bonheur des vaincus; il leur dit :
ts Mes enfans, ces armes, comme celles de ce
Gasca qui vainquit Pizarre, ne sont qu'une
croix, un livre de charité : je laisse au mal-
heureux le choix du conquérant »


(t) Cette nation qui conteste à l'Espagne sa légitimité et ses
droits, prétendrait-elle établir des comptoirs au lieu de tem-
ples, remplacer des missions de charité, des leçons de sa-
gesse , par des compagnies de commerce , par le luxe et la
corruption. Quelle philanthropie!


( 33 )
.Cet ascendant prodigieux du clergé sur


les peu ples, .dont parle Robertson, qui pour-
aujourd'hui eu méconnaître la


source? qui oserait en blâmer la cause? qui
rait donc


s'étonnerait de l'empressement et de l'amour
des nations? Dans le nouveau comme dans
l'ancien monde, la civilisation est due à la re-
ligion; et l'on défendrait, clans les cieux mon-
des, à l'égard de ses ministres , la reconnais-
sance, l'admiration, un respect tendre et même
superstitieux (1)! Que d'ingratitude!


Je pense en avoir assez dit : les armes ont
triomphé, la charité unie au pouvoir a guéri
les plaies des vaincus, et ce double fait assure
à l'Espagne ce droit généralement connu sous
le nom de droit de conquête.


Mais l'Espagne produit un dernier titre,
non moins incontestable , celui de possession
constante , d'occupation non interrompue.


Il est reconnu que si le possesseur délaisse
sa propriété, l'abandonne, un tiers y peut
acquérir des droits par le fait de l'occupa-
tion droit que lui maintient la prescription.


(I) Il tomba de la neige à Mexico le jour de l'expulsion des
jésuites, et le peuple ne manqua point de l'attribuer au cour-
roux du ciel , qui s'affligeait de cet acte.


3


I





1


( 34 )
11 n'est rien ici de semblable, et l'Espagne


ne cessa point un moment de posséder et
d'occuper ses conquêtes.


Sans entrer dans le détail de ses premiers
établissemens, il suffit de dire que Fernand.
Cortez, même avant ses succès au Mexique,
avait conçu et ébauché de vastes projets qu'il
mit à exécution sitôt que la victoire eut cou-
ronné ses efforts (i).


Après avoir plus magnifiquement rétabli la
ville capitale ruinée par ses armes, ses soins
se portèrent sur le reste de l'empire; on le
voit occupé d'ouvrir des chemins publics, d'é-
tablir des manufactures. Son testament fait
foi qu'il avait planté des vignes et mis eu acti-
vité des sucreries; déjà les céréales de l'Eu-
rope fécondaient le sol; et je n'ai pas besoin
de dire que le conquérant s'occupa de l'ex-
ploitation de ses richesses : en un mot, il sui-
vit avec sagesse, dans ses opérations et ses
entreprises, les plans de Montezuma et de
ses prédécesseurs. Son exemple fut imité des
vice-rois qui lui succédèrent; plusieurs fon-


(1) A sa prière, Montézumc lui avait fourni les plans du
Mexique, les cartes de son intérieur et de ses côtes, ainsi que
l'état des richesses, de l'industrie et des revenus de son em-
pire.


( )
fièrent des villes, les peuplèrent; d'autres
éveillèrent l'industrie et encouragèrent ses
premiers efforts.


On vit de grands monumens s'achever; dès
les premiers temps le clergé s'unit à ces soins
impOrtans : « Ses capitaux furent constam-
» nient dirigés vers un emploi utile qui aug-
» mente la puissance productive. ss


(1531) Un moine (t), fils présumé de Charles-
Quint , fonde un hôpital à Mexico, et instruit
les Indiens dans les arts mécaniques; Vasco,
premier évêque de Mcchoacan, encourage l'in-
dustrie et prescrit à chaque village indien un
genre de commerce : la charité multiplie ces
établissemeus.


Par une heureuse émulation, là des négo-
cians fondent des hospices; ici des évêques
construisent d'utiles moulu/lens ; de simples
particuliers , sous la protection du pouvoir
légitime, creusent des mines fécondes; leurs
travaux prudens enrichissent l'état, et de nom-
breuses cités peuplent la solitude (a).


(i) gray Pedro de Gante.
(2) Montesquieu crut à tort que le travail des mines nuisait


à la prospérité de l'agriculture, et il en tire de fausses consé-
quences. Il est prouTé, au contraire, qu'ainsi qu'en Allema-
gne et en Hongrie, « elles occupant p2usicurs milliers d'hm-


3..




vie


( 36 )
Ce qui s'opère au Mexique s'imite dans les


autres contrées soumises à l'Espagne; le gou-
vernement préside généreusement à ces efforts,
les encourage par des bienfaits; Cuba voit creu-
ser ses ports; le Pérou a ses écoles et ses acadé-
mies, et la Terre-Ferme ses franchises.


Les revenus du roi, eu Amérique, étaient
en partie dépensés au profit des colonies.


On a beaucoup parlé, ou parle sans cesse
des restrictions commerciales imposées par la
métropole aux colonies, de cette jalousie ex-
clusive de l'Espagne à l'égard des états du
Nouveau-Monde, de l'influence des hommes
de la Mère -Patrie dans leur gouvernement,
ce qui constituait une sorte de tyrannie (t).


Réfléchit-on bien à ces reproches; sont-ils
particuliers à l'Espagne; l'Angleterre , entre
autres, ne se souvient-elle plus de son fameux
acte de navigation ? a t - elle donc oublié


» mes, qui y consomment les denrées surabondantes; elles
» sont proprement, selon ses termes, une manufacture du
» pays. »


(r) Les Anglais s'avisent-ils de choisir un Grec pour gou-
verneur des îles Ioniennes ? Choisissent-ils le fils de quelque
rajah pour vice-roi des Indes ? Non, sans doute; ils y envoient
des Anglais naturels les Clive, les IIaitland.


( 3 7 )
quelles lois si dures changèrent, de nos jours,
en haine l'amour fraternel de ses colons? oule
monde ne sentirait- il pas le joug qu'elle lui
impose, eu un siècle de lumières et de liberté,
par la prohibition réelle de tout commerce
qui ► 'est pas le sien?


Ici l'Espagne sera plus facile à justifier.
Au commencement, de la conquête, dans


l'enfance des colonies, plus tard encore, et
tant que dura la domination de la maison d'Au-
triche, il eût été difficile de séparer le commerce
du gouvernement même; on songeait alors à
fond er , et le cours des denrées ne faisait que
de s'établir.


Les Bourbons sont à peine sur le trône.
Philippe V charge la compagnie de Guipus-


coa du commerce de Carracas.
Ferdinand III permet à Barceloune d'établir


des relations avec Saint - Domiugue , Porto-
Rico, la Marguerite.


Charles III ouvre à ses sujets les îles du
Mexique.


Quelques années après, permission aux pro-
vinces de commercer entre elles; dès 17 78 le
commerce libre embrassait toute l'Amérique
espagnole hors le Mexique.


On reproche à l'Espagne l'influence des
hommes de la métropole sur les colonies : de.:




( 38 )
bonne foi , devait-elle en e-2;cluire ses plus
dèles sujets? Si cette influence était si fâcheuse,
d'où vient que dans ces royaumes l'arrivée des
visiteurs était toujours attendue avec une si vive
impatience? d'oit vient que la révolte, la haine
entre les castes, et les discordes civiles, se sont
réveillées depuis que l'Espagne manque aux
colonies.


L'Espagne avait une jalousie exclusive ;
niais sa politique ombrageuse , s'il plaît de la
nommer ainsi, n'était-elle pas prudence? ne
fut-ce pas sagesse ? L'événement ne l'a-t -il
pas justifiée, cette jalousie ? depuis quel temps
un père n'est-il plus l'arbitre, le modérateur
de la famille, et n'a-t-il plus le droit d'en
éloigner le corrupteur et la corruption


Aujourd'hui blâmerait - on cette réserve?
N'est - ce point un voisinage dangereux (r) ?
l'occasion prochaine et la fréquentation d'un
peuple cupide et ambitieux, qu'on doit-accu-
ser des désordres du Nouveau-Monde? Ne de-
vrait-on pas plutôt reprocher à la métropole
son imprudence et sa facilité, que sa sagesse
et sa rigueur?


(1) Un plan de révolte, établi sur celui de Washington,
avait été conçu dans les provinces de la Terre-Ferme eu 1796
il n'eut pas de suites alors.


( 3 9 )
Des germes pernicieux ont altéré l'inno-


cence d'un sol virginal. La révolte fut toujours
le fruit de l'orgueil et de la fausse sagesse,


souvent, la race d'Adam en doitet le plus souv
garder le terrible souvenir : l'homme n'attend
que le dernier bienfait pour se porter au der-
nier des crimes.


Le gouvernement de l'Espagne , à l'égard de
ses colonies, était tout paternel ; il y maintenait
la paix, ses soldats combattaient pour leur sû-
reté, ses traités en garantissaient le bonheur ;
pour ces états encore enfans, l'autorité était
plus indulgente, les lois moins sévères, le
sceptre était doux envers eux.


Le peuple répète au Mexique, qu'il ne faut
que des bananes, un hamac et une guitare
pour être heureux; et plus d'une fois la poli-
tique pressa le pouvoir de détruire un bonheur
qui entretient la paresse, en arrachant dans
un jour, et tout-à-la-fois, la plante utile et
fatale; mais le gouvernement ne put se résou-
dre à ravir ainsi par violence et sans précau-
tion , l'abondance et la félicité à ses sujets
innocens.


Les autorités ecclésiastiques et séculières
s'unirent dans les colonies pour favoriser l'ino-
culation.


Mais la vaccine, déjà introduite au nouveau




( 4 0
)


Monde, par le zèle d'un particulier (1), reçut
son développement à l'aide d'une expédition
dont le roi Charles IV fit les frais; 44 expédi-
» fion dont les bienfaits resteront à jamais
» mémorables dans l'histoire du monde.


» Les Indes, pour la première fois, » je laisse
parler M. de Humboldt, « ont vu ces mêmes


vaisseaux qui renfermaient les instrurnen.
55 du carnage et de la mort , porter à l'hu-
55 manité souffrante le germe du soulagement


et de la consolation.
» L'arrivée des frégates armées sur les-
quelles M. Valmis ( médecin de l'expédi-


>5 tion) a parcouru l'Océan - Atlantique et la
Mer du Sud, a donné lieu , sur plusieurs


55 côtes, à une cérémonie relini,2use des plus
simples, et par cela même des plus tou-


>5 chantes: les évêques, les gouverneurs mili-
taires, les personnes les plus distinguées par
leur rang, se rendaient au rivage; ils pre-
naient dans leurs bras les enfans qui de-


>> vaient porter le vaccin aux indigènes de
)5 l'Amérique et a la race sualaye des îles


Philippines : suivis des acclamations pu-
bliques , pIacant au pied des autels, ces


( Don Thomas Murpby.


(4t)
dépôts précieux d'un préservatif bienfaisant,


» ils rendaient grâce à litre suprême d'avoir
» été témoins d'un événement si heureux.»


Voilà l'Espagne : ici se manifeste tout en-
tière l'alliance des pouvoirs unis dans la vo-
lonté du bien, toujours constante clans ses pen-
sées et dans ses actes; depuis les Ferdinand et
les Charles de l'ancienne Espagne, jusqu'aux
Charles et aux Ferdinand de nos jours, depuis
les Ximénès et les Casas, jusqu'aux Antonio (t)
aux Galvez, depuis les Colotnbs et les Vasco,
jusqu'aux Valmis et aux Malaspina.


Qui pourrait lui contester cc titre : l'Espa-
gne possède le Nouveau-Monde, aux droits de
déscouverte, de conquête et d'occupation.


Qu'on suppose un conseil d'amphyctions(2),
un sénat de rois, arbitre de la civilisation et
conservateur des légitimités ; si ces rois assem-
blés interrogeant l'Espagne venaient à lui de-
mandes' : Qui vous a fait maîtresse d'un monde?
qu'elle réponde
Le génie, la gloire et les


(i) Fray Antonio de San-Miguel.
(2.) Le premier traité connu fut celui des Amphyctions


(14.96 avant J.-C.). Cc conseil général et perpétuel fut ins-
titué pour défendre la civilisation de la fureur des barbares et
interdire les démens aux. sacri!éges.




( 42 )
» bienfaits! iteec venejicia nostra saut qui,
» ri tes »


Et si l'envie enfin, si le sophisme y mettaient
opposition, «qui pourrait ne pas reconnaître
» l'influence des préjugés , commandant à
» l'opinion, sous le masque de la philoso-
» pie (I)? »


Des droits de l'Espagne fondés sur les traités.
Mais il est quelques hommes que le siècle


qualifie de positifs, dont l'exacte sagesse et la.
sévérité politique, indifférente sur les pactes
tacites des devoirs, n'admet en preuve que
des actes consentis par les hommes et revêtus
des formes légales du pouvoir ; nous espérons
également satisfaire leur politique conscien-
cieuse et leur probité diplomatique.


La bulle d'Alexandre est le premier acte
public; qui intéresse le Nouveau-Monde; sans
valeur réelle à l'égard des possesseurs légitimes
et naturels , nous avons prouvé que le droit
universel de l'Europe et la pratique constante
de ce droit, lui en donnaient un certain et in-
contestable parmi les souverains de la chré-


',1) I lorunte.


( /1 3 )
fienté, qui eux-me'mes possédaient à ce titre.


Le principe ne fut point contesté; François let',
qui eu entrevit l'abus et le signala par un mot
ingénieux, le respecta toutefois ; Henri v11
d'Angleterre n'osa l'enfreindre, et la fière Eli-
sabeth s'y soumit.


Elisabeth , protectrice naturelle des rebel-
les de Hollande, conclut avec etnt une al-
liance offensive contre l'Espagne (1585 renou-
velée en 1598 ) ; l'agression même et les
termes du traité, prouvent la reconnaissance
des droits de leur ennemi.


Il est dit , art. X du traité de Westminster :
<4 Que si sa majesté ti ouve bon, suivant la si-
» tuation des affaires, d'entreprendre quelque
» chose offensivement contre l'ennemi com-


mun, et sur les pays d'Espagne et de Pot.-
» tugal et les autres îles et aux Indes, les sus-
» dits seigneurs sont et seront obligés de se
» joindre à la flotte de sa majesté. »


fous voyons ici le premier acte d'agression
contre les colonies espagnoles, et il est fort re-
marquable qu'il soit entrepris par des sujets en
révolte contre le pouvoir légitime, de concert
avec l'Angleterre qui se porte contre l'Espagne
comme appui de la rébellion.


Dans le traité d'Haptemcourt, entre Hen-.




( 44 )
ri IV et Jacques let . 16o3 ), il est convenu
que de la part du roi d'Angleterre ,


la
» guerre se fera avec deux grandes flottes di-
» gnes de faire de bous exploits vers les In-
» des et côtes d'Espagne. » Il est ici question
de conquérir et non de contes:er la possession.


A la paix de VVestphalie, dans ce fameux
pacte européen (1648 ), où toutes choses fn
rent remises en leur ordre, où les biens usur-
pés furent rendus respectivement à qui de
droit, nonobstant possession et prescription, ce
qu'on lit de plus remarquable, par rapport
aux possessions du Nouveau-Monde, c'est que
les états-généraux y conclurent la navigation
des Indes orientales et occidentales, qui leur
fut accordée en termes positifs par l'Espagne,
qui jusques-là n'avait pas voulu l'exprimer.


Je ne puis me résoudre à faire mention des
traités conclus entre les rois et l'usurpateur
Cromwel; d'ailleurs ils rentrent dans les pré-
eedens.


Les traités arrêtés entre Charles II d'Angle-
terre et Charles Il d'Espagne (1667-1670),
portent : (s qu'il y aura paix et amitié en Âme-
» rire; les terres et lieux que possède à pré-
» sent la Grande-Bretagne lui seront concé-
» dés ; ainsi elle demande une concession
de la part du premier possesseur, elle recon-


( 4 5 )
naît ses droits positifs, sans quoi les siens se-
raient incertains.


Les Espagnols ne souffraient alors qu'avec
peine que les étrangers s'introduisissent clans
leurs états d'outre-nier ( manifeste 9 mars
(1704); aussi clans la guerre (le la succession,
Charles d'Autriche, prétendant à la couronne,
s'efforça d'exciter les Espagnols contre les
Français, surtout par ce motif, qu'ils pour-
raient s'établir au Mexique et au Pérou.


L'Angleterre, jalouse elle-même de la France,
stipula à La Haie (9.8 mai 1 709): sc Que toute
>> la monarchie serait remise à Charles III (le
» prétendant ), sans qu'aucune de ses parties
» en pût jamais être démembrée. »


Les termes deviennent plus précis , plus for-
mels, dans le traité de paix et d'amitié , con-
clu entre la reine Aune et Philipe V; ( Utrecht,
13 juillet 1714), il y est exprimé d'une manière
solennelle :


Art. VII. Que ni le roi Catholique, ni ses
» héritiers et successeurs ne pourront jamais
» vendre, céder, engager, transférer, soit aux
ss Français, soit à quelqu'autre nation, au-


cune de ses dépendances, ni aucune partie
» de ces mêmes états, ni ne pourront les alié-
55 ner de soi, ni (le la couronne d'Espagne,


sous aucun nom que ce puisse être.




( 4-6 )
» Et que de son côté, la reine de la Glande-


55 Bretagne assure l'intégrité des Espagnes d'A..
» merique , promettant d'assister les Espa-
» gnols , afin que les limites anciennes de
» leurs possessions d'Amérique soient Téta-
» blies et fixées telles qu'elles étaient au temps


de Charles Il , s'il est prouvé qu'elles aient
» été envahies ou restreintes en aucune ma-
» nière, et sous quelque prétexte que ce soit. »


Par le traité de l'Assieuto, l'Angleterre ob-
tient du roi (l'Espagne le privilége de la traite
des nègres pour les colonies, et le droit d'en-
voyer tous les ans nu vaisseau de cinq cents
tonneaux à Porto-Bello; la cupidité ayant abusé
de cette licence, il en résulte une guerre cruelle
où les Vernon et les Anson se permettent des
excès défendus par le droit des gens.


