2.)
}

TOME SECOND


2.)PARI


Alfieri. De le Tyrannie.
Arioste. Roland furieux
Beaumarchais. Mémoires. 5


Barbier. mariage de Figaro 2
Beccaria. Déliu et Peines
Bernardin d. Saint - Pierre.


Paulet
Boileau. Satires. Lutrin
— et poétique. Spores
Bossuet. Oraisons funèbres t
Bou Mare. (Encres choisies— I
Brillai - Siatarin. Phl biologie


du Goût.
Byron. Corsaire. Lam etc '
Cazotte. Diable amoureux..
Cernantes. Don Quichotte
César. Guerre des Gaules


'-ores choisies •


noya-


Diderot. Romans et Contes.... 3
— Mélanges philosophiques—. 1
Dacie». Sur les Moeurs I
Emme Eloge de ta Pelle t
Epictiia. Dioxlmea I


. Dialogue des Morts. 1
Foe.nte Robinson


nelle
Cruitné 4


F


Féne lon Télémaque D
— Education des Filles 1
Florian Fables


1


—Pluralité des Mondes. I
— Histoire des Oracles I
,i'aithe. %Vernier 1
— Hermann et Dorothée
- Fans) t


G 0 Idem ith. Le Met Ire de Wake-
field °


Ge eue& Ver-Vert. Méchant I
Hamilton. Même '''• Cheva-


lier do Grain"
grande.. VI"


1


BIBLIOTHÈQUE NITIONIL13..AT OLUMES A 25 -1


CATALOGUE GENERAL


• ,./.%


z9 (-1; ^ a^e cul ait , ,


r e BIBLIOlien NATIONALE
CeLLEcriox DES ME ILLEURS AUTEURS ii iin , ENS ET MODETUZZ


MIRABEAU
SA VIE


SES O PINIONS ET SES DISCOURS


fait


A. VERMOREL


7,IBRA TRIE DE LA BIBLIOTIIkQUE NATIONALE
2, RUE DE VALOIS., PAL S


•no •AL, 2


1881
Tous droits réservés kit) (Oci




M I RAB EAU


SA VIE


SitS OPINIONS ET SES DISconas


DES LETTRES DE CACLIPT ET DES FRISONS D'ÉTAT


(SCITE)


CHAPITRE vU.


Preuves de fait. — L'autorité limitée a toujours été
la plus stable. — Le gouvernement ne peut craindre
en France que ses propres exces. — Le despotisme a
toujours produit les révolutions et la réunion des
trois pouvoirs lép,islatif. exécutif et judiciaire a tou-jours produit le despotisme.
Si l'on en croyait les déclamations des écri-


vains soudoyés par le despotisme, ou les pré.
jugérde ces nobles tout fiers de servir un
maitre, de ne reconnaître d'autre loi que sa
volonté, et qui, de la meilleure foi du monde
Le s'estiment respectables qu'en raison de leur
servitude plus ou moins étroite, il faudrait
absolument conclure que les constitutions li-




bres sont un volcan inépuisable de conspira
tions, de révoltes et de crimes, et que les
hommes' sont plus méchants à mesure qu'ils
sont plus heureux, puisque ces esclaves lâches
ou crédules n'attendent de tranquillité, de
bonne police, de sûreté pour les peuples et
leurs chefs, de puissance, de force et même
d'honneur que de l'autorité irrésistible d'un
monarque absolu. Cependant tous les monu-
ments historiques attestent que les peuples
les plus libres de la terre ont été les plus ver-
tueux; que jamais autorité ne fut plus instable
que le pouvoir arbitraire. et que le trône du
despotisme est sans cesse ensanglanté, tandis
que, dans les monarchies limitées, la loi pro-
tege le souverain aussi bien que les sujets.


Les troupes réglées, les armées perpétuelie-i
n'ont été, ne sont et ne seront bonnes qu'à
établir l'autorité arbitraire et à la maintenir.
La force dont elles sont la cause et l'effet,
l'origine et l'instrument, est l'unique ressource
des despotes. Il est vrai qu'elle est aussi
l'arme de ceux qui veulent les renverser, et
lorsque les libertés d'un peuple sont envahies,
peu lui importe le changement de maître,
pourvu que la révolution ne frappe que le
trône et les armées. Souvent même il hait as-
sez son despote pour se réjouir des maux pu-
blics et désirer les succès de l'ennemi. Mais
les inconvénients du régime militaire et le
despotisme sont les parties nécessaires du
manie tout. Les oppresseurs craignent les op-
primés; ils sentent qu'ils n'ont d'autres moyens
pour maintenir un gouvernement illégal que


' le tranchant du glaive. La corruption, la vé-


nalité préparent les chaînes d'un peuple libre;
mais c'est et c'est seulement la puissance
légionnaire qui unit les chaînons et les rive.
Les ministres sont tout autrement hardis à
Imaginer et a exécuter des projets d'oppres-
sion quand ils se voient entourés d( plusieurs
milliers de satellites, que lorsqu'il leur faut
lutter contre des hommes libres par l'adresse
et la ruse dépourvues de la force. E.tfin, tant
que les projets arbitraires d'un prince mûris-
sent dans l'ombre d'un cabinet, ou que ses en-
treprises déguisées circulent par l'effort de ses
émissaires désarmés, des patriotes clairvoyants
peuvent démasquer cet édifice de corruption,
et le peuple détrompé arrête aisément les
hommes pervers qui ourdissent sa ruine : mais
s'il s'accoutume à voir des bandes mercenaires
près de ses paisibles foyers, il sera bientôt as-
servi : il le sera même sans combats; car
lorsque les hommes voient tourner contre eux
les épées qu'ils ont imprudemment laissé lever
pour leur defense, ils sont frappés de terreur,
et laissent renverser la constitution plutôt que
d'en être les martyrs. N'admettez aucune ex-
ception à ces principes, ô vous nations fortu-
nées, qui avez su vous préserver de la conta-
gion tunverselle Pour peu que vous vous
relâchiez sur la continuelle vigilance qu'exige
la conservation de la liberte, vos chefs s'enri-
chiront de vos négligences et de vos pertes.


Les plus faibles innovations en ce genre
suffisent pour fonder le despotisme; jamais
les prétextes ne manqueront pour augmenter
l'armée, lorsque vous aurez autorisé son exis-
tence : le pouvoir arbitraire s'élèvera en ram-




— 6 --
pant jusqu'à ce qu'élevant sa tête altière, il
brise de son. sceptre de fer vos privilèges et
vos libertés.


.n•••n•n


CUAPITRE VIII,


F:, -1 où la monarchie est illimitée le hasard seul
préserver de la tyrannie.— Le gouvernement


f ., ..p›sse d'etre responsable des inconvénients parti-
culiers nue lorsqu'il n`interveriit pas le cours des
lois. — S'il prétend tout faire par Iiii-méme, le des-
potisme et toutes ses suites sont inévitables.


On croit trop communément que la liberté
existe là. où it n'y e point de tyrans, et cette
erreur est très dangereuse. Après avoir rap-
pelé les horribles exactions de Verrés et des
proconsuls romains , Mirabeau poursuit :


Mais qu'y a-t-il de commun entre nous et
ces horreurs? Rien que ce qui y conduit in-
failliblement: L'ARBITRAIRE.


Ce n'est pas parce que les triumvirs étaient
cruels qu'ils furent absolus; parce qu'ils
étaient absolus qu'ils furent cruels


Nous sommes loin encore de ces excès de
tyrannie.....


Oui, parce qu'il répugne à. nos moeurs de
verser le sang ; mais les moeurs peuvent chan-
ger, et elles changent tous les jours ; et le
despotisme les a rendues dans tous les temps
molles et atroces :


LiIT COUPABLE DE TOUTES


7 —
LES INJUSTICES ET DE TOU LES CRIEE2. DES MOMIES;
c'est le sage Polybe qui parle ainsi. D'ailleurs,
j'ai déjà dit que la mort était la plus aiguë
des souffrances; mais la plus courte et la moins
cruelle. Visitez les prisons (vous apprendrez
dans cet ouvrage ce qui se passe dans celles
où l'on ne peut pénétrer), parcourez les cam-
pagnes, observez nos colonies ou le gouver-
neur et les intendants sont précisément absolus;
vous verrez à quoi se réduisent notre pitié et
notre modération; vous verrez si jamais au-
cun pays éprouva des concussions plus atro-
ces. Nous sommes loin des abominables spec-
tacles que Cicéron nous a peints d'une ma-
nière si touchante. Parce que nos préteurs ne
tiennent pas encore le glaive; mais le jour où
ce sera le bon plaisir du Roi , ils le tiendront.
Parce que le pouvoir judiciaire est encore sé-
paré du pouvoir exécutif dans les cas ordinai-
res ; mais les exceptions se multiplient sans
cesse


Après tout, n'avons-nous donc jamais eu de
Verrès?


C'est ce que nous examinerons bientôt;
mais en attendant, je dis : si le gouvernement,
attirant tout à lui, se mêlant de tout, voulant
tout inspecter, tout diriger, tout ordonner,
compliquer et multiplier tellement les détails
et leedétailleurs que ses chefs ne soient plus
que ae simplc4 préposés aux signatures, et se
trouvent abîmés dans la plus profondeanarchie,
à fore d'avoir tendu tous les efforts de l'auto-
rité; si, comme l'a dit un écrivain moderne,
tes ministres vendus dans leurs reeloulable_s eabi.
nuls voient mettre a l'enenere kurs audiences,




leur repos, leur sommeil, leurs distractions ; si
l'intrigue et la corruption ont gagné depuis
les plus nauts rangsjusqu'aux derniers; si nous
adorons et les gens en place et leurs affran-
chis, si nous prostituons nos hommages a
Leurs esclaves parvenus et tenons à honneur
d'être en relations avec leurs valets; si l'on
voit parmi nous d'un côté la hardiesse et le
pouvoir de tout faire impunément, et de l'au-
tre, la crainte de parler même pour le bien
publie qui ne touche personne, et dont le
désir, proscrit sous le nom d'enthousiasme,
est devenu le premier et le plus dangereux
des ridicules; enfin, si le gouvernement mili-
taire est généralement établi, nous ne sommes
pas loin des derniers excès du despotisme....


OMM


CHAPITRE IX.


Réfutation d'un principe de Montesquieu, qui croit
qu'en certains cas il faut suspendre la liberté.


Pour moi, j'ai beau chercher les moyens de
justifier la prérogative par laquelle l'homme
Œu monde le plus innocent peut se voir à
tous les moments dépouillé de sa liberté sans
un décret juridique, et conforme aux maximes
générales du code public, j'avoue que je ne
trouve rien. J'ai beau me demander quel peut


_ g —
être le délit d'un citoyen qui, ne pouvant rece-
voir sa condamnation par les lois, est constitué
et détenu prisonnier pai un ordre particulier du
souverain, lequel dés lors n'est plus l'exécuteur
des lois, .nais un maître oppresseur, et, pour
parler nettement, un TYRAN qui, par un abus
odieux de son pouvoir, les réduits au silence
au gré de ses fantaisies et de ses passions; je
reste sans réponse; car en est-ce une que cet
obscur intérêt d'Etal qu'il est impossible de dé-
finir, et qui se trouve en contradiction avec
celui des sujets? L'intérét de l'Etat est d'être
régi avec équité : l'intérêt du prince est celui de
l'Etat. Lorsque les lois sont en vigueur, lors-
qu'aucun particulier n'est distrait de ,fis juges
naturels, on peut se croire libre, parce qu'on
n'est soumis qu'a une puissance fixe et déter-
minée; parce que Je juge n'a pas la force d'un
oppresseur.


CHAPITRE X.


Police des grandes — Exemple de la Hollande
et de l'Angleterre.


Mirabeau prétend prouver dans ce chapitre
l'inhabileté de la police, il cite à l'appui l'exem-
ple éclatant de la Hollande, puis, faisant un re-
tour d'Amsterdam et de Londres à Paris, il
s'écrie :


Applaudissez-vous de votre police, ô Pari.
iens! la malpropreté de votre peuple et de


1


1




— —


vos rues nous infecte; vos maisons exCessive•
ment exhaussées interceptent le cours de l'air,
ou follement suspendues sur les eaux elles eU
arrêtent les vapeurs, et vous menacent conti-
nuellement de votre ruine. Vos marchands de
vins vous empoisonnent; on tend à vos santés
et à vos bourses les piéges les plus multipliés
et les plus dangereux; des préjugés extrava-
gants et funestes se maintiennent par voie
d'autorité ou d'intrigue; vous apportez chaque
jour dans vos salles de spectacle, ridiculement
construites, l'insalubrité la plus dangereuse.
Vous êtes faibles, infirmes, malsains; votre
vie est courte et malheureuse, et de plus, vous
êtes esclaves. Mais en revanche, on sait à
point nominé ce qui se dit, et dans vos cafés,
et même dans vos maisons; on retrouverait
un homme au centre de la terre; vos espions
sont fort industrieux, et vous recouvrez assez
facilement vos bijoux , lorsque tous payez
mieux que les filous qui les ont volés




0 Parisiens! enorgueillissez-Yetis de votre SU-
blime police. Mais puisqu'une ville qui con-
tient plus de deux cent mille '<limes, puisqu'une
autre ville plus grande que Paris, puisqu'un
royaume peuplé de sept à huit millions d'ha-
bitants, subsiste, fleurit et prospère, sans tont
cet appareil du despotisme qui nous fait trai-
ter d'esclaves par les étrangers, sans le secours
de ces ordres tyranniques toujours prêts à
frapper indistinctement tous les citoyens, mais
surtout tes faibles. selon le bon plaisir des mi-
nistres qui conteraient leur propre intérêt avec
celui du souverain, commue si l'un ne pouvait
pas être opposé à l'autre; je soutiendrai tou-


— Il
jours qu'il est insensé de croire que notre police
et DOS lettres de cachet soient essentiellement
nécessaires a la société.


CIL:PI:RF. XI.


ta prérogative des emprisonnements arbitraires et
indéfinis vonsuieree routuveruent aux particuliers.
Est-il des crimes qui ne doivent point etre révélés?—
tknuposition des prisons d'Étal. --Effets qui doivent
résulter de ce séjour, oti l'oppression égale tout et
tous, soit que les prisonniers se communiquent, soit
qu'ils ne se communiquent pas. — Maisons de force.


CHAPITIΠXII.


Point de vue sur notre histoire depuis Philippe le Deljusqu'à nos jours.
Nous avons déjà vu comment •Itlirabeau


juge Richelieu et Louis XIV; nous n'insistons
pas.




-12— —
— 13 —


CHAPITRE X:II.
CHAPITRE XIV.


Les lettres de cachet menacent plus encore les aras',
c'est-à-dire ceux qui les invoquent, que les petits ; etpeuvent l'épouiller les uns et les autres de tout ce
qu'ils possédent. — L'esprit de corps et la jalousie
des différents ordres de l'Etat soutiennent le despo-
tisme. — Les formes légales Sont une sauvegarde
nécessaire à la liberté et à l'innocence. — Le bien
mémé qu'on peut faire par des voies illégales est
funeste a la société.


Sous quelque point de vue qu'on envisage
l'administration et les administrateurs igno-
rants ou éclairés, intègres ou corrompus ; il
importe infiniment à la société que le droit de
chaque individu soit protégé, non par une
force particulière dont l'action illégale blesse
les droits de la communauté , mais par les
forces réunies de cette société; c'est-à-dire
en vertu du pouvoir souverain réglé par les
lois qui, selon l'expression du sage Loke ,
s'est illimité que pour le bien, public. Or, on ne
peut demander à qui que ce soit, sous le pré-
texte du bien public, le sacrifice de la liberté
naturelle, puisque la société s'est engagée à
la maintenir.


Si les lettres de cachet confondent l'innocent et le cou-
pable, c'est une raison suffisante pour abolir à ja-
mais cette méthode; car toute méthode qui tend à
sacrifier un innocent. fût-il seul contre tous, h un
prétendu intérêt public, est tyrannique. —Les lettres
de cachet ne sauvent point la honte aux familles en
soustrayant les coupables à la société et aux tribu-
naux


On voit que les titres de ces chapitres sont
de véritables déclarations de principes qui
peuvent nous dispenser de tous autres déve-
loppements. Nous passons maintenant à la
conclusion.


Après avoir protesté que,.victime lui-même
du despotisme qu'il dénonce, n'a poursuivi, en
écrivant ce livre qu'un unique objet, ruti-
lité, Mirabeau fait cette profonde réflexion:


Un grand symptôme de servitude et de cor-
ruption, c'est lorsqu'un peuple n'a plus le cou-
rage, ou même l'idée d'applaudir a ceux qui
osent discuter ses droits les défendre : c'est
lorsque l'esprit de l'esclavage est assez enraciné
pour que l'on regarde de bonne foi comme des
fols ceux qui lui résistent et affichent d'autres
principes. Cette sorte de folie sera peu com-
mune dans de telles circonstances ; car quel
encouragement reste-t-il h ceux qui ont des
intentions droites et des sentiments patrioti-
ques, lorsque, loin d'être sûr de l'approbation
publique, ils le sont autant d'être condamnés






par leurs concitoyens que d'être persécutés
par le gouvernement? Il ne leur en reste au-
cun, si la hauteur de leur âme ne leur fait
trouver un salaire digne d'eux dans le conten-
tement de leur conscience: cc consolateur ca-
ché, qui crie plus haut que la multitude et la re-
nommée, et qui, sans compter les suffrages, l'em-
porte seul sur tous les avis ; il ne leur en reste
aucun, s'ils ne savent pas dire avec deux
grands hommes de l'antiquité : Essayez vos
menaces de mort et d'exil sur ceux que vous pou-
vez épouvanter; sois l'esclave de la fortune, qui
fait dépendre d'elle ses espérances, ses démarches,
se pensées : mais pour moi, tout ce que me pré-
Pare l'ingratitude de ma patrie, je le recevrai
sans résistance et nténee sans répugnance




LE
TYRAN HE FERA CONDUIRE, OU?... OU JE VAIS...


L'ouvrage sa termine par ce touchant envoi
à son fils qu'il avait eu de madame de Mira-
beau, et qui mourut pendant la captivité de
son pére au donjon de Vincennes, en septem-
bre 1778 :


Et vous, mon fils ! que n'ai point embrassé
depuis le berceau, vous dont j'arrosai de lar-
mes les lèvres agonisantes le jour même où
je fus arrêté, avec un serrement de coeur qui
m'annonçait que je ne vous reverrais pas, j'ai
peu de droits à votre tendresse , puisque je
n'ai rien fait pour votre éducation ni pour
votre bonheur. On m'a arraché à ces doucesjouissances ; ainsi vous ne savez pas si j'au-
rais ét' un bon père. N'importe : vous vous
devez â vous-même et vous devez à vos en-
fants de respecter ma mémoire. Quand vous


— 1:5 --
lirez ceci, je ne serai probablement plus; male
vous trouverez dans cet ouvrage ce qui et
moi fut estimable : mon amour pour la véritE.,
et la justice, ma haine pour l'adulation et la
tyrannie. Oh t mon fils! gardez-vous des dé-
fauts de votre père , et que ses fautes voie
servent de leçons ; gardez-vous des excès de
cette sensibilité brillante qui fit sa félicité .
mais aussi son infortune , et dont il a peut:
être mis le germe dans votre sang. Mais imi-
tez son courage ; jurez une guerre éternelle
au despotisme. Ahl si vous devez jamais être
capable de le ménager, de le flatter, de l'in-
voquer, de le servir, puisse la mort vous mois,
sonner avant l'âgel... Oui! c'est d'une voix
ferme que je profère ce voeu terrible \lon
enfant 1 aimez vos devoirs; aimez vos conci-
toyens; aimez vos semblables; aimez, si vous
voulez être aimé. Ce sentiment est le seul qui
rende l'homme capable d'une joie vraie et du-
rable; c'est l'antidote des passions dévorantes,
et le remède unique du chagrin de se voir dé-
périr sous les coups du temps... Est-il néces-
saire de faire un précepte de l'amour de ceux
à qui l'on a donné la vie ? Elevez-les par l'at-
trait du sentiment , si vous voulez que leur
âme' réponde à la vôtre. Apprenez, mon fils,
et n'oubliez jamais que vous n'aillez de droit
sur eux qu'en proportion de vos devoirs, et
de la manière dont vous les aurez remplis;
que vous seriez un monstre dénaturé si vous
étiez plus sévère envers eux que les lois, et que
les lois proscrivent dans tous les cas les ordres
arbitraires ; sachez enfin que, pour qu'ils fas-
sent votre bonheur, il faut que vous vous occu-




piez du leur, et soyez plus heureux que votrepère (1).


Parmi les travaux do Mirabeau pendant son
séjour à Vincennes, Il faut encore citer lesMémoires ei ministère du duc d'Aiguillon, ou—vrage dont une partie du moins fut écrite parMirabeau, et qui fut achevé et remanié par


compilateur Soulavie. Outre des détailsintéressants sur les intriguesdes ducs de Choi-
seul et d'Aiguillon et de madame du Barry,
ce livre contient des conseils remarquables depolitique et d'édilité, relatifs notamment aux
moyens d'embellir et d'assainir la capitale, en
procurant en même temps de l'ouvrage auxindigents.


A peinexcursion Vincennes, Mirabeau vafaire une en Suisse, où l'attire le be-
soin de tirer parti de deux de ses manuscrits,les Lettres le cachet et l'Espion dévalisé. Tou-jours occupé des intérêts publics, il examine
et juge en courant le système des douanes
établies par les deux pays contigus, et il écrit
sur ce sujet, au con troleur général Joly deFleury, parent de sa. mère, un Mémoire, où ilétablit les principes de la liberté du commerce;il montre que le régime des restrictions et des
prohibitions est nuisible aux intérêts indus-
triels et commerciaux de la France. Une autre
démarche signale son passage en Suisse. Il ne
peut voir sans émotion et sans sympathie la
position difficile de Genève, tiraillée entre lesprétentions envahissantes de la Savoie et la


(1) 11 n'etait déjà plus, mon enfant, lorsque je luidestinais cet ouvrage. Et je ne le savais pas! Et lapremiers nouvelle que l'ai aperie de mon fils, a
-telle de sa mort!
{Note de Mirabeau.)


—17 —


protection Intéressée de la France. il' adresse
au mi nistère franc ais un Mémoire, pour le prierque cette protection de partiale et oppressive
.evienne généreuse et tutélaire, indiquant les
mesures par lesquelles il serait possible de
préserver Genève des malheurs dont elle était
menacée et d'y rétablir l'ordre et la paix.


Il faut remarquer avec M. Lucas-Montigny
que c'est mi milieu des tribulations et des
angoisses domestiques, que Mirabeau se
constituait spontanément non-seulement de-
vant le publie, mais devant l'autorité mère,
l'avocat des vrais principes politiques et
l'apôtre de la liberté.Après avoir terminé ses procès devant le
parlement d'Aix, Mirabeau alla faire un voyage
en Angleterre. il rend compte de ses impres-
sions dans une lettre adressée à Champtort :


Je ne suis pas enthousiaste de l'Angleterre,
et j'en sais maintenant assez pour vous dire
que si sa constitution est la meilleure connue,
l'administration en est la plus mauvaise pos-
sible et que si l'Anglais est l'homme social le
plus libre qu'il y ait sur la terre, le peuple an-
glais est un des moins ltbres qui exitent
Mais qu'est-ce donc que la liberté, puisque le
peu lei s'en trouve dans une ou deux lois
place au premier rang un peuple si peu favo-
risé de lanature Que ne peut pas une cons-
titution, puisque celle-ci, quoique incomplète
et défectueuse, sauve et sauvera quel que temps
encore le peuple le plus corrompu de la terre
de sa propre corruption? Quelle n'est pas l'in-
fluence d'un petit nombre de données favora-
bles à l'espèce humaine. puisque ce peuple




— —


ignorant, superstitieux, entêté (car il est tout
cela), cupide et très voisin de la foi punique,
vaut Alleux que la plupart des peuples con-
nus. Darce qu'il a quelque liberté civile


CONSIDÉRATIONS
SUR: L'ORDRE DE CrNCINNATUS





CONSIDÉRATIONS SUR L'ORDRE US `.:EiSCINNATUS


C'est à ce séjour en Angleterre (1784) qu'il
faut reporter les Considérations sur l'ordre de
Cincinnatus.


Peu après la paix du 20 janvier 1783, qui
avait consacré l'institution et l'indépendance
de la république des Etats-Unis de l'Amérique
du Nord, une société composée d'officiers amé-
ricains s'était formée sous le nom d'Associa-
tion des Cinrinnati: ils se conféraient une dis-
tinction extérieure, afin, disaient - ils , de
perpétuer le souvenir de la guerre de l'indé-
pendance. Cette espèce d'ordre de chevalerie,
rendu héréditaire par ses premiers statuts, con-
trastait étrangement avec le caractère de la
révolution américaine. Des Américains l'avaient
jugé menaçant pour la liberté, et capable
d'altérer des institutions républicaines à, leur
origine même, en y introduisant un élément
d'aristocratie nobiliaire. Un pamphlet fut à ce
sujet publié a Philadelphie. Mirabeau en fit
une traduction, ou plutot une imitation, dans
laquellé il mit beaucoup plus du sien qu'il
n'emprunta à l'écrivain américain. Voici ce


dit lui-même de ce travail dans une lettre
a Chamfort. « Un tel sujet est d'inspiration,
surtout lorsque l'écrivain expose une théorie
qui est, presque à lui, et dont la pratique a
dirigé et com posé sa vie. C'est cependant
une chose curieuse et remarquable que la phi-
losophie et la liberté s'élèvent au sein de Paris
Pour avertir le Nouveau Monde des dangers




de la servitude, et lui montrer de loin les fer
qui menacent sa postérité. Jamais l'éloquen
ne défendit une plus belle cause. Peut-être c
sont les peuples corrompus qui peuvent don
ner des lumieres aux peuples naissants; ins.
truits par leurs propres maux, ils peuvent en-
seigner à les éviter, et la servitude même peut
are utile an devenant l'école de la liberté. •
Les ennemis de Mirabeau ne manquèrent pas
d'atténuer le mérite de son travail, en le pré--
sentant comme une simple et serv traductio


-


Il s'est expliqué à cet égard dans la pré.
face d'un écrit postérieur sur Moses Mdndelslton
et sur luréforute politique des Juifs : il terminé
ainsi sa justification : « Au reste, pour ne pas
me faire plus modeste que je ne suis, j'avoue
que, si je savais traduire ainsi, je ne ferais ja-
mais que traduire.


Mirabeau mit son nom il la tête de cet ou-
vrage, et pour la première fois. « Des cir-
constances très connues m'ayant forcé de,
quitter mon pays, dit-il, je crois me devoir de
ne publier jamais que des écrits avoués; on
ne manquerait pas, si je négligeais cette pré-
caution, de mn donner pour l'auteur des ou-
vrages les plus capables de me compromettre.
Je proteste donc que tout ce qui, désormais,
ne portera pas mon nom nie sera faussement
attribué, et j'espère que ceux qui m'honorent
de leur haine s'apercevront que, pour avoir
pris un tel engagement, je n'en serai pas plus
timide. »


Mirabeau débute en rendant un juste hom-


— 2J—


'1 expose les circonstances de l'institution et
l'esprit aristocratique et militaire qui anime
l'ordre : il se résume ainsi :


L'institution de l'ordre des Cincinnati est
création d'un véritable patriciat et d'une


noblesse militaire, qui ne tardera pas à deve-
nir une noblesse civile, et une aristocratie d'au-
tant plus dangereuse, qu'étant héréditaire, elle
s'accroîtra sans cesse par le temps et se forti-
fiera même par les préjugés qu'elle fera naître;
qu'étant. née hors de la constitution et des lois,
;es lois n'ont pas pourvu aux moyens de la
réprimer, et qu'elle pèsera sans cesse sur la
constitution dont elle ne fait point partie ;
jusqu'à ce que, par des attaques tantôt sourdes
et tantôt ouvertes, 'Dile s'y soit mêlée en s'y
incorporant, ou qu'après l'avoir longtemps
minée, elle l'ébranle à la En et le détruise.


Vincennes. Voici ce qu'en avait dit le courageux pri-
sonnier: — On a applaudi genéralement au sublime
manifeste des Etats-Unis do l'Ainerique. A Dieu ne
plaise que le proteste à cet égard contre l'opinion pu-
blique, mol qui, si je n'étaiségard les fers, irais m'ins-
truire chez eux et combattre polir eux. Mais je de-
mande si les puissances qui Ont contracté des alliances
avec eue ont osé lire ce otanife.,-;ie, on interroger leur
conscience après l'avoir lu? Je demande s'il est aujour-
d'hui un gouvernemen t et. Europe, les confédérations
helvétique et batave et les. lies britanniques seules ex-
ceptées, qui, jugé d'après les et ta déclara-
tion du Congrès, donnée le 4 juillet 1776 ne fût déchu
de ses droits ? Je demande si, sur les trente-deux
princes de la troisième race de nos rois, il n'y en a pas
au dela des deux tiers qui se sont rendus beaucoup
Plus coupables envers leurs sujets que les rois de la
Grande-Rretagne envers les colonies anglaises? » (Des
lettres de cachet et des p • i.ions d'EtalJ


rnage à la « révolution la plus étonnante, laseule
ncut-être qu'avoue la philosophie (1). » Puis


(11 Au moment de secouer un joug devenu intolé.
Mule, les Atnericains avaient publiquement expo-
sé leurs griefs contre la métropole ; ce manifeste
avait occupé Mirabeau alors détenu au donjon clï,




21
Les exemples du passé doivent mettre les


Américains sur leurs gardes; c'est ainsi que
:,oute,s les noblesses se sont élevées sur les
champs de bataille, et ont commencé par être
une usurpation militaire :


La noblesse moderne de l'Eura,pe, qu'était-elle
dans son origine ? Des chefs de guerriers fé-
roces qui joignaient la barbarie de la victoire
à celle des moeurs, dont les premiers titres
çtirent l'usurpation et le brigandage, et qui ne
fondèrent leur prééminence au-dessus de leur
nation que sur le droit de commander qu'ils,
exercaient dans les combats. Ainsi les champs
de bataille furent le berceau de cette noblesse ;
rapport singulier, frappant, redoutable avec
l'ordre des Cincinnati !


Posteri! posieri! vesira res cigitur! Ce fut
'inscription que l'on gravas.


Naples sur une
colonne après une éruption du Vésuve qui, fit
périr des milliers d'habitants, et moi, je vou-
drais la graver sur les symboles de l'ordre fu-
neste qu'on ose instituer parmi nous.


Oai, c'est cette noblesse de barbares, prix du
sang, ouvrage de l'épée, fruit de la conquête,
que les Cincinnati veulent établir dans leur
pays, qu'ils n'ont cependant pas conquis et qui
leur avait confié sa défense. Les distinctions
celtiques et germaines, voilà l'héritage auquel
ils prétendent! Les honneurs que créèrent des e
chefs de sauvages, voilà ce qu'ambitionnent
les héros d'un peuple libre et d'un siècle de
lumières! Ils usurpent le patriciat de la vic-
toire! ils l'usurpent, et dès le berceau de leur
ordre, ils y mêlent le raffinement corrupteur


— 25 --
que le développement des idées féodales a in-
troduit en Europe, les décorations, les sym-
boles! signes éternels de ralliement pour les fac-
tieux ! germe de vanité infecte pour une classe
de citoyens, et de subordinatioi servile pour
toutes les autres! source intarissable de cor-
ruption Fuir la nature humaine!


