HISTOIRE· DE ,. LA RÉVOLUTION DE 1688. • '" "o A LONORE,S,...
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HISTOIRE·
DE


,.


LA RÉVOLUTION
DE 1688.


• '" "o




A LONORE,S,
'\; 'o


COLBURN, SAUNDERS ET OTLEY. - MARTIN BqSSANGE
ET CA. - TREUTTEL ET WURTZ, TREUTTEL FILS ET
RICHTER •


• A LEIPSIG,
BOSSANGE FRERES. - ZIRGES.


IMI'RIMERIE DE PIRMIN DmÚT.
J~l'E JACOS, "NO ?:'Í.




HISTOI'RE
DE


·LA REVOLUTION
J)E 1688,


EN ANGLETERRE,
PAR F. A. J. MAZURE,


1 NSPECTEUR - GÉNÉRAL DES ÉTUDES.


" Minu; jura. quotiens gliseat potestas :
" nce utendum imperio, uhi legihus lIti
«possit.» (TACIT. Annal.JH, 69';


TOME PREMIER.


PARIS,
LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN,






A V ANT - PRO POS. v


AVANT-PRQPOS.


LORSQUE j' ai en trepris d' éerire eette histoire ,
on s' attachoit a, répandre '" eomme autrefois
sous le Direetoire, le Cons\llat et l' Empire ,
je ,ne sais quelles comparaisons entre les Ré-
volutions d' Angleterre et de Franee, pour
venir a cette eonséquenee fatale, que les deux
restaurations auroient une concIusion sem-
hlahle.


Incapables de saisir et d' apprécier les dif-
ferences les plus décisives,' les peuplés réflé-
ehissent peu, et ne voient les faits que dans
leurs ressemblances générales. Sans doute,
il n'étoit pas diffieile de montrer, dans
la restauration des Stuarts, une 'longue et
dóu!oureuse déception. Mais, en parlant de




VJ I A V ANT - PROPOS.


ce fait, malheureusement irrécusable, OH
nous amenoit, par une fausse et perfide ana-


; logie, a douter si la Providence ne nous avoi t
pas condamnés a voir les memes catastrophes,
c' est-a-dire une autre Révolution de 1688 .


. Cependant, on ne nous disoit pas la dif-
ference qui caractérise particulierement les
deux révolutions ·et les deux restaurations.
Pour ne' parler que de celles-ci, Charles JJ,
en remontant sur le trone sanglant de son
pere, laissa indécises toutes les questions
de droit qui avoient armé le Parlement
contre Charles Ier• Non -seulement c'étoit
un malheur, c'étoit encore une faute ir-


réparable; car les Parlements d' Angleterre
avoient des droits aussi anciens, aussi invio-
lables que ceux de la Couronne. Aussi, la
cause prenliere de la Révolution subsista tou- .


jours, et ne cessa que par le Bit!" des droits,




A V ANT - PROPOS. VI]


imposé a Guillaume III qui détrona Jac-
ques 11.


Ena-t-il été ainsi de la France? La cause
directe d'ulle révolution nouvelle est-elle res-
tée melée a la restauration, pour la corrom-
pre, eomme en. Angleterre? Non. Le Roi,
frere de Louis XVI, bien plus sage que le fils
de Charles r~ , a commencé la restauration
par ou elle a flni en Angleterre. La déclara-
tion de Saint-Ouenet la Charte ont remplacé
pour nous le Bz·ll des Droits~ Simultanés a la
restauration meme, ces deúx aetes du Légis-
lateur légitime l' ont affermie par l'heureuse
allianee des droits de la souveraineté avec les
vreux, les libertés et les nécessités du siecle.
La Charte francoise eut-elle survécu a la ha-()
taille deWaterloo, si elle n' eut été qu'une
malheureuse déception eomme la déclaration
de Breda? Que nos augustes Princes, que la




VII] AV ANT - PROPOS.


Franee me pardonnent eette odieuse compa-
raison! Je n'avois pas d'autre langage pour
réfuter de tristes et dangereuses calomnies.


Donc, une révolution, analogue pour nous
a ceHe de 1688, seroi~ tout a la fois un crime,
un crime inutile et inhabile, qui n'auroit pas
meme pour Motif cette excuse commune des
factions, lá liberté ou la' nécessité. Ce fait
capital détruit seul toute allalogie entre les
deux restaurations, a part toute différence
des temps et des lieux, des mreurs et des
lois, de la Religion' et surtout des Princes.


Ce fut le désir de démontrer ces vérités
par laseule force des faits, qui me 6t entre-
prendre l'histoire que je vais publier.


Si l' on a jusqu'ici présenté, avec plus Ofl
,11l0ins devérité, les événements accomplis',
tres-peu d'historiens, et je n'en excepte pas
lneme les plus célebres, ont pu parvenir




A VANT - PROPOS. IX


j usqu' a la connoi ssanee ·exaete et· réelle des
(~auses mystérieuses qui out successivement
préparé, produit et rendu insurmontahle
la eatastrophe de 1688. Le chevalier d',AI-
rymple, vers la fin du ·1 8e siecle, fut le pre-
mier qui, enremontant aux sources memes,
ait fait entrevoir comment la diplomatie
avoit contrihué, sans le vouloir, aux mal-
heurs de la maison royal e des Stuarts. Au
c~mmencement de celui-ci, M. Fox alla un
peu plus loin. Mais il ahandonnoit ses re-
cherches a des copistes, ou les indiquoit seu-
lement par un coup de erayon; il n'étoit done
pas difficile de trouver ce qu'il n'a pas meme
sou~onné. D'ailleurs on sait que la mort in-
terrompit ses travaux, et qu'il a écrit seule-
ment les cinq·ou six premiers mois du regne
de Jacques JJ.


Apres lui, out paru les mémoires de Jac-




x A V ANT - PROPUSo


ques II lui-meme, recueillis par J. S. Clarke.
Ces mémoires ont tous les caracteres de
l'authenticité. lis ont été écrits de bonne foi.
lis répandent san s doute de grandes lumieres
sur le caractere du royal historien. On aime a
suivre dans leurs développe~ents ces idées
malheureuses qui ont constamment dominé
ce Princé, jusqu'a la fin de sa carriere. Mais,
pour l'histoire elle - meme, ils sont peu de


. chose .. Les faits les plus importants sont


représentés sous un jour douteux. En un
, .. .,


mot, on s aper~olt trop souvent que ,ces me~


moires ne peuvent soutenir une comparaison
judicieuse et franche avec les actes authen-.
tiques de son Gouvernement, de ses minis-
tres et de ses ambassadeurs.


Mais quelques reproches que l' on puisse
justement faire 'a ce. Roi malheureux, il ne .
faut pas injustement dédaigner un Prince qui




A V A NT - PROPOS. X,J


inspira, comme guerrier, une grande estime
a Turenne, etqui agrandit réellement la puis-
sanee navale de l' Angleterre. Malheur aux
vaincus! Si Carthage eut été victorieuse, on
n'eut pas dit sans doute la Foi Punique,
mais la Foi Romaine. En d'autres temps,
J acques II eut été un Roi' distingué, peut-
etre meme un grand Roi. So,u malheur fut
de naltre a une époque ou les hommes et les
eh oses étoient plus forts que lui, et de ne


, . pas s en apercevolr.


Plus tard, je publierai l,es causes qui ont
complété sa chute apres sa triple fuite de
Londres, de Rochester et de Dublin: Je dirai
par quel enchaÍI1ement de fautes toujours
renouvelées sa propre restauration fut tou-
jours impossible, rnalgré cent mille Irlandois
armés pour sa cause et les magnanimes efforts
de Louis XIV. On y yerra par quelles pas-




XIJ AV ANT - PRO POS.


sions absurdes et désordonnées les Princes
recouvrent si difficilement un trone qu'ils ont
une fois abandonné ou perdu.


Quant a l' ouvrage que je publie actuelle-
ment, les deux regnes de Charles II et de
Jacques II ne mériteroient que les seuls re-
gards de la curiosité, cornme tant d'autres,
si l' on ne s' attachoit qu'a représenter fidele-
ment des fautes et des erreurs, des perfidies
et des conjurations : toutes choses que l' on
trouve dans l'histoire. de tous les peuples.
Mais il faut s' élever plus haut, et voir ici le
combat continué des plus fortes passionsqui
aient remué le monde.


La révolution de 1640 en Angleterre, la
premiere chute ·dés Stuarts, leur seconde et
irrévocable chute, ne sont que la continua-
tion de cette chalne imnlense de révolutions,
qui comnlence au Pontificat de Léon X, dont




A V ANT - PROPOS. XII]


Charles-Quint voulut briser les prenliers an-
neaux, et que Philippe 11, son fBs, étendit sur,
le monde entier. Ce Prince ayant employé la
Religion a son ambitieuse.tyrannie, Henri IV
et le cardinal de Richelieu fonderent ce sys-
teme de défense qui alla chercher des auxi-
liaires partout ou: I'Autriche avoit des enne-
lllis. Charles ler étoit allié de I'Espagne : Ri-
chelieu s'allia aux Covenantaires de Glascow
et au long Parlement. Louis XIV veut tout
a la fois continuer, contre la cause protes-
tante le systeme d~ Charles-Quint, et contre
I'Autriche le systeme de Richelieu: alors I'Au-
triche s'allie aux Puissances Protestantes, et
Rome elle-meme devient l' auxiliaire indirecte
du prince d'Orange contre un Roí qui veut ré-


· tablir dans ses États la Religion Catholique.
V oila toute l'histoire des Stuarts.


Considérée 'de ce point de vue élevé, elle




XlV A V ANT - PROPOS.


a pour la FraIlee un intéret tout national, en


expliquant deux époques mémorables du
regne de Louis XIV: la conquete dé la Hol-
lande en 1672, qui .prépara la grándeur du
jeune Prinee d'Orange; et la révoeation de
l'édit de.Nantes, qui le tit ehef de la eoalition
de tous les Prinees Protestants ou Catho-
liques, ennemis de la Franee. Considérée
sous un autre point de vue, plus restreint,
mais non moins important, eette histoire


montre ce qu' a été la restauration d' Angle-
terre, -et eeque ne peut etre, sous aueun


rapport, la restauration de Franee ....
La mort du Patriarehe des Rois, du Roi


Législateur, du· Roi qui, en dix années,
comme Charles V , a relevé notre belle patrie
de ses tristes ruines; l'avénement si ton-
chant, si noble, si populaire de notre Roi
Charles X; l' aspeet de eette r6yale famille,




A V ANT - PROPOS. xv


si vertueuse et si fran~oise; ce mélang'e atten-
drissant de douleurs et de vertus, de gr~n­
deur et de simplicité; tant de souvenirs qui
ne seront point renfermés dans cette tombe
ouverte encore; tant d'espérances qui envi-
ronnent et nos Princes et le berceau du royal
ellfant, ne me lai,s'sent pas l.a possibilité d'a-
chever les réflexions que~vois commencées.
Tont est dit, tout est fini, tout devient irré-
vocable dan s notre heureuse restauration.
La France n'a plus qu'a aimer et bénir.






RÉVOLUTION


tIVRE PREMIER~


1660 - 1662.




S OMMAIRE.


1660 - 1662.


De l'état du Gouvernement apres les Tudors. - Prérogatives
de la Couronne et du Pailement.-Changements opérés dan s
le principe du Gouvernement par l'aliénation du domaine
royal. - Caractere des Stuarts. - Contradiction de leurs
principes avec leur Religion et les lois du Pays.-Testament
de Charles ¡ero


Restauration des Stuarts en 1660. - Convention. - Charles U.-
Le dnc d'York. - Le duc de Glocester. - Enthousias.me deJa
nation.-Popnlarité du Roi.-Déclaration de Breda. -Hyde
(Clarendon), Chancelier. -Premiers actes du Parlement et
du Millistere de Clarendon. - Amnistie et Régicides. - L'ar-
mée est licenciée. - Tumulte des Millénaires. - lVIécontente-
ment des Royalistes.


Effets de la restauration en Écosse. - Gouvernement tyrannique
dans ce Royaume. -Proces du marquis d' Argyle et de son
61s. - Parlement violent. - Épiscopat. -Am~istie dérisoire
et cruelle.


Premiers symptomes d'une douple direction dans le Gouverne-
ment en Angleterre.-Mort du jeune duc de Glocester.-
Nouveau Parlement. - Projet de réunion des sedes protes-
tantes a I'Église Anglicane.-Acte d'uniformité.-Les Pres-
bytériens chassés de leurs Églises. - Rigueurs de I'Église
anglicane. - Proces des Régicid~s, de Henri Vane et du
~énéral·Lambert.




HISTOIRE
DE


LA REvOLUTION
DE 1688,


EN ANGLETERRE.


LIVRE PRE~IIER.


A l'avénement des Stuarts au treme d'Angleterre,'
les Parlements sous les Tudor n'avoient été qu'un
instrument de tyrannie. Lorsque Henri VIII voulut
consacrer ses nombreux divorces, changer et chan-
ger encore l' ordre de la succession royale, précipiter
ses femmes, reines d'un jour, de son lit et du trone
a l'échafaud, combler enfin l'ablme de ses prodi-
galités, ii ne put meme, p~r l'inconstance de ses
cruels caprices, fatiguer la constante servilité des
L<;>rds et des Communes. Son regne, signalé par un
schisme violent, par le mépris des libertés publiques,
et par soixante-douze mil1e condamnations capitales,


l.




4. RÉVOLUTION DE 1688,
fut long et paisible pour le tyran. Il est vrai qu' en
usurpant la supr~matie religieuse, il avoit su eréer
pour la mairitenir des intérets toujours puissants
sur le ereur des hommes. Dans une seule année iI
avoit prodigué le domaine de plus de quatre mille
établissementsde l'Église eatholique a ses eourtisans
et aux grahds du royaume. D'ailleuí's, le schisme se
trouvoit depuis long-temps préparé dans la nation
par les vives résistariees du Parlement et du Clergé
au~ maximes de la Cour de Rome. I


Le fils de Henri VIII, né . de Jeanne Seymour,
monta enfant sur le trone et mourut a seize ans.
Penuant 5a minorité le Parlement revendiqua des
libertés presque abolies.


Apres lui, J eanne Gl'ay se laisse proclamer par
ses ambitieux parents; elle ne 6t que montrer,
durant quelques jours, les graees et la doueeur
d'une jeunesse innocente sur ce trone environné d'o-
rages. Marie, fille de Henri VIII et de Catherine
d' Aragon , jadis déshéritée par son pere, la pl'éei-
pite: aFmée, il est vrai, de ses justes droits, mais
peu eapahle de pardonner ce regne d'un momento
Jeanne Gray, quelque temps prisonniere, subit ave e
une rpsignation douee et pieuse, la peine de son
usurpation involontaire.


Marie eut bientot {ait annuler le divorce pro-
noneé eontre sa mere, et le Parlement rétablit la
Religion cat~10Iique. Un Cardinal de l'Église romaine




EN ANGL.ETERlU:.


villt aDsoudre le Parlement et le royaume. Toutefois
de grands intérets temporels se trouvoient déja en-
racinés depuis le schisme et par le schisme; le Par-
lement ne consentit au rétablissement de la disci-
pline ancienne que sous une condition formelle:
les biens du clergé resteroient entre les mains de
leurs possesseurs actuels. En échange des promesses
de la Reine et du Souverain Pontife, le Parlement
remet en viguenr les loÍs portées contre les héré~
tiques. La Reine fit exécuter ces loÍs avec ferveur
jusqu'a son dernier soupir.


Ce regne fut court et misérable. Marie ne laissoit
point de postérité. Il ne dépendit pas d' elle que son
mari , l'austere et terrible Philippe 11 , ne lui succé-
dat, car iI affectoit des droits personneIs au treme
d'Angleterre. Mais la filIe d'Anne de Boulen et de
Henri VIII, saisit hardiment la couronne. Tout
conspiroit pour Élisabeth, la religion protestante
récemment abolie et cruellement persécutée, les
intérets alarmés par le dernier regne, la terreur de
Philippe et l'ardeur des passions religieuses. A sa
voix le Parlement renverse encore la religion catho-
lique, et ce changement fut le quatrieme en trente
années. Élisabeth cependant, non moins impérieuse
que son pere, <1i.soit aux parlements : votre seul
droit est de dire oui ou non, sur ce que je vous
demande. Née d'un mariage illégitime aux yeux de
la religion qu'elJe venoit de proscrire, iHégitime,




6 RÉVOLUTION Df~ 1688,
on ne peut le niel', aux yeux meme de ]a loi civil e,
eut - eNe osé tenir ce langage, si son despotisme
n'eut été en quelque sorte le bouclier de la religion
nouveIle? Ce fut la, sans doute, ce qui lui .inspira
l'auclace, inexplicable autrement, de faire tomber
sur l'échafaud, la tete de Marie Stuart, reine d'É-
cosse : Marie Stuart étoit catholique. Élisabeth, par
cette inique et sanguinaire sentence, notifioit aux
deux religions qu'il n'y avoit plus de traité possible.


e' étoit au milieu de cette· irritation des esprits
que Jacques Stuart, roi d'Écosse, premier du nOID
pour l'Angleterre, montoit sur le trone de la Grande
Bretagne. Il succéda a la reine Élisabeth, soixante-
dix ans apres le premier renversement de l'autorité
du S.-Siege dans ses nouveaux états; grand espace
dans la vie des peuples modernes !


Jacques ler, élevé en Écosse dans les principes
. de la faction qui avoit détroné sa mere, avoit ce-
pendant con<;u peu a peu un juste dégout pour la
secte fanatique de ses premiers maltres. Des sa ma-
jorité, il chercha sans cesse a ramener les églises
d'Écosse aux, formes plus élevées, plus nobles, plus
monarchiques de l'Épiscopat conservé en Angleterre
par Henri VIII et par Élisabeth. Mais devenu roi
de deux peuples qui se haissoient, paree que de
temps immémorial ¡ls se redoutoient, il n'en vit
pas moins constamment les Puritains d'Écosse unis
aux factions de son nouveau royaulTIe. Cette uníon




.EN ANGLETERRE. 7
fu t la perte de son fiis et de son petit - fils. Le Par-
lement anglais d'ailleurs comprit sur-le-ch~mp que
l'avimement d'une dynastie nouvelle devoit etre une
occasion de rétablir d~nciennes libertés foulées aux
pieds par les Tudors.


Jacques Ier apportoit sur le trone uncaractere
qui fut particulier a ses successeurs.· Zélé s:ectattlur
de la religion protestante, de cette religiOIl dont
le premier principe est de ne reconnoltre aucune
autorité que ceHe de la raison, il affectoit cepen-
dant la souveraineté, par droit divin, souverai-
neté pleine, elltiere, sans limites, sur les sujets,
cornrne c"elle de Dieu sur la nature. Henri VIII, il
est vrai, en étabJissant le schisme dans son royaume,
avoit attaché a la constitution °de l'Église allglicane
le dogme de l' ohéissance passive. Mais les grands
et le c~ergé d'Angleterre oh.éissoient passivement ft.
sa tyrannie, parce que la révolution religieuse et la
spoliation des étahlissel\1ents catholiques se consom-
moient tyranniquement a leur profit.


Cette distinction, Jacques ler pouvoit-il la faire?
Cependant la royauté dont iI prenoit possession n'é-
toit plus ceHe des Tudor, et moins encore ceHe
qu'il concevoit par son expression chéJ¡je du droit
divino En remontant au droit public d' Angleterre ,
on trouve perpétuellement des lois dont l'ohservance
est jurée de regne en regne. ( En 1258, dit un
historien, tous les éveques et tOU8 les ahhés étallt




RÉVOLUTION DE 1688,
:¡ssemblés en conséquenee ( e' est-a-dire, ponr rece"':
voir le serment de Henri. IU ) , ayant touts a la main
un eierge aHumé, la grande eharte fut fue en lene
présenee, et ils proclaroereflt une sentenee d' ex-
~ommunieation contre touts eeux qui violeroient seS"
dispositions. Éteignant alors leurs eierges et les je-
tant aterre, ils s'éerierent : « Puisse l'ame d~ qui-
« conque eneourr.a l' exeororounieation portée par
( eette sentenee se eorrompre ainsi en enfer!-
( Ainsi soit - il, ajouta le Roi. J e jure d' observer
,« inviolablement toutes ces dispositions, eomme
(e hornroe, eomme ehrétien, eornme ehevalier et
l( eomme Roi eouronné et saeré. »


Depuis la eonquete par les. N orroands, le droit
féodal institué par Guillaume étoit réeiproque entre
lui et les sept eents vassaux de sa eouronne. Il étoit
leur souverain. Noblesse et clergé, eorome posses-
seurs des sept eents terres primitives, devoient un
serviee, mais un serviee réglé selon la terre meme
dont ehaque baron étoit investi. Rors de la nul ne
devoit rien, paree que le dornaine réservé a la eou-
ronne suffisoit aux besoins de l'état et a la dignité
du trone. Si des besoins extraordinaires exigeoient
des seeour¡ extraordinaires, les barons, réunis en
Parlement, délibéroient, aeeordoient ou refusoient;
ainsi des Communes, quand elles furent eonvoquées
par Édouard ler et ses sueeesseurs.


P..eu a peu le domaine de la eouronne s'aliéna;




EN ANGLETERR}:. 9
les subsides devinrent un besoin plus fréquent ,sur-
tout depuis Henri VI, époque ou l' Angleterre perdit
enfin les plus beBes provinces de la France.L'inter-
vention des Parlements devenoit done de J>l~s en
plus nécessaire. La sanglante querelle des York et
des Lancastre agrandit les pertes du trone et l'as-
cendant des Communes. Sous les Tudor, il Y eut des
taxes arbitraires, mais ils e.ussent été entrainés par
leur caractere et par la nécessité , a suivre l'exemple
des empereurs romains, c' est - a -dire, a soutenir
le fisc déja indigent par des .proscriptions, si la
dépouille immense du clergé catholique ne se fut
offerte a eux cornrne une proie. Henri VIII la dévora
seul. Élisabeth, qui n'avoit plus cette ressource,
domina el1core les Parlements, et obtint des sub-:-
sides; mais le plus souvent elle fut contrainte d'élu-
del' leurs résistances déja sérieuses quoique timides,
en aliénant tout ce qui restoit encore du domaine
royal.


Ainsi, a l'avénement des Stuarts, Paristocratie féo-
nale, san s parler de l'ascendant llaissant des C~m­
munes, se retrouvoit dans toute la vigueur primitive
de ses droits légitimes. La royauté au contraire n'a-
voitplus qu'une indigence toujours croissante qui
la for<;oit de livrel' ses droits affaiblis, ses hesoins
perpétuels, ses prétentions et ses actes a la discus-
sion Jégale ct par conséquent a l'opposition mitureHe
d'un corps ombrageux, qui pouvoit mettre un prix




10 RÉVOLUTION DE 1688,
a ses dons, et 'qui n'oublioit ni l'oppression qu'il
velloit de subir sous les Tudor, ni l'oppression
qu'il avoit fait suhir a plusieurs rois des précédentes
dynasties. Enfin l' Angleterre se trouvoit tourmentée
par des sectes religieuses, qui, selon leur force ou
lcur faiblesse, cherchoient naturellement un appui
011 un refuge dans les factions· politiques. La reli-
gion devenoit une arme d'autant plus redoutable
que sa puissance étoit mystérieuse.


Le premier Stuart qui montoit sur le trone
en de telles conjonctures, entroit done dans 'un
monde qu'il ne connoissoit pas, ou qu'il ne pou-
voit encore bien connoltre. Jacques ler en effet,
prince d'un caractere doux, mais dissimulé comme
tous les princes dont l'enfauce a été contrainte et
opprimée, joignoit a sa foiblesse naturelle, une in-
telligence et des lumieres peu communes. Il avoit
tout a la fois le sentiment de la foiblesse actuelle
du trone, et celui des droits de la souveraineté. Sa
rai80n lui disoit que la souveraineté n'existe pas,
. 11 d' d· . I '1 SI e e est epen ante; malS cette souveralnete qu 1


voyoit alors uniquement dans la personne royal e ,
il ne comprenoit pas que la fo~ce du temps et des
choses l'avoit peu a peu placée dans le Roí et le Par-
lement réunis. Ce n'étoit pas le droit de la souve-
raineté qui étoit changé, mais le mode de son exer-
cice et de sa manifestation légale; car les droits. de la
souvcraineté sont les memes dans tons les gouvcr-




:EN ANGLETERRE •. 1 1


nements. Pour la faire rentrel' dans la personne
royaIe exclusivement, iI eut fallu a Jacques ¡er un
caractere qu'il n'avoit pas et des ressources qu'il ne
pouvoit avoir. Prodigue, foíble et pauvre, ii dut
subir l'intervention, plus que jamais inévitable , des
deux chambres. Mais quand il réclamoit un subside,
il exposoit d'abord que de droit divin il pouvoit
ordonner ce qu'il vouloit bien demander par respect
pour d'antiques usages. Les Communes qui sentoient
leurs forces protestoient contre de telles formules,
et mettoient un prix. a leurs secours. Le Roi prenoit
alors le fiel' langage d'Élisabeth; iilui arriva meme
de déchirer le registre uu Parlement. J\'lais le p.lus
souvent il.répondoit aux Communes et aux écrits pu-
hIics par des theses en forme sur le droit divin de sa
pleine puissance. Une fois ouverte sur les dfoits res-
pectifs de la couronne et .des ehambres, la discus-
sion devint universelle 'dans le public, et ii fallut
reconnoltre enfin que lever des taxes arhitraires
u'appartenoit pas a l'autorité royal e d'Angleterre.
Cette lutte entre la souveraineté du roí expirante,
et la souveraineté parlementaire qui commen~oit a
se manifester, dura pendant tQt,lt le cours ~u dix-
septieme siecle.


Apres un regne assez doux, mais- toujours agité
par ces controverses dangereuses, Jacques ¡er laisse
au jeune Charles ¡er s¿n fils l'héritage d'un trone
dont les bases n'avoient plus de fixité, ses maximes




nÉVOLUTION DE 1688,
chéries du pouvoir absolu, les embarras d'un(l


.... , guerre commencée imprudemment et sans ressources
pour la soutenir, et l~ fatale autorité de l'insolent
Buckingham, son favori et son ministre. Ce fut cet
homme pernicieux autant que présomptueux qui sus-
cita les orages ou son jeune et vertulux maltre de~
voit enfin périr.


Un éerÍvain célebre a reproduit de nos jours eette
pensée de Platon que la royauté, considérée dans
sa durée, demeuroit perpétuellement et infaillible-
ment responsable de ses fautes; que la personne
qui en revet la majesté, aceepte l'héritage des fautes
commises el: leur perpétuelle solidarité ; que par cela
meme, quoique personnellement illnocente et invio-
lable devant les hommes, la personne royale est
justement punie, meme de mort, dans l'ordre de
la justice divine. Si cette pensée est vraie ( on ne la
rappelle ici qu' en tremblant), le roi Charles Ier ,
quoique innocent de tout cequi appartenoit a ses
prédécesseurs, auroit été la victime expiatoire de la
royauté devenue coupable. Et en effet, le crime le
plus dangereux de cette royauté dont il avoit ac-
eepté l'héritage, ~it le renversement d'une reli-
gion qui seule consacroit et relldoit ses droits invio-
lables. Or une fois la contradiction établie par les lois
entre les dogmes religieux ,et les droits politiques,
le roí cessoit d't~tre une personne liIystérieuse et sa-
crée, pour devenir un homme soumis aux lois de la




EN A.NGLETERRE.


tert'e l. Ainsi avoit péri Charles Ier• Le récit de ses
malheurs ne peut appartenir a cette histoire. On ne


I Cet ol'dre d'idées appartient a M. de Maistre, qui l'a em-
pmJlté de Platon. Von doit ajouter, qu'il appartient plus di recte-
ment qu'il ne le paroit au systeme de cet écrivain: lasouI'eraineté
des Papes. Ce n'est point le lieu d'examiner un tel systeme. On
peut, cependant, faire observer en passant a ceux qui l'adoptertt,
qu'une logique rigoureuse les forceroit d'en admettre la consé-
(Iuence, qui est la.soul'eraineté du peuple. S'ils en doutent,
on les renvoie aux savants écrits d'un homme qu'ils ne récuse-
ront pas, et qui a passé tonte sa vie a établir par le droit divin,
la suprématie temporelle des Papes sur les Rois. Cet homme est
le P. Bellarmin, jésuite et cardinal. La justesse el l'élendue de
son esprit ne lui permettoient pas d'échapper a une telle conclu-
sion; et il fit de la souveraineté du peuple un principe. Aussi
qu'arriva-t-il de son temps? La Cour de Rome avoit exclll du
trone de France Henri de Bourbon, roi de Navarre; aussitot la
ligue invoque la souveraineté du peuple pour légitimer l'usurpa-
tion. La .Cour de Rome ayant déclaré aussi la reine Élisabeth,
indigne du tron~ et meme de la vie, les sujets futent déliés du
serment de fidéJité. Or délier les sujets du serment de fidélité,
n'est-ce pas, dan s une telle circonstance, proc1amer que les peu-
pIes ont un droit supérieur a celui des rois? L' Angleterre nía,
il est vrai, la suprématie du Pape, maís elle adopta la con sé-
quence qui en émane : la soujJerainet~ du peuple. Si le Pape
affectoit le droit de déposer les rois, les .peuples accepterent celui
de les juger, de les mettre a mor~ ou de les bannir. Ainsi, toute
doctrine, absolue n'est qu'un glaive a deux tranchants. Qu'ils y
réfléchissent murement ceux qui en Fl'ance répetent si téméraire-
ment avec 1\1. de Maistl'e el ses émnles : Ef; ~o¡?~,¡o; Éa'n.)!




RÉVOLUTION DF. 1688,
doit marquer ici que les faits qui amem;ront Ja chute
de son second fils.


Charles ler, avant de mourir, avoit laissé la der-
niere expression de ses pensées; admirable testa-
ment d'une ame pure, d'une raison élevée, d'une


. clémence royal e et presque divine! Les creurs en-
durcis par le fanatisme se sentirent émus; et Charles,
par son suppliee meme, releva un trone que sa
valeur et ses vertus n'avoient pu soutenir. Heureux
st"s enfans, s'ils eussent été capable&rde comprendre
la sagesse et la nécessité de ses conseils !


« Gardez-vous bien, )eu~ disoit - iI, de favorÍser
« quelque faction que ce soÍt !... »


« Non; iI n'y a point de plus souveraine injustice
« qu'un pouvoir souverain, qui s'exerce tyrannique-
« ment par l'étroite observance de la loi. »


Ayant donné de sages conseils sur ce qu'iIllomme-
le maniement des' affaires de la premiere grandeur
(la religion et la justice ), il ajoute, dans -le naIf
langage de son temps:


« A pres, donnez-vous garde de vous laisser em-
« porter, par la perverse et mauvaise hUl1leur OH
« l' opinion particuliere ¡de certains reveches et pas--
« sionn~s officiers, a aigrir et jeter dans les extrémités -
« ces faetions d~nt les fondements sont de plus lé-
c< gere conséquence ( que la religion et la jus~iee. ))


(e Croyez fermement, comme je fais, que la plus
t( part de ceux ({ui ont failli envel'S moi dans chaque




EN ANGLETERRE.


c( partí, ne se sont pas portés a ce mal par une malice
ttdélibérée, mais pour n'avoir pas été bien infor-
e( més. des affaires ou pour les avoir mal comprises.»


« J e ne voudrois pas aussi. que vous vinssiez a
« nourrir en votre ame aucun dégout ou aversion
( pour les Parlements, qui, certainement, dans leur
«dl'oite institution, accompagnés de franchise et
« d'honneur, ne feront jamais de tort a votre gran-


. I( deur et ne la diminueront en rien; mais qui,
« plutot, seront comme autant d'agréables alterna-
c( tives d'amour, de loyauté et de confiance réciproque
« entre le prince et le peuple.


« Ni meme ce funeste Parlement u' eut pas eu
« d'autre succes, ( quoique les factioÍls l' eussent fait
« gauchir par l' électi?n briguée de ses membres) si
« on l' eut pu défendre des volontés insolentes duo


o « peuple et des impr~ssions tumuhuaires » ... (Éilton
basilike, ou Portrait du Roí 1 ).


1 Ni mérne ce funeste Parlement! Quel mot touchant dan s
la houche de Charles ¡er! Il rappelle' ce mot fameux : oui, la
Conlicntion elle-méme, si amerement, et si injustement repro-
ehé a un de nos hommes d'état, (fen M. Deserre).


Quant a I'Éikon basilike, il y eut en Angleterre'une contro-
verse tres vive sur le véritahle auteur de ce monumento Ce qui
est singulier, c'est que les ennemis de Charles I er avouoient qu'il
en étoit l'auteu!"; entr'autres le eomte de Lothian qui soutenoit
lui en avoir entendu réciter des phrases cntieres, mot pour mot,
tandis que le due d'1'0l'k, dCPllis Jacqnes n, dit en 1673 au




atvpLUTJON DE 168B,
.En écrivant ces mémorables paroles dans sacap-


tivité, Charles Ier avoit acquis un sentiment juste
et pr?fond des loig et usages du royaume. e'est
pour les avoir mal connus dans sa jeunesse, que,
malgré la droiture naturelle de son creur, il suscita
entre luí et le Parlement ces terribles débats qui
amenerent la République et le Protectorat de Crom-
well. I}une et l'autre firent naltre des iutérets nou-
veau~ et puissants. Telle étoit cependant la force
des institutions primitives, que la royauté renversée
par les Communes ne 6t pas meme place· a une ré-
publique démocratique; etle Lord Protecteurn'étoit,


doctem'· Burnet, que ce livre n'étoit point de son pere, et que
le docteurGawden l'avoit composé. Le duc d'York est iCl une
Joíble autorité, puisqu'il étoit encore tres jeune pendant la cap-
tivité de Charles, et qu'il n'étoit plus ;n Angleterre. D'ailleurs,
il témoi¡;noit peu d' estime pour la conduite politique de son
pere; et dans le moment ou il parloit ainsi de l' E~ltro'l ~(X.(HAtlt';¡,
it étoit deven~catholique. C'était me me a eette oceasion, que le
docteur Burnet argumentant avec lui sur la religio~ anglicane se
prévaloitde l'autorité, de l'exemple etdes maximesdhRoisón pere.
Quoi qu'il en soit, Burnet qui professe une vénération profonde
pour ce livre, déclare que jusqu'a cette époque de 1673, jll'a
toujoursattribué a Charles Ier ; mais dans les doutes que lui in-
spira la dén~gation de Jacques 11, il ajoute: « Une chose seu le-
"ment est ~~rtaine, e'est que Gawden n'a jamaís rien écrit qui
"fut de la meme force .. A juger de lui par les ouvrages qui
« portent son llom, personne ne le croira capahle d'un livre aussi
« distingué.»




EN ANGLETEnRE. 17
a vrai dire, que le général d'une armee qui compri-
moít, en la redoutant, l'ancienne aristocratie féodale.
Aussi la République et le Protectorat disparurent
eomme une ombre. Mais Cromwel avoit faitrespec-
ter la iiation sur toutes les mers et dans tous les
états de I'Europe. Le malheur perpétuel des fils de
Charles ler fut de ravoir profondément humiliée :
malheur coupahle que les' peuples ne pardonnent
point. •


La restauration s'opéra au moment meme, qu'a-
hándonnés de l'Europe entiere, les Stüarts désespé- •
roient de revoir jamais le palais paternel. Charles 11
fut re~u avec transport. Sa jeunesse encore florissante,
une figure noble et gracieuse, l'intéret touchant et
sacré du malheur, ses manieres aftables et popu-
laires entrainerent ou plutoi saisirent tous les creurs.
Un Parlement élu dans la premiere yvresse courut au
devant meme.de ses désirs : et, par tine inconcevable
fatalité, ce fut clánsce Parlement si dévoué que se
prepara la révolution dont on va retracer l'hist~ire .


. Que ron parJonne a l'étendue de ces détails. lis
étoierttt1écessaires pour montrer l' erichainement des
causes el des conséquences. Une I'evolution est le
ptoduit d'une longue suceessioli d'etreurs, involon-
taires meme, et de fautes aIitt~rieures que les fautes
actueUes reildent irréparables.


Charles II avoit re<;u de la nature un esprit vif,
d'une extraordinaire p'énétratiori pon!' les sciences,


I. 2




RÉVOLUTfON DE ]688,
et toutes les qualités extérieures qui feroient adorel'
la puissance, paruonner me me a la tyrannie, si le
mépris deshommes etdes lois se pouvoit pardonner.
Mais }'adversité ne fortifie que les ames fortes. Elle
n'avoit appris a Charles 11 que l'usage de cetteforce
dangereuse et factice des ames foíbles et vicieuses:
la défiance et la dissimulation. Envoyé en France
durant les pr~miers orages de la guerre civile, iI Y
trouva le compagnon de son enfance, Buc1tingham ,-
qui eut bientot pris sur lui ce faciJe ascendant que
les graces unies a l'emportement du, vice peuvent
donner sur un creur naturellement ouvert a toutes
les contagions. Hobbes, qui lui enseigna les mathé-
matiques a Paris-, fut un maltre bien plus dangereux
encore; il l'abreuva de ses doctrines désespérantes
sur le despotisme et la fatalité.


Jacques, duc d'York, son frere, s'étoit tl'ouvé au
eontraire des l'age- de treize ans, captif du long
Parlement, apres la prise. d'Oxford. Il raconte lui ..
meme par quelle persévérapce de discrétion et de
petites ruses, il parvint a se soustraire, un an apres,


'a la surveiHance de ses gardiens. Il se .' rendít en
HoUande ~hez le prince d'Orange., son beau-frere,
pere de ce Guillaume -qui depuis fut son gendre et
le détrona. Les détails de son évasion dénotent
déja le trait particulie~ de son caractere, dans un
exces d~ précautions détournées et longuement. mé-
ditées, que n'avoit pu découragerla découverte ~'un




}~N ANGLETERRE.


premier projet mal conc¿u. Le Duc avoit d'ailleurs
des qualités qui annon~oient un grand prince. Touts
ses ennemis conviennent que des sa jeunesse il mon-
tra un creur capable d'amitié, un espr~t appliqué ,
un caractere persévérant. Turenne, quand le Duc
étoit sous ses ordres au service de France, avoit


, con~u de s:on courage et de sa capacité militaire une
haute estime. Le Duc s'étoit montré particulierement
habile et appliqué a la marine. 'Sa réputation sur ce
point si cher a l' Angleterre étoit uoiverselle en Eu-
,rope; et taodis que le général Monk s'occupo~t de
renverser la République a l'insu meme des princes
fugitifs, le duc d'York chassé de France par le traité


• des Pyrénées, rec.evoit en Espagne le titre de Grand-
Arniralet de Prince de la mero


A coté de ces deux princes, paraissoit le due" de
Glocester, leur frere, agé de viogt ans. Lorsque la
Reine sa mere voulut aussi, pendant la guerre civile ,
l'ernrnener avéc Charles, Prince de Galles, le duc
d'York alors tt;eS - jeune eocore donna daos cette
circonstance un, exemple remarquable de ce zele
religieux qui depuis lui devint si fatal, paree qu'il
étoit peu éclairé. N ourri daos le sein de l'église an-
gIicane, et p.oussant jusqu'a l'apretécontre sa mere
la ferveur de son intolérance, naturelle, iI empecha
que son frere ne passat en France, dans la crainte
que cet enfant n'y rec;ut la foi catholique avec les
tendresses maternelles. Ainsi le duc de Glocestel'"


2.




~O RÉVOLUTION DE 1688,
devenu captif avec son pere, fut i:émoin des scenes
tragiqu~s de Withe-Hall. Avant de m6rtter sur l'é-
chafauq , Charles jet le prit sur ses genoux el lui dit:
moi'l r.ls, ils vont tne couper la tete, et ensuite péut-
~tre iÍs voudront té próclamer Roi. Mais la couronne
rt'áppartieht qu'lt Charles ton frere. I)romets;..moi
devanl Dieu, dé telaisser tuei'. s'il le faut, plutot
que d'accepter ub héritage qui ne t'appartiendroit
pas"! Emu par·ces vives images, le jeune duc, qui
depuis fut soustrait a sacaptivité, conse"rva toujours
dans son creurle s~llvenir de tetté le~on terríble
et 'sublime. Il "prit de plus en plus le caractere d?un •
gran~prince; et quand il réparut, brilJant de jeu-
"nesse ét de graces, ati tnllieu des.Anglais attendl'is
sur les malheurs de ceHe nohle famille, on se plut
a tróüve'r, 'a r~unir daÍts sa persónne, toutes les
qualltés des deux freres, sans y appercevoir le
mbihdre de leurs défaUts. n mo.urnt peu de temps
ápres la restatlration, pleuré de plus en plus eolOme
Gednán:lcus ,"qU:and on vint lt comparér plus tard
et tes prorilt~sség 'prddiguées et les espérancés tóujóud
tronipéés.


Lórsqúe le g~ílér!il Mbnkeut filÍt proribncer la
dissolütio'Iidü Rliin'p "Parlefiufnt; les deux chambres
qUi flt'rent imiliédiatefnént c'óYl'Voquées, av~ie~t re«;u
áv:ec enthoüsiásmé Iá p"rodaliiaiionque Charles II
ávóit\'énvoyée de Breda aux Communes, et s'étaient
cOllstitliées en Con ven tion , mot qui exprime qu'elles




EN ANGLETERRE. 21


sont réunies sans convocation du RoL .Elles ne pri-
rent le titre so\ennel e~ toujoul's vénéré d~ Parlement
que quaWl Charle~ 11, qui qvoit tl'ai,té ave~ ell~s,
eut légitimé a son retour leur existenee páTl~mep­
taire suivant ~es ~ntjqqes lois, du rOY~4qle. Ainsi
reconstitué, le Parlement r(}Connut le CT!'me de r~­
bellion, e~ re~ut ~Y~P de yiy~s accIama,~~ons 1'~q1-
nistie royale pour ce «rime; taot reste profoudéroept
gravé le s~ntime~t et le besQ~n de l'ordre légal dalls
les peuples qU3we qui l' out renve.rsé avec le plus de,
viol~cr.!


