LA DÉMOCRA~rIE DEVANT L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE. • I Pan!!. ~...
}

LA


DÉMOCRA~rIE
DEVANT


L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE.






I Pan!!. ~ Typograpblf3 de Firmin Didot Cr~re5, me Jacob t 56.




LA


DÉMOCRATIE
DIlVANT


L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE .
. u.


CAS DE CONSCIENCE.
SECONDE SÉRIE.


PAR MGI\ PARISIS,
í:vf:QUE DE LANGRES. 'I1J:MIlRE DE ,: ASSEMBLÉE NATIONALE.


o Timothee, depositum custod' , d/lll'-
tam profana. tloeum novltates. et oppo-
,itionos/al" Rominis sclentim.


(1 Tlmotb., VI, ~o.l


Seconbt ClEbitiOtt.


PARIS,
JACQUES LECOFFRE ET C', iÉDITEURS,


RUE DU VIEUX-COLOMBIER, 29,
Ci-devant rue du Pot de Fer Saint-Slllpice, i.


1849.






LA


DÉM OCRA.r"fIE
DEVANT


L'ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE.


CAS DE CONSCIENCE.
SECONDE SÉBIE.


o T¿mothee. dep().~UU1n cllstadí ~ Mvi~
tans pr'o/anas 'IJocum llfHJitates ~ et oppo·
.';iliones fa,lsi 1wminis scientiw.


(1 Timo!., VI, '0.1


... -


OBIET ET MOTIF DE CET OUVRAGE.


Dans le cours de l'année 1847, nOU8 avons publié
des ('as de cOIlJ'ciellce ti jJropos des Liberté,}' (',U':I'-
cées (/u rédalllées parle,}' catholiqlleJ'. Dans cet 011-
vrage, nous avons di! a la royauté coñstitutiollllelle
ce que nous croyions etre la vérité. Nous ne luí aVOllS
dissimulé ni ses devoirs, ni ses torts, ni les dangers
vers lesquels elle se précípitait.


U. 1




-2-
NOllS avons surtout alors signalé, comme le plus


imminent, un péril que l'on croyait généralement etre
encore fort éloigné. Nous avons annoncé l'invasion
prochaine du commum"J'''w. « Il s'agit, disions-nous,
ce d'un systeme bien arreté , bien complet, et tres-bien
e( compris de ton s ceux ql1i en poursuivent l'exécn-
« tion : systeme don,t presqlle tous les jonrnaux irré-
« ligieux sont le programme, dont presqne tons les
« romans modernes sont le tablean (1) , dont ton tes les
« manvaises passions sont le mobile, dont l'orga-
« nisation dn travail est le mot d'ordre, dont le fou-
c( riérisme est l'utopie, mais dont le communisme,
« en ce qui regarde surtout les propriétés, est le but
« réel, distinct et pratique.


« On chercherait vainement a se le dissimuler, ce
e( systeme est vivant dans les entrailIes ele la France :
(e chaque jour, on sent qu'il s'accrolt, qu1il se déve-
« loppe, qu'il pass e de l'obscurité des théories dans
« la région des faits, qn'il marche eufiu, personnifié
( dans des millions d'holllmes, comme une armée
« formidable contre toutes nos institntions. Voila l'é-
« tat des choses. ))


Cet état de choses, dont l'expérience a rait voir
l'effroyable réalité, les pouvoirs d'alors le méconnu-
rent; ils dédaiguerent ÍlOs ayertissements; ils per-


(1) Nous mettons an nombre de ces romans certaines histoires récentes
dc la révoluLioll franc;aise, qui lI'ont de I'éel que les noms propres et les
pvéllcments matel'iels, milis dout tonte la morale et tons les porfraits ap-
partiellncnt évidemment an romantisme du plus mauvais genre. (Gas de
cnnsc., 1847, AppAndice SII1' le cnmnl1lnisme.)




-3-
sévérEwent dans une voie aussi coupable devant Dieu
qu'imprudente devant les homilles, júsqu'au moment
ou l'ouragan populaire vint les saisir dan s la sécnrité
de leurs forces, et les emporta comme une feuille
desséchée.


Une situation llouvelle nOlls étant faite, de non-
veaux devoirs nons sont imposés.


NOllS avons dit, dans nos premiers ('as de CO/1S-
cience, ce qu'étaient nos institutions constitution-
nelles an point de vne de Penseignement chrétien.
Nous avons dit ce que les catholiques pouvaient faire
et ce qu'ils devaient éviter, dan s ce systeme de li-
bertés civiles auqucl l'Église se trouvait melée, noÍ}
pour la premiere fois, maiR dans des conditions nou-
yelles.


Maintenant, Hons avons a dil'e ce qu'esi, en pré-
sence du meme enseignement, notre état républicain;
ce que, nous catholiques, nous devons penser de cel'-
tains 1110tS et de certailles choses; ce qne les pouvoirs
dll jour nous doivcnt, el ce que nous leur devons ;
dans queHes limites enfi~l, an milieu de ce débat entre
un passé compromis et un avenir inconnu, nous pou-
vons el nous devons nous meler an mouvement so-
cial.


La révolution de février s'est faite en vertn dn prin-
cipe (le la soüveraineté du peúple; et c'est encore uni-
quement d'apres ce p~incipe qne tout se constitne el
se gouverne depuis cette époque. On a dit que cette
~ouveraine'té était de droit divin, qu'ellé était abso-


1.




-4-
luo, qu'elle était au-dessus de toutos los autrcs. Qu'y
a-t-il de vrai dans ces allégations? Qu'est-ce que la
souveraineté du peuple au jugement de l'enseigne-
ment chrétien ? qu' est-elle eOllsidérée comme un droit ?
quelles sont ses conséquences légilimes? quelles son!
ses limites?


Cette révolution a pris pour sa devise trois mots
originairement empruntés a l'Évangile. Le sen s poli-
tique qu'on leur dorme est-il toujoUJ's évangélique?
n'est·il pas souvent tout le contraire de ce que l'Évan-
gile a dit et vonlu?


Nous ne parlerons pas de l'abus évidemment sa-
crilége et grossierement scandaleux que l'on fait quel-
quefois des noms les plus sacrés, meme dans les or-
gies les plus dégoutantes. Dans cel écrit, comme dans
le précédent, nous nous adressons aux catholiques
que nous croyons sinceres, mais que nous soup¡;;on-
nons abusés.


Un des premiers devoirs de I'apostolat catholique,
e'est de conserver intact le dépót de la foi; et le
grand Apótre, en nousle recommandant, nous avcr-
tit que ce qui est surtout a craindre pour la saine
doctrine, ce sont moins les blasphemes formeIs et
les impiétés grossieres, sur lesquels personne ne se
méprend, que certaines interprétations et certaines
nouvE'autés qui, tantot sous des dehors de scrence,
tallLól sous des motifs de perfection, détournent les
l',-!i:·¡t:, et les cceurs de la véritable voie.


Aussi, ce que le Fils de Dieu signale dans les faux




-5-
prophetüs, c'üst qu'ils se convrenl de peaux de bre-
his, bien qu'i's soient an fond des loups ravissants (1);
et ce qu'il veut que nous saehions spéeialement sur
I'ange des ténebres, e' est qu'il se transforme en ange
de lumiere (2).


Assurément, plus que personne nons rendons jus-
tice a la pureté d'intention des catholiques qui ont,
depuis la révollltion de février, identifié le christia-
l1isme avec la démoeratie; ils ont eru sincerement
que c'était une bonne fortune pour la religion. Leur
plus grand tort est peut-etre d'avoir pensé que l'Église
de Jésus-Christ avait besoin, dans nos temps moder-
nes, d'étre appuyée sur le systeme politique auquel ils
présument qu'appartient l'avenir des peuples, ou-
bliant que l'Église, divinement fondée, n'a besoin
ponr se soutenir d'ancun systeme humain; qu'elle ne
peut pas plus vonloir désormais s'appuyer sur la dé-
mocratie, qu'elle n'a pu vouloir autrefois s'appnyer
sur la monarchif'; que les républiques aussi bien que
les rois seraient conpables si elles pensaient que e'est
sur elles que la religion repose, puisque, meme sons la
loi figmative, Dieu punissait, en le frappant de mort,
eelui qni voulait de son bras de chair Boutenir l'arehe
sainfe (31.


(j) Altendile a falsis pl'ophpti~, ql1i venillnl ad \"O~ in '-e,tinWlltiR m'illm,
iutrinseClls antem sllnt lllpi rapaces (MaUh., YII, 15).


(2) Ipse enim SaLa1las translignrat se in angelnm lucis (2 Cor., XI, 11).
(3) Extendít Oza m3nllm ad m'ram Dei ... iralnsljllp. e~t indignationl' Do-


minus contra ozam, el peJ'f'u8sit ('um sIlTJeJ' fl'merifatc : qui mOl'tulIs I'sl ibi
jllxta arcam Dei (~ Reg., VI, 6, i).




-6-
Quoi qu'il e~ soit, au nlÍlieu du ~racas de tant de


ruines, du sOl,ü~wement de tant de projets, 4U. tunll~1te
de tant d'opinions opposées dans lesquelles l'Évangile
est invoqué si hauLemellt et si cOlltradictoirement,
nous avons cru elltendre le grand Apotre HOUS adres-
ser ces ptlroles : O Tilllothee, dep0.l'ÜwJl cllstodi, de-
I'l'tans jJrofalUl,j' VOClllll !lovitalc.\' el 0f'I)()siúo/les
jaJ.ri Ilo/Juitú J'cielllüe,. et c'est pour cela que nO\lS
élevons la voix.


" ..




-7-


PREMIElt CAS DE CONSCIENCE.


SOUVERAINETÉ DU PEUPLE.


1° SA. SOURCE.


Peut-on, saos attaqller l'euseigllement cllrétien sur l'obéissallce due aux
pouvoirs constitués, admeUre le principe de la souveraineté du peuple P


DOUTE.


Tontes les Écritures proclament le devoir d'obéir
aux puissances établies. Achaque page on rCllCOn-
tre des préceptes comme ceux-ci : « C'est par moi
(1 que regnent les rois et que les législateurs font ues
(1 lois justes. C'est par moi que les princes comman-
( dent el que les puissants rendent la justice (1). Que
« tout homme soit soumis aux puissances supérien-
« res, car il n'y a pas de puissance qui ne viennc
« de Dieu. CeUes qui existent, c'est Dieu qui les a éta-
I( blies. C'est pourquoi celui qui résisle 3 la puissance
(1 résiste a la volonté de Dien; et par cette résistance
( il attire sur lui la damnation (2). » D'ailleurs, tOlltes


(1) Per me I'eges I'egnant, el legum conditol'esjustl! dece'l'nunt. Pe'/'
me principes imperant, et potentes decel'nunt justitiam (Prov., VIII, 15,
16).


(2) Omnis anima potestatilrnssulJlimiol'ibus subdita sit : non est enim




- 8--
le~ tl'aditions du peuple de Bieu SOlIR les denx Testa-
ments pl'ésentent le pouvoir souverain comme ton-
jOllrs placé entre les mains d'nn seul OH de quelql1es-
UllS, auxquels la multitude obéit sans qu'on aper¡;oive
jamais auenne r~c\amation conlre leurs droits, ni
ancune revendication de la souveraineté populaire.
Comment done aceordpl' le príncipe de ceUe so uve-
raineté avec l'eni'cignenlPnt chr,'lifln, Boit écrit, Boit
trnditiollnrl :>


RF:PO:'\SE.


Pour obtenil' une solntion vraiment conclnante sur
tonte question relative au droit de sOlIveraineté, il
faut, en effet, établir d'abord, comme príncipe fonda-
mental el absolu, que tonte puissance vient de Dieu.
Et il est facile de se I'endl'o compte de cette vérité,
sur laquelle l'enseígnement de la révélat.ion est si
formel et si complet (1).
pote.ltrls l/isi a Den: qua: autem sunt ,a Den ()1'dinata .mnt. /taque q'lli
,'esis{it pote,stati, /Jei ol'dinationi I'esistil, Qui autem re.~istunt, ipsi ,¡ibi
damnnlione11t acqui1'1wt (Rom., XIII, 1, 2).


(1) Dei elllm ministe1' e,st (potestas) ... ideo llecessitate subditi, estote
11011 solwlI 11l'opter imm, sed etimn p/'opter conscientiam ... ministri
cllim Dei sunt (pt'incipes) ... (Rom" XIII, 4, 5, 6,) S-ubditi estole omni hu·
lIIaniC Cl'eatura: proptel' Deum , sive 1'egi quasi p1'lecellell{i, sive duci-
{/liS tnnquam (lb 1'0 missis ... quia ,~il'e,~f ¡'oluntas Dei (1 Pe!r., 11,13,11,
1~). Subditi estote Dominis carnalibus ... ,~ic'llt Christo, non ad oculU'/n
slll'vientes , qua.d hominibus placen tes , sed ut se1'vi Christifacientes vo·
luntatem Dei. .. servientes sicul Domino el non homlnibus (Eph., VI , :. ,
11, i).


Telle est l'importance de eette vérité, que Notl'e-Seigneur Jésus.christ a
daigné l'exprimer lui·meme de sa bOliche di vine dans les termes les plUR
formels, en disant a Pilate : Non haberes adversum me potestatem ul-
lam nisi tibi datum e8set desuper (Joan., XIX, 11), Au reste, ce príncipe




-9-
En ne considél'ant que la nature humaille dans


son propre fond, il est évident qu'aucun homme n'a
en lui-meme le droit de dominer ses semblables ni
d'en etre oMi. Sortis c111 meme néant, issus du mema
pere, sujefs aux memes infirmités, destinés a la mema
fin en subissant tons le meme arret de l'inévitable
mort, il est certain que, par la nature, abstraction
faite de (outo intervention divine dans les choses hu-
maines, nOlls sommes lous égaux dans nos droits,
comme dans notre origine et dans nos destinées.


Si donc Dien, de qni seul tout vient et tout dé-
pend, n'avait établi ou direclement OH indirectement
parmi les hommes des supériorités, il n'y en aurait
aucune de légitime.


A ce propos, que J'on nous permette de faire une
observation incidente, mais bien sérieuse. On a beau-
coup parlé, . surtont depnis dix-huit am;, contre le
pouvoir de droit dil'ill. en grand nombre des hommes
émir~(,l~t.s qui gémisscnt le plus aujourd'hui des prin-
cipes de dissolution quí pénetrent la sociétÁ, ont em-
ployé tonto ce qll'ils avaient de talent el d'influence
pour discréditer ceUe croyance, que la puissance pu-
blique prel1d sa racinp dan s la puissance de Dieu
meme.


Peut-etre souvent n'ont-ils voulu que combattre
n'a pas été introduit dans le monde par n;:vangile; les anciennes ÉCl'itllres
I'avaient tonjonrs enseigné, meme en ce qlli concernait le ponvoir des princes
persécuteurs dn peuple de Dieu. Ses prophetes, tOllt en en blAmaut a[ors I'n-
sage, en respectaient I'origine. Ainsi Danip[ disait a Nabllchodollosor, roi
de llaby[one : Deus cre/i regnum etfol"titudinem et imperiuln el glol"iam
dedit tibi (Daniel, 11 ,137).




-10-
l'application exclusive que, dans un autre parti, on
prétendait faire de ce droit divin uniquement en fa-
veur d'un systeme; mais n'ont-ils pas trop souvent
dépassé ce but? Dans ces déclamations fllribondes et
dans ces dérisions ameres contre le tlroÜ dilJin, n'ont-
Hs pas laissé entrevoir que le uroit, et surtout le
droit poli tique , était une institution tout humaine,
dans laquelle l'homme est le maltl'e absolu de faire
et de défaire, de construire et de renverser, sans
qu'aueune loi supérieure le domine jamais dans ces
reuvres arbitraires de révolution et de reeonstitution
sociale?


NOllS ne savons, et nOLlS n'avons pas a chercher ce
gu'ils ont voulu; mais nous sommes bien surs de ce
qu'i[s ont produit : en déclamant sans fin contre la
théocratie, ils ont violemment éuranlé, sinon détruit,
la foi en Paetion de la Providence dans l'organisation
et le maintien des sociétés.


Et ccpendant, si l'on se place en elehors de ceUe
foi, nous portons a tous les hommes d'État [e défi so-
lennel de donner une base aeeeptable a la légitimité
d'un pouvoir quelconque. Si le droit ne vient pas
de Diou, le seul droit véritable, e' est la force.


Les vrais auteurs des bouleversemellts qui désolellt
le monde et de eeux qui le menaeent encore, ne sont
done pas tant les multitudes qui ravagent et conspi-
rent, que les éerivains qui aveuglent et corrompent.
Les peuples ont dó. ecsser de respecter les maltres de
la terre, depuis qu'ils ll'ont plus vu sur leurs fronts le




-11-
reflet de la majesté divine. Et quelle que soit la forme
du gouvernement qui nous est définitivement destiné,
il en sera toujours ainsi; parce que, si la terre n 'est
pas au Seigneur (1), si ce n' est pas lui qui en faiL le
pa!'tage, elle appartient également a tous i paree que,
si Diou n'a pas dit de quelque maniere a un hornme
ou a plusieurs : ( Vous commanderez aux autres, )) tous
ont droit de leur résister.


Nous résumons donc .ces réflexions préliminaires
eL capitales par ces mots : IL n'y a que deux droits
possibLes dans le monde; le droit divin, ou le droit du
p!us fort.


Le dl'oit du plus fort, la conseience humaine le re-
ponsse. Tont se réduit done a chereher ou est le droit
divin, et de voir, poal' la question spéeiale qui nous
occupe, ou Dieu a placé la souveraineté.


Dans cet ordre de choses, la volonté divine peut se
manifester a nous de deux manieres: explicitement et
dil'ectement, par des orades expres et des institu-
tions irnmédiatement et absolumenL théocratiques;
indirectement et implicitement, par certains besoins
impérieux el généraux qui sont la révélation de 1'0r-
dre divinement établi dans la nature.


Dans le premier cas, le droit divin se présente avec
des caracteres nets, précis, déterminés, incontesta-
bles. Ainsi, quand Dieu a daígné se choísir un peu-
pIé pour en eLre lui-meme, non-seulement le roi su-


(1) Dom'ini est terra et plenitudo ejus: orbis terrarum et universi
lJui habitant in ea (ps., XXIII, 1).




- 12-
preme, comme il I'est toujours, mais le souverain
immédiat et particulier; quand il lui a faít dire par
ses propbetes : « Le Seigneur ton Dieu t'a choisi ponr
« que, parmi tous les penples qui sont sur la terre, tn
(( luí sois un peuple spécial (1)i » quand il a bien vonh},
par des loisdétaillées, déterminer les devoirs et les
fonctions de chacnn de ses mandataires visibles; alors
tonte contestation et toute iJlnsion étaient évidemment
impossibles sur I'origine et la légitimité des droits de
ceux qui avaient le commandement.


Ainsi encore, pour tous cenx qni croient a l'Église,
a l'institution du minislere pastoral, a la doublc hié-
rarchie d'ordre el de juridiction, a la mission snpé-
rieure des apótres et de leurs snccesseurs, a la pri-
maulé d'honneur et de pOllvoirs donnéc a saint
Pierre, ponr ceux-Iá ce droit divin est évident; parce
que, dans ces hommes raibles et mortels comme les
autres, la roi révele les ministres de Dieu, les dis-
pensateurs de ses mysteres, les plénipotentiaires dont
Dieu lui-meme a promis de rati6er les nrrets dans les
limites de leur mission (2).


Mais Dieu n'a pas voulu organiser ainsi immédia-
tement et visiblement toutes les sociétés humaines. Il
en a établi deux ponr servir de modele, et il a ensuite
laissé a la liberté de l'homme le droit de constitller


(1) Te elegit Dominus Dells luus, lit sis ei populus peclllaris de cunctis
popuJis qui sunt super terram (Deut., VII, 6).


(2) Sic nos existimet horno ut ministros Chl'isti, el tlispensatores myste·
riorum Dei (1 Cor., IV, 1). Sicllt misil me pater el ego mitto vos (Joan.,
20,21).




~ 13-
les autres en se rapprochant plus ou moins de ces
deux. lypes divius, selon que les manifeslations de sa
providence en feraient sentir le uevoir et le besoin.


Maintenant, ou trouve¡' le droit divin dans ces so-
ciétés qui sont I'muvre de l'homme;t


POUl' répondrc a cette question capitale, établis-
sons d'abord, comme principes fondamentaux :


10 Que ce qui est Ulle nécessité de la natura est la
volonlé de Dien ;


2° Que se constiluel' en société es1, pour les peu-
pies, une nécessité impérieuse de la nature;


3° Qu'une société n'existe et ne se conc;oit pas plus
satis une puissance souveraine et dirigeante, qu'un
corps vivant ne se conQoit san s tete.


D'olJ ~I suit que la souveraineté est dans toute so-
ciélé une condition voulue de Dieu.


On sait que cette sOllverailleté pent revetir trois
formes diverses : qll'elle peut etre monarchique, aris~
tocratique, ou dómocratique. Ces 1roís formes sont en
elles-mellles, de l'aveu de tous, également légitimes;
el nous dirons plus tard jusqu'a quel point, une fois
établies, elles sont sacrées.


l\Iais connnent s'établissent-elles?
L'histoire nou::> montre que les pouvoirs souverains


naissent de circonstances tres-diverses. Souvent, au
berceau des peuples, on voit qu'ils ne furent pas au-
tre chose que l'autorité patriarcale s'étendant suc-
cessivemenl a plusieurs familles. Quelquefois ils fu-
rent le résultat de la conquete ou de l'usurpation.




-u-
D'autres fois ils sortirent de l'élection Otl de l'acc1a-
mation de tous ou de quelques-uns. Et malgré cette
diversité d'origine, ils peuvent également elre ou de-
venir, a cerlaines conditions, réguliers et légitimes.


Cependant il faut reconnaltre que pll1sieurs de ces
pouvoirs, ayant été ¡njustes a lenr naissanee, ne pou-
vaient alors en aueune maniere représenter la volonté
de Dieu, qui reponsse essentielIement toute injus-
tice (1).


Qúels sont done ccux dont la souree est incontes-
tablement pure? Et, pour nous renfermer unique-
ment dans la question spéciale qui a été posée, quelle
es1, des le moment de son origine, la valeur du po u-
voir souverain issu de l'élection, et d 'ou lui vicnt
alors- eette valenr?


C'est ici que 1l0US entrons dans le eeeur meme dn
sujet.


Pour que nous n'ayons aucun doute sur cette vé-
rité générale, que l'élection peut (~tl'e, en ccrlains
eas, une source légitime de la souvcraineté, Dieu a
von]u nous en donner un exemple dans l'histoire du
peuple meme qu'il s'était ehoisi, et dont, eomme nous
l'avons rappelé, il avait daigné se faire le législateur
temporel et le souverain immédiat.
c_ Généralement c'esl Dieu lui-meme qui désignait
les chefs du peuple hébreu, souvent par la voix de
ses propbOtes (2), et quelquefois par des signes mi-


1: (1) Non Deus volens iniquifatemtu es (Ps., v, 5).
(2) losué est désigné par MOlsa (Deut" XXXI); Barae par Debbora (¡ud.,




1>-'
- u


racnleux (1). Cependant il arriva que les enfants
d'Israel, apres de longues prévarication$, liYfés aux
Philistins et aux Ammonites leurs ennemis, n 'ayant
plus a leur tete aucun envoyé du Seigneur, se choi-
sirent Jephté pour juge, en lui disant : « Venez, el
soyez notre prince, el combaLtez avec nous contre
les fils d'Ammon (2).)) L'Éeriture nous apprend que
eelto électíon fut bénie de Dieu, que des sucees
exlraordiríaircs en furent la confirmation, et que l'es-
prit du Seigneur reposa sur Jephté (3) .•


On peut done déja eonclure, de cet exemple, que
dans un moment d'anarchie, et tontes les fois qu'un
peuple n'a plus de pOllvoir réglllier et légitime, il
peut, a défant d'alltre moyen plus facile el plus sur,
se donner Ini-meme des chefs; que ces chefs ainsi
élus sont invostís d'une vraie souveraineté, a ¡aquelle
tous (loivent respeet et soumission, paree qu'elle est
dans l'ordre, et que, dans la rigueur des termes,
une fois constituée, elle est investie d'un droit divino


Mais, quand meme les saintos Écritures ne nous
offriraient pas ce témoignage, la légitimité de la forme
élective ne viendrait-eUe pas du droit supremo de la
nécessité! N'avons-nous pas établi qu 'une société ne


IV); Saül est sacré et proposé 311 peuple par le prophele Samuel (1 Reg., IX
el x). JI en est de mellle de David (1 Reg., XIV, et II Reg., 11).


