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BIBLIOTHÈQUE NATIONALE


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MIRABEAU
SA VIE, SES OPINIONS, SES DISCOURS


TOME III


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PARIS


LIDUAIRIE DE LA. 131BLIOTHL,QUE NATIONALE
Rue de Valois, 2, Palais-Royal.


rele",?« '?-ce


J
CENTIMES IIENDL


LIBRAIRIE


98,Rue eCatherine s
M ULLER FRÈRES


BORDE
JUTE LA FRANCE


sF




TOME TROISIÊME


OVIEDO


PARIS
LIBRAIRIE DE LA. BIBLIOTHÈQUE NATIONAL


2. BUE DE VALOIS, PALAIS—ROYAL, 2


1881
it)eçcl


Tous droits réserver
oê.n 1621(i0-4-


1
1
1 Alttere De la Tyrannie t Diderot. Rom p us et Contes.... 9
d Arioste. Roland furieux t — Mélanges philosophiques.... -1
I Beaumarchais. Mémoires. 5 Duetto, Sur les Moeurs




I
1 — Barbier. Mariage de Figaro.. 2 eraarns. [[Doge de la Folle


t
Beccaria. Délita et Peines t Spietitte Maximes


1


Bernardin de Saint - Pierre. Fermion. Télemaque
Paul et Virginie i — Bducallou des Flues




Boileau. Satires. Lutrin I Florian. Fables


1
— At( poétique. Retires I Pas. tintait/son Cramé


4
Bossuet. Oraisons funèbres.... 9 Fontenelle. Dialogue des Morts




1
Souffler•. oeuvres choisies.... t —Pluralité des Mondes.




1
Rrillat - Savarin. Physiologie — rlistelre des Oracles.




1
e du Galli . 45 9ortite. Wertber




IByron Corsaire. Lure, etc..... :,
— Hermann et Dorothée


ICarotte. Diable amoureux.. ..
-- Faust


I
Cereantds. Don Quichotte ,' . tdernith. Le Vicaire de Wake,Coar. Guerre des Gaule' t l lied


2
Chamfort. oeuvres choisies.... S Gresset. Ver-Vert. Méchant




1
Chapelle et Bachaumont. Voya- Hamilton. Mémoires du Cheva-
•e. 1 lier de Grainaient


2
Cicéron. De la République


t !Gomera. L'Iliade g
— Catilinaire'. Discours


t Horse*. Poésies


.1.
Colin- d'Harieviits. Le Vieux Joistty-Diegour. Comma




t -
Célibataire


I Juvénal. Satires
Cendoree g . Vie de Voltaire.... I La Boétie. Discours cor lis Ser
— Progrès de l'Esprit humain.. 5, vitude volontaire
Corneille. Cid. Oestre. ...... ,. 1' La Druyere. Caractères


2,
—Clona. Polyeucte


t La Fontaine. Fables.—
• ......


— Rodogune. Menteur
t Lamennais. Livre du Peuple... I


Courier (P.-L.,. Chefs-d'oeuvre — Passé et Avenir du Peupla.. 1
e Lettres $ — l'arnica d'un Croyant




t
Cyrano de Berger«. Choix. — 2 La Rochefoucauld. Maximes




I
D'Alembert. Encyclopédie


I Lesage. Cil- Dias
5


— Destruction des Jésuites. — i — Diable boiteux
I


Dante L'enfer
I — Bachelier de Salamanque... 2


Dimostbdnoe. — Philippiques et
— Tuteure. Crispin


1
' Olyntreenues 1 Lingue[. La Bastille,




1
Deirort«. De is Méthode I Longue. Daphnis et Chloé


1
D...moulin a (Camille). oeuvres. t Mably. Droits et Devoirs I
Diderot. Neveu de Rameau.... t — entretiens de Phocion 1
- Paradais sur le Comédien.. f Machiavel. Le Proue .. t


COLLECTION DES xv,ILLeuns
ACTEURS ANCIENS ET Id,DDEIINES


MIRABEAJ


1


VIESA
SES OPINIONS ET SES DISCOURS


A. YERMOREL


PAR


BIBLIOt ECA


CATALOGUE GENERAL BIBLIOTr 3 uE NATIONÀLE


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MIRABEAU


SA VIE


SES OPINIONS ET SES DISCOURS


RÉPONSE AUX ALARMES DES BONS CITOYENS


L'époque où nous en sommes arrivé est si-
erialee dans l'histoire des événements qui
Précédèrent la révolution par la lutte ouverte
enragée entre le ministère et les parlements
qui passionnait vivement le peuple de Paris.
Mais Mirabeau ne comptait sur la bonne foi
ni des uns ni des autres, et il s'irritait en
voyant face ii face un ministère et une opposi-
tion également dépourvus de principes, de
5'sténies, de plan, qui, par une lutte tou-


lours indécise, prolongeaient le malaise dela
_Errance, et laissaient sans fruit les magnifi-
ques ressources dont l'emploi bien combiné
aurait encore satisfait la nation et raffermi le
trône- Aussi s'était-il imposé, au moins de-
vant le public, une stricte neutralité. comme




-4-.
Il le déclare lui-même dans une lettre à Masvillon :


11 y a dix mois, et surtout six, que je suis
en butte à toutes les calomnies du monde,
parce que, dans la conversation, je ne partage
pas le fanatisme parlementaire, et que je n'ai
pas écrit une seule ligne pour le parti de l'op-
position. A la vérité, je n'en ai pas écritb d -vanta,Ye pour l'autre côté. J'ai toujours cru
qu'entre le roi et le parlement, il y avait un
pauvre petit parti obscur appelé la nation,
dont les gens de bon sens et de bonne foi de-
vaient être.


, Cependant le tiers-parti qui, sans rejeter lesÉtats-gé néraux, les redoutait, paraissant pren-dre de la consistance, Mirabeau jugea utile de
publier une brochure intitulée Réponse auxalarmes des bons citoyens, à laquelle, par ex-
ception, il ne mit d'ailleurs pas son nom. Il
commence ainsi :


Depuis longtemps, les changements les plus
ordinaires dans l'administration intérieure desÉtats européens ne se font que par degrés
insensibles. C'est l'opinion publique qui les
prépare presque tous; les boul eversements
sont très rares et pourtant on les craint. Un
vieux préjugé attache de grands dangers à degrandes innovations, et les esprits paresseux
ajoutent par leur incrédulité aux angoisses
des esprits timides. Les hommes mêmes quidésirent fortement le bien tiennent involon-t
airement à leurs premières habitudes, parce
qu'au moment où l'agitation commence, ils


— 5
sont quelquefois trop mal placés pour voir, du
point qu'ils occupent, celui on il faudrait arri-
ver.


C'est ainsi, poursuit Mirabeau, que la pro-
messe des états généraux , accueillie avec
transport par le plus grand nombre des ci-
toyens, a cependant excité la défiance de quel-
ques autres :


Les uns, effrayés de l'étendue et de la pro-
fondeur de nos maux, ne croient pas que les
états généraux puissent trouver des remèdes
prompts et efficaces; la confiance clans les in-
tentions connues du roi, et la crainte de l'a-
narchie leur font croire que le despotisme seul
peut réparer les maux qu'il a causés; d'autres
se laissent persuader que le Parlement aura
le droit de remettre en question ce qui aura
été décidé par les états généraux.


Or les suites de telles opinions pourraient
devenir très affligeantes; il ne faut ni que le
peuple devienne furieux, ni qu'il tombe dans
l'indolence. Rien n'est donc plus pressé que
de soumettre à un examen public l'autorité
législative des états généraux.


« Tous les monuments historiques, dit Mi-
rabeau, s'accordent pour, prouver que, dans
aucun temps. la nation francaise n'a renoncé
an droit des peuples libres. » n cite les lois
saliques « qui portent l'empreinte du pouvoir
législatif de la nation. » Il montre Charlema-
gne rétablissant les assemblées nationales,
Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, Phi-
lippe le Bel les réunissant plusieurs fois; Louis
le Hutin leur reconnaissant le droit exclusif






e-8
Mais le prince qui a établi les assembléesprovinciales, qui a permis la publicité des


comptes de l'Etat, qui a convoqué les nota-
bles, n'aura pas promis en vain la convocationdes états généraux. Le prince qui a tant con-tribué à. l


'affranchissement de l'Amérique vou-
dra être le roi des Francs et non pas celui des
serfs.


Ici, Mirabeau s'attache à combattre les crain-
tes qu'inspire la prochaine convocation desétats géneraux. :


Qu'on ne dise pas que les Français ont perdu
depuis trop de temps l'habitude des assem-
blées, pour qu'il leur soit possible de se régéné-
rer par elles; que la liberté paraît insupporta-ble aux peuples qui ne sont pas accoutumés à.
en jouir; qu'il est difficile qu'une grande na-
tion s'organise elle-même; qu'enfin les plaies
de la France sont devenues incurables...


Sans cloute, les états généraux ne réparerontpas tout à coup des maux invétérés; mais ildépend d'eux de rendre l'état de la nation
très supportable, en lui préparant pour une
époque peu éloignée le plus bel avenir.


Mirabeau indique les améliorations qu'il estpermis d'en attendre : la délibération de l'im-pôt, jusqu'alors discrétionnaire, « qui rend des
millions de Français trop pauvres pour porterdes sabots; » l'emploi de tous les moyens d'é-
conomie


et de réforme; l'abolition de tf.us ces
priviléges, « dont l'effet, depuis des siècles,
est d'exhéréder la nation en faveur de quel-ques millions d'individus, dont cette iniquepréférence fuit autant d


'oppresseurs »; l'irré-


__ 9 __
vocable abolition des lettres de cachet. Il ne
dissimule pas, du reste, l'immensité du mal:


Tout est à réformer : discipline militaire,
marine, police, jurisprudence ; tout ce qui,
nuisant au plus grand nombre, est favorable
aux hommes puissants, qui, profitant des
abus, les protègent et les défendent.


Mais, ajoute Mirabeau
Le vrai remède à tous ces maux, c'est la Li-


berté de la presse, née de cet art tutélaire de
l'imprimerie, ce dépôt impérissable des con-
naissances humaines, qui doit être à jamais la
consolation des sages, la lumière des peuples,
l'effroi des tyrans. Sans la liberté de la presse,
il ne peut exister ni instruction, ni constitu-
tion. Et qu'on ne vienne pas objecter la licence
qui peut en résulter : les restrictions en ce
genre, ainsi que dans tous les autres, ne gê-
nent que les honnêtes gens, comme la contre-
bande ne sert que les fripons; il en est de cette
précieuse liberté comme de la lance célèbre
qui seule pouvait guérir les blessures qu'elle
avait faites.


Mirabeau déclare qu'il importe que les états
généraux « se décident à s'assembler périodi-
quement pour consommer et perpétuer leur
ouvrage. » Aux personnes qui voudraient voir
le roi réparer seul les maux produits pur le des-
potisme de ses prédécesseurs, Mirabeau répond :


Comment compter sur le bien qu'un prince
destine à sa nation quand il ne le fait pas ga-
rantir par la nation elle-même?




1


SULA LIBERTÉ DE LA PRESSE


L'intérêt des questions générales ne détour
riait d'ailleurs Mirabeau d'aucune des ques-
tions particulières qui intéressaient ces libertés
dont il s'était constitué l'ardent et éloquent
défenseur. Nous venons de le voir, plaçant
dans la liberté de la presse, le remède souve-
rain de tous les maux de la France. line cir-
constance, qu'il se hâta de saisir, ne tarda pas
à lui fournir l'oécasion d'examiner à fond cette
importante matière.


L'arrêt du conseil du 15 juillet 178S, en pro-
mettant les états généraux, avait invite les
citoyens à fournir tous les avertissements, ob-
servations et conseils qui pourraient être
utiles. Encouragé par cette interpellation jus-
qu'alors sans exemple, du moins en matière
politique, un libraire de Strasbourg, Levrault,
avait imprimé un précis des procès-verbaux
des assemblées provinciales. Cette publication,
expressément autorisée d'abord, avait été peu
après interdite. C'est à cette occasion que Mi-
rabeau publia sa brochure sur la liberté de la
p resse. imitée de l'anglais de Milton; avec cette
phrase du célèbre républicain anglais pour
épitaphe : Tuer un homme, c'est tuer une créa-
ture raisonnable ; mais étouffer un bon livre, c'est
tuer la raison elle-même. Suivant son habi-
tude, Mirabeau entre immédiatement en ma-
tière:




-- 1 4 --
Le roi par cela même qu'il a


consulté toutle monde, a implicitement accordé la l iberté, dela press
pressee; ! et l'on redouble toutes les gênes de


Le
l 'on étouffeet


r v


f
ut conn


ecav
a
la
îtr


plus âpr
e le vceu


e
de son peuple;


écrits qui p
euvent le manifester.


vigilance les
Le roi veut réunir les esprits et les coeurs;et la plus odieuse des tyrannies, celle quiprétend asservir la p


ensée, aigrit tous les es-prits, indigne tous les cœurs !
Le roi veut appeler les Français à élire li-brement des représentants pour connaître


avec lui de l'état de la nation et statuer surles remèdes qu'il né
cessite; et ses ministresfont tout ce qui est en eux pour que les


Fran-çais ne s'entendent pas, pour que les mille di-
visions dont la nation inconstituée est viciéedepuis plusieurs siècles


viennent se heurtersans point de ralliement, sans
moyen d'unionet de concours ; pour qu'en un mot l 'Assem-blée na tionale soit une malheureuse


agréga-tion de partis ennemis, dont les opérationsincohérentes, fausses et désastreuses, nous re-j
ettent, par la haine de l'anarchie, sous laverge du despotisme, et non un corps defrères dirigés par un intérêt commun, animésde principes semblables, pénétrés du mêmevoeu qui fasse naître un esprit public fondésur l


'amour et le respect des lois!


ttain


Il faut d
'autant plus déplorer l'esclavage delapresse .


qu'il a pour effet d'entretenir cer-s préjugés qui s
'effrayent de sa liberté :


--- 1S --
Car tel est le fatal inconvenient de la gêne


de la presse de rendre par l'ignorance et par
l'erreur des coeurs purs, des hommes timorés
les satellites du despotisme en même temps
qu'ils en sont les victimes; et par exemple
une foule d'honnêtes gens, oubliant que le
sort des hommes est d'avoir à choisir entre
les inconvénients, seraient sincèrement alar-
més de la liberté de la presse, grâce à la pré-
vention qu'on a su leur donner coutre quel-
ques rares abus échappés aux écrivains qui
ont paru les apôtres intéressés de cette li-
berté


C'est donc à eux surtout qu'il importe de
s'adresser. J'ai cru qu'il serait utile de mettre
sous leurs yeux une réfutation de leur argu-
ment poursuivi dans toutes ses conséquences
morales par un homme qu'on n'a point accusé
d'être un philosophe.


Ici commence l'imitation de l'auteur anglais.
Milton reconnaît à l'autorité l'intérêt de sur-
veiller, le droit de punir; mais il repousse
toute censure préventive. Selon la méthode
du temps, il s'applique, en érudit, à recher-
cher tout ce qui, dans l'histoire, concerne la
police des publications, à recueillir les usages
et les actes des autorités publiques, depuis
l'antiquité la plus reculée jusqu'à l'époque où
l'inquisition créa la censure. Il montre Athènes
ne s'occupant que des seuls libelles et des
écrits blasphématoires; il établit que cette res-
triction méme n'existait pas chez les Romains
du temps de la république; il attribue à Au-
guste, proscripteur politique, les premières
proscriptions littéraires, qui même ne s'éten-
dent pas jusqu'aux poètes satiriques. C'est




— 16
seul


ement dans les siècles de tyrannie qu'ilaperçoit la défense d'écrire liée et à plus forteraison, à la défense de parler. D ne trouve pasmême de sévérité préventive à l
'égard des ou-vrages de l


'esprit chez les empereurs quiavaient embrassé le christianisme, et qui,
même pour les livres entachés d


'hérésie, secontentaient de les faire, dans l'occasion, exa-miner, réfuter et condamner dans des concilesgé
néraux, sans aucune prohibition préalable.Il remarque que jusqu'après le septième siècleles défenses des conciles n'atteignaient que leslecteurs et non les é


crivains; que Martin (1)fut le premier qui proscrivit ouvertement les
auteurs comme les ouvrages, exempt suivi
par Léon X et ses successeurs; que les pre-miers index furent l


'oeuvre du concile deTrente et de l 'inquisition « dont la dernière-invention fut d'ordonner qU'ancuu livre, brochure ou papier ne pourtalent
être impriméssans appmbution.


de deux ou trois frères in-quisiteurs!


Telle est l'origine de la coutume d'approuver
les livres. Nousne la trouvons établie dans au-
cun gouvernement ancien ni par aucun statutde nos ancêtres ; elle est le fruit du concile leplus antichrétien et de l'inquisition la plustyrannique.... Jusqu'à cette époque, les


livresarrivaient librement dans le monde,
commetoutes les autres pr


oductions de la nature....Dira-t-on que la censure en elle-même peut
être bonne, quoique provenant d'une sourceimpure? Mais si


elle est directement contraireau p
s
rogrès des lu


mières, si les gouverne-mont les plus sages, dans aucun
'rtemps ni


(i) Martin V, élu pape en 1417, mort en Mi.


17 —
dans aucun pays, ne l'ont mise en pratique,
si elle n'a été imaginée que par des charla-
tans et des oppresseurs, on aura beau la met-
tre au creuset, il n'en résultera jamais le
moindre bien.... Cependant, voyons si la liberté
illimitée de la presse ne produit pas plus de
bien que de mal.


C'est à la seule liberté d'écrire que les an-
ciens ont dû leurs progrès dans les lettres,
les sciences et la philosophie; que l'empereur
Julien ne trouva pas de moyen plus assuré
d'arrêter ies progres du christianisme que de
défendre aux chrétiens de lire les livres des
idolâtres, défense heureusement et générale-
ment éludée. Mais, ajoute l'auteur « laissant
là l'érudition, les autorités, les exemples, et re-
montant à la nature des choses, je dirai :


Lorsque Dieu permit à l'homme d'user mo-
dérément de toute les productions de la na-
turc, il voulut aussi que l'esprit jouît du même
privilège...


Le bien et le mal ne croissent pas séparé-
ment dans le champ de la vie; ils germent
l'un à côté de l'autre, et entrelacent leurs
branches d'une manière inextricable. La con-
naissance de l'un est nécessairement liée à
celle de l'autre, renfermés sous l'enveloppe de
.15 pomme dans laquelle mordit notre premier
père, ils s'en échappèrent au même instant;
et, tels que deux jumeaux, ils entrèrent à la
fois dans le monde. Peut-être même dans l'é-
tat oit nous Sommes, ne pouvons-nous parve-
nir au bien que par la connaissance du mal, car
dominent choisirait-on la sagesse? Comment




i8
l'innocence pourra




-elle se préserver des at-
et
teinte


puisq
s du


u'il faut
ce, si


absolument
elle n'en pas


observer la
quelque maidée?


r-che des vicieux pour
se conduire sagement:dans le monde; puisqu'il faut aussi démêlerl'erreur pour arriver à la vérité, est-il


uneméthode moins dangereuse de parvenir à cebut, que celle d
'écouter et de lire toutes sortes


de trait s et de raisonnements? Avantagequ'on ne peut se procurer qu'en lisant atten-tivement toutes sortes de livres.


Crai
ndrait-on que cette liberté indéfinie nefamiliarisât avec l'erreur? mais il faudrait


anéantir toutes les connaissances humaines,car l'erreur est p
artout, même dans les péres


de l'Eglise, jusque dans les livres sacrés; le
sophisme le scandale, le blasphème s'y glis-sent quelquefois, ne fit-ce qu'en


narrations ouen paraboles, — « et on y rencontre mie fouiede passages ambigus et susceptibles d'êtremal interprétés par des lecteurs vulgaires!»
Personne n'ignore que c'est à cause de tou-tes ces raisons que les papistes ont mis laBible au premier rang des livres prohibés ets'il faut extrais e et choisir, qui extraira


etchoisira? Où trouvera-t-on des censeurs incor-
ruptibles, d'infaillibles censeurs?


Encore s'il est vrai que, semblable au bonchimiste, l'homme sage peut extraire de l'ord'un volume rempli d
'ordures, tandis que le


meilleur livre n'avise pas un fou, quelle est
donc la raison qui ferait priver l'homme sage
.des a


vantages de la sagesse, sans qu'il en pat


-- 19 --
reulter le moindre bien pour les fous, puis-
qu'avec des livres, ou sans livres, ils n'extra-
vagueront pas moins?


Que si vous voulez, ajoute l'auteur, subor-
donner la presse à la police des moeurs, inspec-
tez donc tout : la musique, la danse, les rela-
tions de société, les conversations, jusqu'à la
promenade, jusqu'à l'échange des regards,jus-
qu'aux habillements I


Comment donc l'autorité se flatterait-elle
d'atteindre partout où peut naître le mal? Et
si elle ne le peut pas, pourquoi s'en prendre à
la presse, qui peut nuire, sans doute, mais qui
peut aussi faire un bien immense, que seule
elle peut produire?


Le grand art de gouverner consiste à savoir
les choses que l'on doit prohiber, celles que l'on
doit punir, celles où il ne faut employer que
la persuasion. Si toutes les actions, bonnes
ou mauvaises, pouvaient être taillées, pres-
crites et contraintes, la vertu ne serait plus
qu'un nom. Comment pourrait-on louer un
homme de sa bonne conduite, de sa probité,
de sa justice, ou de sa tempérance? Qu'ils sont
fous ceux qui osent blâmer la divine Provi-
dence d'avoir souffert que le premier homme
tombât dans le crime! Lorsque Dieu lui donna
la raison, il lui donna la liberté de choisir, car
c'est cette faculté qui constitue la raison. Au-
trement l'homme n'eût été qu'une machine :
nous-mêmes, nous n'estimons l'amour, les
bienfaits,. la reconnaissance qu'autant qu'ils
sont volontaires. Dieu donc créa le premier
homme libre; c'était le seul moyen de rendre
son abstinence méritoire. Et pourquoi l'Etre




-- 20 --
suprême a-t-il mis le germe des passions en
nous, les plaisirs à côté de nous, si ce n'est
afin que, modérés par nous, ils devinssent l'as-
saisonnement de la vertu ?


Ils sont donc bien peu versés dans la connais-
sance des choses humaines, ceux qui s'imagi-
nent qu'écarter les objets c'est écarter le mal ;
car, outre qu'ils se reproduisent toujours, quand
on viendrait à bout d'en dérober passagère-
ment une partie à quelques personnes, cette
précaution ne pourra jamais s'étendre à
l'universalité, surtout dans une chose aussi
générale que les livres; et quand on y parvien-
drait, le mal n'en existerait pas moins. Vous
pouvez enlever son or à un avare ; mais il lui
reste toujours un bijou dont il n'est pas en
votre pouvoir de le priver, c'est-à-dire de son
avarice. Bannissez tous les objets de convoi-
tise, enfermez la jeunesse sous les verroux,
par cette méthode vous ne rendrez chastes
que ceux qui l'étaient avant d'être soumis à
votre discipline, tant il fient de soins et de sa-
gesse pour diriger les hommes!


Supposons que, par ces moyens, vous puis-
siez écarter le mal : autant vous éloigne-
rez de maux, autant vous éloignerez de ver-
tus, car le fond en est le même : ils ont une
source commune; leur existence est propre-
ment relative, et se rapporte à des combinai-
sons étrangères au principe qui les produit.
Nous naviguons diversement sur le vaste
océan de la vie ; la raison en est la boussole,
mais la passion en est le vent. Ce n'est pas
dans le calme seul que l'on trouve la Divinité.
Dieu marche sur les flots et monte sur les


-- 21 --
ents. Les passions, ainsi que les éléments, quoi-


que nées pour combattre, cependant mêlées et
o
oucics, se confondent dans l'ouvrage de Dieu :


il n a point extirpé les passions; il n'a fait que
les modérer, et il les a employées. Que les
gouvernements fassent comme la nature et
comme Dieu : il nous recommande la justice,
la tempérance, la continence, et cependant il
verse autour de nous les biens avec profusion
et il nous donne des désirs illimités. Pourquoi
les législateurs des humains suivraient-ils
une marche contraire lorsqu'il s'agit de rins-
traction humaine. Puisque les livres permis
mdistinctement peuvent à la fois épurer les
vertus et contribuer à la découverte de la vé-
rité? Peut-être vaudrait-il mieux apprendre
que la loi qui prohibe est essentiellement
vaine, incertaine et qu'elle repose sur le bien
comme sur le mal. Si j'avais à choisir, la
moindre somme de bien me paraîtrait préfé-
rable à la suite forcée de la plus grande quan-
tité de mal ; car le libre développement d'un
etre vertueux est sans doute plus agréable
a rEtre suprême que la contrainte de dix êtres


Puisque tout ce que nous voyons ou ce que
nous entendons soit au. logis, soit dans les
Promenades, soit dans les conversations ou
dans les voyages, peut s'appeler proprement
notre livre et produit sur nous le même effet
que les écrits, il est évident que si l'on ne
Peut supprimer que les livres, cette prohibi-
tion ne parviendra jamais aux lins qu'elle se
Propose.


Si l'on n'envisage que l'intérêt des moeurs,




--- 22 —
qu'on jette les yeux sur l'Italie et sur l'E
pagne : ces nations se sont-elles amélioré
depuis que l'inquisition a pris à tâche d'proscrire les livres?


Où l'autorité trouvera-t-elle des censeu
capables de bien remplir ses vues, « à main.
qu'on ne leur confère ou qu'ils ne puissent
donner à eux-mêmes le privilége de l'inca
ruption et de l'infaillibité? » Un tel oftl
exige des talents, des lumières, des vertu
qui en éloigneront celui qui les possédera
dans quelles mains dès lors tombera la cen
sure? quel dégoût la gêne d'un contrôle pué
ril ou tyrannique ne jettera-t-elfe pas dan
l'âme et dans l'esprit d'un auteur? quelle d'
gradation pour l'auteur et le livre! quelle fi
trissure pour la dignité des lettres !


Comment l'écrivain osera-t-il donner l'esso
à son génie ? oü trouvera-t-il cette noble assu
rance qui convient à celui qui enseigne de
vérités nouvelles, et sans lesquelles il vaudrait
autant qu'il se tût ? Le lecteur malin ne jet-
tera-t-il pas là le volume, en se moquant du
docteur qu'on mène par des lisières?


Qu'on examine les livres munis d'approba-
tions, on verra qu'ils ne contiennent que les
idées les plus communes et, par cela même,
souvent les plus fausses. En effet, d'après sa
mission, ,e censeur ne peut laisser circuler que
les vérités triviales ou les erreurs favorisées.
Par un abus encore plus déplorable, quand il
s'agit d'imprimer ou de réimprimer les oeuvres
d'un écrivain mort depuis longtemps, et dont
la réputation est consacrée, s'y trouve-t-il une
pensée féconde, échappée au zèle de l'enthou-


siasme ? il faudra qu'elle périsse sous le scalpel
de la censure. Ainsi, par la timidité, la pré-
somption, ou l'incapacité d'un censeur, l'opi-
nion d'un grand homme sera perdue pour la
postérité?... si ceux qui ont le pouvoir ne s'em-
pressent oas de remédier à cet abus, s'ils per-
mettent qu'on traite aussi indignement les
productions sublimes des grands hommes ,
quelle sera donc la condition de ces êtres pri-
vilégiés qui auront le malheur d'avoir du gé-
nie? Ne faudra-t-il pas qu'ils cessent d'instruire,
ou qu'ils apportent le plus grand soin à cacher
leurs connaissances, puisque l'ignorance, la
paresse, deviendront les qualités les plus dé-
si•ables, et les seules qui pourront assurer la
tranquillité et le bonheur de la vie?


Et comme c'est un mépris particulier pour
chaque auteur vivant, et une indignité plus
outrageante encore pour les morts, n'est-ce
pas aussi dégrader et avilir toute la nation?
Il m'est impossible de comprendre par quelle
adresse on pourrait renfermer dans vingt tê-
tes, quelque bonnes qu'on les suppose, le
jugement, le savoir, l'esprit et l'érudition de
tout un peuple. Encore moins concevrais-je
la nécessité qu'elles en aient la surintendance,
que toutes les idées passent à leur filière, et
que cette monnaie ne puisse avoir de cours
que si elle est frappée à leur coin. L'intelli-
Peace et la vérité ne sont pas des denrées
Propres au monopole, ni dont on doit soumet-
tre le commerce à des règlements particuliers.
Eh quoit prétend-on les emmagasiner et les
marquer comme nos draps et nos laines?
Quelle honteuse servitude, s'il faut que vingt




24
censeurs taillent toutes les plumes dont nous
voudrons nous servir!


Si l'on voulait punir un auteur qui,
contresa raison et sa conscience, se serait permisdes ouvrages scandaleux et attentatoires à,l'honnêteté publique, quelle plus grande flé-trissure pourrait-on lui infliger que d'ordonnerqu'a l'avenir toutes ses autres productions


seraient révisées et araîtraient u'avec
l'attache d'un censeur!ne


Et
p
c'est toute une na-tion, c'est l 'universalité des gens de lettres


qu'on réduit h cette condition humiliante! Onlaisse des débiteurs, des coupables mêmes,
aller sur leur parole;


. et un livre inoffensif nepourra se présenter dans le monde sans qu'on
.voie son geôlier sur le frontispice ! N'est-cedonc pas là un affront pour le peuple? N'est-


ce pas supposer toute la classe des lecteurs
dans un état d'ineptie ou de perversité quidemande qu'on dirige leurs lectures? Croit-on


•que si on n'avait pas cette charité pour
eux,ils n'auraient jamais l


'esprit de prendre labonne n
ourriture et de jeter le poison?


Milton raconte que, dans des pays
soumisà la censure, il a vit des gens de lettres lui


envier le bonheur d 'appartenir a un pays libre.Il cite Galilée, — blanchi dans les fers de l'In-quisition. — Loin de redouter alors pour sonpays les projets que l'auteur combat au
momentmeme ou ils se manifestent, il appréciait la li-berté de la presse anglaise, en proportion desmaux dont d était le témoin indigné,. il adjuredonc le parlement qui a reconquis la libertépolitique de la nation; il lui recommande l'unitéde son glorieux


ouvrage; il met sous sa pro-' tection les intérêts de la vérité :


— 25 —
Ce serait, dit-il, lui faire injure que de croire


qu'elle peut être arrachée par le vent des doc-
trines contraires; qu'elles en viennent aux
nains, et vous verrez de quel côté sera la vic-
toire! La vérité eut-elle jamais le dessous quand
elle fut attaquée à découvert et qu'on lui laissa
la liberté de se défendre? Réfuter librement
:erreur est le plus sûr moyen de la détruire.
Quelle contradiction ne serait-ce pas si, tandis
que l'homme sage nous exhorterait à fouiller
avidement partout pour découvrir le trésor ca-
ché de la vérité, le gouvernement venait arrê-
ter nos recherches et soumettre nos connais-
sances à des lois prohibitives?


Lorsqu'un homme a creusé la profonde mine
des connaissances humaines, lorsqu'il en a ex-
trait les découvertes qu'il veut mettre au grand
iour, il arme ses raisonnements pour leur dé-
fense; il éclaircit et discute les objections; en-
suite il appelle son adversaire dans la plaine,
et lui offre l'avantage du lieu, du vent et da
soleil; car se cacher, tendre des embûches,
s'établir sur le pont étroit de la censure, on
l'agresseur soit nécessairement obligé de pas-
ser; quoique toutes ces précautions puissent
s'accorder avec la valeur militaire , c'est
toujours un signe de faiblesse et de couar-
dise dans la guerre de la vérité. Qui peut clou-
ter de sa force éternelle et invincible? Qu'a-t-
elle besoin, pour triompher, de police ni de
Prohibition? Ne sont-ce pas là les armes favo.
rites de l'erreur? Accordez à la vérité un plus
libre développement, sous quelque forme qu'elle
se présente, et ne vous avisez pas de l'en-
ellainer tandis qu'elle dort, car elle cesserait de




— 26


Ce e des personnes quiveulent qu'on ne pense et qu'on ne parle que
par leur ordre ou par leur permission? D'ail-
leurs, il ne faut pas croire que les erreurs etles fausses d


octrines ne soient point néces-
saires à l'économie morale du monde. Si toutà coup la vérité se présentait à nous danstout son éclat, elle accablerait notre faiblesse,
et nos yeux ne pourraient en soutenir le spec-tacle. L'erreur est. le nuage qui s'interpose en-
tre elle et nous, et qui, ne se dissipant quepar


vérité.
degrés, nous prépare à recevoir le jour dela


Enfin les erreurs sont presque aussi coin-
mufles dans les bons gouvernements


que dansles mauvais; car quel est le
magistrat dontla religion ne puisse être surprise,


surtout sil'on met des entraves à la liberté de la presse?Mais, redresser promptement et volontaire-ment les erreurs dans lesquelles on est tombé,et p
référer au triste plaisir d 'enchaîner les


— 27 --
0MlneS celui de les éclairer, c'est une vertu
ui répond à la grandeur de vos actions, et à
quelle peuvent seuls prétendre les mortels


es plus dignes et les plus sages.