Quoiql\e le p~rti presbytérien d9mimit qaQ.s, la
chambre des Coqquu,nes, la déclaration de B.r~da
n'avo~t inspiré a tous les creurs qU,e eette vive et
Q:,¡tJ,lreUe iIUp~tience de répar~r dans ~~ perSo.ll~~ des
e~fants t0118 ~es ·m.alheqrs du p~re; et les ,res1;>Jté- .
ri~Ds, unís ~lors aux rOYé:\listes ,. con,~re les ~ieux
I)(wlem~nta~r~ et c~>ntl;'e les républica\I\~. a,vo~,e:qt glp-
pf.l~ l,e ~9~ et les PI'i~'(es ~v,e.y eet enth9,w~iasITl~ qui
~~~H~ 1" ~é~~~~Gn ql~~e PO,\lX l'aveniJ. Ce fut lW~
~~te.t.l~qp. no~l~ ~.~n.s SOI1 princi.pg., P9ur etl'e jugé~
sév~~~~W~f' ~~p~~~ant (!ette (ante ~ut ~s. s,\úte,s fu-
q~tes. po~~ l'.~~,t., ~t. ~ua;t9~t pP;\lr \a f~Ip,HI~ foyale.
e' étoit lfliss¡er inP~~i~~ t~~~~s \f$.,. f~.l~l~~ ~~es~ions
cpü ~voi.~t ~mené~: r~VO~U~\c¡>~,eJ;\ ~64o ...


«(-:-N 9~lS ne desirolls 1.'ieg ta.r;lt,» d.'soit Cha,rle~, dan,s
sa,déclaration de Breda, « qu'u~e exacte c;>hservati.on
(( de la justice, el Nous sommes prets d'y a}O;l,lter tout






. ,.


22 RiVOLUTJON DE 1688,
ti( ce que raisennablement on peut espérer de notre
« indulgence; or, afin que la crainte dli . chatiment
« n' engage pas ceux qui se sentent coupabJes a per-
« sévérer dans le crime et a empecher qu' on ne rende
«la tranquillité a l'état, en s'opposant au rétablis-
« sement du Roi, des' Pairs, de la monarchie et des
« peuples qui la composent, chacundans ses droits
« légitimes, aneiens et fondamentaux, Nous décJa-
« rons, par ces présentes, que nous aceordons un
({ libre et général pardon, lequel nous serons prets,
« quanu nous en serons requis, de sceller du grand
« sceau d' Angleterre, a tous nos sujets, de quelque
« qualité'qu'ils soient, qui, dan s quarante jours apres
« la p~blieation de cette déclaration, s' en tiendront
« a notre présente graee, et en feront leur sotimis-


, « sion plr un acte publie, promettant d'etre a l'a-
«venir de ·bOllS et fidetes sujets; de laquelle grace
« N ous n' ex¡eptons personne que ceux que notre- Par-
«lement jugera a propos d'en excepter; hors ceux-
« la, tous les autres, quelque eoupables qu'ils soient,
« doivent se repbser sur notre parole, comme sur
« laparole d'un Roi, que Nous dónnolls solennelle-
« ment par la présente déclaratioD; entendant qu'au-
« cun. crime de cellx qu'ils auront cornmis contre
« Nous, ou ~ontre le feu Rói nQtre pere, avant cette
«meme décJaration., Ile s'éleve en jugement eontre
« eux, et ne soít mis en question a leur préjudiee,
1( 11 'l'~gard de leurs vie, biens, liberté, non pas


..




:EN ANGLETERRE.


« meme autallt qu'il est en Nous, a l'égard de leur
« réputation, par aucun reproche, ni terme, qui les
(e distingue de nos autres sujets; car notre vouloir
« et plaisir royal est que dorénavant, parnii nos su-
« jets, soient mises en oubli toutes marques de dis-
« corde, de séparation, de différents partis : désirant
(e a vec passion qu'ils lientensemble une amihé. et
le une correspondance plrfaite pour l'étahlissement
(e de nos droits el des leurs, dans un libre Parle-
« ment, les ~onseilsduquel Nous prétendons suivl'e,
c( sur natre parole royale.


( Et parce que l~s passions des hornmes et l'ini-
« quité des temps ont produit dans les esprits di-
« verses opinions touchant la Religion; et que de lit
« sont nés des partis et des animosités mutueUes :
« póur contrihuer a les adoucir par le commerce et
« la facilité de converser les uns avec les autres,
c( Nous donnons la liberté 4IlUX conscienees, et dé-
(e clarons que dorénavant personne ne sera il1quiété


'ti. surJes opinions différentesen rnaliere de religion,
... c( pourvu que l'on n'abuse point de ceUe indulgsnce


« pour troUbler l'État; et Nous sommes prets d'ap-
« prouver tels actes qu'il se'mblelk hon au Parlement
« de nous présenter, apres une. mure délibération,
c( pour confirmer et établir plus solidement ce der-
« nier article.


ce De plus, ..comme iI est arrivé dans les révolu-
c( tions fréquentes qui affligent depuis quelques an-




RÉVOLUTION DE 1688,
« nées ce royaume, qu'il s'est fuit plusieurs dons et
« acqucts ~e biens que les possesse~rs pourr:oient
« etre .contraints a restituer selon les lojs, Noqs dé-
c( clarons que notre hon . plaisir est que tous l~s dif-
(e férends et tous les proces qu' on pouna intentei'
« sur ce point soi'ent terminés dalls le Parlement :
« ce tribunal étant le plus propre a procurer aux
« intéressés la juste satisfacti~n qu'ils pourroient
« prétendre.


«" Enfin Nous déclarons que nous SOIllmes dispo-
ce sés a donner notre consentement a tous actes du
c( Parlement, touchant les articles ici exprimés, de
(e mcme qu'a ce qui concerne les arriérés dus aux
« officiers et soldats de l'armée du général Monk,
« que n01l8 promettons de recevoir a notre service
« avec la merne paie, et soos les mcmes conditÍons
( dont ils jouissent maintenant.» (Breda, 14 avril
1660). •


eeHe déclaration si sage, si paterneJle, avoit été
re«;:ue aux acclamations unanimes de l'Angleterre.
Elle ,promettoit tout a la fois le' triomphe de la jus-
tice, des lois et de la c1émence. Toutes les démar-
ches, tOl,lte~ les pa.le.sdu roi répondirent en effet
d' abord a ces nobles promesses. « n "m' arrivera pIutot,»
d-isoit-il au Parlement , « de bruler la Grande Charte
(e que de vi oler l'amnistie ! » Lorsque les ministres
presbytériens luí furent présentés, ilJeur répondit :
« le vous rendrai aussi heureux que je le suis moi-





.EN AN&LETERRE.


« meme.» S'il entendoit parler de quelquemécontent:
« Qu'ai.je done fait? disait-il , avec un char~lle ·inex-
primable de ~onhomie; c( .le veux faire eonDais~anee
c( avec ce gentilhomme, el lui donp~r satisf~~~ion. >?
Edouard Hyde, qu'il avoít créé eomt~ de ClareQ~on
et Lord Chanceliet', répétoit sans cesse et p~rtout
qu'étant ambassadeur en Espagne, Charles, durant
son exil '.,lui avoit séverement· ordonné de justifier
la nation anglaise du meurtre de son pcre et de re-


-jeter le crime sur un p.etit nOIU,9re d'llornmes fae-
tieux et pe~v;e~~. Enfi~ hii-Iueme, quand ¡l. parlo,it
des. besoins de la couronne, disoit dans un l~~gage
qu'il avoit l'art exquis de faire paraltre naif: « Je
(e serois faché que tallt de ~oyaux députés qU! vieu-
c( nent me voir a With,e-~all, fussent obligés, par ma
( pauvreté, de s'en retOl,u'ner sans 9iner. Je ne s~­
« roi8 pas moins honteux, si je restois dan~ l'iPlpo~­
(·sibil~ de pourvoir a la subsis~~nc~ d9 ces Ca.-
« yaliers qui .se sont ruittés pour mOl) pere. ». On
lIoIDJlloit ainsi. pendanf la rév~lutiQn les roy~list~~
qui, de leu.J,' coté, appe10ient Ti!(e.s.-T:'o.1~cle~, les par:,,;
lementaires et les républicains.


Cette gracieuse ~ffabil\té du Roi chafn;loit~es creurs
les plus chagrins; et.le~ premiers soins qú'il: dOllna
au gouvernement confirmerenttoutes les espérances
qui s'attachoienYau nouveau regne,. Les faveurs al-
loient chercher les v~eux et les nouveaux set'\riteurs.
L' Amiral Montagu fut créé. eornte de Sandwich, et




RÉVOLUTION DE 1688,
Monk, créé duc d'Albermal~, fut généralissime d'An-
gleterre. Ashley - Cooper, de~nu si fameux dans
la- suite sous le nom de Shaftshury; Denzib Holles
et Annesley, tous trois "chers au parti populail'e,
furent élevés a la pairie. Le second avoit jadis été
arreté de la main meme de Charles I er dans la
chámbre des Communes. Ashley-Coope~ étoit digne
de toutes les grandedrs par son génie, s'il y a de
véritable génie salÍs la ve~tu. Mais alors il méritoit
son élévation par de grands services r~cents. Le Roi
enfin prit deux de" ses chapelains parmi les minis-
tres presbytériens, pour qui cependant il avoit une
réelJe aversion.


Son. ministeré fut couvert de .l'approbation pu-
blique. Edouard Hyde, maintenant 'comte de Cla-
rendon, avoit applani tous Iesobstacles d'une res-
tauration inespérée. Fidele ami de son maitre· dans
les jours de l'adversité, dans les tristes vici3&itudes
de l'exil et de l'abandon , tl)l devint Lord Chancelier


• d' Angleterre et premier ministre du Roi dans les jours
de prospérité. Qutre l'autorité de ses éminents ser-
vices, le Chancelier , par son assiduité laborieuse aux
affaires ,·obtenoit un heureux empire sur les faibles
volontés de Charles "trop vivement livré aux plaisirs.
Des mreurs graves, une profonde connaissance des
lois du pays, un respect non moi'ns' profond pour
elles, r'ssuroient d'ailleurs les esprits, toujours om-
brageux apres d'aussi brusques challgements. L'offiee




EN ANGLETERHE.


de Lord Trésorier fut remis au vertueux et sage Sou-
thampton qui l'occupoit des le regne de Cha~les ¡ero
Southampton avoit dévoué toute sa vie a la cause
royale. Sa fidélité inébranlable, sa vieillesse vénérée,
un attachemellt éclairé aux dl'oits du trone et aux
libertés publiques, lui donnerent un heureux as-
cendant sur l'administration nouvelle. Le chev~lier
Edouard Nicolas fut Secrétaire d'État; et ces trois
personnages, unis avec le marquis d'Ormond, der ..
nier vice-roi d'lrlande,· donnerent le rare exemple
d'une concorde fondée sur une estimé réciproque et
sur l'amour du bien public.Le Conseil privé qui est
le Conseil d'État d' Angleterre, re<;ut aussi des homPles
distingués par leurs noms et leur autorité, soit dans
le peuple, soit dans la nouvelle cour.


Ce n'étoit pas seulement le gouvernement d'An-
gleterre qu'il falloit établir, mais encore le gouver-
nement d'Ecosse et celui de l'Irlande.


En Angleterre, il Y avoit a régulariser l'amnistÍe
royale de Breda, le revenu de la couronne a fixer ~
l'établissement de I'Église a reconstituer, sans alté-
rer I'essence de la híérarchie, et san s violer les pro-
messes royale~' faítes aux églises presbytériennes.
L'armée d'Écosse qui avoit suivi le Général Monk,
et l'arméede la République, exigeoient une prudence
ferme et délicate. D'autres intérets non moins graves,
et entr'autres les établissements de Cromwel en 11'-
lande, établissemt'nts qu'i} étoit tont a la foÍs im~




RÉVOLUTION DE 1688,
prudent de renverser et inique de confirmer; tant
de r.ép~r;ltions enfin, tout a la {bis né~~ssail'es et
impossibles, suivant que l'équité naturelle ou la po-
litique les considere, occupoient série"sement les
esprits pénétrants, tandis que la multitude s'aban-
dopnoit ~vec une sorte d'yvresse aux premieres dou-
ceqrs p'U:tl changemefit si vif et si hellre~semfnt
effect\lé.


Tous les ordres de rÉtat coospirerent avec al'-
deur a l'affernlissement dala rest~~ratio~. Le!((;om-
lDunes, quoique presbytéri~ne&, .offre~t ~~ Boi un
revenu qui surpassoit toot ce que la couronne avpit
jamais possédé. Le soin est abandonné au ,Roi de
rétablir la hiérarchie épiscopale dans l'Église qu;i
étoít devenue presbytérienne dep,uis l'~~l;>lissemen,
de la République. ~ pouvoir lpilitaire est ~'estitué
a la couronne .. 1.Mi dO.ctrine de la résístanre est fIé-
trie de' l'anatheme religieu~. Tout enfiq ~'e~p~die
avec rapidité, unanimité, entho~siasme .. De son
~oté, le Roi ne parle ni de rétablir la Haute CQu¡r
ecclésiastiqu~., ni la Chambre étoilée., tribm;¡aux
~uxa·la,J)ation, et q:ui, a.Yoie~t dispaJr~ .~ans l~s
derniers orages .. Il aballdonna aussi quelques droit~
fiscaux de la couronne , que la suite des temps avoit
rendus onéreux aux familles,- e.t .que les Communes
remplacerent par un revenu plus facile et plus doux.


L'amnistie de Bredasoumettait au Parlement les
exceptions que Charles n'avoit pas voulu prononcer~




EN ANGLETERRE.


Touts les creurs honnetes avoient senti profóndément
ce qu'il y avoit de noble dans ce pardon général,
ou cependant il n'étoit ni possible au Roi de com-
prendre formellement, les meurtriers de son pere,
ni convenable a sa dignité de les désigner comme
un objet de vengeances personnelles. Il avoit done
Jaissé a la Nation elle - meme, assemblée en parle-
ment, le soin de satisfaire tout a la fois a la c1émence
el a la j ustice. Les Communes montrerent de l'in-
dulgence. La chambre des Lords se montra rigou-
reusé jusqu'au pmnt de coinmetlre la parole du Roi.
Charles, avant que l'amnistle ne fut légalement fixée,
avoit publié une proclamation qui enjoignoit aux
juges de son pere de se constituer prisonniers, dans
un délai de quin1íe jours, sous peine d'etre exclus
de la paix du Roi. Dix-neuf obéirent, le reste se
dispersa et quelques-~ns furent pris dans leur fuite.
Le Parlement procéda cependanta l'acte d'amnistie,
et Southampton, qui vouloit dégager la parole royale,
demanda Vivénient pour ceux qui s'étoient"rendus a
la merei du Roi, qu'il leur fut accordé, po'ur sortir
d'Anglel(5rre; un délai égal a eeluí qui leur avoit
été assigné pour se constituer prisonniers. (e La na·
« tibn ,» dit un historien, « respecta sa candenr et sa
c( pitié; le Roí respeCta son courage. » Le Rói en ef-
fet cdncoürut secretement lui-mmÍl'e a faire limitér
les exeeptions. Les régiddes que la mort avoit déja
frappes, critr'autres Cromwell ,. Ireton son gendre et


. .




30 nÉVOLUTION DE 1688,
Bradshaw , qui avoit présidé le tribunal, dix - sept
jugés, le ehevalier Henri Vane et le général Lam--
he!'t, qui depuis ·eut sa grace, furent déclarés in-
dignes du ·pardon. Un tribunal fut institué pour les
juger " et, parmi les trente-quatre eommissaires qui
le composerent, il s'en trouvoit quinze qui s'étoient
montrés les ennemis les plus . vifs de Charles Ier;
Ces républicains ne furent pas les moins séveres,
et l'histoire l'a remarqué. Les cadavres de Cromwell,
d'Ireton et de Bradshaw exhumés, tralnés a la place
des exécutions et suspendus a la- potence, furent
enterrés sous le gibet. Six des j uges de Charles Ier
furent exécutés, Harrison, Scott, Carew, Clément,
Jones et Serope. I.le chevalier Henri Vane et Lam-
hert re&terent d'abord en prison. La violence du
fanatisme qui avoit animé tous les hommes de la révo-
lution derniere peut se peindl'e par cette expression
de-Carew, l'un des régicides eondamnés; il recounut
l'autorité de ses juges : « Sanr les droits de notre
« seigneur Jésus-Christ,» dit-iI, « au gouvernement
« de ee royaume:» 11 étoit de la secte des Millénaires
Ol} de la Sainte Monarehie, dont ii sera bientot parlé.


Les promesses faites a Breda sur l'armée ne com-
prenoient que ~es officiers et soldats du général
Monk. Mais outre cette armée qui avoit été amenée
d'Écosse, iI Y avoit l'armée anglaise du général Lam-'
hert. L'une et l'autre étoient I'ouvrage de CromwelI,
et formoient un corps de cinquante mille hornmes.




EN ANGLETERRE. 31
De ce nombre étoient une foule de jeunes gens, ca-
dets de falIwIles nobles ou cornrner<;antes, que l~
Protectf'ur y avoit attirés par une haute-paie et par
l'attrait de l'ambition militaire. L'intéret de l'armée
avoit done de profondes racines dans la nation merne.
C'étoit une grandeo question a résoudre que de li-
cencier ou de conserver un corps si imposant et qui
formoit alors la plus belle armée de l'Europe. Le
duc d'York insistoit pour la conservero La suite des
événements a prouvé que ce prince eut constamment
le desir d'établir en Angleterre une armée perma-
nente. Le Chancelier y voyoit de grands périls et
pour le trone et pour la liberté. Ce fut Monk, duc
d'Albermale, qui décida la question. «( Je connois
« trop bien,» dit-il., « le parti que j'ai tiré, le parti
ce que tout arnbitieux peut tirer d'une armée, pour
( ne pas conseiller d' abolir a perpétuité cet abuso Il
« ne peut etre que fatal au' royaume. L' Angleterre
« n'a besoin que d'une bonne marine et de l'exacte
«observation des lois. ~ Ce conseil prévalut, toute
l'armée fut licenciée, meme ceHe de Monk qui avoít
faÍt la restauration. I


Le bill du Parlement qui ordonnoit ce . grande
mesure contenoít de magnifiques éloges sur la gloire
et les services de l'armee. L'instinct vif et prompt
des soldats y aperc¿ut des couleurs moins brillantes.
D'abord ils dirent que ce hill était leur éloge fu-
nebre. Mais quand le moment.de se séparer fut ar-




RÉVOLUTION DE 1688,
rivé, orí remarqua des regards faróuches et irréso-
lus, alterl1ativement jetés sur le Roi et 'Sur les rangs
qui aHoient se diss01.idre. Cepenclatlt la dissolutión
s' effectua sans au<;un désordre.


Daos cet ihstant meme, il arriv:t un tumulte qui
affermit le duc d'York dans sc:m systeme d'armée


• permanente. Quarante ou cinqoante fanatiques de
la secte desmillénaires étoient sortis de leur église,
tout tmivrés de leurs extases et de leurs inspirations
prophetiques. lis courent les rues de Londres,
criárit : Vive Jésus-Chi'ist ! Poursuivis et retranchés
dans une maisOI1 ou ils s'étoient réfugiés, ils se font
tiu~r jrisqu'au dernier pIutot que de se rendre. Leur
folie étbit de ne reconnoltre que la Saitite monar-
chie, c'est - a -dire, le seuI regne du ChrÍst, 'dont
le tempsétoit venu. Leur chef ou leur apÜfre, Ven-
ner" ftit r.elevé percé de dix-neuf blessures; il res-
piroit encore; oh le guérit a grande peine pour l'exé-
cúter. Le sang h'éteint point le feu de telles inaladies.


Au mornentde la san vage ¡rpuption de ces fanatiques,
le Roi presidoit lüi-meme a la séparation de l'armée.
Le duc .ork, resté a Londres, se' hata . de I'in-
fdrmer Jr ce qUi arrivoit, et le supplia instarnment
de suspendfe le licenciement. Il n'étoit plus terilps.
Mais le Roi délivra sur le Jhamp des cornínissions
pour enroler des hommes et former des régiments.
CeUe mesure, que la conjoncture du moment pou-
voit rendre plausible, pOllvoit aussi réveiller les




F.N ANGLF.'.fERRE. 33
anciennes querelles du Parlement et de la Couronne
sur les subsides et l'armée. Ce qui étoit plus dange-
reux, c'étoit l'ordre' donné immédiatement aux offi-
ciers licenciés de sortir de Londres, précisément ~
l'occasion de ce tumulte des millénaircs. La défiand~
avouée clém~ntoit ainsi les éloges prbdigués peü de
jours auparavant.


Ces deux points essentiels de la déclaration de
Breda se trouvoient réglés, l'amnistíe et l'armee.
D'autl'es difficultés, moins évidentes, iná'i~ non moins
inlportantes petlt-etre, 'seprés~ntoieDt en:loule :'les
affaires de la religion qui furent moins fixées ou
conciliées, qu'ajournées a . un autre' Parlement, et
les intérets des vieux et malheureux défenseurs de
la COUl'Onlle.


Ces. intérets devenoient 'personúelsa 'Charles' JI ,
puisque le Parlement avoit accordé ~pontané~enl
au roí des subsides assez' i:ibondants pour qu'il don-
nat au moins des sécoursa ceux qui 's'étoiént rúinés
pour son pere ou pour lui. M~is Charles, :l~vr~ )aiix
plaisirs, el. naturellemeht prodigue, n~gl~geá 'en~
tierement ces Cavaliers pour lesquels il aV()lF cepen-
elant padé avec tant d'effusion. Son ;indifférence,
ou plutot son aversion pon~ 'les aff<iires qui g~~e­
roient son repos, lui fit bie~tot CODl1oltte qu'il ne
pouvoit satisfaire a toutes les 'p¡'étentions~'et 'peut-
etl'e .qu'a ses ye\IX les st:'.J'vices récents méritoient
politiquement la préférencr.D'aílIeul's les Gáv'áliers


l. 3




34 RÉVOLUTION DE 1688,
s'isoloient et se divisoient entre eux. Leur systeme
de royauté absolue, sans égard aux temps passés
sans retour, comme aux nécessités présentes, ne les
l'endoit applicables a rien de ce qui se passoit sous
leurs yeux. Leur partí étoit sans cohésion et per-
pétuellement exclusif. Chagrins et fr.ndeurs, leur
~spect ne pouvoit qu'attrister une cour déja volup-
tueuse. La faveur que les plus habiles s'étoient rné-
nagée ne faisoit qu' enflammer la jalousie des autres.
Ainsi nul ne se fioit qu'~ hü-meme, et nul ne trou-
voit de raiso~ que d~ns s~s propres iCMes. Le plus
petit· gentilhomme de laprovince la plus reculée
'~embloit dire au roi : C'est mon épée qui a reJevé le
trone! Et Charles n'aimoit pas a deviner ces re-
proches. Irrités d'ailleurs de la distinctioIl que la
cour sembloit ¡aire des anciens et d~s nouveaux ser-
v~ces, touts ne s'accordoient que sur un seul point:
« L'arnnistie du Roi,» dispient-ils, « est le pardon des
« ennemis et l'oubli.des amis de sa ~aj~sté.» Charles 11
en éffet les oub1ioit jusqu'a l'ingl'atitude, cOlllme ii


J . , .


venoit,p,.'oqblier l'armée de. MQnk, et cornme il OH-
bliera bicntot le. Chancelier Clarendon.


La s~g~sse ~u ministere et l'ascendant du Chan-
celier impr.imoient aUX affaires d' Angleterre un
rnpuvement régulier .. Il 'cut été meme difficile aux
t';~n~mis secrcts des ministres de faire prévaloir leur
opposition et leurs vues particuliel'es. Mais en Ir-
lande et; t'J1; Écossc, ils pouvoient donner un libre




EN ANGLETERRE. 35
cours a leu~s pensées de domination et de vengeance.
L'Éeosse en fut le premier théatre dans le temps
meme que l'horizon poli tique sembloit si pur en
Angleterre. "-


La déclaration de Breda n'avoit été envoyée qu'a
la cnambre des Cornmunes par l'intermédiaire du
général l\Iook, et d' Annesley , présiden t du Consei l
d'état de la République4 Les promesses qu'elle con-


-tenoít furent vivement contestées quancl on s'occupa
de les appliquer au royaume d'Écosse. « Yi<?lerez ..
« vous la foi donnée ?») répétoit sans cesse le Challcelier.
« ltamnistie ,») répondoient ceux qui voyoient d'im-
menses confiscations en Écosse , « n'a été accordée
« qu'au seul' royaurne d'Anglet.erre.» Quels mysteres
dévoilés dans ce seul mot !


I.Ja maniere d' établir la restauration en Écosse
devoitavoir sur l' Angleterre et sur la famille royale
une action heureuse ou funeste, suivant le pl'incipe
juste et sincere, inique et perfide qui seroit adopté.
L'Écosse, dans ses mceurs, dans sa religion, dans
ses lois, n'avoit rien de cornmun avec I'Angleterre.
Une haine profonde et béréditaire séparoit les deux:
peuples. Si l' Angleterre avoit en aversion I'Église
romaine, elle tendoit naturellement a un culte exact,
régulier, pal' l'autorité de l'épiscopat. L'Écosse, an
contraire, ·qui avoit adopté le calvinisme des S011
origine, avoit en horreur et l'église rornaine et l'é-
piscopat conservé dans les églises luthériennes. De la


3.




36 RÉVOLUTION DE 1688,
étoient partis les orages qui accablerent Charles I er•
Lorsque ce malheureux pI'ill(~e, qui s'attachoit a suí ..
vre le sage plan de son pere, avoit voulu soumet-
tre les fanatiques extravagances des puritains ala
discipline de l'épiscopat, un cri universel d'horreur
s'étoit élevé. Un pape! un pape! s'écria le peu-
pIe d'ÉJimbourg, a l'installation du Primat d'É-
cosse. Alors des armées sortent comme du se in de
la terre, et les Communes d'Angleterre se liguent
avec e!les contre le Roi. Depuis la mort tragique de
Charles ¡er, Montrose défendit la cause royal e Jlar
une héroique audaee, et alors fut déployée tour a
tour une sauvage férocité, qui fut enfin surpassée
par ce He des puritains vainqueurs. Apres ces mou-
vements furieux, qui furtmt suecessivement domptés
par Cromwell et par le général Monk, le gouver-
nement des églises presbytériennes fut établi f'n
Écosse de meme qu'en Angleterre : sorte de disci-
pline qui tenoit le milieu entre l'anarchie puritaine
et l'autorité de l'épiscop'at. Cf'tte forme étoit devenue
chere a l'Écosse, et lorsque la famille royale rentra
en Angleterre, un des premiers soins du conseil de
Charles fut d'examiner si eette forme de gouverne-
ment ecclésiastiqne seroit abolie ou maintenue.


Parmi les seigneurs écossais qui se trouvoient a
la conr, on distinguoit surtout le général Middelton,
et Lauderdale. Tous. deux avoient rt!ndu d'immenses
services a la cause rovale: le premier, attaché aux




EN ANGLETERRR.


royalistes du partí vaincu de Montrose; le second ,
ennerni passionné de l'épiscopat, mais dévoué aux
royalistes presbytériens qui avoient rappeléCharles II.
Quand l'Écosse secoua le joug du Parlement d'An-
gleterre, Lauderdale avoit· été fait prisonnier a la
bataille de W orchester, ou Cromwel~ abattit toutes
les espérances de Charles 11. Depuis cette époque
jusqu'a la restauration, Lauderdale avoit subi une
lúngue et dure captivité.


Ces deux hommes, divisés dans le Conseil du ROl
sur la maniere de traiter l'Écosse, proposerent des
vUes absoiument contraires. l"auderdale conseilla au
Roi de maintenir les églises presbytériennes, luí fai-
sant espérer que satisfaite sur ce point, I'Écosse
auroit sur tout le reste une complaisance aveugle.
Le Chancelier et le duc d'Ormond craignirent au
contraire que les .presbytériens d'Ecosse ne se li ..
guassent avec les presbytériens d'Angleterre; et
Charles II, qui avoit un vif souvenir des traitements
qu'il avoit rec;us d'eux, lors meme qu'ils lui avoient
remlu un fantome de royauté, se proilon~a for-
mellement pour l'établissement .de l'épiscopat. « Le
( presbytéranísme, dit-il au comte de Lauderdale,
« ne peut etre la religion d'un gentilhomme, et .je
« ne saurois consentir a ce qu'il subsiste plus long-
« tem ps en Écosse.)


Lauderdale fut plus heureux sur une question
non moins importante. Apres avoir subjugué I'Écosse,




38 RÉVOLUTION DE 1688,
le Protecteur y avoit élevé des forts et placé des
garnisons' qui tenoient cette nation sousla dépen-
dance de -1' Angleterre. On délibéra long-temps si
elle seroit rétablie dans sa liberté, ou si ron conti-
nueroit de la tenir asservie en conservant les forts


. et les garnisons. Lauderdale, secondé par les mi-
nistres, ohtint que son pays seroit rendu a la
liberté.


Mais la question de }'amnistie tenoít a des ¡nté-
rets plus vifs, la vengeance et la cupidité. Lauder·-
dale fit entendre vainement la voix de la raison, de
la prudence et de la justice. « L'Écosse,» disoit-il, ce est
« le berce.au meme de la famille royale. C' est I'Écosse
« qui la premiere a secoué le joug du Parlement re-
«belle d'Angleterre; c'est elle qui la premiere, indi-
« gnée du meurtre de Charles Ier, a reconnu et rappeJé
« son fils. La traiterez-vous plus séverement que
« l' Angleterre, ou les seuls régieides sont exclus de
«l'amnistie royale? J'en conviens ,» répondoit Mid-
delton. (e Mais donnez-moi done d'autres moyens de
«( récompenser les services du hon parti. » Il obtint
en effet les moyens de récompellser les services du
bon parti, et il fut envoyé en Écosse, sous le titre
de Lord-Commissaire, pour assembler le Parlement ,
consentir aux bilIs qui devoient régler les affaires
tant de l'État que de l'Église, et fixer les conditions
de l'amnistie. Mais avant d'y consentir, le nouveau
gouvernement d'Écosse devoit frapper les imagina-




EN ANGLETERRI~.


tiOllS par un grand exemple. Le eomte d'Argyle fut
partieulierement choisi.


Argyle, presbytérien exalté ,avoit signé, apres de
long-ues hésitations , le serment d'union de la fameuse
assemblée ou Covenantde Glascow. Une fois décidé,
son caractere intrépide le porta saÍls peine a se sou-
tenir les armes a la main. Presque roí des montagnes
par ses immenses possessions, et par l'autorité pa-
triarcale qu'exer<;:oient depuis un temps immémorial
les chefs des anciennes tribus celtiques, Argyle fut
bientot promu au premier rang des chefs de la guerre
civile. Mais eette accession et cette participation
active a une rébeIlion universelle, se trouvoient effa-
cées par les traités et par l'amnistÍe de Charles I er
en 1641. Depuis la mort du Roi, Charles 11 fut rap-
pelé en Écosse. Il y avoit signé le Covenant, et pro-
clamé une seconde amni8tie en 165 l. Lorsque enfin
la victoire de Cromwell a W orchester eut anéanti
les espérances du Roi et les libertés de la nation ,
Argyle se soumit, fit son traité avec le général Monk,
et vécut paisible jusqu'it la restauration. Mais quelle
qu'eut été sa conduite, l'amnistie de Breda devoit le
rassurer, puisqu'elle était généra-Ie, excepté pour les
régicides, et qu' Argyle ne pouvoit etre enveloppé
dans eette juste exception. De plus, il avoit fait por-
ter au Roi lui - meme 8a soumission pleine et eíltiere
par son fils, le lord Lorn, célebre par d'illustres ser ..
vices rendus a la . cause royale.




40 RÉVOLUTION DE 1088.
Une réponse favorable de Charles II avoit aniré


Argyle de ses montagnes an· palais de Withe,..hall,
ou. son fils l'avoit déja précédé. Mais Argyle était
riche et puissant; Charles refuse de le voir, le fait
mettre a la tour, et l' envoie prisonnier en Écosse,
pour y subir un jugement. Le eomte de Middelton
l'avoit eondamné d'avanee. Argyle, cependant, so~­
tient l'aeeusation avee eourage. II invoque les trois
amnisties, mais on lui répond toujours : « Il n'existe
« poiot encore d'amnistie pour l'Éeosse!»


Lorn, de son coté, appuyé par le Chancelier Cla-
rendon, obtient enfinduRoi l' ordre d'imposer sileilce
au Solliciteur ou avocat - général, sur tous les faits
antérieurs a l'année 165. , et d'envoyer au Conseil
tout le proct~s avant que le Parlement i1e pronon<;{:lt
la sentence. Il faut croire que le Roi étoit sincere;
mais le eomte de Middelton, forcé d'exécuter la pre-
miere partie de l'ordre qu'il avoit re<;{u, n'en résolut
pas moins de faire eondamner Argyle. Vainement
l'amnistie publiée en Angleterre n'exeeptoit du par-
don que les juges de la Haute Cour qui avoit eon-
damné Charles Ier ; Middelton inventa une aeeusa-
tion inouie jusque -la: ee fut la présomption' de
eomplieité dans le proees et le jugement du Roí.
Cependant l'aeeusé repoussa l'aecusation d'une ma-
niere si victorieuse, qu'il fut absous pleinemeut sur
ce point. Inutile victoire sur ses ennemis.


L'infatigable Middelton s'étoit procuré des lettres




EN ANGLETERRE.


que Monk, due d' Albermale, eut l'infamie de lui livrer.
Celui-ei, quand il gouvernoit l'Éeosse avec tant de
rigueur pour Cromwell, les avoit re<;ues d'Argyle,
qui sans doute avoit un grand intéret a se maintenir
en paix avee les maltres de l'Écosse. Quelles que
fussent d'ailleurs ces lettres, l'amnistie .de Breda
sembloit les effacer toutes. Mais, comme on ne ces-
soit de le répéter : « L'amnistie de Breda n'a étépro-
« mise qu'a l' Angleterre 1 » Et les lettres confiées a la
foi deoMonk, général de Cromwell, livrées par Monk,
devenu généralissime de l'armée royale, deviennent
un nouvel acte d'aecusation. Les ami s d'Argyle dé-
couragés se retirent du Parlement; la condamna-
tion a mort est prononcée; Middelton n'envoie au
Roi ni les pieces du proces, ni le jugement; il or-
donne enfin l'exécution de la sentenee, et le vieux
Argyle monte a l'échafaud.


Tel fut le premier acte du gouvern~ment de fer
qui s'établit en Écosse. L'héroisme de la mort d'Ar-
gyle émut profondément les ames, que l'iniquité de
son j ugement ouvroit aux plus justes alarmes. Ce
vieillard, marchant an suppliee avec le calme in-
trépide qui lui étoit propre, atteste pour la derniere
fois son innocence; recommal1de ~s enfants a la
clémenee du Roi; bénit la provi?ence, qui, SUl1S
doute, dit-il, le punissoit justement de ses fautes
passés, par cet ínjuste arret des hommes; faitun
noble adicll a ses amis ; se rccueiJIe un moment av('c




RÉVOLUTION DE J 688,
une religieuse ferveur; adresse a Dieu ses dernieres
prieres, et rec;oit le coup mortel.


Les malheurs de cette iIlustre famille, et les ini-
quités dont elle fut la victime, eurent plus tard des
résultats si funestes pour la famille royale, qu'il est
nécessair~ d'en raconter la suite.


Apres la mort de son pere, lord Lorn, qui croyoit
avoir de justes droits a la reconnaissance dn Roi , par
ses services personnels, sollicita vivement la restitu-
tion des hiens confisqués d' Argyle. Mais ceÜe proie
somptueuse, qu'il disputoit a ses ennemis, étoit une
présomption de crime contre luí; aussi fut - iI ré-
clamé par le Parlement d'Écosse, pour etre jugé
lui - meme. On l'accusolt d'avoir semé la division
entre le pri~ce et ses sujets. Voici quel fut le motif
de cette accusation.


Dans une Iettre qu'il écrivoit a,u lord Duffus, il
se plaignoit amerement des intrigues de ses ennemis
aupres du Roi. Mais, disoit-il, je suis parvenu a les
connoitre, et je suis assuré de la protection du Chan-
celier, qui me fera rcntrer dans mes biens. Il ajou-
tOÍt, qu'un seigneur accrédité a la cour s'~toit preté
a le soutenir dans ses démarches, en acceptant mille
livres sterling pour prix de cet important service.
La lettre, interce.ptée en Écosse, servit de texte a
l'accusation d'avoir semé la division entre le prince
el les sujets. Cependant le Roi lui - meme n'y trou-
voit rien de criminel, et n'y voyoit qu'une indiscré-




EN ANGLETERRE. 43
tion. l\lais iI vouloit complaire a un Parlement qui
manifestoit d'ailleurs un zele tres - ardent pour l'au-
torité ~oyale; et croyant concilier la j ustice avec
cette complaisance, il fit partir le lord Lorn, sur
parole et sans gardes, pour Édimbourg, et notifia
l'ordre expres et particulier au comte de Middel-
ton, de ne point exécuter la sentence que pronon-
ceroit le P~rlement, si Lorn étoit condamné.


Lorn, a son arrivée, est arreté, accusé, jugé et
condamné a mort. Seulement , on laisse a Middelton
la faculté de. fixer le jour de l' exécution. Ainsi se
meUoit en pratique, des l'aurore de la restauration,
cctte maxime de Charles ler daos son testament :
« II n'est point de plus souveraine injustice que le
l( pouvoir souverain, exercé tyranniquemfmt par l'é-
({ troite observation de ,la loi.» Cependant on pallioit
l'ioiquité de ce jugement ba~bare, en disant que le
fils d'Argyle oe· couroit aucun risque pour sa vie.
Mais la sentence du pere n'avoit~elle pas été exécu-
tée? I~orn obtint sa grace, et plus tard le Chancelier
le 6t rétahlir daos ses bieos. l)lus tard encore, et
sous le gouvernemeot du duc d'y ork, Lorn , devenu
ainsi comte d' Argyle, subit un jugement capital,
plus monstrueux que les deux premiers. Il n'y échappa
que par l'ingéoieuse tendresse de sa fine; et poussé
au désespoir, iI attaqua enfin le trone que jadis il
avoit défendu.


Le jugement du lord Lorn ne fut prononcé que




44 RÉVOLUTION DE 1688,
dans la seconde année de la restauration. Mais le
jugement du pere fat le premier acte qui an,non<,;3.t
ce que ron entendoit par la restauration en Écosse .


. L~, Parlement de ce rOJaume ne ressemble point
a celui d' Angleterre. Composé d'une seule chambre
pour les lords spirituels et temporels, comme pOUI'
les députés des comtés et de la bourgeoisie, l'insti-
tution antique d'un comité que I'on nornmoit les
lords des articles, y prévenoit, ou du moins atté-
nuoit tous les périls inséparables' d'trne grande et
unique assemblée formant la représentation natio-
nale. Ce comité se composoit ainsi. Les deux ordres
du clergé et de la noblesse nommoient séparément
chacun huit lords; les seize nommés de ceHe, ma-
niere choisissoient huit députés des comtés. Ceux-ci
réunis aux seize premiers nomrnoient huit deputés
de la bourgeoisie. Tcls étoient les Lords des articles,
N ulle proposition ne se pouvoit faire dans le Par-
lement sans leur examen préliminaire, sans leur
consentement. Cette forte barriere contre I'empor-
tement d'une seule assemblée dan s les occasions
difficiles, n' empecha pas cependant les orages qui
éclaterent sous Charles ler. Le renversement violent
de l'épiscopat avoit converti en COCJeizant ou Con-
JJention ce Parlement, qui devint ainsi tour a tour
tyrannique, et es clave des fureurs populaires. Mais
enfin Charles II, a la restauration, avoit convoqué
le Parlement. Les anciennes formes avoient été sui~




E.N ANGLETl':RRE. 45
vies. Les Lords des articles concouroient fortement
au sucd~s de la cause royale. L'épiscopat rétabli, les
éveques rentrerent au ParIement: grande et heu-
reuse victoire pour l'ordre public, si la cour eut
montré moins d'indifférence, de mépris nu~me pour
le sacerdoce dans le choix des éveques. Ceux-ci se
montrerent tout a la fois avides, persécuteurs et
dissolus. Le comble de la témérité fut dans la no-
mination du Primat, Archevequede saint-André.
Sharp, naguere encore, violent puritain, fanatique
prédicant, et l'un des plus ardents fauteurs de la
ligue du covenant, s'étoit subitement converti au
royalisme et a l'épiscopat. La premiere dignité de
la nouvelle église d'Écosse fut le salaire de cette
conversion. Ses récentes ferveurs se signalerent
bientot par le scandaIe de ses mreurs, et par un
esprit effréné de pillage et de persécutions contre
la secte qu'il avoit abandonnée. Il la poussa au
désespoir.


Le Parlements'occupa enfin de l'amnistíe. Elle
fut réglée sur les pIans que, l\1iddelton avoit empor-
tés d'Angleterre. Le but avoué, comme iI le disoit
au Conseil, était de récompenser les servicesdu hon
parti; et le moyen qu'il fit approuver par le Roi,. fut
de reculer les limites de l'amnistie jusqu'a l'année
1651, de I'echercher tous les crimes d' état commis
depuis eette époque, et de les punir par les peines
qu'il plairoit d'imposer, la mort exceptée. Ces




46 RÉVOLUTION DE 1688,
peines furent généralement la confiscation ou d' é-
normes amendes. J.\tIais il pouvoit arriver que le Roi
ne refusat pas toujours de remettre aux el1fants les
bit'ns de leurs peres condamnés ou proscrits. Alors
Middelton fit porter une loi inconnue au siecle meme
de Tibere : la clémence fut interdite au Roí. Qui-
conque intercéderoit pour les enfants des condamnés,
seroit condamné lui-meme; et, par un raffinement
d'iniquité, la loi ne disoit pas quelle peine mérite-
roit ce crime de la pitié. Fixer une peine, disoient
les adorateurs serviles de l'autorité, ne sel'oit que
limiter les droits de la couronne .• Enfin eette cruelle
et dél'isoire amnistie devint une source inépuisable
de coneussions partieulieres et publiques. Elle n'avoit
pas d'autre fin.


L'ordre des faits que I'on vient de raconter semble _
prouver que, si la restauration s'établit simultané-
ment et sal1S obstacles en Angleterre et en Écosse,
la double action du gouvernement sur ces deux
royaumes ne procédoit pas d'un meme principe. En
Angleterre, la force meme des choses rel1doit né-
cessaires la retenue et la modération, parce que ce
fut le parti meme de la liberté qui renversa l'anarchie
répu~licaine. J\lIais en Écosse, on Jaissa un libre essor
a ]a réaction des passions, devenues victorieuses,
meme sans combat : et quoique l'une et l'autre na-
tion, chacune occupée de ses propres affaires, ne
connllt pas immédiatement le syst~me différent mis




.EN ANGL1~TERIU~.


en reuvre a coté d'elle, cependant la vérité ne pou-
voít long-temps échapper aux esprits attentifs, qui
en con<;urent de tristes présages.


Ce fut alors (scptembre 1660 ) que la mort du
jeune duc de Glocester vint troubler el les retes de la
cour, et la premiere yvresse de l' Angleterre, et l' es-
pérance des p¡lus sages amis de la liberté. Peu de
temps apres (décembl'e), la ch<\mbre des Communes
fut dissoute, et la réunion d'un nouveau Parlement
fixée au moís de mai suivant.


Si l' on considere. l' ensemble des actes de cehe
Convention célebre, on doit reconnoltre qu'elle fut
animée d'un esprit sage, loyal, dévoué tout a la
fois au prince et au pays. Toutes les questions épi-
neuses furent écartées. De grandes concessions se
firent au besoin de l'ordre et a la justice qui veut
réparer bien plus que punir. Sans abandollner, ou
négliger meme les intérets de la liberté, les Com-
munes comprirent que, dans de tels moments, une
généreuse confiance a de libres promesses est plus
salutaire qu'une prudence difficile et contentieuse.
L'avenir. prouvera sans doute qu' elles se tromparent.
Mais quelle assemblée vraiment nationale n'eut pas
été attendl'ie aux infortunes d'un prince qui se mon-
troit si populaire, si miséricordieux, et n'eut pas
cédé au charme décevant de ses paroles ?-


En attendant l'assemblée du nouveau Parlement,
l'état de l'Église occupa sérieusement le ministere.
La courOllne avoit recouvré l'autorité supreme sur




48 RÉVOLUTION DE 1688,
les affaires de la religion; ou plutot, les Comll1unes
avoient eu la prudence de ne pas agiter la question
du maintien ou du renversement de· la discipline
actuelle. Mais, comme l'épiscopat et la liturgie ne
se trouvoient abrogés par aucun pouvoir légal, l'éta-
blissement actuel du presbytéranisme par le Parle-
ment rebelle se trouvoit annulé de fait et de droit.
Seulement les éveques se trouvoient légalement ex-
dus de la chambre haute, paree que Charles ler avoit
sanctionné le hill de leur exclusion. A la vérité,
Charles IJ, plus qu'indifféren t a toute religion, n' é-
coutoit guere que l'instinct de sa politique, s'il don-
noít quelque préférence a l'épiscopat anglicano Mais
Clarendon et les royalistes y voyoient l'affermissement
de la royauté : avec c'ette différence " que ceux - ci
ne songeoient pasencore que si l'épiscopat devenoit
une. barriere insul'montable aux doctrines républi-
caines, il n'étoit pas moins un obstacle invincible
aux prétentions éventuelles du pouvoir absolu. Le'
nouveau Padement devoit régler ces intérets si vifs
pour l' Angleterre, et concilier les promesses du Roi
el la raison d'état.· .Cependant les presbytériens ,
quelle qu'eut été leur conduite au commencement
de la révolution, méritoient aujourd'hui les plus
grands égards. C'étoit leHr réunion au parti des
royalistes, qui avoít soutenu le général Monk dans
sa marche long - temps inexplicable, et donné a
l'opinion populaire, quand il eut passé le Twede,
une force irrésistible contre l'arméc de la République.




EN ANGLETERRE. 49
Le ministere es saya d'abord de résoudre tant de


difficultés, en proposant un Acte d'union entre les
Presbytérien,s et les Anglicans. Pour cela des con-
férences furent ouvertes a Londres, au mois de
lnars (1661), entre les théologiens de l'un et l'autre
parti. Mais ces conférences de la Savoie ne pou-
voient pas mieux réussir que le colloque de Poissy
et tant d'autres, dont l'histoire a démontré l'inuti-
lité. n fallut done en référer a l'autorité du Parle-
ment.


Charles 1I avoit abtenu le pouvoir de réformer
les corporations et communautés. Il faut eroire que
l'épuration faite sous les auspices du Chancelier ne
fut pas injuste, si elle fut sévere. Les élections ne
pouvoient pas etre abandonnées a la domination des
seetes républicaines. Clarendon, anglican zélé, voyoit
le triomphe de la royauté dans le triomphe des an-
glieans, et son zeIe ne fut pas infruetueux. lei· fut
abandonnée l'allianee des Royalistes et des Presbyté-
riens. Les éleetions ne donnerent a la chambre des
Communes que einquante - six presbytériens : mais
par leur naissance, leur caraetere, leur fortune et
leur crédit populaire, ils étoient l'élite de la nation.
Du -reste, jamais le Roi et la eour ne pouvoient de-
sirer des Communes plus devouées a l'épiscopat et
a la roy~uté. Aussi, dans les deux premieres années,
tOlls_les actes qui pouvQient affermir le trone, réta-
blir la religion de l'état, réprimer l'essor des sectes


J. 4




50 R~VOLUTION DE 1688,
républicaines, furent consentís avec un zele que sou-
tenoit toujours l'ardeur de la nation.


Cependant r Acle d'lNtifórmité qui imposoit la Ji-
turgie anglicane et l'autorité de l'épiscopat a toutes
les églises protestantes, trompa crueJ1ement les espé-
rances des ministres presbytériens. Illeur étoit enjoint
de reconnoitre]a liturgie et de recevoit·l' ordination des
éveques', dans un délai déterrniné, sous peine d'etre dé-
possédés de leurs églises. Deux miHe s'y I'efuserent et
furentchasséslememe jour, 24aout, terme6xé( 1662).
Cette résistance inattendue étonna la cour et la nation,
qui nomma cette journée la Saint-Barthélemydes Pres-
hytériens. Alors ils se rappelerent avec amertume cette
parole que leuravoit adressée le Roí: « J e vous rendrai
« aussi heureux que je le suis moi - meme ! »


Le parti d~s anglicans triom'phoit pleinement, et
avec eux le parti des roya listes. Les éveques étoient
recntrés a la chambre des Lords, ~t leur concours
imprima aux affaires un mouvement víf et sévere
quí formoít un contraste remarquable avec le spec-
tacle d'une caur toute abandonnée aux voluptés. Les
évequ€s s'attacherent a persécuter rigoureusement
les Non-conformistes, et par la meme auirerent la
pitiédu pelip:}esur les persécutés. D'un autre coté,
la cour 6t rechercher dans les pays étrangers ceux
des régicides qui avoi~nt pris la fuite. Okey, Berk-
stead et Cobbet trainoient dans l'exil une vie toür-
mentée par la misereo Ayant long-temps erré d'asyJe




/


.EN . ANGLETF.RRJ:. 51
en asyle, íls vinrent secretement d'Allemagne en Hol-
lande. Downing,jadis Chapelain du régiment d'Okey ,
tour a tour dévoué a Cromwell commeala Répnblique,
se trouvoit maintenant a La Haie ministre du Roi et
zéIé royaIiste. Il fit saisir brusquement les trois pros- ,
crits, et les envoya en AngIeterre ou iIs furent exécutés.


On commen<;a aussi le proces du généraI Lam-
hert et du chevalier Henri Van~, qui n'avoi~nt pas
été exceptés de l' amnistie, mais que les Communes
avoient recommandés a la clémence du Roi. En pri-
son depuis deux ans, iIs furent mis en jugement. Il
devenoit manifeste que l'esprit du gouvernement
étoit changé ou du moi.ns dominé par qre puissance
plus forte que les conseils modérateurs du Chance-
lier. Ces deux prod~s tinrent I'Angleterre attentive.
HenriVane se défendit SUl'tout avec une intrépidité
qui remua dans les comrs des sentiments qu'il falloit
tenir assoupis, puisque la vindicte sociale avoit été
satisfaite par le premier Parlement. D'ailleurs, ni
Lambert ni Henri Vane n'étoient régicides. lis furent
condamnés. Vane fut exécuté. La crainte que le
peuple ne fut ému de sa constan ce et de ses der-
nieres paroles 6t imaginer une précaution qui indique
assez la situation des esprits. On pla<;a sous l'écha-
faud des tambours qui étoufferent sa voix, au mo-
ment ou il prít la parole suivant l'usage de tous les
Anglois condamnés. Lambert eut sa grace, el fu t
relégué dan s I'lle de Guernesey, 011 il vécut encore
trellte ans, obscllt> et oublié.





54 RtVOLUTION DE 1688,
Pour fixer les Íneonstanees du Roi, susei ter des


héritiers direets a la monarchie, et cimenter une
allianee utile a I'Angleterre, il avoit eonclu le ma-
riage d'une Infante de Portugal avec Charles; et
dans la dot de eette princesse iI avoit fait eom-
prendre la place de Tanger, située sur la pIage afri-
caine du détroit de Cadix. Mais iI se trouva que la
nouvelle Reine possédoit peu de ces attraits de l'es-
prit et du corps, qui pouvoient, sihon contenir, du
moins rappeler Char~s dans' les liens de la vie et
des atrections de famille. La-:Reine enfin ~toit stérile:
ce malheur fut un crime du Chanceliet qui certaine-
ment, disoit-on, avoit vouln faire passer la couronne
dan s sa maison par les enfants de sa fiIle. De plus,
Charles s'abandonna entierement a la femme d'un
gentilhomme catholique, nommé Palmer, Jont il


. consola la disgrace par le titre de eomte de Castel-
lJlaine; et cette favorite, creée duchesse de el eveland,
étoit, dit un célebre historien r , prodigue, rapace,.
dissolue et vindicative. Il n'en falloit pas tant pour
qu'elle devlnt l'ennemie ·du ministre sével'e qui s'ef-
for~oit de poser quelque digue aux 'prodigalités du
Roí.


Jadis Cromwell avoit consolé la fierté angloise de
la perte de Calais par l'acquisition de Dunkerque
et de Mardick. Charles n'étoit pas encore au dix.-


1 Hume.




EN ANGLI~TElUlE. 55
huitieme mOIS de la restauration qu'il avoit vendu
et livré a Louis XIV cette possession si importante
pour la Franee. Cinq millions furent le prix de cette
premiere transaction politique de deux jeunes roia,
dont l'un n'aspiroit qu'a la gloire, et l'autre sem-
bloit se montrer déja pret a vendre son pays meme,
pour vivre en paix dans ses voluptés. L'Angleterre
en fut pro.fondément blessée. Mais. on étouffa ces
premieres clameurs en élevant bien haut l'acqui-
sition de Tanger. Cependant malgré l'importance
réeUe de cetteacquisition pour la. protection du
comlillerce anglois dans la Méditerranée, lorsque la
place de Tanger devint plus tard un prétexte pour
lever des troupes, et que le Parlement, d' abord si
dévoué, eut con<;:u de justes ombl'ages, il aima
mieux la voir ahandonnée _ que de fournir les sub-
si des nécessaires a son entretiene


La discorde régnoit autour du Roí. Il existoit un
dO\lble Conseil; et dans celui qui étoit confidentiel ,
venoient se rés:oudl'e les affail'es les plus délicates.
La dominoit le comte de Bristol, qui s'étoit declaré
catholique sur le continent, peu de temps avalltt la
restauration. Tant qu'il vécut en honne intelligence
avee Clarendon et le vertueux ,uue d'Ol'mond, la
marche du gouvernement fut contenue plutot que
dirigée dans les. voies de la modération et de la sa-
gesse. Mais devenu jaloux, peut-etre aussi entrainé
par un systeme de domination absolue que le Chan-




56 RÉVOLUTION DE 1688,
celier croyoit dangereux de favoriser, il s'attacha
incessamment a la ruine de son adversaire et l'ac-
cusa .formellement devant le Roi. Quoique Charles
ne vIt" plus dan s Clarendon qu'un censeur incom-
mode et facheux, il n' osa pas encore lui retirer les
lnarques extérieures de sa eonfianee. Soutenu d'ail-
leurs par le due d'y ork, qui, sans approuver son
systeme, respectoit ses vertus, Clarendon conserva
ses dignités et "perdit tout son erédit a la cour.
La duchesse de Cleveland prépara surtout sa ruine,
en faisantéloigner le ehevalier Édouard Nicolas,
Seerétaire d' état. Nieolas étoit ami intime du Chan-
celier, qui vit arriver a la place vacante son ennemi
déclaré, le chevalier Bennet, créé lord d' Arlington.
Ainsi fut brisée l'h~ureuse allianee des quatre mi-
nistres d' Angleterre qui présiderent a la restaura~
tion.


Ces divisions ne pouvoient rester ensevelies dan s
les intrigues de White-Hall. Propagées au dehors, il
s'éleva une défiance vague et ineessamment répan-
due. Les déprédations de la cOlir sembloient expli-
quer la vente de Dunkerque. L'impulsion rigoureuse
donnée, au gouvernement d'Éeosse 6t naltre aussi
de sini~tres conjectures. Alors les hommes d'un ca-
ractere élevé, eeux qui voyoient dans I'avenir, ceui
ffibme qui avoient concouru activement au rétablis-
sement de la famille royale, commeneerent a former
une opposition réguliere et ferme dans le Parlement.




EN ANGLETERRE.


Sans jamais refuser les subsides, ils firent tombel'
des l' origin~ le droit, affeGté par le Roí, de dispenser
de l'exéeution des lois pénales, dan s son Édit d'in-
dulgenee. Mais comme la religion catholique, dont
faisoit profession le comte de Bristol, étoit consi-
dérée comme un moyen d'établir le pouvoir absolu,
ce fut par elle que l'opposition naissante donna un
crédit populaire a ses résistances. Les Jésuites espa-
gnols et portugais se réu~issoient en effet de toutes
parts autour de la Reine: un hill renouvela les an-
ciens bills qui ordonnoient leur· bannissement.


Cependant le due d'York se livroit, comme Grand-
Amiral du royaume, a tous les soins qu' exigeoient
le rétablissement de la marine et la protection du
eommeree dans les deux lndes. Ce temps fut l'é-
poque de sa gloire et d'une gloire véritable, paree


, qu' elle étoit toute nationale. Heureux s'il eut tou-
jours compris, quand il devint ROÍ, que la étoit le
principe de sa force, puisqu'il se trouvoit dans le
génie et dans les besoins de I'Angleterre. Les di s-
sensions civiles, les querelles' de religion etde li-
berté pénetrent peu dans les habitudes laborieuses
et toujours périlleuses du marino Il faut d'ailleurs,
apres une longue et sanglante révolution, il faut
oQ.vrir de larges issues et de nouveIles destinées aux
horilmes ardents, inquiets, aventureux. IJorsque les
Puritains, trente ans auparavant, couroient en foule
chercher un asyle et la liberté du fanatisme daos le




,
58 RÉVOLUTION DE [688,
nord de l'Amérique, Hampden et Cromwell eux-
memes alloient partir. Déja le vaisseau qui devúit.
emporter leurs destinées vaga bond es étoit a la voile
sur la TaIÍlise, quand on eut l'imprudenee fatale de
les retenir et de réprimer eette heureuse émigra-
tion. Mais la Providenee , qui se joue de la folle sa-
gesse des hommes, les avoÍt marqués tous deux de
sa main pour donner a,ux peuples et aux rois de
grandes et terribles le~ons : Hampden eommen~a la
Révolution, et ce fut Cromwell qui la eons.o.mma! l
Quelle que fut eependant la pensée du gouvernement
aetuel sur les nouveaux armements, le due d'York


. se livroit tout entier aux soÍns de la flotte. Les ma-
gasins étoient vides, les ressourees na vales épuisées.
Sur son rapport au Roi, le Parleme~t aUoua tout
ce qu'il avoit demandé. Enfin iI étendoit sa juste
sollieitude sur le eommerce. La eompagnie des ludes
orientales; eeHes de la Turquie, de Hambourg et
(reS Can~ries re~urent des encouragements et une
proteetion effieace. n en érigea une pour le com-
meree de la Guinée; iI 6t établir des comptoirs sur
la Cote d'or pour surveiller et réprimer les HoUan-
dois. Il fffconvra sur eux en Amérique toute la COll-
trée aujourd'hui'eonnue sous le nom de New-York,
que déja ils avoient usurpée. Lorsque en fin la voix flu
peuple et du Parlement eut rendu la guerre inévita-
bÍe, le Due se mit en mer avec la plus bdle flotte
qui jall1ais eut flaué l'irnmense oJ'gueil de la nation.




EN ANGLETEUltE. 59
L'oLjet de cette histoire n'est pas de racolltel' des


faits d'armes plus ou moins glorieux pour l'une ou
l'autre puissance helligérante, mais de signaler dans
leur COUfS des événements qui déja, quoique inaper-
<;;US alors, sembloient comrnencer les hautes destinées
du jeune prince d'Orange, si fatales a la maison
royal e d'Angleterre. Les historiens du temps s'épui-
sent en conjectures sur les motifs.qui déterrninerent
Charles JI a une violente rupture que réprouvoit le
Chanceli,er par toutes les forces de son crédit mou-
rant. n est certain que la guerre pouvoit etrt' évitée.
'Elle commen'(a meme par des hostilités contraires
au droit des gens; et il semble qu'enhardi par le
vreu national, Charles écouta aussi la voix de la
cllpidité, s'il est vraj qu'il espéra une ample mois-
son dans les subsides extraordinaires et dans l'im,..
mense pillage du commerce des Provinces- Unies.
Quoi qu'il en sojt., tous les justes sujets de plainte~.
du gOllvernement se trollvoient antérieurs au renou-
vellement des anciennes alliances, qui s' e ffectua en
16ti2. Mais Downing, ministre du Roí aupres des
États généraux, poussé par le nouveau S,ecrétaire
d'état, lord d'Arlington, et par la violence impé-
riense de son caractel'e, fit évanouir toute espérance
de conciliation.


Les Provinces-Unies ,se trouvoient alors gouver-
née.s par le Grand PCllsionnaire lean de Wit, ma ...
gistrat integre pt populaire, homme d'état, également




60 RÉVOLUTION DE 16BB,
passionné ponr la gloire et pour la liberté de sa
patrie. Attaché au partí républicain qui avoit aboli
le Stathoudérat dans la personne du dernier prince
d'Orange, ( beau-frere de Charles 11,) il étoit aussi
le tuteur du jeune prince d'Orange, qu'il élevoit ,
avec une surveillance inquiete el jalouse, dan s les
maximes de la liberté. Si Charles II voulut humilier,
renverser lneme le- parti de la République, pour re-
lever la fortune de son neveu encore enfant, et
donner ainsi arA ngleterre une sorte. de dictature
sur la puissance batave, c'est une question mainte-
nant!stérile, que le caractere mieux connu du Roí ne
permet plus de soutenir~ L'ordre des faits semble
prouver au contraire que la guerre n'eut pas d'autre
motif que l'espérance, pour lui, d'un immense butin,
pour son frere, d'une grande gloire. militaire, et
porir tous deux peut - etre , de l'autorité absolue a
établir par les trésors de la victoire et l'appui d'une
armée victorieuse.


La premiere eampagne, en 1665, fut glorÍeuse
pour l' Angleterre et surtout pour le duc d'York.
Avec quatre-vingt-dix-huit vaisseaux deguerre, le
Duc se présente a l' ennemi. C' étoit la premiere foís
que la marine angloise observoit un ordre régulier
d~ bataille, par les signaux que le Duc avoit inven-
tés ou du moins perfectionnés. La fioUe ennemie
comptoit cent treíze vaisseaux; elle en perdit vingt;
elle perdit aussi quatre amiraux et dix mille hommes.




EN AN G LETERRE.


On ignore par quelle raison le Roi rappela, subite-
ment son frere, qui n'acheva point cette mémorable
campagne. Mais le Parlement lui décerna 120,000
livres sterling comme un témoignage de la gratitude
nationale, et en vota I,c¿56,ooo pour continuer la
guerre. I j


Ces" heureux commencements furent suivis des
plus terribles désastres. La France, a qui Charles 11
offroit de garantir toute la Flandre, si elle vouloit
abandonner son alliance avec les États ~ généraux ,
rejeta cette offre séduisante et prit les armes. Le
Danemark imita cet exemple, et, comme le disoit
Louis XIV, les Anglois ne virent plús que des cotes
ennemies depuis Bergues jusqu'a Bayonne. C'étoit
l'reuvre de la politique ferme et habile du Grand
Pensionnaire. Les forces navales des deux puissances
déployerent t~ute l'énergie du courage, de la riva-
lité nationale et m~me du désespoir, dans cette" fa-
meuse bataille des Quatre Jours, qui commen~a "le


"I er juin 1666, et recommew;a chaque matin pour
se terminer le 4 par une victoire indécise. Mais les
Anglois y éprouverent des pertes énormes, et per-
dirent surtout ce prestige d'invincibilité qui animoit
leur fierté patriotique depuis les guerres mari times du
Protecteur. Leur perte fut de vingt-trois vaisseaux


x La livre sterling représentoit alors un peu plus de 13 livres
tournois, et le mare d'argent valoit 26 fivres 10 sous de France.


"




RÉVOLUTION DE 1688,
et de SIX mille hommes. Si l'année précédente le
due d'York avoit assuré la supériorité du pavillon
britannique par le perfectionnement des signaux, le
Pensionnaire assura , dans cette bataille, la victoire
a la flotte hollandoise par son invention des boulets
a chalne. Cependant les Anglois, malgré tant de
pertes, recouvrent un moment leur supériorité.
Devenus encore maltres de la mer, iIs pénetrent
dans la rade de Dlie, brUlent cent quarante navires
de commeree , deux vaisseaux de guerre et un riche
village de la cote. Les négociants en pousserent de
longs cris de douleur; et, de ce moment, ils se réu-
nissent au parti renversé de la maison d'Orange
contre le Grand Pensionnaire. Ainsi se préparoit
déja la fortune du jeune Guillaum~ qui sortoit a
peine de sa quinzieme année.


A vant eette campagne, ou les calamités furent
égales de part et d'autre, la ville de Londres avoit
été la proie d'un des plus terribles fléaux qui puisse
affliger l'espece humaine. La peste y avoit dévoré
soixante-huit mille habitants; cette année , ce fut un
incendie, ou l'Hotel de ville, la cathédrale de Saint-
Paul, quatre-vingt-neuf églises et treize mille ~eux
cents maisons furent la proie des flammes dans six
cents rues (3 septembre 1666).


Ces malheurs, quí devroient rapprocher les
hommes, les rendirent plus ennemis, plus impla-
cables. Si I'on n'avoit pu en 1665 imputer la peste




EN ANGLETERRE. 63
aux factions, 'elles ne manquerent pas, en ] 666, de
s'accuser mutuellement de l'incendie. Les sectaires
pr<?testants et les catholiques s' attribuoient tour a
tour un crime auquel toutes les reeherehes du Par~
lement ne trouverent aueune vraisemblanee. Mais
les sectaires étoient a10rs cruellement perséeutés;
ils ~xeitoient la pitié du peuple, dont la vieille haine
contre les eatholiques se réveilla tout a coup au mi-
lien des malheurs publies; les préjugés de la haine
prévalurent contre la vérité meme, et les eatholiques
resterent convaineus, au moins par l'inscription du
monument érigé en mémoire de ce grand désastre,
d'avoir commis cet absurde crime. Les suites de
eette grande calomnie politique furent eruelIes pour
le duc d'York, qrii déja étoit secretement ea-
tholique, au moins dans son ereur l. Le Parlement
sollieita aussi le Roi de faire exécuter eontre les
pretres étrangers, et en particulier contre les Jésuites,
les bilIs qui pronon<;oient leur bannissement. Les
Non -conformistes ou sectaires protestants étoient
d~ja l' objet des bilIs les plus rig'oul'eux.


Les défiances et l~s divisions s'étoient aecrues
entre la eour et toules les classes de la nation. Pour
la premiere fois, le Parlement, qui s'étoit montré


1 Le duc d'Y ork , devenu Roi, fit effacer la partie de l'inscrip-
lion qui accusoit les catholiques. Elle fut réta.-hlie apres la révo-
lution de 1688.




64 RÉVOLUTION DE 1688,
si dévoué depuis 1661 , mit de la lenteur et de la
réserve dans l'oetroi des subsides. Il avoit aeeordé
J 800,000 livres sterling, dans l'hiver de 1666,
pour eontinuer la guerre a vec une vigueur nouvelle.
Mais le Roi, emporté par le fatal désir de eouvrir ses
dettes et ses prodigalités en s'appropriant une grande
partie du subside, avoit désarmé par économie et
malgré les instanees du Prince Grand -Amiral, les
vaisseaux de premiere et de seeonde grandeur : il
fit demander la paix, et, en attendant l'issue des né-
goeiations, se contenta d'armer en eourse les autres
batimen·s. Alors le Grand Pensionnaire, accueillant
et prolongeant les négoeiations, se prépara secrete-
ment a venger les désastres d'Ulie. Tout a eoup
Ruyter ,'devenu maltre de la mer, parolt a l' embou-
chure de la Tamise, brule dix-neuf vaisseaux de
guerre et jette la terreur dans la- capitale meme,
étonnée, humiliée, désespérée de voir ses ports impu-
nément insultés sous ses yeux. Charles II leve a ]a
hate une armée de douze mille hommes et assemble
le Parlement. La premiere condition des Communes
fut de licencier eette armée 'lui leur parut dange-
reuse pour les libertés publiques. Charles proroge
aussitot le Parlement jusqu'a l'hiver et signe le traité
de Breda, traité humiliant sans doute, mais devenu
né~essaire, (juillet 1667' ) _


lei va eommencer une longue série d'événements,
alors ineompréhensibles, et d'incroya?les vieissi-




EN A NGLE1'ERRE. 65
tudes : le Roi signant le bannissement de l'homme
sage a qui seul peut-etre il devoit son heureuse res-
tauration; signant tout a la fois la Triple Alliance
contre Louis XIV et une alliance occulte avec lui;
usant de ses ministres protestants _pour établir l'é-
glise catholique, et envoyant les catholiques a l'é-
chafaud; exilant son frere; toujours pret a l'aban-
donneraux vengeances du Parlement, et se servant
de lui pour abaisser le Parlement : au milieu de tout
cela, des mreurs dissolues, le mépris des 10is hu-
maines et divines, l'athéisme et des persécutions re-
ligieuses; le fanatisme servant de voile aux conju-
l'ations; et pour terme de tant de passions orageuses,
I'expulsion d'un prince qui n'a ~u que les rendre
implacables. CeUe époque sembleroit appartenir aux
jours de Tibere, si les mreurs de la nation eussent
été corrompues da~ les profondeurs meme de la
société. Mais la corl'uption n' étoit qu'a la surface.
Le fanatisme n' esí que l' emploi déréglé des forces
d~me ; un peuple abruti et corrompu n'en a poirlt.


Le fanatisme des puritains et l' esprit persécuteur
du clergé anglican avoient laissé dans quelques ames
fieres un mépris pour toutes les sectes protestantes
non moins prononeé que leur haine contre l'église ro"
maine. Ainsi dégagées de toute espece d'autorité posi-
tive en religion, iI ne leur restoit plus a choisir entre
I'athéisme et, si ron peut parler ainsi, ceUe vague
religiosité qui survit long-temps a de longues tradi ..


l. 5




66 RÉVOLUTION DE 1688,
!ions, et qui demande encore a la seule raison
des forces qu'nne foi ruinée n'est plus capable de
donner. Tels alors étoitmt les Sidney, les Essex ,
1es Russel dans les . hauts rangs de la société : tels
encare dans l' église les Tillotson, les Sherlock, les
Cudworth et les Wilkins.


Les premiers, affranchis'de toute ·soumission reli-
gieuse, avoientnaturellement adopté lesprincipes
de l'indépendance politique : se formant dans l'esprit
un gouvernement 'idéal et rationeI corome Ieur re-
ligion; . eapabIes toutefois dese soumettre paisible-
ment a l' ordre établi ; assez fiers pour assigner aussi
des bornes a leur soumission ; persuadés surtout que
si le souverain do\.t trouver des limites dans les lois,
les loÍs violées appellentdes'protecteurs, et etifin des
'Vengeurs .. Ainsi, dans 'un état comme l' Angleterre ,
le ro1e de ces 'hommesétoit fixé; ils monti'oient éga-
lenúmtles bornes que le peuplepouvoit respel:ter,
les Iptotecteúl'sou les vengeurs qu'il devoit se ipro-
mettre. Telle fut l'origine'de J~ nouvelle opposition
parlem'entaire.


lJes'autres, dans l'église ,avoient déploré les ftl-
reurs,d'uniaveugle'etféroce fanatisme, plus vivement
encore déploré lesravages irréparables de l'athéisme,
si ouvertement soutenu de leur temps j par Hohhes
et ses imitáteurs. Ennemis d'ailleurs de l'ÉgHse ea-
tholique et versés' dans la science des langues sacrees,
iJscombattoient également ce qu'ils nommoient )'i-




EN ANGL.ETEURE.


dolatrie des papistes pt les corruptions de l'athéisme.
Ce sont 'eux quí dans ces temps -la fonderent cette
école fameuse de ~Cambridge, ou sembloit renaltre
l'école platonicienne d'Alexandrie. Leuréclecti"sme
religieux étoit bien moins une religion fixée dans
ses dogmes, quoique soumise aux rites et aJa dis-
cipline de l'épiscopat, qu'une contemplatíon philo-
sophique des lois naturelles, qui s'élevoit cependallt
et se rappor!oit a l'autenr de la nature. Donnant
ainsi une grande latitude aux opinions religieuses,
ils ne rejetoient :formellement aucune des réformes
récentes des églises déja réformées; et de meme
qu'Arminius en Hollande et Caméron en Éco~se
avoient adouci·la désespérante rigueur des dogmes de
Calvin, ceux-ci pour adoucir ce qu'il y avoit d'apre et
de farouche dans les sectes presbytériennes d' Angle-
terre et d'Écosse, vouloient tolérer ce que l'extérieur
de ces cultes divers pouvoit avoir d'innocent. Néan-
moins ils insistoient sur les formes plus décentes, plus
sensibles, moins abstraites du culte anglican : non pas
qu'il 'leurs'yeux elles fussent précisément et absolu-
ment nécessaires, mais paree qu'elles pouvoient re-
tenir ou rappeler la multitude dans une croyance
commune, plus générale, ~t ainsi plusJavorable au
maintien de l'ordrepolitique. En un mot, phiIo-
sophes dan s le chistianisme, et arminiens secrets
dansTéglise protestante, ils n'étoient réeIlement que
les modernes sectaleurs des Platon , des Cicéron ou


5.




G8 RÉVOLUTioN DE 1688,
des Plotin, son s la discipline d'un cuIte réglé par
les lois ~e l'état. Les anglicans rigides leur don-
noient., pour cette raison, la dénomination de lati-
tudinaires. Mais les catholiques d' Angleterre leur
donnoient un notn plus décisif et plus vrai, celui
de déistes et meme de sociniens : terme inévitable
et nécessaire de toutes les fractions de l'Église pro-
testante. Au reste cette philosophie passa de l'Uni-
versité de Cambridge dans' ceHe d'O,xford, et peu
a peu dans l'esprit des chefs de l'épiscopat.


Les doctrines athées qu'ils s'effor~oient de com-
battre avoient une origine récente en Angleterre.
Apres avoir uni sa fortune a ceHe des Stuarts fugi'-
tífs , Hobbes étoit revenu a Londres sous Cromwell;
mais le fanatÍsme des sectaires lui inspira un dégout
melé d'horreur, et son esprit, tourné sans cesse vers
les idées extremes et absolues, ne lui montra pour /
remede a la double folie religieuse et politique de ce
temps-Ia que l'athéisme et le despotisme. Alors pa!ut
son Léviathan, livre bizarre, mais affreux dans les
principes et dans les conséquenees. A couvert sous la
doctrine des décrets absolus de Calvin, iI établit
d'abord que l'homme est un agent nécessalre. Mais
l'homme a-t-il une ame' Oui, sans doute; et il ne
le nioit paso QueUe est eette ame? Le produit d'un
mouvement d'atomes, particules insaisissables et in-
définies, douées cependant de la! pensée. L'intéret
et la erainte ayant seuls réuni les hommes en so-




EN ANGLETERHE, 69
ciél(:, c'étoit done par l'i'ntéret et la erainte qu'il
les falloit gouverner. Or, une religion, eonsidérée
comme instrument de terreur, pouvoit servir utile-
ment la politique; done une religion n'étoit; ne de-
voit etre qu'une Ioi, ou plutot un instrument de
l'état. Mais les lois ne peuvent etre que la volonté
meme du prinee. Quant· a la morale publique et
privée, que sera-t-elle, découlant d'une telle souree?
La doctrine des intérets, balancée, iI est vrai, par
les intérets d'autrui. Ces dogmes, eomme Oll voit,
n'étoient pas nouveaux, quarid ils s'introduisirent
en France dans le dernier siecle. Les classes supé-
rieures de la société en Angleterre s'en étoient im-
bues avee avidité, le Roi surtopt par un double sen-
timent: le dégout pour lesextravagal1ces d'un siecle
farouche et bizarre, et l'espece de légitimité que ces
fatales doctrines semblent donner aux passions, sur-
tout aux passions sur le trone. L' athéisme, s'il existe,
est la religion des creurs pervertis; et le despotisme
qui en émane est bien digne des hornmes qui le su-
bissent, eomme des princes qui l'exercent, chacun
a leurs risques et périls.


La cour de Charles 11 étoit le sanctuaire de cet
athéisme rafiné. Le duc de Buckingham, son eompa-
gnon d' enfance, d'infórtunes et de prospérités, avoit
pris sur lui cet ascendant, toujours facile, d'un esp,rit
brillant et emporté sur un creur trt~s·-foible. Bientot
il eut agtterri le Roi daps la qébauche et rimpiété ,




RÉVOLUTJON DE 1688,
par ce. ton spirituel et dél'isoire , qui déracine si ai-
sément un principe mal affermi·, flétrit toute vertu,
éteint jusqu'aux dernieres lueurs d'un sentiment re·
ligieux. Buckingham tomba plus tard dans la dis-
grace, apres avoir tenté quelques entreprises qui
n'eussent pas été sans danger pour son maitre, s'il
avoit eu la force de caractere que demandoit son.
génie remuant. Alors iI s'attachoit surtout a ruiner
le Chancelier dans l'esprit du Roi.


Dominoient et brilloient a la cour ~ aupres de lui,
ce Wilmot, eomte de Rochester. ( qu'il Qe faut pas
confondre avec Rochester, fils du Chancelier), le
comte de Dorset, et le chevalier Charles de Sidley.
On disoit l'éclair moi~s rapide et moins ébIouissant
que l'imagination de Sidley. Le génie de Rochester
pouvoit effacer les plus beaux génies de l' Angleterre.
Sa douceur naturelle, la gracieuse modestie de sa
jeunesse, vinrent se dissoudre, se perdre dans les
emportements de la cour, qu'il surpassa enfin lui-
meme par tout ce que l'intelligenee peut mettre de
force a inventer des déréglements inconnus. Dorset ,
au premier abord, paroissoit allangui, assoupi dans
je ne sais quelle l~thargie de corps et d'esprit. Mais
les premieres fumées du vin aUumoient soudainement
ce feu caché sous la cendre d'un volean. Nul n'avoit
plus de malignité dans ses écrits satiriques, ni de
honté dans son creur. Le premier indigent qui s' offroit
a' ses yeux s' en alloit presque riche de ses largesses.




¡ 1
Favori du Roi , iI supportoit impatiemment la fatigue
d'un tel role : se livrant cepenclant aux voluptés
d'une cour '1u'il détestoit, et versant a pJeines ma.Íns
le sel de la satire sur le Roí lui-meme qu'il mépri-
soit. « Jarnais, disoit-il, je ne découvre en lui une
« étincelle d'amítíé ni ~e générosité. »


Drydcn, intendant du théatre, avoit perfectionné
pour la cour cette école llaturelJe de la débau,che.
C'cst la que B\lCkingham et les maltresses titrées
alloient chercher les moyens de conserver Ieur em-
pire, et d'effa~r d~Q,S le creur, du Roí les derniers
sentiments d'égards qui luí restoiellt pO,ur la l\eiI,lc.
TeIle étqit ]a licence des courtisans, que B\Jckingham
osa lui offrÍr un jo.ur d' enlever cette princesse d,ans
un hal masqué, et de l~ faire transporter dans une
colonie ou elle resteroit a jamais inconn,l¡le. Ma,~s il
n'est pas temps encore d\~xpliquer le lIl;ystere de eette
audacieuse proposition.


Quel ~toit donc cet howme, ce prince a qui de
tel;s projets, de telles c~neeptions ne parurent que
lc& "cces d'une gaieté folle? Un célebre hislQriell
s'est effor~ de, l'a5simil~ a Tibere. Cette con1p~ré\i­
son n' est qu' 9díeu&e. n en eu\ to~~t 3,V pl~s la dis-
simulation; mais ~l 11' éto,t pas saJ;lS boqté. Charles
ressembleroit p~utot a ce~ dieux d'~picure, qui , da~s
l~urs célestes régions savoure~t les i~p.puisables OO,u-
ceurs d'une immortelle VOlllp'té , toujours indifférents
aux crimes ou aux vertus q~ la terreo Ma.is Ch~rles




RÉVOLUTION DE 1688,
pe pouvoit, eomme eux, rester ni étranger ni
toujours indifférent aux passions qui frémissoient
autour de lui; et lorsqu' elles le touchoient enfin trop
vívement, il savoit sortir un moment de son repos
ou de ses plaisirs, surmonter son aversion poul' les
affaires, les saisir- au point décisif, y trouver meme
des ressources désespérées.


Le cluc d'York offroit, par les habitudes conti-
nuelles de sa vie, un contraste frappant et singulier
avec le caractere du Roí son frel'e. Toujours appliqué,
subordonnant ses plaisirs obscurs au soin des affaires,
laborieux jusqu'aux plus minutieux détails, il se
trouvoit, par la ~ tellement engagé dans des voies
détournées et périlleuses, qu'il se perdoit souvent
dans un labyrinthe sans issue. N aturellement éco-
nome par le sentiment de l'ordre, il devint avare
par prévoyance, et cupide par ambition du pouvoir
absolu, quoique fastueux, mais fastueux par vanité
ou par émulation de grandeur. Son front chargé de
soucis et de fierté sembloit annoncer une ame sévere
et invincible. On remarquoit en lui un penchant
malheureux a choisir le par. le plus rigoureux dans
les rigueurs de la justice, et, avant de régner, il
assistoit aux tortures avec une curiosité bien ef-
frayante dans un prince. Tel n'étoit pas Charles I1,
il prodiguoit a ses courtisans et a ses favorites les
revenus de sa f!ouronne, les subsides du Parlement
~t enfin les secretes pensions de la France. Un vi~




EN ANGLETERRE.


sage toujours libre et ouvert, un langage toujours
séducteur, charmoient les cceurs les plus moroses,
et lui ramenoient bientot les affections populaires;
mais indifférent a la justice, a la cléménce, a l'ini-
quité légale, il s' en servoit tour a tour pour régner,
et il ne régnoit que pour vivre dans ses plaisirs.
Tous deux avoient un gout prononcé pour la puis-
sanee arbitraire, le Duc par orgueil , le Roi par
amour du reposo Long-temps séparés dans leur exil
par la seu le différence de leurs caracteres, ils l'é-
toient aussi alors par des ombrages qu'avoit con~us
le Roi, l'homme dumonde qui s'ut le mieux .couvrir
un ablme de dissimulation par les dehors de la
franchise et J'abandon le plus gracieux. Mais celui-
ci, du moins, qui méprisoit les hornmes, savoit les
connoltre. Il avoit donné sa confiance et une con-
fiance absolue au vertueux Hyde ( Clarendon ), qui
lui ouvrit toutes les avenues du trone; tandis que
son frere, agissant par lui-meme et se livrant a des
hommes' emportés, qui ne lui montroient jamais que
des rebelles a punir, s' engageoit témérairement alors,
( triste' présage pour l'avenir !) dans des intrigues
mal ourdies, toujours dominées et quelquefois di-
rigées par la politique et les agents de CromwelI.


Depuis qu'ils étoient r,éunis dans le palais pater-
nel, l'ascendant du Chancelier, soutenu long-temps
par son propre mérite, par le erédit et l'amitié du
~omte de Southampton, Lord Trésorier, par 8011




74 RÉVOLllTION DE 1688,
alliance enfin avec le duc d'York, devenu son gendre,
a,voit contenu et, pour ainsi dire, neutralisé tout ce
que ces deux caracteres avoient d'iru;ompatible avec
les sages príncipes qui avoient prp-sidé a la restau-
ration. Mais. une fois le Chancelier sacrifié a ses en-
nemis, une scene toute nouvelle va s' ouvrir; le Roi
et le Duc vont s'y montrer t('18 qu'íls sont, et ueux
faits principaux vont marquer surtout le regne de
Charles 11, si extraordinaire par sa complication :
d'abord, une antipatlüe secrete des deux freres,
toujours voilée par la respectueus~ soumission de
l'un, par l'impassible dissimulation de l'autre ;
ensuite l'idée constante et fixe qui les domina jus-
qu'a la fin, que leur cause n' étoit pas celle de
l' Angleterre.


Réunis par eette idée qui leur est commun~, ils
marchent done vers un but commun, l'anéantisse-
ment du Parlemel1t : le Duc par systeme, le Roí par
instinct, et par son insatiable besoin d'argent. De
la pour le Duc des combil1aisons politiques souvent
inconnues de son frere; pour tous deux des iniquités
et des cruautés judiciaires dont la ~éaction fut ter-
rible; enfin des alliances c1andestines et vénales,
dont le rnystere, inconnu alors, mais justement soup-
<¡tonné, servit a couvrir toute l' Angleterre d'un voile
hideux et lugubre, pendant les jours honteux de ce
que l'on nomma la Conspiration des Papistes.


Le Chancelier s'étoit opposé a la guerre de Hol-




"EN ANGL:ETERHE.


lande. Les malheurs pnbIics justifierent sa pré-
voyance; et ponr en arreter le cours, iI signa le
traité de Breda. Ce fut le derníer acte de son admi-
nistration politiqueo Depuis la disgrace de son ami
Nicolas, Secrétaire d'état , remplacé par le lord Ar-
lingtan, il se soutenoit encare par le souvenir de
ses vieux services. Mais la mort du comte de Sou-
thampton, Grand Trésorier, le laissa enfin sans dé-
feuse devant les cupides inimitiés de la cauro Bristol,
Arlington, la duchesse de Cleveland, Buckingham,
tous ,c;eux peut-etre qui auroient voulu que la res-
taúration se tit en Angleterre cdmme en Écosse,
n'eurent pas de peine a décider le Roí déja fatigué
lui-meme. Au dehors, tous les partís se rétmissoient
également contre lui. Si a la conr les pa,rtisans du
pouvoir absolu ne lui pardonnoient pas d'avQir fer-
mé l' oreille a quelques projets insinués' a la C.onven-
tion de 1660 pour rendre désormais inutile toute
assemblée de Parlement, les Non - con(ormistes lui
imputoient le systeme rigoureux du clergé anglicau;
les catholiques n'osoient concevoir aucune espérance
tant qu'il conserveroit quelque autorité dans l'état;
les caCJaliers, négligés par le Roí jusqu'il l'ingratitude,
se persuadoient facilement que cet abandon étoit
l'reuvre du premier ministre; et le peuple, au mi-
lieu de ce déchainement universel, luí imputoit tous
les manx actuels, depuis;a vente de Dunkerque
jusqu'aux désastres humiliants de Chatatn. ,t;~)fi,i
. Q"~:tI'i
~t·,: (:i~




RivOLUTION DE 1688,
A ces clameurs publiques iI faut ajouter un grief


plus réel aux yeux du Roi. Clarendon , véritable ami
de l'état, s'opposoit a des projets de divorce colitre
la Reine, qu'avoit con<;?us le eomte de Bristol, que
Buckingham pressoit vivement et que Charles éeou-
toit sans les approuver ni les b\amer. Charles s'étoit
épris d'un amour tres-vif pour une jeune et belle
Écossoise, filIe d'un gentilhomme nommé Stuart.
Cette fantaisie devint une véritable passion qui s'en-
flarnmoit par toutes les résistanees que la vertu' de
la jeune héroine sut opposer aux séductions, aux
brillantes promesses d'un amant .si dangereux. Cla-
rendon, a qui l'histoire de son pays rappeloit tant
de guerres sanglantes pour la suceession royal e ,
voulut prévenir le retour de ees ealamités, et peut-
etre aussi qu'il songea aux enfants de son gendre,
le due d'York, héritier présomptif de la eouronne.
11 eut l'habileté de négoeier secretement et de eon-
clure le mariage de la beBe Stuart avee le duc de
Richemond. Maís Charles ne luí pardonna jamais;
il saisit avidement le prétexte spéeieux de satisfaire
a l'opinion publique, avant l'assemblée proehaine du
Parlement. Clarendon fut éloigné , et legrand sceau
donné au chevalier Bridgeman. eette disgraee n'ap-
paisa"point la violence des ressentiments pubIies, et
ce grand eitoyen fut mis en aecusation par les Com-
munes devant la ehambte des Lords. Ceux - ei ne


.' trouverent *[las les griefs suffisants, mais iI se fit


....




EN AW"GLETERRE. 77
une sorte de transaction entre les deux Chambres et
le Roi, qui signa enfin un bill de bannissement per-
pétuel contre l'accusé. Clarendon mdurut en exil.


Les Communes étoient devenues ombrageuses, et
le Roi se trouvDit pressé par l'indigence; il de-
manda un subside. Au lieu de s' en occupe~, les
Communes font entendre des vérités séveres et or-
donnent une enquete sur les maux pq.blics et les
humiliations de la derniere campagne. Mais alors
s'ouvrit tout a coup en Europe une scene nouvelle
qui détourna cette enquete. Un subside fut accordé,
pour d'autres vues, il est vrai, que ceBes du Roi.
L' Angleterre vOlllut arreter le premier essol', de
Louis XIV.


En effet, la politiqtle du Roi de France cornmen-
~oit a s'étendre sur l'Eur~pe entiere. Lorsque son
mariage avec Marie -Thérese , Infante d'Espagne,
fille du premier lit de Philippe IV , cimenta la paix
des Pyrénées, Marie -Thérese renon~asolennell~·.
ment a tous ses droits héréditaires sur les états d~
Philippe. Mais la politique trouve aisément des nul-
lités eu de pareilles transactions. Philippe IVvenoit
de mourir, lai~sant pour unique héritier de la for-
tune de Charles-Quint.j un fils presque au berceau,
né d'un second mariage avec Marie-Anne d'Au-
tri che. Ce roi eofant survivoit a trois autres freres
morts en has age : lui-meme débile et malsain comme
eux. Louis XIV et Léopold, devenu Empereur, Léo-




RÉVOLTJTION DE 1688,
pold, a 'qui Marie-Thél'ese avoit ,été pl'omise avant
le 'tl'aité ;des Pyrénées, se pal'tagent secretement la
succession ¡future. L'Espagne sera p0ur I'Empereur,
et les Pays -Bas poul' Louis XIV. Mais Louis XIV
n'attend pas lamort du jeune Roi.11 découvre d'aull'es
droits que ceUx de son tl'aité secret avec Léopold;
et les juriscoI1sultes' lui prouvent que si la renon-
ciation de Marie-Théresesa femme est valide rela-
tivementa la 'couronne d'Espagne, elle ne peut l' etre
poul"lasouveraineté des ,Pays .. Bas. ,Présumant d'ail-
,leurs , . el avec raison, que 'l'Empereur'sera retenu
par le'secl'et promis au traité de partage, ji s'arme,
triomphe en courant, etprend possession de la
Flandre et de la Franche-Comté. .


NU bruit ·de "cette invasion inattendue, l'Europe
entiere estsaisie d'alarmes; l'Empereur rait secre-
·tement·des préparatifs; :la :Hollande, quoique alliée
de !LouisXIV, ne voit 'pas sans 'terreurun si re-
doutrtblevoisin; la Suede n'est pas moins inquiete
de' Falliancedu 'Danemark avec la France.: L'An-
gleterre ,'malgré ses inimitiés récentes, 'verra-t-'elle
avec' indiffél'ence ··lesPl'ovinces-Unies 'menaeées par
la conquete,tle:la Flandre? -La voixpublique et ceHe
du Patlemerit Jorc'ent le' Roi· de s?unir, au 'moins en
apparence, a' toutes les alarmes' du continent.Le
'chevaliel' Temple, 'Résident du Roi a 'Bruxelles, est
en'Voyé secretement a (La Haie. Ardent ami cleson
pays, 'cinq jours lui suffisent. 11 détacheles Pl'o-




EN ANGLETERRE. 79
vinces-Unies de leur alliance avec Louis XIV. LUÍ,
Jean de Wiu, grand pensionnaire de Hollande, et
le comte de Dhona, ambassadeur de Suede, pro-
posent, concluent et signent -le célebre traité de la
Triple A !lianee. Charles n'oserefuser de.leTatifier .....
Ainsi arl'cté subiternent danssa course,Louis XIV
propose la paix et restitue la :Franche-Conité; mais
irritécontre la Hollande, iI se réserve les places fortes
de la Flandre, el se prornetd' accabIer un jour, -et
bientot peut-etre, cette république ol'gueilleuse, c¡ui
le forQoit d'abanclonner sa .proie .


. Charles 1I avoit une haille secrete contre la· Hol-
Iande.Beau-frere du dernier prince d'Orange ,que
les États-généraux a voient dépouillé. du Stathoudérat,
il voyoit aiVec :peine son neveu ,le jeuneGuillaume~
déshérité des honneurs' de ses ancetres .. Quelques
historiens lui attribuent également undessein. assez
vaste, ·qui étoit de relldre j'Angleterre maltresse~du
cornmerce' universeI , en ruinant la Hollande.C~est
dans'cettevue,'dit-on, qu'il avoitofferta I .. ouis,:X]V
de luí 19arantir toute la Fandre, dans ·laguerre,tar-
minée 'par letraité de Breda, si la :France vouloit
ahandonnerson allianceavec' les États-généraux. Le
Roi'd' Angleterre'nesigna réeUement'que·malgré ·lui
le traité qui avoit si ·subitement arveté les courses
triotllphales de Louis :XIV. 11 'le 'ratifia le 23 jan-
vier 1668,. et, des le lendemain, Buckingham 'entama
des négociations secretes avec la sreur du Roi son




nÉVOLUTION DE 1688,
«ffwJ~4~~ur.per le droit dedispenser des lois. Depuis ,
\f¡)¡>~r~meI\t soúp<;onna enCore un autre desseil,l,
~ñhJi: de: favoriser le parti des catholiques; de la deux
bilIs successifs pour bannir les religvmx de l'institut
<Jf1f> Jésuit~s~ Lorsqu'en{in, le Roi proposa des adou-
d~~~~ef:l~, aux bilIs contre les sectaires, et lorsqu' on
~~saya en~~re un ~cte de réunion entre les Presbyté-
ri~~s.et IGs _,Anglicans, le Parlement répondit a 'ces
prpp'ositi?ns par un nouveau bill contre les sectaires;
!1.l!ll~,.les:~~mmun~s étoient dévouées atir An.-gl~cáns
ql.lip,eJ;s~?~'9ientsans pitiélesNon-Conformistes pour
llV9lr le dro~t de réprimer les Catholiques. Déja en


- eff.e~ p,n soup<;onno~t que le Roi les favorisoit ~ si
m~me ,i~; n' é.toit secretement Catholique, malgré· le
scandal~: ~<t\ .~e~ foibles:?~s.


, Ce ;q~i ;~~o~t vrai, e' est que la Duchesse d'Yor~ et
~e. D~c..Iuirmeme s'étoient convertis secretement -a
l~glise Ro~aine. ·Buc~illgham le découvrit,.par un
~e.J~ce ém~nent que ~a Duchesse venoit de rendre a
la Reine .. En voici l'occasion .
..... ".'._ .... J .... -" '


. ;~a S~~F~lité de la Reine occupoit vivement la Cour
et la.:~ation. BU,ckingham avoit déja proposé au Roi
d' enlever cette' Prillcesse et de la relégue~ dans une
Ue lointaine. Le comte de Bnistol, en háine de Cla ...
rendon et de ses ~nfants ,. entretenait CharJes des
!l1pjens et de la .nécessité d\ln divorce. Les roles
~oient déja distrihués dans les deux Chambres pour
a.siter ce~te question. Mais le Roi eut la sages~e de




EN ANGLETERRE. . 83
s'y refuser. A1Qrs on fit suggérer a la Reine, par
son eonf~ss~ur, le dessein de se retirer da~, un cou-
vent, PQur {a.eil~ter ainsi les projets de divor:~e et
pa~ con.séquent d'un nouveau mariage. Ces projets
s'ils é:tQient effeetués éeartoient né~ess~i,rement le
Duc d'y ork et seS enfants de la, succ.essiQIl , r.oyal~.
Toute son. aetivité dev.oit t~ndre a les déjou.ez:-;
aussi de co;neert avec $a femme et la. D~hesse de
Cleveland, ii mit tout ep. reuvre pour en détourner
l'effet. Celle-ei affermit le Roi d~nsSQp. éloig!lemeu.t
poor un divoree, et la Duchesse d',Y W'k éctivit ,i~, la
eour de Rome qui envoya des instruqtions au con ...
fesseur de la Reine et qui lit renoneer aux projets
de couvent. Mais on apprit par l~, que eertain.ement
le duc d'York éfli¡ Catholiqq.e. , "


Alors, Bue~iDlhm se tourna. du coté du jeune
due de Monmo~th, fils naturel du. Roí, né sur le
contineut avant la restauration, objet brillantet
eher de~tendres eomplaisa,nces de son pere., J acq,~es
Seot, duc de Monmouth., avoit r~u ennaissa:nt
tous les, dons qui séduisent.la multitude. ~on, édu-
cation au, milieu de la jeunes.se des" univeraités ,
en faisoit le héros de la génératioll nouvelle. Son
mariage ave e la duehesse de Buecleugh, héritiere
d'une iUustre et puissante famille d'Éeosse, lui don-
noit dans ce royaume un crédit égal a l'irnmense
erédit que la tendresse de son pere lui ouvroit san~
limites en Angleterre. Son tuteur, soit ambítioD ou


6.




84 RÉVOLUTION DE 1688,
. conviction, lui avoit persuadé facilement qu'il étoit
né d'un ~ariage légitime, et Buckingham formoit
le projet de lui ouvrir le chemin du treme. Mais le
duc d'York, son onele, comme s'il eut déja entrevu
son rival et son compétiteur, affectoit d'humilier ce
jeune et superbe courage. « Monmouth, disoit-il san s
« cesse, ~e présomptueux Monmouth, qui se croit le
« fils . du Roi, n' est . que le fils de mistriss Barlow et
c( de Robert Sidney.» Ni Monmouth ni le Roí ne
gouterent ces ameres confidences.


Au milieu de ces intrigues, tristes symptomes du
présent et de l'avenir, le Roi toujours assiégé de nou~
veaux besoins demanda au Parlement un nouveau
subside. Aussitot f les murmures éclatent de' toules
parts. On parloit déja de metwn accusation la
duchesse de Clévelalld, pour efftl'lyer les dilapida-
teurs de la Cour. « Gardez-vous-en bien, dit le vieux
« lord Mordaunt. Ce sont au contraire des statués
( qu'il faudrait élever ~ux maltresses de Sa *Majesté.
« San s elles, vous n'auriez point de Parlement.» On
n' érigea point de statues et l' on aeeorda un léger
subside. Mais le Roi, qui d'ailleurs avoit déja d'autres
vues, n'attendit pas que le hin des subsides fut ter-
miné. Il prorogea'le Parlement. leí eommeneent les
négociatioJ?s dont les résultats ont si profondément
remué l' Angleterre et l'Europe.


On a déja vu que Buekingham, le lendemain
)1l~me du jour ou Charles 11 ratifia la Triple Allianee,




EN ANGLEXERRE. 85
avoit Iloué de secretes intelligences' avec la duchesse
d'Orléans. Buckingham . don! le géoie désordonilé
embrassoit avide'ment tout ,ce qui paroissoit extraor-
dioaire, gigantesque ou périlleux., avoit. négocíé
pour négocier. Il lui falloit du mouvement, des
nouveautés hardies ; mais iI oe savoit pas le véritahle
hut des intrigues dont il s'étoit chargé.


Le Roi, dégouté des Parlements , avoit tourné ses
regards vers la 'France. Un instinct secret lui disoit
que Louis XIV devoit etre plus généreux que l~s
Comrnunes."Le duc d'York lui avoit avoué' sa con-
ver~ion a l'Église Romaine l. Charles II alors s' oUvre
a quelques Seigneurs Catholiques, et leur témoigne
un désir ardent de rendre Catholiques ses états et
lui-rneme. Une conférence est assignée entre luí et
son frere, avec le lord Arundel de Wardor, le lord
d' Arlington et le chevalier Clifford, pour le jour
de la conversion de Saint-PauL « Le Roí, dit le duc
{( d'York, avoit les larmes aux yeux. 11 pria ces mes-
« sieurs de faire ce qui étoit convenable a des hommes
« sages et a de boos Catholiques. » On mit dans la
confidence Colbert de Croissy, alors amhassadeul'
de Louis XIV, et Arundel fut envoyé en France
avec de pIeins pouvoirs.


Ceci se passoit au COlllmencement de 1669' eette
année meme, le jeune prince d'Orange vint en Al1-


1 Mém. de Jacques JI.




86 REVOLUTlONDE 1688,
gleterre~ 11 vouloit engager 'le Roi son 'onCle a
se~()ndet ses projets pbur le rétahlissement du 8ta-
thoudérat. Le Roi es saya , dit un histoI'ien 1, de le
dégóftter de sa C'eligion : ex Qu'est-ce, je vous prie"
«lui dit-il, que -votre religion protestante? Des fac-'
« tions qui se font une guerre crueUe. Approfondissez
"un peu les chóses, coniinua-t-il; et que vos bceufS
(cde Hollandais ne vous abrutissent pas tout a fait
« l'esprit. )') Le Prince n'avoit que vlngt anSa Ce dis-
cours le frappa, et lorsqu'il en eut le secret deux
ans 'apres, il osa combattre toute la puissance de la
France et de l' Angleterre, conjurées pour la des-
truction de son pays. C'étoit déja ThémistocIes mé-
ditant l'ahaissement du Grand Roi.


Arundel cependant poursuivoit sa négociation,
dont le hut'vér'Ítable n'écháppoit certainement pas
a Louis XIV.' Louis vouloít de la grandeur, et
Charles quelques cent mille livres sterling. Aussi
les deux clalises fondamentales de l'alliartce projettée
furent le partage des Provinces-Unies apres la con-
quete, et l'établissement de la Religion Catholique
en Angleterre. Seulement Louis ·XIV vouloít com-
mencer par la conquete, etCharles par la Religionl
Ce fut ]e zele ardent et tout nouveaudu Roí d' An-
gleterre pour la conversian de son royaume qui


x Mém. de Burnet.




'EN ANGLE'l'ERREó


l'emporta; et le trait~ fut signé secretemmt· au COID-
mencement de' 1670. Le dpc de Buckiugham ~'en
connut 'p~s les art,icles. . : .


Par :ce tráité 'le Roi d'Angleterre s' obligeoit 1 0 .3
établir la Religion Catholique dans ses États.~oA 'se
réunir aux armes de lá France pour ab6lir, la ré-
publique des Provinces.;.Unies, immédiatement apres
le grand amv,re de laoonversion britannique. J.J6S
conquetes seroient partagées entre les deux',Rois. On
preleveroit cependant Sllf les .dépouiUes une ¡win-
cipauté qui seroit confér€e .. all':prince d'Orange.


QuaIÍt a Louis XIV, jI s'engageoit. adonner
~oo,ooo lívres stecling par an , payables par quartier ,
ditle duc d'York, pour mettrc le R.oí d' Angleter~ en
état de convertir ses trois royaumes. Le traité fut
signé mnsi, continue le Duc, et les pre~iers paie-
ments {urent faits conformément aux stipulations.


Le duc d'y ork, dans toute la ferveur d'un nou-
vea u converti, ne trouvoit rien que de facile dans
uQe telle entreprise; et ses moyens d' exécution, il
les énonce avec une ·t'are .ingénuité. Rassuré par le
petit nombre de troupes qui restoient encoresur
pied, il pensoit que les officiers seroienttout dé-
voués aux projets de la COl1:ronne l. Un seul Colonel '
lui paroissoit douteux, et ce Colone! étoit le lord
Russel. L'Église Anglicane alors n'étoit pas, dit-il,


1 Mém. de Jacques 1I.




88 RÉVOLUTION DE 1688,
tres-animée contre les Catholiques; et d'ailleurs, la
.plupart d~s gens n' ont plus de religion. Quant aux
Presbytériens, aux Anabaptistes, aux Quakers et
aux -Puritains, tous désignés par la dénomination
de Non-Conformistes', les sectateurs les plus ardents
de l'Église. Anglieane , excités sous main, les pour-
suivront en justice, afin qu'ils sentent mieux le
repos dont ils jouiroient, si les Catholiques avoient
le dessus~


.


En effet, pour encourager les Év~ques de l'Église
Anglieane, une 10Í fut portée eette année m~me en
Écosse, eontre les assemblées religieuses des Non-
Conformistes. Ceux qui se réunissoient dans les
maisons pour céléhrer leur eulte étoient soumis a
de grosses amendes. _ Ceux q':li se réunissoient dans
les ehamps, encouroient la eonfiscation et la mort.
Quatre cents mares d'Éeosse étoient promis a qui-


. conque saisiroit un coupable, avec impunité du
meurtre, s'il le tuoit en voulant le saisir.Pour
avoir des témoins, la loi soumettoit a la prison, a
l'amende ou a la déportatian dans les Colonies,
ceux qui refuseroient, sur la sommation du Conseil,
de faire leur déposition sous serment. Que l' on
compare cette loi aux promesses de Breda 1.'


I Pour démontrer le danger politique de ces lois en Écosse,
indépendamment de leur absurdité eruelle et de la honteuse eu-
pidité qui en étoit le principe, il suffit de dire que sur une po-




EN ANGLETERRE. 89
Qua,nt a Louis XI V et a Charles 11, le temps


ne. tarda pas, a manifester le but réeI. de Ieur. poli-
tique. Bientot, en effet, Charles représente a la
cour de 'France les difficultés d'une reUvre . aussi
compliquée, aussi périlleuse. Comment ren.verser
aussi vi te la religion protestante el l' église anglicane,
avec un Parlement tout atlgliean et dans un pays
ou le protestantisme est eonsidéré eomme le bou-