(1) La missionde Géd¡;on est prouvée par divers ~ignes lIliracnlel1x (Jud.,
,[ et V[[~. eclle de Samson est une série de pmdiges (.Iud., X[JI et seq.).


(2) Ad te veninms ut proficiscaris llobisCllm et pugues contra filios Am-
mon, sisque dux omnillm qui habitant in Galaad (Jud., XI, 8). Fecitque
eum popullls principem SIIÍ ([bid., u).


(3) Factus e¡;t super Jephte spiritus DOlllini (Jud., x, 29).




-16-
peul ni subsister ni se concevoir san s des chefs qui
la gouverne~t? Et ne s'ensuit-il pas que, 10rsqu'elIe en
manque, elle trouve le droit de s'en donner dan s le
besoin me me d'en avoir?


Presque toujours alors un pacte intervient qui dé-
termine et consacre les pouvoirs et les obligations
du souverain élu, en meme temps que les devoirs et
les libertés du pellple qui I'a choisi. Une société ainsi
constituée, et que, pour cette raison, on appelle sv-
cietas pactitia, est parfaitement réguliere, légitime,
et selon l'ordre établi de Dieu. C'est encore une vé-
rité placée hors de toute contestation.


Maintenant, de ce que le peuple peut ainsi se don-
ner un souverain, n'est-il pas permis de conclure
qu'il l'est lui-meme, et que ces pOllvoirs qu'il déle-
gue, qu'il détermine et qu'il limite, il les possede
éminemment et les domine toujours souveraine-
ment?


e'est, en effet, sur ce raisonnement que repose tout
le systeme de la souveraíneté du peuple. Nons devons
reconnaltre que l'enseignement catholique admet celte
argumentation. Cependant la suite de cet écrit fera
voir quel en est précisément le sens.


11 nous suffit, en réponse au premier ea¡; posé,
d'avoir d'abord établi les príncipes gélléraux qui doi-
vent servir el la solution des qlleslions suivantes.·




-17 -


SECOND CAS DE CONSClENCE.


SOVVERAINETÉ DU PEUPLE.


2° SA NATURE.


Peut·on, salls violet' le dl'oit lIallll'el , qlli est élllillCllllllCllt le dl'oit divin,
cOlltester an peuple la souveraineté permanente"


DOUTE.


Tons les hommes étant par la nature égaux et li-
bres, eCllX qni, parmi eux, exereent la souveraineté
ne peuvent ]0 faire qu'en vertn d'nne délégation. Et
eelte délégation doit loujonrs etre révoeable, atlendu
que ccux qni ront clonnée ne veulent pas et no peu-
venL pas se dépouiller des droils d'olt elle découle.
Comment done le peuple ne resterait-il pas toujOUl'S
sonveram, puisqu'il l'est éminernment?


RÉPONSE.


Nous avons besoin, avant tont, de signaler ioi une
orrcur de langage dans laquello on tombo fréqucm-
ment. Tons les jours on prend la démocratie poUt'
la SOW'('I'(tllleté da peuple, et réeipl'oqnement. II en


11. :1




-- 1~-
l'ésllIte, comme on va le voir, les plus déplorables
confusions d'idées.


La 80uverainetó es! un droit; la démocratie est
lIne forme. Le dl'Oit vient originairement de Dieu;
la forme pellt venir uniquement du peuple.


La question est done de savoir, non pas si la dé-
mocratie ou république peut etre permanente chez
une nation, si elle peut en droit s'y perpótuer avec
tontos ses formes électives, ce qu'aueun de nos on-
tieignements n'a jamais mis en doute; mais si, les
pouvoirs publics étant une fois dúment constitués,
la 80uveraineté est entre les majns de ces pouvoirs OU
entre eolles du penple.


Homnrqllons que la question est la memo au fonel,
soit (Ille Jo p()uple ait proclamé un roi, soit qu'il ait
organisé une démocratie (-1). Dans l'un et ,'autre cas,
il s'agit de savoir si le peuple, c'est-a-dire l'ensem-
ble des citoyens, est supérienr a ce que l'on appellc
les POllFOil's pub1icJ' ; s'íl peut résister a ces pouyoirs,
s'jl peut les déposséder a son gré, ou bien, s'illcur
est inférieur, et si, en conscienee et selon la doctrine
catholique, il leur doít obéissance.


A vant de répondre directement a eeUe question,
nous avons d'abord a non s demander si Pacte memo


(1) La méme au fond, en ce sens que la délégatioll réguliere dll pOllyoil'
par le pcuple en implique l'aliéuation, all moins quant i\ son exerciee ponr
le temps et dans les termes qll'i1 a été délégué; mais iI y a eette différellce
que dans la démocratie les pOllvoirs sout partagés cutre plusieurs, el que la
délégation quí en est faite n'est que teml'oraire ,an llloillS pOtlr les pou·
voirs cx(:clllif et Ir,gislatif.




- HI-
par Jequel Je peuple se donne des chefs pOIl!' se cons-
tituer en société, est vraiment, et dans touto l'dclldue
des termes, un acte de souveraineté. On peut etre Slll'-
pris de cütte demande, et ccpendant on va voir qn'elle
est loin d'ütre oisense.


Il est bien vrai que, dans la nomination de ses re-
présentants, un peuple démocratique fait un acte d'au-
torité supreme, en ce sens qu'il ne peut etre dan s
cet acte ni forcé, ni controlé, ni réformé par aucun
autre pouvoir politique; et, sous ce rapport, c'est vrai-
ment un acte de souveraineté.


Mais en est-il de meme sous tous les autros rappol'ls?
Ne faut-il pas remarq'lier, 10 que la souverainetó ron-
forme encore essentiellement l'exercice de bien d'au-
tres droits que celui do délégation; que la sOllvorai-
neté, pour etro complete, doit pouvoir faire la paix eL
la guerre, faire des ¡ois, LaUre monnaie, etc., droi ls
que le peuple n'exorce jamais par lui-meme, au moins
parrni nous; 2° (PI 'on so donnant des cllCfs, Je peu-
pIe ne fait que salisfail'o un do ses bosoins les plus
impérieux, puisque, encore une foís, illui fauí aLso-
lnment des chefs ponr sa constitntion et sa conser-
vatíon comme société; 3° en fin , que cette sorte de
souveraineté, dont on vent le rendre si fiel', se réduit,
apres tont, a le mettre sous la main de ceux qn'il s'esl
préposés?


On yoit done déja que, meme dan s le moment ac-
cidentel el fugilif oü le peuple exercc le plus pleine-
ment ce qu'on appelle sa tonte-puissance, ii s'en fau!


2.




- 2U-
qn'il ait l'exercice immédiat d'une souveraineté com-
pU~te. Comment done l'aurait-il apres l'accomplis-
sement el, pour ainsi dire, la consommalion de ce
devoir?


Ainsi, en prenant la souveraineté dans toute I'é-
tenduc de son acception véritable, el surtout dans
la plénitude de son supreme exercice, il est faux que
le peuple la possMc jamais (1).


Maintenant, une fois les pouvoirs publics légitime-
ment constitués, dans quelle situation le peuple est-iI
vis-a-vis d'eux? Puis, que sont ces pouvoirs el d'Oll
vient leur autorité?


Si l'autorité ne leur était vraiment venue que du
pellple, si c'était le peuple seul qui la leur eut confé-
rée en la prenant uniquement dans son propre fonu,
on pourrait peut-etre lui reconnaitre le droit de la
leur enlever a son gré; et, dans ce cas, illeur demeu-
rerait toujours snpérieur.


(1) Le cas ou nn peuple semblerait le plus en possession de sa pl'úprú
50uveraincté sel'ait celui O", sans se nommcr aucnn chef, il déciderait tOllt
á la majorité des voix. Eh bien, mémc dans cette hypothese a pen pres tonte
lictive, que sCl'ait, IlOur les individus, cette sOllveraineté flottante qni appar-
ticndrait a tous sans tl'lC personIle flit sur a I'avance de la possédel' jamais;
illaquelle vous participez Gtljourd'lttli, puis qui vous échappe et vous COIll-
hat demain? Oserait·on uppúler cette sitllatioll IIn étJt de sOllyeraincfé,
IJlland ce semit tOll.t all plus unc cerlaine organisaliou de I'anarchie.


si I'on dit quc e'est toujo\ll's alors la majorité 'luÍ est sOllveraine, !lOllS de-
mandel'ons ce que e'est <lU IOlHI que ce droit dcs majorités, sinon IIne délé-
gatioll COllYClllionnelle á une [lUiSS311CC inrlétenninéc, e'cst·¡¡-dirc a la plus
ineertaine, souvent l' la plus aveugle el quelquefois 11 la plus formidable des
puissances. Sans doule, eette délégatioll pe"lt étre légitime comme toute
auh·e, mais i1n'~ faut pas ouhlier que e'el! est lIne, et que le pOllvoir qui en
résulte n'es! ras toujours du premier ol'drú. Qui oserait dire que le pouvoir
de la majorité des soltlats est supérieur 11 celui dll général ~




-- 21 -
Mais l'enseignement chréticn peut-il admettre un


pumil systeme. Trol1ve-t-on quelque part, ou dans
nos livres saints ou dans aucun monument de nos
traditions, que le pouvoir vient du peuple, comme de
sa source premiere? La tradition et l'Écriture ne sont-
elles pas, au contraire, d'accord pour proclamer que
le pouvoir vient originairement de Dieu, et de Dieu
seu\. Poú" peu que I'on ait quelque idée des saines
doctrines, peut-on oublier cette vérité primordiale?


Que ce pouvoir s'appelle démocratie, aristocratie,
monarchie; qu'il vienne de l'élection ou de l'héré-
dité, il n'jmporte (1): des lors ql1'il est régulier, ql1'il
est reconnu, et qu 'il fonctionne, sa majesté est invio-
lable et sacrée (2).


:Maintenant revient l'ohjection, que cependant le
pouvoir doit sortir dn penple, pnisque c'est le peuple
qui le confere; que personne ne peut donner ce qu'il
n'a pas; et qu'ainsi, pOU!' faire un souverain, coUectif
ou il1dividu, il faut etre souverain soi-meme.


Nous répondons qu'il y a une différence radicale
et profonde entre posséder le dépót de l'autorité pu-
blique, eL en avoir l'exercice. Un ponvoir qn'on ne


(1) Excepté, commc nOlls I'anllls di!, quant a I'éleudue et a la durée.
(2) On demandera pellt·ctl"e Ü qllels signes se dislinguellt les pOllvoirs qui


sont rel'etus de ces tmis cal"acteres. Nons I"épondrolls que c'cst la une qUC3-
fíon d'appréciatioll el de fai! , el que nOlls ne traitolls id qlle des questiollR
¡le pl"Íllr.ipe el de droit. NOlls pensons d'aillenrs qn'en présence des partis
f1ui di,·isent la France, meme dalls les raugs de <:eux qui s'appellent les amis
uc rordre, i\ Y aurait, all llloillS pom 1(: moment, imprudenee a r<:lllllcr
(:etk maticrc. ceprndant la répollsc Ü eelte qucstion délicale se trou\"('ra
énoncre it\1[llicitcmcnt et (1'lIne maniere généra le par l'ensemIJle de cel
ollvl'age.




- 22-
peut exercer qn'en le délégnant n'est pas uno sonve-
I'aineté; c'en est sonlement le germe. CeluÍ-la seul es!
sonvel'ain qui a des subol'donnés et qui leur com-
mande, de telle sorto que son commandement attei-
gne leur conscience.


01', le peuple n'estjamais cela. Il ne eommande pas:
il délegue, pOUI' Otre lui-meme commandé de droit
divino


En effet, qu'un roi soit ou non l'élu du pellple,
pal' cela seul qu'il est roi, il est, dans les limites des
attributions conférées, le représentant de l'autorité
divine. Tous ceux qui forment le peuple dont il est
devenu le souverain sont tenus de lui oMir, non pas
seulement parco qu'ils s'y sont obligés par un pacte
spécial, alltrement ceux qui n'auraient pas adhéré
formellement a ce pacte ne seraient pas tenus a 1'0-
béissanee, mais paree que e'est I'ordre établi de
Dieu (1).


En faisant l'élection des dépositaires de la puissance
publique quelle qll'elle soit, législativo ou ex("cutive,
consulaire ou impériale, un peuple fait done deux
choses tres-distinctes : d'abord, iI donne ce qu'il pos-
sede en lui-meme et ce dont il peut pleinement dispo-
sel' : ainsi il consent au sacrifico d'une partie de ses
biens et de sa liberté; mais ensuite, il transmet ce
qUÍ vient de Dieu seul, et ce que Dieu, par les lois
constitutives dn genre humain, a voulu mettre a la


'1) Qnm antem ~\lllt., aDro ordinata sllnt (Rom., XIII, 1).




- 23-
l(~te de tonte sociéltl complete; il transmot le droit,
['alllmlté, la suprématie, c'est-á-dire ql1elql1c cltose
qui place un homme, non pas seulemenl en appa-
rence et par convimtion, mais en toute réalité el de-
vant Dieu, au-dessus de ses semblables, au-dessus de
ceux qui d'ailleurs, par toutes les conditions de la na-
ture, sont ses égaux. Cest pour cela que, dan s le lan-
gage de la religion, les chefs s'appellent des sUJ)(!-
ri(!u/'s, ctqu'on lem doit, en ver tu de leur position,
respect, obéissance, fidélité (1).


II est done incontestable que le peuple, meme con-
sidéré dan s tout l'ensemble des eitoyens, est inférieur
a ses chefs. Nous trouvons meme eeUe vérité si élé-
mentaire, que nous avons quelque honte a l'écrire,
puisqu'cIlo résulte du sens le plus grammatical des
mots, et que, dans toutes les langues, qlland on me!
en corrélation le mot chefs et le mot peuple, chacun
eomprend a l'instant meme que Pun indique eeux qui
sont préposés, et ¡'autre, la collection de ceux qui
sont subordonnés.


Aussi, quand, a une époql1c d'exaltation révolu-
tionnaire, on osait appeJer un roí le premier commis
de la nation, llon-seulemeIlt OIl manquait a la reli-
giOIl, qui fait une obligation toute partieulióre d'ho-
nore!' eeUe haute puissance, Regem Iwnorijicate (2),


(1) Admone iHos pl'incipibus el potestatibllS sllbditos esse, dicto oLedire ~t
ad omne opus lJollllm paratos t'sse (Tit., 111,1).


(2) I Pl'tr., lf, 7.




- 24-
mais ue plus on ontrageait la langl1e et le hon
5en5(1).


Ajontons qu'on attaquait la société tont entiere en
aItérant une de ses conditions essentieJles, le respect
pour le pouvoir.


Anssi recueillons-nous aujourd'hui les fruits amers
de ce qu'on a semé alors, el de ce qu'on n'a cessé de
propager depuis ceUe lamentable époque. N'est-ce
pas parmi nous un cri général de douleur et d'effroi


(t) Ce principe, que I'autorité d'un pOllvoir éln ne pent etre qu'une éma-
Ilation de celui des électellI'S réunis, est démenti par des faits éclatants. AillSi,
dans un ordre de choses pal'alleJe sans elre ídentiqne, croit-oll que les cal'-
dínaux quí ront I'élection d'un pape aient en eux tout le pOllvoir papal?
Croií-on que Je~ pellples que 1'011 a vus autrefois placeL' eux-melllcs par aecla-
mutioll SUI' un siége épiscopal un prétre de leur choíx, a vaíent en eux 1 ..
pon voir d'éveqne ?


El, si I'on veut meme étudiel' avec soin les faits analogues que I'on ren-
contl'e si souvent dans l'histoiJ'e pl'Ofane, vena-t-on que jamais, excepté de


os jOllrs, la pensée de la souveraineté de la multitude soit enlrée pOllr riefl
dans les actes de l'élecLion? Est-ce que les soldats romains, quand ils se
choisissaient ponr général (imperator) le plns brave u'entre eux; est-cc
411C les Fl'allcs nos aieux, qnand i1s acclamaient, en I'élevant 8Ul' leul'S hOIl-
e1icl's, les premiers de nos rois, ont jamais, en agissant aillsi, pl'étendu ctl'e
rolledivemeut ou un roi ou un impe1'atol'? lIs ont voulu tout simplement ,
Ips IIns el les autres, exerceI' le <Iroil incontestable de se dOllner nll cher el
di' lui en déléguer le pouvoir, avee la sen le volonté de lui obéir, paree qu'i1s
en avaient besoin, et qu'ils choisissaient pOli\' eette fonction le plus capable
et le plns digne,


Au reste, 110llS croyons ne ríen hasat'der en artirmant que, malgré tontes
les fallsses doctrines de souveraineté répandues parmi nous, la plus grande
partie des élec!cuI's du 10 décemhI'e n'out (las VOllJU autl'c ehose que donuel'
IIn chef (luissant 11 la France, et que, loin d'étl'e guidés dans Icm choix par
la pensée qll'ils étaicnt ellx-memes le souverain, ils ont précisément choisi le
\toril qui leul' semblait pouvoir le mieux cOlllbattre cette fall8se et dange-
reuse doctdne.


JI en a étti aill8i dans I'ltisloire de ton tes les nations, jusqll'aux el'l'ellt'S so-
ciales, dont le premier germe se décollv/'e dans le protestantisme, et ¡Jon! la
tltéorie complete a été forlllulée par le sophiste de Gelleve.




.- 2ñ-
que celte paroJe, devcnuc vulgail'e a force d'étrc ré-
pétéc : Il o'ya plus de respect pour porsonne.


Mais de quoi se plaint-on? N'a-t-oo pas voulu ce
résullat? N'a-t-oo pas livré a la dérisioo et an sar-
casme ces époques déja tout historiqnos ou la ma-
jesté du princo, toujours eoveloppée d'uo certaio pres-
tige, était saluée de loin par le sentiment unanime
d'une véoération exceptionneIlo el vraiment reli-
gieuse? N'a-t-oll pas décrié cette dispositioodes peu-
pies comme l'effet de l'igooraoce et de la superstition?
Et pour faire disparaitre a tous les yeux l'anréole de
la majesté souveraille, o'a-t-oo pas répété sur tons
les toos, comme une découverte curieuse, que les
prillces; quels qu'ils soient, oe soot que des hommes
comme les autres? ce que, pour le dire eo passant,
nous soutenons n 'etre pas vrai daos tous les sens (1).
Et enfin, o'a-t-on pas ajouté, ce que précisément
nous combatloos eo ce momeot, que le peuple leur
reste toujours supérieur, qu'ils ne sont toujours que
ses délégués et ses mandataires (2)?


(1) NQi, les chers des nations ne sont pas en tont semblables aulo: autres
hommes, pllisqne, comme nons l'avons établi, ils ont re'tn de Diell IIn
dl"Oit. de IH·éémillence et IIl1e autorité sacrée. Ce qui faisait dire a saint Cyrille
¡j'Alexandl"Íe (de Rect. Cid. ad Theodor.) : Vos e~tis sumlllantm dign'itatum
f()ntl's, el ,wJln! omnem emillelltiam.


(2) En combaltant ecUe doctrine, nous ne voulons en aucllne maniere di-
minller les devoirs deS chefs du pcuple, qllelc¡ue 110m qu'i1s portento Illeul" est
exprpssément Mfendll de s'élerer par l'orgueil au·dessus de leurs freres :
Ncc elevetur COI' ejus in supel'Óiarn supe¡' fratres suos (Dellt., XVII, 20).
lis doivcnt se rappeler qll'ils sout faits pour le peuple, et non pas le peuple
pour cux. A l'encontre des rois de,; genli!s , les princes chréliens doiveut se
faire les servitems des antrcs. !\luís que l'oll remarque qu'en lem donnant
el' précepte sublime, Notre·Seigneur constate lenl" prééminence , qui major




-- 26-
Que s'en est il suivi et que devai l-il s'ensnivre?


Qu'aujourd'hui l'autorilé, COl11l11e telle, n'existe plus
daos le sen s moral; que sa parole n'a plus rien par
elle-meme qui la distingue de toute autre parole;
qu'il lui faut ou Je faJent pour séduire, ou la force
pour contraindre, el que, en exceptant peut-etre
l' état militaire et la carriere ecclésiastique, ce mol,
Mon supérieur le veltl, n' est pI lIS par lui-meme une
puissance devant laquelle les ames s'inclinenl spon-
tanément par un mystérieux instinct d'onlre et de
foi, mais seulement une force coactive que ron suhít
sans respect el san s amour, par le seul fait de la né-
cessité ou du calcu!.


Des 101'8 qu'il en a été ainsi ponr la plus haute au-
torité sociale, il a dú bientol en etre de meme a l'ó-
gard de toutes les autres.


Déja, en effet, dans les populations imbnes de fans-
ses doctrines, chacun voulant pour soj cette SOllve-
raineté attribuée a tous, ne voit plus dans les hommes
chargés des intérets publics que des agents res
pon sables qu'il combat, et souvent encare des heu-
reux dont íI es! jaIoux. Et ce sentiment de dorrftnation
personnelle s'emparant peu a .peu de toutes Jes clas-
ses, passant de la grande société générale aux socié-
tés particulieres, de la nat10n a la commune, de la


esto e'est aillsi que toujours la religion, en meme temps qu'ellc prechait aux
pl'inces lelll's devoil's ave e une admirable liberté, ne permit cepelldant ja-
mais d'oublier qu'i!s son! les grands de la terre : ;tI agnato humilla COI'
tuum (Ecc!., IV). Tuujuurs rllp.les honora, meme ell les réllrimallflant.




- 27-
commune :'\ I'atelier, (le l'atelier i11'école, de l'école a
la familIe, détruit ectte organisation antique qui pré-
sentait chaque pcuplc commc un corps vivanl el agis-
sant dans la subordinalion paisible de ses hiérarchies,
pour y substituer une agrégation d'individualités en
proie aje ne sais quel travail douloureux de déclasse-
ment, qui tend san s cesse a tout bouleverser, qui
sOllleve par des ambitions violentes les classes infé-
rieures contre celles qui les dominent, et qni, de la
sorle, éehauffé de plus en plus par les doctrines mons-
trueuses de l'école socialiste, pent jeter tontes les
nations dans leur ruine, el le monde cntier dans le
chaos.


Voila ce qui serait la conséquence inévitable, ri-
goureuse et Iogíquernent légitirne de ce seul príncipe:
Le pmlple e.l't foujoul's sOllíJeraill.


Il n'est done pus vrai que sa souveraineté soit per ..
manellte.




- 28-


TROJSIEME CAS DE CONSCIENCE.


SOUVERAINETÉ DU PEUPLE.


SO SES LIMITES.


Peut-on, sans nier le principe méme de I'élection, que j'on vieut de reconnai-
tl'e eomme venallt de Diell, rcl'nsct' au pcuple le rlroil de ¡,évaquer les pon-
voirs qn'iI peut institller ?


DOUTE.


n réslllte au mojns, de ce ql1i viont d'ctre dit, que
le pellple, possédant en lui-memo la mcine du ponvoir,
pout nommer ceux qui doivent en et1'e 1'evetus.


Celte nomination dépend done absolument de lui.
Or, si elle dépend de lui, eomment ne pourrait-il pas
en disposer ? Commont ne pourrajt-il pas la révoquel'?
Et comment, par ces nominations et ces révocations
qui dépondent de lui, ne pourrait-il pas l{~gitimemünt
renverí'cr el sllpplanter tous les atItres pouvoirs;>


RÉI'ONSE.


e'est done déja un principe admis, que le ponvoir
qui réside dans le pcuple ne comprend pas l'exercice
de toutes les attributions de la souvorainelé propre-
ment dite; qu'au foncl, le peuple n'en exerce jmmé-




-- 29-
diatemcnt qu'une: ceUe qui consiste el déléguer son
pouvoir et a se choisir des chefs.


Toutefois iI faut d'abord reconnaitre, comme l'ex-
prime Pobjection, que, sauf le cas tout exceptionnel
de la théocratie, Dieu ne donne pas immédiatement
le pouvoir aux princes de la terre; eL e'est en cela
qu'ils different des chefs de l'Église (1). Ce pouvoir


(1) Nos plns célebres Ihrologiens sont de ce sentiment, et ellseignellt que
Dieu ne comulllniquc pas la puissance séculiere de la méme maniere que les
pou"oil's ecclésiastiques. NOllS pOUVOllS citer le savant cal'dinal Bellarmin ,
qui déplut tant al1 roi d' Angleterre pour avoir prouvé que le pouvoir des
I'ois ne vient pas de Dieu immédiatemeut comme celui des poutifes. On peu!
alJssi consulter Suarez (de Swn. Ponto potes!., cap. 2); le cardinal Cajetan
(apolog. sen tracto 2, de Atlct. pap., p. 2, C. 10); Castro (lib. l, de Leg.
prenal., c. 1); Driedo (lib. 1, de Libert. Cllrist., C. 19); victoria (In relect:
de potest. civil., n. 8 et seq.); Soto (lib. IV, de Justit. disput., 21); Molina
(trael. 2, de .Justit. disp., 21, n. 14).