Mirabeau s'élève avec véhémence contre les
ordres de chevalerie, gni « ont créé des rangs
jusque dans la noblesse, fondé un nouveau pa-
triciat dans le patriciat, un nouvel orgueil dans
l'orgueil, de nouveaux moyens d'oppression
dans l'oppression, de nouveaux instruments de
despotisme autour des trônes, toujours prêts à
aliener les droits des nations et à vendre un
peuple pour un ruban. »


Rien de plus dangereux que ces distinctions
qui séparent les hommes, qui les abusent, qui
leur imposent; rien de plus antipathique à la
révolution américaine et aux republiques en
général :


Dans la monarchie, tout tend à l'élévation;
clans la république, tout doit tendre à l'éga-
lité; dans la première, il faut des rangs, dans
la seconde, des vertus; dans l'une il est bon
que les citoyens soient divisés en corps ; leur
esprit particulier supplée à l'esprit général ;
leur émulation, même en les divisant, peut les
rendre lutiles, et ne peut être dangereuse,
parce qu'elle est comprimée de toutes parts
par le poids de l'autorité souveraine ; dans
l'autre, tout ce qui divise ébranle, tout ce qui
sort du niveau pèse sur le reste ; il ne faut
qu'un corps, qu'an esprit ; il faut que rien ne
domine que tout soit également dominé, que





chaque citoyen ne voie au-dessous de lui qt1
le vice, au-dessus que la Tous les signes
qui distinguent sont étrangers au gouverne-
ment et à l'esprit républicain. La liberté a un
coup d'oeil fier et superbe, que toute distinc-
tion blesse.


L'auteur examine les motifs que les Cin-
cinnati allèguent pour justi Iler leur institution
— Pour perpétuer, disent-ils, le souvenir de
Révolution.


Une médaille surmontée d'un ruban! voit
donc le vénérable monument de la plus grand
des révolution ! Et l'existence de la patrie.'
et ce nouvel empire fondé! et la face de l'A
mérique changée 1 , ar nos vertus et par no- i
lois ! et tous ces lieux témoins de nos exploits,
Les champs de bataille, les fleuves, les mer




teints du sang des ennemis ! ce ne sont pas des
monuments assez nobles pour attester ce
grand événement a Ah malheur à nous si
le souvenir de cette révolution se perd dans la
postérité! c'est que nous aurons perdu notre
gloire, avili nos vertus, dégradé nos âmes!
c'est que nous aurons anéanti l'ouvrage de
nos ancetres! Et croyons-nous qu'alors un
vain ruban, une distinction frivole, feront re-
vivre des souvenirs que nous aurons nous-
mêmes éteints par notre lâcheté, notre servi-
tude et nos vices! Conservons l'égalité pour
laquelle nous avons combattu, et la postérité
II'oubliera pas la révolution qui nous valut
cette égalité, que les Cincinnati rompront en
peu d'instants, si leur société n'est pas dis-
soute,


— —


Ard lis
oi
tres Cincinnati! est-il donc deux msortes


dr ts appartenant à la nature huaine?
rst il dans la nature•une espéce qui soit forcée
Tee; ftat de trahir ou d'abandonner ses droits?
,T,„.1 1 dans la nature une espèce réduite à
n"'",,.V11:ile condition de plébéiens? et une autre


éminentE dont les individus soient
% leurs


inca-
t.T„;' de conserver leu droits sans l'atten-


continuelle d'un ordre doté de la dignité
t74qtriciens?... Voilà cependant ce qu'ils en-
n'ïZ'nt, ou


m
ils ne s'entendent pas ! Les peu-


à;; !le l'Aérique ne leur paraissent donc pas
n-,—;,s1 (is qu'on leur laisse le soin de leur lion-
T-onf- :i national, ou celui de leurs propres affai-
ia k moins qu'un ordre distinct n'en prenne


fi,


ti rintendanee! Ah! tant de soins sont trop


jilii›,beau commente avec une éloquence vé-
est hlte ce ot de Machiavel : La noblesse
liber, ne vermine qui Carie insensiblement La




les n s.te est l'éternelle leçon qu'offre à toutes
La i


i
-gges l'histoire de l'homme et des nations.


corr >ure des choses ne saurait changer: la
tfissation naît à la suite de l'inégalité; les
lesP Iltices s'aggravent avec la corruption ;
be hT .,-. rtis se forment, la guerre civile survient.
nobWuveaux Sylla se placent à la tête de la
da ; (le nouveaux . Marius sont les chefs
seineiple. Vainqueurs eu vaincus, les banis-
tout kits, les confiscations, les proscriptions:
ibont`e les cruautés, toutes les oppressions


'inévitable effet du choc des partis. Un




28
dictateur survient; et, sur les ruines de la pa-
trie, il élève l'édifice du pouvoir arbitraire.


Eh! ouoi, s'écrie l'auteur, l'ordre des Cincin-
nati étbufterait les avantages d'une répu-
blique née sous de si favorables auspices,dans
des circonstances si heureuses! Eh! quelle
blessure mortelle pour la liberté humaine!
4 L'Amérique peut et va même déterminer
avec certitude si l'espèce humaine est destinée
par la nature à la liberté ou à l'esclavage. Un
gouvernement républicain n'a jamais rencon-
tré, dans aucune partie du globe, des circon
tances aussi favorables à 'S'on établissemen
terre nouvelle, inépuisable, dotée de toutes le
richesses de la nature, enceinte de mers im
menses, facile à défendre, éloignée des sou'
lures et des attentats du despotisme; siècl
de lumière et de tolérance; épuisement
impuissance, enfance ou délire du reste d,
globe; exemples récents de révolutions sern•
blables, des succès et des fautes qui les ont
signalées; corps de nation déjà redoutable;
principes et même préjugés favorables, g-ermeS
de bonnes lois, ébauche d'une constitution ré;
fléchie et non fortuite, hc.nimes de génie, chef
vaillants... »


Cette apostrophé éloquente termine la prè•
mière partie du volume :


Les honneurs et les privilèges exclusifs
d'un ordre héréditaire sont une usurpatioS
formelle de la souveraineté, puisqu'ils etc'
tent à la 'constitution ; ils sont au-dessous de
vous, puisqu'ils supposent le besoin de cons'
tater ce que sait l'univers. Guerriers amét"
tains! nobles entre tous les hommes par v0
actions, craignez de vous avilir! Quelle De


—29_.
--


blesse plus réelle et plus grande cherchez-
vous, que la participation à la souveraineté,
qui voue. appartient comme à vos frères? Que
serait auprès. d'elle cette noblesse factice que
vous tentez de vous donner? Que serait-elle
même parmi les nobles d'Europe? Portez chez
ces Européens votre noblesse futile, et la dis-
tinction que vous prétendez transmettre à
vos enfants; voyez comme elles y seront dé-
daignées; voyez à quelle distance se croient
de vous les esclaves titrés des despotes, qui
conservent précieusement depuis plusieurs
siècles les monuments de leur servitude
voyez quelle supériorité ils affectent sur des
hommes qui ne sont quc des héros! et jugez
ce que c'est que la noblesse de convention,
puisque, rayonnantsde vertu et de gloire vous
n'êtes encore aux yeux de l'Europe que des
roturiers!


Vous avez aspiré au nom d'hommes libres,
vous l'avez conquis; c'est le premier des ti-
tres; respectez-le, tintes-le respecter. La base
du gouvernement que vous avez fondé, c'est
l'égalité; vous ne la détruirez pas, vous qui
lavez achetée de votre sang : vous n'oublierez
pas que ce peuple généreux n'a pas cessé de
combattre avec vous. Héros de la liberté,
vous n'en serez pas les ennemis! Libérateurs
du nouveau monde, vous n'en serez pas les
fléaux!..... Mais si vous osiez le tenter, vous
sauriez bientôt que ce n'est pas pour le choix.
'les oppresseurs que l'Amérique a combattu!


La seconde partie de l'ouvrage est consa-
crée à l'examen des obsetation.9 Dubliées par




-- 30 --
on respectable économiste et publiciste An-
glais, le docteur Price, sur l'importance de los
Révolution d'Amérique et sur les moyens de ta
rendre utile au monde. Réfutant ses idées sur
des questions de finances, Mirabeau conjure
les Américains de pourvoir, sans emprunt, au
payement de la dette a qu'ils ont contractée
pour la plus noble des causes, dans une crise
qui ne souffrait ni règle ni délai, » et il ex-
pose ainsi pour la première fois ses principes
si souvent exprimes depuis. sur les finances


La plus funeste illusion de ce qu'on appelle
politique en Europe a été de regarder le cré-
dit comme utile, et de rejeter sur les races
futures une partie des devoirs de la généra-
tion présente. Ce système est né de l'indiffé-
rence pour la patrie, et prépare le moment,
plus ou moins éloigné, mais infaillible, d'une
révolution qui effrayera le monde. Le fardeau
aggrave le fardeau; les charges de chaque
année sont pressées de tout le poids des pré-
cédentes; l'emprunt nécessite l'emprunt; en
sorte que cette politique si vantée ne conduit
qu'a la certitude de rendre le service publie
impossible, c'est-à-dire à la dissolution de la
société, qui ne peut trouver de remède que
dans la violation de la foi et dans le renver
sement général des fortunes... 0 mes amis.-
vous devez neuf millions sterling; payez-les
doucement, lentement, sans efforts; privez-
vous quelque temps d'une partie de votre ai-
sance.., ce sacrifice estle prix de votre liberté:
pourra-t-il être onéreux à vos âmes nobles et
courageuses ?... Croyct -moi, le crédit est uu
ver qui ronge la racine de : la sagesse


— 31 —
consiste à se défier d'elle même; si un temps
arrivait où vous eussiez moins de zèle, où l'in-
térêt privé pesât sur les choses publiques; où
vous aimassiez mieux votre fortune que celle
de l'État, l'habitude d'emprunter serait for-
mée, vous emprunteriez au lieu d'agir, vous
convertiriez les service!, d'hommes libres en
services de mercenaires, a cette extrémité du
monde où repose l'espérance du reste ne se-
rait plus qu'une contrée avilie, dont l'exemple
fournirait un prétexte de plus aux tyrans pour
l'oppression de l'espèce humaine.


Vous êtes au commencement de tout. N'a-
doptez rien des Éats vieillis, que les préjugés,
les révolutions, les habitudes ont altérés sans
remède. Leur plus triste ignorance est celle
des maux dont ils sont assiégés. Leur plus
mortelle maladie est cet aveuglement des pas-
sions invétérées qui perdent jusqu'au désir de
la guérison. Le germe des maux qui mena-
cent l'enfant au jour de sa naissance échappe
à l'oeil le plus exercé, mais il contient la con-
tagion et la mort. Il en est de même des
États. C'est dans la première idée fausse,
clans le premier principe injuste mêlé à leur
constitution naissante, qu'est la source de
tous leurs malheurs et de leur ruine: d'au-
tant /)lus dangereux que la fermentation sera
plus lente et plus difficile à prévoir. Le moin-
dre levain de vice ou d'erreur suffit pour
Mettre sourdement en\ discorde les moeurs et
les lois, et pour opérer la dissolution des ré-
Publiques les mieux établies en apparence.


Tous les États confondent aujourd'hui Par-
ent avec la richesse, la richesse avec le bon-




— 32
heur, l'éclat avec la puissance, la renommée
avec la vraie gloire. Fuyez ces illusions, et
n'en jetez pas la semence dans le berceau de
vos sociétés. Sachez et n'oubliez jamais qu'on
n'est heureux, que par la modération ; puis-
sant que par le nombre et le courage; illustre
d'un éclat durable que par la verte.. Voici donc
une règle sûre de conduite. Tout ce qui peut
altérer vos mœurs, affaiblir votre zèle, vous
détacher de vos devoirs d'homme et de ci-
toyen, est un mal, un grand mal, qui, dange-
reux dès aujourd'hui, ''deviendrait infaillible-
ment un principe de ruine pour vos nations.
L'emprunt réunit tous ces désordres à la fois.
Que ce soit donc une loi invariable de n'on-
prunier jamais


En indiquant aux Américains l'espèce de
commerce qui convient à leur sol, a leurs
moeurs, à leurs institutions, Mirabeau leur
recommande surtout de ne pas faire de lois
prohibitives, et de respecter la liberté absolue
du commerce :


La propriété et la liberté, ces dons inaliéna-
bles et sacrés, sont la base de vos institu-
tions : gardez-vous d'y porter atteinte; laissez
faire tout ce qui n'est pas criminel, mais n'en-
couragez que ce qui est bon; là se réduisent
les principes... Ne songez point au commerce,
ni pour le protéger, ni pour l'arrêter, ni pouf
le diriger. Ne vous en mêlez point. Oubliez le
commerce; s'il est bon à quelque chose, il faut
le laisser libre, car il ne peut agir que sous le
régime de la liberté. S'il est nuisible, il faut
encore le supporter parce qu'il est plus dan-


gereux. d'enchaîner les hommes que de laisser
la carrière ouverte à quelques at as; parce


est absurde de détendre à une puissance
étrangère d'apporter ses denrées, en ne lui
permettant pus d'acheter les nôtres, car elle
n'achètera pas s'il lui est défendu de vendre;
parce qu'enfin, dans tous ces débats intermi-
nables de l'intérêt qui s'embarrasse dans ses
propres règles, il n'y a qu'un point fixe, celui
de la morale. Or, la morale veut que chacun
use de sa propriété comme il lui plaît. Le seul
principe raisonnable et juste est donc de tirer
de sor, pays tout ce qu'on ne peut recueillir;
et de borner les besoins de la nature par l'a-
bondance, et ceux du luxe par la modération.


Cet ouvrage fut réimprimé en 1815, au mo-
ment où une réaction en faveur de la noblesse
et du retour à l'ancien ordre de choses était
essayée par ce parti incorrigible de l'émigration
qui n'avait t( rien oublié et rien appris » pen-
dant vingt années d'exil. Son éditeur, M. P.
Deschamps, le dédia e messieurs les membrei
de la chambre des représentants et de celle des
pairs, et à tous les Français, afin de rappele:
les principes exposés avec tant de netteté e.
de fermeté par Mirabeau.


010E. ET m,C. IL 2




DOUTES SUR LA LIBERTÉ DE L'ESCAUT




DOUTES SUR LA LIBERTÉ DE L'ESCAUT


Vers la fin de son séjour à Londres, Mira.
beau publia un nouvel ouvrage qui lui était
suggeré par les circonstances. Une des stipu-
lations du traite de Munster (1648) avait as-
suré à la Hollande le monopole de la naviga-
tion dans les embouchures de l'Escaut. En
1784, l'empereur d'Autriche, Joseph II, com-
mença par réclamer l'abolition de ce mono-
pole, , puis proclama l'Escaut libre, et annonca
qu'il réputerait déclaration de guerre toute
opposition ou résistance de la part des Hollan-
dais. Ceux-ci, autorisés par un siècle et demi
de possession, animés par l'intérêt de leur
vaste commerce , peut-être même de leur
existence politique, encouragés par l'appui se-
cret de la Errance et de l'Angleterre. rnanifes-
tèrent hautement leur refus, et firent des
préparatifs publics de défense. Quoique par-
tisan par sentiment comme par principes du
système de la plus complète liberté du coin-
inerce,_ Mirabeau s'attacha néanmoins cette
fois à défendre un traité limitatif, dont le
motif originaire était d'ailleurs peut-être dans
des vues de prudence, encore plus que dans
un calcul d'égoïsme national. Tel fut le sujet de
l'ouvrage, qui parut le 28 septembre 1784, sous
ce titre : Doutes sur la liberté de e Escaut, ré-
clain.ée par l'Empereur, sur les causes et sur lee
conséquences probables de cette réclamation.


Pour éviter qu'on ne lui reprochât de se
Contredire et d abandonner ses théories favo-


I




-- 33--
rites, Mirabeau s'efforcait d'établir un fait
dont les conséquences devaient prévaloir sur
les plus généreuses spéculations : une formi-
dable sainte alliance conçue par les puissances
du Nord, pour affaiblir et ensuite asservir
celles du Midi. Il prit .à tâche de prouver que
l'affranchissement des bouches de l'Escaut
était un des moyens qui seconderaient le mieux
les desseins de la ligue du Nord, en ruinant
la Hollande, et eu enlevant ainsi au Midi un
de ses plus utiles remparts ; il en tira la con-
clusion que des mesures brusques et déci-
sives, ineme une guerre partielle, auraient
l'avantage de trancher la question avant que
le noeud politique en fût devenu inextricable,
et d'éviter une conflagration générale entre
toutes les puissances intéressées (1).


Nous ne citerons de cet ouvrage qu'un très
remarquable portrait de Louis XIV, où Mira-
:beau, s'adressant à Louis XVI, proteste une
fois de plus contre le préjugé historique qui
entoure celui que l'on asi longtemps appelé le
grand roi :


Sans doute, Louis XIV fut grand:mais César
ut plus grand, et quel lionnète homme ne dé-


teste point César? Louis XIV fut grand, mais
'tous les illustres fléaux de la terre furent
grands, et ils ne méritent que l'exécration des
hommes; Louis XIV fut .grand, mais de cette
grandeur qui désole et déshonore l'humanité :
et l'Europe connaît à. t.ouis XVI des senti-
ments, des actions marne, qui méritent son


, 0) Joseph II abandonna ses prétentions, en exi-
eant toutefois des Flot landais le remboursement deepenses de ses préparants.


-- 39 --
estime et les éloges de la postérité, mieux que
toutes les victoires de Louis le Grand, et sa
dignité majestueuse. Malheur au ministre in-
considéré ou pervers qui proposerait un tel
modéle au jeune roi, pour qui sa conscience
est encore un juge, un modèle, un ami! Mal-
heur a qui lui donnerait de fausses idées de
gloire, et à qui soufflerait dans son coeur
des souvenirs haineux, des projets de ven-
geance!... Il n'est qu'une gloire pour un roi de
France, c'est de faire le bonheur de sa nation,
et de main, enir la paix du monde. Qu'il cul-
tive, qu'il r euple son royaume, cet heureux
monarque: qu'il rende aux sujets qui l'idolâ-
trent leurs droits politiques et civils, et qu'il
défie toutes les puissances de la terre! ou
plutôt qu'il en soit l'arbitre et le modérateur
révéré!... Tel est son devoir, tel est son hon-
neur, telle est sa destinée. Puisse-t-il la rem-
plir pour son bonheur personnel, pour celui
des nations! et périssent les sophistes et les
ambitieux, avant que le fondateur de l'Amé-
rique soit le spectateu r tranquille de 'inva-
sion de la Hollande, ou déserte lâchement sa
cause




ÉCRITS SUR L'AGIOTAGE




SUR L'ACIOTAGfe,


De retour à Paris, oir il arriva le ter avril
1185, Mirabeau trouva le public, en France,
tout absorbé dans l'agiotage. Bientôt cet es-
prit actif, qui avait Ma sérieusement étudié
en Angleterre les matières de finances, s'échauf-
fa it l'idée des maux publics qui devaient être
la funeste conséquence de cet agiotage effré-
né. Il- publia, coup sur coup, et dans l'espace
de sept mois, 1 0 De la caisse d'escompte; 20 De
ta Banque d'Espagne, dite de Saint-Chartes ; 30
Lettre a M. Le Coulteux de la Nornye, sur la
Banque d'Espagne dite de Saint-Chartes , et sur
la caisse d'escompte ; 40 Sur les ,actions de la
Compagnie des Eaux de Paris; b • Réponse à
l'écrivain des administrateurs de la Compagnie
des eaux de Paris.


Depuis quelques années, les besoins d'Etat,
surtout les dépenses énormes de la guerre de
l'indépendance américaine (1), avaient nécessité
des emprunts considérables; ces sortes de pla-
cements avaientacquis une trés grande faveur
dans unpays ou la passion du gain a tant d'i-
maginations vives à exploiter. Les opérations de
ce genre ne s'étaient pas bornées aux emprunts
de l'Etat; à côté de ces sortes d'effets, et on peut


o.) Celle guerre avait conté à la France plus de
tons.




-- --


dire, àleurs dépens, beaucoup d'entreprisespar-
ticulières avaient attiré l'argent de la capitale
et des provinces. Telles étaient notamment la
Caisse d'escompte, la Banque de Saint-Charles, la
Compagr'e des Eaux de Paris, la premiére et la
dernière Je ces entreprises avaient évidem-
ment un but d'intérêt public; la seconde ne
présentait en aucun sens le même caractère ;
toutes les trois faisaient naître d'immenses
opérations, et absorbaient, dans ces spécula-
tions la plus grande partie des capitaux que
réclamaient inutilement une foultitude d'em-
plois et d'affectations plus utiles.


La Caisse d'escompte, créée en 1776, par Tur-
got, avait rendu d'importants services au com-
...erce, en augmentant la masse et la circula-


tion du numeraire ; l'accroissement rapide des
opérations avait grossi les dividendes attribués
aux actions, et le prix, sinon la valeur de cel-
les-ci, s'était éleve en proportion d'abord et
ensuite Lien au delà, par suite des manœuvres
d'un agiotage effréne, Mirabeau écrit son pre-
ouvrage pour signaler la fausse route que pre-
naient les administrateurs de ces établisse-
ments. Il rend ainsi compte lui-même de l'ob-jet de son ouvrage :


Le plus dangereux, le plus monstrueux des
principes allait convertir cet utile établisse-
ment en un foyer de pur agiotage. On portait
le prix des actions à un taux tezjours plus
élevé, ia cupidite, qui seule en décidait, recu-
lant toujours son but à mesure qu'elle s'en
approche. L'administration de la Caisse d'es-
compte s'était associée aux joueurs qui po-
saient en principe que les circulations causées
par l'agiotage étaient nécessaires au succès
-de l'établissement en ce Qu'elles féconderaient


— 45 --
de plus en plus les dividendes, et qu'ainsi la
valeur des actions, gonflée des escomptes pro-
duits par l'agiotage effrené sur elles-mêmes,
contribuerait au crédit de la caisse. On ne pou-
vait douter que, dans cet état de choses, les
joueurs pour la hausse des actions, c'est-à-dire
les hommes dont l'intérêt est de multiplier les
affaires sans mesure, ne devinssent les maîtres
de la Caisse d'escompte, qua le plus hardi, le
plus inconsidéré d'entre eux, sans égard à la
fortune, n'y fût le plus protégé ; que le crédit
attaché à la modération, à la bonne conduite,
à la science des affaires, n'y parût une déri-
sion. Cette banque de secours, en un mot,
loin de favoriser nos vrais moyens de prospé-
rité, n'allait plus être que le fatal levain d'ope-
:utions ennemies des ressources réelles du
7loy aulne.


Voilà les considérations qui sollicitaient mi
Euvrage sur la Caisse d'escompte.


La banque Saint-Charles avait été instituée.
â Madrid en 1'782, par Ca.barrus, depuis minis-
tre des finances du roi d'Espagne. Les hommes
prudents auraient dû hésiter devant une
entreprise placée sous une domination étran-
gère, dont ils ne pouvaient apprécier les
opérations que par de simples oui-dire, par
des illusions, et non par des raisonnements.
Cependant l'agiotage s'acharnait sur les bil-
lets de le Banque espagnole; ses actionsétaient plus recherchées en France qu'à Ma-
drid; leur valeur nominale n'était que de 500
livres; l'emportement des joueurs en avait
déjà presque doublé le prix. Mirabeau. dénonça
les dangers et les illusions de cet établisse-
ment. 11 rendit à son pa ys un véritable ser-




-- 4e --
vice; les actions baissèrent immédiatement,
de 800 livres elles tomberont au-dessous de420. livres, et cette baisse mit un 1


•erme aux
- achats continuels que nos agioteurs faisaient


en Espagne pour les revendre en France; car
les Espagnols avaient eu la sagesse de ne ja-
mais faire monter à Madrid le prix des aetiens
avec autant de rapidité qu'il haussait à Paris.


La lettre à M. le Coulteulx de la Noraye,
banquier, agent de M. Cabarrus, avait pour
but de repousser les attaques dont Mirabeau
était l'objet, et cette défense était pour lui
une occasion naturelle de publier les faits qui
survenaient chaque jour, comme autant dedémonstrations de sa théorie.


La Compagnie des eaux de Paris avait émis
des actions pour former un capital, quelles
que fussent l'incontestable utilité de son but
et l'habileté de ses moyens, des mécomptes
avaient d'abord trompé ses calculs ; les ae-
tions, dont la mise primitive était de 1,200 li-
vres, étaient tombées d'un tiers; le gouverne-
ment avait cru avec raison devoir venir au
secours de la Compagnie en achetant cent ac-
tions : cette assistance ayant paru devoir as-
surer des succés d'abord douteux, les actions
avaient rapidement remonte; e le jeu debourse s'en emparant en porta le prix ju


Mi
su'a4,000 livres et au delà. Cette fois encore, ira-


beau voulut combattre le cupide charlatanisme
des agioteurs qui avaient triplé, et voulaient
décupler le prix originaire des actions d'un
établissement utile et louable, sans doute,
mais dont les développements, encore impar-faits, ne pouvaient jamais, quoi qu'il arrivât,justifier des calculs essentiellement fantasti-ques, et réaliser la promesse d'un si prodigieuxaccroissement de la valeur des actions. Son


,écrit s'attaquait uniquement à l'agiotage, et


-- 41 --
non pas eentreprise en elle-même. Il rendait
sensible que les intérêts de cette entreprise
étaient non-seule. cent très distincts de ceux
de l'agiotage, mais encore qu'ils lui étaient
diamétralement opposés.Ces divers ouvrages, écrits avec vigueur,
souvent avec violence, heurtaient trop d'in-
térêts particuliers pour qu'ils ne suscitassen
pas à l'auteur beaucoup de haines, d'injure




de calomnies. On lui prodigua, les accusa-
tions d'ignorance, sans dévoiler les bévues
qu'on lui reprochait, sans détruire ses preuves;
et de vénalité sans songer qu'au profit du mi-
nistère qui, l'excitant én secret, le désavouait
en public (1), et de quelques banquiers ruinés ou
fort obérés, il attaquait et désespérait d'opu-
lents et puissants agioteurs qui auraient ma-
gnifiquement payé son silence s'il .avait voulu
le vendre.Beaumarchais, un des administrateurs de
la Compagnie des eaux de Paris, 'fit en leur
nom une réponse écrite avec beaucoup d'es-
prit et d'adresse, qui provoqua une replique
véhémente de Mirabeau. Beaumarchais l'avait
présenté comme • livré à des joueurs connus
pour avoir un grand intérêt à la baisse. •


M. de Beaumarchais revient sans cesse à ces
lqueurs à la baisse, pour lesquels seuls il veutque j'aie fait mon Mémoire sur les Eaux.


Mais il oublie que l'on combattait de la même
manière mon livre de la Caisse d'escompte, et


(1) Des arrêts du conseil supprimèrent le livre de labanque de Saint-Charles. ainsi que la lettre b. M. de
Eorgye, et la brochure sur les eaux de Paris valut.à
son auteur des déntelès avec le lieutenant de police.-
« M. de Crosne. dit Mirabeau, lieutenant de police
'est-il-dire ministre des filous. »




— 48. —
celui de la Banque de Saint-Charles; que ce
sont même les seules réponses qu'on y ait
faites


Eh! où est le livre que des vues intéressées
n'aient pas produit? L'amour de la vérité, l'a-
mour de la gloire , ne différent de celui de
l'argent qu'en ce qu'ils sont plus rares, et ap-
partiennent à une autre espèce de sentiment.
Ils sont plus nobles, sans doute , mais il ne
s'agit pas ici de noblesse; il s'agit d'un intérêt
quelconque, il s'agit de savoir si l'on doit se
méfier de touttravail, de tout examen, de toute
analyse qui est le produit d'un intérêt quel-
conque.


Eh! quand ai-je mérité qu'on en supposât
aucun à, mes ouvra-ges qui ne fût pas digne
d'estime ? Peu d'hommes , je le sais, et je ne
manque jamais de le répéter, peu d'hommes
ont donné plus que moi prétexte à la calom-
nie, pâture à la médisance. Mais je le demande
hautement parce que ma conscience m'en
donne le droit, quel écrivain peut s'honorer
de principes plus courageux, de vues plus dé-
sintéressées, d'une plus fière indépendance ?
Mon premier but, loin de prétendre le dégui-
ser ie me fais gloire de le dire, mon premier
but, M me vouant à la périlleuse profession
d'apôtre de la vérité, fut de mériter l'oubli de
mes longues erreurs. Voilà le seul intérêt, la
seule ambition que je connus jamais ; et j'es-
père en obtenir le succès, car enfin qu'impor-
tent au public les écarts d'une folle jeunesse,
si l'âge mûr lui paye un tribut noble et géné
reux? Mais malheur à ceux qui se feraient un
titre de torts dés longtemps avoués, cruelle-


— 49 --
ment expiés, et peut-être suffisamment répa-
rés, pour me refuser les égards que mérite
tout citoyen incessamment occupé d'études.
de recherches , d'ouvrages qui intéressent le
bien général/Et quand une discussion publique est utile,
qu'importe le genre d'intérêt auquel on la doit?
C'est lorsque l'intérêt se cache , c'est lorsqu'il
écarte et repousse tout examen critique; lors-
que, n'écrivant rien, ne publiant rien, ne se
servant que de paroles artificieuses et d'in-
sinuations secrètes, qu'il varie au gré des
circonstances et des personnes ; il choisit
les esprits crédules ou peu éclairés , pour
exercer sur eux , dans les ténèbres, l'empire
de la séduction c'est alors que l'intérêt
est suspect d'avoir des vues nonteuses
Eh! de quel droit, d'ail.eurs, défendrait-
on à un honnête homme d'augmenter sa
fortune, en s'associant aux combinaisons que
le bien public réclame? Se condamnera-t-il au
silence par cette seule raison que ce qu'il dira
de vrai et d'utile lui aura d'abord été suggéré
par l'examen de son propre intérêt? Interdira-
t-on à l'ami de lavérité de publier des calculs,
d'en vérifier, d'en combattre la justesse, de déve-
lopper ses vues sur des sujets d'économie publi-
que ou particulière, parce que son attention
sur ces objets aura d'abord été excitée par l'in-
térêt personnel de quelqu'une de ses relations?
Auquel de ces deux rapports qu'on Joive ces
discussions , faut-il pour cela les proscrire ?'
Sommes-nous destinés à n'être jamais que des
enfants ignorants, ceints du bandeau sur le-
quel l'intrigue et le charlatanisme aient le


BIBLIOTECA 1
urovERsITARIA


Ade,\s»




droit exclusif de nuancer leurs illusions?
« Et dans ce dernier cas même, poursuit


Mirabeau, où. sont donc les titres de M.:de
Beaumarchais pour s'instituer notre pédago-
gue? Pour nous imposer silence par sotte
magie de ces mots : • Il parle pour son intérêt!
» Il parle pour l'intérêt rte ses amis! » Et il con-
tinue par cette fougueuse a postrophe, citée
comme un des morceaux les plus éloquents et
et les plus parâits qu'ai•produits Mirabeau:


Pour vous, monsieur, qui, en calomniante
mes intentions et mes motifs, m'avez forcé de•,i,
vous traiter avec une dureté que la nature n'a .1`,
mise ni dans mon esprit ni dans mon coeur;
vous que je ne provoquai .


jamais ; avec qui la
guerre ne pouvait être ni utile ni honorable;
vous que je plains sincèrement d'avoir pu
descendre jusqu'à prostituer votre plume, déjà
trop avilie, a servir la cupidité de ceux-la me-
mes, peut-être, dont les lâches manoeuvres
vous eussent imprimé la double flétrissure
du ridicule et de l'infamie, si l'opinion publi-
que pouvait jamais obéir à un coup d'autorité
dirigé par l'intrigue, croyez-moi, profitez de
l'amère leçon que vous m'avez contraint de
vous donner. Souvenez-vo,:s qu'il ne suffit pas
de l'impudence et des suggestions de cour
pour terrasser celui qui a ses forces en lui- kpêne et dans un amour pur de la vérité,
souvenez-vous que, s'il est des hommes dont
il est aisé d'endormir les ressentiments à l'aide
de leur amour-propre, et qui, au prix de quel-


.ques éloges, laissent patiemment insulter leur
morale; je ne suis pas un de ces hommes. La
critique la plus mordante de mes ouvrages e.,,


— 51 —
de mes talents m'eût laissé calme et sans hu-
meur. Vingt lignes de plates exagérations sur
mon style et mon éloquence, en me dévoilant
mieux votre-bassesse, rie m'ont rendu que plus
sévère pour vos perfides insinuations. Retirez
vos éloges bien gratuits, car sbus aucun rap-
port je ne saurais vous les rendre; retirez le
pitoyable pardon que vous m'avez demandé;
reprenez jusqu'à l'insolente estime que vous
osez me témoigner; allez porter vos homma-
ges à vos semblables, à ceux qui, pour tout
sens moral, ont de la vanité. Pour moi qui ne
me connais d'autre mérite qu'un zèle ardent
à. servir la raison et la justice; qui "De trouvai
jamais de talent que dans une forte persua-
sion, db noblesse que dans la bonne foi, de
vertu que dans le courage utile ; moi qui,
pour tout voeu, n'aspire qu'à m'honorer jus-
qu'au tombeau de mes amis et de mes enne-
mis, je laisse à jamais vous, vos injures, VOS
outrages, et je finis cette fatigante polémique,
qui vous laissera de longs souvenirs, en vous
donnant à vous-même un conseil vraiment
utile : Ne songez désormais qu'à mériter d'être
oublié


Le patriotisme et le désintéressement qui
animerent Mirabeau dans toute cette polémi-
que ne peuvent faire l'objet d'un doute pour
toute personne impartiale , et il nous semble
au contraire que , comme il le dit 4uelque
part, « peu -de citoyens ont eu le bonheur et
le courage de rendre à leur pays un pareil ser-
vice.» Voici en quels termes, répondant à des
reproches de son père, il s'exprimait, dans
une lettre écrite le 4 octobre 1;88:




--- 52 —
» Vous a%ez dit de moi, mon père : il a taré


itt plume de la tache d'être vénale; on sait que
Calonne le payait.