levard de la constitutioD et des libertés nationaIes?


. . ,


D'ailleurs, les eatholiques sont en si petit nombre!
Déja toute la nation se livre a unejalousie inquiete,
et le Roi lui-meme ne pourroit, sanstémérité,laisser
meme soup~onner sa propre conversion. JI fautdone_
la suspendre. A ces représentations Louis XIV faÍt
répondre par la ~enace de suspendre aussi les
paiements déja cOlllIl!eneés. Enfin, le, fameux et
mystérieux voyage de Madame, duchesse d'Orléans,
a Douvres, raII1ene Charles son frere au véritable
but des eonventions premieres: de l'argent pour
Charles 11 et la Hollande pour Louis XIV. Ep. peu


\


pulation de 1800 mille ames, on compte 28 mille Épiscopaux
Écossais, et 4,000 Épiscopaux Anglois. Tout le reste, excepté
50 mille Catholiques, est Presbytérien, Remontrant ou Métho-
diste. - Voyez les Tables Statistiques de l'Écosse, imprimées dans
les Éléments d'Économie Politique, en 1817, a Paris, chez
Fantin.-Ce savant ouvrage, qui ne porte point le nom de S011 .
auteur, est de M. le comte d'H***, Conseiller d'État.




9° RÉVOLUTION DE 1688,
de' jours;le traité fut changé; la conversion du Roí
et de 'ses trois' royaumes es! stlpulée encpre, mais
ajournée apres la conquete; Charles rec;:úit son ar-
gent; et le Duc son . frete, qui, seuldebúnne foi
rláns cctte merveiHeuse -comédie, insistoit toujours
pour 'convertir 'd'ahord le R.oi et ia GrarlCJe-Breta-
gne, ne fut pas 'écouté. La duchesse d'Orléans laissa
aupres 'de Charl~ 11: la jéúrie et brillante KérouaHe,
qiti servit' bien la /france, dit un hist~rien fran-
~ais 1. MadelDoiselle de K,érouaÍle su~céda immé-
diatein~t a la dúchess~ dé Cleveland, et devint ~lle­
memeduchesse de Portsmouth.


Le 'nouveau traité' fut signé le 22 mai 1670, et
le Roi éprou~a aussitot de nouveaux scrupules. A vec
ce traité mystérienx, inconnu ,3 ses ministres, et
au Conseil privé ;c~mme au _~.rlement, sera-t-il pos-
sible de faire subitement passer l' Angleterre sous
les drapeaux de LOllis XIV? Le traité de la Triple
Alliance, qui avoit ramené la popularité au Roi ,
n'est-iI pas devenu la 10Í diplomatique de I'Angle-
te~re, depuis que l'ambition de Louis XIV s'est ré-
vélée par l'invasion de la Flandre et de la Franche-
Comté ? Lechef-d' reuvre de la politique seroit donc
de faire renouveler ce traité, dans les formes ac-
coutumées de la diplpmatie, et de faire d~cider le
renversement de la religion protestante en Angle-


1 Hém\ult.




EN ANGLETERRE.


lerre par un ministere protestant et meme populaire.
Dans eeUe vue, le Roi nomma cornmissilires avec le
duc d'York, Buckingham, Lauderdale et Ashley-
Coopero Un t'raité ostensible es~n effetcon~lu par
eux le 2 janvier 1671 ,et la destruction de la Hol-
lande est irrévocablement décidée. Mais ni Bnckio-
gham, ni Lauderdale, ni Ashley-Cooper, necon-
nurent les stipulations secretes; seulement· dans
la suite, et lorsque le Roi· vonlut ahandonnerses
ministres nouveaux a l'indignation du Parlement
pour IJ éehapper lui - meme, iIs en soup<;:ünnerent
ou en découvrirent assez, surtout Ashley-Cooper,
pour faire trembler le Roi, se vengerde son frere ,
et rejeter sur celui-ci toutes les fatales conséquences
de ces transaetions.


Cependant on remarqua peu a peu que les affaires
prenoient une marche nouvelle, ou plut6t rece-
voient une mystérieuse direction. Ni le Garde du
grand seeau, Bridgeman,.ni le duc d'Ormond, ni
les autres ministres dont le earaetere ou les senti-
ments d'honneur étoient une garantie pour le public,
n' étoient appelés aux délibérations intimes du ca-
binet. Cinq personnages avoient ou paroissoient
avoir toute la confiancedu Roi : le chiwalier Clif-
ford, le lord Ashley-Cooper ,.1e due de Buckingham,
le comte d' Arlington, et le comte, depuis duc, de
Lauderdale.


On a dépeint le caractere de Buckingham·; il




RÉ~OLUTION DE 1688,
suffit d'ajouter ici que, par inconstance OU autre..;.
·ment, il s'étoit récemmentassocié aux intérets de
I' opposition.


Arlington, déja -iecrétaire d'État, et Buckingham
étaient ennemis mortels; mais la duchesse d'Orléans
venoit de les réconcilier, si toutefois les haines de
l'ambition.·peuvent se réconcilier. Arlington joignoit
a une grande expérience une profonde connaissance
des affaires étrangeres. Il étoit catholiqué da~ls le
creur; mais il faisoit profession extérieure da cuIte
publicet d'une indulgence ouverte pour le¡ non-
conformistes.


Le chevalier Clifford, dit le P. d'Orléans, avoit
une solide raison, et son ame s'éIevoit aux plus
llobles sentiments de la vertu. D'autres historiens 1
lui sont moins favorables sous cert~ins rapports,
quoiqu'ils se montrent plus induJgents que prévenus
sur Charles H. S'ils conviennent que le chevalier
Clifford eut un jugement sain et des talents, ils ne
lui accordent qu'une habileté médiocre; ils lui re-
fusent me me le courage nécessaire pour suivre les
mouvements de son caractere impétueux, et l'inté-
grité plus nécessaire encore pour se livrer aux bon-
nes in ten tion s qui lui étoient naturelles. Ces der-
niers mots, bonnes intentions, s'expliquent dans la
bouche de Hume par l'inclination qu'il attribuoit a


l' Hume.




EN ANGLETERRE. 93
Clifford pour le partí populaire. Clifford, en effet,.
s'étoit associé au projet de la Triple Alliance avec le
chevalier Temple.C'est par la qu'il avoit acquis
une grande autorité sur la chambre -des Communes,
quoiqu'il fut assez ouvertement -catholique. Mais
comme le Roi ne fut jamais sincere, ni dans .Ia
conclusion ni pour -le maintien de cf grand acte


-poli tique , il est permis de croire que son ministre
n'étoit pasplus sincere que lui.


Lauderdale avoit porté les armes contre Charles ¡er
pour le covenant, en Écosse; mais lorsque lesco-
venantaires proclamerent Charles 11, qui .signa aussi
l.e covenant, Lauderdale s'unit a sa cause, comhattit
pour lui et avec lui, fut prisonnier a la ffttale ha ..
taille de Worchester, et renfermé a la Tour de·Lon-
dres jusqu'a la restauration. Déja l' on a signalé sa
premiere et vive opposition aux conseils rigoureux
du comte de MiddIeton contre l'Écosse; leur patrie
commune; mais alors il servoit encore la cause du
presbytéranisme, et depuis iI perfectionna' tous les
systemes d'iniquité inventé s contre ce maIheuretHt
pays. Quoiqu'ennemi dans son creur de la reIigiort
catholique, de l'église anglicane et de l'auto.rité ab-
soIue, il sut mériter les faveurs' dllRoi et la pro ...
tection de son frere, par une abnégation entiere de
toute volonté personnelle et par un dévouement
aveugle aux conseils les plus désespérés. Quelques
talents naturels et acquis, de l' érudition, une obs-




96 RÉVOLUTION DE 1688,
bition . désordonnée, son ardeur pour la vengeance,
el' 11inquiétude de son ame factieuse le montrera, in-
capable de s'arreter devant un crime ou de s'effrayer
nevant un péril; et cependant les historiens les plus
graves doutent encore si '1' Angleterre, qui lui doit
I'Habeas corpus, eut jamais un plus habile Chan-
celier. Tel étoit l'homme' que Charles 11 alloit placer
a la tete dú conseil et de ses 'inextricables affaires.


Ceministere fut promptementjugé par le peuplé
qui, dans80n instinct naturel, lui donna le ilom de
Cabale. Le hasard voull1t en effet' que I'initiale du
nOlo dechacun des 'Quinquemvirs composat préci-
sément ,le mot anglais cabal qui est 'resté dans l'his-
toire. On se méprit d'abord sur les réeHes intentions
du Roí et dé la Cour .. On pensoit que pour amortir
le feu des clameuTS populaires, ou pour diviser l' op-
position, Charlesa\:,oit choisi ses principaux ministres
dans l'opposition' merhe. Tels étoient Buckingham,
récemment associé a ce parti; Ashley-Cooper, cher au
peupl~ et pour ainsi élire lé chef de la chambre haute;
Clifforo enlin lui - meme que le traité de la Triple
Alliance rendait recommandable au pub lic. Mais
que pouvoit produire cetassemblage de qualités si
corttraires, d'ambitions déréglées et d'inimitiés cou":'
vertes, mais extremes? Buckingham et Arlington sé


.


haissoient, quoiql,le politiquement réconcilies; le Roi
craignoit et haissoit Ashley-Cooper qu'il fatit main-
tenant nommer le cornte de SÍlaftsbury; louts hais-"




EN A NGLETRRRE. 97
sojent Lauderdale sans l'estimer. Lauderdale enfin,
Buckingham C(t Shaf~sbury se montroient jaloux et
inquiets de l'ascendant que prenoit le duo d'York
sur le Roi, tandis que le duc d'y ork, Arlington et
Clifford, tous trois catholiques ,avoient seuls le se-
cret de cette machine monstrlleuse.


Dans l'intevvalle des d~u~ traítés de 1670 a celui
de: 167 J, conalus entre Charles 11 et Lopis XIV, JI
s'étoit passédes événements en Europe qui appe-
loient nécessairement l'attention de l'Angleterre. Le
Roi de Fq;mce avoit eu l'habileté de sépitter la SuMe
de la Triple Alliance, a laquelle la Régenee avoít ae-
(!édé pendant la minorité de' Charles XI. L'Empe-
reur se trouvoit trop occupé des troubles de la Hon-
grie po~l' De pas se détacher peti -;. peu des États-
Généraux; et cependant I'Électeuf· de Cologne, en-
tierement dirigé par son ministre, Furstemberg,
vendu a la France, venoít de céder a LoulS XIV
N uitz et Keiservert qui livroient le has Jlhinaux
Fr.an~ais. L'Éveque de Munster, par un semblable
traité, lellt'ouv:roit également touts les passages' de la-
Hollande. L'Espagne seu{e, gouvernk par la'Reine-
mere, étoit fideIe a ses aUiés, malgf1élé$-mena~antes
sollicitations du marquis de VUlars,' -8:mha.ssadetlT
de Louis XIV. Étonnante révolution '! 'L'Espagne
sout-enoitaMlrsles Provinces - U-nies, qui nagueres
enoore a ses yeux n'étoient que des provinces re-
heUes; etc'étoit l'Angleterre qui conjuroitleur ruine.


I. 7




RÉVOLUTION DE 1688,
Mais le. Parlement ignoroit completement cette


conjuration; et quand le Roi vint en personne ou-
vrir: lasession d' octobre 167 o, il demanda des sub-
sides capables de maintenir le traité de la Triple Al·
liance, et de réprimer l'ascendant déja trop dange-
reux, disoit - il, de la marine fran~aise. Il chargea
le Garde du grand seeau , Bridgeman , de développer
dans toute leur étendue les nécessités présentes; et
Bridgeman, qui n' étoit pas dans le secret de eette
perfidie, s'étendit avec eomplaisance' sur un objet
devenu si cher a la nation. Jamais les CQIllmunes
ue s' étoie~t montrées si libérales; elles voterent
des fonds pour équiper' une fIotte de soixante vais-
seaux.


Le. subside, réglé par différents bilIs particuliers,
consistoit en diverse~ taxes, dont quelques-tines ex-
citerent les réclamations du commerce. Ces réclama-


• tions parurent justes a la chamhre des Lords qui les
accueillirent. Mais les Communes se plaignirent avec
hauteurde ce qu'elles nornmoient une violation de
leurs privileges, car elles affectoient le droit de po u-
voir seules régler les subsides; et ce fut la derniere
fois en effet que les Pairs essayerent de le contester.
Mais cette affaire eut des suites graves, puisqu'il fut
impossible aux deux chambres de se concilier sur ce
point, et que le Roi, p~ur _ terminer lefrr différent,
se erut obligé de proroger le Parlement, san s ob-
tenir le hill des taxes contestées. Cependant le Par-




EN ANGI.ETERRE.
'99


lernent nefut prorogé que le 22 ftvril, et,il s'étoit
assemblé le 24 octobre précédent.


11 est permis 'de croire que cette querelle de pri-
.}' , A lId VI eges n eut pas ete soutenue avec tant e c.'Onstance


et de. vivacité, si 1 dans ce long intervaUe, ttYUt ce
<¡ui se passoit en Europe a l'occasion de la Hollande
n' eut éclairé 011 alarmé les esprits. L'invasion suhite
de la L01'raine par Louis XIV, et le rappel inopiné
du chevalier Temple donnerent sérieusement a pen- .
ser. L'aventuredu chevalier Coventry ac~a ~oba.
blement de disposer les Communes a ne pas transi-
ger sur l'affaire du subside, dans leur repentir peut-
etre d'a-voir été trop libérales ou trop confiantes.


L'opposition qui étoit en minorité se refl1soit d'a-
bord a toutes les demandes du Roi, et fit des inves-
tigations séveres sur l' emploi des subsides accordés
dans la session précédente. Mais lorsque la majorité
se fut prononcée en faveur du gouvernement; e"
que 1'0n discuta sur les moyens de pourvoir au
subside voté, l' opposition proposa comme par déri-
sion une taxe sur la comédie.


Le partí de la cour comprit la nullité ridicule
d'un pareil secours, el q~elqu'un objecta que le
théé1tre ne pouvoit eUe soumis a des taxes, puisqu'il
faisoit partie de la maison et des plaisirs du Roi. Ce
fut alors que le chevalier Coventry, membre de l'op-


. posirion, laissaéchapper ,une insolente et amere plai-
Santerie : « Le!; acteurs comme les actrices,· dit - il ,





J.oO RÉVOLUTION DE 1688,
«iSQnt,- .ISicQ;tnpris dans les plaisirs de Sa' Majesté? »
IJe Roi entretenoit alors a grands frais deúx actrices,
n-~i>ut se défendre des tristes ,conseils de la ven-
g&~J¡lee. Il donna, ou laissa donner l' or'dre 11 quel-
CflJe5 I(>ldaU' -de 8ft' garde de chercher Coventry et
de lui couper le$ tiari.nes~ L' ol'dre fatal es! exécuté.
Un :so-ir qu'ilrentrolt chez lui, Coventry, assailli a
l'improvist:e., se défend eomme un lion surpris dans


, uñ'piege. Armé de sa seule épée, il blesse plusieurs
de$ assa_-s, Mais l'ignoininieux lraitement qu'il
deyoitsubir, et: qu'il-subit 'énfm ,lui -devint lin si.gne
glori~ux. Le public admire sa vaillance; les Com-
mu~es irrítées vengent son outrage par un bill qui
porte son noma La mutilation est déclar:ée un crime
capital et irrémissible; enfm les satellites :qu:i avoient
commis celui-ci furent cotroamnés 'au bannissement,
sans que le R~ oSat -Ieur faire' grace. Quant a Co~
},~ntry lui ... meme, d'habiles chirurgiens guérirent
parfaiteroent sa blessure, dont la suture devint peu
a -p~u invisible.


Au milieu de ces débats, 'Charles faisoit des revées
et des ,moUN$Dents de :troupes; 'des garnisonsétoient
pla~s, a:.Behvick, Yannouth et Plymouth; la plus
grande·a~tivité 'fégnoit dans les' arsenaux 'maritimes,
et l~ 'duc d'Yoi'k dOIlDoita ces préparatifs toute l' al'·
rumr ~que pouvoit inspirer: la- cause sainte, mais -se~
CÍ'~te, ,qu'ilcroyoit défe.ndre. 'Ces démollstrátiolls ce-
pendan!, que 1'0n jugeoit d'ahOl'd toutes favor~bles
au maÍfltien ~e la Triple -Alliance, parurent équi-




EN aNGLETERRE. 101


v<?ques a mesur~ que l' on viot a réfléchir S\lf le voyage
de la duche$se d'Orléans ,sur l'ambassade S0mp-
tue.q!>e ~e B\lok,ipgham a Versailles, sur l'immbQse
~velQllP~mfnt des forces de Louis XIV "et'párticu-
li~r~tIl~ÍJt sur le rappel du qhevalier- Temple, a qui
r ~n donna pour successeur ~ malgré les instances des
É~ats - généraux, I'impétueuxet altierDowning.
Déj~ livrée ade jlilstes inquiétudes, la nation fut


Sl.lr,out éveillée comme d'un SDÍlge quand elle ap ...
prit Ce qu'un petit Jlotnbre ~'observateuts souPC;on-
ll9.\eu.t déja, majs' (¡ui restoít. ,encore, ignoréou du
moiils obscur pour lamasse' du publio~La du(!hesse
d'York, depuis loog-temps languissante, abjura la
prQfessioll de foi anglicane et moufut dahi le sein
d~ I'ÉgI,ise catboliqqe. VaineUlent le. R9i, qui pré-
VQyoit lesconsequenées de cette'abjurátion dans les
conjonctures présentes, avoit ordon~ a' son' frere
un impénétrable secret sur les cérémúnies de l'ab-
juration et des sacrements. Il, étoit bien difficile
qllQne Princesse née dans l'Église anglicane, 'en un
mo\, ({ui étoit la femme de l'héritier présomptifde
la colirOl~De~, mourut en échappant;yourainsi'dire,
aja surveillance des ltveques', déja i.nquiets sur la
reJigion du ·Prince, et jalouX de'leur.prérogative.
Le secret de sa conversíon fut connu eI1fin. Cepen-
dant Lauregt Hyde, comte de Rochester, frere ~e
la duches se , n' en eut pas le moindre soup«;ón, ou
feignit de ne rien voir, quoique protestant zélé. Mais
son frere ainé, Lord Cornbury, depuis comte de


I




102 RÉVOLUTION DE 1688,
Clarendon ; mieux informé que Rochester, ne voulut
pas voir sa samr, durant tout le c.ours de sa maladie.
Cette rigidité, .ou plutot cette dureté indique assez
peat-elre les préventi.ons .oU les craintes du puhlic sur
le pr.ogres des Cath.oliques. Enfin le duc d'Y.orck ne
tarda pas a c.ollfirmer L-eS préventi.ons ou ces craintes
en se déclarant lui -m~me ouvertement eath.olique.


Les historiens .qui" eherchent a peindre l'efret ex-
tra.ordinaire de eette dé marche éclatante' sur l' es-
prit de la nati.on supposent que le Princ~e y fut
enc.ouragé pár la confiance qu'il puisoit dan s une
allia.nce nouvelle, ine.onnue al.ors, mais évidente
a leurs yeux; et cette alliance, que l' Angleterre
soup-;ovn.oitavee raison, ils la désignent comme
une conjuration eontre le peupIe. Mais iI est plus
naturel et plus juste d~en croire le· Duc lui-meme,
puisqu'une fois déclaré, jamais les plus grands
périls ne I'engagerent a dissimuler .ou a mitiger
ses véritables sentiments. Il av.oit eru l.ong - temps ,
dit - il dans ses mémoires, qu'avee une dispense
du souverain Pontife, il p.ouv.oit extérieurement se
conformeran . culte public, tant qu'il seroit dange-
reux p.our lui et p.our les C~th.oliques de faire au-
trement. Mais détr.onipé, a la mort de la Duchesse ,
par le pere Sym.ons, Jésuite, il n'hésita plus et 6t·
Tvertement pr.ofession de sa véritable wi religieuse:
démarche qui devint terrible p.our lui, sans d.oute,
mais qui t.ont a la f.ois ét.oit n.oble et nécessaire puis-
qu'il étoitc.onvaincu. Heureux si son courage eut




EN A NGLETJ<:RRE. 103


été plus éclairé sur d'autres points, ou guidé par
des conseils moins passionnés.


Dans ce mouvement des, esprits, le Roi qui ne
pouvoit plus 'tromper le Parlement n' osa te réunir;
aussi les prorogations devinrent fréquentes. Cepen-
dant la campagne devoit s' ouvrir au printemps de
) 672; et déja, depu.is la session de I'automne en
1670, le produit des nouvelles taxes cons€'llties se
trouvoit absorbé par les dettes du Roi, ses prodi-
galités et les préparatifs de la guerreo C'étoit done
avec le salaire ou suhside clandestin de Louis XIV ,
,en un mot, avec 1,500,000 livres tournois, que le
Roi de la Grande - Bretagne alloit s'abandonner a
une entreprise qui , une fois commencée, montreroit
au grand jour la foi publique trahie dans des'Vues
si opposées .au caractere et aux vreux de' la nation.
Mais la conr paroissoit compter sur une ressource
11 peu pres certaine, quoique honteuse.


Il y avoit dans les eaux de Srnyrne soixante ~ dix
vaisseaux qui amenoient en HolJande les marchan-
dises de l'Orient. L' Amiral Van-Ness -protégeoit ce
riche convoi que ron évaluoit a 1,500,000 livres
sterling. L'Amiral anglois; Robert Holmes, rec;ut
ordre de le surprendre; et comme la guerre n'étoit
point déclarée, Holmes invita Van-N ess, et fit invi-
ter par ses cap ita inés , 1e Contre-Amiral hollandois
et les autres officiers a monter amicalement sur
leurs bords. Mais la prudence de Van-Ness déjoua
ces politesses perfides) alors Robert Holmes attaque




RÉVOLUTION DE J688,
violemment la fIoUe de Smyrne. L'aggressioD, trois
fois recommencée ,est repollssee trois fois, et le con-
VQi, :est sauvé, a .l'exception· detrois ou quatre mé-
dioores . hMiments. L'Europe; l' Angleterre· meme
donnerent le noJll de piraterie a cet é ... éndment, '
dont .le plein succes n'auroit pas payé la honte.
Quoi qu'il en ioit; la cQur voulut se justifier sons
le prét_te d'un malehtendu· sur le salut et les hón-
neurs du pavillon. Apres cet acte de violence ~ les
États .. Généraux ne pouvoient plusespérer d'issue
favorable aUK négoclations qu'lls entretenoient ¡tour
conserver la paix. L' ambassadeUr Downiog, par ses
prétentitms altieres, multiplio~t saos cesse les diffi-
cuItés; et Charles II-é~oit résolu. De concert avec la
France, il dédara enfin la gu~re le 17rnars 1672; et,
ce que l'onaura peine a eroire, il professa encore dans
son manifeste 'son inviolable attachem~nt au traité
~


de la Triple-Alliance. De-son coté, Louis XIV mar-
choit contre la Hollande avec ses formidables armées.


Mais avaut sa déclárationde guelTe, le Roi, juste-
m~nt al.arme sur l' état de ses' finances et n' osant ordon-
ner formellement des taxes' arbitraires, prit une me-
sure qui causa uneoommotion générale en Angleterre.
Elle fut inventée par le génie entreprenant du comte
de Shaftsbury qui la suggéra ,au chevalier Clifford.
Celui-ci la proposa au Roi qfli l'accueillit avec trans-
p~rt, et tout a coup l'Éehiquier fut fermé. Par ce
moyen, le Roi se vit maltre d'un trésor inespéré. Pour.
expliquer ce coup d'État, il faut se rappeler qu'en




EN ANGLETERRE. 105
Angleterre leSCApitalistes et les banquiers'Viennent
déposer a l'Echittuier les fónds <luí leur avyartiennent
ou qui leúr sont conflés. Ces dépots se Fünt en avance
des subsídes consentís par le Pariernent , moyennant
un intéret convenu, et sont rendus a des termes •
fixés en propürtion du re~ouvternent des ,taxes pu~
bliques .. Il est vraí que le Gouvernernent allóua Qn
intéret de six püur cent ~ux pr~teurs áinsi frustrés
du remboursement. Mais le nombre des faillites fut
irnmense , et le comtner(!e éprouva sur ie cha~p une
interruption génét:tle. Cet expédient vaIut au che-
valier Clitrord la dignité de Lütd Trésürier .. '


Le Rüi puhlia aussi différents édits. Ilürdünna entre
autres le recrutement fürcé, rétablit la Loi ~aI'tiale,
suspendit l' Acte de navigatiün, et fixa des peines sé-
veres cüntre ceux de ses sujets qui tiendroient üu
écüutelüient des dis~üurs injurieux a sa personne et
au Güuvernement. Ces édits, que les circünstances
rendüient nécessaires, n'en étüielit pas müins jugés
cümme une extensiün tres-arbitraire de la prérügative
royale. Mais celtú qui parut dan s l'üpin~ün puhliq~e
porter Une atteinte plús prófonde aux drüits du Par-
lernent fut l'Edit de tülérance mi d'indulgence ..


Charles déclaroit par cet acte , quela suprematie re-
ligieuse étant inséparable de sa persünne rüyale, etre-
connue tene par les lüis meme ¡il usoit de sa prérbga~
tive en suspendánt, de sa pleine autorité, les lois '
pénalespürtées cüntre les récusani, Non-confor-
mistes et Cathü1iques. Aux premiers il accordüit des




106 RÉVOLUTION DE ,1688,
édifices publics pour leur cuIte, aux ~tres le libre exer-
cice du leur, dans l'enceinte de leurs maisons. Toot
~nproclamantainsi le pouvoir, déja contesté en J 662,
de suspendre les Iois, iI justifioit cette mesure ,moins


• encore par les príncipes de l'équité naturelle que par
l'intér~t particulier du commerce Anglois. L' exercice
de sa prérogative poor la toIérance, disoit-il, est un
simple arrangement depolitique, et n'a rien qui doive
préoccuper les esprits. Son intention qnique est d'at-
tirer ,en Angleterre les négocian; de Hona~de p~r la
douéeur des loís reIig~euses. Mais toute l' Angletf'rre
jugea autrement, des intentions réelles du Roí.


Rien n'eut été plus noble, plus Joyal, plus juste,
que cette liberté de conscience; l'homme la tíent de
Dieu meme , puisque l'homme a re~u de son .créateur
l'intelligenceet par- oonséquent le libre arbitre. ~Iais
un peuple tro~pé se défie m~me des plus .grands
bienfaits. D'abord le Garde du grand-sceau, Bl'idge-
~an, refusa de signer cet é~it mémorable, indigné
d'avoir' été d~vant le dernier Parlement l'organe des
fausses paroles du Roi; et ce fut alors que le cornte
de Shaftsbury fut élevé a la dignité de I..Iord Chan-
celier. Bientot apres, quand la guerre fut notifiée
simultanément' aux États-Généraux par Charles II
et par Louis XIV; quand la résolution d'abQlir la
Réllublique des Provinees-Unies, paree qu'elle, étoit
hérétique ,fut déclarée a l'Em pereur , par l' Ambassa-
deur de Franee au noro du Roi son maitre, et que
eette déclaratioiI fut eonnue en Angleterre, alorset




EN ANGLETERRE.


les Anglicans et les N on-Conformiste&, et touts les
ordres de la N atian s' éleverent contre cette tolérance,
ou ils n'appercevoient plus qu'un piege funeste et
grossier. En meme temps, ce pouvoir hautem~nt
proclamé de suspendre les lois, de lever des armé es ,
de fermer l'Échiquier san s le concours du Parlement,
réveilloit le souvenir de ces fameux débats sur la


I prérogative qui commencerent la Révolution, exci-
toit jusques dansle peuple une agitationuniverselle,
exaltoit l'ardeur des vieux Républicains, et jettoit
de noirs pressentiments sur. ravenir dans les hommes
qui ne voyoient de gloiré. et de repos pour l' Angle-
terre, que dans une alliance juste et sage de la mo-
narchie et des libertés publiques. La premiere session
du Parlement, quelque fut le terme de ses ajourne-
mens réitérés, amimeroit en6n la discussion publique
et légale, mais sévere san s doute et peut-etre fac-
tieuse , de ces graves intérets. Comment ne pas
craindre le retour d'une lutte obstinée .entre deúx
pouvoirs, dé6ants, jaloux et presque 'rivaux : l'un
qui ayant ses racines dans les profondeurs du sol
de la Patrie et aussi vieux qu' elle-meme , 'ne reculera
peut-etre ni devant la guerre civile, ;¡ devant l'a-
narchie ou l'usurpation pour défendre· les libertés;
l'autre, qui, non moins dé6ant, paree qu'il est ré-
cemment encore et a peine rétabli sur un sol
tremblant de toutes parts, -ne yerra peut-etre de
salut pour la monarchie que dans les périls et la
'\igueur du pouvoir absolu ?




SOMMAIRE.


1672'- 1678.


Invasion de la Holland~: - Princes d'Orange. - Élévation de
G'uillátuiíé nI. - Il iótéresse touté fEurope a la cause de son
pays, el l' Atíglet~re elle-tneme; - Assemblée-du ParltlifieBt. ~
Griefs· de· la nati~; - ;lteJJlontrA~~ dea' Co_mqnet. -
Brusque ·changement du RoL - I1 ~band9nne son ministere.-
COll)te de Shaftshu:ry. - Bill du Test. - N ouveau ininistere.-
Le comte Datlhy.


Buita de la guerre.-Assembléedú Parlemant. -Les Coinmunes
s'oppo~nt au mariase du d~ d'YoÍ'k •. -~ Parlemetlt est
prorogé. - Tumulte dans les Communes. '-N ouvelle réunion
du Pátlem:e~t.~Son attitude sévere ~t·hosti]e contre le mi~
Distere. - Habileté du Roi. ........ Il satisfuit aux vreu~ pubHcs en
signant la paix.


Politique Fran«;aise.~Politique vénale de Charles II. - Il se
porte médiateur, et se vend a la Cour de France. - Inquié-
ttules publiques. - Assemblée du Parlement. - n demande
la guerreo contro Louis XIV.-I1 refuse de croire aUtc. pto-
mes~es du Roi.


Intrigues pour te ciuc de Monmouth contre le duc d'Y ork.-
Monmouth aspiré a la successión Royale. -'U est déclaré ·Gé-
néralisaime. - V óyage du Prince d'OraiJge a Londres. - Sa
politique.-Son mariage avec la Princesse Marie.-Le Roi
trompe le Parlement, son gendre et la France. - Louis ,XIV
traite avec l'opposition.-Divise et annulle l'Angleterre.-
Se rend maitre des négocl\tions de Nimegue et dicte la paix. -
Abaissement de la Cour d' Angleterre et grantleur llu Prince
d'Orange. f




RÉVOL. DZ 1688, EN ANGLETERRE. 1°9


LIVRE III~


1672,1678.


M.us la gueft?e étoit proclam~e. ~Le.~ ~v6~nts
qu'elle ~ prod'llire sont si mémornllkJs lans 't'hls.i.
toire duPtotestantisme; il~ expliquent si nettemcmt
les destinées du jeune Prlnce d'Onmge ,sa ·furu~e
dictature sur les puissancesennemi~s de la France ,.
et enfin son élévation sur lesr"UiR~,tl6 la maison
royale d'Angleterre, qu'il devient nécessaire:de,¡;'ar-
reter acette origine de sa grandeur. '


'Lorsque la Re~ne Élisaheth eut 'refus~la' son:ve--
raineté des Provinces .. :irnies, eille envaya' oe~ndal'lt
Leicesteraux États-Généranx, ave~unE; arÍmOO :an-
glC»Se,.~t :r~ut en:;otage desplace~fde s\1ret.é.':Lci.
rester 'avoit part aug()qv.ern~nt ,de: ,l;a' ilt>U:feHe
République;; M 'pre~oit &éanne ··aU (!ons'eil d'Étát~.et
les États eurent bientot a crajm1te 'ras~nda:n't de
ce Protectem.' éqnivoque·~t Mnbiti~utcPour luí op-
poser.:un nom ¡Ilustre et roer ~a :}a République, Ba:r ...
nevelt, grand hornme d'etat ,tira des ,écoles eJe
l,eyde, le jeune 'Maurice Prince d,'Orange, a 'peine




1 10 RÉVOLUTION DE 1688,
agé de dix-huit ans, et le lit nommer Stathouder de
Hollailde et de Zélande. •


Dans le Conseil d'État résidoit la puissance exé-
cutive, sous l'autorité et la souveraineté des États
Généraux des sept provinces confédé~ées. Mais la.
présence obligée de Leicester et de ses successeurs
a ce conseil étant devenue suspecte et enlin dange-
reuse, il arriva que peu a peu la pu~sance exécutive
passa aux mains des magistrats civils ou dans les
grandes charges militaires. Ainsi, pour éviter un mal
présént, la République fut livrée aux perpétuelles
rivalités de la. démocratie et de l'aristocratie mili-
taire. C'est a ce point délicat et presqu'inaper~u
dans l'histoire qu'il faut assigner la premiere cause


. de ces dissensions Jurieuses entre le parti d'Orange
et l'autorité civile.


Maurice et Barnevelt resterent constamment unís,
jusqu'au moment ou il fallut se décider entre la
continuation de la guerre ett une treve qui suspen-
droit enlin quarante années 'de combats. La chaire des
ministres protestans ,~ouveraine alor8 sur le peuple,
ne retentissoit que pour la guerrre, et Maurice, qui
vouloit . rester maitre d'une armée, repoussoit touteO
conciliation avec l'Espagne. Alors encore, les esprits
étoient enflammés par les violentes controverses
d' Arminius' et de Gomare sur les décrets absolus de
Dieu et sur ,la grace. Maurice embrassa la secte
d'Arminius qui tempéroit les farouches doctrines de




EN ANGLETERRE.- 111


Calvin, et Barnevelt, tout en rejettant le dogme Cal-'
viniste sur la réprohation absolue, suiv~it la"secte de
Gomare. Ainsi divisés sur la Religion, paree qu'ils
l' étoient réeUement sur la politiqtie, leurs haines
devint'ent' implacables, Maurice vainqueur fii con~
damner et mettre a mort Ba-rnevelt, jadis son bien';'
faiteur et son guide. Il s"aper~ut -trop ;tard qu~
l~enthousiasme et l'adoration ,du peuple' s'étoient
convertís en horreur.


Apressa mort, Henri Frédéric_i s~nfr,ere, Armi-
nien comIne lui, accorde la -tolér:tnce' nnivérselle "
rend d'éclatants services a la tete desarIll~es', res-
pecte la "liberté des villes et de~ provinces, ohtient
enfin de la reconnaissance publique, la survÍvance
du Stathoudér~t pour son fils Guillaume 11.


Guillaume eut de violents débats avec ¡es États.
Sa mere elle-meme prendparticontre luí, ei 'les
États ordonnent que l'armée sera licenciée. Le Prince
irrité fait renfermer au chateau de Louvestein les -
JWlbres des États qu: lui paroissoient le plu~' ~a~­
g~uL' Il marcha meme contre Amsterdam pour
Ja 'surprendre de vive fórce , et sí Aniste~daín lUt
sauvée, ce fut par un hasard~,extra~rdinaire~';{Jes
actes d'autorité souveraine he 'r:esterelit 'pas impunis.
Le Stathoudérat fut abolí a peppétuité par un édit
solennel. La mort de Guillaumearreta-tout a coup
ses projets de vengeance.- Alors sa' remme, filie de
Charles ¡er, étoit grosse de huit mois; elle acCou-




~
J 1 ~ RÉVOLUTION PE 1688,
chao d'Qp. .618, huit jPurs apreso Ce 61$ etoit Guil-
iaume llÍ.· ; .


J ,"; #O" •


q~U~ume, enfant posthume, né foible et mal
sa.4n; presque ruiné par lesgénéreQ" secours qu'a-
voi~ .prQdigu~ :spn, p~re iJ 1iJ.· (amille royale d' Angle-
~rre, . qespér¡~é:,: mellle avant s~ naissaoce, des
hQn.pelU'~ ~~ proo.ig9~ ~ ~qs ~Ilcet~es, ne fut point
a:ban~;o;qné~: l~ ~ép~hlique. :Remis et confié a la
tutelle du grand 'pensionnaire J~n de Witt, iI re«;ut
une:. éd~t~pn9i,gJJ.~;:d~ S9P nom; les amisde la
liberté ; ~ tf~sQif.!:1~ ,qllelque$. fQis· des reproches a cet'
iUuS!re m;tgistr;l.t, La- destipée ,d'1,lU Prince d'Orange,
r~PQ~oit ... i~, ne peut rester ni obscure ni indiffé-
rente au Dlilieu de la Répuhlique. Si un jaur il doit
rétablir r~ce.ndant 4e ~·lJlajson~ faut"l le readre·
in4ig~ediull..ra~g .. qu'il reprendra peut - etre, et le
l~~ss~. étr;lng~r ;:)AX maximes ,de la liberté?
"~~~f). de Witt,,;éI~vé daD,5 radmirationdes ao-
c:ie~nes répl-lpliq~~s, et partageant les ressentiments
de. ~~.J?~re:, l':qn des paptifs de Louve.stein, a.
t~:tyiy~~eQt;~pCOQrll a l'~bolition du Stathod-
rf':t;; ~ .,s'il 99.Dpoit un~ ffiucatiQu Ubérale au jaune.!
PJ:i,c~., :o~plut6t..a. ce ·j~mne lion qu'il caressoit
P91l:t l' assoupJit:;, i1$' a,ttachoit surt~ut a prévenir fin-
é~imble péril du pouvoirmilitaire. Mais au lieu
de:r~tabl~ l'ancien~e aqtorité du Conseil d'État,
PQpr dc¡mner un· c~tre,..poids né~essaire aux oscilla~
tion.~.du gouvernemeIit, il augmenta le pOl1v()ir po-




EN ANGLETERRE. ]13


pulaire et s'appuya sur cette force' inconstante.
D'irnmenses services, et en particulier le traité de
la Triple Alliance, l'avoient élevé aux premiers hon-
neurs. Cependant la jalousie . républicaine, et les


. désastres d'Ulie, si bien vengés par ceux de Chatam,
pendant la premiere guerre de Hollande, avoient
déja porté les regards du peuple sur le jeune Guil-
laume, a qui toutes les vil les s' empressoient de dé-
férer le commandement particulier de leurs forces
de terre et de mero


Alors, et dans ses alarmes pour la liberté, le
Grand Pensionnaire, observant avec sollicitude ce
que peut cacher d'ambition '~e visage froid, sévere,
impassibl~ de son pupille, lui fajt jurel' tout a la'
fois de ne jamais aspirer au Stathoudérat, et de le


. refuser meme s'il lui étoit oifert. Fragile barriere
qu'un serment aux ames que l'ambition aiguillonne
et tourmente! Guillaume, a peine agé de dix-huit
ans, étoit venu déja au palais de White- Hall sollici-
ter le Roi son oncIe de l'aider a relever le Stathou-
dérat. Mais Charles II négocioit alors avec Louis XIV
la· destruction et le partage des Provinces-Unies.


Ainsi, au moment de cette mémorable guerre ,
les Provinces-Unies se trouvoient divisées par deux
factions puissantes, les Républicains et les partisans
d'Orange; tandis que le Grand Pensionnaire et les
États-Généraux, dans l'inquiétude que donne toujours
Ulle armée aux républiques maritimes, ne s'étoient


I. 8




"114 RÉVOLUTION DF. 1688,
oc cupés que de leurs forces navales. Quel secours
peuvent-ils attendre de l'étranger? Ni l'Empereur,
ni la Suede, ni I'Espagne ne les peuvent secourir.
Cologneet Munster ont livré leurs troupes et leurs
passages a la France; Louis XIV en personne marche
avec Turenne, Con dé , Vauban, Louvois et 122,000
hommes. Quel spectacle! 25,000 soldats long-temps
négligés ou levés a la ha te , un Capitaine général
agé de vingt-deux ans, voila en apparence I'unique
ressource de la République. C' est le moment décisif
de la lutte infatigable des deux religions, Catho-
lique et Protestante. Jamais le Protestantisme n'avoit
couru de si .grands périls. Jadis,Jtharles-Quint crut
abattre la ligue de Smalcade par la captivité du duc
de Saxe et du Landgrave de, Hesse; mais l'astucieux
Maurice de Saxe détruit subitement ce long ouvrage
de Charles-Quint, et releve les Églises de Luther.
Plus tard la Ligue des Catholiques en France, les
victoires du prince de Parme dans les Pays-Bas,
l'assassinat du premier princed'Orange, etla fIotte .
invincible de Philippe JI, -alloient renverser partout
les Tem-ples de la Religion nouvelle ~ mais Élis'abeth
surmonte lesefforts de la politique et de la fortune;
le Proléstantisnre reste debout et formidable. En
1630, la mort de l'électeur Palatin raÍt subir a
toute l' Allemagne le joug de la maison d' Autriche ;
mais le Protestantisme est relevé encore par un seuL
homme, Gustave Adolphe. Louis XIV enfin et sa




EN ANGLETERR~ lI5
brillante monarchie se levent et s'avancent; le pa-
villon de I'Angleterre Protestante se réunit aux dra-
peaux Catholiqlies des Fran<¡ais : GuilIaume Sm'a-t-il
tout a la fois Ma'urice de Saxe, Élisabeth et Gtis-
tave Adolphe? Guillaume est agé de vingt-deux ans.


Ni lesfleuves, ni les remparts n'avoient pu sus-
pendre la marche triomphale de I.Jouis XIV; déja
maitre des provinces de Gueldre, d'Ove~issel et
d'Utrecht, mena~anl tout a la fois Groningue et la
Frise, n'ayant plus d'obstacles que dan s la Zélande
et dans la Hollande, ou le jeune Guillaume a con-
duit les restes d'une armée fugitive et consternée, iI
peut entendre de toutes parts les cris de l'anarchie
qui seule maintenant domine dans les villes que le
vainqueur n'a pas encore soumises. Amsterdam· ce:-
pendant prenoít des résolutjons généreuses, mais la
confusion re,gne dans les' États eornme dans le peu-
pIe; et le Grand-Pensionnaire faisant enfin prévaloir
sur des conseils désespérés le parti de la prudencp, on
envoie des députés pour dernander la paix. Louvois
et Pompone étoient seuls alors aupres de Louis XIV


• a· Utrecht. Pompone conseille au Roí de ne garder
pour prix de sa 'conquete que les placeS'qui se tI'OU-
vent extérieures a l'enceinte naturelle des Provinces-
Unies, telles que Maestrjcht, Bois-Ie-duc, Breda et
Berg-op-zoom. Louvois veut de plus une rorte cOlltri-
bution de guerre, la p~rtie de la Gueldre qui se
trouve au dela du Rhin, diverses forteresses, le réta-


8.




RÉVOLUTION DE 1688,
blisscment du culte catholique, l'assujettissement
des Provinces - Unies au Protectorat de la France,
et la perte du droit essentiel a l'indépendance de
toute nation, celui de faire la paix et la guerreo
Telles sont les conditions que dicte Louis XIV.


D'un autre coté, les États avoient envoyé des am-
bassadeurs a Charles 11 qui refusa de les ent,endre.
Ce n' est pas qu'il n' eut con~u déja quelques inquié-
tudes sur les immenses et rapides progreso de son
allié. Il n'avoit pas obtenu contre l'AmiralRuyter
les succes que sa fiotte, combinée avec ceHe de
France, devoit naturellement se promettre. La ba-
taille de SoIebay (28 mai 1672), quoique terrible,
avoit plutot montré la bravoure des trois peuples
combattants que décidé la supériorité maritime. Ce
n' étoit point une victoire; la fiotte angIoise y avoit
été compromise, et ne fut meme- sauvée que par le
dévoument héroique et la mort du comte de Sand-
wich. Quant a Ruyter, unissant le courage et la
prudence de Fahius, il avoit présenté lecombat, ,il


, l'avoit soutenu avec gloire. Le lendemain iI le pré-
senta encore, mais la retraite de la fioUe combinée
fut pour lui un juste motif de se retirer lni-meme.
II s' agissoit réellement de protéger le retour de la
fiotte des Indes, et de conserver a sa patrie envahie
l'empire, ou du moins l'égalité de l'empire des mers.
Il étoit rentré dans ses ports le 30 maí, tandis que
le duc d'York ramenoit ses vaisseaux en Angleterre.




EN ANGLETERRE. 1 I 'i ¡


Vaillemellt le Duc insista aupres du Roi son frere
pOUl' reprendre la mero Charles s'y opposa constam-
mento Son refus sembloit annoncer au moins quel-
ques incertitudes; et s'il feignit, par ménagement
pour Louis' XIV, de traiter avec rigueur les Envoyés
des États-Généraux, il n' en fut pas moins inquiet
des sentiments expressifs de pitié que tout le peuple
6t entendre pour ces ambassadeurs et pour le mal-
heureux peuple qui imploroit la compassion de l' An-
gleterre. Aussi envoya-t-il bientot apres leur départ,
Buckingham, Arlington et Georges Saville, depuis
marquis d'Halifax, pour négocier avec Louis XIV.


Cependant lorsqu' on eut appris en Hollande,
• meme avant le 're tour des ambassadeurs envoyés a
, Londres, l'inutilité de leurs prieres, de toutes parts
le peuple en fureur crie a la trahison contre eux et
contre le G~and Pensionnaire. Heureusement préve-
nus lorsqu'ils traversoient la Meuse, que ce peuple
insensé se porte en foule pour les attendre a la Brille
et a Maeslandsluys,ils débarquent sur un autre point,
et se rendent furtivement a La Haie. Ainsi détourné
un moment, l'orage écIate le lendemain, mais sur le
Pensionnaire lui-meme qui est investi par des furieux
au sortir des États, et n' échappe a la mort que par son
intrépide courage.


Un des séditieux, condamné au supplice, dé ..
cIare au peuple, du haut de son échafaud, qu'il
a voulu tuer le grand Pensionnaire, et qu'il l'a




118 RÉVOLUTION DE 1688,
voulu pour. venger sur un traitre la religion et la
patrie. Á ces ruots, une pitié fanatique saisit touts
les esprits. Un homme du peuple s'écrie aussitot
que le frere ainé de Jean de Wiu l'a voulu sub-
orner pour assassiner le Prince d'Orange. Alors
la fureur n'a plus de frein, et la sédition se propage


, dans toutes les villes. Cependant le frere du Grand
Pensionnaire, Corneille de Witt, qui avoit accom-
pagné Ruyter comme député 'des États, est livré aux
tribunal;lx; qui n'oseut ni le condamnerni l'absoudre~
Cet homme généreux subít la torturecomme un
criminel; mais iI la subit en répétant les sublimes
paroles du poete qui montre le sage toujours iné-
branlable devant les tyrans et les fureurs populaires,
comme sur les ruines du monde. II est condamné au
bannissement. Son frere indigné abdique son auto-
rité, et conduit Corneillehors des portes de la ville.
C'est la que touts deux enfin sont ma.ssacrés.


La fureur se propage incessamment au feu des pré-
dications f~ctieuses. Tout a la fois livré a l'anarchie
et a la eonquete , l'État ne peut plus etre sauvé que par
la Di~tature. L'Édit perpétuel est révoqué ; le Prince
d'Orange est cl'éé Stathouder et investí du epmmande-
ment sopreme de la République. Mais avant d'ac-
cepter eette dignité, objet de ses vreux ardents , Guil-
laume n'oublie pas les serments qu'il a prctés. IIles
fait annuler, précaution qui décele toute la.profon-
deure d~ l'ambition dans une ame encare si jeune.




EN ANGLETERRE. 119


Si la haine des républicains lui imputa le meur-
tre des deux freres, il ne fut pas coupable de ce
erime dont il ne parloit qu'avec détestation, mais
jI en profita et sauva son pays. BientOt en effet
tout ehange de face. Il communique au peuple et
aux magistrats la confiance et le eourage qui l'ani-
mento Les eonditions dictées par la France et lt's
propositions de l' Angleterre sont rejetées; il triomphe
également des séductioIlS de ces deux puissances qui
luí offrent la souveraineté de la province "de Hollande.
« Que voulez - vous done?» lui disoit Buckingham
étonné de ses refus. « Mourír, s'il le faut», dit le
jeune prinee, « da~s les derniers retranehements de


• « mon pays». De tels sentiments sont toujours le
présage dt' la victoire. Déja Guillaume a réveillé
I'Empire et l'Empereur et l'Espagne. Déja toute l' An-
gleterre, moins le Hoi, s'unissoit 'a eette noble cause;
et bientot la république des Provinees - Unies, qui
devoit périr, qui triomphera par sa eonstance dans
ses revers , il' est plus qu'une auxiliaire dans ceHe uni-
'verselle allianee des peuples qu'un jeune homme a
ébranlés ou rétinis eontre Louis le Grand.


Avant la fin de eette eampagne de 1672, la flótte
alliée s'étoit approchée des cotes de Hollande, avec
une armée angloise de débarquement, cornrnandée
par le eomte de Sehomberg, Allemand d'origine,
officier-général au serviee de Louis XIV , et dep\üs
Maréchal de Fl'anee. Repous:iée par une marée des




120 RÉVOLUTION DE 1688,
plus violentes et contrariée par les vents , cette armée
rentra enSn en Angleterre. De son coté, Louis XIV,
remettant les soins ultérieurs de la g;uerre a ses gé-
néraux, étoit revenu a Versailles, et Charles II avoit
convoqué le Parlement pour le 4 février 1673.


Le Roi n'ignoroitpas les sentiments publics. Il
prévoyoit tont ce qu'il rencontreroit d' opposition a
ses desseins dans une assemblée qu'il redoutoit, qu'il
avoit offensée par de longues prorogations, qui le
craignoit lui-meme, et a laquelle enSn il recouroit
par la· seule nécessité de ses affaires. Si son plan de
conduite avec elle fut habile, celui du Parlement ne
le fut pas moins. Schomberg étoit aux portes de
Londres. Charles pouvoit s'abandonner ~ des con-
seils violents, et, sans paroitre les soup~onner, le
Parlement ne voulut pas les provoquer.


En ouvrant cette session, Charles II employa ce
langage de cordialité melé d'autorité qu'il savoit
rendre natu ... rel. Glissant légerement et avec une sorte
de bonhommie sur les dernieres prorogations, il
parla de la guerre actuelle commed'une guerre toute
nationale qu'il falloit vigoureusement soutenir, pré-
vint meme les griefs de la nation sur les mesures
qu'il avoit prises, telles que son Édit de tolérance
et les levées de troupes; rejeta les soup~ons contre
tout projet de s'arroger le pouvoir absolu; annonc,:a
fortement sa résolution et de maintenir son édit et
de faire des levées nouvelles , demanda enfin un sub-




EN ANGLETERaE. 121


side capable d'assurer le suCct~s de cette guerre et
-l l'accomplissemey{t de ses vues pour l'honneur et les


prospérités de l' Angleterre.
Apres lui, le Chancelier, comte de Shaftsbury,


déploya touts les secrets de son éloquence. La guerre
étoit juste et nécessaire. La Hollande étoit l'ennemie
perpétueJJe de l'AngJeterre qui seule l'emp~choit de
parvenir a un empire universel comme celui de
Rome. En un mot, cette guerre est votre guerre,
dit-il, et iI flnit par cet axiome de Caton l'ancién:
Delenda est Carthago.


Le Parlement se montra peu ému de ces fastueuses
paroles·; et avant de passer selon l'usage au vote
des subsides, les Communes rttvendiquerent et firent
respecter un de leurs privileges que le Chancelier
avoit récemment usurpé. Tant qu'un Parlement n'est
pas dissous par le Roi, ce sont les Communes qui
expédientpar l'Orateur ou Président les circulaires
aux communautés pour nommer de nouveaux dépu-
tés er:t remplacement de ceux que la mort leur a en-
levés. Du moins cet usage, qui remontoit jusqu'a


·l'année 1604, sans interruption, n'étoit pas contesté.
Mais le Chancelier avoit expédié de lui-meme , et de
son autorité, les circulaires pour les élections qui
devoient compléter la Chambre. Les Communes in-
sisterent sur leur droit, et les députés élus se reti-
rerent. •


La discussion du subside fut modérée; les fonds




122 RivOLUTION DE 1688,
alloués étoient plus que suffisants poua' la continua-
tlOn de la guerreo MaÍs les Communes évÍterent d'ex-
primer ce qu' elles pensoient de la guerre elle-meme,
en votant leur suhside pour les besoins extraordi-
naires duRoi. Il y eut cela de particulier, qu' en
l'accordant pour un an et demi, elles assignercnt
une somme égale et fixe pour chacun des dix-huit
mois. C' étoit pourvoir tout a la fois aux besoins pu-
hlics, et mettre une limite certaine aux prorogations
uu Parlemen t.


S'étant ainsi montrées faciles et réservées sur l'ob-
jet principal de la réunion des deux chambres, les
Communes examinent enfin la grande question des
griefs de la Nation. Apres une discussion vive, mais
san s emportement factieux, elles représenterent au
Roi, dans une adresse respectueuse et ferme, que
le pouvoir de suspelldre les IOÍs, énoncé dans ]'édit
de S.M. sur la tolérance, ne pouvoit appartenir
uniquement a la Couronne et sallS le concours du
Parlement. Une répopse gracieuse, mais équivoque,
du Roi est suivie d'une seconde adresse OU les Com-
mUDes demandent que S. M. s'explique en termes
plus formels. Le Roi ayant gardé le silence, une·
troisieme adresse plus explicite rappelle le texte des'
l.ois pénales, et demande qu'en e~écutionde ces lois
non ahrogées, touts les catholiques récusants, of6-
ciers des armées de terre et d~ mer, fussent ren-
voyés du sCl'vice.




EN AN~LETERRE.


Quoique détournée en apparence, l'attaque de-
venoit directe contre le duc d'York, de qui la foi
religieuse n'étoit plus un mystere. Charles avoit
bien prévu que la conversion publique de son frere
a l'Église CathoJique deviendroit t6t ou tard un
pl'étexte ou un motif de violentes discussions dans
le Parlement. On pourroit croire que, si le Duc fut
rappelé du commandement de l'armée navale apres
la bataille de Solebay, le Roí n'avoit agi que par
le pressentiment d'un esprit éclairé sur ce point
délicat. Du moins lorsqu'il eut convoqué le Parlement,
il ne dissimula plus ses inquiétudes; il conjura
meme son frere de participer publiquement, pendant
les retes de Noel, a la Céne ou communion de l'Église


• Anglicane, tant il redoutoit la réunion des Chambres,
qui étoit fixée au 4 février. Le Duc s'y étoit refusé
avec une constante et noble fermeté , bien convaincu
(l'~illeurs qtl'un tel mensonge ne seroit qu'une bas-
sesse inutile.


C'étoient Shaftsbury et Buckingham qui avoient
conseillé l'Édit de tolérance au Roi, pour attacher
les Non-Couformlstes au parti de la Cour; mais les
Non-Conformis,tes n'y virent hient6t qu'un bienfait
suspect; et l'espérance qui leur fut donnée par
l'opposition, d'obtenir légalement un adoucissement
a la rigueur des lois pénales, les réunit aux Angli-
cans qu'ils halssoient, contre les Catholiques aux ...
quels ils portoient ulle haine plus profondc.




RÉVOLUTION .DE 1688,
Ainsi la troisieme adresse de la Chambre des


Communes étoit devenue l' expression des vceux
universels de l'Angleterre, moins la Cou!' el les Ca-
tholiques. Le Roí se trouvoit done parvenu a une
alternative délieate, mais déeisive : proclamer qu'il
n'y avoit d'autre loi que la volonté royale, ou se
dégager ave e sa dextérité ordinaire, ave e grace
cornme avec dignité. La tentation pouvoit etre vio-
lente pour un parti vigoureux. L'arrnée de Schom-
berg'étoit toujours aux portes de Londres; Lauderdale
proposoit de mander l'arrnée d'Éeosse; le due d'York
sans doute ne conseilloit pas de faiblesse. Mais
Charles 11, quoique porté au pouvoir absolu, n'y
trouvoit d'autres eharmes que la facilité de se livrer



en paix a une vie tout épicurienne. Les historien s 1
supposent qu'il fut effrayé de la néeessit:é ou il se
trouveroit peut-etre d'appeler a son secoul's une
armée fran<;aise. lIs se trompent. L'ambassadeur de
France , . Colbert de Croissy, lui conseilloit de céder
aux Communes; et Charles y céda en effet, mais
de bonne grace. Il demanda pour la forme l'avis des
Pairs; c'étoit les prendre pour arbitres d'une ques-
tion qu'il avoit déja décidée. Apres leur réponse, il
se fait apporter l'Édit, en brise le seeau de ses
propres mains, et mande aux COlnmunes qu'il sane-


1 Hume.




EN ANGLETERRE.


tionnera tous les bills nécessait'es a la réparatiol1 des
griefs de la Nation.


Ce brusque changement de systeme excita les
transports de l~ Chambl'e, qui en témoigna sa re-
eonnaissance au Roi par une adres se. ~1ais le eomte
de Shaftsbury jugea d'un eoup d'reil sa propre si-
tuation dans un état si nouveau. Sa résolution fut
aussi prompte que ce He du Roi meme. «( Un Prince
({ qui s'abandonne mérite,» dit-il, « d'etre abandonné
« a son tour.» Il prévit avee raison que Charles
n'hésiteroit pas a le livrer, lui et tous ses ministres
actuels ,tOu ressentiment des Communes. Des le len-
demain il trouva et saisit une occasion/éclatante qui
se présenta pour montrer la souplesse de son génie
entr'eprenant.


Le lord Trésorier devoit lire ce jour-Ia meme aola
Chambre des Lords, un plan de finanees tres-eap-
tieux, dont le résultat, si le Parlement l'adoptoit,
seroit d'assurer a la Couronne un revenu perpétuel
et indépendant. Clifford l'avoit eommuniqué la
veille et sans défianee au Chaneelier dont il ne
soupt;onnoit pas le eourroux et les projets. Clifford
en expose tout le plan, et le ROÍ, qui aimoit a venir
familierement dan s la Chambre des Lords, étoit
présent avee le due d'York. Des que le Trésorier
eut eessé de;parler , le Chaneelier prend la paro le ,
A, avee tout le talent d'un homme consommé
dan s les affaires 1 tou(e J'ardenr d'un ami vjg~ant de




RÉVOLUTION DE 1688,
la patrie, la gravité meme du chef suprcm-e de la
ju\tice, interprete et conservateur des Iois du
Royaume, iI analyse, discute et renverse le grand
travail du lord Trésorier, ministre du Roi comme
lui. «Ni la famille royale, » disoit-il enfin ,« ni la
« monarchie ne résisteroient a cette reuvre fatale, a
le ce projet désastreux de rendre les Parlements inu-
« tiles.» Au milieu de l'étonnement des Lords et la
joie de l'opposition : ce Quel fourbe de Chancelier
« avez-vous la,» dit le due d'York a l' o reill e du Roí!
(e Quel fou de Trésorier, » répliqua Charles ,«m'avez~
« vous donné, mon frere?». •


C'est 'ainsi que Shaftsbury rentra aussi subite-
ment que le Roi, dans le parti populaire. Il y fut
re<,;u abras ouverts, iI Y prit tout a coup la supé-
riorité.que nuBe. inconstance politique n'étoitcapable
de luí faire perdre. Mais iI rentroit dans Cf> parti ,
le calme sur le visage, la veiÍgeance et le mépris
dans le creur. L'opposition jusque la s'étoit con te-
nue dan s les limites d'une fermeté jalouse et d'une
surveillance légitime. Bientot, iI l'entrainera, il la
précípitera jusqu'a la rébeBion, apres l'avoir sou-
mise a la domination de son génie et de ses fac-
tieuses fureurs.


Les Communes étoient satisfaites.Elles montre-
- rent de la modération " au moins sur les affaires


d'état. Quoique le Roi eut promis de ~oncourir pI-
son autorité a fa réparation des griefs exposés dans




EN ANG LETERRE.


les préeédentes remontrances, elles passerent sons
siJence et la violation manifeste de la Triple Al-
Iianee et la cloture de l'Éehiquier. Elles porterent
me me un bill 'd'indemnité en faveur des ministres.
Elles réclamel'ent cependant contre une' taxe impo.,
sée arbitrairement sur les charbons; elles deman-
derent le redressement des griefs sur les enrolements
foreés, les quartiers miJitaires et la loi martiale;
enfin, et eomme pour indiquer au Roí les vreux
publics sur la fin d'uQe guerre que réprouvoit la
Nation, elles demanderent aussi que ~'armée fut li-
cenciée a la paix. Cependant le réglement des taxes
qui devoient assurer le subside, 'voté po'ur les besoins
extraprdinaires de Sa lIJajesté, n'éprouva point
de diffieultés; et satisfaÍtes des communications gra-
cieuses du Roi, les Communes s'ajournh'ent d'elles-
memes et se séparerent.


Mais avant de régler ainsi le subside et le redres-
sement des griefs, elles avoient assuré Ieur triomphe
par le fameux bill du Test ou 'témoignage, qui fut
sanctionné par le Roi.


Ni les anciens serments d'aUégeance et de ,supré-
matie, ni l'obligation de participera la cene Angli-'
cane, ni les peines portées contre les Récusants, ne
paroissoient maintenant offrir de garant~es assez
fortes, puisque deux fois le gouvel'nement s'étoit
attribué le droit de suspendre les lois pénales. Tanl
que le Roi s'étoit borné en L1VeUl' des Catholiquc~




ItÉVOLUTION DE 1688,
a une tolérance civile plus ou moins avouée, cette
tolérance, qui n'étoit qu'une tacite application du
droit naturel , étoit insensiblement passée en usage,
et les mreurs publiques devenues plus douces au-
roient achevé le grand ouvrage de la paix religieuse.
La seule présence des lords Catholiques a la Chambre
haute, eut suffi meme tot ou tard pour produire en-
fin l'émaneipation de toutes les Églis~s dissidentes
du culte publico Mais la véritable question ne se
trouvoit pas dans la Religion. Si les récusants étoient
frappés par les lois pénales, e'étoit moins en leur
qualité de Catholiques ou de Non-Conformistes, que
eomme ennemis présumés, ceux-ei de l'autorité
royale, eeux-Ia des libertés publiques. Aussi depuis
la restauration, les réeusants Non - Conformistes
étoient traités ave e rigueur, tandis que les Catho-
liques étoient ouvertement protégés. Mais eette pro-
teetion meme qui aecumula contre eux et la haine
des sectaires et la jalousie des Anglieans, ehangea
la situation respective des deux partís récusants. En
effet, depuis l'alliance de Charles II avec Louis XIV
eontre la Hollande, et surtout depuis la conversion"
de l'héritier présomptif de la Couronne, les N on-
Conformistes refuserent la toléranee que leur don-
noit le Roi, paree que cette toléranee n'étoit a leurs
yeux qu'un moyen de faire prévaloir les Catholiques
sur tout l'intéret protestant; ils préférerent done de
s'allier aux Anglieans, leurs persécuteurs. L'union




EN ANGLETERRE.


fut complete et adoptée par le Parlement. Seuls r~
doutés maÍntenant, les Catholiques serónt seulsoper-
·sécutés. L'héritier présomptif est a leur' tete; ses
maximes sont connues sur l'autorité souveraine:,
son dévouement a la France ne l' est pas moins ,c' est
lui qu'il faut frapper : le hill du Test n'avoit pas
d'autre hut.


Ce hill obligeoit·toute personne, chargée dequel-
qu'emploi ou charge dans l'Administration Publique
~t daos les Corporations Politiques el Religieuses,
a signer le formulaire suivant : « le' déclare ne; pas
« croire qu'il se fasse de Tr~ns-Suhstantiatlon dans le
«( Sacrement de la Cene du Seigneur, ni' avant ni
«( apres la Consécration faite par quelque personne
«( que ce puisse etre. » Il faut remawuer que, les Pairs
n'étant soumis a aUcun serment, celui-cin'atteignoit
pas les Catholiques dans leurs droits de Pairs, mais
seulement dans les dignités ou offices qu'ils pou-
voient tenir du Roí.


Mais si les Catholiques., pour jouir de la paix
civile , se soumettoient au serment d' Allégeancequi
n' étoit qu'un serment de fidélité au souverain,' dé_o
gagé de tbute fornrule religieuse;· si' meme pour ob-
tenir ou eonserver'des emplois publics ~ ils cÍ'oyoient
pouvoir, Catholiques dans le creur ,'allier leurs sen-
tlments réels mais secrets, avec ·une sorte d'adhé-
slon extérieUl'e a l'Eglise anglicane, par dispense
ou par tolérance du Gouvernelllent sur le serment


I. 9






J30 RtVOLUTION DE 1688,
-de Supt'ématie, aucun d'eux De pouvoit plus capl7
tuwr ,11'v.eC sa oonscience. Le llOuv:eau hiU les fo~it
.de se montrer au gralld jour Catholiques ou Angli-
canso Nulle dispense ne les pouvoit soustralrc a la
nécessité de l'apostaSlie de fait, s'ils restoíent dans
leurs emplois ou s'ils enacceptoient., Ce hiU fut done
déeisif. Mais le eoup devenoit mortel pour le due,
d'yoñ.. Luí seul au fond étoit le~but de eette arme
nouveUe .. Aussi résigna - t - il sa dignité de Grand-
Amiral, etClifford oelie ,de Grand ... Trésorier. Arlirig-
ton, r.esta Secretaire d'État, paree qu'il faisoit pro-
fession extérieure du culte publico


Ainsi fut dissous tout le systeme de la Cahale,
par la fermeté des Communes, par l'inconstance du
Roí, par le ress.im:ent .de Shaftsbury, 'pat' l'éloi-
gnemeHt forcé 4e 'ClifIord , et par les diverses réso-
lutions qu'embrassel'ellt les autres ministres. Lauder-
dale, ~raignant de payer de sa b~te le conseil donné
de mander l' armée d'Éeosse, feignit d' abord de chel'-
cher un refuge dans le partí populaire qui le rejetta.
Buckingham se jetta aussi dansdes entreprises ,gjga'n-
tesques ,p6ur le jellne Monmouth ,croyant tout a la
foi~ plairea Charle$IIetaux ennemis de l'héritierpré-
somptif. Clifford mourut peu apres dans ses ten'es. Ce-
pendant-ex.cept.é lui, les m.emes hommes,continuerent
encore a gouverner les affaires, cequi en explique
natureUement la direetion souvent équivoque, plus
5OU:vent cantraire, et toujours embarrassée. ]\iais le




EN ANGLEl'E.l\RE.


Roi donna toute sa confiance a sir Thomas Osborn,
créé comte de Danby, homme tres habile, que CHf-
ford et le duc d'York lui firent agréer pour l' office
de Lord Tresorier.


Les affaires ainsi réglées dans l'intérieur, la flotte
se mit en mer avec un appareil formidable, de con-
cert avec la Hotte de Fraoce. Troisgrandes hatailles
navales furent livrées a Ruyter qui sut halancer le
destin des armes avec des forces inféril!ures, et laissa


• toujours la vietoire indécise. Mais sur le Rhin et
dans l~ Pays-:Bas, la campagne fut lleureuse et glo~
rieuse pour le Prillce d'Orange.. La République t_e
entiere vit son territoi.re abandonnépar les troupes


t


fran~aises: Louis XIV ne conservoit que Maestricht
apres taot de conquetes; et le Roí de Suede, par
sa médiation, 6t ouvrir un congres a Cologne pour
traiter de la paix générale.


Épuisé par ceUe campagne infructueuse, et n' aY!lot
pu obtenir de I~ouis XIV un subside extraordinaire ,
Charles eut recours au Parlement qui s' étoit réuni
le 20 octobre; mais iI n'y trouva que des dispo~
tions séveres, bientot hostiles· et enfi*séditieu~es.
Les Communes s' élevent d' ,.bord contre un projet
de 1I1ariage concerté entre la princesse de Modene et
~e duc d'York. I}héritier présomptif de la Couronne
est déja Catholique, disoient-elles; s'il épouse une
Princesse Catholiqué et ltalienne" ou seront lesga-
ranties de l'Angleterre ·sur l'éducation des Princes





RÉVOLUTION DE 1688,
naturellement destinés a monter sur le trone? Le
Roirépond a leurs remontrances qu'il ne lui -est plus
possiblede les accueillir, et que lefmariage est déja
célébré par procuration. Les Communes inquietes
de ladouble influence que pouvoient exercer, par ce
mariage, les Cours . de France et de Rome, font écla-
ter leurs mécontentements a l' occasion . du subside
qui est demandé 'pourcontinuer la guerre :Ilest
temps·de·songer-ala paix, de soulager la Nation du
fardeau de' l'armée,de' contrae ter d.~allia.1lces' plus .-
convenable~aux iritéretsde-l'Angleterre; et a.moins
qUte les ·États-Généraux ne se refusent absolumenta
des conditions de paix raisonnables, aucun subside
ne peut· etre accordé par les Communes.


Pour amortir le feu de cette fermentation, et
surtopt. pour avoir le temps. de .consommer le ma-
riage de son frere, Charles en~oie_sommer les Com-
munes de venir, a la barre de la Chambre des Lords,
entendre I'ordre de la proi'ogation. du Parlement.
C'étoit le 4 novembre 1673. Prévenus de ce dessein
par l'approche de l'huissier a verge noire ,quelques
députés feraent subitement la porte, forcent 1'0ra-
teur demontel' au faut~uil; et ·tandis que l'huissier
fl'appeinutilement pour se faire ouvrir, ondéliltere


-en tumulte, et l' on propose de déc1arer : « que les.
« alliances de Sa Majestésont funestes au pays; que
ce le Roí est entouré de mauvais- conseillers, et que


. «( l'éloignement de Lauderdale est nécessaire.» Pen-




EN ANGLETERUE.


dant eette confusion, I'Orateur parvient a s'évader,
iI se rend avec une partie .des Députés a la 'Cham~
hre Haute; et le Roi, qui s'y trouvoit déja, leur dit,
avec cette simplicité qu'il savoit employer dan s son
langage, que]a moindre apparence de division, en-:-
tre lui et son Parlement.eroit trop favorableaux


.ennemis pour n'etre pas funeste au royan me. 11
ajourna ensuite les Chamhres au moís de février
suivant.


Pendflntcet intervalle, Shaftshury est dépouillé de
sa ,dignité de Chancelier; le chev:alierHénéageFincb,
créé comte de· 'Nottingham ,est nommé Garde d ll
Grand-Seeau; des négociations s'ouvrent avec .les
États-généraux ;et la jeuneprine~sse de Modtme,
devenue duchesse d'York, arrive en 1\ngleterre.


La réunion du Parlement, fixée au 7 janvier, n'eut
líeu que le 7 février. Vainement le Roí (:royoit avoir
disposé les esprits a la modération par des réglements
qui sembloient satisfaire a quelqucs réclamations pré-
cédentes ; les Communes demanderent d'abord un
jeune public: c'étoit avertir la Nation qu'elle étoit pu
menaeée ou malheureuse. Bientot les mesures hostiles
sueeedent aux remontrances chagrines. PQtuquoi une
garde partieuliere pour le Roi? ceUe miJice, formée
sans le concours du Parlement, est illégale et ne peut
subsister sans péril pour les libertés nationales. La
Religion de l'État n'a plus assez de garanties dans
les ancienncs loisct dans le hill sur le test. N'est~




134 RÉVOLUTION DE 1688,
elle pas' incessamment bravée et menacée par le ma·
riage de l'héritier du trone? il faut .donc de nou.
velles sUretés contre le Papisme. Quels sont les per ..
fides conseillers qui ont fait rompre le tí-llité -de la
triple alliance? Par qui fut conelu le .dernier traité
avec Louis XIV? Quel Mi.tre osa conseiller a S. M.
d'attaquer la floUe de Srnyme su milieu de la paix ?
de fermer I'Échiquier? de lever une armée, d' en
donner le commandement a un étranger, de la faire .
camper aux portes de Londres, S&ns doute pOUF in-
timider le Parlement? A-t-on daigné nous commu-
niquer les déclarations de guerre aux États-géné-
raux? et les subsides que nous avons prodigués, ne
nOllS furent-ils pas demandés pour faire respecter,
disoit-on, la puissancedel'Angleterre contre l'aID- /
hition fMmesurée de la France? Il faut conuoitre -en-
110 le ministre pernicieux qui osa conseiller a Sa
Majesté la prorogation du ~4 novemhre.


Shaftsbury étoit l'ame de tous ces mouvenlents,
el les Communes, apres avoir vivement agité c@s
griefs, en dFesserent comme un acle d)aceusation
contre le duc de Buckingham, qui fut mandé a _
leur harre. Soit que Buckingham fut d' aecord se-
cretenient avec Shaftsbury, soit que ron ne tpouvat
point encare assez décidées ses démarches vers l' op-
position, ce fut lui que l' on attaqua personneHement
pour effrayer touts ceux qui comme lui restoient
eneore du ministere de la Cabale. Buckingham ré-




.EN ANGLETERRE. 135
pondit 'avec esprit, mais' d'une maniere eaptieuse,
et tejetta enfin toute sa: responsabilité sur le- S~ré-·
taire d'état, comte d) Arlington.


Celui -ci fut accusé a son tour, mais le Roi Se
hé1ta de. terminer ces débats dangereux. en prentlnt
un partí décisif. Les négoeiations commeireées pour


. un trait' avec les États-généraux IUF en dónnerent
les moyens.,n consulta les deux chambres avec ceUe
affabilité qui Itri ramenoit toujours les esprits, et
cette communicatioll fut aceueiUie d' entoousÍasme.
La pan ayee le~ Ébtts fut immédiatement conclue 1;
et publiée a Londres. Qnatre jours apres, Charles
prorogea le Parlement, et la natioD patot eIlftn sa-
tisfaite.


Louis XIV, en refusant le foible subside diu" 1rnll-
lion tf extraOTdinaire qui luir étoit demandé', avoit
eompris sau-s doute qU'u8 tel secours ne retiendroit
pa-s Charles 11 dans son alliance, ma\lgré le Parle ..
ment .. Le but de la guerre 5' éloignoit de plus en plus
pour l'ün eomme pour l'autre. 11 ne pouvoit plm
etre question de la conq:uete pour ~.ui - la, ni de
splendides déponiUes pour eelui-ci. Qudtanx lJlotifs
de religion qui semhl':Oftmt avoir pl'és¡'d~ aux f~tes et
aux mysteres poli tiques de Don'VFes, ~ilest arbsurde
d'imaginer que les deax Rois ~en fussent occupés


1 Dix-netIÍ Février 1674.




136 RÉVOLUTION DE 1688,
sérieusementalors, croire que Charles 11 en {tt main-
tellant le secret mobile de sa conduite, se~oit plus
absurde encore. Mais il n' en ,étoit pas ainsi de son
frere. Aussi l~ cabiilet de Versailles sut mettre en
CEu;vre tres hahilement les dispositions de ee Prince,
pour dominer le Roí, pour diviser l' Angleterre et
pour empeeher que eette puissance n'alhlt plus loin
que la neutralité.~


Les quatre anllées qui suivirent le traité de paix
avec les États-généraux jusqu'lt la. paix de Nimegue
en 1678 resterent long-temps inexplicables. Mais le
temps., a q~i nuBe vérité ne peut éehapper, a insen-
siblement révélé touts les mysteres. Ces quatre an-
nées furent eonsumées péniblement dans les intrigues
et les f'lctions dont le seeret se trouvoit .~ la eour
de Versailles. Le Roí, qui eraignoit le Parlement,
s'abandonnoit a une politique vénale el tortueuse
pour le tromper, tandis que. le Parlement, se rap ..
pelanttoujours l'emploi frauduleux du subside voté
en J 67-0 pour le maintien de la Triple Allianee, ne
eberehoit -plu~ que dans' la sévérité ses garantie$
eontre la eour ,et eontre les Cat40liques dont le duc
d'Yor,k étoit environné. Sí la force de l'opinion ja-
louse et défiallte faisoit reculer le Roi devant ses
propres desseins, ehaque eoncession anÍenoit une
hostilité ouverte ou eaehée, paree que le Parlement
ne eroyoit plus a la sineérité d'un retour aux inté-
rets véritahles du pays, ni la Cour ne pouvoit crQire




EN ANGLETERRE.


a la modération d'un parti résolu enfin de prendre
ses suretés contre le présent et l'avenir.


Le traité de paix avec les États-généraux étoit vi-
siblement l' ouvrage du Parlement , et Louis XIV de-
voit craindre davantage. Les Communes qui desi-
roient vivement la guerre contre la France pouvoient
séduire Charles par d' ahondants subsides et par la
gloire de dicter la paix ou la guerre sur le continente
Telle devoit etre la poli tique de la Cour, et l' Angle-
terre eut adoré son Roi s'il eut été siIlce~ en pa-
roissant marcher dans cette voie. Mais touts l.es res-
sorts de I'habileté fran'6aise furent tendus pour pré-
venir un danger si grande D'un autre coté, le duc
d'York, déja frappé par le' hill du Te~t, et signalé
comme un ennemi de l' Angletetre par toutes les me-
sures adoptées ou proposées contre les Catholiques,
s'attachoit plus intimement a la cour de Vel'lailles,
et ce fut lui qui proposa de tenter la foiblesse et
l'indigence de Charles. « Un ecclésiastique,») dit-il
a Rouvigny, Envoyé de France, « m'a conseillé de
(e .demander 400,000 livres sterling, pour engager
« le Roi mon frere. a proroger le Parlement· jusqu'a
« la fin de la campagne actuelle (1674 ). »On devine
sans peine par qui étoit suggérée. ridée de l'Ecelé ....
siastique; et }'affaire promptement négociée fut
promptement terminée; mais Charles n' ohtint que
1,500,000 li vres tournois, au líeu de trois millions
auxquels il s'étoit borné d'ahord : etpour un tel sa,-




138 RÉVOLUTION DE l688,
laire, il promit oU de proroger le ParleTJw.nt jus-
qu'au mois d'avril' ,675, ou, s'ille rassembloit dans
l"lrutomne de 1674, de le dissoudre, daos le cas OU
iln'en obtiendroit pas, de subsider .. o\lor9, e' e&t ... il-dire,
si le Parlement étoit dissous, Charles recevroit une
pen~ion de J ,3oo,eo6 livres. Ces transactwns clan-
destines, incessam'ment· l"eDOUvelées, vont devenir
la source des plus grands maux el d'une conspira:-
tion nniverselle cOfltre le duc d'York:


CepeiMant Charles jouissoit d'une $orte de JMPu-
larité, paree fJU'il rentro}! en appare~' dansre.s
intérets politiques du Royaume. n avoit offert sa
médiation aux puissañces helligérantes; ntais déja
pensionnaire:" secret de la Pranee, comment pou-
voit - il agir avec: l'iñlégrité d'tm arbitre? 11 devint
bientbt guspeet ti toufes tes puissanees comme a,u
Parle~ent. Buekingham venoit d' erre éloign~ 0\'1dis-
gracié. Buckingham mail1,tenant, dans }' opposition ~
et Sllaftshury, qui en étoit l' ame el le moteur', con-
noissoient trop bien et le caractere da Roí el les
secrets de la cour, et le clac d'Y ork et le cOUlte d' Ar-
FingtOll, pour ne pas devenir reooutables.. Le nou-
veau TrésorieF-Oshome, eomte de Danhy, partageoit'
l'autorité avec fe comte d' Arlington; mais tonts deux
s'observoient avec défiance, et leuT jalousie passa
jusqu'a la haine. Arlington, dévoué au duc d'York
qui r étoit a fa France; Danby, économe autant
qu'habile, mais Anglais, e' est -a -dire, ennemi dé-




cIaré de la France ,. ne pouvoient rester unis long-
temps. L'un s'attachoit a faire prévaloir les principes
secrets du ministere de la Cabale': l' autre '1 saos ré-
pugner aux mesures qui pouvoient agrandir rau-


" torité royale, s'attachoit a. surmonter le peucllaQt
du Roí et l'ardeur de son frere pour les intérets' . .de
Louis XIV.


Daos eeUe alternative de volontés eontrai:res,
Charles avoit envoyé le cbevalier Temple a La-Haie,
en- qualité d'Ambassadeur extraordinaire, pour y
exercel' les nobles fonctions de médialeur, au nom
de l' Angleterre; et ce Ministre, vérita»1e citoyen,
n'avoit pas vonlu partir avant de bien connoitre
ton te la pensée du Roi. La ferme loyauté de son
langage fut re~ue d' abord avec quelques marques
d'impa"tience. Mais lorsqu'il eut cité ce mot connu
d'un gentilhomme Franqais ( Gourville ) poar qui
Charles avoit en beaucoup d'estíme : «' Qu'un Roí
( d' Angleterre seroit le plus grand des Rois, s'íl
«vouloit etre l'homme de son peuple, et .qu'il ne
C( s~roit rien, s'il vouloit etre quelque chose de plus;»
«Eh t bien,» lni répondit Charles avee effusioo, et
luí prenant la maiu ,« partez. Je V6UX etFe nlORrme
« de mon peuple.» Cependant la médiation, de l' An-
gleterre n'eut aucan sueces. D'aiUeurs Louis' XI'V
acquit dan s cette eampagneune supériorité toujours
glorieuse et: constante, sur le prince d' O:range el
les. alliés. Charles II enfin qui n' oublioit pas son




RÉVOLUTION DE ) 688 ,
traité secret, ne s'exposa point a entendre les re-
montrances du Parlement, et suivant ses conveu-
tions, ¡lle tint ajourné jusqu'au printemps de 1675.


Le Parlement s' ouvrii en fin le 13 avril. Mais les
grands SUCct~s de Louis XIV et I'apparente neutra ..
lité de Charles, qui cependant avoit laissé un corps
de 1 0,000 homme~ en Flandre au service de la
France, avoient 'accru la jalousie et les défi~nces.
D' ailIeurs le .courage des Hollandois , cette admirable
éonstance d'un peuple surpris et trahi qui veut
triompber par ses revers meme de la rigueur des
hommes et de la ~ortune, entretenoient l'admiration
et la pitié de toute l' An.gleterre. Ces nohles ~enti­
lflens, les plus vifs qni puissent remuer une nation,
étoient un danger de plus pour le .gouvernement
dont ils accusoient la politique fausse ou timide,
Arrivés a ce p~int, la Cour et le Parlement s'obser-
voient en ennemis. Toutes les délibérations dans les
deux Chambres en offrent la preuve.


Les Communes dresserent d' ahord un nou veau
hill contre les pretres Catholiques. Elles renouvel-
lerentleurs instances par une adresse pour l'éloi ..
gnelllent de Lauderdale.· Sur la réponse évasive du
Roi, elles persistent dans leur remontrance et y
cbmp"rennent le lord Trésorier comte Danby. Leu!'
plan suggéré par Shaftsbury étoit d' effrayer le Roí,
ou du moins d' enchalner ses Ministres par la terreu!'
de la· responsabilité. Elles demandent aussi le rappel




EN ANGLETERRE.
~


des troupes laissées au serví ce de Louís XIV; et
peu satisfaites de la réponse du Roi, qui promet
seulement de nepas autoriser le recrutement, Elles
s' occupent de mesures plus décisives. Elles pro:-
noncent par un hill la peine de haute trahison
contre ceux qui oseroient lever des taxes non con-
senties par les deux Chambres. Un second hill dé-
ciare vacantes dans la Chambre élective lesplaces
de ceux qui auroient . accepté quelqu' emploi ou of-
fiee de la Couronne. Un troisieme hill protégeoit la
liberté civile et ne permettoit plus d'envoyer les
prisonniers aux Colonies.


,Pendant les diseussions des Communes, qui sou-
tenoient l'attention inquiete du peuple, la Chambre
des Lords s' occupa " elle-meme avec chaleur d'une
de1tes propositions toutes métaphysiques d8nt I'exa-
men public est lui-meme un grand mal.


Dans une monarehie réglée par des lois et limi-
tée, par l'aetion nécessaire et inévitable des grands
co~ps de l'État, le dogme de l' obéissance passive
est impossible a définir; et le príncipe de la non-
résistance y tient de si pres, que vouloir y assigner
des limites certaines, c' est précisément reconnoltre
le droit de résister dans telles occasions que la loi


'n'aura pas prévues, que meme elle n'osera jamais
indiquer. Si ces questions délicates, qui d'ailleurs
ne se rapportent qu'a des circollstances tres-rares,
De sont pas déja résolues par la Religion et les




RÉVOLUTION DE 1688,


rnreurs publiques, iI est inútile et' toujours dange-
reux. de les produire. En politique il faut souvent
imiter la réser~edu Iégislateur d' Athenes qui n'avoit
pa$ prévu le parricide:


LaOour cependant 6t proposer par un lord de
son parti , ( le lord Lindesey, ) un hill qui établis-
soit un nouveau Test ou serment. 11 étoit con~u en
ces termes!


« le déclare qu'il n'est pas ·pefmis, sous quelqtie
.« prétexte que ce . puisse etre, de prendre: les armes
« contre le Roi; que j' abhorre ceUe maxirile pleine
« de trahison : que I'on peut prendre les armes par
«l'autorité du Roí contre sa personne ou contre ceux
« qui agissent en verlu de ses commissions 1 ; et
« je jure qu'en aucun temps que ce soit, je ne ferai
« aucun .tfort pour changer OU altérer le gouve.e-


I Déja en 1661, le Bill des Corporations imposoit un ser-
ment a peu pres sembIable. Cependant les mots En vertu de
ses Commisst'ons avoient excité de grandes discussions dans
l'une et Itautre Chambre. Le Chevalier Vaughani, célebre Juris-
consulte, avott demandé aux CommURes, el le Lord Boutham~
ton A la Chambre· Haute, que l' 011 Y ajoutat le mot Légitimes.
Le PrQcureur-Gépéral. Finch, répondit qu'une Comrnission


, qui ne seroit pas Légitime, ne seroit pas une Commission. La
chose expliquée ainsi, passa dans ce sens. Mais n' étoit-ce pas
laisser la difficuIté dans toute sa force, ou pIutot déclárer qu'en
eertains cas, il étoit permis de résister par les armes aux offi-
ciers du Roí?




EN A.NGLETERRE~ 143
« ment de I'État ou de l'Église. Ainsi., Dieu me soit
« en aide. ¡)


Le moindr.e danger d'une pareille déclaration ~
pour le moment actuef, étoit sans doutede renou-
veler lesvieilles maximes du Covenant, et d'~peler
ainsi toote la multitude a prendre une pan active. a
desquestions abstraites, qui sont ¡nutiles quand l'État
est bien réglé, qui le sont bien davantage quand
les factiops l'agitent. D'ailleurs si le Prince est fq¡t,
il n'a pasbesoin d'un telhoudier; s'il est foiblequ'en
fera-.t-il ?


'*' La discussion dura pendant dix--Iept jours consé-
cutifs, et le biH ne passa qu'a deux voix. C'étoit
constater la force respective des partis en présenee,
et déclarer a toute l' Angleterre que daos la Haute
Chambre la moitié des lords reconnoissoit en cer ..
tains cas le droit de prendre les armes contre le Roí.
Que devoit-il done arriver quand ce hill seroit dis-
cuté dans la Chambre des Communes ? Heureuse-
ment pour la Cour il s' éleva, sur une question de
privileges entre les deux Chambres, un différend
tres vif qu~ rien ne put concilier. Le roi en prit oc-
casion de· proroger le. Parlement, et aucun desbills
respectivement proposés ne put avoir de suite.


La campagne de cette année étoit devenue funeste
aux Fran«;ais qui perdirent Icur imlll()rtel Turenne;
et daos la retraite de l'armée en dec;a du Rhin, le
corps auxiliaire des Anglois qúi soutenoit l'arriere-




RÉVOLUTION DE '1688,
garde, rivalisa d'ardeur avec les troupes Fran~aises
pour venger la mort de ce grand homme. C' est
dans cette campagne que le jeune Churchill, qui
deviendra si fameux, essaya son génie" pour la
guerreo Monmouth aussi, a qui les factions déja
prépa~oient une destin~e si orageuse, se faisoit re-
marquerpar une brillante valeur et par les dons
,heureux que la 'nature lui avoit prodigués.
~a situation' de toutes les puissances bel~igérantes


rendoit ceHe de' Charles imposante, et glorieuse,
comme méqiateur. II assemble son Parlement le
13 octobre et présente, le compte de ses dépepses.
En avouant qu'il ne les avoit pas toujours soumises
aux lois d'une économie exacte, il promettoit avec
grace qu'il n'auroit plus maintenant ce juste reproche
a se faire lui-meme. Il demanda enfin un subside
pour construire des vaisseaux et pour payer les
d~ttes contractées.


Ce ton de prévenances n'adoucit point l'esprit dé-
fiant et chagrin des Communes; si eHes accorderent
un, subside (300,000 livres sterling) pour la ma-
r~ne , elles en stipulerent l'usage par des clauses for-
melles. Quant ·aux dettes du Roi, elles refuserent"
toute allocation, mais seulement a la majorité de
quatre voix. Ainsi la force, ou plutot la foiblesse du
par'ti de la cour dans l'une et l'autre chambre, étoit


, mainfenant connue. Cependant le différend qui avoit
troublé la session derniere s' étallt ranimé, les Com-


\




EN ANGLETERRE.


munes soutinrent leurs prétentions eontre la ehambre
des Lords avee tant de hauteu!', que l'on proposa
daos eelle-ei une adresse au Roi pour luí demander
la dissolution du Parlemellt. La eour ne desiroit pas
moins eette mesure que I'Opposition, et eependant
l' extremp desir qu' en témoignoit I'Opposition suffisoit
sans doute pour que le Roi y réfléehiÍ sérieusement.
L'adresse proposée ne fut pas adoptée. Charles d'ail-
leurs sut mettre un terme a ees dissensions en pro-
rogeant le Parlement, avee l'intention seerete de
multiplier les prorogations.·


Le eongres de Cologne n'avoit eu aueun résultat.
Une seeonde réunion de plénipotentiaires indiquée
a Nimegue ne fut pas plus heureuse, pendant l'an-
née 1676; du moins ehaque puissanee attendit e~­
eore l'issue de la eampagne pour proposer une hase
queleonque aux négociations. Mais Louis XIV, qui
luUoit a peu pres seul eontre toute l'Europe, de-
puis la Baltique jusqu'au Phare de Messine, erai-
gnoit toujours que l' Angleterre ne se joignlt enfin
aux forees de ses ennemis; et Charles mettoit a pro-
6t eette inquiétude. Le due d'York et le due de Lau-
derdale négocioient mystérieusement avec I'Envoyé
de Franee une eonvention entre les d&x 'Rois. Il
s'agissoit d'un engagement réeiproque. Ni Charles II
ni Louis XIV ne pourroient faire de traité d'allianee
sur le eontinent sans leur mutuel eonsentement.
Quant a Charlps II, iI promettoit de dissoudre le


1. JO




RÉVOLUTION DE 1688,
Pademe~t, s'il craigno.it d'etre fo.rcé a ro.mpre sa
pro.messe envers la France.


Le Lo.rd 1;'résoriel~ Danby preno.it part a ces ar-
l'a.I~gements sans les appro.uver. Il y vo.yo.it un péril
extreme do.nt iI développa l'étendue a Lauderdale.
Quand il fut· questiop; de conclure, il éluda pendant
di~ jo.urs; ensuite ii. vo.ulut que touts les ministres
et le Garde du gralld seeau fussept présents. Charles
répo.nd~t qQ.e sa qualité de Médiateur ne permettoit
pas que l' o.n eut connaissance d'un t .. aité. queko.nque
avee la France. On po.uvQjt encore moins se servir
du graIld seeau. Enfin ce fut le Roí lui-meme qui
copia de sa main le. traité do.nt l'Envo.yé de France,
Rouyigny, avoit dressé la minute. Aucun sceau. de
I'Jttat n'y fut appo.~~ .. Un silllple cachet, particu-
lier· aU.ltoi dont, iI p()rto.it le chiffre, attesta seul
l'authenticit~ d~"ul1 acte qui pouvo.it renfermer les
destins de l' Angleterre et de l'Europe. Quand le se-
crétaire de Rouvigny appo.rta ce traité a la co.ur de
~rap~e, la j~ie fut extreme autant que l'éto.nnement
d'une transactio.n si ,impo.rtante et si peu vraisem··
blable~ Lqqis XIV faist;>it de bo.ns .marchés avec le
Roid'.AI!gle.te.!'I~e~ G~J1A~-ci.ne coutaque 1,200,000 liv ..


Ap. P-O~:;()use trouyo.itla guerre a la fin de. 1676,
les États - généraux desiroient vivement la paix, et
le prince d'Orange ne pouvoit.arreter l'essor de leurs
vreuxqu'en leur montrant la do.uble nécessité de s'as-
surer une barriere c.ontre Lo.uis XIV, et de ne pas




EN ANGLETERRE'.


abandollner les alli~s sans leut ~orisentetn'~nt. Une
paix séparée avec la France étoit facile'sans;,dbute,
mais alors tout le poids de la puissanoe frafi<;aise
alloit accabler les Espagnols dans les Pays-Bás. Que
seroient un jour pour la République les effets d'un
si l'edoutable voisinage? L' Angleterre elle -meme.,
quoique sa neutralité apparente reut rendue a peu
pres maitresse de tout le commerce maritime, ne
s'aveugloit pas sur de telles conséquences, puisque
déja la France', qui douze ans aupara~ant comfltoit
a peine deux ou trois vaisseaux de gu~rre dans ses
ports, affedoit maintenant la domination des mers.
Ainsi la raison d'État, les jalousies de nations, la
haine meme, l'intéret enfin des factions tenoient
I'Allgleterre, vivement quoique diversement, oceu-
pée des grands intérets du continente Mais puisque
la cour, et surtout le due d'York, favorisoient 'vi si-
blement la cause de Louis XIV, :c'en étoit assez pour
que la nation défiante et superbe embrassat avec ar-
deur <fes seutiments opposés. Aussi lecri public s'éleva
si fortement' pour une intervention efficace de l' An-
gleterre dans le, nouveau con gres , que le Roí con-
voqua enfin le Parlement. Déja il avoit envoyé.-a
Nimegue le lord Berkley, le chevalier Temple et le
chevalier Lyonnel Jenkins.


Lasession fut ouverte le 15 février 16,77' Apres
avoir recommandé l'union aux deux chambres, et
offert de concourir a toutes les mesurt's qui pour-


10.




RÉVOLUTION DE 16sé,
roient affermir,la. religion .et les libel'tés publiques,
Charles: demanda 11,0 subside pour la marine, rap-
pela aux CC;>InlllUneS que les revenusfixéssur l'aug-
mentation de l'accisepour neuf ans touchoient a leur
terme; et sans parler précisément de la nécessité de
fixer un fonds partieulier pour aequitter ses dettes,
il engagea les députés a se convaincre, par l'examen
des reeettes et des dépenses, que son revenu aetuel
étoit inférieur a ses hesoins.


Les Cornrnunes aeeorderent sans difficulté un sub-
side eonsidérable ( 586,000 liv. st.) pour eonstruire
trente vaisseaux, et prolongerent de trois ans les
revenus affectés en 1668 sur une augmentation de
l'accise.


J\tlais a l'ouverture meme de la session une diffi-
culté assez grave s'étoit élevée sur la légitimité du
Parlement. La prorogation avoit duré plus d'un an,
et l'on invoqua dan s la chambre haute une loi ou
statut d'Édouard III qui partoit expressément : Que
les Parlements se tiendroient unefóis l'an. ~afts­
bury, qui trouvoit que l'opposition dans les Com-
munes n'étoitni .assez forte ni assez passionnée,
insista sur la loi d'Édouard, et prétendit que le Par- .
lement se trouvoit dissous, par le seul fait de la der-
niere prorogation qui avoit excédé les bornes légales
d'une année. Buckingham, Warthon et Salisbury
soutinrent obstinément avec lui eette assertion qui
étoit fausse. En effet, le dernier bill triennal avoit




EN ANGLETERRE.


été révoqué en 1664, et l'acte qui le remplac;oit
portoit: Que l'interruption des assemblées ne du-
reroit que trois ans au plus. Malgré ce 'texte for-
mel, Shaftsbury et ces trois lords s'obstinerent·avec
tant de véhémence qu'ils furentenvoyés a la Tour,
pour y rester tant qu'il plairoit au Roi et a la


. Chambre haute. Buckingham, Warthou et Salishupy
firent des soumissions et furent mis en liberté; mais
Shaftsbury, qui vouloit faire du bruit et se rendre
populaire, invoqua l'autorité des tribunaux, se,sou-
mit'enfin ap'res un an, et ne sortit de ·la Tour que _
pour mettre"État dans une horrible eonfusion.


Tandis que les Communes s' occupoient assez pai-
siblement de· subvenir aux besoins extraordinaires
du Roi, le Parlement fut troublé tont a coup par
les nouvelles successives qui arrivoient du continent ..
Des le mois de février ,Louis XIV avoit ouvert la
campagne en personne. Les trois plus fortes places
des Pays-Rasvenoient de suceomber sous la vigueur
de ses armes; le prinee d'Orange, quivouloit se-
.rir S.-Omer, avoit été repoussé et battu dans
& bataille sanglante; enfin ees avantages si bril-
lants pour la Franee, mais si désastreux pour les
alliés, étoient l'ouvrage de six semaines, et le reste
de la campagne alloit sans doute repondre a ces
commeneements, si I'Angleterre abandonnoit la cause
de l'Europe et la sienne meme, dans ce moment
décisif.




150 RÉVOLUTION DE 1688,
L'effet de ces nouvelles fut prodigieux sur la na-


tion. -Mais la guerre des négociations n'étoit pas
moins active que celle des armes. Louis XIV avoit
prévu que Charles seroit bien foible devant les cris
du Parlement et de l'Angleterre. Aussi lui envoya-t-il
deux millionsd'extraordinaire, a_ condition que le
Par.lement se.roit prorogé au mois d'avril 1678; et
l' on vit bientot Charles n, Roi de la Grande' Bre ..
tagne, prostituer la dignité royale en achetant lui-
meme les ames vénales du Parlement, tandis que
l'Envoyé del'Empereur imitoit cet exemple dans un
intérct tout contraire. Ainsi l' Angletede étoit mise
a l'encan. Ce honteux commerce remontoit au che-
valier Clifford qui l'avoit mis en pratique le flremier
depuis la ~estauration. Mais un gouve.rnement qui
se vend et qui aéhete les consciences court le risque
d'etre vendu lui-meme. C'est ce qui arrivera bientot.


Effrayé des succes glorieux de· Louis XIV, le Par-
lement, par une adresse commune des deux cham-
bres, supplie le Roi : ee de prendre en considératíon
C( l'excessive grandeur de la France, et de gara.
« ses propres domaines par des aUiances capables 11
\1: rassurer son peuple. »


Sur la réponse évasive du Roi, une seconde adresse
lui est immédiatement présentée. Le Parlement le
presse d'un ton plus explicite: ce de ne pas différer
«( des alliances conformes aux vreux et aux besoins
« ?e l' Angleterre. Si memc Sa Majesté se trouvoit


\.




l~N ANGLETERRE.


« par lá engagéea une guerre coqtrela l~'rance, le
Z< Parlement aeeorderoit des subsides etdes s-ecours
( eapables d~ faire respecter l'honneur de la nation. »
- « DóntlPz - moi done,» répondit ·le Ró'j :,: ( les
« tno~~ns d~ vous. d~~idre. » .• 1\'. ". .. ~ .. ' ,':'


Sort que 1 or tran~~llS ptodUlslt deja son effet, dU
que les CORltiiúnes défidntes vOulusserit que Chatl~s
se pronOñ~at lúi-rfienle ; elles n'ac¿órderent que rau-
torisation d'empruriter ~io,()Ob livres,·~terlillg 'sut l;ac-
cisc additionneUe. L' offré paroissoit déri~isire apres
tattt de d~ttiljmtl*lltiótis. AussiL}~Iiatle~:dCclará-t-íl


t. . . ' 1"- ..... •


sUr le' champ qü'a moiris de 6do,óód lívreS' sterliiig
hie~ as~ntéés', il fié' potivoit songer 'effiCá~eriierif fiu"
gralldes J'I'lés'Urés'qtie sollicitbif léPatleriierit.'


usCómmunes délibere'nt iiliniédlatenieni surtette
répónse. Máis pendaht le eóursd~:leuraélibération,
Charles appelle aúpres de lui les deux cháffihres a
White-HálL ¿<Je ne puiscomprdmettre,-» leui; dif;·il~
« ni f6tre su'reté rii la mienne, avant que vous rie
(dI1'ayez misen état de deferidre mes: sujets eF de
cr hravrer lesresselitiments de nmf ennerilisi• Prohóri~
(e eez-volÍs"do'tic. V6us: n'áurez poiilt a vdús" tieperittr
t( d'une grande confianee. Rien n~" p'óurra: ln"entrai'-
« ner' a détoUrher pbtir d' ául~es""u~ag~s ··leS' : subsides
(( que vous' aure~ accórcMs;. J~; 'vbhs engage ma p~-
( role de' Roi. » ..•


I.JR questíon amenée a ees termes simples, il's'a-
gissoit maintenaIlt Olt de s'abandonncr san s l'é'serve




RÉVOLUTION DE 1688,
I


ou de lI)ontr~r a .I'Europe que ceUe parole royale ne
paroiss()it qu'un perfide mensonge au Parlement. Les
COll)munes agiterent vivement l~ considérations les
plus QPposées. -1ei les histqriens cherchent a expli-
quer.la. déciswn. ·qU.i . fut .pr;'~e. Mais s'ils sou}>'60n-
n.Qie~t la djssi~'ld~i()n . du "-oi el la défiance des
Communes t qui ·n'oublioient pas la foi ·trahie, dans
l'affaü,.e ,d~ subsidevoté 'PQU~ le maintien de la
Triple, AHj~u;l~#:".ils ignoroient qu~ Charles étoit lié
par une. ~~lne ~j'9r, 'a Ja Fr~nc~" et· ql,le.le Duo son
frere: n~hr:~d9.~l:9i~! ;-rien tant qu'une; a.lliance sincere
du Roí; et,{w: Pa:rl~~ent. Quoi qu'il en soit., la dé-
fiance pr~valu~:9ans les Communes;etau lieu d'of-
frirun subside.,;elles présenterent au Roiune adresse
qui supplioit.S~.Majes~: «defonner avec les États
« généraux un~ a~lian(!e offensive et défensive contre
« la France;}l promettane d'ailleurs: un riche et
prompt subside pour appuyer non seulement ceUe
alliance, mais encore toutes celles qui deviendroient
nécessaires. Le Roí fit une réponse fiere etsévere
aux Communes, leur reprocha d'attenter a sa pré-
rogative, et leur ordonna 4e s'ajourner immédiate-
ment au 3 décembre.


Au milieu de ces débats, fruits amers et inévi-
tables de toute politique tortueuse ou contraire aux
íntérets naturels d'une n.ation, les partís s'excitent,
s' encouragent, s' exaltent. Le duc d'Y ork est le but
de toutes les attaques, et le jeune due de Monmouth




EN ANGLETERRE.


se voit caressé par toutes les espérances factieuses.
Brillant d'ardeur ~ de coutage et de jeunesse, enivré
des premieres vapeurs de la gloire qu'il venoit d'ac-
quérir an siége de Maestricht, on fait luire a ses
yeux les premiers rayons d'une ambition immense.
l/e mariage du Roi, lui dit .. on, ne -donnera point
d'héritiers directs a la couronne; et cependant le
duc d'York, en llisantasseoir le Papisme sur le
treme d'Angleterre, ne seroit qu'un Vice-Roi de
Louisr XIV.L' Angleterre subira-t-elle ainsi l'escla-
vage et l'humiliation? Pourquoi la tend~esse pater-
neHe , unie a la faveur populaire et a l'autorité du
Parle:ment, ne feroit - elle pas pour Monmouth, ce
que Henri VIII -et le Parlement ont fait pour Eli-
sabeth? La cause est la meme, iI s'agit de la reli-
gion et de la liberté. Qui sait d'ailleurs si la nais-
sance de Monmouth Jl'est pas le fruit d'un mariage
légitime? Si enfin le mariage politique de Charles
avec l'Infante de Portugal, ne seroit pas nul , devant
un mariage antérieur quoique secret? Les preuves
peuvent se retrouver, ou les trouvera san s doute.
. En effet, Ross, Écossois, tuteur de Monmouth,


avoit engagé, peut -etre déterminé, I'Éveque de
Durham a signer une--attestation d'un n1~riage SlCret
de Charles sur le continent avec la mere de Mon ...
mouth. Ce Prélat avoit averti le Roi des démarches
faites aupres de lui, et apres sa mort on publia hau-
tement l'existence de ce certificat, vrai ou faux.




1 54 RÉVOLUTION DE 1688,
Quoi qu'il en soit, lVlonmouth, facilement séduit
au charme décevant de cés pensées, osa tout espé-
rer de la tendresse de son pere. Noncontent de
(~ommander les Gardes du Roi, il demanda la di-
gnité de Généralissime, qui depuisl670 étoit restée
vacante par la mort de Monk, duc d'Alberlllale. C'é-
toit le duc d'York qni avoit représenté an Roí le
danger de donner a Monk U:rl sttccesseur. Uné pré-
tention si hardie révéloit daos M()nmouth llneat'il·
bition extraordinaire qui éveiHa naturel1erhent les
soup~ons dll Prince; mais ni )a jaloU'sie ni les rai-
sonnements né purentvaincre latendresse de Cha~i'es,
Tout ce que put ohtenir le duc d'York fut qüe"lui-
meme auroit le titre de Généralissiriw : titrevain ét
stérile depuis le hill du Test,- a mdins'qu'une guerre
étrangere ne lui permit <Í'en exercer la charge sur
le continent. Monmouth an contraire obtint le hl'e-
vet de Général des troupes d' AngleteiTe" dati~ les
t1'ois royaumes. Il eut meme la dextérité co:upable
de, faire effacer, dans la Commission déja signee,
mais non encore délivrée, le mol naturel, dans
ceux d~ ,non jils naturel- que la- surveilIance du
Prince avoit en soin d'y faire inscrire~ La: m:eme·
sur.illance découV'rit la fraude. Le duc d'York
saisit a la ChanceUerie le brevet qui, ainsi altéré,
allúit etre remis ~í Monmouth, et le porte an Roi.
Charles, sans rien dil'e, le coupe de ses propres ci-
seaux, et en fait délivrcr un nouveau. Cette con-




EN ANGLETEP.R.E. 155
duite du R.oi peut-elle etre attribuée a une politique
pl'ofonde ou a l'aveuglernent de la tendresse pater-
nelle? Il De pouvoit ignorer des projets, téméraires
sal1S doute, mais dangereux. Buckingham les avoit
con~us, Shaftsbury s'en empara, le lord Montagu,
Ambassadeur a la cour de Franee, les adopta, la
duchesse de Portsmouth elle - meme n'y resta pas
étrangel'e dans la suite. Quant au partí répulJlicain,
AIgernoon Sidney disoit en riant : « Peu m'importe
« qu'un Roi d' Angleterre ait le nom de Jacques de
« Monmouth ou Jacques d'York. Mais tout ami de