Mirabeau quitte ici l'auteur qu'il imitait (1)
Il déclare que c'est à une complete liberté de


presse que l' Angleterre doit « cette prospé-
ite qui étonne, cette richesse qu'on envie,
tte puisuiwe encore capable de tout main-


tenir, quoiqu'elle ait maladroitement tenté de
_ut subjuguer. » Il déclare que :
r 'es.t à cette épée de Damoclès, partout, en


Angleterre, suspendue sur la tête de quicon-
se méditerait dans le secret de son coeur
uelque projet funeste au prince et au peuple;
'épée tombe au premier pas qu'il fait pour
exécuter. C'est à cc principe inculqué dans
Oates les têtes anglaises, que celle d'un seul


[homme ne renferme pas toutes les idées; que
e meilleur avis ne peut être que celui qui ré-


eilte de la combinaison de tous ; qu'il n'a be-
soin que d'être déclaré pour être senti et de-
venir aussitdt une propriété générale qui cons-
tate un droit égal à toutes les conséquences
qui en dérivent ; que celui qui craint de sou-
Mettre ses idées à la discussion de ceux dont


telles doivent devenir la propiété, si elles sont
uti les ;


est un ennemi public que chacun doit
se hâter de dénoncer, et que béni doit être


ean
t Dans une note


an
bas du titre do la brochure. il


dit « J'ai suivi de beaucoup plus près mon au-
r,-,sie que ne voudraient le croire ceux nui ne consulte-
"'LI Pus l'original; et j'ai plutôt retranché qu'ajouté. »


parler son la
ngage. Le vieux Protée ne rendaides oracles que lorsqu'il était garrotté. Maisl


vérité dans cet état prend toute sorte de fi
res, excepté la sienne; peut-être même con-forme-t-elle sa voix au temps et aux circons-tances, jusqu'à ce qu'on la somme de


redeve-nir elle-même.
Est-il quelque chose qui d'abord ressemble


plus à l'erreur qu'une vérité qui lutte contredes préjugés que le temps a
consacrés? Onpeut donc affirmer que la censure


empêcheramoins d'erreurs qu'elle ne proscrira de vérités.Pourquoi nous parler
continuellement du dan-ger des


nouvelles opinions, puisque
l'opinionla plus dangereuse ^




— 28 —
l'ennemi môme qui le dénonce par la voix
blique de l'impression.


Enlevez à l'Angleterre l'unique moyen
conserver ce principe dans toute son éner,,
enlevez-lui la liberté de la presse, liberté q
chaque ministre, en Angleterre comme


a1.leurs, voudrait anéantir pendant un ministe
et remplacer par un ordre absolu de se pros
terner devant toutes ses bévues; enlevez, dis,je, à l


'Angleterre la liberté de la presse, et
malgré toutes les ressources de son admirais
constitution, les bévues min istérielles, si rara


• en Angleterre, s'y succéderont aussi rai
dement qu'ailleurs, et même on y dormie
plus tranquillement qu'ailleurs, d'abord su
les bévues ministérielles, et ensuite sur


toe''les attentats des ministres, parce qu'on y se
plus rassuré par l'ombre d'une opposition qn
ne tardera pas à réclamer secrètement et


i
obtenir de la même manière le partage de,
dépouilles et du prince et du peuple; et
tôt la nation la plus florissante ne sera qu'u
objet de pitié pour tous ceux dont elle excit
l'envie et mérita l'admiration. Transportei,ie
au contraire, pou à peu, la liberté de la pres•
en Turquie; inventez, car il n'existe pas, in,
ventez un moyen d'en faire parvenir les fruits
jusqu'au Grand Seigneur par d'autres mains
que celles d'un vizir, qui peut si aisément
tout corrompre, et bientôt nul vizir n'osera
tromper son maître. Tout vizir consultera la
voix du peuple avant de faire tonner la sienne;
et bientôt la Turquie, riche de toutes les fa-
cultes de son territoire et de son immense
population, sera plus puissante et non moins


— 29
respectée que cette Angleterre si puissante et
si respectée aujourd'hui.


Faisant alors un retour sur la France :


Combien nous en sommes loin, avec tant de
droits d'y prétendre, tant de moyens d'y par-
venir


Il termine sa brochure par une apostrophe
aux hommes qui vont composer les états gé-
néraux promis :


0 vous qui bientôt représenterez les Fran-
cais, vous qu'on n'aurait jamais assemblés si
dans la main des hommes le malheur (le semer
le désordre et la ruine, et de rester sans pou-
voir, ne suivait pas inévitablement le pouvoir
de tout faire; vous qu'on assemble pour tout
régénérer, parce que s'il reste encore quelque
chose à détruire, il ne reste plus d'hommes
crédules à tromper ; vous qui répondrez, non
pas à la France seule, mais à l'humanité en-
tière, de tout le bien que vous n'aurez pas
procuré à la patrie t... tremblez si, semblables
aux rois ou plutôt à leurs ministres, vous
croyez tout savoir ou pouvoir tout ignorersans
honte, parce que vous pourrez tout comman-
der avec impunité t Obligés de tout savoir,
pour décider sur tout, quand l'Europe vous
écoute, comment saurez-vous tout, si un hom-
me éclairé, le plus éclairé peut-être, mais le
plus timide, croit se compromettre en parlant?
Que la première de vos lois consacre à jamais
la liberté de la presse, la liberté la plus invio-
lable, la plus illimitée, la liberté sans laquelle




CONVOCATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX


lelIRABEAU EN PROVENCE


ÉCRITS DIVERS
RELATIFS A SON ÉLECTION


— . S
les autres ne seront jamais conquises, parce
que c'est par elle seule que les peuples et les
rois peuvent connaître leur droit de l'obtenir,
leur intérêt de l'accorder; qu'enfin votre exem-
ple imprime le sceau du mépris public sur le
front de l'ignorant qui craindra les abus de
cette liberté (1).


(t) Mirabeau ne se départit jamais de ces idées sur
la liberté de la presse. Nous les avons trouvés déjà. et
nous les retrouverons encore souvent exprimées,
mais nous voulons rappeler ici le passage d'une
lettre écrite à sa soeur madame du Saillant, le 20
mai t790, à propos d'un libelle contre lui : « Tu as
raison, ce libelle est infàme, mais c'est le mal d'un
bien qui compense tous les maux possibles. Et ne me
parle pas de renoncer au bien à cause du mal car
ceux qui réclament contre la liberté de la presse, sous
prétexte des abus qui peuvent en résulter. ressemblent
au sénat de Carthage qui, par un décret insensé, dé-
fendit aux Carthaziimis d'apprendre à écrire et à par-
ler grec, parce qu'un traître avait écrit en grec à De-
nys qu'une armée carthaginoise partait pour attaquer
les Syracusains. 4




LETTRES A CERMTI


La convocation des états généraux venait
d'être décidée, lorsque Mirabeau publia une
nouvelle brochure sur l'administration de
M. Necker : les Lettres à Cerutti sur le rapport
de M. Necker et sur l'arrêt du conseil du '29 dé-
cembre (1788), qui continue pour six mois force
de papier-monnaie au papier de la Caisse d'es-
compte.


Mirabeau, dans ces lettres, s'attache surtout
combattre l'exécrable système de énonces


qui a pour base le papier-monnaie, dont il
(fit :


Ceux-la seuls qui n'ont point réfléchi sur
Cet objet ne s'en indigneront pas, car le papier-
monnaie n'est pas moins un opprobre qu'une
calamité; les conséquences politiques en sont
aussi fatales que les conséquences morales,en
sont détestables.


Il insiste pour démontrer les dangers et les
rites d'une institution de papier-monnaie sans
nypottreque :


La Providence, qui destinait l'homme à l'ac-
tivité, n'a pas voulu qu'il y eût de richesse
Possible qui ne fût le prix et le produit d'un
travail proportionné. Ce travail, il est vrai,
n'est pas toujours fourni par le propriétaire
même des richesses qui le représentent; mais


/MUSEAU, OPIN. ET DISC. — Hie




— 34 --
s'il n'a pas été fourni par lui, il a été fourni
pour lui. Toute la théorie des valeurs n'est
fondée que sur ce seul principe, et celle des
métaux précieux y est aussi sévèrement ana-lysée que toutes les autres.


Quand on réfléchit à tous les genres de ris-
ques, de frais, de travaux, de


consommation,dont il faut le concours pour tirer des mines
les matières métalliques et les convertir en es-
pèces courantes, on conçoit bien qu'une onced'argent soit l


'équivalent de cinq ou six jour-
nées du travail d'un homme de peine. Toutes
les autres valeurs s'apprécient par une sem-
blable mesure. Mais quelle sera la valeur d'un
stérile *


atome de papier qui n'offrira nul moyen
certain de conversion en argent? Ne vaudra-
t-il aussi que le travail qu'il en aura coûté
pour le produire ? En ce cas, il ne


représenterarien, absolument rien.
Voilà, pourquoi le papier-monnaie est un fa-


tal prestige, une déception coupable, un très
grand mal au physique et au mor; voilàp
ourquoi la force et le succès d'un papier-


monnaie sont impossibles; voilà pourquoi lavertu, le patriotisme, le dévouement des Amé-
ricains n'ont pu opérer cette transmutationmi


raculeuse; leurs courageux citoyens ont
soutenu les rigueurs de la guerre et des sai-
sons et chassé les tyrans ; mais ils n'ont pu
soutenir un papier-monnaie.


Les élections pour la formation des états-généraux se preparaient. Mirabeau, dans lesLettres à Cérutti,
avait publiquement annoncé


sou départ pour la Provence. Il se mit enroute le 8 janvier 1789, et arriva le 13 à Aix.


•zlliABEAU EN PROVENUS


Le règlement du 27 décembre 1788, par le-
quel le roi convoquait les états généraux, avait
naturellement donné un autre caractère, mais
beaucoup ajouté à ia fermentation générale
des esprits. Elle était marquée, plus que par-
tout ailleurs. dans les pays que leur constitu-
tion particulière avait d'avance dotés d'un gou-
vernement représentatif. De ce nombre etait
la Provence, dont la noblesse et le clergé
étaient d'autant plus attachés aux anciennes
formes que, d'un autre côté, elles leur étaient
très avantageuses, et que, d'un autre côté, cette
province prétendait s'étre volontairement sou-
mise à la France, sous la condition du main-
tien indéfini de son antique constitution.


De là était née une opposition, colorée de
fidélité, mais séditieuse, en effet, au règlement
général. provisoirement arrêté par le roi pour
la tenue des assemblées, qui devaient élire les
députés aux états géneraux; et aussi à un
autre règlement quis'appliquait aux élee-
tions particulières de la Provence. Le clergé et
la noblesse avaient hautement protesté contre
ces actes du pouvoir ; une convocation gén&
rale avait éte faite par les syndics des état
pour mettre ce sujet en délibération; et Mira'
beau y avait été compris.Quelle que pat être l'imperfection du règle.;
ment royal, il avait certainement été rédigé
dans un sens très favorable aux libertés publi-




ui:1
--J


36—
1. n


élues; la protestation naissait d'une intentiontoute contrairchamp
ear conséquent,th Mirabeau,transporté du vague des théories surle terrain matériel des applications, devait sedéclarer tout de suite l


'adversaire le plus opi-niâtre de la protestation, le défenseur le plusénergique des règlements.
Mirabeau parla, pour la première fois, le


21janvier ; et, commençant comme il continua
pendant toute sa carrière politique, c'est-a-
dire établissant ou défendant partout et tou-jours, quant au fond comme quant à la forme
tous les principes du gouvernement repré-
sentatif et des assem blées déli bérantes, il seplaignit de ce qu'en reunissant l 'assemblée onlui laissait ignorer l'objet précis de sa convo-
cation, et demanda,


sans succès, que tout su-jet de délibérationmanda,
annoncé vingt-quatreheures d'avance par le président.


Nous avons dit qu'une protestation avaitété préparée contre le re,:.
,,
,lement royal du 27décembre 1788. Mirabeau la


com battit avecvigueur, dans la séance tenue le 21 janvier, parl'Ordre de la noblesse; il démontra que cettedémarche serait inutile, car le gouvernementn 'accorderait pas l 'abrogation du règlement;inconvenante, puisqu'elle serait opposée auvoeu royal et national; illégitime parce que
la protestation attaquerait le rat dans sondroit, — de convocateur naturel, de présidentnécessaire, de l égislateur provisoire des états-généraux.— Abordant la question de vote partete, l'ora te u r posai t l


'hypothèse d'une résolution
conforme, admise par les étatsgénérauX'; il demandait cornaient la Provenceprétendrait se soustraire à la lo; commune, sielle se constituerait en état séparé? Mirabeau
concluait en conjurant l


'assemblée de ne points'engager dans de pareilles questions, — de Al
ne point décidez en quelques


minutes des pro- 4,


--- 37 ---
blèmes qui ont demandé des mois entiers aux
têtes les plus accoutumées aux affaires publi-
ques et aux questions de constitution.


Ces représentations furent sans effet dans
les états de Provence, comme peu après dans
l'Assemblée nationale; le parti des privilégiés
s'opiniâtra follement dans des résistances
suscitées, en apparence, par l'intérdt du trône,
et en réalité par un égoïsme, orgueilleux chez
le plus grand nombre, sordide chez quelques-
uns, qui perdit tout pour n'avoir rien voulu
céder à propos.


Ce même sentiment d'orgueil, et sans doute
aussi l'intention d'écarter un incommode con-
tradicteur, détermina l'assemblée à prononcer.
non d'apres les modernes règlements royaux
qu'elle méconnaissait, mais d'après un règle-
ment de 1620, que, pour siéger aux Etats,
dans l'ordre de la noblesse, il ne suffirait pas
d'ètre noble d'extraction mais qu'il faudrait
aussi être possesseur de fief : décision égale-
ment injuste et offensante pour une multitude
te gentilshommes qui, d'avance, et avec rai-
son, avaient énergiquement protesté.


Mirabeau traita cette question le 23 janvier;
il prouva que ces nobles, exclus par leur
Caste, repoussés par le tiers-état, — ne pour-
raient être, dans aucun ordre, ni électeurs, ni
éligibles, ni représentants, ni représentés.


Il demanda s'il était possible de tolérer une
exclusion qui priverait à la fois des nobles et
des propriétaires de leurs droits politiques ;
car, disait-il, les simples gentilshommes se
Présentent-ils aux Etats? On leur répond qu'ils
ne peuvent être dans le corps des possédant-
fiefs; les possédant-fiefs non-gentilshommes (1)


(I) L'acquisition des fiefs était permise aux roturiers,
mais à, la condition de paver une finance que les
gentilshommes ne levaient point en pareil cas.




— 3S —
demandent-ils séance parmi nous? On leur op-
nose qu'ils ne sauraient être admis dans l'ordre
de la noblesse.


Indépendamment de toutes les raisons d'é-
quité que Mirabeau faisait valoir en faveur de
la cause des non-possédant-fiefs, il présentait
habilement des motifs puisés dans l'intérêt
même du corps de la noblesse :


En vain nous répéterait-on ces grands mots
tout à fait vides de sens dans leur application
moderne que si l'hérédité des fiefs remonte à
la fin de la seconde race, que s'ils furent la
récompense du service militaire, ils sont de-
venus une vraie propriété pour ceux qui les
ont successivement acquis et qu'on ne saurait
sans sacrilége toucher à de si honorables anti-
quités.


C'est avec des rapprochements si vagues
qu'on ne prouve rien, par cela même que l'on
prouve tout. La féodalité serait à la fois de
droit naturel et de droit divin, ce qui n'est pas
encore tout à fait démontré, que l'argument
n'en serait pas meilleur. Personne n'ignore
que le principe de tout fief ne soit l'obligation
du service militaire: et certes, si le législa-
teur offrait à la noblesse cette alternative de
payer seule les dépenses du département de la
guerre ou d'acquitter les mêmes charges que
je tiers état, elle ne balancerait pas pour se
décider à une répartition égale des contribu-
tions publiques. Or, nous avons beau nous dé-
battre, jamais les prérogatives féodales ne se-


. ront sacrées ou même supportables que cette


-- 39 --
égalité ne soit universellement et incontesta-
blement établie.


Mais à Dieu ne plaise que je considère nos
assemblées comme de simples compagnies de
finance! elles sont aussi des assemblées poli-
tiques où, par conséquent, tout noble a droit
de voter: malheur à ceux d'entre nous qui
pourraient n'y apporter que de vils calculs,
ils violeraient non-seulement la justice, et pour
moi, personnellement, je ne considère que ce
motif: mais ils manqueraient à leur propre
prudence, car ce n'est pas quand on a la pré-
tention de résister à tant de millions d'hom-
mes du tiers état, qu'il convient de s'isoler de
ses égaux.


DISCOURS SUR LA REPRÉFENTATION ILLÉGALE DE LA
NATION PROVENÇALE


Mirabeau continuait avec persévérance le
rôle qu'il avait pris. Repousse par les privilé-
giés auxquels l'associait sa naissance , assuré
qu'ils prédomineraient dans une assemblée ou
tous les intérêts publics n'étaient pas suffi-
samment représentés, il voyait que le maintien
de la composition des Etats rendrait son élec-
tion impossible. 11 résolut donc d'attaquer




-- 40 --
hautement cette composition : il parla en ce
sens le 30 janvier; et, pour proteger par la
publicité les droits de la province entière et
ses propres droits confondus dans la même
défense, il imprima le discours qu'il avait
prononce. Sa brochure est intitulée Discours surla représentation illégale de la nation provençale
dans ses états actuels, et sur la nécessité de con-
voquer une assemblée générale des trois ordres.


Dans ce discours, Mirabeau explique l'agi-
tation des communes; il démontre « l'illé•alitéde l'assemblée; » il insiste sur les protestations
qui en contestent les pouvoirs; il demande si
Ion passera outre sans y avoir égard. Il pose
le principe en matière d'élection politique etde représentation, et il revendique très nette-
ment les droits du suffrage universel :


Pour examiner plus sûrement ce que nous
sommes, voyons ce qu'incontestablement nous
devrions être.


Lorsqu'une nation n'a point de représentants,
chaque individu donne son voeu par lui-
même.


Lorsqu'une nation est trop nombreuse pour
être réunie dans une seule assemblée, elle en
forme plusieurs, et les individus de chaque
assemblée particulière donnent à un seul le
droit de voter pour eux.


Tout représentant est par conséquent im
élu ; la collection des représentants est la na-
tion, et tous ceux qui ne sont point représen-
tants ont dù être électeurs par cela seuls qu'ils
sont représentés.


Le premier principe en cette matière est
donc que la représentation soit individuelle :
elle le sera s'il n'existe aucun individu dans la


41 --
nation qui ne soit électeur ou élu, puisque
tous devront être représentants ou représentés.


Je sais que plusieurs nations ont limité ce
principe, en n'accordant le droit d'élection
qu'aux propriétaires; mais c'est déjà un grand
pas vers l'inégalité politique.


Le second principe est que la représentation
soit égale, et cette égalité, considérée relati-
vement i. chaque agrégation, doit être tout à
la fois une égalité de nombre et une égalité de
puissance.


La représentation sera égale en nombre si
chaque agrégation de citoyens choisit autant
de représentants qu'une autre aussi impor-
tante. Mais comment fixer cette importance?


Elle ne résulte pas seulement de l'égalité
qu'il pourrait y avoir entre le nombre des
électeurs dans chaque agrégation. Cette éga-
lité doit être combinée avec celle des riches-
ses, et avec celle des services que l'Etat retire
des hommes et des fortunes. L'incertitude des
données ne permet peut-être pas une égalité
parfaite ; mais on peut du moins, et l'on doit
en approcher.


L'importance de chaque agrégation est bien
plus difficile encore à déterminer pour une
nation qui, comme la nôtre, est déjà diviséé
en trois ordres : car, si l'intérêt politique de
l'Etat exige cette distinction, le droit social
n'exige pas moins que les divers ordres qui se
réunissent en corps de nation n'entrent dans
ce tout que d'après la mesure relative de leur
importance. Les états sont pour la nation ça
qu'est une carte réduite pour son étendue phy-
sique : soit en partie, soit en grand, la copie




— 42 -.—
doit toujours avoir les mêmes proportions quel'original.


Mais on n'a point encore touché à cette
partie de notre droit public. L'égalité entre
le nombre des communes et celui des deux
premiers ordres est le dernier état des choses
relativement aux conquêtes que la raison fait
sans cesse sur les préjugés. Je ne raisonne-
rai donc que d'après ce principe provisoire.


Enfin, j'ai dit que la representation, égale
en nombre, doit l'être aussi en puissance.


Elle le sera si les suffrages des représentants
inégaux sont inégaux, et si les suffrages des
représentants égaux sont égaux. Elle le sera
si, forsqu'il s'agit de connaître la volonté d'une
nation, les suffrages sont recueillis de ma-
nière que l'on ne puisse pas se tromper au
point (le prendre la volonté d'un ordre pour
celle d'un autre, ou la volonté particulière
de quelques individus pour la volonté ge-nérale


Ces principes sont incontestablement les
fondements de tout droit public , et l'u-
nique sauvegarde de la liberté du genre hu-
main.


Passant de ce principe à la question particu-
lière, Mirabeau avanceue « trois ordres sontdans.


les états ; mais la nation n' y
est pas, siceux qui se disent ses représentants n'ont pasété choisis par une élection libre et indivi-duelle, si les représentants des agrégationségales en importance ne sont pas égaux en


nombre et en suffrages. »
Ainsi ou n'a appele, quant à la noblesse, que


-- —


les possédant-fiefs; quant au clergé, que les
évêques; donc le règlement royal a éte violé,
le clergé et la noblesse ne sont pas représentés
entièrement; quant aux communes qui, sans
être la nation. la représentent bien plus que
les deux autres ordres, on n'a convoqué (autre
violation) que les Consuls qui ne sont pas les
communes, car ils ne sont pas même leurs
élus, mais les élus du conseil ordinaire.


D'un autre côté, pourquoi trente-cinq villes
seulement envoient-elles des députés aux
états? Pourquoi celles-là. seulement: Pourquoi
celles-la de préférence?


Quant aux nombres attribués à chaque or-
dre : — je ne dirai pas que l'ordre de la na-
tion doit l'emporter sur les ordres qui ne sont
pas la nation. Je léguerai ce principe à la pos-
térité; je ne veux être, du moins dans les as-
semblées politiques, ni plus juste ni plus sage
que mon siècle; mais je demande s'il est équi-
table même dans le siècle où nous sommes,
que les deux ordres qui ne sont pas la nation
l'emportent sur la nation.


On peut objecter, continue l'orateur, que les
états actuels existent depuis plusieurs siècles ;
que quoique irrégulièrement constitués, ils
n'en sont pas monis des états; que la nation
peut les reformer, mais que les délibérations
provisoires lem appartiennent; que fassem-
blée n'a pas le droit de se dissoudre sans man-
quer à l'obéissance qu'elle doit à l'autorité
légitime qui l'a convoquée. Il répolid que les
injonctions de cette autorité sont indivisibles;
qu'on ne peut avoir à la fois le devoir de lut
obéir et le droit de lui résister ; il demande si,
s'agissant de voter les impôts, les états peuvent




plus que les parlements, — qui viennent dedénoncer leur incompétence a la nation elle-
même, seule dépositaire de tous les droits et
de tous les devoirs: si la Provence, qui s'est
donnée à la France, n'aura pas bientôt, grâce
aux promesses du roi, l'occasion favorable de
corriger les abus qui déparent sa constitutiond'ailleurs très libre. Il deinontre, du reste, que
les états actuels diffèrent beaucoup de ceux
que l'on prétend consacrés par le temps; enfin,
il conclut en conjurant la noblesse de récla-
mer la convocation générale des trois ordresde la province.


RÉPONSE AUX PROTESTATIONS FAITES AU NOM DES
PRÉLATS ET POSSÉDANT-FIEFS


Ce d iscours, qui pourtant était plein de
me-sure, souleva


scours,
Mirabeau les chambresdu clergé et de la noblesse, qui,


affectant plusde colère qu'elles n'en ressentaient peut-etre,accusèrent publiquement Mirabeau d'être
ou« ennemi de la paix et d'être venu rompre par


» une motion incendiaire un accord qui était
conclu et juré. » Ce prétendu accord se ré-


' duisait à des tentatives non
agréées, quoiquerepoussées trop mollement, que les privilégiésavaient faites auprés du tiers état, pour se




l'associer dans une demande d'abrogation des
règlements du 21 décembre 1188. Mirabeau
répondit le 7 février, par la voie de la presse
et non verbalement, parce que la tenue de l'as-
semblée fut suspendue. La nouvelle brochure
est intitulée. Reponse, aux protestations raites
au nom des prélats et des possédant-fiefs de ras-
semblée des Etats actuels de Provence, contre le
discours du comte de 3Iirabeau sur la représen-
tation de la nation provençale dans les Etats
actuels, et sur la nécessité de convoquer une as-
semblée générale des trois ordres ; et contre-
protestation.


Mirabeau nie hautement la condescendance
que l'on attribuait au tiers état; il le montre
s'associant au contraire aux réclamations de
son défenseur, faites par obéissance pour les
volontés du roi, comme par dévouement pour
les intérêts publics. 11 termine enfin par cette
adjuration célébre, qui est restée comme un
immortel monument d'éloquence :


Qu'ai-je donc fait de si coupable? j'ai désiré
que mou ordre t'Ut assez habile pour donner
aujourdhui ce qui lui sera infailliblement ar-
raché demain; j'ai désiré qu'il s'assurât le mé-
rite et la gloire de provoquer l'assemblée des
trois ordres que toute la Provence demande
a l'envi... Voila le crime de l'ennemi de la
paix! ou plutôt j'ai cru que le peuple pouvait
avoir raison... Ah ! sans doute un patricien
souillé d'une telle pensée mérite des supplices!
Mais je suis bien plus coupable qu'on ne sup-
pose ; car je crois quele peuple qui se plaint
a toujours raison, que son infatigable patience
attend constamment les derniers excès de
l'oppression pousse résoudre à la résistance ;




— 46
qu'il ne résiste jamais assez longtemps pour
obtenir la réparation de tous ses griefs; qu'il
ignore trop que, pour se rendre formidable à
ses ennemis, il fui suffirait de rester immobile;
et que le plus innocent comme le plus invin-
cible des pouvoirs est celui de refuser à faire.
Je pense ainsi ; punissez l'ennemi de la paix,.


Mais vous, ministres d'un Dieu de paix, qui
institués pour bénir et non pour maudire
avez lancé sur moi l'anathème, sans daignez
même essayer de me ramener à d'autresmaximes!


Et vous, amis de la paix, qui dénoncez au
peuple, avec la véhémence de la haine, le
seul défenseur qu'il ait trouvé hors de sou
sein;


Qui, pour cimenter la concorde, remplissez
la capitale et la province de placards propres
a armer le peuple des campagnes contre celui
des villes, si vos faits ne réfutaient pas vosécrits;


Qui, pour préparer les voies de conciliation,protestez contre le règlement provisoire deconvocation des états généraux, parce qu'il
;.ozine au peuple un nombre de députés


égalk ceux des deux autres ordres réunis;
Et contre tout ce que fera l'Assemblée na-


tionale, si ses décrets n'assurent pas le triom-
phe de vos prétentions, l'éternité de vos pri-
viléges I


Généreux amis de la paix ! j 'interpelle ici
votre honneur, et je vous somme de déclarer
quelles expressions ont attenté au respectd l'autorité royale ou aux droits de la nation?
Nobles Provençaux, .l'Europe est attentive;


47
pesez votre réponse. Hommes de Dieu, prenez
garde! Dieu vous écoute.Que si vous gardez le silence, si vous vous
renfermez dans les vagues déclamations que
vous avez lancées contre moi, souffrez que
j'ajoute un mot.Dans tous les pays, dans tous les âges, les
aristocrates ont implacablement poursuivi les
amis du peuple; et si, par je ne sais quelle
combinaison de la fortune, il sen est élevé
quelqu'un dans leur sein, c'est celui-la surtout
qu'ils ont frappé, avides qu'ils étaient d'inspi-
rer la terreur par le choix de la victime. Ainsi
périt le dernier des Gracques de la main des
patriciens; niais atteint du coup mortel, il
lance. de la poussière vers le ciel, en attestant
les dieux vengeurs; et de cette poussière na-
quit Marius : Marius, moins grand pour avoir
exterminé les Cimbres que pour avoir abattu
dans Home l'aristocratie de la noblesse.


Mais vous , communes , écoutez celui qui
porte vos applaudissements dans son coeursans en être séduit. L'hormne n'est fort que par
l'union, il n'est heureux que par la paix.
Soyez fermes, et non pas opiniâtres ; coura-
geux, et non pas tumultueux; libres, mais
non pas indisciplinés ; sensibles, mais non pas
enthousiastes. Ne vous arrêtez qu'aux difficul-
tés importantes, et soyez alors entièrement
inflexibles; mais dédaignez les contentions de
l'amour-propre, et ne mettez jamais en ba-
lance un homme et la patrie. Surtout hâtez
autant qu'il est en vous l'époque de ces états
généraux. qu'on vous accuse d'autant plus
âprement de reculer, qu'on en redoute davan-




--


---


tage les résultats; de ces états généraux où
tant de prétentions seront déjouées , tant de
droits rétablis, tant de maux réparés ; de ces
états généraux enfin où le monarque lui-
même désire que la France se régénère.Pour moi , qui dans ma carrière p ubliquen'ai jamais craint que d'avoir tort ; moi qui,
enveloppé de ma conscience et armé de prin-
cipes, braverais l'univers : soit que mes tra-
vaux et nia voix vous soutiennent dans l'as-
semblée nationale, soit que mes voeux seuls
vous y accompagnent, de vaines clameurs, desprotestations inj urieuses, des menaces aden-tes, toutes les convulsions, en un motr


, despréjugés expirants, ne m'en imposeront pas.
Eh! cornaient s'arrêterait-il aujourd'hui dans
sa course civique celui qui, le premier d'entreles Français, a professé hautemen


t ses opi-nions sur les affaires nationales. Dans un
ternp.s où les circonstances étaient bien moins
urgentes, et la tôclie bien plus périlleuse ?
Non, les outrages ne lasseront pas ma cons-
tance; j'ai été, je suis, je serai j usqu'au tom-beau l'homme de la liberté publique, l'hommede la constitution. Malheur aux ordres privi-
légiés, si c'est là plutôt être l'homme du peu-
ple que celui des nobles; car les priviléges fi-niront, mais le peuple est éternel.


A la suite de cette péroraison admirable estsine contre-protestation: et, pour réfuter par laraison comme par l'éloquence la qu alificationd'ennemi de la paix, Mirabeau expose lesmoyens qu'il a employés, le but qu'il s'estproposé en combattant la résistance de quel-ques individus contre une nation entière.


-- 4 :3 --
n'a pu voir dans moins de deux cents privi-
légies la représentation d'une grande province;
il n'a pu leur croire le droit d'éluder le voeu
de la nation et l'ordre du monarque. A l'illé-
galité de la composition de l'assemblée, s'est
jbinte l'illégalité de son organisation, tellement
que, par exemple, son bureau a cté nominé
non par le scrutin, niais par des acclama-
tions concertées. Il n'y a eu aucune vérifica-
tion de pouvoirs. Toutes les voies de régula-
risation et d'accommodement ont été pro-
posées par l'orateur et rejetées systémati-
quement par cent quatre-vingts évêques ou
nobles opposés a cinquante-six membres des
communes; non par des opinions exprimées,
mais par des tumultueuses exclamations, par
les récusés qui jugeaient la récusation, par lesprivilégiés qui sanctionnaient le privilége. Le
même orateur a toujours impartialement sou-
tenu les principes contre l'irritation du parti
populaire, comme contre le despotisme de la
majorité. Il était parvenu a opérer une conci-
liation inespérée, bientôt détruite par ceux
qui cherchent follement dans les déceptions
et la terreur le moyen de dominer. Il leur re-
trace encore les dangers d'une résistance d'au-
tant plus révoltante, que le succès en est im-
possible, et il conclut par cette apostrophe :


Clergé! noblesse! celui que vous attaquez.
avec tant d'injustice et de violence n'est point
votre ennemi, puisque ses principes seraient
votre gloire. Vos prédécesseurs et vos aïeux
avaient aussi des erreurs, une constitution,
des priviléges : ils laissèrent cependant en-
trer, sous Philippe le Bel, les membres des
communes dans l'assemblée de la nation. La
guerrier s'assit auprès 'du laboureur, et n'en


BIBLIOTEC1
UNIVERSITARIA


felb%




-- 50 ---
fut pas étonné. Eh bien! puisque cinq siècles
ont produit une multitude de changements
tels que l'ordre du tiers n'est plus un ordre,
mais qu'il compose évidemment la nation, il
est temps aussi d'être plus juste qu'alors ; il
est temps d'accorder aux droits de l'espèce
humaine ce qu'on n'osa point, dans des siè-
cles barbares, refuser à quelques hommes, il
est temps de céder vos priviléges, et c'est le
moyen de conserver vos distinctions person-
nelles.


A LA NATION PROVENÇALE


Cette nouvelle publication mit le comble au
ressentiment de la chambre de la noblesse.
Des ce moulent, il fut convenu qu'on retire-
rait à Mirabeau le droit d'assister aux assem-
blées de l'ordre. Le 8 février, le consul d'Aix,
marquis de La Pare, exposa que Mirabeau,
simplement investi (le substitutions, n'avaitd'ailleurs ni propriété, ni possession actuelle;e, en conséquence, la chambre, après avoir
reçu, sans les admettre, les explications deMirabeau, délibéra qu'il cesserait d'assister aux
assemblées de la noblesse.


Le réponse de Mirabeau parut dès le surlen-
demain, 11 février, sous forme d'une simple
adresse : A la nation provençale!