Saint Thomas, sans ctre aussi formel que les auleurs pl'écités, suppose
toujours et insiulle sOllven! que le pouvoil' civil ne vient pas immédiate-
mcnt de Dien. Les jurisconsultes du droit romain parlagcaicnt généralemcnt
ce sentiment. Les SS. Peres ont eonstámment parlé du ponvoir de I'homme
sur I'homme eoU/me immédiatement transmis par les volontés hllmaines.
Aiusi, sain! Ambroisc (ad Coloss., 3), saint Augustin (de Civit. Dei, c. 15
el lib, f(U1rst. in Gen., q. 15::), saint Grégoire (lib. 21, Moral., cap. 10, alias
1', el in Pastoral" p. 2, e. u). Nous ne eiterons qlle ce texlo de saint Allglls-
tiu (lib. III, Confess., cap. 8) ; Cencmle pactum est socielatis ltUlIlall<13
obedil'e ¡'egibus suís : ¡l'ou 1'0n pent conclllI"c que le pOllvoir des chefs de
l'État et l'obéissance qui leu\' est due ont leur fonderncnt imlllédiat dans le
pacte social et ne dérivent aiusi que médiatemeut de la volonté de Dieu.


Un comlllenlateur estimé de nos saintes J!.critul'es résume en ces termes les
doctrines des doctellI"s catholiqlles sllr le poiut en qllestion : Poteslas SiIJCU-
luris esl a Deo MEDIATE; quia natura el recta ralio qUilJ a Deo est dictat
et hominibus pel'suasit pl'icficcl'c 1'eipubUcaJ magistmtus a quibus ¡'c-
guntul'. Potestas VC¡'O 1!I!IEDIATE cst a Deo instituta; quia Christus ipse
Petnwt et apostolos Ecclcsiiv pl'iIJfecit (Corne\. a Lapid., in cap. XIII, Ep.
ad Rom., 1101. 1).


On peut faire remonter a1l telll[ls de Louis de Baviere l'origine des pré-
tentions du pOllvoir séculier au droit immédiatement divino Aloró, dan s
une cOllstitutiulI impériale publiée contre le sOllverain puntifc, les I'l"Íllces
de !'empire vou!lJrcllt étalJlil' que la dignité el la puissance impél'iales pro-




- 30-
leur arrive par une módiation humaine, et quand ¡ls
sont élus, e'ost le peuple électeur qUI est ceUe mé-
dialion.


Maintenant on demande si ce droit de nomination,
qui est pleinement reconnu comme apparlenant au
peuple, est absolu entre ses mains, tellement qu'il
puisse en disposer a son gré tout aussi bien ponr
révoquer la nomination que pour la fuire?


Afin de bien évaluer la portée de ceHe qnestion,
considérons avant tout attentivement ce qni résnlte
de l'établissement régulier des pouvoirs supremes,
surtont quand ces premiers pouvoirs sont complétés
eux-mcmes par la hiérarchie des pouvoirs secondai-
ros. Il en rósulte la constitution de la société.


eeHe constilution sociale, étant légitime dans son
principe el dan s son ensemble, établit et consacro
pour tons et ponr chacun des intérets et des droils
publics et particnliers, qui tous sont reconnus, proté-
gés, défendus par la 10í de Dieu; c'est-a-dire que,
a moins dé raison légitime, on ne pent leu!' porter


cedent immédiatement de Dieu seul, declammus quorl impel'ialis digni-
las et potestas est immediate a Deo solo. Cette doctrine se proiluisit aillsi
fonDulée pOUI' la pl'emiere fois dans un acle émallé (1'un prillce cxcomHlII-
nié palo deLlx papes, et qui aIJllsa de la force jUS'[U'Ü vonloir dépúscr clé-
ment VI et meltre un antipape SlII' la chait'f~ de saint Piorre. Depuis ecUe
époque, les ennemis ilu saint-siége se monlri!rcllt en géllél'al partisalls
zélés de l'originr divine dn pOllvoir cÍ,,¡¡ par commuI11calion immédiale
de Dien ,sans avoir llU proiluire en sa favelll' aUCUll texte ni de la sainlo
Écritnre ni des SS. Percs. Les protestJllls s'en montrerent généralemcnt
les ardent, rléfellsenfs, quoir¡Il'on cite qnelqlles lllthériew; qui cmnbattirent
celte c'\agération dans les prétenlions des puissances séclllieres. NO\ls re·
grettolls d'avoit· a faire relllar(Iuer que la lameuse Déclaration de 1682 1'011'0-
risait manifestcment ces mémes prétclllions.




- 31 -
alteinte sans manquer a ceUe loi supremo. II faut
done raisonner ici en face de cette sitnation.


En reconnaissant an penple le droit de se choisir
des chefs pour satisfairo an plus impérieux de ses be-
soins, nons avions fait et nous pouvions tres-bien
faire abstraction de ces droits acql1is et de ces inté-
rets innombrables qui résultent de la constitution
d'une sociélé tout ontiere; mais quand il s'agit de
renverser des pouvoirs établis, reeonnus, en plein
exorcice, alors il est impossible de ne pas en tenir
comptc.


On voil clone cléjil par ce soul énoneé que, dans la
haute queslion qui nous occupe, la révocation est pour
la conscience une muvre beaueoup plus diffieile, plus
compliquéc, plus étcnduo que l'élcction.


D'autant plus que changer, surtout par la violcnce,
les pouvoirs établis, e'est faire une révolution, el
qu'llnc révollltion opérée par la force, indépendam-
lllcnt des intérets (lll'elle bIes se et des droits qu'elle
rcnverse, amene presque toujours des soufIrances et
des dangers publies.


01', la soeiété, eonsidérée clans son ensemble
comme personne morale, a vis-u-vis d'elle-meme des
devoirs aussi [ormels, sinon plus rigoureux que ceux
qui sont imposés it chacnn de nous vis-a-vis de soi.
n ne lui est, dans aucun cas, permis de se nuire. Elle
peu! sacrifier des intén~ts particuliers poUl' le bien
général; mais le bien général, jamais pour ríen au
monde elle ne peut en faire le sacrifice.




- 32-
Ainsi, le droit et l'intéret de tous, les intérets et


les droits de chacun, voila ce qui se dresse dcvant
un peuple comme une irnmense protestation quand
il veut renverser son gonvcrnernent et changer vio-
lernment ses ehefs. Il est done eertain d'abord qu'il
ne peut pas le faire arbitrairernent.


Mais ne peut-il pas le faire au moins qnand e'es!
dcvenu un besoin public? Ainsi ne peut-il pas se dé-
faire d'un oppresseur et d'un tyran:' ne peut-iJ pas
renverser des pouvoirs puhlies qui ahusent de leur
position, et sortent de leurs "oies légitimes? Alors
l'insurrection, bien loin d'étre défendne, ll'est-eIle
pas un devoir? Voila la question capitale.


Nous l'acceptolls, et nous entrerons avec d'autallt
plus de calme et de franchise dans son examen,
qu'elle est plus bnlJante et plus actuelle.


Aujourd'hui que toute l'Europe est en cOllvulsion
et en alarmes par suite des insurrections populail'cs ;
aujourd'hui que ces illsurrections, triornphalltes sur
quelques points, étouffées sur quelqucs antros, sont
mella<;antes partout, il faut bien en examiner la va-
leur morale, autant pour apprécier ce qui s'est fait,
que pour guider les catholiques dan s ce qui pourrait
se faire ou se tenter encore.


D'ailleurs, nous devons la vérité a tous : nous l'a-
vons dite aux Rois-l\Jonarques, nous voulons la dire
aux Peuples-Rois.


Tou!efois, l'econnaissons-le avant tout, au moills
comrne théorie et eomme principe : il est ponr les




- 33-
soeiétés, allssi bien que pour les individus, de~ cas
de légitime défense. Pllísqll'elles ont le l'igoureux de-
yoír de veiller et de pourvoir á leur pl'opre conser-·
vatíon, elles ont le droit, non moins rigoureux, de
réprimer tout enncmí, soít du dedans, soil du de-
hol's, qui tendrai~ a les détruire. e'est pour eeUe si-
tuation, quand elle est poussée a la derniere extré-
mité, que q uelcIues théologiens ont pu elire qu'il
est permis de se défail'c d'nn tyrall (1).


Mais quelles sont ces círconstances extremes;)
Quelles conditions doivent-elles présenter ponr ren·-
!lre vraiment légitime une insurl'eetion? Que doivent
faire, avant de s'y détenninel', ceux qui se trouvent
tlans le cas d'y prendre part? Aut.ant de questíons
pal'tic1I1icl'es, qll'il est indispensable d'examinel' sé-
I'ieusement pOli\' avoir une sollltion complete sur la
question générale.


Quiconque a étudié la vie des nations, doit d'a-
hord reconnaitrc, comme un fait d'expérience, que
des mécontentements, meme tres-considérables contre
un gouvernement, ne sont pas tOlljOurS la preuve
qu'íl soít, meme légerement, dans ses torts. Il arrive
quelquefoís que les mesures les plus utiles et les plus
nécessaires, en heurtant cel'tains préjugés el ccrtaines
passions, soulevent des l1lécontentel1lents terribles
dans une partie nOl1lbreuse de certaines populatiolls.


(1) Si sil inlolerabilis excessus tyrannidis, dit saint Thomas, QUlBUS-
bAH visumfuit, lit ad fOl'tium vil'Orum vil'tutem pertiueat Iyraullum ¡nte-
rime re , seque pro lilJeratioue multitudinis exponere periculis mortis ( De
Regimin. pl'inc., lib. 1, c. 6).


JI. 3




- 34 __ o


Dans le cas meme ou le gouvernement commet
quelques fautes, elles sont, surtout aujou'rd'hui, bien-
tot exagérées par des cOl11l11entaires injustes et des
déclal11ations déraisonnabIes, tellel11ent que, si on
s'en rapportait aux récits et aux appréciations vul-
gaires, on serait porté a croire que le pouvoir est
tout a fait sorti de la droite voie; qu'il ne remplit plus
du tout son mandat; et qu'ayant sacrifié tous les in-
térets publics, trahi et livré la natiol1, iI est devenu
inique, oppresseur, digne d'etre éloigné comme un
fléau.


Et cependant, souventalors, si 1'on veut serelldre
compte froidement de l'état des choses, 011 yerra que,
tout bien pesé, les torts énormes qu'on lui reproche
sont compensés par des services précieux et con si-
dérables; que ces torts sont d'ailleurs la suite insé-
parable de l'infirmité humaine; que le pouvoir nou-
veau que ron pourrait substituer a celui contre lequel
on s'indigne, en aurait nécessairement d'autres, et
peut-etre de plus graves : d'autant plus que, sou-
vent, ce nouveau pouvoir, c'est l'ineonnu avec tous
ses périls et quelquefois tous ses abimes.


La premiere chose done qu'on est obligé de faire
avant de recourlr a ce moyen terrible que 1'on appelle
l'insurreeLion, et dont une révolutiol1 doit etre la
eonséquenee, e'est d'examiner sérieusement, long-
temps, et avec le coneours de toutes les lumiercs dont


Gil peut di~p()~er , ~i vmimellt 1.3. ~it\lati()Ill'e,xige,.
Or ~ pour que la situation l' exige, et par consé-




- 30-
quent pour que cette tentative formidable puisse étre
permise, il faut ctre moralement sur,


10 Que, tout bien compensé, le pouvoir établi fait
plus de mal que de bien, et que, par cela meme , il
n'est plus selon Dieu;


2° Que les inconvénients toujours tres-graves d'une
révolution seront notablement moindres que ceux de
la situation déja faite;


3° Qu'il n'y a pas d'autre moyen que l'insurrec-
tion pour 80rtir suffisamment de cet état de souffrance
et de péril;


4° Enfin, que telle est la conviction des hommes
les plus capables de bien juger la question, et de
ceux surtout qui occupent dans l'État la place la plus
rappl'ochée des pouvoirs supremes.


Nous croyons utile d'expliquer en quelques mots
chacune de ces conditions, et d'en prouver la né-
cessité.


10 Pour qu'il soit permis de renverser un pouvoir
établi, iI faut que, tout bien compensé, ce pouvoir
fas se plus de mal que de bien, non pas it quelqnes
individus, mais a l'ensemble de la société.


La raison en est tres-simple. Tant qu'il fait plus de
bien que de mal, il lient par ce surplus de bien a 1'01'-
dre établi de Dieu, et des 101's il est, par ce coté, ton-
jours inviolable. eette raison, considérée en elle-
meme, étant en quelque sorte mathématique, n'a
Lesoin d'aucun développement.


Mais iI faut etre súr qn' en effet cette premiere con-
a.




- 36-
dition existe: 01', pour en etre sftr, ne faut-il pas con-
naitre, au moins en général, afin de les comparer,
le bien et le mal qui résultent ue l'action du pouvoir.
Et lors meme que I'on a suffisamment cette connais-
sanee, ne doit-on pas craindre qu'étant naturellement
beaucoup plus sen~ible au mal qll'au bien, on n'exa-
gere l'un en s'aveuglant sur l'auLre? Que de princes
dont les immenses bicnfaits n'ont été reconnus et sur-
tout appréciés qu'apres leur chute 1 Le bien dans un
État, c'est exactement cornme la santé, dont on ne
sent le prix que 10rsqu'eUe est perdue.


2° Supposons qu'en effet on soit tres-sftr que, dans
la situation faite, le mall'emporte véritablement sur
le bien, il fant encore, avant de chercher a en sortir,
calculer toutes les chances du changement que l'on
r.rémédite, e'est-u-dire prévoir et apprécier le mal
que, dans un autre sens, une révolution peut oeea-
sionner.


Or, qui oserait dire u l'avance qnelles seront an
juste les limites de ce mal? Une révolution, c'esl
dans le monde social une véritable tempete. Et qui
peut caleuler la force, la durée et les suites d'une telle
tempete? Qui no sait que toujours elle occasionne de
grandes douleurs particulieres et publiques? Qui ne
sait qu'elle peut amener et d'innombrables ruines
dans les fortunes, et d' effroyables discordes dans les
familles, et quelquefois, par les horreurs de la guerre
civile, une désorganisatioll soci$ que tIc lo11gs sie-
eles ne suffisent pas A réparer?




- ::l7 ,--


Oh! qu'il fauL que le mal soit extreme, pour que
I'on ait le droit de précipiter son pays dans de tels
périls; et qu'il faut elre alors bien sftr de son droit ,
pour oser courír de si cffroyables hasards !


3° Dans lous les cas, ce droit n'existe que lors-
<ju'on a pris d'ailleurs tous les autres moyens de re-
médier au mal, et qu'évidemment il n'y en a plus
d'autres que l'insurrection pour alIéger suffisamrnenL
le poius des souffrances publiqués.


On ne saurait trop le répéler : l'emploi de la force
bru1ale, surtout con1re les pouvoirs régulierement
C'onstitués, est un moyen déscspéré! qui, par lui-
meme, est toujours un grave désordrc; l'extrerne né-
ressité peut seule le rendrc légitime. Mais il n'en esL
pas de meme de la force morale; il n'est pas de POII-
voir a l'égard duquel los subordonnés ne puissent el
souven~ ne doivent en faire usage.


Sous les gouvernements absolus, ceLte force mo-
rale des peuples s'exerc;ait, tantot par des suppliques
fortement motivées, tantot par de respectueuses mais
séveres remontranees.


Sous nos gouvernements modernes, elle s'exeree
de plus par la libre influence de la presse et par l'ae-
tion publique des assemblées délibérantes. Ces deux
moyens sont d'une grande puissance dans le jeu de
nos institutions eonstitutionnelles, el il es!. diffieile de
croire qu'en en faisant un usage régulier et persévé-
rant, on ne puisse remédier suffisamment aux abus
les plus malhel1reux du pouvoir, et parvenir, ayec le




- 38 __ o


temps, aux améliorations désirabIes, sans avoir be-
soin de bouleverser tous les quinze ans la société de
fond en comble, an risque do I'épuiser sans res-
source.


Avec la force morale, on tlnit presque toujours par
aUeindre le but; avec la violen ce matérielle, on com-
menee ordinairement par le dépasser, c'est-a-dire
qu'alors, pOUl' sortir d'un exces, on se jette dans un
autre.


Nous devons done le répéler : quel que soit le mal
de la situation, on ne peut recourir a l'insurrection
ponr en sortir que quancl on est sur par l'expérience
que tons les autres moyens possibles sont inefficaces.
Et pour qne lenr efficacjté sojt su ffisan te , jI n'est pas
nécessairo qu'ils relranchent tous les aLus, puisqu'i1
n'est pas dans la condition actuelle de ['humanité do
n'en avoir aucun; il suffit qu'ils procurent un soula-
gement réel , et dont un homme vraiment sage puisse
se contenter.


4° Or, ponr juger de l'existence de ces trois pre-
mieres conditions, il en faut une derniere : il faut
avoir sur tous ces points la penséc des hommes les
plus éminenls par leur position, lour inteIligence el
lem caraclere.


Pal' 1eur position : cal' l'on apprécie bien mieux la
conc1uile du pouvoir quand on le voit de pros, el
quand soi-meme Oil participe b son action;


Par leur intelligeuce : cal' les affaires el'un pays ne
peuvent otre bien jngées que par ceux qui les voient




~-- 39 -
dans leur ensemble, et ceux-Ia seuls les voient de la
sorte, donL l'intelligence est élevée et réfléehie;


Enfin, par leur caractere, c'est-a-dire par la pro-
bité de leurs sentiments et le désintéressement de
leur conduite: ear san s cela l'élévation du poste peut
eontribllcr a faire tourner la tete, et la supériorité de
l'intelligence peut n'étre qll'une force de plus au ser-
vice des passions.


Et la raison pour laquelle il faut, en si grave ma-
tiere, avoir la vraie pensée des hommes éminents sous
ces trois rapports, e' est, encore une fois, qu'il fant
etre sur que toutes les conditions requises pour légi-
timer une pareille mesure existent véritablement; car,
tres-évidemment, il n'es! pas permis alors d'agir dans
le doute.


01', pour etre sl~r de la vérité de la situation dans
des eirconstanees toujours si agitées, suffit-il que
quelques centaines d'hommes, éehauffés n'importe
par quelle passion, déclarent qu'il en est ainsi? sur-
fit-il que des fcuilles, stipendiées par des inlérets plus
ou moins égolstes, proclament que les afraires publi-
ques sont mal dirigées, et que la patrie est en péri\?
Suffit-il meme que des émotions populaires soient
suscitées, et que des démonstrations mena'iantes aient
lieu? Non, sans aueun dOllte, eela ne sllff}t pas, et
tout cela meme en soi peut ne tenir a rien de fondé.


Pour etre SUl' en une maliere si haute et si compli-
qllée, pour etre moralement sur qu'on a eompris, non
pas un c6té, mais lous les coté s de la question, non




- 40-
pas selllemenl les inconvénients qui résuItent de telle
marche, mais ceux qui l'ésulteraient de la ma rche
opposée, ce n'est pas trop de réunir tous les moyells
nalurels et meme snrnatnrels d'éclairer la conseience.


Nous parlons de moyens surnaturels, paree que
nous nous adressons a des catholiques, et qll'ils ne
peuvent ignorer que, dans les cireonstances ditliciles
de la vi e, les ressources qni viennent de l'homme ne
sutlisent pas ordinairement. Nous n'hésiterons done
pas a leur dire que leur premier devoir en faee d'une
pareille détermination a prendre, e'est de recourir a
la source de ton te lumiere, c'est de demander a
Dicll surtont la pureté d<:> I'intention el le calme de
l'iune.


Salls ces dcux dispositions, on cour! le plus gl'and
risque de se faire la plus fausse conscience.


l:intenlion rigoureusement requise pou!' prendre
part a une insurreetion contre les pouvoirs établis,
e'est uniquemcnt. eelle dll bl~\\ \\\\\)\\~ ': \\ n' es\' pas
pel'!nis de s'en proposer une antre. Quiconque, pour
des inl.él'ef,s priYés, pour des raisons de ramille ou de
par ti , ou bien pour des réeriminations d'amour-pro-
pre ou de vengeauce, se souleve contre les autorités
supérieures, potestatcs suóliflliol'es, comllle les ap-
pelle l'Apotro (1), celui-la eommet un crime du pre-
miel' ordre, un crime que nos ancetres appelaient de
Jese-majesté, el que, dan s tous les cas, nous pouvons
appeler de lese-société; celui-I¡\, qneIs que so¡en!


(1) Rom., XIII, \.




- 41 -
d'ailleul's ses qualités et son génie, n'est pas seule-
ment un homme coupable dans la généralité des ter-
mes, c'est un cl'iminel d'une espece plus odieuse el
plus redoulable que les autres, c'est un ennemi pu-
hlic : c'est mema plus que cela, cal' c'est encore,
dil Rossuet, un ennemi de lJiell (Polit., liv. 11,
prop. 12).


Et cependant les temps de révolution ne sont-ils
pas précisément ceux oú l'illusÍon est le plus faeile?
Est-í1 rare alors que I'opinion politique se trouve in-
timement liée, au moins sous quelques rapports, a
des intérets personnels? et qnand l'aveuglement des
passions est I'épandu partout, n'arrive-t-il pas sou-
vent, et tont natul'ellement, de prendre ces intérets
pour des convictions?


AussÍ, nons n'hósitollS pas a dil'e que, meme dans
les cas tres-rares oú l'inSUfl'ection et la révolution
qui en résulle sont légitimées par des nécessités ex-
tremes, c'est-a-dil'e par les cil'constances exception-
nelles ou l'on applique avec certitude ceLte maxime
incontestable, Solus populi suprema hu: esto; meme
dans ces cas oú toutes les conditions précédemment
indiql1ées se tronvent réunies, heaueoup de ceux qui
participent tll1X acles violents d'une révolution, alors
légitime en soi, sont coupables devant Dieu, paree
qu'ils ne s'y proposent que de satisfaire leur haine
ou leur vengeance, leur ambition ou leur cupidi-
té, se souciant peu dl1 mal quJils font, pourvu qu'ils
arrivent a l'assouvissement de leurs désirs person-




- 42-
neIs, et queIquefois de Ieurs passions désordonnées.


Combien done est-iI plus a craindre encore que
les provocateurs et les auxiliaires d'une insurrection
soient coupablos et tn'ls-coupables quand sa légiti-
mité est douteusc, c'est-a-dire quand iI n'est pas sur
que les conditions rigoureusement requises se trou-
vent ránnies; quand les hommes les plns compétents
pour prononcer sur cette qnestion terriLle, ou n'ont
pas été entendus ou sont hésitants et partagés; quand
enfin ce n' est ni un aréopage, ni un sénat qui pro-
nonce dans la maturité d'une délibération calme el
approfondie, maÍs une multitude déchainée, qui,
meHant la force seule a la place de la raison, se pré-
cipito comme un torrent sur les pouvoirs étahlis;
quand, onfin, e'est, non pas la nation tout enti<3re qui
se détermine dans ses comices, ou quí agit símuItané-
ment dans ses provinces, maia une seule ville, mais
dans ceUe ville une minorité furibonde qui, au mo-
ment meme on elle ne connalt plus ancun frein, so
déclare souveraine, et, debout sur les ruines du gon-
vernement qu'eUe renverse, donne au peuple antier
un gouvernoment nouveau.


Ah! nons savons bien que Dieu pent se servir des
plus grands désordres de l'humanité pour arriver a
ses fins; qu'il peut laisser se déchalner contre les rois
les fureurs de leur propre peupIe, comme iI laissait
les Philistins et les Amalécitos triompher du peuple
qu'il s'était lui-meme choisi : accompIissant ainsi los
conseils de sa justice par les injustices memes, et par




- 43-
son incompréhensible toute-puissance forvant le mal
a produire le bien.


Mais il s'agit ici d'apprécier les actlOns des hommes
et non pas les desseins de Dieu. les Juifs n'ont pas
été moins déicides, quoique la mort qu'ils ont causée
ait sauvé le monde; et des sujets indument révoHés
ne seraient pas moins coupables devant Dieu d'un
tres-grand crime, quand meme, ce qui est extreme-
ment rare, il résulterait de leur révolte un ()rdre de
choses meilleur pour la nation.