ce Ja Liberté, s'il lui faut subir la Royauté, doit pré-
(e férer un Roi dont le titre équivoque sera au moins
( le garant de ses ménagements pour les libertés du
({ Pays. »


Au mílieu de tant de passion6 qUÍ s'agitent, le
Prince d'Orange, toujours supérieur a la bonne et
a la mauvaise fortune, veut lui - me me arracher le
Roi d'Angleterre a l'ascendant de Louis XIV. Il vient
a ·Londres, observe froidement touts les partis, n'en
désoblige aucun, les intéresse touts, et demande au
Roí son onde la fille ainée du duc d'York- en ma-
riage. Soit qu'i1 ne considérat encore que l'iminense
intéret du présent, ou qu'il embrassat déja l'avenir
dan s ses vas tes regards, il montroit ainsi a I'Europe
un allié plus ~edout3.;ble coratre Louis XIV, et a
l' Angleterre un protectem' de·la Religion protestante,
s'il montoit un jour sm' le tl'onc , peut - etre Ineme




RÉVOLUTION DE 1688,
un prétendant a la couronlle apres Charles II, si la
Religion de l'héritier légitime devenoit un motif d'ex-
clusiori. San s doute cette grande combinaison n' étoit
qu'enveloppée encore d'obscurs nuages dans son es-
prit contemplatif. Mais il y a dans les creurs ambi-
tieux une .. sorte de divination qui les éclaire sur les
grandes destinées dont ils sont réellement capables,
et qui ·leur indique des voies et un but long.temps
invisibles pour le commun des hommes.Quoi qQ'il
en soit, la cour de France, qui depuis long-temps
craignoit ce mariage, avoit bereé le due d'York,
des l'année 1673, d'une alliance plus conforme aux
inclinations poli tiques de ce Prince et bien plus ma-
gnifique en apparence, puisqu'il s'agissoit de marier
sa filIe avec le Dauphin l. Mais Charles, séduit par
les grandes qualités de son neve u , et d'ailleurs ex-
cité par le desir secret d'assurer enfin la tranquillité
de son regne, déja si troublée par la Religion de
son frere, adhéra aux conseils du comte Danby et
du chevalier Temple, parla en maltre au duc d'York


I Lá Cour de France nesongeoit nullement a ~e·mariage.
Elle vouloit seulement enchainer le Duc d'Y ork a ses intérets,
par ces brillantes espérances. Le Marquis de Rouvigny fut meme
chargé de lui proposer le Prince de Conti, mais il n'o~a pas en
parler au Duc, et:lit agréer les motifs de son silence a Louis XIV,
qui permit d'abandonner ce Prince a ses premieres illusions.
(Mém. de Blancard, Secrétairc de Rouvigny. )




'EN ANG LETERRE.


et condut le mariage, aux grands applaudissements
de l'Angleterre. La cour de ~ranee en fu~ courroueée
contre le due d'York et surtout eontre le Roí; mais
le Due n'avoit pas meme eu le temps de l'en pré-
vemr.


Tout faisoit penser que Cha¡;les 11 alloit prendre
immédiatementavee son neveu des résolutions vi·
goureuses pour assurer la paix du continent et l' é-
quilibre de l'Europe, par une intervention déeisive.
Cependant, quatre jours apres le mariage, il prorogea
au 4 avril 1678 le Parlttnent qui alloit se réunir
le 3 octobre. C'étoit renoneer a tout subside présent
et se prononeer en quelque sorte eontre les vamx
si énergiquement exprimés dan s la derniere sessioll.
II est juste cependant de reeonnoltre qu'il ne devoit
pas brusquement reeourir. aux armes sans avoir
tenté la voie des négoeiations. Charles n'av<1Ít point
d'enfant légitime pour lui sueeéder; tout faisoit pré-
sumer déja que la duehesse d'Yorkne donneroit
point .d'héritiers a la Couronne. Le mariage du
prine~ d'Orange avee l'héritiere apparente du trone,
sembloit. done ajou'ter a la médiation· du Roi, une
force bien supérieute a la force mystérieuse des in-
trigues multipliées qui jusqu'iei n'avoit montré eette
médiation que eomme une intrigue de plus. En
effet, le prinee d'Orange assistoit maintenant a des
eonférences régulieres entre lui, le Trésorier, le
che~alier TeIIJple et le ..Roí, sur un plan de paeifi.




158 niVOLUT[ON DE [688,
cation générale. Ce plan, quand il fut arreté enfin,
devoit etre immédiatcment notifié a Louis XIV. Le
chevalier Temple étoit chargé de le porter a Ver-
sailles, d'exiger une réponse décisive en deux jour~
et de repa.rtir le troisieme. Temple d'ailleurs, homme
d'état, véritable Auglois, étoit assez connu pou!'
que la Cour de France n' espérat pas de rien gagner
sur ce moderne Phocion. Mais des le lendemaÍn, le
Roi lui retira sa commission. Pour remplir un mi-
nistere si impérieux et si délicat, il falloit, dit-il,
un homme contre qui la 'rance eut moins de pré-
ventions ou de ressentiments. 01', ce fut un Fran-
.;;ais, dévoué au duc d'York, le lord Duras, depuis
comte de Féversham, qui fut subitement substitup
au chevalier Temple. Cependant le prinee d'Orange
partit avec la promesse du Roi, que si Louis XIV
ne dontlOit pas une entiere satisfaction au lord
Duras, la guerre seroit immédiatement déclarée.


Mais dans le mthnc temps, Charles s'excusoit se-
cretement aupres de Barillon, nouvel ambassadeur
de France, et lui déclaroit que malgré la mission
formelle de Duras, il vouloit rester en paix. De son
coté, Barillon voyoit le duc d'York presqu'il ses
genollx, le suppliant de détourner Louis XIV de
toute agl'ession contl'e la 'F\andre, a \' ouverture de
h. campa~ne. A.\n~\ \?l'évenu, -Loul~ XIV Ulnu'&a \e
lord Duras, qU\ excéda plus que \e terme de ~a
mission et ne rapporta en Anglcterrc que la pro-




EN ANGLETERRE. 159
messe de négocier. Les négociations en effet r<,com-
mellcent d'un coté avec Barillon, de l'autre avec }<,
PrilH~e d'Orange et les États-Généraux. Fatigll(~
enfiu des inconstances de Charles et surtout bien
pn~paré a la guerre, Louis XIV repousse la mé-
diation el retire les subsides secrets. Alors courroucé
lni-meme et enlacé dans ses proprt-'s filets, Charles
révoque la prorogation du Parlement, réunit les
ocux Chambres le 15 janvier, demande et obt~ent
un subside de deux millions sterling pour quatre-
vingt-dix vaisseaux et une armée, leve en six st'-
maines 20,000 hommes qu'il envoÍe en Flandre
sous le commandement de son frere, et signe avec
les États-généraux une alliance offensive et défen··
sive. Le duc d'York, irrité a son tour contre la
France qui l'abandonnoit, embrassa vivement eette
occasion de recouvrer quelque popularité dans une
guerre qui devenoit toute nationale, ou du moins
de calmer les haines et les défiances dont iI st:'
voyoit accablé. Monmouth, avee d'autres pensées,
fut ravi de ces démonstrations guerrieres. Son pere
lui donnoit trois mille hommes poue· protéger Os-
tende.


Dans cette l'apide péripétic, Louis XIV prit aussi .
d'autres conseils, et s'uuit a l'instant meme an parti
de l'opposition contre la Cour d'Angleterre. De la
les contradictions du Parlement, inexplicables, si le:;.
sourcles négociations de Rarillon n 'en donnent l'ex-




RtVOLUTION DE 1688,
plication tout entiere. Louis XIV craignoit ;lvec
raison que les troupes angloises, réunies a ceHes du
Prince d'Orange, ne fissent changer la fortune de
ses armes, ou ne rendissent les conditions de la paix
moins favorables pour lui. Quant aux chefs de I'Op-
position, s'ils avaient souhaité ardemment la guerre
contre Louis XIV, ils n'étoient pas moins inquiets
de voir le duc d'y ork a la tt~te d'une armée. Dans
cette complication de vues et d'intérets, l' or et la
corruption coulent a grands flots parmi les plus fiers
amis de la liberté. AIgernoon Sidney, le républicain
Sidney se vend comme un autre. Shaftsbury (que
cette justice luí soit rendue) reste incorruptible,
ainsi que le lord Russel-. La haine suffisoit au pre-
mier contre le duc d'York; un plus noble sentiment
cxcitoit Russel contre le 'Prince~ L'Opposition enfin
s'engage ave e la France a n'assurer que pour un
million sterling, au lieu de deux, le subside voté
pour soutenir une alliance qu' elle a en quelque sorte
forcé le Roi de signer. La ruine du comte Danby
fut également résolue et convenue. L'Opposition
l' exige parce que la chute du Trésorier doit précé-
der ceHe du duc d'York, et la France le lui aban-


, donne, bien sure que le moment du péril ou la vio-
lence des factions luí ram(mera le Roí d'Angleterre .


. En conséquence le bill de subsides fut hérissé, a
dessein, de conditions auxquelles on ne pensoit pas
que le Roi voulút consentir. Mais il accepte toul et




EN ANGLETERRE.


continue a lever des troupes. Alors l'Opposition de-
vient une véritable conjuration. Elle traite avec l' Am-
bassadellr de France, promet de faire licencier }'ar-
mée, envoie enfin, direetement a Versailles, un
émissaire ponr savoir si le secret lui sera gardé in-
violable. En repos maintenant du eoté de l' Angle-
terre, ¡Louís XIV marche en Flandre, s'empare
d'Ypres et de Gand, devient presque le maltre des
conditions de la .paíx, si l'Angleterre ne change pas
de résolution. Mais il eut bientot décidé Charles II
a des négociations nouvelles, que le duc d'York favo-
risa de tout son pouvoir. Le Trésorier ne doutoit pas
que le Roí ne l'abandonnat an Parlement, s'ille con-
trarioit trop ouvertement dans son amour pour les
subsides extraordinaires. Six millions acheterent
done la neutralité de Charles, qui promit de ne
point assembler le Parlement avant six . mois et de
licencier l'armée. Ce traité fut conclu le 27 maí 1678.


Louis XIV n'agissoit pas moins habilement sur
les :États-généraux par ses· négociateurs. Il savoit
rardente passion du prin,ee d'Orange pour la conti-
nuation de la guerre, maís .jI savoit aussi que les
États, fatigués des irrésolutions de White-Hall et sa-
tisfaits d'avoir en6n sauvé leur territoire et lenl' li-
berté, souhaitoient vivement la paix. Il arma, tout
a la fOÍs, la jalousie des villes de Hollande contre
I'Angleterre qui senle faisoif le commerce marÍtime,
el lpur inquiétudc répuhlicainc contre la grandeur


J. 1 J




ntvoLUTION DE J688,
du pl'ince d'Orange. Celuí - ci, que le duc d'Yol'k,
tout en négociant avec Louís XIV, amusoit de vaines
illusions, ne comprenoit rien aux contradictioIlS du
Parlement sur la paix et sur la guerreo Dans ce con-
flit d'intérets contraires, son opposition a la paix
n'empecha pas les États-Généraux d'écouter les
propositions de la :France. Dans cette situation,
Louis XIV devenu m~ltre des conditions par son
habileté, par le succes de ses armes et la di v ision im-
minente de ses ennemis, brave l'Espagne et déclare
qu'il gardera les Pays-Bas. Alors touts les alliés in-
voquent l' Angleterre et la pressent de ne pas aban-
donner a la France des provinces qui seules peuvent
garantir l'existence des Provinces-Unies. Charles Il
ne peut résister a tant de réclamations. Il envoie
aux États-Généraux le chevalier Temple pour es-
sayer un simulacre de négociations; mais, cornrne
au temps de la Triple Allian~e, le chevalier Temple
réussit mieux que son Roi n~ le désiroit. n conclut
en six jours un traité qui obligeoit l'Angleterre a dé-
darer la guerre aux Fran~ais, si Louis XIV dans deux
mois n'a pas abandonné la Flandre et la Belgique.


Ce traité, con~u dans les vrais ¡ntérets de }' An-
gleterre, mettoit le Roí dan s la nécessité de réunir
le Parlement, puisqu'il brisoit par ·Ie fait touts les
engagements seerets contractés avec Louis XIV. Mais
recourir au Parlement, c'étoit précisément ce que
la Cour craignoit le plus, ('t . alors <;c n' étoit pas




EN ANGL1.:TERRE. 163
sans raison. Aussi ·Charles tenta encore de négocier
avec le cabinet de Versailles et demanda quatorze
millions. Cette versatilité lui réussit mal. Assuré
maintenant de l'opposition du Parlement qui lui étoit
vendue, I.¡ouis XIV, pour décider les États-Géné-
raux, leur fit connoltre les propositions de White-
Hall. Indignés de cette poli tique mercenaire, les
États s'empressent d'accepter et de signer séparé-
ment la paix, tandis ~ue le Prince d'Oran~e, a\1. \.\~~
espoir de voir abandopner la Flandre a Louis XIV,
attaque par surprise l'armée fran<;oise a Saint-Denis-
sous-Mons, pour rompre la négociation si elle n'est
pas terminée, ou la paix si elle est réellement con-
cIue: on dit qu'il en avoit le traité. Le fait n' est pas
certain, mais l'histoire avec raison lui reproche le
sang inutilement versé dans cette agression. Quoi
qu'il en soit, l'exemple donné par les États - Gé-
néraux fut bientot suivi par les autres puissances
belligérantes, et les trois traités de Nimegue 1


t Traités de Nimegue : 10 aont 1678, avcc les États-Géné-
raux; I'J sep~em,bre avec I'Espagnc; 5 février 1679, avec l'Em-
pereur et l'Empire.


Ce fut le 14 aoút, c'est-a-dire, -quatre jours apres la stgnature,
que le Princc d'Orange attaqua l'année fran<;oise, qui faisoit
encore le blocus de Mons. Le Prince, qui vouloit toujours la
guerre, saisit cette occasion du blocus, et prétendit que le
traité signé le 10 luí étoit inconnu. Le combat fut sanglant,
mais l'avantage resta aux Fran~ois.


11.




164 R~VOLUTION DE 1688,
permirent a rEurope de respirer enfin. Ce fut le
moment le plus glorieux du regne magnifique de
Louis XIV, et le plus humiliant du regne toujours
vénal de Charles nI. La Hépublique des Provinces-


1 Les historiens anglois attribuent a Louis XIV un projet
qu'il n'a jamais eu. "Sa perspective réellc et prochaine,» dit
lJume, «fut pendant plusieurs 'années la Monarchie de I'Europe,
"un Empire plus vasto que celuí de Charlemagne, égal peuH~tre
« a celui de Rome; et si le gouvernement et l'État de l'Angletenc
« eussent été plus long-temps les memes, on ne con~oit pas fa-
« cilement qu'il eut pu manquer son but."


En réduisant a leur juste valeur ces exagérations, d'ailleurs
bien naturelles a un peuple trahi, hnmilié, indigné, ji est plus
simple de dire que Louis XIV voulut donncr a la France les
limites et la grandeur que la nature lui assigne. Alor8 l' Alsace
et la Lorraine, la Flandre, la Franche - Comté, la Delgique
meme, comme autrefois la N ormandie, la Bretagne, l' Aquitaine ,
la Picardie et la Bourgogne, étoient pour la France ce que 11'
Pays de Galles et l'Écosse étoient jadis pour I'Angleterre.


LouÍs XIV suivoit le projet primitif de Henri IV, fondé par ce
g.rand Roi, et continué par Louis XIII, d'affoiblir la maison
d'Autriche, et de rendre a la Monarchie ce qui en étoit sorti de-
puís que les grands vassaux de la COU1'onne l'avoient démembrée.


Quant au Roi Charles Il, Hume s'exprime ainsi a l'occasion
du trai té de Nimegue : "Tandis que ·l'Espagne, la Hollande,
,,1'Empire et les Princes d' Allemagne appeloicnt l'Angleterre a
" haute voix pour la eonduire a la victoire, a la liberté, et con-
«spiroient a la rendre plus glorieuse qu'elle ne l'avoit jamais été,
« son Roi, pal' de vils motifs, avoit secretement vendn son alliallce
«a Louis, et s' étoit laissé corrompre p,our trahir les intérets de




Unies, <{ui, dans les prcmiers plans de la gUC'lTl',
devoit pel'dre jusqu'a son nom, conserva jusqu'aux.
moindres parcelles de son territoire; et le prince
d'Orange, agrandi sur tant de champs de bataille,
voit sa patrie libre enfin. Mais nOlivel Annibal, et
frémissant de déposer ses armes, il jure a la France
une éternelle haine; iI montre pOlil' l'avenir un chef
implacable aux ennemis de Louis XIV, et un ven-
geur toujours pret aux fédérations protestantes.
Quant a Charles II, iI re<;oit le triste salaire de sa
politiqueo Louis XIV lui refuse durement l'argent
promis par la secrete convention du 27 mai pré-
(~édent, le laisse en pl'oie aux factions qu'il encourage
<,t l'abandonne au Parlement qui bientot va déployel'
sa rigourense inflexibilité.


,. SOll peuple .... Les défianccs, les oppositious du Parlclúent, quoi-
tllle dangereuses eu cllcs-tuemes , étoicnt l'uni(Juc remede contre


,. tant de maux plus dangcreux cm:orc .... »




SOMMAIRE.


1678 - 1679.


Titus -Oates, ou le Complot des Papistes. - Papfers de CoJe-
man.-Mort de Godfrey.-Politique du Comte Danby.-
Papiers du Lord Montagu. - Parlement. - Dépositions de
Titus - Oates et de Bedlow. -- N ouvean Test. - Accusation
contre le Comte Danhy. -Négociation de toutes les Factions
ave e la France. - Le Parlement est dissous, et le Duc d'York
exilé. - Nouveaux Ministres. - Suite du Complot. - Iniqui-
tés sanguinaires des J uges.


--------~_ .. ------




RÉVOL. DE 1688, EN ANGLETERRE. 167 \


LIVRE IV .


1678 - 1679.


LES événements que l' on va raconter, ne seroient
qu'un effroyable mystere de cruauté stupide, si I'on
ne pénétroit pas jusqu'a leurs sources les plus ca-
chées en apparence. Une nation ne tombe pas su-
bitement et sans cause" dans un délire universel qui
faít horreur; et si l' explosion de ce délire est com·
mune aux dasses meme les plus élevées de la so-
ciété, la cause réelle en existe certainement dans
des passions universellps et profondément enraci-
llées, appuyées peut-etre sur les Jois ou sur de
grands intérets témérairement menacés.


Lorsque la Religion 'Catholique, attaquée dans
toute l'Europe par le granel schisme du seizieme sie-
ele, fut aholie en Écosse, en Angleterre et en 11'-
lande, la maison d'Autriche, sous prétexte de la
défendre ou de la rétahlir, affecta la domination
lIniverselle. Philippe II surtout, qui déja s'étoit
rendu formidable aux Anglois sons le regne de
Mal'ir, sa femllH:' el l<'ur Souvel'aine, qui depuis s'é-




RivOLUTION DE 1688,
toit rendu odieux aux nations Protestantes par ses rí-
gueurs dans les Pays-Bas, voulut enfin placer sa filIe
sur le trone de France, que Rome avoit 'déclaré
vacant apres l'assassinat de Henri III; et les ~uise5,
chefs de la Ligue dont il étoit le Moteur et le Pro-
tecteur, fomenterent en Écosse ces terribles mouve-
ments devenus si fataIs a Marie Stuart et a sa raee.


Alors Philippe II et Rome avoient porté une égale
sen ten ce contre Henri de Bourbon, Roi de Navarre,
et contre ÉJisabeth. Henri appella du jugement de
Rome a Dieu et a son épée victorieus.e. Elisabeth
appella aussÍ des sentences de Rome a la haine de
ses sujets contre l'Inquisition de Philippe et contre
luí-meme. De la toutes ces lois terribles contre les
Catholiques d' Angleterre, et en particulier contre
les Missions de Rome et de Madrid.


Dans ce siecle, un nouvel institut venoit d'etre
fondé par un gentilhornme espagnol, 19nace de
Loyola, pour convertir les infideles, et propager la
foi catholique dans les deux lndes. Mais pendant
les guerres civiles de la grande fédération Chrétienne,
la sombre et profonde politique de Philippe II lui
montra hientot les infideles qu'il falloit convertir
en Europe. Les cinq premiers généraux de la Com-
pagnie de Jésus furent des Espagnols qui lui im-
primerent le caractere ineffac;able de leur nation,


,de leur souverain, et des temps OU ils vécurent.
Ce qu'ils fi['cut puur Philippe eH France contec




EN ANGL.ETElUtE.


Henri III et contre Henri IV est connu; mais lenrs
missions en Angleterre doivellt ici trouver leur place
en pcu de mots.


Avant l'établissement de ces missions, Guillaume
AlIan, ou Allen, né a Lancastre, s'étoit réfugié
dan s les Pays-Bas espagnols. Pretre d'un génie émi-
nent, c'étoit lui qui dirigeoit secretement le clergé
Catholique d' Angleterre. l\fais ses líáÍsons ouvertes
avec les ennemis d'Élisabeth et surtont avec Phi-
lippe I1, avoient excité la vigilance et toutes ·Ies ri-
gueurs du gouvernement. Correspondre avec lui
étoit un erime de haute trahison, et le P. Thomas
Alfied, jésuite, fut condamné a mort pour avoir
apporté un de ses écrits en Angleterre. Tant les lois
étoient barbares ou la direction spirituelle des Ca-
tholiques téméraire ou imprudente.


Guillaume AlIan ,devenu archeveque de Malines,
avoit déterminé a Rome le Pere Général des Jésuites
a confier les missions d'Angleterre et d'Irlande aux
Religieux d~ cet instituto Alors arriva dans les lles
Britanniques, la premiere colonie réguliere des Jé-
.suites, sous·la conduite du P. Parsons, Recteur du
College Anglais de Rome, et du P. Edmond Cam-
pian, né Anglais. Le grand éclat que répandit sur
cette mission, le talent du P. Campian, alarma
Cécill, ministre d'Élisabeth: Cécill voyoit partout
des conspirateurs. Campian et quelques-uns de ses
compagnons sont arretés, accusés, condamnés et




RÉVOLUTION DE 1688,
livrés au suppliee. Hume, en général SI l'éservé,
prétend que le P. Campian s'avoua eoupable dans
ses interrogatoires. La vérité de eette assertion est
plus que douteuse. Campian n'étoit parti de Rome
qu'apres avoir obtenu du pape Grégoire XIV, de
grandes modifieations a la bulle de Pie V eontrc
Élisabeth. Rempli de zele, mais d'un zele éclairé,
ses rares talents, son érudition et son éloquenee
étoient relevés par la doueeur d'un earaetere mo-
deste et aimable qui n'avoit rien de eommun avec
l'ardeur d' AlIan et de Parsons. Il est eertain qu'il
mourut en protestant de son innoeenee et en priant
pour la Reine d'Angleterre; mais l'impression don-
née aux esprits par l'appareil des suppliees, resta
toute vive, et Parsons, qui éehappa aux poursuites
de Céeill, la justifia depuis.


En 1588, la fameuse Arnutda, ou fIoUe invin-
cible, préparée a si grands frais pendant quatre an-
nées par Philippe 11 contre Élisabeth, se dissipa
devant les tempetes et le eourage de la Jleine. Allan
et le P. Parsons avoient composé le manifeste de
eette expédition, manifeste qui déclaroit Élisabeth,
indigne de régner et de vivre, et qui d~lioit les An-
glais de leur sel'lnent de fidélité. Ce manifeste ne
fut qu'un arret de mort eontre ceux qui en seroient
dépositaires. On le trouva chez le eomte d'Arundel
qui le paya de sa tete.


Apres la mort d'Élisabeth, le caracLcre pacifique




l:N ANGLETERRE.


de Jacques I er amortit ces fureurs que la conspira-
tion des poudres vint réveiller tout a coup. Les
conspirateurs punís, Jacques lef imposa aux pretres
Catholiques le serment d'allégeance. Auparavant iI
n'existoit de serment que pour les Anglois qui en-
troient dan s les charges de l'État ou dans les béné-
fices de I'Église Anglicane.


Le nouveau serment étoit dégagé de tont ce qui
emportoit directement ou indirectement la recon-
naissance de la suprérnatie de la Couronne sur la
Religion. Il n'étoit qu'un simple serment de fidélité
au gouvernement. Les Pretres Catholiques d' Angle-
terre se diviserent irnrnédiaterncnt sur l'obligation
de le preter ou de le refuser. La Sorbonne l'approu-
voit a París, et Paul V le eondamnoit aRome.
e' est a eette division, qui se perpétua parmi les
Catholiques d' Angleterre, qu'il faut s'attaeher parti-
eulierement, pour saisir le nreud des diffieultés ou s' em-
barrassa témérairement le due d'York devenu Catho-
lique lui-meme. Son malheur fut de ne pas reconnoltre
que l'esprit de Rome étoit changé, que les temps de
Philippe II étoient passés, et que, pour protéger la
Religion Catholique dans l' Angleterre protestante, il
ne falloit pas la montrer incompatible ave e le5 10Ís
du pays, avee l'existenee merne du gouvernement l.


1 On trouvera a la fin de cette histoire une Consultation de
Rossuet donnée a Jacques 11, par ordre de Louis XIV, sur ces
questions délicates.




RÉVOLUTION DE ) 688 ,
Avant que Jacques Icr eut imposé le scrnwllt


d'Allégeance, la division régnoit déja parmi le Clergé
Catholique. Les séculiers vouloient des Éveques.
seul moyen d'avoir une Église Catholique Nationale.
Les ordres religieux ne vouloient que des Vicaires
Apostoliques : de la le nom de Papistes qui devillt
si fatal aux uns et aux autres. L' Archeveque de
Malines, Allan avoit déja faÍt passer toutes les
Églises sous la direction de l'Institut des Jésuites;
et le crédit du P. Parsons fit décider la question a
Rome, lorsqu' en 1 598 le Pape nomma Georges
Blackwell, son Vicaire Apostolique, sous le titre
d' Archipretre d' Angleterre.


L'Archipretre se laissa gouverner d'abord par le
P. Garnet, provincial; et son administration excita
des plaintes si vives, si multipliées, que le Pape
Clément VIII lui défendit de se conduire par les
conseils de ce religieux.


Mais en 1606, l'Archipretre se soumet au serment
d'allégeance. Il est imité par la plus grande partie
eles pretres séculiers, et il soutient eette démarche,
contre les réc1amations des Pe res de la compagnie
de Jésus, par ses leUres pastorales et par un mall-
denTent.


Cepelldant Paul V venoit de condamner ce ser-
ment, qu'il confondit sans doute avec le serment de
suprématie, et que Bossuct, consulté plus tard, ap~
prouva. Quoi qll'il f'n soit, le cardina] Bcllarmin,




"EN ANGLETEHRE.


savant Jésuite, et l' Apotre de la souveraineté des
Papes sur les Rois, engagea"vainement l'Archipretre
a se rétracter. Sur la persévérance de ses refus ,
Blackwell fut destitué de sa dignité d' Archiprthre.


Depuis cette époque, l'Église Catholique d'An-
gleterre resta divisée devant ses ennemis. IJa cause
de l'Épiscopat y fut perdue, et la direction spiri-
tu elle des fideles fut toujours confiée a l'ordre des
Jésuites qui, étant la plupart Flamands ou Espagnols
et condamnant surtout le serment d'allégeance, de-
meurerent eonvaincus, dans l' esprit des Anglois,
d'une conspiration permanente contre le gouver-
nement. C'est a ce parti ~ comme on ra déja dit, que
le duc d'Y ork, devenu catholique, donna la préfé-
rence quand il fut Roi, au, lieu de s'attacher au
clergé séculier qui étoit composé d'indigenes t't
admettoit le serment d'allégeance. Il attira ainsi
témérairement sur l~i toutes les haines et toutes les
appréhensions qui '3'attachoient au nom de Papiste,
depuis la cOl1spiration des poudres et le massacre
d'Irlande. Ces haines et ces terreurs, assoupies plus
qu'éteintes par la restauration, s'étoient réveillées
lors du terrible incendie de Londres. Les sourdes ,
mais calomnieuses rumeurs qui se' répandirent a
cette époque, s' étoient renouvelées quand le duc
d'y ork se fut déclaré Catholique. L'invasiol1 de la
Hollal1de n'avoit déja que trop irrité la nation.
Quand le Prince épousa une Princesse italienne pt




RÉVOLUTION DE 1688,
quand on eut la conviction que Charles n n'auroit
point d'héritiers de la Reine, on crut voir déja le
Papisme sur le trone. Enfin, le dévouement des
deux freres a la cour de Franee, la poli tique tor-
tueuse et vénale de Charles 1I, le gout prononeé de
l'héritier présomptif pour la puissance absolue et sa
ferveur pour les doctrines ultramontaines, exciterent
toutes les passions de la peur, de la haine et de la
vengeance. Ainsi disposés, les esprits accueillirent
avec ferveur toutes les horribles absurdités que ron
va raconter .. C'est le complot des Papistes.


Il existoit un homme, fils J'un prédicant ana-
baptiste, et engagé lui-meme dans les ordres de
l'Église Anglicane : esprit infatué d'orgueil, d'igno-
rance et d'une perverse ambition. Long-temps iI
avoit traIné dans l' obscurité de l'infamie son aven-
tureuse inquiétude. Jadis déféré au magistrat poul'
avoir blasphémé les. mysteres chrétiens, plus tard
accusé de parjure, chassé enfin , pour vice infc'lme,
d'un vaisseau du Roí ou iI était chapelain, il témoi-
gna tout a coup du zele pour la Religion Catholiqur
et le duc de Norfolk le recueillit. Les pretres de
I'Église Romaine qui fréquentoient l'hOtel de ce
lord lui donnerent pour Catéchiste un nommé
Hutchinson, alors jésuite, bientot apres apostat, puis
vicaire d'une Église protestante, et enfin déserteur
de sa foi. nouvelle pour rentrer dans la foi qu'il
avoit abjurée. Le disciple t>toit digne d'un te! maltre.




F:N ANGLETERRl~.


Quoi qu'il en soit,.le nouveau Catéchumtme est en-
voyé sur le continent, chez les PP. Jésuites de Saint-
Omer qui l'accueillent avec charité. Illes édifie par
ses austérités, par un zele fervent, par une ardeur
toujours plus vive pour les sacrements de I'Église.
Enfin, cet homme oublié depuis long-temps en An-
gleterre, y parolt soudainement et produit dans les
esprits une de ces révolutions extraordinaires que
l'autorité de l'histoire peut a peine rendre croyables.
Il se nommoit Titus-Oates.


Au commencement de l'automne (1678), un ec-
clésiastique misérable, nommé Tonge, étoit venu
dire au docteur Burnet, célebre prédicateur a Lon-
dres et depuis éveque de Salisbury, qu'un pretre ca-
tholique, religieux de Saint - Benolt, nornmé Cos-
llier~, avoit acheté un poignard pour tuer le Roi.
Burnet, tout en croyant, luí et ses amis, que ce
discours étoit d'un fou, avoit pris ses précautions;
mais déja on s'étoit adressé au Gouvernement lui-
meme. Titus-Oates qui connoissoit TOllge s' étoit ou-
vert a lui; et Tonge qui s'occupoit de chimie, s'a-
dressa au chimiste Kirby que le Roí employoit a son
laboratoíre particulier.


Tonge fut mandé par le Roi. Ses récits parurent
si bizarres, mais tellement liés et circonstanciés,
que, sans y attacher beaueoup d'importance, Charles
ne voulut pourtant rien négliger. Il le renvoya au
lord Trésorier, eornte Danby, <{ui d'abord n'y ap-




RivOLUTION DE 1688,
porta qu'une médiocre attention. Cependant le Roí
luí recommanda de n' en ríen dire au duc d'y ork.


Mais déja le duc d'y ork en étoit prévenu par deux
voíes différentes; et d'abord, par son confesseur qui
étoit jésuíte. On yerra plus tard d'ou lui venoít
l'autré information qui eut les suites les plus dange-
reuses. En effet, toute cette affaire ne présente qu'une
série de fatalités cruelles contre ce PrÍnce. Pour ce
qui regarde son confesseur, ce religieux avoit rec¿u
par la poste un paquet de lettres signées de quelques
peres de sa compagllie. Les expressions et l'écriture
lneme luí en ayant paru suspectes, il les remit an
Prince qui les porta chez le Roi. Charles ne douta
pas qu'elles ne fussent l'ouvrage d'un faussaire. 11
découvrit meme dans l'écriture d'une de ces leUres
le meme corps, le meme caractere que les deposi-
tions écrites du révélateur Tonge.


Enfin, an bont de six semaines, Titus-Oates est
interrogé devant le Conseil Privé. Il avoit, dit-il,
assisté a de nombrenses conférences sur les moyens
de tuer le Roí. Les Jésuites de Saint-Omer l'avoient
d' abord envoyé a París, puis en Espagne pour éta-
blir la correspondance de touts les conjurés. Un
grand nombre de peres de la compagnie, s'étoient
déguisés et transportés en Écosse, pour y exciter le
fanatisme des Conventicules puritains. Enfin les Jé-
suites de Londres, s'étant réunis dan s une taverne
pres de Saint-Clément, pour y prendre les dernieres




EN ANGLETEURE.


résolutions, on y avoit décidé que le Roi seroit tué
indifféremment par un coup de feu, par le poison
ou le poignard, suivant la facilité des oceasions.
Une armée, sous les ordres d u général des J ésuites ,
devoit procJamer le duc d'y ork et affermir le réta-
blissement de la religion eatholique.


Parmi les personnes dénoncées par Titus-Oates,
le nom du bénédictin Cosniers ne fut point pro-
noneé. Mais Coleman, secrétaire de la duchesse
d'York, fut gravement compromiso Des le soir on fit
arreter plusieurs Jésuites; Coleman disparut d'abord,
et uu bout de vingt-quatre heures iI vint se mettre a
la disposition de la justice.


Titus - Oates avoit aussi nommé parmi les eom-
pliees, Vi akeman, médeein de la Reine, mais seu-
lement par ou'i-dire et sans le charger en aucune
maniere. Confronté ensuite avec Coleman, iI ne le
reeonnut pas d'abord. Cependant aussit6t que Cole-
man eut parlé iI le nomma par son nomo


Néanmoins le Roi s'affermit de plus en plus dans
sa premiere idée de la fourberie de Titus-Oates,
quand ee rnisérable vouIut impliquer clans la Con-
juration, dom Juan, gouverneur des Pays-Bas es-
pagnols. Il avoit vu, disoit-il, dom Juan, comp-
tant lui-meme la somme qui devoit réeompenser
I'assassin régicide. Quelle est, dit le ROÍ, la taille,
la figure dedom Juan? e' est un homme grand et
maigre, réplique effrontérncnt l'impostenr. Dom Juan


1. 12.




n~vOLUTION DE 168M,
étoit précisément le contraire et Charles Il le con-
noissoit personnellement. n'autres índices fort nom~
breux laissoient peu de doute an Roi sur la four-
herie; mais d'un autre coté la régularité des plans
exposés par le dénonciateur, et bientot un extraordi-
naire concours de circonstances fortnitcs, la saisie
de divers papiers évidemment suspects, l'importance
en elle-meme de la conspiration vraie ou fausse, la
précaution que Titus-Oates avoit prise d'alIer faire
ses dépositions sous serment devant le magistrat,
avant de paroltre devant le Conseil du Roi , ne per-
mettoient plus d'étouffer cette affaire en silenct'
et de la soustraire a I'avidité d'un publ.ic ému tont
a la fois et par les terreurs du Papisme et par le
merveilleux attrait qui s'attache toujours au mystere
des Conjurations. Le Parlement d'ailleurs alloit se
réunir sous peu de jours, et le Lord Trésorier voyoit
dan s eette affaire un moyen de détourner sur un
autre point l'orage qui le mena<;oit, lui et les mi-
nistres; d'un autre cOté enfin, Shaftsbury et les
mécontents n'auroient pas laissé tomber eette ocea-
sion de remuer violemment la multitude.


En effet, Coleman, Secrétaire de la duchesse
d'York, étoit l'agent payé de l'Ambassadeur de
J?ran~e et le correspondant du P. La Chaise a Paris.
Né pour l'intrigue. et pour les 'intrigues les plus
hasardeuses, il s'étoit lancé avec ardeul' dans toutes
les voies souterraÍnes qui luí sembloient aboutir au




EN ANGLETERRE.


plan favori de ses maltres, l'établissement de I'É-
glise Catholique e. Angleterre. On a vu c~mment
Chartes II avoit promis ce rétablissement par son
premier traité pour la ruine de la Hollande, quel
étoit le but réel de ses feintes promesses et eomme
il avoit réussi. Seul de bonne foi dans ce projet ou
Charles ne songeoit qu'a un misérable subside, le
due d'York avoit toujours poursuivi .sa chimcre; et
telle est la déplorable eondition des Prinees qui se
laissent dominer par une idée fixe, que les agents
subalternes de leurs entreprises comprornettent tou-
jours ou leur Lonne foi ou leur sureté, si meme ils
ne les trahissent. A la trahison pres, Coleman étoit
de ce nombre. Certainement iI n' étoit pasentré
dans les projets détestables que Titus-Oates pré-
tendoit révéler; mais ses correspondances infinies
sur des points toujours vagues et périlleux, devoient
le eonduire légalement a l'échafaud, si le hasard
seul en faisoit déeouvrir quelques parties. C'est ce
qm arnva.


Le duc d'York, ayant appl'is que Titus-Oates avoit
nornmé Colernan dans ses dépositions, 6t avertir ce-
lui-ei de mettre ordre a ses papiers; et Coleman
croyoit avoir pourvu a tout: mais, il avoit eu le mal-
heur d'oublier un de ses tiroirs. On y trouva toute
sa eorrespondanee de J674 a 1676, époque ou la
guerre de Hollande étoit le plus flagrante. La, se
voyoient exprimées avec une ardente vivaeité les es-


T 2.




RÉVOLUTION DE 1688,
pérances les plus extravagantes contre la Religioll
du pays. Le moment étoit venutou Rome alloit re-
prendre son ancien empire SUl' l'Angleterre. L'hé-
l,ésie seroit extirpée de touts les royaumes du nord.
A la vérité, le Roi Charles ne songeoit qu'a l'argent
de Louis XIV; mais le duc d'York, toujours animé
d'un saint zele, suffiroit a ceUe magnifique entre-
prise. Bientot la paix et la paix dictée au monde
par le Roi Tres-Chrétien, alloit opérer ces prodiges.
De la en fin touts ces mouvements, toutes ces intri-
gues a l'étranger, favorables sans doute aux intérets
politiques de Louis XIV, mais nécessairement cou-
pables devant un Parlement d'Angleterre,


Se croyant tranquille et ne pensant point au tiroir
fatal, dépositaire de ces dangereuses leures, Cole-
man demanda au du~ d'York s'il devoit ou non se
présenter a la justice. « Ne vous montrez pas 1 ,» lui
dit le Duc, « si vos papiers vous donnent quelques
( inquiétudes. Sinon, vous ferez bien de vous pro-
(/. duire. Votre fuite justifieroit les accusateurs. Votre
« présence prouvera leur imposture et votre inno-
« cence.» Coleman se constitua prisonnier.·


Sur ces entrefaites, une circonstance inexplicable
vint tout a coup porter le. désordre et l' effroi dans
toutes les imaginations. Un des juges de paix, qui


1 Mém. de Jacques n.




EN ANGLETERRE.


résid.oit pres de White-Hall, disparut. C'étoit sir Ed-
mond Bury-Godfrey, magistrat qui avoit bien mérité
de son pays par son courage pendant la peste de Lon-
dres, et que le Roi lui-meme avoit honoré du titre de
Chevalier. C'étoit devant lui. que Titus - Oates étoit
alIé spontanément preter serment sur ce qu'il devoit
révéler le lendemain an Conseil. C'étoit lui encore
qui avoit averti Coleman, et par celui-ci, le duc
d'York, des dépositions qn'il venoit de recevoir. Ré.
primandé pOUl' s'etre melé de cette affaire, que
le Roí vouloit d'abord tenir secrete, iI devint som-
bre et mélancolique. Or, un samedi matin il sortit
de chez lui et ne reparut plus. Les alarmes de sa
famille et les recherches les plus actives ne procurent
durant trois jours aucun índice de son sort quel qu'il
soit l. Enfin, dans la journée du mardi, son cadavre
est trouvé, gisant dans un fossé, pres d'une église,
a un quart de lieue de la ville: son épée passée au
travers du corps; nuBe trace de sang, meme sur le
cadavre; ses souliers propres, son argent' clans sa
poche, et quelques gouttes de cire hlanche, ~a et la
sur ses vetements. La poitrine étoit marquée de con-
tusions: iI n'avoit point de cravate. Le cou, qui avoit
été tordu, portoit l' empreinte circulaire et livide de
la strangulation.


D'abord le bruit se répandit que sir Godfrey, at-


1 Mém. de Burnet.




db R~VOLUTION DE 1688,
teint de rnélancolie, s'étoit percé de son épée. Le Roí
n'en doutoit pas, mais il prit d'autres idées quand ii
entendit le rapport du docteur Lloyd, qui avoit tout
vu lui-rnerne sur les lieux OU le malheureux fut
trouvé enfin. Quoi qu'il en soit, le cadavre fut exposé
publiquement, pendant deux jours, dans l' état que
}'on vient de décrire, et fut ensuite porté ave e une
pompe inouie au lieu de sa sépulture.


Soixante-douze ecclésiastiques précédoient le fu-
nebre cortége. Apres eux, marchoit a pas lents une
longue et morne procession d'un millier de personnes
de distinction que suivoit une multitude innombrable
de peuple. ce Chaque protestant, dit un historien,
« s'imaginoit sentir un poignard dans son sein.»
Tour a tour des cris terribles, suivis d'un silence plus
terrible encore, exprimoient les sinistres conjeetures
et les passions violent~s du peuple. La terreur fut si
vive, que la Ville 6t telldre des chaines et dresser des
palissades, comme si la prétendue armée du Général
des Jésuites se fut trouvée. aux portes de Londres.
C' est au milieu de cette effroyable fermentation, et
trois jours apres cette lugubre scene, que s' ouvrit
la session du Parlement.


On a vu qu'en traitant avec Barillon, ambassadeur
de Louis XIV, les mécontents du Parlement avoient
promis de sacrifier le Lord Trésorier a leurs pro-
pres ressentirnents cornrne a ceux de la France. Mais
l'état présent de I'Angleterre leur permettoit de por-




EN ANGLETERllE.


te!' leurs attaques beaucoup plus haut; et le comte
de Shaftsbury se chargea en efTet de précipiter le
duc d'York. Assurément ni la cour de France, ni
son ambassadeur, n'avoient prévu la possibilité de
ces résolutions extremes, et rien ne peut faire soup-
<;onner que les relations de Barillon avee les mécon-
tents alJassent jusque -la. Si la France vouloit divi-
ser l' Angleterre, ou profiter de ses divisions pour
l'annuler au-dehors, elle ne pouvoit pas favoriser les
pl'ojets de Shaftsbury, contre un Prince dévoué a
Louis XIV et a sa politiqueo Cependant il faut bien
le dire; touts ces mysteres de la diplomatie out eu
enfin ce triste résultat, si funeste a la France, a la
Religion Catholique eta la Royauté. L'explosion
soudaine de la machine infernale, préparée par Ti-
tus-Oates, fut le premier signal de cette grande ré-
volution.


Pour faire retomber les intrigues de BarilJon sur
lui-meme, le comte Danby avoit laissé produire les
papier! saisis chez Coleman. L'intéret de sa propre
surcté lui fit oublier sans doute combien le duc d'York
s'y trouveroit compromiso D'un autre cOté 1, le lord
Montagu étoit actuellement chargé des llégociations
du parti mécontent avec la France; et Danby, qui
savoit de quels dangereux secrets lui et le Roí l'a-
voient rendu dépositaire tout récemment encore,


1 D'Alrymp.




184 RivOLUTION DE I688~
dans les dernieres transactions de Charles II avec
Louis XIV, avoit cherché a soustraire d'autorité
touts les papiers de ses di verses ambassades, en les
faisant saisir au Inoment meme que Montagu alloit
s'embarquer a Douvres. Montagu eependant s'étoit
réservé les pieces les plus importantes, eapables,
dit-on, de perdre le due d'York et de faire au moil1s
cOl1duire le Lord Trésorier au supplice. Tranquille
néanmoins, paree qu'il se eroyoit maltre de ces pa-
piers dangereux, Danby a.ttend de pied ferme ses
ennemis au Parlement. Il espere d'ailleurs que le
grand Complot des Papistes détoilrnera de sa tete le
danger dont il se voit menacé.


Le Roi vint ouvrir le Parlement en personne. Il
avoit obtenu, dans la préeédente session, un sub-
side de 600,000 livres sterling pour licencier I'ar-
mée, solder les dépenses de la Marine et payer la
dot de la Princesse d'Orange. Il déclara dans son
discours qu'il avoit eru dangereux de eongédier les
troupes dans un temps ou les Pays - Bas ét8ient si
mal défendus, et qu'il espéroit obtenir sur ce point
l'assentiment unanime des chambres. Quant a son
revenu, il en prouveroit l'insuffisance pour les dé-
penses nécessaires du Gouvernement. Il parla aussi,
mais avec réserve, de la eonspiration attribllée
aux Jésuites eontre sa personne. Il vouloit sus-
pendre son jugement, dans la crainte, disoit - il ,
qu'on ne l'aceusat d'en dire trop ou trop peu, et




EN ANGLETERRE. 185
ii se bornoit a livrer cette affaire au cours légal de
la justice.


Le Parlement ne répondit pas a cette réserve sur
la conspiration. Il accrédjta au contraire les terreurs
publiques, en demandant par une adresse au Roi
qu'un jeCme et des prieres extraorclinaires fussent
indiqués par un édit. De nouvelles adresses furent
présentées a S. M. pour assurer protection, pardon
et récompense a touts les révélateurs du complot,
pour faire preter les serments d.' allégeance et de su-
prématie, pour éloigner de Londres touts les récu-
sant~ pour assembler extraordinairement les milices
de Londres et de W estminster. N ulle autre affaire ne
fut admise que la conspiration. Les deux chambres
siégeoient soir et matin. A la chambre des Lords un
comité permanent fut établi pour examiner et en-
tendre les prisonniers et les témoins. Titus - Oates
fut recommandé au Roi, logé dans White-Hall meme
avec une garde pour la su reté de sa personne, et
recompensé d'une pension annuelle de J 200 livres
sterling. Toute lanation le proclamoit son libéra-
teur.


Il avoit comparu devant le Parlement. Le Pape,
dit-il, apres avoir consulté la congrégation De pro-
pagandá jide, s' est déc1aré souverain de l' Angleterre
et de I'Irlande, par I'hérésie du Prince et du pcuple;
il a délégué son autorité au pere Oliva, Général des
Jésuites; celui-ci a distribué sous le grand sceau de




nÉVOLUTI0N .DE 1688,
la Société, touts les empIois civil s et rnilitail'es dtí
Royaume, aux seigneurs Catholiques. Lord Arun-
del est Chancelier; le lord Powes est Gl'and Tréso-
riel'; Colernan, Secrétaire d'État; Bellasis, Général
de l'armée; Stafford, Payeur-général, etc. Les di-
gnités de I'Église étoient aussi conférées, entr'autres
a des pdhres espagnols. Oates avoit VIl les listes et
les avoit distrihuées lui-meme. Si OH lui demandoit
cornrnent un Catholique zélé comme lui avoit pu etrc
oublié dans cette répartition générale de touts les
emplois, iI répondoit qu'il étoit resté pl'otestant fi-
dele, et que son dévouernent a la personne .crée
du Roi lui avoit fait exposer jusqu'a son ame en fei-
gnant d'etre Papiste parmi les Papistes conjurés. Il
continua en disant que le pere Le Shé (.1 youloit
dire La Chaise) ·avoit consigné J 0,000 livres ster-
ling; qu'un Provincial espagnol promettoit la meme
somme, et le Prieur des Bénédictins, 6,000 livres
sterling, poul' mettre a mort le Roi, condarnné
eornme hérétique et désigné sous le nom du Bátard
noir, dans un conseil des Jésuites. L'incendie de
Londres avoit été l'reuvre de ces religieux et devoit
se renouveler, non-seulement il l .. ondres, mais en-
core dans les principales villes du Royaume, et sur-
tout en Irlande, ponr faciliter le massaCl'e des Protes7
tants. Apres I'exécution de ces desseins, la courOIllle
devoit etre offerte uu cInc cl'York, cOlllme un clon
dll Pape; le duc rtevoit ratifier les eommissions dé-




EN ANGL.ET.ElUU~.


livrées, accordel' une amnistieaux incendiaires et aux
meurtriers. de Charles son frere, consentir en un
mot a l'extinetion entiere de la Religion protestante.
S'il refusoit, iI périroit lui-meme. Oates, eontinuant
ses révélatiolls, attesta, sous la foi du serment, que
Coleman avoit distl'ibué 80 guinées a quatre assas-
sins qui étoient allés a Windsor pour tuer le Roi.
Wakeman, médecin de la Reine, s'étant cléeidé pour
le poison, avoit rec;u 15,000 livres sterling. Enfin
les plus grossieres absurdités trouverent Oates im-
perturbable. Mais déja la mort de Godfrey donnoit
de l'autorité aux plus sinistres soupc;ons, et le Roi
prornit 500 livres sterling a eeluí qui révéleroit l'au-
teur du meurlre supposé de ce magistrat. C'étoit
confirmer ees turpitudes.


Alléché par la réeompense promise, un témoin
nommé Bedlow se présente. A vant de l' envoyer a la
chambre des Pairs, le Roi le fait examiner par le
Secrétaire d'État. Le docteur Burnet 1 offre clans ses
mémoires un. témoignage important, et il le tenoit
tlu Roi lui-meme. Dans ce premier examen, dit-il ,
Bedlow avoit avoué a S. M. quJil ne savoit rien de
la eonspiration. Bedlow, eontinue le narrateur, n'é-
toit qu'un vil et méehant aventurier qui avoit eouru
la France et l'Espagne, en marquis, vivant de sori
industrie. Sa seule déclaration au Roí fut qu'il a voit


1 ::\lém. de Burnel.




UÉVOLUTION DE ] 688,
vu le cadavre de Godfrey dans l'hotel de la Reine,
et qu~un domestique du lord Bellasis lui avoit offert
4,000 livres sterling pour l'aider a transporter ce
cadavre pres de l'église ou iI fut trouvé. C'étoit la
premiere foÍs que 1'on se hasardoit a jeter des soup-
<;:ons sur la Reine.


Le Iendemain iI parut devant le comité de la
chambre des Pairs, mais beaucoup plus savant que
la veille. Il confirma toutes les dépositions de Titus-
Oates. Comme Titus, il n'avoit tant voyagé que pour
apprendre ces détestables mysteres. On lui avoit con-
fié beaucoup de secrets; iI en avoit su d'autres en
ouvrant de nombreuses leUres dont il se chargeoit
pour les conj urés.


Parmi diverses lettres saisies chez les peres Jé-
suites que I'on avoit arrctés, on en- trouva deux
qui donnoient une ombre de vraisembIance a tant
d'impostures. L'une étoit de Rome, et l'on y parloit
de distribution d' emplois. L'imaginatioÍl y trouva la
preuve de cette ridicule distribution des dignités de
l'État, faite au nom du Pape, et révélée pal' Titus-
Oates. Croire qu'il s'agissoit simplement de quelques
emplois de la Société, ce qui étoit vrai, eut été trop
naturel. Le doute le plus raisonnable eut été im-
puté a complicité, tant la folie avoit emporté les es-
prits. La seconde lettre devoit paroltre bien plus
grave par une coinciden ce des plus malheureuses.
Elle contenoit l'ordre a un J{>suitt>, 'lui se trouvoit




EN ANGLETERRE.


a la campagne, de se rendre a Londres, le 24 avril,
et c'étoit précisément le jour ou, selon Titus-Oates
présent a leur réunion, disoit-il, cinquante Jésuites
assemblés avoient décidé l'assassinat du Roí, et dé-
féré l'honneur du régieide a Grove et Pickering. La
lettre exigeoit d'ailleurs le seeret le plus profond.
I.es aeeusés expliquerent naturellement et le rendez-
vous et le mystere. Il s'agiS6oit, dirent - ils, d'une
assemblée ou eongrégation preserite par nos statuts.
Le seeret si fortement exigé n'étoit-il pas nécessaire,
puisque la réunion se faísoit préGisément a une
époque ou le Parlement devoit se réunir lui-meme?


Titus-Oates fait dire au Roi qu'il lui restoit en-
eore de grandes et terribles révéJations a faire l. Le
respect et la crainte l'avoient retenu j usqu'iei, mais
sa eonseienee devoit l' emporter sur les plus hautes
considérations. Il déclare done qu'étant alIé avee
quelques Jésuites a l'hotel de Sommerset, (habita-
tÍon de la Reine,) et s'étant tenu a la porte de la
chambre ou ils entrerent, iI entendit une femme qui
se plaignoit a eux des injures qu'elle éprouvoit de
son mari. Elle leur offrit, ajouta-t-il, tous les seeours
dont elle étoit capable pour délivrer le monde d'un
tyran aussi détestable. En ce moment on ouvre la
porte, on introduit Titus-Oates, on le présente lui-
meme a eette femme, cornme capable des plus


1 l\Iém. de llurnet.




RÉVOLllTION DF 1688,
grands services. Cette femme étoit la Reine. Bedlow
ne manqua pas de confirmer eette fable. Je me res-
souviens, dit-il, d'un fait auquel dans le principe
.le n'avois rapporté aucune conséquence. Un jour ,
dans la chapelle de Sornmerset, j'apperc;;us la Reine
dans sa tribune avec le duc d'York et d'autres per-
sonnes de la Cour. La conversation y étoit fort ani-
mée. Enfin un des lords présents descendit tout
joyeux et dit a un de ses amis : la Reine s'est rendue.
Plus tard et lorsque j'étois sur le continent on rn'ap-
prit qu'il s'agissoit de faire périr le Roi.


II n'est pas certain que Shaftsbury ait été le rno-
leur invisible des prerniers mouvemens de Titus-
Oatps, quoique cette opinion soit adoptpe meme
par des partisans de l'Opposition. L'histoire doit pro-
céder plus séverernent que la fable qui attribue au
meme héros les actions de plusieurs. IcÍ Titus-Oates
peut etre naturellement expliqué. L'opinion du
peuple agitée par la conversion de l'héritier pré-
somptif du trane, les espérances démesurées que ses
amis en concevoient, leurs mouvements au dedans
et au dehors, les correspondances rnystérieuses, les
démarches térnéraires dont la Religion du Princc
étoit l'occasion ou le prétexte, quelques notions
vagues, mais trop réelles, des négociations et des
traités occultes du Roí et de son frere avec la Cour
de France; les rumeurs populaires sur les déborde-
ments de la Conr, sur lf'5 chagrius de la Reine, sur




EN ANGLETERHE.


UB divorcc hautement médité au moms par les
Courtisans et préparé jusque dans le Parlement :
que faHoit-iI de plus dans une tete froidement per-
verse? Joignez dan s Titus-Oates la mixtion, la fer-
mentatíon de toutes ces idées a I'horreur d'une vie
errante et misérable. D'ailleurs presque touts les
instituteurs des enfants Catholiques appartenoient
allX écoles Espagnoles et ltaliennes. Comme autre-
fois les J uifs et les Chrétiens dans l'Empire Romain,
i]s étoient sons le poids de la haine publique. Que
pouvoit craindre un délateur audacieux? Le mer-
veilleux ne trouve-t-il pas toujours plus de créance
que ]a vérité? Sans doute la fortune viendra au se-
cours de la dé]ation, meme absuroe, et révélera des
faits probables ou vrais. Des hommes et des socié-
tés que la 10i politique frappoit de ses éternelles
riglleurs sel'oient-ils restés dans une muette insen-
sibilité, sans efforts ponr réagir et secouer l'oppres-
sion ? De granos noms étoient suspects a l'opinion;
peut-etre on ne prouvera pas ce que I'on dénonce,
ma\'i:. Ol\ trou~era au mOl1\':; ce que \' Ol\ 'i:.oup~ol\ne.
Une factio~ sait, et elle le sait a coup sur, que le
parti contraire conspire contre elle, paree qu'elle
conspire elle-meme contre lui; et quand ce pressen-
timent est devenu ceIui de tout un peuple, quand
iI n'est plus besoin que d'une occasion pour acqué-
rir des preuves matérielles qui manquent encore ,
l'occasion ne manque jamais de se produire et les




UÉVOI,UTION DE 1688,
chefs de faction s' en emparento L'imprudence et le
malheur de Coleman l'avoient assez prouvé.


Shaftsbury et les chefs les plus violents de I'Op-
position s' emparerent en eITet de Titus-Oates et
dirigerent Bedlow. « N e voyez-vous pas,» leur disoit
le docteur Burnet 1, (c que tous les témoins qui vont
« abonder ici ne seront que des coupe-jarrets ?»-
« Eh ! ne voyez-vous pas,» disoit Shaftsbury, « que
«( plus iI y aura d'extravagances, plus le peuple, ivre
« du merveilleux, sera crédule? Quel que puisse etre
c( Ieur témoignage, gardons-nous de l'affoiblir. Ces
« gens-la semblent tombés du ciel meme pour sauver
« l' Angleterre du Papisme et de la tyrannie ! » La mort
mystérieuse de Godfrey étoit venue a leur secours;
Shaftsbury ne manqua pas ceUe occasion de frapper
le peuple par la pompe effrayante de ses funérailles;
el si les révélations d'Oates et de Bedlow parois-
soient grossierement absurdes a quelques esprits
plus calmes, ils n'osoient rien répondre a ces deux
mots, devenus magiques : Godfrey ! les Papistes !


Ce fut alors qu'un nouveau Test, ou serment, fut
proposé pour garantir la Religion Anglicane de
toutes les entreprises des Papistes, c'étoit le mot
consacré. Par le Test, il falloit abjurer avec détes-
tation le dogme de la trans-substantiation, et déclarer
idolatre le culte des Saints et de la Vierge. Les


1 Mém. de Burnet.




"EN ANGLF.TERR"E.


Pairs, les Députés des Communes, touts les officiers
de la maison du Roí et de la Reine, meme les
femmes, devoient preter ce serment. C'étoit par le
faít exclure de la Chambre Haute touts les Lords Ca-
tholiques. Mais les auteurs du hill alIoient bien plus
loÍn dans le secret d.e leur pensée : ils préparoient
l'exclusion meme de l'héritier du treme, le due
d'York.


A la Chamhre des Lords, }' éveque d'Ely voulut
soutenir que le mot idolatrie, appliqué au culte des
Sai.nts, étoit au moins exagéré; on lui répondit avec
emportement. « Quant a moi, » dit un fauteur du
hill , « je ne veux pas qu'il reste ici un homme ni
« une femme papiste, pas un chien ni une chienne
« papiste, pas meme un chat papiste pour miauler
« autour du Roi.» Ce langage ignohle fut applaudi
et le hilI ne trouva plus d'opposition. Le duc d'York
étoit présent et sollicita une exception personnelle.
« ~Iylords,) dísoit-il, avec l'accent d'une douleur pé-
nétrante, « le plus grand intéret qu'un homme puisse
« avoir au monde est celui de la eonseienee. Que
« vous importe ma Religion, si elle deme.ure entre
« Dieu et moi ? J'ai donné des preuves de ma sou-
« mission au Rpi, mon souverain et le votre , . de
«mon zele pour la prospérité du pays et de mon dé-
« vouement a sa gloire. lei done, j'atteste solennel-
« lement Dieu et les hommes, que si jamais la Pro-
« vídenee m'appelle au gouvernemellt de ce Royaume,


1. .3




RÉVOLUTION HE. 1 688,
« quel que soit votre cuIte ou le mien, I'AnglctelTf"
« ne trouvera en lUoi que le j lIste protecteur de Sf"S
« loís et de ses libertés.»


L'exception fut enfin accordée, mais a deux voix
seulement. La Chambre des Communes fut moins
rigoureuse et laÍssa meme neuf dames Catholiques
a la maison de la Reine. (e Eh ! qu'importe mainte-
(e nant ce bill ainsi mutilé?» s' écria Shaftsbury avec
fureur. En effet ce bill dans sa rédaction premi¿'re
étoit dirigé contre le seul duc d'York.


Cependant le prod$ des accusés se poursuivoit,
et chaque incident produisoit quelque nouveau sujct
d'effroi pour la Cour, d'espéranccs pour ses ennc-
mis. Un de ces incidents, le plus dangercux peut-
etre, fut l'affaire de Montagu.


Dans ses ambassades a Paris, Montagu avoit cn-
tretenu d'intimes liaisons avec le Nonce du Pape.
Mais depuis, il s'étoit jeté parmi les mécontents, et
le Roi, qni se croyoit maitre de ses papiers, fit no-
tifier a la chambre des Communes qu'un de ses
membres ayant conspiré ave e la cour de Rome pOIlr
le rétablissement du Papisme, Sa Majesté alloit le
mettre en jugement. Le conspirateur étoit Montagu.


Au moment de eette notifieation rQyale, Montagu
assistoit a la séance. Long-temps il garde un silence
impassible an milieu des agitations tumultueuses de
1a Chambre. Ses ami s eependant expriment une vive
indignation . contre la Cour, qui, disent-ils, a violé




EN ANGLETF.RRF..


ouvertement les privili-ges des Communes en faisant
saisir les papiers d'un député. Mais voila que Mon-
tagu rec;oit un portefeuille qu'il attendoit avec im-
patience. 11 l'ouvre, il en retire des lettres; elles
étoient du Lord Trésorier. Il en donne lecture et l'une
d'elles contenoít l'ordre de demander a Louis XIV,
300,000 livres sterling pendant trois ans, pour que
le Roi ,. pendant ce long intervalle, fut Ilbre de ne
pas assembler de Parlement.


A cette lecture inattendue, la eolere des Com-
munes s'allume et l'incendie de tant de passions tu-
multueuses devient extreme. Un bill d'accusation
est porté contre le comte Danby, a la majorité de
soixante-dix voix, et transmis irnmédiaternent a la
Chambre Haute. Par ce bill le Lord Trésorier étoit
aecusé : d'avoir traltreusernent usurpé le pouvoir
royal en donnant des instructions ;ux ambassadeurs
de Sa Majesté, sans la participation des Secrétaires
d'État ou du Conseil privé; de s'etre efforcé trai-
treusement d'introduire le pouvoir arbitraire en
levant et entretellant des troupes, malgré un acte
formel du Parlement; d'avoir eherché traltreusement
a aliéner l'affection des sujets de Sa Majesté en né·-
gociant avec la France, et a prix d'argent, une paix
désavantageuse; d'avoir déguisé traltreusement, étant
papiste d'inclination, l'horrible et sanguillaire com-
plot des Papistes contre le Gouvernement et la per-
sonne de Sa Majesté.


13.




RÉVOLUTION DE T 688,
Ce hill violent étoit dil'igé par le fail autant


contre le Roi que contre le Grand Trésorier lui-
meme. En effet, l'éloignement du comte DanDy pour
le parti de la Franee et oes Catholiques étoit tres-
connu. L'on savoit aussi que c'étoit lui principale-
ment qui avoit insisté pour que les dépositions de
Titus - Oates devÍnssent publiques. Enfin la IeUre
meme qui servoit d'occasion au billle justifKlit plei-
nement; car Danby, ayant réellement témoigné au
Roi toute sa répugnance a l' expédier, Charles y
avoit ajouté ces mots de sa main : « Cette leure est
« écrite par mon ordre. Charles, Roi. »


Mais en portant ce hill, les Communes furent in-
spirées par divers sentiments. Les ennemis pcrson-
neIs du Lord Trésorier trouvoient un plausible motif
a leur vengeance; l'Opposition, qui avoit promis sa
chute a l'amhass;deur Barillon, remplissoit ses en-
gagements; les autres enfill qui découvroient ainsi
les secretes négociations de la cour avec J.,ouis XIV,
en conclurent que toutes les opérations de la 'guerre
s'étoient faítes de concert avec la France et que les
alliés n'avoient pas été moins trompés que le Par-
lement. L'impatience de pénétrer touts ces mysteres
en traIlla done la majorité des Communes a porter
ce hill, quí, heureusement pour le comte Danby,
violoit les priviléges de la Chambre Haute, cal' il
n'appartenoit qu'aux Lords de porter un bill de
haute trahison.




T':N ANGLETEHHF.


Les LOl'ds en etfet, c¡uí déja n'avoient pas voulu
concouril' avec les COllllnun~s a compromettre le
110m de la Reine dans le Complot des Papiste~, sai-
sirent avee empressement eette oecasion nouvelle
(I'amortil' en la détoul'nant, cette atdeul' mena<;ante
qui s'élevoit jusqttau Gouvernement meme. Le comte
Dallby, de son coté, avoit su attachel' fortement le
cle"rgé anglieall a la cause de la Couronne; et e' est
la surtout ce qui donnoitune eertaine eonfianee au
Roi. Dans ces co"njonetures et pour se ménager cet
appui du haut dergé, iI n'hésita point a livl'er les
Catholiques a leur maIheureux sort. Il parut meme
penser que la haine qui les poursuivoit en ce mo-
ment n'étoit qu'une preuve d'attaehement a la con-
servation de son trane et de sa personne.


La Chambl'e Haute insista done sur la violatÍon
de sa prérogative, et l'envoya le bill aux Communes,
qui, exaspérées au derniel' point, s'occupel'ent alors
de préparer ce que, dans les gra~des dissensions po-
litiques, les í~'lctions nomment toujours des garanties
nationales. Elles rédigent en eiTet, et la Chambre
Haute crut devoir l'aceepter, un bill poul' l'Ol'ga-
nisation des míliees : l'armée étoit licenciée; le tiers
des milíces devoit etre successivement sous les armes;
des fonds spéciaux étoient assignés, et l'emploi en
étoit soustrait a la direetion du Roi. Ainsi on retoul'-
noit a grands pas aux premiers temps de la révolu-
tion de 164n, Ainsi le Pcw'lement fondoit une al'mée




198 REVOLUTION DE 1688,
parlementaire et un trésor séparé. Il ne manquoit
plus a la guerre eivile qu'un chef, et Monmouth se
flattoit de l'etre.


Long-temps on s'étoit efforcé d'entralner le Roi
au divorce, et Charles sur ce point s'étoit montré
digne d'éloges. Lorsque les factieúx crurent avoir
l'occasion d'impliquer la Reine pans le Complot des
Papistes, iI manifesta encore toute l'horreur que lui
inspiroient ces monstrueuses pratiques 1 : «La reine,»
disoit-il dans un moment d'abandon, « est d'un mince
« génie et je sais touts les tra vers de son esprit. Mais
c( de telles noirceurs! elleen est incapable. Dois-je done
« moi-meme, apres tout ce qu'eIJe peut me reprocher,
« l'abandonnerasesennemis! J'ai mal vécu,je']'avoue;
« mais, pourtoutslesbiensdumonde,j'ensulsdu moins
« a ne vouloir ríen faire de hlche ni de dénaturé! »
Quant a son fils Monmouth, il lui échappa de dire
un jour tres - vi vement : « Ouí, J acques 111' est cher;
«{ c'étoit le nom familier de 'Monmouth). Peut-etre
« je l'aime jusqu'a la foiblesse. Mais lui faciliter les
« voies du trane ! je l'aimerois mieux voir conduire a
« Tyburn. )}


Malgré ces démonstrations, le duc de Monmouth
publioit partont que le Roi son pere désiroit seule-
ment une occasion favorable. Dans les retes populaires
dont il étoit le héros, jI acceptoit les toast qui luí


1 Mém. de Durnet.




EN ANGLKfETIHE.


étoient portés: au Prince de Galles! et Charles
He l'ignoroit paso On s'occupoit meme ouvertement
des moyens de faire déclarer MOllmouth enfant lé-
gitime du Roi. Montagu faisoit a eet égard et sans
HuI détour, des propositions a l'ambassadeur de
France. Peu de jours a vant le bill contre Danhy, un
des membres les plus autoriw de rOpposition dan s
les Commullcs, le colonel Birk, étoit venu lui pro-
poser a lui-meme ( comte Danby), un moyen s~r,
disoit-il, de calmer l'Angleterre : c'étoit de faire dé-
cIarer le mariage de Charles avec la mere de Mon-
mouth. Enfin dans les deux Chambres, se succé-
doient les plus violentes l'emontrances pOUl' éloigner
le duc d'York tant des conseils que de la présence
de Sa Majesté. Ainsi la conjuration eontre l'héritier
présomptif de la Couronne i.toit publique, univer-
selle et flagrante, meme a la eour.


Pour calmer, s'il étoit possible, tant de passions
indomptables, Gharles venoit d'ordonner l'exécutioIl
(les lois pénales et le bannissement des_tholiques.
Mais dal1s quelle perplexité, dan s quels inextricables
necuds ii se trouvoit resserré! Le complot des pa-
pistes dénoncé par Titus-Oates, n'étoit qu'un tissu
d'impostures qual1t aux crimes dénoncés. Cependant
ces impostures avoient un fond de vérité qui étoit
dans tous les esprits el ne permettoit ni au Roi, ni
a son frere, ni a Danby, ni a Lauderdale, d'arreter
l'inexorable sévérité de la j ustice légale. Déja Staley,




200 RÉVOLUTJON DE 1688,
banquier de Londres, Catholique, avoit été la pre-
miere victime sacrifiée a leur propre sécurité. Le
témoignage d'une ancienne et infame créature de
Lauderdale, fit condanmer Staley; et le Roi et Lau-
derdale qui sa voient que le témoin Carstairs étoit
ce qu'il y avoit au monde de plus hideux, n'oserent ni
ne voulurent cornm. la sentence capitale; ainsi
de Coleman, victime des haines arnoncelées contre
son maitre le due d'York. Il étoit completement in-
llocent de l'absurde accusation de régicide; innocent
meme de tout projet d'introduire par des souleve-
ments et des violenees l'empire de la Religion Ca-
tholique. « Trop de zeIe,» s'éeria-t-il, (( m'a conduit
{( trop loin peut-etre pour l'intéret .de ma Religion.
« Peut-etre encore me suis-je laissé emporter a la pas-
( sion de faire une graooe fortune. J'avouerai meme,
«( s'il le faut, que je me suis approprié 2,500 gui-
( nées que l'ambassadeur de Franee m'avoit remises
« pour faire des amis a Son Altessp Royale. Mais le
« Prinee n.doit pas etre responsable de mes fautes,
« et j'abjure pour -lui comme pour nlOi touts les at-
( tentats dont on ose imputer l'indigne pensée aux
(( personnes les plus augustcs. » Ce furent surtout ses
lettres au pere La Chaise qui entralnerent sa eon-
damnation. Ni le Due, ni le Roi son frere, n'oserent
penser a l'usage de la plus noble prérogative du
trone, la clémenee.


LeRoi laissoit done aller la justice légale aux




EN ANGLETERRE. 201


cours impétueux des passions les plus désordonnées.
L'attitude mena~ante du Parlement lui fit naturel-
lement tourner eIt&re les yeux vers la France, et
l'ambassadeur Barillon se trouva, dans le meme temps,
entouré et pressé de trois négociatiolls d'une nature
toute différente. Montagu lui propo'soit de réconci-
lier Charles avec Louis XIV, a condition que le pre-
miel' congédieroit l'armée et sacrifieroit le Grand
Trésorier. Le d. d'Y ork, a l'insu de son frere et
de Danby, demandoit l'assistance de la France pour
conserver l'a('mée, malgré le ParIement. Le Roi enfin
sollicitoit sa propre réconciIiation avec Louis XIV,
san s y mettrc de condition. «J\faintenant,)) disoit-il a
Barillon, «il s'agit de la Royauté meme.))-« Avant
« tont;)) répliqua l'ambassadeur, c(Votre Majesté doit
« licencier son armée.» Quelques jours apres,Charles II
insiste. cc Que le Roi votre maitre, 1 )) dit-iI ,C( exige telle
« condition qu'íl voudra, j'aime mieux dépendre de lui
« que du peuple. )) Il demande alors un sccours de qua-
tre millions pour se mettre en état de renvoyer le Par-
lement, et charge le comte de Sunderland de suivre
eette nouvélle négociation. Ma~ Philippe Sidney se
trouvoit ambassadeur a La Raye, et LouisXIV qui
soup<;;onnoit une secrete intelligence contre lui entre
Charles et le Prince d'ürange n'écouta aucune pro-
position. D'ailleurs Barillon écrivoit nettement qu'il


I Lettres de Barillon. - Mémoires de d' Alrymplc.




202 RÉVOLUTION DE 1688,
n'y avoit plus ríen ~, redouter de l'Angleterre; que
l'autorité royale, fortement compromise avec toules
les factions, lle pouvoit plus r. sur la politique
du Continent; que nul avantage particulier ne seroit
le fruit d'une allíance particuliere. (e Enfin,» disoit-il ,
t( ménager les chefs des factions diverses, pour conti-
« nuer les embarras de Sa ~Iajesté Britanuique, est
« réellement ce qui parolt le plus convenable.» Tel
étoit le langage de l'ambassadeur' je France.


Dans une position si triste, si humiliante, et em-
barrassée par touts les symptomes d'une révolte (~n
Écosse, le Roi sut prendre un parti décisif. Il re-
jette le bill des milices, proroge le Parlement, et
le dissout quelques jours apres, avec la secrete
résolution de copgédier l'armée pour plaire a la
France, d' envoyer son frt~re en Flandre ponr ap-
paiser les haines publiques, et de former un antre
ministere.


Ce Parlement qui duroit depuis la deuxi~me année
de la restauration, fut dissous le 24 jan vier 1679.
« Il avoit,» dit Jacques II 1 dans ses mémoires,
« concouru avec un~ joie inexprimable ir rétablir la
« Monarchie .... Qui auroit pu croire qu'il eut sitot
t( oublié les malheurs de la derniere révolution! Qu'il
«eut voulu se précipiter une seconde fois dans le
« meme abime! attaquer avec tant de violence la fa-


) l\l(~m(}ires dc JacqlH'S n, 10m. 2, p. y,.




EN ANGLETEUllE.


(( mille royale, dont le rétablissement avoit été son
« propre ouvrage, et au retour de laquelle la na-
« tion devoit la paix , les lois et la liberté!»


Ces réflexions douloureuses du royal historien
étonnent et confondent l'esprit : queHe révélation sur
l'aveuglement du creur humain! Jacques II étoit de
bonne foi quand il écrivoit ainsi. e'est de honne foi
encore que, dans l~s me.mes mémoires, il avoit tracé,
lorsqu'il espéroit remonter sur le trone apres sa chute,
un plan de gouvernement tout semblable au Gou-
vernement . dont il avoit déja fait la triste expé-
rience. Hélas! cependant queHe paix qqe les traités
de Charles II, et ses alliances toujours vénales!
Quelles lois que l'amnistie perfide et sanglapte, qui
dévora .Ecosse! Quelle liberté que eette j ustice lé-
gale ,. dont on avoit su extraire des arrets plus mons-
trueux que les cap rices les plus sanguinaires de la
tyrannie! Aux réflexions ere l'aveugle et malheureux
Prince, queUe réponse encore que les paroles et les
conseils d'un pere et d'un Roí, vainement scellés de
son pr.opre sang!


Le nouveau Parlement hant convoqué pour le mois
de maí, les électioIl& se firent au milieu de la fer~
veur des passions politiques et religieuses, ineessam-
ment excitées par le supplice fréquent descondamnés,
et la poursuite des accusés auxquels étoit réservée
la lueme destinée. L'al'deur et la terreur du public
se manifesterent surtout par le choix des dépntés.




RiVOLUTJON DE ]688~
Les membres de la derniere Chambre, le:; plus pas-
sionnés, furent réélus, pt l'influence actuelle des sectt's
presbytériennes produisit d'autres nominations bien
plus redoutables encore au gouvernement royal :
triste présage de ce qui alloit se passer au Parle-
mento C'est a eeUe époque préeisément que l'on faít
remonter un moyen qui fut mis en usage pour ll1ul-
tiplier les électeurs : ce fut de diviser les biens qni
donnoient le droit de suffrage, et eette division des
terres étoit toute favorable an partí populaire et aux
ennemis de la Cour.


La recherche des complices de la prétendue con-
juration, se poursuivoit avec fureur, et déja se trou-
voient Gn accusation les Lords Catholiques Arundel
de Warder, Bellassis, Pi ter, Powes et Staffoftl, con--
stilués prisonniers a la Tour, et ne prévoyant que
trop lem' funeste sort sous le nouveau Parlement.
De leur prison, et probclblement de concert avec le
Roi, ils firent supplier par milady Powes le duc
d'York de s'exiler volontairement, et de fuir sur
une terre moins dangereuse que ceHe de la patrie.
J.Ja religion, leu!' propre vie, la sureté de touts les
Catholiques, l'intéret meme db Prince, tout, di-
soient-ils dans leurs instantes supplications, luí faÍt
un devoir de se soustraire a l' orage qui va les acca-
bIer. lis le conjurent surtout de se choisir un autre
asile que la France.


De son coté, le Boi preuoit d'aulres llloycn~ pour'




J1:N ANGLETERRE.


arl'lver au meme hut. Il chargea l'archeveque de
Cantorbéry et l'éveque de Winchester d'agir aupres
de son frere, ponr le ramener a l'Église anglicane,
senl moyen a ses yeux de conjurer touts les périls
lIdI h I presents; se r~ervant par eeUe emarc e un spe-


cieux motif d'exiler son frere sous des termes hono-
rabies, s'il le trouvoit inflexible, comme il n'en
pouvoit ~outer.


Ces deux dé marches simultanées des Lords Catho-
liques et du Roi, réussirent. L~ Prince déclara
spontanément a Charles que ni l' exil, s'il étoit né-
cessaire, ni la perte de son repos, de sa fortune,
de sa liberté, de sa vie meme, n'arrt~teroient son
dévouement a son souverain. I..Ie Roi lui répondit
par écrit de quitter l' Angleterre; et quatre jours
apres, le duc partit pour la HolIande, d' ou il se
rendit a BruxeIles.


Le nouveau Parlement se réunit enfin, et se mon-
tra tel qu'on devoit l'attendre. Charles s'étoit vu
forcé de le cOI?voquer, paree qu'il n'avoit d'argent
ni poul' conserver, ni pour licencier I'armée;, iI espé-
roit obtenir quelque subside en faisant de grandes
concessions an parti populaire , décidé cependant a
maintenir fortement la prérogative royale. En effet,
les Cornrnunes ayant choisi pour Oratenr Seyrnour,
ennerni déclaré du cornte Danby, le Roi refusa son
approbation, et for<;;a la Chambre de lui en désigner
un autre; mais les Communes en prirent occasion




RÉVOLlfnON DE J 688,
de revenir plus vÍvement a l'accusation du Lonl
Trésorier. Charles, quoique décidé a former un autre
Ministere, n'~n soutint pas moins le cornte Danby
avec fe rrneté. 11 notifia aux deux Charnbres que ce
Ministre n'avoit agi que par ses ordres forrnels; qu'il
lui donnoit un Acte de grace, et renouvelleroit cet
acte autant de fois que l'on renouvelleroit l'accusa-
tion. Alors les Comrnunes en contestent le droit a
S. M., prétendant qu'un Acte de grace ne pouvoit
jamais précéder une accusation de haute trahison;
elles menaeent rneme de passer outre par un bill
d'atteinder. De son coté, la Haute Chambre, secrete-
ment favorable au cornte Danby, insistoit sur la
violation de ses priviléges par les Comrnunes, dan s
cette affaire. Il y eut cependant une transaction,
et Danby, qui consentit a compal'oitre devant les
Lords, fut envoyé a la Tour.


N e pouvant plus ni douter de la disposition des
Communes, ni espérer aucun secours actuel ou pro-
chain de la France, le Roí chercha, cornrne on l'a
déja dit, a conjurer le péril le plus irnrninent par
un choix de nouveaux Ministres. Il n'avoit plus per-
sonne a qui se confier dans sa triste peq~exité; il
s'ouvritcependant au chevalier Temple, esprit ferme,
connu par son attachement a \me sage liberté, cher
a la nation depuis le traité de la Triple Alliance.
Temple n'eut pas de peine a luí dérnontrer la néces-
sité de regagner la confiance de I'Angleterre, en




EN ANGLETERRE.


appelant a ses conseils des hommes capables, s'ils en
avoient la volonté, si meme il n'étoit pas déja trop
tard, de ealmer l'orage des passions publiques.


L'indifférenee pl'esque systématique du Roi sur
les moyens de gouverner, le trouva sans répugnance
aux eonslils du chevalier Temple. D'ailleurs la sou-
plesse naturelle de son earactere éloignoit de lui a
peu pres tout sentiment de crainte personnelle sur
les suites possibleSlld'un ehangement aussi éclatant;
il savoit tres bien que son frere seul étoit l'objet et
le but de tant d'agitations; il Y voyoit meme je ne
sais quelle garantie pour s~ propre sllreté; s'il aimoit
d'ailIeurs le~ paisibles douceurs d'une autorité sans
controle et sans eontraJietion, il n'étoit pas honhne
a redouter l'expérienee des libertés publiques : ce
pouvoit etre un moyen eomme tout autre de par-
venir an but"unique de sa froide poli tique , le reposo
Dans ce systeme, les orages n'étoÍent plus son affaire,
mais eeHe des Ministres, quels qu'ils fussent.


Dans eette disposition el' esprit, et surtout dans
eette nécessité, iI déploya de la prudence et de l'ha-
bileté. Il déclara d'abord qu'il ne prendroit aucune
mesure importante sans l'avis du ConseiI privé. En-
suite, limitant ce eonseil a trente personnes, il Y
conserva quinze des principaux officiers de la Cou-
ronne. Les quinze autres places furent données a
des hommes qui 'ne tenoient aucnne gracé de la cour,
d'un earactere honorable, et du plus granel crédit




208 RivOLUTION DE 1688,
dans l'une et dans l'autre chambre. La fortune réu-
nie de ces trente conseillers se montoit a 300,000
livres sterling de revenu. C'étoit a pea pres le re--
venu de touts les députés des Cornmunes. Il y avoit .
la sans doute un grand discernement par rapport
au pays ou le patronage poli tique est immense, et
par rapport au moment actuel OU le cens électoral
venant de s'abaisser par la division des terres féo-
dales, le parti démocratique pratlOit un essor plus
vif et plus dangereux. Charles espéra done que ce
cOIlseil et la chambre des Lords serviroient au moins
de barriere aux emportements de la chambre élec-
tive l. •


1 Ce n' est pas sans dessein, que ron entre ici dan s ces détails
sur la composition du Conseil d'État d' Angleterre par Charles n.
Ceux qui en France portent quelque attention aux affaires poli-
tiques du pays, s'étonneront peut-etrc, que depuis dix ans il n'y
existe rien encore d'équivalent. Cependant la Royauté ne s'y
appuie réellement que sur une Aristocratie purement nomÍnale,
tandis que la Démoeratie est moralement partout, la meme ou
ron devroit la Soup~oIlner le moins. De plus, l'initiative des loís
n'appartient qu'a la Couronne; et la Couronne, qui n'a d'autre
garantie de la bonté des lois proposées en son nom que le cara c-
ter e ou l'intéret des ministres, est exposée perpétuell@ment aux
facheuses conséquences d'une loi imprudemment proposée,
d'tme loi vivement combattue et rejetée. Déja le ministere s'est
nommé lui-meme: Goupernement du Roí, ce qui littéralement
signifioit un Directoire plus un Roí. Que ron y prenne garde.
Nous avons assez d'Institutions pour nous conduire indifférem-




EN .lNGLWfEllRE.


Quant a son ministere, il rappela le comte de
Shaftsbury qui devint Président du conseil. La Tn~­
sorerie fut mise en commi~sion s~la présidence
du comte d'Essex; et la dil'ection .affaires étran-
geres fut confiée au comte de Sunderland. Le Pro-
cureur gé~ral Finch devint Chancelier d'Angleterre,
et le comte d' Anglesey, Garde du sceau privé. Dans
la Commission de la trésorerie étoient Laurent Hyde,
comte de Rochester, et le lord Godolphin. On remar-
quoit au conseilles lords Russel, Cavendish et Halifax.
Le chevalier Temple n'y fut pas oublié. Ces hommes
étoient l'élite du pays et de l'Opposition. Un seul étoit
alors factieux, le cornte de Shaftsbury. Le chevalier
Temple prédit au Roí ce qu'il devoit craindre d'un
tel hornme, et s'opposa vivement a ce qu'il fut rap-
pelé; les autres jouerent un si grand role dans les
événernents postérieurs qu'il est nécessaire de les faire
connoltre.


Laurent Hyde, cOlnte de Rochester, fils pUlné
du chancelier Clarendon, et frere de la premiere
duchesse d'York, joignoit a un génie fort élevé toute
la dextérité d'un hornme de cour. Il s'étoit maintenu
au rnilieu des partis qui renverserent le Chancelier,
sans manquer ni aux devoirs d'un fils, ni a la fidé-


ment a la République ou au Pouvoir Absolu; mais il n'en existe
])o\n\ el\con~ pOl.\l' pré¡;er'Ver \e trone ae ce aoub\e péri\, ou i)
périroit également.


l.




210 RÉVOLUT10N DE 16ti8,
lité de ses engagements envers le Prince son heau-
frere, ni aux déférences les plus respectueuses ponr
le Roí. Séver.ns ses príncipes sur l'autorité royale,
plus ami peuf.:,etre du pouvoir absolu que de la li-
berté, il resta néanmoins inflexible dans son atta-
r.hement a l'Église Anglicane, ({ui recommande, iI est
vrai, l' obéissance passive, mais qui la recommande
par lé seul instinct de sa conservation, paree que,
hors du trone a qui elle a déféré la suprématie re-
ligieuse, l'autorité qu'elle s'arroge n'a plus de base
ni d'appui. Au reste, Rochester, devenu Lord Tré-
sorier sous Jacques II, fut disgracié parce qu'il re-
fnsa de se déclarer Catholique.


Le chevalier Georges Saville, successivemcnt vi-
comte, comte et marquis d'Halifax, fut nommé en
l668 membre du comité que la chambre des Com-
munes chargéa d'examiner l'emploi des fonds accor-
dés pour la premiere guerre de Hollande. Ses idées
toutes républicaines faisoient un étonnant contraste


. avec le vif et entier abandon qu'il mit constamment
a servir Charles II, dans ses projets pour se débar-
rasser des Parlements. Peut-etre l'agréable et tou-
jours ingénieuse vivacité de son esprit satirique se
plaisoit ainsi a se jouer de la pédantesque rigidité
des Républicains et des Puritains, clulls ;n siecle qui
passoit si rapidement du fanatisme a l'athéisme. Athée
lui-meme aux yeux des gens du monde, quoiqu'á
J'entendre il nf' cn'h pas :1 la possihilité de l'etre




l~N ANGLETEHRE • 21 1
..


l'éellement, aucune Cl'oyance fixc n'arrctoit son es-
prit, ne régloit ses .principes en religion comme en
politiqueo S'il étoit fidele ami, fidele obsel'vateur
de la j ustice privée , dan s les relatiol1s civiles, jamais
homme, apres Shaftsbury, n'oublioit plus facilement
ses engagements d'opiníon ou de partí; un bon mot
répondoit a touts les reproches, et rne~1e les faisoit
oublier. Disgraeié sons Jacques 11, il fut un de ceux
qui appelerent le prince d'Orange ..


Arthur comte d'Essex, fils de lord CapeIl, avoit
été négligé dans son enfance. La guerrc civile avoit
trop occupé son pere, qui périt avec gloire pour la
cause royale, peu de temps apres Charles Ier , qu'il
avoit défendu ave e d'hérolques efTorts. Mais parvenu
a rage de raison, Arthur s'appliqua de lui-meme,
et avec ardeur, a l'étude des langues anciennes, des
mathématiques, et surtout des lois et tIe l'histoire de
son pays. Outre le nom qu'il portoit, et qui devoit
etre cher aux Stuarts, iI avoit une ame si noble,
si élevée, que son méritc réel ne pouvoit rester mé-
connu. Le Roi en effet lui donna d'abord l'ambas-
sade de Danemark, ou il déploya une fermeté peu
commune. La vice-roya-uté d'Irlande fut l'éclatante
récompense de ses prerniers services; récompense
d'autant plus illattendue que son avcrsiOll pOlll' la
religioll eatholique ue pouvoit elre ignol'ée. eette
aversion proeédoit ll10ins (I'Ull póncipe d'intolérance
l'f'ligieuse, ({ue d'un selltilllent poli¡ ¡que pt cl\m ~r·


'4·




212 RÉVOT.UTION DE 1688,
uent amoue pour la liberté. A. ses yeux, la religion
catholique et les Iibertés de l'Angleterre l~toient in-
compatibles; fatale prévention d'esprit, alors trap
universelle, qui faisoit attribuer a la religion elle-
meme les imprudences, les fautes ou les crimes qu'elle
condamne le plus séverement. Ainsi le noble carac-
'd'E ,. "1 1 el tere ssex n aVOlt pu s e ever au (CSSUS es nuages
ql~ti tenoient obscurcies toutes les vérités. La folie
des sectaires lui faisoit horreur et pitié; les ambi-
tieuses et dangereuses pratiques des Catholiques exaI-
tés le faisoient trembler pour son pays. L'atbéisme
cynique de la cour et des grands révoltoit son ame
tendre ou il ne restoit plus qu'un vide immense. Les
charmes de la vie privée ou les agitations politiques
pouvoient - elles le remplir? Pendant son ambas-
sade, il fut témoin d'une révolution 1 unique peut-
etre clans l'histoire. Ce fut sous ses yeux que les États
de Danemark déférerellt a leur Roí la puissance ab-
solue, et de ce moment iI resta toujours inquiet pou!'
son pays. Cependant iI porta toute l'activité de son
ame aux soins de sa vice-royauté. Depuis le comte
de Strafford, l'Irlande, l'Irlande éternellement op-
primée, n'avoit point vu de gouvernement plus équi-
table, plus. sage, plus juste, plus ami drs peuples.
Sa fermeté invinciJ:>le contre toutes les eléprédations
lui suscita des ennemis a la co.ur, qui le rappela en
1676. Le duc d'Ormond lui succéda,et pouvoit seul
adoucir les justes regret!\ de son rappel.





EN .I\.NGLJ.TEJUUL


LJ 11 seu! traÍt doit peindre le lord Godolphiu';
d cut une grande part a la confiance de quatre sou-
verains qui. se succéderent en Angleterre, et ces
sonverains étoient Charles II, Jacques II son frere,
Guillaume 111, et Anne, filIe de Jacques 11. Issu d'une
ancienne famille de Cornouailles, il avoit d'abonl
été page du Roi. Sa grande habileté, sa probité dans
les offices de la Trésorerie, luí donnoient un crédit
qui eut éié fort éclatant s'il cut été moins silencieux
ou moins modeste, ou .peut-etre moins prévoyant.
Doué d'un esprit méthodique et net, 'l'ordre qu'il
savoit mettre dans les affaires lui rendoit tout facile
á régler ou a éluder. Toujours inoffensif, toujoUl's
mesuré clans ses affections comme dans ses opinions;
exempt de présomption et de toute vanité, n'ayant
(pIe des passions douces, si meme iI avoit quelque
passion, iI présentoit un spectacle assez rare, celui
d'un homme de conr, toujonrs en crédit et toujours
sans un senl ennemi. Jamais les débats de la conr,
du Parlement et des factions ne pouvoient émouvoir
sa modération. l .. e monde poli tique luí sembloit in-
connu, ou du moins étranger. Ses affaires, toujours
ses affaires; rien de moins ni au-dela. Onne luí
faisoit qu'un reproche, de jouer passionnément. « 1.e
(( jeu,» disoit-il a ses amis, ( le jeu dispense de par-
( ler.)) Trait de politique profonde pour un hornme
qui observoit le présent, lisoit clans l'avenir, et se
montra enfln un des grands ministres de l'Angleterre,




2 J 4 RÉVOLUTION DE 1688,
a I'époque fameuse ou Marlborough et le prilH~e Eu-
gime porterent de si terribles coups a Louis XIV <'t
a la France.


Le lord Russel, frere de I'Amiral, avoit un de
ces caracteres qui sembleroit tracé sur l'idéal de la
nature humaine, si l'exaltation et le désordre que
laisse apres soi dans les esprits toute révolution re-
ligieuse n'avoient altéré la pureté de cette ame tou-
jours bienveillante. Il déposera bientot sa noble tete
sur l'échafaud. Qu'il soit du moins permis a l'his-
toire de donner quelques regrets a la vertu qtú s'é-
gare.


Parmi touts ces hommes que le Roi venoit d'ap-
peler a ses conseils, iI faut surtout distinguer le
corute de Suuderland, dout le eal'actere seroit souvent
inexplicable, si la corruption publique de ees mal-
heureux temps ne servoit a tont expliquer. Sunder-
land va se prononeer ponr que le due d'York soit
excln de la eouronne. Il sera pourtant le ministre
et l'alui intime de ee Prince devenu Roí. 11 sera
l' exéeuteur aveugle des volontés, des desseins et
des fautes irréparables eTe son maltre. Jacqut's II
voudra régner avee les seuls Catholiques, et Sundcr-
land se fera Catholique. Jaeques II voudra se mettre
a la solde de J-"OtIis XIV, et Sunderlalld sera comme
son maltre" pensionnaire de Louis XIV. Il voudra
une armée, frele et dangereux appui, quand les 10is
la réprouvpnt, quétlld la ehaire, la pressp el la tl'ilHllle





/'-
EN ANGLETEllRE. 2J:'>


la condamnent; Sunderland saura créer une armée.
L'histoire cependant n'a point de \Jreuve que Sun-
derland fut complice de la conjuration du prince
d'Orange, a moins que son ohéissanceabsolue aux
vecux et aux ordres impérieux de son Roi ne filt
elle - meme une trahison systématique. Sunderland
étoit beau- frere de Philippe Sidney. Il eut la COll-
fiance de Charles II des la seconde guerre d'Hol-
lande, et fut envoyé a Cologne en 1773, dans le
temps ou la m~diation de la Suede fit ouvrir un con-
gres dans cette vilIe pour négocier la paix entre toutes
les puissances belIigérantes. Entralné par un amour
désordonné du faste, les moyens illégitimes de pour-
voir a ses dépenses l'arretoient rarement; et com-
ment alors seroit-il resté inaccessible a de teIles sé-
ductions? Il avoit vu le Roi lui - meme se moque)'
du ehaneelier Clarendon que Louis XIV trouvoit
incorruptible. Mais a eette cou!' de Charles II, abll1w
de toutes les vertus, Sunderland réunissoit toutes
les qualités qui peuvent charmer des ames eorrom-
pues. Doué d'un esprit mobile, vif et pénétrant.
d'une grande habileté aux affaires, et de ces graees
irrésistiblcs qui font tout pardonner, il changeoit
de parti COlnme rl habit, dit un historien 1, et ce-
pendant touts les partis le recherchoient tour a tour,
et croyoient touts le posséder uniquement. L'avidité




::u6 nÉYOLlJTJON DE 1688,
des femmes de la cour et des favorites titrées OH
passageres du Roí ouvroit un champ sans limites il
ses espérances. Te! étoit le nouveau Secrétaire J'Etat
de Charles II; tels étoient les personnages les plus
éminents du nouveau conseil, quand le Roi se dé-
cicla enfin a s'appuyer sur le partí populaíre, que
l'ambassadeur de France encourageoit toujours contre
luí.


Le pro ces du Complot des Papistes suivoít son
cours dangereux que Charles n' osoit ou ne pouvoit
arreter. Il avoit précédé l'assemblée du Parlement,
et continua durant la session. Le banquier Staley
et le secrétaire Coleman avoient succombé. Cinq
Lords catholiques étoient a la Tour. Le comte Danby
se voyoit sous le poids d'une accusation de haute
trahison, que la passion des Communes avoit su rat-
tacher a la conjuration prétendue; enfin la procé-
dure commencée contre cinq Jésuites mis .en juge-
ment, au mois de février, entretenoit actuellement
l'avide et stupide fureur clu peuple.


Parmi ces religieux, le pere Ireland se trouvoÍt
accusé d'avoir donné les ordres convenus avec sa
compagnie pour tuer le Roi. Quant aux peres Grove
et Pikering, sacristes·ou chapelains de la Reine, ils
avoient rec;u la commission de tirer sur Sa Majesté
a Windsor, le premier pour J ,500 livres sterling,
le second pour le prix de 30,000 messes qu'il avoit
préféré an salaire de son confrere. lIs a\'oicnt épi{\ lp




EN ANGLETEIUU:.


Uoi;\ \Vindsor, el le pistolet avoit manqué trois fois.
l)'abord la pierre n'avoit pas allumé le feu. Ensuite
on avoit oublié l'amorce; enfin a la troisieme fois,
ces régicides toujOUl'S malhabíles n'avoient mis que
des baIles sans poudre dans le pistolet. Autant de mi-
racles, disoít - on , pour sauver la vie de Sa Majesté.


Dans ce qui étoit personnel au pere Ireland, ce
religieux prouva.inutilement l'alibi. L'autorité légale
du serment d'Oates et Bedlow consacra juridique-
ment ces fables grossieres, et les j urés se pronon-
cerent contre les accusés. Apres leur déclaration, le
chevalier Guillaume Scroggs, Chef de justice, leur
dit : ce Ouí, Messieurs les jurés, vous avez agi en
ce bons sujets, en tres bons chr~tiens. Que les cou-
« pables aillent maintenant jouir de leurs trente mille
( messes ! » Ces détails font horreur saos doute. Mais
ils expriment l'état universel de la société. Que de-
voit etre le peuple, quand le chef de la magistrature
dégradoit ainsi le saint J\ilinistere de la Justice?


Pour imputer a la Reine et au duc d'y ork la mort
de sir Godfrey, ii manquoit encore une preuve lé-
gaIe aux artisans de l'imposture, cal' la j ustice o' a-
voit que le seul témoignage de Bedlow. Un' second
témoin se présenta, et se nommoit Dugdale, Baillif
du lord Ashton, et jouissant d'ailleurs d'une grande
réputation d'intégrité dans son pays. Ses dépositions
jderent un grand trouble rlalls les imagillations, et
memc dans l'esprit clu Roí. Séduil par les promesscs




218 RÉVOLUTION D.E 1 G88,
du pere Whitebread, Provincial des Jésuites, el pal'
l'offre, dit-il, de 500 guinées que lui fit le lord Staf-
ford, il s'étoit chargé de remettre au perc Evers,
confesseur du lord Ashton, une lettre du Provincial.
Celui-ci, au nom des Jésuites de Londres, chargeoit
le pere Evers de lui procurer des gens d'expédition
et capables d'un coup de main contre le Roi. Quel-
ques détails de son récit donnoient une certaine au-
torité a sa déposition.


Dugdale avoit annoncé, disoit-il, qu'un juge de
.paix venoit d'etre assassiné a Londres, et jl l'avoit
annoncé le jour meme ou le corps de Godfrcy avoit
enfin été trouvé, c'est a dire, le mardi. Or, jI n'a-
voit pu le savoir, ce jour-Ia, au chatea u du lord
Ashton que par une lcttre partie de Londres et par
la poste du samedi, dan s le moment précisément ou
la famille de Godfrey commen~oit a concevoir des
inquiétudes. Dugdale jura qu'il tenoit ceUe nouvelle
du pere Evers, et qU(~ celui-ci lui avoit nommé God-
frey. Il appela plusieurs témoins a l'appui de cette
assertion, entre autres le Ministre de la paroisse qlli
nia le faÍt; mais d'autres témoins l'affirmerellt. Il
ajouta encore, encitant toujours le pere Evers,
que dans le temps ou Coleman étoit en prison, le
duc d'y ork envoya demander au prisonnier : s'il ne
s'étoit ouvert a personne de ce qui étoit cntre cux?
A Godfrey seulemcnt, répondit Colemall. Sur eetlp
réponse, continua' Dugdal(', le dile r!'Yol'k a fitít




EN ANGLf:TEHRl':. :2.19


assassiner Godfrey pour (~tr'e assuré du secreto
D'autres circonstallces, qui paroissoient fortuit~,


ct des révélatiol1s analognes se succedent rapidement.
On amenoit un nonveau prisonnier a la salle de West-
minster. Bedlow, qui se trouvoit sur le chemin, dit
aux gardes : « J'ai vu cet homme autour du corps
« de Godfrey, a l'hotel de Sommerset. » Ce nouveau
prisonnicr nia d'abord, et ensuite avoua le fait.


C'étoit un orfevre de la chapelle ~ de la Reine; il
se nommoit Prance. Étant absen t de sa maison dans
la semaine ou Godfrey disparut, un locataire de
Prance eut des soup\ons qu'il communiqua ,et Prance
fut arreté. 01', c'étoit pendant sa translation a la
salle de Westminster que Bedlow parut frappé subí-
tement comme d'un trait de lumiere a sa vue, et
que, sans le .désigner par son nom, il dit: « Cet homme
«( étoit a l'hotel de Sommerset. »


Prance expliqua son espece de fuite par les craintes
personnelles que lui donnoit la conspiration, parce
qu'il étoit Catholique. Il nía d'abord qu'il eut au-
cune connaissance du sort de Godfrey, mais il avoua
enfin ce que Bedlow avoit dit. Deux pretres, Girard
et Killy, l'avoient décidé par séduction a seconder
Green qui appartenoit a la chapelle de la Reine,
Hill, domestique de Godden , écrivain fameux parmi
les Papistes, et Berry, portier de l'hotel de Som-
merset. Luí ct ses troi5 autres complices, disoit - iI ,
s'attachercnt aux pas de leur victime future , chacun




220 RtVOLUTI0N DE 1688,
ayant son poste particulier. Celui de Pranee étoit ¡.
la· porte de l'hotel Sommerset.


Hill, impatient, étoit alié s'informer chez God··
frey lui-meme, s'il étoit chez lui , et la servante avoit
répondu qu'il alloit sortir. Godfrey sortit enfin, es-
pionné par Hill, et se rendit dans une maison voi-
sine de l' église de Saint-Clément; de la , et toujours
surveillé par Hill, Godfrey prit le chemiu de I'hotel
de Sommerset, ou Prance avoit son poste. A la porte
de l'ho'tel, deux des complices feignent de se que-
reller, un troisieme fait des instances a Godfrey pour
l'aider a les séparer; en fin ils se réunissent touts,
et le font entrer de force dans l'hotel. Green alors
le saisit par derriel'e, le reu'Verse, et fait des ef-
forts pour l'étrallgler. Girard tire l'épée de Godfrey
poul' l' en percer, mais 011 ren empeche pour ne
pas laisser de tra.ce sanglante. Enfin Godfrey étant
assassiné, on se décide a porter le cadavre clans une
chambre de l'hotel, dont Hill avoit la clef; c'étoit
la chambre de Godden son maltre. Au bout de deux
jours, leur victime fut transportée d'abord dans une
chaise, puis sur un cheval préparé par Green , jus-
qu'au lieu ou l'on trouva en fin ses malheureux restes.
TeI fut le récit de Prance, catholique; récit tellement
circonstancié qu'il paroissoit etre la vérité meme.
Des indices j uridiques sembloient aussi le confirmer.
Hill, au milieu d'une foule de prisonniers, fut l'C-
connu sur le champ par la servant(l (le Godfrey, ('l




EN A NGLETERRE. 'l'1.r


<.lit: « C'est lui qui m'a demandé si lUon maltre étoil
« sorti.» La sentinelle de l'hotel affirma sous ser"