Quoi qu'il en soit, le traité d'Aix-la-Cha-
pelle remet les choses au même point (1748),
et les succès heureux ou malheureux n'altè-
rent point les droits.


Six ansaprès, les Anglais assassinent Jumon-
ville en pleine paix (175), s'emparent de trois
cents vaisseaux français , sans déclaration de
guerre : l'Espagne s'unit à la France pour ven-
ger cette injure.


15 (lotit 1 761. — Le pacte de famille est
signé.


( 47 )
Dans ce pacte, les Bourbons jurent une al-


convenant de regarder àfiance perpétuelle ,
l'avenir comme ennemie toute puissance enne-
mie de l'un d'eux, et de se garantir mutuelle-
ment leurs états, dans telle partie du monde
qu'ils fussent situés.


L'Espagne, au traité de Paris (1 7 63), con-
trainte de céder la Floride et Pensencola à
la Grande-tretagne , par cela marne assure ]a
garantie de ses autres possessions.


Enfin il est important de remarquer qu'au
traité de Versailles, conclu entre l'Espagne,
l'Angleterre et la France, après la guerre im-
politique d'Amérique, l'article XI déclare :
qu'entre les puissances , on s'en remet à tous
les traités précéderas (1).


Tin acte de nécessité, passé entre la nation fidèle et l'An-
gleterre pendant la vacance du trône en Espagne, est plus
décisif encore; les termes y sont péremptoires, et les condi-
tions qu'ils expriment, prouvent, de la part de la Grande-
Bretagne, le besoin extrême d'une alliance, et la crainte que
la France lui inspirait alors.


14 Janvier 1809.— Telle est la teneur de l'article III du
traité de Londres, conclu par l'amiral Apodaca : il rappelle ce-
lui de la reine Anne et de Philippe V :


« Sa Majesté Britannique s'engage à continuer d'assister le
" plus qu'elle pourra la nation espagnole dans sa lutte contre




( 48 )
Telle l'ancienne diplomatie, et je la nomme


ainsi par rapport à celle de la restauration , a
jugé et réglé le droit ; ce droit, dans cette
cause, est celui de l'Espagne à l'égard de ses
colonies, de la légitimité à l'égard de la rébel-
lion; droit public , justement haï de l'usurpa-
tion et des spoliateurs, puisque ses actes les
plus décisifs remettent en possession rois et su-
jets, et garantissent les droits acquis coutre la
violence.


Mais le droit public nouveau et pourtant sem-
blable, reconnu par les maîtres légitimes du
monde, à la restauration du monde social se-
rait-il moins favorable à l'Espagne? Consul-
tons ce droit actuel et positif.


1815. — L'article ler , de l'acte de la Sainte-
Alliance déclare :


ss Que le roi de Prusse , l'empereur d'Aile-


la tyrannie et l'usurpation de la France; elle promet de ne
reconnaître aucun autre roi d'Espagne que Ferdinand VU,
ses héritiers, on le successeur légitime que la nation espa-
gnole reconnaîtra; et le gouvernement espagnol s'engage,
au nom de Sa Majesté Catholique Ferdinand vil, à ne ja-
mais céder à la France, dans aucun cas, aucune partie des
territoires ou possessions de la monarchie espagnole, dans
que!que partie du monde que ce soit. »
Ce traité est signé C.AeNurc..


( 49 )
magne et celui de Russie s'engagent à de-
meurer unis d'une fraternité véritable et in-
dissoluble.... ; qu'ils se prêteront en toute
occasion et en tout lieu assistance, aide et se-
cours; que se regardant, envers leurs sujets
et armées, comme des pères de famille, ils les
dirigeront dans la même espèce de frater-
nité dont ils sont animés, pour protéger la
reliËion , la paix et la justice. »
Art. 2. ss En conséquence, le seul principe


» en vigueur , soit entre les gouvernails, soit
» entre leurs sujets, sera de se rendre récipro-
» quement service; de se témoigner, par une
» bienveillance inaltérable , l'affection mu-
» tuelle dont ils doivent être animés; de ne se
» considérer tous que comme les membres
» d'une même nation chrétienne. >5


L'art. 3 appelle toutes les puissances qui
voudront avouer ces mêmes conditions, au bé-
néfice de la Sainte-Alliance.


L'Espagne y accède directement en 'SIG
et 1817.


Mars1815.—Dans la déclaration de Vienne,
les Souverains expriment itérativement : SS que
» la meilleure garantie de la tranquillité géné-
» rale repose dans la volonté de chaque puis-
» sauce 4e respecter les droits de ses voisins,


4




55


>5


( .5o )
ainsi que dans leur décision fortement pro,
poncée de faire cause commune contre tous
ceux qui, en méconnaissant le principe,
tenteraient de franchir les frontières que le
système politique Nient de leur assigner.
» S'engageant d'étouffer dans sa naissance


» tout projet tendant à détruire la paix, par
» tous les moyens que la Providence a remis
» en leur pouvoir. »


i5 Novembre 1815. —Au congrès d'Aix-
la-Chapelle, mêmes principes, mêmes ga-
ranties.


Les souverains, en formant cette union
auguste , ont regarde comme sa base fonda-




mentale, leur invariable résolution de ne
55 jamais s'écarter, ni cntr'eux, ni dans leurs


relations avec d'autres états, de l'observa-
» tion la plus stricte des principes du droit


des gens; principes qui , dans leur applica-
» tion à ma état de paix_ permanent, peuvent


seuls garantir efficacement l'indépendance
» de chaque gouvernement et la stabilité de
» l'association générale. »


Les plénipotentiaires anglais signent cette
déclaration


(I) Wellington, Castlereagh.


( 5I )
Bientôt l'empereur d'Autriche met en action


ces principes, en rétablissant l'ordre dans l'I-
talie révoltée.


La France imite son exemple lorsqu'elle
franchit les Pyrénées pour délivrer l'Espagne
de l'anarchie ; et ces deux puissances accom-
plissent, dans l'intérêt commun, les condi-
tions jurées.


L'Angleterre seule, hors du droit public et
universel , violant le pacte de l'Europe et ses
antécédens, dispose sans prétexte des états
d'un allié ; s'empare, dans la paix, d'empires
que ne lui a point donnés la guerre, et, assise
parmi les rois , proclame la révolte des sujets.


Aujourd'hui, de quel côté sont les droits? j'en
appelle à la raison. Oit est la foi des traités ?
je m'en réfère à la Sainte-Alliance. Quel ave-
nir reste-t-il aux rois ? j'interroge la sagesse des
monarques.


Étrange alliance, où la paix est l'agression,
où la guerre est sûreté!


Sûreté , sans doute, puisque la guerre don-
nerait à la puissance insultée dans la paix, et
le secours d'une alliance généreuse, et des
auxiliaires intéressés.


sous croyons avoir prouvé que les droits de
l'Espagne sur les colonies étaient incontestables


4..




( 52 ).
et garantis; l'action de l'Angleterre est donc un ,
crime social ; elle attente aux droits de tous,
et , déjà jugée par la conscience des peuples,
doit être soumise, comme trahison, à la vin-
dicte des rois.


Die droit de Métropole et d'Émancipation.


.,C'est un principe, que les droits primitifs de
la ciné appartiennent aux seuls fondateurs,
si quelque cession volontaire ne les a commu-
niqués. Les bienfaiteurs de la patrie, à tel
point qu'ils l'aient obligée , ne • peuvent être
assimilés en droit aux fondateurs. Rome, qui
inventa de si beaux titres pour ses héros;
Rome, qui donnait le nom des pays vaincus it
ses triomphateurs, ne concéda qu'au seul Ca-
mille, et par suite , trop prématurément,
Marius , le nom de fondateurs : ce titre, le
plus beau de tous, équivalait à celui de père.


La métropole a fourni l'essaim, prodigué
son sang, ses trésors, pour fonder la colonie;
il ne suffit donc pas à cette dernière, si d'ail-
leurs l'esclavage en est banni, d'avoir acquis
assez de force et de puissance pour demeurer
quitte à l'égard de la métropole.


( 53 )
Il ne lui suffit pas, pour s'en séparer que


l'avantage apparent de l'union soit du côté de
la mère-patrie ; les pères des habitans actuels
de la colonie ne s'y sont fixés qu'a des con-
ditions connues, et il en est de tacites en leur
faveur, qui sont l'équivalent de celles qu'ils
subissent : ce qui établit entre la métropole et
les colonies - des droits et des devoirs réci-
proques.


Les colonies enfin n'ont pouvoir de s'éman-
ciper que du consentement libre de la métro-
pole , aux conditions de la justice et non par
la violence, qui, eu aucun cas, ne peut cons-
tituer le droit.


Ainsi les colonies libres de la Grèce rendaient,
chaque année, un hommage à la mère-patrie,
célébraient des fêtes en son honneur, ou lui
députaient de brillantes théores chargées de
couronnes et de présens, comme un tribut de
dépendance et d'amour; leur destin s'attachait
il sa fortune; le deuil de la métropole devenait
celui de la colonie , et les flots de Carthage
gémirent quand Tyr s'abîma dans les meus.


J'ai dit que les droits et les devoirs étaient
réciproques entre les colonies et la métropole.


« Le désavantage des colonies qui perdent
>5 la liberté du commerce, pense Moutesquien,




( 54 )
» est visiblement compensé par la protection.
» de la métropole, qui les défend par les armes
» et les maintient par les lois. »


L'abandon, la cession même de la métro-
pole laisse donc naturellement la colonie en
péril; car en la délaissant, elle retire sa pro-
tection , et ne peut lui transmettre l'intégralité
de ses droits.


J'entends, par cette intégralité, les droits
de toute espèce garantis par les traités, la
maintenue du territoire acquis par la conquête
et l'occupation; une colonie qui se sépare de
la métropole est un état nouveau, qui doit
contracter avec tous , et le plus souvent au gré
de tous, sans an técédens et sans protection.


Daus cette situation , les prétentions du.
nouvel état sont - elles onéreuses au reste du
monde, il a le droit de les réduire, n'ayant
Glus d'engagemens; d'où il peut résulter que si
le territoire du nouvel état est trop étendu
par rapport à ses habitans, il peut être res-
serré eu de plus étroites limites ; que s'il pos-
sède des trésors au - delà de ses besoins, ils
peuvent être soumis au partage : tout peuple,
par un nouveau traité ou sans traité même , a
droit à ce superflu comme à un bien non Oc-
cupé et qui n'est plus garanti ; et le monde
peut , par des lois commerciales et contra-


( 55 )
dictoires, étouffer le commerce de la répu-
blique naissante qui n'a point encore traite .et
n'a plus la garantie d'un tiers.


Telle est la situation des colonies espagnoles,
et il sera facile de prouver qu'elles-mêmes,
sans droit légal pour s'émanciper, compro-
mettent aujourd'hui leur sûreté, mettent en
péril leur existence, et que la volonté de l'Es-
pagne qui s'oppose à leur émancipation , est
un bienfait à leur égard.


Et d'abord , qui réclame l'émancipation
quels moyens peuvent l'accomplir, ou quelles
seraient les suites de cet acte ?


Qui réclame l'émancipation ? serait-ce à-la-
fois les indigènes et les Espagnols? une lutte
de dix années proteste coutre cette adhésion
unanime.


Ce ne sont point les Indiens , les indigènes,
qui réclament l'émancipation (r) : la fidé-
lité de ces peuples est due à la religion.


Il est digne de remarque ciel l'époque on
la maison d'Autriche s'éteignit en Espagne


(i) La population totale des colonies se monte à seize mil-
lions au plus : douze millions de races mêlées et indigènes , trois
millions de créoles, deux à trois cent mille Espagnols cure,
péens.




56 )
un Montezuma, un descendant de sou der-
nier monarque, gouvernait le Mexique. Ses
peuples , en cette circonstance si favorable ,
ne témoignèrent ni désir de recouvrer l'em-
pire, ni empressement pour la dynastie de
leurs maîtres naturels; ce fut comme une re-
nonciation formelle de la part du prince et
des sujets, et le Mexique, depuis ce temps ,
ne fut troublé que par quelques séditions qui
ne tenaient en rien à la politique.


Depuis, le malheureux succès de l'inca
Tupac-Amaru au Pérou, les Indiens, soumis
sans réserve à l'Espagne l'ont servie avec
zèle et constance.


Au Chili au Paraguay, à la Terre-Ferme,
la froideur que le peuple eu général témoigne
pour l'émancipation , prouve assez qu'il n'en
est pas partisan. Ou ne peut méconnaître
que les Espagnols européens, bannis d'Amé-
rique par la violence, dépouillés par la rébel-
lion un moment triomphante, ne protestent
par leur malheur même contre l'usurpation.


Quelques hommes, descendus peut•être de
ceux- quee la philosophie accusa si long-temps
de cruauté et de tyrannie , rebelles aujour-
d'hui à !a patrie, comme leurs pères le furent
à la voix de douceur émanée de l'autel et du
trône, tyrans nouveaux qui ne veulent s'af-


( 57)'
franchir que pour opprimer, représenteraient-
ils seuls les naturels d'un monde et les man-
dataires de la mère-patrie ? quelques hommes
sans aveu , disséminés sur une étendue im-
mense, seraient ils les seuls organes de la li-
berté ? seraient - ils seuls maîtres de disposer
d'un continent.


Non sans cloute.
Eh! ferions-nous l'outrage à une noblesse


recommandable par ses actions et ses aïeux ,
de la croire l'ennemie du trône où sa gloire
et son illustration se rattachent.


On sait quel prix mettaient à un titre de
Castille , à l'honneur de porter ses insignes,
les chefs de ces familles généreuses ; quelle
estime ils attachaient au nom castillan ; les
croirions-nous amoureux d'une égalité ridi-
cule, partisans d'une liberté effrénée, atta-
chés à un état de choses qui compromet leur
dignité et leur honneur?


Qu'un dépit mal déguisé, qu'une certaine
aigreur se fit sentir en Amérique à l'égard
des Européens comblés de faveurs et de pou-
voir, cette politique exclusive de la métro-
pole pouvait blesser la fierté naturelle à tout
Espagnol ; tuais dans un mouvement d'hu-
meur, les descendans des Cortez, des Co-
lomb, des I‘Torituuma , eussent pu s'écrier




( 58 )
Je suis Américain! sans songer à trahir l'Es_


«pagne.
Les colonies ont été fidèles au nom de Fer_


dinand captif; le Mexique naguère offrait sou
trône à un Bourbon; le bruit des armes n'a
point cessé au Pérou; de l'aveu même de sou
appui, la révolte à l'extrémité du Sud n'est point
assez puissante pour mériter qu'on la déclare
souveraine. Carthagène et les Carracas, expo-
sées depuis long-temps aux insinuations per-
fides et intéressées de l'ambition et de la cu-
pidité , ne forment qu'une agrégation d'états
mal unis; partout, eu tous lieux, le principe
religieux et monarchique domine véritable-
ment les esprits.


Le clergé, cette puissance morale qui main-
tient l'union, à qui l'indigène doit la liberté et
le ciel; le vainqueur, la légitimité et le repen-
tir; le clergé qui conquit et poliça cet uni-
vers , le croirait-on l'ennemi de l'Espagne ?
Qu'il suffise de savoir que la hiérarchie du
clergé est la même que celle de la métropole,


-unité d'esprit, moyens semblables.
L'Amérique civilisée par la religion, guidée


par elle dans son éducation sociale, ne peut
être insensible à sa vois, à ses exemples. L'A-
mérique nomme ses Casas comme l'Espagne ses
Ximenez. Si l'Espagne cite avec orgueil ce Ro-


( 59 )
Brigue (i) qui , armé de la croix , raffermit
le courage ébranlé des rois, l'Amériq ue vante
ce Gasca qui, sans armes que son bréviaire,
dit un grave historien, confondit l'orgueil et
la révolte des Pizarre et des Carvajal (2).


La religion d'unité, la religion monarchique
n'est-elle pas un sûr garant de fidélité ? le
peuple espagnol serait-il tout-à-coup devenu
infidèle aux. devoirs qu'elle prescrit? Non; cc
ne peut être que par surprise qu'on le ver-
rait un moment s'égarer; et un exemple pris
dans le Nouveau-Monde, demeure ici sans au-
torité.


Les États-Unis, sans union religieuse, comme
la Grande-Bretagne, et conformant leur con-
duite à la sienne, ont réduit en actes les doc-
trines de sa double révolution ; l'Angleterre
proclamait hautement le droit de fait , la sou-


(1) Alphonse, courant çà et là pour rallier les chrétiens ( &t-
taille de Tolosa), disait. à l'archevêque de Tolède , qui l'accom-.
pagnait partout , précéjé de la croix : « Archevêque, c'est ici
» qu'il faut mourir. — Non, sire, répondait le prélat, c'ist ici


.» qu'il faut vivre et vaincre. » Et les chrétiens vainquirent.
Thibaut Blazon, Seigneur poitevin, à la tête de ses braves,


se distingua particulièrement dans cette journée. Ainsi déjà les
héros des Vendêes étaient les auxiliaires dés soldats de la loi .


(2) A la bataille de l'A!puriva.




( Go )
veraineté des peuples; ses colonies, poussées-à
bout par des lois intolérables, ont admis ces
principes en toute rigueur.


Mais l'Espagne américaine est catholique,
mais elle est monarchique, et ne reconnut de
tout temps qu'un Dieu et qu'un Roi.


Qui donc exigerait une émancipation in,
tenipestive et dangereuse ? Cette 'évolution
dans l'Église et dans l'État ne s'opèrerait-elle
qu'au profit de quelques ambitieux ou d'un
étranger avide? Alors quels en seraient les mo-
tifs, la justice, la légitimité?