Nous concluons donc, et nous résumons notre ré-
ponse en disant :


10 Que le droit d'instituer les pouvoirs supremes
n 'entraine pas avec lui le droit de les révoquer ni de
les remplacer quand ils sont établis;


20 Que l'insurrection est en soi un mal de premier
ordre, qui ne pent se justifier que par des circonstances
tout a fait extremes;


3° Que ces circonstances ne sont reconnues exis-
lantes que quand elles sont signalées par des conditions
spéciales, et loutes tcllement nécessaires, que l'ab-
sence d'une seule renel l'insurrection illégitime;


4° Que, meme en présence de toutes ces conditions
réllnies, on serait condamné par l'enscignement chré-
tien, si Pon s'insurgeail contre les pouvoirs constitués
par des motifs ou des intérets particulicrs el non par
des considérations d'intéret publico


On ne porte done aucunement atteinle au principe
de l'élection populaire en soutenant que presque tontes




- 44·-
les révolulions 80nt eriminelles en elles-memes, el
que la plupart de leurs agents sont, au jugement de
la morale évangélique, grievement coupables devant
Dieu.


Que )'on nous permette de faire observer, en finis-
sant, combien les catholiques doivent se montrel' so-
bres d'applaudissements a l'égard des insurrections ré-
voll1tionnaires, qlland meme elles auraient triomphé,
et quand meme il en serait résulté un ceftain hiel!
poul' le pays. Le crime est toujours crime, 10rs meme
que, contre sa nature, il occasionne quelque bien.
Laissons a d'autres l'adofation du succes. San s nous
faire an fond les juges de personne , sachons toujoUl's
blchner ce qui est mal. Si le méchant l'emporte, gaJ'-
dons devant lui notre dignité, et si la cause de la
justice est soumise a des épreuves, ne cessons pas de
lui rester fideles.




- 40-


QUATRIEME CAS DE CONSCIENCE.


LIBERTÉ.


Peut'OIl, sallS manquer a I'tvangile, qui a rlonné la liberté au monde, ne pas
étl'e partisan de la libel'f¡j démocmtique i'


DOUTE.


Il est éerit dans le Nouveau Testament : (e Partout
« oú est l'esprit de Dieu, la est la liberté (1);» el ail-
leurs : « Vous etes appelés a la liberté, e'est la votre
(e voc.ation (2) ; » et ailleurs eneore : « Celui quí aura
e( les yeux toujours fixés sur la loí parfaite de la
« liberté, eelni-la sera vraiment heureux dans sa con-
« dllite (3). Jl 11 résulte évidemment, de ees paroles,
que la liberté vient de l'Évangile : 01', la vraie liberté
est toujours la meme, quel que soil l'objet de son
applicatíon; tous les gen res de liberté viennent done
de la meme SOlll'ee et sont de la meme nature; on ne
peut done pas en violer une sans manquer a l'I~van­
gi\e, qui en a doté le genre humain.


(1) ubí spiritus Dei, ibi lihertas. (H Cor., 111, 17.)
(2) Vos in Iibertatem vocati estis. (Gal., v, 13.)
(a) Qui \lerspexel'it in legem pCl'lectam libertatis et permansel'iI in ea ... ,


hir. beatus in facto SllO erit. (Jac .. , 1, 25.)




- 46-


RÉPONSE.


lei nous avons encore, avant tont, besoin de signa-
ler, pour nons y soustraire, une autl'e confusion de
mots qui se rencontre fréquemment dans le langage
des républicains de nos jours. !ls identifient la démo-
cratie, non plus avec la souveraineté dn peuple, mais
avee la liberté; an point que l'idée de liberté et l'idéc
de république se confondent dans leur esprit et dans
leur langage. A les entendre, partout ou la forme ré-
publicaine existe dans le gouvernement d'un pouple,
ce peuple, par cela meme , est libre; et partout au con-
traire oa c'est une autre forme, le peuple est opprimé,
dégradé, esclave.


JI ne faut pourtant qu'un pen de réflexion an pllls
simple bon sen s pour faire voir jusqu'a l'évidence,
d'une part, que la forme de gonvernement est tont a
fait distincte de la liberté, et, de l'antre, que la
liberté es! parfaitement indépendante de celte formo.
Est-ce que sous une monarchie, aussi bien que sous
une républiquo, il ne peut pas y avoir, et pour les
commnnes, et ponr les familles, et pour les individus,
toutes les libertés désirables dans tous les actes de
la vie en privés ou collectifs, ou pnblics on secrets,
on religienx ou profanos? Est-ce que, an eontraire,
sons nne république, anssi bien que sous une mo-
narchie, il ne peut pas y avoir pour tous et en tontes
choses l' oppression, ]a vexation, ]a terrenr?


Lors done qn'a la ehnte de chaqne treme ou a la




- 47-
fui te de chaque prince, certains hommes s'écrient
avec enthousiasme que c'est un pas de plus pour l'af-
franchissement des peuples, comment ne remarquent-
ils pas qu'a la place du maltre qui tombe ou qui s'é-
loigne, il s'éliwe des maitres nouveaux, souvent plus
absolus, pour mille raisons, que ceux qu'ils rem-
placent?


Qu'importe que ces nouveaux maltres se trouvent
melés a des institutions qui conferent achaque ci-
toyen le droiL d'eLre, plusieurs fois par an, délourné
de ses affaires personnelles pour aller déposer son
bulletin dans une urne électoralc? Est-ce que c'est en
cela, estoce que c'est dans un tel acte isolé que con-
siste la liberté hl1lnaine?


. Quoi! ]ors meme qu'il serait d'ailleurs gené dans
toutes ses relations, opprimé dans tous ses intérets,
froissé dan s l'éducaLion de ses enfants et dans l'exer-
cice de son culte, un citoycn serait libre, par la seule
raison que ses tyrans s'appelIeraient démocrates, et
qu'il pourrait aller exercer le droit si souvent im-
puissant et dérisoire de son vote?


Et si, au contraire, il n'était entravé sur aucun
point dans ses désirs et ses affections légitimes; s'il
ne souffrait des institutions publiques ni dans sa for-
tune, ni dans sa famille, ni dans sa conscience, ni dans
rien de ce qui lui est légitimement cher, malgré ce
plein usage de toutes ses libertés, il serait esclave
parce qu'il vivrait sous un roi?


Vraiment, n'est-ce pas insulter a la raison la plus




- 48-
vulgaire, et se peut-il qu'il y ait des hornrnes hon-
netes que de tels sophismes séduisent et que de telles
déclamations subjuguent?


Non, la démocratie n'est pas la liberté; san s uoute
elle ne lui est pas, en droit, antipathique; mais,
comme 1'a dit un illustre orateur, il alTive qu'en fait
souvent c'est son antípode (1); et nous n'avons be-
soin, pour preuve, que de citer les dél1locraties ac-
tueHes de Rome et d' Ancolle (2).


Non, la démocl'atie n'est pas la liberté, pas plus
que la monarchie n'est la tyrannie. Toutes les for-
mes de gouvernement peuvent etre oppressives, non
par leur nature, mais par les passions humaines qui
se melent a leul' gouverneruenL; et toutes peuvent
etre ]ibérales dans le v rai sens du lllot, e' est-a-dil'e,
dances, hienveil1antes el, paternelles; c'est-a-di['e,
laissant achaque homme le développement libre de
toutes les facultés et de toute:;; les puissances qu'il a
fe Que s de Dien, pOUl' les exel'cer, selon les intércts
dll bien, dans tonte la plénitude de sa spontanéité.


Cal' e'est la ]a liberté, la liberté mise en rapport
avee l'autol'ité sociale, c'est-a-dire la volonté indivi-


(1) QlIelqlles jOlll'S avant la révolutioll de févl'ier, le 1 ft ¡allvier 1848,
M. <le l\lontalembert, a l'oeeasion du tl'iomphe dll ratlicalislllc en Suisse, dé.
plorant avec son éloqllellce ordinaire l'oppressioll de la vraie liberté, s'é-
criait dans la Chambre des pairs : « Qu'on Ile vienne pas dire, comme cer-
" tains esprits géllérellx mais aveugles • que le radicalisme (alljolln!'/¡ui 011
« dit la dérnocmtie) e'est l'exagératioll du libéralisme; non, c'en est l'an-
" tipode, e'est I'extreme opposé: le radicalisme n'est que I'exagératioll dll
" despotisme, ríen autre choseJ ))


(2) :¡ avril 184~.




- tu-
JueHe agis8anL en toutes eh oses dans les eonditions
fixées par les instilutions publiques qui re(;oivent
d'elle leur valeur. En effet, moins ces institutions la
genent, plus elles sont en harmonie avee la dignité
humaine; et plus, sans la gener, eUes la font incliner
vers le bien, plus elles sont en harmonie avee la loi
de Dieu.


e'est uniquement en ees tefl~es que, dans la pre-
miere série de nos Cas de conseience et dan s tOllS
nos écrits préeédents, nous avons défendu la liberté,
soutenu ses droits, expliqué ses ¡ntérets divers et
déterminé ses limites.


Or, nous le répétons, paree qu'on ne sam'ait trap
le redire, les formes de gouvernement, quelles qu'elles
soient, ne doivent eLre considérées a son égard que
comme un instrument, un pur instrument, avec le-
quel ceux qui sont au pouvoir peuvent tout aussi bien
la blesser, et la blesser a mort, que la servir.


Lors done que )'on nomme la liberté démocra-
tique, ce dont on veut parler ce ne peut pas etre la
liberté proprement dite, la liberté telle qu'elle appar-
tient a notre nature dan s la généralité des actes de la
víe; ce doit etre autre chose.


Qu'est-ee done? Qu'est-ce au just.e que la liberté
démocratiquc ~ Nous avons absolument besoin de le
savoir, puisque, ponl' l'épondre a la qnestion, il s'agit
de juger si ee genre spéeial de liberté est vraiment
plaeé sous le divin patronage de l'Évangile; el que,
pour la juger de la sorle, il fant la eonnaitre.


n. 4




.- ñO -
Commengons encore ici par dégager la question


de tout ce quí, évídemment, ne lui appartient paso Et
d'abord, convenons que lorsqu'une révolution éclate,
surtout at!. nom de la démocratie, les cris de liberté
qu'elle faít entendre ne sont le plus souvent, dans
la bouche et dans le creur d'un grand nombre, que
ceux de la plus effrénée licence.


Oh! quand une multitude est déchalnée par une de
ces commotions effroyables qui, en renversant les
pouvoirs supremes, mel tous les autres pouvoirs en
arrel et la société tout enW~re en question, et qu'alors
elle se dit: Je vais etre libre; ne l'oublions pas, dan s
sa pensée cela veut dire : Tout me sera permis, je
pourrai obéir a tous mes instincts, satisfaire a tous mes
désirs, assouvir toutes mes passions. Cela veut dire
encore : Je n'aurai plus de maitre, je vais etre le mal-
tre de moi et des autres; je vais commander a mon
tour; les richesses, les plaisirs, les déIicatesses que
j'ai envié s, je vais. les avoir, je vais en jouir pleine-
ment, librement, sans obstacle ni meilUre.


Oui, qu'on en soít bien certain : quand, de nos
jours surloot, un peuple es! en proie a la tievre révo-
lutionnaire, et que, dans l'ivresse de ses succes dé-
vastateurs, iI crie : Vive la liberté! ce mot, en résu-
mant tous les sentiments qui le produisent, signitie:
Vive la satisfaction de toutes mes convoitises!


Assurément, nOll~ n'avons pas a craindre que per-
sonne ose prétendre que c'esl,la la liberté selon I'É-
vangile. Malgré l'affaiblissement général de la foi, il




~ ~1 -
,.


y a presque partouL aujourd'hui un tel respect pour
ce livre divin, que les hommes les moios délicats en
fait de croyance, verraient dans ce rapprochement
insensé un intolérable blaspheme.


Ne cherchons pas a trouver daos des souveoirs
encore récent¡; si, plus d'une fois cependant, ce rap-
prochemeot n'aurait pas été fait, meme hélas! par des
écrivains eatholiques. f~tablissons seulement que ce
serait un crime affreux si ce n'était pas une mons-
trueusc erreur, et qn'il o'y a rien de plus dissembla-
lile, de plus antipathique au monde que les débor-
demenLs révolutionnaires et la liberté dé l'Évangile.


Mais, est-ce seulement dans ce sens eL avec de
tels exees que la démoeratie nous offre et nous 1'e-
eommande la liberté, dont elle se prétend en posscs-


• ;> slon.
II y autait injustiee a le dite. S'il y a des hommes .


ponr qui la démoeratie o'est qu'lme révolutioo per-
manente, il y en a d'autres dans la pensée de qui c'e~t
un gouvernement stahle et régulier.


Nous n'avons pa& affaire aux premiers, puisque,
évidemment, avec eux la liberté est impossible; cal'
jamais ji n'y a moins de liberté que sous la violence.
Nous aIJons done répondre seulement aux seeonds,
eL, san s examiner si la forme démoeratique est vrai-
ment, comme 00 I'assure, dans les désirs, dan s les
convenanees et danB les intérets des peuples moder-
nes, nous allons examiner : 10 quelles sont les liber-
tés spéciales que la démocratie donne aux peuples;


4.




- :;2 --
~o ql1els 80nt les résultaLs de ces Iibel'tés POli!' fa li-
berté humaine en général; 3" quels rapports elles
ont avec la liberté donnée au monde par l'Évan-
gile.


10 Les partisans de la démocratie prétendent
qll'elfe favorise la liberté des peuples en dellX ma-
niE'lI'es : d'abord, en ce que, SOI1S son regne, les peu-
pIes, a eertaines époqlles, peuvent a leur gré chan-
gel' lems ehcfs supremes et modificr le pouvoir de
ces chefs; ensuite, en ce que, par son organisation,
elle tend a diminucr le nombre de ceux qui sont pla-
eés sous l'autorité d'autrui, et a rendre leur dépen-
dance moins absolue.


Pour le premier point, les démocrates font remar-
quer que, sous la monarehie héréditaire, le pouvoir
reste toujoms aux mains de la meme famille, dont,
bon gré, mal gré, il faut subir le joug ~ quelque répu-
gnanee que 1'on ait pour eelui qui porte la couronne,
quelque antipathique qu'il soit al1X mcems et aux
habitudes dl1 pays. lis disent qu 'jI en est de meme
SOllS des aristoeraties constituées, puisque alors il
faut aussi, quoi qne 1'on fasse, et pour tonte sa vie, dé-
penure d'une classe privilégiée. Al] eontraire, ajou-
tent-ils, sons la démocratie, le peuple ehoisit lui-
meme ses ehofs a son gré, détermine lui-meme les
bornes de 18ms pouvoirs, et fixe le temps pendant le-
quel ils les exereeront; puis, quand ee temps est ex-
piré, le meme peuple change lui-memo encore les
ehefs qu'il a faits, et regle par ses mandataires la




- 53 -
l:onstitution et les lois d'apn3s lesquelles ils devl'ont
se conduire.


Sur le second poinl, ils soutierlllent que les IllmUl'f'
démocratiques, en releyant la dignitó de l'hornme,
donnent a chaeun le goot de ne dépendl'e que do luí-
meme, díminuent le nombre de ceux qui vivent sous
I'autorité d'un maUre, et ren.dent surtout Illoins pe-
sant, dans la classe innombrable des ouvriers, le joug
d'une dépendance étrangere toujours si dur pour la
liberté.


Voila ce que les plus chauds amis du régime ré-
publicain entendent par la liberté démocratique, et
c'est ce que nous avons a juger.


Le premier point ne saurait etre contesté, puis-
a qu'il tient a I'organisation meme de la démocratie;


seulement, nous verrons s'il en résulta pour touL
l'ensemble de la vie des peuples une plus grande
sOlllme de liberté.


Quant au second point, nOllS pOUI'l'iom; íormelle-
Illent nier que la démocratie ait le droit de se J'attl'i-
buer, surtout exclusi vement. Non, il n'est pas vrai que
la forme démocratique contribue toujOUI'S a donner
plus de dignité et de vraie indépendance aux c1asses
inférieuros de la société. Il faut, pour le soutenir,
avoir oublié que toutes les républiques de l'anti-
quité pa'ienne avaient d'innombrables troupeal1x d'eg·
claves.


Non, il n'est pas vrai surtout que la démocratie ait
exclusivement ee privilége. Et pourqnoi done une




-M-
institution monarchique ne pourrait-elle pas donner
aux ouvriers, et memo aux domestiques, des droits
en vertu desquels ils se maintiendraient dans une
liberté convenable) malgré les exigences oppres-
sives de leurs patrons ou de leurs maitres? Ce qui as-
sure a chacun la liberté civile, ce sont les lois, et
les lois ne peuvent-elles pas lui etre favorables allssi
bien sous une monarcble que SOllS une république?
et, au contraire, ne peuvent-elles pas luí Mre funestes
sous une république comme sous une monarchie?
Nous pourrions done abandonner ici cette question
qni ne repose que sur des prétentions chimériques.
Cependant, admettons qu'elles soient fondées, el
voyons:


2 u Quels sont en fait les résultats de la liberté dé-
mocratique, considérée a ce double point de vue,
sur la liberté humaine en général.


Et d'abord, les peuplcs sont-ils en somme plus
libres, qnand ils choisissent eL changent h des époques
déterminées leurs chefs suprémes, que quand ils n'ont
ni ce souci ni ceUe faculté;l Sans doute, il Y a quel-
que chose de séduisant dans ceUe pensée : Si mes
chefs ne me conviennent pas, je serai libre de m 'en
donner d'antros.


Mais d'abord , celte pensée est-elle toujours vraie
clans celui qui l'exprime? CeUe puissance des ma-
jorités, qui délermine le sort de l'élection, ne froisse-
t-elle pas souvent bien dos volontés particnlii~res; et
ceux memes qui composent ces majorités, ne sont-




ils pas obligés de sacrifier plus ou moins quelque
chose de leur volonté personnelle pour se preter a
toutes les combinaisons politiques qui déterminent les
ehoix?


Mais admeUons que ee droit d'élire les ehefs de la
nation soit en effet l'exereice véritable d'une pleine
liberté. Qu'en résulte-t-il, en somme, en faveur de la
liberté humaine dans tout l'ensemble de la vie? Es-
sayons de nous en rendre compte.


Une eondition essentielle, fondamentale, indis-
pensable de la liberté des individus, e'est la sta-
bilité, la séeurité, la prospérité des États. Qui oserait
se dire libre quand le sol tremble, et que 1'on est en
proie a d'irrésistibles seeousse8? Qui pourrait se dire
libre quand des eommotions révolutionnaires, en ef-
frayant ton tes les ames, arretent tous les projets,
suspendent toute8 les affaires, bouleversent tous les
ealeuls? Assurément, personne ne voudrait le pré-
tendre.


Done, les chances de liberté, pour tous les sujets
d'un }\:tat, augmentent ou diminuent selon que cet
État est plus ou moins sOlidement eooslitué. S'il est
souvent agité, iI en résultera des désordres, des in-
justices: des violences, des catastrophes, e'est-a-dirc,
tout ce qu'il y a de plus eontraire a la liberté.


Pour que la démocralie ait le droit de prétendl'e
aecorder plus de liberté aux hommes que les autres
formes de gouvernement, iI faudrait done qu'elle
donnAt plus qu'elles a la soeiété des garanties de su-




- ñ6-
. 1 . :>


reté, d'ortlre el de paix. Or, qui oser31t e soutemr.
ou plutot, qui ne sait, qu'en appelant, a des époques
l'approchées les unes des autres, une grande nation a
se reconstituer du sommet a la base, on la jette dans
un état fébrile, qui se prolonge longlemps encore
apres les opérations électorales, pour se renouveler
ensuite, et sans fin.


S'il se reneontre néanmoins des peuples qui vi-
vent heureux et libres sous ce régime agité, c'esL
paree qu'ils se, trouvent dans des conditions qui re-
médient a cet inconvénient, mais ce n'est certaine-
ment pas, et ce ne peut pas ctre le résultat naturel
d'un systeme qui, par sa natlll'e, est si remuant, si
changeant, si inquiétant, que sous son empire la
liberté indí víduelle est toujours plus ou moins en alar~
mes, et que dans cette mobilité perpétuelle les pro-
jets, quels qu'ils soient, ne peuvent se faire qu'a tres-
courte échéance.


Le besoin de changer ses chefs a des époques dé-
lerminées est encore, pour une antre raison, peu fa-
vorable a la liberté d'un peuple.


Ponr qu'un pouvoir souverain puisse etre libéral,
ii faut qu'iI soit fort et qu'il ait sa force en lui-meme.
Or, un pouvoir électif possede rarement eeUe force,
paree que, presque toujours, il vit en face d'une
opposition dont la puissance s'accrolt par suito de
méeontolltemollts illévitables, et qui déja s'oceupe de
le renverBor alors qu'il11e fait que de naitre.


Collectif ou individuel, un tel pouvoir a besoin de




- 57-
se hater pOOl' agir, et presque toujours il a besoin
d'etre violent pour se hatero 1l n'est pas nécessaíre
de remonter jusqu'a la Convention pour en avoir la
triste preuve: notre histoire contemporaine nous la
fournit abondamment.


Au contraire, la IDonarchie héréditaire n'offre par
elle-meme aucun de ces inconvénienls. Elle peut fa-
cilement etre llJodérée si elle le veut, parce que, forte
de son principe, elle n'a rien a craindre pour son
existence : et jamais elle n'éprouve pour elle-meme
le besoin de rien haler violemment, parce qu'elle
trouve dans sa perpétuilé le moyen de toujours tout
faire en son temps.


Seulement, et e'est iei surtout que la démoeratie
se prétend plus favorahle a la liberté que toutes les
autres formes de gouvernement, iI est a eraindre
que, par suite de sa séeurité meme, la monarehie
n'abuse de son pouvoir pour opprimer les peuples.


011í, cetl abus de pouvoir pellt etre a redouter sí la
ll10narehie est absolue, mais non pas si elle est en-
tourée d'inslilulions qui, en contre-balall(;anl et en
limitant son autorité, l'obligent a la modération et a
la j llstit:c.


Et, pour expliq uer cette pensée par un faíl bien
notoire, je me demande si, a eette heure meme, la
Belgique constitutionnelle n'est pas aussi libre que la
France démocratique, el je lrouve qu'elle l'est da-
vantage. Je me demande si le roi des Belges pourrait
en ce moment plus faeilement abuser de sa puissanee




- oS-
pour opprimer les peuples que le gouvernement ré-
publicain de France, et je trouve qu'eu égard anx
deux situations, ille pourrait moins.


Or, pour le dire en passant, il ne faut pas croire
que ces tempéraments apportés a la puissance abso-
lue soient en rien contraires a l'enseignement catholi-
que. II suffit de consulter nos plus grands théologiens,
et de parcourir les principaux faits de l'histoire de
l'Église, pour se convaincre qu'ils lui sont parfaite-
ment conformes (1).


(1) Voir les opinions de saint Thomas sur les diverses formes de gouvcr·
nement (1", 2" q. !)~ el q. 10".) et tout son traité de Regimine principum,
On en jllgcra par le passage slIivant : " Dístingmmtur leg"s bumauw seClllI'
f( dum diversa regimina civitatis, quol'um ullum est regnum ... Aliud \"ero
« rrgimen es! aristocratia ... alind oligarchia ... alilld regimen popllli qllod
« nomíllallll' uemocratia ... Est etiarn aliquod Tegirnen ex ¡Mis cOJ/lmixlum,
« Q110D ESl' OPTIMVM , el secllndllm hoc sancitur lex quam majores natu si·
n milI cum plebibus sUllxerullt.)J (1',2< q, 95, arto 4.)


Saint Anlonin exprime exactement la me me opinion et dans les mémes
termes.


Quant a !'action de n::glise sur les gouvernemenls, elle se manifeste sur·
tout, pendant le COllfS des siecles;par l'intervelltion des papes contre le drs·
potisme des princes dalls l'intéret des peuples et I'0ur le respee! des Iraités
cOllvenus entre les IIIlS et les autres. Rornons·nolls á sigllalel' un C"it qlli
u'est peut·clre pas assez conUll : c'est que la (ameuse hulle In cama ])0-
mini, qui a été I'objet de tall! d'indignalion et de tan! d'attaques de la part
de ceux flui se disent les défenselll's et les amis du pellple. prononce (art. v)
une excommullication con!re ceux :qui établiraient sur leuroS len'eoS cer-
tains nouveaux imp6ts, ou augmenteraient ces impdts deja existants ,
llOrs des cas marqués par le droit. "Excommunicamlls et 3natIJematisa-
" mus omnes, qlli in tenis suis nova pedagia seu gahcllas, pncte/'quam in
.. ca sibil s sibi a jure permissis, imponunt vel augent, seu impoIÚ ~el aUgIl1¡
" prohibita exigunt. »


Pendant bien des siec\es , e'est le saint-siége qlli était invoqué et admis
comme arbitre dans ces grandes querelles entre les gOlJovemants el les gOIl-
v.erlJés, Depuis que, par l'intluence du proteslantisme et par celle de la phi.
losophie incréuule, cet arbitl'age a été rejeté, ce sont les gouvernés qui se
TendeRt justice 11 eux·memes .. Iit, comme ils le ront le plus souvent par des




- H9-
Ainsi, l' électiiJité des chefS supremes d'une na ...


tion est, sous plusieurs rapports, contraire a la jouis-
sanee paisible de la liberté que nous avons reQue de
Dieu; et si, comme nous en convenons, elle lui est,
d'un colé, plus favorable en droit que la monarchie
absolue, elle peut ne l'etre pas beaucoup plus que la
monarchie tempérée.