51 —


11irabeau établit que sa cause est celle de
tous les citoyens : « Ainsi l'égoïsme qui ra-
petisse tout dans les affaires privées peut tout
agrandir dans les affaires publiques. » I1 ex-
pose ce qu'il a voulu, ce qu'il a fait :


Gentilhomme possédant fief, j'ai pensé qu'en
remplissant des fonctions publiques, je devais
être avant tout le concitoyen des bons ci-
toyens.Membre d'un corps de propriétaires d'un
certain domaine que la nature n'a point dis-
tingué des autres, j'ai cru qu'il n'était pas
moins honorable d'être membre de la nation
(lui a dans son sein toutes les propriétés.


Individu d'une classe qui prétend avoir des
exemptions pécuniaires, j'ai soutenu avec la
plus grande partie de la noblesse française
que ces exemptions expirantes n'avaient ja-
mais été qu'une inique absurdité.


Membre d'une assemblée qui se dit repré-
sentative do la nation, j'ai démontré que,
puisque vous la désavouez, elle ne vous repré-
sente pas.Témoin du suffrage universel qui sollicite
et qui certainement obtiendra une assemblée
générale des trois ordres, j'ai dit que six.
cent mille voix qui demandent une choseévidemment juste doivent l'emporter sur cent
quatre-vingt voix. qui la refusent.


Obligé de délibérer sur la décision prélimi-
naire du conseil du roi qui accorde aux com-
munes de France le droit de former la moitiéde l'assemblée des états généraux, j'ai non-
seulement refusé de protester contre ce bien-




— 52 —
fait s


olennel de la justice royale; mais j'aidemandé, par reconnaissance et par
respect,que mon opinion fat inscrite sur les


registreset j'ai soutenu, chose incroyable sans doute,que l'ordre qui forme presque entièrement
lanation est au moins la moitié de la nation.


Après cette introduction, Mirabeau fait un
récit très détaillé de la scene du 8 février; il
rapporte la lettre qu'il écrivit au. sortir de la
salle, lettre où il etablit


victorieusement et laréalité de sa qualité de possédant-fiel, et ledroit qu'il avait exercé jadis et récemment
.
Il-examine la position particulière de M. de LaFare, Je provocateur de l 'exelusion, et qui,app


artenant à la noblesse , était toutefois,
comme consul d'Aix,


membre des communes;Mirabeau expose parallèlement les deux rôlesentièrement opposés du dénonciateur et dudénoncé. Le premier membre du tiers, ne sié-
geant pas avec le tiers, votant contre le tiers;l'autre, membre de la noblesse, et se voilantà la défense des comm


unes. Mais, ajoute Mi-rabeau :


M. de La l'are a sans doute
confondu la lé-gitimation de mes p


ouvoirs et celle de mesp
ensées ; il a cru que le droit de rejeter une


opinion renfermait celui d'en rejeter l'auteur,
et que si l'on parvenait à me fermer l'entréedes états, on eu chasserait irrévocablement et
mes notions, et mes voeux, et mes suffrages,


Et cep
endant, dit-il encore, je ne négligeaispas,


plus les prétentions et les droits que lesIntérêts de la province. en
réclamant une re-,présentation réelle et légale à la place d'unereprésentation illégale et fictive que soutien-


— 53 —
nent mes persecuteurs; gardez, disais-je, vos
privilèges :


Car les privilèges, quoique exécrables contre
les nations, sont utiles contre le despotisme
ministériel; conservez donc soigneusement vos
privilèges, mais seulement aussi longtemps
que la France n'aura pas la constitution qui
lui est due : une constitution une, homogène,
stable et permanente, contre laquelle il sera de
l'intérêt de tous d'échanger les prétentions et
les droits locaux.


Sortant de la question particulière qui le con-
cerne, Mirabeau se console de l'injustice dont
il est l'objet, par la conviction que les efforts
patriotiques dont on le , punit auront toute-
fois conquis, en faveur de la cause publique,
des résultats désormais assurés. Ainsi l'il-
légalité des états actuels est reconnue par
l'autorité même, puisqu'on vient de les sus-
pendre. — Ainsi les états seront plus nom-
breux; l'ordre de la noblesse sera représenté
par tous ses membres, et non plus par quel-
ques-uns seulement; le clergé ne le sera plus
par ses seuls évêques, les communes par
leurs seuls consuls : une juste proportion
sera établie entre les representants et les
représentés. — Les suffrages réunis des com-
munes auront une telle puissance, que la vo-
lonté des deux premiers ordres, qui ne sontpoint la nation, ne puisse jamais être prise
pour la volonte générale de cette nation. —
Le président ne sera plus nommé que par
rassemblée; les votes seront exprimes par le
scrutin: l'appel nominal pourra etre réclamé
les sujets de délibération seront annoncés, et
non surpris, etc. •


Ces publications, qui se suivaient rapide-


F




— —


ment, étaient le fruit d'un travail
surnaturel.Les discours, les écrits de Mirabeau enflam-


maient de plus en plus les passions opposées
qu'il inspirait, la haine de la noblesse et du
clergé, l'enthousiasme bientôt idolâtre


dureste de la population. Nous lisons dans unelettre de Mirabeau à son
secrétaire, M. deComps, du 29 janvier :


Vous n'avez pas d'idée des horreurs qui se
débitent ici au sujet de ces deux


ouvrages. Je
ne suis pas moins qu'un chien enragé, auquel
les Provençaux ne sauraient donner la moin-
dre confiance. J'ai répondu à ceux qui m'ontdit cela : C'est une grande raison de m'élire,


seje suis un chien enragé, car le despotisme et lespriviléges mourront de mes morsures. Il n'en estpas moins vrai que les gens qui ont besoin
d'un prétexte se servent de la


circonstance
avec un art vraiment infernal. Tel est le pu-blic, imbécile troupeau qui livre ses chiens


aupremier loup qui sait se servir d'une peau ve-
loutée. Je serai trouvé indigne de la confiancede la nation provençale aux états généraux,parce que j'ai démontré qu'il fallait avoir l'ceil
ouvert sur M. Necker, qu'il tentait de se pas-
ser de la naon française, et qu'il n'était


Je pas
clair qu'il vo


ti
ulût nous bien constituer. se-


ra/ trouvé indigne des états généraux, parceque j'aurai été toute ma vie le plus fier ennemide tout abus d'autorité, de tout puissant pré-
varicateur, de tout fauteur de despotisme, de
tout ennemi de l'égalité. Patience, encore une
fois, le temps fera justice à tous!


OVATIONS A AIX ETAMh.RSEILLU


Rappelé à Paris pour des affaires privées,
Mirabeau partit de Marseille le 15 fevrier et
arriva à Paris le 2i. Après une semaine seule-
ment de séjour, il repartit le 28 pour la Pro-
vence, où il fut reçu de telle sorte que les
ovations inouïes qu'il reçut le jour de son ar-
rivée et les suivants, ovations qui jusqu'alors
étaient sans exemple, sont au nombre des évé-
nements qui appartiennent à l'histoire et dont
le souvenir ne s effacera jamais.


Nous empruntons les intéressants détails de
cette ovation, avec les paroles de Mirabeau,
qui en tirent admirablement la moralité, à une
relation contemporaine, publiée pour la pre-
mière fois par M. Lucas Montigny


« Dès le pont Royal, c'est-à-dire à cinq postes
»


le maitre de poste avait ordre d'en-
» voyer un courrier à Aix pour annoncer l'ar-
»


rivée de M. le comte de Mirabeau, et de le
»


retenir par un accident quelconque . Il n'y


» avait ciu'une ville sur la route, c'est Lam-
»


base. A. cent pas de la ville, les officiers mu-
»


nieipaux l'attendaient pour le retenir et le
»


féliciter au nom dela communauté . Il entra


»
dans la ville; la contrée y était rassemblée;




il y avait beaucoup de milliersrêtres
d'hommes et


» tolites femmes,
, p, s, e


» hommes décorés,
enfants


touscriaient viv
o
e le
ldats


comt
t
e




-- 56--.
• de Mirabeau!


vive le père de la patrie! Lesboîtes de tirer, les cloches de sonner; et lui,
» fondant en larmes : —


Jo comment les» hommes sont devenus esclavesi
,


s


la 2yrannie» s'est entée sur la reconnaissance! — On a» voulu dételer sa voiture :
—Mes amis, leur a-» dit, les hommes ne sont pas faits pour por-


» ter un homme, et vous n'en portez déjà quetrop!


fluence


cc A Saint-Cana (1), au changement de che-» vaux (c et


le rovive
n'est qu'


i!
vi age), e Mande a, t un ll




omteet le c de' f-irabau» A deux lieues d'Aix, les députés
M
des a


e
rti !-» sans ont paru les premiers; ils lui appo


» talent (les couronnes et des fleurs. En
ar


r-
ri-» yant au faîte de la montagne, on aperçut» des flots de Inonde qui débouchaient de la» ville; certainement il y avait plus de dix» mille ci


toyens. On a arrêté sa voiture; porté
» mille et cent mille acclamations,


remercie-» //lents, félicitations. La ville d'Aix est tra.» versée
-
d'un grand cours. Son domestique, à» l'arrivée de qui on avait fait une première


» décharge de
-boîtes, avait dit qu'il descen-» (lait chez un amiboîtes;


sur le cours. Il était bordé
de monde et de ,ses chevaux allaient» 5,


toute course, pour éviter les suites qui
» auraient pu en résulter; mais tous ces flots» d'hommes le suivaient a toutes jambes. En» un moment. toutes les boites furent tans-
» portées à la place des Prêcheurs, voisine de
» la maison qu'il habite. Cette place s'est cou-
» verte de monde, cent boîtes ont tiré, et il est
» descendu dans les bras du peuple, auquel ilr; a fallu ouvrir les portes de la maison.....


Saint-Cannai, 'à,
une lieue sud-est de Lam-hese.


---
57 —


» Harangue interrompue par les vive! vive!


couronnes, cris de joie, embrassades, toute


l'ivresse de la joie et de la confiance. Il a


attendu que tout cela se dissipat pour aller


dîner où on l'attendait; mais, nul moyen:


il a fallu retraverser ce peuple. Sa chaise à


porteurs était chargée de couronnes ; les


galoubets et tambourins, le précédant et le


suivant ; tout cela resta sous les fenêtres de


M. Joubert (1), chez qui il dînait, et les ins-


truments ne cessèrent de jouer pendant tout


le dîner.
» Le soir, à la nuit close, il est retourné chez




lui. Les tambourins, les galoubets, fusées,


un feu de joie, l'y attendaient ;' c'est ainsi


que la soiree a été close. La moitié de la ville


a été illuminée le soir.
» M. de Mirabeau, loin de se laisser enivrer




par ces hommages, a fait aux députés des


communes une leçon philosophique sur le


danger de ces exagérations, et surtout sur


celui de la reconnaissance, que ne doit jaMaiS


le peuple, parce que l'on n'est jamais quitte


envers lui. Il a dit aux citoyens : Haïssez


l'oppression autant que vous aimez vos amis, et


vous ne serez pas opprimés. »Quelques jours apres (le 18 mars), Mirabeau
alla à Marseille, où l'enthousiasme public lui
préparait un trioin,phe encore plus éclatant.
Pendant la traverses de la ville, i1 reçut de tous
les corps de garde les honneurs militaires; les
autorités vinrent le visiter; on orna sa de-
meure de tous les pavillons des vaisseaux,
nationaux ou étrangers qui étaient dans le
port; enfin les mêmes scènes se renouvelèrent
a sa sortie de la ville; nous en trouvons le
récit abrégé dans une lettre qui fut adressée,
le 21 mars, par Mirabeau, à de Caraman,


(t) Jaubert. son avocat et son ana.




-- 58
commandant de la province, et qui fut ire.'primée :


Fig
urez-vous, monsieur le cumte, cent vingt


mille individus dans les rues de Marseille;
toute une ville si industrieuse et si commer-
çante ayant perdu sa journée ; les fenétres
louées un et deux louis; les chevaux autant ;
le carrosse de l'homme qui n'a été qu'équitable
couvert de palmes, de lauriers et d'oliviers; le
peuple baisant les roues, les femmes lui offrant
en oblation leurs enfants; cent vingt mille
voix, depuis le mousse jusqu'au


millionnaire,poussant des acclamations et criant: Vive leroi! Quatre ou cinq cents jeunes gens des plus
distingués de la ville le précédant, trois cents
carrosses le suivant: vous aurez une idée de
ma sortie de Marseille; vous comprendrez1° que les possédant-fiefs d'Aix ne sont pas lepublic; 2° qu'il n'est pas plus possible d'em-
pêcher une noble effervescence (puisqu'on veut
l'appeler ainsi) que de la provoquer; 3° queles hommes sont plus près de la servitude dela r


econnaissance que (les excès de la licence;40
enfin, qu'il n'y aurait des moyens, pour moi,


d'éviter cela, que de fuir un poste que je se-
rais un ingrat et un lâche de déserter.


,Quelles que soient les habitudes exaltées etdémonstra tives du peuple provençal de pareilshonneurs étaient jusqu'alors inoMS.


MILE RÈGLEMENT POUR LA CONVOCATION
DES ÉTATS-GÉNÉRAUX


Le 13 mars, Mirabeau publia une dernière Ira
chu re sur le règlement donné par le roi pour l'exé-
cution de ses lettres de convocation aux prochains
états généraux de son comté de Provence. Il re-
marque d'abord que le préambule du règle-
ment royal est : « un acte éclatant de la jus-
tice du roi une auguste sanction donnée aux
principes que l'auteur a soutenus, de concert
avec les communes. Ainsi, l'admission du
second ordre du clergé, ainsi celle des nobles
non-possédant-fiefs, ainsi l'obligation de pour-
voir à l'insuffisance de la représentation des
communes, ainsi la nécessité d'une représen-
tation égale des trois ordres, — sont accordées
Dar le roi comme elles étaient sollicitées par
les réclamants :


Ainsi sont proclamés les principes que les
ordres privilégiés dénonçaient comme un at-
tentat, comme incendiaires, comme le renver-
sement de la constitution! Ils sont reconnus
par le monarque, adoptés dans sa bonté,
émanés de sa justice!


Mirabeau relève quelques dispositions qui
peuvent paraître en désacord , h certains
égards, avec les droits de la province; quel-
ques difficultés qui compliqueront l'exécution




Msister pour le moment :
des mesures a


rrêtées. Mais il ne veut pas y
Assez d'autres discuteront les principes etSes incon vénients du réglement générai: moi-même, quand il en sera temps, quand il faudrapasser du pr


ovisoire au grand ceuvee de laconstitution, je m'occuperai de cet importantdéb t.
Il


mandantélimine les détails, et conclut en
recom-un prompt


m et respectueux cquies-
cernent aux ordres du roi, pour évitera


que ludissentiments ne privent la province de ladéputation : « pour ne pas servir les privilé-
gies dans leur vœu secret d'éluder la tenuedes états généraux. »


AVIS AU PEUPLE MARSEILLAIS


-- 61
tantes inquiétudes sur les approvisionnements,
et la crainte exagérée d'une prochaine disette.


Des désordres inquiétants eurent lieu. Mais
Mirabeau exerç


a son active entremise à réta-
blir l'ordre, nous avons déjà dit comment il
introduisit à cette occasion l'usage de la mi-
lice citoyenne et institua à Marseille la pre-
mière garde nationale de France. Il tourna
au profit de l'ordre public tout l'ascendant
d'une popularité meute. C'est ainsi qu'il lit
imprimer, placarder, distribuer à domicile, un
Avis de Mirabeau au peuple Marseillais; avis
daté du 25 mars, et mis a la porté (les hom-
mes les plus ignorants, pour les éclairer sur
la question des subsistances. Nous croyons
devoir reproduire intégralement ici le monu-
ment sublime, dans son adroite simplicité. d'un
des plus grands services qu'un homme ait ja-
mais rendus à. ses concitoyens ;


Mes bons amis, je vais vous dire ce que je
Pense sur ce qui s'est passé depuis trois jours
dans votre superbe ville; écoutez-moi ; je ne
désire que de vous être utile, et je ne veux
pas vous tromper.


Chacun de vous ne veut que le bien, parce
que vous êtes tous d'honnêtes gens; mais cha-
cun ne sait pas ce qu'il faut faire : on se trompe
souvent même sur son propre intérêt; et c'est
Parce que j'ai beaucoup réfléchi sur les inté-
rêts de tous, c'est pour vous servir et vous
remercier ainsi de la confiance que vous m'a-
vez témoignée, que je dois et vais vous dire
Ce que je pense.


*Vous vous plaignez de beaucoup de choses;
je le sais : eh bien! c'est pour corriger ce dont
vous vous plaignez que votre bon roi doit
tenir une assemblée a"Versailles, le 21 du mois


L'agitation naturelle des esprits accrue par
tant de débats publics et la


résistance tou-jours plus hautaine et plus provocante des
deux premiers ordres, avait amené des


cir-constances fort difficiles, qu'aggravaient in-cessamment l'anxiété publique, la suspensiondu grand négoce
,
le désceuvrement


m d'unepartie des nombreuses et tuultueuses popu-ations d'Aix et de Marseille; surtout d'ici-




— 62 —
orochain ; mais tout ne peut pas se faire à la
fois.


Vous vous plaignez principalement de deux
choses : du prix du pain et de celui de la
viande


Occupons-nous premièrement du pain, et
puis le reste viendra. Le pain est l'essentiel;
arec du pain, si nous sommes raisonnables ,
nous aurons un peu de patience.


On ne peut changer sur-le-champ tout ce
qu'il y a à changer : s'il en était autrement,
nous ne serions pas des hommes, nous serions
des anges.


Il faut deux choses pour le pain : d'abord
qu'il y en ait, ensuite qu'il ne soit pas trop
cher.


Eh bien 1 mes bons amis , j'ai une grande
nouvelle à vous donner : c'est que le blé ne
manque pas au moment où je vous écris ; il
y en n 51,000 charges dans la ville, ce qui
donne du pain pour trois mois et douze jours.
Cela, je vous le dis, est une grande nouvelle,
parce qu'il est bien juste que le bon peuple ait
du pain.


Ce n'est pas tout, mes bons amis ; outre les
51,000 charges de blé que déjà nous avons,
vos administrateurs et les négociants en at-
tendent encore une grande quantité ; il doit
en arriver d'Afrique, de Silésie, du Golfe adria-
tique, de Cagliari, de Livourne, de la Roma-
gne, du Nord et de la Nouvelle-Angleterre.
Plusieurs chargements ne tarderont pas d'en-
trer dans le port : il y aura 120,000 charges;
et voilà du pain non-seulement pour nous ,
mais pour nos amis.


— 63
Ainsi, soyez tranquilles, parfaitement &an.,


quilles; remerciez la Providence de ce qu'elle
vous donne ce que tant d'autres, qui sont
hommes comme vous, n'ont point. Vous le sa-
vez, vous l'avez ouï dire : les saisons ont été
généralement mauvaises dans tous les pays.
La grêle, les orages ont détruit bien des ré-
coltes. On souffre ailleurs bien plus qu'ici ; et
cependant ceux qui souffrent prennent pa-
tience.


Je vais maintenant examiner avec vous d'on
vient que le pain est fort cher, quoique nous
ayons du blé en suffisance.


Vous ne l'ignorez pas, mes bons amis : le
blé que vous mangez ne vient pas de votre
territoire; il en vient un peu du reste de la
Provence, un peu du Languedoc, de la Bour-
gogne, et la plus grande partie vient des pays
étrangers.


Pourquoi est-il cher ici? parce que ceux qui
l'achètent sont obligés de le payer fort cher ;
parce qu'autour de nous les récoltes ont été
mauvaises ou médiocres : Dieu l'a voult.; il
nous donnera d'abondance une autre année.
Parce que la Nouvelle-Angleterre étant en
guerre avec les Algériens, il arrive moins de
vaisseaux de ce peuple ; et voilà comment la
guerre fait toujours du mal à tout le inonde ;.
Darce que les blés d'Afrique ont été achetés
par les Turcs, qui font aussi la guerre ; parce
qu'enfin le blé étant plus cher dans beaucoup
(l'autres pays que chez nous, beaucoup de ceux
qui nous auraient apporté leur blé ne vien-
nent pas ici, et le vendent là où il est plus
Cher.




— 61 —
Actuellement, mes amis, dites-moi, puisque


le blé est cher partout , comment il pourrait
être à bon marché à Marseille? Vous êtes jus-
tes, raisonnables : raisonnons ensemble sur
cela.


Ce n'est pas vous qui achetez le blé ; ce sont
d'autres personnes qui emploient leur argent
à ce commerce, et qui revendent ce qu'ils ont
acheté. Si ces persontr's achètent le blé cher,
elles ne peuvent le vendre à perte; car au-
trement, personne n'achèterait, et nous mour-
rions de faim.


Vous êtes dans une ville de commerce ;
beucoup de personnes savent ce que le blé
coûte, lorsqu'on l'achète de première main ;
eh bien ! demandez-le aux honnêtes gens; ils
vous diront tous que le bénéfice est peu con-
sidérable, et que les temps sont mauvais pour
tout le monde.


Maintenant que vous savez pourquoi le blé
est si cher, vous ne pouvez pas être étonnés
que le pain le soit aussi ; car le blé et le pain
sont au fond la même chose. Il faut que le
pain ne soit pas beaucoup plus cher que le
blé ; voilà tout ce que nous pouvons deman-
der, voilà ce qui est juste.


Pour savoir ce que doit être le prix de chaque
livre de pain, il faut connaitre trois choses :


Premièrement, ce que coûte une charge de.
blé ;


Secondement, combien chaque charge de blé
peut produire de livres de pain;


Troisièmement, ce qu'il en coûte pour chan-
ger le blé en pain ; car il ne se fait pas tout
seul; le boulanger doit être payé de sa peine;


-- 65 --
tout homme qui travaille doit gagner sa vie.


Je prends pour exemple une charge de blé,
qui ne soit ni de la première qualité, ni de
la dernière, comme si l'on mêlait du blé de Sar-
daigne avec une égale quantité de blé du
pays.


Quel est dans ce moment, le prix d'une pareille
charge de blé? — 44 liv. 10 s. à peu près.


Combien _de livres de pain produit cette
charge de blé? — 340 liv. au plus, et quel-
quefois moins.


Combien en coûte-t-il pour faire le pain?
7 liv. 4 s., en y comprenant le bénéfice du
boulanger : en voici le compte :


Pour la mouture


1 liv. 4 sous.
Pour le chauffage




15
Pour les garçons




1 10
Pour le loyer du four




1
Pour le sel


Pour le bénéfice du boulan-
ger 2 10


Il faudrait clone, pour avoir le véritable prix
du blé changé en pain, ajouter 44 liv. 10 sous.,
a 7 liv. 4 sous, ce qui fait 51 liv. 14 sous; mais
comme chaque charge de blé produit envi-
ron pour 4 liv. de son, il faut déduire cetts
sonune de 4 liv. des 51 liv. 14 sous ; ainsi
la charge de blé, changée en pain, ne revient
qu'a 47 liv. 14 sols.


01, d'après cela, mes amis, faites vous-
triéine le compte. Si 340 liv. de pain environ
'11tent 47 liv. 14 sols, chaque livre revient à
con près à 34 deniers ; et comme il y a du,


MIRAULAV. OP /Ne
EI D'Se. 3




..— —


pain de trois qualités, on prendrait jus te le
milieu si l'on vendait le pain bis 32 deniers,
le pain moyen 34, et le pain blanc 36.


Je m'attends à ce que vous allez me dire :
Si chaque livre da pain vaut réellement 34 de-
niers, pourquoi MM. les consuls l'ont-ils mis
depuis trois jours a deux sols, et pourquoi le
payait-on auparavant trois sols et demi?


Vous faites là deux questions qui sont diffé-
rentes l'une de l'autre; et je vais répondre à
toutes les deux.


Les consuls savaient bien que chaque livre
de pain coûte 34 deniers; mais il y avait des
plaintes, et il fallait les approfondir.


Les consuls se sont dit : le peuple est juste,
il reviendra facilement lorsque nous parlerons
ensemble de nos affaires communes; mais
avant tout, il faut le contenter, et puis nous
lui rendons compte de tout.


Eh bien ! mes amis, voilà que vous con-
naissez ce compte : même au paravant, vous
aviez senti que ce prix de deux sols ne pou-
vait pas durer; tous les honnêtes gens le di-
saient.


En effet, remarquez bien où tout ceci nous
conduirait. Si le pain coûte 34 deniers, et que
l'on continue à le vendre 24, il y aura dix de-
niers de perte pour chaque livre; 13 liv. 43
sols pour chaque charge.


Sur qui tomberait cette perte? Sur la coin./
munauté. Eh! qui payerait pour la comina
nauté? tous les habitants.


Or, cette perte ne finirait-elle pas par vous
accabler? 13 liv. 13 sols de perte par chaque
charge de blé formeraient chaque tour, puis-


-- 67 —
qu'il faut cinq cents charges de blé par jour,
5,825 liv.; c'est-à-dire 2,125,000 livres dans
une année


Eh! bon Dieu! qui pourrait
supporter cela?


Pensez, d'un autre côté, que lepain est très-
cher dans cette province, et encore plus dans
les autres :si on continuait à vendre le pain
2sols, ou viendrait de partout en acheter; vos
boulangeries et vos magasins ne pourraient
plus y suffire, et qui, bientôt, nous ruineraient,
et nous finirions par n'avoir ni blé, ni pain.


Vous demandez encore pourquoi le paie
coûtait trois sols et demi? je vais vous l'ap-
prendre.


La ville de Marseille, comme toutes les au-
tres, paye quelque chose pour la dépense du
royaume et pour l'entretien de notre bon roi.
L'argent se prend un peu sur ceci, un peu sur
cela. Dans les villages, on paye la taille; dans
les grandes villes, la taille ne suffit pas. On y
supplée, jusqu'à présent, par un impôt sur la
viande et sur le pain. L'impôt sur le pain est
ce qu'on appelle le piquet; il est de 6 livres
par charge, et voilà pourquoi le pain est à
trois sols et demi. Ces manières de pourvoir
aux dépenses ne sont sûrement pas les meil-
leures; tout cela changera; mais nous sommes
convenus que tout ne pouvait pas changer en
un jour.


Cependant, comme le blé est déjà fort
cher, et qu'il faut que tout le monde se prive
Pour supporter les mauvais temps, il me pa-
rait juste que, dés à présent, ou ne fasse
Parer le pain, dont personne ne peut se pas-
ser, qu'a, 34 deniers la livre, prix moyen, tout




— 68
comme s'il n'y avait point d'impôt à payer;
et soyez persuadé, mes bons amis, que c'est
là tout ce qu'il est possible de faire.


J'espère donc que vous direz tous: ce prix-
!à va bien; cela était juste; cela était néces-
saire : chacun sera tranquille, afin que les au-
tres le soient, et votre exemple mettra la paiX
partout.


Oui, mes amis, on dira partout : les Mar'
seillais sont de bien braves gens; le roi le.
saura, ce bon roi qu'il ne faut pas affliger ; cee
bon roi que nous invoquons sans cesse , et il
vous aimera, il vous en estimera davantage.
Comment pourrions-nous résister au plais:
que nous allons lui faire, quand il est précis:-
ment d'accord avec nos plus pressants int&
rêts? comment pourriez-vous penser au bor
heur qu'il vous devra sans verser des lama,.
de joie!


DOUBLE ÉLECTION DE MIRABEAU A AIX ET
MARSEILLE


En même temps que ces graves événements
qui, à Marseille, céderent au courage, à l'hal•
lete , à la popularité de Mirabeau , des scènes
semblables et plus funestes encore éclataient
à Aix, et dégénéraient en rébellion ouverte.,
Dar les imprudentes provocations du marque
de La Fare, qui fut bien près de payer de sa
vie ses violences désespérées.


Ce fut au milieu de cette agitation que re-


— 69 —
nbeau obtint une double élection comme dé-
puté du tiers état pour les villes d'Aix et de
Marseille. A ce propos, nous devons démentir
la fable ridicule, répétée dans plusieurs biogra-
phies, qu'il imagina d'ouvrir une boutique de
marchand de draps à Marseille. Ce que nous
venons de raconter atteste suffisamment qu'il
n'avait pas besoin de recourir à un semblable
moyen pour établir sa popularité.


Mirabeau opta pour Aix, par des raisons qui
sont développées dans la lettre suivante adres-
sée à MM. les commissaires du tiers état de
Marseille, en date du 7 avril 1789 :


MESSIEURS,


Je suis forcé (l'opter plus tôt que je ne pan-
Sais entre les deux députations dont les séné-
chaussées d'Aix et de Marseille viennent de
m'honorer. Absent de Marseille, j'y ai été rem-
placé; présent à Aix , et lorsque les élections
doivent être continuées, il faut nécessairement
que je me décide. Mon coeur redoutait cet ins-
tant, et cherchait à le reculer. Livré tout en-
tier à deux sentiments égaux de reconnais-,
sauce, je ne pouvais préciser l'issue du coin-
bat que j'aurais moi-même à me livrer. A.
cette pénible situation, se joignait l'effroi que
doit inspirer la vaste et difficile carrière où
l'on a voulu me lancer ; il fallait un grand
courage pour accepter ; mais , j'ose le dire , je
n'en avais point assez pour choisir.


Il le faut pourtant ; et que dois-je consul.
ter? l'intérêt d'une province qui m'a honoré
de sa bienveillance? celui de la ville de Mar-
seille, dont votre confiance même me donne
le droit de parler? Ce n'est point de mon cœur




--- '70
que je puis obtenir un choix que je n'oserais
jamais proférer ; mais homme public, je puis
prononcer entre deux grands intérêts qui,
quoiqu'également au-dessus de mes forces,
sont cependant différents l'un de l'autre.


Les séances des prétendus états de Provence
ne sont que suspendues, et j'ai l'honneur d'en
être membre. Aidé du zèle et du courage des
communes, j'ai tenté, dans ces états, une ré-
volution importante , indispensable, qui inté-
resse la province entière, et qui, si mes voeux
les plus ardents sont exaucés , ne sera point
étrangère à la ville de Marseille : je veux par-
ler de la réformation même de nos états. Cet
ouvrage n'est que commencé. Sous ce rapport,
ce sont les députés des communes de Pro-
vence




hg'




qui doivent me guider, m'éclairer dans ."
les états généraux, et dont je dois être le fai-
ble auxiliaire.


D'autres questions, déjà traitées dans nos
états particuliers , doivent être portées dans
l'Assemblée nationale; les contributions des
fiefs, l'abolition de toute exemption pécuniai-
re, l'égalité des impôts entre toutes les fortu-
nes et entre tous les individus, l'anéantisse
ment de tous les droits usurpés ; le rempla-
cement de tous ceux qui dégradent l'homme,
qui gênent la liberté, ou qui s'opposent à ce
que la nation française soit tout ce qu'elle de-
vrait être. J'ose le dire, cette cause est bien
plus celle de la province, c'est-à-dire celle du
peuple et des communes, qu'elle n'est celle de
la ville de Marseille, dont la prospérité, jusqu'à
un certain point, tient à d'autres principes et
à d'autres lois.


Wb.


J'avais donc contracté des engagements
avant ceux que ma reconnaissance m'a impo-
sés; ma carrière est commencée ; j'avais un
poste, et je ne puis plus le déserter.


J'ai considéré, d'un autre côté, que quoique
l'agriculture soit la base de toute propriété
humaine, il y aura peut-être aux états géné-
raux beaucoup moins de négociants que n'en
exigeraient les solennelles discussions dont
on sera forcé de s'occuper. Il est des lumières
acquises que le zèle seul ne remplace point.
Chaque citoyen peut et doit connaître son
pays ; le négociant seul connaît l'univers ; et
toute loi sur le commerce agit aujourd'hui sur
les deux mondes. Servir l'intérêt de la ville
de Marseille est mon premier devoir ; la pri-
ver d'un négociant de plus aux états géné-
raux et prendre, moi, la place de ce négociant,
ce serait plus la servir. Toute députation
étonne mon courage. Celle de Marseille, outre
qu'elle m'écraserait du poids immense de ses
intérêts, du poids immense de sa gloire, bles-
serait encore ma délicatesse par la comparai-
son que je ferais sans cesse entre moi-même
et le négociant dont j'aurais pris la place. Cette
comparaison , si je l'oubliais, d'autres la fe-
=aient sans moi.


Veuillez donc, Messieurs, recevoir et faire
agréer à MM. les électeurs, je ne dis pas nies
excuses, mais ce nouveau tribut de mon zèle
Pour l'ancienne patrie de mes pères, oit j'es
Père acquérir moi-même un jour le droit de
cite ; je ne dis pas ma reconnaissance , puis
qu'elle m'a fait hésiter un instant entre mes
véritables devoirs; mais les voeux éternels




— 72 -
que je fais pour la prospérité d'une des pre-
mières villes, et de l'un des meilleurs peuples
du monde. Je seconderai Marseille de tous mes
efforts dans la grande impulsion qu'elle va
donner, et si je dépose maintenant à vos pieds
la qualité de votre député, mon zèle bientôt
me la fera reprendre. Celle de suppléant est la
seule qu'il me soit permis de remplir, et la
seule que votre bonté m'eût accordée si elle
ne s'était trompée sur ses véritables intérêts.


Je finis, Messieurs : ce n'est point sans émo-
tion que j'ai commencé cette lettre, et ce n'est
pas sans douleur que je la termine.


tHÉORIE DE LA ROYAUTÉ. -- RÉCLEMENTS OBSERVÉS
DANS LA CHAMBRE DES COMMUNES


Avant de suivre Mirabeau aux états géné-
raux, transformés bientôt par sa puissante
influence en assemblée constituante, nous de-
vons mentionner deux brochures publiée
dans les premiers mois de 1789.