Ces ambitieux enfin, ces étrangers, sont-ils eu
mesure de l'accomplir ? les premiers ne le peu-
veut sans l'appui du second; le second n'y saurait
parvenir sans une déclaration positive qui com-
promettrait la paix du inonde et ses relations.


La première condition de l'émancipation ,
c'est d'être adulte; l'état adulte consiste dans
le développement des forces physiques et mo-
rales, dans l'union de ces deux puissances.


En partant de ce principe, il est incontesta-
ble que les colonies ne sont point arrivées à l'é-
tat requis pour l'émancipation.


s l'unité religieuse, l'unité d'obéissance
au monarque légitime, tout est division dans la
société civile du 1Nouveau-Monde.


Division de couleurs et de nations, division


(
de droits et de climats. Au MEXiCille, oit les
castes se multiplient, une nuance de couleur
établit la supériorité, les nobles y sont fiers,
les commerçans surtout oppriment le peuple.


Au Pérou, à la Terre-Ferme, mêmes diffé:.-
rences, même désunion ; tous les écrivains de
quelque autorité sont d'accord sur la haine
des colons entre eux..


Les colons de couleur pure haïssent les na-
turels espagnols; au Mexique, au Pérou , à la
Terre-Ferme, les habitans du centre et des cô-
tes ne se voient qu'avec antipathie, les préten-
tions des différens pouvoirs les rendent enne-
mis; de là, l'envie, les craintes et les soupçons
extrêmes.


S'il était enfin besoin de désabuser de la chi-
mère de l'indépendance , il suffirait de savoir
que les novateurs, qualifiés par leurs histo-
riens mêmes d'hommes farouches, qu'ils accu-
sent d'ignorance et de férocité, comptent pour
rien les races de couleur (i) qui composent la
majeure partie de la population.


Un des plus zélés partisans de la révolte re-


(t) Nous avons vu que la population indigène ou de race
mêlée, se montait à douze millions.




( 62 )
connait qu'il faut ménager l'émancipation des
esclaves.


Où donc trouver dans ces éléMens la force
et l'union, conditions indispensables de l'é-
mancipation?


La protection de la métropole et une protée-.
tion puissante, continue et incessamment ac-
tive, entretenait seule ia paix et l'union dans les
colonies; médiation utile à tous, mais néces-
saire aux faibles et la sauve-garde des peuples.


De là cette joie de toutes les classes à l'arri-•
vée des visiteurs.et le. désir pressant de les voir
entrer en fonction. Chaque citoyen appelait
la protection de la métropole, qui défendait
ses droits par les armes et les mainterzait
par les lois.


Ainsi l'autorité des faits et de l'expérience
s'unit contre une liberté mal entendue ; en
sorte qu'on peut affirmer que l'assistance de la
métropole est aujourd'hui nécessaire à l'exis-
tence des colonies.


liais les colonies sont armées, mais elles
comptent un formidable allié. Leurs armées,
en en connaît les forces; leur allié, il ne pro-
mit point de les maintenir; ce n'est point ici
sur des faits hasardés, sur des espérances mal
conçues qu'il s'agit d'établir nu système.


( 63 )
Gardons-nous des récits mensongers de ces


visiteurs d'une nouvelle puissance, dont le but
est trop évident ; éloignons ces écrivains sans
autorité, qui, clans l'ignorance des choses et
des lieux, mentent à la raison comme à la vé-
rité, : ces publicistes pourraient nous effrayer
si nous ne savions comment la légitimité vic-
torieuse sort des Abruzzes et franchit la Bi-
dassoa.


Suivons des guides plus sûrs, le bon sens,
la raison.


Ils nous diront que les forces des rebelles
sont nulles, leurs positions sans défense,. et
leurs ports ouverts à toute agression.


Quelques milliers d'hommes suffisaient à la
sûreté du Mexique et du Pérou, et il ne tient
qu'à l'Espagne de doubler les forces qu'elle y
entretenait, et de réparer clans une seule cam-
pagne l'incertitude de dix années de com-
bats (r).


(i) Admettons la victoire des indépendans, elle ne prouve
qu'un jour de bonheur et rien d'assuré dans l'avenir; i faut
n'avoir pas vu les armées du Nouveau-Monde pour en parler
avec confiance ; la situation financière de ces nouvelles répu-
bliques est précaire, leurs ressources éventuelles : il en est
ainsi de leurs forces militaires.


Quoi! trembler devant des armées de six mille hommes!.




ss


( 64 )
Le Mexique est la plus importante des pos-


sessions espagnoles du Nouveau-Monde; sa si-
tuation politique est encore un problème; eu
aucun lieu l'Espagne n'a de pl us nombreux
partisans; en outre, le Mexique est dans la dé-
pendance militaire de Cuba, la Havane est
son véritable port, les rivages orientaux de la
-
.Nouvelle- Espagne n'offrent point d'autres
mouillages que Vera-Crux, et le château d'Ul-
loa, qui domine cette place i inpurtante, en as-
sure l'entrée à l'Espagne.


Allons plus loin : cette réflexion n'appar-
tient ni à , ni aux circonstances ; de
tout temps on a j ugé que des soldats espagnols
ou portugais étaient seuls capables de soute-
nir la guerre en des climats si opposés à celui
de l'Europe, depuis les rivages de feu (le la
Vera-Crux, jusqu'au littoral brûlant et em-
poisonné de Caraccas et de la Gayra (t).


Une même langue qui s'étend sur l'espace
de 1900 lieues, une même religion, une même


L'Europe redouter Bolivar ! Est•il question de Soliman ou de
Napoléon ?


(i) Les besoins des peuples du Nord, surtout Anglais et
Allemands, lcs mettent dans i'i in ossibiité de soutenir une lutte
de quelque durée, dans ces climats plus dangereux que ceux
des Indes.


( 6.; )
origine, cet ascendant que donne l'habitude


cette sobriété naturelleuax Espa-
gnous, eux-m 'élues sous un ciel ardent: tout
assure à cette nation une supériorité incontes-
table dans les expéditions du Nouveau-Monde.


Qu'on demande à l'Angleterre ce que sont
devenus ces régimens envoyés au secours de
la révolte : le climat les a vaincus ; interrogez
ces restes échappés au fer espagnol et . it l'inclé-
mence des saisons; sachez d'eux quel sort au-
tend l'aventurier sur ces rivages, ils vous ré-
pondront : le mépris, la maladie, la mort.
• L'étranger éprouvera aux colonies comme
dans la Péninsule, ce qui arriva , selon un écri-
vain judicieux (I), aux généraux français, lors
de la première rupture entre l'Espagne et la
France.


si On crut que la Biscaye était propre aux
principes de la révolution française, on se
trempait : les Bisca-yens, tout jaloux qu'ils
sont de leur liberté , sont attachés à la mo-
narchie espagnole; et si leur fierté répugne
au joug d'un rQi despote, leur politique s'ac-
commode fort bien d'un roi protecteur. »
Tel est au fond l'esprit des colonies espa-


(i) Bourgoing.




( 66 )
gildes; penser autrement, ce n'est pas le con_
naître: en tous lieux l'Espagnol, fier de ce titre,
s'indigne d'un joug étranger.


Je veux cependant que l'espoir de l'ambi-
tieux soit couronné, que l'émancipation s'ac-
complisse, que la révolte accréditée se
time ! Quelle sera cette liberté promise ? Pour
qui et clans quel intérêt aura-t-elle triomphé?


La discorde me répond, le deuil d'un monde
m 'instruit.


Au dedans livré à l'oppression, si l'Espagne
ne l'en défend , je vois se réveiller ces soup-
çons, ces haines héréditaires, que tout le pou-
voir de la religion n'a pu entièrement effacer;
l'inimitié, entretenue par la présence de l'ob-
jet, s'accroît de sa liberté; une nuance de cou-
leur divise, une supériorité provoque.


On combat enfin, non plus pour. a victoire,
mais pour la vie.


Castillans, métis, indigènes, la fureur ne
s'éteint que par la destruction des races; et
l'Amérique, après trois siècles de repos, subit
une seconde réaction plus funeste que la pre-
mière (I).


Au dehors cependant, l'Espagne ne la pro-


(1) Lors de l'émancipation des colonies anglaises , il n'y
avait point de mélange de races ; trois millions de citoyens


( )
peutne,plus plus stipuler pour elle : l'Eu-tége


rope reprend ses droits.
Déjà la proie de l'Angleterre, bientôt celle


de toutes les nations, le Nouveau-Monde de-
vient l'arène de leurs débats.


Ses peuples , sans droits reconnus, mêlés
. sans importance à des querelles sanglantes et
intéressées , n'ont pas même, dans leur ruine,
conservé le nom d'Espagnols, et la terre de
Colomb n'est plus qu'iule Nouvelle-Guinée, où
l'Europe vient chercher de l'or et des esclaves.


C'est alors , mais trop tard, que le repentir
nommera l'Espagne ; il ne sera plus temps , et
la paix d'un monde aura passé avec soni'ègne..


Ah! si ma voix, assez puissante, arrivait jus.
qu'à ses peuples, et , digue d'être écoutée, pou-
vait couvrir le bruit des armes !


« Que faites-vous? dirais-je : montrez votre
ennemi; nommez votre allié.
» Le traité qu'il stipule, quel est-il (I)? la li-


ss berté ! ... dites : le schisme, la trahison!


d'origine européenne formaient un tout imposant , leur posi-
tion géographique tendait à l'union, enfin leur cause fut soute_
tore par deus puissances du premier ordre : aucune de ces con-
ditions de succès n'existe à l'égard des colonies espagnoles.


(i) Fouler aux pieds le lys et !a croix, telle est en effet la
première condition de cette alliance.


5..




( 63
» L'indépendance... ?
» Il dispose de vos biens, de vos personnes;
les richesses... votre sol , vos trésors lui


» sont engagés. Malheureux I la liberté qu'il
s, vous impose n'est pas même une honorable
SS servitude.»


Tels seraient mes discours ; encore n'au-
rais-je point parlé de sûreté ni de paix.


En effet, l'union dans la foi rapprochait les
cœurs,une même autorité y maintenait le calme;
phénomène unique dans l'histoire des hommes,
que, durant trois siècles, la guerre n'eût point
troublé cette belle partie du monde.


L'ambition et la cupidité y portèrent la dis-
corde et le deuil.


Je n'ignore point que des hommes d'un
grand poids, que des publicistes justement fa-
meux n'aient formé ce rêve d'émancipation et
de liberté ; l'inexpérience, l'esprit du temps,
l'ardeur même de leur génie, les conduisirent à
une opinion qu'aujourd'hui la plupart d'entre
eux, à l'exemple d'un écrivain célèbre (r)
viendraient rétracter à la barre des nations.


Montesquieu montra plus de prudence; ce
grand homme, qui abrégeait tout parce qu'il


(1) Raynal.


( 69 )
voyait tout, se défia (le son jugement; il s'abs-
tient, il hésite, et s'il conclut enfin, ce n'est
qu'avec réserve, et comme s'il pressentait le
danger du monde et les embarras de l'a-
venir (r).


e Cc n'est point à moi, dit-il , à prononcer
» sur la question si l'Espagne ne pouvant


faire le commerce des Indes par elle-même,
il ne vaudrait pas mieux qu'elle le rendît
libre aux étrangers.


Je dirai seulement qu'il lui convient de
» mettre à ce commerce le moins d'obstacles
» que la politique pourra lui permettre.


» Voilà des principes qu'il faut examiner
» sans les séparer pourtant des autres consi-
» dérasions, la sûreté des Indes, l'utilité d'une
» douane unique , les dangers d'un grand
• changement, les inconvéniens qu'on prévoit
» et qui souvent sont moins dangereux que
» ceux qu'on. ne prévoit pas. »


(I) Montesquieu ne touchait ici qu'une question prélimi-
naire, les libertés counnereiates : et voyez quelle retenue!


qeikdic,
0




70


DE L'ESPAGNE EN PARTICULIER.


Des moyens actuels de l'Espagne, et de l'in-
térêt des deux inondes à ce qu'elle re-
couvre ses Colonies.


L'Espagne...! à ce nom l'esprit conçoit ce
qui fut de plus glorieux et de plus magnanime.


La dernière soumise au joug des Romains,
l'Espagne fut la première à s'en affranchir ;
l'histoire répète avec une admiration mêlée
d'effroi les noms de Sagonte, de Numance et
d'Astaque.


Durant plus de sept cents ans, l'Espagne,
armée contre l'ennemi commun-, servit de
boulevard à la chrétienté : patiente dans le
malheur , pieuse dans le triomphe, elle ne
quitta point la cuirasse ni le glaive qu'elle
n'eût replanté la crois sur ses rivages recon-
quis.


Triomphante enfin , la terre ne lui suffit
plus ; elle s'ouvre l'Océan ; un nouveau
monde est ajouté à l'ancien ; le premier nom
qui retentit sur ces rives inepunues , est le


71
130111 de l'Espagne; le premier monument qui
décore ses bords, c'est encore le signe du salut.


L'Espagne unit les peuples ; lien de l'uni-
vers, elle en est la bienfaitrice; les plantes,
les produits des deux mondes , trésors plus
précieux que les métaux , elle les distribue
d'une main libérale ; cet échange enrichit,
console la terre; et ses richesses , séparées par
la nature, deviennent par ses soins le bien
commun de tous.


Telle fut l'Espagne, et pour célébrer digne-
ment sa gloire , il faudrait la majesté de sa
langue, formée au milieu des triomphes.


Plus près de nous cependant, l'Espagne ne
perd point de son éclat : dans les conseils, dans
les combats, elle reste digne d'elle-même, et
se surpasse enfin dans sa dernière lutte.


Lorsqu'un petit-fils de Louis-le-Grand , à
la tête de ses incomparables Espagnols, eut
déjoué la ligue de ses compétiteurs, de nou-
veaux destins semblent commencer pour elle.


Un de ses ministres , Alberoni , concoit le
plus vaste, le plus généreux projet qui fin. ja-
mais. Par ses soins, Pierre de Russie, le légis-
lateur de ce vaste empire, doit rétablir Stanislas
sur le ti ône de Pologne, devenu héréditaire;
Charles de Suède, l'Alexandre du Nord, ira.
rendre à l'Angleterre la légitimité bannie,




( 72 )
On- voit ce que ce plan renferme de su-


blime, combien il eût été fécond en résultats:
que de maux il eût épargné au monde, en
assurant pour toujours, et par la main de cieux
rivaux si dignes d'are amis, la légitimité des
rois et des peuples !


Un homme de néant, la honte de la France,:4
dont l'approche compromit d'Aguesseau et
porta atteinte à la vertu de Massillon, Dubois,
vendu aux Anglais, «dont il servit la cupidité
eu finances comme dans les opérations poli-
tiques il avait servi leur ambition , » Dubois.
fit échouer de si justes desseins.


Le ciel, pour prouver la misère des hommes,
jeta un misérable dans la balance du monde,
et son poids l'emporta.


Cependant l'Espagne, victorieuse en
voit un de ses princes en occuper le premier
trône. Heureuse ou trahie de la fortune , à
Toulon comme à rfrafalgar, à Gibraltar comme
à Lépauthe, l'Espagne reste fidèle à l'honneur,
à ses engsgemcus.


Un grand Crime menace le inonde; le plus
grand des rois, abandonné de tous, va subie
sa sentence; l'Espagne négocie seule pour son
sta tut


(1), s'entremet pour racheter sa tete;


illéatuires de Stuart.


( 73 )
pEspagm oublie sa pauvreté pour la ranç:m
d'u t) fils de St. Louis; toutes les femmes eussent
'filé, la fierté castillane eût consenti à devenir
laborieuse.
is)c ue: arriv


arrivons à cette époque fameuse où
l'Espagne se vit surprise par la trahison. L'Es-
pagne est tombée ! s'écria l'usurpateur. Eile
est debout! répondit l'Espagne.


Sans monarque, sans crédit , sans armées,
l'Espagne seleve et défie le vainqueur ; l'Es-
pagne n'a qu'un coeur, n'a qu'une âme. Dans
cette guerre, qui eut ses Sa Boute et ses four-
ches Caudines, où l'on ne put alléguer en fa-
veur du triomphe, ni les défections, ni les cli-
mats, l'Espagne ne se démentit pas une fois, et
moins de sept ans après l'affront, sou armée
campa sur le territoire -de l'ennemi qui l'avait
provoquée.


L'Espagne avait combattit seule et contre
tous, peur son Dieu, son. roi, son indépen-
dance; c'est assez du triomphe, l'Espagne vic-
torieuse reste désintéressée.


Veuve de son roi, l'Espagne l'a reconitis;
l'octuple de l'Espagne releva l'espérance du
monde abattu (1), sauva la légitimité sans es-


(1) Ou parte de l'intervention de l'Angleterre , des services
qii'elle rendit à l'Espagne. Q;ii rourtant de l'Angleterre. ou de




(7+)
pois: c'est fière de ces titres que l'Espagne mo-
derne se présente au jugement de l'Univers,
dont aucun peuple ne mérita plus.


Mais, dira- t-ou. il ne s'agit point ici de
l'Espagne de Charles-Quint, de l'Espagne des
Bourbons, de l'Espagne de 18o8, mais de
PEspagne d'aujourd'hui.


Reprenons de plus haut :
Au dernier siècle, où prévalut un malheu-


reux système de rébellion et d'incrédulité,
l'Espagne, fidèle à Dieu et à ses rois , devint
un objet de haine pour de prétendus sages.


il était de mode d'en parler avec dédain ,
de rabaisser sa renommée. Cc dénigrement
calculé était le bon ton du jour; on lui con-
testait sa gloire , ses grands hommes, son his-
toire , comme aujourd'hui on lui conteste s
droits.


Un écrivain sans autorité (t), dans un ou-
vrage dénué de critique et de bonne foi, dé-
niait aux Zarates , aux d'Acosta, des faits


l'Espagne trouvait alors plus d'intérêt dans cette alliance? Déjà
l'Espagne avait une fois repoussé l'agresseur, et l'Angleterre,
sans allié, et jusque-là toujours vaincue, succombait dans sa
lutte, si ce deinicr champ de bataille ne lui eût été rouvert.