ment qu'il avoit vu entrer une ehaise a porteu!', mais
personne ne put dire qu' elle fut sortie de l'hotel.


Cependant, apres avoir ainsi construít cette his-
toire, Prance demanda audience au Roí, qui ne vou-
lut l' entendre que devant son Conseil. La, il ré-
tracta toutes ses' dépositions; de retour ensuite a su
prison, il fit dire au Roí par le geolier que eette
rétractation étoit l'effet du trouble extreme de son
esprit, et que sa premiere affirmation étoit véritable.
Bientot il se retracta encore entre l~s mains du doc-
teur Lloyd, et finit par persister clans ses déclara-
tions primitives.


Prance n'ayant plus varié, on instruít le procps
des trois autres, et il fut re~u comme témoin. Ccttt'
monstrueuse iniquité se trouvoit néeessaire, puisquc
l'unique témoignage de Bedlow ne procuroit pas la
preuve légale. Girard et Killy, pretres eatholiques,
ne furent pas déeouverts. La sentenee de mort fut
portée contre Green, Hin et' Berry. Les deux pre-
miers étoient Catholiques, et protesterent de leur
innocence jusqu'au dernier soupir. Quant a Berry,
portier de la Reine, il pouvoit du moins SaUver sa
vie en s'avouant eoupable, cal' iI étoit aecusé, non
pas d'avoir été eompliee de l'assassinat, mais d'y
avoir été présent et d'avoie aidé a transporter l~
cadavl'e, Il nía tont jusqu'a la fin. « J'ai abjuré,) dit-jI,




222 RÉVOLUTION DE 1 G8H,
« ma religion pour un vil intéret. C'est la craintc de
« perdre ma place qui m'a eutralné a me déclarer Ca-
« tholique sans conviction. J'accepte comme un juste
« chatiment de ma fante la mort a laquelle je suis
« condamné pour un crime dont je ne suis pas cou-
l( pable;» et il mourut dans la religion anglicane,
assisté du docteur Lloyd, qui le crut sincere.


Lorsqu'on voyoit les pretres catholiques protester
de leur innocence jusqu'au moment fatal, OH in6r-
moit cette preuve morale, en disant que le mensonge
étoit pprmis aux Jésuites, et absous par l'intention.
Ainsi on oub1ioit ou l'on affectoit d'oublier que,
dans la Conspiration des poudres, les Catholiques
accusés et convaincus avoient confessé leut' crime
sur l' échafaud. Mais, dans la conjoncture présente,
la constancé ferme, calme, pieuse, résignée des con-
damnés ,dans leurs dénégations en présence de la
mort et de Dieu, étoit fortifiée par la meme déné-
gation d'un Anglican, et pouvoit jeter quelque i11-
certitude dans la crédulité publique. La pitié pou-
voit ramener la raison dans les esprits, et inspirer
de l'horreur sur cette monstrueuse tégalité dps faux


. serments, qui imputoient a la B.eine et au Duc
d'York l'assassinat ele Godfrey. Aussi le parti ennemi
de la Cour et des Catholiques ne manqua pas de
publier que le Docteur Lloyd avoit été suborné pour
séduire Beny, et. faire une conversion simulée de ce
malheurellx a l'Eglise anglicane.




EN ANGLETRRRE.


Enhal'di par la croyance juridique donnée a ses
n:cits, Prance en inventa de nouveaux, et le fana-
tisme public ne pcrmit pas de les révoquer en dout('.
Il s'agissoit d'une armée qui devoit renouveler en
Angleterre le massacre d'Irlande, dont le souvenir
sans ces se rcproduit inspiroit une prodigieuse tC1'-
reul'. Nul n'étoit assez témérairc pour dire OH merne
concevoir que s'il y avoit en 1641 cent Catholiques
en Irlande contre un Protestant, il Y avoit en 1679
plus ele cent Protestants en Angleterre' contre un
Catholique. Ainsi se vérifioit l'axiorne de Shaftsbury
sur la croyance du peuple au merveilleux le plus
absurde. Malheureusement iI yavoit des points ob-
scurs dans cette terrible affaire. Les lettres de Cole-
man avoient prouvé juridiquement le dessein de
rétablir la Religion Catholique en Angleterre par
des moyens que le Parlement et les Trihunaux de-
voient nécessairemcnt trouver crÍminels. La mort de
Godfl'ey étoit sans doute un suicide, quoique rien
encore nr l'ait prouvé. Si ceUe mort ne fut pas vo-
lontaire, et l'on peut croire qu'elle fut violente, faut-
il l'attribuer a la cabale du Cornte de Shaftsbury,
ou a des Catholiques désespérés? lci crpendant cette
mort inexplicable étoit qualifiée de meurtre par les
jugernents portés contre Hill, Gréen et Berry. Ce
meurtre , légalement reconnu, laissoit dans les esprits
une impression d'autant plus profonde et sombre,
(fue les accusateurs y impliquoient tout-a-la-fois la




RivOLUTfON DE .688.
Reine, l'héritier présomptif du trone, les Seignt'urs
catholiques, toute une compagnie religieuse abhol'rée
de l' Angleterre , enfin les Cours de France, d'Espagne
et de Rome el1e-rneme. D'un autre coté, un gentil-
homrne du comté de Strafford, nornmé Jennison.
dont le frere alné étoit Jésuite, venoit d'abjurer la
Religion Catholique, et s'étoit présenté pour com-
battre l'alibí argué par le Pere Ireland. Indigné de
l'imposture de ce religieux, il avoit, disoit-il, abjuré
la Religion des Papistes; il déclara qu'on l'avoit sol-
licité lui-rneme d'entrer dans la conjuration contre
la vie du Roi, et. nomma les assassins qui avoient si
miraculeusement trouvé leurs armes trois fois re-
belles a leur projet régicide. Il cita aussi un Pretl'c
jadis catholique, nommé Smith, élevé chez le pere
des Jennison. Ce Pretre, qui avait apostasié, déclara
qu'étant aRome, il avoit eu connaissance, dans ses
conversations, d'un projet contre la vie du ROÍ; il
n'al1a pas plus loin. Mais ces nouvelles dépositions
donnerent un nouvel essor aux inquiétudes publiques;
le Gouvernement, d'ailleurs, avoit agrandi la car-
riere ouverte a la cupidité des imposteurs, en pro-
mettant lenr grace et de larges récompenses aux
conspirateurg qui viendroie~t se déclarer eux-memt-'s.
Alors tém'oins et révélateurs étoient venus obstruer
les avenues de la justice.


Enfin un incident, qui ne peut recevoir qu'une
interprétation fort innocentc, vint encore aggraver




EN ANGLETERRE.


le mal. L'Avocat des Lords Catholiques enfermés a
la Tour, et un nommé Tasborough, attaché a la
maison du duc d'York, firlht d'imprudentes dé-
marches. L'Avocat, nommé Reading, chercha d'a-
bord a s'insinuer aupres de Bedlow, dans l'inten-
tion de le surprendre en mensonge; bientot, le voyant
accessible aux séductions de l'argent, il lui promit,
de la part du Comte de Stafford, une somme assez
forte, pour mitiger en simples oui-dire ses déposi-
tions premieres. Mais Bedlow avoit placé des témoins
derriere la tapisserie de son appartement, et I'Avocat
fut condamné au pilori, eomme suborneur. Dugdale
agit a peu pres de la meme maniere eontre Tasbo-
rough. Celui-[i devoit se eroire moins exposé, paree
qu'une de ses parpntes étoit recherchée par ce Dug-
dale, qui, en effet, promit de se rétracter et de
quitter l'Angleterre, au moyen d'une forte récom-
pense. Tasborough, livré comme Reading, subit le
meme sort. Enfin les autres accusés parurent succes-
sivement enjugement. Cinq pretres jésuites et I'Avo-
cat Langhorn furent condamnés. Le médecin de la
Reine, Vakemann, fut .renvoyé absous avec trois
religieux Bénédictins. Le Comte Stafford fut jugé
plus tard, et mit fin a cette tragédie. Le Roj ne per-
mil pas que les autres Seig~eurs eatholiques fussent
mis en jugement.


Cette sanglante et rnystérieuse affaire est san s con-
trcdit un des phénomenes les plus cffrayants de la


I. 15




REVOLUTION DE 1688,
société livrée a l'emportement de ses passions ou de
ses terreurso Une persuasion invincible entrainoit
non pas seulement le"euple, mais tout ce qui con~
stitue légalement l' ordre publico Ainsi, le Clergé, les
Magistrats, les Jurés, le Parlement, le Roi lui-meme
croyoient, non pas précisément aux témoins, mais
a une conspirationo Le Roi, plus que personne, savoit
a queHes imprudences avoient pu se porter des agents
secondaires, puisque lui-meme avoit promis a la
France, par un traité, le rétablissement de l'Église
Catholique en Angleterre. A la crainte de se voir
compromis personnellement, se joignoit une autre
crainte, ceBe des complots tentés contre sa vie; du
moins il y paroissoit croire. Enfin, disoit-il a son
frere 1 , pour excuser les rigueurs exercées contre les
Catholiques : {( C' est un mal, nécessaire pour préve-
nir de plus grands mauxo» Il ful cel'tainement la
cause premiere de ces horribles attentats commis
par la justice légaleo Cependant on ne peut observer
~ans surprise que ni son nom, ni ses actes ne furent
jamais cités, et qu'il devint au contraire plus popu-
laire dans la nation, en proportion de la fureur
qui s' exer~oit au nom des lois contre les Catholiqueso
Les factieux, qui avoient su meler dans cette cause
les noms de la Reine et de l'héritier du trane, avoient


r Mém. de JacfJues n.




:EN ANGLI~T.ERRK


mis par la en quelque sorte le Roi sous la protection
de la calomnie et de la terreur.


S'il resta long-temps d'indignessoup~ons dans les
cceurs, la nation cependant fut peu a peu, mais
trop tard, désabusée par les imposteurs eux-memes.
U n des témoins, Carstairs, qui sacrifia le banquier
Staley, déclara en mourant qu'il léguoit son corps
a la vOÍrie, pour prix de ses infamies. Titus Oates
fut reconnu parjure. Dans le prod~s du comte de
Stafford, Dugdale fut convaincu de faux. Bedlow,
en mourant, signa entre les mains d'un -des Lords
Chefs de justice le désaveu de tout ce qu'il avoit
dit contre la Heine et le duc d'York, ratifiant toute-
fois ses dépositions sur le reste. La mort de touts
les accusés qui protestoient de leur innocence jus-
qu'au dernier soupir, éclaira aussi le jugement des
hommes revenus a l'usage de leur raison. Ce témoi-
gnage n'est pas récusé par ceux mernes qui ont con-
couru a l'exclusion des Stuarts avec le plus de ferveur.
Apres avoir souvent cité TitllS Oates comme un
hornme abominable, le docteur Burnet s'éleve contre
ceux de son Église qui s'étonnoient de la protesta-
tion d'innoeence faite par touts les Pretrescondamnés.
« Il ya,» dit-il, ( quelque chose de dur et d'inhumain
« a vouloir qu'ils aÍent renclu un dernier hommage
« aux charmes de l'imposture, la mort sur les levres;»)




SOMMAIRE.


1679 - 1680.


Le nouveau Parlement. - Liberté de la presse. - Le Conseil «u
Roi divisé. - Shaftsbury et le Triumvirat. - Espérances de
la Duchesse de Portsmouth.-Bill de l' Habeas Corpus.


Affaires d'Écosse. - Assassinat du Primat. - Révolte de Both-
well-Bridge.-Le Duc de Monmouth pacifie l'Éeosse.


Prorogation du Parlement.-Maladie du Roi.-Le Duc d'York
rappelé. - Shaftsbury renvoyé du ministere. -Pétit.ions.-
Complot du Tonneau a farine.


Négociations de touts les_partis avec Louis XIV.-Shaftsbury
dénonce juridiquement le Dnc d'York. -Délibérations du
Conseil sur ce Prince.-Il est renvoyé en Écosse.-Parle-
ment.-Bill d'exclusion, dans les Communoo. -Politique
et négociations de la France en Angleterre.-Le Bill d'ex-
clusioll rejeté par la Haute Chambre. - Fureur des Com-
mUlles.


Le Vicomte de Stafford, condamné ponr le complot des Pa-
pistes. -Pitié du peuple. _État de la nation et des factions.
- Le Parlemellt est prorogé. - Déclaration .violente des Com-
munes. - Dissolutioll dn Parlemellt.




Rl~VOL. DE t 688, EN ANGLETERRE. 2. 29


LIVRE V.


1679 - 1680.


LE Parlement s'étoit réuni pendant le cours de ces
procédures; et le hill qui restreignoit la liberté de
la presse venoit d'expirer. Alors le torrent des in-
vectives poli tiques et religieuses se déborda. Déja au
Parlement, dans les tribullaux et dans les temples,
touts les orateurs livroient a la discussion, a la dé-
rision ou a l'horreur du public, les textes des Ca-
suistes d'Italie, de Portugal et d'Espagne sur le
probabilisme, sur l'intelltion, sur l'hérésie et sur les
Rois hérétiques. L' explosion soudaine de la presse,
rendue a la liberté apres Une législation tres-rigou-
reuse, produisit tout,s les résultats qu' en espéroiellt
les ennemis de la cour. Peu a peu ils formerent sys-
tématiquement une fabrication réguliere de petits
écrits auxquels ne dédaignoient pas de concourir
les homqles du rang le plus élevé . .Buckingham et
Shaftsbury surtout y faisoient examiner, discuter et
soutenir, en faveur du Par)ement, le droít de régler
la succcssion royale. On s'y attachoit particuliere-




RÉVOLUTION I>F 1688,
ment a exagérer les périls qui menac;oient les loís
et l'Église d'Angleterre, si un Catholique montoit
jamais sur le trone. C'est ainsi que l'on fortifioit
par de subtiles théoríes, les passions soulevées eontre
l'héritier présomptif du royaume.


L'exil voIontaire ou forcé de ce Prill(..:e, le renvoi
des ministres suspects d'attachement a ses intérets et
a ses droits légitimes, l'organisation d'un nouveau
Conseil et d'un nouveau J\1inistere, les offres que
Charles avoit prodiguées en ouvrant la session, de
concourir a toutes les mesures capables de protéger
la Religion du pays, sans blesser les lois fondamen-
tales sur la snccession, rien ne paroissoit calmer la
passion des Communes contre le dnc d'York. D'ail-
leurs le Président du nouveau Conseil, Shaftshury,
aperc;ut bientot que le Roi se défioit de lui; et pre-
nant sa faveur actuelle pou!' un acte de dissimulation
profonde, iI resta uans le partí populaire, qu'il en-
gagea sans peine a persister vigoureusement dans ses
résolutions. Les Communes en effet se lTIOntrerent
inflexibles, et ne voulurent satisfaire a aucun des be-
soins réels du Roi et du Gouvernement, avant que
d'avoir examiné toutes les questions qui s'attachoient
a la Religion de l'héritier présomptif.


A l'instant, deux partís se prononcent dan s le
Conseil cornme au Parlernent : les uns velllent une
exclusion absolue; les autres un hill de lirnitation
d'autorité pendant le l'egrw d'Ull Hoi <fui s('roit Ca M




EN ANGLETERRE.


tllOlique. Déja la ehambre des Communes avoit dé-
cIaré par un vote solennel : « Que le due d'York étant
« papiste, touts les papistes se trouvoient naturelle-
« ment eneouragés a conspirer. » Le Duc ne trouva
qu'un homme qui os:it se prononeer avee eourage
eontre ce vote; e' étoit Coventry, seerétaire de la
Chambre .. Touts les autres amis de ce Prinee gar-
derent un silenee de eonsternation. Trois jours
apres, le Roi offre encore aux deux chambres de con-
sentir a toutes les mesures eapables de garantir la
Religion de l'État. L'exdusion de son frere étoit la
seule exception. Dans le eas OU Sa Majesté auroit un
suceesseur eatholique, touts les emplois seroiellt
donnés aux seuls protestants, et les titulail'es ne
pourroient pas etre révoqués sallS le consentement
du Parlement.


Au Conseil, le Roi s'étojt prononeé avee énergie
eontre tout projet eontraire a l'ordre légitime et na-
turel de la sueeession. Il comprenoit faeilement que
si le droit suecessif étoit aetuellement altéré, sous
prétexte de la Religion, d'autres prétextes ne man-
queroient pas de naltre pour changer la monarchíe
hérédítaire en monarchie élective. Shaftsbury, pré-
sident du Conseil, rejetoit hautement toute limita-
tion. « Vous voulez,» disoit - il, (~enlever au Prince
« devenu Roí, son autorité nécessaire sur les affaires
« de I'Église anglicane, sur le trésor, Slll' la paix et
« la guerreo Ainsi vous allriLuez au Parlement




ntvoLUTION DE 1688,
(( touts les droits de la Royauté; n'est-ce pas consti-
« tuer la République elle - meme? Soyez plus con sé-
« quents dans vos principes. Votre projet n'établit que
« la démocratie, et vous sacrifiez la Royauté a une
C( seule personne. Moi , je ne sacrifie qu'une seuIe per.
« sonne, el je conserve la Royauté.» Il proposoit done
formellement et absolument l'exdusíon du Prince.


Quant a Essex, Halifax et Sunderland, ils forme-
rent dans le Conseil ce qu'on appela le TriulTwirat,
contre le parti du Président. Ni leurs instanees, ni
leurs raisonnements ne purent vaincre son opinia-
treté. Cependant le Roi s'arreta au projet de pro-
poser des limitatÍons, et le Chancelier fut ehargé
de les porter aux deux chambres.


Lorsque le duc d'York apprit cette nouveIle dans
son exil, san s doute iI en fut consterné, mais il ne
s'abandonna point a un abattement peu digne d'un
creur élevé. Résolu de soutenir et de revendiquer ses
droits en temps et líeu, s'ils lui étoient ravis par un
acte parlementaire; le bill meme d' exclusion, s'il ne
proeédoit que du Parlement avec la sallction royale,
lui paroissoit moins dangereux qu'un bill de limita-
tion, adopté sur la proposition meme du Roí. Il est
vraí que Charles 11 luí avoit promis de ne jamais
sanctionner un bill d'exclusion. Mais proposer lui-
meme un hill de limitation ; ne laisser a son frere,
devenu Roi, que le vain titre de Roi, n'étoit-ce pas
reconnoltre, en principe, que ce titre pouvoit légale-




EN ANGLl.:TERRE.


ment luí etre ravi? Le Duc en exprima sa juste dou-
Ieur a Charles, qui s'excusa sur la nécessité des
temps·, et lui en fit espérer de meilleurs.


Cette grande question agita violemment touts les
esprits. La cour elle - meme étoit divisée d'une ma-
niere extreme, et s'abandonnoit aux spéculations les
plus hasardeuses. On n'a point encore parlé de l'in-
fluence politique des femmes qui possédoient ou se
partageoient les ínconstances du Roi. Toutes-puis-
san tes sur sa foiblesse, elles se liguoient tour a tour
avec les mécontents, qui espéroient obten ir par elles
la signature royale au bill d'exclusion. Alors la du-
chesse de Portsmouth jouissoit de la plus haute fa-
veur. Elle avoit du Roí un fiIs, le duc de Riche-
mond, que Louis XIV natural isa depuis en France.
Les mécontents lui firent entendre que, si le Roi con-
sentoit enfin a l'exclusion, une clause du bilI con-
féreroit a Sa Majesté le pouvoir de nommer son
successeur, comme en avoit agi le Parlement sous
Henri VIII. Pour mieux l' éblouir et donner un champ
plus libre a ses espérances, le projet lui fut suggéré
d'unir un jour son fils a la duchesse de Bourbon,
filIe naturelle de Louis XIV. D'un autre coté, on
ben;oít le duc de Monmouth des plus vastes projets.
Si le bill d' exclusion conféroit au Roí son pere le
droit de nommer son successeur, le choix de Sa Ma-


I
jesté pourroit-il tomber sur un autre que lui? C'est
ainsi que dans les contraires desscins ¿'une égale am-




RÉVOLUTION DE 1688,
hition, la Duchesse et .l\'Ionmouth se réunirent pOUl'
obséder Charles n. Mais la faction n'eut certaine-
ment pas abandonné au Roi le droit dont elle les
flattoit l'un et l'autre; elle eut désigné elle - memc
le successeur de la couronne; et la prineessé Marie,
femm.e du prince d'Orange, n' eut jamais été sacri-
fiée a Monmouth ou a l'ambitieuse Kéroualle l. Ce-
pendant, s'il faut en croire 1\lontagu, le Roí eOll-
sentit un moment au bill d'exclusion, sur l'offre que
la Duehesse fut autorÍsée a lui faire d'une somlllC
de 800,000 livres sterling. 1\IaÍs, ajoutoit Montagu,
ni le Roí ni la chambre des Communes ne se fioient
l'un a l'autre, et nul n'auroit osé proposer un sub-
side avant que le hill n'eút été sanetionné.


Les Communes s'oeeuperent enfin de cette grande
affaire; touts les principes de l'onlre politique furent
serutés dans leurs mysteres, et diseutés avee la pas-
sion que tant d'intér~ts pouvoient naturellement sus-
citer. C'est déja un grand ébranlemellt donné a l'arbre
de la Royauté que de mettre a nu jusqu'a ses raeínes.
Chez les anciens, le sceptl'e des Rois relllontoit a
Jupiter meme 2, et la souveraineté, comme le Nil,
prenoit sa source dans les Cienx. Que devenoit done
la Royanté sons l'empire d'un nouveau culte qui
soumettoit la foi elle-meme a l'autorité des h0111111CS ?


T Mém. de Burnet.
~ Homere. Iliad.




Ceux qui, dans eette lutte mémorable, défendirent
les droits essentiels du treme, se trouvoient cepen-
dant les zélateurs et les proteeteurs de la nouvelle
foi relígieuse. lIs ne pouvoient done s'appuyer que
sur une base déja renversée. Aussi leurs adversaires
invoquerent eontre eux la Bible meme, qui main-
tenant abandonnée a tout vent de doctrine, étoit sou-
mise au libre arbitre et a la seule autorité ele chaque
interprete. Jacob et Salomon fureutelonc eités en
témoignage contre le dnc el'York, et vinrent attes-
ter elevant le Parlement d'Angleterre que le elroit
el'alnesse n'est pas toujours le droit légitime. Ainsi
la Religion elle-meme, devenue tonte humaine, n'é-
toit plus la garantie inviolable des droits et des de-
voirs entre le Prinee et les sujets.Une fois dénaturée
dan s son principe, qui est l'autorité divine, que luí
reste - t - il? L'autorité de l'homme, e' est - a -dire, la
force. Les Partisans de l'exclusion avoicnt done toute
raison eontre leurs adversaires, puisqu'ils étoient
seuls conséquents a la profession de foi eommune.
«( Que nous parlez-vous, disoient-ils, des lois fonda-
mentales elu Royaume? En invoquant ces lois, vous
détruisez votre propre cause. Ces lois apparemment
se sont faites par la puissanee législative. Si eette
puissance n' est pas souveraine, elle n' est ríen. Oil
trouvcrez - vous ce earaetere de souveraineté? Les
acles du Parlement, quand le Roi les a sanctionnés,
sont la loi dl~ L\ngldprt'c. Q!l~('st·· Cf~ done qUf' le






RÉVOLUTION DE 1688,
Roí et le Parlement d'Angleterre, s'ils trouvent au-
jourd'hui des limites qui ne se trouvoient pas au-
trefois? e' est la que réside la souveraineté. Les lois
fondamentales que le souverain a faÍtes, le souve-
rain peut et doit les révoquer, si leur conservation
met en péril la société tout entiere. lci cependant
les périls sont assez manifestes, les preuves en sont
flagrantes. Vous les voyez dan s le proces des con-
spirateurs. Les· lettres des affidés du Prince sont
dans vos tribunaux. Touts les Papistes de l'Europe
l'ont pris lui - meme pour leur idole; et quand nos
lois ont rendu le Roi de la Grande-Bretagne chef
supreme de la Religion, vous doutez si un Roi ca-
tholique renversera ou ne renversera pas l'église
d'Angleterre? Les buchers de la reine l\Iarie sont-
ils done si Join de nous? Les A etes de/oi, les tor-
tures et les gibets de Philippe II, qui fut son mari ,
sont - ils done capables de vous rassurer? J\Iais l'É-
glise anglicane ·sera respectée; l'autorité du Prince
catholique sera limitée; des serments en seront la
garantie: des sernlents ! Et un Pape les confirmera
sans doute! Non: l'autorité absolue dans les Rois,
l'obéissance passive dans les sujets, tel est le dogme
poli tique des Papistes. Votre bill de limitations ne
sera qu'un acte de rébellion, et vous en subirez la
peme. »


A ces considérations se joignirent 1a spoliatioll
des possesseurs actnels des hiens de rancien Clerg(~




EN ANGL:ETlmRE.


catholiquc, l'appel des forces de la France, et la
guerre civile qui en seroit l'infaillible suite. Il n'en
falloit pas tant pour entralner des esprits déja ré-
solus. Les limitations proposées par la cour furent
rejetées. La chambre y substitua un bill d'exclusion
contre le duc d'York; et déja le bill avoit subi l'é-
preuve de la seconde lecture, lorsque le Roi proro-
gea le Parlement (2.6 mai 1679)'


Ce fut dans cette session que le Roi, au nombre
des mesures de sureté qu'il offrit ou qu'il accepta
pour calmer l'irritation et les alarmes de l' Angle-
terre, sanctionna le bill si connu sous le nom de
l'Habeas corpus. Cet acte mémorable qui assure a
chaque citoyen sa liberté individuelle, et qui la met
hors de toutes les atteintes de la puissance arbi-
traire, fut particulierement l' ouYrage du comte de
Shaftsbury.


Tandís que le duc d'York, exilé a Bruxelles, se
voyoit poursuivi en Angleterre par les plus redouta-
bIes passions d'un peuple ému, la frayeu!' et la haine,
le gouvernement, sous l'administration inflexible
de Lauderdale, reeueilloit en Écosse le fruit de ses ri-
gueurs et de son avarice.Lauderdale, avide de confisca-
tions et d'amendes, qui alol's étoi~nt énol'mes, avoit
convoité meme une révolte qu'il obtint ellfin; et ce
fut pour le due de Monmouth une oeeasion d'ac-
quérir une gloirc aussi dangereuse poul' luí que pour
l'État. Le Conseil d'Écosse el le nouvel Épiscopat




ntvoLUTION DE 1688,
s'attachoient surtout a convertir les sectaires par des
rpgiments de dragons et par des sentences ruineuses.
Poussés au désespoir, chassés légalement de leurs
presb.Yteres, de leurs églises, meme de leurs fO'yers
ou leur culte n'étoit plus toléré, les Presb.Ytériens
et les Puritains se rassembloient au désert, et, la
Bible a la main, maudissoient les Rois de la tcrre,
qui usurpoient ainsi le trone du Christ. Les assem-
blées au désert, ou conventicules des champs,
avoient été désignées dans l'acte du Parlement d'É-
cossc, comme des actes de rébellion. C'étoit appeler
les fanatiques au mart'yre, et touts aspiroient an
mart'yre. Les conventieules cependant se dispersoient
an premier bruit de l'approche des dragons. Quel-
quefois, lorsqne c'étoit la nuit, les fanatiques les
plus intrépides attendoient les soldats de pi,ed ferme,
on du moins répondoient par des coups de feu aux
premiers mouvements de leurs ennemis. Cet état
violent ne pouvoit durer long-temps.


Un jour, le Primat Sharp, Archeveque de Saint-
André, revenoit du Conseil et retournoit a son pa-
lais; a'yant envo'yé ses gens devant luí pour avertir
de son arrivée, il se trouvoit sans escorte. Cependant
les éclaireurs d'un conventicule qui se tenoit non
loin de la, traversoient a cheval un marais qui se
trouve aux portes de Saint-André. lis aper~oivent le
carrosse de l'Archeveque. (( Dieu nous livre le pretre
(( de Baal,» s'écrient les fanatiques, et ils se précipitent




EN ANGLET.ERRE.


autour de leu!' victime, déja pale de la mort qu'eIle
va recevoil'. Un coup de feu, tiré a bout portant,
attaque seulement son habito Cet effet naturel de
leu!' empressement cruel est a leurs yeux l'effet d'un
criminel et magique pouvoir. Leur zele barbare s'a·
charne sur l'infortuné ; ils l'abandonnenl enfin quand
iIs se croient certains de lui avoir donné la mort.
Six ans auparavant, un fanatique avoit essayé le
me me attentat. Ainsi périt un des anciens ministres
les plus fervents de la secte puritaine. Les sectaires
lui eussent pardonné ses vices peut-etre; sa défec-
tion, jamais.


Cet assa.ssinat fut bient6t suivi d'une insurrection.
Un convenlicule attaqué pres de Glascow par un
d~achement des gardes cornmandé par sir Graham,
depuis lord Dundee, resta vainqueur. Cette victoire
parut aux sectaires une manifeste preuve de la pro-
tection di vine ; iIs marchent témérairement sur la
ville, chassent la -garnison, tiennent la campagne,
et publient des manifestes, ou les rigueurs du Con-
seil d'Écosse étoient surtont désignées comme la cause
de l'insurrection.


Le Roi, qni avoit éprouvé personnellement, dans
le temps de Cromwell, quelle étoit l'énergie du fa-
natisme covenantaire, prit sur.le-champ de sages
mesures. 11 manda les Chef s du GOl:lvernement d'É-
cosse 1 entendit les plaintes, et fit marcher des forces
considérables, pOlll' étouffer d'un seul coup la ré-




RÉVOLUTION DE 1688,
volteo lVIonmouth fut chargé de diriger les opéra-
tions; il tempéra la l'igueur des ordres que le Conseil
d'Éeosse luí avoit faÍt donner, et n'éeouta que les
vreux secrets du Roi, poul' la clémence ou du moins
la prudence. Montmouth marcha en bon ordre, mais
apetites journées, pour laissel' aux fanatiques le
temps de se calmer a la vue du péril. Illes joignit
enfin pres d'un pont sur la Clyde, a Hamilton. Les
sectaires étoient maitres du pont, et paroissoient ré-
solus de le défendre. lIs envoyerent toutefois des
députés au due de Montmouth, pour traiter de leur
soumission. Montmouth répondit qu'ils devoiellt,
avant tout, déposer les armes, et s' en remettre a la
clémence du Roi, qu'il sollicitel'oit pour eux. La
division se mit dans leur eamp : les uns vouloi~nt
se rendre; les autres, d'une voix prophétique, pro-
lnettoient le secours du Seigneur a ceux qui com-
battroient généreusement pour sa sainte cause.
Montrnouth cependant ordonna le pass~ge, qui s'ef-
fectua. Les sectaires eurent trois cents hornmes de
tués, et douze cents prisonniers; le reste prit la
fuite. Telle fut l'affaire que 1'0n nomme la révolte de
Bothwell-Bridge ( 22. juin 1679 ).


Monmouth avoit arreté le carnage, malgré ses
officiers qui ordonnoient de tout passer au 61 de
l'epée;on lui eil. 6t des reproches a la Cour. « Vous
« auriCíli': pu, lui dit-OH en présence du Roi, vous
« éviter l'embarras de traIller apres vous tant de pri-




EN ANGLETERRE.


(.( sonmers. - Je ne sais point,» répliqua-t-irfiere-
ment, « égorger des milliers d'hornmes a-Ia-fois. S'il
c( y a des bouchers ici, qu'ils se chargent a l'avenir
« d'une pareille tuerie. )) Monmouth, en effet, avoit
montré autant d'humanité que de prudence. Lau-
derdale vouloit continuerde gouverner par la tcr-
reur des violences militaires; mais Monmouth li-
cencia les milices, et établit une sévere discipline
dans les cantonnements de l'armée, obtint une
amnistie, et renvoya les prisonniers, sous caution.
Le Roi meme accorda la liberté des conventicules
domestiques, avec certaines conditions. Enfin, I'Écosse
fut soudai~.ement pacifiée, et l'honneur en futdéféré
a Monmouth, dont le nom devint de plus en plus
cher a l' Angleterre.


Si la prorogation dl! Parlement avoit suspendu le pé-
ril d'une crise qui paroissoit inévitable dans l~s affaires,
eette mesure n'étoit elle-meme qu'un danger de plus;
mais le Roi s'étoit vu dan s la nécessité d'y recourir.
Les Communes, indépendamment de leur·obstina-
tion sur Ieur hill d' exclusion , avoient affecté de laisser
leRoi dans une détresse évidente, et n'avoient accordé
que le subside rigoureus~ment nécessaire pour li-
cencier I'armée. D'un autre coté, leur violente ar-
~eur pour le proces des Lords Catholiques détenus
a la Tour, et pour celui du cornte D<fnby, leur avoit
suggéré une prétention toute nouvelle contre la
Chambre des Lords. Elles soutinrent que les Éveques


1. IG
/




RÉVOLUTION D}<~ 1688,
devoient s'abstenir de siéger a cette Chamore pen-
dant 1'un et l'autre proces.En un mot, elles illVO-
querent l'usage et meme les ~ois de l'ltglise, qui
défendent'au Clergé de s'immiscer dans le jugement
des affaires capitales. Mais cet usage, fondé sur des
convenances respectables, n'étoit pas la loi poli-
tique; et la Chambre Haute, qui ne voyoit pas sans
alarmes l'ascendant -des doctrines populaires, dé-
fendít .vivement le droit légal des Lords Spirituels.
Enfin, durant la viva cité de ce conflit de juridic-
tion, il se préparoit dans les Communes une adresse
de remontrance au Roi, qui avoit pour but d'en-
flammer encore les imaginations déja hors d'elleg-
mthnes; et le Roí, saisissant le prétexte que lui
offroit le dissentiment des deux Chambres, avoit
brusquement prorogé leur session. Cette mesure, qui
fut suivie, quelques semaines apres ( 10 j uillet 1679 ),
de la dissolution meme du Parlement, exalta au der-
nier point le parti de l'Opposition, qui se croyoit
assuré d: surmonter la patienee du Roi; et Shafts-
bury surtout protesta publiquement que celui qui
avoit donné ce conseil a Sa Majesté le paieroit de
sa tete.


Mais Charles n'avoit agi que de son propre mou-
vement; et eornme il s'étoit engagé, en formant son
ministere actue1, a ne prendre aucune résolution
importante sans l'avis du Conseil Privé, 011 ne tarda
pas a soup~onner que le systeme du Gouvernement




EN ANGLETERRE.


étoit changé, ou plutot que le Roi,. toujours secre-
tement le m~me, ne tarderoit pas a rentrer dans
les voies souterraines qui déja l'avoiellt conduit Sur
les hords d'un ablme. On ne douta plus qu'ilne fut
résolu a se passer enfin du Parlement. .


Dans cette situation délicate, le Roi comprit la
. nécessité de s'attacher plus fortement que jamais au


parti de l'Église Anglicane, auquel tant de mouve-
ments désordonnés faisoient craindre les jours né-
fastes de Charles ler. Il se souvint aussi d'un autre
parti qu'il avoit presque toujours négHgé, oublié
meme jusqu'it l'ingratitude, celui de ces ardents
mais toujours fideles Cavaliers qui avoient subi tant
de maux pour la cause du Roi son pere. Q(~elques­
unes de ces paroles qu'il savoit si bien prononcer,
les lui amenerent touts. Assuré maintenant de ces
deux partis inconciliables dan s leurs doctrines, mais
armés l'un et l'autre oontr~ la fougue des sectes po-
litiques et religieuses, il eut recburs a BariUon t, et
luí demanda la protection de I.Jouis XIV. •


Dans la v~vacité de ses instances, il n'hésita point
a rejeter sur le duc d'York et sur le COltlte Danby
toutes les mésintelligences, toutes ]~s défections que
lui pouvoit reprocher la Conr de Versailles. ce Repré-
ce sentez a votre maltre tont ce qui se passe,» Iui di-
soit-il, « et conjurez-Ie, de ma pa!'t, de vonloir mettre


1 D' Alrrmple. - I.ett. <le BarilJon.




24ft Rl1vOLlTTlON DY. 1688,
( pour toute mR vie l' Angleterre dans sa dépen-
« dance. » Enfin, une négociation régúliere est ou-
verte; eHe est confiée au comte de Sunderland et a
la duchesse de Portsmouth.


La dissolution du Parlement fnt d'aboro présentée
comme un gage certain des véritahles dispositions
du Roí. Mais le passé ne rassuroit pas sur l'avenir,
et Louis XIV exigeoit que Cllarles s'engageat for-
mellement a ne plus convoquer les Chambres. Ce-
pendant il finit par se réduire a un engagcment de
trois années, ce qui rentroit dans les termes du
dernier bill triennal. Aquel prix se venol'a ceth~
concession de trois années sans Parlement? Sunder-
land demanda quatorze mil1ions. La duchesse de
Portsmouth se contentoit de douze. Charles veut
bien n'en exiger que neuf, et enfin se réduit a un
million par ano Ainsi, pour la Franee, le Royaume
d'Angleterre n'étoit plus a l'enchere, mais au rabais.


De son eoté, le duc d'York envoie de Bruxelles
a Papis le colonel Churchill (quí doit devenir un
jour si fameux), pour lever touts les obstac1es a la
conclusion de cette grande affaire. Si c'est l'argent
qui peut retenir la France , le duc d'York offre de
preter a Louis XIV le premier million que Louis XIV
preteroit a Charles 11. Enfin l'on se met d'accord, et
le million est promis pour chaque année pendant
trois ans. Maintenant quel ministre osera signer une
pareille adjudieation? I~a France ne prenoít qn'un




EN A.NG LJ~'1'I~lUlE.


t'lIgagement conditionnel, et le Hoi d' A.ngleterre con-
tractoit . une obligation absolue. l\Jécontent et hu-
milié <1'un si misérablc secours ,iI est ou se montre
inquiet de l'article capital, celui tIu Parlement. Ro-
chester est appelé, consulté; il faít des remontrances.
Tous les ministres veulent que le traité soit verbal,
ou que le Roí, s'il faut un écrit, le signe seul. En-
fin la négociation est rompue. Charles menaCe l' Am-


'\ hassadeur de se rpconcilier avec son peuple en
convoquant un nouveau l)arlement, et Barillon
I'e<,{oit l'ordre de renouer ses intrigues avee le parti
populaire.


Au milieu de ces agitations d'esprit, le Roí tombe
malade a 'Vindsor , et I'on craignit meme pour sa
vie. A cette nouvelle inattendue, la nation, inquiete
du préseut et de l'avenir., lémoigne vivement l'af-
fection qu'elle portoit nalurellemenl a son Prince,
et {IU'il lui avoit inspiréc par ses manieres toujours
gracieu'ses et populaires. Ce mouvement gagna t011S
les onlres de I'État, qui voyoient dans l'anarchie et
dans la guerre ci vile les tristes, mais infaillibIes pré-
mices d'une succession cOlltestée.


Pénétrés des me mes craintes, Essex, Halifax el
SUllderland cOIlsenItnl{mt au Roi d'avertir le dUC
d'York; et sur ce conseil, Charles mande a son frere
de venir sur-Ie-champ, sans éclat et san s suite. En
1II0ins de quatre jours, le DLtc a fait le voyage de
HolIalldc aWindsol'; mais alors le pél'il étoit passé.




RÉVOLUTION DE J 688,
Les 1\lini~tres lui font entendre, ou plutot lui
notifient que l'état aetuel de Sa Majesté u'offre plus
d'inquiétude, et que rester maintenant en Angle-
terre &eroit tout a la fois une imprudence et un dan-
gel'. Ils ajoutent que le due de Monmouth sera éloi-
gñé, que le brevet de Capitaine-Général sera retiré
a ce jeune ambitieux. Enfin le Roi lui-meme promet
a son frere de le l'appeler ineessamment de Bruxelles,
pour lui donner le gouvernement d'Éeosse. Le Due
n'hésita plus a se soumettre et partit.


Quoique les Ministres eux-memes eussent eonseillé
le rappel de ce Prinee, ils n' en étoient pas moins in-
quiets de l'aseendant que le Due pouvoit prendre
sur les affaires, et du peu de eonfianee qu'il leUl'
témoigna. lIs redoutoient son caraetere et son gout
déeidé pour l'autorité arbitraire. S'ils partageoient la
répugnanee du Roi pour la convocation d'un nou-
veau Parlemellt, dans la justé prévoyance que les
éleetions donneroient une Chambre des Communes
plllS passionnée encore que les préeédentes, ils pré-
vOyQient aussi que tout alloit s' engager dans un
labyrinthe sans issue: cal' le Gouvernement ne pou-
voit se soutenir que par des sub si des rpguliers du
Parlement, ou par les secours de la France, ou
par des taxes abitraires. lIs apercevoient également
sans peine que le Roi, indifférent a tous les systemes
politiques, étoit toujours pret a saerif1er son minis-
tere, qud qu'il f(H, aux intén~ts ton,lolll's mobiles du




I~N ANGLETElUtE.


momento 11s étoiellt responsables, et cependant
c'étoit de son propre mouvcment, sans aucun avis
du Conseil, qq'il avoit prononcé d'abord la proro-
gation, et bientot apres la dissolution du Parle-
Jlwnt. Le Roi, qui employoit leurs talents, n'avoit
done réellement ni confiance ni estime póur eux.
Plusieurs menibres du Conseil Privé se dégouterent
de cette situation équivoque; ils se retil'crent, en-
tre autres le chevalier Temple, qui préféra ses livres
et ses jardins a une vil" tumultueuse au milieu des
filftioAs. Essex resta au Conseil Privé 1, mais il
quitta la présidence de la Trésorerie. Sans avouer
que le Roi s'é~oit engagé a convoquer un nouveau
Parlement, iI donnoit pour motif de sa retraite, a
ses amis, que 1'0n formoit des projets dangereux
et qu'il ne pouvoit y prendre part. Halif~ se tetira
un moment dans ses terres; et quand on apprit que
le lord Russel, si zéIé poul' la Religion et les lois
de son pays, si cher an peuple pour ses vertus et
l'intégrité de son comr, imitoit leur exemple, on ne
douta plus qu'il n'y cut dans le Gouvernement
quelque myst~e auquel ces hornrnes ne vouloient
point participer.


Le ministere de Charles s'étant presque dissous
de lui-merne, le corntc de Shaftsbury, qui d'ailleurs
étoit odieux a S. M., ne pouvoit pltls y rester. Le


I lVIém. de Jacques lf.




RivOLUTION DE 1688,
Roi lui ota la présidence du Conseil, et la donna au
Lord Robart, qu'il créa comte de Radnor 7 homme
doué de talents.'1 mais d'un caracter~ capricieux et
atrabilaire. Hyde, comte de Roehester, fut nommé a
la place du comte d'Essex, et partagea la confianee
intime de Charles avec Godolphin et le comte de
Sunderland. Apres le renvoi de Shaftsbury, le Roi
tint sa parole a son frere, lui permit de revenir un
nlOment en Angleterre, etbientot apres l'envoya en
Éeosse. Quant a Montmouth, ses amis lui avoient
persuadé faeilement de se résigner a la pertede ~s eIp.-
p lois, et meme a une sorte d' exil. « Ces perséeutions, »
lui disoient-ils, « ne serviront qu'a votre gloire.
« Le Parlement ne vous laissera pas saerifier au due
« d'York, et le Roi lui-meme ne yerra pas sans plai-
« sir une ~resse qui demandera la fin de votre exil.»
Monmouth s' étoit done résigné 1 ; mais, apprenant que
le due d'York étoit revenu en Angleterre, il reparut
lui-meme a Londres le lendemain du jour OU le
Prince venoit de partir pour Édimbourg. Le Roi
témoigne d'abord un grand mécontentement, lui
ordonne de quitter le royaume dan~ vingt-quatre
heures, lui ote successivement le gouvernement de
Hull, la lieutenance du eomté de Strafford et ceBe
du Y orkshire septentrional; enfin, sa charge de
Grand .. Eeuyer. Mais Monmouth s'étoit livréaux eon-


1 Mém. de Jacques n.




EN ANGLETERRE.


seils emportés de Shaftsbury 1, et chercha touts les
moyens de braver la Cour. SOUS prétexte de parties
de chasse, il visita plusieurs parties du Royaume,
affectant la popularité, se montrant a toutes les
grandes réunions de peuple, traInant sur ses pas
une foule prodigieuse partout enivrée de sa pré-
sence, de sa bonne mine, de ses manieres affables,
de son habileté a touts les exercices du corps. Les
hommes sages en tiroient de sinistres pressentiments,
~t voyoient la guerre civile dans un prochain avenir.


Les mécontents ne s' ouhlioient pas dan s ces con-
jonctures; ils firentcirculer des projets d'adresse pour
la convocation du Parlement, et la Cour en provo-
quoit elle-meme en sa faveur dans les provinces ou
dans les corporations qui lui étoient dévouées. Les
unes retentissoient de clameurs contre les complots
des Papistes; les autres abhorroient les projets
qu' elles attribuoient aux Presbytériens, aux sectes
fanatiques et aux Républicains. La nation se trouva
tout-a-coup séparée en deux partis, sous les noros
de Pétitionnaires et d' A bhorrents , qui hientot firent
place a des DOro s plus expressifs. Les Royalistes don-
nerent le noms de If7higs ou brigands Puritains
d'Écosse a leurs adversaires, qui, en échange, leur
appliquerent celui de Torys ou brigands Papistes
d'Irlande.


1 Mém. d~ Burnet.




RÉVOLUTION DE 1688,
Dans cette premiere ferveur despartis, qui ral-


lioient ainsi et classoient leurs forces respectives,
la Cour eut le malheur de se preter a un projet
absurde, qui étoit de faire paroltre une contre-par-
tie du fameux complot des Papistes. Un homme ~
ppussé par la Comtesse de Powes, dont le mari étoit
renfermé a la Tour, dénom;¡a un complot qui avoit
pour but de chasser d' Angleterre le Roi et la
famille royale. Il 6t trouver, en effet, dans un ton-
neau de farine, dhez un colon el Mansel , des lettres
qui prouvoient la conspiration. Les lettres, lues et
confrontées, furent jugées ce qu'elles étoient réelle-
ment : on y recannut l'écriture meme du dénon-
ciateur. Le piege étoit vil et grossier. L'homme qui
fut mis en reuvre étoit couvert de crimes et d'infa-
mie. Le Roí et le duc d'York avoient eu l'impru-
dence de l' ad mettre en leur présence , et de l' envoyer,
sous le masque d'un ardent Patrio te , a la suite de
Shaftsbury et des autres chefs populaires. Cet hornme
reparut depuis, et trouva plus de profit a servir de
témoin contre les malheureux Catholiques, dont le
prod~s continuoit toujours. De tels moyens n'appar-
tiennent et ne peuvent réussir qu'aux factieux. La
Religion et la Royauté sont toujours en péril quand
un faux zele fait descendre leur noble cause a la
perfidie des factions. Apres la honte, il reste encore
un mal réel, celui de l'incrédulité sur de véritables
complots.




EN ANGLETE~E. 25l
A cette époque, la politique de Louis XIV, qui


inspiroit de nouvelles il1quiétudes a l'Europe, et
surtout a l'Empire, s'exer~oit particulierement sur
les affaires de l' Angleterre. En effet, depuis le traité
de Nimegue, toutes les puissances avoient licencié
leurs armées; mais Louis XIV avoit conservé les
sienneso Nlaltre de }' Alsace et des Trois - Évechés, il
faisoit citer a ses Chambres de Metz et Brisack plu-
sieurs Princes souverains qui possédoient quelques
seigneuries jadis dépendantes de ces provinces. I.Ja
confiscation étoit prononcée contre ceux qui refu-
soient l'hornmage, et de ce nombre étoient le Roí
d'Espagne, le Roí de Suede et I'Électellr Palatino
CeHe fierté irritoit les Princes de l'Empire, et donna
une occasion naturelle au Prince d'Orange de fo-


• menter une ligue nouvelleo Guillaume etLouis avoíent
un égal intéret a s'assurer de I'Angleterre; mais
l' Ambassadeur de Hollanele a la Cour «:Le Whitehall
ne laissoit rien espérer aux États-Généraux elu coté
de Charles, tandís que Louis XIV faisoit·exciter par
le sien les Chefs de I'Opposition a traverser la Cour
dan s ses desseins, quels qu'ils fussento Algernoon-
Sidney craignoit qu'une ligue avec la Hollande ne
devint pour Charles et poul' le duc d'York une occa-
sion d'avoil' ~ne al'méeo C'est ainsi que s'en expli-
quoit Barillon lo ( Je ne lui ai donné que ce que


1 l\1ém. de D' Alrymple. _ Lettres de BariUon.




RÉVOI.UTlON D..E 1688,
« Votl'e Majesté m'a permís, » disoit-il a SOlllUaltl'e.
«( Il auroit bien voulu avoir davantage; et si on IUl
« faisoit quelque gratification nouvelle, il seroit ais(~
« de l'engager entierement. » Ainsi cet austere Répu-
blicain recevoit d'un Roi ce qu'un Ambassadeur cour-
tisan nommoit des gratifications. « Je crois ,» ajoutait
Barillon, « que c'est un homme qui seroit fort utile
( si les affaires d'Angleterre se portoient a l'extré-
« mité.» Quelles le~ons dans une seule ligne!


Barillon proposoit encore de mettre le cornte de
Shaftsbury dans les ¡ntérets de la France. « La chose
ne sera pas impossible avec une sOlnme considéra-
ble, s'il ne s'agit que de susciter de nouveaux em-
barras au Roi d' Angleterre. Mais il sera plus diffi-
cile de le détoll{ner des engagements qu'il a pris
contrele due d'York. Agit-il pour le duc de Mon-
lllouth ou pour le Prince d'Orange? Les desseins
de Shaftsbury sont assez difficiles a pénétrer; peut-
etre songe-t-il a établir une République.»


Plus tard il parle encore d' AIgernoon Sidney: il
le représente comme un homme a sentiments fort
élevés et a grandes vues. « Cet homme veut la Répu-
blique; il pense que la France lui est nécessaire pOUl'
l' établir. Grand pal,tisan de la tolérance uní verselle,
AIgernoon Sidney veut me persuader qu'une Répu-
blique d'Angleterre conviendroit parfaitement aux
vues poli tiques et religieuses de la France, car la
Religion Catholique s'y établiroit san s peine. » Telles




EN ANGLETERRE.


étoient les idées que l'ambassadeur de France don-
noit a sa cour, tout en lui demandant s'il falloit fa-
voriser les vues de Monmouth sur le trone.


JJe Itoi étoit forcé par la détresse de convoquer
le Parlement; et Sunderland, d'accord avec la du-
chesse de Portsmouth, lui en avoit fait sentir la
nécessité. Le duc d'York, qui étoit revenu d'Écosse,
de l'aveu du Roi, insistoit vivement pour que la
convocation n' eut pas lieu. « La guerre civile seroit
«.moins dangereuse,» dit-il; «c'est peut-etre le seul
« remede aux maux actuels qui vont accable~ la
c( Royauté. » Alors Sunderland quitta les ¡ntérets du
Pl'ince; mais comme on le yerra dans la suite, on
peut croire avec raison que ce fut un accord fait
avec le Roi lui-rnerne. Quant a la duchesse de Ports-
mouth, elle n' étoit guidée que par ses propres ¡nté-
rets dans ses alliances fréquentes, soit avec le Duc,
soit avec les mécontents.


Monmouth s'étoit secretement réconcilié avec le
Roi; la duchesse de Portsmouth entra daos ses vues,
et 1'0n 6t tout a coup paroltre dans le public la


..


nouvelle d'une grande décolfverte: c'étoit une cas-
sette noire qui contenoit, dít-on, le contrat de ma-
riage du Roí et de la mere de Monmouth. Le Roí
Cl'ut devoír anéantir les effets dangereux de cette
prétendue découverte, et publia une déclaration
ou iI affirma, sur sa foi de Chrétien et de Roi, que
jamals iI n'avoit été marié a Mistress Barlow, dite




RÉVOLUTION DE 1688,
Walters, ni avec toute autre femme que la Reine.


Shaftshury, cependant, accompagné de plusieurs
Lords, se rend au Grand-Jury de Westmunster, et
accuse formellement le cluc d'y ork d'etre Recusant.
11 joint a sa plainte la preuve que le Due a entendu
la messe, et requiert sa mise en accusation. Il de-
mande en outre que la duches se de Portsmouth soit
déférée aux tribunaux pour cause de grand scandale
publico Cette affaire fut étouffée par le Chef de jus-
tice, qui congédia le jury quelques jours avant la fin
naturelIe de la session. Quant a la duchesse de Ports-
mouth, elle fut si effrayée de cette agression Ínat-
tendue, que pour gagner le parti, elle se jeta tout
entiere dans ses desseins contre le duc d'York. Déja
le comte de Shaftsbury avoit dénoncé au Conseil du
Roí un ·complot formé en Irlande. « Un nouveau
« massacre de [641 étoit imminent,» disoit-il, « et
« le Primat devoit livrer le royaume aux Fran«;ais.»
Cette affaire fut jugée plus tard, et Plunket, Pri·
mat d'lrlande, fut condamné a mort. Le Roi cepen-
dantJaissoit un libre cours aux iniquités de la jus-
tice légale contre les proscrits de Titus-Oates.


Philippe Sidney étoit l'ambassadeur de Charles au-
pres des États-Généraux. Son frere AIgernoon étoit
fort mal avec lUÍ, et se moquoit tont a la fois des
négociations et du négociateur, avec Barillon. Il est
vrai que Philippe Sidney devoit lui déplaire, puis-
qu'il contrarioit le$ vues de la France qui payoit




EN ANGLETERRE.


A)gernoon. Mais Philippe entretenoit les États-Gé ..
néraux dans l' espoir que l' Angleterre trouveroit bien-
tot, par la prochaine convocation d'un Parlement,
les moyens de s'allier avec la République; et de pro-
téger les Pays-Bas espagnols contre les vues ambi-
tieuses de I.iouis XIV. Charles II, qui enfin n'avoit
plus d'espoir du coté de la France, conclut réellement
un traité avec l'Espagne, traité qu'il fit valoir dan s
la suite pour acquérir de la popularité; mais dans
le temps meme des négociations, Philippe Sidney
s'efforc;oit de persuader au comte D'Avaux, Ambas-
sadeur de France a La Haye.l, que le Roi son maltre
ne différoit la réunion du Parlement que pour pro-
longer et justifier l'impuissance ou il se trouvoit par
la d'agir efficacement pour la Hollande et pour les
Pays-Bas.


Au mílieu de ces ruses diploma tiques 2, le cri pu-
blic élevé contre le duc d'York et pour la convoca-
tÍon <1'un Parlement, décide en fin le ROÍ, qui dé-
clare au Conseil privé que le Parlement s'assemblera
le 21 octobre. Mais avant d'avoir fixé le jour, iI mit
en délibération s'il falloit éloigner le Prince son frere.
Sur dix-huil voix, il Y en eut sept pour que le Due
sortit du royaume, et onze pour qu'il restat. « Puis-
« qu'il a tant de gens pour lui,» dit le Roi, « il faut


I lHém. de Jacques II.
, :)Iém. de D'Alr~'mple.




~56 RÉVOLUTION DE (688,
ce qu'il sorte.» - e( Mylords,» dit 5eyrnour, trésorier
de I'Arnirauté,-« je erains que eeux qui votent sí fa-
« eilement l'exil de I'héritier du treme, ne votent
« l'expulsion merne de 5a Majesté avee autant de fa-
('( eilité, sí jama.is on vient leur di re : Que telles sont
ft les volontés du peuple. » A ces mots, Godolphin
sort de son impassibilité systérnatique et répond a
Seyrnour: « Si Son Altesse Royale ne sort pas d'An-
« gleterre présentement, iI faudra que ce soit dans
« quinze jours et le Roí avee elle.» Le due d'Y ork
fut renvoyé en Éeosse, le 20 oetobre. Ce fut le len-
demain que le Roí ouvrit le Parlement ( 1680 ).


Dans eette singuliere délibération, le role du
Roí n'étoit pas le moins extraordinaire. Ceux qui
avoient son seeret, eornme Godolphin et le eornte
de Sunderland, vouloient amortir le feu des faetions
par un saerifiee néeessaire. En un mot, ses ministres


, lui avoient ~eprésenté fortement que le ereur des
peuples étojt uleéré 1, que la fIotte étoit sur le paint
de l'abandonner, que les Gardes memes commen-
~oient a pattager les alarmes de la nation. Dans eette
disposition des esprits et de ses propres affaires, ii
annonce au Padement qu'il a fait un tra~té d'alljanee'
avee I'Espagne; que l'état des Pays-Bas espagnoIs et
de la Hollande, menaeés par l'aUitude de la Franee,
exigera l'interventÍon de l' Angleterre. 11 devient done


1 Mém. de Jacqucs n.




.E1'¡ ANGLETJmRE.


indispensable d'accorder immédiatement un subside
assez considérable pour faire respecter le pavillon et
l'honneur de la Grande-Bretagne. La place de Tanger,
insultée par les Maures, demande aussi des secours
prompts, que I'éloignement l'endra dispendieux.
Cette acquisition si importante assure a l'Angleterre
une juste prépondérance dans la Méditerranée, elle
ne peut etre npgligée plus long-temps. Quant aux
moyens nécessaires pour assurer la stabilité de la
Religion dans l'avenir, Sa Majesté s'empressera de
coneourir a tontes les précautions que pourl'a pro-
posel' le Parlement. Une seule exception n'obtiendra
jamais son consentement, c' est la violation des l~is
fondamentales qui reglent la succession a la Cou-
ronne. Du reste, Sa Majesté engage son fidele Parle-
ment a poursuivre jusqu'a la fin la. découverte du
Complot des Papistes, et a s'occuper du prod~s des
cinq Lords, prisonniers a La Tour.


Le Roi s'étoit résolu a tout ce que voudroit le
Parlement, pourvu que l'on n'enlevat pas a son frere
le titre de Roi , lorsque la suecession seroit ouverte.
Le eomte de Sunderland déclara au partí méeontent
que S.1\I. donneroit satisfaetion sur touts les points.
Lui-meme, ainsi que Godolphin et la duehesse de
Portsmouth, disoient ostensiblement qu'il faHoit ex-
dure le Prinee de la Couronne. Halifax vouloit seu-
lement des limitations , et n'étoít pas diffieile sur
leur ét('udu('. Ce fut avee lui que l'on négocia sur


1.




RÉVOLUTION OE 1688,
cette question avant les dpLats, mais il repoussa
vigoureusement toutes les propositions que le comte
de Shaftsbury lui faisoit au nom <Iu partí de l'exclu.:'
sion, et }'on ne pul s'entendre.


- Avant de répondre sur les subsides, .la Chambre
des Cornmunes, sur la proposition du lord Russel I ,
député, résolut de délibérer sur les malheurs dont
I'Angleterre étoit menacée par l'avtmement d'un Roi
papiste. Sir Granwill proposa d'entendre Son Altesse
Royale. La proposition fut comhattue par fI yde
Clarendon, beau-fd~re du PrÍnce, pa.r Seyrnour,
Lyonnel Jenkins , Secrétaire d'État, el Jones, qui
d~puís fut Chef de Justice. La premiere lecture du
Bill d'Exclusion proposé ainsi par Russel , passa
le 1 1 novembre ; et le Roi, par un message aux Com-
munes, déclara de nouveau qu'il étoit résolu a soute-
nir de toute sa prérogative l'ordre de la succession.


Il faut remarquer ¡ci que ce message, quand le
Roí en fit la proposition au Conseil privé, trouva ponl'
adversaires Godolphin et Sunderland, qui se pro-
noncerent pour le Bill d'Exclusion. ÉtoienOt-ils dans
la confidence du Roí? pensoip~t-ils, comme le duc
d'York luí-meme, que ce Bill étoit moins dangerpl1x
qu'un Bill de limitation? Il est permis de le suppo-
ser, quand on examine la suite des choses. Halifax
prit le role contraire, et promit de combattre le Bill


1 Mém. de Jacques IIo




"EN ANGLETERRE.


d'Exclusion a la Chambre des Lords, s'il y étoit
envoyé.


Les Communes n'en poursuivirent pas moins leur
dessein. Ceux qui combattoient leoBill, demandoient
qu'au moins l'exclusion fut personnelle, et ne s'é-
tendit pas aux deux filles du Prince, dont l'utie
étoit la princesse d'Orange. On répondit qu'une
telle clause d'exception étoit inutile; que la mort
civile du pere n'atteignoit que l1Ii et ne pouvoit
frapper ses enfants, s'ils n'étoient pas Catholiques.


Mais si la princesse d'Orange monte sur le troIie
par le faít de la mort civile .de son pere, et s~ dans
la suite il nalt un fils a ce pere déshérité, la- Prin-
cesse devenue Reine descendra-t-elle du trone, ou
déclarerez-vous que le fils est déshérité lui-mem~ ? La
gravité de cette objectionn'arreta personne. Quant
au prince d'Orange, Sunderland I'avoit rassuré d'a-
vanee par' l'entremise de Philippe Sidney, soit an
nOl11 du Partí, soit au nom du Roí, ou peut..:etre
meme au nom de l'un et de l'autre. Quoi qu'il en
Boít, le prince d'Orange s' expliqua ouvertement. Il
déclara que le duc d'York son heau-pere devoit don-
ner satisfaction pleifle et entih'e au Parlement SUl'
la Religion. Mais ce qui paroit inexplicahle, c'est
que l'alnhassadeur de Charles ( c'étoit toujours Phi ...
lippe Sidney) fit intervenir les États-Généraux l. Ils


1 Mémo de Burne!.




,


RivOLUTION DE 1688,
adresserent au Roi des remolltrances ponr le presscr
de consentir a l' exclusion du Prince son frerc. J ,cur
intervention fut certainement l' ouvrage de Sund{'r-
land, Secrétaire d'État; la duchesse de Portsmouth
n'y fut pas étrangere, et lorsqu'elle se fut réconci-
liée avec le duc d'York 1, elle luí avoua qu'elle n'a-
voit rien fait sans les ordres du Roí: dan s le seul
but, disoit-elle, de pénétrer plus avant dans les se-
crets et dans les ~éritahles desseins des mécontents.
On v"erra plus tard que Sunderland et Godolphin,
qui appuyoient si vivement le partí de l'exclusion,
curent toute la con6ance du Prince devenu Roi, et
que le' marquis d'Halifax, dont l'éloquence 6t tomber
le Bill a l~hambre des I .. ords, encourut sa disgraee.


Pendant eette lutte violente et périlleuse, le due
d'York cherchoit a s'assurer l'Écosse. Il se livroit
aux affaires avec assiduité 2. Déja Barillon avoit
re~u l'ordre de l'encourager et de lui promettre l'ap-
pui de la France. Déja Louís XIV lui avoit envoyé un
Agent secret; et le duc d'York qui étoit partí avec
des paroles mena~antes, sembloit dísposé a confier
au sort des armes la décision de ses justes droits.
Mais le colonel Churchill, qui avoit toute sa con-
tlance, lui démontra sans peine que si le Roí son
frere ne le soutenoit pas lui-meme en Angleterre,


1 Mém. de Burnet.
? Mém. de D'Alrymple.




loule entl'eprise eu ~:cosse ne seroit que dangereuse
:saus t~tre utile. En effet Louis XIV chargeoit tout a la
foÍs Barillon de tellter le Hoi par l'offre d'un nouveau
lraité, ~le eontinuer a clltretenir I'Opposition dans
ses résistanees a la Cour, et de promettre aux Ré-
publieains la protection de la France pour le main-
tien des libertés publiques.


Barillon 1 répondit par un Mémoire sur les per-
sonnages qu'il a voit engagés a la France. « Le Par-
\( lement », dit-il, « n'(>ntrera ni clans }'allianee faite
« avee l'Espagne, ni dans ceHe que }'on pourroit
( faire avec la Hollande, avee l'Empereur et les
« Prjnces de l'Empire. Il ne donnera done point de
« subside au Roi, qui par ce moyen n'aura point
« d'armée)}. C'étoit ee que vouloit Louis Xl\i qui
a voit des vues sur Strasbourg, sur Luxembourg eL
~ur Casal. Mais n'étoit-ce pas eompromettre violem-
ment la royauté ehez un peuple qui avoit déja vu
monter Charles ler a l'échafaud? (e A l'égard de I'a-
« venir»), lui ·disoit Barillon, «je vois ee que V. M.
« a le plus a eamr. C;'est d'emptkher qu'il ne se fasse
« une réunion de l' Angleterre par un raeeommode-
« ment de S. M. B. avec son Parlement. V. M. eroit
« avee raison que l'élévation de M.le due de Mon-
« mouth peut y eontribuer beaueoup. .... Je ne me
« donne plus la liberté de pensel' que ce seroit une


I LC'llres de .Barilloll, 5 déc(·llIhrc.




lfÉVOI.UTION DE 1688,
« occasion de trouble pour long-temps en Angleterre
« entre deux familles qui prétendroient a la Cou-
'1 ronne .•... Je reeonnois que V. M. doit empeeher
(e qu'il ne serve de prétexte a une réunion, etqu'il
« ne s' établisse en sa personne une Royauté si foible,
« que ce seroit dans le fond une République. C'(>st
« sur cela que je dirigerai ma conduite. Cependant
« je crois qu'il est de la prudence de ne rien faire
t( paroltre d'une telle intention; et de laisser tou-
e( jours eette cabale se flatter que V. M. est plus dis-
( posée a favoriser M. le due de Montmouth que
« M. le prince d'Orar1.ge. »


Cependant la ehambre des Communes adopte a
la troisieme leeture le bill d'exclusion, et le Roi dé-
clare.a son Conseil qu'il fera touts ses efforts pour
.le faire rejeter a la ehambre des Lords. Sunderland,
Essex: et Godolphin, qui eombattirent 1:1 r~s<?lution
du Roi 1 ehereherent a lui faire entendre que la
Chambre Haute n'adopteroit eertainement pas le
hill tel que les Communes l'avoient dressé. « 11 y
«( aura infailliblement des modifjeatións, lui dirent-
« ils, et la Commission pourroit y substituer un
«( bannissement temporaire, adoueissement qui pré-
« viendroit une dangereuse rupture entre le Roí et
(( son Parlement. »)


Le bill fut en effet porté a la Chambre Haute, et
dans le moment meme, eomme pOUI' pr~parer les
esprits, deux Lords annoneent qu'un homme est ¿l




J:o:N AN,GLlnEIUU~.


la porte, q ui demande a révéler un horrible com-
plot 1; c'étoit Dangerfeild, le misérable qui avoit
dénoncé la conspiratioll du Tonneau a farinc. Cette
fois ce n' étoi t plus les Presbytériens, les Puritains
el les Républicains dont il s'agissoit. Il venoít accu-
ser le duc d'York de luí avoir proposé l'assassinat du
Roi. « M ylord Péterborough, dit-il, étoit présent;
« elt l\Iylord Garde d.es sceaux ne l'ignore paso » C'est
ainsi encore qu'a la premiere proposition du bill dans
la chambre des Communes, un nommé Francisco
Péris étoit venu déposer qu'il avoit été sollicité d'as-
sassiner Titus Oates et le comte de ~haftsbury. Cette
agression contre le Duc, dans la chambre des Lords,
intimida teHement le Garde des Sceaux, qu'il vota
ponr l'exclusion 'l. Quant au Lord Peterborough, il
repoussa l'infame témuignage avec tant de vigueur,
que la Chambre Haute ne crut pas devoir l'envoyer
a la Tour avec les cinq autres Lords Catholiques
pnsonnlet's.


Dans la discussion uu bill, Halifax combattit 'le
cornte de Shaflsbury, son onele, avec une éloquence
tonjours victorieuse~ il parla quinze fois, et toujours
avec la meme supériotité. Ses raisonnements, fondés
sur les Iois écrites et sur les . regles antique'S du
Royaume, devoient avoir en _effet plus de poids sur


1 l\1ém. ele JacqHcs II.
1 JHém. de Jacqnes H.




RÉVOLUTION DE [GHS,
la ChamLre héréditaire que sur les Communes. CeHes-
ci, en s'appuyant sur le principe vrai en soi de la toute-
puissance législative, trouvoient dans l'application
du príncipe leur agrandissement sans mesure. Mals
les Lords, qui ne pouvoient nier le príncipe, con-
tribueront-ils a cet agrandissement? L'autorité des
Communes pouvoit-elle s'accroitre sans l'abaissement
des Pairs et de la Royauté ? Dans cette mémor<tble
conjoncture, les Lords d'Ang]eterre n'eurent d'autre
instinct que l'instinct secret qui, depuis la réforme
religieuse, dirigeoit I'Église Anglicane dans la con-
tradiction perpétilelIe de ses propres príncipes. L'É-
piscopat, qui avoit níé et abjuré l'autorité spiri-
tueHe du Souverain Pontife, se réservoit cependant
l'autorité déeisive en matiere de fOÍ, sous la su-
prématie du Trone. De meme la Pairie, qui avoit
toujours limité l'autorité royale pour s'~lever jus-
qu'a elle, ne vouloit pas cependant que la Royauté
descendit plus bas, SUl'tout au gré des Communes.
EMe accueillit done touts les raisonnements qui ten-
cloient a établir en príncipe que le Parlement. et le
Roi ne pouvoient intervertir la succession directe a
la Couronne. Ceux meme qui appuyerent l'autorité
royale sur le droit divin furent entendus sans défa~
veur. On recohnut avee toute raison : « que le serment
« pr~té au Roi et a ses successeurs, regardoit la per-
« sonne de l'héritier pré~om ptif actuel, et non pas,
« suivant le sophisme souteull par les Communes,




EN ANGLETERRE.


C( l'héritier présomptif qui seroit OU pourroit etre dé-
« signé par la puissance législative. D'ailleurs, n'est-ce
( pas une maxime universellement reconnue par les
« Jurisconsultes, qu'un hill ne peut rien C<1ntre la
« Grande Charte? On cite les fractions survenues a
« l' arhre gméalogique de nos Rois. Que prouvent-elles,
« sinoll des invasions ou des.réhellions, heureuses pour
« le conquérant ou l'usurpateur , et malheureuses pOUl'
« les peuples qui les ont suhies! Lorsque le comte de
« Richemond saisit sur le champ de hataille la Cou-
({ ronne que Richard III y perdit ayee hi vie, tenoit-il
({ ses droits de sa deseendanee d'Édouard III, ou de
( sa victoire? Malgré ses prétentions, qui ne pou-
« voien t prévaloir eontre les effets de son origine illé-
« gitime, lanation,dans son équité naturelle, ne voulut
« voir en luí que le marÍ de la Reine qui seule avoit
« alors de véritables droits. Qu'importent encare les
« exemples tirés du regne de son fils Henri VIII? Salís
« doute, sous son regne tyraqnique, un Parlement
(e opprimé déshérita, par ses prdl'es, et sa pr-opre
« liBe, née de son premier lit, et la maiso'n 'd'Éeosse.
« Mais la fureur ou le eapriee de la tyrannie sont-ils
« done la regle des lois? Sí Élisabeth, la grande Élisa-
« beth fit aussi porter un hill d'exhérédation et de
« inort eontre Marie Stuart, sa rivale, n'admettez
« pas, l\Iylords, pour titre de notre droit publie,
~( eette page honteuse et sanglante d'un regne illustre.
(e La nation, plus juste, n'a éeouté ni le testament




:l 66' RÉVOLUTlON HE 1688,
« tyrannique du pere, ni le bill de proscription 01'-
« donné pa~ la filie; la nation n'a vu que les natu-
c{ rels et légitimes droits de la royale famille qui
c( devoit régner sur elle. C'est ainsi que le Roi
({ d'Écosse est monté sur le Trone, par sa naissance,
« et par nos lois. Enfin, Mylords, vous. devez dé-
«( fendre et affermir I'Égli&e d' Angleterre, a laquelle
({ sans doute se trouvent attachées nos plus ('heres
« libertés. Mais vous ne mériterez pas les reproches
« que celte Église a tant de fois adressés a l'Église
« Romaine, au s~jet d'un peuple voisin. Souvenez-
« vous qu'Henri de Bourbon fut aussi déclaré déchll
« du Trone, cornme hérétique. N e renouvelons pas
« en Angleterre ce funeste scandale donné a la Chré-
({ tienté par les Ligueurs de France. »


Tels furent les principaux arguments qui déci-
derent la Haute Chambre. Le hill des Coinmunes
fut rejeté a la majorité de trente-deux voix. TroÍs
Éveques seulement voterent pour l'exclusion. l)anni
les Lords temporels, on. remarqua le Garde des
Sceaux, Godolphin, Sunderland, Essex, et surtout.
le duc de Montmouth. « La sureté du Roi l'exige, »
dít celui -ci en donnant son vote l. « Voila ,») dit
tout haut le Roi, qui assistoit a la séance, ce un
« baisf1r de Judas qu'il me donne! »


Les Cornmunes cependant pousserent des CrlS de


1 D' Ah·ymplc.




EN ANGLETERRE.


fureur, et la Haute Chambre, effrayée de sa propre
décision, s'occupa immédiatement des précautions a
prendre pour la sureté de l'Église Anglicane, sous
un Roi Catholique. D'abord, Halifax, pou~ détour-
ner le feu des haines actuelles, proposa une adresse
ou le Roi seroit supplié de renir penda!!t son regne
le duc d'York 'éloigné a cellt soixante lieues du
Royaume: cette p'roposition ne fut pas meme appuyée.
Le comte d'Essex en 6t une autre qui fut accueillie
avec chaleur; c'étoit de faire une association, sorte
de ligue dont les exemples sont s.i fr~quents dans
}'histoire d'Angleterl'e, et de lui remettre des places
de sureté qui, apres la mort du ROÍ, serviroient de
garantie contre toute espece d'atteinte a la Religion
du pays, sous le successeur catholique.


Une telle mesure eut été plus dangereuse pour la
Royauté que l'exclusion meme, si l'autre chambre
en eut favorisé le projet. Le Roi comprit sans peine
jusqu'ou pouvoit aller une telle exigence. (1 Il ne
« reste plus qu'il me détroner moi-meme,». disoit-ii
avec· raison, et il s~ lia plus étroitement ave(~ son
frere. Quant aux Communes, Shaftsbury dirigeatoute
leur ardeur, tout lenr ressentiment contre Halifax
q'ui Cavoit vaincu; et se moquant °de tout sysb~me
de limitation, il s'obstina de pl~i en plus a empor-
ter de haute lutte le bill d'exclusion. D'abord et tan-
dis que la chambre des Lords cherchoit tour a tour
des garanties pou~' la Religion, soít dans un bíll de




nÉVOLUTW!'[ DE 1 G88,
limitation, soit dans l'association propoSl'e par Es"·
sex, soit en fin dans un di voree <Iu Roí et de Ja Reine,
projet qui eut plus de favcur que les deux autres,
a condition que IeRoi épousat une Prineesse pro-
testante, les Communes irritpes accusent Sey"moul'
de malversa"tion, font une adresse au Uoi potir éloi-
gner Halifax de ses conseils, et déclarent que le
chef de Justice, Seroggs, ayant violé son serment et
les lois fondamentales du Royaume , étoit un obstacle
a la justiee publique. C'étoit lui qui nagueres avoit
congédié le grand Jury de Westminster, pour ne pas
donner suite a l'aceusation de Shaftsbury contre le
due d'York. Seroggs avoit d'abord montré une ré-
voltante partialité dans l'affaire du Complot des Pa-
pistes. Mais revenu a des sentiments plus équitables,
ilavoit eontribué a faire déclarer innoeents le mé-
deein de la Reine et quelques autres accusés, parmí
lesquels il faut citer le eomte de Castelmaine, mari
de la duchesse de Cléve1and. Ce changement subít
et SUl'tout le refus de mettre en jugement le due
d'York, cornrne Réeusant, ventJit d'attirer sur lui la
fureur de Shaftsbury. Le Roi ne crut pas pon voir
le protéger publiquement; mais il soutint Halifax.;
quant a Seymou~, il triompha lui-meme de s~s ae-
cusateurs, par la ~eule force de son éloquence na-
turelle et de la vérité.


Le Roi eependant cnvoyoit message surmessage
pour obtenir un subsicle. TI s'agissoit de sauver Tall-




EN ANGLETERRE. 269
gcr menacé par le Roi de Fez l. « Pourquoi un sub-
« side? ). s'écrioit-oIl avec fureur. (e Est-ce pour faire
« a Tanger une armée de Pa pistes?); « Il y a des gens, »
dit Lenson Gower, « qui feront lenr paix avec le Dnc;
« moi, j'aime mieux périr. Je demande que la Cham~
« bre se sépare, et que nous retoucnions touts dan s
(e nos Provinces. Apprenons au Peuple comment on
(e traite ici la chambre des Communes. N'en doutez
« pas, il soutiendra notre cause, qui est la sienne,
ee ]' épée a la main; et alors nous prouverons au Due
« que nous le défions, lui et touts ses Papistes.»
Halifax., pour amen el' les esprits a des eonseils plus
modérés, demandoit s'iI ne seroit pas dangereux de
pousser au désespoir uu Prince qui, par sa bravoure
personnelle, avoit encore du crédit sur l'armée, un
Prince aimé de la fIoUe qu'il avoit menée a la vic-
toire, un Prince qui a maintenant une armée en
Écosse, et pour qui toute l'Irlande catholique pren-
droit les armes au moindre signal de ses périls. Ajou-
« tez a cela, » répliqua Hampden, petit-fils du fameux
Hampden des temps de Charles Ier , « ajoutez a cela
« que le Duc est Amiral de. Tanger; e.t voila pour-
« quoi nous préférons que Tanger. soit abandonn~. »


V ainement Halifax et le parti de la Cour rappe-
loit toutes les propositions déja faites par le Roí de
concourir a toutes les mesures ca'pabIes de soutenir


I Mém. de Jacques JI.




RÉVOLUTION VE J 688,
la Religion protestante. l< C' est assez, » dit le colouel
Titus, (e nous savons tout ce que valent les promesses ,
«et tout ce que peuvent entreprendre les hommes
« qui se croient au dessus des lois. Des que Henri VIII
« voulut soutenir sa suprématie contre le Pape, tout
c( le Royaume la- soutint avec lui; quand il l'aban·
(e donna , le Royaume abandonna la suprématie.
« Quand sonJils Edouard f~t Protestant, le Royaume
« devint Protestante Élisabeth releva la suprématie ,
{( et la suprémaHe remonta sur le treme avee elle. Ain-
«si, que le due d'York soit roi, et le Papisme va ré-
« gner avec lui. » Touts ces· discours chaleureux se
terminerent par une adresse au Roi contre les Pa-
pistes, et par une déclaration ou les Communes an-
noncerent leur volonté de n'accorder aucun subside,
tant que le bin d'exclusion ne seroit pas adopté.


L'affaire des limitations fut suspendue par le pro-
ces du vicomte de Stafford, run des cinq'lords ca-
tholiques renfermés a la Tour. La chambre des Lords,
convertie en Haute Cour, sous la présidence de Finch,
comte de Nottingham, Chancelier, nommé Juge su-
preme par le Roi, entendit la chambre des Com-
munes, quí se portoit accusatrice, par l' organe de
Jones, son OrAteur. La solennité de ce proces tint
I'Angleterre attentive; car c'étoit moins encore le
comte de Stafford qui en étoit l'objet réel que l'hé-
ritier meme du trone. L'audience dura cinq jours.
l .. es charges contre lui étoient, sur le serment de




l':N ANG LETERRE.


Bedlow et d'Oates, d'avoir acéepté un brevet de
payeul'-général de l'al'mée des conspirateurs; sur le
sel'lÍlent de Dugdale, d'avoir offert a lui Dugdale,
dans le .chateau de Tixal, chez mylord Ashton,
500 guinées pour assassiner le ROÍ; sur le serment
de Tuberwill, moine dominicain et apostat, d'avolr
chel'ché a corrompre le témoin pour le porter au
me me crime. Pendant touts les débats, le duc d'York
fut perpétuellement compromis : tantot c'étoit le
lllcurtre de Godfrey, ou la protect~on qu'il accor-
doit aux personnes soup~onnées du grand incendie
de Londres; tantot ses instan ces a Coleman de ne
rien révéJer, ou 1'assurance donnée par le P. Ba-
dingfeild a ses confreres que le Duc se' preteroit a
l'assassinat du Roi. Quant au vicomte de Stafford,
ni sa vieillesse, ni ses infirmités, ni la médiocre éten-
due dr son esp;it ne l'empecherent de se défendre
avec une dignité calme et respectueuse. Sur l'accu-
satÍon générale de conspiration, iI protesta que ja-
mais il n'avoit reconnu au Pape le droit de déposer
les Rois. Sur les faits particuliers, il fit ressortir l'im-
moralit&-des témoins, prouva leurs contradictions ou
l'alibi de sa perso~ne. Enfin, Jones abandonnoit
les témoignages de Titus Oates, qui commeIl~oit a
tomber dans le mépris publico Il insista cependant,
avec la plus grande ténacité, sur l'irrécusabilité lé-
gale des témoins Dugdale et Tuberwill. Enfin, au
ciuquieme jour" la sentence capitalE" fut portée, a la




RÉVOLUTION" DE 1688,
majorité de cinquante-quatre contre trente. Il y eut
quatre lord s de sa famille qui voterent la mort, ainsi
que le duc de Lauderdale et le Garde des sceaux, Not-
tingham. Celui-ci, qui avoit des prétentions a l'élo-
quence , 6t un magnifique discours pour proclamer
l'arret de la COUl' supreme; il le termina par ces pa-
roles 1: c( Qui peut douter maintenant,» dit - il,
« que l'incendie fameux' de la ville de Londres n'ait
« été l' ouvrage des Papistes! » Halifax fut du nombre
des trente qui voterent l'absolution. Quant au Roí,
il resta impassible dans tout ce prod~s.


Stafford entendit avec calme la lecture de la sen·
tence; mais il chercha les moyens de sauver sa vie
par quelques démarches aupres des chefs du partí
armé contre le duc d'York. On lui promit de faire
intervenir les deux chamb,res pour demander sa grace
au Roi, s'il vouloit déclarer ce qu'il pouvoit savoir. Il


,répondit que jamais il n'avoit eu la moindre COI1-
noissance d'un complot contre la vie du Roi" ma_is
qu'il pouvoit révéler des cllOses bien pl~s importantes
que tout ce qui étoit co~nu. « J'avoue,» ajoutoit-iJ,
« que le duc d'York ne me le pardonnera paf.» Enfin
ii pria le lord Carlisle de dé'cla~er de sa part a la
Chambre Haute qu'il étoit pret a faire des révélations.
11 raconta en effet, avec de longs détails, les déJi-
bérations que les chefs du parti catholique avoient


[ Mém. de Burnet.




EN ANGLETF:RRE.


tenues pour le rétablissement de leur Religion en
Angleterre; iI nomma ensuite le cornte de Shafts~
bury comme ayant assisté a ce Conseil. A peine a~
t-il prononcé ce nom que la parole lui est interdite
et qu'on le fait ramener a La Tour. Il eut la tete
tranchée le 29 décembre a Tower-Hill. La frénésie
du peup)e qui s'étoit montrée au moment de la con-
damnation, fut changée tout a coup dans une tendre
pitié autour de l'échafaud. L'aspect du noble vieil-
lard qui opposoit avec candenr une vie toujours
honorable a ses délateurs, et qui prenoit doilcement
le Ciel a témoin entre eux et lui, sa résignation
pieuse et toujours simple, arracboit des soupirs a
cette foule naguere si féroce ef maintenant émue des
seules impressions de l'humanité attendrie. Quand iI
protest.a au peuple qu'un jour la vérité seroit con-
nue: « Oui, Mylord, nous vous croyons! que Dieu
« vous bénisse, M yIord !}) Trois fois l' exécuteur leva la
hache et sentit sa résolution défaillir. Enfin iI porte
le coup fatal que toute I'assistance crut sentir; et
quand la tete abattue lui fut montrée av~c le cri 01'-
dinaire : Voici la tete d'un traltre! Pas une seule voix
ne s'éleva pour sanctionner l'arret qui avoit condamné
la noble victime. Étrange et terrible situation du Roí,
qui voit et laisse conduire a l'échafaud tant d'hom-
mes, coupables seulement de ce qu'il a projeté Iui-
meme!


Déja cependant toutes les factions courent préci.pi-
1. 18




RÉVOLUTION DE 1688,
tamment a .l'exécution de leurs projets offensi[., OH
défensifs. I..Jes Communes, faisant monvoir le terri-
ble levier du fanatisme non seulement contre le~
Catholiques, mais.encore contre la Royauté meme,
s'efforcent d'abattre toutes les barrieres placées an·
tour du Trone. Voulant maintenant s'appuyer sur
les sectes séparées de l'Église Anglicane, elles dé-
c1arent que les 10Ís pénales, portées dans la trente-
cinquieme année du regne d'Élisabeth, et reIllis~s en
vigueur par l'acte d'uniformité, ainsi que les dernÍers
Test, ne sont plus applicables qu'aux seuls Catholi-
ques : elles étoient cependant communes a touts
les cultes disside~ts de I'Église Nationale. Le Roi,
les Pairs, les Éveques, tout ce qui trembloit aux
souvenlrs du Covenant et de la République, en fu-
rent consternés. Les sectaires en pous~erent des cris
de joie; et les Anglicans effrayés jugerent eux-memes
que, pour le moment, le parti des Papistes étoi t
moins dangereux, avec ses doctrines sur le pouvoir
absolu, que celui des sectaires avec l'anarchie de leurs
maximes pt>litiques et religieuses.


Les Communes avoient déja foqIé aux pieds ]a
loi récente de l' habeas corpus, en faisant empri-
scmner ceux qui avoient exprimé leur abhorrence
eontre les maximes des pétitionnaines. Elles avoient
exclu de leur sein les Députés meme qui avoient osé
douter du Complot des Papistes; et pour corubIe
d'opprobre eHes réhabilitel'ent le filllssaire Danger-




}:N ANGLE'JIiEHRF.


field', qui naguere avoit dénoncé le Complot du lOll-
neau ti farine, dans les 'intérets de la Cour contre
I'Opposition, et qui maintenant trouvoit plus de
profit au métier de faux témoin contre les Catho-
liques. Mais déja la mort touchante du vieux comte
de Btafford avoit enfin remué la pilié ctu peuple; et
pour ne pas laissel' éteindre le feu des passions fu-
rieuses, la chambre dénonc,:a au Roi , comme fauteurs
du Papisme, touts eeux qlli avoient eonseillé a Sa
Majesté de refuser le bill'd'exclusion, et en particu-
lier le marquis d'Halifax. Plusieurs bills se succéde-
rent avec rapidité, entre autres celui qui défendoit
de pretel' aueune sornme au Roi par anticipation sur
_. douanes et sur les taxes ordinai~es. Shaftsbury
_fin, qui étoit l'ame de touts ces mouvements, s'at-


taehoit surtout a imprimer a toutes les villes et eor-
porations du royaume, une impulsion eommune et
simultanée. Dans eette vue et poul' se faire nommer
Lord Maire de Londres, iI se 6t conférer le droit
de boul'geoisie dan s la Cité.


Charles II, déployant son habileté a eonjurer
tant d'orages, insistoit ou feignoit d'insister sur
des mesures eapables de prévenir touts les dan-
gers attachés a la religion de }'héritier présomptíf;
mais les partisans du prinee d'Orange n'insistoient
pas moins pour le rejet de tout systeme de limita-
tíon. Ce n'est pas qu'ili prétendissent eonserver au
due d'York rautorité royale intacte; mais ils YQU-


18.




RÉVÚLUTilON DE 1688,
loient qu'un Proteeteur fut nommé , investí de toutes
les prérogatives de la Cduronne, sous le nom et
pendant la vie du Prinee, qui eonserveroit seule-
luent le titre nominal de Roi. Soit dissÍrnuIation ou
indifférenee, Charles ne paroissoit pas éloigné d'une
telle mesure; du moins iI entretenoit avec le prinee
d'OI'ange une eorrespondanee intime dont la France
meme prenoit ombrage.


Un tel projet eependant soulevoit le eornte de
Shaftsbury et touts les amis de Montmouth, tandis
que les hommes sages frémissoient de l'avenir. Enfin,
les ennemis de l'héritier légitime, seuls eonséquents
avee eux-memes, soutenoient justement que, par les
loÍs du Royaume, les prérogatíves de la Cour0ntl,
étant attaehées a la personne du Roi, ce R<tIf
quoique mis en tuteUe par le fait d'un protectorat,
seroit toujours en droit de revendiquer le bénétice
des lois, et que t6t ou tard il le revendiqueroit les
armes a la main eontre le Proteeteur. Il étoit done,
a leur avis, plus simple et moÍns dangereux de
régler la suecession, et d' en exc1ure tout héritier
catholique.


Le Roi négocioit aussi avec le Due son frere en
Écosse, el. le pressoit d'apaiser lui-meme ces fa-
tales dissentions en retournant a l'Église Anglicane.
Touts les amis de ce Prince, et en pa'rticulier Ro-
ehester, sonbeau-frere, l'en conjuroientavecune vive
sollicitude. « Je suis revenu,» dit-il, «( au culte et a




I~N ANGLF~TEnRE. 277
« la Heligion de mes and~tres, pat' une conviction
« pleille et entiere, saps obsession de personne, et
« par le seul effet de mon appIication a ehereher la
« vérité. J'ai résigné en Angleterre toutes mes di-
« gnités; en refusant les serments, j'ai compromis



« mes plus justes droits. l .. e monde entier doit done
« croire a ma sincérité.: iI n'y croiroit plus si je cé-
« dois a vos instances; il supposeroit des dispenses
« secretes de Rome. Je ne puis ni ne veux changer;
« ce seroit seulement ehanger 'de périls. » Dans cette
situation, il ne négligea aucune mesure eapabIe de
luí assurer I'Écosse, soit en gagnant l'affeetion de
la noblesse et des propriétaires dévoués a I'Épis-


. eopat, contre les sectateurs Purttains; soit en pl'O-
tégeant l'antique Tribu des Mac-Lane eontre eeHe
d' Argyle, « qui, » disoit-il, « est trop puissant pour un
sujet; » soit, enfin, en amassant un trésor poul'
l' avenir, par les amen des pronorreées eontre les sec-
taires; mais surtout en formant une armée.


Sur ces .entrefaites, I'Ambassadeur de Franee 't
Barillon, avoit ménagé des liaisons' secretes avec 1.e
Lord de Saint-Alban; jI le ehargea d'insinuer au
Roí que Louis XIV pourroit en fin se preter aux
expédients capables d'assurer une réconciliation
entre eux, OU, en d'autres termes, de procurer a
Charles II les moyens de subsister san s l'interven-
tion du Parlemellt. Le duc d'York en fut particu-
lierement informé. D'un autre coté, Charles se




nÉVOLUTION DE 16~~,
voyoit obsédé par les Ambassadeul's d'Espagne et de
Hollande. « S'il n'écoute, enfip,» lui disent-ils sans
cesse, « les vreux ardents de son Royaume, ses alliés
«( ne pourront plus compter sur la stabilité de ses
ce engagements, et lui-rrH~me ne sera jamais en reposo »)


• Dans cette perplexité, le Roi proroge les deux
Chambres, du 10 au 20 janvier, avec l'intention
de ne plus les réunir 1, si la Franee le met en état
de se passer de leurs subsides. Mais ce jour meme,
JO janvier I681, a l'íIistant OU la prorogation alloit
etre notifiée, les Communes, qui avoient été aver-
ties de ce dessein, déposent dans une derniere dé-
c1aration l'expression violente de leur l'essentiment et
presque de leut' réb~llion. Par eet acte, « Toute per- .
sonne qui , dans un autre dessein que de faire passer
le bill d'exclusion, conseilleroit a S. M. de proroger
le Parlement, étoit déclarée· par le faít traitl'e au
ROÍ, a la Religion et au Royaume, fauteur des in-
térets de la France, et pensionnaire de cette Cou-
ronne; La ville de Londres avoit bien. mél'ité dll
Royaume', par sao vigilance a la conservation du Roi
et de la Religion; C'étoit l'opinion des Communes,
que l'incendie de 1666 étoit le crime des Papistes,
qui, par ce moyen, avoient eu le dessein d'intro-
duire le despotisme et le papisme dans le Royaume;
Sa Majesté seroit suppliée de rétablir le duc de Mon-


1 Mém. de Jacques JI.




EN ANGLETERRE.


lllollth dallS ses empIois et dignih~s, dont iI l1'étoit
privé que par l'influence du duc d'York; Enfin,
c'étoit aussi }',opinion des Communes, que l'appli-
(4ltiOll des lois pénales aux Non-conformistes affoi-
bliroit la Religion protestante, encouragerojt le Pa-
pisme, et troubleroit la paix du Royaume.»


A peine ces résolutions tumultueuses étoiel1t ré-
digécs, que l'Huissier a verges noires parolt, et les
Cornmunes se sépareut. Le Roi se hata de casser
un Parlement si dangereux, avant le terme tres-court
de la prol'ogation. Mais, soit qu'il vouhit accélérer
la conclusion des premieres démarches faites par
l'Ambassadeur Barillon aupres du Lord Saint-Alban,
ou peut-etr~; qu'en désespoir de cause il fut déte¡'-
miné a sacrifier son frere, s'il falloit aller jusque
la, iI convoqua. un nouveau Parlement pour le
2 1 mars, a Oxf"rd. En désignant cette viii e ,
Charles II espéra sans doute que la populatiQn d"une
cité moins nombreuse et plus I1nturellement pili-
sible que celle de Londres, donneroit aux factiqns
ou rccevroit d'elles moius de véhémence .





SOMMAIRE.


1680 - 1683.


Négociations de Charles 11 avec la France. - Agitation des
esprils. - Ouverture du Parlement a Oxford. - Affaire de
Fitz Harris. - Traité secret avec Louis XIV. - Dissolulion
du Parlement. - Appel du Roi a la nation , contre la violence
des Communes.


Changement subít dans les esprits et dans les affaires. -Double
direction dans le Gouvernement. - Voyage du Prince d'O-
range.


Gouvernement d'Écosse, sous le Duc d'y ork. - Parlement
d'Écosse. - Formulaire ptur la Reltgion. - Condamnation
du Co~te d' Argyle. - Argyle s' évade par la piété de sa filIe. -
Le Duc (l'Y ork est rappelé, et fait confirmer le systeme de
rigueur établi en Écosse. - Amnistíe barbare et dérisoire.


Retour de Sunderland au ministere. - Deux complots, con-
fondus sous le seul nom de R~-e-House. - Complot de Rye-
House par les créatures de Shaftsbury. - Complot des Lords
Russel, Essex, Sidney, etc .• - Découverte du complot de
Rye-House. -Essex trouvé égorgé a la Tour.




nÉVOL. DE 1688, EN ANGLETERRE. 2th


LIVRE VI.


1680 - 1683.


LE due d'York avoit représenté au Roí tres vive-
ment les dangers d'une convoeation aussi prochaine.
La ehaleur des esprits qui n'auroit pas eu le temps
de se refroidir, al10it se manifester par les élections;
et puisqu'il ne faIloit en attendre que des ehoix
d'une extreme violenee : « Le moment pst venu,»
disoit-il, « d'etre vérítablement Roí, ou de périr.
« Pourquoi s'allier avee la Hollande et I'Espagne?
({ N'est - ce pas se jeter volontairement dans une
« guerre eontre la France, et par la, se mettre dans
« la dépendance d'un Parlement toujours factieux?
( C'est avee la Franee, et par la France, que l'on
«( peut encore sauver la Monarchie, et méme [' É-
«glise Anglicane; e'est a la France qu'il faut re-
({ courir pour des subsides.» Le D~c envoie le Lord
Churchill a Londres ave~ ces instruetions pour son
frere, et le charge entre autres, d'obtener ou son re-
tour aupres du ROÍ, OH le titre de Généralissime
(les troupes du royaume d'Jteosse.




RÉVOLUTION DE 16~~,
Le Roi fut sourd a tous les arguments de Chut'-


chill, eomme a toutes les lettres de son fi,cre. Seu-
lement il autorisa le Due a négoeier avec la Franee 1 :
« }\{ais qu'il ne me.compromette en ríen )), dit-il a
Churchill, C( et SUl'tout qu'il ne fasse aueune pl'O-
( messe qui m'enehaine a l'égard du Parlement. Je
« me réserve toujours le droit de l'assemble,r, quaud
(( je le jugerai con:venable. Qu'il négoeie enfin ponr
( u~ subside, ~t que le premier payement soit plus
« fo1't que les éehérnees postéríeures »).


En amusant ainsi le due d'York, le Roí négoeioit
lui-meme avee Barillon, sans ríen eondure, paree
qu'il attendoit ce qui aHoit résulter du Parlement
d'Oxford. Déja le Lord Saint-Alban avoit re<¿u deBa-
rilIon une bague de 15001. sterling, pOUl' l'engagel'
a faire entendre a Charles 11 que peut-etre Louis XIV
ne le traverseroit pas dans ses arrangements avee le
princed'Orange. Déja 100,000 1. avoient été pro-
posées au comte de Sunderland; mais ce fut Ro-
chester qui seul eut tout le secret, et la négoeiation
fut tralnée en longueur jusqu'a la réunion des deux
Chambres.


Cependant on prélude a eette mémorable session
par touts les moyens qui pouvoient éehauffer les
esprits. L'aecusation vainement portée }'année pré-
eédente eontre le duc d'York par le eomtc de Shafts-


J }Iém. de Jac(lues ll.




EN ANGLETUlRE.


bury, est reprodllite devant le Grand Jury de Mid-
delsex ; Titus Oátes y dépose « qu'il a vu l'aeeusé
« assister a la Messe et reeevoÍr les Saerements de
« l'Église romaine )1, Cette dénonciation n'ellt pas
de 'suite, paree que l'affaire ,. évoquée d'abord a la
Cour du Bane du Roi, fut arrt~tée naturellement par
une ordonnanee de Noli prosequi, •


A Londres, la Cité renomma ses derniers députés,
et les remereia de la eonduite qu'·ils avoient tenue
« dans l'infernale conspiration des Papistes et eontre
« le due d'York, cause prineipale de la mÍsere et de
(e la ruine qlli menac;oient la Nation», Le signal fut
dónné aussi a toutes les Villes et Comm unautés d' An~
gleterre pour intimider le Roí. Monmouth et quinze
Lords présenterent a S. M. une pétition pour que le
Parlement fut réuni a Westminster et non pas a
Oxford, « ou les deux Chambres», disoient-Íls,
« ne trouveroient aucune sureté eontre le poignard
« des Papistes »). Ces manreuvres préparoient aux
plus grands événements, si le Roi fléehissoit dans
l'arene qui alloit s'ouvrir.


Charles se rend a Oxford des le 14' mars avee
un imposallt cortege. Dans le meme temps les per-
sonnages les plus puissants des deux Chambres y
arrivoient, accompagnés, armés et comme préparés
a la guerreo Les Députés de Londres se faisoient
remarquer surtout par une multitude de Bourgeois
qui les avoient eseortés, et qui s'étoient parés de




RÉVOLIITION DE 1688,
coulenrs et de broderies sur lesquelJes OH lisoit ces
mots : point de Papisme. Le Rol eut la prudence
de maintenir parmi ses gardes une discipline sévere.
La moindre querelle pouvoit produire un ~mhrase­
ment funeste. Oxford offroit bien moins le spec-
tade d'un Parlement d'Angleterre que d'une Diete
p~lonoise.


Une malheureuse et honteuse imprudence de la
Cour, si réellement elle en fut eoupable, avoit pro-
curé de nouvelles armes aux chefs des,factieux, qui en
pl'ofiterent pour donner de nouveaux développe-
ments a leur conspiration des Papistcs. Ainsi Monté-
cuculli, Général de I'Empereur,. avoit offert au nou-
veau dénonciateur 10,000 1. sterling par l'intermé-


, diaire de l'Envoyé de Modene et du P. Parry, jésuíte.
La duchesse de J\'lazarin, réfugiée en Angl~terre,
sceur de ectte eomtesse de Soissons, malheureuse-
ment fameuse en France, ne demandoit eI1e-meme
qu'une fiole de poison~ A pres la mort du Roi,
l'armée de Flandre et soixante milIe Fran<¡;ais débar-
queroient en Angleterre pour placer le duc d'y ork
sur le trone. Ce Prince n'étoit nullement étranger a
ce projet, ni la duchesse de Modene sa beBe-mere;
enfin c'étoit luí qui avoit ordonné le meurtre de God-
frey, et le dénonciateul' confirmoit les détails que
Prance avoit déja donnés sur l' exécution de ce crime.


Ce délateur nouveé\u étoit un Irlandais, nommé
Fitz Harris, qni, peu de jOUl'S uvant le dépul't du




EN ANGLF:TEltRL


Roí pour Oxford, avoit été livré a la justice, malS
pou!' un autre crime, et qui en ce moment se trou-
voit prisonnier a la Tour. Le pere de cet homme
étoit le chevalier Harris, ardent royaliste, a qui
Charles avoit donné quelques récompenses. Fítz Har-
ris fut employé, dit-oIl, par la duchesse de Ports-
mouth pour tendre des piéges aux factieux; et pour
cela s'étallt lié avec un Écos~ais, espion du parti
de l'Exclusion, nornrné Everard, il lui proposa d' é-
crire contre le Roí, contre le duc d'York et le Gou-
vernernent. Everard quí con<;:ut quelque défiance,
avertit un Juge de paix, et le fit placer avec deux
témoins derriere une tapisserie de sa chambre. l1é-
crit de Fitz· Harris, lu, achevé et adopté dan s ces
confére~es perfides, étoit ce qu'il y aVo1t tout a la
fois de plus infame et de plus· emporté contre la
famille royale. Fitz Harris fut arreté avec une copie
du libelle , et se voyant perdu , il se mit aussitot
sous la protection du partí de I'Exclusion, en décla-
rant qu'il avoit travaillé a ce libelle par ordre de ola
Cour. « l .. e Gouvernement», dít-il, « devoit en en-
{( voyer une copie aux chefs du parti, les faire saisir
« au moment OU chacun d' eux le recevroit, et les ac-
« cuser d'~ne conspiration.» Fitz Harris ne s'étoit
point arreté a cet ave u ; requérant les Magistrats
d'entendre ce qu'il avoit a révéler sur les affaires
d'État, il avoit faÍt ses dépositions, il les avoit con-
firmées devant le COÍlseil, C't le Roí l'avoit fait trans-




TU~YOLUTION Dl~ 1 68~,
férf'f des prisons de Londres a la Tour. Enfin, les
Députés des Communes les plns violents avoient
mis cet homrne sons leur protection pour continuer
l'affaire misé rabIe du fomplot des Papistes, et en-
tretenir le feu qui embrasoit les esprits.


Dans cctte situation des dlOses, le Roi ouvre le
Parlement avec une impasante solennité, le 21 Plars.
Son langage fut tont a la fois conciliant, ferme et
empreint d'une majestueuse fierté. Apres avoir ex-
primé ce qu'ir devoit penser de ]a conduite des deux
dernieres chambres des Communes ~ il engagea le
Parlerpent a se· prémunir contre toute exagération.
Efl convoquant aussi promptement la session qui al-
loit commencer, il prouvoit assez qu'il ne con ser-
voit aucUDe prévention contre ces assemlJlées. C'é-
toit lui-meme qui offroit ainsi aux deux chambres
une occa,sion nouvelle de pourvoir aux hesoins les
plus pressants du Royaume. Cependant une crainte
excessive de l'avenir pourroit-elle entralner le Par-
lement a renverser la loi fondamentale de l'État? Ce
seroit préparer des maux bien plus funestes que
ceux -l~ meme dont on prétend se garantir. D.ans
l'hypothese ~ctuelle d'un successeur Catholique, on
peut trouverdes moyens capables de prévenir
les malheurs que 1'0n redoute. Sa :Majesté accueil-
'lera toutes les mesures qui tendront également a
protéger et a maintenir l'Église Anglicane, sans ren-
verser la 111onar('hie. .




EN ANGLETERRl'~.


C~s parolps du Roí furent diversement interpré-
tées. LiUleton, commissaire de l' Amirauté, qui tenoit
a I'Opposition, et que ron nommoit le Démostbtme
de l' Angleterre, les expliquoit. par un plan cOl1'Certé
entre luí, Halifax et Seymour, plan auquel le Roi,
disoient - iIs, donnoit son plein assentiment. C·étoit
en un mot le Protectorat, pendant la vie du succes-
seul' naturel, s'il étoit Catholique. 1\'Iais le eomte de
Sundprland y voyoít plus de dangcr qu'a l'exclusion.
Jones et tout son partí tenoient aussi avec opinia-
treté a reproduire le hill déja rt>jeté par la Haute
Chambre, tandís que les partisans secrets du princt'
d'Orange J, qui d'abord avoíent s0utenu avec le plus
de violen ce la nécessité de ce biJ], disoient mainte-
nant qu'il étoit juste d'écouter les propositions ·du
Roí. Ce plOyen ínsidieux pla<,;oit Charles dans un