Le premier de ses ouvrages est la Théorie
de la royauté d'après la doctrine de Milton.
paraît être l'ouvrage de Salavile; ce gui fait
roire cependant que Mirabeau n'y fut pas


complètement étranger, c'est qu'il est précède
d'une notice fort étendue sur Milton, où est
réimprimée, en grande partie, la traduction,
dont nous avons parlé de l'écrit sur la liberte
de la presse. Cet ouvrage est un véritable


73
traité de la souveraineté du peuple : c'est la
traduction de la réponse faite par Milton à
Samnaise qui, en écrivant l'apologie du mal-
heureux Charles ler, avait violemment accusé
le peuple anglais, saris reconnaître les griefs,
sans avouer les fautes du roi, sans faire entre
les bourreaux et la nation, la distinction
-ii.'exigeaient la justice et la venté.


Le second ouvrage n'est qu'une traduction,
sans addition d'aucun commentaire des Règle-
ments observés dans la Chambre des communes
pour débattre les matières et pour voler. Cette •
publication avait d'ailleurs un incontestable in •
térêt d'actualité, et pouvait fournir plus d'une
indication utile à l'assemblée qui allait se
réunir




MIRABEAU A L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE




— '7 7 —


MIRABEAU JOURNALISTE


L'Assemblée des états généraux s'ouvrit le
A mai 1189. Mirabeau avait un sentiment bien
net de la situation. Il sentait que la révolution,
dont son élection était le premier gage, ne se
développerait que sous la protection de l'esprit
public qui l'avait nécessitée; que ses défen-
seurs, s'ils ne s'appuyaient sur une publicité
incessante et sur une éclatante popularité,
seraient bientôt terrassés par les ressentiments
et les terreurs du pouvoir. Il comprenait le
rôle nouveau qui etait réservé é. la presse,
destinée à être à la fois le porte-voix de l'As-
semblée et son levier clans l'opinion publique ;
destinée aussi à stimuler, à encourager ses ef-
forts; et embrassant clans sa puissante étreinte
toutes les faces de la tâche à laquelle il se
sentait destiné dès l'ouverture des états géné-
raux, il se fit journaliste.


A cette époque, une pareille entreprise de-
vait rencontrer les plus grands obstacles dans
les lois et règlements sur la librairie, qui
parfois, à la vérité, étaient éludés pour des
Publications isolées et furtives, mais dont
l'autorité s'était jusqu'alors étendue sans ré-
sistance aux publications périodiques ouverte-
ment avouées. Mirabeau marcha droit à l'é-
cueil; il soutint que toute censure devait être
suspendue en présence de la nation délibérante
Par ses délégués; il résolut de conquérir par
son ardente initiative la liberté de la presse.
Mirabeau refusa donc de se soumettre aux




78


benseurs et d'attendre une permission du gou-
vernement pour publier le Journal des Etats
généraux, dont le premier numéro est daté du
2 mai 1789. Dès le second numéro, le journal
fut supprimé par arrêt du conseil du 7 mai.Mais di-un côté le corps électoral de Paris, en-
core assemblé, protesta hautement contre cet
acte; d'un autre côté, l'opiniâtre et hardi dé-
puté changea le titre de son journal et l'inti-
tula Lettres du comte de Mirabeau à ses commet-
tants, afin de placer la censure dans l'alternative
de s'abstenir ou de s'interposer entre l'élu etles électeurs, ce que les .circonstances ren-
daient difficile et périlleux. L'autorité céda; la
presse périodique se trouva ainsi affranchie
de fait avant de l'être de droit (1).


Dans sa première Lettre à ses commettants,
Mirabeau disait, à l'occasion de l'arrêt qui ve-
nait de supprimer le Journal des Etats géné-
raux:


Vingt-cinq millions de voix réclament la li-
berté de la presse; la nation et le roi deman-
lent unanimement le concours de toutes les
;uraiéres. Eh bien! C'est alors qu'on nous pré-
lente un veto ministériel! c'est alors qu'après
nous avoir leurrés d'une tolérance illusoire et
perfide, un ministre soi-disant populaire ose
effrontément mettre le scellé sur nos pensées,
privilégier le trafic du mensonge, et traiter


(e) Un historien royalLste dit à ce propos : « la li-
berté de la presse, en y comprenant les écrits périodi-
ques, avait été conquise sur un gouvernement intimidé
quatre mois avant la prise de la Bastille: ce qui suffit
pour expliquer la prise de la Bastille, et toute ia Révo-lution.» Ch. Lacretelle, histoire de France pendantle dix-huitième siècle.


.79


comme un objet de contrebande Pindispensame
exportation de la vérité!


Mirabeau avait pris tout d'abord dans le
Journal des Etats généraux l'attitude Qu'il de-
vait soutenir avec tant de fermeté dans l'A.s-
semblée.


Dans le premier numéro (2 mai), il parle
d'une solennité commune aux trois ordres
présentés ce jour-là même au roi, avec des
différences de cérémonial qui blessèrent jus-
tement la susceptibilité du tiers état (1). Il
mentionne eu même temps la démarche in-
fructueuse d'une députation irrégulièrement
choisie et chargée par les possédants fiefs de
Provenœ, qui voulaient la substituer aux dé-
putés légalement élus. Il raconte la procession
qui, depuis l'église Notre-Dame de Versailles
jusqu'a l'église Saint-Louis, réunit les députés
des trois ordres, • ou plutôt, dit-il, les repré-
sentants de la nation. Il critique le discours
indigeste, décoloré, intempestif, que l'évêque
de Nancy avait prononcé pendant la messe du
Saint-Esprit; discours, dit-il • fait comme les
tragédies modernes, avec des hémistiches. •
Aussi conclut-il, • jamais plus belle occasion
ne fut plus complétement manquée. n


Dans le numero 2 de son journal, Mirabeau
rend compte de la cérémonie d'ouverture des


00 Les dispositions du tiers état se manifestèrentdu reste d'une manière bien significative. Qu'on en
juge par ce récit d'un témoin : « Le roi parla le pre-
mier et se couvrit. Aussitôt le premier signal de la li-
berté publique fut donné. Contre l'usage antérieur,
les députés du tiers état se couvrirent comme ceux
des premiers ordres. Il leur était enjoint par leurs
cahiers mômes. de n'admettre aucune distinction de ce•
rémonie ni d'étiquette. » Emin. Toulongeon. Histoire,
de France depuis la Révolution de 4789.


il




-- 80 --
états généraux, le 5 mai 1789. Il mentionne
brièvement le discours du roi et celui du
garde des sceaux ; mais il insiste davantage
sur celui du directeur général des finances,
M. Necker. Il se plaint que « l'Assemblée na-
tionale n'y ait pas même entendu parler du
droit inaliénable et sacré de consentir l'impôt,
de ce droit que, depuis plus d'un an, le roi a
reconnu solennellement à son peuple.


• Bien
plus, M. Necker eut l'imprudence, dans ce dis-
cours, de justifier,


les exemptions attachées
aux propriétés privilégiés; de montrer d'a-
vance à l'aristocratie les points où elle pou-
vait combattre, l'assistance qu'elle pouvait ate
tendre. L'amertume de M irabeau est clone tout
à fait justifiée. « Eh! s'écrie-t-il , comment
créerait-il et surtout consoliderait-il un autre
ordre de choses, celui qui n'ose parler de cons-
titution?


• Mirabeau blême sévèrement : « lalongue et immorale autant qu'impolitique énu-
mération des ressources par lesquelles le
roi aurait pu se passer d'assembler la nation.»
Il critique une etrange théorie sur les antici-
pations: une imprudente et inopportune re-
commandation de deux établissements impo-
pulaires, la Caisse d'escompte et la Compagnie
des Indes.


Mirabeau réprouve surtout dans ce discours
une longue apologie du mode de délibérer et
d'opiner par ordre, « où le ministre, regardé
comme la colonne du peuple, a nettement sa-
crifié les principes a de futiles formules de
conciliations qui certainement ne lui ramène-
ront pas les ordres privilégiés, qui jettent
l'alarme dans les communes et ne peuvent at-
tirer que désordre et confusion dans les pre-
mières séances de l'Assemblée nationale. »


Il ajoute:
M. le directeur général a dit encore qu'il


-- 81
était des matières sur lesquelles la délibéra-
ton par ordre était préférable , comme il s'en
trouverait peut-être où la délibération par téte
vaudrait mieux ; car la faculté de délibérer
par ordre dans certains cas et par tête dans
d'autres, est un prétendu moyen de concilia-
tion absolument dérisoire , puisque ces deux
modes étant diamétralement opposés, si l'un
est essentiellement bon, il faut de toute né-
cessité que l'autre soit essentiellement mau-
vais, on suppose aux citoyens une grande
ignorance, ou l'on connaît soi-même bien peu
les principes, quand on fait dépendre des cir-
constances le vice ou l'efficacité de ces deux
modes de délibération.


Sur le tout, c'est au moins une très grande
inconvenance qu'un ministre du roi ait, dans
l'Assemblée des représentants de la nation,
effleuré cette question, qui ne peut être sou-
mise qu'a la discussion parfaitement libre, et
à la décision complètement absolue des états
généraux, en assemblée générale. L'autorité
du roi lui-même ne peut s'étendre qu'a faire
délibérer, préliminairement à toute séparation
de l'assemblée des députés , si les membres
qui la composent doivent se diviser. Réunis à
la voix du monarque , les députés offrent la
représentation nationale autant, du moins,
qu'une convocation provisoire peut la leur
donner. Présidés par lui, ils ont, et ils ont
seuls le droit de régler la forme de leurs déli-
bérations. Mais le roi a incontestablement ce-
lui d'empêcher que cette grande question :
ordres doivent-ils être séparés ou rester unie
soit résolue avant d'être jugée. Elle le serais




— 82
s'il souffrait que les députés commençassentpar se séparer. L'état naturel de toute asseni,
blée est évidemment la réunion de ses mem-
bres ; ils sont essentiellement unis tant qu'ils
ne se séparent pas ; pour décider si les dépu-
tés se sépareront, il fallait certainement les
réunir; mais certainement aussi, il serait ab-
unis
surde de les séparer pour savoir s'ils resteront


...


Espérons que le ministre des finances tom
prendra enfin qu'il n'est plus temps de lou-
voyer; qu'on ne saurait résister au courant
de l'opinion publique ;


faut en être aidé
ou submergé ; que le règne de l'intrigue
comme celui du charlatanisme est passé • que
les cabales mourront à ses pieds, s'il est fidèle
à ses principes, et le déjoueront bien rapide-
ment s'il s'en écarte ; que , fort d'une popula-
rité inouïe, il n'a rien à redouter que sa pro-
pre désertion de sa propre cause ; et que, si.
dans la situation où le royaume est plongé,
une patience infatigable est nécessaire, une
fermeté inflexible ne l'est pas moins.


Espérons que les représentants de la nation
sentiront mieux désormais la dignité de leurs
fonctions, de leur mission, de leur caractère;
qu'ils ne consentiront pas à.. se montrer en-
thousiastes à tout prix et sans condition ;
qu'enfin, au lieu de donner à l'Europe le spec-
tacle de jeunes écoliers échappés à la férule,
ivres de joie parce qu'on leur promet un jour
de plus de congé par semaine,---ils se montre-
ront des hommes.


83 —


DÉBATS SUR LA VÉRIFICATION DES POUVOIFM


La première opération des états généraux
dmit être la vérification des titres conférés
aux élus par les é.,-ecteurs. Mais de là naissait
'fa question grave que nous venons de voir
pressentir par Mirabeau : la préalable vérifi-
cation des pouvoirs devait-elle être faite en
commun par les trois Ordres ou séparément
par chacun? Evidemment la résolution à pren-
ire devait préjuger toutes les autres ; car si
une fois on se décidait à vérifier en commun,
On ne pourrait plus guère délibérer séparé-
?sent • et si les vérifications étaient séparées,


délibérations le seraient nécessairement
aussi.


Le clergé et la noblesse insistaient pour une
Vérification séparée, dans laquelle ils trou-
'raient le préliminaire d'une délibération sépa-
rée ainsi que d'un vote par ordre : moyen assuré
s 'opposer victorieusement les deux premiers
9rdres au troisième, et d'anéantir ainsi les ef-fets du doublement de la représentation du
tiers état.


tue conciliation fut essayée en vain; et le 18
ial, Mirabeau, qui, dès le 7, en combattant


. Ialouet, avait demandé qu'on s'abstint d'unedemande collective propre à préjuger les ques-
tions suspendues, et qu'on évitât de faire
sortir le tiers état de son inaction calme, lé-
gale et majestueuse, — s'expliqua solennelle-
nient pour la premiere fois a la tribune, à




84 ---
l'occasion de deux propositions, l'une de Cha-
pelier, l'autre de Rabaud Saint-Etienne.


MESSIEURS,


Les sentiments très estimables, les prin-
cipes en général très purs qui caractérisent
les deux motions dont nous sommes occupés,
n'ont pas suffi pour me ranger entièrement
aux propositions de MM. Rabaud de Saint-
Etienne et Chapelier. Je désirerais qu'un avis
mitoyen tempérât, ou plutot réunît ces deux
opinions.


M. Rabaud de Saint-Etienne demande que
bous autorisions MM. du bureau à conférer
avec les commissaires du clergé et de la no-
blesse, pour obtenir la réunion des membres
qui doivent former les états généraux.


M. Chapelier désire que, dans une décla-
ration très formelle, nous démontrions au
clergé et à la noblesse l'irrégularité de leur
Conduite, et que nous les avisions des démar-
ches qu'il deviendra nécessaire d'opposer à
leurs prétentions.


Ce dernier avis, plus dans les principes
que le premier, il faut en convenir, plus animé
de cette mâle énergie qui entraîne les hom-
mes à leur insu même, renferme, selon moi,
un grand inconvénient, dont les gréopinants
ne m'ont pas paru tous assez frappés.


Indépendamment de ce que le parti que
nous propose M. Chapelier tend à porter un
décret solennel avant que nous ayons aucune
existence légale: indépendamment de ce qu'il
avertit nos adversaires d'un système qu'il est
bon de ne leur faire connaître qu'eu le déve-


— 85 —
loppant tout entier, lorsque nous-mêmes en
aurons saisi toutes les conséquences, il ap-
pelle, il nécessite en quelque sorte une décla-
ration de la noblesse, encore plus impérative
que celle dont nous Mines accueillis lier; une
déclaration que, dans nos formes actuelles,
nous ne sommes M préparés, ni aptes à re-
pousser•, et qui, cependant, peut exiger les ré-
solutions les plus promptes. Si nous sommes
persuadés, messieurs, autant que nous devons
l'être, qu'une démarche aussi mémorable,
aussi nouvelle, aussi profondément décisive
que celle de nous déclarer l'assemblée natio-
nale, et de prononcer défaut contre les autres
ordres, ne saurait jamais être trop mûrie,
trop mesurée, trop imposante, et même qu'elle
nécessite d'autres actes, sans lesquels nous
pourrions obtenir pour tout succés une disso-
lution qui livrerait la France aux plus terri-
bles désordres, nous devons infiniment re-
douter de nous trouver contraints en quelque
sorte, par notre déclaration même, à faire
avec précipitation ce qui ne peut jamais être
soumis à trop de délibération.


D'un autre côté, la motion de M. Rabaud
de Saint-Etienne dissimule entièrement la
conduite arrogante de la noblesse; elle donne
en quelque sorte l'attitude de la clientèle sup-
pliante aux communes, qui, ne fussent-elles
pas bravées et presque défiées, doivent sentir
qu'il est temps que le peuple soit protégé par
lui seul, c'est-à-dire par la loi qui suppose
l'expression de la volonté générale. Cette mo-
tion enfin traite avec la même déférence ceux
qui, se rendant juges dans leur propre cause,




n'ont pas même daigné condescendre à la dis-
cuter, et ceux qui, plus habiles ou plus déli-
cats, couvrent du moins de quelques procédés
leur marche irrégulière et chancelante,


Ces deux avis, chacim dans leur sens, meparaissent également exagérés.
Et qu'on ne nous répète pas de grands


lieux communs sur la nécessité d'une conci-
liation. Rien n'est plus aisé que de saisir, par
le mot salutaire, les esprits peu attentifs,


ou
même les bons Citoyens qui ont plus de qua-
lités morales que de connaissance des affaires,
plus de zèle que de prévoyance, car le vœu
de tous les coeurs honnêtes est la concorde et
la paix ; mais les hommes éclairés savent
aussi qu'une paix durable n'a d'autre base
que la justice, qui ne peut reposer que sur les
principes.


Mais peut-on , sans aveuglement volon-
taire, se flatter d'une conciliation avec les
membres de la noblesse, lorsqu'ils ne daignent
laisser entrevoir qu'ils ne pourront s'y prêter
qu'après avoir dicté des lois exclusives de
toute conciliation? Lorsqu'ils font précéderleur consentement à nommer des commissaires
pour se concerter avec les autres ordres, de la
fière déclaration qu'ils sont légalement cons-
titués, n'est-ce pas là joindre la décision au
despotisme ? Et que leur reste-t-il à


concerter,
du moment oà ils s'adjugent eux-mêmesleurs prétentions? Laissez-les faire, messieurs,ils vont nous donner une constitution, régler
i'Etat, arranger les finances, et l'on vous ap-
portera solennellement l'extrait de leurs re-
gistres pour servir désormais de code natio•


— 87 --


nal Non, messieurs, on ne transige point
avec un tel orgueil, ou l'on est bientôt esclave.


Que si nous voulons essayer encore des
voies de conciliation, c'est au clergé, qui du
moins a eu pour nos invitations l'égard de
déclarer qu'il ne se regardait pas comme
constitué légalement, et cela au moment
même où la noblesse nous dictait ses décrets
souverains; c'est au clergé qui, soit intérêt
bien entendu, soit politique déliée, montre le
désir de rester fidèle au caractère de média-
teur (1); c'est au clergé, trop habile pour
s'exposer au premier coup de tempête; c'est
au clergé, qui aura toujours une grande part
à la confiance des peuples, et auquel il nous
importera longtemps encore de la conser-
ver; c'est au clergé qu'il faut nous adresser,
lion pour arbitrer ce différend — une nation,
juge d'elle et de tous ses membres, ne peut
avoir ni procès ni arbitres avec eux—mais
pour interposer la puissance de la doctrine
chrétienne, des fonctions sacrées des ministres,
de la religion, des officiers de morale et d'ins-
truction; qu'il se consacre à faire revenir, s'il
est possible, la noblesse à des principes plus
équitables, à des sentiments plus fraternels, à
un système moins périlleux, avant que les dé-
putés des communes, obligés de remplir enfin
leur devoir et les voeux de leurs commettants,
ne puissent se dispenser de. déclarer- à leur
tour les principes éternels de la justice, et les
droits imprescriptibles de la nation.


(Il Lally Tollendal disait finement : « Le clergé av •
tend qu'il y ait un vainqueur pour s'en faire un allié. e




— 88
Cette marche a plusieurs avantages; elle


nous laisse le temps de délibérer mûrement
sur la conduite à tenir avec la noblesse, et
sur la suite des démarches qu'exigent ses hos-
tilités; elle offre un prétexte naturel et favo-
rable à l'inaction qui est de prudence , mais
non pas de devoir ; elle fournit à la partie des
députés du clergé qui fait des voeux pour la
cause du peuple l'occasion dont ils ont paru
très avides, de se réunir avec nous ; elle
donne enfin des forces à la trop peu nom-
breuse partie de la noblesse que sa généreuse
conduite nous permet de regarder comme les
auxiliaires des bons principes. Vous conservez
donc ainsi tous vos avantages , et vous ne.
vous compromettez en aucun sens, ce qui ne
peut pas se dire dans tous les systèmes ; car
on aura beau se récrier sur ce qu'on appelle
des disputes de mots , tant que les hommes
n'auront que des mots pour exprimer leur
pensée, il faudra peser ces mots.


Eh! de bonne foi , est-ce bien à ceux qufe
courbent la tête devant les pointilleries dee
publicistes; est-ce bien à ceux qui nous rap-
pellent sans cesse à de vieux textes, à de
vieux titres, à de belles phrases, à des auto-
rités de discours et d'insinuations; est-ce bien
à ceux qui nous ont journellement fait dire
ce que nous ne voulions pas dire, répondre ce
que nous ne voulions pas répondre, à nous re-
procher de peser sur les mots?


Nous n'avons pas cessé de convenir que
nous n'étions pas constitués : devons-nous
nous permettre toutes les formules qui ont
toutes les apparences d'un acte de juridiction?


— 89 —
MODS-110US eu tort de prétendre que la puis-
sance doit précéder l'action ? Si cela était vrai
hier, cela ne l'est-il pas aujourd'hui? Si cela
l'est encore, pouvons-nous, plus que les jours
passés, faire des déclarations secrètes, com-
mencer deseolstres, donner des pouvoirs ?
Tout peut se ''défendre , Messieurs , excepté
l'inconséquence.


Envoyez au clergé, Messieurs , et n'en-
voyez point à la noblesse, car la noblesse or-
donne, et le clergé négocie. Autorisez qui
MUS voudrez à conférer avec les commissai-
res du clergé, pourvu que vos envoyés ne
puissent pas proposer la plus légère compo-
sition, parce que, sur le point fondamental
de la vérification des pouvoirs dans l'Assem-
blée nationale, vous ne pouvez vous départir
de rien ; et quant à la noblesse , tolérez queles adjoints confèrent avec elle comme indi-
vidus, mais ne leur donnez aucune mission*,
parce qu'elle serait sans but et ne serait pas
sans danger.


En effet , ne nous dissimulons pas que,
dans notre sein même, on s'efforce de former
un parti pour diviser les états généraux en
trois chambres , pour les faire délibérer et
opiner par ordre, unique ambition des privi-
légiés en cet instant , et qui est l'objet d'un
véritable fanatisme. Toute déviation du prin
cipe, toute apparence de composition encou..
ragera ce parti , et entraînera ceux d'entre
nous qu'on est parvenu à ébranler. Déjà l'on
a répandu, déjà l'on professe qu'il vaut mieux
opiner par ordre que de s'exposer à une scis-
sion Ccc qui revient à dire : Séperons-nous




-- 90
peur de nous .séparer); scission que le ministre
désire, que le roi veut, que le royaume craint.
Si le ministre est faible, soutenez-le contre lui-
même, prêtez-lui de vos forces. Un aussi bon
roi que le nôtre ne veut pas ce qu'il n'a pas
le droit de vouloir. Le royaume craindrait, s'il
pouvait vous croire vacillants. Qu'il vous sa-
che fermes et unis, vous serez investis de
toute sa sécurité. On vous flatte enfin (et c'est
le plus adroit des piéges que depuis vingt-
quatre heures seulement on n'a pas craint de
dresser même à découvert) , on vous flatte
que les ordres privilégiés vont sacrifier leurs
exemptions : et quel intérêt, dit-on alors, d'o-
piner plutôt par tête que par ordre ? Quel in-
térêt l Je comprendrais ce langage s'il était
adressé à ceux qui s'appellent les deux pre-
miers ordres; car, comme ils n'ont pas un
seul privilége au delà des exemptions pécu-
niaires, comme hors de ce cercle tous nos in
térêts sont évidemment communs, je ne leur
vois pas une seule raison de s'opposer à la
délibération par tête, s'ils sont do bonne foi;
et voilà, pour le dire eu passant, pourquoi je
ne crois encore que faiblement à la sincérité
de leurs sacrifices. Mais nous, qui, malgré leur
fierté dédaigneuse , avons de grandes raisons
de douter qu'ils aient le privilége exclusif de
l'instruction et des lumières; nous qui ne re-
gardons point l'Assemblée nationale comme
un bureau de subdélégués, nous qui croyons
que travailler à la Constitution est le premier
de nos devoirs et la plus sainte de nos mis-


. siens ; nous qui savons qu'il est physiquement
impossible de s'assurer d'avoir obtenu le voeu'


— 91
national autrement que par la votation par
tête, la renonciation la plus complète et la
moins ambiguë aux exemptions pécuniaires,
ne nous dés intéressera nui lem ent du seul mode
de délibérer et d'opiner auquel nos pouvoirs
nous autorisent et nos consciences nous =1-
traignent.


Ne compromettons pas ce principe sacré,
Messieurs , n'encourageons pas les intrigants,
n'exposons pas les faibles, n'égarons pas, n'a-
larmons pas l'opinion publique, maclions avet
une circonspection prévoyante, mais marchons.


La noblesse a rompu par le lait l'ajourne-
ment du roi; nous devons en aviser M. le
garde des sceaux, pour constater que le pro-
isoire est fini, et annoncer ainsi, par la voie


la plus modérée et la plus respctueuse, mais
la plus régulière et la plus directe, que les
communes vont s'occuper des moyens d'exer-
cer leurs droits et de conserver les principes.


Envoyons ensuite au clergé d.es hommes
munis de notre confiance, et autorisés à invi-
ter, à entendre, mais non à proposer. Laissons
la noblesse continuer paisiblement sa marche
usurpatrice autant qu'orgueilleuse ; plus elle
aura fait de chemin, plus elle se sera donné
de torts ; plus les communes, qui n'en veulent
point avoir, qui n'en auront jamais, seront en-
couragées aux principes, sûres de leurs for-
ces, et par cela même de leur modération ;
plus la concorde, l'ensemble, l'harmonie s'éta-
bliront parmi nous; plus l'esprit public se
formera, et de lui seul se composeront notre
irrésistible puissance, nos glorieux et dura
bles succés.




-92—
L -Assemblée prit l'arrêté suivant .
« L'Assemblée des communes a arrêté de


nommer plusieurs membres - pour conférer
avec ceux qui ont été ou qui seront choisis
par MM. du clergé et de la noblesse, sur les
moyens proposés pour réunir tous les dépu-
tés, afin de vérifier les pouvoirs en commun;
a arrêté en outre, qu'il sera fait une relation
écrite des conférences.


En même temps, Mirabeau ne manquait au-
cune occasion de faire respecter l'assemblée
des communes. Dans la séance du 27 mai, un
des secrétaires lut une lettre du maître def,
cérémonies, le marquis de Dreux-Brézé, rela-
tive à la présentation au roi des députés qui
n'étaient pas encore arrivés le 2. Cette lettre
se terminait par la formule suivante : « J'ai
l'honneur d'être, avec un sincère attachement,
monsieur. etc.


MIRABEAU. - A qui s'adresse ce sincère at$
tachem ent ?


La SECRÉTAIRE. - Il est écrit au bas de iS
lettre : :5.1. le doyen de l'ordre du Tiers.


MIRABEAU. - Il ne convient à personne dans
le royaume d'écrire ainsi au doyen des com-
munes.


L'assemblée partage ce sentiment, et charge
le doyen d'en taire part à l'auteur de la lettre.


Les divisions entre les trois ordres persis;
tant, Mirabeau prit encore la parole le 27 ma;
pour appuyer une motion qui tendait à adju,
rer le cierge de se réunir aux communes pouf
travailler ensemble à la régénération politique
du royaume. Il réfuta en même temps la pro-
position faite par la noblesse pour éluder la
question de v•rifier les pouvoirs de ces com-
missaires.


La vérification par commissaires choque


— 93 ---
les principes. Il est, il sera à jamais impos-
sible de suppléer, dans cette vérification, b la
sanction des états généraux réunis surtout
aussi longtemps que l'Assemblée nationale
sera composée de ce qu'on appelle trois ordres
Il ne l'est pas moins que des contentions qut
intéressent les ordres respectifs ne seraient
pas débattues par les trois ordres en présence
les uns des autres. Il l'est encore davantage
qu'un ordre particulier devienne le juge des
questions qui intéressent les deux autres;
chaque ordre n'est que partie. Les états gé-
néraux réunis sont seuls luges; et indépen-
damment de ce que l'intégrité, la pureté, la
légalité de l'Assemblée nationale est le pre-
mier devoir, le premier intérêt et l'objet de la
continuelle surveillance de tous les membres
qui la composent, admettre une vérification
des pouvoirs séparée ou partielle, c'est vou-
loir être agité d'un éternel conflit de juridie,
tion, c'est susciter une foule de procès inter
minables.


La vérification par commissaires excède
nos pouvoirs investis de la puissance natio-
nale, autant du moins qu'une espèce de lé-
gislature provisoire peut l'être; nous ne le
sommes pas du droit de la déléguer. Nous
pouvons nommer des examinateurs, des rap-
Porteurs, mais nous ne pouvons pas subroger
des juges à notre place. La conséquence du
principe contraire serait que, sous le prétexte
de conciliation, de la simplicité, de la rapidité
de nos opérations, nous pourrions limiter les
états généraux, les circonscrire, les dénatu-
rer, les réduire, enfin nommer des dictateurs.




— 9l —


Or, une telle prétention serait criminelle au-
tant qu'absurde. Ce serait une usurpation de
la souveraineté, qui ferait sortir de cette as-
semblée une véritable tyrannie, et qui frappe-
rait de la plus détestable, si ce n'était en
meme temps de la plus pitoyable nullité, tout
tes nos opérations.


Voilà , messieurs , où conduit le système
que proposent les deux ordres, et dont, sans
doute, ils n'ont pas senti toutes les consé-
quences


Il me semble, messieurs, qu'il est temps si-
non d'entrer en pleine activité, du moins de
nous préparer de manière à ne pas laisser le
plus léger doute sur notre résolution, sur nos
principes, sur la nécessité où nous sommes de
les mettre incessamment en pratique.


Les arguments de la noblesse se rédui-
sent h ce peu de mots : Nous ne voulons pas
nous réunir pour juger des pouvoirs communs.
Notre réponse est très simple : Nous voulons
vérifier les pouvoirs en commun. Je ne vois pas
messieurs, pourquoi le noble exemple de
l'obstination, étayé de la déraison et de l'in-
justice, ne serait point à l'usage de la fermeté
qui plaide pour la raison et la justice.


Mirabeau termine en proposant de décréter
une députation vers le clergé qui, « résu-
mant tout ce que messieurs de la noblesse
avaient allégué, tout ce que les commissaires
conciliateurs avaient si bien dit, adjurerait
les ministres du Dieu de paix de se ranger
du côté de la raison, de la justice et de 18
vérité, et de se réunir à leurs co-deputés dans
la salle commune. »


— 95 —
La motion de Mirabeau est accueillie par


acclamation et exécutée aussitôt.
S'attendant a être mis en demeure, le clergé


avait usé de sa dextérité habituelle pour se
soustraire à la nécessité de répondre catégo-
riquement; il avait suscité une lettre du roi
qui demandait que des Commissaires concilia-
teurs, choisis par les trois ordres, reprissent
leur conférences, en présence du garde des
sceaux et de plusieurs commissaires du roi.Un
long débat s'éleva dans l'Assemblée des com-
munes sur cette lettre du roi. Mirabeau y prit
part le 28 mai


Il est difficile de fermer les yeux sur les
circonstances où la lettre du roi nous a été
remise ; il est impossible de ne pas distinguer
les motifs de ceux qui l'ont provoquée, du
sentiment de l'auguste auteur de cette lettre.
ii serait dangereux de confondre ses inten-
tions respectables et les suites probables de
son invitation. Un médiateur tel que le roi
ne. peut jamais laisser une véritable liberté
aux partis qu'il désire concilier! La majesté
(lu trône suffirait seule pour la leur ravir. Nous
n'avons pas donné le plus léger prétexte à
son intervention : elle paraît au moment où
lieux ordres sont en négociation avec le troi-
sième, au moment où l'un de ces ordres est
presqu'inévitablement entraîné par le parti po-
pulaire (1), C'est au milieu de la délibération
cl u clergé, avant aucun résultat, après les
' enciliabules (je parle des assemblées noc-


Allusion ana dispositions die connues du clergé
..ricur, dont la grande majorité était disposée it se


; ,unir au tiers état.




— 9 6 —
turnes du haut clergé que la notoriété publie
que nous a dénoncées), que les lettres du roi
sont remises aux divers ordres. Qu'est-ce doue
que tout ceci? un effort de courage, de pa-
tience et de bonté de la part du roi; mais, en
même temps, un piége dressé par la main de
ceux qui lui ont rendu un compte inexact de
la situation des esprits et des choses, un piége
en tous sens, un piége ourdi de la main des
Druides; piège si l'on défère aux désirs du
roi, piége si l'on s'y refuse.


Si nous acceptons les conférences, tout ceci
finira par un arrêt du conseil : nous serons
Chambres et despotisés par le fait, d'autan
plus infailliblement que tous les aristocrates
tendent à l'opinion par ordre, parce que Iii ils
ont leur plan, tandis que dans le mode d'opi-
ner par tête, ils ne sont pas toujours les pre-
miers, et souvent ils sont les derniers. Si, au
contraire, nous n'acceptons pas, on dira qur:
les communes tumultueuses , indisciplinées.
avides d'indépendance, sans systèmes, sans
principes, détruiront l'autorité royale.