) De Paw.


( 75 )
dont ils avaient été témoins ; ses adeptes l'en
croyaient sur parole, l'expérience l'a démenti.


Pour constater les découvertes des Espagnols,
il fallait que plusieurs siècles après, des navi-
gateurs philosophes achevassent tardivement
ce que les premiers avaient si glorieusement


i.
Lo,Emsppl


a gne nommait ses Colomb, ses Magel-
acc i.


lan, ses Quiros, et l'Europe ne semblait: pas
l'entendre. L'Europe semblait oublier qu'elle
dut à l'Espagne son espiit chevaleresque et sa
fleur de galanterie (t). Elle ignorait que l'Es-
pagne connût les arts, et le Murillo parut.


La'philosophie cependant lui dit pardonné,
si elle n'eût dédaigné ses leçons ; la révolution
Marchait triomphante, niais l'Espagne se leva
et la révolution rut vaincue.


De là tant de fureur; aujourd'hui la rage
est à son comble: plus de bornes dans Pou-
trage, plus de mesures dans la calomnie.


(t) Deux écrivains d'un mérite distingué, don Martin de
Navarette et don Joseph Condé, se sont chargés de venger
leur patrie, l'un en publiant les mémoires inédits de ses navi-
gateurs; l'autre en prouvant, dans son Histoire des Maures,
que ceux-ci tenaient des chrétiens ces mœurs brillantes qui ont
jeté tant d'éclat,




( 7)
Pour contenter l'athée et le rebelle, il eût


été beau d'anéantir Dieu sur la terre classique
de la foi, d'écraser les rois sur le sol de la
tirnité.


Faire fléchir la monarchie de Charles-Quint
devant celle de Napoléon, ensevelir la
mité dans les lambeaux de l'usurpation, tel
était leur but.


Dans leur impuissance criminelle , ils ne
peuvent pardonner à l'Espagne chrétienne et.
fidèle d'avoir repoussé leurs efforts.


Aveuglés par la passion, sans égard des
personnes (1), sans distinction de temps, ils
médisent , ils insultent, ils ont vu l'Espagne et
ne l'ont pas comprise.


Les ministres du Dieu de paix, à leur gré,
sont les bourreaux.; les soldats de la foi , les
rebelles ; ainsi les prêtres en France furent
des fanatiques, les Vendéens des brigands , les
émigrés des transfuges. Ce sont les guerriers


(I`, M. Hermosilla , dans un ouvrage où il y a peu à re-
prendre et beaucoup à louer , s'indigne, avec raison , des ou-
trages adressés à son auguste maître.


quel monarque plus digue de respect que celui qui rè-
gne aux drain de Louis XIV et de Charles-Quint?


Eh ! quel prince, à cet excès d'audace, ne craindrait pour
les siens, et ne sentirait sa majesté blessée ?


( 77 )
du 2 r janvier en France, du 7 juillet en Es-
pagne , qui sont les héros : tel est le vrai sens
de len ts paroles.


L'Espagne, selon eux, est abattue, avilie,
sans esprit moral, sans union civile, sans force,
sans finances.


Jugeons mieux d'elle et de ses destins.
Sa force morale, elle réside dans l'unité,


l'unité, principe de vie, la vie même.
Unité religieuse dont le clergé est l'agent,


unité de pouvoirs dont le prince est le modé-
rateur.


Montesquieu, dont l'opinion est bien de
quelque poids, juge que la puissance du clergé
est nécessaire à l'Espagne; sans son influence,
l'unité de pouvoir y pourrait tout entraîner.


Dieu et le roi, tel est le cri de l'Espagne ;
son histoire est là tout entière.


ll fat celui de Tolosa, comme celui de
l'Aptarina.


C'est un Casas qui défend la faiblesse, c'est
nn Gasca qui dompte la révolte , c'est un
Ximenez qui triomphe de l'Afrique, c'est un
évêque d'Osuia qui veut que François l er. soit
reconduit libre et comblé d'honneurs, sans
conditions et sans rançon.


Si l'Espagne met sa confiance au clergé,
quoi de plus équitable et quelle dette plus sa-




( 7 8 )
crée? ici comme au Nouveau-Monde, le clergé
est l'asile, l'appui du malheureux.


Même emploi de biens : les prélats résidans,
recommandables par la charité et l'austérité
de leurs moeurs, emploient tous une partie
de leurs revenus en aumônes; les établissemens
les plus utiles leur sont dus; point de bien où


. ils ne paraissent : ce sont eux qui fondèrent
ces asiles où la charité établit une récipro-
cité de bienfaits et de reconnaissance; insti-


. lutions plus nobles sans doute , plus phi!an-
thropiques (qu'on nous pardonne ce mot ) que
celles où la terre, frappée d'un impôt au bé-
néfice d'un créancier ingrat, semble déjà en-
gagée aux. conditions prochaines d'une loi
agraire.


La philosophie frémit au seul nom de l'in-
quisition. Un écrivain sincère, que sa situa-
tion entraîne, mais dont le coeur trahit sans
cesse la pensée, Bourgoing, persiste à soutenir,
en dépit des clameurs, cs que ce tribunal n'est
» pas, à beaucoup près , aussi redoutable
» qu'on le croit encore dans les pays étran-
» Bers.


» Olavide lui-même , ajoute cet historien,
» connut quelque chose de plus terrible que
95 l'Inquisition: on devine que ce fut la révo-
lution francaise.


( 79 )
L'exempl e de cet homme Célèbre dans l'in-


fort une , illustre dans le repentir , répond
suffisamment aux. reproches que l'ignorance
adresse chaque jour à l'inquisition, dont le
peuple espagnol réclame chaque jour le réta-
blissement.


On nierait la force morale de l'Espagne ?
Il est fort ce peuple qui par un mouvement


unanime se lève tout entier au signal religieux
et rend son hommage au Créateur.


11 est fort celui qui ne reconnaît qu'un Dieu
et qu'un maître; non , ce peuple ne périra
point; il verrait plutôt se renouveler les mer-
veilles de Simancas et d'Otumba, et la croix
céleste, apparue de nouveau dans les cieux, lui
dirait encore : ss Tu vaincras dans ce signe. »


La paix de l'Espagne est troublée, le peuple
agité; l'autorité mal assurée a peine à conte-
tenir les opinions et l'éclat des dissensions
civiles.


Pour apprécier ces discours, remontons à
la cause première, et sachons connaître l'Es-
pagne.


Imaginez un peuple qui reconquit successi-
vement et pied à pied son territoire, peuple
qui domina l'Europe et se rendit l'arbitre des
deux mondes par une suite non interrompue




( 8o )
d'actions glorieuses et éclatantes. Dans celte
position, chaque province aura naturellement
ses institutions, chaque ville ses priv éges , cha_
G l ue bourg ses immunités, prix mérités du con_
rage et de la fidélité, honneurs garantis par le
temps et la possession , biens d'autant plus chers
qu'ils sont un gage de vertu et de gloire , un
héritage de famille, un dé[dt sacré.


Parmi tant de droits, jeter l'idée d'un chan.
genient vague, d'une abolition du passé , d'un
autre avenir, quelles inquiétudes? quelles op-
positions!


Cordoue nomme Gonzalve, Valence le Cid,
et Medeli n Fernand; souffriront-elles sans ré-
clamer qu'on les dépouille de leur gloire?


Sarragosse la sainte, Cordoue l'impériale,
verront-elles d'un oeil tranquille qu'on les dé-
possède de leur nom.


L'Espagne est une république fédérative
sous la protection de Dieu et d'un roi ; aussi
long-temps qu'une constitution menacera son
peuple dans sa foi et ses droits, l'incertitude,
la défiance , la haine, troubleront ses es-


rits : on a vu l'exemple de la Biscaye, n'est
point de provin ce qui ne s'empressât de rimiter•


Nation sage dans sou inquiétude, peuple de
bon sens dans ses craintes ! Une constitution


( Si )
nouvelle (i), qu'est-ce à vrai dire? un système
sans garantie, l'abolition de ce qui fut, la des-
tru c tion des droits acquis, une usurpation
réelle, un crime social en son origine, qu'a
peine toute la justice et toute la puissance des
rois peuvent réparer.


Blâmerait-on un peuple d'être agité, tnal à
l'aise en pareille occurrence ? ua exemple voi-
sin ne lui donne-t-il pas le droit d'étre sévère
aux constitutions (2).


Cessez de semer l'orage, et vous recueille-
rez le calme; la nation espagnole est essentiel-
lement religieuse et monarchique ; les flots
rentreront dans leur lit à la voix. de celui-là
qui seul peut apaiser les mers : faibles et
vains politiques vous ne feriez que les irriter.


Mais l'Espagne n'a point d'armée pour recon-


(1) Voyez en Pologne , en Bavière, dans le duché de Bade,
le succès des constitutions.


(2) Bourgoing, ambassadeur à Madrid dans un temps mal-
heureux , le pensait ainsi. « Les rois, dit-il , se garderont d'in-
» miter paternellement les peuples à venir leur présenter les
» cahiers de leurs doléances ; les états-généraux de. France
» ont por/é un coup mortel aux certès. »


Donner une constitution à l'Espagne, une constitution quij ustifierai t
les rebelles ! Mieux vaudrait rétablir les Maures à


Séville et à Grenade.


G




( 82 )
quérir ses colonies?... L'Espagne en aura de_
main :onze millions d'hommes, invincibles sur
leur territoire quand il leur plaît de le défen.,
cire , fourniront sans peine une armée au de-
hors. L'Espagne n'a point d'armée ; mais elle
en avait une à l'île de Léon quand la trahison
vint l'arrêter: menées odieuses qui nous révè-
lent tardivement le secret île Quiberon et de
Vile d'Yeu.


L'Espagne n'a point d'armée..., mais elle a
des soldats ; l'Europe doit s'en souvenir pour
• peu qu'elle ait quelque mémoire.


Sur terre et sur mer le soldat espagnol bien
conduit est admirable ; le soldat espagnol , cou-
rageux , sobre, patient, est de tout l'univers
celui qui convient le plus aux fatigues de la
zone ardente.


Huit mille hommes suffisaient au Mexique;
quelques régimens de fidèles Catalans, de ces
Biscayens qu'unit avec la partie de Indes la
plus infectée (r) une antique confraternité, la


(i) Il est digne d'observation qu'à la Terre-Ferme, aucun
individu appartenant à quelqu'une de ses familles illustres,
aucun ecclésiastique de distinction , aucun chef de tribu, n'ont
pris part à la rébellion ; les faits et les rapports des rebelles
eus-mêmes prouvent évidemment le contraire, et surtout la
fidélité des naturels.


( 83 )
rendraient sans peine à ses devoirs; peut-être
en se voyant ne serait-il plus question de com-
bats, d'heureux embrassemens auraient réuni
les inondes. -


Cependant des armées ne s'organisent point
sans finances-- Les finances de l'Espagne....
Ici que de gloire pour elle, que de honte pour
ses ennemis !


44 La bonne foi des Espagnols fut reconnue
39 dans tous les temps et de tous les peuples.


» Dans le dernier siècle, ni la crainte du
33 danger , ni l'attrait du gain , ne purent en-
33 gager aucun commissionnaire espagnol à


trahir ou tromper la personne qui se fiait
53 en lui, et cette probité, qui honore la na-
3> tion, contribua à la ruiner.»


Ruine glorieuse ! Et c'est cette nation cu-
pide qui abusa du désintéressement, de la pro-
bité scrupuleuse de l'Espagne, qui entreprend
de tarir ses richesses jusque dans leur source;
un peuple qui ne peut nommer ni de Colomb,
ni de Fernand, s'empare, à la faveur du dé-
sordre, des régions qu'ils ont découvertes et
conquises (r), épuise leurs trésors, fouille,


(i) S'il plaisait au roi d'Espagne d'établir une compagnie de
mineurs castillans en Irlande, dans l'intention pacifique d'ex-


6..




( 84 )
complice des rebelles, ces mines abondantes
d'où coulait la prospérité qu'il se réserve ex_
clusivement ; et les rois, dépouillés eux-mêmes
dans le souverain des Espagnes, se demandent
pourquoi ses finances sont épuisées !


L'Espagne a soutenu seule le fardeau des
monarchies ébranlées; seule, depuis qu'elle
leva l'étendard de la légitimité, elle n'a point
transigé avec l'usurpation, et les rois s'éton-
nent que sa fortune publique soit engagée 1


Le temps est-il venu où l'israélite doit se
venger des vieux chrétiens? les banquiers au-
raient-ils privilége sur les rois? Ou a v trl'or d'un
capitaliste, sujet d'une monarchie, décider le
succès de la révolte contre un roi; des em-
prunts libéralement fournis par les agens d'un
roi, soutiennent la révolte constituée dans les


pluiter ses richesses, je ne sais si ce procédé conviendrait,
surtout en cc moment, à la politique de la Grande-Bretagne:
le cas est identique.


Au demeurant, il n'est point d'homme sage qui ne s'effraie
à l'idée d'une masse de numéraire pareille à celle que peut
répandre une opération illégale et précipitée.


Émission subite et imprudente , qui doit infailliblement
changer les rapports del'économie sociale, les combinaisons
financières et l'état politique du monde !


( 85 )
colonies, et les rois cherchent la cause du dis-
crédit de la métropole I


Ne voient-ils pas ici leur honneur compro-
mis , leurs intérêts engagés, leur sûreté me-
nacée ?


Aucun ne niera que les capitaux ne sdient
une puissance. En principe, un sujet ne peut,
sans crime , employer sa puissance contre la
süreté du prince.


Si les capitaux sont cosmopolites, les trônes
sont à l'encan, que les rois cèdent au plus
riche emprunteur.


Tant que les rois, enfin, ne réduiront pas
en principe social que nul ne peut prêter sa
puissance à leurs ennemis, les rois, sans crédit,
seront en péril. Une association do capitalistes
SC ligue contre un prince , par cette raison
même qu'il prétend maintenir ses droits, assure
à la -rébellion ses avantages : ce double acte
est un attentat aux droits solidaires des monar-
ques , une conspiration flagrante Coutre les
monarchies.


Cependant que les souverains commandent,
et l'Espagne sc relève, et le crédit tout entier
passe à la légitimité.


Mais si les rois, cc que je ne puis penser ,
Pouvaient demeurer insensibles à des motifs
si puissans, non! l'Espagne ne resterait point




86 )
sans ressources, sans moyens : le clergé , du
pied des autels, consacrerait ses trésors à leur
défense; les grands, à la vue de leurs ban-
nières, se souviendraient qu'ils doivent nour-
rir et soudoyer des armées.


Tout concourt à faire de la nation espa-
gnole un peuple fort et puissant : l'unité de
croyance, le dévouement au monarque, l'a-
mour exclusif de la patrie , le caractère
national.


L'attachement de l'Espagne à la religion
catholique est connu; la franchise castillane
est passée en proverbe; la constance , la so-
briété, la reconnaissance, forment le carac-
tère distinctif de l'Espagne. Dans la fierté des
grands , règne une noble simplicité; dans la
simplicité du peuple , éclate une honorable
fierté : tous adorent le même Dieu, tous sont
égaux devant un maître : un tel peuple est fort
et ne doit point périr.


Que pourraient la discorde contre l'union,
prétentions contre les droits, la révolte contre
la légitimité? que produirait enfin le triomphe
des rebelles ? la ruine de l'Espagne et des co-
lonies, une révolution dans l'univers.


Quel serait au contraire le résultat des suc-
cès de la légitimité? l'équilibre européen Téta-,
bli , la paix des deux inondes.


(57)
L'Espag ne est. cloue engagée à mai ntenir ses


droits; elle le peut, elle le doit. ;%lais ou-
les droits de l'Espagne , sesblions un instant


devoirs; jetons ses intérêts particuliers au mi-
heu des intérêts universels : que verrons-nous
dans l'émancipation de l'Amérique? l'Europe
dépouillée, sa puissance abaissée ( ) , ses
intérêts compromis.


.Il y a en tout quelque chose de pire que les
mauvais desseins, c'est la mauvaise foi.


Des politiques d'un esprit étroit, hors de
mesure, et pris au dépourvu, ont pu dire :


Que les intérêts d'aucun n'étaient blessés
par les déclarations d'une puissance étrangère;
que la liberté du commerce laissait à tous les
mêmes droits, et qu'il ne tenait que de les
exercer.


'Voici de la politique de fait; mais comment


(1) Je ne crains pas d'avancer que si l'Angleterre réclamait
aujourd'hui la Normandie ou la Bretagne , die fonderait ses
droits sur des titres plus certains; ]a perte de ces provinces
causerait moins de dommage à la France, serait politique-
ment moins acheuse , que l'émancipation des colonies espa-
gnoles, produite, par la révolte, dais le seul intéait de
Grande-Bretagne, qui en frustre l'ancien monde, les . Bour-
bons et la légitimité. Eh! la France n'est-clic pas héritière tic 'a
légitimité des Bourbons!




( 88 )
agir en fait, quand par faiblesse ou par impré_
voyance on manque des moyens de fait.


Il y avait aussi à Athènes un citoyen qui
chaque jour visitait le port, nombrait les bâ_
timens , et se félicitait de tant de richesses;
pour lui seul les vaisseaux de Tyr et de Car-.
thage possédaient les flots; pour lui seul ,
Ophir et Tharsis épuisaient leurs trésors: riche
seulement de son délire, cet homme était le•
fou du Pirée.


C'est peu : le sophisme, min content du ridi-
cule, a conclu, plus gravement, que la re-
connaissance d'une émancipation illégale ne
touchait point aux principes de l'union sociale,
et ne présumait rien à l'égard de la légitimité.


Je raccorde : qu'un avide marchand ren-
contre sur une plage lointaine un inconnu
armé d'un poignard encore sanglant ; il lui
jette de l'or et en r eçoit la valeur ; aucun ne,
s'est enquis de sa position respective; l'échange
est accompli, la cupidité satisfaite: voilà du
co.nnierce.