extreme embarras. Auendra-t-il, ou préviendra-t-il
Jes propositions du Parlement?


Pour diviser davantage les dive~se& factions, il se
résigne tout ensemble a proposer de nouvelles ga-
ranties contre le Duc son frere, et a se jeter encore
une foís dans les bras de la France. Il promit done
a l' Ambassarleur Barillon de se détacher peu a peu
de son alliance avec I'Espagne, et de np -plus ras-
sembler le Parlement, au moins pendant trois an-
nées. Louis XIV, de son coté, lui assuroit deux


1 l\'lém. de Jacqu€'!\ Il.




nÉVOLUTION DE 1688,
millions pOUI' la premiere année, et 1,500,000 livres
pour chaculle des deux autres. On voit que Sunder-
land, qui avoit re<;;u 100,000 livres, étoit gratifié
presque aussi magnifiquement que le Roi : il eut
l'hahíleté de ne rien signer; ce fut Hyde, cornte de
Roctlester, qui se chargea et du secret et de la
conclusion. L'affaire se termina précipitamment
le 24 mars , c'est-a-dire, trois jours apres l'ouverture
du Parlem~nt. Il est difficile de croire qu' en se dé-
clarantsifortement pour le bill d'exclusion, le comte
de Sunderland n'ait pas été secretement d'accord
avec Charles, soit pOUI' diviser les esprits, soit pour
amuser Rarillon, soit pour procurel: au Roí les moyens
de céder s'il lui falloit céder. Sur ce poínt en effet,
le Garde des sceaux avoua que Sa Majesté se dis-
posoit a accorder au-dela meme de ce que le Par-
lement auroit eu l'immodestie de demander ( ce sont
ses termes l.) Il est vrai que ce Ministre ignoroit
completemeIit ce qui se passoit entre le Roí et I'Am-
bassadeur de France.


Cependant, immédiatement apres le discours du
Roi, les Communes voulurent s'emparer de la con-
spiration dénoncée par l1itz-Harris. C'étoit une arme
contre le duc d'York; et le Garde des sceaux es saya
vainement d'en earrete1' l'usage, en prouvant que
Fitz-Harris étoit déja sous la maill de la Justice 01'-


1 Mém. de Bnrnet.




EN ANGLETERRE.


dinaire. Mais Fitz- Harris n'étoit cité a la cour du
Banc du Roi que cornme libelliste, et les Communes,
pour empecher sa condamnation, s'obstinerent a
vouloir porter un acte d'accusation devant les Pairs.
Ceux - ci, déj a inquiets de la turbulenee des Com-
munes, déférerent sans peine aux vives démarches
du Roi, et rejeterent l'accusation. La Chambre basse
irritée crie au dé ni de justice, écarte toute propo-
sition d'accomrnodement par rapport au duc d'York,
délihere immédiatement sur le hill d'exclusion, dé-
cIare que la. Chambre des Pairs a violé la Con-
stitution en refusant de recevoir une accusation des
Communes, et ~écrete que tout magistrat qui se
permettroit de juger Fitz-Harris seroit poursuivi en
forfaiture.


Cette violente scene se passoit le samedi soir. Le
Roi qui se voyoit appuyé par la Chambre des Lords,
se rend des le lundi matin au milieu d' eux avec les
ill6ignes de la Royauté, mande les Communes qui
déja procédoient' a la seconde lecture de leur hill
d' exclusion, prononee. la dissolution du Parlement ~
quitt~ sur le champ Oxford et le soir meme arrive
a Windsor. Cet aete inattendu fut décisif. Les fae-
tieux en sont frappés eomme d'un eoup de' foudre.
1'out se disperse, et Oxford qui deux heures aupa-
ravant ressembloit a une vilJe de guerre, est tout a
coup eomme un déserl.


Ainsi les affaires avoieut subitement changé de face.
J. 19




RI<:VOUJTlON DE 1 G8S,
Si la nation toute entiere avoit encouragéles premiel's
pas de l'Opposition, née dans le Parlement qui avoit
consolidé la restauration, elle mesura bient6t avec
effroi l'espace déja parcouru, quand cette opposition
devenue sévere, puis injuste et meme factieuse, fit
plac:e a une faction emportée au-deJa de toutes les
bornes. Telle est la Constitution Angloise qu' elle
offre des dangers également redoutables a la royauté
qui affecte le pouvoir absolu , aux amis de la libertp
qui croyent l'affermir en affoiblissant la monarchie.
Mais cette constitution née du temps et des mreurs,
a des racines si profondes dans le vieux sol de la
patrie qu' elle peut également résister a tous les
orages ou renaltre plus vigoureuse encore quand
elle a été abattue. Le Roi qui l'avoit méconllue et
méprisée y retro uva sa force réelle quand il frappa
enfin le Parlement séditieux d'Oxford; ·et la nation
applaudit a son courage.


Le Roi en effet dans une proc1amation avoit no-
blement et vivement exprimé la· dureté inflexible
qu'il avoit trouvée dans les t.rois dernieres assem-
blées des CQm,munes. Il promettoit un awtre Parle-
ment dan s le terme fixé par l'acte triennal et
protestoit enfin de son zele pour le maintien de
l'Église Anglicane et des libertés publiques. L'effet
de cette déc1aration fut prodigieux. Toutes les Cor-
porations et Communautés, les villes, le Clergé, les
l~niversités, les grands jurés, les juges des Comtés,




-'


EN ANGLETERRE.


envoyerent leurs adresses de félicÍtation au Roí.
C'étoit un concert unanime pour adhérer inviolable-
ment au príncipe de ]a succt'ssion directe a la Cou-
ronne, t't pour déclarer criminels de leze-majesté
les Parlements qui avoient voté le bill d'exclusion.
Mais le Clergé demanda en outre l'exécution des
anciennes lois rendue~ c<1ntre les Non-Conformistes
qu'il représenta comme les plus formidables ennemis
de la Royauté. C'étoit implicitement rappeler les loix
pénales contre les Catholiques.


Charles avoit trop de pénétration naturelle pour
ne pas comprendre que cette rupture, quoíque
forcée par la nécessité, entre lui et le Par]ement,
ne faisoit que rpculer et aggraver les difficultés pré-
sentes. Les projets politiques de la France devoient
amener une crise périlleuse dans les affaires il1té-
rieures de l' Angleterre, et le feu dps adresses que
Charles recevoit de toutes parts, ne pouvoit ni sup-
pléer au défaut des subsides réguliers ni augmelltf>r
l'humiliante et précaire aumone que luí faisoit le
cabinet <le Versailles. Sa position restoit donc
toujours la meme entre son frere qui l'excitoit a
saisir enfin le pouvoir absolu, entre Louis XIV qUÍ
n'ayant plus ríen a craindre de l' Angleterre, se pré-
paroit a la guerre contre l' AlIemagne et les Pays-
Ras, entre I'Espagne menacée qui sollicitoit vivement
les spcours promis sur la foi des traités, eptre le
Prince d'Orange qui maintenant devenoit le'Protec-


19,




RÉVOLUTION DE ] 688,
teur naturel des privileges parlementaires de la


Grande-Bretagne.
Mais pour le moment '. Charles s'oeeupa seule-


ment de gagrier du temps, et pour cela il lui fallut
d'abord satisfaire aux exigenees.les plus opposées.
Il refuse done a son frere la permission de revenir
a Londres, mais illui donne ~es pouvoirs pour con-
voquer le Parlement d'Éeosse. Au vieux parti des
Cavaliers qu'il avoit si long-temps négligés, iI aban-
donne les moyens d' entretenir la chaleur du peuplc
contre.la faetion récemment abattue; et les tribu-
naux retentirent bientot de proces politiques et de
conspirations. Au Prince d'Orange, il permet de
venir en Angleterre, malgré les instances du duc
d'York; a l'Espagne, íl promet des secoul'S eontre
Louis XIV; a Barillon enfin iI déclare que, si la paix
de l'Europe n'est pas respectée par Louis XIV, il
tiendra sa promesse de convoquer le Parlement, et
qu'il en obtiendra certainement les moyens de re-
placer l' Angleterre au rang d'ou elle est deseendue.


Ainsi deux directions opposées se· manifestoient
encore dans le Gouvernement; et toutes deux par-
ticipoient au caractere particulier des deux freres.
Charles vouloit d'abord son repos, et vouloit l'ae-
quérir meme aux dépens de son frere, s'il ne pou-
voit l'obtenir autrement. Le Due voyoit ses droits
futurs et préféroit la guerre civile a toute autre so-
lution douteuse.




I~N ANGLETERIU!'.


11'ilz-Harris avoit été condamné a mort, comme
libelliste. Plumket, Primat d'Irlande, avoit subi la
lIH~me destinée, faussement accusé, le Roi le savoit!
d'avoir voulu livrer I'Irlande a la France. Le pre-
miel' fut livré en victime aux Torys, le second aux
\Vighs qui l'avoient accusé par le comte de Shafts-
bury. Celui-ci, Shaftsbury, fut aussi envoyé a la
Tour et accusé devant le Grand Jl1ge pour un Acte
d' Association dont le projet fut trouvé dans ses pa-
piers. Mais le projet n'étoit pas de son écriture, et
toutes les cloches de la Cité sonnerent quand il fut
r~nvoyé absous, symptome qui alarma jnstement la
com' l. Dans ces proces et dans plusieurs autres, on
vit paroltre des faux témoins comme clans l'affaire
du Complot des Papistes; et, ce qui n'étoit pas moins
infame, les memes témoins, tels que Dugclale et
les deux apostats Tuberville et Smith, qui avoient
fait condamner le comte de Stafford. Ce sont vos
propres témoins, ces témoins si véridiques, si 'véné-
rabies pour vous! disoit-on avec une dérision amere.
Cornment osez-vous les traiter d'imposteurs! Ainsi
la cause du Gouvernernent devenoit aussi elle-meme
une faction.


Le Prince d'Orange étoit venu a Windsor. D'abord
iI se ménage froidement an milieu de touts les partís,
et se borne a demander au Roi de ne pas abandonner


1 Mém. de Hurnct.




~94 RÉVOILUTION DE 1688,
la Flandre et la Hollande a l'ambition de Louis XIV.
1,( n faut donc un Parlement,» dit le Roi; « et s'il dé~
« hute par le bill d'exclusion,que me conseillez·vous?»
- « De le rejeter.» - l< S'il veut des limitations?»
- « La Royauté ne peut etre divisée.» - « S'il exige
« que toutes les fOIlctions publiques soient abandon-
« nées a s0!l choix; s'il se I'éserve ainsi la disposition
( sou veraine de la milice, des ports, de la fJotte, du
« trésor't de la religion et des juges?») - l( Il n'y faut
« pas consentir.» « Eh bien!» répliqua le Roi, (e un
« Parlement exigera certainement l'une 00 l'autre de
« ces conditions, ej peut-etre toutes a la fois. Trou-
{( vez done un moyen de concilier tant de difficultés. »
Le Prinoe demande et obtient l'autorisation de con-
sulter les personnages les plus accrédités. Il se rend
a Londres: les Shérifs lui offrent le diner de la viHe
que ni Halifax, ni Rochester, ni Seyrnour ne peu-
vent lui. persuader de refuser. Il ne faHut rien moins
qu'un ordre du Roí pour l'empecher d'y assister.
Ennn il part, avec la promesse que le Parlement
seroit convoqué, si les Fran«;ais envahissoient la
Flan.dre~ L' effet de ce voyage fut si grand que les
amis du duc d'York cornrnencerent a désespérer de
sa cause et meme de l'appui du Roi. Guillaume en
effet avoit tout entrainé, en persuadant aux chefs
des mécontents de promettre d'abondants subsides,
sans exiger ni exclusion, ni limitatiol1s, ni change-
ment qe ministres, si le Parlement étoit convoqué.




L'EIlIpereur Léopold étoit trop occup-é des Hon-
grois révoltés et des Turcs leurs alliés, pour inspire!'
des craintes sérieuses a Louis XIV. l .. c moment pa-
roissoit donc venu pou!' lui de réunir Strasbourg a
son empire; cette ville, libre et impériale, capitula
PIl effet devant Louvois, accompagné de vingt mille
Fran<;ais. En Ttalie, Louis XIV achetoit la place
{()rte de Casal, et oans les Pays-Bas il mena<;oit
Luxembour~ pom' se faire acconler le bailliage
d'Alost', oublié, disoit-il, dans le traité de Nimegue.
Une al'mée formidable, soixante mille matelots, cent
vaisseaux de ligne, Toulon, Brest et Rochefort,
créés comme par une' puissance surnaturelle, luí
faisoient avec raison dédaigner I'Angleterre, main-
tenant affoiblie par des factions abattues, mais· im-
placables et qui pourroient se relever. Toutefois ce
mépl'is ou cette sécurité de Louis XIV par rapport a
l'Angleterre ne s'étendoit pas jusqü'au Priilce d'O-
r~nge. GuilJaume, toujours vigilant sur les desseins
de la France, f()Inentoit une ligue non seulement
avec les Roiset les Princes protestants, mais en-
core avec les souverains catholiques auxquels la rup-
ture du traité de Nimegue paroissoit imminente.
Charles II fut sollicité d'y entrer; mais il fa1l0it re-
courir au Parlement et ii promit de le réunir a
Cambridge. Alors Louis XIV le menace avec fierté;
BariIloJl I'e<;ut 1J)(~me J'onlI't' de lui dire que le fa-
lIlCUX lraité f~lit [. Douvres avec la duchesse d'Or-




296 . RÉVOLUTION DE 1 6B8,
Iéans seroit rendu publie s'il entroit dans eette ligue.
Vainement le Roi d'Angleterre lui représente qu'il
encourra justement la haine et le mépris de son peu-
pIe, s'iI reste inactif dans eette eonjoneture. « Le Roi
({ de Franee n'a-t-il pas promis de respecter les Pays-
« Bas? Pourquoi eeUe violation de sa parole royale?
« Qu~ répondre a la eour d'Espagne qui exige les
c( secours promis par un traité solennel? A la Hol-
« lande qui n'est pas moins inquiete? A.I'Angleterre
« qui peut-etre se portera aux plus terribles . ex-
« trémités dont le funeste exemple n'est encore que
« trop récent?» Louis XIV répond que le subside
sera, retiré si les Espagnols sont secourus par l'An-
gleterre.


Le due d'York, cependant, sollicitoit son retour
aupres du Roi , pour veiller a ses propres intérets.,
et prévenir tout ce que la nécessité pourroit irupo-
ser a son frere contre luí, dans l'état critique des
affaires. l\fais le Roi lui envoya Rochester pour lui
notifier. que sa religion étoit plus que jamais un
obstacle invineible a son retour. S'il ne reparolt a
l'Église I , s'il n'y remplit publiquement les devoirs
prescrits par la Religion de l'État, S. M. ne peut
plus s'engager a le soutenir; si, enfin, le Duc ne
cede sur ce point ímportant, le Roí et luí sont
inévitablement perdus.


1 lUém. de J acques n.





EN ANGLETEItRE.


Rochester trouva le Duc inébranlable, et il devoit
l'etre, puisqll'iI étoit sincere dans sa foi : cette apos-
tasie, d' ailleurs, n' eut trompé ni rassuré personne;
l'opprobre en eut été le juste et unique salaire.


En arrivant pour la premiere foÍs en Écosse,
iI trouva ce malheureux pays en proie aux plus
grandes rigueurs, malgré le systeme de clémence et
de tolérance que Montmouth avoit fait prévaloir un
moment, apres la défaite des sectaires au pont de
Bothwell. On sait que les Puritains formoient plu-
sieurs sectes sous des dénominations diverses,. sui-
vant les nuances plus ou moins vives de .leur fana-
tisme. Parmi eux, on distinguoit les Cargillites, du
nom de Cargill, un de leurs ministres a Glascow.
Cargill et plusieurs sectaires avoient été faits pri-
sonniers a l'affaire de Hackston. Un de ceux-ci avoit
participé au meurtre de l'archeveque de Saint-André;
il subit le supplice dans une extase profonde; son
ame n'étoit plus liée a son corps; et lorsqu'avant d~
monter au gibet, il eut les deux poings coupés, iI
demanda froidement au bourreau : « Les pieds en
sont-ils aussi?» Cargill et ses compagnons, hommes .
et femmes, enduroient les souffran~s avec la meme
insensibilité, refusant avec un dédaigneux enthou-
siasme, sur l' échafaud meme, leur grace que le duc
d'y ork leur faisoit promettre, sous la condition de
prier pour le Roi. Quand les ames sont ainsi trans-
portées par un élan qui n'a plus rien d'humain, que




• ~98 RÉVOLlJTION D}: 1688,
reste-t-il aux Gouvernements? Les suppliees font
des martyrs : eette maladie terrible De peut etre
guérie qu~ par une sage clémenee, et le due d'York
le e0mprit sans peine. Il fit done ces ser toutes ces
rlangereuses et inutiles boueheries. J Je reste des pri-
sonriiers fut renfermé dans des maisons de eorreetion ,
et appliqué, par ses ordres, a des travaux quí les
guérirent peut-ette, ou du moins qui pouvoie:tlt
seuls' calmer eette fievre de la raison.


Le vif désir que ce Prinee épl'ouvoit de montree
a l' Angleterre qu'il étoit eapable de gouverner, le
portoit naturellement au soin des affaires d'Écosse;
ii ehereha done a s'attaeher ]a noblesse haute et
petite, que Lauderdale avoit tourmentée; a culti ver
les int€r~ts du commeree; a conteuir l'ardeur des
Éveques; a étab]ir une certaine toléranee envers les
Puritains; a permettre enfin taeitement leurs assem-
blées religieuses a l'ombre du toit domestique, pour
diminuer peu a peu· leurs assembleés au désert. En
un mol; il parvenoit presque a vainere l'alltipathie
des Éeossais contre sa propre Rcligion. Enhardi par
ses succes, il avoit enfin demandé aU Roí et obtenll
l'autorisation de ,iónvoquer un Parlement, pour don-
ner une forme réguliere aux affaires de l'Église et
de I'État.


Ce n'est pas qu'il n'eut éprouvé d'abord des ob-
staeles sérieux pour etre admis a siéger au Conspil
d'Écosse, paree qu'il refusoit de prt-Lcl' le serment




EN ANGLETERRE.


d'usage. Mais le comte d' Argyle, jadis lord Loro ~ dont
il a été parlé dans cette histoire, avoit contribué
plus que personne a faire lever ces difficultés, de
concert avec le duc· de La~derdille. Argyle étoit
membre du Conseil. On a déjil vu que le crédi,t de
Lauderdale et la justice du Chancelier Clarendon,
lui avoient fait restituer les biens de sa famille ..
Ayant d'ailleurs bien servi la cause royal e pendant
l'usürpation, il étoit naturellement porté a servir
l'héritier légiti~e de la Couronne ; et lorsqu'il eut
contribué par son zele a faire admettre ce Princ:e
dans le Conseil d'Écosse, iI lui déclara qu'il se dé-
vouoit a sa cause, sans exception, a moins qu'il ne
se vIt obligé de défendre la religion du pays.


En effet, le duc d'y ork ayant réuni le Parlement '1
Argyle appuya fortement un bill présenté pour dé ...
clarer inaliénable, dans la personne de l'héritier le
plus proche, le droit de succéder a la Couronne;
c'étoit haute trahisoo' que de soutenir le contraire.
Un autre bill devoit assurer des fonds pour augmen-
ter l'armée d'Écosse, et Argyle le soutint ave(: un
égal zele. Mais quand il fallut 5' occuper des moyens
de garantir la Religion protestante '1 Argyle, se mon-
tra tel qu'il s'étoit déclaré au Prince. ,


00 proposa d'abord un formulaire; chacun devoit
en signer et jurer touts les articles avant de pou-
voir posséder aucune charge civile ou eeclésiastique,
de voter aux électioos, et d'entrer au Parlement. Ce




300 nÉVOLUTION DE 1 68H ,
formulaire contenoit une adhésion inviolable a la
Religion protestante, la condamnation de toute ré-
sistance a l'autorité royale, sous quelque prétexte
que ee flit; l'abjuratio¿! de la Ligue ou Covenant;
l'obligation de défendre touts les droits de la Cou-
ronne; enfin, la promesse de ne s'assembler jamais
pour traiter d'aucune affaire, sans permission du
Roí, et de n'introduire aueune innovation dans
l'Église ni dans l'État. Une clause partieuliere ~en­
doit le serment au sens littéral de touts les articles ;
ce qui ouvroit une vaste earriere aux difficultés et
aux persécutions, puisque le sens qu'il falloit atta-
cher a ces deux mots, Religion protestante, n'étoit
ni ne pouvoit etre défini, surtout dans un Royaume
ou le Presbytéranisme et l'Épiscopat, tour-a-tour
abolís et rétablis par les lois, n'étoient encore par-
venus a fixer ni leurs dogmes, ni leur discipline, ni
leur liturgie. Le formulaire fut cependant adopté
avec un exception formelle en faveur des personnes
de la famílle royale, quant a l'article de la Religion
protestante; mais Argyle s'éleva contre cette excep-
tion avec véhémence. « Le Papisme, }) dit-il, entre
autres, (e n'est point a craindre dans ce Royaume,
« s'il n'y est pas introduit par la famille royale elle-
« meme; et la Religion protestaIite est moins en
«( péril sans aucune des garantics proposées, qu'avec
« la seule exception qui les détruit toutes. » Ar-
gyle ne voyoit-il pas que, si l'exception n'étoit pas




EN ANGLE1;'ERRE. 301


adoptée, le duc d'York se trouvoit exclu de la
Couronne par le fait, malgré le bill précédent qui
consacroit son droit inviolable! Le Parlement tout
entier garda le silence. On s' occupa ensuite de fixer
un sen s dé terminé a ce qu'il falIoit entendre par la
Religion protestante.


Il existoit une ancienne confession de foi qui re-
montoit a l' année 1 559, rédigée lorsque les Écossois
eurent déposé la reine :Marie; et huit ans apres, en
1567 le Parlement l'avoit ratifiée"et convertie en
Loi. Cet ouvrage se ressentoit de l'esprit de ces
temps orageux. On y proclamqit particulierement le
devoir de réprimer la tyrannie; et alors réprimer la
tyrannie, c'étoit repousser la religion de la Reine,
( qui étoit Catholique) et les Seigneurs tant de
France que d'Écosse ,et meme d' Angleterre qui vou-
loient la replacer sur le trone. eeUe confession de
foi étoit depuis long-temps oubliée; enfouie dans un
lourd volume, elle étoit meme inconnue des Éveques,
surtout depuis l'année 1648 que les théologiens
réunis a Westminster en avoient dressé une nou-
velle. Quoique l'autorité de ces théologiens fut illé-
gitime et qu'elle eut été déclarée telle, depuis la
restauration, leur confession de foi étoit restée dans
'outes les Églises. Mais son origine qui datoit de la
rébellion puritaine et qui en étoit le fruit la rendoit
naturellement inconciliable avec ,1'Épiscopat. La
premiere fut done proposée par le 'chevalier d' AI-




302 RÉVOLUTION DE 1688,
rymple, qui s'imagina que le seul examen des pro-
positions républieaines dont elle étoit empreinte la
feroit rejetter. En effet, si elle preserivoit au nom
du Cíel l' obéissanee a toute personne eonstituée en
dignité, eomme étant, suivant l'apotre, ordonnée
de Dieu meme, la Confession de foi portoit expres-
sément eette limite: tant que eette personne eonsti-
tuée en dignité, se eontiendl'a dans les bornes de
son devoir. Le due d'York passa rapidement sur
ces diffieultés, el soutint svee ehaleur la p'roposition
de d' Alrimple, rassuré sans doute par la suprématíe
religieuse qui appartenoit a la Couronne et par 1'0-
béissanee passive dont le formulaire faisoit une loí.
Les Éveques donnerent Ieur adhésion, et eette grande
affaire fut emportée dans un seul jour, sans autre
opposition que eeHe de sept membres du Parlement,
Argyle a Ieur tete. Irnrnédiaternent apres le Parle-
ment fut eongédié.


Le duc d'Hamilton qui eomrne Argyle avoit sou-
tenu le duc d'York dans toutes les propositions qui
pouvoient afferrni~ ses droi~s a la sueeession royale,
s'étoit opposé cornme Argyle aux diverses clauses du
formulai're, qui lui paroissoient mena<;antes eontre
la Religion Protestante. Il refusa de signer le nou-
veau Test, ainsi que Monmouth, et suecessivement
les Pasteurs orthodoxes de l'Écosse. Ce nouveau Test
éprouve partout des résistances, motivées sur des
raisonnements sans réplique. Le Roí, disoient les 0r-




FN A NGLETEHRE. 303
posants, peut déposer les Éveques, par le droit de
sa supréll1atie; il peut renverser rÉpiscopat, par un
simple édit. Comment concilier notre serment d'o-
béir au Roi et de maintenir inviolablement le culte
établi? L'Église est sans liturgíe et sans discipline;
comment jurer de ne faire aucune innovation d~ns
l'Église et par conséquent dans l'État ? N ous adhé-
rons a la Confession de 1567, et elle nous ordonne
de résister, si l'autorité 8upreme ne se contient pas
dans les bornes de son devoir. Les Synodes ne
peuvent s'assembler, les pretres ne peuvent etre 01'-
donnés, san s la permissíon du Roi; le Roi peut
d~nc, par le seul faít rl'un refus, anéantir touts les
moyens de perpétuer la Religion.


Les Éveques et le Conseil allal'lnés de ces oppo-
sitions publierent Une déclaration qui rendit les
difficultés plus inextricabl~s encore; l'Éveque Pa-
terson y mit son nom, et le Conseil son approbation.
L'on n'exige pas, disoit-on, que les signataires
croient achaque article de la Confession de Foi.
11 suffit de la recevoir, en tant qu'elle contient la
doctrine qui a servi de base a la Réforme. La signa-
ture sera d'ailleurs sans préjudice aux droits recon-
nus dans la primitive Église pendant les trois
premiers siecles. Enfin, le Roí ne changera point le
gouvernement actuel de l'Église d'Écosse.


Cette informe et absurde déclaration ne resta pas
sans réponse. l .. e serment est exigé dans le sens




304 RÉVOLUTION DE 1688,
littéral du Bill, disoit-on de toutes parts. N ous se-
rons done parj ures en adoptant le sen s expliqué


, par le Conseil. Quelle est d' ailleurs eette garantie
du Conseil ? A-t-il le droit de modifier une loi ?
Toute la partie la plus distinguée du Clergé d'Éeosse
refPsa de signer.


Cette résistanee 6t juger au due d'York qu'illui
~toit néeessaire de faire un grand exemple 1 ; il
s'attaeha d'abord a mettre en jugement le due d'Ha-
milton. Mais en faveur de son 61s, le lord d' Arran,
les poursuites sont suspendues par ordre du Roi.
n n'en fut pas ainsi du eomte d'Argyle. Déja
dans un mémoire sur l'Éeosse, le due disoit a
Charles JI 2, «( Que les faveurs extraordinaires qui
« avoient été répalldues 5ur le lord d'Argyle étoient
« aussi diffieiles a justifier qu'a réparer.» On a vu
que ees faveurs extraordi.naires étoient la restitutÍon,
si long-temps eonsentie, des biens de son pere, et
la révocation de la sentenee de mort monstrueuse-
ment portée eontre lui-meme.


( Ni le ROÍ, ni le Due,» dit le Prinee dans une
autre partie de ses mémoires, « n'avoient l'intention
«de faire mourir le eomte d' Argyle; seulement ils
« vouloient saisir eette oeeasion ( eeHe du serment)
« pour le rendre un peu plus dépendant d' eux, et


I Mém. de Jacques II.
:¡ Mém. de Jacques II.




EN ,\NGLETER RE. 305
« pOU!' supprimer certains cl!'oits et jurisdictions que
« sés prédécesseurs et lui avoient injustement acquis,
« et tyr2tnniquement exercés.» Hélas ! le malheureux
Prillce éprouvera hientot ou conduisent ces voies
iniques de la- justice légale.


Argyle, comme Conseiller, devoit preter le ser-
ment nouvellement imposé. La: déclaration du Con-
seil l'autorlsoit a expliquer son serment, iI en con-
féra avec le Prince lui-meme. Illui dit entre autres
que, comme membi'e du Parlement, et coopérant
ainsi a l' exercice de la puissance souverain. iI ne
pouvoit se lier .les mains jusqu'a s'interdire par ser-
'111ent le droit de concourir aux innovations qu'il
croiroit nécessaires dans I'Église comme dans l'État.
Requis ensuite au Conseil de preter le sermest, il
donna ses explications qui furent aamises, preta le
serment ainsi entendu, et prit séance au Conseil.


Le jour suivant, il renouvela le meme serment
avec les memes explications a la Trésorerie, dont il
étoit un des Lords Commissaires. Il n'éprouvil pas
plus de difficultés que la veille.


Cependant les courtisans du Prince lui font en-
trevoir !es avantages que l'on pourroit trouver contre
Argyle dans les explications de 'son serment. Le Due
les lui demande par écrit; a peine sont-elles renúses
au Clerc de la Trésorerie, qu'Argyle est conduit au
chateau d'Édimhourg, et mis en accusalion de haute
trahison. TrOUVCL' des cofttl'adictÍons dans le Test,


1. 20




306 RÉVOLUTION DE 1688,
et elles étoient palpables, e'étoit diffamer l'autorité
supreme; se réserver le droit de réformer les abus
essentiels a tout membre du Parlell1ent, e' élioit g'a1'-
roger la puissanee législative. Argyle demanda va1-
nement a s'expliquer une seeonde fois avee le due
({'York qui refusa de l'entendre.


La COll!' qlli elevoit prononeer sur l'accusatjoll
étoit eomposée du Gr~nd-Juge, el'un Juge clere ou
eeclésiastique et de· eiuq Assesseurs. Le premier de
ceux-ci elonne sa voix seulell1ent si les quatre autl;es
sont ~rtagés. L'un ele ces quatreétoit sourel et eassé
de víelllesse. Alors elétenu au lit, il n'assista ~oínt
au prod~s; lnais ses collegues se trouvant d'avis op-
posé, eleux eontre eleux, on fit transporter au tri-
bupaJ. ce :vieillard, qui vola pour la eonelamnation.
Argyle fut ainsi condall1né a mort pour erime de
haute trahison; eependant iI fut absous du crime
de paljure qui étoit aussi compris dans l'accusation.


Mais Argyle fut sauvé par la piété de sa fille qui
ehangea de vetements, et n~sta en prison tandís qu'il
s'évadoit. Il se rendit en Angleterre, ou il ehereha
vainement les moyens de parler au Roí; peu apres
il se rendit seeretement en Hollande. La suite des
affairps et ses propres ressentiments l'entralnercnt
a )a révolte et a sa perte, qui précéda seulement de
tr?is années ceBe du Prince auteur de sa dépJorable
d~stinéc.


Ainsi condamné commc trallre, ses armes sont




EN ANGLETI.:H.RE. 3°7
renversécs; touts les usages du pays qui exprjment
les peines dues a la félonie sont reproduits sur son
effigie; sa filIe elle-me me , sa filIe fut l' objet d'une
proposition barbare, qui inspire tout a la fois le
dégout et l'horreur. Lp Conseil vouloit qu'elle fut
fouettée dans les rues d'Edimbourg , mais le Due
l'empeeha en faisant observer, dit - il en propres
termes, « Que dans son pays on n'avoit pas l'ha-
« bitude d' ell agir aussi cruelleTnent envers les
« Dames I .»


Cette sentenee souleva les ereurs généreux, et re-
tentit en Angleterre ou }'011 se demandoit avec effroi
quel seroit l'avenir. Le due et la duchesse de Lau-
del'dale se plaignirent eux-memes a la eour de l'in-
gratitude du Prince envers Argyle. Charles néan n
moins crut devoir publier une réeompense pour ee-
lui qui arreteroit le eondamné fugitif, et faire quel-
que s largesses de ses biens confisqués aux ennemis
du proserit; mais iI rendit tout le reste au lord Lorn,
son fils; cherehant ainsi en quelque sorte a concilier
la justiee et l'jniquité.


Le Due sollicitoit to~jours la permission de Je-
tourller en Angleterre; le Roí n'osoit l'accorder, par
suite de la dangereuse nécessité ou il s'étoit pIacé
de dépendre de Louis XIV, ou d'un Parlement.
L'invasion dps Pays-Bas et .le blocus de Luxembourg


I Mélll. de .Iac(/ues lL.
20.




308 n~:VOI,UTION DE 1688,
exeitoient, contl'e son inaction, de vives réclama-
tions et d'humiliants reproches. 11 promet enfin de
convoquer le Parlernent a Cambridge, et déclarf'
immédiatement a Louis XIV que si l'armée franc;aisc
ne laisse pas f'ntre1' au moins des vivres dans la plac()
de Luxembourg, il donnera aux. Espagnols les se~
cours qu'ils ont droit de réclamer de l'A nglete1're ,
lenr alliée. Alors Louis XIV chargea Barillon d'of-
frir a Charles un million <lui fut acccpt(~ avecjoie.
Charles feignit de se rcndre médiateur entre l'Es-
pagne et la France. Mais le médiateur, ainsi gagné
d'avance, ne pouvoit plus illspire1' de confiance; iI
fut écarté, p1'étexte suffisant pou1' que Charles d~­
sormais laissat Louis XIV poursuiv1'e ses desseills.


Sunderland avoit été congédié du minisfere des
affaires étrangeres, appes la dissol ution du Parle-
ment d'Oxford. Seymour et Halifax dirigeoient alor5
le Conseil, et dans l'hypothese du nouvean Parle-
ment qui étoit promis, ils croyoient nécessaire d'ap-
pele1' le Duc, et d'unir leul' cause a la sienne pour
se souteni1' contre leu1's adversaires. Il leur parois-
soit juste et mcme nécessaire que le· Duc se t1'ouvat
a l'ouverture des deux chamb1'es, pou1' imposer a
ceux qui prubablement alloient encore propose!' l'ex-
clusion. Le Roi ccpendant, qui ll'avoit confié qu'au seul
Clarendon ses négociations secretes avec Louis XIV,
vouloit attenclre, et trouvoit cltl péril dans la pré-
:::;ence df' son frerc, s'il .' avoit un Parlement. Ce




EN ANGLETEIWE.


fllt la dudlCsse de Portsmouth qui décida le Roi.
Dans sa prévoyance de l'avenir, elle desiroit se fai¡e
un établissement c1011t la garantie seroit prise sur
l'apanage du Prinee. Elle engagea done le Roi lui-
meme a intervenir clans eette affaire. L'un d l'autre
oublierent qu'il faudroit nécessairement un acte lé-
gal et parlementaire pour valider une transaetion
de ce genre. Le Prince, quí ne l'ignoroit pas, n' en
dit mot, et se hata de répondre qu'il étoit disposé
¿l tout ce qui poul'roit plaire a Sa Majesté. AllS-
sitot la Duchesse met touts les moyens en relivl'e
pour que lf' Roi flt venir son frere a la Cour. La
permission est donnée, mais le due ne viendra qu'a
Newmarket, iI n'y viendra que pour eette affaire,
et il retournera immédiatement en Éeosse. Le Duc
promet tout, s' embarque a Leith le 4 mars ( 1 682) ,
et arrive le f 1 a Newm'arket. Seulement alors 'OIl
déeouvre que le projet de la Duehessé est imprati-
cable sans le eoneours du ParJement.


Le Due eependant reparo'it a Londres malgré les
ministres, et l'affairedes négoeiations avec Loui~ .. X.IV
étant consommée, il obtient la permission de s' établir
enfin en Angleterre, et il part le 3 maí pour a11er
chercher la Duehesse sa femme qui étoit restée en
Écosse.


A son retonr, la ti'égate le Glocesler, qui le por-
toit lui et sa suile, se brise sur un écueil dans la
rade d'Yunl1oulh. Ce naufrage fit ('clater une preu ve




RÉVOLUTI0N m~ 1688,
bien touchante du dévouement reIigieux qUí' peu-
vent inspirer les Prinees clans l'adversité. Le Due
et sa femme passerent sur la chaloupe avee quel-
ques matelots. Plus de cent personnes resterent a
bord de la frégate. Au moment ou la ehaloupe ga-
gna la terre, un cri de joie se 6t entendre, et le
Glocester s'abima dans les ondes. Ces braves et in-
fortunés marins saluoient ainsi pour la derniere foís
le Grand amiral d'Angleterre. Ce cri sublime sel1l-
bloit lui dire de quelle gloire, de quelles prospérités
il pouvoit un jour environner son treme, s'il ne
méeonnoissoit pas le génie naturel de son peuple.


II étoit de retour a White-Hall le 27 mai. «Tout
« en paroissant ne pas se meler des affaires 1», clít-il
lui-meme, ( le Duc inspire au Roi des résolutions
« vigoureuses ». 11 fait retirer par un jugement les
chartes de la ville de Londres, et tQutes les cor-
porations du Royaume se voient menacées de subir
la meme loi ; c( iI commen<;a», dit-il encore, f( a de-
« mander compte a ses ennemis de leurs procédés,
« il erut devoir les effrayer en faisant un exemple
« du sherif de Londres, Pinkerton». Celui-ci avoit
eu l'insolenee de dire que le Due, apres.avoir mis le
feu a la ville, revenoÍt pour en égorger les habitants.
Il fut eondamné a 100,000 1. sterl. de dommages-
intérets. Il est triste que ce fut au pro6t du Prinec


I Mém. de Ja("qw~s H.




EN ANGLETJ~HRE. ~) I 1
lui-memc, surtont lorsqu'un des ministres du Ho] ,
le Garde des sceaux d'Angleterl'e, le Juge supreme
de la Cour des Pairs ql1i avoit condamné Stafford,
avoit attrihué dans un discours solennel, l'incendie
de Londres aux Catholiques.


Charles avoit confirmé ponr l'Écosse tout le plan
de gouvernement que le Duc luí avoit présenté. Le
comte d'Aberdeen, devenu si célebre en 1689 sous
le 110m de duc de Gordon, étoit Chancelier. Luí et
QlleensburJ furent chargés de toutes les affaires.
Le Conseil qu'ils dirigeoient et les Éveques~,'atta­
cherent surtout a poursuivre les Puritains, et Aber-
deen donna les ordres les plus rigoureux contre les
Conventionnels. La crainte de la prison et des amen-
(les fit d'ahord affim>r les timides dans les églises; mais
le scandale de leur maintien les faisoit reconnOltre,
autant que l'hypocrisie de ceux qui n'étoient ni Puri-
tains, ni Épiscopaux. A eette époque se manifesta
le premier levuin d'athéisme en Écosse, jadis si
étranger aux mccurs de ce pays l. La j eunesse en fu t
infectée la premien>, par l'hahitude de voir et d'en-
tendre les dérisions de leurs parents contre le nou-
veau culte public, par le sp~ctacle des lachetés con··
tinuelles que la persécution faisoit cornmettre aux
foibles, et par cet élan natnrel d'une gén~ration toute
nonvelle qui grandit uu milieu du fanatisme des uns


I lVIém. (le- B nrll ('1 ,




312 R~VOLUTION DE 1688,
et de l'hypocrisie des autres. Les étudiants de I'U ni-
versité d'Édimbourg donnerent plus d'une fois de
l'embarras aux magistrats.


L'ouest et le. midi de I'Écosse étoient particulie-
rement peuplés de Puritaills et de Presbytériens.
Ceux-ci se soumettoient san s répugllallce au gou-
vernement, et ne désiroient que la tolérance de Ieur
culte et la jouissance de leurs droits politiques. Mais
l'une et l'autre leur étant ravies par le nouveau
test, ils se trouvoient naturellement jetés dans la
cause des Puritains, qui voq.loient la République
pure dans l'État comme ils l'avoient mise dans leJjr
Égli5e. La rigueur du nouveau gouvernement leur
fit songer aux moyens d'alIer chercher sur une terre
étrangere, dan s les vastes solitudes de l' Amérique
septentrionale, ceUe liberté de fanatisme qu'ils d~
sespéroient plus que jamais de recouvrel' sur len!'
terre natale. Ce projet les occupa long-temps, et de-
vint plus tard un des- premíers incidents de la révo-
lut~on qui détrona Jacques n.


Leur projet qui étoit sincere d'abord et sans
mélange de conspiration, devint une conspiration
véritable, quand le Roi eut établi dans l'ouest et le
midi de l'Écosse la plus ab~urde inquisition qui puísse
déshonorer un gouvernement. La révolte du Pont
de Bothwell avoit eu líen en T 679, et I'Édit royal
étoit de 1683. Les l'echel'ches devoient dUl'er tl'oÍs
années, apres lesqucllcs II .Y auroit amnistíe pour




EN ANGLETERRE.


touts ceux qui signeroient le test. Les magistrats re-
chercheroient pendant ces trois ans touts ceux que
I'on présumoit complices, non-seulement des rebelles
jugés ou contumaces, mais encore des personnes
dont on parviendroit a découvrir ]a rébellion, pen-
dant ce laps de temps. La complicité s'établissoit par
des relations de famille ou d'affaires. Tel fut rebelle;
donc il a inspiré au moins des soup~ons dan s le
voisinage. Les voisins n'ont pas révélé leurs soup-
<;ons, ils ont parlé a des traltres; donc ils étoient
complices des traltres, donc ils étolent traltres et
rebelles. Cette jurisprudence appuyée par des Ínter-
rogations captieus'es, par des espions, par des dé-
lateurs a gages, par la concussion des soldats, et
par la torture, fut appliquée indistinctement, merne
a des femmes, et, spectacle horrible O! jusqu'a une
jeune fille de treize ans qui fut noyée. Le but de
cctte monstrueuse déclaration du Roi étoit d'avoil'
de l'argen~ par les amencles et les confiscations : elle
produisit des effets que la tyrannie ne sait jamais
prévoir. A la vérité deux mille Presbytériens ou Pu-
ritains furent jugés et proscrits, mais le . reste se
hata de signer ]e test,. et conspira.


C'étoit le duc d'York qui étoit vpritablernent Roi
d'Écosse, et meme d'Angleterre. Ch~rles paroissoit
quelquefois le sentir vivement; et cornrne s'j} eut
,,'ouIu faire un contrepoids a l'asccndant de son frere ,
¡I rappela an miIlist(~re le COllltc de Snndcrland pou!'




niVOLUTION DE 1688,
les affaires étrangeres. La duchesse de Portsmoutb
le lui avoit, dit-on, persuadé. 11 est probable qu'il
s'y étoit détcrminé de lui-meme; Charles aimoit il
balancel' les partis, meme dans son Conseil. Préfe-
rant son repos et ses plaisirs aux soins pénibles du
Gouvernement ; prévoyant d'ailleurs que l'état vio-
]ent des affaires amtmeroit tot ou tard la nécessité
J'un Parlement, iI sembloit s'y préparer d'avance
et présentoit achaque parti des hommes qui lui
devoient etre chers : Sunderland au parti de l'Exclu-
sion; Halifax, aux Tl'immers 'ou modérés dont iI
étoit le chef; le comte de Rochester aux Anglicans
et au due d'York; le due d'York enfin a touts les amis
et a touts les ennemis duO Pouvoir absolll. Aussi tont
paroissoit cah:ne 'au dehors, ou du moins dompté.
Les Lords de l'Opposition vivoient retirés dans leurs
terres, et le seul Sh~ftsbury bravoit encore la Cour
dans la Cité de Londres, son dernier refuge depuis
que la Chambre des Communes ne pouvoi~: plus etre
un foyer d'agitations populaires.


L'année 1683 fut signalée par la révéIation d'une
noire conjuration dont les détails sont tres-obscllrs
cÍans les actes publics et dans quelques mémoires
contemporains. Absurde et horrible dans son en-
semble; dans son b~1t et dans ses moyens, comme
dans ses véritables auteurs, elle enveloppa cepel1-
dant les personnages les plus célebres <,t les plu~
f:1meux de 1'¡1nglcterl'(,. lJalls )(' complot (h~féJ'(~ p;u




I~N ANGL:ETERIm.


Titus-Oatea, la Heine, le duc d~York,. Rome, la
France et l'Espagne furent accusés de vouloir élever
la Heligion catholique par des massacres et par le
régicide. leí on accusa Russel, Essex, Sidney, de
vouloir établir l. liberté par l'assassillat du Roí et
de son frere. Cet événement, <tui eut des suites
mérnorables, mérite d'etre exposé avec soin, et dé-
gagé de touts las nuages qui l'environnent encore ,
si 1'011 ne consulte que les actes publics. On lui a
donné, daos ces actes, la dénomination unique de
Conspiration de Rye-House; mais il y avoit deux con-
spirations distinctes, ceBe de R)'e-House et ceHe des
Seigneurs <1' Allgleterre et d'Écosse. Elles furent con-
e d 1"'· . tOn ues, paree que une;_ qUI aVOlt ses preuves JU-
ridiques, impliquoit avec des scélérals forcenés des
hommes que leur nom , leur caractere et leur passion
pour la Liberté, avoient rendus dangereux.


Depuis la dissolution du Parlement d'Oxford, le
cornte de Shaftsbury s'abandonnoit aux plus noires
conceptions d'une ame devenue furieuse. Toujours
attaché a nourrir les ambitions fantastiques de Mon-
mouth, et a dominer la faiblesse de ce caractere pré-
sompteux, iI ne l'antretenoit que de l'irritation de
la ville de Londres, et des moyens de faire- une
soudaine irruption contre la Cour. Shaftsbury rai-
sonnoit en orateur factieux qui n'a jamais vu un
champ de bataille. Monmouth, qui étoit guerrier,
savoit la diffprel1c(' prodigicnse d'un mouvement




RÉY"OLllTION DE I G88,
populaire et de la contenance d'une troupc disci-
plinée;' il répondoit toujours qu'une insurrection
étoit impossible., si elle n'étoit soutenue par des
forees régulieres. Alors Shaftsbury lui inspira l'itlée
d'entralner les Gardes qui sal1s doute reeonllol-
troient encore la ~oix de leur aneien général. Shafts-
burJ sauroit bien soulever la . ville de Londres qui
supportoit avec indignation la perte de ses privi-
leges.


Les memes idées avoient déja préoccl'lpé les chcfs
de l'Opposition parlementaire, et entre autres le
député Trenchard, lorsqu'ils s'étoient rendllS armés
et aecompagnés a Oxford. lIs eomptoient particulie-
remen' sur III ville de TélUnton, ou étoit cantonné
le régiment dés Gardes. Enfin, Shaftsbury s'entre-
tenoit perpétuellement des projets les plus furieux
avee les créatures qu'il avoit dans la Cité : West,
avocat fanatique; Rumsey, ancien offieierde CromwelJ,
qui avoit serví ~ous les ordres du maréchal deSchom-
berg, en Portugal; Fergusson, ministre puritain,
dont l'audace égaloit la perfidie; Goodenough, sous-
shérif de la ville, et un nommé Halloway, de Eris-
tol, qui les flattait san s eesse de faire soulever toute
sa"province. Goodenough, entre autres, leur pro-
IDt-'t.toit de mouvoir a son gré quatre mille bour-
geois de Londres, avec lesquels 011 pourroit sur-
prendre la Tour.


Ainsi dominé. Oh5l'di' par le l'omlc d<' Shafbbury,




EN A NGLETERR"E.


qm lui moutroit une courOllne a saisir, Monmonth,
qui avait un immcnse crédit en Écosse par les grandes
propriétés de sa femrne, et par le souvenir de son
expédition en 1679, se flatta aussi d'appuyer, par
le concours des Écossois, les motlvements qui se
pourroient faire en Angleterre.
~Iais s'il s'abandonnoit trop facilement a ces dan-


gereuses illusions, il étoit capable de confi~ce en
des conseils plus sages, et iI s'ouvrit an comte d'Essex,
qui, ne voulant pas etre seul dans ses confidences
hasardeuses, lui proposa le Lord Russel. e'est de
cette maniere que ces deux personnages, les plus
sinceres et les plus> respectés dans l'Opposition du
Parlement, conl;urent les projets désespérés de
Shaftsbury. lis firent comprendre a l'imprudent
::\lontmouth qu'une telle entreprise ne seroit qu'unc
tristp et inutile occasion de malheurs irréparables.
:\ussi Shaftsbury , dans ses fureurs, accusoit-il Mon-
mouth de n'etrc qu'un émissaire de la Cour, Essex
de s'etre laissé acheter pour la vice-royauté d'Ir-
lande, et Russel d'etre la dupe de l'un et de l'autre.
J\Ionmouth, pour apaiser cet esprit emporté, lui
proposa une entrevue qui fut fixée dans la Cité, a
la taverne d'un lloll1mé Sephard, gros marchand
de vin, chez qui se réunissoient touts les membres
de I'Oppositioll .. Moml1outh n 'y tl'ouva que les créa-
tUl'es de Shaftsbul'Y qui lui ·meme ll'y parut poÍut..
Cette cntreVl1e chez Sephard (levint le point capital




nÉVOLUTION 1m J 688,
de tout le proces contre les Seigneurs; il sera lle-
cessaire d'y revenir.


Cependant Essex, Russel, Monmouth lui-meme,
et leurs ami~, reconnoissoient que Shaftsbury ne
s'abandonnoit plus qu'il des conceptions insensées.
lIs éviterent soigneusement de se commettre avec
lui et les siens; ils apprirent avec joie qu'il avoit
précip!trnment quitté l'Angleterre avec Fergusson
qui depuis rentra en Angleterre; et tout en adoptant
cornme principe le droit de résistance ouverte a la
violation des lois, ils admettoiellt aussi que ce ter-
rible droit (s'il existe), ne peut etre justifié que par
des extrémités auxquelles OH n'é!oit point encore
parvenu. Ils se résolvent done a se tenir dans leurs
chateaux, et a s'abstenÍr de toute participation aux
affaires, ne doutant point que la Cour et le dne
d'York ne leur donnassent enfin quelqu'oecasion de
reparoltre sur la scene politiqueo Essex, en parti-
culier, eroyoit que si la spoliatioll des Chartes de
Londres avertissojt suffisarnrnent la nation de songer
a sa défense, un éclat mal dirigé, un mouvement
téméraire entralneroit la ruine de toutes les libertés
publiques. Il n'y a pas loin, sans doute, de ces
idées a l'exécution rneme. Quand l'insurrection est
déla une théorie, la révolte, d'abord spécubtive,
devient inévitablement un faÍt. Aussi les Seigneurs


4rlont on parle conspirerent; mais leuf conspiration,
~nconnup an Gouvernenwllt, r~sta étrangerc a la




EN ANGLETERRE.


eonjqration des créatures que Shaftsbury lui-meme
avoit aballdonnées par un exil volontaire ..


A pres le départ ·de ShaftslJUry, West continuoit
a rcecvoir ses amis au Temple. Dans les grandes
agitations politiques ou religieuses, un des symp-
tomes les plus dangercux de toute soeiété, c'est
l'habitude convcrtie en be~oin, de murmurer, de
déclamer eontn~ tout ce qui émane dI). Gouverne-
ment. eette habitude fatale devient une idée fixe,
premier caractere de la folie, dans les ereurs per-
vel'S ou duns les tetes déréglées. Cette monomanie
qui tournc pcrpétuellement dans le meme cercle,
est bient6t comme un vertige de fanatisme .. Tout de-
vient faeile, tous les obstacles s'évanouissent, le
erime n'a plus ricn d'illégitime. En Religion, le
erime le plus atroee est une inspiration céleste; en
politique c'est le dévouement a la eause saeréc de
la liberté. Ainsi dans les réunions de West, iI n'é-
toit plus question des 4,000 hommes promis par
Goodenough, ni de la révolte de Bristol promise par
Halloway. Le régieide leur parut plus simple. Un
nommé Rumbold, autre officier de Cromwell, leut'
dit a eette oecasion qu'il possédoit a R ye, pres de
Hosden, une maison qui sembloit faite expres pour
surprendre le Roí ct son frel'e quand iIs aBoiellt a
Newmarkct. Enfin, arriva au milieu d'eux, un
nommé Waleot g('nLÍlhollune Anglois dont. Cromwell
avolt l:écolllpcnsé los SCl'viccs par un établisscment.




R~VOLUTION DE r688,
en Irlande. 11 adhéroit a tous les projets de ~oule­
vements dont ils.s'étoient bercé'g el'abord, mais il
combaUit tont projet d'assassinat.


Tandis que ces misérables se livroient ainsio au
feu de leur délire, parut la déclaration au Roi qui
ordonnoit en Écosse la recherche pendant trois ans
de tous ceux qui pouvoient avoir été complices OH
recéleurs des rehelles du Pont de Botwel. Cette dé-
claration jeta la terrenl' dans les Comtés Presbyté-
riens d'Écosse. Monmouth qui déja par le moyen du
lord Grey entretenoit des liaisons avec le comte
<1' Argyle, en Hollande, en voya en Écosse un homme
de confiance nornmé Aaron Smith ~ pour savoir
quel parli on pourroit tirer des hommes qui avoient
fait lee projet de s'expatrier a la Caroline. Des
Écossois de distinction se rendirellt aupres de lui,
a la tete desquels se trouvoit Baillie, Presbytérien
zélé, vieillard qui avoit la réputation d'une austere
vel'tu, et tres-renommé par sa scif'nce dan s les
langues, dans la jurisprudencE:: et dan s les mathé-
lnatiques. n eut .des ..confél'ences nombreuses avec
Essex et Russel. Essex avoit une confiance entiere
dans AIgernoon Sidney qui avoit pris sur son carae-
tere un ascendallt absolu. Sidney s'étoit attaché an
Lord Howal'd, entralné vers lui par la haine qu'il
luí trouvoit pour les nom5 de Roi et de llo)'autl>.
Russel, quoique tres-proche parent de Howard,
avoit contre celui-cÍ LUl(' antipathie invineible, et códa




.EN ANGLETERRE. 32J


cependant aux instances de Sidney pour admettre ce
nouveau confident. Sidney de son coté n'avoit con.-
sentí qu'avec répugnance a recevoir Monmouth, de
quí les prétentions a la Couronne étoient pour lui
un sujet perpétuel de raílleríes. Howard l'y avoit
déterminé. Ainsi AIgernoon Sidney, J\Ionmouth,
Essex, Russel et Howard se trouverent lié!: a des
projets encore vagues, mais dangereux et coupahle~.
Hampden, petit-fils dece fameux Hampden qui plaida
juridiquement contre les taxes levées par Charles ler
sans l'autorisation du Parlement, compléta leur
association.


Les secretes intelligences qu'ils nouerent avec
ceux d'Écosse et avec le comte d'Argyle, ne sont
pas encore bien connues. Mais il est avéré qu'Argyle
entra dan s les projets de Monmouth quels qu'ils
fussent. Il demandoit 20,000 livres ~terling pour
acheter des armes en Hollande, lever un corps de
cavalerie, équíper des llavires de transport, descell-
dre dans ses terres confisquées, soulever ses vas-
saux et les Presbytériells de l'Écosse.


L'année précédente, les députés des Presbytériens
s'étoient tl'ansportés a'la Caroline pour y apprécier
les ressources que leur présenteroit la fondation
d'une Colonie; mais a leur retour ils s'engagerent
dans ces projets d'insurrection, dont ils couvrirent
les préparatifs par ceux. que sembloit exiger la suite
de leur prf'miere entreprise. C'est ainsi qu'ils trai-


I. 21




RÉVOLUTION DE 1688,
terent avec Argyle ponr lui procurer des vaisseaux
et des armes. Tous ces plans regardoient I'Écosse;
et les Prédicants Presbytériens y parloient a leul's


. d' l' d' " amlS un sou evement comme un evenement pro-
chain et inévitable. Si ces projets s'étendoient a
I'Angleterre, et ron est fondé a le croire, il est ce-
IImda~t avéré que rien ne le prouve, et il n'y eut
aucutl argent ele levé pour les faire réussir. Mon-
mouth et Argyle se trouvoient incontestablement les
régulateurs de ce qui· se tramoit contre l'Écosse.
Russel et Essex en avoient certainement la confi-
dence, s'ils n'en étoient pas absolument les C0111-
plices avec Sidney , Howard et Hampden. Touts enfin
espéroient au moins que les événements qui aHoient
se passer en Écosse donneroient aux affaires ac-
tuelles d' Angleterre une autre face et au gouverne-
ment une autre direction. Voilit ce qui parolt le
moins douteux; cal' il faut recevoir avec défiancc
les relations du lord Grey sur le complot de R ye-
House, lorsqu'il eut obten u sa grace apres la ré-
volte de Monmouth en 1685. Le lord Grey pouvoit
savoir la conspiration des eréatures de Shaftshury
qui est proprement celle de Hye-House; mais les
véritables desseins de Russel, Essex et de ses amis
lui furent étrangers, et iI n'y tenoít lui-meme que
par le duc de Monmouth.


Telle étoit la situation respective des deux conspi-
rations, lorsqu'on apprit dans le pubIic l'arrestation




EN ANGLETERRE.


de quelques personnes, au nombre desquelles se trou-
voit un ancien convulsionnail'e de l'armée de
Cromwell; c'étoit Wildman, jadis prophete, répu-
blicain ardent, qui avoit résisté avec énergie a
l'établissement du Protectorat, et qui depuis avoit
un peu calmé sa tete par l'étude de la médecine et
de la jurisprudence. Lorsqu'il fut arreté, on trouva
dans la cave de sa maison deux petites pieces de
canon d'un travail parfait; on les traJ}sporta solen-
nellement a Whitehall, comrne indices certáins d'une
rebeHion prochaine .• Cepeudant ces deux petites
pieces de campagne lui venoient du duc de Bucking-
ham, qui les avoit anciennement fait transporter
chez ce Wildman, son ami, lorsqve son hotel fut
vendu et démoli. -


Deux j<1urs apres, le Roi publia un Édit contre
divers conspirateurs. On y désignoit West et Rum-
sey , qui avoient disparu. Áu premiel' bruit de ces
nouveJles, le Lord Howard alloit déclamant par-
tout sur ces bruits de conspiration : « Tout cela,»
disoit - il, « signifie seulement que la Cour, mal-
« tresse des juré!, ne manquera pas de faux té-
c( moins. » Il étoit chez le Lord R.ussel quand on y
apprit que West s'étoit venu remettre lui - meme
entre les mains de la justice. Il palit a cette nou-
velle. (e Auriez-vous quelque chose a craindrc de
{( West? » Iui dit Russel. - « Absolument ríen, )1
répliqua Howard. «( Je me suis toujours tenu dans


21.




RÉVOLUTION nE 1688,
«( une réserve extreme avec lui. )} Hampden, cepen-
dant, le voyant un jour consterné, lui donna }('
conseil de se cacher, s'il s'étoit compromiso Voici
enfin l' enchalnement de toutes les découver.tes que
6t le Gouvernement.


Goodenough, cet ancien subdélégué d'un shérÍf
de la Cité, s'étoit lié avec un marchand .anabap-
tiste, dont le commerce étoit ruiné, nommé Keeling.
Ce marchand., qui s'étoit prononcé avec furcur dans
les troubles de la Cité, avoit eu l'audace d'arreter
leLord-Maire; etGoodenough, non moÍns factieux,
lui avoit parlé des projets médités contre le Roí el
contre le duc d'York. Mais Keeling, voulant mé-
riter sa grace pour le passé, alla découvrir ce qu'il
sav~it au Lord d' Armoutb, qui le renvoya au ministre
d'État Jenkins. Le ministre luí dit qud' dans une
telle affaire il fallait plus d'un témoÍn.


Keeling avoit un frere qu'il conduisit chez Goode-
nough, avec lequel il s' entretint de Ieurs COIt,ll11UnS
projets. Au sortir de la., iI conduisit insensiblement
son frere au bureau du ministre. La il faUut preter
serment, et déclarer ce qui avoit 'té dit devant lui.
Mais le Roi étoit alors a Windsor; et avant qu'il eut
pu etre consulté, le frere de Keeling eut le temps
d'avertir Goodenough de pourvoir a sa sureté, luí et


.ses amIS.
Lorsque'la déclaration du Roí contre les conjurés


qui avoient pris la fujte, eut été publiée, West et




EN ANGLETERl'W.


RUlllsey, (IUi étoient du nombre, vinrent sponta-
némellt se présentel' l'un apres l'autre. Ils déclarerent
qu'un soulevement avoit été projeté pour le J 7 no-
vembre, jour anniversail'e de l'avenement de la
Reine Élisaheth a la Couronne, Ol! le peuple brule
l'effigie du Pape avec de grandes acclamations,
apres l'avoir portée avec de burlesques cérémonies
dans toute la ville. Rumbold avoit offert sa maison
de Rye aux co'njurés, ponr attendre le Roí et son
frere sur la route de Newmarkct. Rumbold avoit
demandé quarante hommes a cheval, qui auroient
été divisés en deux troupes sous le eommandement
de 'Valcot et de RUlllsey. Walcot consentoit a l'at-
taque des Cardes; mais iI ne vo~loit pas attenter a
la vie de S. M. Rumsey ( l'un des révélateurs ) s'en
étoit chargé. Les conjurés avoient eu de grandes
difncultés a s'entendre. 11 ne s'agissoit de rien moins,
en effet, que de se proeurer quarante hommes et
quarante chevaux, de les armer, de les équiper,
de les cacher, de régler le plan de l'attaque, et
d'aviser aux moyells d'échapper a touts les périls d'une
telle entreprise. Le ROÍ, cependant, étoÍt allé a
N ewmarket ; ils l'attendoient a son retour, lorsqu'un
incendie fit avancer de huit jours le départ de S. M.
Les conjurés n'étoient pas prets alors, pt le Roí re-
vint a Londres sans flvoir été attaqué"


West et Rumsey, qui firent cette révéIation, n'a.-
voient pas ignoré les entrevues. de Monmouth et de




RÉVOLUTION DE 1688,
ses amis avec les députés écossois; mais s'ils ne pou-
voient rien indiquer de ces entrevues, ils en par-
Ierent et tirerent surtout un grand parti de ceBe qui
avoit eu lieu chez Sephard, lorsque Monmouth crut
y trouver le comte de Shaftsbury pour qui elle avoit
été assignée; ils désignerent donc Monrnouth et le
Lord Russel.
~ ces deux noms, le Conseil qui recevoit ces dé~


positions n'osa passer outre, et envoya demander au
Roí ses ordres a Windsor. En attendant, iI se con-
tenta de faire placer ·une sentinelle a la grande porte
de l'hotel du Lord Russel ,commes'il eut voulul'aver-
tir de pourvoir a ¡a sureté. Russel méprisoit trop
Rumsey pour croire qu'il en eut rien a craindre. Pren~
dre la fuite eut été se déclarer criminel; ii attendit
tranquillement, et resta chez lui.


Russel étoit loin de soupc;onner que }' entrevue
qui avoit eu líeu chez Séphard seroit la cause de sa
perte. On a indiqué plus haut quelle importance
elle devoit avoir; il s'agit iCl de la faire connoitre.


Cornme on }'a déja dit, Shaftsbury, chagrin de
voir que les principaux seigneurs mécontents repous ..
soient les projets insensés qui troubloient sa tete ,
les accusoit de s'etre vendus a Ja cour. Monmouth,
pour prévenir les suites de cette irritation, luí avoit
proposé une conférence ch~z ~phard. La veille du
rendez-vous donné, Uussel étoit venu a Londres
pour vOlr son onde, malade. lVIonmouth, prévell~




EN ANGLET.ERRE.


de son arrivée, lui rendít visite, lui parla de l'en-
trevue assignée pour le lendemain et le pria de l'ae-
eompagner, avee le lord Essex. Il y consentit, ayant
d'ailleurs le projet d'acheter du vin de Séphard.
Essex et Russel se rendirent done avec Monmouth,
le lord Grey et le chevalier Thomas Armstrong, au
rendez-vous convenu. Shaftsbury n'y parut pas et ils
fUl'ent surpris de n'y trouver que Rumsey el Fer-
guson. Monmouth et ses amis vouloient se. retirer
sur-le-champ; mais Russel les pria d'attendre qu'il
eut fait son marché avec Séphard, et pendant la né-
gociation de son em plette, Rumspy engagea la eon-
versation avec le chevalier Armstrong sur le plus
ou moins de f~cilité qui se pourr9it trouver a sur-
prendre les Gardes. Armstrong, qui les avoit com-
mandés, cherehoit a lui prouver'l'impossibilité de
toute entreprise de ce genre. La conversation avec
Al'lllstrong se termina quand le lord Russel eut
Jonné ses ordres a Séphard;1 il ne l'entendit meme
pas et il s'étoit retiré immédiatement avec ses amis.


Or, Rumsey avoit déclaré que chez Séphard on
avoit examiné les mOyf'ns que Trenchard, député
des Communes, avoit indiqués Jíl,f)ur faire soulever
les Gardes. Le Roí envoya chercher lord Russel qui
comparut en Conseil devant Sa Majesté. Charles luí
dit qu'il étoit bien éloigné de le soup~onner d'au-
cunc entreprisc contre sa personnc, mais qu'iI ne
pOllvoit Jouler de quelqucs complots formés contre




RÉVOLUTION DE 1688,
le GouvernemenL Russel nia simplement toute con-
noissance des mouvements attribués a Trenchard,
et toute conversation chez Séphard a cette oceasion.
11 fut envoyé a la Tour.


Algernoon Sidney,qui comparut apres 'ui ,se re-
trancha dans une brieve déclaration. II n'avoit
ríen a dire. Si ron avoit des faits et des preuves, il
tacheroit de se défendre en temps et lieu.


Trenchard qui, le premier dans la chambre des
Communes, avoit proposé le hill de l'exclusion, dit
un non imperturbable a toutes les questions. Il n'y
avoit aueune preuve contre lui.


Bai1lie, chef des Députés écossois aupres de Mon~
mouth, parut ensuite avec deux gentilshommes nom-
més Camphell. Le Roi les interrogea lui-meme et
leur demanda s'ils ·a~oient quelque part au complot
tramé contre sa personne. Ils n'hésiterent point dans
leur dénégation. Mais qualld il leur parla de confé-
rences avec les seigneurs anglois pour un souleve-
ment en Écosse, Baillie voulut concilier son amour
naturel pour la vérité avec la crainte de compro-
mettre ses amis par des réponses improvisées. Il
s' emharrassa et d~,¡,nanda enfin la permission de ne
répondre que par écrit. J-Ae~ deux Campbell qui l'ac-
compagnerent, resterent muets de crainte: Baillie
fut mis aux fers. Un autre gentilhomme nommé
Coekrane avoit été mandé, mais seulement pour ses
propos hardis eontre le Duc d'York. Le gouverne-




'EN ANGLETERHE.


ment ignoroit sa complicité avec Argyle; et Cock-
rane, au lieu de se rendre au Conseil, prit la fuite
et passa la mer.


Quant au duc de Monmouth, le Roi au sortir du
Conseil se rendit chez la Duchesse, lui parla ten-
drement des périls de son mari, lui dit que son hotel
seroit certainement visité, mais que les ordres étoient
donnés de respecter son appartement. Monmouth
n'osa se fier a cette promesse e,t se cacha.


Le lord Grey, en revenant a Londres, fut im-
médiatement cité au Conseil, ou iI se conduisit avec
une grande présence d'esprit. Envoyé a la Tour, il
eut assez de sang-froid pour profiter d'un moment
d'embarras. Son gardien tomba sur le seuil meme de
la porte, et lord Grey disparut.


Enfin le lord Howard est cité lui-meme un peu avant
que le proces du lord Russel ne fut commencé. Apres
l' a VOl r . cherché long-tem ps et vainemen t, on le trouva
caché ridiculement dans un tuyau de cherninée : il
pIeuroit a chaudes larmes. A vant qll'il ne fut mis en
cause, iI n'y avoit aucune preuve contre ses amis. Ce
fut lui qui les perdit toutSl pour se sauver lui-meme.


C'est ainsi que fut réunie a la noire et abjecte con-
juration de Rye-Hollse tr;amée par des scélérats déses-
pérés, la conspiration réellement formée par les plus
grands seigneurs de l'Angleterre. L'équité de l'his-
toire ne permet pas de les confondre.


Le lord Howard étoit alIé aux eaux avant l'ex-




330 RÉVOLUTION DE 1688,
plosion de cette affaire. Les seigneurs, dans la dé-
fianee qu'ils avoient de son caraetere, lui dirent a
son retour qu'ils avoient résolu de mettre fin a toutes
leurs délibérations préeédentes, et qu'il devoit se te-
nir comme eux en reposo 11 n'avoit done que de
vagues renseignements a donner. Mais il avoit en-
tretenu des liaisons avee Shaftsbury avant la retraite
volontaire de celui-ci en Hollande, et successivement
avee les créatures qu'il laissoit apres lui .. Howard
déclara done que I'on avoit concerté un soulevement
dans Londres et dans l' ouest de l' Angleterre, que
Monmouth comptoit sur les Gardes et que Trenehard
avolt promis de les enlever de leur eantonnement a
Taunton. La prise d'armes avoit été fixée an 17 no-
vembre; mais il ne savoit pas a qui étoit confié le süin
de la diriger; il Y avoit de plus un Conseil dont il
étoit lui - meme. On y avoit été incertain si le sou-
levement commenceroit a Londres ou dans les prü-
vinces; enfin I'on s'étoit arreté a la résolution d;atten-
dre des nouvelles d'Éeosse. Il ne savoit rien de plus,
parce qu'il étoit alIé aux eaux et dan s ses terres.


Hampden, l'un des six" fut arre té sur les in<lica-
tions données par le lord Howard. Mais comme Sid-
ney, il répondit seulement qu'il se défendroit si ron
avoit des charges eontre lui.


Tandis que l' on cherchoit l~ lord Howard dans
son hotel, un détachement de cavalerie cernoit le
chatean du comte d'Esscx oll iI vi voit retiré, san s




J<:N ANGLETERRE. 331
montrerle moindre signe d'inquiétude, meme a sa
femme, depuis le commencement de l'affaire. On luí
avoit offert de l'enlever sans aucun péril pour lui.
La crainte d'exposer, par une fuite si éclatante, son
ami le lord Russel, qui étoit a la Tour, lui fit re-
fuser ce partí avec fermeté. A l'aspect des cavaliers,
iI éprouva un moment de trouble dont il se remit
sur-Ie-champ, mais qui devint extr~me devant le
Conseil. 11 fut envoyé a la Tour.


Avant d'etre arreté, il avoit subi deux acces de
eette mélancoIie si commune en Angleterre, qui sai-
sit particuIierement les hommes a imagination forte
et chagrine, surtout dans les temps d'orages. poli-
tiques. Il y fut livré en proie dan s sa prison. Un
vieux serviteur de confiance l'y avoit accompagné.
Ill'envoie aupres de sa femme pour la rassurer. On
ue l'accuse de rien de véritable, disoit - il; mais il
est désespéré de causer la ruine d'une femme inno-
cente et de ses enfants, innocents comme elle; il est
done résolu de s'ouvrir de tout ce qui est vrai au
lord Clarendon son beau - frere, et déja il l'a fait
prier de venir auy>res de lui a la Tour. La Comtesse
lui répond sur le champ. (( Élevez - vous,» lui dit-
elle, (e au dessus du malheur. Ne songez ni a moi,
c( ni a vos enfants, si le soin de leur fOJtune peut
ce exposer vos nobles amis. Quels que soient vos se·
« crets, ne confiez rien a mon frere, uu moins j us-
(e qu'alI moment tres prochain 011 je pourrai vous




RÉVOLUTION DE 1688,
« VOlr.» Sur cette réponse, il n'avoua ríen a Cla-
rendon; il avoit seulement desiré, lui dit-il , donner
quelques éclaircissements sur ce qu'il avoít dit au
Conseil. Il renvoya son vieux serviteur a la Com-
tesse. « Votre générosité,») disoit - il, « m'a rendu
« tout le calme qui m'étoit nécessaire. » Il demandoit
divers petits meubles a son usage, particulierement
un canif dont iI avoit l'habitude de se servir pour
ses ongles. C9mme ces petits meubles étojent a la
campagne, et qu'il luí falloit attendre, iI dit avec
indifférence qu'un rasoir lui rendroit le meme office.


Cependant le Roí et le duc d'York étoient allés
a la Tour, pour y voir l' épreuve d'une nouvelle ma-
chine d'artillerie. Au moment ou ils s'embarquoient
sur la Tamise pour ,partir, un grand cri se fit en-
tendre derriere eux, et ils apprirent que le comte
d'Essex venoÍt de se donner la mort, san s cloule
pour conserver a son fils ses biens et ses titres.


L'iniquité naturelle aux faetions et a toutes les
factions ne manqua pas de déclarer hautcment que
cet.te mo.rt étoit l'effet d'un grand crime. Elle fut
attribuée au duc d'York, d'abonl sourdement, et
bicnt6t pubIiquement. En vain les jurés, qui pro-
noncent sur touts les cas d'homicíde, reconnurent
que celui-ci étoit volontaire; en vain le corps d'Es-
sex, remis a la Comtesse sa femme, fut examiné
par son propre chirurgien; en vaín celui-ci constata,
par l'état meme des blessllres, (Iue l'inli.)l'lnné n'a-





EN ANGLETERRE. 333
voit pU recevoir ainsi la mort que de sa main, les
soup<;ons et la calomnie se répandirent avec scan-
dale. Ces rumeurs firent naltre des incidents, exci-
terent des révéla\ions et meme provoquerent des té-
moins dont l'age innocent accréditoit les récits. Enfin
la Comtesse, qui ne pouvoit rester indifférente a ces
rtllneurs, fit faire elle-meme les recherches les plus
exactes, décidée a réclamer une vengeance éclatante,
s'il étoit vrai qu'elle eut perdu son mari par un tel
crime. Elle n'y trouva aucune vraisemblance. Néan-
moins, un nommé Braddon, nat.ellement porté a
l' exagération, s' échauffa tellement qu'il entreprit,
en son propre nom, de poursuivre la recherche de
la vérité, quelle qu'elle fut. Une réunion de faits sin-
guliers, de circonstances fortuites, se présentoit a
son esprit déréglé, comme une démonstration contre
la cour. Arreté et cité en justice, par suite de ses
violents discours, il fut condamné, comme subor-
neur de témoins, a 2,000 livres sterling d'amende.
Mais l'impression resta dans les esprits, et plus tard
le meurtre d'Essex fut imputé au Prince dans les
manifestes de .Monmouth et dans les pamphlets pu-
bliés pour le prince d'Orange. Cependant s~, indé-
pendamment de toutes les preuves morales, il existe
des faits matériellemellt prouvés aux yeux' de la jus-
tÍce et de l'histoire, c'est l'illllocence du duc d'York
et de la cour dan s ce déplorabJe événement.




SOMMAIRE .




1683 - 1685.


Suite de la double Conspiration. -Prod~s du Lord Russel.-
Chartes de Londres. - Prod~s d' Algernoon Sidney. - Proct-s
des divers Conjurés <1' Angleterre. - Prod~s des Conjurés
d'Écossc.


Soumission de Montouth, et sa rétractation. -Réactíons.-
Sermon du Docteur Burnet.-SymptcJmes d'un changement
de systeme daos le Gouvernement. - Le Roí veut éloigner Ip
Duc d'York.-Mort de Charles 11.




nÉVOL. nr:: 1688, EN ANGLETERRE. 335


LIVRE VII.
u ¡¡- .. =


1683-1685.


LE prod~s des accusés avait commencé par ceux
d'entre eux qui appartenoient a la véritable conju-
ration de Rye-House. Toute preuve manquoit a
l' égard d'Essex, Russel, Hampden et Sidney. Il
importoit cependant a la Cour de persuader au
peupIe qu'il existoit un complot de régicide dans
les chefs les plus élevés de l'Opposition, et la pro-
cédure fut conduite dans ce dessein. Walcot fut le
premier mis en cause et convaincu, ail1si que HOl1e
et Howse, d'avoir tramé dans divers conciliahules,
non-seulement la révolte contre le Roi, mais encore
l'assassinat du Roi; ils furent condamnés au sup-
plice des traltres.


Quant au Lord Russel, des qu'il se vit prison-
nier a la Tour, iI ne douta plus de sa destinée pro-
chaine, et ne s' occupa que de mourir dans les sen-
timents de piété qui luí étoient naturels. Un comité
du Conseil s' étoit transporté aupres de luí pour l'in-




336 RÉVOLUTJON DE 1688,
terroger ,sur ses relations avec les Écossois. Le Lord
Howard n'étoit point encore arreté; la Cour n'avoit
sur ce point que des soupc;ons. Russel répondit avec
douceur qu'il n'étoit point assez préparé, mais qu'il
tiendooit ses réponses pretes pour le Tribunal. Sid-
ney répondit avec hauteur au meme comité: « N e
(e cherchez point, » dit-il, ee a m'extorquer, par l'ar-
« ti6ce de vos questions, les preuves que vous n'avez
« point. Je n'ai rien a vous dire. )1


Ce mémorable prod~s tient de si pres aux événe-
lnents du regne suivant qui s~approche, qu~il est
impossible de ne pas donner quelqu'étendue a la
relation des faits principaux; ¡ls intéressent, d'ail-
leurs, des hommes qui conservent un grand nOl1l
dan s la mémoire. Ces faits signalent aussi le com-
mencement de la catastrophe qui doit changer la
face de l' Angleterre et de I'Europe. L'histoire enfin
ne seroit une le\:on ni pour les peuples ni pour les
hommes d'État, si elle se bornoit a ne montrer que
l'ex~rieur des révolutions, oubliant qu'elle doit sur-
tout montrer comment elles se préparent et s'ac-
complissent.


La cause du Lord Russel fit naltre, devant le
Tribunal, des incidents sur le droit assez remar-
quables. D'abord la légalité des jurés fut attaquée;
ils étoient bourgeois de Londres, mais ils n'étoient
pas gens de fit;f, comme la loi l' exigeoit. La com-
pétence fut discutée : l'llsage prévalut, et avec rai-




}~N ANGLETERRE.


son; il étoit conforme a l'intention meme du statut,
puisque les membres d'une corporation tel!e que la
Cité de Londres, sont ou peuvent etre plus riches
en capitaux et en effets de compagnies commer-
<;;antes, que les plus riches propriétaires fonciers.


Le Lord Howard avoit cité la réunion chez Sé-
phard, ou, disoit-il, on avoit agité la question d'en-
lever les Gardes. Séphard déclara que Russel y étoit
venu deux fois, et se joignit a Rumsey qui affir-
moit le consentement du Lord a ce projet; mais ni
l'un ni l'autre ne pouvoit citer aucune de ses pa-
roles; et comme rien n'étoit argué sur les affaires
d'Écosse, Russel n'avoit a se défendre que sur un
tilit quí jamais n'approcha de sa pensée, celuí d'une
conjuratíon contre la vie du Roi.


Ses défenseurs s' éleverent contre le témoignage
du Lord Howard, qui, selon eux, ne pouvoit etre
juridiquement admis. ( Cet homme, disoient-ils, a
« pris Dieu et les hommes a témoin que la con-
« spiration étoit une imposture, et que jamais au-
« cun des accusés ne lui en avoit parlé. Recevrez-vous
« aujourd'hui, comme témoignage, ses infames désa-
« veux?)J Le Solliciteur général répondit par les prin-
cipes du droit : « Howard, complice lui-meme, avoit
« trop d'intéret a nier la conspiration avant d'etre
« arre té , pour que ses premieres dénégations mérí-
« tassent la moindre attention; c'est d'ailIeurs la
( marche naturelle a tous les conspirateurs. »


r .




338 RÉVOUJTJON D"E 1688,
Une objection plus sérieuse fut produite en faveu!'


de Russel. « Sur quelle loi faÍtes-vous le proct~s?
« Adoptez-vous le vieux statut de la vingt-cÍnquÍ(~me
(e année d'Édouard III, ou le statut qui a défini les
« crimes de haute trahison pendant la vil' dll Roi
« régnant? Par ce dernier statut, la prescription est
« acquise au bout de six mois, et l'entrevue chez
« Séphard est tres-antérieure. » Les juges adopterent
celui d'Édouard.


Alors Russel demanda que ron cit:h contre lui
une seule des actions définies par cette loi. Or, par
ceHe d'Édouard, le législateur distingue deux especes
de trahison : I'une est l'intention et l'entreprise
d'6ter la vie au Roí; l'autre est l'entreprise actuelle
oe faire Ja guerre contre lui. De plus, suivant Je
statnt porté sous la Reine Marie : « Le concours dp
« deux témoignages est exigé sur quelqu'acte forme]
« qui tende a J'exéctltíon de run ou de l'autl'e de
« ces deux- crimes. » On répondit que la seule pen-
sée' d!attenter a la vie du Roí, lorsqu'elle étoit ma-
ni'festée par desfaits extérieurs, étoit un des crimes
pr.évus~Lf's avocats<Hale et Cook prouverent immé-
diatement, par le texte meme, qu'il s'agissoit dans
le statut, nonpas d'un dessein uniquement, mais
d'un dessein et d'une entreprise contre la vie du Roi.
Cependant, et quoique jamais en Angleterre 011
rt'eut adimis dans la dénomination de Cardes le
sens qui s'attache an titre de Gardes-du-Corps,




EN ANGLl<:TERRF.


dans les autres royaumes, et qu'il n'y eut qu'une
seule dénómínation universelle a touts les corps de
l'armée, ceBe des troupes du Roí, le ministere public
insista sur ce noni. de Cardes, pour indiquer une
résolution formelle d'attenter a la personne meme
du Roí, ce qui constituoit le erime de régicide.
Howard lui-meme affirma sous serment que jamais
on n'avoit eu eette pensée. Mais les magistrats ad-
mirent en fait que le dessein du régicide étoít la
conséquence natu('elle du desseÍn d' enlever les
Gardes du Roí.


Le Lord Russel avoit l'ame trop élevée pou}'
ehercher ailleurs que dans la vérité meme la défense
de son honneur et de sa vie. De subtiIes discussions
de droít, et ee qu'on nomme en Franee les ques-
tions préjudicielles, lui paroissoient peu eonvenables
a sa propre dignité; iI demanda que l'on entendlt
ses avoeats sur le sens et l'applieation de la Ioi,
par rapport au projet imputé d' enlever les Gardes
du Roí. Les juges rejeterent sa demande, sur son
refus de reconnoltre d~abord eomme vrais les faits
allégués par les témoins.


Il eut alor8 la pensée d'avouer avec la franchisc
naturelle a son ereur. la vérité toute entiere, en Cl'
qui lui étoit personnel. Ses amis qu'il consulta I'y
engagerent,certains qu'il ne pourroit etre eondamné
tout au plus qu'a la peine méritée pOUl' n'avoir pas
révéJé uní' haute trahison. Mais ses avocats, plus


22.




340 RÉVOLUTION DE 1688,
instruits que lui des maximes de la jurisprudenee,
lui prouverent aisément l'essentielle différenee qui
existe entre ne pas approuver les desseins sur les-
quels cependant on délibere, et ne pas révéler ces
memes desseins, lorsqu' on les connolt sans y prendre
parto Il renon~a done san s peine a sa pensée, Jaissant
aux juges le soin de déeouvrir ce qu'ils vouloient
apprendre, et aux jurés celui de se déclarer dans
l'intégrité de leur conscience. Jl parla peu, mais tou-
jours avec digllité.


Ce fut clans la derniere séance du proces que l' on
apprit la mort du comte d'Essex. Le ministere pu-
blíc en tira un parti terrible contre l'aeeusé sur
l'esprit des jurés. Illeur montra qu'en se donnant la
mor! Essex confirmoit la eonspiration. Russel fut
condamné. Immédiatement apres, il fit dire a Séphard
qu'illui pardonnoit, en le priant de se rappeler qu'il
n'étoit alIé qu'une fois dans sa maison. Séphard
éperdu ne put rien répondre, sinon que son trouble
devant les juges ne lui avoit laissé dans l'esprit au-
enne liberté.


Lorsque le jugement fut porté, ses amis le solli-
citerent de consentir a demander sa graee an Roí.
Il les y autorisa, sous la condition que 1'0n n'exige-
roit de lui aucune démarche qui entralnat un aveu
implicite du crime dont il étoit innocent,c'est-a-dire,
le projet d'assassiner le Roí. Il fit offrÍr d'aller vivre
hor-s de l' Angleterre, et clans tel pays qu'il plairoit




}:N ANGLETERRE. 34r
a Sa Majesté, promettant d'y rester étranger a toute
affaire politiqueo Sa femme, qui étoit la fille et l'hé-
ritiere du comte de Southampton, implora aussi la
démence royale a vec un torrent de larmes, offrant
les vertus et les services de son pere en expiation


.


des erreurs qu'un sentiment exagéré de patriotisme
avoit pu inspirer a son mari. Le comte de Betford,
pere de Russel, offrit 100,000 1. sterl. a la duchesse
de Portsmouth. La cupidité de la favol'i te et le res-
sentiment du Roi furent invincibles. Charles 11 n'ac-
corda d'autre grace que la remise de ce qui est
ignominieux dans les sentences de haute trahison.
« M ylord Russel,» dit-il, « éprouve aujourd'hui que
«je possede la prérogative qu'il m'a disputée dans
{( l'affaire du comte de Danby.» Hélas! le temps
viendra aussi que Jacques n invoquera le secours
du comte de Betford, et le vieillard lui répondra :
Sire! j'avois un fils!


La veille de l' exécution, Waleot, Hone et Howsc
subirent leur supplice. Walcot sur l'échafaud s'avoua
coupable, mais iI nia la réalité de tout complot
arreté. Il déclara « que souvent iI avoit été question
« de tuer le Roi, mais que tous les détails donnés
« par W est et Rumsey étaient une fable de leul'
« fa<;;on pour accréditer leul' témoignage. Il avoit


. « cO,mbattu», dit-il, «les propositions de West pomo
« l'assassinat; lorsque celui-ci promettoit la protec-
(C tion de Moumoulh , iI luí répondoit qué le duc de




niVOLUTION DE 16H8,
({ Monmouth , au contraire , s'il montoit sur le trone,
« seroit le premier a punir de tels attentats.» Hone
s'avoua également coupable de s'etre trouvé a ces
détestables conciliabules, témoigna un vif repentir,
et protesta « que ceux des accusés de distinction
« qu'il c~nnoissoit n'avoient pris aucune part a ces
« ténébreux cOInplots.» Le lord Russel qui devoit
etre exécuté le lendemain, sentit son ame soulagée
en apprenant ces déclarations, qui séparoient ainsi
les deux complots confondus dans un seul par le
Gouvernement.


Il avoit re«;u et Iu sans s'émouvoir la sentence que
lui apporterent les shérifs, et conserva jusqu'a la
fin une douceur inaltérable, animée par une piété
tout-a-Ia-fois douce et fervente. Il s'occupa soigneu-
sement de son apologie, dont il remit trois copies
signées de sa main a milady Russel, qui soutenoit
maintenant son malheur avec une noble et tendre
constance. Il écrivit ensuite une lettre au Roí, de-
mandant pardon a Sa Majesté de tout ce qu'iI avoit
pu faire contre son devoir. « Jamais, ») disoít-jI, « je
« n'ai trempé dans aucun dessein préjudiciable ni a
« votre personne, ni a votre dignité. Aucune de
« mes actions ne m'a été inspirée que par les mouve-
(e ments d'un zele ardent, mais sincere pour les vé-
« ritables intérets de la COUl'onne et du pays. Quoi-
« que durement traité, je pardonne sans peine a touts
« ceux qni m'ont desservi aupres de Vous. Que ma




,EN ANGLETJmRE.


tI JllOrt appaise au moins, Sire, le mécontentemcllt
«( de Votre J\-lajesté ; je veux monrir dans laconfiallce
(1 que lIla femme et mes cnfants n'en seront pas la
(( victime comme'le pere. » Apres sa dernieí'e entre-
vue avee milady Russel, entrevue qu'il soutint ayec
une tendre gravité, il dit: « L'amertume du calice
«( est passée.» Le matill , il dormoit d'un profond
sommeil quand on l'éveilla. Il monta sa montre en
disant : « Le temps n'est plus, l'éternité va com-
(i lnencer. »


Lorsque les shérifs se furent présentés pou!' le
conduire a l'échafaud, iI trouva le lord Cavendish
(lui l'attendoit sur l'escalier de la Tour pour l'em-
brasser. Cavendish avoit déja voulu changer de ve-
tements avec luí poul' qu'íl s'évadat. Russel ne l'avoit
pas permiso Du fond de sa retraite ignorée, 1\10n-
mouth avoit également voulu se montl'er pour l'al-
ler voir a la Tour. Il s'y étoit opposé. Apres avoir
re<;u le dernier embrassement de Cavendish, il Si'
retourne précipitamment vers luí: « Mon ami, ~) luí
dit-il, « je vous en conjure, pensez a la Heligion.
« Vous ne pourriez comprendre combien de force el
« de consolation j'y ai puisé dansmon lnalheur!»


Toutes les riles qu'il travers.a, de la Tour au
líeu du supplice, étoient occupées par une innom-
brable ll1ultitude, et chacun suivant ses propres
sentimeuts, le couvroit d'ínjures ou de marques de
compassion. Burnet et Tillotson l'accompaguoient




RÉVOLUTI0N 1m 1688,
dan s son carrosse ; il chantoit les Psaumes avec eux.
Arrivé sur l'échafaud, il remit aux shérifs la qua-
trieme copie de son apologie , et prenant la paro le ,
iI protesta en peu de mots que jamais il n'étoit entré
dans aucun de3sein qui eut pour but d'attenter a la
vie et a la couronne du Roí. Il pria Dieu pour Sa
Majesté et pour la Religion protestante. Ensuite il se
recueille un moment pour prier en silence; il se
déshabille, et d'une contenance modeste et ferme,
il tend sa tete au bourreau, qui ne la fit tomber qu'au
second coup de hache.


A peine l' exécution étoit consommée que son
apologie étoit publiée dan s toutes les rues de
IJondres. La Cour en fut justement alarmée. Russel
y avoit travaillé avec soin; elle montre tout-a-\a-fois
une ame sincere et une imagination arden te. Les
sentiments qu'il y exprimoit devenoient d'autant plus
dangereux pour la Cour qu'ils étoient populaires,
et qu'ils paroissoient au peuple signés du sang d'un
martyr de la Religion et de la liberté. L' Angleterre
excusoit sans·peine ce qu'elle soup<;;onnoit des dé-
marches de Russel pour un soulevement; mais elle
ne voyoit qu'un arret porté sans preuve légale et
par une torture violente donnée a la loi. Elle ne
croyoit pas surtout que Russel fut le moins du
monde complice des scélérats qui la veille venoient
d'etre conduits a l'échafaud. La Cou!' elle-meme ne
le croyoit paso L'attendrissement excité par sa fer-




EN ANGLETEURE. 345
meté modeste sur l'échafaud, par le souvenir de ses
vertus privées, par la lecture de sop apologie, fut
universel et profond. De telles émotions dans les
peuples sont une révolution commencée. C'est une
grande question que ceHe de la clémence dans cer-
tains crimes d'État et dans certains coupables. Une
ame vraiment royale eut pardonné peut-etre au lord
Russel; le péril du pardo n n'eut jamais surpassé le
danger d'etre inexorable. Mais Charles II avoit laissé
périr le vicomte de Stafford, qui étoit innocent.


Il n' est pas sans intéret de savoir comment l' Am-
bassadeur de France rendit compte de ces événe-
ments au Roí son maltre. On voit dans son rapport
la réserve d'un courtisan qui n' ose ni cacher ni faire
connoltre toute l'impression qu'ils faisoient sur l' An-
gleterre. La position de l' Ambassadeur étoit alors
des plus délicates, puisqu'il avoit été chargé d'ex-
citer, de corrompre me me les chefs de l'opposition
parlementaire.


n avoit d'abord écrit ave e une simplicité toute
laconique, et sans autre réflexion, que le comte
d'Essex s' étoit coupé la gorge avec un raso ir. Plus
tard il annoncera, dans un postscriptum remarquable
par son énergique briéveté: M. de Sidné (Sic) a
eu le coa coupé. Voici comment il parla de I'exé-
cution de Russel dans sa lettre du 3 aout.


({ M ylord Roussel en t, samedi (3 1 j uillet ), la tete
('( coupée sur la place de Lincoln-in-filds (Lincolns-




RÉ\'ULUTlO.:\' J)t~ I G~8,
(t inn-fields). 11 Y avoit des tl'oupes d'infallterie el de
« cavalerie. La place est tres grande et il s'y trouva
« un nombre infiui de personnes et de spectateul's.
t( l\lylord Roussel témoigna beaucoup de fernwlé
« (comme font ordinairement les Anglois en mou-
t( rant). Il dit en peu de mots qu'il mouroit pour
« etre hon protestant, et que touts ceux qui l'étoient
({ devoÍent se réunir pour s' opposer aux entreprises
« des Papistes. Il protesta de n'avoir rien su de la
« conspiration contre la personne du Roi d' Angle-
« terre , mais íI ne dénia pas d'avoir eu connaissance
« de ce qui se projettoit pour s'opposer a un Gou-
« vernement arbitraire et remédier aux désordres de
« l'État. JI donna un écrit au Shérif Nort (North),
« qui a été porté a Sa Majesté Britannique. Le doc-
« teul' Burnet et le docteur Tilleson ( Tillotson ) l'as-
« sistoient; ce sont deux Presbytériens fort renom-
« més. Plusieurs personnes tremperent 1~'Jrs mou-
« choirs dans son sango e'est une coutume parmi les
t( Anglois, qui marque leur vénération pour celui
(C qui meurt. Le peuple fut fort tranquille et on garda
ti un profond silence. Les sentiments étoient fOl't par-
« tagés. Beaucoup disoient que c'étoit un traltre qui
« méritoit la mort; d'autres, en aussi grand nombre,
t( disoientqu'il n'étoit pas coupable, et que les té-
« ll10ins qui avoient déposé contre luí n'étoiellt pas
({ valables.


C( On ne íera pas sitót le procCs aux alltres pri~




EN ANCLE1'.EltlU~.


(( sOl1lliers. Les juges sont aJJés dans les provillces
({ tenir les assises accoutumées. »


Le départ des J uges avoit suspendu le prod~s des
autres prisonniers. Pendant cet intervalle, l'Hotel
de ville fut sommé de rendre ses chartes, en exé-
cution de l'arret qui l'avoit ordonné. Cet ordre , mis
en délibération, excita de fortes oppositions. Touts
les membres des Corporations, disoit-on a l'Hotel
de vilIe, font le serment de conserver des Privileges
donl ils sont les dépositaires et les protecteurs. « At-
« tendons au moins que le Roi lui - meme naus les
( enleve. » Cet avis prévalut; aussitot les chartes sont
arrachées de vive forcc, I'H6tel de ville est fermé,
le Roí se réserve la nomination des magistrats, et
casse plusieurs Échevins ou ofIiciers de la ,cité. Il
prend une pareille mesure pour d'autres villes du
Royaume, et leur envoie de nouvelles chartes.


Par le droit public de l' Angleterre, touts les pri-
vileges (privata? leges) des cOl'porations émanent de
la Couronne , qui a droit sans doute de les révoquer,
mais de les révoquer apres un jugemcnt légal. Ce juge-
ment étoit porté contre la ville de Londres. La Cou-
ronne étoit donc ici dans son droit. Aussi la question
se borne-t-elle a savoir si l'exercice de ce droit étoit
un acte de sagesse. Plus tard Jacques n fera reporter
en pompe a l'Hotel de ville par le Ghancelier d'An-
gleterre eette meme charte que la ville ne vouclra
plus reccyojr, sans UIl jugement qui cassc le premier.




348 RÉVOLUTION DE 1688,
:Mais cette affaire des chartes, si grave daus un


pays ou tout se traite légalement, avoit pour véri-
table cause la nécessité des affaires du Roí. Au I?
juillet, Charles n'avoit rec,;u de la France que
380,000 livres sur le paiement du subsid~ de la se-
conde année quí étoit révolue de~ le 1 er mars l. Les
Ambassadeurs de l'Empíre, de la Suede et de la
Hollande lui proposoient de se reridre médiateur
entre la France et I'Espagne; de son cOté, I'Espagne
lui offroit de l'argent s'il vouloit la soutenir eontre
les bostilités de Louis XIV. Le duc d'York s'étoit
empressé d'en donner avis a I'Ambassadeur Barillon.
Celui - ei rec,;ut ordre de payer 350,000 franes, a
compte sur la seconde année du subside, faisant es-
pérer un paiement prompt des 770,000 franes qui
devoient la compléter. Mais en eompensation du re-
tard actuel sur le subside, Charles re~ut de la eoUl'
de VersaiIles d'amples félieitations sur la découverte
du Complot de Rye-House, avec l'offre de livrer
touts les conspirateurs qui se pourroient trouver en
France. Barillon re~ut aussi l'ordre de ne payer les
770,000 franes qu'en prenant ses suretés sur les
démarches éventuelles du Roi. Et en effet, lorsqu'il
pronon~a la dissolution du Parlement d'Oxford au
mois de mars 1681, Charles s'étoit engagé a convo-
quer un autre Parlement daos les termes fixés par


1 Lettrc.s de Barillon.




EN ANGLETERRE. 349
le bill tricnnal, e' est - a -dire dans les trois ans. Ce
délai approehoit de sa fin, les Ministres sollieitoient
le Roi de ne violer ni la loí ni sa paro le; déja des


• éerits se publioient pour rappeIer l'un et I'autre;
Charles n'en étoit pas fort éloigné, pressé eomme
il l' étoit par ses alliés naturels, et par la gene qu'il
éprouvoit de l'impériellse économie de la France. 11
lui falloit done se préparer les moyens de maitriser
les élections, a tout événement, et l'affaire des chartes
n'avoit pas d'autre but. Il est vrai que son frere y
voyoit une conquete de la Couronne sur les libertés
publiques. Touts deux y trouvoient encore un avan-
tage immense pour des ames peu généreuses. En
dénaturant l'institution des jurés, ils se vengeoient
de leurs ennemis qu'ils frappoient a coup sur du
glaive de la justice. Dans le droit des Chartes, le
Lord Maire nommoit les Shérifs, qui nommoient
les Jurés, et le Lord Maire étoit élu par les Commu-
nautés de la Cité. Ces diverses fonctions dépendoient
maintenant de la Cour, qui eut ses jurés dévoués a
toutes ses volontés. Il est juste aussi de reconnoitre
que l'Hotel de ville étoit devenu un foyer de factions
dans ces derniers temps. Charles usa de représailles
comme sur un champ de bataille; mais la soeiété
n'est pas un état de guerre, et les Gouvernements
qui ne savent imiter que la justice des faetions se
soumettcnt par la meme au droit de la force qui
tot on tard peut les accabler. Quoi qn'il en soit, le




350 R~VOLnTTON DE .688,
Roi, toujours indécis entre ses alliés et la Franee,
ajourna la qnestion du Parlement qu'il avoit promis,
laissa au due d'York les sojns du Gouvernement.
et attendit que le temps dénoUélt les diffieultés prp-
sentes.


De meme que les corporatiolls subirent d'im-
menses ehangements, la magistrature ent aussi les
slens, et ce fut alors que parut au poste éminent de
Lord Chef de justiee Jefferyes, déja eonnu par un
zele brutal et farouche, surtont par un talent dont
il resta l'éternel modele, celui de plier et toNnre!'
les 10Ís a toutes les iniquités. Le proces des eonspi-
rateurs fut repris sous ses auspices apres les as-
sises des provinces, et reeomnwnc:a par AJgernoon
Sidney.


Les jurés, eomme dans le proces de Russel, ne
possédoient aucun bien fonds : Sidney les récusa.
«( On a déeidé ce point dans l'affaire du Lord Russel, )1
répliqua Jeffcryes~ et il ne pennit pas que la ques-
tion fut examinée. L'iniquité étoit palpable, puisqut'
le proces se jugeoit, non pas devant des jurés de ]a
Cité de Londres, mais du comté de'Middelsex. Quant
au fond de l'affaire, on n'allégua nuI faÍt positif.
A la vérité, le Lord Howard avoit dit qu'il existoit
un comité des six, dont il étoit membre avee Sidney.
Mais la s'arretoit la preuve. Quant aux deux autres
témoins, West et Rumsey, ils affirmerent spparp-
l'l1ent l'existence du comitp. ma's spu]ement par OH!




EN A NGLETERRF. 35,
dil'e; West l'avoit apprise de Rumsey qui J'avoit
apprise de West. Ainsi, par le fait, Howard se trou-
voit senl et unique témoin : la loi en exigeoit deux.


01', dans les papiers de Sidney, s' étoi t rencontré
un manuscrit de sa main, lIon encore achevé, sorte
de réponse a un écrit du temps, intitulé le Pa-
triarche, et dont l'auteur fort obscur, nommé
Filmer, s'attachoit a démontrer le droit divin de
l'antorité royale. F'ilmer remontoit tres-haut. ( Dieu, )l
disoit-il, « a donné la souveraineté du monde an
re premier pere, qui l'a transmise telle qu'il l'avoit
« rec;;ue a son premier né; ainsi oe génération en
« génération: et voila comme les Rois sont les héri-
« tiers du fils ainé du premier pere ou du premier
( patriarche l.»


Ce raisonnement ne parut pas péremptoire, au
moins dans l'application, a Sidney qui d'ail1eurs
adoptoit pleinement dans son principe et dan s ses
conséquences le dogme de]a souveraineté du peuple.
Dans sa réfutation, il répondoit a Filmer que, « si
« le droit des princes souverains résulte de leut'
« descendance de Noé par· le fils ainé de ce pa-
c( triarche, ils sont tous par le fait des usurpateurs,
« puisqu'il n'est aucun d'eux qui puisse établir une


1 Ce systeme a été renouvelIé de nos jours, dans un Livre in-
titulé De l' Aulorité, puhlié par M. l' Abbé T**, a son retou,·
d' Angleterl'e.




RÉVOLUTION DE ] 688,
« pareille généalogie. Si,}) continuoit-il, (e un seul
c( existoit qui fut capable de produire une telle dé-
« monstratÍon, celui-Ia seroit le seul souverain Ié-
« gitime au monde et du monde.» Le développe-
ment de ces idées l'avoit conduit fort loin contre le
gouvernement monarchique. Son esprit exalté ne
lui faisoit concevoir qu'un seul hon gouvernement,
la République; et cependant il convenoit quelque-
fois qu'une République périroit nécessairement en
Angleterre, par le seul fait de l'établissement né ..
cessaire d'une armée. Quoi qu'il en soit, ce roman
inédit de ses reveries républicaines fut un heureuse
découverte pour le génie inventíf de Jefferyes; il
en fit le second témoin qui manquoit au prod~s.


({ La loi, » disoit-il, (e exige deux témoins; mais,
« pour les cas de haute trahison, il suffit d'en avoir
« d'abord un qui dépose sur le fait meme, el ensuite
( un second qui dépose sur une circonstance que
« l'on peut y rapporter, comme celle d'avoir vu
« acheter un couteau. 01', dans l'affaire présente,
« le Lord Howard est le témoin qui affirme qu'il
« s'agit d'un régicide, et que l'accusé étoit du co-
« mité des six. Que fant-il de plus maintenant que
« ce livre me me de l'accusé, pour prouver ses des-
« seins régicides? »


Le Solliciteur général Finch mit le sceau a cette
monstrueuse interprétation en soutenant que le livre
étoit ce que ]a loi nornrne actioTl forrnelle. « Or, »




EN ANGLETEHHJ<:. 353
s'écl'ia-t-il avee emphase, e( scribere el agere,
(e ullum est el idem. » Sidney fut condamné ; iI remit
au marquis d'Halifax un mémoire ponr le Roi; il
Y supplioit Sa Majesté de vouloir elle-nH~me examiner
ce prod~s. Jefferyes, qlli en fut informé, s'écria, dans
un transport de fureur, que sa tete sauteroit ou eeHe
de Sidney. Pendant le proces, Sidney avoit souffert
les démentis, les in terrupt~ons, les insultes meme
de Jefferyes avec une moc~ération étonnanf4 ponr
tous ceux qui connoissoient I'empol'tement naturel
de son caractere. Quand les shérifs lui remirent la
sentence, il la lut froidement, et leur dit ave e dou-
ceur qu"il leut' pardonnoit. e( l\faís, » ajouta-t-il,
« faítes un retour sur vous-memes. La justice du
« Ciel vous demandera compte de ma vie, que vou~
« avez livrée en choisissant des jurés sans foí et
« vendus ¡l mes ennemis. )} Un des shérifs répandit
des l~rmes. Sidney écri vit ensuite son apologie qu'il
leuI' remit sur l'échafaud.


Sidney n'avoit sur la Religion que des sentiments