Pour faire route entre ces deux écueils, Mi--
rabeau propose derésenter au roi, en forme
d'adresse, une pro fession de foi clans laquelle
les communes expliqueront, de la maniere la
plus respectueuse, « que le voeu national est;.
pour l'unité de l'Assemblée; que les pouvoirSr
Individuels ne peuvent être vérifiés que par
l'Assemblée entière; que les communes char-
gent expressément leurs commissaires de
s'occuper de tous les expédients qui, sans
porter atteinte à ce principe fondamental,
pourront être jugés propres it ramener la con-
corde entre les divers ordres, et les faire con-


courir à rechercher en commun les moyens de
réaliser les espérances que Sa Majeste a con-
eues pour le bonheur et la prosperité de FE-
fat. »


Le 29 mai, les députés des communes déci-
dèrent que, pour repoudre aux intentions pa-
femelles du roi. les commissaires déjà choisis
par eux reprendraient leurs conférences avec
ceux choisis par le clergé et la noblesse, et
qu'une députation solennelle serait faite au
roi pour lui présenter les hommages respec-
tueux de ses fidèles communes.


DÉBAT SUR LA DÉNOMINATION QUE DOIT PRENDRE
L'ASSEMBLÉE DES COMMUNES


Les deux ordres de la noblesse et du clergé
refusaient de se réunir aux communes. Cette
dernière assemblée avait cependant le droit et
sentait le besoin de se constituer ; mais sous
quelle dénomination ? Celle d'états généraux
devenait impropre par l'éloignement des deux
ordres privilégiés. On en proposa plusieurs
qui convenaient encore moins. L'abbé Sieyés,(Surs une motion qui réunit un grand nombre
de suffrages, proposa celle-ci : Assemblée des
représentants connus et ver' fiés de la nation
française. Mirabeau la combattit comme étant
a la fois incom &te, i nintelligi ble et dangereuse,
et proposa la dénomination qui a triomphé de-
puis : Représentants du peuple français.


MILIAlt£10. OPIN. ET DISC. Ill. 4




— 98 —
Le titre de Députés connus et véri fiés de la na-


tion française ne convient ni à votre dignité,
ni à la suite de vos opérations, puisque la réu
nion que vous voulez espérer et faciliter dans
tous les temps vous forcerait 4.1a changer. Ne
prenez pas un titre qui effraye. Cherchez-en un
qu'on ne puisse vous contester, qui, plus doux
et moins imposant dans sa plénitude, convienne
à tous les temps, soit susceptible de tous les
développements que vous permettront les évé-
nements, et puisse au besoin servir de lance
comme d'aide aux droits et aux principes na-
tionaux.


Telle est, à mon sens, la formule suivante;
Représentant du peuple français.


Wb!


Le mot peuple devint alors l'objet d'une
vive discussion. M. l3ergasse prétendait que
cette dénomination blessait les classes privi-
légiées ; MM. Target et Thouret trouvaient
que le mot peuple embrassait trop ou trop
peu. Mirabeau défendit sa motion avec cha-
leur. Sur le reproche que le nom de peuple a
une acception basse, il s'exprima ainsi :


« Je suis peu inquiet de la signification des
mots dans la langue absurde du préjugé. Je
parlais ici la langue de la liberté, e je m'ap-
puyais sur l'exemple des Anglais, sur celui
des Américains, qui ont toujours honoré le
nom de peuple, qui l'ont toujours consacré
dans leurs déclarations, dans leurs lois, dans
leur politique. Quand Chat= renferma dune
un seul mot la charte des nations, et dit :
majesté du peuple; quand les Américains ont
opposé les droits naturels du peuple à tout le


--- 99 ---
fatras des publicistes sur les conventions
qu'on leur oppose, ils ont reconnu toute la
signification, toute l'énergie de cette expres-
sion, à qui la liberté donne tant de valeur! I,


Après avoir répondu aux objections de ses
adversaires, et combattu de nouveau les au-
tres dénominations proposées, il établit en fi-
nissant son opinion sur le mot peuple :


On a cru m'opposer le plus terrible dilemme
en me disant que le mot peuple signifie né-
cessairement ou trop ou trop peu ; que si on
l'explique dans le même sens que le latin
populus, il signifie la 'nation, et qu'alors il a
une acception plus étendue que le titre auquel
aspire la généralité de l'Assemblée ; que si on
l'entend dans un sens plus restreint comme le
latin pies, alors il suppose des ordres, des diffé-
rences d'ordre, et que c'est 1h ce que nous vou-
lons prévenir. On a même été jusqu'à craindre
que ce mot ne signifiât ce que les Latins appe-
laient va/gus, ce que les Anglais appellent
viob, ce que les aristocrates, tant nobles que
roturiers, appellent insolemment la canaille.


A cet argument, je n'ai que ceci à répondre :
c'est qu'il est infiniment heureux que notre
langue, dans sa stérilité, nous ait fourni un
mot que les autres langues n'auraient pas
donné dans leur abondance; un mot qui pré-
sente tant d'acceptions différentes, un mot;
qui, dans ce moment qu'il s'agit de nous
Constituer sans hasarder le bien public, nous
qualifie sans nous avilir, nous désigne sans
nous rendre terribles; un mot qui ne puisse
Cous être contesté et qui, dans son exquise




100


simplicité, nous rende chers à nos commet-
tants


'


sans effrayer ceux dont nous avons à
combattre la hauteur et les prétentions ; un
mot qui se prête à tout et qui, modeste au-
jourd'hui, puisse grandir notre existence à
mesure que les circonstances le rendront né-
eessaire; à mesure que, par leur obstination,
par leur faute, les classes privilégiées nous
forceront à prendre en main la défense des
droits nationaux, de la liberté du peuple.


je persévère dans ma motion et dans la
seule expression qu'on en avait attaquée, je
veux dire la qualification de peuple fiançais, jtf
l'adopte, je la défends, je la proclame, par e'
raison qui la fait combattre.


Oui, c'est parce que le nom de peuple n'est
.eas assez respecté en France, parce qu'il est
,obscurci, couvert de la rouille du préjugé,
parce qu'il nous présente une idée dont l'or-
gueil s'alarme et dont la vanité se révolte;
parce qu'il est prononcé avec mépris dans les
chambres des aristocrates ; c'est pour cela
même, messieurs, que nous devons nous impo-
ser, non-seulement de le relever, mais de l'enno-
blir, de le rendre désormais respectable aux
ministres et cher à tous les cœurs. Si ce nom
n'était pas le nôtre, il faudrait le choisir entre
tous , l'envisager connue la plus précieuse
occasion de servir ce peuple qui existe, ce
peuple qui est tout, ce peuple que nous repré-
sentons, dont nous défendons les droits, de
qui nous avons recru les nôtres, et dont on
semble rougir que nous empruntions notre
dénomination et nos titres. Ah! si le choix de
le nom rendait au peuple abattu de la fermeté,


— 401 —
du courage !... Mon âme s'élève en contemplant
dans l'avenir les heureuses suites que ce nom
peut avoir! Le peuple ne verra plus que nous,
et nous ne verrons plus que le peuple ; notre
titre nous rappellera et nos devoirs et nos
forces. À l'abri d'un nom qui n'effarouche
point, qui n'alarme point, nous jetterons un
germe, nous le cultiverons, nous en écarterons
les ombres funestes qui voudraient l'étouffer ;
nous le protégerons : nos derniers descendants
seront assis sous l'ombrage bienfaisant de ses
branches immenses.


Représentants du peuple, dai gnez me ré-
pondre. Irez-vous dire à vos conunettants que
vous avez repoussé ce nom de peuple ? Que si
vous n'avez pas rougi d'eux, vous avez pour-
tant cherché à éluder cette dénomination qui
ne vous paraît pas assez brillante ? Qu'il vous
faut un titre plus fastueux que celui qu'ils
vous ont conféré ? Eh ! ne voyez-vous pas que
le nom de représentant du peuple. vous est né-
cessaire parce qu'il vous attache le peuple,
cette masse imposante sans laquelle vous ne
seriez que des individus, de faibles roseaux
qu'on briserait un à un! Ne voyez-vous pas
qu'il vous faut le nom du peuple, parce qu'il
donne à connaître au peuple que nous avons
iè notre sort au sien, ce qui lui apprendra à


reposer sur nous toutes ses pensées, toutes ses
espérances!


Plus habiles que nous, les héros bataves qui
fondèrent la liberté de leur pays prirent le
nom de gueux ; ils ne voulurent que ce titre,
parce que le mépris de leurs tyrans avait pré-
tendu les en flétrir, et ce titre, en leur atta-




— 102 —
chant cette classe immense que l'aristocratie
et le despotisme avilissaient, fut à la fois leur
force, leur gloire et le gage de leur Succès.
Les amis de la liberté choisissent le nom qui
les sert le mieux, et non celui qui les flatte le
plus ; ils s'appelleront. les rem.ontrans en Amé-
rique, les pâtres en Suisse, les gueux dans les
Pays-Bas Ils se pareront des injures de leurs
ennemis ; ils leur ôteront le pouvoir de les
humilier avec des expressions dont ils auront
su s'honorer.


Cette dernière partie du discours de Mira-
beau excita de nombreux murmures dans
l'Assemblée. Au milieu du bruit, il s'écria :


Si ce morceau de mon discours est coupa-
ble, je ne crains pas de l'avouer, je le laisse,
signé de mes mains, sur le bureau.


Ainsi, le titre si juste, si imposant, de re-
présentant. .du peuple, plus tard généralement
adopté, fut rejeté lorsqu'on le proposa pour
première foie. Le même jour, un dépet:
M. Legrand, donna l'heureuse idée d'une s


-


semblée nationale, dénomination bien préféra-
ble à celle d'Assemblée des représentants con;ius
et vérifiés. Aussi l'abbé Sieyès s'empressa-t-il
de la substituer à la sienne. Il reproduisit, en
conséquence, sa motion amendée, laquelle dit
définitivement adoptée le lendemain, 17 juin
1-189, à la majorité de 491 voix contre 90. De-
puis, on essaya vainement de faire revivre la
dénomination d'états généraux.


—303—


IDANSFORMATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN
ASSEMBLÉE CONSTITUANTE


Les députés ainsi constitués en Assemblée na-
tionale commencèrent leurs travaux. Mais la
cour avait pris des mesures pour essayer de
dissoudre cette représentation menacante. Dés
!.e matin du 20, le local de l'Assemblée avait été
fermé et entouré de troupes. Une proclama-
tion du gouvernement annonçait une séance
royale pour le 29. C'est alors que les représen-
tants de la naticn, blessés dans leur droit et
dans leur dignité, se rendent au jeu de paume,
précédés de M. Bailly, leur président, et,
sur la proposition de M. Mounier, appuyee par
MM. Target, Barnave et Chapelier, prètent ]e
serment solennel « de ne jamais se separer et
de se rassemblerpartout où les circonstances
rexiget,nt, , jusou'a ce que la constitution du
royaume soit établie et affermie sur des fon-
dements solides. » Cet acte fameux fut comme
la proclamation de la Révolution.


La séance royale annoncée pour le 22, fut
remise au 23, leur local ordinaire étant tou-
jours fermé, les députés s'assemblèrent le 22,
dans l'église de Saint-Louis. Cette journée fut
remarquable. par la réunion à l'Assemblée na-
tionale de 149 membres du clergé et de quel-
ques membres de la noblesse.


La séance royale eut enfin lieu le 23, le roi
prononca trois discours et un secrétaire d'Etat
donna 'lecture des intentions du roi, sur la
tenue et les opérations des états généraux.




--- 30
La volonté expresse du roi était que l'ancienne
distinction des trois ordres fût conservée en
son entier et que les députés formassent trois
chambres. En outre, il déclarait nulles les dé-
libérations prises jusqu'alors par les députés
du tiers état. Le roi, en finissant son troisième
discours, ordonna aux députés de se retirer et
de se rendre le lendemain chacun dans la cham-
bre affectée à son ordre.


Les députés de la noblesse et une partie de
ceux du clergé quittèrent la salle après le dé-
part du roi. Tous les membres de l'Assemblée
nationale qui, jusqu'alors avaient écouté dans
un silence profond, restèrent à. leur place dans
une héroïque immobilité. Mirabeau éleva la
voix le premier :


Messieurs, j'avoue que ce que vous venez
d'entendre pourrait être le salut de la patrie,
si les présents du despotisme n'étaient pas
toujours dangereux. Quelle est cette insul-
tante dictature? L'appareil des armes, la vio-
lation du temple national, pour vous coin-
mander d'être heureux?Qui vous fait ce coin-
mandement Votre mandataire. Qui vous
donne des lois impérieuses ? Votre mandataire.
Lui qui doit les recevoir de vous, de nous,
messieurs, qui sommes revêtus d'un sacer-
doce poliique et inviolable; de nous enfin, de
qui, seuls, vingt-cinq millions d'hommes at-
tendent un bonheur certain, parce qu'il doit
être consenti, donné et reçu par vous l Mais la
liberté de vos délibérations est enchaînée, une
force militaire environne l'Assemblée!Oh sont
les ennemis de la nation? Catilina est-il à nos
portes Je demande qu'en vous couvrant de
votre dignité, (le votre puissance législative,


— 105 —
vous vous renfermiez dans la religion de votre
serment ; il ne nous permet de nous séparer
qu'après avoir fait la constitution.


M. le marquis de Brézé, le grand maître des
cérémonies, voyant que les députés ne se re-
tiraient point, s'approcha du président et dit :
• Messieurs, vous avez entendu les intentions
du roi. » Aussitôt Mirabeau lui fait avec di-
gnité cette réplique fameuse :


« Oui, monsieur, nous avons entendu les in»
tentions qu'on a suggérées au roi; mais vous
qui ne sauriez être son organe auprès de
l'Assemblée nationale, vous qui n'avez ici ni
place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes
pas fait pour nous rappeler son discours.
Cependant, pour éviter toute équivoque et
tout délai, je vous déclare que si l'on vous a
chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez
demander des ordres pour employer la force.
Allez dire a votre maître que nous sommes
ici par la puissance du peuple, et qu'on ne
nous en arrachera que par la puissance des
baïonnettes. »


« Tel est le voeu de l'Assemblée, » s'écriaient
tous les députés.


MM. Camus, Barnave, Glezen, Pétion Bu-
zot, Garat aîné, et l'abbé Grégoire se réunis-
sent pour demander qu'on persiste dans le
titre sacré d'Assemblée nationale, et que l'As-
semblée nationale confirme par un acte ses
Précédents arrêts. L'abbé SieYes, avec le
calme du courage, appuie ainsi cette de-
Mande :


« Messieurs, nous sommes aujourd'hui ce
que nous étions hie,7. Délibérons. »




106


Et l'Assemblée délibéra. A l'unanimité, elle
déclara persister dans toutes ses précédentes
.déMérations; et, sur la proposition de Mir*
beau, elle prit un second arreté qui proclama
inviolable la personne de chaque deputé. Ce
dernier acte reunit 493 voix contre 34. Après
un court décret, que Mirabeau rapporte de la
facon suivante, dans sa 13e lettre a ses commet-
tants :


Un membre de l'Assemblée ayant prétendu
que c'était s'arroger un privilége exclusif, et
que tous les citoyens avaient autant de droit
que nous à la sûreté que nous réclamions,
l'auteur de la motion répondit que, sans dou-
te, tous les citoyens devaient être a l'abri des
emprisonnements arbitraires; mais que les
députés aux états généraux étaient les seuls
qui ne dussent pas être recherchés, dans les
formes même légales, pendant la durée des
sessions.


Dans la séance du 24, la maiorité du clergé,
au nombre de 130 ecclésiastiques, vint se join-
dre à l'A :semblée nationale, qui en témoigna


ei sa satisfaction par de vifs applaudissements.
Le 23, une grande partie des membres de la
noblesse, ayant à leur tête le duc d'Orléans,
effectua aussi sa réunion, qui excita les mê-
mes acclamotions.


Des réunions partielles, la vérification des
pouvoirs et plusieurs propositions sans résul-
te, remplirent la séance du 26 et ane partie c'e.
celle du 27; mais, au moment de termine:
cette dernière, l'Assemblée nationale eut en-


, lin le bonheur de réunir les trois ordres dans
son sein, et, après ces luttes énergiques, ob-
tint le triomphe, en étant définitivement cons-


— 107
tituée. Toutefois, la majorité de la noblesse et
la minorité du clergé ne cédèrent qu'à une
invitation formelle du roi, donnée verbale
ment et par écrit. Quarante-cinq membres de
la noblesse, bout en se réunissant ainsi à l'As-
semblée nationale, crurent encore devoir pro-
tester contre cette réunion.


L'assemblée nationale se trouva ainsi défi-
nitivement constituée, grâce à la fermeté que
Mirabeau avait commun iquée au tiers état.
Cette réunion définitive lui fournit l'occasion
d'une invitation remarquable au calme et à la
modération.


Il prit la parole dans la séance du 27 mai :


Messieurs, les événements inopinés d'un
jour trop mémorable ont affligé les coeurs pa-
triotes, mais ils ne les ébranlent pas. A. la
hauteur oit la raison a placé les représentants
de la nation, ils jugent sainement les objets,
et ne sont point trompés par les apparences
qu'au travers des préjugés et des passions on
aperçoit comme autant de fantômes.


Si nos rois, instruits que la défiance est la
première sagesse de ceux qui portent le scep-
tre, ont permis à de simples cours de judica-
ture de leur présenter des remontrances, d'en
appeler à leur volonté mieux éclairée; si nos
rois, persuadés qu'il n'appartient qu'a, un des-
bote imbécile de se croire infaillible, cédèrent
tant de fois aux avis de leurs Parlements, —
comment le prince qui a eu le nob1,3 courage
de convoquer l'Assemblée nationale n'en écou-
terait-il pas les membres avec autant de fa-
veur que des cours de judicature, qui défen-
dent aussi souvent leurs intérêts personnels
1121 e$1,14 des peuples? En éclairant la religion




OS
du roi, lorsque des conseils violents l'auront
trompé, les députés du peuple assureront leur
triomphe; ils invoqueront toujours la liberté
du monarque; ce ne sera pas en vain : dés
qu'il aura voulu prendre sur lui-même de ne
se fier qu'a la droiture de ses intentions et
de sortir du piége qu'on a su tendre à sa
vertu...


Mais la journée du 25 juin a fait sur le peu-
ple inquiet et malheureux une impression
dont je crains les suites... Les derniers évé-
nements, dénaturés Dar la crainte, interprétés
par la défiance, accompagnés de toutes les
rumeurs publiques, risquent d'égarer l'ima-
gination du peuple, déjà préparée aux im-
pressions sinistres par une situation vraiment
déplorable...


Quand on se rappelle les désastres occasion-
nés dans la capitale par une cause infiniment
disproportionnée à ses suites cruelles; tant de
scènes déplorables dans différentes provinces,
on le sang des citoyens a coulé par le fer des
soldats ou le glaive des bourreaux, on sent
la nécessité de prévenir de nouveaux accès
de frénésie et de vengeance; car les agita-
tions, les insultes, les excès ne servent que
les ennemis de la liberté....


Les délégués de la nation ont pour eux la
souveraine des événements, la nécessité; elle
les pousse au but salutaire qu'ils se sont pro-
posé, elle soumettra tout par sa propre force:
mais sa force est dans la raison. Rien ne lut
est plus étranger que les tumultes, les crisdu désordre, les agitations sans objet et sans
règle. La raison veut vaincre par ses propres


t09---


armes; tous ces auxiliaires séditieux sont ses
plus grands ennemis.


A qui, dans ce moment, convient-il mieux
qu'aux députés de la France d'éclairer, de
calmer, de sauver le peuple des excès que
pourrait produire l'ivresse d'un zèle furieux !
C'est un devoir sacré pour les députés que
d'inviter leurs commettants à se reposer en-
tièrement du soin de faire triompher leurs
droits, en leur apprenant que, loin d'avoir au-
cune raison de désespérer, jamais leur con-
fiance n'a été mieux fondée. Trop souvent
on n'oppose aux convulsions,que la misère ot.
l'oppression arrachent aux peuples, que les
baïonnettes; mais les baïonnettes ne réta-
blissent jamais que la paix de la terreur ou le
silence qui plaît au despotisme. Les représen-
tants de la nation doivent, au contraire, verser
dans les coeurs inquiets le baume adoucissant
de l'espérance et les apaiser avec la puissance
de la persuasion et de la raison. La tranquil-
lité de l'Assemblée deviendra peu à peu le
fondement de la tranquillité de la France, et
ses représentants prouveront à ceux qui ne
connaissent pas les effets infaillibles du ré-
gime de le liberté qu'elle est plus forte pour
enchaîner le peuple à l'ordre public que toutes
les cruelles mais petites ressources d'un gou-
vernement qui ne met sa confiance que dans


les moyens de contrainte et de terreur.Il serait donc de la prudence des représen-
tants de la nation de faire une adresse à leurs
commettants pour leur inspirer une confiance
calme, en leur exposant la position de l'As-
semblée nationale ; pour leur recommander,




-- 110
au nom de leurs intérêts les plus chers, de
Contribuer de toute leur sagesse et de tous
leurs conseils au maintien de l'ordre, à la
tranquillité publique, à l'autorité des lois et
de leurs m inistres ; pour se justifier enfin à
leurs yeux, quels que soient les événements,
en leur montrant qu'ils ont connu tout le prix
de la modération et de la paix.


A la suite de ce discours, Mirabeau propo-
sait un projet d'adresse de l'Assemblée à ses
commettants, par lequel elle les mit invités à
avoir confiance dans les bons sentiments du
roi, mais surtout dans la bonté de leur cause
et dans la fermeté de leurs représentants. Voici
les passages les plus remarquabes de ce pro-
jet d'adresse, dont la discussion fut empêchéepar d'autres préoccupations que les événe-
ments tirent se succéder rapidement :


Nous voyons parl'histoire de tous les temps,
surtout par la nôtre, que ce qui est vrai,
juste, nécessaire, ne peut pas être disputé
longtemps comme illégitime, faux et dange-
reux; que les préjugés s'usent et succombent
enfin par la discussion. Notre confiance est
s'one ferme et tranquille. Vous la partagerez
avec nous, messieurs ; vous ne croirez pas
que, sous l'empire d'un sage monarque, les
justes, les persévérantes réclamations d'un
grand peuple puissent être vaines, à côté de
quelques illusions particulières, adoptées par
un petit nombre, et qui perdent chaque jour
de leurs partisans; vous sentirez que le triom-
phe de l'ordre, quand on l'attend de la sa-


. gesse et de la prudence, ne doit pas être ex-
posé par des agitations inconsidérées..


-- 111


C'est à vous, messieurs, a nous aider dans
la carrière qui nous est ouverte par vos con-
seils et par vos lumières; vous entretiendrez
partout le calme et la modération; vous serez
les promoteurs de l'ordre, de la subordination,
lu respect pour les lois et pour leurs minis-
tres. Vous reposerez la plénitude de votre con
fiance dans l'immuable fidélité de vos repré-
sentants et vous nous prêterez ainsi le
secours le plus efficace.


Nos ennemis chercheront à exciter des tu-
multes, des révoltes, qui embarrasseront et
retarderont la chose pubiqre! Voilà les fruits
de la liberté! voilà la démcentie ! affectent
de répéter tous ceux qui n'ont pas honte de
représenter le peuple comme un troupeau fu-
rieux qu'il faut enchaîner, tous ceux qui fei-
gnent d'ignorer que ce même peuple, toujours
calme et mesuré lorsqu'il est vraiment libre,
n'est violent et fougueux que clans les consti-
tutions ot on l'avilit pour avoir droit de le
mépriser. Combien n'est-il pas de ces hommes
cruels qui, indifférents au sort de ce peuple
toujours victime de ses imprudences, font
naître des événements dont la conséquence
infaillible est d'augmenter la force de l'auto-
rité, qui, lorsqu'elle se fait précéder de la ter-
reur, est toujours suivie de la servitude? Ah!
qu'ils sont funestes a la liberté , ceux qui
croient la soutenir par leurs inquiétudes et
leurs révoltes! • Ne voient-ils pas qu'ils font
redoubler les précautions qui enchaînent les
Peuples, qui arment la calomnie au moin-
dre prétexte, qu'ils effrayent toutes les âmes
faibles. soulèvent tous ceux qui, n'ayant rien




-- 112 —
à perdre, se font un moment auxiliaires pour
devenir les plus dangereux ennemis....


L'histoire n'a souvent raconté les actions
que des bêtes féroces , parmi lesquelles on
distingue de loin en loin des héros; il nous
est permis d'espérer que nous commen-
çons l'histoire des hommes, celle des frères
qui, nés pour se rendre mutuellement heu-
reux, sont d'accord presque dans leurs dis-
sentiments, puisque leur objet est le même et
que leurs moyens seuls diffèrent. Nos combats
sont de simples discussions, nos ennemis sont
des préjugés pardonnables, nos victoires ne
sont pas cruelles, nos triomphes seront bénis
par ceux qui seront subjugués les derniers.
Ah ! malheur à quine craindrait de corrompre
une révolution pure, et de livrer aux tristes
hasards des événements les plus incertains, le
sort de la France, qui n'est pas douteux si
nous voulons tout attendre de la justice et de
la raison.


Quand on pense tout ce qu'il doit résulter pour
ie bonheur de vingt-cinq millions d'hommes
d'une constitution légale, substituée aux ca-
prices ministériels, du concours de toutes les
volontés, de toutes les lumières pour le per-
fectionnement de nos lois, de la réforme des
abus, de l'adoucissement. des impôts, de l'éco-
nomie dans les finances, de la modération dans
les peines, de la règle clans les tribunaux, de
rabolition d'une foule de servitudes qui entra-
vent l'industrie et mutilent les facultés hu-
maines; en un mot, de ce grand système de
liberté qui, s'affermissant sur les bases de
municipalités rendues à, des élections libres,


-- 113
s'élève graduellement jusqu'aux administra-
tions provinciales, et reçoit sa perfection du
retour annuel des états généraux ; quand on
pense tout ce qu'il doit résulter de la restau-
ration de ce vaste empire, on sent que le plus
grand des forfaits, le plus noir attentat contre
rinunanité serait de s'opposer h la haute des-
tinée de notre nation, de la repousser dans le
fond de l'abîme pour la tenir opprimée sous
le poids de toutes ses chaînes. Mais ce mal-
heur ne pourrait être que le résultat des ca-
lamités de tout genre qui accompagnent les
troubles, les noirceurs, les abominations des
guerres civiles. Notre sort est dans notre sa-
gesse. La violence seule pourrait rendre dou-
teuse ou même anéantir cette liberté que la
raison nous assure


PROTESTATION CONTRE L'ESCLAVAGE DES NÈGRES
A PROPOS DE LA DÉPUTATION DE SAINT-DOMINGUE.


,
La question relative au nombre des députés


a admettre pour la colonie de Saint-Dominguefut l'occasion pour Mirabeau d'une protestation
indirecte, mais énergique, contre l'esclavage
et en faveur des nègres. Les colonies qui de-
mandaient vingt-quatre députés, fondaient
cette prétention sur le rapport qui existait en-
tre la population des îles et celle de la France;
Ilirabeau s'écrie :




-- 114
Parlez-vous de ces populations nombreuses


que vous traitez de bêtes de somme! Mais ces
bêtes de somme, connues sous le nom de
gens de couleur, sont libres, propriétaires et
contribuables. Et cependant ils n'ont pu être
électeurs. Si les colons veulent que les nègres
et les gens de couleur soient hommes, qu'ils
affranchissent les premiers; que tous soient
électeurs, que tous puissent être élus ? Dans
le cas contraire, nous prierons d'observer qu'en
proportionnant le nombre des députés à la
population de la France, nous n'avons pas pris
en considération la quantité de nos chevaux
ni de nos mulets; qu'ainsi la prétention des
colonies d'avoir vingt-quatre représentants est
absolument dérisoire.


Repliquant dans la suite de la discussion,
Mirabeau dit encore :


Ce n'est pas sans surprise que j'ai entendu
dire, pour faire valoir la nombreuse députation
de Saint-Domingue, que les nègres, qui n'ont
pas le droit de réclamer dans le sanctuaire de la
liberté, sont les agents des riciiesses. Mais nos
boeufs, nos chevaux sont également les agents
des nôtres.


J0 demande de quel droit ces vingt-trois
mille blancs ont exclu des Assemblées pri-
maires l peu prés un pareil nombre d'hommes
de couleur libres, propriétaires et contribua-
bles comme eux ?


Je demande de quel droit ces vingt-trois
mille blancs ont défendu à leurs concitoyens
de nommer des représentants, et se sont ar-
rogé le droit de les nommer exclusivement et


-- 115 --
pour eux et pour ceux qu'ils ont exclus des
Assemblées électorales?


SUR LE RENVOI DES TROUPES


La crise politique s'aggravait rapidement ;
des troubles avaient agité Paris. On avait
forcé la prison de l'Abbaye Saint-Germain et
porté en triomphe deux soldats des gardes
rrançaises arrêtes pour n'avoir pas exécuté
avec rigueur quelques actes prescrits contre
le peuple. La fermentation était générale.
L'Assemblée , priée d'interposer sa protection
en faveur des prisonniers délivrés, s'en était
rapportée è la sagesse du roi. Mais les minis-
tres, effrayés de l'attitude imposante que pre-
nait la nation, saisirent dans ces événements
un prétexte pour s'appuyer d'une armée Aie
plus de quarante mille hommes. On eût dit
que Paris et Versailles étaient en état de
slége. Une menaçante consternation se pei-
gnait sur tous ls visages. 8 juillet, Mira-
beau monta à la


e
tribune Le:


Messieurs, il m'a fallu, pour me décider è
interrompre l'ordre des motions que le comité
se propose de vous soumettre, une conviction
Profonde que l'objet dont j'ai demandé la per-
mission de vous entretenir est le plus urgent
de tous les intérêts; mais, messieurs, si le pé




116 --
ril que j'ose vous dénoncer menace tout à lafois et la paix du royaume et la sûreté du
monarque, vous approuverez mon zèle. Le peu
de moments que j'ai eus pour rassembler mes
idées ne me permettra pas sans doute de leur
donner tout le développement nécessaire, niaisj'en dirai assez pour éveiller votre attention,
et vos lumières suppléeront à mon insuffi-
sance.


Après avoir rappelé le décret de l'Assemblée
qui suivit la violation des prisons de l'Abaye
Saint-Germain, et qui supplie le roi de vouloir
bien employer pour le rctablissement de l'or-
dre les moyens infaillibles de la clémence, de
la bonté, si naturels à son coeur, et de la con-
fiance que son bon peuple méritera toujours;
les déclarations du roi qu'il allait prendre des
mesures pour l'établir l'ordre dans la capitale;
les ménagements de l'assemblée qui, par une
déférence respectueuse, s'était abstenue de de-
mander dés lors au roi qu'il lui plût de s'ex-.
pliquer à cet égard et de caractériser et dé-
tailler ces mesures, l'orateur continue


Cependant quelle a été la suite de ces dé-
clarations et de nos ménagemen ts respectueux?
Déjà un grand nombre de troupes nous envi-
ronnait, il en est arrivé davantage; il en ar-
rive chaque jour; elles accourent de toutes
parts; trente-cinq mille hommes sont déjà ré-
partis entre Paris et Versailles; on en attend
vingt mille, des trains d'artillerie les suivent;
des points sont désignés pour des batteries ;
on s'assure de toutes les communications ;
()n'intercepte tous les passages; nos chemins,
nos ponts, nos promenades sont changés eu


— 117
restes militaires; des événements publics, des
faits cachés, des ordres secrets, des contre-
ordres précipités, les préparatifs de la guerre,
en un mot, frappent tous les yeux et remplis-
ent d'indignation tous les coeurs.
Ainsi, ce n'était pas assez que le sanctuaire


à la liberté eût été souillé par des troupes !
Ce n'était pas assez qu'on eût donné le spec-
tacle inouï d'une assemblée nationale astreinte
i des consignes militaires et soumise à une
kcc armée! Ce n'était pas assez qu'on joignît
i cet attentat toutes les inconvenances, tous
:es manques d'égards, et pour trancher le mot,


grossièreté de la police orientale! Il a fallu
déployer tout l'appareil du despotisme, et
montrer plus de soldats menaçants à la nation,
le jour où le roi lui-même l'a convoquée pour
lut demander des conseils et des secours,
qu'une invasion de l'ennemi n'en rencontrerait
tent-être, et mille fois plus du moins qu'on
n'en a pu réunir pour secourir des amis mar-
tyrs de leur fidélité envers nous, pour remplir
nos engagements les plus sacrés, pour con-
server notre considération politique, et cette
alliance des Hollandais, si précieuse, mais si
chèrement conquise, et surtout si honteuse-
tuent perdue'.


Messieurs, quand il ne s'agirait ici que de
nous, quand la dignité de l'Assemblée natio-
nale serait seule blessée, il ne serait pas moins
convenable, juste, nécessaire, important pour
le roi lui-même, que nous fussions traités avec
décence, puisqu'enfin nous sommes les dépu-
tés de cette même nation qui seule fait sa
gloire, qui seule constitue la splendeur du




.>;-e


-- 118
trône ; de cette nation qui rendra la personne
du roi honorable à proportion de ce qu'il l'ho-
norera plus lai-même. Puisque c'est à des
hommes libres qu'il veut commander, il est
temps de faire disparaître ces formes odieuses,
ces procédés insultants qui persuadent trop
facilement à ceux dont le prince est entouré
que la majesté royale consiste dans les rap-
ports avilissants du maître à l'esclave, qu'un
roi légitime et chéri doit partout et en toute
occasion ne se montrer que sous l'aspect des
tyrans irrités ou de ces usurpateurs tristement
condamnés à méconnaître le sentiment si
doux, si honorable de la confiance.


Et qu'on ne dise pas que les circonstances
ont nécessité ces mesures menaçantes , car je
vais démontrer qu'également inutiles et dan-
gereuses, soit au bon ordre, soit à la pacifica-
tion des esprits, soit à la sûreté du trône, lois
de pouvoir être regardées comme le fruit d'un
sincère attachement au bien public et à 10
personne du monarque, elles ne peuvent servir
que des passions particulières et couvrir de
vues perfides.