Voyons maintenant, sur le second point, si ce que
la démocratie prételld faire pour J'affranchissement


. des blasses inférieures procure a l'humanité, considé-
roo dan s son ensemble, une plus grande somme de
liberté.


On peut d'abord rendre a la démocratie cette jus-
tice que, par ses déclamations incessantes contre les
riches de tous genres, contre les maltres de touto
classe, contre tout l'ensemble de l'organisation so-
ciale, elle a répandu, parmi ce qu'on appeÍle les c1as-
ses inférienres, des mécontentements et des désirs
nouveaux; que ces mécontenlements sont souvent
allés jusqu'a la haine, el ces désirs jusqu'a l'insubor-
dination; qu'enfin l'ordre public en· a été, depuis
longtemps, et en est encore inquiet et troublé.


01', d'apres ce que nous avons établi comme prin-
cipe incontestable, que la tranquillité générale im-
porte exlremement a la liberté individuelle, il est
évident déja que ceHe fermentation surexcitée dans
une partie nombreuse de la société, a da y diminuer


révolntions et des bouleversements, nous ne voyons pas ce que la liberté de
pel'sonne y ait gagné.




- 60-
la somme totale des libertés dont- cetle société jouis-
sait.


D'une autre part, il est tres-évident encore que,
plus les inférieurs ont de prétentions, plus ils sonL
Ínsubordonnés et arrogants, et moins les supérieurs
sont libres. 11 est bien sur que, par suite de cet esprit
d'exigence et de révolte, ce sont souvent vis-a-vis
des domestiques, et surtout vis-a-vis des ouvriers,
les maitres eux-memes qui se trouvent dans la plus
dure dépendance.


Nous savons bien que les démocrates sont peu sen-
sibles a cet inconvénient, qui pourtant est un grave
désordre, puisqu'il déplace le centre légitime de l'au-
torité; nous savons qu'autant ils sont jaloux de [a
liberté des inférieurs, ce que nons trouvons tres-Ioua-
ble, autant ils font hon marché de ceHe des supé-
rieurs, ce qui l'e8t heaucoup moins. Mais, comme jI
s'agit ¡cÍ d'évaluer ce que la démocratie apporte de
concours et de tribut en général a la liberté hUIll<line,
i[ est indispensable de faire remarqner que, de ce
coté, elle lui fait, de nos jours et sous nos yeux, U1l
tres-notable tort.


Maintenant, contribue-t-eHe au moins a donner
vraiment plus de liberté aux classes dont elle se dit
exclusivement le défenseur et l'ami? et du moins
compense-t-elle largement de ce cOté le tort qu'elle
fait, comme nous l'avons dit, d'une part a la li~erté
générale, par l'inquiétude que sa propagande occa-
sionne; el de I'autre a la liberté des maltres, par la




- 61-
domination de Imus subordonnés? Examinons atten-
tivement ce point extreme de la question.


Qu'est-ce que la liberté humaine considérée dans
la jouissance de son exercice? e'est, a ce qu'il nous
semble, la facilité de faire ce qui convient et d'ob-
lenir ce qu'on vento


Or, les classes inférieures, depuis que l'esprit dé-
mocratiqne les a travaillées, font-elles mieux qu'au-
paravant ce qui leur convient, et obtiennenl-elles
mieux ce qu'elles désil'ent?


Ah! quand leurs goúts étaient raisonnables, quand
leurs désirs étaient modestes, et quand avec cela leur
vie s'écoulait dans une société ferme et calme, rare-
ment leur liberté trouvait d'obstacles sérieux a se sa-
tisfaire.


Mais depuis qu'oll leur a communiqué un dégout
inquiet de leur position et une envie haineuse de la po-
~ition des autres, depuis qu'on leur a fait rever I'impos-
sible et conspirer le chaos, qu'est devenue Icur liberté?


Au lien de s'exercer paisiblement dans les limites
nalurelles fixées par la main de la Providence a la
vocation de. chacnn, la liberté des peuples a franchi
toutes les bornes; elle a ponrsuivi des chimeres, elle
s'est heurtéc contra des montagnes, elle s'est préci-


. pitée dans des ahlmes,; el, comme le dit !,Écriture,
elle s'est fatiguée vainement dan s les voies de la
perdition et de l'iniquité (1), rencontrant ponr cha-


(1) Lassati surnus in vía iniqllifatis et pel'dítionis, et ambulavimus vias
rlifficiles. (Sap., v, 7.)




- 62-
timent, non le despotisme d'aucune volonté étran-
gere, mais la tyrannie de ses "Qro"Qres désirs et
l'insurmontable résistance de la nature meme des
choses.


Sans doute on nous dira que ce n'est pas la l'élat
normal de la démocratie. Nous répondrons que,
eomme il s'agit ici, non de raisonner sur des abs-
tt'3.ct\.cm<;;, \.W3..\.'i:> <c\'a.yyrécleT oes ~(ú\s J e~ De prenlJTE~
vis-a-vis d'eux une position consciencieuse, nOllS
devons considérer la démocratie, non pas telle qu'elle
pourrait etre et teIle que des théoriciens se la représen-
tent, mais telle qu'elle est en réalité, vivant et agis-
sant sous nos yeux; telle qu'elle fonctionne depuis
plus d'un an parmi nous, a la face du ciel et de la
terre; nous devons la juger, non d'apres ses discours
et ses vanteríes, mais d'apres ses omvres. Eh bien,
nous disons que, jusqu'ici, ses reuvres ont été fa-
tales a la liberté meme des classes pour lesquelles il
semble qu'elle est spécialement faite, et qu'en résumé
elle ne leur a donné que la liberté d'ul1 surcrott de
fureur au dedans, et de misere au dehors.


Voila les faits, et cependant nous voulons bien ne
pas en tenir compte dans l'examen de la troisiimle
question posée.


3° En prenant dans leur plus favorable acception
les libertés spéciales que la démocratie prétend don-
ner, et qu'en effet elle pent procurer aux peuples,
queIs rapports ces libertés ont-elles avec la liberté
uonnée au monde par l'Évangile?




- 63-
Il est, avant tont, tres·essentiel de reconna1tre et


d'établir qué la liberté, qui est le frnit de la rédemp-
tion du Fils de Dieu, appartient a l'ordre surnaturel.
La foi nous enseigne que, par le péché, nous deve-
nons esclaves, c'est-a-dire assujettis a une puissance
rnauvaise; et que cette puissance nous tiendrait irré-
sistiblement enchainés dans le plus grand des maux,
la disgrace de Diel1, pendant la vie présente, et la
sépuration étcrneIlc de Dieu durant la vie future, si
le Fils de Dieu fait hornme ne nOl1S eftt donné, dans
les mérites ineffables de son sacrifice volontaire, le
moyen de nous raeheter, c'est-a-dire de sortir du mal,
de purifier nos Ames, de redevenir justes aux yeux
de Dieu, et de reconquérir nos droits a l'héritage
éternel.


01', comme ces moyens de libération spirituelle
sont, par l'effeí permanent de la rédemption, ton-
jours entre nos mains, comme nous sommes toujours
maltres de nous en servir, et qu'aucune puissance
au monde ne peut nous empecher d'en recueíllir les
fruits; comme ensuile, une fois que nous sommes
spirituellemen t rachetés, personne ne peut, malgré
nous, faire retomber nos Ames dans leur premier es-
c1avagc, il est clair que, pour cette grande affaire de
notre salut, nous sommes véritablement libres, puis-
que nous pouvons, tant que nous le voulons sincere-
ment, tenir nos ennemis sons nos pieds en vertu de
la victoire que Jésus-Christ a remporlée sur eux par




- 64·-
sa mort ({). Et c'est la ce que, dan s Je langage. de
I'Église, on appelle la liberté des enfants de Dieu : ¡Is
sont libres, puisque sur ce point capital ils ne dépen-
dent que d'eux-memes.


e'est dans ce sens qu'il faut avant tout comprendre
les passages que l'on invoque pour une tout autre
tbese, et quelquefois dans un sens tout opposé, que
nous éprouvons le besoin de signaler icí.


Non, il n'est pas vrai, comme ose le prétendre et
le soutenir systématiquement certaine école socialiste,
que le sens 'lJrai de la doctrine de la rédemption (2)
soit I'avénement du bonheur parfait en ce monde par
une nouvelle organisation de la soeiété humaine : il
n'es! pas vrai surtout que la liberté produite par la
divine mort du Rédempteur soit l'émancipation de
tous les désirs naturels : e'est le eontraire qui est vrái,
qui est certain, qui est divinement incontestable.


Olli, nous le savons bien, il est dit dans I'Évangile
« que nous sommes appelés a la liberté, que e'est la
« notre voeation; » mais aussitót l'apotre ajoute : ee Pre-
(e nez bien garde d'abuser de cette liberté pour en-
« courager des inclinations charnelles (3). )) Oui, il
est dit encore que (e partont OÜ est l'esprit de Dieu,


(1) Chri~tus pro Ilobis lllortulIs esl: multo igilur uwgis IlUUC juslilicati
in sangllille illSius, salvi erimus ab ira per ipsl1llJ. (Ro!IJ., V, 9.)


(2) Tel esl le titre et I'esprit du demie¡' ouvrage ¡j'Ull des ehel's de I'école
socialiste, et e'est au fond J'esprit de toutes les pl1blieations de eette école
puissante et nombrellse, qui se recl'llte par ton tes les sympathies qu'elle
rencontre dans les passions dél'églées d 11 comr IlIlmain.


(3) Vosin Iibel'tatem vocali estis, fralres: tantl1m ne libertatem in occasio·
nemdetis carnis, sed per chal'itatem spiritus~ervite invicem. (Gal., v, 13,)




- 6~-
ce la est la liberté. » Mais ces paroles sont précédées
par celles-ci : «( Dieu est esprit (1); » d'ou il résulte
évideminent qu'il s'agit ici de la liberté spirituelle
dominant et maitrisant les incIinations charnelles,
bien loin qu'elle doive elre livrée a toutes leurs li-
cences. Oui enfin, iI est dit que c( eelui qui aura les
« yeux fixés sur la loi parfaite de la liberté, sera vrai-
« ment heureux dans sa eonduite; » mais e'est a la
condition expresse « que par sa eonduite il se main-
« tiendra dan s eette loi ; qu'il ne se contentera pas de
« l'entendre pour l'oublier, mais qu'illa pratiquera et
« la fera passer dans ses amvres (2) : » ce qui eom-
prend tout l'ensemble de la vie chrétienne et surna-
turelle.


Et c'est sur ces saintes et eh astes paroles que 1'0n
se fonde pour oser dire que l'Évangile bien compris
conduit a l'affranchissement de toutes les convoitises;
que les attraits sensuels sont des lois divines qu'au-
cune autorité humaine n'a le droit de comprimer; et
que la sociéié, accomplissant sous l'influence du chris-
tianisme la loi du progres, ne sera parfaitement cons-
tituée que lorsque lous les hornrnes seront entrés par
la libre satisfaetion de tous leurs penchants dans les
lois infames de je ne sais queHe harrnonie.


Nous demandons pardon a nos lecteurs d'avoir un


(1) Dominus autem spil'Uus est : ubi autem spiritus Domiui , ibi liber-
tas. (2 Cor., IIl, 17.)


(2) Qui autem perspexerit in legem perfectam Iibertatis, et permanserit
in ea, non auditor oblivioStts jactor, sedjactor operis: hie beatus in facto
suo erH. (Jac., 1, 26.)


n.




- 60-
instant arreté leur attention sur ces monstruosités,
qui, du reste, ne sont pas nouvelles dans l'histoire du
monde (1). Si de nos jours elles étaient demeurées
des opinions purement individuelles, et si elles ne
s'appuyaient pas sur l'~bus le plus sacrilége de nos


(1) Elles on! méme été prédites dans les termes les plus expres par nos
saintes 1!:critures, et Dieu a permis que ce (ti I le prince desapótres, le premier
des papes, qui les aitsurtoutsignaléesau monde. Apres avoil' paJlé en général
des pécheurs que Dieu se réserve 11 punir all jour de sa justice • iI ajoute :
« Ce sont surtout ceux qui von! dans leurs désirs immondes chcrcher les
« satisfactions charnelles • qui rejeUent avec mépris toute domination :


({ hommes audacieux el pleins d'ell~.mémes. ils ne cl'aignent pas d'introduire
" des seetes blasphématoires ..• rcgardant les voluptés hontellses comme le
«bonheul' de la vie ... et tombant d'errellrs en en'enrs, paree qu'i1s ont
«(luitté la droite voie ... Ce son! des fontaines sans eau, des nuées agitées
« par les tourhillons, qui son~ destinées a la profondellr ,~es ténebres. A:yallt
« a la bouche des paroles de présolll ption et de jactance, Hs entrainent les
" peuples dans les désirs de la luxUl'e, leur promettant la liberté quand Hs
« sont eux·memes esclayes de la cormption; -cal', quelle que soíl la puis-
.. sauce qlli tienne sous le jOllg, on est son esclave. " (2 Pe!r" 11.)


Conformément a eette frappante prophétie, ces sectes abominables ont
de temps en temps pam dan s l'Église. Des sa naissance ce furent les disci-
pIes de Méllandre, de Saturnin, de Basilide, de Carpocrate sous le nom de
gnostiques ou d'iIIuminés. plus tard • les disciples de Manes, les Cathares •
les Albigeois, les Valldois precherent ces perniciellses et scandaleLlses doc·
trines dans leurs conventicules et voulllrent les établir A main armée dana
Icurs nombrellx et séditieux aLtroupelllcnts. Et toujollrs l'Jl:glise les a frap-
pés de ses séveres condamnations • non pas seulement eomme hérétiques •
mais comme ennemís de la société.


SOIlS ce dernier rapport, elle a permis allx princes catholiqlles de les como
battre par la force des armes; et cetle résislancc paraissait alors for! légi-
time et fort nécessaire en présence de I'immcnse péril auquel ces sectaires
infames exposaient le monde civilisé.


Cependant. que n'a pas dit l'école philosophiqlle du derníet· siecle contre
cet IIsage de la force armée; approllvé par I');:glise? QlI~n'a-t·elle pas dít,
entre alllres, contre cette croisade connlle sous le nOIll de guerl'e des Alb.¿·
geois! A combien de déclamalions conlre I'in!olérance, contre l'inquisition,
contre la domination de la cour romaine, ce faít marquant de l'histoire ec-
c1ésiastiC¡lle n'a·l-il pas pl'eté matiere ~ El poul'tant qu'élaienl-ce que les
Albigeois sinon les comullluistes d'alors, et que sont les communisles ac-
tuels sinon les Albigeois modernes!




- 67-
saintes Écritures, nous aurions pu ne pas en faire
mention dans cet ouvrage.


Mais, quand d'une part ces affreuses pensées sont
devenues une école publique, nombreuse, puissante;
quand cette école a partout des maltres pleins de ta-
lent et d'ardeur; quand elle a partout des organes
multipliés eL retentissants; quand elle a des journaux
répandus chaque jour a des milliers d'exemplaires;
el quand, d'autre part, elle ose invoquer enJaveur
de ses ignobles doctrines 1~ livre le plus sublime et
le plus sacré qu'il y ait au monde, l'Évangile, eette
Joi immaculée qui n'a pour objet que de convertir et
de sanctifier les ames comme le disait le prophete (2),
ce code de tous les devoirs, de toutes les vertus, de
toutes les perfections; nOlls n'avons pas cru qu'il
nous fl~t permis de passer autre sans lai~ser tomber
sur ces audacieux et hanteux systemes une parole
de douleur et de répl'obation.


Mais, nous nOlls hatons de reconnaltl'e que ce n'est
I~ qu'une nuance exagél'ée de la démocratie, et que
ce n'est p~s ceUe avec laquelle naus avans a dis-
cuter.


Non, les démocrates sensés ne disent pas que
l'Évangile autorise la licence des penchants naturels,
mais i}¡;; aflirment que les liber~és républicaines telles
que nous les avons reconnues découlent de la doc-
trine de ce livre inspiré.


(i) LCll Domiui immaclllata, COUVCl'tllUS animas. (Ps. XVIII, 8.)
5.




- 68-
Nous répondons d'abord qu'elles n'en découlent ni


expressément ni directcment, et nous pourrions por-
ter le défi de trouver un texte duquel on puL conclure
OH que l'élection perpétuelle des chefs supremes d'un
État est le systeme le plus conforme a la loi de Dieu,
ou que sous des pouvoirs sortis de l'élection la di-
gnité de l'homme soit mieux respectée et sa liberté
plus entiere que sous une autre forme de gouverne-
mento Ce sont la de pures opinions sur lesqueIles
l'enseignement de la foí ne statue rien, et que Dieu
abandonne, comme la plupart des ~hoses de ce monde,
a la libre discllssion des controverses (1).


Tout ce que Pon peut trouver dan s nos saintes
Écritures, ce sont des recommandations tres-pres-
san tes , et meme des ordres tres-formels adressés a
ceux qui commandent, pour qu'a l'égard de leurs su-
bordonnés ils soient justes (2), bons, indulgents (3),
et que par cela meme ils respectent tontes les liber-
tés légitimes.


Car nous ne saurions trap le répéter : la vertu
des chefs est pour la liberté des peuples la plus sura
ou plutot la senle garantie. Qu'importe que vous
soyez gouvernés par des républicains? S'ils sont or-
gueilleux, cupides el durs, vous serez opprimés. Áu
contraire, qu'importe que vous ayez des rois? S'ils
sont pénétrés de la prudence et de la charité que


. (1) Mundum tradidit disputationi eorllm. (Ece\., 111, 11.)
(2) Domini, quod justUffi el requum est servis prrestate. (Col. , IV, 1.)
(~) Vos domini, l'l\rlem racHe iIIis, remittentes minas. (Eph., VI, 9.)




- 69-·
leur preserit la loi de Dieu, vous serez heureux et
libres.


San s aucun doute, nous reconnaissons que la
propagation de rÉvangile ne s'est pas faite au milieu
des nations san s y porter avec elle une diffusion abon-
dante des libertés publiques et privées. Partout ou la
loi de gnice a paru, tont ce qni était faible, comme
la femme et renfant, a été fortifié; tout ce qui était
opprimé, comme l' esclave, a été soulagé.


Mais l'Évangile a-t-il.fait cela en changeant par-
tont les monarchies ou les aristocraties en républi-
ques? Aucunement; et 1'011 ne tronvera pas la trace
ou d'un apotre, ou d'un pape, ou d'un concite qui
s'en soit meme occupé.


Comment donc l'Évangi!e a-t-il produit ce mer-
veilleux et incontestable résultat? Cest uniquement
en adoucissant les mreurs. Et comment a-t-i! adouci
les mreurs? C'est d'abord en éclairant les esprits sur
l'origine de l'hornme, sur ses devoirs et ses destinées;
c'est ensuite et surtout en répandant la charité dan s
les creurs.


L'homme, devenu chrétien, a su par l'Évangile
que tous les antres hommes étaient créés comme luí
a l'imagc de Dieu, qu'ils étaient ses freres, et qu'ils
avaient le ciel pour héritage; iI a su qu'il devait les ai-
mer comme étant avec lui les enfants du meme Pere; et
par la grace divine, il a sentí qu'il les aimait. Cen
était assez : il n'avait besoin, ni de recevoir des con s-
titntions répnblicaines, ni d'étre jeté dans des démo·




- 70-
craties. Des lors qu'il avait ces convictions et ces sen-
timents, il a du reconnaltre et respecte¡' la dignité,
les droits, la liberté de ses semblables : et c'est ce
qu'il a fait, n'importe sous quel gouvemement il se
soit trouvé. Ce phénomene s'est donc produit dan s le
monde tont a fait indépendarnment de tout systeme
politique,


On peut done, sans rnanqner allcunernent ni a la
liberté donnée aux hornrnes par l'Évangile, ni meme
a la liberté humaine en général, ne pas etre ~artisan
de ce que ron appelle la liberté démocratique,




- 71-


CINQUIEME CAS DE CONSCJENCE.


ÉGALlTÉ.


Peut·on, sans offenser Dieu, devanl qlli certainement tOIlS les hommes sont
égaux. repousser le principe de l' Égalité républicaine P


DOUTE.


Pnisqne tons les hommes sont éganx devant Dieu,
l'organisation social e la plus conforme a sa loi doit
etre ceHe ou il se trouvc le moins d'inégalité entre
les hommes. 01', chacun sait que, sous l'aristocratie
el sons la monarchie, les inégalités sont, non-seule-
ment nombreuses et souvent extremes, mais indis-
pensables el permanentes, paree qu'elles appartien-
nent alors a la constilntion meme de la société : la
démocratic, an contraire, tend esse"ntiellement a les
faire disparailre. Comment done pourrait-on nier que,
sous ce rapport, elle soit plus que les autres formes de
gouvernement en harmonie avec I'esprit de la reli-
gion?


RÉPONSE.


Ouí, tous les hommes sont égaux devant Dieu; et




- 72-
ce ne sont certamement pas les démocrates qui ont
a\1\1ris ce.tte. -vérité au. IDQu.d.e ~ car ó-au.s \'anti~\l\\é
palenne, il Y avait des républiques parfaitement or-
ganisées, et dans ces memes républiques se trou-
vaient les inégalités les plus choquantes. Elles s'y
trouvaient, non pas comme une exception, mais
comme une regle; non pas comme un accident, mais
comme une partie essentielle de l'organisation so-
ciale.


Nous pourrions done tout d'abord, en nomo a\l-
puyant sur de longs siecIes d'expérience, nous bor-
ner a nier que la forme républicaine tende essentielle-
ment a faire disparaitre toute inégalité entre les hom-
mes. Comment pourraít-on soutenir que ce qui est
resté partout el sí longtemps étranger, inconnu,
antípathique a toutes les démocraties, leur soít es-
sentiel? Cependant, nous ne voulons pas nous afTeter
a eeUe réponse, sur laquelle au reste nous auroIis a
revenir.


Oui, tous les hommes sont égaux devant Dieu, et
c'est Dieu lui-meme qui l'a dit au monde. Et quand
le monde l'eut presque partout oublié, c'est l'Évan-
gile, c'est-a-dire encore la parole de Dieu, qui le
lui a redit.


Mais, iI faut d'abord bien définir en quel sens cette
vérité touche aux enseignements de la foi. Elle leur
appartient sous trois rapports, tous théologiques, et
que nous avons beso in de rappeler.


Tous les hornilles sont égaux devant Dieu :




- 73-
10 Par leur origine, étant tous sortis des mains


du Créateur, composés égalernent de deux substan-
ces, spirituelle et matérielle (1);


2° Par leurs devoirs, ayant tous pour obligation
d'accomplir la volonté de Dieu, chacun dans la vo-
cation qui lui est déterminée par la Providence (2) ;


3° Par leur destinée, étant tous appelés a subir éga-
lement la mort , et a paraltre ensuite devant le meme
tribunal, pour y etre jugés d'apres les memes lois (3).


Voila, dans ses trois acceptions réelles et fonda-
mentales, l'égalité de tous les homrnes devant l'É-
vangile : la voila tout entiere, telle qu'elle appartient
au dogme chrétien. On n'a pas le droit de l'étendre
au deUI., ni de rendre sur ce point la religion soli-
daire d'aucune autre doctrine.


l\Iais, et c'est ici que la question est précisément
posée, ne pourrait-on pas dire, au moins par induc-
tion, que les reuvres de l'homme étant d'autant plus
parfaitcs qu'elles se rapprochent davantage des reu-
vres de Dieu, et tous les hornmes étant dans les reu-
vres de Dieu parfaitement égaux, un gouvernement
est d'autant mieux orga l,it.é tiue son organisation


(1) Cum ipse del omniblls vitam el inspirationem et omnia, fecitque ex
uno omne genus .hominum inhabitare super universam facicm terrie. (Act.,
XVIl, 25·26.)


(2) Facientes volunfatem Dei ex animo: cum bona voluntate servientes
sicut Domino et non hominibus. Scientes quoniam unusquisqucquodcumque
fecerit bonum hoe recipiet a Domino, sive servus, sive liber. (Eph., VI, 6,
7,8.)


(3) Omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi , ut rererat unus-
quisque propria corporis, prout gessit I si ve bonum, sive malum. (ll Coro
v,10.)