sans arret, aussi peu réglés par des principes que
ses opinions politiques; c'étoit un déisme vague.
Cepelldant il appela des ministres puritains auxquels
iI exprima la douleur que lui inspiroient ses fautes.
II parut an supplice avec intrépidité, pria un mo-
ment, et re<;;ut le coup mortel. L' Ambassadeur de
France manda cet événcment a Louis XIV, dans une
lettre du 31 décemLre, ou iI parloit de Monmouth.


l. 23




R~VOLUTION DE 1688,
1] dit simplemcnt : «( M. de' Sirlné a eH J(, COU
« coupé; iI n'a point parlé en mourant, comme
« font ordinairement les Anglais. »


Le témoignage de West et Rumsey devenoit de
plus en plus si décrié, qu'a peine osoit-on l'oppo-
seraux accusés qui restoienUljuger. Aussi, Hampden,
qui étoit du comité des. six, ne pouvant etre con-
vaincupar l'unique témoignage du Lord Howard, fut
condaMné a une amende de 40,000 livres sterling.


Des six qui dirigeoient l'entreprise d'un souleve-
ment en Écosse, mais contre lesquels il n' existoit
aucune preuve, et qui ne pouvoient légalement
etre condamnés que par l'adjonetion de leur com-
plot a celui des eréatures de Shaftsbury, Essex s'é-
toit donné la mort; Russel et Sidney l'avoient subie
par jugement; Hampden se trouvoit en quelque
sorté dévoué a une perpétuelle prison, par I'impos-
sibiJité de payer son amende; Howard (~chappoit a
toutes les peines légales par ses aveux. Le due de
Monmouth restoit seul a punir, également protégé
par sa retraite inconnue, et par la tendresse du Roí.


I.Jes Écossois eompromis devoient etre jugés en
Écosse, ou ils avoient été renvoyés. Quant aux com-
pIices de West e~ Rumsey , qui étoient encore sous la
main de la justice en Angleterre, iI ne restoit plus
qu'Halloway et le chevalier Armstrong. Halloway,
qui étoit jugé déja par contllmace, fut prís en Amé-
rique; il avoua que lui et deux autres s'étoient char-




EN ANGLETERR]~. 355
gés d'une entreprise pour faire soulever la· ville de
Bristol; que les rnécontents de ce pays, s'ils se pro-
non~oient, devoient se porter avec eux sur le can-
tonnement des Gardes, a Tannton, pour les en-
traIner; que ces tentativesn'avoienteu aucune suite;
que West pt Rumsey proposerent d'assassiner le Roí
et le duc son frere; qu'il ne voulut jamais entrer
en délibération sur un projet si criminel; que West,
Rumsey, Rumbold et son frere approuvoient seuls
cette proposition, avec un cinquieme qui ne fut pas
nommé. On crut qu'il s'agissoit de Ferguson,qui
étoit revenu de Hollande, ou peut - etre de Goode-
nough. Ses aveux et son discours funebre, qui fut i·n~­
primé, porterent la conviction dans le public sur l;in-
cohér~nce de cette conjuration avec le complot formé
sous la direction du comité des six.


Le chevalier Armstrong étoit aussi condamné par
contumace; iI fut saisi en Hollande et ramené en An-
gleterre. Il avoit été Lieutenant-Colonel des Gardes
et Grand-Écuyer. Le duc de M.-onmouth avoit eu en
lui une extreme confiance. Devant les juges, il ré-
clama le bénéfice des lois qui lui donnóient, comme
contumace, un an pour se mettre volontairement en
júgemerit. JI demanda que son proces, comme celuj
d'Hallovay, fUt régulierement recommencé. On lui
répondit qu'ayant été pris par force avant l'expira-
tion de l'année accordée aux contumaces, le béné-
fice de la loi ne pouvoit lui ~tre appliqué. « Je ne


23.




356 RÉVOLUTI0N DE 1688,
« souhaite," disoit-il, « que la justice.» ~ ( Vous
« l'aurez tout entiere, « luí répliqua Jefferyes , chef de
Justice, et il fit exécuter la sentence portée par con-
tumace. Armstrong avoit toujours mené une vie
licencieuse. Il passa le peu de jours qui lui restoient
encore dans la priere. « Il témoigna,» dit Burnet,
«jusqu'a de la joie de fi~ir par un supplice infame;
« paree qu'il n'a fallu rien moins,» disoit-il, « pour
« le réveiller du profond assoupissement ou il avoit
« vécu et poul' lui inspirer un juste sentiment de
« l'énormité de ses crimes.» Il protesta en mourant
qu'il n'avoir. jamais conspiré contre la vie' du Roi et
du Prince son frere.


eette exécution termina en Angleterre les pour-
suites juridiqlles de eette double conspiration. Le
Lord Chef de J ustice, J efferyes, aUa de suite en
rendre compte au Roi qui étoit a Windsor. Charles JI
en le voyant tira de son doigt une bague de prix
et la mit au doigt de Jefferyes, en luí adressant ce
singulier eonseil : « Vous allez tenir les Assises dans
« les provinces,» dit-il, « les chaleurs sont grandes ~
« prenez garde de trop boire.» J efferyes en effet
portoit ce vice a l'exces et alors sa brutalité n'avoit
plus de retenue. La bague du Roí fut nommée dans
le monde, la bague teinte d'un beau sang, par
allusion au sang de Russel et de Sidnt>y.


En Écosse les formes légales de la j ustice furent
ellcore plus violemment mépl'isées. Les preuves qui




EN ANGLETERRE.


n'existoient pas furent cherchées par des tort?res
jusqu'alors inusitées. Un nommé Spence, domestique
du lord Argyle, inspira des soup~ons a Londres et
fut envoyé a Édimbourg. Le lord, Perth, chef de
J ustíce, exige qu'il réponde sous serment a toutes
les questions qni seront faítes. Spence invoque les
lois du pays qui ne permettent pas de forcel' per-
sonne a répondre sous serm'ent super inquirendis.
Le serment fut cependant exigé par diverses tortures
qui font horreur. Il résista huit jours a ces épreuves
rigoul'euses; enfin il capitula sons la promesse qu'il
ue serviroit de témoin contre personne, qu'il ne luí
seroit faít aucune interrogation nouvelle et qll'il se-
roit mis en liberté. A ces conditions, il désigna
quelques Écossois avec qui le lord Argyle corres-
pondoit au moyen d'un chiffre a deux clefs, dont iI
indiqua une. Le Gouvernement avoit déja l'autre, et
l'on sut par ce moyen qn'Argyle négocioit pour un
soulevement, mais <fu'il n'y avoit rien encore de
concIu.


Carstares, ministre puritain, fut également forcé
par la torture a faire le serment de répondre aux
interrogatoires.II avoua des discours qu'il avoit en-
tcndus sur les moyens de tuer le due d'York, ajou-
tant qu'il y avoit opposé les principes de la Religion
qui réprouvoient l'homicide. Carstares étoit un homme
babile et doué d'une ame forte. Il avoit beaucoup de
secrets qu'il garda malgré toutes les souffrances de




358 RÉVOLUTION DE 1688
la torture. Ses liaisons intimes avec le Prince d'O-
range font présumer justement que ce Prince n'étoit
pas étranger aux entreprises d'Argyle et de Mon-
mouth. Carstares fut nommé son chapelain.


Quant a Baillie, le chef des Députés d'Écosse
aupres de Monmouth, a défaut d'une 'accusation
motivée sur des faits connus, on lui opposa une
leUre du Roi qui l'accusoit non pas de la conspira-
tion de Rye - House, mais de complicité pour un
projet de soulevement. Sommé de faire le ser~nent
sur ceUe lettre, il se récria contre l'iniquité d'une
forme inusitée, qui oblige l'homme a se dénoncer
lui-meme, ou a se sauver par un parjure; et il re-
fusa le serment. Condamné pour ce refus a six
mille livres sterling d'amende, iI fut remis en juge-
ment et condamné a mort par suite des indices que
la tortur~ de quelques autres suspects avoit procuré s
contre lui. Octogénaire et déja mourant des suites de sa
longue captivité, iI protesta de son innocence rela-
tivement a tout projet d'attenter a la vie du Roi et
du Prince.


Il est certain que Baillie étoit coupable d'un com ..
pIot pour soulever l'Écosse, et d'intelligenee avec
Monmouth, Russel, Sidney, Essex, ArgyIe. Le Mi-
nistre Carstares étoit de plus coupable de maehina-
tions avec Fa gel , Grand - Pensionnaire de Hollande;
et le Gouvernement l'ignora toujours. lIs méritoient
done la mort; mais iI les falIoit convaincre. Autre-




EN A.NGLETERRE. 35~)
ment la justice, qui émalle du Ciel meme pour la
conservation de la société, n'est plus qu'un redou-
table et détestable instrument des vengeances hu-
maines; et la société doute enfin s'il existe d'autres
droits ~t d'autres lois que la force.


Ces formes iniques de la justice étoient le résultat
d'une division qui avoit éclaté dan s le Conseil d'É-
cosse. I,e chancelier Aberdeen, depuis duc de Gor-
don, avoit incliné pour la douceur, dans les recher-
ches ordonnées sur la révolte de Bottwellbridge.
Queensbury, Lord Trésorier, tenoit a l' exécution
littérale de l'édit du Roi : il en résultoit d'immenses
récoltes pour le trésor. En effet, une grande et in-
croyable question s'agitoit dans le Conseil. On avoit
observé que si les sectaires accouroient en {oule aux
offices de l'Église, leurs fernmes n'y venoient poin,.
Les hommes évitoient ainsi l'amende, et lt>s femmes
s'en croyoient natul'ellement exemptes. Il fut pro-
posé au Conseil de les y assujétir; et comme l'amenrte
se trouvoit encourue pour chaque jour d'absence,
le butin devenoit immense. « Pour tout payel',» dit
un historien, « il eut fallu vendre l'Écosse entiere. »
Le Conseil s'étant divisé sur cette grave question,
le eomte de Perth, chef de Justice, fut envoyé a
Withe-Hall : on y décida que les femmes des sectaires
devoient l'amende.


Le duc d'York, dermis la conspiratioll, avoit un
pouvoir absolu· sur les affaires d'l~cosse et le Roí




360 RtVOLUTION DE 1688,
ne s'en meloit plus. Aussi le systeme des amendes
et de la rigueur prévalut. Le c·omte de Perth, quoi-
que naturellement doux, s'apperc;ut de ces disposi-
tions et revint en Écosse armé d'inflexibilité. Ce fut
lui qui ordonna d'arr.acher le serment par la tor-
ture aux divers accusés ou suspects de conspiration.
Aberdeen, chancelier, avoit été accusé aupres de la
Cour d'étre modéré, crime san s excuse dans les
temps de réactions. Il fut destitué. Le comte de
Perth avoit mérité par ses rigueurs d'etre Chanee-
lier. Il rempla<;a d'Aberdeen.


Mais le principal personnage de la conspiration,
i'\lonmouth, avoit reparu tout a coup sur la scene
politiqueo C'étoit un peu avant le proces d' AIgernoon
Sjdney. Le duc de Monn?outh, qui s'étoit tenu ca-
ché en Allgleterre, songeoit a passer au service de
l'Espagne dan s la guerre qu'elle soutenoit contre la
France. Le lord Halifax crut devoir réveiller ]a
tendresse du Roi en sa faveur. Il vouloit par ce
moyen mettre un contrepoids dans la balance des
affaires. Il sut persuader a Monmouth d' écrire au
Roi son pere, qui fut touché de ses lettres. Le Roí
lui promit sa grace, sous la condition d'une révéla-
tion complete de son crime. D'aboru Monmo~lth


• hésita sur la forme de ]a révélation ex)gée. Halifax
lui conseilla, lorsqu'il seroit rentré en grace, de
supporter avec patience le premier fen des reproches
de son parti. Les vacances, luí dit-il , approchent ~




EN ANGLETERRE.


et le bill de l' habeas corpus, exige que les accusés
contre lesquels il n'existe aucune preuve soient mis
en liberté; ainsi on reconnoitra bientot que vous
n' aurez acheté votre réconciliation aux dépens de
personne.


Monmouth, suivit d'abord ce conseil et promit de
demande" son pardo n au Roi; mais il ne voulut
consentir qu'il une soumission vague et polie envers
le duc d'York. Le Roí garda un silence absolu sur
cette négociation, et ne parla de la réconciliation
future que la veille meme a son frere. Le Duc en
fut consterné. Il proposa en conseil que Monmouth
fut au moins envoyé a la Tour, un moment et pour
la forme. « Je lui ai promis sa grace,») répondit séche-
ment le Roi. Monmouth vint en eff;t, avoua sa faute
en termes généraux, et demanda son pardon. Il s'a-
dressa ensuite au duc d'York, le priant d'intercé-
del' pour lui aupres de Sa JVlajesté. Charles rec;ut
son fils avec effusion de ereur.


Le lendemain le Roí dit devant sa Cour, que
J acquf>s, c' étoit le nom familier qu'il donnoit a
l\Iontmouth, avoit confirmé les aveux du lord
Howard. La nouvelle s'en répandit sur le champ
dans touts les lieux publics de la ville, et la gazette
de Londres annonc;a que le duc de Monmouth avoit
révélé ce qu'il y avoit de plus secret dans la con-
spiration. Monmouth au désespoir nia le fait, avec
les expressions du plus vif mépris ponr le lord




ntvoLUTION DE 1688,
Howard. Halifax ~ut beaucoup de peine á le cal-
mel:; rejettant ce mot du Roi ou sur sa facilité
~l~tur~ll~ ou ~?r~'importunité des Courtisans.l\fon-
l~o~th consentit /a se' contraindre, jusqu'a ce qu'il
e¿t ses letires de grace. Mais ~ peine les e~t - iI
en sa possession, qu'il pressa le ~oi de ~étracter la
f~t~le parole, lui a~enant des t~moins "u~ soute-
:goi~~t que lui, Monmouth, n'avoit point déclaré
ce q~i lu~ étoit attrlp,ué. Le Roi voul~t avoir par
éc~it au ·..t~oins c~ q~~ Monmouth avoit réel~ement
avoué. Alors Halifax lúi conseille encore d'écrire
~u lloi. Il lui représente qu'apres toutes ses intelli-
gences avec les ennemis de la Conr, il ne devoit
pas s'arr(~ter devant le mot de conspiration auque!
d'ailleurs il pou~{:oit dmmer un sens plus ou moins
restrictif: il s'agl~soiJ enfin d'un Roi et d'un pere ; il
s'agissoit aussi' de ses amis exposés a de grandes
pe~sécutions. l\:Ionmouth se rendit, et le Roi fut
encore touché de sa leUre. Mais bientot l\:Ionmouth
re~ut d'autres conseíJs. On luí fit ent~ndre que 5a
lettre, sans avoir force de preuve, n'en fortifioit
pas moin~ la croyance publique, déja ébranlée, sur
l'adhésion prétendue de ses amis a la conjura-
tion' de R ye-House. La conscience des j urés en
pourroit etre frappée. Le proces de Sidney n'étoit
point encore commencé. Il commettoit ellfin une
bassesse. La mohilité de son imaginatioll ue pul 1'é·
sister a de t('lIes idées. 11 eourt dH:'Z J(, Hoi, le VI




EN ANGLETERRE • 363


sage tout ému de désespoir, et lui reJemande sa
leUre. Le Roi la rendit. Mais, dit-il, n'exIgez pas
le désaveu que vous me demandez. Vous me rú~n'e~,
ajouta-t-il avee bont~, si vous me 'résistez sur ~e
point. Le due de Monmouth eut la folie de rest~r
inébranlable, et fut exilé de la' Cour. Se~ am~s e~~t­
terent sa conduite comme un act~ hproique, et peu
de jours apres il se rendít a la Cour du 'pri~ce
d'Orange.


Monmouth , dit le due d'York 1, avoit déclaré
qu'il savoit toute la conspiration, excepté le projet
d'ass~ssinat. Il avoit vis'¡té les garde~, lorsqu'il f~t
question de les surprendre. Un soulevement étoit
préparé dans les comtés d'York et de Chester. ~e
majOl' Hurst, de Chichester, devoit surprendre
Portsmouth. Un mouvement devoit aussi éclater en
Écosse, le docteur Owen, M. Méad et les autres
ministres presbytériens les plus renommés étoient
d'accord avec Argyle, qui devoit seconder ce mouve~
ment. Enfin, dit le Prince, il avoit personnellement
désigné plusieurs des conjurés. Sa mémoire, ou le
malheur, ont certaine~ent trompé l'iIlustre histo-
rien sur ce faite Car, excepté Argyle, Owen', Méad
et le major H~lrst qu'il désigne, il n' eut pas manqué
de nommer Essex, Russel, Hampden el Sidney, si
Monmouth les' avoit nommés lui-meme. II est d'ail-


1 Mém. de J acques n.




364 RÉVOLUTION DE 1688.
leurs tres probable' que le Roi, qui avojt caché a
son frere son projet de pardonner a Monmouth,
ne lui a pas montré la lettre qu'il avoit re\ue de
sOn fils, et qu"il lui avoit rendue. Enfin le témoi-
gnage meme de l'Ambassadeur de France 1 ne per-
met pas de douter que Jacques II ne se soit trompé
dan s ses souvenirs.


Le Roi con\ut un vif cbagrin de cette rupture.
Quoiqu'il témoigmit publiquement beaucoup d'ai-
greur sur la bienveillante hospitalité qui accueillit
Monmouth a la cour du prince d'Orange, il n'en
témoignoit pas moins en particulier a ce Prince une
sorte de reconnaissance. Il lui avoit montré un ca-
chet secret dont il se serviroit pour toutes les leUres
qu'il pourroit lui adresser, par déférence pour le
Conseil ou pour son frere. Ainsi les leUres officielles
que ce Prince recevoit du Roi son oncle, pour se
plaindre des égards prodigués a :Monmouth, por-
toient l'empreinte du cachet mystérieux, et le Prince
en concluoit justement qu'il ne pouvoit déplaire en
continuant de bien traiter le cher proscrit 2. Guil-
laume . avoit aussi connu les secretes pensées de
Charles II sur le duc d'York, lorsqu'¡l vint a Lon-
dres apres la dissolution du Parlement d'Oxford.
« J'adoucirai les choses,» disoit le Roi, « ne crai-


1 Lettres de Barillan, du 2. 3 décembre 1683.
1 :\lém. de Burnet.





:EN ANGLE'r'ElUtE. 365
« gnez pas que de mon vivant il les pousse a l'ex-
« trémité. Je connois son caractere, et je crains pour
« lui que s'il monte sur le trone, il n'y puisse res ter
« quatre ans.»


IJouis XIV prenoit alors un tel ascendant sur
l'Europe, qu'il jugea sans doute inutile de s'occuper
encore du Roi d'Angleterre .. Que pouvoit-il craindre
de lui? Le prince d'Orange étoit en mésintelligence
ouverte, sinon avec les États-Généraux, du moíns
avec l'État de Hollande et la vilIe d' Amsterdam, qui
offroient le Stathoudérat au prince de Frise. Toutc
son habileté n'avoit pu résoudre la République a se


;¡¡


liguer avec l'Espagne. Aussi Louis XIV, qui ne crai-
gnoit plus rien, ni de ces deux puissances, ni de
l' Angleterre, affecta de ne plus payer le subside ·con-
venu avec Charles 11. Ce Prince n'avoit re~u que
30,000 livres sur la troisieme et derniere année qui
se trouvoit expirée depuis long-temps. Aussi n'écou-
toit-iI pas sans complaisance toules les instances que
l'on multiplioit autour de lui, pour convoquer le
Parlement en exécution du bill triennal. Sensible
aux menaces que l' Ambassadeur Barillon avoit été
chargé de lui faire, au sujet. du fatal traité de Dou-
vres avec la duchesse d'Ürléans, il ne le fut pas moins
quand il eut découvert enfin les in-trigues de cet Ambas-
sadeur a vec les chefs du partí populaire. A ces griefs
se joignoit un secret dépit, quand il considéroit l'af-
fluenee de la eour autour de son frere et sa propre




366 RÉVOLUTION ])1': 1688,
solitude. Le calme du présent ne pouv'oit le tromper
ni sur l'avenir, ni sur le désordre actuel de ses af-
f~ires, ni sur les sentiments publics, ni sur le mé-
pris des étrangers, ni, suivant l'expression d'un his-
torien, sur la trahison d'un Prince pour lequel il
avoit tout fait l. Quel étoit ce Prince? L'historien
ne le dit pas, et le laisse deviner. Quoi qu'il en soit,
Cha~les s'enveloppe dans sa dissimulation, et laisse
encore tout le soin des affaires au duc d'York, ou
plutot se ménage un reste de popularit~ en rejettant
sur son frere toute la responsabilité d'une adminis-
tration vindica ti ve , cupide et souvent inique.


Charles, pour acquprir les bienveillances du peu-
pIe, avoit marié au prince d'Orange la filIe ainée
de son frere. Le meme sentiment lui fit conclure le
mariage de la sreur de cette Princesse avec le Prince
George, frere du Roí de Danemark. le Duc eut pré-
féré des alliances catholiques, il lui fallut obéir.
Mais iI trouva une sorte de dédommagement e~ fai-
s,arit accorder les premiers empIois de l'I~lande a des
seigneurs Ciúholiques, tandis qu'en Angleterre les
l~is pénales étpient plus' ¡;¡'goureusement que jamais
imposées a~X: NOIÍ~Conformistes. Mais il en résultoit
de fortes amen des.


olÍ e~saya encore quelques proces poli tiques , déja
tres multipliés depuis la' rupture du Parlement. Quel-


1 Mem. de d' Alrymple.




EN ANGLl~TERRE.


ques - uns étoient justes, d'autres' au moins temé-
raires. Un accusé, absous par le Grand-Jury de Lon-
dres, fut remis en jugement et condarrine dans les
assises de Comtés. l\fais en géné~al les jur~s com-
mencerent a s'illquiétel' de leur servile obeissanc~,
et le cri de, l'opinion publique les ~vertit qu'ils"f,i'i-
soient le serment d'etre justes. Cependant un gran'el
scandale fut reparé, si ce n'est dans l'exactitude lé-
gale, .au moins dans la morale outragée. Ge fLit la
condamnation de Titus Oates, pour .le c~ime que
l' on nomrne Scandalum rnagnatum. Confiant dans
l'impunité qu'il croyoit avoir acquise, il avoit em-
ployé des cxpressions diffamatoires contre le duc
d'York. Ce Prince le poursuit juridt¡lÍement, et
Titus Oates fut condamné a une prison perpétuelIe,
a l' exposition au pilori, quatre fois par annee , enBn
a etre frappé de verges, pendant le trajet de la pri-
son a l'exposition. La terrible conspiration des Pa-
pistes eut aussi son terme par la mise en liberté,
sous caution, des seigneurs Catholiques et du eomte
Danby renfermes a la Tour, justice tardive que le
Due fit rendre et que le Roí n.'~ut osé accomplir
peut-etre, paree que c'étoit violer la prérogative du
Parlement, et qu'il songeoit a le convoquer.


La fadion de l'exclu\ion étoit réélIement terras:"
sée, et la chaleur du parti vai~queur soutenoit en-
core dans le public une sorte d'horreur contre e]le
par les projets d~nt elle s'étoit vue accusée ~lans' 1~




368 RÉVOLUTION DE 1688,
complot de Rye-House. Mais iI s'élevoit aussi comme
un nuage de mécontentements qui mena<;oit d'un
orage. Les sentiments comprimés prenoient leur es·
sor dans les écrits, dans les satires et surtout dans
la chaire. Le zeIe des juges voulut faire un exemple
sévere, eL la Cour n'osa le confirmer. Un ministre
presbytérien, Roswell, avoit été dénoncé par trois
fernmes qui eiterent, chaeune en partieulier, littéra-
lement l'une eomme l'autre , plusieurs fragments
d'un serrnon qu'elles clisoient avoir entendu. Les
fragments cités étoient dans le cas de haute tra-
hison. l...'accusé présente son manuscrit aux juges ,
ils refusent de l'examiner ; des témoins qui avoient
recueilli soo,ermon par les procédés sténographiques,
attestent que les fragments dénollcés n' ont pas été
prononcés; l'aceusé prouve que ses accusatrices sont
des femmes de mauvaise vie ; elles-memes ne peu-
vent produire personne qui les ait vues au sermono
Jefferyes, chef de justice, s'écrie avec sa fureur ha-
bituelle, que precher dans un conventicule étoit déja
un crime de haute trahison. « Une telle témérité, )
dit-il, « doit disposer les jurés a tout eroire, quels
« que soient les témoins. Or il y en a trois; e'est
« plus qu'il n'en faut:» Sur eette ,observatíon impé-
rative, les jurés déclarent que Roswell est eoupabJe.
lei l'aceusé demanda que les jurisconsultes exami-
nassent an moins aquel degl'é de eulpabilité pou-
voient s'élever les passages du sermon que l'on '81'-




:EN ANGLETERRK 369
guoit de haute trahison. C' étoit la précisément ce
que l'on avoit refusé a Sidney pour son livre, avec
cette différence que dans le proct~s de Sidney, les
jurés n'avoient point encore prononcé. ~Iais la con-
damnation de Roswell parut si odieuse, que le ROÍ,
sans accorder la grace du condamllé, ordonna un
sursis indéfini a l' exécution de la sentence.


Si de tels faits (et, comme on l'a déja vu, ils
sont multipliés), expriment le principe d'un Gou-
vernement, la société de son coté réagit et proteste
par ses défiances ombrageuses, par ses résistances
d'opinion, par ses préjugés, ses injustices meme.
De nombreux symptomes se manifestent et la mon.
trent telle qu'elle est, soumise, mais irritée. L'ha-
bileté ne consiste pas a les mépriser et a les étouffer,
mais a les étudier pour en supprimer la cause, po'ur
empecher que le mal repoussé dan s le corps poli-
tique ne devienne enfin mortel. Autrement une ré,vo-
lution est bientot faite dan s les esprits; le moment seul
n' est pas venu encore, mais il vient enfin. Qui pour-
roit ne pas juger ainsi, par le seul fait que ron va
citer?


Le 5 novembre, jour anniversaire de la conspi-
ration des poudres, il étoit d'usage de precher sur
cet événement dans les Églises publiques et dans
toutes les Chapelles des corporations et des établis-
sements publics. Le Papisme est le sujet légalement
obligé de ces pl'édieations politiques. Un des ml-


l.




R~VOLUTI0N DE 1688,
nistres anglicans les plus farneux et justement ct>-
lebre, choisít ce texte de I'Écriture :


(( Délivre-moi de la gueule du Lion ! Tu as exaucé
« ma priere, et je ressemble a un homme assis sur
« la corne de la Licorne ! })


Ici l'allusion étoit palpable, puisque le lion et la
licorne forment l'éeusson royal. La gueule béante
du líon, c'étoit le Papisme dont le dnc d'Yol'k me-
na<;;oit l' Angleterre. le ressemble ti un homllle
ass is sur la corne de la licorne! L' orateur pa r
eette image énergique ne représentoit-il pas le Roi
futur renversé et foulé par les futurs vainqueurs du
j1apisllle? Il ne manqua pas de citer les imprpca-
tions de Jacques ler contre celui de ses successeurs
qui tenteroit de rétablir l'autorité de l'Église 1'0-
m~ine sur l' Angleterre. Un tel sermon, prononcé
dans une telle solemnité, en de telles circonstances,
par un hornme des plus habiles, qui s'enveloppoit
du manteau meme de la Religion et des lois pOul'
frapper impunément d'anatheme l'héritier présomptif
de la Couronne, étoit certainernent le symptome le
plus vif de la situation l'éelle du pays. Que pouvoit
ici le Gouvernement? Il n'osa pas meme exiger que le
Garde des Rolles renvoyat le chapelainquiavoit preché
ainsi, el cependant la Chapelle des Rolles étoit une
des Chapelles royales. Mais prenant de lui-meme son
parti, l'orateur se retira volontairement en France,
et de Vl en Hollande. C'étoit le rlocteur Burnet.




EN ANl.;'LETEBRF.


Cependant OIl apercevoit divers Índices qui sem-
bloient annoncer un grand changement dans la po-
litique dll Roi. L' Ambassadeur de France mandoit
a Louis XIV que d'apres les avis rec;us de l'EllvOyé
dpHollande, ainsi que du comte d'Avaux lui-meme,
Ambassadeur de France a la Haye, les partisans du
prince d'Orange s'expliquoient ouvertement sur une
intelligence secrete, rétablie entFe Monmouth et leRoi
son pere. c( De plus, » ajoutoit Barillon, « les mar-
I( chands de Londres se plaignent a vec amertume de
« la nouvelle ordonnance publiée a Toulon, qui in-
{( terdit le commerce des ·vaisseaux aJ~glois avec la
l( ville de Genes. Le Roi s'en plaint comme d'une
C( violation de~ traités. Je sais, » continuoit Barillon,
( qu'on n'a ríen omis pour aigrir ce Prince : on luí
« faít croire que Votre Majesté lui a fajt un tort
«( irréparable parmi ses sujets, en leur faisant can-
t( noltre qu'il préfere ce qui peut etre agréable a
t( Votre Majesté, aux intérlhs les plus considérables
« de la nation angloise. » Le duc d'York lui-memi
sollicitoit Barillon de faire mettre un terme a des
récriminations dangereuses, que le Lord Halifax et
les ennemis de la France, disoit-il, ne manquoient
pas d'envenimer dans l'esprit du Roj. Louis XIV,
en effet, se hata de faire relacher touts les vaisseaux
que 1'011 avoit pris a Genes et conduits a Toulon.
Dans le meme temps, pour plaire a Charles II, ou
pour retenir la duchesse de Portsmouth dans ses


24·




RÉVOLUTlON DE 1688,
intérets, il délivra et fit enregistrer a la chambre des
Comptes de Paris ( le 2.2. janvier 1685) des lettres
de natura lité poul' le jeune duc de Richemond,
sous le llom du prinee Charles de Lenox, duc de Riehe-
mond, fils naturel du Roi d'Angleterre Charles II
et de Louise-Renée de Penaneouet-de-Kéroual, du-
ehesse de Portsmouth, née sujette de Franee. Ellfin
le subside expiré depuis le premier avril de l'année
préeédente, époque a laquelle il étoit encore dli
1,370,000 liv. sur 1,500,000, av?it été peu a peu
soldé par des envois sueeessifs de 50,000 livres; iI
se trouvoit meme un ex~édant de 30,000 franes,
le 1 1 février 1685 : eette date doit etre remarquée.


Mais le Roi n'en paroissoit pas moins tres-réservé
envers le Due son frere. Monmouth étoit venu se-
eretement en Angleterre .(; et s'j} ne vit point le Roi,
ce qui est douteux, ilétoit retourné a la Baye, eom-


. blé de joie. Il y avoit des réunions mystéríeuses ehez
la duehesse de Portsmouth, auxquelIes assistoient


.arilIon, Sunderland et Godolphin. La présenee
de Barillon semble annoneer qu'il s'agissoit de la
Franee; mais il y avoit aussi d'autres projets, d'a-
pres le témoignage de lJlay, le plus intime eonfident
de Charles n. Le Due dit llli-meme que la Duchesse
avoit un pouvoir absolu sur le Roí. « Elle ne déses-
« péroit pas de renvoyer le due d'York,» ajoute-t-il, « et


1 Mém. de Burnet.




"EN ANGLETERRE. 3,,13 /
« si Sa Majesté. eut vécu plus long-temps, elle y eut
(( réussi.)) En effet, suivant le témoignage de May,
iI fut d'abord question d'envoyer le Duc en Écosse,
et le Roí lui en 6t la proposition qu'il repoussa
vivement. « Il n'y a point de milieu, » répondit
Charles, avec un ton tres-haute « Il faut que ce soit
« le cadet ou l'ainé qui fasse un voyage. »


Le comte de Rochester, beau-frere du duc d'York,
avoit été élevé a la présidence du Conseil et a la
Vice-Royauté d'Irlande. Le titre de Vice-Roi empor-
toít le commandement général des troupes; mals
Sunderland conseilla au Roi de séparer cette pré-
rogative de la Vice-Royauté, en nommant un Gé-
néral, qui, en cas de besoin, pourroit tenil' tete au
Vice-Roi. Charles n, qui aimoit peu Rochester, et
qui ne vouloit pas que son frere fut mattre de l'Ir-
lande, comme il l'avoit été de l'Écosse, adopta cet
avis; et Rochester, courroucé, ne partit point pour
l'lrlande; il resta au Consei!.


D'un autre coté, Halif:1x étoit en mésintelligence
ouverte avec le eomte de Rochester. Des l'année ] 682,
il l'avoit averti vainement qu'on lui reprochoit,
sinon des malversations, au moins trop de négh-
gence dans la direction des affaires du trésor. Il luí
citoit particulierement le has prix de la mise en
ferme des revenus de la Couronne. Rochester ayant
continué de protéger les tl'aitans, Halifax en porta
eles plailltes aevant le Roí, en pIein Conseil 1 pro--




RÉVOLUTION DE 1688,
duisit lneme des offres qui excédoiellt de 40,000
livres sterling fadjudication déja faite. Dans les
derniers temps, Halifax déclara encore au Conseil
qu'il y avoit de nombreuses ratures et nH~me des
feuillets enlevés sur les li vres du trésor. Il sollicita
le Roi d' en faire personnellement la vérification, et
le jour en fut fixé au 12 février. On ne doutoit plus
de la disgrace complete de Rochester, et le eontre-
eoup de sa chute porteroit naturellement sur le duc
d'York son beau-frere.


Le jour fixé pour cet examen, Barillon écrivoit
a Louis XIV: « Le sieur Chidley ( Envoyé d' Angle-
( terre ) mande que le bruit est a la Haye que
« M. le prince d'Orange pourroit bien venir ¡eL
« quand M. le dile d'York sera en Écosse. Le Roi
« d'Angleterre parolt fort résolu de réprimer cette
« insolen ce du prince d'Orange, s'il ose venir icí
« sans sa permission, en l'obligeant a retourner sans
« le voil'. La permission ne lui sera pas accordée,
« s'il la demande. » En écri vant ainsi, Barilloll ne
soupt;;onnoit pas l'existence du cachet mystérieux que
Charles avoit donné a son neven; mais cette lettre
prouve que le prince d'Orange savoit le voyage ponL'
I'Écosse. Quoi qu'il en soit, au moment ou l' Am-
bassadeur écrivoit cette lettre, il apprit que le Roi
venoit d'etre frappé d'apoplexie, et manda sur-Ie-
champ cette nouvelle a Louis XIV par UIl courrier
extraordinai re.




Charles, l'n enet, avoit ressenti quelqué maJaise
des la veille. La Huit avoit été agitée : le matin , il
s'étoit levé; il manda le docteul" King, qui l'aidoit
dans ses expériences de chimie dont ce Prince aimoit
a s'occuper. King trouva du désordre dans les di s-
cours du Roi; il en prévint le Lord Péterborough
<¡ui le fit renlrer. Ce fut alors que Charles tomba
en apoplexie. King, qui étoit médecin, prit sur lui
la responsabilité de l'évél1ement, en attendant d'autres
secours; lia le hras du Roi avec son mouchoir, et lui
tira du sang, ce qui le fit revenir. Sur-Ie-champ le duc
d'York donna des ordrcs pour fermer touts les ports,
afin que la nouvelle,de l'extrémité OU se trouvoit le Roi
son frere ne fut pas un prétexte au prince d'Orange
et au duc de Monmouth cl'accourir en Angleterre l.


Cependant le Roí eut de fréquentes alternatives dp
bien et de mal, du 12 jusqu'a la nuit du 1.5. Il n'y
t'ut a Londres ni assemblée ni tumulte. Les méde-
cills publierent le 14 qu'il n'y avoit plus de danger.


Le Roí en effet recouvroit une grande liberté de
parole et d'esprit. Il s'informoit souvent si sa muladie
étoit une apoplexie., et" les médecins lui affirmoient
que non. 11 ne s'occupoit d'ailleurs d'aucune affaire,
et ne disoit ríen qui s'y put rapporter. Le duc d'y ork
s'occupoit lui seul du Gouvernement dans cette con~
jOllcturc si décisive; Sunderland et Rochester pa-


1 Lettrcs de 13arillon.




RÉVOLUTION DI~ 1688,
roissoient avoir toute sa confiancc. Il renouveloit
surtout a Barillon les plus fortes protestations de
respect, d'attachement et de reconnoissance pOUL'
Louis XIV l. «Il m'a paru,» écrivoit l'Ambassadeur,
« reconnoltre plus que jamais la nécessité ou il sera
« de la protection et de l'amitié de Votre Majesté pour
« sa dignité et son Gouvernement.»


Le 1 5 février, a midi, Barillon, prévenu qu'il n'y
avoit plus d'espérance, court a Withe-Hall, et le
Duc lui dit : « Les médecins croient que le Roi est
« en extreme danger. Je vous prie d'assurer le Roi
« votre maltre qu'il aura toujours en moi un servi-
« teur fidele et reconnoissant. JJ Barillon étoit alIé un
moment dans l'appartement de la duchesse de Ports-
mouth. « Au lieu de me parler,» dit-il, « de sa dou-
« leur et de la perte qu' elle aBoit faire / elle entra
<t dans un cabinet, et me dit: M. l'Ambassadeur, je
« m'en vais vous dire le plus grand secret du monde,
« et il iroÍt de ma tete si on le savoit. Le Roí dans
« le fond de son creur est Catholique, et personne
« ne lui dit l'état ou il est et ne lui parle de Dieu.
l( Je ne puis plus avec bienséa!lce rentrer dans la
« Chambl'e, outre que la Reine y est presque toujours.
« M. le duc d'York songe a ses affaires, et en a trop
« pour prendre le soin qu'il devrait de la conscience
« du Roí. Allez, dites-Iuí que je vous ai conjuré de


1 Lettres de Barillon, 16 février.




EN ANGLETERRE.


( l'avertir, et qu'il songe a ce qui se pourra faire
« pour sauyer l'ame du Roí son frere. Il est le maitre
« dans la Chambre; il peut faire sortir qui il voudra.
« Ne perdez point ele temps, ear sí vous différez tant
« soit pcu, il sera trop tard.»


Barillon s'empressa de parler au due d'York. « Ce
« Prinee revint eomme d'une profonde léthargie,»
eontinue l'Ambassadeur, « et il me dit : Vous avez
« raison, il n'y a point de temps a perelre. Je hasar-
« derai tout, pIutot que de ne pas fa~re mon devoir
« en eette oceasion. »


Les mesures a prendre étoient embarrassantes. Il
s'agissoit de parler seeretement au ROÍ, de le' déter-
miner a l'abjuration, d'éearter touts les assistants et
partieulierement les Prélats qui obsédoient le lit du
mourant; le pain et le vin, pour la' cene, étoient
déja préparés; il falloit trouver un pretre catholique;
eeux de la Reine et de la Duehesse étoient trop eon-
nus, d'ailleurs ils ne parloient point anglois. Enfin
le eomte de Castel - Maine rencontra ehez la Re~ne
un pretre écossois, nommé Hudelston, qui avoit
sauvé Charles II, apres la bataille de Worehester.
On le déguisa et il fut introduit secretement aupres
de la chambre du Roí.


"Le due d'y ork avoit déja prévenu son frere. 11
faÍt retirer tout le monde, excepté le eomte de Baths ,
Premier Gentilhomme de la Chambre, et le eomte
de Feversham, aetuellement de service. Le Due pré-




Rl~VOU;TION UF l G88,
sen te Hudelston au Roi. « Síre, 1) luí dit-íl, « VOlCl
« un homrne qui vous él sauvé la vie et qui vieut
« encore pour sauver votre ame.» Le Roi se con-
fessa, promit de se déclarer ouvertement Catholi-
que, s'il revenoit en san té , re~ut l'absolution et les
sacrements. « Tout cela,» ditBarillon, «( dura envi-
« ron trois quarts d'heure. Chaeun se regardoit dallS
« l'antiehambre et personne ne se disoit ríen que des
« yeux OH a l'oreille. La prpsenee de 1\lylord Baths
ce et de :'MylorJ Feversham qui sont protestants él un
« peu rassuré les éveques. Cependant je ne peuse
(1 pas (lue le seeret puisse etre long-temps gardé. »


Arres eette eérémonie, les portes furent ouvertes.
L'éveque de Baths, par des exhortations éloquentes,
excite le Roi mourant au repentir de ses fautes; iI
le presse de reeevoir la communion suivant les
rites de l'Église anglicane; le silence ahsolu du Uoí
ne le découragea pas; iI luí demande si dll moins
il ne desiroit pas recevoir l'absoJution, et sur un
signe qu'il prit ponI' un consentement, illa lui donna.
Le Prélat en fut blamé par les autres éveques; ils
le blamerent aussi d'avoir présenté a la bénédiction
du Uoí, le jeune due de Uiehemond, né de l'adultere,
sans que le mourant, <¡ui conservoit toute sa pré-
sen ce d'esprit, donnat a la Ueligion de son royaume
le ll10indre signe de regret sur sa vie désordollnée.
Les Protestants zélés qui ne pouvoiellt alors savoir
ce qui s\~toit passé, par les soins de la Juchcsse <1('




EN ANGLET.ERfU~.


Portsmouth, furent violernrnent scandalisés de ses
dernieres recornrnandations au duc d'York. « N'aban-
« donnezpas,» lui dit-il, « la duchesse de Portsrnouth.
cc Je l'ai toujours airnée, je meurs en l'airnant encore.
c( Je vous la recomrnande avec son fils, et mes autres
« (~nfants,» sans désigner autrement le duc de Mon-
mouth, dont iI ne dit ni bien ni mal.


Le Roi souffroit beaucoup , rnais avec une grande
résignation. Il se plaignoit surtout de grandes dou-
leurs dans les en trailles. Il passa toute la nuit du
15 au 16, avec une entiere connoissance de touLes
choses. A six heures du matin, il dit : 1 « Faites ou-
c( vrir les rideaux, afin que je voie encore le jour. »
Peu apres iI tomba dans l'agonie et mourut un peu
apres onze heures. Il étoit agé de 54 ans. Son regne
avoit été de 24 ans, 8 mois et 9 jours, depuis la
l'estauration; ou de 36 ans 8 jours, encomptant
depuis le supplice de son pere Charles I er.


Si le dnc d'York, maÍntenant Roí, n'eut été ac-
cusé, par les rebelles qui vont l'attaquer a main
armée, d'avoir excité par le poison les premiers
effets de la maladie de Charles II, on ne parleroít
point ici de eette noire aceusation, effet trop com-
mun, surtout dans les révolutions, de la défianee et
de la haine qui cherehent toujours dans un grand
crime la cause des événements les plus naturels.


I Letlres de llarillon.




380 RÉVOLUTION DE 1688,
Ce fut particulierement la destinée de Jacqucs lI.


« On vit apres la mort du Roi, » dit Burnet, dont
nous ?brégeons la relation, «de grands indices de
( poison.» Il ne fut permis aux médecins d'examiner
que les parties intactes. Lower et N eedham,médecins
habiles, ayant' remarqué des taches livides sur la
membrane extérieure de l'estomach, Needham de-
manda des chirurgiens pour en faire la dissection ;
ceux-ci feignirent de ne pas l'entendre. Needham les
demanda une seconde fois, et il entendit Lower qui
disoit a un de ses voisins : c( Ce Needham llOUS per-
« dra touts avec 5a curiosité! ne sent-il pas que l'on
« ne veut pas y voir clair?» Quand les anatomistes
voulurent examiner l'estomac, ils ne le trouverent
plus. Le Fevre, médecin fran<;ais, avoit observé une
eouleur noiratre' a l'épaule; il y fit une incision et
me dit (ajoute Burnet) « que certainement elle étoit
« malsaine.» (e Short, qui étoit aussi médecin, et
( Papiste, mais a sa maniere,» continue le meme
écrivain, « s'exprima plus librement que les médecins
« protestants. » Il mourut peu de temps apres une
visite qu'il fit chez un Catholique dont il étoit le
médecin. Il y avoit pris un grand verre de vin d'ab-
sinthe, et ii dit a Lower et a plusieurs de ses con-
freres, ( qu'il mouroit certainement empoisonné, a
« cause des discours qu'il avoit tenus.») L'extreme
négligence que l'on mit a la pompe funebre, et le
soin que l'on avoit pris de ne point exposer le COl'pS




EN ANGLETERRE. 381
du lloi selon l'usage sur un lit de parade',l'oppor-
tunité de sa mort a l'instant meme ou un change-
ment de systeme politique aBoit se déclarer, tout se
réunissoit pour accréditer les plus noirs SOUp~OflS.
« La voix publique, » ajoute Burnet, « accusa les Pa-
« pistes, soit qu'ils eussent mis en reuvre quelques
« domestiques de la Duchesse de Portsmouth, soit
« qu'ils eussent employé le tabac en poudre, comme
« d'autres l'ont pensé.» En effet, les vaisseaux capil-
laires s' étoient rompus en grand nombre dans le
cerveau, et eette partie étoit completement désor·-
ganisée. Burnet qui admet ici l'empoisonnement par
des Catholiques, ajoute formellement que, relative-
ment au duc d'York, il n'a jamais entendu personne
accuser le Prince d'avoir trempé dans ce crime.
Mais voici d'autres conjectures plus fortes encore.
Lorsque la duchesse de Portsmouth vint a Londres
en 1699, elle fit entendre que Charles II étoit mort
de poison. M. Henly, gentilhomme du Hampshire,
qui avolt oUI parler des discours de la Duchesse,
voulut l' entendre parler elle-meme 1 : ( Elle lui dit,
« qu' elle ne cessoit d' exhorter le Roi sur la fin de ses
« jours él vivre en parfaite et bonne intelligence avec
c( son Parlement, et se remettre en grace avec son
« peuple pour se procurer a lui-meme du repos;
« qu'il avoit enfin pris la résolution de convoquer un


1 Mém. de Buruet, p_ 639-




RÉVOLUTJON DE ] 688,
« Parlement et d'éloigner son frere; qu'il l'aul'oit
c( exécutée le lendemain du jour qu'il fut surpris par
« la maladie qui l'emporta; que le Roí luí avoit fait
« la confidence de ses nonveaux desseins, et qu' elle
« n' en avoit ouvert la bouche qu'a son propre con-
c( fesseur; qu'elle croyoit que celui-ci en avoit dit
(( quelque chose a certaines personnes qui, pour pré-
« venir un arrangement dans les affaires, désagréable
« pour eux, avoient pris l'horrible moyen qu'on a
I( dit. »


Ces détails ainsi réunis peuvellt sans doute laissel'
des soup<;ons, mais pour croire au crime il faut des
preuves et il n'y en a point, tandis que la maladie
du Roí et sa mort s'expliquent d'une maniere tres-
naturelle. Le Roi se livroit sans retenue a touts les
exces de la débauche. Il entroit dans la 54e année
de son age, et un dépot d'humeur:; s'étoit fixé au
pied l. Ce mal fut pris pour la goutte, et par des
applications imprudentes, l'humeur disparut tout-a-
coup, peu de jours avant l'attaque d'apoplexie. Lors-
que les médecins arriverent, ils approuverent la sai-
gnéc subite faite par le docteur King; et pour mieux
dégager la tete embarrassée, ils y appliquerent des
poeles chauds que le Roí ne sentoit me me pas. II )'
eut des rechutes successives et des traitements multi-
pliés. On fit subir au malade des saignées abondantes


1 Lettl'es de BarilJoll.




.EN ANGLETERRE. 383
et des vOI1'litifs énergiques. On le couvrit de vésica-
toires a la tete, aux épaules , aux bras et aux jambes.
Est-il done surprenant que les chirurgiens aient
trouvé de nombreux désordres, ou meme une dés-
organisation eompIi~te dan s le cerveau et dans les
organes essentlels a la vie, déja depuis long-temps
altérés? Si les factions et le peuple expliquent tout
par l'imputation d'un crime, l'histoire ne doit ju-
gel' ni comme les faetions, ni eomme le peuple.




SOMMAIRE.


1685.


Avénement de Jacques II a la Couronne.-État de l'Europe.-
Promesses du Roi.


N égociations avec l' Ambassadeur de Franee, pour un subside.-
Projets du Roi sur la Religion Catholique. -Esprit des Ca-
tholiques d' Angleterre. - Couronnement et serment du Roi.
-Projets d'exclul'e de la Couronne, les héritiers Protestants.


• - Élections pour le Parlement. - État de la Cour.




RÉVOL. DE 1688, EN ANGLETERRE. 385


1685.


LORSQUE Charles II mourut, il n'y avoit plus de
guerre en Europe que ceHe de l'Empire contre les
Turcs. Une treve concIue a Ratisbonne, au mois
d'áout précédent, avoit suspendu pour vingt années
les griefs suscités, depuis la paix de Nimegue, par
la France ou contre la France. Mais la future suc-
cession de l'Espa'gne tenoit toujours en acti vité les
prétentions ou les alarmes; et la hauteur de I~ouis XIV
envers la RépuLlique de Genes, depuis la treve,
annon<;{oit que les occasions ne manqueroient pas
au désir de reprendre les armes. L' Angleterre, il
est vrai, liée par des traités avee la Bollandr et
I'Espagne, pouvoit tenir la balance entre Louis XIV
el les puissances naturellement fédérées contre lni;
mais ces traités étoient l'ouvrage_ du fen' Roí. Son
successeur pouvoit les éluder ou les rompre; et
meme la continuation des dissensions de l' Angle-
tcrre devoit S{lrv;r la Franee aulant qu'llne alliance


I. 25




386 nÉVOLlJTION DE 1688,
toujours incertaine: déja l'expéricllcc l'avoit prollvé.
Telle s'étoit montrée en effet la constante politi(}lw dt~
Louis XIV avec Charles II; ellc ne changcra pas
sans doute sous le nouveau lloi, s'il reste fielele it
son systeme d'élever son autorité sur l'abaisscment
du pouvoir~parlernentaire.


Louis XIV, d'ailleurs, avoit appris a connoitre le
prince d'Orange, qui, lui-nH~me, trouvoit la paix
plus dangereuse que la guerreo C'étoit malgré
Guillaume que la treve de Ratisbonne avoit été si-
gnée, comme autrefois le traité de N irnegue. Il
voyoit que la treve laissoit toutes les questiolls in-
décises par rap . .):>rt aux Pays-Bas espagnols, si ar-
demment convoités par la France. Il redoutoit, il
devoit redoutel' le voisinage de la France pour la
Hollande, el il ne eraignoit pas moins l'alliance de
Louis XIV avec le due d'York devenu Roi d'Al1-
gleterl'e, pour la sllreté de ses droits futurs a la
Couronne. Jaeques II, Catholique, ne pouvoit-il
pas songer a exclul'e du trone la princesse d'Orange,
comrne il s'en étoit vu menacé lui-rncme, et cornme
la Reine Marie avoit voulu faire désigner jadis Phi-
lippe II poul' son suceesseur? Guillaume étoit done
le chef naturel de touts eeux qui redoutoient ou la
vengeance ou la politique hasardeuse du nouveau
Roí.


Mais a peine Charles JI eut-iI r~ndu lc derllier
soupir, que J acques, due el'y ork, maintcnant Roí,




I':N ANGLETEUHE.


soit par l'instinct subit et irréfiéchi des vrais inté-
rets de son pays et de sa couronne, soit par une
dissirnulation profonde, étonna égalernent ses arnis
et ses ennemis par les pl'emieres paroles qu'il adl'essa
au Conseil du Roi qui venoit d' expirer.


« Mylords,» dit-il, « avant de cornmencer au-
r( cune affaire, il faut .que je vous déclare mes
« sentirnents. Puisqu'il a plu a Dieu de m' élever sur
« le trane, et que je vais succéder a un si bon Roí
« comrne a un si bon frere, j'ai voulu vous dire que
( je ferai touts mes efforts' pour l'imiter dans sa
« grandedouceur et dans son affection pOUl' son
« peuple.


« On m'a représenté dans le monde cornme un
« hornme passionné pour l'autorité absolue ; mais ce
« n'est pas la seule fausseté qu'on ait publiée de rnoi.
« Je ferai tout mon possible poul' conserver le gou-
« vernernel1t de l'État et de l'Église, tel qu'il est pré-
re sentement établi par les lois. Je sais d'ailleurs que
« par ses maximes I'Église d' Angleterre est pour la
« rnonal'chie, et que ses membres se sont montrés
« bons et fideles sujets; ainsi j'aurai toujours soin de
« la défendl'e et de la maintenir.


« Pour rendre un Roí d'Angleterre aussi grand
« que je pourrois désil'er de l'etre, je sais que les
{( lois du Royaume suffisent; et comme je n'aban-
« dOllnerai jamais les justes droits et prérogativcs
« de la COUrOllJlC, jamais aussi je n'cnleverai n au-


25,




388 RÉVOLUTION DE J688,
« trui ce qUI lui appartient. J'ai souvent risqué ma
« vie pour la défense de cette nation; j'irai encore,
« s'ille faut, aussi avant que personne, pour lui con-
« server ses justes droits et privileges. »


Rien ne peut se comparer a l'effet subit et inat-
tendu de ces paroles. Au milieu des félicitations em·
pre~sées du Conseil, le comte de Rochester pria le
Roi son beau-frere de permcttre que cctte déclara-
tion flit rendue publique; et le Roi, qui l'avoit p1'o-
noncée comme d'inspiration, ohjccta qu'il ne l'avoit
ni écrite ni préparée. Mais leGardedes Sc(>aux insista,
fort assuré, disoit-il, de la fidélité de sa mémoire;
et prenant la plume, iI reproduisit sur-le-champ
les paroles memes du Roi. Cette rédaction, impro-
visée comme le discours que l'on venoit d'entendrc.,
et approuvée par Sa Majesté elle-meme, fut COI11-
muniquée immédiatement an public, qui la rc<;ut
ave e une allégresse universelle.


Jacques 11, iI faut bien le dire puisqu'il en con-
vient lui-meme 1, fut en quelque sorte surprís par
l' empressement du Conseil a saisir ses promesses,
a les fixer, a les rendre publiques. En lisant et en
approuvant la rédaction du Garde des Sceaux, il
comprit l'étendue de ses engagements par rapport
a l'Église anglicanc, mais il n' osa pas en modifier
}' expression. ({ Au reste,» dit-il, « si mes déclara-


, ::\lémoíres de J acques ll, tom, :), p. !!




389
u tions subsé({uentt's furcnt couformes a cellcs-ci,
( dallS lcs termes, j' étois bien pcrsUéHlé que le monde
« les clltendroit comme moi. Pouvoit-on s'attendre
« que je me feroís Ull devoir de soulenir ce qui,
« dans ma conscience, étoit une erreu!' ? Au líeu de
« m'cngager a défendre et protéger la Religion do-
« millante, si j'avois dit que jamais je ne chercherois
« a la renverser, j'aurois mieux exprimé mes véri-
{I tahles senliments. » Cette premierc démarche du
ROl, ainsi interprétée par llli-mcme , explique touts
les événements dt> 5011 regne l.


Oans ces premiers momellts, la conduíte el les
paroles publiques dll Roi furcnt conformes a sa dé-
daration. Il conserva dans leurs emplois ou digni-
tés touts ceux qui les occllpoient. Mylord Halifax,
(1 ui devoít se croirc claus la disgrace, voulant es-
~ayel' une apologie de sa conduite, fut interrompu
par ces paroles magnanimes : « le ne me souviens
« que de vos servÍces pendallt le bill d'exclusion.»
Cependant ces (Jaroles memes firent sentir qu'il se
souvenoit aussi du LiU de l'exclusion, et ceux qui
le remarquerent affecterent des inquiétudes pour
I'avenir; comme si l'héroisme de la vertu pouvoit


I Voyez a la fin ele eette histoire la lettre de Bossuet el n'Ue
du Lord Mdford au Cardinal de Janson, sur la quesl.ion de su-
voir, si le Boi pouvoit en eonscience, eomme Catholique, pro~
l1leUre de protég·cr t'l d(!/crulrc I'.Églúe dnglicanc .





39° RÉVOLUTION O.E 1688,
aller jusqu'a l'abnégation meme de la mémoÍre.


L' Angleterre étoit passée tout a .coup de l'anxiété
sur les sentiments du souverain a une eonfianee illi-
mitée, de mcme qu'aux premiers beaux jours de la
restauration : tant iI est vrai que les peuples n'as-
pirent qu'a la proteetion des lois et d'un gouverne-
ment juste. Les Villes, les Comtés, les Corpora-
tions s'empresserent a l'envi de signaler leur zele
par des adresses de félieitations; l'université d'Ox-
ford fut remarquée sur tout par la viva cité de ses
expressions , et par ses promesses d'une obéissanee
absolue. Mais le clergé de Londres ne le fut pas
moins, quoique dans un autre sens. ( N ous espé-
« ron s ,» disoit - il, « que Votre Majesté conservera
« inviolablement dans touts ses droits la Religion
( protestante qui nous est plus ehere que la vie.»


Cependant les funérailles du feu Roí étoient l'ob-
jet de l'attente publique. On se demandoit s'il étoit
vrai que Charles 11 mt mort dans le sein de l'Églíse
Romaine; et le peuple d'ailleurs attendoit avidement
le speetacle que lui donne la pompe des grandeurs
humaines jusque dans ce dernier et magnifique té-
Illoignage de leur néant. Ce speetacle ne lui fut pas
donné. 11 put fal/u, dit- on, disputer, et peut - etre
céder sur le eérémonial religieux; Charles II fut
done inhumé sans appareil a Westminster, le 24 fé-
vrier. « Les cérpmonies que l'on supprima,» dit son
frere lui-memC', ce ne firent que remIre les obseques




LN,\ i\"GLL'fERH 1::.


" plus conformes :t I'lllllnililc~ chrétienne. 1 » Mais lps
ellIlcmis SfXt'Pts du Boi furent dlOqués de cette né~
gJigcnce. Et, a vrai dire, ji parolt rlifficiled'excuscr
Jacf{lws n" meme par le motif de la ReJigion; car
pen (le ternps apres il se fit couronncr avee une
somptueuse solennité, selon toutes les formes de
l'ltglisc Anglieane. Quoi qu'il en soit, touts les Grancls
()fficiel's de la Couronne déposel'ent sur la fosse de
Charles II les insignes de leurs charges. Mais le Roí
les lcur rendit, pt eeUe confirmation de leurs em-
plois, flui fut approuvée universellement, ·fit taire
Ic's dampurs éJevées sur la pareimonie des funérailles.


Lorsque le Roi meurt en A ngleterre, la pereep-
tion des subsides eesse immédiatement avee sa vie.
N ul reeeveur des douanes n'eut osé en recevoir les
revenus, sans s'exposer a la forfaiture. Cependant
le commeree de Londres, pour éviter la baisse des
marchandises qu'eut oecasionnée une importation su-
bite affranchíe des droits ol'dinaires, demandoit qne
la perception mt continuée provisoirement. Touts
les offieiers de la douane vinrent en corps exposer
Jpur embarras et demander une décision. Le Garde
des sceaux proposa de pereevoir les produits, mais
de les tenil' en séquestre, jusqu'a ce que le Parlement
put rendu légale cette perception. Quelques autl'CS
membres du Conseil ouvrirent un aVIs qUl se rap-


[ ~lém. de' Ja('que's n.




RÉVOLUTION DE 1688,
portoit au meme but, en conciliant tout a la foÍs le
respect de la loi, les intérets du trésor et ceux du
commerce. C'étoit de faire payer, non pas en ar-
gent, mais en obligations conditionnelles. Préférant
les mesures d'autorÍté que suggéra le Lord Chef de
Justice Jefferyes, le Roi 6t publier une proc1ama-
tion qui ordonnoit de lever el d' employer le re-
venu cornme dans le regne précédent. eette mesure
étoit utile sans doute au cornmerce, mais elle étoit
une usurpation qui jadis avoit couté le trone et la
vie au pez'e du Roí. Les mécontents murmurerent
sourdement et prononcerent de tristes augures, les
esprits modérés se rassurerent, en voyant que le Roí
promettoit, par la meme dédaration, de convoquer
un Parlement. Les hommes exalté s le remercierent
« d'avoir étendu la sollicitude roy-ale jusqu'a conser-
{( ver les douanes,» et appuyerent l'expression de
Ieur zele par cette maxime: Thesaul'us Regis, vin-
culum pacis, bellorum nervio Ceux qui s' expri-
moient ainsi feignoient d'oublier que les mesures
proposées par le Conseil conservoient également le
lien de la paix et le nerf de la guerre, plus I'auto-
rité des lois.


Nlais la promesse d'un Parlcmcnt , d l'utilité réelle
de la mesure prescrite, entraluel'en t la confiance du
plus grand nombre. On trouvoit d'aillenrs dans le
Roi une marche ferme et décidée. Ses paroles an-
nonqoient tour a tour qu'il ne craignoit pas plus ses




}~N ANGLETERRE.


ennemis qu'il n'abandonneroit ses amis. En voyant la
confirrriation de touts les emplois du dernier regne,
on se disoit que le Roí d' Angleterre avoit oublié
les injures faites au due d'York. TI prit d'ailleurs sur
le champ, a l' égard des puissanees étrangeres, une
attitude qui flatta l'orgueil national. D'abord il pro-
testa ouvertement de sa résolution d' entretenir une
parfaite union avee la Hollande, et meme iI rappela
l' envoyé Shudleigh qui ne gardoit aueune mesure
avee le prinee d'Orange. Il avoit envoyé le lord Chur~
ehill a Louis XIV pour luí notifier la mort de
Charles lI, mais illui avoit ordonn' la stricte éga-
lité du eérémonial. « Enfin,» disoít le publie, « nous
{( avons un Roi qui ne s'abaissera point devant 1'0r-
« gueil de la Franee. » Charles 11 en effet s' étoit mon-
tré plus qu'indifférent sur la digníté de sa eouronne
et le rang de ses luinistres dans les eours étran-
geres.


En formant son eonseil, le Roí parut effeetive-
ment ne se souvenir que des serviees, en eonservant
Halifax, Sunderland et Godolphin. On a vu que le
marquis d'Halifax, deux jours avant la maladie de
Charles, avoit déféré le eomte de Roehester au
Conseil, comme inficlele dans la gestion des affaires
du trésor. Roehester l'un des eommissaires de la
trésorerie avee Godolphin devoit etre Vice-Roí d'Ir-
lande, mais Sunderland avoit déterminé Charles a
oter de la Vice-Royauté le pouvoír sur rarmée. Sun-




394 Rl~YOLUTION In: 1(;88,
derland de son coté avoit soutenu le bill 0(' l'exclusioll
avec non moins de chalenr qu'Halifax:.lvoit mis dc
talent et de viguenr a le repousser. Godolphin s'étoit
prononcé pour l'excIusion avec une vivacité qui pa-
roissoit tont a fait hors d'un caractere anssi dOl1X ~
aussi conciliant, anssi modeste, aussi fin, aussi r('-
servé. Comment Jacques U donna tont a conp sa
confiance a Sunderland et a Godolphin, e' est ce qn'i 1
seroit difficiJe d'expliquel', meme en lui attribuanf. la
plus haute magnanimité, si l'on ne consultoit que
les aetions exté¡ieures , sans pénétrer dans l'intérieut'
de la politiqueo Mais pendant toute la maladie de
Charles 11 I'Ambassadeur de France avoit singulie-
rement pressé Louis XIV de recomrnander Sunder-
land au duc d'York; et dan s ses leUres postérieures
a la mort du Roi il représentoit ce Ministre comrnfl
ayant rendu au Prince devenu Roi d'éminents ser-
vices sons le dernier regne. Il est done l'nisonnablc
de' penser que Sllnelerland et Codolphin ne s'enga-
gerent si vivement clans le partí de l'exclusion qu('
du consentement merne de Charles. e' est ce que
disoit la duchesse de Portsmouth pour elle-meme.
Quoi qu'il en soit Jacques II mit tout d'abord le
plus granel soin a réconcilier son beau frere le cornte
de Roehester avec le comte de Sunderland, et s'aban-
donna entierement a lcurs conseils. Rochester qui
devoit alJer en Jrlande fut nomrn'é Granel Trésorier ~
sa place d(' Présidcllt du Conseil fut donnpe a Il




rN ANGLETJ-:RRE.


marqUIs d'Halifax son ennemi; le comte de Sun-
derland resta Secrétaire d'Etat pour les affaires
étrangeres ainsi que le comte de Middleton; le comte
de Clarendon eut les Sceaux; etGodolphin, qui per-
doit son office a la Trésorerie par le rétablissement
de la charge de Grand Trésorier, devint Lord Cham-
belIan de la Reine.


Rien ne fut changé dans le ConseiI Privé: iI resta
composé de personnes qui se haissoient, ou qui sus-
pectoient le Roi, ou que le Roi suspectoit lui-meme.
Le Conseil se tenoit eomme a l' ordinaire; mais on
s'apper<;ut bientot qu'il se tenoit uniquement pour
]a forme et que toutes les affaires se décidoient se-
cretement avec Rochester, Sunderland et Godolphin.


Des le J 8 février, c'est-a-dire, deux jours apres
]a mort de son frere, le Roi manda l'ambassadeur
Barillon dan s son cabinet et lui découvrit ses plus
secrets desseins, pour le présent comme pour l'avenir.
11 s'excusa d'ahord et le chargea de l'excuser aupres
de Louis XIV, s'il avoit pris sans le consulter,
comme ille devoit, dit-il, el comme ille veutfaire
en tout, la prompte et importante résolution d'an-
noncer la convocation du Parlement pour le mois
de mai suivant. Mais il eut été trop périlleux, con-
tinua-t-il, de m'emparer des revenus établis pendant
la vie du feu Roí, sans promettre cette convocation.
« Je connois les Anglois. Il ne faut pas leur témoi-
« gner de crainte dans les commencements. Des




nÉVOU1TlON DE 1688,
« cabales se seroient formées pour demander le Par-
« lement, les mal intentionnés se seroient auiré aillsi
« la faveur de la N ation. lis en auroient abusé dans
( la suite. En hésitant, j'aurois perdu tout le mérite
« de les avoir prévenus. Enfin, c'est un coup décisif
( pour moi d'entrer en possession des revenus que
« l'on pouvoit contester; et dan s la suite ilme sera
« plus facile ou d'éloigner le Parlement ou de me
« maintenir par d'autres voies convenables.» CeHe
apologie se termina par de vives protestations d'at-
tachement a Louis XIV. San3 l'appui, sans la pro-
tection de ce grand Prince que pourroit-il entre-
prendre de ce qu'íl médite en fa venr des Catholiques ~
Mais en le voyant si facilement reconnu et proclamt~
Uoi, iI espere qu'en se conduisant avec sagesse el
fermeté, touts ses desseins trouverollt la memc
facilité.


Le lendemain Rochester vint achever ce que celll'
conférence laissoit a deviner a l'Ambassadenr. 1l
demanda nettement ({ue l.ouis XIV mit le Roí son
maltre en situation de se soutenir san s Parlement,
et il termina, dit Barillon, par demanuer avec
instance une somme considérable. Ce seroit laisser
le Roi d'Angleterre a la llzerci de son peuple, si
le secours de la France lui étoit refusé clans un mo-
ment si décisif. « Soyez assuré, ajoutoit Rochester,
(( que vos ennemis et ceux du Roí mon maltre se-
1.\ roient fort aist's que ron flP ftt rien de considérable




EN ANGLETERHE. 397
(e en .Franee, «ans une eonjoncturc commc ceBe-ei.»
Enfin, le Roi eut suceessivement avee Barillon deux
autres eonférences pour le persuader. On ne man-
quera pas, disoit-il, de ehercher a me détourner de
mon amitié pour la Franee, en me faisant des offres
spécíeuses, et je ne m'y laisserai pas entralner faci-
lement, sans doute; mais le Parlement essayera touts
les moyens ou de m'ébranler ou de m'effrayer, en
agitant toutes les questions qui le rendront popu-
laire. D'abord on parlera des Catholiques, et tout
ce que ron proposera contr'eux retombera dirccte-
ment sur moi. Tantot ce sera la ville de Londres.
On exigera la restitution de ses Chartes. Faut-il
que je m'expose a rétablir moi-meme une espece de
République dans la ca.pitale du Royaume?


Enfin, dans une derniere conférellce, les Minis-
tres parIerent du subside accordé au feu Roí, .lus-
qu'au 1 er avril 1684. Ils prétendirent que Louis XIV
avoit promis 2,000,000 par an, au líeu de 1,500,000
li vres, pour chacune des deux dernieres années; ils
demanderent que ce subside primitif fut soldé, et
continué sur le pied de 2~000,OOO par an. Le lord
Churehill, qui alloit pai'tir pour la France, devoit
en faire la demande formelle, et l'appuyer surtout
en déclarant que par la mort deCharles'II, le ROL
se croyoit dégagé du traité conclu avec I'Espagne.


Mais le jour meme ou Barillon rendoit compte de
ces ouverturcs, il re<;ut une dppechr de Louis XIV




3g8 RÉVOLUTION DE 1688,
qui avoit prévenu les vreux déja si vifs du Roí d'An-
gleterre. « A la premiere nouvelle de la mort de
Charles 11, Louis XIV envoyoit 500,000 livres a
son ambassadeur, pour assister le Roi dans les plus
pressants besoins qu'il pourroit avoir dans les com--
mencements de son regne;» ce sont les termes de la
lettre.


Quoique cette somme fut due au feu Roi, moins
30,000 livres, des le 1 er avril de l'année précédente,
le sentiment de générosité qui avoit animé Louis XIV,
en prévenant si a propos les désirs de Jacques Il,
produisit sur ce PrÍnce un effet extraordinaire, que
I'on éprouve je ne sais quelle peine secrete a lire ou
a retracer, tant l'expression en est peu digne de la
Majesté d'un Roí. Au lien de reprendre et de termi-
ner la conférence de la veille, il ne fut pI us ques-
tion de discuter, mais d'admirer. Sa Majesté Britan-
nique avoit les larmes aux yeux, en parlant a l'am-
bassadeur; « vous avez rendu la vie au ROÍ,» lui dit
Sunderland a l' oreille. Enfin au milieu de toutes
les extases d'une reconnoissance infinie, tout projet
de convention fut écarté. Il faut s' en remettre ab-
solument a la sagesse du Roi de France el a l'amitié
de M. l'ambassadeur. Churchill ne sera plus chargé
que de faire des remerciements; que peut-on craindr<,
maintenant avec l'amitié d'Ull Roi si magnifique?
Barillon cependant amortit un peu l'essor de ces
transports, en disant que les lettres de change avoielll




1<:N A NGLETERRE. 399
hesoin d'etre négoeiées. Il prcssentoit avec raison
que le Roi son maitrc pourroit etre moins vif dans
ses générosités, en apprenant la prochaine convoca ...
lion du Parlement; ce qui étoit vrai.


Louis XIV, qui alloit bient6t révoquer l'édit de
Nantes, chargeoit son ambassadeur de bien observer
la force du parti eatholique et les mesures que Jac-
ques II alloit prendre pour la Religion. Il lui re-
commandoit surtout d'insister pour que le Prince
d'Orange et le due de Monmouth ne pussent reve-
nir en Angleterre. Peu de jours apres, et apprenant
que le Parlement étoit convoqué, ii réprimanda Ba-
rilIon d'avoir parlé de toute la somme qu'illui avoit
cnvoyée; néanmoins il lui laissa la liberté d'agir de
maniere a ne pas diminuer la reconnoissance qu'avoit
si vivement témoignée le Roi d'Angleterre.


Jaeques II s'ouvroit avec intimité a l'ambassadeur
de France. ce 11 m'étoit impossible,» lui disoit - iI ,
« de ne pas donnel' quelques marques de dou-
~( ceur dans le cornmence17zent de molZ regne, et
« je devois oter au rnonde l' opinion que je !le
«pardonne ja/naís. Je sais qu'en laissant en fonc-
« tions plusieurs des ministres du feu Roi, j'ai in-
« spiré des alarmes aux Catholiques; mais je ne de-
« vois pas aliéner des gens qui me serviront a re11(lre
« le Parlemellt pl~s traitable sur le revenu dout j'ai
« pris possession.) Les Catholiques en effet se ré-
erioient vivemcnt contee Rochester qui avoit persuadé




400 RÉVOLUTION DE J 688,
au Roí d'agir ainsi; mais pour les consoler le Roí
forma parmi eux un petit Conseil particulier qui
prit peu a peu sur lui un ascendant invincible, sur-
tout lorsqu'il fut appuyé par le comte de Sunder-
land, secretement jaloux de Rochester.


Les premieres actions publiques du Roi, sur le
faít de sa Religion, excitoient naturellement la vive
attention de ses amis et de ses ennemis. Personne ne
se seroit étonné de le voir assister, comme par le
passé, maÍs sans appareil, aux offices catholiques
de la chapelle de la Reine douairiere. Il n' en pou-
voit etre ainsi de sa présence ~ comme Roi, avec le
cortége d'un Roí. {( Les Grands-Officiers le suivront-
{( ils dans une Église qu'ils ne reconnoissent point?
{( Refuseront-Íls de le suivre?» Ces questions étoient
délicates; elles occuprrent diversement son Conseil
qui inclínoit a ne pas heurter des préjugés autorisés
par les lois, puisqu'il n' étoit personne qui mit en doutc
sa religion personnelle : mais il pensa autrement.
Des le dimanche qui suivit la mort de son frere, il
voulut assister, avec toute la pompe royale, an ser-
vice divino {( Dissímuler ma religion,)} dit-illa veille,
a Barillon, «( ne peut convenir a l110n caractcre, et
l( si je eours quelques hasards, j'espere que Dieu me
«( protégera; et puisque le Roi votre maitre me veut
({ soutenir, je erois n'avoir ríen a craindre. )) La messe
fut done célébrée publiquement dans une ehapeIll'
ue Saint· James, les portes ouvertes: ll~ Roí et b




:EN A NGLETER RE. 401


Reine y assisterent ensemble. Le duc de Norfolk, qui
portoit l'épée de l'État, s'étantarreté a la.porte, le
Roi luí dit: « 1\lylord, votre pere ellt été plus loin.»
- « Le pere de V otre Majesté, Sire, n' eut pas été
« jusque-la,» répliqua N orfolk. Au nlOment de l'Élé-
vation, touts les seigneurs protestants qui étoient
restés dans le vestibule de la chapelle se retirerent.
A ce sujet, Barillon écrivoit a Louis XIV que eette
démarche avoit excité de sinistre~ soup~ons pOUI'
l'avellir. « On ue parle au peuple,)) dit-il, (e que du
« projet de ruiner l'église protestante pour y substi-
« tuer l' église catholique.)) Ainsi l' Angleterre se livl'e
déja aux terreurs qu'on lui suggerf,! de revoir les
persécutions et les rigueurs de la Reine Marie.


Ces c1ameurs n'arreterent pas le Roi. Soutenu
d'aill~urs par les éloges etl'approbation de LouisXIV,
il se résolut, deux mois plus tard, a faire sa com-
munion paschale, le jeudi saint, entouré de ses
gardes et de ses grands officiers, comme dan s les
pays eatholiques. La veille, iI s'ouvrit de son dessein
a Rochester, Sunderland et Godolphin. Le eomte
de Roehester combattit eeHe résolution, avec une
gr~ndp véhémence, et répondit enfin qu'a moins
d'un ordre formel ue Sa J\'Iajesté de l'accompagner
jusqu'il la porte, il ne le feroit paso Les deux autres
n'y opposerent/ aucune difficulté. Le Roi répondit
avec raison a Rochestel' que cet ordre mthne de
l'accompagner jusqu'il la porte ne l'excuseroit pas;


T. 26




RÉVOLt1TION DE 1688,
si faétÍ't')n en elte-meme étoit coupable. Enfin, apres
une -assez vive eontestation, le Roí ne voulut pas
tui donner l'ordre; et Roehester adopta le moyen
terme que lui ottvrit le Roi, d'aller a la eampagne.,
«Ge~te résolut'on, dit Barillon, d'aller a l'église
({ avee ses offieierset ses gardes, faÍt faireplus de
« ~flexiohsque quand ila'ssista publiquement a la
« messe.» Mais déja Loni's XIV avoit chargé son
.Ambassadeur d'ihsinuer au Roi d' Angleterre qu~il
devoit demander des Éveques all Pape. « Et eomme
ce it lie faut pas douter, » ajoutoit-il, « que Sa Saintcté
« he leS choÍsisse du clergé d' Angleterre, parmi
el lesquels je súls avei,ti qll'il ya hien des gens imbus
(f de la doctrine de Jansénius, je serai bien aise que
( vous fassiez connoltre adroitement audit Roí l'in-
« tértt ~u'il acle les bien diseerner, afin que ce
« :royaame,' sortant d'une hérésie, ne tombe pas
« dans une atitre, qui ne s~roit gueres moins dange-
« reu'-se. ))


Toot i(,"éla 's'e 'passoit dans les premieres semaines
du nou't'eau regne. J~cques 11 comptoit sur le parti
éprscopM pour 'étabHr d'abord les Catholiques dan s
Ube 'éntÍer'e liberté de leur culte. Il s'étoit ouvert
a ;BariUonsu'f les moy~t1s de gagner l'Église angli-
cane ,'en luisacrifiant le5 Non-Conformistes; mais iI
fut :bientot désabusé. L'Eveque de Londres se dé-
clara vidlemtnél1t eontre les Catholiques, et 6t dé~
clamer dans toutes les chaires contre le Papisme. Le




¡':N ANG LETERRE. 403
Roi reprochoit un jour a l'Éveque de Bath, qui
av¿it preché dans la chapelle royale protestante,
d'avoir fait quelques réflexions cOlltre les Catho-
liques. ( Sire, » lui répondit vivement ce prélat, « si
Votre Majesté s'étoit occupée elle-meme de son de-
« voÍr dans I'Église, mes ennemis n'auroient pas eu
«( cette occasion de m'accuser.» !fouts ces symptomes
étoient assez graves pour engager le Roi et ses con-
fidents catholiques a "bien examiner s'ils étoient ou
s'ils seroient assez forts pour dompter des résistances,
d'autant plus dangereuses, qu'elles auroient pour
appui et la Religion et les lois du pays. Il e;Ctt été
naturel, juste, sage et sans péril de faire confirmer
les premieres promesses faites a Breda en 1660,
qui assuroient la liberté de cOllscience; mais ce qui
étoit déloyal et absúrde, c'étoit de jurer le maintien
de l'Égltse anglicane, de faire espérer la tolérance
aux Non -Conformistes, d'exciter les Éveques a les
persécuter, et de croire que l'Église catholiq~e s'éle-
veroit ains] sur les ruines des uns et des autres: tristes
spéculations, indignes surtout de la cause sacrée que
le Roí, dans son aveuglement, vouloit ou croyoit
serVir.


..


Il faut rendre justice aux Catholiques d'Angle-
terre, sur ces dangereux systemes. A l'exception d'wn
tres-petit nombre" lis étoient effrayés de, l'avenir
qu'ils entrevoyoient pour eux-memes. lis ne deman-
doient que la libexté 'de conscience. Barillon s'expri-


26.




RÉVOLUTlON DE 1688,
moit ainsi, des le mois de rnars, avec son souverain:
( Il ~st certain, » disoi t-il, « qu'il y a de la di vision
( parrni les Catholiques; les uns sont meme assez
( dangel'ellx, cal' ils affectent une grande modéra·
c( tion; ils craignent les désordres, étant potir la
« plupart riches et bien établis; ils pl'étendent etre
« bons Anglais, c'e.st-a-dire, ne pas désirer que le
( Roi d'Anglete~re ote a la nation ses pl'ivileges et
« ses libertés.» Ces Catholiql1es pensoient comme
Bossuet et la Sorbonne, sur les promesses du Roi
de maintenir l'Église Anglicane; et l' Ambassadeur de
:France les dépeignoit a Louis XIV cornme dangereux
pour le Roi d'Angleterre!


Barillon reprochoit encor~ a ces Catholiques,
bons J1nglais, de .penser qu'en évitant une rupture
a vec le prince d'Orange, héritier présomptif de la
Couronne, et avec le Parlement, on prévieRdroit de
grands malheurs pour l'avenir; mais, dans la meme
lettre , il disoit formellement que les chefs du .parti
catholique avoient inspir.é au Roi le dessein de s'at-
tacher surtout a convertir la prineesse Anne, pour
éloigner de la succession la princesse d'Orange. Sur
cela, il sollicitoit Louis XIV de s'assurer, par un sub-
side régl~, les volontés de Jacques II, et de le porter
ainsi a se rendre irl'éconciliable avec le prince d'O-
range, en donnant des espérances a la pl'incesse,
Anne. « n seroit fort mal aisé de pouvoir j uger ce
l( qui arrivera, ») ('ontinuoit~i1, (( de tallt de projets.




];:N Al\GI.I~TEHH 1\. 405
« ~Iais le parti opposé a la eour ne s'endort pas, et
« il est difficile que les desseins d'un partí ne st>ient
(( pas connus a l'autre; c'est ce qui fait penser a beau-
« coup de gens que les affaires np se passeront pas
« sans troubles, et quP le Roí d'Angleterre ne jouira
«( pas paisiblement dp la couronne dont iI s'est mis
« si facilement en possessioll. »)


Le Roí s'étoit empressé d'annoncer de sa main la
mort ~ Charles 11 an prince d'Orange, et son Con-
seU cherchoit a ménager une réconciliation entre
eux. L'un et }'autre le témoignoient plus qu'ils ne
le désiroient sans doute; Jacques II, pour enlever un
chef secret a ses ennemís; Guillaume, ponr inspirer
de la jaJousíe a Louis XIV, pt ponr líer plus étroi-
tement les Provinces-U nies et l' Angleterre. Guillaumc
avoit envoyé sur-le-champ au Roi son beau-pere une
lettre remplie, dit Barillon, de soumission et de
respecto So~ Envoyé, quí avoit sur ce point des
pouvoirs illimités, renouvella ses instantes sollici-
tations au nom du Princp. Jacques II l'épondit qu'il
lui seroit impossible de croire a la sincérité de
ces protestations, si Guillaume restoit ennemí de
Louis XIV, s'il ne rompoit immédiatement toute
liaison avec re ·duc de .Monmouth, et s'il ne congé-
dioit sur-Ie-champ le~ officiers anglois, dont la fidé~
lité lui étoit suspecte, et qui se tl'ouvoient au ser-
vice des Etats-Généraux.


Rochester, beau-frere du Roí et onde de la Prin ....




406 RÉVOLUTION DE 1688,
cessc, désiroit non seulement d'écarter tout sujet de
rupwre, mais encore de concilier les intérets du
Roi régnant avec ses héritiers presomptifs. Il pen-
choit dOllc vers tout ce qUl pourroit y conduire.
Stfhderland, d'accord avec .le Ministre de France,
excitoit le Roi surtout a se donner en.tierement a
Louis XIV, et s'attachoit a lui prouver combien
étoit contraire a ses intérets le Prince d'Orange et
son partí.' Cependant Sunderland avoit de ,crete&
\iaÍsons avec Guillaume; mais il vouloit affermir son
propre crédit, balancer d'abord et détruire celuí de
~ochester. Godolphin se joignoit a lui.


Le prjnce d'Orange offrÍt de nouveau toute sa-
tisfaction au Roí. Il éloignera le duc de Monmouth,
il congédiera les officiers suspects. Si, relativement
a la France, il ne répondit qu'en termes généraux,
son Envoyé déplara que la soumission du Prince
étoit sans exception; en un mot, soit a l' égard des
affair.es intérieures de l'Angleterre, soit a l'égard de
la Hollande, le Prince ne feroít rien qui fut opposé
aux sentíments et aux ¡ntérets de son beau-pere. Il
étoit difficile de pr~mettre davantage. MaisJacques 11
exigea que cette explication, au líeu d'etre verbale,
fut écrite de la main meme du Priwce. N'ayant pu
l'y résoudre, il donna ordre a son Ministre aupres
des États-Généraux., qui alloit revenir en Angleterre"
de prendre congé des États sans voi .. Guillaume en
partant. «( J'insiste beaucoup, ~ écrit Barillon, «( sm'les




EN ANGLETERRE.


« dangers d'une réconciliation, fut-elle s;iIl(;ere. Le
«( Roi d'Angleterre, ajoutoit-il, se croit si fQrt de l'a-
« nfitié de V Qtre Majesté , qu'il ~ésireroit un so,ulev:~
« ment des factieux. Il pense que le moindre mo~v;e:
« ment de Ieur part le mettrqit en état de ~'ét~bli,.r
({ mieux encore qu'il ne le sera, si le Parlement $:e
« conduit bien a ~on égard.)~ Quel délire !


La réunion prot;haine du Parlement, et l~ céré-
monie du couronnemeIlt, qui devoit avoir lieu¡ au
mois de mai, n'occupoient pas moins la Cour que le
Pays. L,e Parlemellt d'ÉcQss,e avoit été convoqué ~n
peu plus tot que celui d' ~ngleterre , parce que le Roí,
certain de s?n dévouement absolú, désiroit qu~ la
conduite du premier serYlt d' exemple au second. 00
y reviendra quand on aura parlé du coutonnem~nt.


Les droits incontestables que le Roí ;tepoit de sa
naissance pouvoient toujours lui etre cO~\e~tfs,
comme Catholique, dans un pays ou les lois pros-
crivent sa Religion et privent ceux qui l'exercen~ qe
touts~es ~roits politiques. ~lais une ancienpe loi, q,u,e
le malheur des ~emps avoÍt rendue néce~it.'e" et q;ui
remontoit aux s,anglantes .guerre& qe~ l' o,rk, ~t, q~s
Lankastre sllr la succession, dfclare que l~, Cpurqnne
efface et détruit tQutes les iI;\cap;.t.ci:tés qqi S~ )),O,U-
voient trQuver dan& :w. persoqne rég~nte. G'est
ainsi que Henri VU, usurpatcu~ sur un "S,Ul'p~~eur,
se couronna lui-we!De sur le champ de b~~i~ Qq
Richard nI p'e~dit tO,ut a. la fois. la victoire, l~ (;OJl.,




408 RÉVOLUTION DE J 688,
ronne etla'vie.Une fois possesseur de la COllI'OIlUe,
son Jroit, quoique défectueux par sa naissance, ne
fut plus' contesté. Le droit d'Élisabeth n'étoit pas
lllOins . équivoque , iI fut affermi par l'investiture de
la Couronne. Cromwell lui - meme désiroit d'etre
couronné roí pour ce motif, quoique sa poli tique
le détermimit en6n a ne prendre que le Protectorat.
On ne pourroit done plus arguer contre Jacques JI
d'une incapacité légale, a raison de sa Religion, du
moment qu'il auroit été couronné. Aussi des l'ins-
tant meme que son frere eut fermé les yeux, il
s'occupa des m~ens de présenter a l'esprit des
peuples cette consécration nécessaire de sa posses-
sion actuelle de l'autorité royale; et il en 6xa la cé-
rémonie avant l'ouverture du Parlement.


Mais ce C<mronnement d'un Roi Catholique,
dans une Église et par une Église qui avoit rec;u,
des 10is du pa ys, la mission de se protéger elle-meme
par la destruction des Catholiques, présentoit sans
doute des difficultés délicates et nombre uses. Un
Comité particulier fut formé pour les résoudre, et
pour concilier tout, la foí et la nécessité. Rome qui
fut consultée ne pouvoit pas se montrer plus sévere
pour Jacques II que pour le Prince de Suede, Si-
gismond, qui, apres avoir été élu Roi de Pologne et
revendiquant ses États héréditaires sur le duc de
Sudermanie, son oncle, se 6t couronner par I'Ar-
cheveque ( Luthérien ) d'UpsaJ. O'ajIleurs les an-




¡':N ANGLETERRE.


ciennes formes subsistoient encore, a peu pres comme
dans les temps antérieurs a Henri VIII.' L'aqcien
serment n'avoit pas meme été changé sous les Rois
protestants; et le Roi dit en confidcnce a l' Ambas-
sadeur de France, que le principal serment étoit de
maintenir I'Église dans les libertés et concessions


< que lui avoit accordées le Roí Édouard le COllfesseur.
Or Saint-Édouard étoit bien évidemment CathQlique.
Il faut gémir sur les princes qui croyent ainsi ras-
surer leur conscience , et qui, dans l'acte le plus au-
guste,. prenant Dieu a témoin des promesses qu'ils
font aux hommes, jurent tacitement a Dieu que la
parole sacramenteIle qui les exprime et les sanc-
tionne exprime et sanctionne virtuelIement des pro-
messes contraires. •


La Reine devoit aussi etre couronnée, pour avoir
le droit d'etre Régente du Royaume, en cas de
minorité, si ell~ avoit des enfans;


Ce fut le.3 mai que s'accomplit cette cérémonie,
majestueux symbole de l'alliance du souverain et du
peuple. On en verra peut-etre avec quelque intéret
les . principaux détails >: les uns, par l'image et le
souvenir des vieux temps, montrent tout a la fois
et la souveraineté qui se perpétue cornme les races
Q,umaines, et ses droi ts et ses devoirs, égalemen t
inviolahles, toujours rappelés aux sujets comme au
Prince, et toujours consacrés devant l':Etre éternel ,
de qui émane toute justice et toute souveraineté ~




410 RÉVOLUTION DE 1688,
les autreá manifestent le passage presque insensibl€
des temps qui s'écoulent, a ceu~ qui de loin se lllOll-
trent déja dans l'avenir.


L'Éveque de Londres, en sa qualité de Do)'en
de Westminster, et douze Chanoines, apportent sur
l'autel deux couronnes, trois sceptrBS, un globe im-
périal, une épée, l'huile destinée au sacre dans une
colompe d'or. Le Doyen bénit ces syrnholes.


Arrivent ensuite le Roi et la Reine, precédés des
Grands Officiers et des diverso Ol'dres de l'État. Les
Pairs Catholiques faisoient partie du cortege. Deux
Lords représentoient les anciens dues d'A.quitaine
et de Normandie. Touts les Pairs tenoient leur cou-
ronne a la maine Les Officiers de la Couronne por-
toient 4e Raton de Saint Édouard, les Éperons d'or
et I'Épée d'État.


Le Primat, Archeveque de Cantorbery, assisté
des Éveques, fit la cérémonie dll c¡ouronnement et
du sacre.


Le Roi et la Reine étant assis SlJr leurs trones,
l'Éveque de Londres va successivement sur trois
points difIérents de l'Église, .et demande au Peuple
s'il accepte pour Roi et Souverain le Roi JacquesIl,
afin que Sa Majesté puisse etre couronnée et sacrée.


Apres les acclamations, les prieres et le sermo».
d'usage, le Roí et la Reine vont s'agenouiller devant
l'autel, et le Primat re<;:oit leurs s~rments. Voioi la
formule pour le Roi:




EN ANGLETERRE. 411


L'Arche"éque. (J. Voulez-vous solennellement pro-
« mettre et jurer que vous gouvernerez le Peuple
le de ce royaume d' A ngleterre et des pays qui en
« dépendent suivant les Statuts, les Lois et les Cou-
« turnes d'Angleterre?» - « Je le promets solen-
(l nellement. »)


« Voulez-vous, selon votre pouvoir, faire exécuter
« la Loi et la J ustice avec clémence, dans touts vos
« j ugernents ? » -, « J e le veux. ))


( Voulez-vous, de tout votre pouvoir, maintenir
«les Lois divines ,la veritable profession de l'Évan-
« gile; et voulez-vous conserver aux Éveques et au
«Clergé de ~e Royaume, et aux Églises commises
« a leurs. soins , touts les droits et privileg~s qui,
« suivant les Lois, appartiennent ou appartiendront
« a eux et a chacun d' eux ? » - « J e promets de
« faire toutes ces clI0ses.»


Et rnettant la main sur les ÉvangiJes,: fe J'exécu-
('( terai et garderai les chQses que j'ai promises cí-
« des sus ; ainsi, Dieu me soit en aid~. )}


Apres avoir re~u l'onction, le ROl mit son épée
sur l'aute!. Ensuite le Prélat procéda ~u cour~nne­
mento Le Peuple, toujours superstitieux, observa que
la couronne chancela. En effet, Henri Sidney, Grand-
Maltre de la Garde-Robe, l'ernpecha de tomber,
et dit au Roí en riant: (J. Ce n' est pas la premiere
(e; fois que n?tre famiUe a soutenu la Couronne.»


Pendant l'acte du ~ouronnement, le premier Pair




RivOLUTION DE 1688,
de chaque Ordre des Barons, Vicomtes, Comtes,
Marquis ef Ducs mirent la main a la couronne du
Roi,-pour signifier leur volonté de la soutenir, te-
nant eux-memes leurs propres couronnes de l'autl'e
main, chacun selon son rang et son titre. lis mi-
rent leurs couronnes quand le Roí fut couronné
lui-nh~me.


Apres le Te Deum, le Clergé, collectivement par
l' organe de l' Archeveque de Cantorbery , et les Pairs,
chacun par le premier de son Ordre, rendirent foi
et hommagé en ces termes:


(e Je suis devenu votre homme-lige de ma vie et
ce de mes membres; et je vous porterai foi et
(doyauté, pour vivre et mourir avec vous, contre
(( et envers touts: ainsi, Dieu me soit en aide. »
. L'Éveque d'Ely pronon~a le sermon d'usage. On y


remarqua surtont une citation de Constan ce ChIore,
qui disoit 'lue ceux-Ia seroient les plus fideles qui
se distinguoient le plus par leur droiturc de camr
envers I'Etre souverain. e( Comptons aussi,» ajouta
l'orateur, « que ceux de nos Princes qui sont doués
« de cette vertu seront les plusfideles au serment
« qu'ils font au pied de l'autel, de ne point toucher
« a ]a Religion de ce Royaume. »


Ainsi déja s'exprimoit au dehors une défiance qlli
ne pouvoit plus se retenir dans le secret dU cceur,
etl'on sembloit dire au Roí lui-mcme que la fidé-
lité des Peuples seroit suhordonnée a la sienne.




F:N ANGLF.TERRE.


Tout l'ancien cérémonial fut observé, a l'excep-
tÍon de la communion. L'office terminé, le Roí et la
Reine passerent dans la chapelle de Saint Édouard·
et déposerent la couronne sur l'aute!. Immédiate-
ment apres, ils se rendirent, accompagnés du meme
cortége, dans la salle du festin. Le Gralld Séné(;hal,
le Grand Connétallle et le Comte l\faréchal du
Royaume entrerent a cheval, précédant le premier
service de Ja table du Roi et. de la Reine, au milien
du tonn'erre des in~trumellts guerriers.


Un peu avant le second service, le Grand Con-
nétable et le Comte Mar~chal rentrerent, ayant au
mitieu d' eux le Champion du Roi, nommé Dymoke,
monté sur un cheval de bataille, et armé de toutes
pieces. Un Héraut fit trois foís le défi suivant:


« S'il y a quelqu'un, de quelque qualité. qu'il soit,
« grande ou petite, qui dise et nie que notre so uve-
« rain Seigneur, le Roí Jacques, Roi d'Angleterre ~
« de France et d'Irlande, défenseUl' de la füi , n'est
« pas le légitime Roi de ce Royaume d'Angleterre;
« et qu'il ne doit pas jouir de la Couronne impél'iale
« de ce mcme Royaume; voici leur Champion, qui
« dit qu'il en a menti et qu'il est un faux tl'altre:
« étant pret de se battl'e en personne contre lui; et
« il vent hasarder dans cette querelle sa vie contre
(dui, aquel jour il lui voudra nommer.)}


Au troisieme défi , le Champion jette son gantelet
il terre; iI ne fut pas relevé. Ensuitc le Roi (l'armes et




RÉVOLUTION DE 1688,
les Hérauts proclament le Roí en latin, en fran<;ais
et en anglois.·


Cependant le Roí prend une grande coupe de
vermeil, porte la santé de son Champíon et lui re-
met la coupe. Le Champion lui fait raison du toast,
vide la coupe d'un seul trait et la remet a son écuyer
qui l'emporte. C'étoit le. privílege d'une terre qui
appartenoit aux Dymoke depuis quatre c~nts ans ....
Quatre ans n'étoient pas encore écoulés, que Charles
Dymoke, fils de celui-ei, joua le meme roie, porta
le meme défi et dans les memes termes, dans le meme
lieu, entouré des memes assistants, déclara faux
traÍlre quiconque prétendr~it que Guillaume et
Marie, qui ltsurpoient la Couronne , n'étoient pas


. .


Roi et Reine légitimes du royaume d' Angleterre!
Apres le festín, les tables furen1 abandonnées au


peuple. Mais, pendant toute la eérémonie, le Roi
ne fut pas tranquille sur la sureté de sa personne;
il avoua du moins au ministre de Franee que tout
luí faisoit croire qu'il y avoit eu quelque dessein formé
contre lui. Mais il n'en existe d'autre indiee que le
rapport de l'Ambassadeur.


Quoi qu'il en soit, le marquis d'Halifax, Garde-
des-seeaux,' ri'avoit point assisté au Couroñnement;
et le eomte de Roehester refusoit constammcnt d'ae-
compagner le Roi, meme a la porte de la chapelle ca-
tholique. Cet éloignement de deux hommes aussi con-
sidérables suffit pour marquer les di vers se~timents qui




EN ANGLETERRE.


agitoient le publico Le Roi s' étoit flatté de cette idée,
que les éveques étoient catholiques ~ans le c~ur: il
jugeoitainsi par la modération et la douce~r de l'ar-
chevéquede Cantorbery. Le public meme soup~on­
noit que ce vieillard embrasseroit la foi de I'Église
Romaine, paree qu'il faisoit des efforts sinceres pour
contenir le zele affecté des prédicateurs et ponr em-
pecher toute allusion violente a la Religion du Roi. Les
autres éveques avoient fait la meme promesse, et le'
Roi, qui les avoit appelés pour la leur demander, leur
dit en les congédiant l : (e Je vous tiendrai ma parole;
c( et je n'entreprendrai rien contre la Religion éta-
« blie par les lois, si vous ne ma manquez pas les
le premiers. Mais si vous oubliez votre devoir a mon
« égard, n'attendezpas que je vous protége, et croyez
« que je trouverai bien les tfloyens de faire mes affaires
«sans vous.»


Ces paroles, prononcées avec un ton fier et mena-
c;ant, étoient bien inutiles pour le doux et vertueux:
arc}l~yeque:de Cantorbéry, prélat royaliste par prin-


·cipe de religion, tolerant parcaractere et aUaché
par convictionou par habittide a la foi de son église~
Mais, pOUl' un' motif bien différent, ~nes n'étoient
pas moinsinutiles a Compton, éveque de Londres.
Le premier étoit a la tete des Angl,icans modérés;
il 'eut toléré les Catholiques pour que la libérté de


1 Lettt>e de Barillon,




416 R~VOLUTION DE 1688,
conscience fUt accordée aux Non-Confor1l1istes. l .. e
second, né pour les armes et les mouvements poli-
tiques bien plus que pour le calme du sanctuaire,
fier de sa naissance (il étoit fils de Spencer, cornte
de N orthampton), ambitieux, audacieux, connois-
sant toute la force qu'il pouvoit trouver dans le fana-
tisme populaire, dans les inquiétudes publiques et
dans la chaleur des factions; déja enfin surnommé
l'Évéque protestant, cornme s'il eut été le plus sin-
cere Confesseur de la Foi, il persécutoit avecrigueur
les Non-Conformistes pour avoir le droit de proscrire
tout ee qui étoit Catholique, meme le Roi, s'il as-
piroit a renverser .l'Église anglicane.


Depuis l'avenement des Stuarts, c'étoit l'Épiscopat
qui avoit défendu l'autorité royale; c'étoit luí sur-
tout qui, dans ces derniers temps, avoit maintenu
le droit héréditaire dans la personne de l'héritier
<;athol~que. Toutes ces menaces eontre un eorps sí
puissant étoient done au moins téméraires; ·et si le
Roí, do~iné par des conseils irnprudents, aspiroit
a le renverser, il luí falloit s'unir ~ux seetaires qui·
étoient ennemis de la Royauté, ou s'appuyer unique-
ment sur les Catholiques. Mais le seeours des uns
étoit au moins douteux, s'il n'étoit pas .excessive-
ment dangereux. Le petit nombre des autres ne per-
mettoit pas .. de faire pour eux et avec eux l'expérience
d'une révolution religieuse.


Cepelldant les Catholiques auxquels iI donnoit sa




EN ANGLETERRE.


conñance, l'excitoien't incessamment a ne pas mé ..
nager l'Épiscopat anglicano lIs ne secontentoient
plus d' obtenir la liberte de conscience: Ieurs vues
s'étendoient plus loin. lIs persuaderent au Ror'que
jamais sa personne et la Religion Catholique ne se'-
roient en su reté , tant que les héritiers présomptifs
seroient protestants; et dans cette vue 'ils s'atta-
eherent au projet d'intervertir l' ordre de lasLicces;.;
sion, d'en écarter la Princessed'Orange, et"d'assu-
rer la Co~ronne a laPrincesse de Danemark, si eHe
vouloit abjúrér la foi anglicáne. C'e"st ce qui resulte
d'une lettre confidentiellé de l'ambassadeur de Francé
du 12 mars, que les historien s et M. Fox n'ont point
connue. Louis XIV jugeoit alors phis sainetnent,de
ces projets dangereux que les Catholiques; f¿ictieux '
d' Angleterre. «Il est bien a souhaiter,» réporidit-il ~
« que le Roi puisse porter la Princesse Anne, SR filte ,
« a embrasser la Religion Catholique; rriais iI n'y la'
« pas lieu de croirequ'il puisse éloigner par: ce'
{( moyen 'la Princesse d'Orange de la successici~: ~
« la Couronne, et y faire passer, a son exclusión,
« la Princesse Anne, sa cadette.» ~ouis X~V n~ dés~
approuvoit pas absolument 'ce projet;ii' se contenta
de recommander une surveíllance exacte sur. cepoint
a son ministre.


De teIs projets ne pouvoient échapper ni aux
amis du prince d'Orange" hétitier présomptif; ni
au partí épiscopal. Sans parlerde ce qui s'r trou-


1. 27




RÉVOLUTION DE 1688,
voit de eontraire a la droiture naturelle eomme a l'es-
prit meme de la Religion, ces projets étoient politi-
quement mal habiles et dangereux. En effet, le Clergé
angliean se défioit du prinee d'Orange, qui étoit
Cal viniste; il présumoit avee raison qu'une fois sur
le trone, ce Prinee favoriseroit les seetaires, enne-
mis-n¿s de I'Épiseopat, et qu'il leur aecorderoit la
liberté de eonseience. De leur coté, les Catholiques
modérés.esp~roient aussi que la toléranee leur se-
roit aeeordée par le Prinee, eomme elle l'est en
Hollande, ne fut ... ee. que pour balaneer l'immense
erédit duparti anglican sur le peuple : e' est la que
sebornoient les ,vreux actuels de ces Catholiques.
Le temps , qui efface enfin les préven tions publiques,
feroit le reste poureux, quand seroit venu enfin le
moment fixé par la Providenee. La raison seule
sembloit done devoir indiquer au Roi ,,-qui redou-
t~it le prince d'Orange, qu'iI ne falIoit pas donner
au partí angIican d'autre protecteur que lui-meme.
Il.n'en fut p~s ainsi. Le Clergé anglican et ceux des
Seigneurs qui étoient royalistes, mais zélés protes-
tants, s'aper<;ure:Q.t,des projets de la Cour; et voyant
l'héritier légitime dans le prince d'Orange, iIs com-
prirent que ce Princ,e étoit le seul protecteur de
leur Religion et de leurs lois. « lIs venlent, » dit
Barillon, « que la Royauté subsiste; mais ils ne dé-
« sirent pas que l'autorité royale ait trop de force.
ce Ainsi lenr inclínation les porte a favoriser pré-




EN ANGLE'I'ERltE.


( sentement le pl'ince d'Orange, et a laisser seule;..
« ment régner le Roi d' Allgleterre paisiblement pen-
«( dant sa vie, sans souffrir qu'il puisse rien changer
« ni dans la Religion, ni dans les loi8. ).)


Le comte de Roehester et le eomte de Clarendon,
oneles des deux Prineesses, étoient, avec le rnarquis
d'Halifax, a la tete de ce parti dan s le Conseil. ,Go-
doIphin y adhéroit secretement, tout eQ.'se dévouant
aveuglément aux moindres désirs du Roi. Le eornte
de Sunderland pensoit comme eux. Mais il désiroit
prendre des engagements particuliers et personnels
avec Louis XIV. Sa dextérité lui avoit gagné la
confiance de la Reine et des Catholiques; iJ vouloit
tout-a-Ia .. foís renverser Halifax que le Roí n'aimoit
pas, et Rochester qui cornmen~oita devenir impor-
tunpar ses résistanees; iI se jeta ou parut se jeter
tout entier dans le systeme des I.Jords Arundel,
BelIasis et TaIbot, depui~ due de Tirconnel, Catho-
liques, confidents les plus intimes du Roi.


Ces projets et ces dispositions diverses de touts
les esprits reeevoient de laprochaine réunion du
Parlement une physionomie qu'il seroit difficile ,d'ex-
primer. Le temps des élections ést surtout celui ou
le peuple d' AIlgleterre manifeste le plus fortement
ses craintes, ses espétan~es, ses griefs <et ses pas-
sions, tels qu'illes éplxmve. C;est alOfs ~ue les en- t
gagements politiques se pren~ent, engageinents
inviólables pendant la durée du Padement. Les j n-




R~VOLUTION DE 1688,
tér~ts qui . alloient se débattre avoient une impor-
tance dont chaque parti connoissoit la gravité. IJe
Roi n'avoit encore que des desseins mal détermi-
nés dans son esprit'; mais il se croyoit assez fort
pour emporter de haute lutte, et par la fierté de
son langage, touts ceux qu'il proposeroit, quels qu'ils
fussent. Le premier, le principal pour lui, étoit de