Ces mesures sont inutiles. Je veux suppose
que les désordres que l'on craint sont de ne
turc à être réprimés par des troupes, et je diS
que, dans cette supposition même, ces troupes
étaient inutiles. Le peuple, après une émeute
dans la capitale, a donné un exemple de su-
bordination infiniment remarquable dans ces
circonstances. Une prison avait été forcée, des
.prisonniers en avaient été arrachés et mis ce
liberté; la fermentation la plus contentieuse
menaçait de tout embraser—. Un mot de ele•


-- 119 --


mence, une invitation du roi eût calmé le tu-
multe et obtenu ce qu'on n'aurait jamais fait
avec des canons et des armées. Les prison-
niers ont repris leurs fers, le peuple est rentré
dans l'ordre, tant la raison seule est puissante,
tant le peuple est disposé à tout faire lorsque,
au lieu de le menacer et de l'avilir, on lui té-
moigne de la bonté et de la confiance.


Et, dans ce moment, pourquoi des troupes ?
Jamais le peuple n'a dû être plus calme, plus
tranquille, plus confiant; tout lui annonce la
fin de ses malheurs, tout lui promet la régé-
nération du royaume. Ses regards, ses espé-
rances, ses voeux, reposent sur nous. Comment
ne serions-nous pas, anprès du monarque, la
meilleure garantie de la confiance, de l'obéis-
sance, de la fidélité des peuples? S'il avait ja-
mais pu en douter, il ne le pourrait plus au-
jourd'hui ; notre présence est la caution de la
paix publique, et sans doute il n'en existera
jamais de meilleure. Ah! qu'on assemble des
troupes pour soumettre les peuples aux affreux
Projets du despotisme, mais qu'on n'entraîne
ms le meilleur des rois à commencer le bon-
heur, la liberté de la nation, avec le sinistre
appareil de la tyrannie!


Certes, je ne connais pas encore tous les pré-
textes tous les artifices des ennemis du peu-
ple, puisque je ne saurais deviner de quelle
raison plausible on a coloré le. prétendu besoin
de troupes.an moment où,non-seulement leur
inutilité, Mais leur danger frappe tous les es-
»lits. De quel oeil ce peuple, assailli de tant de
calamités, verra-t-il cette foule de soldats oisifs
venir lui disputer les restes de sa subsistance?




-- 120 --


Le contraste de l'abondance des uns (du
pain, aux yeux de celui qui a faim, est l'abon-
dance), le contraste de l'abondance des uns et
de l'indigence des autres, de la sécurité du sol-
dat, à qui la manne tombe sans qu'il ait ja-
mais besoin de penser au lendemain, et des
angoisses du peuple, qui n'obtient rien qu'au
prix des travaux pénibles et des sueurs dou-
loureuses; ce contraste est fait pour porter
le désespoir dans les coeurs.


Ajoutez , messieurs, que la présence des
troupes, frappant l'imagination de la multi-
tude, lui présentant l'idée du danger se liant
à des craintes, à des alarmes, excite une et-
fervescence universelle; les citoyens paisibles
sont, dans leurs foyers, en proie à des ter-
reurs de toute espèce ; le peuple ému, agité,
attroupé, se livre à des mouvements impé-
tueux, se précipite aveuglément dans le péril;
et la crainte ne calcule ni ne raisonne. Ici, les
faits déposent pour nous.


Quelle est l'époque de la fermentation ? Le
mouvement des soldats, l'appareil militaire
de la séance royale. Auparavant tout était
tranquille; l'agitation a commencé dans cette
triste et mémorable journée. Est-ce donc à
nous qu'il faut s'en prendre si le peuple, cid
nous a observés, a murmuré; s'il a conçu des
alarmes lorsqu'il a vu les instruments de la
violence dirigés, non-seulement contre lui,
mais contre une assemblée qui doit être libre,
pour s'occuper avec liberté de toutes les eau'
ses de ses gémissements ! Comment le peuple
ne s'agiterait-ii pas lorsqu'on lui inspire des
craintes sur le seul espoir qui lui reste! Ne


-- 121 --
sait-il pas que, si nous ne brisons ses fers,
nous les aurons rendus plus pesants, nous au-
rons '-ivré sans défense nos concitoyens à la
verge impitoyable de leurs ennemis, nous au-
rons ajouté à l'insolence du triomphe de ceux
qui les dépouillent et qui les insultent!
Que les conseillers de ces mesures désas-


teuses nous disent encore s'ils sont sûrs de
innserver dans sa sévérité la discipline mili-
taire, de prévenir tous les effets de l'éternelle j
:ousie entre les troupes nationales et les troupes
trangères, de réduire les soldats français à
n'être que de purs automates, à les séparer de
pensées, d'intérêts, de sentiments d'avec leurs
concitoyens! Quelle imprudence clans leur sys-
tème de les rapprocher du lieu de nos assem-
blées, de les électriser par le contact de la capi-
tale, de les intéresser à nos discussions politi-
ques! Non, malgré le dévouement aveugle de
obéissancemilitaire, ilsn'oublieront pas ce que


nous sommes; ils verront en nous leurs pa-
rents, leurs amis, leur famille, occupés de leurs
intérêts les plus précieux ; car ils font partie
de cette nation qui nous a confié le soin de sa
liberté, de sa propriété, de son honneur. Non,
(le tels boraines, non, des Français ne feront
jamais l'abandon du total de leurs facultés in-
tellectuelles; ils ne croiront jamais que le de-
les est de frapper sans s'enquérir quelles sont
les victimes.


Ces soldats, bientôt unis et séparés par des
dénominations qui deviennent le signal des
Partis; ces soldats dont le métier est de ma-
nier les armes, ne savent dans toutes leurs
rixes , que recourir au seul instrument dont




— 122 —
ils connaissent la puissance. De là naissent
des combats d'homme à homme; bientôt de
régiment à régiment, bientôt de troupes na-
tionales aux troupes étrangères; le soulève-
ment est clans tous les coeurs; la sédition mar-
che tête levée; on est obligé par faiblesse de
voiler la loi militaire, et la discipline est éner-
vée. Le plus affreux désordre menace la so-
ciété; tout est à craindre de ces légions qui,
après être sorties du devoir, ne voient plus
leur succès que dans la terreur qu'elles inspi-
rent.


Enfin ont-ils prévu, les conseillers de ces
mesures, ont-ils prévu les suites qu'elles en-
traînent pour la sécurité même du trône?
Ont-ils étudié dans l'histoire de tous les peu-
ples comment les révolutions ont commencé,
comment elles se sont opérées ? Ont-ils ob-
servé par quel enchaînement funeste de cir-
constances les esprits les plus sages se sontjetés hors de toutes les limites de la mo-
dération, et par quelle impulsion terrible un
peuple enivré se précipite vers des excès dont
la première idée l'eût fait frémir? Ont-ils la
lens le cœur de notre bon roi? Connaissent-
ds avec quelle horreur il regarderait ceux qui
auraient allumé les flammes d'une sédition,
d'une révolte peut-être (je le dis en frémissant,
mais je dois le dire), ceux qui l'exposeraint à
verser le sang de son peuple, ceux qui seraient
la cause première des rigueurs, des violences,
des supplices, dont une foule de malheureux
seraient la victime?


Mirabeau termine en demandant
soit


423


fait au roi une adresse pour lui exposer les
alarmes qu'inspire à l'Assemblée le cantonne-
ment autour de Paris et de Versailles de trou-
pes nombreuses; pour le prier de donner im-Médiatement les ordres pour la cessation de
ces mesures également inutiles, alarmantes et
ung,ereuses, et pour le prompt renvoi des
lampes :
Et attendu, poursuit Mirabeau, qu'il peut


être convenable, ensuite des inquiétudes et de
l'effroi que ces mesures ont jetés dans le coeur
du peuple, de pourvoir provisionnellement au
caintien du calme et de la tranquillité; prier


roi d'ordonner que, dans les deux villes de
Paris et de Versailles, il soit incessamment


des gardes bourgeoises , qui suffiront
?meut à remplir ce but, sans augmenter,


tturs.:r de deux villes travaillées des calamités
e la disette, le nombre des consomma-


De vifs applaudissements accueillent le dis-(Surs et la proposition de Mirabeau. Un
eann nombre de membres, parmi lesquels le
laarquis de la Fayette, l'orbe Sieyès et l'abbéGrégoire, ajoutèrent encore aux raisonne-
tnents de l'orateur pour démontrer la né-
cessité que les délibérations de l'Assemblée
Meut libres, et pour réclamer sur-le-champ le
renvoi des troupes. M. Biauzat . fit seulement
elepter un amendement qui supprimait le
paragraphe relatif aux gardes bourgeoises (1).


Pal Malgré la suppression do ee bouparagrapbe. lee n'es,gardes
der
pas nions arairee ear ire. Des le lendemain, Parisi sol;èestreia.furent armes, et le royaume entier ne tardaas




421 . n1


La proposition de Mirabeau, ainsi mise en dé-
liberation, passa à l'unanimité, moins quatre
voix. En conséquence, l'Assemblée chargea
l'orateur de la rédaction de l'adresse au Toi
qu'il avait sollicitée.


Dans cette adresse, Mirabeau allie avec un
tact admirable le respect avec la fermeté de
langage. « Nous n'implorons point votre pro-
tection, dit Mirabeau, ce serait offenser votrejustice. 11 dit que l'empire de la bonté et de
la confiance, cet empire qui fut celui de
Louis IX, de Louis XII, d'Henri IV, est seul
digne du roi, et il ajoute :


Nous vous tromperions, sire, si nous n'a-
joutions pas, forcés par les circonstances : cet
empire est le seul qu'il soit aujourd'hui pos-
sible en France d'exercer. »


Puis; après avoir répondu à ceux qui de-
mandaient on est le danger des troupes, et
avoir montré qu'il est pour le peuple des
provinces, pour la capitale, pour les travaux
de l'Assemblée :


Le danger, sire, est plus terrible encore.....
Et jugez de son étendue par les alarmes qui
nous amènent devant vous ! De grandes révo-
lutions ont eu des causes bien moins écla-
tantes; plus d'une entreprise fatale aux na'
tiens et aux 1-ois s'est annoncée d'une manière
moins sinistre et moins formidable.


Ne croyez pas ceux qui vous parlent lé'
gèrement de la nation et qui ne savent voue
la représenter que selon leurs vues, tantôt
solente, rebelle, séditieuse; tantôt soumise,
docile au joug, prompte à courber la tête pour


— 125 —
le recevoir. Ces deux tableaux sont également
infidèles.


Toujours prêts à vous obéir, sire, parce
que vous commandez au nom des lois, notre
fidélité est sans borne comme sans atteinte.


Prêts à résister à tous les commandements
arbitraires de ceux qui abusent de votre nom,
parce qu'ils sont ennemis des lois, notre fidé-
.ité même nous ordonne cette résistance, et
nous nous honorerons toujours de mériter les
reproches que notre fermeté nous attire.


Toute la révolution, cette révolution ferme,
modérée, niais implacable dans son progrès,
dans son activité, dans son intention de cons-
tituer la liberté, est certainement contenue
dans ces paroles aussi fermes que dignes.


La lecture de Mirabeau est couverte d'ap-
plaudissements ; l'adresse est adoptée. Une dé-
putation de vingt-quatre membres„ parmi
lesquels son illustre auteur, est aussitôt char-
g'ee de la porter au roi. Annoncée le même
leur, elle ne put être introduite que le lende-
main, 50.


En ouvrant la séance du il, le président
rendit compte à l'Assemblée du résultat de
cette démarche. Le roi avait fait répondre, par
son garde dessceaux « que cet appareil mili-
taire dont on s'alarmait devait, au contraire.
assurer l'Assemblée qu'il n'aurait d'autre but
que de protéger ses délibérations, et de pré-
venir de nouveaux troubles dans la capitale
Que si pourtant la présence des troupes cau-
sait encore de l'ombrage, S. M., sur la de-
mande de l'Assemblée, consentirait à ce qu'elle
choisît Noyon ou Soissons pour le lieu de ses
séances, et qu'alors S. M. se rendrait elle-
même à Compiègne, afin d'entretenir la coin-




126
unication nécessaire entre l'Assemblée et le


Cette réponse excite un murmure général.
Plusieurs membres se lèvent pour l'attaquer;
mais M. le comte de Crillon, qui obtient le
premier la parole, désire qu'on n'insiste plus
sur le renvoi des troupes et veut qu'on s'en
rapporte à la parole du roi.. La parole d'un
roi honnête homme, dit-il, est une barrière
insurmontable; elle doit dissiper nos craintes. •
Mais Mirabeau :


Messieurs, sans doute la parole du roi e
digne de la plus grande confiance ; nous en
devons tous à la bonté connue du monarque;
nous pouvons nous abandonner à ses vertus:


Mais, messieurs, la parole du roi, toute ras-
surante qu'elle doive être, n'est pas moins un
mauvais garant de la conduite d'un ministère
qui n'a cessé de surprendre sa religion.


Nous savons tous qu'avec plus de réserve
nous aurions évité de grands désordres, nous
savons tous que la confiance habituelle des
Français dans leur roi est moins une vertu
qu'un vice, si surtout elle s'étend à toutes les
parties de l'administration.


Qui de nous ignore, en effet, que c'est notre
aveugle et mobile inconsidération qui nous a
conduits, de siècle en siècle, et de fautes en
fautes, à la crise qui nous afflige aujourd'hui,
et qui doit enfin dessiller nos yeux si nous n'a-
vons pas résolu d'être, jusqu'à la consomma°
ton des temps, des enfants toujours mutins
et toujours esclaves î


La réponse du roi est un véritable refus; je
ministère ne l'a regardée que comme une


-- '127 —
saiple formule de rassurauce et de honte ; n
l'air de penser que nous avions fait notre de-
mande sans attacher à son succès un grand
intérêt, et seulement pour paraître l'avoir
faite.


Il faut détromper le ministère.
Sans doute, mon avis n'est pas de manquer


à la confiance et au respect qu'on doit aux
vertus du roi; mais mon avis n'est pas non
plus que nous soyons inconséquents, timides,
incertains dans notre marche.


Certes, il n'y a pas lieu de délibérer sur la
translation qu'on nous propose ; car enfin,
même d'après la réponse du roi, nous n'irons,
soit à Noyon, soit à Soissons, que si nous le
demandons, et nous ne l'avons pas demandé,
st nous ne le demanderons pas, parce que
probablement nous ne désirerons jamais de
nous placer entre deux ou trois corps de
troupes, celles qui investissent Paris, et celles
que pourraient, d'un moment à l'autre, lancer
sur nous la Flandre et l'Alsace.


Nous avons demandé la retraite des trou-
pes ; voilà l'objet de notre adresse. Nous n'a-
tons pas demandé à fuir les troupes, mais
seulement que les troupes s'éloignassent de la
capitale. Et ce n'est pas pour nous que nous
avons fait cette demande, ce n'est eertaine-
Ment pas le sentiment de la peur qui nous
conduit, on le sait bien; c'est celui de l'in-
térêt général. Or, la présence des troupes
contrarie l'ordre et la paix publique, et peut
occasionner les plus grands malheurs. Ces
Malheurs, notre translation ne les éloignerait
Pas, elle les aggraverait au contraire.




ial


— 128
Il faut donc amener la paix, en dépit des


amis du trouble; il faut être conséquents avec
nous-mêmes, et pour cela nous n'avons qu'une
conduite h tenir : c'est d'insister sans relâche
sur le renvoi des troupes, seul moyen infail-
lible. de l'obtenir.


Cette opinion n'est point appuyée. Quelques
membres demandent que la réponse du roi
soit méditée, et devienne l'objet d'une délibé-
ration; mais la majorité se tait, et la motion
n'a pas de suite.


5W LE RENVOI DES MINISTRES


Le renvoi de Necker par le roi, qui eut lien
le 11 juillet, et la désignation faite pour lui suc-
céder de ministres connus par leur opposition
à la cause populaire,. provoqua dans Paris la
grande émotion qui eut pour conséquence
la prise de , laHastille (le 14 juillet).


L'assemblée avait envoyé coup sur coup des
députations au roi pour lui demander le rap-
pel des ministres disgraciés sans pouvoir 01r
tenir de réponse satisfaisante. Les événements
s'étaient précipités et on venait de recevoir le
récit de la journée du 14.


L'Assemblée résolutd'envoyer encore auprès
du roi une députation de vingt-quatre membres
chargés de lui peindre les calamités présente
et celles qui seraientla suite d'une plus longue


— 129
résistance au cri de la nation. C'est alors que
Mirabeau, s'adressant h la députation qu'on ve-
nait de nommer, prononça ces paroles célébres :


Dites-lui bien, dites-lui que les hordes étran-
gères dont nous sommes investis ont recu hier
la visite des princes, des princesses, des fa-
voris, des favorites, et leurs caresses, et leurs
exhortations, et leurs présents; dites-lui que,
toute la nuit, ces satellites étrangers, gorgés
d'or et de vin, ont prédit dans leurs chants
impies l'asservissement de la France, et que
leurs voeux brutaux invoquaient la destruc-
tion de l'Assemblée nationale ; dites-lui que,
dans son palais même, les courtisans ont mêlé
leurs danses au son de cette musique barbare,
et que telle fut l'avant-scène de la Saint-Bar-
thélemy.


Dites-lui que ce Henri dont l'univers bénit
la mémoire, celui de ses aïeux qu'il voulait
prendre pour modèle, faisait passer des vivres
dans Paris révolté, qu'il assiégeait en per-
sonne, et que ses conseillers féroces font re-
brousser les farines que le commerce apporte
dans Paris fidèle et affamé!


La dèputation allait partir : on apprend que
le roi, de son propre mouvement, s'est dé-
terminé à venir au milieu des représen-
tants de la nation. A cette nouvelle, des ap-plaudissements font retentir la salle; mais
plusieurs membres s'élèvent contre ces mar-
ques de joie au moins prématurées, quand la
patrie est encore en deuil. Alors Mirabeau 7


Attendez que le roi nous ait fait connaître
les bonnes dispositions qu'on nous annonce de


1/:11.161ZAC, OPtS. 6T DISC•,
5




-- 130
sa part; qu'un morne respect soit le premier
accueil fait au monarque dans ce moment
de douleur... Le silence des peuples est la lecon
des rois. •


Le roi paraît sans gardes, accompagné seu-
lement de ses deux frères. Son discours, sim-
ple et touchant, excite le plus vif enthou-
siasme. Il rassure l'Assemblée, qu'il appelle
pour la première fois Assemblee nationale.
se plaint avec douceur des méfiances qu'on a
conçues. « Vous avez craint, dit-il, eh Lien t
c'est moi qui me fie à vous! Aidez-moi dans
cette circonstance, ajouta-t-il, à assurer le
salut de PEtat.


La reconnaissance de l'Assemblée se mani-
feste par une explosion d'applandfssements
qui, cette fois du moins, étaient bien motivés.
Le roi se retira, accompagné de tous les dé-
putés, qui le reconduisirent jusqu'au château.


Cependant, le renvoi des nouveaux minis-
tres, dont le roi n'avait fait aucune mention
dans son discours, était toujours le voeu
aéra!. Barnave et Mirabeau en renouvelèrent
ia motion avec énergie. Mais on céda pour le
moment à l'avis de M. Clermont-Tonnerre, qui
demanda la remise d'une aussi pénible disc.us-
sion.


Ainsi se termina cette mémorable séance,
commencée le 10 juillet au matin et levée 10
13, à dix heures du soir.


L'ordre du jour du lendemain ramena la
question du renvoi des ministres. Il ne s'agis'
sait pas moins d'une mesure commandée par
les circonstances, que la revendication d'un
important principe constitutionnel. Mirabeau
,insistait avec force :


Dans une circonstance aussi urgente, je
pourrais éviter toute controverse, puisque 11


-- 131 --
préopinant (Mounier), obligé de convenir avec
nous que, le roi nous ayant consultés, nous
avons le droit et le devoir de lui proposer ce
que nous croirons opportun, ne s'oppose point
à l'adresse pour le renvoi des ministres. Mais
je ne crois pas qu'il soit jamais permis, dans
cette Assemblée, de laisser saris réclamation
violer,naème dans un discours, les principes,
et de composer avec les amours-propres aux
dépens de la vérité.


S'il est une maxime impie et détestable, ce
serait celle qui interdiraità l'Assemblée natio-
nale de déclarer au monarque que son peuple
n'a point de confiance dans ces ministres.
Cette opinion attaque à la fois et la nature
des choses. et les droits essentiels du peuple,
et la loi de la responsabilité des ministres, loi.
que nous sommes chargés de statuer, loi plus
importante encore, s'il est possible, au roi qu'a
son peuple, loi qui ne sera jamais librement
en exercice si les représentants du peuple
n'ont pas l'initiative de l'accusation, qu'il me
soit permis de m'exprimer ainsi.


Et depuis quand les bénédictions ou les ma-
lédictions du peuple ne sont-elles plus le ju-
gement• des bons ou des mauvais ministres ?
Pourquoi une nation qui est représentée s'é.
Puiserait-elle en vains murmures, en stériles
imprécations, plutôt que de faire entendre le
voeu de tous par ses organes assermentés? Le
Peuple n'a-t-il pas placé le trône entre le Ciei
et lui afin de réaliser, autant que le peuvent
les hommes, la justice éternelle et anticiper
sur ses décrets, du moins pour le bonheur de
ce inonder




132
Mais vous voulez donc confondre les pou-


voirs ?
Nous aurons bientôt occasion d'examiner


cette théorie des trois pouvoirs, laquelle, exac-
tement analysée, montrera peut-être la facilité
de l'esprit humain à prendre des mots pour
des choses, des formules pour des arguments.
et à se routiner vers un certain ordre d'idées.
sans revenir jamais à examiner l'intelligible
définition, qu'il a prise pour un axiome. Les
valeureux champions des trois pouvoirs tâche'
ront alors de nous faire comprendre ce qu'ils
entendent par cette grande locution des trois
pouvoirs, et, par exemple, comment ils conçoi-
vent le pouvoir judiciaire distinct du pouvoir
exécutif, ou même le pouvoir législatif sans
aucune participation au pouvoir exécutif.


Il me suffit aujourd'hui de leur dire : vous ou-
bliez que ce peuple, à qui vous opposez les li-
mites des trois pouvoirs, est la source de tous
les pouvoirs, et que lui seul peut les déléguer;
vous oubliez que c'est au souverain que vous
disputez le contrôle des administrateurs ; vous
oubliez enfin que nous, les représentants du
souverain, nous, devant qui sont suspendus
tous les pouvoirs, et même ceux du chef de la
nation s'il ne marche point d'accord avec nous;
vous oubliez que nous ne prétendons point à
placer ni déplacer les ministres en vertu de
nos décrets, mais seulement à manifester l'o-
pinion de nos commettants sur tel ou tel mi-
nistre. Eh ! comment nous refuseriez-vous ce
simple droit de déclaration, vous qui nous sc-


.


cordez celui de les accuser, de les poursuivre,
et de créer le tribunal qui devra punir ces


— 133 —
tisane d'iniquités dont, par une contradiction
palpable, vous nous proposez de contempler les
oeuvres dans un respectueux silence ? Ne
voyez-vous donc pas combien je fais aux gou-
vernants un meilleur sort que vous? combien
je suis plus modéré ? Vous n'admettez aucun
intervalle entre un morne silence et une dé-
nonciation sanguinaire ; se taire ou punir,
obéir ou frapper, voilà votre système; et moi,
j'avertis avant de dénoncer ; je récuse avant
de flétrir ; j'offre une retraite à l'inconsidéra-
ton ou à l'incapacité avant de les traiter de cri-
mes. Qui de nous a plus de mesure et d'équité?


Mais voyezia Grande-Bretagne! Que d'agita-
tions populaires n'y occasionne pas ce droit que
vous réclamez! C'est lui qui a perdu l'Angle-
terre. L'An gleterre est perdue ! Ah, grand Dieu
quelle sinistre nouvelle! Et par quelle lati-
tude s'est-elle donc perdue? ou quel tremble-
ment de terre, quelle convulsion de la nature
a englouti cette île fameuse, cet inépuisable
foyer de si grands exemples, cette terre clas-
sique des amis de la liberté?...


Mais rassurez-vous


L'Angleterre fleurit
encore pour l'éternelle instruction du monde;
l'Angleterre répare dans un glorieux silence
les plaies qu'au milieu d'une fièvre ardente elle
s'est faites; l'Angleterre développe tous les
genres d'industrie, exploite tous les filons de
sa prospérité humaine, et tout à l'heure en-
core elle vient de remplir une grande lacune
de sa constitution avec toute la vigueur de la
plus énergique jeunesse et l'imposante matu-
rité d'un peuple vieilli dans les araires publi-
ques...




13.4 —


Livrons-nous donc sans crainte à l'impul-
zion de l'opinion publique; loin de redouter,
',invoquons sans cesse le contrôle universel
c'est la sentinelle incorruptible de la patrie;
fest le premier instrument auxiliaire de toute


-


Tonne constitution: c'est l'unique surveillant,
e sein ei puissant compensateur de toute cons-
:-,itution vicieuse, c'est le garant sacré de la
paix sociale, avec laquelle nul individu, nul
intérêt, nulle considération ne peuvent entrer
en balance.


Après ce discours, plusieurs orateurs pren-
nent part à la discussion, et l'avis de Lally-
Tollencial, qui était pour qu'on demandât au
roi le rappel de Necker, réunit tous les suffra-
ges. 'Mais au moment od l'on se disposait à
mettre aux voix une adresse au roi rédigée
par Mirabeau, l'Assemblée reçut la nouvelle
du. renvoi de tous les ministres et du rappel
de Necker.


Cette adresse est écrite dans le même style
que celle pour le renvoi des troupes; c'est le
même respect de la majesté royale dans la
forme, avec la même fermeté imposante; nous
n'en citerons qu'un seul passage. Mirabeau ditau
roi qu'on l'a trompé, qu'aile détestable politi-
que s'est nattée de le compromettre avec ses
udèles sujets, et il lui montre dans quelles dif-
ncultés, dans quel danger ces perfides conseil-
:ers l'eussent entraîné


Nous avons écarté jusqu'ici la supposition
du plus grand des malheurs; mais, nous ne le
dissimulerons pas, ces ministres auraient com-
promis le repos de votre régne. Etaient-ila
bien sûrs, ces artisans de violence, que tout
eût fléchi sous l'impétuosité de leurs mouve-


— 135 —
monts; que le désespoir des peuples eût été
facile à contenir; que 25 millions de Français
eussent subi les lois du despotisme; que les
soldats nationaux, indifférents à la liberté,
indifférents aux lois, qui pourtant les proté-
gent, lorsqu'après le service ils rentrent dans
l'ordre civil, n'auraient point opté entre l'o-
béissance du soldat et le zèle du citoyen?
Avaient-ils des pactes avec les princes étran-
ers? litaient-ils certains que la politique of-
fensive, les prétentions, les anciens droits, les
:alousies, les vengeances' seraient restés as
soupis? N'ont-ils pas exposé le royaume à
tous les maux qui ne manquent jamais de
fondre sur un pays rempli de discordes, que
sa faiblesse et sa désunion désignent comme
?.ne proie?




— 136 —


ASSASSINAT DE BERTHIER ET DE FOULON.


Les désordres continuaient. L'assassinat du
conseiller d'Etat Foulon et de l'intenda t Bner-
thier, du beau-père et du gendre, avait sou-
Levé de nouveau le sentiment public.


Dans sa dix-neuvième lettre à ses commet-
tants, Mirabeau fait sur ces tristes événementsde remarquables réflexions, dans lesquelles
est très bien faite la part des circonstances qui
justifient ces réactions populaires, mais dans
lesquelles aussi la révolution est sagement
mise en garde contre des désordres et une die-
tature populaire qui seraient sa perte :


Que l'on compare le nombre des innocents
sacrifiés par les méprises et les sanguinaires
maximes des tribunaux, les vengeances mi-
nistérielles exercées seulement dans le don-
jon de Vincennes. dans les cachots de
Bastille, qu'on les compare avec les souda i


-nes et impétueuses vengeances de la mul-
titude, et qu'après on décide de quel côté se
trouve la barbarie! Au moment on cet enfer,
créé par la tyrannie pour le tourment de ses
victimes, s'est ouvert aux yeux de la capitale;
au moment où. tous les citoyens ont été adal1.
à descendre dans ces lugubres souterrains,
peser les fers de leurs amis, de leurs défera:
seurs; au moment où les feuilles de ces are'


-- 137 —
ves d'iniquité sont tombées dans toutes les
mains, certes, il faut que le peuple soit essen-
tiellement bon, pour que cette révélation des
atrocités des ministres ne l'ait pas rendu aussi
cruel qu'eux-mêmes et n'ait pas fait verser
plus de sang.. La colère du peuple... Ah! si
la colère du peuple est terrible, c'est le sang
froid du despotisme qui est atroce. Les cruau-
tés systématiques font plus de malheureux
en un jour que les insurrections populaires
n'immolent de victimes pendant des années.


Voyez combien de causes avaient préparé
les matériaux de cette explosion! Tous les d&
nis de justice, toutes les insultes, tous les
scandales, des ministres chéris, exilés; le re-
but du mépris public inauguré à la tête de
ceux qui les remplacent; le sanctuaire des
lois profané; l'Assemblée nationale com-
promise et menacée ; des troupes étrangères,
de l'artillerie; la capitale au moment d'ê-
tre assiégée ou envahie ; les apprêts d'une
guerre civile, que disje! d'une horrible bou-
cherie où tous les amis du peuple , connus
Ou soupçonnés, devaient tomber, surpris, dé-
sarmés, sous le glaive des soldats, et, pour
tout dire en un mot, deux cents ans d'op-
pression particulière, politique et fiscale, féo-
dale et judiciaire, couronnés par la plus hor-
rible conjuration dont les fastes du inonde
garderont à jamais lamémoire... Voilà de qui
a provoqué le peuple...il a puni un pedt nom«
bre de ceux que le cri public lui désignait
comme les auteurs de ses maux.. Mais qu'on
nous dise s'il n'eùt pas coulé plus de sang dans
le triomphe de nos ennemis, ou avant que la




— 438 —
victoire fût décidée. On craint souvent le
peuple en raison du mal qu'on lui a fait ; on
est forcé de l'enchaîner parce qu'on l'opprime,
et ses persécuteurs le calomnient pour calmer
leurs remords. Ceux qui s'étaient arrangés
pour ne redouter aucun tribunal tremblent
devant le sien : il existe trop de coupables
pour qu'il ne reste pas beaucoup de terreurs.
Si les scènes qui ont eu lieu à Paris s'étaient
passées à Constantinople, les hommes les plus
timorés diraient : le peuple s'est fait justice.
La mesure était au comble, la punition d'un vi-
zir devient la leçon des autres. Cet événement,
loin de paraître extraordinaire, exciterait à
peine notre attention.


Nous ferions un volume si nous voulions dé-
montrer par des exemples que, dans ces mo-
ment s de rigueur, les gouvernements ne font
que moissonner les fruits de leurs propres ini-
quités. On méprise le peuple, et l'on veut qu'il
soit toujours doux, toujours impassible ! Non :
c'est une instruction qu'il faut tirer de ces
tristes événements ; l'injustice des autres
classes envers le peuple lui fait trouver la jus-
tice dans sa barbarie même.


Nous ne craindrions pas de blesser utilement
la délicatesse de la sensibilité, en exposant les
circonstances douloureuses, les tourments dont
la mort de ces tristes victimes a été accompa-
gnée. Mais ces cruautés sont loin d'atteindre
aux solennelles atrocités que des corps de jus-
tice exercent sur des malheureux que les vices
des gouvernements conduisent au crime. Fe-


. licitons-nous que le peuple n'ait pas appris
tous ces raffinements de la barbarie, et qu'il


439
ait laissé à des compagnies savantes l'hon-
neur de ces abominables inventions.


Après ces réflexions que nous avons cru né
cessaires et dans un moment où l'humanité
même égare la réflexion, nous nous bétons
de que toute l'Assemblée nationale a bien
senti que la consternation de cette formidable
dictature exposait la liberté publique autant
que les complots de ses ennemis.


La société serait bientôt dissoute si la mul-
titude, s'accoutumant au sang et au désordre,
se mettait au-dessus des magistrats et bravait
l'autorité des lois. Au lieu de courir à la liber-
té, le peuple se jetterait bientôt dans l'abîme
de la servitude, car trop souvent le danger
rallie à la domination absolue, et dans le sein
de l'anarchie un despote même paraît un sau-
veur.


Notre histoire depuis 1789 donne à ces der-
nières paroles une profondeur prophétique.


SUR L'ORGANISATION DES MUNICIPALITÉS


En présence des troubles de la capitale, des
Mesures spéciales étaient nécessaires. Plu-
sieurs moyens furent proposés dans l'Assem-
blée nationale pour ramener le calme.


Mirabeau soutint avec raison que la prin-




--- --


cipale cause des désordres de Paris était qu'au.
cime autorité reconnue n'y existait, que le
dissentiment le plus marqué s'établissait entre
les district' et les électeurs. Devant cette
anarchie, il importe de réunir au plus tôt les
districts, afin que la commune nomme un
conseil provisoire, et que ce conseil s'occupe
d'un plan de municipalité dont l'établissement
assurera la paix et la subordination.