Mais si le premier reconnut dans le second
tin meurtrier , un parricide , peut-il déclarer
la légitimité de ses droits, s'en faire le com-7
plice et partager le profit du sang? ou le té-
moin d'un tel pacte , s'il ne s'y oppose , se


( 89 )
croit-il bien en sûreté vis-à-vis d'une pareille
alliance? . è.


Tel est l'état d'une question où, par un con
cours de circonstances sans exemple, se trou-
vent réunis les droits et les intérêts des rois et
des peuples.


s; L'Espagne ne peut céder ses colonies que
ss par violence , et cette cession est nulle si
ss l'Europe n'y consent.


» Sans compter que le Roi d'Espagne est
si sen ! légitime souverain, comme conquérant
» et depuis unique possesseur, nul pouvoir n'a
» le droit de disposer d'un monde au préjudice
» d'un monde entier.


» S'il arrivait que le Roi d'Espagne con-
» sentît à l'émancipation, ce serait exhéréder
s, l'Europe, et ce droit lui manque; un im-
» mense continent eu partie non-occupé, ap-
» partient dès-lors à tous ceux qui pourront
» S'y établir (t). »


Paroles sacramentelles qui résolvent nette-
ment la question, il reste cependant an. fond
de cette question même un droit à définir;
assurément les monarques ne pourraient sans
injustice . contra i ndre le prince à céder de ses


Extrait de la ('rotulienne da 3 août 1824.




( '9° )
droits; mars le droit de l'émancipation est-il
dévolu au seul monarque? 'Non , sans doute.


Le prince, simple usufruitier, ne peut dis-
poser de l'empire ni des droits solidaires de
ses sujets; ces grands mots de fief dominant,
de haute dictature, témérairement prodigués,
ne prouvent rien à la raison; la suprême die_
tature, c'est la justice; un prince ne peut user
d'une dictature temporaire que par exception;
et comment se ferait-il que le prince disposât
de l'intégralité de l'empire ou de la propriété
de chacun , quand lui 7même ne peut , sans
périr, céder de ses droits ni aliéner de ses
propres biens; qu'arriverait-il enfin dans cette
hypothèse , si -l'État tombait aux mains d'un
insensé?
-


Charles NI, ses états assemblés, déclara le
Dauphin son propre fils , déchu d'une cou-
ronne qu'il transportait au monarque anglais;
la France, pour réponse, suivit Charles VII, et
la France agit selon ses droits.


Les états de Bourgogne démentirent ( le Roi
présent) le traité de Madrid, signé de sa main,
qui cédait cette province à l'Espagne, et les
étals firent justice.


Le vulgaire attribuera ces actes à la force
des choses; il ne sait pas que la force des choses,
C'est la justice des choses.


( 9 i )
Supposons maintenant l'aveu de l'Espagne.


et de son monarque; c'est exhéréder l'Europe,
cl ce droit leur manque; ils cèdent, mais sans
transférer leurs droits, sans les garantir, et les
traités antérieurs sont désormais caducs. •


Il serait trop absurde de prétendre qu'un
continent immense, dont quelques parties seu-
lement sont assez occupées pour mériter à
leurs habitans le nom de peuples , devint la
propriété exclusive de quelques rebelles, par
cette raison même qu'ils se sont faits rebelles.


L'ancien monde dès-lors rentre dans ses
droits, libre de ses engagemens, par l'abandon
du premier possesseur avec lequel il avait
contracté; rien ale le lie à l'égard d'acqué-
reurs sans titrés qui demandent exhorbitam-
ment.


•Ces peuples eux-mêmes n'ont rien à oppo-
ser à ce qu'il réclame; pas même le droit, ils
l'ont d'abord violé; pas même la force, puis--
qu'ils ne l'ont point acquise : séparés de la
métropole qui les défendait par les armes et
les maintenait par les lois, ils ne sont plus
que ce que le pouvoir de fait leur permet
d'être; ils n'ont plus de patrie dans leur pa-
trie même.


Bientôt cependant les rois et les peuples.,
'!timoius ou complices d'un acte funeste à tous,




( 9 2 )
fatigués de la dictature d'une nation qui pré-
tend asservir le monde au nom d'une liberté.
coupable , lui disputent forcément la proie
qu'elle s'était réservée.


Une guerre d'intérêts , qui plutôt eût été
celle de la légitimité, devient ind i spensable et
universelle.


Les rois , si cet exemple leur en laisse le
temps , achèvent d'user leur autorité sur la
terre de la révolte légitimée.


Quelle nouvelle arène! que d'ambitions sans
règles mises en jeul que de projets imprudem-
ment conçus! que de droits sans justice témé-
rairement établis!


Les deux mondes luttent, et , dans ce choc,
les habitans du nouveau périssent, oubliés et
coupables.


• La question de l'émancipation est donc celle
de la légitimité, de l'ordre social et de la paix
universelle; et dans cette cause, les colonies
ont plus d'intérêt à l'union que la métropole,
puisque la condition de leur existence tient à
sa garantie.


Qui trouble cependant les deux mondes, et
quel peuple si hardi et si puissant attente à la
légitimité et à l'existence des peuples et des
rois?


( 93 )


L'ANGLETERRE.


Vue nation s'est mise hors du droit com-
mun (I) : forte de la division des peuples, elle
base sa prospérité sur leur ruine; sa politique
est celle des intérêts; la conscience universelle,
elle la récuse.


Rome, maîtresse du monde, avait conquis de
son fait et par la force de ses armes; l'Angle-
terre laisse aux fautes des rois, aux discordes
des peuples, le soin de conquérir pour elle.


Aujourd'hui , à l'imitation de Rome, l'An-
gleterre s'attribue la dictature de l'univers, se
constitue l'arbitre du monde, dispense â son
gré la liberté et l'esclavage, dispose des états
et des couronnes, ordonne ou suspend l'éman-
cipation des peuples , ou, plus hardie, confirmé
ou rejette les rois.


Ainsi que Rouie, en tous lieux elle promet
la liberté dans la seule pensée de la tyrannie,
entretient la révolte où elle n'opprime point,
arme ici les peuples contre les rois, ici sou-


(i) On sent qu'il ne s'agit ici que de politique et non de ver-
tus privées ; nul, mieux que l'auteur, ne sait apprécier, sous
ce rapport , les qualités de la grande famille anglaise.




tient le despotisme contre les peuples, attente
aux droits de tous, et usurpe sur tous les riches-
ses et la puissance.


Ou connaît les effets de ses principes dans
l'Ancien-Monde, elle en infecte aujourd'hui le
Nouveau; sa politique en Asie divisait la fa-
mille pour régner ; elle vient en Europe d'en
faire l'essai.


Toute ambition lui semble belle dans son
égoïsme; tout moyen légal, s'il satisfait sa cu-
pidité; pour elle le crime heureux est encore
la vertu, et le but du peuple-roi ne peut être
rempli, que monarques et sujets n'aient subi
son joug et n'ornent de -leurs dépouilles l'é-
clat de ses triomphes.


Eu effet, sans principe certain dans ses ac-
tes, sans foi dans les traités; différente d'elle-
même, mais toujours conséquente dans ses
projets, l'Angleterre agit à-la-fois, en divers
lieux et sur dès droits contraires, selon les
hommes et les temps.


Naguère elle soutenait en Espagne la légiti-
mité comme son unique espoir; aujourd'hui, se-
lon ses intérêts, elle y protège la révolte coutre
le prince; l'Angleterre refuse la liberté civile et
religieuse à la patrie, et la proclame pour l'u-
nivers.


( 95 )
Son influence , mêlée comme un poison


aux institutions (les autres peuples, se ma-
nifeste là dans leur uolitique, ici dans leurs
finances


É lent habile à tromper sur sa situation
et ses desseins, à fasciner les -yeux des peuples
et des rois, à saisir ses avantages, elle a comme
accoutumé la terre à l'illusion de sa puis-
sance; chacune de ses usurpations sur tous est
calculée pour leur ruine; une forteresse qui la
domine et la menace, est un refuge offert aux
rebelles de la Péninsule, et le Tage honteux
leur ouvre un asile. Malte n'est plus ce ro-
cher jadis étincelant de gloire; protecteur au-
jourd'hui des forbans gagés qui désolent 'la
mer , les pirates exercent leur brigandage à
l'ombre de sa complicité, et les ennemis des
chrétiens y abordent avec assurance. Pour
s'assujettir le monde, l'Angleterre emploie, là
des sophistes, ici des brigands; à voir comme
elle arme les cipayes dans l'Inde, les corsaires
sur la Méditerranée et l'Océan, on dirait que
tous les hommes perdus sont à sa solde pour
troubler l'ordre social. A voir (i) cousinent,
protectrice ardente de la Colombie, elle abuse


(i) On a dit que la religion du monarque n'excluait pas la




)
la Grèce et opprime l'Irlande, on croirait que
pour mériter son appui , il faut être apostat eu
Europe et rebelle dans le Nouveau-Monde.


Le Nouveau-Monde, telle est la proie qu'elle


légitimité. Si nous consultons l'Angleterre, ce principe est au
moins douteux : applicable à la cause des Grecs, il est entière-
ment faux.


La légitimité doit suivre le principe du droit des gens.
On sait que le droit des gens chez les infidèles est la violence


à l'égard des chrétiens; que c'est par devoir de religion que
les Musulmans les oppriment ; qu'ils doivent conquérir par le
glaive, et que c'est par ce droit qu'ils règnent sur la Grèce.


Dirait-on maintenant que sur le même droit les chrétiens
n'ont pas celui de s'affranchir? Condamnez alors Philippe-Au-
guste et Saint Louis ; condamnez Pélage et le Cid : la diffé-
rence de religion n'excluait ni Saladin ni Abderaine.


De tout temps la pais des chrétiens et des infidèles n'a« été
qu'une suspension d'hostilités. Tout prince chrétien a permis,
de tout temps, à ses sujets de les combattre : c'était l'espoir des
plus beaux courages. •


Sons Henri IV, le duc de Mercœur courut à la croisade en
Hongrie; plus tard, le prince Eugène fit ses premières armes
sous Sobicsky; l'ordre de Malte enfin, formé de l'élite des na,‘
tions chrétiennes , et perpétuellement en guerre avec les Mu-
sulmans , protestait, par son existence et ses actes, contre leur
usurpation; et l'autorisation des princes de la chrétienté, qui
tons reconnaissaient cet ordre et lui fournissaient des recrues,
maintenait le droit d'affranchissement des chrétiens contre le
droit de conquête des infidèles.


( 97 )
convoi te aujourd'hui; il sera beau d'épuiser ses
mines, d'exploiter ses richesses et ses produits;
l'oeil attaché sur un point qui doit fixer le com-
merce de l'univers, sans égard pour la si:trete du
lobe. (i), sans consulter le possesseur légitime


et le droit des nations, la cupidité veut que
Panama s'efface devant elle, que son isthme
aplani lui ouvre la conquête des mers , et lui
livre sans partage, l'Amérique, l'Asie et le -
reste des Océans.


(1) Je n'avance rien de trop eu parlant de la sûreté du globe,
Un canal imprudemment ouvert peut changer le mouvement
habituel de l'Océan. Quant au projet de percer l'isthme , il fut
conçu dès le temps de Philippe II; présenté de nouveau à
Charles III, il devait s'opérer par le lac de Nicaragua ; entre-
prise difficile , position mal choisie, puisque les côtes voisines
n'offrent point d'abri, et sont une partie de l'année inaborda-
bles; quoi qu'il en soit, le cabinet de Madrid , par des: motifs.
de sagesse et de modération, se refusa à ce qu'il offrait de
brillant; il craignit d'établir de nouvelles rivalités, de nouvelles
querelles parmi les nations.


« L'isthme, comme le dit M. de Humboldt, est le boule-
» yard de l'indépendance du Japon et de la Chine. »


Il défend également les Philippines et les possessions de la
Hollande. Si l'Angleterre s'empare militairement de ce pas-
sage et l'occupe par son commerce, on pourra appliquer à
l'Europe ce qu'un grand publiciste a dit de l'Italie : « qu'à la
découverte du cap de Bonne-Espérance, (le centre du monde
commerçant, elle fut reléguée dans un coin de l'univers.


'7




( 98 )
Une révolution générale dans les relations


du globe est prochaine, l'instant est propice,
la vieille Europe ne mérite plus de ménae.,e-
mens; une puissance ambitieuse interpose sa
tutelle entre le monde enfant et le monde
vieilli. u C'est du luxe et des besoins que l'An-
» gletcrre veut trafiquer. Chacun de ces âges
» a ses caprices et ses faiblesses, que l'Angle-
» terre les corrompe à-la-fois. »


Contradiction remarquable : de se montrer
insatiable en parlant de modération ; d'être
seule oppressive en accusant de tyrannie.


Inquiète de l'union `ui la menace, l'Angle-
terre ne craint pas de le déclarer, elle prend
1 initiative.


Liberté civile et religieuse , ou , en d'autres
ternies, oubli de Dieu, mépris des rois, tel est
son cri d'agression.


En Europe , liberté religieuse ou indiffé-
rence , liberté civile ou révolution; art Nou-
veau-Monde, liberté civile et religieuse , ou
révolte contre toute autorité.


L'Angleterre prétend acheter l'Ancien-Monde
avec l'or du Nouveau, et transplanter dans le
Nouveau les divisions de l•Ancien-Monde. ai,


Elle sait que l'unité de religion est la sauve-'.
garde de l'Amérique ; la première condition
qu'elle lui impose est la doctrine qui divir,e


( 99 )
L'union des rois en Europe est la garantie


de leur sûreté et de la paix sociale, elle tend à
les désunir.


Cette politique constante, l'Angleterre l'a-
voue, elle ose en tirer gloire, et sou organe
-accrédité en le déclarant, ne craint pas d'ex-;
pliquer toute la pensée de son égoïsme poli-
tique (1).


Cependant quelle est la puissance de l'An-
gleterre? L'Angleterre indépendante de la vin-
dicte sociale, hors de l'atteinte de la justice,
est-elle inaccessible, insaisissable?


Le croire ainsi ;
ce serait ignorance, préjugé ;


cette pensée appartiendrait à la politique d'un
autre siècle, à une politique vieillie, non telle


(s) On a écrit, mais je n'oserais le garantir, tant le sens de
l'expression serait odieux, que ce ministre avait déclaré que
l'Angleterre était son Scibboledz.


« Après la victoire (le Galaad sur É,phraiin , les premiers
» se saisirent des gués du Jourdain , et lorsqu'un homme de
» la bataille revenait sur le bord de l'eau, ils l'interrogeaient:
» Dites donc Scibboleth ; mais comme il prononçait Sibbo-
5) kilt , parce qu'il ne pouvait pas bien exprimer la première
» !cule de cc noir , i s le prenaient aussitôt


et le tuaient au
» passage du Jourdain u. (JuGEs,


mn.)
Maintenant comment plaît-il au ministre que les peuplés


prononcent Scibboleth ?




( leo )
que le temps l'a produite, non telle que l'An-
cileterre elle-même se l'est faite.


L'Angleterre , consumée d'une carie physi_
que et morale, sans foi dans sa religion po-
litique, usée du temps, écrasée sous le poids
d'une dette inamortissable, dont l'édifice so•
(niai ne se soutient, de son aveu même, qu'il
l'aide d'étais pourris ; l'Angleterre, haïe de
ses esclaves et de ses sujets , sans sûreté au
dehors et au dedans de son empire, qui ne
peut se maintenir que par le crédit et une
force empruntée que soutient une fiction, la
croirait-on puissante d'elle-même, forte de sa
propre vigueur , en sûreté par ses propres
moyens?


C'est bien de l'Angleterre qu'on peut dire
avec vérité •: (i que la démocratie y coule à
pleins bords; 55 la pression même d'une riche
et haute aristocratie n'en peut comprimer
l'effort.


L'Angleterre a-t-elle perdu le peuple - roi
de Manchester et de Spafields? sa flotte ne
nourrit-elle plus la révolte et la division ?
n'est-il plus de 'Wilkes ni de Gordons dans
ses conseils? Au dire de l'Europe, le fameux
sac vert contenait plus que du scandale.


Les finances de l'Angleterre engagées à des
emplois inutiles ; son sol marorté du sceau


(Toi )
d'une loi agraire qu'il ne tient que d'achever,
la placent dans une situation devenue aujour-
d'hui le fléau et l'espoir d'un peuple de pro-
létaires, que le principe de l'état condamne
au nom de souverain.


C'est peu : l'Angleterre a ses ilotes ; une
nation au milieu de son peuple, sans droits
religieux, sans droits civils, languit esclave,
dédaignée. Il faut une loi du sénat de Londres
pour reconnaître que le peuple de Dublin se
compose d'hommes, de citoyens. Réduit aux
dernières extrémités, l'instant est venu où ce
peuple doit recouvrer ses droits par les armes,
ou, victime obéissante du principe religieux
que l'Angleterre condamne, succomber, mar-
tyr et soumis, à l'exemple des légions thé-


baines.
A la vue de ce tableau fidèle de l'Angle-


terre, la jugera-t-on maintenant hors d'atteinte
et en sûreté?


L'Angleterre, irrésistiblement en traînée'per
son système, sent elle-même le péril présent ;
sa conscience l'avertit du péril; tantôt elle le
couvre d'audace pour tromper sur sa situation;
tantôt, sous une apparente libéralité, elle ca-
che l'énormité de ses engageniens ; des impôts"n
sont remis , somme inapereue dans l'immen-
sité de ses besoins : ici elle r ecourt à la déc'ep-




( to2 )
fion , le commerce n'a plus (l'entraves ; tout
peuple, avec les mêmes droits, est appelé aux
mêmes avantages : nouveau prodige, l'Angle,
terre se montre désintéressée (1); enfin elle
se trahit , elle jette le cri de détresse




Quo
l'Irlande soit libre! Elle a dit, et déjà se re-
pent.... Que l'Irlande, toujours fidèle, toujours
déçue, craigne un nouveau traité de Lier...
merik.