- '74-
tend plus efficacement a faire disparaitre, OH du moins
a diminuer les inégalités sociales; et n'est-il pas vrai,
malgré les torts évidents des anciennes républiques
de la gentilité paYenne, que, dans les temps mo-
dernes éclairés par le christianisme, les républiques
quí se forment sous nos yeux tendent par leur na-
ture a ce résultat?


Telle est la question dan s toute sa sincérité. Nous
allons en discuter les divers éléments.


On établit d'abord que plus les reuvres de l'homme
se rapprochent des ffiuvres de Dieu, plus elles sont
parfaites. Nous n'avons rien a dire sur ce principe,
sinon qu 'iI est incontestable el parfaitement évangé-
lique (1).


01', ajoute-t-on, dans les reuvres de Dieu , tous les
hommes sont égaux. e'est icí que l'erreur se glisse
a coté, ou meme a la place de la vérité.


Non, dan s ce qu'on appelle les reuvres de Dieu ,
c'est-a-dire dans ses opérations extérieures, les hom-
mes ne sont pas égaux. lIs sont égaux dcvant les
commandements de Dieu, ils sont égaux devant
les jugements de Dieu, en ce sens qu'il y á des pré-
ceptes qui obligent tous les hommes, et que tous
seront jugés d'apres ces préceptes : encore cette éga-
lité, meme ainsi restreinte, est-elle pIeine de mys-
tI'~res. Mais il n'est pas vrai que, dans les ffiuvres de
Dieu, dans l'organisation de ce monde, telle qu'elle


(t) Esfote vos perfeeti, sient el Pater vester eoolesfis perfectus est. (Maft.,
m, 48.)




-7S-
est divinement constituée, Jes hommes soient égaux en
ce sens, et c'est celui dont il s'agit ici, en ce sen s qu'ils
soient également partagés, ou dans l'ordre matériel,
ou dans l'ordre spirituel, par ]a dispensation divine.


n est sur, au contraire, il est mille fois évident
que tout est inégal dans les destinées humaines,
non-seulement sur les points qu'on pourrait pcut~
etre atLrihuer, au moins en partie, aux vices de la
constitlltion sociale, ainsi qu'on le prétend, comme
sont les richesses et la puissance, mais sur ceux me-
mes qui sont tout a fait indépendants de ]a société,
comme la santé, la beauté, la force, l'esprit, et tous
les genres d'aptitude ou de capacité. Regardez l'u-
nivers, et dites si les inégalités ne se trouvent pas
partout et toujours dans ton s les ordres de la nature,
et si la beauté de l'ensemble ne résulte pas précisé-
ment de l'harmonie qui se rencontre dans ces innom~
brables et constantes inégalités.


JI. y a plus : meme dans l'ordre surnaturel, estoce
que les hommcs ne sont pas inégalement, et tres-
inégalement traités? Est-ce qu'il n'est pas vrai que
les uns regoivent beaucoup de grflces et trouvent
beaucoup de facilité pour leur salut, tandís que les
autres obtiennent moins de secours et rencontrent
des difficultés plus nombreuses? Sans doute tout s'é-
galisera en définitive an tribunal supreme; mais en
attendant, mais dans ce monde, est-ce qu'il n'est pas
certain que de ce coté encore tont est inégal, et
d'une inégalité devant laquelle la raison succombe,




- 76-
devant laquelle saínt Paul Jui-meme, de retour du
troisil3me cÍel, s'écriait prosterné : O altitudo divi-
tiarum sapientire el scielltia~ Dei: quam incompre-
hellsibilia sunl judicia ejus, et Ílwestigabiles vice
ejus! (Rom. XI, 33.)


Ah! si nous voulions consulter ici non-seuh:iment
les faits qui se passent sans cesse sous nos yeux, mais
l'enseignement me me de la foi chrétienne, son ensei-
gnement dogma tique , non ce n'est pas l'égalité que
nous verrions professée dans toutes les chaires or-
thodoxes du monde en ce q ni concerne la répartition
providentielle des biens et des maux sur les hommes,
c'est la plus profonde et la plus incompréhensible iné-
galité (1).


D'apres cela, quel usage peut-on faire, en fa-
veur du systeme que nous avons a juger, de ce prin-
cipe d'ailleurs parfaitement chrétien, que les reuvres
de l'homme sont d'autant plus parfaites qu'elles sont
plus conformes aux reuvres de Dieu? On le voit : les
reuvres de Dieu, bien loín de détruire les inégalités,
les établissent et les constituent.


Maintenant, voulons-nous en conclure que les gou-
vernements humains doivent les multiplier ou les exa-
gérer? Aucunement. Mais nous en concluons que Ion;-
qu'elles existent, on peut, et le plus souvent on doit


(1) Deus judex est, hunc humiliat et hunc exaltat (ps. LXXIV, 6).
o homo ! tu qnis es qui I'esponrleas Deo? '. An non habet potestalem ji-


gulus luti ex eadem massa facere aliud quidem vas in honorem, atind yero
in contumeliam? (Rom., IX, 20, 21, el tout le chap.)


Unusquisque propl'ium dOllum habet a Deo: alius quidem sic, alius vero
aie. (1 Cor., VII, 7.~




- 77-
les maintenil', au moins dans une certaine mesure (1).
N ous en concluons qu' elles ne sont pas un désordre,
el m(~me, par cela seul que Dieu les a établies partout,
nons sommes en droit d'en conclure qu'elles sont ou
un plus grand bien ou une néeessité.


Ainsi, tout le raisonnement des démocrates tourne
ici contre eux, excepté toutefois sur un point qu'il nous
faut maintenant apprécier: l'rfgalité de¡;anl la loi.


Nous avons dit, et il est incontestable, que tous les
hommes sont égaux devant la justice de Dieu. N'est-il
pas permis d'en conelure que tous doivent etre abso-
lument égaux devant la Ioi humaine?


On remarquera d'abord que la question posée dan s
ces termes se trouve singulierement réduite; et nous
nousempressons de dire que sur ce terrain limité iI y
a quelque líeu de s'entendre.


Évidemment la loi humaine n'est et ne doit etre
dans ses actes qu 'une application partielle de la justice
divine. Or, une des perfections de la justice divine,
c'est de ne faire acception de personne et de s'appli-
quer indistinctement a tous : donc, une des qualités
essentielles de la loi humaine, c'est l'impartialité; et
sons ce rapport tous doivent etre absolument égaux
devant elle. 11 fant le recollnaitre, ce raisonnement
n'admet pas la moindre objection. Mais allssi, chaclln
comprend qu'il s'applique également a tous les régi-


(1) Il est bien entendu que no us n'admettons pas la situation ou cerlains
bommes manqueraient du nécessaire. Nous touchons plus loin ce cóté de la
qllestion.




- '78 -
mes, et que la démocratie ne peut absolument rien en
conclure en sa faveur.


Maintenant, ne s'ensuit-il pas aussi que, dans une
meme société, les 10is doivent etre les memes pour tons
les cito~cns? C'est la, comme on le voit, une autre
sorte d'égalité, tout a fait différente de la premiE'lre; et
c'est celle dont la démocratie se glorifie d'avoir fait la
conquete en 1789, par l'abolition des priviléges (f).


Mais d'abord, s'il est vrai que cet ordre de choscs
ait été imposé a la société civile par les débuts solen-
neIs de notre premiere révolution, est-ce que déja il
n'existait pas dan s la société chrétienno? Est-ce qu'il
n'y était pas en viguenr dan s J'Église sans aucune in-
terruption depuis déja dix-huit cents ans?


Une meme loi pour tous, et tons égaux devant la
)oi! 1\lais ou done a-t-on vu jamais ce principe égali-
taire régner dans toute la simplicité de son pIein exer-
cice aussi facilement, aussi constamment, aussi na-
tllrelloment que dans l'Église catholique?


CeUe sainte Église n'exagere rien : elle reconnalt
les inégalités sociales établies ou permises par son
divin auteur; et en conséquence elle admet certaines
distinctions dan s les manifestations matérielles de son
culte. Elle consacre meme ces difTérences dans les


(1) UIl gralld nombre des membres de l' Assemuléc nationalc de cette épo.
qlle désiraient établir I'unité daos I'administration el la législation. Ce désil" lit
tOllt a coup explosion dalls la célebre séance dll 4 aoÍlt 1789. Et le 20 du
lueme 1Il0is, I'Assemblée publia la Déclaration des droits de l'homme qlli
servil de préambnle et de base a la nouvelle cOllstitutioo. Cette déclaration
admeltait, comme prillcipe fOlldamelltal du nouvel ordre politique, l'égalité
óevant la loi.




- 79-...
honneurs qu'elle rend aux saints; et, sans rien déci-
der sur les degrés de gloire qu'ils peuvent avoir dans
le ciel, elle leur donne des ranga divers dans la clas-
sification tIe ses prieres liturgiques.


Mais dans ses lois, queHe admirable unité, queHe
égalité sublime 1 Depuis la loi du premier sacrement
s'accoQlplissant pour l'enfant du prince comme pour
l'enfant du pauvre avee la meme eau baptismale, pui-
sée dans les memes fonts, et eonsaerée dans son infu-
sion sanctifiante par les memes formules, jusqu'a ces
onetions supremes, jusqu'a ces prieres funebres dans
Iesquelles il n'y a jamais pour personne un mot ni un
signe de changé, la via spiritllelle de tOllS les chré-
tiens catholiques s'écoule dans une admirable égalité
sous l'empire des memes obligations et sous le béné-
fiee des memes droits.


C'est le meme catéchisme, enseignant les memes
devoirs a tous, que tous les enfants, quelle que soit
leur naissanee, reCioivent pour l'étudier; e'est par les
memes paro les et la meme vertu sacramentelle que
tous les pécheurs, quelle que soit leur condition, sont
réeonciliés avec eux-memes et avee Dieu. Et, si Pon
doutait encore de cette égalité incomparable devant
les lois de l'Église, ne suftirait-il pas de voi[' tous les
fideles d'une meme paroisse, depuis le plus humble
pUtre jusqu'au plus riche seigneur, depuis la plus
simple femme jusqu'au plus grand génie, depuis le
plus jeuna enfant en age de raison, jusqu'au plus vé-
nérable vieillard, tous agenouillés a la meme table,




- 80-
y recevant également de la m~me main, dans une
meme pos tu re , sur le m~me rang, le m~me pain de
vie, sans que l'reil de Dieu meme puisse y voir d'autre
distinction que les mérites de chacun.


Ah! quand on víent parler a des catholiques d'éga-
lité devant Dieu et devant la loi, que ipeut-on done
leur apprendre? Et que peut offrir en ce point aucune
société humaine qui soit comparable seulement au
spectade de la communion générale d'une popula-
tion chrétienne?


Maintenant , dans Papplication de ce principe aux
sociétés civiles, n'y a-t-il pas quelque réserve a faire?
S'il est vrai que l'unité de législation soiL en elle-meme
préférable pour bien des motifs dans le gouvernement
d'un peuple, est-il certain qu'elle le soit absolument
pour tous les cas ? Et ne faut-il pas reconnaltre qu'il se
rencontre des circonstances ou cette unité ne serait
ni meilleure ni possible? Ne se trouve-t-il pas quel-
quefois dans une meme nation plusienrs sociétés tel-
lement di verses et tellement distinctes, qu'elles exi-
gent les unes et les autres des lois particulieres? Et
sans alier chercher nos exemples au loin, n'avons-
nous pas vu pendant bien des années tOlltes récentes
l'AIgérie, province francaise, et ne voyons-nolls pas
encore nos autres colonies soumises a une tout autre
législation que la France proprement dite?


Il n'y a done rien d'absolu dan s ce principe-, quel-
que précieux qu'il soit en lui-m~me. Autrement, il
faudrait aller jusqu'a dire que, pour etre dans l'ordre




- gl -


établi de Dieu, la loi devrait etre la I1H~ll1e pour tous
les peupk-s; ce qui serait absurde.


Avant tout, les 10Ís doivent etre appropriées aux
moours. Quand sous un gouvernement se trouvent
des moours respectivement opposées, il e~t souvent
nécessaire d'avoir des loís diverses. ta seuIe con di-
tion nécessaire alors, comme toujours, c'est que, dan s
l'application de la meme loi, il n'y ait de préférence
pour {Jersonne. Voile'!. la seule égalité rigoureusement
requise par la Ioi de Dieu.


l\Iais, dans tous les cas, nous pourrions nous de-
mander quels rapports particuliers la démocratie peut
avoir avec ces considérations, et s'il n'est pas évi-
dent, comme nOllS l'avons déjñ. fait remarquer, que
l'égalité devant la Ioí, de meme que l'uniformité de
la loi pour tous, soit tout aussi possibIe, tont aussi
faciIe, tout aussi efficace sous nne monarchie que
sous une républíque.


Cependant, comme on a prétendu et comme on n'a
cessé de répéter que les démocraties modernes, bien
supérieures, assure-t-on, aux républiques anciennes,
lendent par leur nature a fonder l'égalité parmi les
hommes, il faut bien, pour rendre notre réponse com-
ph'~te, examiner en finissant comment elles la com-
prennent.


Deux moyens tres-différents peuvent etre mis en
OOllvrc pom rapprocher les distances sociales: run
(lui fail soulevcl' les classes infériemes, et qui amene
les bouleverscmcnts; l'autre qui inspire aux classes


11. 6




-182 -
supérieures les condescendances de la charité, et quí
développe la vraie civilisation. Le premier procede de
l'orgueil, de la jalousie et de la haine; le second pro-
cMe du principe chrétien qui nous fait aimer tous
les hommes comme nos freres. L'un cherche d'abord a
renverser ee qui existe, sans s'inquiéter de ce qui
peut en résulter plus tard; l'autre ne veut rien dé-
truire, mais il veut avec le temps améliorer tout (1).


Maintenant, quel est celui des deux que les démo-
erates modernes mettent a leur usage; n'est-ce pas
toujours presque exclusivement le premier?


(1) Nous trouvous ces deux mouvements confraires avec foufe I'opposi·
tion de lenrs effets dans les enseignements fondamentaux et dans les mys·
teres les plus profonds du christianisme. D'un cóté, e'cst l'hollllllC qlli, me·
content de sa positiou paree qu'une seuIe jOllissance manqllait il ses désil's,
a prétendu, dans le délire de son orgueil, s'éIevel' jllSqll'il Diel1, E1'itis sicut
dií (Gen., III, 5); de l'autre, e'est le Fils de Dieu qui. dans les [Il'odiges de
son grafuit amour , s'est abaissé jusqu'a l'homme : Qui cum in forma Dei
esset ... semetipsum exinanivit fOl'1nam servi accipiens, in similit1tdi·
nem hom'inumfactus, et haliitu inventus ut honw. (Philip., 11, 6, 7.)


11 semble que dans les deux cas il yavait également tendance 11 un rap·
prochement. Cependant, pour le prender, eeUe tcndance n'a [Il'Oduit qll'lIl1
effet dircctemellt opposé: loin de IrapprocIw,' de Dieu, elle en a éloigné
davantage; elle a eonsommé entre Diell et le genre bumain unll ruptllre ou·
verte; et par cette rupture, qui est le plus grand des désordres, elle a iutro·
dnit dans le:monde tous les maux de l'humanité.


Dans le second cas , au contraire , l'bumanité s'humilie dans la personnc
dn Fils de Dieu ; et c'est par cette humiliation mellle que I'homllle se re-
leve. qu'il se rapproche de Dieu jusqu'a devanir son ellfant, de sorte qu'il
luí est uni des ici·bas par la gril.ce, el qu'i! pellt lui etre uni dans l'éternité
par la gloire.


NOllS ne prétendons pas !]ll'il y ait ici parfaite idelltité avec notre suje!;
mais, puisqu'on invoque si sOllvent les umvres de Dieu quand il s'agit o'é-
galité, il nous asemblé hon <le rappeler commcnt sa sagesse et 5a justice
procedent pour abaissel' celui qui veut s'élevel' pal' le désol'dre, et pOUl' glo-
filier celui 'lui s'hulllilie par amoUl', Supel'bum sequitw' humilitas, et hu·
mirem spiritu suscipiet gloria. (PJ'ov., XXIX, 23.)




- 83-
Nous voulons bien ne pas parler de cette égalité


honteuso, dont notro premie re république a eu le
triste mérite de concevoir le gout et de faire l'essai :
de cctte égalité sauvage, qui so révélait par les igno-
bIes familiarités du langage, par le cynisme insolent
de touto la conduite, et surtout par le nivellement
brutal du plus sanglant despotisme. Nous voulons
bien admettre que ce n'est la, dans l'histoire des ré-
publiques modernes, qu'un accident qu'elles désa-
vouent; et quoique ces grossieretés stupides soient
toujours encore tentées par la démocratie chaque fois
qu'el1e débute dans un nouveau triomphe, nous ac-
cordons, trop gratuitement peut-etre, que ce sont la
ses exces et non pas précisément sa nature.


l\Iais je me domande qucl est lo sentiment quí
pousse les démocrates modernes a ce qu'ils appellent
I'égalité; je me demande ce qu'ils entendent au fond,
et ce qu'ils se proposent par la.


Depuis surtout la révolution de février, je me suis
l~lÍt ecHe demando tres-souvent, tres-sérieusement,
tres-consciencieusement, avee le désir bien sincere,
et meme avec une disposition précon«:me de trouver
a ces provocations égalitaircs, sinon des vues toujours
ehrétiennes, au moins un motif honnete et raisonna-
ble; eh bien, il m'en eoúte pour le dire, mais je crois
devoir Pavouer a mon pays: ejj motif, je ne l'ai pas
trouvé.


Ce n' est pas, et je me hate de le reconnaltre, que
jo n'aie renconfré, non-seulement parmi les, démo-


6.




- 84-
era tes , mais dans tous los partís, des creurs hons et
généreux, que la vue de la trop grande misere a coté
de la trop grande richesse affligeait profondément,
et qui , sans vouloir aucunement dépouiller personne,
trouvaient que c'était la un désordre social auquel il
faudrait chercher un remede.


l\Iais je parle de l'esprit démocratique en général?
tel qu'il existe et se produit de nos jours, tel qu'il
parle dans ses journaux les plus sinceres, tel qu'il
s'agite dans ses clubs, tel qu'il conspire dans ses so-
ciétés secretes, tel enfin qu'on s'efforee de le faire pé-
nétrer dans los masses populaires.


Je dis que cet esprit est presque exclusivement pro-
duit, alimonté , surexcité par l'orgueil, par un orgueil
qui s'indigne de toute sllpérioríté. Je dis <Ju'ell général
cenx qui en sont animés dernandent l'aholition des
inégalités sociales, non par intéret pour la dignité hu-
maine, dont ils ont pen souci, maís pour eux-memcs;
paree qn'ils veulent devenir) non pas égaux, maís su-
péricUl's aux. autres, supéríours a ceux que maínte-
nant ils voient au-dessus d'eux. Je dis qu'une fois
arrivés ou ils aspirent, ils seraient les plus grands
cnnemis de l'égalité la plus légitirne et la plus invio-
Jable, de cello que proclame l'Évangilo, ct quí veut
(llIe I'on voie dans chaque homme, meme dan s les
plus inféríeurs) son semhlahle et son frere.


Voila, de ce coté, l'esprit que nous déclarons avoir
reconnu et tres-c1airement discerné dans les démo-
crates modernes. Et quand on ose prétendrc que




- 85-
c'est Iü I'e¡:;prit. de I'Évangile, je (lig qne l' on hl::t¡:;-
pheme.


Il résulte, de tout ce que nous venons de dire, l]ll'en
fait, l'égalité démocratique s'est prodllite de nos jours
avec des caracteres qui blessent la délicatesse et la
conscience hurnaine; qu'en droit, ce que l'égalité
pout avoir de légitime et d'ayantageux n'appartient
pas tellement a la démoeratie, qu'il ne puisse se trou-
ver, au moins a un égal degré, sous les autres formes
de gouvernement.


Nous ne voyons done pas que l'on offense en rien
la loí de Dieu, parce que l'on croit devoir no 1)(18
prendre partí pour l'égalíté répuhlicaine; et nous
croyons, au contraire, que ron est be<1l1conp plus
exposé a devenir conpable en s'associant allX ten-
dances d'un niveIlement quí ne produirait que (]eF;
ruines, et qni ne serait ni- selon l'Évangile, ni meme
selon la naturc.


-,


-,




- 86-


SIXIEME CAS DE CONSCIENCE.


FBATEBNITE.


Peut-on, sans outrager la plus excellente des vertlls chrétienncs, la charíté,
ne pas admettre le principc de la Fraternité démocratique ?


DOUTE.


11 résulte, an moins de ce qui vient d' etre dit, que
les hommes sont éganx, en ce sens qn'ils doivent se
regarder réeiproqnement et s'aimer comIne dcs,/fy)re.f.
Or, n'est-ce pas litlóralement eette vórité que pro-
clame la démocratie en prenant pour devise et pour
príncipe fondamental la fraternité? Comment done le
christianisme pourrait-il se séparer de la fraternité ré-
puhlieaine sans se désavouer lui-meme dans ce qu'il
a de plus essentiel, de plus doux et de plus saint?


RÉPONSE.


Si la fraternité républicaine n'était pas autre chose
que cet amour de tous les hommes les nns pour les
mItres, tel que le Fils de Dieu I'a étahli en se faisant
notre frere et en disant : l11andalrllJl I/OVlWI do vobis lit
dil(e,ntis úZl'icern Si(,lil rlile.1.:i vos, lit el '/'US diligrttis
invicern (Joan., XIII, 34), iI n'y aurait pas an fond iei




- 87-
de question possible: eetta fraternité serait identi-
quement la eharité ehrétienne. Resterait seulement a
voir si la démocratie prend les vrais moyens pour
I'inspirer aux hommes et la faire régner parmi eux.


:Mais est"il vrai que la fraterníté démoeratique et
la eharité ehrétienne soient une seuIe et meme chose?
N'est-il pas permis, au contraire, de eroire qu'il y a
entre elles deux des différenees, et meme des con-
trariétés essentielles, soít dan s Ieur nature, soít dans
leurs aetes, soíl dan s leurs tendanees? e'est ce qu'il
s'agit d'étudier.


lci encore, avant tont, nous écarterons dn débat ce
qui pourrait etre légitimement désavoué par les
~lOmmes modérés du parti avec lequel nous diseutons.


Ainsi nous ne parlerons ni de eette fraternité san-
glanto, digne eompagne de la liberté sauvage et de
Péga\ité immonde que nous venons de sígnaler, quí
s'imposait par la menace, quí s'inspirait par la haine,
et mettait sur son drapeau, pour que ron ne s'y mé-


- prit pas, jfl'atemité Oli la morl; ni de eette fraternité
ou'Vertement communiste, qui, détruisant la propriété
comme un vol et la famille comme un état contre na-
ture, commeneerait par briser les deux liens essentiels
de la fraternité véritable, et, par la spoliatíon comp](~to
d'une part et la promiscuíté absolue de Pautre, nous
rendrait tous freres a l'égal des brutes quí n'ont d'autre
intelligenee ní d'autres sentiments que leur instinet
animal, sicui equus el mulus quibus non est intellec-
tus. (Ps. XXXI, 11.)




- 88
S'il ne s'agissait avec la démocratie que de ces


systemes atroces, la pndeur n0115 interdirmt de les
discuter. Nous ne les combattrons donc pas, maís
nous ferons pourtant remarquer qu'ils sont nés l'un
et I'autre sous le régime républicain, et que ceux qui
les patronnent marchent au premier rang parmi les
démocrates.


l\lais iI est un autre systeme beaucoup plus sé-
rieux et sans aucun doute beaucoup plus admissible,
au moins dans ses termes, et que, pour etfe tout de
suite compris de tous, nous appellerons la charité lé-
gafe. Voici sur quels raisonnemenls ce s~'steme se
fonde, et comment il prétend dérivcr du chrislia-
llIsme:


« C'est par l'Évangile et par l'action de son divin
« auteur que la charité a été donnée au monde. Cette
« céleste vertu, en ordonnant aux chrétiens d'aimer
« tons les hommes comme leurs freres, a produit
« pour le souIagement de l'humanité des cruvres
« vraiment incomparables; mais ils les ont jusqu '¡cí
« produites seulement par l'action des volontés indi-
« viduellcs: or, cela ne suffit plus a nos sociétés mo-
« dernes. Ce quejusqu'ici la charité a fait par les in-
« dividus, il fant qu'elJe le fassc désol'mais par les
c( gouvernements. A la charité particuliere nOtlS VOll-
« lons donc substituer la charité soeiale; et e'esl ce
« que nous appelons la fraternité démocratique : mais
« e'est toujours la charité chrétienne. L'esprit est le
« meme, les reuvres sont les memes; senlement les




- 89-
( agents sont changés, le mode a plus d'ensemble et
C( le I'ésultal plus d'étendue. ))


Voilá tout le systeme: et nous reconnaissons que
c'est la question la plus importante et la plus difficile
que nou. ayons a traiter dans cet ouvrage, paree
qu'elle touche tont a la fois á d'immenses besoins et a
un état de choses qui n 'y répond plus; a une liberté
individuelIe que 1'011 no peut hlesser sans crimo,
et a corfains devoirs des gouvernements que l'on ne
saurait non plus méconnaltre; enfin, a la nécessité de
compléter en quelque maniere le bien qui ne se fait
pas, et au danger imminent ¡le tout perdre sans frnit
en désorganisant le bien qui se fait encore.


n est évident que nous ne pouvons traiter a fond
dan s un chapitre un sujet gui demanderait seul un
long ouvrage. Nous nous llornorons done a répon-
dre a ceUe question précise : La fraternité démocra-
tique, non pas précisément telle qu'elle s'exécnte
déja, mais telle qu' on vondrait la généraliser, est-
elle la charité chrétienne?