» Mi, plume vénale ! mon père ! Eh! quand
ti-je soutenu les contraires ? voilà le carac-
tère de la vénalité. On sait que Calonne me
n Certes, on sait qu'on ne sait rien__
ollicité par tous ceux de mes amis qui pa-


riaient pour mes opinions, de prendre part à
leurs affaires, provoqué par Dupont lui-mê-
me (1), que j'en atteste, bafoué par lui de ne
M'être pas fait 40,000 fr. de rentes dans les
vertiges de l'agiotage, je suis resté étranger
à toute spéculation même innocente; j'ai vécu,
petitement vécu, de mon travail et du se-
cours de mes amis; mais je n'ai jamais nijoué uu écu, ni reçu un sou en présent moi
qui faisais fléchir, en quelque sorte , à mon
gré, le balancier de la I3ourse; moi dont on
aurait payé le silence de tout l'or que j'au-
rais voulu accepter; j'ai, bien ou mal, à juste
ou injuste titre, mais j'ai, de fait, rendu de
très grands services aux finances sous le mi-
nistère de M. de Calonne. Je puis établir par


' pièces authentiques : 10 que l'écrit sur la
Caisse d'escompte, si hâté et imparfait qu'il
soit, a sauvé beaucoup d'honnêtes joueurs que
des fripons allaient duper; 20 que les Saint-
Charles que j'ai trouvés à 900 fr., et jetés en,
huit jours à 400 fr., ont coûté 54 millions au
royaume, et lui auraient sans moi, coûté, en
peu de semaines, trois fois autant. Enfin, mon


(1) Duponi de Nemours.


— 53 ---


père, j'ai fait rebrousser les Philippines (1) ;j'ai
d.éjo „té l'agiotage sous toutes les formes; l'agio-
tage qui engloutissait tout le numéraire du
royaume, décourageait toutes les industries
honnêtes, et enfin, patronné à la cour, préparait
à la France un débordement de corruptions
nouvelles. Tant que M. de Calonne n'a pas été
chef de parti, et de partie dans l'agiotage, il a
trouvé cela très bien, et m'a même lancé. Mais
il n'a jamais déboursé autre chose que les frais
de l'impression des Saint-Charles,, sur le compte
de l'imprimeur, et dans ses mains Quand le
ministre a été agioteur, il a voulu m'imposer
silence, et j'en ai parlé plus haut. 11 a déchaîné
contre moi ce saltimbanque de Beaumarchais.
Vous savez le reste. Ma vengeance prise (et
elle ne fut si sévère, si à mort, que parce que
l'on voulait me tarer de vénalité), j'ai consom-
mé une rupture déjà publique, en écrivant à
M. de Calonne une lettre telle que jamais sti-
pendié n'en écrivit de pareille à son acheteur,
et si vous connaissiez cette lettre, que Dupont
vous montrera, vous ne douteriez pas un mo-
ment que j'ai plaidé ma seule opinion, ma
seule conviction; et non pas un thème lâche-
ment accepté en échange d'un salaire avilis-
Sant. »


Dans cette lettre à M. de Calonne, dont parle
ici Mirabeau, ont etrouvela véhémence et l'em-
portement de la 7tiponse adressée à Bea,umar-


(t) Les Philippines, c'est-à -dire les actions de la
Compagnie des Philippines, autre création du linan-
cieeit:ti*ontbsa. rrus et dont Mirabeau signalait aussi les dé-




— 5/ —
chais, et c'est une des oeuvres dans laquelle
Mirabeau mit le pus son âme tout entière.
L'exorde rappelle celui de la première Catili-
naire :


Il est donc arrivé, Monsieur, ce moment
que je vous ai prédit, et que j'ai vraiment re-
douté, ce moment où. ma réputation, mes
principes, ma sûreté, mon honneur, et par-
dessus tout, le. bien de mon pays, me corn
mandent également de vous citer au tribunal
du public, et de le prendre pour juge entre
nous. •


Après six mois de vains efforts, d'inutiles
conseils, de travaux infructueux, je me vois
contraint de renverser dans ma propre opi-
nion le trône que j'aurais voulu vous élever
dans celle de tous nos concitoyens. Non-seu-
lement il me faut renoncer à l'espoir de tout
le bien que vous pouviez faire, mais il devient
nécessaire que je m'oppose au mal que vous
faites.


J'aurais voulu être votre caution, et vous
me forcez à. devenir votre dénonciateur. J'au-
rais consumé ma vie pour vos succés, il faut
que j'emploie des heures pénibles à en pré-
server mes concitoyens. EL ! comment, avec
le sentiment profond de v,,tre servile défé-
rence pour des conseillers pervers, ne pas
chercher à faire . tomber de vos mains le scep-
tre qui détruirait enfin et nos propriétés et
tous les principes oui nous servent de base ?...
Oui, je dois essayer contre vous ce que peu-


, vent la vérité, la raison, le patriotisme, pour
arrêter dans sa marche inconsidérée un mi-


-- 55 —
nistre insouciant et corrompu, qui, laissant
flotter les rênes des finances au gré de l'igno-
rance aveugle et de l'avide cupidité, compree
met l'honneur du gouvernement et celui de la
nation.


Mirabeau rappelle ses relations avec M. de
Calonne, leur première entrevue, où le mi-
nistre lui témoigna un désir vif de le voir tra-
vailler à répandre l'instruction sur différents
objets d'économie politique :


Dès ce moment, je me montrai à vos yeux
tel que j'ai toujours été, et vous pûtes con-
naître l'homme que vous envoyait le hasard.


« Si Scorie sur des matières d'administra-
tion, vous dis-je alors, je le ferai avec liberté,
précision, énergie. Assez d'autres ontprostitué
la puissance de la parole écrite e défendre ou
protéger des erreurs : il est temps d'offrir un
cuite put à ta venté; que le gouvernement ne
s'attende pas à trouver chez le même homme
les moyens des âmes fortes et les ressources
des petites âmes; s'il croit que ma plume
puisse seconder ses vues pour le bien public,
il me laissera le caractère d'indépendance qui,
seul en suppléant à l'insuffisance de mes ta-
enta, m'a obtenu le succès.


PerS011r• , mieux que vous, monsieur, ne
sait prendre tous les tons, toutes les formes.
Vous applaudîtes vivement à ma loyale ru-
desse, et ce fut sur votre parole, que vous
n'essayeriez lamais de me soumettre à un autre
empire qu'à celui de ma persuasion, que je
me rendis à l'invitation d'écrire sur toutes les
narties de l'administration des finances qui




me paraîtraient mériter la critique ou les ob-
servations du patriotisme. Telle est la seule
condition que j'aie jamais faite avec vous.


Mirabeau entre ensuite dans de longs déve-
.oppements sur les circonstances de ses divers
ouvraes, et il termine par cette énergique
conclusion :


Tel est, monsieur, jusqu'à ce moment, l'effet
de votre commission. Eh ! à Dieu que je
me trompasse ! Plût à Dieu que l'on pût me
démontrer que vos procédés envers moi et mes
ressentiments m'égarent ! Avec quel empres-
sement je ferais, je ne dis pas un stérile désa-
veu, mais la déclaration sincère que je mérite
une punition plus éclatante que celle dont
vous me paraissez digne; et certes, ce ne se-
rait pas m'être indulgent.


Mais hélas! nous avons, dans votre admi-
nistration, de trop sûrs indices de ce qu'il
nous faut attendre de vous! Que verrons-nous
si, par impossible, l'intrigue ou la faveur vous
soutiennent encore en place après cette révé-
lation de votre incapacité! Quelle ressource
vos stupides conseillers vous of


•iront-ils pour
vous relever dans l'opinion publique ?.... De
misérables loteries pour convertir nos capitaux
en chances, et le Trésor royal en académie de
feu ?.... Un retour aux emprunts viagers, re-
tour criminel, sous quelque nom que vous le
déguisiez, malgré la répudiation solennelle de
cet odieux gaspillage, prononcée il n'y a pas
deux ans?.... line accumulation de services
pour dévorer d'avance des revenus encore à


— 57 —
naître ?.... Une augmentation du nombre déjà
si grand de fermiers, de régisseurs, de rece-
veurs du toute dénomination, qui, pour de
chétives avances des mêmes fonds qu'ils ont
déjà prêtés sous d'autres formes, acquerront le
droit de dévorer les derniers restes de la sub-
stance du peuple ?....


Avec ces méprisables moyens, vous prolon-
gerez peut-être pendant quelques mois votre
existence précaire, eib..-e les secours des usu-
riers et les dissipations des courtisans, mais
quand les derniers et tristes regains de votre
moisson ministérielle seront consumés; quand'
la méfiance générale se refusera au renouvel-
lement, des billets de finance ; quand tout cré-
dit publie et privé dans les affaires du roi sera
épuisé, que ferez-vous 9


Evoquerez-vous l'ombre de l'exécrable Ter-
ray Je m'arrête; et le lecteur me trouve
déjà, coupable pour avoir osé prévoir les mal-
heurs que votre administration amènerait in-
failliblement si elle pouvait durer. Mais qu'il
sa rassure, votre chute les préviendra, ou si
vous êtes réservé pour commencer à les réa-
liser, l'amour du roi pour ses peuples ne vous
laissera pas achever. Votre successeur fera de
vous un grand et mémorable exemple; vous
aurez été jusqu'au bout le phénix de nos
finances, et le crédit renaîtra de vos cendres.


Maintenant que me reste-t-il à frire? Ou
plutôt, me permettant un retour sur moi-
même, qu'ai-je fait? Quel fruit retirerai-je
d'une attaque qui, dans le langage timide de
: 'égoïsme sous lequel périra bientôt le peu de
vertu qui nous reste, sera qualifiée d'aude-




— 58 —
cime ?... Quel fruit?... La chute du ministei
malhabile, sinon pervers, qui ruine la nation
et la déshonore, ou ma proscription ? J'ai pesé
cette alternative et l'ai saisie sans effroi... Eh
que ferai-je dans un pays où l'autorité serait
plus puissante que la justice et la vérité, se-
condées d'un grand courage?


Qu'on ne croie pas, au reste, que je m'abaisse
à, me justifier d'avoir élevé la voix pour défen-
dre la morale et la chose publique, au milieu
de la consternation du commerce, et du con-
cert d'éloges des lâches adulateurs de tout
abus d'autorité. Quoi! II serait donné à un
homme de ravager la France par son igno-
rance, son inapplication , sa frivolité! Cet
homme chargé d'une réputation odieuse, et
conquise avec éclat dans un âge où la sensi-
bilité presque naissante aurait lui suffire
pour repousser avec horreur les fonctions
que lui offrait la tyrannie (t); cet homme
arrivé, par des voies tortueuses et la terreur
même de son nom , an timon des affaires
les plus importantes du royaume, nous an-
poncerait par son impéritie le retour deS
plus grandes calamités!... et un autre hom-
me, sans intérêt, sans intrigue, qui n>a de
puissance que celle de la raison, de moyens
que sin courage, de parti que le bien générale
de mobile que l'instinct impérieux, le désir in-
vincible de se dévouer pour les vérités grandes
et utiles; cet homme ne pourrait pas sans
crime essayer de sauver la chose publique,


(i) Allusion au réle que M. de Calonne loua dans le
célèbre procès la C:Ialotai$.


— n9 —
d'éclairer la religion du souverain, et de faire
retomber sur la tête du coupable ministre
tout le poids de sa corruption et de. son inca-
pacité!... Non, je n'hésiterai pas, je croirais
outrager le roi, mon siècle et mon pays.


Et, qu'on •y prenne garde : .ce n'est. jamais
trop tôt, ce n'est jamais assez tôt que ce mi-
nistre peut être arrêté dans sa course; car
l'impéritie d'un contrôleur général .une fois
démontrée peut compromettre le crédit pu-
blic, dont la chute profonde est d'autant plus
rapide et difficile à interrompre, qu'il s'était
plus vivement élancé, et que celui ,de nos ri-
vaux acquiert tous les joùrs plus de vigueur :
que dis-je? le crédit public ne peut qu'être
anéanti si les finances restent entre les mains
de cet administrateur incapable. Dans une telle
place, c'est assez du bilent pour inspirer 1a
confiance, source unique de tout crédit: l'ha-
bileté suffit à l'opinion, parce que, dans les
fonctions publiques, l'habileté exclut l'impro-
bité, quels que soient les principes de morale
personnelle de l'administrateur ; et voilà pour-
quoi, malgré vos funestes exploits de Breta-
gne, si votre avénement au ministère a effrayé
on instant ceux qui croyaient aux profondeurs
ténébreuses de votre âme, vos premières opé-
rations n'en ont pas moins remonté le crédit
public, -parce qu'elles ont donné à croire que
vous aviez de l'habileté, c'est-à-dire la véri-
table vertu de votre département.


Mais aujourd'hui .qu'il est démontré que
Votre esprit consiste


• lm iquement dans la faei-


talent
à parler et la grâce des tournures; votre


calent dans l'art de me . jamais prendre




— 6 0 —
parti décisif, et de capter le •suffrage des gens
du monde par l'infatigable complaisance avec
laquelle vous leur prodiguez tout votre temps;
qu'en un mot vous n'avez nulle capacité, que
vous nE. savez pas les éléments de votre mé-
tier; que vous n'en connaissez pas même la
langue : je le demande, que nous reste-t-il à
la fin d'une des aimées les plus désastreuses
que le ciel ait envoyées depuis longtemps? Au
moment où les circonstances politiques nous
menacent de plus d'un orage extérieur, où Ies
difficultés, les embarras, les dépenses s'ag-
gravent tous les jours, à mesure que les res-
sources diminuent avec la confiance, le numé-
raire, les capitaux, l'industrie? Au moment où
arrive le terme d'un impôt odieux dont le roi
a juré de ne pas permettre la prolongation;
où la plus grande partie des revenus ne ren-
trera pas au Trésor, tandis que l'autre s'écou-
lera nécessairement en indemnités, sous peine
de frapper de stérilité un territoire inépui-
sable par toute autre calamité que le fisc, mais
trop longtemps desséché par lui... Dans ces cir-
constancep, que nous reste-t-il pour caution, pour
présag€ de vos opérations ministérielles?...
Cette immoralité profonde qui vous est st-
tribuée depuis trente ans dans toute l'Europe,
que le souvenir du glorieux nom de la Cha-
lotais atteste encore, et que vos complices
mêmes n'ont jamais essayé de couvrir, si ce
n'est par l'éloge de vos grâces et de votre
aménité, plus fatales à la gloire de votre ad-
ministration actuelle que vos erreurs passée
et vos bévues récentes... Certes, monsieur,
quand il serait vrai que vous n'êtes pas ma'


— 61 —
chant (je le crois, la méchanceté suppose quel-,
que force, et toute force vous est refusée, vous
n'avez que les passions des petites âmes, le
despotisme et la vanité); quand il serait vr•
que vous n'êtes pas méchant, il ne l'est. pal.
moins que tout principe de bonne foi, de fidé.
lité aux engagements, de respect pour la pro
priété et la liberté, vous est entierement in-
connu


et c'est vous, cependant, qui tenez
la grande chaîne des opérations du commerce,
des engagements publics et de toutes les
propriétés. Voilà, monsieur, voilà, je l'atteste,
l'idée terrible qui m'a pénétré d'efroi pour la
chose publique; et cette sorte d'effroi, véritable
aliment du courage d'un bon citoyen, m'a,
plus encore que mon injure personnelle, décidé
à prendre la plume.


L'exemple que je donne est grand; il est
périlleux aussi sans doute, mais il n'est grand
que parce qu'il est périlleux. La vertu supposa
la force, la gloire, le danger; c'est lui qui fait
ici le seul mérite qui puisse m'être attribué...
Eh que deviendrait la famille universelle, la
grande société humaine, que deviendrait-elle
sous les coups redoublés des préjugés, de l'i-
gnorance et du despotisme (ces mots sont
synonymes), si la nature ne produisait pas
quelquefois des hommes capables de se préci-
piter clans les entreprises qui demandent de
l'énergie, et qui exposent à (les dangers!


Au nombre de ces entreprises, sans doute,
à. faut compter celle de réclamer infatigable-
ment pour la chose publique dans un pays
sans constitution, et sans liberté ; d'y tra-
vailler, d'y concourir à l'instruction ; peu de




— 62
projets sont plus hasardeux, mais il n'en est
point de plus digne d'intérêt et . d'estime ; car
c'est de l'instruction seule qu'il faut. attendre
la restauration du royaume, la vraie gloire et
la prospérité de la nation. Un administrateur,
même nabile, n'a d'influence que pendant son
action ; et c'est alors ,qu'il ne trouve presque
jamais qu'une faiblesse lâche et paresseuse
dans ceux qui voudraient le bien, tandis que
ceux qui veulent le mal lui opposent une
force prodigieuse, parce qu'il opère à leur
désavantage immédiat et particulier. 11 faut
lutter contre le torrent et dériver quelque-
fois pour affaiblir la résistance ; cependant si
l'homme passe, et ses projets, ses vues, ses
efforts avec lui, l'instruction reste ; elle fer-
mente, elle germe, elle mùrit, et sa plus faible
récolte , prépare encore d'abondantes mois-
sons Elle est donc vraiment. belle, la place
d'instructeur ! Oui , monsieur, croyez-moi,
assez belle pour que les.arnbitieux s-Malternes,
les ambitieux de cordons, de départements,
de Ministères, aient intérêt à consulter, écou-
ter, observer , l'heinme qui sait, qui veut, qui
peut instruire ses contemporains Je ne me
cache pas dé prétendre à cette prérogative, et
peut-être ai-je quelque droit d'avouer cette
ambition qui pie à mon âme sans étonner
mon esprit. Tout ministre dont les intentions
seront pures m'encouragera; car ;e ne puis
que vouloir le seconder. Les autres trouveront
en moi un. enneniiimpiacable, avec lequel ils


' auront, bientôt terminé .la guerre si jamais je
tombe en leur. pouvoir.


Mais Si j'éelioue en cette op-t9sion, que les


— —


bons citoyens qui cultivent pensée et l'art
d'écrire comme le gardien du droit de l'huma-
nité, que les bons citoyens, dis-je, ne se dé-
couragent pas; qu'ils croient que c'est faute
de talent ou mauvais choix de circonstances.
Qu'ils me consolent en m'imitant., et qu'ils se
tiennent pour certains que tôt ou tard les mi-
nistres indignes seront renversés, si l'on ose
publiquement avoir raison contre eux, le dire
et se nommer. En vain ces demi-dieux rugi-
ront, en vain ils menaceront, ils frapperaient
même en vain. Toujours la contradiction prêta
des forces à la vérité, et les prétendues entra-
ves qu'on croit pou voir 1 ui donner ne sont que
des ressorts qui hâtent sa marche. Ah! si l'on
savait se refuser à la complicité de tout mal;
si l'on osait dévoiler celui que l'on aper-
çoit; si l'on se faisait un devoir de porter la
discussion ,de tous les grands intérêts de la
société au tribunal de la raison universelle,
l'opinion publique, assise enfin sur des bases
invariables, serait bientôt la reine des rois, et
les rois ne seraient tout-puissants que pour le
bien des peuples, source unique de tout bien
pour eux-mêmes.


Mais je ne succomberai point. Notre souve-
rain sentira qu'on doit quelque attention à
l'homme qui, dans une attaque si sérieuse et
si franche, n'a employa contre son ministre ni
le langage de l'ignorance, ni le babil de la pré-
somption, ni le venin de la médisance, ni le
Poison de la calomnie ; qui a posé des faits, éta-
bli des principes, approfondi des discussions,
et mis à la ; ortée de tout lecteur attentif une
question si grande, qu'il est très-important au




— —


gouVernement de revenir sur ses pas s'il s'est
égaré. Ordonne? le silence sur de tels intérêts
par l'arbitraire ou la violence, ce ne serait pas
gouverner; se serait pesersur un terrain miné,
en attendant l'explosion qui doit disperser les
débris de ceux qui dorment sur la rnine.


Loin à jamais d'un auguste prince, distin-
gué par la justesse de son esprit autant que
par l'élévation de son â.lne , l'imbécile et dé-
testable maxime qu'il faut interdire au
citoyen de scruter les oeuvres des adminis,
tours. Cet axiome impie fut dicté par les (•-
lires de la tyrannie ou les terreu rs de la mé-
diocrité. Eh! quelles conséquences n'en résul-
teraient pas ? quelle erreur ne serait pas
sainte quel crime ne deviendrait pas sacré?
quelle mute cesserait d'être irréparable ? Vous-
même, monsieur, n'avez-vous donc pas cru
devoir donner un démenti formel à votre
prédécesseur dans le premier arrêt du conseilque vous avez rendu ? Et, dites-moi, l'autorité
souveraine en a-t-elle été moins puissante ou
moins révérée? Non, car on sait que les mi-
nistres peuvent se tromper ; on n'ignore pas
qu'ils savent tromper ; eux seuls sont respon-
sables de leur faute ; et peut-être cette opinion
est-elle plus importante dans les monarchies
absolues que dans les gouvernements limités.
Car on la liberté n'est pas, le courage manque,
mais A, fureur éclate quelquefois; on n'écrit
pas contre les ministres, on ne se plaint Pag
du gouvernement, mais on songe, on se pré'
pare à le détruire. Ces acces d'engourdisse'
ment et de frénésie ne conviennent pas à dei
Français. C'est hors du trône, monsieur,


— 65
qu'il leur faut des victimes ; ils veulent
n'avoir qu'à chérir l'autorité souveraine. Ja-
mais elle ne leur paraît plus paternelle, plus
digne de leurs bénédictions, qu'alore qu'elle
rétracte une erreur de ses mandataires. Eh!
comment la découvrirait-elle, cette erreur, s'il
n'était pas permis de s'appliquer publique-
ment à reconnaître ce qui est juste et ce qui
ne l'est pas? ce qui est mal et ce qui est bien?
Quel est le ministre, je les interpelle tous, qui
osera dire : Moi et moi seul je sais tout; moi
et moi seul je ne puis pas me tromper. Ou si je
me trompe, que m'importe? ce n'est pas le bien
public, c'est ma place que je veux. Non, je ne
veux pas que l'intérêt commun soit enfin com-
pris; je ne veux pas qu'il l'allie les coeurs el les
forces du peuple. Je veux que ce peuple ignorant
puisse être entraîné par des passions aveugles
contre son intérêt, et contre celui de son souve-
rain; car mon intérêt à moi, c'est que chacun
me laisse faire en silence. Périsse tout autre in-
térêt! que tous les coeurs se ferment! que tolites
les langues se glacent! que toutes les mains soient
enchalnées!...


Tel est incontestablement le langage qu'il
faut qu'un ministre se permette pour m'im-
puter à crime la liberté de cet écrit, et ce lan-
gage, notre roi de le souffrirait pas. Adorateur
constant de la morale et de la justice, il ne
me condamnerait pas pour avoir défendu leur
cause, qui îst la sienne, puisque, gardien et
chef de toutes les propriétés, son premier do-
limbe ast le respect universel et inviolable
de la propriété. Je n'ai donc point attaqué son
autorité, mais j'ai servi sa puissance. Je n'ai


icludeg.0, OPIN ET DISC.. U.




— 66 ---
point soutenu le procès de l'agiotage, comme
on s'efforcera de le faire croire; j'ai soutenu le
procès de la propriété, base de toute justice,
de tout droit social, source unique, eource in-
tarissable des prérogatives de la souveraineté.
Ah! qui oserait nier qu'un acte de législation
tout semblable à celui qui vient d'arracher
cinq cent millions d'engagements à la sauve-
garde des tribunaux et des lois ne peut pas,
au même titre, par les mômes moyens, dans
les mômes principes, bouleverser les droits de
tous, et mettre en combustion tout notre or-
dre social?


Donner à la nation, sur une loi récente, une
telle alarme, porter des accusations si graves
sur le ministre qui l'a promulguée, ce serait
être coupable, pour peu que cette alarme et ces
accusations ne soient pas fondées; mais du
moment qu'elles le sont incontestablement,
porter une telle loi, légitimer de pareilles ter-
reurs, c'est commettre le premier 'tes atten-
tats, un crime de lèse-nation. Ainsi, monsieur,
vous ôtes profondément coupable, ou je vous
ai horriblement calomnié; voilà ce qu'il s'agit
de prononcer entre nous. Le plus ardent de
mes voeux est d'entendre cet arrêt, et je jure,
sous la caution de mon honneur, d'être tou-
jours prêt à nie présenter et môme à me cons-
tituer prisonnier le jour on le roi voudra que
ses tribunaux décident si je suis un calom-
niateur effréné ou si vous ôtes un ministre
-prévaricateur.


SUR 1110SES MENDELSSHON


t e.


LA RÉFORME POLITIQUE DES JUIFS




SUR MOSES MENDELSSHON ET LA R gFORM7,' POLITIQUE
DES JUIFS


Après avoir ainsi écrasé M. de Calonne,
Mirabeau quitte la France pour éviter, par
une retraite volontaire, les premiers coups de
la vengeance du ministre. Après avoir par-
couru diverses villes d'Allemagne, il fixa son
séjour à Berlin. Les labeurs littéraires étaient
les seuls moyens d'existence sur lesquels il
pût désormais compter; loin de s'en plaindre,
il s'en faisait honneur, car, à ses yeux, la pre-
mière des professions était celle des hommes
de lettres, pourvu qu'ils comprissent bien leur
mission. Veld ce que nous lisons à ce sujet
dans la préface du livre sur Aloses Men-
delsshon, publié pendant ce séjour à Berlin :


Ah! s'ils se dévouaient loyalement au noble
métier d'être utiles! Si leur indomptable
amour-propre pouvait composer avec lui-
même, et sacrifier la gloriole à la dignité I Si
au lieu de s'avilir, de s'entre-déchirer, de dé-
truire réciproquement leur influence, ils réu-
nissaient leurs efforts et leurs travaux pour
terrasser l'ambitieux qui usurpe, l'imposteur
qui égare, le lâche qui se vend; si, méprisant
le vil métier de gladiateurs littéraires, ils se
croisaient en véritables fières d'armes contre
les préjugés, le mensonge, le charlatanisme,




— '70 —
la superstition, la tyrannie, de quelque genre
qu'elle soit, en moins d'un siècle la face de la
terre serait changée.


Mirabeau avait admirablement conscience
de cette belle mission de l'homme de lettres,
et on a vu déjà s'il mettait en action ce qu'il
sentait si bien. Le livre dont nous extrayons
les lignes qui précèdent est intitulé : Sur
Moses Mendelsshon, SUT ta Réforme politique des
Juifs, et, en particulier, sur la Révolution tentée
en leur faveur, en 1153, dans la .Grande-Breta-
gne. Cet ouvrage fournit à Mirabeau l'occasion
de traiter largement un des sujets qui con-
venaient mieux à son ardente philanthropie, à
son amour de la liberté, à son goût et a son
talent pour la polémiqueoratoire, pour les han-
tes questions de phih,sophie et de politique.


La préface es, a elle seule un morceau très
remarquable, dont nous extrairons encore le
passage suivant sur l'efficacité souveraine de
l'instruction


Croyons que, si l'on excepte les accidents,
suites inévitables de l'ordre général, il n'y
a de mal sur la terre que parce qu'il y a des
erreurs; que le jour où les lumières et la mo-
rale avec elles .pénétreront dans les diverses
classes de la société, les âmes faibles auront
du courage par prudence; les ambitieux des
;moeurs par intérêt ; les puissants de la mo-
'«dération par prévoyance; les riches de la
bienfaisance par calcul, et qu'ainsi l'instruction
diminuera tôt ou tard, mais infailliblement,
les maux de l'espèce humaine, jusqu'à rendre
sa condition la plus douce dont soient suseep.
tibles des êtres périssables. »


--


La mort de Mendelsshon fournit l'occasion
de ce livre, où Mirabeau écrit l'histoire in-
téressante et lait le portrait de cet homme
qui, sorti d'une race tncore méprisée, ci-de-
Tant avilie et proscrite, qui, difforme, in-
firme, malade, voué par lobscure pauvreté de
sa famille par l'abaissement de sa caste ré-
prouvée, à l'ignorance et à la misère, s'est ce-
pendant élevé par la morale pratique, à une
sublime philosophie ; par la richesse de l'ima-
gination, à un rang éminent dans les lettres;
par la science, à l'accroissement des lumières
d'une civilisation très avancée; .par la cha-
rité, à un véritable apostolat de bienfaisance :
par le crédit de son nom, au patronage de ses
coreligionnaires; par son zèle infatigable, à la
plus haute influence sur leur instruction et
leur amélioration morale. Mirabeau loue et
analyse les principaux ouvrages de Men-
delsshon : son livre des Sentiments, son Phoa-
don, imité de celui de Platon,. dont l'âme, l'i-
magination et la poésie revivent dans son
imitateur ; sa démonstration de l'immortalité
de l'âme « si consolante pour la vertu, quoi-
qu'elle puisse absolument s'en passer, • dé-
monstration appuyée de l'autorité de Leibnitz,
Wolf, Kant, de toutes les ressources de la lo-
gique la plus exacte, et de toutes les inspira-
tions de la morale la plus pure ; sa Jéru-
salem, admirable théorie de la tolérance en
matière d'opinions religieuses. Puis il rend
colleta des persécutions que l'auteur d'un ou-
vrage rempli d'une chante si tendre éprouva,
même de la part des chefs spirituels de ses
propres coreligionnaires, à cette occasion • et
tel est peut-etre le principal motif qui fit
écrire à Mirabeau cette première partie du
livre.