Nous avons dit que l'Angleterre n'était ni
inaccessible, ni insaisissable.


Sous Louis MI, comme au temps de la fil:-
mense Armada, l'Angleterre ne dut sou salut
qu'aux tempêtes; chaque fois qu'une descente
fut tentée contre la Grande-Bretagne, le succès
la couronna : il faut accuser les moyens et
non l'acte en lui-même pour c .Npliquer des re.-:
vers successifs. On peut dire que chaque expé-
dition dirigée contre l'Angleterre, a réussi dans


(1) « Le commerce libre, a dit Adam Smith, devient un
lien de concorde et d'amitié entre les nations. »


:Principe absolu, qui manque de vérité dans l'application:,
puisqu'il faudrait que les profits fussent fixés en proportion des
besoins, ce qui ne saurait exister; aussi l'histoire n'offre-t-elic
point l'exemple d'une amitié sincère entre deux nations égale-
ment occupées du négoce, et prouve, au contraire , que leur:
jalousie nc. peut cesser que par la ruine de l'une des deux.


( 103 )
l'étendue de ses moyens. Sans parler de celle
de Henri VII que soutenait la France ; des
descentes habituelles des Français en liq uide ,


au temps du roi Jacques , a-t-on oublié que,
de nos jours, dans l'espace d'un demi-siècle,
deux expéditions pareilles mirent l'Angleterre
à deux doigts de sa perte.


Eu 1 745, le prince Édouard, embarqué
avec quelques hommes, arrive dans la pro-
vince de Lochabir, malgré la flotte anglaise et
après avoir soutenu le combat : en connaît ses
exploits. Si la France, souvent trop timide
dans ses armemens, eût envoyé quelques régi-
mens au prince déjà vainqueur; si quelques
Français de plus eussent combattu à Culloden,
ce prince , petit-fils de Jacques Il , dont l'An-
gleterre ne conteste plus aujourd'hui la légiti-
mité éteinte, eût recouvré le trône de ses
pères.


Eu 1 7 98, le général Hunabert(t), quoiqu'ayant


(1) Le général Humbert se plaisait surtout à raconter cette
expédition; il ne doutait point du succès certain d'une entre-
prise mieux combinée.


Avec une poignée d'hommes il avait triomphé d'une armée.
On eût. dit , à sou arrivée à Dublin , de l'entrée d'un toi
etc France prisonnier, tant était grande l'allégresse des vin-
e,ueurs ; la joie donnait la mesure de l'effroi.




( / 0 4 )
fait fausse route, et suivi d'un petit nombre
de soldats, descend à Kiilala en Irlande; sou
courage le fait triompher de toute opposition,
il poursuit b. a route eu vainqueur : avec moins
de neuf cents hommes, ce jeune officier résiste
à Cornwallis qui- dirigeait le quart des forces
de la Grande-Bretagne, et sans secours, acca-
blé par la fatigue et le nombre, il ne se rend
qu'à Connangen.


Loin de nous la pensée d'armer des sujets
coutre leur maître; mais si quelque ennemi ,
poussé à bout par l'outrage et l'agression ; si
quelque prince catholique, appuyé de l'alliance
des rois, tentait en représaille un glorieux, un
légitime effort ; si l'Irlande, usant d'un droit
reconnu par la Grande-Bretagne, acceptait
la liberté e t recevait l'émancipation de la croix,
que pourrait contre elle la métropole, qui ne
put maintenir sa domination dans une colonie
encore naissante, et qui donna ainsi à tout l'a-
venir la juste . mesure de son impuissance.


Dans cette lutte nouvelle, quelle différence
de motifs : là, l'on combat seulement pour la
tyrannie, ici pour les biens les plus chers à
l'homme, la religion, la liberté, la propriété
usurpée; ou combat à armes égales. Que dis-je!
et que serait l'armée anglaise i l'Irlande lui
redemandait ses enfans? recruterait-elle à la


( To5)
bourse, à la cité, dans le nad)? Si le monde, à
son préjudice, se contente d'une fiction
v ,


repré-
sentation n'improvise ni les hommes ni les
bataillons.


Mais l'Irlande émancipée, puissante de tous
ses droits, l'Angleterre se croit-elle en sûreté?
Ce n'est plus un ennemi éloigné qu'il s'agit de
combattre, des intérêts d'outre-mer qu'il con-
vient de soutenir; l'ennemi est à sa vue, il est
présent; une nuit , quelques heures, un mo-
ment, et l'Angleterre est envahie. Qu'elle s'en
souvienne en lisant son histoire : cent combats
tels que ceux de JN-ayarette et de Crécy, ne rui-
nent ni la France ni l'Espagne; une seule ba-
taille d'Hastings, (le Bosvvort et de Preston-
Pans , livre l'Angleterre au vainqueur.


11 l'avait compris cet homme prodigieux
qui ne recula que devant la légitimité; l'effroi
qu'il inspirait au continent garantit mieux
l'Angleterre que sa position ; et sans doute ses
vaisseaux eussent été impuissaus à la défendre,
si l'application de secrets que la science nous
a depuis révélés , eût été remise aux mains de
ce redoutable adversaire.


Que l'Angleterre retienne ces paroles: quand
le 'Dieu patient se lasse de l'abandon et de
l'or oeil , pour effacer les nations de la terre
il lui suffit d'armer un souffle , une vapeur.




( toG
Il reste donc prouvé que l'Angleterre n'est


ni inaccessible, ni insaisissable; mais soit que,
nouveaux Mithridates, vous l'imitiez dans le
projet de frapper au coeur votre ennemi, soit
qu'a l'exemple (le cette ligue universelle des
nations contre la tyrannie de Rome, vous me-
naciez l'Angleterre dans ses colonies, en tous
lieux , au dedans comme au dehors, la division
sera votre alliée ; là, vous trouverez des auxi-
liaires, ici l'abattement vous épargnera la peine
de combattre.


On connaît les insurrections réitérées des
Antilles; l'Angleterre ne peut raisonnablement
espérer d'y conserver long-temps sa puissance;
elle n'ose s'en flatter : un exemple qu'elle-même
encourage, le voisinage d'une république qu'elle
favorise, l'identité de la cause, tout dit à l'es-
clave que le moment d'être libre est arrivé.
Comment l'Angleterre taxerait-elle cette ac-
tion de crime ? Si elle encourage la révolte
des sujets, peut-elle blâmer l'émancipation de
l'esclave ?Des sujets libres, engagés librement
au monarque, ont légalement contracté; entre
le prince et le sujet, il y a réciprocité de droits
et de devoirs; telle est la base de toute légiti-
mité. [ci l'esclave n'a point traité, il n'y a point
.4/e conditions réciproques, point de pacte, il y
a tj rann ie


( 07 )
Quel peuple cependant, parmi tant de mo-


dernes et frauduleuses usurpations, ne déteste
on joug étranger, ne soupire pour la patrie?
l'un redemande son nom , l'autre sa gloire, ce-
lui-ci ses coutumes, ses aïeux: ces peuples dé-
nationalisés ne souffrent qu'avec impatience
l'orgue il du maître nouveau qui les assujettit.


Demandez aux Sept-Iles, si le beau nom
d'Ilellèn es ue leur est pas toujours cher ; Malte
pleure ses chevaliers; le Cap n'oublie point ses
premiers maîtres; cette île, dont La Bourdon-
naie fit la prospérité, est encore toute française;
partout je vois des niécontens et ne trouve
point de sujets.


Aux Indes, où l'empire de l'Angleterre s'est
étendu par la violence et la fraude, où sou io•
satiable cupidité, semblable à la soif de l'hy-
dropique, semble chaque jour s'accroître sans
pouvoir etre satisfaite ; des adversaires puissans
et jaloux la pressent de toutes parts. L'Angle-
terre envoya aux Ashantis (1) dcs ambassadeurs
et des présens; elle prétendit apaiser l'Afri-


(n) La population des Ashantis est d'un million d'hommes ;
plusieurs nations sont soumises à cc peuple, Ic plus indus-
trieux et le plus intelligent de l'Afrique : on sait qu'en 1824 il
;•emporta une victoire complète sur les Anglais,




( 108 )
que; qu'elle préparo de nouveaux dons, l'Asie
l'exige, les Birmans (t) sont prêts. Serrée par
eux à l'orient, elle voit au nord des armées re-
doutables (2), où déjà menace l'uniforme euru.
péen; les Kans, fiers de cet appui, ne répon-
dent à ses envoyés qu'en leur montrant ces
terribles phalanges; cf au tres sont à nous, ajou.
tent-ils; que l'Angleterre s'empresse donc; que
l'Angleterre, là où elle ne peut envoyer de
chaînes, expédie avec pompe de nouveaux
tributs.


Ces dangers, déjà pressans, l'Angleterre ce-
pendant les pourrait conjurer; un ennemi
plus puissant et invincible occupe seul sa pen-
sée; elle sait que le sort de ses établissemens
aux Iodes, dépend de sa volonté; la Russie en
effet en est seule l'arbitre.


(i) L'empire des Birmans, fondé par Alompra , compte
environ quinze millions de sujets : c'est contre ces peuples que
les CyPaies refusent de combattre. Aujourd'hui l'Angleterre
répète que les Birmans sont en fuite; mais nous n'avons les
bulletins ni des Cypaies ni des Ashantis.


(2 ) Les Skies, peuples courageux, dont le chef est Ruajeet-
Singh ( on le lion). C'est ce prince qui fit la . réponse que je
ra pporte aux commissaires anglais; il a plusieurs régiinens
russes à sa solde; et maintenant, après avoir exigé des tri-
buts de Lahor, il tourne ses vues du côté de Gabon', le grand
passage de la Perse aux Indes.


( 109)
La Russie qui s'étend sur la mer Caspienne,


la Russie, dont l'ascendant domine l'empire di-
,isé des Persans, dont le patronage est re-
e,onnu des Tartares, peut à son ,;,ré changer le
destin de l'Asie et des Indes; le préjugé et ri-
n<morance peuvent seuls lui en contester la
facilité


De tout temps l'Inde fut la proie du premier
occupant; nous ne parlerons pas des conquêtes.
modernes des Européens (t) dans les Indes, nous
ne nous occuperons que des invasions du nord
et del'occident. L'Inde, soumise tour-à-tour et
à plusieurs reprises par les Scythes, les Grecs,
les Tartares et les Persans, n'opposa en aucun.


,,-•temps une sérieuse résistance.
De nos jours, il y a moins d'un siècle (2) ,


Nadir-Chah, après avoir soumis la Perse, vaincu
les Turcs à Térivan, et porté ses armes jusqu'à
la mer Caspienne, conçoit le projet de con.-
quérir l'Orient ; Nadir attire à lui les Géor-
giens, les Kurds (3) et les Tartares, pénètre
dans les Indes par le Candahar, prend Choz-


(r) Elles se firent du rivage à l'intérieur des terres.
(.) En 17:3(j..
(3) Les Géorgiens , conquis par Thainas, sont aujourd'hui


sujets de la Russie: les Tartares vivent sous sa protection.




I IO )
now et Gorbhundet, marche droit à Cabotil,
se. saisit d'Etek au bord du Sinde , passe le
fleuve , s'empare de Labov (1), t raverse le
Chaut , livre une bataille décisive à Carnoul, et
entre triomphant à Delhy.


Cette invasion extraordinaire et spontanée,
réussit sans peine; trois siéges et une bataille
la terminèrent; et vingt mois suffirent au vain-
queur pour l'accompli•.


Croira-t-on qu'une armée de Russes bien
disciplinée et conduite par des généraux expé-
rimentés , puisse moins que les hordes de Mah-
moud et de Thamas ?


A la vue de l'armée libératrice , la puis-
sance anglaise s'évanouit ; l'attrait de la nou-
veauté, la haine de l'oppresseur et l'espoir
d'un meilleur sort, laissent les Anglais sans
alliés : se fieraient-ils à leur Cypaies?


Jamais plus belle occasion ne fut donc of-
ferte pour renverser leur puissance; comme


(r) Les anciens états de Ta);ile et de Parus, aujourd'hui le
Pen-Gab, terme de l'expédition d'Alexandre. Si celui-ci eût
gagné les affluents du Gange, au lieu de s'arrêter sur l'Hy7
phase , il eût singulièrement agrandi ses conquêtes ; ,car
INearque sans doute eût alors descendu ie Gange au lieu de


( I t I)


3u
temps de Timur, les Tartares méditent une


nouvelle invasion; les Birmans, peuple nom-
bre ti% et guerrier , sont sous les armes ; la


chemin facile et accoutumé.


S'il
pers


sottuffivr clans touss t les siècles d'un seul con-
quérant pour occuper les Indes, résisterait-
elle à-la-fois à trois invasions combinées.


Delhy, sur la Sumua, position centrale, qui
rend celui qui la possède maître de l'Indus et
du Gange, assure au vainqueur un triomphe
désormais infaillible.


Ce succès , la situation des lieux , l'esprit
des peuples, le mode des établissemens anglais,
tout concourt à le seconder.


Long-temps, par leur institution même, les
colonies militaires des Romains durent ré-
sister aux efforts redoublés de l'agression;
dans les colonies espagnoles , l'unité de reli-
gion, aux états, l'unité d'origine, donnent une
force considérable à la résistance. Aux Indes,
rien de semblable : les Anglais , selon leur
génie, n'ont établi, à vrai dire, que des comp-
toirs placés le long des côtes ou sur le bord
des fleuves; dans les positions les plus avan-
tageuses au trafic, ils n'ont point pris posses-
sion de l'intérieur des terres, ils n'y ont point
fondé de patrie.




( 112 )


44 Les Anglais se regardent comme simples
» voyageurs dans l'Inde : ils n'y. ont point
» d'attachement; ils y ont prévu de loin la
» chute de leurs colonies. »


A vrai dire, l'établissement des Anglais aux
Indes n'est qu'un ruban géographique aisé
à effacer , qu'un cordon oppresseur facile
à rompre.


La Russie enfin veut-elle achever en Asie
la ruine de la Grande-Bretagne? Un traité
avec le Roi de Perse suffit pour anéantir son
commerce dans le golfe Persique ; qu'elle
suive l'exemple de l'Angleterre à l'égard des
Portugais , qu'elle imite sa politique d'alors,
les résultats ne seront point douteux.


Eu tout, le projet de renverser le colosse
britannique est plus difficile à concevoir qu'a
exécuter.


Mais, dira-t-on, que deviendra l'Orient? qui
pourra l'exploiter ? N'est- il pas d'un intérdt
commun de le conserver ?


11 est facile de répondre : suivez les anciennes
routes du commerce, rouvrez ses anciens ca-
naux. Dans un temps où la prospérité de,
l'Asie était à son comble , où la Grèce flo-
rissait , où Rome atteignait an sommet de la
puissance , les marchandises des Indes ne
manquaient ni au luxe, ni aux besoins.


1:3 )


raID''s
les


-anes rendaient sicl s
l es


s


recu lés,
d rd e


ela Perse, ae res
par la Bucharie , dans l'Inde septentrio-
nale , et descendaient le Gange jusqu'à Pa-
libothra (1); ce n'est point de ces
quoique bien dignes d'attention ,
tends parler.


L'antiquité est constante sur ce point , que
le principal commerce des Indes se faisait par
la mer Casp ienne et le Pont-Euxin; les vais-
seaux entraient de cette dernière mer dans
le Phase (2), navigable jusqu'à Sarapa , de
là le chemin s'achevait en chariots jusqu'au
Cyrus.


Le Cyrus (3), sorti d'Arménie et entré dan%
l'Albanie, coulait à travers un pays gras et
fertile, et, après avoir reçu plusieurs rivières
qui toutes étaient navigables, se jetait dans la
mer Caspienne; de la mer Caspienne ou en-


(i) Ville alors capitale des Indes, située au confluent du
Gange et de la njeninadh, aujourd'hui la Jumna.


(2) Le Phase, aujourd'hui le Ilion.
(3) Aujourd'hui le
Les contrées que ces deux fleuves arrosent appartiennent à


h Russie: c'est aujourd'hui la Géorgie.


entreprises,
que je pré




( r 14
trait dans l'Oxus (1), grand fleuve qui con_
(luisait dans le voisinage des Indes (2).


'Varron raconte qu'il avait été reconnu.
dans l'expédition de Pompée , qu'il ne fallait
que sept jours pour se rendre de l'Inde dans
la Bactriane au fleuve Icarus (3) qui se jetait
dans l'Oxus ; que par-là les marchandises en-
traient dans la mer Caspienn e ; que , portées
dans le Cyrus, il suffisait de cinq jours de
voyage par terre pour atteindre le Phase, d'où
elles arrivaient au Pont-Euxin (4).


C'était donc assez de douze jours de portage
pour parvenir des bords de la mer 'Noire


insqu'an x affluens de l'Indus; le reste du che-
min se faisait par eau.


-


Mais ce n'était pas seulement sur ce point


que se dirigeait le commerce de'ces
temps re-


culés.SéleucusiNicator songea à percer l'isthme


par un canal (5) depuis le Bosphore
Ci-


(i) L'Oxus, aujourd'hui le Gilioli. Les Usbecks, incommodés
par les pirates de la mer Caspienne , en détournèrent ce fleuve.


(2) Strabon , liv. xi , Vo y
ait écrit sur le rapport d'Aristo l-


bute et d'Erasthostene, qui le tenaient de Patrocle.


(3) La Bactriane, aujourd'hui le Caboulistan ; l'Icarus, au-


j ourd'hui rInderab.
( t ) Varron, cité par Pline,
(5') On a pensé que Séleucos voulait ouvrir ce canal dans


( 1'5
mer Caspienne; et tout


à.porte croire que ce projet avait été accom-
p li ri :aur les nationss qui occupaient les Palus-
Mcotides. La tradition rapportait que ce canal
avait été achevé , et que par ce canal (r),
creusé autrefois, ces deux mers n'en faisaient


quAu::s.i des chemins ouverts de chaque côté


cette langue de terre où le Tanaïs, aujourd'hui le Dan,
s'ap-


proche du Volga (autrefois le Rha ), entreprise que Piefter
le-Grand a mise depuis à exécution.