Ponr nons rendre bien compte de eeUe idée d'as-
similation, examinons attentivement gneIs sont:
i o le principe; 2° les OJuvres; 30 les effets et de la
eharité chrétienne et ele ce qn'on appelle anjour-
d'hui la charité légale.


1. Le caraclero ossentiel de la charité chrétienne,
e'est d'abord d'avoir son principe dans la foi et d'etre
un écoulement de \'ilmour de Dieu ~ c'est en vue de




- 90-
Dieu que nous sommes obligés d'aimer notre pro-
chain comme nous-memes.


Or, peut-on dire que généralement dest en vue
de Dieu que s'exerce la charité légale; que c'est de
l'amour de Dieu qn'elle découle; que c'est la gloire
de Dieu qu'elle se propose?


Il faut bien reconnaitre qu'il n'en est pas ainsi. La
charité légale est inspirée chez les uns par un intéret
personnel : les pauvres les embarrassent et les ef-
frayent; chez les autres, par une idée d'organisation
sociale: ils ne veulent pas que des hommes manquent
du nécessaire, de meme qu'ils ne veulent pas que les
marchés publics manquent d'approvisionnements, ni
que l'agriculture manque de bras, ni que le com-
merce manque de déLouchés, ni que rien dans la
société visible manque de ce qui lui est essentiel :
c'est chez eux une pensée d'ordre qui n'a rien que
de lonable, mais qui pellt exister tout a fait en de-
hors du christianisme.


Il en est cependant chez qui la charité meme légale
répond a des sentiments sinceres de commisération
pour l'humanité souffrante; mais c'est chez eux une
disposition particulicre, ce n'esL pas un effet natlll'eJ
de ce mode d'assistance qn i, par lui-meme, répond a
des nécessités el non pas a des sentimcnts, bien moins
encore a des croyances.


Par une conséquence inévitahle de son principe, la
charité chrétienne est esspntiellement une verLu. 01',




- 91-
pour qu'elIe soit une vertu, il faut que ses actes soient
libres et spontanés, il faut qu'ils soient le produit de
sacrifices tout a fait volontaires, et sous ce rapport
iI faut qu'ils soient individuels, cal' rien n'est plus
individuel que la volonté, que la liberté, que la spon-
tanéité.


Maintenant, la charité légale a-t-elle ce caractere?
Elle procede de la loi, eomme l'indique sa qualifieation.
l\Tais la loi, e' est la con trai nte, e' est la subordination
de toute volonté personnelle a l'antorité supérieure
qu'on appelle l'État, et conséquemment e'est I'extinc-
lion tolale de tonte spontanéité. Dans la eharité légale,
nous l'avons dit, on voit un certain ordre, et, a part
les inconvénients que nOllS allons signaler, on peut y
voir un certain bien extéricur; rnais de la vcrtu, mais
Je la vertn chrétienne, de la vertu proeédant volon-
tairement de l'esprit de san'ifiee, n'est-il pas impos-
sible d'y en reeonnaltre? Or, une eharité qlli n'est
pas une vertll,' qni n 1 esl pas une vertu ehrétienne,
pellt-on dire que ce soit la eharité selon I'Évangile?


Done, en premicr lien, la eharité légale et la eha-
rité chrétiennc sont lont a fait différentes, ponr ne pas
dire opposécs, quant a leur nature.


n. Le sont-elles moins quant a leurs renvres?
On eonnalt les reunes de la charité ehrétiennc.


Elles s'expriment en dcux mot8 : donner ce qn'on a,
e'est ce que font plus OH moin8 parfaitement tous les
ehrétiens; puis se donner soi-meme, e'est ce que
font, entre lllltres, les pretres dévoués aux missions




92
lointaines eL les samrs de Saint-Vincfmt de Paul.
te grand apotre exprimait, dans un laconisme su-
blime, ce doubIe caractore de la chal'ité : Impcndam
el J'uperimperuúu' ipse.


Or, dans la pratique de la charité légale et en vertu
de son action, se donne-t-on soi-meme? donne-t-on
du moins ce qu'on a? Pour le savoir, iI suffit d'exa-
miner le mécanisme de ce systeme.


Selon l'économie de la fraternité républicaine,
l'État, c'est-u-dire les pouvoirs supérieurs, sont cons-
titués distrilmteurs de toutes les aumanes, et c'est
par eux-memcs ou par leurs agents á tous les degrés
qu'ils operent cette disLribution.


D'abord, jI est bien évident que nul de ces pou-
voirs sllpériclll'S ne se sacrifie soi-meme a ce genre
de charité; cal' nul, pOUl' en suivre les ceuvres, ne
quitte sa position; nul, pour cela, ne s'éloigne ni de
son pays, ni de sa famille, ni de ses propres intérets.
Bien au contraire, ces amvres étant devenues lé-
gales constituent des fonctions ou des emplois, et,
conséquemment, ceux qui s'y livrent 80nt des fonc-
tionnaires ou des employés qui, le plus souvent,
loin d'y rien perdre pour eux-memes, s'y procurent
une situation meilleure.


Dans la charilé légale, on ne se donne done pas
soi-meme; et quelque respectables que soient les
membres des bureaux de bienfaisance, dont les fonc-
tions s'honorent par la gratuité, on nous permettra
bien de dire que leurs travaux, presque excIusive-




- 93 -
ment administratifs, ne peuvent, par lem natl1re, etre
en aucune maniere comparés, ni surtout etre substi-
tués au dévouement personnel des freres de Saint-
Jean de Dieu et des samrs de charité.


Mais' du moins, dan s l'exécution légale de la fra-
ternité démocratique, si l'on ne se donne pas soi-
llH!lme, donne-t-on ce que I'on a? donne-t-on quelque
chose de ce que l'on possMe soi-meme? Ah! e'ost
icí que la diffél'enee est plus profonde eL l'opposition
plus Lranchée.


Non, ee n'est pas Ieur argent, ce ne sont pasleurs
propres biens que, dans l'organisation de la charité
légale, dis!ribuent les agonts du pouvoir: ce son!
lOlljOurS et exclusivcment les bíens d'autrni.


Qll'on nOllS permette donc de le redire, c'est iei
que le mot divin de la eharité, quand on l'y em-
ploie (1), royoit un sanglant outrage, et se trouve
l'objet d'une indigne profanation. Ne parlons pas en-
core ici des suites lamentables de eette contrefaQon
sacrilége; mais signalons tout de suite le contraste


(1) On ue le rait jamais dans la lé~islation. Le bon sens f"rant;ais, heau·
1:0llp pln8 encore que les antipathies irreligieuses, a substitué parlout, pOllr
<:cs !eUYI"CS légales, le mol de bienfaisance a eelui de chaTité. Cctte substí·
fulion est logique. Le bienfait s'apprécie par le résultat : il ne lui est P,lS
nécessaire pour exister réellement d'avoir sa racine dans le ereu!' de celuí
qui en est I'instrumcnt. Ainsi, I'on peut dire que la nature physique répalld
des bienfait~, quoiqu'elle soit inanimée. Mais encore une fois. la charité est
avant tout une vertu, dont les reunes ont leur príncipe dans la libre vo-
lonté de eelui qui les fait, et sont néeessairemeut accompagnées d'un sacri·
fice personnel qllelconque. C'est par suite de ce meme bon sens frallt¡ais et
de la rectitud e de langage qui en est le l'éslIltat que les derniers pl'Ojets de loi
en eeHe matiel'c portent dans leurs titres , non le mol de charité, maio celui
d'assistance publique.




-94 -
décisif que présentent, d'uo coté les sacrificas de la
vraie charité, et de l'autre ces distributions Jégales,
surtout si elles se faisaient sous lo f(3gno complet de
la fraternité républicaine.


Dlune part, je vois des hommes qui possCdont, et qui
peuvent jouir pleinement de toutos leurs possessions,
et qui, par le sentiment de la nature, doivent etre
portés a les employer toutes intt'gralement pour lour
propre usage. Eh bien, ce senliment, souvent si fort
et si intime, ils lo combattont par un autre qui ne vient
pas de la nature, qui n'est pas révélé parla chair el
le sang (1), et qui veut que ron se fasse víolence
pour se dépouiller on partíe de ce qni nous appar-
tient, pour le donner en pur don a des étrangers.


Qu'on ne l'oublie pas, il se fait al01'8 dans los pro-
fondeurs de l'ame un combat entre l'amour de soi-
meme, qui veut retenir, et l'amour du prochain qui
veut donner.


Ce combat, Dieu seul en esl tómoin, et chaqne
homme qui l'éprouve en osl lui·meme, pOlll' son pro-
pre compte, l'arbitre souverain dans les libres déter-
minations de sa volonté. 01', l'issue de ce combat,
c'est le vice ou la vertu.


Si celui dans la conscience de qui se livre cette
Jutte morale n'a pas d'entrailles, ou s'il n'est pas do-
cile a la loi de Dieu, il conserve tout ou presque tout
son bien pour lui-meme; il laisse lo pauvre Lazare
dépérir d'inanition a sa porte; et dans la jouissance


(1) Caro et sanguis non revelavit tibio (Matt., XVI, 17.)




- 95-
paisible d'un égoisme, qui finit par devenir sans re-
mords, il s'eniv;e de sa surabondance.


Mais si par la grace divine, ou, pour parler un lan-
gage plus accessihle a tous, si par I'influence de l'Évan-
gile, cet hornillo aime ses semblables, s'il les aime
comme ses freres, s'illes aime comme lui-meme, ainsi
que le prescrit le Sauveur (1); alors iI comprend qu'il
doit, dans une certaine mesure, partager avec eux
ce qu'il a; alors il rofonle au fond de son crenr les
sollicitations íncessantes dn sentiment qni porte a
n'aimer que soi et les siens; et malgré l'attachement
naturel, qnelquefois violent, quelquefois meme impé.
rissable, pour les objets dont il pent dire, C'est ti,
moi, il s'en retranche volontairement une partie, et,
triomphant de sa propre naluro, ji partage son man-
teau pour en revetír le pauvre de Jésus-Christ. Voila
comment opere la charité chrétienne.


Voyons maintenant comment fonctionne, et surtout
comment fonclionnerait dans l'hypotMse de son exé-
cution complete la fraternité démocratique.


Supposons-la tont a fait a l' reuvre. Son premier
acte est de lever arbitrairement des impots pour subve-
nir aux fmis de I'assistance en tontes choses et pour
tous; c'est-a-dirc qu 'elle fait par la contrainte de la loi
passer des sommes plus ou moins importantes de la
caisse Jes particuliors dans une caisse publique. Voila
la premic'we phase de la charité légale. 01' il n 'est pas


(1) DiHges proximum tuum sicut teipsum. (Matt., XXII, 39.)




- 96-
difticile de voir que, dans cette premiere opératíon,
il n'y a al1cun sacrifice de la part de celui qui impose,
aucune liberté de la parl de celui qui paye; eL c'esL
assez dirc qu'iln'y a de charité d'aucune parto


Maintenant, ces sommes une fois recueillies, a qui
appal'tiennent-elles:l A ccnx qui vont en faire I'au-
mane? Aucunement. Elles n'appartiennent pas meme
a l'État, puisqu 'il ne peut les détourner de leur desti-
nation. Ainsi, quand elles sont réparties entre les di-
vers besoins a soulager, personne encore n'a de sa-
crifices a faire: ni l'État qui tient les sommes dan s
sa main, puisqu'il ne retranche pOOl' cela rien a au-
cun autre de ses services; ni le fonctionnaire qui les
dislribue, puisqu'il ne donne rien, absolument rien
qui lui appartienne.


Voila dans toute la vérité a quoi se réduisent les
ceuvres de la charité légale. 01' ce simple exposé
ne suffit-il pas pOllr que nous ayons le droit de de-
mander si ces ceuvres ressemblent en rien a eelles de
la charité chrétienne , et si une perception d'impols,
suivie d'une répartition administrative, offre pour le
coté moral la moindre a.nalogie avec ces opéraLions
intimes de la conscience humaine sOl'montant des ré-
pugnances el s'imposant des sacrifices, pour soulager
lons les genres de misere? Évidemmenl iln'en existe
aucune.


II n'y a done pas, en réalité, eL meme il no sau-
raiL y avoir de charité légalc, paree que ces deux
mots réunis sont un non-sens : atLelldu que par leur




- U7-
signification esselltielle el par la natUl'e des ceuVl'es
que d'une parL la loi commande, eL que de l'autre
la charité inspire, ils se repoussent eL s' exclllent ré-
ciproquement. Nous continuerons cependant a nons
servir de cette expression, précisément a raison de
ce qu'elle a d'irrégulier et de paradoxal, comme le
systeme meme qu'elle exprime et que nons COIll··
hattons.


Il est bien vrai qu'il ne résulte pas jusqu'ici de nos
raisonnements, que l'assistance exercée par les pou-
voirs publics soit un mal, mais il résuIte certaine-
ment déja qu'elle est un moindre bien moral que la
charité personnelle; il en résulte surtout, ce que nous
avons a prouver, qu'eIle est essentiellement diffé-
rente de la charité chrétienne dans le fond meme de
ses actes, et qu'elle pourrait donner tous les dévelop-
pements possibles a toutes ses opérations , sans que
l~ vertu de charité y prit aucune part et y fUt ponr
rien. Il nous reste a voir eomment elle pourrait lui
devenir funeste.


III. C'est surtont dan s leurs résnltats que la cha-
rité légale et la charité chrétienne sont dissemblables
et marchent a I'opposé l'une de l'autre.


En apparellce et matériellement, ilsemble qu'elles
doivent avoir toutes .les deux les memes résultats,
puisque par l'une comme par l'autre les pauvres sont
secourus. On pourrait croire meme que les avanta-
ges seraient ici en faveur de la charité légale, puis-
qu' elle prend des moyens tout particuliers pour distri-


n. 1




~ 98-


buer les secours avec plus d'ensernble el de juste
proportion. Telles sont, en effet, les sur faces ; mais
il faut voir le fond des choses.


Ce qui fail nécessairernent illusion dans l'apprécia-
tion des reuvres de l'assistance officielle, c'est que
jusqu'ici , presque toujours, heureusement, la charité
chrétienne y marche et y travaille sirnultanément avec
la charité légale. Celle-ei donno le produit de ses re-
venus et de ses impots, mais eelle-la verse le fruit de
ses sacrifices et de ses aumones : la premü3re se
charge de faire des recensements, de tenir des écri-
tnres et des comptabilités; mais c'est l'autre qui
toujours et presque partout, voit les pauvres, qui leur
parle, qui les soigne el. qui les assiste personnelle-
mcnt. Ainsi, le pouvoir pnblic fournit le contingent
de sa force et de son ol'ganisation matérielle; c'est
ponr ainsi dire le corps de l' reuvre : la charité y ap-
porte sa sollicitude, son amonr, son tact et son sa-
voir-faire; c'en est I'ame. On comprend que de telles
reuvres puissent se soutenir par lIne telle alliance; et
nous dirons meme plus loin comment aujourd'hui
cette alliance leur est, sous cerlains rapporls, presque
indispensable.


Mais évidemment la question n'est pas la. La ques-
lion, la voici telle qu 'elle ressort de tons les syste-
mes démocratiques mis en circulation : Que résulte-
mil-il pourla société, si la c1wriü! légale était partout
el en {out substituée t't la c1ulIúé chrétienne?


On ne peot pas se le dissimuler. Tel est depuis




-- 99 -
longtemps déja le bul que se sont proposé les gou~
vernements centralisateurs et jaloux que nous avons
vus se succéder en France. lls voulaient accaparer
administrativement toutes les reuvres de charité (1) ;
et tel est certainement le projet plus complet ene ore
et, 'plus absolu des partís démocratiques dont nons
disculons en ce moment l'esprit et les tendances.


Supposons done, cal' c'est le beau idéal du systeme,
supposons que la maniere toute spontanée et en ap-
paren ce toute décousue donts'est faite la charité dans
l'Église depuis son origine soit supprimée, et qu' a la
place des aumones versées immédiatement dans le
sein du pauvre solon l' occurrence des besoíns, soíl
par les fideles, soit par les pasteurs, soit, comme
dans les temps anciens, par les communautés reli-
gieuses (2) , il n'y ait plus partout qu'une caisse pu-
blique alimentée par des impots, et a laquelle aient
recours tons ceux qui manquent ou prétendent man-
quer du nécessairo. Mettons-nous en présence de
cotte sitllatiol1 110uvelle, qui est exactement ceHe qlle


(I} NOU5 avons depuis longtemps combatlu ce genre d'envahissemenl,
que nous ne craindrons pas d'appelel' immoral. Nous l'avons signaJé déjil
comme altentatoire aux droits de I'Église (Empietements, 3" pmt" chap, 2,
sed, '2, § '2); nOlls pouvons ajonter q'}'¡¡ fst contnire aux droils les plus
sacrés de la nulure, Nulle puis;;¡lnce au monde ne pent légilimement empt'-
cher les hommes de se soulager les uns les autres.


(2) De taut de communautés , dont plusieul's devenues si riches et ,lont
plllsieurs au\I'es restées toujolll';; pauvres, iI n'y en avail pas une qui IlC lit
journellement des distl'iblltions d'aumoues. Ceux q\li out pris leut' hi"1I Ülll-
i1s hérité de leur cbariLé? On sait bi~n que non, Quel immense déficit pOllr
le soulagement de l'in¡]igence! El. ¡lIIis, apri~s avoir tari les SOl¡rCeS, '1II s' •
lonnc de voil' le Ikuve presqlle asee! C'est. ain,i qll'en .\nglelf'll'r am.si la
plaie dll pallpérismc a sllivi la sp'Jliatic'JI d¡>s cOIl\'eIlt~,


j,




- 100
Jé~irent et que demandent les parti~ans réfléchis
et pratiques de la fraternité républicaine, el voyons
quelles en sel'aient infailliblement les conséquences.


D'abord, il en résultel'ait immédiatement, dans les
rapports que l'exercice de l'assistance établit entre
les hommes, l'altération profonde, si ce n'est la sup-
pression totale de deux vertus. 11 n'y aurait plus, et
il ne pourrait plus y avoir, ni l'eConlZa¡',r,ralZce dans
ceux qui reQoivent, ni cltarité dans ceux qni don-
nent.


ta reconnaissance, les pauvres l'éprouvent ou du
moins doivent l'éprouver a l'égard de l'homme com-
patissant et généreux qui, spontanément, se prive lui-
meme pour donner, surtout quand il donne par un
vrai sentiment de commisération et d'amour chrétien.
Mais dans l'autre systeme, pOUl' qui voulez-vous que
le pauvre ait de la reconnaissance?


Pour le riche qui a payé l'impót? Mais ce riche c'est
tont le monde, et ce n'est personne. II fant a la recon-
naissance un bienfaiteur déterminé. Mais d'ailleurs,
cet impót on a été contraint de le verser, el la recon-
naissance ne peut s'adresser qu'a des actes libres.


Pour ceux qui dislribnent l'aumone? Mais on sait
bien que ce qu'ils di~tribuent ne leur appartient paso
Si encore c'était une sreur de charité, ajoutant an
secours qu'elle transmet la délicatesse de ses soins et
la douceur de ses paro les , il Y aurait place pour la
reconnaissance, paree qu'elle, comme nOllS l'avons
dit, se donne elle-meme.




- 101 -
l\f3lS quand tout ce qui est charité chrétienne aura


disparu, quand ce ne sera plus qu'une caisse, avec
des statistiques, des comptables et des agents, ré-
partissant les fonds d'autrui avec toute la sécheresse
et toute l'inflexibilité mathérnatiques, a quoi voudriez-
vous que se raUachat la reconnaissance des pauvres?


D'autant plus qu'ils ne verraient plus ancune cha-
rité dans le riche, car c'est la seconde vertu qui pé-
rirait imrnédiaternent par ce systeme.


D'abord, cornment. en serait-il autrernent dan s la
supposition, et c'estcelle quele sujet nouscomrnande,
ou tous les actes de la charité particuliere seraient ab-
sorbés et remplacés par la charité légale? El, que l'on
venille bien en etre profondément convaincu, ce n'esL
pas la une vaine hypothese; e'est au contraire uu
danger tres-réel et tres-rnena9ant, puisque, indépen-
darnment des tendances démocratiques qui en avouent
hautement le projet, toute la législatíon sur la matiere
"Y conduít directement (1).


Et, supposé meme que I'exercice de la charité par-
ticuliere ne fM pas légalement interdit, estoce qu'il
ne s'éteindrait pas alors de lui-meme et par la seule
force des choscs? Est-ce que, quand chacun aurait
forcément fOlll'lli sa part a l'assistance publique, et


(1) Qllanrl iI n'yanrait que la dérellse constamment pronoJlcée par l'a(l-
millisfratioJl d'autoriser allclIJllegs, auclln don d'aucun genre pour les pall-
vres en faveur d'étahlissement~ antres que les bnreallx de bienfais311ce el
les commissiollS d'ho~pices, ne suftirait-elle pas avee le temps pOllr anéantil'
toute charité collective autre que la charité légale? NOIIR conjllrons les
hommes ,!'ordre ne remanlller combirn cette législation, quP plL1Rit'lIrs d'PII·
Ire el1X ont trop longtl'mps soutpllnf, psI fav()\'~lllr un commnnisml'.




- 10~ ~.


lIlIe part 1(1 ui nécessairemont ¡rai t toujOl1l'S en C'J'ois-
sant, ost-co que, le plus gélléralelllent alors, on ne so
croirait pas quille envers l'humanité souffrante? Est-
ce (rUe, aux sollicitations des pauvres) on ne s'habi-
tuerait pas, comme déja meme on ne s'y est que trop
habitué, a répondre simplement et froidement par un
renvoi a la commune ou au burean de hienfaisanceil
Et tandis que la charité chrétienne fait a chacun un
devoir eXpf\3S de s'occuper de. son prochain (1), est-
ee que meme on na s'habituerait pas peu a peu
a passer tranquiIlement, comme ce lévite sans pitié
dont parle l'Évangile, aupres de !'homme indigent et
nu, et a se dire, si la conscience réclamait : .Te n'en
sui,., plus charg/, j'ai dolUu! po u/' lui?


Eh bien, qu'est-ce que cela, sinon la mort de la
charité ehrétienne? Et ·qui est-ce qui la ferait ain8i
monrir, d'abord dans les actes, et plus tard dans les
creurs, sinon cette prétendue fraternité qui ose se
dire sa fille, et qni n'est que sa rivale, qlland elle
n'est pas SOn ennemie; qlli se flaHe de perfectionner,
de compléter ses ffiuvres, et qui ne fait que les dé-
naturer jnsqu'a ce qu'elIe les rende impossibles?


Yoila done, par le seul fait de l'établissemcnt com-
plet de la charilé légale, denx vel'(us retranchées;
les dcux vertus les plus nécessaires, les plus indis-
pensables an rapprochement et an maintien des bons
rapports entre les cIasses extremes de la soeiété


(1) Man<lavit illis unicnique de prollinw suo. (Ecel., llVU, 12.)




.~ 10:3 -
l'amour compatissant d'une part, l'amour reconnais-
san! de l'autre: vous suppl'imez ce double amoul'.


Je n'ai plus a vous demander si eependant ce sera
toujours la charité chl'étienne : vous n'oseriez plus le
dire. Mais j'ai a vous demander quelles seront pour
la société les suites de cette double suppression.


Vous voila done n'ayant plus rien de la charité
d'autrefois, dans les relations humaines; plus rien de
sponlané, plus rien de personnel, plus ríen de ce
dévouement qui vient du coom et qui va au coour;
vous voila ayant, a la place de tout ce vicux régime ,
d'une part, une eaissp- alimentée par des impóts, et
de l'antro, une troupe avide qui vient demander ce
qui lui appartient.