Après ces préliminaires empreints de l'in-
térêt le plus pénétrant, il aborde son sujet




72


principal, la nécessité de la réforme politique
des j tufs; il rappelle les persécutions qu'àtoutes
les époques de leur histoire ils ont souffertes
dans leur culte, dans leurs personnes, dans
leurs biens ; il expose l'inj uste et dure réproba-
tion qu'ils éprouvent encore depuis qu'ils ne
sont pl us formellement proscrits ; l'état tantôt
d'abjection, tantôtdedétiance, toujours de gêne
et de restriction, où ils sont réduits presque
partout. Il demande si les iniquités dont ils sont
lesvicti mes s'expli quentpar leur religion?Non,
car l'antique intolérance a disparu devant les
lumières, et cette religion n'a point de princi-
pes antisociaux. Par leur obstination à se ren-
fermer dans leurs rites et leurs usages ?Non,
car il y a d'autres sectes non moins exclusives,
et n'ont-ils pas, d'ailleurs, quelque droit d'en
être fiers et de s'y attacher, en voyant que
vingt siècles de persécution n'ont pu les abat-
tre? Par leur intolérance? Non, car quelle com-
munion n'est pas tout aussi intolérante à l'é-
gard des autres communions? Et pourquoi la
loi, qui n a rien à voir dans les croyances, sus-
pecterait-elle l'intolérance de l'une et ne se
défierait-elle pas de celle des autres? Par leurs
moeurs? Non, car ils sont moraux et religieux,
chastes époux, bons pères et bons fils. Par leurs
vices? Non car ils n'en ont pas plus et pas
moins de vertus que les peuples qui les repous-
sent ou qui les maltraitent. Par leur avidité,
par 1 eu r mauvaise l'ai? Mais n'est-ce pas pren-
dre l'effet pour la cause? N'est-ce pas le fruit
nécessaire de la tyrannie qui leur interdit les
moyens honnêtes d'existence, qui leur défend
l'exercice des professions libéraieset respecta-
bles? Et comment leur demander l'obéissance
aux lois dont la protection leur est refusée, à
l'autorité qui, loin de les protéger, les opprime?


A l'appui de ces considérations, Mirabeau dé-.
taille les malheurs dont la condition des juifs


-- 73 --
est encore ci.:•egée; il les montre totalement
exclus de quelques pays du Nord, à peine
soufferts dans d'autres, entoures de vexa-
tions et de restrictions, ou tout au moins de
Défiance; partout ailleurs, si ce n'est en Hol-
lande et en Angleterre, où ils valent beaucoup,
parce qu'ils y sont bien traités; où ils sont la-
borieux, sages, réguliers, loyaux, parce qu'on
's laisse tranquilles et libres, parce qu'on leur
permet d'être heureux.


En supposant d'ailleurs, dit-il, qu'ils ne se
Inontrassent pas tout de suite entièrement
Ilignes de l'adoption complète que la justice et
l'humanité réclament pour eux, ne voit-on
pas que du moins leurs enfants ne tarderaient
pas à la mériter et à en acquitter largement
le bienfait`?


Les colons qu'attirent ou reçoivent les di-
vers Etats européens, depuis que les persécu-
tions religieuses sont passées de mode, sont,
pour la plupart, des hommes sans capacité,
sans industrie, des enfants stupides, qui se fi-
gurent un ciel étranger plus serein que le
leur et se promettent d'y passer des jours
heureux, sans rien faire; des misérables même
qui cherchent à échapper au glaive des lois :
ce sont, en un , mot, d'assez mauvais sujets,
qui coûtent à l'Etat plus qu'ils ne lui rendent :
mais plusieurs laissent des enfants qui, ou-
bliant les vices ou les préjugés de leurs pa-
rents, produisent une génération de bons
citoyens, et c'est assez pour dédommager avec
usure le gouvernement : aussi n'en est-il point
qui n'attire des colons. Et cependant ils re-
poussent les juifs! Quelle inconséquence!....




-7 k
Croit-on que ces émigrants, ces puritains, ces
trembleurs qui ont peuplé l'Amérique septen-
trionale, ressemblassent à ceux qui ont fond(
les empires les plus florissants (si l'es poir dr
genre humain n'est pas déçu), dont la terr6
aura jamais été embellie? Non certes. C'est
avec des mœurs corrompues et des connais.
sauces aussi bornées que leur fortune, que le
plus grand nombre de ces malheureux allè-
rent chercher dans un nouveau monde un sort
dont ils s'étaient peut-être rendus indignes
dans le nôtre.


Enfin, Mirabeau rapporte l'acte duparle-
ment anglais de 175
j3, qui donnait aux uifs la


faculté de se faire naturaliser, sans nécessité
d'abjuration préalable. Il raconte et développe
les raisons qui furent publiées contre et pour
cette mesure ; les unes empreintes de préjugés
intolérants et fanatiques, d'égoïsme national
irréfléchi autant qu'injuste ; les autres fortes
de tous les arguments que peuvent fournir
la raison, la justice et l'humanité; l'acte du
parlement n'en fut pas moins révoqué pres-
que aussitôt nue rendu, grâce à la pusillani-
mité du ministère ; et l'auteur l'en accuse
avec autant d'énergie que de justesse. Il con-
tinue en combattant un écrivain savant niais
passionné, Michaelis, qui renouvelle contre les
juifs tous les arguments surannés de l'intolé-
rance et du fanatisme; Mirabeau cite et forti-
fie les réfutations déjà opposées par Men-
delsshon, et finit par cette belle péroraison


J'exhorte les adversaires des juifs (je voudrais
'que le mot ennemi fût banni de toutes les lan-
gues) à chercher de bonne foi si, dans cette im-
portante discussion, ils n'ont pas toujours jus-


lb---
tifié l'oppression par les suites de cette oppree-
sion, cherché la cause dans l'effet, calomnié pour
expliquer, supposé pour pi ouver, crédit pour
répondre. Je les exhorte à se demander si ce
n'est pas une légèreté très répréhensible, que
de renforcer par des objections frivoles ou peu
réfléchies, par des faits hasardés, si ce n'est
absolument faux, par des suppositions odieuses
et gratuites, 'in préjugé aussi barbare que ce-
lui qui mutile une nombreuse partie de l'espèce
humaine, et la dégrade au-dessous du rang
qu'assi gna la nature à ses enfants. Ah! dans
les problèmes de mora:e, c'est elle qu'il faut
consulter; c'est sur des m aisons générales, des
donnée premicres, originelles, et communes
à toutes !•Pà0èeà, lv"j tau; se décider, La na-
ture humaine se ressemble partout. Les juifs
seront ce que sont les autres citoyens dans
chaque Etat où les mêmes droits leur seront
accordés, où les mêmes obligations leur se-
ront imposées. Et quand il serait vrai que la
réforme politique des juifs entraînerait quel-
ques inconvénients, quand leur régénération
morale et physique demanderait quelque vi-
gilance de police, quelques soins paternels, le
gouvernement est-il institué pour autre chose?
A-t-il des devoirs plus sacrés, de plus grands
intérêts ? Non, sans doute, il' s'accuserait lui-
méme celui qui avouerait que la raison d'État
exige de lui d'être à la fois cruel et timide, de
bannir et d'opprimer les étrangers. Disons
plus, il s'accuserait lui-même d'ignorance, d'im-
piété ou d'inactivité, le gouvernement qui
avouerait son impuissance à rendre de la mo-
rale et des moeurs au peuple qui les a perdues




-- '76 ---
au sein de l'oppression, et qui les recouvrera
infailliblement par un traitement plus équi-
table; car il ne faut, avant même la régénéra-
tion morale des juifs, qu'une bonne police et
quelques institutions simples et paternelles,
pour faciliter le passage d'une de ces situa-
tions à l'autre.


Voulez-vous enfin que les prétendus vices
des Hébreux soient si profondément enraci-
nés, qu'ils ne puissent disparaître qu'a la troi-
sième ou quatrième génération? Eh bien
commencez tout à l'heure, car ce n'est pas une
raison pour reculer cette grande réformation
politique d'une génération, puisque sans cette
réforme, on ne verrait jamais une génération
corrigée ; et la seule chose que vous ne puis-
telez pas conquérir, c'est le temps perdu. LETTRE SUR CAGLIOSTRO ET LAVATER




1.


LETTRE SUR CAGLiOSTRO ET LAVATE.


C'est à peu près à la même époque que se
rattache une brochure intitulee Lettre du
comte de Mirabeau à 31. **' sur MM. Cagliostro
et Lavater. Son but est de flétrir l'impudent
charlatanisme de l'un et de combattre le fana-
tisme loyal mais dangereux de l'autre. Il a
surtout pour but de denoncer hautement un
charlatanismephilosophie° - cabalistique qui
mène droit au fanatisme et à l'intolérance. • Il
montre sans peine que les princes, surtout
les princes absolus, sont assez entourés d'il-
lusions dont leurs vertus mêmes sont décues,
d'illusions nuisibles aux peuples dont le 'sort
est entre leurs mains, pour qu'on doive inter-
dire l'accès des trônes à des séductions dont le
moindre effet est de distraire l'attention des
souverains des véritables sources de la pros-
périté publique ; du reste, Mirabeau ne dé-
nonce point Lavater à l'autorité; c'est au
nom de la liberté et de la raison seules qu'il
s'élève contre lui :


Si, comme on n'en saurait douter, ces
extravagances ont acquis en Allemagne une
très grande faveur; si Lavater a, parmi les
citoyens de toutes les classes, chez les jeunes
femmes, comme chez les vieilles dévotes, chez
ses princes comme chez les artisans, dans les
palais comme dans les estaminets, un nombre




— 80
infini de crédules admirateurs ; si ses lettrescirculaires ou pastorales, ses fauteurs et sesdisciples, ses partisans et ses amis, s'efforcent
d'infecter tous les rangs tous les pays, toutesles co


mmunions, d'un christianisme philoso.phic
o-cabalisque qui mène droit au fana-tisme et à l


'intolérance ; si celui qui n'y croit
pas est à peine souffert dans certaines coursd


'Allemagne, s'il est irrémédiablement regardé
comme un athée très-immoral ; si les tètess
'échauffent et s'exaltent; si la fermentationest telle que déjà les protestants et les catho-


liques murmurent les uns contre les autres,
s'i n sul tent,s'accusent et se calomnientrécipro-gueulent, ces extravagances ne sont que trop
importantes et méritent d'être dévouées du
libermoins au mépris des amis de la paix et de laté .......................


A. Dieu ne plaise que l'autorité s'en mêle
Le plus léger grain de persécution, et Lavaterserait bientôt un dieu et ses adhérents desprophètes. mais que les sages élèvent la voix
et fassent briller d'un bout de l'Europe à
l'autre les ar:nes de la raison et du ridicule.


Je voudrais surtout, je voudrais armer la
raison, et, s'il le faut, l 'amour-propre de ceux
d'entre les princes que Lavater et autres
adeptes, trompeurs ou trompés, fanatiques


oufripons, sont parvenus à séduire, contre les
extravagances honteuses et les fascinationsgrossières qui les ont infatués... Eh! que ga-g
neront-ils donc à cette pitoyable facilité, à


ces déplorables faiblesses ?.... la perte d'un
temps plus précieux pour eux que pour les
autres mortels, le vide du repentir


et des ce-


— 8f —
frets, et la chute de leur considération per-


Quoi donc I l'accumulation des fourberies de
tus ces jongleurs, copistes plus ou moins
aimas, mais toujours copistes les uns des
astres, et leurs éternels non succès, ne disent-


donc pas assez que leurs promesses sont
nunteuses ? que pour les princes, il n'y a de
trÉsor que dans une sage économie, et la bien-
faisance éclairée qui multiplie au sein de
leurs Etats les riches et les heureux?? de
')orlieur que dans la paix d'une bonne cons-
?ence et l'acquit de leurs intéressants de-


voirs, seule jouissance sur laquelle il est im-
possible qu'ils se blasent ? de divination que
dans la prévoyance et dans la connaissance
des hommes ? de magie que dans le grand art
d'inspirer la confiance et de se faire aimer ?...


Et si ces misérables jongleurs, toujours
poussés par la soif de l'or et celle de l'intri-
gue, éloignaient des cours qu'ils obsèdent les
sages et les bons citoyens, toujours peu cu-
rieux de se compromettre avec des aventuriers
et des charlatans ; si, distrayant l'attention
des princes des véritables sources de la pros-
périté. publique, ils parvenaient, par la force
Presque irrésistible de l'habitude, ou par les
séductions de l'amour-propre qui ne veut pas
avoir été trompé; s'ils parvenaient à les cir-
conscrire, à les enchaîner, à les hébéter, dans
le cercle de leurs déceptions, de leurs pres-
Uges ; si la haine pour la résistance, cette
Maladie contagieuse et mortelle de tous les
Princes absolus, allait changer ces rêveries té-
Uebreuse,s en un système d'intolérance et de




— S2 —
persécution... ah! que deviendriez-vous ? les
jouets et les victimes, les prédicants et les sa-
tellites des superstitions les plus honteuses qu.
aient jamais infesté la terre !...


Dira-t-on que mon imagination s'exhalte,
et que je franchis les bornes du possible?...
Eh! connaissez-vous donc les bornes de la sa.-
perstition, dù fanatisme, des rêves, des délire
de l'imagination 4... Pauvres humains ! dont le
sort, d'un hémisphère à. l'autre, dépend ini-
quement du petit nombre d'êtres auxquels
sont livrés, comme autant de troupeaux, vos
peuplades asservies! Pauvres. humains! qui
prodiguez tous les efforts de l'adulation et les
philtres de la corruption pour gâter, pour
aveugler, pour paralyser les sens et les fa-
cultés morales de vos conducteurs !... Croyez,,.
vous donc que la tolérance, même religie
(toute autre est a peine connue), soit si avan
cée sur la terre?... Je ne connais quelqu
tolérance qu'en Angleterre, où, sans douté
encore, elle est loin d'être ni parfaite, ni com-
plète. J'en connais à Amsterdam, où la force
des choses a nécessité la sagesse; j'en connais
à Berlin, où l'homme supérieur qui tient les
rênes de l'État a su mépriser la plupart des
hochets de la folie humaine... Partout ailleurs,
j'ai vu l'intolérance diminuer avec le zèle reli-
gieux, mais je n'ai pas vu la tolérance; j'ai vu
les hommes combattre, et les gouvernements
se passionner pour les opinions même les
plus folles des gouvernés, qui le plus souvent
n'étaient que leurs stupides échos, et les im-
béciles émissaires de l'autorité usurpatrice
contre leurs propres droits...


44.


— 83
Pauvres humains! qui disputez sur tout,


qui repoussez avec violence la contradiction
la plus légère, vous parlez de tolérance! et il
n'est pas un pays sur la terre, je n'en
excepte pas les nouvelles républiques araéri-
caMes, où il suffise à un homme de pratiquer
les vertus sociales, pour participer à tons les
avantages de la société... Ah! parlez de tolé-
rance, comme vous parlez de patrie, de lois,
da constitution, de liberté, sans avoir ni lois,
ni constitution, ni liberté, ni patrie. Peut-être
u force de répéter ces mots, finirez-vous par
désirer de savoir ce que c'est; peut-être en
viendrez-vous même jusqu'à n'être pas fâchés
ze jouir enfin d'une vraie tolérance, d'avoir
une constitution, des lois, une liberté, une pa-
trie... Parlez-en donc; prononcez ces mots
sacrés que votre légèreté profane. mais souf-
frez que ceux qui leur donnent un plus grand
Prix, une étendue plus vaste, qui se dévoue-
raient pour réaliser cc qu'ils expriment, qui
voient clans la tolérance et dans la liberté les
sauveurs du monde, et ne les voient que là;
souffrez qu'ils veillent de près sur les enne-
nlis que voudraient leur susciter les jongleurs
de tous les rangs, de toutes les professions,
de tous les genres. Tolérez Cagliostro, tolérez
Lavater ; mais tolérez aussi ceux qui les dé-
tancent comme des insensés, parce qu'il ré-
Pa gue à prononcer qu'ils sont des fripons.




LETTRE SUR FREDERIC-GUILLAUME




LETTRE A rrdzfiyuc-coittiturz


Pendant le séjour de Mirabeau en Prusse,
Fiédéric II meurt, et son neveu Frédéric-Guil-
laume II lui succède. Le jour mème de l'avène-
ment du nouveau souverain, Mirabeau lui re-
met une lettre, oeuvre spontanée d'un esprit
incessamment occupé d'idées généreuses et
d'utiles réformations. Cette lettre éloquente
fut publiée huit mois après; elle nous permet
d'apprécier une fois de plus les principes au
triomphe desquels Mirabeau s'était consacré
Fi Complétement depuis son entrée dans la
carrière politique :


Vous parvenez au trône dans une heureuse
époque; le siècle s'éclaire de jour en jour; il a
travaillé, il travaille pour vous, il vous amasse
des idées saines ; il étend son influence sur
votre nation que tant de circonstances ont re-
tardéq; une logique sévère juge de tout au-
iatird'hui ; les hommes qui ne voient que leur
smblable sous le manteau royal et qui en


exigent des vertus, sont plus nombreux. que
jamais; on ne peut plus se passer de leur suf-
frage ; il ne reste à leurs yeux qu'un genre de
gloire, tous les autres sont épuisés : les suc-


militaires, les talents politiques, les prodi-
ges des arts, les progrès des sciences, tout a
Paru et brillé tour à tour d'une extrémité de




— —


l'Europe à l'autre ; la bienfaisance éclairée, qui
organise et vivifie les em pires, ne s'est point
encore montrée sur le trône, pure, sans mé-
lange. C'est à vous à l'y faire asseoir ; cette
gloire sublime vous est réservée. Votre pré-
décesseur a gagné sans doute assez et peut-
être trop de batailles ; il a trop fatigué les
cent voix de la Renommée ; il a, pour plusieurs
règnes, pour plusieurs siècles, àpeu prés tari
la gloire militaire


Mec plus de facilité, vous pouvez vous créer
une gloire plus pure, non moins brillante, et
qui soit la vôtre uniquement; Frédéric a con-
quis l'admiration des humains; mais jamais
1,'rédéric n'obtint leur amour ; il peut vous ap-
partenir tout entier


Veuillez, ah! veuillez recueillir les trésors
qu'étale sur vos pas la Providence; méritez
les bénédictions du pauvre, l'amour du peuple,
le respect de l'Europe, les voeux des sages;
soyez juste, soyez bon, et vous serez heureux,
vous serez grand!


Grand ! sire, vous voudrez ce titre ; mais vous
le voudrez de la bouche de l'histoire et de celle
des siècles futurs. Vous le dédaigneriez dans
celle de vos courtisans. Si vous faites ce que
la fils de votre esclave aura fait dix fois par
jour, mieux que Fous, ils diront que vous
avez fait une etion extraordinaire. Si vous
obéissez à vos passions, ils diront que vous
faites bien; si vous prodiguez le sang de yes
sujets comme l'eau des fleuves, ils diront que
vous faites bien; si vous affermez l'air, ils di-
ront que vous faites bien;si vous vous vengez,
Tous si puissant! ils diront que vous faites


--- 89 —
bien


Ils l'ont dit quand Alexandre , dans
l'ivresse, déchira d'un coup de poignard le
sein de son ami! Ils fout dit quand Néron as-
sassina sa mère.


Mirabeau recommande au roi de prendre,
dès le commencement de son régne, des ha-
bitudes laborieuses , qui serviront de règle à
tout ce qui l'entoure


Si vous remplissez infatigablement vos de-
voirs, sans jamais ajourner au lendemain le
fardeau du jour précédent; si, par des prin-
cipes grands et féconds , vous savez les sim-
plifier et les mettre au niveau des forces d'un
homme; si vous donnez à vos sujets toute la
liberté qu'ils peuvent porter, si vous 9rotégez
toutes les propriétés, si vous facilitez les tra-
vaux utiles; si vous effrayez les petits oppres-
seurs qui , sous votre nom, voudraient empê-
cher les hommes de faire, pour leur avantage,
ce qui leur convient sans nuire à autrui, un
cri unanime bénira votre autorité, la rendra
plus sacrée, plus puissante, et tout vous de-
viendra aisé, car toutes les volontés et toutes
les forces se réuniront à votre force et à votre
volonté; votre travail acquerra, chaque jour,
Une nouvelle douceur. La nature a rendu le
travail nécessaire à l'homme. Elle lui a donne
aussi ce précieux avantage, que le changeme nt
(le travail est, tout à la fois, pour lui, un dé-
lassement et une source de plaisir. Quiplus
facilement qu'un roi peut vivre selon cet or-
(ire de la nature? Un philosophe a dit qu'au-
(asn homme n'est aussi ennuyé qu'un roi; il de-




q90 —
!unit dire un roi t'enviant. Eh! comment remue
pourrait-il atteindre le souverain qui veut faire
son métiers' Entretiendra-t-il jamais mieux
la vigueur de son esprit et sa santé même
qu'en sei ?réservant, par le travail, du dégofit
que doit eprouver tout homme de sens au mi-
lieu de ces diseurs de riens, de ces artisans de
fastidieuses louanges, qui n'étudient le prince
que pour le corrompre , l'endormir, le voler?
Leur seul art est de le rendre apathique et
faible, ou impatient, brusque et inappliqué...
Votre peuple jouira de vos vertus, car il n'y 8
qu'elles qui puissent conserver, améliorer son
patrimoine. Vos courtisans cultiveront vos dé-
fauts, car c'est sur vos seuls défauts que peu-
vent porter leur crédit et leurs espérances.


Mirabeau , fidèle à un principe sur lequel il
revint toujours, recommande au prince de ne
pas étendre l'action directe du pouvoir royal
aux matières qui ne la réclament pas.


Pour vous, sire, comme il vous convient de
gouverner toujours bien, il est digne de voue ds
ne pas trop gouverner. Pourquoi dans le gou-
vernement civil montrer le pouvoir du roi,
lorsque les affaires peuvent aller sans lui.
L'autorité une fois établie, la sûreté au dehors
assurée, la justice civile et criminelle distri-
buée sur des principes d'égalité entre foutes
les classes des citoyens, et par conséquent les
propriétés de tout genre suffisamment calcu-
lées, les contributions judicieusement assises,
les travaux publics, les chemins, les canaux
sagement dirigés, que reste-t-il à faire au


— yi —
gouvernement? Rien, qu'à jouir du travail des
citoyens qui, en faisant leurs affaires sous vo-
tre protection pour leur plus grand intérêt,
l'ont celles de l'Etat et les vôtres.


Le prince qui examinera s'il ne vaudrait pas
:vieux laisser aller seules la plupart des choses
humaines; un tel prince est encore à paraitre,
et c'est celui-là cependant qui gouvernera,
:gomme Dieu, par le ministère de la raison et
de l'intérêt de chacun, en assurant seulement
à tous le fruit de leur intelligence et de leur
travail OU les hommes seront le plus libres, lit
sera le plus grand nombre, et là aussi ils au-
ront le plus, de sotimiesion et d'attachement
pour l'autorité; car l'autorité est essentielle-
ment l'amie de la liberté qu'elle protée. Per-
sonne ne demande autre chose; sinon : Faites
en sorte qu'on .me laisse libre et en paix.


n indique les réformes nécessaires et qtfil
convient d'opérer à l'instant noème:


Au nombre de ces choses, et la première au
premier rang, je compte l'abolition de l'esc:a-
rage militaire, c'est-à-dire l'obligation imposée
dans vos Etats à tout homme de servir depuis
l'âge de dix-huit ans jusqu'à soixante ans et
plus. Cette affreuse loi, née des nécessitésel'un
siècle de fer et d'un pays à demi barbare, cette
loi qui dépeuple et desseche votre royaume,
nui désuonore une nation sans laquelle vous
et vos ancêtres n'auriez été que des esclaves
plus ou moins décorés, cette loi ne vous vaut
pas un -soldat de plus que ceux que vous auriez
itàr un arrangement sage, pour recruter l'ar-




— --


mée prussienne d'une manière qui élève les
âmes, qui ajoute à l'esprit public, qui ait les
formes de la liberté, au lieu de celles de l'abru-
tissement et de l'esclavage. Dans toute l'Eu-
rope, et chez vous plus qu'ailleurs, on a la stu-
pidité de laisser perdre un des plus utiles ins-
tincts sur lesquels puisse être fondé l'amour de
la patrie; on a exigé des hommes d'aller à la
guerre, comme de vils troupeaux à la bouche-
rie; tandis qu'il n'y avait rien de plus facile
que de faire pour eux du service public un
objet d'émulation et de gloire.


Ici, Mirabeau pressent et propose la grande
mesure politique dont il fut, peu après, le prin-
cipal promoteur dans son propre pays, c'est-à-
dire r établissement de la garde nationale (1):


Que vos paysans forment dans leurs parois-
ses des compagnies nationales qui s'exerce-
ront le dimanche; que les compagnies natio-
nales nomment entre elles des grenadiers;


(1) Nons verrons ailleurs qu'il fut le premier à de-
mander en France cette institution, dont la vaste por-
tée de son esprit avait calculé les résultats. On peut
morne dire qu'il institua la garde nationale avant
1 Assemblée constituante elle-môme; en effet, ce fut par
une institution semblable, quoique accidentelle, que,
deux ans et demi après l'écrit dont nous rendons
compte, il sauva Marseille du pillage des brigands cl
des horreurs de la guerre civile. Nous n'anticiperons
pas sur cet événement, le plus glorieux de la vie de
Mirabeau; mais nous ne pouvons nous refuser no
prouver, par son propre témoignage, la justesse du
rapprochement que nous faisons ici. Nous emprun-
tons cette citation à son discours sur la procedure
prévôtale de Marseille, prononcé à l'Assemblée natio-
nale, dans la séance du 52 janvier 179e; discours


--- 93
que les choix soient faits à la pluralité des
voix : tout arbitraire se trouvera banni, tout
choix deviendra une distinction.


Il réclame ensuite contre une des lois les
plus dures de la Prusse; il revendique avec les
autres libertés la liberté d'émigration, dont
nous le verrons se constituer de nouveau le
défenseur à l'Assemblee constituante, dans des
circonstances délicates et difficiles, mettant
ainsi les principes au-dessus de la raison
d'État :


Donnez la liberté de s'expatrier à quiconque
n'eut pas retenu d'une manière légale, par
des obligations particulières ; donnez par un
édit formel cette liberté. C'est encore là, une
de ces lois d'éternelle équité que la force des
choses appelle, qui vous fera un honneur in-
fini, et qui ne vous coûtera pas la privation
ta plus légère ; car votre peuple ne pourrait
aller chercher ailleurs un meilleur sort que


Mirabeau, cédant aux convenances de sa position, ra-
conte les faits, sans mentionner la part qu'il y a prise :
Marseille, comme ville frontière et comme port da


,,rn r, a toujours dans son sein une foule d'étrangers,
','ulronnus, de matelots de diverses nations, de gens
sans fortune et pats à tout entreprendre. Ces hommes
ee rassemblèrent dès le lendemain de l'émotion popu-
'aire dont je viens de parler (l'émeute du Si mars 1789).
On les entendit menacer les magasins des négociants:
aussitôt une foule de, jeunes citoyens se réunit pour
les repousser. Leurs offres sont accueillies, Les brigands


,kint environnés, dispersés: et la formation de ces jeunes
iVh
1-it0yens en milice bourgeoise fut létir rèco


sa `;:fte d'avoir préservé la vi.,•0 ,--etantatieu,
i, laltail encore préveni r le retour un rancie mt


faite pour donner de gra;_dr, ektmine,
',An l'honneur de devancer les milices nationales.»




celui qu'il dépend de vous de lui donner, et
s'il pouvait être mieux ailleurs, vos .prohibi-
tiens de sortie ne l'arrêteraient pas. Les lois
les plus tyranniques sur les émigrations n'ont
jamais eu d'autre effet que de pousser le peu-
ple à émigrer, contre le voeu de la nature, le
plus impérieux peut-être qui l'attache à son
pays. Le Lapon chérit le climat sauvage °ail
est né. Comment l'habitant des provinces
qu'éclaire un ciel •.plus doux penserait-il ales
quitter, si une administration tyrannique ne
lui rendait pas inutiles ou odieux les bienfaits
de le nature? Tins loi d'affranchissement, loin
de disperser les hommes, les retiendra dans
ce qu'ils appelleront alors leur boum. paire,
et qu'ils préféreront aux pays les plus fer-
tiles, car l'homme endure tout de la part*
la Providence, tandis qu'il n'endure rie
d'injuste de son semb' able, et s'il se soumet
ce n'est qu'avec un coeur révolté. L'homme
tient point par des racines à la terre, ainsii
n'appartient pas au sol ; l'homme n'est pasin,
pré, un champ, un bétail, ainsi il ne .saure;
être une propriété. L'homme a le s.entiniell
intérieur de ces vérités-simples, et l'on ne
rait lui persuader • que ses chefs ont le.drel
de l'enchafner à. la glèbe; tous les :pouvoirs=
réuniront en vain pour lui inctilquer
fàme doctrine. Le 'temps n'est plus on
mattres .tçrre pouvaient ,parler a!
de si imème , .ce temps-:a..jamais


. Le lan ga gede la raison et, de:la . justice
seul gni . avoir :un succès durable et1
jourdlhui. is princes ne sauraient .ts(
penser que .,....,neriqUe anglaise ordonne


— 93 --
tous les gouvernements d'être justes et sages,
s'ils n'ont pas résolu de ne dominer bientôt
que sur des déserts.


Porté par la force de son esprit à anticiper
sur la marche du temps, Mirabeau s'élève
contre des institutions surannées et barbares,
dont la raison publique n'obtint l'abolition
que bien plus tard. Il dénonce au nouveau roi
le droit d'aubaine :


Que vous rapportent ces restes de labarbarie
féodale ? N'attendez pas pour les anéantir un
système de réciprocité qui n'a jamais d'autre
effet nue de retenir les peuples dans un plus
long état de déraison et de guerre ; ce qui est
bon à faire pour la prospérité d'un pays n'a
pas besoin de réciprocité. Si un Etat perd à
Ce que, dans un autre, on tyrannise les
hommes et les propriétés, c'est à son gouver-
nement à se hà.ter de mettre fin chez lui à ces
funestes mécomptes. Ne faut-il pas que quel-
qu'un commence? Combien n'est-il pas noble
et digne d'un roi de commencer, le premier,
dans une chose juste et honnête ?


Mirabeau demande encore la liberté pour
les bourgeois d'acquérir des terre nobles :


Qu'est-il résulté de l'absurde régime de la
protubition ? avilissement• du prix des terres,
c
'est-à-dire de la première richesse de l'État;


dépérissement de la culture, déjà découragée
Par d'autres causes ; aggravation du terrible
Préjugé qui mutile la bourgeoisie et qui hébète
la noblesse, en faisant de ses droits honorifi•




— 96 —
que une source de considération exclusive
qui la dispense d'en acquérir une autre; enfla
nécessité absolue pour les roturiers d'expatrier
tôt ou tard leur personne ou du moins leur
fortune, puisque, lorsqu'ils ont acquis luelques
capitaux, ils ne peuvent les employer ni dans
le commerce, qu'étoufe le monopole, ni dans
l'agriculture, qui ne les admet point à. l'espé-
rance de devenir propriétaires Partout où
la bourgeoisie peut acquérir, partout où le
commerce est en honneur, le pays devient
riant; il offre l'aspect de l'abondance et de la
prospérité ; l'industrie commereante éveille
toutes les autres; la terre aussi demande ces
procédés ingénieux qui animent la végétation
et l'étendent sur le sol le plus ingrat. Ces pro-
cédés n'ont jamais été inventés dans les pays
à noblesse, nous les devons aux constitutions
où la naissance illustre disparaît devant les
mérites et les talents dont elle est dépourvue.