C'était la première fois que ce mot de mu-
nicipalité était prononcé dans l'Assemblée. Mi-
rabeau poursuivit ainsi le développement de
son idée :


Les municipalités sont d'autant plus impor-
tantes, qu'elles sont la base du bonheur pu-
blic, le plus utile élément d'une bonne Consti-
tution, le salut de tous les jours, la sécurité
de tous les foyers, en un mot, le seul moyen
possible d'intéresser le peuple entier au gou-
vernement et de préserver les droits de tous
les individus. Quelle heureuse circonstance
que celle oh l'on peut faire un si grand bien,
sans composer avec cette foule de préten-
tions, de titres achetés, d'intérêts contraires
que l'on aurait à concilier, à sauver, à ména-
ger dans des temps calmes! Quelle heureuse
circonstance que celle oh la capitale, en .éie-
vant sa municipalité sur les vrais principes
d'une élection libre, faite par la fusion des
trois ordres dans la commune, avec la fré-
quente amovibilité des conseils et des emplois,
peut offrir à toutes les villes du royaume ut'
modèle à imiter !


Ici, Mounier interrompt Mirabeau et lui de-
mande s'il a entendu autoriser toutes les villes


— 141 —
à se municipaliser à leur manière? Il ajoute,
qu'il croyait que cet objet ressortait de l'As-
semblée nationale, et qu'il serait trop /lange-
reux de créer des Etats dans l'Etat, et de
multiplier des souverainetés. Mirabeau lui ré-
pond :


Ma pensée est précisément que l'Assemblée
nationale ne doit pas organiser les municipali-
tés. Nous sommes chargés d'empêcher qu'au-
cune classe de citoyens, qu'aucun individu
n'attente à la liberté : toute municipalité peut
avoir besoin de notre sanction, ne fat-ce que
pour lui servir de garant et de sauvegarde-
'oute municipalité doit être subordonnée at.
grand principe de la représentation nationale,
mélange des trois ordres, liberté d'élection,
amovibilité d'offices; voilà ce que nous pou-
vons exiger; mais quant aux détails, ils dé-
pendent des localités, et nous ne devons point
prétendre à les ordonner. Voyez les Améri-
cains; ils ont partagé leurs terrains inhabités
en plusieurs Etats, qu ils offrent à la popula-
tion, et ils laissent à tous ces États le choix
du gouvernement qu'il leur plaira d'adopter,
pourvu qu'ils soient républicains, et qu'ils fas-
ent partie de la confédération.


Mirabeau conclut à ce qu'on envoyât àParis
un député par district, pour etablir un centre
de correspondance ente toutes les assemblées,
afin de les accorder et de les faire marcher
ensemble; il demande aussi qu'on déclare for-
ruellement que les fonctions des électeurs sont
finies, et que toute assemblée revêtue de
fonctions municipales doit être établie du con-
sentement de tous.




_ 4,2


Cette proposition n'eut pas de suite alors, et
l'organisation définitive de la municipalité ne
fut décrétée que le 21 mai 179U.


SUR LE SEClitl DES LETTRES


Le 25 juillet, à propos de dépêches du comte
d'Artois saisies sur un de ses correspondants
(M. de Castelnau, ministre de France à Ge-
nève), un députe demandait « que toutes les
lettres interceptées depuis les troubles à Pa-
ris ou dans les provinces fussent remises dans
un dépôt sûr pour être présentées à l'Assem-
blée nationale quand elle le jugerait convena-
ble. • Mirabeau s'éleva contre cette proposi-
tion, et proclama le principe de l'inviolabilité
du secret des lettres :


Est-ce à un peuple qui veut devenir libre à
emprunter les maximes et les procédés de la
tyrannie? Peut-il lui convenir de blesser la
morale après avoir été si longtemps victime
de ceux qui la violèrent? Que ces politiques
vulgaires, qui font passer avant la justice ce
que dans leurs étroites combinaisons ils osent
appeler l'utilité publique , que ces politique
nous disent du moins quel intérêt peut colorer
cette violation de la probité nationale. Qu'ap-
prendrons-nous par la honteuse inquisition


— 143
des lettres? De viles et sales intrigues, des
anecdotes scandaleuses, de méprisables frivo-
lités. Croit-on que les complots circulent par
les courriers ordinaires? croit-on méme que les
nouvelles politiques de quelque importance
passent par cette voie? Quelle grande ambas-
sade, quel homme chargé d'une négociation
délicate ne correspond pas directement, et ne
sait pas échapper à l'espionnage de la poste
aux lettres? C'est donc sans aucune utilité
qu'on violerait les secrets des familles, le com-
merce des absents, les confidences de l'amitié,
la confiance entre les hommes.


Un procédé si coupable n'aurait pas même
une excuse, et l'on dirait de nous dans l'Eu-
rope :


En France, sous le prétexte de ]a sûreté pu-
blique, on prive les citoyens de tout droit de
propriété sur les lettres, qui sont les produc-
tions du cœur et le trésor de la confiance. Ce
dernier asile de la liberté a été impunément
violé par ceux imbue que la nation avait dé-
légués pour assurer tous ses droits ; ils ont
décidé par le fait que les plus secrètes com-
munications de l'âme, les conjectures les plus
hasardées de l'esprit, les émotions d'une colère
souvent mal fondée , les erreurs souvent re-
dressées le moment d'après, pouvaient être
transformées en dépositions contre des tiers ;
que le citoyen , l'ami, le fils, le père devien-
draient ainsi les juges les uns des autres sans
le savoir ; qu'ils pourront périr un jour l'un
par l'autre ; car l'Assemblée nationale a dé-
claré qu'elle ferait servir de base à ses juge-
ments des communieations é quivoques et sur.




— 141 —
prises, qu'elle n'a pu se procurer que par un
crime.


L'Assemblée passe à l'ordre du jour. Ce fut
seulement par décret du 10 juillet 1791 qu'elle
prescrivit formellement l'inviolabilité des let-
tres; principe que du reste elle avait recon-
nu, quoique d'une maniere moins solennelle,
par les decrets des 10 et 29 août 1799.


DE LA PLURALITÉ SIMPLE OU GRADUÉE


Le 29 juillet, à l'occasion du règlement de
l'Assemblée, fut soulevée la question de la
pluralité simple ou graduée. Mirabeau soutint
le système de la pluralité simple:


Si vous consultez la nature des choses,
vous verrez que toute réunion d'hommes en
société doit être gouvernée par le voeu de la
pluralité de ses membres. C'est là une condi-
tion nécessaire de toute association, sans la-
quelle vous la dévouez à l'inertie ou à des
troubles touiours renaissants. Ceux qui s'op-
posent à cette loi sont séduits par l'espèce de
frayeur que leur cause l'idée de voir la pré-
pondérance d'un seul suffrage décider les
questions les plus importantes : mais qu'ils


--145 —
ne s'y trompent pas; ce n'est pas tel ou tel
suffrage qui décide, c'est la comparaison de
la somme de ceux qui disent oui, avec la
Somme de ceux qui disent non.


A. cet inconvénient chimérique on substi-
tue le plus grave de tous les inconvénients,
le plus grand de tous les dangers, celui (le


ansporter à la minorité des suffrages l'in-
ii lueuce que le Dieu général donne incontesta-liement à la majorité. Nous sommes ici douze


ents : dans le système de la pluralité, six.
ent un suffiront pour faire adopter une ré-
Mution coutre le voeu de cinq cent quatre-
vingt-dix-neuf qui ne voudraient pas qu'elle
fit prise.
Suivez l'avis de ceux qui attaquent le.


système de la pluralité, substituez-y une loi
fui exige plus des trois quarts des suffrages
pur former une résolution légale. Qu'arrivera,
t-il? qu'alors trois cents auront plus de force
pour maintenir leur opinion, que neuf cents
n'en auront pour la détruire; que tant qu'une.
proposition n'aura pas pour elle neuf cent
une voix, elle sera sans force, ou, ce qui re-
vient au même, que le voeu de neuf cents qui
veulent d'une manière sera soumis à celui de
trois cents qui veulent d'une autre. Dans ce
système, messieurs, que devient la justice?
que devient le voeu commun? Comment alors
pourrait-on dire que la loi est l'expression de


volonté générale?


71n•nn•113




— —


NIIiT DU 4 AOC


Mirabeau n'assista pas à ia célèbre séance
nocturne du 4 août. Mais voici quelques ex-
traits de l'article qu'il écrivit le lendemain
dans le Courrier de Provence (no


2.3) :


Nous avons rendu compte de la suite des
motions de cette séance remarquable; mais
l'esprit de l'Assemblée, la vivacité des senti-
ments, le passage rapide d'une sensation gé-
néreuse à une impression épigrammatique, ce
désordre des mouvements qui faisait oublier
les législateurs pour montrer des hommes sen-
sibles, l'espèce de défi réciproque et de combat
de générosité, le trait national qui se faisait
sentir dans une facilité aimable, dans une
promptitude séduisante, dans un enthou-
siasme soudain, et ensuite dans l'attrait d'une
plaisanterie au milieu des objets les plus sé-
rieux, — tout cela est impossible à décrire.
Nous avons vu des étrangers, des Anglais
convenir avec admiration que les Français
avaient plus fait dans quelques heures de
cette nuit mémorable que d'autres nations
dans un siècle....


Toutes ces résolutions de l'Assemblée natio-
nale sont irrévocables; elles sont sous la ga-
rantie sacrée de l'honneur; ii n'est pas un


— 147 —
Français que ne crût. flétrir la gloire nationale;
et s'avilir lui-même en proposant d'attenter à
des sacrifices qui sont devenus le bien de la
patrie. Le lendemain, dans le plus grand sang-
froid, on a fait des additions plutôt que des
retranchements à, la liste honorable de ces
..onCessions; mais il faut les soumettre a une
délibération nouvelle pour leur donner une
forme légale et en rendre l'exécution facile.
sous sera bien doux après avoir décrit ce
qu'un enthousiasme généreux a inspiré pour
le bien public d'en suivre les développements
dans les travaux réfléchis de la sagesse....


On aurait pu procéder avec des formes plus
méthodiques , mais les résultats n'auraient
pas été plus avantageux. L'espèce de défi des
différents ordres qui se provoquaient à des
concessions réciproques tournait tout entier
au bien général; il semblait que l'on mît à
l'enchère tous ces vieux effets, tous ces titres
poudreux de la féodalité et de la fiscalité, et
que le prix demandé pour la destruction de
l'un fût la destruction de l'autre....


Dans la séance du 7 août au sujet d'un des
articles arrêtés en principe dans la nuit du 4
août, et nonobstant l'abolition du droit de
privilé




e de choses, droit réservé aux seuls
propriétaires sur leur propre terrain, un dé-
Muté demandait par amendement qu'une ex-
ception fût faite en faveur des plaisirs du roi :
Mirabeau demande aussitôt la parole :


On vient de déclarer que le droit de chasse
est inhérent à la propriété, et ne peut plus en
être séparé.




— 148 —
Je ne comprends pas comment l'on propose


à l'Assemblée qui vient de statuer ce prin-
cipe de décider que le roi, ce gardien, ce pro-
tecteur de toutes les propriétés, sera l'objet
d'une exception dans une loi qui consacre les
propriétés. Je ne comprends pas comment
l'auguste délégué de la nation peut être dis•
pensé de la loi commune. Je ne comprends
;pas comment vous pourriez disposer en sa fa-
veur de propriétés qui ne sont pas vôtres.


Mais la prérogative royale! Ah! certes, la
prérogative royale est d'un prix trop élevé à
mes yeux pour que je consente à la faire con-
sister dans le futile privilége d'un passe-temps
oppressif. Quand il sera question de la préro-
gative royale, c'est-à-dire, comme je le dé-
montrerai en son temps, du plus précieux do-
maine du peuple, on jugera si j'en connais
l'étendue. Eh! je défie d'avance le plus res-
pectable de mes collègues d'en porter plus loin
le respect religieux.


Mais la prérogative royale n'a rien de com-
mun avec ce qu'on appelle les plaisirs du roi,
qui n'enserrent pas une étendue moindre que
la circonférence d'un rayon de vingt lieues,
où s'exercent tous les raffinements de la ty-
rann ie des chasses. Que le roi, comme tout
autre propriétaire, chasse dans ses domaines;
ils sont assez étendus sans doute. Tout homme
a droit de chasse sur son champ , nul Ifa,
droit de chasser sur le champ d'autrui. Ce
principe est sacré pour le monarque commis
pour tout autre.


—149—


PREMIER EMPRUNT DE TRENTE MILLIONS


En attendant la reconstitution du système
des contributions , des ressources provisoires
étaient nécessaires. Necker proposa de recou-
rir à un emprunt de trente millions. Mirabeau,
reconnaissant que la nécessité d'un emprunt
était indubitable, mais aussi que la plupart
des mandats défendaient aux deputés de con-
sentir aucun emprunt ou aucun impôt avant
l'achèvement de la Constitution, mit en avant
cette opinion que le parti le plus sage serait
que les députés souscrivissent l'engagement de ga-
rantir personnellement l'emprunt :


Songez, Messieurs, à l'état actuel des es-
prits. tine défiance excessive et sourde à tous
las raisonnements est toti,;ours prête à dicter
les résolutions les plus étranges : faut-il nous
exposer à lui donner contre nous l'ombre d'un
prétexte ? Ceux qui nous ont menacés de Pa-
ris, nous demandant compte d'avoir refusé
t'emprunt, croient-ils que les provinces aient
renoncé au droit de nous dire : Pourquoi l'a-
cez-vous accordé? Pour moi , je frémis de ce
danger, en ne pensant pas qu'il puisse jamais
nous convenir de résister à une défiance même
injuste; je crois que nous devons nous résou-
dre à tous les sacrifices personnels qui seront
en notre pouvoir, plutôt que de nous écarter




It 60 —
de la lettre de nos mandats sur l'objet des
subsides.


Je n'hésite donc pas à vous proposer que
l'emprunt de trente millions, actuellement né-
cessaire au gouvernement, soit fait sur l'en-
gagement des membres de cette Assemblée,
chacun pour la somme dont ses facultés per-
mettront de se rendre responsable envers les
prêteurs ; somme dont nous ferons incessam-
ment la souscription entre les mains de notre
président, pour être remise à Sa Majesté, et
servir de caution à l'emprunt de trente mil-
lions dont ses ministres demandent l'autorisa-
tion à l'Assemblée.


J'ai déjà indiqué un puissant motif pour
nous déterminer à cette résolution patriotique.
Elle nous laisse toute la confiance de nos
commettants, puisque nous restons fidèles aus
intentions consignées dans leurs mandats sur
les secours pécuniaires, et que nous ne les
obligeons point à s'en rapporter à nous sur
le jugement des circonstances qui rendent cet
emprunt nécessaire; en sorte qu'ils ne peu-
vent pas redouter de favoriser aucune politi-
que ténébreuse, qui consisterait à gagner du
temps par des incidents ; car n'engageant pas
la nation, nos propres hypothèques ne pour-
raient pas se répéter deux fois de suite avec
succès.


Mais cette résolution a d'autres avanta-
ges : elle est patriotique ; et, sous ce point de
vue, nous donnons l'exemple le plus propre à
ramener tous les sujets de l'empire à la subor-
dination volontaire qui caractérise l'homme
libre, le vrai citoyen, Nous mettons le sceau


— 451 —
à notre arrêté du 4 de ce mois, dont la préci-
pitation semble nous accuser du besoin d'é-
motions vives, pour nous résoudre à des sa-
crifices généreux, tandis qu'on doit également
ies attendre de nos plus mûres délibérations.


Elle nous revêt de toute la force morale
dont nous avons besoin pour rétablir et con-
server la perception des impôts et la soumis-
sion aux lois et aux usages, jusqu'à ce que les
changements annoncés soient mis en état de
prendre leur place.


Devenant nous-mêmes, dans nos propres
personnes, la caution d'un emprunt destiné
aux besoins de l'litat, nous avertissons avec
énergie tout intérêt sordide de s'éloigner enfin
d'opérations qui sont le triste fruit de nos
malheurs; nous appelons de plus en plus l'es-
prit public, si nécessaire au rétablissement de
la sûreté générale et individuelle ; nous mon-
trons notre confiance dans les ressources na-
tionales pour maintenir la foi publique, tandis
que nos enneinis n'avaient que l'exécrable
ressource de la violer; nous annonçons que,
mettant tout notre espoir dans les bons exem-
ples, une inflexible rigueur doit poursuivre
les mauvais.


Enfin le roi lui-même prendra dans notre
dévouement toute la force dont il pourrait
avoir besoin pour résister, non à ses goûts,
puisque nul monarque ne fut plus disposé à la
simplicité qui appartient à la vraie gran-
deur, mais aux artisans de ce faste dépréda-
teur qui multiplie autour du trône tant d'êtres
inutiles.


Vous n'hésiterez donc pas, messieurs, à




— 152 —
prendre le noble parti que je vous propose; et
si vous éprouvez à cet égard quelque doute,
il viendra de la crainte de n'être généreux
qu'en apparence; tant il y a lieu de croire que
la nation se hâtera de vous relever de vos
engagements! N'importe, messieurs, vous au-
rez toujours, aux yeux de cette nation géné-
reuse, aux yeux de l'Europe attentive, un
grand mérite, celui de la fidélité la plus
exacte aux mandats dont vous êtes les dépo-
sitaires, et Jans un point sur lequel la nation
fait reposer la certitude de la restauration •de
l'empire.


Cet avis ne fut pas suivi, et l'assemblée vota
un emprunt de trente millions; elle renvoya
au lendemain à décider quelles en seraient la
forme et les conditions.


DISCOURS CONTRE LA PROPOSITION DE SOUMETTRE LES
PRETEURS A DES RETENUES


Le lendemain, Mirabeau combattit et fit re-
jeter un amendement de Barère qui tendait à
soumettre les prêteurs à des retenues :


On ne peut lever le plus léger tribut sur les
rentes anciennes, ni en imposer sur les nou-


153 —
velles, sans attenter à la foi des engagements,
sans commettre une grande faute en finances,
à moins qu'on ne rehausse en même temps les
intérêts


On nous dit que la nation, étant souveraine,
n'est liée par ses propres actes qu'autant
qu'elle juge à propos de leur continuer sa
sanction. Cette maxime est vraie ; elle est
vraie relativement aux actes par lesquels la
nation agit sur elle même ; mais elle ne l'est
pas relativement à ceux par lesquels elle con-
tracte avec une autre partie Ceux-ci sont
de véritables contrats, soumis aux mêmes rè-
gles, aux mêmes principes que les conven-
tions des particuliers ; si par contrat la nation
s'est obligée, en recevant une certaine somme,
à payer annuellement une certaine rente, cette
obligation est aussi sacrée pour elle que pour
tout particulier qui en aurait contracté une
du même genre ; et si celui-ci ne pourrait re-
fuser le payement qu'il aurait promis sans
tomber dans l'injustice ou la banqueroute,
comment et sous quel prétexte une nation
pourrait-elle s'en dispenser?...


Ne nous laissons point tromper par des
mots ; une banqueroute n'est autre chose que
la rupture des engagements d'un débiteur en-
vers ses créanciers. Elle est innocente lors-
qu'elle résulte d'une impossibilité réelle de
remplir ses en gagements ; elle est frauduleuse
lorsque cette impossibilité n'est que simulée,
lorsque le débiteur qui prétend ne pouvoir pas
paver est en état de le faire.


Quel est ici le cas de la nation ? Quelqu'un
peut-il dire qu'elle soit hors d'état de payer ?




— 155 —
--- 154 ---


Et lors même qu'on hasarderait de le dire ,
est-il bien vrai qu'une telle assertion suffise
pour autoriser ce qui, dans le fait, est une
banqueroute?


Ne perdons point de vue que les engage-
ments des nations envers les particuliers sont
du même genre, ont la même force, entraî-
nent les mêmes obligations, et de plus strictes
encore que celles des particuliers entre eux.


Suffit-il qu'un négociant dise à ses créan-
ciers : Je ne paye pas les intérêts que je vous


«?,
ai promis, pour qu'il soit dispensé de les payer
aux autres? La loi civile, qui n'est ici que
l'interprète du droit naturel, l'assujettit à desformalités dont le but est de prouver que
cette impossibilité existe. Ne faut-il pas qu'il
dresse un état particulier de ses créances et
de ses dettes, qu'il le présente aux créanciers,
qu'il joigne toutes les pièces , qu'il en affirme


•la vérité par serment?
Et l'on voudrait que, sans aucun examen,


sans avoir fait un inventaire , avant d'avoir
sondé ses ressources, une nation riche, puis-
sante, manque à ses engagements ; que, se dé-
clarant banqueroutière, opprobre inouï dans
les fastes des nations , elle se prive pour ja-
mais de tout moyen de rétablir son crédit
Non, Messieurs, vous ne le souffrirez pas.


DISCOURS SUR LA DaiR ECCLÉSIASTIQUE


Dans la séance du 10 août, l'Assemblée
continuant de rédiger les résolutions de la
nuit du 4, s'occupa des dîmes ecclésiastiques.Un article, présenté par le comité des rap-
ports, portait que, quelles qu'elles fussent,
elles pourraient être converties en redevances
pécuniaires, rachetables à, la volonté des re-devables. Mirabeau demanda la suppression
absolue et sans rachat :
Non, messieurs, la dîme n'est point une


propriété; la propriété ne s'entend que de ce-
lui qui peut aliéner le fonds, et jamais le
clergé ne l'a pu. L'histoire nous offre mille
faits de -suspension de dîmes, d'applications
de ailes en faveur des seigneurs ou à d'au-
tres usages, et de restitution ensuite à :
ainsi les dîmes n'ont jamais été pour le clergé
que des jouissances annuelles, de simples
Possessions révocables à la volonté du souve-
rain.


Il y a plus , la dîme n'est pas même une
Possession, comme on l'a dit, elle est une con-
tribution destinée à cette partie du service
Public qui concerne les ministres des autels;
c'est lt:e subside avec lequel la nation salarie


officiers de morale et d'instruction. (De via
krtts murmures s'élèvent parmi les membres du




— 156 —
J'entends à ce mot salarier beaucoup de


murmures, et l'on dirait qu'il blesse la dignité
du sacerdoce; mais, messieurs, il serait temps
dans cette révolution, qui fait éclore tant de
sentiments justes et généreux, qu'on abjurât
les préjugés d'une ignorance orgueilleuse qui
fait dédaigner les mots salaires et salariés. Je
ne connais que trois manières d'exister dans
la société ; il faut y être voleur, mendiant ou
salarié. Le propriétaire n'est lui-même que le
premier des salariés. Ce que nous appelons
vulgairement sa propriété n'est autre chose
que le prix que lui paye la société pour les
distributions qu'il est chargé de faire aux au-
tres individus par ses consommations et ses
dépenses : les propriétaires sont les agents,
les économes du corps social.


Quoi qu'il en soit, les officiers de morale et
d'instruction doivent tenir sans doute une
place très distinguée dans la hiérarchie so-
ciale; il leur faut de la considération afin qu'ils
s'en montrent dignes; du respect même, afin
qu'ils s'efforcent toujours davantage d'en mé-
riter, il leur faut de l'aisance pour qu'ils puis-
sent être bienfaisants. Il est juste et convena-
ble qu'ils soient dotés d'une manière conforme
à la dignité de leur ministère et à l'impor-
tance de leurs fonctions; mais il ne faut pas
qu'ils puissent réclamer un mode pernicieux
de contribution comme une propriété.


Je ne sais pourquoi on leur disputerait que lu
dîme est d'institution nationale, elle l'est eu
effet, et c'est à cause de cela même que la 11U-
ton a le droit de la révoquer et d'y
suer une autre institution. Si l'on n'était pas



151


enfin parvenu à dédaigner autant qu'on le
doit la frivole autorité des érudits en matière
de droit naturel ou public, je défierais de trou-
ver, à propos des dunes, dans les Capitulaires
de Charlemagne, le mot solverint ; c'est dede-
rint qu'on y rencontre toujours. dais qu'im-
porte? La nation abolit les dîmes ecclésiasti-
ques parce qu'elles sont un moyen onéreux
de payer la partie du service public auquel
elles sont destinées, et qu'il est facile de les
remplacer d'une manière moins dispendieuse
et plus égale.


Dans le cours même de cette séance, beau-
Coup d'ecclésiastiques abandonnèrent leur
filme, et le 11 la majorité adhéra à cette re-
nonciation.


SUR LA DÉCLARATION PRÉALABLE DES Ducats DE
L'HOMME


Toujours distraite de ses travaux propre-
ment constitutionnels, toujours pressée d'y
revenir et de s' y adonner principalement, l'As-
semblée, depuis le commencement d'août, s'é-
tait occupée d'une préalable déclaration des
droits de l'homme.


Mirabeau était d'avis que l'on ajournât cette
déclaration après l'achèvement de la Consti-
tution Voici comment il s'en explique dans
le Courrier de Provence Mo 28) :




-- 3S—
L'état social , dit Rousseau , n'est avants,


geix aux hommes qu'autant qu'ils ont tous
quelque chose, et qu'aucun d'eux n'a rien de
trop. »


Cette vérité profonde renferme la cause des
difficultés que l'on éprouve en faisant une
déclaration des droits pour un peuple vieilli
dans les préjugés.


Si le projet de réclamer hautement les grand»
principes de la liberté est un de ceux qui ex>
traînent le plus fortement un ami des hommes,
aussitôt qu'il veut passer à l'exécution, il se
trouve placé 'antre des écueils. La vérité com-
mande de tout dire , et la sagesse invite à
temporiser. D'un côté, la force de la justice
porte à. franchir les timides considérations de
la prudence; de l'autre, la crainte d'exciter
une fermentation dangereuse alarme ceux
qui ne voudraient pas acheter le bien de la
postérité au prix des malheurs de la généra-
tion actuelle. 0 vous, tyrans de la terre, vous
ne ressentez pas, en la couvrant de maux et
de ravages, la moitié des inquiétudes qu'é-
prouvent ses bienfaiteurs en cherchant à kg
réparer!


Le philosophe qui travaille pour le temps,
et qui, dans son époque, ne s'a'iresse pas à la
multitude, doit venger l'humanité sans 1/Iéna'
gement; sa circonspection serait faiblesse, see
égards lâcheté, sa tolérance prévarication.
Mais l'homme d'État qui agit sur tous, et
dans un moment donné, s'assujettit à une
marche plus mesurée; il ne livre des arme
au peuple qu'en lui apprenant à s'en servir,
de peur que, dans un premier accès d'ivresse


— 159 --
il n'en abuse, et ensuite ne les tourne contre
lui-même, et ne les rejette après avec autant
de remords que d'effroi.


11 est donc absolument nécessaire qu'une
déclaration des droits ne soit point jetée en
avant de la Constitution dont elle est la base,
amn que les principes de la liberté, accompa-
gnés des lois qui en dirigent l'exercice, soient
112 bienfait pour le peuple, et non pas un pié-
ge, et non pas un tourment. Il faut agir sur
toutes ses facultés à la fois, sur son esprit
peur l'éclairer, sur ses passions pour les con-
tenir, sur ses sentiments pour en tempérer
l'amertume et les diriger vers l'espérance.


dais l'Assemblée ayant persisté à refuser
l'ajournement, le 17 août, Mirabeau porta la
parole au nom d'un comité de cinq men).-
ères (1) que l'Assemblée avait chargé d'exa-
rainer divers projets de déclaration des droits
le l'homme eu société:


La déclaration des droits de l'homme en
société n'est sans doute qu'une exposition
le quelques principes généraux, applicables à
toutes les associations politiques et à toutes
os formes de gouvernement.
Sous ce point de vue, on croirait un tra-


vail de cette nature très simple et peu suscep-
tible de contestations et de doutes.


Mais 16 comité que vous avez nommé
.
pour


4n occuper s'est bientôt aperçu qu'un tel ex-
Dosé, lorsqu'on le destine à un corps politique


Les quatre autres membres étaient Desmeuniers
`'ecitiO de Langres, Tronchet et Redon.




-- 160 —
vieux et presque caduc, est nécessairement
subordonné à beaucoup de circonstances lo-
cales, et ne peut jamais atteindre qu'à une
perfection relative. Sous ce rapport, une dé-
claration de droits est un ouvrage difficile.


Il l'est davantage lorsqu'il doit servir de
préambule à une constitution qui n'est pas
connue.


Nous avons cherché cette forme simple
qui rappelle au peuple, non ce qu'on a étudié
dans les livres ou dans les méditations abs-
traites, mais ce qu'il a lui-même éprouvé ; en
sorte que la déclaration des droits, dont une
association politique ne doit jamais s'écarter,
soit plutôt le langage qu'il tiendrait s'il avait
l'habitude d'exprimer ses idées, qu'une science
qu'on se propose de lui enseigner.


Cette différence, Messieurs, est capitale;
et comme la liberté ne fut jamais le fruit d'une
doctrine travaillée en déductions philosophi-
ques, mais de l'expérience de tous les jours,
et des raisonnements simples que les faits ex-
citent, il s'ensuit que nous serons mieux en-
tendus à proportion que nous nous rappre-
cherons davantage de ces raisonnements. S'il
faut employer des termes abstraits, nous les
rendrons intelligibles en les liant à tout ce
qui peut rappeler les sensations qui ont serti
a faire éclore la liberté, et en écartant, au^
tant qu'il est possible, tout ce qui se présente
sous l'appareil de l'innovation.


C'est ainsi que les Américains ont fait leurs
déclarations de droits : Ils en ont à dessein
écarté la science, ils ont présenté les vérités
politiques qu'il s'agissait de fixer, sous Une


—161 --
forme qui peut devenir facilement celle du
peuple, à qui seul la liberté importe, et qui
seul peut la maintenir.


Mais' en nous rapprochant de cette mé-
thode, nous avons éprouvé une grande diffi-
culté: celle de distinguer ce qui appartient à
la nature de l'homme , des modifications qu'il
a reçues dans telle ou telle société ; d'énoncer
tous les principes de la liberté sans entrer
dans les détails et sans prendre la forme des
lois ; de ne pas s'abandonner au ressentiment
des abus du despotisme, jusqu'à faire moins
une déclaration des droits de l'homme, qu'une
déclaration de guerre aux tyrans.


Une déclaration des droits, si elle pouvaitré-
pondre à une perfection idéale, serait celle qui
contiendrait des axiomes tellement simples, évi-
dents et féconds en conséquences, qu'il serait
impossible de s'en écarter sans être absurde,
et qu'on en verrait sortir toutes les constitu-
tions.


Mais les hommes et les circonstances n'y
sont point assez préparés dans cet empire, et
nous ne vous offrons qu'un très faible essai,
que vous améliorerez sans doute, mais sans
oublier que le véritable courage de la sagesse
consiste à garder, dans le bien même, un juste
milieu.


Après avoir lu le projet du comité, Mira-
beau ajoute :


Vous allez établir un régime social qui se
trouvait, il y a peu d'années, au-dessus de
nos espérances. Vos lois deviendront celles de


III RABE&C. OPIN. ET DISC., Ill. 6




— 162
l'Europe entière, si elles sont dignes de vous;
car telle est l'influence des grands Etats, et
surtout de l'empire français, que chaque pro-
grès dans leur constitution, dans leurs lois,
dans leur gouvernement, agrandit la raison et
la perfectibilité humaine. Elle vous sera due,
cette époque fortunée, où, tout prenant la
place, la forme, les rapports que lui assigne
l'immuable nature des choses, la liberté géné-
rale bannira du monde entier, les absurdes
oppressions qui accablent les hommes, les
préjugés d'ignorance et de cupidité qui les
divisent, les jalousies insensées qui tourmen-
tent la nation, et fera renaitre une fraternité
universelle, sans laquelle tous les avantages
publics et individuels sont si douteux et si
précaires.


C'est pour nous, c'est pour nos neveux, c'est
pour le monde entier que vous allez travailler;
vous marcherez d'un pas ferme, mais mesuré,
vers ce grand oeuvre; la circonspection, la
prudence, le recueillement qui conviennent à
des législateurs, accompagneront vos décrets.
Les peuples admireront le calme et la matu-
rité de vos délibérations, et l'espèce humaine
vous comptera au. nombre de ses bienfaiteurs.


Le projet du comité ayant soulevé quelques
objections, Mirabeau défendit de nouveau l'o-
pinion que la rédaction de cette déclaration
lût ajournée après l'achèvement de la consti-
tution.


Divers députés attaquèrent vivement cette
, opinion. Un des membres, M Glezen, fit sen-


tir que Mirabeau était tombé en contradiction
avec lui-même; il présenta la proposition du


463


renvoi comme l'effet de cette supériorité de
talent avec laquelle cet orateur savait entraî-
ner l'Assemblée dans des partis opposés.


Mirabeau se vit dans la nécessité de monter
de nouveau à la tribune :


Je commencerai, dit-il Messieurs, pour
toute réponse aux attaques personnelles dont
quelques préopinants ont jugé à propos de
m'accueillir, par manifester un sentiment qui
porte plus de douceur dans mon âme que les
traits décochés contre moi n'y peuvent jeter
d'amertume. Si, par impossible, quelqu'un de
vos décrets rne paraissait blesser la justice ou
la raison, j'ai tant de respect pour cette as-
semblée, que je n'hésiterais pas à vous le dé-
noncer à vous dire que vous devez montre,
un mépris profond pour cet absurde dogme
d'infaillibilité politique, qui tendrait à accu-
muler sur chaque siècle la rouille des préju-
gés de tous les siècles, et soumettrait les gé-
nérations à venir aux erreurs des générations
passées.