se faire attribuer un revenu perpétuel qui lui pro-
curat d'abord l'indépendance par rapport aux sub-
sides éventuels, et successivement une armée capable
de soutenir l'autorité absolue qu'il aspiroit a con-
quérir. Ses projets en faveur de la Religion catho-
lique venoient en seconde ligne. C'est par la qu'il
espéroit s'attacher la protection de Louis XIV, 'pour
compléter son systerne d'autorité, quoique, natu-
rellement jaloux de ]a France et merne de la gran-
deur de Louis XIV, il se fut preté sans peine a tout
autre moyen d'abaisser la prépondérance du Parle-
mento


Ce qui s' étoit passé a la fin du dernier regne,
par rapport aux Chartes des villes et corporations,
lui donnoit toute espérance de voir triornpher le
parti de la Cour dans les élections, et il pensoit
avec raison que les Wighs n'enverroient a la charnbre
des Communes qu'une opposition impuissante. Ce-
pendant iI s'expliquoit ouvertement sur sa résolu-
tion de casser irnmédiaternent le Parlernent, s'il n'ob-
tenoit, pour tout son regne, un revenu tel qu'il le




EN ANGLETERRE.


désiroit. Il donna l'ordre a Jefferyes ,Chef de justice,
qui alloit tenir les assises dan s les corntés, de ré-
pandre partout cette rnenace, et iI en parla meme
au Conseil. Alors le marquis d'Halifax n'hésita point
a luí représenter, mais avec mesure, que jamais les
Rois d'Angleterre ne s'expliquo.ient ainsi d'avance:
de telIes menaces ne feroient que donner de l'om-
brage au Parlement, qui, dans so.n o.béissance
mema, veut toujo.urs paro.itre agir en pleiue Iibe·llté.
({ De ces cornmencements, » ajo.utoit-il, « peut dé-
(e pendre tout le bonheur de Votre Majesté. Ne
« blessez po.int la fierté naturelle aux. grandes asaem.,
« hlées. Ceux meme qui sont timides o.U indécis
a prennent souvent alors la vanité pour au courage. »
Cette remo.ntrance déplut au Ro.i. l( Je ne prétends.
« pas so.uffrir,» dit-il, « qu'aucun de ceux qui o.nt
(e la mo.indre part aux affaires o.sent publiquement
( avo.ir un autre avis que le mien. »


Les élections avoÍent été presque parto.ut a~ peu
pres co.mme le Roi paro.isso.it les désirer; ~t quand
elles furent terminées, iI dÍso.it lui-mem.e que de
cinq cents députés il n"y en avo.it pas q,uarante qu'il
n'e~t vo.lo.lltiers nornmés, s'il aVo.it da les cho.isir.
,Mais en tenant ce langage, ii ne s'apercevo.it pas
que to.utes les situatio.ns po.litiques éto.ient changées.
Depuis la Révo.lution, les Torys, ~'est-a-dire, ceux qui
tenoient par principe a l'auto.rité ro.yale, ne se dis-
tinguoient point du parti épisco.pal; et cette maxime




nÉVOLUTJON DE J 688,
de Jacques Ier : Point d' Épéques, point de ROL,
étoit devenue, depuis les malheurs de Charles I er ,
une maxime d'État; de la toutes les lois pénales
contre les sectes qui ne re~¿nnoissoient point l'Épis-
copat. Tant que les Rois furent Anglicans eux-
memes, ils s'appuyerent naturellement et néct',ssai-
rement sur les Torys. Mais tout changea dans les
esp~its, quand le duc d'York devint Catholique. Les
To.'-ys furent divisés en Torys d'État et en_ TOl'YS
d'Église, distinction qui devenoit plus marquée a
l'oecasion de ce nouveau Parlement, convoqué par
un Roi Catho\i<lue. I.Acause roya\e se trouvoit done
oivisée e\\e-meme; et )es projets ou 1\oi, que\s qlii\s.
fussent, ne pouvoient pas trouver des appuis aussi


) fermes dans ses défenseurs naturels, si ces projets,
eomme tout le faisoit penser, étoient en opposition
avec les intérets de la religion du pays.


Cependant la Cour n'avoit négligé aueun moyen
de s'assurer les élections. Voulant flatter l'orgueil
national , ou calmer les inquiétudes, elle 6t entendre
partout que le Roi, vivement recherché par l'Es-
pagne, les États .. Généraux et l'Empereur, tiendroit
avec fermeté la balance de l'Europe, si meme il ne
se déc1aroit pas formellement contre la France. Ef ..
fectivement on avoit remarqué la maniere dont il
avoit rec;;u le Maréchal de Lorges, Amhassadeur ex-
traordinaire de Lluis XIV, au sujet de son avene-
ment a la Couronne. C'étoit la premiere audienee




EN ANGLETERRE.


solenllelle depuis le nouvpau regne, el Jacques II
rec¿ut le ~Iaréchal, assis et couvert, de la meme
maniere que Louis XIV recevoit les envoyés : grande
nouveauté alors pour les Anglais, puisque Charles 11
n'observoit aucun cérémonial, et traitoit I'Envoyé de
Genes comme celui de l'Empereur meme. Aussi en
parla - t - OIl avec une certaine satisfaction ~ tant les
peuples sont sensibles a tout ce qui intéresse la di-
gnité publique! Mais Louis XIV n'en 6t que rire,
et dit fort plaisamment au Maréchal de Vil1eroi :
« Le Roí mon frere est fier, mais il aime assez les
c( pistoles de France.»


Un moyen plus efficace avoit été employé pour
les élections. Par le rtmouvellement des Chartes,
toutes les corporations se trouvoient a la merci de
la Cour. Aussi, ponr ne citer qu'un exemple, la
province de Cornouailles nommoit senle qnarante
députés. Mais le comte de Bath, Gouverneur, rem·
plit les corporations de sa province d'officiers aux
gardes, et nomma, par le fait, les quarante dé-
putés.


Malgré ces mesures, si le parti des Wighs ne put
faire éJire les membres des derniers Parlements, iI
obtint quelques triomphes. Le frere de mylord Rus-
sel et le pere de Hampden furent élus. Ces deux noms
étoient devenus fort iIlustres et représentoient natu-
relIement touts ceux qui haissoienf ou redoutoient. la
Cour. Enfin la grande majorité des élections, quoique




RivOLUTION DE 1688,
tres prononcée pour lemaintien et le respect des pré-
rog,~#ves de la Couronne" se f.a.is~it remarquer par
tUl; zele non moins actif pour la Religion protes-
tante. Presque tOUt8 les dép~tés appartenoient au
parti épiscopal , et ne tarderent pas a se réunir, avant
meme l' ouverture des chambres, pour conférer entre
eux sur les moyens de procurer ce qu'ils nommoient
des ,garanties el la religion et aux libertés du pays.
e' est la . que se manifesta la distinction des Torys
purset des Torys d'Église ou Protestants zélés. Il
fut convenu tout d'abord que les Communes deman-
deroient au Roi des suretés convenables pour que
ses~nfants, s'illui en survenoit de la Reine, fussent
élevés dans la Religion anglicane 1; demande qui se
rapportoit visiblement auxprojets formés sur la prin-
cesse Anne de Danemark, puisqu'il n'étoit plus pro-
bable que le Roi eut des enfallts de la Reine.


Leparti épiscopaI ou anglican n'avoit pas vu sans
surprise que les lords Catholiques, exclus par le hiU
du Test, eussent pris leur rang de Pairs a la céré-
monie du couronnement. Tout annoll<60it que c~
parti formeroit une grande majorité dans les Com-
munes" el iI se. montroit décidé a ne rien relacher
sur la' sévérité des 10is pénales; seul moyen d' éloi-
gner les lords Catholiques de la Haute Chambre, et
d'arreter ainsi les projets du Roi oontre l'Église an-


J Lettrc de Barjllon.




EN ANGLETERRE. 4~5
glieane. Enfio, 10uts les zélés Protestants des deux
charnhres eonvinrent de saisir eette occasion, pour
délihérer a fond, quand le moment seroit venu, sur
les moyens d'arreter le progres des Catholiques. On
parla meme d'attaquer ouvertement les ministres qui
avoient eu la eonfianee de Charles II, dans les der-
niers ,temps de son regne; par la on jetoit le Roi
dans la douhle néeessité ou de les défendre, ou de
laisser discuter les questions qu'il redoutoit le plus.


Un dessein plus profond et plus dangereux étoit
de proposer, immédiatement apres le diseours de
la Couronne, d'expulser de la. ehambre des Com-
munes les députés réélus qui, dans les précédentes
sessions, avoient porté le hill d'exclusion contre le
due d'York. Sous l'apparence du respect et du zele,
00 avoit en cela deux motifs. Le premier, d'aigrir
la nation contre le Roi qui prouveroit, en y don-
nant son adhésion, qu'il n' oublioit point, et qu'il
vengeroit les aneiennes injures ; le second, de faire
tomber Sunderland et Godolphin, ses ministres ac-
tueIs, qui, apres avoir si fortemeut soutenu le bili
d'exclusion, n'en avoient pas moins la confianee in-
time du Roi. Sunderland étoit surtout l'objet des
plus fortes animosités. On le soup<;:onnoit d'avoir
été l'instrument, avee la duehesse de Portsmouth,
des liaison s de Charles avee Louis XIV. En lui re-
prochant ainsi d'avoir trahi la eaus~ de I'Angleterre,
on eouvroit une iujure plus vive, l'injure d'avoir




RÉVOLUTION DE 1688,
trahi les Communes, qu'il paroissoít servir quand illes
excitoit, de concert avec Charles 11 sans doute, a insis-
ter, commeelles l'avoient fait, sur le bill d'exclusion l.


Une aUaque ainsi couverte contre les ministres
actuellement en crédit, devenoit plus dangereuse
pour le Roí. L' Angleterre portoit alors une attention
inquiete sur les symptomes de guerre qui se mani-
festoient, malgré la treve de vingt ans entre l'Espagne
et la France. I.Jouis XIV faisoit marcher des troupes
vers les Pays-Bas, et Jacques 11 souhaitoit passion-
nément que toute guerre avec I'Espagne füt au moins
ajournée, craignant avec raison que le Parlement
ne le mIt dans la nécessité ou de se déclarer contre
la France, ou de s'aliéner l'esprit de la nation en
restant uni a la France.


Entln une contradiction manifeste alloit saisir touts
les esprits, et appelleroit nécessairement une dis-
cussion approfondie sur l'état des IOÍs, par rapport
a la Religion de I'État. D'abo~d, les Jois pénales sont
les memes contre les Catholiques et les Non-Confor-
mistes. N' est-il pas absurde et impossible de pour-
suivre en justice et de condamner les Catholiques
au nom du Roi, qui lui-ll1eme est Catholique? De
plus, les charges publiques ne peuvent etre exercées
que par des citoyens soumis a l' Acte d'Uniformité ,
c'est-a-dire, par des Protestants de I'Église Anglicane.


1 LeHl'f> de Barillon.




EN ANGLETERRE.


Or, ceux qui en sont investis jurent qu'ils ne re-
connoissent d'autre chef a cette Eglise que le Roi,
et ce Roí reconno!t lui-meme une autre Eglise et un
autre chef de l'Eglise. Comment concilier ces choses
inconciliables? Par l'abolition des lois pénales, sans
doute. Mais alors qu'arrive-t-il dans un pays comme
l' Angleterre, ou tout se regle par les lois écrites,
et, a défaut de ces lois, par l'autorité des précé-
dents? leí les difficultés devenoient immenses. Sous
la Reine Marie, la Religion catholique étoit redeve-
nue Religion de l'Etat. Par ce seul fait, toutes
les anciennes lois contre l'hérésie reprirent leur
vigueur. Sous la Reine Elisabeth, ce fut la foi de
l'Eglise anglieane qui redevint la Religion de l'Etat.
De la naquirent ces lois pénales que le Roi se propo-
soit d'abolir; mais si elles sont abolies, ce n'est plus
l'Eglise anglicane, qui est l'Eglise de l'Emprre; elle
n'a plus de privilege qui la distingue des autres
sectes protestantes; sa Religion n' est plus la Religion
de l'Etat; ou plutot, par le seul fait des 10is anté-
rieures , il se trouvera encore une Religion de l'Etat,
et c' est la Religion catholique. Or, dans ce cas; il
Y a encore des 10is pénales, mais ce sont les lois
contre l'hérésie; en un mot, il reste encore les lois
portées sous la Reine Marie; et certes re n' étoit
pas a cette conclusion que le futur Parlement pré-
tendoit arriver. Une discussion approfondie sur cette
législation épineuse étoit done inévitable.




RÉVOLUTION DiE J 688 ,
Tout~s ces réfiexions agitoient profondément les


esprits, et surtout le partí épiscopal qui alloit domi-
ner au Parlement. Le Roi meme, tout en affectant
une grande hauteur de résolution et de langage pour
l'abolition des lois pénales, n'étoit pas moins étonné,
pour ne pas dire ínquiet, de l'esprit général qui se
manifestoit. Il chercha donc immédiatement a s'af-
fermir du coté de la France, tout en fiattant le public
de ses bonnes dispositions pour la Hollande, et en né-
gociant meme avec les ministres des États-Généraux.


Louis XIV avoit a peine envoyé a son Ambassa-
deur les 500,000 livres qui causerent une joie si
excessive a Jaeques I1, qu'ille blama immédiatement
d'avoir mis tout-a-coup eette somme a la disposition
du Roi. Barillon, toujours réservé, n'en avoit ce-
pendant rien fait encore; et iI eut sujet de s'en
applaudir, quand le Roi son maitre luí recornmanda
expressément de bien observer si Jacques II, pour
adoucir le ressentiment de ses sujets, a l'égard de sa
religion, ne seroít pas capable de se désister de son
attachement apparentaux intérets de la France.


Peu de jours apres, l' Ambassadeur eut successi-
vement des conférences avec le Roi et ses ministres,
Rochester, Sunderland et Godolphin. Jacques n se
disoit résolu a refuser toul snbside conditionnel du
Parlement, et meme a se maintenir, s'il le falloit,
a force ouverte, dans la jouissance perpétueUe du
revenu affecté au feu Roi; mais lever des troupes




EN ANGLETERRE.


avant la séance du Parlement, ou appeler des forees
étrangeres, si le Parlement étoit dissous de. haute
lutte, seroit une alternative trop périlleuse. On ne
pouvoit done adopter le plan d'une eonduite stable
et vigoureuse eontre.le Parlement, si d'avanee l'on
n'étoit assuré d'un seeours pour le présent, et d'un
subside régulier pour l'avenir. Le seeours aetuel ne
pouvoit etre au-dessous de trois millions., y eompris
les 500,000 livres déja envoyées par Louis XIV, ni
le subside futur moindre de trols millions.


Barillon se montra fort surpris, et marqua son
étonnement au eomte de Roehester en partieulier;
iI lui dorma le eonseil de s'en rapporter absolument
a la sagesse et~a l'amitié du Roi de Franee. « Il suffit
« d' exposer les clIoses eomme elles sont. Pourquoi
c( un subside? Pourquoi un: traité? La grandeur et
(e la seule générosité de Louis XIV doivent suffire,
c( et elles se manifesteront toujours quand il le fau-
«( dra. N'a-t-il pas déja prévenu meme les premiers
« désirs·du Roí d'Angletcl're?)) leí Rochester fit oh-
server a Barillon que les derniers traités avee Charles II
n'avoient pas été inutiles au Roi de Franee. Quoique
la derniere année du subside ait été suspendue, luí,
Roehester, a fermé les yeux en laissant prendre
Luxembourg et dieter les· eonditions de la paix
telles que Louis XIV I'a voulu.Un nouveau traité
peut done ~'etre pas mojns utile a ses intérets. Il
s'agit de tout en ee moment pour le Roí d'Angle-




430 RÉVOLUTION D-": 1 680,
terreo On ne marchande pas' trois millions pour en
obtenir deux; on espere donc que ríen ne set'a di-
minué sur ·ce qui est demandé.


l .. e Roi s'expliquoit plus ouvertement sur ses des-
seins réels. l( Je connois, » disoit-íl, « l'aversion du
« peuple d' Angleterre contre la Religion catholique,
ce et je ne puis surmonter cet obstacle qu'avec l'appui
te: du Roí de France. Mon but unique est d'y tra-
« vailler. Je sais trop que jamais je ne serai dans une
« entiere sureté, si la Religion Catholique n'est éta-
« blie de maniere a n'etre jamais abolie; je n'y
« pourrai parvenir qu'avec du temps, et en prenant
« de grandes précautions pour l'avenir. Sur cela,
( j'ai des vues dont vous serez info'f.mé quand il
( conviendra. Pour le présent, il s'agit de jeter les
« fondements de n10n regne. »)


Quant au comte de Sunderland, Barillon s'aper(,;ut
qu'il connoissoit a fond, ce sont ses termes, les in-
tentions et les desseins de son maltre. L'adroit Sun-
derland parla en conséquence, témoigna un dévoue-
lhent absolu a LouÍs XIV, insinuaque Jacques II
ne paroissoit ménager, en ce moment, le prince d'O-
range, que pour lui oter l' occasion de montrer un
chef aux factieux. D'ailleurs les mécontents seroient
charmés sans doute que 1es refus de la France obli-
geassent le Roí d' Angleterre a se r~concilier entie-
rement avec son gendre, dussent-ils payer eette ré-
cOl1ciliation par les plus nbondants subsides.




EN ANGLETERRE. 431
En rendant compte de ces divers~ conférences,


Barillon explique assez ouvertement ce qu'il fanoil
entendre par les grandes précautions dont le Roí luí
avoit parlé. C'est ici qu'il développe les vues du Con-
seil secret desCatholiques exaltés, pour faire exclure la
Princesse d'Orange, en amenant sa plus jeúne sreur
a la religion du Roi leur pere. L' Ambassadeur exa-
mine les difficultés de ce dessein, et ne pense pas
que Jacques 1I puisse jouir paisiblement de sa Cou-
ronne, « Mais il s'agit d'un coup décisif,» ajoute-t-il ;
« c'est d'engager le Roi d'Angleterre a dépendre en-
« tierement de Votre Majesté; de lui faire faire, en
« un mot, des choses qui lui otent la possibilité de
,( prendre un autre chemin.»


Louis XIV répondit, en rappelant que le dernier
traité de subside avec Charles 11 avoit été de ?,000,000
po nI' la premiere aItnée, de 1,500,000 livres pour
chacune des deux autres, et non pas de 2,000,000
pour chacune des trois années, ainsi que le préten-
doient Jacques II et ses Ministres. La cOlldition de
ce subside avoit été que le feu Roi n'assembleroit
pas son Parlement, et qu'il favoriseroit les intérets
de la Fl'ance, en toute occasion et principalement
alors contre l'Espagne. Mais ce subside est actuelle-
ment payé; il n'existe point de traité entre les deux
Róis et rien n' exige pour le moment des stipulations
nouvelles. Cependant, ajoutoit Louis XIV, « Le Roi
C( d'Angleterre peut sUlvre des a présent I~s mouve-




432 RÉVOLU~ION DE 1688,
« ments de sa fermeté pour réduire son Parlement a
(( lui accorder ce qu'il désire, et ceux de son zele
« pour le rétablissernent de notre religion, sans
« craindre que je l'abandonne.» Apres ces protesta.;.
tions pour le présent, et la prornesse d'entrer en
négociation pour un traité particulier, si la rnauvaise
conduite du Parlement le rendoit nécessaire, le
Roi de France annon<;oit a son Ambassadeur un
envoi de 900,000 livres, pour subvenir aux plus
pressants besoins du Roi d'Angleterre, avec la dé-


• fense absolue de rien délivrer sans un ordre formel.
En apprenant ce refus de faire actuellement un


traite positif, Jacques II ne put dissirnuler son mé-
contentement réel, a travers meme ses démonstra-
tions de reconnaissance et d'inviolable dévouement
a Louis XIV. Godolphin et Rochester avoient obéi
au Roi qui vouloit un traité, ~ais ils ne l'approu-
voient pas. Sunderland au contraire insistoit sur
des engagements formels, et son systeme avoit au
moins pour appui une poli tique tranchante et hardie.
A ses yeux, le Parlement, le prince d'Orange et la
maison d' A utriche devoient etre considérés corome
ayant des intérets cornmuns et inséparables. Dans
cette situation réelle des choses, par rapport a
J acques 11, Sunderland ne vouloit point de demi-
mesure. Il faut au contraire, disoit-il, une éclatante
rupture avec eux des que le Parlement aura fixé le
revenu , si l'on veut se lier a la cause de Louis XIV.




EN ANGLJ<:TERRE. 433
Les vues de Jacques II étoient plus limitées. Il


vOllloit une ,alliance étroite et eqtiere avec Louis XIV,
mais pour un but qu'il ne montroit pas a découvert,
si ce n'est a Barillon. Ce qu'il lui disoit alors étoit-
ce pour flatter le Roi de France et l' engager a
donner un subside ? « J e ne me suis pas encor~ ou-
« vert avec mes Ministres autant qu'avec vous,» lui
dit-il. «Mais avant la séance du Parlement, il me
« faHoit cacher mes desseins, et ne pas laisser péné-
«trer jusqu'ou je veux conduire les affaires.» Alors
il laissoit entrevoir ses projets. Non seulement iI
parloit de l'établissement de la Religion Catholique,
mais encore de l'abolitíon de l'Habeas COlPUS, que
les Anglois, dit Barillon lui-rneme, l'egardent conllllC
le plus ferrne fondernent de leur liberté. Jacques 1I
ue concevoit pas qu'avec un tel acte il put gouverner.
Enfln, ajoutoit-il, le Roi de France connoitra, peut-
etre trop tard, ce qu'il auroit falIu faire. Barillon
pria le Roi son maltre d' ajouter encore 1,100,000
livres aux 900,000 livres déja prornises, pO,ur qu'íl
y eut au moins un fonds de deux rnillions toujours
pret pendant la séance du Parlement. Il pensoit que
J acques II en seroit pleillement co~tent.


Louis XIV parut croire que toutes ces instance,s
avoient pour but d'avoir les moye~s actuels d'acheter
les voix du Parlement; et, dans cette vue, il annon~a
l'envoi prochain de 600,000 livres, qui, réullies
aux 900,000 livres précédemment promises, et aux


I. 28




434 RÉ'VOLUTION Dl~ 1688,
500,0001ivres envoyécs des la nouvelle de la mort du
Roi, compléteroient efIectivement deux millions.l\fais
oubliant, ou feignant d'oublier, que ces 500,000 livres
se trouvoient déja délivrées pour solder le subside
de Cl~arles 11, il enjoignit a Barillon de ne dOrlllCl'
,ue 400,000 livres, et de réserver strictement les
1600,000 livres restantes, avec ordrc de témoigner
que toute nouvelle instance seroit inutile autant <)ue
désobligeante.


Contrarié par cette réserve, Barillon annonc;a
aux Ministres el au Roí d'Angleterre qu'il alloit re·
cevoir encore 600,000 livrf's, el insista de nouveau
pres de Louis XIV, pour obtellir l'autorisation de
délivrer les 1500,000 livres, non compris les 500,000
livres déja payées. Mais Louis XIV ne vouloit rien
donner, si le Parlcment accordoit le re"fenu dont
Jacques II.s'étoit mis provisoirement en possession.
Il dédara done formellement a son Ministre qu'il
devoit se borner a délivrer 47°,000 liv., pour solder
le subs.ide de Charles II; ce qui étoit deja faít,
puisque Barillon avoit meme payé 500,000 livres.
Quant aux 1530,000 livres qui restoient, Louis XIV
lui ordoDnoit encore de les garder; a moins que le
Parlement ne refusat a J acques II le revenu du feu
Roi, ou que ce Prince, éprouvant trop d'obstach~s
a l'établissement de la Religion Catholiquc, De fut
obligé de casser le Parlemellt et d' employer la


force pour réduire ses sujets ti la raÍJon. Louis XI V






EN ANGI,ETF:RRF:. 435
finissoit par luí rec?mmander de s'attacher surtout
a bien obseryer les négociatioos de l' Ambassadeur
de Hollande avec les Ministres Anglois. Il soup~on­
noit le Roi de prendre des mesures opposées aux
intérets de la France, et de former d~s liaisons avec
le Prince d'Orange. La conjecture de Louis XIV
étoit vraie. Jacques II et ses ~inistres négocioient
avec la Hollande, tout en s'excusant par la nécessité
de dissimuler avant de jeter le lnasque. Mais
L01,lis XIV se refusa fermement aux nouvelles ~ns­
tance.s dont Barillon se rendoit l'intermédiaire. « S'il
« a de mauvais desseins, disoit-iJ, je oe veux pas
«contribuer a le mettre en état de s~opposer a tout
« ce qui peut etre de ma satisfaction.))


11 écrivoit ainsi le jour meme de l'ouverture des
deux Chambres, et déja la Couronne du Roi d'An-
gleterre étoit attaquée a main armée.




(1


S OMMAIRE.


1685. - (SUITE) •


Ouverture du Parlement et discours du Roi. - Premie res
inquiétudes. - Parlement d'Écosse. - Invasion du {:omte
d' Argyle en Écosse. - Invasion de Monmouth en Anglt'-
terreo - Bataille de Sedgemoor.




RÉVOL. DE 1688, EN ANGLETERltE. 437


LIVRE IX.


1685. - (SUITE) •




'J ACQUES 11 fit en personne l'ouverture du nouveau
Parlement, et s' exprima en ces termes 1


« MVLORDS ET MESSIEURS,


« Lorsqu'il ~ piu a Dieu de disposer du feu Roi
\( roon tres-cher frere, et de m'établir sans opposi-


"« tion sur le trone de mes ancetres, je pris en meme
« lemps la résolution de convoquer un Parlement,
~( dal1s la pensée que je ne pouvois mieux faire, pour
« jeter les fondements d'un regne aussi doux , aussi
«( heureux que le mien doit l'etre POUfVOUS.


({ Je veux bien vous r~péter 'ce que je répétai a


1 On se sert ici du discours tel que l' Ambassadeur de France
l'envoya le jour me me a Lonis XIV. La. traduction en est un
pen trainante, mais elle est fidele. Celui, au contraire, qui est
publié dans la Vie de Jacqucs II, écrite sur ses mémoires par
Clarkc, attéuuc singuliercme":t la force des promesses royales.




438 R VOLUTION DE 1688,
« mon COllseil Privé, la premiere fois que .le m'y
(e rendis , et que j'y fis eonnoitre mes sentiments sur
« les principes de l'Église anglicane.


« Dans les temps les plus facheux, les membres
«( d~ eette Église se sont toujours signalés par une
« fidPlité si inviolable, soit en défendant mon pere,
« soit en secondant les intentions de feu mon frere,
« d'heureuse mémoire, que je ne cesserai jamais de
( la défendre et de ]a protéger. Je ferai touts mes
« efforts pour maintenir les lois qui sont.ujourd'hui
« établies dans I'Église et dan s l'État; et comme je ne
« permettrai jamais qu'on viole, en aucune maniere,
« les prérogatives de la Couronne, aussi ne ferai-je
« tort a personne, ni dans ses hiens, ni dalls ses
« droits; et puisque, .par le passé, j'ai hasar~é ma
« vie pOUl' la défense de la nation, vous ne devez pas
« douter qu'a l'avenir je ne m'emploie, autant qu'au-
c( cun de vous, a lui conserver touts ses privileges.


« J'affeete de vous parler dans les memes termes
« que eeux dont je me servís lors de mon avtmement
« a la Couronne, afin que vous soye~ persuadés que
( j'avois réfléehi sur ce que .le dis alors, et afin que
« vous puissiez compter sans crainte sur la promesse
{( que je fais si solellnellement. .... »


Avant de prendre la parole, Jacques Il n'avoit
re\!u encore aueun de ces témoignages de eonfiance
ou d'espérance que faÍt naltre la présence du souve-
rain dans ces grandes occasions ou il se communique




a la natioll. 'fouts les yeux éloient fixés sur les siens,
dans un silenee qui témoignoit assez haut les vreux
ou les ineertitudes du Parlement. Mais le_ Roi, doué
d'un organe facile, mit dans ees paroles une expres-
sion si vive et si pénétraute, qu'il se fit eomme une
révolution soudaine dans cette majestueuse réunion.
Chaeun portoit alternativement sur le Roi et SUl'
l'assemblée des regards· de surprise, de joie et de
tr·iomphe. Le Roi continue : •


\( Mais apres vous avoir donné ces assurances du
« soin que j'aurai de vos droits et de votre Religion ,
« iJ me semble que je dois espérer quelque reeonnais-
« sanee de votre part; et je me flatte de trouvel' en
ce vous autant de zele et d'amitié que j'en puis raí-
« sonnablement attendre dans eette oeeasion, ou iI
«( s'agit prineipalement de m'assurer un revenu pe n-
« dant ma vie, ai,nsi que vous l'avez pratiqué a
« l'égard du feu Roí mon frere ..... »


leí éclate un assentjment unanÍme. Le Roí pour-
suit son diseours.


« Je pourl'ois apporter plusieurs raisons. Les avan-
(, tages qui se tirent du ~ommeree, l'entretien de la
'« tioue, ljs bcsoins de la Couronne, et l'intéret de
« l'État, que je ne dois pas gouverner en suppliant,
l( m'en fourniroient de sufíisantes, ponr faire voirtlla
« justiee de eette demande. Mais, aeeoutumés a
« eOlllloltl'e par vous-mernes ce <¡ui est juste et rai-
( sonnaLle, vous n'avcz besoin quc de vos propres




R ÉVOLfJTION DE 1 688~
c( lumieres pour voir clairement tout ce que je pour-
« rois ajonter.


« Cependant je prévois que l' on peut alléguer un
« argument fort ordinaire, et que, pour flatter l'in-
« clination des peuples a de fréquents Parlements,
« on pourroit croire plus a propos de m' accorder ,
ee de temps en temps, le subside que ron jugeroit
« nécessaire. Je suis done bien aise d'y.répondre une
« fois pour toutes; et comme e' est la premiere fois
«( que je vous parle COlnme Roi ...... » '..


A ces mots, touts les visages se couvrent comme
d'un nuage.


« .••.•... Je vous déclare qu'il faut agir avec moi
« d'une . autre maniere, et que le meilleur moyen
(c pour m'engager a vous assembler souvellt, est de
« me bien traiter. Ainsi j'espere que vous m'accor-
(c derez ce que .le vous ai demandé, et que vous me
ce l'accorderez promptement, afin que la session ne
« dure pas long-temps, et que nous puissions nous
« revoir a notre <;ommUlle satisfaction.


« MYLORDS E'l: MESSIEURS,


cc Il faut que je vous fasse part des nOUiVelles que'
« j'ai re~ues ce matin. J'apprends qu' Argyle a mis
« ,ied aterre dans la Haute - Écosse , du coté du
« couchant, avec touts ceux qu'il a amenés de Hol-
ce lande, et qu' on y a publié deux déclarations, l'une
« sous son nom, et l'autre au nom de ceux qui sont




F:N ANGLF:TERRE.


{( en armes. Il faudroit trop de temps pour vous
« informer du contenu de ces déclarations. Je me
« cont~nteraí de vous dire qu'on m'y traite d'usur-
« pateur et de tyran. J'ai donné ordre que la plus
« courte vous fut communiquée. Je prendrai les meil-
« leures mesures que je pourrai pour ne pas laisser
« la déclaration de ces rebelles et de ces tactieux sans
« la récompense qu'elles méritent ; et je ne doute pas
(e que cela n'augmente encore le zele que vous devez
« a"oir pour la défense du Gouvernement, et que
« vous ne m'accordiez sans délai le revenu que .le
« vous ai demandé et comme je vous l'aí demandé. »


Apres le discours du Roi, les Communes se réu-
nirent dans leur Chambre et délibérerent immédia-
tement sur le discours de la Couronne. Seyrnour prit
·la parole, e~ sans s'opposer a ce que le revenu du
feu Roí fut accordé a J acques II, il demanda qu' a-
vant de s'en occuper, la Chambre examimlt la vali-
dité des élections. Outre les accusations générales
de brigues, de corruption et de défaut de liberté,
il argua de nullité radicale toutes les élections fa~tes
sous la présidence des magistrats nommés depuis la
révocation des anciennes Chartes. « Ces Chartes., »
dit-il, « étoient confirmées par un temps irnmémo-
( rial, par l'approbation expresse de plusieurs Par-
« lernents. Ni ~es Lois, ni l'usage ne permettoient de
« les annuler. Ainsi, le príncipe des élections' étant
« défectueux, les députés nommés de cette maniere




442 RtvOLU1~ON DE 1688,
« ne sont pas de véritables membres du Parlenlt'ut.
« Cependant, Messieurs, dans quel tcmps fut-il plus
« nécessaire a la Nation de s'exprimer par des choix
« libres et légitimes? N' est-ce pas surtout a cette
« époque, ou elle est menacée dé voir changer ses
« Lois et sa Religion? Ceux qui connoissent l'aver-
« sion de l' Angleterre oontre le Papisme, et son
(e attachement invincible a ses libertés, savent bien
« qu'ils ne pourront parvenir a leurs desseins qu'a-
(( vec la puissance parlementaire. Aussi est-il néces-
« saire d' empecher, par l' observation des Lois, qu'ils
« ne se procurent, un Parlement soumis a leurs
« volontés. Déja iI est question d'abolir le Test,
« seul rempart qui nous reste contre l'invasion du
« Papisme. Une fois cet obstacle renversé, les Pa-
« pistes rentrent dans les charges publiques et réta-
« blissent leur Religion sur les ruines 'de la notl'e.
« Déja encore on parle hautement de nous ravir
« l'habeas corpus. Que nous restera-t-a contre le
(e Gouvernement arbitraire, si ce dernier asyle de nos
« liñertés ne peut rester inviolable? »


« Ce discours ,» dit Barillon, « prononcé av('c beau-
« coup de force, eut l'approbation secrete de beau-
« coup de députés; mais personne ne se leva pour
« l'appuyer. Ces questions,» ajoutoit-il, «se repro-
« duiront dans la suite. ») Quoi qu'il en soit, les Tol'ys,
sÍncerement attachés a la Couronne, insislerent pour
le revenu. Parmi les Wighs, les plus lHodérés He




EN ANGLETERRE. 4fl3
vouloient pas que le Roí se crut forcé de recourir a
la France, comme Charles 11. lis étoient flattés me-
me des . bruits qui circuloient alors d'une bonne
intelligence entre Jacques 11 et le prince d'Orange.
D'autres craignoieut que leur opposition ne fut con-
sidérée comme un penchant a soutenir la révolte
d' Argyle et les projets déja connus de Monmouth.
Les plus habiles feignirent d'accorderde bonne grace
ce qu'ils ne pouvoient empec:her, dans l'espérance
que, bientót peut-etre, si le Roi faisoit quelque ten-
tative contre les Lois civiles et religieuses, ils au-
roient occasion de le rendre odieux au peuple, en
opposant son ingratitude a la confiance du Parle-
luellt. Le revenu du feu Roi fut done, presque san s
discussion, .aBoué pour toute la .,ie de Jacques lI,
le jourmeme. Il semontoita 1,200,0001. sterl. Quel-
ques jours apres, le "Roi, par un discours noble et
popuJaire, démontra que les conjonctures nouvelles
ou Royaume , l'état de la floUe et les services pu-
blics exigeoient d'autres secours, qui luí furent im-
~llédiaJem~nt accordés, mais pour ·huit années.


Si Jacques 11 fut satisfait du Parlement sur ce
point, il se montra inquiet et irrité d'une mesure
qui fut prise a l'unanimité par rapport a la Religion.
Les Commune~, formées en Comité, examinerent


. d'abord le discours du Roi, et s'attacherent aux
moyens de fixer ce qu'il falloit entendre par les termes
de Religion Protestante. Il fut résolu sans contradic-




444 nÉVOLUT ION DI~ 1688,
tion : « que la Chambi'e devoit se pourvoir devant le
« Roi, aux 6ns de défendre et de soutenir de leurs
c( vies et de leurs fortunes, la Religio~' Réformée de
« l'Église d'Angleterre, et que Sa Majesté seroit sup-
({ pliée de mettre a exécution les Lois contre les dis-
{( sidents quelconques. »


eette décision de la Chambre formée en comité,
devoit etre lnise en· discussion publique te lem.\e-
maine Le Roí, pom' prévenir ce coup dangereux,
manda les députés les plus accrédités avec ceux qUl
étoient le plus attachés a sa cause, et leur reprocha
séverement de s' etre laissé entralner a une telle ré-
solution. « Si la Chambre,» dit-il, « persiste a me
« présenter son adresse, je saurai luí répOI~dre en
« termes si décisi~, qu'elle ne s'y exposera plus. »


Le lendelnaill en efTet, apres le rapport du Co-
mité, iI Y eut de vifs débats, ~t le partí de la Cou!'
fit adopter un moyen tenue, qui étoit de moutrer
une confiance illimitpe dans les promesses du Roi,
tout en manifestant un ferIlle attachement a la Re.
ligíon du pays. En conséquence la réso~uliQIl sui-
vante fut portée au Roí, simultanément avec le bill
du revenu.


« Les Communes comptent sur la parole eL sur
« les déclarations réitérées de Sa Majesté, pour le
« main tíen et la défense de l'Ég) ise d' Augleterrt>, telle
c( qu'elle est actuellement établie par les loís: laquelle
« leur est plus chere que teu!'s pro/JI'eJ 'Vies. )}




EN ANGLETERRE. 445
En pronon~antces derniers mots, I'Orateur pré-


s8Ilta le bill du revenu, et dit au Roí « que les Com-
«,munes avoient passé ce hill, seul et sans eondition
« pour l~ sureté de leur Religion, quoíque,» ajouta-
t-il, « elle'leur fut plus chere que leurs vies.» Le
Roi parut ne pas remarquer l'intention affeetée de
I'Or~teur. Mais il expri~a tout son roécontentement
aux éveques, et surtout aux Députés qu'il jugeoit
dévoués a ses intérets: « Malice ou ignoranee,;) leur
disoit-il, (e eoroment avoir preté les mains a un des-
« sein si peu respeetueux pour votre Roi? En me
« laissant ainsi demander par le Parlement de pout'-
« suivre avec rigueur }'exécution des lois pénales
ee eontre les dissídents, n'est-cepas meconstituer moi-
« meme le persécuteur des Catholiques?»


Le meme jour on proposa aux Commnnes le
projet insidieux dont il a déja été parlé, d'exclure
ceux des Députés actuels qui avoient porté le bill
d'exclusion eontre le duc d'York. :Mais le parti de
la Cour avoit rec,;u l'ordre de s'y opposer avec vigueur',
et la prop9sition n'eut aucune suite. Il en fut ainsi
d'un projet d'adresse pour príer le Roí de s'e~ployer
a conserver le repos de l'Europe. On vouloit en
quelque sorte lui tracer une route a suivre par rap-
port a la France. Mais, dans les conférences parti-
culieres ou l'on agita ce projet, on comprit sans peine
que la propositiop devant se renfermer en termes tres-
généraux, le Roí y pourroit trouver une occasion




446 RÉVOLUT10N DE 1688,
de lever des troupes, et nH~me de s'unir étroitement


, a Louis XIV, sous ce prétexte qui luí seroit four~i
de maintenir la paix en Europe.


Dix jours avoient suffi pour assurer a la Couronnc
un revenu tel, que jamais, depuis Guillaume-Ie-Con-
quérant, aueun Roí d' Angleterre ne s' étoit vu dans
une situation aussi florissante. Outre son apanage
eomII\e due d'York, iI avoit, de plus que le' feu Roi
son frere, huit cent mille livres sterling, avee }'ha-
bitude et l'amonr d'une économie quelquefois sévere.


Le Parlement d'Éeosse, qui avoit été réuni un
peu auparavant, avoit montré une égale générosité,
un dévouement plus ardent et surtout sans condi-
tion, enfin un enthousiasme, un abandon qui in-
spira meme des inquiétudes a celui d' Angleterre.
Jaeques 11, sous le dernier regne, s'étoit surtont
attaehé la noblesse et les propriétaires d'Éeosse. Lpur
haine eontre les Puritains et les Presbytériens lui ga-
rantissoit leur zele' pour sa personne. L'établissp-
ment réeent encore de I'Épiscopat et les Lords des
articles le rendoient naturellement absolu sur le
Parlement. La Convocation de eette assemblée fut
done sa premiere pensée. La lettre qu'il 1 ';ti écrivit
devoit la flatter : a la vérité, il leur disoit franche-
ment qu'il s'agissoit d'augmenter son pouvoir, et de
donner ainsi }' exemple a ses autres États; (e mais e' é-
« toit uniquement,» disoit-il, « pour mieux protéger
« leur Religion, leurs lois, leurs droits et leurs pro-






EN ANGLETERRE. 447
#( priétés, contre les f.:1natiques et les assassins;») dési-
gnunt ainsi la moitié de son royaume, peuplée de Pu-
ritains et de Presbytériens.Le cIuc de Queensbury
avoit ouvert le Parlement en son nom, et développa
ce que la lettre du Roí n'avoit qu'indiqué. Apl'es lui,
le comte de Perth, Chancelier, exhorta le Parlement
a signaler son zele, « en détruisan t , » disoi t-il, (c une
« race de scélérats, ennemis de tout Gouvernement
« comme de toute Religion. })


(( Quoique ces misérables, » dit a cette occasion
le Roi dans ses mémoires, « ne méritassent point de
(e quartier, je n'étois animé d'aucun esprit de per-
e( sécution; je ne voulois qu'éviter de nouveaux trou-
« bIes. » Cette apologie est bien peu digne d'un Roi
Chrétien. Lorsqu'il s'agissoit, quinze ans auparavant,
de rétabIir la Religion CathoIique en Angleterre,
de concert avec Louis XIV, Jacques n, alors due
d'York, imaginoit que ce seroit un moyen bien ef-
ficace potlr y parvenir que de li~rer les Non-Con-
formistes aux persécutions de l'Église Anglicane.
C'étoit du moins ~ffoiblir deux ennemis au profit
d'un troisieme, que l'on vouIoitéIever sur Ieurs ruines
communes. Mais en Écosse, ou iI n'existoit que des
Églises protestantes, quel étoit le but de ce zele ar-
dent pour une de ces églises, hérétique aux yeux du
Prince? Depuis douze ans, les dragons- et les tribu-
naux du Conseil d'Écosse étoient employés a conver.tir
a une ÉgIise protestante d'autres sectaires Protestallts.




448 RÉVOLUTION DE 1688,
Toute assemblée religieuse, meme autour des foyers
domestiques, étoit un crime; dans les ehamps, e'é-
toit un crime de haute trahison; et le Roí, des son
avtmement a la Couronne, provoque de nouvelles
l'igueurs! Étoit-ee un gage donné a l'Église d'An-
gleterre de sa 6délité aux promesses de la protéger
et de la défendre? Il n'aspiroit qu'a la détruire elle-
meme ! Quels sinistres eonseils recevoit done ce mal-
heureux Prince, qui se faisoit persécuteur pour une
Religion qui n'étoit pas la sienne!


Un Roi ne dit pas impunément aux partís qui
triomphent un moment: « Éerasez vos ennemis ! ))
Hélas! on peut tuer des hommes, mais on 11e tue
pas un peuple; Cependant le Parlement d'Éeosse se
hata de répondre qu'il extirperoit le fanatisme, et
il 6t u~e législation jusqu'alors ineonnue. « Entre
« autl'es choses,» dit le ROÍ, « iI ordonna : Que
«( toute personne, citée comme témoin dam; les af-
« faires de trahison, de conventicules dan s l~ champs
« ou dans les maisons, ou de toute autre irrégulariti·
« ecclésiastique, seroit regardée c<?mme complice dt'
t: ces crimes, si elle refusoit de déposer. » On a déja
vu que le eomte de Perth, alors Grand Juge d'li-
cosse, employoit la torture contre les témoins cités
devant le Tribunal.


Ce Parlement ajouta de nouvelles extensions aux
lois sur la trahisoll. Il imposa le serment a touts les
sujets, quoiqu'il ne fut exigé auparavant que des




EN ANGLETERRE. 449
hommes en place; et comme ce serment étoit en
meme temps politique et religieux, la nation en-
tiere se trouva lancée dans une immense carriere
de vexations, tout a la fois poliLiques et religieuses.
Un autre billa obligeoit les hommes de seize a soi-
xante ans a suivre le Roi, en armes, partout et aussi
souvent qu'il le voudroit. Enfin, pour répondre a
I'invitation de donner un grand exemple au Royaume
el' Angleterre, ce Parlement proclama l'obéissance pas-
sive et sans réserve, et protesta contre tout pr.in-
cip.e contraire ou dérogatoire a la sacrée, supreme
et absolue puissance et autorité du Roi. Quatre ans
apres, l'Écosse proclama Guillaume IlI.


Ainsi affermi en Angleterre et en Écosse, ayant
également Jeté en Irlande les. premiers fondements
d'une puissance irrésistible, et poursuivant toujours
ses négociations avec la cour de France, Jacques JI
avoit exprimé a l'ambassadeur Barillon un vreu bien
extraordinaire, celui de voir éclater une révolte. I..Ie
cie! exauce quelquefois les vreux insensés. Celui -ci
fut accompli.· Argyle descendit en Écosse, et Mon-
mouth en Angleterre: le premier, vers la fin de
muí; le second, dans le mois de juin. Les Parle-
ments des deux Royaumes se trouvoient encore as-
semblés.


Aprcs l'inique sentence qui Favoit proscrit en
Écosse, et apres que l'ingénieuse tendresse de sa
filIe eut dérobé sa tete a ses ennemis, le comte


I.




450 RÉVOLUTION DE 168H,
d'Argyle s'étoit" rendu secretf'ment a Londres, avec
l'espérance d'obtenir de Charles Il une entrevu'e et
su grace. Le Roí luí avoit refusé l'une et l'autre,
fermant cependant les yeux sur son asyle, qui ne
lui étoit pas absolument inconnu. Argyle se réfugia
sur le continent, dans la Frise, el se livra entiere-
ment aux funestes conseils de la vengeance. La I'i~
gtteul' du Gouvernement d'Écosse contrc les Pre~··
bytériens excitoit alors les ames les plus fiere~ ;-.
ehercher une autre patrie, (~t dans tont le Royaume
on !le s' occupoit que de colonies a fOllder oans le
nord de l' Amérique. Ce projet de colonÍes fut o'a-
bord sincere, et bientot servit a voiler un projet
d'invasion. Argyle, par l'antique puissance de sa
maison, offroit naturellement un chef aux rnecon-
tents. Ce fut a lui qu'ils s'adresscl'ent.


. On a déja vu que Monmouth avoit li? leurs Dt>··
putés avec plusieurs Seigneurs de l' Angleterre, quand
la conspiration qui porte le nom de n ye-House. fut
cMnoncée par ses auteurs memes. Touts ceux ql1i
avoient échappé aux suites de cette conspiration,
tant d'Écosse que d'Angleterre, s'étoient retirés en
Hollande, et Argyle se transportoit sonvent a Amster-
dam pour y conférer avec eux. Exalté par ses proprt'S
ressellti~ents et par leurs conseils, iI se persuada
sans peine que sa cause étoit la cause mt1me de la
patrie, et que sa préscnce exciteroit seulr un sou-
levenlC'nt immédiat en Ecosse. Hejet<mt ayec han-




EN ANGl.F.TEHRL . 451
tC'ur tout moyen qui sembloit marquer la craiI?te de
ne pas réussil', il ne demandoit qu'un vaisseau. lJne
riche veuve el' Amsterdam, app,renant que le se'ul dé-
faut d'argent reteno¡'t Argyle, luí envoya 10,000 livres
st~rling; et, avec cette foible somme, un négoclant de
Venise lui procura de Venise meme un vaisseau, des
armes et des munitiolls, qui arriverent heureusement
en Hollande. Quand il fut questioll de partir, 11
s'pleva de vif~ débats entre lui, le lord l\lelvil, le che·
valier l)atrice Hume el le chevalier Jean Cochrane,
ses principaux conficlents. Monmouth, prévenu de
leul's dissensiol1s, sp rendít secretement aupres d'eux
pour les réc~ncaier; el ce fut alors qu'ils se réunirent,
pour l'engager a descendre lui-meme en Angleterre.
« Tandís qu'a .la tete de mes nombreux vassaux, .le
( réunirai,); disoit Argyle, « touts ceux qu'opprime la
( tyrannie du llouveau regne, doutez-vous que le souve-
« nir de votre démence apres les désastre~ de Bothwell-
« Bridge u'ait rendu votre 110m aussi cher a l'Éco~se,
« que celui de Jacques Stuart y est oclieux? Paroíssez
«( clans le nordde l'Angleterre. Tout vous y appelle;
« proscrit dans votre patrie, chassé de la Hollande,
;( et bientot de la Flandre espagnole, vous n'aurez
·((l'asile que dans l'Angleterre qui attencl son libér;-¡·-
(teul'. » Il B1ontroit a cette ame ambitieuse que]s-s('<


COUI'S il trouvel'oit dans touts les officiers que Jac-
ques II avoit forcé le Prince d'Orange de congédiel',
oans 1<> parti toujours pnissant, quoiquc maintenanl


29,




RÉVOLUTION UE J688,
abattu, qui avoit si vÍvement poursuivi l'exclusioll
du ROÍ, dans les alarmes de la Nation sur sa Reli-
gíon et sa liberté, dans les embarras d'un regne nOu-
veau et mal affermi, dans l'impossibilité enfin de
résister a deux invasions simultanées et aux souleve-
ments qu' elles devoient exciter sur touts les points de
I'Angleterre.


lVlonmouth n'étoit point préparé. 11 eut voulu d'ail ..
leurs commander l'expédition d'Argyle, qui ne Iui en
offrit point le commandement. Long-temps irrésolu,
et retenu d'ailleurs a Bruxelles par une passion tres-
vive pour Lady Vventworth ,. femme enthousiaste,
qui avoit subjugué son cceur et qui avoit tout saerifié
pour luí,· son penchant naturel luí faisoit désirer
la retraite. Mais son ereur ardent et sa foíble tete
s'animoient aux tab\eaux de \a g\oire que lui présen-
toit Ar~~le. Ces noms d~ héros et de libéraleur de son
pays que faisoient retentir ses a~is, l' entl'alnerent
enfin : il céda et promit de deseendre en Angleterre.
Ainsi, assuré de ectte diversion, Argyle ne balan~a
plus: iI partít vers le 12 mai, ave e cent personnes
qui se joignírent a sa fortune.


La cour de Withe-Hall, tout oecupée alo1's et du
proehaín Parlement, et du Couronnement, et des
pretres catholiques, et ae l'argent que Louis XIV
exposoit a sa vue, sans permettre a Barillon de s' en
dessaisir, n' eut pas le moindre soup<;on de l' entre-
prise. Des le 10 mai cependant, J'Ambassadeur de




EN ANGLETEH..ltE. 453
France prévoyoit des troubles prochains, en Irlande
et en Écosse, mais il n'appuyoit cette coitjecture sur
aucun fait. Le 14, iI annon~oit a Louis XIV, qu'ün
Écuyer de Monmouth avoit été arreté a Londres, et
immédiateme~t reIaché sous caution, parce qu'on n'a-
voit rien trouvé de suspect dans ses démarches ni dan s
ses discours. Cependant le 2.0, on avoit appris, par
des lettres de commerce, qu'une expédition d'armes
étoit partie du Texel pour le nord de l'Irlande ou
pour l'Écosse, et Barillon sollicitoit le Roi son maltre
d'enchainer Jacques n par un traité. « Les esprits,n
disoit-iI, « sont agités; le Parlement sera difficile; ..
« la fidélité des troupes est douteuse; et cependant le
« Roi, exempt de toute alarme, parolt charmé au
( contraire d'une occasion que la fortune luí offre de
(( lever des troupes, d'obtenir un revenu plus étendu
(( et de réduire par la force tout ce qui pourroit un
« jaur s' oppaser a ses vues secretes.» Le 2.8 maí en fin ,
iI ignoroit encore OU avoit pu se porter le comte
d'Argyle, et ce fut le 31 seulement, veilIe de l'ou-
verture de~, deux chambres, qu'il apprit tout a la
fois le débarqu~ment d' Argyle en Écosse et les pré-
paratifs de Monmouth contre l'Angleterre.


Le 1 er juin en effet il termina son discours aux
deux chambres, comme on l'a vu, en disant un mot
de I'Écosse et des deux.,..oclamations publiées par
les rebel1es. l..'une étoit d' Argyle a ses vassaux; iI
lenr ordonnoit d~ défendre leur maitl'e par les




RÉVOLUTlON IH: 16S8,
armes, déclarant qu'il étoit soutenu de plusicurs
Prinees protestants. L'autre étoit au nom d'Al'gyle
et des Gentilshommes éeossais qui l'a voient accom·-
pagué; elle s'adressoit aux anciens Covenautaires et
a touts les Presbytériens. Il les excitoit a rétahlir
l'ancienne Ligue, autrefois jurée par Charles 11. Touts
les malheurs de la Nation, l'usurpation des Églises
pl'esbytériennes, le rétablissement de l'Épiscopat,
finiquité des juges, la tyrannie des soldats, étoient
le fruit de la violation de cette alliance sainte. J ac-
~ue.c;;~· d\.lC d'Yot'k.., ne l'a~aut \las \urée') n'étoit \las
Roi légitime de l'Écosse; iI professoit une religion
contraire aux lois ~ aquel titre un Apostat recevroit-
iI le serment des peuples? La Nation étoit donc
rentrée dans ses droits naturels, et le moment étoit
venu de l'enverser la Tyrannie et le Papisme .


. Jacques 11 n'avoit point communiqué au Parlement
d' Angleterre eette scconde pl'oclamation, dont la pu-
blicité luí sembloit dangereuse; 'mais, quoique sul'pris
poul' ainsi dire sans défense, la fortulle le favorisa
plus qu'il ne devoit l' espérer. Argyle et ses conseils
étoient divisés, meme avant de partir, et leurs dis-
sentimcnts les suivirent partaut. Argyle souhaitoit
bien plus encore de rentrer dans ses domaines et s'y
défendre a main armée, que de renverser l'État.
Ses compagnons vouloie~.me révolution complete.
De la l'incf'rtitude dans les plans, et de violents tlé-
hats quand il faHoit agit'o J J('S compagnolls <1' Argylc,




EN ANGLJ.:TEUHE.


pour eVJter lIue lo11gue navigatioll a l'est, é\U nord
et a l'ouest de I'Écosse, vouloient débarquel' a l'cst ~
de maniere a se rendre immédiatemcnt a Stirling ou
i Glascow, de la dans le comté d'Argyle. l\Iais A1'-
gyle ordonna impél'ieusement, et l'expédition se di-
rigea vers le; llord, pom' tourner a l' ouest. Ar~'i vé
aux -Oreades, il. envoya une chaloupe aterre, et ses
gens furent pris. Alors iI suivit son premier plan,
(lui étoit de descendre dans ses domaines.


Mais eette longue navigation. donna ~u Conseil
d'~e05se le temps néeessaire pOll!' se mettre en dé-
fense. n priten effet dW mesures vigoureuses; il sai-
sit d'abord eomme otages et 6t venir a Edimbourg
la famiIle du Comte et tous .les gentilshommes du
pays d'Argyle. Cette mesure íit sa perte. Des fré-
gates furent envoyées en croisiere entre le nord de
. ,


l'Irlande et l'Ecosse. Quand Argyle clébarqua claus
ses terres, il trouva en mouvement contre luí les
vassaux ~les Hamiltoll, des Athol et des Macclonald ,
aneiens ennemis eJe sa ll1aiSOll, et resta douze jOUl'S
dans l'ile de Bute, pour attendre ses- pl:opres vas-
saux. Mais les gentilshomrnes du pays étoient déja
en otage a ~dímbourg, et aucun d'eux ne pouvoit
d~nner un mouvement ülvorable a son partí. Toute-
foís ce sentiment de famille et d'honneur, qui uní!
touts les membl'cs d'ulle tribu écossoise a leur chef,
Jui .amena deux mille ciuq cents honmws, él vec lcs-
({uels iI pouvoit ~narcher daus le centre da pa ys OLt




456 RÉVOLUTION DE 1688,
les Ligueurs l'attendoient; il voulut rester encore
pour attendre ses montagnards et la diversion pro-
mise par Monmouth. En effet un parti de cinq cents'
montagnards étoit venu le joindre; il se fortifia sur
la cote de Cantir, y mit ses vaisseaux et ses armes;
!l s' empara aussi d'un poste qui étoit le rendez-
vous des forces royalistes, espérant les défaire a
mesure qu'elIes arriveroient. Mais le chateau ou il
avoit mj~ ses munitions et son artillerie fut forcé
par Thomas Hamilton, qui commandoit les vaisseaux
du Roí en Écosse. Le drapeau d' Argyle, qui flottoit
sur ce chateau, avoit pour ltgende : Contre le Pa-
pisme, l' Épiscopat el l' Ératisme. Ce dernier mot
désignoit la secte d'un Allemand, nommé Erastus,
qui attribue au magistrat civil le droit de régler la
Religion. Argyle, enfin, se trouvoit presqu'{Vl face
des troupes régulieres amenées par le ~ord Dum-
barton. Il prit, mais il étoit trop tard, la résolution
de lnarcher sur Glascow, dans l'espérance d'y arri-
ver avant.les forces royales. Glascow étoit le centre
et le foyer de touts les partis puritains et presbyté-
riens. Arrivé la, il pouvoit renouveler cette insur-
rection qui éclata subitement apres le meurtre de
l'Archeveque de Saint-Alldré. Il y marche la nuít;
mais, égaré par son guide, il se trouve', lui et sa
petite armée, enfoncé, abimé dans des marais im-
praticables; ses chevaux, ses équipages, tout y resta.
Alors plus d'ordre, plua de com~andement, nulle




EN ANGLETERRE.


ressource, que de séparcr l'infanterie en petits corps
¡solés, pour échapper aux périls du moment el at-
tendre. Mylord Dumbarton divÍse également ses
forces, et poursuit les fugitifs dans toutes les direc-
tions qu'ils peuvent avoir prises. Plusieurs gentils-
hornmes se firent jour, l'épée a la main, entre autres
Jean Cochrane et son fils, qui s'étoient r~tranchés
dans un enelos; mais bientot apres ils furent faits
prisonniers. Argyle, cependant, marchoit seul, a
cheval, vers la Clyde; c'étoit le 17 juin. Deux
paysans veulent l'arreter; iI blesse I'un de son pis-
tolet; l'autre le frappe a la tete, et le renverse de
son che val. Argyle se releve, et court a la riviere pour
la traverser a la nage : un troisierne paysan l'attaque
au moment ou il étoit hors de péril. Argyle luí pré-
sente son second pistolet dont l'amorce résiste; frappé
d'un grand coup a la tete, il tombe dans l' eau en
s'écriant: t( Ah! malheureux Argyle!» A ce nom, un
des trois paysans, attendri et consterné, veut qu'il
s'échappe, et, les yeux en pleurs, conjure vainement
ses compagnons de l'abandonner aux hasards de sa
fortune. La crainte de leurs propres périls, ou l' es-
poir d'une récompense les arrete. Argyle fut conduít
a Glascow, de la a Edimbourg, le bourreau mar-
chant toujours devant luí avec sa hache, pendant
toute la route. Quatre jours apres, Monrnouth étoit
en Angleterre.


Cette invasion avoit couté peu de sang sur le




458 'HÉVOLUTION J)l~ J 688,
champ .de bataille, et la justioe en fit peu cOlller.
Le Conseil d'Écosse se montra ~lélllent. On excusa
les vassaux d'avoir suivi la bamüere du chef de leur
tribu. Les gentilshommes ne fu .. ent point inquiétés.
Le comte de Dundonald, pere de Cochrane, obtint
la grace de son fils, il est vrai, a prix d'argent. Parmi
les p .. isonniers, se trouvoient le chevalier Ayloffe el
Rumbold, touts deux Anglois. Ayloffe, au moment
Ol! il fuf pris, s'étoit faÍt plusieurs blessures avec
un canif, et défioit a haute voix ses ennemis; mais
les intestins n'avoient point été lésés: OH le guérit
et 011 l'envoya, lui et Rumbold, a Lopdres. Il parut
devant le Roí, qui l'interrogea lui-meme, et iI s' obs-
tina dans un morne silence. 11 étoit allié de Sa
·~é.S'l'ép¿¡r /e CÓ¿¡DCeÚer ..I{ró&-C}¿¡re/JdOD~ sO/J o//ck~
Jacques II peut-etre luí vouloit pardonner. c( Vous
({ voyez, » luí dit-il, « que votre vie est a moi; vous
« devriez la racheter par quelques paroles dignes
« d'etremises dans la balance avec votre fante. -
(c Vous pouvez me douner la vie, qui en doute?))
répond en fin Ayloffe; « mais la bonté vous manque
(( pour le vouIoir jamais. » Il fut exécuté.


Rumbold étoit dé:ja condamné pour la conspira-
tion de Rye-House, et il déclara sur l'échafaud que le
gouvel'nement royal lui sembloit préfél'able au gou-
vernement républicain. « Néanmoins, » dit-iI, ( jt'
« ne erois pas qU\lll Dieu hOll et sage ait tiré les
~( hornmes dn néant, eOliullc des chcvaux tout srllés ct




~EN ANGL.ETElm.E. 459
« brídés, pour etre menés a ouhance par les Rois. »
IJ ajouta que la conspiration dite de Rye-Houst'
étoit une fable; qu'a la vérité, en sa présence el
dans l'appartement de West , on avoit proposé d'as-
sassiner le Roi et le duc d'York; qu'alol's iI aVOlt
parlé de sa maison de Rye comme d'un lieu favo-
rable pOUl' uue embuscade, mais que jamais il n'a-
voit existé ni plan ni résolution arretée pOUl' exé-
cuter le erime. Triste eondition des hommes entrainés
dans les fa~tions! Al'gyle pouvoit-il associer un tel
hornme a ses projets!


Condamné injustement trois années avant sa ré-
volte, Argyle avoit été mis j ustement hors de la loi
par un bill du Parlement d'Écosse. On ne lui lit
point de prod~s; on attendit seulernent les ordres
du Roi, qui ne les fit point attendre. Il subit la mort
a vec le eourage naturel a sa famille, avec une fer-
meté pieuse digne d'une meilleul'e cause. Le sang
d'Argyle fut le dernier qui coula pour cette rébellioll.


Mais déja le due de Monmouth venoit de des-
cendre a Lime, dans 'le eomté de Dorset. Aussitót
que son projet fut connu, l' Angleterre craignit une
guerre eivile. Trois semaines auparavant, et le jou!'
meme ou fu·t annoneé le débarquement d'Argyle,
Jacques 11 avoit ret;:u des lettres du prince d'Orange,
a l'occasion des préparatifs de Monmouth. Guillaume
se plaignoit d'avoir été trompé par de tmsses pro-
messes. l\follmouLh lIe lui 'avoit p:ll'h; (PW de ses




460 RÉVOLUTION DE J688,
vifs désirs de rentrer en grace avec son souverain;
Monmouth étoit le plus perfide des hommes. « Que
«( le Roi parle, et Guillaume se rendra lui-meme en
« Angleterre. » Jacques, mécontent, dissimula son
ressentiment, etremercia le Prince. Néanmoins Mon-
mouth n'avoit éprouvé en Hollande aucun obstacle
a ses desseins, quand iI s'y décida enfin, malgré
toutes ses répugnances. Mais il ne fallut ríen moins,
ponr l'y résoudre, que l'exaltation des républicains
etdes fanatiques dont il étoit obsédé. Lady Wentworth
elle-meme se joignoit a eux. Fergusson, prédicant
fougueux, luí montroit sans cesse le Ciel bénissant
une si belle entreprise. c( Que le héros de I'Angle-
« terre se montre, et les Gardes, et les hommes de
« guerre, et lespeuples se réunissent a lui. Londres,
« toujours irritée, n'attend qu'un libéraleur. Le duc
« d'York trouvera-t-il deux armées pour contenir
« la capitale, et pour marcher aux provinces révol-
« tées? » Monmouth, cependant, avoit assez d'expé-
rience de la guerre pour savoir la foíble ressource
que pouvoit offrir une populace émue et tumul-
tueuse. ce C' est une entreprise d' enfants perdus , »
répétoit-il sans cesse. « Nous n'avons ni officiers,
(( ni promesses de personnes distinguées en Angle-
« terre, ni amis, ni argent; et nous ne ferons
« qu'aggtfaver les malheurs du pays. » Fletcher-
de-Salton, tout a -la - fois homme de leltres, ora-
teur et guerríer, Fletcher, qui, selon l'expressíon




EN ANGLETERRE.


d'un 'historien , eut été dans Rome le rival et l'ami
de Caton , co~battoit fortement l' entreprise, comme
il l'avoit déja fait aupres d'Argyle. c( Mais,)l dit
lord Grey, « le comte de Richemond avoit moins
« de ressources que nous encore, et il détrona son
« rival. - OLli, » répliqua Fletcher, « Richemond
« tenta la fortune, et fut Roi ; mais les seigneurs de
( son parti étoient autant de princes non moins
l( puissants que Richard Ill. » Fergusson ators exha-
loit les violents transports d'un. faux enthousiasme.
« e' est la cause de Dieu et de la liberté, » s' écrioit-
iI; « Dieu n'en abandollnera les défenseurs que ·s'ils
« lui sont eux-memes infideles. JJ Monmouth cede
en fin , non pas a l'espérance du succes, mais a un
sentiment qui lui étoit naturel. Déja lié par une
promesse au comte d' ArgyIe, iI croyoit peu hono-
rable pour lui de paroltre trop ménager sa sureté
personnelle, quand il voyoit des amis si ardents et si
dévoués.


Une femme enthousiaste avoit envoyé 10,000 liv.
sterling au comte d' ArgyIe pour son expédition.
Monmouth n'avoit pas meme une telle ressource. Il
lui fallut mettre ses diamants en gage pour acheter
un vaisseau et des armes. Le vaisseau sortit d'Am-


'-


sterdam avec Monmouth, quatre - vingt - deux offi-
ciers et cent - cinquante personnes. Flet~her, qui
avoit réprouvé l'entreprise, n'hésita point a se dé-
vouer a la fortune de son ami; et Fergusson rédigea




niVOLUTION DE 1688,
le Jnanifeste, piece informe, diffuse, fanatiquc'el
surtout impolitique, puisqu'elle blessoit tout a la
fois les Anglicans, les Torys d'État et les Républi-
cains. Mais Fergusson étoit Presbytérien fougueux,
et Argyle avoit lui-meme appelé aux armes touts les
Presbytériens d'Écosse; appeJ dangel'eux pour les
desseins de Monmouth, puisque l'Angleterre étoit
fortement attachée a l'union de l'Église el de l'État.


La protlamation étoit au nom de « Jaeques, duc
« de Monmouth, et des nobles Seigneurs et autres,
« présentement en armes pour la défense et .la con-
« servation de la Religion protestante et celle des
«( dl'oits, loix et privileges d'Angleterre, contre l'ill-
c( fractiori qui en a été faite, et pour l'affranchisse.·
« ment de la tyrannie et usurpation perpétrée dans
« ce Royaume par Jacques, duc d'York.»


Apres quelques axiomes métaph.rsiques SU/' les
lois et sur les Gouvernements en général. suivoit
une longue énumération des attentats imputés [.
Jacques II, pOUl' renverser les lois civiles et reli-
gieuses :de l' Angleterre; l'incendie de Londres, l'al-
liance avec Louis XIV pOUJ· détruire la Hollane1e·,
la conspiration des Papistes, le m(~urtre de Godfrey,
l'assassinat du comte d'Essex, les tyrannies exereées
depuis que l'usurpateur a arraché la COUl'onne an
feu Roi san ftere, les pretres et les Jésuites qu'il a
fait venir autour de lui, l'exercice public de leur
idolatrie, etC'.




EN ANGLETERRE.


{( Par toutes)es raisons alléguées ci .dessus; » con-
tinuoient les rebelles, « Nous décla¡ons sole/melle-
«mcnt la guerre a Jacques, duc d'York, eomme
c( étant meurtrier et assassin des innocents, un Pa-
« piste, un usurpateur de la Couronne, un traitr€'
« a la Nation, et un tyran du Peuple. Nous ajoutons
« que ceux qui paroltront sous ses étendards ne floi-
(e vent point s'attendre d'étre épargnés, ni que nons
(e leu1' fassions aucune grace. Nous avons résolu for-
(~tement de les poursuivre a outrance, ~vec ses ad-
« hé1'ents , jusqll'a ce que nous l'ayons réduit a subir
« ce que les lois, les constitutions et les statuts du
« Royaume, aussi bien que les lois de la nature, de
« l'Écriture sainte et des N ations", ordonnent contrc
(e ceux qui sont ennemls de Dieu, de leur patrie,
f( de touts les hommes en général, et en fin de tout
( ce qlli est vertueux, honnete et bon : promettant
(e de ne jamais faire aucun accommodement avec cet
(e ennemi.»


Apres avoir libéralement promis ce que promet-
tent touts 'les factieux, ponr le rétahlissement des
lois et le regne de la justice, entre autres la li-
herté des élections, la restitution des anciennes
chartes, et l'inviolable maintien de l'Habeas cor-
pus, les auteurs du Manifeste revenoient sur I'a-
troce et absurde. accusation de parricide qu'ils por-
t()ient contre le Roi". Monmouth, non - seulement
comme fi]s de Chadps JI, se présentoit camme le




46.4 RÉVOLUTION DE J 688 ,
vengeur de son pere, a qui le duc d'Y: ork auroit tU'-
raché te treme ~t la vie; mais encore iI se réservoit
de justifier en Parlement ses droits héréditaires a la
Couronne d'Angleterre, d'Éeosse et d'Irlande, comme
fils légitime du feu Roi. Cependant., disoit - il, par
géñérosité, de son propre mouvement, et par son
affection pour la nat~on angloise , iI n'insistoit point
actuellement sur son droit, ni sur son titre : il re-
mettoit ses intérets entre les mains d'un Parlement
légitimement assemblé, qui en ordonneroit selon sa
haute sagesse.


Monmouth, ambitieux, ·devoit surtout déguiser
son ambition, et ne chercher ses titres que dans la
vietoire: mais prostituel' ainsi au mensonge le nom
sael'é des lois, c'étoit tout a la fois éloignel' de sa
e3 11se la haute nobles se , qui ne laisseroit pas dégra-
del' ainsi la l'oyauté poul' le fils équivoque d'une
femme obscure et diffamée; les partisans du prince
d'Orange, qui ne pouvoient s'engager a soutenir une
prétention ari moins douteusc contre le droit légi-
time et naturel d'un illustre Prince; les Républi-
cains, auxquels, suivant l'expression d'Algernoon
Sidney, iI importoit peu, s'il leur falloit subir un
Roí, que ce Roi fut J aeques, due d'y ork, ou J ae-
ques, duc de Monmouth; enfin touts les seetateurs
de l'Église anglicane qui voyoient la ruine infail-
lible de leur Religion et de la Royauté danseette
tolérance universelle que Monmouth promettoit aux




EN ANGLETERRE. 465
sectaires. Touts les nobles comrs furent índignés
surtout en voyant que, dans ce manifeste, Mon-
mouth, foíble instrument du fanatique Fergusson,
donnoit I'autorité de son nom et de sa popularité aux
atroces calomnies qui aceusoient le Roi son oncle du
meurtre d'Essex et de la mort de Charles H.


Guillaume avoit une politique plus profonde. Soit
qu'il favorisat secretement l'entreprise de Mon-
mouth, pourpopulariser en Angleterre les calomnies
et les défiances qui s'amonceloient contre Jacques H,
soit qu'il l'exemple de Jules César, dans la conjura-
tion de Catilina, il fut étranger a eelle de Mon-
mouth sans l'ignorer, il n'oublioit pas qu'il étoit
l'héritier présomptif de la Couronne. Sans doute il
vouloit susciter au Roí des embarras et des troubles
dont il recueilleroit le fruit; mais iI ne vouloit ni
que Jacques II fut renversé comme usurpateur, ni
queMonmouth fut reconnu fils légitime de Charles 1I,
ni que la Royauté dégénérat en République au
milieu des guerres civiles. A ussi offrit-il sur le
champ de descendre en Angleterre, avec les régi-
ments Écossois el Anglois qu'il avoit au service des
États - généraux. « Monmouth, disoit - il a Skelton,
Ambassadeur de J acques H, a le génie' de la guerreo
Il est plus habile que touts ceux qui seront envoJés
contre luí. Un seul mot, et je pars.» Il envoya meme
a Londres son favori Bentinck pour faire cette offee.
Mal!; le Roi crut avec raison Guillaume plus redou-


1. 30




466 RÉVOLUTION DE 1688,
table que Monmouth, et il n'accepta que les régi-
ments. Il refusa également 4,000 hommes que lui offrit
)' Ambassadeur d'Espagne.


Barillon,dans cette conjoncture, pressoit Louis XIV
d'ofl'rir Iui-meme une armée auxiliaire, et deman-
doit l'autorisation de parler et d'agir suivant les cir-
constances. Mais Louis XIV, qui voyoit l' empresse-
ment des deux Chamhres en faveur de Jacques II,
répondit formellement par un refus de troupes et
d'argent. (e C'est la bonne fortune du Roi d' Angleterre
qui lui amfme le duc de Monmouth, dit-il; je ne
vois rien . qui vous presse d' employer maintenant ...
des fonds uniquement destinés a faciliter }'exécution
de ses desseins pour le rétahlissement de notre Re-
ligion dans ses États. )} Jacques JI de son coté se féli-
citoit d'avoir un prétexte de lever de nouveal1X
regiments, et croyoit que l'entreprise de Monmouth
ne serviroit qu'a étendre son autorité. Quant au
Parlement, il porta un hill d' atteinder contre le
duc de Monmouth et pria le Roi de mettre sa
tete a prix : ce que fit Jacques 11, par une procla-
mation émanée du Grand Sceau. Pendant les san-
glantes guerres des York et des Lancastre, on n'avoit
pas songé a cette ignoble et dangereuse pratique des
temps barbares. e' est Barillon qui en fait la re-
marque a Louis XIV.


Monmouth fut re«;u a Lime sans résistance,
quoiqu'il y eut 800 hommes dans la ville en état de




EN ÁNGLETERR1~.


porter les armes. En moins de quatre jours, deux
mille personnes se réunirent a lui, mais toutes de
la classe du pellple. Ayant promptement organisé
sa petite armée, il assigne le commandement de la
cavalerie a Fletcher de Salton et au lord Grey, se
réserve celui de l'infanterie, et donne ordre a Grey
de se porter sur Bridport. Fletcher fut envoyé a une
autre expédition.


Cependant le lord Grey reparoit bientot a grande
course de cheval, et annonce que ses gens ont été
vivement repoussés. Grey n'avoit consulté que sa
frayeur; il avoit pris honteusemcnt la fui te ; tandis
que son détachement se battoit avec courage, et se
rendoit maitre de Bridport. « Que ferai-je du lord
Grey? dit Monmouth a un de ses Capitaines. Vous
etes lé seul général en Europe, répondit celui - ci,
qui puissiez faire une semblable question.) Mon-
mouth feignit de ne pas l'entendre. La douceur de
son naturel, l'importance du nom de Grey dan s ces
commencements, l'emporterent sur toute autre con-
sidération; et par une fatalité singuliere, l\tlonmouth,
qui conservoit un l<iche au premier poste, perdoit
précisément le seul homme qui pouvoit affermir sa
fortune, si elle pouvoit l'etre. f'letcher de Salton ,
pour aller a l'expédition qui lui étoit confiée, monta
le premier cheval qu'il trouva sous sa maine C'étoit


-celui d'un homme qui venoit se joindre a Monmouth.
Le maltre du cheval s'emporte violemment et frappc


30.




468 RÉVOLUTION DE 1688,
de sa canne l'impétueux Fletcper, qui, dan s son
transport, l'abat a ses pieds d'un coup de pistolete Au
désespoir de cette scene dangereuse, Monmouth le
for<;a de se soustraire aux ressentiments qui éclatoient
de toutes parts.


Cependant il se voyoit déja entouré de 6,000
hommes, et iI crut nécessaire de les discipliner:
cornme si, dans les guerres civiles, la rapidité, la
témérité meme des entreprises n'étoit pas le seul
moyen de succes, pour frapper l'imagination des
peuples et pour oter toute reflexion aux hommes déja
compromiso Néanmoins il marcha sur Taunton, ou
son nom étoit adoré. Accueilli comme un Souverain
qui vient visiter ses peuples, ii trouva les murailIes
et les rues jonchées de verdure et de fleurs, toutes
les maisons ouvertes a son armée. Vingt-six jeunes
filIes des familles les plus distinguées de la vilIe
viennent lui présenter a genoux un drapean qu'elIes
ont brodé de leurs mains, et la Bible. Ému de ces
vives démonstrations, il haise la Bible avec ellthou-
siasme, et s'écrie : « Ouí, je suis venu pour défendre
« ces vérités saintes, et je les scellerai de mon sang,
« s'il est nécessaire. »


Ses progres firent a Londres une grande sensation,
qui cependant fut arnortie par la nouvelle, arrivée en
memc temps, de la ruine d'Argyle. Jacques JI avoit
d'abord envoyé contre Monm~uth le duc (fAlber-
male, fils du général J\Ionk, pour prcnJre le com-




EN ANGLETERHE. 469
mandement des milices. Mais Albermale soup~onnoit
avec quelque raison l'esprit des milíces, et ne mar-
choit qu'avec précaution. Le Roi d'ailleurs lui avoit
donné l'ordre d'attendre des troupes régulieres, que
devoit amener le lord Churchill. Aux 2,000 hommes
confiés a Churchill, le Roi joignit bientot des forces
plus nombreuses, et confia le commandement gé-
néral au lord Feversham, né Fran<,;ais, du nom de
Duras. Il donna aussi des commissions pour lever
des régiments nombreux, particulierement aux sei-
gneurs Catholiques. « Ces levées causent un grand
« chagrin aux Anglois,» disoit Barillon dans sps
lettres a Louis XIV, « car la plupart sont attachés
« a la Rel.igion protestante et a l'ancien Gouvel'ne-
« mento Cependant on n'y trouve point a redire pu-


I « bliquement, et le Parlement n'ose ou ne veut ras
« le désapprouver, ayant mis Sa Majesté Britallnique
« en état de payer une armée, en lui donnant de l'ar-
« gent avec profusion. Tout cela produít un grand
« mouvement dalls les esprits; mais les affaires vont
« leur chemin, et le Roí d' Angleterrc ne se met point
« en peine des discours, pourvu qu'il vienne a son
ce but qui est d'etre puissamment armé. Le Roí», di.
soít-il encore quelques jours apres, « aura 30,000
« hommes, avec les régiments qui viennent de Hol-
« lande; ce qui déplait grandement a touts les All-
« glois, et meme a ceux qui font les levées. On dit
« ici que son dessein n'cst pas de finir sitot l'affaire




RivOLUTION DE 1688,
c( de M. de Monmouth, afin d'avoir un prétexte d'a-
« chever les levées qui sont cornrneneées.»


Tandis que le Roi faisoit venir de Hollande les
régiments Anglois et Éeossois, le prinee d'Orange
demandoit lui-rneme aux États-Généraux trois rnille
hommes, sous prétexte de les envoyer au seeours
du Roi son beau-pere. Il faisoit aussi demander des
troupes a I'Éleeteur d'Hanovre. Ces démarehes alar-
merent Louis XIV, qui soup~onnoit que le Prinee
agissoit pour lui-meme,. et que les régirnents Anglois
et Écossois, partis pour l' Angleterre, seroient bien
plus dévoués au Prinee qu'a Jacques 11. Aussi
Louis XIV, qui avoit retiré les fonds envoyés a son
ambassadeur, se hata de les lui renvoy~r, {( pour
« appuyer en cas de besoin,» luí mandoit-il, « les
(e desseins que le Roi d' Angleterre voudroit former
« en faveur de notre Religion. »


Déja cependant Monmouth se voyoit environné
de vingt milIe hommes. Un soulevement se prépa-
roit a Londres pour lui ; et le eolonel Basset, l'un
des eapitaines de Cromwell, lui avoit amené un
corps de partisans assez considérable. Mais au mi-
lieu de eette affiuenee populaire, iI voyoit avec une
secrete inquiétude que nul persoimage de -la haute
lloblesse ne venoitdonner du erédit a son partí.
L'histoire de l'Angleterre et de ses révolutions lui
étoit assez eonnue, pour qu'il sut tres-bien que jamais
insurreetion populaire n'y avoit réussi, sans le eon-




' ..


EN ANGLETERRE.


cou!'s de la haute aristocratie. Dans cette perplexité,
il se laissa séduire a une proposition, que déja il
avoit repoussée avant d'arriver a Taunton, et que
ses arnis avoient aussi considérée cornrne une extra-
vagance.


Fergusson et le lord Grey lui avoient en erret pro-
posé de s'arroger le titre de Roi. Mais a Taunton,
voyant la neutralité de la nohless~, il se laissa per-
suader que les mécontents les plus distingués desi-
roient secreternent savoir quel étoit le Prince qui
devoit succéder a celui que l' on déclaroit indigne et
usurpateur .. «Il faut,» luí disoit-on, « opposer le
« norn de Roi au norn de Roi ,des proclamations
« royales a des proclarnations royales. San s cela, il
« ne paroltroit aux yeux uu peuple et des proprié-
« taires qu'un chef de rehelles. » Tant l'image merne
de la royauté imposoit aux esprits! Ce langage
étoit déja trop d'accord avec les arnhitieuses pensées
de son ereur pour ne pas le séduire. Entralné aussi
par une popularité enivrante, iI prit enfill le titre
de Roi. Son premier acte de royauté fut d'écrire au
due d' Alhermale, pour le somrner de se rendre; et
au Parlement, pour lui ordonner de se dissoudre.
Ses menaces furent re~ues avec dérision dans l'arrnée
royale. Ceux des Protestants zélés qui soutenoient
le droit héréditaire, au moins dans l'intéret du
pl'ince d'Orange, s'indignerent de voir la royauté
al,nsi dégradée. Les républicains y virent un outrage





RivOLUTION DE 1688,
a la souveraineté du peuple; enfin, les mécontents
de toutes les classes trouverent dans cet acte insensé
un démenti de sa premiere proclamation, qui attri-
buoit a l'autorité du Parlement le redressement de
touts les griefs. Sa réputation de bonne foi et de
désintéressement regut une atteinte profonde; et
celui de ses agents qui, a Londres, devoit soulever
les artisans, lui ul,anda sur-Ie-champ qu'il n'étoit pas
obligé de tenir sa parole a celui qui trahissoit la
SIenne.


Jusqu'a l'arrivée des troupes régulieres, les géné-
raux royalistes cherchoient moins a combattre Mon-
mouth qu'a retenir les habitants, sans oser com-
mettre devant lui les milices du pays. J\tIonmouth ne
sut pas profiter de ces Ienteurs; et, préoccupé de
son projet de discipliner la multitude armée qui
I' environnoit, il perdit quel9:ues jours a Taunton.
Il en partít enfin le 6 juillet et marcha sur Bridge-
water, ou il fut regu cornrne un libérateur. Son
dessein étoit d'aller s'établir a Bristol. Il fut heu-
reux dan~ diverses rencontres avec divers partis de
cavalerie; et quelquefois les milices se retiroient a
son approche. Arrivé a une derni-journée de Bristo},
iI se disposoit a brusquer une attaque de vive force
pendant lanuit. lUals le duc de Beaufort qui com-
mandoit les royalistes, notifia aux habitants qu'il
bruleroit leur ville au moindre mouvement séditieux.
« A Dieu ne plaise, » dit ~onmouth, a cette nou-




EN ANGLETERRE.


velle, c( que je porte le fer et le feu dans cette noble
c( ville ! » parole insignifiante dans un chef de parti.


Leduc de Monmouth venoit d'apprendre que
l'armée royale arrivoit enfin pres de lui. Un nou-
veau plan de campagne étoit nécessaire. Il s'agissoit
ou de se porter rapidement sur Glocester et d'y pas-
ser la Saverne, ou d'aller chercher dan s le Wellshire
les nombreux partisans qui lui étoient annoncés.
Dans le premier plan, il falloit soutenir, pendant
une longue marche, des affaires d'arriere-garde avec
la cavalerie du Roi, et peut-etre meme enfin tout
l'effort de l'armée royale, si elle parvenoit a l'attein-
dre. Dans le second, il pouvoit successivement atta-
quer les différents corps de l'armée avant leur jonc-
tion contre lui. Ce parti fut préféré, mais c'étoit
rétrograder. Aussi des qu'il somma la ville de Bath,
les habitants fermerent leurs portes; et Monmouth,
continuant sa marche vers le sud, vint s'établir a
Philips-Norton. Sur ces entrefaites, un magistrat de
la petite ville de Frome publioit la proclamation
des rehelles et soulevoit les habitants. L'insurrection
se répandit dans les villes voisines, et une multitude
innombrable se mit en marche pour joindre l'armée
du nouveau Roi. Mais le comte de Pembroke avec
un parti de cavalerie, l'atteignit et lti dispersa.


D'un autre coté, le duc de Grafton, fils naturel
du foo Roi, sortoit de Bath avec un corps de l'avallt-
garde royale. Arrivé devant Philips-Norton, il se lance




RÉVOLUTION DE 1688,
avee impétuosité dans une rue que Monmouth avoit
barricadée. Malgré eette brusque surprise, les re-
belles soutinrent le choc avec impétuosité, envelop-
perent les grenadiers de Grafton, et le réduisirent
lui-meme a s'échapper en for<,:ant le passage l'épée
a ]a maine L'action s'engagea ensuite hors de la ville,
avee un' nouveau détachement, qui, repoussé de
buisson en buisson, se replia dans la plaine et re-
joignit l'armée royale qui venoit d'arriver. Alors
Monmouth et Feversham, déployant toutes leurs
forees en présence l'un de l'autre, se canonnerent
pendant six heures.


Dans eeUe situation, J\Ionmouth et son Conseil
délibérerent long - temps s'il 'attaqueroít l'armée
royale, qui se· retira enfin. L' affaire de Btid port
avoit donné a Monmouth la mesure dueourage' de
lord Grey. N'osant lui eonfier le soin depoursuivre
Feversham, il se contenta de rester jusqu'au soÍr sur
le champ de bataille. Pendant la nuit, il se retira
lui - meme et se dirigea sur Frome Oil il· arriva le
matin. e' est la qu'il apprit que les -régiments de Hol-
lande venoient de débarquer a Gravesende, que le
eomte d' Argyle étoit prisonnier, et que le lord Dum-
barton étoit en marche avec les troupes qui avoicnt
détl'uit le partí du eomte en Écosse.


Cctte affaire de Philips-Norton luí avoit montré
ce qu'il pouvoit espérer du eourage de son. parti.
Mais iI est rare que, dans les entrepl'ises périlleuses.,


'.




EN ANGLETERRE.


les hommes, les plus valeureux meme, oe soient
plus .frappés de ce qui peut leur nuire que de ce qui
peut les servir. Monmouth, accoutumé aux opéra.
tions régulieres de la guerre, ne voyoit qu'une mul-
titude sans discipline dan s son armée; il n'aperce-
voit ni l'indécision de Feversham, ni son incapacité,
ni la répugnance des milices, ni l' enthousiasme pas-
sionné de cette multitude qui se dévouoit a sa per-
sonne. Les nouvelles qu'il apprit a Frome réveil-
lerent dans son ame toutes les raisons qu'il avoit
jadis alléguées lui - meme contre cette aventureuse
expédition. Un découragement absolu s'empara de
lui. N ulle diversion en sa faveur, aucune défection,
anenne désertion dans l'armée royale, une neutralité
désespérante dans la nobIesse. Le seul partí a prendre
n'est-il pas de liceneier l'armée, de l'abandonner a
son malheureux sort, de gagner soi-meme quelque
port et de repasser sur le cont.inent? Ces réflexions
d'une ame abattne indignoient quelquefois son cou-
rage naturel, mais iI s'y abandonnoit.


Pendant les deux jours de repos qu'illaissa prendre
a ses troupes, les propositiom de licenciement et
de retraite furent agitées en conseil de guerreo Il est
bien rare' que de telles délibérations ne viennent se
résoudre par des résolutions timides; cependant elles
furent repoussées. Un seul homme, le colonel Ven ..
ner, les soutint, et le lord Grey luí - meme fut le
plus ardent a les condamner. De ce moment, le duc




RÉVOLUTION DE 1688,
de Monmouth, tout en se défiant de sa fortune, prit
la résolution de vainere ou de périr. On se mit en
marche pour revenir a Bridgewater, et recueillir sur
la route les auxiliaires qui lui étoient atfnoncés, mais
qui ne se trou verent qu' en petit nombre. A Wells,
il enleve quelques équipages de l'armée royale, et
arrive a Bridgewater sans obstacle. La, on résolut
d' exéeuter le premier plan, que l' on avoit abandonné ,
de se porter sur Glocester, de passer la Saverne, et
de s'établir dans les comtés de Chester et de Saloop
ou le parti avoit de nombreux partisans. Ce qui tou-
cha le plus vivement le foible, mais généreux, Mon-
mouth, ce {ut, dans eette conjoneture critique, la
fidélité dévouée de ses gens. Un grand nombre de-
manda et obtint la pcrmission d'allervoir leurs pa-
rents ou leurs amis a Taunton et dans les environs.
L'épreuve étoit délicate, et personne ne manqua au
jour fixé pour le retour promis. .


Avant de quitter Bridgewater, Monmouth monta
,Sur une tour pour observer le pays. A l'aide d'une
longue -vue, il déc0uvrit l'armée de Feversham,
campée négligemmenl et comme assurée de vainere;
la cavalerie d'un coté, l'infanterie de l'autre, sans
ordre, ou du moins sans précaution apparente. Il
résolut de le surprendre dans la nuit meme. S' étant
assuré d'abord que l'infanterie royal e n'étoit pas re-
tranchée, il se réserva de l'attaquer en personne,
donnant a lord Grey l'ordre de tourner, avec la ca-




EN ANGLETERRE. 477
vaIerie, le village occupé par ceHe de Feversham,
et de venir prendre a dos l'infanterie qu'il attaqueroit
en face lui - meme. « Souvenez - vous de Bridport,)J
lui dit le capitaine Mathews. - « Je ne ferai pas cet
« affront a M ylord , » répliqua Monmouth; « la com-
« mission que je lui donne est d'ailleurs trop facile.»


A onze heures du soir, l'armée se met en marche,
Greychargé de la cavalerie, le colonel Wade comman-
dant l'avant-garde de l'infanterie, et Monmouth le
corps de bataille: un habite canonnier, Hollandois,
dirigeoit l'artillerie qui se composoit de trois canons
de fer.


Un obstacle imprévu arreta le lord Grey. L'ar-
mée de Feversham n'ét?it .P~s retranchée, mais elle
étoit couverte par un fos~é ou canal, qui servoit a
l' éeouIement des eaux d'un marais voisin. Grey prit
sur-Ie-champ la fuite.


Monmouth ordonne a l'infanterie de franchir le
fossé. Wade se dispose a obéir et se fait suivre avee
rapidité par son avant-garde. Mais un de ses batail-
lons survient et engage le feu sur le hord du fossé,
ce qui avertit l'ennemi. L'avant-garde de Wade suit
cet exemple, et iI devient impossible de donner ou de
faire exécuter régulierement aucun ordre.


Ainsi avertie, l'armée de Feversham se réveille
dans une grande confusion, et pIie d'abord, excepté
les troupes écossoises du lord Dumbarton. Mais
bientot tont se rallie et se met en mouvement, in-




RÉVOLUTION DE .688,
fanterie, cavalerie, artillerie. Le canon de Feversham
porte le ravage et la confusion dans les rangs tou-
jours serrés, mais sans ordre. Monmouth n'est
plus écouté. Chacun se porte OU il croit que son
courage peut etre nécessaire, les uns l' épée a la
main, les autres se battant corps a corps, san s autres
armes que leurs bras et la fureur, le~ plus braves
s'avan~ant, frappant, tombant et mourant ensemble.
Dans cette confusion nocturne, dans ces combats
individuels qui durerent plus de trois heures, mais
qui n'étoient plus et ne pouvoient plus etre dirigés
dans une impulsion commune par la voix du Gé-
néral, Monmouth, pris en flanc par l'artilJerie, me-
nacé par la cavalerie qui venoit de poursuivre Grey,
s'aba~donna a son désespoir et fuit du champ de
hataille. Son aile gauche, commandée par Mathews
et Holmes, cede a la supériorité des royalistes. Wade,
avec son avant-garde, tient encore pendant plus d'une
heure. Mais le jour paroit, les munitions sontépuisées,
Monmouth a pris la fuite, l'aile gauche a commencé
sa retraite. Wade se retire lui-meme, et bientot la
retraite est une fuite complete et irréparable. « On
« eut de la peine a rompre l'infanterie des rebelles,»
dit Rarillon. « I1s combattirent avec les crosses de
ce mousquet et les scies qu'ils avoient au bout de
« grands batons, au líeu de piques. Tout fut pour-
« tant rompu un peu apres la po in te du jour. »


Telle fut la bataille de Sedgemoor. Elle fut don-




EN ANGLETERRE. 479
née dans la nuit dll 15 au 16 juillet. Les royalistes,
au ..apport de Barillon, y perdirent 300 hornrnes,
et les rebeHes 1500, outre 500 prisonniers. Mon-
mouth fut diversement jugé pour sa eonduite dans
eette mémorable affaire. Jaeques II, dans ses mé-
moires, convient que le sucd~s de l'armée royale eut
été douteux, si la cavalerie de Grey n'eut pris la fuite
sans combato Hume pense que Monmouth eut pro-
bablement été vainqueur, s'il n' eut abandonné le
champ de bataille. Fox trouve cette assertion témé.
raire, et il est diffieile de eroire qu'apres avoir man-
qué, par la fuite du lord Grey, leur projet, d'ailleurs
bien eonr,¡u, de surprendre Feversham, les rebeBes
qui se soutinrent cependant jusqu'au point du jour,
eussent pu résister a }'action devenue réguliere de
touts les corps de l'arrnée royale. S'il faut en croÍre Fer-
gusson, le due de Monmouth fut pressé de prendre la
fuite par le lord Grey, qui l'avojt rejoint sur le ehamp
de batailIe. Mais Wade, dans sa relation, ne parle
pas meme de la fuite de Monmouth, et l' on ignore
8urtout le moment OU il disparut. Cependant on ne
peut douter qu'il ne se soit retiré tandis que l'on
se battoit encore, et c'étoit trop tot pour un cmur
brave comme le sien.


Quoi qu'il en soit, la vietoire de Feversham dé-
livra le Roí d'un grand péril. A la nouvelIe de cette
victoire, l'ambassadeur de Franee écrivit a IJouis XIV
en ces termes: «( Si M. le due de Monmouth s'étoit




, 480 RÉVOL. DE i: 688, EN ANGLETERRE.
« pU cacher ou sauver, sa derniere action luí a ac-
« quis une telle réputation parmi les Anglois,
« qu'il auroit pu attirer beaucoup de gens a lui,
ce toutes les fois qu'il se seroit montré aux· Peuples.
( Touts les Anglois presque, sont au désespoir de
e( voir régner sur eux un Roi catholique. Touts les
« protestants zélés vont mettre leur espoir au Prince
~ d'Orange. })


FIN DU TOME PREMIER.




TABLE DES MATIERES


DU TOME PREMIER.


A VANT - PROPOS.
Sommaire du Li"re J, 1660- 1662.


De l'état du Gouvernement apres les Tudors. - Préro-
gatives ue la Couronne el du Parlement..- Changements
opérés dans le pl'Íncipe du Gouvcrnement par l'aliéna-
tion du domaine Royal. - Caractere des Stuarts. - Con-
tradiction de leurs Principes ave e leur Religion et les lois
du Pays.-Testament de Charles ler.


Restauration des Stuarts en 1660. - Convention. --
Charles II. -Le due d'York.-Le duc de Glocester.-
Enthousiasme de la nation. -Populat'ité du Roi. - D(~­
claration de Breda. - Hyde ( Clarenuon), Chancelier. -
Premiers actes du Parlement et du Ministere de Claren-
don. -Amnistíe ~t Régicides. -L'armée est Iicenciée.-
Tumulte des MiUénaires. - Mécontentement des Roya-
listes.


Effets de la restauration en Écosse. - Gouvcrnement ty-
rannique dans ce Royaume. - Proces du marquis d' Ar-
gyle et de son fils. -Parlement violento - Épiscopat.-
Amnistie dérisoirc et cruelle.


Premiers symptomes d'une doublc direction dans le Gou-
veruemcm en Angleterrc. -- Mort uu jeullc dne de Glo-
cestcr.-Nouvcau Pnrlclllcnt-Projct de l'<!unioJl de,>


1. 3r




TABI,E DES MATIF:RI~S.


sectes Protestantes a I'Église Anglicane. - Acte d'unifor-
mité.-Les Presbytériens chassés de leurs Églises.--Ri-
gueurs de l'Église Anglicane. - Proces des Régicides, de
Henri Vane et du général Lambert.


Ascendant de la duches se de Cléveland. - Décadence du
Chaneelier. - Vente de Dunkerque. - Division dans le
Conseil.


Premiere guerre de Hollande. - Le due d'York, G1'and
Amiral. - Jean de Wiu, tuteur du jeune Prim'e d'O-
range. - Victoires et reverso - Malheurs publies. - In-
cendie et Peste de Londres. - Traité de Breda.


État de la nation. - Religion. - Fanatisme et Alhéisme.-
La Cour. - Ombrages du Parlement. - Le Roi saerific
le Chaneelier.


Alarmes de l' Angleterre el de I'Eu1'ope sur les pl'emieres
conquetes de Louis XIV. - Traité de la Triple Alliance
contre Louis XIV, et négociations secretes avec lui.


Défianees du gouvernement et de la natíon. - Intrigues de
Cour. - Le due d'York secretement CatholilJue. _Ses
ennemis lui opposent le jeune due de Monmouth, fils
naturel du Roi.


Prétendue conversion du Roi. - Traité clandestin aw('
Louis XIV, pour détruire la Hollande el renverse1' l'.f>
glise Anglieane. - Lois de Dracon en Écosse. - Voyage
de la duehesse d'Orléans a Douvres. - Nouveaux trai-
tés. - Ministere de Shaftsbury, ou Cabale. - Subsides
demandés pOUl' soutenir la Hollande cont1'e les projets
de Louis XIV, et employés frauduleusement 1'0111' la
détruire.
Soup~ons du Parlement.-Le Hoi fait mutiler un député


P,,;rs.




TAnLE DES l\'IATd:RES.


des Communes. - Mort de la duchesse d'Y ork. - Le
duc se déclare Catholique. - Préparatifs contre la Hol-
lande. - Attaque de la fIotte de Smyrne. - L'Échiquier
est fermé. - Édit de tolérallce. - Le Roi s'attribue le
droit de suspendre les Lois. - Déclaration de guerl'e a
la Hollande, de concert avec Louis XIV.


483


Sommaire du Li(Jre JJI, 1672 - 1678. 1 lO
Invasion de la Hollande.--Prínces d'Orange. - Élévation


de Guillaume III. - 11 intéresse toute l'Europe a la
cause de son pays, et l' Angleterre elle-meme. - Assem-
hlée du Parlement. - Griefs de la nation. - Remon·
ti'ances des Communes.-Brusque changement du Roi.
- Il abandonne son ministel'e. - Comte de Shaftsbury.
- Bill du Test. - Nouveau ministere. - Le comte
Danby.


Suite de la guerre.-Assemblée du Parlement.-Les Com·
munes s' opposent au mariage du duc d'Y ork. - Le Par-
lement est prorogé.-Tumulte dans les Cornmunes.-
N ouvelle l'éunion du Parlement. - Son attitude sévere
et hostile contl'e le ministere.-Habileté du Roi. - Il
satisfait aux vccux publics en signant la paix.


Politique Fran«;aise. _ Poli tique vénale de Charles n. - 11
se porte médiateur, et se vend a la Cour de France.-
Inquiétudes publiques. - Assemblée du Parlement. - Il
demande la guerre contre Louis XIV. - Il refuse de
croire aux promesses du Roi.


Intrigues pour le duc de Monmouth contre le due d'Y ol'k.
- Monmouth aspire a la suecession Royale. - Il esl dé-
ciaré Généralissime. - Voyagc du Prince d'Orange ¡l
Londres. - Sa poliLique. - Son mariage avec la Prín-
ccsse Marie. - k Roí trompe le Parlement, son gen~


31.




484 TABLE DES MATIERES.
dre el la Francc. - Louis XIV traite avec l'opposition.
-Divise el annulle l'Angleterre. - Se rend maitredes
négociations de Nimegue el dicte la paix. - Abaisse-
ment de la Conr d' Angleterre .et grandeur du Prince
d'Orange.


f'.'GE.'


Sommaire du Livre IV, 1678- 1679- 166
Titus - Oates, ou le Complot des Papistes. - Papiers de


Coleman. - Mort de Godfrey. - Poli tique du comte
Danby. - Papiers du Lord Montagu. - Parlement. -
Dépositions de Titus-Oates et de Bedlow. - Nouveau
Test. - Accusation contre le comte Danby. - Négocia-
tion de toutes les Factions avec la France. - Le Parle-
ment est dissous, et le duc d'York exilé. - Nouveaux
Ministres. - Suite du Complot. - Iniquités Sangui-
naires des J uges.


Sommaire du Livre V, 1679-1680. 228
Le nouveau P~rlement. -Liberté de la presse. - Le Con-


seil du Roí divisé. - Shaftsbury et le Triumvirat. - Es-
pérances de la duchesse de Portsmouth. - Bill de l' Ha-
beas Corpus.


Affaires d'Écosse. - Assassinat du Primat. - Révolte de
Bothwell- Bridge. - Le duc de Monmouth pacifie l'É-
cosse.


Pl'Orogation du Parlement. - Maladie du Roi. - Le due
d'Y ork rappelé. - Shaftsbury renvoyé du ministere. -
Pétitions. - Complot du Tonnean a farine.


Négociations de touts les partis avec Louis XIV. - Shafts-
hury dénonce juridiquement le due d'Y ork. - Délibé-
rations du Conseil sur ce Prince. -"" Il es! rcmoyé en
Écosse. - Parlcmcnt. - llill d'cxelusio\l, dau5 les Com-




TABLE DES MATIERES.


munes. - Poli tique et négociations de la France en An-
gleterre. - Le Bill d'exclusion rejeté par la Haute Cham-
hre. - Fureur des Communes.


Le Vicomte de Stafford, condamné pour le complot des
Papistes. - Pitié du peuple. - État de la nation et des
factions. - Le Parlement est prorogé. - Déclaration
violente des Communes. - Dissolution du Parlement.


485
PAGES-


Sommaire du Livre 171, 1680- 1683. 280
Négociations de Chal'les II avec la France.-Agitation des


esprits. -Ouverture du Parlement d'Oxford.-Affaire
de Fitz Harris. - Traité secret avec Louis XIV. - Dis-
solution du Parlement. - Appel du Roi a la nation,
contre la violence des Communes.


Changement subit dans les esprits et dans les affaires.--r-
Double direction dans le Gouvernement.-Voyage du
Prince d'Orange.


Gouvernement d'Écosse, sous le duc d'York. - Parlement
d'Écosse. -Formulaire pour la Religion.-Condamna-
tion du comte d'Argyle.-Argyle s'évade par la piété
de sa filIe. - Le duc d'Y ork est rappelé, et. fait confir-
mer le systeme de rígueur établi en Écosse. - Amnistie
barbare et dérisoire.


Retour de Sunderland au ministere. - Les deux com-
plots, connus sous le seul nom de Rye-House.-Com-
plot de Rye-House par les créatures de Shaftsbury.-
Complot des Lords Russel, Essex, Sidney, etc. - Dé-
couverte du complot de Rye-House: '~~ss.ex trouvé-
égorgé a la Tour. .:;'.


Sommaire du Livre 1711, 1683 ~ 1685. 334
Suitc de la double Conspiration. -Proceg du -Lord Rus-


.. - ,s ,-:.y~




486 TABLE n:ES MATI1mES.


sel. - Chartes de Londres. - Proces d' Algernoon Sid-
ney. -' Proces des divers Conjurés d' Angleterre. -
Proces des Conjurés d'Écosse.


Soumission de Monmouth, et sa rétraotation. - Réac-
tions. - Sermon du Docteur Bumet. - SymphJmes d'un
changement de systeme dans le Gouvernement. - Le Roi
veut éloigner le duc d'York.-Mort de Charles II.


l'AGItS


Sommalre du Llvre VIII, 1685. 384


Avénement de Jacques II a la Couronne.-État de l'Eu-
rope. - Promesses du Roi.


Négociations ave e l'Ambassadeur de Franca, pour un sub-
side. _ Projets du Roí sur la Religíon CathoUf{Ue. -
Esprit des Catholiques d' Angleterre. _ Couronnement
et serment du Roi. -Projets d'exclul'e de la Couronne
les héritiers Protestants. - Élections pour le Parlement.
- État de la Cour.


Sommaire du Livre IX, 1685-(Sulte). /.36
Ouverture du Parlement et discours du Roí. - Pl'e-


mieres inquiétudes. - Parlement d'Écosse. - Invasion
du Comte d' Argyle en Écosse. - Invasion de Mon-
mouth en Angleterre. - Bataille de Sedgemoor.