Il s'élève contre l'abus des prérogatives de
la noblesse, et contre l'ilotisme politique de
tout ce qui n'est pas noble :


Abolissez ces prérogatives insensées qui rera-
plissent les grandes places d'hommes médio-
cres, pour ne pas dire pis, et désintéressent le
plus grand nombre de vos sujets d'un paya
où ils ne trouvent qu'entraves et humilia-
tions; méfiez-vous de cette aristocratie uni-
verselle, fléau des États monarchiques encore
plus que des États républicains; et qui, d'une
extrémité du globe à l'autre, opprime l'espèce
humaine. L'intérêt du monarque le plus ab-


— 97 —
soin est tout entier dans ces maximes popu-
laires; ce ne sont pas les rois que les peuples
appréhendent et repoussent, ce sont leurs mi-
nistres, leurs courtisans, leurs nobles, l'aristo-
cratie, en un mot : Si le roi le savait!... disent-
ils. Ils invoquent toujours l'autorité royale,
et sont prêts à lui donner main-forte contre l'a-
ristocratie; eh! d'où vient la force du prince
si ce n'est du peuple; sa sûreté personnelle
si ce n'est du peuple; sa richesse, sa splen-
deur? si ce n'est du peuple; les bénédictions
qui, seules, peuvent lui faire sentir le bon-
heur? si ce n'est du peuple; et qui sont les
ennemis du prince? si ce ne sont les grands,
les aristocrates, qui voudraient que le roi ne
fût parmi eux que le premier enfre égaux, et
qui, partout où ils l'ont pu, ne lui ont laissé
de prééminence que celle du r.eng, se réser-
vant celle du pouvoir? Par quelle. étrange er-
reur faut-il que les rois avilissent leurs amis
et les livrent à leurs ennemis ? Le• peuple a
l'intérêt, il a la volonté qu'on ne trompe ja-
mais les princes; les grands ont l'intérêt et la
volonté contraires. Le peuple est aisé à con-
tenter, il donne et ne demande point. Empê-
chez que les oisifs titrés ne pèsenr sur lui ;
laissez ouvertela carrière qui lui montra l'Étre
suprême en le créant, il ne murmurera point.


Mirabeau combat le préjugé qui met une si
grande distance entre les fonctions militaires
et les fonctions civiles.


Ce préjugé, sous un prince faible que votre •
maison, comme toute autre, peut produire


mul...BEAu, 021E. ET DISC. IL 4





— 98 —
enfin, exposerait le pays, le trône même, h
toutes les convulsions de l'anarchie préto-
rienne. Dans un Etat tel que le vôtre, il est
possible que le militaire doive avoir la pre-
raiè: .e considération; mais il ne faut pas qu'il
en ait une exclusive, eu vous aurez une ar-
mée, mais vous n'aurez jamais un royaume.


Il insiste pour que les juges soient inamo-
vibles, et que la justice suit rendue gratuite-
ment; il demande que le roi crée des ateliers
de travaux publics:


Soyez aussi le premier souverain dans les
États duquel tout homme qui veut travailler
trouve du travail ; tout ce qui respire doit être
nourri en travaillant; c'est la première loi de
la nature, loi antérieure à toute convention
humaine, c'est le lien de toute société, car
tout homme qui ne trouve que refus à l'offre
de son travail en échange de sa subsistance
devientrennerni naturel et légitime des autres
hommes; il a le droit de guerre privée contre
la soci été. Que partout, au sein des campagnes
comme autour des villes, des ateliers soient
ouverts à vos frais; que tous les hommes, de
quelque pays qu'ils soient, y trouvent leur
subsistance, au prix du travail ; que vos su-
jets y apprennent ce que valent le temps et
l'activité.


Mirabeau passe ensuite à l'instruction et à
la liberté de la presse:


L'instruction, vous ne l'ignorez pas, est un
des plus importants devoirs du souverain,


c'est aussi l'un de ses plus riches trésors. Le
plus habile des hommes ne peut rien qu'en
formant ceux qui l'entourent et dont il est
obligé de se servir, qu'en leur apprenant sa
langue, qu'en les familiarisant avec ses idées,
avec ses principes. La liberté de la presse la
plus entiére doit donc être au nombre de vos
j:remières opérations; non pas seulement parce
que restreindre cette liberté c'est gêner l'exer-
eiee des droits naturels, mais parce que tout
obstacle au progrès des lumières est un mal,
un grand niai, surtout pour vous, qui ne pou-
vez tenir que de l'imprimerie la connaissance
de la vérité et de l'opinion, cc premier minis-
tre des bons rois


La seule objection spé-
cieuse contre la liberté illimitée de la presse,
c'est la licence des libelles. On ne voit pas que
la liberté de la, presse leur ôte leur danger,
parce que, sous son régime, la vérité seule
_este: les libelles les plus calomnieux n'ont
d'empire que dans les pays où l'on n'est pas
libre de faire imprimer. C'est une contrebande
qu'on ne saurait extirper, les peines ne retien-
nent que les honnêtes gens. Qu'on ne voie
donc plus chez vous ce contraste absurde
cienvoi de librairie étrangère, qu'il est abso-


, fument défendu d'inspecter, et de librairie na-
tionale soumise à une inquisition sévère. Que
tout circule. Lisez, et qu'on lise dans vos
rtats; les lumières veulent monter de toute
Part jusqu'au trône : appelleriez-vous la nuit?
Oh non! vous le voudriez en vain; vous y
perdriez trop; sans obtenir même le fatal
Succés de les étouffer. Vous lirez, vous com-
:neneerez une noble association avec les li-




— 100 --
vres; ils ont détruit des préjugés honteux et
cruels, ils vous ont aplani la route, ils vous
ont servi, même avant votre naissance; vous
ne serez point ingrat envers les travaux accu-
mulés des génies bienfaiteurs; vous lirez, et
vous protégerez ceux qui écrivent, car sali:,
eux que serait l'espèce humaine, et que de-
viendrait-elle? Ils vous instruiront, ils vous
aideront, ils vous parleront sans vous voir:
sans approcher de votre trône, ils y introdui-
ront l'auguste vérité; elle entrera chez vous,
seule, sans escorte, sans dignité; elle n'aura
ni titres, ni cordons, elle sera invisible et
désintéiscssée; vous lirez, mais vous voudrez
aussi que votre peuple sache lire; vous ne
croirez pas avoir tout fait. en recrutant chez
les étrangers vos académies; vous fonderez
des écoles, vous les multiplierez, surtout dans
les campagnes; vous les doterez; vous ne
voudrez pas régner dans les ténebres; vous
direz : Que la lumière se fasse, et la lumière
naîtra à votre voix, et son auréole divine or-
nera mieux votre tête, que tous les lauriers
des conquérants.


Mirabeau s'élève ensuite contre la loterie.
qu'il appelle un fléau dévorant; et il résume
en peu de mots ce qu'on peut en dire de plus
sage et de plus énergique :


On vous répétera ce que de prétendus len'
mes d'Etat n'ont pas craint d'écrire et d'ini•
primer; que la loterie peut titre regardée conne
un impôt libre et volontaire!..... Un impôt!.....
Quel impôt qui fonde ses plus grands produits
sur le délire ou le désespoir! Quel impôt que


-- 101
le plus riche propriétaire est dispensé de
payer, et que les hommes sages, les meilleurs
citoyens ne payeront jamais! Un impôt libre I...
Étrange liberté! Chaque jour, à chaque ins-
tant du jour, on crie au peuple qu'il ne tient
qu'à lui de s'enrichir avec un peu d'argent
On propose un million pour vingt sous au
malheureux qui ne sait pas compter, qui
manque du nécessaire; et le sacrifice qu'il fait
à, ce fol espoir du seul argent qui lui reste,
de cet argent qui apaiserait les cris de sa fa-
mille, est un don libre et volontaire ! C'est
un impôt qu'il paye à son souverain!


On vous dira encore que cette horrible in-
vention qui empoisonne tout jusqu'à l'espoir.
le dernier bien des humains, est un mal, mais
qu'il vaut mieux que vous recueilliez vous-
même la moisson de votre loterie, que si vous
l'abandonniez aux loteries étrangères Ah!
rejetez avec horreur cette arithmétique cor-
rompue, ces sophismes détestables. Certes, il
est des moyens de s'opposer aux loteries
étrangères: on ne doit point appréhender ces
collecteurs secrets; ils ne peuvent pas péné-
trer fort avant lorsque la peine est sévère, et
c'est bien là, c'est là seulement qu'un prix
pour la délation est sans inconvénient, car
c'est la peste circulante qu'on dénonce. La
peine naturelle contre ceux qui favoriseraient
les mises aux loteries étrangères est l'infamie,
l'exclusion des places municipales, des corpo-
rations de marchands, du droit d'assister à la
Bourse. Cette peine est très sévère, et suffit
sans doute. Mais s'il fallait des remèdes ex-
trêmes pour arrêter un tel délit, la peine de




— 102 -
mort


cette peine qui révolte mon esprit,
et glace d'effroi mon âme, cette peine prodi-
guée pour tant de crimes, et qu'aucun crime
ne mérite peut-Etre, serait plus excusée par
l'horrible liste des désordres et des malheurs
qui naissent des loteries, que par les consé-
quences mêmes exagérées du vol domestique.


Mirabeau réclame une tolérance générale et
plaide de nouveau la cause des juifs :


Sire, une grande, première et subite opération
que je demande à Votre Majesté, au nom de
son intérêt le plus prochain et de sa gloire,
c'est mie déclaration prompte et formelle, re-
vêtue des caractères les plus imposants de la
souveraineté, qu'une tolérance illimitée sera
dans vos États à jamais ouverte à. toutes les
religions; vous avez une occasion très natu-
relle et non moins précieuse de faire une telle
déclaration; consignez-la dans redit qui
accordera toute liberté civile aux juifs; ce
bienfait qui, des les premiers moments de vo-
tre régne, vous fera surpasser en tolérance
religieuse votre illustre prédécesseur, c'est-
à-dire le prince le plus tolérant qui fut lainais,
ce bienfait ne sera pas sans récompense; ou-
tre le surcroît nombreux de populations et de
capitaux qu'il vous attirera infailliblement,
aux dépens des autres pays,- dés la seconde
génération les juifs deviendront de bons et
d'utiles citoyens. II ne faut pour cela que les
encourager aux arts mécaniques, et à. l'agri-
culture, qui leur sont interdits; les affranchir
l'es taxes particulières qui les surchargent;


— 103 —
les faire ressortir comme vos autres sujets des
tribunaux ordinaires, en ôtant à leurs rabbins
toute autorité civile. Je vous en conjure, gar-
dez-vous de suspendre la déclaration de la
tolérance la plus universelle; on 3raint dans
vos États de perdre en ce genre plus qu'on
n'espère de gagner; on redoute ce qu'on ap-
pelle vos préjugés, vos préventions, votre
doctrine. Donnez un démenti à ceux qui vous
ont annoncé comme intolérant (1). Montrez-
leur que votre respect pour les opinions reli-
gieuses remonte. à votre respect pour le grand
Etre, et que vous ôtes loin de prescrire la
manière de l'adorer; montrez que, quelles
que soient vos opinions philosophiques ou re-
ligieuses, vous ne prétendrez jamais au droit
absurde et tyrannique d'y ranger les autres
mortels.


Après cet exposé des améliorations que le
nouveau roi pouvait réaliser tout de suite, Mi-
rabeau entre dans l'examen des opérations
aussi utiles, mais moins pressantes et moins
faciles, dont il croit qu'il faut s'occuper gra-
duellement. Il blâme tout le système d'écono-
mie politique de l'ancien roi,» système si pro-
fondément vicieux... impositions indirectes,
prohibitions ext ravagantes,règle en't de tout
genre, privilèges exclusifs, monopcles sans
nombre. » Il se récrie sur l'absurdité d'une
fixation royale des prix d'auberge, de la solde
des laquais de louage, de toues les choses néces-
mires à la vie; sur la prohibition qui frappe


(1) Frédéric-Guillatune II était partisan et dupe de
la secte, 1 la fois .visionnaire et intolérante, dite des


0




— 104 —
les denrées venues des pays voisins, et que
Prusse ne produit pas; sur l'inégalité des im-
pôts directs payés par le clergé, la noblesse, le
peuple; par l'abandon où restent les domaines
Immenses qui sont en friches, et que Jes divi-
lions judicieuses et des concessions à cens fer-
Iliseraient rapidement; sur la concentration
d'une masse énorme de numéraire dans le Tré-
sor royal, Mutile amas soustrait à la circula-
tion, et dont l'entassement laisse dans un état
d'inaction et de langueur mortelle l'industrie
que le mouvement des capitaux vivifierait. Il
propose de modérer les impôts indirects, les
droits d'accise et de douanes , « dont le pro-
duit croîtra toujours en raison inverse de la
quotité du droit. et de la rigueur de la percep-
tion; d'augmenter l'impôt sur la terre, dont
aucune terre ne doit. être franche; de favori-
ser le commerce de transit; d'abolir les mono-
poles, d'affranchir l'industrie, les arts, les mé-
tiers, le commerce qui ne peut vivre qu'à
l'ombre de la liberté, le commerce qui ne de-
mande au roi que de ne pas lui faire de mal.
Vous affranchirez tout et ne donnerez point
de priviléges; ceux qui les demandent sont
presque toujours des ignorants ou des fripons,
et il n'est pas de plus sûr moyen de tuer l'in-
dustrie que d'en accorder. »


Mirabeau termine par cette éloquente apos-
trophe:


J'ose espérer que ma franchise ne vous dé-
plaira pas... Si elle vous touche, oh! Frédéric,
méditez sur ces lignes sincères et libres, mais
respectueuses, et dites, daignez dire :


« Voici ce qu'on ne m'avouera pas, et peut-
*être le contraire de ce qu'on me dira tous les
jours. Les plus courageux n'offrent aux rois
que des vérités voilées. lei, je vois la vérité


-- 103
toute nue... Ah ! cela me vaut mieux que l'en-
tans vénal dont me suffoquent les faiseurs de
rers, les panégyriques d'Académie, qui m'ont
saisi au berceau, et qui me laisseront à peine
nu cercueil. Je suis homme avant d'être roi.
Pourquoi m'offenserai-je,parce qu'on me traite
ni homme? parce qu'un étranger, qui ne me
demande rien , qui bientôt quittera ma cour
pour ne me revoir jamais, me parle sans fard?
Il m'apporte ce que ses yeux, son expérience,
ses études , son entendement ont recueilli; il
me donne gratuitement ces vrais et libres avis
dont nulle condition d'homme n'a si grand be-
soin. Il n'a aucun intérêt à me trom per; il ne
peut avoir que de bonnes intentions.• , Exami-
nons attentivement ce qu'il nous propose, car
le simple bon sens , la candeur naïve d'un
homme qui n'a d'autre métier que de cultiver
sa raison et sa pensée pourraient bien valoir
et la vieille routine, et les ruses, et les for-
mules diplomatiques, et les dogmes ridicules
des hommes d'État par métier. a


L'analogie nous présente ici un autre écrit
qui fut publié plusieurs mois après sous ce ti-
tre : Conseils à un jeune prince qui sent la né-
cessité de refaire son éducation. Ce ne sont plus
ici les hautes généralités de l'écrit précédent ;
c'est un ensemble d'observations qui traite du
genre d'esprit qui convient aux princes, de leur
influence sur les moeurs, de la conduite qu'ils
doivent tenir avec les femmes, des soins qu'ils
doivent prendre de se rendre accessibles et d'ac-
quérir de la popularité; de l'utilité pe,ur eux
de beaucoup questionner, de la sorte d'ins-
truction qui leur est nécessaire, des études his-
toriques auxquelles ils doivent s'adonner, etc.




HISTOIRE SECRÈTE DE LA COUR DE BERLIN




UISMIRE SECRÈTE DE LA COUR DE DERLS


Avant d'aborder maintenant le grand ou
orage sur la monarchie prussienne dont Mi-
rabeau reunit les documents pendant son
séjour à Berlin, nous allons parler d'une cir-
constance qui a prêté doublement à de fâ-
cheuses interprétations ; la mission secrète
dont Mirabeau fut chargé par la cour de
France, et la publication de la correspondance
qu'il avait adressée à ce sujet au ministère
français sous le titre d'Histoire secrète de la
cour'de Berlin, ou Correspondance d'un voyageur
français, depuis le mois de juillet 1185 jusqu'au
19 janvier 1787.


Ses amis, Panchaud, le duc de Lauzun, l'abbé
de Périgord, avaient depuis longtemps concu
et toujours nourri l'espoir d'obtenir du gou-
vernement qu'il employât "Iirabean J'une ma-
nière assortie à sa naissance et surtout à ses
talents. Son séjour en Prusse, l'accueil qu'il
avait recu, les travaux honorables qui l'y
avaient occupé exclusivement, leur fournis-
saient une occasion qui parut favorable. Es re-
montrèrent aux ministres futilité que la diplo-
[nate pourrait tirer d'un tel homme séjour-
nant à Berlin, au moment où la mort prochaine
d'un roi qui régnait depuis quarante-six ans,
et l'avènement d'un successeur à qui l'on sup-
posait un tout autre système politique, pour-
raient amener des changements majeurs dans
les rapports établis entre les grands Etats de




— 110 —
l'Europe. Ces représentations furent écoutées;
soit confiance de la part de M. de Tergennes
et de M. de Calonne, soit seulement terreur de
la part de ce dernier, ou demanda à Mirabeau,
et il fournit sur-le-champ, un Mémoire sur la
situatiot actuelle de l'Europe. Ce document,
daté du 2 juin 1786, se trouve en tête de l'His-
toire secrète de la cour de Berlin.


Mirabeau expose qu'il y a tout à craindre
du côte de Joseph II, à qui un pouvoir absolu
et la secrète assistance de la Russie, donnent
des moyens de nuire. Ses vues, comme celles
de Catherine II , tendent à réaliser le système
oriental. L'empereur nourrit son projet favori
d'envahir l'Italie ou de bouleverser l'Allema-
gne, et l'accomplissement, soit complet, soit
partiel de ses plans. aurait pour effet de ruiner
J'équilibre de l'Europe. Le successeur du roi
mourant, Frédéric-Guillaume, est menacé dans
la possession de la Silésie, même dans l'exis-
tence politique de ses États par ,es projets de
l'empereur d'Autriche , la complicité de la
Russie, ragonie de la Pologne. Ces intérêts le
tournent vers la France; mais il est mécontent
d'elle, parce qu'elle a peu ménagé son beau-frère le stathouder. Les Anglais se serviront


Frédéric-Guillaume pour troubler la paix
du continent. Ils font des armements considé-
rables; ils se lient étroitement avec la Russie,
qui leur donne le privilège exclusif des muni-
tions navales. Ils sont encouragés par le désor-
dre des finances françaises à faire à la France
une guerre à la fois


.de rancune, de représail-les, d'ambition.
Âpres avoir ainsi exposé la situation, Mira-


beau indique l'attitude nouvelle qui convientà la France :


Telle est la crise qui menace le repos de l' u,
'Tope; qu'avons-nous à y opposer?


-- 411
Plus de deux ceie,_ quarante millions d'an.


ticipations ; soixante millions d'excédant de la
dépense sur la recette, si l'on supprime le
troisième vingtième que l'on a juré d'abroger
Irente-huit, si l'on ne fait pas l'outrage à la fol
publique de renouveler ce terrible impôt; nos
fands royaux dans la boue; l'agiotage ruinant
Paris, qui dessèche le royaume; les peuples
épuisés et mécontents, le commerce aigri et
découragé; la désuLion au dedans; le discrédit
au dehors; une marine non équipée, et im-
possible à renouveler en cas de malheur; des
troupes incomplètes et incontestablement les
plus mauvaises d'entre les bonnes; l'alliance
de l'Espagne qui ne nous a jamais que con-
trariés dans nos opérations ., l'alliance douteuse
de la Hollande, qui sera le premier tison de
la guerre ; celle des Suisses, qui tremblent
pour eux-mêmes, et peut-être à cause de
nous, sur lesquels ils ne comptent plus que
précairement et avec inquiétude; celle du roi
de Sardaigne qui nous regarde presque
comme des ennemis secrets, depuis que nous
hésitons à lui garantir ses États, et qui ne
peut avoir aujourd'hui d'autre ambition que
de préserver son existence; pas un ami en
Allemagne, la méfiance universelle à la place;
la plus profonde ignorance des projets de nos
ennemis; la diplomatie la plus inactive de
l'Europe, bien que la mieux payée; en un
mot, cette situation véritablement caduque et
fatale, de n'être ni propre à maintenir la paix
ni prêt à soutenir la guerre.


A la vérité, la France où la nature fait
tout pour le gouvernement en dépit de lui-




-- 112
même, la France, ce royaume inépuisable en
hommes et en argent, pour peu qu'on sache
solliciter l'un et mettre en œuvre les autres,
la France offre mille et mille ressources; mais
pouvons-nous trop nous hâter de changer le
fatal ordre de choses où. nous sommes tom-
bés, de prendre les moyens d'être exactement
avertis, d'essayer s'il est donc vrai qu'il soit
impossible de se rapprocher sérieusement et
solidement de l'Angleterre, en faisant porter
— sur un traité de commerce, qui, quelqu'a-
vantageux qu'il puisse paraître aux Anglais,
ne fera pas qu'ilssoientjamais autre chose que
nos voituriers, — une alliance offensive et dé-
fensive, à laquelle nous associerons la Prusse
dans le seul but formellement déclaré de ga-
rantir à chaque puissance ses possession0
respectives.


N'est-il pas temps, en un mot,—si nous ne
voulons pas sortir de notre routine, par cette
sublime révolution qui assurerait la paix du
monde, et qui n'a de difficulté peut-être que
la pusillaminité qui empêche de la tenter,—de
nous préparer, ne fût-ce que pour retarder la
guerre, de nous préparer surtout aux Indes,
où l'on frappera mortellement nous et nos al-
liés au premier moment, sans nous menacer
le moins du monde; en un mot, de rétablir
nos affaires au dehors et de les ravitailler au
dedans?


Les ministres durent assurément être frap-
pés de ce Mémoire concis et substantiel, écrit
avec une liberté et une hardiesse étranges, et
que l'auteur caractérisait fort bien en disant
qu'il le donnait en homme libre et non en courl


— 113 —
tisan : Mémoire rempli de vues, de faits, de
prédictions, de reproches, de conseils. Ils n'en
donnèrent pas moins une mission à Mirabeau,
et le 12 juillet 1786, il commença une corres-
pondance qu'il continua jusqu'au 19 jan-
vier 1787, et qui se compose de soixante-six
lettres adressees principalement aux person-
nages qui servaient d'intermédiaires entre lui
et M. de Calonne, c'est-à-dire à l'abbé de Pé-
rigord et au duc de Lauzun. Ces lettres abon-
dent en traits vifs, en portraits tracés de
main de maitre, en observations intéressantes,
et attestent le talent très marqué de leur au-
teur pour la diplomatie.


A l'occasion de cette correspondance, les
ennemis de Mirabeau ont voulu l'accuser d'in-
conséquence et tacher de vénalité le principe
même de sa mission, en flétrir la clandesti-
nité, contester l'utilité de son travail, exagé-
rer les profits pécuniaires qu'il en tira, profits
d'autant plus lucratifs qu'ils étaient plus dégra-
dants. Pour toute réponse, nous transcrivons
le passage suivant d'une lettre qu'il écrivait un
an après à son père (4 octobre 1788) :


J'étais parti pour Berlin, afin de ne pas
rester à la brèche; un compte rendu de la
Banque Saint-Charles très injurieux pour moi,
parait; l'inique et fol arrêt du 2 octobre 1785,
le suit. Calonne sait que je réponds, que je
vais imprimer, que je foudroie les agioteurs
et leur chef; il trouve qu'il est plus sûr de
M'employer. Frédéric II se mourait; quelques-
unes de mes lettres à mes amis avaient donné
à croire que je voyais assez bien le pays; no-
tre diplomatie y était peu active. D'après lui-
même et d'après mes amis qui l'effrayent, le
Calonne engage M. de Vergennes à me laisser




— 1i ik —
charger aux dépens du département des
rances d'une commission secrète ; on me
mande à Paris; on m'y demande des notions
préliminaires sur la Prusse, et je les donne en.
homme libre, et non en courtisan; on me re-
met instructions, chiffres, etc., et je repars
pour Berlin, n'ayant d'autre frein sur l'argent
que de compter de clerc â maître. Quand on
m'avait demandé quel traitement je voulais,
j'avais répondu ces propres mots : • Je ne dé.


penserai que pour vous, 51:151 vous payerez


ce que je dépenserai; quant à l'avenir, puis-
.


que vous nie mettez dans les affaires, c'est


à. moi de m'y conduire assez bien pour que


vous ne soyez pas tentés de m'en ôter. •
(Je ne les croyais pas, à dire vrai, aussi sots,
ni aussi alarmés de tout talent, et surtout de
tout caractère, qu'ils le sont en effet.) Quoi
qu'il en scrit; là commence l'unique prétexte
qu'on ait jamais eu de dire que M. de Calonne
me payait. En effet., le roi me payait, et voici
comment il m'a payé. Je lui ai dépensé qua-
rante-deux mille livres en huit mois et demi,
y compris plusieurs dépenses secrètes, les
frais de divers voyages et de deux secrétai-
res, le luxe de vêtements nécessaire dans les
cours du Nord, les chevaux de tout genre in-
dispensables à Berlin, les courses intérieures
dans l'Allemagne, et l'acquisition des maté-
riaux de la Monarchie Prussienne, primitifs
éléments de mémoires pour eux. De ces
42,000 liv., le roi m'en doit 12 que je ne tou-
cherai probablement jamais. Si vous ajoutez
que je n'ai pas prédit mi événement qui ne
soit arrivé, et ou'il n'est pas arrivé un éve,,ne-


ii5 --
nient prussien que je n'aie prédit; si vous y
ajoutez cinquante-quatre dépêches Chiffrées,
dont la moindre de seize pages, et quelques-
unes de cinquante, je doute que vous trouviez
que j'ai coûté plus que je n'ai valu. »


A ce propos il ne faut pas oublier de men-
tionner un véritable service que Mirabeau ren-
dit à la France, et qui suffit à montrer avec
ouel esprit élevé il comprenait sa mission.
Il obtint du ministère francais qu'il attirât à
Paris l'illustre mathématicien La Grange. Ce
passage de secrete de la cour de Ber-lin mérite assurément d'être cité :


Il nie semble qu'il y aurait ici en ce mo-
ment une acquisition digne du roi de France,
et que M. de Galonne est fait pour lui proposer.
L'illustre La Grange, le premier géomètre qui
ait paru depuis Newton, le plus sage et peut-
être le seul philosophe vraiment pratique qui
ait jamais existé, recommandable par son im-
perturba ble sagesse, ses moeurs, sa conduite de
tout genre, en un mot l'objet du plus tendre
respect du petit nombre d'hommes dont il se
laisse approcher, est depuis vingt ans à Ber-
lin, où il fut appelé dans sa première jeunesse
par le feu roi, pou' remplacer Euler, qui l'a-
vait désigné lui-même comme le seul homme
capable de marcher sur sa ligne. Il est très
Mécontent, il l'est en silence, mais il l'est irré
médiablement, parce que c'est du mépris que
sont nés ses dégoûts. Les ihugues, les bruta-
lités, les folles jactances de M. de Hertzberg;
rassociation de tant d'hommes auprès desquelS.
La Grange ne peut avec pudeur rester assis




â


— 116
la crainte très sage de se trouver pressé entre
le repos philosophique qu'il regarde comme le
premier des biens, et le juste sentiment du
respect de lui-même, qu'il ne laissera pas
blesser,— tout le convie à se retirer d'un pays
où rien n'absout du crime d'être étranger, et
oh il ne supportera pas de n'être pour ainsi
dire qu'un objet de tolérance. Dans cette con-
joncture, il n'est pas douteux qu'il n'échangeât
volontiers le soleil et l'argent de Prusse pour
le soleil et l'argent de France , du seul pays
de la terre oh l'on sache rendre un culte au
génie des sciences et des arts, et faire les ré-
putations durables ; du seul pays oit La Grange,
petit-fils d'un Français, et qui se souvient avec
reconnaissance que nous l'avons fait connaître
à l'Europe, puisse aimer à vivre, s'il lui faut
renoncer à ses habitudes.


La Grange a ici six mille livres de pension.
Le roi de France ne peut-il donc pas consacrer
cette somme au premier géomètre de l'Europe
et de ce siècle? Est-il au-dessous de Louis XVI
de retirer d'une Académie misérable un grand
homme qu'on y méconnaît, qu'on y mésallie, et
de tuer ainsi par la plus noble des guerres le
seul corps littéraire qui ait lutté contre les
siens? N'est-ce pas aussi une générosité mieux
entendue que tant d'autres? La France a si im-
politiquement servi d'asile à tant de princes
qui ne pouvaient que lui coûter! Pourquoi ne
recueillerait-elle pas un grand homme qui ne
peut que lui valoir? Elle a si longtemps enri-
chi les autres de ses pertes; pourquoi ne s'en-
richirait-elle pas des fautes des autres?


Je suis très attaché à cette idée parce que


— 1 .17
je la crois noble , et que j'aime tendrement
l'homme qui en est l'objet. Je supplie qu'on
me réponde le plus tôt possible.


Quant à la publication même de cette cor-
respondance, qui eut lieu en janvier 1789 ,
pendant que Mirabeau préparait à Aix son
élection aux Etats généraux, ce fut peut-être
une indiscrétion peu prudente et peu délicate,
mais rien de plus. Au fait d'ailleurs, qu'est-ce
que Mirabeau devait à ces gens-là? Quant à
rcux qui ont dit à ce sujet que Mirabeau chassé
de Prusse se vengea en composant l'histoire se-
cret ede Berlin, ceux-là n'ont assurément jamais
lu l'ouvrage dont ils parlent, et il faut s'en
prendre à leur ignorance plus encore qu'à leur
malveillance.




DE LA MONARCHIE PRUSSIENNE




er LA MONATICHit PRUSSIÉNNE


fous arrivons au grand ouvrage de la lrio-
ilarchie Prussienne publié en 1188, compilation
considérable (4 vol, in-4 0 ou 8 vol. in-80 ), qui
est sans contredit un des plus vastes tableaux
de statistique qui aient été jusque-là publiés
en France, et qui fut pour Mirabeau comme
un cadre ois il put ramener, rassembler, coor-
donner au moins dans les considérations gé-
nérales


,


, tous les principes qu'il avait séparé-
ment professés, et aussi comme une occasion
de montrer la vaste étendue de ses connais-
sances profondes dans les matières de politi-
que et d'administration, de législation et de
Unances. D'ailleurs, derrière la Prusse, Mira-
beau avait en vue la France, et il disait lui-
même dans une lettre à son collaborateur
allemand, Mauvillon :


Tous ces ouvrages doivent être faits comme
Tacite faisait les mœurs des Germains, pour
'encadrer la satire de Rome. C'est France que
le vois et veux voir dans Prusse, du moins
Pour l'exposition des principes que doivent
démontrer les détails pour ici et pour là.


L'analyse détaillée de cet ouvrage nous en-
traînerait trop loin. L'indication des divisions
du plan montre assez son importance : 1 0


lesévénements qui ont amené les électeurs de




122
Brandebourg au rang des plus puissants sou
verains de l'Europe; — la description géo
graphique des Etats du roi de Prusse; — 3 0 lei
productions ct les richesses naturelles
royaume; —1 0


les manufactures; — le corn
merce; — 60


les dépenses et les revenus de
l'Etat; — 70


son système militaire; — 80
l'instruction, l'enseignement, la religion, la
législation.


Dès le début, Mirabeau, par une dédicac
adressée à son père, imprime à ce grand ou-
vrage un caractère noble, grave et vraimen
monumental. Il l'offre, dit-il, « au philosophe
patriote qui a fait de l'agriculture la plus im
portante affaire du gouvernement »;
flétri l'odieux impôt des corvées ; qui a de•
mandé les assemb iées provinciales, c'est-à-dire
pour chaque province :


Une administration particulière, dans la•
quelle les propriétaires eux-mêmes ou leu
représentants seraient chargés de répartir le;
impôts, de diriger les travaux publics, d'être
les organes le l'autorité envers le peuple,
ceux des besoins et des droits du peuple a •
près de l'autorité.