(r) Ce canal, selon foute apparence, dut ekister entré
i'llypanis, ou Rendanus (aujourd'hui fleuve Ruban ), et la
pallie la pins rapprochée de l'Udon ou de l'Alonta (mainte-
nant


t la Kama et le Tcrek ).
Trois villes se partageaient alors le commerce de la mec


Noire et des Palus-Meotides. Tanaïs, aujourd'hui Azof,
, ville


d'entrepôt, marché des Européens et Asiatiques nomades
des peuples civilisés qui arrivaient du Punt-Euxinj là se
sait principalement


un commerce d'échange.
Phanagorie, ville située dans l'île de %flan , place où des-


c
endaient ceux qui venaient des Pal us-Néotides , ou mer d'Azof;


Paivicapée enfin , sur le Bosphore, célèbre par ses rela-
tions avec Athènes.


Nous ne trouvons point jusqu'ici l'apport des marchandises
de l


'Orient et des Indes. Cependant Strabon, Pline, Nela,
s'accordent à placer sur le Bosphore et du côté de l'Asie, une
co


ntrée qu'ils désignent sous le nom de région de l'Inde, Sin-dica




T t:) )


do Caucase, multipliaient les relations dei
peuples et distribuaient leurs richesses.


Maintenant que ces faits sont connus , gai
n'avouera la facilité du succès?
• S'il est vrai que des nations policées occu-
paient des bords aujourd'hui déserts; si ces
routes sont abandonnées depuis plusieurs sié..


Strabon et Pline parlent du port et de la ville des Sindes,
Sida villa , Sindits portus ; les Indiens Méotides ,
Sindi , établis en ces lieux dès le temps d'Hérodote, n'y se-
raient-ils pas venus, attirés par le commerce 2 Ne retrouverait-
on pas , dans les Achei *, Zygi , Ziscos de Strabon, ces marnes
Chysscs, Zysses ou Banians, caste consacrée au trafic chez les
Indiens, et que le commerce aurait fixée sur la mer Caspienne?
Si donc, comme le place d'Anvil:e, le Sindus- Portas était situé
non loin de l'embouchure de l'Hypanis , là devait aboutir natte


le chemin des Indes par la mer Caspienne, et il le
.faut suivre par ce fleuve eu dehors du Caucase, jusqu'à Melon
en l'Alouta.


Un centre commun rassemblait ainsi les richesses dn Nord
et de l'Occident de l'Europe, ainsi que celles de l'Asie mineure


e t dc tout l'Orient.
Ris inducti rationibus, in unum eonduzerunt


ticlem paludem que 'f a n aï nt haurit et Caspium mare,
» banc ("tuque poilaient nuneupantes, dicentes que mealu
» quodani sso , eas inter se conjungi et unaus esse (die-
» rios partent.» (STRAno, lib. xi. )


Ce n'était point à coup ùt. ta Achivi, compagnons de faste.


( 11 7
)


des; l'Oxus lui-même., détourné par les
Tartares (t)., ne porte plus ses eaux à la mer
c'aspienne, que de moyens aujourd'hui pour
i emédier aux fâcheux effets du temps et de
la barbarie ! L'industrie et la puissance pour-
I aient-elles moins que les Tartares?-


Cependant, combien ce projet semble beau,
qui réunirait, par la civilisation , l'Europe à
l'Asie, rendrait à la vie Colebos, l'Ibérie, ces
terres classiques aujourd'hui sans nom, qui
ressusciterait cent peuples jadis fameux, répa-


Malgré ces inconvéniens, les marchands de Constan•
tinople reprirent cette route quand les Arabes occupèrent
tegypte. Les Génois, maîtres de la Chersonèse, y rétabli-
rent cuira, entrepôt dc tout l'Orient; ils possédaient en outre,
conjointement avec !es *Vénitiens, la ville d'Azof, l'ancienne
Linaïs. Ainsi le moyen âge se servit utilement des traditions
cie l'antiquité , ou plutôt les anciennes routes n'avaient point
de oubliées.


Cet état du commerce dura jusqu'à la ruine de l'en/pire grec,
au milieu du quinzième siècle ; et peut-être les Vénitiens et les
Génois n'eussent-ils point négligé ces chemins, même après


découvertes de Colomb et de Gama, qui suivirent de pics
leurs malheurs, si !a haine des Musulmans contre les chré-
tiens n'en eût fermé le passage, comme déjà il était arrivé à
Alcxandeic.


Quoi qu'il en soit, ces faits vivent dans la mémoire des pett-
pes, et la terre cn montre encore les traces:




( 118 )
Ferait les désordres de la nature, et qui , ra-
menant les hommes à leur commun berceau,
consommerait leur union.


. La nature même semble d'accord dans ce
dessein.


Il est digne de remarque qu'aucun fleuve
considérable, le Nil excepté, ne verse ses eaux
dans la Méditerranée depuis l'extrémité de
l'Asie mineure jusqu'aux Colonnes d'Her-
cule (t).


Prodigue à l'égard de l'Europe et de cette
partie de l'Asie qui l'avoisine, elle en établit
les communications , unit à dessein par de
nombreux canaux, les peuples qui l'habitent,
et semble y vouloir concentrer le commerce
et la puissance.


Imaginez la mer Caspienne, le golfe Per,
signe et la mer Noire, redevenus comme au-
trefois le centre du commerce et de la civi-
lisation; la première ouvre les routes de l'Inde
par l'Oxus , celle des mers du Nord par le
Volga (2); des canaux, plusieurs fleuves fer-
tilisent l'isthme Caspien; la mer Noire, à sou
tour, rend la vie à la Grèce, libre et régéné-


(i) Je ne cite ni la Majerdha ni la Malhuia en Afrique.
(2) a Les Scythes , qui venaient commercer clans la u ser du


( 11 9 )
rée, enrichit la Chersonèse et k vaste em-
pire dont il est le glorieux apanage ; le Don
établit les communications du Nord; le Da-
nube porte jusqu'aux extrémités de l'Occident
les richesses et l'abondance; et l'Europe vivi-
fiée, hors de tutelle, se rit du désespoir d'une
ennemie impuissante.


L'entreprise est glorieuse, c'est par le Can-
dallar que les empereurs grecs commercèrent
avec les Iodes; c'est la route d'Alexandre.


Les chemins sont tracés , les canaux ou-
verts ; aFfranchissez l'Asie , fermez le Bos-
phore, l'Afrique n'est plus pour l'Angleterre
qu'une plage inféconde et semée de périls, et
vous lui laissez clans le Nouveau-Monde, avec
la discorde, un ennemi de famille, un ennemi
d'intérêt, le plus dangereux de tous.


Mais n'est-il que ce moyen d'humilier l'An-
gleterre , de ruiner sou influence?


?Nord, remordaient lc Volga et la Kama , et faisaient ensuite,
pour joindre la Petzora , qui se jette clans cette mer, un por-
tage d'une demi-lieue. »


De là sans doute est venue l'ubslination des anciens à pen-
ser que la mer Caspienne communiquait à l'Océan; les Scythes,
ne comptant point le portage, semblaient assez raisonnable-
ment n'avoir pas cesse de naviguer pour arriver dans la mer
dllyreanie.




( 12o )
(1740). L'Espagne, h première, conçut ridée


d'un blocus continental,d'une prohibition uni_
verselle. Un homme a qui rien de grand n'était
étranger, mit ce projet à exécution. L'Angle-
terre désespérée n'échappa même à ses cou-
séqnences que par l'alliance de cette Espagne
si souvent offensée, et qui lui donna un allié
au moment qu'elle n'en comptait plus.


Déjà la détresse de la Grande - Bretagne
était à son comble : le projet formé contre elle
avançait rapidement ; elle périssait enfin , si
l'ambition &mesurée de celui qui fatiguait le
monde, ne l'avait sauvée de sa ruine, en unis-
sant. coutre lui les nations et les rois.


Combien le résultat de cette mesure est
plus certain aujourd'hui! Napoléon n'en sou-
tenait la durée que par effort, par la guerre
et la conquete; ici la pair et la légitimité.
l'assurent , les traités en sont garans ; ici il
n'est point besoin d'armées : l'accord des mo-
narques , une douane européenne, suffisent à
l'effectuer; l'Angleterre est vaincue sans com-
battre; eu vain déploie-i-elle ses mille pavil-
lons, elle ne trouve point d'alliés qui les sa-
luent , et le vaisseau de l'État, errant sur
toutes les mers, réalise le sort de ce navire
maudit qui dans sa course ne peut trouver
d'asile !


( ICI )
La liberté des mers est de droit universel;


le refus d'admettre aux avantages de la cité
tout être dangereux à sa sûreté, est également
du droit de tous. Voici que l'Angleterre
ennemie en toutes choses de toute raison so-
ciale, défend en réalité le premier de ces droits
au reste des nations, et prétend par violence
les contraindre à se désister du second.


Ce sont ces droits imprescriptibles qu'il
s'agit de rétablir; un blocus continental rem-
plit les conditions de l'affranchissement du
monde.


Quel effet ne produisit pas sur la situation
de l'Europe cette mesure temporaire ! quoi-
qu'imposée par la tyrannie, et souvent éludée
par la haine.


L'industrie prit un essor inconnu; ses procé-
dés importés d'Albion, apprirent aux peuples
tributaires à s'affranchir de sa dépendance ;
l'union momentanée de l'Europe ouvrit de
nouvelles sources au commerce, facilita les
relations des peuples; les sciences et les arts
leur servirent d'auxiliaires, et l'Angleterre, à
la paix, sentit une plaie profonde.


Que cette vaste mesure de prohibition gé-
florale.


, mesure à laquelle l'Europe, sous
peine d'une mort sociale, sera contrainte de
revenir un jour, devenue permanente, assurée




( 122 )
par l'union et aujourd'hui fondée sur la jus_
tice, achève ce qui ne fut qu'un essai.


On parle du progrès des lumières, du per-
fectionnement de l'esprit humain.


Tournez ces moyens à votre avantage ; qu'ils
atteignent, sans secours étranger et pour votre
profit seul , à tout ce qui est grand, utile et
glorieux.
_ Fai;es-vous un portage de vos trésors


gènes , échangez d'industrie, acclimatez sur
votre sol les produits précieux de l'univers ,
ne négligez point vos richesses véritables (1).


Vous vous étonnez de l'étendue du com-
merce de la Grande-Bretagne, et vous contri-
buez à sa prospérité par votre complaisance et
votre incurie.


Vous parlez de ses capitaux, et dociles.
comme si l'Ancien - Monde s'était vendu à
l'or du nouveau, vous souffrez qu'elle exploite
les deux univers.


niche qu'elle est des choses et de la repré-
sentation des choses, vous craignez le crédit
de l'Angleterre , et vous soutenez ce crédit
fiai' l'abandon du vitre; vous le transportez


fo) Vos fers , vos chanvres, la race de vos chevaux, etc.


( 123 )
dans le sien, vous le grossissez de votre ser-
vitude.


Vous vous plaignez de son influence, quand
vous n'opposez que des paroles à des actes, que
votre puissance reste amarrée au vaisseau bri-
tannique, que votre politique, traînée à la
remorque jusqu'aux murs de Westminster,
devient le jouet de son sénat.


Que l'Europe s'accoutume à ne compter
que sur elle-même pour sa grandeur et sa pros-
périté, et l'Europe sera puissante et respectée.
L'Angleterre n'est rien sans le continent ;
l'Angleterre , exclue de ses relations, bannie
de sa politique , tombe du rang où les désordres,
du monde l'ont placée, devient étrangère aux
nations : rien n'égale la chute rapide d'une
puissance commerciale délaissée.


Mais l'Angleterre aujourd'hui pourra seule
troubler la paix universelle. Oui, si quelque
nation veut partager le pacte fatal, et cette
nation eu sera bienuM. punie.


Ses finances lui suffisent , s'écrie-t-on; mais
ses finances tombent avec son commerce (r),


(I) L'Angleterre, en plaçant le pouvoir dans les capitaux,
amène ses adversaires sur son terrain ; elle doit y rester victd-
rieuse, non qu'elle possède plus de valeurs, mais parce que son
crédit est mieux établi.


Établissez Iule lutte militaire en telle partie du monde que cg




! x24 )
son crédit avec ses défaites : son crédit, elle
l'hypothèque sur l'univers , sui' ses produits,
sur ses "labiums : un revers, et sou crédit et le
monde lui échappent.


L'Angleterre a des floues, des armées.
L'histoire démontre que l'Angleterre ne put


rien achever de grand sans coalitions; laissée
à elle-même, chacune de ses entreprises fut
marquée par des défaites.


Chose remarquable et qui explique sa fai-
blesse, l'Angleterre ne remporta jamais aucun
tavantage considérable sans sans INor-
mands, sans Hanovriens , sans Cypaies.


Dans une guerre impolitique, où la justice
et le droit appuyaient sa cause, elle succomba
faute d'alliés.


soit, l'Angleterre à son tour ne peut la soutenir. Quelques vais.
seaux pi è.tés à l'Espagne eussent promptement décidé la cmse
de la légitimité dans le 'Notiveau-Moncle, et l'Angleterre fût de-
meurée sans crédit devant les armes.


La Légitimité enfin, sûre de vaincre par la guerre, doit étre
i, faillible:went vaincue à la bourse, où elle a contre soi .les
hommes et les choses.


Il est donc essentiel à l'Angleterre de pousser ses rivaux à
telle mesure qui leur ôte les moyens de vaincre. Ne cherchons
point ailleurs de cause à la conduite de certains po!i!iques ,
' rumens aveug l es, (poire je pense inuocens ; de sa Fei:.
dence particulière.


(iz)


"En moins d'un demi-siècle, les Anglais cau
nitulent à Closter - Severn,. ils capitulent à
Saratoga , ils capitulent au Helder; dans cette
fameuse journée où il ne se trouvait qu'un
étranger de trop, où .il ne manquait qu'un
Français de plus, où un vrai Français n'ose
former de voeux, du moins Voit-il avec or-
gueil la phalange anglaise ébranlée; l'ordre
de retraite est reçu], l'artillerie recule.... Trente
mille alliés paraissent et changent la destinée...
Mais l'Angleterre était vaincue.


Eh ! que pourrait l'Angleterre de positif
contre l'Europe unie ? quelques ports incen-
diés, quelques rivages dévastés: telles seraient
ses vengeances , plus prompte à regagner ses
v:.isseaux qu'à combattre.


La réalité seule est durable, tôt ou tard la
fiction s'évanouit , et personne ne peut con-
tester que la puissance et le crédit de l'Angle-
terre ne soient une fiction.


Usée dans ses ressorts, elle. ne se soutient
plus que par l'abus mêtne de sa constitution ;
au sein de la métropole, la diseurde civile est
proche; au dehors, ses colonies n'attendent
qu'un libérateur.; un seul acte l'exclut de la
communion sociale.


La vieille réputation de l'Angleterre, fon-
dée Su r une politique vieillie , ne peut plus




126 )
abuser que les dupes de la diplomatie ou les
partisans de ses trésors ; épuisée dans sa lutte
avec le géant, l'Angleterre céderait au pre-
mier choc , et le vainqueur ne serait surpris
Glue de la facilité du triomphe.


Cependant elle eu impose au monde: pa-
tronne de la révolte, devenue sa cliente, ,


elle
la suscite contre ]es rois.


Elle ose leur déclarer que la rébellion, elle
la protège; que la punir, c'est l'offenser, et
qu'elle lui promet secours.


Qu'eùt-elle fait de plus, si les rois eussent
pris l'initiative? Triste effet des demi-mesures;
leur déclaration eût suffi, aujourd'hui il faut
une réparation.


Qu'ils laissent l'Angleterre triompher, et
bientôt ses vaisseaux iront jeter l'ancre sous
les forts de Cronstadt, et ses pavillons ar-
borés sur les rives de la Seine qu'elle se flatte
déjà d'envahir (t), comme elle a fait le Tage;
viendront lui dicter des lois.


Le moment est décisif, elle perd ou gagne


(i) La Seine, rendue navigable jusqu'à Paris, ouvre la
France aux Anglais , rend ses ports inutiles et infréquentés,
et la perte de leur commerce amène la ruine inévitable de sa
marin(' militaire.


127
onde, et ce moment est aussi le seul gnit


es e à l'univers pour s'affranchir.
un in


Mieux qu'aucun autre, l'Angleterre sent sa
position; inquiète, elle se montre audacieuse,
et ses menaces et ses concessions trahissent
égalemen t ses espérances et ses craintes.


Sa politique tout entière se révèle enfin
dans trois mesures qui tendent à changer
le système du monde, ère nouvelle en morale,
en politique comme en rapports commerciaux.


L'Angleterre , que l'union menace, à qui
nuit la paix, a jugé l'instant venu de semer
la révolte et la division; l'oeuvre de l'alliance
sainte se développait , il était pressant de la
rompre: l'Angleterre a reconnu l'indépen-
dance des sujets, l'alliance des peuples contre
les rois.


Le coup était hardi , l'action dangereuse,
le succès hasardeux; l'Angleterre s'est repliée
sur elle-même, a concentré ses forces, calculé
les chances , supputé les dangers et nombré
ses rivaux; elle s'est résolue (1).


Le succès lui livre l'univers ; trois choses ,
e ncas d'opposition, menacent son existence :


(i) .,Te ne sais quelle part elle aura donné dam ses espé,
rances à l'indécision, à l'impéritie et à la vénalité.




( 126 )
une invasion favorisée de ses discordes intes-
tines, la ruine de ses colonies, un blocus
continental; à l'intérieur, l'Angleterre prend
ses sûretés; au dehors, elle tente d'en imposer
biux rois et aux nations, et la fraude, la eu pi_
dité, se couvrent d'une apparence de désin-
téressement et de franchise.