Vous eroyez qu'une fois cette organisation l'églée,
tout serait flnÍ, et que personne ne manquerait plus
du nécessaire. Bélas! l'expérience de l' Angleterre,
ou eeHe organisation est en vigueur depuis des sie-
eles, suffirait déja pour vous répondre. La, les 101s
du pau périsme, substituées aux reuvres catholiques
de charité, sont exécutées par la plus riche aristo-
cratie du monde; et cependant, chacun sait que nuBe
parL I'indigence n'esL plus extreme, plus patente el
plus hideuse (1'.


(1) C'est la plus fiche nationllu monde, et cepelldant c'eiit ceHe oú le plus
souvent la créature humaine meurt de faim. Ce qui se racontel'ait chez
nous comme un phénomenc dont toutes les ames seraient émues est devenn
si fréquent en Angletel'l'e, el surtonl en ¡!'lande, que loin de s'en inquiéter les
riches n'en parlent meme plus. C'est devenu pour eux un [ait vulgaire auquel
Ill\ll's m<I'llI'S se sont. habituées. Cela ne ~lIlfit-il pas pOli!' monlrfr eomment




- 104 ~
Mainlenant, supposé que, sous l'cmpire de la dé-


mocratie, avec l'abaissement de toutes les grandes
fortunes, ce systeme s'organise parmi nous comme
un vaste monopole d'assistance.


Pense-t-on que eeUe eaisse unique pOUl' tous les
secours suffirait a tous les besoins? Il est súr que,
seu le , elle ne suffirait pas; pour deux raisons : parce
que d'abord I'assistance officielle ne connaitra jamais
tous les Lesoins, et qu'elle ignorera meme, pl'ei:\quc
toujours, les plus respectables; paree qn'ensuite lei:\
ressoUt'ces recueillies par la contrainte au nom de la
loi n'égaleront jamais en valeur les aumónes pal'li-
culü\'res réunies.


Mais du moins cette assistanee publique diminuera-
t-elle le nombre des pauvres? Il est sllr qu 'elle 1 'aug-
mentera, par une raison bien simple: e'est qu'elle
rendra les seeours trop visiblernent assurés.


Quoi! vous ne voulez pas laisser aux hornmes
qllelque inquiétude pour lenr avenir; vous voulez
que l'État se eharge d'avance d'y pourvoir dans tOllS
les eas. Mais n'est-il pas visible que, par la, vous les
dispensez de toute prévoyanee, de toute éeonomie,
de toute privation; que vous les autorisez rnatérielle-
ment a se jeter tous aveuglément dans le dénl'lment,
puisque vous leur promettez, au nom de la loi, qu'ils
ne manqueront jarnais du nécessaire.


Fant-il insister ponr faire voír que e'est le moyen


cet état de choses si incompréhensible dans IIne nation civilisée s'explique
par la charité Jégale absorbant tOllt sentiment de charité chrétienne?




- {Of> -
le plus infaíllible de rendre le nombre des pauvres
toujours croissant, et croissant bientOt dans d'ef-
frayantes proportions? Ainsi, moins de secours et
plus de misEwe, voilit le premier résultat.


Mais du moins, par la, les c1asses pauvres devien-
dront-elles moins immorales, moins turbulentes,
moins effrayantes pour la société? Il est sur encore
qu'elles le deviendront davantage.


D'abord, ji est évident que l'immoralité des paUVl'e8
s'aceroitra en proportion de leur défaut d'économie :
rnoins ils seront obligés d'avoir de prévoyanee, moins
ils auront de conduite. En les dispensant de Pune,
nécessairement vous pervertissez l'autre.


D'un autre eoté, comment voulez-vous qu'ils. ne
soient pas plus exigeants, et, dans l'occasion, plus
fu!'ieux, quand vous len!' aurez appris que les seeours
qu'on leur donne sont une dette qu'on acquitte envers
eux? C'est ce qui résulte déja des termes de la Cons-
titlltion, qlli con sacre le droit a l'assislance; mais e'est
ce qui résuIterait surtout du systeme qui ferait de-
venir une partie eonsidérable du produit de l'impót
propriété exclusive des classes pauvres.


Enfin, commcnt voulcz-vous que 1eur jalousie hai-
nem,e pour le riche ne s'accroisse pas de plus en plus,
quand vous leur aurez oté le seul sentiment naturel
par lequel ils pouvaient l'aimer et le respecter encore,
la reconnaissance?


Ainsi, par suite de votre systeme, les pauvres, de-
venant plus prodigues, plus exigeants et plus ingrats ,




- 106-
deviendront par cela méme plus immoraux et plus
mena<;ants pour l'ordre social; et c'est le second ré-
sultat.


Done, rien n'y gagne, et tout y perd : les pauvl'cs
aussi bien que les fiches; I'État aussi bien que les
particuliers.


Ah 1 vous avez cru que des calculs humains valaient
mieux que la marche de la Providence : vous avez
jeté des yeux de dédain sur ces aumanes éparses
que répand inégalement la charité chrétienne, san s
rigoureuse symétrie et sans plan d'ensemblc, et vous
avez dit : e'est le désordre; et vous avez ajouté :
e'est a la sagesse humaine et a la puissance publique
du pays, qu'il appartient d'organiser ces choses. Ar-
riere done la charité privée 1 Toní secours doit (\tre
donné par la charité légale.


Insellsés el téméraires 1 e'est comme si vous di-
siez : 11 y a trop d'intempérie dans l'air et trop d'iné-
galités dans les innuences du ciel. TI ya des terrains
trop féconds et des terres trop arides; il Y a des greles
et des gelées qui viennent ravager certaines campa-
gnes, tandis que d'autres ne re<;oivent que les bien-
faits du soleil; tout cela est un désordre : e'es! a la
sagesse et a la puissance humaine qu'il appartient d'y
remédier. Voici le remede: il faut tout meltre en serre
chande; de ceLte maniere, nous réglerons nous-mémes
la température a notre gré, et nous serons bien súrs
que toutes les productions de la terre seront pour tou-
jours a l'abri de toute intempérie.




-107 -
Qu'on nous pardonne eelte eomparaison plus qu'é-


trange. Sans doute eette derniere idée n'est meme pas
supportable; et cependant, nous ne eraignons pas de
le dire, elle n'est pas plus eontre nature que le systEnne
absolu de la eharité légale absorbant et détruisant
partout l'aetion providentielle de la charité particu-
liere.


Dans les deux cas, e'est l'homme voulant rempla-
cer Dieu; ce sont les ceuvres de Dieu dont on veut
soumettre Pensemble 11 des dispositions humaines.
Eh bien, un tel projet, n'importe 11 quel ordre de
choses il s'applique, est tout a la fois un crime et
une impossibilité.


Ce que ¡'homme peut faire, et ce que meme il doit
faire toujours, e'est de s'assoeier aux ceuvres de Dieu,
pour en seconder les lois, tout en adorant les mysteres;
pour en reeueillir les fruits, tout en acceptant les iné-
~alités; et p.our en développer les résultats, tout en
reconnaissant que Diell seul fait tout, et sans préten-
dre jamais, ni déranger son plan, ni remplacer son
bras.


Et pour appliquer, en finissant, ce principe 11 notre
sujet, ce que les gouvernements démoeratiques ou
autres peuvent et doivent faire 11 l'égaru de la eharité,
e'est, non pas de la dénaturer, de la desséeher, de la
tuer en la faisant toute légale, mais de la vivifier par
tous les moyens possibles en la maintenant ehré-
tienne, mais d'en échauffer partout le sentiment, d'en
eneollrager partout les efforts, et de se faire a son




- 108-
égard non pas dominat~urs, mais auxiliaÍres; non
pas oppresseurs, mais amis.


Il faut bien l'avouer, la parole du Sauveur s'est ae-
complie de nos jours : a mesure que l'iniquité est de-
venue plus abondante, la eharité s'est refroídie (i).
Nous ne vouloos pas rappeler que eeux-Ia en sont
eoupables qui ont affaibli la foi et ruiné les institu-
lions innombrables dont la eharité était la Romco el
l'objet sous toutes les formes; mais iI esl un fait dou-
loureux dont nous voulons convenir: c'est que, soít
défaut de ressource, soít défaut de zele, la eharité par-
ticuliere ne suffit plus a tous les besoins.


Dans cette situation, l'État a certains devoirs a
remplir; ce n'est pas ici le lieu de lui indiquer les
mesures plus ou moins provisoires qu 'il doit prendre
a ce sujet. lHais ce que nous eroyons indispensable
de lui dire hautement, e'est que tout ce qui touche
a l'assistance, il doit l'appuyer avant tout sur la cha-
rité proprement dite, c'est-a-dire sur le dévouement
spootané, persollnel el religieux. Toute disposition ,
quelque puissante qu'elle paraisse 7 qui pourrait af-
faiblir dans sa Romce ou gener daos ses effets ce sen-
timent fécond et sacré serait funeste a l'assistance des
pauvres. Et nous ne sortirons des difficultés, des
périls, des douleurs qui nous oppressent de ce coté,
qu'en faisant succéder dan s les eceurs, a l'égolsme
dont l'irréligion les a pénétrés, cet amour du prochain


(1) Quoniam alHln¡)avit iniqnitas refri/(esret charifaR mlll~ornm. (Matt.,
XXIV, 12.)




- 109-
qui 8era éternellement le secret inaliéuable du chris-
tianisme.


Nous ne repotlssons done pas la charité légale en
ce sens qu'elle viendrait au besoin preter son con-
cours a la charité chrétienne; nous la croyons meme,
SOtlS ce rapport, utiJe en ce moment, sinon néces-
salre.


Mais Hons la repoussons, nous la réprouvons, nons
la condamuons en ce sens qu'elle absorberait et rem-
placel'ait la charité chrétienne, sous prétexte de l'é-
tendre et de la compléter.


e'est ainsi que l'on peut, sans outrager aucune-
ment la plus excel1enle des vertus, et meme que I'on
doit, par respect pou!" cette vertn toute divine, ne
pas admettre le principe de la fraternité démocra-
tique.


1:
1,(0'
, ,
¡ -.
,-o
,-




- HO·-


CONCLUSION.


On a beaucoup raisonné sur l'attitude prise pres-
que unanimement par Pépiscopat apres les événe-
ments de février. Les uns l'ont regardée comme une
marque de faibJesse ou comme l'effet absolu d'un dé-
faut de convict.ions po1itiques. Les autres y ont vu le
signe d'une sympathie prononcée et presque exclusive
pour le régime répnblicain. Cependant ce n'était ni
l'nn ni l'autre. Pour en juger, reportons-nous a eeUe
époque.


Une révolution subite comme la foudre brise et.
disperse un treme, jeUe une derniere dynastie dans
l'eAi1, oil déja se trouvaient les autres, et llroclame
le peuple souverain.


Deux dispositions extremes sont immédiatement le
résultat de celte cat.astrophe. J)'un cOté, toutes les
foreurs et tontes les espérances anarchiques; de l'an-
tre, la stupeur, la consternation, le déconragement.


Entre ces deux extrémités, il Y avait une situation
tonte particuliere, la seule possible : c'était, non pas
l'indifférence ni l'inactivité, mais la résignation chré-




- ql-
tienne; e' est-a-dire eeUe disposition calme et ferme
que r~en n'étonne et que rien n'ébranle, paree qu'elle
apprend que, dans les mains de Dieu, tout peut tourner
a bien. Or, la résignation ehrétionne nous commandait
alors de considérer avee sang-froid, avee une con-
science libre, les faits aecomplis; de voir et de di re hau ..
tement ce qu'ils avaient d'acceptable pour le gouver-
nement du pays , afin de remIre promptement q~elque
énergie á la nation; afin de sauver le présent, mais
sans jugor le passé, sans devaneer l' avenir.


Pour cela, qu'ont fait les éveques? Ils ont regardé
en face la situation nouvelle; iIs ont soumis a leur ap-
préciation chrétioullO la forme du gouvernement ré-
publicain; ils ont lules trois mots de sa devise, et ils
se sont dit : Nous n'avons á repousser ni ces mots
ni ceUe forme; cal' ces mots sont originairement de
l'Évangile, et cette forme n'a rien d'incompatible avec
l'Église. Voila ce qu'ils ont pensé. Et alors, debout,
commo autrefois leur divin maltre, sur la barque
battue et presque suhmergée par I'orage, ils ont dit
aux peuples : Pourquoi etes-vous ainsi timides et
tremblants, hommos de pou de foi (1)? Quoi 1 des
mots et dos formos vous font pour? La République, la
Démoeratie, la SOllNeraineté du peuple, le Suffrage uni ..
versel, vous croyez que ce sont la autant de monstres
qui vant vous dévorer. Eh bien! nous vous disons que
vous vous erréez des fantames, et que de ces institu-


(1) Quid timidi estis, modicre fidei? (Matt., vm, 26.)




- 112-
tions improvisées dans le chaos Dieu peut taire sor-
tir de grands avantages et pour la religion et pour
la société.


Voila ce qu'ont dit alors les éveques, et on doit
reconnaitre que leurs paroles n'ont pas peu contri-
lmé dans ces jours terribles a rassurer les ames et a
calmer les flots. On conviendra , d'un autre coté, qn'il
était alors fort inutile de donner, pendant ces 1110-
ments d'effervescence , plus de précision a leul's pa-
roles: c' eut été une imprudence sans raison, et un
danger sans profit.


Mais, au reste, ce qu'ils ont dit alors, ils le main-
tiennent; et ils peuvent d'autant mieux le maintenir
que les événements sont venus le justifier, et que, de
ce suffrage universe!, de cette souvcrainclé du peuple,
s'exefl';ant pour la premiere fois dans toute leur plé-
nitude, sont sortis, comme ils l'avaient fait espérer,
des Pouvoirs qui ont, sinon guéri toutes les plaies
de la France, ce qui ne peut etre que l'ouvrage do
bien du temps et de bien des efforts réunis, du moins
détourné, autant que possible, le pays de l'abime ou
la corruption ot l'anarchie le précipitaicnt.


Mais, comme on a donné a nos paroles une intel'-
prétation pour le rnoins oxagérée, nous avons pensé
que le moment était venu de faire savoir au monde
quelle est, sur tous ces points, précisément notre
doctrine; et Qa été le but de cet ouvrage, dont on
ne se rendra bien compte qu'en le lisant tout entier
avec une attention consciencieuse.




- 113-
Non, le christianisllle ne repousse pas la démocra-


lie; mais cela ne veuL allcunement flire qu 'il s'iden-
tifie avec elle. Non, J'f~gli8e ne l'edouLe pa~ pllls (JI/('
les mItres les gouverncments établis SUI' ltl forme ré-
publicaine; ll1ais cela ne veut pas non plus tlire
qu'elle ait pour eux, en vertu de leu!' torme, qllelqut!
sympathie particul iElI'e.


L'Église reeollllall que lIulre société th.lll0aise
éprouve en ce Illoment de biell douloureuses el bieu
redoutables souffrances; et. ('Ct"laillemenL elle désire
qu'on emploie, pour les soula!:)er, les II10yens Jes plu:,
efficaees eL les plus prompLs; ill:¡is elle ue <lit pas que
la démocratie possP(h~ seule ces 1'(Jlll(~c1es.


L'Église sail bien que, d'Ull cúLé', les dasses pan-
vres Roul parfois ex igea n 10"; , i nSlI!Jo!"l IOI\llt~eS, liH~tla­
C;i:llltes; lIIais elle saiL bien aussi que, de I'alltre, OIJ
les a tlémoralisées, en les relld¡wl irrdigieuse,;: ell,'
saíl qu'on a rendulenr,; 1lI11rtlll1n',; "OIlS certains points
légitimt~s, en remlant leur llJis¿'I'(~ sOllvent inéviLable
el quelquefois exces"i ve, sans llH\me I (lisser ;'1 coí (('
misere dll COl'pS aucune compcnsalion dans l'alllo.


CeLte situation est Il'op violente ponr elre uurable .
SllI'tOllt panni nous, Il faut en sortir absolument; el
ce serait par de Ilouvelles I?alastrophcs si ce n'était
par une arnélioration ü tous les degré::;. PUII!' que leO'
peuples cessenl d'etre Illaléricllernent a craindl't', il
faut qu'ils Ileviennent IlloralemenL meilieurs. 01', le"
peuples ne s'amólioreront ainsi qu'autant. qu'ils en n'·


lJ. ~




-~ 11&· -~
ceVl'ont !'lmpnlsion et l'exemple des' e\asses qui les
gouvel'l1ent el qui les dominent.


La question lout enW~re de toul notre avenir est la. I
Elle n'esl pas tant dans la form0 des gOllvernements
que dans leur lIloralilé.


Que ce soilllll prince hérérJitairement légitime, OH
que ce soil. un présidfmt eL une Clssemblée démocra-
liqncmenl élus, il Y a sons ce rappol't les memos
chances. S'ils veulent, comllle par le pnssé, l1atter
les mallvaises passions ponr s'en servir comme d'un
inslrnmenl de regue, illJ'lmmelltlllJl regni, ¡ls périront
égalemenl., el nous avec eux.


Si, all confraire, ils veulent sincerement remonter
a la souree du Jlial, s'ils veulenl offrir a la religion
lem loyal conCOll I'S ponr établir les vraies doctrines
dans toules les intelligences, el les Lons sentjmenls
dans tous l(ls crenrs; ah 1 dan s ce cas, e'est que Dieu,
solon l'expression de ses sainles r~crilures, voudra que
nolre nation soít. encore guérissable (1 ).


Mainlenant, esl-ee ¡tIa d('\l1ocratic qn'appal'tiemlra
de pl'éférence eeUe vertu de régénéralion'? Est-ce elle
qui aura, mieux que les antres, et assez de force pour
rnaintenir l'onlre, et assez de sagesse, de justiee eL de
calme pOUl' réglcr, pour purifier, pour adoucir les
mreurs? L'expérienee seule pent répondre a eeUe
grande et souveraine question. La démocratie est a
l'rouvre; elle a dans sa main tous les pouvoirs réu-


(1) SanabiJes recit nationes orbis terrarllm. (Sap., 1, 14.)




nís: la religion a béni ses symbolcs, ses drapeaux et
ses armes. Qu'elle rende la nation henreuse et pros-
pere, en la rendant mOl'ale, en rétablissanl partout lo
regne de la conscience au lieu du regne de l'égolsmc:
qu'ainsi elle fasse mieux, beaucoup mieux en somme
que la monarchie. - De quel droit alors la détro-
nerait-on?


FIN.


" , ~ .


. ,"'". J..;:


". ;






TABLE DES 1\IATIERES.


Paies•
OB.JET DE CET OUYRAGE. - Ce qne nons ayons flüt dans nos premiers Cas


de consciencp. ponr les libertés constitntionnelles 7 nons le faison:;
ponr les gon vernements démocratiq Des .•..•.••••.. ' •. " . " ••.•.


PI'emier cas de conscience. - Souveratneté dn penple. - SA
SOURCE. - Sa sonrce est en Dien , on bien elle ne serait nolle part;
car, en dehors dn droit divin , il n'y a d'autre droit que la :force. • 8
Dieu veot que les hommes vi ven! en société, el que ces sociétés


aienl des chefs. Quand elles n'rn ont pas, elles possMent en elles-
mémesle droit de s'en choisir. C'es! en cela que consiste la SOIl'
veraineté dn penple ........ ' ................ " ...... .•.. .. 13


Second ca.~ de conscience. - Souveralneté do people. - SA NA-
TUGE. - 11 ne fant pas confondre la sou'veraineté, qni est un droit,
avec la dénwcmtie, qui est une forme ...... ' ......... , ... '. . . 17
Le penple n'esl jamais sonverain quant iI l'exercice de la souverai·


neté ; ¡ll'esl, en certaines circonstances, seulement quant 11 sa dé·
légation .. ' .......... ' .. " . _ .....•. ' , o. , • " ••••.••••• o •• o 1 \1


Des qu'il a nomlllé régulií'rement ses r.hel's, illeur doit respect el
obéissance ; 8a souveraineté n'est done (las permanente . ... '. o 22


T¡'oisierne cas de conscience, - Sooveraineté du peuple. - S¡,;S
I,IMITES. - Le droit divill .Ies prillces u'est pas imrnédiat; iI lem
vient (lar une mécliatioll humainc, lJuí (lent étre I'élection par le
peuple .........•..•............. o ••• o •• ' , • ' " •••.•. o •• , . . • 29
Mais il ne s'ensuit pas que le peuplc puisse révoquer 11 son gré les


ehefs t méme quand illes a .'lus. o ....... ' ........ , .. o. o .. • • • 30
Ponr qu'il le Imis~e, SUI'!out pal' la voie de l'iuslIrrectioIl, il faut


Cjuatre conditions ................ o .......... " ..... '" o' • • 32
jQ Que le pouvoir établi fasse plus de mal que de bien. '.. .. .. 35
'lo Que ce mal soit pire que He le beraient les suites d'une révo-


lution. ' ....••....• ' ". ' .......... ' ..... , .•.... '. . .. . 37
;¡" Que l'insurrectioll soit le seul remede ...... ' ... ' •.. o ••• • 38
4" Que telle soit la pensée des homllles compéténts .... ' ••. o • • 39


POllr étl'e sur de I'existence de ces quatre conditions, il faut les avoil'
étudiées avec pUl'eté .nlltention et avec calme ...••• " ••. o o • o o 40


L'insurrection est, par eUe-n¡eme •. un grand crime et un grand mal-
heuro....... .................... .................. •••••• 4.1




-- 118 -~
Pages


Qudlt'ieme cds de CO/lSCie¡lCe, - Liberté démocratlqoe. - Diffé·
rence essentielle entre la démocrat,ie et la liberté, . ' .... ' ... , '. . . 45
La liberté démocralique est SOllvent une tyrannique Iieence . " . . 50
La rlémocratie modérép prétend douuer anx peuples den x genres tIc


liberté ... " . ' .•....... ' '. ,. " ...• ' ..... '. " , .. ' ..... " .. , 52
En résulte·l-j) une plus granue somme ue liherté~ vérilables? . , . . . 54
Quels ,'apports out epa libert~s démocraliqucs avec la liberté donnée


au monde par l'Él'angile? ......... , ............. " ... ' " ' . . 62
Application immorale ue la dor,trine évangélique 8tH'Ia liberté .. " . 63
L'Évangile n'es! pas solidail'e de c(qne la démocralie appelle spé-


cialement Liberté ........ , .... ' .......... ' ............. '.. 64
Cinquieme cas de conscience. -1!galllé dj'mocratlque. - Elle est


tout a fai! uislincte de l'égalité devant Dieu, trile que la foi la
défiuit. ' ..••. , ' .. ' ..•.. , .... , ' ...... " • ' '" ...• " ". . . . . 71


Lrs reunes de Diell, daua I'ordre naturel comme daua !'onll'c SUf-
uaturel, élablissfnt l'inégalité parmi les homm~s : les inégalités
sociales ue sout done pas toutes coulraires a I'onlre ... , '. '. ... 74


Cepeudallt, il y a dll vrai dalls le prmcipe absolll de I'égalité devant
la loi. Ce principe s'accomplit admirablement daus n:glise. Il pent
se réalisel' dana I'État 80118 toutes les formes de gouveruemeut .. " 77


Commellt eu fait les démocraties model'lles out comprís ]'égalité, .. s?
Sixiimw casde cOllscience. - FI'alernltj\ démocrallque. - Est·elle


la cltarilé chréliellne, m.'me qualld elle n'l'sl pas révolutionnaire et
qu'elle s'appelle Charité légale P • . ' ••............ , . '. '. . • . . . 86


Le principe de la chariti' r,hl'(\liclIl1f> , e'cst l'amo\ll' de Diell : eu esto
iI ainsí de la charité légale? , ... " ............... ,.,....... 89


Les (cuvres de la charité ellrélienne consisten! a tlonller ce qu'ou a,
et a se douller soi·meme. Le fait·on dan s la cllarilé légale? .... , 9t


Les effets tle la charilé cllr(,ficnne, le mrmde les counait. Si elle était
entieremeut I'emplal:ée par la chal'itrl Iégale, il r,,, Jhu/t.'rait I'px-
tinction .le ,len"- Yertn~ pssentiellem~1l1 sociales, .. , ........ , . . 97


11 en résulterait eUCOl'e que les pauvres devielldraient plus uombreux
et moius moran, .. , .......... ' ... '" ..•.. '. ' ... ,. ", ' .. " 103


Cest une folie et Illl et'ime tle vOllloit· mettre la sagrase de l'homme
11 la place de la providence de Dieu .. '" .. ' ..... '. _ '" • . . . . .. lOG


CONCLUSION. - Appréciatíou de la position prise par l'Épiscopat fran~ais
apres février 1848 ...... ' ... ' •.. , . . . .. .. . . . ... .. .... .... . . . .. HO
Dan!:\er extréme de uotre situation. - Remede indispensable...... 113


F1~ IIR 1,'\ TABLE,