Qui a développé cette grande vérité destie
à être un jour « la loi fondamentale de toue
les corps politiques » :


Que les hommes, en se réunissant en société;
n'ont renoncé à aucune. partie de leur liberté
naturelle, puisque, dans l'état de ra plus grande
indépendance, nul d'entre eux n'a jamais eu
le droit de nuire à la liberté, à la sûreté nd
la propriété d'autrui ; qu'ils n'auraient pu aliet
Ler aucun des droits qu'ils tiennent do Dieu


— 123 —
de leur nature, et qui sont inaliénables;
'ils ont au contraire voulu et dû étendre
r des secours réciproques leur sûreté, Pu-
ge de leur liberté, leur faculté d'acquérir et
conserver des propriétés.


En terminant sa dédicace, Mirabeau fait un
tour touchant et plein de noblesse sur lui-
'élue :


Vous auriez désiré un fils plus digne de
ous, j'ai tâché du moins de l'être par les oc-
ipations auxquelles j'ai dévoué mon faible
alent.
J'ai tâché de ne traiter que des sujets sur
squels il est nécessaire à l'humanité que Po-
inion publique soit axée. Je n'ai montré dans
ur discussion ni faiblesse, ni préjugé. J'ai
lublk que le hasard m'avait fait noble; que


circonstances m'avaient fait pauvre; qu'une
ngue suite de malheurs semblaient me faire
épendant. J'ai secoué ces fers; je me suis
posé la loi de ne dépendre que de la raison
de la justice, j'y suis parvenu; de ne dire
e ce que je croirais la vérité, j'ai eu le
nheur d'éprouver que cette disposition seule


efisait pour donner quelque poids et quelque
r‘loireo


Plus j'ai avancé dans ce travail, plus j'ai
Senti qu'il m'était convenable de vous le dé-
4. 1er, et comme à un des auteurs les plus dis-
`14gués, ou même à un des inventeurs de
cette belle science de l'économie politique qui
41t faire un jour le bonheur du monde, et




— 124 ---
pour compenser un peu mon père, par cet
emploi honorable de mon âge mûr, les peines
qu'a pu vous causer ma jeunesse orageuse.


Vous ne pouvez voir avec indifférence qui
je devienne véritablement utile. Cette idée qui
fait mon espoir et ma consolation, m'enhardit
à mettre l'ouvrage et l'auteur à vos pieds (1)


Le passage suivant de l'introduction montre
assez dans quel esprit Mirabeau concut et écri-
vit ce livre. 11 vient d'exposer les maties
qu'il se propose de parcourir successivement:


Recueillir de telles informations, c'est servir
les gouvernements, c'est les préparer à se
guérir de la maladie meurtrière de vouloir
trop régner. Car quand les modérateurs des
empires seront dans les bons principes, ils
n'auront que deux affaires : celle de mainte•
nir la paix extérieure par un bon système &
défense, et celle de conserver l'ordre intérieur
par une administration exacte, impartiale,
flexible de justice. 'fout le reste sera laisse
l'industrie particulière, dont l'irrésistible is'
fluente, opérant une plus grande somme de
jouissance pour chaque citoyen, produirait 15'
failliblement une masse plus considérable dl
bonheur public. Nul souverain, nul ministre
nul conseil ne peut connaître les affaires d'O.
million d'hommes seulement, et chaque Md;
vidu sait , en général , très bien les siffle'
propres.


(i) Mirabeau attachait unegrandeimportanceà.ceto,e,
vrage.11 écrivait à, son collaborateur Mauvillon, 3 et`
bre:1789 : « Je mourrais tries si ce monument ne ce.,'
pas sur mon tombeau. •


/95
Pour prouver cette vérité, pour démontrer


qu'il importe infiniment à la prospérité des
nations, à la puissance de leurs chefs, qu'ils
laissent à l'industrie la plus grande liberté,
qu'ils gouvernent le moins possible..., il était
absolument nécessaire de multiplier les re-
'3herches sur une monarchie qui, plus qu'au-
cune autre, a été soumise à un gouvernement
très absolu, et incessamment occupé de tout
surveiller, de tout réglementer, de tout pres-
crire. Je ne regretterai aucuns détails si leur
ensemble parvient à convaincre les lecteurs
de bonne foi du néant ces objections avec les-
quelles on essaye d'éloigner la pratique des
saines maximes de l'économie politique, et s'il
rend enfin,


impossible aux sophistes d'échap-
per à des preuves fondées sur des faits qu'ils
ont tant de fois attestés.


La philosophie tout entière du livre est con-
tenue dans cette page, et cette préoccupation
donne une singulière originalité à ses aperçus
historiques, notamment en ce qui concerne
Frédéric 11, qu'il avait connu personnellement.
et dont, après Voltaire, il avait subi le char-
me, mais sans aliéner le moins du inonde l'in-
dépendance de ses jugements (1). Les pages
suivantes attestent qu'il y avait dans Mira-


, beau l'étoffe d'un grand historien non moine
que d'un grand orateur :


Ce grand roi (Frédéric II) a joui d'une ré-
putation immense, et a un certain point de


1) Mirabeau (lit dans son introduction : « Mon ad
nitration pour l'homme le plus étonnant qui ait jam a$
Porté un sceptre n'influencera point mes jugements. .ii


1.




— 126 --
l'adoration de ses contemporains, non-Seu-
lement comme guerrier,non-seulement comme
politique, mais comme modérateur de ses
peuples, moins encore par son infatigable as-
siduitc, que par ses lumières transcendantes
en matière de gouvernement. Celui de Prusse
semble être devenu pour la science du despo-
tisme ce que l'Égypte était aux anciens qui
Voulaient s'instruire; peut-être recueillerons-
:eus de son étude le fond d'une singulière
théorie sur l'homme-machine et l'utilité de
celui-ci pour les gouvernements qui s'en ser-
vent de préférence a l'homme libre; peut-être
nous assurerons-nous si en Turquie tout va
très mal, iudquement parce que le despote est
inepte, et si ses moyens sont les bons, comme
le soutiennent tous les hommes d'État, et
même quelques hommes d'esprit. Il importe
de poser des bases sur lesquelles on puisse
appuyer une opinion dans une question de fait
aussi importante.


Tel fut Frédéric, à jamais illustre entre les
enfants des hommes. La nature sembla réser-
ver pour lui cette gloire extraordinaire que,
né sur le trône, il fut le premier de sa nation
et de son siècle. Également remarquable par
l'audace de sa pensée , la sagacité de son es-
prit, l'énergie de sa prudence et la fermeté de
son caractere , on ne sait qu'admirer le plus
de ses talents varies, de son profond jugement
ou de sa grande âme. Brillant de toutes les
qualités physiques et morales, fort comme sa
volonté, beau comme le génie, actif jusqu'au


-- 127 —
prodige, il perfectionna, il compléta tous ces
avantages , et ne fut pas moins éminemment
son propre ouvrage que celui de la nature. Ne
facile, il se rendit sévère; absolu jusqu'à
plus redoutable impatience, il fut tolérant jus
qu'à la longanimité; vif, ardent, impétueux.
il se fit calme, modéré, réfléchi. Sa destine.
fut telle que les événements tournaient à soma
avantage souvent par le concours de sa con-
duite habile, quelquefois malgré ses fautes
et tout, jusqu'au tribut d'erreurs qu'il paya à
l'humaine faiblesse, porta l'empreinte de •&21
grandeur, de son originalité. de son indomp-
table caractère.


Jamais mortel ne fut constitué pour le
commandement comme lui; il le savait, il
semblait se croire l'âme universelle du monde,
et n'admettait aux autres hommes que je ne
sais quelle âme sensitive, instinct animal plus
ou moins ingénieux : aussi les méprisait-il,
et cependant il travailla infatigablement selon
ses lumières à leur bonheur. Ainsi l'extrême
justesse de son esprit fit plus pour le rendre
équitable et bienfaisant, que n'ent fait l'équi-
voque bonté des coeurs nés sensibles. Il ne
connut qu'une passion, la gloire, et il fut en-
nemi de la louange ; qu'un goét, soi-même, et
sa vie entière fut pour les antres; qu'une oc-
cupation, son noble métier de roi. Il le rit
avec la plus inimitable persévérance pendan t
quarante-six années sans discontinuation, jus-
qu'au jour qui précéda sa mort philosophique
et simple, après dix-huit mois de douleurs et
l'angoieges qui ne lui arrachèrent pas une
Plainte




__ 12g __
Frédéric cessa de vivre le Il août 1786; il


ne cessa de régner que la veille (1).
Mais c'est à l'histoire à peindre Frédéric le


Grand; c'est à elle à noter ses hauts faits,
ses succès éclatants, ses ressources inconce-
vables, la grandeur de son règne, la simpli-
cité de sa vie et de sa mort; c'est à elle à dire
ce qu'il fit pour rehausser sa nation, pour
éclairer l'espece humaine... Pour moi qui l'ai
vu, qui l'ai entendu, moi qui nourrirai jus-
qu'au tombeau le doux orgueil de l'avoir inté-
ressé, je frémis encore, et mon âme s'indigne
du spectacle qu'offrit Berlin à mes yeux stu-
péfaits, le jour de la mort du héros qui Jit
taire d'étonnement ou parler d'admiration l'u-


(I) Voici comment Mirabeau parle de la mort de
Frédéric dans l'Histoire secrète de Bertin:« L'événe-
ment est consommé; Frédéric Guillaume reste, et l'un
des plus grands caracteres qui aient occupé le trône
est brise, avec un des plus beauf moules que la
nature aie jamais organises... Sa maladie, qui aurait
tué dix hommes, a duré douze mois sans interruption,
et presque sans relâche: depuis le premier accès d'apo-
plexie asphyxique, d'où il revint par de l'émétique, et
en proférant avec un ges,e impérieux pour premiers
sons ces deux mots : Taisez-Vous, la nature tacha de
sauver cette composition rare à quatre reprises dilte;
rentes : de sorte qu'on peut dire qu'elle n'a abandonné
nn de ses plus beaux ouvrages qu'après la destructiontotale des organes épuisés par l'âge, la contention
continuelle d'eue et d'esprit pendant-quarante-six an-
nées, les fatigues, les agitations de tout genre qui si-
gnalèrent ce règne de féerie, et la maladie la plus
terrassante Cet homme est mort le 57 aout, à deus
heures vingt minutes du matin ; et le oit il soin,
meilla contre son habitude constante, jusqu'à onze
heures, il avait fait encore son travail de cabinet, au


' milieu d'une très grande faiblesse, mais saris manquer
d'attention, et même avec une presence d'esprit et une
concision rares pour tout autre prince en pleine sante.'


—429-.--
nitrer:; tout était morne, personne n'était
triste; tout était occupé, personne n'était af-
fligé; pas un regret, pas un soupir, pas un
éloge!


C'est donc là qu'aboutissent tant de batailles
gagnées, tant de gloire un régne de près
d'un demi-siècle rempli d'une multitude de
prodiges! On en était fatigué jusqu'à la haine...
Qu'attendaient-ils? les dépouilles du trésor h..
Le seul général Mcellendorf pleurait! Au ser-
ment des troupes, son regard profondément
triste , ses larmes involontaires , son parier
mâle et attendri, sa contenance d'un héros
blessé, brisaient l'âme de l'observateur sensi-
ble; mais il était le seul dont on aperçût la
douleur, 3t je le dis pour sa gloire,


Pourquoi cette farouche ingratitude?...
Ah! c'est donc encore la plus utile des spé-


culations privées que d'être bon ; c'est l'uni-
que moyen d'être aimé


Oui; mais, osons le dire, la bonté seule dans
le rang suprême ne fera jamais rien de vrai-
ment utile à une nation.


Lajustice est plus nécessaire à l'homme que la
bonté qui, dans les rangs élevés, le plus sou-
vent la blesse; et. le prince avide des accla-
mations populaires aux lieux qu'il habite
n'aura jamais l'admiration de la postérité.


En appréciant les actes divers de l'adminis-
tration de Frédéric II, Mirabeau trouve l'occa-
sion de passer successivement en revue, avec
Cette hauteur de vues qui le caractérise, toue
les principes de liberté et de sage administra-
tion que nous lui avons déjà vu affirmer avec


11112,11s2.10, ()PIN. et sise
5




tant d'énergie et de persistance. Cela nous en-
traînerait trop loin, mais nous voulons cepen,
gant faire quelques citations remarquables par
leur justesse non moins que par leur profon-
deur. Ce passage, par exemple, sur la liberté
commerciale et l'absurdité des prohibitions de
quelque nature qu'elles .;.oient. — Mirabeau
blâme Frédéric de n'avoir pas abandonné les
préjugés paternels quant aux restrictions ap-
portées aux exportations et importations de
()lés :


Lois tyranniques jusqu'à la démence, qu±
sont uniquemment propres à décourager le
commerce des grains, par conséquent la cul-
ture, qui est une manufacture comme les au-
tres, mais la plus avantageuse de toutes. Voilà
pourquoi les arrangements les plus destruc-
teurs ne la détruisent pas absolument. Eh 2
sans cette prééminence qu'elle tient de la na-
ture, que deviendrait-elle? où est la fabrique
qui résisterait à des prohibitions d exporta-
tion, à des fixations arbitraires de prix, à des
compagnies exclusives, et autres procédés de
ce genre? On devrait donc, à tous égards,
favoriser ce commerce au lieu de le découra-
ger; ou plutôt il faudrait le laisser absolument
libre, comme tout autre commerce; alors les
fantômes d'accaparement, de monopole, de
rehaussement de prix, s'évanouiraient.


Il blâme encore Frédéric d'être resté atta-
ché au principe qu'il faut prohiber autant que
possible tout ce 'qui vient du dehors, et dont
on peut se passer; qu'il faut tout fabriquer
chez soi, dut le gouvernement encourager les
fabricants par les plus grands sacrifices et à


— 131.
Principe profondément erroné en finances,


branche fatale de cet. autre système dépourvu
de sens, qui veut que chaque nation tasse pen-
cher la balance du commerce de son côté ,
pour augmenter la masse de son numéraire,
ou tout au moins pour l'empêcher de dimi-
nuer


Les hommes ne travaillent que pour gagner
de l'argent; un très petit nombre pour l'en-
tasser, tous les autres pour se procurer le
genre de jouissances qu'ils désirent. Vous en-
couragez donc le désir de travailler et l'indus-
trie en tout genre en ouvrant l'entrée de vo-
tre pays à toutes sortes de jouissances. Si
vous fabriquez à meilleur marché que l'étran-
ger, à quoi sert la prohibition ? Sinon , aban-
donnez la manufacture; du moins, ne faut-il
jamais la favoriser en mettant obstacle a l'a-
vantage des autres classes de citoyens, ni em-
ployer à cet objet le trésor de l'État. Vous ne
devez pas faire l'un, parce que tous vos sujets
ont également droit à votre protection , et
qu'il n'y a point de justice à appauvrir le cul-
tivateur, le propriétaire, pour donner de l'ai-
sance au fabricant; il ne faut pas taire l'autre,
parce que le trésor de l'État est un dépôt dont
le souverain ne saurait être le gardien trop
religieux, et qu'il vaut mieux en rendre l'ex-
cédant à la masse des Citoyens qui se sont
privés de leurs gains légitimes pour le former,
que de le prodiguer à un fabricant qui n'a rien
fait encore pour le gagner


Que si l'on nous demandait comment une
expérience de cent trente années fut incapable




— 132 ---
de désailler les yeux sur ce pré;ugé, ou si l'on
soutenait que le système prohibitif est bon,
puisque, dans un siècle et demi, le Brande-
bourg a pris les accroissements dans toutes
les parties qui avaient dû souffrir de ces er-
reurs,nous vous dirions d'abord que les fautes,
Les crimes mêmes des souverains, peuvent ar-
rêter, mais non pas détruire les progrès de
l'espèce humaine, en nombre et en lumières;
nous dirions ensuite que c'est malgré, et non
par les fausses mesures du gouvernement;
que d'autres causes telles que l'accroissement
des lumières, les bonnes colonies, l'ordre éta-
bli dans certaines parties de l'administration,
les dons des rois qui souvent ont, d'une main,
rendu aux sujets ce que de l'autre ils leur ar-
rachaient; enfla et surtout la violation fré-
queute de toutes les lois fiscales, ont fait pros-
pérer le Brandebourg.


«L'esprit de l'administration de Frédéric II,
en lait d'industrie, indique assez que celle du
commerce fut moins juste encore, s'il est pos-
sible,» poursuit Mirabeau. Frédéric, qui trouva
les impôts indirects fort élevés, les augmen-
ta encore considérablement, et en rendit le
poids intolérable par les formes vexatoires et
violentes de la perception :


Les souverains absolus n'apprendront-ils
donc jamais qu'en fixant . la somme des impo-
sitions qu'ils veulent tirer de leurs sujets, en
leur disant : Voila ce que je vous demande;


arrangez-vous sur la meilleure manière de
vous cotiser à cet effet, » ils tireraient les


mêmes reversas, sans les fouler; surtout s'ils


— 133
avaient une attention religieuse à ce que,
dans la répartition, aucune classe quelconque
ne surchargeât l'autre? Mais non ; ils rou gi-
raient des sommes qu'ils exigent., s'il leur fal-
lait en avouer nettement la quotité. Le des-
potisme, si actif pour faire le mal, si pusilla-
nime pour oser le bien, craindrait d'organiser
les pays inconstitués, où l'hydre des préten-
tions qui trop souvent sont l'unique honneur
des hommes à privilége, oblige le gouverne.
ment à recourir à des impositions indirectes,
pour arracher quelque chose à l'orgueil et à
la cupidité.


Mirabeau ne blâme pas moins vivement
Frédéric d'avoir livré toutes sortes de mono-
poles aux grandes compagnies de commerce.


Quand on considère cet étrange système,
dit-il, quand on calcule rigoureusement et en
théorie sévère l'effet qu'il devait avoir, on ne
conçoit pas comment il ne s'est pas fait une
stagnation subite dans les Etats du de
Prusse. »


Nous passerons maintenant au chapitre où
Mirabeau parle de ce que Frédéric a tait pour
les lettres, pour les sciences, pour l'instruction
de son pays. Au sujet du reproche d'indiffé-
rence adressé dans l'intérêt de la littérature


, allemande négligée, à ce prince passionné
pour la langue e les lettres francaises, Mira-
beau raconte une anecdote qui lui est person-
nelle, et qui renferme un sens profond, sous
une forme piquante:


Nous rapporterons un mot de lui, plein de
profondeur, de sens et de finesse, qui peut-
être en dit plus à lui seul que tous les faits
que nous avons dû rassembler sur ce sujet.
Ln jour, l'auteur de cet ouvrage osait témoi-




gner à Frédéric des regrets de l'indifférence
qu'il avait montrée aux lettres allemandes
Pourquoi, lui disait-il, le César des Germains
n'en a-t-il pas étél'Auguste? Pourquoi Frédéric
le Grand n'a-t-il pas daigné s'associer à la gloire
de la révolution littérai). opérée de son temps,
la hâter, la féconder de sa puissance et du feu de
son génie? Mais, répondit Frédéric, qu'aurai-je
pu en faveur des gens de lettres allemands, qui
leur rale le bien que je leur ai fait en ne m'oc-
cupant pas creux, en ne lisant pas leurs livres?...
Le grand homme sut se méfier de lui-même;
il n'osa pas confier à l'impassibilité de son
âme héroïque le dépôt sacré de la liberté de
la presse; il en détourna les yeux de peur d'y
attenter!


Frédéric avait fait des règlements u ?nes sur
le haut enseignement, et l'enseignement du
peuple, mais en laissant la liberté de penser,
il avait plus fait pour l'éducation de son peu-
ple, que n'eussent pu les meilleures mesures :


Ces opérations sont très belles et très loua-
bles; mais elles furent surpassées, selon nous,
par un autre procédé qui a rendu Frédéric II
l'éternel bienfaiteur de toute l'Allemagne.
Nous parlons de l'essor qu'il donna à la liberté
de penser dans un vaste empire où jusqu'à
lui l'expression théologique avait entièrement
comprimé l'esprit humain... Enfin, de Berlin,
des Etat5.' de Frédéric Il, ont jailli des flots
de lumière qui ont éclairé tout l'horizon...


Grand roi! reçois nos hommages, reçois les
actions de grâce de tous les hommes qui pen-
sent pour cet éternel bienfait! Puissent tes


135 —
cendres reposer en paix, pour prix du bien
que tu as fait aux hommes par cet inappré-
ciable don de la tolérance ! Si tu t'es trompé
sur des objets l'administration, c'est un mal
local, passager, réparable. Mais tu bannis de
la moitié de l'Europe la superstition, le bigo-
tisme, l'ignorance, la servitude de la pensée.
Tu appelas en Allemagne ta lumière, et son
influence sera durable, grâce à cet autre don
sacré que le génie fit à l'homme en inventant
l'imprimerie.


Frédéric régénéra l'académie et fit refleurir
les universités. A propos de celles-ci Mirabeau
fait des observations fort justes sur le mono-
pole de l'enseignement, auquel elles préten-
dent, et revendique la liberté ici comme ail-
leurs :


Ii en est des universités comme des foires
et des caravanes. Dans des temps et des pays
barbares, celles-ci peuvent encourager le com-
merce; mais lorsque les routes sont bonnes et
sûres, lorsque les moyens de communication
sont bien établis, elles nuisent, en concentrant
et par cela même en resserrant les affaires.
Ainsi les universités peuvent donner de la lu-
mière et la répandre, en rassemblant dans un
foyer quelques étincelles éparses et faibles.
Mais actuellement que le feu est allumé, il y
a plus que (le la dérision à le circonscrire
dans quelques lieux, et à borner par cela
même son activité. Que chacun puisse tirer
du foyer des flambeaux pour éclairer jus-
qu'aux plus petits réduits !...


! que fait-on à l'université? On 12r de-




— 436 —
vient pas savant, puisqu'on n'atteint jamais
la vraie science que dans un âge nqu; on y
apprend donc uniquement à étudier. Mais est-
il indispensable de se donner tant de peine,
de prodiguer tant de dépenses pour n'arriver
jamais qu'à ce but? Ne vous inquiétez jamais
de l'école où tel honune a appris telle chose;
cherchez seulement comment il la sait; laissez
chacun enseigner où il veut, ce qu'il croit pou-
voir enseigner. Pourquoi faire un domaine à
part de ce qui est l'apanage de l'humanité ?
Pourquoi établir jusqu'à des priviléges exclu-
sifs d'instruction?


ADRESSE AUX BATAVES


SUR LE


Nous pourrions multiplier ces citations: mais
notre cadre a des limites dans lesquelles nous
devons nous maintenir. Avant de quitter la
Prusse, nous mentionnerons encore la bro-
chure intitulée : Lettre du comte de Mirabeau
au comte de... sur l'éloge de Frédéric, par M. de
Guibert, et l'Essai général de tactique du même
auteur. C'est la rectification de divers faits
avancés par M. de Guibert, relativement à Fré-
déric, et la réfutation des jugements exprimés
par cet écrivain sur la tactique en général et
en particulier sur celle. des Prussiens.




ADRESSE AUX BATAVES SUR LE STATHOUDÉBAT


La Hollande offrait le spectacle singulier
d'une république administ rée


par un président
héréditaire. Elle n'avait pas evité les dangers
de ee système inconeonséquent, et de graves dif-
ficultés étaient forcément résultées de ce prin-
cipe de l'organisation politique des Provinces-
Uni es. Depuis 1781 les débats entre les états gé-
néraux de Hollande et le Stathouder avaient
pris un caractèreplus grave que jamais.•Guil-
laume V, qui était stathouder, s'était montré
de bonne heure, et plus qu'aucun de ses an-
cêtres, disposé à finir par l'usurpation une
lutte prolongée depuis deux siècles. L'exaspé-
ration devint universelle. Les états généraux
suspendirent le stathouder de ses fonctions de
capitaine général. La guerre civile commença
entre l'armée des patriotes et celle du prince,
composée de troupes réglées, en partie merce-
naires, et appuyée par une populace qui préfé-
rait stupidement le parti de l'usurpation aux
véritables intérêts nationaux.


C'est dans de telles circonstances que des
hommes éminents du parti patriote songèrent
à réclamer le secours de l'écrivain courageux
qui s'était, d'office, institué l'antagoniste du
despotisme et l'avocat des peuples, notam-
ment de la Hollande, dont il avait si énergi-
quement défendu la cause dans les Doutes sur
la liberté de l'Escaut.


Il ne fut pas difficile de stimuler Mirabeau et




li0
ions lisons dans sa réponse à M. van Kunel
ce remarquable passage :


N'allez pas croire, monsieur, que les senti
ments que vous avez réveillés dans mon âme,
jusqu'à m'en rendre l'agitation très pénible,
aient jamais cessé d'y régner. Non, je ne sais
pas composer avec la violence et l'iniquité ;
non, les attentats contre la liberté des hom-
mes ne me laisseront, en aucun temps, libre
de m'abstenir ou de dissimuler, et la haine des
tyrans, comme l'amour de la liberté, sont en
moi des passions si véhémentes, si involon-
taires, que je n'ai pas même le droit de m'es-
timer davantage. Je professe, j'ai professe votre
cause, je rie la déserterai jamais.


Telle fut l'origine de l'Adresse aux Bataves
sur le stathoudé


•al, datée du t er avril 1788. Le
livre commence par cette éloquente apos-
trophe :


C'est un jour de deuil pour l'Europe que ce-
lui où l'invasion prussienne a déconcerté vos
nobles projets, infortunés Bataves! Partout
une profonde indignation a flétri le succès de
vos oppresseurs; partout les peuples, quoique
déchus de leurs droits, brûlaient d'être appe-
lés par leurs chefs à venger votre injure. Les
princes seuls n'ont point partagé ce saint en-
thousiasme qui semblait invoquer une croisade.
Ils ont vu vos désastres avec une surprise,mê-
iée d'effroi comme on voit tomber la foudre.
1Iélas! vous n'en trouverez pas un assez géné-
reux pour se déclarer hautement votre défen-
Seur, assez désintéressé pour ne pas mettre à


-- 141 --
prix ses services, assez magnanime P our éta-
blir vos droits aux risques de ses prérogati-
ves héréditaires, assez ami de la vraie gloire
pour encourager ses peuples par votre
exemple à lui demander compte de son au-
torité.


Mais quoi! seriez-vous réduits à ne devon
votre salut qu'au vertueux dévouement d'un
prince? Vous conviendrait-il de vous enrôlai
sous ses drapeaux sans avoir cherché par de,
nouveaux périls à réparer vos malheurs?
Non, j'en crois votre antique vaillance : l'o-
dieuse révolution ne sera pas consommée;
TOUS n'avez point irrévocablement perdu vos
biens, votre honneur, votre liberté...Vous avez
échoué dans la cause de l'humanité, de la
raison, de la justice; mais vous n'êtes pas
domptés, vous ne le serez jamais. Tel est l'es-
poir de plusieurs millions d'hommes dont les
voeux ont devancé Vos efforts, dont les regrets
accompagnent votre infortune.


Eh! qui pourrait oublier que vous êtes le
plus ancien des peuples libres; que vous ne
cessâtes jamais de l'être; que vous avez pu-
rifié, fertilisé, couvert de villes une terre où
les éléments n'étaient qu'ébauchés; que vous
admîtes les premiers, il y a plus de deux
siècles, cette auguste tolérance sans laquelle
Il n'est de fraternité ni entre les membres
d'une même famille, ni entre les divers Etats ;
que vous tendîtes une mair secourable aux
malheureux Vaudois, que vous avez plus d'une
fois rétabli la liberté des mers, donné la paix
à l'Europe, réconcilié, arbitré les rois ; que
nulle nation moderne ne joignit avant 'fous


4




-142
Ia nuerté et les richesses , qu'enfin, placés par
la Providence sur un sol sujet aux inonda-
tions, aux maladies épidémiques, aux ravages
qui les suivent, vous y êtes fidèlement restés
comme dans un poste d'honneur, pour y dé-
velopper toutes les ressources de l'intelligence
et du courage?


De tels exemples honoreront à jamais l'es-
pèce humaine ceux qui les ont donnés lui
seront toujours chers. Ils mériteront de plus
en plus l'estime du monde; ils se souviendront
que leurs aïeux luttèrent quatre-vingts ans
contre toutes les forces réunies de la supersti-
tion et du despotisme; on plaint le peuple qui,
façonné à. l'esclavage , n'aspire point à la li-
berté qu'il ne connaît pas; niais on méprise
eluui qui, après l'avoir possédée, cesse un mo-


ment de songer qu'il l'a perdue ou de faire
du soin de la recouvrer le premier Je ses de-
voirs, l'objet continuel de ses méditations, le
but unique de ses efforts. C'est aux nations
libres à se sauver elles-mêmes, c'est à elles
que leurs ancêtres ont transmis cette obliga-
tion sacrée ; c'est pour elles, plus que pour
.eux , qu'ils ont abdiqué la paix et bravé la
mort.


O vous qui, sans la liberté, rendrez incessam-
ment a la mer les vastes domaines que vous
avez arrachés à ses fureurs, parcourez les
glorieuses pages de votre histoire ancienn€
et moderne, vous y verrez le devoir, la néces•
cité de manifester encore une fois la bailli
que volis ne cessàtes jamais de porter aux
tyrans!'


— 113
Mirabeau esquisse en traits éloquents les


grandes pages de cette glorieuse histoire. Il
remonte aux guerres des Bataves et des Ro-
mains; il repasse, après la défaite de ceux-ci,
l'administration des comtes de Hollande et de
leurs successeurs, princes des maisons de
Hainaut, de Baviere, de Bourgogne, d'Au-
triche. Il remarque que, même sous ces do-
minations successives, les provinces savaient
conserver et même étendre meurs priviléges et
échapper aux progrès funestes du système
féodal :


Ce petit peuple est un phénomène parmi les
nations. On dirait un chêne robuste it qui la
sève de la liberté conserve sa force et sa
vertu, tandis que le reste de l'Europe ne pré-
sente que l'aspect d'une vaste forêt, dont le
souffle impur et impétueux de la tyrannie
aristocratique a dépouillé, flétri, déraciné tous
les arbres...


Chose remarquable i dans quelque époque
Qu'on veuille considérer l'histoire des provin-
ces belgiques. c'est plutôt l'histoire des Bata-
ves que celle de leurs rois, de leurs ducs, de
leurs comtes, de leurs stathouders. Partout,
dans cette histoire, c'est la nation qui figure;
représentée par ceux qu'elle honore du titre
de ses députés, elle fait la guerre ou la paix,
promulgue, abroge les lois, et resserre ou
étend à son gré le pouvoir qu'elle confie à ses
mandataires.


Mirabeau développe cet aperçu par des faits
puisés dans l'histoire de Hollande des XIII',
XIVe, et XVe siècles. Il rappelle qu'en 1527,


Charles-Quint lui-même, le plus prusDantmo-




-- »14
nargue de l'Europe,» ne crut pas pouvoir se dis-
penser de prêter serment aux Etats, en qualibi
de comte de Hollande, et, vingt-cinq ans plue
tard, ce mêmes Etats lui ayant rappelé soit
serment par des représentations très énergi-
ques, il ne rougit point de s'y conformer.