Mais je n'ai point attaqué votre décret ;
j'ai maintenu la nécessité d'une déclaration
des droits; ma motion, laissée sur le bureau,
porte ces propres mots : Qu'il sera déclaré que
l'exposition des droits est partie intégrante et in-
séparable de la constitution. Mes doutes n'ont
porté que sur le moment favorable à la ré-
daction de ce travail : ces doutes étaient assez
motivés, peut-être, par les difficultés toujours
renaissantes qu'il rencontre, par la nature des
objections qu'on nous a faites, par les sacrifi-
ces qu'on a exigés de nous, par les embarras




-- Sfi
inextricables où nous jette l'ignorance absolue
de ce qui sera statué dans la constitution;
mais, quoi qu'il en soit, j'ai pu me tromper,
sans qu'il puisse être permis de jeter sur mes
intentions un doute qu'aucun membre de
cette Assemblée, qu'aucun citoyen au courant
des affaires publiques, n'a pu concevoir sur
moi.


Sans doute, au milieu d'une jeunesse très
orageuse, par la faute des autres, et surtout
par la mienne, j'ai eu de très grands torts, et
peu d'hommes out, dans leur vie privée, donné
plus que moi prétexte à la calomnie, pâture à
la médisance : mais j'ose vous en attester
tous; nul écrivain, nul homme public n'a plus
que moi le droit de s'honorer de sentiments
courageux, de vues désintéressées, d'une fière
indépendance, d'une uniformité de principes
inflexibles. Ma prétendue supériorité dans l'art
de vous guider vers des buts contraires est
donc une injure vide de sens, un trait lancé
du bas en haut, que trente volumes repous-
sent assez pour que je dédaigne de m'en oc-
cuper...


Messieurs , avoir raison , ou se tromper,
est peu de chose, et n'intéresse guère que l'a-
mour-propre. Entendre soupçonner ou


.
persi-


fler ses intentions dans une assemblée politi-
que on l'on a fait ses preuves , est une
tolérance qu'un homme qui a le sentiment de
sa dignité personnelle ne connaît pas; et j'es-
père que vous approuverez cette courte expli-
cation.


X 165--


SUR LA RESPONSABILITÉ DE TOUS LES AGENTS
DE L'AUTORITÉ


La discussion des articles de la déclaration
des droits fournit à Mirabeau l'occasion de ré-
clamer avec énergie une dés garanties essen-
tielles de la liberté individuelle.


Un membre était d'avis que l'on ne pouvait
pas assujettir à la loi de la responsabilité
les agents du pouvoir exécutif; qu'il serait
injuste qu'on rendît responsables des ordres
arbitraires les exécuteurs subalternes :


Si la loi de responsabilité ne s'étendait pas
sur tous les agents subalternes de l'autorité,
si elle n'existait pas, surtout parmi nous, il n'y
aurait pas de nation plus faite que nous pour
l'esclavage. Il n'y en a pas qui ait été plus
insultée, plus opprimée par le despotisme.


La loi qui porte que tout citoyen ne peut
être arrêté qu'en vertu de la loi est reconnue
partout, et cependant elle n'a pas empêché les
lettres de cachet; jamais une nation ne sera
libre que toute la hiérarchie sociale ne soit
comprise dans la responsabilité, le chef de la
nation seul excepté , parce que l'inviolabilité
du prince est nécessaire à la paix publique; il
faut signer cette maxime, si l'on veut être
libre; et même vous ne serez jamais que des
esclaves si tous, depuis le premier ministre




— 166
jusqu'au dernier sbire, ne sont responsables,


Cela ne suppose aucunement que le subal-
terne soit juge de l'ordre dont il est porteur;
il peut seulement et il doit juger la forme de
cet ordre : ainsi un cavalier de maréchaussée
ne pourra porter un ordre sans être accom-
pagné d'un officier civil.


En un mot, la force publique sera soumise a
des formes déterminées par la loi; il n'y a au-
cune espèce d'inconvénient à cela, sinon la
nécessité d'avoir des lois claires et précises,
et c'est là un argument de plus en faveur du
dogme de la responsabilité.


On confond toujours le dogme politique de la
r2sponsabilitè avec le mode pratique de la res-
ponsabilité. Résignez-vous à être esclaves, ou
déclarez la responsabilité, le chef seul excepté.
Je le répète, toute la hiérarchie doit être res-
ponsable, ou bien on trouvera toujours les
moyens de rendre impuni tout attentat. Le
dogme de la responsabilité est de droit natu-
rel; il est la base de la déclaration des droits
d'une nation, il doit être consigné dans la plus
grande latitude.


SUR LA LIBERTÉ. DES CULTES


Le projet de déclaration des droits présenté
n par Mirabeau ne mentionnait aucunement les


cultes. Une proposition fut faite ic 22 août pour


16'7
exiger le respect dû au culte public. Ce fut pour
Mirabeau l'occasion d'expliquer la façon dont
il entendait la liberté religieuse :


Je ne viens pas prêcher la tolérance : la li-
berté la plus illimitée de religion est à mes
yeux un droit si sacré, que le mot tolérance
qui voudrait l'exprimer me parait en quelque
sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence
:le l'autorité qui a le pouvoir de tolérer at-
tente à la liberté de penser, par cela même
qu'elle tolère et qu'ainsi elle pourrait ne pas
tolérer.


Mais je ne sais pourquoi l'on traite le fond
d'une question dont le jo:ir n'est point arrivé.


Nous faisons une déclaration des droits; il
est donc absolument nécessaire que la chose
qu'on propose soit un droit; autrement on y
ferait entrer tous les principes qu'on voudrait,
et alors ce serait un recueil de principes.


Il faut donc examiner si les articles proposés
sont un droit.


Certainement dans leur exposition ils n'en
expriment pas ; il faut donc les poser autre-
ment.


Mais il faut les insérer en forme de déclara-
tion des droits; et alors il faut dire : Le droit
des hommes est de respecter la religion et de
la maintenir.


Mais il est évident que c'est un devoir, et
non pas un droit.


Les hommes n'apportent pas le culte en
'société ; il ne nait qu'en commun : c'est donc
une institution purement sociale et convention-
nelle,


I




— 168 —
C'est donc un devoir.
Mais ce devoir fait naître un droit, savoir,


que nul ne peut être troublé dans sa reli-
gion.


En effet, il y a toujours eu diverses reli-
gions, et pourquoi?


Parce qu'il y a toujours eu diverses opi-
nions.


Mais la diversité des opinions résulte né-
cessairement de la diversité des esprits, et
l'on ne peut empêcher cette diversité.


Donc cette diversité ne peut être attaquée.
Mais alors le libre exercice d'un culte quel-


conque est un droit de chacun.
Doue on doit respecter son droit.
Donc on doit respecter son culte.
Voilà le seul article qu'il soit nécessaire


d'insérer dans la déclaration des droits sur cet
objet.


Il doit y être inséré; car les facultés ne sont
pas des droits ; mais l'homme a droit de les
exercer, et l'on peut et l'on doit distinguer
l'un de l'autre.


Mais si le droit est le résultat d'une conven-
tion, la convention consiste à exercer libre-
ment ses facultés; donc on peut et on doit
rappeler dans une déclaration des droits l'exer-
cice des facultés.


Je soutiens donc l'article de M. de Castel-
lane; et sans entrer en aucune manière dans
le fond de la question, je supplie ceux qui
anticipent par leurs craintes sur les désordres
qui ravageront le royaume si l'on y introduit
la liberté des cultes, de penser que la tolé-
rance, pour me servir du mot consacré, n'a


— 169 —
pas produit chez nos voisins des fruits em-
poisonnés, et que les protestants, inévitable-
ment damnés dans l'autre monde , comme
chacun sait, se sont très passablement arran-
gés dans celui-ci, sans doute par une com-
pensation due à la bonté de l'être suprême.


Nous, qui n'avons le droit de nous mêler
que des choses de ce inonde, nous pouvons
donc permettre la liberté des cultes, et dormir
en paix.


Dans la séance du lendemain, Mirabeau re-
vint sur la question. On avait dit : le culte
est un objet de police extérieure; en- conséquence
il appartient à la société de le régler, de permet-
tre l'un, de défendre l'autre. Mirabeau combattit
vivement cette proposition :


J'ai eu l'honneur de vous soumettre hier
quelques réflexions qui tendaient à démon-
trer que la religion est un devoir et non pas
un droit, et que la seule chose qui apparte-
nait à la déclaration dont nous sommes occu-
pés, c'était de prononcer hautement la liberté
religieuse.


On n'a presque rien opposé à la motion de
M. le comte de Castellane (1); eh ! que peut-
on objecter contre un axiome si évident, que
le contraire est une absurdité?


On nous dit que le culte est un objet de po-
lice extérieure; qu'en conséquence il appartient


(4) M. de Castellane avait proposé la rédaction sui-
vante : Nui nomme ne peu( Aire inquiété pour ses
opinions religieuses ni troublé dans l'exercice de son
Culte. »




— 170 —
la société de le régler, de permettre l'un et


de défendre l'autre.
Je demande à ceux qui soutiennent que le


culte est un objet de police s'ils parlent comme
catholiques ou comme législateurs.


S'ils font cette difficulté comme catholiques,
ils conviennent que le culte est un objet de
règlement, que c'est une chose purement ci-
vile; mais si elle est civile, c'est une institu-
tion humaine; si c'est une institution hu-
maine, elle est faillible ; les hommes peuvent
la changer; d'où il suit, selon eux, que le
culte catholique n'est pas d'institution divine,
et selon moi, qu'ils ne sont pas catholiques.


S'ils font la difficulté comme législateurs,
comme hommes d'Etat, j'ai le droit de leur
parler comme des hommes d'Etat, et je leur
dis d'abord qu'il n'est pas vrai que le culte
soit une chose de police, quoique Néron et
Domitien l'aient dit ainsi pour interdire celui
des chrétiens.


Le culte consiste en prières, en hymnes, en
discours, en divers actes d'adoration rendus à
Dieu par des hommes qui s'assemblent en
commun et il est tout à fait absurde de dire
que l'inspecteur de police ait le droit de dres-
ser les Oremus et les Litanies.


Ce qui est de la police, c'est d'empêcher que
personne ne trouble l'ordre et la tranquillité
publique; voilà pourquoi elle veille dans vos
rues, dans vos places, autour de vos maisons,
autour de vos temples; mais elle ne se mêle
point de régler ce que vous y faites; fout son
pouvoir consiste à empêcher que ce que vous


faites ne nuise à vos concitoyens.


—i 1
Je trouve donc absurde encore de préten-


dre que, pour prévenir le désordre qui pour-
rait naître de vos actions, il finit défendre
vos actions : assurément cela est très expé-
ditif, mais il m'est permis de douter que per-
sonne ait ce droit.


Il nous est permis à tous de former des as-
semblées, des cercles, des clubs, des loges de
francs-maçons, des sociétés de toutes espèces :
le soin de la police est d'empêcher que ces as-
semblées ne troublent l'ordre publie, voilà
votre devoir, mais vous ne pouvez pas aller
plus loin.


On vous parle sans cessa d'un culte domi-
nant.


Dominant, messieg irs ! Je n'entends pas ce
mot, et j'ai besoin qu'on me le définisse. Est-ce
un culte oppresseur que l'on veut dire? Mais
vous avez banni ce mot, et des hommes qui
ont assuré le droit de liberté ne revendiquent
pas celui d'oppression.


Est-ce le culte du prince que l'on veut dire?
Mais le prince n'a pas le droit de dominer sur
les consciences ni de régler les opinions.


Est-ce le culte du plus grand nombre ! Mais
le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le
résultat de telle ou telle opinion. Or, les opi-
nions ne se forment pas par le résultat des
suffrages; votre pensée est à vous; elle est in-
dépendante; vous ne pouvez pas l'engager.


Enfin, une opinion qui serait celle du plus
grand nombre n'a pas le droit de dominer;
c'est un mot tyrannique, qui doit être banni
de notre législation, car si vous l'y mettez
dans un cas, vous pouvez l'y mettre . dans tous :




r
— 172 —


vous aurez donc un culte doininant,une &
sophie dominante, des systèmes dominants!.
Rien ne doit dominer que la justice; il n'y a
de dominant que le droit de chacun : tout le
reste y est soumis. Or, c'est un droit évident
et déjà consacré par vous, de faire tout ce qui
ne peut nuire à autrui.


Malgré les efforts de Mirabeau, l'article passa
en ces termes peu rassurants pour la liberté
religieuse : Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses, pourvu que ses
manifestations ne troublent pas l'ordre public.


SUS LA DF..TTE NATIONALE


Dans la séance du 27 août. il fut fait lec-
ture d'un mémoire de Necker annoncant le
mauvais succès du premier emprunt; et en
proposant un autre de quatre-vingts millions
remboursables en dix almées.


L'évêque d'Autun proposa, outre une adop-
tion immédiate, le renouvellement de la dé-
claration du 17 juin, qui avait solennellement
consacre la dette nationale. Mirabeau appuya
cet avis, qu'il considérait comme infiniment
favorable a ia renaissance du crédit public.
11 termine ainsi son discours à cette occa-
'sion :


Approuver l'emprunt sans consacrer la


— 173
dette, sans la mettre à l'abri de toute réduc-
tion, de toute atteinte, c'est semer la défiance
et l'effroi parmi les capitalistes; c'est leur an-
noncer des intentions sinistres; c'est, en un
mot, proclamer la banqueroute dans le mo-
ment où nous demandons du crédit.


Et dans quel temps, à quelle époque pen-
sez-vous à annoncer des vues aussi malheu-
reuses? Quand vous êtes prêts à recevoir le
grand, l'inestimable bien d'une constitution
libre, quand cette constitution est à l'enchère ?
( Quelques murmures s'étant fait entendre: )
Oui, messieurs, je ne crains point de le répé-
ter, par un heureux effet des fautes et des
déprédations ministérielles, ta Constitution est
aujourd'hui à l'enchère; c'est le déficit qui est
le trésor de l'Etat; c'est la dette publique qui
a été le germe de notre liberté: voudrez-vous
recevoir le bienfait, et vous refuser à en ac-
quitter le prix?


Ce second emprunt fut sanctionné par l'As-
semblée qui en laissa le mode au pouvoir
exécutif, l'insuccès du premier emprunt étant
attribué en grande partie a ce que nIssein•
blée en avait limité le taux de l'intérêt.




SUR LA SANCTION ROYALE


dmi


n.?




— 477 —


I SUI LA SANCTION ROYALE


Le t er septembre, Mirabeau prononça un de
ses plus importants discours sur la grave
question de la sanction royale. Les bornes
de cette publication nous empêchent de don-
ner le texte complet des discours de Mirabeau ;
mais nous aurons toujours soin d'en signaler
l'esprit et les passages les plus importants.
l'eut-être, d'ailleurs, cela vaut-il mieux ainsi,
à tous les points de vue, dans une publication
qui a surtout pour objet de résumer les opi-
nions de Mirabeau sur les grandes questions
presque toutes encore pendantes aujourd'hui,
et en quelque sorte de tansmett.re au peuple
le testament politique et social d'un des hom-
mes qui ont le mieux possédé l'esprit de la ré.
volution et qui a le plus puissamment contri-
bué à entraîner son mouvement.


Voici l'exorde du discours de Mirabeau (1)


Messieurs dans la monarchie la mieux
organisée, l'autorité royale est toujours l'objet


(I) L'opinion de Mirabeau sur la sanction royale
était déjà connue. Dans une discussion étrangère à
ce sujet, il avait été amené à dire, trais mois inipa-


m ravant, le. 46 juin : Je crois le veto du roi tellement
nécessaire, que j'aimerais mieux vivre à Constantino-
ple qu'en France s'il ne l'avait pas. Oui , je le déclare,
le ne connalirais rien de plus terrible que l'aristo-
cratie 'ouvcraine de six cents personnes qui demain
pourraient se rendre. inamovibles, après-demain hé-
réditaires. et finiraient., comme les aristocrates de tous
les pays du inonde, par tout envahir.




-- 478—.


des craintes des meilleurs citoyens : celui que
la loi met au-dessus de tous devient aisémentle rival de la loi; assez puissant pour protégerla constitution, il


est souvent tenté de la dé-
truire: La marche uniforme qu'a suivie par-tout l


'autorité des rois n'a que trop enseignéla nécessité de les surveiller. Cette défiance,salutaire en soi, nous porte
naturellement àdésirer de contenir un pouvoir si redoutable.


1;ne secrète terreur nous éloigne malgré nous
des moyens dont il faut armer le chef


suprêmede la nation, afin qu'il puisse remplir les fonc-
tions qui lui sont assignées.


Cependant, si l'on considère de sang-froidles principes et la nature d'un gouvernement
monarchique, institué sur la base de la


souve-raineté du p
euple; si l'on examine attentive.ment les circo


nstances qui donnent lieu à sa
formation, on verra que le monarque


doitêtre considéré plutôt comme le
protecteurdes peuples que connue l'ennemi de leurbonheur.


Deux pouvoirs sont nécessaires à l'existenceet aux fonctions du corps politique; celui devouloir et celui d'agir. Par le prenne'', la so-ciété établit les règles qui doivent la conduireau but qu'elle se p
ropose, et qui est incontes-


tablement 2e bien de tous : par le second,
cesrégies s


'exécutent, et la force publique sert àfaire t
riompher la société des obstacles quecette exécution pourrait rencontrer dans l'op-position des volontés individuelles.


Chez une grande nation,
ces deux pouvoirsne p


euvent être exercés par elle-même : de làla nécessité des représentants du peuple pour


-- 419


l'exercice de la faculté de vouloir, ou de la
puissance législative; de là encore la nécessité
l'une autre espèce de représentants pour
l'exercice de la faculté d'agir ou de la puis-
sance exécutive.
L'une et l'autre de ces puissances sont é ga-


iement nécessaires, également chères à la na-
ton; il y a cependant ceci de remarquable,
c'est que la puissance exécutive, agissant con-
tinuellement sur le peuple, est dans un rap-
port plus immédiat avec lui ; que, chargée de
maintenir le soin de l'équilibre, d'empêcher
les partialités, les préférences vers lesquelles
le petit nombre tend sans cesse au préjudice
du plus grand, il importe à ce même peuple
que cette puissance ait constamment en main
un moyen sûr de se maintenir.


Ce moyen existe dans le droit attribué au
chef suprême de la nation, d'examiner les
actes de la puissance législative, et de leur
donner ou de leur refuser le caractère sacré
de loi.


Appelé par son institution même à être tout
à la fois l'exécuteur de la loi et le protecteur
du peuple, le monarque pourrait être forcé de
tourner contre le peuple la force publique, si
son intervention n'était pas requise pour com-
pléter les actes de la législation en les décla-
rant conformes à la volonté générale.


Cette prérogative du monarque et particu-
lièrement essentielle dans tout Etat où le pou-
voir législatif ne pouvant en aucune manière
être exercé par le peuple lui-même, il est forcé
de le confier à des représentants.


La nature des choses ne tournant pas néces-




--180 --
sairement le choix de ces représentants vers
les plus dignes, mais vers ceux que leur situa-
tion, leur fortune et des circonstances parti-
culières désignent comme pouvant faire plus
volontiers le sacrifice de leur temps à la chosep
ublique, il résultera toujours du choix de ces


r
eprésentants du peuple une espèce d'aristo-


cratie de fait, qui, tendant sans cesse, à ac-
quérir une consistance légale, deviendra éga-
lement hostile pour le monarque, à qui elle
voudra s'égaler, et pour le peuple, qu'elle
cherchera toujours à tenir dans l'abaisse-
ment.


De là eette alliance naturelle et nécesSaire
entre le prince et le peuple contre toute es-pèce d


'aristocratie ; alliance fondée sur ça
qu'ayant les mêmes intérêts, les mêmes crain-
tes, ils doivent avoir un même but, et


parconséquent une même volonté.
Si, d'un côté, la grandeur du prince dépe


de la prospérité du peuple, le bonheur du peu.ple repose principalement sur la puissance tu-tulaire du prince.
Ce n'est donc point pour son avantage par-


ticulier que le monarque intervient dans la
législation, mais pour l'intérêt même du peu-
ple, et c'est dans ce sens qu'on peut et qu'on
doit dire que la sanction royale n'est point lap
rérogative du monarque, mais la propriété,


le domaine de la nation.


Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, Mirabeau
prend soin de bien établir la situation en vue
de laquelle il émet son opinion. Il ne faut pas
perdre de vue d'ailleurs que, dans son système,le roi n'était que le mandataire salarié du peu


-- 181
pie, relevant de son mandat, en qui réside la
salie vraie souveraineté.


J'ai supposé jusqu'ici un ordre de choses
vers lequel nous marchons à grands pas; je
veux dire une monarchie organisée et cons-
tituée; mais comme nous ne sommes point
encore arrivés à cet ordre de choses, je dois
m'expliquer hautement. Je pense que le droit
de suspendre, et même d'arrêter l'action du
Corps législatif, doit appartenir au roi quand
la constitution sera faite, et qu'il s'agira seu-
lement de la maintenir. Mais ce droit d'arrê-
ter, ce veto, ne saurait s'exercer quand il s'agit
de créer la constitution : je ne conçois pas
comment on pourrait disputer à un peuple le
droit de se donner à lui-même la constitution


Pmaarisla
. quelle il lui plaît d'être gouverné désor-


Cherchons donc uniquement si, dans la
constitutionà créer, la sanction royale doit
entrer comme partie intégrante de la legisla-


Certaine,ment, poursuit Mirabeau, à un pre-
mier point de vue superficiel, de grandes ob-
jections se présentent contre l'idée d'un veto
exercé par un individu quelconque contre le.
voeu des représentants du peuple.


Mais toutes ces objections disparaissent de-
vant cette grande vérité, que, sans un droit
de résistance dans la main du dépositaire de
la force publique, cette force pourrait souvent
être réclamée et employée malgré lui à exécu-
ter des volontés contraires à la volonté géné-
rale.




— 132
Le prince est le représentant perpétuel du


Peuple. comme les députés sont ses représen-
tants élus à certaines époques. Les droits de
l'un, comme ceux des autres, ne sont fon-
dés que sur l'utilité de ceux qui les ont éta-
blis.


Personne ne réclame contre le veto de l'As-
semblée nationale, qui n'est effectivement
qu'un droit du peuple confié à ses représen-
tants pour s'opposer à toute proposition qui
tendrait au rétablissement du despotisme mi-
nistériel : pourquoi donc réclamer contre le
veto (lu prince, qui n'est aussi qu'un droit du
peuple confié spécialement au prince, parce
que le prince est aussi intéressé que le peuple
à prévenir l'établissement de l'aristocratie


Mais, dit-on, les députés du peuple dans
l'Assemblée nationale n'étant revêtus du pou-
voir que pour un temps limité, et n'ayant au-
cune partie du pouvoir exécutif, l'abus qu'ils
peuvent faire de leur veto ne peut être d'une
conséquence aussi funeste que celui qu'un
prince inamovible opposerait à une lei juste
et raisonnable.


Premiérement, si le prince n'a pas le veto,qui empêchera les représentants du peuple de
prolonger, et bientôt après d'éterniser leur
députation?


C'est ainsi, et non, comme on vous l'a dit,
par la suppression de la Chambre des pairs,
que le long Parlement renversa la liberté po-
litique de la Grande-Bretagne.


Qui les empêchera même de s'approprier la
partie du pouvoir exécutif qui dispose des em-
plois et des grâces? Manqueront-ils de pré-


— 183 —
textes pour justifier cette usurpation? Les em-
plois sont si scandaleusement remplis ! les
grâces si indignement prostituées! etc.


Secondement, le veto, soit du prince, soit
des députés à l'Assemblée nationale ,
d'autre vertu que d'arrêter une proposition:


ne peut donc résulter d'un veto quel qu'il
soit qu'une inaction du pouvoir exécutif à cet
effet.


Troisièmement, le veto du prince peut sans
doute s'opposer à une bonne loi; mais il peut
préserver d'une mauvaise, dont la possibilité
ne saurait être contestée.


Quatrièmement, je supposerai qu'en effet
le veto du prince empêche l'établissement de
la loi la plus sage et la plus avantageuse à la
nation. Qu'arrivera-t•il si le retour annuel de
'L'Assemblée nationale est aussi solidement assuré
que la couronne sur la tête du prince qui la
porte, c'est-à-dire si le retour annuel de l'As-
semblée nationale est assuré par une loi vrai-
ment constitutionnelle, qui défende, sous peine
de conviction d'imbécilité, de proposer ni la
concession d'aucune espèce d'impôt, ni réta-
blissement de la force militaire pour plue
d'une année? Supposons que le prince ait usé
d.3.e son veto : l'Assemblée déterminera d'abord
ei l'usage qu'il en a fait a ou n'a pas des
conséquences fâcheuses pour la liberté.


Dans le second cas, la difficulté élevée par
l'interposition du veto se trouvant nulle ou
d'une légère importance, l'Assemb lée natio-
nale votera l'impôt et l'armée pour le terme
ordinaire, et dés lors tout reste dans l'ordre
Accoutumé.




--- 1 84 —
Dans le premier cas, l'Assemblée a divers


moyens d'influer, sur la volonté du roi ; elle
pourra refuser l'impôt; elle pourra refuser l'ar-
mée; elle pourra refuser l'un et l'autre ou sim-
plement ne les voter que pour un terme très
court. Quel que soit celui de ces partis qu'a-
dopte l'Assemblée, le prince, menacé de la
paralysie du pouvoir exécutif à tme époque
connue, n'a plus d'autre moyen que d'en ap-
peler à son peuple en dissolvant l'Assemblée.


Si donc alors le peuple renvoie les mêmes
députés à l'Assemblée, ne faudra-t-il pas que
le prince obéisse? Car c'est là le vrai mot,
quelqu'idée que l'on ait donnée jusqu'alors de
sa prétendue souveraineté lorsqu'il cesse d'être
uni d'opinion avec son peuple, et que lepeuple
est éclairé.


Il est bien entendu que toute cette argu-
mentation de l'orateur est soumise a la con-
dition essentielle d'une Constitution qui régie
et limite l'exercice du pouvoir exécutif. La
sanction royale lui parait le rempart inex-
InIgna ble de la liberté politiee, pourvu que
le roi ne puisse jamais s'obstiner dans son
veto sans dissoudre l 'assemblée, ni la dissoudre
sans convoquer immédiatement une autre as-
semblée, parce que la Constitution ne doit pas
permettre que le corps social soit jamais sans
représentants; pourvu qu'une loi constitution-
nelle déclare tous les impôts et même l'armée
annulés de droit trois mois après la dissolu-
tion de l'Assemblée nationale; pourvu, enfin,
que la responsabilité des ministres soit tou-jours exercée avec la plus inflexible rigueur.
Parmi ces conditions essentielles d'une bonne
Constitution, Mirabeau insiste sur la perina-


— 185 —
nence de l'Assemblée nationale; et quand la
chose publique ne devrait pas s'améliorer cha-
que année des progrès de la raison publique,
ne suffirait-il pas, pour se décider à pro-
noncer l'annualité de l'Assemblée nationale,
de jeter un coup d'oeil sur l'effrayante éten-
due de ses devoirs?


Les finances seules appellent peut-être pour
un demi-siècle nos travaux


Si vous passez des finances aux codes civil et
criminel, ne voyez-vous pas que l'impossibilité
d'en rédiger qui soient dignes de vous avant
une longue période, ne saurait vous dispenser
de profiter des lumières qui seront l'acquisi-
lion de chaque année? -Vous en reposerez-
sous encore, pour les améliorations provisoires
qui peuvent s'adapter aux circonstances, sur
des ministres qui croiront avoir tout fait
quand ils auront dit : Le roi sait tout, car je lui
ai tout appris, et je n'ai rait qu'exécuter ses or-
dres absolus, que je lui ai dit de me donner.


On a soutenu que le peu d'esprit public
s'oppose au retour annuel de l'Assemblée na-
tionale. Mais comment formerez-vous mieux
cet esprit public, qu'en rapprochant les épo-
ques où chaque citoyen sera appelé à en don-
ner des preuves? Pouvait-il exister, cet esprit
Public, quand la fatale division des ordres ab-
sorbait tout ce qu'elle n'avilissait pas, quand
tous les citoyens, grands et petits, n'avaient
d'autres ressources contre les humiliations et
l'insouciance, et d'autre dédommagement de
leur nullité que les spectacles, la chasse, l'in-
trigue, la cabale, le jeu, tous les vices?...




— I8
Nous aurons donc une assemblée perma-


nente, et cette institution sublime serait à
elle seule le contrepoids suffisant du veto
royal.


Je me résume en un seul mot, messieurs :
annualité de l'Assemblée nationale; annualité
de l'armée; annualité de l'impôt; responsabi-
lité des ministres; et la sanction royale sans
restriction écrite, mais parfaitement limitée
de fait, sera le palladium de la liberté natio-
nale et le plus précieux exercice de la souve-
raineté du peuple.


Le discours de Mirabeau sur la sanction
royale a souvent été cité comme l'exposé le
plus complet de ses principes constitution-
neLs; mais il ne s'agit.point ici de principes; il
s'agit simplement d'un fonctionnement régu-
lier à établir, d'un problème à résoudre, dont
les termes sont imposés à ceux qui ont à en
trouver la solution. Pour bien appréeierle rôlede Mirabeau à l'Assemblée constituante, il ne
faut point oublier que l'homme politique, fai-
sant la part des circonstances toutes les fois
qu'il le fallai


•t savait dominer chez lui dans la
pratique le théoricien émettant des idées ab-
solues. Pour bien envisager dans la circon
tance présente sa pensée sous toutes ses faces,
il faut se reporter a un travail publié dans le
Courier de Provence, sous ce titre: Nouveau coupd'oeil sur la sanction male. Après avoir repre-
senté sous une autre forme les arguments
qu'on vient de lire, Mirabeau conclut ainsi :


Si les lois doivent consulter le caractère


— 187 —
national, ce n'est pas pour le favoriser dans
ses travers, mais pour leur opposer un frein
salutaire. C'est ainsi que de sages institutions
contribuent à la perfection humaine. Si donc
une nation se montrait plus désireuse du bien
public qu'expérimentée dans l'art de l'effec-
tuer; si une carrière toute nouvelle d'égalité,
de liberté et de bonheur trouvait dans les es-
prits plus d'ardeur pour s'y précipiter que de
mesure pour la parcourir, si une confiance
présomptueuse dans ses idées lui donnait,
avec l'impatience de l'examen, la pente aux
résolutions prématurées, si l'esprit législatif
était encore chez elle un esprit à naître,
une disposition à former; si quelques traces
de précipitation et d'immaturité marquaient
déjà, l'avenue législative où elle est entrée,
conviendrait-il de n'environner les législa-
teurs d'aucune barrière ; de ne leur opposer
qu'une résistance de forme, qui s'évanouît
d'elle-même; de leur livrer ainsi sans défense
le sort du trône et de la nation?


Les sages démocraties se sont limitées el-
les-mêmes; elle se sont défendues par des
précautions puissantes contre la légèreté des
actes publics; ces lois qu'elles se donnent
sont élaborées successivement dans différen-
tes Chambres, qui en examinent les rapports,
les convenances, le fond et la forme, ce n'est
que dans leur parfaite maturité qu'elles sont
portées à la sanction populaire. A plus forte
raison , dans une monarchie où les fonctions
du pouvoir législatif, celles-là mêmes qui ont
le plus d'activité, sont confiées à. une assem-
blée représentative, la nation doit-elle être




— 488 —
jalouse de la modérer, de l'assujettir à des
formes sévères, et de prémunir sa propre li-
berté contre les atteintes et la dégénération
d'un tel pouvoir; car, il ne faut pas l'oublier,
l'Assemblée nationale n'est pas la nation, et
toute assemblée particulière porte avec elle
des germes d'aristocratie...


Quand le pouvoir exécutif, livré à ses pro-
pres excès, sans frein et sans règle, en est à
son dernier terme, il se dissout de lui-même, il
retourne à la nation qui l'a départi. Tous ré-
parent alors les fautes d'un seul; la machine
politique se recompose, et la liberté naît sou-
dain ou se rajeunit clans cette crise. Nous n'i-
rons pas loin en chercher un exemple.


Mais si la révolution était inverse; si le
Corps législatif, avec de grands moyens de
devenir ambitieux et oppresseur, le devenait
en effet ; s'il forçait un jour la nation à se
soulever contre une funeste aristocratie, ou le
prince à se réunir à la nation pour secouer ce
joug odieux, des factions terribles naîtraient
de ce grand corps décomposé ; les chefs les
plus puissants seraient le centre de divers par-
tis, qui chercheraient à se subjuguer les uns
-les autres ; une anarchie aristocratique anéan-
tirait tout gouvernement, et si la puissance
royale, après des années de division et de
malheurs, triomphait enfin, ce serait en met-
tant tout de niveau, c'est-à-dire en écrasant
tout. La liberté publique resterait ensevelie
sous les ruines ; on n'aurait qu'un maître ab:
solu sous le nom de roi, et le peuple vivrait
tranquillement clans le mépris, sous un despo-
tisme presque nécessaire.


-- 489
Serait-ce là le fond de la perspective loin-


taine qui semble se laisser entrevoir dans la
Constitution qui s'organise? Si cela était, i'é-
:at d'où nous sortons nous aurait préparé de
meilleures choses que celui dans lequel nous
allons entrer. Le despotisme, au milieu de ses
violences et de ses désordres , portait le
germe d'une prochaine restauration de la li-
berté, tandis que la liberté, dans le monument
hardi qu'elle s'élève, recélerait déjà les prin-
cipes de son altération et de sa ruine.


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