L'Irlande, fidèle à Dieu comme au monarque,
l'Irlande, toujours suppliante, toujours rejetée,
aujourd'hui l'Angleterre l'écoute, elle l'invite
à la liberté, elle provoque sa voix, elle ac-
cueille ses plaintes; les vieux défenseurs de sa
cause reparaissent sans blâme; ses plus obsti-
nés détracteurs, mieux. instruits, se désistent,
d'autres se sont abstenus.


Croira-t-on que l'Angleterre ait en un instant
oublié sa haine invétérée contre l'unité re-
ligieuse et l'autorité qu'elle qualifie odieu-
sement de papisme ; pensera-t-on que l'Ir-
lande , à ses yeux , ait assez expié le crime
(l'une double fidélité? Non; niais elle craint
l'impatience d'un peuple poussé à bout; elle
redoute une émancipation victorieuse; le fond
de ses discours parlementaires est empreint de
cet effroi; l'Irlande est un pays qu'il ne faut
point réduire au désespoir; l'Irlande, on l'a-
voue, était perdue si l'armée française y eût


( 12 9 )
pénétré (1); quoiqu'il suit permis de ne point
douter de .sa fidélité, vingt-cinq mille étran-
(rs pourraient s'en emparer aujourd'hui sans
éprouver d'opposition, la parcourir en tons sens
à volonté.


De là cette douce cette tendre
sollicitude, cette tolérance inaccoutumée ;
l'Angleterre, en un mot, craint pour son exis-
tence; il s'agit pour elle d'être ou n'être pas;
elle veut gagner du temps, attendre l'événe-
ment, et, protégée des promesses de l'émancipa-
tion, déclarer, selon l'occurrence, que les Irlan-
dais restent esclaves ou deviennent citoyens.


L'Angleterre voit de loin ses colonies mena-
cées, s'effraie au bruit de l'union continentale;
soudain, pour déconcerter ce double projet, elle
ouvre ses ports, le commerce du monde est
libre.


Ouvrir ses marchés, laisser le commerce li-
b•e, n'est-ce pas, pour l'Angleterre, appeler à
elle les produits et les capitaux de l'univers?


L'Angleterre exploite le globe et permet la
concurrence: quellegéuérosité ou plutôt quelle
déception ! Eu effet, quelle nation dispose libre-
nient où une autre donne la loi; et. quel peuple


(I) En 170.


9




( t 3o )
C ompte aujourd'hui des colonies, puisque l'An-
gleterre possède l'Afrique et l'Asie (1), et pré-
tend s'approprie r le 1‘.•oureatt-Mot.le. •


Où. sont les artnemens des autres nations?


Quel est leur cm édit commercial? Quelle con-
currence peut exister qu'elle ne domine? Sur
quel marché sou crédit n'aura-t-il ,.as l'aavn-
,ttage? Qui pourra même assurer le sien sans la
garantie de ses capitaux (2)?


,( 13r )
Elle l'offre , cette garantie, mais aux condi-


lions de sa politique, de sa puissance, aux cou-
ditions de la division: c'est te pacte d'asservis-
sement.


Est-cc aux rois, it la légitimité qu'elle dai-
gne l'accorder? ils reconnaîtront préalablement
la révolte, ils ratifieront ses actes , ou du


d'où vient que réduire l'intérêt des capitaux est chose dange-
reuse et impolitique, puisqu'au besoin ils pourront manquer
b l'état.


-


(t) L'Angleter re reconnaît l'émancipatiou des
républiques


de l'Amérique du Sud , protCge en Amérique nu empire ét.,bli
contre les droits de la métropole; les faits sont patens , niais on
ignore généralement, et peut-être le Portugal l'ignme-t-i l lui-


mêtnc, que ses établisseuiens du Bisao viinnent d'être enéla-
vé3 dans la capitainerie générale de l'Afrique occidentale:
est-ce une erreur géographique? l'Angleterre devrait l'ex-


pliquer.
• Ainsi l'avons-nous vue s'emparer, sans déclaration, de la
Nouvelle-Hollande et des îles nombreuses qui t'environnent.
Ainsi, sous le prétexte d'une communication utile à tous, elle
ouvre un chemin qui doit lui livrer le Japon , la Chine et l'Asie
entière : n'est-ce pas là dépouiller l'univers, et lui offrir la
liberté en rivant ses fers? n'es•ce point a;outer l'ironie à


l'offense?
(2) Les capitans de l'Angleterre, les capitaux des autres


puissances, sont de nature différente ; de là en tout des con-


séquences diverses.
Ici les capitaux ne sont point l'état; ils peuvent


s'y refuser:


En Angleterre, les capitaux, c'est l'état; l'état n'est autre
close qu'une compagnie solidaire qui exploite le monde ;
chaque actionnaire , dans cette situation, songe moins à l'in-
térêt des capitaux qu'à la masse même des capitaux dont la
solidité assure de plus grands profits; réduire l'intérêt est
donc véritablement l'enrichir.


Aussi cette opération arrivent certainement en toute entre•
luise nouvelle qui demandera d'immenses capitaux et pro-
mettra (le gros bénéfices; et k même ministre qui ouvre aux
capitaux le commerce des Amériques, en réduit justement
l'intél


Telle est la politique des finances.


En fait d'économie, les finances suivront évidemment la
même loi, les dépenses diminueront en proportion de Pinté-
têt réduit chez un peuple où les capitaux ne seront qu'une
propriété privée ; elles augmenteront, par cette réduction
même , chez celui où les capitaux sont l'état, oit l'état est
tout entier dans le crédit.


9..




( 132 )
moins resteront neutres dans cette cause
sociale.


Est-ce aux. particuliers qu'elle la concède?
Qu'ils cessent d'être citoyens ; que , devenus cos-
mopolites, le résultat de leurs efforts, de leur
industrie, s'identifie à ses travaux, s'ajoute à
ses richesses? à ce pris. elle sera généreuse.


Tel est le secret de cette liberté, si témérai-
rement vantée, prohibition véritable de tout au-
tre commerce que le sien, de tout autre crédit,
de toute influence étrangère à sa politique;
mesure qu'elle oppose à la prohibition conti-
nentale, comme la révolte à la légitimité.


Que si l'on doutait de la servitude qu'elle
veut imposer au monde, elle-même prend soin
d'en instruire.


ss Ce que Londres est à l'égard de l'An-
gleterre, ce que Paris est à l'égard de la


55 France, l'Angleterre, grâce à ses eapitaux,le
5> deviendra à l'égard 'da monde; nous serons
55 les créanciers hypothécaires,les propriétai,-
» res réels des plus belles provinces du monde;
5> nous aurons des colonies sans le fardeau de
55 leurs dépenses. ( Discours d'lluskisson.)


D'où l'on peut conclure:
Premièrement, que les peuples, sous peine


de compromettre leur existence politique et
commerciale et de devenir les débiteurs hypo-


( 133 )
Mécaires, les simples tenanciers de l'Angleterre
au profit de laquelle ils soutiendront seuls le
fardeau des dépenses, dans leurs provinces
devenues ses colonies, doivent s'opposer de
toute la force de leur puissance et de leurs ins-
titutions , à cette liberté prétendue, dont elle
leur signale les conséquences (I).


Secondement, que toute alliance étroite de
finances avec l'Angleterre, est, pour les souve•
vains, incompatible avec le pacte continental
et contraire à la sûreté des peuples et des
rois (2).


Enfin , que toute union de crédit avec l'An-
gleterre de la part des particuliers , est verni-


(i) Peuples, vous l'entendez, soyez tributaires: Russes,
Français, Espagnols, cédez vos provinces et vos trésors, on
vous permet de tes offrir.


L'Angleterre ne vous dit pas même : Venez partager le
monde, mais assistez eu partage du monde.


Qu'on admire maintenant la simplicité des adresses du
commerce, et du commerce qui se croit l'état I


(a) rani:ince des rois s'appauvrit de tout le crédit accordé
à l'Angleterre, et s'affaiblit en raison de son influence.


En un mot, s'unir de crédit avec l'Angleterre qui se dé-
clare contre les rois, c'est déserter leur alliance.


Emprunter son crédit, c'est se mettre à sa disposition; lui
livrer son crédit, c'est vouloir sa propre ruine.




( 134 )
cicuse à la patrie et met en péril les devoirs de
citoyen.


L'Angleterre comprend ces vérités; sous une
apparence d'audace, son anxiété est extrême :
l'Angleterre doit reculer devant l'union.


Mais alors elle ne s'avouera point vaincue, et
sous la protection de cette fidèle alliée, la ré-
volte entrera eu condition avec les rois.


Traités insidieux'. pactes pernicieux aux
monarchies!


Qu'assurant l'émancipation pour les î,rou-
vernemens illégitimes qu'elle vient de recon.
naître, ngleterre consente à les voir régis par
des princes sortis du sang de leurs maîtres lé,
gitimes (t); que , de l'aveu de tous , un pareil
accommodemen t sanctionne et ratifie en fait
une action criminelle en principe.


(t) Je ne pouir,iis soupçonner que les rois consentissent à
partager les dépouilles d'un allié.


L'antiquité parle d'un temple dont le prêtre, tout ensemble
pontife et roi , devait ê:re un esclave fugitif , un meurtrier qui,
par surprise , eût mis à mort son prédécesseur, lui-même de-
venu monarque par un crime et aux mêmes conditions.


Vrais esclaves de l'ambition et de la cupidité, les rois en at,
ti•iitant aux droits sacrés d'un monarque, établiraient à leur
egard celui de la trahison et de la violence.


L'autorité touiours en péril, incessamment menacée, n'au-


( 13; )
L'Angleterre garantira-t-elle l'avenir ? La


possession du trône ne sera-t-elle qu'un fidéi-
commis, et quelque secret de sa politique ne
lui en assurera-t-il pas la reversibilité ?


Je crois assister au testament d'Attallc : se-
rait-ce à ces conditions que l'Angleterre vou-
drait traiter, Attalicis conditionibus (i)?


Un jour verrait-il l'héritier des monarques (a),
chargé de fers, pour avoir tardé de lui remettre
la couronne de ses aïeux ; un nouvel Aristonicus
devrait-il orner les triomphes de la nouvelle
ennemie des rois?


Loin de nous la pensée de détourner la clé-
mence; il ne rions appartient point de récla-
mer la rigueur ; nos voeux appellent la récon-
ciliation du prince et des sujets; mais que la


rait plus désormais de sûreté, et la succession des empires, ac-
quise au même prix, serait semblable à celle de l'odieux sacer-
doce dont l'histoire ne nous instruit qu'en témoignant son
horreur.


(t) Aristonicus , fils d'Eumène, ayant voulu revendiquer
le royaume de Pergame , laissé, par le testament d'Anale, aux
Romains , fut vaincu , conduit à Rome en triomphe et mis à
mort dans sa prison; en revanche, Macharés, fils de Mithri-
date et roi du Bosphore, n'eut pas plutôt trahi son père, qu'il
fut reconnu roi, allié et ami du peuple romain.


(2) Un Bourbon.




ktee;\..
( 136 )


tévol slumiliel tuais qu'elle implore ! mais
que l'Angleterre se rétracte!


Que les monarques enfin lui laissent la po.,
nique perfide et ambitieuse d'une république
fameuse; mais qu'ils gardent pour leur salut,
cette maxime fondamentale d'un sénat de rois:


De ne jamais faire d'accord, de ne ja-
)) mais traiter avec leurs ennemis tant qu'ils
» campent sur leur territoire. »


137 )


CONCLUSION.


Cependant, quel tableau présente l'univers,
quel spectacle offert aux hommes!


« D'un côté, dit nrrpubliciste, comme pour
» un dernier combat , s'unissent les dogmes
» de la révélation et de la légitimité, Dieu
» et les rois; de l'autre , se liguent ceux de
» l'indifféœnce athée, l'Enfer et la révolte. »


En effet, qu'on ne confonde plus les temps!
Dans les derniers combats livrés aux souve-
rains, un usurpateur aspirait seulement à se
placer au rang des rois; ici, l'usurpation at-
tente au principe même de, la légitimité (1).


La révolte arrache pièce à pièce leurs insi-
gnes aux. Souverains; aujourd'hui elle demande


(t) Depuis trente années , les rois n'ont réussi que pur la
fiancbise; il ne s'agit plus ici de prépondérance, de supréma-
tie : la prend&c condition aujourd'hui, c'est d'are. L'usurpa-
teur, qui ne fut pas un rebelle , traitait ave. les monarques; la
révolte ne traite point avec les rois, ou traite-t•elle? ses condi-
tions sont les fers, l'échafaud.


I1 m'en coeite . de parler ainsi et dans un tel moment; mais
quand tout devient péril, ta flatterie est trahison , le silence
complicité.




( t38 )
leur main de justice; demain elle brisera


-leur
'Jeep Ire.


Élevons-nous aux plus hautes vérités.
Le principe auquel les rois doivent leurs


droits, est un et absolu ; sous peine de périr,
ils ne peuvent s'en écarter, tuteurs naturels
des peuples , les rois ne doivent rien céder
aux maladies du siècle ni aux caprices de
leurs sujets.


Les vois sont du temps, et doivent la justice
dans le temps (il.


Le devoir des peuples est d'obéir ; il est
nal urel de %oir périr un peuple par la déso-
béissance ; il serait monstrueux qu'un peuple
pérît faute d'ordre , faute d'être commandé.


Régner, est le droit et le devoir d'un roi :
le droit cesse où les devoirs ne sont plus
remplis.


Justice ou révolution , crie la Providence
aux rois enfermés dans nn cercle plus impé-
rieux que celui de Popilins.


(r) Ils ne peuvent point différer le bien, clans l'intérêt de
km.5


peuples et de leur propre salut.


L'abandon d'un Charrette et d'un La Serna ne se fait point
impunément, et dis trônes s'écroulent contre l'effort de vingt
sois, que la main d'un de ces guerriers eût à temps soutenus.


( 139 )
Que les monarques le comprennent : la


Providence, en les avertissant, veut d'avance,
comme si elle craignait le reproche , s'ab-
soudre de leur ruine; mais, dans leur ruine
même, la Providence ne sera point restée en
défaut , les droits auront cessé avec l'abandon
des devoirs.


Que les rois se hâtent donc de faire au
nom de la légitimité ce qui justifierait la ty-
rannie.


Si l'amour déplaît, si le dévouement fatigue,
si le zèle a je ne sais quoi qui désoblige, que
les monarques consultent leurs yeux , qu'ils
en crovent leurs ennemis.


Es triomphent à la vue de la discorde ; un
rebelle les fait hurler de joie : la perfidie est
leur alliée, et la révolte leur amie.


C'est peu que de menacer, leur insolence
monte jusqu'à parler de clémence; pour se
ménager les excès, ils accusent déjà les rj-
sistances.


Si le pouvoir enfin n'eu réprime l'audace,
l'édifice de division doit s'achever plus promp-
tement que ce passage jeté de l'abîme à la
terre, par les eufans de l'Enfer, la révolte,
la mort.




ifto )
Les rois diraient-ils à la rébellion: sois la


bien venue! Devons-nous entendre une voix
funeste nous crier : les rois s'en vont!


Déjà quelle voix que celle du passé; quel
exemple que celui des révolutions de l'ancien
monde ! quelles leçons offrent celui du nou-
veau.


ss D'où


vous vient, puis-je dire aux mo-
» nargues en empruntant ici le langage de
g l'Angleterre (r); d'où vous vient cette sécu-


rité, quand on brise/
eu Amérique, la sta-


» tue d'un roi, quand on dévoue son nom
» à l'outrage? »


Paroles prophétiques et que l'événement n'a
que trop justifiées. Eh quoi! l'on ne doute
point que cet attentat des sujets à la personne
des rois n'ait provoqué en France le plus
grand des crimes , le régicide que la révolte
du Nouveau-Monde n'ait produit dans l'an-
cien cet ébranlement qui fit crouler trône sur
trône , et l'on ne tremble pas devant l'a-
venir !


Nous osons hautement le proclanzer: ce
que fut à la France la révolte partielle des
États-Unis, l'émancipation illégale de l'Arne-


(1) En 1773, à l'occasion de la révolte tic ses provinces.


( 141 )
rique entière couverte du beau nom de li-
berté , le sera pour l'Europe menacée.


Terrible manifestation, comme si le ciel ne
voulait point laisser d'excuse à l'indifférence (1):
ici même théâtre, mêmes héros, l'histoire vi-
vante élève la voix.


Cette république qui décora ses fondateurs
pour avoir combattu les rois, les couronne au-
jourd'hui d'un laurier qui les brave.


L'émule de -Washington (2), assis au sénat
de la Nouvelle-Angleterre , attend avec lui
l'accomplissement du destin.


Les rois et les sujets, la révolte et la légiti-
mité sont en présence.


Les 'monarques s'avouent-ils vaincus!
Eh bien! reconnaissons : ss que l'insurrec-


tion est le plus saint des devoirs (3)!
Honneur au peuple qui revendique ses droits.
Gloire au héros libérateur, au vétéran des


révolutions vo.


(i) Quelle effrayante révolution que celle qui surprit un
peuple imprévoyant, une cour enivrée au milieu des chants de
Boufflers et des accords.de


(2) C'est aux rois à fixer l'opinion sur cet homme célèbre;
quant à nous, nous ne nous défendons pas d'admirer son ca-
ractère, la constance do ses principes et sa franchise politique.


(3) (4) Paroles historiques.




( I4. )
Que la couronne civique pare sa tête, qu'un


monde saintement libre, apporte a ses pieds
. ses tributs (l'amour ; que sa vieillesse préside au
bonheur d'un monde régénéré!


11 a rempli ses desseins: les peuples ont con-
quis les rois (i).


Que les peuples reconnaissons le cé!èbrent
d'âge en âge, et que l'histoire répète, que les
héritiers de Charlys-Quiet, de Louis XIV, de
Pierre •1e-G rand et de Frédéric, ont reculé de-
Nontle soldat citoyen !


(t) Paroles historiques.