Mirabeau rappelle l'édit d'indépendance de
1.581 qui délivre la


l
Hollande du despotisme de


Philippe II. Il trace le portrait de ce tyran
hypocrite et féroce :


i,euples ! ce qu'il y a de plus perfide et de
plus redoutable sur la terre, ce ne sont point
les atrocités publiques, mais les ruses de la
tyrannie. Et vous, despotes, qui ne soupçon-
nez pas qu'avec une excessive autorité, on
puisse etre le plus vil, comme le plus exé-
crable des -hommes, lisez la vie de Philippe IL
Maitre d'un empire dont la plus petite partie
eût excédé les bornes de son intelligence, il
épuisa les trésors de l'Espagne, dans l'espoir
d'ajouter à sa monstrueuse puissance la France
et l'Angleterre. Des militons d'hommes de-
vinrent les instruments et les victimes de son
despotisme. Implacable dans ses haines, impi-
toyable dans ses vengeances, incestueux, adul-
tère, banqueroutier, empoisonneur; ennemi
d'un père qui l'avait trop aimé, assassin de son
fils et de son épouse: digne de tous les sup-
plices, puisqu'il avait commis tous les crimes,
il mourut sans remords, croyant avoir glorieu-
sement régné, parce qu'il avait dépouillé ses
sujets de leurs antiques prépogatives; il mou-
rut plein de confiance dans le Dieu (le l'uni-
rers, lui qui avait envié à Charles IX le mas-
sacre de la Saint-Barthélemy. Lui qui, non


content d'avoir immolé, pendant quarante-
trois ans, à (les dogmes inintelligibles, des
milliers de ses semblables, s'était fait un be-
soin d'animer de la voix et du geste, le fer
de leurs bourreaux. Et les Bataves seuls
purent s'affranchir de ses lois; et tous les ef-
forts de sa puissance ne purent résister a leur
volonté d'être , libres!


Il rappelle les perfides manoeuvres du prince,
d'Orange, Guillaume ler, qui voulait asservir sa
patrie après l'avoir glorieusement défendue:


Et cependant Guillaume avait un jugement
sain et une grande âme. Il est donc des hau-
teurs que la raison la plus ferme ne peut at-
teindre sans danger ! Bataves, posez des bor-
nes au pouvoir, si vous ne voulez pas qu'il
dégénère en tyrannie par la pente des choses
et des hommes! Et si quelque citoyen extra-
ordinaire vous rend d'importants services, si
même il vous sauve de l'esclavage, respectez
son caractère; admirez, mais surtout craignez
ses talents. Malheur, malheur aux peuples re-
connaissants! Ils cèdent tous leurs droits à
qui leur en a fait recouvrer un seul! Es se
forgent des fers! Ils corrompent par une ex-
cessive confiance, jusqu'au grand homme qu'ils
eussent honoré par leur ingratitude!


«
Les coupables ménagements des chefs de


la république pour l'ambition de Guillaume
enhardirent celle de 'Maurice -V, qui arriva au.
despotisme par l'assassinat judiciaire de Barne-
\veld. »


Mirabeau passe ensuite rapidement en revu2-




-- /6 --
les principaux actes des stathouders succes-
sifs : Fréderie-Henri, et ses entreprises conti-
nuelles de plus en plus hardies sur la liberté
de son pays; Guillaume II, dont la mort abat-
tant tout à coup les divisions qu'il avait sus-
citées et entretenues, eut pour effet d'affermir
sur une base solide l'union des confédérés, et
de faire abolir la charge de capitaine général.


Il peint vivement les progrès rapides que
faisait le commerce au milieu des guerres
glorieuses qui immortalisèrent Tromp, Ruyters
de Witt; à cette époque de la plus grande
importance politique de la Hollande, elle jouis-
sait de la plénitude de sa liberté :


Qu'on se garde donc d'attribuer à la maison
d'Orange les prodiges qui valurent aux I3atavas
l'estime de l'univers ; c'est en 1660, c'est sous
une administration purement républicaine que
ies Provinces-Unies parvinrent à leur plus haut
point de grandeur et de prospérité. Elles sur-
passaient alors toutes les nations par l'impor-
tance, par l'étendue de leur commerce, et leur
puissance n'inspirait point d'alarmes.


Mais la Hollande allait voir sa liberté mena-
cée et sa prospérité décroître en proportion.
Mirabeau raconte l'alliance formée contre elle,
eu 1672,par la France et l'Angleterre; l'invasion
de Louis XIV; lé' manoeuvres du prince d'O-
range, Guillaume qui profite du péril public
pour se remettre a la tète des affaires; le mas-
sacre des illustres frères de Witt, dont l'aîné,
» depuis dix-sept ans, gouvernait la république
avec sagesse, avec gloire, » et qui, ainsi que son
Père, est mis en pièces par une populace aveu-
gle, que 1 es partisans du pri nce d'Orange avaient
ameutée et soudoyée: le rétablissement du sta-


_ 1,4,-;


thoudlérat, aqui l'auteur n'attribue pas comme
d'autres, le salut de la Holland


e, » sauvée, dit-


L,


par la jalousie sourde de l'Europe contre
Louis XIV, par l'alarme générale des princes
protestants, à la vue des dangers qui mena-
çaient leur religion . » Il expose rapidemen


t les


trente anné


n


es d l'administration de Guil-
laume Ill ; il le


e
montre toujours tendant à


éluder l'autorité
des Etats-géneraux, et à for-


tifier la sienne; toujours sa-criflat la patrie à
des vues d'agrandissement ou a des passions
haineuses, se vengeant sur la Hollande, quand
il fut roi d'Angleterre, (les restrictions que les
lois anglaises opposaient à, son caractère des-
potique; ce qui fit dire qu'il était i,tathou


der à


Londres et roi a
/a paye; exercent partout


l'ascendant de sa politique tracasàiere ; susci-
tant autour de lui des guerres toujours re-
naissante; et, dit Mirabeau, »c'est encore au-
jourd'h


sui une calamité 1-Jour l'Europe, que
Guillaume III n'ait pas été compté parmi les


Mirabeau examine les changements qui sontprinces fainéants .
»


survenus dans les mceurs sousso in
ii ce du


despotisme de Guillaume III, et. se livrant à
ce sujet, à des considératiotiqu


ns
spécirquabl


ales, il
op-


-


pose, avec un sens polie remae, a
nstocratie au despotism e


, en nième temps
que la démocratie a l'aristocratie


Il faut en convenir c'est au gouvernement
aristocratique que les Provinces-Unies durent
cet esprit de suite, cet ord intérieu r


, cette


force permanente qui, depuis
re


la révolution,
leur tranquillité au milieu des pies vio-


assuralents orages, tandis que la Flandre et le
Brabant, aveuglés par de fougueux ou per-
fides démagogues, se virent obligés de fléchir
sous le joug.




— 1 s —
Le peuple des Provinces-Unies était alors


comme de nos jours, privé du plus beau droit
des nations libres, celui d'élire ses magis-trats. Mais l'aristocratie à laquelle il s'étaitsoumis ne pouvait ni le tyranniser, ni l 'avilir:les membres du conseil des villes s'étaient
arrogé le droit de ne recruter leur corps
qu'avec des sujets pris à leur gré dans les
mêmes famines. Mais ces familles n'étaientpoint patriciennes. h n'y avait aucun citoyenqui ne pùt asirer aux charges, soit par ses


-


talents, soit par le crédit inséparable des iehesses


r; les chefs du gouvernement
.
étaientastreints atoutes leslois axes


payement de toutes les taxes qu'ils imposaient.En usurpant par degrés le droit de maintenirle repos et de soutenir la prospérité de la ré-p ublique, ils s'étaient lié les mains pour«faire le mal. Une telle forme de gouvernement
méritait l'estime et pouvait se concilier l'af-
fection. des bons citoyens; parce que l'aristo-
cratie la moins imparfaite est celle qui avoi-
sine le plus la démocratie ; et que la démocratie,pour être raisonnable, doit se rapprocher del'aristocratie par la représentation...


Dans un pays stérile, qui ne peut subsisterque par la liberté, le commerce et l 'économieil est très heureux pour le peuple d'être coi•
duit par des citoyens éclairés, qui le gouver
nent pour son profit et non pour le leur.


ceetau contraire 1€ comble du désordre de se don
ner pour chef un guerrier magistrat hérédi-


• ;taire, qui, par les Préjugés de son éducation,et de son état, hait la liberté, méprise
lacommerce et affiche le faste d'un monarque.


“1.9
Pourquoi l'aristocratie a-t-elle été si souvent


odieuse? C'est que tout peuple qui n'a d'in-
fluence dans les affaires, ni par lui-même, ni
par ses représentants, aspire au gouverne-
ment d'un seul, dont le despotisme, aperçu
dans un grand lointain, le blesse moins que
la morgue repoussante de ses magistrats.
Privé de ce droit d'élection qu'il exercerait sans
empressement, s'il en pouvait jouir, il en est
excessivement jaloux, parce qu'on le lui con-
teste. Comment ne désirerait-il pas avec ar-
deur de voir les aristocrates subir le mêmejoug auquel il est soumis? Qu'il survienne une
guerre ou quelque autre calamité, il ne man-
que pas de s'en prendre directement à ses
chefs, parce qu'il est près d'eux ; et c'est alors
qu'il invoque de bonne foi un mae:istrat supé-
rieur : penchant naturel aux malheureux, de
voir le mal en réalité, le bien en perspective.


Orgueilleux régents, renoncez, -pour votre
propre intérêt, à cette absurde prétention de
gouverner vos semblables malgré eux ; re-
noncez à la prérogative de faire le bien des-potiquement comme vos stathouders font le
mal. Voyez combien d'anathèmes vos ancêtres
ont attirés sur vous, et de combien de bénédic-tions ils vous ont privés, en vous inculquant
cette révoltante doctrine, que vous êtes d'une
nature supérieure au peuple '.Ce peuple,
dont vous croyez avoir provoqué la recon-naissance par les soins que vans vous êtes
donnés pour lui, il a le droit de vous reprocher
iusqu'a vos bienfaits. Penser qu'il doit être
conduit de force dans la route d'un bonheur
qu'il ignora c'est insulter à la nature hu-




— 150 —




maine, c'est blasphémer contre la providence.
Ah! le peuple qui réclame le droit inaliénable
d'élire ses magistrats n'enviera jamais le pou-
voir qu'il leur a confié : ce n'est pas le magis-
trat qu'il jalouse, c'est l'aristocrate! Si Bar-
neveld eût été choisi par le peuple, Maurice
n'aurait pas pu l'égorger en le calomniante.


Mirabeau arrive à l'époque du soulèvement
général de 1184-, et il groupe tous les faits,
tous les arguments qui peuvent démontrer
à quel point le stathowiérat est inutile à
paix, à la prospérité , à la gloire des Etats et
de combien de dangers il les entoure au con-
traire.


Il termine par une vigoureuse exhortation
aux Bataves, dans laquelle il trace d'avance
ces immortels droits de l'homme, qu'il devait
quelque,, années plus tard proclamer pour
notre propre patrie :


Quel que puisse être le sort réservé au sta-
thouder, à la république, à ces Prussiens al-
térés d'or et de sang; vous avez, ô vertueux
patriotes, rempli un pieux devoir en attaquant
et l'aristocratie et le stutboudérat e


. Que si
une lumiére prophétique vous eût révélé les
événements futurs, les maux que vous avez
soufferts, et ceux que vous souffrez encore,
en ce cas mûrie vous auriez dd prendre la
résolution que vous avez prise, pour peu que
vous eussiez respecté votre gloire, et vos an-
cêtres et les jugements de la postérité_ Hon-
neur vous soit à jamais rendu, ô nobles répu-


' blicains!...
Mais ce n'est point assez pour une nation


— 1M.
de punir les crimes de ses chefs ; il faut qu'elle
leur ôte le pouvoir de faire le mal... Bataves!
en vain vous jouissiez de la liberté civile, vous


savez trop aujourd'hui, elle est mal assurée
sans la liberté politique! Les funestes événe-
ments de votre dernière guerre contre les
Anglais ont montré qu'avec la liberté civile
une nation peut être trahie, vexée, ruinée, as-
servie. vous avez senti la nécessité de recon-
quérir vos droits.


Votre cause est celle de tous les hommes:.
ils sont tous appelés à celte importante dis-
cussion. Pour moi, je n'examinera i ni les chan-
gements qui conviennent aux diverses consti-
tutions de cos provinces, ni ceux qu'exige votre
système fédératif.


Je me bornerai à vous offrir le tableau desdroits qui vous appartiennent en qualité d'hom-
mes; de ces droits antérieurs et supérieurs à.
toutes conventions; de ces droits inaliénables,
imprescriptibles, qu'il est absurde de subor-
donner à des titres écrits; de ces droits, base
commune, base éternelle de toute association
politique ; épars dans votre constitution, plus
rassemblés dans celle de r Amérique, successi-


, vement démontrés par les diverses éiodes
de votre histoire, scellés du sang de opéra ncê-
tres, ils sont tels que les exige impérieuse-
ment le pays ,


que vous nabitez, et tels que
sans eux il est impossible à respece humaine,
sous aucun climat, de conserver


sa dignité,
de se perfectionner, de jouir tranquillement
des faveurs de la nature.




— 152
Mirabeau énumère les droits de tout peuple


qui veut la liberté :


I. Tous les hommes sont nés libres et égaux.
Egaux et libres par l'intention de la nature;
ils le sont encore par ]e voeu primitif de ton-.
tes les sociétés; puisqu'en se rassemblant ils
n'ont pu sacrifier, chacun, que la même por-
tion de liberté et d'égalité.


Ce que l'état social présente de plus affli-
geant, ce sont les inégalités factices qui par-
tagent les hommes en deux classes, dont l'une
est vouée à la corruption morale, et l'autre
au malheur physique.


Il faut l'avouer, les hommes paraissent nés
pour l'esclavage, quand ils sont nés dans l'es-
clavage. Mais le triomphe de la vertu est de
n'être point découragée d'un tel spectacle, et
d'inspirer à tout homme libre, à tout homme
qui sent le prix de la liberté, même dans les
fers du despotisme, les moyens de détruire la
servitude, ou du moins d'en préparer la des-
truction.


II. Tout pJuvoir étant émané du peuple, les
différents magistrats ou officiers du gouverne-
ment;


revêtus d'une autorité quelconque, législa-
tive, exécutive ou judiciaire, lui et,ivent compte
dans tous les temps. Le peuple ne peut renon-
cer au respect que lui doivent les magistrats
sans qu'ils s'accoutument à une indépendance
qui bientôt lui devient funeste.


III. Le peuple pour le bonheur de qui le go>
,vernement est institué, a le droit inaliénable a
le réformer, de le corriger ou de le changer totor
lement iersgue son bonheur l'exige.


— 1 fia —
IV . Le peuple a le droit de raire remplir les


emplois vacants par des élections et des nomina-
tions régulières et de faire rentrer ses officiers
publics dans la vie privée, à certaines époques.
Des magistrats qui ne rentrent pas dans
l'ordre des simples citoyens sont tentés de se
croire les maîtres des lois dont ils ne sont que
les ministres.


V. Toutes les élections doivent être libres; et
tout homme donnant une preuve suffisante d'un
intérêt permanent et de l'attachement qui en est
/a suite, a droit d'élire les officiers et d'être élu
pour les emplois publics. Les individus qui
n'ont rien perdent mal à propos leur temps
dans les élections et se laissent facilement
corrompre. Les exclure , c'est le meilleur
moyen de leur inspirer l'envie de sortir de
l'indigence.


VI. Le peuple a droit de s'assembler pour con-
sulter sur le bien commun; il a le droit de don-
ner des instructions à ses représentants et de re-
quérir du Corps législatif, par des adresses ou
des remontrances, le redressement des torts qui
lui ont été faits et le soulagement des maux qu'il
souffre. C'est une grande erreur de Croire que
la fréquence des assemblées nationales puisse
nuire au bon ordre; rien, au contraire, n'at-


, tache tant le citoyen à sa patrie que l'habi-
tude de s'occuper des intérêts publics. Rien
n'élève plus les âmes et ne les empêche au<
talai; de se concentrer dans le tracas des af-
faires particulières.


VII. La liberté des délibérations dans les as


semblées est si essentielle, qu'aucun des discours
241 y sont tenus ne doit servir de prétexte à au-




ii— 454
cane action ou platate devant aucun tribunal.


VIII. Une longue stabilité dans les premiers
départements de la puissance exécutive est dan-
gereuse pour la liberté. Le changement périodi-
que des membres de ces départements est tout ùfait nécessaire. Quand tous peuvent parvenir
au pouvoir, tous peuvent s'en rendre dignes.
Les Barneveld et les de Witt, ces colonnes de
la république, ont soutenu trop longtemps le
poids des affaires. L'Etat, privé de ces hommes
extraordinaires, pensa tomber avec eux. Il
faut donc qu'il se constitue de manière à ne
pouvoir craindre ni la médiocrité, ni même
les vices de ses conducteurs.


IX. Aucune personne ne doit exercer 4 la fois
plus d'un emploi lucratif. Toutes les institutions
civiles doivent tendre à prévenir toute espèce
de monopole.


X. Pour que les lois gouvernent, et non les
hommes, il faut que les départements législatif,
exécutif, et judiciaire, soient totalement sépa-
rés. Si la puissance législative statue, non pas
d'année eu année, mais pour toujours, sur la
levée des impôts et sur les forces de terre et
de mer, elle court risque de perdre sa liberté,
parce que la puissance exécutive ne dépendra
plus d'elle.


Si la puissance exécutive ordonne la levée
des impôts, il n'y a plus de liberté, parce
qu'elle a usurpé le droit le plus important de
la législation.


Si la puissance judiciaire est jointe à la puis-
sance législative, la vie et la liberté des c i


-, toyens dépendent d'un caprice, car le juge est
législateur.


— 155
Si elle est unie à la puissance exécutive, le


juge a la force d'un oppresseur.
Quand le même homme exerce les trois


pouvoirs, soit directement, comme le Grand
Seigneur ; soit indirectement, et par son in-
fluence, comme le stathouder, tout est perdu.


XI. Le droit de suspendre les lois, ou d'en arrê-
ter l'exécution, ou même de les annuler, ne peut
ère exercé que par le pouvoir législatif.


Il ne faut jamais affermir les institutions
politiques jusqu'au point de s'ôter le pouvoir
d'en suspendre l'effet.


La nature de la puissance législative est de
ne pas prescrire de bornes.


Il faut même se hâter d'abroger les lois
usées par le temps, de peur que le mépris des
lois mortes ne retombe sur les lois vivantes.


XII. Use peuple ne peut conserver un gouver-
nement fibre que par une adhésion ferme et
constante aux règles de la justice, de la mode-
ration,, de l'économie, de la vertu, et par un re-
tour fréquent à des principes fondamentaux.


La morale est la base de la politique : ainsi
sans les moeurs, les lois s'écroulent et le bon-
heur fuit.


XIII. Le peuple a droit d'avoir et de porter
des armes pour la défense commune. Quand il
en perd l'habitude, il se trouve bientôt quel•
que ambitieux qui met tout en oeuvre pour en
profiter.


XIV. Une milice bien réglée est la défense con-
tenable, naturelle et pire d'un gouvernement
litr .


En cas d'invasion, c'est le seul moyen pour
un Etat d'étre présent partout. On peut avoir




— 156
besoin, dans des circonstances rares, de sol-
dats mercenaires; mais la défense de la patrie
doit être confiée aux citoyens pour être dans
des mains sûres; c'est la propriété qui fait des
citoyens; et le fanatisme de la propriété est
le plus ardent comme le plus puissant des fa-
natismes (1).


XV. Des armées toujours sur pied sont dange-
reuses pour la liberté; il ne doit être levé ni en-
tretenu de troupes sans le consentement du corps
législatif. Il faut aussi que le pouvoir 'militaire
soit toujours subordonné sévèrement à l'autorité
civile. On connaît le caractère des mercenaires
qui font de la guerre un métier; ils portent
dans la vie civile l'obéissance aveugle que le
besoin de la discipline rend nécessaire à l'ar-
mée.


XVI. Aucune partie de la propriété d'un in-
dividu ne peut avec justice lui être enlevée, on
être appliquée à des usages publics, sans son
propre consentement ou celuidu corps qui repré-
tente le peuple.


Ceux qui se soumettent à des taxes cou-
(I) L'auteur axait dit auparavant : Ce n'était pas


assez pour la République d'avoir des troupes et des
flottes: il lui fallait, puisqu'elle se trouvait pour long-
temps ennemie de la France, une barrière, c'est-à-dire
des places fortifiées sur ses confins, et abondamment
pourvues de tout ce qui est nécessaire pour les défen-
dre- Les forteresses, les retranchements, les inonda-
tions, arrêtent un ennemi, même après le gain d'une
bataille, et si les stathouders n'ont jamais )prouvé
ce sy stème, c'est qu'une armée de soixante mille mer-
eeneires doit réduire la République en servitude, et
que des places fortes bien entretenues et suffisamment
gardées par d'excellentes milices ne peuvent servir
qu'à la défendre. »


4*


— 157 —
nires aux lois sont de plus grands ennemis
:e leur patrie que ceux qui les imposent La
ennie du prince ne devient redoutable que
;a la mollesse et la stupidité du peuple.
Ce n'est jamais sans quelque intention per-


;erse qu'on lève sur un peuple des tributs
Fbitraires et peu proportionnés te ses forces
a à ses besoins. Les tributs sont dans l'Etat
somme les voiles dans le vaisseau, pour ras-
Firer et l'amener au port; non pour le charger,
'e tenir toujours en mer et finalement le
Ribmerger.
XVII. Tout citoyen doit obtenir justice prornp-


louent, gratuitement, complétement.
Quand la justice se paye, elle ne peut se


:gindre ni promptement, ni complétement, et
test alors le plus intolérable de tous les
kpôts.
XVIII. Aucun citoyen ne doit être exilé ou


Privé de la vie, de la liberté ou de ses biens, que
iar un, jugement authentique.
Chacun rie peut déposer dans le pacte social


Sue la partie de ses biens et de sa liberté qui
Importe à la communauté; et cette partie.
14 même a besoin d'être réglée par le corps
1(!gislatif. Comment la privation de la vie, de
la liberté et des biens d'un citoyen pourrait-
e le n'être pas soumise à une instruction
Pablique?


XIX. Tout citoyen gens dans l'exercice de
sa liberté a droit de s'informe • de la nature de
l'obstacle qu'il éprouve, de l'écarter, s'il est illé-
gitime, et d'obtenir une prompte réparation.


XX. Tout citoyen a droit d'être à l'abri de


tou tes recherches et de foutes saisies de sa per-




-- 158
sonne, de ses maisons, de ses papiers, de ses pos,
sessions. Un châtiment anticipé ne sert jamais
qu'à confondre le coupable avec l'innocent.


XXL Il faut que tes officiers des cours su-
prêmes de judicature aient un salaire honora-
ble, et qu'ils soient maintenus dans leurs offices
aussi longtemps qu'ils ne donnent aucun sujet
de plainte légale.


Leur indépendance et leur intégrité sont les
meilleures garanties des droits et de la liberté
des citoyens.


XXII. Quant aux poursuites criminelles,
la vérification des faits dans le voisinage des
lieux où ils se sont passés est de /a plus grande
importance pour ta sûreté de la vie, de la liberté
et . de la propriété des citoyens. Lorsque l'inno-
cence des citoyens n'a pas de base fixe, la I ►-
berté ne peut être que mal assurée.


XXIII. Les substitutions perpétuelles et les
priviléges exclusifs sont odieux, contraires a
l'esprit d'un gouvernement libre et aux prince
du commerce.


Les substitutions éternisent les richesses
dans les mêmes familles, et les priviléges se
concentrent dans les mêmes mains. Rien ie.
contrarie davantage l'égalité, que toutes les
lois doivent favoriser, parce que toutes les
combinaisons sociales tendent à la détruire..


XXIV. Aucune lasse, aucune associall0
d'hommes, ne pouvant avoir de priviléges es
sils que pour des services rendus l'Etat, et
titres n'étant point héréditaires par leur esseliw
ridée d'un homme né magistrat, législateur°


' général, est absterd.e et contre nature.
XXV. Il fo ∎earbriettre tous les cultes.


---


XXVI. La liberté de la presse doit étre ir-
révocablement maintenue. Ce n'est jamais quo
sous l'influence de cette irrésistible liberté que
l'instruction fait de grands progrès. Plus les
lwnières se répandent, plus les hommes ont
de droits à réclamer,de devoirs à remplir. C'est
la liberté de la presse qui est le palladium de
toutes les 'inertes; c'est elle qui peut rapide-
ment amener les Etats naissants à une matu-
rité précoce et durable; c'est à elle qu'appar-
tient le rajeunissement . des empires usés par
la décrépitude.


Voilà, généreux Bataves, les droits dont la
proclamation fera votre bonheur et votre
gloire. Les sages attendent avec impatience e
gour où il vous sera permis de célébrer ces
rites augustes de l'humanité. ils pensent que
votre pays est le seul de l'Europe chez qui Une
législation nouvelle ne doive pas être néces-
sairement fondée sur d'anciennes erreurs.. .


Généreux Bataves, élevez-vous au-dessus
des terreurs qu'inspirent ces sentiments ten-
dres et profonds, qui donnent tant de prix à
la vie! Vous devez les déraciner, les repousser
même, pour vous y livrer un jour avec plus
d
'abandon et de sécurité. Vous avez des diffi-


cultés à vaincre, des dangers à. braver ; il fau-
dra répandre du sang; mais, de toutes les
causes qui divisent les hommes, celle de la
liberté est la seule qui légitime, la seule qui
nécessite, la seule qui sanctifie l'effusion du


Hataves! point de délais... — C'est une triste
vETité, dans les annales du monde, que le des-




• - — —


ilotisme est presque inattaquable, sitôt galle
fait quelques progrès. Vainement alors brise-
rait-on les chaînes sous lesquelles un peuple
gémit, des hommes abrutis par l'esclavage
n'ont point assez de vertu pour recevoir la li-
berté. Ils ne changent de maître que pour
baisser la tête sous un nouveau joug. Quelque
vicieux que soit un gouvernement, on s'y ac-
coutume ; il excite l'indignation, mais on n'ose
le braver. Le mépris et la colère sont bientôt
surmontés par la crainte et l'amour du re-
pos. Les citoyens les plus vertueux oublient
dans cette calamité honteuse que la prudence
de l'opprimé, la puissance du faible, c'est la
témérité.


Aux armes, nobles patriotes, aux armes!
faites retentir partout ce cri de liberté qui
glace d'effroi les tyrans. Votre saint enthou-
siasme ne dût-il attirer sous vos drapeaux que
les vrais amis de l'humanité, tout vous serait
encore possible. Aux armes !... Heureux ceux
d'entre vous auxquels il sera donné de voir 16
jour mémorable de la Révolution ! Plus heu-
reux les citoyens qui, par de grands talents
ou le sacrifice de leurs fortunes, auront pré-
paré cette auguste journée! Heureux encore
ceux qui répandront jusqu'à la dernière goutte
de leur sang pour la patrie! Ils emporteront
dans la tombe l'idée consolante d'avoir pré-
paré la félicité publique. Ils laisseront à leurs
enfants l'héritage de leurs vertus.


OBSERVATIONS


SUR LA MAISON DE FORCE APPELÉE BICÈTRE




OLSERVATIONS SUR LA MAISON CE FOP.CII


APPELÉE MCÉTRE


•••••••nnn•,:


Avant d'entrer dans le rôle de politique
Active auquel Mirabeau va bientôt se dévouer
tout entier, nous devons mentionner encore
une brochure publiée en août MS, sous ce
titre : Observations d'un voyageur anglais sur
la maison de force appelée Bicêtre; ce seul titre
explique comment un sujet pareil a dû émou-
voir et inspirer l'auteur de l'Essai sur le .Des-
potisme et des Lettres de cachet.


L'intention de cet écrit nous paraît élo-
quemment exprimée dès le début :


Au nombre des maux les plus affligeants
de la société, je compte l'insouciance à la-
quelle l'habitude nous entraîne sur les excès
les plus déplorables, lorsqu'ils se répètent jour-
nellement sous nos yeux. Nous vivons au
milieu d'une foule d'oppressions et de misères
qui nous laissent à peu près indifférents. Si
nous en détournons nos regards, c'est pour
oublier ce spectacle hideux, et non pour re-
Poser notre âme; c'est dans la crainte de flé-
trir notre imagination, et non dans le saisis-
sement d'une veritable horreur; c'est par bon
goût et non par cOmrnisération. Il ne nous
vient pas à l'esprit que cette légèreté, insul-
tante pour l'espèce humaine, nous rend cou-


111




— I 61, —
pables, en proportion de notre influence sociale,
de tout le mal que le soulèvement de L'opinion
publique pourrait empêcher, de tout le bien
qu'il pourrait faire.


Je croyais avoir moins qu'un autre à me
reprocher cette espèce de délit dont j'accuse
la plupart de mes concitoyens; et voilà que je
me surprends coupable dans un des sujets dont
je me suis le plus occupé. J'ai parlé avec
énergie des attentats sur la propriété person-
nelle des citoyens, des lettres de cachet, des
prisons d'État; et, comme si la rouille aristo-
cratique entachait l'esprit le plus exempt du
préjugé qui classe les hommes par le rang et
par la fortune, comme si les angoisses du
plébéien ou du pauvre méritaient moins d'in-
dignation que celles du riche et du patricien,
je me suis à peine occupé des maisons de
force.


Après ce préliminaire, après d'amères et
justes réflexions sur les abus et en même
temps sur l'impuissance de la police, Mirabeau
arrive à sa visite à Bicétre


Je savais, comme tout le monde, que Bicétre
était à. la fois une prison et un hôpital (1);
mais j'ignorais que l'hôpital eût été construit
pour engendrer des maladies, et la prison pour
enfanter des crimes.


(I) Mirabeau avait déjà, parlé de Bicétre dans les
Lettres de cachet : Je sais du moins (pour les avoir
vus( que les cachots noirs de Bicétre sont sous terre et
sens jour, que l'air ne change que par l'axe d'un pilier
de pierre en syphon, et qu'on y descend l'eau et le pain
avec une corde. gi


— —


Nous ne rapporterons pas les détails hideux
qui suivent. Nous remarquons seulement que
Sur cette question d'administration, comme
sur la plupart des questions de politique, Mi-
rabeau devança de beaucoup les esprits les
plus occupés de ces matières. Dés la dix-hui-
t'élue page, il passe à l'examen de la législa-
tion criminelle de l'Angleterre et il parle du
projet d'y établir des maisons de pénitence:


Ce projet réunit le double avantage d'un
établissement de charité et d'une institution
pénale, toute dirigée vers le but le plus im-
portant du châtiment, que presque toutes les
lois ont négligé, savoir: la réforme du criminel.
Il fait espérer de dompter les caractères les
plus intraitables et les âmes lei plus féroces,
par une détention solitaire et un travail con-
tinuel. Ce serait, en outre, une espèce d'asile
pour ceux que le vice d'une mauvaise éduca-
tion, des liaisons pernicieuses, le désespoir ou
l'indigence auraient seuls rendus coupables.
Isolés des scélérats déterminés, ils seraient à
l'abri de la contagion de leurs complices. On
inculquerait dans leur esprit les principes de
la religion, de la morale; on leur enseignerait
des métiers utiles; on leur fournirait des res-
sources propres à en faire des membres esti-


, niables de la société, quand la liberté leur
serait rendue.


Il s'afflige des lenteurs qu'éprouve la réali-
sation de ce plan, dont, dit-il:


L'exécution universelle est le plus court che-
inin pour conduire à la réforme du Code pé-
nal, c'est-à-dire à l'unique moyen de propor-




— 16G —
tionner les pei'aes aux délits, et d'absoudre
l'espèce humaine, comme aussi de la déiivrer
de ses lois les plus iniques et les plus cruelles;
car comment, le jour où il serait démontré,
par le fait, qu'on peut améliorer les coupables,
ne préférerait-on pas le système qui prévien-
drait les délits à celui qui les punit sans les
réprimer ?


Mirabeau étudie ensuite la législation cri-
minelle de l'Angleterre. • Cette législation
si admirée sur parole, dit-il, et qui serait la
honte du peuple qui l'adopterait, aujourd'hui
que les lumières du siècle font un devoir aux
nations d'élever leurs lois du moins au niveau
de la raison humaine. s Il examine d'une fa-
con générale quels doivent être les caractères
de la loi :


Pour rendre les lois efficaces et respectables,
il n'est pas douteux qu'il ne soit nécessaire
qu'on les exécute strictement; mais il est en'
core plus indispensablernent requis qu'elles
soient justes et raisonnables; car autrement,
plus on voudra les exécuter à la rigueur, plus
elles seront méprisées et abhorrées. Si nous
voulons que nos lois soient invariablement
obéies, nous devons d'abord les rendre telles
que tout homme sage et honnête joigne ses
voeux à ceux de la loi, et contribue par sa
conduite à la faire observer. Il ne faut pas les
laisser armées d'une telle sévérité que la na-
ture nous crie que c'est une vertu de tromper
la loi. Peut-être dans un état despotique se-
rait-il possible d'exécuter les lois les plus dé-
naturées avec la rigueur la nias inhumaine;


-- 67 —
mais dans un pays libre, et sous un gouverne-
ment modéré, cette révolution ne pourrait
avoir lieu qu'autant qu'on aurait éteint la
dernière étincelle de l'humanité dans le coeur
des hommes, et que, par leur nature, ils ne
seraient plus susceptibles de souffrir.


Il se plaint surtout des lenteurs de l'in-
truction criminelle :


L'esprit humain ne conçoit pas, sans être
pénétré d'horreur, la question préparatoire,
qu'on employait autrefois en France. Eh bien,
l'emprisonnement longtemps avant le procès
provient de la même source, quoiqu'il ne soit
pas suivi de la même cruauté; car, dans les
deux cas, on commence d'abord par infliger
une peine, et ensuite on examine à loisir si le
malheureux qui la souffre est innocent ou
coupable. Après avoir été privé de sa liberté
pendant sept ou huit mois, après avoir souf-
fertd urantcet intervalle toutes les horreurs de
la prison, l'infortuné est enfin conduit devant
le juré qui, sur ses interrogatoires, le déclare
parfaitement innocent Qu'en résulte-t-il? A
la vérite, sa réputation est rétablie, mais sa
santé ne le sera lamais. Peut-être il a perdu


, pour toujours les moyens de gagner sa vie, et
il retrouve sa malheurens .. famille dans quel-
ques ateliers de charité, où la honte et la mi-
sère l'ont forcée de se réfugier.


Si l'on s'étonne que Mirabeau se soit ainsi
occupé de la législation d'un peuple voisin
Plutôt que de s'attacher de préférence aux dé-
fectuosités de la législationfranç aise, surla-




— 468 --
quelle, dans ses Lettres de cachet et ailleurs, il
s •éte.it exprimé très énergiquement, il nous
Indique lui-même ses motifs dans son avant-*
propos:


Que si l'on veut savoir pourquoi j'ai parlé
des lois et des juges de la Grande-Bretagne
plutôt que des nôtres, c'est que les vérités de
détail, transportées d'un pays a. un autre, me
paraissent très utiles, surtout lorsque le lec-
teur reste seul chargé de l'application. C'est
qu'ensuite en Angleterre il n'y a selon moi,
du moins à cet égard, qu'à corriger; au lieu
que chez nous, tout est à refaire. C'est enfin
que j'ai désiré de suggérer cette question :
Que sommes-nous donc, $i les Anglais ne soug
encore que cela t


DÉNONCIATION DE L'AGIOTAGE


LETTRES


SUR L'AD MINISTRATION DE M. NECKER


SUITE


DE LA DÉNONCIATION DE L'AGIOTAGE




DÉNONCIATION DE L'AGIOTAGE


Nous allons retourner maintenant au com-
mencement de l'année 1187. Mirabeau, revenant
de Prusse, oii nous avons vu que sa mission
avait fini le 17 janvier de cette année, était
arrivé à Paris le 27 du même mois. La reunion
de l'assemblée des notables avait précipité son
retour. Nous lisons à ce sujet dans la lettre
qui termine la correspondance de Berlin, pu-
bliée, comme nous l'avons dit, sous le titre
d'histoire secrète :


Mon cœur n'a pas vieilli, et si mon enthou-
siasme est amorti, il n'est pas éteint. Je l'ai
bien éprouvé aujourd'hui. Je regarde comme
un des plus beaux jours de ma vie celui où
vous m'apprenez la convocation des notables,
qui sans doute précédera de peu celle de l'As-
semblée nationale. J'y vois un nouvel ordre
de choses qui peut régénérer la monarchie; je
me croirais mille fois honoré d'être le dernier
secrétaire de cette as,emblée dont j'ai eu
l'honneur de donner l'idée (1).


(i) Il y A. lieu (3e croire que Mirabeau avait donné
les conseils à ce miel. Il le déclare non-seulement
dans la lettre à peu prés officielle que nous venons (le
citeranals encore dansdeux lettres écrites à un ami qui
avait toute sa confiance. à Mauvillon: t n Le conseil que
vous appelez sublime vient de moi. J'ai donné l'idée,




— 172
Mirabeau avait médité pendant a route 'le


sujet (l'un écrit qu'il voulait mettre sous les
yeux de l'assemblée des notables, et où il
comptait traiter la plus pressante question du
moment, c'est-à-dire la nécessité de restaurer
les finances. L'occasion était venue pour l'im-
placable ennemi de l'agiotage de lui porter
publiquement le dernier coup devant Passera-.
blée, dont les délibérations allaient éclairer et,
probablement diriger le roi, jusqu'alors mal
secondé dans ses bonnes intentions. Mirabeau '
écrivit et fit imprimer dans l'espace de trois
semaines la Denonciation de l'agiotage au roi
et à l'assemblée des notables.


Voici comment Mirabeau explique, dans une
lettre à Mauvillon, quels sentiments lui dic-
tèrent cet ouvrage :


« Ne voulant pas que la seule assemblée, en
quelque sorte nationale, qui peut-être aura
lieu de mon temps, se passât sans que je
payasse mon tribut à la chose publique, je me
suis emparé du sujet le moins à la portée des
.hommes capables de se faire lire, et sur lequel,
a mon avis, il importait le plus de diriger en
ce moment la puissance de l'opinion publique,
et j'ai dénoncé l'agiotage au roi et à l'assemblée
des notables dans un livre qui n'est pas bon,


le plan, le mémoire, etc. » Et ailleurs : « Quant à l'as-
Semblée des notables, quelques droits que je paraisse
avoir sur les suites d'une idée purement mienne et
dont j'ai tracé tout le plan, je ne puis croire notre gou-
vernement arrivé à ce degré de lumiéres,qu'il puisselui faire désirer que je sois dans une assemblée de
potables, encoremoins a la place que la voix publique
me destine, à celle de secrétaire. » D'ailleurs, l'espoir
exprimé ici par Mirabeau ne se réalisa pas : ce fut
Dupont de Nemours qui fut nommé à cet emploi.


-- 173 —


qui a été et dû être fait trop vite pour pou-
voir être bon, qui est surchargé de choses,
parce qu'elles ne sont pas à leur place,
et où j'ai plus médité mon sujet que mon
plan , mais qui a été dicté par un senti-
ment fort et pur, qui enseigne des vérités
saines et importantes, qui mettra de bons es-
prits sur la voie,' et qui, s'il ne tue pas l'agio-
tage, que le gouvernement seul peut extirper,
fera qu'on ne pourra plus sans infamie agioter
ni protéger les agioteurs; car les hommes de
bon sens et de bonne foi doivent être convain-
cus et les sophistes ne peuvent plus échap-
per.


Dans une dédicace au roi, placée en tête de
l'ouvrage. nous lisons le passage suivant :


C'est l'ennemi le plus redoutable de votre
royaume, c'est l'agiotage que je dénonce à Votre
Majesté : il dévore vos revenus, il aggrave les
charges de rEtat, il corrompt vos sujets, il
énerve votre puissance; s'il exerçait plus
longtemps ses ravages, il rendrait impossi-
ble jusqu'à vos bienfaits.


Nous ne saurions vous déguiser, sire, qu'il
a des protecteurs au pied de votre trône.
Peut-être, hélas! vous persuaderont-ils que
l'agiotage a été jusqu'ici un palliatif néces-
saire, et que mes principes, ou les faits que
j'allègue, sont autant d'erreurs.


Sire, il s'agit de l'honneur et du salut de la
France....


L'exorde est solennel et il est empreint
d'une grande force oratoire:




i—
La France serait-elle destinée à donner en,


core à l'Europe le spectacle ignominieux des
scènes de corruption, de désordre, de rapacité,
qui ont irrévocablement flétri les dernières an-
nées du règne de Louis XIV, et les premières
du règne de son successeur? Notre Louis XVI
serait-il condamné a. cette infortune. La Prs,-
vidence aurait-elle placé, je ne dirai pas les
bornes de l'Empire français ( Eh! que manque-
t-il à son étendue?) mais les limites de sa
gloire, de son bonheur, dans une indélébile
légèreté; les leçons du passé, nos propres lu-
mières, les exemples de nos rivaux ne produi-
ront-ils rien sur la nation! Serons-nous con-
damnés à ne figurer sur ce globe que comme
des enfants doués des plus heureuses disposi-
tions, mais incapables de surmonter les causes
qui nous retiennent dans des accès périodi-
ques d'inconséquence et de déraison? L'esprit
public et ses vertus devraient-ils nous être à
jamais étrangers? On nous promet la Consti-
laiton politique qui les donne; ne ferons-nous
rien pour nous en montrer dignes? Aggrave-
rons-nous chaque jour tout ce qui peut rendre
impossibles ses bienfaits? Quand notre popula-
tion et nos avantages donnent de nous l'idée
d'un peuple puissant, n'ambitionnerons-nous
jamais de nous faire respecter par nos princi-
pes et notre sagesse?...


Cinq années sont bientôt révolues depuis la
fin d'une guerre que nous appelons heureuse.
Eh! combien les bénédictions de la paix ne
sont-elles pas encore loin de nous ! Conti-
miellement travaillé par des besoins d'argent,
le gouvernement sievale chaanne de. ces an,


475
nées par de nouveaux emprunts. Ils ont éloi-
gné toujonrs davantage les soulagements si
souvent promis, et que tant d'intérêts sollici-
tent... Le royaume doit rembourser ses em-
prunts; il doit en payer les charges, et sous
ce rapport il est dans la dépendance absolue
de la capitale. C'est dans ce tourbillon, où cha-
que individu ne songe qu'à une fortune rapide,
que les emprunts sont attendus et prévus,
comme une dépouille dont il tarde à la cupi-
dité de s'emparer...


Je sais qu'on vante notre richesse, des flots
de numéraire circulent, dit-on, dans la capi-
tale. Mais à quoi donc servent-ils ? Est-ce
l'agriculture, sont-ce les manufactures, est-ce
le commerce réparateur qu'ils font prospérer?
Diminuent-ils le poids engourdissant des im-
positions mal assises? Le propriétaire terrien
épuisé, le laboureur exténué de misères trou-
vent-ils l'argent qui rendrait la vie à leurs
héritages? Cette oruyante richesse dont on
voudrait étonner notre imagination a-t-elle
fait baisser le taux de l'intérêt de l'argent?...


Loin qu'aucun de ces effets qui devraient
caractériser l'abondance générale du numé-
raire se développe, nous ne voyons même
rien qui l'annonce... Osons le dire! car enfin
se taire, dissimuler, s'étourdir, tous ces pallia-
tifs de la faiblesse ou du crime ne seront ja-
mais que de fatales aggravations. Osons le
dire, les besoins du gouvernement exigent
toujours des emprunts publics, les conditions
en sont de plus en plus onéreuses pour le fisc
et désastreuses pour l'industrie. L'insuffisance
de ces emprunts s'annonce l'instant d'après




— 1'76 —
;eur promulgation. Des expédients sans nom-
bre et sans choix, pour attirer plus d'argent
encore remplissent l'intervalle qu'on est.
obligé de mettre entre les emprunts...


La conséquence de cet état de choses est de
faire surgir ces agioteurs éhontés qui se dis-
putent la fortune des particuliers, a écartent
tous les calculs honnêtes, corrompent toutes
les habitudes de prudence et de sagesse :


Ils multiplient les inventions pour se trom-
per réciproquement, pour transporter l'un sur
l'autre. avec une aggravation de poids, le far-
deau dont ils se sont chargés dans cette espé-
rance, et surtout pour enlacer l'homme hon-
nête, mais crédule, qui, spectateur de ces
gains obscurs, succombe enfin à la tentation
d'y prendre part.


C'est contre les manoeuvres de bourse que
Mirabeau réclame avec véhémence; il en
peint les résultats désastreux :


Oui, j'en jure la vérité, l'agiotage qui s'exerce
à Paris sur des effets dont le produit éventuel
égare l'imagination, ne peut engendrer que la
plus abominable des industries. Eh! quelle
compensation offre-t-il , quand son résultat
unique, son dernier produit, est un jeu effrené,
ou des millions n'ont d'autre mouvement que
de passer d'un portefeuille à l'autre, sans rien
créer, si ce n'est un groupe de chimères que
la folie du jour promène avec pompe, et que
célle du lendemain fera évanouir?... Sans Pep-


. pat du jeu du panier. on aurait partout


— 177 —
tenté des entreprises d'agriculture ou de com-
merce, profitables à tout le monde ; des marais,
eussent été desséchés, des landes défrichées,
des ponts construits, des canaux creusés, la
navigation perfectionnée, des arts simplifiés
des machines économiques construites, des sa-
laires répandus, de nouveaux débouchés offerts
de toute part aux denrées, des nouveaux em-
plois à toutes les matières premières... Tel est
l'abus des jeux de hasard et de l'esprit de lote-
rie. Cet esprit funeste venu d'Italie avec les
impôts indirects de consommation ou de sé-
duction, a corrompu les moeurs, a troublé la
raison, a fait le malheur des hommes, et con-
tinuera de le faire, tant que la pluralité des
souverains ignorera que tous les désordres de
la société diminuent leur autorité, leur puis-
sance, leurs richesses tant qu'une sage, ver-
tueuse et rigoureuse éducation n'apprendra
pas aux peuples que tout jeu de hasard est
en soi-même honteux, parce qu'il ne convient
à l'honnête homme, ni de s'emparer du bien
d'autrui, ni de mettre au hasard celui de sa
famille ; et aux rois, que les loteries qui
réduisent à l'inutilité, et à pis que l'inutilité
de grands capitaux , sont encore plus redou-


, tables que les établissements du même genre
quin'attaqucnt directement que le temps et le
pain des petits gagistes de la société, et qui
cependant sont bi en dignes par-là de l'horreur
qu'ils commencent à inspirer généralement...
Détruire l'agiotage c'est sauver l'Etat, c'est
restaurer ses ressources, c'est pourvoir à sa
sûreté, c'est rétablir le bon ordre, c'est rendre
au gouvernement sa dignité, à l'autorié son




— 178 —
empire, aux lois leur force; c'est préparer La
voie à l'esprit public, assurer la paix à l'exté-
rieur, la ramener dans l'intérieur des familles,
restituer les talents à leur véritable usage, 14
considération aux choses décentes et utiles;
et dans ce moment où nous sentons qu'il faut
demander à notre sol trop négligé ce qu'un fis
dissipateur t'


...emande à l'affection de son père,
le payement de ses dettes, n'est-il donc pas
temps de mettre en honneur l'industrie ru-
rale? Ne faut-il pas repousser sur nos champs
le numéraire que Paris absorbe, et n'absorbe
que pour tout corrompre ?


Mirabeau expose ensuite les objections qu'il
avait développées précédemment sur les abus de
la Caisse d'escompte détournée de sa vraie et
salutaire destination , sur ceux de la Compa-
gnie des Indes, utile a quelques monopoleurs,
nuisible à une classe immense de manufae
tuners et commerçants ; sur les actions des
Eaux de Paris, sur celles de la Compagnie d'as-
surance contre les incendies, de la Compagn'du Sénégal; sur l'agiotage effréné qu'entr
tiennent les papiers émis par ces divers éta
blissements. Du reste, ii n'invoque aucun
mesure répressive, et cherche plus haut les-
remèdes au niai qu'il dénonce :


Que conclurons-nous de tout ceci ? Faut-il
proscrire tout agiotage et sévir contre des
conventions libres? Non, pas même quand ces
conventions sont nuisibles aux contractants,
et leur liberté est plus importante encore que
les richesses; mais il faut appeler les lumières,
les livres, la liberté de la presse, seuls remè-
des infaillibles de ces funestes maux. Il ne


— 79
faut pas de punition légale entre ceux qui
s'abandonneraient à la funeste passion du jeu;
il faut seulement conduire l'opinion publique
à décerner contre eux la punition qui n'est
jamais bravée, celle du mépris universel


Enfin, Mirabeau s'élève contre la complica-
tion, l'incohérence et l'impuissance de l'admi-
nistration publique:


Cette multitude de bureaux, d'employés, qui
d'un objet simple en lui-rnème, forment des
divisions, des subdivisions absurdes autant
qu'innombrables, écrase l'habileté, la science,
la justice, les règles, les principes, l'économie,
les revenus. Tout disparait sous le nombre
infini des mains qui, voulant étre nécessaires,
mettent l'anarchie à la place d'un gouverne-
ment régulier, mal d'autant plus grand, que
tout homme se fait payer suivant ses besoins,
et que le tarif des besoins de cette armée de
préposés, occupés deux heures en un jour, est
dressé dans le lieu de la France où les besoins
sont le plus exagérés et la dépense la plus
coûteuse.


Après avoir ainsi dénoncé la lèpre du fonc-
' tionnarisme, Mirabeau réclame les assemblées


provinciales (1) :
C'est à l'aide de cette institution simple et


sublime que la France, régénérée par la seule
volonté de son souverain, prendra une forme


(1) Les assemblées provinciales n'avaient encore été
qu'essayées par Necker dans les deux =ovin= de la
Umyenne et du Beni. -




— 80 —
stable et imposante. Alors, les moeurs, ce pre-
mier lien des nations, porteront sur leur uni-
que base; je veux dire l'instruction prise dans
l'enfance des devoirs de l'homme en société.
Après n'avoir eu longtemps des méthodes et
des établissements que pour former -des géo-
mètres des physiciens, des peintres, nous en
aurons enfin pour élever nos citoyens; nous
remercierons bientôt les assemblées provin-
ciales d'une instruction nationale dirigée dans:
un seul esprit, dans des vues politiques, sur
des principes uni formes, où l'étude des devoir
du citoyen, membre de la grande famille, ser
le fondement de toutes les autres, et rangé
désormais selon l'ordre de son utilité, c'est-à
dire tout à fait à la tète des choses utiles.


Mirabeau termine sa polémique vive et bar
die par cette péroraison adressée aux nota-
bles :


Mais vous que le père de la patrie convoque
pour délibérer sur la chose publique, ô vous,
les aines de ses enfants! ah ! ne traitez pas d
craintes chimériques mes tristes prédictions.
Osez montrer au roi leur probabilité dans
toute son étendue; osez lui dire que rny
avons depuis trois ans de trop stIrs
ce qu'il faut attendre du système des finane,.,
sous lequel nous vivons; qu'il y va de son
bonheur et de sa gloire à n'en pas laisser le
plus léger vestige; qu 3 si l'agiotage n'est pas
étouffé, et l'animadversion la plus sévère mon-
trée à tous ceux qui participent au plus dé-
plorable des jeux; si les compagnies à privi-
léges ne sont pas détruites, et les compagnies


-- 181 --
nécessaires soumises à un régime rigoureux,
le crédit public, dont la chute rapide et pro-
fonde est d'autant plus difficile à interrompre,
qu'il s'était élancé plus vivement, et que celui
de nos rivaux acquiert tous les jours plus d'é-
nergie, le crédit publie est perdu ; les finances
sont irrémédiablement bouleversées, les res-
sources taries, la banqueroute inévitable. Di-
tes-lui que celui qui professe d'autres maxi-
mes ne peut être que l'ennemi de l'Etat... Di-
tes-lui que le citoyen qui ose parler ainsi et
se nommer doit attirer quelque attentibn sur
ia dénonciation qu'il apporte au pied du
trône, car il n'a pu trouver un tel courage que
dans le sentiment pressant d'un grand danger.


Dans sa Dénonciation sur l'agiotage, Mirabeau
commence, à propos des opérations du minis-
tère de M. Necker, la longue suite d'attaques
publiques qu'il dirigea contre le célèbre finan-
cier :


Disons, pour être rigoureusement juste, que
.
..'une des sources principales et peut-être la
véritable cause première de l'agiotage qui
avait péri avec le système de Law, c'est le
système non moins chimérique conçu par
M. Necker, de fournir aux dépenses de la
guerre au moyen crempronts continuels sans
impôts... Comment a-t-il espéré que les gens
éclairés ne s'apercevraient pas que reculer les
impôts, c'est les aggraver, et que s'il ;')e ména-
geait une réputation d'adresse et d'escamotage
politiques en éloignant l'impôt, il laissait à ses
successeurs la tâche la plus difficile et par
cela même la plus méritoire d'acquitter ces




— 182 —
mêmes dettes qu'il mettait sa gloire à aCCIIMII•
ler? Comment M. Necker ne s'est-il pas aperçu
que, dés que l'Etat empruntait cies sommesdont
les revenus actuels ne pouvaient pas même
payer l'intérêt, l'impôt existait virtuellement,
mais nécessairement, soit qu'on le déclarât ou
non? En effet, si l'Etat devait tenir ses engage-
ments, il fallait bien imposer pour se procu-
rer ce qui, dans l'hypothèse, n'existait pas
encore ; mais alors, plus on retardait l'impôt,
plus il fallait l'augmenter, à cause des intérêts
accumulés pendant le retard... Si même l'Etat
devait un jour se libérer en violant ses enga-
gements, l'impôt n'en était pas moins réel.
mais seulement beaucoup plus injuste, beau-
coup plus absurde, parce qu'au lieu de porter
sur la nation entière, il ne pouvait, sous la
forme de banqueroute, atteindre que la seule
classe des prêteurs.


LETTRES SUR L'ADMINISTRATION DE M. NECKER


Ce sont ces arguments qui se trouvent dé-
reloppés dans les deux Lettres sur l'adminis-
tratton de M. Necker, datée la première du 19
mars, la seconde du 1" mai 1181. Dans la
première de ces lettres, pour expliquer la vio-
lence de son langage, Miraoeau écrit cette
phrase remarquable, qui semble une apologie
anticipée de sa tactique parlementaire :


Peut-on régénérer, peut-on même réformer
ce pays-ci sans attaquer aussi véhémentement
les personnes que les choses?


La popularité de M. Necker était fondée pré-
cisément sur ce que pouvait présenter de sé-
duisant sou système :


Il a fait la guerre sans impôts ! c'est un
dieu!... Voilà le cri universel.


Mais il s'élève un Manie qui dit :


Ce que vous lui imputez à gloire est un
crime. Ce que vous regardez comme un bien-
fait est l'aggravation de vos maux. Emprun-
ter sans imposer, c'est livrer une n


gage.
ationcvszt


usuriers; car eux seuls prêtent sur
tromper tout un peuple sur sa véritable situa-
tion. C'est enivrer les gouvernements en leur




t
-- 18.1


présentant comme faciles ces projets de des-
truction et de dépenses qui désolent l'huma-
nité. C'est rejeter sur les générations à venir
le poids des iniquités d'un ministre qui ne voit
que sa gloire personnelle et ses succès pré-
ents... Peuple crédule! hâtez-vous de l'admi-
rer, vos enfants le maudiront.


Mirabeau se défend d'ailleurs du reproche
de jeter imprudemment l'alarme, au risque de
compromettre le crédit public :


Je n'ai pas dit que l'Etat fùt insolvable, ni
qu'il pût jamais l'être; dans les économies,
dans les ressources naturelles, il y il y aura
toujours de quoi donner des gages pour les
emprunts nécessaires. J'ai soutenu seulement
que l'emprunt n'a de vrai gage que l'impôt.
".;es deux fléaux doivent toujours marcher
ensemble.


3CITE DE LA DÉNONCIATION DE L'AGIOTA=


Les espérances qu'il fondait sur l'assemblée
des notables se trouvant déçues, Mirabeau pu-
blia une brochure pour réclamer la convocation
des états généraux, et en même temps il en
appela une dernière fois à l'opinion publique
contre l'agiotage. Il fit imprimer la Suite de
la dénonciation de l'agiotage.


Mirabeau, dans cette brochure, signale de
nouveau les manoeuvres de plus en plus acti-
ves des agioteurs qui portent à des prix fictifs
les actions d'une multitude d'établisse.nents
dont les privilèges sont illégaux et dont le
monopole et ruineux pour les industries
loyales. Il s'attache surtout à la Compagnie
d'assurance sur ta vie. Il se récrie encore une
fois contre les privilèges exclusifs :


Injustes dans leurs causes, abusifs dans
leurs vues, funestes dans leurs effets, ils pré-
sentent trois caractères principaux de répro-
bation; en attentant à la propriété commune,
en faisant mal ce qui se ferait mieux.sans eux,
en décourageant l'industrie et ruinant le com-
merce...


On convient aujourd'hui que les impôts,
pour être justes, doivent être nécessaires et
consentis par ceux qui les payent. Eh bicnl
tout privitége exclusif est un impôt; il viole les
intérêts de la société en faveur d'un partita.




— 185
lier ou d'un individu; plus terrible que l'impôt,
ce n'est pas seulement les propriétés qu'il at.
taque, il gêne la liberté, il dit à la pensée : Tu
n'iras pas au delà.


Mirabeau pale ensuite aux moyens de ré-
primer l'agiotage ; il voudrait : 1 0 qu'il y eût
défense <le composer de plus de cinq personnes
les sociétésproprement dites , dans lesquelles
il y a solidarité pour tous les membres dé-
nommés par l'acte d'association ; 20 que l'au-
torité réglât le nombre des associés solidaires
dans les commandites ; 30 quant associa-
tions appliquées à des exploitations considé-
rables, que l'autorité leur interdît les actions
an porteur, les astreignît à représenter la por-
tion de chaque intéressé par une inscription
authentique, signée de lui ; les astreignît à
faire rentrer leurs actions au porteur, et à les
convertir en simples inscriptions, dont les
transports ne pourraient se faire qu'avec des
formalités conservatrices.


Mais, s'écrie-t-il, il est un autre moyen bien
plus sùr d'extirper l'agiotage.


Et c'est évidemment pour développer celui-
a qu'il a pris la plume:


Donnez, donnez à ce pays une constitution!
Oh! que de grandes, fécondes, intarissables


richesses va nous prodiguer ce sol que vous
croyez épuisé, ce peuple qui vous paraît décou-
tagé ! Rendez la dette vraiment nationale, en
intéressant les sujets à la reconnaître, par la
certitude qu'ils décréteront désormais 211X.--
mêmes leurs tributs ; substituez le crédit de
l'Etat à. celui de ses ministres: établissez sur


— 187 ---
2e droit du refus la confiance et le désir de
donner; fondez sur les impôts que vous n'ob-
tiendrez jamais d'une manière plausible, gé-
néreuse et vraiment efficace, qu'en laissant
aux contribuables le soin de les voter et celui
de les répartir; fondez, dis-je, sur les impôts
les indubitables hypothèques, les emprunts
nécessaires pour amortir, changer de nature,
liquider, alléger la dette, la rendre mobile et
temporaire , et profiter ainsi des avantages
que ce pays une fois muni d'une constitution,
aura même à cet égard, sur la Grande-Breta-
gne, dont la dette cohérente, une , et perma-
nente, demande des efforts prodigieux pour
en soulever la plus légère partie Agissez
ainsi, et tout sera possible, tout sera facile.
Eh! cette Grande-Bretagne, si étonnante par
l'incalculable abus de son crédit, a-t-elle ja-
mais eu d'autres leviers pour supporter ses
charges énormes et déployer sa puissance, que
le droit de voter ou de refuser l'impôt, et le
respect inviolable de la foi publique?


L'expérience de tous les temps, de tous les
lieux, dit assez si l'influence de ces deux
grands ressorts est douteuse. La Turquie est
le pays le plus esclave de la terre : le peuple
n'y paye rien; le despote n'y a nul crédit. La
nation anglaise est la plus libre de l'Europe
elle accorde incomparablement plus de tributs
que toute autre, et le gouvernement y jouit
d'un crédit sans bornes.


Unc Constitution : voilà donc la base de
toute économie, de toute ressource, de toute
confiance, de toute puissance!




188
let Mirabeau fait un retour sur lui-même, à


)ropos des calomnies que lui ont attirées ses
écrits sur les finances :


Vous qui tantôt vendus, tantôt acheteurs,
croyez que l'on commerce ainsi de l'amitié,
dites encore, dites quel intérêt m'a dicté ces
dernières pages. Analysez le venin qu'elles
contiennent; montrez mes intentions perver-
ses dans toute leur turpitude. Ah! croyez-moi,
efforcez-vous de trouver un crime dans mon
silence, mais ne le cherchez jamais dans mes
écrits ; ils sont trop au-dessus de vos atteintes.
Peut-être ils ne résisteront pas à la lime du
temps; mais ils braveront toujours la dent de
la calomnie ; l'injustice passagère des esprits
légers ou mécontents qui prennent les bruits
du jour ou l'humeur des contrariétés privées
pour l'opinion et la conscience publiques, ne
nie découragera pas dans la carrière que j'ai
entrepris de fournir. Justice me sera faite; le
temps la rend à tous. Eh! que serait-ce donc
que quinze années consacrées à la publication
des vérités les plus périlleuses que jamais Fran-
cais ait professées, si elles ne donnaient pas le
iiroit de n'être déclaré apostat de ses propres
principes qu'alors qu'on les a démentis?


Mirabeau appelle ensuite la prompte convo-
cation des états généraux, qui seuls peuvent
donner à la France la constitution dont l'ab-
sence est la cause de tous ses maux. Après,
ravoir démontré les avantages de tout genre
qui doivent suivre la convocation des états
généraux, il ajoute :


Il est impossible one ces vérités simples aient


— —


échappé au gouvernement. S'il voulait from,
per, il ne tromperait que lui; car enfin les
ministres et le souverain même passeront,
mais la France restera; et c'est un trop bel
héritage pour le compromettre ou pour l'a-
moindrir. Il est impossible qu'on y veuille
substituer la puissance de la baïonnette à celle
des lois, les ressources de l'oppression à celles
de la confiance, les crédits des exacteurs à ce-
lui de la nation. Il est impossible qu'on ne re-
coure pas aux états généraux, ne fiât-ce que
comme la seule ressource de nos finances ; et
Louis XVI n'a pas mérité que, dans une si
grande révolution, on lui supposât une vue si
courte, un sentiment si aride.


Voilà ma profession de foi ; je la crois sans
éq uivoque; je ne l'ai pas rendue plus tôt pu-
blique; ici même je ne la développe point encore
autant qu'elle pourrait l'être, parce que je ne
crois pas qu'il soit temps de rien publier sur
les états généraux ; l'instruction est trop
rare, la fermentation trop grande, l'esprit
de parti trop actif. Il faut laisser passer les
plus pressés: il faut tout entendre, tout résu-
mer, tout prévoir, tout approfondir, et ne pas
donner un travail incomplet ou hâte dans une
occasion si imposante, on la nation française
va enfin être jugée ; car jusqu'ici l'adminis-
tration nous a trop bien appréciés en nous
écartant de toute influence dans le gouverne-
ment. Aujourd'hui que la force des choses
nous donne cette influence, on pourra pro-
noncer enfin si nous sommes dignes de la li-
berté.




— 100
Mirabeau termine en jurant de conserver


jusqu'au tombeau son inilexibleindépendance,
« en dépit des témoignages furieux, comme
au mépris des vizirs oppresseurs. »


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Pascal. Pensées...


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Nron. La Métromanle


Plutarque. Vie de César


Prévost. Manou Lescaut


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Raeirce. Esther. Athalie




—Phèdre. Britannicus


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